Google
This is a digital copy of a book thaï was preservcd for générations on library shclvcs before il was carcfully scanncd by Google as part of a projecl
to makc the workl's books discovcrable online.
Il lias survived long enough for the copyright lo expire and the book to enter the public domain. A publie domain book is one thaï was never subjeel
lo copyright or whose légal copyright lerni lias expired. Whether a book is in the public domain may vary country locountry. Public domain books
are our gateways lo the past. representing a wealth of history. culture and knowledge thafs oflen dillicull to discover.
Marks, notations and other marginalia présent in the original volume will appear in this lile - a reminder of this book's long journey from the
publisher lo a library and linally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries lo digili/e public domain malerials and make ihem widely accessible. Public domain books belong to the
public and wc are merely iheir cuslodians. Neverlheless. ihis work is ex pensive, so in order lo keep providing ihis resource, we hâve taken sleps to
prevent abuse by commercial parties, iiicluciiiig placmg lechnical restrictions on aulomaied querying.
We alsoasklhat you:
+ Make non -commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals. and we reuuest lhat you use thesc files for
pcrsonal, non -commercial purposes.
+ Refrain from autoiiiatcil (/uerying Donot send aulomaied uneries of any sort lo Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical characler récognition or other areas where access to a large amount of texl is helpful. please contact us. We encourage the
use of public domain malerials for thèse purposes and may bc able to help.
+ Maintain attribution The Google "watermark" you see on each lile is essential for informing people about this projecl and hclping them lind
additional malerials ihrough Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use. remember thaï you are responsible for ensuring lhat whai you are doing is légal. Do not assume that just
becausc we believe a book is in the public domain for users in the Uniied Staics. thaï the work is also in ihc public domain for users in other
counlries. Whelher a book is slill in copyright varies from counlry lo counlry. and we can'l offer guidanec on whelher any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume thaï a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringemenl liabilily can bc quite severe.
About Google Book Search
Google 's mission is lo organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps readers
discover ihe world's books wlulc liclpmg aulliors and publishers reach new audiences. You eau search ihrough llic lïill lexl of this book un ilic web
al|_-.:. :.-.-:: / / books . qooqle . com/|
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel cl de la connaissance humaine cl sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public cl de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres soni en effet la propriété de tous et de toutes cl nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des lins personnelles. Ils ne sauraient en ell'et être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésite/ pas à nous contacter. Nous encourageons (tour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
À propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le franoais. Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les ailleurs cl les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp : //books .qooql^ . ■:.■-;. -y]
a
X
î:
I-
1
y
x
\
!
'i
«Httk
I •
f
BULLETIN
D* LA.
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
DE L'EST
BULLETIN
DK L.Â.
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
DE L'EST
KAKOY. — IHP. BKBGBR-LRVRAObT RT C«.
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
DE L'EST
i
!
PUBLIE PAR LES SOINS HT SOUS LE CONTROLE
i
OU
COMITÉ DE RÉDACTION
TOME V. — ANNÉE 1883
NANCY^
BERGER LEYRAULT & C,e, LIBRAIRES-ÉDITEURS
11, EUE JEAW-LAMOT7B, 11
MAISON A PARIS, 5, RUE DES BEAUX-ARTS
1883
• • « *
• • • •
• • • • • ;
• *• • • ••• • • ^m
• •• ••••• . •
• •• ••• ••• • ••
•
•• • •
• • • • •
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
443736 A
ABrOtt, LENOX AND
T1LDSM FOUNDATION8
« 1&20 L
k - '
k k
• • ••<
• • • '
. . ..
• » z •
SOMMAIRE
Page».
1° Études de géologie militaire: Les Alpes françaises (fin),
par Ch. Clerc . . . 1
2° Géographie comparée : Remarques de géographie physique
fa i les dorant un voyage de circumnavigation autourde l'Amérique du Sud
{suite}, traduit de l'anglais, par C. Millot 24
3° Géographie militante : Explorations : Voyage au Zarabéze
{suite), par C. Gcyot . . 41
4° Géographie régionale : Excursion de Aancy au mont Saint-Michel
près de Toul, par E. Olry, instituteur à Allain 64
5° Géographie générale: Bornéo, par M. Ch. Antoine, lieutenant
de vaisseau {suite) S4
De l'Atlantlanque an Niger par le Foutah-Djallon, par Aimé
Olmtier, vicomte de Sanderval, 1879-18SO 92
6° Géographie coloniale : La Nouvelle-Calédonie, par M. Ch.
Lemire 101
La situation au Congo IIS
7° Miscellanées : L'Ile de Cap-Breton, par M. John-George
Bourinot, d'Ottawa 120
Le commerce du Chili 130
Les ressources naturelles des Pampas argentines 13?
Formation houillère du Tong-King 132
Comment l'on voyageait, en France, au siècle dernier, par
M. A. Fodrnier 134
Quels sont les vrais découvreurs du Sénégal 141
M. Stanley 144
Une expédition scientifique hambourgeoise dans les régions
équatoriales de l'Afrique orientale, par M. Weissandt 145
La guerre aux isthmes. . - 149
Les voyageurs inconnus : Un Yosgien tabou à Nouka-Hiva
[suite) 159
Nouvelles géographiques: France: Le méridien initial interna-
tional. Le monument Flattersà Paris. Côtes de France. — Colonies:
Algérie L'inondation des schotts. L'idiome berbère. Le monument
Flatters en Afrique. Nouvelles du Sénégal. — Covhinchine. — Europe:
DépartdeNordenskjold pour le Groenland. — Afrique: La mission Hévoil.
La mission de Brazza. Le canal de Suez. Les sources du Niger. Le cap
Juby. —Amérique: Nouvelles de ia mission Crevaux. Une nouvelle capi-
tale. — Pôle nord: Stations météorologiques polaires. L'expédition
danoise au pôle nord. Résultats géographiques de l'expédition de la
Jeannette. — Le Spilzberg — Nouvelles diverses 160
Europe : Statistique des Sociétés de géographie. Monument Bérin-
ger. Institut national belge de géographie. Sondages dans l'Atlantique.
L'abbé Petitot. Groenland. Musée commercial. — Asie : Exploration
dans l'Inde. Exploration de 1 Amou-Daria. Nouvelles routes en Perse.
Ktudes topograpbiques en Asie-Mineure. — Afrique : Nouvelles des
explorateurs. M. de Brazza au Congo. Découverte des sources du Bé-
noué. Frontières de Sierra-Leone au Rio-Nunez. — Amérique : Les
restes du docteur Crevaux. A la recherche de Crevaux. Le passage de
Bariloche 253
Bibliographie 177 et 262
Cartographie 262
0
1* ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE
ALPES FRANÇAISES
[Fin (').]
SECTION IV.
Maurienne et Tarentaise (*).
Du Petit-Saint-Bernard, ou plutôt du col du Mont au
Mont-Cenis, la barrière qui encaisse les gorges de Tignes
et de Bonneval est insurmontable et chargée de glaciers ;
il y a là, jusqu'à la plaine d'Yvrée, toute l'épaisseur de6
masses cristallines du Grand-Paradis et de la Levanna. La
frontière court ensuite sur la lisière du plateau du Mont-
Cenis, et par le6 flèches hardies de l'Ambin elle gagne la
coupole neigeuse du Thabor en franchissant successive-
ment les sentiers de Pelouse, Fréjus, la Roue et la Saume;
depuis le Thabor, enfin, elle s'infléchit au S. -E. jusqu'au
pointement de serpentine du Ghaberton, en suivant les on-
dulations de la crête calcaire qui sépare le Névache de la
Bardonecchia.
La vallée angulaire de la Bardonecchia est à bien con-
naître ; c'est le fond évidé d'un ancien golfe de calcaires
schisteux du trias. A Bardonnêche se donnent rendez-vous
les vallons de Rochemolle, de Merdovine, de la Roue et
de la vallée étroite par où s'élèvent les sentiers de Pe-
louse, Fréjus, la Roue et la Saume ; comme aussi vers le
val de Névache, les sentiers des Thures, de l'Échelle et
des Acles. Le nœud de toutes ces communications e6t à
^ 4onnéche, à l'entrée du tunnel de Modane, sous le feu
uauteurs de l'Aiguille-Rouge.
roir le Bulletin da 4« trimestre 1882, p. 629.
Foye* I« esrte de l'éut-major.
■00. D« eiOGB. — 1« TBIMUTBS 1883.
2 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
Si Ton excepte Pelouse qui débouche directement de-
vant l'Esseillon, les autres passages tombent dans le val-
lon de Charmaix et ils s'y réunissent avant d'atteindre Mo-
dane. Un ouvrage serait utile sur la montagne de gneiss
qui s'élève à l'Ouest de Modane, sur la rive droite de
l'Arc ; il battrait parfaitement le tunnel de Modane, 6ur le-
quel l'Esseillon a si peu de vues et enfilerait le vallon de
Charmaix. Il ne peut venir du canon que par le Mont-Ce-
nis, et par conséquent les hauteurs dangereuses de la rive
opposée ne sont occupables que par l'infanterie, à une dis-
tance de 2,000 à 3,000 mètres.
L'Esseillon peut contenir une garnison d'un bataillon : ,
escarpements sur le front et les flancs, difficulté de s'établir
sur les hauteurs en face, tout en fait un noyau de résis-
tance imposant. En occupant Modane, il ne peut être abordé
que par le côté du Mont-Cenis, mais il en est trop éloigné
pour 6'opposer à la descente des Italiens : je ne parle pas
du Petit-Mont-Cenis ou du Clapier. Le val d'Ambin dé-
bouche a Bramans sous le feu de la place. Si l'Esseillon
n'existait pas, c'est à Modane et sur la montagne au N.-E.
de Thermignon que des ouvrages permanents devraient
être construits; ce6 ouvrages battraient les rampes du
Mont-Cenis et le vallon du Charmaix ; ils interdiraient
l'accès de l'Iseran et de la Vanotse. Les forts n'ont par eux-
mêmes, le fait n'est point contestable, d'action que dans
les limites de la portée efficace de leur artillerie ; il faut
donc 6e borner à tirer parti de l'Esseillon, sans oublier
que s'il couvrait la retraite des Italiens sur le Mont-Cenis
et la Vanoise, 6on influence directe est loin de s'étendre
jusqu'au Mont-Cenis et qu'il est facile de le masquer pour
de là gagner la Taren taise.
Autrement importante est la position de Saint-Martin,
d'où l'on bat la route et le chemin de fer du Mont Cenis,
et les rampes des Encombres. A mesure qu'il 6'avance
dans la Maurienne, l'ennemi craint de prêter le flanc, puis
ALPES FRANÇAISES. 3
le dos à nos mouvements par la haute porte de Valloires ;
appréhension gui Ta toujours poussé à se jeter dans la Ta-
rentaise. Déjà Berwick avait « sa principale attention sur
« Valloires; poste excellent, écrivait-il, qui couvre le Ga«
t lihier, empêche l'ennemi de descendre par la Maurienne
c plus bas que Saint-Michel, et par conséquent le rejette
< nécessairement dans la Tarentaise ». Cette observation
est précieuse; elle nous donne l'assurance que, trouvant la
Maurienne fermée , l'ennemi se contentera d'occuper en
forces Thermignon , Lans-le-Bourg et ses ouvrages du
Mont-Cenis ; qu'il passera dans la Tarentaise par l'Î6eran
et la Vanoise, et qu'arrivé à Aigueblanche, il se déversera
en Maurienne par l'excellent chemin de la Madeleine. Le
jour où il tiendra Lans-le-Bourg et Saint-Maurice, l'Iseran
notamment lui sera très utile pour relier ses colonnes ;
par 6uite, il serait naturel de rendre cette liaison aussi
précaire que possible, et d'en faire de même pour la Va-
noise. Ces passages doivent être inabordables aux grosses
colonnes et à l'artillerie italiennes.
Le déversement de l'ennemi en Maurienne par la Made-
leine e6t de toute nécessité : il n'oserait se présenter devant
Albertville sans tenir la basse Maurienne et sans aborder
en même temps les défenses d'Aiton. Le col de la Made-
leine est le seul dont il puisse se servir, car le Basmont
est sous les feux croisés des deux places. Il est de fait qu'en
1793, les Italiens, cherchant à coordonner leurs opérations
dans la Tarentaise et la Maurienne avant de déboucher
dans le Grésivaudan, s'épuisèrent en vains efforts pour
s'emparer du Basmont ; bien qu'Albertville et Aiton fussent
sans défense, bien qu'ils se fussent étendus jusqu'à Sal-
lanches, Cluses et Bonneville, et qu'ainsi la ligne de
l'Isère se trouvât débordée, ils ne parvinrent point à dé-
passer Aigueblanche et la Chambre; le Grésivaudan ne
fat point atteint. On le voit donc, non seulement l'entrée
de la Maurienne leur est interdite tant que l'Esseillon,
4 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
Modane et Saint-Martin demeureront en notre pouvoir ,
mais des batteries élevées au Nord de Thermignon et de
Lans-le-Bourg tiendraient les chemins de l'Iseran et de la
Vanoise : résultat considérable , puisqu'il ne subsisterait
qu'une trouée bien détournée : le Petit-Saint-Bernard.
Mais de ce côté encore, l'ennemi commettrait une faute
grave si, en dépit de son isolement des colonnes engagées
dans la vallée du Drac, il envahissait par la Tarentaise.
Une fois entrées en France, les colonnes italiennes per-
dent en effet toute communication jusqu'au moment où
elles atteignent Beaufort, Aigueblanche, la Chambre, le
Bourg-d'Oi6ans et Corps. Tel est le décousu de leurs opé-
rations dans l'intervalle qu'il y a lieu de répéter que l'Ita-
lie se bornera à une diversion par une aile; l'autre, soit
en Savoie, 6oit dans le Queyras, devant se borner à porter
le6 coups .décisifs.
Le massif de l'Oisans est un récif qui divisera le flot de
Tinva6ion ; le torrent pourra s'écouler par le Nord et par
le Sud, mais il se brisera contre la barrière grésivaudane.
Tenir à outrance à Briançon et sur la ligne Beaufort-Corps ;
organiser les couloirs de la Bàthie, de la Madeleine, du
Glandon et d'Hurtières ; occuper en forces le bastion du
Doron : telle doit être notre règle de conduite. Il était
essentiel de signaler cette ligne de défense *f elle sera le
théâtre de violents combats, et nos troupes ramenées sur
l'Isère grésivaudane pourront toujours s'assurer la supério-
rité à l'entrée des grandes cluses que l'ennemi menacera
plus particulièrement. Confiné au contraire et morcelé
dans les gorges de l'Isère, de l'Arc et du Drac, l'ennemi
sera réduit à de6 efforts isolés par les masses inaccessibles
des Aiguilles d'Arves, des Encombres et du Grammont.
J'ai parlé en commençant du rôle si remarquable que
peut jouer le nid d'aigle du Doron de Beaufort dans la
défense de la Tarentaise. Si l'ennemi parvient à faire tom-
ber nos forts d'arrêt de la haute Maurienne, les troupes de
ALPES FRANÇAISES. 5
la défense se replient sur le Grésivaudan pour couvrir Ai-
lon et se tiennent en liaison avec le corps de Tarentaise
par les Encombres et la Madeleine. Luttant chaque jour,
ainsi que le firent Ledoyen et Badelaune en 1793, nos
colonnes occuperont coup sur coup les failles savoisiennes :
1° La chaîne du Roselein au Cormet, y compris Yéperon
au Nord de Moutiers par où la position fut tournée dans des
circonstances identiques à celles où nous sommes : les Em-
combres, Saint-Martin-de-la-Porte ;
2° Annuit, Haute- Luce, Beaufort, la Louza, le Pas-de-Brian-
pm, la Madeleine, la Chambre ;
3a Annuit, Haute- Luce, Beaufort, la Bâthie, la Roche-Ce-
vins, le Basmonl, Sainl-Pierre-de-Belleville, Là leur front sera
resserré, et au surplus cette dernière ligne constitue en
réalité la défense mobile d'Aiton et d'Albertville. Si l'en-
nemi parvient à la forcer, s'il atteint les forteresses, il
doit procéder à un siège en règle; l'aile gauche, après
avoir disputé le Véry et les Saisies, se retirera derrière
TArly, à Mégève, Ugines et Plumet, afin de couvrir Sal-
lanches et Annecy, et de défendre l'accès du massif des
Bornes.
Quels sont les effectifs possibles des garnisons d'Aiton et
d'Albertville ? Ces places n'ont pa6 de noyau et ne sont que
des champs de bataille fortifiés ; Aiton exige au plus 1,200
hommes, mais Albertville, avec les nombreux ouvrages,
batteries et redoutes de compagnie qui compléteront la dé-
fense de ses 4 secteurs, demandera une garnison de plus
de 3,000 hommes, car les forts de Lestai, du Mont, de
Villard et de Tamié en renfermeront déjà 2,400. Au dé-
but de la guerre, Aiton et Albertville pourraient recevoir
4 bataillons territoriaux, sauf à cantonner les excédents ;
plus tard, les troupes ralliées de la Maurienne et de la Ta-
rentaise y rempliraient le rôle de défense extérieure. Est-
ce trop d'une brigade en Maurienne et d'une division et
demie en Tarentaise? N'est-il pas indiqué de consacrer
6 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
une division à la défense du bastion de Beaufort et de cou-
vrir la route de Tl6ère avec une seule brigade?
SECTION V.
Barrière grésivaudane.
Voici l'armée des Alpes ramenée sur l'Isère grésivau-
dane. Nous avons comme garnison : 1 régiment territorial
à Albertville, plus 2 bataillons détachés d'Aiton, 1 batail-
lon territorial à Aiton, 1 régiment territorial à Grenoble.
Le corps de défense de la haute Savoie a rallié : 1 divi-
sion et demie à Albertville, 1 brigade à Aiton ; quant au
corps du Gapençais, ses 2 divisions sont retranchées der-
rière Vizille et le Pont-de-Claix, et à supposer qu'elles
soient réduites à 24,000 hommes, elle6 suffisent à la dé-
fense de Grenoble. Ceci posé, il est à désirer qu'Albert-
ville et Grenoble puissent détacher entre Goncelin et Mont-
mélian chacun une brigade pour former une division de
réserve.
En quelques heures et en une marche, en se servant des
deux routes qui bordent l'Isère et du chemin de fer de
Grenoble à Albertville, cette division renforcera Grenoble -
Dans un laps de temps moitié moindre,- elle se massera
devant Aiton ou Albertville où l'ennemi aura affaire à un
corps d'armée. Il suffit de rassembler à Montmélian le
matériel de chemin de fer nécessaire pour rendre ces na-
vettes aussi promptes que possible ; au surplus, si je
compte bien, il y a 23 ponts 6ur l'Isère, entre Albertville
et Grenoble, et si la Chartreuse, les Beauges et les Bornes
sont occupés par des forces territoriales rassemblées pri-
mitivement à Voiron, Chambéry, Annecy et Sallanches,
les bataillons s'échelonneront dans les vallées du Guiers, de
l'Aisse, du Chéran, de l'Eau-Morte, du Borne et de V Arve ;
ils couronneront les passages qui échancrent la falaise oc-
cidentale des massifs calcaires de la Savoie et se tiendront
ALPES FRANÇAISES. 7
prête à déboucher sur l'Isère, à en garder les ponts ou à le6
franchir. Leurs navettes à travers les combes et les cluses
de ces massifs contribueront avec celles de la division de
réserve à la concentration de no6 forces sur les points par
lesquels l'offensive 6era reprise.
Le champ des hypothèses e6t vaBte ; la question est
d'être informé de& projets de l'ennemi assez à temps pour
modifier le dispositif de la défense et renforcer les vallées
en butte à se6 entreprises, tout en faisant un emploi aussi
large que possible des contingents territoriaux.
Nous en resterons là. Les conditions dans lesquelles la
reprise de l'offensive aura lieu ne peuvent être détermi-
nées : à la guerre tout n'est qu'accident, et les alternatives
de 6uccès et d'échecs peuvent l'amener dans des circons-
tances absolument imprévues. Elle ramènera l'ennemi 6ur
son territoire, et nous ne l'y suivrons point, car à ce mo-
ment la lutte pour l'existence nationale, soutenue ailleurs,
aura pris déjà une tournure décisive.
Il serait bon de conclure.
La ligne Valloires-Briançon-Mont-Dauphin est la clef de
notre frontière, et les Italiens n'envahiront le Dauphiné et
la Savoie qu'après l'avoir réduite à l'impuissance. C'est à
tort que beaucoup d'officiers considèrent comme purement
secondaire le théâtre des Alpes ; le jour où une guerre
éclatera avec l'Allemagne appuyée d'une diversion ita-
lienne, le peu de forces que nous pourrons consacrer à sa
défense sera bien viteTefoulé sur la barrière grésivaudane
et la campagne présentera trois phases plus ou moins rap-
prochées :
1° L'investissement du front briançonnais, 6i éloigné de
Grenoble et d u cette barrière qu'il faudrait le mettre en état
de se suffire et l'abandonner à lui-même ; nous savons
qu'il est intournable ;
2° L'invasion simultanée peut-être du Gapenoais et de
la haute Savoie ;
8 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
3° L'attaque du boulevard gré6ivaudan.
Lorsque les colonnes italiennes, pénétrant en France par
Larche, le Mont-Cenis et le Petit- Saint-Bernard, auront
rempli la première partie du programme, qui consiste à
nous rejeter dans le Dévoluy et dans le bastion du Doron
de Beaufort, d'autres déboucheront à leur tour. L'entrée
en ligne de ces renforts nou6 mettra dans la nécessité de
nous replier sur Corps, sur la Mure et sur le front d'opé-
rations du Bourg-d'Oisans à la Chambre et à Beaufort que
nous avons tant intérêt à garder, finalement derrière l'Isère
grésivaudane. Mais nos lignes de défense deviennent de
plus en plus courtes, et nos revers ont au moins ce résul-
tat de concentrer nos forces. C'est ainsi qu'en arrivant sur
l'Isère, nous retrouverons une liberté de mouvements si
grande et si absolument refusée à l'ennemi, que le retour à
l'offensive deviendra possible.
Que l'ennemi échoue devant l'une des troi6 forteresses
gré6ivaudanes, il lèvera le siège sur toute la ligne et re-
prendra le chemin des vallées ; c'est alors que Briançon
enfoncé entre ses lignes d'opérations rendra sa situation fort
critique. Ce que l'archiduc Charles dit des positions dé-
fensives s'applique d'une manière saisissante à Briançon
et à la ligne grésivaudane : » Leur propriété essentielle
« consiste dans la liberté de se mouvoir sur les flancs et
« en arrière, pendant que les points d'attaque sont déter-
« minés à l'ennemi, et que des obstacles élevés par la na-
« ture entravent ses entreprises. » Ces obs tables, en exi6te-
t-il de plus puissants que la Grandie-Maille, le Gondran et
l'arête de Belledonne? Exi6te-t-il d'autres points d'attaque
que les quatre cassures de Vizille, Aiguebelle, Albertville
et Venthon ?
Dès que leurs lignes d'opérations de la Tarentaise et du
Drac seront menacées par la vallée de Beaufort, le plateau
de Vercors et la Drôme, les Italiens se replieront sur Mou-
tiers et Bourg-Saint-Maurice, sur le Bayard et la Croix-
ALPES FRANÇAISES.
©5-3 •§ *2 fc
• *• *© « a
i
1
i
1 •
1 °
<
15 & Jss
? o • • • *
» - S 1 ^ 2
g-« J 3 a «
* § * -S*
a « S fl • o
•o • T3 « j *
mm
P.
>
è ô8 s 2 « s
Q
4»
c
•
a
05
§
° 5 2 «m g o
- o S j ~ •§ *
►
•
s
O 9 ®
8
*
44 ■**■•*
M M «
a la
.a
a
•
•
a
S J
■fi S
a
-a o o
t» JS .2
r
«a
•
•
•
DO
fl a g h a
S g
S
a
•
O
00
o o © o o
I i
I
o
i
2
M
a 5 s 3 3
2 i 3 i s
' S "3
a
ï 1
I
4)
o
*4 «■« ^| «H v4
M *"
«*
«D
p4
fi
!
a
•
ce
••
!
A
■
2
0
m
1
a
P4
a
o
3 «
! s
_. D M
a ts a
: le §
> * d 3
> "S © o
•
h
S c
* .2
. 3
: «
: S
a »
1 « X h
1
3 <
J o
d
0
3
■m
«a
J
J i
9
a
M
art
0
«8
i. M
4
; t
!
o
3
0
©
r « i
"G «• *
•M
: i
1 «
>
2
«
H
1 a J
; s
i 1
i l i
1
«
•
•-• E c
: >
C
1 M
10 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
Jlaute. La défense active de Briançon-Mont-Dauphin se
portera contre le Vars ; au>Nord, toute retraite sur le Mont-
Ceni6 sera interceptée, et dans la Tarentaise, en prati-
quant les navettes de Kellermann, une canonnade dirigée
contre les rampes du Saint-Bernard pourra, comme en
1793, terminer la lutte en nous ramenant sur les positions
perdues au début de la campagne. A peine est-il besoin de
le dire : Saint- Martin-de-la-Porte et l'Esseillon étant de-
meurés en notre possession, le6 obstacles qui lui ont inter-
dit l'accès de la Maurienne subsisteront et d'Aiton l'en-
nemi devra regagner la Tarentaise par la Madeleine et le
Varbuche ; la Maurienne nous sera ouverte et Thermignon
bien vite atteint.
En ce qui concerne les opérations dans les vallées de
Maurienne et de Tarentaise, la campagne de 1793, que j'ai
souvent citée, mérite d'être éfudiée ; après nous avoir re-
jetés pas à pas jusque dans le Grésivaudan, l'ennemi dut
regagner dans la plus grande confusion le Mont-Cenis et
le Saint-Bernard. 11 en est de même, à un autre point de
vue, des campagnes de 1814 et 1815. Nos lignes de dé-
fense de la Savoie étaient tournées par Genève et le Jura
envahi ; il fut pourtant possible à des généraux résolus,
n'ayant sous leurs ordres que des gardes nationales et de
fraîches levées, de prendre l'offensive, de refouler le6 Au-
trichiens de Chambéry sur Genève, et de les obliger même
à repasser l' Arve en rompant les ponts.
SECTION VI.
Éventualité de la violation du territoire suisse
par l'Italie.
I. — Les Alpes suisses présentent des gymétries singu-
lières que j'indiquerai sommairement en reportant le lec-
teur aux excellentes cartes de Stieler et de Th. Simler.
Les grandes lignes montagneuses et fluviales de cette ré-
ALPES FRANÇAISES. 11
gion semblent pouvoir se rapporter à deux axes rectangu-
laires dont l'origine serait placée au Saint- Go thard. L'un,
que Ziegler appelle Normale du Sainl-Gothard, est imagi-
naire ; partant du col de ce nom, il se dirige par Lucerne
et Aarau à la rencontre du massif de Feldberg, façade mé-
ridionale de la Forêt-Noire. Au Sud , il emprunte , au
moins comme direction générale, le cours de la Maggia et
se lient à une distance à peu près égale du Ticino et de
la Toce pour aboutir à Milan. L'autre, que j'appellerai axe
du Valais et des Grisons, est orienté du S.-O. au N.-E. de-
puis Martigny jusqu'à Coire : le Rhône, puis le Vorder-
Rheîn, et dans l'intervalle, les malts de la Furka et d'Ober-
alp lui servent de jalons.
En convergeant 60us un angle aigu sur le Saint-Go-
thard, les Alpes valaisanes et bernoises, celles du Tôdi et
des Sources du Rhin figurent au premier abord les rayons
d'un formidable massif chargé de glaciers ; mais la carte
géologique de la Suisse réduit à sa modeste valeur le
massif du Saint- Gothard et montre qu'il n'y a pas croise-
ment, mais simple accotement de deux chaînes ou voûtes.
On écrit communément que ce massif embrasse les vallées
originelles du Rhône, de l'Aar, de la Reuss, du Rhin, du
Ticino et de la Toce, sans réfléchir qu'en absorbant la ré-
gion montagneuse presque entière de la Suisse, cet étoile-
ment donne la fausse idée d'un foyer éruptif unique, et, ce
qui est plus grave encore, d'un foyer d'éruption, hypothèse
en opposition avec le6 constatations de la science qui n'ad-
met aujourd'hui que des faisceaux de plis entrecroisés.
Ce ne serait que peu encore , mais la théorie des
plissements rend compte ici môme de faits d'une haute
importance. De Coire à Martigny, les 6illonsdu Rhône et
du Rhin forment une seule et même vallée au milieu de la-
quelle les maîts d'Oberalp et de la Furka, aujourd'hui tra-
versées par des routes postales et stratégiques de premier
ordre, figurent des exhaussements du thalweg accompa-
12 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
gné6 d'étranglements. Au Nord de ce long corridor, se
dresse la muraille des Alpes bernoises qui, outre les voû-
tes laurentiennes du Finsteraar et du Damastock, com-
prend celle du Tôdi, à l'Est de la coupure totale de la
Reuss appelée Urner Loch ou Krachenthal (brèche d'Uri ou
Vallée tonnante).
Les masses qui encadrent la vallée Martigny-Coire cou-
rent au N.-E., la zone bernoise comme un rempart rectili-
gne fendu en son milieu, à Andermatt, par r Urner Loch, la
zone valaisane et grisonne avec une forte courbure. Celle~
ci, en effet, se replie d'un côté vers le Mont-Blanc et de
l'autre vers la Bernina, ainsi que les ailes d'un papillon
dont le massif du Ticino serait le corps et qui s'attache-
raient au Saint-Gothard. Que ces voûtes soient distinctes,
la chose n'est point douteuse : il y a simple contact dans
les maîts de la Furka et d'Oberalp, et le Saint-Golhard
n'est de la 6orte qu'une des unités orographiques compo-
santes de la zone méridionale.
Peu de massifs au surplus sont aussi nettement circons-
crits. A l'Est, passage du Lukmanier et Medelsrhein; à
l'Ouest, Nuffenen et val d' Airolo; au Nord enfin, Furka}
cirque d' Andermatt, Obefalp et Rhein de Toma. Son pour-
tour arqué embrasse le cirque d'Andermatt, ancien fond
de lac épanché à travers l'Urner Loch. Aussitôt réunies,
le6 trois Reuss originelles de Réalp, d'Oberalp et du Saint-
Gothard 6'engouffrent dan6 l'affreuse cluse du Krachenthal
où il n'y a place que pour la route de Milan à Zurich et
où débouche le tunnel du Saint-Gothard, dont l'entrée est
à Airolo. Le passage du Saint-Gothard, situé au milieu de
l'arc de cercle, à 2,114 mètres, est encadré par des monta-
gnes de 1,000 mètres plus élevées. Escarpée 6ur Airolo, où
elle se découpe en paliers et en murailles verticales, la
pente s'allonge vers Andermatt.
1,179. — Airolo.
2,114. — St-Gotthard-Pass. — Route postale et hospice.
' ALPES FRANÇAISES. 13
1,421. — Àndermatt.
.!,*~~r °V n * n t { Cluse de la Reuss.
437. — Lac des Quatre-Canions. )
IL — La muraille bernoise n'est traversée que par la
route du Saint-Gothard. On ne peut gagner Pentrée de
l'Urner Loch que par la parte de face du Saint-Gothard et
par les portes latérales de TOberalp et de la Furka. La
voûle s'enterre à chacune de ses extrémités sous de puis-
santes masses calcaires : le Wildhorn à l'Ouest et le Sar-
dona à l'Est, qui doioinent de près de 3,000 mètres le
Rhône à Martigny et le Rhin à Coire, et obligent ces fleu-
ves à des coudes 6ubits vers le N.-O. et vers le N., au fond
de cluses excessivement étroites. Des faisceaux de mau-
vais passages sillonnent ces massifs et mettent comme il
suit le Valais et les Grisons en communication avec
TOberland bernois et TOberland grison :
504. — le îihin à Coire.
3,113. — Sardona.
2,424. — Segens-Pass. — Muletier de Reichenau à Schwanden.
3,025. — Vorab.
2,410. — Pkniztr Pass. — Muletier d'Ilanz à Schwanden.
3,622. — Tôdi.
3,622. — Vmer Loch. — Route de Milan à Zurich par le Saint-Go.
thard.
3,633. — Damastogk.
2,165. — Grimsel-Pass. — Muletier d'Obergestellen à Hof.
4,275. — FiNSTERAARHORN.
2,302. — Gemmi-Pass. — - Muletier de Louècheà Thun.
3,268. — Wildhorn.
410. — Le Rhône à Saint* Maurice.
Enfin, la grande voûte laurentienne, bernoise et grisonne
est précédée de voûtes calcaires qui lui sont parallèles et
6'étagent de telle manière que leur faîte se trouve dan6 un
plan incliné vers la plaine suisse. Analogues aux coupures
de Sallanches, Faverges, Chambéry et Voreppe, les cluses
de la Linth, de la Reuss et de PÂar divisent cette région
calcareuse en massifs similaires des Beauges, des Bornes
14 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
et de la Grande Chartreuse. De môme encore que dans ces
massifs, les coupures de VOberland sont reliées par les re-
plis des voûtes. C'est la zone des forêts et des pâturages,
des lacs et des cascades, et il y a ainsi continuité géologi-
que et ressemblance extérieure entre les massifs calcaires
de la Savoie et ceux de l'Oberland.
III. — Issues de la Maurienne et de laTarentaise, des
bandes de roches sédimentaires devenues schisteuses ou
cristallines par métamorphisme, franchissent le faîte des
Alpes françaises entre le Ruitor et le Mont-Blanc; elles
s'étalent sur le val d'Aoste, puis, se ramifiant, s'intercalent
entre les masses centrales du secteur valaisan dont elles
comblent à demi les dépressions isolantes. Du col de
Saint- Théodule (Matterjoch) à la Fenêtre et au Ferret,
elles gagnent le Rhône pour se relever sur la rive droite
contre les rampes du Finsteraarhorn. Le fleuve les a dé-
coupées à l'emporte-pièce depuis Brieg jusqu'à Sion, où il
fait son entrée dans les massifs calcaires précités de
l'Oberland et de la Savoie.
Si l'on excepte le Simplon et le Saint-Gothard, les cols
qui fragmentent la zone valaisane ne sont de la sorte que
d'anciens détroits à travers lesquels a circulé l'Océan ;
mais il est plus admissible qu'un manteau uniforme a,
comme dans le bassin de Maurienne, recouvert uniformé-
ment la contrée, que les plissements ont fait assurgir les
voûtes laurentiennes et qu'enûn le manteau, 6e déchirant
sur les épaules qui le portaient, s'est empilé, l'érosion ai-
dant, dans les replis des voûtes. Quoi qu'il en soit, Taxe
valaisan et grison renferme 9 masses anciennes, dont
4 dans chaque secteur et la neuvième formée par la masse
de jonction du Saint-Gothard.
Sureta.
Secteur grison . \ *#****•
Adula,
Scopi.
Secteur ulaisan.
ALPES FRANÇAISES. 1 5
Soinl-Gothard. — Masse de jonction avec Taxe
bernois-grison.
S impion.
Rosa.
Dent-Blanche.
Grand -Saint-Bernard.
Studer l'a fait observer : les crêtes et les vallées issues
de la Dent-Blanche, du Mont-Rosa, de l'Adula, du Splù-
gen et du Snreta sont méridiennes ou s'écartent peu de
cette direction.
3J06. (') — Crète du Mont-Pleureur à Sion.
Val (FBérémence.
3,644. — Crête du Colon au village d'Hérémence.
Val d'Hérens.
4,360. — Crête de Sierre à Châtillon par la Dent-Blanche.
¥al d'Anniviers et val Tournanche.
4,515. — Crête de Louèche à Châtillon par le Cenrin.
Vallées de Tourtemaqne et de la Visp de Zermatt.
Col de Saint-Théodule.
4,148.— Crête dn Breithorn à Dounaz, sur la Baltea.
Val de Gressoney.
Crête de Stalden à Ivrea par le Dom (4,554) et le Rosa
(4638).
Crête de Brieg aui sources de la Visp de Saas, par le
Weismies (4039).
Vallée de la Visp de Saas.
Seul, le massif du Tésin fait exception à cette règle: il
se coordonne à la normale du Saint-Gothard et, depuis la
Punta Gristallina, rayonne en éventail de part et d'autre
de la Maggia et de cette normale. Le val d'Ossola pour-
tant est presque méridien, mai6 le val Levantina, d'abord
N.-E. (Alpes principales) jusqu'à Airolo, est S.-E. jusqu'en
amont de Bellinzona.
Je n'irai pas plus loin: la partie grisonne de l'axe méri-
dional est sans intérêt pour nous, puisque l'Italie n'aura
pas à la traverser pour gagner la plaine suisse.
(f) L« cotai donaéei d&ni eette énnmération tout o«U«t dtt eiaei culminante».
16 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
L'axe valaisan se jalonne ainsi :
4,811. — Mont-Blanc.
2,492. — Col Ferrée. — Muletier d'Entrèves à Martigny.
2,457. — Grand-Saint-Bbbnard. — Muletier d'Aoste à Martigny.
2,786. — Col de la Fenêtre. — Sentier de glacier.
4,360. — Dent-Blanche.
3,322. — Col de Saint- Théodule. — Sentier de glacier.
4,636. — Mont-Rosa.
2,008. — Simplon. — Route postale de Domo d'Ossola à Brieg.
2,410. — Albrun-Pass. — Sentier difficile de Grodo à Viescb.
3,382. — Gries.
2,540. — G ries- Pas t. — Sentier de glacier assez bon.
2,441. — Nuffenen Pass. — Muletier d'Airolo à Munster.
244. — Saint-Gothard. — -Route postale de Milan-Airolo à Al-
torf-Zurich.
IV. — Le massif calcaire du Wildhorn forme le palier
de la traverse qui termine au S.-O. Taxe "bernois. Ses mu-
railles, ai-je-dit, dominent de près de 3,000 mètres la val-
lée du Rhône, de Louèche à Martigny et Saint-Maurice, et
présentent quatre échancrures, Gemmi, Rawyl, Sanestch et
Pa$-de-Cheville que gravissent péniblement des chemins de
mulets. Ces passages ont bien leur importance 6i Ton
songe aux difficultés de la traversée de la cluse du Rhône
et à l'utilité de se couvrir du côté de Thun et de Saanen.
Au nord de Vevey s'élève ce qu'on appelle le Jorai
(les Jurten des Allemands), c'est-à-dire la partie de la plaine
6uisse qui forme bordure 6ur la droite du Léman. Sa hau-
teur varie de 700 à 800 mètres en face de Vevey et de
Lausanne, et c'est une véritable eunette, car de Morges à
Yverdun il s'affaisse jusqu'à ne plus atteindre que 80
mètres au-dessus du lac de Genève, et 10 mètre6 Seulement
au-dessus de celui de Neuchâtel. C'est la dépression de la
Vénoge et du Nozon que traversent le canal d'Entreroche
et le chemin de fer de Lausanne à Neuchâtel.
L'admirable carte hypsométrique de Ziegler ne men-
tionne pas le Jorat: Studer lui attribue dans l'orographie
de la Suisse le même rôle qu'aux rideaux de molasse
ALPES FRANÇAISES. 17
épargnés par les courants glaciaires et qui vont mourir
contre l'Aar. Les hydrographistes néanmoins ont jugé
indispensable d'élever une barrière entre le Léman et le
lac de Neuchàtel, alors qu'un simple voyage de touriste à
Lausanne leur aurait montré que la nature n'invente rien.
La molasse, comme nous le savons, 6e relève en fond de
bateau vers l'Oberland et vers le "Jura, mais beaucoup
moins de côté où elle bute à 700 mètres, de sorte que la
longue falaise domine d'un millier de mètres encore les
plaines de Genève, Neuchàtel et Berne.
J'ai pu m'en rendre compte du haut des montagnes de
. la Dranse qui avoisinent le Léman. La plaine suisse s'é-
tend à perte de vue vers le Nord, et ses ondulations, aux
formes mousses presque indéterminables, rappellent les
vagues allongées d'un bras de mer dont la muraille du Jura
et les étages successifs de l'Oberland seraient les rivages.
Les nappes du Léman el de Neuchàtel apparaissent comme
desxones que les rafales n'atteindraient pas et qui conser-
veraient leur horizontalité, leur immobilité naturelles.
Y. — La tôte de la vallée du Rhône est aux glaciers du
Damas t oc k et à la maft de la Furka. Jusqu'à Brieg où
débouche la route du Simplon qui s'y amorce avec le
chemin de fer de Martiguy-Lausanne-Bouveret, ce n'est
qu'une gorge encaissée entre des parois d'une hauteur
effrayante et chargées de glaciers. Elle prend ensuite quel-
que largeur, mais à chaque instant les masses calcaires
qui servent de parados aux Alpes bernoises et valaisanes
viennent la .resserrer au point de supprimer le fond de
vallée. A partir de Sion jusqu'à Martigny, le Valais rap-
pelle le Grésivaudan avec des proportions plus grandioses
et un cachet particulièrement sévère ; la plaine, d'ailleurs,
est pauvre, et les prairies n'y sont guère que le bassin
d'inondation du fleuve.
D'Oberwald, où convergent les eaux de fonte de ses
glaciers originels, à Martigny, la chute du Rhône est
•oc. m atoes. — 1" tbimmtkb 183*. t
18 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
énorme ; 883 mètres pour un trajet de 35 lieue6 seulement.
La maît de la Furka se termine à Visp, au confluent de
ce torrent ; depuis lors, les lisières de la vallée s'écartent-,
peu à peu, mais tandis que les Alpes bernoises continuent
à serrer le fleuve, ces massifs valaisan6 ne lui permettent
guère d'élargir son domaine, car les éperons méridiens
qu'ils jettent normalement à son cours, âpres, infranchis-
sables et d'une hauteur excessive, l'étranglent coup sur
coup. D'ailleurs, les lugubres couloirs de laDranse, d'Hé-
rens, d'Anniviers, de Tourtemagne et de la Visp, d'un
côté ; de la Louza, Dala, Rière çt Morges, de l'autre, abou-
tissent d'ordinaire à des culs*de-sac, à des parois verticales .
dont on n'imaginerait jamais que l'on pût sortir. Les tor-
rents en descendent en droite ligne de la base des glaciers
et se mêlent à la grande artère sans avoir rien perdu
chemin faisant de leur vitesse et de leur puissance. Tout
abat d'eau dans la montagne est la menace d'un désastre. ■
En arrivant à Martigny, le Rhône tourne du S.-O. au
N.-O. et traverse en grondant sa première cluse, entre
deux sentinelles avancées, la Dent-de-Morcles et la Dent-
du-Midi. L'encaissement y est tel, le fleuve y est telle-
ment à l'étroit qu'à chaque pas les habitations sont appli-
quées contre les rochers à une hauteur suffisante pour les
mettre à l'abri des crues, terribles dans ce goulet. Saint-
Maurice, d'ailleurs, barre entièrement le passage et l'on
ne débouche sur l'évasement de Bel que par le chemin de
fer ou par la rue du village. Jadis, l'entrée du Lémanétait
à Bex; les apports glaciaires et torrentiels l'oot fait reculer
de 20 kilomètres.
Lorsqu'on a cheminé un jour entier au fond de cette
lézarde qui ne laisse apercevoir qu'une bande étroite du
ciel, et entendu le mugissement incessant du Rhône entre
ces parois de rochers que surmontent de rares bouquets de
sapins, le charme qu'on éprouve en atteignant Bex» et
Villeneuve dépasse toute description. De quelles magni-
ALPES FRANÇAISES. 19
licences se revêt la géographie pour celui qui l'étudié au-
jourd'hui sur une cime neigeuse, demain au fond des
abîmes ! C'est par cet abîme que les Italiens pourront dé-
boucher pour donner la main dans la plaine suisse à leurs
alliés «naturels ».
Ayant d'arriver au Léman, il faut bien espérer qu'ils
auront eu maille à partir avec l'armée suisse qui se pro-
pose de fortifier le Simplon, Martigny et Bouveret.
J'ai cru devoir entrer dans quelques détails au sujet de
la structure des Alpes suisses et de la vallée du Rhône
avant d'aborder la question de l'éventualité d'une violation
de territoire par l'Italie. Si je suis parvenu, en sortant des
clichés traditionnels des hydrographistes, en montrant les
nécessités de cette structure, à donner au lecteur une idée
nette et vraie de cette région, mes voyages n'auront point
été absolument ce qu'on appelle du temps perdu ; cette
satisfaction est assez légitime.
VI. — Les passages des Alpes des sources du Rhin, le
Splûgen et le Bernardin, conduiraient les Italiens à Goire ;
il est naturel que, cherchant à envahir la plaine suisse, à
se déployer entre Lausanne, Berne et Neuchâtel, à me-
nacer Genève, à occuper le Ghablais et le Faucigny, ils
se servent des routes du Saint-Gothard et du Simplon.
Quelques colonnes sans artillerie pourront aussi gagner
le Valais par la Nuffenen et le Grand-Saint-Bernard, mais
le gros des forces suivra les deux routes postales. En arri-
vant à Ho6penthal, dans le cirque d'Urseren, elles se rabat-
tront à gauche sur la Furka et rejoindront à Brieg les co-
lonnes descendues du Simplon.
A Martigny, si ce n'est plutôt déjà, aux étranglements
successifs du Rhône, ils trouveront en position les forces
combinées de la Suisse et de la France. Martigny surtout
devra être énergiquement défendu ; ils auraient beau jeu
par la Forclaz de gagner Sallanches, pointe funeste, car
Sallanches est le pivot de la défense de la Savoie , et les
20 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
lignes de la Dranse, de l'Àrve tomberaient sans coup
férir. Si les projets de la Suisse à Martigny n'ont reçu
aucune exécution, nous occuperons donc la Forclaz d'où
nous dominerons la ville. Les pentes en avant du col sont
bien boisées et en glacis assez régulier ; il y a place pour une
brigade appuyée à des obstacles inabordables et Ton y bat
à bonne portée la route du Simplon et le débouché resserré
du val Perret et du Grand-Saint-Bernard. Je le croirais vo-
lontiers : à la Forclaz, le plus modeste ouvrage provisoire
armé de 8 ou 10 pièces arrêtera indéfiniment les Italiens
à l'entrée de Martigny. La ville et 6on grand faubourg
•
offrent toutes les ressources désirables ; détail essentiel,
parce que la vallée de Chamonix est absolument pauvre.
En cas d'échec, nous aurons toujours la faculté de nous re-
tirer 6ur Chamonix par la Balme et la Tête- Noire, où quel-
ques compagnies seront indélogeable6. La route est bonne
de Sallanche6 à Chamonix ; au delà, un large chemin mule*
tier, accessible à l'artillerie en dépit de la raideur de cer-
taines montées, nous permettrait d'amener à la Forclaz le
canon et les forces nécessaires pour tenir l'ennemi en res-
pect à Martigny.
Si cette position tombe au pouvoir de l'ennemi, il faut
couvrir Sallanches et Beaufort, les deux points menacés,
ou autrement dit occuper Servoz et le col de Yoza, après
avoir fait sauter le pont Pellissier. Notre ligne de défense
est fort allongée, de Servoz au Bouveret, par le Coux et
le Morgin, mais il n'y a que cinq points à garder, et peu
de monde y suffira, ce6 points consistant en passages mu-
letiers et la région entre la Dent-du-Midi et les Aiguilles-
Bouges étant inaccessible. Les grandes opérations ne
commenceront que le jour où l'ennemi ayant atteint la
Dranse- du -Biot, sa colonne principale s'apprêtera à la
franchir pour marcher contre Thonon et Genève, dans le
but d'assurer sa jonction avec celle qui, de Saint-Maurice
et d'Aigle, aura contourné le Léman par Lausanne; car il
ALPES FRANÇAISES. 21
oe laut pas le perdre de vue, les Italiens voudront s'em-
parer à tout prix de Genève et de la ligne de l'Arve, leur
premier front d'opérations.
A ce sujet, il est naturel de distinguer les opérations
que l'ennemi pousuivra contre Genève et contre TArve
pour couvrir sa retraite, et celles qui auront pour but de
donner la main aux Allemands dans la plaine suisse ou
sur les plateaux du Jura. Ces dernières ne sauraient trou-
Ter place ici et je les développerai dans une prochaine
étude du Jura.
Les combats de Martigny, de Saint-Maurice et des envi-
rons ne seront que des affaires d'avant- garde, à moins
qu'un corps suisse n'ait reçu mission de défendre à outrance
la trouée. On peut l'admettre, ce corps se repliera 6ur
Lausanne et Genève en nous laissant le soin de disputer
la Savoie, depuis les passages qui dominent la cluse jus-
qu'aux lignes de l'Arve et de la Dranse, à la défense de
laquelle il y aura coopération effective. Ce n'est certes
point trop d'un corps d'armée pour garder une ligne aussi
étendue : j'entends dire par là, un corps d'armée français
et une division suisse au moins. Ainsi, la ligne de la
Dranse 6e prolonge vers Servoz par les Gêts, Taninges et
Cluses. Sans doute, il ne se présentera pas de grandes
forces devant Servoz, débouché de Chamonix, non plus
que devant Taninges, débouché du val d'Illiez; l'effort
principal se portera contre ia Yernaz et le pont de Tho-
non, mais il paraît nécessaire de répartir une divi-
sion entre les Géts et Servoz, et de masser les autres, avec
toute l'artillerie , derrière les ponts de' la Vernaz et de
Thonon. Si, en 1815, le maréchal Suchet a occupé l'Arve,
de Garouge à Bonneville seulement, et si le général Des-
saix a réussi à emporter le pont de Thonon derrière le-
quel s'étaient retranchés les Autrichiens, c'est qu'à cette
époque Sallanches et Cluses n'avaient rien à redouter du
Valais : il n'en est plus ainsi aujourd'hui ; la route des
22 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
Gête est excellente et la Forclaz peut conduire devant
Sallanches de l'artillerie de campagne et des forces res-
pectables.
De la Dranse, la retraite 6ur l'Arve est assurée ; elle
s'effectuera à la fois vers Genève et vers les ponts d'Anne-
masse, Naugy et Bonneville. De Taninges nous jetterons
un détachement à Cluses pour tenir le passage des Ànnes
et ferons filer le plus gros 6ur Bonneville par la vallée du
Giffre. Dans ce mouvement, l'aile droite évacuera Servoz
et Sallanches et se retirera à Mégève et aux Contamines ;
le centre et l'aile gauche passeront les ponts et en dispu-
teront le passage. Le pont de Bonneville est difficile à dé-
fendre ; les pentes du Môle dominent la plaine de l'Arve
jusqu'auprès de la Roche; il en est de même du pont de
Nangy. L'impossibilité de s'opposer à leur rétablissement
rend leur destruction inutile. Il n'en est heureusement
point ainsi à l'aile gauche ; entre Genève et Annemasse,
les chances nous sont plutôt favorables, car les rampes du
Salève découvrent au loin la plaine jusqu'au lac et tien-
draient les ponts sous le feu de nos batteries.
Il existe enfin derrière l'Arve une ligne de défense peu
connue peut-être, un véritable champ de bataille qui, orga-
nisé à l'avance, couvert de redoutes et d'épaulements de
batteries, paraît susceptible de tenir plusieurs jours. Je veux
parler des glacis de Sion et de la Roche. Ils s'appuient à gau-
che au fort de l'Écluse et aux escarpes du Yuache que l'on
occupera tôt ou tard, à droite aux murailles des Beauges ;
le Salève y figure un bastion dont ils seraient les courtines.
Mais il faut tenir l'entrée de la gorge Borne et faire sauter
le pont de Saint-Pierre, dit aussi pont du Diable (d'une
seule arche et jeté à une grande hauteur 6ur le torrent),
pour se couvrir du côté de Saint- Jean-de-Sixt. D'excellen-
tes routes nous permettraient de gagner la courte ligne du
Fier, de Seyssel à Annecy. La droite occuperait les Con-
tamines, Mégève et Saint- Jean-de-Sixt; en d'autres termes,
ALPES FRANÇAISES. 23
pivoter en s'appuyant au Mont-Blanc, tandis que le centre
et la gauche exécutent un changement de direction de la
Dranse à l'Arve et au Fier en s'appuyant au Rhône, telle
est la marche à suivre proposée. La ligne de défense la
plus solide est cette dernière, mais nous avons abandonné
Genève ; le moment e6t venu pour les troupes du Bugey
d'intervenir et rien n'est perdu encore.
FIN DBS ALPES FRANÇAISES (').
(*) Nous comptons pouvoir bientôt donner 1* mite dn travail d'ensemble entrepris
fer notre savent collègue, à savoir: Le Jura, étudié dans le n.éme ordre d'idées,
booel sera sans doute suivi de : Lee Voêgeê et la frontière belge.
2* GÉOGRAPHIE COMPARÉE
REMARQUES
DE
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE
TAITZB
DURANT UN VOYAGE DE CIRCUMNAVIGATION
autour de l'Amérique du Sud.
[Suite?).]
D'après Théobald Fischer, l'augmentation de la séche-
resse dans l'Afrique septentrionale est aussi prouvée par
la disparition des grands mammifères et la récente appa-
rition du chameau dans ces contrées. Ce dernier animal,
aujourd'hui indispensable au trafic du désert, semble avoir
été inconnu en Afrique jusqu'à une époque voisine de
l'ère chrétienne, car on n'en a jamais trouvé aucune re-
production 6ur les monuments d'Egypte et de Méroë, et
Polybe, parlant de la cavalerie carthaginoise, mentionne
les éléphants et non les chameaux. J'avais fait voir aupa-
ravant que ce fait intéressant s'est passé en Asie - Mi-
neure ('), et j'ai cité de nombreux auteurs classiques,
entre autres Hérodote et Xénophon, qui tous deux attri-
buent la victoire de Cyrus, lors de la bataille de Sardes,
sur le roi de Lydie, à la présence dans l'armée perse de
chameaux, dont la vue .frappa de terreur la cavalerie
lydienne et la mit en fuite. Même au vie siècle de notre
ère, l'historien Procope mentionne la môme impression
l1) Voir la livraison du 4' triœeitre 1882, p. 722.'
(*) Tchihatchcf, Aeiê-Mineure, Climatologie et Zoologie, p. 757.
REMARQUES DE GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 25
produite sur la cavalerie romaine par la vue des cha-
meaux employés dans l'armée des Arabes. Un fait plus
remarquable encore, c'est qu'au xn* siècle, Glycas ra-
contant encore dans ses Annales la bataille de Sardes,
d'après les récits d'Hérodote et de Xénophon, n'ajoute à
cette citation, au sujet de l'impression produite par les
chameaux des Perses, aucune remarque sur la différence
entre les habitudes des chameaux des anciens et ceux de
son temps, ce qui semble prouver qu'il ne trouva rien
d'extraordinaire dans ces récits et que, par conséquent,
même au xne siècle, le chameau n'avait pas encore acquis,
en Orient, la parfaite indifférence qu'il professe mainte-
nant pour les chevaux, et que j'ai souvent constatée en
attachant ensemble des chevaux et des chameaux sans leur
voir témoigner la moindre inquiétude.
Théobald Fischer invoque le témoignage d'Hérodote et
de Pline, et cite d'anciens monuments ornés de figures
d'animaux, pour prouver que, dans les temps historiques,
le nord de l'Afrique était habité par des éléphants et des
rhinocéros, et, ce qui est encore plus significatif, par des
crocodiles ; ces amphibies supposent, en effet, l'existence
dé" cours d'eau incapables de 6e dessécher. Il est impos-
able d'attribuer la disparition de ces animaux à la seule
action de l'homme; car les pays où leur présence est men-
tionnée étaient infiniment plus peuplés qu'ils ne le sont
actuellement et offraient, par conséquent, aux bétes sau-
vages un 6éjour moins favorable que maintenant. Nous
sommes donc amenés à admettre une altération dans les
conditions climatériques de la contrée, à savoir un accrois-
sement de sécheresse de l'atmosphère, qu'explique à la
fois l'introduction du chameau dans le nord de l'Afrique
etTÀsie-Mineure et la disparition de l'éléphant. A l'appui
de cette opinion, Théobald Fischer nous rappelle que sur
les deux continents, en Afrique comme en Asie, l'élé-
phant exclut le chameau, et vice versa, au point que dans la
26 GÉOGRAPHIE COMPARÉE.
partie supérieure de la vallée du Nil, où les éléphants
prospèrent, les chameaux peuvent à peine vivre.
Le Dr Oscar Fraas, savant géologue allemand, auquel on
doit la découverte de nummulite6 dans des dépôts tertiaires
près de Jérusalem, mentionne également l'absence de
toute image de chameau sur les monuments égyptiens, et
cela non seulement dans les ruines de la fameuse ville de
Sakkarah, dont les murs sont couverts de peiutures repré-
sentant divers animaux, mais aussi à Thèbes, fondée
3,000 ans après Sakkarah. Ce fait prouve qu'à cette épo-
que le désert n'existait pas ; une autre preuve nous est
fournie par le nombre des splendides monuments que Ton
n'aurait certainement pa6 construits au milieu de solitudes
inhospitalières, pas plus que l'empereur Adrien n'aurait
construit près de Rome sa fameuse Villa Adrlana au milieu
des marais, si ceux-ci avaient existé à cette époque* Oscar
Fraas est d'avis qu'en Egypte les conditions climatériques
furent tout à fait différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui,
même du temps des Grecs, à l'époque où Alexandrie était
le brillant foyer des sciences et de6 arts, répandant la
lumière sur tout le monde connu. Il pense que l'activité
intellectuelle déployée par cette cité suppose un autre cli-
mat, un air moins sec : « Sur le sol actuel du Nil, dit
Oscar Fraas, aucun système philosophique n'aurait pu
voir le jour, et aucune puissance humaine n'aurait pu
fonder ces universités capables de rivaliser avec celles de
l'Europe. »
Les quelques exemples que nous venons de citer suffi-
sent à prouver que le climat du désert libyco-saharien,
aussi bien que celui des contrées entourant la Méditerranée,
a subi de grands changements, même dans les temps his-
toriques. On a aussi la preuve que des modifications ana-
logues dans la configuration du 6ol et la végétation des
mêmes contrées ont eu lieu à une époque relativement
récente. Théobald Fischer, que nous avons eu déjà l'occa-
v
REMARQUES DE GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 27
«on de citer, a consacré à l'étude des modifications topo-
graphiques des pays méditerranéens le môme talent et
l'érudition avec lesquels il a traité les changements suc-
cessifs de climat qui ont eu lieu dans ces régions. Dans
un travail publié par le journal géographique de Berlin (l),
il traite ce sujet d'une façon magistrale, et une carte, an-
nexée à l'ouvrage, représente graphiquement les nom-
breuses submersions et émersions alternatives, positive-
ment reconnues, des régions littorales de presque toutes
les contrées entourant la Méditerranée. Sur les rivages
africains, ce phénomène est particulièrement remarquable,
autant par 6on intensité que par la variété de ses manifes-
tations i les mouvements de soulèvement et d'affaissement
du sol se produisant alternativement sur la même ligne de
côtes, dans des localités peu éloignées les unes des autres.
Gerhard Rohlfs, l'explorateur africain bien connu, a re-
connu l'affaissement de tout le rivage de Tripoli jusqu'au
golfe de la Grande Syrte, et, d'après lui, le mouvement
d'immersion du soi est si accentué qu'il a pu l'apprécier
dans les voyages fréquents qu'il a faits dans ce pays. Il
cite à l'appui des exemples remarquables et dit : « Je ne
crois pas qu'en aucun lieu du globe on ait observé un
affaissement du boI aussi rapide. »
Un mouvement du sol en sens opposé a lieu dans le voi-
sinage des rivages tunisiens : le Dr Barth a découvert, près
de la ville actuelle de Gabès, les ruines d'une localité
très ancienne, qu'il croit être l'antique Tas cape, située
d'après les auteurs grecs et romains sur le rivage de la
mer, ce qui depuis longtemps n'est plus le cas de la mo-
derne Gabès. Sir Gran ville Temple .a observé des traces
d'un apcien golfe pénétrant de Gabès dans l'intérieur du
continent, et relié avec le lac ou chott El-Fedjedj (l'ancien
Triionis lacus); cette communication a cessé par suite du
(0 ZtiUchrift dêr QtêéUêcbafl fur Xrdkunde tu Berlin. 1878, p. 151.
28 GÉOGRAPHIE COMPARÉE.
soulèvement du sol qui, sous la forme d'un isthme, sépare
maintenant le lac du golfe de Gates. Plus près de Tunis,
nous trouvons la baie de Porto-Farina, jadis profonde de
30 ou 50 pieds, et considérée, il y a deux siècles, comme
un excellent port, puisque dans Tannée 1655 l'amiral
Blake a pu y jeter l'ancre à son ai6e avec une escadre de
neuf vaisseaux de guerre. Aujourd'hui Port-Farine n'a
plus que deux pieds d'eau, et le temps n'est pas éloigné
où toute la baie 6era réunie au continent. De plus, la fa-
meuse cité d'Utique qui, du temps des Carthaginois, pos-
sédait un port splendide, n'est plus aujourd'hui qu'une
grande plaine sablonneuse et les ruines de l'ancienne ville
maritime 6ont à plus de 12 milles du rivage. Peu d'endroits
sur la terre offrent un plu6 triste contraste entre le passé
et le présent que cette plaine de sable, absolument nue,
que j'ai traversée sous le brûlant soleil de juin, sans y
rencontrer de créatures vivantes d'aucune espèce. Je m'é-
tais familiarisé avec de semblables phénomènes dans les
régions classiques de l' Asie-Mineure, où non seulement
les hommes, mais aussi la nature ont depuis tant de siècles
accompli leur œuvre de destruction. Mais si la nature
détruit, elle crée aussi et, au point de vue topographique,
l'Asie-Mineure en fournit de6 exemples frappants. Pen-
dant les dix années que j'ai consacrées à l'exploration de
cette magnifique contrée, j'ai pu, en suivant pa6 à pas les
anciens géographes et historiens, reconnaître les modifi-
cations que la surface du pays a éprouvées depuis l'ère
chrétienne seulement. Ces changements sont si considéra-
bles pour un temps écoulé relativement court, qu'on peut
dire sans exagération que la surface gagnée par la terre
ferme, rien que par la formation des deltas et le cQmble-
ment des mers et des golfes, équivaut à celle d'une petite
province. Cette conquête de la terre sur la mer se continue
encore rapidement de nos jours, si bien qu'un jour on
verra réalisée la prophétie de Strabon. Ce savant géogra-
REMARQUES DE GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 29
phe a déclaré, il y a dix-huit siècles, qu'un temps viendra
où le6 rivages de la Cilicie rejoindront l'île de Chypre,
événement qui dérangera singulièrement les combinaisons
des diplomates, 6i de tels fonctionnaires existent encore à
cette époque.
A ces remarques sur les différentes modifications physi-
ques éprouvées par le désert libyco-saharien et les con-
trées méditerranéennes, durant les dernières périodes
géologiques et même depuis les temps historiques, j'ajou-
terai quelques mots au 6ujet de certains changements
botaniques qui ont probablement eu lieu après la forma-
tion de la mer Méditerranée, considérée par plusieurs
naturalistes comme relativement récente. Le fait est que
le9 deux rivages de cette mer présentent une grande diffé-
rence dans le nombre et la distribution de certaines famil-
les de plantes, qu'une différence de conditions climatéri-
ques ne peut suffire à expliquer. Parmi ces familles
végétales, je citerai seulement les cupulifères et les coni-
fères. Dans la première, le genre Quercus, ou chêne, est
particulièrement remarquable à ce point de vue. G é logi-
quement parlant, le chêne peut être considéré comme
d'apparition récente, car parmi les 34 espèces fossiles
admises parle comte de Saporta, toutes, sauf une (Quercus
f>rimordiali$)7 se rencontrent pour la première fois dans les
plus récentes formations tertiaires (miocène et pliocène).
Actuellement, l'Algérie n'a que 9 espèces de chênes, mais
l'fi6pagne en a 16, la France 12, et la Grèce plus de 15 ;
tandis que l'Asie-Mineure, où ce genre semble avoir acquis
son maximum de développement, en possède 52 espèces,
dont 26 sont particulières à la péninsule d'Ànatolie (1).
Dans la famille des conifères, le cèdre offre un exemple
frappant de localisation, car, sur tous les rivages de la
Méditerranée, il n'y a que quatre points où ce bel arbre
OTcfeifeatehef, À*i+Mii*ure, partie Botanique, II, p. 463-80.
30 GÉOGRAPHIE COMPARÉE.
croît véritablement à l'état spontané, savoir : le Liban
(Syrie), l'Algérie, la Cilicie (sud de l'Asie-Mineure) et
Chypre ; la présence du cèdre dans cette dernière île a été
constatée par 6ir Samuel Baker. Le Liban avait été consi-
déré comme la patrie du cèdre avant qu'on eût découvert
que l'Afrique du Nord renfermait de grandes forêts d'une
variété de cette espèce (Cedrus Libani, tiar. allanticd) ; mais
le botaniste autrichien Kotchy et moi-même avons eu la
bonne fortune de découvrir en Cilicie une nouvelle station,
de ce bel arbre, beaucoup plus importante que celles
trouvées jusqu'ici, comme je crois l'avoir démontré (l) par
la comparaison des forêts de cèdres de l'Algérie avec celles
de l' Anatolie ; c'est au point que si ces dernières avaient été
connues du botaniste Loudoii lorsqu'il établit la nouvelle
espèce de cèdre, il eût donné à celle-ci le nom de Cedrus
Cilicùe au lieu de Cedrus Libani.
Les deux exemples de localisation que je viens de citer
suffisent à prouver que ces phénomènes ont eu lieu après
la formation de la mer Méditerranée ; car si le cèdre avait
été répandu 6ur le continent qui réunissait autrefois l'Eu*
rope à l'Afrique, cet arbre serait resté après la séparation
des deux continents et on le trouverait en plusieurs points
du rivage nord de la Méditerranée, tels que les montagnes
de la Grèce, les Apennins, les Pyrénées, etc., où le cli-
mat et le sol 6ont favorables au cèdre aussi bien que dans
le nord de l'Afrique, l'Asie-Mineurô ou le Liban. Au con-
traire, si nous admettons que cet arbre n'apparut dans ses
stations actuelles qu'après la formation de la Méditerranée,
les obstacles opposés par la mer à la diffusion du cèdre sur
les deux rivages de la Méditerranée expliquent suffisam-
ment 6a localisation.
On peut appliquer le même raisonnement à l'absence
de singes sur les rivages nord de la Méditerranée, et leur
(') Tchlhatchef, Sspagn*, Algérie et ftmfeic, p. 78.
REMARQUES DE GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 31
abondance au sud. On sait que le seul point de l'Europe
habité par des singes à l'état sauvage est le rocher de
Gibraltar; encore ne 6ont-ils pas du tout indigènes, ils
doivent plutôt avoir été importés par le6 Arabes pendant
leur longue domination en Espagne. Si cette intéressante
colonie n'avait pa6 été maintenue artificiellement, il n'y
aurait plus, à l'heure qu'il est, un seul singe sur le rocher ;
le fait est qu'en 1856, ils avaient complètement disparu,
lorsque sir William Codrington en fit venir de l'Afrique
du Nord. Comme cpla a lieu pour le cèdre, les singes de
Gibraltar appartiennent à la même espèce (Macacus Inuus)
que celle de l'Algérie, et on en trouverait encore des repré-
sentants en Grèce, en Italie ou en Espagne, si ce6 animaux
avaient existé avant la séparation de l'Europe et de l'Afri-
que. Une dernière preuve de la récente immigration du
singe, c'est que la faune quaternaire des grottes de Gibral-
tar, si bien étudiée parles géologues anglais (Busk, Smith,
Leith, À dams, etc.), n'a révélé aucun reste de quadruma-
nes; et A. R. Wallace admet (*) que, même à l'époque
miocène, les singes aussi bien que les grands mammifères
caractéristiques de la faune actuelle de l'Afrique (lion,
éléphant, hyène, rhinocéros, hippopotame, etc.) habitaient
l'Europe centrale et n'avaient pas encore pénétré en Afri-
que, où ils n'émigrèrent qu'aune époque comparativement
récente.
Résumons maintenant les faits les plus importants de
l'histoire géologique du désert libyco-saharien :.
1° Les documents de cette histoire remontent très loin
dans la série des âges, car les régions méridionales du
Sahara) actuel étaient déjà représentées dans la période
dévonienne par un certain nombre de masses isolées de
calcaire, dé gneiss et de micaschiste; le calcaire contenant
des fossiles dévoniens. Ces masses ont conservé, pendant
(^) Quart Joum. 0*1. &>«., ut. 1878, XXXIV, p. 84.
32 GÉOGRAPHIE COMPARÉE.
la succession des âges, leur position insulaire et n'ont plus
jamais été recouvertes parla mer.
2° C'est pendant l'époque crétacée qu'une grande partie
du Sahara actuel a été soulevée sous la forme de masses
diversement ramifiées, de telle façon que la mer des pé-
riodes géologiques postérieures put pénétrer au milieu
d'elles, en formant de nombreux golfes.
3° Le Sahara fut représenté jusqu'à l'époque quater-
naire, principalement par ces masses crétacées qui, depuis
leur soulèvement, n'ont plus été recouvertes par la mer.
Durant la période quaternaire, parmi les golfes dont les
eaux baignaient les terres crétacées, le plus grand occu-
pait l'emplacement actuel de llgharghar ; l'extrémité sep-
tentrionale de ce golfe atteignait Bi6kra et l'extrémité 6ud,
le plateau crétacé de Tademayt et Tinghert ; la ville d'Ouar-
gla est bâtie à peu près au centre de l'ancien golfe. La
partie littorale de l'Algérie ayant été soulevée longtemps
auparavant, et se composant alors, comme aujourd'hui, de
montagnes plus ou moins hautes, le grand golfe quater-
naire ne pouvait avoir d'entrée dans l'intérieur du con-
tinent crétacé saharien que par le golfe de Gabès; la
preuve que c'était bien là son issue, c'est la présence de
l'étroite bande de dépôts diluviens, environnés de roctfes
crétacées, qui 6'étend de Gabès au lac salé d'El-Fedjedj'
(Tritonis lacus). Ce fait géologique est d'une grande im-
portance au point de vue de la question, si longtemps
controversée, d'une ancienne communication entre le lac
et la mer; il confirme l'hypothèse du commandant Rou-
daire, et je ne sache pas que cet argument, à mon avis le
plus décisif, ait jamais été invoqué en sa faveur. Le sou-
lèvement du grand golfe quaternaire (et beaucoup d'autres
plus petits) fut le dernier événement maritime de l'histoire
du Sahara.
4° Une fois soulevé dans toutes ses parties, le Sahara
eut encore à subir une opération subaérienne, qui cou-
REMARQUES DE GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 33
sisie dans la formation et raccumulatioa des sables. C'est
la quatrième et dernière phase de sa longue histoire géo-
logique, en laissant de côté les différentes modifications
climatériques et topographiques de l'époque actuelle. Cette
histoire prouve qu'il ne peut pas être question d'une
émersion récente de tout le Sahara au-dessus de la sur-
face des mers. A la vérité, le désert de Libye est proba-
blement un peu plus jeune que son frère le Sahara, car
les dépôts tertiaires émergés (éocène et miocène) y ont un
plus grand développement que les couches crétacées;
mais, en admettant même que le désert libyen ait été sou-
levé depuis la période miocène, on ne pouvait le consi-
dérer comme récent.
Il me reste à dire quelques mots sur les déserts du Tur-
kestan et de Gobi.
Les deux plus grands déserts du Turkcstan sont situés
entre le Sir-Daria (Yaxarte) et la mer Caspienne, en
moyenne sous les parallèles de 45 à 48 degrés, par consé-
quent à la même latitude que le nord de l'Italie et la Suisse.
Le premier — le plus oriental, — nommé Kizil-Koum (sable
rouge), est compris entre le Sir-Daria et l'Amou-Daria
(Osttf); il est borné au N.-O. par la mer d'Aral et 6'étend
vers le Sud jusqu'à Bokhara, ayant du Nord au Sud une
longueur d'environ 400 milles, et 300 milles de l'E6t à
l'Ouest. L'autre désert possède à peu près la même éten-
due; il est situé entre l'Amou-Daria et la mer Caspienne,
et s'étend du pays de Khi va jusqu'auprès de celui de
Herv; les Turcomans le nomment en général Kara-Koum
(sable noir).
Je n'ai malheureusement pas visité moi-même ce6 deux
déserts durant mes longs voyages en Orient, et j'ignore
8il'on sait quelque chose de leur constitution géologique.
Toutefois, le6 Geographische MittheilungenÇ) ont publié une
P) 1878, XXIY, p. S93.
■OC. PB GBOGB. — 1" TXXMMTBS 1883.
34 GÉOGRAPHIE COMPARÉE.
courte notice qui apporte quelque lumière sur ce sujet»
Les sables qui couvrent certaines parties' du désert con-
tiennent des coquilles de mollusques vivant encore dans la
mer d'Aral ; mais là où les sablée font défaut, des schistes
argilacés (Tonschiefer) [l] forment des surfaces parfaite-
ment découvertes. On trouve de la très bonne eau dans le
sable à moins d'un pied de profondeur, mais dans les
schistes on n'en trouve plus qu'à 2 ou 4 brasses, encore
est-elle saumâtre et amère. Cette différence semble prou-
ver que les sables contiennent moins de substances salines
que les schisté6 argilacés, probablement parce que le sel
mélangé aux légères particules de quartz est plus aisé*
ment dissous par les eaux atmosphériques que celui con-
tenu dans la roche schisteuse compacte.
Il est très probable que ces 6chi6tes appartiennent à
l'époque paléozolque et, par conséquent, que les deux dé-
serts du Turkestan sont émergés depuis une période géo-
logique très ancienne. Quant aux sables contenant des
restes de mollusques habitant encore la mer d'Aral, ils
doivent avoir été, au moins en partie, déposés à l'époque
où la mer Caspienne et la mer d'Aral formaient une seule
nappe d'eau.
Dans tout le steppe désigné sous le nom collectif de
Steppe des Kirghizes, et dont le Kizil-Koum et le Kara-
Koum ne forment qu'une partie, le climat présente les
plus violents contrastes. Les chaleurs commencent en mai,
où la température dépasse 122° F. (50° centigrades); c'est
sous l'influence de cette haute température que la majeure
partie des plantes particulières au sol sablonneux et sali-
fère — comme, par exemple, les Alhagi camelorum —
donuent au désert l'aspect verdoyant. Au printemps, les
journées chaudes sont suivies de nuits froides, de telle façon
que la différence de température entre le jour et la nuit
(•; Ba anf UU : cUty-êlaU.
REMABQUE8 DE GÉOGRAPHIE PHY8IQUE. 35
est énorme. En été, cette différence est moins grande à
cause de la chaleur intense du sable. On n'a jamais observé
de rosée. Au milieu de septembre, arrivent les longues
nuits froides. En janvier, le thermomètre descend à 6° au-
dessous du zéro Fahrenheit (c'est-à-dire à — 38° centi-
grades), mais il tombe peu de neige. En général, le con-
traste des climats entre les déserts du Turkestan et le Sa-
hara français est beaucoup plus grand que la différence
des latitudes pourrait le faire supposer. C'est ainsi, par
exemple, que la différence de latitude entre Biskra et les
déserts du Turkestan n'est que de 12 degrés, et cependant
à Biskra le froid est presque inconnu, la température
moyenne annuelle étant de 70° F. (21°,11 centigrades).
Si maintenant nous continuons à marcher vers l'Est,
nous arrivons à la longue chaîne de montagnes qui sépare
la Sibérie de l'Asie centrale, chaîne composée de massifs
différents qui ont reçu les noms collectifs d'Altaï, Sayan
et Yablonovoï. J'ai visité les deux premiers, mais sans les
franchir et sans descendre vers le désert de Gobi. Cet
immense désert, le plus grand du globe après le Sahara,
commence presque au pied du versant méridional de la
chaîne sibérienne dont nous venons de parler, et s'étend
au Sud jusqu'à la chaîne du Kouen-Loum et ses ramifica-
tions orientales ; il a environ 1,800 milles de largeur du
Nord au Sud, et 4,000 milles de l'Est à l'Ouest, c'est-à-
dire des monts Changan au pays de Yarkand. Le Gobi est
compris entre les parallèles de 35° et 45°, et par consé-
quent a la même latitude que l'Italie; ce fait rend encore
plus remarquable le climat de ce désert : plus encore que
les steppes du Turkestan, il fait voir l'influence des lon-
gitudes orientales, combinée avec la puissance du rayon-
nement des vastes surfaces plus ou moins planes. En effet,
sous la latitude de l'Italie, mais environ 40 degrés plus à
l'Est, le Gobi offre les contrastes les plus grands entre les
saisons : l'été rappelle les chaleurs tropicales et l'hiver le
36 GÉOGRAPHIE COMPARÉE.
froid des régions polaires, non seulement par l'intensité
de ces températures extrêmes, mais aussi par leur longue
durée. Le colonel Prejevalski en cite un exemple frappant :
dans la contrée montagneuse de Gansou, à une altitude
de bien peu supérieure à 3,000 pieds, le 16 mai, le ther-
momètre marquait 24°80 F. ( — 4° centigrades), et le
28 mai, la neige tombant avec abondance, recouvre le sol
d'une couche de 5 pouces et demi d'épaisseur (16 centi-
mètres), en même temps le thermomètre descend à 22°46
( — 5°3 centigrades).
Comme le célèbre voyageur russe Prejevalski a mieux
vu le Gobi que ses prédécesseurs, je reproduirai ici les
termes dans lesquels il fait la description de ce désert (*):
« Le voyageur qui parcourt le Gobi, ressent une impres-
sion générale de sombre tristesse et d'oppression. Durant
des semaines entières, l'œil ne voit que les mêmes objets :
des plaines san6 limites, de couleur uniformément jaune,
sillonnées de roches ou de collines escarpées, au sommet
desquelles on aperçoit quelquefois la silhouette d'une an-
tilope (Antilope gutturosa). Les chameaux pesamment char-
gés, avec leur pas cadencé et solennel, font des centaines
et des centaines de milles sans que le désert change, tou-
jours il garde sou aspect sévère et monotone. Le soleil se
couche, les ombres de la nuit se répandent, des millions
d'étoiles s'allument dans un ciel sans nuage, et la cara-
vane s'arrête. Heureux d'être débarrassés de leurs charges,
les chameaux se couchent autour des tentes, et leurs con-
ducteurs sont occupés à préparer un frugal repas. Une
heure plus tard, hommes et bêtes sont profondément en-
dormis, tout autour plane le silence mortel du désert,
comme si aucune créature vivante n'était là. A travers tout
le désert de Gobi, d'Ourga (près de la frontière sibé-
rienne) à Kalgan (près de la frontière de la Chine), il y a,
(') Prejevaltkf, « Beiëen in d*r Moitgalei », 2te Aoflage, p. 15.
REMARQUES DE GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 37
outre la grande route postale entretenue par les Mongols,
plusieurs autres chemins généralement suivis par le6 ca-
ravanes de thé. Tout le long de la route postale, se trou-
vent des stations échelonnées à certaine distance; elles
sont au nombre de 47, chacune d'elles possède un puits
et quelques tentes mongoles (yourtes), qui remplacent nos
bureaux de poste. »
Cette lougue route postale entre Ourga, Kalgan et Pé-
kin, fut pendant longtemps le «seul chemin 6uivi par les
voyageurs qui traversaient le Gobi en entier, du Nord au
Sud, et dans les nombreux récits de voyage publiés, on
ne mentionne que les immenses accumulations de sable,
sans parler de la roche sur laquelle ce sable repose, ni des
débris organiques. Par le fait, il semble que cette route
monotone ne doit rien offrir d'intéressant, puisqu'un homme
aussi observateur que le colonel Prejevalski ne put rien
y découvrir d'important pour la science : tout ce qu'il dit
du pays entre Ourga et la frontière de la Chine, c'est que
le 6ol est formé de sable rougeâtre à grains grossiers et de
cailloux provenant de différentes roches. Heureusement,
à son retour, il ne suivit pas la route ordinaire de Pékin
à Ourga, mais passa beaucoup plus à l'Ouest, de 60rle
qu'il traversa le désert à un endroit qui n'avait jamais été
visité, c'est-à-dire des montagnes d'Alashan à Ourga. Il
décrit cette partie du désert comme une surface très ondu-
lée et interrompue à certains points par des hauteurs con-
sidérables formées principalement de porphyre. Dans une
dépression, il remarqua du gneiss qui s'était fait jour à
travers les dépôts superficiels; cà et là cette même roche
formait comme de petits îlots au milieu de cette mer de
sable.
De telles données sont de la plus grande importance
pour la connaissance du substratum, ou en d'autres ter-
mes, de la charpente solide qui constitue le sous-sol du
désert; si, en effet, nous nous assurons que la roche qui
38 GÉOGRAPHIE COMPARÉE.
se fait jour à travers les sables, ne diffère pas géologique-
ment de celle qui forme les chaînes de' montagnes aux:
alentours, nous serons amenés à conclure que Tune n'est
que la continuation de l'autre. Jetons donc un coup d'œii
sur les montagnes qui bordent le désert, en commençant
par le côté nord ou sibérien.
Ici, j'ai pu m'assurer par moi-même (*) de l'âge paléo-
zoïque de l'Altaï et des monts Sayan, qui sont formés prin-
cipalement de schiste argilacé, de calcaire, de porphyre,
etc., et il est. probable que les monts Yablonovoï, conti-
nuation orientale des Sayan, appartiennent également à la
même formation.
Les dernières explorations du Thian-Shan, ou monts
célestes, dont les diverses ramifications forment les fron-
tières méridionale et occidentale du Gobi, tendent aussi à
attribuer cette chaîne à une ancienne formation géologique.
Le colonel Prejeval6ki, qui traversa plus d'une fois les
montagnes qui bordent le désert au Sud-Est, les donne
comme composées des roches suivantes : granit, syénite,
granulite, porphyre, diorite, micaschiste, schiste argilacé
(Tonschiefer), schiste chloriteux et dépôts de charbon. Tels
sont, d'après le savant voyageur, les éléments géologiques
qui constituent la plupart des chaînes marginales qu'il a
visitées entre Kalgan et le lac Koukou-Nor. Il mentionne
des dépôts de charbon très étendus dans les monts Alas-
han, qui s'élèvent à plus de 10,000 pieds, et dans les mon-
tagnes qui, dans le Thibet septentrional, forment la fron-
tière orientale de Koukou-Nor. Ces faits prouvent que les
chaînes qui limitent le Gobi au Sud-Est, appartiennent
aux formations géologiques anciennes.
On peut, selon toute probabilité, en dire autant de la
longue chaîne de Chingan, qui borde à l'Est le désert et
sépare la Mongolie de la Mandchourie ; car elle est inti-
(0 P. de Tchihatchef, Voyage identifiât dam l'AltaX oriental et Ut parties ad-
jaetntee de la Chine.
REMARQUES DE GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 30
meinent reliée avec les monts Inshan, Tune des chaînes
marginales sud-est du Gobi, que Prejevalski a trouvée
composée de granit. En tout cas, toutes ces montagnes
peuvent être considérées comme l'extrémité orientale de
la longue chaîne du Kouen-Loum, qui, d'après le baron
de Richthofen, est la plus grande et aussi la plus ancienne
chaîne de montagnes de l'Asie.
Nous ne manquons pas, par conséquent, d'arguments
en faveur de la très ancienne formation du Gobi, et nous
devons admettre qu'à l'époque où furent soulevées les
montagnes qui entourent le désert, l'immense espace com-
pris dans leur enceinte resta beaucoup plus bas, mais à
une hauteur encore suffisamment grande pour en faire un
des plateaux les plus élevés du globe, puisque le colonel
Prejevalski lui trouve une altitude de 4,000 pieds (1,285
mètres), avec des dépressions locales de 3,000 pieds en
dessous de ce niveau.
Aussi est il probable qu'après son soulèvement, cette
immense surface n'a jamais été recouverte par les eaux de
la mer, pas plus que le Sahara libyen no l'a été lui-même
depuis les époques crétacée et tertiaire, ou les déserts du
Tarkestan depuis l'époque paléozoïque. Encore une fois,
dans le Gobi, comme dans les autres déserts, les accumu-
lations de sable n'ont aucun rapport avec les dépôts ma-
rins : elles ont été surtout produites par les agents atmo-
sphériques, et, pour le Gobi en particulier, l'abondance
des roches siliceuses, granit, syénite, gneiss, etc., explique
suffisamment la présence de sable quartz eux.
Après tout ce que j'ai dit, il est superflu d'ajouter que
le soulèvement de ces déserts ne s'est pas fait tout d'un
coup, mais successivement, comme nous l'avons vu pour
le désert libyco-saharien, où les roches crétacées et ter-
tiaires apparurent les unes après les autres, laissant de
larges surfaces encore occupées par la mer ou les eaux
douces, bassins qui ne furent comblés que pendant l'é-
40 GÉOGRAPHIE COMPARÉ K.
poque quaternaire ou même encore plus récemment. Aussi
e6t-il très probable qu'à l'instar du Sahara libyen, les
déserts asiatiques furent, aussi pénétrés par les golfes long-
temps après l'émersion de leur partie principale, ou con-
tinrent de nombreux bassins d'eau douce. En ce qui
concerne le Gobi, cette supposition devient une proba-
bilité à la suite des intéressantes considérations d'E.
Regel (') sur le caractère de la flore de l'Asie centrale.
(Traduit de l'anglais par C. Millot.)
(') Mitthtilungen, 1882, XXVIII, p. 65.
y GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS
VOYAGE AU ZAMBÈSE
[Suite M
Retardés dans notre départ par une tempête assez vio-
lente venue du S.-S.-E. (*), nous ne quittons Moutankoï que
le 17 mai pour naviguer d'abord au N., ensuite au N.-E. ;
la berge de la rive gauche laisse apercevoir une grande
plaine .herbeuse qui s'étend depuis la rivière jusqu'à la
Morumbala. Au nord de Mangouigoui se trouvent plu-
sieurs villages de peu d'importance. La navigation est
très facile, le courant étant assez rapide et l'eau profonde.
La surface de l'eau est d'une propreté qui nous étonne
et c'est à peine si nous voyous contre les berges quelques
rares laitues d'eau. Le nyika fait absolument défaut. Nous
passons devant l'embouchure du Numboï, rivière affluent
de la rive droite, venant du N.-N.-O., et nous y apercevons
un grand nombre de pipes, ou hérons noirs à tête blanche,
et de canards siffleurs que les naturels nomment palus.
Le village auquel nous tommes obligés de nous arrêter
dans la soirée a pour nom Paouro ; il est à environ quatre
journées de marche de Meissenger. Pour y arriver, il nous
a fallu passer sur des marais alors desséchés et remplis
de roseaux. Paouro e6t formé d'une trentaine de cases
tant carrées que rondes ; il est entouré de chanvre en
arbre, de ricins et de bananiers (migomba). Il existe aux
environs de ce village une source thermale très intéres-
sante à visiter. Pour la rencontrer, on suit le 6entier con-
r) Voir Bulletin du 4« trimestre 1838, p. 653.
'*)Da 16 &a 17 mal 1881. le baromètre « rarié de 0,756 i 0,763 ; température mini-
nsn = 4-16» eentigradei.
42 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
duisant à Meissenger et parallèle à la Morumbala, c'est-à-
dire allant directement vers le Nord en passant par des
friches où ee trouvent des plantes fortement odoriférantes
(calament), de petits palmiers à éventail, quelques fou-
gères et de nombreuses herbes. Nous marchons environ
6 kilomètres en ligne droite dévorés par des milliers de
moustiques. A la distance indiquée, nous trouvons une
petite côte boisée dont la direction est E.-O., c'est-à-dire
allant de la Morumbala au Ghiré. C'est au pied de cette
côte, à 800 mètres environ de la Morumbala, que se
trouve, à 25 mètres à droite du sentier de Meissenger, la
source thermale que nous cherchons. Elle forme un ruis-
seau de 1 mètre de largeur et sort de terre par plusieurs
ouvertures, en bouillonnant fortement. Sa première direc-
tion e6t O.-S.-O. 6ur 5 mèlre6 de long; elle va ensuite
à l'O., sur environ lm,50 et se divise en deux branches,
formant ainsi un petit lac boueux, noirâtre, sur l'un de6
côtés duquel se trouvent trois autres points d'émergence
L'eau sort à la température de 77° centigrades d'un sable
granitique de la grosseur d'un pois ; elle est très limpide
et coule 6ur de gros blocs de granit recouverte, dans la
partie baignée par l'eau, d'une croûte blanchâtre, peu
ferme et peu abondante. Une colonne de vapeur couvre
tout le cours de l'eau jusqu'à une grande distance. Cette
eau a une légère odeur sulfhydrique ; une pièce d'ar-
gent, mise dans la source, se noircit en quelques minu-
tes ; 6a 6aveur est fade. Les deux branches de la source
se réunissent et coulent vers l'O.-N.-O. La profondeur
de l'eau, au-dessus du sable granitique, est de 5 à 8 cen-
timètres, sur une largeur moyenne de 1 mètre; l'écoule-
ment se fait assez vite. La source est entourée d'herbes,
de roseaux et d'arbres. Dans l'eau, on voit une grande
quantité d'insectes — des coléoptères aux couleurs bril-
lantes, des libellules d'un rouge-sang (Agrion fulgipennis),
etc., — tués par la chaleur du liquide ou par sa vapeur.
VOYAGE AU ZAMBÈSB. .43
Nous voyons aussi, asphyxié par l'eau chaude dans laquelle
il s'est aventuré, un serpent de lm,50 de longueur, ayant
le corps jaune, tacheté de noir. Le fede-fede n'exi6te pas
dans les environs de la source thermale.
À Paouro, les hommes sont assez bien constitués ; leur
taille est au-dessus de la moyenne ; ils portent presque
tous des anneaux en cuivre autour des chevilles. Nous ne
remarquons pas chez eux les nombrils proéminents que
nous avons vus si nombreux, jusqu'à ce jour, dans tous
les villages nègres. Ils 6ont, en général, plus vêtus que
les noirs des autres localités ; outre la toile qui leur ceint
les reins, ils se drapent dans un large morceau de calicot
qu'ils ont teint en noir et qui a un beau reflet rougeâtre
de teinture mal pratiquée. Les femmes sont couvertes
depuis le dessous des bras jusqu'au milieu des mollets ;
elles portent presque toutes leurs enfants à cheval sur
la hanche gauche. Ils sont ainsi maintenus par l'étoffe qui
sert de vêtement à la mère.
Les naturels de Paouro vendent leur farine dans de6
corbillon6 circulaires de 0m,25 de diamètre 6ur 0m,08 de
hauteur; dans le bas Zambèse, la mesure légale ou panche
est une boîte en bois rectangulaire d'environ 25 litres.
Ici, chacun de ces corbillons remplis coûte une brasse de
coton étroit.
Depuis les bords du Chiré, à la hauteur de Paouro, on
aperçoit vers le Nord une grande et importante chaîne de
montagnes qui a pour nom Sierra Makanga(l)7 et qui doit
son nom au pic de la Makanga qui se détache en forme
de pain de sucre et semble avoir dans sa partie nord un
deuxième cône accolé à son sommet.
lia rive droite du Chiré 66 1 une vaste plaine herbeuse
aa milieu de laquelle poussent par-ci par-là de nombreux
palmiers de 30 à 40 mètres d'élévation.
0 V«lr eroquii P.
44 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
Devant Paouro, la rivière s'élargit tout à coup et mesure
de 1,500 à 1,800 mètres. C'est là que commence un lac
important sur lequel nous reviendrons plus loin. Après
avoir dépassé la rivière Zoa, affluent de la rive droite, on
est obligé de marcher ver6 le N.-O., à cause de la grande
quantité de roseaux et de plantes aquatiques stationnaires
qui se trouvent sur la rive gauche. C'est en vain que plu-
sieurs fois nous avons cherché à atterrir ; longtemps nous
avons rencontré des marécages qui nous ont forcés à re-
brousser chemin. Enfin, après être allés 6ur la rive droite
pour tenter de descendre, nous avons dû chercher à nou-
veau un chemin ver6 TE. et profiter d'une éclaircie dans
les marais pour aborder sur la terre ferme. Dès que nos
canots ne purent plus avancer et que les almandias refu-
sèrent tout service, nous entrâmes dans la vase, profonde
alors de 70 centimètres, et allâmes ainsi pendant 900 mè-
tres avant de rencontrer un 6ol moin6 désagréable. Après
avoir traversé quelques friches et un petit bois, nou6 arri-
vâmes au village de Pinda, composé de vingt cases envi-
ron, disséminées çà et là dans une éclaircie où nous remar-
quons de la vigne et plusieurs touffes de canna, à feuilles
longues et étroites et à fleur rouge dans ses divisions supé-
rieures et jaune ponctué de rouge dans ses trois inférieu-
res ; c'est le balisier gracieux (C. speciosa) de nos jardins.
La vigne pousse à l'état sauvage aux environs de Pinda;
elle s'attache aux arbustes, aux arbres et aux herbes dures
qui forment la friche des bois. Le raisin en est presque
mûr ; il est mangeable en partie ; 60n goût est inférieur à
celui de France. Le6 grappes ont de 30 à 40 graines, parfois
moins, parfois plus, peu serrées et delà grosseur de celles
de notre Gamet. Presque partout c'est du raisin noir que
nous voyons.
C'est aussi prè6 de ce village que nous rencontrons pour
la première fois des baobabs, que les mulâtres nomment
millembre et les naturels mourombè. Le fruit de cet arbre,
VOYAGE AU ZAMBÈSB. 45
appelé dambèy est une gousse veloutée qui atteint 0m,25
de longueur sur O^lô de circonférence ; elle renferme
tme substance farineuse d'un blanc rosé, sèche, friable,
d'une saveur sucrée et acidulé très agréable. La matière
farineuse est par tranches longitudinales dans la gousse
et entoure un certain nombre de graines qui .ont la forme
de fèves, à enveloppe brune et amande blanche , d'où
on tire une huile âne. Les Noirs, en temps de disette,
recherchent ces gousses pour en faire leur nourriture.
Pour cela, ils ouvrent les enveloppes, tirent la chair fari-
neuse qu'ils placent dans une pannelle et qu'ils délayent
a?ec de l'eau; on enlève les amandes, on fait cuire l'espèce
de pâte claire qui reste et on obtient un aliment assez
agréable à manger.
Les naturels de Pinda sont d'un noir assez foncé, leur
taille est supérieure à la moyenne ; ils sont vêtus comme
ceux de Paouro. Aucune femme ne porte l'affreux pèlélè.
Nous comptions nous remettre de nos fatigues de la
journée par une bonne nuit de repos, mais ce plaisir nous
a été refusé. A la nuit, les naturels ont commencé un
batouck de deuil entremêlé de chant6 funèbres, de danses
et surtout de libations de liqueurs fermentées. La veille
de notre arrivée, une femme était morte et l'on célébrait
ses funérailles. Le côté pratique de cette cérémonie, sur
les rives du Chiré, consiste à enfermer le mort dans un
panier en roseaux et à l'enterrer quelques heures après
le décès.
Les nègres du Chiré — ou du moins ceux de Pinda —
n'ont pas de cimetière, on inhume à la première place
venue, on remplit la fosse et on égalise la terre. L'herbe
repousse sur l'emplacement de la tombe et au bout de
quelques semaines il est impossible de retrouver la place
choisie par les parents ou les amis. Dans quelques vil-
lages des rives du Zambèse, on se contente de jeter les
morts dans le fleuve, où les poissons et les crocodiles ont
46 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
bientôt dévoré les cadavres. C'est le soir des funérailles
que commence le deuil ; pendant une lune, tous les soirs,
dans le village du défunt, on bat le tambour, tous les ha-
bitants se rassemblent et, en présence du chef, on chante
les vertus ou les actions de bravoure mis au compte du
défunt. Si celui dont on déplore la perte était un guerrier,
on tire chaque soir quelques coups de fusil en son hon-
neur : on brûle la pondre de deuil.
Les parents, hommes et femmes, se rasent les cheveux
et s'entourent la tête d'une bande étroite de coton blanc ou
d'une tresse assez une faite à l'aide de feuilles de palmier
séchées et découpées.
Au tambour des naturels est venu s'ajouter, pour nous,
le désagrément du voisinage des moustiques et des rats
qui pullulent à Pinda. Les moustiques sont assez variés
dans le pays et ce ne sont pa6 toujours les plus gros qui
sont les plus gênants ; ceux que nous avons pu examiner
à loisir ont été divisés en cinq espèces différentes : 1° le
moustique gris ou ordinaire à pattes longues et à corps
mince, ayant les suçoirs bifurques, dont la piqûre est peu
douloureuse; 2° le moustique zébré ayant le corps allongé ,
les pattes unes et longues , le corps gri6, marqué trans-
versalement par des raies d'un beau noir ; les pattes sont
aussi zébrées, sa piqûre assez douloureuse; 3° le mous-
tique noir, de la taille du précédent, produisant presque
toujours une cloche à l'endroit où il enfonce son suçoir,
lequel se plie vers son milieu à angle plus ou moins aigu,
comme peut le représenter un f> couché et dont les bran-
ches se rapprochent, jusqu'à venir se toucher selon que le6
soies pénètrent plus ou moins en avant ; 4° le moustique
brun, que les naturels nomment mansos, dont les quatre
derniers articles des tarses ont un anneau blanc ; sa pi-
qûre e6t très douloureuse ; et 5° enfin le moustique gris,
de très petite taille, dont la piqûre vive et douloureuse
persiste pendant plusieurs heures. La fumée de bois vert
VOYAGE AU ZAMBfcSE. 47
et les lotions à l'eau phéniquée n'ont pu nous débarrasser
de ces incommodes visiteurs qui trouvaient malheureuse-
ment un moyen quelconque pour traverser les mousti-
quaires dont nous étions enveloppés. Plus tard, sur le
Zambèse, nous n'avons rencontré que le moustique zébré
et le dernier que nous avons mentionné.
Quand nous aurons dit que toute la nuit nous avons en-
tendu le coassement des grenouilles qui habitent les ma-
récages de Pinda et le chant de la cigale forgeronne, ainsi
nommée parce que le bruit qu'elle fait ressemble au son
que rend l'enclume du forgeron lorsqu'on la frappe en ca-
dence, on pourra se figurer le plaisir que nous a procuré
notre première nuit à Pinda, aprè6 un bain de boue et de
vase dont les émanations étaient fiévreuses.
Les naturels se couchent sur ou plutôt dans des nattes
qu'i|s nomment fumba; ce sont des sacs en palmier tressé,
et ouverts sur l'un des plus grands côtés, dans lesquels ils
s'introduisent et qu'ils maintiennent ensuite fermés sous
eux. Chaque couple habite un de ces lits primitifs; cha-
cun place sous sa tête un morceau de bois taillé et même
sculpté avec élégance, pour lui servir d'oreiller. Ils ont
presque tous des chapeaux tressés en feuilles de palmier,
se terminant par une partie rétrécie et allongée de 30 cen-
timètres au moins, qu'ils entourent d'un morceau de cali-
cot teint en noir. Quelques-uns d'entre eux prisent du
tabac assez fin qu'ils préparent eux-mêmes ; ce tabac est
d'une nuance jaune verdâtre; il s'obtient à l'aide de feuilles
Bêchées avant la fermentation.
Les feuilles sont d'abord cassées, puis découpées au
couteau; les fragments sont ensuite réduits en poudre im-
palpable, soit entre deux pierres, soit dans une espèce de
mortier en bois, d'une essence très dure et à l'aide d'un
bâton faisant l'office de pilon. La poudre fine est ensuite
renfermée dans des espèces de tabatières ; nous en avons
yu de deux formes. Celle en usage dans le commun du
48 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
peuple, se compose d'une petite calebasse en forme de
gourde, fermée par un bouchon en bois ou en tige de
maïs; l'autre, qui est le privilège des chefs et des princi-
paux de la tribu, est faite d'un tube en bois, de 25 cen-
timètres de longueur, décoré au dehors de dessins et
d'arabesques à l'aide d'un fer rougi au feu. Il y a de ces
tabatières qui 6ont très jolies; elles 6e portent attachées
à la ceinture à l'aide d'une cordelette, en bouazé ou en
sensevùère, agrémentée de plusieurs rangs de perles. Le
tabac à priser de6 nègres n'étant pas fermenté, n'est pas
fort; aussi, hommes et femmes en absorbent-ils des quan-
tités qui paraissent considérables. Ils versent la poudre,
du récipient dans la main, et l'aspirent en se frottant le
nez à plusieurs reprises. Comme ils ne connaissent pas
l'usage des mouchoirs, il s'ensuit que ce qui n'a pu être
enlevé par les fosses nasales reste sur le nez, les lèvres et
les joues avec une teinte verdâtre qui fait très bon effet
6ur la peau noirâtre des naturels.
Le 19 mai, après avoir traversé une seconde fois les
marécages qui nou6 séparent du lac, nous reprenons notre
navigation vers le Nord; nous suivons la rive gauche,
près de la terre, d'une manière parallèle à la chafne de
la Makanga. Au bout de trois heures pendant lesquelles
nous avons constamment rencontré des laitues d'eau, des
châtaignes d'eau (Trapa natans L.) et des Tchingèse dont
les fruits sont très bons à manger, nous nous trouvons
devant une telle quantité de roseaux qu'il nous est im-
possible d'aller plus loin. C'est en" vain que nous cher-
chons une passe de tout côté, il nous faut revenir pres-
que en face de Pinda et changer de direction. Tirant
alors à l'Ouest, nous marchons pendant 2 heures, assez
facilement, puis nous nous trouvons derechef cernés par
le6 plantes aquatiques sur lesquelles courent en grande
quantité des garsôttes, des sarcelles, des râles et des poules
d'eau, tandis qu'à peu de distance de nous s'aventurent
VOYAGE AU ZAtfBÈSE. 49
quelques pélicans, des oies (machikouè) et dos canards.
Nous essayons de passer entre les nombreux nénuphars et
tchingèses qui couvrent une partie du lac, mais bientôt
oos canots sont emprisonnés, deviennent stationnaires et
il nous faut arracher les plantes pour rebrousser chemin.
C'est en vain que l'un de nous s'aventure dans une alman-
dik conduite par un noir et qu'il essaie de découvrir la
passe qui doit cependant exister; en cet endroit, le lac, qui
6'étend de tous côtés à perte de vue, n'est qu'un vaste
champ de salade, avec cette différence que le sol en est
mouvant et peuplé de crocodiles et d'hippopotames. Enfin,
après onze heures de recherches infructueuses nous de-
vons, vu l'approche de la nuit, regagner Pinda où nous ren-
trons en plaine obscurité, après avoir pataugé de nouveau
dans les marécages qui bordent la rive gauche du lac et
affronté nn orage assez violent accompagné d'un très grand
ventduS.-S.-E.
Le passage par la rivière nous étant matériellement
interdit, nous avons dû changer notre manière de voyager
et, ignorant jusqu'à quel endroit il nous faudrait porter
nos canots et nos bagages à dos d'hommes, nous nous
décidons à gagner le Malahoué par voie de terre, sauf à
faire usage, si cela se pouvait plus tard, d'embarcations
cafriales, troncs d'arbres creusés et grossièrement façon-
nés. Après avoir composé une petite caravane de trente
hommes environ n'emportant que le 6trict nécessaire,
nous quittons Pinda et marchons d'abord à l'E.-N.-E.,
puis au Nord, et traversons un bois assez touffu où nous
remarquons de beaux et grands arbre6 dont l'essence est
dore et rougeâtre. En quittant ce bois, nous voyons sur la
lisière quelques pieds de datura stramonium, des convol-
toIus variés, des cactus et de la vigne dont les raisins sont
déjà noirs.
Le premier village que nous trouvons sur notre route
e6t Casamo, qui se compose d'une dizaine de cases, assez
•OC. M OÉOOK. — l*r TB1MIITU 1883. 4
50 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
vieille6 et enfumées. Plus loin, nous traversons Salim,
formé de trente paillottes et où les naturels nous arrê-
tent pour nous forcer à accepter en cadeau un corbillon
de pois chiches et un canard sauvage. Rentrés de nouveau
dans les bois, nous laissons deux villages sur les côtés de
notre 6entier, nous pénétrons dan6 les friches et nous
finissons par trouver un marécage qu'il nous faut longtemps
côtoyer pour entrer dan6 un fourré d'herbes très épaisses
de 2m,50 à 3 mètres de hauteur.
Nous rencontrons ensuite un lac desséché, à fond de
sable quartzeux, large d'environ 60 mètres, et après l'avoir
dépassé de 1 kilomètre, nous entrons dans le village de
Paoulou, comprenant une quinzaine de cases carrées, de-
vant lesquelles des hommes nonchalamment étendus sur
des nattes en palmier, aspirent lentement la fumée du
chanvre que contient leur pipe; c'est dire que cette plante
pousse en quantité aux abords du village en compagnie du
kiabo et du maïs. Là encore il faut nou6 arrêter et entendre
les compliments des naturels ou recevoir leurs salutations
et leur sagouati, composé cette fois d'œufs frais, d'une pe-
lotte de tabac et de 4 à 5 litres de riz fin non décortiqué,
provenant des rizières environnantes.
Disons-le une fois pour toutes, ces sagouaîis ou cadeaux
nous coûtaient au-dessus de leur valeur; à notre tour, nous
étions obligés d'offrir au chef (mambo) et souvent aux grands
qui l'accompagnaient, quelques-uns des objets de notre pa-
cotille. Aux uns de l'eau-de-vie, aux autres des mouchoirs ;
aux femmes de la bijouterie ou des miroirs, aux enfants
des images d'Épinal. Si nous mentionnons les cadeaux
qui nous étaient offerts, c'est plus pour faire connaître les
ressources que nous avons trouvées dans telle ou telle lo-
calité, que la générosité presque toujours intéressée des
naturels.
Nous quittons Paoulou pour marcher vers Touka, vil-
lage distant du précédent d'environ 6 kilomètres dans la
VOYAGE AU ZAMBÈSE. 51
direction Nord. Entre ces deux localités nous passons dans
une plaine dont les herbes, hautes de 1 mètre environ, sont
dure6 et piquantes. Le sol est formé de sable quartzeux
avec des morceaux de feldspath concassés. Au milieu de ces
herbes et appuyées contre de petits arbustes, s'aperçoivent
de nombreuses fourmilières dont la hauteur atteint parfois
2 et même 3 mètres. Nous apercevons encore, sur notre
gauche, le lac que nous n'avons pu franchir et il est com-
plètement couvert par les alfacynias et les roseaux. Avant
d'arriver à Touka, il nous faut traverser une lagune de
gros sable quartzeux et à 300 mètres au delà, le lit desséché
d'une importante rivière large en cet endroit de 125 mètres.
Les berges avaient lm,50 d'élévation et le fond était de très
gros sable où le quartz prédominait. Aucune végétation
n'existait sur ce sable. Touka est à environ 1 kilomètre 6ur
la rive droite de cette rivière dont il nous a été impossible
de savoir le nom. C'est la résidence de l'un des premiers
dignitaires de Marianno; ce chef est d'une taille ordinaire,
maigre, très doux et prévenant; il possède quatre femmes.
Dès notre arrivée, il met sa propre demeure à notre dis-
position, fait distribuer du bois et de l'eau à nos hommes
et nous envoie un mouton, des poules, des œufs, plusieurs
plats de poisson cuit et de la masse dont nos nègres tirent
profit; enfin, il nous fait offrir un quartier du crocodile que
ses subordonnés ont tué la veille.
Nous avons quitté Touka pour marcher vers le Nord, mais
bientôt il nous a fallu obliquer vers le N.-O., afin de passer
entre deux étangs marécageux couverts de roseaux. Nous
reprenons ensuite notre marche normale et arrivons aux
éclaircies du bois dans lequel nous sommes entrés la veille.
Les grandes herbes sont brûlées, aussi cheminons-nous sur
un sol noirci et passons-nous au milieu de jeunes buissons
de palmiers roussis et desséchés par les flammes. Sur de
grands espaces, la végétation a été détruite et les friches
montrent leur sol sablonneux. Nous longeons divers mare-
52 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
cages, et dépassant un étang nous traversons un petit bois
d'un kilomètre de largeur et arrivons au village de Mingarè,
divisé en deux sections éloignées de 150 à 200 mètres
Tune de l'autre. Presque toutes les cases en sont carrées
et dès notre arrivée nous sommes entourés par les natu-
rels près desquels courent des animaux domestiques. Plu-
sieurs naturels prisent, d'autres toussent d'une manière
tellement caractéristique que nous sommes persuadés qu'ils
sont accroupis dans quelque coin de leurs cases en train
de fumer le chanvre provenant des arbres que nous aper-
cevons près de leurs habitations. Au delà de Mingaré, nous
entrons dans des champs cultivés auxquels font suite des
friches et quelques bois touffus où nous remarquons des
cactus grimpants et à petites fleurs jaunes qui relient entre
eux de grands et gros arbres. Le dernier de ces bois peut
avoir 2 kilomètres de largeur; son axe de direction est
sensiblement E.-O. Au delà se trouve une friche rem-
plie de mimosas épineux qui rendent la marche très dif-
ficile et qui ne sont dépassés que par des baobabs ; plus
loin encore se rencontre un terrain marécageux desséché,
rempli de roseaux Uns et d'herbes piquantes de lm,25 de
hauteur. Nous inclinons au N.-O. et à l'Ouest et quand
nous avons dépassé un étang presque entièrement couvert
de nénuphars, et sur lequel se promènent de nombreuses
garsottes, nous arrivons sur les bords du Chiré, qu'il va
nous falloir traverser.
En cet endroit, la rivière a environ 200 mètre6 de lar-
geur; elle coule N.-E. à S.-O. Son eau est très claire et
son courant rapide. Elle e6t presque entièrement dépour-
vue de plantes aquatiques. Le transbordement d'une rive
à l'autre, de nos hommes et de nos approvisionnements,
par une 6eule almandiâ, demande environ deux heures;
il est terminé au milieu de l'après-midi.
Tandis que la rive gauche du Chiré est sablonneuse,
remplie de roseaux et d'herbes , la rive droite , au con-
VOYAGE AU ZAMBÈSE. 53
traire, ne montre les plantes marécageuses que sur une
épaisseur de moins de 1 mètre, et une fois qu'elles sont
passées, on trouve une végétation de toute beauté. De
grands et nombreux bananiers, des ricins de plusieurs
mètres d'élévation, des cucurbitacées variées, des sola-
nées, du sésame, etc., sont mêlés à une foule d'autres
plantes à larges feuilles et à fleurs aux couleurs éclatantes.
Pour celui qui vient de passer quelque temps au milieu
de la végétation sèche et triste de la rive gauche, le chan-
gement subit qu'il constate du côté opposé est frappant ;
il semble renaître à la vie, il se remet bien vite des fati-
gues qu'il a éprouvées et de l'abattement qui a pu peser
sur lui.
Nous débarquons près du village de Chirongé, qui nous
semble divisé en trois sections éloignées l'une de l'autre
de 150 à 200 mètres. Pendant que nous traversons le
Chiré, nous apercevons, à 1,000 mètres en aval et sur la
rive droite au bord de la rivière, un village qu'on nous a
dit être Moingé.
Autour de Chirongé la culture est très variée ; on peut
s'y procurer la plupart des plantes dont nous avons signalé
l'existence dans la vallée. Les planteB odoriférantes, telles
que le calament (M. Calamintha), le basilic (Marouatè), la
menthe officinale, le jasmin d'Espagne et autres, y sont
nombreuses; près des cases nous trouvons la ciguë et quel-
ques pieds de maïs.
Après Chirongé, nous marchons vers l'Ouest et traver-
sons deux groupes d'habitations de sept ou huit paillottes
chacun; nous entrons dans d'immenses rizières que gar-
dent des enfants placés dans des abris élevés auxquels
Tiennent aboutir un certain nombre de cordeaux traversant
la culture en tous sens. Lorsque les oiseaux, en si grand
nombre dans ces parages, s'abattent sur la plantation, le
petit gardien agite les cordes dont il a les extrémités entre
mains, il effraie les maraudeurs et les fait envoler.
56 GÉOGRAPHIE MILITANTE *. EXPLORATIONS.
un peu plus loin deux autres sont, comme celles des villages
précédents, montées sur pilotis. Nous nous croyons à proxi-
mité d'un lieu habité et espérons que nos maux sont termi-
nés ; hélas ! il n'en est rien, nous n'avons que des bana-
niers en plu6, ce qui nous force, comme ils sont assez rap-
prochés le6 uns des autres, à faire des détours et à serpenter
avec difficulté. Après avoir traversé le lit desséché d'un
ruisseau, nous faisons quelques centaines de mètres et
tombons dans un marécage fort boueux que nous traversons
avec peine. Revenus sur la terre ferme, nous rencontrons
aussitôt un deuxième marais plus large et plus profond que
le premier, duquel nous parvenons à nous tirer heureuse-
ment, malgré l'obscurité complète dans laquelle nous nous
trouvons. Puis le terrain s'améliore ; durant l kilomètre
nous traversons en zigzags des friches qui nous mènent à
un village important et à un bois touffu dans lequel nous
voyons un deuxième village que nous laissons «aussi pour
nous rendre, à 1,600 mètres plus au Nord, à Missengé où
nous campons.
Le chef de ce village, Domingo Jaia, qui était absent au
moment de notre arrivée, vint le lendemain nous rendre
visite. C'est un grand et sec vieillard, couvert de bleseures
que nous n'osons pas qualifier d'honorables. Ce fut l'uu
des chefs importants de l'armée de Marianno l'Ancien ,
pendant les guerres que ce despote fit il y a un quart de
siècle. Avec lui il se livra à tous les brigandages possibles,
fut môle à toutes ses orgies, à tous ses excès; il regrette ce
bon temps et se plaint amèrement d'être, depuis de longues
années, affligé d'une constipation des plus opiniâtres qui
ne lui permet plus de tenir tête, pour la boisson, aux grands
dont il a composé sa cour. Son premier discours se termine
par une demande de remèdes et incidemment par une ré-
clame d'eau-de-vie; destinée, dit-il, à tuer le froid. Après
avoir humecté son gosier, Sa Grandeur Domingo voulut
bien s'intéresser au but de notre séjour dans ses domaines,
VOYAGE AU ZAMBÈ8E. 57
et ayant appris que nous voulions aller à M'bona et gagner
à pied le Malahoué, il nous déclara respectueusement que
nous ne passerions pas avant d'avoir fait prévenir le chef
indépendant de M'bona, qui daignerait peut-être venir lui-
même nous chercher. Domingo ajouta qu'il était indispen-
sable de remettre à l'homme qui serait notre ambassadeur
on sagouati de premier ordre, c'est-à-dire une bouteille
d'eau-de-vie. Nous nous exécutons.
En attendant le retour de notre représentant qui ne doit
s'effectuer que vers le milieu de la journée, nous nous
occupons à visiter les bords du Chiré et à chasser la per-
drix rouge (P. rubrà), nombreuse dans les environs.
Pendant ce temps, Domingo était allé revêtir son vête-
ment des jours de fête, un schall rouge, à bordure violette,
qu'il porte en péplum, puis nous amène sa femme et sa
fille, âgée d'environ une dizaine d'années. La présentation
faite solennellement avec force battements de mains, le
maître autorise ces dames à nous faire le cadeau qu'elles
avaient préparé pour nous. Voici en quoi il consistait : un
jeune cabri blanc, un corbillon de riz non décortiqué, un
autre de riz décortiqué, une poule, un paquet de dix cannes
à sacre de lm,50 de longueur et plusieurs régimes de ba-
nanes fines à conserver. Ce cadeau important ne pouvait
être payé que d'une manière royale ; nous ouvrîmes notre
boîte à bijouterie et priâmes ces dames de choisir. Elles
furent modestes et, vu le peu de valeur de nos articles de
Paris, nous crûmes devoir leur donner en outre quelques
autres fantaisies.
Lorsque la cérémonie des échanges fut terminée, Do-
mingo réclama sa part et, prenant une gourde, il nous
pria de la lui faire remplir d'eau-de-vie, afin qu'il pût tenir
conseil avec ses grands.
Le conseil .dura environ une heure, au bout de laquelle
notre hôte revint nous offrir un corbillon vide pour en-
fermer le riz qu'on nous avait donné. Voulant nous mon-
58 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
trer le système de fermeture de son panier, il tomba à terre
et ne put se relever. Le grand guerrier était vaincu par
l'alcool et Pedro, l'un de nos hommes, dut le ramasser et
le rentrer dans sa case où il cuva tout à son aise les déli-
bérations de son conseil.
Le riz des bords du Chiré est d'une blancheur éclatante,
trè6 fin, et donne une très belle farine. Il se cuit sans diffi-
culté; on le trouve agréable au goût. Ce riz, croyons-nous,
serait bien coté sur les marchés européens.
Vers midi, notre ambassadeur revint accompagné de
deux chefs que Combé, souverain de M'bona, nous en-
voyait pour nous accompagner jusqu'au pied du Mala-
houé. Nos préparatifs terminés, nous partîmes en machiila
vers TO.-S.-O., par un bois très touffu, dans lequel nous
avons remarqué beaucoup de ceps de vigne. Le sol du
sentier était de sable quartzeux. A 500 mètres de MÎ6-
sengé, nou6 rencontrons un village formé de treize cases
carrées et d'un grand hangar dont la toiture est soutenue
par plusieurs rangées de colonnes. En sortant de ce vil-
lage, nous marchons à l'O. et nous rentrons dans le bois
où nous cueillons de la pervenche et du jasmin d'Espagne.
A 800 mètres au delà, le terrain, qui est en pente rapide,
est couvert de glands champs de sorgho sur plus d'un
kilomètre. Nous entrons ensuite dans des friches dont les
herbes ont de 2 à 3 mètres de hauteur. Le sol, de sable
quartzeux, renferme aussi des graviers de la grosseur
d'une noisette. Les friches ont près do 4 kilomètres de
longueur.
Pendant notre marche, les machillaires s'arrêtèrent un
moment et nous prièrent de mettre pied à terre. Nous
crûmes d'abord que cela tenait à une difficulté du chemin,
mais nous reconnûmes bientôt notre erreur. Nous étions
à la limite des terres de M'bona et le chef était venu jus-
que-là pour nous voir passer. Nous apprîmes alors qu'au-
cun étranger ne pouvait pénétrer dans l'intérieur de ce
VOTAGE AU ZAMBÈSE. 59
village, qui 6e trouve fermé de toutes parte par des ro-
seaux et des bois. Les gens de M'bona saluèrent notre dé-
filé; nous remontâmes en machilla et reprimes notre
marche au pas de course. Le territoire de M'bona est une
terre indépendante, c'est-à-dire que son chef ne relève
d'aucun capitaô-môr; Combé, qui gouverne actuellement,
est aveugle ; Sarima, sa femme (x), administre le territoire
depuis l'infirmité de son mari. Contrairement aux habi-
tudes du pays, le6 gens de M'bona n'ont qu'une femme.
Les friches qui sont au delà du village sont formées
de buissons complètement couverts et impénétrables, de
plantes grimpantes,' de convolvulus aux couleurs variées,
de vigne avec raisin noir, de vigne vierge, de fèves-
fleurs, de doliques (Dolickos pruriens), de pois, etc. Quel-
ques arbres, principalement des pandas, 6e font remarquer
de chaque côté du 6entier ; les ricins y 6ont nombreux,
leur hauteur atteint environ 3 mètres. Après avoir fait
4 kilomètres dans ce6 friches, nous arrivons au village de
Cambmbé où nous nous arrêtons.
Gambimbé est formé d'une quinzaine de cases ; il est
situé au pied du Malahoué, au milieu de débris de roches
quartzeuses et granitiques éboulées de la montagne au
moment des grandes pluies. On cultive aux environs de
la canne à sucre, du chanvre, du 6orgho, du maïs, du
sésame, des ricins. Ici, le6 naturels ne se contentent pas
de fumer les feuilles du chanvre, ils en écrasent les tiges
et en font une espèce de filasse qu'ils convertissent en
fil, ficelle et mèche. Dans une case de ce village, nous
avons trouvé une lampe toute montée ; elle était formée
d'une calebasse de petite taille, coupée à une hauteur
convenable ; la bobèche était faite avec un nœud de ro-
seau percé pour laisser passer la mèche. Trois morceaux
de bambous, coupés de façon à enfermer la calebasse
(')BJ« porte le titre de Mucaranga, qui signifie t principal* /rame ».
60 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
dans un triangle, formaient les bords d'un panier en filet
de chanvre destiné à soutenir la lampe, qu'on suspendait
à la voûte de la paillotte. Pour obtenir leur huile à brûler,
les naturels écrasent la graine de sésame dans im mortier,
recueillent l'huile qui suinte avec un paquet de filasse qu'ils
tordent ensuite pour faire tomber la matière grasse dans
une calebasse. Les tourteaux sont jetés aux champs.
Dans tous ces villages, l'industrie où le noir excelle est,
sans contredit, le tressage de la paille ; il recueille les
feuilles du palmier, les coupe à la largeur convenable,
laisse sécher la paille après l'avoir mise en paquets, pui6
en fait de très jolis ouvrages, tels que nattes, fumbas, cabas
de toutes grandeurs en deux pièces, se fermant très bien
en s'emboftant l'une dan6 l'autre, des corbillons ou panches.
La fumba ne se fabrique pas d'une seule pièce, mais par
bandes de 10 centimètres de largeur, que l'on réunit au
moyen d'une couture ou d'un 6urjet tressé. Les corbillons
sont terminés par un cçrcle en bois, quelquefois large de
8 centimètres, sur lequel des arabesques variées 6ont des-
sinées à l'aide d'un fer rouge. Le couvercle, bien moins
profond que le récipient, s'aju6te avec quatre tresses pla-
cées en croix 6ur le corbillon fermé. Les vases habituels
6ont ordinairement des calebasses de toutes formes ou des
cocos sciés, parfois sculptés et emmanchés. Dans des ron-
delles de boi6 dur, ils 6e creusent des plats et des assiettes,
et font des nattes avec de grands roseaux coupés en ba-
guettes plus ou moins larges.
Dès notre arrivée à Cambimbé, nous nous renseignons
sur l'existence de la houille près du Malahoué, mais notre
demande e6t chose nouvelle pour eux et ils ne peuvent
nous donner aucune indication. Une promenade aux envi-
rons de la montagne nous apprend bientôt que nous n'avons
rien à espérer de ce côté. Nous allons ensuite à quelques
centaines de mètres, vers le Sud de Cambimbé ; là coule,
entre d'immenses blocs de granit et de quartz, un torrent
VOYAGE AU ZAMBÈSB. 61
dont l'eau e6t très claire, fraîche et abondante. Nous le sui-
vons et, à lô mètres d'élévation, nous rencontrons une
superbe cascade (1). Un espace de plus de 100 mètres carrés
est pavé de granit presque uni et marbré de veines d'un
blanc éclatant. Dans un coin, à gauche, se dresse une belle
muraille, du sommet de laquelle l'eau tombe en cascade
dans un petit bassin et, de là, s'écoule dans la vallée. Au
sommet de la cascade et dans les fentes des rochers, croît
one très belle végétation. C'est avec plaisir que nous bu-
vons de cette eau pure, qui nous paraît d'autant meilleure
gue, depuis notre entrée 6ur le Chiré, nous en sommes
réduits à boire de l'eau marécageuse filtrée. Le lit du tor-
rent est extrêmement tortueux, difficile à suivre ; la roche
est remplie de mica et, par-ci par-là, nous apercevons de
petits filets brillants, à aspect métallique , que l'analyse
montre être de la plombagine.
Le 23 mai, nous partons vers 7 heures du matin pour
faire l'ascension du Malahoué ; le seul chemin qui existe
dans la montagne est le lit du torrent. Nous le remontons,
mais il e6t des plus difficiles ; ici, il faut se suspendre aux
roches, mettre le pied sur des pointes de quartz, s'accro-
cher aux pierres, aux racines d'arbres, s'élever comme
on le peut en risquant une chute à chaque pas ; là, on
passe l'eau en sautant de roche en roche ou en barbot-
tantdans un liquide, pur il est vrai, mai6 passablement
froid. Ailleurs, tandis que le torrent tombe en cascade, il
nous faut contourner les roches et faire mille détours
avant de reprendre la bonne voie. Puis, on arrive sur un
terrain plat; un sentier longe l'eau, mais il est rempli
d'humus, de roseaux et d'eau croupie, venant de quelque
faible fissure du réservoir. Tout à coup, on se trouve
au bord d'un canal creusé dans le roc, long de 30 mè-
tres, profond, alimenté par une cascade de 20 mètres de
(*)V«lrffcur«G.
62 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
hauteur, d'où l'eau tombe en une seule colonne. A chaque
pas le paysage change, la montagne présente de nouvelles
beautés, des points de vue superbes dont un peintre sau-
rait certainement faire son profit.
Notre ascension dure trois heures et nous arrivons
ainsi sur un plateau à 305 mètres d'altitude au-dessus de
Cambimbé. Après quelques minutes de repos, nou6 sui-
vons en plein bois un sentier rapide ; nous descendons
dans une vallée où nous trouvons un vaste champ de sé-
same ; puis, à travers des friches herbeuses de 2 mètres
de hauteur, nou6 gravissons une nouvelle côte et aboutis-
sons enfin à un deuxième plateau. Nous nous trouvons à
355 mètres d'altitude et sommes à peine à moitié de notre
chemin. Nous entrons avec un sensible plaisir dans un
village d'une dizaine de cases, Magombê, dont les habitante
se sont enfuis à notre approche. Il est vrai que les nègres
qui nous accompagnaient nous avaient devancés, étaient
arrivés au pas de course dans ce village et y avaient sur-
pris les femmes occupées à broyer du sorgho et les hom-
mes à dormir. Nous envoyons à la recherche des naturels
qui, lorsque nous leur avons démontré que nous venons
en amis, reviennent près de leurs paillottes où quelques ar-
ticles de bijouterie donnés aux femmes achèvent de les
rassurer complètement. Ces cadeaux nous valent même plu-
sieurs sagouatis dans lesquels figurent pour la première
fois des patates (maby) et du pombè, bière de grains fer-
mentes, à laquelle nos gosiers, encore peu habitués à la
cuisine indigène, refusent presque le passage. On nou6
apporte aussi des cannes à sucre ; elles ont été cueillies
dans des champs cultivés sur le plateau où nous nous
trouvons ; ces cannes sont fermes et bien sucrées.
Un grand nombre de cases apparaissent sur le révère de
la montagne ; elles sont disséminées çà et là, près d'an-
fractuosités des rochers contre lesquels elles 6'appuient
généralement. Un torrent rapide coule non loin du village,
VOYAGE AU ZAKBÈSE. 63
ce qui nous permet de faire préparer notre déjeuner avec
de l'eau pare. Près de Magombé, un endroit spécial ré-
servé pour les inhumations, est couvert de débris de nattes
et de poteries diverses.
Toutes les femmes du nouveau village que nous visi-
tous, portent le pélélé dans la lèvre supérieure ; chez les
unes, c'est un morceau de bois taillé qui leur orne la figure;
chez d'autres, ce sont des anneaux de métal — cuivre ou
fer — des fragments d'os, d'ivoire et de petits coquillages
de formes et de grandeurs différentes qui font l'office de
parure et les rendent affreuses, même lorsqu'elles sont
jeunes, en leur déformant et allongeant de 2 à 3 centi-
mètres la lèvre supérieure. Elles ont presque toutes des
anneaux de laiton aux pieds et aux bras ; des fils de chanvre
retenant des carapaces de coléoptères ou des morceaux de
bois taillés et enfilés, les uns, dans le sens de la longueur,
les autres, dans le sens de la largeur, leur servent de
colliers.
A Magombé, les provisions des naturels sont mises en
commun et renfermées dans un magasin, sous la surveil-
lance du chef; il est construit comme une paillotte, mais
beaucoup plus grand et recouvert intérieurement d'une
couche de- pisé. 11 contenait alors une grande quantité de
maïs.
4." GÉOGRAPHIE RÉGIONALE
EXCURSION
DE
NANCY AU MONT SAINT-MICHEL
PRES DE TOUL
Par E. OLRY, Instituteur à Allain,
orriciM db l'ixitioctioh rouiooi.
L'excursion que nous allons faire aujourd'hui a pour but
le mont Saint-Michel, admirablement placé au milieu du
pays touloi6, pour faire une petite topographie de la plaine
environnante, si riche en souvenirs. En route, nous fe-
rons des stations au plateau de Haye, aux grottes de Sainte-
Reine et à la Rochotte, près de Pierre-la-Treiche, puis nous
monterons à noire poste d'observation. Tel est le pro-
gramme de cette nouvelle étude que j'ai entreprise sur la
demande de MM. les membres du Bureau et surtout de
l'honorable et si zélé secrétaire général de la Société. J'ai
tâché de m'acquitter avec conscience, sinon avec talent,
de la première partie de ma tâche qui avait pour but les
recherches ; je sollicite, pour conduire la seconde abonne
fin, toute la bienveillance de mes lecteurs.
AU PLATEAU DE HAYE.
Pour abréger, nous allons gagner rapidement le haut de
la côte et pénétrer dans cette vaste forêt de Haye qui oc-
cupe, avec les bois communaux voisins, une surface de
dix à onze mille hectares. C'est pour les Nancéiens, dans
DE NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 65
les parties les plus rapprochées du moins, un but de pro-
menade bien agréable, surtout par les fraîches matinées et
les délicieuses soirées de la belle saison. Sous ces vastes
ombrages, dans ces beaux vallons solitaires, on respire un
air pur, vif et frais; là, on peut rêver à Taise, admirer les
fleurs, écouter le chant mélodieux des oiseaux, ou bien
contempler ces futaies splendides, ces chênes séculaires,
ces beaux hêtres si touffus qui s'élancent majestueuse-
ment dans les airs.
Après une demi -heure de marche dans la large tranchée
de la forêt, nous arrivons aux Ponts-de-ToiU, également dé-
signés 60us le nom de Fonds-de-Toul. Au commencement
du siècle dernier, la route de Nancy à Toul suivait, en ces
lieux sauvages et abrupts, un tracé sinueux nécessité par
les accidents du terrain. C'était un passage réputé dange-
reux et il s'y commettait souvent des vols et même des as-
sassinats. Le duc Léopold, vers 1704, faillit lui-même,
paraît-il, être un jour victime d'un de ces attentats. Il re-
tenait de Toul en chaise de po6te, ayant à côté de lui
H. de Bavillier, son ingénieur, maître de mathématiques
des princes ses enfants. « Tout à coup trois ou quatre vo-
leurs arrêtent le cocher et demandent la bourse ou la vie.
M. de Bavillier, pour se débarrasser d'eux, allait leur don-
ner tout ce qu'il possédait, quand le courrier qui précé-
dait la voiture, ne l'apercevant plus derrière lui, revient
6ur ses pas et voit ce qui se par se. Alors, mettant la bride
de son cheval entre ses dents, il prend ses deux pistolets
et fond sur les brigands qui, le voyant si déterminé,
eroient qu'il y a d'autres postillons derrière lui, lâchent
prise et se retirent. Pendant tout ce débat, le bon duc
dormait tranquillement, et c'est seulement le lendemain
que M. de Bavillier apprit au prince le péril qu'il avait
couru (') ».
(■) Voy. H. Leptge, U Département de la Mewlhe, Statistique historique, etc.,
page 293.
SOC. PB QÉOOft. ~ 1" TEIMUTRl 1889. 5
66 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
C'est, selon toute apparence, en conséquence de cette
attaque que Léopold fit faire, au fond de la vallée princi-
pale, la levée haute de 25 à 30 pieds qui la traverse et
qu'on voit encore à la lisière du bois du côté du sud. C'est
aussi à la même époque qu'il faut rapporter l'élargisse-
ment du chemin taillé dans le roc, dont on remarque aussi
d'importants vestiges sur le flanc droit de la vallée.
C'est quarante ans après, sous le règne de Stanislas, en
1745, que fut tracée la route actuelle : on éleva alors les
remblais gigantesques qui permettent de traverser les deux
profondes vallées en conservant presque le niveau du pla-
teau. Pour cela on construisit, dans la première, un pont
de 300 pieds de long, haut de 6, large de 4 5 un aqueduc
pareil, mais d'une moindre longueur, fut établi dans
l'autre vallée dite des Trois-Fourchons. Sur ces aqueducs,
on éleva les immenses remblais bien connus, et ce travail
fait par corvées dura 13 ans. Le premier de ces remblais,
en même temps le plus important, n'a pas moins de 48 mè-
tres de hauteur. Trente-deux communautés travaillèrent à
cette entreprise grandiose, ce qui excita bien des plaintes,
car les charretiers et autres ouvriers étaient obligés de
venir de loin, de quitter leurs travaux, leurs maisons,
leurs familles, pour venir passer un certain temps sur ces
chantiers. On construisit des baraques pour abriter les
attelages et les travailleurs 5 un bâtiment plus élevé que
les autres servait à la célébration de la messe le dimanche.
Quand les travaux furent terminés, on démolit ces bara-
ques et l'on bâtit deux auberges à la place. Telle est l'ori-
gine du petit hameau que nous remarquons aujourd'hui
en ces lieux ; il aurait, dit-on, pris plus d'extension sans le
manque d'eau (').
En poursuivant notre route vers Gondreville, nous arri-
vons bientôt, au sortir de la forêt, en vue des côtes de Joui,
(') Voy. H. Lepage, ibil , et A. Dijot, HUtoire de Lorraine, VIe vol., page 344.
DE NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 67
qui font partie de la seconde chaîne de VArgonne orientale,
désignée encore sous le nom de collines de la Meuse, comme
les côtes de Nancy à Metz, appartenant à la première chaîne de
l'Argonne orientale, 6ont connues encore 60us le nom de
coUines de la Moselle.
Ces deux lignes de hautes falaises 6'étendent fort loin
arec un relief qui va diminuant légèrement du côté
du sud-ouest aussi bien que du côté du nord-ouest. Elles
appartiennent à deux puissantes formations géologiques
intéressantes à étudier, qui s'inclinent doucement vers
l'ouest, se terminent brusquement vers l'est, dessinant,
entre Toul et Nancy, un profil que j'esquisse ici (Voir
fig. 1).
Les assises composant ces formations sont, pour la pre-
mière de nos deux chaînes, le lias à la base et Yoolithe
inférieure au couronnement ; pour la seconde, les argiles
oxfordiennes à la base avec le coralrag au sommet, assises
comprises dans Voolithe moyenne (Voir fig. II).
Il est très facile, daus nos environs, de se rendre compte
de l'inclinaison vers l'ouest que je signale. Il suffit, en
effet, de remarquer, dans la vallée de la Moselle, à Pont-
Saint- Vincent et à Frouard, les allures de la oouche de
minerai de fer. On sait qu'à Messein, comme à Frouard, il
affleure le sol sur les pentes au tiers supérieur des hautes
collines, tandis qu'au-dessous de Maron, comme à Liver-
dun, il ne se présente plus qu'au niveau du fond de la
vallée.
N'y aurait-il pas quelque intérêt de chercher à pénétrer
le secret de la formation de ces hautes collines ? Tout d'a-
bord je dirai qu'elles ne 6ont pas le résultat d'un soulève-
ment, car les couches géologiques dont elles 6ont compo-
sées se trouvent dans un ordre normal de superposition.
Ensuite, et selon toute apparence, ces puissantes masses
sédimentaires s'avançaient, dès l'origine, plus loin qu'au-
jourd'hui du côté de l'est : les côtes de Sion-Vaudémont,
LUJ !L^
68 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
de Pulney, la côte d'Amon ainsi que les nombreux massifs
à Test de la Meurthe et de la Moselle, le6 côtes d'Amance,
de Saint -Jean, de Mousson et de Vitton ville, sont
des témoins qui attestent le gigantesque travail d'éro-
sion .accompli en avant de notre première chaîne, par
les eaux de la mer, alors que celle-ci recouvrait notre ré-
gion et lui ébauchait le relief actuel. De même, les côtes
de Barisey et de ChâlUlon tout à côté, la côte Saint-Michel
et la côte Barine prè6 de Toul, puis celle de Moussec (Meuse)
sont les témoins du travail de désagrégation accompli en
avant de la seconde chaîne. Tous ces témoins ont résisté à
l'action dissolvante des eaux de la mer, alors que d'autres
plateaux, dans le voisinage, disparaissaient plus ou moins
complètement, tel, par exemple, celui de Pulnoy, non
loin d'ici, qui a ainsi perdu son couronnement oolithique.
Ce travail d'érosion de la mer," en nos parages, travail
qui s'est produit à une époque reculée assurément, alors
que les eaux pouvaient s'élever, par exemple, à une alti-
tude de 300 mètres au-dessus de leur niveau actuel, ou
que notre 6ol se trouvait' abaissé d'autant, n'a rien qui
doive nous surprendre, car aujourd'hui les mêmes phéno-
mènes se produisent encore journellement sur certaines
plages où l'on voit disparaître successivement des pro-
montoires, des falaises tout entières sur de vastes éten-
dues. Quand, en effet, les eaux de la mer humectent le
pied de certaines collines, elles en délaient, en désagrè-
gent les couches inférieures, mettent le couronnement en
surplomb et provoquent par là les éboulements. Ce tra-
vail de désagrégation s'accomplit avec d'autant plus de
rapidité que les couches attaquées sont plus molles, par
conséquent plus faciles à entamer.
Mais ce que je dis de no 6 deux chaînes de hautes col-
lines n'est point particulier à notre région. Cette disposi-
tion des couches géologiques en plateaux superposés et
placés en recouvrement, ce travail d'érosion des eaux de
!•
DE NANCY AD MONT SAINT-MICHEL. 69
la mer Be retrouve à partir des Vosges jusqu'à Paris ; mais
il ne 6e présente pas partout avec un relief aussi accusé
que chez nous.
J'appellerai surtout l'attention sur une série de sept pla-
teaux ainsi disposés. Le premier qui commence à se dessiner
est couronné par le lias inférieur; il se montre, mais d'une
façon restreinte, de Gripport à Einville-au-Jard, formant
les collines de Bain ville-aux- Miroirs, de SafFais, de Ro-
sières-aux-Salines et de Dombasle dans notre département
de Meurthe-et-Moselle.
Le second est celui de notre première chaîne de l'Ârgonnc,
couronnée, dans tout son développement, par Yoolithe in-
férieure ; nous savons qu'elle s'étend des environs de Lan-
gres jusque dans le Luxembourg, en passant par Nancy et
Metz.
Le troisième forme notre seconde chaîne de l'Argonne;
il est formé par l'oolithe moyenne avec les argiles oxfor-
diennes à la base et le coralrag au sommet. 11 se dessine en
arrière de Ghaumont et s'étend jusqu'en arrière de Sedan,
par Neufcbâteau et Toul.
Le quatrième est moins accentué que les deux derniers;
il est formé par Yoolithe supérieure et dessine notamment
ses hauteurs de Doulaincourt (Haute-Marne) à Montfau-
con-en-Argonne, par Gondrecourt, Ménil-la-Horgne, Pier-
refttte et Soulier, dans la Meuse.
Le cinquième, généralement mieux prononcé que le
précédent, sans accuser néanmoins des collines de plus de
50 mètres de relief, est formé par le terrain crétacé infé-
rieur ou grès vert. Il se dessine surtout dans la région dite
forêt d'Argonne. Ses pentes entrecoupées de vallées et ses
plateaux couronnés de forêts forment les célèbres défUés de
l'Argonne proprement dits du Chêne-Populeux , de la Croix-
au-Bou, de Grand-Pré, de la Chalade, des Islettes et de Cler-
mont.
Le sixième, aux crêtes dénudées, dessine un relief à peu
70 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
près égal au précédent, mais il e6t d'un développement
plus étendu. Il est surtout accusé de Vitry à Rhétel, pas-
sant en arrière de Sainte-Menehould et de Vouziers. Il est
formé par le terrain crétacé supérieur et commence le vaste
plateau dit de la Champagne pouilleuse : c'est en défendant
cette chaîne que Dumouriez battit les Prussiens à Valmy ,
en 1792.
Enfin le septième et dernier plateau accuse un relief
égal à celui de nos chaînes de la Moselle et de la Meuse,
car les collines qu'il forme s'élèvent à environ 150 mètres
au-dessus du niveau et à l'ouest de la plaine de Champa-
gne. Il est formé par la première assise inférieure du ter-
rain tertiaire, le gypse ou argile plastique de la plaine de
Brie. Quand on va à Paris et qu'on a passé à Châlons, on
voit se dessiner cette ligne de hautes falaises qui s'éten-
dent fort loin, et on pénètre avec la Marne dans un de6
principaux défilés, quand on arrive à Êpernay . C'est sur les
pentes orientales et méridionales des environs d'Épernay
et de Reims que l'on cultive et que l'on récolte l'excellent
vin de Champagne. Le relief de ces hautes collines, très
accentué aux environs d'Épernay et de Reims, va en dimi-
nuant légèrement d'une part jusqu'aux environs de Laon,
et de l'autre, jusqu'à Nogent-sur-Seine et même Monte-
reau; c'est en défendant ces hauteurs qu'en 1814 Napo-
léon Ier livrait à l'ennemi les combats victorieux de Champ-
Aubert, de Montmirail et de Vauchamp6, entre Épernay
et Sézanne.
Cette multiple ceinture de collines dessinant de6 cour-
bes presque régulières et concentriques dont le centre est
Paris, forme la base du système de défense de cette région
de la France contre les envahisseurs de l'Est; aussi 6ur
certains points, surtout au passage des voie6 ferrées, trou-
vons-nous des camps retranchés, comme ceux de La Fère,
de Laon, de Reims et bientôt celui de Nogent-sur-Seine,
pour défendre cette falaise de Brie ; puis ceux de Verdun,
DB NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 71
de Toul et de Langres pour défendre nos Argonnes orien-
tales et le plateau de Langres.
Hais revenons, il en est temps, à notre plateau de Haye
qui forme lui-même une position militaire importante
comprise dans une boucle formée par la Meurthe et par
la Moselle, allant baigner les murs de Toul. Depuis
longtemps, les stratégistes, entre autres le général Haxo,
notre compatriote, l'ont considéré comme le point de con-
centration le plus avantageux pour l'offensive, et le cen-
tre le plus solide pour l'appuyer en cas de défensive.
Yoici du reste ce qu'en dit M. le capitaine du génie
Marga, professeur du cours d'art militaire à l'École d'ap-
plication de Fontainebleau, dans sa Géographie militaire :
« Au centre de notre nouvelle frontière avec l'Allema-
gne, à peu près à égale distance des Vosges et du Luxem-
bourg, se trouve une position qui e6t également impor-
tante au point de vue de l'offensive et de la défensive :
c'est le plateau de Haye
« On a fait, à travers les vastes forêts de ce plateau, quel-
ques percées qui favorisent le mouvement des troupes.
Les bois qui le couvrent et les pentes qui le limitent sont
des obstacles sérieux et de défense facile ; à l'ouest, cette
position s'appuie à la grande place de Toul; à l'est vers
Nancy, elle est plus abordable que partout ailleurs. Le
général de Rivières avait eu le projet, pour la renforcer
de ce côté, de créer un certain nombre de fort6 en avant
de Nancy sur la ligne des hauteurs qui s'étendent de Cus-
tines, sur la Moselle, à Jarvillc sur la Meurthe, en passant
par Bouxières-aux-Chênes, Amance et Pulnoy ; quelques
batteries construites à l'extrémité est du plateau, entre
Nancy et Pont-Saint- Vincent, eussent fermé la position à
Test. On aurait ainsi formé un immense camp retranché,
englobant la grande et populeuse ville de Nancy ; on au-
rait dominé directement la vallée de la Seille et on se
serait ménagé des débouchés commodes sur le plateau de
72 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
Lorraine. Ce projet n'a pas été exécuté. Pour le moment,
on n'a construit que deux ouvrages qui maîtriseront les
voies ferrées convergeant vers Nancy et qui pourront aussi,
au besoin, appuyer l'occupation de la forât de Haye :
l'un est 6itué au-dessus de la gare de Frouard, l'autre
au-des6us de Pont-Saint- Vincent. »
La position de Toul, en arrière de ce plateau, est très
forte aujourd'hui et elle forme, avec celle de Verdun, un
obstacle continu de plus de 100 kilomètres de front, d'une
valeur importante d'abord par les deux camp6 retranchés
élevés autour de ces deux villes, ensuite par les nombreux
forts d'arrêt, qui en dépendent, construits à Bourlémont,
près de Neufchâteau, à Pagny-la-Blanche-Côte et à Blé-
nod au sud de Toul, puis à Giron ville, à Liou ville, au
Camp'des-Romains près de Saint-Mihiel, à Troyon et à
Génicourt. Cette ligne emprunte sa force non seulement
des forts qui hérissent les crêtes, mais aussi du relief des
collines, du sol marécageux souvent accidenté d'étangs
dans la plaine de Voivre, puis de la nature des cultures,
des vignes sur les pentes et des forêts profondes qui acci-
dentent la plaine sur plusieurs points et couronnent presque
toutes les hauteurs.
Deux trouées sont laissées, est-ce à dessein ? L'une entre
Verdun et la frontière belge, l'autre entre Neufchâteau et
Épinal, dans le but peut-être de forcer l'envahisseur à di-
viser ses forces et de permettre aux armées du pay6 de se
concentrer en arrière de Toul et de Verdun pour se porter
ensuite, 6elon le cas, sur la trouée envahie ou forcée.
II.
AUX GROTTES DE PIERRE-LA-TREICHB.
Nous quittons le plateau de Haye au sortir de la forêt et
nous allons prendre sur la gauche pour descendre aux
grottes de Pierre-la-Treiche, où nous allons visiter d'abord
DE NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 73
les trous de Sainte-Reine. Les curiosités géologiques
appelées trous ne sont pas rares dans notre pays, surtout
dans les calcaires Assurés, caverneux de notre oolithe in*
férieure. Outre les grottes des environs de Pierre que
nous allons visiter, je puis citer aussi les trous de Bottenoi
près d'Àrnaville, de Quatre- Vaux, près de Regnéville-en-
Haye, de Grimau-Sauté près de Martincourt, de Vassogne
près de Flirey, de Grenè près de Rogéville, de la Grosse-
Roche au-dessus d'Aingeray, du Géant près de Villey-le-
Sec, de Diane près de Moutrot, des Fées sur deux points
près d'Ochey et de Germiny, de VEcoufot près de Colom-
be? ; ajoutons les Caves d'Autreville, enfin le gouffre de
Gémonville, où se perd V Aroffe, et la belle grotte de Saint-
Amon, qui parait être aussi intéressante que celles de
Sainte-Reine.
Ces grottes, même le6 plus curieuses, ne sont assuré-
ment point comparables à celles de la Franche-Comté ;
on n'y trouve point de ces vastes et spacieuses chambres
aux stalagmites si curieuses, aux stalactites de formes si
variées, si bizarres, si fantastiques, comme celles des
grottes û'Oisetles et de Cheneçay, où un intendant de la pro-
vince, au siècle dernier, donna une fête brillante dont on
garde encore le souvenir à Besançon.
Mais pour n'offrir point un intérêt aussi puissant, visi-
tons-les néanmoins puisqu'elles se trouvent sur notre pas-
sage, et commençons par celles de Sainte-Reine, qui s'ou-
vrent dans de vieilles carrières abandonnées, sur le flanc
et presque au bas de la colline qui borde la rive droite de
la Moselle, dans la région du Bois-sous- Roche, en face de la
vallée du Larrot, un peu au-de66us et en face de Pierre-la-
Treiche.
U existe, pour pénétrer dans ces grottes, deux entrées
principales, éloignées l'une de l'autre d'environ 60 mètres.
Ces ouvertures se rejoignent et donnent accès à de6 souter-
rains étendus qui, depuis vingt ans, ont été explorés par
74 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
plusieurs savants, notamment par MM. Husson, pharma-
cien à Toul, Gaiffe de Nancy, le regretté M. Godron et
d'autres.
L'entrée de l'ouest, par le trou de la Fontaine, est la
plus intéressante; elle offre tout d'abord une chambre
spacieuse, puis un couloir d'une quarantaine de mètres à
l'extrémité duquel on débouche dans une chambre vaste,
irrégulière, où sourdent deux fontaines. « A partir de cet
endroit, dit M. Godron, les couloirs s'abaissent et bientôt
il faut changer de mode de progression ;' de bipède il faut se
faire quadrupède. Cette nouvelle façon d'aller permet en-
core de cheminer assez loin. Puis on arrive à des passages
où la voûte s'abaisse au point qu'on ne peut plus les fran-
chir qu'en rampant ventre à terre, avec l'allure d'un es-
cargot, en s'accrochant avec les mains, en se poussant par
les pieds, ou même en s'appuyant 6ur les coudes, qu'on
avance l'un après l'autre, en imprimant au bras un mou-
vement de bascule en avant qui entraîne péniblement le
corps dans cette direction. La dépense considérable de
forces déployées dans cet exercice détermine une fatigue
extrême.... (*) » M. Husson, malgré ces difficultés, a pu
cependant parvenir jusqu'à près de 300 mètres, et il a pu-
blié un plan approximatif des trous de Sainte-Reine.
Lorsqu'on se trouve engagé dans ces galeries souter-
raines, si la folle du logis s'éveillait dans l'esprit, on se
croirait enterré tout vivant. L'horizon visuel s'étend en
avant à la dislance que peut éclairer une bougie et, sur le6
côtés, il est limité par la roche nue qui enveloppe l'obser-
vateur et l'enserre parfois de très près. Ce qui doit ras-
surer, toutefois, c'est qu'on ne risque point de se casser le
cou (*). Tout le danger que l'on peut courir, c'est de s'oublier
au loin dans ces galeries et de s'y trouver sans lumière.
(*) Voy. Dr A. Godron, Us Caverne» de* environ* de Toul, etc. ; Nancy, Berger-
Levraalt, 1879.
(») Ihid.
DB NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 75 ,
Permettez- moi, à titre de renseignement, de vous raconter
un épisode singulier, mais parfaitement authentique, dont
ces grottes ont été le théâtre il y a une dizaine d'années ;
il a une certaine analogie avec celui du voyageur égaré •
dans les catacombes de Rome, raconté par Delille.
L'un de mes élèves, J. L., chercheur infatigable de silex
et autres antiquités, voulut un jour aller visiter ces grottes
doot je lui avais parlé en lui signalant les trouvailles
qu'on y avait faites. Il part muni d'un bâton, du plan
dressé par M. Husson, de troi6 bougies, d'une boîte d'allu-
mettes, et se fait accompagner de l'un de 6es amis, habi-
tant le village de Pierre. Nos deux touristes, plus ardents
que prudents, pénètrent dans les sombres galeries, s'en-
foncent fort loin, examinant curieusement ces grottes,
faisant des recherches et ne songeant nullement au re-
tour, quand la 3e bougie, tirant à sa un-, les rappelle tout
à coup à la réalité de leur position. Ils reviennent en toute
hâte sur leurs pas et arrivent bientôt dans une chambre,
sorte de carrefour où débouchent plusieurs issues. Ils
s'engagent dans l'une, puis dans l'autre, mais inutilement :
tous les passages sont obstrués et la bougie est presque
mourante. Ils l'éteignent par prudence pour s'en servir à
un moment plus favorable, puis ils renouvellent à diverses
reprises, dans une obscurité effrayante, des tentatives qui
chaque fois demeurent sans résultat, ce qui augmente une
émotion facile à comprendre et amène bientôt le découra-
gement dans le cœur de l'un des deux touristes. Ils sont
là, du reste, depuis une heure et demie, dans cette obscu-
rité horrible et en proie à des transes inexprimables. La
sueur ruisselle sur leur front : ces grottes vont-elles de-
venir leur tombeau? .... Mai6 J. L. ne perd point cou-
rage; il se livre à do nouvelles recherches et songe à
fouiller les parois à fleur du sol, ce qu'il n'avait point fait
jusqu'alors. Sous une roche qui fait saillie à la hauteur du
genou, le bâton trouve le vide 5 c'est une issue non encore
76. GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
explorée dan6 laquelle on s'engage après l'avoir reconnue
à l'aide d'une allumette. Après s'être trafnés quelque
temps dans le couloir, nos deux voyageurs peuvent enfin
se relever Vite, la bougie est allumée d'une main fé-
brile. O bonheur 1 sur le sol, voilà les débris précédem-
ment jetés de la seconde bougie. La voie est retrouvée,
nos amis sont sur le bon chemin, ils sont sauvés!
Heureux enfin de revoir la lumière, ils se hâtent de sortir
de ces grottes qui ont failli devenir leur tombeau, et ne
songent pas, les imprudents, qu'ils sont tout en -nage.
L'air est vif, et dans le trajet pour regagner Pierre-la-
Treiche, le froid les saisit. L'un d'eux en est quitte pour
une fluxion de poitrine qui met se6 jours en danger, et
l'autre, pour être atteint d'une maladie moins grave, n'en
reste pas moins très souffrant pendant six semaines.
Dans les recherches qui ont été faites au sujet de
l'homme, ces grottes n'ont restitué que peu de choses. On
y a seulement découvert des couches de cendres mêlées de
charbon, autour desquelles se trouvaient des débris d'os
fendus avec d'autres vestiges peu nombreux de l'industrie
des peuples probablement troglodytes qui, les premiers,
vinrent habiter nos contrées.
Mais on y a découvert de nombreux débris d'animaux
qui ont appartenu, les un6, à des espèces disparues du-
rant la période géologique qui précède la nôtre; d'autres
à des espèces contemporaines, il est vrai, mais qui au-
jourd'hui n'habitent plus nos contrées depuis un certain
temps.
Ainsi M. Hus6dn en particulier y a trouvé des mâ-
choires de l'ours des cavernes, des dents de rhinocéros,
des fragments de bois de renne, des mâchoires de mar-
mottes et quantités d'ossements d'animaux domestiques
ou sauvages des espèces actuelles du pays.
Cette énumération me fait songer que sur le sol même
de Toul et dans l'alluvion de la valléç de l'Ingressin,
DE NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 77
H. Husson a découvert aussi des molaires de cet immense
éléphant de la période quaternaire connu vulgairement
sous le nom de mammouth.
Ajoutons encore, puisque nous sommes sur le chapitre
des animaux anciens du pay6, qu'au moyen âge on trou-
vait, dans nos forêts, des aurochs, variété de grands bœufs,
sorte de bisons qui mesuraient jusqu'à trois mètres et
plus de longueur, avec deux mètres de hauteur au garrot.
Citons encore l'ours des montagnes qui était autrefois très
commun dans les Vosges ; le dernier survivant de cette
race disparue de la Lorraine fut tué au siècle dernier dans
ces montagnes. Les castors aussi étaient anciennement
communs chez nou6, car les chroniques du pays disent que
la chair de cet animal faisait encore, au xvic siècle, les
délices de no6 pères, surtout pendant le carême.
Si nous traversons la Moselle et que nous en remontions
le cours sur la rive droite, le versant du coteau de la
Treiche nous offrira une crevasse naturelle, horizontale ou
à peu près, sans chambre dans l'intérieur, longue d'envi-
ron 72 mètres, moins difficile à parcourir, à explorer que
les galeries étroites de Sainte-Reine. Cette grotte, appelée
trou des Celtes, est sinueuse, mais n'est point de la catégorie
des cavernes à ossements. On y remarque à la voûte de
petites stalactites et sur le sol des stalagmites, quelques-
unes de la grosseur d'un pain de sucre. Le sol, fouillé plu-
sieurs fois depuis 20 ans, a restitué d'abord une grande
quantité d'ossements humains, indiquant que ce lieu a
servi de grotte sépulcrale dans un temps assez reculé, et
qu'il a ensuite été habité, car on y a trouvé des débris
de la poterie celtique, grise, pailletée, non fabriquée au
tour, puis des pointes de flèches, des lances en silex, des
haches, des grattoirs, des racloirs également en silex, les
uns parfaitement conservés, d'autres à l'état de débris,
appartenant à l'époque de la pierre taillée ; puis des poin-
çons en os, des grains de collier, des anneaux, des bagues,
78 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
des fibules et une foule d'autres objets de l'époque celtique
et de la période gallo-romaine.
Cette énumération suffit pour faire comprendre tout Pin-
térêt qui 6'attache aux recherches pratiquées dans cette
grotte et celui que Ton pourrait rencontrer aussi en en
fouillant d'autres, celle de Saint- Amon, par exemple, qui
fut, du reste, habitée dans les premiers siècles de l'ère
chrétienne par l'évêque de Toul de ce nom, dans un temps
de persécution; puis les Caves d'Autreville situées sous
la voie romaine, dans lesquelles on a déjà trouvé, il y a
une quarantaine d'années, des monnaies et des médailles
des empereurs romains.
III.
A LA ROCHOTTE.
Quittons ces grottes et descendons la vallée de la Mo-
selle. Après avoir traversé le village de Pierre, nous arri-
vons bientôt devant la belle source de la Rochotte qui sourd
horizontalement du sol sous une voûte, au pied d'un co-
teau élevé, à niveau du fond de la vallée et par une ouver-
ture carrée qui paraît avoir en moyenne un mètre de côté.
Une ancienne chapelle ogivale est bâtie au-dessus de cette
voûte, et à peu de distance se trouve le moulin du même
nom que cette source fait mouvoir. A certaines époques,
au moment des crues, à la suite de certains orages en été,
le volume des eaux fournies par cette source curieuse
augmente tout à coup, et de claires qu'elles étaient d'abord,
elles deviennent tout à coup limoneuses : celles-ci cou-
laient donc naguère encore 6ur le sol.
L'opinion commune dans la région que j'habite, c'est
que la Rochotte est l'orifice inférieur d'un canal souterrain
alimenté en grande partie par ÏArolfe qui, en temps ordi-
naire, se perd tout entier dans un gouffre derrière la roue
du moulin de Gémonville. Cette opinion est fondée d'abord
DE NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 79
sur une foule de remarques faites à l'époque des orages,
lors des crues subites, surtout de celles qui se produisent
exclusivement sur le bassin de l'Àroffe et font déborder ce
ruisseau. Il arrive alors que la Rochotte, au bout de 24 heures
environ, coule à pleins bords et roule des eaux troubles.
Nous nous trouvons donc ici en présence d'un cours
d'eau qui, après avoir disparu tout à coup de la surface du
soi, reparaît de même après un coure souterrain plus ou
moins long.
Ce n'est pas du reste le seul exemple que nous puis-
sions citer en nos environs. Ainsi la Meuse, en été, dispa-
raît dans l'alluvion à Bazoillep, en amont de Neufchâteau,
pour reparaître quelques kilomètres plus bas. Il ep. est de
même de YAr à quelques centaines de mètres en aval de
Thuilley, mais alors toute Tannée, sauf à l'époque des
crues où ce ruisseau descend dans la Moselle en face des
Trous de Sainte-Reine. Une foule de petites rivières et de
ruisseaux, en traversant nos couches crevassées de l'oolithe
inférieure, diminuent de volume en été, s'ils ne disparais-
sent pas, tels sont le Mouzon en amont de Neufchâteau, le
Vair à partir de Pont-de-Roche entre Attignéville et Re-
moville, le Terrouin à partir de Jaillon, et YAche ou Esse à
partir de Manon ville.
Dans les Yosges, on a cherché à constater la réappari-
tion des eaux de la Meuse, en jetant en été deux sacs de
sel à Bazoilles ; l'analyse des eaux recueillies quelque
temps après à l'endroit où elles reparaissent ayant révélé
la présence de cette substance qu'on n'avait pas rencon-
trée lors d'une analyse préalable, l'expérience a été con-
cluante. On a aussi essayé, au moyen de fuschine, d'éta-
blir la relation qui peut exister entre les eaux du ruisseau
à' Esse, absorbé par le sol en aval de Manonville, et la belle
source qui coule au pied du château de Dieulouard; mais
op n'a pu rien conclure par suite' de la trop petite quantité
de matière colorante employée.
80 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
Pour m'assurer, 6ans dépense aucune, de la relation
qui peut exister entre YAroffe et la Rochotte, je me suis
livré pendant plusieurs années à des recherches. J'ai fait
faire des observations simultanées à Gémonville et à la
Rochotte, puis à Crézilles et à Autreville (Vosges) où. se
produisent des faits hydrographiques qui me paraissent en
relation plus ou moins directe avec le canal souterrain
en question. Le résultat de cette étude a été publié dans le
Bulletin de la Société des sciences de Nancy, il y a quelques
années. Mais, pour ne pas fatiguer mes auditeurs de dé-
tails techniques et autres un peu longs, je vais me borner
à donner la physionomie d'une crue subite, importante,
qui se produirait sur le bassin du ruisseau de Gémonville,
telle que les observations me l'ont révélé.
Tout d'abord, je ferai remarquer que la distance de Gé-
monville à la Rochotte est d'environ 24 kilomètres à vol
d'oiseau, et que la différence de niveau entre ces deux points
est de plus de 125 mètres. J'ajouterai que l'étage géologi-
que, longé par le canal souterrain, est partout le même,
c'est Voolithe inférieure, dont les assises sont fréquemment
traversées par des couloirs, des galeries horizontales telles
que celles que nous venons de visiter à Sainte-Reine, au
Trou-des-Celtes, et celle que j'ai indiquée à Saint-Aman.
Quand donc une crue se produit sur YAroffe, le gouffre
de Gémonville ne pouvant absorber toutes les eaux, celles-
ci descendent la vallée, mais, le plus souvent, elles ne
dépassent guère la limite de la forêt, absorbées qu'elles
sont par les roches crevassées qui forment le 60us-sol de
cette vallée ; elles vont, selon toute apparence, rejoindre
celles du canal souterrain. Au bout de 24 heures,. comme
je l'ai dit, et ce temps n'est pas exagéré, je pourrais le
prouver, la Rochotte augmente tout à coup, roulant des
eaux chargées de limon. Au bout de 30 heures environ, la
Deuille de Crézilles, source temporaire, à ce moment à sec,
coule tout à coup, fournissant aussi des eaux limoneuses
DE NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 81
s
et donne naissance à un important ruisseau, le Bouvade,
large de 3 à 4 mètres.
Le nom de Deuille est donné dans le pays à plusieurs
autres sources importantes qui coulent notamment sur les
territoires d'Ochey et d'Uruffe. Celle de Crézilles se trouve
dans le fond d'un vallon qui desceud de Bagneux, et 6ort
dans une sorte d'anse au pied d'un coteau ; elle débouche
dans une excavation large et profonde, ouverte dans l'allu-
vion de la vallée; le fond en est formé d'une masse de
sable mouvant qui se soulève au moment où les eaux arri-
vent.
Lorsque le Bouvade a traversé le chemin de Moutrot à
Ochey, un -petit canal de dérivation à ciel ouvert, d'un
hectomètre de long, attire une partie des eaux de ce ruis-
seau; elles vont alors se perdre dans une excavation large
de 10 à 12 mètres, profonde.de 6 à 7 mètres, ouverte en
forme d'entonnoir dans l'alluvion de la vallée qui descend
d'Àllain. En patois du pays, on désigne ce trou bizarre sous
le nom de Potuë-de-Dione.
Si la crue persiste, YAroffe descend lentement, je dirai
presque péniblement, le long du Prè-au-Bois sur le terri-
toire de Harmonville, car il est absorbé à chaque pas par
l'alluvion, à la faveur des fossés ouverts au périmètre
de la foret. Quand l'inondation arrive au delà de la route
de Nancy à Neufchâteau, en face d'Àutreville, au point
où la carte de Yétat-major marque l'altitude 207 mètres,
une crevasse naturelle, appelée l'Entonnoir, absorbe les
eaux qui passent à proximité. Mais ce rôle ne tarde pas à
changer, et au lieu d'absorber, Y Entonnoir rejette les eaux
en bouillonnant. Le sol de la prairie, alors toute couverte
d'eau, se soulève quelquefois sur certains pojnts, à peu de
distance de Y Entonnoir, pour donner un passage plus facile
à la masse d'eau qui se presse dans le sous-sol. Une foule
de petits tertres, sortes de tumuli qu'on remarque 6ur le
sol de la prairie en cet endroit, n'ont pas d'autre origine.
SOC. M GKOGB. — 1" TRIMBf TRB 1883. 6
82 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
Pendant que les choses se passent ainsi sur le cours de
l'Aroffe, qui descend alors dans la vallée de Vannes, puis
dans la Meuse, le Trou-de-Diane aussi a changé de rôle
comme V Entonnoir. En outre, du flanc droit de la vallée
d'Allain, près du Trou-de-Diane lui-même et en amont, dans
le bois de Moncel, sortent des calcaires crevassés, de dis-
distance en distance, sept ou huit sources très considé-
rables qui pourraient chacune faire aller un ou deux mou-
lins, en 6orte que cette vallée, toujours à sec, sauf au
moment des grandes crues, est alors couverte d'une nappe
considérable.
Les quatre meuniers établis sur le cours do Bouvade, en
aval de la Deuille, étaient si persuadés de l'existence de ce
canal souterrain passant sous cette source, qu'ils tentèrent,
il y a une cinquantaine d'années, de le découvrir pour le
détourner à leur profit, surtout pour l'été, car la Deuille ne
coule en moyenne que six ou sept mois de l'année. Ils
creusèrent donc au fond de la Deuille à sec, et quand ils
furent arrivés à une certaine profondeur, l'eau jaillit et
suspendit les travaux. Le lendemain, quand les meuniers
revinrent à leur chantier, ils constatèrent un ébbulement
considérable; le sol 6'était affaissé et l'eau avait disparu.
Ils en restèrent là. '
J'ajouterai qu'il y a un peu plus d'une centaine d'années,
sur le territoire d'AUain, dans la saison des crues, un
gouffre béant se produisit tout à coup en travers du che-
min de cette localité à Grézilles^). Vite on se rendit à la*
corvée pour le combler et faire disparaître ce grave dan-
ger pour la circulation. Après bien des travaux, on recon-
nut que tous les matériaux jetés dedans roulaient à une
profondeur désespérante. On fut obligé, pour venir à bout
de l'entreprise, d'aller couper de jeunes arbres à la forêt
(') An moment où eo travail t'Imprime, un nouveau trou vient de se former prés
do là; il mesure 13 mètres de profondeur et le fond en est rempli d'eau, ce qui dis*
simule la profondeur réelle.
DE NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 83
voisine, de les jeter en travers du précipice, de recouvrir
ensuite ceux-ci de gros brins, puis de branchages et de
fascines, enfin de pierres et de terre. On attribua cet
accident à la masse d'eau qui se presse à certains mo-
ments dans nos couches calcaires du sous-sol. Cette nappe
souterraine ne peut s'écouler vers l'ouest où, cependant,
les couches géologiques s'inclinent naturellement, par
suite, sans doute, d'une faille ou dislocation qui a jeté les
assises marneuses compactes de l'oolithe moyenne dans
le 60U8-sol de ce côté, tout le long du cours de ce canal
souterrain et même au delà. l
Un dernier fait prouve évidemment que la source de Ja
Rochotte longe, avant de sortir de terre, des couloirs sou-
terrains entrecoupés de chambres formant réservoirs, car
dans les sécheresses prolongées elle devient intermittente.
Ce fait m'a été signalé en 1874, à l'époque des vendanges,
par M. le comte de Br., propriétaire du moulin de la Ro-
chotte ; il se trouvait là au moment où je faisais dos études
sur la question, il s'intéressa vivement à mes recherches
et me communiqua, au sujet de cette intermittence, des
observations très curieuses.
Ces cours d'eau singuliers qui peuvent chez nou6 couler
instantanément et tarir rapidement, sont de nature à cau-
ser des surprises bizarres. Si les dernières manœuvres
militaires eussent été faites dans un moment de crues im-
portantes aux environs d'Autreville et de Hannonville, les
troupes auraient été fort surprises de trouver, au nord de
ces deux localités, une importante rivière dans une vallée
où les cartes ne mentionnent même pas un filet d'eau.
Dne surprise, en sens inverse, à la même époque, a été
réservée aux troupes au sujet du Bouvade, qui était à sec
à l'époque du combat de Crézilles.
(À tuivrt.
6' GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
BORNÉO
Par M. Gh. ANTOINE, lieutenant de vaisseau.
[Suite (<).]
Le gouvernement des Philippines a en effet montré quelque inten-
tion de se prévaloir des droits que lui donnait le traité qu'il a imposé
att Suitan deSulu (février 1876) (s) et qui a fait de Jui le vassal de
l'Espagne, et a paru disposé à soutenir les prétentions à la souveraineté
sur les territoires concédés qu'avait le Sultan de Sulu.
Vers la Un de 1879 ou dans les premiers mois de 1880, il a envoyé
une canonnière espagnole sommer les agents de la Compagnie de
Bornéo, établis sur le territoire qu'a concédé le Sultan à M. Overbeck,
d'amener le pavillon anglais que ces agents avaient arboré sur leurs
factoreries à côté du pavillon de la Compagnie.
Le vice -amiral commandant en chef de l'escadre anglaise dans les
mers de Chine a alors envoyé dans les ports où cette canonnière avait
signifié cette sommation une corvette et une canonnière de son
escadre. Le commandant du premier de ces navires (un des plus Un-
portants de l'escadre anglaise des mers de Chine) et le gouverneur de
(t) Voir la livraison du 4* trimestre 1882.
O De temps immémorial l'archipel de Sain a été an repaire de brigands et de pira-
tes. Le gouvernement de Manille comprit qu'il était de son devoir et de sa dignité
de faire cesser on pareil état de choses.
Une première expédition eut lieu en 1819. Le Sultan, vaincu, dut se reconnaître
le vaseal de l'Espagne et s'engager formellement à empêcher ses sujets de se livrer
à des actes de brigandage et de piraterie. Soit que, avec le temps, il se soit cru délié
de ses engagements, soit qu'il ait été impuissant i les faire respecter par les siens
d'ailleurs très hostiles aux Espagnols, les Sulus reprirent peu à peu leur métier de
pirates. Une deuxième expédition partit de Manille pour Sulu au mois de février
1876. Bile fut heureuse, malgré de grandes difficultés. Le Sultan dut encore accepter
les conditions du vainqueur, qui s'établit du reste d'une manière définitive a Sulu,
la capitale, incendiée par ses habitants, forcés de l'abandonner aux approches des
troupes espagnoles. Ou lui laissa le titre de Sultan et la suzeraineté nominale de ses
états sous la protection de l'Espagne, en prenant l'engagement de lui servir nne
rente de 600 piastres (3,000 fr. environ).
Le but apparent et avoué de la deuxième expédition n'était peut-être pas le seul
mobile qui faisait agir le gouvernement espagnol, on suppose qu'il voulait ôter à
d'envahissantes nations à l'affût de conquêtes nouvelles, telles que l'Angleterre ou
l'Allemagne, la possibilité de planter leur pavillon dans un archipel voisin des
Philippines et d'y établir un pert de commerce ou le centre d'une station navale.
BORNÉO. 85
labuan, agissant comme consul général d'Angleterre à Bornéo, ont
protesté publiquement et par écrit, c au nom du gouvernement de Sa
Majesté Britannique », contre toute prétention à hisser le pavillon es-
pagnoi sur les territoires concédés à la Compagnie.
Description du territoire qui fait l'objet de la Charte d'incorporation.
— Le vaste territoire qui fait l'objet de la Charte d'incorporation a un
développement de côtes de plus de 1 ,600 kilomètres et une superficie
qui est au moins de 3,200,000 à 3,500,000 hectares.
Il occupe toute la partie Nord de Bornéo, depuis la rivière Kimanis
de la côte Ouest jusqu'à la ririère Sibuco sur la côte Est.
A l'intérieur, la pins grande partie du pays, et notamment celle que
Ton désigne sur les cartes du nom de Sabah, est montagneuse et cou-
verte d'nne forêt inpénétrablc. De ce massif montagneux descendent
des rivières importantes par leur largeur et leur profondeur ainsi que
par la longueur de leur cours ; les plus importantes sont celles qui se
dirigent fers l'Est et traversent l'immense plaine qui se termine à la
mer sur une côte très découpée qui forme beaucoup de magnifiques baies.
Entre la rivière Kimanis et la pointe Sampanmangio, la côte Ouest a
une direction générale N.-N.-E. !/« E. (N. 27° E.), elle est découpée par
plusieurs entrées de rivières et quelques havres non sans valeur, et
son développement atteint une longueur de 200 kilomètres. Ces rivières
ont peu de cours à cause du voisinage et de l'élévation du massif
montagneux intérieur, mais la plupart sont larges et navigables, à peu
d'exceptions près, pour de petits bâtiments; ce sont les rivières Benoni,
Minani, Inanam, Kabatuan, Menkabong, Tawalan (ou Kawalan), Sulaman,
Abal et Tampassuk ; beaucoup sont barrées à leur embouchure, mais
la profondeur augmente quand on a franchi rentrée.
Les baies sont aussi plus nombreuses que daus le Sud; quatre
d'entre elles méritent une mention particulière : celles de Gaya, Sapan-
gar, Ambong et Usukan. La baie de Gaya est comprise entre la pointe
Bord de l'Ile Gaya et Tanjong-Kactan, tandis que Sapangar, Udar, Ddar-
Kechil, et Udar-Tega forment un groupe d'Iles situé sur le côté Nord
de l'entrée de la baie de Gaya, et comprennent le mouillage entière-
ment fermé de la baie Sapangar, le port le plus sûr de la côte Nord-
Ouest de Bornéo. Le mouillage dans la baie d' Ambong est bon et aussi
très sûr, la baie est vaste, une ville en occupe Je fond. La baie d1 Usu-
kan est à 3 milles dans le Nord de celle d' Ambong, les navires y sont
aussi très en sécurité; c'est le seul point convenable pour communi-
quer avec la rivière Abai.
Au large, dispersés çà et là, se trouvent quelques Iles et Ilots ; sur
cette côte les bancs et les récifs de corail ne sont pas semés sous la
mer en aussi grand nombre que sur la côte Est.
£6 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
La pointe Sampanmangio qui est à l'extrême Nord de Bornéo, est
par 7°4' de latitude Nord ; un petit Ilot la prolonge vers le Nord.
La baie Malladu, située dans la partie la plus Nord du territoire de
la Compagnie, au fond de laquelle débouche la rivière Malludu et se
trouve un village portant le même nom» s'enfonce vers le Sud nne
distance de 20 milles, elle a une largeur de 1 7 milles à son entrée.
À partir de la baie Malludu, la côte s'incline vers le Sud-Est pendant
196 milles, puis elle s'infléchit vers le Sud-Ouest pendant 115 milles
jusqu'à l'entrée de la rivière Sibuco et la limite du territoire soumis à
la domination hollandaise.
La première baie située à l'Est de celle de Malludu n'a pas de nom
et n'a pas été explorée. Viennent ensuite et dans l'ordre celles de
Labuk, S.andakan, Darvel et Sibuco, qui tont toutes vastes et dans
lesquelles débouchent de grandes rivières.
La Compagnie a déjà fondé sur la côte des établissements situés à
de grandes distances les uns des autres, et ses agonts ont commencé
à parcourir et à explorer l'intérieur.
Le climat et le sol paraissent devoir être favorables à une variété
de productions qu'on n'a pas encore trouvées dans Bornéo.
Les chenaux et les passes conduisant aux rades et ports à travers
les récifs et coraux sont plus difficiles à franchir dans l'Est que dans
l'Ouest.
La population est moins dense dans le Nord que dans les autres
parties de l'Ile.
L'Ile de Banguey est située à 7 milles de la pointe la plus Nord de*
Bornéo. Elle a 19 milles et demi de longueur sur 13 de largeur et
s'étend du Nord- Est au Sud-Ouest. Son sommet le plus élevé atteint
une élévation de 570 mètres. Elle est entourée d'un grand nombre
d'Ilots et de nombreux pâtés de coraux laissant entre eux des chenaux
quelque peu inextricables.
Productions et ressources commerciales du Nord de Bornéo, de
labuan, de Bruni et de Sarawak. — Les détails suivants sur les produits
et les ressources commerciales du Nord de Bornéo, de Labuan, de
Bruni et de Sarawak sont résumés des plus récents rapports du consul
général d'Angleterre à Bornéo.
Le port de Bruni seul , qui est en communication avec Singaporc
par bâtiments à vapeur, exporte directement ses produits en ce port ;
la presque totalité des produits exportés par les États du Sultan de
Bruni est transportée à Labuan par les bateaux du pays et depuis peu
par un petit vapeur côtier, d'où ils sont réexpédiés à Singapore pour
la plus grande partie, et à Hong-Kong occasionnellement.
Le principal article d'importation est le riz, il vient de Singapore.
BORNÉO. 87
Le pays pourrait produire sans difficulté tout ce qu'il en faudrait à sa
population clairsemée, mais pour plusieurs causes il est tributaire des
autres contrées pour le priucipal aliment de ses habitants. Il faut
l'attribuer à un mauvais gouvernement ; les indigènes de l'intérieur
ne sont jamais sûrs que l'un ou l'antre de leurs nombreux pangeram
ou chefs ne s'emparera pas de leur récolte. En outre, ils sont indo-
lents et aiment mieux courir au gré de leurs caprices à la recherche
do produit de la jungle et faire produire au sol le palmier sagou, qui
croit à pen près sans qu'on ait ù s'occuper de lui, que d'entreprendre
des cultures demandaut uu travail suivi et soutenu. 11 faut ajouter
qaone succession de mauvaises moissons a ruiné le pays; enfin, il
a été ravagé par la petite vérole en 187 2, le choiera en 1875. et, pen-
dant la première partie de 1878, par d'immenses incendies dans la
jHOffle, résultant dune sécheresse exceptionnelle.
Après le riz les principaux articles d'importation, en 1878, ont
été les cotonnades sous toutes les formes, presque toutes de prove-
nance anglaise.
On commence à beaucoup demander le tabac à l'importation, bien
qu'on puisse s'en procurer de grandes quantités à l'intérieur chez les
Dunens et les Munit*. Ce tabac indigène (ou Sigup Bruni) était autre-
fois préféré par les habitants, mais ils donnent maintenant la préfé-
rence à celui de Java et de Palembang ; ce tabac est plus cher. On
importe encore du tabac chinois pour les Chinois et les Malais, ainsi
qne de l'opium dont commencent à faire usage plusieurs des jeunes
paogerans de Bruni et beaucoup de Su lus.
Le principal article d'exportation du port de Brnni à destination de
Singapore e&t la farine de sagou ; elle est préparée dans les factore-
■
ries de deux Chinois (lesquels sont sujets anglais) établies i Bruni.
Us achètent le sagou brut aux indigènes et le font transformer en
firme, sans le secours d'aucune machine, par les coolies chinois.
Les antres objets importants d'exportation sont la gulta-percha, le
caoutchouc, du camphre de bonne qualité icelle connue sous le nom
de btrus), de la cire d'abeilles, et des nids d'hirondelle.
Les deux Chinois qui font préparer la farine de sagou essaient de
fabriquer du tapioca, ils ont planté de manioc plusieurs centaines
d'hectares. Sur un grand nombre de points de l'intérieur, les indigènes
le cultivent pour leur consommation; on dit que cette culture produit
des racines de grosses dimensions. Hais tant qu'un gouvernement
ferme et obéi ne sera pas établi A Bornéo, les planteurs chinois, pas
plus que les Européens, ne pourront entreprendre de grandes opéra-
tions agricoles.
Les denrées qui alimentent l'exportation du port de Bruni y sont
88 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
apportées pour la plus grande partie par les petits bâtiments indigènes
que l'on nomme pros, elles sont achetées par des négociants chinois,
qui les chargent sur un vapeur anglais à destination de Singapore.
Les marchandises importées de l'État de Bruni, Bornéo Nord et Pala-
wan à Labuan en 1876-1877-1878 étaient toutes, à l'exception de la farine
de sagou, fabriquée par des immigrants chinois, des produits animaux
ou végétaux ne demandant aux indigènes d'autre peine que celle de
les recueillir, tels que les nids d'hirondelle, la cire d'abeilles, le
camphre, la gutta-percha, le caoutchouc, les petites perles, les rotins,
l'écaillé.
Le principal article d'exportation est le sagou, soit à l'état brut, soit à
l'état de farine. Le commerce du sagou est fait tout entier par l'État de
Bruni, on n'en reçoit pas de la région située au Nord de la rivière Pappar
Mais c'est cette région qui contribue pour la majeure partie à la produc-
tion des nids d'hirondelle, de la gutta-percha, de la cire, du camphre,
des rotins et des petites perles.
Le sagou apporté à l'état brut à Labuan, y est transformé en farine
dans des fabriques chinoises et ensuite exporté à Singapore. On ne
fabrique de sagou perlé ni à Bruni ni à Labuan, et on ne consomme
pas de farine de sagou à Labuan ; dans certaines parties de l'État de Bruni
on la fait bouillir et on la mange sous le nom de boy ai, avec n'importe
quel condiment acide. Le palmier sagou est l'arbre qui demande le
moins de soin et de culture. On plante le jenue arbre dans un terrain
humide et on le laisse croître pendant dix ans, après lesquels on
l'abat pour extraire la moelle de son tronc. Pendant ce temps déjeunes
palmiers ont poussé à son pied, ils croissent à leur tour et sont coupés
et utilisés en temps opportun.
Les autres articles d'exportation doivent être classés comme suit au
point de vue de leur valeur commerciale, nids d'hirondelle, rotins,
camphre, gutta-percha et caoutchouc, cire et petites perles. Ainsi
qu'on l'a déjà dit, ils viennent principalement du Nord de Bornéo; et
rétablissement d'Européens dans cette région, membres d'une com-
pagnie anglaise ou autres, devra naturellement enlever le commerce
de ces matières àvLabuan, ainsi que Sarawak l'a fait pour le Sud.
Le gouvernement des Philippines a essayé longtemps d'attirer les in-
digènes dans les ports de Balabac et Palawan déclarés francs ; mais H
n'a pas réussi, et les vendeurs semblent préférer le marché de Labuan
qui est cependant plus éloigné pour le plus grand nombre d'entre eux.
Ces ports sont dits francs; mais des marchands chinois de Labuan qui
ont visité Balabac, racontent qu'on ne leur a pas permis d'y faire du
commerce, le gouverneur les ayant informés qu'on n'y pouvait débar-
quer que les cotonnades ayant passé par Manille.
BORNÉO. 89
La Tileur annuelle des exportations faites par la partie de Bornéo
qui n'est pas hollandaise, exportations qui sont presque entièrement
à destination des colonies anglaises à Labuan, Singapore et Hong-Kong,
lent être évaluée à 7 millions et demi de francs.
Les bâtiments Sulus qui apportent à Labuan la plus grande partie
des produits du Nord et de l'Est de Bornéo, y importent aussi les pro-
dcits de l'archipel Sulu.
Ceux-ci comprennent, en plus de ceux de Bornéo, le trépang on
bécue de mer, les perles (') et les cordages; mais les Sulus ne pro-
duisent pas le sagou, les rotins, la gutta-percha et Je caoutchouc, les
aids d'hirondelle, la cire et Je camphre.
Les articles que les indigènes de Bornéo et des Sulus reçoirent en
échange des produits de leur pays sont les cotonnades sous toutes
leurs formes et de proTcoances diverses, du tabac de Java et de Chine,
de l'opium, du riz, du sel, des objets manufacturés en cuivre, du fer,
des fusils, de la poudre, etc.
Pour le moment, le commerce se fait par l'intermédiaire de Chinois
et de traitants mahométans établis le long de la côte, ces derniers sont
des Sulus, des Bugis ou Bajows, des gens de Bruni et quelques 111a-
nuns; les uns et les autres se tiennent en garde contre l'accroissement
des relations des tribus indigènes de l'intérieur avec le monde exté-
rieur. Les tentatives faites par les Européens pour traiter directement
arec les indigènes ont échoué jusqu'à ce jour.
Les entraves au développement du commerce sont le manque d'un
gouvernement fort et le caractère indolent et apathique des peuples.
Le pouvoir des Sultans est très faible, il est partagé avec de nombreux
petits chefs locaux, demi-indépendants, dont la seule notion de gouver-
nement consiste à absorber à leur prollt les ressources du pays. Dans
l'État de Bruni plusieurs rivières sont regardées comme des propriétés
privées du Sultan et de certains pangerans ou nobles ; les revenus
des autres sont la part de certains officiers d'État non héréditaires.
H est parfaitement reconnu d'après les relations que Ton a eues
avec toutes les tribus, les Malais, les Bajows, aussi bien que les Dyaks
ou tribus de la montagne, que, avec de la douceur et de la fermeté,
on les trouverait dans des dispositions amicales. Mais il ne faut pas
perdre de vue que la prudence s'impose dans toutes les transactions
aTec la race malaise.
Ce sont les grès qui entrent pour la plus grande partie dans la cons-
titution géologique de Bornéo. Elle comporte aussi, occasionnellement,
( ) n ne faut pas confondre les perles arec les petites perles on semence de perles
{MdpearU) de Bornéo. — On trouve à Bornéo une peUte huître qui fournit quel-
ques perles de qualité inférieure.
.j_«_
90 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
des calcaires, des schistes argileux, des granits (syénite), du quartz
et du porphyre. S'il en est ainsi, et puisque le sol d'un pays est formé
par la désagrégation de ses roches, il est à peine besoin de dire que
le sol de Bornéo ne peut pas être comparé à celui de Java, Sumatra.
de l'archipel Sulu ou des l h iiip pi u es, toutes terres d'origine volcanique.
Vers le Nord, dans les plaines qui sont dans le voisinage de la
grande chaîne de Kini-Balu, le sol est d'une qualité 1res supérieure ;
et le succès avec lequel les indigènes, avec leurs procédés imparfaits,
font produire à la terre pour leur consommation et leur usage le riz,
la canne à sucre, le tapioca, l'indigo, et, en certains endroits, le café,
fait bien augurer en faveur de i avenir de l'agriculture de Bornéo
quand un gouvernement juste et fort y aura été établi, et que le travail
du Chinois et le capital de l'Européen seront associés pour développer
les ressources du pays.
Pour le moment, la majeure partie de l'Ile est couverte par les
grands arbres d'une forêt vierge impénétrable, dont beaucoup donnent
d'excellents bois ; tant qu'on n'aura pas mis à nu par des défrichements
le sol que couvre cette forêt, il sera oiseux de spéculer sur les res-
sources minérales de la contrée, cependant la présence dans Bornéo
Mord de charbon, de minerai d'antimoine et d'or a déjà été reconnue
au point qu'elle ne doit plus être, mise en doute.
Un pays' tel que Bornéo Nord, avec de beaux ports, d'excellentes com-
munications intérieures par eau, des productions naturelles illimitées,
-de grandes richesses minérales comprenant de bon charbon, et un
climat essentiellement tropical qui n'est pas contraire à une constitu-
tion européenne, doit avoir un bel avenir devant lui s'il est bien
gouverné et administré avec soin, en ne perdant pas de vue que»
tout eu développant les inépuisables ressources de la contrée et en-
courageant les industrieux immigrants fournis par les fécondes popu-
lations de la Chine, il est de la première importance de traiter les indi-
gènes judicieusement et avec un esprit conciliant.
Au point de vue politique, il faut considérer dès maintenant la
grande lie de 'Bornéo comme partagée entre les Hollandais et les
Anglais. Les premiers ont étendu depuis longtemps leur domination
sur la plus grande partie de l'Ile, celle qui a pour limites, du côté de
la mer, les côtes Sud-Ouest, Sud et Est. Les seconds ont absorbé direc-
tement ou indirectement le reste de l'Ile depuis cinquante ans. Labuan
est une colonie de la Couronne ; le territoire que s'est fait concéder
la Compagnie Overbeck et Dent est incorporé à l'empire colonial ; la
principauté de Sarawak est un État libre, mais c'e&t un Anglais qui en
est le chef suprême ; enfin, le Sultan de Bruni est complètement sous
l'influence anglaise, il est de fait vassal de r Angleterre. v
BORNÉO. 91
U principauté de Sarawak, celle de Bruni, Labuan, les établisse-
jae&ls de la nourelle Compagnie exportent à Slngapore, Importent de
Smtapore, et contribuent au prodigieux développement que prend le
commerce dans le principal des établissements anglais des Détroits
{Strmts settlemenis) (').
Ainsi s étend l'empire colonial britannique vers l'extrême Orient,
enTerta d'une force expansire dune grande puissance, dont nous
ne pourrions rechercher les causes sans sortir du cadre d'une simple
notice géographique.
Septembre 1882.,
Le Lieutenant de vaisseau,
Gh. Antoine.
(0 Les Straitt tUltnenU, toxxt en formant une seule et même colonie, compren-
ant : 1° Itle de Ponlo-Penang on dn Prince- de- Galle» ; S° U province de Welleslej
dut Je presqu'île de Malaeca ; 3* l'établiseement de Malacca; 4> l'île de Slngapore,
qui «xt le siège dn Gouvernement.
DE
L'ATLANTIQUE AU NIGER
PAR
LE FOUTAH-DJALLON,
Par Aimé OLUVIER, vicomte de SANDERVAL,
1879-1880 (').
Dans une de nos précédentes réunions, je vous entretenais à la bâte
des pays arrosés par le Nil, et des mémorables voyages que l'Afrique
équatoriale avait vus s'accomplir. Si vous le voulez bien, nous nous
reporterons vers l'autre extrémité du continent, au lieu où le Soudan
confine au Sénégal, où le Sahara se rapproche de l'Atlantique, en un
mot aux pays arrosés par le Niger, ce fleuve gigantesque dont le cours
est encore si peu connu. Là aussi des entreprises *se poursuivent qui,
sans avoir le caractère de découvertes au même degré que les explo-
rations du Haut-Nil, du Congo ou du Zambèse, n'en ont pas moins on
grand et sérieux intérêt au triple point de vue de l'avenir politique,
du développement commercial, et des progrès de nos connaissances
géographiques.
Il suffit de Jeter les yeux sur la carte pour comprendre de quelle
importance il serait de relier nos deux grandes possessions du Sénégal
et de l'Algérie, non par des conquêtes ou des occupations de terri-
toires, mais par une chaîne de rapports réguliers avec les populations
intermédiaires. Gomme toujours, c'est aux voyageurs, ces intelligents
et hardis pionniers, à frayer la voie.
Pénétré de l'importance de cette question, Aimé Ollivier, vicomte de
Sanderval, avait résolu depuis de Joogues années d'aller étudier sur
place les avantages qu'une plus complète connaissance des pays rive-
rains du Niger ne pouvait manquer de lui procurer.
(') Conférence faite par M. Joue à la section meusienne. Outre cette exploration,
M. Ollivier en a fait faire une antre à ses frais, dans le môme pays, par M. B. G»
borlaud dont nous avons en déjà occasion de parler, et ce dernier était arrivé à
Timbo avant môme l'expédition du docteur Bayol. (J. V. B.)
DB L'ATLANTIQUE AU NIGER. 93
Mâi3 avant d'esquisser à grands traita le voyage entrepris, quelques
considérations ne seront pas, je crois, inutiles à eiposer.
Jusqu'à présent les relations des races latines arec les immenses
pays africain* n'ont pas été en raison directe de îa fertilité du sol, ni
des avantages que le commerce était en droit d'espérer. La traite des
eseiaves, qui entretenait la guerre de tribu à tribu, empêchait les Eu-
ropéens de pénétrer parmi ces populations défiantes, et enlevait toute
sécante aux rapports paciflques. Aujourd'hui les noirs de l'intérieur ne
pouvant plus Tendre d'esclaves, se sont peu à peu désintéressés de la
eftie; les Européens ont pu s'installer sur les bords de la mer, et faire
cultiver les larges estuaires où la navigation facile assure les commu-
nications et tes transports.
liais là ne doit pas se borner l'œuvre des Européens, il leur faut
pénétrer plus avant, et étendre aux pays de l'intérieur, merveilleux
sons ce climat essentiellement producteur, lea bienfaits et les avanta-
ges de la civilisation.
À cet égard, le Fontah-Djallon offre un intérêt de premier ordre. Du
côté de la mer, il est abordable par plusieurs estuaires qui remontent
jusqu'au pied de ses premières collines; ses hauts plateaux, fertiles,
bien arrosés, et où Ja température est celle de la France moins les
froids de l'hiver, sont habitables comme un paradis terrestre. Là, est
la vraie route par laquelle la civilisation pénétrera dans l'intérieur
foos ces latitudes, parce que là est le climat favorable, où les Euro-
péens peuvent vivre et créer un centre d'influence permanent et fort.
Le Foutab-Djallon est la clef du Soudan ; un peu plus au Nord, vers
le Sahara, la température excessive de 45° et la fièvre jaune trop sou-
vent èpMémique, leur rendent la vie difficile. Au Sud, et dès le Rio-
Pongo, des fièvres pernicieuses rendent la côte dangereuse.
Ceci dit, je commence.
Ainsi que je vous le disais tout à l'heure, M. de Sanderval projetait
depuis longtemps un voyage en Afrique. La guerre de 1870 et diffé-
rents événements le retinrent en Europe plus longtemps qu'il ne l'eût
voulu, et ce ne fut qu'en 1879 qu'il put mettre son plan à exécution,
après avoir organisé son expédition entièrement à ses frais ; il était
par conséquent dégagé de toute attache et libre de ses mouvements.
Le 12 novembre 1879, notre voyageur prenait le train à Paris, et
gagnait Lisbonne, son point d'embarquement; le 27, il débarquait à
Gorée où il séjournait jusqu'au 7 décembre, et à celte date quittait
cette ville pour visiter l'archipel des Bissagos, la côte et les rives de
la Gambie.
Gegroupe situé à l'ouest de l'Afrique, entre le cap' Rouge et le cap
^rça, près de la côte de Scnégambie, entre les 10° et 12° lat. N. et
94 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
17° et 20° long. 0., compte une quinzaine d'ilea ou Ilots, parmi les-
quelles on remarque Piscis, Gagnabae dont les douze villages renfer-
ment une population de 2,000 à 2,200 habitants; Porcos, Dot inha-
bité, ainsi nommé parce que les insulaires de Gagnabae y mettent
leurs porcs et leurs chèrres paître en liberté ; Rouban, Gavallo, Yate,
Mau terre, Formosa, Bissao d'une superficie d'environ treize lieues
carrées; Boubak, qui produit des bananes délicieuses, et Bouton, la
plus grande de toutes, qui se fait remarquer par son étonnante fertilité.
Vers le quatorzième siècle, les Dieppois s'établirent dans ces parages,
mais ce ne fut réellement qu'en 1685 qu'un établissement sérieux y
fut fondé. Visitées en 1701 par Brûe, qui donna une nouvelle impulsion
aux factoreries établies, et par de Lajaille en 1784, elles se Tirent, en
1792, le siège d'établissements fondés par l'anglais Beaver ; mais treize
mois après, elles étaient abandonnées par leurs nouveaux occupants*
L'Ile de Boulam est cependant restée aujourd'hui encore la résidence
du gouverneur de la Guinée portugaise.
La race qui habite ces lies est assez belle, les hommes particulière-
ment ; le nez, il est vrai, est épaté, mais les lèvres sont peu épaisses,
et l'angle facial est ouvert. Ils portent les cheveux noués en forme de
calotte, et ils les recouvrent sur les tempes d'un enduit noir ou rouge
fait de terre et d'huile. Le costume des Jeunes garçons et des fillettes
est des plus primitifs, il se compose d'une bande de tresse qui ailleurs
pourrait passer pour une simple ficelle. Les naturels sont, en général,
intelligents, soigneux, très industrieux et même élégants. Us sont
guerriers aussi, et s'arment de sagaies qu'ils forgent eux-mêmes. Un
des cadeaux les plus usités, offerts par les divers rois visités, consiste
en poules. Cette munificence royale donne lieu chaque fois à une véri-
table battue de volatiles de la localité. La chasse est faite dans les rues
par de nombreuses bandes de gamins, qui sur un geste se lancent à
la poursuite des malheureux bipèdes ; les chiens s'en mêlent, et le
tout forme un tumulte et donne lieu à des bousculades de l'effet le plus
pittoresque.
Arrivé le 1er Janvier 1880 à Boulam, notre voyageur se remet aussitôt
en route, explore les estuaires du Rio-Nunez, du Rio-Tambaly, et
aborde à Galléo, pays des Nalous, qu'une guerre toute récente avec les
Foulahs venait de décimer ; il remonte tour à tour le Rlo-Cabacera, le
Koubak, et va regagner la mer par le marigot de HehUSals. A quelques
jours de là, le 20 Janvier, voulant reconnaître le cours du Rio-Gassini,
M. Aimé Ollivier faillit périr presque aux débuts de son expédition;
la chaloupe qu'il montait s'échoua dans la vase, l'eau potable ainsi que
les vivres s'épuisaient, impossible de se tirer de ce mauvais pas.
Quelques mètres à peine le séparaient de la passe; la petite expédition
DE L'ATLANTIQUE AU NIGER. 95
ferle de dix hommes seulement, et dont la moitié était minée par la
fièvre, dut pratiquer une véritable tranchée dans la boae. Au prix de
fatigues inouïes la passe fut enfin franchie, la petite troupe alla se
ravitailler à Kandia-Cassini, où les malades purent se débarrasser des
terres malignes gagnées an milieu des marigots qu'ils venaient de
traverser; là notre voyageur signa avec les deux rois de la contrée,
un traité par lequel ceux-ci s'engageaient à accepter le protectorat de
la France, et à céder toutes les terres de leurs royaumes, ainsi que
les palais qu'ils habitaient. Le malheur voulut qu'à sa rentrée à
Paris, le vicomte de San d errai apprit officiellement que ce territoire
appartenait au Portugal ; il fit alors la remise de £on traité au gouver-
nement de Lisbonne.
Le 27 janvier, il visite le poste français de Boké, agréablement situé
sur nne hauteur, et dominant le Rio-Nunez en amont et en aval ; les
hommes ont une bonne figure, les fortifications en terre sont bien
entretenues, le capitaine d'infanterie de marine Dchouse qui comman-
dait le poste, prouve qu'il sait tirer parti des moyens restreints dont il
dispose, en suppléant par son activité naturelle à l'insuffisance des
troupes placées sons ses ordres.
Pendant une quinzaine, notre héros continua d'explorer la côte et
les lies «voisinantes, pnis le 22 février 1880, estimant qu'il connaissait
lafRsamment les points relevés et ayant reconnu un endroit favorable
propre à rétablissement d'une station, H. de Sanderval se dirigea vers
Bonba, situé sur la rive gauche du Rio-Grande, sur la frontière même
de Bové, et c'est de là que commence à proprement parler son voyage
dans l'intérieur des terres avec le Kiger pour objectif.
Dès le début, il se voit retenu huit grands jours à Bouba par des
désagréments et des ennuis de toute sorte. Sons le prétexte que des
hostilités sont à craindre de la part des roitelets voisins, on le prive
de 65 de ses hommes; son escorte étant réduite à 25 hommes, il se
trouve contraint d'abandonner la plus grande partie des marchan-
dises qui doivent assurer son passage et faciliter ses relations avec
les naturels qu'il rencontrera. Il lui faut aussi attendre la venue du
roi du Foréah, province où se trouve Bouba, afin que celui-ci con-
sente à son passage et lui fournisse les porteurs nécessaires ; entre
temps il lui faut satisfaire l'insatiable avidité de la reine Tahi-Bou et se
dérober aux amoureuses avances de la noire souveraine que ses vingt-
qnatre printemps, et les seins qui lui tombent presque jusqu'aux
genoux, font considérer dans le pays comme une beauté de premier
ordre. Le 3 mars» n'y tenant plus, il part au-devant du royal Agui-Bou,
campé à quelques lieues de distance; celui-ci, après des lenteurs sans
nombre et des cadeaux souvent renouvelés, consent enfin à délivrer au
96 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
voyageur blanc une sorte de laissez-passer, qui doit assurer son voyage
jusqu'à la cour de l'almany souverain de Timbo.
Le 7 mars, il se met enfin en route, traverse successivement plusieurs
bourgades où il a mille peines à se procurer le nécessaire. A chaque
halte ce sont des difficultés Inouïes pour obtenir le strict indispensable ;
le chef du village commence invariablement par déclarer ne rien avoir,
il faut alors parler haut et ferme, menacer, faire peur en un mot, et
aussitôt, riz, mil, arachides d'arriver promptement.
Après quelques jours de marche, notre voyageur franchit les limites
du Foréah et pénètre dans le Noré. Ici les cases changent d'aspect,
elles sont un peu préférables à celles du pays qu'il vient de quitter,
plus jolies et plus agréables à habiter. Les murs sont en terre, les toits
en chaume épais, descendant presque jusqu'au sol; de longues perches
en bambous pendent sur le chaume de haut en bas, pour le maintenir
en cas de vent. Ces habitations ressemblent à de hautes meules de
foin ; on y est beaucoup mieux abrité que dans les cabanes de jonc du
Foréah. Les greniers à riz ont dans ce pays une forme particulière
qui ne manque pas d'une certaine grâce. Ce sont de gigantesques
amphores, ou si Ton veut, des silos hors terre en argile, élevés à
40 centimètres du sol, sur pilotis, afin de mettre le contenu à l'abri
des ravages des bag-bag, sorte de fourmi monstrueuse à petite tète,
avec un gros ventre transparent, hideux.
L'ensemble du pays est bien boisé ; le sentier seul est exposé en
plein soleil ; il suit les parties dénudées qu'on entretient telles par le
feu de 50 à 100 mètres de chaque côté. Ainsi dégagé, il est moins
favorable aux embuscades et plus commode aux porteurs de fardeaux
que les branches gênent beaucoup. L'air est bon, le pays sain ; des
colons y vivraient heureux et dans l'abondance ; on y établirait aisé-
ment des postes militaires, agréablement situés et faciles à défendre,
où les troupes de la côte viendraient refaire leur tante. Le sol produi-
rait ce que l'on voudrait, une infinité d'arbres offrent leurs fruits aux
passants, on trouve partout, môme dans la saison sèche, de belles eaux
courantes. Les essences forestières sont nombreuses ; on a là le nété,
au fruit comestible ; le tiévê, dont ia gomme parfumée est très recher-
chée des femmes du pays, le malaugué à beurre, le bentenier dont on
fait les pirogues, le balignama, qui s'emploie pour les maladies de
poitrine, le barque, odontalgique vanté, et combien d'autres.
Le 12 mars, aux environs d'un village nommé Lèla, M. Ollivicr ren-
contra l'arbre à pluie ; les feuilles de ce végétal, redressées la nuit,
recueillent la rosée et la laissent ensuite retomber en pluie le matin. A
huit heures et demie du matin, il constata que cette pluie n'était pas
une chimère, la terre et les feuilles étaient inondées au pied dudit arbre.
DE L'ATLANTIQUE AU NIGER. 97
A quelques jours de là, à on village nommé Bouli, notre vicomte vit
avec plaisir un vieux noir qui apprenait à lire à des enfants. Outre la
classe du matin, il y a classe le soir, de six à huit heures. Dans le voi-
sinage de l'école, il eut l'honneur de se croiser avec un vieux chef,
qii daigna roter en lui serrant la main, signe suprême de bienveillant
accueil.
Le 17, il arrivait à Madina dans le Bové, et faisait en cet endroit un
court séjour pour se guérir d'un empoisonnement causé par l'absorp-
tion d'eau marécageuse, chargée des détritus de végétaux vénéneux.
A quelque cinquante kilomètres au delà, il rencontra des arbres à
caoutchouc, dont os mange le fruit. 11 remarqua également des loukous
dont les longues gousses de 12 centimètres, s'ouvrent en six parties,
laissent tomber une soie jusqu'ici inutilisée. 11 vit également en ces
lieux, le douki dont le fruit, en forme de poire, est délicieux, et le
tchingoli, qui fournit d'excellent raisin. Chemin faisant, rencontre de
négriers conduisant leurs convois d'esclaves ; ces braves négociants
do pays donnent le frisson avec leur fouet court à plusieurs lanières,
et le bruit de ferraille qui révèle dans quelque coin de leurs nippes la
présence d'entraves toujours prêtes. Us ne sont pas plus sauvages
que d'autres, ils ont pour les esclaves dont ils trafiquent les sentiments
d'indifférence ou d'intérêt qu'ont les toucheurs de bœufs pour leurs
bestiaux.
Le 1er avril, vue de trois hauts fourneaux de dimensions réduites,
où les gens du pays font leur fer avec le minerai qu'ils retirent de
kurs champs cultivés. Us sont en terre rêfractaire d'une seule pièce et
ont la,60 de hauteur, sur 90 centimètres de large. Enfin le 7, on arrive
à Timbo, séjour de l'almamy souverain ; la petite troupe avait franchi
627 kilomètres en 38 jours, soit une moyenne d'un peu plus quinze
kilomètres par jour !
ï. Aimé Ollivier expose alors au souverain de Timbo ses projets de
chemin de fer, et les avantages qu'il ne peut manquer de retirer d'une
pareille voie de communication ; il ne demande qu'un laissez-passer,
pour avoir une case où se reposer dans les villages qu'il lui faudra
traverser; en outre, la concession d'une bande de terrain de 20 kilo-
mètres de large, des esclaves dans chaque village pour préparer la
voie, et la protection du roi. La noire majesté proteste de tout son bon
{_ vouloir, et l'assure qu'il va convoquer tous les grands du royaume, et
les faire se rendre à Timbo pour prendre leur avis. Mais allez donc
compter sur la bonne foi d'un roi nègre; tous les jours, c'étaient de
noaveaux palabres (discours) à essuyer ; la France et le Foutah-Djallon
ne devaient plus faire pour notre voyageur qu'une seule et même
patrie; le roi ferait tout ce qu'il voudrait, et lui donnerait tout ce qu'il
•OC. DB OiOOB. — 1er TftUCSSTBS 1883. 7
98 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
lai demanderait; et ces iueptes discours devaient tenir lieu de vivres à
notre explorateur infortuné; en réalité, il était bel et bien prisonnier;
sous le prétexte qu'il était en guerre avec le roi de Dinguirray, le roi
de Timbo lui signifie qu'il ne le laissera pas aller plus loin, de crainte
qu'il ne Tienne en aide à son adversaire. Ce prétexte épuisé, le potentat
déclare qu'il fait chercher partout de l'or neuf, des peaux de tigre et
de l'ivoire, et qu'aussitôt qu'il pourra lui offrir un cadeau convenable,
il le laissera partir ; un autre jour, il n'attendait plus que l'arrivée d'un
livre très curieux qu'il voulait offrir au voyageur blanc. Ces Peuhls sont
vraiment mauvais, menteurs, avares; ils n'ont en eux aucun sentiment
élevé, chacun des conseillers du roi émet un avis différent pour re-
tenir plus longtemps le prisonnier. C'est du reste le sort réservé à
tous les voyageurs qui se sont trouvés en pareille situation : Lambert
a été retenu six semaines, Mage un an, Stanley trois mois, etc.
La force seule est la loi des noirs; ils ne sont plus des brutes, c'est
évident, mais ils ne sont pas encore des hommes ; les instincts de la
bête sont affinés chez eux par une lueur d'intelligence naissante; ils
ont l'inertie indifférente de la bête qui va où on la pousse et s'arrête
dès qu'on cesse d'agir sur elle ; aussi, lors des élections du souverain,
les marabouts et autres électeurs réunis ont-ils bien soin de nommer
le plus fbrt, le plus riche, le plus résolu, le mieux armé, celui en un
mot qui prendrait le pouvoir si on ne le lui donnait pas.
Ces gens ont une réputation guerrière qui a dû être acquise par
d'autres, car ils paraissent bien peu redoutables; le pays serait facile
à prendre, et si la France tarde à s'y fortifier moralement, nos voisins
le prendront. À Timbo le pouvoir royal a une façon excellente, pour
lui, de résoudre les difficultés concernant l'hérédité des biens ; le roi
confisque les biens qui en valent la peine, et si le défunt laisse des
enfants, le généreux monarque leur fait un petit cadeau.
La perception des impôts se fait très simplement au Foutali-Djallon ;
chacune des dix provinces a un roi nommé pour un an ; à l'expiration
des douze mois, l'almamy, en nomme un autre, le roi sortant peut être
renommé ; à chaque nomination, les candidats apportent des présents
considérables à l'almamy, qui choisit d'ordinaire le plus généreux s'il
le croit assez puissant pour maintenir l'ordre dans sa province. L'al-
mamy encaisse; le roi nommé revient chez lui, s'arrête à la frontière
de sa province, fait résonner le tam-tam de village en village, jusqu'à
ce que ses sujets lui aient apporté des cadeaux suffisants, et au delà,
pour remplacer ce qu'il vient de payer pour son éleciion. Dans chaque
village, le chef, nommé suivant le même procédé par le roi de la pro-
vince, se fait de même rembourser par les habitants soumis à son
autorité.
DE L'ATLANTIQUE AU NIGER. 99
Quant à l'élection de l'almamy, elle se fait chaque année ; ce août
les deux mêmes personnages qui sont almamy alternativement, à vie
tons deux. Ce que Ton conclut avec l'un est valable arec l'autre;
rien ne se fait qu'arec te consentement des principaux seigneurs
assemblés.
La patience et les fatigues de M. de Sanderval devaient cependant
avoir leur récompense ; de délai en délai, de tergiversations en remi-
ses, l'almamy donnera la permission demandée d'établir un chemin de
fer, les papiers sont prêts, les porteurs sont là, tout en un mot est en
ordre; mais il ne pourra s'avancer plus avant vers Dinguirray et de là
gagner le Niger comme il l'espérait; n'importe, il est enfin libre et le
2 juin, après une détention de près de deux mois, muni dn précieux
traité, écrit en arabe, traité qui engage les deux almamys et toutes
les autorités du Foutab, notre héros reprend son voyage.
Le retour à la côte commence ; mais les affreuses privations qu'il
loi avait fallu sabir à Timbo avaient fort altéré la santé de notre voya-
geur, qu'une flêvre intense ne tarda pas à dévorer ; c'est à peine s'il
peut avancer de quelques kilomètres par jour et, malgré une situa-
tion si précaire, il lui faut pourvoir à tout, lutter toujours contre le
mauvais vouloir et l'obstination des nègres dont il traverse les villages;
enfin après des fatigues de toute sorte surmontées à grand'peine, il
arrive enfin au poste français de fioké, cinquante jours après son départ
de Timbo. De là il gagna Boulam, puis Gorée, non sans avoir failli périr
en mer en vue des côtes et débarquait enfin à Bordeaux le 11 octobre,
après avoir accompli au moins en grande partie le projet qu'il s'était
résolu de mener à bonne Un.
Le chemin de fer pourrait partir du Rio-Pongo, et de là remonter,
traverser le Kakriman en un point à choisir, et enfin gagner le versant
ouest pour redescendre ensuite jusqu'au Niger en passant par le pla-
teau de Rahel qu'il devra desservir où habiteront les Européens, et la
région habitée qui lui fait suite jusqu'à Timbo.
Évidemment, le Fou lah-Djallon est une barrière qui empêche le Sou-
dan de nous livrer ses produits. Quel commerce peut-on faire en effet,
quelles caravanes peut-on organiser dans un pays qu'il faut traverser
mystérieusement, en se divisant par petits groupes, en ne disant
jamais où l'on va, et en portant assez peu de marchandises pour pou-
voir la cacher dans une peau de bouc accrochée en sautoir sur l'épaule,
bagage qui n'attire pas l'attention, pareille sacoche étant portée d'ordi-
naire par les gens du pays? Mais qu'on y prenne garde, survienne un
roi intelligent et le Foutab deviendra de plus en plus puissant, et il
sera uu danger réel pour no* établissements de la côte.
Le résultat du voyage de M. de Sanderval était immense: il avait en
443736A
100 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
effet rapporté signé du tout-puissant almamy, un engagement qui ou-
vrait la porte, sous ces latitudes, à l'influence vers l'intérieur de ce
qu'on appelle si justement « le continent mystérieux », pays dont les
habitants ferment les portes avec un soin si jaloux.
Non content de ce qu'il avait fait, M. de Sanderval, de retour en
France, organisa, toujours à ses frais, une nouvelle expédition confiée à
MM. Gaboriaud, de Fontenay et Àn3aldi, chargés pour l'almamy et le
roi de Dinguirray, prés duquel il n'avait pu pénétrer, de riches pré-
sents, parmi lesquels deux petits modèles de chemin de fer ; en juin
1881, ces messieurs arrivaient à Timbo et voyaient confirmés par
l'almamy, successeur de celui qui avait retenu notre héros, la conces-
sion et les prérogatives consenties précédemment.
La tâche entreprise était bien terminée, et M. Aimé OUivier arait
bien mérité non seulement de la France son pays, mais de l'humanité
tout entière, en entreprenant courageusement de doter des avantages
de la civilisation, ces pays que la nature a si richement pourvus de
tant de ressources dont les habitants tirent un si pitoyable profit.
Josse.
6' GÉOGRAPHIE 'COLONIALE
LA
NOUVELLE-CALÉDONIE
Par M. Ch. LEMIRE (')
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
L'inauguration tonte récente de la ligne de paquebots-poste français
ters l'Australie et la Calêdonie, est un fait qui n'a pas seulement une
importance commerciale, mais une importance nationale.
Un coup d'oeil sur un planisphère suffit pour montrer les destinées
de rOcéanie et la grande part qui retient à la France dans les trans-
formations de cette partie du monde.
Considérons en effet la situation de l'Australie et de la Nouvelle-
Calédonie. Nous les voyons placées, d'une part, entre le canal de Panama
et tes deux Amériques, et d'autre part, entre l'Asie et l'extrémité de
l'Afrique. Dans peu d'années, notre pourfendeur de grands continents
aura abrégé de 2,000 lieues la route du Pacifique par Panama.
Sa ce qui concerne l'Afrique, les grandes nations européennes cher-
chent toutes à prendre pied dans ce grand continent. Les établissements
européens se trouveront dès lors d'autant plus rapprochés de l'Océanie
que la vapeur, les télégraphes, la diffusion de la presse, les corres-
pondances postales rapides auront supprimé les anciennes distances.
Dans ces derniers temps, l'Angleterre a établi, par le succès de ses
armes, sa domination en Egypte, dans les colonies du Gap et du Sud
avec 1,500,000 habitants, et sur la côte de Guinée.
Nous avons le territoire d'Obok, dans le voisinage duquel est la
baie de Tadjoura , et par là une porte sur le Choa. Nous avons des
droits imprescriptibles sur une partie de Madagascar, nous avons l'Al-
gérie, la Tunisie, le Sénégal. Nous y envoyons des locomotives dont
faction est plus durable que celle des canons Krupp. Nous avons le
0) Conférence <ta 26 janvier 1883.
102 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
i
Gabon. Entre l'Ogowé et le Congo, une route vient de nous être ouverte
pacifiquement. On ne pourra jamais dire que là où nos explorateurs
ont passé l'herbe ne -pousse plus. Le sol qu'ils ont foulé de leur pied
bien ou mal chaussé devient une terre de liberté.
Ce qu'il y a à remarquer dans cet essor que reprend dans notre
pays Tidée de colonisation lointaine, c'est que l'impression, l'agitation
qu'elle cause en ce moment sont plus bruyantes parmi tous nos voi-
sins que parmi nos nationaux. Si nos rivaux s'en préoccupent, comment
pourrions-nous y rester indifférents? M. Tbiers Ta dit : Si nous voulons
sauvegarder notre état social, il faut coloniser. Renan ajoute que
toute nation qui ne colonise pas est vouée à la guerre intestine on
extérieure, à moins, dit M. Foncin, qu'elle ne se laisse étouffer chez elle
par les nations voisines. Prévost -Paradol s'était écrié qu'avant un
siècle le monde serait anglo-saxon. Un illustre homme d'État, qu'une
mort prématurée a enlevé à notre pays, parlant naguère des colonies,
recommandait de faire des Français. La population des nations voisines
augmente. La France s'amoindrit. Le remède c'est de coloniser, de
peupler de Français tous ces territoires qui sont le prolongement de
notre pays au delà des mers, car partout où est notre pavillon là est
la France. En travaillant pour la colonisation, les sociétés de géogra-
phie commerciale et des études coloniales, ù Paris comme en pro-
vince, travaillent au salut de notre chère patrie.
L'Afrique, Madagascar, le Congo, Obok, c'est l'avenir. Évidemment il
nous faut le préparer; mais les résultats à attendre sont encore loin-
tains et difficiles. En face de ces projets, il y a le présent. Le présent,
l'urgent, l'indispensable, l'action immédiate, est en Indo-Chine, au
Sénégal, en Océanie. C'est là que doivent se localiser nos efforts les
plus ardents et les plus persévérants, dès à présent et sans désem-
parer.
La ligne nationale dont nous sommes redevables au minisire de la
marine et des colonies, et an ministre des postes et des télégraphes,
nous relie directement à la Réunion, à r Australie et à Nouméa.
L'Australie, c'est le continent sans pareil, c'est un vaste ensemble
de colouics qui, en 70 ans, a vu sa population passer de 1,200 habi-
tants à 2,800.000. En 1823, on a vendu sur le marché de Londres
2,200 fr. les 12 premières balles de laine australienne; aujourd'hui il
y a 66 millions de moutons produisant pour 400 millions de laine. Or,
la France achète par an pour 300 million* de laine brute et exporte
pour 300 millions de laines tissées.
Il y a dans le déparlement de Meurthc-el-Moselle, 22,000 broches et
1,500 ouvriers employés dans l'industrie de la laine. Ses produits ont
brillé aux expositions de Sydney et de Melbourne en 1880 et 1881. Il y
LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 103
a là pour tous, Lorrains (') , un débouché offert à vos objets de luxe. Vous
ne pouvez donc pas tous désintéresser de ce nouveau monde qui est
né tout d'une pièce à la civilisation la plus avancée.
r
L'Etat demande pour nos troupes 80 millions de rations de viande
conservée. Or, l'Australie possède 8 millions de bœufs contre 12 mil-
lions seulement en France.
L'Australie pont fournira l'exportation 2,000 tonnes de viande par
jour, c'est-à-dire 1 million de tonnes par an pouvant nourrir 20 mil-
lions d'hommes. Le commerce australien est de 2 milliards 400 millions.
Le nôtre est cinq fois moindre et devrait atteindre 37 milliards pour
rivaliser avec celui de l'Australie : autrement dit, le commerce austra-
lien est de 1,200 fr. par tête et le nôtre de 200 fr.
Les transactions franco-australiennes n'étaient que de 12 millions
en 1881, dont 2,400,000 fr. d'exportation vers l'Australie et 9,500,000 fr.
en provenance d'Australie. C'est que tout ce commerce se faisait sous
pavillon britannique et par l'intermédiaire forcé des courtiers de
Londres, d'Anvers et même de Hambourg. On voit pour notre con-
sommation de laines, de viande, de blé et même de vins, et surtout
pour nos exportations, quelles transformations avantageuses nos
échanges vont subir. C'est à ces prévisions que répond la ligne franco-
australienne.
LA NOrVELLK-CALèDONIE.
En ce qui concerne la Calédonie. on s'occupe de la relier à nous
parle télégraphe, Le service des voiliers de Bordeaux se transforme
en service à vapeur. Le Havre, Nantes, Dunkerque demandent une
ligne nouvelle.
Les mines de toute sorte et surtout de nickel, le métal français,
sont aussi variées que fécondes. La transporlation des récidivistes
suivra sans doute, depuis 1863, celle des 10,000 forçats amenés en
Calédonie et entraînera l'occupation des Nouvelles- Hébrides ; ce sont
des questions d'État anssi bien que des questions coloniales.
Enfin, le canal de Panama va nous rapprocher de nos possessions
océaniennes, de Taïti, notre nouvelle colonie, des Gambicr, des Tuamo-
tou, des Touboual, des Marquises, de ces lies si nombreuses et si
belles qu'un géographe allemand. Cari Ritter, les a appelées la voie
lactée des eaux; des Nouvelles-Hébrides, si voisines de Nouméa, dont
elles sont une dépendance naturelle, et de la Calédonie, que son pre-
(')D*bj aa conférence àBar-le-Duc, du 11 mars, M. Iiemire aévoillé particuliè-
rement l'attention d*>s grands industriel* de la Meuse sur cette source de débouchés
pour leurs produit*, tissus, bonneterie, etc.
104 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
mier gouverneur appelait la clef de l'Océanie. Sur la route de Panama,
ces lies se succèdent en effet sur l'azur des eaux comme les étoiles
sur l'azur du firmament.
Dans cette situation, nous avons, nous Français, notre part tonte
faite dans cette Méditerranée océanienne bordée par les deux Améri-
ques, l'Asie et l'Afrique. Le ministre des postes nous en a garanti les
avantages commerciaux; M. Cochery, qui avait prouvé en prenant l'ini-
tiative des congrès d'électriciens que la France pouvait parler d'nn
bout du monde à l'autre, a prouvé encore qu'elle savait aussi agir et
étendre son action jusqu'aux antipodes.
La Galédonie est en effet aux antipodes, mais on délivre des billets
d'aller et retour pour 3.000 fr. en 1* classe, et le voyage se fait en
83 jours, un peu plus que celui de mon illustre compatriote Jules Verne
autour du monde. La distance est de 22,000 kilomètres, 5,500 lieues.
La Nouvelle-Calédonie, découverte le 4 septembre 1774, occupée le
23 septembre 1853, comme annexe de Taïtf, érigée en colonie en
1860 avec Nouméa pour chef-lieu, se compose de Ja grande terre du
groupe de Loyal t y, de l'Ile des Pins, de l'Ile Ouen, des lies Bélep,
Huen et Chesterfleld. Elle est grande quatre fois comme la Corse;
elle a 13 lieues de largeur sur 75 de longueur à vol d'oiseau, mais
pour aller par terre du sud au nord, il faut compter 600 kilomè-
tres. L'aspect de l'Ile est celui de la Corse et de Y Ecosse et c'est
pourquoi Cook l'appela Calédonie. Le climat est celui de Nice; saison
chaude, de 25° à 33°. Brise du sud-est; saison fraîche, de 15° à 25°.
Pas de maladies. Les familles européennes s'y développent mieux
qu'en France. C'est un printemps perpétuel et une belle nature.
Cependant tous les 4 ou 5 ans passe un cyclone qui cause des ra-
vages.
Darwin, l'illustre savant auquel l'Angleterre vient de rendre les
honneurs funèbres, et Dana ont ignoré les grands récifs calédoniens.
Cependant l'Ile est presque entourée d'une ceinture de coraux. On
peut donc facilement en défendre les passes avec des torpilles. Le
cabotage se fait comme dans un lac. L'administration actuelle a cherché
à ramener entre les mains d'armateurs français, ce trafic maritime
accaparé par les Anglais. Il tend heureusement à revenir sous pavillon
français. Nous allons, si vous voulez bien, parcourir le pays, nous
mettre en route, ce qui est un euphémisme, car il n'y a guère de routes
au delà de 30 kilomètres. De nombreux tronçons sont commencés et
non achevés. En les mettant bout à bout, on pourrait compter 250
kilomètres de routes muletières ; mais il en faut 1 ,200. Les routes at-
tendent les colons et les colons attendent les routes. Cependant M. de
Lesseps n'a pas attendu que le désert soit peuplé pour faire le canal,
LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 105
et les Américains pojir faire leur chemin de fer du Farwest. Un pays
le peuple dès que les voies de communication permettent et l'accès
et les transports. Négliger cet axiome, c'est reuouvckr l'histoire
de l'actrice qui ne débute pas parce qu'elle n'est pas connue, et qui
n'est pas connue parce qu'elle ne débute pas.
En 1813, dans la Nouvelle-Galles du Sud, un passage venait d'être
découvert à travers les montagnes Bleues, qui sont les Alpes austra-
liennes, élevées de 2,000 pieds au-dessus de la mer. Le gouverneur
ïacquarie promit Ja libération aux convicts qui travailleraient à la
route. L'œuvre fut faite en dix-huit mois, sans perdre un homme. Le
gouverneur, accompagné de sa femme, inaugurait cette route de 180
kilomètres, plaçait des petits postes de gendarmes mariés auxquels la
colonie donnait un terrain et une vache, donnait un nom aux princi-
pales localités et fondait la ville de Bathurst. Cette ville est reliée à
Sydney par un chemin de fer qui franchit ces montagnes par une
roie en zigzag, remarquable par ses hardis travaux d'art, et qui t
coûté jusqu'à 780,000 fr. le kilomètre.
Je demandais aux Canaques pourquoi ils n'avaient pas de routes:
• (Test, disent-ils, que les Français font Je chemin avec des outils et
nous avec nos pieds. * Eu Nouvelle-Calédonie, le plus urgent n'est
pas de créer des routes comme nos routes nationales. Les routes défi-
nitives exigent beaucoup de temps, de main-d'œuvre et d'argent. Ce
qu'il faut pour le moment, ce sont des sentiers muletiers ouverts dans
les endroits actuellement impraticables aux chevaux, tels que marais,
ravins, montagnes, forêts et gués. C'est là une question vitale, aussi
tient-on de placer des ponts et des bacs sur quelques rivières et
d'augmenter les crédits affectés aux routes. La colonie a, en 1882,
fourni 44,000 fr. à cet effet, et la métropole 36,000 fr. , soit un total de
80,000 fr.
Une autre difficulté des colonies naissantes, c'est la rareté de la
main-d'œuvre. On emploie, à cet effet, les indigènes à raison de 1 fr.
à 1 fr. 50 c. par jour et nourris, des Indiens malabars ou des Bour-
bonnais, des Canaques des Nouvelles- Hébrides, et enfin des condam-
nés et des libérés. Il arrive, chaque année, environ C00 noirs des
5oQTeltes-Héb rides recrutés sous Ja surveillance de l'Administration.
Ces noirs sont loués pour trois ans à raison de 300 à 400 fr. par tête
payés à l'agence de recrutement. Leur salaire est de 12 fr. par mois
avec la nourriture. Les Anglais et les Allemands vont aussi recruter
des noirs dans ces lies pour le Queensland, les Fidji, les Samoa et
les Tonga; aussi le recrutement devient-il chaque Jour plus difficile.
Us Indiens se sont faits colons à leur tour et 11 n'eu arrive plus
dans la colonie.
106 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
Dès l'année 1865, l'Administration a mis à la disposition des colons
des condamnés se conduisant bien; leur salaire est d'environ 12 fr.
par mois ; ils sont logés et noarris.
Les libérés demandent en moyenne un salaire de 50 fr. Cette caté-
gorie de travailleurs exige une constante surveillance et donne lien
à bien des inconvénients. On ne les emploie que lorsqu'il est impos-
sible de s'en passer. Mais il est bien difficile de les faire travailler réel-
lement. 11 leur faut des gratifications. On s'explique ainsi qu'avec
10,000 paires de bras, l'impulsion donnée aux travaux publics soll
bien lente.
Cependant, il a fallu chercher hors de la colonie la main-d'œuvre a
bon marché, et l'on attend de Cochinchine une immigration chinoise
qu'on emploiera surtout comme domestiques et ouvriers et dans les
cultures.
La Calédonie compte 1,600,000 hectares, dont 400,000 seulement
sont propres à l'élevage ou à la culture. 200; 000 hectares sont au-
jourd'hui vendus ou loués. Presque tout le reste est demandé, et
l'insuffisance du cadastre est la cause pour laquelle ces demandes
ne sont pas encore satisfaites. Une seule personne est venue à la fin
de 1881 demander au nom d'une compagnie une concession de 100,000
hectares. C'est qu'aussi l'aliénation des terres se fait dans des condi-
tions particulièrement favorables.
A Nouméa, les terrains urbains, mis à prix à 100 fr. l'are, ont
atteint eu ville 2,000 fr. et dans les faubourgs 200 fr. Dans l'intérieur,
les terrains sont aliénés par voie d'enchères ou surtout par voie de
concession au prix de 24 fr. par hectare payable en 12 ans, soit 50
centimes par hectare et par an pendant trois ans, puis 1 fr. ; puis
2 fr. 50 c. ; puis 4 fr. On voit que les colons sont encouragés à leur
début, et que l'on peut devenir à bon compte propriétaire foncier en
Calédouie, dans un pays sain, splendide et soumis à la législation fran-
çaise. On se demande donc comment on a pu se laisser attirer par des
réclames comme celles qui ont été effrontément renouvelées pour
envoyer des émigrants dans la Nouvelle-Irlande, où ils sont morts de
misère, de faim, de maladies et d'ulcères.
Ces avantages faits aux colons qui désirent acquérir pour 40 écus
1 0 journaux de terre au beau soleil, sont plus grands encore pour
l'immigrant dénué de ressources. L'article 64 de l'arrêté de 1880
porte :
Immigrants. — Tout immigrant libre, quelle que soit sa nationalité,
a droit à une concession gratuite de 3 hectares de terres à cultures et
à un lot de village voisin. La concession est de 5 hectares pour les
familles de quatre personnes ; mais ces concessionnaires sont tenus de
LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 107
résider cinq ans consécutifs sur leur concession et de ia mettre en
valeur. La concession ne leur appartient définitivement qu'au bout de
ces cinq années.
Les militaires, marins et agents retraités, les jeunes immigrants, les
orphelins élevés dans les orphelinats de la colonie, ont droit aussi à
une concession de 3 hectares par tête.
Enfin, 3 hectares de terres à cultures sont données à tout enfant
légitime, légitimé on reconnu, né dans l'intérieur de la colonie, ailleurs
qu'à Sooméa. Le père jouit du terrain jusqu'à la majorité ou le mariage
de l'enfant, époque où celui-ci doit habiter et exploiter pendant cinq
ans sa concession. Lts lots de villages sont donnés en vue de former
des centres habités.
Ainsi, voilà un pays où il suffît de naître pour posséder 30,000 mè-
tres carrés de bonne terre et pour enrichir ses parents. Voilà les bébés
grands propriétaires fonciers, apportant en naissant un patrimoine à
leurs pères ; voilà le prolétariat aboli ; une prime au développement
de la famille. Dieu bénit les nombreuses familles, et les nombreuses
familles font les grandes nations.
Direz-vous encore que les Français ne savent pas coloniser? Non :
bous sommes ignorants, indifférents, et nous laissons des petits métis
et des étrangers profiter d'avantages dont nos compatriotes devraient
être les premiers à jouir sur une terre française.
Un phalanstère a été essayé à Yaté en 1864 avec vingt colons à cha-
cun desquels on avait donné 1 5 hectares de terres. Les bénéfices de-
vaient être partagés moitié en parts égales et moitié an prorata des
journées de travail. La liberté, l'égalité et Tordre ne forent bientôt
plus représentés que par un gendarme, et enfin l'œuvre périt d'elle-
même.
Les nouveaux centres n'ont rien d'un phalanstère et ressemblent
à nos villages de France. C'est une excellente et nécessaire innova-
tion.
En ce qui concerne les premiers frais d'établissement des colons, il
ne faut pas aller faire le commerce à l'étranger comme on jette un
coup de filet on comme Ton fait une razzia. Toute exploitation dura-
ble, industrielle ou agricole, exige un capital. La terre sans le capital,
c'est la glèbe. Nous verrons qu'on peut commencer en Calédonie avec
de très faibles mises de fonds.
Bien qu'en Australie on ne doive pas concéder plus de 135 hec-
tares, il y a de nombreux éleveurs qui occupent en location 30,000,
50,000, 100,000 et jusqu'à 650,000 hectares. Il y a des propriétaires de
10,000 hectares, de 100,000 hectares.
En Calédonie, ces grandes concessions sont rares. La Compagnie
108 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
agricole, qui a son siège à Gomen, possède 25,000 hectares, dont
3,000 ont été payés à raison de 25 fr. l'hectare, le reste du prix,
évalué à 25 fr., de Tant être remboursé sous forme de routes, de ponts
et de travaux divers. Cette Compagnie ayant échoué dans ses entre-
prises, ses droits ont été vendus à une autre Compagnie nommé franco-
australienne et qui en est à ses débats.
Il existe en Calcdonie des propriétaires de 500 i 3,000 hectares.
L'un d'eux en occupe même 17}0O0; mais jusqu'à présent Ton n'a pas
eu à redouter la lutte entre les éleveurs, qu'on appelle en Australie des
squatters et les cultivateurs qu'on appelle free selecters, parce qu'Us
choisissent leurs terrains de cultures sur les vastes espaces occupés
déjà par les squatters et leurs troupeaux. Cette lutte s'accentue de
jour en jonr; mais nous ne pouvons ici eu donner même nne idée.
En Calédonic, la location est de 1 fr. 50 c. par an et par hectare. Il
faut 3 hectares par tête de bétail. Or ici, comme en Australie, l'éle-
vage du bétail a précédé l'agriculture. C'est la conséquence du manque
de bras, de la présence des sauterelles et du fléau des inondations ou
des ouragans.
Il n'y a pas, dansce pays, à préparer d'approvisionnements pour les
troupeaux pendant l'hiver. Ils paissent toute l'année en liberté et
passent la nuit en plein air, on en fait seulement le rassemblement et
le recensement une fois par an. Les frais de garde sont presque nuls.
Un bœuf coûte donc 4 fr. 50 c. par an de nourriture; au bout de 4 ans,
il est bon pour la boucherie après une dépense de 18 fr. pour le ter-
rain. Un troupeau décuple en 8 ans. On a importé d'Australie, en 1859,
1,000 têtes de bétail; aujourd'hui on compte en Calédonie environ
80,000 bétes à corne.
Les moutons ne sont pas plus de 15,000. Une herbe mauvaise qui
s'introduit dans leur laine et les fait dépérir, en a jusqu'ici empêché
rélevage ; mais on a préparé des pâtures débarrassées de cette mau-
vaise herbe, et l'introduction de béliers et de brebis de la bergerie
de Rambouillet, sous la conduite d'un berger, va développer cette in-
dustrie et la production de la laine qui est d'excellente qualité.
Les chevaux, au nombre de 1,500, viennent d'Australie. Il en existe
aussi une petite race venant de l'Ile Norfolk; ces derniers, comme les
ânes et les mulets dont la propagation facile est à développer à cause
de la nature montagneuse du pays, rendent des services aux petits
colons et comme bêtes de transport. Mais le cheval d'Australie fournira
au pays une bonne race. Aussi le gouverneur, Yamiral Courbet, a-t-il
rendu un grand service à la colonie et aux éleveurs en décidant que
la remonte de la gendarmerie et de V artillerie serait faite avec les
produits de la colonie.
LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 109
On compte en France, par 3 habitants, 1 tête de bétail et 5 moutons ;
en Angleterre, 1 tête de bétail et 10 moutons; en Australie, 12 tôtes
de bétail et 100 moutons.
les chèvres et les porcs sont en grand nombre et prospèrent admi-
rablement.
Quant anz cultures, le colon qui débute doit commencer par faire
on potager. Les haricots poussent en 50 jours, et la patate ou pomme
de terre se récolte en 3 mois. Les choux donnent encore des rejetons
après la coupe. Les tomates poussent à l'état sauvage. La salade, les
pastèques, les pois, les fraises, Tiennent comme dans le Midi. Avec le
potager, le poulailler et la porcherie, les vivres du colon sont assurés.
Le blé ne vient pas bien. Le mais est la principale culture. Il remplace
le blé.
Le café est de première qualité? Il se vend à Nouméa 2 fr. 50 c. le
kilogramme. Un hectare peut recevoir 2,500 caféiers qui produisent au
bout de trois ans. C'est Tune des principales productions du pays, car
b plante n'est attaquée ni par les sauterelles, ni par la maladie.
Le tabac est très cultivé. Le Gouvernement encourage cette culture.
Les colons ont à améliorer la production par des engrais potassiques.
La luzerne et les plantes fourragères donnent plusieurs récoltes.
Enfin, l'ananas, planté à raison de 2,500 pieds à l'hectare, donne
2,000 litres d'eau-de-vie au prix d'au moins 1 fr. le litre. Une grande
plantation avec distillerie s'est introduite il 7 a deux ans, afln de rem-
placer par l'eau-de-vie d'ananas les pertes que cause dans nos vigno-
bles \e phylloxéra, cet infiniment petit, infiniment nuisible, dont M. Beau-
regard a exposé récemment la nature et la formé.
Le bananier et le cocotier font partie des cultures les plus essen-
tielles de la colonie, et poussent sans aucun soin.
Les plantes exotiques à feuillage ornemental donnent lieu en Belgique
et en Allemagne à un commerce important. Ce goût des plantes tropi-
cales se répand parmi nous.
Les aralias, les cycadées, les dracaeuas, les yuccas, font l'ornement
des forêts calédoniennes, et les grandes futaies en font Futilité.
La Galédonie a des forêts immenses où croissent des arbres magnifi-
ques: le kaori (un dammara) a 30 mètres sous branches, est très droit
et donne une résine excellente. Le niaouli ( Melalcuca viridiflora ) est
l'arbre calédonien par excellence. Une infusion de ses feuilles remplace
le thé ou le laurier dans les sauces. Il assure la salubrité du pays ;
ao&si le propage-t-on en Algérie comme l'eucalyptus. Son fourreau d'é-
corec le préserve du feu et sert à faire des cases. Il produit l'essence
de niaouli ou huile de cajeput, contre les rhumatismes et les maladies
de la vessie. En un mot, c'est un arbre précieux à tous égards.
110 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
Le caoutchoutier serait à exploiter, car les produits de cet arbre sont
devenus rares et chers en Europe.
Le bancoulier donne l'huile de camari et le cocotier l'huile de coco,
de sorte qu'une savonnerie européenne, montée à Nouméa, fournit à
toute la colonie le savon ordinaire.
Les dammaras et les araucarias font des colonnes superbes.
Le houp est un bois incorruptible servant à faire des pirogues.
L1 arbre à pain donne annuellement des fruits savoureux et fécu-
lents.
Le suc de Varbre à goudron (R/ias aira) engendre des plaies dou-
loureuses, lorsqu'on débite sans précautions le bois vert.
Les arbres d'essence propres à l'ébénisterie se vendent en grume
10 fr. leslère, et ceux propres aux constructions, 5 fr. le stère.
Le tamanou, Yébène blanc, le chêne tigré, le bambou et une foule
de bois propres à tous usages abondent. On en trouvera la liste dans
mon ouvrage ('). La colonie consomme de 3,000 à 4,000 mètres cubes
de bois et ne peut se suffire à elle-même. Elle n'a que deux exploita-
tions et quelques petits chantiers forestiers. Les bois de la Nouvelle-
Zélande et de l'Orégon, qui valent tout débités 25 fr. le mètre cube
dans le pays d'origine, sont donc amenés à Nouméa au prix de 100 a
150 fr. et même plus. Il est temps que la main-d'œuvre vienne permettre
l'exploitation, facilitée par les chutes d'eau naturelles, des forêts situées
sur le bord de la mer, le long de la côte nord-est.
Quant aux forêts du centre, elles resteraient intactes, aûn d'éviter
un déboisement préjudiciable. Mais comme il y a peu de fourrés impé-
nétrables sous bois, l'amiral gouverneur, M. Courbet, vient, par une
mesure d'initiative toute favorable aux intérêts des colons, d'autoriser
les plantations de café en forêt. L'ombre, l'abri du vent, l'humidité et
l'humus des bois concourront à rendre ces plantations très prospères,
et elles fourniront un grand élément d'exportation
Dans ce pays, couvert de vastes forêts, il n'y a pas d'administration
forestière, et, par suite, on ne tire pas de ces incalculables richesses
du sol le parti désirable, suivant les exigences du pays.
La faune indigène est pauvre ; autant la végétation est belle, autant
elle est monotone par l'absence de vie animale. Évidemment, il est
heureux qu'il n'y ait ni reptile, ni fauve, ni animal malfaisant. Les
oiseaux, bien qu'au nombre de 107 espèces, sont rares et chantent
peu. Mais il en est un spécial à la Galédonie, comme l'aptérix ou
kiwi est spécial à la Nouvelle-Zélande. Cet oiseau particulier, c'est le
kagou (•). Il a des ailes, mais ne vole pas. Quand il est poursuivi, il
(') Cballainel, éditeur. Paris.
\}) Bhynocheroë jubattw.
LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 111
cache sa tête sous son aile et se croit invisible ; il se nourrit de vers.
C'est le jardinier du pays.
On mammifère, ta roussette, ou renard volant on vampire,* est une
grande chauve-souris frugivore, inoffensive et bonne à manger.
Comme gibier, le nolou et le dago sont de gros pigeons ; la tourterelle
verte» 1» caille des colons et les canards sauvages sont assez abondants.
Les cerfs ont été importés d'Europe dans les environs de Nouméa et se
développent rapidement On a aussi introduit des lièvres à Canala.
Parmi les insectes, il n'y a qu'un petit scorpion gris, le cent-pieds et
une araignée qui soient nuisibles. Les moustiques sont plus gênants
que dangereux, ainsi que les cancrelats. Les serpents du bord de mer
sont inoffensifs. On trouve aux Loyal ty un crabe dont les pinces sont
assez fortes pour ouvrir une noix de coco. J'en avais enfermé dans ma
malle; ils ont rongé les planches et se sont échappés en une nuit.
Enfin, dans la mer ou a à redouter plusieurs espèces de poissons
nuisibles ou voraces, surtout le requin. En janvier dernier, un superbe
terre-neuve qui se baignait, a été dévoré dans le port même de Xouméa.
Le lamantin est au contraire un animal iuoffensif comme le phoque
et dont la chair est bonne à manger. 11 se nourrit d'herbes marines et
n'a ni dents, ni défenses.
Le dngong porte au contraire deux défenses à sa mâchoire supé-
rieure.
Telle est sommairement la vie végétale et animale de notre colonie.
Maintenant que nous connaissons l'aspect du pays, voyons quelle est
sa population. Nous la distinguerons en population blanche et en po-
pulation noire.
La population civile est de 3,200 personnes seulement. Les familles
de fonctionnaires, d'officiers et agents donnent un total de 1,240 per-
sonnes. 11 faut y ajouter 2,200 hommes de troupes et 10,000 condamnés.
Le total est donc de 16,640 personnes.
La population civile de 3,200 personnes ne s'accroît que de 200 per-
sonnes par an. Il faudrait deux siècles pour porter la population à
40,000 habitants. Aussi ne saurait-on trop encourager les compagnies
qui demandent à apporter des milliers de bras libres et des millions
de capital en échange de milliers d'hectares. Là est le salut pour la
colonie, car il n'y a pas d'immigration volontaire.
Chaque colonie australienne, sauf Victoria, dépense par an 2,500,000
francs pour amener des recrues valides. Il en arrive par an une tren-
laine de mille. La Calédonie n'a jamais su préparer à l'avance des terres
pour recevoir les immigrants. Elle n'a pas eu comme l'Australie ses
bandes défrichantes, afin de mettre à la disposition des arrivants des
112 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
champs tout défrichés dont les colons payaient en produits le prix fixé
à tant par hectare.
D'autre part, nous avons en France des colonies agricoles et indus-
trielles des deux sexes, des maisons de jeunes détenus, des orphe-
linats, des bureaux de l'assistance publique, d'enfants trouvés. Gom-
ment toutes ces œuvres ne travaillent-elles pas au même but : Pré-
parer et former des éléments d'immigration, les aider, les protéger,
les patronner et fonder ainsi dans les colonies françaises d'excellents
noyaux de colonisation ?
La population noire est de 41,023 indigènes, y compris celle des
Loyalty, c'est-à-dire 23,123 sur la grande terre et 16,520 dans ce
dernier groupe d'Iles Les Néo-Hébridms sont au nombre de 2,450. Les
Malabars, Chinois, Africains au nombre de 250, ce qui donne pour la
population de couleur 43,730. La colonie, avec ses 1,600,000 hectares,
n'a donc à nourrir pour le moment que 60,000 personnes, soit, à raison
de 400,000 hectares cultivables, 1 habitant par 7 hectares. En France,
il y a près de 30 habitants par 7 hectares. Quand aurons-nous un mil-
lion d'habitants en Calédonie ?
Les déportés étaient au nombre de 3,000 avec 450 femmes et enfants.
Les grâces et l'amnistie ont fait rentrer en France cet important contin-
gent, et 11 n'est resté dans le pays que quelques familles qui prospèrent.
Les condamnés aux travaux forcés sont au nombre de 7,500 et les
forçats libérés au nombre de 2,500, et non pas de 200 comme on fa
écrit récemment. Les femmes condamnées ne sont que 200.
À ce nombre de libérés, il vient s'en ajouter près de 600 par an, et
ce flot montera toujours. Il en résulte une lutte entre l'élément libre
et l'élément pénal. Si la population libre augmentait comme en Aus-
tralie, il y aurait mélange et absorption des deux éléments. Dans le
cas contraire, ceci tuerait cela. Il n'y a en ce moment que 700 libérés
engagés chez les colons comme travailleurs et 300 condamnés. Il y en
a donc 2,000 dans les asiles, ou établis, ou à la recherche d'emploi.
Quel sera l'effet de l'introduction des 10,000 récidivistes dans ce mi-
lieu? La- colonisation libre se développera-t-elle à côté de la colonisation
pénitentiaire ? C'est ce qu'il ne m'appartient pas de préjuger ; mais
c'est une grave question sur laquelle l'attention de la métropole doit
être constamment portée.
Pour le moment, tes condamnés sont employés soit aux travaux
publics, soit dans les pénitenciers agricoles. Ces établissements occu-
pent 19,000 hectares, et l'on vient de leur en réserver 9,000 de plus,
soit en tout 28,000 hectares. Ces 19,000 hectares sont exploités par
2,000 condamnés sous la direction d'agronomes et d'agents de culture
envoyés de France.
LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 113
Le principal de ces pénitenciers est celui de Bouratl qui comprend
800 condamnés. Bon rail est la vallée la plus fertile de tonte la Calédo-
nie. C'est là surtout qu'on établit les condamnés snr les concessions
de (erres. Le pénitencier possède une usine à sucre où les cannes sont
employées à fabriquer du rhum principalement.
Là aussi est le courent où Ton détient les femmes et les filles
condamnées. Lorsqu'un forçat concessionnaire veut se marier, il de-
mande au courent une femme qu'il choisit parmi les pensionnaires de
rétablissement. Si celle-ci agrée la demande, un ménage Tient s'a-
jouter aux 250 ménages déjà existants. Il y aurait là un sujet fécond
et réel d'études naturalistes pour l'auteur de Y Assommoir. La morali-
sation des condamnés des deux sexes ne semble pas résulter de ces
alliances sur place. Le mari sait la râleur de celle qu'il épouse, et
réponse la râleur de son mari. Ce que reul la plupart du temps le
condamné, c'est, selon sa triste expression, une marmite. Ce que reut
h femme, c'est la liberté relatire. Ces mariages sont d'ailleurs trop
peu nombreux.
Pour le condamné mort civilement, la réintégration dans sa famille
sur place est an contraire on grand moyen de moralisation. Sa femme
et ses enfants qui riennent le rejoindre sont pour lui un grand encou-
ragement à bien faire. Il traraille pour lui et pour les siens et se refait
une existence et un arenir pour ses enfants*
Une ferme près de Nouméa, appelée Tahoué, était aussi exploitée
par des condamnés. Un très beau jardin produit plus de 100,000 oran-
ges par an. Les orphelinats y ont été transférés et l'établissement est
parfaitement approprié à cette destination.
On a placé les libérés sans emploi à la presqu'île Ducos dans les
terrains abandonnés par les déportés.
Les condamnés impotents sont réunis à l'Ile des Pins dans les an-
ciennes'concessions des déportés.
Enfin, le pénitencier-dépôt, le centre des condamnés, est à l'Ile Nou.
lia y sont au nombre de 3,000. 11 y a des ateliers, des magasins, des
fermes, des prisons, un superbe hôpital entouré de jardins anglais sur
sue plage verdoyante où la musique des forçats joue à l'ombre de gi-
gantesques banians. C'est une idylle champêtre.
Si l'on y ajoute une population de 10,000 récidivistes annuelle-
ment, la Calédonie sera bien étroite pour les contenir. Il faudra donc
tût on tard occuper le groupe des Nourelles-Hébrides situées dans
leroisinage immédiat de la Calédonie. Ce roisinage permettra de pro-
fiter des installations déjà existantes en Calédonie pour organiser la
ooiiTelle colonie pénale des récidivistes. On aura sous la main une
administration pénitentiaire arec son personnel, ses bureaux, ses ma-
SOC. OK OKOOK. — 1" TKIMX3TBK 1883. 8
114 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
gasins, ses vivres, son matériel, ses bâtiments. De là, économie, or-
dre, facilité d'organisation. Une garnison de 1,800 hommes de troupe
fournit des éléments de sécnrité. Les paquebots assurent les relations
avec la métropole. Enfln il y a tout ayautage à choisir ces lies comme
lieu de transportation des récidivistes. La plupart des Nouvelles-Hé-
brides sont malsaines; mais il y en a qui sont saines, et ce sont celles-là
qu'on occuperait d'abord. Des Français y sont déjà établis. 11 a été
entendu arec l'Angleterre que celle des deux nations qui désirerait
s'implanter dans cet archipel préviendrait l'autre. C'est une simple
formalité à remplir. D'autre part, nous ne pouvons nous laisser en-
glober dans des possessions anglaises, comme les Fidji, Norfolk et
l'Australie, sans nous affranchir un peu les coudes. Enfln, c'est de là
que nous tirons nos travailleurs noirs qu'on enlève pour le Queenslaud,
les Fidji et les Tonga. Il y a donc une grave raison coloniale et deux
raisons d'État pour ne pas différer cette occupation. C'est là la trouée
de fielfort de notre grande colonie du Pacifique.
Commerce, industrie, — La Chambre de commerce de Nouméa a
contribué beaucoup à développer les relations de la colonie arec Té-
tranger. Le mouvement maritime est de 127 navires jaugeant 42,000
tonneaux. Les importations en 1881 ont été de plus de 7 millions et
les exportations, qui étaient en 1880 de 2 millions 750,000 /r., sont
tombées en 1881 à 1 million 534,000 /r.
L'industrie des mines va augmenter le chiffre de nos exportations.
Le commerce d'échanges entre Nouméa et les autres ports de la co-
lonie s'est élevé en 1881 à 3,475,000 fr.
Une ligne de navigation française directe a été inaugurée au 1er no-
vembre, et l'on réclame dans cette vue un bassin de carénage et des
ateliers de réparations pour les navires marchands. Les navires de
guerre vont chaque année se réparer à Sydney et dépensent plusieurs
centaines de mille francs au profit des Australiens. Si nous voulons que
Nouméa, port françafs, reste tête de ligne des paquebots français, il
faut créer sans retard le bassin de carénage depuis si longtemps né-
cessaire et agrandir les quais et appontements.
Une ligne directe de steamers va fonctionner entre la Gochinchine
et la Calédonie avec escales en Australie. Désormais d'ailleurs, tout
navire à vapeur faisant le voyage entre Nouméa, Sydney et Saigon,
sera dégrevé des droits de phare, balisage, ancrage, etc. Cette sage
mesure va mettre en relations la Nouvelle - Calédonie et l'Australie
avec la Gochinchine et facilitera entre ces pays l'échange de leurs pro-
duits.
Les industries coloniales à créer sont : une tannerie, une féculerie,
des exploitations do bois, de pierre, de charbon. Mais les principales
LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 115
ressources à attendre du pays sont dans les mines. La Galèdonic est
surtout on pays minier.
Les principaux minerais exploités sont le cuivre, le nickel, l'or, l'an-
timoine, le cobalt et le chrome. La houille, les pierres lithographiques,
tes pierres à bâtir .et les pierres à chaux doivent compléter ces exploi-
tations.
Rn 1872, 4 soldats congédiés découvrirent le gisement de cuivre le
plus important dans la vallée du Diahot, près de la montagne de Balade.
Ce sont des sulfures de cuivre, des oxydes, des carbonates, des pyrites
et du cuivre natif. Le rendement est d'environ 30 p. 100. Le bloc ex-
ploité peut donner 75,000 tonnes de cuivre., et l'extraction va jusqu'à
600 tonnes par mois, i 250 fr. la tonne.
La principale mine de cuivre dont le produit brut annuel peut
atteindre environ 1 ,800,000 francs, est mise en exploitation avec des
capitaux australiens. Nous sommes en pays français; la mine a été dé-
couverte par des Français, concédée par l'Administration française. Elle
est travaillée par des condamnés français sous la surveillance d'agents
français; mais elle est possédée par un capitaliste australien, naguère
premier ministre de la colonie anglaise de l'Australie méridionale !
La première mine d'or, celle de Manguine ou de Fernbill, consiste
en roches quartseuses et schistes ardoisiers. Le rendement le plus
élevé est de 10 i 15 onces par tonne, c'est-à-dire d'environ 1,000 fr.
par tonne. In trois ans, cette mine a donné 4,700 onces d'or valant
450,000 fr. ; mais les frais d'exploitation étant de 700,000 fr., on arrêta
les travaux. 11 est vrai qu'il existe sur place une machine à 12 pilons
pouvant broyer 50 tonnes de quarts par jour. Aussi les travaux vont
être repris par la compagnie.
Il y a encore des concessions aurifères sur la côte Est, à Galarino,
près d'Oubatche. C'est près de là que 16 soldats d'infanterie de ma-
rine, en 1866, résistèrent pendant 40 heures à 1,200 Canaques qui
les entouraient en brûlant les herbes autour d'eux. Ces hommes, sans
vivres, sans eau, ne purent se soutenir qu'en buvant leur urine chaude.
Une balle tua le chef des Canaques qui se retirèrent à la nuit.
C'est à Galarino, Ouanop et Paniê, que l'on trouve l'or dans l'allu-
rlon et le quarts. 5 filons ont été découverts, dont 3 stériles et 2 riches.
Les concessionnaires n'ont même pas les fonds nécessaires pour
acheter des outils. Ce sont ces intéressants et persévérants mineurs
qu'il s'agirait d'aider et d'encourager, dans l'intérêt même de la co-
lonie.
Le docteur Clarke, le P. Montrouzier, les iogénieurs Garnier, Heur-
teaa et Ratte ont déclaré que ce littoral nord-est était aurifère ; et les
preuves en sont aujourd'hui à nu. Mais ces précieuses découvertes
116 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
menacent d'échapper encore au pauvre mineur français, si le capita-
liste ne l'aide pas.
Dans cette partie de la Calédonie, les micaschistes, les quartz cris-
tallisés, les curages de sulfure de fer, les pyrites de cuivre, l'amphi-
bole, brillent au milieu de la verdure, au fond des rivières, sur le bord
des ruisseaux. Le soleil et l'eau font scintiller le sol, et s'il est vrai
que tout ce qui reluit n'est pas or, c'est bien en cet endroit. Mais, es
écartant ces mirages trompeurs, ces illusions décevantes, il faut se
rendre à l'évidence, et quand For brille dans la cuvette où l'on a lav6
soi-même sur place une pelletée de terre, il faut bien partager la foi
des ingénieurs et des mineurs.
Une industrie qui reste française et doit devenir nationale, c'est
celle du nickel, qu'on devrait appeler le métal français.
En Allemagne et ailleurs, on ne trouve que des arséniures ou des
sulfures de nickel ou du nickel allié au cobalt, d'où son nom de
nickel-kobaU qui frappait les mineurs d'une superstitieuse terreur.
En Calédonie, ce sont des silicates de nickel donnant de 10 à 35
p. 100; c'est un métal inoxydable et ductile comme l'argent, dur
comme le fer et magnétique comme lui. Ce sont ses alliages avec le
zinc et le cuivre qu'on appelait argentan et maillecbort et avec les-
quels on faisait des couverts.
Eh bien, les mines de nickel d'une seule société couvrent en Nou-
velle-Calédonie 4,000 hectares et sont réparties dans trois centres
principaux : Canala, Houaïlou et Thio. Le minerai est fondu à Nouméa
dans les hauts-fourneaux dirigés par un ingénieur. On y produit de la
fonte de nickel sans soufre à 70 p. 100 à raison de 4,000 à 5,000 kilogr.
par jour. Ces fontes sont affinées près Marseille dans l'usine de la
compagnie qui livre du nickel à 8 fr. le kilogramme, au lieu de 40 fr.,
ancien prix.
Ce métal est indispensable aujourd'hui à l'horlogerie, à la coutel-
lerie, aux articles de Paris, à l'orfèvrerie, etc., etc. Birmingham et
Sheffield seuls fabriquent par an 5 millions de douzaines de couverts
en'métal blanc.
Plusieurs grands États ont déjà remplacé leur monnaie de cuivre par
le nickel. Ces États n'avaient pas de mines de nickel sur leur terri-
toire ; la France, qui en possède, se décidera-t-elle enfin à adopter
cette monnaie? Dès lors, l'industrie du nickel sera vraiment une indus-
trie nationale. Marseille et Bordeaux sont les points sur lesquels s'ex-
pédient en ce moment les nickels de Calédonie.
V antimoine est très abondant et de qualité supérieure. H sert pour
la fonte des caractères d'imprimerie et pour la thérapeutique. Son ex-
traction est très facile.
LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 117
Le chrome nous Tenait Jusqu'ici d'Amérique, de Turquie et de Nor-
vège. Il en existe de trop petites quantités dans le Var et l'Aveyron.
H est employé pour la teinture des toiles, des papiers peints sans
poison, pour les verts sans arsénites serrant i peindre les fleurs et
feuillages. H est exploité au pied des monts Dore. Les frais d'extraction
sont de 12 fir. par tonne rendue sur le bord de la mer, 50 fr. de fret
ordinaire, ce qui est un maximum, et la tonne se Tendra 100 fr., ce
qui laisse un beau bénéfice. Aussi les compagnies qui exploitent, en
Calédonîe, le chrome et le cobalt sont-elles australiennes et à Mel-
bourne. Depuis deux ans, le chrome est employé, en Allemagne et en
Angleterre, an tannage des peaux. Ce nouveau procédé est appelé à
faire une révolution dans l'industrie du cuir i laquelle Bordeaux est
si largement intéressée.
Le cobalt est d'une facilité d'exploitation exceptionnelle. Il se ré-
colle sur le littoral sud de la Nouvelle-Calédonie en abondance. Il sert
mx teintures en bleu pour porcelaine, émail, etc.
Des gisements de houille ont été découverts en 1854 et en 1872, ex*
pérîmentês en 1858 ; les couches étaient irréguliéres ; l'eau se rencon-
trait très vite, la consommation était minime. Le charbon d'Australie
est très bon marché. Pour ces motifs» on n'a pas exploité ces gisements;
mais on s'occupe de commencer des travaux qui en feront ressortir
l'importance. Les hauts-fourneaux qui existent à Nouméa, les grands
paquebots, les usines y trouveraient les ressources en combustible qui
leur sont indispensables.
Nous ne parlerons pas des marbres, des serpentines, des Jades, des
ardoises. Nous nous bornerons à citer les pierres lithographiques de
la presqu'île Ducos. Elles sont exemptes de quartz, de vermicelles, et
se présentent en liteaux par plaques de tm,20 de long. Elles sont si-
teées sur le bord de la mer. Les grandes plaques de la Saxe faisant
maintenant début, notre colonie peut encore, sous ce rapport, satis-
faire aux besoins de l'industrie nationale.
Tel est l'ensemble des richesses minières de notre colonie. Elles
sont assez importantes pour attirer l'attention des capitalistes français
à une époque où l'argent est abondant et ù bas prix.
(A »uivre.)
LA SITUATION AU CONGO
Au moment où les journaux annoncent le départ de M. de Brazza
pour les rives de l'Ogowé et du Congo, il n'est peut-être pas inutile
d'indiquer brièvement les difficultés qu'il ra rencontrer.
Une première question se pose : les retards apportés au départ de
l'expédition ne seront-ils pas préjudiciables aux intérêts français ? H. de
de Brazza a, il est vrai, envoyé en avant un ingénieur, M. de Lastours,
qui a fait, avec notre énergique compatriote, M. Guyot, partie de l'ex-
ploration Paiva d'Andrada dans la Zambésie ; mais pendant que M. de
Brazza était retenu en France par les préparatifs d'une expédition qui,
selon toute vraisemblance, ne doit pas durer moins de deux ans, Stanley,
qui s'est posé en rival de notre vaillant compatriote, a pu asseoir son
influence sur les rives du Congo et pousser loin ses reconnaissances.
De son côté, l'Association internationale belge-africaine n'est pas
restée inactive. Outre les stations de Vivi, d'Isangliila, de Manyanga,
elle vient de fonder celles de Léopoldville (îttamo) et d'Ibaka au con-
fluent du Cuango. Le comité belge des études du, Haut-Congo déclare
que « le vapeur En avant, battant pavillon belge, s'est déjà avancé à
« 400 kilomètres sur le haut fleuve et qu'il a exploré plusieurs affluents
« des deux rives ». « Le long du fleuve, ajoute le Précurseur d'Anvers,
• *nous rencontrons partout des compatriotes. A Emboma et à Noki
« sur l'embouchure du Congo, nous trouvons M. Gillis dirigeant, avec
« plusieurs autres nationaux, deux comptoirs belges. Le Héron, la
• Belgique et Y Espérance sillonnent le fleuve en tous sens. Entre
« Isanghila et Manyanga le service est assuré par le Royal. A Stanley-
« Pool, Léopoldville nous rappelle notre patrie et à 160 kilomètres
• plus loin, à Ibaka, au confluent du Cuango, une nouvelle station
« belge répand autour d'elle les bienfaits d'une civilisation pacifique.
« Nous pouvons donc dès ce jour nous avancer d'un pas sûr jusqu'à
« 700 kilomètres dans l'intérieur du pays, tout en possédant des com-
« munications régulières avec la côte. »
De là il résulte que le caractère international de l'Association est
une pure fiction et que le but à peine dissimulé qu'elle poursuit est
l'occupation et la prise de possession des rives du Congo. On nous
dit bien que le roi des Belges, ému des réclamations de la presse fran-
çaise, vient d'envoyer des instructions plus conciliantes à Stanley et
de l'engager à s'entendre avec M. de Brazza au lieu de lui susciter des
difficultés; mais le fait serait-il confirmé, celui qui a déclaré que le traité
signé avec le, roi Makoko n'a aucune valeur, obéira-t-ii aux ordres
qu'il a reçus?
LA SITUATION AU CONGO. 119
D'antre part, l'Angleterre, qui se cache derrière l'Association belge-
africaine, a demandé an gouvernement français de lui faire connaître
les opérations de M. de Brazza dans le bassin dn Congo. John Bull, qui
se montre si peu respectueux de nos droits en Egypte et à Madagascar,
n'a, ce semble, rien à tout dans la question de l'ouest africain. Le ca-
binet de Londres a cependant trouTé moyen d'intervenir au moins di-
plomatiquement. Depuis 1846, il se refuse à reconnaître aux Portugais
la possession de certains points an nord d'Angola, notamment de ftlo-
lembo et de Cabinda. Si, jusqu'à ce Jour, malgré les traités de 1810 et
de 1815, l'Angleterre conteste les droits de la couronne de Portugal sur
quelques ports voisins dn grand fleuve, c'est sans doute parce qu'elle
songe à se substituer dans un prochain avenir à l'Association interna-
tiomie belge-africaine. Avouons toutefois que le gouvernement anglais,
revenu à des vues plus conciliantes, semble maintenant hésiter devant
ks protestations du gouvernement portugais : aussi le roi don Luis a pu
annoncer dans le discours du trône, prononcé an commencement de
Janvier 1883, qu'une convention allait être signée entre les cabinets
de Saint-James et de Lisbonne et que les droits du Portugal y seraient
enfla reconnus par la Grande-Bretagne.
D'un autre côté, les journaux de Lisbonne et d'Oporfo s'étaient émus
en apprenant la conclusion du traité entre le roi Makoko et M. de Brazza,
traité qui nous cède le territoire s'étendant entre les rivières Djne et
Impila; mais quand, à la suite de négociations conduites avec beaucoup
de tact et d'habileté, M. F. D'Azevedo eut obtenu du ministre des affaires
étrangères de France l'assurance que la création de nos établissements
sur les rives du Congo ne gênerait en rien les stations que le Portugal
possède dans ces contrées; quand M. X. Blanc, rapporteur du projet
Brma, eut déclaré au Sénat « que notre établissement dans le voisi-
nage de la colonie portugaise ne peut que resserrer les liens d'amitié
qoi nous unissent à ce vaillant petit peuple et auxquels la France at-
tache le plus grand prix », la presse portugaise se calma et fut unanime
à looer la générosité de notre procédé. Un accord est intervenu : nous
reconnaissons aux Portugais la possession de la rire gauche du Congo
et, sur la rive droite, ils nous laissent nous étendre tout à notre aise
à compter du 5° 12' de latitude sud.
Sons pouvons donc en toute sécurité nous établir au milieu de cette
fertile contrée, riche en ivoire, en caoutchouc, en fer et en cuivre, et
pour ouvrir à la France une voie féconde pour son commerce et son
iafloenee au milieu de populations en général bienveillantes et que
l'islamisme n'a point fanatisées, il suffit de poursuivre avec persévé-
rance l'œnvre si bien commencée par M de Brazza. E. Gftxuf.
7" MISCELLANÉES
L'ÎLE DE CAP-BRETON
Par M. John-George BOURINOT, d'Ottawa (*).
... Le nom de l'Ile dont je veux parler vous est certainement fami-
lier, et tous savez tons quel rôle important Cap-Breton a jonè dans les
premiers temps de l'histoire du continent nord-américain; cependant
on peut dire qne sa configuration naturelle est encore à peu près
inconnue de la plupart des habitants du Tieux Canada. Du temps de la
domination française, la possession de Cap-Breton était déjà considérée
comme indispensable à l'accomplissement du grand projet qu'avait la
France d'occuper tout ce continent Louisbourg fut pendant des années
une menace pour l'Angleterre, et promettait de devenir à l'occasion
une Tille de grande importance au point de vue commercial et natio-
nal. Mais quand les Français eurent abandonné le Canada, l'herbe
envahit les remparts démantelés de Louisbourg et la chaloupe du
pécheur fut seule à sillonner les eaux de ce noble port où \* fleur de
lys (*) flottait à la poupe de mainte vaillante frégate, dans ces jours
mémorables du siècle dernier où une cité orgueilleuse surveillait le
vaste Atlantique. Du jour où Wolf et Boscawen devinrent maîtres de
cette forteresse, l'oubli se Ht autour de Cap-Breton, tandis que Québec
ne cessa de jouer un rôle important dans les destinées du Canada. Le
touriste à la recherche du pittoresque, l'historien désireux d'exhumer
des souvenirs du passé y sont toujours accourus en foule. Les hommes
d'État, réunis en assemblée, y ont fondé le système libérai du gouver-
nement représentatif dont nous jouissons. Le commerce y est devenu
florissant et les navires de toutes les nations ont sillonné les eaux du
noble fleuve qui porte à l'Océan les tributs de l'Occident. Mais pour
Louisbourg, depuis un siècle et plus, il n'y a eu qu'abandon et désola-
tion. L'histoire de Cap-Breton est celle d'un État paisible, à peine trou-
blé par d'insignifiants conflits, qui n'ont pas eu d'influence sur le sys-
tème politique du reste de l'Amérique anglaise.
Comme l'Ile de Vancouver garde à l'ouest les approches de la côte
du Pacifique du Canada, de même l'Ile de Cap-Breton est placée sur la
(>) Note lue & la Société de géographie de Québec, le 11 avril 1831.
(*) Cet mots sont en français d.ms le texte.
l'île de cap-breton. 121
rire orientale, comme une sentinelle à rentrée do golfe de Saint-Lau-
rent Gea deux lies doivent nécessairement, par suite de leur situation,
exercer une grande influence sur l'avenir commercial et national de
cette partie de l'empire britannique, mais Cap-Breton est de beaucoup
la plus importante comme superficie, population et ressources. En jetant
les yeux sur une carte, tous voyez que cette lie, d'une forme irrégu-
lière, est située entre les parallèles de 45° 27' et 47° 3' nord, et les
méridiens de 59*47' et 61°32' ouest ('); elle est baignée au N.-E. et au
S.-S. par l'océan Atlantique, au S.-O. par la baie de Georges et le golfe
de Ganseau et au N.-O. par le golfe de Saint-Laurent. Sa longueur totale
dn nord au sud est d'environ 110 milles, et sa largeur de l'est à l'ouest
est de 87 milles. Le golfe de Ganseau, ou de Fronsac, nom qu'il portait
quand l'Acadie était une colonie française, sépare l'Ile de la péninsule
de Souvelle-Écosse; il est navigable pour les plus forts navires, sa lar-
geur moyenne est d'environ 1 mille.
L'Ile est partagée naturellement en deux grandes divisions par le lac
Bras-d'Or, sur lequel nous reviendrons tout à l'heure. Ces deux grandes
divisions se distinguent aussi par des traits spéciaux qui donnent à
chacune d'elles son caractère distinctif. La portion occidentale s'étend
do cap Saint-Laurent à Saint-Péter's au sud ; elle est remarquable par
ses chaînes de montagnes et ses sites accidentés. Toutes les hautes
terres, dans cette partie de l'Ile, consistent en syénite, gneiss, schiste
micacé et autres roches anciennes métamorphiques, à l'exception de
l'extrémité méridionale de la chaîne qui va du golfe de Ganseau à la
vallée de la Riviére-des-Habitants. Les vallées et en général lebas pays
compris entre les montagnes sont formés de grès, de schiste, de calcaire
ei de gypse du système carbonifère inférieur. On trouve des lits de
terrain carbonifère entre Margarie et Port-Hood et entre le golfe
de Canseau et Saint-Péter's; mais en ce dernier point, il semble
avoir peu de valeur. 11 y a quelques ports importants dans cette
portion de l'Ile, savoir: Port-Hood, Port-Hawkesbury et Arichat, sur la
côte occidentale, qui sont navigables; sur la côte orientale se trouve
celai de Sainte-Anne et Inganish, la grande entrée du Bras-d'Or. L'as*
pect de la contrée autour de Sainte-Anne et de luganisb est particuliè-
rement grandiose : on n'aperçoit de tous côtés que précipices, gorges
et ravios. En maints endroits de la côte, jusqu'au cap Nord, des rochers
abrupts se dressent verticalement au-dessus de la mer à des hauteurs
variant de 600 à 1,200 pieds.
La partie orientale de l'Ile, qui est baignée par le Bras-d'Or et l'océan
Atlantique, est remarquable par ses précieuses minos de charbon et les
*)&>? et G>i2' ouest du méridien de Pari».
122 MISCELLANÉES.
beaux ports de Sydney et de Louisbourg. Elle ne renferme que deax
chaînes de montagnes d'une grande hauteur, forméas de syénite, de
granit et de roches métamorphiques. L'altitude des côtes ne dépasse
nulle part 300 pieds, si ce n'est près de Gabarus-Bay. Les collines du
rivage se composent surtout de roches dévoniennes et siluriennes
supérieures métamorphiques; le bas pays de l'intérieur ne renferme que
des grès, des schistes et da calcaire carbonifère. Au large des côtes qui
regardent l'Atlantique et dans la direction du sud-est, se voit l'Ile de
Scatari, dont les plages sont semées de débris de navires naufragés.
Ses rivages se composent alternativement de falaises rocheuses et
d'anses de sable ou de galets gardées par des récifs ou des étangs fer-
més. On Toit dans les criques quelques hameaux de pécheurs, habités
pendant Télé par les riverains des pays environnants, mais jamais plus
de huit ou dix familles ne passent l'hiver sur cet ilôt désert, contre
lequel les vagues de l'Atlantique déferlent sans relâche. Quelques-unes
des baies de la partie orientale de Cap-Breton, celle de Gabarus en par-
ticulier, possèdent de superbes plages du sable le plus fin, sur lesquelles
le ressac, avec ses volutes furieuses, donne lieu quelquefois à un spec-
tacle dune sublime grandeur. La superficie totale de l'ile de Cap-Bre-
ton est évaluée par les meilleurs auteurs à 2,650,000 acres ('), non
compris le lac Bras-d'Or.La moitié de cette surface est propre à la cul-
ture, le sol le plus riche se rencontre sur les terres d'allovions arro-
sées par les cours d'eau les plus larges. Toutes les variétés d'arbres
propres à ces latitudes croissent dans l'ile, et les espèces d'an beau port
sont les plus nombreuses; cependant, près des côtes, la végétation est
rabougrie et l'on n'y trouve actuellement que bien peu de bois d'œn-
vre ; les pommiers, pruniers, poiriers et autres arbres fruitiers rusti-
ques fleurissent bien dans les bonnes expositions, et les céréales y
viennent sans difficulté. Mais c'est surtout à ses dépôts de charbon que
Cap-Breton doit la majeure partie de sa prospérité. Les roches carboni-
fères couvrent à peu près la moitié de la surface de l'Ile ; le reste, autant
qu'on peut le savoir, se compose de roches ignées, métamorphiques et
siluriennes. Le gisement de bouille de Sydney est de beaucoup le plus
étendu; il occupe une portion notable de la superficie de l'ile entière.
11 s'étend de Mira-Bay à l'est jusqu'au cap Dauphin à l'ouest, sur une
longueur de 31 milles ; il est limité au nord par la côte et au sud par la
la formation appelée Millslone-Grit ('). Cette région, d'environ 200 mil-
les carrés, est profondément découpée par plusieurs baies et ports, où
l'on voit de belles sections du sol sur les parois des falaises qui, sauf
(M L'acre vaut 0,404671 hectare, ce qui fait pour la surface de l'île : 1,072,378 hec-
tares.
(*, Pierre maulttrp.
l'île de cap-breton. 123
quelques plages de sable, bordent toute la côte, de Mira-Bay au cap
Dauphin. L'épaisseur totale du banc de houille de Sydney n'est pas
connue arec certitude; cependant, un observateur consciencieux, un
praticien et un savant, M. Brown, depuis de longues années membre de
la Mining Association, dit à ce sujet que, de Burnt-Head près Glace-
Bay, où se trouve le banc le plus haut, jusqu'au Millstone-Grit, son
épaisseur n'est pas de beaucoup inférieure à 1,000 pieds.
Aucune partie du Dominion du Canada n'offre des scènes plus
variées en beautés naturelles, atteignant parfois une véritable gran-
deur, que celte lie, avec ses montagnes imposantes et ses précipices,
ses vallées riantes et ses côtes rocheuses, ses ports magnifiques où
tous les navires du monde peuvent jeter l'ancre en sûreté, ses rivières
calmes et ses baies balayées par les tempêtes, dans lesquelles le vaste
Océan déploie sans obstacle des vagues venues des rivages des autres
continents. Le vaste plateau qui s'étend de Margarie et Sainte-Anne au
cap Saint-Laurent, pointe extrême nord de File, s'élève sur plusieurs
points i 1,000 et 1,500 pieds au-dessus de la mer; il est bordé de falai-
ses et de précipices formant un magnifique panorama de rivage ma-
ritime.
De nombreuses rivières parcourent l'Île: la partie occidentale est
arrosée par celles de Margarie, Bedcquc, Mabou, Wagamatcook, Inba-
bitants et Denys; tandis que celles de Sydney ou Spanish, Mira et la
Grande-Rivière se jettent à l'Océan dans la partie orientale. De tous ces
cours d'eau, celui de Spanish-River (') est de beaucoup le plus impor-
tant, car il arrose la partie fertile du comté principal et se jette à la
mer dans le havre de Sydney, qui, au point de vue de l'étendue et de
la sécurité, n'a pas de supérieurs, sinon d'égaux, parmi les superbes
ports de ce continent.
Les lacs d'eau douce abondent, le plus grand est celui d'Ainslie; il
couvre un espace de 25 milles carrés et forme la source de la branche
méridionale de Ja rivière Margarie. Mais le trait saillant de la configu-
ration naturelle de l'Ile est ce qu'on appelle communément le lac Bras-
d'or, qui est en réalité une Méditerranée en miniature. Ce lac, divisé en
deux parties, le grand et le petit Bras-d'Or, communique avec l'Atlan-
tique par deux détroits dont l'un permet le passage des plus grands
navires; il occupe nne surface de 450 milles carrés au centre même
de file, il reçoit plusieurs cours d'eau et en certains endroits ren-
ferme des Ilots pittoresques. L'un d'eux, assez grand, a reçu; le nom
dn marquis de la Boularderie; il est situé à l'entrée, et c'est d'un côté
ou de l'autre que passent indifféremment les navires en pénétrant dans
') Rivière etpa^nolr*.
124 MISCELLANÊES.
cette magnifique mer intérieure, grâce à laquelle les habitants de Gap*
Breton trouvent pour le commerce des facilités introuvables ailleurs.
Les lacs Bras-d'Or occupent des bassins profonds qui sont creusés
dans des strates tendres de terrain carbonifère, environnées de monta-
gnes de syénite et autres roches présiluriennes, flanquées çà et là de
sédiments plus récents. Us communiquent l'un avec l'autre par le
détroit de Barra, plus connu sous le nom de Grand-Narrows, et débou-
chent dans la mer à Saint-Pierre, sur la côte sud, par un beau canal
navigable, creusé à la grande satisfaction des habitants, qui en récla-
maient-déjà l'exécution bien longtemps avant la Confédération. La pro-
fondeur maximum du petit Bras-d'Or est de 54 brasses ('): celle du
grand, 46 brasses. La plus grande longueur du grand Bras-d'Or est de
44 milles; sa largeur, de Portage-Creek à Soldier-Gove, 21 milles.
Tour la variété et la beauté du paysage, l'Amérique anglaise ne pos-
sède rien qui surpasse cette mer intérieure. L'étranger qui veut tra-
verser 111e par la route la plus belle doit se lancer sur le petit Bras-d'Or,
dont le peu de largeur en certains endroits le fait ressembler à un
fleuve superbe.
Ce ne sont que délicieuses surprises : quand vous vous croyez com-
plètement enfermé dans les terres, s'ouvre tout à coup un passage
étroit et, en moins d'une minute, vous tombez dans une vaste baie.
Les rives sont boisées jusqu'au bord de l'eau, des routes ombragées
descendent en serpentant de la plus jolie façon pour aboutir à quelque
quai piltoresquement construit où vous trouvez toujours amarré un
bateau pécheur on une goélette de cabotage. De belles fermes se font
remarquer sur les deux rives et de temps à autre on entrevoit une
haute flèche blanche. Yous passez auprès d'Ilots boisés, et un instant
après vous voilà dans le grand Bras-d'Or, où parfois les rives éloignées
sont tout à fait indistinctes. Au loin, dans le nord, se profilent les hau-
tes terres se terminant par les promontoires des caps Nord et Saint-
Laurent. Ce n'est ni à la hauteur et à la grandeur des montagnes, ni à
la large nappe d'eau qu'est dû le charme particulier de ces lacs et de
leurs environs, mais aux innombrables combinaisons de terre et d'eau
qui forment à chaque pas de nouveaux paysages. La variété existe par-
tout sur ces rivages accidentés: dans les promontoires rocheux et
escarpés qui font reculer la vague paresseuse, comme dans les con-
tours adoucis et gracieux des plages de sable ou de galets, où la bril-
lante écume du ressac vient dessiner une ligne blanche et sinueuse.
Là, le mouvement perpétuel des eaux de l'Atlantique et le fracas des
vagues qui assiègent les dehors de l'Ile sont inconnus ; et dans les
(*) La brasse anglaise {fathom) = lm,329.
l'île de cap-breton. 125
baies abritées, pendant les jours de calme, ou voit flolter de tous côtés
des méduses parées des plus brillantes couleurs, déployant et contrac-
tant alternativement le disque de leurs corps en forme d'ombrelle,
errant à la recherche de leur nourriture à la surface des eaux chaudes
et tranquilles. La morue et le maquereau, le hareng, la raie et la plie
se pèchent sur les rives et les bas-fonds; des huîtres d'excellente qua-
lité se récollent dans les anses et les étangs; et dans les ruisseaux qui
coulent de tous cotés, frétillent le saumon, la truite, léperlan et les
gaspereaux.
H 7 a quelqoes années, un Tapeur touchait à Whycocomagh ou à
West-Bay, au fond du lac; de là les touristes gagnaient par terre le
détroit deCanseau, et un autre steamer les mettait à Pictou. Depuis
l'ouverture du canal Saint-Pierre et la construction d'un chemin de fer
conduisant au détroit, on a les plus grandes facilités pour traverser
File. Mais le voyageur qui désire voir quelques-uns des sites les plus
pittoresques doit aller à Whycocomagh et de là se faire mettre à Port*
Hood, au bord de la mer. 11 trouvera, selon toute probabilité, pour
faire ce trajet, un véhicule tout à fait primitif, mais il oubliera
bientôt l'absence de ressorts et de coussins à la vue des sites ravissants
dont il sera entouré.
Les personnes qui ont voyagé eu Ecosse sont frappées de la ressem-
blance des paysages de Cap-Breton avec ceux des Highlands. Le pays
est, en effef, habité par des Écossais; on peut y voir les meilleures
fermes de la province, ce qui prouve combien cette partie de l'Ile con-
vient à l'agriculture. En longeant la montagne, vous apercevez une
belle vallée où l'une des branches de la rivière Mabou promène son
cours sinueux et ressemble à un fll d'argent posé sur un tapis du vert
le plus foncé. Ça et là, tous passez auprès de massifs d'ormes superbes
se dressant au milieu de vastes prairies. Nulle part le tableau n'est insi-
gnifiant on monotone, il offre partout une diversité remarquable.
Le regard peut s'arrêter sur de ravissants coins de forêts ou se perdre
au milieu des montagnes qui se dressent plus loin et vont en s'éloi-
gnant jusqu'à disparaître dans la brume bleuâtre de l'horizon.
U n'y a que deux villes ayant quelque importance dans l'Ile. Àrichat
est bâtie dans la petite lie de Madame, sur la côte sud de Cap-Breton,
et renferme plusieurs établissements de pêche importants, dirigés par
des commerçants acadiens ou de Jersey. C'est la capitale du comté de
Kichmond; la majeure partie des habitants sont Français catholiques,
ils ont un couvent où l'on reçoit une bonne éducation. Sydney, la ville
la plus importante de l'Ile, est située sur le havre dont nous avons
parlé plus haut. Le seul désavantage de cette rade superbe est d'être
souvent obstruée par les glaces en hiver. Les mines de la Mining
126 MISGELLANÉES.
Association de Londres sont à rentrée du havre et sont réunies par
une Toie ferrée au point d'embarquement, appelé dans le pays Le Bar,
aujourd'hui place de commerce animée, avec de beaux magasins et des
habitations sétendant le long du rivage à une certaine distance en
amont. A 6 milles plus en avant dans la rivière est la capitale de nie,
l'ancienne ville de Sydney, qui est construite sur une péninsule. Après
avoir été agitée par bien des querelles intestines, Sydney est tout à
fait calme depuis nombre d'années. Pendant longtemps elle a possédé
une garnison; aujourd'hui, les anciens baraquements rappellent senls
le beau temps où les soldats de Sa Majesté égayaient la monotonie de
l'ancienne ville. Far suite du départ des troupes et de l'abandon du
commerce, Sydney est devenu une des villes les plus tristes de l'Amé-
rique anglaise. Depuis une dizaine d'années cependant, elle a eu comme
un réveil par suite de la dépense d'un capital considérable employé à
construire des chemins de fer, des jetées et autres travaux nécessaires
au commerce du charbon qui a pris tout à coup un accroissement con-
sidérable. Sydney est située au centre du plus beau pays houiller de
l'Amérique anglaise.
Des compagnies anglaises, américaines et canadiennes ont des mines
en plein rapport à Cow-Bay, Glace-Bay, Lingan et Norths-Sydney, et
si Ton peut échanger ce charbon avec les États-Unis et créer de nou-
velles relations commerciales, une grande impulsion sera nécessaire-
ment donnée à l'ancienne ville, encore relativement stationnaire.
Louisbourg, à environ 24 milles de Sydney, par la vieille route
charretière qui traverse à moitié chemin la belle rivière Mira, sera
toujours la première localité Tisitée par les touristes. Lorsque vous
arrivez à l'emplacement de cette ville disparue, tous avez sous les
yeux le spectacle de la plus complète désolation. Cette cité avait été
bâtie sur une langue' de terre près de l'entrée du havre, et, grâce à
ses formidables remparts, méritait le nom de Dunkerque de l'Amérique.
La position avantageuse du port de Louisbourg, sur la côte même de
l'Atlantique, avait de bonne heure attiré l'attention des Français à
l'époque où une noble ambition leur avait fait jeter les yeux sur ce
continent. Gomme entrepôt pour les navires qui faisaient voile entre la
France et le Canada, aussi bien que pour la nombreuse flottille de pèche
qui se rendait annuellement aux bancs de Terre-Neuve, cette Tille fut
toujours considérée par les hommes d'État français comme ayant une
très grande importance. Louisbourg fût d'abord prise par Warren et
Pepperel; ce dernier était un armateur de la Nouvelle- Angleterre, qui,
le premier des colons américains, reçut le titre de baronnet en récom-
pense de ses éminents services. Le succès des troupes coloniales eut
beaucoup de retentissement en Angleterre et vint fort à propos pour la
l'île de cap-breton. 127
mère patrie. Pendant que les colons recueillaient des lauriers* Louis-
bourg, les troupes anglaises étaient battues sur le continent européen.
• Nous faisons on (eu de Joie pour Cap-Breton et nous tirons le canon
pour Gènes, écrirait ce tieux compère d'Horace Walpole ('), tandis que
notre armée est chassée des Flandres. » Par le traité d'Aix-la-Chapelle,
Cap-Breton fat rendu aux Français qui relevèrent aussitôt les fortifica-
tions de Louisbourg. Pendant qu'on négociait ce traité, la cour de
France fit dire à ses envoyés de tenir la main à ce que Cap-Breton fit
retour à la France, tant cette lie semblait importante pour le commerce
du Canada et de la Louisiane. Malheureusement, la paix ne dura pas
longtemps entre la France et l'Angleterre et la prise de Louisbourg fut
in des éTénements saillants de la guerre qui survint peu de temps
après. La joie fut grande en Angleterre a cette nouvelle. Les drapeaux
conquis furent portés en triomphe dans les rues de Londres et déposés
à Saint-fan], au brait du canon et des timbales. Depuis ce temps, Cap-
Breton a été presque complètement oublié par les hommes d'État et
le peuple anglais. Cinquante ans après la prise de Louisbourg, lord
Bathorst donna Tordre de transférer dans cette Tille, comme dans une
place de sûreté, tons les prisonniers américains internés à Halifax. 11
ignorait complètement que, peu après la prise de la Tille, on avait rasé
les fortifications jusqu'au sol et que la plupart des pierres et des ins-
truments avaient été ramenés à Halifax. Le voyageur qui aujourd'hui
visite ces lienx, s'il a une carte sous les yeux, peut se faire une idée
assez nette de la nature des fortifications et de l'espace considérable
eceopé par la ville. La forme des batteries se reconnaît aisément mal-
gré la terre végétale qui les recouvre, et des fouilles feraient certai-
nement trouver un grand nombre de débris, tels que des poignées d'é-
péesoa des boulets. Le gouverneur général, en visitant ces lieux Tété
dernier, 7 a trouvé une ancienne épée qu'il a déposée au Musée géolo-
gique récemment créé i Ottawa.
Les environs de Louisbourg sont stériles et offrent peu d'intérêt à
cause de F absence des beaux arbres et des hautes montagnes qui
embellissent la partie nord-ouest de l'Ile. Le port a deux milles de long,
et un demi-mille de large, avec une profondeur de trois à six brasses;
il communique avec la mer par un goulet d'un demi-mille de long,
d'un tiers de mille de large et d'une profondeur de six à dix brasses.
Un navire entrant par un vent favorable, trouve un endroit propre à
jeter l'ancre quelques minutes après avoir doublé le phare. Cet accès
facile, sans rade ni baie intermédiaire à franchir, est probablement la
raison qui a fait préférer Louisbourg aux autres ports, comme Sainte-
(*) Ea «HflAis s that old fotrtp Bôracê Walpole.
'128 MiSCELLANÉES.
Anne ou Sydney. Les navires à l'ancre sont eu sûreté dans n'importe
quelle partie de ce havre, taudis que la cdte rocheuse du large et les
lies de rentrée, à un demi-mille de là, sont exposées à toute la fureur
des vagues et couvertes d'écume. Il est certainement étrange que
Louisbourg, avec de tels avantages, soit restée si longtemps oubliée,
quand le commerce cherche partout les emplacements les plus conve-
nables pour la facilité des relations entre l'ancien et le nouveau
monde.
Depuis l'essor qu'a pris l'exportation du charbon à Cap-Breton, on a
construit un chemin de fer de Sydney à Louisbourg, dans le but de
transformer celle-ci en port d'hivernage. Aussitôt des constructions se
sont élevées autour du havre et des préparatifs sont faits en vue du
commerce futur. Les paquebots qui font le service de l'Europe y feront
un jour escale pour y faire du charbon et prendre ou déposer des pas-
sagers. La distance de Louisbourg àLiverpool est de 2,255 milles, c'est-
à-dire de 700 milles plus courte que celle de New-York à Liverpool.
Cette différence se traduirait, en temps, par un bénéfice d'au moins 30
heures en faveur de Louisbourg, si cette dernière ville était reliée avec
New- York par une voie ferrée directe. 11 ne faudrait de môme que sept
à huit jours pour aller de Londres à Québec, vid Louisbourg ('). Il
existe à présent un chemin de fer de Québec au détroit de Ganseau, il
ne reste donc plus à construire que la ligne du détroit à Louisbourg;
soit une distance de 80 milles, à travers un pays qui offre les plus
grandes facilités pour le tracé. Quant au détroit 'de Canseau, il serait
traversé par un ferry-boat construit spécialement pour porter des trains
de chemin de fer et pour briser la glace qui obstrue le passage à une
certaine époque de Tannée. En considérant alors la position avanta-
geuse de Louisbourg sur l'Atlantique et ses communications avec les
mines de houille considérables qui sont dans l'Ile, on peut affirmer que
le moment n'est-pas éloigné où cette ville sera le terminus oriental de
tout le réseau des chemins de fer du Canada et deviendra une des cités
les plus florissantes du continent américain.
De tous côtés, on rencontre dans l'île de Cap-Breton, des traces de
l'occupation française. Beaucoup de noms anciens sont cependant alté-
rés par le temps, et leur origine- est oubliée; mais vous reconnaltrei
sans hésitation dans « Big Loran » le nom de la Gère maison de Lor-
raine (*).
La rivière Margarie, remarquable par la beauté de ses rives et ses
pêcheries de saumon, est à proprement parler la rivière Marguerite.
(') Chambre des communes; rappjrt du comité au sujet de la route la plus courts
pour aller en Kurope, 1873.
(*) Big, en anglais, veut dire fiàre.
l'ilk de cap-breton. 129
Miré, ea perdant son accent, est devenu Mira. Ingauish s'appelait ao
début Kiganiche. Le superbe Bras-d Or a conservé son nom harmonieux
et bien approprié ; il en eal de mémo de l'Ile Boalarderie, i l'entrée de
la magnifique mer intérieure. Port-Toulouse s'appelle aujourd'hui Saint-
Peter's, terminas du canal sur la côte de l'Océan. Le nom actuel de
111e est lui-même un témoignage de l'occupation française. Quelqu'un
4e ces aventureux pécheurs basques qui ont visité les eaux du golfe,
il y a quelques siècles, aura sans doute donné le nom de Cap-Breton à
la pointe Est de File en souvenir de t Cap-Breton », près de Bayonne.
la charrue ramène de temps à autre à la surface du sol quelques
débris des anciens établissements. Il me souvient d'avoir vu, il y &
quelques années, une belle -cloche découverte à Inganish, qui portait,
«avant la coutume française, l'inscription suivante:
■ four la paroisse de Niganiche jap été nommée Jaune Françoise
par Johannis Decarette et par Francoisse Vrail Parain et Moraine —
la fosse Hvet de Saint Malo ma fait. An. 1729. »
Les personnes qui parcourent l'Ile ne tardent pas à s'apercevoir
qu'elle est la dernière des provinces de l'Amérique anglaise, malgré les
éléments de prospérité que renferment le sol et les mers environ-
nantes. En règle générale, les habitants n'ont pas le caractère entrepre-
nant. Us sont pour la plupart d'origine écossaise et beaucoup d'entre
eux ont les idées d'économie et l'industrie de leur race. Les jeunes
geos s'expatrient et vont aux Étals- Unis; ceux qui reviennent dans
leur pays y rapportent des idées de progrès. Les descendants des
Français forment une classe industrieuse, s'occupant surtout d'entrepri-
ses maritimes. Une partie de la population se compose de descendants
des Loyalistes américains et des premiers colons anglais venus dans
le pays après la prise de Louisbourg et la fondation de Sydney. L'agri-
culture est la principale occupation des habitants; elle est surtout pro-
ductive dans les terres arrosées par les rivières Spanish, Miré, Bedcque,
Mabou, etc, Sur les côtes, sont surtout des pêcheries ; mais, même au
bord de la mer, les habitants ont de petites fermes. Les houillères
oceopent un monde considérable dans le comté de Cap-Breton, qui est
la partie la plus prospère et la plus peuplée de l'Ile. Bon nombre d'ha-
bitants font le cabotage, surtout à Sydney et à Arichat; malgré cela, la
construction de navires n'a pas pris grand essor, et, sous ce rapport,
Sydney ne peut être comparée aux grands ports d'armement de Yar- .
mottth et Hantsport, dans la Nouvelle-Ecosse proprement dite. L'Ile est
partagée en quatre divisions politiques: Cap-Breton, Richmond, I^ver-
aess et Victoria, qui envoient cinq membres à la Cuambre des com-
munes et trois sénateurs à la Chambre haute du Parlement. La population
totale de llle est actuellement d'envirou 80,000 âmes, et relativement
•OC. OS OBOQK. — 1"' TBUOMTMB 1883. 9
130 MISCKLLANÉES.
au commerce, je dois dire que l'année dernière il est entré près de mille
navires dans les seuls ports d'Artchat et de Sydney ; la plupart sont
venus à Sydney prendre du charbon, et parmi eux, beaucoup de
steamers et de bâtiments de fort tonnage.
Il y a environ 500 Indiens dans l'Ile, appartenant tous à la tribu des
Micmacs, qui a continué à habiter la Nouvelle-Ecosse depuis l'époque
où de Monts et de Poutrincourt débarquèrent sur le rivage occidental
de l'Acadie et fondèrent Port-Royal. La plupart d'entre eux sont fixés
maintenant à Rscasooi, endroit pittoresque dans le voisinage du lac
Bras-d'Or, où ils possèdent de belles cultures et une grande chapelle.
Aucune partie de l'Amérique anglaise n'est plus riche en ressources
naturelles, et cette lie superbe possède tous les éléments de prospérité.
Malheureusement, le progrés est enrayé par le manque de capitaux et
l'absence de communication* rapides avec le reste du continent. Les
houillères sont nombreuses, et Ton trouve la quantité de charbon
exportée insignifiante (environ 500,000 tonnes par an), quand on con-
sidère à combien ce chiffre pourrait s'élever si l'on ouvrait un vaste
marché à la squrce même de pareilles richesses, L'Ile est proche des
plus beaux lieux de pêche du monde, les carrières de marbre, de
gypse, de pierre à chaux et d'autres matériaux utiles abondent et
l'huile minérale se rencontre dans le district du lac Ainslie. La position
naturelle de l'Ile de Cap-Breton est remarquablement avantageuse pour
toute espèce de commerce. Elle est situéeà rentrée du golfe de Saint-
Laurent et peut devenir un magnifique entrepôt de commerce en temps
de paix et une position incomparable pour la défense en temps de
guerre. En considérant ses relations géographiques avec le Canada ou
ses richesses naturelles, nous sommes amenés à conclure que le vent
de progrès qui souffle d'une façon si constante sur toutes les parties
du continent, ne doit pas tarder à atteindre ces rivages trop oubliés, et
dans peu de temps cette lie sortira de son isolement et de son obscu-
rité pour prendre place parmi les provinces les plus industrielles du
Dominion. Traduit par C. Millot.
LE COMMERCE DU CHILI
Le Chili est en pleine prospérité agricole, industrielle et commer-
ciale. Il y a trente ans, les productions des mines et de l'agriculture
étaient insignifiantes; cette contrée se suffisait à peine et était presque
dépourvue de rapports commerciaux; mais dès que sou indépendance
LE COMMERCE DU CHILI. 131
toi déclarée, une grande activité se manifesta dans toutes les branches
du travail. Le chiffre des importations et des exportations s'est depuis
Jors accru chaque année.
La pêche sur les cxXles du Chili est devenue une industrie très pro-
doctîTe; les vaisseaux anglais y poursuivent la baleine. L'industrie
consiste en notent commune de très bonne qualité, en lainages grossiers,
toiles de chanvre et cordages, cotons, savon, ustensiles de cuivre, cuirs,
eanx-de-vie, Le commerce extérieur du Chili est un des plus florissants
des Etats de l'Amérique du Sud. Les recettes des douanes ont éprouvé
depuis 1821 uue augmentation constante. *
Les principaux articles de l'exportation sont le numéraire, quelques
métaux précieux, le cuivre et le minerai de cuivre, le froment, les
légumes, les peaux, le suif, la laine, les fruits et les drogues.
Les articles importé* sont les lainages, les cotous, les toiles, les
soieries, les métaux travaillés, les verres et poteries, les vins et eaux-
de-vie, l'huile d'olive, le papier, les cuirs, le sucre, le cacao, le café,
le riz, les teintures, Je thé et le thé du Paraguay.
La marine marchande du Chili est en pleine prospérité. Cet État fait
sa commerce d'entrepôt assez important, surtout avec l'Europe, le
Pérou et la Bolivie. L'Angleterre, la Krauce et les États-Unis sont les
puissances qui entretiennent avec ce pays les relations commerciales
les plus actives. L'Angleterre fournit au Chili des tissus de coton, des
soieries, des lainages, des toiles, des fers et des aciers bruts et travail-
lés, de la coutellerie, de la quincaillerie, des poteries, des verres, des
cuirs, des armes et munitions, des couleurs, des machines et mécani-
ques, de l'orfèvrerie et de la bijouterie.
Le titre de marchandise française est au Chili, pour toute espèce (te
produits, une recommandation. Ces populations ont un goût très pro-
noncé pour le luxe; or, c'est dans la fabrication des objets de luxe que
la France est réellement et de beaucoup supérieure aux Anglais, tandis
qu'il lui est moins possible de lutter pour les objets de première néces-
sité ou de consommation journalière.
C'est à Valparaiso qu'arrivent les marchandises destinées à la con-
sommation du Chili, et en grande partie celles en destination pour la
Bolivie, le Pérou, l'Equateur et le Mexique, en un mot, pour toutes les
parties de la'cùte occidentale de l'océan Pacifique. Il s'y Tait un com-
merce d'exportation de grains pour Callaoet Panama; de suif, 'le peaux,
de cuivre pour les Indes et la Chine; d'or, d'argent, de platine, d indigo,
de laiue, de salsepareille. L'importation consiste en articles français, tels
que indiennes, jaconas, mousselines, foulards de colon, rouenneries
coutils blancs, soieiles, inèrmus, draps et un grand nombre a articles
de luxe dits de Paris , très recherchés dans cette partie du monde.
132 MISGELLANÊB8.
(Baron de Hoben. — Bulletin de la Société de Géographie de Lû-
bonne.)
LES RESSOURCES NATURELLES DES PAMPAS ARGENTINES
Située entre le 22e et le 55» parallèle Sud, la Confédération argen-
tine comporte tons les climats, et la nature a destiné ses provinces
méridionales à être un inépuisable greuier à céréales. Mais l'élève do
bétail offrait à l'Argentin un travail trop facile et en même temps trop
lucratif pour qu'il se décidât de lui-même à épouser un autre labeur
plus pénible, et dont il ignorait la compensation pécuniaire. Les immi-
grants européens sont Tenus, et ils ont importé avec eux la charrue en
fer, la machine à moissonner, la machine à battre, la charrue à Tapeur
qui semble faite tout exprès pour retourner la Pampa, dépourvue de
pierres et de racines. L'impulsion ainsi donnée s'est fait sentir jusqu'ici,
surtout dans les provinces du littoral, celle de Buenos-Ayres notam-
ment. La superficie des terrains emblavés s'y accroît d'une année à
l'autre. La vigne se cultive dans les provinces du Nord et le tabac pros-
père dans celle de Tucuman,de Santa-Fé, de Corrientes et d'Enlre-Rios.
Cependant, le vin que l'on recolle sur les rires de la Plata n'est remar-
quable ni par sa quantité ni par sa qualité. De même, le tabac argentin
est loin de pouvoir rivaliser avec le tabac de Cuba et même celui de
Guayaquil. Mais la canne à sucre a pleinement réussi; dans les seules
provinces septentrionales, ces produits ont décuplé dans le cours de
ces vingt dernières années. Ils atteignent le chiffre de 8 à 10 millions
de kilos, et ce n'est environ que le quart de la consommation locale.
On peut Juger par cela de l'avenir qui attend la production sucrière
dans le bassin de la Plata, d'autant qu'elle donne de maguifiques béné-
fices, 500 fr. net par hectare, à en croire un colon. (V Exploration.)
FORMATION HOUILLÈRE DU TONG-KING
Dans un précèdent bulletin, nous avons dit un mot de la richesse du.
Tong-King en combustible minéral au point de vue industriel ; voici
maintenant des détails sur la stratigraphie et la flore de cette forma-
tion houillère.
Ils sont empruntés à la Revue britannique.
FORMATION HOUILLÈRE DU TONG-KING. 133
LeTong-Kiog possède d'abondantes ressources en minerais, quiont été
étudiées an commencement de cette année par M. Fuchs, chargé d'une
mission ad hoc du ministre de la marine, et par M. Saladin, ingénieur
civil des mines. Ces -deux messieurs, après s'être rendu compte de la
• géologie générale de TAnnam et du Tong-King, ont exploré en détail les
principaux gttes de combustibles, de minerai de fer et d'or actuelle-
ment abordables dans ces .pays et dans le Cambodge. D'après le rap-
port de M. Fuchs, le terrain qui renferme la houille dans l'Indo-Chine
forme une série de bassins d'une grande importance qui paraissent
s'échelonner parallèlement à la mer. Il repose en stratification discor-
dante sur le calcaire carbonifère et est surmonté par une puissante
formation de grès, de poudingues et d'argilolithes présentant les plus
grandes analogies lithologiques avec le terrain permien et le trias infé-
rieur d'Europe. Il est formé, lui-même, presque uniquement de grés
feidspathiqoes et micacés, clairs ou plus ou moins ferrugineux. Entre
les assises des grès, sont quelquefois intercalés les bancs schisteux
dans lesquels reposent ordinairement les couches de combustibles. Le
terrain houiiler dn Tong-King affleure sur la côte nord de l'ancien golfe
que les eaux du fleuve Rouge ont carbonate. LeB deux explorateurs
l'ont reconnu sur une étendue de 1 10 kilomètres (de Doog-Trieu àKé-
Bao), et sur une largeur de là kilomètres (à Hon-Gâc), largeur infé-
rieure d'ailleurs à la largeur réelle du bassin houiiler, puisqu'on trouve
(à Hoan-Bô) des affleurements de houille en dehors de la région qu'ils
ont puibiter. Les gîtes du Tong-King présentent quatre espèces diffé-
rentes de houille, formant (rois et peut-être quatre groupes distincts de
couches. L'essai industriel fait sur la houille du troisième groupe a
donné une consommation, par cheval-vapeur et par heure, de lk,966,
consommation supérieure de 2,5 pour 100 seulement à celle que donne
ie bon charbon d'Ansin. Les épaisseurs* des couches sont, parait-il,
asses fortes dans le bassin de Hon-Gâc; an rapport de M. Fuchs, elles
atteignent individuellement jusqu'à S mètres de puissance et leur
réunion en groupes très homogènes permettra d'exploiter, dans le
même groupe, une épaisseur totale de charbon allant jusqu'à 1 1 mètres.
Les couches affleurent très près du littoral et à côté d'excellents mouil-
lages. On peut suivre leurs affleurements sur plusieurs kilomètres de
• longueur, et, par suite, l'évaluation des ressources en combustible con-
tenues dans le bassin de Hon-Gâc peut être calculée avec une certaine
précision. En faisant une large part aux éventualités, on trouve que la
masse de charbon exploitable jusqu'à 100 mètres de profondeur seu-
lement au-dessous du niveau de la mer, dépasse le chiffre total de cinq
millions de tonnes.
Les schistes et grès schisteux qui avoisinent la houille ont donné à
134 MISCELLANÉES.
MM. Fuciis et Saladin une riche moisson d'empreintes végétales. L'é-
tude que M. R. Zeiller a faite de cette flore au point de tue de la déter-
mination de l'âge des couches de charbon dont elle pro?ient, lui a per-
mis d'établir des rapprochements intéressants et nouveaux entre ies
bassins bouillers de l'Indo-Chine et ceux de l'Inde, de la Chine et de
r Australie. Mais un fait qui parait mériter de fixer l'attention, c'e&t le
grand nombre de formes, identiques avec celles de P Europe, malgré la
distance qui sépare les deux pays. Ces formes, ainsi qne le fait remar-
quer M. Zeiller, sont d'ailleurs accompagnées de types inconnus Jusqu'à
présent dans nos régions, notamment les Gtossopteris, signalés pour
la première fois en Australie, où ils ont apparu, ainsi que (e genre
Phyllotheca, dès Pépoque carbonifère, au milieu d'une flore aussi diffé-
rente de la flore houillère de l'Europe que le sont les flores actuelles
de ces deux continents. « Il semble, ajoute-t-il, qu'il y ait en alors de
grandes régions botaniques bien distinctes et que le sud de l'Asie mar-
que à peu prés leur trait d'union, à en juger par le mélange d'espèces
propres à chacune d elles, déjà signalé dans la flore (riasique de l'Inde
et accusé plus nettement encore par la flore des charbons du Tong-King.
Comment Ton voyageait, en France, an siècle dernier.
Par M. A. Fournier.
I.
Pendant presque tout le moyen fige, on ne connut guère, en fait de
véhicule, que le lourd chariot gaulois ou franc, appelé basierne ; et
encore, l'état des voies de communication en permettait à peine l'usage
comme moyen de voyager : il fallait, par exemple, pour rentrer les
foins du seigneur, atteler aux chariots jusqu'à seize et même vingt et
un bœufs 1
C'est le 22 octobre 1405 qu'il est parlé, pour la première fois, de
chariots branlant* ou suspendus, également appelés chariots dame-
rets ou de dames.
Au siècle suivant, le chariot branlant devint, grâce à de grands per-
fectionnements, le carrosse; longtemps, celui-ci fut réservé aux rois
et princesses, et la première femme — non princesse — qui se mon-
tra dans une de ces voitures, fut la femme du premier président
Christophe de Thou (le père du célèbre historien).
COMMENT L'ON VOYAGEAIT EN FRANCK. 135
Plos lard — XVIIe siècle, — les carrosses devinrent communs et
surtout magnifiques ; a cette même époque apparurent la calèche et la
bnmette, petite toi tore dont le cocher se trouvait placé en arriére.
C'est aussi dans ce siècle (1645) que Sauvage établit à V hôtel Saint-
Hacre, une entreprise de voitures de louage : le nom de l'hètel choisi
par cet entrepreneur lit donner à ces voitures le nom de fiacre.
Carrosses, calèches, brotietles. Oacres, ne sortaient guère de l'en-
ceinte et des environs de Paris : si on voulait entreprendre nn voyage,
il fallait s'en aller à pied ou à cheval.
C'est en 1576 que nous voyons, signalées j)Our la première fois, de
véritables voilures publiques, si connues sous le nom de coches.
U y avait le coche (Tenu et le coche de terre.
Le coche d'eau était une grande barque divisée en plusieurs compar-
timents; dans l'un, on plaçait les voyageurs; dans les autres, les mar-
chandise!. 11 marchait soit à la rame, soit à la voile, soit tiré par des
chevaox on des mulets. Ces coches d'eau sont devenus, dans la pre-
mière moitié de notre siècle, nos bateaux-poste, et — souvenir d'en-
fonce — je me vois encore sur un de ces bateaux, naviguant sur le
canal do Midi.
Les coches de terre, dit Y Encyclopédie, sont de vastes carrosses à
un grand nombre de places : les voyageurs occupent les places, les
marchandises sont situées sur le derrière, le devant est occupé par un
grand ttesn d'osier, qu'on nomme le panier, où l'on met aussi les mar-
chandises et où STnt reçues, à un prix médiocre, les personnes qui ne
trouvent pas de places dans le coche ou qni ne sunt pas en état d'en
prendre.
Aujourd'hui, c'est sous la bûche que l'on case les voyageurs en sur-
plus; * la vérité, ils s'y trouvent en coropaguie des bagages tout
comme ils y étaient Jadis dans le panier du coche.
Sii chevaux étaient attelés ~ deux par deux — à l'énorme véhi-
cule; deux posl liions, l'un monté sur un des chevaux de l'arrière,
l'autre conduisant les chevaux du devant.
La lenteur du coche était devenue proverbiale : un règlement de
16?3 fixait de 8 à 10 lieues au plus le trajet à parcourir dans une
journée d'hiver; en été, on pouvait atteindre de 13 à M lieues.
Jamais le coche ne voyageait de nuit.
Coibert, reprenant l'œuvre de Sully, entreprit de remettre en état
les routes et d'en créer de nouvelles ; les coches se multiplièrent ; eu
1665, il y en avait 45 desservant les diverses provinces du royaume.
Tttrgot, au siècle suivant, voulant transformer et améliorer les
moyens de transport, réunit toutes les entreprises particulières et
créa, sous la direction de l'État, la première entreprise générale de
136 aCISCELLANÊES.
Messageries ; les Toitures publiques, à celte époque, prirent le nom
de turgotines.
Longtemps, bien longtemps avant l'apparition des coches, le seul
moyen de correspondre, d'expédier une marchandise, de se faire
transporter, se faisait an moyen du messager : dés le xin* siècle,
l'Université de Paris avait établi des messagers pour transporter les
jeunes gens qui venaient — - auprès d'elle — faire leurs études, et en
même temps faciliter les relations avec leurs familles.
Ce service était fait par des hommes sûrs; aussi les particuliers s'en
servaient-ils pour voyager, transporter leurs lettres, de l'argent, des
marchandises, si bien que ces Messageries devinrent une grande
source de revenus pour l'Université. Tant que le service de poste
créé par Louis XI ne fut pas autorisé à transporter les lettres du pu-
blic, ce furent les Messageries de l'Université qui eurent, pour ainsi
dire, ce monopole; mais au début du règne de Louis XIII, la poste
royale fut autorisée à faire le service des particuliers: les Messageries
de l'Université ne purent soutenir la concurrence ; d'autre part, il
s'était créé de nombreux messagers particuliers ; elles étaient en pleine
décadence, quand une ordonnance (1672) les réunit à la poste royale:
le fermier de celle-ci devait payer nne redevance a l'Université.
Il y avait aussi un autre moyen de transport — réservé aux seuls ri-
ches,— c'était la chaise de poste : celle-ci date de 1664 ; elle avait la
forme d'une espèce de fauteuil, soutenu au milieu par un châssis porté,
par derrière, sur deux roues. L'inventeur de ces voitures s'appelait La
Grugère; le privilège de les exploiter en fut accordé au marquis de
Crenan, de là le nom de chaise de Crenan. Trop lourdes, elles subi-
rent une transformation et s'appelèrent voitures à soufflets; enfin, au
xvni6 siècle, on créa la chaise à ressorts, qui est encore aujourd'hui la
même, mais perfectionnée.
II y avait donc, au siècle dernier, comme voitures publiques :
Le messager, voiture mixte transportant des voyageurs et surtout
des marchandises;
Le coche, dont la lenteur désespérante provoqua des services pu-
blics plus rapides qui prirent le nom de diligence ;
Enfin, il y avait le coche d'eau.
II.
Le hasard m'a fait trouver — sur les quais — un petit atlas portant
le titre suivant :
L'Indicateur fidèle ou Guide des voyageurs qui enseigne toutes
les routes royales et particulières de la France contenant toutes
tes villes, tous tes bourgs.....
COMMENT L'ON VOYAGEAIT EN FRANGE. 13?
4 d'un itinéraire raisonné et instructif sur chaque
route, qui donne le Jour et l'heure du départ, de la durée et de la
couchée, tant de» coche» par eau que des carrosses, diligences
avec le nombre de lieues que les différentes voitures font par jour.
brossé par le sieur Michel, ingénieur-géographe 4u Roy à l'Observa"
toire, etc.
Mis au jour et rédigé par le sieur Desnos, ingénieur-géographe,
etc.
A faris, rue Saint-Jacques, à V Enseigne du Globe. 1764.
J'avais mis la main tout à la fois sur un Guide-Joanne et un indica-
teur Choix du siècle dernier. Une fort belle image encadrant nne
dédicace à Cassini représente, au milieu d'un paysage, une rivière, un
pont, une route ;
Sur la rivière, le coche d>eau) grand bateau surmonté d'un mit et
traîné par trois choraux qui trottent sur la berge;
Sur le pont, passe une chaise de poste, de Crenan ;
Sur la roule enfin, le coche de terre ou grand carrosse, avec mar-
chandises par derrière, le panier devant ; (rainé par six chevaux, atte-
lés deux par deux et conduits par deux postillons.
, Je réserve tous les détails de ces itinéraires pour la région de l'Est;
je parlerai sommairement de ceux du reste de la France :
Tous les deux jours, partait de Paris une diligence qui atteignait
Lyon en cinq jours; de Lyon à Marseille il en fallait sept et, il n'y avait
qu'un départ par semaine : le voyage de Paris à Marseille demandait
ûonc douze jour s .
De Paria on s'en allait tous les mardis pour Bordeaux et après qua-
torze iours on arrivait à Blaye pour s'embarquer et remonter la Gi-
ronde puis la Garonne jusque Bordeaux; un jour était nécessaire poor
celte navigation, soit en tout, de Paris à Bordeaux, qui?ize jours ; il en
Uhit seize au coche qui, toutes les semaines, se dirigeait sur Tou-
louse; huit de tarit à Santés, de Paris à Rennes, de Paris à Cher-
bourg (dont cinq pour atteindre Caen) ; trois de Paris i Rouen, etc.
Les provinces du Nord étaient mieux desservies : de Paris à Lille on
mettait deux jours, la première journée était de 21 heures, la seconde
de 19.
Trois jours étaient nécessaires poor atteindre Bruxelles, Dunkerque,
Saint-Quentin, Amiens......
fl y a, dans le Guide fidèle, des nota bien intéressants
« Suivant le rapport de M. Gauveron, sous-fermier à Amiens, il n'y a
ni jours ni heures fixés pour les voitures d'Amiens à Doullens, Sainl-
Omer, Dunkerque, Calais, Abbeville, Montreuil et Boulogne; la plu-
138 MISCELLANÉES.
part desdites voitures ne sont que des routiers qui chargent povr
différentes villes tant voisines que du royaume, >
« Suivant le rapport de M. Labitte, sons-fermier de Beauvais, il n'y a
autres voitures publiques qui conduisent à la Tille é%Su que des rou-
tiers qui ne marchent que lorsque leurs voitures sont complète* et,
par conséquent, n ont aucuns jours fixés. »
Voici le détail d'un voyage de Paris à Londres par Calais :
Tous les mardis et vendredis partait de Paris une voiture qui arrivait
à Arras en quatre jours ; tous les mardis et samedis un autre carrosse
se dirigeait sur SaùU-Omer; il fallait deux jours. A Samt-Omer, on
s'embarquait sur un coche d'eau et, en une journée, on arrivait enfin à
Calais : en tout, sept jours. A Calais, il n'y avait aucun jour fixé pour
rembarquement.
De Douvres on gagnait Canterbury, Rochester, Dartford, et enfla
Londres.
D'autres voyageurs passaient par Rouen et Dieppe, et s'embarquaieot
pour Newhaven.
111.
Plusieurs services publics se dirigeaient vers l'Est :
De Paris à Reims : deux jours ;
De Paris à Sedan : six jours ;
De Paris à Bdle : dix jours, passant par Troyes, Lahgres (6 jours} et
Bel/ort (9 Jours).
De Paris à Nancy et Strasbourg : douze jours.
Voici le détail de ce voyage :
{ajournée. — Le carrosse de Strasbourg partait de Paris tons les
samedis à six heures du matin et passait par Pantin , Bondy ; dînait à
Ville-Parisis (midi), à Claye, couchait à M eaux, où il arrivait à sept
heures du soir : treize heures et dix lieues.
2e journée. — Départ à six Jieures du matin ; diner à ta Ferté-sovs-
Jouarre (1 1 heures j ; coucher à Chdteau-Thierry : dit lieues en treize
heures.
3e journée. — Départ à quatre heures du malin; dîner à Dormant
(|0 heures) ; coucher à Êpernay : quinze heures et neuf lieues.
4e journée. — Départ à six heures du malin, dluer à Jalons, coucher
à Chdlons : sept lieues parcourues en douze heures.
ajournée. — Départ à six heures du matin; arrivée et coucher*
Vitry : sept lieues en douze heures !
6e journée. — Départ à trois heures du matin-; dîner à Saint-Di-
zier, coucher à Bar-le-Duc, où l'on arrivait à 7 heures du soir, ayant
tait onze lieues en dix-sept heures.
COMMENT L'ON VOYAGEAIT EN FRANGE. 139
V journée. — Départ k quatre heures du matin, traverse Ligny,
dînera Saint- Aubin, couchera Void: neuf lieues en quinze heures.
ajournée. — Départ à quatre heures du matin ; arrivée à Tout à
1 1 heures, où Ton dînait; à six heures du soir, on atteignait Nancy, où
l'on eoachait.
ajournée. — Départ de Nancy à quatre heures du matin ; arrivée à
Saint-Nicolas à 7 heures du matiu ; à U heures à Lunéoille, où Ton
disait, et à 6 heures du soir à Herbéviller, où Ton couchait.
10e Journée. — Départ à quatre heures du matin ; arrivée à Me-
nant à six heures du matin; à midi à Béming, où l'on dîne; et à
6 heures du soir à Sarrebourç, où Fou couche.
11° journée, — Départ à quatre heures du matin ; arrivée à Phals-
tsurg à sept heures; à Saverne à midi (dîner) e! a Wiltheneim (?), où
Ton couchait.
lî* journée. — Départ i quatre heures du matin de Wiltheneim (?),
pour arriver à Strasbourg à dix heures du matin.
De Paris à Metz : huit jours.
< Le carrosse de Metz part de Paris tous les jeudis à six lieures du
**tin et suit le même ordre que le carrosse de Strasbourg Jusqu'à
Châfau, où il arrive tous les dimanches i si* heures du soir. »
Le lundi, il part à quatre heures du matin pour aller coucher à
Seiste-Menehould, où il arrive à sept heures du soir.
Le mardi, il dloe i Ctermont et couche à Verdun.
Le mercredi, il dîne à Manheut et couche à Mars-la-Tour.
le jeudi, il part à quatre heures du matin pour arriver à Metz à dix
heures du matin.
Toutes les semaines, à trois heures du malin, un carrosse sortait
te Nancy se dirigeant sur Besançon. On dînait à Bain vil le, où Ton ar-
rittit à midi et demi, et le soir à huit heures, à Mirecourt, où Ton cou-
dai!.
A six heures, le lendemain matin, on repartait pour Vesoul où, après
«voir passé la nuit, on atteignait, le troisième jour, i sept heures et
demie du soir, Besançon ('}.
IV. .
Le Guide fidèle donne un itinéraire à' Amsterdam à Marseille : il
i^l» G aide jUiU commet évidemment ici une erreur; 11 fallait plu» d'une jowr-
Wr de cocke pour aile* de Mirecourt à Vesool. Il fait partir ce coche à C heures du
■attode Mireeaurt pour le faire arriver 4 midi 4 Fa^ernty / et donne comme dis-
tance de Mirecourt & Vesoul S lie net. Denx Journées doraient être nécessaires pnui-
I*rcourir la distance de Mirecourt 4 Vesoul. La durée totale du trajet de Nancy à
Besançon était de quatre jours et non de trois.
p
140 MISGELLANÉES.
fallait changer treize fois de véhicule; passer d'une diligence dans uu
coche; d'un coche monter dans un messager; vingt et un jours de
voiture étaient nécessaires pour accomplir ce voyage ; à ces 2 1 jours*
ii fallait ajouter le temps perdu à attendre les correspondances, bien
heureux quand on ne les manquait pas ; car la plupart de ces voitures
ne se mettaient en route qu'une fois par semaine.
On allait, voyageant nuit et jour (28 heures), à' Amsterdam à Bruxel-
les ; cette diligence partait tous les deux jours ; une autre se dirigeait
sur Namur (12 heures). Là, on ne trouvait plus qu'un service hebdoma-
daire qui employait une Journée entière pour gagner Rocroy.
De ftocroy on avait le choix entre deux itinéraires pour gagner Dijon,
où Ton retrouvait la diligence de Lyon et le coche de Marseille :
1° par Reims, ChAlons, Troyes, c'e*t-à-dire par la Champagne; 2° par
./ Mézières et la Lorraine ; c'est ce dernier que nous allons suivre :
De Rocroy à Mézières; de cette dernière ville pour aller à Verdun,
on mettait deux jours; un jour pour atteindre Saint- Mikiel ; un messa-
ger prenait le voyageur, et, dans une demi-journée, le conduisait à
Commercy ; un autre messager employait le même temps pour arriver
à Vaucouleurs ; un troisième enfin, parti à 6 heures du matin, entrait
à Neufchdteau vers 3 heures du soir.
De Neufchâtean à Langres et de cette dernière à Dijon.
De Strasbourg à Vienne, il y avait ! un service régulier : on pouvait
prendre une diligence qui marchait nuit et jour ; elle était conduite par
des chevaux de poste ; le prix ordinaire, est d'un demi-florin par che-
val, et pour le postillon quatre kreutzer.
On pouvait, à Ulm, abandonner la route de terre et descendre le
Danube jusque Vienne; ce mode de transport était bien moins cou*
teux que la diligence ; mais il n'était pas exempt de dangers : la carte
qui indique cet itinéraire donne cinq « passages dangereux par les
roches sous l'eau » ; en d'autres points, ce sont des roches qui émer-
gent au-dessus du niveau de l'eau : < perpendiculaires », comme dit
le Guide fidèle.
On trouvait à Ulm, en sus du bateau public, des bateaux particu-
liers; le prix pour aller à Vienne s'élevait à cinquante-deux florins on
cent treize livres.
Le voyage dTJlm à Vienne, par eau, demandait sept jours ; on cou-
chait à Donauwert, Wo h bourg, Slraubing, Passau, Linz et Tull (?); il y
avait dix « droits de passage » à acquitter.
Le Guide fidèle ne donne pas le temps employé par la diligence à
parcourir la distance de Strasbourg à Vienne.
QUELS SONT LES VRAIS DÉCOUVREURS DU 8ÉNÉGAL. 141
Y.
Aujourd'hui, on parcourt en quelques heures ces distances qui de-
mandaient des jours entiers aux lourds coches du siècle dernier; c'est
par quelques rapprochements que je terminerai ce petit travail :
De Paris à Nancy, le coche mettait, en 1764, huit jours; aujour-
d'hui il faut, à un train express, six heures et demie;
De Paris à Belfort, le coche : neuf jours; le train : sept heures;
Paris à hongres, coche ; six jours; train : cinq heures;
Paris à Sedan, coche : six jours- train : six heures et demie ;
Paris à Reims, coche : deux jours ; train :' trois heures ;
Paris à Lyon, coche : cinq jours; train : huit heures et demie ;
Paris à Marseille, coche : douze jours; train : quinze heures;
Péris à Bordeaux, coche : quinze jours ; train: neuf heures;
Paris à Toulouse, coche : seize jours ; train : quinze heures ;
Paris à Nantes, coche : huit jours; train : huit heures;
Paris à Rouen, coche : trois jours; train: deux heures et demie;
Paris à Li/fe, coche : deux jours; train : quatre heures;
Paris à Calais, coche : sept jours; train : *tx heures.
A. Fournier.
Quels sont les vrais découvreurs du Sénégal.
Qai, des Français on des Portugais, a l'honneur d'avoir découvert le
Sénégal et d'y avoir installé des comptoirs? La Revue britannique
publie au sujet du Sénégal une étude dont le passage suivant résout
la question posée :
Les Français ont occupé les rives du Sénégal dès 1361, mais nos
établissements alors n'étaient que des loges ou comptoirs commerciaux
où l'on trafiquait de la poudre d'or et de l'ivoire. On a longtemps dis-
cuté à qui revenait, des Français on des Portugais, la priorité de la
découverte des côtes occidentales de l'Afrique : la question a été sa-
vamment étudiée dans l'un et l'autre sens par MM. d'Avezac, Estancelin,
le baron Walckenaer et le vicomte de Santarem. Bien avant eux, un
religieux qui avait visité ces contrées au commencement du xvme
siècle et leur avait consacré un important ouvrage, le R. P. Labat,
écrivait: i 11 y a des apparences très bien fondées que les Nor-
mands, et particulièrement les Dieppois, auraient reconnu, fréquenté
et visité les côtes d'Afrique dés le commencement du xiv* siècle,
puisqu'on sait positivement et d'une manière à n'en pouvoir douter,
142 * MI8CELLANÉES.
que leur commerce était établi à Ru flaque et le long de la côte tt
bien au delà de la rivière de Sierra- Leone dès le mois de novembre
1364. » Et la preuve citée par le F. Labat à l'appui de son assertion
est que les marchands de Rouen s'associèrent aux marins dieppot*
pour exploiter en commun le commerce des côtes occidentales de
l'Afrique. L'incendie de Dieppe (1694) brûla les archives municipales,
où était conservé cet acte de société ; mais, selon le P. Labat, un avo-
cat de cette Tille en possédait une copie ; n'ayant pu se rappeler le
nom de cet avocat, il le laissa en blanc dans sa Relation, et donna
ainsi le champ libre à ses contradicteurs. Le P. Pournier, qui publia
son Hydrographie bien avant l'ouvrage du 1*. Labat, dit que, « avant
que les Portugais nous eussent enlevé le château de la Mine, toute la
Guinée était remplie de nos colonies, oui portaient les noms des vides
dont elles étaient sorties • ; et M. de Santarem, dans le travail publié
par lui en faveur de la priorité de découverte des Portugais, douce
comme preuve de la fausseté des navigations des Normands que pas
un auteur avant Yiilault de Bellefonds (1668) n'a pensé à les mentionner.
« Georges Fournier, ajoute-t-il, dans son grand ouvrage publié sar
l'hydrographie en 1643, ne dit pas un mot des prétendues traditions
touchant les Dieppois, bien qu'il fût Normand. » On voit que M. de
Santarem s'est gravement trompé et qu'il a fourni lui-même des armes
contre sa thèse; appuyant son opinion sur celle qu'il prête au P. Four-
nier, il devait nous permettre de renforcer la notre avec celle que l'on
trouve réellement dans son livre. Les preuves les plus concluantes
existaient cependant en faveur de la priorité des Normands. Le voya-
geur Villault de Bellefonds, dans sa Relation des côtes d'Afrique, entrait
à cet égard dans les détails les plus minutieux, citait les points occu-
pés par nos marins, les noms qu'ils leur avaient donnés: il parait
même qu'il restait des traces matérielles de leur passage sur les murs
des fortifications rcoccupées par les Portugais, mais soigneusement
effacées par ceux-ci. Enfin, dans le traité conclu le 15 décembre 1687
par du Casse avec le roi du Gommeudo pour nous céder le village
d'Aquitagny, le prince rappelle les anciennes relations de ses prédé-
cesseurs « pendant le séjour des Français sur cette côte, qui a été de
plus d'un siècle ».
Toutes ces preuves cependant n'étaient pas suffisamment concluantes
au point de vue de l'histoire, quand un heureux hasard fit connaître
à l'un des savants qui connaît le mieux notre histoire maritime.
M. Margry, un document de la bibliothèque de M. Carter à Londres,
lequel tranche définitivement la question sans laisser la moindre place
ù la discussion et en justifiant complètement les allégations de nos
vieux écrivains. Ce document est la ■ Briey estoire del narigaige
QCKLS SONT LES VRAIS DÉCOUVREURS DU SÉNÉGAL. 143
JooBsfrc Jehan Prunaut, Roanois, en la tiere des noirs bornes et laies
à nous incogneus avec les estranges façons de vivre desdits noirs et
one colloque en lor langaige » .
An mots de septembre 1364, y lit-on, les marchands dieppois et
nroennais armèrent deux bâtiments sons le commandement de Jehan
li Roanois pour les envoyer au Sénégal, « où onc n'avoicnt esté encoire
cil Normandie ». An premier abord, Jes nlgrcs, « qui onc n'a voient vu
homes blancs*, s'enfuirent épouvantés, mais on les apprivoisa facile-
ment avec quelques présents et Ton entama aussitôt des échanges, et
qos marins repartirent en annonçant leur retour pour Tannée suivante.
Jehan li Roanois revint en effet avec quatre navires: de violents coups
reots Jes désemparèrent asses gravement pour que leur commandant—
peut-être même fut-ce un prétexte — demandât l'autorisation de cons-
truire quelques cases à lerre pour loger ses hommes et ses marchan-
dise! : il l'obtint facilement, « et de ce feras- là commença li fait de
marchandise avec li nation de Normandie et cils homes noirs ».
b 1379, Jehan li Roanois revint de nouveau sur la Notre- Dame-de-
fem-Koya^e, mais à l'automne seulement, parce qu'au dernier voyage
bit en été les maladies avaient décimé son équipage et enlevé no-
tamment son frère Légier; cette fois, il rapporta une certaine quan-
tité de poudre d'or, et, en débarquant à Dieppe, il trouva le roi dans
cette ville. lequel chargea le comte de Pontliieu de le lui amener, • et
fat moult bien receus du Rois, de ses barons et damoiselles ». Il l'ac-
cueillit avec une grande faveur et lui Ût raconter ses voyages; puis il
lui Ût don d'un domaine important et le nomma amiral. C'est de ce
Jovr qoe Jehan prit le nom de Prunault, qui signiliait, explique-t-on,
hardi marin, preux navigateur. De Dieppe, il alla à cheval à Rouen, où
il fat reçu par l'archevêque avec son clergé, lui sachant particulière-
ment gré d'avoir fondé sur la côte d'Afrique une chapelle de\>"otre-
Dame.
11 reprit la mer en 13S0 avec trois navires, la Notre-Dame, le Saint-
\iaUaset Y Espérance, et vint aborder à la Mine, lieu ainsi nommé à
cause de la quantité de poudre d'or qu'on y négociait ; il y Ut construire
nn petit fortin avec une maison carrée qui reçut le nom de Prunaus;
d'autres postes reçurent les noms de Petit-Dieppe, de Petit-Rouen, de
Petil-Germoulruville et de Petit-Paris. « L'an mil 1111 cl dix, lit-on à la
fia do manuscrit, se départit grant plants des mariniers de .Normandie
et les merchants perdirent lors richesses qui estoient mangiées par
les gaeres qui lors estoient et en onze ans dens naus a tôt seulement
akreut à la co.s tiere d'or et un por le grand Siett et petit après les
guerres estant moult estormes sur eaues corne sur lierre les besoignes
de marchandises furent destourbees et dtstroiles. •
144 MJSCELLANÉES.
La question peut donc être désormais considérée comme Jugée et k
priorité de la découverte des côtes occidentales d'Afrique revient bien
positivement aux marins normands.
M. STANLEY
VAfrikaan, le bateau de service de la nouvelle Société africaine, a
rapporté du Congo, sur la seconde expédition de Stanley, d'intéressants
détails qu'un correspondant du Journal des Débats résume en ces
termes :
En décembre dernier, partait de Londres pour Cadix un navire, sous
le nom de Ready, avec un chargement de charbon et autres marchan-
dises. Le Ready, pendant le trajet, a changé de nom et est devenu le
Earhaway. En arrivant à Cadix, il a pris à son bord M. Stanley qui,
disait-on, soignait une maladie contractée dans ses longs voyages do
centre de l'Afrique, mais qui s'est trouvé, à l'arrivée du Harkaway, en
parfait état de santé. Le Barkaway a pris immédiatement la directioa
du Congo et a jeté l'ancre devant Banana. Banana est une langue de
terre fort étroite qui sert de quai de débarquement aux Hollandais. Le
lendemain même du jour de l'arrivée de H. Stanley, un second navire
anglais, le Chittagong, de 3,000 tonnes, mouillait dans la baie, appor-
tant de Zanzibar trois cents nègres, rudes et forts gaillards armés de
fusils à tir rapide, que le chef d'expédition est venu recevoir en
personne.
Il s'est produit un ineident qui prouve une fois de plus que M. Stan-
ley n'est rien moins que scrupuleux sur le choix des moyens.
Pour déterminer le capitaine du bateau frété à Zanzibar à se rendre
au Congo, il s'était engagé à lui procurer un fret de retour. Une fois au
Congo, M. Stanley n'a rien voulu entendre. Le capitaine a dû se retirer
Gros-Jean comme devant, décidé à porter plainte. Stanley et ses hommes
n'ont fait que passer à Banana. L'expédition s'est aussitôt mise en route
pour le Haut-Congo, mais la veille de son départ, M. Stanley avait dîné
chez le chef de la station hollandaise et s'était répandu en injures
contre M. de Brazza, frappant du pied: t Je lui prépare, s'est-il écrié
souvent, une chaude réception. » Il n'a pas été moins violent contre
les Hollandais qui lui ont offert l'hospitalité et lui ont rendu les plus
grands services.
Et cependant l'Association internationale africaine, dont M. Stanley
est l'agent, n'a nullement songé à contester la validité du traité conclu
EXPÉDITION SCIENTIFIQUE DANS L'AFRIQUE ORIENTALE. 145
par ï. de Brazza arec le roi Makoko. Un des membres de cette Associa-
tion écrit an Figaro pour faire cette déclaration et il ajoute:
L'Association, font an contraire, a donné Tordre formel i tous ses
agents de respecter de la manière la plus scrupuleuse les acquisitions
françaises faites au Congo en vertu du traité Brazsa-Makoko, que les
Chambres ont sanctionné.
L'Association, d'ailleurs, a fait connaître depuis des années dans quel
bat elle avait été créée et les moyens auxquels elle comptait recourir
pour se développer. Rien n'est changé dans ses intentions, quoi qu'on
puisse dire.
Une expédition scientifique hambourgeoise dans
les régions équatoriales de l'Afrique orientale.
(Traduit et extrait du Bulletin de la Société de géographie de Ham-
bourg, par M. Wbissahdt, membre de la Société.)
Il est un fait incontestable qu'après l'Angleterre, c'est à l'Allemagne
que revient l'honneur d'avoir contribué pour la plus grande part à
louîerture de l'intérieur de l'Afrique. En ce qui concerne véritablement
le domaine allemand, c'est plutôt l'Afrique orientale qui a été le but
des efforts tentés par le commerce et les sciences. Ici, il y avait avant
tout les maisons de commerce hambourgeoises, lesquelles excitèrent
an moavement commercial les cultivateurs et les indigènes civilisés-
il y avait ici aussi et principalement, des missionnaires et des savants
allemands, qui contribuèrent beaucoup à faire respecter leur influence
méconnue. L'existence de montagnes couronnées de neiges fut constatée
parRebmann qui découvrit, en 1848, le Kilimandjaro, et par Krapf qui
découvrit, en 1849, le mont Kenia. Ce sont Rebmann et Erhardt qui,
snr les bases de sérieuses recherches, dessinèrent ces cartes renom-
mées de l'Afrique orientale et centrale, sur lesquelles figure le lac
Dkerewe sur une étendue de 12 degrés. Celte production, qui paraissait
pour la première fois, fut la cause de l'impulsion donnée aux éminents
voyageurs explorateurs anglais, Bnrton, Grant et Speke. Plus tard, en
1859, ce fut le réputé docteur Albert Hocher qui se rendit en Afrique
pour faire l'ascension du Kilimandjaro, dans ie but de rechercher le
lac Nvassa, qui était à l'état problématique ; malheureusement, ses in-
vestigations lui coûtèrent la vie. One année après, le liauovrien baron
Nicolas de Decken se rendit de Moinbasa, en traversant les pays de
Wanika et Waleita, au mont Kilimandjaro, qu'il gravit à une hauteur de
•00. DE QEOOR. — 1" THIMS9TRB 1883. 10
146 MISCELLANÉES.
«,360 pieds anglais, estimant que cette montagne devait avoir une bail-
leur de 18,710 pieds anglais. En octobre 1862, de Decken et le D'Otto
Kersten ûrent une deuxième ascension du Kilimandjaro, et cette fois
ils atteignirent la hauteur de 14 , 1 60 pieds anglais ; les explorateurs étu-
dièrent les couches géologiques de cette montagne et reconnurent le
terrain d'origine volcanique. En 1863, de Decken et Kersten entre-
prirent f exploration par mer d'une partie de la côte orientale, visitè-
rent lbo et Lamu et quelque temps après retournèrent en Allemagne,
Ces beaux résultats obtenus ne laissèrent à Decken aucun repos;
aussi rinfatigable explorateur, poussé par le besoin d'action, quitta
de nouveau son pays en 1864. Mais cette fois il prit avec lui deux pe-
tits bateaux à vapeur dans le but de remonter les fleuves de l'Afrique
orientale, l'Osi-Tanaet le Jub (Danna et Djouba), afin de pénétrer aussi
loin que possible dans l'intérieur de l'Afrique orientale. Il est reconnu
que de Decken et une grande partie de ses compagnons furent massa*
crés par une tribu de Çômalis. Le précieux matériel de géographie et
de sciences naturelles dont disposait l'expédition de Decken a été
l'objet d'un ouvrage en 4 volumes fait par M. Otto Kersten, et qui de
tout (emps sera un ornement de la littérature allemande.
Tour éclaircir le malheureux sort gui était tombé en partage à l'ex-
pédition de Decken, on chargea Richard Brenner de cette mission, lequel
se rendit aux fleuves Tana et Jub; de là il arriva à Berdera, se dirigeant
après vers la côte Est ; mais très souvent, pendant ses recherches, les
nouvelles de Brenner restaient obscures. Indépendamment de Decken,
ce fut avant tout l'envoyé de l'institution Charles Rilter et de l'Aca-
démie des sciences de Berlin, J. M. Hildebrandt, qui, malheureusement,
mourut en 1&81 à Madagascar ; c'est lui que, après avoir quitté Zanzibar,
nous avons retrouvé, de (875 à 1877, sur divers chemins de la région
des Alpes du Kilimandjaro et Kenia.
En juin 1876, il y avait l'ingénieur Clémence Denhardt, né à Zeitz
(Hollande), demeurant alors à Berlin, qui dressa le plan détaillé d'une
nouvelle expédition allemande, dans le but de protéger nos nationaux
en attendant l'ouverture de l'intérieur de l'Afrique orientale équatoriafe.
Pour atteindre son but, il créa des comptoirs de commerce et obtint
ainsi la faveur des indigènes; il se mit en rapport avec les tribus des
Galla et Çomalis et Ht en même temps des observations scientiflques.
Pour mettre à exécution tous ces plan?, la Société de géographie de
Hambourg et les commerçants de cette ville vinrent à son aide, de
telle sorte que fin 1877, son expédition fut à même d'agir. Une année
avant le départ de cette expédition, le doctenr-médecin 0. A. Fischer,
de Banncn, se rendit à Zanzibar aûn de soigner les préparatifs de l'en*
treprise de Denhardt. En attendant l'arrivée de ce dernier, qui eut lieu
EXPÉDITION SCIENTIFIQUE DANS l'aPRIQUB ORIENTALE. 147
en 1878, le D* Fiseber employa son temps à faire des excursions dans
le Sud des pays de Gatla et dans le pays de Wito, dont le sullan pria
Richard Brenner de dire à son gouvernement la sympathie qu'il avait
pour loi et qu'il offrait au ministre prussien des affaires étrangères la
suzeraineté de son territoire.
La Société de géographie de Hambourg, 1876-1877, a fait insérer des
communications très détaillées sur les voyages du Dr Fischer.
Dennardt quitta Hambourg le 19 décembre 1877. et c'est en mai 1878
qu'il arriTa à Zanzibar. Après avoir fait préalablement quelques excur-
sions sur la côte de Zanzibar, Denbardt et Fischer dirigèrent leurs pas
vers le Nord jusqu'au fleuve Tana. Us remontèrent ce cours d'eau jus-
qu'à Massa et là, par suite de maladie et manque de ressources, ils
furent obligés de retourner à Zanzibar, en décembre 1878.
tes résultats de ces voyages se trouvent, accompagnés de carti s,
dans un rapport publié, année 1881, 1™ livraison, de la Géographie
Petermann. Pendant qu'en juin 1879, Denbardt s'en revint en Allemagne,
son compagnon, le D' Fischer, demeura jusqu'à ce jour à Zanzibar, pra-
tiquant avec succès la médecine et la physique. Le 1" octobre de celte
année, Fischer abandonna ce poste lucratif, afin de mettre à exécution
nn plan préparé depuis 5 ans et qui consiste à faire une exploration
plus vaste dans les régions équatoriales de l'Afrique orientale. Le 4 mai
de cette année, Fischer écrivit à la Société de géographie de Hambourg
qu'il se proposait de faire une expédition spécialement hambourgeoise,
mais à la condition que la Société mit 15,000 marcs à sa disposition et
qu'à cette somme il ajouterait ses propres ressources. Dans la séance
do S octobre, tenue par la Société de géographie, la demande en ques-
tion fut accordée. Avec l'aide de l'institution Averhoff et les dons vo-
lontaires de quelques membres de la Société, on atteignit dans l'espace
de peu de temps la somme de 15,200 marcs. Dans sa dernière séance,
la Société de géographie lit part de l'encaisse réalisée, déclarant que
cette somme serait mise immédiatement à la disposition de l'expédi-
tion Fischer.
Cet heureux événement permettra à la Société de géographie ham-
bourgeoise de ne plus être à la remorque des autres sociétés et insti-
tutions, et surtout, pour la première fois, prendre d'elle-même une part
active et directe à cette nouvelle exploration africaine, avec l'espoir
de la mener à bonne On pour la gloire de la science et du commerce.
En ce qui concerne a présent la personne de Fischer pour la direction
de l'exploration hambourgeoise, il y a tout lieu d'avoir confiance en
lui et de compter sur tous ses efforts pour la mener à bonne fin.
Il est certain qu'après cinq années durant de voyages scientifiques et
de stationnements dans l'Afrique orientale, il est de toute notoriété
1
48 MISCELLANÉES.
sans faire de personnalité, que Fischer est seul à môme d'entreprendre
cette mission. Habitué qu'il est au climat, aux privations de tous genres,
familiarisé avec le langage, les us et coutumes de ces peuplades, il
arrivera sûrement à assurer le développement des établissements de
nos nationaux à Zanzibar.
Dans de semblables conditions, nous rivons avec le ferme espoir et
la sincère conviction que le voyage de Fischer réussira.
Fischer compte partir de Pangani en novembre et s'adjoindre une
caravane arabe forte de 600 à 800 hommes pour se rendre aux lacs in-
connus de l'Afrique orientale, lesquels se trouvent à l'Est du territoire
du lac Victoria-Nyanza. 11 y a trois endroits de la côte qui fournissent
des caravanes pour cette destination ; ce sont les villes de Pangani,
Mombasa et Tagaunkou. Fischer a désigné Pangani comme point de
départ, d'abord parce que de cette ville on arrive assez vite sur des ter-
ritoires inconnus jusqu'ici, en second lieu, parce que la route se pour-
suit à traders la région des montagnes couronnées de neige, et enfin
et surtout, parce que la Société de géographie de Londres se propose
de faire une nouvelle expédition sous la direction d'un homme expéri-
menté, Joseph Thomson, lequel prendrait comme point de départ Mom-
basa et se dirigerait vers les pays de Massai. Aussi faudra -t-il trouver
à Pangani des gens convenables et d'expérience pour faire un sembla-
ble voyage, comme pense le faire le Dr Fischer.
À la dernière station arabe commerçante, à Sambourou ou au iac
Baringo7 Fischer se propose de rester aussi longtemps que possible,
pour prendre des notes scientifiques et faire des excursions dans les
alentours du territoire et surtout, s'il y a possibilité, se rendre à Borani,
Galla et plus loin visiter le Djouba pour revenir par le pays des Galla,
D'après tout ce qui précède, ce voyage aura bien une durée d'un an.
Tous les résultats ayant trait à la géographie et à l'ethnographie,
ainsi que ce qui concerne les sciences, sera exclusivement acquis à la
Société de géographie hambourgeoise.
Ce voyage à travers les pays inconnus de Galla et Çomali jusqu'aux
côtes, voire même jusqu'en Abyssinie, s'il doit réussir à Fischer, sera
certes pour les géographes l'accomplissement d'un vœu formulé depuis
longtemps. Plus que jamais, les recherches du Dr Fischer sur les ter-
ritoires africains ont mis en lumière les efforts de cet homme savant
et intrépide.
11 y a peu de temps que, du Nord, les efforts constants des explora-
teurs italiens Secchi et Ghiarini réussirent pour arriver dans le Choa,
Haiïa et Enarca; de là fut aussi envoyé par la Société allemande afri-
caine le Dr Stecker, lequel, dans son nouveau voyage vers Oape, Koofara
et l' Abyssinie, fut accompagné par Gerhard Rohlfs afin d'atteindre les
LA GUERRE AUX ISTHMES. 149
eôtes de Zanzibar. Lorsque Joseph Thomson, l'heureux compagnon de
Keith Johnstons, après ses malheureux voyages vers le Nord des lacs
.N Tissa, fut envoyé par la Société royale de géographie de Londres,
pour aller de Mombasa à Victoria-Xyanza. et de là s'ouvrir un chemin»
il se dirigea; en 1881 , à travers le pays des Habab.
Le baron Jean de Millier, de Beideiberg, se propose également, en 1 883,
démettre ses études en pratique et faire de nouvelles recherches dans
tes montagnes neigeuses de l'Afrique orientale.
5oes espérons, avec les progrès de la science et l'aide que donne
notre Société de géographie à nos concitoyens, contribuer pour une
grande part a la connaissance complète des terres inconnues de l'Afrique
orientale équatoriale.
LA GUERRE- AUX ISTHMES
il existe en Russie un projet de percement de l'isthme de Pérékop,
qui rattache la Grimée au continent. Un canal maritime relierait ainpi
directement Odessa à la mer d'Azov et aux terres à blé des rives du
Don. Cette question n'est pas sans intérêt pour le reste de l'Europe,
car le détroit de kertch, qui relie la mer d'Azov à la mer Noire se gèle
souvent en hiver, ce qui est un obstacle à l'arrivage des grains.
L'eau pourrait toujours être maintenue libre dans le nouveau canal
maritime destiné à éviter le détour du détroit naturel.
[Xautical Magazine.)
Ou prête aux Américains le projet de percer l'isthme do la Floride
d'aa eanal maritime, pour éviter aux navires qui vont à la Nouvelle-
Orléans le dangereux passage du canal de la Floride, canal qui a une
mauvaise réputation à cause de ses courants violents, ses récifs, ses
tempêtes et ses calmes plus dangereux encore pour les voiliers.
On évalue à vingt-cinq millions de francs le montant annuel des
avaries et naufrages dans ce détroit.
(Test l'embouchure du Saint-John qui servirait d'amorce au canal du
côté de l'Atlantique et la rivière Suwence lui servirait de débouché
daos le golfe du Mexique. Bien que la Floride soit un pays plat, le
tr&vajl n'en sera pas moins considérable, car les roches de coraux qui
constituent le sol sont très dures et la péninsule a 20(X kilomètres de
large de l'Est à l'Ouest.
CM.
GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE (Suite)
LES VOYAGEURS INCONNUS
UN VOSGIEN TABOU A NOUKA-HIVA
[Suite (!).]
CHAPITRE VU.
Je m'établis colon. — Le missionnaire. — Voyage et expédition a
Taioa. — Je suis envoyé en parlementaire. — Retraite et prise
de Hana-Hotago. •
Comme militaire, ma situation n'a pas changé, et, bien que tri»
apprécié du gouverneur, je ne reçois pas le moindre avancement.
J'ai donc fait une demande de congé provisoire pour m' établir colon à
Nouka-Hiva. M. Brunet, qui a succédé à M. Amalaric, me demande si,
malgré mon congé quim'arrive le 1er avril 1846, je lui servirai toujours
d'interprète. Je l'assure que je serai toujours à sa disposition quand il
le jugera nécessaire et que j'entends ne pas cesser d'être utile à mon
pays.
M. Meunier, lieutenant du génie, me trace la concession de terrain
qui m'est accordée ; deux vieux sauvages, qui me furent toujours
dévoués, m'aident à construire une petite maisonnette, dont plusieurs
autres naturels me fournissent la plupart des matériaux tout préparés;
les deux aveugles me donnent la tresse de racine de cocas qui me sert à
coudre toute ma case et. au bout d'un mois, Je suis installé dan3 ma
résidence qui est appelée : le Petit Bonheur. Elle n'est pas grande ;
elle occupe un carré de cinq mètres de côté. La porte de la façade
donne du côté de la mer, et elle est flanquée d'une fenêtre munie de
volets de chaque côté. Le toit fait plafond et une couche d'argile bien
serrée et battue sert de parquet. Un hamac suspendu à la faîtière, uu
coffre, une table, deux tabourets en bois : voilà tout l'ameublement
Quant à la batterie de cuisine, une casserole, un couteau, une cuiller
et une fourchette en forment toute la composition. Rien d'étonnant:
j'étais à 6,500 lieues de mon pays et à 1 ,000 lieues de toute civilisation.
(>) Voir le Bulletin du 4< trimestre 1882, p. 697.
LES VOYAGEURS INCONNUS. 151
Me Toilà donc propriétaire. Tout à la joie, je cultive avee ardeur mon
petit endos, je l'ensemence et j'en espère des résultats satisfaisants,
quand, hélas ! mes forces trahissent mon ardeur, et au bout de quinze
jours de travail, une fièvre pernicieuse m'abat complètement. Après
bien des hésitations, je consens à aller à l'hôpital où je suis soigué en
compagnie d'autres malades que l'épidémie a frappés comme moi.
Pourtant, y ers la fin de mai je pais revenir chez moi, guéri mais en*
core bien faible. Quatre ans sous ces latitudes suffisent pour ébranler
profondément la santé et surtout pour affaiblir beaucoup la vue. Pour
moi, je n'y vois presque plus.
Il y a à côté de moi un missionnaire, M. Dumontreuil, homme cha-
ritable et bon, travailleur intrépide qni cultive et récolte beaucoup et
se fait un bonheur de donner les provisions qu'il amasse aux chefs du
corps d'occupation pour les distribuer aux soldats. Aussi ceux-ci l'ai-
ment et le vénèrent comme un saint homme qu'il est. Mais cela ne fait
pas le compte de ceux qui renvoient et, dans une récente visite que
loi a faite M*f François de Panle, il a essuyé d'amers reproches de ce
qa'ii ne s'occupait pas assez de la conversion des sauvages. Ce n'est
pourtant guère la faute du digne homme qui ne comprend pas un mot
de la langue du pays. Mais je ne tarde pas à lui enseigner ce que je
sais et peu à peu il finit par s'y mettre.
Deux autres soldats ne tardent pas à s'établir à mon exemple et nous
bous trouvons, à la fin de 1846, huit colons établis à peu près (jans les
mêmes conditions que je le sois. Nous vivons tous en bonne intelli-
gence et j'ai reçu depuis bien des marques dé sympathie de tous mes
compagnons.
Je suis resté l'interprète du gouverneur, qui m'accorde toujours un
grand crédit bien que je n'aie jamais favorisé la délation des sauvages
qu'exploitait si bien, à son bénéfice, mon prédécesseur.
Je fais de nombreuses excursions dans l'Ile et le tabou me favorise
en plus d'une circonstance. Néanmoins, dans une de mes reconnais-
sances, je ne me hasarde pas, malgré la protection do tabou, à franchir
les hautes montagnes qui séparent les Huppah-Manous des Taïpi-Vahis.
Ces derniers surtout sont la terreur des autres tribus et leur chef, le
terrible Eoky<u, n'a qu'une manière de traiter ses prisonniers : il les
mange.
Jusqu'en mars 1847 aucun événement important ne surgit dans l'Ile.
1 cette époque, élant en tournée du côté de Taloa, pour renouveler
mes provisions, je suis Trappe de ne trouver que quelques vieillards
et infirmes desquels je ne puis tirer aucun renseignement. Ce que
voyant, à défaut de pirogue, je trarerse la rivière à la nage et me
trouve bientôt à ta cour de la grande prétresse Mala-Haïva, la femme
152 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
Ja plus vénérée de l'Ile et dont j'aurai à reparler plus tard. Elle prévient
aussitôt l'ex-reine, première femme de Témoana, qui accourt m'ap-
porte une nappe neuve et me prépare à manger. Là, le tabou me vaut
mille prévenances de toutes natures ; mais je constate néanmoins un
certain embarras chez tous ceux qui sont présents. Je questionne sous
prétexte de renouveler mes provisions. Il n'y a plus, me dit la reine,
que quelques porcs dans la portion de la baie qu'elle gouverne et elle
me les offre gracieusement. Naturellement je m'y refuse et presse mou
hôte de me donner l'explication de cette pénurie de bétail. J'apprends
enfin les luttes qui ont ensanglanté le pays et la peine qu'elle a à main-
tenir l'intégrité de son patrimoine qu'elle considère comme sacré. C'est
Motané'HytoUj cbef jeune et ambitieux, qui convoite son petit apanage
et qui parfois déûe les Français eux-mêmes. Encore un peu, me dit-
elle, et je mourrai de faim. Puis elle me prie d'exposer sa situation au
gouverneur en le priant de prendre sa défense.
Quelques jours après mon retour j'apprends que Motané-Bytou a de
nouveau cherché querelle à la grande prêtresse, qu'il s'est emparé par
ruse d'un pavillon de France à elle donné par le capitaine Collette en
signe d'alliance, qu'il a lacéré et souillé indignement ce drapeau qu'elle
considérait comme un talisman.
£n ce moment, le gouverneur est à l'Ile de Vahitaho, ou lie de
Sainte-Christine et je remets au lendemain de lui rapporter ce que je
viens d'apprendre.
J'ai à peine raconté les faits au gouverneur que Opevai-Biney, pre-
mier conseiller de Témoana, fraîchement arrivé de Taïoa, se présente
et, demande de prompts secours au nom de la grande prêtresse, l'amie
et l'alliée des Français.
Aussitôt la goélette la Sultane reçoit l'ordre d'appareiller et le gou-
verneur me prie d'accompagner le capitaine qui la commande, M. Do-
buisson, pour lui servir d'interprète.
Tout se fait avec tant de célérité qu'à deux heures de l'après-midi
nous entrons dans la baie de Taïoa. Le capitaine et les sept matelots
qui forment l'équipage ont l'ordre de se tenir au large avec l'embar-
cation et prêts à tout signal.
flous trouvons la grande prêtresse que je presse de questions ; mais
elle est quelque peu hésitante, craignant que notre intervention n'amène
une annexion de son territoire à notre profit. Le capitaine m'engage à
la rassurer. ■ Si vous avez l'intention ajoute-t-elle, d'agrandir vos
« possessions de ce côté. Je vous donne la baie de Haka-Taloa en tonte
■ propriété; mais pour celle que j'habite, c'est le paya de mes ancêtres
« que je me suis engagée, par le tabou, de rendre au descendant de
« notre race. •
LES VOYAGEURS INCONNUS. 153
Je loi déclare que nous ne songeons à aucune annexion et que nous
tenons venger l'affront fait à notre pavillon par Motané-Hytou. Com-
plètement rassurée, elle sons prie de la protéger et M. Dubuisson lui
promet d'en référer au gouverneur.
Tous les sauvages de la tribu uous portent sur leurs épaules pour
rejoindre notre canot où ils déposeut en outre trois porcs et quelques
provisions en signe d'alliance.
Le soir, nous rentrons à la station et sur le rapport que le capitaine
et moi lui faisons, le gouverneur décide, en conseil, que le lendemain,
1? mars, on fera tous les préparatifs d'une descente à Taïoa.
Le jour même, l'expédition composée de 150 hommes, fous le
commandement du gouverneur lui-même, s'embarque pour la baie de
Taïoa. En raison de ma connaissance du terrain et dans la crainte d'at-
taques de noit, je suis chargé d'établir les avant-postes. Je ne laisse
pas non plus de recommander à la grande prétresse de donner un
logis convenable au gouverneur, puis Je prends quelque repos avec
tons nos hommes. La nuit se passe tranquille, non sans que quelques
détonations, sans effet pour nous, se fassent entendre au loin. A dis-
tance apparaissent quelques espions qui viennent s'assurer de notre
présence dans la baie et sans donte aussi de l'effectif exact de l'ex-
pédition.
Le 18, de très bonne heure, tout le monde est sur pied. Mais il faut
franchir la rivière de Taïoa qui est ici large et profonde : notre capi-
tale du génie fait abattre sur le bord d'une rive quelques cocotiers
qui, venant tomber sur l'autre forment une charpente solide de pont
on nous pouvons même passer notre artillerie. Ce n'est pas tout, il
faut se frayer un passage à travers les broussailles et cela sur une
étendue de 7 à 8 kilomètres. Les indigènes se joignent à nous pour
déblayer le terrain et vers 10 heures du matin nous sommes sur le
territoire ennemi.
Sods labourons les broussailles, trop propices aux embuscades, à
coups de mitraille et d'obus, et nous pouvons avancer jusqu'en un ter-
rais nu aboutissant à des rochers inaccessibles. Les sauvages font
pleuvoir snr nous une grêle- de balles contre laquelle nos tirailleurs ne
peuvent nous protéger. Mais la mitraille a bientôt raison une fois de
p!m de cette fusillade et les insurgés vont se retrancher un peu plus
loin et s'abritent derrière les flancs du ravin où nos obus viennent
se buter sans les atteindre.
Ce que voyant, j'avise un vieox chef sauvage, très influent dans le
pays. ■ Vous ne savez pas ce que c'est que Hana-Hotacot dit-il, vous
« ne pourra rien contre ces rochers et vos canons seront impuissants
• à déloger Motanè-Bytou et ses guerriers. Il y a bien un petit sentier
154 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
« qui aboutit derrière ces hautes montagnes ; mais ceux qui font voulu
« franchir, y sont le plus souvent restés. ■
La journée s'avançant, on décide de camper sur le petit plateau où
nous avions placé notre artillerie. Les hommes, fatigués d'ailleurs, reçoi-
vent la ration de vin et de biscuit, plus du porc à discrétion, les sau-
vages, dans leur retraite, ayant abandonné bon nombre de sujets de
cette espèce.
Pour assurer notre tranquillité, sinon notre repos et notre sommeil,
l'artillerie lance, de temps à autre dans la nuit, des obus sur le som-
met du Hana-Hotaco. Le tir continue le lendemain matin, mais sans
grande apparence de succès. Un fort groupe de sauvages rient rôder
[>rès de notre camp à la recherche sans doute d'objets abandonnes la
veille. Quarante hommes sont envoyés à la poursuite des pauvres
diables qui s'enfuient à toutes jambes, non sans être protégés dans
leur retraite par quelques-uns des leurs placés en embuscade. Ce que
voyant, je vais porter aux nôtres Tordre de rejoindre.
Le gouverneur tient conseil et demande si Ton ne pourrait envoyer
un parlementaire aux insurgés. Le vieux chef consulté dit que l'on ne se
hasarde pas à une pareille imprudence, car infailliblement, renvoyé
serait tué et mangé ; qu'en ce qui le concerne, il refuse nettement.
M. Brunet, après quelques mots échangés à voix basse avec le capi-
taine, me demande à brûle-pourpoint si je consentirais à aller moi-même
parlementer avec les sauvages. Tous axent les yeux sur moi et je
réponds simplement que je suis prêt à suivre ses ordres. • 11 ne s'agit
« pas d'ordre, me dit-il ; mais croyez-Yous qu'il y ait réellement do
■ danger et les sauvages ne respectent-ils pas les parlementaires? »
Je savais bien que si parfois ils les respectaient, en nombre de cas ils
servaient de pâture à ces cannibales. Cependant mon amour-propre
était tellement surexcité par la proposition qui m'était faite que je
n'aurais pas reculé alors môme que j'aurais été certain d'être massacré.
De nouveau je presse de questions le vieux chef qui me dit : « Si
• Motanê-Hytou est vivant, tu as toute chance de réussir ; mais s'il
« a été tué, l'affaire n'est pas sûre. Cependant comme tu es labou, je
« pense qu'il n'y a pas de danger pour toi. Va, que le dieu des guér-
it riers te protège. »
La situation ne laisse pas d'être pour moi grosse de périls et surtout
de responsabilité. Néanmoins, Je l'ai dit et je pars.
Après une demi-heure d'une montée difficile, sans chemin frayé,
presque à pic, j'arrive à l'entrée du bois qui masquait la retraite de
Hana-Hotaco. Je suis en vue du camp français et je fais, de la maio,
un signe d'adieu à mes camarades; les officiers me suivent de leur
longue-vue.
LES VOYAGEURS INCONNUS. 155
J'avance enfin d'un pas décidé et je Tiens me botter contre un
retranchement au travers duquel cinquante fusils sont braqués sur
moi. Une tête de vieillard menaçante et terrible apparaît au-dessus et me
crie d'une voix de tonnerre : « Que tiens-tu faire ici ? — Je viens en par-
■ lementaire, répoudis-je, sans trop m'émouvoir, et je veux parler à
■ Motanè-Hytou. — Il est mort et toi-même tu vas mourir. »
Ce n'est pas rassurant. Mais il se trouva parmi les ennemis un jeune
sauvage qui m'a souvent vendu du poisson frais et qui dit aux siens
que je suis tabou et soldat de Têmoana. À cette déclaration, les fusils
se retèvqpt et la colère parait quelque peu s'apaiser ; mais l'enceinte
ne s'ouvre pas pour cela : un pas imprudent de ma part et j'aurais été
pulvérisé sous une décharge générale.
Quelques minutes se passent quand arrive un jeune sauvage qui me
demande le but de ma tentative. Je déclare que je viens dans de
bonnes intentions et que je tiens absolument à m'entretenir avec leur
chef. Qu'il me fasse donc entrer dans l'enceinte. Il me dit de l'attendre
os instant, qu'il va porter ma demande au chef. Au bout de quelques
minutes il revient et me dit d'entrer par une porte qu'il ouvre dans le
rocher. Cette porte est un madrier d'arbre à pain, couvert de mousse
comme les rochers pour la dissimuler aux indiscrets. Elle donne accès
dans un passage de 4 pieds de hauteur sur 30 de long, sorte de tunnel
obscur qui décrit un quart de cercle. Au bout de ce passage, en
cas d'invasion, d'énormes rochers sont disposés pour l'obstruer instan-
tanément.
Je suis à peine arrivé à son extrémité que je suis entouré, pressé,
assailli pour ainsi dire par deux cents guerriers qui crient de
manière à couvrir ma voix; quelques-uns cherchent âme prendre mon
sabre et mes pistolets disant que je suis un traître, que les parlemen-
taires n'ont pas d'armes et qu'il faut me tuer.
A tout instant, je m'attends à recevoir un coup de lance ou de casse -
tête; mais je suis bien décidé à vendre chèrement ma vie.
Cependant je suis suffoqué, je n'en puis plus. Je serre mes armes de
mes mains; je refoule comme je le peux mes antagonistes leur aban-
donnant volontiers mon éventail et mon bâton. Je suis prêt à dégainer
à )a moindre atteinte quand tout à coup un guerrier de haute stature
franchit la foule, me saisit le bras et m'entraîne avec une telle vitesse
dans la direction de l'enceinte que je le suis avec peine. Croyant à une
intention hostile, je me propose de lui brûler la cervelle. Courant tou-
jours, nous arrivons enfin à une sorte de baraque, neuve en apparence,
entourée d'une foule de naturels des deux sexes et de tout âge. Mon
conducteur me dit : « Motané-Hytou est là. » Une porte s'ouvre et
j'aperçois un homme étendu sur une natte. « Approche •, me dit-il,
156 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
puis il m'invite à m'asseoir, m'offre un coco que j'accepte arec plaisir
étant donnée la soif qui me dévore. Je lui expose alors l'objet de ma
mission et l'invite à capituler, lui garantissant qu'il ne lui serait fait
aucun mal, si de son côté il s'engage à respecter le territoire de la
grande prêtresse. Je lui déclare, en outre, que s'il manifeste le regret
d'avoir volé et insulté notre drapeau, j'ai qualité pour arranger cette
affaire et que s'il consent à venir avec moi trouver le gouverneur,
celui-ci lui sanctionnera ce qui sera convenu entre nous.
« Je suis grièvement blessé, me répond-il ; une balle ce matin m'a
« traversé la cuisse; mais j'ai des chefs qui peuvent me remplacer.
« J'ai ici des vivres et des munitions pour plusieurs mois et je* ne crains
« ni vos fusils, ni vos canons. Ces rochers, inaccessibles pour vous,
• me mettent à l'abri de votre colère ; pendant que vous croyez me
« tenir ici bloqué, je puis au contraire aller détruire voire camp à
« Taïo-Hae, et lorsque vous serez fatigués de brûler de la poudre,
« vous vous en retournerez honteusement chez vous : voilà ce que je
« vous prédis. Mais ne croyez pas que j'aille me livrer sottement entre
« vos mains, Pakoko s'était fié à vous; qu'avez- vous fait de lui? il en
« serait fait de même de moi si j'avais l'imprudence de me livrer à ses
« bourreaux. ■
La réponse était vigoureuse et si les menaces n'étaient pas un peu
exagérées, il n'y avait pas grand' chose à y redire.
Toutefois, chargé d'une mission toute de conciliation, je cherche i
le persuader de l'impossibilité d'une résistance sérieuse de sa part, et
je lui explique que Pakoko ne s'est pas rendu volontairement, mais qu'il
a été livré en quelque sorte par ses propres sujets ; que lui-même en
prolongeant la lutte aggravera sa position et qu'il pourrait bien lui en
arriver autant qu'à Pakoko.
Mais sa résolution, appuyée par sa femme et tous ses guerriers,
reste inébranlable.
Je lui propose alors d'envoyer avec moi au camp quelques guerriers
qui pourraient ainsi se rendre compte de nos forces et de notre maté-
riel de guerre. Je lui déclare que la France a l'habitude de venger ses
injures et que ses habitants étaient aussi nombreux que les poissons
dans la mer. Je lui jure d'ailleurs par le tabou que ses hommes seront
respectés et qu'il ne leur sera fait aucun mal.
Il finit par accepter ma proposition et demande si quelques-uns
d'entre les siens veulent bien m'accompagner au camp français. Douze
se décident à venir.
Sur ce, nous mangeons, Motané-Hytou et moi, du porc cuit à la mode
sauvage et de la popoë ; après quoi il est convenu que, ses guerriers
une fois de retour dans leur forteresse, nous ne recommencerions les
LES VOYAGEURS INCONNUS. 157
hostilités que quand un signal de trois coups de fusil nous avertirait
qu'ils sont de nouveau décidés à se battre.
Je prends alors congé de lui ; nous nous serrons la main et je m'en
reviens accompagna de douze sauvages, à travers la forteresse pour
es gagner rentrée. L'es antres nous livrent passage en s'écriant: « Pas
de trahison ! ■ l'un d'eux même me restitue mon éventail et mon bâton.
5oos sortons par le souterrain et à la sortie du petit bois Je prends la
tète de la petite colonne.
C'était un spectacle vraiment beau que ces douze hommes taillés
comme des géants (ils n'avaient pas moins de six pieds), robustes,
bien proportionnés, revêtus de leurs armures de guerre ; à côté d'eux
je ne paraissais qu'un pygmée.
Avant dériver, ils me rappellent ma promesse à leur chef, et, une
bis à la limite du camp, je les prie de m'attendre un instant.
Je fais part an gouverneur du résultat de ma périlleuse mission et
je demande la permission de faire visiter notre camp aux guerriers qui
m'ont accompagné, ce qui m'est largement accordé. Cette visite ter-
minée, je fais distribuer à mes compagnons, par ordre du gouverneur,
nae ration de namou (eau-de-vie), du biscuit et du lard, puis je les
reconduis jusqu'à la rivière où nous nous séparons.
En attendant le signal convenu, je pointe deux pièces dans la direction
çni me semble la plus favorable. Ce faisant, je suis assailli de questions
sur mon aventure du matin et sur cette forteresse, véritable merveille
naturelle, utilisée par nos ennemis. Les sauvages ne sont pas les
moins curieux ni les moins impatients : je suis littéralement obsédé et
la snrexcitation bien naturelle dans laquelle je suis depuis le matin,
me défend mal contre la fatigue dont je suis harassé. Ces obsessions
me sont plus pénibles encore que celles des gens du Hana-Hotaco.
Mais bientôt les trois coups de fusil, partant de la forteresse et mettant
fin à cet état insupportable pour moi, donnent le signal de la reprise
des hostilités.
' J'ai su depuis lors que, les envoyés de Motané-Hytou étant rentrés,
le chef, à la suite d'un conseil de ses guerriers, avait décidé de se
retirer de la forteresse en masquant la retraite par une démonstration
rigoureuse, les blessés, les femmes et les enfants devant être trans-
portés à l'abri de toute attaque derrière les hautes pointes des rochers.
Aussitôt nos quatre pièces lancent une volée de boulets dont la plu-
part ricochent ou frappent la roche en produisant un vrai roulement de
tonnerre et massacrant dans leur éclatement les malheureux insurgés
dont la retraite presque immédiate se transforme bientôt en effroyable
déroute. Qoelques-nns résistent encore dans la pensée sans doute de
laisser le temps à des estafettes d'appeler du secours chez les tribus
158 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
voisines qui pourraient, le cas échéant, nous prendre par derrière,
nous couper la retraite et nous créer une situation au moins embarras-
sante pour ne pas dire périlleuse. Toutefois, la résistance cesse bientôt
et à trois heures et demie nous entrons dans Hana-Hotaco. Je précède
naturellement la troupe à la tète de laquelle est le gouverneur à qui
je sers de guide. La porte du souterrain est tellement barricadée qu'A
nous faut franchir les rochers amoncelés pour dégager le passage par
l'intérieur. Dans l'enceinte, nous ne trouvons que quelques blessés qui
se sont cachés daus des excavations. L'un d'eux m'attire par ses cris,
nos soldats surexcités voulant en finir avec lui : je le sauve par mon
intervention.
Un séjour prolongé sur ces rochers n'était pas sans dangers, car les
sauvages pouvaient revenir sur la crête qui les domine et nous écraser
rien qu'en roulant des blocs de pierre.
Nous prenons donc le chemin du retour. Nous n'avons pas perdu un
homme, quelques blessés, peu grièvement même, et nous campons le
soir sur le bord de la mer. Le lendemain matin, nous remontons à bord
de la Sultane et nous abordons bientôt à la baie de Taïo-HaB, notre
résidence.
La leçon a profité : on n'entend plus parler de la violation du terri-
toire de la grande prêtresse, les insurgés sont revenus paisiblement
réoccuper leurs cases. Ce qui évidemment ne s'apaisera pas, c'est le
besoin de haine et le désir de vengeance qui ne saurait s'effacer de
l'esprit de ces natures indomptables et rebelles à la civilisation.
Quelques jours après, le Gassendi, vapeur de l'État, vient dans
nos parages et, au récit des événements que je viens de racçnter, les
officiers de l'équipage désirent visiter le théâtre de nos exploits. Le
gouverneur me demande de les accompagner. J'accepte, cela va sans
dire, avec grand plaisir même.
La grande prêtresse nous reçoit, nos visiteurs et moi, avec une
grande et solennelle cordialité, le commandant du Gassendi lui a
apporté des présents que je lui remets en lui demandant des guides.
Six de ses principaux guerriers sont désignés pour nous accompagner.
Tout se passe à merveille à la grande admiration des officiers. Nous
trouvons dans nos canots des provisions que la grande prêtresse y
a fait mettre. Revenus à la station, le lendemain matin, le commandant
et une partie de l'équipage viennent me rendre visite, me remercier et
me demander des renseignements de toute nature.
Le Gassendi reparti, le gouverneur se préoccupant toujours de
la pacification des tribus du côté du Nord-Est restées hostiles depuis la
mort de Pakoko, propose d'inviter tous les chefs à la fête du 1er mai
(fête du roi) et au banquet qui la suit.
LES VOYAGEURS INCONNUS. 159
Seulement, le difficile est de faire justement l'invitation et surtout de
se faire assez bien recevoir pour qu'elle ait chance d'être acceptée.
Dans on conseil tenu le 20 avril 1847, il est décidé que MM. Meunier,
capitaine du génie, et Lévêque, médecin en chef de l'hôpital, feront
les invitations anx Hanoum, aux Hati-Kéous, aux Ratou-Hauhaus et
au Pouhi-Houhaus en compagnie de Témoana. Seul Je suis chargé
des iovttathras des HappahùMoyttnis, des Happaho-Manous et des
îaSpi-Vahis.
(A suivre.)
NOUVELLES GEOGRAPHIQUES
FRANGE.
— Le grand Congrès formé par toutes les Sociétés géographiques de
France se tiendra, cette année, à Douai.
La date de l'ouverture du Congrès est fixée au 27 août. Il compren-
dra une exposition géographique , la lecture de travaux spéciaux et
*des excursions dans les principales Tilles du Nord de la France.
Pour lui donner le plus d'éclat possible, des subventions seront de-
mandées aux conseils généraux des cinq départements que comprend
l'Union géographique du Nord: Pas-de-Calais, i\ord, Aisne, Somme,
Ardennes, ainsi qu'aux municipalités et aux Chambres de commerce
de ces mêmes départements.
— La Société des études coloniales et maritimes Tient de renouve-
ler son bureau: M. le vice-amiral Thomasset a été nommé président
pour 1883.
La Société a donné, le 5 mars, dans la salle des ingénieurs civils,
10, cité Rougemont, une séance où les explorateurs, MM. Denis de
Rivoyre et Wiener, ont parlé d'Obock et de l'Amazone.
— La commission de l'Académie des sciences pour le prix Lalande*
Guérineau, composée de MM. Ferdinand de Lesseps, l'amiral Moucher
Rolland et de Qualrefages, a proposé d'accorder le prix à l'intrépide et
habile explorateur du Congo, M. Savorgnan de Brazza.
La proposition a été adoptée avec enthousiasme.
La commission du prix Gory, relatif à la géographie physique,
concernant spécialement les mouvements d'exhaussement et d'abais-
sement de nos eûtes , a été d'avis de ne pas décerner le prix de 1881
mais elle a accordé un encouragement de 1,000 fr. à M. J. Girard et
un antre encouragement de 500 fr. à M. L. Delavaud.
— Le ministre de l'instruction publique vient de confier i M. le
docteur Paul Rcy la mission d'aller explorer le lac Copaïs, dans l'an-
cienne Grèce. Ce lac, très célèbre, est connu également sous le nom
de lac de Livadie. M. Rcy doit aller y recueillir des matériaux pour les
collections scientifiques de l'État.
Une autre mission vient d'être décidée par le ministre de l'instruction
publique. Un ingénieur des mines, M. Aubry, et un médecin, M. Hamon,
FRANCS. 161
riment d'être chargés, «a Cfaoa et au pays des Gallas/ des études
lopogrephiques, géologiques, et minéralogiques , et des recherches
médicales et d'histoire naturelle. Le Ghoa est situé, comme ou sait, en
Afrique, au sud de l'Abyssinie.
Le méridien initial international. — Le ministre de l'instruction
publique a communiqué à l'Académie des sciences une lettre adressée
par le Gourernement des États-Unis au président du Conseil, ministre
des affaires étrangères. Le Congrès des Etats-Unis a invité tons les
gouvernements à se rallier au choix d'un méridien initial commun,
et par suite à une même heure universelle.
Le manque d'uniformité de l'heure a été la source d'embarras qui
Tont tous les jours croissant par suite de l'extension des chemins de
fer et des communications télégraphiques.
Cette question a été soumise au Bureau des longitudes par le mi-
Bistre, qui demande à l'Académie de lui donner son avis.
L'Académie des sciences a renvoyé la communication du ministre à
la section d'astronomie.
Le monument Flattera à Paris. — On vient de terminer, au pare de
Mentsouris, le monument destiné à perpétuer le souvenir de la mission
Hatters. C'est une pyramide assez élevée, en pierre grise des Ariennes,
avee des ornements en bronze.
Sur la façade principale, on lit l'inscription suivante :
Au colonel Flatter $,
chef de la mission chargée des études
du chemin de fer transsaharien,
et à ses compagnons ;
MM. Masson, capitaine d' état-major,
Guiard, médecin-major,
Beringer, Boche , ingén., chefs de services,
Sanlin, ingénieur adjoint,
de Dianous, lieutenant,
Dennery, Pobéguin, sous-officiers,
A Brame et à toute l'escorte,
Massacrés en Afrique par tes Touaregs,
Le 16 avril 1881,
Après avoir accompli leur mission.
Au-dessus de cette inscription, un médaillon,, entouré de palme*,
reproduit les traits du colonel Flattera.
Plus bas, on lit : Pour la France, ils ont affronté les périls et la
mari.
•oc. db aioaK. — i<t «t J« TUMimii 1S8S. Il
162 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
Sûr le côté droit de la pyramide, est la devise de la Légion d'hon-
neur : Honneur et Pairie. *
Sur le côté gauche : Science — Civilisation.
Enfin, sur la façade postérieure est gravé: Monument érigé sur un
emplacement ojerl par la ville de Paris.
Décision du conseil municipal dans sa séance du 13 février 188?.
S. Singéry, architecte.
Le monument est situé au bord de l'allée qui fait communiquer les
deux parties du parc de Montsouris, en passant sous le chemin de fer
-de Sceaux, d'où il peut être facilement vu.
Côtes de France. — Un grand éboulement de falaise s'est prodoit
4U Tréport, un peu à l'ouest du sémaphore. La chute a été si rapide
•que les terres ont été portées à plus de deux cents mètres en mer, et
la quantité en est si grande que le tas émergeait, à la pleine mer, de
plus de cinq mètres. On croit que le galet venant de l'ouest sera arrêté
par ce barrage, et on estime qu'il y sera retenu pendant cinq années
au moins. On s'attend du môme coup à voir changer l'aspect de h
.grève du Tréport.
COLONIES.
Algérie. — On écrit d'Ouargla, le 10 février, au Petit Marseillais :
t Le désastre de l'expédition Flatters n'a pas découragé les voyageurs
intrépides qui se sont juré d'initier les contrées jusqu'ici peu accessi-
bles de l'Afrique à la civilisation européenne.
« On propriétaire de la Haute- Vienne, membre de la Compagnie de
rOued-R'bir, M. Fau, vient de quitter Ooargla avec une petite troupe
composée de deux Français parlant parfaitement l'arabe, et de quel-
ques indigènes éprouvés.
« M. Fau se propose de traverser le Soudan. Il veut, en quelque sorte,
porter un déû aux Touareg qui ont assassiné la mission Flatters. A cet
effet, il a fait un choix de chameaux d'une vigueur peu commune, et
capables de fournir des courses extraordinaires, tant comme fond que
comme célérité.
« Les difficultés de l'entreprise n'en restent pas moins fort considéra*
blés et ce'n'eùt pas été trop, croyons-nous, de l'aide du Gouvernement
pour augmenter les chances de réussite de ce hardi pionnier et de sa
vaillante escorte. »
Des avis privés d'Ouargla annoncent que M. Bourlier, membre du
conseil supérieur, et M. Letouqueux, conseiller honoraire à la cour
d'Alger, sont arrivés le 24 février dans cette oasis.
COLONIES. 163
Lear entrée en voiture a causé, paraît-il, an grand étonnement parmi
(a population, qui accueillit d'ailleurs les voyageurs avec bienveillance
et sympathie.
Les deux explorateurs sont accompagnés d'an géomètre et d'un pho-
tographe; ils ont trouvé à Ouargla one installation convenable et
comptent y séjourner environ deux mois afin de pouvoir réunir les
éléments d'un grand travail sur le Sabara.
IM. fiourlier et Letooqueux auraient appris pendant leur voyage que
quatre tirailleurs qui taisaient partie de la mission Flattera auraient
échappé au massacre et seraient actuellement prisonniers et esclaves
chez les Touareg.
L'iadigène qui recueillit sous sa (ente les premiers débris de la mis-
sion Flattera offrirait de racheter ces quatre tirailleurs moyennant une
rançon de 2,000 fr.
L'inondation dos Cnotts. — Malgré l'abandon du Gouvernement,
I. de Lesseps n'a point renoncé à l'idée do créer une mer intérieure
dans les Cbotts. U a remis au gouvernement français une note de
M. Roudaire, demandant qu'on n'aliène pas les terrains qui pourraient
être ultérieurement nécessaires à la mise en œuvre de son projet, s'il
parvient, comme il en a la conviction, à en démontrer la possibilité.
M. fioudaire doit repartir pour la Tunisie avec un groupe d'ingénieurs
et d'entrepreneurs.
Lldiomo berbère. — MM. Hondas et René Basset, chargés par le
ministre de l'instruction publique d'une exploration de la Tunisie au
point de vue des antiquités arabes, ont adressé à l'Académie une col-
lection des estampages qu'ils ont pris dans les mosqnées. principale-
ment à Kairouan. Les textes couflques ainsi relevés fourniront quelques
dates utiles pour l'histoire des nombreuses dynasties locales du nord
de l'Afrique après la conquête arabe. M. Barbier de Meynard, qui a
rendu compte à l'Académie dès communications de MM. Boudas et Bas-
set, attribue une importance plus considérable à la découverte faite
pirnos compatriotes de trois dialectes berbères parlés dans la contrée
aa sud de Tlemcen, aux environs du massif montagneux du Rif. L'étude
de ces dialectes, qui va être entreprise très prochainement par ordre
do ministre, contribuera beaucoup au progrés de nos connaissances
sur l'idiome des Touareg. Il devient pour nous de plus en plus néces-
saire de posséder cette langue, dont se servent les tribus qui vivent
partout sur nos frontières, depuis le Maroc jusqiUeu golfe de Gabès.
La monument Flattera en Afrique. — Le Progrès militaire an-
164
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
nonce que M. Anglade, conducteur des ponts et chaussées à Conslan-
(iuc, a quitté le 1er février Gonstantine avec une escouade d'ageuti|
auxiliaires du service pour se rendre à Ouargla, aûn de procéder à lus-
lallation du monument élevé à la mémoire du colonel Flattera et de ses |
compagnons.
Le monument est en granit du ravin d'El-Kantara. Toutes les pièces I
de ce travail consciencieusement exécuté ont été emballées avec soinj
Arrivées à Onargla, il n'y aura plus qu'a les mettre en place.
Une escorte militaire suffisante attend M. Anglade à Biskra, poor|
raccompagner jusqu'à destination.
Nouvelles du Sénégal. — Grâce à la loi française, qui assure la li-
berté à tout esclave touchant le sol français, il s'est produit danslil
banlieue de Saint-Louis une augmentation considérable du nombre des
esclaves libérés ; mais cette circonstance offre de sérieux embarras ao
point de vue de l'hygiène ; en outre, il est difficile de fournir de l'oc-
cupation à ces hommes, que leur position antérieure n'a pas préparés
au travail libre. Pour y remédier, le ministre de la marine et des co-
lonies a prescrit de rechercher s'il ne serait pas possible de les grou-
per dans les territoires qui avoisinent le littoral, entre Saint-Louis, En-
flsque et Dakar, en leur donnant, sous des conditions à détermiuer,
des concessions dans la mesure de leur activité. En créant des villages
indigènes, et en habituant ces affranchis à un travail régulier qui leur
serait profitable, on développerait en eux le sentiment de la solidarité,
et ils pourraient devenir capables d'exercer une bonne influence sur
les autres natifs, (l'Afrique explorée et civilisée.)
— One dépêche adressée par le gouverneur du Sénégal au ministre
de la marine et des colonies, par voie du Portugal, annonce que M. le
lieutenant-colonel Borgnis-Desbordes est arrivé le premier àBanukoo
Le drapeau français flotte sur le Niger.
L'expédition dirigée contre Lat-Dior, roi du Gayor, pour l'obligera
exécuter le traité par lequel il s'est engagé à laisser passer sur son
territoire le chemin de fer de Saint-Louis à Dakar, a quitté Saint-Louis
le 24 décembre, sous les ordres du colonel Wendiing. Quatre jours
auparavant, Lat-Dior avait adressé au gouverneur la lettre suivante qui
est intéressante à reproduire à titre d'échantillon du style diplomati-
que africain :
« Lat-Dior, roi du Cayor, au nouveau gouverneur
# (en réponse à une lettre qui ne m'a pas été
écrite par lui), salutations sincères.
« Le but de cette lettre est de vous accuser réception de la vôtre.
COLONIES. 165
Vous m'avez répondu honnêtement, et J'en sois heureux. J'ai vu que
l'iolenr d'une pareille lettre ne pouvait être qu'un esprit supérieur et
un homme politique ne Toulant que la paix pour nos deux pays.
• C'est pour cela que je vous envoie ces cavaliers qui me sont dé-
Tooés. Leur chef est Dialouar-Delié-fiirahima. lis vont tous féliciter de
Totre nomination et vous portent une lettre où sont clairement expli-
quées toutes les choses qui se sont passées entre moi et vos prédé-
cesseurs. Sachez, gouverneur, que la guerre n'est bonne pour per-
sonne, car elle ne procure que des malheurs.
« Jadis les Français m'ont fait la guerre; je ne sais pas pourquoi, car
Je ne leur ai rien pris, ni i eux, nia leurs vassaux, et je ne dois rien
à personne; je ne puis rn'lmaginer leur avoir fait tort. Je ne veux pas
tolérer vos travaux sur mes États, et écoutez ce que je vous dis : Il
vous sera aussi impossible de faire passer un chemin de fer dans le
Cayor que de faire passer un chameau parle trou d'une aiguille. *
Ko dix jours, les troupes du colonel Wendling sont arrivées à Soy-
rière, résidence de Lat-Dior, qu'elles ont réduite en cendres par me-
lore d'intimidation. Elles ont poussé plus loin encore, jusqu'aux fron-
tières do Cayor, sans rencontrer aucune résistance. Lat-Dior s'est enfui
auprès d'Alboury, roi du Djolof. On croit qu'il a fait alliance avec ce
chef et avec Àbdoul-Boubakar, du Foula, de sorte qu'il faut s'attendre
à quelque retour offensif, lorsque les chaleurs obligeront nos troupes
à rentrer à Saint-Louis.
Le colonel Wendling a eonstilué un autre gouvernement dans le
Cayor, et a passé avec lui un traité dont voici le texte :
République française.
Le gouverneur du Sénégal et dépendances, René Serval lus, repré-
senté par le colonel Wendling, officier de la Légion d'honneur, com-
mandant supérieur des troupes du Sénégal, accepte la soumission des
habitants du Cayor et leur accorde la paix aux conditions suivantes :
Ko présence de :
D'une part :
Mï. Voyron, lieutenant-colonel d'infanterie de marine, chevalier de
la Légion d'honneur ;
Dodds, chef de bataillon aux tirailleurs sénégalais, etc.;
lemy, capitaine d'infanterie de marine, directeur des affaires politi-
ques, etc. ;
De Bourmont, lieutenant de vaisseau, commandant la compagnie de
débarquement de la Pallat, etc. ;
Delarue, capitaine d'infanterie de marine; Dupré, capitaine comman-
dant l'escadron des spahis; Michaué, capitaine aux tirailleurs sénéga-
166 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
lais; André, capitaine d'artillerie; Famin, lieutenant d'infanterie, offi-
cier d'ordonnance; Abdoulaye-Kone, interprète de r* classe;
Et d'autre part :
MM. Ahmadi-iN'Goué-Fa); Diaoudlne M'Bonl; Thieyaeine-Dior; Madior,
fils de Damel Madiodo; lbrahima-N'Diaye, (ils de Dariaf-N'Diambourg-
Maïssa-Sellé , Desamba-Aïssa; Lamane-Diamalhîl; Botot-Diop; Maton-
pha-îfGoye-ben-Guet; Lamane-fTGol; Yamar M'Body, chef dn canton
français de Mérinaghen.
Art. 1er. — Tous les traités conclus avec Lat-Dior sont annulés. Les
habitants du Gayor se placent sous le protectorat de la France et accep-
tent sa suzeraineté.
Art. 2. — La province de Cayor comprendra désormais le Saniokor,
le Dembanlan, le Khatta, Le M'Bakol, le Guet t, le G'Guiguis, le M'Baouar,
le Guéoul.
(Une ligne passant entre Boukoul et Diorine.) Le poste de Bététe et
le terrain qui l'entoure dans un rayon* d'un kilomètre est français.
Art. 3. — Ahoiadi-N'Goué-Fal II est nommé damel de la province d»
Gayor; le pouvoir est héréditaire daus sa famille d'après les usages an-
ciens du pays.
Art. 4. — Lat-Dior et Samba-Maobé sont à jamais exclus du Cayor,
et Abmadi-N'Goué-Fal s'engage à s'opposer à leur rentrée de tout son
pouvoir.
Art. 5. — Le damel s'engage à donner toutes les facilités possibles
pour la construction du chemin de fer sur son territoire et à fournir
au besoin des travailleurs, qui recevront de nous un salaire et une
ration Ûxés par le gouverneur.
Art. 6. — Des postes fortifiés pourront être construits par la France
sur toute la ligne ferrée, dont 1a pleine propriété appartiendra à la
France, ainsi que le terrain des forts dans un rayon d'un kilomètre.
Art 7. — La France aura le droit de construire, dans toute Pétendae
du Cayor, des routes, des chemins de fer, des lignes télégraphiques,
des postes fortifiés, qui seront sa propriété. Le damel sera tenu de les
faire respecter.
Art. 8. — Le commerce est entièrement libre; le damel fera respec-
ter les commerçants et leurs propriétés; il pourra percevoir les droits
habituels de 3 p. 100 sur les produits du sol et les bestiaux qui feront
l'objet des transactions commerciales, mais ses percepteurs ne pour-
ront opérer que dans la province du Cayor.
Art. 9. — Si Ahmadi-îs'Goué-Fal ou ses successeurs violent le pré-
sent traité, ils seront de plein droit déchus de toute autorité dans le
Cayor.
Art. 10. —-Toutes les questions intéressant les relations entre la France
COLONIES. 167
et le Cayor, et dont il n'est pas parlé dans le traité, seront réglées
ultérieurement.
Le présent traité sera soumis à la ratification du Gouvernement.
Fait à Kheurmandoubé-Kari, le 16 janvier 1883.
[Suivent les signatures.)
Sor l'expédition opérant entre le Sénégal et le Niger, une dépêche
do colonel Borgnis-besbordes, qui la' commande, donne les renseigne-
ments suivants :
Dibourgula, 18 janvier.
Malgré tons mes efforts, depuis plus de deux ans, une partie du
Beiédougou a refusé de nous laisser passer. Le chef de Daba, qui avait
été hésitant jusqu'aux dernières journées, s'est déclaré franchement
le 1 1 janvier contre nous.
Le 13, la colonne passait lefiaoule; le 16, à neuf heures du matin,
elle arrivait devant Daba; à nenf heures et demie, rat laque commen-
çait par le tir de la batterie ; pour faire brèche, il n'a pas fallu moins
de 214 coups de canon. A onse heures, la colonne d'assaut, dont je
donnai le commandement au capitaine Combes, se mettait en marche.
Cet officier s'est conduit avec une énergie et une Intrépidité au-dessus
de tout éloge.
La colonne d'assaut a fait son devoir très bravement. Au bout d'une
heure de combat dans un village dont chaque maison constitue une ci-
tadelle, Daba était à nous. Le chef, qui a été également l'instigateur
du pillage de la mission Oaliienl, a été tué ainsi que son frère. Nos
pertes ont été relativement très grandes.
La colonne d'assaut a eu & officiers blessés. M. Picard, lieutenant aux
tirailleurs, est mort des suites de ses blessures le soir même ; les au-
tres officiers blessés vont bien. Il y a, en outre, 3 hommes tués, H
fantassins de la marine et 3 1 tirailleurs blessés, dont 2 sont morts le
17. L'état des antres blessés est aussi satisfaisant que possible.
La colonne, après avoir brûlé Daba le 17, est venue ce matin à Di-
bourgula.
Oa sait qu'une dépêche ultérieure publiée par le Journal officiel a
anaoneé l'arrivée de la colonne à Bamakou, sur le Niger, où elle va
élever un fort et planter définitivement notre drapeau.
— Voici le texte du traité avec le Teigne (roi du Baol) conclu le S
mars 1883 :
Le gouverneur du Sénégal et dépendances, René Servatius, repré-
•eoté par IL Dupré, capitaine commandant l'escadron des spahis du
Sénégal, a conclu avec le roi du Baol le traité suivant :
168 N0UVELLE8 GÉOGRAPHIQUES.
En présence de :
D'une part :
M. Rajant, lieutenant d'infanterie de marine, commandant le cercle
deThiès;
M. Jugnan, vétérinaire à l'escadron de spahis ;
M. Souleyman-Sy, interprète de 3e classe:
Et d'autre part:
Teigne Toiéacine, roi du Baol;
Tialaw N' Donp;
Diaraf-Raol-lfassemba N'Doumbé ;
Alcaly Mabaguèye ;
Taba Diop, secrétaire du roi.
Art. 1er. — Le Baol est placé sous le protectorat de la France.
Art. 2. — Le roi de Baol s'engage à accorder toutes les facilités pos-
sibles pour la construction d'un chemin de fer, dans le cas où le Gou-
vernement français déciderait la création d'un embranchement traver-
sant le pays.
Art. 3. — Dans le cas où la création d'un chemin de fer aurait lien,
des postes fortifiés pourraient être construits dans le but de proléger
la voie ferrée ; ces postes n'auraient aucune action sur les affaires do
pays. •
Art. 4. — La France aura le droit d'établir des routes et lignes télé-
graphiques qui, de môme que le chemin de fer, seront sa propriété;
le roi les fera respecter.
Art. 5. — Le commerce est entièrement libre; le roi protégera le*
commerçants et leurs propriétés; il continuera à percevoir les droits et
coutumes qui sont actuellement en vigueur.
Art. 6. — Si le Gouvernement français désirait acheter des chevaux
dans le Baol, le roi s'engage à favoriser et à protéger les achats.
Art. 7. — Le roi s'engage à interdire le territoire du Baol i Lat-Dior
en particulier, et eu général à tous les ennemis de la France.
Art. 8. — La République française promet aide et protection an Baol,
dans le cas où les habitants de ce pays Seraient menacés dans leurs
personnes ou leurs biens pour avoir exécuté le pacte d'amitié qu'il
conclut librement avec la France.
Art. tf. — La République française ne s'immiscera ni dans le gou-
vernement, ni dans les affaires intérieures du Baol. Les droits du Teigne
(du roi) et de ses successeurs restent absolument les mêmes que par
le passé.
Art. 10. — La République française reconnaît d'avance la succession
au trône du Baol dans la famille Toiéacine, et d'après les usages an-
COLONIES. 169
tiens do pays, à li condition que le successeur reconnaîtra les clauses
do présent traite*
Art 1 1. — La République française s'engage à ne jamais permettre
que le damel du Cayor détiennent roi du Baol.
Art. 12. — Le présent traité, fait en triple expédition, sera soumis à
la ratification do gouverneur.
Fait à N'Dengueles (résidence du roi), le 8 mars 1883.
Ont signé: F. Dupré, capitaine commandant l'escadron de spahis du
Sénégal ; Rajauf, lieutenant d'infanterie de marine, com-
mandant le cercle de Tliies.
— Une intéressante solennité militaire tient d'avoir lieu sur le
Baut-Sjger, à Bamakou. On a posé la première pierre du fort du même
nom.
Le commandant supérieur du Haut-Sénégal, M. le lieutenant-colonel
d'artillerie de marine Borgnis-Desbordes, a prononcé une chaleureuse
allocation. On a ensuite enfoui dans les fondations une ancienne boite
de conserves contenant quelques pièces de monnaie d'argent et une
fenille de papier sur laquelle avait été tracés les noms du président de
la République, du ministre de la marine, du gouverneur du Sénégal et
du capitaine Archinard, directeur des travaux du fort.
Enfin un petit drapeau — don d'une Parisienne à un officier séné-
galais — a été bissé, et on Fa salué d'une salve de onze coups de
caoon.
Les travaux du chemin de fer de Dakar à Saint-Louis sont poussés
activement. Deux chantiers de 300 ouvriers, dont une partie est corn*
posée d'indigènes, viennent d'être établis, l'un à Dakar, et l'autre A
Rufcque. One ambulance a été construite à proximité du chantier
Btaé à 3 ou 4 kilomètres de Saint-Louis.
La mission du docteur Bayol Tient de quitter Médine pour se diriger
sorleKaarta. Les dernières nouvelles sont satisfaisantes.
One colonne de renfort, avec des munitbns et des vivres, vient
d'être adjointe à la colonne expéditionnaire du Cayor, sur la demande
«lu chef de cette dernière, M. le commandant Drodds.
Le corps français, dont l'effectif s'élèvera maintenant à 800 hommes,
a mission d'opérer contre Lai- Dior, ex-roi de Cayor, destitué pour son
opposition à la construction du chemin de fer, et qui vient de reparaître,
appnyé par Ali-Boury, monarque voisin. L'armée de ces deux rois
comprend environ 8,000 hommes.
Cochinchine. — Une souscription est ouverte à Saigon pour élever
on monument à la mémoire de Francis Garnier.
170 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
EUROPE.
Départ de Nordenskjôld pour le Groenland. — D'après M. Daubrée,
le Groenland serait enseveli sous un épais manteau de glace: « Aucun
glacier connu, a dit notre savant compatriote, n'approche, pour les
dimensions, de cette nappe de glace continentale qui, saut des pointe-
ments rocheux surgissant ça et là, couvre plus de 100,000 kilomètres
carrés, avec une épaisseur surpassant un kilomètre et demi, là où
des crevasses ont permis de la mesurer. »
M. Nordenskjflld ne partage pas l'opinion qui place dans cette région
les plus vastes glaciers du monde : abandonnant le projet de revoir la
mer Sibérienne, puisque l'expédition danoise doit la visiter cet été, il
part au mois de mai pour le Groenland, et il espère pouvoir parcourir
les déserts de cette contrée avec une facilité relative.
Une lettre de M. Mathis, ingénieur du Creusot à Stockholm, adressée
à notre secrétaire général, annonce le départ du célèbre explorateur
pour le 20 mai. Le roi Oscar II a mis à sa disposition le vapeur de
l'État la Sophia et un équipage de matelots de la marine militaire
choisi parmi des hommes de bonne volonté et des savants suédois
accompagueront l'expédition. On devra aborder sur la côte ouest du
Groenland (68°30' de latitude), puis chercher à franchir les hauts pla-
teaux à 200 ou 250 kilomètres du littoral où NordenskjOld espère ne
plus trouver ni glace ni neige, mais une végétation dont on ne soup-
çonne pas l'existence. Il compte faire en moyenne 10 kilomètres par
jour sans vouloir pour cela dépasser la limite précitée. Il serait de
retour sur la Sophia vers la Un d'août pour être rentré en Suède
en octobre. C'est M. Oscar Dickson, de Gothembourg, qui fait, cette fois
encore, les frais de l'expédition. — Environ 200,000 francs.
L'opinion du savant suédois, qui est, comme on le voit, en opposi-
tion directe avec Tune de nos grandes autorités françaises, se base sur
ce fait que le vent du Sud-Est, qui domine dans cette région, doit
avoir, lorsqu'il arrive dans l'intérieur du pays, après avoir franchi les
hauts sommets, le caractère du fœhn, c'est-à-dire qu'il serait sec et
relativement chaud.
Qu'il ait raison ou tort, nos vœux les plus chers accompagnent l'in-
fatigable découvreur. G. M. et J. V. B.
AFRIQUE.
La mission Révoil. — - Le Petit Provençal annonce en ces termes
le départ de M. Révoil pour sa mission scientifique :
k bord du Pei-Bo, des Messageries maritimes, capitaine Tillier, s'est
AFRIQUE. 171
embarqué M. Georges Révoil, membre de la Société de géographie de
Marseille, l'explorateur bien connu du pays des Çonialis. M. RéYOil,
chargé d'une mission scientifique par le Gouvernement français sur là
cèle orientale d'Afrique, se rend d'abord à Zanzibar, auprès du sultan
Said-Bargasch, qui est un ami de la France et qui Tint visiter notre pays,
il y a sept ans, sur l'invitation de M. Rabaud, son consul à Marseille,
avec lequel il entretient depuis longues années les meilleures
relations.
Sa mission durera deux ans. À Zanzibar, 11. Réroil formera son
équipe d'indigènes pour s'avancer dans l'inférieur du continent afri-
eaia, après avoir réuni les marchandises et les présents destinés aux
ehefi de tribus qu'il devra se rendre favorables, il sera secondé, dans
tes préparatifs, par M. Grefulhe, notre compatriote, qui est parti avec
toi sur le Peï-Bo et qui est fixé depuis longtemps à Zanzibar, où il
jouit de toute la considération du sultan SaïdBargasch, dont il est
l'agent général pour les opérations maritimes et commerciales.
Ce souverain est, en effet, i la tète de plusieurs entreprises indus-
trielles qui lui rapportent de forts jolis revenus.
Avec M. Révoil se trouvaient encore sur le Pel-Ho deux autres explo-
rateurs, un Anglais, &L Thompson, et un Allemand, M. Fischer, qui vont
explorer la région peu connue qui s'étend entre le littoral et les monts
Kilimandjaro.
La mission de Brazza. — M. de Brazza s'est embarqué définitive-
ment le 18 mars dernier à Bordeaux pour le Congo. Une grande partie
du personnel de son expédition était partie en deux groupes par les
paquebots précédents. Une lettre du Gabon, en date du 2 février, an-
nonce que le premier groupe, embarqué le S janvier à Bordeaux, était
arrivé heureusement dans la colonie et se préparait à remonter l'O-
gtoué.
C'est par la rivière de Kilou, au nord des possessions portugaises,
que IL de Brazza compte se rabattre sur le Congo, en explorant la par-
tie montagneuse qui court parallèlement à la côte. M. de Brazza est
coovaincu qu'il y trouvera une vallée permettant l'établissement facile
d'une voie ferrée de Kilou à la rive droite du Congo.
Le ministre de la guerre vient de mettre à la disposition de l'explo-
rateur, à titre gratuit, diverses espèces d'armes réformées, qui se trou-
vent dans les magasins de l'État. Ces armes sont destinées à assurer la
défense des stations que va créer M. de Brazza. Voici quelles sont les
armes cédées par le ministre :
8,000 armes à percussion, 20,000 sabres, 100,000 kilos de poudre,
10 millions de capsules de guerre, 200 tentes, 1,000 haches.
172 -NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
Une compagnie entière du 1er régiment de tirailleurs algériens va
partir pour seconder l'entreprise de M. de Brazza.
Le petit navire que le ministre de la marine a mis à sa disposition
peut se démonter entièrement, de sorte qu'aux endroits où la naviga-
tion cessera d'être praticable, l'expédition pourra continuer à avancer
sur terre sans abandonner son navire.
Le canal de Sues. — La Compagnie du canal de Suez a décidé de
créer à EI-Kantara, à Timsab et au kilomètre 133, trois grandes stations,
pouvant recevoir à la fois de 50 à 100 navires. D'autre part, une so-
ciété anglaise se propose d'ouvrir un autre canal maritime, commençant
entre Alexandrie et Àboukir et se dirigeant vers Suez, par Tantah et
Le Caire. Mais H. de Lesseps affirme que la Compagnie a le monopole
des communications entre les deux mers, ce qui exclut la possibilité
d'une concurrence.
Les sources du Niger. — MM. Zweifel et Moustier se sont remis en
route pour les sources du Niger, avec l'intention de descendre ensuite
le fleuve jusqu'à son embouchure.
— D'après des nouvelles transmises par M. Ledoulx, consul de
France à Zanzibar, M. Giraud, enseigne de vaisseau de la marine fran-
çaise, allait, fin décembre, commencer le voyage qu'il a projeté dans
l'intérieur de l'Afrique. Il se serait déjà mis en route, s'il avait reçu à
temps le bateau qu'il a commandé en Angleterre et qui n'était pas en-
core arrivé. Notre compatriote avait employé ce loisir forcé à l'étude
des langues du pays et à de petites excursions préparatoires.
C'est du reste ainsi que s'est préparé le docteur Fischer qui vient de
partir de Zanzibar, se proposant de visiter la redoutable tribu de Massai,
dont la réputation de férocité est telle que l'explorateur n'a pu trouver
de porteur sur la côte, et qu'il a dû, pour réussir à se faire accompa-
gner, organiser une opération commerciale à laquelle il a intéressé la
plupart des 600 personnes qui ont consenti à le suivre. Une société
commerciale de Hambourg a mis une somme de 15,800 marks à la dis-
position du docteur Fischer, qui consacre, en outre, à ce voyage ses
ressources personnelles. Il a passé 5 ans à Zanzibar, étudiant les lan-
gues du pays et préparant l'exploration hardie qu'il va entreprendre.
Un autre voyageur, le lieutenant allemand Wissmann, parti de Saint-
Paul- de-Loand a sur la côte occidentale, venait de traverser l'Afrique
de l'Ouest à l'Est.
Tandis que les membres de la mission envoyée par le comité alle-
mand de l'Association internationale africaine pour fonder une station
AMÉRIQUE. 173
entre Tabora et Karéma recueillaient des collections d'histoire natu-
relle et des informations ethnographiques qui présentent, parait-il,
beaucoup d'intérêt, le chef de la station française de l'Ousagara, M. le
capitaine Bloyet, ne restait pas inactif; il traraillait avec ardeur & la
triangulation du territoire qui environne la station et il adressait au
consulat de Zanzibar 3 caisses de collections diverses, destinées au co-
mité français de l'Association internationale africaine. Ces objets ont dû
être dirigés sur France dans les premiers jours de décembre.
Le ministre de l'instruction publique avait envoyé un chronomètre
pour être transmis à M. Hore, comme témoignage de gratitude du
Gouvernement français, pour les soins empressés dont ce missionnaire
a&glais avait entouré l'infortuné abbé Debaize à ses derniers moments.
Ce don a été remis entre les mains du consul d'Angleterre à Zanzibar;
faite courtois du Gouvernement français constate une fois de plus la
solidarité existant, sans distinction de culte ni de nationalité, entre les
personnes généreuses et dévouées qui se consacrent à la découverte
et à la civilisation de l'Afrique.
le cap Jnby. — L'Espagne vent occuper de nouveau nie de Santa-
Grozde Har Pequena, au sud de Mogador, que le Maroc lui avait cédée
en 1860, après la guerre hispano-marocaine par le traité de Yadras.
Ibis la Compagnie de colonisation anglaise, établie sur la côte afri-
caine, s'oppose à cette prise de possession : les colons anglais reven-
diquent la possession du cap Juby. Le ministre des affaires étrangères
d'Espagne réclame l'exécution du traité de Yadras et la remise immé-
diate du cap Juby.
AMERIQUE.
— La ville de Québec vient de prendre l'initiative d'une souscription
pour élever une statue à son fondateur, Samuel Champlain. Ce glorieux
Français est né i Brouage, dans la Saintonge.
louvelles de la mission Crevaux. — Une très intéressante lettre, à
propos de la mission Crevaux, est parvenue au secrétaire de la Société
de géographie, M. Maunoir. Elle vient de Capari (province de Tarija, Bo-
livie), et est signée de M. Milhome.
Geiui-ciannonce qu'il est incontestable que plusieurs de nos malheu-
reux compatriotes, qu'on croyait massacrés sur le Pilcomayo, sont
présentement vivants et prisonniers des Indiens Tobas. M. Milhome a
interrogé le Jeune Zeballoa, l'enfant qui a réussi à échapper au mas-
sacre.
174 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
Le brait s'est répandu dans le pays que les Tobas retiennent prison-
niers plusieurs Européens pour se faire enseigner par eux le manie-
ment des armes : ces prisonniers ou plutôt ces esclaves sont traités
fort rigoureusement. Une copie de la lettre de M. Milbome a dû être
transmise au ministre des affaires étrangères, afin qu'il prenne les me-
sures les plus promptes dans le but de délivrer nos infortunés com-
patriotes.
— On sait qu'à la suite du massacre de la mission Creraux par les
Indiens Tobas, sur les bords du Pilcomayo (Bolivie), une expédition
avait été envoyée contre ces Indiens par le Gouvernement de Bolivie.
Mous apprenons que cette expédition, forte de 200 hommes, a été
surprise par les Tobas, qui ont tué plusieurs hommes avec des raffine-
ments de cruauté inouïs et enlevé tous les chevaux et les provisions
des Boliviens.
Une nouvelle capitale. — On mande de Buenos- Ayres, le 27 janvier:
Le Congrès de la République a voté nn crédit de 100 millions de
francs pour la fondation d'une nouvelle ville qui portera le nom de La
Plata et deviendra la capitale de la République argentine.
Quant à la ville de Buenos-Ayres, vu l'accroissement considérable de
sa population et de sa fortune municipale, le Congrès a décidé qu'elle
ne peut plus rester la capitale d'une République.
La nouvelle capitale a été inaugurée en grande pompe le 9 décembre
dernier.
POLE NORD.
Stations météorologiques polaires. — Deux stations météorologi-
ques nouvelles ont été, dans ces derniers temps, établies dans le Nord
de la Russie; Tune à Mesène (Europe), l'autre aBeresow(Asie). La posi-
tion géographique de ces deox stations, situées à TOuest et à l'Est de
l' Oural et en dehors de l'action du Gulf-stream, leur donne une impor-
tance particulière; de là, en effet, nous viennent, ainsi que le mande
le colonel Yenukoff, ces vents froids et secs qui, de temps en temps,
gèlent la surface de l'Europe Jusque sur les bords du Rhin et souvent
môme plus loin encore i l'Ouest.
L'expédition danoise an pôle Nord. — On écrit de Copenhague que
Ton éprouve dans cette ville nne très grande inquiétude au sujet da
navire danois Dgmphna, qui est parti Tan dernier pour le pôle Nord,
sous les ordres du lieutenant Hovgard, de la marine danoise. IL Hov-
PÔLE NORD. 175
gard «fait l'intention d'essayer d'atteindre le pôle par la Terre de Fran-
çois-Joseph ei d'hiverner cette année à Port-Dickson. La dernière fois
qu'on l'a aperça (le 22 septembre), le navire était pris dans les glaces
de la mer de Kara. L'expédition a été équipée pour 3 ans, aux frais
de IL À. Ganie), commerçant à Copenhague. M. Ganiel organise une se-
conde expédition qui ira au secours de la première en passant par la
Sibérie.
Résultats géographiques de l'expédition de la Jeannette. — Le fait
te pins important eBt la découverte de trois nouvelles Iles :
!• Jeannette, petite colline rocheuse, couverte de neige, située par
76M7'28" lat. N. et I57»0'31" long. E. (méridien de Paris);
2° Henriette, par 77*8' lat. N. et 145*23' long. E : c'est un amas de
rochers, de 750 à 1,000 mètres de hauteur, revêtus d'une maigre vé-
gétation consistant en lichens et en mousses et une seule espèce de
phanérogame. Toute File eBt couverte de glace et de neige ; un vaste
glacier descendait de la cèle septentrionale;
3° Bennett, par 76°38' lat. N. et 146°0' long. E. : c'est un massif ba-
silique assez élevé et couvert de glaciers; la pointe sud a reçu le nom
de cap Emma. La partie nord de l'Ile est moins inhospitalière que la
partie sud. On y a trouvé des emplacements couverts d'herbe, des os-
sements de renne, du bois flotté, des fossiles, des opales, des améthys-
tes; au midi il y avait du lignite. La mer était libre a l'Ouest et au Sud,
et an Nord-Ouest l'état du ciel faisait présumer oue mer libre.
La découverte de ces trois lies rend probable l'existence de tout un
dans celte partie de l'Océan Glacial.
LeSpitxberg('). — Le baron G. de Geer, chef de la mission zoolo-
giqoe envoyée l'été dernier au Spitzberg par l'Académie des sciences
suédoise, a exposé, le 17 novembre 1882, les résultats de l'expédition
devant la Société de géographie de Stockholm.*
Ootiele but que l'on s'était proposé, d'étudier la constitution géolo-
gique de cet archipel, une foule d'observations ont été faites et nous
renseignent sur la géographie générale des lies du Spitzberg. Le con-
féreocter a montré deux cartes dressées après les deux expéditions
précédentes et corrigées soigneusement à la suite de la dernière explo-
ration. La première fait voir la forme des Oords et des vallées du Spits-
berg méridional, ainsi que retendue des glaciers qui couvrent le pays;
la seconde montrait les profondeurs de la mer autour de l'archipel et
de la Scandinavie. D'après M. de Geer, ces deux pays, ainsi que l'Ile
0 Voir!» triBUttre 18S2, p. 760.
176
DIVERB.
Beeren, faisaient autrefois partie d'un même plateau bordé un peu à
l'Ouest par un océan profond. Après avoir donné une idée de la super-
ficie, de la configuration et de la géologie du Spitzberg, l'auteur a dé-
crit les nombreux flords de la côte; il pense, arec ffordenskjôld, qu'ils
ne doivent pas leur existence à des soulèvements ou à l'érosion des
eaux, mais aux glaciers. Bien plus, les empreintes observées sur les
roches de l'Ile Beeren semblent prouver qu'à l'époque glacière les gla-
ciers du Spitzberg s'étendaient jusque-là. Cette période fut suivie d'on
abaissement du sol aussi bien au Spitzberg qu'en Scandinavie; mais à
une époque suivante, ces deux contrées se sont de nouveau soulevées
au-dessus du plateau dont nous avons parlé et ont acquis cette fois les
contours que nous leur connaissons aujourd'hui.
On ne peut expliquer d'une autre façon comment la flore et la faune
de la Scandinavie ont pu s'étendre jusqu'à cet archipel, éloigné de
700 milles. H. de Oeer ajoute qu'à la On de la période glaciaire, le
Gulf-stream devait se diriger plus au Nord qu'il ne le fait actuellement,
ce qui expliquerait la douceur du climat préhistorique du Spitzberg.
G. M.
DIVERS.
Il s'est fondé à Stettin une Société de colonisation; elle portera d'a-
bord son attention sur la côte occidentale d'Afrique, entre le cap Lopez
et Ambriz.
— On prête aux Allemands l'intention d'acheter à l'Espagne l'Ile de
Cabrera, dans la Méditerranée, pour y fonder une sorte de ferme-colo-
niale-école, dont les élèves se répandraient plus tard sur les points
particulièrement convoités par la mère-patrie.
Au moment où nous écrivons, les négociations n'ont pas encoae
donné lieu à une conclusion définitive, ou du moins publique.
— L' Espagne vient d'occuper Plie de Tavitavt, située à l'Ouest de
l'archipel de Soulou, annexé aux colonies Philippines depuis 1S76. la
fondant une station militaire sur cette lie, longue de 20 milles anglais
et large de 5 milles, l'Espagne a complété la ligne de ses possessions
qui dominent la route entre la mer de Célèbes et la mer de Chine.
Po»t-*criptwn. — Le gonTernement argentin * organisé une nourelle expédition
militaire, en route actuellement pour le PUcomayo. Le colonel Sola, qui la dirige, a
reçu do l'Institut géographique les fonda nécessaires pour rapatrier les restes de
Creraux, de Billet et de Kingel s'il les retroure, et racheter la liberté de» snrrrvaat*
Haurat, timonier français, et Blanco ,° timonier argent! a.
BIBLIOGRAPHIE
•Notices snr Sampigny, PierreJUte, Avioth, Souillg, par M. Bonnabelle.
M. Bonnabelle, fondateur et secrétaire de la Section meusienne de
géographie, Tient de publier de curieuses et sa tan tes notices snr les.
localités citées plus haut.
Dans chacune de ces études, l'auteur remonte au moyen âge et nous
indique le nom des personnages qui ont joué un rôle important dans
cet bourgs et leurs principaux actes. Il décrit les documenta, rappelle
les souvenir» historiques qui se rattachent à ces tilles ou villages, cite
les ehartes qui peuvent Jeter quelque Jour sur leur histoire et réunit
ainsi les matériaux qui feront du Dictionnaire hit torique des commu-
ne* de la Meuse, un outrage de même valeur que celui de M. Lepage,
pour le département de la Meurt ne. K. Gfcmx.
Organisation communale des indigènes des Philippines, Blumentritt,
traduit de l'allemand par M. Hogot.
Dans une intéressante brochure, M. Hugot, capitaine d'infanterie et
membre do conseil de la Société académique indo-chinoise, nous in-
dique Tétat politique et religieux des Philippines à l'arrivée des
Espagnols en 1565. Il nous donne des renseignements précis sur l'ad-
ministration actuelle de ces lies, sur les diverses castes entre lesquel-
les se divise la population, ainsi que sur les divers impôts ou corvées
eiigés des indigènes. Il conclut par ces mots : • On trouverait diffi-
cilement une colonie où les habitants soient plus heureux qu'aux Phi-
lippines. » K. GèNiic.
'Usiné historique de renseignement de l'économie politique et de la
statistique en France, par M. K. Levasseur. Paris, Guiilaumin.
Dans ce travail, lu à la Société d'économie politique, à l'occasion do
40* anniversaire de sa fondation, l'éminent économiste a traité avec ss
kaute autorité une questloo de la plus haute importance pour les spé-
cialistes. J.-V. B.
la France en Afrique, par M. le vicomte de Bizemont. Paris, Jules
Gervais.
Férak, par M. Brau de Salnt-Poi-Llas. Paris, E. Pion.
Nous nous réservons, dans un prochain Bulletin, d'analyser ces in-
téressants et utiles ouvrages. J.-V. B.
m. ou aioem. - 1«' w > rmtumruwM 1883. It
ACTES DE LA SOCIÉTÉ
SOCIÉTÉ -MERE
COMPTE RENDU
ou
CONGRES DE BORDEAUX
(Fm.)
Le vendredi matin, le Congrès reprend la suite de ses travaux et la
séance s'ouvre sous la présidence du Dr Bourru, assisté de M. de la
Ilicherie et de M. 6. Renaud.
Après la lecture du procès- verbal, je propose au Congrès de voter
des remerclments à la municipalité de Bordeaux, pour la gracieuse et
splendide réception de la veille : cette proposition est accueillie par
.des applaudissements unanimes, et M. Daney, premier adjoint, présent
à la séance, est prié de vouloir bien être l'interprète des sentiments
du Congrès près de ses collègues.
Puis, M. Sipière expose l'un des sujets les plus intéressants que ie
Congrès ait étudiés et dans la discussion duquel se sont révélées à la
fois les compétences les plus incontestables en élevant la discussion
même au diapason des pins grands débats et du désintéressement le
plus complet: c'est la question des chemins de fer transpyrènéens. On
regrette d'avoir à condenser de telles délibérations dans un cadre
aussi restreint que ie nôtre.
Tout d'abord, M. Sipière demande l'ouverture de deux lignes traver-
sant la partie centrale des Pyrénées, Tune à l'Est, l'autre à l'Ouest.
Le colonel Coello croit, à rencontre de la proposition Sipière, qu'il
est superflu de chercher à multiplier les voies à travers les Pyrénées
et que l'on atteindra le même but en développant les voies ferrées sur
le versant espagnol et en les concentrant sur les deux points actuels
de pénétration aux extrémités de la chaîne.
M. Bourgeat, président de la Société agenaise, croit que la question
n'a pas été suffisamment étudiée. 11 invoque ici non pas la question de
clocher, mais au contraire l'intérêt général. C'est là une des formes
CONGRES DB BORDEAUX. 179
les plus nobles de la discussion et, loin de se laisser entraîner aux mes-
quines considérations dont, l'an dernier, nous avions eu ie spectacle,
11. Bourgeat prend tous les intérêts locaux, les groupe et, pour obtenir
an résultat impartial, il demande la nomination d'une commission su-
périeure prise en dehors des intérêts particuliers de telle ou telle
Tille, de telle ou telle partie de la région.
Cependant, la discussion continue et cette fois sur le terrain tech-
nique. C'est d'abord le commandant Blanchot qui propose l'internatio-
nalité du tunnel projeté, puis M. F. Schrader qui appuie les observa-
tions du colonel Goello, tout en demandant un tracé par la vallée du
Salât. On discute alors sur les côtés praticables, les difficultés possibles :
MH. Schrader, Blanchot et Goello (') sont, on peut le dire, les deux pre-
miers pour la France, l'autre pour l'Espagne, les grande découvreurs
4a Pyrénées, dont les cartes actuelles sont encore si défectueuses.
Ce qull y a de caractéristique, c'est l'attitude respective de ces deux
officiers de nationalité différente, défendant avec une courtoisie et une
précision sans égale les intérêts militaires des deux nations. Et, tout
en soutenant son opinion, le colonel Goello, qui n'est pas comme les
Anglais que la création du tunnel sons-marin semble frapper d'épou-
vante, dit avec cette simplicité, cette franchise presque naïve du vrai
soldat, qu'il n'a pas peur. Ge n'est évidemment dans la pensée de
personne; on sourit et on applaudit.
H. Bourgeat appuie de nouveau sa motion. H. de Saiot-Saêns, un sa-
vant modeste, soutient, avec les précédents orateurs, qu'il faut adop-
ter, i bref délai, un projet définitif.
Tout en étant sympathique aux idées de M. Bourgeat et aux mobiles
qui l'ont fait parler, le Congrès repousse sa proposition, y voyant aussi
peu d'utilité que, par contre, de nombreux attermoiements.
Apres diverses observations, le Congrès adopte les vœux suivants :
1° Qu'il soit demandé au Gouvernement la création de chemins de
fer iranspyrénéens ;
V Que le tracé par la vallée du Salât soit choisi de préférence à
tout autre.
d'ordre du Jour appelle la communication de M. de Lucy sur son
index géographique. Nous avons déjà parlé de cet utile travail dans
notre compte rendu du Congrès de Lyon et il donne lieu, là, à une dis-
cussion encourageante pour son auteur. M. Bonnard demande le con-
coure de toutes les chambres de commerce en faveur de l'ouvrage de
M* ie lucy. Ge dernier ne demande pas autre chose que les encours-
céments du Congrès pour sa publication.
}\ On sait que le colonel Coello est l'officier supérieur charge de la direction gé-
oerale de la carte de Pétat-major espagnol.
180 ACTES DE LA SOCIÉTÉ.
Je rappelle le vœu favorable du Congrès de Lyon de 1881 et j'appuie
la motion de M. Bonnard, laquelle est adoptée à la presque unanimité
des TOix.
M. Louis Delarand donne ensuite un aperçu et des fragments d'an
travail sur les modifications des côtes de France par les affaissement»
et soulèvements des unes et des autres, ou encore par l'action destruc-
tive des flots, ou enfin par les agglomérations amenées par les cou-
rants et les fleuves. Nous reviendrons sur ce sujet si intéressant, si
utile, si éminemment géographique, quand il aura paru dans le compte
rendu général du Congrès. Inutile d'ajouter que M. Delavaud a été très
applaudi.
Puis M. Desclaux nous entretient de V ensablement des rivières et
notamment de la Garonne. M. Desclaux nous parait être un observa*
teur consciencieux, mais il ne donne pas d'explications bien nouvelles
sur ce sujet. Le Congrès ne s'en montre pas moins très bienveillant
pour l'honorable orateur et approuve, en les modifiant, certaines pro-
positions qu'il présente sans en faire l'objet d'un vœu.
Ensuite, J'ai la parole pour demander, le temps me manquant pour
une communication sur la vulgarisation de la construction des cartes
géographiques, l'insertion de cette communication dans le compte rendo
àes travaux du Congrès. J'expose sommairement l'utilité qu'il y a pour
ceux qui enseignent la géographie et qui n'ont pas les connaissances
mathématiques spéciales, ce qui arrive dans l'enseignement à tous les
degrés, à leur donner les formules simples, pratiques, des projections
géographiques, afin qu'ils se rendent compte au moins du canevas des
cartes qu'ils emploient.
Le commandant Bianehol déclare être de l'avis contraire et ne voit
pas du tout la nécessité de connaître la construction des cartes pour
ceux qui ne sont pas chargés de les dresser. Par contre, il vou-
drait proposer que Ton mit tout le monde à même de bien lire les
cartes.
Je réponds que cette proposition ne contrecarre nullement la mienne,,
que connaissant tout particulièrement le travail de M. Blanchot sur la
lecture de la carte de l'état-major, je saisis l'occasion de l'en félici-
ter. Mais ce que je propose me parait tellement utile, que déjà la chose
a été fort goûtée dans une conférence faite aux instituteurs, qu'il aêté
récemment question avec un inspecteur d'académie de lui donner une
certaine publicité, qu'enfin un émisent professeur géographe, àLTbou-
let, avait, dans des travaux publiés par la Société, de géographie de
Paris, à deux ou trois ans d'intervalle, donné déjà des solutions prati-
ques à la portée de ceux qui ne connaissent que la géométrie et la tri-
gonométrie élémentaires. Ma communication au Congrès sera la con-
CONGRÈS DE BORDEAUX. 181
densation et le complément de ces travaux et, sur cette base, je pense
^oe le Congrès peut me faire quelque crédit.
Le commandant Blanchot se range à mon avis, et la proposition est
adoptée à l'unanimité.
IL de Saint-Saêns voudrait présenter plusieurs vœux relatifs à la
création et l'entretien de routes ordinaires et muletières dans les Py-
rénées. L'heure avancée lait reporter la discussion de ces vœux à la,
séance suivante. Celle-ci est levée i midi.
L'après-midi, c'est M. Drspeyron qui préside, assisté de MM. Lan ne-
toc et Cartailhac. En prenant place an bureau, M. Lanneluc demande
à résumer en quelques mots la communication qu'il devait faire précé-
demment snr les bureaux nautiques.
Après avoir montré l'intérêt qu'il y a à trouver dans nos ports des
bureaux nautiques dont le rôle multiple à l'égard des navires en par-
tance on en débarquement rendrait de si grands services dans les ports
étrangers. Il demande donc que le Congrès émette le vœu que l'admi-
nistration de la marine crée dant nos ports des bureaux nautiques où
Us capitaines de la marine marchande trouveront les renseignements
nécessaires, les cartes dont ifs auront besoin, et où ils pourroïit faire
régler leurs montres et leurs chronomètres.
On est étonné que de tels établissements ne soient pas encore créés
et le Congrès appuie fortement, en l'adoptant, le vœu de M. Lanneluc.
ï. flubler, commis principal des postes, a la parole au sujet du vœu
émis la veille sur la proposition de M. de la Richerie, concernant les
chemins de fer du Sénégal.
Cest pour en arriver à sortir le Congrès de l'impasse où il s'est mis
en émettant un vœu contre une loi votée par les Chambres. M. de la Ri-
cberie voudrait bien que l'on ne revint pas sur la question et 11 défend
le vote de la veille, mais le Congrès donne acte à M. Hubler de sa dé-
claration, dont la Société de Bordeaux aura à faire son profit, et passe
à Tordre du jour.
M. Branlt, pariant du vœu émis précédemment par M. Lanneluc, déclare
s'y associer et promet de le soumettre i M. le ministre de la marine et
des colonies.
fit maintenant c'est M. Manier, professeur i l'Université d'Oxford
(ï. Manier est Français), qui occupe en grande partie la séance pour
l'étude du canal de l'Océan è la Méditerranée.
Il y a (rois projets relatifs à cette importante question : celni de
M. Doclerc, président actuel du conseil des ministres, celui de M. Lau-
réat, de la Société d'Agen, et enfin celui de M. Manier.
On comprend l'importance nationale de cette entreprise et M. Manier
la défend au point de vue de l'abréviation de la roule des Indes, mal-
182 ACTES DB LA SOCIÉTÉ.
gré la redevance à payer pour le passage, ainsi qu'an point de vue de
la préférence à donnera un canal à grande navigation. H signale, en
outre, les avantages qu'offriraient les réservoirs et l'écoulement des
eaux du canal dans les grandes inondations. Il combat le projet de sup-
pléer au canal par un chemin de fer transportant les navires par terre.
H. Douzat discute #u contraire cette question et la résout par l'affir-
mative; il n'a pas le temps de préparer toute une conférence, mais il
cite les résultats obtenus dans les études préparatoires Ce chemin de
fer aurait 14 voies de front et transporterait les navires avec une ra-
pidité autrement grande que par voie d'eau. Il cite des chiffres d'après
lesquels ce chemin de fer coûterait moins qu'un canal et rendrait plus
de services.
M. Manier ne demande pas au Congrès d'adopter son projet ; mais il
désire que le Congrès émette un vœu invitant le Gouvernement à faire
sonder le lit rectifié de- la Garonne depuis Bordeaux jusqu'à Toulouse
où il arriverait à la cote 120 ainsi que dans le parcours de la Nouvelle
à Garcassonne.
M. Verstraet, qui devait venir défendre le projet de M. Duclerc, n'est
pas là. La discussion est remise an lendemain et la séance est levée
à 4 heures trois quarts.
Le soir, — car il y a toujours des séances du soir, malgré l'inter-
ruption de la veille, — c'est une conférence de M. Lemire sur la Nou-
velle-Calédonie et les Nouvelles-Hébrides. La séance est présidée par
M. de la Richerle. Nous avons pris des notes importantes sur la confé-
rence de M. Lemire ; mais comme il nous arrive à Nancy en qualité
d'inspecteur des postes et télégraphes, et qu'il nous a promis son con-
cours, il convient de réserver la primeur de ses conférences dans no-
tre Bulletin, quand M. Lemire pourra nous les faire lui-même. Aucune
appréciation personnelle ni aucune interprétation fausse ne les expo-
sera à être déflorées ou altérées. Qu'il nous suffise de constater le
grand succès de M. Lemire à Bordeaux.
Le samedi, 9, au matin, c'est M. le commandant Blanchot qui préside,
assisté de MM. Brault et Armand.
Le vœu de M. de Saint-Saëns, relatif à V amélioration des route» mu-
letières dans les Pyrénées, est adopté.
M. Delavaud lit une lettre d'un explorateur en Laponie.
M. le Président lit une lettre de M. de Lesseps, qui s'excuse de ne
pouvoir répondre que trop tard à l'invitation de la Société de Bordeaux,
retenu qu'il a été par les événements graves dont l'Egypte est le
théâtre.
En ma qualité de secrétaire de la commission spéciale du prix qua-
driennal, je donne lecture de la résolution de cette commission.
CONGRÈS DB BORDEAUX. 183
I. Débite demande le renou Tellement de deux vœux émis par le
Congrès de Lyon, Vun concernant la transformation de TÉcole des
tentes étude* commerciales, l'autre la création de chambres de cdm-
onrce françaises à l'étranger. Le Congrès adopte.
Je sônmets ensuite au Congrès les épreuves complètes du livre
for de la géographie dans VKst de la France, en faisant ressortir l'u-
tilité de ce Kvre, au point de vue de l'histoire de la géographie fran-
çaise et en demandant que le Congrès émette avec instance le vœu que
toutes les Sociétés françaises, chacune dans sa région, entreprenne,
appuie et facilite la création d' œuvres analogues. Le Congrès manifeste
tonte sa sympathie pour l'œuvre qu'a patronnée la Société de géogra-
phie de l'Est et appuie unanimement ce vœu. Trois Sociétés déclarent
avoir entrepris des œuvres analogues et Je me mets à la disposition de
celles qui auront besoin de renseignements à ce sujet.
M. Manès propose, au nom de la Société de géographie de Bordeaux,
Tadoption des vœux suivants :
!• Qu'il soit fondé, à Pans, une Revue hebdomadaire qui servirait
isrgane à l'union des Sociétés de géographie;
2° Qu'en dehors des Congrès nationaux annuels, deux délégués de
duque Société se réuniront à Paris à Pdques, à f occasion de la réw
non des Sociétés savantes ;
3« Qu'il soit demandé au ministre de l'instruction publique la créa-
tumt dans la réunion des Sociétés savantes, dune section de géogra-
Ces vœux provoquent bien des réticence» et des observations en
raison des questions budgétaires qui s'y rattachent et qui engagent les
Sociétés, et aussi dn double emploi que peuvent faire, d'une part, la
Ueue proposée et les Bulletins des Sociétés, et d'autre part, de la réu-
nion des délégués des Sociétés avec les congrès annuels lesquels per-
draient JeorineUleure raison d'être en centralisant constamment à Paris
ces réunions an détriment des centres provinciaux où sont organisés
des Sociétés.
Après une discussion à laquelle prennent part MM. Barbier, Bourgeat,
Denise et Cartailhac, le Congrès décide que ces vœux seront soumis, par
la Société de Bordeam, à l'examen de toutes les Sociétés françaises
de géographie et que le résultat de cet examen sera transmis à la So-
ciété de Bordeaux avant le 1" janvier pour faire l'objet d'une nouvelle
étude et d'un nouveau rapport qui sera soumis au Congrès de 1883.
M. Laurent, taYité à prendre la parole ponr défendre son projet du
canal de rocéan à la Méditerranée, renonce à se faire entendre. Il
pense que la question a été suffisamment étudiée et il se borne à de-
mander que le Congrès émette le vœu que son projet de canal soit exa-
184 ACTES DIS LA SOCIÉTÉ.
miné par la commission supérieure chargée de l'examen de celai de
M. Duclerc.
M. Hautreux, vice-président de la Société de Bordeaux, se déclare
prêt à parler au nom de M. Verstraet; mais, croyant la question suffi-
samment étudiée, il fait valoir en quelques mots des considérations
tendant à ce que le Congrès émette le vœu que, vu le caractère consi-
dérable de l'entreprise, le projet dn canal de l'Océan à la Méditerranée
soit immédiatement soumis aux enquêtes.
La proposition est combattue de divers côtés ; M. Bourgeat présente
à son tour un vœu conçu dans des termes très généraux et visant le
principe de la nécessité de la création d'une voie de grande communi-
cation entre les deux mers. M. Cartailhac appuie la proposition et
M. Basseylance demande que Ion spécifie s'il s'agit d'un canal a grande
ou à petite section. C'est de la grande section évidemment qu'il s'agit
et le vœu de M. Bourgeat, auquel un vote accorde la priorité, est adopté
à l'unanimité.
Puis M. le commandant Blanchot, qui cède un instant la présidence à
M. Brault, nous entretient de la désorganisation des montagnes. C'est
surtout des déboisements qu'il s'agit et des ravages causés par les
inondations. Nous rentrons en plein dans la géographie physique avec
le sympathique et savant officier et, avec lui, on suit de près l'action
des météores sur les diverses espèces géologiques de terrains, suivant
que les forêts les abritent ou que les déboisements irréfléchis les
exposent â la destruction. Il décrit alors ces phénomènes instantanés
et prodigieux d'accumulation des eaux qui jettent soudain, et avant
que les riverains, même prévenus par le télégraphe, aient pu s'en dé-
fendre, la dévastation et les sinistres sur tout le parcours des affluents
de la Garonne qui descendeut des flancs rapides et creux des Pyrénées.
Et 6i Ton n'y prend garde, le fléau des inondations ne fera que se mul-
tiplier. Le tableau est sombre, il n'est que temps de parer à ces dan-
gers. Aussi le commandant propose-t-il au Congrès d'émettre un vœu
pour prier le Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires
contre le déboisement des Pyrénées.
M. Bourgeat appuie la proposition et l'étend même en demandant
que l* service des inondations soit définitivement amélioré.
Mais ceci est une proposition nouvelle; c'est du moins ce qui ré-
sulte d'une discussion à laquelle prennent part MM. Bjsseyllance. Ma-
nier, Lanneluc, Bourgeat, Cartailhac, Dr Berchon et Desclaux, et quia
pour résultat la disjonction : les deux vœux de MM. Blanchot et Bour-
geat sont sucessivement adoptés à l'unanimité.
M. Bonnard succède à M Blanchot pour faire une communication sur
le canal de Panama, ou plutôt sur les conséquences de son perce*
CONGRES DE BORDEAUX. 185
sent, et en particaiier en ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie. Le
temps presse et M. Bonnard n'a pu le lohir de développer son sujet
comme le comporterait son importance, mais il tend précisément à ce
que le Gouvernement français renonce désormais à faire de la Nou-
velle-Calédonie une colonie pénitentiaire eu la transformant en une vé-
ritable colonie commerciale.
Quelques membres des pins compétents émettent un avis un peu hâ-
tif certainement, car ce qui empêche d'appuyer le vœu de M. Bonnard
fl'est pas une raison d'opposition absolue, mai* plutôt l'impossibilité
d'indiquer an Gouvernement le point où il devra désormais préférable-
méat diriger les condamnés, ceci étant du reste une question d'admi-
nistration. Il semble que, malgré cela, au moment où nous écrivons,
ridée de M. Bonnard fait son chemin et qu'il se pourra bien que, lors
de l'inauguration du canal de Panama, la question soit définitivement
résolue par l'affirmative.
Toutefois, ce vo'e me décide à signaler au Congrès une grande lacune
dans la procédure suivie pour l'élaboration, la discussion et la sanc-
tkm dts vœnx émis régulièrement par le Congrès. Je déclare donc
fne depuis l'origine des Congrès nationaux, j'assiste à leurs délibéra*
tins, que bien des vœui, trop de vœux, a mon avis ont été émis qui,
pour les neuf dixièmes, sont tombés dans l'oubli et la stérilité par cette
double raison que l'on en appelle trop souvent à l'intervention et à
Pinitiative directe du Gouvernement et que jamais on ne le met en
présence de projets étudiés, mûris, prêts enfin à recevoir sa sanction
après examen. Aussi arrive-til qu'ils vont se perdre régulièrement au
fend des cartons des ministères qui n'en peuvent mais, et c'est pour
éviter cette issue inéluctable en l'état actuel que j'appelle l'attention
do Congrès sur ce point.
Sur l'approbation de plusieurs membres, M. le Président me demande
si j'ai formulé un projet de vœu. Je réponds que pour être conséquent
svec moi-même ce n'est pas un vœu que jejormule, mais une invita-
tion que j'adresse au Congrès, et dont l'insertion au procès-verbal me
suffit pour le moment, afin que l'attention de tous ses membres soit
«ppelée sur ce point à l'avenir et cela pour le succès des vœux des
Congrès futurs, à savoir : qu'il y a lieu, conformément au projet de
règlement du Congrès que je dépose sur le bureau pour être inséré
sans Je compte rendu général, de faire préparer et mûrir les travaux
susceptibles d'études techniques et de les faire déposer avant le Congrès
•fin qu'ils soient communiqués et approfondis, car il n'est pas possible
qu'avec la multiplicité des questions à traiter et le peu de temps que
dure la session, les projets puissent être élaborés et volés en connais-
sance de cause. J'ajoute, en terminant, que pour avoir moins à recourir
186 ACTES DE LA SOCIÉTÉ.
non à l'intervention toujours nécessaire du Gouvernement dans les
choses qui sont d'intérêt général ou régional, mais à son initiative, il
convenait d'étudier les moyens que les Sociétés pourraient employer
pour donner elles-mêmes une sanction efficace aux vœux du Congrès. Il
y a peut-être là une plate-forme nouvelle d'entente pour les Sociétés,
à propos du projet de prix quadriennal qui est renvoyé à la Société de
Lyon.
MM. Hubler, Bo orgeat, CartaNhac, Lucy, Bonoard, et tout particuliè-
rement MM. Brault et Anthoine, délégués des ministères approuvent
ma déclaration et M. le président s'y associe et m'en donne acte.
Enfin. M. Joseph Miot expose la nécessité d'une plus grande publicité
en faveur de nos travaux et il espère obtenir ce résultat en formant
une ligue des commis voyageurs qui sera chargée d'être en quelque
sorte le porte-voix autorisé des congrès des Sociétés de géographie.
Cette proposition, qui n'est pas certainement sans offrir un grand inté-
rêt, ne peut malheureusement être votée, la plupart des membres étant
sortis, à cause de l'heure avancée et en prévision de la séance de l'a-
près-midi, qui sera la séance de clôture.
Cette séance de clôture a quelque sole nnité : elle est présidée par
M. le Dr Àzam, président du groupe géographique du Sud-Ouest, assisté
de MM. Brault, délégué du ministère de la marine, Anthoine, délégué
du ministère de l'intérieur, Lanneluc, vice-président de la Société de
géographie de Bordeaux.
Nous épargnerons à nos lecteurs l'exposé des rapports successifs des
commissions du jury. Signalons seulement les principales récompenses
décernées.
Dans la lrs section (Enseignement), Diplômes d'honneur : MM. Rigaud,
géographe à Bergerac; Leclerc, professeur à Paris; l'École deMonlivfl-
liers (Seine-Inférieure). Des médailles d'argent sont décernées à M. Moa-
nier, professeur à Chalon-sur-Saône, à l'École supérieure de filles de
la rue Chavarus et à l'École supérieure de garçons de la rue Pélegrin.
Dans la 2° section (Collectivité et missions scientifiques), Diplôme
d'honneur (et rappels) : Le commandant Gallîéni; C. A. Vermines:, i
Marville; J. Y. Barbier, à Nancy (!) ; commandant Blanchot, à Toulouse;
Survey Department, à Victoria (Australie); New SoxUh-Wales gaver*-
ment (Australie) ; le conseil général de la Gironde ; le conseil général
de la Haute-Garonne; Georges Revoil, explorateur au pays des Çomalii;
Colin, éditeur à Paris. — Médailles de vermeil : MM. les capitaines
Vallière et Piétri; E. Guinet, à Lyon; E. Ferret et Privas; lieutenant-
(') La Société philomathlque n'avait pas de section spéciale de géographie, et le
jury de son exposition générale a compris tons les travaux géographiques dsai 1*
seotlon de VMnteignenuni. De ee chef, nons avons obtenu une médaille d'argent.
r
CONGRÈS DE BORDEAUX. 187
colonel Derricn et capitaine Delaneauz. — Médailles d'argent :
IM. Zweifel et Moustier; Germer-Bailtière, à Paris; Pierre, à Saigon ;
Douta; Raulin; Cou tau; Baseyllance, vicomte de Sanderval.
Enfin, dans la 3* section (Travaux particuliers), Diplômes d'hon-
neur (et rappels) : M11' Klein haus; MM. F. Schrader; Dr Armaignac;
commandant Prudent ; baron de Saint-Saud. — Médailles de vermeil
(et rappek) : DrLesson; MM. Labroue; Pey-Berland; Dr Bourru. —
Médailles d'argent: MM. Lemire; Hautrenx; Lapierre; Panl Cousin;
Casdé; Boulnoîr.
Après la proclamation des récompenses, on décide qoe la prochaine
session do Congrès national de géographie aura lieu à Rouen. M. 0.
Renaud, qui représente la Société normande, n'étant pas autorisé,
■'accepte que sous condition que cette acceptation sera ratifiée par Je
bureau intéressé (*).
Puis, dans un discours de quelques lignes, lequel en substance re-
mercie tous les délégués, M. le président clôt la 5e session du Congrès
national de géographie. Â Tan prochain.
Mais ce n'est pas tout. Le Congrès a eu un épilogue, même deux :
boqs nous en tiendrons au premier, auquel nous avons pris notre
part, le second n'ayant eu lien qu'à demi et cela par un temps absolu*
Beat déplorable.
Cet épilogue c'est la promenade à Arcachon ; voyage de compagnie,
de géographie pratique, de visu et dans des conditions quelque peu
tilërentes des explorations du Congo ou de l'Amazone. C'est le lende-
anin, dimanche, qu'a lieu notre excursion et cela malgré les prémices
décourageantes qu'un orage éclaté dans la nuit nous procure au départ.
Le temps, beau jusque-là, se traduit en ce moment par un véritable
èlnvinm. Enfin, on part quand même, au nombre d'une quarantaine de
persoooeF, et M. le maire d'Arcachon, qui a eu toutes les prévenances.
«mis a fait préparer deux wagons-salons à la gare du Midi à Bordeaux.
Lui-même nous attend à l'arrivée à Arcachon, non pas tout seul, mais
avec l'orphéon de la ville qui, au milieu d'une pluie battante, nous
escorte en nous jouant ses meilleurs morceaux. Et nous allons direc-
tement nous embarquer, sans prendre le temps de se rafraîchir, sur
le bateau à vapeur, mis â notre disposition, qui nous emmène direc-
tement au phare du cap Ferret, de l'autre côté du bassin d'Arcachon.
H y a là, dans un poste forestier, sur la plage, au pied du phare, un
déjeuner qui se prépare et, en attendant, afin sans don te de pousser
à son paroxysme la faim canine qui nous dévore et de permettre
(*) Depuis Ion, Rouen a décliné cal honneur en reportant ton acceptation à Tan.
■eelSM, et e'evt Douai, siège dn groupe de l'Union géographique du Nord, qui re-
«em, le Congre» le 2* août 1883.
188 ACTES DS LA. SOCIÉTÉ,
surtout audit déjeuner de Tenir à point, nous escaladons les trois cent
neuf marches qui conduisent au haut du phare (SI mètres de hau-
teur).
Ici, nous faisons de la géographie pratique et le temps, qui s'est
élevé dés notre débarquement, nous permet de tirer quelque profit de
notre petite exploration. La brume, malheureusement, nous ferme
l'horizon, mais elle ne nous empêche pas de voir de haut la chaîne de
dunes qui vient finir en pente douce au capFerret. Rien dans cette lan-
guette aplatie de terre ne donne l'idée que Ton se fait en général
d'un cap, encore moins d'un promontoire. Chaque marée le recouvre
de quelques cents mètres,4Ie découvrant d'autant quand elle se retire,
en mettant à fleur d'eau les innombrables bancs d'huîtres qui longent
la rive intérieure du bassin. Au loin, vers le nord, s'étend la file indé-
finie des dunes, monticules allongés et mouvementés comme des
vagues soudain immobilisées. En face, vers le sud, et au delà de
l'étranglement du détroit qui sert de déversion au lac, on Toit l'extré-
mité verte et gaie de la forêt d Arcachon avec quelques habitations de
plaisance que domine la villa Péreire.
M. Méran, maire d' Arcachon, se fait un plaisir de nous donner à tons
les renseignements que nous lui demandons, et nous adressons ici ea
passant à notre honorable et très sympathique cicérone nos remerd-
ment les plus sincères.
Cet étranglement du détroit Ta toujours se rétrécissant davantage et
l'on prévoit l'époque où il sera fermé tout à fait. On est étonné devoir
que ce bassin, abrité dans une situation merveilleuse au fond d'un des
plus beaux golfes du monde, n'ait pas été utilisé pour rétablissement
d'un port sans rival. On n'a pas attendu Jusqu'aujourd'hui pour y
songer; malheureusement le sable y est si mobile et les bas-fonds si
variables, qu'il n'y a pas d'endiguement possible capable d'assurer la
praticabilité du passage.
Mais nous redescendons en toute hâte, nous n'y tenons pins, car
l'air vif et pénétrant de la plate-forme du phare nous a complètement
achevés et nous accourons à la table préparée par des matelots aux
pieds nus, bonnes gens qui se mettent en quatre et en vrai bran*
le-bas de combat pour arriver à mettre en place une cinquantaine de
couverts et à ouvrir quelques bourriches d'huttres, M. le D** Àxam
préside, ayant en face de lui M. le maire d' Arcachon. Ces messieurs
ont à leur côté MM. Daney, adjoint au maire de Bordeaux, Casauvieilb,
député, Brault, délégué du ministère de la marine, etc.
« Par certains aspects, dit le rédacteur de la Gironde qui nous ac-
compagne, ce déjeuner a été homérique. Nos garçons de salle étaient
des marins. Nous manquerions à tous nos devoirs si nous ne leur
CONGRÈS DB BORDEAUX. 189
adressions ici nos félicitations et nos remerclments les pins sincères
pour l'empressement et l'affabilité qu'Us ont mis dans ce service. Que
de victuaille, ô doux Pantagruel ! It comme ces braves gens- là, arec
leur torse houleux, avec le balancement naturel que communique au
corps Thabitude de la mer, allaient et venaient chargés de plats et de
laçons! Huîtres, jambon, homard, poulet froid et roastbeef, tel a été
le menu que les effluves salées et les senteurs résineuses nous ont fait*
dévorer de tontes nos dents. »
11 ne parait pas qu'il doive y avoir de place pour les toasts dans un
compte rendu sommaire comme celui-ci. Et pourtant il est de ces
choses qui sont banales dans les situations ordinaires et qui emprun-
tent parfois aux circonstances une valeur d'originalité propre.
M. Schrader père, digue et sympathique vieillard, buvant à cette
réunion d'hommes qui, peut-être, ne se reverront plus, propose d'en
perpétuer le souvenir en nous faisant tous photographier.
Pois M. le Dr Àiam porte un toast à M. le maire d'Arcachon, lequel
répond en buvant au Congrès géographique. En souhaitant tout le
nceés possible aux travaux qu'il a accomplis, M. Méran explique inci-
demment qu'il y a deux dictionnaires à la mairie, l'un de Bouillet ,
ftntre de Bescherelle. Leurs éditions sont antérieures à 1870. Or, a
l'article Ar cochon, l'un dit : ■ Petite lagune qu'une société est en
train de dessécher ■. Et l'autre : § Petit golfe formé par l'océan Atlan-
fiqoe, dans ta Charente-Inférieure ». (On rit.)
M. Casauvieilb, en galant homme, boit aux dames qui ont pris part
i h promenade.
IL Gartailhac porte un toast i la presse auquel répond H. Duprat, en
bâtant aux délégués des sociétés.
Je réponds à ce dernier au nom de mes collègues en portant un
toast à nos compatriotes de r Alsace-Lorraine.
Un Messin, un ami, H. Lucy, me remercie c en quelques mots cha-
leureux et émouvants ». C'est Oui et Ton va se faire photographier.
laire temps et alors qu'avant le déjeuner les conchyliologues ont
exploré la plage, les botanistes i leur tour, après, vont étudier la flore
si riche et si variée de la dune. Pour les géographes, ils visent aux
moyens de rapatrier le bateau et, vu la distance qui nous sépare de
rembarcadère, afln de ne pas refaire la marche du matin sur le sable
pendant plus d'une demi-heure, ils arrivent i grouper un certain nombre
de chaloupés pour aller à coups de rames rejoindre le bateau.
La traversée du bassin est parfois houleuse et ne laisse pas, a cer-
tains moments, d'être pénible ; mais le temps s'est tout à fait mis au
seau, et c'est par un soleil splendide et sur une eau calme comme celle
fou lac que cette promenade s'achève.
190 ACTES DB LA SOCIÉTÉ.
Mais aussi quel dédommagement au temps abominable de ce matfa et
combien ce soleil dore et fait miroiter le riant et gracieux panorama
des centaines d'habitations de plaisance qui bordent la plage, depuis la
villa Perdre qui est en haut de la pointe de la forêt, jusque près de la
pointe de l' Aiguillon !
fai dit que cette forêt d' Arcachon formait la pointe de la ligne sud
des dunes. Avant 1784, le pays était assujetti aux invasions dn
sable, aux mouvements désastreux souvent des dunes. On raconte que
Brémon tiers, explorant le golfe de Gascogne, vit une de ces montagnes
de sable, haute de 60 mètres, marcher et s'avancer de plusieurs pieds
dans la terre en moins de deux heures. Déjà l'abbé Desbiey, secrétaire
de l'Académie de Bordeaux', avait publié un mémoire sur une manière
d'ensemencer les dunes et M. de Ruât, seigneur du captalat de Buch
avait fait des essais qui avaient pleinement réussi. Mais Brêmontiers
eut la gloire de généraliser et de faire appliquer le remède, et il fit
accueillir par le Gouvernement les propositions formulées dans son
mémoire adressé au roi en 1 784. Vingt-cinq ans durant, il a poursuivi
son œuvre et elle se continue encore aujourd'hui.
De retour à Arcachon, notre première visite est pour le musée, et eu
particulier pour l'aquarium de la Société scientifique. Ici, ce sont les
ichtyologues qui sont dans leur élément, et pour nous, nous n'avoas
qu'à regarder en profane ces merveilles de la mer (il s'entend en par*
ticulier du bassin cT Arcachon) auxquelles d'ailleurs il faudrait consacrer
une étude spéciale assez longue et aussi hors de notre cadre qu'elle
l'est de notre compétence.
La Société scientifique, en corps, nous fait les honneurs dechex
elle : qu'elle reçoive de nouveau ici l'expression de notre gratitude.
Notre exploration se continué par un voyage en forêt et nous avons
pour obligeant cicérone H. Lapierre, architecte, adjoint de la ville de
Bordeaux.
Quand nous disons forêt, c'est une façon de parier, car toute la
partie avoisinante d' Arcachon est uu parc pittoresque où se trouvent
des villas, des cottages, des constructions de toutes sortes : suisses,
mauresques, etc. Le casino, que Ton nous fait visiter dans toutes ses
parties, est lui-même une merveille d'élégance et de luxe. Tout eeit
est du domaine des baigneurs et la géographie n'a pas grand'chose à y
voir.
Pourtant, Arcachon même a une physionomie particulière due à son
extension rapide et prodigieuse. Rien ne peut donner l'idée du bissrre
et original spectacle de la principale rue de cette petite ville, produit
par ces humbles maisonnettes de pêcheurs qui sont restées entre tant
de constructions diverses, bizarres elles-mêmes mais gracieuses, et qui,
CONGRÈS DE BORDEAUX. 191
pour se donner un peu d'aspect, sont blanchies et revêtues dé fausses
façades décoratives en rue de les sortir un peu de l'écrasement qu'elles
subissent par le voisinage des autres.
Mais le soleil baisse à l'horison, il faut revenir à l'hôtel Continental,
où doit avoir lieu un dîner officiel cette fois et offert par la municipa-
lité arcachonnaise.
De la galerie qui se trouve sur la plage en la dominant, on découvre
très bien à la marée basse l'Ile des Oiseaux, où se trouvent les plus
beaux parcs d'huîtres de tout le bassin. Au loin, à l'horizon, on em-
brasse ce dernier dans toute son étendue. Il a 10,275 hectares de
saperficie et 80 kilomètres de pourtour. Sa profondeur à basse mer
est de 8 à 19 mètres, et la marée couvre et découvre alternativement
8,000 hectares, soit plus de la moitié de sa superficie, susceptibles
d'être mis en exploitation pour le frai des huîtres, d'en alimenter le
monde entier et de donner un rapport de 15,000,000 fr.
Âpres bien des essais et des déboires, la culture de l'huître parait
être filée aujourd'hui. Le frai est recueilli sur des tuiles enduites de
mortier hydraulique et placées en ruches ; c'est sur l'enduit de ces tuiles
qoe s'accroche la petite huître. Lorsqu'elle est suffisamment dévelop-
pée, on la détroque, c'est-à-dire qu'on enlève le mortier en raclant la
tuile, et avec le mortier Thuitrc tombe. Elle est ensuite placée dans
des caisses garnies de fils de fer, de façon à la mettre à l'abri des
animaux nuisibles tels que les squales, Jes raits, les cormaillots, les
crabes, les étoiles de mer, etc., ainsi que du sable et des algues.
Lorsque l'huître a pria une force suffisante, on la dépose dans des
claires, vastes bassins toujours garnis d'eau, de façon à ce qu'elle
soit ainsi à l'abri de la gelée et du soleil.
flous en étions là, comme le soleil lui-même se couchait, quand un
mouvement se produit dans l'hôtel : c'est M. le préfet qui est venu
nous rejoindre et qui va présider le banquet en compagnie d'un dé-
puté et de deux conseillers généraux de la Gironde. Décidément, il
j a ici une émulation que nous n'avons encore rencontrée nulle
part, et je ne sache pas que des villes se soient à ce point montrées
hospitalières aux congrès géographiques. Non que nous ayons à nous
plaindre de ce surcroît: il y aurait plus que de l'ingratitude à cela
et l'on sait assez en quelle estime j'ai la science géographique, que
j'appellerai sans exagération la science patriotique par excellence,
pour ne pas applaudir des deux mains à cet accueil sans précédent
et pouvant servir d'exemple aux villes auxquelles il échoit, plus qu'à
toutes les antres, d'encourager et d'honorer tout ce qui, de près ou de
loin, touche à la France.
ierci donc ici, d'une façon toute particulière, à M. Saisset-Schneider,
192 ACTES DE LA SOCIÉTÉ.
prëfet de la Gironde, à M. Cazaovieilh, député, à M. Méran, maire
d'Àrcachon, comme nous avons dit merci à la municipalité bordelaise*
Je passe sur le banquet où les toasts se renouvelèrent d'une façon si
cordiale et si hospitalière.
Rien n'a mauqué à cette fête, pas même le feu d'artifice, et il a
fallu que l'heure nous rappelât à la nécessité de quitter des hôtes $
généreux et si sympathiques,
Le lendemain, c'était pareille expédition préparée pour la pointe de
' Grave. Mais le temps fit avorter cette Journée, à laquelle du reste je
n'ai pu prendre part. Des circonstances graves et douloureuses me
rappelaient : ma mission était remplie d'ailleurs, et une triste tâche
m'attendait au retour.
Un dernier mot
A côté de tous les travaux du Congrès, il en est encore qui loi
furent soumis sous forme imprimée: c'est d'abord une Esquisse suri*
Hollande, par M. Breittmayer, de la Société de Marseille, et une note
sur Y Irrigation et l'assainissement dans la région du Bas-Rhin, do
même auteur; puis des Notes star t archéologie préhistorique en Por-
tugal, par M. de Gartailhac, et une étude sur les projets de canal ma-
ritime de V Océan à la Méditerranée, rapport présenté par M. Barquin,
tous deux de la Société de géographie de Toulouse; enfin une étude
sur le canal calédonien par M. Hautreux et une sur le Japon par
M. Labroue : autant d'oeuvres sérieuses qui viennent s'ajouter au coatia-
gent déjà si considérable du Congrès national de Bordeaux.
Mous ne surprendrons personne quand nous dirons que le succès de
celui-ci est dû tout entier au bureau de la Société de géographie de
Bordeaux et particulièrement â notre laborieux et sympathique col-
lègue, M. J. Manès, que nous nommons entre tous.
11 me reste à parler de l'exposition géographique. Malheureusement,
malgré une certaine abondance de travaux importants et remarquables,
elle fut sacrifiée à l'Exposition générale de la Société pbilomaihiqoe
qui la refoula en partie jusqu'à l'École supérieure de commerce, on fut
créée à la hâte une salle supplémentaire, après l'avoir entassée dans
un local restreint à l'extrémité du bâtiment principal. C'est d'ailleurs II
conséquence et le danger des expositious partielles greffées sur une
exposition générale et c'est ce qui nous fait ardemment souhaiter qoï
l'avenir pareille coïncidence soit évitée. Elle a donné beaucoup, beau-
coup de mal à ses organisateurs et n'a pas été, n'a pu être appréciée
comme elle le méritait. Toutefois, ceci ne saurait constituer l'ombre
d'une critique, mémo indirecte, à l'adresse de l'Exposition phlloma-
thique qui fut véritablement merveilleuse et à laquelle toute la presse
ajustement payé son tribut d'admiration. J.-Y. B.
SECTION VOSGIENNE.
ASfiEMBLBB GENERALE ANNUELLE DU 28 JANVIER 18 83.
L'assemblée générale des membres de la Section vosgicnne a eu
Ken le dimanche 28 janvier 1883, à l'Hôtel de Tille d'Épinal.
M. Gley, vice-président, a ouvert la séance par une allocution dans
laquelle il a montré les efforts de nos explorateurs pour établir solide-
ment la puissance .de la France sur deux points principaux de notre
globe : au cœur même de l'Afrique, sur le Niger et le Congo, et dans
r extrême Orient, sur le Fleuve Rouge.
Ensuite, le secrétaire a résumé les travaux de la section pendant
Tannée qui vient de s'écouler. « Votre Comité, a dit M. Graillet. s'est
efforcé, surtout pendant cette année, de ménager les ressources de la
Section, néanmoins, il a organisé quelques conférences publiques qui
ODt obtenu le plus vif succès. Vous vous rappelez sans doute celle de
I. Sylvin sur r Arabie inconnue, celle de M. Garnier sur le Transsaha-
rien, enfin l'entretien si intéressant de M. Georges Renaud sur l'Al-
gérie.
« Trois conférences en un an, c'est peu ! Mais l'état de notre caisse
se nous permettait pas de faire davantage. En effet, par suite des dé-
penses considérables occasionnées par notre exposition géographique,
le budget de 1881 s'était soldé par un déficit d'environ 50 fr. Dans
ces conditions, la plus grande réserve nous était imposée. C'est alors
qu'au lieu de conférences, nous avons établi, pour les membres de
U Société, des lectures géographiques destinées à faire connaître les
nouvelles et les découvertes les plus récentes.
• Ces réunions si utiles n'ont pas été suivies, et nous avons dû y
renoncer, faute d'auditeurs. Nous serons donc obligés d'en revenir au
système des conférences publiques, c'est-à-dire au moyen le plus pra.
fiqne d'atteindre notre but, vulgariser la science géographique et ré-
pandre ses connaissances parmi les masses.
■ Le Comité que vous allez élire aura tout d'abord à s'occuper de cette
qnestion si importante. Vous verrez d'ailleurs par la situation finan-
cière que J'aurai l'honneur de vous présenter au nom de notre hono-
rable trésorier, qui n'a pu assister à cette réunion, vous verrez que
les ressources dout nous pouvons disposer au commencement de cette
nouvelle année, nous permettent d'entreprendre une œuvre active de
propagande géographique.
• 3lon seulement nous avons pu faire face à toutes nos dépenses
ordinaires: paiement du Bulletin, de l'annuité du Tour du monde
acheté il y a deux ans, de l'abonnement à ce même Tour du monde
SOC D« «aOflK. — 1" HT 2* TKIMKITRK8 1833. 1S
194 ACTES DE LA SOCIÉTÉ.
et à Y Exploration, etc ; mais nous ayons encore inscrit la Section
vosgienne pour une somme de 50 fr. sur la liste de souscription ouverte
dans le but d'élever un buste à l'illustre et regretté docteur Crevaui,
et il nous reste plus de 450 fr. disponibles sur le budget de 1882.
c Aussi, dans sa dernière réunion, votre Comité a décidé que quel-
ques-uns de ses membres se rendraient prochainement à Remiremont,
aûn de faire connaître notre Société dans cette ville, où nous n'avons
pas encore d'adhérents. Notre action pourrait s'exercer sur d'autres
points du département où Ton ignore peut- être qu'il existe, à Épinal,
une Société de géographie. Enfln, nous devrons nous efforcer d'attirer à
nous MM. les instituteurs, dont l'admission a été réglée par vous l'an-
née dernière, moyennant le paiement d'une cotisation annuelle de 6 fr.
• En terminant, Messieurs, permettez-moi de constater la marche
ascendante de la Section vosgienne. Elle a débuté, en 1879, avec
100 membres; en 1880, nous étions 140; en 1881, 160; et aujourd'hui
nous sommes 180 : demain, si nous voulons, nous serons 200 et pins.
Efforçons- nous donc d'augmenter le plus possible le nombre des mem-
bres de la Seciion vosgienne, car, il ne faut pas l'oublier, dans une
Société ouverte comme la nôtre, le nombre c'est la force. •
M. Graillet a présenté ensuite les comptes de M. Lebrunt, trésorier,
lesquels ont été approuvés par l'assemblée. La proposition de M. Le-
brunt, relative à la publication d'un petit bulletin trimestriel particulier
à la Section vosgienne a été approuvée à l' unanimité.
M. Lecomte, bibliothécaire, dans un rapport très complet, a fait con-
naître à l'assemblée les richesses contenues dans la bibliothèque de la
Section. M. Lecomte a dressé un catalogue de tous les ouvrages et
cartes de la Seciion et a demandé l'insertion de ce travail dans uu
des numéros du Bulletin. Cette proposition a été adoptée à l'unanimité.
Enfln, il a été procédé à l'élection des membres du Comité pour
Tannée 1883. Ont été élus :
MM. Bailly, à Bains; Florion, à Épinal; Fournicr, à Rambervillers;
Garnier, à Épinal; Gazin, à Épinal; Gley, à Épinal; Graillet, à Épinal ;
Haillant, à Epinal; Huot, à Épinal; de Jarry, à Épinal; Lebrunt, i
Épinal ; Lecomte, à Épinal ; Le Moyne, à Épinal ; Liétard, à Plombières;
Tan an t, à Épinal.
SECTION MEUSIENNE.
ASSEMBLÉS GÉNÉRALE DU 21 JANVIER 1883.
La Section meusienne de la Société de géographie de l'Est s'est
réunie le dimanche 21, sous la présidence de M. Langrognet, inspec-
teur d'Académie, son vice-président, ponr entendre: 1° le compte
SECTION MECSIBNNB. ' 195
rendu de ses travaux; 2° Je compte financier pendant Tannée 1882;
3* la lecture de plusieurs mémoires envoyés par des associés; 4° et
procéder an renouvellement de son Comité d'administration.
La séance ayant été déclarée ouverte, IL le Président a proclamé
les noms des associés nouvellement admis par le Comité (').
Cette proclamation faite, la parole a été donnée à M. Armand Bras-
seur, pour la lecture du compte rendu des travaux de l'exercice pré-
cédent.
L'assemblée adopte ensuite les comptes de M. Belot, trésorier, et lui
tôle des remerciements pour le dévouement qu'il a apporté dans 8a
gestion.
La seconde lecture portée à Tordre du Jour était celle d'un rapport
adressé par M. Josse, commis des postes à Paris, sur le voyage de
M. Aimé Ollivier, vicomte de Sanderval, intitulé : De V Atlantique au
Xi&r par le Foutah-Djallon. L'assemblée, après cette lecture, qui a
êtéfeitepar H. Ronfort, instituteur à Bar-le-Duc, a voté des remer-
ciements à son auteur, et a demandé f impression de ce travail dans
les Mémoires de la Société.
A ce moment, 11. le Président, obligé de s'absenter, prie M. Paget,
membre du Comité, de vouloir bien le remplacer au fauteuil.
M. Génin, professeur d'histoire au Lycée de Nancy, ayant envoyé,
après Hmpression de Tordre du jour, le petit mémoire ci-après, M. le
Président invite M. Richier, instituteur à Bar-le-Duc, i en donner lec-
ture:
Les Français et les Belges au Congo.
■ Le lieutenant de Rrazza vient de repartir pour le Congo, où il va
s'efforcer d'assurer le maintien et le développement de la situation
déji acquise. Sont but est de relier Franceville et Brazzaville à TOgowé
et i T Atlantique par la fondation de stations et de postes intermé-
diaires.
. • Mais il reste à surmonter quelques obstacles : d'abord ce projet
d'exploration et d'occupation ne sera-t-i! pas, comme Ta été le voyage
de MM. Marche et de Gompiègne, entravé par les Ossyèbas, anthropo-
phages peints en rouge et armés de fusils qu'ils chargent avec des
morceaux de fer et de fonte, ou par les féroces Apfourous qui ont une
première fois forcé M. de Brazza à la retraite! N'avons-nous pas, eu
outre, à redouter les envahissements des Belges et la Jalousie des An-
glais? Nos voisins d'outre-Manche, qui se montrent en Egypte et a
Madagascar si peu respectueux de nos droits et de cos intérêts, ne
('} Voir U liste générale.
196 ACTES DB LÀ SOCIÉTÉ.
▼ont-ils pas encore susciter des difficultés à une entreprise dont le bai
est surtout humanitaire? Les agissements des Belges et l'insolente hau-
teur avec laquelle Stanley a accueilli les avances de M. de Brazza nom
le font craindre.
t Grâce aux habiles négociations de M. Fernand d'Azevedo, chargé
d'affaires de S. il. Très-Fidèle en France et connu dans le monde litté-
raire par une excellente traduction des Lusiades, M. Duclerc a déclaré
qu'il attachait le plus haut prix aux relations d'amitié qui nous unis-
sent à la nation portugaise, et qu'il respecterait les droits et les pré-
tentions de ce Taillant petit peuple. Un accord est intervenu ; nous
abandonnons au Portugal toute la rive gauche du Congo et, sur la rive
droite, il nous laisse nous étendre tout à notre aise à compter du
5°12' de latitude sud.
« Dès lors, on pouvait croire que toutes les difficultés étaient apla-
nies, et que nous resterions sans contestations paisibles possesseurs
du pays découvert et exploré par M. de Brazza. Il n'en est rien. L'amé-
ricain Stauley, qui s'est mis au service de l'Association internationale
africaine dont le but apparent est d'éteindre progressivement la traite
des esclaves et de /râper dans l'Afrique intérieure les voies d'accès de
la civilisation, a fondé sur le Congo cinq stations soi-disant hospita-
lières, mais qui sont, en réalité, autant de postes au moyen desquels
les Belges prétendent étendre leur domination sur ces contrées. Tout
le long du fleuve, dit le Comité belge des études du Haut-Congo, nom
rencontrons des compatriotes. A Km borna et à Noki, 11. Cil lis, secondé
par d'autres nationaux, dirige deux comptoirs belges. Seize kilomètre*
plus loin, nous abordons à Vivi, station belge. Sous prétexte de porter
la civilisation au cœur de l'Afrique, l'Association internationale, pa-
tronnée et dirigée par le roi des Belges, poursuit donc un bat toi
différent : la conquête du pays.
« D'un autre côté, l'Angleterre conteste au Portugal la possession
certains points du nord d'Ambriz afin sans doute de se ménager m
occasion d'intervenir au Congo. Or, les droits de la couronne de Pc
tugal sur les rives du grand fleuve, l'Angleterre les a reconnus foi
lement en 1844 et indirectement en 1846. Ainsi le cabinet britannii
soulève des difficultés à propos de possessions garanties à un peopj
pacifique par les conventions internationales, et il ferme complaît
ment les yeux sur les agissements de l'Association belge-africaine
laquelle il ne tarderait pas sans doute à se substituer. Quanti
France, elle a intérêt à ne pas s'aliéner les sympathies des Porto
dont l'influence est considérable sur les rives du Congo, où leurs
tentions ne contredisent en rien les droits que nous venons d'acquj
rir par un traité avec le roi Makoko. •
SECTION MEUSIEKIfB. 197
U est ensuite procédé an scrutin pour le renouvellement do Comité
de direction l'j.
Bc union du 29 janvier.
Le Comité de direction élu par l'assemblée générale du 21 janvier
t'est réuni le lundi suivant, 29, à l'effet de constituer son bureau pour
Tannée 1883.
Etaient présents : MM. Bonnabelle, Armand Brasseur, Laurent, Lé-
caaodel, Xaudin, Paget, Porche rot, Ronfort et Sailliet.
S'excuse par télégramme, pour raison de santé, M. Narcisse Des-*
champs.
1. Sailliet, doyen d'âge, a rempli les fonctions de président, et
M. Armand Brasseur, le plus Jeune des membres présents, celies de
secrétaire (*). Il est procédé au scrutin (*).
On des membres du Comité demande la parole ponr rappeler la part
active que M. Bonnabelle a prise à la fondation et au développement
te fa Section meusienne de la Société de géographie et l'activité qu'il
apporte à la préparation de l'Exposition qui doit avoir Hou au mois
d'août prochain. Chacun se platt à reconnaître le zèle infatigable du
secrétaire de la Section, aussi est-ce avec peine qu'on l'a vu pris à
partie lors de l'assemblée générale, à propos de la souscription ou-
verte pour couvrir les frais de l'Exposition.
Afln de montrer que le Comité apprécie les services rendus à la
Sodété par M. Bonnabelle, et ne s'associe en aucune façon à l'attaque
dirigée contre lui :
• Les soussignés, membres do Comité de la Section meusienne de la
• Société de Géographie de l'Est, proposent de voter des remercie-
■ ments à M. Bonnabelle, secrétaire, pour l'activité qn'il a déployée.
< afin d'assurer la prospérité de la Société, et, en particulier, pour
■ mener à bonne fin la souscription ouverte en vue de l'Exposition
• géographique qui doit avoir Heu cette année à Bar-le-Duc.
• Laurent, Lkchaudel, Naudin,
• Paget, Ronport. »
Cet ordre du Jour est adopté à l'unanimité.
Apres ce vote, M. le Président propose au Comité de voter des re-
merciements à M. Armand Brasseur, pour le zèle avec lequel il a rem-
pli les fonctions de secrétaire depuis la fondation de la Section, et de
lui exprimer le regret que ses nombreuses occupations fassent obs-
tacle i la continuation de son mandat.
Ces conclusions sont adoptées à l'unanimité.
(•) T/elr la liste général*
(*M. Brasseur », d'ailleurs, décliné toute candidature an secrétariat.
0 Voir la liste générais.
198 ACTES DE LA SOCIÉTÉ.
Rapport sur la situation dé la Section meusienne, présenté par
M. Armand Brasseur, l'un des secrétaires, à l'Assemblée géné-
rale tenue le 21 janvier 1883.
Messieurs,
Une deuxième année Tient de s'écouler depuis la fondation de la
Section meusienne de la Société de géographie de l'Est.
Disons-le de suite en toute franchise : cette période n'a pas été en-
core ce que nous espérions d'elle.
Notre section n'est pas encore sortie de cette époque première que
traversent presque toutes les sociétés à leur naissance et pendant la-
quelle il n'y a que des efforts et des essais sans résultat vraiment utile.
Ceci ne doit point nous décourager, Messieurs, ni nous faire douter
de notre œuvre. Mais, au contraire, cette constatation que vos secré-
taires sont ténus de vous faire en toute vérité, doit nous porter à
chercher les moyens qui conviennent à la situation après en avoir
recherché les causes. Nous ferons cet exposé, rapidement. Mais aupa-
ravant, il convient de relater les quelques faits saillants qui ont occupé
la Société en 1882.
Le nombre de nos membres n'a cessé de s'accroître. Nous comptons
actuellement dans nos rangs 158 membres tant fondateurs que sous-
cripteurs, quand, A y a un an, nous n'avions inscrit sur nos registres
que 142 membres souscripteurs.
C'est vous dire, Messieurs, que notre Société est loin de décliner,
qu'au contraire, chaque jour lui amène de nouvelles ressources et
qu'il suffira d'un peu d'efforts de la part de chacun pour sortir de l'or-
nière et avancer désormais dans une voie sérieuse de progrès.
Mais à côté des admissions nouvelles que nous avons eu à enregis-
trer, des deuils aussi sont venus nous frapper et nous priver de l'appui
et de la science de membres tous dévoués à notre Société. Parmi
toutes ces pertes, nous n'en citerons qu'une seule, parce qu'elle a été
la plus sensible et qu'elle nous a frappés trop vivement pour que nous
ne venions pas rappeler à votre souvenir celui qui fut l'un des fonda-
teurs de notre Société, M. Ernest Bradfer. Sans faire ici l'éloge do
magistrat respecté, de l'industriel intelligent, de l'homme privé dont la
loyauté et la droiture des sentiments se sont manifestées Jusque dans
les derniers moments de son existence, nous nous bornerons à rappe-
ler que M. Bradfer fut l'appui le plus ferme de la Section meusienne*
qui le choisit, dès l'origine, pour Président. Dans ces fonctions, il
ne cessa de soutenir notre association et de la diriger dans cette voie
active qui doit lui assurer la prospérité.
BKCTION MEU8IENNE. 199
Aussi sa mort a-t-elle laissé un large ride dans nos rangs et, Mes*
sieurs, nous sommes certains d'interpréter les sentiments de la Sec-
tion entière en exprimant ici le» regrets que nous a causés ce
malheur.
Depuis, la Société a eu peu de réunions. Ces rares assemblées nous
ont permis de constater pourtant que nous comptons dans nos rangs
des travailleurs qui Tont être un élément précieux pour l'avenir de
BOtre Section. Des mémoires tous ont été communiqués, qui font le
plus grand éloge à leurs auteurs. Nous sommes heureux de saisir cette
oceasion pour leur adresser nos félicitations et nos remerciements.
Koos rappellerons spécialement encore la conférence si intéressante
qae nous rit, au mois d'octobre, le célèbre explorateur, M. Wiener,
consul de France à Guayaqui). M. Wiener a y ait parcouru l'Amérique
éqoatoriale et ce bassin supérieur de l'Amazone, enseveli jusqu'ici en-
core dans le mystère. Aussi la réunion entière écouta arec émotion
le récit des péripéties, sou y en t des grands dangers que courut le
voyageur, comme aussi la description des contrées traversées, de leurs
produits, de leur commerce. Et sons ce rapport spécial du commerce,
qu'il développa au point de vue de la France, M. Wiener nous lit sentir
combien la géographie vient en aide au développement économique
d'une nation. C'est là, en effet, un des résultats les plus tangibles de
cette science qui est l'objet de nos études, et nulle occasion meilleure
ne pouvait le Caire mieux ressortir.
fions n'insisterons pas, Messieurs, sur les autres travaux de notre
Société : ils ne sont pas assez saillants pour que nous vous arrêtions
davantage sur ce sujet.
Reste à examiner notre situation financière. Elle fait l'objet d'un rap-
port spécial que notre Trésorier va avoir l'honneur de vous communi-
quer. Kous vous ferons remarquer que, malgré l'exiguïté de nos res-
sources, noua sommes parvenus non seulement à subvenir à toutes
nos dépenses, mais encore à distribuer des prix aux écoles commu-
nales de la ville et à garder disponible, lorsque l'exercice sera entiè-
rement liquidé, une somme d'environ 600 fr. Nous vous signalerons
encore l'appui effeoftf que nous a valu de la part de l'État, l'érection de
U Société de géographie de l'Est en établissement d'utilité publique.
Une somme de 169 fr. 80 est entrée de ce chef dans nos recettes
pour la part de noire Section. C'est là une ressource sur laquelle nous
pouvons désormais compter et qui viendra contribuer au bon état de
notre budget.
Tout ceci nous prouve, Messieurs, que notre Société a tous les été-
méats nécessaires pour vivre. La situation financière est bonne, nos
membres sont nombreux et comptent des travailleurs : des conféren-
200 ACTE* DE LA SOCIÉTÉ .
cters viennent nous assister; enfin, nous sommes soutenus par l'État.
Que nous manque-t-il donc pour réussir? Rien, si nous le voulons bien
et sérieusement. Et c'est ici, Messieurs, que nous tous demanderons la
permission d'émettre quelques idées personnelles sur l'avenir de notre
Société. Nous nous écarterons un peu, il est vrai, du cadre rigoureux que
nous trace le règlement, mais puisque nous avons commencé par criti-
quer Tannée écoulée, il nous semble assez Juste de montrer ce que
peut éire Tannée présente pour le bien de notre Société.
Pénétrons-nous bien du but que nous avons à poursuivre. Ce but
doit être modeste. Nous ne sommes qu'une division de la Société de
géographie de l'Est. Notre action doit donc être restreinte à Tétude de
notre département, nous devons nous borner à venir soutenir de nos
travaux la Société-Mère qui, réunissant nos études et celles de la Sec-
tion vosgienne aux siennes, peut seule en tirer le parti le plus utile.
Nous devons par conséquent, nous semble-t-il, rechercher quelques
points qui, faisant l'objet de nos sérieux efforts, répondront au but
que nous nous sommes donné le Jour où nous avons fondé la Sec-
tion.
L'un des moyens qui nous paraisse le plus essentiel à donner et à
maintenir delà cohésion à notre Société, est la création d'une réunion
qui, en dehors de nos assemblées générales, serait ouverte à tous nos
membres. Depuis longtemps, les efforts du Bureau ont tendu à nous
faire obtenir, à l'Hôtel de ville une salle pour notre bibliothèque. Ce
résultat est atteint aujourd'hui et dans quelques Jours, nous serons
possesseurs de ce local.
Pourquoi alors la Société n'ouvrirait-elle pas cette salle à ses mem-
bres et ne leur donnerait-elle pas, en même temps qu'un lieu d'étude,
un endroit de réunion qui les mettrait en rapport et leur permettrait
de s'entretenir familièrement des intérêts de la Société. C'est là, soyez-
en sûrs, que l'initiative de chacun se donnera libre cours, c'est là qut
les projets utiles seront formés et Iront ensuite se présenter à Texamen»
du Comité, pois de l'assemblée générale.
Bien ne nous empêcherait d'y adjoindre un dépôt de renseignements
conlmerciaux aussi complet que possible, de façon à ce que cette
réunion fût pour nous en même temps un lieu agréable et un lieu
utile à chacun.
< Il est ensuite des travaux qui s'imposent à nous. Ce sont tous ceux
concernant la géographie de la Meuse. Ne pouvant en faire une énn-
mération complète, nous n'en citerons qu'un seul qui nous partit
urgent. C'est la confection d'un dictionnaire géographique de notre dé-
partement. Ce travail considérable a déjà été commencé depuis long-
temps par un de nos membres. Le concours que nous préparons n y
SECTION MEUSIENNB. 201
apporter un contingent de renseignements précienx. Rien ne nous em-
pêche d'encourager, d'aider et de collaborer à cette œuvre qui, cons-
tamment tenue à jour, sera un monument apprécié de tout le monde.
Sons avons parlé du concours. Nous tous rappelons que cette
nuée Terra l'exposition de géographie que nous tous avons déjà
annoncée. L'État et le département sont intervenus dans la souscrip-
tion qui a. jusqu'ici, pleinement réussi. Nous comptons que tous Tien-
drez encore la grossir et qu'au moment Tenu, chacun aidera de tout
son pouToir la réussite de notre projet. C'est de lui, n'en doutez pas,
fne dépend en grande partie l'avenir de la Section, car elle noua
révélera nos forces et les ressources sur lesquelles nous devons
compter.
les statuts généraux de notre Société nous donnent encore comme
bot de répandre le plus possible l'étude et l'amour de la géographie.
De là pour nous encore l'obligation de rechercher, dans nos réunions,
qaels sont les ouvrages et les cartes qui sont le plus à même de
répondre à ce but. Ce travail fait, il nous restera à les signaler et à les
tcquérir dans toutes nos communes.
Quand notre département aura été étudié à fond et sur toutes ses
faces, quand partout on aura de bonnes cartes et de bons livres, quand
Bfltre Société sera devenue le centre du développement de cette
science à laquelle nous nous sommes voués, la tâche sera accomplie.
Ces) ce programme que nous vous proposons et dont aura à s'occuper,
h vous r approuvez, le nouveau Comité d'administration que vous ailes
élire.
Bar-le-Duc, le 21 Janvier 1883.
te Secrétaire,
Armand Brasseur.
NÉCROLOGIE
M. H. Varroy.
Si la France et surtout le département de Meurthe-et-Moselle ont fort
une perte sensible en la personne de M. Varroy, pour la Société de géo-
graphie de l'Est cette perte est plus cruelle encore. Dés son origine, elle
Favait trouvé prêt à lui donner le haut patronage de son nom, de sa
Juste notoriété et bientôt de son appui le plus direct. Nous nous sou-
tenons de sa présence à nos séances, alors que les travaux de la vie poli-
tique qu'il a si dignement remplie ne l'avaient pas entièrement ab-
sorbé ; nous nous souvenons aussi du ministre des travaux publics
qui, lui, n'oublia pas non plus qu'il était notre président d'honneur et
nous valut, à côté d'autres libéralités, un concours précieux lors de notre
exposition de 1880. Nous laissons à des voix plus autorisées le soin de
dire ce que fut l'ingénieur, le sénateur, le ministre. Pour nous, fl foi
l'homme du progrés sérieux, patient et sûr, l'esprit scientifique le plus
élevé et le plus large, le cœur le plus droit et le plus tolérant.
Nous ne pouvons mieux faire que de donner ici ce que fut, sous toutes
ses formes, l'expression de l'opinion publique.
Dans sa lettre, M. Bernard, sénateur, empêché d'assister aux funé-
railles, s'expriment ainsi : -
Messieurs,
Retenu à Paris par un mal qui m'obsède et m'oblige au plus grand
repos, J'ai la tristesse, après avoir vu disparaître un collègue dont lt
perte, si sensible pour tous, est un deuil si profond pour moi, de ne
pouvoir l'accompagner à sa dernière demeure et lui adresser, au nom
de tous ses amis de Meurthe-et-Moselle, le suprême et dernier adieu.
J'aurais voulu, en face de cette tombe qui vase refermer sur l'homme
éminent dont la ville de Nancy, le département et le Parlement tout
entier déploreront longtemps la perte, être l'interprète de la douleur
de tous.
Personne, plus que moi, n'a pu apprécier les qualités exceptionnelles
de cet esprit supérieur, et la bonté d'âme exquise qui était le fond de
sa nature d'élite.
La sérénité et le calme de son esprit ne se sont jamais un seul instant
démentis.
L'aménité de son caractère, l'à-propos de ses réparties, le charme de
cette parole familière et éloquente tout à la fois, d'un raisonnement
persuasif entraînant, lui conciliaient toutes les sympathies.
NÉCROLOGIE. 203
Yarroy était un charmeur, c'était un apôtre conraincu; partout où il
punit, il faisait des prosélytes.
D'autres diront quels senices il a rendue comme ingénieur et comme
conseiller général à notre département.
Personne ne dira mieux que la grande voix de l'opinion ce qu'il
a èlê comme sénateur et comme ministre ; c'est de l'histoire contem-
poraine, et le grand renom de cet excellent citoyen est dans toutes les
honches.
Vais ee que Je puis dire, mieux que personne, c'est que Yarroy était
dd grand cœur, un ami sûr et détoné, dont la vie était un exemple et
les conseils d'une sûreté à toute épreuve.
S'il laisse un Tide immense après lui, s'il laisse une succession bien
lourde à porter, il a tracé un sillon lumineux où Ton peut suivre la voie
sans craindre de faire fausse route; c'est, en effet, le propre des
bannies de sa valeur, de revirre en mourant, par les nobles exemples
qui s'imposent à l'admiration de ceux qui survivent
En présence d'une mort qui l'a enlevé si prématurément à notre
affection, prés do eet homme excellent trop tôt ravi à un département
dont il était l'orgueil, je suis l'écho des sentiments de tous et des re-
grets nuanimes et sympathiques qui se pressent autour de ce cercueil.
— adieu Yarroy I ami cher et dévoué, adieu !
À son tour, M. George, sénateur des Yosges s'exprime ainsi:
Yarroy possédait une intelligence vive, lucide, une rare bienveillance,
on sentiment exquis de Justice et de droiture, qualités qui forçaient
les sympathies de tous ceux qui l'approchaient.
5ous, ses amis, nous savons quels services il a rendus à la France
et à la République, quelles fatigues il affrontait. Il me suffira de rappe-
ler que, pour éviter au pays des inquiétudes ûnancières et une crise
politique, il travailla dix nuits et dix Jours consécutifs à rédiger un
rapport sur le budget. C'est malgré ses répugnances qu'il se laissa
entraîner au ministère des travaux publics.
Sa mort cause une grande perte à la France, qu'il aima au point de
loi sacrifier sa vie. Comme vous, nous éprouvons une profonde dou-
leur, nous, habitants des Yosges, son pays d'origine. Les Yosges sont
«ères de cet enfant glorieux. Il aimait ion pays vosgien, et chaque an-
née, il était heureux d'y revenir.
Après le véritable effondrement que causa en lui la mort d'une com-
pagne qui avait été la joie de sa vie et dont la mémoire a rempli son
'cœur jusqu'au dernier instant, il recherchait encore plus volontiers
204 NÉCROLOGIE.
les lieux où il était ne et où l'entourait une famille dévouée, des amis
fidèles, une population qui avait pour lui comme un culte.
11 s'y est éteint, laissant aux générations futures, à la suite de cette
vie prématurément finie, le souvenir des vertus qui sont l'honneur da
citoyen.
Puis M. Berlet, député de Meurthe-et-Moselle :
Messieurs, le deuil qui nous frappe ravive nos tristesses; peu à peu
vos représentants de 1871, ceux avec qui nous avons vécu dans une
si parfaite communion d'idées; ceux avec qui nous avons combatte
pour le triomphe de la liberté, disparaissent.
Après Viox, Brice, puis Claude, puis La Flize. Hier c'était Gambetta,
aujourd'hui Varroy. Varroy succombe épuisé par un labeur incessant,
miné par un profond chagrin, dont ni les soucis de la politique, ni le
tracas des affaires n'avaient pu le distraire. Il gardait vivant dans son
cœur le souvenir de Mœ* Varroy, de cette femme si bien douée, qui,
aux grâces de la femme, aux charmes de l'esprit, joignait une énergie
vraiment virile et l'âme ardente d'une patriote.
Celte âme ardente de patriote, lui aussi l'avait ; cette vertu, qui con-
siste à faire abnégation de soi, à ne considérer que l'intérêt de sa
patrie, à lui donner ses forces et sa vie, Varroy la possédait au suprême
degré I
A l'Assemblée nationale ou au Sénat, an conseil géuéral comme ao
ministère, il ne poursuit qu'un but: le relèvement de la France: il y
consacre sa science d'ingénieur et d'économiste, son expérience
d'homme d'affaires consommé, ses brillantes facultés d'orateur servies
par une étonnante puissance de travail.
La guerre a mutilé notre territoire, a coupé nos voies de communi-
cation, celles mêmes que Varroy a contribué à créer; il faut les recons-
tituer en deçà de notre nouvelle frontière : c'est à quoi il s'applique
dès 1871.
Voies ferrées, voies terrestres, voies fluviales, il ne néglige rien; il
est le promoteur de cette gigantesque entreprise — le canal de U
Meuse à la Saône — qu'avaient rêvé les Romains, que lui, de concert
avec son éminent ami, M. Frécot, a su réaliser.
A l'Assemblée, plus tard au Sénat, il ne se traite pas nne grande
question économique qu'il ne prenne part au débat; son esprit vigou-
reux et lucide y porte la lumière; sa parole vive et imagée, ses accents
pleins de franchise, tout dans lui, jusqu'à sa physionomie si fine et m
souriante, tout charme et persuade l'auditoire. A l'occasion, cet orateur
NÉCROLOGIE. 206
d'affaires est un orateur politique de premier ordre. Qu'on propose de
conférer, par une loi d'exception, des grades aux princes d'Orléans,
Varrojr s'élance à la tribune, proteste arec rigueur et prononce une
harangue qui est un chef-d'œuvre.
Appelé à deux reprises par M. de Freycinet à diriger le département
des travaux publics, il rendit dans ces hautes fonctions d'émineuts
services; mais les luttes incessantes de la politique et le t ratai! opi-
niâtre auquel il s'était Une avaient épuisé ses forces.
La mort de varroy est un deuil public. Il était estimé, aimé de tous
les membres du Parlement ; dans notre Lorraine, il ne comptait que des
admirateurs et des amis. 11 laisse dans nos rangs un vide qui ue sera
pas comblé !
1 son tour, M. Frécot dit :
Messieurs, des voix éloquentes Tiennent de tous rappeler l'admi-
nistrateur et l'homme d'État que nous Tenons de perdre. Permettez-
moi de dire à l'ingénieur un dernier adieu.
M. Varroy ne cessa en effet de conserrer l'affection la plus Tire pour
les fonctions d'ingénieur qu'il avait remplies jusqu'au moment où les
malheurs de la patrie rappelèrent dans nos assemblées délibérantes.
J'ai à peine besoin de tous rappeler les services qu'il rendit déjà à
son pays dans cette première partie de sa carrière. Ils sont encore
présents à votre souvenir.
Ce fut d'abord grâce à son initiative hardie et à celle de quelques-uns de
tes collaborateurs que, devançant la loi de 18G3, il réalisait, en Alsace,
la construction des premiers chemins de fer d'intérêt local qui de-
raient prendre bientôt en Fraucc un développement si considérable.
Appelé peu de temps après à Lu né ville et à Nancy, il construisit la
ligne de Lonévilie à Saint-Dié. Puis il se consacra presque exclusive-
ment à la continuation de l'œuvre qu'il avait entreprise et dota le dépar-
tement de la Meurthe de ce réseau de chemins de ferque lui enviaient,
en 1870, les régions même les plus favorisées.
Dans l'accomplissement de cette tâche, il joignait à une science pro-
fonde, à un dévouement infatigable, un jugement droit et éclairé, une
parfaite urbanité et un sens pratique très développé. Dans son opinion,
an ingénieur n'était complet qu'autant qu'il était doublé d'un homme
d'affaires : c'est un principe qu'il aimait à rappeler à ses jeunes cama-
rades et que lui-même n'avait cessé d'appliquer dans le cours de sa
carrière.
206 NÉCROLOGIE.
À l'Assemblée nationale, au milieu même des luttes politiques les
plus ardentes, l'ingénieur se réyôle toujours en lui. C'est ainsi qu'an
lendemain de nos désastres, il provoquait le rétablissement des voies
navigables, interceptées par la nouvelle frontière, et attestant sa con-
fiance dans la vitalité de la France encore foulée par l'étranger, il invi-
tait les cinq départements de l'Est à s'associer pour la construction da
canal de l'Est, auquel son nom restera désormais attaché.
Il poursuivait ensuite avec la même activité le complément du réseau
de chemins de fer appelé à relier toutes les parties du nouveau dépar-
tement de Meurthe-et-Moselle, puis le canal de Dombasle à Safnt-Dié et
la canalisation de la Chfers, estimant, non sans raison, que les votes
ferrées et les voies navigables se complètent les unes par les autres
et sont également nécessaires à la richesse d'un pays.
Enfin, en l'absence tout à fait circonstancielle du président et des
membres du bureau, M Viller, ingénieur en chef des ponts et chaussées
en retraite, conseiller municipal et membre du comité de direction de
la Société de géographie de l'Est, prononce le discours suivant :
Messieurs,
La mission de prendre la parole, au nom de la Société de géographie
de l'Est, dans la douloureuse circonstance qui nous réunit autour de
la tombe encore ooverte de Varroy, son président d'honneur, revenait
à un membre du comité plus autorisé que moi, et, si j'en ai été chargé,
je le dois à d'autres liens qui m'attachaient depuis longtemps à ce
digne camarade et à des devoirs impérieux qui empêchent le président
actif de la Société de remplir cette mission.
La fondation de la Société de géographie de l'Est, dont le siège est
à Nancy, ne pouvait trouver Yarroy indifférent. 11 fut donc l'un des
premiers à en apprécier le but patriotique et humanitaire et à lui accor-
der tout le concours qu'il pouvait lui donner, au milieu des devoirs
plus importants qu'il avait à remplir. C'est ce concours qui lui a vain,
dès la fondation de la Société, le titre de président d'honneur.
Le concours de Varroy a porté bonheur à la Société de géographie de
l'Est, dont la situation est aujourd'hui prospère, comme il a porté
bonheur à toutes les œuvres auxquelles il a participé et, si les suffrages
du département lui ont donné les plus hautes satisfactions auxquelles
l'ambition puisse prétendre, il faut proclamer hautement qu'il l'a dû à
d'éminents services et à une initiative ardente et éclairée.
Hélas 1 c'est peut-être à cette ardeur que metlait Varroy à rendre
service, autant qu'à des peines cruelles éprouvées naguère qu'il faut
attribuer une mort si prématurée.
NÉCROLOGIE. 207
Ibis, cher ami, si quelque chose peut apporter des consolations aux
liens et à tous ceux qui t'ont connu, ce sont les regrets unanimes qui
entourent ta tombe et les bons souTcnirs que ta laisseras à tous.
Adieu, Yarroy, adieu !
On annonce la mort do Dr Eugène Wairin, d'une famille lorraine,
neveu du grand chirurgien messin Scoutetten, qui fut médecin en chef
d'an de nos corps d'armée en Crimée.
Eugène Wairin, après avoir été envoyé en Egypte en 1865 pour y
combattre le choléra, fut chargé par M. Duruy, ministre de l'instruction
publique, d'une mission scientifique en Arabie. 11 adressa an Monde
illustré une relation d'nn intérêt puissant snr ce pays, encore si peu
connu. Au retour d'Arabie, il reçut une nouvelle mission sanitaire in-
tercationale qui détail aboutir à la création d'un lazaret à l'entrée de
la mer Rouge contre les provenances cholériques des Indes. C'est là
qu'il contracta les germes de graves maladies, dont sa constitution
avait jusqu'à présent triomphé. La mort l'a saisi à 48 ans, après cette
vie laborieuse vouée à la science. (L'Exploration.)
On annonce, de Vienne, la mort du général Hauslab, le doyen de
limée austro- hongroise.
M. Hauslab était âgé de 86 ans. Il avait été attaché spécialement à la
section cartographique de l'état-major, et il a fourni des travaux très
remarquables. C'était assurément un des premiers géographes de ce
siècle.
On annonce la mort, à Bâle, du savant géologue Pierre Mérian, pro-
fesseur à l'Université de cette ville, dont les Études sur la formation
eu Jura ont fait époque dans la science. M. Mérian était âgé de 88 ans.
ERRATUM, RECTIFICATION ET OMISSION
3* trimestre 1882, p. 552, lignes 32 et 33, au lieu de raisins sauvâ-
tes, lire: verroteries. Un mot mal écrit dans le texte portugais a causé
cette erreur.
Même numéro, p. 505. C'est par erreur que nous avons fait figurer
V. Kleinhaus parmi 1»& délégués de la Société de géographie de Paris.
Knfln nous devons déclarer que la caite des Itinéraires de la mis-
tien du Zambèse, du 4e Bulletin 1882, est entièrement dressée par les
soins de la Société de géographie de Paris et que nous la devons à son
obligeance.
Le Gérant responsable,
A. Babbibr.
LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES
DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE L'EST
1» SOCIÉTÉ-MÈRE ]
BTJJREA.XJ JET COMITE I>B3 DIRECTION
MM. Vabbot, sénateur, ministre des travaux publics, présidât
d'honneur.
Debidour [A.] (A y), professeur d'histoire à la Faculté des
lettres, président.
Bleicher (docteur) % ,* professeur à l'École supérieurs de
pharmacie, 2, rue de Lorraine, vice-président.
Flicbe (P.), professeur à l'Ecole forestière, vice-président.
Barbier [J. V.] (A y), secrétaire général.
Millot |Ch.] (A y), ancien officier de marine, secrétaire de
la commission météorologique de Meurthe-et-Moselle,
secrétaire adjoint.
Barbier (Albert), conducteur des ponts et chaussées, des-
sinateur autographe, secrétaire adjoint.
Margot (R.), conseiller municipal, trésorier.
Nicolas (Auguste), ancien archiviste, bibliothécaire.
Adam (Lucien) $< , conseiller à la Cour.
Dents 2&, ingénieur des ponts et chaussées.
Dbsqodins, ancien inspecteur des forêts.
Dubois, maître de conférences à la Faculté des lettres.
Dupont, maître de forges.
Fexal, professeur au Lycée.
Floquet, professeur à la Faculté des sciences.
Fbiakt, professeur à la Faculté des Bciences.
Galle (Emile), secrétaire de la Société d'horticulture.
Garnier, professeur à la Faculté de droit.
Gottereau, ingénieur civil.
Hassb, professeur à l'Ecole normale primaire.
Hoxolle, maître de conférences à la Faculté des lettres.
Mellier, inspecteur d'académie.
ëooiÉTÉ-ifiaB. 209
MM.
Le Momn, professeur à la Faculté des sciences et à la
Faculté de médecine.
Lhthukb, capitaine de rarmée territoriale.
Martz, ancien avoué, conseiller municipal.
Mathieu [abbé] (A y), docteur es lettres.
Noblot$S conseiller général.
Puma $jf, chef d'escadron d'artillerie en retraite.
Yn.ua, conseiller municipal.
COMITÉ DE REDACTION
MM, À. Debidotjb, J. Y. Babbieb, Ch. Mulot, Albert Bahbhb,
I QbBABD.
I
j MEMBRES HONORAIRES
4
\ 1 S. M. Léopold II, roi des Belges.
2 Fbbbt (Jules), ministre de l'instruction publique et des
beaux-arts.
3 Gbeslxy (général), ancien ministre de la guerre.
I 4 Dubuy (Victor), ancien ministre de l'instruction publique,
! 5, rue de Médicis, à Paris.
[ hjEgim MABrar, sénateur, membre de l'Académie française,
j 38, rue Vital, à Paris-Passy.
6 Yiotob Hugo, sénateur, membre de l'Académie française, à
Paris.
7 Di Lbssbps (F.), de l'Institut, président de la Société de
géographie de France, etc., rue Saint-Florentin, à Paris.
8 Daubbbb, de l'Institut, directeur de l'École supérieure des
mines, à Paris.
9 Lbyassbub, de l'Institut, professeur à la Sorbonne, 26, rue
Monsieur-le-Prince, à Paris.
10 Di Quatbbvagss db Bbbau, de l'Institut, professeur au Mu-
séum, à Paria.
U MaltboBbu* (V. A.), géographe, 14, rue Jacob, à Paris.
12£Lugbs, ancien ministre, lieutenant-général, secrétaire per-
pétuel de l'Académie, 23, rue Car oies, à Bruxelles.
13 Wauybbxahs, lieutenant-colonel du génie, président de la
Société de géographie d'Anvers,
•oc mi oioâB. — 1« m *• «Bramas 1888. 14
1
210 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
MM.
14 Nachtigal (docteur), consul général d'Allemagne, à Tank
15 De Nordenskjold (baron), explorateur suédois de la mer
Glaciale, à Stockholm.
16 Palander de Véga (Louis- Alexandre), officier de la marine
suédoise, à Carlskrona, Suède.
17 De Hellwald (baron F.), officier supérieur autrichien,
Reinsburgstrasse, à Stuttgard.
18 Bouthillier de Beaumont, président de la Société de géo-
graphie de Genève.
19 Delavaud (Charles), président de la Société de géographie
de Rochefort.
20 Chevaux (Jules), médecin de lra classe de la marine, expia- .
rateur français de 1* Amérique du Sud.
21 Desqodiks (abbé), missionnaire français au Thibet.
22 Ballat, médecin de la marine française, explorateur en :
Afrique.
23 Haemakd (docteur), consul de France, à Bankok.
24 Moreno (P.), directeur du Musée anthropologique, à Bné-
nos-Ayres.
25 Maunoir (Charles), secrétaire général de la Société de géo-
graphie do France, directeur du bureau des cartes et
plans au ministère de la guerre, 14, rue Jacob, à Paria.
26 Rouby, lieutenant- colonel d'état-major, directeur de la carte
de France, au ministère de la guerre.
27 Anthoine, ingénieur, directeur de la carte de France au
ministère de l'intérieur.
28 Vidal de L au lâche (Paul), sous-directeur à l'École normale
supérieure, à Paris.
MEMBRES CORRESPONDANTS
1 S. Exe. M*r Meqlia, ancien nonce apostolique, à Paris.
2 Id. le prince Oblow, ambassadeur de Russie, à Paris.
3 Id. le prince de Hohenlohe, ambassadeur d'Allemagne,
à Paris.
4 Id. Don José de Silva-Mendès-Léal, ministre de Porta»
gai, à Paris.
5 Id. le vicomte d'Itajuba, ministre du Brésil, à Paris.
SOCIÉTÉ-MÈRE. 211
MM.
6 S. Exe. Aarifi-Pacha, ancien ambassadeur de Turquie, à
Paris.
7 Id. Sib Edward Notes, ancien ministre des États-Unis,
à Paris.
8 Id. Cbisahto-Medina, ministre du Nicaragua, à Paris.
9 Id. Torbès-Caïcbdo, ministre du Salvador, à Paris.
10 Id. Baxcabce, ministre de la Plata, à Paris.
11 Id. Juah Diaz (colonel), ministre de l'Uruguay, à Paris.
12 Db Cboiziib (le marquis), consul do Grèce, président de la
Société académique indo-chinoise, à Paris.
13 Eeitheb, chargé d'affaires de Bavière, à Paris.
14 Callixaju-Catabgi, agent diplomatique de Roumanie, à
Paris.
15 Pelletier (Eugène), consul général de Honduras, à Paris.
16 Petitdidibb, consul général de Nicaragua, à Paris.
17 Blest-Gana, consul du Chili, à Paris.
18 D'Abaujo (le chevalier), secrétaire d'ambassade du Brésil,
à Paris.
19 William Martin, ancien chargé d'affaires du royaume de
Hawaï, à Paris.
30 Stbaoss (Louis), consul honoraire de Belgique, rue Van-
Dyck, à Anvers.
31 Gbad (Charles), député au Reichstag, au Logelbach (Al-
sace).
22 Vossiox (Louis), consul de France à Rangoun (Birmanie).
23 Rbvoil (Georges), explorateur au pays des Coma lis.
24 De Bizbmont (le vicomte), capitaine de frégate, 76bis, rue
des Saints-Pères, à Paris.
25 Fokcih (P.), inspecteur de l'enseignement secondaire, délé-
gué à l'enseignement supérieur, à Paris.
26 Azaic (docteur), président du groupe géographique du Sud-
Ouest, professeur à la Faculté de médecine de Bordeaux.
27 Hxvbequin, président de la Société de topographie, ô, rue
Chanaleille, à Paris.
28 Gauthiot (Charles), secrétaire général de la Société de
géographie commerciale de Paris, 65, boulevard Saint-
Germain, à Paris,
< '212 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
MM.
29 Dbbize, lieutenant-colonel d'état-major en retraite, secré-
taire général de la Société de géographie de Lyon, 6, rue
de l'Hôpital.
30 Gbayieb (Gabriel), secrétaire général et président honoraire
de la Société normande de géographie, 80, rue du Champ-
des-Oiseanr, à Rouen.
31 Gaffabel (P.), professeur à la Faculté des lettres, secré- ;
taire général de la Société de géographie de Dijon.
[
32 Beau de Satnt-Pol-Lias, explorateur à Sumatra.
33 Vaillant (docteur), médecin principal de la marine, à
Pondichéry.
34 BIasquebay, directeur de l'Ecole supérieure des lettres, à
Alger.
35 Fuchs, professeur au Collège de Saint-Paul, à la Réunion.
36 Lbmoihb (John- Armand), à Sydney (Australie).
37 Cobtak bebt (Richard), géographe, 10, rue Vi vienne, à Paris.
38 MUe Klbimbahs (Caroline), géographe, professeur à l'Ecole
normale supérieure de filles, 19, rue Guénégand, à Paris.
39 Baixibb (P.), directeur de l'Ecole municipale supérieure
Arago, place de la Nation, à Paris.
40 Batjvois (Eugène), américaniste, à Corberon (Cdte-d'Or).
41 Db Mabdbot, colonel fédéral, à Cormondrèche près Neu-
châtel (Suisse).
42 Olby, capitaine de vaisseau, ancien gouverneur de la Nou-
velle-Calédonie.
43 Adam, professeur de géographie au Prytanée militaire de
La Flèche (Sarthe).
44 Delavaud (Louis), avocat, 37, boulevard Saint-Michel, à
Paris.
45 Cottbhault (Charles), conservateur du Musée lorrain,
chargé de missions scientifiques, à Malzéville (près
Nancy).
46 Bazik (F.), professeur aux Écoles Turgot et Colbert, 27,
boulevard Voltaire, à Paris.
47 Mettlbmakb (Auguste), consul honoraire, secrétaire de la
légation de Nicaragua, rédacteur du Moniteur des Con-
sulats, 1, rue Lafayette, à Paris.
SOCIÉTÉ-MÈRE. 213
MM.
48 Mmm» d'Estbiy (le comte), rédacteur des Armâtes de
Fcxtrême Orient, 6, place Saint-Michel, à Paris.
49 Rkxaud (Georges), directeur de la Bévue géographique,
76, rue de la Pompe, à Paris.
50 D&APZYBOX (Ludovic), directeur de la Revue de Géographie,
69, rue des Feuillantines, à Paris.
51 Moraro (G.), directeur de Y Afrique explorée et civilisée, à
Genève.
52 Lt Chao Pas, mandarin chinois, 105, rue Lauxiston, à
Paris.
53 Gibsrt (Eugène), secrétaire de la Société académique indo-
chinoise, 87, rue Lafayette, à Paris.
54 Db Hobex (baron), consul de Bolivie, à Alger.
55 Mabchb (Alfred), explorateur en Afrique et aux Philippines.
56 Wixxn (Ch.), vice-consul de France, secrétaire de la So-
ciété des Etudes coloniales et maritimes, 5, rue de Co-
penhague, à Paris.
57 Gvyot (Paul), explorateur en Afrique, chimiste à l'usine
Solvay, à Dombasle.
58 Zblub, inspecteur d'académie, à Laon.
59 Moxtaxo (docteur), explorateur français aux îles Malaises,
68, rue de Seine, à Paris.
MEMBRES DONATEURS.
Le Conseil général de Meurthe-et-Moselle.
La ville de Nancy.
La maison BsaosB-LBVBi.irLT et C*\
MEMBRES FONDATEURS.
MM.
1 Balachxtp (Pierre de), 76, rue Monceau, à Paris.
2 Babbisb (J. Y.), secrétaire général de la Société, 1 bis, rue
de la Prairie.
S Claude, sénateur des Vosges, à Saulxures (Vosges).
4 Cotjbct (général ni).
5 Dbscbaxfs (Narcisse), industriel au Vieux-Jand'JieurB
(Meuse).
214 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
MM.
6 MF Foulon (Joseph), archevêque de Besançon.
7 Germain (Léon), bibliothécaire de la Société d'archéologie,
26, rue Héré, à Nancy.
8 Geefp, brasseur, 42, rue de la Commanderie, à Nancy.
9 LévT (Sal.), négociant, 23, rue des Quatre-Églises, à Nancy.
10 Luc, tanneur, ancien conseiller municipal, à Nancy.
11 Lycée de Nancy.
12 Marinobb, conseiller municipal, 28, faubourg Saint-Jean.
18 Miohaut, conseiller général de Meurthe-et-Moselle, à Bac-
carat.
14 Molitor (comte), conseiller général de Meurthe-et-Moselle,
rue de la Bourse, 10, à Paris.
15 Morel d'Arleux (Charles), notaire, 28, rue de Rivoli, à
Paris.
16 -J* Duc dr Richelieu.
17 f Mac Thiers. ^
18 Toubtel, conseiller général de Meurthe-et-Moselle, à Tan-
tonyille.
MEMBRES SOUSCRIPTEURS.
MM.
1 About, instituteur à Champigneulles.
2 About (E.), représentant de commerce, 24, rue de Boudon-
ville.
3 Adam, conseiller à la Cour, rue des Tiercelins, 34.
4 Adam, directeur du manège, ancien adjoint au maire de
Nancy, rue des Jardiniers, 14.
5 Adrien Burtin, négociant, faubourg Saint-Georges, 24.
6 Adt, industriel, à Pont-à -Mousson.
7 Aertz, négociant, rue Saint-Dizier, 137.
8 Aimé, négociant, rue Saint-Dizier, 42.
9 Albrecht, ancien député, à Schlestadt.
10 Albrecht fils, à Sand, près Benfeld.
11 Allard aîné, fabricant, rue Saint-Nicolas, 18.
12 Allard (Félicien), fabricant, rue des Ponts, 24.
13 Anoel (Ferdinand), filateur, à Saint-Nicolas.
14 André (Charles), architecte, rue d'Alliance, 10.
15 Anoenoux, président de chambre, cours Léopold, 49.
SOCIÉTÉ-MÈRE. 215-
18 Axsbi.», ancien président du Tribunal de commerce, rue
des Carmes, 42.
17 Abtoibb (Arth.), inspecteur d'assurances, rue du Montet, 98.
18 Abhoul», chef de division à la Préfecture, rue de Toul, 16.
19 Abov aîné, fabricant de flanelles, rue Lepois, 11.
20 Abob (Siméon), fabricant de flanelles, rue du Manège, 6.
21 Aubby, instituteur à Rosières-aux-Salines.
22 Attdiat, conseiller à la Cour, rue de la Ravinelle, 35.
23 Bachmbter (Henri), négociant, rue de la Faïencerie, 19.
24 BiCBKsm (Jacques), négociant, rue de la Faïencerie, 19.
25 Bagabd, instituteur, à Thiébauménil (Meurthe-et-Moselle).
26 Bail», préfet de la Haute-Garonne, à Toulouse.
27 BAM.IBUX (Hippolyte), rue de la Vénerie.
28 Bajoi^t-Fbtbe, rentier, rue Jeanne-d'Arc, 10.
29 Babadbz, adjoint au maire de Nancy, rue du Montet, 6.
30 Babbaut, ancien pharmacien, rue Saint-Georges, 69.
31 Basvbibb (Albert), conducteur des ponts et chaussées,
secrétaire adjoint de la Société, quai de Choiseul, 4.
32 Babbb, ancien professeur à l'École forestière, rue Baron-
Liouis, 5.
33 Babbois, huissier, rue Charles III, 11.
34 Basset, professeur de littérature arabe à l'École supérieure
des lettres, 11, rue Kandon, à Alger.
35 B au Kit, ingénieur en chef des ponts et chaussées, rue de
rHoBpice,ôl.
36 BàuriwT, représentant de la maison Tourtel, à Toul.
37 Bbctts (Alfred), négociant, rue Saint-Dizier, 127.
38 BBM.BTHLB, négociant, rue Montesquieu, 8.
39 Bbulibwi, opticien, place de l'Académie, 17.
40 Bnn, minotier, au Pont-d'Essey.
41 Bsxedic, instituteur à Villacourt.
42 Bbbel, rentier, rue de Serre, 7.
43 Bbvor, doyen de la Faculté des lettres, rue Lepois, 9.
44 Bbboit (Louis), rentier, rue de la Pépinière, 33.
45 Bbxott fils, ingénieur des Tabacs, rue de la Pépinière, 33.
46 Bmx (Alfred), juge au Tribunal de commerce, place du
Marché, 26.
216 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
47 Bbbavgbb, capitaine en retraite, rne du Montet, 6.
48 Bbbûeb-Le vbault (0 . ), imprimeur-éditeur, rne des Glacis, 7|
49 Bbboeb-Lbvbault (Alfred), rue des Glacis, 7.
60 Bbblbt, député, rue Montesquieu, 9.
51 Biehabd, sénateur, conseiller à la Cour de cassation, 69,
des Feuillantines, à Paris,
52 Bbbbabd, négociant, rue Jean-Lamour, 50.
58 Bbbhheik , professeur à la Faculté de médecine, rue de la
Visitation.
04 Bbbte, chef d'études à l'École normale d'instituteurs.
56 Bbbtieb, avoué, rue Saint-Georges, 42.
56 Bebtih, étudiant, rue de Serre, 16.
67 Bxsvàl, avocat, place de la Carrière, 89.
58 Bettino, brasseur à Maxéville.
69 Bbzoxbbs (Auguste), négociant, rue de Strasbourg, 9.
60 Biohat, professeur à la Faculté des sciences, rue des Jardi-
niers, 1 ot*.
61 Blahchbub, ancien notaire, place de la Carrière, 17.
62 Bleioheb, professeur à l'École de pharmacie, vice-président
de la Société, rue Stanislas, 102.
68 Blosdel, professeur à la Faculté de droit, rue de l'Hospice,
18.
64 Bots (Jean), propriétaire, à Pont-Saint- Vincent.
66 Bois, banquier, rue Saint-Dizier, 128.
66 Bollbt, impasse Jeanne-d'Arc.
67 Bonbbau, juge au Tribunal de commerce, rue Saint-Nico-
las, 81.
68 Bonvbttb, malteur, rue de l'Étang, 40.
69 Boppb (Auguste), rue de Toul, 12.
70 Boppb (Lucien), sous-directeur de l'École forestière, rue de
la Commanderie, 28.
71 Bouchez, ancien conservateur des hypothèques, à Pont-a-
Mousson.
72 Boudard, inspecteur primaire, 28, rue Stanislas.
79 Boudot, instituteur à Essey-lès-Nancy.
74 Bourrar, négociant, faubourg Saint-Georges.
75 Boulât, négociant, rue du Montet, 6. .
80CIÊTÉ-MÈRB. 217
MM.
76 Boum, greffier du Tribunal, me Saint-Diaier, 127.
77 Boctebt, poéiier, rue de la Visitation, 25.
TO Boubgov, banquier, rue Saint-Dizier, 123.
79 Bousuruiux, négociant, place Saint-Jean, 51.
80 Bouby, instituteur à Bainville-sur-Madon (Meurthe-et-Mo-
selle).
81 Bottssbt, professeur au Lycée de Besançon.
82 Bo<ht*l, conducteur des ponts et chaussées, rue Charles m,
30 5*.
83 Brakquabt, rue Isabey, 38.
84 Bhxvas (J.), chemisier, 21, rue des Dominicains.
85 Bbstov, instituteur à Dommartin-sous-Amance.
86 Bbicb (Ferdinand), conseiller d'arrondissement, à Belleau,
près Nomeny.
87 Brice (Victor), notaire, 2, rue Blandan, à Alger.
88 Bbotcllow, propriétaire, rue des Dominicains, 12.
89 Brto (M11*), institutrice adjointe à l'école Saint-Pierre.
90 Butts, maire de MaLeéville.
91 Cabaillot, conducteur des ponts et chaussées, 13, rue de
Trévise, à Paris.
92 Coza (Dr), professeur à la Faculté de médecine, 8, rue de
la Monnaie.
93 Caillies, négociant, rue Montesquieu, 2.
94 Caxtb, clerc d'avoué, rue de Serre, 3.
95 Cabct (de), officier supérieur en retraite, cours Léopold,
37.
96 Cbkfov (Camille), fabricant de drap, à Elbeuf.
97 Céxabd (Félicien), directeur de mines, rue du Mohtet, 27.
98 Chaiobxt, négociant, rue des Dominicains, 26.
99 Cmabaux-Kebaud, négociant, rue des Jardiniers.
100 Chabbobkibb, entrepreneur de travaux, rue de Mabé ville, 23.
101 Cbabbovvibb, chef de division à la Préfecture, quai de
Choiseul, 12.
109 Charbot (Colonel), rue Isabey, 37.
103 Ckablot, propriétaire, place Stanislas, 7.
104 ChablbjviiiKb, négociant, rue Saint-Nicolas, 7.
105 Château (Lucien), entrepreneur, à Pont-Saint- Vincent.
1
218 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
MM.
106 Chippbl, rentier, rue de Strasbourg, 21.
107 Clarté (Joseph), employé à la cristallerie de Baccarat.
108 Claude (abbé), curé de la Cathédrale, rue des Chanoines, 6.
109 Claude, docteur en médecine, à Pompey.
110 Claudon, professeur à l'Ecole normale d'instituteurs, à Laon.
111 Clerc (Charles), capitaine au 139* de ligne, au camp de
Sathonay, près Lyon.
112 Clesse, notaire, rue des Dominicains, 3.
113 Clobtre-Richard, négociant, rue Saint-Jean, 35.
114 Coanbt fils, négociant, rue Saint-Georges, 31.
115 Coblentz, fabricant de chaussures, 22, rue de Laaalle.
116 Colas, directeur des manufactures de Pierrepont.
117 Coliez fils, docteur en médecine, à Longwy.
118 Collignon (Mme), place de l'Académie, 8.
119 Collin, notaire, rue de la Hache, 64.
120 Colsok, fabricant d'huile, rue des Ponts, 8.
121 Comox, docteur, conseiller général, à Longuyon.
122 Conrard fils, fabricant de brosses, rue Saint-Dizier, 45.
123 Constantin, fondeur, rue de l'He -de- Corse, 5.
124 Constantin père, gérant de l'usine à gaz, rue de l'He-de-
Corse, 8.
125 Constantin (René), faubourg Saint-Georges, 5.
126 Conte, négociant, rue du Pont-Mouja, 7.
127 Corbin, négociant, porte Saint-Nicolas.
1 28 Cordblet (Jules), professeur au Lycée, place de la Carrière,
11.
129 Cournault (Edouard), rue du Haut-Bourgeois, 6 hU.
130 Courteyille (de), avocat, rue de la Pépinière, 37.
131 Courtoi8, avocat, place de la Carrière, 21.
132 Courtois (Alfred), peintre en bâtiments, rue de la Mon-
naie, 3.
133 Crbmel, directeur de l'École supérieure, Grande-Rue, 64»
134 Cantner, négociant, place de la Cathédrale.
135 Colin, confiseur, rue du Montet, 78.
136 Croctaine (Ernest), négociant, rue Notre-Dame, 14.
137 Croctaine (Léon), négociant, rue Notre-Dame, 1.
138 Crousse, horticulteur, faubourg Stanislas, 49.
SOCIÉTÉ-MÈRE. 219
MM.
139 Dabboy, ancien négociant, rue Saint-Nicolas, 20.
140 Dabdalkb, instituteur à Malaéville.
141 Dabtsiv (abbé de), professeur à Saint- Sigisbert, place de
l'Académie, 11.
142 Datjbbéb, orfèvre, me Saint-Dizier, 2.
143 Daubjlemet, entrepreneur de peinture, rue Saint-Georges, 1 1 .
144 Dauiotoy, faubourg Saint-Jean, 35.
145 DiBinoua, professeur à la Faculté des lettres, président de
la Société, faubourg Saint-Georges, 28.
146 Dicosss, secrétaire général aux aciéries de Longwy, à
Mont-Saint-Martin.
147 Dbtxb, notaire honoraire, rue Lepois, 5.
148 Dbglih, avocat, rue Saint-Georges, 79.
149 Dzhax (Auguste), rue Saint-Dizier, 83.
150 Dbxiqhy, conseiller général, à Toul.
151 Dblc ours ète, professeur à l'École de pharmacie, rue des
Qnatre-Eglises, 2.
152 Dxhavgb, docteur en médecine, rue Saint-Jean, 8.
153 Dbkxhgb-Cbbhbl, négociant, rue Saint-Dizier, 22.
154 Dbmoxst, ingénieur, rue de la Pépinière, 40.
155 Dsjeovtzb y, président du Tribunal civil , rue Saint- Nicolas , 22 .
156 Dbbys , ingénieur des ponts et chaussées, rue de la Mon-
naie, 2.
157 Dekys, président du Tribunal civil, conseiller général, à
Toul.
158 DEPfiBomri, conseiller à la Cour, rue Saint- Jean, 17.
159 Dbsqodiss, ancien inspecteur des forêts, rue Saint-Geor-
ges, 79.
160 Dbskos, avocat, cours Léopold, 24.
161 Dtdelot, pharmacien, rue de la Visitation, 12.
162 Dediou (Jules), rentier, 16, rue Montesquieu.
163 Didiow (Paul), rentier, rue du Montet.
164 Dibhx, voyageur de commerce, rue de la Commanderie,
43 bù.
165 Dtjtudokbe, instituteur à Flavigny.
166 Dtbtz, banquier, rue de la Monnaie, 6.
167 Diqout, instituteur à Blain ville.
1
220 LISTE GÉNÉRALE DBS MEMBRES.
MM.
168 Diot, ancien receveur municipal, place de la Cazrièxe, 16.
169 Doibisse, entrepreneur, avenue de la Garenne.
170 Dbappieb, vinaigrier, à Jarville.
171 Dubois, maître de conférences, rue Sainte-Catherine, 22.
172 Ducbet, négociant, rue Stanislas, 33.
173 Duhaut, directeur de la Caisse d'épargne.
174 Dumont (MUe), institutrice adjointe à l'école RaugrafL
175 Dupont, maître de forges, rue Girardet, 4.
176 Dopokt, représentant de commerce , rue de la Poisson*
nerie, 7.
177 DtiPRBY (Victor), effilocheur, à Saint-Nicolas.
178 Durand, négociant, rue 'de la Prairie, 1.
179 Dublao (Aron), fabricant de limes, rue Lafayette, 4.
180 Diras, représentant de commerce, rue des Dominicains, 40.
181 Dussaux, confiseur, rue du Pont-Mouja, 19.
182 Duvattx, député, ancien ministre, rue de l'Odéon, 20, à
Paris.
183 Dutebnot, professeur au Lycée, rue Bailly, 8.
184 Ébel, caissier à la Nancéienne, rue Saint-Dizier, 140.
185 Eckbbt (Nicolas), contre-maître de fabrique, 21, rue Gré-
goire.
186 Elie-Baillb, ancien président du Tribunal de commerce,
rue Drouot, 4.
187 Elie-Lbstbb, rue Stanislas, 51.
188 Ébabd, minotier à Jolivet, près Lunéville.
189 Ebhard fils, géographe, à Paris, rue Duguay-Trouin.
190 Faulenbach (MUe Marguerite), directrice de l'école annexe
à Maxéville.
191 Fayolbt, directeur de mines, rue des Micnottes, 5.
192 Fbxal, professeur au Lycée, place de l'Académie, 1.
193 Fbbkbaoh, négociant, rue du Pont-Mouja, 24.
194 Fbvbb (Antony), négociant, place de la Carrière, 35.
195 Fbvbb (Ernest), avocat, place de la Carrière, 35. .
196 Fevbb, négociant, rue Saint-Nicolas, 9 biê.
197 Febvbel, ingénieur à Besançon, square Saint* Amour, 8 bù.
198 Fellmann, voyageur de commerce (Maison Conte), rue do
Pont-Mouja.
BOCIÉTÉ-MÈRB. 321
MM.
199 Fti.lzul, rue du Faubourg- Saint- Jean, 38.
200 Ftxawoe, instituteur à Bralle ville, près Haroué (Meurthe-
et-Moselle).
201 Flaviobt (la commune de), Meurthe-et-Moselle.
202 Fuchb, professeur à l'École forestière, vice-préndetU de
la Société, rue Seint-Dizier, 9.
203 Floqukt, professeur à la Faculté des sciences, rue Jeanne-
d'Arc, 9.
204 FoLLin, commandant, place de la Carrière, 22.
205 Fort, entrepreneur de charpente, rue de Lasalle.
206 Fould, maître de forges, rue du Manège, 1.
207 Foubcadb, procureur général, rue des Michottes, 11.
208 Frahctk, aux Grands-Moulins.
209 Fbahçois, pharmacien, rue d'Amerval, 12.
210 Frâcot, inspecteur général des ponts et chaussées, im-
passe Jeanne-d'Arc.
211 Fbiajtt, maître de conférences à la Faculté des sciences,
rue de l'Hospice, 23.
212 Friot, instituteur à Laneuvelotte.
213 Fbumtbbt (abbé), chanoine titulaire , secrétaire général de
révêché.
214 Gaiuy, sénateur des Ardennes, à Paris, rue d'Anjou-Saint-
Honoré, 7.
215 Galflb, marchand-tailleur, rue Saint-Dizier, 23.
216 Galle fils, secrétaire de la Société d'horticulture, avenue
de la Garenne, 2.
217 Gallotts, inspecteur primaire , faubourg Saint-Georges, 17 .
218 Gaigax, commandant en retraite, rue de Strasbourg, 87.
219 Gabjtieb, chef de division à la Préfecture, rue de Metz, 44.
220 Gabhibb, professeur à la Faculté de droit, rue de la
Craffe, 2.
221 Gaudcbaux-Pioabd (Emile), rentier, rue du Mon te t, 5.
222 Gaudchaux-Picab» (Henri), filateur, rue du Monte t, 5.
223 Gbbat, architecte, rue Baron-Louis, 5.
224 Gxwiv, professeur au Lycée, faubourg Stanislas, 53.
225 Gbht, instituteur a Mamey, par Noviant-aux-Prés.
226 Gborgbs (Amédée), impasse Jeanne-d'Arc.
222 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
MM.
227 Georges (Victor), fabricant de chaussures, rue Saint-Geoi
ges, 17 et 19.
228 Georges, négociant, rue Saint-Dizier, 123.
229 Geobqes, docteur en médecine, à Flavigny.
230 Gérard, sellier, rue Saint-Dizier, 157.
231 Gérard fils, entrepreneur, rue de la S al pê trière, 7.
232 Gérard, recteur de l'Académie, à Grenoble.
233 Gerbaut, conducteur des ponts et chaussées, rue des Car*
mes, 34.
234 Gille neveu, négociant, place des Dames, 14.
235 Godard, négociant, rue Saint-Dizier, 121.
236 Go quel (Montézuma), à Saint- Dié.
237 Go mien (Alfred), négociant, rue Stanislas, 46.
238 Gottbreau, conducteur de travaux, rue de Lasalle, 4.
239 Gougelin, négociant, place de la Cathédrale.
240 Gouguenheik , négociant, rue Saint-Dizier, 102.
241 Goury, rue des Tiercelins, 5.
242 Gouy de Bellocq, rentier, rue d'Alliance, 3.
243 Gouy, ancien magistrat, place d'Alliance, 6.
244 Gouy, commandant en retraite, place d'Alliance, 6.
245 Grand, opticien, rue Saint-Dizier, 30. «
246 Grandidier, rentier, rue Montesquieu, 5.
247 Grande au, doyen de la Faculté des sciences, faubourg
Saint-Jean, 24.
248 Grillon, avocat, rue Montesquieu, 23.
249 Grillon, négociant, rue Saint-Dizier, 127.
250 Grimanelli, préfet des Deux-Sèvres.
251 Grosjean-Nicolas, libraire, place Stanislas, 7.
» *»
252 Grosmaire*, directeur de l'Ecole normale.
253 Gross, professeur à la Faculté de médecine, quai Isaber,
17.
254 Gudin, papetier, rue Saint-Dizier, 96.
255 Guerle (de), trésorier général, place des Dames.
256 Gubrin, président du Tribunal de commerce, rue de Saul-
rapt, 15.
257 Guerrier de Dumast, conservateur deB forêts, rue de 1*
Poissonnerie, 38.
SOCIÉTÉ-MÈRE. 223
MM.
258 GuaBNHEiif, représentant de commerce, rue Saint- Nico-
las, 37.
259 Guihet, entrepreneur, rue de Serre, 8.
260 Gtjttok, avocat, rue Sainte-Catherine, 5.
261 Gcyot, professeur à TEcole forestière, rue Girardet, 10.
262 Gutot, juge au Tribunal de commerce, rue Saint-Dizier, 38.
263 Hakatjt (M114), institutrice, rue des Quatre -Eglises, 28.
264 Hakhequix, conseiller à la Cour, rue de la Ravinelle, 25.
265 Hjlnriok (général), place de la Carrière.
266 Haxxaut, rentier, rue de Guise, 17.
267 Habxant, voyageur de commerce, maison Mathieu, rue
Saint- Jean, 56.
268 Hahouard, négociant, rue de Strasbourg, 30.
269 Hajsse, professeur à l'Ecole normale, rue Saint-Michel, 27.
270 Hbcbt, professeur à la Faculté de médecine, rue Isabey, 4.
271 Hexbibt, conseiller honoraire, rue des Mkhottes, 11.
272 Hexbion (docteur), rue de Strasbourg, 151.
273 Hebbgott (Louis), directeur de forges, à Villerupt (Meur-
the-et-Moselle). ,
274 Hinzelin (Àmédée), rédacteur du Moniteur de la Meurthe,
rue Sainte-Catherine, 9.
275 Hihzeltn (Victor), imprimeur-éditeur, rue Saint-Dizier, 71.
276 Hœbteb (Victor), peintre sur verre, rue de Strasbourg, 73.
277 Holtz, ingénieur en chef des ponts et chaussées, rue Dc-
silles, 4.
278 Homolle, professeur à la Faculté des lettres, rue de Metz, 6.
279 Houbbe, architecte adjoint de la ville, rue Baron-Louis, 15.
280 Huaux, instituteur à Benney.
281 Hurs (Ernest), ingénieur de la marine, à Lorient.
282 Hcmbebt (Célestin), comptable, rue des Ponts, 42.
283 Humbebt, représentant de commerce, rue Charles III, 15.
284 Hutaux (Léopold), marbrier, rue des Quatre-Églises, 73.
285 Hhyaxjx (Théophile), marbrier, rue des Quatre-Eglises, 73.
286 IiuiAcs (Gustave), rue des Glacis, 5.
287 Jacquot, professeur au Collège de Pont-à-Mousson.
288 Jacquot, instituteur à Einville.
289 Jacquot, rue de la Source, 31.
224 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
i
m
-290 Jaooby, capitaine en retraite, rue de Saulrupt, 5.
291 Jaquiné, inspecteur général honoraire des ponts et chaus-
sées, place de la Carrière, 10.
292 Jasbov, architecte de la ville, rue de Malzéville, 16.
293 Jeandel, greffier du Tribunal, place de la Carrière, 5.
294 Jonas, négociant, rue Montholon, 8, à Paris.
295 Jossbt ns Saint-Julien (Mn6), rentière, à Jarville.
296 Kahh (Isaac), négociant en grains, 142, rue Saint-Dizier.
297 Kabchbb, ancien fabricant, avenue de la Garenne, 8 ter.
298 Kabqubl (Mlle), directrice de l'École normale d'institutrices i
àMaxéville.
299 Kauffeb, bijoutier, rue Saint»Dizier, 40,
800 Kauffeb (Victor), quai Isabey, 27.
801 Kellbb, confiseur, rue des Dominicains, 59.
802 Kill, instituteur à Àtton, par Pont-à-Mouason.
808 Klein, propriétaire, à Jarville.
804 Klino (Achille), jardinier, ruelle de Nabécor, 6.
805 Klopstïin (Antoine de), au Val-et-Ch&tillon.
806 Kolleb, ingénieur à Neuilly-Saint-Front (Aisne).
807 Kobtz, proviseur du Lycée de Nancy.
808 Kbiesbkann, propriétaire, rue des Tiercelins, 42.
809 Lacroix, professeur, rue du Haut-Bourgeois, 81.
810 Ladouobtte (db), député, au château de Clémery.
811 Laflizb (0.), inspecteur de l'assistance publique, nie des i
Tiercelins, 50 bU. i
812 Laflizb (Sigismond), cours Léopold, 85. <
818 Laqbesille, conseiller général, rue des Tiercelins, 25.
814 Lallbment, ancien avoué, rue de Metz, 16. !
315 Lallexbmt, professeur à la Faculté de médecine, place de j
l'Académie, 10. ,
816 Lallembnt (J.), propriétaire, rue du Sapin, 14.
817 Lamt, banquier, rue des Dominicains, 47. !
818 Lanoiaux, négociant, rue de la Hache, 25. !
319 Laxiqub, ingénieur civil, rue de la Commanderie, 9.
320 Lahq (Benoît), industriel, rue Callot, 6.
321 Lahq (Charles), industriel, place de la Carrière, 21.
322 Lahq (Raphaël), industriel, rue Saint-Dizier, 1.
fiOCIÉTÉ-M&RB. 225
MM.
323 Ljjjgenhagbn (de), juge au Tribunal de commerce, fau-
bourg Saint-Jean, 32.
JLiApibbbb, caissier, rue Saint-Dizier, 123.
HiAPonrTB (Maurice), ingénieur civil, professeur a l'Ecole
d'agriculture, impasse Jeanne -d'Arc.
326 Labchbb, avocat, rue des Quatre-Eglises, 55.
327 LIbteau, rue Saint-Georges, 48.
328 Lbdekub, doven de la Faculté de droit, rue Mazagran, 9.
329 LiXFSVBE-DsRisB fils, confiseur, rue Saint-Dizier, 55.
330 Legbos (Amand), conseiller général à Saint-Nicolas.
331 Lbjbuïb (Jules), président du Club alpin, section vos-
gienne, rue de la Bavinelle, 24.
332 Lbmoihe, avocat, rue Notre-Dame, 32.
333 Le Mokxibr, professeur à la Faculté des sciences, rue de
la Pépinière, 5.
334 Lb poire, propriétaire, faubourg Sainte-Catherine, 15.
335 Lenglbt (Paul), banquier, place de la Carrière, 38.
336 Lenoib, entrepreneur de peinture, quai Claude-le-Lorrain,
18.
337 I^XROY, chemisier, rue de la Faïencerie, 17.
333 Lkstacdih, adjoint au maire de Nancy, faubourg Saint-
Jean, 29.
339 HiKVA8£BT7B, marbrier, faubourg Stanislas, 41.
340 X*:svir (Anatole), banquier, rue Saint-Dizier, 114.
341 Lbvt (Isaac), banquier, rue des Dominicains, 44.
342 Lbvy (Henri), négociant, rue Saint-Nicolas, 4.
Lévy (Jacques), graveur, à Malzé ville.
Lbvt (Michel), fabricant de limes, rue Saint-Nicolas, 98.
345 11.huii.libb (Paul), négociant, faubourg Saint-Georges, 10.
346 JLf'HuiLLiBB, capitaine de la territoriale, quai Choiseul, 16.
347 JLiitvBB-DaEYFUs, rue des Tiercelins, 11.
UnrBT (Philippe), comptable à Maiéville.
IjIttingbe (Gustave), fabricant de draps, à Saint-Nicolas.
350 £«obbaiv, négociant, rue Saint-Dizier, 130.
351 Xi ouïs, surveillant à l'École normale, à Nancy.
352 XiUbjévillb (la bibliothèque populaire de).
353 Magtjiw, ancien adjoint au maire de Nancy, rue Girardet, 2,
•oc vm ozoaa. -i«nJ« tbimutbm 1883. 16
226l liste générale des membres.
MM.
354 Magniek, ancien pharmacien, place Thiers, 5.
355 Maillet, procureur de la République, rue de Rigny, 22.
356 Maillier (de), capitaine au 12e chasseurs, rue du Ma-
nège, 6.
357 Maillot, architecte, faubourg Saint- Jean, 2.
358 Maire, directeur de la France, rue Charles III, 11.
359 Malguin, comptable à Maxé ville.
360 Mangeot, avenue de l'Opéra, 21, à Paris.
361 Màncun, huissier, Grande-Rue (Ville -Vieille), 42.
362 Mangin, instituteur à Go vi lier.
363 Mabohal, chef de section, à Neuilly-Saint-Front (Aisne).
364 Mabchal (Charles), conducteur des ponts et chaussées,
place Thiers, 13.
365 Mabchal, docteur en médecine* rue Stanislas, 57.
366 Mabchal (Edmond), ancien fabricant, à Strasbourg, me
Pierre-Large, 1.
367 Mabchal, docteur en médecine, à Saint-Nicolas.
368 Mabohal (Jules), à Saint- Dié.
369 Mabchal, instituteur, à Baccarat.
370 Mabcot (René), trésorier de la Société, rue de la Ravinelle,
13.
371 Mabqo, ancien négociant, rue des Tiercelins, 16.
372 Marié (Louis), négociant à Paris, rue aux Ours, 55.
373 Mabtz, conseiller, rue de la Hache, 11.
374 Mathieu, ancien sous- directeur de l'École forestière, fau-
bourg Saint-Jean, 21.
375 Mathieu, conseiller à la Cour, rue de la Ravinelle, 33.
376 Mathieu (Ernest), négociant, rue Saint-Nicolas, 11.
377 Mathieu, négociant, rue Raugraff.
378 Mathieu (l'abbé), rue de Strasbourg, 111.
379 Mathieu (C), voyageur de commerce, maison Mathieu, me
Saint-Jean, 56.
380 Mathis (Balthasar), ingénieur du Creusot, à Stockholm.
381 Mathis, négociant, rue des Quatre-Eglises, 38.
382 Mathis, marchand-tailleur, place Stanislas, 5.
383 Matthis, préposé en chef de l'octroi, impasse Bénit.
384 Matbk, maison Berger-Levrault, rue des Glacis.
SOCIÉTÉ-MÈRE. 227
385 Mekregaud, maître adjoint à Maxéville.
386 Mrixxoros de Dombasle (de), rue de Strasbourg, 19.
*
387 Melct (Edouard de), au château de Chéhéry, par Grand-
pré (Ardennes).
388 Meline (Emile), rue Grégoire, 10.
389 Mellieb, inspecteur d'académie, rue Saint-Dizier, 138.
390 Mbhestrel (M,le), maîtresse de pension, rue des Chanoines, 5.
391 Mevjjjtd, ancien officier, cours Léopold, 31.
392 Mewqim (général), rue du Monte t, 9 bis.
393 Meytre, instituteur-directeur de l'école des Trois-Maisons.
394 Mercier, agent voyer cantonal, à Gerbe vil 1er.
395 Meksey (MUe), maîtresse de pension, rue du Manège, 11.
396 Mszibres, de l' Académie française, député, boulevard Saint-
Michel, 57, à Paris.
397 Michel, juge au Tribunal de commerce, rue Saint-Nicolas,
55.
398 Michel, négociant, rue Saint-Dizier, 38.
399 Michslik , receveur principal des contributions indirectes ,
rue Saint-Michel, 22.
400 Millot (Charles), ancien officier de marine, secrétaire de
la Commission météorologique de Meurthe-et-Moselle,
secrétaire adjoint de la Société, 28, rue des Quatre-
Églises.
401 Millot (Jules), sous-inspecteur des forêts, à Chaumont.
402 Millot- Vincbhot, ancien négociant, 3, rue Mably.
403 Mohal, pharmacien, rue des Dominicains, 8.
404 Movtbel (de), officier en retraite, rue de Boudon ville, 6.
405 Mobawetz, associé, maison Aimé et Cic, rue des Ponts, 57.
406 MoRiexAT, comptable, rue des Ponts, 24.
407 Mouoel (M,le), maîtresse à l'École normale, à Maxéville.
408 Mouqehot (Léon), vice-consul d'Espagne, à Nancy.
409 Mottrin, recteur de l'Académie.
410 Mulot, rentier, faubourg Saint-Jean, 25.
411 MuifiER, lithographe, rue de Metz, 93.
412 Mckieb, conseiller général, à Pont-à-Mousson.
413 Muhibr (M"e), rentière, à Pont-à-Mousson.
414 Mtoitz, ingénieur en chef en retraite, rue Mazagran, 11.
228 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
MM.
415 Nauçuette, ancien directeur de l'École forestière, rue du
Manège, 13.
4 16 Nathan-Picard , vice-président de la Chambre de commerce,
rue Saint-Dizier, 1 bis.
417 Nicolas (Auguste), bibliothécaire de la Société, rue des
Ponts, 4ô bù.
418 Nicolas (Eugène), représentant de commerce, rue du Mon-
tet, 17.
419 Nicolas (Ernest), juge de paix, à Saint-Nicolas, rue Saint-
Nicolas, 31.
420 NiNQBB (Eug.), comptable, rue Sainte-Catherine, 43.
421 Noblot, conseiller général, rue Lafayette, 2.
422 NofiL, conseiller à la Cour, rue des Carmes, 33.
423 Ngetinobb, propriétaire, rue de la Source, 10.
424 Noibibl, caissier, rue de la Source, 13*
425 Noebsbq (Emile), maison Berger-Levrault, rue des Glacis, 16 .
426 Nobbebo père, imprimeur-éditeur, rue des Glacis, 16.
427 Nobxale (Ecole) de Nancy.
428 Obihot, photographe, rue Saint-Dizier, 126.
429 Olbt, instituteur à Allain. .
430 Obt, avoué à la Cour, rue de Serre, 3.
431 Ottbnhkimbb (Mme), rue des Carmes, 7.
432 Ottmanv, capitaine en retraite, avenue de la Garenne, 2 bis.
433 Papblibb fils, négociant, rue de Strasbourg, 24.
434 Paquel (Georges), officier de réserve, rue du Haut-Bour-
geois, 4.
435 Pabisot (Victor), professeur à la Faculté de médecine, rue
Saint- Julien, 37.
436 Pabisot (Victor), chef de bataillon au 26e de ligne, rue du
Mon tet, 9.
437 Pabisot (Aug.), receveur surnuméraire, 9, impasse Sainte-
Marie, avenue de la Garenne.
438 Passbbat, sous-inspecteur des Domaines, à Langres (Haute-
Marne).
439 Patissieb, place Stanislas, 2.
440 Paul, capitaine en retraite, place de la Carrière, 26.
441 Paul, notaire, rue de la Monnaie, 4.
SOCIÉTÉ-MÈRE. 229
MM.
Péchoin (Léon), avocat, Grande -Rue, 42.
PaiTFBE, commandant d'artillerie en retraite, me Saint-
Dizier, 135.
Pbipfbb (MIIe), institutrice, rue Héré, 16.
445 P&raux, négociant, rue Saint-Dizier, 83.
446 Pébissb (Victor), rentier, rue Ligier-Richier, 3.
447 Prrjtot, fabricant de chaussures, rue Claudot, 3.
448 Pébot, intendant militaire en retraite, rue Saint-Léon, 14.
449 Pkrbst, fabricant de chapeaux de paille, rue de Strasbourg,
5.
450 Pbrbik, professeur à l'École normale primaire, à Nancy.
451 Petitbien, député de Meurthe-et-Moselle, rue Denfert-Ro-
chereau, 36, à Boulogne- sur-Seine.
452 Peultieb, négociant, rue des Quatre -Églises, 36.
453 Ptdollot, instituteur à Maxé ville.
454 Ph-lbmemt père, rue de Metz, 12.
455 PitLBMiHT (Alfred), sculpteur, rue de Metz, 7.
456 PrRAUBE, receveur des douanes, rue Baron-Louis, 1.
457 Piboux, directeur de l'institut des Sourds-Muets, faubourg
Stanislas, 10.
458 Pitot, docteur en médecine, rue Saint-Dizier, 144.
459 Poincabé, docteur en médecine, professeur à la Faculté
de médecine, 9, rue de Serre.
460 PomsiQiroK, avocat, rue de la Constitution, 5.
461 Poibsiqkok (Th.), négociant, rue Saint- Jean, 41.
462 Poisson, conseiller de préfecture, à Lille.
463 Poibson, receveur municipal à Nancy.
464 Pomr-A-Mocssoir (La bibliothèque de la Société d'encoura-
gement à l'instruction de).
465 Ptrroir, directeur de l'École forestière.
466 Rajibacd, chef du cabinet du Ministre de l'instruction pu-
blique, place de l'Académie, 4.
467 l&XAUBY, ingénieur-conseil, passage Violet, 1, à Paris.
468 Kxkabd (René), avocat, rue Saint-Dizier, 142.
469 Sbwabd (Paul), négociant, rue Saint-Nicolas, 28.
470 Eesaud (Victor), négociant, rue Saint-Dizier, 109.
Kmattd (abbé), place de l'Académie, 11.
230 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
MM.
472 Rehaut, médecin-major au 4e chasseurs d'Afrique, à la Ma-
li oub a, près Tunis.
473 Rey (Auguste), faubourg Stanislas, 47.
474 Richard, instituteur adjoint, à Lunéville.
475 Rinck (Félix), négociant, faubourg Saint- Jean, 2.
476 Riston (fils), étudiant en droit, à Malzéville.
477 Riston, maître élémentaire au Lycée.
478 Robert (des), propriétaire, rue Isabey, 41.
479 Robert (Maurice des), propriétaire, rue de Rigny, 6.
480 Robert, rue Pichon, 3.
481 Rochefort (Jean-Baptiste), fabricant de broderies, à Ger-
béviller.
482 Rogé, maître de forges, à Pont- à-Mousson.
483 Roqbr (Elias), négociant, rue des Dominicains, 3.
484 Roussel, négociant, rue Saint-Dizier, 59.
485 Roussel, ancien professeur à l'Ecole forestière, rue de la
Ravinelle, 11,
486 Roussel, secrétaire général de la mairie.
487 Rousselot, négociant, rue Saint- Nicolas, 55.
488 Roville (Auguste), maire de Gcrbévillcr.
489 Royer, litbograpbe, rue de la Salpêtrière, 1.
490 Saint-Joiee, avocat, rue Saint-Dizier, 25.
491 Saint-Martin, comptable, rue de Strasbourg, 34.
492 Saint- Vincent (baron de), président honoraire, rue Maza-
gran, 7.
493 Sadler (Mmc), rue de Serre, 15.
494 Sadoul, avocat général, rue Saint-Dizier, 114.
495 Salmon (Ernest), négociant, rue de la Hache, 11.
496 Sanson (MUe), institutrice adjointe à l'École normale de
filles.
497 Sohill, rentier, rue Montesquieu, 19.
498 Schmidt, pasteur, place £?aint-Jean, 2.
499 Schneider (Alfred), négociant, rue Montesquieu, 8.
500 Schott, négociant, rue de Metz, 54.
501 Schott (Edmond), négociant, Grande-Rue, 11.
502 Schwbningbr, hôtel de l'Europe.
503 Seners, propriétaire à Mazéville.
m
SOCIÉTÉ-MÈRE. 231
MM.
504 Sbfulchbb (Victor), consul de Belgique, à Maxéville.
505 Sicaed, tailleur, maison Mathis, place Stanislas, 5.
506 Sldrot, adjoint au maire de Nancy, rue de Metz, 13.
507 Sucette aîné, ancien adjoint, rue de Strasbourg, 5 bis.
508 Simom-Favieb (Mme), 1, rue Saint-Dizier.
509 Simoe (Léon), juge au Tribunal de commerce, rue de la
Kavinelle, 29.
510 Simonin-Roussel, négociant, rue Saint-Dizier, 77.
511 Sogmet, docteur en médecine, à Liverdun. '
512 Son bel (Jules), négociant, rue Braconnot, 15.
513 SrrLLEB, directeur de la New-York, rue Saint-Dizier, 74.
514 Spixmaen, docteur, agrégé à la Faculté de médecine, rue
des Carmes, 40.
515 Spibe, négociant, rue d'Alliance, 10.
516 Stbinmetz, ancien commissaire-priseur, rue de Metz.
517 Stebne, juge au Tribunal de commerce, rue Stanislas, 50.
518 Stheme, ancien conservateur des forêts, place Stanis-
las, 2.
519 Stbeifp, juge au Tribunal de commerce, rue de la Visita-
tion, 12.
520 Tabellion, directeur de l'École professionnelle de l'Est, rue
des Jardiniers.
521 Tac ail, capitaine en retraite, rue de Strasbourg, 51.
522 Tbbtevin, ingénieur des manufactures de l'Etat, rue Saint-
Dizier, 138.
523 Thiébaut (Camille), rentier, rue de la Source, 9 bis.
524 Thiébaut (Léopold), inspecteur d'assurances, faubourg
Stanislas, 29 bis.
525 Thxebby-Bonneville, négociant, rue Saint-Dizier, 44.
526 Thibt, négociant, faubourg Saint-Georges, 22.
527 Thomas, compositeur de musique, rue des Dominicains, 28.
528 Thomas, instituteur à Jezainville.
529 Thouvbhiw, professeur au Lycée, rue Saint-Dizier, 125.
530 Tobvelieb, négociant, place du Marché, 10.
531 Toubdes (docteur), doyen de la Faculté de médecine, fau-
bourg Stanislas, 2.
532 Toubtbl, ancien notaire, rue de Metz, 46 bis.
232 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
MM.
533 Toubtel, inspecteur d'assurances, chemin de la Foncotte,
13.
534 Tranchant, pharmacien, rue de Strasbourg, 20.
535 Tbélis, directeur de l'usine à gaz de Pont-à-Mousson.
536 Vautrin, architecte, rue de-la Salpêtrière, 4.
537 Vérone, ancien notaire, rue de Strasbourg, 165.
538 Viansson, percepteur, rue de la Ravin elle, 27.
539 Vidaet (M11*), institutrice, rue des Quatre-Eglises, 4.
540 Vignot, lieutenant de vaisseau, à Toulon.
541 Villes, ingénieur en chef des ponts et chaussées, rue de la
Monnaie, 4.
542 Vincent, facteur de la Criée, place du Marché.
543 Vivenot (Edouard), industriel, rue Bailly, 8.
544 Voignier, fabricant, rue Montesquieu.
545 Voïnibr (Gustave), fabricant, rue des Tiercelins, 34.
546 Volland, maire de Nancy, rue de la Ravinelle, 20.
547 Volmeranqe, ingénieur en chef en retraite, rue de la Com-
manderie, 11.
548 Vouaux, professeur au Lycée, rue d'Àmerval, 12.
549 Weille, négociant, rue des Fabriques, 8.
550 Weilleb, négociant, avenue de la Garenne, 2 bis.
551 Weilleb (Louis), marchand de meubles, rue Saint-Thié-
baut, 12.
552 Weissandt, employé de la maison de Langenhagen et Hepp,
rue de Strasbourg, 83.
553 Weissembubgeb (Georges), industriel, rue des Fabriques, 2.
554 Weissembubgeb (Edmond), industriel, au Charmois.
555 Weissenthanneb, négociant, rue Saint-Dizier, 133.
556 'vVolfboh, négociant, rue Saint-Dizier, 117.
557 Wubsthobn, pâtissier, rue Saint-Dizier, 79.
558 Xabdel, président de la Chambre de commerce, à Malsé-
ville.
559 Xabdel fils (René -François), industriel, à Malzéville.
560 Xavier (Antoine), maître d'hôtel, rue Saint-Dizier, 82.
561 Zeller, directeur des usines de Val-et-Châtillon.
562 Zimmebmann (Emile), entrepreneur de serrurerie, 148, rue
Saint-Dizier.
2« SECTION VOSGIENNE
BUREAU ET COMITÉ D'ADMINISTRATION
Gaucxleb (0 $fe), directeur des chemins de fer de l'Etat,
6, rue Gay-Lussac, à Paris, président honoraire;
Lib Moyke (O #, A y), directeur des postes et télégraphes,
président;
Gx.btx (A M), professeur en retraite, vice-président ;
Gaziy, avocat, docteur en droit, êeerétaire;
Lkkbuht (lu), ancien professeur, trésorier;
JLrKCOMTE (I U), ancien professeur, bibliothécaire.
Bah.lt (Dr), maire de Bains ;
Fi oki on (&, A U), président du Tribunal de commerce, à
Epinal ;
FoxrsKiBB [Dr] (A y), à Rambcrvillers ;
Gakxibb (I y), conducteur des ponts et chaussées;
Grajllet(A y), directeur de l'École normale de Mirecourt;
Hau-lant, avoué, docteur en droit, secrétaire adjoint , à
Spinal ;
Huot ^Jfc, ancien maire d 'Epinal ;
Liétard (Dr) *, à Plombières;
Takaht ($£, A y), conseiller général.
•>Ko^
MEMBRES FONDATEURS.
Gattcklkb (0 #), directeur des chemins de fer de l'Etat,
18, rue Gay-Lussac, à Paris.
Hix.aixb (Louis), conseiller municipal, à Rambervillers.
Jkawdldieb, notaire, à Epinal.
'LiTrma, conseiller général, à Moussey.
Stbbh, au buffet de la gare, à Epinal.
MEMBRES SOUSCRIPTEURS
1883
SOI.
-, ancien architecte, à Epinal.
234 LISTE DES MEMBRES DE LA SECTION VOSGIENNE.
MM.
2 Aifos, manufacturier, à La Neuveville-lès-Raon (Raon-
l'Étape).
3 Anckl (A y), docteur-médecin, à Epinal.
4 André fils, à Bruyères.
5 Antoine (Paul), industriel à Vecoux, par Remiremont.
6 Antoine (Prosper), agent voyer chef en retraite, à Saint- '
Dié.
7 Appuhn, industriel, à Remiremont.
8 Ast (J.) fils, manufacturier, à Gérardmer.
9 Aubht (Auguste), négociant, à Arches.
10 Aubry-Deleau, président du Tribunal de commerce, à Mi-
recourt.
11 Atlies, rédacteur en chef du Mémorial des Vosges, à Epinal. ,
12 Bailly, docteur-médecin, maire de Bains.
13 Bajolot, entrepreneur, à Epinal.
14 Ballon, pharmacien, à Epinal.
15 Bastien, peintre, à Mirecourt.
16 Beubnel, percepteur, à Do celles.
17 Blaise, instituteur, à Chevry-Taintrux (par Saint-Dié).
18 Blaise-Geobgbl fils, négociant, à Saint-Dié.
19 Blancheville, fondé de pouvoirs à la trésorerie générale, à
Epinal.
20 Bled (GuBtave), directeur de papeterie, à Arches.
21 Bled (Victor), agent d'assurances, à Epinal.
22 Bœqnee ($<, A y), préfet des Vosges.
23 Boulay $<, président du tribunal civil d'Épinal.
24 Bourgeois (Alfred), boursier d'agrégation, rue des Char-
treux, 4, à Paris.
25 Boubion (Henry), propriétaire, à Rambervi 11ers.
26 Bourbon (A y), inspecteur primaire, à Remiremont.
27 Botjtin ^fc, directeur général des contributions directes,
174, rue de Rivoli, à Paris.
28 Bretagne, contrôleur principal des contributions directes,
à Epinal.
29 Brodiez, professeur de rhétorique au collège, à Remiremont.
30 Brou aux, notaire, à Epinal.
31 Busy, imprimeur, à Epinal.
LISTE DES MEMBRES DE LA SECTION VOSGIENNE. 235
MM.
32 Chatbl aîné (A U), industriel, à Epinal.
33 Chbvbettx, archiviste du département des Vosges, à Epinal.
34 Christophe, ancien notaire, à Epinal.
35 Colin, aide-major de lrc classe à l'état-major de l' artillerie,
à Tunis.
36 Coehot fils, entrepreneur, à Epinal*
37 Courcibb %, percepteur, à Besançon, 16, rue Morand.
33 Cbrvoisibb (de), percepteur, à Girecourt.
39 Cuht, instituteur, à Raon -l'Etape.
40 D alsace, inspecteur des forêts, à Epinal.
41 Danocy, employé des contributions directes, à Epinal.
42 Dattmas, secrétaire en chef de la mairie, à Epinal.
43 David, percepteur, à Châtel.
44 Defrain, agent voyer, à Rambervillers.
45 De latte (Jules), employé des postes, à Epinal.
46 De xi s, professeur de sciences naturelles au collège, à Re-
miremont.
47 Dekyb, président du Tribunal civil, à Mirecourt.
48 Didou, facteur en broderies, à Châtel.
9
49 Diimeb, notaire, à Epinal.
50 Dieteblen (Jules), à l'usine de Thaon.
51 Doxdain, meunier, à Jarménil (Vosges).
52 Doeobt, conseiller général, industriel à la Longine, par
Faucogney (Haute-Saône).
53 Dbouin, agent voyer, à Châtel.
54 Duïats, gérant de la Gazette vosgienne, à Saint-Dié.
55 Durand (Emile) $fc, libraire, à Epinal.
56 Bueasd (Jules), professeur de seconde au collège, à Epinal.
57 Dtjbajtd (Lucien), agrégé, professeur de mathématiques au
lycée de Belfort.
53 Ejlsst, avoué, à Saint-Dié.
59 Febbt (Albert), député, à Saint-Dié.
60 Febbt (Charles), avoué, à Saint-Dié. .
61 Flobiow ($fc, A tf), président du Tribunal de commerce, à
Epinal.
62 Focquet, ancien avoué, à Epinal.
63 ForwAXT, banquier, à Epinal.
236 LISTE DES MEMBBES DE LA. SECTION VOS0IENNE,
MM.
64 Fournies [Alban] (À y), docteur- médecin, à Rambervillcrc,
65 Fricotel, imprimeur, à Épinal.
66 Fbiesenhauseb, officier au 132e de ligne, à Reims.
67 Frœbeisen, libraire, à Épinal.
68 Gabé $*, conservateur des forêts, à Epinal.
69 Gaillot >jfe , capitaine en retraite, à Épinal.
70 Ganter (A yO, juge, à Épinal.
71 Garnies (I y), conducteur, chef des bureaux de l'ing&
nieur en chef, à Épinal.
72 Garreau, banquier, à Épinal.
73 Gazin (Edgard), avocat, docteur en droit, à Epinal.
74 Gêna y, architecte, à Épinal.
75 Gentil, à l'usine de M. Âst, à Gérardmer.
76 Geobqeot, avocat, rédacteur en chef de Y Industriel voêgû^
à Remiremont.
77 Gérard, principal du «collège, à Vitry-le-François.
78 Gillet, docteur-médecin, à Lamarche.
79 Gley (A y), professeur en retraite, à Épinal.
80 Graillet (A M), agrégé, directeur de l'École normale, i
Mirecourt.
81 Grandeubt, géomètre, à Épinal.
82 Greuell, docteur-médecin, à Gérardmer.
83 Grillon 0 $*, licutenant-colone du génie, au ministère de
la guerre, 25, rue des Saints-Pères, à Paris.
84 Grisouard, commis principal au télégraphe, à ÉpinaL
85 Guélot $$, chef de bataillon au 10e bataillon de chassera
à pied, à Saint-Dié.
86 Guyon, docteur en médecine, à Remiremont
87 Guyot, libraire, conseiller municipal, à Remiremont.
88 Hafpner, tanneur, à Épinal.
89 Haillant, avoué, docteur en droit, à Épinal.
90 Hartmann (Michel), industriel, à Épinal.
91 Haudebout (A <yr), professeur au collège, à EpinaL
92 Henry (Félix), ingénieur civil, à Épinal.
93 Hepf, employé des contributions directes, à Épinal.
94 Hovasse, professeur de littérature et d'histoire au lycée <fc
Pontivy (Morbihan).
LISTE DES MEMBRES DE LA SECTION VOS01ENNE. 237
MM.
95 Htra-VABHiEB, secrétaire de la Ligue de renseignement, à
Neufchâteau.
96 Humbel $fc, ancien capitaine adjudant- major de chasseurs
à pied, industriel à Éloyes.
97 Hubsox (Edouard), surnuméraire percepteur à la trésorerie,
! à Épinal.
98 Huot j$, ancien maire, a Épinal.
99 Jacottê, employé à la trésorerie générale, à Épinal.
300 Jacquot, instituteur à Senaide, par Bourbonne-les-Bains.
101 Jaktel, employé à la trésorerie générale, à Épinal.
103 Jiabdix, professeur au collège, à Épinal.
103 Jsahpikbbb, juge au tribunal civil, à Épinal.
104 Kxllebmànw, percepteur, à Châtel.
105 Kibjtsb [Christian] (#,Ay), industriel, sénateur, à Épinal.
' 106 Kiexxb (Roger), industriel, à Épinal.
107 Kippeubt, propriétaire, à Épinal.
108 Kleix, lithographe, à Épinal.
; 109 Lababbe, agent voyer, à Neufchâteau.
110 Lambert, ancien entrepreneur, conseiller municipal, à
Epinal.
111 Lambbbt [Ernest] (% ,Ày), conseiller général, à Ch&tenois.
112 Lapicque, vétérinaire, à Epinal.
113 Laedibr, docteur-médecin, à Bambervillers.
i 114 Lave, censeur au lycée, à Charle ville.
115 Lebrubt (I y), ancien professeur de mathématiques au
coDège, à Épinal.
116 Lecomte (I U), bibliothécaire de la ville d' Epinal.
117 Leqbas, docteur-médecin, à Dompaire.
118 Le Moyhe (O $js, A tf), directeur des postes et télégraphes,
I à ÉpinaL
i 119 Léon abd (Paul), représentant de commerce, k Plainfaing
(Vosges).
120 Lifaoe (Charles), négociant, rue de la gare, à Épinal.
121 LUiabd $j{, docteur-médecin, à Plombières.
122 Loppiuet, inspecteur adjoint des forêts, à Épinal.
i 123 Lotez (A y), directeur de l'école annexe à l'École nor
maie, à Vesoul.
238 LISTE DES MEMBRES DE LA SECTION VOSOIENNE.
MM.
124 Lttng (Gustave), banquier, à Saint-Dié.
125 Macbon, architecte, à Èpinal.
126 Magbon, instituteur à La Bolle (Saint-Dié).
127 Marc h al (Jules), filateur, à Saint-Dié.
128 Marion (Louis), étudiant, place de la Bourse, à Epinal.
129 Marqfoy $(, trésorier-payeur général, à Epinal.
1 30 Martin, instituteur, à Dommartin-lès-ïtemiremont (VosgesV
131 Mathieu (Emile), fabricant d'huile, à Epinal.
132 Mathis, conseiller général, à Ville-sur-Illon.
133 Macd'heux (Ay), avocat, docteur en droit, à Epinal.
134 Michaud, inspecteur des forêts, à Bemiremont.
135 Missenard, professeur d'histoire au collège, a Epinal.
136 Moinel (A y), propriétaire, à Epinal.
137 Mo lard, ancien notaire, à Epinal.
138 Morand (0 $fc), capitaine en retraite, à Gérardmer.
139 Mouqeot (Emile), agent d'assurances, à Epinal.
140 Mouillet, employé de la trésorerie, à Epinal.
141 Muller, notaire, à Rambervillers.
142 Noël (I y), inspecteur primaire, à Epinal.
143 Paris ot, inspecteur adjoint des forêts, à Bemiremont.
144 Payonne, ancien notaire, à Mirecourt.
145 Payonne (Pol), avocat, à Epinal.
146 Payrou, ancien notaire, à Epinal.
147 Pernet, docteur-médecin, à Rambervillers.
148 Pernot, propriétaire, adjoint au maire, à Epinal.
149 Perrin, président de la Ligue de renseignement, à Neuf-
château.
150 Perrin (Ferdinand), propriétaire, à Amerey (Xertigny).
151 Perrout, avoué, à Epinal.
152 Petot (Léon), vérificateur de l'enregistrement, à Epinal.
153 Peyrou, libraire, à Epinal.
154 Pierrat, garde-mine, à Epinal.
155 Ponlevoy (de) >fc, député, rue Las-Cases, 23, à Paris.
156 Poulet (Auguste), inspecteur de la Nationale, 141, rue de
Paris, à Saint-Mandé (Seine).
157 Quignon, économe du collège,' à Epinal.
158 &aclot, percepteur à Maucourt, par Étain (Meuse).
LISTE DES MEMBRES DE LA SECTION VOSGIENNE. 239
MM.
| 159 Ratoux, aspirant de marine, chez M. Ravoux, comptable, à
Remiremont.
[160 Rbsblbb, propriétaire, adjoint an maire, à Saint-Dié.
[161 Rshaud (Benjamin), entrepreneur, à Épinal.
162 Rehbl, inspecteur du matériel du chemin de fer de l'Est, à
Epinal.
163 Richabd, chef de division à la préfecture, à Epinal.
1 164 Roteb, constructeur-mécanicien, à Epinal.
I m
1 165 Schwab (Albert), négociant, à Epinal.
- 166 Schwab (Edmond), négociant, à Epinal.
1 167 Schwab (Elie), négociant, à Epinal.
1.168 Serqkrt (A y), avocat, à Epinal.
169 Sibow, entrepreneur, à Épinal.
1 170 Simon, ingénieur, chef de section aux chemins de fer serbes
| à Chupria (Serbie).
| 171 Sobtao, chef de division à la préfecture, à Epinal.
; 172 Tahajtt ($? , Ay), juge de paix, conseiller général, à Epinal.
! 173 Thkxot, adjoint du génie, à Epinal.
, 174 Thiot, conducteur des ponts et chaussées, à Epinal.
: 175 Thomassik, agent voyer, à Epinal.
\ 176 Thouybhin, architecte, à Hozel (Epinal).
; 177 Thoutbkot, président du conseil de prud'hommes, à Epinal.
■ 178 Thoux $fc, ingénieur des ponts et chaussées, à Epinal.
j 179 Tusibb, docteur en médecine, à Remiremont.
i 180 TaoYOH, instituteur, à Saint-Etienne (Remiremont).
[ 181 Trompbtte-Pbtitjïah, négociant, à Châtel.
182 Tschbk, à l'usine, à Thaon.
183 Vallob (Adolphe), propriétaire, à Châtel.
184 Vatih, sous-préfet de Douai.
185 Vblib père, ancien manufacturier, à Rambervillers.
186 Vklih (Armand), manufacturier, à Rambervillers.
187 Vblijc (Henri), manufacturier, à Rambervillers.
188 Vilib (Charles), ex-garde général, à Saulxures-sur-Mosc-
lotte.
189 Vial, conducteur des ponts et chaussées, à Remiremont.
190 Yillbmik, inspecteur des postes, à Epinal.
191 ViBCBBT (Aimé), manufacturier, à Moyenmoutier.
240 LISTE DES MEMBRES DE LA SECTION MEUSIENNE.
MM.
192 Vibte, instituteur, à Arches (Vosges).
193 Winteb, receveur-buraliste, au Thillot.
3° SECTION MEUSIENNE
BUREAU ET COMITÉ D'ADMINISTRATION
MM. Deschamps (Narcisse) $< , membre du conseil général, main
de Lisle-en-Rigault, président ;
Langboqnbt # (I P M), inspecteur d'académie, à Bar-le-
Duc, vice-président;
Boknabblle, directeur d'imprimerie, à Bar-le-Duc, 1er secré-
taire ; '
Léohaudel, instituteur, à Bar-le-Duc, 2* secrétaire;
Naubix, commis principal à la préfecture de la Meuse, tré-
sorier;
Rohfort, instituteur public, à Bar-le-Duc, bibliothécaire;
Bala, pharmacien de 1™ classe, maire de Bar-le-Duc ;
Brasseur (Armand), à Bar-le-Duc ;
Chémery, ancien administrateur de l'hospice civil de Bar-le-
Duc ;
Collinet (A y), agent vover principal d'arrondissement, à
Bar-le-Duc ;
Gbosdidier (René), maître de forges, à Commercy ;
Laurent, vétérinaire départemental, à Bar-le-Duc ;
Pagbt, chef de division à la préfecture de la Meuse ;
Poroherot (I P y), proviseur du lycée, à Bar-le-Duc;
Sailliet $j, agent voyer en chef de la Meuse.
MEMBRES FONDATEURS
MM. Bradfer (J. B.), maître de forges, à Nantois, par Ligny,
Desohahps (Narcisse) $J *, président de la Section;
Deschamps (Pol), à Trémont, par Bar-le-Duc ;
Freusd-Deschamps, au Vieux-Jeand'heurs, par Saudrupt,
(») Fondateur de la Société-Mére.
LISTE DES MEMBRES DE LA SECTION 1IEUSIBNNE. 241
MEMBRES SOUSCRIPTEURS
1883
MM.
1 Adamistbb, ingénieur du canal de la Marne au Rhin, à Bar-
le-Duc.
2 ÀDDETRT, négociant, à Ligny-en-Barrois.
3 Akcel, instituteur primaire, à Loisey.
4 Jlkab (Lucien), à Bar-le-Duc.
5 Arnold, négociant, à Stainville.
6 Bala, maire de Bar-le-Duc, membj-e du Comité.
7 Babbieb, instituteur, 14, rue de l'Ouest, à Paris.
8 B abdel, fondé de pouvoirs de la banque Y** et fils Varin-
Bernier, à Bar-le-Duc.
9 Babdijt $S agriculteur, à Senard, par Triaucourt.
10 Babdot (Théophile), maire de Velaines, par Ligny.
11 Babthb, représentant de commerce, à Bar-le-Duc.
12 Belfobt, conseiller municipal, entrepreneur, à Bar-le-Duc.
13 Bsllot (Alfred), agent voyer hors classe, à Bar-le-Duc.
14 Bebtheleky (Albert), négociant, à Bar-le-Duc.
15 Bebthelemy (Félix), rentier, rue de la Rochelle, à Bar-le-Duc.
16 Bkuonot, notaire, à Bar-le-Duc.
17 Billet (Nicolas-Narcisse), huissier, à Bar-le-Duc.
18 Bibteb, fabricant de phosphates, à Revigny-aux- Vaches.
19 Bogenbz, commis auxiliaire à l'inspection académique, à
Bar-le-Duc.
20 Bonvabblxb, secrétaire de la Section.
21 Bowbefohd, secrétaire de la Caisse départementale des incen-
diés de la Meuse, rue de Saint-Mihiel, 23, à Bar-le-Duc.
22 Boullet, docteur en médecine, maire de Naives-devant-Bar.
23 BfiADPEB (Mmi V* Ernest), rentière, rue de la Rochelle, à
Bar-le-Duc.
24 Bbasseub (Armand), membre du Comité.
25 Broquette, ferblantier-lâmpiste-plombier, à Bar-le-Duc.
26 Bubeau 0 * (I P y), chef de bataillon au 94* régiment d'in-
fanterie, à Verdun.
27 Cahk (Arthur), agent d'affaires, à Bar-le-Duc.
28 Chapibok, tanneur, à Bar-le-Duc.
•oc »■ oéoes. — 1" bt 2« TunnciTSM 1889. 16
342 LISTE DES ICEHBRSS DE LA. SECTION liEffSIBNlV.
MM.
29 Chaboy-Gébabd, cultivateur, à Longevtlle-devant-Bar.
30 Chabubl, receveur de l'asile d'aliénés de Fains, à Bar-
le-Duc.
31 Cheubey, membre du Comité.
32 Cloquexaix fila, manufacturier, à Bar-le-Duc.
33 Collutst (A U)i membre du Comité.
34 Colliv-Guillauxb, architecte, à Bar-le-Duc
35 Coxnesson, inspecteur primaire, à Bonneville (Savoie).
36 Covtbhot, négociant, à Stainville.
37 Cobet (Eugène), manufacturier, à Bar-le-Duc.
38 Couchot, manufacturier, à Bar-le-Duc.
39 Cuxivet, maître d'hôtel, à Ligny-en-Barrois.
40 Damain (Benjamin), peintre, à Bar-le-Duc
41 Dbbibs, maître répétiteur au lycée de Bar-le-Duc.
42 Dbnnbby, capitaine adjudant-major breveté, au 94* d'infan-
terie, à Bar-le-Duc,
43 Dbvbllx (Edmond), député de la Meuse, préaident da la So-
ciété des lettres, sciences et arts de Bar-le-Duc.
44 Don Jean (Gustave), instituteur, à Haironville, par Saudrupt.
45 Douillot, instituteur, à Ancerville.
46 Dbouot (Hubert), boulanger, à Bar-le-Duc.
47 Enabd-Enabd, négociant en vins,, rue Notre-Dame, 13, à
Bar-le-Duc.
48 Ehrbt (Victor), brasseur, à Bar-le-Duc.
49 Fbbbbtte, géomètre -expert à Chardogne, par Condé-en-
Barrois.
■50 Fistib (Camille), inspecteur de l'enregistrement et des do-
maines, à Bar-le-Duc.
51 Flobevtin, ancien professeur, rue du Four, 64, à Bar-le-Duc.
52 François (Edouard), marchand de meubles, à Bar-le^Duc.
53 Fbaxçois-Maxixe, limonadier, à Bar-le-Duc.
54 Ganieb, instituteur, à Ville-en-Woëvre, par Manheullea.
55 Gatox (le docteur), conseiller d'arrondissement, à Ancervilk.
56* Gbobos,. instituteur, à Oëy, par Ligny-en-Barrois.
57 Gettlipp, manufacturier, maire de Ligny-en-Barrois.
58 Gillbt (le docteur), membre du conseil général, maire de
Beauzée.
LI5TB DÇS BCBMttBs OT LA. SEGTlOft MEUSIBNK*. 243
MM.
59 Gillot, maire de Tannois, pat Bar-le-Duc.
€0 Gibabd, limonadier, a Bar-le-Duc.
61 Goblet (Albert), marchand de meubles, à Bar-le-Duc.
62 Goblet (Louis), marchand dp meubles, à Bar-le-Due,
63 Gbatbbaux, négociant, à Bar-le-Dnc.
64 Gbosdidibr (René), membre du Comité.
65 Gkrn>on (le docteur), à Stainville.
66 Guillaume, propriétaire, à Stainville.
67 Guillaume (Henri), propriétaire, à Naives-devant-Bar.
68 Guillbby, instituteur à Neuville- en- Verdun ois, par Pierrefitte.
69 Gutot (Léon), adjoint an maire de Bar-le-Doc.
70 Helbhe, entrepreneur des travaux de la prison, à Bar-le-Duc.
71 Hofp (Charles), ferblantier-plombier-lampiste, à Bar-le-Duo.
72 Hokhore (Jules), sénateur de la Meuse*, rue de Rivoli, 1, à
Paris.
73 Houzelle, instituteur à Breux, par Montmédy.
74 Iqieb, instituteur, à Vavincourt.
75 Jacob, archiviste départemental, conservateur du Musée, à
Bar-le-Duc.
76 JsAvviir fils, négociant-entrepositaire des mines d'Ansin, à
Bar-le-Duc.
77 Jobabd, comptable, à Bar-le-Duc.
78 Jossb, commis des postes, rue Manin, 75, à Paris.
79 Joyeux, notaire, à Triaucourt.
80 Kaboher (Léon), brasseur, à Bar-le-Duo.
81 Kohabski (Wladimir), conseiller de préfecture, à Bar-le-Duc.
82 Laplottb, libraire, à Bar-le-Duc.
83 Lalxbmand (Henri), professeur à l'École Rollin, à Bar-le-
Duc.
84 Lallbmbnt, négociant en fromages, à Stainville.
85 Lamabche, entrepreneur de travaux publics, à Tannois, par
Bar-le-Duc.
86 Lahoe (Gabriel), limonadier (Cercle des officiers), à Bar-le-
Duc.
87 Lahqboqnet ^ (I P y ), vice-président de la Section.
88 Labchbr, adjoint au maire, à Érize- la-Brûlée, par Villotte.
89 Laubbbt, vétérinaire, membre du Comité.
244 LISTE DES MEMBRES DE LA. SECTION MEUSIENNE.
MM.
90 Laurent-Poixcelet, premier adjoint au maire de Bar-le-Duc.
91 Leblan (Henri), comptable à la brasserie K archer, à Bar-le-
Duc.
92 Lechaudel, instituteur, secrétaire du Comité.
93 Lechaudel, instituteur, à Ligny-en-Barrois.
94 Lecoy (Albert), peintre, à Bar-le-Duc.
95 Lemoine, instituteur, à Beauzée.
96 Lenoir, chef de section au chemin de fer de l'Est, à Verdun.
97 Le se u re, instituteur, à Châtillon-sous-les-Côtes, par Étain.
98 Louis, vétérinaire, à Gondrecourt-le-Château.
99 Liouville (le docteur Henry), député de la Meuse, quai Ma-
laquais, 3, à Paris.
100 Maqnier (Alfred), comptable à la brasserie Seyboth-Ehret,
à Bar-le-Dac. *
101 Mainot, agent voyer principal d'arrondissement, à Verdun.
102 Mansuy, instituteur à Louppy-le-Château, par Vaubecourt
(Meuse).
103 Mabchal, rentier, rue Entre- deux-Ponts, 29, à Bar-le-Duc
104 Mabguerie (A y), professeur au lycée de Bar-le-Duc.
105 Mathieu, instituteur, à Tannois, par Bar-le-Duc.
106 Maupoil (Mne), rentière, rue de Bonnes, 121, à Paris.
107 Maxr-Werly (Léon) [A y], membre de la Société des anti-
quaires de France, rue de Bennes, 61, à Paris.
108 Mila (Albert), ancien officier, à Saint-Mihiel.
109 Monchot, greffier du Tribunal de commerce, à Bar-le-Duc.
110 Montablot (Léon de), rédacteur en chef de Y Indépendance
de l'Est, à Bar-le-Duc.
111 Montaubéry, ancien rédacteur en chef de Y Avenir de la
Meuse, à Alençon (Orne).
112 Mouilleron, artiste peintre, à Bar-le-Duc.
113 Munerbl (Gustave), juge au Tribunal de commerce, entre-
preneur, à Bar-le-Duc.
114 Naudin, trésorier de la Section.
115 Olby (Charles-Joseph), rentier, à Bar-le-Duc.
116 Paget, membre du Comité.
117 Paillot (M116 ?oé), institutrice, à Bar-le-Duc.
118 Péchoin, juge de paix, à Damey (Vosges).
LISTE DES MEMBRES DE LA, SECTION MEUSIENNE. 245
m
MM.
119 Perso» (le docteur), à Bar-le-Duc.
120 Petit-Bach, maître d'hôtel, à Bar-le-Duc.
121 Philipona, imprimeur-éditeur, gérant de Y Œuvre SaM-Paul,
à Bar-le-Duc.
122 Pierre, chef de division à la Préfecture de la Meuse.
123 Pierre (A y), instituteur en retraite, à Aucerville.
124 Pierrot, propriétaire-gérant du Journal de Montmédy, à Mont-
médy.
125 Pikat-Pbtitjeaît, négociant, à Ligny-en-Barrois.
126 Pluchot (Raymond), cultivateur, à Vavincourt.
126* Poirsoh (Louis) fils, limonadier, à Bar-lc-Duc.
127 Pobcherot (I P U»), membre du Comité.
128 Ragoh, agent voyer central, à Bar-le-Duc.
129 Ravsxst, vétérinaire, à Commercy.
130 Rekauld (Albert), docteur en droit, avoué, à Bar-le-Duc.
131 Ricbibr, instituteur public, à Bar-le-Duc.
132 Roogy, meunier, à Haironville, par Saudrupt.
133 Rovfort, bibliothécaire du Comité.
134 Boter (Charles), architecte, à Bar-le-Duc.
135 Sailliet $fc, membre du Comité.
136 Sauce, instituteur, à Sampigny.
137 Saulnois (Jules), à Sampigny.
138 Saui, instituteur adjoint, à Gondrecourt-le-Château.
139 Setboth (Paul), brasseur, à Bar-le-Duc.
HO Simok (Théodore), banquier, à Ligny-en-Barrois.
141 Thiebaut, commis de l'inspection académique, à Bar-le-Duc.
142 Thoma (André), boucher, à Bar-le-Duc.
143 Toursaiht, ancien instituteur à Bar-le-Duc, inspecteur pri-
maire, à Arcis-sur-Aube.
144 Tousbaixt-Hauck, négociant, à Ligny-en-Barrois.
145 Ulrich (Albert), manufacturier, à Bar-le-Duc.
146 Ulrich (Raymond), manufacturier, à Bar-le-Duc.
147 Varin (Alfred), rentier, à Bar-le-Duc.
148 Varin (Paul), juge au Tribunal de commerce, banquier, à
Bar-le-Duc.
149 Varin ot $<, entrepreneur de travaux publics, à TannoU, par
Bar-le-Duc.
246 soerÉTÉs et publications cobrbspondaktes.
MM.
160 Vaybub, sous-chef de division à la Préfecture de la Meuse.
151 Vxbhieb, chef de section au chemin de fer de l'Est, à Bar-
le-Dnc.
152 Viabd, directeur des fours à chaux de Tronville.
158 Vi£Lsbs-Bb*thsliiit, conseiller municipal, négociant, à Bar»
le-Duc.
164 Vit»y, instituteur, à Montmédy.
155 Tukg (Marie), caissier de la banque Y** et fils Varin-Bernier,
à Bar-le-Doe.
156 Babbieb fils, caissier de la Caisse d'épargne, k Ligny-ea-
Barrois.
4° SOCIÉTÉS ET PUBLICATIONS CORRESPONDANTES.
1 Académie de Stanislas.
2 Société d'archéologie lorraine.
8 Club alpin (section vosgienae).
4 Société des sciences de Nancy.
5 Société d'émulation des Vosges.
6 Société des sciences, lettres et arts de Bar-le-Duc,
7 Société philomathique de Saint-Dié.
8 Société de géographie de Paris, 184, boulevard Saint-Ger-
main.
9 Société de géographie commerciale de Paris, 9, rue des
Grands-Augustins.
10 Société de géographie de Lyon, 25, quai de Rets.
11 Société de géographie commerciale de Bordeaux, siège s là
Bourse.
12 Société de géographie de Marseille.
13 Société languedocienne de géographie, à Montpellier.
14 Société normande de géographie, à Rouen.
15 Société de géographie de Rochefort.
J6 Union géographique du Nord (Douai).
17 Société de géographie de Douai.
J8 14. d'Amiens.
19 Id. d'Arras.
JÛCBfcTÉS BT PDBI*ICAT10NS CORREaPONDâJf TKft. 247
20 Société de géographie des Ardennes (Charleville).
81 Id. de Béthune.
23 Id. de Boulogne.
23 Id. de Calais.
24 Id. de Cambrai.
25 Id. de Dukerque.
26 Id. de Laon.
27 Id. de Lille.
28 Id. de 8aint-Omcr.
29 Id. de Saint-Qaeatin.
30 Id. de Valenciennes.
31 Id. de la province d'Oran.
32 Id. d'Alger.
33 Id. de l'Ain (Bourg).
34 Id. de Toulouse.
35 Société nationale de topographie pratique, à Paris.
36 Société bretonne de géographie, à Lorient.
37 Société de géographie commerciale, à Nantes.
38 Société académique hispano-portugaise, à Toulouse.
39 Société académique de Brest (section de géographie).
40 Académie des sciences et belles-lettres d'Angers.
41 Société archéologique du département de Constantine.
42 Académie d'Hippone, à Bône.
44
iew3 uts gwgni
Id.
de Brème.
45
Id.
de Francfort-sur-le-Mein.
46
Id.
de Hambourg.
47
Id.
de Halle.
48
Id.
d'Iéna.
49
Id.
de Leipzig.
60
Id.
de Dresde.
51
Id.
de Mets.
52
Id.
d'Anvers.
53
Id.
de Bruxelles.
54
Id.
d'Amsterdam.
55
Id.
de Vienne.
56
Id.
de Lisbonne.
57
Id.
de Madrid.
248 SOCIÉTÉS ET PUBLICATIONS CORRESPONDANTES.
58
59
60
61
62
63
64
65
es
67
68
69
70
71
72
73
74
75
76
77
Société de géographie de Rome.
Id. de Berne.
Id. de Genève.
Id. de Saint-Gall.
Id. de Bucharest.
Id. de Québec.
4 Id. de San-Francisco.
Id. de Mexico.
Institut géographique de Buenos- Ayres.
Association philotechnique, 24, rue Serpente, Paris.
Société suisse de topographie, à Genève.
Le Journal des Chambres de commerce, 22, rue de Saint-Pé«|
tersbourg, à Paris.
Les Missions catholiques, 6, rue d'Auvergne, à Lyon.
L'Exploration (Rédaction), 35. rue de Grenelle, à Paria,
L'Esploratore (Rédaction), à Milan.
L'Exploration, à Naples.
Cercle des anciens étudiants de l'Institut supérieur du Com-
merce, à Anvers.
Club africain, à Naples.
Le Nautical Magazine, Pewtress et C°, 15, Great Queen|
Stret, Londres.
Société de géographie de Greifswald.
M ISCELLAN É ES
(Suite.)
LES ILES SALOMON
Les lies Salomon, situées dans l'archipel do Grand Océan équinoxial,
en MêJanésie, offrent un vaste champ aux explorateurs. Les princi-
pales de ces lies sont : Ansen, Bougainville, Santa-Isabella, Choiseul,
SaJalta, San-Christoval, Carte re t , Guadalcanar. Les habitants sont
nègres et malais. Un officier du vaisseau anglais l' Alouette, qui a passé
hait mois dans cet archipel, vient d'adresser d'Auckland ùNouvelle-Zé-
li%ie}au Times de Londres les détails suivants sur ces terres, voisines
les Nouvelles-Hébrides:
< Nous avons dans le groupe des Salomon une double ligne de grandes
lies continentales dont les côtes sont pour la plupart imparfaitement
tracées sur les cartes de l'Amirauté et dont l'intérieur est absolument
inconnu. La surface terrestre actuelle de ces lies est de plus du double
de la superficie totale des Nouvelles-Hébrides. 11 y a un obstacle à sur-
soDler, c'est le caractère sauvage et l'hostilité des indigènes.
« Mon bat principal étant d'appeler l'attention sur cet archipel impor-
tait et peu connu, permettez-moi de prendre comme exemple l'Ile de
Guadalcanar, une des plus intéressantes du groupe. Sa longueur est
d'environ quatre-vingts milles et sa largeur moyenne de vingt-cinq
milles. Vers son extrémité orientale, elle présente de hautes masses de
montagnes qui atteignent, au mont Laminas, une altitude de 8,100 pieds
an-dessus du niveau de la mer.
« A l'exception d'un trafiquant de passage, aucun blanc ne réside sur
bcôte, et l'intérieur de l'Ile est tout à fait inconnu, même aux indigè-
nes qui occupent les régions du littoral. Les voyageurs qui passent
devant l'archipel des Salomon ne peuvent manquer d'être frappés de
h grandeur du paysage que présente la côte sud-est de Guadalcanar.
Vues du sud, à quelques milles du rivage, ses hautes montagnes s'élè-
vent les unes derrière les antres et leurs sommets se perdent dans les
Bvages.
« Chaque variété de profil de montagne est représentée. De sombres
forets recouvrent la plus grande partie de l'Ile ; mats des trafiquants
qnt résident dans l'archipel m'ont appris que, près de l'extrémité oc-
cidentale, se trouve une vaste étendue de prairies. Les hautes régions de
250 MISCELLANÉB8.
l'intérieur sont probablement inhabitées, tandis que le bas de* monta-
gnes est quélqne peu peuple par une race chétive, incapable de se
mesurer avec les tribus plus robustes et plus guerrières de la côte.
Une Ile telle que Ouadalcanar offre un vaste champ aux explorateurs.
Je ne doute pas qu'âne douzaine d'hommes déterminés puissent la
traverser dans toute sa largeur et atteindre ses plus hautes cimes. La
botanique, l'ethnologie, la géographie, la géologie, la météorologie et la
zoologie s'enrichiraient à la suite d'une exploration de cette grande lier ■
LES ILES DU CAP-VERT
M. G. Dœlter, professeur à Gratz, qui vient d'explorer les lies du Cap-
Vert et de dresser une carte topographique de cet archipel, pense que
ces lies ne doivent pas leur formation exclusivement à une actinie
volcanique récente ; les anciennes roches, gneiss, ardoises, etc., sur
lesquelles s'élèvent des masses calcaires, font naître l'idée que cet ar-
chipel est plutôt le reste d'un ancien continent qui, vraisemblablement
s'étendait fort loin le long de la côte d'Afrique, mais dont l'union avec
le continent africain n'est pas certaine, les formations calcaires n'ayant
pas été constatées, è cette latitude, le long de la côte d'Afrique.
(L'Afrique explorée et civilisée»)
LA NAVIGATION ARABE ET INDIENNE AU XIV SIÈCLE
La bibliothèque royale de Berlin possède des fragmente d'un manus-
crit arabe du xive siècle, qui contient le récit, fait par un témoin
oculaire, de l'expédition de piraterie du roi Pierre Iw de Chypre con-
tre Alexandrie, en 1365. Ceux qui ont parcouru ce document, le
donnent comme un mélange bizarre de recherches sur la morale, il
polémique, la philologie, et aussi d'histoire, de poésie, de voyages,
etc., le tout entremêlé de détails curieux sur l'état de la navigation à
cette époque, aussi bien dans la Méditerranée que sur les côtes de
l'Arabie et de l'Inde. Ces derniers ont été récemment reproduits dans
les Nachrichten de la Société royale hanovrienne de Ûôtiingen; c'est
à cette savante publication que le Nautical Magazine a emprunté les
renseignements dont nous donnons, à notre tour, la traduction.
LA NAVIGATION ARAB8 KT INDIBNNB AD XIVe SIÈCLE. 251
*
L'auteur, que Ton croit être on certain Muhammsdibn KAaim Nuvairi
al-Maliki, après avoir raconté que les bateaux arabes et indiens différent
de ceux de ia Méditerranée en ce que leurs bordages sont réunis par
des fibres de noix de cocos au lien de clous et que de grandes barques
indiennes portent jusqu'à sept voiles de fibres de cocos, substance arec
laquelle on fait de la toile, donne ensuite une description de la bous*
soie. Ce passage est digne d'être rapporté, en rappelant toutefois que
la première mention de la boussole qui ait été faite par un écrivain
arabe, remonte à Tannée 1242 et que Ton doit la connaissance de ce
fait à Klaproth.
« Os prennent, dit-il, une boite en bois et Us y placent un morceau
del'éeorce d'un certain arbre connu d'eux (évidemment du liège), sur
lequel ils fixent une aiguille dont l'extrémité coïncide avec le bord de
l'éeorce. Au centre est une épingle fichée debout, de telle sorte que le
morceau d'écorce semble être une meule (les Arabes se servent de
meules borisontaies) dont l'épingle serait Taxe. La boite est recouverte
d'on verre, comme on le fait pour les clepsydres ou horloges A eau.
L'aiguille tourne invariablement sa pointe vers le Mord, de façon que
h nuit, quand le ciel est couvert, le capitaine peut diriger sa course
«aune il veut, vers la droite ou vers la gauche, vers le pôle ou eu
le&s inverse. » Suivent des remarques sur les connaissances nécessai-
res à un capitaine de navire, les constellations, les points cardinaux et
les rhumbs de vent: le Mord, l'Est, le Snd et l'Ouest, le Mord-Est et le
Sid-Est, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, le grand Ouest et le petit
Oaest, le grand Est et le petit Est, et les noms populaires sous lesquels
les différents vents sont connus des marins. Le Hadjl rapporte qu'en
mettant i la voile, le capitaine et les matelots font une prière pour être
préservés de la fureur des vagues. Quand un bateau indien se trouve
dans le voisinage d'un cap, un matelot se rend à l'avant avec une cru-
che d'eau et fait saldam ('), en disant : « 0 cap, le maître du bateau
kit route pour tel port, sois lui favorable. » On jette ensuite à la mer
du ris cuit, en disant: t Reçois ton tribut, 6 terre! .» Quand il fait
calme, on tue une poule noire ou une chèvre, on barbouille de sang
le pied dn mât et on brûle de l'encens. « J'ai vu, une fois, un marin
frappant Pair avec son couteau : Je tue le vent, me dit-il, parce qu'il nous
a abandonnés. » Il raconte encore l'anecdote suivante : « Une fois, nous
sommes restés en calme toute une semaine, la mer était comme de
l'huile; l'équipage prit alors un tonneau vide, le remplit d'un échantil-
lon de tout ee qui composait la cargaison, le munit d'un mit et d'une
voile, comme un navire, et fixa une chandelle allumée au sommet de ce
i1) Salutation, d'où le mot français «alomaZe* (en arabe êalam alaik, saint far toi).
252 MISCELLANÉE8.
mât. On canot fut mis à la mer, remorqua le touneau sept fois autour
du vaisseau, puis le laissa aller à la dérive derrière le bâtiment. C'é-
tait, me disaient les matelots, une offrande à la mer. Le tonneau flotta
jusqu'à ce que le vent, venant à souffler, souleva des vagues; à ce mo-
ment il coula à fond. » Le Hadji rapporte encore que chaque bateau
indien embarque plusieurs plongeurs, généralement quatre, dont le
métier est d'aveugler les voies d'eau. Ces spécialistes soignent le corps
avec de l'huile de sésame et se bouchent les narines avec de la cire;
ainsi équipés, ils nagent le long du navire, comme des poissons, ua
peu au-dessous de la surface de l'eau, quand le bateau est chargé.
Chacun d'eux est muni d'une corde légère qui porte deux crochets dont
l'un est attaché au plongeur, l'autre au flanc du navire. Us découvrent
l'endroit où est la voie d'eau en écoutant le bruit que fait l'eau en en-
trant dans le bâtiment, et la bouchent avec des branches de palmiers
et des fibres de cocos. Ils peuvent de cette" façon aveugler vingt ou
trente voies d'eau en un jour et travaillent aussi bien quand il fait du
vent que quand il fait calme.
 Calicut, dit plus loin notre auteur, il y a de grands bâtiments qui
portent à Adcn du poivre et d'autres marchandises précieuses et se
défendent contre les pirates. Ces derniers se recrutent chez différentes
nations d'indiens païens et sont engagés et payés par des chefs pira-
tes pour courir sus aux navires marchands.
Nous arrêterons là nos extraits de ce manuscrit qui porte le cachet
d'une ancienneté évidente et décrit un é(at de choses absolument oo-
blié aujourd'hui.
C. MlLLOT.
NOUVELLES GEOGRAPHIQUES
{Suite.)
EUROPE.
De la statistique annuelle publiée à Gotha sur toutes les Sociétés de
géographie do monde, il résulte que la France tient aujourd'hui de
beaucoup le premier rang dans le mouvement géographique universel
avec ses 20 Sociétés de géographie comprenant 13,000 adhérents, alors
qire l'Allemagne, qui compte également 20 sociétés, n'occupe que le
3» rang avec 7,700 membres. Puis la Grande-Bretagne avec 3,300 adhé-
rents, l'Italie avec 1,500, et enfin l'Autriche, les États-Unis, la Russie,
la Belgique et la Hollande variant chacun de 1,500 à 1,000.
La Société de géographie de TEst occupe eu France le 4e rang après
la Société de Paris '2,228 membres), l'Union géographique du Nord
aTec 12 sections et 3,125 membres) et la Société de Bordeaux (avec
7 sections et 1,200 membres).
Sur 67 Sociétés que compte le monde entier, la Société de géo-
graphie de l'Est occupe le 8a rang par le nombre de ses membres.
Par contre, elle est Tune des dernières au point de vue des subventions
locales et par conséquent Tune des moins riches. J. V. B.
— Le 9 juin, a été inauguré, au cimetière Sainte-Hélène, à Strasbourg,
le monument élevé à la mémoire de l'ingénieur Béringer qui, il y a
plus de deux ans, fut massacré par les Touareg dans le Sahara. Ce
monument se compose d'un sarcophage, en télé duquel se dresse une
stèle funéraire, portant un médaillon en bronze, qui reproduit avec une
grande ressemblance, l'image en profil du défunt et l'inscription sui-
vante:
A la mémoire de
G. Emile BERINGER
Ingénieur, Membre de la Mission Flatters
Né à Strasbourg, le 19 janvier 1840
Tué dans le Sahara, le 17 février 1881
Sa famille, ses amis, ses concitoyens.
La stèle et le sarcophage sont reliés entre eux par un groupe
d'attributs, qui constitue la partie originale du monument. Un globe
terrestre tourne vers le spectateur l'hémisphère qui porte l'Afrique,
le Sahara est en partie recouvert d'un voile que les compagnons de
254 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
Flatters ont cherché à soulever; la palme du martyre qui glt i côté
du globe symbolise l'issue désastreuse de leur entreprise hardie.
— 11 Tient de se fonder à Bruxelles une Société sous le titre d'//ufi-
tut national de géographie, dont le but est de vulgariser l'étude de la
géographie par la publication de cartes, d'alias et d'ouvrages nationaux.
Le directeur scientifique de cet établissement sera M. le capitaine
d'état-major Ghesquière, l'auteur des cartes murales de la Bourse
d'Anvers.
— C'est le Talisman qui sera mis cette année à la disposition de la
commission scientifique du Muséum pour les études sous-marines et
sondages dans l'Atlantique» Ce navire partira le 1er juin pour explorer
la côte occidentale de l'Afrique jusqu'aux lies du Cap-Vert.; de là U se
rendra dans la mer des Sargasses ; les recherches se termineront par
une station aux Açores.
— La Société royale de géographie de Londres vieut d'accorder une
de ses distinctions au R. P. Petitot, missionnaire (') d'un grand mérite,
qui a notablement augmenté, par de nombreux voyages, les informa-
tions de la science sur les immenses territoires compris entre la baie
d'Hudson et l'Océan Glacial. Depuis Francis Garnier, aucun Français
n'avait reçu de prix de la Société de géographie de Londres.
M. l'abbé Petitot appartient à l'ordre des Oblats ; nos lecteurs se sou-
viennent peut-être qu'il a pris une part active au Congrès des Ameri-
can istes à iNancy en 1875.
Expédition au Groenland. — En même temps que NordenakjOld
explorera le Groenland, une expédition danoise, commandée par les lieu-
tenants Holm et Garde, de la marine royale, se propose de visiter toute
la côte orientale de ce pays, encore très imparfaitement connue, et d'en
dresser la carte. Ses études porteront également sur l'étendue et la
marche des grandes masses de glace dans ces parages. Un crédit de
50,000 couronnes est inscrit au budget danois pour cette exploration
qui durera peut-être plusieurs années.
Un exemple à suivre. — 11 a été fondé, en 1880, à Bruxelles, on
Musée, commercial, inauguré en avril 1883 par S. M. le roi des Belges
en personne. Ce Musée est une dépendance du ministère des affaires
étrangères. 11 est appelé à rendre de grandes services an commerce
(', Dsni rAtbabaekaw-Mackcnsie.
A8IB. ' 255
f exportation en faisant connaître, aux industriels et aux négociants,
les exigences et les habitacles des pays étrangers, en étalant les
eeiections des produits que ces pays consomment. Ces collections,
divisées en 44 groupes, sont installées avec beaucoup de soin
ASIE.
— La Civil and Militari Gazette, paraissant dans l'Inde, publie des
ooovefies de l'explorateur Dalgleich qui, au mois de décembre dernier,
est parti de l'Inde anglaise pour se rendre à Hascbgan :
Bans on premier voyage d'exploration, M. Dalgleich a parcouru le
Tarkestan oriental (depuis que la Chine a reconquis ce pays) et il a
réussi à établir des relations amicales avec les fonctionnaires chinois
de Tarkand. M. Dalgleich ne prend d'autre qualification que celle d'ex-
plorateur et de négociant ; toutefois, pour ce secoud Toyage, le gouver-
nement indien a touIu profiter de son intermédiaire pour envoyer des
messages amicaux et des cadeaux aux gouverneurs des villes chinoises
par lesquelles il passera. Les dernières nouvelles reçues de lui sont
datées de Tarkand, 20 janvier. Il annonce que les fonctionnaires chinois
commuent à lui faire on accueil favorable, ce qui fait bien augurer du
iseeés de son voyage an point de vue commercial.
Pendant qu'il se rendait à Yarkand, il a rencontré un négociant russe
qui se rendait à Khoten, ville commerciale qui prend surtout de l'im-
portance parce qu'elle est située snr la route du Thibet. La nouvelle
b plus importante reçue de M. Dalgleich est incontestablement celle
d'après laquelle il a réussi à persuader au gouverneur chinois de Yar-
kaad d'envoyer des troupes à Sirikul pour occuper cette ville au nom
de l'empire du Milieu, afin de prévenir la mission scientifique russe
qui est envoyée dans le pays de Pamir; cette mission, sans doute, ne
manquerait pas de pousser jusqua Sirikul qui est une position stralé-
giqne importante sur la ronte reliant Kaschgar au Badakshan et au
Torkestan afghan.
•Le colonel Prjevalsky va repartir, pour le Thibet dans dis conditions
pfes avantageuses que tontes les précédentes. Il sera accompagné de
Jâ cosaques et muni de 120,000 francs pour frais de vovage. Le point
de départ de cette nouvelle expédition sera probablement le Lob-Nor.
— Exploration de l'Amou-Daria. — Al. l'ingénieur Lessar, qui a
causerait le chemin de fer de Itérât, est parti à la tête d'une expédition
ym explorer le Ut de l'Amou-Daria et la région centrale du désert de
Kara-Koum, eu vue de construire une route entre Askabad et Bokhara.
256 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
Une autre expédition est partie également pour explorer l'ancien lit de
l'Oxus jusqu'à la mer Caspienne et trancher définitivement la question,
toujours controversée, de savoir si par ce lit on pent établir une com-
munication entre la mer d'Aral et la Caspienne.
Nouvelles routes découvertes grâce à la rivalité commerciale
des Russes et des Anglais en Perse. — A la suite des progrès de ia
Russie dans ia région transcaspienne, de la nouvelle route de Hérat,
découverte par M. Lessar, et de l'extension du commerce russe en
Perse, l'Angleterre est obligée de rechercher sérieusement, dans l'in-
térieur de ce pays, de nouveaux débouchés et de nouvelles voies
commerciales. De l'aveu des Anglais eux-mêmes, les marchandises
russes ont paru sur les marchés situés au Sud d'Ispahan. Il y a vingt
ans, les Anglais y régnaient eu maîtres, et maintenant les Rosses
dominent les bazars de Téhéran, de Tauris, d'ispahan et de S duras,
A Hérat et dans l'Afghanistan, les articles russes ne rivalisent pas encore
avec les marchandises anglaises ; mais tout pourra changer de face
aussitôt que le chemin de fer transcapien aura été prolongé jusqu'à la
frontière persane.
Une voie ferrée reliant l'Angleterre aux Indes en traversant la
Russie et l'Afghanistan ne sourit guère aux Anglais. Il leur faut une voie
qui leur appartienne en propre. D'après le Nouveau Temps, ils auraient
trouvé une voie fluviale qui les mettrait en présence des commerçants
russes sur les marchés méridionaux de la Perse. Cette nouvelle voie
serait celle du fleuve de Karoun, qui de Mohal-Mer à Schouster serait
navigable pour les bateaux à vapeur. A partir de Schouster, la route des
caravanes est bonne jusqu'à Ispahan et à Sclriraz.
Cette découverte a été aussitôt signalée à la Société de géographie
de Londres.
Études topographiques russes en Asie-Mineure. — Le gouverne-
ment russe fait poursuivre, sans interruption, les études topographiques
de toute la partie de l'Asie-Mineure qui s'étend à l'Est de l'Kuphrate.
Les opérations, dit YRastern Express, sont conduites sans ostentation,
mais elles n'en sont pas moins efficacement poussées. Les agents
chargés de faire ces éludes, au nombre de 80 à 100, reçoivent les
ordres de Tiflis. Us portent le fez et le costume du pays et ne font pas
usage du théodolite, ni d'instruments à arpenter trop volumineux, mais
ils se servent seulement d'instruments de poche, tels que boussoles,
baromètre anéroïde, etc. Les agents chargés des études sont divisés en
trois groupes, qui parcourent successivement le même terrain. Le pre-
mier établit la position géographique des villes, villages et hameaux.
le hauteur des montagne» et des oeflines, et la direction des ririères;
de Ions les cours d'eu, des routes et des chemins. Ce» données senr
setées sur de petites feuille* d'agenda, et lorsque les Modes d'an»
district mut complétées, an les envoie an quartier général de Mis,
01 Ton close cet données et Ton dresse ensuite l'esquisse d'one cafte-
do pays. Le deuxième groupe parcourt le même terrain, cette ébauche*
ils mata, et prépare une carte exacte et complète. Après examen de
cette carte, à Tifiis, en la passe au troisième groupe, qui explore à son-
toar la localité et corrige avec soin la carte dressée, remplit les lacunes,
etc. Ces opérations sont moins rapides et plus laborieuses que eeHes
d'une triangulation ordinaire, mais le résultat est de placer, entre les
aains de l'état-major russe, une carte qui, sans être assez détaillée
ptar servir su cadastre, est toutefois asses exacte dans ses décaHs
psar servir de guide aux mouvements de forces militaires eteflHr une
base aux calcula de combinatsoas stratégiques. {LExpforation.)
AFRIQUE.
le ministre des affaires étrangères a reçu de Zanzibar, le l4r mars,
et cstnmuiHqué à la Société de géographie de Paris de bonnes nouvelles
de sos explorateurs dans l'Afrique orientale : MM. Révoll et renseigne
detaissem Gfiraott, ainsi que de M. Bloyet, chef de la station du comité
français de rOussagara. Le bruit de la mort du roi Mtésa, souverain de
rooganda, courait, à cette date, sur la côte aveo une- certaine pesais»
tance ; les missionnaires français avaient fini par gagner sa confiance,
ssnmfril* aussi heureux prés de son successeur ?'
IL de Brassa an Congé. -*- Une dépêche reçue par V Agence Bavas-,
et datée de Capstewn, 13 mai, donne des nouvelles' du Qabon, qui
aimoncent*que H. de Brazza y aurait débarqué le 2i avril.
Ces nouvelles ne font nulle mention de prétendus projets de résis-
tasse de la part des partisans de Stanley.
Voici, d'après le Temps, quelques renseignements sur l'eipéditton'
de M. de Brassa :
Parti- de Bordeaux le 22 mars, M, de Brassa s touché le a avril k
Bakar, sur la céte de Sénégambie ; Il a quitté cette localité le 5, se*
dirigeant vers le Congo. Le point d'atterrissement avait été soigneuse*
ment tenu secret par le chef de l'expédition; une dépêche reçue au*
ministère de la marine annonce que cette dernière a: débarqué dans
la baie de Loango, par 4*20' de latitude méridionale, à une quarantaine
de lieues au nord de V embouchure dm Congo. Au fond de la baie, se
■OO. DM oAoaA. — 1" BT 2« TEMOMTXU 1883. 17
258 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
trouve le village da môme nom, dont M. de Brazza a pris possession
ainsi que de son territoire. La baie est séparée, au sud, par un petit
cap, de la baie de Punta-Negra, où l'avant-garde de l'expédition, com-
mandée par M. de Lastours, s'est établie, il 7 a quelques semaines, et
dont l'occupation a, comme on sait, donné lien à une protestation
platonique du commandant d'un stationnaire portugais.
Les positions de Loango et de Punta-Negra, où flotte notre pavillon,
serviront de bases aux opérations futures de l'expédition. La distance
qui les sépare de Brazzaville est, à vol d'oiseau, d'environ 450
kilomètres. Le mouillage de Loango, précédemment reconnu par M. de
Brazza, est considéré par lui comme un des meilleurs de la côte qui
s'étend du Gabon au Congo. Notre agent avait primitivement songé à
prendre possession d'un autre point d'atterrissement dont il avait
reconnu la bonté, et qui est situé à l'emboucbure du Kouilon, un peu
au nord de Loango. De là, il comptait remonter le cours du Niari, un
des affluents du Kouilon, pour gagner la partie navigable du Congo.
Mais, quand il est venu en vue du Kouilon, il a trouvé ce point déjà
occupé par les agents de M. Stanley. Le siège des opérations de la
Société internationale pour l'exploration de l'Afrique est situé sur la
rive gauche du Congo, où Stanley-Pool fait face à Brazzaville; mais eu
aval de ces deux points, dans la région des cataractes, la Société tient
lsanghila et Vivi, sur la rive droite du fleuve, et son installation à la
bouche du Kouilon crée une solution de continuité sur la côte entre
notre possession du Gabon et les nouveaux établissements que nous
aurons à créer autour de Loango.
— M. Robert Flegel vient de découvrir les sources du Bénoué, affluent
de gauche du bas Niger ; il a reconnu aussi les sources du Logoué, .
tributaire du Chftri, affluent du lac Tchad. Il est donc parvenu dans la
région jusqu'ici inexplorée où se trouve la ligne de partage des eaux
des bassins du Niger et du lac Tchad.
Frontière de Sierra-Leone au Rio-Nunez. — Le Sénat de la Répu-
blique française sera prochainement appelé à voter sur le projet de loi
relatif aux limites des possessions de la France et de l'Angleterre dans
la partie de la côte occidentale d'Afrique qui s'étend de Sierra-Leone
au Rio-Nunez. La convention rédigée par les délégués des deux Étals
a établi, entre les bassins des rivières Mellacorée et Scarcies,
une ligne de démarcation qui assure à l'Angleterre le contrôle
complet des Scarcies, et à la France la possession de Pile Matakong et
des lies au nord de ladite ligne de démarcation, à l'exception des lies
de Los qui continuent d'appartenir à l'Angleterre, ainsi que celle do
I -
AMÉRIQUE. 259
Tellaboy et les autres de la côte Jusqu'à Sierra-Leone. Les deux gou-
vernements s'engagent réciproquement à s'abstenir d'occuper aucun
territoire, d'exercer ou de favoriser l'exercice de leur influence politique
au delà de la ligne de démarcation susmentionnée. La Chambre des
députés a déjà adopté cette convention qui mettra un terme aux nom-
breuses contestations soulevées an sujet de la souveraineté de tel ou
tel point de cette partie de la côte.
— La Société de géographie de Loanda, dans l'Afrique australe, a cessé
d'exister. On ignore ce qu'il en est de celle de Mozambique qui n'a
plus donné signe de vie depuis bien longtemps. Nous regrettons cet
Insuccès.
. AMERIQUE.
Les restas du docteur Crevaux. — La Société de géographie
communique la lettre suivante, de H. de Monclar, chargé d'affaires de
France à Montevideo, adressée de Caiza , dans le Chaco , à M. Bernardo
Trigo, sénateur bolivien :
Caiza, 10 mars 1883.
0 me semble facile de découvrir les restes de M. Jules Crevaux par
les importantes données suivantes que je viens de recevoir et que je
n'empresse de vous transmettre.
Après neuf jours d'une marche lente et pénible, avec des embarca-
tions défectueuses, l'illustre et malheureux explorateur Crevaux arriva
à on endroit que les sauvages appellent Cuvaroca, à cinq lieues en
amont du Tigre. Après avoir assuré un traité de paix entre les expédi-
tionnaires et Jes Indiens Tobas, le docteur Crevaux commença à leur
faire des cadeaux. Les mêmes Indiens Tobas aidaient les expédition-
naires à enlever des embarcations les épices et autres objets qu'ils leur
distribuaient.
Bientôt un des chefs indiens, qui paraissait être le chef suprême,
dit i ses soldats et dans son dialecte : ■ Au lieu d'enlever ces présents
peu à peu, il vaut mieux nous en emparer tout d'un coup en massacrant
cet étrangers. » Et aussitôt sonnant de la trompe avec une corne sus-
pendue à son cou, une multitude d'Indiens Tobas surgit comme par
enchantement des bois voisins. Peu d'instants après le docteur Crevaux
et ses compagnons étaient massacrés.
Les expéditionnaires qui étaient restés dans les embarcations se
Jetèrent à la nage, mais ils furent aussitôt poursuivis par les Indiens,
qui s'emparèrent sur l'autre bord de Francisco Zeballos.
260 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
En .pleine ci?i£re, Us firent égaleinent ptisonniej Jp:pèi;e de œ dernier
ietle tuèrent.
Seuls, 4e Français Ernest Haurat et l'Argentin Carjnelo £îaaen, excel-
lents nageurs, purent atteindre l'autre bord et se cacher dans un bêla.
.Jusqu'à présent, on, ne sait absolument rien sur Jeur compte.
L'interprète Irameye /ut fait et emmené prisonnier.
Les cadavres furent jetés à la rivière, quelques-uns lurent Jaissés
sur le bord. Celui du docteur Crevaux fut emporté par les Tobas avee
solennité jusqu'à un village voisin. Là, les Tobas passèrent tonte la
Auit jusqu'au lendemain midi à chanter autour du cadavre, après quai
i\ fut enseveli dans un endroit visible et peu écarté des buttes..
Gunvarocai se trouve sur la rive droite du fleuve Pilcomayo et je
erois facile de découvrir la sépulture du hardi voyageur.
Je tiens ces détails de don Felisardo Terceros, qui vient d'avoir un
entretien avec l'interprète qu'avait emmené le docteur Grevaux : c'est
nu Indien, Cbiriguano, de la mission Tignipa. M a traversé le désert,
après avoir été captif des Tobas depuis le jour du massacre, çt-actueUe-
jnent il J3e trouve à Ankaroinga.
J'espère voir aujourd'hui le chef supérieur de l'expédition et le
sous-préfet, pour qu'ils fassent venir l'Indien, dans le but de nous
conduire au plus tôt à l'endroit où se trouvent les restes de l'immortel
iules Grevanx.
A la recherche de Crevaux. — M. Est. EeibaJtos, président de
l'Institut géographique argentin, écrit de Buenos-iynes, le 21 avril
1«83, à la Société de géographie de Paris :
t Je prie M. de lieutenant de vaisseau de Bernardiéres de remettre
entre vos mains oette lettre, avec les originaux des observations aètro-
jjomiques de .mon malheureux ami Jules Grevaux, au sujet de la position
géographique de Salta .et de flujuy, capitales des provinces M même
.nom dans la République Argentine, villes dont les positions astronomi-
ques n'étaient pas fixées par des travaux sérieux.
n M. Gceraux.avait, àJa derrière page, disposé de* originaux, de-
mandant qu'ils lussent ternis à M. l'amiral Mouchez; je prie donc M.
Maunoir de vouloir bien accomplir cette dernière volonté de i'exptoi*-
tenr.
• Jl rient de partir pour le Piloomayo tune nou/veUe expédition «mili-
dtake, .organisée par le gouvernement argentin, sons les ordres do
colonel Solà, commandant en «chef les frontières indignes «nr k
=Ghaco.
t Le colonej manche à la tète de deux tenta soldats de l'armée
régulière pour attaquer Jes indiens dans Jeurojài&s. Voua vous rap-
AMÉRIQUE. 261
pelez sans doute m» dernière communication éurtapaiort de Crevaux,
publiée dans les actes de la Société de géographie.
■ raturai alors votre attention sur l'hypothèse de M. Solà, à propos
de l'existence d'an nouveau fleuve au Chaco, courant parallèlement au
Pîleomayo et qui s'appellerait Teyo.
i Le colonel Solà se propose maintenant de résoudre ce fort intéres-
sant problème géographique. L'Institut géographique argentin a fait
accompagner M. Solà par un délégué,, dont le but principal est ,de
chercher des renseignements sur les restes de Crevaux et d'obtenir la
rachat des prisonniers : le timonier français Haurat et le timoniçr
argentin Blanco.
• Noos avons autorisé notre délégué à faire les dépenses nécessaires
pour rapatrier les restes de Crevaux, de Billet et de Rîngel, s'il les re-
trouve, ainsi que pour obtenir la liberté des survivants. »
— Le passage de BarUoche, dans les Andes argentines. — Le
général Villegas, qui commande l'expédition argentine au lac Nahuel-
Hoapi, a adressé de Limay, à la date du 24 mars, le télégramme su>
vsat an ministre de la guerre, à Buenos-Àyres :
• lai la satisfaction d'informer votre Excellence que le fameux pas-
sage de Bariloche, qui supprime les Andes, a été trouvé et exploré. Il
faudra bien peu de travaux pour ouvrir un chemin carrossable qui
mettra Nahuel-Huapi à 25 lieues du Pacifique. Campagnes fertiles et
magnifiques pour ia colonisation. Abondance de bois de chêne et de
ojprèe. •
le passage auquel cette dépêche taH allusion était connu, parait»!!,
par les premiers voyageurs en Patagonie, qui l'indiquaient comme une
voie facile pour passer des contrées du Rio de la Plata au Chili à travers
la Cordillère ; mais depuis longtemps les Indiens de Shaibueque en
avaient empêché la traversée.
Tout Décemment, l'explorateur Francisco lloreoo en avait fait pres-
sentir la découverte à nouveau : c'est ce que l'expédition du général
Tiiiegas vient de réaliser. {L'Exploration.)
■i i1
BIBLIOGRAPHIE
(Suite.)
i
4
. Le fascicule du mois de mai de la Revue maritime et coloniale est î
exclusivement consacré à une description de toutes les colonies et]
comptoirs français ; cette étude, sans nom d'auteur, revêt la forme d' on '
rapport et cette apparence officielle semble donner une grande auto? \
rite aux données et aux chiffres qu'elle renferme. J
Le Nautical Magazine, dans sa livraison du mois de juin, s'occupe ^
de la Nouvelle-Guinée et du projet d'un second canal de Suez. Malgré \
l'intérêt que pourraient trouver nos lecteurs à savoir comment ces
deux questions sont- traitées dans la célèbre revue anglaise, le défaut
de place nous oblige à nous contenter de les signaler aux personnes
compétentes.
CARTOGRAPHIE
(Suite.)
— M. Caspari, ingénieur hydrographe, a présenté à la Société de
géographie de Paris plusieurs cartes accompagnées d'une description
de la côte d'Ànnam (Indo-Chine). Ces cartes, publiées parle Dépôt des
cartes et plans de la marine, embrassent la portion de cette côte qui
s'étend du cap Paradan à l'ilo Bou-Tseu, dans le golfe du Tonkin, oa
du 11° au 18° de latitude Nord. Elles ont été levées de 1877 à 1879
par l'ingénieur qui en a fait la présentation, secondé par un de &&
collègues, M. Renaud.
— H. le ministre des travaux publics va faire mettre en œuvre Topé-
ration du nivellement de la France. La dépense occasionnée par ce
travail s'élèvera à 22 millions. Dix-neuf serviront à l'entreprise propre-
ment dite du nivellement, et les trois autres à la confection d'une carte
de France au ,atftoj, dressée par les soins de l'état-major du mi-
nistère de la guerre.
— Les ingénieurs des mines de l'État se livrent actuellement i l'exé-
cution des cartes de la topographie souterraine des bassins bouille»
NÉCROLOGIE. 263
ielft France. Le travail est terminé ponr les bassins du Nord et pour
cdoi d'Épinac (Saône-et-Loire). Ces parties vont être publiées, sous
forme de cartes, par le ministère des travaux publics.
— Nous avons parlé en détail, dans le Bulletin du dernier trimestre
te 1882, de la carte du département d'Oran, dressée par M. Langlois.
Sou apprenons aujourd'hui que ce travail a valu à son auteur uue
aédaille d'or (prix Erhard), que lui a décernée la Société de géographie
de hris, le 20 avril dernier.
< — Le 13 avril dernier a en lieu, au Palais d'Hiver, a Saint-Péters-
; fcoorg, l'Exposition annuelle des travaux astronomiques, géodésiques,
! topographiques et cartographiques exécutés eu 1882, par les officiers
r tféUt-major et par les topographes russes.
1 - flous rappelons que M. J. V. Barbier est l'auteur d'une carte ré-
; eente du Rhin et de la frontière nord-est de. la France (prix : 2 fr.),
| ào&t ne saurait se passer un patriote soucieux de savoir dans quelles
i enfilions de défense notre pays est placé actuellement.
Dus un autre ordre d'idées, le même auteur vient de publier, sous
' les auspices de la Société, une carte spéciale des colonies où se porte
actuellement l'action française d'un intérêt puissant d'actualité. L'ori-
! tjatlitê du plan de cette carte la rend doublement intéressante (prix :
Jfr, réduit à 1 fr. 50 c. pour les membres de la Société, qui ont
souscrit ou souscriront à l'Album de la Société, ladite carte rentrant
dans cet ordre de publications) . S'adresser pour ces deux cartes, soit
directement à l'auteur, soit, par voie de la librairie, à MM. Berger-Le-
mult et C!«.
NÉCROLOGIE
(Suite.)
Las Proceedings de la Société royale de géographie de Londres an-
noncent la mort d'un des vétérans de la géographie, William Desbo-
roogh Cooley, né i Dublin en 1795; c'était un écrivain et un critique
êminent.
Kous apprenons aussi la mort du Dr J. M. Ziégler, le cartographe suisse
bien connu, décédé à Winterthur, à l'âge de 82 ans.
M. Blondel, général en retraite, commandeur de la Légion d'honneur,
ancien directeur du dépôt du ministère de la guerre, dont le nom se
rattache si honorablement aux travaux de la grande carte topographi-
que, dite carte d'état-major, est mort le 26 mai.
ALBUM DE LÀ SOCIÉTÉ
^h*4i
Nous rappelons aux membres de la Société le texte de la
qtt accompagnait De dernier numéro du Bulletin de 1882 et
de nous envoyer au plus tôt leurs souscriptions à cet Album
« Parmi les Sociétés françaises de géographie, la Société de
de l'Est est la moins bien placée pour saisir, à leur passage,
voyageurs, et recueillir d'eux, sinon dans leur primeur,
dans leur originalité, le récit de leurs explorations. Elle
plus que toute autre, s'efforcer de les attirer à elle, soit en 1
nant des récompenses, soit en favorisant la publication
travaux.
« Ces études et récits originaux, qu'elle se fait un devoir
en lumière, prennent de plus en plus de place dans soi
trimestriel, lis tendent par là même à en élever le prix, et
de direction ne peut se permettre de franchir les limites enco
du budget de la Société.
t Gomment éliminer du Bulletin ce qui en fait Je plus gran
Gomment aussi détaener de nous des collaborateurs diven
courent, à tous les degrés et à tous les points de vue, à la
de notre publication, quand quelques-uns d'entre eux, par
des croquis, des cartes, des études de mœurs prises sur l
portés des pays qu'ils ont parcourus, consentent à l'enrich
des plus grandes publications françaises et étrangères?
« Placé entre des prescriptions statutaires dont il ne saurait]
et l'obligation de suivre la voie ascendante des sociétés util
pères, le Comité de la Société de géographie de l'Est s'est
de la question et, dans sa réunion du 7 décembre dernier, il
la Rédaction du Bulletin à créer, par voie d'abonnement o
cription spéciale (*), un Album de la Société de géographie
qui sera le complément naturel du Bulletin et qui publiera 1
les vues, les dessins, les études de mœurs, les caries même
par les voyageurs, d'après les originaux, et, le plus souve
fait inédits.
« Cet Album pourra comprendre, dans Tannée 1883. trente à
vues ou croquis de diverses dimensions, et sera livré à tout
de ia Société qui souscrira, pour Cet objet, la somme de cin
par an. Toutefois, cet Album ne sera publié qu'autant que
souscriptions au moins seront acquises.
«Il va sans dire que Y Album ne saurait, en aucun cas, port
dlce au Bulletin, où l'on trouvera, comme par le passé, 1
nécessaires pour l'intelligence du texte.
« Le Comité est convaincu que vous voudrez bien vous
cette publication si intéressante et si curieuse à tous les titr
(() Cette souscription pour an objet particulier, en dehors de la pabUc
Mire de la Société, forme un bndget A part du budget réglementaire, anc
•aurait, en aucun cas, créer des charges nouvelles ; an contraire.
»— — - ' i—— «— -~~— -^^— — «~— ^— .»— » -» ■ in ■■■ .i-.^^— .
Nancy, Imprimerie Berger-Lerranlt et 0««.
:izé
<■ V» *
"ÏÏT1TT
111 u»
ITUTEUR fi fiLLfilN
Croquis
pour l'intelligence
du cours souterrain
j— LÀ
r
ïX
\ lOuV
! THF. NKW YORK
! "PUBLIC UBRARY
\
ASTOH. LKNOX
«, i >!.t'f N *'"(") UAT1CN
r GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS
MISSION SCIENTIFIQUE
PÇON, MINDANAO, SOULOU & BORNÉO
Conférence de M. le Dr Montano
, En répondant à l'invitation qu'a bien voulu m'adresser
l Société de géographie de l'Est, je sens combien ma tâche
Kt difficile. Je me trouve en effet dans un milieu géogra-
phique où tant de noms illustres et méritants, groupés dans
ta Livre d'or, par votre sympathique secrétaire général,
jcmt bien faits pour inspirer la défiance de soi-même à un
nodeste voyageur. Hélas ! pourquoi faut-il que ce Livre d'or
$ai nous inspire tant de fierté soit aussi pour nous une
tource de regrets. L'infortuné Crevaux est tombé au champ
P honneur et la science pleure le j eune et ardent explorateur.
U était votre collègue, mais il faisait aussi partie de la So-
ciété de géographie de Paris ; elle vous adresse une fois
encore l'expression de sa douleur et 6'unit à vous dans la
pensée que d'autres Français, plus heureux, parcourront
jusqu'au bout le chemin dans lequel notre héroïque com-
patriote s'était si vaillamment lancé. Tout nous porte à le
Croire : l'intérêt de plus en plus grand qui s'attache aux
l*^1 Oéographiques, la sollicitude que leur témoigne
!*ûki casernement, sollicitude qui, entre autres signes,
se ti ,â ~ar l'augmentation des crédits alloués aux mis-
i«wra Cliques.
^>OH. — 9*TBXMMTRK 1883- 18
266 GÉOGftAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
M. le Ministre de l'instruction publique m'a fait Thoa-
neur de me charger, avec M. le Dr Paul Rey, d'uHi
de ces missions ; appelé à en exposer les résultats derati^
tous, je sollicite toute votre indulgence pour les reproduc*
lions que j'aurai à faire passer sous vos yeux ; veuilles
considérer que la plupart de ces photographies ont é$
exécutées avec des moyens insuffisants, dans des circons-
tances difficiles ; certes, il en est plusieurs que je n'oserait
T0U6 présenter si elles ne reproduisaient des types jusqu'ici
inconnus.
Nous allons nous transporter aux Philippines, dans ces;
régions où le soleil 6e couche quand à Paris il n'est pas-
encore midi ; dans cette belle colonie espagnole souvent
ravagée par les tremblements de terre et les cyclones, mail
toujours florissante au milieu d'un été perpétuel ; plus
loin, dans les parties non encore soumises à l'Espagne,
nous trouverons des fléaux plus terribles : l'assassinat, k>
piratçrie, l'esclavage ; mais nous verrons qu'ils tendent*
disparaître devant les progrès des nations européennes.
Le navigateur qui, parcourant le grand archipel d'Asie,
de Sumatra aux Moluques et de Luçon à Java, ne pénètre*
rail jamais au delà des côtes et des estuaires, pourrait
croire que les variétés d'une même race peuplent seules ■
i
toutes ces îles et qu'elles ne renferment que des Malais ?
plus ou moins modifiés. Ceux-ci ne représentant pourtant ;
qu'une race conquérante et guerrière, la dernière venue ;
dans ces parages, souvent altérée par des croisements,
mais toujours reconnaissable à ses caractères essentiels;
plus loin, dans les régions montagneuses et boisées qui se
* trouvent au centre de toutes ces îles, habitent d'autres races,
nettement distinctes, qui peuplaient la contrée bien avant
l'arrivés des derniers envahisseurs.
A Luçon même et non loin de Manille, la capitale des
possessions espagnoles, nous allons trouver un premier
exemple de cette diversité de types.
LI7Ç0N, MINDANAO, 60ULOU ET BORNÉO. 267
Dans les provinces du sud de Luçon, vivent des popula-
ions depuis longtemps converties au christianisme et sou-
lises à l'Espagne ; les plus nombreux de ces indigènes,
es Tagalocs, ne diffèrent guère des Malais du Sud que par
me plus forte proportion de sang jaune ; ils sont par-
feitement civilisés et s'ils ont peut-être quelque peine à
lien saisir toute la portée des préceptes religieux auxquels
k sont soumis, ils montrent en revanche une aptitude
ingulière dans l'exercice des arts mécaniques et surtout
les arts d'agrément. Auraient-ils perdu leur énergie sur
jette terre enchanteresse? Je ne sais, mais il me paraît
Certain que les forces espagnoles ont seules empêché
iflfilam d'étendre son domaine jusqu'à Manille. Sans les
canonnières de la Péninsule, il y a longtemps que les Ta-
galocs seraient soumis aux Malais mahométans de Soulou
du de Mindanao. Mais, insouciants et légers, je ne crois
pas qu'ils 6e soient jamais beaucoup préoccupés de cette
éventualité ; en tout cas, sans crainte aujourd'hui à ce sujet,
ÎU mènent une vie indolente où les exercices religieux, les
combats de coqs et les jeux de hasard occupent une part
prédominante. Ils représentent sous ces latitudes un type
autrefois commun à Naples et on pourrait le6 appeler les
Ltazaroni de l'extrême Orient.
Nous allons maintenant entrer dans l'intérieur des
terres, et, à ce sujet, je dois dire combien les autorités
espagnoles m'ont aidé dans ces recherches et dans toutes
celles que j'ai poursuivies dans leur domaine. Tous Ie6
Espagnols, militaires, civils, religieux, m'ont constam-
ment accueilli de la façon la plus amicale, m'ont constam-
ment prêté l'appui le plus efficace. Je ne dois pas non plus
! taire la cordialité avec laquelle j'ai été reçu par nos com-
patriotes établis à Manille : M. le consul Dudemaine et
| M. Eugène Génu, chef d'un importante maison de com-
merce ; à plusieurs reprises, j'ai été logé chez M, Génu et
< je n'oublierai jamais ni son extrême obligeance qui m'a
268 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
épargné une foule de soucis matériels, ni son amical dé-
vouement quand plus tard, malade, j'ai passé chez lui de:
nombreuses journées pendant lesquelles 6es soins ne se
sont jamais lassés.
Dans tout le massif montagneux qui entoure la province
de Manille et sur bien d'autres points encore vit une race
toute différente des Tagalocs, les petits nègres ou négritos,
les véritables autochtones, les premiers maîtres du sol,
aujourd'hui confinés sur les sommets d'un accès difficile*
On leur a tout pris, la mer et les rivages, les fleuves et les
plaines, on leur a ravi jusqu'à leur réputation. Pillards,
assassins, incendiaires, tels seraient les Négritos au dire
des Tagalocs ; mais tous les méfaits dont on les accuse
doivent dans beaucoup de cas n'être que des représailles.
Nous fûmes dès le premier moment dans les meilleurs
termes avec ceux que nous rencontrâmes dans la sierra de
Marivélès, entre la baie de Manille et la mer de Chine,
et je pus sans difficulté mesurer parmi eux 18 hommes et
10 femmes; ils consentirent môme à poser devant notre-
objectif, et leurs photographies donnent mieux que tout» •
les descriptions la raison de l'infériorité des Négritos i
Tégard de leurs voisins. Comment lutter avantageusement
avec des muscles aussi faibles, avec une taille qui est en ;
moyenne de lm,48 pour les hommes et de lm,46 pour les
femmes? Ils ne se servent môme pas avec beaucoup d'a-
dresse de l'arc et des flèches qu'ils portent entre leurs
mains. Profitant de nos bons rapports avec cette tribu, nous
eûmes un jour l'idée d'instituer une sorte de concours de
tir à l'arc, et nous fûmes stupéfaits du peu de précision
que montrèrent les concurrents. L'arc est cependant leur
principale ressource quand ils sont forcés d'abandonner
leurs misérables cabanes et leurs maigres plantations. Ces
tribus vivent dans quelques cases groupées à portée de la
voix, autour de la demeure du chef, sous l'empire de cou-
tumes non écrites, sans doute, mais parfaitement définies.
LUÇON, MINDANAO, SOULOD ET BORNÉO. 269
Les infractions à ces lois sont du reste excessivement rares ;
lorsqu'elles se produisent, elles sont uniformément punies
de mort : les coutumes sont simples et la procédure élémen-
taire, mais non pas nulle. Le mariage, la transmission de
la propriété , sont régis par des règles fixes. Ainsi, à la mort
du père de famille, si la mère vit encore, l'héritage se divise
en deux parts égales : Tune appartient à la mère, l'autre
aux enfants qui la partagent également entre eux. Le res-
pect de6 vieillards, l'affection pour les enfants, le culte des
morts, 6ont constants chez les Négritos ; ils soignent leurs
malades avec dévouement, même quand ils n'appartiennent
pas à leur famille.
Tels sont les caractères essentiels de l'état social des
Négritos , et je n'hé6ite pas à croire qu'on les retrouve
dans toutes leurs tribus. Il faut seulement se donner la
peine de les constater. C'est ce que j'ai pu faire sans diffi-
culté sur les Négritos de la sierra de Marivélès, qui vivent
dans une sécurité relative, car l'administration espagnole
veille à ce qu'ils ne soient pas inquiétés par leurs voisins
les Tagalocs. Il en est autrement dans l'intérieur de Min-
danao, par exemple, où les rares Négritos qui survivent
sont désignés sous le nom de Mamanuas, c'est-à-dire hom-
mes du sol ; là, ils sont exposés aux insultes continuelles
des Manoào*, race guerrière, puissante et cruelle; leurs
établissements ont sur ce point peu de stabilité et, le plus
souvent, ils errent dans les forêts, pourchassés par leurs
agresseurs. Ce ne fut qu'avec beaucoup de temps et de
peine que je pus joindre au fond de leur retraite presque
impénétrable les pauvres Mamanuas. C'est à des faits du
même ordre auxquels ils doivent leur renom de sauvage-
rie, presque de bestialité ; sauvages, je le veux bien, mais
surtout opprimés. Quelque inférieurs que 6oientles Négri-
tos, leurs croisements avec les Européens sont parfaitement
ongénésiques.
. Des montagnes de Marivélès, nous nous dirigeâmes
270 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
tout à fait au 6ud-est de Luçon, vers le plus beau pays h
monde, la province d'Albay, au pied de ce grand volcan,
le Mayon, aujourd'hui endormi. Comme le Vésuve, k
Mayon paraît sortir d'un golfe ; il a comme lui ses érup-
tions terribles, 6es flancs sont, comme ceux du volcan na-
politain, couverts de riants villages ; mais il a de plus cett*
admirable végétation tropicale et ce golfe aux eaux toujours
transparentes, dont le fond tapissé d'anthozoaires aux cou-
leurs vives fait croire qu'on vogue sur des corbeilles de
fleurs.
Bien souvent, en quête, de collections diverses, j'ai
parcouru cette région, tantôt au milieu des ravages d'une ;
éruption récente, sur les blocs de lave et les cendres fer-
tiles où déjà la forêt se forme au moyen de caswirintat
tantôt au milieu des cases entourées de cocotiers, de ca- '
féiers et de ce bananier, le Musa textilis, qui donne Yabaa
ou chanvre de Manille et produit la richesse de cette con-
trée ;* tantôt, enfin, dans les criques du golfe, au milieu*
des îlots chargés de grands ficus et de lianes que les singe»
et les buceros remplissent de leurs cris.
C'est dans les parties désertes du golfe que nou6 avom \
trouvé les cavernes auxquelles j'ai donné le nom du Carabao
et du Levant et qui nous ont fourni un bon contingent de
crânes antérieurs à la conquête espagnole.
La caverne du Levant est dans une situation remar-
quable ; l'entrée haute et étroite, située à une vingtaine de
mètres au-dessus de la mer, donne accès dans une salle
dont la voûte irrégulière, hérissée de stalactites aux reflets
blancs, paraît comme drapée dans une intention funèbre;
entourés d'ossements et de crânes, nous dominions l'im-
mensité de l'Océan Pacifique, et je pouvais supposer 'que
les aborigènes avaient placé là leurs morts afin que leurs
âmes prissent facilement leur vol sur les eaux.
Ce n'est pas sans regrets que nous avons dépouillé ce
merveilleux ossuaire. Ses crânes, aujourd'hui placée ao
LUÇON, M1NDANAO, SOULOU ET BORNÉO*. 271
Muséum d'histoire naturelle de Paris , ont un haut intérêt,
car ils semblent montrer comment l'usage d'une déforma-
lion artificielle, continué pendant les siècles, s'est fixé par
l'hérédité, et est devenu un caractère de race qui se mani-
feste aujourd'hui encore en dehors de toute intervention.
Par un système de bandelettes perpendiculaires entre ellesy
le crâne des anciens habitants de la région était oblique-
ment comprimé en arrière et en bas. Aujourd'hui, les
crânes du groupe malais gardent encore cet aplatissement
caractéristique de l'occipital, conséquence des pratiques
exercées sur les générations antérieures.
Les habitants de la province d'Albay portent le nom de
Bicots; ils diffèrent à peine des Tagalocs de Manille; ils
sont comme eux catholiques et soumis à l'Bspagne et mon-
trent, s'il est possible, un goût encore plus prononcé pour
la musique et les plaisirs. Tout pour ces populations est le
prétexte de danses et de festins. Au milieu de cette végé-
tation, sous les rayons de ce Boleil qui fait éclore avec une
abondance et un éclat inexprimables toutes les formes de
la vie, il semble que la mort elle-même ait perdu une
partie de 666 terreurs. Les funérailles sont toujours accom-
pagnées de grands banquets ; le défunt est porté le visage
découvert, couronné de fleurs, au son entraînant des fan-
fares. Tout rappelle, non les appréhensions du chétien,
mais l'insouciance d'un peuple enivré par la splendeur
d'une nature exubérante. Cette ivresse, à laquelle les bois-
sons fermentées contribuent bien rarement, atteint son
paroxysme quand la fête d'un village provoque une repré-
sentation théâtrale. C'est toujours le village même qui
fournit, pour la circonstance, l'auteur, les acteurs et Pim-
presario. Les drames ou plutôt les mélodrames représentés
défient toute analyse, mais leur principal attrait réside dans
des ballets où acteurs et actrices s'escriment à grands coups
de sabre.
Les montagnards sauvages, A tas, idolâtres ainsi que les
272 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
Négrilos de la 6ierra de Marivélès, ont jusqu'ici conservé
leur indépendance en se réfugiant dans le6 contrées abrup-
tes, hérissées de volcans, qui s'élèvent au nord-ouest de h
province d'Albay. Ils diffèrent à la fois des Bicols et de*
Négrilos; ils sont aussi bien autrement redoutables et,
souvent, ils font lourdement sentir leur supériorité aux
populations amollies qui les entourent.
La province d'Albay est une des plus riches de Luçon,
c'est elle qui produit la plus grande partie des milliers de
tonnes à'abaca qu'exporte annuellement le port de Manille;
les autres proviuces exportent en quantités considérables
l'huile de coco, le riz ; Batangas produit surtout du café
analogue à celui de Java, et Tayabas des bois de constrac*
tion ; ces denrées et bien d'autres encore arrivent à la capital*
par des vapeurs, des bricks, des praws, des embarcations
de toute espèce. Mais Manille n'est pas le seul port des
Philippines ouvert au commerce extérieur, Iloilo dans l'île :
de Panay et Gébu, sont encore des entrepôts considérables j
où affluent par les marnes moyens des denrées semhîables, j
mais surtout le sucre brut récolté en quantité immense j
dans les îles Bisayas. A tous ces produits va 6e joindre j
aujourd'hui la culture du tabac, dont le Gouvernement ]
s'était longtemps réservé le monopole, mais dont une ré*
cente décision vient de proclamer la liberté. On s'accorde
à reconnaître aux Philippines, que le tabac bien cultivé
est d'une qualité tout à fait supérieure. Je crois que cette
nouvelle industrie rémunérera largement les capitaux qui
lui seront consacrés.
*
Jusqu'ici, Mesdames et Messieurs, nous n'avons vu que
des régions paisibles ; il nous faut maintenant aborder des
îles moins hospitalières ; nous y trouverons la même na-
ture, toujours riche et puissante, mais les habitante éner-
giques, entreprenants, cruels, n'ont aucune des qualités
que nous avons constatées chez les Tagalocs et les Bicols,
et leurs défauts sont autrement graves.
LUÇON, MINDANAO, SOULOU ET BORNÉO. 273
■
Transportons-nous d'abord au centre religieux des Ma*
bis mahométans, dans la Mecque de l'extrême Orient,
ians la petite lie de Soulou, dont l'importance religieuse,
politique et commerciale est si considérable.
Soulou est l'entrepôt vers lequel rayonnent les praws
ftes nombreuses îles qui l'entourent et qui y apportent, en
quantités considérables, la nacre, les huîtres perlières, les
lésines et la gutta-percha ; Soulou est vraiment le grand
marché des perles et de la gutta-percha. A ces divers
genres de commerce se joignait, il y a peu de temps encore,
celui des esclaves. Les Soulouans et tous les insulaires du
voisinage, pirates dans l'âme et bons marins, mettaient,
on peut le dire, les Philippines en coupe réglée. Ils dé-
vastaient chaque année les îles Bisayas et s'avançaient
même jusqu'à Luçon, captivant tous les indigènes qui leur
tombaient sous la main. Je ne vous énumérerai pas toutes
les expéditions de l'Espagne contre Soulou, tous les traités
imposés au sultan. Les forces espagnoles étaient toujours
victorieuses, mais les traités consentis étaient invariable-
ment violés. Et il ne pouvait en être autrement. L'autorité
du sultan de Soulou est surtout une autorité religieuse
qui aurait perdu toute action en essayant de faire respecter
des chrétiens ; quant à 6on autorité politique, elle n'avait
de valeur que pour l'attaque ; comment surveiller effica-
cement un peuple de datos ou seigneurs disséminés dans
des îles nombreuses et dont tout le pouvoir, toutes les ri-
chesses, reposaient sur la piraterie et la capture des es-
claves qu'ils vendaient aux Malais de Bornéo ou des Mo-
luques? Toutes les expéditions scientifiques qui voulaient
aborder à Soulou y recevaient l'accueil le plus hostile.
Dumont-d'Urville, en 1839, faillit y être massacré; M. le
contre-amiral Mouchez m'a dit qu'en 1842, étant à bord de
la Capricieuse, il n'y fut pas mieux reçu ; l'Espagne a em-
ployé le seul moyen possible pour faire cesser cet état de
choses. Elle 6'est emparée de Soulou, s'y e6t solidement
274 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
établie, a imposé son protectorat au 6ultan et traque
pirates dans toutes les directions (').
Le sultan tient sa cour à Maiboun, grand village
au sud de l'île Soulou. C'est là qu'il nous reçut avec
manières assez courtoises. Je parle du sultan seulem
car je doute qu'il y ait quelque part au monde une agré-
gation d'individus aussi insupportables que ses sujets «C
plus particulièrement ses courtisans. Les Soulouans, tou-
jours armés jusqu'aux dents, toujours en quête de
ou de piraterie, ne peuvent croire qu'un voyageur ait
autre mobile.
Le marché de Maiboun, où vendeurs et acheteurs ne et
séparent jamais de leur longue lance, a l'air d'un camp te
hallebardiers et le palais donne assez bien l'idée d'us»
caverne de brigands. C'est dans ce milieu ignorant, un*
portun, soupçonneux à l'excès, que nous avons dû passer
de longues journées dans le but de faire le portrait du
sultan, lequel n'offre pas un type pur soulouan, il est mêlé
de sang chinois, et celui de son fils, le sultan actuel, car
le précédent est mort peu après notre visite, vérifiant ainsi
la prophétie que lui fit en ma présence un vieux pandtia
(prêtre).
Les Soulouans de la classe moyenne sont des Malais
sensuels, rebelles au travail, mais s'exposant toujours avec
empressement aux fatigues et aux périls de la navigation ;
et de la guerre, fanatiques à l'excès et portant au plus haut
degré le mépris de la mort.
Tel est en effet le secret de la supériorité de tous ces
Malais mahométans ou Moros, comme les appellent ta
chrétiens des Philippines. Il faut ajouter que leur religion
développe singulièrement leurs instincts de piraterie en
leur présentant comme œuvre pie toute agression sur les ;
(*) Tout récomment, les journaux noua apprenaient l'établissement des Bip****11
à Tawl-Tawi ; c'est là une heureuse nouvelle, non seulement peur les amis de l'&*
pagne , mais pour tous ceux qui s'Intéressent à la disparition de la barbarie.
LUÇON, MINDANAO, SOULOU KT BORNÉO. 275
Infidèles et comme des fautes véaielles celles qu'ils com-
mettent au besoin sur leure coreligionnaires. Remarquons
©fin que les Soulouans ont reçu par immigration une
assez forte, proportion de sang arabe dont la trace est encore
ttanifeste dans certaines familles de prêtres et de seigneurs ;
fcn la reconnaîtra dans un type de pandita qui contraste
tettement avec les Soulouans ou Malais qui l'entourent.
Les habitants de l'île, et surtout les Datos ou seigneurs
rainés par la suppression de la piraterie et menacés dans
leur pouvoir sans contrôle, les panditas inquiétés par le
Voisinage du catholicisme, ne supportent pas sans révolte
ta présence de l'Espagne. Pour ce peuple ardent et guer-
rier, les premières années de soumission sont difficiles.
Aussi n'hésitent-ils pas à attaquer de temps en temps la ville
espagnole de Tianggi au nord de Soulou, qui est cependant
fortement occupée et soigneusement gardée. Les Soulouans
savent parfaitement que s'ils parviennent à s'y introduire
par surprise en dissimulant leurs armes, tout espoir de
retraite leur est interdit. Ceux qui font ainsi le sacrifice de
leur vie sont désignés en dialecte soulouan sous le nom
de sablis, les Espagnols les appellent juramentados ; les
deux mots rappellent le mâme fait, les juramentados ont
juré de mourir. Excité6 par le jeûne, par les prières noc-
turnes sur les tombes des héros de l'île, ils se lancent sur
la ville espagnole ; généralement quelques-uns sont massa-
ciés aux portes, les autres passent et tuent jusqu'à ce qu'ils
soient exterminés. C'est ainsi que se passa la première
des agressions dont nous fûmes témoins et qui fut reçue
avec une grande fermeté parla garnison. Les juramentados
étaient au nombre de onze. En cinq minutes ils étaient
tous exterminés, mais ils avaient déjà fait quinze victimes
dont plusieurs étaient des femmes et des enfants.
Eu dépit des mœurs de ses habitants, Soulou n'en
; ^t pas ùioins une terre promise pour le naturaliste ; les
j fortts de cette terre fertile abritent une population d'oiseaux
276 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
riche en espèces nouvelles, la rade abonde en échina*
dermes, en cœlentérés, et la flore nous fournit des écha*
tillons importants.
De Soulou nous nous rendîmes dans la baie de Saute
kan, au nord-est de Bornéo, autre région de pirates et di
marchands d'esclaves auxquels la Norlh British Bornée
Company va imposer des lois plus humaines. Je remontai
les cours inexplorés de la rivière Sagaliud dont je levai la
carte, pendant que M. Rey, resté à ElokPura dans la haie,
y rassemblait d'excellentes collections zoologiques.
Après m' être égaré plusieurs fois dans les affluents qâ
convergent vers l'embouchure du Sagaliud, je troirat
enfin le vrai cours de la rivière et j'avançai entre dem
rangées de forêts immenses ; le silence imposant de cet
solitudes était parfois troublé par les cris desorangs-outangi
et par le froissement des lianes que déchiraient les élé-
phants et les rhinocéros s'enfuyant au bruit des avirons.
Après deux jours de navigation, j'arrivai à un misérable
village de Boulé-Doupis. Cette race, physiquement el in-
tellectuellement bien douée, qui jadis occupait sur la cote
de vastes domaines, est aujourd'hui confinée au fond des
forêts. Le6 Boulé-Doupis m'ont paru de mœurs douce6, et
quanta la rareté des délits, ils sont dignes d'être com-
parés aux Négritos. Pendant que je remontais la rivière en
amont de leur village, j'y laissai une partie de mon bagage
qui représentait pour ces indigènes une valeur immense.
Bien qu'il ne fût gardé que par un domestique tagaloc
incapable d'une surveillance sérieuse, à mon retour il n'y
manquait pas une épingle.
Les Boulé-Doupis, si voisins cependant des Malais de
la côte, ont le type relativement élevé. Leur profil est pres-
que européen ; ce 6ont là sans doute des produits du rayon-
nement de ce type supérieur dont mon illustre maître,
M. de Quatrefages, a placé le centre de dispersion à Boo-
rou, dans les îles Moluques. Je crois avoir mis en évidence
LUÇON, MINDANAO, SOULOU ET BORNÉO. 277
traces du même type dans le mémoire que j'ai publié
les Dayaks de Bornéo et les Boughis de Célèbes.
De Bornéo, après beaucoup de retards causés par défaut
communications et une maladie qui me permit du
ins d'apprécier la science et le dévouement de M. Rey,
as nous rendîmes à Davao dans le sud-est de Mindanao,
réside un gouverneur espagnol. Là je dus, à mon grand
gret, me séparer de M. Rey; 6a santé était fortement
|térée par le climat, et il fut bientôt forcé de rentrer en
rope.
Je restai longtemps à Mindanao, car cette grande île
it particulièrement fertile au point de vue des recherches
spéciales que je poursuivais. Mindanao est placé sur la
grande ligne de volcans qui s'étend du Japon aux Moluques ;
elle est elle-même essentiellement volcanique et d'exon-
dation récente, car partout les trachytes supportent des
lianes de polypiers d'espèces encore vivantes ; ce soulève-
ment se continue de nos jours; le 6ol est du resle peu
i table, car à Davao les tremblements de terre 6ont presque
quotidiens.
L'île renferme plusieurs volcans, tous, je crois, dans
une période de demi-activité ; j'ai eu le plaisir de faire
l'ascension de l'un d'eux, l'Apo, aussi pittoresquement
litué que le May on, mais bien plus élevé que lui, puis-
que, d'après mes observations, 6on altitude est de 3,143
mètres.
Les tentatives faites jusqu'à ce jour pour le gravir n'a-
vaient pas été heureuses ; Oyanguren, par exemple, le
raillant capitaine qui enleva Davao aux Maures et qui établit
la domination espagnole dans le golfe, essaya l'ascension
en 1859 à la tête d'une soixantaine d'hommes, mais il dut
rebrousser chemin après avoir perdu le tiers de son monde.
Si notre expédition a été plus heureuse, elle le doit au
gouverneur actuel, le brave commandant Don Joaquin
Rajal, dont l'habileté et l'énergie surent en imposer aux indi-
v.
ri
i
278 . GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
gènes idolâtres qui accumulaient le6 obstacles pour protêt
ger du contact des blancs le cratère qu'ils considèrent
comme le sanctuaire de leur plus redoutable divinité.
En effet, Mesdames et Messieurs,, nous retrouvons kl
la diversité ethnique que nous avons constatée sur tous le*
points de notre itinéraire : sur les côtes du golfe te
Davao, les Malais ou Mores qui sont mahotnétans, ana-
logues à ceux de Soulou, et à l'intérieur, des races très
différentes qui, dans la partie orientale de Mindanao, pré-
sentent une grande variété.
Ce sont d'abord les Guiangas dont la taille moyenne est ;
de lm,63 et s'élève jusqu'à lm,72, puis les Bagobos, gar*
diens du volcan Apo, tribus cruelles et perfides, mais in-
domptables, qui luttent, parfois avec avantage, contre les
Mores de la côte, cependant mieux armés. Ils oppriment
sans merci les tribus voisines. La plus misérable d'entre
elles, les Bilans, appartient à une race toute différente.
Il y a longtemps que l'Apo n'a été en éruption, mais son
sommet est toujours couronné d'une auréole de vapeurs,
indice certain, disent les Bagobos, d'une des demeures de
Mandarangan qui doit foudroyer le téméraire asspz hardi
pour venir l'y troubler.
Le 5 octobre, nous partîmes à cheval de Davao avec
douze soldats disciplinaires bien armés et joignîmes bientôt,
à Binugao, un chef bagobo, le dato Mani qui nous guida
et nous escorta à la tête d'une centaine de lances destinées
au fond à le protéger lui-môme. Nous couchâmes dans sa
case par 613 mètres d'altitude ; le lendemain nous dûmes
abandonner nos chevaux; les pentes devenaient verti-
cales ; les touffes de bambou remplaçaient peu à peu les
essences de haute taille. Nous arrivâmes difficilement, le
soir, sur les rives du torrent Tagulaya, où nous établîmes
notre bivouac au milieu des premières fougères arbores-
centes.
Le 7, dès 6ept heures du matin, nous étions au milieu
LUÇ0X, MINDàNàO, SOULOU ET BORNÉO. 279
a torrent ; dès les premiers pas nous vîmes que les berges
^venaient verticales et qu'il fallait renoncer à l'espoir de
déminer sur les rives. Le dato Mani, n'osant formelle-
ient refuser à nos remingtons de nous conduire au volcan,
ssayait de nou6 lasser en augmentant les difficultés de
'entreprise. Pendant six mortelles heures, nous mar-
hânies au milieu d'un courant violent, souvent plongés
psqu'aux épaules, dans une eau qui nou6 paraissait glacée.
*e paysage était du reste féerique ; des deux côtés, sur les
«rge6 sombre à pic, élevées de 50 à 100 mètres, ruisselaient
le nombreuses cascades ou s'étendaient de longs rideaux de
îanes et d'orchidées ; au-dessus de nous, un dôme de fou-
gères arborescentes et d'amentacées, tamisait les rayons du
wleil qui venaient se briser 6ur une succession de chutes
KBQgissante6. Après cette épreuve, nous voyant toujours
résolus, le dato se décida à nous conduire directement au
pied du volcan.
Le 9, sur le mont Pupuq, à 1,250 mètres d'altitude, la
température du sol commença à s'élever sensiblement,
l'air s'imprégna d'une odeur sulfureuse. Entre 1,500 et
1,800 mètres, nous traversâmes une grande forêt de fou-
gères arborescentes de 10 et 20 mètres de hauteur et nous
bivouaquâmes à 2,230 mètres, au milieu de fougères ruis-
selantes d'humidité; pendant la nuit, le thermomètre à
minima descendit à -h 8° centigrades.
Le lendemain matin 10, nous gravîmes le long d'une
immense crevasse d'où s'échappaient, avec un bruit stri-
ûfcnt, des jets d'acide sulfureux ; le 6ol devenait brôlant,
il était parsemé de blocs de lave et couvert d'une couche
desoufre de 1 à 2 centimètres d'épaisseur ; quelques touffes
de romarins et de gonévriers croissent seules aumilieu des
ceudreg. Vers deux heures de l'après-midi, nous étions au
sommet du cratère dont les parois à pic se dressent circu-
lairement avec un diamètre de 500 mètres.
La descente fut contrariée par un orage qui me fit perdre
280 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
plusieurs échantillons; mais à partir du jour suivant, notre
retour s'accomplit facilement, car le dato, jugeant inutile
de nous imposer cette foÎ6 l'épreuve du torrent, nous con-
duisit par un chemin moins pénible. Le 13, nous étions de
retour à Davao.
Maintenant, laissant derrière nous l'Apo et sa divinité
désormais sans prestige, nous allons, si vous le voulez
bien, traverser Mindanao.
Nous dirigeant vers le nord, nous remonterons le Ta-
gum, puis le Sahug jusqu'au versant méridional du mont
Hoagusan ; après avoir franchi ce massif montagneux,
nous trouverons, au pied de son versant nord, le rio Àgu-
san qui nous mènera jusqu'à la côte septentrionale de
Mindanao, dans la baie de Butuan.
Voici la réduction au »■,/„, de la carte que j'ai levée
au <t'0M et où j'ai déterminé 28 positions au moyen d'ob-
eervations astronomiques. (Voir aux cartes.)
Je me suis 6ervi avec avantage pour le calcul d'heure,
de la formule suivante qui m'a été indiquée par M. Rozet,
lieutenant de vaisseau, aujourd'hui directeur de l'observa-
toire de Toulon :
êh * 0» 8 8
cos t = ! — L
COS f COS 0
où t = angle au pôle, h = hauteur vraie de l'astre observé,
9 = latitude, S = déclinaison. Cette formule abrège nota-
blement les calculs.
Je partis de Davao le 4 novembre avec quatre domes-
tiques bisayas, dans une grande pirogue montée par un
petit équipage qui appartenait aux races les plus diverses.
Je couchai le lendemain à Bincungan, village maure situé
sur le rio Tagum, non loin de son embouchure. Cette vue
donne une idée de tous les villages malais de la région . C'est
là que fut massacré par surprise, il y a quelques années,
l'infortuné capitaine D. José Pinzon avec une partie de
son escorte. Ces misérables pirates me témoignèrent beau-
LUÇOX, MINDANAO, SOULOU BT BORNÉO. 281
K)up de mauvaise humeur, mais rien de plus, car ils ont
jayé cher leur trahison.
Le 6, j'arrivai à Babao, premier village des Mandayas-
Les Mandayas et les Manobos occupent l'intérieur et la
partie orientale de Mindanao ; les premiers sont répandus
lu sud et les seconds au nord du mont Hoagusan, centre
fcrographique de la région ; on les trouve aussi aux abords
lu golfe de Davao.
Ce sont deux races grandes, bien proportionnées, robus-
tes (x). J'ai recueilli deux types de femmes mandayas, filles
le chef, et deux types d'esclaves de race atas, capturées
dans le massif montagneux qui se dresse au nord-ouest de
Tagum.
Les mœurs des Mandayas et des Manobos, ainsi que
leur religion, m'ont paru identiques. Leur régime poli-
tique est la féodalité pure. Ils vivent par groupes de quinze
à deux cents personnes sous un chef héréditaire dont le
pouvoir absolu, sans contrôle, s'exerce à peu près de la
mime façon, sur sa famille, sur ses esclaves et sur ses
Tassaux. Ces petites tribus sont en guerre continuelle. Dès
qu'un chef suppose qu'un de ses voisins est plus faible
que lui et peut fournir un butin convenable, il l'attaque,
toujours par surprise et pendant la nuit. Les toits de bam-
bou sont incendiés par des flèches munies de résine en-
flammée , ou bien les assaillants , s'abritant sous leurs
boucliers, abattent les pieux qui supportent les cases. Si
l'attaque réussit, les vieillards des deux sexes et les hommes
adultes sont égorgés sur-le-champ ; les femmes jeunes et
les enfants sont réduits en esclavage. Dans cette magni-
, fique région, qui ne contient pas la millième partie des
habitants qu'elle pourrait nourrir, Mandayas et Manobos
i sont constamment 60us les armes, et tout est combiné au
point de vue de la défense. Les villages sont protégés par
! ('} Chez le* Manobos, la taille s'élève, d'après mes obsorvations, jusqu'à l-»,70 ;
, ciux les Mindayaa, J osqu'à 1 » ,62.
I IOC. DB GiOQK. — 8* TBXMK8TR* 1889. 19
232 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
des cours d'eau, des palissades, des fossés habilement di*
simulés, dont le fond est hérissé de bambous aigus. La
cases sont perchées sur des pieux ou sur des arbres à 10 d
même 20 mètres du sol. Les murs en bois sont percés da
nombreuses meurtrières auprès desquelles s'alignent to*
jours les arcs et les flèches. A peine ose-t-on cultiver m
peu de riz et de patates à quelques pas de la maison. Ce-
pendant, presque toutes ces cases renferment un métier i
tisser qui donne des étoffes à'abaca assez gro6sière6, mail
fort solides ; ces étoffes, colorées avec les suc6 de diverse!
essences, ont un éclat satiné et des dispositions assez élé-
gantes.
La religion repose 6ur le dogme fondamental de l'égali
puissance de trois dieux supérieurs qui se partagent k
direction du monde, mais on n'entend jamais parler d'eax^
et il m'a fallu de la ténacité pour les découvrir. Ces indî-
gènes ne se préoccupent que de trois divinités d'un ordrt
inférieur: Limbucun, incarné dans une tourterelle ; on lot
fait quelques offrandes de riz ; Mandarangan, qui est l'équi-
valent du diable, et Dewâta, en fait, le plus important de
tous ; c'est le génie du foyer domestique, le grand protec-
teur qu'il faut se concilier par des offrandes constantes.
Malheureusement, il n'aime que le sang et les victime*
qu'on lui offre sont des esclaves. Je n'entrerai pas dans le
détail de ces hideux sacrifices qui contribuent largement à,
dépeupler Mindanao. J'ajouterai seulement qu'en vertu de
ce dogme, que Dewâta n'est jamais si content que lorsque!**
lances sont rouges, il est toujours bon de tuer quelqu'un
Les dialectes mandayas et manobo6 ont môme un mol
spécial, bagani, pour désigner le vaillant qui a coupé
soixante têtes. Ces baganis sont les seuls indigènes €pit
d'après les usages de l'intérieur, aient le droit de se coiffa
d'une espèce de turban en étoffe écarlate.
Ma première rencontre avec les Mandayas ne fut P3*
heureuse. Obligé d'abandonner ma grande pirogue dontle
LUÇON, MINDANAO, SOULOD ET BORNÉO. 283
bt d'eau était trop élevé, je la renvoyai à Davao avec
(équipage. J'avais d'abord par mes cadeaux décidé les
adayas à me fournir 3 pirogues légères et des rameurs.
j$ au moment du départ je ne trouvai plus personne ; en
ichissant ils avaient craint de s'éloigner de chez eux ;
pris le parti de m'emparer des pirogues et de continuer
Toute avec mes seuls domestiques bisayas ; nous n'a-
ks pas fait un mille qu'une de ces embarcations, trop
Iles, s'ouvrit et coula à pic, mais les deux autres tinrent
[jusqu'au centre de l'île. Ce sont des difficultés de cette
are qui rendent si lente toute exploration de ces con-
te. J'arrivai le soir à Mapawa, autre village de Man-
ias, qui fut d'abord bouleversé par ma présence ; ce
tfcle fut bientôt calmé par des présents, et longtemps
$s le coucher du soleil les cases résonnèrent de rires et
chansons.
Le 10, à partir du confluent du rio Maggum, ma navi-
Ëon devint réellement difficile. Le Sahug ne présente
b qu'une suite de bassins séparés par de longs rapides
fcûmbrés de roches diverses, parmi lesquelles je trouvai
il blocs de polypiers semblables à ceux qui se multiplient
bellement dans le golfe de Davao ; quelque réduit que
l h tirant d'eau de mes embarcations, il fallait les dé-
ttfger à chaque instant, creuser un petit chenal pour
or passage, et les remorquer contre un courant terrible
i milieu du bouillonnement des eaux qui empêchait mes
tomes de m'entendre. La pluie tombait à torrents, et il
& tardèrent pas à tomber malades. Je ne pouvais 6onger
quitter mes embarcations à cause des chronomètres ; les
eux rives étaient d'ailleurs couvertes d'une végétation
bissante et inextricable. Je mis huit jours pour m'élever
tolement de 7 minutes en latitude jusqu'au confluent du
b Maputi.
A ce moment, le dévouement de mes gens n'avait pas
pbli, mais leurs forces étaient épuisées ; nous étions sans
284 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
vivres et il y avait longtemps que je n'avais aperçu
trace humaine, je déchargeai la plus légère des deux
barcations et je Tenvoyai à la découverte avec les
moins éclopés. Le lendemain, je vis arriver, glissant
gèrement au milieu de l'écume des rapides, toute
flottille de radeaux montés par des Mandayas ; séduit
les promesses de mes ambassadeurs, le puissant
Husip amenait sa tribu pour me remorquer.
Deux ou trois verres d'eau-de-vie, tout ce qui me
mirent Husip en belle humeur. Les Mandayas s'attel
en foule aux remorques de mes embarcations, ils s'ext
peu à peu et bientôt je suis enlevé au milieu des rapu
avec des cris et un fracas qui dominaient celui du rio
hug. Des embarcations, fussent-elles cuirassées, n'ai
pas résisté longtemps à de pareils frottements. Heui
ment, j'arrivai bientôt au pied du mont'Hoagusan.
Cet Husip était assez accommodant ; il fut ébloui
mes verroteries et surtout par une affreuse cotonnade
pour laquelle ses femmes faillirent s'entre-déchirer 5 il
fournit des porteurs et je franchis le mont Hoagusan
marchant dans le lit des torrents.
L'Hoa^usan franchi, je me trouvais sur les bords du
Agusan, qui devait me mener jusqu'à la baie de Bul
mais j'étais sur les terres des Manobos. Un de leurs du
pour me fournir des pirogues, prétextant je ne sais quel
infraction aux lois de la politesse manoba, exigeait la
d'un de mes domestiques. Évidemment il hésitait entre;
dé6ir de me piller et la crainte de ma carabine ; ilignc
heureusement que les rapides avaient mis hors d'us
armes et munitions. Son hésitation lui fui funeste. Saû
sant un moment favorable, je pris deux pirogues et d<
esclaves et m'embarquai sur l' Agusan ; je visitai en pa«
le lac de Linao et j'arrivai à Butuan le 8 décembre,
milieu d'une véritable tempête ; la pluie était tellemei
persistante, que je dus rester à Butuan six jours entieflj
LUÇ0N, MINDANAO, SOULOU ET BORNÉO.
285
que l'état du ciel me permît de faire les observations
tomiques indispensables pour fixer le dernier point
m itinéraire.
Butuan, je fis plusieurs excursions gui m'amenèrent
Lter la présence, non loin du lac de Maïnit, des Né-
désignés, ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le
sous le nom de Mamanuas. Au cours de ces excur-
>, je trouvai plusieurs grottes qui me donnèrent une
le récolte de crânes ; je pus aussi m'en procurer plu-
dans diverses sépultures, et recueillir nombre déb-
itions anthropologiques.
tou1u8 rentrer à Davao par l'Océan Pacifique en
Ageant la côte Est de Mindanao; c'était la meilleure
i au point de vue de la géographie, vu l'imperfection
cartes de la côte entre la pointe Canit et Caraga, mais
embarcations du pays sont trop imparfaites pour tenir
par la mousson de nord -est, au milieu de laquelle
trouvais ; dans les mouvements de roulis, le balan-
qui est sous le vent est heurté fortement par les lames
ont soulevé l'embarcation, et les liens de rotang qui
les balanciers aux traverses ne tardent pas à 6e re-
ier; après des efforts de plusieurs jours, après avoir
perdre un homme enlevé par les lames, je me ré-
ii, le 16 janvier, à modifier mon itinéraire. Revenant
mes pas, je remontai l'Agusan jusqu'à Bunanauan ; là,
il mon premier itinéraire, par les rios Simulao et
l, j'arrivai au pied de la chaîne qui court parallèle-
à la côte et qui forme, en ce point, de magnifiques
tes ruisselant sur de larges assises de wacke ; je
L8 cette chaîne par un col peu élevé et j'atteignis la
du Pacifique à Bislig ; de Bislig à Caraga, je suivis
côte presque toujours par terre, obligé de marcher et
bivouaquer souvent sous des pluies torrentielles, car le
est fort accidenté, et c'est à peine si l'on trouve
telques sentiers aux abords des rares pueblos du rivage
286
GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
habités par de6 Bisaya6. Pendant la saison où je me
vais, de novembre à mai, époque à laquelle le veut!
nord-est soulève les vague6 du Pacifique, tout transit
interrompu. Au moment où je passais, régnait en
une de ces guerres ei fréquentes entre les Bisayas et
Mandayas ; on n/ entendait parler que de cases ince
et de têtes coupées ; on comprend aisément ainsi co
ce sol fertile, plus fertile peut-être que celui de L
donne que des produits insignifiants. Toute l'expo
de Garaga, le plus important pueblos de la côte, se bo
Tannée de mon passage, à quelques kilogrammes de
d'ailleurs excellent. Le 16 février, j'arrivais dans la
Pujada, rade magnifique, bien abritée et qui sera le
tre commercial de cette région quand elle aura un
merce.
Le 22, enfin, j'étais de retour à Davao après trois
et demi d'absence. Malade, je dus rentrer à Manille,
ville avait été cruellement éprouvée, 6ix mois aupara
par plusieurs tremblements de terre. Je vais faire
sous vos yeux la photographie de San Pedro, la cathé
avant et après ce tri6te événement. Voici le tracé du
mographe horizontal pour l'une des convulsions gai
produit ces ruines, tracé que je dois, ainsi que les dé
suivants, au R. P. Faura, élève du P. Secchi, l'é
directeur de l'Observatoire de Manille, observateur a
modeste que savant. La terre commença à tremblera
nille, mais faiblement, en avril 1880. Les secousses s1
centuèrent en juin ; les premiers jours de juillet fu
calmes ; le 14 se produisirent des secousses violentes
répétées , suivies jusqu'au 18 par des secousses pi
faibles ; mais ce jour-là, à midi, la ville parut près
s'abîmer. Les mouvements d'oscillation, de trépidation
de rotation combinaient leurs effets désastreux, le s6
semblait bouleversé comme par une houle furieuse, l'i&
dice du seismomètre vertical fut projeté à la hauteur i
LUÇON, MINDANAO, SOULOU ET BORNÉO. 287
Il millimètres. C'est alors 6urlout que s'amoncelèrent les
Bines dont vous venez de voir un exemple.
: Mais, Mesdames et Messieurs, je ne dois pas vous laisser
pus ces tristes impressions ; comme après le tremblement
|b terre de 1860, comme après tous ceux qui l'ont précédé,
lanille s'est encore relevé de ses ruines ; sa vie com-
merciale a repris plus active, ses salons 6e sont de nouveau
luverts et l'agréable accueil qu'y reçoivent les étrangers
le leur permettrait pas de croire que quelques mois aupa-
jtvant le toit qui les abrite était pêle-mêle avec les meubles
Nuis la rue. Après avoir retrouvé Manille telle que nous
Pavions laissée à notre départ, il ne nous reste plus qu'à
teuhaiter qu'elle soit à l'abri de nouveaux ravages ; il ne
ifeste plus à l'explorateur qu'à vou6 remercier de la sympa-
thique attention que vous avez bien voulu lui prêter (').
I (') Les différente types décrite par le docteur Montano et dont il a présenté de*
pnfttrçraphte* projetées i la lumière oxhydrique, seront, pour let principaux an
fcttes, reproduits d&as l'Album de la Société. (Voir à l'annonce du précéJent
peu*!*.)
VOYAGE AU ZAMBESE
(Suite.)
Auxenvirons du village, habite le 6orcier (gafiga) cramé-
decin, dans une case spéciale, 6elon qu'on le consulte pour
une chose ou l'autre. C'est un vieillard aux yeux renfon-
cés qui nous paraît peu sociable; 6a pharmacie consiste en ■
petits paquets soigneusement liés avec un fil de sanse-
vière et renfermant des graines de citrouilles. Ces préser-
vatifs de toutes les maladies humaines sont, ainsi que le
Daoua (porte-bonheur) pour la chasse, vendus assez cher
aux naturels.
Nous avons aussi remarqué aux abords du village quel-
ques pièges destinés à prendre de petits animaux, tels que
les rats dont les noirs sont très-friands. Plusieurs ont une
certaine analogie avec les instruments que les quincail-
liers vendent en Europe. Il y a de6 collets, de6 assom-
moirs et enfin d'autres qui prennent vivants les animaux
qui s'y aventurent.
Nulle part nous n'avons vu de trace de houille, et les
naturels de Magombé regardent nos échantillons comme
une chose toute nouvelle.
L'après-midi, nous avons fait l'ascension de la deuxième
partie du Malahoué, qui n'est pas plu6 facile à grarir
que la première. Du sommet, la vue s'étend sur toute Ja
plaine de la rive gauche du Chiré et l'on y aperçoit de
nombreux villages. Le quartz est visible jusqu'au sommet
du mont principal.
Le soir, nous revînmes coucher à Magombé, où Ton
avait mis à notre disposition le magasin aux provisions.
Étendus 6ur nos nattes, nous espérions reposer tranquil-
lement, lorsqu'au bout d'une heure, uqus fûmes attaqués
VOYAGE AU ZAMBÈSE. 289
r
jar une véritable légion de makoukous ou fourmis noires
assez grosses, longues, très-dures et dont la piqûre est
excessivement douloureuse. Quand elles sont logées dans
la barbe ou les cheveux, il faut, on les tuer sur place, ou
arracher le poil. Après avoir essayé, mais en vain, de
nous débarrasser de ces hôtes incommodes, nous fûmes
obligée de déménager. Il n'y avait pas une heure que nous
étions dans notre nouvelle case, lorsque nous fûmes en-
vahis une seconde fois par les mômes fourmis qui, atti-
rées par nos provisions, nous suivaient à la piste. C'est
en vain que nos hommes entourèrent notre case d'un cer-
cle de feu et qu'ils brûlèrent la colonne des assiégeants,
le flot passa quand même et nous dûmes pour la seconde
fois chercher un gîte ailleurs. Nous allâmes" à l'extrémité
opposée du village, où nous fûmes relativement tran-
quilles. Les noirs eux-mêmes n'étaient pas insensibles aux
piqûres des makoukous et ressemblaient à de vrais démons
fautant et criant, à la lueur du feu qu'ils avaient allumé
pour repousser les millions d'animaux qui s'avançaient
sur nous.
Le 24 mai, nous rentrons à Cambimbé par le chemin
suivi la veille ; la descente est beaucoup plus iatigante
et surtout plus dangereuse que la montée. Néanmoins,
nous rentrons sans incidents et après un repos de quel-
que temps nous, voulons partir pour Missengé. Nos
hommes, influencés sans doute par les gens de M'bona
qui nous accompagnaient, nous déclarèrent qu'ils n'étaient
pas disposés à se mettre en route, à moins toutefois que
nous ne leur accordions une journée de paye supplé-
mentaire. Nous ne pouvions accepter un pareil traité et
souffrir de telles conditions; nous avions payé Marianno
assez cher pour que, sur son district, nous marchions sans
rencontrer de semblables obstacles. Comme nos cipayes,
; mariniers du Luabo, qui nous suivaient depuis Mucatacata
et qui devaient venir à Tête avec nous, nous étaient restés
290 GÉOGRAPHIE MILITANTE *. EXPLORATIONS.
fidèles, nous sortîmes facilement de ce mauvais pas.
Mettre nos bagages en réserve, sous la garde de deux
d'entre nous et former une machilla avec les cipayes ne
fut que l'affaire d'un instant. Celui qui partirait, rentrerait
à Missengé et composerait chez Domingo une deuxième
colonne qui viendrait prendre les bagages et ceux qui
étaient restés pour les garder. Quand la machilla partit,
les nègres, craignant sans doute les reproches de Domingo,
capitulèrent et vinrent nou6 dire qu'ils étaient prêts à ren-
trer avec nous au village. En un clin d'oeil les bagage? ,
furent chargés et Ijs machillas prêtes ; nous partîmes au
pas gymnastique et au bout de deux heures nous arrivions
à destination.
Un deuxièiûe incident s'était néanmoins produit en
route ; le chef de M'bona, Combé, prévenu par ses hommes
que nous allions repasser près son village, se rendîmes à la
limite de son territoire, accompagné de 6es guerriers ar-
més, afin de percevoir le droit de circulation que nous
avions déjà dû solder deux jours auparavant et recevoir nos
hommages. Les porteurs voulurent, comme précédemment
nous faire mettre pied à terre pour défiler devant le bon-
homme, mais nous refusâmes énergiquement, et le roitelet
se contenta de nous voir passer nonchalamment étendus
dans nos machillas.
A Missengé, on nous soutint qu'en suivant le cours du
Chiré, nous pourrions trouver, avant d'arriver au lac
Lydia, un passage dans les roseaux et que nous gagnerions
ainsi en canot la partie que nous avions explorée en vain
avant de nou6 décider à prendre la voie de terre. Ce passage,
nous dirent les noirs, est tracé tout naturellement par la
rivière au moment de la descente; il est facile à suivie,
mais très-difficile à trouver quand on vient des basses
terres.
Nous traitâmes avec Domingo, qui s'engagea à nous
fournir des almandiâs pour le lendemain et à nous procu-
VOYAGE AU ZAMBÈSB. 291
rer des mariniers ; nous allons voir comment il tint ses
promesses. Le matin vers les six heures, il vint nous récla-
mer de l'eau-de-vie; puis ce furent de6 mouchoirs, des
grains, de la toile et de la bijouterie. Insatiable dans ses
demandes continuellement refusées, il trouvait mille pré*
textes pour revenir à la charge et quand on lui parlait
des embarcations, elles allaient toujours être prêtes. Amidi,
nous les vîmes. enfin arriver et nous pûmes faire transpor-
ter nos bagages sur la rive.
Là nous eûmes d'autres ennuis : les mariniers, soutenus
par-dessous main par Domingo, se mirent à l'écart et il
fallut les chasser, les prendre les uns après les autres, pour
les forcer à embarquer ; puis les rames manquèrent, il
fallut fouiller les roseaux où les noirs les avaient cachées,
et pendant ce temps plusieurs almandiâs s'esquivèrent
en traversant le Chiré et en nous forçant à les poursuivre,
à les traquer, puis à les ramener près du débarcadère afin
de charger les bagages. Toutes ces difficultés créées par
Domingo n'avaient pour but que de nous retenir le plus
longtemps possible à Missengé pour que nous lui four-
nissions de quoi s'enivrer ou que nous lui donnions
quelques-unes des marchandises qui nous servaient de
monnaie. Voyant clairement le jeu qu'il jouait, nous lui
refusâmes énergiquement l'eau-de-vie qu'il ne cessait de
nous réclamer et lui signifiâmes que si cette plaisanterie
ne cessait pas immédiatement nous allions employer des
moyens plus énergiques et surtout plus touchants pour
nous procurer les embarcations que nous attendions depuis
la veille et dont nous avions payé la location.
Ne pouvant plus rien nous soutirer et sachant que nous
étions en mesure d'employer la violence pour forcer les
mariniers à marcher, Domingo leur dit quelques mots et
ils devinrent obéissants. A deux heures, nous quittions
Mi£sengé et son chef.
Nous voilà donc embarqués sur le CHiré, dont les berges
292 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
sont basses et les rives cultivées par endroits. L'eau est trou-
ble ; sauf quelques rares alfacynia6, aucune plante aquatique
ne descend la rivière; les deux rives sontbordées de roseaux.
Nous dépassons Moingé et, environ à 3 kilomètres plus eu
aval de ce village, nous laissons sur la rive droite l'em-
bouchure du Prozè, rivière de 40 mètres de largeur qui
semble venir de PO.-N.-O. Le soir, nous nous arrêtons à
la hauteur du village de Mingaré ou Vitrine, que nous
avions traversé quelques jours auparavant lorsque nous
suivions la voie de terre.
Pour aborder au village, il nous faut remonter, au milieu
des roseaux, environ 500 mètres d'un marécage d'où
s'exhale une odeur pestilentielle. Sortis de ce marais in-
fect, nou6 marchons encore un demi-kilomètre et nous
nous installons dans la moins sale de toutes les cases qui
ici sont d'une malpropreté dégoûtante.
Le 26 mai, après être sortis des marécages de Vitrine,
nous remontons en canot et continuons à descendre le
Chiré dont les berges sont très-plates et bordées de marais
couverts de roseaux. Après 4 heures de navigation, nous
arrivons au lac, sur lequel nous pouvons avancer pendant
une heure avant de rencontrer les roseaux et les alfacynias
qui, quelques jours auparavant nous avaient empêchés de
remonter la rivière. Nou6 trouvons un passage fort resserré
du reste, mais où une almandiâ se meut cependant avec
facilité ; nous avançons sans trop de peine et finissons par
sortir de la végétation aquatique accumulée sur le lac
Lydia. Un fait curieux a été constaté pendant toute la
durée de la traversée, c'est, qu'une fois no6 embarca-
tions passées, toutes le6 herbes mises en mouvement flot-
taient un instant indécises, puis 6e resserraient, ne lais-
sant aucune trace de notre passage.
En voyant le peu de largeur du Chiré en amont du lac
que nous avons traversé, le peu de courant de cette rivière
et par conséquent son débit assez restreint, nous nous
VOYAGE AU ZAMBÈSE. 293
sommes demandé 6i c'est bien elle qui alimente le lac et
donne au bras de rivière commançant à Paouro et se termi-
nant près de la Chamoara (*), cette quantité énorme d'eau
qu'il débite et dont le courant est très-rapide. Les rensei-
gnements que nous avons pris près des naturels et une
exploration faite dans la largeur du lac nous ont montré
que nous supposions avec raison qu'un affluent quelconque
amène dans le grand réservoir de Lydia une masse d'eau
considérable. En effet, nous avons trouvé dans la partie
sud-ouest du lac, un canal rempli d'eau dont nous avons
remonté le courant qui est d'une extrême violence ; ce
canal déverse peut-être cinq ou six fois autant d'eku que
n'en donne le Chiré, porte le nom cafre de Zio-Zio et va
du lac Lydia à Sennanove, comme nous le montrerons
tout à l'heure. Il met le Zambèse en communication cons-
tante avec le Chiré ; c'est un des bras du fleuve qui en-
voie dans ce réservoir de 20,000 hectares au moins, une
quantité d'eau considérable dont le surplus 6'échappe
par la tranchée sur les bords de laquelle sont bâtis Parouo>
Houtankoïs, Bourgagne et Schamo.
Étant donnée la constatation faite de ce passage impor-
tant reliant le fleuve à la rivière, canal qui arrose plusieurs
villages et au milieu duquel sont plusieurs îles habitées,
on est naturellement conduit à considérer le lac Lydia et
son déversoir comme un seul et même bras du Zambèse
recevant, vers le milieu de son parcours, au nord du village
dePinda, la rivière Chiré ; tandis que, jusqu'ici, on croyait
qu'elle se jetait dans le Zambèse au pied de la côte dont
nous avons parlé et sur laquelle est bâtie l'habitation de
la signora Maria du Val-des- Anges.
Le Zambèse, dont le delta est encore si peu connu, se
ramifie beaucoup plus dans l'intérieur qu'on ne le pensait
jusqu'à ce jour ; en face de Senna, il enferme dans une
vaste île une importante portion de territoire dont le par-
0) Cbamnara on. ChamoM-a. Dans la langue du bas Zaxnbéie, chamuar signifie ami.
294 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
cours demanderait plusieurs journées de marche. Nous ne
pensons pa6 qu'on ait déjà appelé l'attention des voyageurs
sur ce canal Zio-Zio qui nou6 a demandé, pour le remon-
ter, deux journées de navigation.
Près du lac Lydia, les rives du Zio-Zio sont maréca-
geuses et couvertes de moustiques ; nous ne tardons pa6 à
côtoyer une île de vase desséchée sur laquelle poussent de
nombreuses plantes aromatiques. Plus loin, les berges
s'améliorent et nous voyons d'assez grands palmiers ou
élaïs dont les fruits fournissent une huile excellente pour §
la savonnerie , mais dont on ne tire aucun parti en Zambésie.
Nous rencontrons des naturels qui s'installent pour la pè-
che et qui emploient des espèces d'épuisettes d'environ
70 centimètres de diamètre sur 1 mètre de profondeur, en
filet de chanvre ou de bouazé, à mailles assez grandes, le
tout monté sur un fil de fer fixé à l'extrémité d'une perche
de lni,50 à 2 mètres de long.
Nous avons le courant contre nous, aussi notre marche
est-elle assez lente. Les rives, qui nous ont paru s'amélio-
rer, ne tardent pas à redevenir marécageuses \ nous
n'avons pour tout horizon que des roseaux terminés par
des houppes et après lesquels grimpent de nombreux con-
volvulus. Nous ne rencontrons que très-peu de gibier. A
la tombée de la nuit, nous laissons, sur la rive droite, un
très-petit ruisseau et peu de temps après nous dépassons
l'entrée d'un canal qui, nous dit-on, va aussi rejoindre le
lac Lydia au-dessus du Zio-Zio, mais en aval du Chiré.
Vers les neuf heures du soir, nous atterrissons à proximité
d'un deuxième canal qui coule O.-N.-O à E.-S.-E, en un
endroit marécageux où des pécheurs des environs de Senna
sont installés. Ils ont barré ce petit chenal avec des roseaux
et y ont placé des nasses. Tout le poisson qu'ils ont déjà
récolté est ouvert, vidé, suspendu à des perches et des lia-
nes pour sécher au soleil ; nous en voyons plus de 200 ki-
logrammes en plein air. Comme ce poisson n'est qu'à moi-
VOYAGE AU ZAMBÈSE. 295
ié desséché, il répand une odeur infecte qui nous préserve
tes moustiques, il est vrai, mais nous incommode fort.
Le lendemain matin, avant de nous remettre en route,
lous visitons les nasses tendues la veille au soir ; au nom-
lire d'une douzaine, elles contiennent chacune environ 20
kilogrammes de poisson. Le poisson électrique y domine,
linsi qu'un autre beaucoup plus petit qui, dit-on, fait payer
cher au crocodile le plaisir que celui-ci peut trouver à le
(Danger. Ce poisson a le dos et les nageoires armés d'une
espèce d'arête très-dure, pointue, taillée en forme de scie
sur la face postérieure. Lorsqu'il est avalé par un plus gros
que lui, même par le crocodile, il étend ses trois dards au
moment où il passe dans le gosier du glouton, et y reste
jusqu'à ce que tous deux périssent étouffés.
Nous naviguons vers le N.-O. et, au bout de 3 kilomè-
tres environ, nous apercevons sur la rive gauche, au bord
même du canal, le village de Maïnga, composé d'une tren-
taine de cases tant rondes que carrées. Le sol près de ce
village est formé de sable fin ; la berge a 1 mètre environ
de hauteur ; elle s'abaisse à la sortie de Maïnga, et le sol
redevient marécageux et couvert de roseuux. La rive droite
au contraire a 2 mètres d'élévation. Sur cette dernière
rive, un village temporaire d'une quinzaine de cases e6t
habité par les fugitifs de la révolte réprimée au commen-
cement de l'année 1881 par le gouverneur de Quilimane.
Plus loin encore, nous rencontrons divers campements de
ces révoltés inquiets de notre passage et qui demandent à
nos mariniers si nous ne venons pas pour les faire prison-
niers et les livrer à Marianno ou à dona Luiz de Santa-
Cruz.
Après trois heures de navigation, nous nous trouvons
devant Munisson, village situé sur la rive droite et formé
d'une quinzaine de paillottes en fort mauvais état, puis les
roseaux disparaissent de la rive droite, la berge de sable
s'élève, on voit quelques bananiers et l'on rencontre
296 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
Uunienba, nouveau village de 20 case6 habitées par une
cinquantaine de naturels. A cet endroit commence uns
île couverte d'une Irès-belle végétation; elle est séparé^
du côté du sud par un chenal d'au moins 100 mètres dt
largeur. Sur cette île 6e trouve Cobert, village d'un certaiir
nombre de groupes de 8 à 10 paillottes chacun, séparé*
l'un de l'autre d'une centaine de mètres. De là, aussi loin
que la vue peut 6'étendre, on remarque que l'île est culti*
vée et que des habitations isolées sont disséminées ci g
là, à proximité de très-belles rizières.
Au delà de Cobert et dès que nous avons fini de côtoyer
l'île, nous passons à la hauteur d'un village que nous lais-
sons sur la rive droite. A partir de cet endroit, les berger
s'abaissent et le sol cesse d'être marécageux -, on aperçoit
des cultures et des arbres nombreux, les villages se voient
fréquemment. Près de la rive gauche, on s'approche d*
plus en plus de la chaîne de montagnes qui aboutit en face
de Senna et l'on finit même par être à son pied ; elle est
fort peu boisée dans cette partie, quoiqu'on aperçoive de*
arbres jusqu'au sommet. Nous touchons le Zambèse de-
vant Sennanove, dont les habitants fuient à notre approche,
nons abandonnant un troupeau d'une quarantaine de bœufs.
Nous avons toutes les peines du monde à les rassurer sur
nos intentions et nous allons passer la nuit entre les mors
en ruine de Casa Vidagan, vaste propriété qui vient d'are
ravagée et incendiée par Marianno. C'est là que s'est jouée
la dernière partie d,e la révolte de 1881 et où les malheu-
reux que nous avons vus à Mopéa ont été faits prisonniers,
tandis que d'autres étaient impitoyablement massacrés. Si
nous en jugeons par les champs cultivés autour de Vida-
gan, nous pouvons dire que là peut-être était la plus vaste
exploitation agricole du Zambèse, par malgré la dévastation
qu'elle a subie, elle donnerait encore une très-belle récolte,
actuellement abandonnée aux nombreux pillards des envi-
rons de Senna.
VOYAGE AU ZAMBÈSE. 29?
La maison, ou plutôt la ferme incendiée, est à 400 mè*
1res environ du bord du fleuve, sur une petite colline
b 20 mètres d'élévation ; elle est en maçonnerie faite
l?ec la pierre des environs, conglomérat de grès rouge
ponçasse et soudé par une matière excessivement dure ;
la. toiture en charpente était couverte de tuiles creuses.
L'ensemble se composait de la maison d'habitation et
î'ane vaste cour close par une muraille en maçonnerie ;
lu moment où nous passons près d'elle, il ne reste plus
|ae quelques murs noircis par les flammes et ébréchés
par larges places.
La partie du Zambèse que nous remontons en quittant
Tidagan est remplie de pierres ou de roches que l'eau
couvre de quelques centimètres, aussi touchons-nous à
chaque instant. C'est en vain que nous nous écartons à
ime assez grande distance de la rive, nous rencontrons
toujours les mômes obstacles. Nous passons un bras du
fleuve et bous arrivons sur une île sablonneuse, en face
de Senna ; cette fie est cultivée et couverte d'arachides,
de riz, de citrouilles et de haricots filandreux de 15 cen-
timètres de longueur, renfermant chacun de 12 à 18 fèves
assez tendres. Nous y revoyons le fede-fede, dont les
gousses sont formées, maÎ6 dont les graines ne peuvent
pas encore être recueillies. Nous installons notre cam-
pement dans une case au milieu de l'île, à proximité
de Casa-Domingo, dont les habitations sont sales, petites
et peuplées de rats d'une grosseur peu commune, aux-
quels nos nègres font la chasse. Nous avons pour voisins
quelques réduits où se trouvent renfermées d'assez belles
chèvres, tandis que des porcs presque domestiqués et
d'un poids raisonnable vont se vautrer dans la boue, près
du Zambèse. Au milieu du village, croissent plusieurs ju-
jubiers ou massaô, dont les fruits ne sont pas encore arrivés
i complète maturité.
Obligés de séjourner, afin de réparer un de nos canots
•oc. m eioem. — 8« Tnrnfru 1883. 10
298
GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
dont le gouvernail a été brisé contre les blocs nombreux
qui encombrent le fleuve, nous allons visiter la ville de
Senna, ville forte, de temps en temps ravagée par les Lan-
dins ou plutôt par les pillards de la route de Manica, ca-
chant leurs atrocités sous le nom d'un peuple indépendant,
qui endosse ainsi la responsabilité de bien des crimes qu'il
n'a pas commis.
Nous traversons l'île dans 6a largeur en passant par
Casa-Domingo ; partout des femmes cultivent la terre ; la
couche végétale e6t ici peu épaisse et repose sur une assise
de 6able. Nou6 arrivons sur un bras du Zambèse, large de
150 à 200 mètres environ, que nous passons au gué avec
de l'eau jusqu'à la ceinture ; nous trouvons une lagune de
sable, large de 50 mètres, derrière laquelle existe un cours
d'eau de 100 mètres de largeur. Dans cette lagune, sont
creusés, de distance en distance, des trous de 50 centimè-
tres de profondeur, où l'eau, filtrant à travers le sable,
vient s'amasser ; c'est dans ces trous que les habitants de
Senna vont puiser le liquide destiné aux usages divers de
leurs habitations.
Nous passons ensuite par des marécages qui exhalent
une odeur fétide ; on sent la fièvre sortir de ces terres
remplies de débris végétaux et animaux en décomposition
et l'on comprend que les Européens de Senna soient tous
plus ou moins empoisonnés et minés par cette maladie; en
un mot, que le climat ait la réputation — bien méritée, il
est vrai,. — d'être meurtrier. Notre promenade à Senna
nous coûta, plus tard, quelques jours, de repos forcé et
douloureux.
Nous entrons dans la ville par une barrière formée de
simples troncs d'arbres fichés en terre et gardés par trois
ou quatre soldats indigènes vêtus de guenilles. Leur cos-
tume a dû consister jadis en une veste et un pantalon de
coutil blanc, en souliers, guêtres et casquettes. Le tout a
pu être neuf à un moment donné, mais à l'heure qu'il est,
VOYAGE AU ZAMBÈ8E . 299
es franges, les trous et les déchirures y 6ont nombreux ;
es pieds sont veufs des chaussures, la corde même des vé-
emente les plus indispensables est usée. C'est dans cette
enue que la troupe garde le pavillon.
Nous ne tardons pas à passer devant le fort, si on peut
tonner ce nom à la construction ridicule qui doit soi-
Bsant protéger la ville. Quelques murs, décorés du nom
le bastions, en pierres rouges du pays, posées à sec, se re-
ient entre eux par plusieurs murailles dont l'une n'est
pi'une palissade en bois. Sur ces bastions , sont placés
Une demi-douzaine de canons, assez semblables à nos an-
siennes pièces de 4 de campagne. Mais y a-t-il des mu-
iûtions pour les desservir? Mais ces pièces ont-elles des
iff&ts ? Nous n'osons l'affirmer aujourd'hui ; d'après les
résultats de l'inventaire du matériel que nous avons fait
à Tête, nous pouvons croire que F artillerie de Senna est
là pour la parade et ne vaut même pas celle que Bonga, le
détrousseur de passants de Massangano, étale si pom-
peusement devant son Eringa.
L'histoire de la ville de Senna n'est qu'une série d'at-
taques et de pillages. Brûlée ou détruite en partie, régu-
lièrement tou6 les quatre à cinq ans, la cité se reconstruit
et attend tranquillement, dans une indolence 6ans exem-
ple, une nouvelle attaque. Elle ne fait rien pour la pré-
venir. Le fort est réputé devoir défendre la ville et cepen-
dant on peut l'aborder de face, aller jusqu'à la palissade
gui remplace la muraille, sans crainte de recevoir un coup
de canon. De pareilles constructions ne sont pas sé-
rieuses. L'attaque qui a occasionné, dans ces derniers
temps, le plus de ruines est sans contredit celle de la fin
de l'année 1866 (*).
Senna est sur la rive droite du Zambèse, au pied du Ba-
ramouana, montagne formée de deux mamelons jumeaux,
Cl Voir : 0 Âfrieano. Journal publié à QolUmane, 8 Juillet 1881.
!
300 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
aux sommets desquels pousse le Pœdevia fœtida, plante
laquelle les indigènes attribuent la propriété de donner I
fièvre lorsqu'on la respire. A très-peu de distance de Bafl
mouana et du côté de Quilimane , deux monticules dta
r l'élévation paraît être environ de moitié des deux manw
Ions jumeaux sont très-peu boisés, surtout dans leur parti
supérieure ; ils ont une teinte rouge-brique très-prononcé*
La population de Senna se compose d'Européens, ë
métis et de noirs. Tous les blancs paraissent maladifs : il
ont la peau jaune, la figure tirée, les yeux ternes ; ils soi
maigres, leur démarche est lente et la faiblesse extrême;
qu'ils avouent ressentir, montre qu'ils ne sont pas daflj
un état de santé satisfaisant, et qu'à cette époque 4)
Tannée le climat de Senna n'est pas des plus sains. Ldj
habitations sont de trois sortes différentes, les paillot
les cases en roseaux recouvertes de pisé et les maisons
pierre tirée des montagnes voisines. Ces pierres sont
néralement liées par un gâchis de terre et d'eau.
Il existe à Senna une importante maison de commerce^
dirigée par un Hollandais; ses achats consistent surtout et
arachides, en ivoire et en poudre d'or, venant des gîtes a»|
rifères de Manica^).
On élève quelques bestiaux dans l'intérieur de Senna,,
mais il est difficile de s'y procurer du lait. Les vivres;
sont rares et d'un prix exorbitant; aussi est-il presque im-
possible de se ravitailler en cet endroit.
On n'y trouve aucun légume ; les habitants, blancs on;
autres, ne semblent même pas savoir ce que c'est. Il est-
déplorable de voir dans un pays où la main-d'œuvre
d'un prix minime et où les Européens pourraient donne
une impulsion énergique au développement de la ci
et de l'industrie, une incurie semblable et de nepoUTOi
trouver, dans l'une des principales villes de la Zambêsk
(') Les sables aurifères de la Manie*, examinés Jusqu'à une profondeur di i
mètres donnent, en moyenne, 48 centigrammes d'or p*r mètre cube.
VOYAGE AU ZAMBÈSB. 301
*s légumes qui entrent dans la composition d'un simple
tit-au-feu.
Nous devions, à Senna, remettre une lettre à Ànselmo
?erraô, capitaô-mor de la ville ; mais il était dans sa pro-
priété de Mofavo. Nous lui expédiâmes sa missive et ne
jftmes pas fâchés d'être dispensés de serrer la main à cet
tomme ; oui, à lui, le vertueux, l'intègre Ferraô, le 6eul
Stoyen honnête trouvé par Livingstone dans toute la Zam-
Jésie portugaise, — â Anselmo Henriquez Ferraô qui, saisi
ïe l'ambition des grandeurs et de l'amour du galon, fit
teassiner par ses propres noirs le capitaô-mor de Senna,
Sont on lui apporta la tête, et qui se porta ensuite candidat
jkla succession militaire de sa victime, fut élu, puis reconnu
jar le Gouvernement.
' Vertueux et honnête aussi, ce Ferraô qui, en 1881,
achète et vend des hommes, des femmes et des enfants.
Une chaîne d'esclaves a été arrêtée près du Guingue, et
menée chez le gouverneur de Tête pendant les premiers
mois de l'année 1881 ; elle avait pour chef conducteur
l'intendant ou homme de confiance de Ferraô qui prétendit
que ces gens venaient de leur pleip gré chez son maître.
Les noirs interrogés protestèrent et soutinrent qu'ils avaient
été enlevés de force de leurs cases qu'on avait pillées.
Ordre fut donné à la justice de Senna d'instrumenter et
elle instrumente... ra, car si, dans tous les pays, la justice
est boiteuse, enZambésie elle est certainement paralytique.
Nous avons vu plus tard, à Tête, les gens qui compo-
* Baient cette chaîne, remis en liberté par le gouverneur et
travaillant à la journée chez ceux qui voulaient les louer.
Le choix avait été bienfait, car ces hommes et ces femmes
étaient de forts et solides sujets qui auraient rapporté de
belles sommes au vertueux, intègre et honnête citoyen An-
wlmo Ferraô.
A Mofovo, il se repose de ses exploits de la guerre des
^ganjas, car c'est lui qui est arrivé à la rescousse de
302 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
Marianno et qui a contribué au 6uccès remporté par c*,
dernier. Il s'embusqua dans une île sur le chemin de la
Chupanga de Senna et mitrailla le6 malheureux habitais
qui 6* expatriaient, emmenant avec eux leurs femmes et
leurs enfants. Ceux qui ne furent pas tués par les balles ce
noyèrent dans le fleuve.
Au mois de septembre 1881, lors des élections législa-
tives, il y avait à Senna soixante-neuf électeurs.
MISSION SCIENTIFIQUE
EN ALGÉRIE ET AU MAROC
Par M. René B AS SET
PrifesMU fa BtMntm anM I Viuk nfMnrt te toUra l'ilpr
Chargé par le ministère de l'instruction publique, sur la
demande de l'Académie des inscriptions, d'une mission
scientifique dans l'ouest de l'Algérie et le nord du Maroc,
je quittais Alger le 1er avril pour une excursion d'environ
deux mois. La ligne du chemin d'Alger à Oran a été assez
souvent parcourue et décrite pour qu'il soit superflu d'en
parler de nouveau : après avoir traversé les riches plaines
de la Métidja, longé la chaîne de l'Atlas et pénétré dans la
vallée du Chélif , nous arrivions dans l'après-midi à Inker-
mann, que les Arabes continuent d'appeler Oued-Riou.
La voiture du qadhi de Mazouna, mon premier point
d'exploration, nous attendait à la gare, et sans perdre de
temps, nous nous dirigeons à travers une plaine monotone,
semée çà et là d'orge et de blé, vers les montagnes au
milieu desquelles est située Mazouna. Nous traversons le
Chélif sur un pont tout récent et les premiers contreforts
du Dhahra franchis, nous arrivons à des collines plus ver-
doyantes, d'un aspect plus gai, où des prairies d'asphodèles
et de doum (palmier nain), sillonnées de sentiers tracés
(ar les troupeaux, fournissent un pâturage abondant aux
gazelles qui se trouvent encore en assez grand nombre
tans la vallée du Chélif. Nous eûmes le regret de voir
paisiblement s'ébattre i portée de fusil, quatre de ces gra-
cieux animaux que les décharges de nos revolvers déran-
gèrent à peine. La route montait toujours, et, arrivés au
point culminant, nous embrassons d'un seul coup d'œil
304
GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
un horizon fermé au nord par la chaîne du Dbahra et au
6ud par celle où s'élève le Ouaranseni6 (Ouancherich),
YŒil-du-Monde. Sur chaque montagne, des qoubbas ea
l'honneur de Sidi-Abd-El-Qader-el-Djilani, le saint le
plus vénéré de l'Algérie, tranchent par leur blancheur sur
un tapis de verdure ainsi que quelques douars entourés
de haies de cactus ou d'épines sèches de jujubier sauvage
(sidrab).
Blottie dans un repli de terrain, entre deux montagnes
aux cimes dénudées, Mazouna ne se laisse apercevoir qu'an
moment d'y pénétrer. Nous y arrivons par une allée de
cactus qui enclôt des vergers de poiriers et d'amandier*
en fleurs, tandis qu'auprès d'eux les grenadiers gardent
leur teinte rouge et les figuiers commencent à peine à se
couvrir de feuilles. Nous laissons à notre gauche le6 qoubbas
de Sidi-Embarek, de Sidi-HannietdeSidi-Abd-El-Qaderf
et en dépit des rues escarpées de la ville arabe, nous
parvenons sans encombre jusqu'à la maison du qadhi Si*
Ahmed-El-Hamissy, chez qui nous devions trouver l'hoa*
pitalité la plu6 cordiale.
La légende locale attribue la construction de Mazouna à
un certain Mazouna, frère de Madiouna, l'ancêtre de la
tribu berbère de ce nom, fixée aux environs de la ville. Il
est probable que celle-ci est d'origine romaine, ou du moins
qu'un poste militaire s'élevait en cet endroit, car en creusant
les fondations de la maison du Bach-Adel, on trouva des
restes de murs en briques et en chaux, comme les Arabe6
et les Kabyles du Maghreb n'auraient su en élever. D'après
Ibn-Khaldoun (Histoire des Berbères, t. III, p. 314), Ma-
zouna aurait été bâtie par les Mar'raoua, tribu puissante
au moyen âge dans l'Afrique du nord, auxquels succé-
dèrent les Oulad-Mendil. Après la fondation de l'empire
des Abdel-Ouadites, avec Tlemcenpour capitale, Mazouna
passa sous la domination de cette famille, et en 686 de
Thégire (1287), servit de magasin à Otsman, fils de Yar'-
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 305
©ras en, qui venait de l'enlever aux Mar'raoua. Après
pie les sultans mérinides du Maroc eurent supplanté à
sur tour les Abdel- Ouadites, Mazouna tomba entre les
Bina d' Abou-Yàqoub-Yousof qui faisait alors le siège de
lemcen, en djouinada second de l'an 699 (1300 de notre
re). L'année suivante, en rebi' premier 700 (1300 de notre
te), Rached-ben-Moh'ammed, beau-frère du sult'an méri-
ide Abou-Yàqoub, se révolta, mécontent d'avoir vu donner
Omar-ben-Ouir'ern, descendant des Mendils, le comman-
ement des Mar'raoua, qu'il ambitionnait pour lui-même.
I fut appuyé par les gens de Mazouna qui lui livrèrent
sur ville. Après un premier succès, Rached, poursuivi par
es troupes marocaines, se retira dans la montagne, fais-
ant dans Mazouna pour la défendre, ses cousins Ali et
Bammou, fils de Yahya-ben-Tsabit. Ceux-ci parvinrent à
rarprendre les assiégeants, dont le chef , Ali-El-Kheïri,
tomba entre leurs mains en 701 (1301-1302 de notre ère).
Malgré ce succès, le siège continua et, en l'an 703 (1303-
1304), elle fut prise d'assaut, ses habitants massacrés et
leurs têtes lancées dans lest fossés de Tlemcen que le
sult'an mérinide tenait encore bloquée.
Cependant Mazouna 6e releva de ses ruines et sa med-
lésah, aujourd'hui simple zaouîah, devint bientôt célèbre,
mais uniquement pour l'étude du droit ; les autres sciences
7 étaient négligées. Ah'med-ben-Yousof , le pieux et médi-
tant voyageur, enterré à Milianah, ne Ta pas oubliéequand
il a dit d'elle, dans ses vers :
Xaxouna, Tîîle cachée;
Ses habitants, grands et petits, font le pèlerinage (de la Mekke),
Mais sans ses docteurs, le fen (de l'enfer) la dévorerait toute ;
Pendant le jour, on y trouve des mooches et de mauvaises
paroles ;
Pendant la nuit, des puces et de mauvais rêves.
L'hospitalité du qadhi nous préserva des uns et des
autres. J'en aurai fini avec l'histoire de Mazouna, quand
306 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
j'aurai dit qu'après avoir été quelque temps le siège
beylik d'Oran, elle fut, en 1846, le quartier général
Bou-Mâza, qui souleva le Dhahra de Tenès à Orléansvi
L'insurrection fut durement et justement réprimée par
colonel (depuis maréchal) Pélissier, et le châtiment
Oulad-Riah' asphyxiés dans les grottes où ils s'étai
réfugiés, fit une telle impression sur les indigènes qu
ne participèrent à aucune des révoltes postérieures.
Bâtie sur trois mamelons, la ville est divisée en p
sieurs quartiers : Bou-Dzeloul, ainsi nommé d'un Juif
lequel la tradition est muette ; la Qas'bah, renfermant
restes de la Noubah des Turks et de l'habitation de Moa/*
tafa-bou-Chelar'em. C'est de Mazouna qu'en 1119
l'hégire (1708 de notre ère) partit ce bey pour recoi
quérir Oran sur les Espagnols.
Les autres quartiers de Mazouna sont Bou-Matâ,
appelé du nom d'un Berbère qui, suivant quelques trai
tions, fonda Mazouna ; Adjedir (en berbère Agadir, rochaj!
et Bou'Alloufah, séparé du reste de Mazouna par l'Oued-
Tamda. D'après les récits populaires, Alloufah serait ta
nom d'une femme Chaouïah, berbère par conséquent.
La ville est suffisamment arrosée, tant par les pluies que
par les ruisseaux qui l'entourent, comme. l'Oued-TinserL
et l'Oued-Tamda. Celui-ci forme, entre les deux parti»
de Mazouna une jolie cascade à laquelle on arrive par un
chemin escarpé. Elle est parfois à sec à cause des prises
d'eau qui se font en amont et Ton peut contempler des
stalactites et des incrustations curieuses. L'eau tombe dans
un bassin qui, au dire des indigènes, était autrefois assez
profond pour qu'un homme pût y nager, mais qui s'est
comblé peu à peu.
De l'autre côté de Bou'Alloufah, on trouve la source
de Aïn-Der'our'ou. Elle jaillit sous une voûte de cons-
truction ancienne qui ne paraît pas d'origine romaine, bien
que les habitants n'en puissent nommer l'auteur.
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 307
»
Parmi les montagnes qui environnent Mazouna, l'une,
foi se dresse vers le sud-est, porte le nom de Nadher-El-
bieskhout, qu'elle aurait reçu à la 6uite d'une légende
malogue à celle de Hammam-Meskhoutine. On raconte
|u'un individu dont la fille était sur le point de 6e marier,
liait occupé à vanner du grain, lorsqu'elle se présenta à
iui en habits de fête, lui apportant sa nourriture. L'homme
Eéda aux tentations du démon et fit violence à sa fille, mais
tous deux furent immédiatement changés en montagne.
De là le nom de Nadher-El-Meskhout, l'aire du métamor-
phosé.
J'ai déjà dit que Mazouna était une ville purement
arabe, aux rue6 étroites, aux maisons indigènes à un
étage, couvertes en terrasses, à l'exception de celles du
qadhi et de l'instituteur, le seul Français qui y habite,
lies autres étrangers sont deux ou trois Juifs qui exercent
le métier de bijoutier et les t'olba marocains qui viennent
étudier à la zaouïah. Celle-ci, autrefois célèbre, ne compte
plus qu'une trentaine d'élèves que se partagent deux pro-
fesseurs. L'enseignement 6e borne à la lecture et à l'expli-
cation du traité de droit de Sidi-Khalil : les autres juris-
consultes y étant inconnus. Quant à la grammaire, aux
telles-lettres et aux sciences mathématiques professées
encore dans les université6 musulmanes, il n'en est pas
question ; à plus forte raison, l'histoire, la géographie et
les sciences physiques et naturelles.
A quatre kilomètres de Mazouna, on a construit tout
récemment le village français de Renaud où se trouvait,
nous disait-on, deux inscriptions latines. Elles y existent
an effet, mais notre course fut inutile, car elles avaient
déjà été recueillies et publiées à Oran. Avant d'arriver au
village, on aperçoit la qoubbah de Sidi-Moh'ammed-ben-
Ali, professeur d'Ibn-Charef, qui enseigna à Mazouna et
composa, au commencement de ce siècle, des ouvrages
fort importants pour l'histoire de l'Algérie et du Maroc.
308 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
Un jour, Sidi-Moh'ammed-ben-Ali entendit parler de deux
sorciers gui parcouraient les tribus, annonçant, moyennant
finance, la naissance d'une fille ou d'un garçon. L'évén&-
ment justifiait toujours leurs prédictions ; une pareille
science ne pouvait venir que du démon et le cheikh, dan*
sa colère, prononça contre eux des menaces que plusieuir
de ses disciples, entre autres Ibn-Charef, 6e mirent en
mesure d'exécuter. Ils 6e saisirent des deux individus et
s'apprêtaient à les mettre à morfy quand Ibn-Gharef réflé
chit qu'ils allaient agir sans l'ordre formel de leur mato*
et que celui-ci avait peut-être l'intention de leur faire
grâce. Il chercha à persuader ses compagnons et n'y :
réussit qu'en les menaçant de 6on pistolet. Les sorciers ■
furent amenés au cheikh qui ordonna leur mort pour le ,
lendemain. Pendant la nuit, le Prophète, touché deslar->
mes des deux malheureux, leur apparut et les engagea
à se placer le jour suivant à un certain endroit, ce qui les
sauverait infailliblement. Ils suivirent ce conseil et Sidi-
Moh'ammed-ben-Ali reçut, de son côté, la visite du Pro-
phète qui lui révéla ceci : les condamnés étaient possédés
par deux démons, 60us la forme d'une vipère et d'un scor-
pion, et ceux-ci les obligeaient sous peine de mort immé-
diate, à prédire dans les tribus la naissance des garçons
et de6 filles, sans doute pour contre-balancer l'effet produit
par les miracles des amis de Dieu. Grâce aux vertus du
cheikh, les deux animaux furent tués, le charme rompu
et les deux hommes, reconnaissants de l'intervention
d'Ibn-Charef qui leur avait par là sauvé la vie, obtinrent
pour lui de 6on maître Vidjazah ou diplôme de licence
qui lui permit d'enseigner à Mazouna où son petit-fils
professe encore.
Il ne nous restait rien à faire à Mazouna : les biblio-
thèques de la ville ne renfermaient qu'un nombre insigni-
fiant de manuscrits historiques: je n'avais pu trouver
Achacha, pour reconnaître à quel dialecte appartient
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 309
je kabyle parlé par cette tribu : trois t'olba, du Rif, d'une
intelligence plus que bornée, m'avaient à grand peine
fourni quelques notions sur le berbère en usage dans le
aord du Maroc, sur lequel j'avais déjà recueilli des ren-
seignements dans un voyage précédent à Tlemcen. En
conséquence, nous quittâmes Mazounâ pour Relizane, où
nos recherches, disait-on, devaient être plus fructueuses.
L'Oued-Riou ou Inkermann, où nous nous arrêtons en
attendant le train qui doit nous conduire Relizane, n'a
rien qui le distingue des autres centres de création récente.
Il en est de même de Relizane, que les Arabes appellent
R'illizane, altération du nom berbère Ir'U-izan (colline
des mouches). Cette petite ville a probablement été bâtie
sur l'emplacement d'un po6te romain, si l'on en croit les
indigènes. Là encore, cous n'eûmes qu'à nous louer de
l'hospitalité arabe que nous trouvâmes chez le khalifah
de la Minah, Si-Lâribi, un ancien vétéran des guerres
d'Algérie. Issu d'une famille illustre, il se rallia de bonne
heure à la France et sa fidélité se maintint à travers les
nombreuses révoltes dont la province d'Oran fut le théâtre.
8a conduite lui suscita de nombreux ennemis, et deux fois
sa maison fut incendiée. Parmi les récits qu'il nous fit
des aventures dont il avait été le témoin ou le héros, je
citerai celle-ci qui a trait à un personnage devenu célèbre
depuis.
Du temps que l'émir Abd-El-Qader régnait à Mascara,
le khalifah vit un jour arriver à sa maison de campagne
deux individus revêtus de l'uniforme rouge des réguliers.
L'un d'eux, après quelques mots échangés en arabe, prend
la parole en français et lui fait compliment de l'appartement.
Craignant un piège tendu par l'émir, le khalifah ferma
l'oreille aux discours de son visiteur qui parlait de déserter
le service d'Abd-El-Qader et de gagner Oran. Plus tard,
la guerre engagée, les Arabes repoussés et le traité honteux
de la Tafna annulé, le khalifah devenu Français retrouva
310 GÉOGRAPHIE MILITANTE a. EXPLORATIONS.
à Oran son singulier visiteur. C'était Léon Roche, qui
fut depuis consul à Tanger, puis à Tunis, où il assit l'in-
fluence française de façon à la faire triompher des menée*
anglaises et italiennes, et qui préluda ainsi à l'annexion.
du pays.
Relizane n'offre rien de bien curieux, à part le barrage1
de la Minah, reconstruit il y a une trentaine d'années à
quelque distance de l'ancien qui date du temps des Turks.
A 4 heures environ, dans la direction de Mascara, s'élève
la ville arabe, ou plutôt berbère de Qala'ah. La voiture da
khalifah nous y conduisit un matin par une route des plu*
difficiles qui traverse une plaine couverte de buissons de,
sidrah et de thizer'a. Peu à peu le terrain s'élève et Poa
entre dans une forêt de lentisques, dont le plus élevé n'a
pas un mètre de haut : des genêts d'Espagne en fleurs par-
fument l'air et, de loin en loin, quelques oliviers sauvages
(zenboudj) montrent que la sécheresse et le déboisement
sont le fait de l'homme. Autrefois, ces montagnes étaient
boisées comme la Kabylie et les premiers colons de
l'Hillil et de Relizane se rappellent avoir contribué pour
leur part à cette œuvre de destruction qui a tari la plupart
des sources et des rivières.
Au pied des montagnes, nous trouvons une source abri-"
tée par des lauriers-roses entre lesquels poussent des touffes
de lavande; elle arrose deux superbes vergers apparte-
nant à un ancien qaïd de Mascara. Les cultures deviennent
plus belles, nous approchons de Qala'ah que nous aperce-
vons, au détour du chemin, juchée à mi-flanc d'un rocher
abrupt et entourée de deux oueds dont l'un la sépare en
deux parties. Dans la première est construite l'école arabe ;
la seconde est la vieille Qala'ah. Le qaïd, fils du khalifah
de la Minah, nous attendait à l'entrée, mais il fallut mettre
pied à terre pour pénétrer dans les rues, autrement escar-
pées que celles de Mazouna. Notre hôte s'était mis en frais
pour nous laisser une idée favorable de Qala'ah. Le repas,
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 311
\ deux bouteilles de vin étaient la seule concession faite
iz coutumes européennes, rappelait par son abondance
s noces de Gamache : le mouton rôti tout entier (Kebcti)
t servi suivant l'usage sur un lit de feuilles de citron-
ers et chacun s'escrima, armé d'un couteau, à détacher
\b morceaux de viande qu'on disposait sur de6 galettes
orge en guise d'assiettes ; les msemmen, sorte de crêpes
I beurre et au miel ; le riz à la graisse sucrée, la salade
i citron pour unique assaisonnement, le couscouss au
it, et nombre de plats que j'oublie, tout était purement
•abe.
Qala'ah, que nous eûmes le loisir de parcourir à notre
îse, aprè6 le repa6 dont je viens de parler, est probable-
lent des plus anciennes, quoique l'histoire n'en fasse
mention qu'à partir du xie siècle : El-Bekri la signale en
lassant et Ibn-Khaldoun n'e6t pas plus explicite. Son
ttm, qui en arabe signifie forteresse, est la traduction du
murirt kabyle, qui désignait surtout les forteresses natu-
relles, plateau escarpé f abondant en eau et défendu de
©us côtés par des ravins à pic. Dans sa Guerre des Van-
laies, l'historien grec Procope mentionne ceux de l'Aourès
«nous trouvons cette appellation, sous sa forme simple
pu en diminutif,dans presque toutes les régions de l'Algérie
ft s'élevèrent des États berbères : chez les Kabyles de
fcst, la Qala'ah des Beni-H'ammad ; dans le Sahara, El-
jfroléah ; près d'Alger, Koléah ; dans le Dhahra, la Qala'ah
des Beni-Todjin, etc. Celle dont je parle est bâtie sur le ter-
liloire des Mesrata, fraction des Beni-Rached, tribu des
Soouara. On sait que les Hoouara s'établirent aussi en
Tripoli taine, où une ville porte encore le nom de Mesrata.
Quel fut le constructeur de Qala'ah ? Les habitants pré-
tendent qu'il se nommait El-Ish'aqi Ben-Zâzou'. Il était
connu par ses débauches et s'était attribué dans la ville,
de la façon la plus rigoureuse, le droit du seigneur sur les
nouvelles mariées. Le serviteur d'un saint, Sidi-S'alih',
312 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
dont la qoubbah se voit encore à l'entrée de Qala'ah, prèsdj
celle de Sidi-Ibrahim-El-Metazi, invoqua l'appui de bob
maître pour éviter à sa fille la honte de se soumettre m
cette coutume. Le pieux personnage alla se placer devaaj
le château où résidait El-Ish'aqi et proféra le6 plus terri»
blés malédictions contre le tyran dont la demeure hà
aussitôt renversée de fond en comble. On nous condniai
voir les restes qui en subsistent encore, dans la parti*
culminante de la ville. Nous trouvâmes deux voûtes paiat
lèles, parfaitement conservées, bâties en chaux et en
briques, communiquant entre elles par une troisième et*
selon toute apparence, de construction romaine. Dans ce
quartier, le sol s'est considérablement exhaussé, car da»i
la cour d'une partie de la mosquée aujourd'hui en ruine^
le mih'rab et la porte par où passait l'imam sont plus qu'à
moitié entourés.
Ce Ben-Zàzou' était, dit-on, d'origine juive : et quelques
habitants le confondent avec le général espagnol vainqueur
d'Iskender qui est un personnage historique. Lorsque
Baba-Aroudj, frère de Khaïr-Eddin, se fut assuré la po*
session de Tlemcen en assassinant le prince abdelouadite
Abou-Zeyân qu'il avait substitué à Abou-Hammoa, le
protégé des Espagnols, il plaça à Qala'ah une garnison de
500 Turks, commandés par Iskender, son lieutenant, pour
assurer les communications entre Tlemcen et Alger. Mai*
le gouverneur d'Oran , Don Martin d'Argote, aidé des
Arabes partisans d'Abou-Hammou, marcha sur Qala'ah:
après plusieurs assauts, la garnison capitula 60us condition
d'avoir la vie sauve et de se retirer à Alger ; mais, en sor-
tant de la ville, elle fut massacrée tout entière par le*
Arabes alliés des Espagnols qui restèrent témoins im-
passibles de cette boucherie (924 de l'hégire). Ce foi
alors que périt le père de Si-Ah'med-ben-Yousof doni
j'ai parlé plus haut. Ce premier succès fut suivi de la
prise de Tlemcen par les Espagnols : on sait que Bal»-
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 313
Lroudj périt dans sa retraite 6ur les bords du Rio-Salado
©ued-Melah*), en 1518.
Àh'med-ben-Yousof a laissé dans toute l'Algérie la repu-
ation d'un homme pieux et satirique. Parmi ses miracles,
»n cite le suivant : il était à Bougie lorsqu'il fut enlevé
*ar les Espagnols qui le réduisirent en esclavage et vou-
lurent l'emmener en Espagne. Mais l'ancre levée, le vais-
seau resta immobile jusqu'à ce que le capitaine, voyant là
un miracle de Dieu en faveur de son prisonnier, se décida
k relâcher celui-ci. On conte la même légende 6ur Si-
Kmbarek de Koléah.
Dans les ruines de la mosquée, nous trouvons une
inscription gravée en caractères neskhis entourés d'une
bordure koufique. Le marbre est fort beau et l'exécution
très soignée ; malheureusement, la pierre a été brisée et
il n'en reste que les parties suivantes :
« Louange à Dieu clément et miséricordieux, que Dieu
bénisse (Moh'ammed le Prophète et sa famille et la sauve).
« Ensuite la construction de cette mosquée a été ordon-
née par
€ L'illustre, le respectable
« Et des hommes et d'autres
c
Mos't'afa-bey, le gouvernement,
« Tous vers le pardon de Dieu, le Seigneur
« De Me6rata, que Dieu fasse miséricorde
« L'intercesseur, en l'an . . . cinq
« Que Dieu le fasse durer. »
Des quatre côtés de la bordure, on lit ce verset du Qoran
répété plusieurs fois :
« Dis : Il est le Dieu unique, le Dieu puissant : il n'en-
gendre point et n'a point été engendré. »
11 existe deux beys d'Oran que ces indications peuven t
fOC DB OiOOB. — 3e IXIllJ&fTftB 1U8J. SI
314 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
désigner : Mos't'afa-bou-Chelar'em qui gouverna de 1098
à 1149 de l'hégire (1686-1737 de notre ère) et MosYafc-
El- Ah'mar qui gouverna de 1151 à 1161 de l'hégire (1738-
1748).
Lors de l'insurrection de 1864, les habitants deQala'ak
firent cause commune avec les rebelles, qui poussèrent
9
jusqu'à Relizane d'où ils furent repoussés par les colons.
Le châtiment ne se fit pa6 attendre : leur ville fut bom-
bardée et l'on voit encore les traces du bombardement.
Du minaret de la mosquée, on domine Qala'ah et tout le
pays environnant. A l'est, l'horizon est fermé par le Dje-
bel-Berber, au delà duquel se trouve le prétendu cime-
tière juif qu'à notre grand regret nou6 ne pûmes explorer.
Aucun israélite, d'ailleurs, n'habite Qala'ah, grâce à un
artifice de Sidi-S'alih', qui imagina de changer le jour du
marché et de le fixer au samedi, de façon à ce que les
Juifs, à qui toute œuvre était défendue ce jour-là, fussent
obligés d'émigrer. Ils étaient établis dans le quartier appelé
aujourd'hui Soukh, et qui occupe la partie méridionale,
de Qala'ah. La ville est fermée de ce côté par un pro-
fond ravin qui renferme des jardins et des vergers de
citronniers chargés de fruits : les maisons qui s'y trouvent
forment le quartier de Karkouri. Au nord-est, le Ras-
Qala'ah; à l'ouest, 6ur des collines de l'autre côté du ravin,
s'élèvent les qoubbahs de Si-Ah'med-bou-Ma'zah (l'homme
à la chèvre) et celle de Sidi-1'Abid ; près de la seconde
voûte, à Test de la ville, celle de Sidi-Dahman ; auprès
de la mosquée, le marabout de Sidi-bou-Bellout* (l'homme
aux glands doux) ; dans les écuries du qaïd, celui de Sidi-
Anbari. On prétend qu'il existe à Qala'ah et aux environs
plus de trois cents qoubbahs ; Sidi-Abd-El-Qader-El-Dji-
lani en possède naturellement le plus grand nombre.
La température de la ville encaissée entre de hautes
montagnes est très élevée : pour expliquer cette chaleur,
les habitants racontent que lorsque Solaïman (le roi Salo-
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 315
(non) eut triomphé des djinns, il en enferma quelques-uns
lans un enfer qu'il plaça près de Qala'ah.
Les bibliothèques n'étaient guère plus riches que celles
le Mazouna et l'usage du berbère s'était perdu depuis long-
temps. Nous primes le lendemain le chemin de Relizane
en passant par l'Hillil, route beaucoup plus douce et plus
courte : je ne trouve à signaler que la qoubbah et la
kouït'ah (petite enceinte) de Sidi-Mousa, auprès de la
source de Aïn-Mekrouhah, où nageaient plusieurs tortues,
à l'extrémité d'une forêt de lentisques.
L'Hillil est un petit village bâti, comme presque tous
les autres de la vallée du Chélif, sur les ruines d'un poste
romain dont les colons ont achevé la destruction. Il tire
wra nom de l'Oued-Ilil (en berbère, ili\i} laurier-rose) qui
prend sa source près de Qala'ah. Au xie siècle de notre
ère, El Bekri en fait déjà mention. Dans l'après-midi, nous
retournions à Relizane, et le lendemain nous partions de
tonne heure pour Mostaganem.
De l'Hillil à Mostaganem, la route est courte, quand on
la fait dans une voiture traînée par de bons chevaux, mais
si courte qu'elle soit, elle ne laisse pas de paraître mono-
tone à celui que ne passionnent pas les cultures toutes
françaises qui ont complètement métamorphosé le pays.
La vigne en particulier prend un développement immense
et le moment est à prévoir où l'Algérie se substituera pour
l'exportation des vins à la France méridionale ravagée par
le phylloxéra.
En moins de cinq heures, nous franchissions les qua-
rante kilomètres qui séparent l'Hillil de Mostaganem, et
nous traversions les villages de Bou-Guirat et d'Aboukir
sans remarquer autre chose que l'envahissement des dunes
sur une partie de la route et les débris d'une ville arabe,
près de Bou-Guirat, dont les Espagnols massacrèrent la
population de t'olba. C'est du moins ce que raconte une
tradition locale qui ne nomme pas la ville.
316 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS,
Bâtie sur le bord de la mer et entourée de nombreux
vergers, Mostaganem est certainement une ville agréable,
mais une chose manque à son développement : une ligne
de chemin de fer. Du jour où il sera relié à Tiharet et au
tronçon qui va d'Alger à Oran, ce point deviendra le port
d'où l'on exportera en Europe les produits de la vallée du
Chélif, transportés économiquement sur la côte. À quelle
ville romaine a-t-il succédé? Peut-être Murustaga, dont
on n'a pas trouvé de traces et qu'on est réduit à supposer
englouti par quelque cataclysme. Les indigènes font
dériver le nom moderne d'un mot arabe et d'un berbère
Mechtah ar'anem (la cabane des roseaux). Cette étymologie
est possible, sinon probable.
Mostaganem, bien que mentionnée par le géographe
El-Bekri, n'apparaît dans l'histoire qu'au xi° siècle. Le
véritable fondateur de la dynastie almoravide (Al-MoraM-
t'houn) qui domina du Sénégal à la Castille, Yousof-ben-
Tachûn, lors de la conquête du Maghreb central, bâtit, dit-
on, le Bordj-El-Meh'al, jadis citadelle, aujourd'hui prison,
sur une colline au nord de la ville. Ce nom de Meh'allui
vint d'une tribu qui, Buivant les traditions indigènes,
dominait, il y a des siècles, dans la vallée de la Minah.
Fière de son pouvoir et de ses richesses, elle se rendit
odieuse au reste de la population qui la laissa détruire
par les Turks. Une des complaintes populaires, encore
chantées aujourd'hui, a précisément cette catastrophe
pour 6ujet. Toutefois, d'après des renseignements que je
tiens du bach-agha de Frendah, les Meh'al n'auraient
pas été entièrement exterminés, car ils seraient les an-
cêtres des Douair et des Smela, d'abord auxiliaires des
Turk6, puis nos premiers et fidèles alliés dans la province
d'Oran.
Comme toutes les villes du Maghreb central, Mostaga-
nem passa au xni* siècle (vu* de l'hégire) 60us la domina-
tion de la dynastie zeyanide de Tlemcen. Le premier
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 317
prince de cette famille, Yar'mourasen, en confia le com-
mandement à un de ses parents, Ez-Zaïm, fils de Yahya,
au retour d'une de ses soixante-dix expéditions contre les
Mar'raoua. Ez-Zaïm 6'empressa de trahir son maître et de
fomenler une révolte chez cette tribu. Yar'mourasen ré-
prima cette rébellion et bloqua étroitement Moetaganem
qui finit par capituler (630 de l'hégire). Le prince zeya-
ntde accorda à Ez-Zaïm la permission de 6e rendre en
Espagne, où il passa le reste de sa vie à guerroyer contre
les chrétiens.
Pendant le siège de Tlemcen par les Mérinides, siège
qui ne dura pas moins de huit ans, Mostaganem tomba au
pouvoir du sultan de Fas, Abou-Ya'qoub-Yousof (699 de
Phégire). Mais après l'assassinat de ce prince, qui mit fin à
cette campagne, la ville fut rendue au roi zeyanide Abou-
Zeyân, fils de 'Otsman. Elle fut encore reprise par les
Mérinides et en 742 de Phégire (1342 de J.-C), Abou-
Iûân-Faris, fils d'Abou'l-Hassan, y fit bâtir une mosquée.
Mostaganem partagea ensuile le sort de toutes les villes
du Tell. En 1516, elle fut prise par Baba-Aroudj et, après
la mort de celui-ci, elle acquit sous les Tui'ks une impor-
tance considérable au point de vue militaire. Deux fois, le
comte d'Alcaudete, gouverneur espagnol d'Oran, chercha
à s'en emparer (1548, 1558), deux fois il échoua : dans la
seconde tentative, il fut tué et son corps rendu à son fils
par Hassan, fils de Kheïr-ed-Din.
Sous la domination ottomane, la richesse commer-
ciale de Mostaganem ne tarda pas à disparaître. Autrefois
prospère, puisqu'avec les deux annexes de Tidjdit et de
Mazagran (Tamezr'ant), elle ne comptait pas moins de
40,000 habitants, elle n'avait pas échappé à la satire de
Si-Ah'med-ben-Yousof :
Les gens de Mostaganem relevèrent leurs bolr'as (pantoufles arabes
en cuir jaune),
Au brait des mâchoires pour courir plus vite après un bon repa».
318 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
A l'arrivée des Français, la garnison turke, augmen-
tée de celle d'Oran et de quelques points voisins, entra
à notre service et résista aux Arabes jusqu'à ce que,
en 1833, le général Desmichels y installa une garnison
française.
La ville, d'où les constructions arabes ont presque entiè-
rement disparu, est divisée en deux parties par le ruisseau
de Aïn-Sefra (la source jaune) : Mostaganem et Matmore
(le silo), où se trouve la qoubbah renfermant le tombeau
de Mos't'afa-bou-Chelar'em qui prit et perdit Oran au
xvme siècle. C'est avec la mosquée le seul monument ori-
ginal de la ville. Sur une colline, à l'est, se dresse le
village indigène de Tidjdit, forme berbère du mot arabe
Djedidahj la Neuve, qui n'offre rien de particulier que sa
position pittoresque.
Nou6 reçûmes l'hospitalité dans une maison appartenant
au khalifah Si-Lâribi ; mai6 notre séjour fut de courte
durée. Ne trouvant pas les Rifains que je cherchais, je
songeai à pousser une pointe dans le sud et à aller estam-
per, si c'était possible, les inscriptions de trois sortes
signalées dans les qsour de Tiout, de Mor'ar et de Aïn-
Sefra. Je quittai Mostaganem, que deux jours m'avaient
suffi à visiter, pour gagner, à Perrégaux, le chemin de fer
d'Arzeu à Mécheria. Là, je me séparai de mon compa-
gnon de voyage, et par un temps orageux, je m'engageai
dans les steppes désolés qui régnent jusqu'au delà de Tizi.
On sait que l'an dernier, la rupture du barrage qui réu-
nissait à Perrégaux les eaux de l'Oued-El-H'ammametde
l'Oued-Fergoug a ruiné la contrée qui n'est pa6 encore re-
mise de ce désastre. Le pays, jadis fertile, est aujourd'hui
aride, et pendant plus de trois heures on traverse des col-
lines dénudées, d'aspect lugubre, 6ans végétation ni trace
de vie. C'était autrefois la résidence des Beni-Chougran,
qui jouèrent aux environs de Mascara le même rôle que
les Hadjoutes dans la Métidja. Ils parlaient berbère et,
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 319
selon quelques personnes, ce dialecte ne 6'est éteint chez
eux que depuis une vingtaine d'années.
En approchant de Saïda, on trouve quelques forêts de
thuyas,, surtout dans la vallée de l'oued de ce nom. Il
était 6ix heures du soir quand les wagons peu confortables
de la Compagnie franco-algérienne me déposèrent à la
gare et je m'empressai de courir au télégraphe pour savoir
si les renseignements que j'attendais avant de m'engager
dans le sud étaient arrivés. Point de dépêches. Je ré60lu3
d'attendre deux jours, et, ce délai expiré, de revenir sur mes
pas jusque Mascara. En attendant, je profitai de mon séjour
forcé pour visiter le pays.
Saïda, qui n'est encore qu'à ses débuts, est l'embryon
d'une ville européenne qui ne tardera pas à prendre une
immense importance, car elle est située au centre des exploi-
tations d'alfa, sur une ligne de chemin de fer, et c'est en
même temps une des étapes de la route stratégique connue
sous le nom de route des Hauts-Plateaux : parallèle au Tell,
elle part de Boghar pour aboutir à Sebdou et à la frontière
du Maroc par Teniet-el-H'ad, Tiharet, Frendih, Saïda et
Daya qui deviendront plus tard les principales stations
d'une ligne ferrée parallèle à celle d'Alger à Oran. Il
n'exi6te guère à Saïda (l'Heureuse) qu'une seule rue,
ombragée d'arbres et aboutissant à la place près de la
redoute renfermant la première Saïda française. Mais
l'immense espace entre la gare et le point extrême de la
ville sera rapidement rempli, et l'on peut prévoir qu'avant
dix ans Mascara sera détrônée au profit de sa rivale.
Celle-ci est de fondation toute récente. Lorsque, en 1844,
nos troupes, à la poursuite de 'Abd-El-Qader pénétrèrent
dans le pays, elles trouvèrent un commencement de place
forte édifié par l'émir, à 2 kilomètres à peine en amont
de la rivière. Les ruineB sont encore visibles aujourd'hui.
De ce côté, le paysage e6t beaucoup plus abrupt qu'au
nord : TOued-Saïda, dont le lit est encombré de lauriers-
320 GÉOGRAPHIE MILITANTE I EXPLORATIONS.
roses, se fraie avec peine un passage au milieu des rochers
à pic qui lui barrent la route : ceux de la rive droite sont
les plus élevés et dominent en partie ceux de la lire
gauche. C'est sur le plateau formé par ces derniers que
s'élevait la Saïda arabe, appuyée sur des falaises du côté
du fleuve, et descendant légèrement vers la vallée que tra-
versent aujourd'hui la route de Géry ville et le chemin de
fer de Mécheria. On voit encore quelques pans de murailles
de l'enceinte, et à l'angle sud-ouest, des voûtes presque
entièrement comblées. En remontant l'oued, les rochers
de la rive gauche se relèvent au niveau de ceux de la rive
droite: c'est un peu plus loin, qu'au dire des Arabes, il
existe des ruines romaines que je n'eus pas le temps d'al-
ler voir.
Le délai était expiré et aucun renseignement ne m'était
arrivé. Je me remis en route pour Mascara, renonçant pour
cette année à parcourir la région des qsour, sur laquelle je
devais cependant Irouvet d'intéressants renseignements
au moment où je m'y attendais le moins.
Mascara n'est pas située sur le chemin d'Arzeu à S aida;
c'est, dit-on, la punition d'un acte d'indépendance envers le
fondateur de la Compagnie franco-algérienne qui 6'était
présenté aux élections pour le conseil général dans cette
circonscription et ne fut pas élu. On descend à Tiri (eu
berbère, te Cot) et les voyageurs expient par deux heures
de diligence la rancune du candidat évincé. Toutefois, je
donne ce récit sans le garantir aucunement. On peut espé-
rer que prochainement Tizi 6era reliée à Mascara par une
ligne qui se prolongera jusque Tiharet.
Lorsque 'Abd-El-Qader, maître de l'ouest de l'Algérie
en vertu du traité de la Tafna, songea à reconstituer
l'empire des Beni-Zeyan, puis à nos dépens et aux dépens
du Maroc celui des Almohades et des Mérinides, il choisit
pour capitale l'emplacement de Mascara (en arabe, camp)'
Il l'avait déjà possédée en 1832) puis évacuée en 1835; à
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 321
ce moment, elle fut brûlée parles Français, le bey Ibrahim
qu'ils voulaient y installer, ayant refusé cet honneur péril-
leux. L'émir y rentra aussitôt et fut confirmé dans sa pos-
session par le traité de 1837 ; mais en 1839 les hostilités
recommençaient, et en 1841, la ville, conquise par le maré-
chal Bugeaud, faisait définitivement partie de l'Algérie fran-
çaise. Les Arabes ne l'avaient guère possédée que dix ans,
après avoir massacré par trahison, en 1830, dans la plaine
de l'Eghris la garnison turke qui avait évacué la ville par
capitulation. Les Hachem justifiaient par là le dicton de
Si- Ahmed-ben-Yousof :
Un dirhem de cuirre (une pièce fausse)
Vaut mieux qu'un t'aleb de FEr'ris.
C'est sur le territoire de cette tribu, à Kachrou, que
naquit 'Abd-El-Qader au commencement de ce siècle.
Il ne reste plus guère à Mascara, ville toute française,
de traces de la domination turque, si ce n'est une inscrip-
tion d'un certain Sarmachiq, dans Tune des mosquées.
De l'autre côté de l'Oued-Toudman, se trouve la ville
arabe de Baba' Ali où habitent presque tous les indigènes :
on y fabrique des burnous noirs, appelés zer'dani* et
renommés dans toute l'Algérie.
A Mascara, où je passai quelques jours, je m'occupai
de reprendre mes recherches sur les dialectes berbères,
mais il n'était pas facile d'entrer en rapports avec des indi-
gènes de l'Oue6l. On en jugera par l'anecdote suivante :
J'avais chargé le domestique arabe de l'hôtel de m'a-
mener un individu du Gharb parlant chelh'a. Ce nom
n'étant pas compris, je l'avai6 remplacé par K'biliah.
Quelques minutes après, je le vois revenir avec un mar-
chand d'huile qu'au premier abord je reconnais pour un
Zouaoua. Je n'étais pas venu dans l'Oue6t pour apprendre
le dialecte des Kabyles du Jurjura : je renvoie mon homme
en lui demandant un Mr'arbi (un indigène de l'Ouest).
Bien pénétré de ma recommandation, il me ramène un vrai
322 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
Mr'arbi, originaire de Fas. Je ne pouvais pas désirer
mieux, mais malheureusement ce Marocain ne parlait pas
un mot de berbère. Désespérant de faire entendre à l'in-
telligent domestique que je voulais un Marocain et un
Marocain qui sut le chelh'a, je pris le parti d'aller moi-
même exploiter les cafés maures, pendant que mes indi-
gènes, ne comprenant rien à ce qu'ils pensaient être caprice
de ma part, demeuraient 6ur place tout ébahi6. Mes recher-
ches ne furent pas longues et je trouvai bientôt un Rifain
qui, outre un vocabulaire de son dialecte, me fournit la
liste des tribus, villages, zaouïah et qaïds des Guélâïa : ce
document fut complété par un itinéraire de Fas à Mellila
que je dois au fils d'un négociant marocain établi dans la
première de ces villes. Comme le Rif est demeuré jusqu'à
présent absolument fermé aux Européens, même aux Espa-
gnols des présides, ces renseignements ne laissent pas
que d'avoir leur importance.
Je ne m'étendrai pas sur les incidents de mon séjour à
Mascara : dhiffas arabes, conversations avec les qadhis et
les qaïls : mais je dus à un dîner chez le qaïd de Baba1 Ali
de ne pas partir pour Tlemcen comme j'en avais l'inten-
tion. J'appris chez lui qu'à l'est, et non loin de Frendah,
vivait une tribu, celle des Bel-'Halima, qui parlait encore
le kabyle. Je résolus de vérifier le fait qui était extrême-
ment important au point de vue de l'histoire de celte lan-
gue. En effet, l'année dernière, me trouvant àH'oumt-Es-
Souq, dans l'île de Djerba, j'avais rencontré des gens
appartenant à une population berbère de l'île, habitant i
H'oumt-Ajim, et j'avais recueilli d'eux un vocabulaire
chelh'a que publie en ce moment le Journal asiatique ('). Ibfl-
Khaldoum nous apprend que, lors de la destruction de Tilia-
ret par Ibn-R'ania, aventurier almôravide qui passa sa vie
à guerroyer depuis les Baléares jusque Gabès et de Gabès
(*} Notée de lexicographie berhère (avril-maî-jutn 1883, p. 381-443).
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 323
au Maroc, une partie des tribus qui habitaient aux environs
deTiharet émigra dans l'île de Djerba (581 hég., 1185
de J.-C). Il s'agissait pour moi de constater si le dialecte
des Bel-Halima était le même que celui que j'avais étudié
à H'oumt-Es-Souq.
Un mercredi, à quatre heures et demie du matin, j'atten-
dais, non sans impatience, le départ de la voiture qui devait
m'ameneràFrendah. Les jours précédents, le courrier n'a-
vait pu être porté que par un cavalier et si l'on partait, on
n'était pas 6Ûr d'arriver. Comme mauvais présage, nous
n'étions pas encore sortis de la ville qu'une des roues de
la voiture se détachait, et qu'il fallait la raccommoder
bous une pluie battante. Du véhicule qui nous portait, je
n'aurais pas grand'chose à dire, sinon qu'il y avait à peine
de la place pour deux, mais qu'en revanche il y pleuvait
pour six. C'était un ancien break transformé en tapissière,
mais cette métamorphose n'avait pas été heureuse, car les
rideaux de cuir s'écartaient à point pour laisser entrer la
boue soulevée par les roues, et faisaient assez bien l'office
de gouttières sur nos têtes. Mais si mauvaise que fût
cette voiture, je ne tardai pas à la regretter quand je fus
dans celle qui faisait le service entre Bou-Noual et
Frendah. Tous les voyageurs en Orient connaissent IV
robahy instrument de torture et de locomotion à l'usage
de ceux que leur humeur vagabonde ou leur mauvaise
étoile amène sur les bords du Danube ou dans la pénin-
sule hellénique. La nouvelle voiture était précisément
un de ces arabahs, une sorte de haquet monté sur
deux énormes roues, et couvert d'une bâche. Heureuse-
ment la pluie avait cessé. Voyageurs, bagages, conduc-
teur, tout s'entasse, se case, 6e heurte pêle-mêle au moindre
heurt et les cahots ne manquaient pas. Jusqu'au delà de
Kachrou, la route était passable ; mais, ce point dépassé,
lorsque nous quittons les cultures pour entrer dans la
région des forêts, le chemin se transforme peu à peu et
324 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
devient une piste arabe. Le paysage, d'ailleurs, autant que
la plaine nous permettait de l'examiner, était magnifique:
aux broussailles qui couvraient les premières collines
avaient succédé, depuis Aïn- Guergour, de vraies forêts de
thuyas, de lentisques, d'oliviers sauvages (zenbedj) et de
caroubiers, à peine interrompues par quelques exploita-
tions d'alfa ou des cultures arabes. Nous arrivons enfin au
caravansérail, après avoir passé à gué l'Oued-El-'Abd, et
nous pénétrons dans une ferme dont l'incurie annonçait
des habitants espagnols. Quelle que fût leur cordialité,
elle ne suffisait pas à faire oublier le manque de propreté,
et le repa6 qu'on me servit me donna lieu de regretter les
d biffas arabes. Bou-Noual est dans une éclaircie entre
deux bois, au fond d'un vallon. Sur la colline de l'est, &e
voient la qoubbah de Sidi-'Abd-AUah et un cimetière
arabe abandonné. C'est là que se fit le changement de voi-
ture dont j'ai parlé plus haut. Les chevaux étaient dignes
du véhicule et ne mirent pas moins de trois quarts d'heure
à franchir une colline de 300 mètres. Bientôt nous rentrâ-
mes sous bois, rencontrant de temps à autre des Arabes
qui allaient au marché de Frendah ou des charretiers
espagnols qui font le service des transports. Le chemin
s'allongeait à perte de vue : à une montagne succédait
une autre montagne; à un taillis une éclaircie ; de temps
à autre, il fallait mettre pied à terre et faire quelques kilo-
mètres dans une boue épaisse et tenace. Enfin, vers six
heures et demie, nous sortons de l'arabah et, en regardant
l'est, nous apercevons à dix kilomètres de nous, sur un
plateau assez élevé, une ligne claire que le soleil couchant
nuançait de rose. C'était Frendah, dont nous étions encore
séparé 6 par de nombreux ravins.
Arrivé au pied de la montagne, je descendis de voiture
et escaladai l'escarpement, escorté de l'aboiement des
chiens arabes appartenant aux gardiens des silos. Enfin
j'entre dans Frendah. Il était neuf heures du soir : l'admi-
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 325
nistrateur, prévenu de mon arrivée, mais ne comptant pas
sur un retard de trois heures, avait perdu patience à m'at-
teadre et pensait, chose fort probable, que nous avions été
arrêtés au passage de l'Oued-El-Abd. Je me trouvais donc
en pleine nuit dans une ville arabe où je ne connaissais
personne et ne pouvant même trouver un lit dans le caba-
ret plus que modeste que les guides appellent audacieuse-
ment l'auberge de Frendah. Même, je m'estimai heureux
d'avoir pu m'y faire servir à dîner : des œufs, rien que
des œufs, mais accommodés de trois ou quatre manières
différentes. Il fallait cependant dormir, et la nuit était
trop froide pour coucher dehors. Mais j'éprouvai une fois
de plus que l'hospitalité supplée largement au manque
d'hôtel. Il se trouva que j'étais connu de nom de l'inter-
prète militaire, M. Aklouch, qui, apprenant ma détresse,
m'installa en toute hâte dans la chambre d'un de ses amis
absents et se fit mon guide et mon hôte pendant tout le
temps de mon séjour.
Le lendemain était jour de marché : mais par malheur,
aucun Bel-'Halima ne s'y était rendu. Il fallut que M. Xi-
menés, administrateur de Frendah, fît mander plusieurs
indigènes qui habitent à 30 où 40 kilomètres. Lo vendredi,
après une visite faite chez le bach-agha Si-Ould-Qadi,
je trouvais à m'attendre, devant ma porte, le qaïd des Dje-
belia~ amenant trois jeunes gens qui, à eux trois, avaient
environ 240 ans. Le plus jeune, âgé au plus de 70 ans,
se Gt mon interprète auprès de ses compagnons et ce ne
fut pas sans peine que je parvins à me faire comprendre
de ce trio biséculaire dont les facultés intellectuelles
avaient baissé au moins autant que l'ouïe. Les renseigne-
ments que je recueillis d'eux me prouvèrent que mon
voyage, si pénible qu'il fût, n'avait pas été inutile, car je pus
coDstater que le berbère est en train de s'éteindre dans
celte tribu où les vieillards seuls en ont conservé l'usage.
Il est donc grand temps de le sauver de l'oubli .
326 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
Mais là ne devaient pas 6e borner les fruits de mon
excursion à Frendah. L'interprète militaire envoya m
jour chez moi un indigène nommé Moh'ammed-ben-Ted-
jini, fils du qaïd du qsar de Bou-Semr'oun, dans le Sud
oranais, et interné avec sa famille à Frendah pour avoir
pris part à la révolte du sud avec Bou-Amemah. Puisque
je n'avais pu visiter Tiout, Mor'ar, etc., c'était pour moi
une occasion précieuse d'étudier la langue des qsour et
je me gardai bien de la laisser échapper. Tous les jours,
Moh'ammed venait passer plusieurs heures avec moi et,
après m'avoir dicté un vocabulaire assez étendu, il m'ap-
portait des contes en chelh'a que je traduisais en arabe
sous sa direction. Je lui dois en outre une description géo-
graphique suffisamment détaillée de la région des oasis
qu'il avait visitées. Enfin, et ce n'e6t pas le moins curieux,
il me remit un jour un mémoire, rédigé en berbère, sorte
de plaidoyer pro domo sua, sous la forme d'un récit. D'après
lui, 6on père, qaïd de Bou-Semr'oun, avait averti le
commandant de Géry ville des menées de Bou-Amemah;
mais les messagers avaient disparu sans exécuter leur mis-
sion. Lorsque le marabout arriva près du qsar, on lui amena
le qaïd qui dut, bon gré mal gré, pouf sauver sa vie, fein-
dre d'embrasser le parti des rebelles et attendit une occa-
sion de s'échapper, qu'il trouva plus tard. Pendant ce
temps, des compétiteurs, parents de cette famille, susci-
taient une nefrah (trouble) à Bou-Semr'oun, blessaient
grièvement les deux fils du qaïd, dont l'un, lekhalifah, est
aujourd'hui à Sainte-Marguerite," et l'autre, le chaouch,
n'est autre que Moh'ammed-Tedjini. Le coup fait, ou plu-
tôt manqué, les cousins allèrent dénoncer leurs victimes
au commandant de Géryville qui les fit arrêter et interner
sur de simples apparences, ainsi que leur père qui était
parvenu à s'échapper.
Je dois dire que, d'après des renseignements puisés à
une autre source qui me paraît plus sûre, le qaïd, comme'
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 327
bien d'autres, aurait essayé de ménager Bou-Àmemah et
les Français, n'envoyant aucun renseignement 6ur les
agissements des rebelles, mais pris à son propre piège, il
aurait dû donner des gages à l'insurrection. C'est ainsi
que son fils aîné aurait été reconnu parmi les partisans
du marabout, et que la nefrah aurait été étrangère à sa
blessure. Allah aâlam. Dieu seul le sait, comme disent les
musulmans.
Eu attendant, le qaid et son fils vivaient à Frendah du
produit d'un petit jardin qu'ils cultivaient, drapés dans
leur misère et leur dignité et attendant patiemment la fin
de la guerrç pour bénéficier d'une amnistie ('). (4 suivre.)
0 Une lettre que Moh'ammed-ben-TedJini m'adressa i Orin dans le courant de
mai, m'apprit que le Gourerneuient les Avait autorisé», lui et son père, a retourner
à Bou-Semr'oun.
2° GÉOGRAPHIE MÉDICALE
CLIMATOLOGIE
Conférence de M. le Dr Marchal
Messieurs et Mesdames,
Le sujet dont je vais avoir l'honneur de vous entretenir
n'offre pas l'intérêt des communications gui vous ont éié
faites jusqu'à ce jour. Il 6e présente avec un côté technique
qui gagnerait à être exposé, à être développé par une voix
plus autorisée que la mienne. L'étude de la géographie com-
porte celle de sciences en quelque sorte accessoires sans les-
quelles elle serait incomplète. De ce nombre est la clima-
tologie ; la connaissance des divers climats du globe ter-
restre, de leurs conditions de salubrité, de leurs maladies,
est devenue, en effçt, une des grandes nécessités de notre
époque.
L'agglomération des populations détermine chaque jour
une émigration de plus en plus considérable vers les pays
moins condensés que notre vieille Europe, l'augmentation
toujours croissante de la production rend indispensable
l'établissement de comptoirs sur tous les points du globe
et la protection des intérêts nationaux entraîne la création
de stations militaires partout où il est possible d'en établir.
Vous comprendrez, sans que j'y insiste davantage, combien
les populations, le commerce, les gouvernements sont in-
téressés à connaître exactement quelles sont les conditions
de là salubrité présentées par tel ou tel pays, non seule-
ment dans son ensemble, mais dans chacune de ses parties.
CLIMATOLOGIE. 329
Vous comprendrez aussi combien une semblable étude est
longue et difficile ; comme toutes les sciences d'observation,
la climatologie ne peut 6e constituer qu'avec le temps et
nous n'en possédons aujourd'hui que les éléments, mais
ces éléments sont déjà suffisants pour faire pressentir les
services qu'elle est appelée à rendre à l'humanité. Elle
e6t dominée par quelques principes généraux dont il est
nécessaire que je vous entretienne avant d'aborder d'une
façon particulière la division du globe terrestre en diffé-
rents climats.
Il est à peine utile de faire remarquer qu'un climat e6t
principalement caractérisé par sa température, mais on
ne tient peut-être pas un assez grand compte des causes
qui peuvent la modifier en l'exagérant ou en l'atténuant,
en la rendant constante ou variable.
La température du globe a deux sources : en premier
lien, la chaleur centrale, dont l'influence est à peine de
% de degré, et la chaleur solaire, qui verse sur la surface
terrestre des torrents de calorique suffisants pour fondre
en un an une enveloppe de 39™, 89 d'épaisseur de glace.
L'action de la chaleur 6olaire ne se répartit pas également
sur toute la surface du globe, elle varie selon la latitude
et décroît à mesure que les rayons la frappent plus obli-
quement. Cette décroissance n'est pas aussi régulière
qu'où pourrait le supposer, elle est soumise à des lois
assez compliquées.
Sous les tropiques, elle est très peu marquée et son
maximum de rapidité se trouve, d'après Humboldt, entre le
40* et le 45e degré. Elle est différente dans le6 deux con-
tinents 5 en Europe, entre le 38# et le 71a parallèle la tem-
pérature s'abaisse à peu près uniformément d'un demi-
degré par chaque degré de latitude, tandis que dans
l'Amérique orientale la décroissance e6t plus rapide sous
les mêmes parallèles. De Gharleslon à Boston, du 32e au
42* degré de latitude nord, la température s'abaisse de
IOO. DB fltoOB. — 8« TJUKWTRa 1883. »
330 GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
0°95 centièmes par degré, et de Boston au Labrador, du
42* au 52e parallèle, elle s'abaisse seulement de 0°88 cen-
tièmes ; au delà du 7 Ie degré, les lois de décaissement de
la température ëont tout à fait inconnues.
La latitude n'est pa6 le seul élément qui modifie la tem-
pérature d'un pays, il en est un autre dont il faut tenir le
plus grand compte, c'est l'altitude; à mesure qu'on s'élève
dans l'atmo6phère, la chaleur décroît en même temps que
la densité de l'air. Il est facile de s'en apercevoir dans
l'ascension d'une montagne; on jouit successivement de
climats tout à fait différents, dus à de6 températures de
moins en moins élevées.
La décroissance de la température n'est pas exclusive-
ment subordonnée à l'altitude, elle varie selon la latitude,
la direction des vents, l'orientation des pentes, la nature
du sol, etc., etc.; cependant on admet généralement que la
température s'abai6se d'un degré par 170 mètres d'éléva-
tion et qu'une ascension de 100 mètres équivaut à un dé-
placement d'un à deux degrés dans le sens de l'équateur
vers les pôles ; la température est également modifiée par
de6 causes d'une importance moindre, mai6 dont il faut
tenir un certain compte. Le voisinage de la mer égalise les
températures, il en élève les moyennes annuelles etrendles
saisons moins tranchées. A cet élément important, constitué
par la température, vient s'en ajouter un autre qui a la plus
grande influence sur la nature d'un climat. Je veux parler
de l'humidité qui sature d'autant plus l'atmosphère que la
température est plus élevée, sauf dans certaines plaises
désertes et arides. L'humidité de l'air diminue à mesure
que l'on s'élève de l'équateur vers les pôles, elle atteint 6on
maximum sur les côtes, et en pleine mer elle décroît avec
l'altitude. Les causes qui la favorisent sont l'abondance des
pluies et l'on ne s'étonnera pas de l'extrême humidité de
la région équatoriale en songeant qu'entre l'équateur et
le 25" degré il tombe par an une moyenne de 2 mètres
i
r
CLIMATOLOGIE. 331
d'eau, du 25* au 40e de deux à un mètre, du 40* au 50' de
1 mètre à 50 centimètres.
Par contre, il existe des régions où il ne pleut jamais.
Telles sont : le Sahara, la régence de Tripoli, l'Egypte, la
i Syrie, moins le littoral et les bords de la mer Rouge, la
imajeure partie de l'Arabie et de la Perse, le nord de la
» Chine. On trouve également dans le nouveau continent
des régions d'une moindre étendue dans lesquelles la pluie
i
I est presque inconnue. L'abondance de6 pluies est influencée
'parla direction des vents, soit qu'il s'agisse des vents à
^direction constante, tels que les alizés dont l'action se fait
[principalement sentir dans la zone torridc, que de ceux qui
■ont des directions variables, tièdes et humides, secs et
r glacés, arides et brûlants, selon qu'ils viennent de la mer,
[des cimes glacées ou du désert.
! L'influence de6 saisons n'est pas moins grande; on sait
qu'elles sont d'autant moins tranchées qu'on 6e rapproche
! plus de l'équateur. Il n'y a dan6 cette zone, en réalité, que
jdeox saisons, la 6a i son pluvieuse ou hivernage et la saison
ifièche ou belle saison, moins chaude que la première de 5
:i6degrés. Près des tropiques, à l'île de France par exemple,
les deux saisons intermédiaires, automne et printemps,
commencent à 6e dessiner; elles sont plus marquées entre
le 30e et le 40e degré (Algérie); vers le45€ parallèle (Bor-
deaux, Grenoble, Valence, Turin, Venise), elles ont leur
féritable caractère : c'est la zone tempérée par excellence.
Vers le nord, l'hiver prend le dessus, le printemps est
froid et court, l'automne pluvieux et désagréable. Dans les
contrées les plus septentrionales de l'Europe, l'hiver est
long, démesuré, l'été brûlant suivi dej>luies. C'est à peine
ti Tété est marqué, vers les régions polaires, par quelques
belles journées pendant lesquelles le thermomètre s'élève
an-dessus de zéro, puis aux deux extrémités du globe
l'hiver perpétuel fait équilibre à Tété perpétuel de la zone
torride.
332
GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
En dehors de ces causes tout à fait générales, certaines
conditions locales, telles que la plus ou moins grande pu-
reté de Pair résultant de la constitution tellurique, de la
pénétrabilité du sous-sol, de la végétation, des cours d'eau
et de la facilité de leur écoulement, peuvent modifier com-
plètement le climat d'un pays. Sous l'influence de la cha-
leur, de l'humidité et de la stagnation des eaux, les ma-
tières organiques subissent une décomposition rapide qui
engendre les affections miasmatiques et donne naissance
aux plus redoutables endémies.
Cet exposé rapide des divers éléments qui caractérisent
un climat suffit à démontrer le rôle important joué par la
température et faire comprendre que seule elle peut donner
une base sérieuse à une classification des climats. On
avait autrefois divisé le globe terrestre en trois zones dé-
. terminées par la latitude ; les climats chauds étaient com-
pris entre l'équateur terrestre et le 30* degré, les climat*
tempérés entre le 30e et le 55e, au-dessus duquel commen-
çaient les climats froids : une classification qui rangeait
dans les climats tempérés tout le nord de l'Afrique en
même temps que l'Italie et la plus grande partie de la
Russie était évidemment erronée, le nombre des divisions
était insuffisant; d'autre part, les degrés de latitude répon-
daient à des climats parfois trop différents pour qu'il fût
possible de les classer sous une même dénomination.
L'équateur thermique et les lignes isothermes offrent des .]
termes de comparaison beaucoup plus exacts; depuis les
travaux de Humboldt, un nombre suffisant de lignes iso»
thermes avaient été reconnues dans les deux hémisphères;
ces lignes, passant par les lieux dont le6 moyennes an-
nuelles de température sont les mêmes, vont nous servir.]
à diviser la surface du globe en climats, en prenant pour
point de départ, non l'équateur terrestre, mais l'équateur
thermique qui représente la ligne de la plus grande cha-
leur moyenne et dont la direction est la suivante :
CLIMATOLOGIE. 333
Si nous partons de la côte occidentale de l'Afrique à
la hauteur du cap Palmas et de la côte d'Ivoire, il remonte
obliquement à travers ce continent, côtoie la côte sud-est
de l'Ai*abie, coupe l'Inde à la hauteur de Pondichôry, de
là se dirige obliquement vers l'équateur en passant au
nord de Sumatra, de Célèbes, coupe l'équateur près de
Ternate, s'incline environ à 10° de latitude sud près du
120^ méridien, s'infléchit ensuite vers l'équateur pour re-
joindre l'isthme de Panama, longe les côtes de Colombie,
de Venezuela, de Guyane, jusqu'à l'embouchure du fleuve
des Amazones, puis s'infléchit légèrement vers l'équateur
pour remonter bientôt obliquement vers la côte occiden-
tale d'Afrique. C'est au nord et au sud de cette ligne que
vont se trouver cinq zones constituant cinq climats diffé-
rents, 6éparées par des lignes isothermes présentant entre
elles une différence de 10 degrés de température :
1° Les climats torrides partant de l'équateur thermique
jusqu'aux lignes isothermes H- 25°;
2° Les climats chauds étendus de -4- 25° jusqu'à H- 15°;
3° Les climats tempérés de -f- 15° à h- 5° ;
4° Les climats froids de -h 5° à — 5° ;
5* Les climats polaires de — 5° à
Nous allons passer rapidement en revue chacune de
ces divisions. La zone torride est limitée par deux lignes
isothermes -+- 25° situées, Tune au nord, la seconde au sud
de l'équateur thermique. Ces deux lignes ont une direction
se rapprochant et s'éloignant tour à tour de l'équateur
terrestre. La zone qu'elles embrassent forme à peu près le
tiers de la surface du globe. Sur la côte occidentale de
l'Afrique, elle occupe toute la hauteur comprise entre le
cap Blanc et le cap Négro, comprend la Sénégambie, la
Guinée, le Congo ; à la partie centrale, le Sahara, le Fezzan,
le Soudan, toute la partie de la côte orientale située entre
le tropique du Cancer et l'embouchure du Zambèze, c'est-
à-dire la Nubie, l'Abyssinie, le pays des Çomalis et des
334 GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
Gaila6, le Zanguebar, le Mozambique, Madagascar et les
petites îles voisines, puis l'Arabie, le sud de la Perse, le
Béloutchistan, l'Indoustan, le royaume Birman, le royaume
de Siam, l'empire d'Annam; dans la région océanienne, la
Malaisie (Sonde, Philippines, Célèbes, Moluques), la Non-
velle-Guinée ; vers Test, les archipels des Carolines, des
Navigateurs, le6 îles de la Société, les Marquises; enfin,
6ur le continent nord -américain, le 6ud du Mexique,
l'Amérique centrale, les Antilles; dans Y Amérique du
Sud, la Colombie, la Guyane et le nord du Brésil.
La température de la zone torride est constamment
élevée, sans varier sensiblement du centre à ses limitée
(cependant la moyenne de Péquateur thermique est
de -h 28°). Les 6ai6ons sont peu tranchées et ne diffèrent
que par le plus ou mohi6 d'abondance de6 pluies périodi-
ques, la plupart du temps torrentielles. Il y règne une in-
salubrité extrême due tout à la fois à la température élevée,
à l'humidité constante et à la stagnation des eaux dans des
plaines marécageuses. Presque toutes les branches de la :
race humaine, depuis les degrés les plus élevés jusqu'aux
types les plus dégradés, y sont représentés. Elles ne sup- !
portent pas toutes également l'influence du climat. La :
race caucasienne, en particulier, paraît en ressentir plus !
vivement les pernicieux effets. Les fonctions digestives sont .
diminuées, l'activité du foie et de la peau augmentée, 1* ;
système nerveux exalté ; Panémie 6e traduit bientôt par la
pâleur, la perte de l'embonpoint et des forces, et le défaut
de réaction contre les maladies. Quand l'élément miasma-
tique intervient, les maladies endémiques 6e produisent
plus ou moins graves selon la nature du sol, légères i une
certaine altitude comme sur les hauts plateaux des Antilles,
d'une gravité extrême dans les pays à marais, tels que le
Sénégal, la Cochinchine, Madagascar, etc., mais présen-
tant presque toujours des différences que nous signalerons
en nous arrêtant sur les particularités afférentes à quel-
CLIMATOLOGIE. 335
ques-unesdes régions les plus importantes dont cette zone
est composée.
L'Afrique est, de toutes les parties du globe comprises
dans la zone torride, la plus chaude, la plus aride, la plus
insalubre. Le Sénégal est la plus malsaine de nos colonies.
La côte occidentale présente à l'œil une succession de
plages de sable, de marais, de terrains d'alluvions cou-
verts d'une végétation palustre puissante. Au centre sont
d'immenses plaines ou des plateaux dénudés. De loin en
loin, des oasis à végétation luxuriante contrastent avec le
pays qui les entoure. Des rivières entièrement desséchées
pendant une grande partie de Tannée, des lacs aux bords
marécageux et des vallées humides achèvent de rendre
cette partie du continent africain presque inhabitable, aussi
toutes les maladies des climats torrides s'y rencontrent-
elles, depuis l'intoxication paludéenne qui revêt toutes les
formes jusqu'aux dysenteries généralement mortelles et à
l'hépatite dont l'Afrique tropicale est en quelque sorte le
pays de prédilection.
La côte orientale est peu connue, mais à Madagascar et
dans les trois petites tles que nous avons conservées dans
ces parages, c'est l'intoxication paludéenne qui peuple nos
hôpitaux ; la dysenterie et l'hépatite ont à peu près dis-
paru.
Les îles Mascareignes, la Réunion, Maurice et les Sey-
chelles contrastent par leur salubrité avec la constitution
climatérique de cette région; la mortalité de nos troupes
n'y est pas supérieure aux chiffres qu'elle atteint en France.
Cette salubrité tient probablement à ce que la température
est atténuée par les grandes brises de l'Océan, et à la pré-
sence de montagnes pouvant servir de refuge pendant les
chaleurs de l'été.
La région asiatique de la zone torride présente une
assez grande variété de climats. Au centre de l'Arabie, la
chaleur est intolérable et dans les montagnes on constate
336 GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
des abaissements extrêmes de température. Ces vastes
plaines, où il ne pleut pour ainsi dire jamais, n'offrent que
les maladies résultant de la chaleur sèche, mais dans la
région formant le littoral de la mer Rouge, on retrouve les
terrains marécageux, les plages basses, les eaux saumâtres
et les maladies endémiques qui en sont la conséquence.
On y rencontre en outre une affection particulière que
nous retrouvons ailleurs sous différents noms, la plaie de
l'Yémen qui décime la population indigène.
Le climat de l'Indoustan présente les mémos variétés.
D'une façon générale, c'est celui d'une contrée située
60us la zone torride, mais avoisinant une région d'alpes et
de glaces. Les versants de l'Himalaya offrent les carac-
tères excessifs des pays de montagnes ; les Ghates se trou-
vent dans, des conditions à peu près semblables, mais6ous
une forme plus tempérée; sur certains de leurs plateaux,
on se trouve en présence du climat et des productions vé-
gétales de la France. Le6 plaines de l'intérieur présentent
les mêmes contrastes: à côté de riantes vallées, des
plaines désertes rappellent l'Arabie, de grands marais re-
produisent les marécages de l'Afrique. Il en résulte des
conditions trè6 variables de salubrité; d'une façon gêné-
raie, c'est le choléra, la dysenterie, l'hépatite, les fièvres
paludéennes qui prédominent dans l'Inde. Bien que le
choléra y soit en permanence, principalement au Bengale,
il conserve un caractère essentiellement épidémique; à
certaines périodes, il s'active et franchit 6es limites habi-
tuelles, c'est d'ordinaire à la suite de grandes aggloméra-
tions religieuses qu'il redouble et gagne de proche eo
proche les contrées les plus éloignées ; l'épidémie quia
frappé l'Europe de 1830 à 1832 avait pris naissance, en
1817, au milieu d'une réunion de près de deux millions
de pèlerins aux eaux sacrées d'Hurdwar.
L'Indo-Chine ne présente pas les contrastes que nous
venons de signaler dans l'Indoustan ; on n'y trouve ni
CLIMATOLOGIE. 337
hantes montagnes ni déserts arides. Dan6 l'intérieur, le
fiûlest montagneux, couvert de bois et très fertile. En se
rapprochant du littoral, le6 terrains s'abaissent en pente
douce et à l'embouchure des fleuves, le pays devient plat
et marécageux, le climat correspond à cette configuration ;
dans les contrées montagneuses, il est agréable et tempéré ;
les plaines du littoral ont au contraire tous les caractères
des contrées paléduennes de la zone torride. Les ûèvres
du plus mauvais caractère désolent les vallées profondes
del'Aracan et du royaume de Siam. Cependant, le littoral
est généralement moins malsain que le Bengale; certains
points occupés par les Anglais et par nous ont même un
caractère de salubrité relative qui rend leur séjour beau-
coup moins dangereux que celui de nos possessions de la
côte d'Afrique. C'est la dysenterie qui fait le plus de vic-
times, puis viennent le choléra, les fièvres paludéennes
sous toutes leurs formes.
Les deux groupes d'îles que l'on rencontre dans la ré-
gion océanienne sont, au point de vue du climat, aussi dis-
semblables que possible: autant les îles de la Sonde, les
Philippines, les Célèbe6, les Moluques et la Nouvelle-
Guinée sont malsaines, autant les îles qui forment la Poly-
nésie sont renommées par la douceur et la salubrité de
leur climat.
Dans le premier groupe, malgré la fertilité extrême du
pays, Bornéo, Sumatra, Batavia sont en quelque sorte aban-
données par les Européens. Les postes militaires peu nom-
breux conservés par les Hollandais sont littéralement dé-
cimés par les fièvres pernicieuses.
En revanche, les îles de la Société et les îles Marquises,
bien que rapprochées de l'équateur, ne connaissent pas les
chaleurs accablantes de la zone torride, l'atmosphère y est
rafraîchie par les grandes brises de la mer; leur salubrité
dépasse celle de nos colonies les plus favorisées, les Eu-
ropéens y jouissent d'une santé parfaite sans acclimate-
338 GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
ment préalable et les détachements reviennent en France
après un séjour de plusieurs années aussi bien portante
qu'au départ.
La dysenterie, quand elle règne, est bénigne, sauf les cas '
d'épidémie. La liberté des mœurs du pays, l'absence de
précautions hygiéniques impriment une marche rapide à \
la phtisie qui figure pour un quart dans la mortalité des
Européens.
Les conditions climatérique6 que l'on trouve en arrivant
aux côtes occidentales d'Amérique n'ont rien de spécial; ;
comme toutes les régions palustres de la zonetorride, elles •<
sont insalubres au plus haut point, surtout dan6 le sud, et ',
presque tous le6 ports sont désolés par les maladies. L'in-
toxication paludéenne domine tout ce littoral, les fièvres s'y
montrent rebelles et amènent rapidement une cachexie
profonde dont le caractère s'imprime sur la physionomie
des habitants, en particulier sur celle des enfants.
Si l'on passe sur la côte orientale, on se trouve en pré-
sence d'une affection que nous n'avons pas encore ren-
contrée : la fièvre jaune, dont le foyer est sur les côtes du
golfe du Mexique et aux grandes Antilles. Les conditions
qui lui donnent naissance sont celles que présentent ha-
bituellement les régions torrides marécageuses ; elles sont
du reste limitées à une partie peu étendue du territoire
mexicain.
La configuration du Mexique le divise en trois régions
bien distinctes : les terres chaudes, s'étendant des bords de
la mer aux pieds des montagnes ; les terres tempérées,
occupant les premiers contreforts des Cordillières jusqu'à
une élévation de 1,200 à 1,300 mètres; puis les terres
froides, qui embrassent l'immense plateau d'Anahuac dont
l'altitude est de 2,000 à 2,500 mètres sur une étendue
de deux cents lieues.
Les terres chaudes sont couvertes d'eaux stagnantes et
de marécages; on n'y rencontre qu'à une assez grande dis-
CLIMATOLOGIE. 339
tance une végétation maigre et rabougrie. C'est là seule-
ment que la fièvre jaune prend naissance ; elle s'attaque
de préférence aux Européens et aux habitants des terres
froides descendus sur le littoral. Les noirs seuls jouissent
d'une immunité véritable à son égard. L'intoxication pa-
ludéenne et l'hépatite viennent se joindre à cette redou-
table épidémie sans cesse renaissante pour faire de cette
partie du Mexique un des climats les plus malsains du
globe.
Les terres tempérées sont incomparablement plus sa-
labres. Lors de l'expédition an Mexique, nos troupes ont
occupé pendant quatre mois Orizaba, qui est à une altitude
de 1,250 mètres, et s'y 6ont trouvées dans des conditions
très favorables.
Les terres froides sont plus salubres encore, nos soldats
ne se sont jamais si bien portés qu'après avoir franchi les
Cumbres qui se trouvent à la limite des terres tempérées
et des terres froides.
La partie de l'Amérique du Sud comprise dans la zone
torride est peu habitée; à part quelques plateaux cultivés,
on ne rencontre que des hauts plateaux arides, les paramos,
dont les versants sont couverts d'épaisses forêts. Le climat
de ce6 régions élevées est froid et salubre, mais dès qu'on
descend vers le littoral, on retrouve des marécages pesti-
lentiels.
Le climat des Guyanes est assez analogue à celui de la
Cochinchine, il est caractérisé par une chaleur constante
et une humidité excessive ; la fertilité y est très grande,
aussi pourrait-on lui appliquer le dicton toscan : On y fait
fortune en un an, mais on y meurt en six mois. Cependant
Cayenne doit à 6a position et à des travaux d'assainisse-
ment une salubrité assez grande qui a fait quelque temps
illusion sur l'avenir de la Guyane, comme colonie péni-
tentiaire.
Nous aurons passé en revue toutes les régions qui com-
340 GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
posent la zone torride, quand nous aurons dit un mot des
Antilles. Ces îles, dont l'intérieur est presque inhabité,
ont un littoral très fertile, mais essentiellement palustre.
Cependant les Antilles françaises sont beaucoup moins in-
salubres que le fond du golfe du Mexique, bien que la fiè-
vre jaune y soit endémique.
La mortalité varie selon la fréquence et l'intensité des
épidémies; elle reçoit un assez notable contingent des
autres affections paludéennes, telles que la fièvre perni-
cieuse, la dysenterie et l'hépatite. Ces affections pourraient
du reste résumer la constitution médicale de6 vastes ré-
gions qui composent la zone torride. (A suivre.)
3« GÉOGRAPHIE COMMERCIALE
LE BULLETIN CONSULAIRE FRANÇAIS
Dans un rapport spécial qui sera présenté à M. le Pré-
sident et au comité de direction de la Société de géogra-
phie de l'Est, nous nous réservons de développer les deux
ordres d'idées dans lesquels il nous a semblé que devait
agir plus particulièrement la Société même : application
pratique de la géographie au développement commercial
de notre pays, d'une part; perfectionnement et vulgarisa-
tion des méthodes d'enseignement de la géographie dans
les écoles, d'autre part.
En attendant, il nous semble d'un intérêt de premier
ordre, d'appeler l'attention de ceux que les questions com-
merciales et économiques préoccupent, — et qui donc,
en France, se désintéresse de ces questions vitales ? — sur
des publications faites justement pour les éclairer, sinon
les résoudre, et offrant des garanties d'autorité et de va-
leur intrinsèque incontestables, malgré des défauts inhé-
rents à ce que l'on peut appeler la mise en train.
Justement soucieux d'apporter son contingent d'élé-
ments d'études à celles de ces questions qui touchent de
si près à la prospérité nationale, le Ministère du commerce
a créé deux publications périodiques, le Bulletin consulaire
français et les Annales du Commerce extérieur, trop peu
répandues, peu ou pas lues par les commerçants et les in-
dustriels eux-mêmes, alors que les renseignements mul-
tiples qu'elles renferment pourraient leur fournir de nom-
breuses occasions de viser des débouchés plus nombreux
ou plus faciles, ou encore de perfectionner l'outillage de
342 GÉOGRAPHIE COMMERCIALE.
nos usines. Et ce que nous disons des commerçante et des
industriels, nous le dirons aussi justement au moins des
agriculteurs qui, eux aussi, n'ont pas encore compris quel
intérêt s'attache à ces publications et, par ricochet, aux
connaissances de géographie pratique.
C'est particulièrement du Bulletin consulaire français que
nous voulons parler aujourd'hui, les Annales du Commerce
extérieur étant exclusivement consacrées aux statistiques
commerciales, à la législation des transits et aux tarifs
douaniers, sortes de documents techniques où chacun peut
puiser pour les besoins spéciaux de ses exportations ou de
ses approvisionnements.
Il faut bien dire que le Bulletin consulaire, créé depuis
1878, n'a pas été à son début ce qu'il est, ou mieux ce
qu'il tend à devenir aujourd'hui. On s'est vite aperçu des
services qu'il pouvait rendre et de son insuffisance à don-
ner ce que l'on en attendait, autant peut-être, parce que
le personnel consulaire, bien que cela parût devoir être
dans ses attributions les plus utiles, n'y était pas suffi-
samment préparé, qu'aussi à cause du manque de préci-
sion et d'organisation du programme à remplir.
Voici comment, dans une circulaire en date du 15 mars
dernier, s'exprime M. le Ministre des affaires étrangères:
« Depuis la création de ce recueil, des travaux d'une
« réelle valeur y ont trouvé place ; ils témoignent de con-
« naissances approfondies en même temps que de pa-
« tientes et laborieuses investigations. Toutefois, à côté
« des éloges que mérite le Bulletin consulaire, diverses cri-
« tiques ont été formulées, et mon département, sachant
« qu'il peut toujours compter sur le zèle et le dévouement
« de ses agents, a recherché quelles seraient les recom-
« mandations qu'il aurait, soit à leur adresser, soit à leur
« rappeler d'une manière spéciale. »
Plus loin, après avoir signalé l'observation faite parles
Chambres de commerce au sujet des retards apportés à la
BULLETIN CONSULAIRE FRANÇAIS. 343
publicité des rapports d'un intérêt immédiat, M. le Mi-
nistre ajoute : « Une de ces Chambres, précisant davan-
c tage ses desiderata, a fait remarquer que, parfois, les
« rapports consulaires ne renferment que des données gé-
c nérales sur les échanges de tout un pays et non des indi-
« cations spéciales sur une branche déterminée d'industrie
« et de commerce. Par suite, dit-elle, on ne sait si telle ou
c telle marchandise pourrait avantageusement s'exporter
< sur tel ou tel port, ni dans quelles conditions elle s'y ven-
• drait, ni contre quelle concurrence on aurait à lutter en
c l'y envoyant. Or, ce sont ces renseignements qui, bien
« souvent, seraient utiles à notre commerce et à notre in-
« dustrie. »
C'est là un fait évident et il suffit de parcourir le recueil
qui nous occupe, pour en reconnaître la véracité. Pour nous,
nous désirerions qu'à l'exemple de quelques-uns des plus
capables, des plus dévoués à leur mission, ou demandât à
nos consuls de mieux étudier et mieux faire connaître aussi
les conditions économiques de la production dans les pays
étrangers, des objets fabriqués et surtout des produits na-
turels: c'est là, on en conviendra, ce qui intéresserait
l'agriculture autant que le commerce, et c'est aussi ce
qui constitue la géographie économique et commerciale,
laquelle tient, par tant de côté6, à ce point de vue, à la géo-
graphie physique.
Pour ne citer que quelques exemples, signalons le Rap-
port sur la situation de l'agriculture aux États-Unis, par
H. Edmond Breuil, en 1881, ceux suvY Industrie de la soie,
dans ce même pay6, par M. Poitevin, en 1882 ; sur l'Indus-
trie vinieole en 1880, également aux États-Unis, par M. Le-
faivre 5 6ur la Situation économique des provinces du Nord
(PI a ta), par M. Àmelotdu Chaillou, en 1881; sur la Situa-
tion commerciale de la Russie en 1879, par M . Pingaud :
voilà pour les années précédentes ; nous en passons et des
meilleures.
344 ' GÉOGRAPHIE COMMERCIALE.
«
Dans le 1er semestre de 1883, signalons le Mouvement
commercial entre V Allemagne et les États-Unis, par M. Bœufré;
la Culture du lin aux États-Unis, par M, Terny ; Y Industrie
saliniere en Crimée, étude économique et géographique très
curieuse, par M. Jacquemin, lequel nous révèle en pas-
sant la prospérité apportée par des directeurs française
une exploitation russe très importante ; — sur le Comment
de V Allemagne avec l'Amérique centrale et V Amérique du Sud,
par M. A. de Pina, document qui vient compléter d'une
façon homogène celui de M. Bœufré ; enfin, sur le Com-
merce intérieur de l'Empire russe et le rôle des foires dans ce
pays, par M. Coutouly, travail intéressant, plus spéciale-
ment consacré à la foire de Nijni-Novgorod, dite deSaint-
Macaire, où Ton voit, malgré une décroissance des 2/5 dans
le nombre des assistants à cette foire (de 250,000 en 1869
à 180,000 en 1880), le chiffre des transactions presque
triplé depuis 1857 (87,000,000 de roubles) jusqu'à 1881
(246,000,000 de roubles), et où est donnée la liste com-
plète de toutes les marchandises qui figurent dans ce chiffre
avec une étude particulière 6ur chacune d'elles.
Donc, à côté des desiderata dont M. le Ministre a bien
voulu tenir compte, il nous semble profondément utile,
indispensable même, qu'un cadre soit tracé à nos consuls,
leur indiquant dans ses grands traits le programme qui
doit guider leurs études. Non seulement on y gagne-
rait de stimuler les bonnes volontés, de guider les inexpé-
rimentés, mais encore de donner une homogénéité aussi
complète qu'on peut le désirer, 6ans nuire à son origina-
lité, à cet ensemble de travaux dont le Bulletin consvkixt
constitue le truchement le plus nécessaire au développe-
ment de notre commerce en général et aux études de géo-
graphie économique en particulier.
J. V. Barbier.
4« GÉOGRAPHIE RÉGIONALE
EXCURSION
DH
NANCY AU MONT SAINT-MICHEL
{Fin.)
IV.
AU MONT SAINT-MICHEL.
Notre itinéraire nous conduit, pour terminer, au mont
Saint-Michel. Il y a dix an 6, avant la construction du fort,
le petit plateau bien uni qui couronnait cette côte était
éminemment favorable pour contempler, d'un seul coup
d'œil, le beau panorama qui se déroule là aux yeux du
spectateur. Mais aujourd'hui , . les règlements militaires
interdisent au public l'accès de la forteresse ; elle serait du
reste peu favorable, sauf au sommet du réduit, pour nos
observations. Nous allons, pour jouir de la beauté du
paysage, prendre deux positions au pied des fortifications:
la première au 6ommet de l'éperon du côté du sud", près
du chemin d'accès du fort ; la seconde, à l'exposition du
nord, en face de la plaine de Voivre.
Lorsqu'on est favorisé d'un temps bien découvert, que
la vue n'est point gênée par la brume, que les objets éloi-
gnés paraissent plus, rapprochés, comme lorsque l'air est
saturé d'humidité, on jouit là d'un horizon magnifique,
moins étendu, il est vrai, qu'au Point-de-Vut de la côte de
Sion-Vaudémont ; mais alors l'œil embrasse mieux le pa-
norama, il ne 6e perd pas dans le vague des détails de la
•oc dm eioom. — 3» tbimestm 1883. ' 38
346 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
plaine. De toutes parts, cet horizon est bordé de forêts.
Au-dessus de ce rideau un peu sombre, émergent çà et là
quelques sommets lointains : ainsi au-dessus de la forêt
de Haye, ce sont le6 hauteurs en arrière de Nancy; au
nord-est, à la faveur de cette dépression de Dieulouard,
c'est la côte de Mousson et les hauteurs environnantes;
plus au nord, le fort Saint-Quentin près de Metz; au nord-
ouest, cette ligne de hautes collines qui limitent la Voivrt
à l'ouest, se terminent là-bas par le contrefort de Hatton-
châtel, pour courir ensuite vers le nord-ouest du côté-de
Sedan ; à l'ouest, au-dessus des côte6 de Foug, voilà les hau-
teurs des environs de Ménil-la-Horgne, où se montre la qua-
trième chaîne que j'ai précédemment indiquée. Vers le sud,
on peut, paraît-il, distinguer jusqu'aux environs de Langres,
puisque la Géographie militaire, que j'ai citée tout à l'heure,
dit que notre fort Saint-Michel est en rapport direct, par le
, télégraphe optique, avec le fort de Dampierre, aux environs
de cette ville. Voici ensuite, au-des6us de la forêt de Saint-
Amon, la côte de Sion-Vaudémont ; à côté celle de Pulney,
et plus au sud les sommets des environs d-Aouze. Enfin,
dans le lointain, du côté du sud-est, entre la forêt de Baye
et la côte de Sion, voilà la chaîne des Vosges, surtout du
Donon au Ballon d'Alsace: les détails que j'ai donnés Tan
dernier au Point-de-Vue de Vaudémont, au sujet de cette
chaîne, peuvent se répéter ici ; seulement notre point d'ob-
fcervation se trouve reculé d'environ 35 kilomètres.
Essayons maintenant d'esquisser la géographie rétros-
pective et historique de la plaine qui s'étend devant nous:
le sujet est assez intéressant pour mériter de fixer un
instant l'attention.
Si nous nous transportons en imagination à ces temps
reculés où les premiers hommes vinrent peupler ce pays,
nou6 les verrons prendre possession du sol au milieu d'une
nature vierge, de forêts impénétrables, souvent maréca-
geuses, peuplées d'animaux sauvages dangereux. Ils vin-
DE NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 347
renl, selon toute apparence, s'installer dans les grottes des
environs de Pierre-la-Treiche où ils pouvaient vivre de
chasse et de pêche, abriter leurs provisions et se défendre
contre les ennemis nombreux qui les environnaient.
Peu à peu ils s'étendent dans la plaine où, depuis
20 ans, on a trouvé nombre de leurs stations, notamment
dans le sous-sol de Toul, puis dans presque toutes les loca-
lités de la région, entre autres à Longeau, Villey-Saint-
Élienoe, Aingeray, Bouvron, Manoncourt, Royaumèix,
Saazey, Mou trot, Grézilles, Bagneux, Àllain, Colombey,
etc. On a découvert, dans ces localités et bien ailleurs en-
core, de nombreux vestiges de leur industrie, révélant
leur passage, débris analogues à ceux qui ont été resti-
tués par les grottes de Sainte-Reine et par le Trourdes-Celtes.
Outre les deux importantes stations antiques renfermant
de nombreux tumuli que j'ai signalées déjà Tan dernier au
Bois-du-Fay$ de Viterne et au Bois-Ânciota d'AUain, j'ai
rencontré encore des tertres funéraires, au nombre de quatre,
dans la forêt de Bagneux. J'y ai fait pratiquer des fouilles,
et quand l'ouvrier arriva à niveau du sol, il découvrit une
couche épaisse de cendre mâlée de charbon, avec des
débris d'ossements et quelques vestiges de poterie gros-
sière. Je pus ainsi constater que les funérailles avaient eu
Ueu par incinération, que le 6ol argileux avait préala-
blement été nivelé, battu, strié, en Borte que quand la
pioche de l'ouvrier attaqua l'aire, elle en détacha des frag-
ments ressemblant à ceux de l'àtre d'un four en démo-
lition.
Selon le P. Benoît Picart, la ville de Toul serait si an-
cienne que l'on ne peut rien dire de sa fondation, laquelle
perdrait dans la nuit des temps. Selon quelques étymo-
istes, le nom de Toul serait d'origine celtique, toull
ifiant cavité, caverne, trou, profondeur. Suivant cette
typothèse, Toul serait conséquemment la ville des trous,
non qu'elle fût bâtie dans un trou, mais dans le voisinage
-*.. * III
348 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
de ceux que j'ai signalés si nombreux tout à l'heure dans
les environs (l).
J'ajouterai qu'on s'accorde généralement, toutefois sans
preuves certaines, à considérer Toul, dans les siècles qui
précédèrent d'assez près la conquête du pays par les Ro-
mains, comme la capitale du pays des Leuei. Du reste,
dès les- premiers 6iècle6 de l'ère chrétienne, des docu-
ments certains la comptent au nombre des cités du pays
avec Nasium (Naix), Grandesima (Grand), Solimariaca
(Soulosse), Scarponne (près de Dieulouard) ; les ruines de
ces villes antiques attestent encore leur ancienne splen-
deur.
Mais voici les Romains : ils ont soumis le pays, la
plaine va bientôt changer d'aspect. Déjà les Gauloi6 avaient
défriché des forêts ; ils cultivaient le blé et en récoltaient
en certaine quantité, puisque César, dans se6 Commen-
taires, dit qu'il comptait sur les Leuoi et autres peuples
voisins pour lui fournir des vivres.
Dès le premier siècle de l'ère chrétienne, les vain-
queurs construisent ces magnifiques voies qui relient les
principales cités entre elles. Voici celle de Langresi
Trêves par Soulosse, Toul, Scarponne et Metz, qui vit
passer ces légions nombreuses allant surveiller le Rhin
contre les tentatives périodiques des Germains pour tra-
verser ce fleuve ; voici aussi celle de Toul à Nasium, de *
Toul à Mont6ec, de Toul à Sion, de Nasium à Metz. D'aa-^
très voies vicinales construites après composèrent biento
un vaste réseau enveloppant tout le pays. A la faveur
ces belles voies, des métairies s'élèvent de toutes parts ei
remplacent les misérables huttes gauloises. Cinq sied
de civilisation transforment le pays; cette plaine devi
florissante et trè6 peuplée. Pour en donnçr une idée, jel
dirai que le territoire d'Allain compte plus d'une douzaine
(') Voy. Dr A, Godron, la Caverne* des environ* dé Toul, etc., page 7.
DE NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 349
de ces métairies ; celui de Bagneux, huit; celui de^unerot,
6ix; de Colombey, de Barisey-au-Plain, de Crézilles, de
Moutrot, d'Ochey, de Bicqueley, de Royaumeix, de Saint-
Baussant et d'une foule de localités, cinq, six ou sept de
ces ruines, et je n'ai pas la prétention de les avoir décou-
vertes toutes. Quelques-unes dénotent de petits villages,
des hameaux ; plusieurs étaient de vraies villas, bâties avec
luxe, offrant le confortable, car beaucoup étaient en pos-
session de pavillons de bains comme celui que j'ai décrit
aux Thermes de Crézilles (1).
Bientôt les siècles de décadence arrivent : les Ger-
mains, enhardi 8 par la faiblesse de l'Empire, l'attaquent
de toutes part6 et arrivent déjà, vers le milieu du îv* siècle,
jusqu'aux environs de Scarponne, où ils se font toutefois
battre en deux endroits par Jovin. Néanmoins la frontière
du Rhin est définitivement perdue, et les Romains adoptent
nos chaînes de VArgonne orientale, avec la Moselle et la
lieuse pour lignes stratégiques de défense. Les cités du
pays sont d'abord fortifiées et Toul reçoit alors son en-
ceinte valentinienne. Nos chaînes de collines 6ont ensuite
hérissées de camps retranchés et de postes de défense. Ci*
tous comme formant chez nous la première ligne, les cinq
positions retranchées de Sion à Vandeléville, le poste de la
côte de Thelod, les camps d'AffriqiK, de Dommartemont
et très probablement les postes du mont Touloû et de la côte
de Mousson. Dans la seconde ligne, nous indiquerons les
camps de Julien près de Moncel (Vosges), de Sorcy, de
Saint-Mihiel, de Montsac, avec les postes intermédiaires
de Chapion (Mont-1'Étroit), de Galiaud (Blénod-lès-Toul),
de Saint-Michel et d'autres du côté de Thiaucourt. Le
camp de Jaillon (Julien) n'était probablement qu'un lieu
de halte pour les troupes en marche.
Mais ces obstacles ne suffisent point pour arrêter- la
0) Yoy. Journal &« la SotiiU d'Archiologii lorraine, an.i. 1883
850 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
marche clés Barbares ; ils passent, répandant partout la
dévastation, l'incendie et la mort, notamment les Van-
dales, vers 406. Notre plaine, naguère si florissante, de-
vient bientôt un vaste désert ; toutes les métairies sont
incendiées et détruites, et depuis vingt ans que je lais des
recherches, plus particulièrement dans la plaine de Co-
lombey, j'ai fait des trouvailles nombreuses et impor-
tantes de l'époque gallo-romaine, mais je n'ai jamais ren-
contré le moindre vestige de l'époque mérovingienne en
sa première moitié. En outre, pour faire comprendre le
silence de mort qui régna chez nous après les invasions,
j'ajouterai qu'il y a une soixantaine d'années, en faisant
des fouilles dans les remparts du castrum de Solimariaa
(Soulosse), on retrouva dans les fossés des guerriers tom-
bés dans toutes les positions, les uns couchés, les autres
accroupis, leurs armes à côté d'eux. Les morts n'avaient
pas reçu la sépulture, les armes n'avaient même pas été
ramassées; il n'était peut-être pas resté de survivants dam
le pays; les malheureux échappés à l'orage^ au torrent
dévastateur, s'étaient probablement réfugiés près des cités
comme Toul, pour pouvoir y trouver aide et secours contre
les brigandages qui suivent toujours de pareilles catas-
trophes. Aussi trouve^t-oti aujourd'hui, aux enviroûfi de
cette dernière ville, des cimetières francs au faubourg
Saint-Mansuy, à SavonnUres (Foug), à Pierre-la-Treiche,
à Liverdun et à Andilly.
Les Huns passent, assiègent Scarpome) où l'on voit les
retranchements d'Attila sur les hauteurs voisines, et font
de nouvelles ruines* Viennent ensuite les luttes de i'Àus-
trasie contre la Neustrie et la Bourgogne : en 612, les pe-
tits-fils de Brunehaut se livrent une grande bataille dam
la plaine de Champagne, à 4 kilomètres au nord-est de
Toul, en face de Gondreville.
L'abbaye de Saint-Epvre, au faubourg de ce nom, près
de Toul, est fondée au vi" 6iècle, et Dagobert, au Yuf siè-
DE NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 351
cle, la dote de biens considérables dans le Saintois encore
resté désert. Pour profiter de cette donation, des Frères
sont envoyés sur les points les plus fertiles pour défricher
les terres et les mettre en culture. Des Granges s'élèvent
pour abriter les récoltes et servir d'habitations aux Frères ;
bientôt des familles, errantes peut-être, viennent s'installer
près de la Grange de l'abbaye pour obtenir de celle-ci une
protection quelque peu efficace dans ces temps de bar-
barie, en échange des services qu'ils rendent aux gens de
l'abbaye : c'est ainsi que dans le Saintois, dans la plaine
de Colombey du moins, se forme le noyau de nos villages.
Bientôt des maisons royales, des palais même s'élèvent
dans le rayon de Toul, — à Gondreville, à Savonnieres,
près de Foug, à Tusey, près de Vaucouleurs, — dans les-
quels ont lieu des conciles, des entrevues princières
célèbres sous les derniers Mérovingiens et les premiers
Caiiovingiens ; il existait aussi, à cette époque, d'autres
maisons royales à Void, à Vicherey, et plus tard à Quatre»
Vaux, dans la vallée de Blénod.
On est fondé à croire que Charlemagne vint séjourner
quelque temps dans ces pal ai 6, y chasser l'aurochs, lors-
qu'il allait dans les Vosges, à Champ-le-Duc. Du reste, le
souvenir de ce prince est conservé sur différents points du
pays, par exemple 6ur le plateau de Haye, au-dessus de
Cbavigny , où Ton trouve la plaine et le chemin Charlemagne.
Au surplus, remarquons que ce6 palais, ces maisons
royales étaient toutes bâties à proximité de grandes forêts
et étaient, 6elon toute apparence, des rendez-vous de
chasse. L'histoire cite même des épisodes de la vie privée
des descendants dégénérés du grand prince. Charles le
Gros, qui n'eut pas le courage de combattre le6 Normands,
eut bien la cruauté de faire crever les yeux à son neveu
dans le palais de Gondreville.
La féodalité arrive et des châteaux-forts s'élèvent dans
la plaine comme sur les hauteurs. Les évéques de Toul
352 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
elles chanoines, comme seigneurs temporels, font cons-
truire ou rebâtir les châteaux de Liverdun, de Void, de
Blénod, de Brixey, de Vicherey et de Mairières-lès-Toul.
Les princes et les seigneurs en font autant, de leur côté,
sur une foule de points du pays.
Après Tan 1000 surtout, chaque localité tient à avoir
son sanctuaire, son église, sa chapelle. Saint Gérard avait
jeté les fondements de la cathédrale de Toul dè6 le xe siè-
cle ; mais ce n'est que dans le cours du xmê, du xrv* et du
xve qu'elle 6'éleva telle que nous la voyons aujourd'hui.
Quand ce monument fut terminé, il avait quatre tours;
mais il n'était achevé que depuis sept ans quand l'une des
deux du chœur 6'effondra ; la seconde fut alors démolie.
La collégiale Saint-Gengoult fut élevée 6ur le même plan
que la cathédrale et dans le cours des mêmes siècles : son
beau cloître ne date que du commencement du xvi* siècle.
Les églises élevées à l'époque romane et dans les siècles
suivants furent souvent aménagées pour servir à la dé-
fense commune. Nous en avons en effet un certain nombre j
dans le pays qui se trouvent au centre d'un fort de refuge, j
comme celle de Barisey-au-Plain, de Blénod-lès-Toul, de i
Domgermain, de Seicheprey, de Minorville, d'Essey, de ]
Thiaucourt, etc. Il en est d'autres qui portent des traces
de meurtrières, de mâchicoulis, comme celles d'Amreville
(Vosges), d'Allamps et d'Écrouves, dont les bas côtés fu-
rent surélevés pour servir d'abri aux défenseurs du sanc-
tuaire. Il en est qui renferment des puits, comme celles
d'Écrouves, d'Essey, et des cheminées dans la tour, qomme
celle de Bayon ville. Beaucoup de ces monuments furent
assiégés, brûlés, et souvent les habitants qui s'y étaient
retirés périrent comme à Flirey, au temps des Suédois, où
une femm3 seule parvint à échapper à la mort en se jetant
du haut des murs sur des couchages.
La ville de Toul subit bien des vicissitudes, fut atta-
quée bien des fois et souvent ravagée dans le cours du
DB NANCY AU MONT SAINT- MICHEL. 353
moyen âge, d'abord par les Sarrasins ou les soldats de
Pépin, au vin* siècle; puis par les Normands en 889, et,
en 954, par les Hongrois, dont le nom est resté légendaire
sons celui d'ogres. Ce sont ensuite les soldats de Lothaire
en 984, puis le comte de Champagne au xi6 6iècle, la du-
chesse de Lorraine en 1251, le duc Charles II vers 1400,
et plus tard les Routiers, puis les protestants pendant les
guerres de religion.
Voici le Champ-des-Allemands au delà de Libdeau, où
Charles le Simple, dit-on, livra bataille à l'empereur
Othon d'Allemagne; Liverdun, forteresse redoutable aux
évoques de Toul, qui fut ruinée en 1467 ; le château de
Pierrefort qui passait pour imprenable ; celui de Manon-
tille dans lequel les Suédois pénétrèrent par la brèche,
après un assez long siège ; celui de Saint- Baussant dont
les Picards s'emparèrent en 1460; celui de Mandres qui,
en 1633, se défendit pendant un certain temps avec
17 hommes contre 6,000 assaillants ; celui de Foug, où fut
signé le contrat de mariage de René d'Anjou avec la fille
du duc de Lorraine Charles II. Citons encore le bourg
de Blénod avec sa belle église, à la flèche si élancée, dont
le sanctuaire renferme le magnifique tombeau Renaissance
de son fondateur, l'évêque de Toul, enfant du lieu, Hugues
de Hazard6.
L'esquisse que je viens de faire des vicissitudes diverses
que subit Toul au moyen âge, donne une idée fort incom-
plète des misères qu'éprouvèrent autrefois nos ancêtres à
certaines époques. Je vais compléter ce triste tableau eu
signalant de nouveaux malheurs arrivés en ce pays dans
un temps moins éloigné de nous, où la civilisation avait
partout fait de6 progrès, puisque c'était au début du grand
siècle, à la fin de la guerre de Trente mis. Tous les fléaux
fondirent à la fois sur ce malheureux pay6, et en particu-
lier sur la prévôté de Gondreville qui comprenait une
partie de cette plaine. Ce fut d'abord la peste de 1629 à
354 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
1631, puis la guerre et la famine de 1633 à 1640 et même
plus tard. La guerre fût désastreuse : les Suédois et les
Croates 6e signalèrent chez nous par toutes sortes d'excès,
par des actes de brigandage inouïs qui forcèrent nos mal-
heureux pères échappés à la peste, de fuir au fond des
forêts et d'y rester de longues années , vivant de glands
et de racines. Lés terres étant restées 6ans culture, la
famine devint horrible ; on vit môme des malheureux se
repaître de chair humaine !
Au bout de quelques années de ces calamités, le pays
était désert ou abandonné, les villages avaient été pillés,
saccagés, incendiés : la population rurale avait péri ou
était en fuite ; en tout cas, vers 1640, elle avait perdu les
dix-neuf vingtièmes de 6es habitants. Quantité de localités
ne 6e relevèrent pas de leurs ruines, entre autres dans ces
environs : Malzey près d'Aingeray, Blaincourt près de Yil-
cey, Barisey-la-Planche près de Barisey-au-Plain, Teprey
près de Saulxures-lès-Vannes, Moncaurt près de Clérey-la-
Côte, Roville près de Vandeléville, etc.
Ici devrait se terminer cette étude ; mai6, pour ne pas
rester sous le coup du pénible tableau que je viens déta-
ler, je demande la permission de jeter un dernier et rapide
coup d'oeil 6ur cette plaine de Toul que nous allons quitter
et de l'envisager un instant à l'époque actuelle, après en
avoir fait la topographie aux temps passés.
Comme cette région aujourd'hui est bien cultivée et
comme l'agriculture a réalisé de6 progrès, surtout depuis
un demi-siècle ; combien cette population qui l'habite est
active et laborieuse ! L'industrie et le commerce s'y déve-
loppent aussi très rapidement, à la faveur de ces canaux,
de ces chemins de fer, de ces belles routes, de ces chemins
vicinaux bien entretenus qui ont remplacé les anciennes
voies de communication, les unes mal soignées, les autres
tout à fait abandonnées et conséquemment presque partout
DE NANCY AU MONT SAJNT-llIGHEL. 355
ravinées, défoncées, accidentées de fondrières qui les
rendaient impraticables. La création de ces voies rapides
surtout a opéré des merveilles : par elles, les communi-
cations se sont multipliées, les villes et les campagnes se
sont rapprochées, les échanges ont été facilités et les mar-
chés mieux approvisionnés ; les denrées ont trouvé des
débouchés nouveaux et les producteurs de nouveaux con-
sommateurs. Les villes et les villages se transforment ; les
habitations s'y élèvent gaies et coquettes, les règles de
l'hygiène y sont mieux observées, l'air et la lumière y
pénètrent abondamment au grand profit de la santé. Enfin,
les famines qui désolaient autrefois périodiquement le
pays ne sont plus à craindre maintenant, grâce à la culture
de la pomme de terre d'abord, puis à la facilité offerte au
commerce, dans les mauvaises années, de combler le
déficit en allant s'approvisionner à l'étranger.
J'ai fini cet entretien un peu long peut-être, et je re-
mercie l'honorable assemblée de l'attention si flatteuse
qu'elle a bien voulu me prêter. Puisse cette esquisse lais-
ser un souvenir durable dans l'esprit de mes bienveillants
auditeurs et les attacher davantage au sol et aux souvenirs
de notre vieille Lorraine, si intéressants pour ïes enfants
du pays d'abord, et aujourd'hui pour la France entière,
depuis qu'elle a été mutilée et a servi, en partie du moins,
de rançon à norfe chère patrie !... Olry.
APPENDICE
Pour l'intelligence de la carte de la plaine de Tout, surtout pour
la désignation des cantons ou lieux-dite où se trouvent des
ruines.
Canton de Colombey.
àdoscourt: Aux- Épi ces, lk,2 ('), N.-E.
iu.àS£:Au-Poiner-Bécat,Q*,Z,S^Auj;-Plates-Pierres, 1 kil.,S.-S.-0. ;
f)L'ui té itinéraire employé* est le kilomètre
3Ô6 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE.
A-la-Sarrazinièrc, tk,â, 0.-S.-0.; En-Haye-Mignot, 1\8, 5.; En-Yilain-
Rosot,2 kil., N.-N.-E.; A-la-Poche, tk,5, N.-N.-E.; Au-Monastère, 2 kiL,
E.-N.-E.; Sur-Ralin-Pié, 1 kil.,S.-0.;.4u-floû-A/inota, station antique itec
ruines, tumuli et pierriers très nombreux et étendus, àl'estdn tillage.
Baqneux : Au-Viller, 0k,4, au .Nord; En-Florey, t kil., N. ; En-Ckan-
pagne, 1 kil., N.-E. ; Au-Chdteau-Rouge , 0k,6, E. ; A-ta-Péreile, 1 kiL,
S.-E. ; A-ÏAnglure, lk,2, S. ; A-la-Sarrazinière, lk,5, S. -S.-O.; Et-
Carroy, lk,8, S.; Au-Quart-en-Réserve, tumuli, 2 kil., S.-O.
Barisey-au-Plai.v : A-la-Plaiiche, 0k,8, S.-E.; A-la-Lochère, 1 kiL,
N.-E.; A-VÊtang, tk,2, N.-E.; A-la-Folie, 2 kil., S.-E. ; A-ta-Pwrtk-
Pierriére, sépullurcs, I kil., S.-E.
Barisey-la-Côte : A-la- Cor vée-des- Templiers, 0k,6, E.
Colombby: Auz-Voiet-Montantes, 0kf4, N.-E.; Au-Coin-Jeaimaire,
2 kil., 0.-N.-0.; A-la-Sarrazinièrê, 0\8, O-S.-O.; Au-CAor/noû, 1 kil.,
S.-O.; Le Trou-de-VÉcoufot, lk,8, S.-O.; A-ÏHamonviUe, 2k,5, S.-S.-0.:
Sous-le-Taillis, 3 kil., S.
Crepey: Aux-TuiloUe$, 0k,8, S.; En-Sainte- Lucie, 1 kil., E.-S.-L;
A-la-Maladrie, 0k,S, N. ; Ati-ffoiJ-Ancioto, station antique avec lomuliet
pierriers nombreux, au N. et au N.-O. du village.
Favières: Au-Méhy elSous-le-Bois-du-Mélay, ik,5, N.-E.; Au-fau-
bourg, près du cimetière ; A-la-Croix-Porchat, tombeaux ; Au-MotUin-
de-Giroué, lk,2, S.-E.; Grottes de Saint-Amon, 4 kil., 0.
Oermixy : Au-Jardin-Carré et Au-Hant-Meix, au N. et au S. du vil-
lage; A-la-Grande-Voicre, 2 kil., S.-E.; A-V Enfer, lk,3, N.
Mont-i/Étroit : Poste de Chapion, i kil., E.-N.-B.
Pulney : Sur-la-C6te, 0k,6, N.; En-Bride-Fer, 0\5, S.; Att-Cteam-
de-la-Ferrèe, lk,5, S.
Saulxcres-lès-Vannes : En-Taprey et En-Mérigny, lk,5, S.
Sklaincourt : Aux-Tuilottes , 0k,4, N.
Thuilley-aux-Groseilles : A-la-Côte-Claudin, *1 kil., N.; dans la
forêt communale, au N., à TE. et au S. du village, vestiges d'habitations,
tumuli, pierriers.
Thamont-Émy : Dans la forêt au N., tumuli, pierriers.
Trawont-Saixt-André : Au-ChdUUt, 0k,6, N.-N.-E.; dans la forôtao
N., tumuli, pierriers.
Yandelêyille : Dans la forêt, au 8. du village, vestiges de retran-
chements ; Ro cille, village détruit, 0k,4, E.; En-Bar réchamp, 1 ULf H.
Canton de Domôvre.
Axdilly : Au-Chauffour , tombeaux, 0k,3, S.
ànsauville : Aux-Noires-Terres, 0k,5, 0.-S.-0.; A la+Pièce-FBermite,
0k,6, 0.-S.-0.; Ait-Colombier, 0k,t, N.-E.
DE NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 357
àvràinyillb : A-la-Chatte-Noyée, 0k,5, N.-E.
Bersbcourt : Un-Alleu, 1 kil., N.-N.-O.; En-Gouasse-Salé, 0k,6, N.-E.
Frakcbeyille : En-Chatian, 0k,6, N.-N.-E. ; Entre -deux -Chanots,
1 kil., N.; A-la-Blanche- Borne, 0k,8, N.-O.; Le Champ-des- Allemands ,
1 kil., 5.
Gezokcoubt : Au-Monticule, i kû , N.-O.
Griscourt : A-la-Grande-Vigne, 1 ki)., N.; Kn-Renauvaux, 1 kil., E.
Hamokvillb : iu-froffitoû, 0k,5, 8.-S.-0.; La Grande-Corvée, 0k,8, E.
Jaillo* : Marché-des-Vivandières, au S. du Tillage; Plainede-Késer,
ïïû nord du Camp; Au- tlput-d Autre-Lieu , 1 kil., S.
LnrERDux: En-Chatian, 1 kil., S.-E.; Au- Haut -de -Sonet, 2 kil.,
0.-N.-0.
Iarores-aux-Quatre-Tourb : A-la-Côte, 0k,4, 0.
Man oncoubt - en - VoiVRB : A -la- Côte- en - Haye ; A- la- Terre - Venus,
lk,5, E.
Harteicourt : Trou-dè-Grimau-Saulé, lk,5, N.-N.-O. ; En-Fourneau-
Fontaine, Au-Champ-Labiche, Au-Bateau-Poirier, à lk,2 et lk,5, N.-E.
Minorvillb : A-la-Càte, 1 kil., 0.
Hoyiakt-aux-Prbs : Le Tombois, 0k,5, N.; La' Mine, 1 kil., N.-N.-O.
Rooeyille: Trou-de-Grené, 0k,8, N.-O.
Rosières- bs-Ha ye : EnEertnilerre, lk,5, S.-O.
Royaumeix : Aux-Ouillons, 0k,2,N.-E.; Au-Coin-du-Ménil, 0k,8, E. ; Au
Baut-du-Raz, 0k,5, N.; A-la-Chèvre, lk,2, N.; Au- Haut-de- Fossé, 2 kil.,
fl.-N.-O.; dans la Forét-la-Reine, sur différents points, ruines d'habita-
tions et de /orges.
Villers-en-Haye : Au-Formont, 0k,4, N.-O.; Au-Vaux-des-Raptes ,
1 kil., S.-S.-E.
Canton de Tonl-Nord.
Aisgbray : itt-FottJP-rottWûtn^ et En-Corrot, lk,2, S.-O.
Bodcq : Aux- Charmes, 1 kil., N.-N.-O. ; A-la-Lochère, 0k,5, S.-E;
Bouyron: A-la-CharmoUe, lk, 2, S.-S.-E.
DovMABTm-Lès-TouL : Au-Chaufour, tk,7, E.-N.-E.
Écrouves et Grandménil : Le Val-des-Konnes, 2 kil., N.-N.-O.
îooo : La Salle, 0k,5, S. ; enceinte, retranchements, 1 kil., S .-S.-O.
Oonorbyille : A-la-Croix- Sainte^ Anne, tombeaux, 0k,8; A-la-Ga-
renne, 1 kil., S.-O.; En-Vollomols, 2 kil., S.
Lagkby: A'Ia-Haye-le-Chdteau, 1 kil., 0.-N.-0.; Au-Pdtis-des-Loges,
2 kil., 0.-N.-0.; Au- Haut-d' Éventé, lk,8, N.-E.
Laneoveville-dbbrièrb-Fouo : Aux- Sarrazines (côte Romont), 0k,5,
N.-0.
Lucby : Au-Viller, 1 kil., S.-E.
358 GÉOGRAPHIE RÉGIONALE»
PagnBY-derrièrb-Barrink : A-la-Verte-Côte, sépultures, 0^3, 8.
Sexey-lbs-Bois : En-Xermepré (près du village).
Trondes : Au-Romonl, lk,5, K.
Canton de Toul-Sud.
Bainville-sur-Madon : Aux- Bécasses, lk,2, S.; Auz-Rondes-Yigim,
sépultures.
Bicqueley : Au-Trait-la-Meix, 0k,4, S.) A-kt-Baye-Viller, 0^,11.-1.;
Bn-Gelincôte. 0k,5, N.; Au-Champ- Reine, 1 kil., II.
Blénod-lbs-Toul : Galiaud, enceinte retjanchée, 0k,5, S.; Â4+ ;
Voivre, tk,5, E.
Bulliony : Sur-le-Fort, 0k,8, S.; ruines d'une chapelle, d'une toi-
lerie et d'un moulin à 1 kil. 8.-E.; Au-Rupt-du-Préne et A-ia-Sauct,
au N.-O. de Tumejus.
Charmes: Aux-PoirielUs et A-la-Moinerie, au N.; En-B lussin et A»-
Montignon, au S. du village.
Gholoy : En-Champally, 1 kil., N.-O.
Crezili.es : Aux-Petites-Pièces, 0k,3, S.; A-la-Bome-Eau, 0k,4, N.-O.; ;
Aux-Thermes, 2 kil., E.-S.-E.
Domqerm ain : Au-Bois-des-Momes, lk,5, .N.-E. ; A-la-ChapeUe-Soûfr
Maurice, ruines de l'ancien village.
Gye : En-Nalléchamp, lk,5, N.-O.
Maizibrbs-lès-Toul : Au-Colombier, 0k,5, N.
M ont- le- Vignoble : A-la-Haye-de~V Écluse.
Mootrot : Derrière-rAtrie, Ok,l, 0.; Ett-Foirtmott, 1 kil., S.-û.;
Bn-Mmtatit-les-Portions, lkil.,0. ; A-la-Terre-Monsieur, 0k,8, 0.-N.-0.;
A-la-Sarrazinière, 0k,4, N.; A -la -Poche -Pierre et En-Manoneille,
0k,3, E.
Ochey : A-la-Baye-de-la- Foire, lk,5, S.; A-la-Raute-Bome , lk,S,
N.-N-O.; A-la-Terre-Gadel, 2 kil., H.; A-la-Grande-Baye, tkJ5,lî.-H-E.;
Au-Baut-de-la-Croix, lk,2, E.
Pierrb-la-Treiche : Grottes de Sainte-Reine, 0k,8, N.-E.; La Eneicte,
lk,2, E. ; Trou-des-Celtes, lk,3, E.-N.-E.; Le Camp, 2k,5, E.-N.-R.; tt
Rochotté, 0k,7, 0.
Sbxey-aux-Forgbs : Au-Baut-de- Bourgogne, E.-S.-E. ; Les Gttttfis,
3 kil., 0. ; ruiues de hauts-fourneaux. 0k,S, 0.
Canton de Thiaucourt.
àrnaville : En-Virène, 1 kil., 8.; Pallon (village détruit à côté et à
l'ouest d' Arnaville).
Bayonville : En-Goulinvaux, lk,5, E.; Bn-Voiseil, lk,6, S.-S.-E.;
Au-Chdtelet, 2 kil., S.-S.-E.
i^i_
DE NANCY AU MONT SAINT-MICHEL. 359
Bocillokttlle : A-la-Bavine, lk,5, E. ; La Maladrie, 0k,5, S.-B.
Charey : Le Boulon, 2 kil., S.-0.
Douhartix-la-Chaussbe : En-Cubanel, 0\2, S. (sépultures).
Essey-et-Maizerais : Enceinte retranchée, Ok,5, au nord du village.
Fey-e>--Haye : Au-ChdtelH, 1 kil., E.-N.-E. ; \u-Boi*-le-Prétre,\ kil.,E.
Pubby : Devant-ie-Éois-de-Vassogne, lk,2, È. ; Trou-de-Vas&ogjie,
lk,6, S.-E.
Jaulsy : Bn-Devigné, 1 kilM S. ; Aux-Sarancée*, lk,5, N.-N.-O.
Lime y: En-Saint-Mai xent, 0k,4, N.; Au-Meix-la-Dame, 2 kil., E.;
reines d'un ancien village, 0k,3, S.
Libonville : A-Saint- Jacques, 2 kil., E.
Panses : Autour du village, ruines romaines.
Resnrtille-en-Hayb : Grotte de Quatre-Vaux, lk,5, S.; Bn-Jolival,
raines d'un ancien village, lk,2, S.-E.
Rembercourt : Sous-Hailte-Bas, 0k,3, S. -8.-0;
Rehemauvillb : A-la-Pesse, sépultures.
Saint-Baussaut : Au-Haut-des~Quarliers , 0k,3, S.; A-la-Vignotte,
&fit E. ; En-Défeuilli, 0k,4; En-Bemaumeix , Au-Viller, En-Sade,
lk,4, S.-E.
Shchephky : En-Sainte- Baye, 0k,3, N. ; En-Lenibresson , 0*,8,
0.-S.-0.
Thiaugourt : A-la-Bavine, 1 kil., S. ; En-OuXre-Mad, 0k,5, fl.-E.
Vakdelainville : Sur-le-Bevers-de-la-Côte et Au-Haul-de-la-Célc,
raines au nord du village.
Vilcey-sur-Trey : Baleycourt ou Blaincourt, village détruit, lk,2,
i-0.
Iammes: Au-Porrier-Brtîlé, 0k,5, 0.-S.-0.; A-la- Grand* Mare, 0k,8,
0.-N.-0.; Im Champs-Gaillards, 2 kil., N.-O.
5° GÉOGRAPHIE PHYSIQUE
LE POLE MAGNÉTIQUE
Par M. Th. E. BLEVIN
D» LA 8O0x£t& Dl GéOORAPHIB DU PAOIFIQ UB (*}.
1 Les voyages aux régions polaires ont été entrepris d'a-
bord dans un but commercial; on cherchait un passage
pour 6e rendre aux Indes par le Nord- Ouest. Quand on
eut reconnu l'impossibilité de suivre celte route, les ex-
plorations ne cessèrent pas pour cela, seulement leur objet
fut tout autre : ce sont les intérêts de la science que cette
fois les découvreurs eurent en vue. De hardis navigateurs,
en s'enfonçant dans ces contrées éternellement glacées,
n'ont pas craint d'affronter les terribles hivers et les lugu-
bres nuits du pôle, pour étudier la nature dans des parages
où elle se montre sous un aspect saisissant, mais où elle
présente, en revanche, des phénomènes les plus dignes
d'intérêt.
Un des principaux résultats des expéditions polaires est
la découverte du pôle magnétique, c'est-à-dire la détermi-
nation exacte du point de la surface de la terre vers lequel
se dirige l'aiguille aimantée. On le doit au capitaine Ross,
lors de son voyage de 1829 à 1831 ; les coordonnées du
pôle magnétique, déterminées par lui à cette époque, sont:
70°30' de latitude et 96° de longitude Ouest, comptée du
méridien de GreenwLch, ce qui fait 98°20' au méridien de
Paris. Cette découverte était importante, car elle procurait
le moyen de vérifier toutes les observations magnétiques.
L'aiguille aimantée, adaptée au compas ou boussole
(') Dont le liège est à San-Franciaoo.
Jitxilet USc
LE PÔLE MAGNÉTIQUE. 361
marine, a rendu possibles les voyages au long cours et sert
encore aujourd'hui de guide aux explorateurs modernes.
II importe donc d'en bien connaître les propriétés et les
mouvements.
L'aiguille magnétique est un instrument très délicat;
elle possède plusieurs sortes de mouvements dont les prin-
cipaux sont :
1* Dans le plan horizontal : elle s'écarte du Nord vrai
d'une quantité angulaire appelée variation ou déclinaison,
observée pour la première lois par Colomb, à son premier
voyage en 1492 ;
2° Dans le plan vertical : elle s'incline d'une quantité
angulaire appelée inclinaison, constatée pour la première
fois par Norman, vers l'an 1576.
La variation du compas consiste donc dans un change-
ment de direction de l'aiguille magnétique par rapport au
pôle de la terre. On croyait autrefois que l'aiguille se di-
rigeait exactement vers le Nord : .
True as the needle to the Pôle
(Vrai comme la boussole marque le Nord).
Plus tard, on s'aperçut que ce n'était pas exact, et quand
on eut constaté l'existence d'une variation, les hommes de
science commencèrent à s'en occuper. Après plusieurs
siècles d'observations suivies (car le changement de la dé-
clinaison est très lent), on reconnut enfin que l'aiguille
aimantée est, à certaines époques, exactement dirigée vers
le pôle Nord de la terre, et qu'ensuite elle est déviée tantôt
vers l'Est, tantôt vers l'Oue6t, oscillant ainsi entre deux
positions extrêmes de chaque côté du méridien.
Le tableau suivant donne les observations faites à Paris
(latitude 48*50') à différentes époques :
•OC. DS otOOB. — 8* TftXMViTBS 18a3. 24
362
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE.
Déclinaison.
1580 ll°30'Est.
1618 8° Est.
1663 0
1678 1°30' Ouest.
1700 8°10' Ouest.
4780 19°55' Ouest.
1805 22°5' Ouest.
1814 22°34' Ouest.
1816.
1817.
1823.
1827.
1828.
1829.
1835.
1854.
22°25' Ouest.
22° 19' Ouest.
22°23r Ouest.
22°2C Ouest.
22°5' Ouest
22° 12' Ouest
22°4' Ouest.
22*10' Ouest(').
Inclinaison.
1671 75°
1780 71°48'
1798 69°51'
1814 68°36'
1820
1825
1831
1853
6802C
68«
67*40'
66°23'W
Il re66ort de ce tableau qu'en Tannée 1580, l'aiguille
magnétique faisait avec le méridien un angle de 11°30' à
l'E6t. Pendant 83 ans elle eut un mouvement annuel vers
l'Ouest d'environ 8'; si bien qu'en 1663, elle était exacte-
ment dirigée vers le Nord, et la déclinaison était nulle.
Le mouvement continuant dans le mâme sens, nous
trouvons, 117 ans après, l'aiguille aimantée à 19*55' à
l'Ouest du méridien, avec une marche annuelle d'environ
10'. En 1814, la déclinaison occidentale était de 22*34' :
en 34 ans, elle ne s'est plus déplacée que de 2°39' vers
l'Ouest, ce qui fait une moyenne annuelle de 4'30" en-
viron ; et pour les 9 années, de 1805 à 1814, la différence
de déclinaison n'est plus que de 29', c'est-à-dire de 3' par
an. C'est alors que l'aiguille eut son écart maximum vers
l'Ouest (22°34'). A partir de 1814, le mouvement de l'ai-
guille magnétique change de sens, l'angle qu'elle fait avec
le méridien va diminuant par suite de son mouvement vers
O Le l" Janvier 1879, la déclinaison de l'aiguille aimantée i Paria était de tf*£?
Ouest, avec nne diminution moyenne annuelle de 9* environ (Annuaire dn Barea*
des longitudes). A la même date, elle était à Nancy d* 15° 15'. (HT. àa Tr.)
(*) Le 1« janvier 1879, l'inclinaison de l'aiguille aimantée à Paris était de «W*.
LE PÔLE MAGNÉTIQUE. 363
Est: en 1854, la déclinaison, toujours occidentale, n'est
us que de 22°lô' ; elle a subi en 40 ans une diminution
$ 24', soit environ 30" par an. Il a donc fallu à l'aiguille
mantée 151 ans pour atteindre son plus grand écart à
Ouest du méridien de Paris.
Les observations faites à Londres donnent lieu aux ma-
ies remarques :
Déclinaison à Londres (51° 8' lat. N., 2°20' long. 0.).
82,
fe4.
(57.
Mo
572
192
723
»4S
1° 15' Est.
6° Est.
1787. . .
. . 2l°9' Ouest.
4°6' Est.
1795. . .
. . 23°ô7' Ouest.
0
1802. . .
. . 24°6' Ouest.
1*22' Ouest.
1805. . .
. . 24°8' Ouest.
2*30' Ouest.
1818. . .
. . 24°38' Ouest.
6° Ouest.
1820. . .
. . 24°34' Ouest.
4°17'0uest.
1853. . .
. . 21°54'0uest.
7°40f Ouest.
1862. . .
. . 21°53' Ouest.
Inclinaison à Londres.
1*76 71»50'
«00 72*
06 73°30'
723 74°42'
773 72°!9'
786 72°8'
1801 70°36'
1821 70e3'
1830 69°38'
1838 69°17'
1854 63°3f
1860 68°19'
Ces observations font voir qu'à Londres l'aiguille ai-
mantée se dirigeait exactement verë le Nord en 1657. Le
Bouvement eut lieu vers l'Ouest jusqu'en 1818, où la dé-
Unaison occidentale atteignit son maximum de 24°38' ;
!s, le mouvement reprit vers l'Est. Il a donc fallu à
guille 161 ans pour atteindre à Londres son plus grand
rt vers l'Ouest. De 1657 à 1723, le mouvement était en
yenne de 13' par an ; de 1723 à 1818, il était d'environ
; el, pendant les 13 années qui précèdent l'écart
tximum, l'accroissement annuel n'était plus que de 2'20"
[viron.
364 GÉOGRAPHIE PHYSIQUE.
On voit aussi que c'est dans le voisinage du méridien
que l'aiguille 6e meut le plus rapidement ; sa vitesse dôi
croît aux approches du plus grand écart: l'aiguille se meu|
alors avec une telle lenteur qu'elle semble arrêtée, jusqu'à
ce qu'elle commence à se rapprocher du méridien. A partit
de ce moment la vitesse va croissant.
On a donné bien des explications de la variation di
compas. Le6 un6 ont considéré la terre elle-même comme
un aimant, d'autres ont attribué ce phénomène à l'exi*
tence de veine6 magnétiques situées dans les profondeurs
du 6ol ; d'autres encore ont émi6 l'opinion que le frottement!
de l'atmosphère sur la 6urface du globe donne à la terrft
un état magnétique qui agit alors sur l'aiguille aimantée»
Aucune de ces hypothèses n'est satisfaisante (*).
D'après les mouvements de V aiguille, il est clair qu'il exUli
une cause agissant continuellement et dont la variation e4
l'effet. \
Je crois que cette cause est la rotation apparente dsj
pôle magnétique autour du vrai pôle de la terre. Tous
phénomènes de la variation se trouvent expliqués, si lf<
admet que le pôle magnétique possède un mouvement aH
parent et qu'il décrit continuellement une orbite autour do
pôle géographique. ;
On 6'en rendra aisément compte de la façon suivante:
Soient N le pôle géographique Nord de la terre (fig. 11
M le pôle magnétique, décrivant une orbite circulaire
rayon NM. Représentons la force attractive par la loi
tige A (qui peut glisser dans la flèche creuse F). Si n<
la plaçons verticalement, la flèche dirigée vers le haut, el
passera par les deux pôles, c'est-à-dire qu'elle 6eraorienl
suivant le méridien, par conséquent, la déclinaison
nulle. C'est la position qu'elle occupait à Paris en 16(
Faisons marcher maintenant le pôle magnétique
(') Signalons à no» lecteurs V Estai sur le magnétisme terrestre, par M. Kèrti
capitaine de vaisseau, dans le numéro de juin 1893 de la Revue maritime. {¥.**'
LE PÔLB MAGNÉTIQUE. 365
ton orbite, nous voyons l'aiguille 6uivre le mouvement,
rers l'Ouest, par exemple. Elle se déplace d'abord assez
apidement, parce que le point M parcourt un chemin per-
pendiculaire au méridien ; mais en approchant de sa plus
jrande déclinaison occidentale, la portion de l'orbite sur
aquelle 6e meut le pôle magnétique devenant parallèle au
néridien, l'aiguille marche lentement. Considérons, par
sxemple, le déplacement de l'aiguille pendant le premier
tantième de la circonférence, nous voyons qu'il est consi-
dérable; mais dans le second huitième, quand le plus
Jtand écart vers l'Ouest est atteint, ainsi que dans le hui-
tième suivant où l'aiguille parcourt le même chemin en
sens inverse, nous la voyons se déplacer très lentement.
Rn continuant sa révolution, le pôle magnétique arrive à
180 degrés de son point de départ ; la variation est nulle
le nouveau, après quoi elle devient orientale.
Ainsi le pôle magnétique, en tournant autour du pôle
terrestre, donne à l'aiguille aimantée tous les mouvements
H toutes les positions que les observations ont constatés.
! La déclinaison n'est pas la môme sur tous les points d'un
néridien : elle augmente quand on marche vers le Nord.
Plaçons le pôle magnétique en M (flg. 2), à sa plus
pande distance occidentale ; représentons par A la force
tttractive et notons la variation de l'aiguille à la base de la
ligne droite verticale représentant un méridien (i). Faisons
tosuite monter le pivot de l'aiguille vers le pôle N, nous
•errons l'angle que fait l'aiguille avec le méridien aug-
menter rapidement, jusqu'à ce qu'elle ait atteint le point
priest vis-à-vis le pôle magnétique. À ce moment, l'aiguille
r
Bst perpendiculaire au méridien et la variation est de 90°.
Si nous continuons à faire marcher l'aiguille au delà de ce
point, nous nous apercevons que nous avons dépassé le pôle
?) Dut U figure 2, 1* tige A de U figure 1 est remplacée par un Al qui, partant
■ b pointe de la flèche, va «'appuyer sur le disque H et porte un poids Â. Le pivot
faU flèche, m lieu d'être fixe, peut glisser le long de la tringle verticale. (N.du Tr.)
366 GÉOGRAPHIE PHYSIQUE.
magnétique, car, bien que nous n'ayons pa6 encore atteiol
le pôle géographique, l'aiguille nous indique une directiùl
inclinée vers le Sud.
Le second mouvement que possède l'aiguille aimautfd
est celui qui résulte de l'inclinaison. Si une aiguille m*
gnétique est suspendue de façon à pouvoir tourner lihr*
ment dans un plan vertical, au lieu de rester dans uni
position horizontale, on la verra s'incliner de façon à fi
riger ver6 le bas 6a pointe nord (dans l'hémisphère magné*
tique nord), et si nous nous transportons au pôle magnée
que, l'aiguille se mettra verticale. Le capitaine Ross, eà
1831, atteignit un point où l'inclinaison fut trouvée
89°59', c'est-à-dire qu'il s'en fallait d'une minute de d
que l'aiguille ne fût verticale; il dit avoir déterminé
moins d'un mille la position du pôle magnétique. Le api
taine Âdams, du baleinier l'Arctic, rencontra en 1881
point où « son compas lui était devenu inutile, ce quitterai
tenir à la proximité du pôle magnétique ». Cette remarq
s'accorde parfaitement avec ce que nous savons des mo
vements de l'aiguille aimantée qui, auprès du çôle, chaBj
de position très rapidement à chaque mille de route
l'on fait. Au pôle même, il n'y a qu'une seule direetioi
c'est le Sud, et pour aller de ce point au pôle Nord de
terre, il faudrait nécessairement faire du Sud d'après
compas.
En parlant du mouvement» du pôle magnétique, je m<
suis servi de l'expression « rotation apparente », pourk
raison suivante :
Supposons que la force attractive, émanant de quelqa^
centre éloigné et traversant la surface de la terre en
point éloigné de 20° du pôle géographique, soit repré
par la tige oblique coupant la colonne verticale qui re
sente le diamètre polaire du globe (fig. 3). Nous voyo^
que les points NM et SM de la surface de la terre re
6entantles pôles magnétiques sont diamétralement oppo
LE PÔLE MAGNÉTIQUE. 367
Notre globe tournant de l'Ouest à l'Est autour du soleil,
le point NM immobile semblera se mouvoir vers l'Oue6t.
Si cet instrument était placé au centre d'une sphère trans-
i parente, sur laquelle seraient dessinés les continents, et
' que l'on ferait tourner de l'Ouest à l'Est tandis que le point
NM resterait fixe, on verrait les différents pays venir se
placer successivement en face de lui, comme si ce point
lui-même se déplaçait en sens opposé. Par conséquent,
! comme la terre tourne vers l'Est, le pôle magnétique sem-
j blera se mouvoir vers l'Ouest ; tel est en effet le sens de
! fia rotation.
En supposant que le pôle magnétique soit du côté du
i pôle terrestre le plus près de Londres (fig. 4), l'aiguille
i (si elle était dirigée vers ce pôle) aurait une inclinaison
[ d'environ 15°. En faisant ensuite tourner le pôle jusqu'à
' ce qu'il atteigne le côté opposé, on aurait une inclinaison
| d'environ 25°, soit une différence de 10°. Cependant, ce
! n'est pas ce qui a lieu. Les observations montrent que
| quand le pôle magnétique est le plus rapproché de Londres,
; l'inclinaison n'est pas de 15°, mais qu'elle est égale à l'an-
gle complémentaire, c'est-à-dire à 75°, et que quand le
1 pôle sera le plus éloigné de Londres, l'inclinaison, au
lieu d'être de 25°, sera de 65° (angle complémentaire
de 25°).
Comme les magnétismes se repoussent ou s'attirent sui-
■ vant qu'ils sont le6 mêmes ou différents, on a toujours
admis que l'extrémité de l'aiguille qui regarde le Nord
est un pôle Sud et qu'il est attiré par le pôle Nord de la
■ terre. Cependant M. B. G. Jenkins, de Londres, a émis
\ l'opinion que l'extrémité nord de l'aiguille d'inclinaison
est en réalité un pôle Nord, par la raison qu'elle e6t
repoussée par le pôle magnétique nord. Remarquez qu'avec
le pôle à 180° de Londres, l'inclinais en est de 65° ; quand
le pôle, dans sa révolution, s'approche de Londres, l'ai-
guille est en apparence repoussée jusqu'à ce qu'il atteigne
368 GÉOGRAPHIE PHYSIQUE.
le point le plus rapproché de cette ville, alors l'inclinaiso]
est de 75°, donnant ainsi un écart de 10° et un mouvement
de répulsion. Si donc nous plaçons l'instrument dans la po-
sition où le Nord magnétique est le plus près de Londres
(iig. 4), nous voyons l'aiguille, avec, une inclinaison d<
75°, se diriger vers le pôle Sud, par conséquent 6'éloignerJ
ce qui e6t d'accord avec la théorie de M. Jenkins ; mais 6i
nous plaçons le pôle Nord magnétique du côté opposé,
l'aiguille, avec une inclinaison de 65°, cesse de se dirige
vers le pôle Sud magnétique ; il lui faudrait pour cela un|
écart de 10° de l'autre côté, c'est-à-dire une incli-
naison de 85°. Du reste, s'il était vrai que l'aiguille d'in-l
clinai6on fût repoussée par le pôle, alors le magnétismel
de 6a pointe nord serait le même que celui du pôle ; dans|
ce cas, le pôle en s'avançant devrait aussi repousser l'ai-
guille de la boussole d'inclinaison, au lieu de l'aUirer|
comme il le fait.
L'o6Cillation de l'aiguille d'inclinaison est une autre|
preuve de la rotation du pôle. L'amplitude de ce mouve-
ment, 10° environ, semble peu importante à côté de
celle de l'aiguille de déclinaison ; aussi, a-t»on cru avoii
sous les yeux un mouvement irrégulier, mais il n'en
pas ainsi. Menons, en effet, deux lignes joignant Londi
au point où le pôle est le plus rapproché et à celui où 1<
pôle est le plu6 éloigné, nous verrons que ces lignes son^
obliques par rapport au plan dans lequel le pôle acc<
plit 6a révolution, et que l'aiguille ne peut dépasser, ai
part et d'autre de sa position moyenne, le point de plus
grande attraction et celui de moindre attraction, ou répi
sion, comme c'est ici le cas. Ainsi ces irrégularités appa-
rentes ne sont pas des anomalies, mais bien mie conséquent
régulière et immédiate de la révolution du pôle.
C'est ainsi qu'où peut expliquer les deux mouvement
que possède l'aiguille magnétique. Nous avons démon!
par expérience que la révolution du pôle magnétique pro-l
LE PÔLE MAGNÉTIQUE. 369
duit la déclinaison et l'inclinaison, nous sommes donc au-
torisés à conclure que le pôle magnétique est animé d'un
mouvement apparent autour du pôle de la terre.
Quant à la durée de cette révolution, nous avons vu que
le pôle magnétique met 151 ans pour aller du méridien de
Paris au point de son plus grand écart vers l'Ouest, c'est-
à-dire pour parcourir un quart de la circonférence; par
conséquent, la révolution complète exigera 604 années.
Les observations de Londres donnent 161 ans pour le
quart de la circonférence et 644 ans pour un tour entier.
Cela fait une différence de 40 années, mais on doit remar-
quer que depuis les premières observations, remontant au
xvi* siècle, le pôle n'a eu le temps d'accomplir qu'environ
une demi-révolution. Il lui faut encore quelque 300 ans
pour achever un tour complet ; on ne pourra préciser au-
cune date avant que ce temps soit écoulé.
Quelle est, enfin, la cause de la révolution du pôle?
Réside-t-elle dans l'intérieur de la terre, ou devons-nous
la chercher en dehors des limites de notre globe?
Norman, qui le premier a observé l'inclinaison, disait :
« En voyant se manifester l'inclinaison, peut-être pense-
rez-vous, comme d autres l'ont imaginé, que ce phénomène
consiste en ce que l'extrémité sud de l'aiguille est relevée
par la vertu attractive de quelque point des cieux, situé
dans sa direction ; ou bien encore en ce que la pointe nord
de l'aiguille est sollicitée par quelque centre d'attraction
situé dan6 l'intérieur de la terre, ou dans l'espace au delà
de notre globe et en prolongement de l'aiguille qui se
trouve attirée en bas, ce qui la fait incliner. »
M. Jenkins, dont nous avons déjà parlé, dit: « Le pôle
magnétique semble être situé dans l'atmosphère. »
D'autres auteurs ont écrit dans le même sens, mais
M. John A. Parker, de New- York, réclame la priorité
pour la théorie qui attribue l'attraction polaire à une cause
absolument extraterrestre : • La force qui oriente l'aiguille
370 GÉOGRAPHIE PHYSIQUE.
ver6 le pôle, dit-il, est entièrement astronomique, la source
de l'attraction réside dans le centre le plus éloigné auquel
la terre, dans ses mouvements variés, est immédiatement
reliée ; la révolution de notre globe relativement à ce cen-
tre est la cause de la révolution apparente du pôle magné-
tique. C'est dans une période de 640 ans environ que la
terre, comme un satellite du soleil, accomplit, tout en
tournant autour de cet astre, une révolution complète par
rapport au centre de l'orbite solaire, exactement comme
celle que notre propre satellite, la lune, accomplit dans sa
période synodique, c'est-à-dire autour de la terre, relati-
vement à uif méridien donné, par exemple celui qui passe
par le centre du soleil, centre également de l'orbite ter-
restre. »
La théorie de M. Parker e6t basée sur les lois de la mé-
canique qui règlent les mouvements des corps célestes.
La terre tourne sur 6on axe, la lune autour de la terre, ces
deux astres ensemble autour du soleil, enfin le soleil en-
traîne la lune et la terre dans son trajet autour d'un centre
éloigné. Cet auteur, partant de cette donnée, que le rapport
de la circonférence au diamètre (3,1415926535, etc....)est
égal à la fraction ";jiî, établit les proportions suivantes :
« La circonférence d'un cercle 20612 est au temps que
met la lune à tourner autour de la terre 27,482666, comme
cette môme quantité 27,482666 est à 366,43555, temps que
met la terre à tourner autour du soleil, si l'on compte sa
révolution en partant d'une étoile fixe pour revenir à cette
même étoile, la terre gagnant ainsi un jour, comme cela
arrive au voyageur qui fait le tour du monde en marchant
toujours vers l'E6t.
* On a ainsi 206,12: 366,43555:: 366,43555 : 651,4409,
le dernier nombre est la durée de la révolution du soleil
exprimée en années au lieu de jours, à cause de la gran-
deur du diamètre de l'orbite solaire. C'est justement la
période dans laquelle le pôle magnétique fait un tour
LE PÔLE MAGNÉTIQUE. 371
complet, c'est-à-dire 651 ans. » Le lecteur remarquera
combien ce nombre approche de ceux qui résultent de l'ob-
servation d'une révolution incomplète, 604 ans pour Paris
et 644 ans pour Londres.
« Telle est la période 6ynodique de la terre, période
dans laquelle notre globe, ayant le soleil au centre de son
orbite et partant d'un point placé dans un méridien donné
qui passe par le centre du soleil et le centre de l'orbite
solaire, accomplit son voyage vers l'Est autour du soleil
pour revenir au même méridien. »
Ainsi, nous venons de voir que les principaux mouve-
ments de l'aiguille aimantée peuvent s'expliquer par la
théorie de la révolution polaire. Nous avons déduit la pé-
riode de cette révolution des observations faites pendant
plusieurs centaines d'années ; nous avons attribué la cause
de ce mouvement aux révolutions des corps célestes et,
calculant leurs durées, nous avons trouvé que la période
astronomique de révolution magnétique est identique avec
la période résultant des observations directes ; né sont-ce
pa6 là des preuves suffisantes en faveur de la théorie de
Parker ?
Si on l'admet, que de conséquences importantes ne
peut-on pas en tirer ! Le6 mouvements de l'aiguille aiman-
tée sont ramenés à une science exacte, toutes 6es anomalies
peuvent être expliquées ; la boussole deviendra ainsi ce
qu'elle devrait être : un guide infaillible pour les naviga-
teurs.
(Extrait et traduit du Bulletin de la Société de
géographie de San-Francisco par G. Millot.)
V
U LOI» 1MLUE-MUB SUR LE TE1PS?
Par C. MILLOT (>}.
Nous allons traiter une bien vieille question, qui divise
encore, à l'heure qu'il est, les météorologistes.
La foi robuste professée par les agriculteurs et les ma-
rins dans l'influence de la lune sur le temps a depuis
longtemps ému le monde savant, et les sommités scienti-
fiques ont pris part à la discussion. . •
Olbers, Bouvard, Humboldt, Arago, d'autres encore, et
après eux, M. Faye, ont cru nier victorieusement l'in-
fluence de la lune sur le temps et se débarrasser à tout
jamais de ce qu'ils appellent un préjugé, à l'aide d'an
argument unique, à savoir que l'amplitude de la marée
atmosphérique lunaire e6t tellement faible qu'elle est en
dessous des erreurs d'observation. Il est à remarquer que
ces maîtres de la science furent des astronomes, ce qui
explique pourquoi un argument tiré de l'attraction univer-
selle leur a semblé irréfutable. Pourtant Arago, qui était
aussi physicien, a montré en cette question, comme en
tant d'autres, un peu plus de déférence pour les convic-
tions populaires ; il a été beaucoup moins affirmatif que
ses collègues. Voici, entre autres passages de ses œuvres,
ce qu'il dit, d'accord avec Her6chel, de l'action de la lune
sur les nuages (") :
« La lumière de la lune, à cause de sa grande faiblesse,
« ne produisant presque pas d'effets calorifiques appré-
« ciables sur des thermomètres placés au foyer des plus
« grandes lentilles, des plus larges miroirs, on ne pour-
« rait pas, sans violer les lois les plus simples de la lo-
« gique, lui faire jouer aucun rôle sur le6 molécules des
(') Extrait du Bulletin météorologique, année 1889.
(1) A$tronomie populaire, t. III, p. 501.
LA LUNE INFLUE-T-ELLE SUR LE TEMPS ? 373
« Duages, en considérant surtout qu'elle les frappe sans
« avoir été condensée. Mais la lumière lunaire e6t-elle
« intrinsèquement dans le même état à la surface de la
« terre où se sont faites généralement les expériences de
« lentilles et des miroirs réfléchissants, et lorsqu'elle n'a
« pénétré dans notre atmosphère que jusqu'à la hauteur
« où les nuages existent ordinairement ? On peut en
« douter.
« Quand la lune est pleine, par exemple, elle a éprouvé
c depuis plusieurs jours, sans interruption, l'action calo-
■ rifique du soleil, sa température est très élevée ; quel-
« ques physiciens 60ût allés jusqu'à prétendre, non 6ans
c bonnes raisons, que toutes les matières dont la surface
« visible de notre satellite se compose sont alors au moins
« à 100° du thermomètre centigrade.
« Cette supposition étant admise, les rayonnements ca-
« lorifiques provenant d'un tel corps se trouvent mêlés
« aux rayons lumineux réfléchis et calorifiques venant du
« soleil et suivent la même route.
« Ces deux natures de rayons sont diversement tamisés
c par notre atmosphère. Les rayons lumineux et calori-
c fiques émanant de la surface incandescente du 6oleil
« traversent notre atmosphère librement, tandis que les
« rayons caloriques qui proviennent d'une source douée
« d'une température médiocre, comme de 100 degré6, y
« sont arrêtés en grande partie, ainsi que des expériences
« faites à la surface de la terre Tout prouvé surabondam-
« ment.
« On aurait donc grand tort de juger de l'action calori-
c fique que les rayons lunaires peuvent produire sur les
« nuage6 par l'action qu'ils exercent sur les corps situés
« dans l'atmosphère épaisse où nous vivons. Les rayons,
« dans leur trajet à travers les plu6 hautes régions de l'air
« ont changé d'état. Ils étaient mêlés à une portion consi-
« dérable de rayons obscurs, mais calorifiques, venant de
374 GÉOGRAPHIE PHYSIQUE.
« la lune. Quand ils arrivaient aux nuages, ils ont laissé
« presque tous ces rayons calorifiques en route, dans leur
« trajet depuis la couche des nuages jusqu'au sol, où ils
« arrivent tout autrement constitués qu'ils ne Tétaient
« d'abord.
« On ne doit donc pas juger des effets qu'ils peuvent
« produire avant d'être modifiés par ceux qu'ils engen-
« drent après que leur modification, je dirai presque leur
« refroidissement, s'est opérée. »
Pouillet, et plus récemment }&: Violle, dans de6 expé-
riences désormais célèbres, ont montré que, quand l'at-
mosphère a toutes les apparences d'une sérénité parfaite,
elle absorbe encore près de la moitié de la quantité totale
de chaleur que le soleil émet vers la terre, et c'est l'autre
moitié seulement de cette chaleur qui vient tomber à la
surface du 60l et qui 6'y trouve diversement répartie, sui-
vant qu'elle a traversée l'atmosphère avec des obliquités
plus ou moins grandes. Si tel est le sort des rayons lumi-
neux du soleil, on comprend que les rayons obscurs que
nous envoie la lune soient en totalité absorbés par l'atmos-
phère, ou qu'il n'en arrive au 6ol qu'une quantité considé-
rée comme inappréciable jusque dans ces derniers temps.
Cette chaleur, incorporée à notre atmosphère, doit y
produire un travail ; mais les expériences à la hauteur à
laquelle planent les cirrus et 6e préparent les change-
ments de temps sont encore à faire, aussi revenons-en
aux marées atmosphériques.
Pour M. Bouquet de la Grye, les phénomènes météo-
rologiques sont gouvernés par l'action combinée du soleil
et de la lune ; ce savant ingénieur vient de dégager l'in-
fluence de ces astres de la vieille opinion qui règne dans
le monde savant depuis le commencement de ce siècle.
Dans le cours d'une étude qu'il poursuit sur le régime de
la côte ouest de la France et les mouvements de la mer,
il a dépouillé un nombre considérable d'observations de
LÀ LUNE INFLUE-T-ELLE SUR LE TEMPS? 375
la vitesse et de la direction du vent, ainsi que de la hau-
teur barométrique. Ce dépouillement Ta conduit à recher-
cher si les mouvements atmosphériques n'étaient point
eux-mêmes assujettis, comme les marées, à certaines lois
dépendant des phénomènes extraterrestres. Il semblait,
en effet, à priori, qu'en groupant convenablement des ob-
servations faites dans un port situé sur une mer à tem-
pérature peu variable et recevant presque toute Tannée
; des brises venant du large, on devait avoir des résultats
k bien plus nets qu'en utilisant des observations faites dans
l'intérieur des terres.
Cette manière de voir a été confirmée par les faits, et
H. de la Grye a pu, en marchant dan 6 la voie expérimen-
■ taie recommandée par Laplace, confirmer l'existence des
lois dont il avait esquissé la théorie. Les résultats qu'il a
, présentés à l'Académie des sciences (30 juin 1879) se
• rapportent au port de Brest et ont pour base une série
de 45,000 observations de hauteur barométrique et de
direction du vent. Voici, parmi les principaux résultats,
ceux qui ont trait à notre sujet :
« L'action de la lune se manifeste dans la direction du
< vent comme dan6 la pression barométrique.
c La déclinaison de la lune peut faire varier, en
« moyenne, de 25° la direction du vent.
« L'âge de la lune a aussi une action sur la direction
< du vent, les vents les plus nord se font sentir quatre
« jours après la nouvelle lune et les plus sud deux jours
« après le premier quartier. Enfin, on peut constater,
« lorsque la lune est à son maximum de déclinaison sud,
« une variation diurne de la direction du vent et attei-
« goant, en moyenne, 25 degrés. »
Si l'on songe à la différence de propriétés hygromé-
triques et thermométriques qui caractérise les différents
tente, on comprendra que la lune, en faisant varier ceux-
ci en direction produise des changements de temps.
376 GÉOGRAPHIE PHYSIQUE.
Nous 6era-t-il permis d'intervenir dans ce débat et d'a-
jouter, d'après notre humble expérience personnelle, aux
influences de la déclinaison et de l'âge de la lune celle
de la présence de cet astre sur l'horizon d'un lieu ?
Le proverbe maritime suivant :
Au lever de la lune
Veille les mâts de hune
n'est pas un préjugé ; le grain de lever de lune est clas-
sique : quand on n'a pas ce que l'on appelle un temps
fait, quand le temps est incertain, le lever de la lune est
presque fatalement accompagné d'un grain (f), à la suite
duquel le vent reste souvent modifié en force et en di-
rection. C'est très fréquemment de cette façon que se pro-
duit un changement de temps ou que débute un mauvais
temps.
Mais hâton6-nous de rendre la parole à des personnes
plus autorisées.
M. Bouquet de la Grye a construit plusieurs dia-
grammes qui montrent nettement les rapports qui exis-
tent entre les positions du soleil et de la lune et les prin-
cipaux phénomènes météorologiques. Il a aussi dressé
deux tableaux ayant rapport à l'intensité du vent, en par*
tant des actions solaires et lunaires. D'autres courbes
donnent les vitesses du vent, en fonction de la décli-
naison, de l'âge de la lune et de l'angle horaire de notre
satellite. Dans la dernière de ces courbes, on voit que la
vitesse atteint son maximum six heures avant le passage
de la lune* au méridien (c'est-à-dire à son lever, confir-
mation de l'existence du grain dont nous avons parlé)7 le
minimum arrive neuf heures après ce passage.
M. de la Grye termine par ces remarques judicieuses :
« En présence de la grandeur de ces actions, on com-
« prend aussi bien l'utilité de rechercher les lois atmos-
('; Accompagné, on précédé, on suivi de très près.
LA LUNE INFLUE-T-ELLE 8UR LE TEMPS? 37?
« phériques dépendant des actions 6olaires et lunaires,
c que l'impossibilité de faire des prédictions sérieuses
c sur le temps avant qu'elles aient été étudiées dans les
c points où leur action se trouve le moins affectée par les
« causes locales.
< Les cyclones, qui viennent parfois modifier le temps,
« me paraissent devoir être étudiés avec bien plus de fruit
« lorsqu'ils seront considérés comme une perturbation
€ d'un régime dont les grandes lignes auront été déter-
c minées. »
11 serait oiseux d'insister 6ur des résultats aussi con-
cluants.
Nous emprunterons à M. Maurice de Tas te s, président
de la commission météorologique d'Indre-et-Loire, un
dernier argument en faveur de l'influence de la lune sur
k temps (Congrès international de météorologie, Paris,
1878).
Les ennemis de cette influence vous disent : « Une
« phase de la lune fait varier le temps du beau au mau-
t tais dans un lieu, mais 100 ou 200 lieues plus loin,
< le temps n'a pas changé et, plus loin encore, il a passé
< du mauvais au beau, et cependant la lune luit pour tout
c le monde ! Donc, elle n'a aucun effet sur les change-
« ments de temps. »
Eh bien ! admettez un instant, dit M. de Tas tes, que,
la zone des calmes reposant sur l'Europe centrale, le cou-
lant équatorial marche du Sud au Nord sur nos régions
occidentales, semant 6ur son passage orages et pluies, la
branche polaire ou branche de retour traversera l'Europe
orientale du Nord au Sud, où régnera un temps clair avec
du vent de Nord âpre et desséchant, tandis que le calme et
le temps le plus agréable régneront au centre du continent.
Vient une 6yzygie lunaire, qui a pour effet d'amener en
quelques heures un pauvre petit déplacement d'une cin-
quantaine de lieues de la zone des calme6 vers l'Ouest;
■OC. D» oioOE. — 8* TBIXBITBB 1883- 85
378 GÉOGRAPHIE PHYSIQUE.
le temps devient superbe à Paris, où le baromètre a re-
monté de 10 millimètres ; il ne varie pas à Vienne, qui
n'a pas cessé d'être dans la zone des hautes pressions,
tandis que Moscou, sortant du courant polaire gui s'est
déplacé vers l'Ouest, entre dans une nouvelle zone de
pressions élevées s'avançant des profondeurs de l'Asie et
où règne des calmes et des brumes épaisses. Enfin, Posen
et Varsovie, qui jouissaient du plus beau temps et d'une
douce température, étant sorties de la zone des calmes
de l'Europe centrale, voient arriver une méchante bise
de Nord froide et désagréable. L'influence de la syiygie
a donc ramené le beau temps à Paris, maintenu le beau
temps à Vienne, modifié très différemment le temps de
Posen, Varsovie et Moscou. Que pensez-vou6 après cela
de la valeur de cette conclusion chère aux ennemis de la
lune : « La syzygie n'a rien produit du tout ; elle a eu lieu
« à la fois pour tout le monde, et il était de son devoir,
« si elle avait la moindre influence, d'amener partout le
« même temps. Elle ne l'a pas fait, donc elle n'en a au-
« cune, ce qu'il fallait démontrer. »
Nous croyons donc, avec les auteurs dont nous venons
d'exposer les théories, que la lune influe sur le temps par
sa radiation, son attraction et ses phases, c'est-à-dire par
sa distance à la terre, sa position par rapport au soleil,
sa déclinaison, son âge et son angle horaire ou sa hauteur '
sur l'horizon. Si cette influence n'est pas facile à discer-
ner au milieu. des causes multiples de changements de
temps, elle ne doit pas être niée pour cela, et c'est en
suivant la voie tracée par M. Bouquet de la Grye que l'on
arrivera certainement à l'affirmer, à la définir et à la me-
surer.
P. -S. — Au moment où la note sur l'Influence de la lnne était à rira-
pression, nous avons reçu le travail de M. Poincaré, ingénieur en chef
des ponts et chaussées, président de la commission mètéorologiqr'de
la Meuse, intitulé : Manuel de la prévision du, temps à Bar-le-Duc
LA LONB 1NFLUE-T-ELLE SUR LE TEMPS? 379
Dans les moyennes climatologiques de Bar, nous avons trouvé des
Aiffres qui Tiennent à l'appui de ce qoe nous avançons. Ces chiffres
Mit le résultat des observations faites de 1864 à 1880; voici ce qoe dit
b «Tant ingénieur :
Chances de pluie sur 10.
Ier quartier : 3,1 ; 2* quartier : 2,6; 3e quartier : 1,9; 4' quartier : 2,4.
Pression barométrique,
La lune dans l'hémisphère boréal donne en moyenne l"", 06 déplus
que quand elle est dans l'hémisphère austral.
Les variations de la distance de cet astre à la terre ont aussi une
isfinence sur la hauteur moyenne de la colonne mercurielle : la moitié
de l'orbite qui contient le périgée donne une pression supérieure de
0*",82 à celle qui contient r apogée.
• En résumé, dit M. Poincaré, la lune augmente la pression en se
• rapprochant de la station, mais l'oscillation ne parait pas pouvoir,
■ dans les cas extrêmes, dépasser 1BB>,5 de part et d'antre. »
Cette différence de 1"*,5 peut sembler insignifiante, mais ne suffit-
elle pas, par exemple, pour amener le déplacement d'une cinquantaine
àe lieues de la zone des calmes, Invoqué par M. de Tastes?
VI. M.
I
(
t
6° ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE
LE JURA
Par Ch. CLERC
OAPXTAIHB AU 139" BàQIMBNT d'I5FàNT1SII
CHAPITRE PREMIER.
CONFIGURATION.
SECTION I.
Lisières et aspect extérieur.
1. — Entre les plaines de la Bresse et de la Suisse,
surgit la puissante masse du Jura, et des murailles ro-
cheuses presque continues en dessinent les lisières.
1° A l'Est : les chaînes de V Épine et du Foug, le Vuachcti-
le Rhône sous le fort de l'Écluse, la chaîne du Crêt de J*
Neige, la rive gauche des lacs de Neuchâtel et de Biennt;i
enfin, VAar> c'est-à-dire Soleure, Olten, Aarau. Le Jura,
en effet, ne se termine point au Rhône ; la chaîne de l'Épine
lui sert de trait d'union avec les Alpes au massif de la
Grande -Chartreuse, et la route de Chambéry à Voreppe
par les échelles de Savoie marque la solution. Des bordr
du Rhône aux Alpes de Savoie (massifs des Beauges, do.
Borne et de la Drance) s'étend le canal de Genève, dont 1*
plaine suisse n'est que le prolongement.
2° A l'Ouest : la Bourbre à la Verpilière, où cette ri-
vière tourne brusquement au Nord et contourne le récif de
roches anciennes de Chamagnieu. De là, une escarpe ro-
cheuse borde la rive gauche du Rhône jusqu'au pont de La*
gnieu, puis Ambérieu, Pont-d'Ain, Saint- Amour, Loœ-
LE JURA. 381
le-Saulnier, Poligny, Mouchard et Osselle-sur-le-Doubs
jisent au pied d'une longue falaise qui domine de 300 mè-
tres les vastes plaines de la Dombes et de la Bresse.
D'Osselle, le Jura gagne FOgnon, dont il accompagne
ta rire gauche en formant la rive du Chailluz qui se termine
i la hauteur de Héricourt. '
3° Au Nord : la falaise du L&mont, àe Pont-de-Roide et du
tont-Terrible. Ses flancs rocheux et boisés de sapins se
liment au-dessus de la terrasse triangulaire du Sundgau,
lont Bâle, Mulhouse et Délie sont les sommets. Les
chaînes du Lômont et du Mont-Terrible 6e soutenant à la
hauteur de 800 à 1,000 mètres, et la terrasse du Sundgau
ae dépassant point 400, mètres, la dominance varie entre
100 et 600 mètres.
! 4° Au Sud : enfin, le Jura se termine à la Bourbre, c'est-
Wire aux Marais de Bourgoin. Il englobe de la sorte ce
|a'on appelle Vile de Crèmieu qu'aborne au Nord la combe
fe Lhuis ou vallée du Rhône. Des hauteurs de la rive
boite de la Bourbre, le plateau de Grémieu s'affaisse vers
h combe de Lhuis, mais la lisière qui forme muraille au-
iessus du fleuve entre Grémieu et Lagnieu ne suit pas
ce mouvement et demeure au66i accusée.
2. — En s'arc-boutant en quelque sorte, d'une part aux
&lpes et de l'autre à la Forêt-Noire, le Jura a pris la forme
Pan croissant. La corde de Tare mesure plus de 250 kilo-
mètres de Saint- Ge nix à Waldshut et sa normale, qui
Irace le grand diamètre du Jura, partant dlverdun, passe
parle col de Sainte-Croix, 6ilué entre les trouées conjuguées
il Jougne et des Verrières-, puis par Pontarlier gagne fle-
fançm et la trouée de Miserey, sur laquelle convergent les
chemins de fer de Vesoul et de Gray. Suivant ce diamètre,
la traversée du Jura atteint 80 kilomètres, et c'est là sa -
flus grande largeur. Rien n'est plus remarquable. On ne
compte que 35 kilomètres de Seyssel à Ambérieu, et au-'
tant de Bienne à Porrentruy ; de sorte qu'à un renflement
382 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
central, succède un effilement de plus de moitié aux extré-
mités.
Le Jura semble porter successivement, du Sud au Nord,
les empreintes de quatre systèmes de plissement, et delà]
lui viendrait sa courbure. Ces plissements concordent, oui
moins comme direction, avec ceux du Ver cors (N. 8° E.), du ]
Viso (N. 30° O.), du Belledonne (N. 28° E.), etdesiipaj
suisses (E. 15° N.). Gomment se manifestent ces em-
preintes ? Par l'orientation des chaînons, vallées et failles ;
primordiales. Ici,, quelques exemples. Le Rhône, de Belle*
garde à Pierre-Châtel, suit la direction du Vercors, A :
nette déjà dans les chaînes du Colombier, de Cornu- i
ranche, des Joux blanches et noires, ainsi que dans la
vallées du Séran et de l'Albarine supérieure. De Saint-
Genix à Lagnieu, le fleuve sillonne la combe de Lhuis et
de Villebois, où il s'oriente dans le sens des plissements j
du Yiso, orientation qu'affectent également la vallée du
Guiers, le Molard de Don et les combes du Furand et de j
l'Albarine entre Rossillon et Saint-Rambert, puis les cluse*
de Nantua et de Saint-Germain-de-Joux.
Élevons-nous maintenant vers le Nord et nous verrou*:
lMtn, la Bienne, la Valserine,le Doubs suivre la direction j
des Alpes de Belledonne. Enfin, le Mont -Terrible, les*
chaînes de la Birs, le Lômont de Pont-de-Roide, le Doute]
de Sainte-Ursanne à Saint-Hippolyte paraissent releverj
des plissements des Alpe6 suisses, c'est-à-dire bernoises.
3. — Dans son ensemble, le Jura n'est point une chaîne/
niais un plateau, ou mieux un plan incliné qui aurait
tourné autour d'une charnière placée le long de la Saône*;
La charnière est située à l'altitude de 170 mètres environ,:
tandis que l'arête soulevée en regard des Alpes domine ta
, plaine suisse de 900 à 1,000 mètres et atteint 1,600 mè-
tres en moyenne. A l'opposé, le bord de la falaise bres-
sane 6e soutient à 550-600 mètres et s'élève ainsi à 300
mètres au-des6us de la Bresse et de la Dombes.
LE JURA.
383
Le Jura peut aussi être comparé à une zone conique
dont les bases seraient l'arête orientale et la lisière de la
falaise bressane. Cette zone 6uit les inflexions du Jura et
son penchant E.-O. dans le Bugey, devient N.-O. le long
del'Ognon, puis S.-N. dans le pays de Porrentruy et de
Ferre tte.
L'observateur qui, du haut de la falaise bressane, em-
brasse l'ensemble des montagnes, reconnaît de 6uite que
la masse du Jura se divise dans le 6ens de la longueur en
deux parties absolument distinctes par l'altitude et la con-
figuration : un plateau se relevant peu à peu vers l'Est, de
550 à 800 mètres, hauteur qu'il atteint au bord d'une
zone de chaînes multiples et pressées. Il voit ces chaînes
surgir en longues files les unes derrière les autres dans un
ordre continue d'élévation, jusqu'à une rangée terminale
et culminante, en croissant, de l'autre côté de laquelle est
abîmée la plaine suisse. En suivant ce mouvement ascen-
sionnel, le fond des vallées qu'elles emprisonnent s'élève
jusqu'à 800 et 1,000 mètres ; de sorte qu'il y a souvent
coïncidence entre leur point de départ et les dépressions
avoisinantes des arêtes de faîtage. C'est là un point essen-
tiel qui ne pouvait être passé sous silence.
CluduIJos a l'Jlne S1!1 de laflauU Roche
UDÔle ReculetelCi;êtde]ûNe]^
Moulroùd S®1 de l'a Presse
pif. i.
AB.CAofii* de PHeute. — CD, Chaiiiê de la Frêne. — N, Plateau de Uont-eur-Monnet.
— £F, Ckaine de la Saule- Joua. — HK, Chaine du Mont-Noir, — LM, Chemin du
Crtt, de la Neige et de la Dôle.
Sans doute, des voûtes émergent encore de la surface du
J
384 ÉTUDES DB GÉOLOGIE MILITAIRE.
plateau ; mais elles sont rares et aplaties : Heute, chaîné ai
Montmahoux, forêt de la Joux, etc ; enfin de profonde» dé-
chirures la sillonnent : Ain, Dessoubre, Bar bêche, Audna,
Loue, etc. Il est impossible de n'être point frappé de ces ;
contrastes, et la vue panoramique (fig. 1) prise au-dessus ;
de Poligny e6t suffisamment expressive à cet égard.
L'aspect du Jura demeure le même, que Ton se trans
porte 6ur le6 hauteurs du Lômont bisontin ou sur un point
quelconque de la falaise bressane. Dans la zone orientale,
celle des chaînes, qui e6t tapissée d'épaisses forêt6 de sapins
et d'épicéas, l'altitude est plus considérable ; les voûtes sont
multipliées, nettes, pressées; bref, le sol a une allure tour-
mentée et le pays est en quelque sorte haché à l'infini.
Une ligne courbe partant de Saint-Rambert, pour gagner
Sainte- Ursanne par Nantua, Thoirette et le Doubs, dePon-
tarlier à Morteau, Goumois et les Raugiers, marque la li-
sière des deux régions.
Toute fragmentation du Jura dans le sen6 transversal
parât t en opposition avec les lois de sa structure. Et en
effet, ce bloc calcaire, intimement soudé dans toutes ses
parties, présente une singularité inhérente à son origine:
il ria ni axe orographique, ni axe hydrographique. La Yalse-
rine et l'Orbe, la Bienne et le Doubs, descendent des
mêmes combes, mais en 6ens opposé ; il en est de même
de la Birs et de la Dùnnern. D'ailleur6, l'Albarine et le
Séran, le Silan et la Semine, les Vaux de Jougne et des
Verrières ouvrent de véritables trouées à travers l'épais-
seur de la montagne.
Autre singularité : les points de partage des vallées ne
gisent pas le long d'une chaîne ou en des cimes quelcon-
ques, mais en face des grandes trouées du Jura. Où se
trouve le point de partage de l'Albarine et du Séran ? Dans
la gorge des Hôpitaux; au Silan et de la Semine? Dans
la brèche de Nantua. D'où partent en rayonnant l'Orbe, la
Bienne et la Valserine ? Du plateau des Rousses. Où est le
LE JURA. 385
point de partage de la Jougenaz et de la Reuee ? Au plateau
des Fourgs et non pa6 au Suchet ou au Chasseron qui
l'avoisinent. Le Doubs, la Saine et la Semme ne descen-
dent-ils pas du plateau de Saint-Laurent, en face de celui
des Rousses? En ces points, aux gorges escarpées où la
rivière procède par chutes et rapides, aux abîmes que côtoie
la route, aux sombres forêts de sapins, succèdent tout à
coup de vertes prairies ensoleillées, parsemées de villages
et de hameaux; l'horizon s'élargit, mais les montagnes
qui le confinent conservent leur rigidité ] nulle échappée
ne laisse entrevoir ces lointains que l'œil fouille avec
tant de charme. Aussi le paysage garde-t-il sa tristesse et
8a monotonie, comme le linceul de neige qui le voile pen-
dant la moitié de l'année. Cette nature est morte, mais
qu'importe la poésie au militaire qui voit à quelques pas
le pays étranger et la frontière accessible ? Pour lui, les
propriétés défensives du sol natal, les caractéristiques
de sa structure et de sa configuration passent à bon droit
avant toute autre considération, et pourtant, elles sont
belles les journées passées dans le calme des hautes
solitudes, les yeux émerveillés à la vue des arêtes ro-
cheuses à l'assaut desquelles les sapins semblent monter !
Ce sont de pures jouissances et de grandes leçons dont
le souvenir ne s'efface jamais...
Au mois de janvier dernier, en parcourant la région de
Pontarlier, nous avons eu l'occasion de gravir le Mont-
d'Or de Vallorbe qui n'était alors couvert que de vieille
neige. Nous avions laissé la plaine de Saône envahie par
une mer de brouillards qui baignait les flancs de la falaise
bressane. Du haut de la montagne, nous découvrions la
Forêt de la Joux, l'Heute, et de l'autre côté une traînée
de nuages fermait l'horizon. Un soleil de mai éclairait le
plateau et les montagnes de la zone des chaînons. La plu-
part de ces derniers montraient leurs escarpes rocheuses,
leurs flancs dénudés du côté de la Suisse. L'hémicycle
386 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
du Jura nou6 apparaissait presque en entier, et il semblait
que ses extrémités en fussent portées en avant pour ferma
le cercle à la rencontre des Alpes. A nos pieds, un antre
océan de nuages couvrait les lacs invisibles de Neuchâtel
et de Bienne, et subitement, de l'autre côté, les formidables
remparts, les cimes majestueuses et chargées de glaciers
de TOberland bernois émergeaient à une hauteur surpre-
nante, avec une netteté si grande qu'ils nous semblaient
à quelques kilomètres de distance, bien que nous en fussions
éloignés de plus de 15 lieues à vol d'oiseau. Gomment ex-
primer la magie de ce spectacle ! «Notre pensée fut ramenée
à l'époque où la Côte-d'Or, le Jura et les Alpes ayant surgi,
les plaines de la Bresse et de la Suisse étaient englouties
sous les eaux océaniques; ces nappes de brouillards, qui
serpentaient animées par la brise au travers des sapins, au
fond des précipices nous rappelaient le flot des tempêtes.
Mais que ce6 souvenirs ne nous fassent point perdre de
vue la division naturelle annoncée. Le Jura a basculé à
deux reprises différentes autour d'un axe passant par Be-
sançon, Pontarlier et Bienne, et nous pourrions partir
de là pour distinguer au Nord et au Sud de cet axe un
Jura septentrional et un Jura méridional s'il n'était une
autre considération, à notre sens plus importante : V épa-
nouissement central et Veflilement des extrémités, où le sys-
tème se réduit à un très petit nombre de chaînons. Aussi
proposons-nous la division suivante :
Jura méridional ou bugeysien au Sud de la trouée Bourg*
Nantua-Bellegarde ;
Jura central ou franc-Gomtois, de cette trouée à la ligne
Délie -les Raugiers- Bienne; c'est le renflement central
précité ;
Jura septentrional ou argovien, de la ligne Delle-Bienne
au Rhin et à l'Aar.
Le Jura central est subdivisé en deux parties égales par
la grande voie Jougne-les Verrières-Pontarlier-Besançoo.
LE JURA. 387
Aux lignes Porrentruy - Bieime et Bourg-Bellegarde cor-
respondent également des chemins de fer d'une grande
valeur stratégique, car ce sont là les trois routes d'invasion
que nous avons le plus à redouter si seule, ou de concert
avec l'Italie, l'Allemagne viole la neutralité de la Suisse.
L'opinion publique vient de s'émouvoir du voyage de
« touriste » qu'accomplit récemment le maréchal de Moltke
le long de notre frontière italienne et suisse. Tout prendre
au sérieux n'est dans ce cas qu'une marque de sagesse et
Dieu veuille pour elle et pour nous que la Suisse n'ait pas
à reconnaître dans un avenir rapproché que le danger qui
ld menace ne vient point de notre côté ! Des compensations
lui seront offertes : la Savoie, le plateau de Pontarlier
peut-être ? Acceptera-t-elle le prix du déshonneur ? C'est
en vain que l'histoire de ce peuple, que le souvenir de sa
générosité et de son courage se dressent devant nous ; pris
dans un étau entre l'Allemagne et l'Italie, il sera écrasé
ou complice.
SECTION It.
Aperçu de l'histoire géologique.
Nombreux et complexes furent les phénomènes qui,
donnant naissance au Jura et lei détachant ici des Alpes,
là des Vosges, élevèrent une muraille entre les plaines
de la Suisse et de la Saône. Nous nous bornerons à rap-
porter les oscillations finales, les convulsions, à la faveur
desquelles le Jura est arrivé à sa forme et à son état ac-
tuels. Le lecteur aura garde de l'oublier, si contradic-
toires que puissent parattre les théories sur la formation
des montagnes, les choses se 6ont passées comme si cha-
cune était l'expression de la vérité, et de la 6orte elles se
complètent.
Tout dans là géologie n'est pas géographique, ce qui
nous amenait à écrire ceci, il y a quelques années : « Sans
« doute, le domaine de la géologie est vaste, mais écar-
388 ÉTUDES DE GÉOLOGIS MILITAIBE.
« tons les discussions stratigraphiques, dénuées d'intérêt
« pour le militaire qui ne doit connaître que les grands hori-
« zons et les constantes de leur faciès. Il n'a point tant à se
« préoccuper de la place d'un calcaire ou d'un grès dans
« l'échelle des terrains non plus qu'à distinguer tel cal-
« caire de tel autre, si leur faciès est le même, et par
« faciès nous entendons les caractéristiques de structure,
« de relief et de végétation naturelle. Une carte géolo-
« gique et militaire peut se passer de la plupart des dis-
« tinctions de couches, lesquelles ne sont jamais que mar-
« nés, argiles, calcaires, grès et alluvions.
« Dynamique souterraine érigeant les masses monta-
« gneuses ; échelle des terrains principaux qui forment
« l'ourlet et le fond des bassins ; caractères des monta-
« gnes et des vallées ; cultures naturelles ; régime des
« rivières ; régions d'altitude et phénomènes cliraatéri-
« ques ; conditions géologiques du tracé des routes et des
« voies ferrées : le programme est assez étendu (f). »
Aussi l'avons-nous récemment adopté dans notre étude
des Alpes françaises.
A une époque géologique reculée, les Vosges et la Forèl-
Noire, le Beaujolais et le Morvan, régions de formation
primitive, avaient surgi du sein de l'Océan, et les Alpes
n'étaient encore qu'à l'état embryonnaire, car leur émer-
geraient définitif et leur configuration actuelle sont d'une
date relativement récente. C'est 6ur le pourtour et dans
les intervalles de ces îles anciennes que s'exerça l'activité
sédimentaire et que se déposèrent le6 terrains aujourd'hui
mis à découvert qu'étudie et classe la géologie.
Le retrait continu du noyau en fusion oblige, on le sait,
l'écorce qu'il supporte à se plisser, à se froncer comme
un tissu, et il est naturel d'admettre que les plissements
relièrent les piliers de la charpente, c'est-à-dire les massifs
f) Géologie et giographit militaires. 1380.
LE JURA. 389
primaires précités, accrurent leur 6urface et finalement
exondèrent le fond des détroits séparateurs.
Ainsi donc, à mesure que ces massifs, prenant un relief
plus considérable peut-être, élargirent leur base, les bras
de mer isolants durent se rétrécir et un jour arriva où les
isthmes soudèrent le Morvan aux Vosges par la Càte-d?Or
et les côtes fauciliennes, les Vosges et la Forêt- Noire aux
Alpes par le Jura.
A la 6uite de ces mouvements de dynamique interne,
l'Océan se confina ici dans l'Alsace, là dans le bassin de
Paris, là dans la plaine suisse. Le bassin de Saône était
esquissé et circonscrit ; une mer intérieure comparable à
l'Adriatique occupa l'intervalle compris entre les Vosges,
le Jura et la Côte-d'Or.
Tandis que, par l'effet même dès plissements, les lisières
du bassin de Saône s'exhaussaient, le fond de ce bassin,
formant repli, s'abîmait sous les eaux, et c'est pendant
cette immense période que 6e sont déposés les terrains
qui aujourd'hui, dans la haute Saône, présentent leurs
tranches relevées aux approches des Vosges.
Il en fut sans doute de même dans le bassin suisse, où
Ton voit les ipêmes terrains se dégager suivant leur ordre
chronologique à mesure qu'on s'élève dans l'Oberland.
L'ébauche était sans doute fort incomplète : le relief de
la Côte-d'Or était insignifiant, le Jura formait un plan in-
cliné vers la Suisse, et légèrement redressé au-dessus de la
mer bressane. Avant d'arriver à son état actuel, le Jura de-
vait subir plusieurs révolutions qu'il est essentiel de recon-
naître, car elles ont fixé les traits primordiaux de son ar-
chitecture. Pendant la période dite infra-crétacée, la partie
du Jura située au Nord de la ligne Besançon-Bienne de-
meurant au-dessus des eaux, la partie 6ud s'est abîmée et
a reçu les dépôts marins de cette période. Le manteau fut-
il uniforme et fut-il démantelé postérieurement par les
érosions ? Il n'en reste plus que des lambeaux au fond
390 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
des hautes vallées actuelles. Faut-il admettre au contraire,
avec M. Itier(,)) que l'infra-crétacé 6'est déposé « dans des
« golfes, des fiords séparés par des arêtes émergées, on
« dans une mer semée d'écueils et de bas-fonds ? > Quoi
qu'il en ait été, une oscillation inverse se produisit au
début de la période tertiaire ; la partie au Sud de la ligne
Besançon- Bienne avait été exondée et l'autre, s'engloutis-
sant sous les flots de la mollase, fut couverte par ses dé-
pots dont il demeure des témoins dans le6 vallées affluentes
de la Birs. Ces deux mouvements de bascule sont des faits
de premier ordre dans l'histoire du Jura.
Le Jura a émergé définitivement au milieu de la pé-
riode tertiaire, concurremment avec les Alpes dont l'érec-
tion paraît avoir exercé sur lui un puissant contre-coup.
Le talutage fut inversé, le plateau bascula de l'Est vers
l'Ouest ; la partie orientale fut soulevée à une grande
hauteur et des plissements nombreux sillonnèrent sa sur-
face. De longues lignes de cassures délimitèrent notre
système et l'une d'elles provoqua avec les Alpes une so-
lution de continuité en aménageant le canal de Genève,
séparation apparente évidemment comme celle qui résul-
terait de l'ébranlement d'un mur 6uivi d'une lézarde pro-
fonde. C'est ainsi que le Rhône, depuis le port de l'Écluse
jusqu'à Saint-Genix et Lagnieu, circule au travers d'une
série de faillçs, et que le Jura domine la Bresse du haut
d'une faille continue qui s'étend de Lagnieu aux eùvirons
de Besançon. Il ne faut point l'oublier, l'écorce terrestre
ne parvient à 6e mouler sur le noyau contracté que par
des plissements et des failles.. Que les Alpes aient ou non
contribué à l'édification du Jura ; que ce système soit ou
non indépendant, il n'en a pas moins obéi à cette sorte
de loi.
Ici se présente une question délicate et qui a été diffé-
(') Notice sur la formation nioeomienne du département de l'Ain.
LE JURA. 391
remmeat résolue par les géologues. Elle serait dénuée
d'intérêt s'il ne s'agissait, en somme, de donner la rai-
son des plissements, cassures et inflexions successives
qu'affecte le massif. Sous ce rapport, le Jura apparaît
comme un reflet des Alpes ; car nous y rencontrons, du
Sud au Nord, les directions de plissements qui régnent
dans les Alpes. N'est-ce là qu'un simple accident sur la
valeur duquel il ne faut pas se méprendre ? N'y pourrons-
nous trouver la raison dé l'absence d'axe hydrographique
dans le Jura qui rappelle de loin la conformation des mas-
sifs calcaires de la Savoie qui tous en sont également dé-
pourvus ? Si vous admettez la subordination de ces massifs
à la chaîne primitive de Belledonne, en regard de laquelle
ils dressent leurs murailles parallèles, l'idée surgira d'une
communauté d'origine entre eux et le Jura. Dans cette
hypothèse, le Jura résultera d'un ébranlement originaire
des Alpes, sans que nous allions jusqu'à penser qu'il a
opéré sur table rase ; loin de là, car le Jura formait un bas
plateau dont les pressions latérales n'ont fait que redresser
les bords et rider la surface. L'influence des montagnes pri-
mitives sur les plus récentes n'est point niable, et il n'est
pas jusqu'au Lomont et au Mont-Terrible dont la voussure
et la direction ne puissent être attribuées soit aux Alpes
suisses, soit à une pression venue des Vosges et de la Fo-
rêt-Noire.
A. Heim (l) reconnaît dans le Jura un système indépen-
dant, érigé proprio motu en quelque sorte, mais il ne nie
pas que les Alpes et la Forêt-Noire lui aient imprimé la
série des déviations qu'il subit depuis Chambéry jusqu'au
Rhin. De son côté,T hurmann éliminant toute action sou-
levante appliquée verticalement dans le Jura, déclare que
« les faits s'interprètent en tous points, par l'hypothèse
« d'une action latérale, procédant du côté suisse vers le
P; UnUrsuchungen ùber <Un 3l:chani$.nuê tf*r Qtbtry$bildunç.
392 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
« côté français (*) ». Gouklar a va dans pe fait que « les
« crêtes du Jura tournées vers le6 Alpes 6ont les plus
« élevées » la preuve d'une pression latérale venue des
Alpes et donnant naissance au massif (2). Dans l'opinion
de Bernhard Çotta^), le Jura ne « doit point être considéré
« comme un soulèvement renfermant en lui-même le prin-
« cipe de son existence ; c'est un appendice des Alpes,
c une ondulation montagneuse provoquée par une près-
« sion latérale lors de leur érection; les roches primitives
« dans le Jura n'ont cherché aucune issue, une pression
«latérale seulement a puissamment ridé les couches.»
Enfin, Studer admet « une force latérale immense dont
« l'action s'est propagée de Taxe des Alpes centrales sur
« les bords de la chaîne. La science actuelle voit, dans le
« Jura comme dans les Alpes, l'influence répétée et lente-
« ment progressive de cassures et d'élévations à la suite
« desquelles de grands groupes de montagnes ont été mis
« à sec ; de sorte que les formations subséquentes ne pu-
« rent le6 recouvrir. Elle trouve que la direction de ces
« cassures a varié avec le temp6 et que plusieurs systèmes
« de vallées de fractures et d'élévations se croisent et ont
« embrouillé la structure originellement simple de la mon-
« tagne. Où il faut chercher le foyer de ce6 influences, le
« point d'appui de ces mouvements, la chose est demeurée
« jusqu'à présent indécise. La structure en voûte du Jura,
« son parallélisme avec le système des Alpes, la hauteur
« décroissante des chatnes ver6 l'Ouest, tout fait penser
« à un plissement résultant d'une pression latérale venue
« des Alpes. La structure des chaînons les plus extérieurs
« montre plutôt un arrêt, une résistance définitive à la
« pression qu'une manifestation originaire delà région(4).»
Dans un ouvrage récent et fort remarquable, M. deLappa-
(') Bulletin de la Société géologique, 2« série, t. XI.
(*) Allgemeine Orographie.
(*) Die Alpen.
{*) Géologie der Sehweiz.
LE JURA. 393
refit s'appuie sur la conformation générale des Alpes, du
Jura et de la Cordillère des Andes pour mettre en évi-
dence la dissymétrie des grands reliefs du globe et arriver
i la loi suivante :
« Toute grande ligne de hauteurs est une arête saillante
« formée par l'intersection de deux versants inégalement
« inclinés. Le plus abrupt plonge vers une grande dépres-
« sion (ici c'est la plaine suisse); le moins raide s'abaisse
« doucement, sous la forme d'ondulations successives,
« vers une dépression moins marquée (plaine de la Saône). »
Le profil qui en résulte rappelle ce "qui se passe dans une
lame flexible, « lorsque les deux extrémités qui l'encastrent
c sont obligées de se rapprocher par l'effet d'une compres-
< sion latérale. La surface du globe se comporte, dans ses
< grandes lignes, comme si elle était soumise à de puis-
• santés actions de refoulement. L'idée d'un refoulement
« latéral s'impose par le spectacle des grandes lignes de
« relief du globe ; un tel refoulement ne peut avoir sa
« source que dans Y écrasement et la descente en masse de
« fiwrce (l) . »
Au surplus, le Jura n'est point le 6eul système monta-
gneux auquel les Alpes ont sinon dpnné naissance, du
moins imprimé les traits essentiels de son architecture.
Mon savant professeur, M. Julien, de la Faculté de Cler-
mont, rattachait au soulèvement des Alpes la poussée
latérale qu'a achevée le relief de la vallée de l'Allier. Son
opinion à cet égard clora la discussion : « J'ai, dit-il,
t la conviction profonde que le relief actuel du plateau
central a été la conséquence du soulèvement de6 Alpes;
que les bassins de Roanne, de Feurs, du Puy, d'Au-
rillac, de M aura, etc., ne sont que des lambeaux épars,
aujourd'hui plissés, effondrés, d'une grande formation
lacustre tertiaire, jadis en continuité parfaite, et qui
C) Traité de giotûgie. 1889.
SOC. DB OBOQft. — 9e TBlMBfTRB 1853. 38
394 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
« s'étendait largement du Nord au Sud, à travers les
« vastes plaines devenues le plateau central de l'époque
« actuelle. Ce qui me le prouve, ce sont ces irmom-
« arables témoins, disséminés sur les hauteurs, à toutes les
« altitudes. Je ne puis m' empêcher de voir dan6 les
t', c deux vallées de la Loire et de l'Allier, deux immenses
c plis concaves, séparés et limités à l'Ouest et à l'Est par
« des plis convexes dont le plus oriental forme la chaîne
« des Gévennes, le pli central, le Forez, et le plateau du
c Puy-de-Dôme le pli occidental, et synchroniques de la
« formation des Alpes Q). *
Si l'influence des Alpes s'est fait sentir avec tant de
puissance et à des distances aussi considérables dans le
massif d'Auvergne, comment nier que, loin d'être nulle
dans le Jura, elle ait pu y être prépondérante ?
Le lecteur nous pardonnera cette digression; ne jette-
t-elle pas un certain jour sur la configuration et l'ensemble
du Jura? ne nous mettra-t-elle pas à même de mieux
saisir ce qui va suivre?
Il ne restait plus qu'à vider les cuvettes ; la vallée de la
Saône et les régions circonvoisines subirent une impul-
sion ascensionnelle, et l'Océan se retira vers les rivages
actuels.
Yoici donc close l'ère des convulsions souterraines : le
Jura a acquis sa forme et son relief définitifs.
C'est alors que les courants glaciaires et les fleuves di-
luviens se mirent à l'œuvre pour décaper les montagnes
et adoucir leurs pentes; élargir les vallées, aménager leurs
bassins de confluence et les couvrir d'alluvions fertiles ou
enfin y déposer ces lacs auxquels manquent les cimes nei-
geuses, les hautes terrasses, les escarpes vertigineuses;
en un mot, le cortège éblouissant des Alpes.
Il ne faut point en effet demander au Jura les contrastes
(*) A. Julien, La Limaçne et Us Baulnt tertiaire* du Plateau cintrai. 1831.
LE JURA. 395
subits et 6aisi6sants des Alpes : enceintes retirées, gorges
sauvages que dominent les crénèlements des rochers,
glaciers, torrents furieux ; cet appareil, comment le Jura,
avec son peu d'altitude et son origine, pourrait-il le pos-
séder? Sans doute, le paysage est triste et austère, mais à
des plateaux monotones succèdent des vallées indus-
trieuses et des rideaux de montagnes rigides, soutenus,
auxquels de vastes forêts de sapins et d'épicéas impriment
un cachet qui manque aux vallées de la Suisse, où ce
genre de végétation est assez grêle. Les hautes vallées et
leur thalweg parfois 6i profondément déchiré, les lacs et
leur ceinture de forêts ou de vertes prairies, les cluses où
le regard frappé du touriste suit les contournements bizarres
et hardis des couches : voilà ce qui donne au Jura un
genre de beauté caractéristique.
(A tuivrt.)
7» GÉOGRAPHIE MATHÉMATIQUE
DE L'EMPLOI DE
LA PROJECTION CONIQUE
DAJTB
UN ATLAS SYSTÉMATIQUE UNIPROJECTIONNEL
En 1878, j'ai fait, à la Société de géographie de Paris,
une communication sur un système d'atlas, conçu sur un
plan homogène, entier, qui, sous des réserves de détail,
m'a valu l'approbation unanime de la plupart de nos
grandes autorités géographiques (*) [*]. Malgré ces encou-
ragements, il y a telles de ces réserves qui m'ont décidé
à attendre que l'expérience vienne confirmer ou modifier
la justesse de ce système, basé sur un développement
uniforme, à la fois par le mode de projection et par l'é-
chelle, de la surface terrestre tout entière.
L'expérience est faite aujourd'hui et elle est con-
cluante.
Pour ne citer que l'ouvrage le plus important et le
plus répandu aujourd'hui, le Stieler's H and- Atlas, ses au-
teurs ne se sont plus contentés, — comme des géogra-
phes français l'ont fait depuis lors, — de placer, dans
des cartouches annexés à leurs cartes, des contrées eu-
(*) L'ensemble des notes et renvois, en raison de son importance, a été placé*!*
lin du travail pour en faciliter la lecture.
Communication de M. J. V. Babbieb, ëecrétaire général de la ;
Société de géographie de VEst, faite à la Sorbonne, dans h
séance du mercredi 28 mars.
PROJECTION CONIQUE DANS UN ATLAS. 397
ropéennes, d'une étendue connue, à la même échelle que
ces cartes, pour faire comprendre au lecteur le rapport
exact de surface qui existe entre les unes et les autres.
Déjà, dans l'édition de 1878, on constatait une tendance
d'uniformisation d'échelle qui est bien autrement accen-
tuée dans celle de 1882, où ils n'ont pas hésité, même
en créant un double emploi absolument superflu, d'ajouter
une nouvelle carte (en 4 feuilles) de l'Amérique septen-
trionale et centrale pour la mettre en parité d'échelle
Cs/o.op») avec les nouvelles feuilles de l'Amérique du
Sud, alors que déjà la carte des États-Unis était faite
aune échelle double (>>y.l,...).
Leur but n'est peut-être pas entièrement le même que
le mien et, peut-être avant tout, ont-ils cherché simple-
ment à faciliter l'assemblage des feuilles ; mais on ne
saurait nier que, dans l'ensemble, ils ont tenu compte
de ce besoin impérieux de donner une notion unique,
rationnelle, dan6 la mesure que comportait l'ouvrage déjà
existant, de l'unité de comparaison entre les diverses par-
ties de la terre, nécessité à laquelle ne peut entièrement
satisfaire aucun des systèmes adoptés jusqu'ici.
Mais qu'il me soit permis de revenir sur les prémisses de
la question. *
L'enseignement de la géographie est assurément l'un
des intérêts qui préoccupent le plus les sociétés de géo-
graphie. Il est de cette science, plus que d'aucune autre ;
les premières notions acquises, comme les premiers prin-
cipes d'éducation, se gravent profondément dans la mé-
moire et, quand elles sont faussées, des études appro-
fondies seules les dissipent à la longue.
Ainsi, bon nombre de personnes, et de celles même
qui ont fait quelques études, n'ont qu'une notion si abso-
lument incomplète des étendues géographiques, que vous
les étonneriez certainement en leur apprenant que l'île
de Bornéo, par exemple, e6t d'un tiers plus étendue que
398 GÉOGRAPHIE MATHÉMATIQUE.
la France ; que l'île de Marajo, qui ferme l'embouchure
de l'Amazone, est aussi grande que la Sicile; que l'A-
rabie couvrirait en grande partie l'Europe occidentale;
que les possessions anglaises de l'Inde équivalent à huit
fois les Iles Britanniques, et maint autre exemple encore.
A la vérité, les cartes les moins parfaites indiquent, ne
fût-ce que par la distance de leurs parallèles (s), l'échelle
à laquelle elles sont construites; mais, sans compter la
variété des systèmes de projection appliqués et dont plus
d'un déforme sensiblement les contours, la notion que
l'on n'a pas de leurs formules, faute d'études spéciales,
la multiplicité des échelles et des divisions dans les
cartes, l'habitude de ne présenter aux yeux certaines con-
trées, et des plus grandes souvent, qu'à une échelle res-
treinte et la nécessité qui en résulte d'un calcul pour
rectifier la comparaison, toutes ces causes entraînent iné-
vitablement une connaissance inexacte (8) de l'étendue
relative et de la configuration vraie des continents.
Je me hâte de dire que ce qui précède, et surtout ce qui
va suivre (*), ne peut être rapporté qu'aux atlas et que
mon but est uniquement, par un atlas fait sur un plan homo-
gène, d'une méthode simple et uniforme, de donner, à priori,
l'idée juste des configurations terrestres. M'inspirant de cette
donnée d'un des plus illustres géographes, — j'ai nommé
Malte-Brun père qui, dans sa. Géographie universelle, 6'ex-
prime ainsi : « Quelque ingénieuses que soient les mo-
« di&cations par lesquelles on a essayé de perfectionner
« la projection conique, il est évident qu'elles aboutissent
« toutes à faire perdre à cette projection sa simplicité
« et sa facilité primitives sans obtenir complètement les
« autres avantages qu'on voudrait lui donner » ; — m'ins-
pirant, di6-je, de cette grande autorité, j'ai appliqué la pro-
jection conique à mon atlas, mais en l'unifiant par la forme
et par l'échelle et par des divisions régulières pour toute
la sphère.
PROJECTION CONJQUE DANS UN ATLAS. 399
«T'ai divisé le globe terrestre par zones coniques ins-
crites de vingt en vingt degrés (fig. 1), en descendant
d'un pôle à l'autre, c'est-à-dire en suivant les 70e, 50e,
30e, 10e parallèles nord, les 10% 30e, 50e et 70e paral-
lèles sud. J'ai obtenu ainsi neuf zones dont les extrêmes,
dune part, sont des cônes très aplatis, alors que, d'autre
part, la région équatoriale comprise entre le 10e parallèle
nord et le 10e sud est absolument cylindrique. Les parties
intermédiaires sont des troncs de cônes avec des diffé-
rences régulières d'inclinaison de l'un à l'autre.
Séduit, dès l'origine, par l'idée de donner aux deux pa-
rallèles extrêmes (c'est-à-dire aux deux bases de chaque
carte) leur grandeur réelle sur la sphère, j'avais primiti-
vement adopté comme système générateur des zones co-
niques le polygone inscrit (ûg. 2). Très simple à déter-
miner, ce système présentait, vers le parallèle central de
la carte, une réduction successive dont le maximum li-
néaire n'atteint pas —■ (ce maximum est représenté par la
différence existant entre le rayon de la 6phère et le co-
sinus de l'angle de 10°), différence constante d'ailleurs
dans toutes les zones et qui, dans la plus grande partie
des cas, est négligeable et ne fausse pas sensiblement les
rapports d'étendue et de configuration. Mais j'avais une
différence analogue sur les méridiens ou génératrices des
sections qui ne correspondaient plus qu'au sinus de l'angle
de 10°.
En adoptant, par contre, le système polygonal tangent
à la sphère, je n'avais plus qu'un 6eul parallèle de dimen-
sion vraie, c'était le parallèle moyen, et tous les méridiens
agrandis et correspondants à la tangente du même angle.
J'ai donc été amené, dût le système en lui-môme perdre
de la simplicité que je tenais à lui conserver, à prendre le
polygone sécant dont le périmètre était calculé exactement
sur celui de la sphère. Il convient de dire qu'en somme,
ce choix n'est qu'une question d'échelle et que, étant
400 GÉOGRAPHIE MATHÉMATIQUE.
donnée la même division de la sphère, qu'il s'agisse de
Tune ou de l'autre ligne périmétrique, les configurations
sont entièrement semblables.
La solution du problème, du reste, ne demande aucu-
nement le secours de mathématiques spéciales et, si Ton
prend la surface de révolution (8) équivalente i celle de
la sphère, appelant H le rayon de celle-ci, r le rayon du
cercle circonscrit, celui du cercle circonscrit étant repré-
senté par cos 10° r; on a la surface de la sphère = 4*Rf
et la surface, développée par la révolution du demi-poly-
gone sécant (flg. 3), qui est le produit de la circonférence
du cercle inscrit par le diamètre du cercle circonscrit,
- devant égaler la précédente, on pose :
4wR* = 47cr* cob 10°
d'où
R» = r* cos 10*
et
=i/;
iv
cos 10°
et si Ton fait R égal à 1, 6auf à multiplier par le coeffi-
cient de l'échelle de l'atlas, on a :
1
— l/cos 10°
En résolvant par les logarithmes, on trouve :
r = 1,0094
et si l'on désigne par r le rayon du cercle inscrit :
r = 0,9905
ce qui établit que la différence maximum entre ces deux
valeurs et le rayon de la sphère est à peine de 0,005. C'est
ce degré d'approximation que l'on aura en moins au pa-
rallèle moyen, en plus aux parallèles extrêmes de chaque
zone et qui est absolument négligeable dans la praâqo >
étant donnée l'échelle généralement petite des cartes d s
atlas. On aura donc cet énorme avantage qu'aucune pi -
PROJECTION CONIQUE DANS UN ATLAS. 401
jection ne réanit au même degré, que les méridiens et les
parallèles sont représentés dans leur longueur suffisamment
exacte et que la surface de chaque zone conique est équivalente
à eeUe de la zone sphérique correspondante. J'ajouterai que
les variations inévitables des étendues étant les mêmes
dans toutes le6 zones, le rapport des surfaces est maintenu
dans une constante uniformité.
La construction des cartes nécessite la détermination
des deux parallèles exacte qui forment l'intersection, en P
et en P', des zones conique et sphérique et de la longueur
de la partie du méridien comprise dans chaque zone.
L'angle Pcs ou Vcs (flg. 3) a pour cosinus, sur le rayon
de la sphère, la ligne se qui est, par rapport au rayon r,
le cosinus de l'angle de 10°, d'où
cob x = cob 10° r
et, à une approximation infinitésimale, on obtient :
x = 7«55'
c'e6t donc à 7°55' au-dessus et au-des60us du parallèle
moyen, ou à 2*5' de chacun des parallèles extrêmes de
chaque zone que se trouvent les parallèles développés
dans leur étendue exacte.
Quant à la partie de méridien DE, elle équivaut à 2 6in
lfr rf ce qui donne, en remplaçant r par sa valeur et en
simplifiant :
w = J/sin 10°tgl0°
Mais il est un moyen beaucoup plus direct de l'obtenir
en tenant compte de Tapproximation précitée et en ad*
mettant que ce côté de polygone corresponde à l'arc de
20° sur la sphère ; supposant toujours R = 1, on a :
m= £ = 0,34907
«r
Ainsi, sont ramenées à l'unité les lignes essentielles des
cartes de l'atlas, et la détermination de6 centres de déve-
402 GÉOGRAPHIE MATHÉMATIQUE.
loppement de chacune des sections coniques en segmente
annulaires est trop élémentaire pour s'y arrêter ici.
Il ne paraît pas, de prime abord, que la configuration
des contrées et des continents puisse concorder avec ces
divisions rigides, arbitraires d'apparence et qui semblent
scinder continents et contrées 6ans nul 60uci de leurs li-
mites géographiques et politiques.
Le choix de ces divisions a donc été chose capitale
entre toutes. Il est tel, toutefois, qu'en dehors d'une bande
régulière de pourtour qui facilite le repérage des cartes
entre elles , on peut encore compléter les contrées dans
la plupart, en y ajoutant, autant qu'il est nécessaire, les
parties limitrophes des cartes voisines sur une étendue gui
ne dépasse pas trois à quatre degrés.
Ainsi, le 70e parallèle nord effleure à peine l'Europe
et l'Amérique continentale ; il retranche, à la vérité, en
Asie, la partie de la Sibérie qui s'avance au delà dans
l'Océan Glacial ; mais cette contrée est si étendue, qu'à
moins de rompre l'unité de comparaison, elle nécessite
plusieurs cartes. J'en dirai tout de suite autant de la
Chine, des États-Unis, du Brésil, de l'Australie et de quel-
ques autres. Le 50e parallèle nord, avec de6 variantes de
quelques degrés, traverse l'Europe, laissant l'Angleterre
au nord, la France au sud, 6épare l'Allemagne du Nord
de celle du Sud et d*e l'Autriche, la .Russie septentrionale
de la Russie des bords de la mer Noire et de la mer Cas-
pienne ; en Asie, la Chine de la Sibérie, en laissant de
celle-ci tout le bassin des lac6 d'Aral, Balkachi et Issi-
koul 5 enfin, en Amérique, le territoire de la baie d'Hudson,
au nord des grands lacs, des États-Unis et du Canada.
Le 30e parallèle noird, toujours avec la même variante,
détache de l'Afrique le Maroc, l'Algérie et la Tunisie
propre, et, en effleurant l'Egypte au Caire et à Suez, laisse
ainsi dans la même zone la Méditerranée entière. En
Asie, au-dessus de ce parallèle, se trouvent la Turquie
PROJECTION CONIQUE DANS UN ATLAS. 403
d'Asie et la Perse; au-dessous, l'Arabie, l'Indoustan,
Tlndo-Chine et la Chine au 6ud du Yang-tse-kiang ;
enfin, en Amérique, il sépare le6 États-Unis, sauf la
pointe de la Floride, du Mexique qui reste, lui aussi, au-
dessous de ce parallèle.
Sans prolonger davantage cette appréciation (6), que
chacun peut faire sur une mappemonde, s'il 6e trouve
quelques contrées traversées par leurs milieux, je dirai
que des divisions analogues ont parfois été pratiquées,
non dans le même but, il est vrai, pour les développe-
ments particuliers de la plupart des contrées de l'Europe,
pour la France notamment. Je dirai, de plus, que l'uni-
formité de projection qui limite, en principe, le6 cartes
par des méridiens reclilignes en permet toujours la juxta-
position latérale exacte et que, pour celles d'une zone à
l'autre, la différence des courbes du parallèle qui leur est
commun, est si peu considérable dans la partie que l'on
rapproche pour les consulter, que la configuration des con-
trées reste suffisamment intacte (7).
Malgré toutes ces considérations justificatives, une lé-
gitime défiance de moi-même m'a engagé à demander
plus d'un conseil et à devancer plus d'une critique : voici,
je croi6, les deux plus graves. L'Afrique, par exemple, se
trouve divisée en neuf cartes, alors que, pour l'Europe,
quatre suffisent et au delà. Premièrement donc, des con-
trées parfois désertes et qui ne paraissent offrir qu'un
intérêt fort secondaire donnent des cartes où subsistent
d'inévitables lacunes. Je pourrais d'abord répondre que
la géographie physique offre partout un égal intérêt et
que, dans les contrées les plus mal connues, il est, en
grand nombre, des points bien étudiés et relevés par les
voyageurs. Qu'il y ait de grands espaces vides encore,
c'est un fait incontestable ; mais n'ai-je pa6, pour le6 com-
pléter en grande partie, les tracés des itinéraires suivis
par nos vaillants explorateurs et, puisque je parle de
404 GÉOGRAPHIE MATHÉMATIQUE.
l'Afrique, n'y a-t-ii pas un grand choix à faire dans
cette liste déjà longue qui commence à Mungo-Park et
finit à de Brazza, intrépide et persévérant entre tous, en^
attendant le6 autres ? Et le spectacle de l'immensité de ces
étendues sillonnées, çà et là, par la marche de ces mission-
naires de la découverte, n'est-il pas fait pour éveiller,
dans la jeunesse surtout, le désir ardent de connaître, de
comparer, d'aller elle aussi à la recherche de l'inconnu?
La même objection 6e produit pour une certaine partie
des cartes du Pacifique, de l'Océan Indien et des régions
polaires. Mais n'ai- je pas, pour les rendre intéressantes
et instructives, la géographie des courants sous-marins et
aériens, les sondages, les lignes isothermes et autres,
enfin, et surtout encore, les itinéraires dont la liste est
longue aussi de Christophe Colomb à Nordeii6kjold? S'il
reste quelques rares vides encore, le cadre au moins est
prêt, le champ e6t ouvert pour recueillir, au fur et à me-
sure, les futures conquêtes de la science. Et, d'ailleurs,
l'atlas si estimé de Stieler s'est trouvé en pareille situa-
tion dans ses cartes d'assemblage où, par exemple, dans
l'Amérique du Sud, un lambeau de continent occupe un
angle d'une carte, laissant le reste vide. En gens pra-
tiques, les auteurs l'ont comblé par des cartouches où se
trouvent les plans des principales villes ou des grands
accidents géographiques appartenant au continent dont
il s'agit. De la sorte, il n'est pas une feuille qui ne pré-
sente sa part d'intérêt et d'éléments instructifs, et ce n'est
là qu'une question de répartition intelligente, voire même
artistique. Donc, l'objection tombe d'elle-même.
Seconde et importante critique : il y a insuffisance re-
lative de développement pour les contrées européennes,
eu égard à l'intérêt qu'elles offrent.
Dans l'exposé primitif du projet, j'avais indiqué l'échelle
de Om,02 pour un degré ; mais, pour commode qu'elle soit
dans la construction même du canevas des cartes, cette
PROJECTION CONIQUE DANS UN ATLAS, 405
échelle (77^777777) a *e grand défaut de n'être pas à une
décimale entière. Aussi, ai-je dû, depuis lors, m' arrêter à
celle du
S,90t, OoO *
Il est à remarquer que cette échelle est, en moyenne,
sensiblement plus grande que la moyenne de celles adop-
tées dans les plus grands atlas (les contrées de l'Europe
exceptées), et le Stieler's Hand-Atlas lui-même n'a, dans
les autres continents, que la carte de la Palestine au
«,»•!.,.» et les feuilles des État-Unis au 3,T010tOP0 qui
6oient d'une échelle supérieure.
Par contre, elle est absolument insuffisante pour les
contrées de l'Europe qui ont besoin d'un développement
en rapport avec l'intensité de leur population, la variété
des reliefs ou l'intérêt plus direct qu'elles nous offrent. Or,
il suffit d'ajouter, comme complément rationnel à l'atlas,
une vingtaine de feuilles comprenant la France à , 1 0 0 [t 0 0 0 ,
ainsi que les régions limitrophes et les autres contrées (la
Russie exceptée) au ,,aoô.0oo> échelles qui sont des mul-
tiples exacts de l'échelle fondamentale.
Or, le développement total de la terre tout entière aura
produit 78 cartes à Bt60^i0QO, et, avec les cartes de déve-
loppement de l'Europe et les feuilles obligées des prélimi-
naires de toute publication de ce genre, l'atlas ainsi conçu
n'excédera pas en importance, sinon quelque peu en for-
mat, celui de Stieler. Véritable développement rationnel
de la sphère, il formera un tout complet et alors que, des
atlas dits ou intitulés universels, on peut extraire certaines
cartes sans grand dommage et leur en ajouter quelques
autres sans qu'ils justifient davantage leur titre, à celui-là,
on ne saurait rien ajouter sans faire un double emploi ni
rien ôter 6ans créer une lacune : seul, il résulte d'une
conception systématique homogène sur la base de la pro-
jection conique et de l'unité d'échelle ; c'est pourquoi, dès
l'origine, je l'ai appelé du nom nouveau, très peu harmo-
nieux mais juste, d'atlas uniprojectionnel.
406 GÉOGRAPHIE MATHÉMATIQUE.
L'atlas dont je viens de parler comprend, ai-je ditj ,
78 cartes pour recouvrir le globe et, dans ces conditions,
au point de vue exclusif de l'enseignement, celui même
du second degré,. ne comporte pas l'emploi usuel d'un ou-
vrage si dispendieux. J'ai donc étudié les éléments d'an
type d'atlas scolaire et professionnel à une échelle moitié
moindre.
Dans cette disposition, 22 cartes seulement donnent
le développement de la terre entière (8) et, ici, il estéri-
dent que les continents sont moins subdivisés que dans
le grand atlas. Pourtant, l'Asie, l'Afrique, l'Amérique et
l'Océanie ont encore là une étendue d'échelle plus grande
que dans la plupart des atlas. Pour l'Europe, qui est com-
prise dans une seule carte, cette échelle suffit pour en
faire une carte physique, ethnographique même. Pour la
développer, cette Europe, 11 cartes (9) à l'échelle de celle
de la France au ll>0î,o00y comprendront encore la Tur-
quie d'Asie, si intéressante pour l'histoire, et notre colo-
nie algérienne, si intéressante pour nous. De la sorte,
j'aurai produit un atlas de 33 cartes qui, m certes, tout en
remplissant mon but, sera rendu praticable pour la jeu-
nesse.
Ce n'est pas ici le lieu d'appliquer les divers procédés
à déduire de ma méthode pour la pratique de l'enseigne-
ment aux divers degrés (10). Mais ce que je dois faire res-
sortir par-dessus tout, c'est que, longtemps avant que l'élève
et V étudiant aient pu raisonner les projections purement ma-
thématiques, ils auront une notion, élémentaire, il eslvrai}
mais rationnelle, de la géographie universelle et d'un système
de projection dont l'emploi leur sera intelligible et familier.
Bien plus, à tous, et f entends les plus savants comme Us moins
instruits, j'aurai donné de la surface de la terre une notion
ineffaçable par une comparaison saisissante et juste qu'ils cher-
cheraient en vain ailleurs (flg. 4).
(A tuivn.)
8* GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE
ETUDE SUR LA QUESTION
DB
LA MER INTÉRIEURE
EN ALGÉRIE
I.
LA RÉGION DES CHOTT.
La région saharienne formant le sud de la Tunisie et de la partie Est
de la province de Constantine, est occupée par trois grands lacs on
ehoit se succédant à pen près de Test 4 l'ouest pendant plus de 400 ki-
lomètres, à partir de Gabès jusqu'au sud de Biskra. Deux de ces choit,
les plus a l'ouest, sont au-dessous du niveau de la mer; celui de Yett,
le plus voisin de la mer, a toute sa surface au-dessus. Ces chott, comme
ceux du reste de 1'Aigérie, sont de graudes dépressions sans écoule-
ment, desséchées, comblées de toute antiquité jusqu'au bord de leur
cuvette par des boues, du limon et du sable, et dont la partie superfi-
cielle est couverte d'une mince croûte de sel plus ou moins terreux.
En y creusant un trou l'eau apparaît ; c'est une ean d'infiltration, pro-
venant de nappes artésiennes se rapprochant asses de la surface pour
monter par les fissures naturelles.
leurs dimensions sont les suivantes :
te plus à l'ouest, le Melrir, a 110 kilomètres de Test à l'ouest, 40 à
70 kilomètres du nord au sud : ses plus grandes dimensions sont dans
la partie ouest. En 1872, on a pu y pousser le nivellement jusqu'à une
altitude de 27,5; en 1874, on n'a pu atteindre que les altitudes 24,5.
il est possible que le milieu soit à 30. Le bord du chott est à l'altitude
de 24 pendant 60 kilomètres i partir de la rive ouest, la surface re-
monte ensnite vers Test avec une pente de relèvement vers la cote
zéro d'environ 16 mètres pour 18 à 19 kilomètres. Dans la partie nord,
la plage est en pente douce; dans les parties sud et ouest, la côte est
en falaise de 10 à 15 mètres de haut, les contours sont très irrégu-
408 GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE.
liers, présentant des promontoires, des golfes et des presqu'îles. U
partie Est finit en lagunes; elle est encombrée et barrée par des mou-
vements de terrain y découpant de longs golfes et par de hautes doses
atteignant des altitudes bien supérieures au niveau de la mer, an mOieu
d'un fond qui est en dessous. Un haut-fond relève de la cote — 12,
— 10 à -h 5, le traverse diagonalement de l'angle S.-E., jusqu'à quel-
ques kilomètres en face de la rive N.-O., laissant entre lui et la biaise
en face le passage d'El-Bouib.
La courbe comprenant le terrain i l'altitude de séro est reportée
de 24 à 20 kilomètres au nord de la limite du chott qui se trouve, elleT
à la cote 24, du moins dans la partie nord; elle se rapproche ensuite du
bord à mesure que le chott remonte vers Test. La superficie comprise
dans la courbe zéro est d'un peu plus de 6,000 kilomètres carrés, m-
tant qu'elle a pu être déterminée. Entre le lac et le pied des Aorès,
s'étend, le long du chott, une plaine remontant à -+- 80 ou -4-90, ayant
50 kilomètres du nord au sud, traversée par les nombreuses rivières
qui descendent des hautes montagnes et ont de l'eau pendant environ
4 mois de Tannée ; elles perdent leurs cours dans des atterrissemeoti
régnant sur le bord nord du chott qu'elles n'atteignent pas.
Le second lac est le chott Rarsa, ayant de 78 à 80 kilomètres de Test
à l'ouest, sur une largeur moyenne de 16 à 18 kilomètres. L'altitnde
minimum trouvée (1877) est —20,7.
Il présente, en sens inverse du Melrir, un relèvement allant de Test
vers l'ouest, avec une pente d'environ 20 mètres pour 16 kilomètres.
Aucune dune ne l'encombre; sa superficie peut être évaluée de 1,300
à 1,400 kilomètres carrés. Mais entre lui et le Melrir, il y a une étendue
de 20 kilomètres qui n'est pas du tout au-dessous du niveau de la mer;
le milieu en est occupé par un petit choit dont l'altitude a été trouvée
en 1875 allant de +4 à -h 2,19 (point le plus bas). Il est séparé da
prolongement du Melrir pas une ligne de hautes dunes dont le point le
plus bas a été trouvé, à l'extrémité nord, à -4- U ; — et du chott Ram
par des mouvements de terrain dont l'altitude inférieure est -+• 12.
Les altitudes obtenues par le nivellement géométrique de 1876, qoi
partait de Gabès, ayant donné une différence 3*,86 en moins avec les
altitudes correspondantes trouvées en 1875, M. Roudaire a attribué
toute cette différence au nivellement géodésique sur lequel s'appuyait
le tpavail de 1875 et a abaissé toutes ses cotes du Melrir et du chott
d'Asloudje de 3m,86. Or, ce premier nivellement a eu une vérification
de fermeture de 0",72 sur on polygone de 550 kilomètres, et le nivel-
lement de 1876 a, de l'Oued- Akarit au chott, 289 kilomètres nivelés
sans vérification de fermeture. L'attribution tout entière i la géodésie
de ces 3D,86 pourrait bien être sujette à contestation, le nivellement
LA MER INTÉRIEURE EN ALGÉRIE. 409
de 1876 ne devant pas comporter de plus grandes chances de précision
que celui de 1874-1875.
Noos ne Toalons pas entrer dans l'examen de la savante discussion
de M. Villarceau à l'Institut ; nous n'en retiendrons que ceci : < La dis-
• cordaoce (3m,86) trouvée entre les résultats des deux genres de ni-
■ Tellement, s'explique, au moins en partie, par la'considération des
• attractions. > Est-ce donc bien de 3m,86 ou d'une fraction qu'il con-
fient d'abaisser les cotes du nivellement de 1874-1 875? Il nous semble
qu'en admettant le point le plus bas du chott d'Asloudje à la cote zéro,
et le règle à h- 1 et -4-2, cela suffit; les relèvements le séparant du
Rarsa et du Melrir seraient à 4- 10 et -4- 11 environ, et la courbe zéro,
reportée plus avant dans les pointes extrêmes des deux chott, creuserait
de I kilomètre environ de chaque côté le seuil intermédiaire.
Quant au troisième chott, le plus voisin de la mer, il est, comme nous
lavons dit, tout entier au-dessus du niveau de la-mer. 11 mesure 190 ki-
lomètres de l'Est à l'Ouest, dont 160 à 165 Jusqu'à hauteur du chott
Rarsa, et d'une largeur variant de 15 à 40 kilomètres. Les altitudes
sont : -4- 21 ,4 extrémité Est; «+■ 24,48 milieu du chott El-Fedjedj (moindre
largeur); -+- 10 bord ouest; et au milieu de la plus grande largeur
entre la pointe du Nefzaoua et Touzeur + 15, peudant une douzaine de
iikunètres. Sa superficie est d'environ 5,000 kilomètres carrés.
Le projet de la mer intérieure en Algérie se réduit à la possibilité
théorique d'amener les eaux de la mer dans les deux lacs de l'Ouest.
Iî.
l'antiquité.
H. de Lesseps dit partout depuis six semaines : • La mer intérieure
est faite. » En considérant le niveau du troisième lac, on peut se de-
mander d'abord si jamais elle a été faite. M. Roudaire, à l'origine du
projet, avait dit aussi que ce serait le rétablissement de l'ancien golfe
Tritonide et, dans l'ardeur des premières constatations, il regardait
comme des vérités démontrées l'existence d'une grande dépression
saharienne, s'étendant d'une manière continue du Melrir à Gabès, et
que les sables, les alluvions, les apports des rivières (ou oued) auraient
privée de communication avec la mer et séparée en trois bassins dessé-
chés à la longue.
Les récits mythologiques des Argonautes qu'Hérodote fait échouer
sur les basses de Triton, jusqu'à une conversation d'un Triton avec
iason, les descriptions de même ordre des Syrtes, dans Hérodote, puis
dans Sirabon, Pline, Pomponius Mêla, toute cette mythologie, d'ailleurs
Interprétée uniquement en vue de la région de Gabès, lui paraissaient
K>0. DB OBOGB. — 8» TBDCMTBB 1883. 27
i
410 GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE.
des preuves historiques indiscutables àl'appui de son hypothèse géo-
graphique.
Nous pensons qu'aujourd'hui M. Roudairc a laissé à leur juste râleur
ceséléments^de discussion ; d'ailleurs, si on est convenu d'adopter l'an-
tiquité, il 7 aurait contradiction entre le récit d'Hérodote (456 ou4î$
avant J.-G.) et celui de Pindare (468 ayant J.-C.) qui, lui, fait portera
bras le bateau des Argonautes pendant 12 jours à travers les sables de
la Libye, avant de le faire arriver au lac Triton (système conforme
d'ailleurs au mode de navigation de l'antiquité) ; — également avec le
récit d'Apollonius de Rhodes qui ne fait effectuer le portage qu'à partir
de la Syrte même. Ge voyage des Argonautes, qui était la navigation
par excellence de l'antiquité, quelque chose comme le tour du monde
de l'époque, avait besoin de quelque chose de fabuleux. C'était tou-
jours par les limites du monde connu qu'il s'effectuait, et il ne pett
offrir d'arguments bien sérieux à une discussion géographique.
Et puis, si Ton admet la large ouverture du temps d'Hérodote, se
réduisant à un chenal au temps de Scylax (11e siècle avant J.-C.}, il
faut alors croire l'antiquité jusqu'au bout. Or, dans le ve siècle avant
notre ère, il s'est passé sur la côte l'acte de dévouement des Phîièaès
(arœ Philœnorum), ces deux frères carthaginois qui, envoyés i joir
désigné de Garthagc à la rencontre et en même temps que des envoyés
de Gyrène, pour régler la question des territoires contestés entre les
deux républiques, forcèrent la marche, arrivèrent jusqu'à la grande
Syrte à l'Est d'GEa (Tripoli), et comme les Cyrénéens contestaient leur
départ au môme jour, ils acceptèrent comme preuve de se faire en-
terrer à cet endroit pour étendre jusque-là les limites de leur pairie»
Geci a dû se passer vers le temps d'Hérodote, au moins deux siècles
avant Scylax : comment donc les Philènes auraient-ils pu, sans que rien
en fasse mention, franchir le bras de mer entre le lac Triton et la
petite Syrte et arriver encore à plus de la moitié de leur chemin entre
Carthage et Gyrène ? Gomment l'importance de cette baie, qui aurait
permis aux Carthaginois, dans le temps de leur puissance (de 500 à
400 avant J.-C.), d'aborder* avec leurs navires dans l'intérieur de la
Libye, aurait-elle échappé à d'aussi hardis navigateurs?
Ces contradictions flagrantes montrent le peu de valeur scientifique
de pareils documents.
Le Sahara était Sahara, alors comme aujourd'hui, « le pays désolé par
excellence » ; le grand fleuve d'Hérodote et le lac Triton ne modifiaient
pas plus le climat alors qu'aujourd'hui. (Voir les études de M. Pome),
Le Sahara, 1872, et note dans le Bulletin de l'Académie des sciences en
5 octobre 1874 sur la prétendue mer saharienne.) M. Pomel, qui d'ail-
leurs a un nom comme Algérien et comme géologue, M. Fuchs, ingè-
LA MER INTÉRIEURE EN ALGÉRIE. 411
nieur des mines à Tanis en 1873-1874, et qui a fait une étude particu-
lière du seuil de Gabès, se sont formellement prononcés contre les
hypothèses de M. Roudaire ; également M. Le Châtelier, ingénieur des
mines et membre de la mission des chott algériens en 1874-1875.
III.
LES CHOTT.
hea chott n'ont jamais pu être un golfe; on ne trouve dans la région
aucun vestige d'une ancienne mer : les sédiments déposés au fond des
lacs ne contiennent que des coquilles d'eau douce et appartiennent à
répoque quaternaire comme le seuil de Gabès. Le Melrir — la mer
intérieure d'Algérie — était alors un lac d'eau saumàtre, fermé comme
la mer Morte, le lac d'Aral..., dont les bords, marqués aujourd'hui par
ce qui reste de gours à la cote — 12 à — 10, ont été balayés et recou-
verts en partie par l'action érosive des grands courants d'eau descen-
dus des hautes montagnes de l'Aurès. Quant à conclure que ces atter-
rissements des grands oued ont séparé les trois bassins et formé le
relèvement d'Aslondje, ceci est contredit par la constitution identique
du sol sur tout le pourtour des trois dépressions, comme entre les chott
par le terrain rocheux à Gabès et au Kriz, comme sur le plateau de
Chegga.
■ L'analyse chimique aussi (M. Le Châtelier, 1876, la Mer saharienne)
« a prouvé que Ton ne pouvait considérer les sels de la surface des
■ chott comme les résidus d'une évaporation d'une aucienne mer, mais
« qu'ils proviennent simplement de l'évaporation d'eaux identiques à
> celles des autres chott de la région montagneuse de l'Algérie, qui se
« soot chargées de sel par leur circulation sur des terrains où il en
• existe de grands amas naturels. »
Enfin, la meilleure des preuves chronologiques est dans le niveau du
Djerid-el-Fedjedj, ce qui oblige forcément ou à vider le chott ou à faire
nu canal. M. Roudaire avait d'abord émis à ce sujet l'hypothèse d'un
lac étrange, d'une surface de sable durci, amalgamé avec du sel, se
tenant en équilibre au-dessus d'un abîme plus ou moins profond, à
l'aide d'un système de cloisons et de parois, bien inexplicable sur une
aussi grande surface, — 5,000 kilomètres carrés. — Alors, par les
canaux de Kriz, puis d'Asloudje, le chott Djerid se serait déversé
d'abord dans le Rarsa, puis dans le Melrir, et la croûte superficielle du
ebott Djerid se serait affaissée au fond du lac dont le vide aurait reçu
alors les eaux de Gabès. Aujourd'hui, il n'est plus question de cet avant-
projet reposant sur des hypothèses absolument contraires aux lois de
la physique.
412 GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE.
On doit faire des canaux et H. de Lesseps loi-même disait, le 7 avrO,
à Constantine : « Nous allons jeter dans cette entreprise 100 million*
■ pour commencer les travaux ; cent dragues vont bientôt fonctionner
« dans le désert, et les travaux s'exécuteront rapidement. »
Ce n'est pas 100 millions, ni 200 qui seront suffisants : il enfandnà
bien davantage pour faire des canaux réalisant les conditions Sri*
vantes :
1° D'abord permettre un creusement facile;
2° Avoir des dimensions telles que l'eau amenée, non seulement
compense Tévaporation journalière de la surface du choU, immense
par rapport à la section du canal, mais qu'elle donne un excédeet
assurant le remplissage de la cuvette;
3° Ce remplissage devant se produire assez rapidement pour donner
dans tous les cas une rémunération suffisante aux capitaux engagés
dans l'entreprise ;
4° Être susceptible d'un contre-courant pour ramener à la Méditerra-
née l'excédent d'eau salée résultant de l'évaporation qui ne peut être
compensée par l'apport peu considérable de rivières ;
5° Avoir une largeur au plafond suffisante pour permettre la circula-
tion d'un navire ;
6° En raison de sa profondeur, le plafond du canal n'atteindra le
niveau de la surface des cbott successifs {*) qu'à des distances assez
grandes des points cotés zéro marquant la limite des chott; par con-
séquent, la longueur du canal sera augmentée.
Le creusement de la baie et du port à l'entrée dans le golfe de
Gabès étant aussi obligés pour permettre l'accès des navires.
IV.
APERÇU DES DÉBLAIS NÉCESSAIRES.
Dans les études antérieures, M. Roudaire (') adoptait, pour franchir les
trois seuils, un chenal définitif de 50 mètres, et, pour l'obtenir, ilsoppo-
(') Les paragraphes 4, 5 et 6 sont à mettre en concordance avec le travail de U
commission que je ne possédais pas alors. A voir donc dans le travail de la eamod*
sion les pages 169, 170 et 171, où la conclusion était qu'un canal de 80 méirei éma-
nait un débit de 187'», 7 7 à la seconde, suffisant pour compenser l'évaporalfon et
une dépense de 453,060,904 fr.; les pages 173 et suivantes jusque 181, où le essai ds
187% 77 n'assurant le remplissage qu'en 29 ans, chiffre dérisoire, les dimenifoo* *a
canal ont dû être triplées, le débit porté à 704 mètres cubes par seconde : lss dé-
blais nécessaires , en terrain ordinaire, évalués à 575,717,745 métrés cubes; terrain
de rocher, à 26,600,901 métrés eubes ; les dépenses à 791 millions (autant dire 8fr-
millions\ plus les intérêts pendant 12 ans et demi, 494 millions. En tout 1 mllIUrd
300 millions et le remplissage assuré(?)en 10 à 12 ans. Même avec les chiffrai dosjub
par Roudaire pour le paiement de ses ouvriers, qu'il réduit à 50 cent, on arrive à
746,400,000 fr.
(') Roudaire, Étude» eur le projet de «wr intérieurs en Algérie, p. 67 et 68.
LA. MER INTÉRIEURE EN ALGÉRIE. 413
sait qu'une rigole de 4 mètres de largeur an pJafond, 1 mètre de pro-
fondeur en dessons de la marée basse à Gabès (évaluée à 2 mètres),
avec une pente constante de 0^,07 par kilomètre, amènerait assez
d'eau pour que la vitesse et l'action dynamique des eaux de la mer pé-
nétrant dans la rigole, suffisent à élargir le canal, ronger les talus et
affbuiller le fond; il ne resterait plus à exécuter qu'un travail de dra-
gage facile, selon M. Roudaire, pour porter le canal aux dimensions
voulues (50 mètres de largeur au plafond).
Toujours dans cette hypothèse, M. Roudaire ne considérait comme
creusement à exécuter que le déblai de ces tranchées initiales calcu-
lées à:
1,193,267"* pour le canal d'Asloudje entre Rarsaet Melrir;
2,037,720 pour le canal de Kriz, col entre Rarsa et le chott Djerid;
21,409,150 pour le canal de l'Oued-Melah, entre le chott DJerid et le
golfe 6e Gabès.
En tout, en nombre rond, 30 millions de mètres cubes.
Les déblais définitifs de tout le canal porté à 50 mètres étant d'ail-
kurs évalués à :
26,676,917"e pour Asloudje;
50,176,500 pour le Kriz;
109,810,000 pour rOued-Melah.
Eo tout : 186,663,417 mètres cubes.
En conservant ces chiffres minutieux sur lesquels M. Roudaire n'est
{dos revenu, nous remarquerons qu'alors il ne disait pas un mot du
grand canal à travers le chott Djerid. D'après le rapport des ingénieurs
qui l'ont accompagné cette année en Tunisie, on ne cherche pas à le
taire i travers les boues du chott; il suivra les terrains bordant la rive
nord : par conséquent, il aura plus de développement et la tranchée
étant ouverte dans des terrains plus élevés que la surface du lac, l'ou-
verture sera plus large et la profondeur plus considérable. — Les alti-
tudes trouvées pour la surface donnent, pendant 75 kilomètres, de + 31
à 4-24, soit en moyenne -*- 27 et, pendant 80 kilomètres, ■+- 19 (').
Nécessairement, sur le bord, on aura affaire à des altitudes plus
grandes.
En outre, s'il conserve la pente de 0m,07 par kilomètre, lui permet-
tant d'utiliser la force dynamique de la mer, la profondeur du canal,
pour les 160 kilomètres, sera portée, à la sortie, à 11 mètres de plus :
le déblai sera énormément augmenté.
Pour une tranchée de 25 mètres, 10 mètres de profondeur à l'entrée,
les talus à | du côté du lac, et à f du côté du rivage, où les terres
(!) L'altitude + 15 n'ayant été conttatée que pendant une douzaine de kilomètre!.
414
GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE.
sont plus résistantes, le creusement monte à 300 millions de mètresl
cubes; et quand la largeur sera portée à 50 mètres, le déblai total dnl
canal do DJerid sera de prés de 550 millions de mètres cubes à ajouter|
aux chiffres précédents.
Soit, pour tout l'ensemble des terres à déblayer, 730 millions de|
mètres cubes.
C'est cet immense déblai que M. Roudaire croit pouToir faire exé-l
cuter en grande partie par la force dynamique de la mer. D'après ses
chiffres de 1877, cette force suffirait à plus des j- des travaux. Jusqu'il
présent, les effets d'atterrissement que nous voyons sur nos cotes sont
l'inverse. Les vitesses impétueuses des inondations produisent bien!
des effets d'érosion considérables, mais sur place et jamais à des dfr-
tances aussi grandes du point d'origine et avec toutes les causes de
déperdition de force et de vitesse. Passe encore pour le seuil de Gabès.
où nous admettons l'influence accélératrice de la* marée; mais il now
parait bien difficile d'admettre qu'un chenal comparable aux rigotel
usitées pour les roues hydrauliques, puisse produire de tels effets pen-
dant le long canal de Gabès au Kris, et à des distances de ISO à 200 ki-
lomètres pour le seuil de Kriz et de 270 à 290 kilomètres pour le seuil
d'Aslondje.
Tous ces bassins successifs réduiront la vitesse et la force de l'en.
D'ailleurs, la tranchée initiale, pour produire ces effets d'affouiltaneot
et charrier les terres, devrait avoir une pente primitive de 0™ 12 par ki-
lomètre et non de 0n,07.
La rigole creusée à Suez pour le remplissage des lacs Amers, qu'in-
voque M. Roudaire, avait 22 mètres de large; le creusement s'est fut
surtout en profondeur plutôt qu'en largeur, et la rigole ne portait l'on
qu'à 78 kilomètres.
En tout cas, les termina étant entamés, le déblai ne sera pas d'abord
entraîné dans les chott, mais en aval dans le canal, et il faut toojenrs
compter sur un travail de dragage de proche en proche pour le débarras-
ser de ces dépôts. Le creusement sera facilité, plus ou moins, voilà tout;
mais en tout cas ce ne sera pas dans la proportion des | comme il résul-
tait des appréciations de M. Roudaire en 1877.
Sur les 130 millions de mètres cubes, total à déblayer, en évitant
du \ à la | ce qu'il faut d'abord creuser, soit 300 millions de mètres
cubes, et le reste 430 millions de mètres cubes à draguer, on sera dus
des appréciations probables.
V.
PRIX DU TRAVAIL.
M. Roudaire estimait, en 1877, le prix du mètre cube de déblai dans
le creusement, de 75 cent, à 1 fr., et évaluait les premières dépars
LA MER INTÉRIEURE EN ALGÉRIE. 415
tf abord à 30 millions. Les ingénieurs de la mission de 1883 évaluent
le prix de revient de la tranchée initiale à 150 millions.
Donc, M. Roudaire a encore dû j modifier ses premières prévisions
(habitude qu'il a dû contracter, à en juger les différentes phases par
Jesquelles a passé le projet et qu'il est Inutile de rappeler). Nous
croyons à la grande efficacité des moyens mécaniques actuels, des
extracteurs que nous voyons fonctionner d'ailleurs en France et qui
ont la possibilité d'arriver là aussi à un creusement facile. Sans doute,
M. Roudaire et M. de Lesseps comptent sur un prix de revient dé
50 cent, à 60 cent, le mèlre cube (ce qui mettrait bien d'accord nos
300 millions de mètres cubes pour les tranchées initiales avec les
chiffres qui ont dû servir de point de départ aux calculs des ingé-
nieurs).
Mais, pour le port de Karbonne, actuellement, on évalue à 1 fr. le
mètre cube, et c'est en France, chez nous : il est probable qu'en plein
désert, situation pire que Suez, les nécessités de vie des ouvriers qui,
quoique arabes ou nègres, ne travaillent pas gratis et en tout cas tra-
vaillent moins bien que des Français, seront bieu loin de diminuer le
prix de revient du mètre cube.
Quant au dragage, pour le port de Narbonne et [des terrains allant
de i mètre à 8 mètres sous l'eau, on révalue de 60 cent, à soient,
le mètre cube.
Par analogie, en évaluant l'ensemble des dépenses à 600 millions de
francs, nous croyons être au-dessous plutôt qu'au-dessus de la vérité.
Remarquons que ce rapport des ingénieurs n'a parlé que du creuse-
Beat de la tranchée initiale et s'est tu sur les dépenses ultérieures,
telles que dragage, travaux de soutènement, affouillemènt de la baie
ou do port à Gabès, entretien..., etc.
VI.
DURÉE DU TRAVAIL.
Combien de temps durera ce travail?
M. Roudaire comptait Jadis 3 ans et demi pour le remplissage du
Melrir et du Rarsa jusqu'à la cote —12, par les tranchées initiales
progressivement agrandies, et un peu plus de 6 ans pour porter le
canal à ia largeur de 50 mètres et à la profondeur de 12 mètres et pour
le remplissage déûnitif.
Total: plutôt 10 ans et non 9 (comme il le dit).
A présent, le rapport porte à 5 ans l'exécution de la tranchée, qui ne
doit être que plus tard agrandie par le courant; mais il s'est tu sur la
dorée du remplissage. D'abord la tranchée initiale ne pourra servir en
416 GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE.
rien au remplissage du cliott; tout au plus si elle pourra désagréger et
charrier les terres. Remarquons que plus elle sera réduite dans nabot
d'économie et de rapidité de travail, moins elle amènera d'eau au ebott,
et plus l'eau, s'étalant sur l'immense surface relative du Rarsa et du
Melrir, s'évaporera vite. Ce n'est donc qu'après les cinq ans que
pourra commencer le remplissage. La superficie des deux lacs est
d'environ 8,000 kilomètres carrés; mais la profondeur des curettes ne
peut être évaluée à plus de 20 mètres, car il y a lieu de tenir compte
du dénivellement produit par les hauts-fonds du Kef-el-Eddêb et les
dunes de la partie Est du bassin de Melrir, qui, presque toutes, soat
au-dessus du niveau de la mer. Ce dénivelJement portera sur 9S0 kilo-
mètres carrés et fera de la cote — 20 une profondeur plutôt maximut,
La capacité des cuvettes ne serait donc que de 160,000 millions de
mètres cubes. Mais pour terminer le remplissage du bassin â partir de
la cote — 12, M. Roudaire forçait le débit de son canal d'une manière
exagérée avec les pentes et vitesses considérées au début, il arrivait i
1,188 mètres cubes à la seconde. Or, un canal de 50 mètres ne in
donnerait ce débit qu'avec des vitesses moyennes de ln,50 et une
pente de plus de 0m,15 par kilomètre. Rien ne faisant prévoir que l'on
arriverait à une pareille vitesse, supérieure â toutes celles qui auraient
facilité le creusement, on ne pourra obtenir ce débit avec des vitesses
moyennes de 0n,80 qu'en portant les dimensions du canal à 9u on
100 mètres de largeur au plafond, ce qui porterait les dépenses pour
l'ensemble du canal entre 800 et 900 millions de francs.
En restant dans les dimensions du canal de 50 mètres, voyons ea
combien de temps il assurerait le remplissage; ce qai le fait, c'est l'ex-
cédent du débit du canal sur les pertes causées par l'évaporation. Le
coefficient d'évaporation admis par M. Roudaire, 0,003, qui donne tme
évaporation annuelle de 8 milliards 50 millions de mètres cubes, est
déjà doublé à Biskra par les temps de sirocco et toujours dépassé
pendant 8 mois de l'année. 11 est plus que probable que, dans la région
des ebott, en été, l'évaporation sera à peu près aussi active qu'à Biskra.
En prenant 0,004, chiffre très probable, l'évaporation journalière de la
nappe inondable serait de 32 millions de mètres cubes, soit par seconde
370 mètres cubes.
Des chiffres très voisins ont été admis par MM. Parisot et Bandât,
officiers d'état-major et contradicteurs du projet Roudaire, en 187S-18S0.
Même en admettant, pour tout le Melrir, le coefficient d'évaporation
des mois d'hiver et de printemps donné par M. Roudaire, 0,003, on ta-
rait pour évaporation par seconde 280 mètres cubes. La moyenne
entre les deux chiffres 325 mètres cubes correspondant à une évapo-
ration certaine de 0,0035, est précisément le débit de la tranchée de
LA MER INTÉRIEURE EN ALGÉRIE. 417
25 mètres de large. Ce qui justifie notre affirmation que, tant que la
tranchée aura ces dimensions (25 mètres), pas une goutte d'eau ne
restera dans les chott.
L'excédent ne se produira donc qu'après les 5 ans; il augmentera
dans un certain rapport avec la section, mais diminuera en même
temps que la vitesse.
On Toit par le calcul que, dans les premières années et avec la né-
cessité d'élargissement et de dragage, il ne sera annuellement que de
l milliard et demi à 2 milliards de mètres cubes quand la tranchée
sera ensuite devenue le canal de 50 mètres de largeur au plafond, mais
la vitesse ne sera probablement plus la vitesse d'origine, de 0m,80;
Fexeédent arrivera à être de 250 à 260 mètres cubes en moyenne par
seconde, soit 22 millions par Jour ou 8 milliards de mètres cubes par an.
Il y aura aussi à compter sur l'appoint des pluies et des apports
d'eau amenés par les oued du bassin ; c'est une augmentation annuelle
de 600 millions de mètres cubes d'eau. Elle se produit après l'hiver
et au printemps; en été et en automne, il n'y a absolument pas à y
compter.
Le dénivellement porte sur : les hauts-fonds du Kef-el-Eddêl, 800 kilo-
mètres carrés de — 5 à — 1 0; les dunes de Touidjin, 1 2 kilomètres carrés
à + 24 ; l'Areg-fiesseroudje, 24 kilomètres carrés, depuis -+■ 26 ; l'Areg-
Dehabia, 10 kilomètres carrés à partir de ■+■ 21 ; l'Areg-ed-Dem, -4- 15 ;
rAreg-el-Achichina, -+- 11 ; le Sif-ben-Ksiba, •+- 12, le Sif-Triter, -+- 28 ;
le Sif-Mouïad-Tofelat, -h 24 et + 31 ; le Sif-Guenediz, •+- 23 ; en tout,
30 kilomètres carrés; le Sif-el-Hadjela, 8 kilomètres carrés; le Sif-eJ-
Dra-Seferia, 20 kilomètres carrés; le Sif-Mouïad-Tadjer, 16 kilomètres
carrés; le Sif-bir-Salal, 12 kilomètres carrés; le Dra-Alendaoua, 40 kilo-
mètres de 0 à •+- 5 ou 6; l'Areg-ben-Nemel, 10 kilomètres carrés, ...etc.
Mais il faudra aussi tenir compte des évaporations actives de l'été,
des journées de sirocco, où le canal de 50 mètres aura bien du mal à
fournir toute l'eau évaporée, car la quantité Om,002 ou 0B,003, dont le
niveau baisserait dans le Melrir, ne sera pas suffisante pour produire, à
la distance de 400 kilomètres, cet appel d'eau et une augmentation de
vitesse. Ces journées se produiront pendant le creusement, pendant la
période de remplissage : autant de causes de retard. En tenant compte
de l'influence de toutes ces variables, l'évaporation, la section du ca-
nal, la vitesse, l'apport des eaux pluviales, la haute Commission assem-
blée l'an dernier pour juger de l'opportunité de ce projet, avait admis
que le remplissage ne serait terminé qu'après 26 ans. 11 s'agissait alors
d'an canal de 60 mètres. Certainement il ne marchera pas plus vite
avec un canal de 50 mètres, quelque illusion que l'on nourrisse sur
la puissance dynamique de la mer. la marée et les courants.
418 GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE.
En gardant ce chiffre, avec les cinq ans de la tranchée initiale, et ea
admettant tontes les données de M. Rondaire, lesquelles peut-être ne
seront pas toutes vérifiées, il nous parait, dans l'état actuel, qu'il bat
de 31 à 32 ans pour que les eaux de la mer soient amenées dans le
Meirir jusqu'à la cote zéro. '
VII.
IMPOSSIBILITÉ DU CONTRE-COURANT.
Dans les conditions auxquelles doit satisfaire le canal, nous ivûm
parlé du contre-courant pour ramener à la mer les eaux sursaturées
de sel. Remarquons qu'il s'agit de canaux successifs qui amènent l'eu
de la mer à un bassin fermé, et non, comme à Suez, d'un canal qui relie
deux mers. À Suez, il y a deux débouchés, et par les marées, il s'éta-
blit un courant tour à tour renversé et qui renouvelle les eaux; on
comprend donc que la salure des lacs Amers n'augmente pas : ici, nous
ne pouvons compter, pour sa reproduction, que sur l'inégale tempéra-
ture et réchauffement des couches d'eau aux différentes profoodears,
les eaux du fond acquérant un mouvement résultant de la près»»
de l'eau sur les couches successives et mesuré par la £- profondeur de
canal. Une profondeur de 20 mètres donne une différence de } i }
degré avec la surface. En admettant que ce soit insuffisant pour
créer le contre-courant, il est clair que celui-ci ne pourra s'exer-
cer dans les chott qu'au niveau du fond du canal. Si c'est — 12 ou —
15, il laissera en dessous de lui de 8 à 10 mètres de chott.
M. de Lesseps en dit quelque chose, car (page 94) « les tranchées
• réunissant les chott entre eux et les reliant à la mer doivent être
« assez profondes pour permettre l'écoulement des eaux les plus
t lourdes par le Jeu des courants inférieurs ».
. H faudrait que l'entrée du canal dans le Rarsa eût une profondeur
de 20 mètres et dans le Meirir de 24 mètres, pour qu'on soit sûrtde ra-
mener à la mer les eaux sursaturées de sel.
L'Oued-Djdi, le plus considérable des affluents du Meirir, annuelle-
ment a 10 à 12 Jours de grandes crues, 40 Jours de cours ordinaire et
50 jours où il n'a qu'une profondeur de 0m,15 à 0m,20 d'eau, sur une
largeur de 20 mètres. Le reste du temps, il ne reçoit que la nappe ar-
tésienne du Lab-Guebli. On peut porter son débit annuel à 140,000,000
de mètres cubes. Toutes les autres rivières se déversant dans le Meirir,
ensemble donneraient à peu près trois à quatre fois autant, soit m
plus 600 millions de mètres cubes d'eau. 11 est possible qne quand les
eaux de la mer existeront dans la cuvette, l'apport des rivières en hiver
et dans la saison des pluies soit augmenté.
LA MER INTÉRIEURE EN ALGÉRIE. 419
Mais comme en été i! sera'toujours à peu près nul, le chiffre de 32
ans ne doit pas être diminué.
Certainement, le creusement du canal à cette profondeur ne s'ob-
tiendra plus tout seul par le travail des eaux : le prix de revient de la
mer intérieure s'élèverait d'autant.
En outre, la contre-pente de 0m,07 par kilomètre, qui a été plus que
nécessaire pour que l'eau fasse son creusement et arrive au bassin, ne
pourra jamais être remontée par le contre-courant
« L'eau ne remonte même pas des pentes de 0B,05 par kilomètre. »
Donc il s'accumulera forcément des couches d'eau de plus en plus
salées.
Voici ce que dit à ce sujet M. le commandant Baudot, qui a collaboré
aux travaux des chott en 1874-1875 et qui est complètement opposé à
ce projet :
• La densité de l'eau de mer est de 1,027 dans la Méditerranée ;
• chaque mètre cube renferme donc 27 kilogr. de matières saunes. L'éva-
« poration enlèverait par an, à la surface des chott, 10 milliards 800 mil-
t lions de mètres cubes et laisserait, par suite, dans l'eau sous-Jacente
■ qu'ils satureraient, près de 300 milliards de kilogrammes de sels di-
« vers qui, répartis sur la superficie totale du bassin, formeraient une
• couche de près de 0m,04 d'épaisseur... En 400 années, le Ram serait
> transformé en un bloc de sel et le Melrir, non alimenté depuis long-
« temps déjà, ne tarderait pas à suivre son exemple. >
Du reste, ce qui prouve que l'objection n'est pas négligeable, c'est
que M. de Lesscps, dernièrement, y a encore fait grande attention dans
sa réponse à M. Gosson, sa plaidoirie pourrait-on dire. Il a même eu
soin de mettre à profit, au sien bien entendu, là courtoisie de la sous-
commission, croyant enterrer Tan passé, avec tous les égards voulus,
le projet Roudaire : « La concentration de la mer intérieure s'opérerait
« d'ailleurs avec une telle lenteur, qu'au point de vue pratique il n'y a
• pas à s'en préoccuper. »
Kt, de suite, il a rassuré en reculant à 1 ,500 ans la date' de la trans-
formation du Melrir en saline : question de profondeur de la cuvette
que Ton fait varier pour les besoins de la cause.
11 parle alors de draguer ce sel et de l'expédier comme objet
d'échange aux populations du Soudan : il y a longtemps déjà que le
Transsaharien escompte pour son avenir le sel qui existe tant dans notre
Sahara qu'au sud du Maroc. S'il existe dans 1,500 ans, la saline du Mel-
rir anra été devancée dans le marché par la Sebgha de Safioun, la Seb-
gha du Gourara, le Touat, les Rochers de sel du Zahrez. du Yheneg
<TE1-Maïa...
420 GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE.
VIII.
RÉSULTATS DE LA MER INTÉRIEURE.
r Les, partisans de la mer intérieure lui atriboent des résultats à faire
pâmer d'aise tous Jes croyants algériens, tous ceux qui souffrent de la
chaleur et languissent après la pluie ou la fraîcheur : transformation
complète du Sahara, poissons de mer frais à Biskra, rafraîchissement
du climat, pluies bienfaisantes, récoltes perpétuellement bonnes, et
nécessairement, la plupart des colons algériens, les enthousiastes da
moins, le plus grand nombre par conséquent, sont admirateurs fana-
tiques du projet. Eh bien ! nous devons le dire hautement, leur bonne
foi a été surprise.
D'abord la surface de cette prétendue mer, M. Roudaire le dit lui-
même, très rapidement d'ailleurs (page 100), est minime, par rapport
à retendue du Sahara algérien; elle est, en effet, la quarantième
partie (en étendant ce Sahara jusque Goléa) et moins de la millième
partie du grand Sahara. Dans une région aussi vaste, une semblable
goutte d'eau ne peut avoir qu'une influence des plus locales, des plus
restreintes; le désert n'en sera en rien transformé et il s'étend sur
cette immense étendue pour d'autres raisons encore que la privation
d'eau.
D'ailleurs, les vents régnant le plus fréquemment dans le Sahara
sont les vents du N.-E. et du N.-O. en hiver; l'êvaporation de la nappe
serait donc perdue pour la plus grande partie de l'année. Quant aux
grandes évaporations dues au sirocco , vent très violent mais moins
fréquent, elles seront dissoutes dans toute l'atmosphère surcbaoi&e
qui règne sur le reste du Sahara algérien. Plus cette évaporalion sera
active, plus les courants d'air s'élèveront et emporteront au loin les
vapeurs formées au-dessus de la mer intérieure. À l'opinion de M. de
Lesseps, maître comme il le dit dans l'art des canaux et des perce-
ments, ou peut opposer le jugement de savants au moins aussi com-
pétents que lui dans les questions de météorologie. H. le Dr Cosson,
après avoir expliqué que les vapeurs émises peuvent tout aussi bien
retomber en pluie dans la région voisine, entre la côte et les cliott,
ou se perdre au-dessus de la Méditerranée, ou se condenser ailleurs
que dans les Aurès, conclut qu'en été les vapeurs se dissoudront dans
une atmosphère surchauffée et que plus elles seront émises dans des
conditions élevées de température, plus elles doivent se condenser
sur des points très éloignés de leur production ; et qu'en hiver, la pré-
sence de la mer intérieure ne changerait pas grand' chose à l'état ac-
tuel, puisque, dans cette partie de l'année, il y a toujours de l'ean dans
LA MER INTÉRIEURE EN ALGÉRIE. 421
les chott et assez d'humidité pour fournir une évaporation d'autant plus
rapide que le fond est près de la surface.
Au contraire, et M. Gosson insiste avec raison sur ce point, l'humi-
dité atmosphérique résultant de l'évaporation est une cause d'anémie;
à fiiskra, c'est maintenant ia chaleur humide qui est la plus insup-
portable (').
IX.
LA FARFARIA.
M. de Lesseps, — car enfin nous n'ayons plus à discuter M. Roudaire
qui, sans doute, n'a trouyé toutes ces objections que dans les plis du
manteau du grand homme derrière lequel il s'abrite et qui lui donne
toutes les phases de transformation de son projet, — M. de Lesseps a
parlé de l'assainissement et de la suppression des Farfaria que, selon
loi, les adversaires du projet présentent comme si fertiles. Ceci est
inexact. La Farfaria proprement dite s'étend de l'Est de Djénien à
l'Ouest de Baadja vers l'angle N.-O. du chott, sur une longueur de 35
kilomètres et une largeur moyenne de 6. C'est le delta, desséché en
été, des alluTions et des boues des rivières descendant du grand
massif des Aurés, de l'Ahmarcadden au Djebel-Chuchar, et dont le
cours, de rapide qu'il était dans le haut de la plaine, peut à peine se
frayer un passage i travers ces derniers atterrissements.
Actuellement, elle est malsaine, surtout au printemps. En été, comme
il n'y a absolument pas d'eau et qu'il faut remonter à Zeribet-Sidi-Mas-
nendi, Àm-Naga, pour en trouver, pas une âme n'habite aux environs.
C'est donc la sécheresse qui la rend inhospitalière.
(l) Lei grands roseaux dont M. Roudaire a fait tant de brait dans sa brochure se
résument en quelques bouquets couvrant à peine quelque 40 môtrea carrés et dont
bon nombre ont été brûlés par la mission. Us n'existent d'ailleurs que oomme té-
moins des sources qui sont au milieu. Quant aux pluies d'été que pourrait amener
le sirocco, U est à remarquer quelles récoltes de la région, se faisant en avril (com-
mencement de mal au plus tard), ont besoin de pluies d'hiver et du commencement
du printemps, et qu'en été U n'y a plus de cultures: les pluies d'été sont donc inu-
tiles. Les pluies d'hiver sont les seules bienfaisantes, les seules à souhaiter. L'éva-
poration de la mince couche d'eau d'aujourd'hui (qui n'est guère moindre que le lac
plein d'eau du temps de Mahomet que l'on prétendait conclure» à ia mission de 1875,
des traditions arabes plus ou moins complaisamment interprétées), l'évaporation
actuelle en donne assez pour ce qui est cultivé à présent. Pour étendre les cultures,
il n'y s qu'à faire des barrages, qu'à retenir, qu'à emmagasiner les eaux ; cela ne
coûtera pas les yeux de la tête comme la fantaisie sardanapalesque de creuser un
gigantesque canal de plus de 200 kilomètres. Les barrages et les plantations sur leurs
bords gagneront de proche en proche. A la longue, on pourra les pousser jusque
■ur la rive droite de l'Oued-Djdi ; la preuve, c'est qu'il y en a eu IA jadis, et ce du
temps des cultures romaines, la seguia de Bent-el-Kkass que l'on retrouve jusqu'à
500 mètres au Sud de la pieuse saoula d'Abd-el-Kader, à 4 ou 5 kilomètres au Sud
oettiiU-Ourlal.
422 GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE.
Gela posé, si la mer intérieure, se bornait à submerger cette zone ;
que Ton peut dire inutile, négative, il n'y aurait qu'un bien. Mais esta
la Farfaria et la courbe zéro s'étend, le long de la Farfaria et des droit
Sellam, Touidjin, Tofelat, une zone qui n'est nullement déserte et in-
fertile.
D'ailleurs, en pleine Farfaria (voir le docteur Cosson, page 25). il y
avait, il n'y a pas 30 ans, les villages des Onled-Ahmos et des Ouled-
ben-Hadidja, dont les maisons sont encore debout ; c'étaient des popu-
lations sédentaires, mais toujours en guerre, des frères ennemis, habi-
tant à une portée de fusil, et ayant toujours envie de mesurer la dis-
tance avec ce procédé.
Us habitaient en plein air dans la zone entre la Farfaria et la courbe
zéro. — Depuis ces quelque 30 ans, on les a fiait évacuer leurs vil-
lages et camper plus haut sur les rives de l'Oued-el-lrab.
Leur genre de vie est toujours le même, des tentes au lieu de nui-
sons, et là, ils ont en abondance l'eau, le bois, le pâturage pendant
huit mois de Tannée, et Tété, ils remontent jusqu'au pied des Acres.
Si on leur faisait de grands barrages, ils se feraient de nouveau toeî
à fait sédentaires.
La partie ouest de cette zone correspondant à la Farfaria présente des
restes de forêts où, il y a 15 ans, on tuait encore le sanglier (la forêt de
Saada, le Maosof, le Zarouza); actuellement, ce sont des pâturages très
appréciés des indigènes. Dans le voisinage des oued, là où ils peuTeat
irriguer sans grand travail, ils ont des cultures où le blé rend jusqu'à
70 pour 1 (El-Feidh, l'Oued-el-Debb, le Megran). — M. Roudaire lui-
même a parlé de cette fertilité du sol (page 75). Quant à la partie Est,
le sol est plus sablonneux et ce sont surtout des pâturages parcourus
par les troupeaux des tribus sahariennes.
Toute cette zone représente 100 kilomètres sur une largeur moyenne
de 8 kilomètres, et la terre n'y est nullement dépourvue de valeur :
elle est exactement dans les mêmes conditions que les terrains entre
le pied des Àurès et le rivage de la mer future, dont M. de Lesseps de-
mande la concession à priori et que lui» de son côté, prétend sans au-
cune valeur. Or, ces terres à concéder, en ne considérant que celles aa
pied des Aurès, forment entre les lacs et les plus hautes montagnes de
l'Algérie un palier de 140 kilomètres de longueur sur 40 à 50 kilomè-
tres de largeur. Us sont traversés par plus de 20 rivières, toutes ayant
plus ou moins d'eau pendant un temps allant de 2 a 4 mois : plu-
sieurs, TOued-Biskra, l'Oued-Biraz, l'Oued-Dibia, l'Oued-el-Haugneuf.
rOued-el-Àrab, TOued-Mahana, ayant des crues portant l'eau pendant
plusieurs semaines jusqu'au chott. Le fatalisme arabe a regarde
couler cette eau pendant 12 siècles et. ne s'est jamais préoccupé
LA MER INTÉRIEURE EN ALGÉRIE. 423
de l'emmagasiner pour Tété. Mais il y a 20 siècles, sous la domination
romaine, pins de 40 tilles on bourgades courraient le pays entre Ad
Pùcinam, GemeUas, Thabudeos, Ad Badios, Ad Médias, Ad Majores, Ad
Palmam... La tradition dit que, de Gabès au Maroc, c'était un jardin,
jusqu'à 40 kilomètres au-dessus de Négrine: nous avons tu les ruines
du burgum de Mohammed-ben-Jonnès.
Les Romains avaient là une riche et prospère colonisation ; à chaque
grande rivière, des barrages successifs dont on retrouve encore les
traces retenaient les eaux. Pour rendre à cette région la prospérité
qu'elle avait du temps des Romains, il n est pas besoin des eaux pro-
blématiques de la mer intérieure, il n'y aurait qu'à reprendre leurs
grands et pratiques travaux, relever leurs barrages là où ils étaient,
empêcher toute celte grande quantité d'eau pluviale, presque aussi con-
sidérable en Algérie qu'en France, d'arriver aux chott. — Si les barrages
sont à demander pour le Tell, leur besoin n'est pas moins impérieux
dans le Sahara.
En retenant les eaux dans le haut de la plaine par les barrages, on
livrerait à la colonisation ces excellentes terres d'alluvions vingt fois
séculaires , qui pourraient être irriguées sans qu'aucune goutte d'eau
soit perdue : en plantant les bords des barrages, on assainirait la
région; en frayant aux eaux à travers la Farfaria leur écoulement, on
les amènerait dans le chott et on réduirait pen à peu cette zone néga-
tive au lieu de la laisser gagner sur nous. Le chott garderait cette eau
pendant les mois d'hiver et produirait presque autant que la mer comme
éviporation. On pourrait aussi, grâce à cette humidité sous-Jacente,
planter ses bords : les eucalyptus d'Aln-Mokra ne sont pas un exemple
impossible à suivre.
lu lieu d'une mer, ce deviendrait des lacs véritables : ce serait
moins pompeux, mais plus économique, et, à défaut de la gloire et de
l'auréole pour un ou deux, ce serait le profit pour tous et à peu de
frais.
Cet aménagement des eaux n'est pas un travail d'Hercule : il suffirait
de 10 millions pour faire 50 barrages, grands et petits, et les résultats
seraient immédiats ; sans compter qu'ils n'exigent pas d'être payés
d'avance par une concession gigantesque.
M. le docteur Cosson a fait aussi observer que le rivage nord de la
mer intérieure étant en pente très douce, cette plage basse soumise au
dessèchement du sirocco donnerait lieu à des inondations et exon-
dations continuelles ; les eaux salées se mélangeraient anx flaques d'eau
douce et aux eaux d'infiltration, et il en résulterait une cause d'insalu-
brité à peu près équivalente à la Farfaria actuelle. La Farfaria serait
donc reportée plus an nord, voilà tout.
424 GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE.
X.
CULTURE DES PALMIERS.
Le dommage qui serait causé à la culture du dattier a ètê traité
aussi par M. le docteur Cosson. Le dattier craint le hâle, les brouillards
de la mer, les pluies : l'eau artésienne donnée par les forages lui suffit.
La grande extension que l'on veut donner à tout l'Oued-Rirh ne s'ac-
commoderait donc pas de l'extrême voisinage de cette nappe d'eau salée
dont les émanations y seraient apportées par les vents du nord-est.
La végétation et les cultures sahariennes seraient à changer.
En outre, ce n'est pas 7,000 ou 8,000 palmiers, mais bien 30,000
à 40,000 qui seraient submergés. II y a, en effet : Si-Mohamed-Moussi
à la cote — 9,10; Dendonga, Nara, El-Ourir à — 22; Sidi-Salah; eo
outre, El-Haouch que laisse en dehors la carte de M. Roudaire et qui
est à — 7,9. De plus, les cotes du premier nivellement de I87i
devant être abaissées de 3P°,86 (ou même seulement de 2 mètres),
toute l'oasis de Meraïer dont M. Roudaire laissait une partie à la cote
-h 1,1 du capitaine Martin, tombera nécessairement en dessous et aura
certainement plus de 2 mètres d'eau ; l'oasis d'Oum-el-Thiour aussi.
La ligue du nivellement de 1875 a laissé l'oasis à l'Est et du même coté
que le chott ; le capitaine Martin a pris par les plateaux sablonneux
bordant la ville et l'oasis et supérieur aux terrains de culture, sansqooi
s'il eût été au-dessus ou au môme niveau, les indigènes auraient irri-
gué et poussé l'oasis Jusque-là et par conséquent encore converti ren-
drait en plantations. La plus haute cote de ce terrain supérieur aux
cultures était, en 1875, de 4°\35 ; les trois autres cotes positives sont
beaucoup moindres; toutes les autres cotes sont négatives. En baissant
encore de 2 à 8 mètres, toute l'oasis et une bonne partie de la ville sont
bel et bien et de beaucoup englobés par la courbe zéro. Or, Meraïer
était, il y a quelques années, une oasis de plus de 32,000 palmiers.
Ajoutons cependant que l'indemnité pour la destruction de ces palmiers,
lût-elle pour 40,000, n'est rien en comparaison des sommes fabuleuses
que coûtera la construction du canal.
Mais il est un dommage encore bien plus grand. (Se reporter à ce
sujet à l'étude de M. Le Gb atelier citée plus haut.)
Cette nappe souterraine, qui s'étend dans tout le palier du pied des
Aurès et parait dans les puits, à des profondeurs variant de 8, 10 a
15 mètres et jusque 20 et 25 dans le Souf, dans le Meirir, se rapproche
extrêmement près de la surface.
La présence des eaux de la mer dans la cuvette amènera nécessai-
rement des infiltrations salées qui se feront sentir sur toute la xone de
LA MER INTÉRIEURE EN ALGÉRIE. 425
poils environnante, altéreront leur qualité et rendront les eaux im-
putables.
XI.
EXHAUSSEMENT DU SOL.
Les apports de terre entraînée par les eaux entreraient aussi dans
une lente proportion, mais constante, pour combler de nouveau la cu-
vette jusqu'à la courbe zéro, et, puisque nous en sommes là, tenons
eomple aussi des déblais des tranchées entraînés par les eaux dans
k& cuvettes du Melrir et du Rarsa
M. fioudaire admettait que, par les terres du canal d'Àsloudje, le fond
do Melrir ne s'élèverait que de 0ln,0038 et que celui de Rriz élèverait
le fond du Rarsa de On,037. Il faisait entraîner les terres du canal de
Melabdans le chott du Ojerid qui aurait élevé son fond de 0œ,01S;
mais ce dernier chott étant bien et dûment au-dessus du niveau de la
mer, il n'y faut plus compter. Ko revanche, ce sera daoB le Rarsa qu'il
faudra déverser les terres : et le canal définitif amènera dans ce der-
nier lac une surélévation de Om,15.
Quant aux apports amenés par les pluies d'orage et les rivières, on
sait que la terre entraînée va de yfy à rh du volume d'eau dans les
crues. L'alimentation par les rivières est d'environ 600 millions de mè-
tres cubes d'eau actuellement. Elle sera probablement doublée, soit
1,^00,000,000 de mètres cubes. L'apport de ferre, en prenant les y^,
serait de H't0,°'^* 36 millions de mètres cubes, ce qui donnerait
une surélévation de 0n,004 par an, soit 1 mètre en 250 ans, lequel s'a-
jouterait sûrement et progressivement au dépôt de sel pour exhausser
te fond.
XII.
POINT DE VUE COMMERCIAL.
À ce point de vue, il y aura probablement lieu d'adopter, pour la na-
vigation dans ce bassin, des navires d'un tonnage particulier, à cause
des hauts-fonds; donc, nécessité d'un transbordement. Le golfe de
Oabès a une pente très douce, 18 mètres de fond à plus de 5 kilo-
mètres au large. La plage est la même dans toute l'étendue de l'entrée
possible du canal; il faut donc compter dans les dépenses le creuse-
ment du port et probablement d'un petit chenal dans la baie, creuse-
ment bien plus cher que le creusement des ports de Marseille. Tous
les marins que nous avons vus et entendus et qui sont allés à Gabès
sans parti pris disent qu'il suffit d'avoir vu la plage de Gabès, le pla-
teau, le relèvement, pour renoncer à jamais au projet de la mer inté-
rieure.
•OO. Dl oiOGR. — 3« TUMISTU 1883. 23
426 GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE.
Quant an commerce du Sud, on aura pour longtemps bien dn mal i
le rendre plus important ; rappelons-nous les efforts faits à l'occasion
dn Transsaharien : ce n'est que progressivement qu'il pourra se faire.
D'abord de fiiskra à Touggourth, puis quand, après l'Oued-Birh, les fo-
rages artésiens auront mis en râleur le sol plus loin, de TouggoarUi i
Ouargla.
La mer intérieure n'y fait absolument rien; elle laisse toujonri
notre commerce aux portes dn Sahara. Les lignes commerciales do dé-
sert Tont du Nord au Sud; la mer intérieure Ta de l'Est à l'Oaest pour
aboutir à Meraïer à l'Est; elle coupe donc plutôt nos lignes, et bien
vite elle arrive à l'Ouest, où elle ne leur est d'aucune utilité.
Les deux centres de transit pour le désert sont Radamès et Àln-Çalali.
Radamès est bien au Sud du Nefzaoua, mais il en est séparé par de
hautes dunes (200 mètres) et des plateaux arides et pierreux. Sur
100 caravanes, 99 préféreront partir de Tripoli simplement, route sui-
vie de tout temps, que du Nefzaoua pour se rendre à Radamès. Et le
courant commercial que Ton voudra créer du Nefeaooa ou de NefU sor
Uadamès aura contre lui les Djeicli et tous les pillards du désert. —
Les routes que nous avons pour aller à Radamès, du Souf et de Ouar-
gla, laissent à l'Est le haut plateau de dunes, et la mer intérieure leur
est parfaitement inutile ; le chameau est nécessaire avant comme après,
et, avec la mer, on aura un transbordement en plus.
Donc Radamès n'y gagnera rien; quant à Aln-Çalah, il est toujours à
peu près à la même distance : 26 Journées au lieu de 30, les 200 kilo-
mètres de canal et 200 kilomètres de mer sont une mauvaise économie
pour nous faire prendre nos marchandises à Gabès, au lieu de la
prendre à Biskra ou Meraïer par la tète du Transsaharien, à 400 kilo-
mètres également de Philippeville.
En outre, cette mer nous séparera complètement des sédentaires du
Nefzaoua et du Souf qui, puisqu'ils seront de l'autre côté du fossé fron-
tière, en cas de guerre ou insurrections, seront nécessairement abi*
donnés au pillage, à la révolte ou à la conquête. Or, ces deux régions
sont des pays riches, peuplés, couverts de palmiers, ayant une popob-
tion laborieuse, économe, habitant des villes et des villages et doit
nous pensons tirer le meilleur parti.
Ici se présente nne occasion d'effleurer en deux mots la question
militaire.
On nous dit que la mer ferait la meilleure barrière contre une insur-
rection indigène; la mer, oui; le canal, non, car il occupe à peu près h
moitié de l'étendue de cette prétendue frontière et rien ne sera ôcil*
comme de boucher le canal, de faire sauter les berges an besoin :mtoe
avec les outils les plus sommaires on peut faire ébouler les berges; u
LA MER INTÉRIEURE EN ALGÉRIE. 427
déblai de 15,000 mètres cubes de terre suffirait largement pour com-
bler le fossé et donner an large passage ; ce serait l'affaire de quelques
jours et la démolition se ferait avec une facilité égale à celle de M. Rou-
daire procédant au creusement.
D'un antre côté, si une guerre avec une puissance européenne sur-
venait, ce serait nu moyen de plus, une voie ouverte pour pénétrer
chez nous et nous prendre à revers. Une marine étrangère forcerait
facilement rentrée de Gabès, au besoin même renouvellerait le portage
des Argonautes et viendrait porter dans le territoire dont M. de Lesseps
demande la concession, armes, munitions et insurrections.
XIII.
CONCLUSION.
Et maintenant que Ton a vu que la mer intérieure coûterait près
don milliard, qu'elle ne serait pas faite avant 30 ans, que les avan-
tages, les résultats bienfaisants dont nous parlent les sectaires du pro-
jet ne sont rien moins que problématiques, que reste-t-il debout pour
soutenir le projet ?
Tout ce que nous avons dit a été examiné et reconnu par la haute
Commission chargée, Tan dernier, de se prononcer sur l'opportunité
de la mer intérieure, qui, tout en reconnaissant, ce que nous faisons
do reste, la possibilité théorique du projet, s'était prononcée contre sa
mise en pratique.
Les sondages que 11. le commandant Roudaire a pu faire depuis à
Gabés et au Kriz, le nouveau col signalé, la dépression inférieure par
où passera son canal, le choix du Melah, l'adoption du littoral nord du
choit pour le grand canal du Djerid, sont des réponses portant sur
des questions de détail, mais non sur l'ensemble du projet condamné
d'avance, et non seulement par des savants, comme le disent ironi-
quement MM. de Lesseps, Roudaire et leurs partisans, faisant appel au
souvenir de Suez, mais aussi par tous les gens pratiques, toutes les
sommités militaires et civiles faisant partie de la commission convo-
quée par M. de Freycinet.
Nous nous inclinons tous devant M. de Lesseps, devant l'homme qui
a fait Suez, devant cette belle figure, cette vieillesse énergique, s'opi-
niâtrant dans la poursuite de ridée qu'il a faite sienne ; mais, comme
cela a été dit dans un journal de la colonie, • nous nous inclinerions
davantage si ces fatigues étaient supportées dans un but désintéressé. •
Du reste, maintenant, ce n'est plus d'actions et de parts de fonda-
teurs qull s'agit pour les promoteurs de Teutreprise: M. de Lesseps Ta
parfaitement déclaré, il demande en concession, sans garantie d'inté-
428 GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE.
rôt, les soi-disant mauvais terrains de la mer intérieure et des monta-
gnes: on a parlé de 2,200.000 hectares, dont 150,000 à 200 ,000 en forêts.
Ce serait l'équivalent de cinq départements français. Ce serait une
grande maladresse de payer ainsi d'avance une œuvre dont l'oppor-
tunité et la praticabilité sont déjà maintenant si contestées, un projet
si aléatoire, si chanceux, ayant tant de hautes intelligences contre loi,
n'ayant pour lui, sauf ses promoteurs, que ceux qui aiment mieux
croire que d'aller voir ou étudier. Car, nous l'avons dit, ces 2,200,000
hectares ne sont pas du tout sans valeur ; la terre végétale y existe,
l'eau y est aussi, mais elle y passe trop vite. L'eau artésienne s'y trou-
vera toujours à des profondeurs variant de 80 à 200 mètres au plus.
On priverait la colonisation de ces terres pour en faire l'apanage princier
de concessionnaires qui renouvelleraient les erreurs des grandes com-
pagnies du siècle dernier et écraseraient l'initiative individuelle (■).
En fait de mer intérieure et de colonisation, ils commenceraient par
se tailler de beaux domaines; de suite, très probablement, ils feraient ce
que depuis 20 ans notre France aurait dû faire : des barrages et des
forages artésiens ; ces barrages réussiraient toujours aux pieds de mon-
tagnes de 2,000 mètres et avec de l'eau pendant trois ou quatre mois
dans les rivières ; et ensuite, leurs terres facilement fertilisées, ils
trouveraient peut-être d'une certaine valeur les raisons que nous *tocs
données contre l'établissement de leur mer.
Mais que d'abord cette société si puissamment constituée dont parle
M. de Lesseps montre ses ressources, qu'elle jette dans l'entreprise et
à Gabès ces premiers cent millions qu'il semble agiter devant nos yeux,
pour nous engager à en verser d'autres; puisqu'il est si sûr de la réos-
site du projet, de l'exécution du canal, du remplissage du bassin, qn'ÎI
commence tous ces travaux ; il n'a pas besoin de ces terrains du lit-
toral nord maintenant, puisque ce n'est qu'après la mer qu'ils seront
fertilisés. Qu'il attende que la mer soit réellement dans le Melrir pour
en demander la concession, mais qu'elle ne lui soit pas donnée avant
et comme rémunération d'un service qu'il ne nous a pas encore rendu.
Paiusot.
(*) Rappelons quo la Commission supérieure a terminé son trtval! par l'ordre Ai
jonr suivant : « La 'Commission, tout en rendant hommage aux Intéressants tiavaal
• de H. le commandant Roudaire, ainsi qu'au courage et à la persévérance qu'il &
■ déployés dans les difficiles études qu'il a poursuivies, au cours de ces dernières
• années, dans le sud de l'Algérie et de la Tunisie,
« Considérant quo les dépenses de l'établissement do la mer intérieure soraiesi
< hors de proportion avec les résultats qu'on peut en espérer,
c Est d'avis qu'il n'y a pas lieu pour le gouvernement français d'encourager cttte
« entreprise. >
Pourquoi donc M. Roudaire aujourd'hui s'acharne-t-il à lutter contre l'avis d'une
commission qui en somme était de prime abord plutôt disposée en faveur de soa
projet et où, bien certainement, n'avaient pas été admis ceux qui s'étaient déjà fait
connaître par leur opposition à ce projet ?
LA MER INTÉRIEURE* EN ALGÉRIE 429
NOTE DE LA RÉDACTION.
L'exposé qui précède est le résumé de la conférence faite fin mai à
la Société. Actuellement, étant donné le caractère absolument privé que
doit avoir l'entreprise de la mer intérieure, plusieurs des objections
faites par Fauteur n'ont plus aucune raison d'être.
Rédigé d'ailleurs d'après les notes de l'auteur et imprimé en son ab-
sence, sans qu'il ait pu en faire lui-même les corrections, ce résumé
renferme des erreurs d'impression qu'il est de notre devoir de rectifier
comme suit en soulignant les mots et chiffres exacts :
Page 407, ligne 18 : altitude 4e — 27,5{1).... altitude, —24,5....
ligue 19 : que le miUeu soit A — 30....
ligne 20 : de — 24 pendant 60 kilomètres....
Page 408, ligne 5 : qui est en dessous de la cote Oà la cote —20.... «n haut-fond re-
levé,».,
ligne 11 : à la cote —24....
Page 412, note 1, ligne 12 : par M. le commandant Eondalro....
Page 413, ligne 31 : pour la aurface du chott donnent....
Page 414, ligne 55 : but les 780 millions de mètres cubes....
Page 415, ligne 20 : étant, an lieu de allant.
Page 416, ligne 41 : entre les deux chiffres est de 325 mètres cubes.
ligne 42 '.c'est au lieu de est.
Page 417, Ugne 9 : mètres cubes. Quand la tranchée....
ligne 10 : au plafond (mais.... de 0,80) ;....
ligne 11 : le paragraphe compris entre les lignes 19 et 23 est une note à
placer à la page 416, ligne 12, après maximum.
Page 418, ligne 18 : suffisant au Ueu de insuffisant.
lignes 14 et 15: ne pourra pas s'exercer.... au-dessous du niveau.
lignes 29 i 38, et p. 419, lignes 1 et 2, forment une note de là page 418,
ligne 6, après : jusqu'à la cote 0.
Page 419, ligne 19 : près de 300 millions.
ligne 41 : du Khensg au lien du Theneg.
Page 420, ligne 12 : elle en est....
Page 421, ligne 11 : de l'Ahmarcaddott au Djebel-Ohachar.
Page 422, Ugne 7 : Ouled-Ahmor.
Page 423, ligues 4 et 5: un jardin. Jusqu'à.... de Négrine nous....
ligne 30 : l'auréole pour quelques-uns.,..
Page 424, lignes 17 à 27, note à mettre en renvoi de la ligne 16, après : eau.
Page 426, ligne 4 : après l'oued fiirh. J. V. B.
0 Le signe — , placé devant les cotes, indique qu'elles sont au-dessous du niveau
de la mer.
9° GÉOGRAPHIE COLONIALE
LA
NOUVELLE-CALÉDONIE
(Suite.)
Communication*. — Les transactions commerciales sont facilitées a
l'extérieur par des services réguliers à vapeur et à voiles sur l'Aus-
tralie, sur Bordeaux et par les paquebots-poste français de Marseille
Un service de paquebots à vapeur relie entre eux tons les points de
la côte au moins deux fois par mois. Ces paquebots reçoivent une
subvention de 180,000 fr. que la métropole fournit à la colonie.
Télégraphe. — Un réseau télégraphique, comprenant 24 bureau*,
met en communication avec le chef-lieu tous les ports de la côte et
toutes les localités de Mie.
On s'occupe de relier par un câble sous-marin, de Brisbane i Nou-
méa, la Calédonie à l'Australie, et par suite à la France.
Postes. — Un service postal dessert tous les points habités.
Dès Tannée 1860, on avait tenté d'organiser des courriers terres-
tres entre Nouméa et Ganala. Le trajet est de moins de 200 kilomètres
et devait se faire en quatre jours. Une boite en fer-blanc contenant
les correspondances était remise au chef canaque ; celui-ci, pour rendre
inviolable la boite aux lettres, avait mis le tabou sur cette boite, c'est-
à-dire l'avait rendue sacrée aux yeux des Canaques, mais, soit supers-
tition, soit paresse, soit mauvais vouloir, la boite n'arrivait que bien
longtemps après le départ. On la retrouvait dans les relais ou les
étapes, suspendue à un arbre ou déposée sur la lisière de la forêt. Oti
respectait la boite, mais elle restait en roule.
Voilà qu'au mois de décembre 1860, Tune des tribus que traversait
le courrier avec sa boite fut décimée par une terrible épidémie qui
commença à sévir au moment du passage du courrier. Les sorciers
déclarèrent que le mal ne pouvait provenir que du contenu de II
boite aux lettres. Cette cause étant ainsi connue, il n'y avait plus qu'a
la supprimer pour supprimer l'effet. Aussi, dès que les courriers sui-
vants passèrent, ils furent arrêtés, massacrés et mangés. Comme
cette fois, on ne retrouva pas les lettres, on envoya une expédition
I
LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 431
contre ces cannibales, mais ils avaient fui dans la montagne. En 1878,
la même tribu fut des premières à massacrer les blancs, de sorte
qu'elle a été détruite, et son territoire magnifique est libre pour la
colonisation.
Il y a aujourd'hui 27 bureaux de poste.
Justice. — La justice est organisée comme en France. Il y a, à Nou-
méa, un tribunal de première instance et un tribunal supérieur,
serrant à la fois comme cour d'appel et comme cour d'assises. Un
tribunal de commerce a été institué. Enfin, des juges de paix Tiennent
d'être établis dans les quatre autres arrondissements de l'intérieur.
Budgets. — Le bodget de la ville de Nouméa est de 290,000 fr. pour
5,000 habitants. Il est donc, en proportion, d'environ le double de
celui de la ville de >ancy.
Il y a dans l'intérieur neuf commissions municipales qui reçoivent
ensemble une allocation de 70,000 fr. En outre, il y a 12 officiers de
l'état civil.
Le budget de la colonie, qui était de 434,000 fr. en 1870, est actuel-
lement de 2,068,000 fr.
Terminons ce qui regarde la population blanche de la colonie en
passant en revue les progrès intellectuels.
Instruction publique. — Le premier budget de l'instruction pu>
tîiqve date de 1874 et s'élevait à 43,500 fr. En 1877, il était de près
de 57,000 fr.
Actuellement, l'administration y consacre 98.000 fr., et la munici-
palité de Nouméa 56,000 fr., soit 154,000 fr. pour 5,000 habitants.
Sotte part le désir d'instruction n'est aussi grand qu'aux colonies.
Bon seulement on en sent le besoin immédiat pour soi, mais on veut
que les enfants soient ainsi mis à même de se suffire et de s'élever
dans la société. .
Le nombre des écoles est de 45. Les élèves des deux sexes ne sont
encore que de 1,574, dont 600 dans les écoles des missions exclusives
aux Canaques. On voit que la colonie fait les plus louables sacnOces
ponr l'instruction publique de la jeune génération.
Kous allons maintenant pénétrer chez les Canaques.
Population canaque. - Ne craignez pas que ces anthropophages
nous mettent cuire à l'étuvée selon leur ancienne coutume. Leur
hospitalité nous est assurée. Nous avons dit qu'il y avait 41,000 Calé-
doniens, il.
Sommes. — Les Canaques calédoniens ont la peau couleur chocolat.
Les pommettes sont plus saillantes que les nôtres, mais moins que
celle des nègres. Ils ont les yeux noirs et la conjonctive oculaire rou-
geâtre, ce qui leur donne une expression farouche. A voir leurs
.j
432 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
grandes dents blanches proéminentes, ils paraissent toujours disposés
à dévorer nn membre humain. Us différent beaucoup des indigents
australiens auxquels ils sont bien supérieurs.
Popinées. — Les femmes, qu'on appelle « popinées »,sont très laides
en général. Leur tête d'écouvillon, leur chevelure crépue comme ta
chenille d'un casque de carabinier, leurs seins énormes et piriformes,
leurs oreilles déchiquetées, présentent un aspect peu séduisant. (Test
un pays où la vertu semble facile. Souvent elles blanchissent leur
chevelure avec de la chaux comme les marquises se poudraient au
siècle dernier. Elles nourrissent leurs enfants au moins 3 ans et sou-
vent 5. Elles sont flétries de bonne heure, tant par suite des priva-
tions qu'elles endurent que des rudes travaux auxquels elles sont sou-
mises.
Costume. — Le costume des Canaques est tellement primitif, qu'il
est indescriptible. Dans l'intérieur, on peut en habiller 10 avec une
paire de gants ; mais lorsqu'ils viennent à Nouméa, ils sont obligés
de remplacer leur incxpressible par une culotte qu'ils portent col-
lante.
Le sauvage aime à alterner le costume d'Adam avec celai des Euro-
péens, et il est fier de se vêtir d'un gilet avec un chapeau haut de
forme sans pantalon. On s'imagine ce qu'a de grotesque cet accou-
trement qu'on n'admettrait même pas dans nos bals travestis. Il est
vrai que l'absence de pantalons et de bas est remplacée par des jarre-
tières ornées de coquilles aux genoux et des bracelets au gras des
bras, par des colliers de poil de roussettes et par des pendants d'o-
reilles en bois ou en écorce, gros comme un bouchon et passés dans
le lobe de l'oreille. Ils ornent leur chevelure de verdure ou d'aigrettes
de plumes, ou ils l'enveloppent dans une étoffe nouée en turban avec
la corde de leur fronde. Ainsi, ce sont les hommes et non les femmes
qui portent des jarretières et pas de bas.
Quant aux femmes, à Nouméa, elles sont vêtues d'un grand peignoir,
sans taille, blanc ou de couleur brillante ou à carreaux. Dans l'inté-
rieur, elles n'ont qu'une ceinture frangée en fibres de cocotier teinte
avec le coleus. Elles y ajoutent par derrière, et pour cause, un appen-
dice en forme de giberne.
Les colliers en pierres polies et percées, en graines, en poils de
roussettes, les bracelets de coquilles rehaussent l'attrait des femmes.
Elles fument, comme les hommes, un tabac en figues, très acre et
très fort. Leur pipe et leur couteau ne quittent pas leur ceinture, et
souvent leur pipe remplace dans le trou de leur oreille le rond de
bois qu'elles y mettent ordinairement. Il parait qu'une mode pari*
sienne récente consistait à porter aux oreilles et au coudes petits
LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 433
cochonnets en or. Bien des maris préféraient voir aux oreilles de leurs
femmes de vrais brûle -gueule qui du moins pouvaient servir à la
communauté.
Les hommes portent la barbe comme attribut de la virilité. Mais, après
un deuil, après une réconciliation, après la rencontre d'un ami long-
temps attendu, on casse une bouteille de verre, on prend un tesson
et Con se rase mutuellement. Gomme notre roi Lonis XI, on n'a donc pas
de meilleur compère que sou barbier ordinaire. Quand on est seul à
se raser, on a pour glace un tronc de cocotier. On y a creusé une cu-
vette que la ploie a remplie d'oan. dont l'aubier noir de l'arbre fait un
miroir. On s'agenouille devant ce miroir d'eau claire et Ton se rase
avec le tesson de bouteille. Cette installation ne remplacera pas de
sitôt celle de nos élégantes boutiques de barbiers.
Le tatouage n'est que partiel; il est plus en usage cbez les femmes
que cbez les hommes. Elles se piquent dans la peau de la poitrine et
des bras des brins d'herbe sèche, y mettent le feu et se font ainsi de
petites tumeurs rondes et gaufrées disposées par rangées. C'est un
nouveau système recommandé à ceux que passionnent les grains de
beauté ou les mouches Régence.
Alimentation. — Le Canaque se nourrit d'ignames, de taros, de pa-
tates, de bananes, de cocos, de cannes à sucre, de papayes, de pois-
sons et de coquillages. L'eau de mer et les coquillages ajoutent aux
aliments le sel qui leur manque.
Il élève des volailles et des porcs, mais pour en faire trafic avec les
caboteurs, et ne peut les consommer lui-même parce que ces aliments
ne subiraient pas à toute sa tribu.
La récolte des ignames et des taros est dévorée dans de grandes
fêtes que les tribus se donnent entre elles. Dans l'intervalle de deux
récoltes, le Canaque, mourant de faim, s'emploie chez les Européens
qui le nourrissent, ou en est réduit à manger des fruits, des racines,
des sauterelles ou de la terre. Cette terre est une stéatite molle, en
boulettes, se délitant avec la salive, ayant un goût légèrement sucré*
C'est un chocolat trompeur qui engourdit l'estomac, mais qui n'en-
graisse pas. C'est l'analogue de la poudre de talc, et il ne viendra à
personne l'idée d'en goûter.
Cannibalisme. — Ainsi nourri d'aliments végétaux, l'aliment azoté
loi manque. Son instinct loi dit que la viande enrichirait son sang, et
wilà pourquoi, dans un pays dépourvu d'animaux et de gros gibier, il
lui est arrivé de manger de la chair humaine.
Comme l'a dit Toussenel, le mal est moins de manger son semblable
une fois mort, que de le tuer pour le manger.
Le soin de sa nourriture est donc la plus grande préoccupation du
434 GÉOGHAPHIE COLONIALE.
Canaque et la cause des pénibles -corvées des femmes chargées d>
pourvoir. Aussi, lorsqu'on lui parle d'un grand pays comme la France:
• C'estdonc un pays, s'écrie- t-il, où Ton ne manque jamais d'ignames!»
Un Canaque disait i l' évoque : « Il est peut-être mal, comme tu le (fis,
de manger de l'homme, mais ne dis pas que ce n'est pas bon, tu men-
tirais. »
Un autre, qui avait deux femmes, demandait à être chrétien. On lui
répondit qu'on le baptiserait quand il n'aurait plus qu'une femme. Il
revint le surlendemain et déclara se contenter d'une seule épouse. ■ Que
devient l'autre? lui demanda le missionnaire. — Mi toupaï, poplné —
finish kdïkaï — beaucoup lélé. (Je l'ai tuée, Je l'ai mangée, c'était
une bien bonne femme.) ■ Telle fut la réponse du Canaque.
Voilà les gens que les missionnaires ont entrepris de civiliser et
dont ils ont transformé les mœurs, au point qu'il existe dans les tribus
chrétiennes, catholiques ou protestantes, un état civil dont nous pro-
fiterons plus tard. De plus, on leur apprend le français et le chant en
français et même en latin.
Ces pauvres popinées, on les envoie à la pêche, même aussitôt
avant et après leurs couches. Elles portent les fardeaux pendant que
leur seigneur et maître marche en avant, sa lance ou sa hache à la
main. Ces derniers leur font l'honneur d'être très jaloux.
Usages. — Les usages défendent aux femmes de s'approcher des
hommes, même de leur mari, autrement qu'en rampant. Il est très im-
poli de demander à un Canaque des nouvelles de sa mère, de sa
femme et surtout de sa sœur. Celle-ci se jette, avec son fardeau, daas
les bois, si elle rencontre un homme et surtout spn frère en chemin.
Il est prescrit par la civilité calédonienne de passer devant les chefs
et les invités; de s'asseoir quand ils se tiennent debout; de ne pai
ôter sa coiffure quand on prend part à un enterrement; de montrer, à la
façon des Espagnols et des Cochinchinois, à son amphitryon qu'on a le
Tentre plein jusqu'à l'excès.
On voit que ces usages sont dictés par la défiance, car en marchnt
devant son invité ou en s'asseyant devant lui, on ne peut lui asséner
un coup de casse-tête.
Cases. — Les cases canaques sont construites en forme de roches
d'abeille avec des bois, des peaux de l'arbre qu'on appelle niaoulis et
un toit d'herbes. On fait du feu au milieu entre des pierres, n n'y i
qu'une petite ouverture qu'on obstrue le soir, afin de se préserver du
froid et surtout des moustiques pendant la saison chaude.
Souvent on y subit les morsures de petites puces qui sont de vrais
cannibales pour le sang blanc.
Les cases des chefs ou d'apparat, où se réunit le conseil éts anciens
LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 435
de la tribu, sont plus grandes et mieux faites; la toitnre se relie au
poteau «entrai par on inextricable réseau de perches enchevêtrées.
Le plafond se compose de grosses planches de houp aux extrémités
desquelles sont sculptées des têtes grimaçantes. Il en est de même
des piliers. Des allumettes, des étoffes, des nœuds sortilégiques sont
suspendus aux parois.
Cultures. — Le taro et l'igname sont les principales cultures. Elles
se font au moyen d'un bâton de bois dur avec lequel les naturels dé-
frichent leurs champs. Les cultures de taros sont entretenues par des
irrigations parfaitement entendues. L'eau des sources descendant des
montagnes est amenée dans des rigoles formant des étages superposés.
Ces conduites d'eau sont très remarquables.
Ils cultivent en outre le bananier, la canne à sucre, l'ananas, et,
comme fruits, l'orange, le citron et la pêche.
Quelques indigènes cultivent du café et du mats. Les cocotiers sont
très nombreux.
Les poteries canaques, en terre vernissée, ont été remplacées par
des marmites en fer et les calebasses par des bouteilles.
Outils en pierre. — Leurs haches en pierre polie ont cédé le pas
soi haches en fer ou en acier; mais ils ont conservé comme armes la
sagaie et le casse-tête en bois, arme terrible dans leurs mains. Us se
servent habilement de la fronde, et les pierres ovoïdes qu'ils em-
ploient démontrent qu'ils connaissaient la propriété des projectiles
coniques avant l'invention de la carabine Miniè en France. Ils mar-
quent, au moyen de pierres tumulaires, à la place même où ils sont
tombés, le nombre des guerriers tués dans les combats.
Les haches, les herminettes en pierre servaient à creuser des piro-
gues et à travailler le bois.
Les haches rondes étaient un attribut, un insigne de chef, et lors-
qu'on devait tuer un chef ennemi puissant, c'est avec une de ces
haches de luxe qu'on lui faisait l'honneur de le frapper.
Pirogues. — Les pirogues sont à balancier. Elles sont simples ou
doubles et sont creusées dans un seul tronc d'arbre. Elles sont ma-
nœuvrées à la pagaye et à la voile triangulaire.
Musique. — Le seul instrument de musique est une flûte en roseau
à deux trous. Les indigènes en jouent avec une égale facilité, tantôt
par la bouche, tantôt par le nez en se bouchant l'une des narines avec
le pouce. Notre pays est réputé comme possédant des instrumen-
tistes distingués, mais nous n'avons pas encore vu de flûtistes jouant
avec leur nez, c'est sans doute à cause des rhumes de cerveau si fré-
quents en hiver.
Fêtes. — L< s Calédoniens aiment Ios réunions et les réjouissances.
436 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
Elles sont connues sous le nom de pilou-pilou et elles sont tantôt de
fêtes à l'occasion des récoltes, de la mort d'un chef, de la m
du fils d'un chef ou des marchés d'échange, mais ce sont toujours
fêtes guerrières.
Guerrier masqué. — Les sexes sont séparés. Les hommes se met-
tent à la file ou en rond. Ils sont complètement nus. Ils ont les yen
et les pommettes des joues teints en bleu ou en rouge, des plumes oh
de la verdure dans la chevelure. La poitrine est barbouillée d'huile et
de suie. Us tiennent à la main un bâton surmonté de plumes blanches,
une sagaie, un casse-tête ou une hache. Us s'avancent en ligne frap-
pant la terre en cadence, s'arrêtent court devant le chef ou le princi-
pal invité, déposent devant lui des présents : fruits, cocos, bananes,
ignames, poissons. S'il s'agit du gouverneur, on lui apporte un coq
blanc et des armes. Ce présent officiel, hommage de soumission an
civil et au militaire, est suivi d'un autre cadeau, un cochon suspendu
à un bambou par les quatre pattes. Cette offre est accompagnée de
hurlements sauvages qui se joignent au grognement du pore et si
gloussement du coq. Il faut avouer que ces présents sont assez diffici-
les à emporter avec soi. On les accepte, on y répond par des cadeaux
de vêtements, d'étoffes, de tabac, d'argent, et Ton renvoie les bétes
dans le village pour y être consommées. Le soir, à la lueur des torches,
commencent des danses effrénées. Ce sont des contorsions du corps
en cadence et accélérées qui se terminent par le formidable cri de
guerre. Au milieu des forêts épaisses, autour des feux allumés, ces
bandes de sauvages surexcités ont un aspect fantastique et terrible,
et l'on a une idée des plus affreuses scènes de cannibalisme.
Religion. — Les Canaques croient à la vie future puisqu'ils hono-
rent les morts, et sartout les chefs, par des fêtes funéraires; ils
croient aux esprits, aux revenants, aux sortilèges. Us font aux esprits
des offrandes d'ustensiles, d'étoffes, de fruits et de vivres. Leurs sor-
ciers font la pluie ou la sécheresse, le vent ou le soleil. Les esprits
de leurs aïeux vont tous dans une sorte de lieu de repos situé sons la
mer. Quand il tonne, c'est que ces esprits reviennent irrités, et afin
de les éloigner l'on promène sur le sommet des montagnes des torches
allumées.
Le tabou. — Ils ont les ablutions, les abstinences et la coutume do
tabou.
Langue. -— La langue canaque, bien que dérivant d'une même ori-
gine, n'est qu'une variété d'idiomes qui changent avec chaque tribo,
au point que deux tribus voisines se comprennent difficilement il
faut autant d'interprètes qu'il y a de tribus; mais les indigènes ap-
prennent à parler un langage mélangé de français, d'anglais et de
LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 437
canaque, « le bichelamer », que tout le monde comprend en peu de
temps.
Bambous graves. — Les Canaques aiment à veiller très tard le soir,
et les conteurs récitent de longues et poétiques légendes. Ils n'ont
pas d'écriture ni de livres; mais ils gravent sur des bambous les faits
qui les intéressent, et au moyen de cette représentation figurée, ils
racontent les faits dont le souvenir doit se perpétuer.
Numération. — On a déûni l'homme : un animal dont l'intelligence
est capable d'abstraction. En descendant l'échelle humaine, on voit
qoe moins l'homme est civilisé, moins il est accessible aux idées abs-
traites. Un Canaque ne saurait compter jusqu'à 1,000. Il se sert de
nœuds qu'on fait à nne corde ou de coches qu'on fait à un bâton
comme la taille des boulangers. Il a tiré de la nature une méthode
aussi simple qu'ingénieuse, et qu'on peut appeler système vigésimal,
puisque la base en est le nombre 20. On réalise ce nombre en comp-
tant les doigts des mains et les doigts des pieds, et Ton appelle le
tout ■ un homme >. 40 doigts font deux hommes et ainsi de suite.
Kotre système décimal a au moins l'avantage de ne pas faire compter
nos jeunes élèves sur leurs doigts de pied.
En outre, la numération des Canaques change selon qu'il s'agit
d'êtres animés, 20 oiseaux; d'êtres inanimés, 20 cocos; d'êtres très
grands, 20 navires.
Monnaies. — Us ne veulent accepter ni la monnaie de cuivre ni la
monnaie d'or. Ils prétendent qu'on leur a donné des sous neufs pour
de l'or, dont ils ne savent d'ailleurs pas la valeur. Il faut tout traiter
en comptant d'après leur numération, et s'il s'agit de payer 1 fr. 50 c, on
dit voilà 3 dix sous. L'unité de monnaie est donc la pièce de 50 cen-
times.
La monnaie indigène consiste en perles faites avec la pointe diaman-
tée de petits coquillages qu'ils usent jusqu'à ce qu'ils soient percés
et qu'Os enfilent ; 1 mètre de ce chapelet vaut 50 fr. Lorsqu'une
femme a été enlevée, cas éternel de guerre entre les tribus, bien avant
que l'amour perdit Troie, on peut éviter la guerre en restituant avec
la femme un petit chapelet de perles au profit de la tribu lésée.
Dépérissement de la race. — La race canaqne est en proie à bien
des maladies. De 70,000 sujets qu'elle était au début de l'occupation,
elle est tombée à 41,000. Les causes de ce dépeuplement sont multi-
ples : la dissémination des villages, le peu de relations entre eux, le
manque de femmes et le mépris des petites filles, les alliances au
deuxième et au troisième degré de parenté, l'abus des spiritueux, le
mauvais emploi des vêtements, la mauvaise alimentation, les maladies
mal soignées ou contagieuses, la phtisie pulmonaire : tels sont les motifs
438 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
qui entraînent la disparition d'une race qui nous serait désormais fort
utile. Nous ne traquons pas les indigènes comme les Anglais, les Espa-
gnols, les Américains et les Australiens l'ont fait au début de leurs oc-
cupations. C'est la fatale loi de sélection qui veut que la place reste au
plus fort. Le végétal, le minéral, ranimai et l'homme subissent celte
loi; mais l'homme a pour lui l'intelligence et l'habileté qui suppléent
à la force, et la France, humaine pour tous les peuples sauvages ehe&
lesquels clic s'est établie, n'encourra jamais le reproche de vouloir
coloniser sur des tombes.
Il n'y a pas en Galédonie de préjugés de castes et de démareatkm
entre les blancs et les sang-mêlés. Les jeunes filles métis font de bons
mariages et ces unions sont généralement heureuses et fécoodes.
La population blanche, en se développant, dut pénétrer de plus es
plus dans l'intérieur du pays, occuper des terres plus vastes et y
répandre des troupeaux qui ravagaient les plantations des indigènes.
Ceux-ci se sentaient irrévocablement dépossédés; ils résolurent d'ei-
sayer de détruire ou de chasser les blancs.
Massacres. — Dans la nuit du 24 au 25 juin 1878. ils se ruèrent sor
les colons de l'intérieur qu'ils massacrèrent avec leurs familles. Les
femmes et les enfants, loin d'être épargnés, furent l'objet des traite-
ments et des outrages les plus odieux.
Quelques jours après l'horrible massacre des colons et des agents
du télégraphe à Bouloupari, le colonel Gally-Passebosc, commandant
l'expédition, tombait frappé de deux balles dans une embuscade. C'é-
tait un valeureux et intelligent officier. Jeune et ardent, travaillevr
infatigable, patriote et libéral, il joignait à ses qualités militaires use
jovialité de caractère qui l'avait fait surnommer, lorsqu'il était lieute-
nant-colonel, le colonel-lieutenant. Sa mort a été une perte irréparable
pour la colonie et un deuil pour la Frauce; car nous avions besoin de
son épée pour les destinées du pays où il était né . et qu'il avait va
occupé par l'étranger
Les massacres continuèrent le 11 septembre aux environs de Bonrail.
Le 1G novembre, 11 personnes furent surprises et massacrées à
Poya. On retrouva trois jours après, sur les lieux, G paniers remplis de
chair humaine désossée et cuite.
Enfin, nos braves soldats d'infanterie de marine mirent les rebelles
aux abois, et les vaincus, demandant grâce, furent déportés aux lies
Bélep et à l'Ile des Pins.
Je demandai un jour à un Canaque rebelle pourquoi Ton avait
massacré des personnes inoffensives, pourquoi l'on avait tué les
enfants, pourquoi Ton avait torturé les femmes. « C'était, dit-il, pour
épouvanter ceux que nous n'aurions pu atteindre et leur faire quitter
LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 439
le pays. » On r oit donc que c'était la lutte pour la vie : Struggle for life.
L'insurrection fut terminée en mars 1879, par l'intelligente et l'hu-
maine énergie do gouTerneur Olry.
Énergie des habitants. — 11 faut rendre cette justice aux colons de
Calédonie, qu'après la ruine industrielle par la crise minière, la ruine
financière par la chute de la banque et autres établissements, les
dommages causés par deux ouragans, les pertes douloureuses dues à
la révolte, leur énergie n'a pas été ébranlée. C'est aussi une preuve
éclatante de la vitalité du pays. La colonie se fera d'elle-même. Gomme
la mère-patrie, après la désastreuse guerre franco -prussien ne, elle s'est
rapidement relevée. Ses dettes sont payées ; ses finances sont amélio-
rées ; ses ressources augmentent ; un million vient d'être envoyé pour
réparer les ruines amoncelées par l'insurrection.
INDO-CHINE, COCHINCHINE
Par M. Ch. LEMIRE (').
Mesdames, Messieurs,
Le sujet de notre entretien est si important, qu'il devrait faire l'ob-
jet d'une conférence d'histoire, mais nous nous bornerons, si tous le
voulez, à une causerie familière, en suivant le courant des faits.
Nous avons à refaire une partie de la route parcourue, en commen-
çant par l'Egypte. Les faits survenus depuis que j'ai eu l'honneur de
vous emmener en Océanie sont du domaine de l'histoire. L'Egypte est
occupée par les Anglais et la ville d'Alexandrie a été deux fois bom-
bardée par eux. Sur le consulat français flottait notre pavillon. Cet
établissement n'existe plus. Voilà une ville fondée par Alexandre le
Grand, défendue par César, prise par Napoléon et détruite par les
Anglais. Il y avait à Alexandrie 15,000 Français, 100,000 Anglais, Ita-
liens, Grecs, Maltais, Levantins et Allemands, 85,000 Arabes et Turcs.
Voilà l'influence anglaise dominant en Egypte par les armes; in-
fluence française s'y maintient par des écoles, des dispensaires, des
asiles d'enfants, des hôpitaux où, sans aucun prosélytisme, les sœnra
de charité distribuent des secours et des médicaments aux musul-
mans et apprennent la couture à des jeunes filles destinées au harem.
Les hôpitaux sont subventionnés par les ministères de la marine et
des affaires étrangères, afin d'y faire soigner nos marins et nos natio-
naux. Ce rôle de notre patrie est encore le plus noble. Saluons en pas-
sant le dévouement des Français et des Françaises d'Egypte.
Ce rôle pacifique et civilisateur de la France lui vaudra d'ailleurs de
grandes compensations sur le continent africain.
Si nous parcourons, sur le planisphère, les immenses contours de
l'Afrique, nous trouvons les Anglais au Nord-Est (Egypte), à l'Est (Aden.i.
au Sud (le Gap, les Zouloos, le Transvaal, Natal, avec 1,200,000 habi-
tants), et à l'Ouest (les possessions de Gambie, de Guinée et de la
Gôte-d'Or). Mais nous avons au Nord l'Algérie et la Tunisie, à l'Est, le
territoire d'Obok, qui est la porte du Ghoa, et une partie de Madagascar,
à l'Ouest, le Sénégal, où nous envoyons, pour nous conquérir le pays,
des locomotives plus puissantes que les canons Krupp ; nous possédons
Dakar, Gorée et enfin le Gabon.
Entre l'Ugoouê et le Congo, M. de Bracza vient de nous ouvrir l'accès
des vastes territoires du roi Makoko. Ses pacifiques succès ont exci é
(') Conférence du 23 février 1883.
INDO-CHINE, COCHINCHINE. 441
le dépit de l'illustre Américain Stanley, qui pénétrait par la force dans
les régions voisines ; aussi exprima-t-il son peu de considération pour
notre compatriote, parce que celui-ci avait des souliers percés et
ècnlés.
Eh bien ! ce va-nu-pieds ouvre au commerce français un territoire
fertile et peuplé, plus grand que la France.
Dans un bal au palais du Gouvernement, à Saïgon, en 1864, donné
en l'honneur du roi de Cambodge, celui-ci était pieds nus, auprès de
dames fort élégantes. Comme les Chinois lui avaient, suivant rasage
officiel, offert une paire de bottes à fortes semelles de feutre blanc,
on lui demanda pourquoi il ne les portait pas : « C'est, dit-il, que le
costume national cambodgien est d'être pieds nus, et j'ai voulu, pour
ma première visite à la colonie française, paraître dans le costume
traditionnel de mon peuple. » Il avait près de lui un sabre à fourreau
d'or et un crachoir en or repoussé. Ainsi, voilà encore un va-nu-pieds
qui venait mettre un royaume sous la protection de la France.
J'ai rencontré, dans mes excursions en Australie, des ministres et
des millionnaires en tenue de stockman et avec des souliers troués.
Dans mes courses pour le tracé du réseau télégraphique en Calédo-
nie, i travers bois, ravins, marais, rochers et montagnes, surpris par
des pluies torrentielles, j'ai dû laisser mes chaussures et rejoindre de
longues étapes, sur les coraux, de Yaté à Unia, pieds nus et avec une
Blessure que je ne pouvais panser qu'avec des cahiers de papier à
cigarettes. Je revendique. donc l'honneur d être l'un de ces va-nu-pieds
qui servent leur pays.
Enfin, plus près de nous, nous avons connu un homme qui pouvait
s'enrichir en vendant à l'Angleterre les inventions de son génie. Non
seulement, il préféra « les donner à la France », mais il les donna au
monde entier. La principale de ses inventions, c'est l'hélice pleine.
Quand elle fut appliquée, l'inventeur était sans ressources, sans vête-
ments et presque sans chaussures, à l'insu de sa famille, qui l'aida
constamment. Cet homme, c'est Frédéric Sauvage !
Les va-nu-pieds comme Brazza, le roi Norodom, Frédéric Sauvage,
qui appellent l'influence française au milieu de peuples nouveaux ou
toi loi assurent le bénéfice de leurs -inventions, .notre pays n'en aura
jamais assez.
Hais je me laisse attarder dans notre itinéraire en vous signalant
des faits qui sont une actualité. Hâtons-nous de passer Aden, Ceylan
et arrivons à Singapour.
Sous y trouvons quatre villes: malaise, Indienne, chinoise, euro-
péenne.
Nous voilà donc bien en Indo-Chine. Les Malais nous vendent en
•OC. DE OAOOH. — S* TOIMB8TBB 1883. 29
442 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
passant des kriss ou poignards, des joncs, des rotins et des cannes en
aréquier, qu'on appelle en anglais des lawyers, parce qu'avec ces
compagnons, on ne manque pas d'arguments frappants.
Ce qu'il y a de plus intéressant à visiter à Singapour, c'est \ejarim
Whampoa où sont rassemblées les plantes d'Europe, des tropiques et èe
la Chine. Dans le jardin chinois, sont des arbres nains, toujours verte,
comme le buis. En les taillant, on leur donne la forme de cerfs, de
chiens, de dragons avec des yeux en bois peint. C'est la nature con-
trefaite.
11 faut aller remercier M. Whampoa à son magasin. On y vend <k
tout. Certainement, les magasins de nos Tilles ont des étalages saper-
bes ; mais je doute qne dans la même maison on paisse voussenir,
comme là, en même temps un bâton de réglisse et un obasier. des
bmilcs de gomme et des boulets de canon, des chaînes de montre et
des chaînes de navire, un cheval en carton et une ancre de 3,000 kil»
Il y a à Singapour des temples de tous Jes cultes. L'église du &*•
Pasteur et certaines écoles sont françaises. Enfin, une maison est des-
tinée à servir de lieu de prière à tous ceux qui n'appartiennent à incm j
culte établi.
Il passe à Singapour, par an, environ 130 navires marchands fm-
çais et une vingtaine de navires de guerre.
Nous atteignons Poulo-Condor, qui a été donnée à la France en 1?$",
et nous voilà au cap Saint-Jacques.
Avant d'entrer en Cochinchine, indiquons la situation de ce pays et
rappelons les motifs de notre intervention (!).
V Indo-Chine est la région comprise entre les Indes, qui sont ioi
Anglais, et la Chine, que la Russie enserre de près an Nord-Est. 9
existe, de Russie en Chine, un télégraphe terrestre de 14,000 kiloaètres,
et un projet de chemin de fer par Orenbourga été dressé. Les 300 mil-
lions d'habitants de l'Europe seront ainsi mis en rapports rapides arec i
plus de 400 millions de Chinois.
Les Indes et la Chine étant ainsi exploitées par les Anglais et te:
Russes, l'attention fut attirée sur l'Annam, empire qui compreaft:
la Cochinchine (haute et basse) et le Tong-King, situé entre les àm
empires indien et chinois. H renferme 20,000,000 d'habitants (test
500,000 chrétiens.
Le premier agent français auprès du roi d'Annan) fut l'intendant ftx>r*
en 1760. C'est lui qui, au péril de sa vie, alla chercher aux Mblapa
les épices et le poivre qu'il introduisit à la Réunion et en France.
Poivre fonda le comptoir de Tourane qui fut bientôt évacué.
f) Voir à bo sujet les carte* et l'oùvr&go de M. Ch. Lemire : la C«dfciM&M/rs* ;
çaiir. et U Cambodge» âc édition. — Chez M. CiialUinel, 5, ru j Jacob, Fuis, t b*
les libraires.
INDO-CHINE, COCHINCHINK. 443
Chassé de ses États, le roi d'Annam Gia-Long demanda des secours
à Louis XYI par l'intermédiaire de Yëvéque d'Adran qui amena à Ver-
sailles le fils du roi. Un traité fut conclu avec la France en 1787. Des
officiers français se rendirent en Cochinchine, mais le traité resta lettre
sorte.
les nombreuses tentantes faites depuis cette époque jusqu'en 1859
jour entrer en relations commerciales avec l'Annam n'aboutirent qu'à
des refus, à des vexations, à des rejets, à des persécutions de nos
nationaux. Nous dûmes entamer, par la force, des relations diploma-
tiques et ouvrir des ports à la navigation. Il fallait en effet prévoir les
conséquences de l'ouverture du canal de Suez.
La Cochinchine est d'une facile défense en cas de guerre.
.Notre marine, en 1870, parvint à bloquer ou à capturer les nombreux
satires prussiens qui sillonnaient ces mers.
il. de Bismark s'en montrait très irrité et répondait aux captures
légalement approuvées par ie comité des prises en s'eraparant, dans
les ports de Rouen, Dieppe, etc., des capitaines des navires ù l'ancre
et en les envoyant prisonniers en Allemagne. Lors de l'armistice,
H n'eut pas de repos ni jour ni nuit, jusqu'à ce que le télégraphe
eût pu mettre un terme à la prédominance de notre marine dans ces
mers
Les Allemands ne se vengèrent que par des démonstrations vaniteuses
et insultantes. Us avaient même eu l'audace de faire demander par le
ministre d'Amérique à Paris la neutralisation des mers de Chine. Là, au
moins, nous sommes restés maîtres du champ de bataille et c'est une
eoosolation à nos malheurs.
àq point de vue commercial et maritime, la Cochinchine est le grenier
A riz de l'Indo-Chine. Saigon est un port sur le Donnai, comme Londres
est sur la Tamise. C'est un pays de production et de cultures varices.
Au point de vue de nos autres colonies, c'est la dernière en date, mais
c'est la plus prospère.
Xotre, intervention armée amena le traité de 18G2 qui nous cédait
les trois provinces conquises depuis 1859. Nous fûmes obligés de
prendre en 1 867 les trois autres provinces de la Basse- Cochinchine,
de sorte que nous comptons 1,500,000 habitants sur un territoire de
5,620,000 hectares.
L'étendue de nos possessions est égale à 9 départements. Ces nou-
velles acquisitions firent l'objet des traités de mars et août 1874 qui
dous ouvraient la Haute-Cochinchine et le Tong-Ring. Ces traités furent
éludés et ne sont pas encore aujourd'hui exécutés complètement.
La population européenne est de 1,200 personnes, sans compter
4,000 hommes de troupes. La population annamite est de l,350,ooo
444 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
habitants, les Malais, 16,000, Cambodgiens, 82,000, Chinois, 45,000 et
des Indiens malabars.
Un de ces noirs m'accoste un jour et me parle en français. Gomme ;
je m'étonnais : tMoi Français, Monsieur, me dit-il. Moi Français de Poa- |
dichéry! • J'aurais été humilié par ce noir, si je n'avais pensé que la ;
Cocbinchine compenserait nos pertes aux Indes.
Les Chinois se groupent par pays en corporations ou congrégations,
qui sont comme des sociétés de secours mutuels à l'étranger et pré*
sentent pour eux des avantages multiples. Les Français devraientaiBsi j
s'associer et s'entr'aider à l'étranger; mais nous n'aimons pas à en-
tendre citer les étrangers, les Américains, les Chinois, les Australiens.
Nous autres Français, nous sarons bien mieux que les autres ce que
nous avons à faire. Pourtant si nous avions cherché â savoir ce qoe les
Prussiens roulaient faire, ce qui est arrivé ne serait pas arrivé.
La Cocbinchine est divisée, comme la France, en arrondissements,
cantons et communes avec des chefs d'arrondissement français et des
conseils municipaux indigènes électifs. La propriété est garantie
comme en France. La plupart des Annamites sont cultivateurs, et par
suite les impôts ont un rendement certain. Le budget annuel est de
20 millions de francs.
Nous arrivons au cap Saint- Jacques. Nous faisons nos dévotions à la
pagode de la baleine et des dauphins, qui ramènent sur leur dosjcs-
qu'au rivage, les malheureux naufragés. C'est pourquoi les jonques
annamites ont l'avant en forme de tète de poisson avec de grands yeux j
et des ailerons peints de couleurs différentes selon leur province. Ca
sémaphore et un phare dominent le cap.
Le Donnai est un fleuve magnifique. Nous le remontons jusqu'à
l'hôtel des Messageries. Nous accostons à la pointe du sémaphore qui '
signale à la ville l'arrivée des navires et nous débarquons dans use
pirogue avec une toiture et conduite par une femme et un enfant qui <
rament debout, la face tournée yen l'avant de la pirogue, et ilssoat '
infatigables.
La ville de Saigon est l'une des plus belles de l'extrême Orient: te
boulevards, des arbres, des fontaines, des trottoirs partout Un château
d'eau a été récemment inauguré.
Le palais du Gouvernement a coûté 13 millions. La cathédrale, ,
5 millions. Voici, sommairement, quelques renseignements utiles.
Monnaies. — La piastre espagnole vaut de 5 fr. 30 à 6 fr. Les *(&
ou lingots d'argent valent de 80 a 100 fr. Ce sont des paraUélipipéàei
dont une face est concave et l'autre convexe (comme une gabart de
la Somme).
La sapèque chinoise est un disque de cuivre; 100 sapèqueschù w«
INDO-CHINE, COCHINCHINE. 445
valent 75 centimes. La sapèqae annamite est un disque de zinc percé
d'an trou carré avec le chiffre du règne. On les collectionne pour ser-
vir à l'histoire du pays.
La sapèqae annamite Tant 6 centimes. Il en faut 30 pour un sou,
600 pour 1 fr.t formant une ligature ou chapelet. 10 ligatures font
use gueuse. Il faut une charrette pour aller au marché avec 20 fr., ou
12,000 sapèques, et si la Ocelle casse, les chapelets se défilent et je
laisse à penser rembarras de ramasser et compter son argent. A Saigon,
lu début, nous faisions de la monnaie, non pas en coupant des sapèques
en quatre, mais en coupant des piastres en huit. L'Annamite vit de peu
et il lui faut moins d'un centime pour acheter des cigarettes, ou une
tasse de thé, un chapeau, un éventail, un quartier d'orange, une tran-
dte d'ananas. Tout a renchéri chez nous, depuis que nous avons aban-
donné les liards, les deux centimes et les centimes. Nous sommes des
prodigues.
Hôpitaux. — Les Français, la truelle d'une main, le sabre de l'autre,
en 1859, ont commencé par faire des hôpitaux pour les Français et
pour les indigènes. Le dévouement de tous dans la dernière épidémie
de choléra est au-dessus de tout éloge.
Us des premiers bâtiments construits a été celui de la Sainte-En-
fance. Style mélangé, ornementé dans le goût indigène, par un archi-
tecte annamite. La colonie y entretient cent bourses pour les petites
Le port de Saigon a été ouvert en 1860; c'est un port franc. Le mou-
vement maritime se chiffre par 460 navires, dont 200 anglais, 100 fran-
çais et 30 allemands. 10,000 Jonques font le cabotage.
Les importations et exportations ne donnaient qu'un total de 5 millions
en 1S60. Ce total est passé à 155 millions en vingt ans, soit 67 millions
pour l'importation et 88 millions pour l'exportation.
Les jonques ont été remplacées par des voiliers, puis par des vapeurs
européens. N'est-ce pas là un assez beau résultat?
Le réseau télégraphique est de 2,000 kilomètres à l'intérieur et 27
bureaux. Des câbles nous relient avec la Chine et la France. Une ligne
Avec Bangkok par le Cambodge est en construction.
La colonie produit en riz 350,000 tonneaux valant 35 millions de
francs. Il y a en Cochinchine 300,000 hectares de rizières. Dans l'Inde
française, on ne compte que 16,000 hectares. Vous avouerez qu'il y a
compensation. L'hectare de rizière rapporte 300 p. 100. Il coûte 300 fr.
ta hectare de terre en friche ne coûte que 50 fr., mais il faut dé-
penser 250 fr. pour le défrichement. Les autres produits sont le coton,
le sucre, les aréquiers, les cocotiers, l'huile de coco, le jute, la cire,
le thé, le maïs, l'indigo, le poivre, le tabac, les chevaux, les bœufs,
446 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
les porcs et les yolailles, — mais pas de moutons, — le mûrier, b
soie, le poisson salé, les bois de construction.
. Les forêts ont une étendue de 800,000 hectares, c'est-à-dire la Niè-
vre, la Côte-d'Or et les Vosges réunies.
Les salines donnent 20 millions de kilogrammes de sel pour le poU-j
son salé. U n'y a pas de blé. U arrive d'Amérique et d'Australie, et kj
farine provient des minoteries de Saigon.
La main-d'œuvre est abondante et très bon marché. On a fait en deux j
mois, en 1 877, des canaux d'un million de mètres cubes. On voit que h j
Gochinchine fait ses canaux plus vite que la métropole.
Les industries sont Vor/èvrerie qui fabrique des bijoux en filigrane
d'or, en argent repoussé;
Les fonderies d'où sortent les cloches, les gongs, — qu'il ne fantn* i
confondre avec les tam-tams, — les brûle-parfums et leurs accessoires;
Les incrustations en nacre qui sont très recherchées ;
Les imprimeries stéréotypes. On y imprime, sur des planches en
bois, des rouleaux à prières qu'on fait dérouler, dans les temples, dératé
les idoles. Des objets destinés à servir d'offrandes sont imprimés sor
papier. Les Chinois trompent même le diable.
Les étoffes et soieries ne valent pas celles des robes chinoises, qui ;
tiennent debout. Les tailleurs ne prennent pas mesure. On leur donne ;
un vieux vêtement et ils en font un neuf; mais si le vieux a ose
pièce, leur scrupule d'imitation va Jusqu'à la reproduire dans le sent
Les dessins, la sculpture et la peinture reproduisent toujonn te .
môme genre. il n'y a pas de perspective. Une figure de 3/4 serait coa-
sidérée comme n'ayant qu'un œil.
Les grands éventails sont aussi un prodoit du pays. Ceux qui «t os .
manche en bois, long comme une manche à balai, sont manœuvres i ]
deux mains par un serviteur. On s'évente lentement et non avec u
précipitation des dames européennes.
Les plumes, — Voici comment on les récolte :
Les oiseaux se rassemblent en masse dans la province d'Hatieo »
mois de mars. On choisit une nuit sans lune. Les parents, après atoiri
rassasié lenrs petits, repartent à la pêche. Lçs petits, repos, prennes;
leurs ébats. Les bourreaux arrivent, refoulant au moyen de pieux ea» '
flammés les oiseaux dans une enceinte où l'on tord le cou aux pte -,
gros. On en tue 1,200 en une nuit. Les mères reviennent lelende»aia«
vers midi, et, ne trouvant plus leurs petits, les cherchent pendait
trois jours et les appellent avec des cris lamentables; puis elles s'aH
retournent au Cambodge. Voilà à quel prix on obtient, Mesdaaa.1
vos beaux éventails de plume. Quant à l'entrepreneur de la tuerie <f«- j
seaux, il se fait 25,000 fr. avec la vente des plumes.
INDO-CHINE, COCHINCHINE. 447
Un comité agricole et industriel, des expositions et des publications,
une chambre de commerce, des consulats de toutes les nations favo-
risent le développement du commerce.
Le revenu annuel étant de 20 millions, la colonie paie toutes ses
dépenses; elle verse en outre 2,500,000 fr. par an à la métropole. On
construit des chemins de fer jusqu'au Cambodge, on Ta en construire
anTong-King. On offre en adjudication aux Européens des travaux con-
sidérables.
Vous voyez que cette colonie riche, livrée à sa propre initiative, dis-
pose de grandes ressources qui profitent à la mère-patrie. Il ne faut
donc pas nous désintéresser de nos propres intérêts, mais aller de
l'avant
Vannée se divise en deux saisons : les pluies, d'avril à octobre, et la
sécheresse, de novembre à avril. C'est le contraire au Toug-King. La tem-
pérature est de 26° en décembre et, en avril, de 35° le Jour, 28° la nuit,
c'est la saison pénible. La végétation prend une telle force que le corps
végète et pousse. 11 se couvre de bourbouilles et d'éruptions cutanées.
L'acclimatement est lent et difficile pour les Européens. La mortalité
sest toutefois que de 4.42 p. 100.
Les animaux nuisibles, tigres, serpents, léopards , sont nombreux,
mais les insectes sont d'une incommodité constante; ce sont les four-
mis rouges, les poux de bois, les moustiques, les rats, les tiques, les
cent-pîeds, les scorpions, les punaises, les cancrelats, etc., etc. Les
pieds des lits, des tables et des armoires sont posés dans des godets
remplis d'eau acidulée qu'on renouvelle chaque jour.
On a pour domestiques et cuisiniers des Chinois qui font de la cui-
sine française ; on ne mange pas de vers palmistes, ni de sangsues de
mer, ni de lézards bouillis, ni d'oeufs couvés. On vit à la française.
On y ajoute bien parfois du crocodile, des œufs de tortue, des nids de
salangane, etc.; mais c'est lorsqu'on veut traiter un mandarin ou un
étranger.
lepanka est un écran léger et mobile qu'on fait balancer au-dessus
de la tête des convives.
Les fruits sont abondants.
Mœurs et coutumes. — L'origine des Annamites remonte à 2,285 ans
avant Jésus-Christ, c'est-à-dire 63 ans après notre déluge, d'après les
annales chinoises traduites par un missionnaire français.
En 1428, ils se rendirent indépendants de la Chine, de laquelle ils
tiennent leur langue, les mœurs, leur religion et leurs arts. De là vient
le respect des Annamites pour tout Chinois, qu'ils reconnaissent comme
leur supérieur et qu'ils appellent ■ chu, mon oncle ».
L'habillement du peuple consiste en une robe et un pantalon. C'est
443 GÉOGRAPHIE COLONIALE. %
un costume uniforme et national, comme J'en voudrais voir adopter
un en France. J'espère que les tailleurs et les modistes me pardonne-
ront cette mauvaise pensée.
Les hommes riches portent un chapeau pointu, un entonnoir ren-
versé qu'on appelle haute montagne. D'autres chapeaux pointus, et
palmier, serrent d'éventai!, de panier et de seau pour l'eau.
Les mandarins portent des chapeaux en gaze noire arec des ailes
de gaze, des pompons, des ceintures en laque garnies de petites glaces
et des robes ornées de dragons ou d'oiseaux. Ils tiennent à la mtii
une règle «l'ivoire que l'on place devant la bouche, par décence, quand
on tousse, ou qu'on bâille ou qu'on digère.
Le vêtement des hommes et des femmes est flottant. Il est donc
assez difficile, en arrivant, de reconnaître un homme d'une femme.
Les deux sexes ont les cheveux relevés et noués en chignon, portent
les mêmes pantalons et la même robe. On ne peut reconnaître ane
femme du peuple qu'aux boucles d'oreilles en forme de champignons,
aux bracelets et à 4a longueur du pantalon.
Le chapeau des femmes ressemble à une pierre meulière dont les
brides pendent jusqu'à terre comme celles des nourrices, ou an cha-
peau convexe en papier verni, garni de petites glaces et d'une bride
en écaille montée sur argent. Je m'étonne que les Parisiennes n'aient
pas encore songé à fixer de petites glaces sur les parois de leurs cha-
peaux. .
Elles portent un cercle d'argent au cou, des colliers d'ambre, des
épingles à tête d'or dans les cheveux et une ou deux fausses cheve-
lures, ajoutées à la leur, pourtant très belle, et qu'elles imprègnent
d'huile de coco. Ces chevelures sont habitées par des parasites, et bb
mari fait une galanterie à sa femme en lui remettant le gibier qu'il a
trouvé, afin qu'elle l'écrase sous la dent par gourmandise on par ren-
geance.
Elle a les yeux retroussés rors les tempes,
Le pied petit i tenir (Uns la main,
A . Le teint plus clair que le cuivre des lampes,
Les ongles longs, les lèvres de carmin.
« «
Hommes et femmes mâchent le bétel, qui leur rend la bouche san-
guinolente. On prend une feuille de bétel, sorte de poivrier, on r
étend de la chaux rougle. On y met un quartier de noix d'arec. La
'$ chique de bétel a pour effet de calmer la soif, d'ôter l'odeur de la boa-
V ' che et de conserver les dents; mais elle déforme et enlaidit la booebe.
Les habitations, couvertes en tuiles, sont basses et obscures. Cornue
'/■ disent les Italiens : Où l'air n'entre Jamais, le médecin entre souvent.
On n'emploie, pour les fermes des maisons, ni clous, ni attaches en
fer. Les tables servent de sièges et de lits. Les ornements sont des
Y
LNDO-CHINB, COCHINCHINE. 449
rouleaux de sentences, des bahuts, des peintures: on y voit une
femme coupant un guerrier en deux d'un conp de ses ciseaux, ou un
soldat nu tranchant un pont d'un coup de sabre on fendant un caralier
et son cheval.
Alimentation. — On mange du riz arec deux bâtonnets, ainsi que
les morceaux de viande découpés dans un bol. On ne boit pas et l'on
ne parie pas en mangeant.
Dans les visites, on salue les mains jointes. On place le visiteur a sa
gauche, on lui offre à deux mains une tasse de thé microscopique et sans
sucre. On lui allume une cigarette qu'on lui offre à deux mains et allu-
mée. On ne commence à boire que lorsque chacun a sa tasse en mains.
l'hospitalité est pratiquée par tous les indigènes ; aussi ne doit-on
pas s'irriter lorsqu'ils ne comprennent pas notre langue.
Un Turc, un Arabe, un Persan et un Grec se cotisèrent pour colla-
tionner dans une hôtellerie. Il s'agissait de décider ce qu'on mange-
rait : Bzum, dit le Turc ; ineb, dit l'Arabe : inghur, dit le Persan ; sta-
filion, dit le Grec, ei là-dessus voilà qu'on se dispute et qu'on se but.
Survient un derviche sachant les quatre langues, il appelle l'hôtelier
et lui dit : Servez donc du raisin à ces gens, quand ils verront qu'ils
ont tous quatre demandé la même chose, ils ne se disputeront plus.
Les infirmes sont à la charge des communes, d'après la loi.
Les médecins et les médecines sont empiriques. Les apothicaires
ressemblent à ceux de notre pays d'il y a trois siècles. Toutes les mala-
dies proviennent d'un excès de chaleur ou de froid. SI l'on est malade
intérieurement, on met des emplâtres externes. Si Ton a une maladie
externe, on prend des remèdes internes, sauf celui du malade imagi-
naire. Si la maladie est incurable, on appelle les sorciers; si ceux-ci
achèvent les malades, ils disent que c'est le diable qui est cause de
tont, et Ton en fait son deuil en blanc.
Les fumeurs, outre la cigarette et les narghilés de cuivre, ont an
nerghilé en bambou qui se tient entre les Jambes.
Les fumeurs chinois préfèrent Yopium, suc d'un pavot de l'Inde. On
en fait une pâte qn'on amollit à la lampe et qu'on place sur le four-
neau d'une pipe spéciale. Gomme on est alloogé sur un canapé, il
faut un aide pour allumer la pâte sur le fourneau, et cet aide est géné-
ralement une jeune femme. En une minute la pipe est aspirée. L'opium
est un excitant du système nerveux et ne sert qu'à développer la pas-
sion dominante de l'individu : haine ou ambition, luxure ou avarice.
Les Anglais importent en Chine 250 millions d'opium. L'impôt sur
celte denrée produit en Gochinchine 4 millions.
Les conséquences de l'habitude funeste de fumer l'opium sont la
ruine de la santé et de la famille. Aussi lès lois siamoises ordonnent
, 450 GÉOGRAPHIE COLONIALE.
que tout Siamois fumeur d'opium soit condamné à porter une queue
de Chinois au lieu de se raser le toupet.
Les jeux de hasard sont une des plaies de l'Annam. On joue josqia
sa femme et ses enfants.
Montesquieu a dit que les amusements ont autant d'influence que la
lois sur un peuple. Tandis que les enfants annamites sont grava,
les hommes faits s'amusent. Dans le jeu du volant, les hommes an-
namites se reoroient le Tolant avec le talon ou la plante du jùrf,
mais jamais arec les mains. Les cerfs-volants s'enlèvent sans queue. U
tôle est garnie de deux arcs en bambou, que le vent fait résonner
arec force. On leur donne la forme d'une lune, d'un poisson, (fui
oiseau (').
(') loi nom terminons les conférences, — on plutôt les note* détaché» qui la
résument, — de M. Ch. Lemire. L'éditeur Challamel a publié tons le* traraoïdi
même antenr. Quelques notes sur U Cambodge animaient celles que sons arrta
ici ; mais, trop détachées les unes des antres, bien pins encore que les précédâtes,
elles n'offriraient qu'an intérêt trop restreint. D'aiUeurs, elles feraient doaMe eo-
ploi avec le récit d'une exploration accomplie an Cambodge par IL leHestenet
Prud'homme, qui a d'abord suiTi l'exploration de M. Aymonnier et quisosit
communiqué des levers originaux faits par lui dans eet intéressant pays. Ho&s pu-
blierons ce récit dans un de nos plus prochains Bulletins. Mais notre Alb** (p*
de souscription : 5 fr. pour les membres delà Société) contiendra les cartel s'il»
NouvelU'Calédonie, d'après celles de Si. Lemire.
10° GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
LES VOYAGEURS INCONNUS
UN VOSGIEN TABOU A NOUKA-HIVA
CHAPITRE VII.
EXCURSION DE MM. MEUNIER ET LÉVÊQUE CHEZ LES TRIBUS ENNEMIES DE
L'EST. — MON EXCURSION CHEZ LES AUTRES. — FÊTE DU 1er MAI.
C'est un yrai roman d'aventures que firent les deux officiers chargés
de porter une partie des invitations du gouverneur. Malgré la présence
de Témoana, ils crurent prudent de se faire accompagner de plusieurs
matelots bien décidés, montant une embarcation solide et bien
équipée.
Chez les Banoumis, dont ies chefs sont parents avec Témoana, ils
furent très bien reçus. II n'en fut pas de même des autres tribus. La
mer tourmentée leur causa d'abord quelques difficultés de doubler les
caps du Sud, mais enfin ils accostèrent, non sans peine, sur la plage à
l'Est de la baie sur le littoral des deux autres tribus.
La plage était garnie d'une population qui grossissait à vue d'oeil.
Témoana s'informa si Ton pouvait débarquer sans danger. Les femmes,
à l'envi Tune de l'autre, invitèrent la petite troupe à descendre;
toutefois le débarquement n'eut lieu que quand les deux grands chefs
arrivèrent et qu'ils offrirent l'hospitalité aux voyageurs. En raison de
ce qu'on leur avait dit de ces tribus, nos officiers furent étonnés de
cet accueil si engageant qui les décida à se départir de la prudence
qu'ils avaient suivie jusque-là. En effet, d'après l'état de la mer, on
leur fit craindre un ras de marée et on les persuada de la facilité du
retour par terre et, en conséquence, de renvoyer leur embarcation
arec son équipage. Sur l'avis de Témoana, la proposition fut acceptée.
Mais les Banoumis, qui s'étaient montrés sympathiques à cause de
Témoana, avaient immédiatement envoyé un exprès aux deux autres
tribus, et les deux chefs, prévenus à temps, tendirent un pièpe à nos
(') Voir le Bulletin du 8« trimestre 1883, p. 150.
452 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
officiers. De là l'hospitalité offerte si largement et les démonstration!
d'amitié qui les décidèrent à se séparer de leurs matelots.
Encore un peu, par l'explosion de Joie arec laquelle les sauvages
accueillirent le départ de l'embarcation, ils allaient éveiller les appré-
hensions de leurs hôtes.
MM. Meunier et LéTéque avaient ramené avec eux, du pays des
Banoutnis, une Jeune N'ouka-Hi vienne qui ne fut pas sans être frappée
de l'altitude des sauvages. Elle saisit quelques propos concernant, à
ne pas s'y tromper, le guet-apens tendu à nos officiers.
Aussi la nuit Tenue, à peine nos imprudents voyageurs s'étaienMls
retirés pour prendre du repos, et cela avec [la même démonstration
hospitalière des sauvages, que la jeune femme s'approcha du capitaine,
l'éveilla doucement et lui fit comprendre par signes que s'il voulait
échapper à la mort ainsi que son compagnon, il leur fallait s'enfair
sans bruit et sans perdre une seconde. Ils ramassèrent à la bâte et
en silence leurs effets et leurs armes, et, guidés par notre héroïne,
ils s'enfuirent le long de la mer, puis gravirent, non sans d'incroyables
difficultés, un rocher abrupt d'où ils purent contempler on spectacle
bien fait pour les glacer de terreur.
Les sauvages, qui avaient espéré surprendre nos voyageurs pendant
leur sommeil, éprouvèrent une déception inouïe quand ils virent que
la case était vide. Une explosion de colère éclata et, à coup de tam-
tam, ils réveillèrent leur chef. A ce vacarme, toute la tribu est bientôt
sur pied et cette foule hurlante de botes fauves accourt, à la lumière
des torches, sur la plage, en poussant des cris épouvantables. Cette
meute de cannibales s'élance dans toutes les directions, surtout do
côté des Eanoumis où la fuite était la plus facile, et c'est à cela surtout
qu'avait pensé la conductrice de nos fugitifs en leur faisant franchir
un escarpement devant lequel beaucoup auraient reculé. L'incertitude
la plus profonde règne d'ailleurs parmi les sauvages; les uns pensent
que l'embarcation est venue prendre nos officiers pendant la mût, les
autres les croient cachés dans les excavations des rochers qui longent
la plage.
Cependant la petite caravane poursuit péniblement et lentement soa
chemin : la fatigue et la terreur de ces péripéties annihilant ses forces.
La journée du lendemain se passe sous une falaise presque inabordable
et dans des transes terribles. Car il n'y eût pas eu là de défense
possible où l'homme peut abattre son adversaire: c'était le massacre
sans pitié ni merci, sans lutte et sans espoir.
La nuit suivante, ils marchèrent à tâtons à travers les broussailles
du cOté des crêtes qui limitent la vallée du Taïpi-Vahis, où ils arri-
vèrent à la pointe du jour. Encore que s'ils avaient été aperçus par
LES VOYAGEURS INCONNUS. 453
les gens de cette tribu, c'eût été, pour eux, tomber de Charybde
eo Scylla,
Le lendemain, ils étaient en marche quand ils traversèrent un pla-
teau où sont disséminés quelques lataniers et où ils purent contempler,
avec un effroi bien légitime, des ossements humains encore rouges de
sang. C'étaient ceux de deux marins, l'un Anglais, l'autre Espagnol,
renus là pour cueillir des feuilles de latanier afin de s'en faire des
chapeaux.
Ce ne fut que le troisième Jour de leur fuite que nos infortunés
officiers, exténués, meurtris, à demi morts de faim et de soif, purent
regagner Taro-haë, notre établissement, où ils s'empressèrent de faire
part au gouverneur de ce qui leur était arrivé.
Pour moi, les choses se sont passées moins désagréablement, bien
que je me sois trouvé dans des situations aussi périlleuses.
Le Jour de mon départ, je m'en fais démon côté, seul, à pied, chargé
d'un grand panier contenant des cadeaux pour les chefs, assez sou-
cieux d*ailleur8, en somme dans des conditions formant un contraste
attristant arec les approvisionnements, les munitions et l'escorte
qui ont accompagné nos officiers. Mes appréhensions étaient d'autant
plus justifiées que je me rendais directement sur le territoire des trois
assassins du 28 janvier 1845 qui s'étaient évadés avant la réunion du
conseil de guerre. L'un d'eux, Houy-Houy, était chef de tribu.
Quelle attitude prendre vis-à-vis de ce brigand, et quel moyen
d'offrir des présents à un cannibale qui a encore les mains rouges de
sang français?
Chemin faisant, j'arrive d'abord chez les Happahi-Manous et je m'ac-
quitte facilement de ma mission près des trois chefs de cette tribu.
Étant parti de là pour gagner la baie de Hakapaé, sur le littoral de
Happaho (seule plage accessible de ce côté), soudain un bruit suspect se
fait entendre dans les broussailles. Un jeune sauvage en sort et cherche
à échapper à mes regards : c'est à grand'pelne que je le décide à s'ar-
rêter et à s'approcher de moi. Je le rassure et lui demande de me
servir de guide, les sentiers devenant à peu près impraticables. Il finit
par y consentir et il m'aide môme à porter mon panier qui me fatigue
énormément.
C'est ainsi que j'arrive sur le territoire de Houy-Houy, à la grande
surprise des habitants qui n'ont pas encore revu un Français depuis la
mort de Pakolco.
On m'offre néanmoins l'hospitalité : à manger et un gîte pour la nuit,
liais dans les chants dont s'accompagnent mes hôtes, je saisis certains
airs lugubres et menaçants où le nom de Pakolco revient souvent, et
telles de ces démonstrations éveillent mon inquiétude. Pourtant je ne
454 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
puis aller plus loin ce jour-là, et au milieu des nombreuse* cases qui me
sont offertes, je choisis celle qui me parait offrir le plus de sécurité.
Sous le prétexte que je suis tabou, aucun ne veut accepter à manger
avec moi d'un petit porc que Ton a rôti tout entier. Craignant m
empoisonnement, je ne consens à manger qu'autant que le grand
prêtre et d'autres guerriers qui suivent son exemple consentent à par-
tager mon repas, ce dont ils s'acquittent du reste arec une Toracitë
exemplaire.
A peine mon repas est-il uni, qu'une grande et belle femme, au-
tour de laquelle tout le monde s'empresse, couverte d'une étoffe très
blanche, sur laquelle se détache sa longue et noire chevelure, s'ap-
proche gravement de moi :
« Je suis la femme d'un des principaux chefs, me dit-elle. 11 y a
« quelques années que ce pays était le plus paisible de toute nie;
« nous avons eu le malheur de nous laisser entraîner par Pakoko, et
« maintenant le chagrin est venu s'asseoir à notre foyer ; ses conseils
■ nous ont perdus. Je sais tout ce qui s'est passé à Taïo-haB depuis
f l'affreux assassinat auquel tu as échappé toi-même comme par mi-
« racle. Pakoko pourtant avait donné Tordre de te tuer, toi surtout,
• qu'il considérait comme le plus dangereux de ses ennemis. J'ai ni
• sa fureur et entendu ses imprécations contre les lâches qui t'avaient
« laissé fuir. *
Quand elle se tait, l'auditoire Hl : < Totoe-téna » (c'est bien vrai).
Mais voyant que chacun se dispose à me raconter son histoire, je
déclare que j'ai besoin de repos et que Je désire être seul. En se reti-
rant, la femme inconnue m'adresse des remerciements dont je ne m'ex-
plique pas le motif. En quelques mots elle me dit que c'est à cause
des égards que j'ai eus pour Pakoko pendant son jugement et son
supplice, ainsi que pour ses compagnons de captivité. L'auditoire
approuve de nouveau ; mais le souvenir des trois contumaces me tient
toujours en défiance.
La case où je suis est confortable ; on a eu la prévenance de me
donner une natte neuve assez moelleuse. Mon guide, qui ne m'a pas
quitté, couche à côté de moi.
À l'aube nous sommes debout, et, au moment où je me dispose à
partir, le propriétaire de la case où j'ai couché, ne vent pas me quitter
sans que j'accepte à déjeuner. Cependant la femme inconnue de li
veille revient et me dit:
« J'avais bien des choses à te communiquer. Je suis la femme de
• Houy-Houy, proche parent de Pakoko, qui est de ceux que vous aui
« condamnés par contumace. Permets à mon mari de Tenir te rem <•
« cier et s'excuser du mal qu'il a pu te faire. »
LES V0YAGEUR8 INCONNUS. 455
Malgré tontes les instances et toutes les sollicitations, Je me refuse
énergiquement à cette entrevue arec l'un des auteurs du massacre *
des nôtres, et craignant quelque nouvelle intrigue, )e me hâte de
quitter ce pays pour aller cbez les Taipi-Vahis.
Sous longeons, mon guide et moi, le bord de la mer. Arrivés à la
limite du territoire de cette tribu, mon guide se refuse à aller plus loin
pour ne pas s'exposer, dit-il, à être mangé par les Taîpis, puis il m'in-
dique de la main la route à suivre.
Toujours sur le qui-vive avec ces sauvages habiles à tendre tous
les pièges, ce refus en cet endroit, où je ne voyais devant moi que des
broussailles épaisses, sans chemin frayé pour atteindre les premières
habitations, rendait ma situation excessivement critique.
La persuasion n'y ponvant rien, j'arme an de mes pistolets et dis à
mon compagnon : « Si tu refuses de me conduire jusqu'au bout de
mon voyage, je te brûle la cervelle. » Toute hésitation cesse à Tins-,
tant, et nous cheminons comme auparavant, non sans avoir ranimé
ion courage par une bonne ration d'eau-de-vie, ni sans exercer une
surveillance active sur ses faits et gestes.
Nous arrivons ainsi, sans être aperçus, jusqu'à la case du grand
prêtre; mais la nouvelle de notre arrivée ne tarde pas à se répandre
et nous sommes bientôt entourés de sauvages armés en guerre et
poussant de grands cris. A ma question pour savoir où était le grand
prêtre, ils répondent qu'il est au Vahi-tabou disant des prières pour
Pakoko que nous avons fait mourir.
Notre situation, à en juger par cette réponse et cette attitude, n'est
pas brillante et mon guide se serre en tremblant contre moi. Sur ce, le
grand prêtre arrive : c'est un vieillard de 700 à 800 lunes, d'une taille
de géant et d'apparence encore très robuste. Sans faire attention aux
saints d'usage que je lui adresse, il demande aux siens si je suis un de
ceux qui ont conduit Pakoko au supplice. Les uns répondent que j'ai
gardé Pakoko dans sa prison et que je lui ai servi d'interprète pendant
le jugement, mais que je ne l'ai pas conduit au supplice. Un autre
sauvage, qui parait bien au courant de tous les faits, raconte en toute
vérité ce qui s'est pasfié et dit que la reine Tahia-Aukau m'a fait tabou
pour me permettre de circuler partout dans l'Ile. Ces déclarations
paraissent radoucir le grand prêtre qui ne laisse pas pourtant de
me demander, puisque je suis si influent, pourquoi je n'ai pas fait
acquitter leur chef.
Pour couper court à des explications embarrassantes dont le moindre
inconvénient eût été de raviver et d'envenimer même les ferments de
haine, je lui dis que je ne demande pas mieux que de lui donner tous
les éclaircissements qu'il voudra, mats que je suis chargé d'une mis-
456 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
sion de paix et de l'inviter au nom du grand chef des Français à tenir
à la fête du 1er mai, et que s'il nous fait Tbonnenr d'y assister, nom
causerons là tout à Taise de ce qui peut l'intéresser. En témoignage
de mes propositions, Je lui remets les présents dont je suis chargé
pour lui. Puis et sans plus attendre, je prends congé de ces « oiseaux
de mauvais augure », tout en leur promettant de m'arréter en revenant
du fond de la vallée.
Nous pressons le pas, car le soleil baisse à l'horizon et nous aront
encore une longue route à faire. Et tandis que nous passons devant
quelques cases d'où, de temps à autre, une épithète injurieuse arme
à nos oreilles, mon guide, que je réconforte et moi aussi avec mon
cordial, me dit tout à coup : « Est-ce vrai que tu as l'intention de
repasser chez le grand prêtre, à ton retour? » Et comme je ne
réponds pas, il continue: « Je crois que tu as compris comme moi qne
ce serait se jeter dans la gueule du loup, et si tu n'avais pas été
tabou, ta tête serait à l'heure qu'il est en compagnie de celles qui
sont accrochées dans la païe-païe de ce terrible tahoua. •
Arrivés sur un monticule, nous entendons les clameurs bru vaste»
d'une foule que nous ne distinguons pas. Mon guide me dit qu'il croit
savoir, sans en être certain, que les sauvages viennent de tuer un des
leurs.
Nous marchons longtemps encore et le bruit grandit de plus en plus.
Enfin nous sommes aperçus par deux femmes qui viennent au-defiut
de nous en courant, puis, jetant leurs ou-aie-ous (sorte de jupons ou
de pagnes), elles se mettent à danser la heïva : ce sont des kati-peious
(princesses), car elles ont les pieds et les mains tatoués. Quant à leurs
chants, il n'y a pas à s'y méprendre et je comprends fort bien ceci:
« Les Français ont assassiné notre grand chef, assassinons celui-ci • ;
le grand chef c'est Pakoko dont elles répètent le nom.
Décidément cela tournait au sinistre et je prie le lecteur de croire
que si ce nom revient souvent sous ma plume et fatigue peut-être
son attention, en ce moment-là j'en étais bien autrement fatigué mot-
môme et j'aurais bien voulu n'en plus entendre parler.
Cependant, tandis que mon guide me presse de fuir avant rarrirée
des sauvages, je m'avance vers les danseuses en les traitant, bien qne
princesses, de haulaïes (folles), puis, les repoussant, j'avance réso-
lument et je me trouve bientôt au milieu de tous les guerriers delatriba,
armés, comme les autres, de pied en cap. Ils s'élancent en hurlant le
même refrain que les danseuses ; mais, sans me laisser intimider et
sachant par expérience qu'à la moindre apparence de crainte de ma
part je serais êcharpé sur-le-champ, je m'avance toujours au-denat
d'eux et les rencontre sur une sorte de plate- forme où ils me demtn-
LES VOYAGEURS INCONNUS. 457
dent où je rais, ce que je veux, si je leur apporte des nouvelles de
Pakoko ou si je Tiens ponr le remplacer.
On le roit, ces cannibales ne dédaignent pas l'ironie et, en somme,
les choses vont fort mal et je ne serais pas surpris si je deviens le héros
involontaire d'an drame, ou mieux, la, victime d'une boucherie.
Hais je me mets à crier plus fort qu'eux et je déclare que je veux
parler au grand chef Eokyaë. Un vieux sauvage, encore un colosse
celai -la, â la tête et à la barbe blanches s'avance : « C'est moi, dit-il,
que me veux-tu? » Mon guide, tout tremblant, me dit à l'oreille:
f Ge n'est pas lui » et je réponds alors au vieillard qu'il est bien vieux
pour mentir, que Je m'appelle Moana-Tini, que je suis tabou et qu'en
raison de ma diguité, la réception qui m'est faite est au moins imper-
tinente.
Mais cette dernière partie de ma réponse manque absolument son
effet et mes farouches interlocuteurs se mettent à rire sans plus de ver-
gogne ni de respect pour le tabou.
Soudain, mon guide, apercevant de loin le véritable grand chef, me
le montre du doigt et cette apparition sauve la situation du moment
«non celle qui va suivre.
C'est nu beau grand guerrier ; il vient directement à moi et je le
salue à la mode du pays. Je lui transmets l'invitation du gouverneur à
la fête du 1er mai. Je termine en lui expliquant que j'ai grand'faim et
sue je voudrais avoir à manger.
A peine a-t-il entendu ces derniers mots, qu'il m'entraîne par la
main i l'extrémité de la Koïea où, à l'extrémité du parapet élevé de la
païe-païe, il soulève une feuille de bananier et découvre — chose
terrible! — une cuisse humaine tout entière et à demi corrom-
pue
• Surmontant l'impression de dégoût et d'indignation que j'éprouve, je
demande à mon terrible interlocuteur ce que c'est que cela. 11 me
répond que c'est le reste d'un des leurs qu'ils ont mangé la veille
et qu'il s'estime heureux d'avoir conservé ce friand morceau pour
n'inviter i déjeuner avec lui. 11 ajoute que si je n'ai pas encore mangé
de chair humaine, je serai à même de Juger de sa délicate saveur.
Ces choses, quand on les entend et dans une situation pareille vous
font une impression qui vous glace Jusqu'à la moelle des os ; car le
gaillard n'a pas du tout l'air de plaisanter. Toutefois, je lui fais corn-
prendre que je suis très flatté et très reconnaissant de son attention;
mais que nos habitudes et nos préjugés, tout en reconnaissant les
qualités de ce mets, s'opposent à ce que nous en mangions. J'ajoute que
do reste Je désire m'entretenir avec lui et que nous serons bien mieux
chez lui.
tOC» M QiOQB. — 3« TJUMS0TBK 1889. 30
458 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
Nous allons vers sa case soins de la foule menaçante de ses gner»
riers qu'il a peine à contenir, fcon guide me rejoint en me disant: ,
t Je voudrais bien être chez les Happaho. — fit moi aussi, ajoolaj-jc •
Nous sommes reçus par la femme du chef. J'ai entendu beaucoup
parler de sa beauté, mais vraiment j'en suis émerveillé en la voyant.
La conversation s'engage et je'saisis ce moment pour offrira Hokyaë
les présents qui lui sont destinés. Les hachettes et les limes surtoat
lui font grand plaisir. Je lui renouvelle l'invitation. Après avoir con-
sulté sa femme, il accepte, mais à la condition qu'il logera chez moi,
ce dont je me montre très flatté.
Hokyaë mange seul avec moi un petit porc qu'il a fait rôtir, poil
j'insiste pour prendre congé de lui afin qu'il vienne me reconduire
de l'autre côté de la rivière et me montrer le plus court chemin à rai- ]
vre, et cela malgré son invitation pressante de passer la nuit chez loi.
On comprend que j'en avais assez d'une telle situation et que je se
demandais qu'à en sortir au plus vite.
Le chef vient alors avec nous, accompagné d'un jeune sauvage qoi
me porte pour traverser la rivière ; puis il me quitte. Je vous assoie
que, tout fatigués que nous sommes, malgré la nnit et les broussailles,
nous retrouvons nos jambes.
Pourtant, nous nous arrêtons pour reprendre haleine et boire les
quelques gouttes d'eau-de-vie qui me restent; Mais, trempé de soeur,
je ne puis m'exposer à passer la nuit en plein air.
Enfin, après avoir beaucoup crié pour appeler l'attention sur nous do j
côté hospitalier des tribus, j'ai la satisfaction de voir arriver des sau-
vages armés, avec des flambeaux : c'est la tribu dont le chef est le frère |
des filles de Payetini. Nous y trouvons bon acpueil et bon gîte et, maigri
notre fatigue, une partie de la nuit se passe à raconter les péripéties que
nous avons traversées ; mon guide surtout avec l'emphase naïve et pro-
lixe du sauvage, le fait avec un luxe de mise en scène qui me fût
sourire.
Le lendemain matin, je reprends la route du camp où j'arrire de
bonne heure et trouve là MM. Levêque et Meunier, déjà un peu remis
de leur mésaventure et qui me croyaient perdu.
Mais il faut s'occuper maintenant des préparatifs de la fête. Tout
d'abord, on décide en conseil qu'on tâchera de décider les Tafpis et
principalement Hakyaë à faire avec nous une descente chez les Bat&u-
Bauhaus pour venger la trahison dont nos officiers ont failli devesir
les victimes.
Déjà, dans l'après-midi du 30 avril, arrive le chef des HappahU-
Manous ; puis un peu après, à la tète de sa suite, le chef des Taïpia-
Vahis qui vient, selon sa promesse et me renouvelle le désir de des-
i
1
i
LES VOYAGEURS INCONNUS. 459
cendre dans ma maison. Je l'y installe et le lendemain je le présente
10 gouverneur. Ce chef sauvage est réellement beau et imposant ; il
est le pins richement costumé de tous ceux qui assistent à la fête et
m banquet, la place d'honneur lui est réservée.
Dans cette cérémonie gastronomique, il est curieux de roir l'attitude
de ces sauvages devant une table mise à l'européenne. J'y sers à la fois
d'interprète et de sommelier, puis, et ce n'est pas le moins embar-
rassant, de négociateur. Le plus difficile à décider est Hokyaê, car ceux
qu'il s'agit de combattre sont ses proches parents. 11 réfléchit longue-
ment, pois me demande si Ton a l'intention de le garder pour Otage et
de le rendre responsable des actes de ses voisins. Puis, me jetant un
regard foudroyant : « Serai-je dupe de (a trahison? • me dit-il. Je pro-
teste contre ses suppositions et lui déclare qu'il est ici aussi libre que
chez lui ; que je sais combien il est hospitalier pour les voyageurs qui
le hasardent chez les Taïpls et qu'il est aussi en sûreté qu'au milieu
de ses guerriers et à l'abri dans sa case. « Et que ferez-vous à mon
• égard, si je tous refuse mon concours? » Sans même consulter le
conseil, je lnî réponds que nous n'entendons lui faire aucune violence
et que sa présence chez nous ne l'oblige nullement.
Tous les chefs et les guerriers présents applaudissent à mes paroles
et Hokyaê me dit alors : « Dis à votre grand chef que j'accepte votre
■ alliance et qu'il peut compter sur moi pour l'aider à punir les rebelles,
• mais à la condition que tu dirigeras toi-même les combattants. »
Je consulte le gouverneur. Ce n'est pas le danger qui m'effraie ;
j'en ai vu bien d'autres déjà et, bien que je n'appartienne plus à l'armée,
je ne demande qu'à être utile à mon pays ; je me mets donc à la dis-
position de M. Brunet et il est entendu que j'irai exercer les Taïpis-
Tabis à notre manière de faire la guerre.
La plupart des chefs s'en vont le soir même; Hokyaë aussi, que mes
instances ne peuvent retenir et qui me dit en partant : • Je serai
• demain matin chez moi; quand ta arriveras, tous mes guerriers
« seront prêts ; tu pourras juger de mes forces. »
CHAPITRE IX.
18 COMMANDEMBlfT DES TAIPI8-VAHIS. — DISPOSITIONS D' ATTAQUE. —
COMBAT. — MON RETOUR EN FRANCE.
D'après les ordres que j'ai reçus, je dois occuper les hauteurs et,
de concert avec l'autre colonne, je marcherai vers la plage où Ja
Sultane appuiera notre action. Le capitaine Meunier, qui commande
en chef, insiste pour qu'on n'oublie pas de garnir de feuilles les têtes
des hommes.
460 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
Je pars le 2 mai au matin. Je rencontre des indigènes occupés 1
ramasser des racines ftaïkas dont ils extraient le jus pour s'endort
la peau. Ce n'est pas sans peine que Je décide l'un d'eux à me guider
pour aller chez les Talpis-Vahis par le chemin le plus court.
Je passe sur les incidents du chemin au milieu duquel nous nous
arrêtons, au pied de la grande cascade, pour nous réconforter.
Aussitôt que ma présence est signalée, Holryaë Tient au-devant de
moi avec quelques-uns de ses guerriers et me conduit directema!
chez lui. Sa femme m'accueille bien et, ce qui me fait le pins de
plaisir, elle ne désapprouve pas l'engagement pris par son mari. Je mani-
feste alors le désir de connaître le nombre des guerriers, de visiter
leurs armes pour la plupart en fort mauvais état. Je répare de bob
mieux les plus défectueuses, puis je presse le chef de réunir ses guer-
riers pour nous préparer à occuper les positions urgentes.
Mais déjà circulent sur les dispositions et les armements de dm
ennemis, des bruits grossissant leurs forces avec accompagnement de
commentaires décourageants et intéressés qui ne tardent pas à produire
leur effet. Déjà la résolution du grand chef parait ébranlée. « Je crois,
« me dit-il, que nous allons faire une folie, nous rie sommes pas asseï
« nombreux pour résister à une si grande quantité de guerriers on-
« rageux et bien armés. »
La matiuée se passe et je compte à peine 100 guerriers de prêts.
J'adresse de graves reproches à Hokyae* sur sa mollesse et son aban-
don ; je lui montre quelle responsabilité il encourt et lui déclare qa«
quand je serais seul, je m'avancerai sur les hauteurs où l'attaquées!
décidée. La discussion s'échauffe et s'envenime et a pour conséqueoc!
que je reste seul de mon avis, tous les guerriers se refusant à sue
tentative contre leurs frères en faveur des assassins de Pakoko.
En somme, leur logique est écrasante et vraiment je suis à bout
d'arguments, car, au fond du cœur, je ne puis m' empêcher de leur
donner raison. Mais leur résolution me place dans une situation des
plus critiques. M'en retourner: je serai poursuivi et massacré sans
nul doute; gravir seul les hauteurs ou accompagné seulement de
quelques guerriers : c'est tomber entre les mains des cannibales que
je dois combattre et vaincre. Il y a bien un troisième moyen, c'est de
rejoindre le capitaine Meunier qui est chez les Taïpit-Uoanas ; mail
les Vahis ne me laisseront jamais porter la nouvelle de leur dé-
fection.
Perplexe, à bout d'expédient, je prends à partie la femme du chef,
j'en appelle à sa loyauté de l'abandon et du parjure de son mari qui a
donné sa parole au gouverneur, acte déloyal qui pourra avoir des
conséquences terribles pour lui et sa tribu.
LES VOYAGEURS INCONNUS. 461
Je compte peu sur ce moyen suprême, le seul pourtant qui me soit
resté, quand, à mon grand étonnement, la femme de Hokyaë se 1ère
gravement et déclare à liante voix qne « son époux ne sera pas parjure
• et que, pour elle, elle ne sera jamais la femme d'un lâche • .
En ce moment même acrive un courrier des Tarpis-Moanas qui vient
directement â moi et, sans me dire une parole, car le pauvre diable est
essoufflé et couvert de sueur, il me remet un paquet attaché à sa cein-
ture lequel renferme un papier écrit au crayon ; c'est une dépêche du
capitaine Meunier dont voici les extraits principaux.
< Lundi matin, trois bâtiments de guerre sont arrivés à Nouka-
• ffiva, annoncez-le à vos auxiliaires 11 faut que vos hommes
• portent tous la feuille de faou (')... À la tombée de la nuit, soyex
• sur les hauteurs pour que, demain matin, si le vent favorise la marche
t des bâtiments, vous puissiez agir comme il a été convenu. Vous
■ nlrez de lavant qu'autant que trois coups de canon auront été
« tirés Faites marcher votre pavillon, afin qu'il puisse être
• vu et faites en somme de diriger vos hommes de manière qu'ils ne
• soient pas confondus avec les ennemis par la troupe de débar-
i quement. — Signé : Meunier. »
Comme bien on pense je songe à tirer parti de cette nouvelle pour
amener une réaction en ma faveur en grossissant à dessein le chiffre
de nos renforts. Mais je manque absolument mon effet, car ces sau-
vages, logiques une fois de plus, me disent : f Puisque vous êtes si
■ nombreux et si forts, vous n'avez plus besoin de nous. » Je suis à
écart, je l'avoue, et c'est encore la femme de Hokyaë qui sauve la situa-
tion: « Oui, dit-elle, mais quand les Français auront détruit nos
• voisins, ils nous détruiront à notre tour et ils auront raison puisque
i le chef aura trahi la parole donnée. »
Cette dernière déclaration l'emporte dans l'esprit des sauvages.
Pourtant, avant de se décider, ils questionnent renvoyé qui déclare
avoir vu les bâtiments de guerre ayant à bord une grande quantité de
soldats et de canons.
Aussitôt, quelques-uns des plus vigoureux guerriers courent à la
paie-pale et appellent leurs compagnons à grands coups de tams-tams.
Ea moins d'une heure, il y en a deux cent cinquante de réunis
n'attendant plus que le chef qui sort bientôt de sa case armé de pied
en cape. 11 prononce â peine quelques monosyllabes énergiques et
chacun se trouve en place comme par enchantement. Il constate
('j Moyeu do reconnaiflaftoca de* tribu» alliée* ûe« ennemi*, l'uni forme primitif
des saarafei n'étant pat nn mojea mfflsant de distinction entre le* un* et le*
utre*.
462 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
l'absence de quelques jeunes guerriers, mais sa femme les a envoyé*
en avant-garde pour reconnaître l'ennemi : décidément celle femme
a toutes les clairvoyances.
Après avoir indiqué Tordre de marche, je ne pais quitter réponse de
Hokyati sans ia remercier chaleureusement au nom de mon pays et as
mieu de tout ce qu'elle vient de faire; je lui fais mes adieux, pressen-
tant que peut-être je ne la reverrais plus. Comme dernière marque de
sollicitude, en me quittant, elle encourage ses guerriers à me protéger
et nous accompagne longtemps du geste et du regard
Gonuaissant peu cette partie du pays, Hokyae* m'indique le point le
plus favorable pour dominer l'ennemi et être à l'abri de ses attaqoes. j
En effet, la montagne forme un rempart à pic de 250 à 300 mètre* j
au-dessus et en face de la mer: un seul sentier qui serpente es :
sorte de ravin dans le roc, rend la position inaccessible i l'ennemi.
A nos pieds, au Nord-Ouest, sont les Pouhis-Hauhaus dont les chefs i
sont parents de Hokyae par sa femme. Apprenant le but de notre entre-
prise, ils m'envoient un messager pour me déclarer que, loin d'être nos i
ennemis, ils ont complètement ignoré le massacre des nôtres en 1845 :
et qu'ils ont toujours désiré rester neutres dans les luttes des trions ;
avec nous, malgré les tentatives qui ont été faites pour les j entraîner.
Il n'y a donc rien à craindre de ce côté apparemment ; mais je ne
défie toujours des ruses des sauvages et, en particulier, de ces décla-
rations intéressées et je ne laisse pas de placer un avant-poste swt le
chemin qui conduit chez ceux-ci pour éviter toute surprise.
En attendant l'attaque, je suis l'objet de toutes les provocations des
ennemis qui sont prés de nous et qui cherchent en vain à nous sar-
p rendre. Ils sont très nombreux et une colonne s'avance poor nois
tourner en passant sur le territoire des Pouhis-Hauhaus et, tandis oae
j'envoie un courrier au chef de cette tribu pour lui annoncer que je
le considérerai comme traître s'il laisse passer les Ratous-Hauhans,Je
constate avec anxiété que Hokyae" et ses guerriers sont découragés à
la vue d'un si grand nombre d'adversaires, tandis qu'il ne voit pas venir
les secours promis des bâtiments de guerre. En effet, il n'y a rien i
l'horizon et je commence à désespérer quand enfin une voile se montre
i l'Est; c'est la Sultane qui a bientôt mouillé en vue du cap sur k
pointe duquel je m'avance avec mon pavillon et Je tire un coup de
fusil pqjurme faire reconnaître.
Mais du capitaine Meunier et de sa colonne je ne vois rien venir:
je dépêche alors vers le gouverneur pour avoir des ordres précis et je
reçois bientôt' la réponse embarrassante dont voici la substance. Le
gouverneur aurait voulu pouvoir parlementer pour arranger l'affaire. U
a déjà essayé, mais sans succès. « Je ne sais, ajoute la lettre, où sont
LES VOYAGEURS INCONNUS. 463
• les Oumis; si tous êtes sûr du sa ce es sans eux, marches sans tous
■ occuper de ce que la goélette fera de son côté ; en attendant l'arrivée
« du bâtiment, elle tous soutiendra de son artillerie si tous marchez.
• Une fois chez les ennemis, incendiez les cases qui seront sur rotre
• passage ponr que nons puissions suivre yotre marche.
« Le gouverneur voudrait que personne ne se compromit parmi
■ tous. Ainsi donc, si le chef des Vahls croit rester en paix avec nos
« ennemis, s'il se retire, je crois que, dans les intentions du nouveau
• commandant, il fera bien. Si les Vahis marchent qu'il soit néces-
■ saire d'opérer un débarquement, nous le ferons. — Signé : Brunet. •
Que foire? — Je convoque mes guerriers et leur demande s'ils sont
bien décidés i combattre ; nous sommes moins nombreux mais
Btieui armés et le drapeau français, leur dis-je, est toujours vainqueur
dans les combats.
Ils me déclarent qu'ils sont prêts à marcher, mais qu'ils ne croient
pas au succès.
renvoie alors de nouveau vers le gouverneur à la fois pour demander
des instructions plus précises et rapporter des munitions de guerre.
Voici enfin la réponse que je reçois: « 5 mai 1847. — Je vous
■ envoie SO paquets de cartouches, ce qui fait 10 coups par homme.
• ffe tirez pas sans nécessité. Je pense, comme le chef des Vahis, qu'il
■ faut attendre l'arrivée de M. Meunier pour marcher. Nous le verrons
• bientôt Lorsque tous m'aurez signalé rotre position en incendiant
• les cases, je débarquerai s'il est nécessaire. Dans lous les cas, la
• plage sera gardée et elle ne Test pas en ce moment. — Signé :
■ Bhusbt. »
Déjà la distribution des munitions encourage nos guerriers qui peu-
vent, avec cela, combattre un ennemi quatre fois plus nombreux, quand
apparaissent an large trois batteries de guerre. C'était tout ce qu'il
fallait pour couper court aux moindres hésitations.
Sous sommes bientôt prêts pour l'attaque dont j'abrège les détails et
çtû se fait avec une grande impétuosité. Aux cris des sauvages la fusil-
lade s'engage et nous sommes bientôt au centre de la tribu* enne-
mie; Hokyaë, qui me sert de porte-drapeau, est bientôt avec moi et
quelques guerriers à la Koïea. Mais là la résistance est énergique et
opiniâtre et nous avons fort a faire avant de reprendre le dessus
finalement, nous rejetons les Ratou-Hauhaus chez leurs voisins les
Uati-Kéous; mais là, nouvelle attaque et nouvelle lutte, car ces derniers
prennent fait et cause pour nos adversaires. Retranchés fortement dans
la Koïea, nous les repoussons avec des pertes telles, que la démora-
lisation les décide à chercher un refuge dans les gorges environnantes.
Hais la nuit s'approche, nous sommes encore loin de la mer et nos
464 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
hommes sont fatigués : dans de (elles conditions, il y aurait danger*
s'engager dans une poursuite décisive.
Suivant mes instructions, je mets le feu aux cases et en quelque*
instants la flamme a détruit ce grand et beau village. Dans letr
déroute, les Ratous-Haubaus ont oublié un baril de poudre et sonJaio,
au milieu de l'incendie, une explosion effroyable cause une forte mais
passagère impression de terreur à nos guerriers ; ce qui ne lesempêcbe
pas de se livrer, malgré ma défense, à un pillage effréné.
C'est seulement au moment où nous organisons notre campement
que M. Meunier arrive. Nous tentons immédiatement une poursuite de
nuit afln de nous saisir, s'il est possible, des chefs des révoltés; mai*
sans pour cela y arriver, les sauvages ayant fui loin de tonte atteinte.
Le lendemain matin, Je me rends à bord de la goélette, trouver le
gouverneur dont je reçois tontes les félicitations ainsi que celles de
tous les officiers du bord. Nous descendons tons à terre pour traiter
une alliauce avec les Pouhis-Hauhaus qui, jusqu'ici, se sont abstenus.
Puis le gouverneur, pour remercier Hokyag, lui concède la possession
de la baie que nous venons de conquérir ; mais il refuse, non sans
raison, car réduit à ses propres forces, il ne pourrait la conserver. Sa
présence de ce refus, le territoire est concédé à Témoana. L'impopo-
larité de ce chef fait que les Pouhis-Hauhaus ne sont que médiocrement
satisfaits de cet arrangement et que Hokyaô a grand'peine à cacher
son mécontentement. Il ne m'en offre pas moins de retourner dm
lui par le chemin que nous avons suivi. Bien m'en a pris de ne pis
céder i ses instances, car j'ai su, depuis lors, par un des naturels ùa
Happahis, que ses offres cachaient un piège et qu'il était bien décidé
à me livrer aux chefs des Ratous qu'il venait de combattre pour taire
un régal en commun absolument à mes dépens.
C'est à la suite de ces faits que je suis porté à l'ordre du jour ds
bataillon à trois appels successifs.
Mais je suis revenu bien fatigué, épuisé de toute manière et je me
sens faiblir tous les jours davantage. Ces courses, ces luttes, ces émo-
tions terribles et tout à fait en dehors de celles du soldat qui latte sur
les champs de bataille européens, m'ont usé et il n'est que temps de
regagner la mère patrie. D'autre part, il est évident qu'il n'y a ploa &
tabou qui tienne ; je deviens l'objectif de la vindicte des sauvages i
laquelle ne m'expose que trop le rôle que j'ai rempli jusqu'ici et la
moindre imprudence dans mes futures excursions peut me faire tomber
un jour ou l'autre dans les pièges qui me sont tendus de tontes parts
et Je n'ai plus la force suffisante pour cette lutte étrange, périliec*
et sans gloire aucune, puisqu'après tant de dangers courus, je n'em-
porterai d'autre satisfaction ni d'autre récompense que l'ordre du joir
LB8 VOYAGEURS INCONNUS. 465
mon bataillon et la satisfaction d'avoir bien servi mon pays: j'ai
prouvé que Je suis bon soldat et bon Français ; mais je ne me targue
pas d'être un philosophe.
Je demande donc de m' embarquer sur le prochain bâtiment qni fera
route pour la France.
Le Gassendi m'emmène d'abord à Tahiti. Là, le chef du bureau des
affaires européennes me dit qne Ton a pris note de mes états de ser-
vices, que je suis porté sur le registre pour obtenir une récompense et
que je perds mon avenir en quittant le pays (').
Ces réflexions me laissent assez perplexe. Alors je vais trouver
M. Brunet qui avait reçu son changement pendant la dernière affaire
et qui est snr le point de prendre passage sur la Somme pour revenir
en France. Je lui demande son avis sur ce que m'a dit le chef du
bureau et il me répond que je recevrai aussi bien ma récompense en
France qu'en Océanie.
Il est donc bien décidé cette fois que Je reviens.
La traversée nous présente quelques péripéties sans grande gravité.
Un moment un grand vent du Nord-Ouest nous jette vers la région
glacée dn pôle sud, et, en général, pour moi qui suis habitué au
climat intertropical, la température surtout vers le 60e latitude sud ne
laisse pas que de m'étre insupportable.
Enfin, je remets ie pied sur la terre de France, ma chère patrie, le
6 janvier 1848. Je ne vous étonnerai pas en vous disant qu'en cette
heure tant désirée, le cœur me bat i rompre la poitrine et que j'ai des
larmes plein les yeux
Et maintenant, cher lecteur, il ne me reste plus, dans un dernier
chapitre, qu'à vous résumer les observations que j'ai recueillies sur
les caractères, les us et coutumes, etc., qui n'ont pas trouvé place
dans le cours du récit pour ne le pas entraver au détriment de la
clarté.
(A suivre.)
(') J'ai rapporté entre autrei pièce» jaitineatiret on certificat que m'a délivré
15 ani pin* tard, M. Brunet, ancien gonreruenr.
LES ILES DE L'OCÉANIE
GÉOGRAPHIE, PRODUCTIONS NATURELLES, RACES HUMAINES f1)
Par Henri JOUAN
CAPITAUTS DB VAISSEAU BK RBTKAITB
AVANT- PROPOS
Il peut paraître présomptueux de présenter au public un livre ayant
pour sujet les Iles du Pacifique, VOeéanie, sur laquelle on a déjà consi-
dérablement écrit : je dois donc, pour m'excuser, exposer les raisons qui
m'y ont engagé. D'abord, ce n'est pas que j'aie la prétention de faire
mieux que ceux qui m'ont précédé dans cetto voie, mais leurs récils,
déjà anciens pour la plupart, ne sont plus aujourd'hui l'expression exacte
de la vérité ; en outro, ces récits sont presque toujours perdus, noyés
dans de longues relations de voyages et, par suite, il faut un travail d'es-
prit assez compliqué pour en dégager une vue d'ensemble.
Il existe cependant plusieurs ouvrages spéciaux sur l'Océanie en gé-
néral. L'un d'eux, très volumineux, dans lequel je reconnais avoir trouvé
des indications précieuses, publié par M. Domeny de Rienzi, dans la col-
lection de YUnivert pittoresque, il y a prés de quarante-cinq ans, a eu dans
son temps un grand succès (de môme que le Voyage pittoresque autour du
monde, publié sous la direction de Dumont d'Urvîlle, vers la même époque),
quoiqu'il soit loin d'être exempt de défauts. « On trouve là, compilés, enUs-
« ses, cousus tant bien que mal l'un à l'autre et souvent jetés dans le plus
« grand désordre, de substantiels morceaux, fragments détachés de tora
t les ouvrages qui ont paru sur ce sujet, mais pleins d'inutiles digret*
c sions et d'ennuyeuses répétitions, dans lesquelles Terreur marche cons-
« tamment côte à côte avec la vérité ; ce volumineux travail laisse tant à
« désirer sous le rapport de la clarté, de la concision et de l'exactitude,
« qu'il produit souvent, pris en masse, l'effet de ces lumières douteuses
« qui ne servent qu'à faire mieux remarquer l'épaisseur des ténèbres. »
Ce jugement sévère, trop sévère sur certains points, quoique sur d'an-
tres on soit bien obligé d'en reconnaître la justesse, n'est pas de moi,
mais de M. C. Henricy, auteur d'un petit ouvrage, paru neuf ans plus tard(*),
(') Le travail dont nous commcnçon* aujourd'hui la publication a une importance, «neanctart
d'originalité et de valeur scientifique, qui ont décidé la Rédaction à entreprendre cette pabfer
lion de longue haleine.
(') Nouveaux Résumé» : Biêtoir* de l'Ooéanit, dtfui» «on origine jtuq u*ên i$45t par M. C*a»
mir Henricy. Pari», 1845.
LES ILES DE l'ûCÉANIE. 467
remarquable par sa concision et, malgré cela, par le nombre de faits qu'il
contient, eu égard à l'époque & laquelle il a été écrit. Il m'arrivo quel-
quefois, dans les pages suivantes, de citer presque textuellement des pas-
sages de ce petit livre dont j'ai été à môme de vérifier l'exactitude, mais
l'auteur, fidèle au titre qu'il avait choisi, s'est plus occupé de V histoire
de rOcéanie que de ses productions, tandis que je me propose surtout do
montrer, comme l'indique mon titre, les iles du Pacifique au point de vue
de VkUloire naturelle, c'est-à-dire de leur constitution géologique, de
leurs productions végétales et animales. Le tableau, pour être complet, doit,
il me semble, exposer non. seulement les caractères physiques des popu-
lations, mais encore donner une idée de leurs mœurs, de leurs coutumes,
de leur langage, de l'état social où elles sont parvenues au contact d'au-
tres races.
Deux fois les hasards de ma carrière m'ont conduit dans l'Océan ie ;
chaque fois j'y restai pendant plusieurs années, visitant les principaux
archipels ; j'ai, en outre, vécu longtemps dans deux de ces derniers, les
iles Marquises et la Nouvelle-Calédonie, qui avaient peut-être le mieux
gardé leur physionomie primitive ; aussi la plus grande partie de ce que
contient ce volume est-il le résultat de mes propres observations et, bien
souvent, quand je transcris le texte d'autres auteurs — que je ne manque
jamais de citer scrupuleusement, — j'ai vérifié par moi-même l'exactitude
de leur dire. Cependant, comme il est impossible que, sur un théâtre
aussi vaste, j'aie pu tout voir de mes propres yeux, j'ai été parfois obligé
de m'en rapporter au témoignage d autrui, d'abord à celui de quelques-
uns de mes camarades qui parcouraient ces parages en même temps que
moi, et qu'un goût tout particulier attirait vers ces études ; par ailleurs,
j'ai puisé aux meilleures sources, comme on peut le voir par les noms
que, je le répète, je ne manque jamais de citer.
Pendant un moment, il y a une quarantaine d'années de cela, l'attention
avait été appelée d'une manière particulière sur l'Océanie, même en
France où, à cette époque-là, i l'exception d'un public très restreint,
on ne s'occupait guère de ce qui se passait dans le monde maritime ;
les graves événements qu'avaient failli faire naître l'affaire Pritchard et
l'établissement de notre protectorat à Tahiti, notre tentative de colonisation
à la Nouvelle-Zélande et quelques autres causes plus secondaires, avaient
attiré les regards vers ces lointains parages, mais l'effet produit ne dura
pas bien longtemps et ne donna naissance qu'à un très petit nombre do
publications plus ou moins officielles, lues seulement par les rares indi-
vidus dont je parlais tout à l'heure (').
Aujourd'hui, les ouvrages de géographie obtiennent chez nous une fa-
veur bien marquée, mais ce sont principalement les vastes régions de
l'Afrique centrale, révélées par Livingstone et ses audacieux continua-
teurs, et les régions non moins vastes de l'Asie, que ces ouvrages ont
pour objet, et c'est de toute justice, car ces contrées sont autrement in-
(*) Toutefois, les deux ouvrages de MM. Vincendon-Domoulin a C. Drsgraz, sur les lies Mar
q«ises et Tabiu, font exception.
468 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
Caressantes, sous beaucoup de rapports, que les petits archipels du Grand
Océan. Cependant, ces derniers, par la constitution de leur sol, par leur
isolement môme, par leurs habitants, peuvent contribuer à jeter un grand
jour sur un problème qui s'agite maintenant : le problème do nos origines.
Il ne faut pas non plus perdre de vue que la Franco a eu sa bonne put
dans l'exploration des lies du Pacifique et que l'on ne fait que remplir
un devoir en rappelant de temps en temps les travaux de nos navigateurs
et de nos naturalistes.
Ces considérations m'ont engagé à rassembler les notes que j'avais pu
prendre lorsque des circonstances inhérentes à ma profession m'ont con-
duit dans ces parages, à joindre ensemble, de manière à en faire un tout,
diverses notices que j'ai publiées à diverses époques dans les Mémoires
de quelques sociétés savantes, ou bien qui étaient elles-mêmes des
comptes rendus de communications que j'avais eu occasion de faire, de-
puis quelques années, dans des congrès scientifiques ; mais, on agissant
ainsi, je ne me suis pas abusé sur la difficulté de mener à bien un pareil
dessein et de me tenir à égale distance de deux écueils également dan-
gereux : trop de concision ou trop de prolixité. La concision, quand même
le réussirais à l'orner de tous les agréments d'un style brillant et fleuri,
ne peut guère produire qu'un exposé aride, rebutant pour le lecteur au-
quel il n'apprendrait rien qu'il ne sache déjà ; la prolixité, c'est i craindre,
le fatiguera, le rebutera par l'abondance môme des détails, et ces détails
cependant ne seront pas encore suffisants, à moins d'allonger le récit in-
définiment ! J'ai bien peur d'ôtre tombé dans ce dernier défaut : trop et,
en môme temps, pas auez de détails. Cependant, j'ose espérer que et
livre, qui, s'il n'a pas d'autre mérite, a au moins celui d'avoir été médité
et écrit avec conscience, pourrait ôtre de quelque utilité aux navigateur^
aux naturalistes partant pour l'Océanie et que, peut-ôtre» des savants de
cabinet y trouveraient quelques renseignements utiles.
Cherbourg, — octobre 1880.
Nota. — Dans ce qui suit, je me suis servi, pour écrire les noms de
lieux, de peuples, etc., des différentes orthographes adoptées par les mis-
sionnaires des diverses communions, lesquels, ayant dans leurs principales
stations des presses qui leur servent à imprimer les livres nécessaires
pour leur propagande, ont ainsi fixé l'orthographe, devenue officielle dans
le pays quand celui-ci a atteint un certain degré de civilisation. Dans les
dialectes polynésiens, Vu se prononce invariablement comme notre syl-
labe ou ; Ve, comme notre e fermé ; au, comme a-o, Yo prononcé très ou-
vert ; eu, comme é-ou ; ai, H, oi, comme notre interjection aie ! comme
eï, e; oï, e, très ouverts.
Dans les mots calédoniens et, en général, les mots mélanésiens, je anis
le plue souvent l'habitude du français, dans lequel ou s'écrit o-u et non s;
cependant, quelquefois il m'arrive, dans des citations, d'employer seule
cette dernière voyelle, qui doit toujours se prononcer comme ou en fran-
çais. Dans les noms calédoniens, Ve final, à moins qu'il ne porte un ac-
cent, est ouvert.
LES ILES DE i/OCÊANIE. 469
Les lieues et les milles, qui servent à évaluer les distances, sont, à
moins d'observation spéciale, des lieues marines de 90 au degré et des
milles marins de 1,85* métrés.
D est peut-être à propos de rappeler rapidement la date des princi-
pales découvertes en Océanie.
Le 15 septembre 1513, Vasco Nunez de Balboa, du sommet d'une des
montagnes du Darien, découvrait le Grand Océan ; puis, franchissant rapi-
dement l'espace qui le séparait du rivage, il entrait dans l'eau jusqu'à la
ceinture, l'épée nue d'une main, le bouclier de l'autre, et prenait pos-
session, au nom du roi des Espagnes, de cette mer qui couvre presque
la moitié du globe et contient un monde dont il ne soupçonnait pas l'exis-
tence. Quelques années après, Magellan, après avoir franchi l'extrémité
de l'Amérique, en traversant le détroit auquel son nom fut donné, osa,
nouveau Colomb, se lancer sur les solitudes de cet Océan mystérieux; un
hasard malheureux voulut qu'il le traversât dans toute sa largeur, là où
aucune terre n'en rompt la monotonie ; aussi ses découvertes se bornôrent-
eilea à l'archipel des Mariannes et à celui des Philippines, où il perdit la
rie dans un combat contre les naturels. Des cinq navires avec lesquels
il avait quitté San-Lucar en 1519, un seul revint au port, au bout de plus
de trois ans, prouvant ainsi pour la première fois, d'une manière tangible)
U sphéricité de la terre.
En 1526, Alvarez de Suavedra, parti du Mexique, arrive aux Moluques
et, à son retour, découvre la Nouvelle-Guinée.
liendana visite les îles Salomon en 1587 et, en 1595, découvre le groupe
méridional de l'archipel des Marquises.
Quiros, après avoir été premier pilote de Mendana, part du Pérou à la
fin de 1605, découvre quelques-unes des îlesPaumotu, puis Tahiti, qu'il
nomme SagiUaria, les îles du Saint-Esprit, probablement les mêmes que,
plus tard, Bougainville et Cook appelèrent Nouvelles-Cyclades et Nou-
velles-Hébrides.
A peu près vers la même époque que Quiros, des corsaires, des aven-
turiers, Drake, Cavendish, Van Noort, etc., parcourent différentes parties
du Pacifique, mais sans ajouter beaucoup aux découvertes ; leur but était
beaucoup plus la poursuite des navires espagnols ou le pillage des villes
naissantes du Pérou et du Mexique que l'intérêt de la géographie.
En 1615 et 1616, Le Maire et Schouten, contournant la pointe australe
de l'Amérique, le cap Horn, ainsi nommé de la ville de Horn en Hollande,
firent de nombreuses découvertes ; Schouten visita la côte septentrionale
de la Nouvelle-Guinée, reconnut les terres qu'on appela plus tard Nou-
velle-Irlande et Nouveau-Hanovre, et qu'il prit pour la continuation de la
Nouvelle-Guinée.
C'est i la même époque que des Hollandais découvrirent la Nouvelle-
Hollande, mais il est bien possible qu'elle eût été déjà visitée un siècle
auparavant par les Portugais de l'Inde, ou que, du moins, ceux-ci en
eussent eu connaissance par les Malais qui, de temps immémorial, y
pèchent le tripang.
Il est également possible que les Portugais et les Espagnols connussent
470 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
déjà, vers 1550, la Nouvelle-Zélande quand Abel Tasman, envoyé de Ba-
tavia pour faire des découvertes dans le Sud, y aborda en 1643 ; du moins,
c'est ce qui résulterait de l'examen de vieilles cartes portugaises et etpa-
gnôles. En 1574 , un pilote espagnol, Juan Fernandez, parti du Chili et
faisant route à l'Ouest, aux environs du parallèle de 40°, arrive an bout
d'un mois à une terre dans laquelle, à la description qu'il en donne et i
celle de ses habitants, il est possible do reconnaître la Nouvelle-Zélandef/.
Il ne faut pas, non plus, oublier que, dans ces temps reculés, les navi-
gateurs et les gouvernements, sous l'impulsion d'une politique jalouse, se
gardaient généralement de publier les découvertes maritimes ; en tout ces,
la venue antérieure des Portugais et des Espagnols n'enlèverait rien an
talent et à la gloire de Tasman qui ajouta à la découverte de la Nouvelle-
Zélande celle des Tonga, des Fidgi, l'exploration du Nord de la Nouvelle
Hollande, etc.
Dampier, qui parcourut le Pacifique à la fin du xvxi* siècle, commis-
sionné par le gouvernement anglais, après y avoir longtemps navigué es
vrai flibustior, n'ajouta pas beaucoup aux découvertes déjà laites, mais oa
lui doit beaucoup de remarques, principalement sur les terres mélané-
siennes encore si peu connues de nos jours ; on a rarement vu un obser-
vateur plus sagace et plus judicieux.
C'est aussi vers la fin du xvir9 siècle, en 1667, que parut le premier na-
vire français dans le Pacifique, sous le commandement d'un sieur Lafeoii-
lade ; au commencement du xvni' siècle, une vingtaine de navires, U
plupart des malouins, s'y montrèrent également, mais ne firent pas faire
beaucoup de progrès à la géographie.
L'amiral anglais Anson, à la poursuite du galion de Manille, traversa
l'océan Pacifique eu 1741, mais sans rencontrer aucune terre nouvelle;
Vingt ans plus tôt, le Hollandais Roggewein n'avait trouvé que quelques
îles insignifiantes.
Jusqu'alors, la guerre, la course, pour ne pas dire la piraterie, avaient
été à peu près les seuls mobiles qui conduisaient les navigateurs vers le
Grand Océan ; la deuxième moitié du xviir9 siècle se signala par un point
de vue tout différent ; c'est le commencement des grands voyages en-
trepris uniquement au profit de la science et, par suite, de l'humanité.
Byron, Garteret et Wallis (1765-1768) ouvrent la marcho; le dernier re-
trouve Tahiti, perdue depuis Quiros. Vers le même temps, Bougainville, on
des premiers navigateurs français, sinon le plus grand, se signale par
d'importantes découvertes ; son voyage fut des plus féconds en savante*
explorations, au succès desquelles contribuèrent beaucoup deux de ses
compagnons, le prince de Nassau et le naturaliste Commerson. Tout te
monde a lu ses ravissantes descriptions de Tahiti, qu'il appelle la NaweUt
Cythère. On lui doit la découverte de la plus grande partie des Pûumeit,
du bel archipel des Navigateurs, la reconnaissance des Salomon, qui n'a-
vaient pas été revues depuis Mendana, etc.
A Bougainville succède Cook qui n'a jamais été dépassé ; dans le cous
(f) Voir noie A Appendice.
LES ILES DE l'oCÊANIE. 471
de ses trois voyages, accomplis de 1769 à 1779, l'illustre navigateur fouille
tout lo Pacifique, depuis les glaces de l'Océan Arctique, au delà du détroit
de Behring, jusqu'aux banquises du pôle austral, ne laissant qu'à glaner,
et encore très peu de chose, à ceux qui viennent après lui. Il visite la
Nouvelle-Zélande que personne n'avait revue depuis Tasman, découvre
la Nouvelle-Calédonie, les Nouvelles - Hébrides, les îles Sandwich (que
l'Espagnol Juan Gaétan avait très probablement vues et appelées les Jar-
dins, vers 154*), où il périt sous les coups des sauvages, etc. Non seulement
les voyages de Cook ajoutèrent considérablement aux connaissances géo-
graphiques pures, mais encore à toutes les branches des sciences natu-
relles, grâce aux savants du plus grand mérite qui y prirent part, Banks,
Solander, Sparmann, les deux Forster, Anderson, etc.
La Pérouse marchait sur les traces de Cook et de Bougainvillo, et son
voyage eût été certainement fécond on résultats lorsqu'il se perdit sur les
écueils de Vanikoro. On sait que, pendant quarante ans (de 1787 & 1817), on
ignora son sort, lorsque le capitaine anglais Diilon retrouva le théâtre de
la catastrophe dans laquelle périrent ses deux navires. En 1827, Dumont
dTJrviile, avec Y Astrolabe, confirma les découvertes de Diilon et rapporta
en France de nombreux témoignages matériels du désastre. L'expédition
de d'Entrecasteaux est envoyée à la recherche de La Pérouse ; par une
fatalité inconcevable, la Recherche et Y Espérance passent devant Vanikoro
sans communiquer avec cette île, où il y avait peut-être encore des sur-
vivants du naufrage. Surprise par la guerre dans les possessions hollan-.
daises de la Malaisie, cette expédition eut une fin malheureuse, mais pro-
duisit pourtant d'importants résultats : les observations de Labillardière et
des travaux hydrographiques comme on n'en avait jamais fait, sous le rap-
port de la précision.
Les guerres maritimes du commencement du siècle détournèrent l'utten-
tion des gouvernements de la mer du Sud ; cependant on enregistre encore
quelques voyages importants sur les côtes de l'Australie. En 1800-1804,
Baudin etFlinders; 1804-1805, Krusenstern ; 1818, Porter.
A la paix générale, le gouvernement de la Restauration, reprenant en
France les traditions du siècle précédent, fit partir successivement plu-
sieurs expéditions qui donnèrent les plus brillants résultats et fournirent
à la science, à nos collections nationales, d'immenses richesses : YUranie,
capitaine de Freycinet ; la Coquille, capitaine Ouperrey ; Y Astrolabe, com-
mandée par Dumont d'Urville, que la marine française peut hardiment
mettre en parallèle avec Cook. Pendant le môme temps (1816-1830), des
reconnaissances très importantes avaient été faites par Kotzebue, avec le
naturaliste Chamisso, Billinghausen , Becchey, Lutké et d'autres naviga-
teurs encore, que le défaut d'espace ne me permet pas de citer et parmi
lesquels se tronvont de simples capitaines de commerce, des pécheurs' de
baleines, qui ont aussi contribué à augmenter la somme do nos connais-
sances sur l'Océan Pacifique. De 1838 à 1840, les frégates françaises la
Vénus et r Art émise, la corvette la Bonite, lo sillonnaient de nouveau; Du-
mont d'Urville complétait, avec V Astrolabe et la Zélée, les reconnaissances
entreprises auparavant avec Y Astrolabe, et, à deux reprises, poussait une
472 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
pointe hardie vers le pôle austral, où il découvrait la Terre Adelie ; puis,
cet homme intrépide, qui avait passé sa vie i braver tous les dangers sont
toutes les latitudes, ce marin plein d'audace et de sang-froid, dont les
récits quelquefois donnent la chair de poule aux gens du métier, vient
misérablement périr dans un accident de chemin de fer aux portes de
Paris (■) !
En môme temps que V Astrolabe et la Zélée, le capitaine américain Wïi-
kes parcourait l'Océanio avec plusieurs navires (U. S. Exploring Expédi-
tion) et poussait aussi une pointe vers les régions du pôle sud.
Les dernières grandes expéditions entreprises dans un but exclusivement
scientifique sont celles de la frégate autrichienne la Novara ( 1857-1 859)
et du Challenger (1872-1876), celle-ci ayant pour principal objectif de?
sondages à grande profondeur dans les grands océans ; mais, depuis use
quarantaine d'années, des bâtiments de guerre de toutes les nations ont
sillonné le Pacifique en tous sens et ajouté de nouveaux documents à ceai
que Ton avait déjà.
En 1568, les Espagnols s'établissent aux iles Philippines, aux îles Ma-
riannes cent ans plus tard ; ils sont toujours restés, depuis lors, du» et
dernier archipel, qui ne rapporte absolument rien o la métropole.
Les Anglais s'installent en Australie en 1788, à la terre de Van-Diemes
(Tasmanie) en 1803 ; ils viennent tout récemment de s'annexer l'archipel
des Fidji et la petite ile de Rotuma.
C'est en 1840, le 1er janvier, que la Nouvelle-Zélande a été officielle-
ment proclamée colonie anglaise, mais la colonisation avait été déjà com-
mencée, de 1825 à 18S8, par des compagnies particulières agissant en
dehors du Gouvernement. On peut même considérer comme les premiers
colons, les missionnaires qui s'étaient établis, en achetant le terrain des
naturels, à la baie des Iles et dans la partie septentrionale de l'île da
Nord dés 1814. A Karoa (presqu'île de Banks) eut lieu, en 1840, une tentative
de colonisation française ; mais elle échoua, les Anglais ayant, avant notre
arrivée, proclamé leur souveraineté sur l'archipel néo-zélandais (ont
entier.
L'établissement du protectorat français à Tahiti et à 111e voisine Mooret
date du mois de septembre 1842 ; quelques mois auparavant, nous avions
jeté les bases d'un établissement assez considérable aux iles Marquises,
mais Tahiti l'emporta sur ces dernières. L'établissement des Marquises re-
gagna un peu d'importance de 1851 à 1854, lorsque Nukuhiva était de-
venu un lieu de déportation, mais depuis il a repris les plus modestes
proportions. Le protectorat de Tahiti s'est étendu successivement sur une
grande partie de l'archipel Paumotu, sur les iles Gambier, l'archipel Tu-
buai, Râpa, etc. f).
(') Le 8 mai 1842 : R a fallu /# brûltr pour «n venir à tout, me disait l'ancien patron da
canot da commandant de YA*ttolabt, an homme de la môme trempe que d'Urrille, alors sisç*'
matelot, aujourd'hui contre-amiral.
(*) Tout récemment (29 Juin 1880), le roi de Tahiti, Pemaré Y, a spontanément cédé k b
France tous se» droits de souveraineté sur Tahiti et ses dépendances.
LES ILES DU PACIFIQUE. 473
la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France a eu lieu
en 1853. L'annexion des lies Loyally quelques années après.
A diverses reprises, les Hollandais ont essayé de fonder des établisse-
ments à la Nouvelle-Guinée, mais l'insalubrité du climat et la résistance
des habitants ont toujours empêché la réalisation de ces projets; il est ce-
pendant à supposer que, malgré ces obstacles, à la suite- des explorations,
qui se succèdent de plus en plus dans cette grande île, on ne sera pas
longtemps sans y voir des établissements européens coloniaux.
Tels sont les points de l'Océanie occupés aujourd'hui par les gouver-
nements européens ; mais, en dehors de ces points, il y en a d'autres où
Ton rencontre des représentants de la race blanche, quelquefois en grand
nombre ; ainsi, les Iles Sandwich qui, sous l'impulsion imprimée par le
navigateur anglais Vancouver, sont devenues un royaume constitutionnel
contiennent une population nombreuse d'étrangers, à ce point qu'on peut
dire de ces îles que ce sont des colonies. On en voit pareillement beau-
coup aux îles des Navigateurs et dans d'autres archipels ; aujourd'hui, il
y a peu d'îles du Pacifique qui n'aient des missionnaires, catholiques ou
protestants.
P. S. — Autant que possible, j'ai donné aux fies les noms sons lesquels elles sont
désignées par leurs habitante et je me suis terri, pour les écrire, de l'orthographe
sont j'ai indiqué plus haut les principales règles. On remarquera que quelques-unes
4c tes appellations diffèrent de celles qu'on lit sur la plupart des cartes ; ainsi, au
Ika de Nouka-Hiva, j'écris NukuMva (prononcer Nou-kou-hiva ou Nou-ov-hiva, en
aspirant la deuxième syllabe), parce que c'est sous ce dernier nom» et non pas sous
•a a&trtf qu'est connue, dans l'archipel des Marquises, la principale île du groupe
K.-O. Les noms que j'ai donnés à plusieurs îles du même archipel diffèrent aussi
des noms indiquée sur les cartes. Certains cartographes ont adopté, pour designer
lei îles des Navigateurs, le mot Hamoa, d'autres, Samoa ; ce dernier doit être pré-
tiré, la consonne h manquant dans le dialecte polynésien parlé dans cet archipel,
tendis qu'il a l'«. Les lies Vit! sont marquées tantôt VUi, tantôt Fidji (Feejêt* sur
te plupart dee cartes anglaisée), selon que l'on aura adopté la prono notation des na-
turels ou celle de leurs voisins des îles Tonga, avec lesquels ils ont des relations
très fréquentes. Je ferai observer enfin que les appellations collectives données sur
h» cartes à dee archipels entiers: liée Nouka-Hiva, Iles Hamoa, IUê Hawaii, etc., ne
sent, sauf de rares exceptions (si même il en est), que des appellations de pure con-
vention, Urées du nom d'une des lies de l'archipel visé : chaque île a bien son nom
propre, mais U n'y a pas de nom général pour désigner l'ensemble du groupe.
soc on oaoo*. — S* tbwmtrus 1883. Si
*
t
M ISCELLANÉ ES
LES FRANÇAIS SUR LA COTE ORIENTALE DArRIQll
Obock, Le Choa et l'Abyssinie.
Le Choa est un grand pays, au sud de l'Abyssinie, qui tantôt a foi
partie du dernier de ces royaumes et tantôt a existé comme principauté
indépendante.
Physiquement parlant, le Choa est composé en grande partie de
hautes plaines qui, d'un côté, aboutissent à la crête orientale do pla-
teau abyssinien, et qui, de l'autre, se creusent en profondes coupure*
ou s'abaissent en pentes graduelles vers la vallée de l'Anal, laquelle
le sépare du plateau montueux du Godgam. C'est-à-dire qu'il renaît
les climats successifs d'une région basse, d'une région élevée et cTone
zone intermédiaire. Les hautes plaines sont dénudées et froides : leur
seule richesse consiste en troupeaux de bestiaux, de moutons surtout
d'une race excellente, la même qui se trouve partout en Abyssioie-
La végétation et les cultures se développent à mesure que l'on des-
cend vers i'Abaï ; mais les bois font défaut, si ce n'est dans les ra-
vins et dans quelques vallons où s'élèvent des bouquets d'arbres de
haute futaie. En somme, la richesse naturelle du Choa est exclusive-
ment agricole, comme le fait remarquer M. Rochet d'Hériconrt daaf
son excellente relation (!). «Le ciel Ta généreusement favorisé sodé
ce rapport. Les deux saisons de pluies qui régnent périodiquement
chaque aunée, permettent de faire deux moissons de céréales. Les
grandes pluies commencent vers le milieu de Juin; elles durent deoi
mois et demi, trois au plus, et se terminent dans les premiers joa
de septembre. Les petites pluies commencent en Janvier et durent d
quinze à vingt Jours. »
Sous le rapport politique, il en a été du Choa comme de ces acftié-l
mies de province iqui se conduisent en honnêtes filles, selon le mot
du malin Voltaire, et ne font pas beaucoup parler d'elles. Le >égw
d'Abyssinie, Théodoros, le même qui succomba dans la lutte inégale
qu'il soutenait contre l'Angleterre, et qui disparut de la s cène politique
(')Voir le Second voyage eur le* deux rive» de la mer Bouge (1342-1S4J \ « *»
môme: Voyage de la côte orientale de la mer Bouge dam le paye d'Ade* et dntlfi
Choa (1889). "
J
LES FRANÇAIS SUR LA COTE ORIENTALE D'AFRIQUE. 475
d'une façon si tragique, dans des circonstances empreintes d'une sau-
vage et sombre grandeur, l'avait incorporé à ses propres États; mais
iprés la mort de Théodoros, le Ghoa a repris son indépendance, et
Toici qu'aujourd'hui les journaux nous annoncent, les uns, sur la fol
de M. Soleillet, notre éminent et audacieux compatriote, que le roi
Jean d'Abyssinie s'est finalement décidé à .désigner pour son héritier
Mélénik, le roi actuel du Ghoa; les autres, que le dernier de ces
princes aurait exprimé le désir de placer son royaume sous le protec-
torat français. Nous ne savons que penser de cette double nouvelle :
si la première se confirme, ce sera tout bénéfice pour l'Abyssinie
comme pour Je Choa, dont la rivalité, qui a si souvent ensanglanté
rÊtfciopie, prendrait ainsi fin; et quant à la seconde, elle nous parait
assez invraisemblable, flous ne voyons, en effet, dans les circons-
tances actuelles du Ghoa, rien qui soit de nature à expliquer une pareille
démarche de la part de son souverain, quoique Mélénik soit assurément
as franc ami de la France. Son grand-père, le roi Salané-SaJassi, avait
fait demander à Louis-Philippe l'amitié de notre pays, et lui-même ac-
cueillait très cordialement une mission qui s'est rendue chez lui, il y a
deux ans, et chargeait même son chef, M. Brémond, d'une lettre et de
présents pour le Président de la République française. Ménélik II, non
content de cette démonstration, ordonnait au sultan des Danakils, tribu
qui occupe le littoral, d'ouvrir, par leur chef-lieu Aoussa, une com-
munication commerciale entre Ankober, sa propre capitale, et notre
possession d'Obock.
Le navigateur découvre à sa droite, en sortant de la mer Rouge, à
lahaoïeur du détroit de Bab-el-Mandeb, une petite échancrure; c'est la
baie d'Obock, située par 12° de latitude nord et 41° de longitude orien-
tale. Cette station fait face à Aden et se trouve sur la route des na-
vires pi se rendent à Madagascar d'une part, et de ceux qui vont en
Gochinchine, de l'antre. Par un traité daté du 3 mars 1862, la France
en a fait l'acquisition régulière des chefs indigènes du pays, ainsi que
d'an territoire circon voisin d'une superficie de vingt-cinq lieues carrées
environ, le tout au prix de dix mille thalarîs, soit 50,000 francs de
notre monnaie L'intention, officiellement annoncée, du gouvernement
nupérial était d'installer à Obock un dépôt de charbon et d'en amé-
nager le port de telle façon que notre marine y trouvât une station
sur la route de* Indes et de la Gochinchine, où elle pourrait, au be-
soin, se réfugier et se procurer les ressources qu'elle était forcée de
demander, soit à Aden, soit à Pointe-de-Galles. Mais tout cela est
resté à l'état de projet; si depuis quelque temps quelques maisons de
commerce ont fondé à Obock des comptoirs qui semblent en voie d<$
prospérité, il n'y existe aucune installation d'utilité publique, point
476 MI8CELLA.NÉES.
de dépôts, de magasins, de docks, en un mot, rien de ce qui constitue
essentiellement un port de relâche et d'approvisionnement.
t Rien encore n'a été tenté dans ce sens, dit à ce propos IL de
Rivoyre, l'auteur d'une très intéressante étude snr Obock et le littoral
tant delà mer Rouge que du golfe Persique1, et depuis Tingt au.
sans profits et sans soins, ce coin de terre, si bien situé, où en d'autres
mains une tille aurait eu le temps de s'élever et de grandir, continue
de n'être hanté que par les tribus voisines qui y mènent paître les»
troupeaux, ou par les caboteurs arabes qui s'y abritent et Tiennent y
faire de l'eau. » Obock cependant — on devrait s'en souvenir au-
jourd'hui que nos vieux instincts colonisateurs semblent renaître et
se manifestent de divers côtés, au Tonkin comme sur les bordi da
Congo et dans la vallée du Niger, — Obock, c'est une porte ouverte
à notre commerce d'exportation sur le plateau éthiopien avec ses
douze à quatorze millions d'habitants et son terrain si fertile. Aussi
aurions-nous peine à croire- ce que M. de Rivoyre nous raconte as
sujet de l'attitude, à un certain moment, de notre ministère des
affaires étrangères dans la question d'Obock, s'il n'avait pas l'air
d'être si bien renseigné, et si nous avions pu perdre déjà le souvenir de
certaines défaillances dont l'hôtel du quai d'Orsay a été récemment le
théâtre.
Voici ce que nous dit nettement M. de Rivoyre: au quai d'Orsay,
on eut la velléité, qui nous semble à nous bien naturelle, de répondre
amicalement aux ouvertures du souverain de Choa. Mais le spectre
courroucé de la vieille Angleterre n'allait-il pas froncer le sourcil? Es
fin de compte, on se résolut à prendre les cadeaux du roi Ménélik H,
mais on ne daigna point lui en accuser réeption et l'en remercier.
« En même temps — nous citons ici textuellement, — pour des no-
tifs particuliers, un autre foyer de résistance plus nettement accusée
encore contre la création du port d'Obock se dessinait ailleurs; nie
autre voix s'élevait plus absolue pour condamner sans appel cette
pensée d'une installation française sur ce coin de terre française:
pour célébrer, à rencontre de tant d'autres, les avantages et les com-
modités de ce même Aden anglais dont nos navires se voyaient cais-
ses parla loi des neutres en 1870; pour se refuser enfin à utiliser
cette escale unique que notre marine errante pourrait et devrait avoir
à elle sur la route de la Gochinchine et du Tonkin. Et c'était au minis-
tère de la marine et des colonies * ! »
« Fort heureusement, ajoute M. de Rivoyre, le patriotisme individuel
commence à se sentir assez fort pour se passer du concours officia,
(') Obock, Ma$cate, Buthire, Bcusorah. In-18. Paris, Pion, 1883.
(-) Obock, etc., eto , p. 46-49.
LES FRANÇAIS SUR LA CÔTE ORIENTALE D* AFRIQUE. 477
et Obocfc se fonde à cette heure, en dépit du mauvais Tooloir adminis-
tratif et de la paresse bureaucratique. » Grâce à l'initiative et aux
soins de l'Association qui se dénomme la Société des factoreries fran-
çaises du golfe Persique et de V Afrique orientale, ce port va devenir
tout à la fois une station navale et une colonie commerciale, où la po-
litique de la France en Orient trouvera bientôt peut-être son appui le
plus sûr et sa base la plus solide. M. Brémond, le même voyageur
qui apportait à Paris, il y a plus d'un an, les cadeaux du roi Mélénik
a H. Grévy, est retourné au Choa dans les premiers Jours de cette
innée même, accompagné d'un ingénieur des mines, M. Aubry, et d'un
médecin, M. Hamon, que le ministre de l'instruction publique a chargés
d'une mission spéciale prés de Mélénik II, sur le désir exprimé par
ce prince lui-même. Nos trois compatriotes, après s'être arrêtés quel-
ques semaines à Obock pour y établir un comptoir et traiter avec les
chefs indigènes de la côte, se sont mis en route pour le Choa, suivis
d'une caravane de chameaux que Mélénik a mis expressément à leur
disposition, et qui porte un assortiment de marchandises destinées à
ce prince ainsi qu'à ses sujets. M. Soleillet, de son côté, s'est rendu
au Choa, et tout donne maintenant l'espoir, partagé par les chefs du
pays eux-mêmes, que des communications régulières et suivies vont
s'ouvrir entre la France et le plateau abyssinien, au grand avantage du
commerce de celle-là, comme du mouvement social de celui-ci.
Sous aurons pour auxiliaire, dans cette tâche, la mauvaise impres-
sion que la domination de l'Egypte a laissée parmi les populations de
tous ces parages. On sait que, s'appuyant sur nous ne savons quels
droits que lui aurait cédés la Porte, le gouvernement , égyptien, qui
déjà s'était emparé trois ans plus tôt du littoral africain de la mer
Bouge, poussa plus loin ses conquêtes et s'annexa toute la contrée
des Medjoutines Jusqu'aux environs du cap Guardafui. Zeilah et Ber-
berah, villes maritimes, reçurent des garnisons et 2,000 hommes
occupèrent à l'intérieur Harrar, naguère le chef-lieu d'une province
indépendante, ville admirablement située sur un plateau qui commande
l'itinéraire de toutes les caravanes de Gallas. Avant l'occupation égyp-
tienne, Harrar était l'entrepôt d'un grand commerce; le café y abondait
notamment, ce même café qui en est originaire et qui, après avoir
subi diverses manipulations, traversait la mer pour se rendre à Moka,
d'où il était expédié sous co nom dans l'univers entier. Aujourd'hui,
pressurés par les agents du fisc égyptien et placés sous l'incessante
menace de leur grand moyen de persuasion, le traditionnel nerf d hip-
popotame, les paysans du Harrar ont abandonné la culture du café;
les routes commerciales sont désertes et la ruine a fait place à la pros-
périté. Ce sont là les résultats les plus sensibles Jusqu'à présent de
478 MISGELLANÉES.
la domination des Égyptiens. « Si à Barberah, quelques édifices en
pierre — casernes, palais ou hôpitaux, ont succédé ça et là aux toits
de chaume, ce n'est qu'un trompe-l'œil pour les équipages européens
qui y passent. N'allez pas au delà : tous ne rencontreriez que misère,
brigandage et tyrannie. Malgré la 'communauté de religion, des bords
de la mer aux plateaux de l'Ethiopie, les Égyptiens sont en horreur.
Ne nous en plaignons pas trop. Ce sont les affaires futures de l'établis-
sement d'Obock que préparent ainsi leurs maladresses.
Le port d'Obock est formé par le prolongement de deux hautes fa-
laises madréporiques qui encadrent une petite baie que ferment elle-
même du côté de la haute mer deux bancs de corail d'une assez grande
étendue. L'eau y est profonde et les passes sont suffisamment pratica-
bles. Au point de vue technique, les qualités de ce mouillage sont
incontestables : tel est l'avis universel des marins qui s'en sont occupés
sérieusement, depuis l'amiral Fleuriot de Langle et l'amiral Buret jusqu'à
l'amiral Salmon et an commandant Delagrange. À la vérité, il reste os-
vert aux vents de Test; mais, outre que ces vents sont peu redouta-
bles, rien ne serait plus facile que de le fermer de ce côté par ue
jetée à laquelle les deux bancs de coraux, que nous mentionnions mot
à l'heure, offrent une assise toute prête. Quant aux vents du nord et
du nord-est, les plus redoutables de ces parages, le port d'Obock eu
est abrité par la barrière infranchissable duRas-Rir — le Cap du Fuito.
— extrémité septentrionale d'une des deux falaises qui l'enceignenL
Lorsque ces vents soufflent en tempête vers l'océan Indien, ce qui n'est
pas rare, Obock offrirait, avec quelques installations, un précieux re-
fuge aux navires en détresse, et dans son état actuel, le Surcouf, que
montait l'amiral Salmon, fut heureux de s'y abriter il y quelques an-
nées. Surpris par un violent coup de mer par le travers du détroit de
Bab-el-Mandeb, ce navire ne dut son salut qu'à la proximité d'Obock,
dont son commandant connaissait de longue main les passes et les
atterrissages.
Dans ses excursions autour d'Obock, M. de Riroyre fit la rencontre
de quelques naturels, quatre hommes et un enfant. L'un de ces
hommes était un grand vieillard décharné, au corps étique, balançait
son buste sur deux grandes jambes qui semblaient avoir peine à le
porter ; un lambeau d'étoffe sale autour des reins composait tout soi
costume. Ce grotesque personnage n'en était pas moins le gardien da
drapeau français à Obock et Je seul représentant dé l'autorité française.
Des trois autres, celui qui paraissait être le plus important se présenta
comme frère du gouverneur d'un pays voisin. Mais quels étaient ce
pays et ce gouverneur? C'est ce que M. de Rivoyre ne réussit point à
connaître; cet indigène informa notre compatriote que depuis quatre
LES FRANÇAIS SUR LA COTE ORIENTALE D 'AFRIQUE. 479
ans, par une circonstance assez rare dans le pays, il n'était pas tombé
une goutie d'eau, et qu'en conséquence, ies populations Etaient fui,
allant chercher ailleurs des ressources qui leur manquaient chez elles.
Elles avaient pris sans doute la direction de la Tille d'Aoussa, dans le
Choa, sise au bord du lac du même nom. Les rires de cette nappe
d'eau sont, en effet, marécageuses et garnies d'une herbe épaisse qui
offre de tout temps aqx bestiaux une nourriture abondante. Tout au-
tour de Ini, M. de Rivoyre n'apercevait que de nombreux lits de tor-
rents desséchés qui se détachaient du flanc des montagnes et conver-
geaient vers la vallée, se prolongeant à perte de vue. Cette vallée
offrait partout de la végétation et des arbres, mais en petite quantité,
et à mesure que Ton avançait vers le sud, elle se raréfiait encore plus.
Enfin, vers, la mer, elle cessait pour ainsi dire brusquement, et le
littoral avait bien cet aspect et ce caractère de désolation que les
voyageurs ont attribué de temps immémorial aux, côtes de la mer
Rouge.
Gomme on trouve dn bois et de l'eau partout sur le terrain de notre
ooncession, l'existence de la colonie d'Obock serait assurée ; dans la
plaine qui l'environne, le gibier abonde d'ailleurs, et si les chacals et
les hyènes ne manquent pas, les gazelles et les perdrix sont plus
nombreuses encore. H n'y a que le littoral proprement dit qui soit
aride et dénudé. Mais, jetez les yeux sur la carte du monde, s'écrie
H. de Rivoyre, et voyez combien, en Orient surtout, il est peu de villes
maritimes qui se dressent le long de plages pourvues d'une belle vé-
gétation luxuriante. Ce qu'il faut regarder au delà d'Obock , c'est le
Choa, c'est l'Abyssinie. Celle-ci c'est une terre largement généreuse,
et vingt-cinq à trente jours de travail annuel suffiraient pour y semer
et y recueillir des récoltes capables de nourrir une population cinq
fois plus forte que celle du plateau avec quatorze millions d'habitants.
Dans les circonstances ordinaires, le froment, l'orge, l'avoine, le mais
y mûrissent avec une incroyable rapidité et constituent la base essen-
tielle de l'alimentation publique. A côté de ces céréales, tous les légu-
mes des contrées tempérées croissent sans peine ainsi que leurs arbres
fruitiers, et la vigne prospère à merveille. Le Tigré, entre autres, était
couvert de florissants vignobles, lorsque Théodoros obligea tous les
paysans i en arracher les plants sous le prétexte que le vin était une
boisson royale réservée seulement à ses lèvres augustes, et interdit à
tout Abyssin d'en fabriquer, et même de recueillir du raisin.
Dans les vallées et dans les plaines, le caféier, le cotonnier, la canne
i sucre, croissent sans autre travail et sans autres soins que ceux d'en
récolter les graines ou d'en couper les tiges. C'est du royaume de
Kaffa, ainsi que l'indique son nom, que le café est originaire, et ce
480 MISCELLANÉES.
furent des marchands musulmans qui, après avoir pénétré jusque-là
au péril de leur Tie, en rapportèrent à Massaouah les premiers êchia-
tillons Tendus. Les Banians sont parrenus depuis à établir avec ees ré-
gions des relations assez suivies pour que chaque année d'énormes
quantités de café arrivent à la côte. Sans ces industrieux étranges,
les baies do précieux arbuste, dédaignées des indigènes, resteraient
gisantes à terre. Cet indifférence des Abyssins pour les produits natu-
rels de leur sol ne s'arrête point là d'ailleurs; l'indigo, la salsepareille,
le quinquina, etc., poussent de même, an gré du hasard, sans que
personne s'inquiète de ieur utilité, et sans qu'aucune main surtout se
baisse pour les cueillir. Le cotonnier donne spontanément assez de
matière première pour la consommation locale, mais on ne daigne pas
en développer la culture. C'est la même chose pour la canne ; où se
contente d'en extraire hâtivement une cassonnade grossière dont les
gens riches font pourtant leurs délices. Personne ne songe à deman-
der davantage à ces végétaux et, faute de débouchés rémunérateurs, ne
leur consacre une seule heure de son temps.
Bien que primitive dans ses procédés et réduite à l'état siationnaire
de toutes les industries abandonnées à elles-mêmes, l'industrie abys-
sinienne a une existence propre et dont les origines se confondent arec
celles de la monarchie nationale elle-même. Grâce à la munificence de
quelque voyageur, ou de quelque marchand désireux de se conritier
ses bonnes grâces, le chef abyssin peut bien se draper dans une tuni-
que de soie rouge ; mais les gens du peuple, dans leur immense ma-
jorité, n'ont pour se parer d'autre vêtement que la robe, ou qudrri,
sortie des ateliers indigènes, pièce de toile toute blanche, sans antre
ornement qu'une large bordure rouge ou bleue. À Gondar et Adense
rencontrent ces bourreliers et ces orfèvres qui confectionnent ces
selles somptueuses, recouvertes de dessins capricieux et d'incrusta-
tions d'or, que recherchent tant la vanité des grands seigneurs et leur
goût d'une pompe quelque peu barbare. Le pays fournit à Ton et à
l'autre les premiers éléments de leur travail ; le bourrelier a reçu sw
bois des Peluchas ou juifs, qui sont en général maçons ou bûcherons,
et l'orfèvre est allé demander son or aux peuplades qui vivent non Wi
des bois de Tsana, et qui le recueillent dans les déchirures de la mon-
tagne, parmi les cailloux et le sable, quand le souffle du vent le leur
découvre ou que les flots du torrent le leur amènent. L'or n'est pas
d'ailleurs le seul métal que transforment les indigènes : les instruments
aratoires et les armes de guerre appartiennent également à la fabrica-
tion indigène, et le sol en a fourni aussi la matière première. Presque
partout le fer se montre à la surface en longues traînées ou en cro-
ches indécises, suivant les accidents capricieux des crêtes escarpées
LES FRANÇAIS SUR LA COTE ORIENTALE D* AFRIQUE. 481
sur lesquelles elles affleurent, ou les gorges profondes où elles s'en-
foaissent (*).
Arec une solide installation à Obock, il ne semble pas non pins
qu'il nous fût bien difficile de dériver de ce côté le trafic des Çomaniis,
ce peuple curieux qni bahite la grande corne que le continent africain
projette à Test entre le golfe d'Àden et l'océan Indien ; traflc qui au-
jourd'hui se dirige exclusivement sur Aden et Djeddah en Arabie. 11 est
à remarquer que c'est bien rarement que les Çomaniis vont porter
eux-mêmes leurs marchandises dans ces deux ports : ils se contentent
de les entreposer dans les petits barres de leur littoral, où des ache-
teurs, Arabes presque tous, viennent les acquérir et se chargent de les
transmettre à leur destination ultérieure . Or, il n'y a pas plus loin
<T0boek que d'Aden à la côte çomaniis, les caboteurs arabes connais-
sent déjà le chemin des premiers de ces parages, et le trajet d'Aden à
Djeddah est sensiblement le même que celui d' Obock à Djeddah.
« Sans doute, comme le dit M. George Revoil dans sa très remar-
quable relation d'un voyage au pays des Çomaniis (*), ce trafic a peu
d'extension ; mais il en peut prendre par la création de comptoirs eu-
ropéens. Il faut un début à tonte chose et celui-ci serait plus que mo-
deste; mais il est bon de remarquer que si le littoral du golfe d'Aden
et de l'océan Indien est pauvre, il, ne s'ensuit pas que l'intérieur, en-
core inconnu, ne possède aucune richesse, et avec des cours d'eau
lusei importants que le Djoub, le Ouebi,le Nogal, c'est tout le contraire
<pri est préstunable. » En ce moment, les Çomaniis importent du riz
qui leur vient de Bombay, des dattes, des toiles que leur envoient les
États-Unis , des perles , de l'ambre et un peu de quincaillerie ; en
échange, ils exportent des gommes, des encens, de la myrrhe, des na-
cres, des plumes d'autruche, de l'écaillé, de l'indigo (ellan), des mou-
tons, des chèvres, des bœufs, des chevaux, du beurre fondu. A côté de
ces produits en cours d'exportation, il en existe d'autres qui restent
dans le pays, faute de débouchés. Tels sont, par exemple, le Bao
Usclepia giganlea), dont le fruit donne une sorte de coton grossier ;
ÎAscoul, variété de l'aloès, qui fournit des cordages; YAsscl, écorce
pour tannerie cuir et le teindre en marron ; le Daar, teinture violette.
Ajoutons que le sous-sol est riche en gisements de sel gemme, et que,
dans le voisinage de la côte, l'on rencontre fréquemment le fer et le
plomb. Les roches et les Ilots du littoral sont souvent couverts de dé-
pôts de guano. {Économiste français.) Ad. F. de Fontpbrtuis.
(') Voir Raffiray, AbyttinU (2? édit., Pion, 1683), et M*r Rougi et Ahy$sinU (Pion,
3879).
i8) La Vallée du Daror; voyage au pas» çomaniis (1 vol. gr. in-8°, Pari», Challe-
mei, 1889).
482 MI8CBLLANÉES.
LA LANGUE FRANÇAISE AU JAPON
Nous extrayons de la Revue de géographie les lignes suivantes, dut
à la plume de M. Richard Cortambert, au sujet de la rogne dont jouit
la langue française au Japon :
« On sait que notre école de langues orientales ne compte encore
qu'un très petit nombre d'élères; il est des cours qui n'ont an pins
que cinq auditeurs; — eb bien! au Japon, Ton étudie nos langues eu-
ropéennes et on les parle ayec facilité. Une société s'est même der-
nièrement fondée à Tokio, pour encourager le développement de la
langue française, et plus de mille personnes en sont déjà membres.
Lors de la fondation de la nouvelle association, au mois de janvier der-
nier, plusieurs discours ont été prononcés, naturellement en français,
par de savants Japonais. L'un d'eux, fort jeune encore, IL Oukswa,
attaché depuis quelques semaines à la légation de Paris, a exprimé,
en notre honneur, le plus sympathique éloge. En voulez-vous an
exemple ?
« Sans vouloir m'étendre sur l'utilité incontestable qu'il y a pour
< nous à cultiver la langue française, a-t-il dit à ses confrères, je vous
« demanderai : quelle langue faut-il cultiver pour apprendre la iégûte-
' tion ? C'est le français. — Que faut-il apprendre pour étudier avec fruit
« Part militaire? C'est encore le français; — quelle langue doit éta-
« dier le diplomate? C'est encero et toujours le français-, — pour toutes
■ les autres sciences, telles que la physique, la chimie, la mécanique
« et mille autres, c'est encore le français qu'il faut apprendre. »
« Et à la fin de son remarquable discours, M. Oukawa veut bien bous
dire : « Notre jeune Société sera non seulement un gage d'union entre
• nos compatriotes versés dans la connaissance de la langue, mais elle
« sera aussi le foyer de l'aniMié qui doit unir les bons Français et les
« bons Japonais. J'ai jusqu'Ici entendu dire que les Français qualifiaient
< le Japon du nom de la France de l'extrême Orient; et que les Anglais,
• de leur côté, le surnommait Y Angleterre de l'extrême Orient. Si les
« Anglais ont émis cette opinion, cela ne peut être qu'au point de voe
« de la constitution géographique .' Les Japonais ont de nombreoi
« points de ressemblance avec les Français, dont ils ont la vivacité,
« beaucoup de leurs sentiments et le co&ur Samouraïque ; — mais
< nous n'avons absolument rien qui nous rapproche ou qui nous attire
« vers l'école de Manchester. >
« M. Oukawa n'est pas le seul à penser, — parmi les Japonais, -
que, malgré les revers de 1870-1871 et notre infériorité apparente, mm*
avons une telle vitalité que notre rang de grand peuple n'est en rien
l'école de dessin. 483
diminué. Un antre lettré japonais s'écrie à son tour : « Prenons pour
c modèle la France et non les autres nations! >
« Voilà des éloges qui nous ▼ont droit à l'âme. Sont-ils mérités ? Je
l'espère. Efforçons-nous, dans tous les cas, de nous maintenir dans
l'opinion favorable que Ton veut bien avoir de nous, au moins au
Japon.
« En résumé, à tort ou à raison, les Japonais s'occidentalisent le plus
possible, rai entre les mains une centaine de photographies de digni-
taires de Tokio : ce sont des sénateurs, des bauts fonctionnaires, dés
amiraux, des généraux, et leur physionomie semble en vérité se trans-
former par le fait d'une éducation nouvelle. Ils portent tons la tunique
et le costume de nos personnages. La chevelure autrefois à demi rasée
a même perdu la petite queue traditionnelle qui de la nuque grimpait
an front. Des croix, des broderies couvrent la poitrine de tous ces
hommes sans doute très distingués ; — on se croirait à la cour d'Espa-
gne ou d'Italie.
t Ce qui est préférable à tous les galons do monde, c'est l'instruc-
tion vraiment très soignée de la plupart des Japonais de la haute classe.
là Société de géographie de Tokio est florissante; d'autres associations,
exclusivement scientifiques, sont en pleine prospérité; et même un
journal hebdomadaire français, Y Écho du Japon, s'imprime là-bas de-
puis douze ans t »
Décision ministérielle du 29 avril 1883
concernant l'École de dessin créée au service spécial de la géographie
(Dépôt de la guerre).
Art. 1er. — Une école de dessin est créée au Dépàt de la guerre.
Elle a pour objet de former des dessinateurs topographes pour le
service spécial de la géographie.
Art. 2. — Pour être déclarés admissibles, les candidats devront :
1° Être présentés par leurs parents ou tuteurs , ou munis de leur
autorisation;
2* Être âgés de quinze ans au moins et dix-sept ans au plus ;
3° Être pourvus du certificat d'études primaires, ou, à défaut de cer-
tificat, justifier qu'ils possèdent correctement la langue française, qu'ils
ont acquis les notions usuelles de géographie, de calcul et de géomé-
trie pratique; enfin qu'ils ont déjà cultivé le dessin de figures, d'orne-
ments ou de paysages.
Chaque candidat devra fournir : son acte fle naissance établissant
qu'il est Français, un certificat de bonne vie et mœurs, les certificats
484 MISCELLANÉES.
ou diplômes qu'il aura obtenus dans le cours de ses études, enfin on
engagement écrit , par lequel les parents ou le tuteur s'engagent i
subvenir à son entretien pendant tout le temps qu'il doit passer à
l'École.
Art. 3. — Les candidats jugés admissibles seront appelés à concou-
rir entre eux et classés d'après leurs aptitudes, par une sous-commfe-
sion composée de deux officiers et un dessinateur principal du serrice
géographique.
Art. 4. — L'école pourra recevoir, au moment de sa création, dix
élèves; et cinq élèves, d'année en année, par voie de concours an-
nuel.
Des cours spéciaux de dessin, de gravure, de topographie, de lecture
des cartes françaises et étrangères seront faits am élèves.
Pendant la belle saison, des excursions topographiques seront orga-
nisées aux environs de Paris et complétées par la pratique des levers
réguliers.
Art. 5. — Les élèves sont soumis à tous les règlements du Dépôt de
la guerre.
Ceux qui se rendent coupables de fautes graves contre Tordre oo U
discipline sont immédiatement renvoyés.
Art. 6. — La durée normale des cours est fixée à deux années, pen-
dant lesquelles les élèves, considérés comme en stage ou en appren-
tissage, n'ont droit à aucune solde.
Ttus les six mois cependant, des concours auront lieu, destinés à cons-
tater les progrès et les aptitudes de. chacun. Des prix seront donnés i
ceux qui se seront particulièrement distingués ; ils consisteront en
gratifications pécuniaires comprises entre 50 et 200 francs.
Art. 7. — Chaque année, la commission des travaux géographi-
ques, assistée d'un dessinateur principal, ayant voix délibérauTC.
désignera parmi les élèves arrivés au terme de leur stage profesaoa-
nel ceux qui auront mérité le certificat d'aptitude, et choisira, parmi
les élèves pourvus de ce certificat, ceux qui pourront être admis dans
les ateliers, d'abord à titre de surnuméraires avec des appointements
proportionnés à leurs talents et aux services qu'on peut en attendre.
Après deux années de surnumèrariat, les surnuméraires pourront
être proposés pour passer dans le cadre des titulaires, au fur et à ne-
sure des vacances qui se produiront dans le cadre, et leurs service»
compteront, pour justifier leurs droits ultérieurs à la retraite, à dater
du jour où ils auront été nommés dessinateurs titulaires.
Art. 8. — La direction immédiate de l'école de dessin est confiée,
sous l'autorité du colonel sous-directeur, à un officier topographe as-
sisté d'un dessinateur principal.
LE RHÔNE. 485
Art. 9. — Tontes les questions intéressant l'école (programme des
cours, excursions, gratifications, concours, examens de sortie, propo-
sitions de récompense, etc.) sont soumises préalablement à la com-
mission des travaux graphiques, qui en délibère et formule les propo-
sitions à soumettre à l'approbation du ministre.
Paris le 29 avril 1883. ht Minisire de la guerre,
Thibaudin.
LE RHONE
On se plaint que le Rhône n'est pas navigable en toute saison et que
souvent, en été, les eaux sont très basses. Est-il possible de remédier
i cet inconvénient et de donner à ce fleuve l'eau qui lui manque ?
11 résulte d'un travail lu à l'Académie des sciences, qu'il est possi-
ble, facile même, de discipliner le Rhône par des travaux aussi sim-
ples que peu coûteux s'étendant sur tout son bassin. Il suffirait pour
cela de procéder à l'aménagement rationnel des trois lacs de Genève,
du Bourget et d'Annecy.
On sait que le lac de Genève a une superficie de 600,000,000 de
mètres carrés; il atteint son maximun du 16 juillet au 29 septembre et
son minumun du 18 décembre au 3 mai. En moyenne, les eaux sont
au plus haut le 14 août et au plus bas le 7 mars. La montée s'opère en
ô mois et 9 jours, la descente en 6 mois et 26 jours. La différence du
volume du lac du plus bas étiage aux plus hautes eaux, est de
1,770,000,000 de mètres cubes. En recherchant les volumes actuels
d'étiage du Rhône, à Genève, au Parc, à Lyon, à Avignon et à Arles
et la proportion dans laquelle il serait possible d'augmenter ces vo-
lumes par la disposition de la réserve, en réglementant le volume du
fleuve à la sortie du lac à l'aide de vannes, on arrive aux résultats
suivants: l'étiage à Genève peut être porté de 200 mètres cubes par
seconde à 460 mètres cubes ; au Parc, de 230 à 490; à Lyon de 250 à
520 ; i Avignon de 480 à 748; à Arles de 520 à 780 mètres cubes par
seconde.
Ainsi, entre Lyon et Avignon, le volume d'étiage pourrait être aug-
menté de 200 mètres cubes par seconde et le prélèvement d'un volume
de 60 mètres cubes à la hauteur de Gondrieu ne pourrait soulever
l'ombre d'une objection.
Si l'on considère ensuite les deux lacs du Bourget et d'Annecy, on
n'y trouve point sans doute une réserve aussi puissante; mais ces deux
lacs agissent comme celui de Genève sur le régime du fleuve ; ils con-
courent avec ce dernier à l'amélioration du Rhône. Le volume qui s'y
486
MISGELLANÉES.
accumule lors de la fonte des neiges est de 70,000,000 de mètres
cubes. En résumé, et en dehors du lac de Génère, c'est une réserve
totale de 70 millions de mètres tubes au moins qui, répartie sur les
deux mois de pénurie du Rhône, représenterait un volume constant de
plus de 13 mètres cubes par seconde. Ge qui ne serait pas à dédaigner.
(Bulletin de 'la Société de géographie de Marseille.)
COMMERCE DE LA FRANCE AVEC LA CHINE
On lit dans le numéro de juin du Journal des Chambres de comment:
i Au moment où nos relations commerciales avec la Chine peuvent se
trouver interrompues, il n'est peut-être pas sans intérêt d'en connaître
l'importance.
« En 1870, la Chine nous a expédié pour 58 millions de francs de
marchandises. En 1878, elle nous en envoyait pour 140 millions, puis
pour 158 millions en 1880, et pour .145 millions en 1881.
« Nos exportations en Chine sont loin d'avoir atteint ces chiffres impor-
tants. En 1870, nous avons expédié 4,700,000 fr. de marchandises
dans ce pays, 20,500.000 fr. en 1880, et 36,100,000 fr. en 1881. U
différence au profit de la Chine est ainsi de 100 millions par an. C'est
par Marseille que se fait la majeure partie, la presque totalité de nos
affaires avec l'extrême Orient, tant pour l'importation que pour l'expor-
tation. »
PROFONDEUR DES MERS
Voici, d'après les Annalen /tir Hydrographie, les plus grandes pro-
fondeurs des différentes mers. Ces chiffres, obtenus dans ces dernières
années, méritent toute confiance. sirai
qui a WA
MBEfl.
LATITUDE. LOHQITTJDH. PBOFOÎTDBOB
le
Atlantique Nord 19»41'N 65° 7'0 7086™ Chatteag*
Atlantique Sud 19«55'S 24050*0 6006» Snex
Mer du Nord près If eerdstrand (Norwèfre). 687™ Poméraais
Baltique auN.-O. du Gothlaad. 335* ld.
Méditerranée 86© 5'n 18° 8^ 3968" ld.
Golfe du Mexique 25° 8'N 87<>18,0 3875» Blake
Mer des Antilles 37kil.au Sud dagnndCalnuii. 6270- ld.
Pacifique Nord 44°55'N l«2o26'E 8513" Tuscaron
Pacifique Sud 11°51'S 78°45'0 6160* ÀlatkA
Mer de Chine 17°54'N 117°14'B 3240» Coalleofer
Pacifique Ouest llo24'N 14S«16'B 8367» 14
MerdeSoulou 8°3°/N 121»55'B 4663» 14.
Mer de Céléboi 5°42'N 12S°34'B 4755» ld.
Mer de Banda fi©24'S 130°87'B 6120» ld.
Mer de Corail 16«47'8 165°20'B 4850» ld.
Océan Indien 16oll'S 117°32'B 5523» GaceUe
ld 62°26'S 94°44'B 8612» GbaUeager
ld 65°42'S 79°49'B 3060» ld.
Océan Glacial Nord 78° 6'N 2°W0 4846» Sofe
PREMIER MÉRIDIEN ET FIXATION DE L'HEURE. 487
L'accroissement de la population nègre aux États-Unis.
Le Popular Science Monthly, examinant la question de l'accroisse-
ment de la population nègre aux États-Unis, arrive à des conclusions
peu rassurantes. Depuis l'abolition de l'esclavage, l'accroissement de
la population noire est supérieur à celui des blancs. Ainsi, tandis que
de 1870 à 1880 la race blanche s'accroît de 29 p. 100, la race noire
s'est accrue de 34 p. 100. D'ici à un siècle, et en admettant que le
mouvement continue, la population noire sera le double de la blanche
dans les États du Sud. Cet accroissement est d'autant plus dangereux
et plus difficile à enrayer, qu'il a sa cause non dans l'immigration,
mais dans la fécondité supérieure de la race noire. Plus que jamais,
en ce moment, les préjugés de race sont vivaces et puissants, les ma-
riages mixtes sont de plus en plus rares. L'auteur du travail que nous
citons prévoit une crise sociale terrible pour le jour où les nègres,
ayant pour eux le nombre, voudront sortir de la condition inférieure
qui leur est faite par l'antipathie et le dédain des blancs. Gomme solu-
tion du problème, il propose d'envoyer les noirs dans l'Amérique du
Snd, qui s'en arrangera comme elle pourra.
Le premier méridien et la fixation de l'heure.
Au moment où la question du premier méridien est à Tordre du jour,
le rapport présenté à la Société suédoise d'anthropologie et de géogra-
phie par M. Gylden n'est pas seulement une actualité ; mais la simpli-
cité ingénieuse des propositions du savant astronome suédois les fera
probablement adopter par tous les peuples.
M. Gylden propose des méridiens équidistants, séparés les uns des
autres par un intervalle de 2°30' d'arc ou de 10 minutes de temps,
Comme on le voit, ces méridiens sont assez rapprochés pour fournir
des repères en nombre suffisant; d'autre part, ils ne sont pas multipliés
au point d'amener la confusion.
Les observatoires de Paris et de Greenwich, dont la différence de lon-
gitude est presque de 10 minutes (2°20'6"j, sont à bon droit célèbres
dans les annales astronomiques ; en prenant l'un deux comme origine,
leur position géographique permet de placer l'autre sur le méridien
voisin. M. Gylden donne la cote 0 au méridien de Greenwich; le méri-
dien situé 10' à l'Est, qu'il appelle le méridien n° 1, est celui de Paris;
le n° 2 passe par Utrecht, Amsterdam, Marseille, Lyon, Hâcon, Avignon,
Louvain, iNamur; le n° 3 par Nice, Berne; Turin; le n° 4 par Hambourg,
Alloua, Gœttingue, Christiania; le n° 5 rencontre Rome, Leipzig, Co-
488 MISCELLANÉBS.
penhague, Venise ; le n° 6, Francfort-sur-lOder, Prague, Kaples; k
n° 7, Presbourg, Olmutz; le n° 8, Cracovie, Gorfou; le n° 9. ranciea
observatoire d'Abo, les ruines de Sparte; le n° 10, Heisingfors; le
n° 11, Minsk, Jassy; le n* 12, Saint-Pétersbourg; le n° 13, Elisabcth-
grad; le n° 14, Ekaterinoslav ; le n° 15, Moscou; le n° 16, JarolosUT.
etc..
À l'ouest du méridien de Greenwich, nous avons le n° 1 (ouest), qui
rencontre Saint-Brieuc, Vannes, en France, Alméria, au sud de l'Espa-
gne ; le n° 2, qui coupe Gilbraltar ; le n° 3, qui passe près du cap Or-
tegal et traverse le milieu du Portugal.
Quand il est midi ou 0 h. 0 m. à Paris, il est 0 h. 10 m. à Lyon et à
Amsterdam; 0 h. 20 m. à Berne et à Nice; 1 h. 50 m. à Saint-Pétos-
bourg; 2 h. 20 m. à Moscou, etc.; il est au contraire midi moins 10 a
à Greenwich, à Caen (f), etc.
Tels sont les principaux repères nécessaires en Europe.
Le méridien de Greenwich prolongé dans l'autre hémisphère passe
un peu à Test de la Nouvelle-Zélande; à 90° E. se trouve Calcutta, et à
90° 0. la Nouvelle-Orléans. Suivant le projet de M. Gylden, on aurait
quatre méridiens cardinaux, à 90° ou 6 heures de distance : un méri-
dien européen, celui de Greenwich ; un méridien asiatique, celai de
Calcutta; un méridien océanien, celui des lies Cfeatam, et enfin un mé-
ridien américain, celui de la Nouvelle-Orléans.
Les propositions de M. Gylden sont nouvelles et ingénieuses; elles
amèneront probablement l'adoption du premier méridien origine qui
régularisera l'heure des principaux États et fera disparaître les indica-
tions différentes de la position géographique d'une même localité four-
nies par les ouvrages édités dans chaque pays.
Le méridien de Paris sera certainement préféré à celui de Greenwid
pour plusieurs raisons : la principale est sa position continentale; de
plus, la langue française est la plus universellement répandue.
(Revue scientifique.) L. Barre.
LES VOLCANS DU GLOBE
On compte près de trois cents volcans en activité sur la surface du
globe. La forme de la plupart affecte celle d'un tronc de cône, ao mi-
lieu duquel existe une dépression qui constitue le cratère, d'où partent
les fissures souterraines descendant à des profondeurs inconnues. U
dimension des volcans varie depuis celle d'un petit monticule» comme
(f) On a négligé les différences do temps qui ao dépassent guère deux minuta»
en général.
LES VOLCANS DU GLOBE. 489
tes volcans de boue de la mer Caspienne, dont le diamètre a à peine
oo mètre, jusqu'à celle des plus hantes montagnes. Le cratère de ces
volcans minuscules n'a qne dix on vingt centimètres, tandis qne ce-
lui de l'iskja en Islande a vingt-cinq kilomètres de circonférence.
Le Tolcan le plus élevé est le Sahama (7,200 mètres), d'après M. Da-
ns Forbes, qui le cite dans nn mémoire géologique sur la Bolivie et le
Pérou. Dans les Andes, les volcans sont nombreux; plusieurs atteignent
l'altitude de 6,000 mètres ; le Chimborazo (6,420 mètres) est tantôt en
activité, tantôt éteint; on ne connaît aucune éruption; mais le Cotopaxi
(5r8SO mètres) a des éruptions très fréquentes, pendant lesquelles il
laisse échapper des coulées vitrifiées de pierre ponce et d'obsidienne.
L'Antisana a à peu prés la môme hauteur; on ne connaît que .'es érup-
tions de 1590, 1795 et 1825 ; pendant cette dernière éruption, il ré-
pandit des coulées de trachyte et d'obsidienne, mélangées à de grosses
pierres chauffées au rouge.
Le groupe des lies Sandwich est entièrement volcanique et surtout
Hled'Hawal. Le Mauna-Loa (4,100 mètres), plus important qu'aucun
volcan d'Europe, a des phases d'activité fréquentes. En 1843, une coulée
de lave glissa depuis le cratère jusqu'à une distance de 42 kilomètres ;
es 1852, une grande colonne de fumée, de cendres, de fragments de
lave, s'élança à une hauteur de 150 mètres; trois ans plus tard, il se pro-
duisit une autre éruption qui dura trois mois, pendant lesquels la cou-
lée de lave alla Jusqu'à 90 kilomètres du point de départ. Sur les pentes
do Mauna-Loa se dresse le remarquable cratère de Kilauea, à 1,200
métrés au-dessus du niveau de la mer.
Le Japon renferme plusieurs volcans, parmi lesquels domine le Fu-
sivama (3,900 mètres); son cône, qui est de forme irrégulière, est percé
ta sommet d'un cratère d'un kilomètre et demi de large ; suivant la
tradition Japonaise, il aurait subitement surgi en 286 avant l'ère chré-
tienne, et le nombre de ses éruptions n'aurait été que de trois depuis
le dixième siècle.
Ténériffe (3,800 mètres) consiste en une montagne isolée au milieu
de la mer, dont la base a à peine dix kilomètres. Dans sa dernière
éruption de 1798, il vomit un torrent de matières vitrifiées.
Le mont Etna (3,240 mètres) est le plus célèbre, ayant une chrono-
logie complète depuis les temps historiques. Sa première éruption re-
monte au cinquième siècle avant l'ère chrétienne. En 1879, il y eut
une violente éruption; un cratère secondaire se forma dans les flancs
du colosse, d'où s'échappèrent des torrents de lave incandescente.
Contrairement à tons les autres volcans, ses pentes sont habitées et
couvertes de bois.
Le Vésuve (1,240 mètres) doit sa renommée à la proximité de Naples,
SOC. D* QBOOR. — S* TKIM BSTBB 1883. 32
490 MISCELLANÉE8.
où II attire une foule de curieux ; ses périodes d'activité sont frèq
tes; celle de 1872 est une des pins remarquables du siècle.
L'Hékla (1,530 mètres) u'a pas eu d'éruption proprement dite depoii
1845, quoique cependant en 1878 une ourerture se produisit à cinq
kilomètres du cratère, par laquelle s'échappèrent des coulées de lare.
L'Islande contient plus de vingt volcans, dont les éruptions se sont
produites depuis la période historique. J. Gdaro.
NOTICE SUR LE THE DE L'INDE
Le journal de Calcutta, The fndo-European correspondance, dans kl
numéros des 27 avril, A et 18 mai 1881, a traité la question do thé
de l'Inde, de manière à attirer l'attention du gouvernement anglais;
aussi, avec l'autorisation de fauteur des articles, qui ne s'est fait cqb-
naltre que par ses initiales A. D., le lieutenant-gouverneur les a-i-ii re-
produits en brochure aux frais du Gouvernement : c'était un mores ée
donner une publicité plus étendue aux excellents conseils donnés aux
planteurs; l'importance de cette question commerciale ressort des dif-
férents chapitres de cette publication dont le résumé ci-dessous nefert
que reproduire les traits principaux.
L'auteur constate d'abord que l'exportation du thé indien en Angle-
terre s'est accrue d'année en année, puisque de un million et demi de
livres en 1861., elle s'est élevée, d'après les derniers rapports, àqoa-
rante-quatre millions de livres, d'une valeur de trente millions de rou-
pies ('). Cette quantité représente déjà le cinquième de ce qui est né-
cessaire à la consommation du Royaume-Uni ; le surplus est encore
exporté de la Chine. Mais si l'Australie, le Canada et les autres colo-
nies anglaises,... le reste du monde à l'avenant, prenaient goût au thé
de l'Inde, qu'adviendrait - il do marché ? Il se développerait an cen-
tuple !
Si pleines d'espérances que soient ces perspectives, l'auteur ne fait
que les indiquer pour signaler de préférence un marché qui se trouve
à portée, et pour ainsi dire sous la main, susceptible de recevoir tout
l'excédent d'un thé pour lequel il n'y aurait ni placement ni demaade
sur celui de la métropole.
Après la description des soins à donner aux cultures, il e& dit qu'il
ne se peut faire autrement qu'il n'y ait quantité de feuilles perdaes,
lors de la récolte, tant par la dessiccation, la chute naturelle et d'autres
causes ; mais les Chinois du Su-tchuen sont trop soucieux de leurs intê-
(') A a pair, la roupie vaut 2 fr. 50 e. et 10 lacs de roupies valent un million à»
roupies.
LE THÉ DE L'iNDE. 491
rets pour ae pas les utiliser, et si la fabrication d'an thé particulier de
cette provenance donne, par le fait, des profits plus considérables que
le tué raffine, c'est qne le marché de ce thé grossier est le Thibet, dont
l'entrepôt est la ville frontière de Ta-tsien-lou, distante de quelques
journées seulement de la contrée de production.
Que l'Inde, dans son propre intérêt, continue à expédier sur les mar-
chés d'Europe le thé Un qui y t route un placement avantageux et
assuré, rien de mieux ; mais, profitant de la proximité des frontières
indiennes beaucoup plus rapprochées du Thibet que l'ouest de la
Chine, il y aurait avantage, à l'exemple des Chinois, à se livrer à la fa-
brication du thé en briques en y consacrant seulement les rebuts ou
déchets de ses plantations, mode de préparation qui répond parfaite-
ment au goût et aux habitudes des Thibétains.
Il était naturel que l'auteur s'étendit, daus un chapitre tout spécial,
sor la préparation du thé à 1 usage du Thibet, telle qu'il l'avait étudiée
en Chine ; tout y est expliqué, — culture, récolte, fermentation, et jus-
qu'aux détails sur le mode d'empaquetage dans certaines conditions de
forme et de poids, essentielles pour la facilité des transports, et pour se
conformer aux usages du pays, — et cela très minutieusement pour
permettre aux planteurs de l'Inde d'imiter les Chinois. Mais il serait
trop long et môme superflu de s'étendre davantage sur ce sujet, il nous
suffira d'indiquer l'idée principale qui peut, avec le temps, apporter une
révolution commerciale entre les deux pays. — Contentons-nous de
reproduire. les noms des cinq catégories de ce thé dit en briques, les
qualités variant suivant la maturité des feuilles, la plus ou moins
grande perfection de la fermentation, la coloration, la proportion des
feuilles ou de bois :
La marque n° 1, qui est la première qualité, est nommée She-chang-
Un par les Chinois et Kong-mar-kioo-pa, par les Thibétains. Le prix de
la brique de cinq Ifvres et demie anglaises varie de une roupie un quart
au point de départ de Ta-tsien-lou, mais augmente avec la distance à
mesure qu'on s'avance dans le pays, et surtout dans les localités situées
en dehors de la grande route, et triple et quadruple à L'hassa.
Le n° 2 est nommé Guié-tsé-kioo-pa en tbibétain. Son prix à Ta-
tsien-lou est d'une roupie, et à L'hassa de trois roupies huit aunas (').
Son poids est le môme que le précédent.
Le n° 3 porte le nom de Pa-chang-kin en Chine et Guié-pa au Thi-
bet. Le poids de la brique n'est plus que de deux livres et demie et se
▼end dix annas à Ta-tsien-Iou et de deux à deux roupies et demie à
L'hassa. C'est cette brique qui est employée le plus généralement an
(*) L'âBn» est le seizième de la roupie.
492 M1SCELLANÉES.
Thibet, non seulement comme boisson, mais comme thé de commerce
et aussi comme monnaie courante.
Le n° 4, ou Jong-ma 1" qualité. La brique pèse cinq livres anglaises
et se vend une roupie à Ta-tsien-lou.
Le n° 5, ou Jong-ma 2e qualité. Les Thibé tains lui ont donné le
nom de Sing*cha ou tbê de bois, car le bois provenant de l'élagsge le
constitue presque exclusivement. Chaque brique pèse environ cioq li-
vres anglaises et se vend douze annas six pies l1) à Ta-Uien-lou et de
deux à deux roupies et demie à L'hassa.
En outre, on confectionne quelques douzaines de charges de tité fia
sous forme de briques, destinées aux présents que l'Empereur envoie
au Dalaï-Lama, à quelques dignitaires chinois ou à des représentants de
la noblesse indigène. Ce thé fin ne constitue jamais un article de com-
merce.
Une note, d'une provenance étrangère, placée au bas de la page 9 de
la brochure, porte en substance, comme se rattachant a la question do
thé, les observations suivantes : « Lan planteurs de thé de l'Inde por-
tent-ils leur attention sur l'exportation au Thibet du thé grossier? Ce
serait une importante branche de commerce et assurément le moyeu
le plus sûr d'ouvrir le Thibet au commerce européen. Les Chinois,
extraordinairement industrieux, sont inquiets à la perspective d'osé
concurrence du commerce du thé en provenance d'Assam ; c'est na
signe certain que cette concurrence peut se réaliser en effet, en tooie
sécurité et avec succès. Ils disent avec un déplaisir mal dissimulé: ■ U
f question du thé anglais n'a pas de quoi nous préoccuper ; personne
< au Thibet ne voudra Tacheter. » — Mais cela ne sera vrai que tant que
les planteurs indiens ne prépareront pas un thé grossier exprès posr
le Thibet comme les Chinois savent le faire. Cela signifie, en bon lu-
gage anglais, qu'il a été interdit aux Thibétains d'acheter du thé anglais.
Le s mandarins sont évidemment très agacés au sujet de cette question
du thé... Si cette concurrence du thé se traduit en fait, il est cerUii
quelle ouvrira le chemin du Thibet pour toute autre marchandise, et
dans un laps de temps assuré, nous devons l'espérer, aux Européens
eux-mêmes. »
il ne suffisait pas d'avoir donné nominativement la description des
diverses catégories de briques, il fallait la faire suivre de la méthode
adoptée pour livrer cette marchandise au commerce ; voici ce qjù se
pratique:
La plupart des producteurs chinois Tendent leurs ballots i quelque*
Compagnies qui centralisent les produits de la contrée et qui en to*
(*) Le pie est lo douzième de l'ann*.
LB THÉ DE L'iNDE . 493
Teoroi à Ta-tsien-lou à leurs correspondants auxquels le monopole en
a été assuré par rofficiaUté chinoise. Les droits d'entrée dans cette
Tille sont perçus par les agents de la douane chinoise, et la marchan-
dise e&t alors entreposée et remise aux correspondants des Compa-
gnies. C'est là que les chefs des caravanes thibétaines Tiennent de tous
les points du territoire, et même de L'hassa, de Chi-ga-tse, et de l'ex-
trême ouest pour faire leurs achats, et en quittant la ville ii est perçu
un droit de sortie équivalent.
Si les douanes de Chine étaient organisées comme elles le sont dans
les pays d'Europe, il serait très aisé de donner d'une manière très cer-
taine le chiffre de l'exportation du thé de Chine au Jhibet, mais di-
verses causes qu'il serait trop long d'énumérer ne permettent pas
d'avoir recours à ce moyen ; il en est un autre qui présente plus de
garantie, c'est le recensement des caravanes anx lieux d'étape, et
principalement dès que la frontière est dépassée ; cette manière de pro-
céder à l'évaluation a donné pour résultat total de l'importation du thé
chinois au Thibet le chiffre de 3,-406.640 livres anglaises coûtant aux
frontières en nombre rond 800,000 roupies.
D'où l'on peut tirer cette conclusion curieuse, mais néanmoins vraie,
étant donnée la population approximative du Thibet de six millions
d'habitants, que chaque individu, obtient seulement pour sa consomma-
tion annuelle les trois sixièmes d'une livre de thé anglaise.
Pour l'explication de ce fait, il est nécessaire^ faire remarquer que
les gens aisés seuls et les lamas sont à même de pouvoir se satisfaire
avec le thé comme boisson. Les classes pauvres font différentes décoc-
tions avec des écorces concassées, des végétaux, des feuilles sèches,
etc., qu'elles boivent en guise de thè. Cependant, le thé passe pour
être la base fondamentale de la boisson ordinaire du pays. C'est donc
par nécessité que tant de gens sont condamnés à ne pas faire usage de
thè, parce que, à cause du monopole chinois, cette denrée est très rare,
et en second lieu parce .que son prix est trop élevé à cause des
grandes distances des marchés et des mauvaises voies de communica-
tion, surtout en dehors des routes principales.
Kt, autre conclusion qui découle de ce qui précède : ce quejour-
nit annuellement la Chine est à peine suffisant pour ce que réclame
la province orientale du Thibet. Donc c'est aux planteurs de l'Inde
qu'incombe le devoir d'approvisionner les autres provinces, et cela
sans qu'il en résulte aucun dommage pour le marché chinois.
Peut-on se demander maintenant si Ton est certain de trouver un dé-
bouché, en admettant que le thé fût préparé tout exprès et conformé-
ment aux exigences du marché tbibétain? Et ne doit-on se poser eu
même temps les questions suivantes :
494 MISCELLANÉBS.
Un peuple aussi pauvre que Je peuple thibétain pourra-t-il nous
payer notre thé ? Que pouvons-nous obtenir en échange d'une contrée
si misérable ? Le commerce du Thibet n'est-il pas tout à fait insigni-
fiant?
L'auteur répond en ce qui concerne les débouchés:
Faisons tout d'abord l'expérience avec les Sikimis et les Boihias
sur les marchés déjà établis de Darjeling au Bengale, d'Odalguree, et
de Sudyia dans l'Àssam; ensuite à Nyni-lal, à Simla et Rampoor dans
le Bush ire. Faisons en sorte que notre thé grossier fait arec le rebut
de nos plantations s'ouvre un chemin dans le Sikim, dans le Bootan,
le Wang, Kumaong, Garbwal, Bush ire, Spiti, Lahul, le Ladak, etc., etc.;
toutes ces contrées thibétaines nous offrent un débouché considérable.
Quelques briques d'abord, bientôt après quelques ballots et charges
soront introduites en contrebande dans le Thibet proprement dit.
Si des charges de thé qu'on essaiera de passer en contrebande sont
arrêtées à la frontière par les douanes chinoises et thibétaines, elles
ne seront pas détruites pour cela, mais vendues au peuple au béné-
fice des chefs douaniers, qui deviennent ainsi ipso facto les Instru-
ments de l'introduction du thé indien au Tbibet. A la contrebande du
thé à travers la frontière succédera le commerce libre. Quand les con-
sommateurs et les marchands des provinces du Ngaré et de Oui auront
reconnu que pour à peu près le prix de Ta-tsien-lou ils peuvent se
procurer, à portée de la main, la même sorte de thé qu'ils aiment, et
qu'ils sont forcés d'aller chercher à de grandes distances, il est proba-
ble qu'ils afflueront au marché le plus proche, ^épargnant ainsi le
coût progressif des transports qui influe dans la même proportion sur
celui de la marchandise. Tout d'abord, une longue habitude ne peut
manquer de subsister et de prévaloir, mais cela n'aura qu'un temps;
aucun préjugé ne pourra se maintenir longtemps devant l'intérêt parti-
culier stimulé par le besoin du thé. Si les marchands de toile, unissant
leurs efforts à ceux des planteurs, pouvaient offrir aux acheteurs de
thé, des toiles de coton grossières mais fortes, blanches ou teintes en
bleu foncé indigo, celles-ci en plus grande quantité, ils trouveraient
un marché abondant pour leurs marchandises.
Quant au prétendu monopole chinois, les remarques suivantes peu-
vent élre intéressantes: Jusqu'à présent les Chinois gardent entre
leurs mains le monopole du commerce du thé avec le Thibet, parée
que tout ce pays est, quoique à regret, tributaire et en grande partie
civilement administré par Ja Chine, et parce que jusqu'à présent au-
cune tentative de sérieuse concurrence n'a été faite ; mais il n'est pas
vrai, comme Ta dit T. Cooper, que les mandarins chinois envoyés au
Thibet et les lamas retiennent ce monopole dans l'intérieur du pays.
LE THÉ DE L'iNDE. 495
Quand les mandarins chinois chargés de la solde des troupes et de
eeUe des lamas reçoivent l'argent qui leur est alloué, ils dépensent
généralement à leur départ de Ta-tsien-Iou l'argent qui leur est con-
fié à acheter du thé. Ce thé est transporté aux frais dn peuple thibé-
tain comme corvée, et donné comme solde aux soldats et même aux
lamas au prix courant de l'intérieur, selon les lieux. Ce thé n'ayant
rien coûté pour le transport et étant d'un prix trois ou quatre fois plus
élevé qu'à Ta-tsien-lou, les mandarins réalisent pour eux-mêmes des
profits considérables auxquels le gouvernement ne participe en rien.
C'est une spéculation privée et non officielle. Les couvents bouddhistes
du Thibet ayant réussi à amasser entre leurs mains presque toute la
richesse publique, sont maintenant les plus grands commerçants du
pays, mais ne sont nullement les seuls marchands du Thibet. Outre les
caravanes appartenant aux lamas, depuis le DalaMama jusqu'au plus
petit couvent, et aux particuliers lamas, on rencontre sur toutes les
routes du Thibet des caravanes appartenant à des individus privés et
laïques faisant le commerce pour leur propre compte, sans être obli-
gés de payer aucun droit ni redevance aux mandarins chinois ou aux
lamas pour le commerce qu'ils font. Quiconque possède de l'argent,
des marchandises et des moyens de transport peut venir à Ta-tsien-
lou acheter des marchands chinois autant de thé qu'il peut, le porter
au Thibet partout où it veut, le vendre ou l'échanger comme il lui plaît
uns rencontrer sur la route ni péages ni douanes. Aucune restriction
quelle qu'elle soit La liberté du commerce (Free trade) est la règle
ou au moins la coutume, il n'y a pas d'exception pour le commerce
du thé.
Les faits étant tels, il est évident que le monopole chinois sur le thé
se s'étend pas au delà de Vintérieur de la ville frontière de Ta-tsien-
lon. Dès que le thé a passé par les portes du nord et du sud et payé
les droits de douanes de sortie, il n'existe plus de monopole ni chinois
ai Jamaïque. Si les Chinois et lamas apparaissent de nouveau à nos
frontières, c'est par crainte de la concurrence que nous pourrions leur
faire et principalement à cause de la crainte qu'ils ont que si le com-
merce de thé s'établissait entre l'Inde et le Thibet, le peuple ne vienne
à reconnaître et à désirer la loi plus éclairée dont l'Inde jouit. Ce n'est
ai le thé chinois ni les marchandises diverses qae redoutent les Chi-
nois et les lamas, mais les Anglais et les Européens. Le thé et les au-
tres richesses ne sont qu'un moyen mis en usage pour maintenir les
Tbibétaina sous le joug des Chinois et sous celui des lamas.
Quant aux antres questions qui se rattachent au sujet, elles trouvent
leur réponse dans le paragraphe intitulé :
« Que recevrons-nous en échange dn thé de l'Inde ? »
496 MISELLANÉBS.
Que fait -on de la minéralogie du Thibet et de ses mines de métaax
précieux ? à cet égard, l'appendice du volume La Mission du TkièH
apprend ce qu'il en est des richesses minérale 3 de la partie orientale
du Thibet. On sait du reste que de très vastes 'placers sont actuellement
exploités dans l'ouest de la province de Ngaré. Dans la ville de Ta-
tsieu-lou n'y a-t-il pas 5 ou 6 fonderies, raffineries et usines pour la
mise en lingots de la poudre d'or ? Le voyage du comte hongrois Beia-
Szechenyi constate l'abondance de ce métal, ce qui est da reste attesté
par la grande quantité d'ornements dans ies temples et par les bijoux
des classes élevées, par l'or qui brille aux rayons du soleil au faite
des pagodes. L'argent provenant des mines thibétaines n'est pas mous
abondant ; façonné en lingots, il a, comme monnaie, le cours le pins or-
dinaire au Thibet.
Supposez que le thé soit acheté à la frontière de l'Inde, les fourra-
res, les bois de cerf, les cornes, les laines, les tapis, les peaux àe
brebis et de chèvres, des cuirs, du borax, la garance, la rhubarbe, les
ponnies, yaks, moutons, etc., etc., seront aussi pour nous matière i
échange contre notre thé, notre coton, nos draps fins, coutellerie,
• armes, télescopes, etc., etc., et nous trouverons un grand et certain
profit à échanger ces marchandises pour de l'argent et de l'or. Ose
dire encore ? A la frontière une once de musc se paye trois on quatre
onces au plus d'argent, et sera revendue à Calcutta on en Europe avec
un énorme bénéfice. Il en sera de même des pelleteries; une belle
peau de lynx ou de léopard peut s'acheter communément de trois à
quatre roupies.
L'auteur ajoute qu'il ne se propose pas d'écrire un traité complet
sur le commerce du thé au Thibet, et encore moins d'entrer dans les
considérations que comporte cette question, il se contente de renvoyer
le lecteur, curieux de plus amples et de plus exactes informations, aux
livres suivants :
Voyages d'un pionnier du commerce, par T. T. Cooper; — ta ft*
vière au Sable d'or, du capitaine Gili, — celui deC. R. Markham, fifef
Bogie and Menning, — Rapports statistiques du commerce indien, —
Voyages en Tarlarie et au Thibet, de M. Hue, lazariste français, — 1*
Mission du Thibet. Est à signaler aussi une brochure de 188? écrite ea
anglais par H. Chos-Lcpper, planteur en Assam ; «lie a pour litre: lit
question on an overland Route to China from India, via Assam, etc. (Bts-
cote and son printers, Starop office Hillstreet ftiebemond). Dans la se-
conde partie, pages 22 et suivantes, l'auteur envisage les routes te
terre à créer, au point de vue particulier du commerce de thé et apris
avoir fait observer que, dans les plantations d' Assam, les travailleurs
ne doivent jamais faire défaut, car la végétation est si puissante qae
LE TERRITOIRE FRANÇAIS ET SES VOIES NAVIGABLES. 497
les jongles reprendraient aussitôt possession du terrain, et les capitaux
énormes engagés seraient totalement perdus ; que la main-d'œuvre
étant devenue très rare, il est temps d'aviser ; l'auteur indique, comme
unique ressource, l'introduction dans lAssara, d'ouvriers chinois préci-
sément par ces routes en projet maigre les difficultés physiques et
politiques qu'elles offrent. Beaucoup d'autres volumes encore traitent
des mêmes matières et démontrent que le Thibet, môme tel qu'il est
aujourd'hui, n'est pas une contrée si à dédaigner pour les affaires com-
merciales. — Une remarque accessoire qui a aussi son importance au
sujet de la condition de dépendance administrative dans laquelle se
trouve le peuple tbibétain est : que s'il était affranchi des taxes arbi-
traires et oppressives, et délivré d'une détestable et tyrannique admi-
nistration, il verrait son bien-être s'améliorer et par suite son com-
merce intérieur et extérieur ne pourrait qu'en profiter.
Que te commerce tbibétain, même sous le rapport du thé, ne puisse
être mis en comparaison avec le commerce européen, indien ou chi-
nois, cela est de toute évidence, mais dans son état actuel il n'est pas
insignifiant, dit en terminant l'auteur de la brochure, et jetant de nou-
veau un coup d'oeil d'ensemble sur son travail, il résume, pour ainsi
dire, m pensée en ces termes : « Si nous désirons attirer ce commerce
sur nos marchés, cela n'aura lieu qu'en offrant à ceux que nous voulons
nous attacher comme clients, les choses dont ils ont le plus besoin,
c'est-à-dire un thé préparé de manière à satisfaire leur goût, et dont le
prix soit en rapport avec leurs moyens ; mais il ne faut pas perdre de
vue, quand on en viendra à mettre en pratique les considérations sug-
gérées dans les pages ci -dessus qu'il faudra y consacrer du travail et
compter avec le temps, et qu'avant toutes choses il est essentiel de ne
pas apporter sur le marché un thé qui n'aurait pas toutes les condi-
tions requises, car il ne trouverait aucun acheteur, et ne serait surtout
pour les planteurs qu'une cause de pertes, ce qui aurait pour résultat
de faire juger défavorablement par les Thibétains le thé de l'Inde et de
justifier ou de faire naître un préjugé contre lui.
Nancy, 24 août 1883. Desqodins.
Le Territoire français et ses voies navigables.
Le Bulletin de statistique, publié par le ministère des finances,
donne les renseignements suivants : le territoire français est de
528,572 (f) kilomètres carrés, c'est-à-dire 52,857,200 hectares sur
(') Chiffre in dinué par le Journal La Nature. Reclus ne donne que 518,830 ; M. E. Le-
▼awour, d'après l'annuaire du Bureau des longitudes, porte 523,401; sans doute 11 y
498 MISCELLANÊES.
lesquels 2,822,000 sont occupés par les villes et villages, les voies
de communication ou les cours d'eau. Un sixième de la- surface de
la France, près de 8 millions et demi d'hectares, est en bois. Pins d'un
huitième encore est composé de landes, de pâtis ou de terres vagues.
Le onzième environ est en prés et en herbages. Un pen moins du
vingtième (2,320,533 hectares) est planté de vignes. Environ 1 et demi
pour 100, soit en chiffres ronds 696,000 hectares, est en terrains de
qualité supérieure, tels que vergers, chénevières et jardins. La pro-
portion des espaces occupés par les landes on terres incultes est ea-
core considérable ; cette proportion a toutefois diminué, depuis une
cinquantaine d'années, d'un million et demi d'hectares, ce qui repré-
sente la surface moyenne de deux départements.
D'autre part, d'après une statistique qui vient d'être dressée par U
direction des routes, de la navigation et des mines, la longueur totale
des rivières, ainsi que des canaux, s'élève, en France, à 16,264 kilo-
mètres 600 mètres.
Les bassins de la Loire et de la Garonne sont ceux qui comptent le
plus de rivières navigables. Pour les canaux, c'est le bassin de laSewe
qni vient en première ligne.
On relève 37 départements où il n'existe pas un seul canal de navi-
gation, et 9 départements qui n'ont ni rivière flottable ou navigable,
ni canaux de navigation. Ces neuf départements sont : le Cantal, h
Corse, la Creuse, Eure-et-Loir, la Lozère, l'Orne, les Pyrénées-Orien-
tales, le Yar et la Haute- Vienne.
La longueur totale des rivières navigables de France est évaluée à
8,545 kilomètres 800 mètres ; mais il existe certaines portions de ees
rivières où la navigation est purement nominale et que la batellerie a
cessé d'exploiter.
Les travaux d'amélioration des rivières effectués dans ces dernières
années s'élèvent à 129,166,900 francs; il a été exécuté pour 3,243,540
francs de ces travaux pendant le premier trimestre de Tannée coa-
rante.
a une erreur d'impression au chiffre donné par Reclus aux disaines de mille, es*
les différences d'estimation auxquelles pré tu ut les surfaces non cadastrées dans &w
départements, ne peuvent varier dans une marge aussi large. Ou trouve également,
dans le Dictionnaire de Larousse, le chiffre de 515,777, pins faible encore q*el«
autres.
499
NOTES SUR L'EXPÉDITION DE MADAGASCAR
par BONAPARTE, premier consul.
( Pièce inédite Urée des minutes des Archives nationales,
carton 3325-1173.)
• Une fois l'expédition de l'Inde partie, il faudrait faire trois expédi-
tions : nne ponr le fort Dauphin et pour le fort Sainte-Luce, commandée
par le même général.
■ Cette expédition devrait porter 300 hommes de troupes blanches,
une compagnie de troupes noires, composée de 100 hommes et de
400 déportés sans armes, qu'on enverrait pour travailler et qui servi-
raient de colons, ce qui formerait un total de 800 hommes ; 8 pièces
4e eanoo, des outils à pionniers, quelques charrues, outils, etc., et une
cinquantaine de harnais de cavalerie. Il y aurait un général de biigade
commandant, un administrateur et quatre chefs ouvriers munis de tous
les outils nécessaires. Le total ne formant pas plus de 900 hommes
pourrait être porté par trois frégates. Chaque frégate débarquerait deux
pièces de 18 pour armer le fort Dauphin du coté de la mer.
• Un des plus pressants besoins de la République est de s'occuper
d'un point où Ton puisse déporter de Saint-Domingue, de la Martinique,
de la Guadeloupe, des lies de France, de la Réunion tous les noirs et
hommes de couleur dont on ne saurait que faire. Aucun endroit ne
parait pins favorable ponr cet objet que Madagascar.
1 11 est également urgent d'avoir un lieu où l'on puisse déporter
cette foule de brigands qui infestent le Midi et l'Ouest et qui encom-
brent nos maisons de réclusion. Madagascar parait encore le lieu le
favorable.
■ Voici comment l'opération pourrait se faire :
• Diviser l'Ile de Madagascar en deux : le nord, ayant le point d'appui
sur la baie D'Antongil ou de Foulpointe, pourrait recevoir tous les dé-
portés noirs ; i cet effet, on ferait partir de France, dans le courant de
l'hiver, quatre frégates qui porteraient 600 hommes de troupes ; 400
Français et 200 Polonais on déserteurs étrangers : ils iraient prendre
possession dudit établissement et y construire un fort. On embarque-
rait en même temps 200 ou 300 noirs pour ladite destination, ils nous
embarrassent en France; on donnerait des ordres dans toutes les co-
lonies pour que l'on ait à diriger sur ce point tous les noirs à dépor-
ter, qui compromettent la tranquillité des colonies.
« Dans le fort ou redoute que l'on construirait, on ne laisserait entrer
ni noirs ni déportés ; artillerie, magasins se trouveraient toujours à la
disposition du commandant. On établirait le plus possible, les cases
500 MISGELLANÉES.
des colons sous 1c canon et la domination du fort. On ne leur permet-
trait Jamais aucune arme, et on les obligerait à travailler.
« Il faudrait faire partir une seconde expédition de blancs qui iraa
prendre possession du fort Dauphin et reconstruire ce fort, et l'on ferai
incessamment partir de tous les points de la France, sur de simples
bâtiments de commerce et par tontes les occasions, les brigrands et
vagabonds dont on aurait à se défaire. • P. Guyot.
EXPÉDITION ARCTIQUE DU « VARNA »
V Indépendance belge publie le résumé do voyage fait an pôle Hort
par l'expédition hollandaise du Varna, dont les membres Tiennent de
rentrer en Europe.
Au mois d'août de Tannée dernière, peu après que le Tapeur aile-
mand Louise eut quitté le Tapeur hollandais Varna, ce dernier se
trouva pris entre les glaces et essaya en Tain de se dégager.
Le navire erra dans sa prison mouvante entre le 70° degré IstUode
nord et le 63e degré longitude est. Gela dura plusieurs semaines. Ka
septembre, un vapeur Tenant du Danemark, la Dymphna, aperçut le
Varna et voulut lui porter secours, mais à son tour le steamer danois,
en pénétrant dans la banquise y resta pris, et bientôt les glaces se
consolidèrent autour des deux navires.
Les navigateurs flrent plusieurs tentatives pour atteindre la terre,
mais elles restèrent infructueuses. Aussi finirent-ils par se décider à
construire un observatoire sur la glace même.
Au commencement d'octobre, la situation s'aggrava. Les blocs de
glace s'amoncelaient, d'horribles craquements se faisaient entendre et
l'équipage, effrayé, dut quitter le navire et se réfugier sur les monta-
gnes de glace qui s'entassaient autour du bflliment.
Mais voici mieux, ou plutôt voici pis: à un moment donné, d'énormes
crevasses se produisirent sur la surface de la mer gelée : les explora-
teurs durent reculer devant les abîmes qui s'entr'ouvraient, et ils ne
tardèrent pas à être complètement séparés de leur navire.
Huit Jours plus tard, heureusement, les crevasses se comblèrent 4e
glaçons nouveaux, l'équipage du Varna put regagner le navire et re-
monter à bord, et les observations scientiûques purent être reprise*, \
conformément aux prescriptions internationales. (Dans le courant de i
l'année dernière, tous les États maritimes s'étaient entendus aflnée <
procéder, d'après un plan commun arrêté d'avance, pour rcxploraiio& '
des pèles boréal et austral.) :
Ces travaux furent continués avec succès jusqu'à la veille de Sod. j
UN CANAL MARITIME EN PALESTINE. 501
C'est ce jour-là que la catastrophe finale devait se produire. Les ban-
quises se mirent tout à coup en mouvement, avec des entrechoque-
menis énormes - qui donnaient l'illusion d'explosions successives; à
chaque instant quelque bloc colossal venait défoncer le navire, et
bientôt le Varna se trouva complètement broyé par les masses de gla-
çons.
L'équipage, mis sur le qui-vive dès la veille par cet effrayant remue-
ménage, avait quitté le bord dans la nuit, emportant les instruments
scientifiques, les documents, les canots, les traîneaux et les chiens.
Les explorateurs réussirent à gagner le vapeur danois Dymphna, le-
quel, plus solidement construit, avait pu résister au choc des glaces.
Les observations scientifiques furent continuées à bord du vapeur da-
nois jusqu'au 25 janvier, date à laquelle le thermomètre descendit à
8j" Fahrenheit.
Au commencement d'avril, les glaces commencèrent à fondre. L'eau
apparaissait et une température tiède succédait au froid iLtense du
mois précédent. Le 24 juillet, les glaces qui soutenaient les restes du
Varna fondirent complètement et le navire écrasé s'abîma dans les
flots.
Comme le Dymphna avait Tordre de passer un second hiver dans la
mer polaire, les Hollandais quittèrent leurs hôtes le l#r août, et, à l'aide
de bateaux et de traîneaux, la caravane se dirigea vers la terre, en
évitant les bancs de glaces qui parsemaient encore la mer. Le voyage
dura trois semaines, au bout desquelles on atteignit File de Waigatz.
C'est là que les trois navires Louise, Nordenskjôldet Obi, qui cher-
chaient le Varna, rencontrèrent les explorateurs. Le navire Louise les
prit à bord, mais dans ies glaces son hélice se brisa et le Nordenskjôld
dut le remorquer.
Quant à Y Obi, il prit les devants pour annoncer à l'Europe la bonne
aouvelle de la découverte de l'équipage. Bonne et grande nouvelle, en
effet, car, malgré la destruction du Varna, cette expédition n'aura pas
coûté la vie à on seul homme, et le matériel scientifique, collections,
procès-verbaux, observations, tout a été sauvé.
UN CANAL MARITIME EN PALESTINE
On a fait récemment quelque bruit dans la presse anglaise autour du
projet, conçu par M. Inglefleld, de relier la mer Morte, à la Méditerranée
et à la mer Rouge par un canal maritime. Nous avions cru tout d'abord
à nnpuff, ou autrement dit, à une plaisanterie. Si invraisemblable que
502 MI8CELLANÉBS.
cela paraisse, ie projet existe réellement, puisque la Revue britannique
le combat, et voici dans quels termes :
« C'est le Times, à ce qu'il parait, qui aeo l'idée dq cette entreprise
abracadabrante. Il ne s'agirait de rien moins que d'amener les eaux de
ia mer dans le Jourdain par une saignée de 200 pieds de largeur sir
40 de profondeur, qui partirait de la baie de Saint-Jean-d'Acre, et de
rejoindre la mer Morte et la mer Rouge par un autre canal de 20 milles
de longueur. On se demande quel est le visionnaire qui a pu rérer
quelque chose d'aussi stupendous, car on sait, en France du moins,
que le niveau de la mer Morte est de 100 mètres inférieur à celai de
la Méditerranée et de la mer Rouge ; que le barrage qui la sépare de
cette dernière a 300 mètres de hauteur, et que Jérusalem elle-même
est située à 800 mètres au-dessus de la Méditerranée.
« Donc, à supposer que Ton pût amener les eaux de la Méditerranée
et de la mer Rouge, à l'aide de junnels, i travers ces massifs monta*
gneux, elles se précipiteraient dans ia mer Morte d'une hauteur de
400 mètres, et ce serait assurément un magnifique spectacle. Mi
réussirait-on avec ces deux prises d'eau à combler la mer Morte, que
les eaux du Jourdain ne réussiraient pas à maintenir, si les siennes
n'étaient saturées de sels qui en préviennent l'évaporaUou totale t As*
sûrement non et ce serait tout au plus si elles parviendraient a en élerer
le niveau de quelques mètres. 11 faudrait donc des prises d'eau extrê-
mement considérables pour remplir d'eau salée la vallée du Jourdain
et faire disparaître le lac de Nazareth. Les associations chrétiennes de
la Terre sainte peuvent donc se rassurer; il n'y a aucun danger qu'on
rende Jamais méconnaissables les saints lieux qui furent le berceau
d'uue religion comptant 460,000,000 d'adhérents, et Jérusalem n »t
pas prés de devenir uu port de mer. •
Nous pensons, avec la Revue britannique, que si ce projet est de»uoé
à ruiner le canal de Suez, M. de Lesseps peut dormir tranquille.
CM.
]
NOUVELLES GEOGRAPHIQUES
COLONIES FRANÇAISES.
Nouvelle-Calédonie. — Le dernier courrier de la Nouvelle-Calédonie
nous apporte l'intéressante information qui suit :
Dans nne de ses récentes tournées, l'aviso le Bruat, commandé par
il. le lieutenant de vaisseau, Bé nier, avait retrouvé à Vanikoro une
ancre qui avait été abandonnée par l'expédition de l'infortuné Lapé-
rouse. Malheureusement le vent, les courants et des moyens d'action
iaso disants ne permirent pas de la prendre à bord du Brual et on dut
se contenter d'en marquer exactement la place.
Lors des dernières nouvelles dont nous parlons, \e3ruat allait repartir
pour chercher ce précieux souvenir. Son capitaine devait aussi choisir
à terre on emplacement propice pour y construire un monument à la
mémoire de nos infortunés compatriotes, Lapérouse et ses compagnons.
Gelai qui avait été élevé par D union t d'Urville en 1828 sur un Ilot de
corail, au ras de la mer, a été complètement détruit.
M. le lieutenant de vaisseau Bénier est de Nancy.
C'est également un Nancéien, M. le lieutenant de vaisseau Winter,
qnl vient d'être nommé résident aux lies Marquises.
Sons extrayons d'une lettre écrite de Nouméa au Petit Marseillais, à
la date du 12 août, les détails suivants :
11 nous arrive en ce momeut par notre croiseur le Bruat des rensei-
gnements intéressants des Nouvelles-Hébrides.
Le Bruat avait été envoyé par notre gouverneur à Vanikoro pour
(aire des recherches sur les restes de l'expédition de Lapérouse.
On sait en effet que c'est dans cette lie que notre grand navigateur
est tombé sous les coups des sauvages à la suite du naufrage de son
bâtiment, Y Astrolabe. Le commandant du Bruat, M. Bénier, a réussi, à
force de patience et d'habileté, i rapporter de l'endroit même du nau-
frage, trois ancres, trois canons, qui portent encore la date de leur
fabrication, et un corps de pompe.
Cea débris seront reçus demain 13 août, en grande solennité à Nou-
méa et envoyés de là à notre musée national de la marine.
Le Bruat a rapporté en même temps la nouvelle du massacre par
les Canaqoes d'Ambryen (Nouvelles-Hébrides), d'un capitaine de goé-
lette anglaise qui faisait le recrutement des travailleurs pour le Queens-
land.
Le Dark, aviso de guerre anglais, stationné dans ces parages, a tenté
504 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES. {
d'exercer des représailles; mais la compagnie de débarquement n'a pu !
Joindre les Canaques, ce qui ne Ta pas empêchée d'avoir deux homme* ,
grièvement blessés. L'un d'eux doit être mort aujourd'hui ; le second
a été rapporté à l'hôpital de Nouméa par le Bruat.
Les Nouvelles -Hébrides ne cessent d'être visitées par un grand
nombre de bateaux anglais, qui font le recrutement des travailleurs pour
les colonies australiennes et les Fidji, pendant que nous, les plus pro-
ches voisins de ces Iles, qui peuvent être regardées comme des dé-
pendances de la Calédonie, sommes privés de tout travailleur. C'est à ;
leur instigation, comme toujours, que cette désastreuse mesure de la ,
suppression de l'immigration a été prise a notre égard et ce sont eut
qui en profitent le plus ; ils se sont fait de la sorte un monopole à notre !
détriment.
La Nouvelle-Calédonie se trouve ainsi dans un état de crise aigiré,
Nous n'avons de bras ni pour nos mines, ni pour nos cultures, car fl
est même impossible de songer à demander un travail quelconque soi
indigènes. Nous avons la main-d'œuvre à deux pas, et le Gouvernement
nous la retire pour la plus grande gloire et ie plus pur profit de dos
voisins les Anglais. Quand donc nos justes réclamations trouveront* :
elles un écho dans la mère patrie?
L'immigration est notre salut, et on nous l'interdit !
Limite des possessions françaises en Sénégambie. — Les membres :
de la première section de la Société de géographie commerciale vien-
nent d'envoyer à M. Gasconi, député du Sénégal, une protestation au
sujet de la convention approuvée par le Sénat et relative à la délimi-
tation des possessions anglaises et françaises sur la côte occidentale !
d'Afrique. Cette protestation est basée sur la défectuosité de la délimi- j
tation et sur l'ambiguïté des termes, en ce qui concerne la Grande- 1
Bretagne. La délimitation approuvée par le Sénat donnerait à nos voi- \
sins presque tout le Foutah-Djallon, sur lequel nous avons un droit de
protectorat. En outre, l'abandon des lies de Loos, situées devant nos
territoires, laisserait aux Anglais non seulement une place forte ea
face de nos côtes, mais serait un foyer de contrebande désastreux poar
les produits français. L'Angleterre s'est fait la part la plus belle; elle
ne nous donne rien et empiète sur les régions occupées depuis tria
longtemps par les commerçants français. La déDmitation proposée con-
sisterait en un parallèle tracé du point indiqué dans le projet, c'est-*-
dire passant à peu près par le 9e degré de latitude nord et sauvegar-
derait ainsi non seulement le Foutab, mais encore les sources da
Niger, dons nous occupons déjà un centre important ,Bamakou.
(V Exploration J
605
EUROPE.
le tunnel de l'Arlberg. — Dans an an an plus tard, le tunnel de
fArlberg, auquel on travaille depuis 1880, sera ouvert à travers les
Alpes suisses, il aura une longueur totale de 10,270 mètres. Contrai-
rement à celui dn Saint-Gothard qui a été percé du nord au sud et à
l'eacontre des intérêts français, le tunnel de l'Arlberg, percé de l'ouest
à Test, facilitera les communications de la France avec les contrées
agricoles de l'Autriche-Hongrie, et Ton dit que déjà le gouvernement
aostro-nongrois discute les nouveaux tarifs entre les chemins de fer
suisses et français et ceux du sud de l'Autriche et de la Hongrie. Il se
pourrait que les blés et les vins austro-hongrois de la récolte de 1884
prissent cette voie, et qu'à notre tour nous augmentassions par cette
route le montant de nos envois vers l'Autriche-Hongrie.
Angleterre et Portugal. — 11 se confirme que le Portugal aurait
offert A l'Angleterre, en échange de sa reconnaissance définitive des
droits dn gouvernement portugais sur les territoires de Gabinda et de
Xolembo et de la régularisation finale de la situation au Congo, la ces-
sion du fort de San-Joào de AJuda sur la côte de Dahomey.
Ii ne nous appartient pas de qualifier la conduite de l'Angleterre vis-
à-vîg d'un faible, ni la lenteur qu'elle met à reconnaître que ce qui
appartient au Portugal est bien à lui. Hais voici où la situation se com-
plique : le roi de Dahomey, qui ne se soucie nullement d'avoir les
Anglais pour voisins, a sommé le commandant portugais d'Ajuda de
déclarer, dans les soixante Jours, comme non fondés tous les bruits de
cession de la forteresse à l'Angleterre, sous peine d'extermination de
tous les Européens habitant son royaume.
Canal entre la Méditerranée et l'Océan. — Le projet de relier
rocéan et la Méditerranée par un canal vient d'entrer dans une nou-
velle phase. Un nouveau comité vient de se former en vue de pour-
suivre sa mise à exécution.
Ce comité, dans lequel on remarque les noms de MM. Constans,
fiuclerc, Hersent, entrepreneur du canal de Panama, et plusieurs cons-
tructeurs ou ingénieurs, tels que MM. Bord, Effell, Kœchlin-Schwartz,
Terstreit, est décidé à réaliser la construction du canal de Bordeaux
ou (TArcachon à Narbonne, avec ou sans le concours du Gouvernement.
300,000 fr. vont être consacrés à l'étude du tracé et aux travaux pré-
paratoires. M. Constans se propose de faire, au mois de septembre,
«ne série de conférences en faveur du canal, dans la Haute-Garonne,
l'Aude, l'Hérault. Les membres dn comité d'études se proposent de
mener leur propagande pour le canal avec la plus grande activité.
•OC. DB eftOOB. — 3e TBIMMTRI 1883. 33
506 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
Nouvelles du • Talisman ». — Dans la séance du 16 juillet dernier,
M. Gaudry a communiqué à l'Académie des sciences les lettres qu'A t
reçues de MM. le Dr Fischer et Alphonse H Une Edwards, tous deux
membres de la mission scient iflque à bord du Talisman, navire qui,
on le sait, a remplacé le Travailleur pour Pétnde du fond de l'Océan \l).
Ces lettres sont datées de Santa-Cruz de Ténériffe, le 29 juin dernier.
Depuis le départ de Rocbefort, la navigation avait été fort bonne. Le
matériel scientiûque a rendu les services les plus signalés et Ton a
jugera quand on saura que les dragues ont rapporté de 1,000 métrés
de profondeur des blocs de roches dont quelques-uns pèsent jusqu'à
100 kilogr. Les chaluts ont donné des récoltes zoologiques immenses.
Les crustacés par leurs formes rappellent, pour une part, la tanne
caractéristique de la mer des Antilles. Des poissons étranges, munis
d'organes lumineux, ont été ramenés des grandes profondeurs. Des
crinoldes, des astéries, des holothuries étonnantes, des éponges innom-
brables, sont recueillies à pleines dragues. Les mollusques montrent,
outre des espèces nouvelles, un mélange inattendu de formes afri-
caines avec des formes méditerranéennes et des formes polaires: il ea
résultera des révélations, au double point de vue de la géographie
zoologique et de la paléontologie.
Congrès géodésique. — Le 1 5 octobre, se réunira à Rome un congrès
géodésique ayant pour but de choisir une heure commune pour les re-
lations internationales.
Ce congrès est organisé par une association de savants, fondée en
1861, et ayant pour but d'étudier et de coordonner les grandes opé-
rations géodésiques et astronomiques, ainsi que celles de la géographie
physique supérieure. Des réunions ont déjà eu Heu à Berlin (1364» ; à
iNeuchàtel (1867), à Vienne (1873), à Dresde (1874), à Stuttgart (1877)
et à Munich (1880). Le congrès de Rome sera présidé par le colonel
Ferrero. Un grand nombre de savants et d'officiers supérieurs des divers
États de l'Europe prendront part aux travaux.
*
Il est question de créer prochainement à Paris un Institut colonial,
sur le modèle des instituts anglais et hollandais. |
Dans cet établissement, placé sous l'autorité du sous-secrétaire d'Etat '
aux colonies, il y aurait, à côté de chaires où Ton enseignerait le '
idiomes de l'extrême Orient, un enseignement technique capable de '
former pour les colonies de la République un personnel instruit et \
éclairé. '
( ) Voir • Bullet'n du l« trineUre, p. 254.
ASIE. 507
Une grande place serait donnée aux questions de traraox publics et
de commerce dans cet enseignement, qui serait professé par des ingé-
nieurs de l'État.
ASIE.
Le lac Balkasch. — La navigation à vapeur Tient de faire son appa-
rition dans l'Asie centrale. MM. Paklevsky et Youldaschew, négociants
sibériens', dans le but de profiter du lac Balkasch et du fleuve Ili
comme voie commerciale pour les marchandises russes à destination
de Djarkent et de Kouldja, ont lancé sur les eaux du lac an bateau à
vapeur qui a été baptisé Kolpakovsky, du nom du gouverneur général
actuel de la steppe. Cet événement a eu lieu a la fin d'avril de Tannée
eoarante.
Ascensions dans l'Himalaya. — . Un alpiniste très connu, M. Grabam,
parti avec des guides suisses pour le pays de Sikklm, dans l'Himalaya,
où il se proposait de faire l'ascension du Kinchinjunka dont la hauteur
au-dessus de la mer est d'environ 28,000 pieds, a déjà fait un certain
nombre d'excursions dont il a envoyé à ses amis une relation. Le Times
publie l'extrait suivant de ce récit :
Du camp sont Nanda-Devl (14,000 pieds), le 2S Juillet 1888.
Sous avons quitté la vallée de Nynce le 24 juin et atteint Rini, au
pied dn pic, en douze jours. Très peu d'agrément et beaucoup de pluie.
C'est à Rini que nos difficultés ont commencé. D'abord il était impos-
sible d'atteindre les montagnes voisines sans traverser des failles im-
menses au fond desquelles grondaient d'énormes torrents. Aussi nous
a-t-H fallu faire une série d'ascensions préliminaires pour atteindre
les plus hauts pics. Nous avons attaqué d'abord le Dunagiri, haut de
23.184 pieds. Après avoir escaladé des pics de 17,000 à 18,000 pieds,
nons sommes arrivés le cinquième Jonr au pied de la montagne et nous
avons campé sur le glacier, à la hauteur de 18,400 pieds. Là j'ai renvoyé
les coolies qui portaient nos provisions ; ces sauvages avaient dévoré
en cinq jours les vivres d'une quiniaine.
Le lendemain matin, nous commencions à monter. La pente était
difficile. Tous ces pics sont beaucoup plus raides que ceux de la Suisse.
A une heure trente minutes, nous avions atteint uue élévation de
22,500 pieds, et nous avions à nos pieds un autre pic de 22,300 pieds.
Le sommet était en vue, une cime avec un talus de neige interrompue
par des arêtes de rochers. Nous l'aurions gagné en une demi-heure si
on soudain et violent ouragan de neige qui fondit sur nous ne nous
avait obligés à tourner casaque. Gomment nous sommes redescendus,
508 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
je suis hors d'état de le dire. C'est la plus dangereuse course que j'ai
jamais faite. Nous atteignîmes notre camp, mais nous ne pûmes faire
du feu, tout étant mouillé, et nous passâmes une horrible nuit. Le
lendemain, nous dûmes battre en retraite parce que nos provisions
étaient épuisées et que le pic ne pouvait plus redevenir accessible
ayant une semaine. Cependant nous avions résolu le problême de l'air,
car nous n'avions pas plus de difficulté à respirer à 22,000 pieds qu'à
12,500.
Nous retournâmes â Rini et nous nous mîmes en devoir de gagner
le pic du Nanda-Devi, 25,600 pieds, le Matterhorn indien. Nous l'aurions
atteint hier, mais dix de nos coolies sur seize nous ont quittés et nous
ne pourrons, en conséquence, atteindre le pic que demain. Le temps
est très mauvais; il pleut tous les jours , mais nous avons avec nom
des provisions pour vingt jours, et nous ne retournerons pas sur nos
pas avant de les avoir épuisées.
Une chose que j'aurais dû mentionner dans ma dernière lettre : te
pic Kang-La, dont j'ai fait l'ascension avec Imboden, est haut de 20,300
à 20,800 pieds, suivant les deux mensurations qui en ont été faites;
en sorte que, de toute façon, je ne reviendrai pas bredouille.
VaUée de Nyace, le 1* m*.
Retourné à la civilisation hier après de grandes difficultés. Le reste
de nos coolies nous a abandonnés au Nanda-Dévi ; le temps restant
affreux et sans espoir d'amélioration, nous avons dû rebrousser chemin
en* portant 60 livres par homme sur un terrain affreux. Cependant, nous
avons mis dans notre sac un autre pic que j'ai pris la liberté d'appeler
mont Monal (?), à cause de la quantité de ces beaux oiseaux que Ton
rencontre sur ses pentes. Sa hauteur est de 22,325 pieds, d'après la
mensuration du Gouvernement
Nous avons attaqué, comme tour de force, une magnifique aiguille
de 21,000 pieds, mais nous avons dû nous arrêter à 800 pieds du som-
met. Nos photographies ont complètement échoué, nos appareils étant
endommagés par leur transport sur de mauvais chemins. Je par-
tirai demain pour Darjeeling, où j'espère me mesurer encore avec ces
géants, et, si j'échoue, j'abandonnerai l'entreprise à de plus forts qse
moi.
AFRIQUE.
Exploration au Niger. — Les Àuglais viennent de lancer un steamer
en acier de 52 mètres de long, sur 9m,75 de large. Tout chargé, Une
tirera que 0m, 60 d'eau. La machine est de la force de 1,000 chevini;
AFRIQUE. 509
la roue motrice est à l'arrière. Le bâtiment est divisé en 40 comparti-
ments étanebes. Ce steamer est destiné à remonter le Niger.
Uns ambassade africaine an France. — D'après Y Exploration,
H. Soleillet se prépare à rentrer en France» où il accompagnera, une
ambassade que le roi Ménélick, du Choa, a l'intention d'envoyer an
Président de la République. On prête au souverain du Gboa le désir de
mettre son royaume sous le protectorat de la France.
M. Soleillet annonce aussi que le roi Jean d'Abyssinie a désigné ponr
son successeur Ménélick, roi du Gboa. Ainsi se termine une rivalité qui
a plus d'une fois ensanglanté l'Ethiopie.
Côte occidentale d'Afrique. — Par décret du Président de la Répu-
blique, le protectorat de la France est établi en Guinée, sur les terri-
toires de Petit-Popo, Grand-Popo, Porto-Seguro et Agoué, sur la demande
des cbefs de ce pays.
Les compagnons de La Pérouse. — M. le contre-amiral G. Fleuriot
de Langle a informé la Société de géographie qu'on Tient de retronver
les restes du chevalier de Langle, compagnon de La Pérouse et de
plusieurs autres personnes de l'expédition. On sait que le capitaine de
Y Astrolabe fut massacré dans File de Maouna (actuellement Tutuila), i
Foueat de l'archipel des Navigateurs, le 11 décembre 1787, avec dix
hommes de son équipage. Le P. Vidal, de Samoa, a informé la famille
que les missionnaires français se proposent de lui élever un monument.
L'unirai de Langle est le petit-fils de la victime.
Las Espagnols au Maroc. — Nous avons annoncé que l'Espagne
allait occuper Santa-Cruz de Har-Pequena. Le Gouvernement se serait,
dit-on, ravisé. Comprenant que la création d'un port et d'un établisse-
ment sérieux, le long de la côte sud du Maroc, exigerait un déploie-
ment de forces et de dépenses autrement important que ne saurait
l'être la présence d'un aviso et de quelques compagnies de débarque-
ment, il en reviendrait à une proposition antérieure du Sultan, faite en
1682, d'échanger Sanla-Cmz contre des positions stratégiques autour
de celles du détroit de Gibraltar, ou bien un territoire sur la frontière
de la province d'Oran, au cap de Aguas, près des lies Cbaffarines que
Vlspagne possède déjà.
M. Réveil. — Une dépêche de Zanzibar (2 mai) annonce le départ de
M. Georges Revoit pour Mogadoxo. De là, l'intrépide voyageur espère se
rendre A Gueltdl, où il restera une semaine avant de gagner Guananèh.
510 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
Il étudiera le cours du Djoub et visitera la grande tribu des Ûugadun
sur les bords de la Ouébi. Dans ce cas, il reviendra par le Harrard
Reiia. Sinon, il remontera vers Kaffa et le Ghoa.
Pendant son séjour à Zanzibar, M. Revoil a pu réunir de nombre
collections de plantes et d'animaux qu'il a envoyées au Muséum
toire naturelle.
Au Congo. — Le steamer Portugal, qui vient d'arriver ici venant
la côte occidentale de l'Afrique, apporte des nouvelles du Congo, aOai
Jusqu'au 18 juin. Parmi les passagers se trouve M. Johnson, qui
pagna jadis lord Mayo dans ses expéditions dans le pays des
mèdes. Ce gentleman avait reçu une invitation de H. Stanley de venir ]
le trouver sur le haut Congo. 11 est resté auprès de cette explorateur
jusqu'au 31 mai, époque 4 laquelle il est descendu vers la côte.
M. Johnson est porteur de lettres de M. Stanley pour la Société inter-
nationale.
Il y a également sur le Portugal plusieurs Français, qui ont été
témoins des exploits de M. de Brazza sur la côte occidentale de l'Afri-
que. Ils confirment les nouvelles précédemment arrivées en Europe,
relativement à celte question.
M. Stanley se trouvait au-dessus de Stanley-Pool, et s'apprêtait à
partir pour Stanley- Gai les. Il espérait fonder une nouvelle station soi
le haut Congo, au-dessus de Stanley-Galles, à Dololo, à 250,000 mita
de Stanley-Poo).
M. Stanley lui-môme est en bonne santé, mais sa troupe n'a pas ea
la même chance. M. Robinet, un ingénieur belge, est mort après cin-
quante heures de maladie ; et M. Parfoury a succombé à une insolation;
M. Lussesie s'est suicidé, et deux autres membres de l'expédition sont
morts.
Le personnel de M. Brazza était bien portant.
À l'heure qu'il est, M. de Brazza a dû rencontrer l'Ogooué. Après
avoir laissé sou monde à Loango et à Punta-Negra, il est allé, en per-
sonne, sur V Oriflamme, prendre possession du territoire de Loango,
parce que les indigènes, pendant l'absence momentanée de l'équipage
de YOriflamme, avaient pillé ce navire.
M. Revoil dans l'Afrique orientale. — La Société de géographie de
Marseille vient de recevoir d'excellentes nouvelles de M. Georges Re-
voil, qui, comme on le sait, est parti pour la côte orientale d'Afrique,
chargé d'une mission d'exploration, par Je ministère de l'instruction
publique.
Parti de Magadoxo, M. Georges Revoil est parvenu, à travers un pays
AFRIQUE. 511
qu'au eun voyageur européen n'avait jusqu'ici rfsité, à la viHc de Gua-
nsoèh, située sur le Djoub supérieur. Celte rivière, dont le cours est
en grande partie inconnu, Tient se jeter, presque sous l'équateur, dans
h mer des Indes.
Elle a acquis une triste célébrité par la mort d'un voyageur alle-
mand, le baron de Decken, assassiné sur ses bords par les Somalis,
au mois de septembre 1865. Plus tard, en 1870-1871 , un navire l'Explo-
rateur, affrété par des négociants marseillais et commandé pa> le ca-
pitaine Cerisola, essaya, sur les indications fournies par un personnage
énigmatique, nommé M. Papiuaud, de remonter ce fleuve inconnu, où
Ton croyait trouver une succursale de l'Eldorado. Devant les menaces
des naturels, l'expédition, qui comptait plus d'un Marseillais dans ses
rangs, dut reculer, et ne recueillit que des déceptions.
En 1875, le khédive envoya aussi une expédition pour pénétrer par
cette voie au cœur de l'Afrique équatoriale. Elle était commandée par
le colonel Chaillé-Long, qui, avec une chaloupe, put remonter le fleuve
pendant 278 kilomètres. Mais la partie supérieure du Djoub n'est encore
tracée sur aucune carte et c'est ce vide que cherche à combler notre
compatriote M. Georges Revoil. Ce ne sera pas sans danger, car les So-
malis qui habitent cette région, passent dans ces tribus pour être per-
fides et cruels.
Tout donne à penser, cependant, que M. Georges Revoil mènera à
bonne fin son entreprise. La connaissance qu'il a de la langue du pays,
les relations qu'il a su se créer au milieu de ces peuplades, et les qua-
lités maîtresses qu'il a déployées dans ses précédentes explorations
soot des garanties de bonne augure.
— Un Anglais bien connu pour ses expéditions en Afrique, le capi-
taine Londsdale, vient d'entrer au service du comité d'exploration belge
du Congo et de partir pour rejoindre M. Stanley. 11 a obtenu du Colonial
Office un congé de troi3 ans avec l'autorisation d'équiper autant
d'hommes qu'il jugera, nécessaire pour la sécurité de son expédition.
On croit qu'il engagera plusieurs centaines des Haoussas avec lesquels
l'Angleterre a formé des régiments pour la protection de ses posses-
sions de l'Afrique occidentale. M. Stanley a déjà, anuonce*t-on, enrôlé
plus de 200 de ces nègres, soi-disant comme laboureurs.
— On prétend que le roi Hakoko, à l'instigation de M. Stanley, aurait
été déposé par ses sujets. Cette nouvelle ne mérite aucune créance,
ear on ne devine que trop la source dont elle émane, et fût-elle con-
firmée, cela n'infirmerait en rien les droits acquis antérieurement par
H de Brazza.
On dit encore que le mot « Hakoko » signifiant « le maître du fleure »
512 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
il y aurait en réalité plusieurs makokos ; entre autres, d'une part, Tant
de H. Stanley, au sud de Stanley-Pool, et d'autre part, celui de M. de
Brassa, au nord-est. Rien ne manque à la gloire de noire compatriote,
pas même les envieux. G. M.
Les Français an Congo. — Le Sagittaire a séjourné Tingt jours i
l'embouchure du Congo. Le U juillet, il a célébré la fête nationale as
mouillage de Landana. Le 16 juillet, cette canonnière a mouillé à
Loango, où se trouve le chef des stations de la mission Brazza. Le 21
juillet, elle est allée se ravitailler au Gabon et y a trouvé YOtumo, ar-
rivé à ce mouillage depuis le 20 juillet. Après avoir terminé son ravi-
taillement, le Sagittaire retournera à Loango.
On construit en ce moment des abris pour le matériel de H. deBrasa
au cap Lopez. Quelques tirailleurs et Krowmans sont venus renforcer
nos postes. Le Sagittaire compte, après avoir quitté Loango, remonter
le Congo jusqu'à Yivi.
Le Voltigeur vient de faire une tournée au sud de Gabon, et a vi-
sité nos factoreries d'Ainbriz, Kisembo, Mussera, Ambrizetie, etc., etc.
M. de Brazza a quitté Lambaréué, sur lOgoué, le 9 juin, et il est ar-
rivé le 1er juillet dans le pays des Okandas.
AMÉRIQUE.
Nouvelle» mines d'or. — On croit que I'Yukon, fleuve du territoire
d'Alaska, baigne une riche et vaste région aurifère. Cette opinion est
basée sur cette remarque : c'est que sur le côté asiatique dn détroit oa
exploite avec succès depuis plus d'un siècle des mines de quarts auri-
fère sur la prolongation de la ligne de la source de lTukon ou de
l'endroit où l'on présume que se trouve cette source. Le lieoteoaat
Schwatka a été chargé par le ministère des États-Unis d'explorer les
bords des rivières Chilcat et Yukoo.
D'autre part, on télégraphie de Guafmas que le schooner Antonio,
arrivé directement de Playa-Trinidad, dans la basse Californie, confine
le bruit qui s'était répandu que de riches placera d'or avaient été
découverts dans les environs. Près de deux cents mineurs, presque
tous américains, sont déjà à Playa-Trinidad.
La langue française an Canada. — D'après M. le chevalier de
Hesse-Wartegg, auteur de plusieurs ouvrages volumineux sur l'Aniqw
et l'Amérique, et qui vient de terminer son sixième voyage d'explora-
tion dans l'Amérique du Nord, la langue universellement parlée ao
Canada par les chasseurs et les indigènes jusqu'au fleuve Maekease
est le français.
AMÉRIQUE. 513
Le port de la Tera-Crus. •— Par décret du Président de la Républi-
que mexicaine, en date dit 26 avril 1883, le gouvernement suprême
do pays autorise la municipalité de Yera-Crus à transférer à la compa-
gnie d'ingénieurs français, représentée par MM. Buelte-Caze et Cle, à
Paris, l'entreprise de construction des travaux du nouveau port de
Tera-Crus. Ces travaux sont estimés à environ 47 millions de francs.
Ce n'est pas sans avoir eu beaucoup de difficultés à aplanir et de
sérieuses compétitions à combattre qu'on a pu, tant à Mexico qu'à
Yera-Crus, arriver à obtenir ce résultat, car l'adjudication de ces tra-
vaux était convoitée par de nombreux spéculateurs américains et an-
glais.
(Communication de M. C. Ardin d'ElteU, consul de France à Yera-
Croz} que nou3 empruntons à V Exploration.)
Institut géographique argentin. — A la séance solennelle du 7 mai
dernier, M. le Dr Zcballos, président de l'Institut géographique argentin,
dans son rapport sur les travaux de cette société, a fait part de l'arri-
vée des médailles et diplômes obtenus à l'exposition de géographie de
Yenise par les exposants argentins et constaté avec un légitime or*
goeuil ce fait honorable * • Que la République argentine a, par l'impor-
tance et la nouveauté des collections qu'elle a présentées, surpassé
tous les autres États américains, y compris les États-Unis, et la plupart
des autres nations qui ont pris part au Congrès de Yenise. •
Le désert d'Atacama. — Le ministère de l'intérieur du Chili a
nommé une. commission d'ingénieurs chargée de procéder à l'étude
géographique, géologique et mioéralogique du désert d'Atacama, et
plus particulièrement depuis la vallée de Copiapo Jusqu'à la rivière
Loa. Elle a dû partir de Santiago dans les premiers jours du mois de
mai.
La Romanche a dû quitter la baie Orange au commencement du mois
d'octobre, rapatriant la mission scientifique française qui vient de pas-
ser un an au cap Horn. Elle rapporte de précieuses collections de toute
nature recueillies pendant son séjour pour nos grands établissements
scientifiques. Les caisses qui les contiennent seront respectivement
expédiées à l'Observatoire de Paris, à l'Académie des sciences, au Mu-
séum, etc., dés l'arrivée de la Romanche à Cherbourg, c'est-à-dire,
selon toute probabilité, dans le courant du mois de novembre,
■
Les restes de la mission Crevaux. — Le congrès national de Bolivie
t décrété une loi contenant les articles suivants :
514 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
« Art. 2. — Au point appelé « Tcyo », lieu où furent massacrés Til-J
lustre Français, docteur Crevaux, et tous ses compagnons, explorateoi
du Rio-Pilcomayo, une colonne de 12 mètres de hauteur sera élevée,'
au sommet de laquelle sera placée une statue tournée rers l'Orient.
< Art. 3. — A cet endroit sera fondée une colonie qui sera appelée
« Colonie Crevaux ». .
« Art. 4. — Sur chacune des faces de la colonne seront inscrits tef
noms de tous ceux qui ont péri sous les coups des Tobas. »
Les recherches ordonnées autant par les autorités boliviennes que
par les pères missionnaires du Chaco, pour retrouver les armes, ins-
truments, etc., de la mission, n'ont donné jusqu'à présent aucun ré-
sultat sérieux.
Cinq napoléons et une livre sterling ont été saisis, le 22 septembre
1883, par le P. Gonversor, chez les néophytes de la mission de San-
Francisco du Pilcomayo, qui étaient venus lui demander « quelle était ij
la nature de ces médailles? ». Les Tobas les leur avaient données ea
échange de comestibles. Cet argent a été remis au préfet de Tan>,
qui a dû le faire parvenir au chargé d'affaires de France à Buenos-
Ayres.
Le reste de l'argent de la mission serait en possession des Indiens
Noctènes.
« J'ai tu, écrit M. Thouar, le jeune Ceballos, qui a échappé au mas-
sacre. Il est ici incorporé au bataillon de Tarija. Les entretiens que fai
eus avec lui ne m'ont rien appris de nouveau... 11 semble d'ailleurs ne
pas posséder exactement les faits.
« Les mauvais traitements auxquels il a été exposé pendant sa cap-
tivité chez les Tobas, la terreur qu'il a éprouvée, ont profondément al-
téré ses souvenirs, sa mémoire et son intelligence. »
POLE NORD.
Expédition polaire. — Le schooner Wilhem-Barentz a quitté, le
7 mai, Grauyden, port situé ù l'embouchure du canal d'Amsterdam i la
mer du Nord, pour faire sa sixième expédition dans les mers polaires.
L'expédition est dirigée par le professeur Wacbliil et par le capitaine
Dahlen.
La mer Nordenslrjold. — Sur la proposition de M. R. Woldt, de
Berlin, appuyée par un grand nombre de savanis et de Sociétés sciea-
v tiûqucs, la partie de l'Océan Arctique* septentrional qui longe les côtes
E de la Sibérie, depuis le cap Tshéljuskin, jusqu'aux lies de la Nouvelle-
Sibérie, portera do rénavaut le nom de mer Kordcnsfyôld.
ri
PÔLE NORD. 515
L'Allemagne et le Pôle nord. — Le Congrès allemand de géogra-
phie, tenu à Francfort en 1 883, a déclaré que la reprise de V expédi-
tion au Paie nord par t Allemagne intéressait la science et la nation.
(Test à Munich et dorant la semaine de Pâques 1884 que se tiendra le
prochain Congrès.
L'expédition Nordenskjold. — Le 6 juin, l'expédition d'exploration
dirigée par le baron Nordenskjold est arrivée à Reykiavik, à bord da
Tapeur Sophia. Le célèbre voyageur et les géologues qui l'accompa-
gnent sont allés examiner les dépôts de charbon qui se trouvent dans
le Begarljord. Le Dr Àrpi, philologue suédois, qui a demeuré pendant
quelque temps dans l'Islande, dont il a appris complètement la lan-
gue, a accompagné les explorateurs.
Station polaire américaine. — Nous avons annoncé, il y a deux ans,
le départ du lieutenant Greeley, chargé parle gouvernement des États-
Unis d'établir un observatoire météorologique dans la baie de Lady-
franklinC). Le 11 août 1881, cet officier était rendu à son poste et le
navire sur lequel il avait pris passage était de retour à Terre-Neuve le
12 septembre suivant. Depuis, on n'en a pas reçu de nouvelles.
L'inquiétude est 'grande et, bien que le navire lui ail laissé pour trois
ans de vivres et qu'il ait établi sur la route quatre stations intermé-
diaires, où des approvisionnements de toutes sortes ont été accumulés,
U est question d'envoyer à la recherche du lieutenant Greeley.
— V Indépendance belge publie, sur le voyage de Nordenskjold au
Groenland, les intéressants détails que voici :
On sait que l'expédition du Nordenskjold est commandée par le baron
de Nordenskjold en personne. L'éminent explorateur, se fondant sur
i'étymologie du mot « Groenland » {Greenland, Terre-Verte) , a toujours
soupçonné l'existence de quelques riches oasis de verdure, de quelque
végétation luxuriante dans l'intérieur de cette région glaciale. Aussi
«es voyage» au Groenland (c'est le second ou le troisième qu'il entre-
prend) ont-ils un peu le caractère des explorations de Colomb s'em-
barquant pour aller à la recherche d'nn monde dont l'existence ne
faisait pour lui aucun doute, bien qu'elle fût presque universellement
contestée.
Les dépêches que le baron Nordenskjold vient d'envoyer du Groen-
land ne confirment pas, jusqu'à présent, ses théories. Elles attestent,
toutefois, que cette nouvelle exploration aura proQté à plus d'un point
de vue à la science.
(') Voir les Bulletin* du 4* trimestre 1881, p. 673, et da 1« trimestre 1882 p. 16S.
BIBLIOGRAPHIE
Les Papous de la Nouvelle-Guinée.
Voyages de M. Miklouho-Maclay. (Revue d'anthropologie, 3* fas-
cicule 1883. — Deniker.)
Malgré de nombreuses explorations, les lies et archipel du Pacifiqae
sont imparfaitement connus : à tous égards, la Nouvelle-Guinée, la plis
grande des lies du PaciOque, est bien certainement de toutes la mûiaf
explorée; aujourd'hui, cette lacune Ta être comblée: un naturaliste
russe, M. Miklouho-Maclay, Tient de parcourir la Nouvelle-Guinée; Q
y est allé à reprises différentes, et y a séjourné quatre années en diffé-
rents points.
M. Miklouho-Maclay débarqua (1871) la première fois sur la eôia
nord-est de la NouYelle-Guinée ; il était amené là par une corvette
russe : on lui construisit une cabane, puis le naTire s'éloigna, le lais-
sant seul arec deux domestiques, dont l'un mourut quelques Joua
après ! Ma) accueilli au début par les indigènes, le hardi voyageur, à
force de persévérance et de courage, grâce à un tact, à une habileté,
à un sang-froid extrêmes, parvint non seulement à vivre en booae
intelligence avec les indigènes, mais encore à acquérir sur eux ose
grande influence !...
Cette première fois, il resta quinze mois sur cette côte qui, aujour-
d'hui, porte le nom de l'explorateur.
En 1874, M. Miklouho-Maclay visita la région sud-ouest; il v re-
tourna en 1876 et enfin en 1880.
Dans l'intervalle, il parcourait les lies du Pacifique : il employa ooe
tnnée à explorer Malacca, deux années à visiter les lies Mélanésiennes
et Micronésiennes ; un an à Java et aux Moluques; deux années enfla
en Australie.
L'odyssée du hardi voyageur dura douze années et ce n'est qu'en
1882 qu'il retourna en Europe. Actuellement, M. Miklouho-Maclay pré-
pare un grand ouvrage où seront consignés tous les matériaux recueillis
par lui dans ses longues et périlleuses pérégrinations. L'Empereur de
Russie lui a accordé un crédit qui lui permettra de mener à bonne Sa
ce travail et de le publier en deux années.
Le mot Papou, dit M. Deniker (Revue d'anthropologie), vient do ma-
lais papouwah; il signifie: Crépu; les Papous n'ont dans leur langue
aucune appellation commune à leur ensemble: la population de chaque
village a un nom propre.
BIBLIOGRAPHIE. 519
Les Papous purs occupent presque toute la Nouvelle-Guinée et les
lies avoisinantes ; sur les côtes nord-ouest, ils sont un peu mélangés
avec les Malais, et dans la péninsule sud- est arec les Polynésiens.
Les Papous se distinguent très nettement des Malais t des Negritos
et des Polynésiens; cependant, avec ces derniers, les différences ne
sont pas aussi tranchées qu'on pourrait le croire au premier abord,
car H existe beaucoup de types intermédiaires dans les deux groupes.
La taille du Papou ne dépasse pas lm,60 ; dolichocéphale, la face
Oiale, le nez arqué, il a toujours — ce qui lui a fait donner son nom —
les cheveux crépus.
La démarche du Papou est caractéristique : les hommes marchent
ordinairement en portant le pied droit en avant, et (rainent le pied
gauche sans le détacher du sol; les femmes ont une allure tout autre:
à chaque pas, elles font balancer leurs fesses d'un côté ou de l'autre ;
mouvement de pure coquetterie, qu'elles n'emploient que devant les
hommes ; car seules, elles marchent comme les hommes.
Le Papou est gai, d'un esprit vif; son intelligence est. assez dévelop-
pée; une seule tribu est réellement anthropophage (celle des Karous).
Le costume est des plus simples : un morceau d'écorce préparé et
passant sur les reins et entre les jambes ; par contre, les ornements
sont très variés. La coiffure est des plus compliquées, et les • élégants »,
dit M. Deniker, élèvent sur leur tète de véritables monumeuts capil-
laires. Pour conserver intacts ces édifices, les Papous dorment en po-
sant leur cou sur un billot. Les femmes, au contraire, se soucient peu
de leur coiffure; le plus souvent elles coupent ou rasent leurs cheveux;
elles sont plus richement tatouées que les hommes.
Les Papous habitent dans de grandes maisons en bambous, bâties
sur pilotis, souvent éloignées du rivage et reliées à ce dernier par un
pont ; on sait que ces cases ont servi de modèle pour restaurer les
habitations lacustres de nos ancêtres de l'époque de la pierre polie et
du bronze.
" Les Papous cultivent le mais, le bananier, les patates, le tabac,
etc....
rarrôte Ici, à regret, cette analyse du très intéressant article de
S. Deniker; car tout serait à citer. (Voir Revue d'anthropologie, 3e fas-
eole 1883.) A. Fournier
Le Troisième voyage dans l'Asie centrale, fait en 1879-1880, par Pre
jéralski, vient de paraître i Saint-Pétersbourg. Deux traductions, alle-
mande et anglaise, sont déjà en préparation ; espérons qu'une traduc-
tion française de ce monument géographique ne se fera pas attendre.
Il porte comme sous-titre: « De Zatesank par Khami au Tbibet et aux
520 BIBLIOGRAPHIE.
sources du Fleuve-Jaune. » C'est à peine si le lecteur (dit M. Venukof
dans la Revue de géographie) rencontre dans ce livre une cinquantaine
de noms géographiques mentionnés dans les anciens ouvrages surk
Mongolie et le Thibet: tellement notre voyageur s'est montré jaloux de-
ne pas suivre les routes déjà explorées. L'auteur, qui est artiste, a
illustré son ouvrage. On y remarque en particulier des paysages carac-
téristiques du désert et des montagnes, les traits de différents peuples
et la représentation de quelques phénomènes naturels peu connus en
Europe, tels que les grands tourbillons de poussière. Espérons que
cela tentera la maison Hachette qui vient de nous donner le premier
volume du Voyage de la Vega, par NordenskjOld, traduit par MM. Rabot
et Charles L allemand, magnifique ouvrage. G. M.
Le Nautical Magazine, dans son numéro du mois de juillet, consacre
un nouvel article au second canal de Suez et examine la question du
Tong-king et, dans celui du mois de septembre, contient un article as
sujet des annexions d'Iles dans l'Océanie occidentale et le commence-
ment d'une étude sur l'atterrissage de Christophe Colomb, accompagnée
d'une discussion des opinions émises sur le point précis où le grand
navigateur aborda la première fois. Cette étude est continuée dans la
livraison d'octobre.
Dans le numéro de juillet 1883 de la Revue maritime et coloniale,
nous signalons à l'attention de nos lecteurs le Soudan occidental, par
M. le Dr Colin, médecin de lr0 classe de la marine.
Nous citerons en même temps ici nn travail : La Région des choit
dans V Afrique septentrionale et la mer du Sahara, par Karl Ocbsenios,
à Marbourg (n08 15 à 23 de la Natur), ainsi qu'une brochure de Charles
Grad : Les Travaux publics en Algérie (Nancy, Berger-Levrault et C*).
Ces deux brochures abondent en sujets instructifs et en idées intérel-
saotes, que le défaut d'espace nous empêche malheureusement de re-
produire en détail. Nous nous bornerons à mentionner que la partie
habitable de l'Algérie, d'environ 4,000 à 5,000 lieues carrées, c'est-à-
dire la moitié de la surface de l'empire d'Allemagne, ne contient qoe
2,900,000 âmes, dont 354,000 Européens, tandis qu'un nombre d'hom-
mes dix fols plus considérable pourrait y trouver son existence. Ke
serait-ce pas un bien pour les régions trop peuplées de l'Europe, de
céder à ce pays si sain au point de vue climatériqne, et si fertile, taie
fraction de leur excédent de population ? Tout autre serait la situation
de l'Algérie sous le régime anglais ou américain.
BIBLIOGRAPHIE. 521
fiâtes de Lexicographie berbère (Extrait du Journal asiatique) et Les
Manuscrits arabes de deux bibliothèques de Fds (Extrait du Bulletin
de correspondance africaine), par René Basset, chargé de cours à
l'École des lettres d'Alger.
Nous ne pouvons qu'appeler, une fois de plus, l'attention du monde
«géographique savant, des linguistes surtout, sur ces deux publications
nouvelles de notre infatigable collaborateur. Les titres de ces ouvrages
et le nom de l'auteur suffisent à les recommander. Le premier étudie
successivement les dialectes du Rif (frontière du Maroc), de Djerbah, de
Gbat et de Kel-Ûué, ces trois derniers recueillis pendant un voyage
fait en Tunisie et à Tripoli au commencement de 1882. Le second est
le résumé de manuscrits arabes: les uns traitant de la littérature et de
l'histoire, les autres de la politique et de la conduite, d'autres dé la
science, de la lecture du Coran, du mysticisme, des définitions, de la
grammaire et de la langue, des traditions, de commentaire du droit, etc.
J. V. B.
lu France en Afrique (Extrait du Correspondant) , par M- le vicomte
de Bizemont. Paris.
Actualité, compétence, ampleurs de vues, idées pratiques : tels sont
les caractères du livre de notre sympathique collègue. J. Y. B.
la Question du Zaïre. Droits du Portugal. Mémorandum de la Société
de géographie de Lisbonne. (Édition française.)
Les solutions pratiques et les arrangements survenus entre les gou-
vernements respectifs ôtent quelque peu d'actualité à ce travail. Mais
11 est curieux de voir combien l'esprit de patriotisme, très louable
d'ailleurs, de nos collègues portugais Je3 entraîne à des revendications
dont les Anglais de la colonie du Gap pourraient bien aussi avoir à
foire les frais si elles devaient être écoutées. 11 est juste d'ailleurs de
recommander cet ouvrage à ceux qui s'occupent de l'histoire de la
géographie. J. V. B.
La Mer intérieure ajricaine, par le commandant Roudaire.
Dans cette brochure, M. Roudaire reprend toutes les notes qu'il a
publiées déjà en réponse aux objections de la commission supérieure.
Une lettre-préface de M. de Lesseps la recommande au public, dans
des termes qui font table rase des appréciations de ladite commission.
C'est le bruit qui s'est fait autour de cette question et de cette publi-
cation qui nous a décidé, dût notre Bulletin avoir un excédent, à pu-
blier en entier le travail de M. le commandant Parisot. Notre ami nous
l'avait confié d'ailleurs pour lui donner d'urgence toute la publicité
SOC. OB OSOGB. — S* TUKB1TM 1889. 84
522 BIBLIOGRAPHIE.
possible dans l'intérêt de la vérité et des intérêts les pins directe de
notre pays. J. V. B.
A/Hka als Bandelsgebiet ; West- Sud- und Ost-Afrika, par Fritz Robert
(Vienne, Garl Gerold, fils. 1883).
Œuvre de statistique commerciale, ce livre est du plus haut intérêt
et fait souhaiter qu'une traduction française lui donne une publicité
méritée en France. D'une part, Fauteur envisage d'abord les pays çni
ont des colonies en Afrique et ceux qui n'ont que des relations com-
merciales avec ce continent; puis chaque région de l'Afrique dans ses
rapports arec les nations européennes. De là, deux parties distinctes
de l'ouvrage: la lre, un exposé sommaire de la politique coloniale de
chaque -pays, — et il y a là pour la France, une excellente leçon à
prendre; — la 2e, de beaucoup la plus considérable (les 7/8° dn livre},
est une étude complète de toutes les productions et denrées d'échange
qu'offre chaque région du littoral africain ; là des chiffres Tiennent ap-
puyer l'exposé. J. V. B.
Nouvelle histoire des voyages et des grandes découvertes géographi-
ques dans tous les temps et dans tous les pays, par Richard Cor-
tambert (Paris, Librairie illustrée).
Nous sommes bien en retard avec M. Cor tambert; mais vraiment
nous avons plus à le regretter que lui-même } car il n'est pas seule-
ment l'héritier d'un grand nom de la géographie : savant lui-même, il
suffit de son nom en tête d'une œuvre pour que le public y fasse cet
accueil de confiance qu'il n'accorde que si difficilement et qui ne con-
cerne que les hommes de réelle valeur. C'est assez dire ce qu'est
celle-ci. Le premier volume (40 livraisons) contiendra tous les voyages
en Amérique, depuis Colomb jusqu'à Crevaux : 20 livraisons ont déjà
paru. Tous les drames de la découverte y sont racontés en un style
clair, plein de rondeur, sans emphase et portant Juste : c'est one
œuvre de science et de conscience, complète et sincère.
On ne résume pas de tels livres, on les lit. J. V. B.
Le Journal des Chambres de commerce. (Paris, 16, passage de l'Opéra,
galerie du Baromètre).
Cette Revue mensuelle n'a pas .besoin, elle non plus, de recomnun-
dation autre que son titre : entre toutes elle est à l'ordre du jour.
J. B. V.
Géographie de l'Ain, publiée par la Société de géographie de Bourg.
Première et excellente tentative qui trouve sa sanction dans le vœa
récemment émis par le Congrès de Douai en faveur do la création de
NOUVELLES DIVERSES. 523
géographies départementales et régionales. Un bon pointa nos chers
collègues de Bourg. J. V. B.
Les Gorges du Tarn entre les Grandet-Causses, par Louis de Malafosse
(supplément au 6e Bulletin de la Société de géographie de Toulouse).
Bonne étude de géographie physique, excellent exemple à suivre.
J. V. B.
La Question du Tonkin, par Paul DesChanel (Nancy et Paris, 5, rue
des Beaux-Arts, Berger-Levrault et C1*, 1883).
Rn fait d'actualités, ce livre en est une étnde palpitante, car M. Des-
chanel, rédacteur au Journal des Débats, n'a pas prétendu faire œuvre
savante ou technique, que du reste n'implique pas le titre du livre;
mais 11 a voulu résumer, d'une façon simple et vive, les conditions de
Tune des questions intéressant le plus notre politique commerciale
du moment. Et il y est arrivé. Le premier chapitre seul est consacré à
FhUtoire de TAnnam : tout ce qu'il en faut pour l'intelligence de ce
qui va suivre. Les deux suivants nous amènent aux récents évé-
nements. Deux autres vont de la mort de Rivière à rétablissement
du protectorat (28 mai). Les trois derniers sont consacrés à l'étude de
la question au point de vue diplomatique et des avantages du système
du protectorat Un appendice sur la mort de Tu-Duc et la Cour de Hué,
et deux suppléments traitant des institutions, des mœurs et de la reli-
gion annamites, complètent, pour le lecteur qui n'est pas tenu à des
études approfondies, ce livre qu'on ne peut avoir lu sans remercier
Fauteur de l'avoir entrepris. J. Y. B.
NOUVELLES DIVERSES.
Une nouvelle Société de géographie s'est fondée à Constantine, et
échange sa publication avec la nôtre. Nous souhaitons la bienvenue
à nos nouveaux confrères.
La Société des études indo-chinoises nous envoie également son
Bulletin pour l'échange.
Le sympathique président de la Société de géographie deRochefort,
M. Charles Delavaud, pharmacien en chef de la marine, vient d'être
promu au grade de pharmacien inspecteur. Nés chaleureuses félicita-
tions. G. M.
ACTES DE LA SOCIÉTÉ
INAUGURATION
!>■
L'EXPOSITION DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
A BAR-LE-DUC
Le dimanche 19 août, une foule aussi nombreuse que choisie ic
pressait dans la salle de l'Orangerie, trop petite pour la circonstance,
à l'effet d'assister à l'inauguration de l'exposition de géographie et
d'ethnographie.
M. le Préfet de la Meuse présidait; à sa droite et à sa gauche avaient
pris place le maire de Bar-le-Duc, l'inspecteur d'académie, les membres
de la Section meusienne. Dans l'assistance, on remarquait MM. Develle
et LiouTille, députés; Porcherot, proviseur du Lycée; Martin, inspecteur
d'académie; Berleaux, inspecteur primaire, etc., etc.
M. Proudhon, préfet de la Meuse, déclare la séance ouverte et pro-
nonce le discours suivant :
Messieurs,
L'honneur que vous me faites do m'appeler à la présidence de cette
ouverture d'exposition mérite tous mes remerciements ; mais il est bien
lourd pour moi, car mon incompétence n'en était pas digne.
Je tous avoue, sans fausse modestie, ma parfaite ignorance en numis-
matique, topographie, ethnographie, archéologie, cartographie, etc., et
toutes branches rentrant dans le vaste domaine de l'étude de la géogra-
phie, î
Mes éloges, quelque mérités qu'ils soient, s'adressant à des hommes
d'étude, à dos maîtres, à des érudits, n'auront donc pas grand poids ; car <
la louange n'a de prix que par la valeur môme de celui qui la don no. j
Mais j'aurai, du moins, le bénéfice de mon aveu : et je ne mériterai pas ]
le reproche que Montaigne adressait aux ignorants prétentieux de son
temps, et qu'on pourrait peut-être appliquer avec autant de justesse à bien j
des hommes de notre époque : « Nous parlons de toutes choses par pré- |
« ceptos et résolution ; et bien des abus s'engendrent de ce que nous crai- j
* gnons de faire profession de notre ignorance, i
Je n'ai pu encore, Messieurs, me rendre un compte exact do l'impor-
tance de l'exposition qui s'ouvre, car je n'ai pu que la parcourir très
superficiellement, au milieu des préparatifs et de l'encombrement de son
organisation.
INAUGURATION DE I,'eXPOSITION A BAR-LE-DUC. 525
Les curieux et les oisifs ne trouveront pas à s'y distraire et à s'y divertir
beaucoup.
Mais vos efforts tendent plus haut. C'est la distraction de l'intelligence,
c'est le plus noble moyen d'émulation et d'enseignement, que vous offrez,
dans cette fête du travail, à tous ceux qui cherchent la science, qui l'aiment
et dont les efforts tendent à son développement et à ses progrès.
Les érudîts qui consacrent à la science tous les instants de leur vie,
offrent aux maîtres, comme leçons, le fruit do leurs travaux; les élôves
étudient, comparent, admirent les études des maîtres, leur méthode,
leurs moyens d'exécution, pour les imiter et chercher à les surpasser un
jour, c'est, entre tous, la lutte fortifiante et féconde de l'intelligence, dont
les efforts, répétés partout, amènent le progrès et dont la gloire rejaillit
sur la France.
Aussi, ne saurais-je trop vous remercier, Messieurs les organisateurs de
la Section meusieone, d'avoir apporté tant do persévérants efforts à l'exé-
ention de votre œuvre, avec les conseils et la collaboration de M. le Secré-
taire général de la Société de géographie de l'Est, si connu déjà, et dont
les œuvres nombreuses font assez l'éloge.
Il est un homme, Messieurs, dont l'exposition est trop importante, pour
que je puisse passer son nom sous silence : c'est M. Maxe-Werly.
Enfant de Bar, formé et grandi par ses propres forces et ses seules
éludes, aujourd'hui archéologue distingué, numismate connu, dont le
nom lait autorité, il a accumulé sur le Barrois et la Champagne un nombre
considérable de documents précieux pour la géographie historique de ces
pays.
lia le privilège de joindre à sa valeur scientifique le mérite trop rare
ehez les savants et les chercheurs, de mettre le fruit de ses recherches
à la disposition des travailleurs. 11 est à souhaiter qu'une telle générosité
ne soit pas perdue, et qu'il rencontre des collaborateurs dignes de lui.
Par un louable sentiment de patriotisme, M. Maxe-Werly a porté tous ses
travaux sur l'étude de son pays qu'il affectionne. Bar a le droit d'être
fier d'un toi compatriote dont le nom restera attaché à la science archéo-
logique.
Si je ne connais pas encore l'exposition, je l'ai du moins assez parcourue
dans ses préparatifs d'organisation pour avoir été frappé par certains tra-
vaux d'instituteurs que nous remarquerons bien vite.
Je mis particulièrement heureux do leur adresser un éloge bien sincère
et bien mérité. Ces œuvres contribueront à jeter un éclat de plus sur ce
corps enseignant, si modeste, si dévoué, si respecté, auquel la Franco, en
confiant ses enfants, confie l'avenir de la patrie.
Certains noms me viennent aux lèvres : mais permettez-moi de n'en pro-
noncer aucun; car je ne voudrais préjuger la décision du jury : et, d'autre
p&rt, je serais désolé de blesser le légitime amour -propre de ceux que
j'oublierais de citer ou que j'aurais été incompétent à apprécier.
Les visiteurs les auront vite remarqués et admirés; des rapporteurs en
feront ressortir les mérites; et nous serons heureux d'applaudir aux
récompenses qui les couronneront.
Ce discours est accueilli par d'unanimes applaudissements, puis
M. Barbier, Secrétaire général de la Société de géographie de l'Est,
prend la parole :
526 ACTES DE LA SOCIÉTÉ.
H. Barbier rend tout d'abord an hommage de reconnaissance, an non
de la Société de géographie de l'Est et de la Section meusienne, à la
mémoire du regretté M. Ernest Bradfer, premier président, et Tan des
fondateurs de la Section.
Puis il remercie M. le préfet de la bienveillance dont il donne le
témoignage à la Société de géographie de l'Est, en acceptant la prési-
dence d'honneur de la séance d'ouverture de l'exposition. Il rappelle»
ce sujet l'appui si énergique et si complet qu'au début de sa création
la Section vosgienne a rencontré de la part de l'honorable M. Bœgner,
préfet des Vosges, et il est convaincu que c'est guidé par le môme
sentiment que M. le préfet donne aujourd'hui à la Société un gage
aussi éclatant de sa sollicitude.
Puis, tout en s'excusant à l'avance des omissions qu'il pourra com-
mettre, il adresse de vifs remerciements au Comité et tout particulière-
ment à MM. Maxe-Werly et Konarsky, Lécbaudel, Ronfort et Richier,dQ
concours si dévoué qu'ils ont apporté à l'organisation de l'exposition
géographique, et il ajoute les noms de M"« Clin chant et de MM. Bo-
breuil, Alfred Yériot, docteur Brion, Camille Gérard, Chemery, etc.,
pour l'obligeance qu'ils ont mise à prêter bon nombre d'objets déco-
ratifs à l'exposition. Les plus humbles y trouvent leur compte, et il
n'est pas jusqu'à M. Barbaise, menuisier, qui a su, avec une égale
complaisance et à leur satisfaction, servir trois maîtres à la fois.
Mais c'est surtout à M. Bonnabelle que M. Barbier adresse les plus
chaleureux remerciements, et il prend è témoin l'assemblée du zèle
infatigable que le secrétaire de la Section meusienne a particnltèremeat
apporté à la création de l'exposition.
Enfin, M. Barbier se réserve de remercier M. Dennery après la coa-
férence qu'il veut bien donner à l'occasion de l'ouverture de l'expo-
sition.
Et maintenant, Messieurs, ajoute le Secrétaire général de la Société,
qu'il me soit permis de vous dire quelque chose du but de notre So-
ciété.
On entend parfois dire, et peut-être beaucoup de nés auditeurs l'ant-
ils dit eux-mêmes : A quoi servent les sociétés de géographie? A quoi sert
la Société de géographie de l'Est? Je pourrais vous répondre, comme le
philosophe devant lequel on niait le mouvement, que, nous marchons,
et que l'exposition que nous inaugurons aujourd'hui en est la preofe
palpable.
Donc, nous marchons; mais où allons-nous?
Il y a trois mois, je proposais au Comité de la Société un programme
portant sur deux points essentiels.
L'opinion publique s'est justement préoccupée de colonisation et de
développement commercial tant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Le Gouver-
nement & secondé ce mouvement de toutes ses forces et une puhlicanca
INAUGURATION DE L'EXPOSITION A BAR-LE-DUC. 527
importante a été créée par le ministère pour mettre l'industrie, par l'inter-
médiaire de nos consuls, au courant de tout ce qui touche à ses intérêts
les plus immédiats.
Or, il appartient aux sociétés de géographie de vulgariser ces ren-
seignements importants, de montrer au commerce de quel intérêt sont
pour lui les connaissances géographiques qui lui apprennent les ressources
des pays lointains et les débouchés qu'il peut s'y créer. Et cela est aussi
Trai du commerce et de l'agriculture. Le temps me manque pour vous
développer ce thème ; mais nos conférences et notre publication le prouvent
surabondamment .
Le second de ces points concerne l'enseignement.
Un instituteur me disait dernièrement, alors que je m'étonnais que Boa
collègues ne vinssent pas à nous en plus grand nombre : « Tâchez donc
de descendre un peu plus vers nous. » Nous les avons appelés à ces
expositions; et non contents de les stimuler ainsi, nous voulons nous
mettre plus à leur portée, étudier les méthodes pédagogiques concernant
renseignement géographique et provoquer, avec le Bulletin de l'enseigne*
ment primaire, un échange d'idées et d'extraits : le Bulletin académique
signalant ce qui, dans le Bulletin de la Société de géographie de l'Est,
réalise un progrès direct touchant les méthodes et la propagation de la
géographie, et celui-ci, par contre, se faisant le véhicule près des insti-
tuteurs des trois départements, des idées et des programmes que, dans
leurs centres respectifs, chacun des Bulletins académique* recommande
■u bénéfice de la géographie.
Certainement le concours de l'Inspection académique de Meurthe-et-
Moselle est acquis à cette idée, et j'espère qu'elle rencontrera le même
appui et la même sympathie près de M. l'Inspecteur d'académie de la
Meuse.
H est un troisième point encore; mais je laisse i M. Deanery le soin
de le développer avec toute la compétence qui lui appartient.
A la suite de ce discours, H. le capitaine Dennery a fait la conférence
annoncée sor la topographie.
M. le capitaine Dennery ayant en l'amabilité de nous communiquer
le texte de sa conférence, nous croyons être agréable à nos lecteurs
en Je reproduisant en entier.
Le Yoici :
Mesdames, Messieurs,
C'est un grand honneur pour un officier d'avoir été choisi par la Section
meusienne de la Société de géographie de l'Est, afin d'essayer de vulga-
riser une science qui louche à toutes les branches des connaissances
humaines, la topographie, ou, pour parler moins scientifiquement, la con-
naissance du terrain.
Qu'il me soit donc permis de remercier à ce sujet le Comité d'organisa-
tion de l'exposition géographique. En faisant appel à un militaire en cette
circonstance, c'est un témoignage de sympathie qu'il a donné à l'armée ;
l'armée, de son cêté, est très sensible à un hommage aussi délicat et je
n'ai pas besoin de dire qu'elle est toujours prête à offrir sans restriction
528 ACTES DE LA SOCIÉTÉ.
son concours quand il s'agit d'appeler l'attention de tous sur un sujet qa
touche de si prôs aux choses militaires.
Si la science de la connaissance du terrain est la base fondamentale de
l'art do la guerre, croyez bien que cette science intéresse autant les per-
sonnes étrangères à cet art, qu'elle est utile aux militaires. Si la nécessite*
de savoir lire et surtout comprendre la carte s'impose plus que jamais i
toute personne appartenant à l'armée, quel que soit le degré qu'elle occupe
dans la hiérarchie, cette nécessité devient de jour en jour plus évidente,
qu'il s'agisse de l'industriel ou du commerçant, du fonctionnaire, du s&Ysut
ou du touriste. Que dis-je? J'espère vous prouver tout à l'heure, à tous
Mesdames, que cette science est aussi nécessaire aux jeunes ûlies que la
géométrie, la physique et la chimie qu'on a d'ailleurs d'aussi bonnes ra-
sons de leur apprendre que l'art non moins utile d'entretenir avec soin
une armoire à linge ou de diriger la comptabilité du ménage.
Je vous disais à l'instant que savoir lire la carte est une nécessité poar
bien des personnes. L'industriel, en effet, s'en sert pour préparer la cons-
truction des voies ferrées particulières qui desservent ses usines, pour y
reporter les indications géologiques s% exploite les mines, le commercial
prépare avec la carte les tournées de ses employés, le fonctionnaire se
guide sur elle pour accomplir ses voyages de service, le touriste n'a pas
de meilleur guide, enfin le savant se sert de la carte quand ses travaux
portent sur des questions d'histoire, de géographie ou d'archéologie.
J'en appelle à ce sujet à l'éminent archéologue quo Bar * s'honore de
compter parmi ses enfants et dont je craindrais de blesser la modestie en
citant les nombreux travaux que vous admirerez à l'exposition. Je ne puis
rien ajouter de plus aux paroles qu'a prononcées à cet égard, tout à l'heure,
M. le préfet. Qu'il me soit pourtant permis, après les nombreuses marques
de sympathie qu'il a déjà reçues, de lui décerner ici, au nom de la Société
de géographie, l'éloge public qu'il mérite.
Celte carte si utile à tous, pourquoi ne s'est-elle pas vulgarisée par elle»
mémo, et pourquoi est-on obligé d'attirer l'attentiou sur elle? C'est dans
un autre ordre d'idées qu'il faut chercher une réponse à cette question.
Pendant de longues années, les cartes géographiques ne présentait
guère que les principales lignes du terrain avec quelques hachures pour
représenter les montagnes.
Les géographes ont senti ensuite la nécessité de faire appel â la topo-
graphie pour compléter leurs cartes. A l'aide des cartes topographiques
ils ont disséqué, pour ainsi dire, le terrain dont ils n'avaient tracé primi-
tivement que le squelette, de manière à faire ressortir les principaux acci-
dents du sol d'une façon plus complète et qui frappe l'œil. Les géographes
sont ainsi arrivés à faire des cartes qui tiennent le milieu entre les an-
ciennes cartes géographiques et les cartes topographiques. Les cartes géo-
graphiques ont donc changé d'aspect et leur simple vue suffit à démon-
trer la nécessité d'avoir recours à la carte topographique si l'on trouve que
pour une question dont on s'occupe elles ne donnent pas encore asseï
ùe détails. Eu un mot, dans l'état actuel de la cartographie on ne troutt
plus une transition brusque entre les cartes géographiques et les caries
topographiques.
La nécessité de la vulgarisation des cartes topographiques résulte aussi
de l'accroissement considérable des voies de communication de toales
sortes. Lorsque la vicinalité était moins développée, les chemins étaient
tous bien connus et pas n'était besoin de carte pour se diriger, la
INAUGURATION DE L'EXPOSITION A BAR- LE-DUC. 529
voyages étaient peu fréquenta, on s'éloignait pen du clocher et, par suite»
on retrouvait toujours son chemin. Actuellement, avec le réseau très déve-
loppé des chemins de fer, des chemins vicinaux et des voies forestières,
se diriger sans la carte est presque une impossibilité des qu'on, a un par-
cours assez long à faire et qu'on est étranger au pays.
Les cartes sont donc devenues un objet de nécessité, elles sont déjà une
monnaie courante, elles le deviendront encore plus quand, sans s'arrêter
i ce que la topographie présente de scientifique, on se bornera à enseigner
dans les écoles primaires la lecture pure et simple de la carte, laissant
aux gens plus curieux la latitude de s'occuper, s'ils le veulent, des
moyens employés pour la faire, pour la dessiner, pour la graver et enfin
pour la tirer.
Quand je veux parler de la carte, je veux surtout parler de cette carte
de France de l'état-major, de cette œuvre nationale et gigantesque à laquelle
ont contribué pendant soixante ans prés de 800 officiers d'état-major, qui
a soulevé bien des critiques, mais que nos adversaires se sont empressés
de copier.
On a dit que cette carte était insuffisante; on s'est extasié, en 1870,
devant le trop fameux uhlan, qui, sa carte i la main, allait droit à la
moindre ruelle de village sans demander de renseignements, tandis que
nos soldats étaient obligés de demandor leur chemin ! C'est que nos enne-
mis avaient, outre la carte en papier, une carte vivante dont nous n'avons
pas voulu et dont nous ne voudrons pas encore. 100,000 Allemands beso-
gneux, qui avaient sucé le lait de la France pendant de longues années,
sont revenus guider leurs amis dans les moindres villages. Pas une colonne
allemande qui n'ait eu au moins un guide de cette nature, faisant ainsi un
métier, patriotique suivant eux , mais que les sentiments d'honneur de
l'armée française réprouvent.
Ayez donc confiance dans notre carte; on a bien dit que nous avions été
battus parce que pous ne connaissions pas assez la langue allemande. Ver-
biage que tout celai C'est ailleurs et dana des considérations d'un ordre
plus élevé que nous n'avons pas à examiner ici qu'il faut chercher la cause
de nos défaites.
Je vous ai promis tout à l'heure, Mesdames, de vous démontrer l'utilité
de la lecture de la carte pour les jeunes tilles.
Cette utilité est incontestable depuis que les voyagos à l'étranger, les
excursions aux stations thermales sont devenus de mode et sont, pour
ainsi dire, le complément indispensable de l'éducation dos jeunes filles.
Qaoi de plus agréable dans une excursion , dans une promenade à cheval
que de suivre avec la carte les accidents du terrain, de se perdre dana un
bols pour avoir ensuite la satisfaction de retrouver son chemin, en un mot,
de suivre des yeux le portrait du terrain sur lequel on chemine?
La préparation même d'une promenade sur la carte a son attrait, et & ce
titre la carte est encore un objet d'agrément.
Voilà pour l'agréable. Si nous passons à l'utile, je vous dirai que les
jeunes filles d'à présent sont les mères de l'avenir, et que de même que
beaucoup d'entre elles apprendront la grammaire latine, voire même la
grammaire grecque, pour la faire réciter à leurs fils, elles auront autant
d'intérêt à apprendre la lecture de la carte pour l'enseigner à leurs en-
tants. On a fait des jeux d'architecture; pourquoi ne ferait -on pas
des jeux topographiques auxquels les enfants prendraient autant d'amu-
sement?
530 ACTES DE LA SOCIÉTÉ.
Jo pourrai encore, Mesdames, vous donner une autre raison pour rosi
ertgager i cultiver la lecture de la carte, et je suis sûr que cette raison
trouvera un écho dans vos cœurs. Qu'il me suffise de vous dire que vous
ferez ainsi œuvre de patriotisme en donnant cet exemple à vos fils.
Qu'est ce qu'une carte topographique?
Une carte topographique est le portrait en miniature de tous les objets
qui nous entourent dans un certain rayon, que ces objets aient été faits
par la main des hommes ou soient le résultat de l'action des forces de la
nature. Il résulte de cette définition que, sur une carte topographique, on
doit distinguer deux groupes principaux de détails : les détails artificiels,
c'est-à-dire le portrait de ce qui a été fait par la main des hommes, et tas
détails naturels, c'est-à-dire l'indication des cours d'eau et des relief» et
des creux du sol. Pour faire tenir tous les détails d'une assez grande étendue
de terrain sur une feuille de papier de dimensions restreintes, absolument
comme le photographe fuit tenir le portrait d'une personne sur une carte
de visite, on a été obligé de faire comme le photographe, c'est-à-dire de
réduire toutes les dimensions des objets dans une môme proportion. Uo
photographe qui serait en ballon et qui prendrait une vue d'ensemble an
terrain qui se déroule sous ses pieds ne ferait pas autre chose qu'une jolis
carte topographique. Malheureusement, ce procédé est peu pratique, très
coûteux, dangereux parfois et ne peut rendre des services que dans des
cas très particuliers. Le topographe, qui ne plane pas au-dessus du sol,
est obligé, pour faire le portrait du terrain, de le parcourir dans tous les
sens et de convenir que tout ce qu'il verra il le réduira de la même ma-
nière.
Il conviendra, par exemple, de représenter 10,000 mètres par 1 mètre,
on dira alors qu'il fait sa carte à l'échelle du dix-millième, s'il repré-
sente 80,000 mètres ou 80 kilomètres par un mètre, on dira qu'il mit si
carte à l'échelle du quatre-vingt-milbéme : c'est l'échelle de la carie d'état-
major.
Je vous dirai peu de mots de la manière de figurer sur le pépier tes
détails artificiels tels que les routes, les canaux, les chemins de fer, ta
habitations, les ponts et les cultures. La manière do représenter ces dé-
tails, de môme que les rivières et les ruisseaux, se trouve indiquée sur
un tableau, dit des signe* conventionnels, que l'on trouve très fiaeilemeat
dans le commerce et auquel il suffit de se reporter pour s'apprendre, sa»
aucun professeur, à reconnaître les mômes signes sur la carte. Ce tablera
so trouve môme dans la marge de la plupart dos cartes qui paraissait
actuellement. C'est par l'étude des signes conventionnels qu'il faut com-
mencer pour apprendre à lire la carte ; c'est un travail qui ne repose ab-
solument que sur la mémoire des yeux et qui ne nécessite aucun effort
d'intelligence, si minime qu'il soit.
Je passerai donc de suito avec vous à l'étude plus intéressante des
formes du terrain, quitte à vous indiquer ensuite la corrélation qui existe
souvent entre les détails artificiels et les détails naturels : les premiers
sont la plupart du temps la conséquence des seconds.
Quand ou examine un terrain qui n'est pas absolument plat, on re-
marque qu'il se compose de proéminences, de dépressions et d'entailles
faites dans los proéminences pour y laisser la plupart du temps passer
des chemins qu'il sorait beaucoup plus incommode de faire A droite ou i
gauche.
Les proéminences, nous les appellerons croupes, mamelons, collines.
INAUGURATION DE t' EXPOSITION A BAR-LE-DUC. 531
pics, plateaux; les dépressions, nous les appellerons vallées, vallons, ra-
vins; les entailles des proéminences qui servent à franchir facilement lot
proéminences, nous les appellerons cols, passages ou défilés.
Je vous dirai de suite que» quand on trouve un creux ou une vallée, on
doit forcément trouver à droite ou à gauche deux croupes ; puisque, quand
on quitte la vallée où coule la rivière ou le ruisseau, on monte toujours et
on no descend jamais ; que, quand on se trouve dans un col, on a forcé-
ment devant soi et derrière soi une descente, puisque pour franchir
une montagne on monte d'abord pour atteindre le col et Ton descend
ensaite de l'autre coté de la montagne; que dans ces conditions on a
aussi forcément A sa droite et à sa gauche une élévation, puisque, s'il
n en était pas ainsi, l'entaille de la montagne ou le col n'existerait pas.
Ceci posé, voyons comment les topographes ont figuré sur la carte les
différents accidents que je viens de vous énumérer. Supposons que, pour
monter do pied d'une montagne sur son sommet, on se serve de marches
d'escalier au lieu de monter par une pente continue sur la terre ferme et
que ces marches d'escalier soient toutes de la môme hauteur. On voit
de suite que dans les endroits où la montée sera dure les marches seront
étroites, là où cette montée sera douce les marches seront plus larges, de
même qu'un escalier d'appartement a des marches plus larges qu'un esca-
lier de grenier pour monter cependant à la même hauteur avec le môme
nombre de marches.
Supposons maintenant que pour monter tout autour de la montagne on
ait fait de même des marches de la môme hauteur. Quand la montagne
sera ainsi organisée A l'instar des pyramides d'Egypte, on pourra eu faire
le tour en restant A la môme hauteur et en suivant la môme marche, qui
s'élargira quand la pente sera douce et qui se rétrécira quand la pente
sera raide. Quand» en cheminant ainsi sur une marche, on trouvera une
vallée ou un creux, la marche, pour rester à la même hauteur, sera obli-
gée de rentrer pour ainsi dire dans la montagne pour en ressortir de l'autre
côté de la vallée.
Si maintenant nous nous reportons à notre photographe en balltfn, s'il
fait le portrait de celte montagne du haut de son ballon, il obtiendra une
figure dans laquelle tous les bords des marches ressortiront par des traits
continus. La largeur des marches étant figurée par l'intervalle entre les
traits, quand cet intervalle sera petit, la pente sera raide et quand il sera
grand, la pente sera douce. En appliquant cette méthode A tous les mou-
vements de terrain, on arrive ainsi à les découper en tranches d'égale
épaisseur dont les bords indiquent la ponte par leur rapprochement et
dont les sinuosités indiquent les rentrants, c'est-à-dire les vallées, et les
saillants, c'est-à-dire les mamelons. Sur les cartes, les bords des marches
dont nous venons de parler sont numérotés, on y porte leur élévation au-
dessus du niveau de la mer, et comme elles sont toutes également dis-
tantes, en hauteur, de la hauteur de Tune au-dessus du niveau de la mer,
on déduit celles de toutes les autres. Le col se représentera aussi facile-
ment, on figurera les bords des marches qui constituent les deux pontes
descendantes et les bords des marches qui constituent les pentes ascen-
dantes A droite et à gauche du col.
Vous voyez donc qu'avec ces simples notions vous sauriez lire le terrain
sur une carte dessinée en courbes. Ce procédé est employé pour les cartes
à grande échelle; il a été employé pour la confection des minutes de la
carte d'état-major, mais il a l'inconvénient de ni pas assez parler A l'œil
532 ACTES DB LA SOCIÉTÉ.
pour les personnes peu habituées à la lecture de la carte; 11 a fallu ea
tirer un autre procédé qui n'en est que la conséquence et qui a été adopté
pour la carte de France.
Ce procédé repose sur ce fait que, si on suppose le terrain éclairé par
le soleil d'aplomb, les pentes raides seront moins éclairées que les pentes
douces, de même que, si Ton présente carrément une feuille de papier
à la lueur d'une bougie, elle sera plus éclairée que si on la présente
obliquement. Il en résulte que, pour donner une idée des pentes, os
a songé à faire sur les cartos en courbes des teintes d'autant plus fon-
cées que les courbes sont plus rapprochées, c'est-à-dire la pente phn
raide.
Ces teintes, on peut les faire au lavis à l'encre de Chine, au lavis i U
sépia, à l'estompe, en un mot, par tout procédé permettant de faire des
teintes fondues de forces différentes.
Les caries ainsi confectionnées sont fort jolies et très claires, le ter-
rain "y saute à l'œil, mais elles demandent d'habiles dessinateurs, et il a
fallu adopter un moyen mécanique pour produire les teintes dont il s'agit.
Ce moyen, c'est la -hachure. Après avoir construit une carte tracée en
courbes légères, on intercale entre les courbes des hachures d'aplomb entre
deux courbes consécutives, ot d'autant plus rapprochées que les courbes
elles-mêmes sont plus rapprochées, c'est-à-dire que la pente est pins niée.
Il en résulte que, plus la pente sera raide, plus les hachures présente-
ront à l'œil une teinte foncée. Il suffit donc do se rappeler ceci : c'est que
sur la carte d'état-major les parties foncées en hachures représentent des
pentes raides, les parties en teinte grise représentent des pentes moyennes,
enfin, les parties complètement blanchies représentent des terrains abso-
lument horizontaux.
Mais, diroz-vous, comment distinguer un terrain horizontal élevé, c'est-
à-dire un plateau, d'un terrain horizontal qui se trouve dans un creux,
puisque tous deux sont représentés par du blanc? Il existe deux moyens
do distinguer le plateau de la vallée. Si la partie blanche se trouve entre
deux vallées, ce ne peut être qu'un plateau, puisque, pour passer <Fnne
vallée à l'autre, il faut monter puis descendre. A défaut de cette indi-
cation, les chiffres que l'on rencontre sur les cartes et qui marquent les
hauteurs au-dessus du niveau de la mer indiquent, par la comparaisoi
avec les chiffres de môme nature qui se trouvent à côté, qu'on a un terrain
élevé, c'est-à-dire un plateau, ou un terrain bas, c'est-à-dire une vallée.
Maintenant, j'ai tout dit sur ce sujet. Vous en savez aussi long sur cette
matière que les topographes qui ont blanchi sous le harnais. Vous ponvex
prendre une carte, en entreprendre la lecture et vous serez tout étonné!
de la quantité de choses nouvelles que vous découvrirez dans votre paji
que vous croyiez si bien connaître.
Un topographe distingué disait un jour que la construction do la earU
topographique d'un pays était une nouvelle découverte de ce pays. CelU
assertion est parfaitement exacte; les régions du Pacifique ne commencent
à être connues que depuis leur exploration par des sociétés de topographes;
la Sicile n'est réellement connue que depuis qu'on en a fait la carte «
jôTôvô* el la Turquie d'Europe, si peu connuo encore, ne le sera qoe
quand sa carte sera faite.
Il ne faut pas croire pourtant que la description des accidents du ter-
rain d'un pays ne puisse pas être faite, approximativement du moins, sass
représenter le terrain pa/ un des moyens que je vous ai indiqués. L'hydro*
INAUGURATION DE l/BXPOSITION A BAR-LE-DUC. 533
graphie d'un pays permet io pins souvent d'en tracer l'orographie som-
maire. De l'échiquier des courà d'eau on passe facilement par induction
à la notion des masses montagneuses qui forcent les cours d'eau à couler
dans, telle ou telle direction. C'est ainsi que toutes les vallées sont déjà
indiquées par le tracé des cours d'eau. Mais on va plus loin dans .cet
ordre d'idées. Ainsi, plusieurs cours d'eau qui divergent d'un marne point
indiquent un ballon ou pic. Le ballon d'Alsace en est un exemple, on le
reconnaît très bien sur une simple carte hydrographique.
Deux cours d'eau qui, après avoir coulé dans une direction parallèle,
viennent à diverger, indiquent un relèvement du sol après un abaissement.
A la ligne qui joint les deux coudes correspond le terrain le plus bas,
c'est celui par lequel on fera passer une route ou un canal ; là, il y a
toujours un col. Si on joint le coude de la Seine i Moret et celui de la
Loire & Briare, on obtient le passage qui se trouvait indiqué tout naturelle-
ment pour la construction du canal qui relie les deux fleuves. Quand deux
rivières coulent parallèlement et que beaucoup de cours d'eau se jettent
dans l'une et point du tout dans l'autre, c'est que les pentes du côté
de la dernière rivière sont trop escarpées pour porter le lit d'affluents.
Au bas de ces pentes escarpées on trouvera d'habitude un chemin plus ou
moins praticable, mais on en trouvera certainement un autre à mi-côte.
Car, par suite de l'escarpement, toutes les terres cultivables sont descen-
dues au pied de l'escarpement, et en haut du talus d'éboulement de ces
terres, les nécessités de la culture ont certainement produit un chemin
au moins praticable aux piétons.
Si j'insiste sur ces quelques remarques, c'est qu'elles constituent une
méthode d'enseignement de la topographie qu'on n'emploie pas assez, qui
est très féconde en résultats et qui, somme toute, donne des aperçus à
peu près certains sur le terrain.
Pennettez-moi, enfin, d'appeler votre attention sur les reliefs que vous
verrez à l'exposition. La construction de ces reliefs d'après le principe du
découpage du torrain en marches d'escalier constitue un progrés considé-
rable dans l'enseignement do la topographio usuelle.
Dans chaque école communale on arrivera à voir le relief du territoire
de la commune et cet objet sera le meilleur auxiliaire pour apprendre aux
jeunes gens la lecture de la carte par la comparaison entre le relief, repré-
sentation tangible du terrain, et la carte qui n'en est que la représentation
conventionnelle.
^ En terminant cette conférence déjà longue, laissez -moi ospérer que
l'appel de la Société topographique de France pour la vulgarisation de la
topographie par des conférences publiques, trouvera de l'écho à Bar-le-Duc,
qui n'est jamais resté en arriére quand il s'agissait d'aller de l'avant dans la
voie du progrés. Vous contribuerez ainsi pour votre part et dans cet ordre
d'idées au relèvement de notre cher pays, qui a pu subir des revers, mais
qui eu est sorti grandi par le malheur et qui renaît tous les jours plus vail-
lant des cendres sous lesquelles on avait voulu l'ensevelir.
M. Barbier se lève de nouveau et s'excuse de n'avoir pas compris,
dans les remerciements par lesquels il a débuté, MM. les Sénateurs et
Députés qui ont bien voulu, avec la plus grande libéralité, accorder de
nombreuses récompenses aux futurs lauréats de l'exposilion : la Société
de géographie tout entière leur en est reconnaissante.
534 ACTES DB LA SOCIÉTÉ.
Pais, remerciant à son tour M. Dennery pour la compétence avee
laquelle il a traité le troisième point, lequel constitue la géographie
scientifique, dit que son nom est désormais attaché à ceux du capitaine
Clerc, du 139e, qui a fait des travaux: appréciés sur la géologie mili-
taire, et du commandant Parisot dont on connaît les brillantes études
topographiques en Algérie, et qu'à eux trois ils constituent le premier
noyau d'officiers qui ait pris une part active aux travaux de ta Société
de géographie.
L. de H.
ASSOCIATION
POUR
L'AVANCEMENT DES SCIENCES
CONGRÈS DE ROU EN
Du 16 au 23 août 1883.
La douzième session de cette Association a été ouverte le 16 août,
à Rouen, par son président, M. Frédéric Passy, membre de l'Institut.
Pins de six cents membres, Tenus de tous les points de la France,
y assistaient. Après l'issue de la séance d'ouverture, chacun des
membres s'est rendu, selon la coutume, à la section dont il fait partie.
La quatorzième section, ou section de géographie, avait élu, con-
formément an règlement, l'année précédente, à la Rochelle, son pré-
sident, M. le général Parmentier. Il y avait donc à compléter Le
bureau ; M. le général Venukoff fut élu président d'honneur ; MM. Gra-
vier, vice-président, et Jackson, secrétaire.
Le colonel Perrier a ouvert les travaux de la section par une très
intéressante communication sur l'état d'avancement de la carte d'Al-
gérie.
Dès le début de la conquête, on fit une carte d'Algérie ; mais cette
carte ne pouvait qu'être provisoire ; car elle était subordonnée au mou*
vement de la conquête.
En 1867, commença un travail définitif; mais ce ne fut guère qu'a-
près 1871, que Ton se mit sérieusement à l'ouvrage.
Ce travail considérable sera terminé dans 7 ou 8 années. Déjà, cin-
quante feuilles, sont terminées, ou sur le point de l'être. Le colonel
Perrier présente quelques-unes de ces cartes Celles sont* à l'échelle
des 50,000e et 200,000* et à six teintes ; afin de faire mieux res-
sortir les reliefs, les courbes de niveau sont teintées en bistre ; l'é-
chelle se trouve sur le cadre. Ces exemplaires sont magnifiques. La
carte d'état-major française avait été gravée sur cuivre ; celle d'Al-
gérie le sera sur zinc : il est en effet très difficile, avec le cuivre,
d'entretenir une carte au courant ; au contraire, rien n'est plus facile
ivec le zinc; avec celui-ci on corrige aisément, et les additions se font
«ans difficulté aucune.
536 ACTES DE LA SOCIÉTÉ.
Détail très curieux : les ouvriers lithographes se refuseot à employer!
le zinc ; ils ont été jusqu'à détruire les appareils. Si Ton n'exerçait pas
une sévère surveillance, les patrons lithographes se serviraient de M
pierre, encourageant, de la sorte, l'hostilité de leurs ouvriers. Le colo-
nel Février triomphera de eette mauvaise volonté peu intelligente,
nous n'en doutons pas.
La carte d'Algérie sera prolongée vers la Tunisie, celle-ci sera ao
200,000e ; le travail en est, du reste, fort avancé.
M. Perrier présente ensuite une carte d'ensemble de l'Algérie au
800,000°; enfin, une autre du Sud-Oranais : celle-ci, des plus com-
plètes, va jusque Figuig; elle a été faite pendant les dernières expé-
diions de nos troupes dans cette région.
À ce sujet, M. Perrier parle des difficultés que présentent des levers
de plans faits dans ces conditions ; les officiers chargés de ce travail
suivent les colonnes ; plus d'une fois il leur a fallu laisser les inslru-
ments pour faire le coup de feu, et le soir, quand tous se reposent, ils
doivent mettre au courant le travail de la journée.
L'état-major français vient de commencer une nouvelle carte de la
France au 200,000*. Le colonel Perrier en présente trois eieœ-
plaires : Metz, Nancy et Vesoul ; c'est-à-dire la chaîne des Vosges. Ces
cartes à six couleurs sont d'une netteté admirable et gravées m
sine.
À ce sujet, une discussion s'engage entre MM. Perrier, Aathoine,
Venukoff et Parmentier.
Tous sont unanimes à déplorer les habitudes des ministères qui
agissent chacun pour leur propre compte fans s'occuper des travaux
du voisin.
Pourquoi, dit M. Perrier, ne pas créer, comme on l'a fait jadis pour
la carte d'état-major, ne pas créer un comité d'hommes vraiment com-
pétents, qui fixerait, une fois pour toutes, un travail d'ensemble qui
servirait à tous? Ce travail serait au 10,000e, au 20,000°, et alors on
ne verrait plus les ponts et chaussées, le service vicinal, la guerre,
les forêts, faire chacun pour soi un même travail qui va dormir dans
les cartons et qui ne sert plus à personne.
Il y aurait économie de temps et d'argent.
M. Perrier se propose de soulever cette question à l'Institut : nous
souhaitons ardemment qu'il réussisse.
On dirait véritablement, à voir les habitudes qui dominent dans dos
divers ministères, que ces derniers appartiennent à des nationalités
différentes !
Le général Venukoff présente le 38« volume des mémoires de li sec-
tion topographique de l'état-major russe, au sujet des observations
CONGRÈS DE ROUEN. ' 537
astronomiques et géodêsiques en Sibérie. À ce sujet, le générai Venu-
kof parle de l'organisation des brigades topographiques russes.
M. Perrier les cite comme un modèle à imiter.
AL Gravier 1U trois mémoires destinés i une publication qui doit
faire connaître la Tie et les travaux des Rouen nais célèbres.
M. Gravier s'est chargé de raconter la Tie et les aventures des voya-
gea» rouennais. Cette publication est destinée à la jeunesse.
Écrites dans un style simple et correct, ne dépassant jamais le cadre
tracé, ces notices ont obtenu, auprès de la section, le plus grand
«accès.
M. Gravier nous a raconté la vie de Paulin Lucas (1664-1737), de
Jules de Blosseville, l'héroïque marin disparu depuis 1833 dans un
voyage au pôle nord, et enfin le voyage de trois magistrats de Rouen
autour de la Méditerranée (1630).
Le général Parmentier continue ses remarquables études sur les
principaux termes de géographie et de topographie ainsi que des mots
qui entrent le plus fréquemment dans la composition des noms de
Heu.
On sait combien est déplorable, en France, l'orthographe et la tra-
duction des noms étrangers dans nos cartes.
Le général a entrepris de publier des vocabulaires qui permettront
de donner aux noms géographiques étrangers que nous traduirons
leur sens véritable : à Alger, il a soumis un vocabulaire arabe-français;
a La Rochelle, un vocabulaire magyar-français ;. enflu, à Rouen, il a
apporté le manuscrit d'un vocabulaire turc-français.
On a déjà publié de ces vocabulaires ; mais faits à la hâte, ils four-
millent d'erreurs parfois monstrueuses ; le général en signale plusieurs
qui donneront une idée de la valeur de ces ouvrages :
Le mot magyar uj veut dire neuf ; uj-var, BigniÛe neuf -château;
ujvaros, Ville-Neuve Rieu de plus clair ; certain vocabulaire
traduit uj : cours d'eau!..... Bien plus: Puro signiûe foret, l'instru-
ment qui sert i forer; le même vocabulaire confond cet instrument
avec la forêt VA On est confondu, en effet, d'une telle légèreté, et l'on
doit comprendre rembarras du géographe et excuser bien des confu-
sions commises par lui; avec les vocabulaires du général Parmentier,
de pareilles erreurs ne seront plus à craindre.
H. J. Jackson a pris la parole (séance du 20 août) sur le Gulf-stream :
Les recherches, dit-il, organisées depuis bien des années par le
Coast-Survep des États-Unis, et encore aujourd'hui en cours, ont établi
qoe le Gulf-stream n'a point, dans la mer des Antilles et dans le golfe
du Mexique, le parcours que lui prêtent les cartes françaises, anglaises
pu allemandes, même les plus récentes.
538 ACTES DE LA SOCIÉTÉ.
Le grand courant équatorial de l'Atlantique, après avoir été dévié
par les côtes de l'Amérique méridionale, rencontre la série des Petites-
Antilles qui l'infléchissent au nord-ouest, ne laissant passer entre elle*
que de faibles quantités d'eau dont la plus grande semble trouverai
passage entre la Trinité et la côte de Venezuela. On admet encore
l'existence d'un courant circulaire dans la partie antérieure ou orien-
tale de la mer des Antilles limitée à l'ouest par la série de hauts-fonds
régnant entre la Jamaïque et le cap Graclas-à-Dios, qui ne laissent
passer, dans la partie postérieure ou occidentale de la mer des Antilles,
que de faibles courants superficiels. Les eaux de la partie orientale
s'échappent au nord par le passage de Mona entre Haïti et Puerto-Rko.
La partie postérieure ou occidentale de la mer des Antilles reçoit
encore des eaux par le canal du Vent, entre Haïti et Cuba, où le coa-
rant est assez fort pour nettoyer le fond de toutes les boues qui] acca-
mule sur les bas côtés 4e cette entrée.
Les eaux qui pénètrent dans le golfe du Mexique par le canal de
Yucatan, parvenues à environ un tiers de la distance qui sépare le ea»
Gatoche des bouches du Mississipi, se trouvent infléchies à Test, vers
le canal de la Floride, dans la seule direction par où elles puissent
sortir, par cette sorte de muraille que leur oppose la masse des eaax
du golfe du Mexique. Celles-ci sont généralement froides, tant à U
surface que dans les profondeurs, et ne présentent point ces courants
constants qne leur attribuent nos cartes et qui iraient, d'après elles,
lécher les côtes du nord du Yucatan, du golfe de Cam pêche, du Mexique
et du sud des États-Unis.
En sortant du golfe du Mexique par le canal de la Floride, les eaox
du Gulf-8tream viennent se joindre à toute la masse des eaux de
grand courant équatorial dévié, comme nous l'avons vu, parla côte de
l'Amérique du Sud, par les Antilles et enfin par l'Amérique dn Sord.
C'est donc à ce grand courant équatorial rejeté ainsi en graodei
masses vers les côtes de l'Europe occidentale, qu'il faut attribuer les
effets que nous avons attribués jusqu'ici au Gulf-stream, celoi-d
n'étant qu'un faible misseau comparé à ce fleuve immense dont il
s'était séparé sur une partie de son trajet.
Ce résumé des travaux du Coast-Survey a vivement intéressé les
membres de la section ; il est vraiment déplorable que des Atlas qui
passent pour très bien faits (dont quelques-uns viennent de paraître
récemment) continuent à faire partir le Gulf-stream du golfe de
Mexique. On ne saurait trop remercier le sympathique archiviste de ls
Société de géographie de Paris d'avoir signalé de telles erreurs.
La section a élu pour président, «à la session prochaine, qui se tien-
dra à Blois, M. le colonel Perrier.
NOUVEAUX MEMBRES. 539
Le Congrès a été clos le 23 août, après avoir décidé que la session
de 1885 aurait lien à Grenoble, et élu pour président de cette session,
M. le professeur Verneuil. A. Fournier,
Délégué de 1a Société de géographie de l'Est au Congre •
pour l'avancement dea icienee*.
NECROLOGIE
Le doclenr Ûaillardot est mort, en août dernier, à Bandhoum, près
Beyrouth. Il était ancien directeur de l'École de médecine du Caire et
l'un des membres actifs de la Société khèdiviale de géographie. Il a
attaché son nom à des outrages remarquables sur l'âge préhistorique
et la flore orientale, flous serions heureux d'apprendre s'il était fils ou
parent du docteur Gaillardot, notre compatriote, signalé dans le Livre
d'or de la géographie dans VEst de la France.
M. Brun, agent consulaire français, qui était autrefois le compagnon
d'exploration de M. Bonnat au pays des Achantis, est mort à Klmina ,
en avril dernier. M. Brun avait laissé les plus sympathiques souvenirs
au Congrès de Lyon, auquel il avait assisté.
Un jeune explorateur de la côte orientale d'Afrique, M. Trouille! ,
vient également de mourir, à Bouba, après une tentative infructueuse
de pénétration au Foutah-Djallon, à cause des pluies.
Le doyen, peut-être, des voyageurs de l'Afrique, le père du jeune
Linant de Bellefond, que Stanley rencontra un jour chez le roi M'tésa,
vient de mourir à l'âge de 82 ans. C'est lui qui a tracé la carte hydro-
graphique de la valiée du Nil et qui a couvert ce pays de routes et de
canaux.
On a appris également la mort de M. Ernest Kalina, officier autri-
chien, attaché à la mission de Stanley, en traversant le Congo; — du
lieutenant Janssens, de la môme mission et dans les mêmes circons-
tances ; — de MM. Auguste Schaumann et Baron Wullerstorf-Urbair,
l'un officier, l'autre amiral autrichien, le premier ancien compagnon
de Stanley et du capitaine Elliot au Congo, le second qui dirigea l'ex-
pédition de la Novara autour du monde; — du chevalier Lucioli qui
séjourna trente ans chez les Indiens de l'Amérique équatoriale; —
du général sir Edward Sabine qui, en qualité de physicien, flt partie,
à Tage de 31 ans, du voyage de Parry en 1819-1820; — et du doc-
teur Moffat, âgé de 88 ans, ancien missionnaire et explorateur africain,
beau-père du docteur Uvingstone.
Membres admis depuis la publication du dernier Bulletin .
1° Société-Mère.
HM. Bœspflug, directeur de l'enregistrement, 41, cours Léopold.
Ualbecher, instituteur, ù Nomeoy.
Lardenois, directeur d'assurances, rue des Dominicains.
540 ERRATA.
2° Section vosgienne.
MM. Bourguignon, professeur à l'École normale de Mirecourt
Louis (Etienne), industriel à Sauley, près Senones.
3° Section meusienne.
MM. Arnould (Gaston), secrétaire adjoint de la mairie, à Bar-le-Duc.
Blanchard, instituteur, à Glermont-en-Argonne.
Bogenez, instituteur, à Bussy-la-Côte.
Bouillon, instituteur, à Triau court.
CoJlot (Ém.), imprimeur-libraire, rueEntre-deux-Ponls, à Bar-le-Duc.
Didion (Dr), membre du Conseil général, maire de Mexeray, par
Spincourt.
Enchéry (A délia), notaire, à Vanauil-le-Cbàtel (Marne).
Harmand, vicomte d'Abancourt, conseiller référendaire àlaCoor
des comptes, membre du Conseil général de la Meuse, rue ïè-
zelay, 1 1 , à Paris.
Gérardin (Emile), instituteur, à Richecourt, par Ap remont (Meuse);
Laguerre (Emile) , secrétaire de la Commission de la Bibliothèque,
à Bar-le-Duc.
Lévy (Raphaël), négociant, rue Entre -deux-Ponts, à Bar-le-Duc.
Marchai, professeur au Lycée de Belfort.
Maury, membre du Conseil général de la Meuse, à Verdun.
Pernet, négociant, rue Entre-deux-Ponts, à Bar-le-Duc.
Prudliomme-Havette, membre du Conseil général de la Meuse, à
Étain.
Thomas, cafetier, rue Ernest-Bradfer, à Bar-le-Duc.
Thomas, tanneur, rue Nêve, à Bar-le-Duc.
Vivenot, sénateur, président du Conseil général de la Meuse, me
Saint-Pétersbourg, 43, à Paris, et à Bar-le-Duc.
ERRATA.
Bulletin des 1er et 2e trimestres 1883, page 24; erreur de titre. An
Heu de : Remarques de géographie physique faites durant un voyage
de circumnavigation autour de V Amérique du Sud, lire : Les Déserts
d'Afrique et d'Asie, par P. de Tchihatchef (suite), et en bas de li
page : voir la livraison du 4e trimestre 1882 ; lire : p. 728, au lieu de
]p. 722.
Même Bulletin, page 152, ligne 7; au lieu de : soignent, lire: t'ei*
gnent.
A ce propos, nous devons signaler aux personnes qui auraient pu
croire à une erreur au sujet de la feuille de titre coutenue dans Je
précèdent Bulletin, que cette feuille a été mise pour combler une la-
cune de l'année 1881 en vue de la reliure du tome III.
Le Gérant responsable j J. V. BA,
1* GEOGRAPHIE. MILITANTE: EXPLORATIONS
VOYAGE AU ZAMBESE
[Suite («\]
De Senna à Tête, par la Lupata.
Nous quittons Senna en suivant la rive droite du Zam-
bèse gui, élevée de lm,50 à 2 mètres, est en sable un cou-
vert d'un peu de terre végétale sur laquelle poussent de
grandes herbes. Après 15 kilomètres de navigation, nous
commençons à rencontrer de grands mimosas qui entou-
rent le village de Bangoué et ensuite celui de Soni, dont
l'habitation principale est Casa Margaride. Ce dernier
village est situé à 400 mètres environ du fleuve et s'é-
tend sur une longueur de 500 mètres ; il possède un très
riche troupeau de chèvres et plusieurs paires de bœufs.
Nous y remarquons quelques chiens lévriers de taille
assez faible.
Au delà de Soni, nous naviguons au milieu d'une
grande quantité d'îlots de sable qui nous obligent à faire
une foule de méandres et allongent considérablement le
chemin. En quelques endroits où le fleuve est débarrassé
de ceB îlots, nous évaluons sa largeur à 1,500 mètres en-
viron sur yne profondeur assez faible, puisque nous pou-
vons aller constamment à la gaffe. Dans l'eau, nous
voyons des bancs de sable où 6e promènent parfois, s'ils
ne dorment pas, de petits crocodiles que nous nous amu-
sopa* tirer. La plupart des reptiles que nous touchons,
toi at à l'eau au moment où ils sont frappés ; d'autres,
Bulletin du 3e trimestre 1888, page 288.
DM OHOttU. — 4« TKlM*HTltKS 1888. 86 '
542 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
plus avancés sur le sable, ne peuvent regagner le fleuve et
deviennent notre propriété. De rares hippopotames s'aper-
çoivent de temps en temps et nous tirons avec succès des
hérons et des grisettes, petites poules d'eau qui abondent sur
la berge du fleuve. Nous tuons encore un bec-en-ciseaxuc et
un combattant, ce dernier très curieux avec ses deux bajoues
jaune verdâtre et l'éperon dangereux qu'il porte à chaque
aile.
Avant d'arriver au village de Chemba, nous avons tué
un crocodile de 5 mètres de longueur et nous avons dé-
cidé que 6on ûlet viendrait 6ur notre table, tenir sa place
à côté des quelques autres pièces de gibier récoltées dans
la matinée.
Il pouvait être midi ; attablés sur un banc de sable et
sous une tente provisoire construite à l'aide de nos gaffes
et des bâches de nos canots, nous plantions la fourchette
de la civilisation dans le filet de notre crocodile lorsque,
6ans que rien fît prévoir ce dénouement, notre campe-
ment fut mis sens dessus dessous et renversé. A la
trombe de vents qui venait de nous jouer cette mauvaise
farce, succéda une pluie de sable fin qui, durant près d'un
quart d'heure, nous cingla la figure d'une façon extrême-
ment désagréable. Nous dûmes abandonner la place et
regagner nos canots. Disons-le néanmoins, notre morceau
de crocodile avait été frit dans une poêle et il nous rap-
pela, mais en meilleur, la raie que l'on vend sur nos mar-
chés. Non cuite, la chair du crocodile ressemble asseï
bien à celle du veau.
Le long du fleuve , quelques prazos ont des gens qui
mangent le crocodile; les naturels de Tête et du bas Zam-
bèse ne veulent pas goûter sa chair, malgré les cadeaux
qu'on peut leur offrir en compensation. Les noirs do
Guingue et de Chemba s'en régalent. Sur le Ghiré et le
Zio-Zio, nous avions vu des noirs qui découpaient un
très vieux crocodile et s'apprêtaient à le manger.
VOYAGE AU ZAMBÈSE. 543
Les corbeaux à manteau sont nombreux sur les deux
rive6 du fleuve ; aucun noir n'en mange la chair.
Chemba, qui est une des propriétés de Manuel An-
tonio da Souza, est à environ 400 mètres du fleuve. Le
village est divisé en deux sections séparées par un massif
de jujubiers.
Près de ce village, en amont, se trouve l'embouchure
du Sangadzi, belle rivière qui est à sec pendant la majeure
partie de Tannée. Chemba est à une trentaine de kilomè-
tres environ de Senna.
Au-des6us du Sangadzi, on aperçoit plusieurs villages
peu importants ; à 12 kilomètres en avant, on rencontre
Moichina S eus a, .village assez malpropre. Le chef noir qui
gouverne cet endroit est un vieillard ; il reçoit excessive-
ment mal nos nègres qui coupaient du bois aux environs
de sa demeure et vient, quelques instants après , nous
faire les plus plates excuses d'avoir osé se mettre en colère
devant nous.
Depuis Senna, la rive gauche du fleuve suit constam-
ment la chaîne de montagnes des Maganjas, qui semble
être formée d'une grande quantité de mamelons plus ou
moins élevés posés les uns à côté des autres, devant, der-
rière, dans tous les sens, de manière à servir de barrière
au fleuve. Ces montagnes paraissent boisées, sans cepen-
dant que la forêt soit bien touffue. De la rive droite, avec
une bonne lunette, on n'aperçoit que très peu de villages
sur la rive gauche.
A 2 lieues en amont de M. Sensa, nous rencontrons le
village de Nhaearrangua, où nous sommes obligés de sta-
tionner tant pour acheter de la farine que pour attendre
notre guide Mucunga qui nous a quittés pour quelques
heures. Mucunga avait autrefois une parente près du vil-
lage où nous nous trouvons, et comme il y a très peu de
temps qu'elle est morte, il doit — se conformant en cela
à la coutume du pays — tirer en son honneur, au moment
;> il GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
de son passage, mi certain nombre de coups de feu. Il
nous emprunte de la poudre, arme tous ses mousquets, 6e
rend par voie de terre au village de la morte, y fait une
fusillade nourrie, puis vient nous rejoindre. Pendant ce
temps, son canot marche avec une lenteur désespérante et
met près de six heures à parcourir le chemin que nous
avons fait en un peu plus de deux.
Nhacarrangua se compose d'une vingtaine de cases
tant rondes que carrées ; comme dans tous les villages dont
les chef sont eu le moindre contact avec les Européens, on
y trouve une véranda bien située, sous laquelle, à l'abri
des rayons du soleil et au frais, on peut prendre ses repas,
et cela d'autant plus facilement que des tables y restent
à demeure.
Au moment où nous visitons le village, on y construit
trois nouvelles cases fort spacieuses ; l'une d'elles, destinée
au chef, doit être montée en bois équarri et en pièces
ajustées. Les forgerons du pays fabriquent le6 pointes qui
doivent servir à clouer les bois. Ils sont quatre, assis au
pied d'un arbre ; l'un tire le soufflet, le deuxième tient
l'enclume et les deux autres travaillent. La matière em-
ployée est une vieille chaîne de canot de fabrique fran-
çaise. Le soufflet e6t formé d'une peau de chèvre cousue
en forme de sac ouvert par le haut. A la place de l'une
des pattes est un tube en bois creux qui vient aboutir à
une pelote d'argile, évidée par son milieu, devant laquelle
un brasier est allumé. Le tube en bois est fixé sur la teire
au moyen d'une pierre assez pesante. Pour faire marcher
cet appareil, le souffleur tient l'ouverture du sac à pleine
main de manière à l'élever; la ferme en emmagasi-
nant l'air et presee dessus en l'aplatissant, puis l'ouvre
de nouveau, recommence tant que le forgeron a besoin de
son service*
L'enclume est formée de plusieurs bûches de bois et
d'une pierre, le tout se plaçant de diverses manières selon
VOYAGE AU ZAMBÈSE. 545
les pièces à forger. Pour faire le clou, les ouvriers 6e
servent d'une filière confectionnée avec une lame de fer
détachée de quelque ancien canot et percée d'un trou. La
pointe a de 6 à 7 centimètres de longueur. La filière est
placée à cheval sur deux des bûches, de manière que l'ou-
verture se trouve entre l'intervalle des pièces.
Lorsque le fer est chauffé, on le chasse avec un petit
marteau dans le trou de la filière, puis on forme la tête.
La pointe est faite pendant que l'on redresse la tige, qui
se courbe presque toujours dans la première partie du tra-
vail.
Les outils du forgeron se composent de deux marteaux
dont l'un un peu plus gros que l'autre, d'un soufflet por-
tatif, d'une pince plate dont une branche de la poignée a
le double de la longueur de l'autre, et d'un ciseau à fer
de 6 centimètres de longueur sur 15 millimètres de lar-
geur.
La pince plate ne sert an forgeron que pour retourner
les pièces dans le brasier; lorsqu'il les tient sur l'enclume,
il emploie deux morrevmx de bois légèrement creusés dans
le sens de la longueur.
Les charpentiers paraissent, dan6 leurs travaux, plus in-
génieux que les forgerons; leurs pièces ouvragées sont
mieux soignées et quelques-unes d'entre elles ne seraient
pas reniées par des ouvriers de nos pays. Il est vrai de
dire que leurs outil6 sont assez nombreux, proviennent
tous de fabriques françaises et ont été fournis par les fac-
toreries de la côte en échange d'ivoire, de cire et d'arachi-
des. Le bois employé pour les chevrons est à grain serré ;
il a une couleur rouge-brique lorsqu'il est fraîchement tra-
vaillé et brunit en vieillissant. Il porte le nom de musu-
ctua ; c'e&t le même bois qui est désigné, à Tête, sous le
nom de mugengem.
Les femmes de Nhacarrangua sont d'une taille
moyenne ; elles portent toutes des anneaux en cuivre aux
546 GÉOGRAPHIE MILITANTE *. EXPLORATIONS.
jambes et autour des poignets ; quelques-unes en ont jus-
qu'à une douzaine au-de66us de chaque cheville, ce qui leur
rend la marche assez pénible.
Les jeunes gens portent sur le derrière de la tête sept
tresses de cheveux, longues de 10 centimètres. Pour les
faire, ils réservent dans leur chevelure un certain nom-
bre de mèches qu'ils enroulent avec une bande très étroite
d'une écorce rougeâtre ne laissant dépasser à l'extrémité
libre que 5 millimètres de cheveux. Les femmes sont toutes
tondues ras.
La rive gauche du fleuve passe toujours au pied de la
longue chaîne des Maganjas ; en face de Nhacarrangua se
montre le mont Goma qui a tout à fait l'air d'un ouvrage
défensif de fortification. Toute cette partie montagneuse
e6t boisée d'arbres qui paraissent assez gros, mais très
espacés les uns des autres. Les prazos rencontrés, sur
la rive droite, depuis Senna jusqu'à Ancœza, succes-
sion que nous avons vérifiée lors de notre passage et
qui nous a été confirmée par les dépositions de plusieurs
personnes du pays, 6ont: Senna, Nhacerere, Soni, Nha-
moise, Pitta, Chamba, Nhacarrangua et Ancœza. Noue
insistons sur cet ordre qui rectifie et complète la carte du
marquis de Sa Bandeira (2e édition, Lisbonne, 1867), le-
quel place le prazo Pitta à la sortie de Senna et avant celui
de Soni. (Voir les cartes, 4° trimestre 1882).
Nous continuons notre voyage en côtoyant la rive droite,
qui est peu élevée, sablonneuse et couverte par une végé-
tation très variée. Nous tuons une espèce de grue, à plu-
mage gris de fer, huppée, mesurant lm,70 de hauteur
depuis les pattes jusqu'au &ommet de la tête ; O^ôô de
hauteur de pattes ; 0m,25 de longueur de bec et 2",30de
développement des ailes. Cet oiseau fut mangé avec plai-
sir, le jour même, par nos mariniers.
A 10 kilomètres en amont de Nhacarrangua, nous trou-
vons le village de Socoro, qui est entouré de gros mimosas
VOYAGE AU ZAMBÈ8E. 547
épineux et de basilic qui embaume l'air. Le fède-fède y
manque complètement. A 7 kilomètres plus loin, après
avoir passé deux villages, nous voyons Ancœza, qui n'est
guère qu'à une quarantaine de mètres du bord du fleuve.
A partir de Socoro, la rive droite s'écarte de la chaîne
des Maganjas ; la plaine devient plus large et on y aper-
çoit divers villages.
Plusieurs îles sablonneuses couvertes par des roseaux
sont au milieu du fleuve, nous en côtoyons une fort lon-
gue et voyons que la rive droite, abaissée jusqu'au niveau
de l'eau, forme un marais de petite étendue. Ensuite la
berge s'élève à nouveau, des ricins et des sorghos 6e mon-
trent, on arrive devant un autre groupe d'habitations. A
300 mètres du bord du fleuve et sur cette même rive
droite, se montre une petite chaîne de collines boisées
dont la direction est parallèle à notre marche, ensuite elle
appuie lentement vers le fleuve qui vient passer à son pied.
Elle a 60 mètres d'élévation et 6e termine par une berge
à pic de 10 mètres de hauteur et de nuance rouge-brique
pâle.
Les arbres qui boisent les collines 6ont assez espacés
les uns des autres ; beaucoup sont dépourvus de feuilles
et paraissent avec un ton gris très prononcé à côté d'au-
tres couverts d'un feuillage très vert. Près du fleuve, à
côté de la coupure à pic, les arbres sont plus resserrés ; au
delà, la colline 6'abai6se subitement et une large plaine
s'ouvre unie et bien boisée. A une grande distance com-
mence une nouvelle chaîne de collines qui suit toute la
rive droite ; la rive gauche paraît nue. Nous naviguons
alors au milieu d'un grand nombre d'îlots couverts de ro-
seaux et de bancs de sable sur lesquels nous voyons, à
côté de quelques crocodiles, un grand nombre d'oiseaux
aquatiques.
À chaque instant, les hippopotames viennent souffler à
la surface de l'eau et à une dizaine de mètres de nos ca-
548 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
nots ; nous nous amusons à les tirer sans grand profit, puis-
que, en admettant que les balles de nos express les aient
touchés, ils disparaissent sous l'eau.
A partir de ce moment jusqu'au Guingue, le6 villages
sont rares des deux côtés du fleuve; la navigation étant
impossible près de la rive droite, nous traversons le fleure,
large d'environ 1 ,800 mètres et rempli d'îles et d'Hôte
qui gênent une marche directe. Il arrive souvent que le
canot se butte contre des bancs de sable recouverts par I
l'eau; en suivant la rive de près, les mariniers peuvent i
marcher à la perche, qu'ils préfèrent à la rame. *
Ce mode de navigation est excellent en ce sens qu'on
avance beaucoup plus vite, mais il expose à faire cogner (
les embarcations contre les roches qui ne sont pas recou-
vertes par une quantité d'eau suffisante.
Le fleuve qui, jusqu'ici, n'a montré aucun alfacynia,
charrie des témè, fruits d'un grand arbre, le moutèmè, qni
pousse aux environs de Tête et fur les bords du Muaraze.
Ce fruit est de la gro66eur des deux poings, dur comme une ;
calebasse, et renferme dan6 60n intérieur un certain nombre !
de petits fruits à noyau, d'une nuance jaune-eurcuma très j
prononcée. Il ne mûrit ordinairement qu'au mois d'octobre; ;
les nègres en sont friands lorsqu'il est récemment cueilli
et les abeilles aiment beaucoup ses fleurs. Ceux que nous '
récoltons sont gélatineux à l'intérieur et ont une odeur
vineuse prononcée qui indique un commen cernent de dé- j
composition.
La berge est rongée par le fleuve ; des masses de terres
de plusieurs mètres cubes, avec arbustes et arbres, sont j
descendues dans l'eau et gênent la marche en obstruant le j
passage. Aprè6 les roseaux et les arbustes se trouve le \
Dolichos pruriens dont les bell es gousses invitent à les cueil- j
lir. Mais, malheur à l'imprudent qui obéit à la tentation, ]
car bientôt une vive démangeaison assez douloureuse lui j
apprend que ce n'est pas impunément qu'on les touche. j
1
VOYAGE AU ZAMBÈSE. 549
Cependant, pendant les années de disette, les noirs re-
cueillent ces légumineuses en s'entourant les mains avec
un morceau de peau et en flambant les cosses avant de les
ouvrir pour en retirer les graines, qu'ils font cuire comme
des pois. Des cucurbitacées à larges feuilles, à fleur jaune
pâle, avec fruits de la grosseur d'un concombre, pendent
des branches des arbres après lesquelles la plante a
grimpé. De gros mimosas poussent 6ur le6 berges et ne
tarderont pajs à tomber dans le fleuve par suite de l'entraî-
nement du sous-sol par le courant du fleuve, qui est très
rapide.
Après avoir laissé sur la rive droite le prazo Chiramba
et celui de Doa sur la rive gauche, nous arrivons au Loan
du Guingve. Le village qui le forme est très grand, fort
propre et bien aménagé ; c'est le mieux installé que nous
ayons rencontré jusqu'à ce jour. Il est entouré d'une esta-
cade et a pour directeur un Portugais uni avec une mulâ-
tresse du pays, la 6ignora Louise de Santa-Cruz, fille du
vieux Bonga et sœur de père de celui qui gouverne auto-
matiquement à Massangano.
Le centre du Loan est formé par une large place carrée
dont la terre a été pilonnée. Cette place est presque à
moitié couverte de sésame qui achève de mûrir au soleil.
De nombreux bananiers entourent la culture ; on y trouve
du millet, du sorgho, des poules, des canards, des pigeons,
de gros porcs et un important troupeau de bœufs. Les ri-
cins y poussent en grande quantité.
C'est avec plaisir que nous avons vu au Guingue un
assez vaste jardin cultivé à l'européenne ; nous y avons
trouvé presque tous les légumes que l'on vend sur nos
marchés et qui sont une preuve évidente que le manque
que nous avons signalé à Senna provient plutôt de l'incu-
rie des habitants que du mauvais climat du pays.
Longtemps avant d'arriver au Laon du Guingue, nous
apercevions sur la rive gauche, à un kilomètre du fleuve,
550 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
un bois assez touffu ; ce bois s'est incliné vers le fleuve et
a fini par en atteindre le bord. C'est à l'entrée de cette
forêt, mais du côté de Senoa, que, vers 1876, Rodrignei
Machado fonda la culture qui, aujourd'hui, est en plein
rapport. Il fit défricher par les noirs de S. Luize une par-
tie de la forêt presque impénétrable, fit avec les arbres les
plus solides une estacade dans laquelle il pratiqua des
meurtrières, s'enferma complètement et ensemença la par-
tie qu'il avait fait cultiver.
Adossé à une forêt vierge remplie de buffles et de léo-
pards, l'établissement est parfois obligé de se défendre des
attaques de ces dangereux voisins et de prendre des pré-
cautions contre les incursions de quelques bandes de pil-
lards, qui ne se gêneraient pas pour venir dévaliser la
ferme s'ils ne savaient qu'ils y seraient mal reçus.
Au Loan du Guingue, toutes les cases des noirs sont
recouvertes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, d'une couche
de pisé, ce qui les garantit et leur donne un air de pro-
preté que l'on rencontre rarement ailleurs. Les paillotes,
dont le nombre dépasse une centaine, sont disposées de
manière à former de6 quartiers avec rues. Chaque famille
possède, en propre, un certain nombre de cases 6elon ses
besoins ; elle a un petit jardin attenant à l'habitation. Le
tout est entouré d'une palissade serrée, en roseaux et ea
joncs, de façon que chacune soit séparée de la voisine. Ce
qui montre encore qu'un Européen a donné ses conseils
pour la construction de ces cases, c'est qu'elles sont assez
spacieuses et que les portes sont suffisamment hautes pour
qu'on puisse pénétrer à l'intérieur sans se baisser.
Au moment où nous passons au Guingue, les récoltes
sont coupées et rentrées. Rod. Machado a établi, sur son
Loan, un corps de garde d'une douzaine d'hommes qui.
chaque nuit, surveillent l'établissement non pas tant dans
la crainte du feu que pour repousser les pillards qui se
présenteraient. A chaque instant, les factionnaires se crient
VOYAGE AU ZAMBÈSE. 551
les uns aux autres, en langue cafre, une phrase analogue
tu : Sentinelle, prenez garde à vous ! Sage précaution qu'a
frise là le propriétaire du Loan, qui s'est souvenu que
pour réussir dans ce pays, il est nécessaire d'être tou-
jours en éveil.
Le Loan du Guingue possède divers ateliers : forgerons,
charpentiers et tisserands. Nous avons vu les métiers de
ces derniers, ils sont bien comme celui dessiné dans la
relation des voyages de Livingstone. Les noirs travaillent
le coton qui pousse aux environs ; ils font aussi de très
belles ceintures à dessins et couleurs variés. Pour cela, ils
prennent des mouchoirs de Bombay, en tirent les fils et les
elassent par teintes qu'ils répartissent ensuite sur leurs
métiers pour en faire de très jolies écharpes.
On recueille aussi l'écorce des arbres mochombè, mulu-
kutu, mucuiu ou mocoio pour en faire de la filasse qui sert à
calfeutrer les canots, les almandiâs et les côxes ou embar-
cations cafres creusées dans des troncs d'arbres et pouvant
porter de quatre à cinq tonnes de marchandises. Cette
écorce est de la nuance du quinquina rouge ; les beaux
morceaux, qui peuvent mesurer parfois f^ — et ^8 ne 60nt
pas rares, — sont cousus en fornje de sacs et employés
pour la conservation des graines et des provisions.
Le cftisio est commun aux environs du Guingue ; c'est
une légumineuse plate et noire dont la graine est écrasée
et plus grosse que nos lentilles. L'arbre qui la fournit est
un mimp6a épineux. C'est la gousse qui est employée par
les naturels pour teindre en noir ; elle entre aussi dans la
composition de l'encre indigène. Voici comment il6 pré-
parent la teinture. Dans un peu de vinaigre et d'eau, ils
placent un morceau de fer, un paquet de gousses et ils
abandonnent le tout à l'air. La coloration noire se produit
à la longue ; on peut en conclure que cette plante agit sim-
plement comme le fait la noix de galle, par l'acide parti-
culier qu'elle contient.
j
552 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
Vers le Loan du Guingue, les naturels se distraient
avec un jeu portatif en bois ou tout simplement tracé m
le sol. Qu'on se figure une planche sur laquelle sont la-
cées cinq lignes parallèles, contenant chacune un nom!)»
indéterminé de trous. Chaque joueur, dont le nombre est
illimité, possède plusieurs de ces excavations dan6 lesquel-
les il 6/agit de placer, au moyen d'une combinaison parti- :
culière, une quantité de jetons déterminée à l'avance. Il y
a un chef de jeu qui débite un chapelet de phrases courtes
auxquelles les joueurs répondent par des exclamations et
des rires, tout en plaçant leurs petits jetons et en en cou*
fisquant à leurs partenaires. Il nous a été impossible de
nous procurer la règle de ce jeu.
C'est le jour de Pentecôte que nous avons séjourné au 1
Guingue et que nous y avons rencontré Machado et sou j
associée dona Luize. Lui, ancien soldat portugais, travail-
leur hardi et intelligent, était venu dans la colonie soas
la foi des promesses du gouvernement qui présentait le
pays comme civilisé, comme totalement purgé des pil-
lards qui y pullulent encore. Il fut vite désabusé, mais
il était trop tard, il ne pouvait plus retourner en Europe.
Il échoua, après bien des tâtonnements, près de Mas-
sangano et y rencontra celle qui devait lui tenir quelque
temps compagnie et lui apporter des terres et des esclaves.
Il lia sa vie à celle de dona Luize. Mais qu'est cette
femme ? Physiquement, elle est grande, belle, bien cons-
tituée, noire, les yeux vif6, brillants, les mains fines, po-
telées et la peau douce. Vêtue avec goût d'un pagne aui
couleurs éclatantes, couverte de bijoux en or travaillé!
au pays, elle règne et domine sur ses terrres. Ce n'est
qu'en se courbant que ses nègres s'approchent d'elle;
à un 6igne, ils rampent à ses pieds. Cette femme a
composé sa cour d'un essaim de jeunes filles, qu'elle soi-
gne, choie ou maltraite à son gré. Ne 6ont-ce pas des
esclaves?
VOYAGE AU ZAMBBSE. 553
D'origine indo-portugaise par ses ancêtres paternels,
^origine noire par la ligne maternelle, elle paraît réunir
3Q plus haut degré les vices de Tune et l'autre race, sans
voir conservé aucune de leurs qualités.
Voilà celle que Machado associa à sa fortune ; mais
Etant lui, deux auLres avaient déjà partagé la royale natte
le cette fille, de la race des chats-tigres (Bonga), la plus
mîssante de la Zambésie. La chronique ne dit rien du
premier \ il vint un jour, puis disparut. L'eau du fleuve
termina ses amours. Belchior fut le second ; il régna un
peu plus de temps sur le cœur de la jeune femme. Il est
vrai que leurs caractères sympathisaient et que, sous leur
administration commune, la caisse se remplit à Zangar
(ce nom est remplacé aujourd'hui par Loan du Guingue,
qu'il ne faut pas confondre avec Prazo du Guingue que
nous rencontrerons plus loin), et que le commerce fruc-
tifia. Belchior s'entendait à la traite des noirs ; il était
passé maître en cet art. C'est sous son règne qu'eut lieu
la dernière campagne des Portugais contre Santa-Cruz,
le chef de Massangano ; campagne qui devait se terminer
par la destruction des troupes européennes. Dona Luize
fut obligée de se prononcer soit en faveur c(e son frère,
soit pour les Portugais ; elle choisit ces derniers et se fit
une réputation de bonne alliée. Hélas ! les Portugais ou-
vrirent trop tard les yeux, et payèrent trop cher leur
aveuglement. Belchior devait assurer le service entre Tête
et Senna, par la rive gauche du fleuve, pendant que
les troupes attaqueraient Bonga par la rive droite. Voici
comment il l'assurait : les blessés recevaient à Zangar
l'hospitalité la plus large et étaient soignés avec affection
et dévouement ; une fois convalescents, ils se dirigeaient
vers Tête ou Senna, mais peu y arrivaient. Des émissaires
de dona Luize les attendaient sur la route, les assassi-
naient et les dépouillaient de leurs armes. De plus, pen-
dant ces temps de troubles, les négociants du haut et du
554 GÉOGRAPHIE MILITANTS : EXPLORATIONS.
bas Zambèse payaient pour aller de Quilimane à Tête une
demi-livre sterling par cipaye ou noir armé qui escortait
la caravane ou les embarcations.
Neuf fois sur dix, les convois étaient attaqués et pillés; !
bienheureux le propriétaire des marchandises lorsqu'il
pouvait s'en tirer sans aucune blessure ! Et les pillards
n'étaient autres que des hommes de dona Luize qu'elle
avait envoyés, à l'insu de Belchior, pour détrousser les
voyageurs. Le mari était payé pour protéger, la femme
rançonnait, tout le profit entrait dans la caisse commune.
On sait comment la campagne se termina ; l'armée por-
tugaise, taillée en pièces à l'attaque de Massangano, resta
sur place et les têtes des morts furent plantées sur les
pieux qui entourent la maison de Bonga, deuxième du
nom. Les crimes restèrent ignorés et impunis. Belchior
mourut et Machado le remplaça dans le cœur de la jeune
souveraine.
Tout marcha bien pendant quelques années et le mé-
nage vivait en bonne intelligence avec celui de son beau-
frère, quand, un beau matin, à propos de femmes, une que-
relle s'éleva entre le Guingue et Massangano. On fut sur
le point de se battre. Deux esclaves de Bonga s'enfuirent
de sa demeure et, après mille aventures, tombèrent entre
les mains des hommes de Machado qui les retint prison-
nières. De tout temps, un accord tacite avait réglé cette
question et on ne peut citer aucun exemple que les fagitîb
n'aient pas été rendus à leur propriétaire qui leur faisait
alors payer de la vie leur escapade. Machado refusa de
rendre à Bonga ou à ses émissaires les deux malheureuses
qui avaient assez souffert pour chercher leur délivrance
dans une fuite où elles avaient quatre-vingt-dix-neuf chan*
ces de périr pour une d'être sauvées.
Bonga ne pouvant entrer de suite en campagne, riposta
en faisant saisir, peu de temps après, une almandiade
Machado et l'ivoire dont elle était chargée. Il y eut des
VOYAGE AU ZAMBESE. ODO
réclamations de part et d'autre et le gouverneur portugais
de la ville de Tête fut indirectement informé des grief6
qui existaient entre les deux parents. Le ministère avait
jadis déclaré que tous les citoyens de la Zambésie étaient
libres et que l'esclavage était aboli ; le gouverneur prit
parti pour dona Luize, fit équiper un canot et se rendit à
Massangano. Il fut reçu par Bonga qui, pour lui faire
honneur, ouvrit la case de son prédécesseur et autorisa
l'officier à 6e reposer sur la royale natte qui avait servi de
lit mortuaire au vieux bandit qui pilla le Zambèse.
Le lendemain eut lieu une conférence particulière dans
laquelle le gouverneur démontra à Bonga que, pour obte-
nir l'amitié du Portugal, il fallait considérer les noirs
comme des gens libres de s'en aller quand cela leur plai-
sait ; qu'on ne pouvait leur faire un crime de changer de
maîtres; enfin, que ces femmes s'étant réfugiées au Guin-
goe, elles étaient devenues citoyennes de ce prazo, de la
même manière que des gens du Guingue deviendraient
tributaires de Massangano, s'ils trouvaient bon de se réfu-
gier sur les terres de ce canton.
Bonga fut longtemps avant de 6e rendre compte de cette
théorie, il l'accepta enfin et donna Tordre de renvoyer à
sa sœur l'almandia et l'ivoire saisis. Ainsi finit la que-
relle entre les deux territoires. Répugnait-il à Bonga d'at-
taquer sa sœur ou craignait-il de ne pas être le plus fort?
Mystère. Il fut plus fin que ne le pensa le gouverneur et
il chargea un autre du soin de sa vengeance. Il dévoila
la conduite de Belchior et de 6a compagne pendant la der-
nière guerre et fournit les premiers renseignements sur les
massacres commis à Zangar. Le gouverneur rentra à Tête,
ouvrit une enquête, acquit bientôt la preuve que les faits
avancés étaient exacts et que dona Luize ne valait pas
mieux que les autres.
Pendant l'enquête, Machado fut nommé capitaô-mor du
Guingue et le gouverneur décoré et rappelé en Europe.
556 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
Le commandant Boijaô le remplaça : homme droit, juste
et savant estimé qui avait longtemps séjourné dans les co-
lonies de la côte occidentale de l'Afrique, il arriva dans le
pays et dès les premiers jours s'aperçut que la Zambésie
n'était pas ce que les Portugais en pensent: le paradis
des colonies. C'est lui qui écrivit au ministère de Lis-
bonne cette fameuse lettre dont un extrait a été publié
dans le Bulletin de la Société de géographie de l'Est (f), lettre
par laquelle il déclarait que son pavillon avait été insulté
pendant qu'il naviguait sur le grand fleuve.
M. Boijaô trouva, dans le6 note6 officielles de son prédé-
cesseur, les documents relatifs à l'enquête et la poursuivit.
Dès qu'il eut les preuves en mains, il écrivit à Machado
et lui reprocha d'associer son existence à celle d'une
femme qui avait fait assassiner des Portugais comme lui;
votre devoir, ajoutait-il, serait d'envoyer cette femme à
Quilimane pour qu'elle y fût jugée. Cette lettre et quel-
ques autres plus vives qui la suivirent dégoûtèrent Ma-
chado, lui firent prévoir qu'un jour ou l'autre il sertit
appelé à combattre les Portugais, aussi résolut-il de quitter
le pays, de rentrer dans 6a patrie, en un mot de couper
court à toutes le6 discussions en abandonnant le loan.
Mais dona Luize, en vraie fille du vieux Bonga, n'admit
pas une pareille solution ; elle entoura son préféré d'une
surveillance active et tous les jours ses noir6 lui rendirent
compte des faits et gestes de son prisonnier. Machado
voulut fuir ; au dernier moment les embarcations lui man-
quèrent, et ses jours furent comptés.
Nous nous souvenons encore de ce bel homme, à la tête
énergique, qui s'en allait rôveur et soucieux autour de sa
habitations. Il pressentait sa fin prochaine ; il sentait qu'il
sombrait et tâchait de se rattraper à toutes les branches
de salut qu'il entrevoyait. Un instant il espéra 6e joindre
(') 4« triœettre de 1381} p. 637.
V
VOYAGE AU ZAMBESE.
557
lotre mission et disparaître ainsi du Guingue ; mais la
eillance dont il était l'objet empêcha cette nouvelle
)inaison de réussir. Peu de jours avant de aoiis rectf-
fir, en quittant un membre de notre mission qui nous
icédait, il lui donna à entendre qu'il y aurait bientôt
nouveau au loan. En effet , quelques heures après
rtre départ, une scène nouvelle eut lieu entre le6 deux
fnjointa. Que 6e passa- 1- il? Seule aujourd'hui dona
dze le sait. Machado se mit à table et peu d'instants
>rès, il était pris de vomissements qui amenèrent rapide-
Hit sa mort. Il fut inhumé dans sa propre chambre \ sa
dsoa fut close et transformée en chapelle funéraire. Une
>ix a été plantée au sommet de la toiture et un drageau
>ir, mis en berne, indique que la mort est.passée par là,
l'elle a fauché le chef du Prazo et que sa succession est
nrerte. Qui ira la recueillir? Qui ira lier 6on existence à
die de la riche mai6 criminelle dona Luize de Sajita-
fruz? Quel sort l'avenir réserve-t-il au Prazo du.Gruingue
aux malheureux qui l'habitent; est-ce la guerre, est-ce
ie soumission, est-ce un oubli passager du différend?
fien lourde sera la tâche du nouveau Capitaô-mor du
taingue.
&
)
■oc db aioom. — 4* TmiMss-rKa 1883.
16
k'
MISSION SCIENTIFIQUE
EN ALGÉRIE ET AU MAROC
(*«<«).
L'histoire de l'insurrection de 1881 est encore à faire,
et les responsabilités à établir et attribuer à qui de droit.
Dès 1880, on avait signalé au gouverneur général les
menées sourdes d'un marabout de Mor'ar-Tah'tani, Si-Mo-
h'ammed-ben-El-'Arbi, plus connu depuis 60us le nom de
Bou-'Amèmah (l'homme au petit turban). Les dehors de
sainteté et de saleté qu'affichait ce pieux personnage pour
s'attirer des prosélytes, les prédications qu'il faisait secrè-
tement à ceux dont il se croyait sûr, enfin la maladresse
avec laquelle, pour détourner les soupçons, il s'offrait
pour surveiller et dénoncer les menées des dissidents ré*
fugiés au Maroc, l'avaient désigné comme un homme dan-
gereux au commandant supérieur de Géryville. Toutefois,
le gouvernement général refusa de s'assurer de sa per-
sonne et l'agitateur, jetant le masque, s'enfuit au Maroc
où il attendit les événements (').
Ceux-ci ne tardèrent pas à se produire. L'agha de Tiha-
ret, Si-S'ah'raoui,qui avait pris une part si active à l'in-
surrection de 1864 et 6ur qui retombe l'assassinat de Beau-
prêtre, songeait, dit-on, à reprendre, mais à bon escient,
le rôle d'Abd-El-Qader. C'est le rêve de tous les agitateur!
en Algérie, depuis El-Moqrani jusqu'à Si-Sliman. Main-
tenu dans ses fonctions, malgré les réclamations de l'Al-
gérie tout entière, l'agha n'avait pas cessé d'être en rela-
tions avec les dissidents du Sud-Ouest. On conçoit que
(*) Cet prélude* de l'insurrection ont été exposés avec les plut grands détails,;
le colonel Truinolet, dans lo numéro de mart-arril 1843 de la Btvut a/ricotes.
MI88I0N SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 559
Bou-'Amémah ait été regardé par lui comme un utile
auxiliaire.
Sur ce6 entrefaites, une fraction des Trafis, les Djeramma,
campée à Bou-Zoulaï, près de l'Oued-En-Nacer, sur la
toute de Frendah à Géryville, ayant été signalée comme
renfermant des personnages dangereux, le lieutenant Wein-
brenner fut chargé de les arrêter et de les amener à Géry-
ville, entre autres un certain Eddin, le plus remuant de
tous. Il partit avec cinq spahis et prétexta un recensement
des troupeaux du douar. Le premier jour, il s'acquitta de
cette besogne ; puis, le lendemain, quand elle fut terminée,
il commanda à Eddin et à deux autres suspects de le sui-
vre : ceux-ci refusèrent. Sans écouter leurs protestations , il
se mit en route, laissant à son maréchal de spahis indigène,
Lakhdar, Tordre d'arrêter les trois individus désignés. 11
le vit bientôt revenir, apportant les excuses d'Eddin qui
promettait d'obéir et en même temps celles de la tribu qui
demandait au lieutenant de ne pas lui faire l'injure de
partir sans prendre part à une dhifl'a. Bien que rendu dé-
fiant par ces tergiversations, le malheureux Weinbrenner
revint à contre-cœur sur ses pas, et, à quelques mètres du
douar, descendit avec ses spahis et 6'assit sur les tapis qui
avaient été préparés. Il avait à peine commencé de manger
les dattes qu'on lui avait apportées, qu'Eddin, trouvant
l'instant favorable, le tuait par derrière et s'emparait de sa
montre qu'il porte encore, ainsi que de son cheval, qu'il
offrit à Bou-'Amémah, quelque temps avant Chellâla. En
même temps, trois de ses spahis étaient assassinés avec
leur officier (/); seuls, le maréchal des logis et un autre
cavalier, originaire d'une tribu parente des Djeramma,
parvenaient à s'échapper et à revenir à Géry ville (*).
O J'ajouterai que le se al des meurtriers du lieutenant Weinbrenner qu'on ait pn
arrêter, eon lamné à mort par le conseil de guerre d'Oran, vit sa peine commuée
par le Président de la République.
(*i il est curitux de ripproeher cet épisode de l'affaire de Vacca < Salluste, Guêtre
4e Juçurtha, LXVI-LXVHI), mulatii nutandis. Je me hâte de dire que T-n*k*nr
5G0 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
Le meurtre commis, on devait s'attendre à voir les cou-
pables fuir, suivant l'usage, dans l'ouest ou le sud-ouest
pour de là gagner le Maroc ou le désert. Au contraire, ils
descendirent, vers le Tell, jusque les H'arrars, sur le ter-
rain de commandement de Si-S'ah'raouï, à 30 kilomètres
des campements de ce dernier qui ne fit pas mine de les
poursuivre. La nouvelle avait dû cependant parvenir dans
le Nord aussi bien que dans l'Est, car elle était connue à
Tadjmout et 'Aïn-Madhi, où je me trouvais alors, deux oo
trois jours après l'événement. Cette conduite fit soupçonner
un plan concerté d'avance, mais qui échoua parce que le
mouvement éclata trop tôt. Je ne ferai pa6 ici l'histoire de
cette campagne, terminée seulement aujourd'hui, s'il est
vrai que Si-Sliman, le chef le plus actif des Ouled-Sidi-
Cheïkh, ait été arrêté ou tué chez les Berabers(x) ; je rappel-
lerai seulement qu'à l'affaire de Chellâla, l'inaction plus
que suspecte du goum commandé par le fils de Si-S'ah'raouï
permit aux insurgés de remporter un succès et d'emmener
des prisonniers qu'ils massacrèrent plus tard, ce qui n'em-
pêcha pas les TrafLs, les H'arrars, les Laghouatis-Ksal,
etc., de demander et d'obtenir l'aman, quand leurs provi-
sions furent épuisées. Un officier, connu pour son énergie
dans les choses algériennes et qui, plus que personne, a
contribué à venger l'honneur et le sang français, n'hésita
pas à dire qu'il aurait fait fusiller comme un traître le fils
de Si-S'ah'raouï s'il l'avait eu sous ses ordres.
Bou-'Amémah entra en scène, mais pour peu de temps.
Ce fut encore trop long, car il réussit, comme on sait, à
ruiner les exploitations d'alfa au sud et au nord des chotts
et à menacer Sa'ïda et Frendah(*). On se rappelle encore
n'eut pu les scrupules de Turpilius, qu'il ne connaissait paa pins tans doute que lei
paroles de Salluste: • lUi in tanto malo turpU vita fawUt inttgrâ potior, impr*b*i m-
totabiliëque videtur. »
(*) Depuis que ces lignes ont été écrites, 1* mort de Si»8Uman a été confirmés ft
ta tète envoyée au sult'an du Maroo.
(*) Le 14 juillet 1881, jour de la fête nationale, il était a peu de distanoe de Frc*
dah, où la population française et indigène, sous la conduite de M. Ximenés et dl
baeh-'agha Si-Oald-Qadhi se préparait à lui opposer une résistance aahamée.
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 561
en Algérie les massacres des alfatiers et des colons isolés
et les atrocités commises àKhalfallah, mais lorsque le ma-
rabout fut rejeté dans le sud, que les troupes françaises
rentrèrent à Tiout, & Mor'ar, à Chellâla et menacèrent
Figuig, l'asile de tous les bandits du 6ud, l'agitateur fut
rejeté au second rang par les Ouled-Sidi-Cheïkh (*). Bou-
' Amémah ne pouvait lutter contre eux : il ne possédait pas
leur autorité religieuse et ses défaites éloignaient de lui
ses partisans. Il rentra dans le Maroc, erra de Figuig au
Taûlelt et d'autres disent au Touat, où il vit encore dans
la dernière misère, après avoir pris part, dit-on, à l'affaire
du chott Tigri, où une colonne française, commandée par
M. de Gastries, faillit être détruite, grâce encore à la trahi-
son des goumiers et des sohhrars (conducteurs de cha-
meaux). La guerre recommença avec les Ouled-Sidi-Cheïkh
et fut dès lors une phase de celle que nous soutenons con-
tre cette famille depuis 20 ans.
Quel était le plan de Si-S'ah'raouï? Voulait-il profiter des
incursions de Si-Sliman et l'user comme celui-ci avait
supplanté Bou-' Amémah? La prochaine insurrection le fera
connaître. En attendant, il n'est pas inutile de faire remar-
quer qu'il est l'ennemi mortel des deux seuls grands chefs
de la région qui nous soient restés fidèles pendant les di-
verses insurrections, y compris celle de 1864: le khalifah
de la Minah, Si-Lâribi; et le bach'-agha de Frendah, Si-
Ah'med-ould-Qadhi.
Je prolongeai pendant une semaine mon séjour à Fren-
dah, dont la situation pittoresque est vraiment admirable
et mériterait d'attirer davantage l'attention des' touristes.
Du plateau sur le flanc duquel elle est bâtie, on domine
la plaine où s'élèvent çà et là des garahs isolées, couvertes
(') On trouver* dans lee Notée pour etrvir à Vhietoire de VinsurrecHon dans le sud
de la province. d'Alger, que le colonel Trnmelet publie dan* la Revue africaine, le»
renseignements les pins complets sur les divisions et les branches de cette famille
inflaente. Cf. «assi les notes du capitaine Guérard, dans le Bulletin de la Société or-
ehéoloffique d'ôran (1832).
562 GÉOGRAPHIE MILITANTE : EXPLORATIONS.
de forêts ; elle est fermée au sud par une chaîne de mon-
tagnes au delà de laquelle le désert s'étend à perte de vue.
La veille de mon départ, j'eus l'occasion d'assister au
réjouissances d'une noce arabe. La scène avait lieu dais
une cour, dont les moindres coins et recoins étaient éclai-
rés par un beau soleil d'avril. C'était un dédommagement
du froid dont nous souffrions depuis quelques jours. Les
murailles étaient tapissées d'indigènes, en costumes phis
ou moins propres ; les femmes, moins soignées encore, le i
visage découvert, gloussaient de temps à autre des you-yow j
d'admiration, pendant que des petites filles, à la coiffure
métallique ornée de pendeloques en argent, se glissaient
à travers le6 moindres interstices de cette barrière vivante,
et ne perdaient rien d'un spectacle où elles devaient figurer
dans quelques années ; comme premières loges, le6 ter-
rasses des maisons voisines étaient couvertes de groupes
d'indigènes, étendus, debout ou accroupis dans des poses
qui ne manquaient pas de dignité, voire même de grâce. |
Au milieu du cercle, deux musiciens et deux danseuses
donnaient un échantillon de leurs talents. L'un d'eux, un
nègre du plus beau noir, tenait sous le bras, suspendue
comme une vielle, une fablah (sorte de tambour allongé)
qui rendait, sous ses coups de poing6, des 6ons monotones
et cadencés ; l'autre, assis sur 6es talons, jouait d'une lon-
gue flûte en roseau. Les deux danseuses, serrées à la taille
par une énorme ceinture dorée, les bracelets aux poignets
et aux chevilles les khalkhals au cliquetis argentin, le vi-
sage couvert, mais pour la forme seulement, d'un foulard
transparent, tenaient à la main un mouchoir d'étoffe voyante.
Tantôt elles l'agitaient au-dessus de leurs tètes, tantôt
elles feignaient d'en repousser l'homme à la fablah qui,
musicien et danseur, faisait sa partie dans la pantomime
en même temps qu'à l'orchestre. Tantôt avançant, tantôtre-
çulant, les danseuses mimaient une poursuite amoureuse,
avec des balancements de hanches et des mouvements 4e
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 563
reins, imités par le musicien et vivement admirés de l'audi-
toire. Cette admiration se traduisait en pièces de monnaie
que les amis des arts et des artistes collaient sur le front en
sueur de ces dernières : celles-ci les conservaient pendant
quatre ou cinq minutes sans cesser de danser, puis, brus-
quement, d'un coup de tête, les faisaient tomber dans le
mouchoir qu'elles tenaient à la main. Ces exercices du-
raient depuis le matin, interrompus seulement de temps à
antre pendant quelques minutes ; le premier musicien,
qui était en même temps l'imprésario, les employait à
proclamer le chiffre des cadeaux avec les noms des dona-
teurs, de manière à exciter, par l'émulation, la générosité
des assistants. Par-dessus les terrasses, s'étendait comme
un dôme, un ciel sans nuages et à l'extrémité du couloir
de la maison, qui semblait donner dans un précipice, au
bord du plateau, on apercevait le rideau de verdure de la
garah la plus voisine.
Ces réjouissances étaient le prélude de plus considéra-
bles encore qui devaient avoir lieu la nuit suivante, lorsque,
suivant l'usage, on amènerait la mariée dans la maison
de 6on mari. Il ne me fut pas possible d'y assister, car je
devais partir le lendemain, et je tenais à prendre du repos
avant un voyage que je pensais devoir être aussi pénible
que celui de Mascara à Frendah.
Heureusement il n'en fut rien. Le grand vent avait sé-
ché les chemins, et, après avoir pris congé de M. Akloucb,
qui m'accompagna à cheval jusqu'à un ouadi dont j'ai
oublié le nom, je traversai des collines mouchetées çà et
là par quelques buissons et j'entrai bientôt dans une r'abah
de broussailles et d'oliviers. Au sortir de cette miniature
de forêt, j'aperçus trois des Djedars, avec le vif regret de
ne pouvoir faire halte pour les examiner. Us ont du reste
été visités consciencieusement par MM. Bordier, Mac-Car-
thy et Letourneux, mais on n'est pas d'accord sur leur ori-
gine. On y a trouvé des traces de peinture et des symboles
564 GÉOGRAPHIE MILITANTS : EXPLORATIONS.
chrétiens ; aussi, récemment, a-t-on voulu en faire des tom-
beaux construits par une des petites dynasties qui paraissent
s'être établies dans le Maghreb depuis la décadence de la
jouissance romaine jusqu'à l'entière conquête arabe. Celte
opinion a été combattue par ceux qui y voient, avec pi»
d'exactitude, une adaptation par des princes chrétiens indi-
gènes de monuments païens. On les a comparés au Tom-
beau de la Chrétienne, près de Tipaza, et au Medr'asen,
entre Batna et Gonstantine ; on aurait pu, peut-être avec
plus de raison, les comparer aux singuliers monuments dé*
crils par M. Largeau, qui les visita près de Ghadamès (') où
ils sont connus sous le nom des Idoles, et qu'on croit être
les tombeaux des anciens rois du pays. L'historien Ibn-Er-
Baqiq, cité par Ibn-KhaldounQ, les mentionne en parlant
d' une expédition du khalife fat' imite El-Mans'our contre les
floouara en 336 hég. (947 avant J.-C). Le même écrivain
ajoute qu'il y trouva une inscription attribuée i Saiomon,
le général (serdeghos) de Justinien, qui aurait vaincu des
rebelles sur les bords de la M in ah. De nos jours, le général
Dastugue prétendit avoir retrouvé et copié cette inscription,
mais elle était si fruste, que M. de Slane ne put lire sur
sa copie que le6 mots Salomon et strategos. L'authenticité
en a été vivement contestée : sans prendre parti pour ni
contre, je dirai seulement qu'à Frendah, une personne
digne de foi m'assura que la pierre, aujourd'hui perdue,
.fut apportée par un charretier dont le nom me fut cité,
qu'on pouvait y lire seulement Solomo et qu'elle fut mise
en pièces par des soldats de la légion étrangère dans le
poste desquels elle avait été déposée. Cet acte de vanda-
lisme, s'il est vrai, n'est pas le seul que l'Algérie ait à re-
gretter depuis la conquête française.
Après une courte halte à la ferme de Mellacou, qu'at-
<*> Largeau, Le Sahara algérien, 2« édition, Paria 1381, p. 237-238. V. égale méat la
Description de V Afrique par un géographe anonyme de l'hégire, éd. Krener. Vieane,
1852, p. 32.
•^ BUtoirt de* Berbèrte. trad. de Slane, t. H, p. 510.
MISSION SCIENTIFIQUE EN ALGÉRIE ET AU MAROC. 565
teignit Bou-'Amémah en juillet 1881, nou6 arrivâmes
bientôt à Tiharet. La ville, ou plutôt les trois villes (le
Bordj, le Village et le Village nègre), a été assimilée par
quelques-uns au siège épiscopal Tingarimsis de la Notilia
: Afriex (*.). Le bordj ou la vieille Tiharet, bâti au 6ommet
d'une montagne escarpée, est entouré d'une enceinte con-
tinue, percée de quatre portes, et traversé dans toute sa
longueur par la rue de Mascara. Cette première enceinte,
protégée par deux ravins, est rattachée au Village, ou plutôt
à la nouvelle Tiharet, par une promenade plantée d'arbres
sur la pente la moins escarpée de la hauteur. De l'autre
côté du village, sur une élévation, le Village nègre, mal-
propre comme toutes les agglomérations de ce genre. Le
bordj représente Tiharet (en berbère, la station) la vieille,
construite par les Berkadjenna qui furent obligés de l'aban-
donner pour s'établir à Tiharet -Es -Sofia, aujourd'hui
Takdemt(*). Elle fut relevée en 1843, par le général La-
moricière. La ville neuve est en construction, sans rien de
remarquable : quant au paysage des environs, il est affreu-
sement désolé jusqu'aux montagnes du Nadhor qui le limi-
tent au sud.
Le lendemain de mon arrivée, je repartais pour Relizane,
pour de là gagner Oran et Tlemcen où j'étais attendu. Le
voyage se fit sans incidents et je ne trouve à signaler que
le charmant village de Zemmorah, où je devais revenir à
mon retour du Maroc. Zemmorah (du berbère Azemmour,
l'olivier sauvage), est entouré de bois de lentisque6 et d'o-
liviers : sur une des collines qui le dominent, on aperçoit le
monument commémoratif de Mous't'afa-ben-Ismaïl, le chef
des Smalas et des Douairs, rallié à nous depuis la con-
quête, et qui fut tué à l'âge de 80 ans, en essayant de réunir
(') D. Ruinait, TÏUtoria per$ecutionis vandaUeœ. Paris, 1694, p. 137,456.
(*) El Bekri, De$eription de V Afrique septentrionale, trad. de 81aae. Paris, 1859,
io-gp, p. 159.
566 GÉOGRAPHIE MILITANTB : EXPLORATIONS.
près de Tifour ses soldats dispersés par une panique, h
centre du village 6e dresse un énorme olivier qui lui *
peut-être donné son nom. A mesure que j'approchais k
Relizane, les champs devenaient plus secs, les moieso*
moins belles, jusqu'au moment où nous atteignîmes 1»
parties arrosées par le barrage de la Minah.
(A suivre.)
2« ETUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE [£L
LE JURA
{8uUe.)
CHAPITRE IL
STRUCTURE.
SECTION PREMIÈRE.
Constitution dn Jnra.
La constitution du Jura est assez simple ; il ne pré-
sente que des alternances multiples de calcaires et de marnes.
Un œil exercé ne parvient souvent qu'avec peine à dis-
tinguer les assises et les groupes qui forment les étages
jurassiques. Seuls, des fossiles dominants, une végétation
particulière, des degrés variables de compacité et de ré-
sistance à l'érosion, des teintes plus ou moins claires enfin,
permettent de discerner les calcaires coralliens du haut
Jura, des calcaires oolithiques du plateau et de la falaise
bressane. Au surplus, que le lecteur se garde de croire
que la connaissance de ces étages et sous-étages lui sera
indispensable ici ; la division en groupes — il n'y en a que
trois — peut lui suffire et nous allons chercher à en établir
les caractères, bien qu'ils soient encore pluspaléontologi-
ques que pétrographiques, et pour cela nous nous baserons
essentiellement sur leur perméabilité.
Les assises perméables du Jura sont Voolithe, le coraltieti et
les calcaires crétacés. Sont imperméables les marnes du lias
et de Voxfardien. « Les sources sortent entre les marnes
< et les calcaires qui reposent sur elles. La partie ouest
« du plateau présente de très rares et très petites eour-
568 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
« ces. De nombreux puits absorbants criblent le soi,
« donnent à l'eau pluviale un écoulement rapide et laisser
« toute cette surface constamment à sec ; elle s'abreuve eu
« général par des citernes.Q. » C'est ainsi que des amorm
de rivières débouchent dans des puits d'érosion; elles sont
desséchées en dehors des temps de pluie, bien qu'on entende
rouler les eaux au fond des entonnoirs. De là, les eaux
gagnent le fond des vallées par des canaux souterrains qui
ont souvent plusieurs lieues de longueur. Il ne pleut pas
dans une vallée, et tout à coup les sources grossissent et
charrient une masse d'eau trouble et limoneuse; il y a eu
abat d'eau sur la montagne. « La partie Est du plateau offre
« de belles sources, sortant généralement au-des6us des
« marnes oxfordiennes. Enfin, la zone des chaînes possède
« des sources abondantes dans ses parties basses, et des sur-
« faces complètement sèches dans les régions élevées (').»
L'épaisseur moyenne du terrain jurassique est de 900 i
1,000 mètres. La masse proprement dite du Jura e6t com-
posée d'oolithe, d'oxfordien et de corallien; car le crétacé
et le terrain tertiaire ne font que tapisser le fond des
hautes vallées de la zone des chaînes.
*
Au pied de la falaise bressane s'élèvent, de Lons-le-
Saulnier à Poligny, Arbois et Mouchard, de fortes col-
lines de lias : c'est la zone des vignobles. Sur le pourtour
extérieur et dans les intervalles, s'étendent des bancs pois-
sants de gypse et de sel gemme du triât: Salines deMonl-
morot, Grozon, Salins et Arc-Senans. Les formes des col-
lines du lias et du calcaire coquillier du trias 6ont très
douces, et leur constitution interne n'apparaît que dans
les carrières. Au delà s'étend, jusqu'à la Saône et jus-
qu'aux montagnes du Beaujolais et du Charollais, la
va6te plaine de la Bresse. De ce côté donc, les montagnes
du Jura sont précédées par une zone collinaire de lias, de
(') Frère Ogérien, Géologie du département du Jura.
(*) Frère Ogérien', Géologie du département du Jura.
LR JURA. 569
r à 8 kilomètres de largeur. La plupart du tempe, uu cha-
fean oolithique recouvre les collines et montre que cette
lone, avant d'avoir été dénudée par les érosions, était cons-
tituée par l'oolithe et qu'elle n'est en somme que la partie
ibaissée de la grande faille qui a redressé le plateau et
l'a porté à la hauteur où nous le voyons aujourd'hui.
Enfin, le terrain crétacé dont les lambeaux sont dessinés
en vert sur la carte atteint 300 mètres, et il présente en-
core des alternances de calcaires jaunes ou bruns, de
marnes bleuâtres et de grès verdâtres. Quant au terrain
tertiaire, il est surtout répandu dans les vallées affluentes
9e la Birs. Le tableau de la page suivante résume les ca-
ractères pétrographiques du Jura.
SECTION H.
Plissements.
Suivant Heim (*), le Jura e6t un type de chaîne. « Les
chaînes, dit-il, montrent des crêtes allongées, souvent
tronçonnées et incisées; la forme géométrique de leurs
culminances dénote un assemblage de pièces presque
parallèles et rectilignes ou un peu courbes.
« Nous voyons dans les chaînes les couches de la terre
s'affaisser par endroits et constituer des auges ; en d'au-
tres, elles s'empilent en forme de voûtes. Deux voûtes
reliées par une auge constituant une combe. La direc-
tion de chaque combe est plu6 ou moins conforme à *
celle de la chaîne; aucune d'elles ne la sillonne dans
sa longueur totale, son étendue est limitée et elle s'af-
faisse à ses deux extrémités. Sur son prolongement di-
rect, ou avec déviation, s'amorce une nouvelle combe ré-
sultant de la même impulsion. Ainsi, tandis que le Jura
présente un développement de 320 kilomètres, des com-
570
ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
TABLEAU DES TERRAINS QUI CONSTITUENT LE JURA.
Terrain*.
Tertiaire M
Crétacé N.
Jurassique
supérieur J»,
Jurassique
moyeu J* .
Jurassique
inférieur J1
LiasL . .
Trias T . .
•
Mollasse (grés) . Conglomérats, argiles.
Craie. Calcaires blancs ou Jaunes en
bancs épais et marnes blanches . .
Jurassique.
Corallien. Calcaires compacts, durs,
blanchâtres, en bancs puissants, à
texture parfois cristalline et coral-
lienne
Oxfordien. Calcaires et marnes bleu-
âtres
Oolithique. Calcaires roux arec oolilbes
(myriades de concrétions calcaires
de la grosseur d'un grain de millet) .
I Calcaires et marnes noirâtres reposant
sur des calcaires gréseux et ferru-
gineux
Marnes irisées
Corallien .
Oxfordien .
Oolithique.
Lias . . .
Marnes u
Calcaires 8
Marnes 2
Calcaires 2
Marnes 8
/10
/I0
/10
/10
/10
/ 10
/10
/10
soif
300"
i«f
l«f
Proportions des calcaires et des marnes.
Calcaires 9j
Marnes 1.
Calcaires i/10 f Épaisseur moyenne des trois étages:
1,0<MF.
LE JURA. 571
bes n'atteignent que 12, 27, 28, 31, 51, 92 kilomètres, et
dans un seul cas, près de 162. Dans le sens transversal
s'échelonnent de 19 à 12 combes parallèles. Thurmann
en comptait en tout près de 160.
« Les voûte6, dans la zone des hautes chaînes, sont
moins intenses, mais par contre plus nombreuses que sur
le plateau ; celles-ci sont les plus intenses. Dans le Jura
franc-comtois, elles s'étendent sur une zone de 25 kilo-
mètres de largeur, et dans le Jura argovien sur 7 kilo-
mètres et demi. Là gtt la masse ancienne de la Forêt-
Noire, pièce rigide de l'écorce qui ne pouvait se modeler
sur les ondulations jurassiques ; toutes les combes de-
vaient donc s'engager dans l'étroite zone à la lisière
sud de la Forêt-Noire.
c Dans l'angle où les chaînons du Jura débutent
comme une tangente aux Alpes, surgissent encore quel-
ques voûtes certainement indécises entre le Jura et les
Alpes. Les plus surprenantes sont le Salève et les Voi-
rons : la première émerge de la mollasse, à 18 ou 20
kilomètres des Alpes, et à la même distance du Jura,
c Les montagnes plus anciennes qui les avoisinent exer-
cent une influence sur la direction des chaînes : celles-ci
se courbent et courent autour de leur pied. Là où le Jura
se développe 6ans obstacle, dans le canton de Neuchâtel
par exemple, sa direction est S.-O.-N.-E.Q; mais au
N.-E., les plateaux plus anciens des Vosges et de la Fo-
rêt-Noire s'avancent à sa rencontre, le Jura alors presse
ses combes, les complications dynamiques deviennent
plus considérables et la direction de ses crêtes devient
O.-E.
« Plus Y intensité d'une chaîne demeure constante, plus
ses chaînons sont rectilignes. Plus, au contraire, une
chaîne diminue d'intensité dans son développement lon-
0 Ce développement, en effet, n'ert-il pas gêné au Nord par la Forêt-Noire, a»
foi parlée Alpes?
572
ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
c gitudinal, plus ses chaînons se courbent. Ainsi, de 6e-
« nève à l'Aar, les chaînons du Jura sont à peu près en
« ligne droite, S.-O.-N.-E., et il n'est que légèrement
< courbé vers le Nord. Dans celte étendue aussi, la poussée
« d'ensemble est à peu près uniforme ou bien elle diminue
„ lfâ LaChanrdnDomtief
V.deAin :..^ S*Çlaude
tt.de lïnUie;
Bracie Fîb«i
VaLserr
ne
■ *
Fi*. ».
peu à peu vers l'Est. Mais depuis Genève, vers le Sud-
Ouest l'intensité de la chaîne se réduit considérablement
et rapidement. Là où le Rhône traverse le Jura, les chaî-
nons intérieurs courent déjà du Nord au Sud, et les chaî-
nons extérieurs à l'Oue6t (Molard-de-Don 6ans doute) se
tournent déjà au N.-N.-O.-S.-S.-E.
c Enûn, au Sud-Ouest de Chambéry, la chaîne se limite
à une zone très étroite, laquelle, au point où elle rencon-
tre l'Isère, ne forme guère plus qu'une chaîne unique.
De Chambéry à Saint- Laurent-du-Pont, la dernière crête
du Jura se plie à la crête la plus extérieure des Alpes.
Nous observons donc de nouveau, dans la partie sud-
ouest du Jura, la relation qui existe entre une diminution
rapide de l'intensité et une courbure croissante de la
chaîne. »
La coupe générale du Jura (fig. 4), du professeur Chof-
at, montre clairement que la poussée latérale, ou si vous
e préférez, l'effondrement de la plaine suisse en, donnant
naissance à nos montagnes, ont produit à leur surface
quatre grands ordres de phénomènes :
1° Des plissements en voûtes, c'est-à-dire des chaînons et
des vallées (combes) parallèles, normaux à la direction de
la pression exercée ;
LE JURA.
573
2° L'éclatement fréquent de ces voûte6 au sommet, lorsque
Ja limite d'élasticité des couches s'est trouvée dépassée ;
3° Des failles suivies de dénivellements, cassures verticales
et profondes, orientées dans le sens des voûtes et des sil-
lons, et représentant le paroxysme des effets de la pres-
sion;
4° Des fractures des chaînons normalement à leur axe,
ceux-ci n'ayant pu se courber et 6'étant rompus comme une
barre de fer que l'on essaye de couder ; c'est-à-dire des
cluses.
Les voûtes et les plis qu'elles enserrent ne présentent
pas des formes très variées, et le lecteur s'apercevra bien
vite, s'il examine les coupes que nous en donnerons, que
ces formes se ramènent à peu prè6 toutes aux suivantes :
Vonte oolilhiquc
Combe oxfordienne
Vbûie corallienne
Combe oeocomieune
Flg. s.
Voile oolilhiqac avec crets el flancs
coralliens et néo contiens.
TaJo» oxfimb'en .
Crêl corallien
Blanc corallien.
Fiff. 4.
La voûte oolithique A est assez rare et particulière au
plateau ; les formes les plus fréquentes dans la zone des
chaînes sont la voûte corallienne pure B et la voûte ooli-
thique G avec créts coralliens. Cette dernière n'est qu'une
■OC DM OiOOB. — 4« TBIMMTBB 1883.
87
574
ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
voûte corallienne rompue au faîte et laissant apparaître au
fond do la cassure, au pied des crête, les calcaires oolithi-
ques. Dans la réalité, elle n'est point aussi régulière, et
les érosions lui ont laisBé le profil D, le sommet de la
voûte ayant été arra6é.
Comme largeur, elle est assez variable ; les voûtes les
plus étroites ne dépassent guère 1 kilomètre et les plus
épaisses 3 kilomètres ; il n'y a aucun rapport à chercher
entre leur largeur et leur hauteur. Les combes atteignent
4 à 6 kilomètres de largeur ati plus, et la plupart du temps,
elles n'ont que 1 à 2 kilomètres. Souvent môme ce ne sont
que des couloirs étroits d'une centaine de mètres et dont
le fond s'élève en même temps que les chaînons qui l'en-
cadrent ; elles communiquent entre elles soit par des clu-
ses, soit par de bas et larges ensellements.
c Les créts coralliens sont des murailles blanchâtres, à
pentes vives et parfois verticales, en forme de bastions
crénelés, d'arêtes bizarres et déchiquetées. C'est surtout
au sommet de leurs dents proéminentes que l'ami des
études historiques recherche en cent endroits la der-
nière trace des gothiques manoirs élevés par les nobles
seigneurs de l'époque féodale, qui trouvaient dans ces
retranchements naturels leur force et leur sécurité. Enfin,
c'est au point culminant de ces cimes chenues, dominant
de vastes horizons et de 60 à 80 mètres le fond de la
déchirure D, qu'ont été placés la plupart des signaux
trigonomé triques. On comprendra aisément pourquoi
ces crêts jouent un rôle si étendu.
« Sous les pieds de l'observateur s'étend une déchirure
profonde et souvent inclinée (D), dominée par des ro-
chers à pic du côté du talus oxfordien, et de l'autre, par
des flancs (F) à formes arrondies ; et si la végétation
d'arbrisseaux qui s'élancent souvent des fissures de l'a-
brupt et recouvrent le talus de débris de la base, ne
dérobe pas à ses regards le fond du vallon (D), il remar-
LE JURA. 576
■ qoera le cours sinueux du ruisseau déterminé par la
t présence de6 marne6 oxfordiennes, et les champêtres
* demeures que le montagnard élève de préférence dans
* le voisinage des eaux. Il pourra observer, non loin des
r prés verdoyants qui les entourent, l'excavation pratiquée
* pour extraire les marnes bienfaisantes qui doivent amé-
» liorer les pâturages arides de la voûte oolithique. Ordi-
b nairement, avant d'arriver au crêt corallien! l'observa-
c tear qui gravit le talus aura traversé des forêts de sapins
« ou d'épicéas.
c La voûte oolithique est couverte de pâturages ou de prés
« secs, et ses flancs sont garnis de riches forêts ; son aspect
c est riant et arrondi. Tout ce qui précède sur la végétation
« est modifié dans diverses chaînes, suivant les différences
c de hauteur ; mais le contraste entre la végétation de ces
c trois accidents orographiques : crêt, combe et voûte n'en
« est pas moins constant- et ne les divise pas moins en trois
« stations distinctes (f). »
Nous ajouterons ceci : les crêts et les plateaux déchirés
du corallien étaient connus bien avant l'époque féodale
dont parle l'illustre savant ; la plupart étaient des stations
romaines, des gîtes d'étape, des oppidums inexpugnables
qui commandaient les routes stratégiques et les défilés de
la Séquanaise .
SECTION m.
Cols et trouées.
Relativement rares dans le Jura, les hauts enselle-
ments des crêtes auxquels on donne le nom de cols ne se
rencontrent guère que sur les chaînons extérieurs qui
dominent le canal de Genève et la plaine suisse. Pour le
reste, la zone des chaînes n'est fragmentée que par des
cluses, brèches totales ou trouées qui, ne se correspondant
point, rendent la viabilité difficile et très sinueuse. Il y a
C) T'aormaon, Suai *ur U§ ioulèvtwunlê jwraulqutt.
I
576 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
plus, si nous démembrons les chaînons extérieurs, no»'
constatons que ces trouées sont en plus grand nombre
que les cols et que par là le Jura est d'un accès commode,
les difficultés présentées par le sol consistant uniquement
dans le cisaillement de la région plus ou moins étroite des
hauts chaînons orientaux. Cette barrière est-elle solide?
Je le croirais volontiers : l'existence de Belfort-Lômont et
de Lyon, l'absence de bonnes communications longitudi-
nales empêchent de la tourner, enfin l'occupation de la
région de Pontarlier à Champagnole la rendrait invulné-
rable.
Sur les trouées du Jura, une seule, celle des Rousses,
n'e6t point suivie par urt chemin de fer. Ce qui 6uit prou-
vera qu'il y a trouées et non point cols.
I. Buèche d'Ambebjeu a Culoz, par la gorge des Hôpitaux.
2ôl 375 238
Arabérieii, 24 kil.; les Hôpitaux ('), 22 kil. à Artemare, à rentrée (te
la plaine de Culoz.
II. Brèche de Kantua a Belleoardb, par le lac de Sylaus.
4S0 623 515
Santua, 4k,500; Lac de Sylant, 8k,500; Sl-Gerniain de Joux.
III. DnÈGHE de Jouqnk, ou de la Sugenaz.
1,000 1,050 7S8
Hôpitaux-Neufs, 2 kil.; Jougne, 10 kil.; Yallorbe.
IV. Brèche des Verrières, ou du Val-Travers.
S45 933 746
S'-l'ierre-la-Cluse, 8 kil.; les Verrières suisses, 10 kil.; Fleurier.
V. Brèche des Rousses. Elle est de beaucoup la plus élevée.
1,135 1,246 1,049
Les Rousses, 12 kil.; Passage des Rousses, 8 kil.; SMtagnes.
VI. Brèche du Cul-dbs-Roches.
750 980 921
Les Busols, 3k,500; le Guides-Roches, 2 kil. ; Le Locle.
Je n'ai point parlé jusqu'ici de la grande trouée du Rhône,
du Fort de l'Écluse à Lagnieu; c'est une enfilade de
cluses, combes et vallées-failles, la seule brèche totale qu«
{}) La cote des Hôpitaux oit un pou approximative.
LE JURA. 577
sente le Jura. Pour un parcours de 110 kilomètres, le
uve y fait une chute de 152 mètres seulement.
En dehors de ces sept trouées, le Jura n'est accessible
e par 4 cols proprement dits : la Faucille, le Passage de
inte-Croix, le col des Sarrasins et le6 Rangiers.
La Faucille est à l'altitude de 1,323 mètres; elle domine
i de 676 mètres et Mijoux, sur la Valserine, de 340.
e à de nombreux lacets, la route s'y élève par une
pe de 6 centimètres par mètre depuis Gex, mais la
Jpente est rapide sur Mijoux, car elle atteint plus de 8 cen-
timètres de ce côté. Au col, il y a bifurcation sur le fort
des Rousses par la vallée des Dappes (tâte de la Valserine),
de sorte que de la Faucille on se dirige à volonté sur Saint-
Claude ou sur Morez et Champagnole, par une route fort
belle tracée sur le flanc de la, Dôle.
Enfin, tout au Nord, deux chaînes convergent sur le
Mont-Terrible : ce sont, le Clos-du-Doubsetles Franches-
Montagnes. Le point de croisement est marqué par une
dépression étroite connue sous le nom de Passage des
Rangiers. Est-ce un col? est-ce une trouée? 4 routes en
partent sur Porrentruy et Montbéliard, Délémont et Bâle,
Sainte-Ursanne et Pont-de-Roide, enfin sur Glovelier. Le
doute n'est guère possible, c'est une huitième trouée, ou
plutôt un palier du genre des Rousses et très voisin des
cimes qui l'encadrent, car le Oremay et les côtes n'attei-
gnent que 943 et 1,006 mètres.
Glovelier, 7 kil.; les Rangiers, 4**500; Cornol.
527 S64 520
SECTION IV.
Failles principales.
Les failles jouent un grand rôle dans l'architecture du
Jura, et, suivant M. Étal Ion, c c'est à elles que le sol doit
Km principal relief (*) ». Il est évidemment impossible
(*/ Ktqui— d'une détcription géologique du Haut-Jura.
578
ÉTUDE8 OS GÊOLOGII MILITAIRE*
de les énumérer toutes, et nous devons nous borner à si-
gnaler celles qui accompagnent les chaînons principaux;
ce sont les plus importantes, en raison des dénivelleme&tf I
qui en ont été la conséquence, dénivellements atteignant
plus de 300 mètres dans la zone des chaînes. Le sens il
donner au mot faille pouvant échapper à quelques lecteuxs,|
force nous eBt d'entrer ici dans quelques explications.
Nous savons que l'écorce terrestre ne parvient à ee mon*
1er sur le noyau en contraction qu'en se ridant et en se|
fracturant. Les fractures en question sont de profonde
cassures verticales ou obliques, généralement rectiligneaj
qui accompagnent les rides ou qui les traversent dans toute'
leur épaisseur ; on leur donne le nom de failles. « Le car
« ractère essentiel d'une faille, c'est le glissement de ses i
« deux lèvres l'une contre l'autre, Tune s'étant exhaussée, i
« tandis que l'autre s'est abaissée. Il en résulte que tes
« parties correspondantes d'une faille, contiguês avant son ;
« apparition, ne 6e maintiennent pas au même niveau. La
c distance verticale qui, dan6 une faille, sépare les deux ;
c lèvres, mesure le déniveUement de cette faille. On appelle
< regard d'une faille le point
« de l'horizon vers lequel est
c tournée la lèvre exhaussée,
« son bord saillant ('). »
Ce sont là des accidents
majeurs dans l'orographie ;
les failles ont permis aux piè-
ces qui forment la charpente
du Jura de glisser les unes
contre les autres et ont aidé
le massif à s'édifier. En som-
me, le Jura lui-même est «le
« résultat de deux failles — nous les avons signalées au
Faille
FI*. A.
A. B. Livrée d'âne faille. — A. Umt
exhaussée. — B. Lèm ■ïiaii— *■ —
A. B. DéniwXUmâmi — A. R. Bàpri
de U faille. TouUê Ut foLUm et
oui le regard fronçât*.
(*) Vésian, Prodrome de géologie
LE JURA. 579
« début de cette étude — qui, s'étant produites dans la
c masse jadis continue comprise entre les Vosges, le Pla-
« teau- Central et les Alpes, ont amené rabaissement des
« parties de l'écorce terrestre correspondant à la plaine
« bressane et à la plaine helvétique, et l'exhaussement de
« la région comprise entre ces deux larges vallées (') *.
Tout en provoquant le surgissement d'arêtes monta-
gneuses, il arrive souvent que les lèvres des failles sont
jointives, mais alors leur existence est attestée par la mise
en contact de terrains d'anciennetés et de natures diffé-
rentes. La figure 18 nous en fournit un exemple.
Enfin, il est un fait à signaler : assez rares sur le pla-
teau, les failles sont très nombreuses dans la zone des chaî-
nons ; elles 6finfléchi6sent pour en suivre les directions
successives et presque toutes présentent leur lèvre redres-
sée, en regard du plateau, de la Bresse et de l'Alsace ; ce
qui veut dire qu'elles accusent le relief progressif des
chaînons, depuis ceux qui abornent le plateau jusqu'à ceux
qui se dressent en murailles au-dessus de la plaine 6uisse.
Énumérer les failles principales, tant celles de la lisière
du massif que celles qui en parcourent l'intérieur; indi-
quer les accidents orographiques qu'elles ont produits, une
étude de ce genre ne saurait comporter d'autres consi-
dérations.
A. — FaUUs du Rhône aux Forts de V Écluse et de Pierre-
Châtel.
Faille deSaint-Genix à Lagnieu. Ce sont elles qui permet-
tent au fleuve de gagner la plaine de Lyon; si elles n'exis-
taient pas, l'écoulement de ses eaux se ferait vers les lacs
du Neucbâtelois par la Yénoge. A la traversée de ces
failles, le Rhône n'a guère plus de 12 mètres de largeur ;
les défilés sont courts, mais bordés de murailles à pic. La
lèvre redressée de la faille de Lhuis forme l'âpre chaînon
C1) VfaUn, etfotoffa du Jura.
580 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
du Molard-de-Don, et le jurassique inférieur, sur là rm
droite du Rhône, y est relevé à la hauteur de l'oxfordieu,
sur la rive opposée qu'il domine même considérablement.
B. — Faille de la Bombes et de la Bresse. Elle débute aux
environs de Grémieu et s'étend jusqu'à Salins par la Balme,
Lagnieu, Pont-d'Ain, Goligny, Beaufort, Lons-le-Saulnier,
Poligny et Arbois. La lèvre redressée forme des^ escarpe-
ments continus et parfois, comme entre Grémieu et la
Balme, d'un pittoresque achevé. Adossés contre leurs
flancs, des bandes ou des lambeaux de lias et de marnes
irisées constituent la zone des vignobles. Cette zone, assez
développée entre Lons-le-Saulnier et Salin6, où elle atteint
15 kilomètres de largeur, est collinaire, et le niveau des
marnes irisées s'y raccorde insensiblement avec les plai-
nes tertiaires de la Bresse. Enfin, au sommet de certaines
collines, des chapeaux de jurassique inférieur. La figure
suivante montre cette disposition générale de l'avant-ter-
rasse du Jura, dont la hauteur varie de 300 à 400 mètres.
Bletterans
200 i
T ~ .„ L'Etoile Imthij Rosnaj
Labeillc ; lcPin ?Jt Ô503 jj*
ft iM*ji? y^S ^™
vi ^ ■ . Sfflr m- -**•_- i l Faille
À s&* MJ.afc^ Faille bressan*
Fig. 6.
À. Al lu v! on a actuelle!. — M. T. tertiaires* — J1 Jurassique supérieur- — L. IH»,
M. L Marnes irisées. — 8. Sources de la Seille.
C. — A Salins convergent trois grandes failles : 1* la
précédente, venant d' Arbois par les Arsures et Marnoz;
2° la faille de la Loue qui gagne le N. du grand coude de
Busy, par Saint-Thiôbaud, By et Cessey, à TE. de Quia-
gey ; 3° la faille de Montmahoux qui, de Salin6, gagne Loos
et le vallon d'Athoze, par Nans et Montmahoux. C'est dans
l'angle de convergence des failles de la Loue et de Mont-
mahoux que s'élève, à 853 mètres, le Mont-Poupet, qui pré-
sente dans un espace restreint, non seulement toute la série
depuis les marnes irisées jusqu'aux calcaires portlandiens,
LE JURA. 581
mais encore des lambeaux de calcaires infracrétacés. C'est
à la présence de ces failles qu'il faut attribuer, non seule-
ment les bouleversements de cette région mais son sur-
exhaussement , toutes choses qui frappent les yeux les
moins attentifs.
MtPoupet
-*. s
Salsenaj^^5
^ 4S8
forp&e
Flg. 7.
F. Faille de le Loue. — F1. Faille de Monimafcoiix* — L. Liée. — M. Marnée
irisées.
Entre leurs lèvres redressées, c'est-à-dire entre les chaî-
nons de Montmahoux et de By , s'étend un plateau triangu-
laire dont le Lison forme le troisième côté, et qui a donné
lieu, sous l'Empire, à de vives controverses, les savants du
pays ayant voulu y trouver AUsia (Alaise), le célèbre op-
pidum du Vercingétorix. Nous le verrons plus tard, avec
l'appui de Salins, ce plateau semble susceptible de jouer
un grand rôle dans la défense du Jura ; les gorges étroites
et profondes du Lison et dé la Loue, depuis Nans-sous-
8ainte-Anne jusqu'à Ghenecey, forment une ligne de dé-
fense très solide ; sa gauche s'appuie aux ouvrages de Be-
sançon. D'Adam-le-Passavant à Gratteris, par Aissey, les
Verrières-du-Gros-Bois et Mamirolle, s'étend une faille
continue et sinueuse qui a érigé les hauteurs d'Anroz et
du Gros-Bois à 200 mètres environ au-dessus du plateau
dit des Marais-de-Saône. Cette faille disparaît à Gratteris,
et nous la retrouvons le long de la Loue et du Lison, de
Malbrans à Lizine et Doulaize. Le jurassique inférieur y
est mis en contact avec le jurassique supérieur. C'est la
faille de la Lotte et du Gros-Bois.
582 ÉTUDES DB GÉOLOGIE MILITAIRE.
En tirant vers Pontarlier, apparaît une nouvelle faiBf
qui du S.-O. de Sombacourt gagne les Prés-de- Verre par
Goux et Saint-Gorgon ; c'est au pied de cette faille qw
naît la Loue et c'est d'elle peut-être que la rivière reçoit h
grande masse d'eaux qui fait de suite mouvoir piusieon
moulins. Faille des sources de la Loue.
De Longemaison ou d'Arc - sous - Cicon, peut -être à
Luhier, par Grand-Fontaine et Fuans, règne une faille qui
alimente le Dessoubre. C'est la faille des sources du Des-
soubre.
Ces deux failles ont redressé sur leur lèvre orientale le
long chaînon du Ghaumont.
Enfin, de Dampjoux à Mathey, la direction du Doute
est marquée par une grande et profonde faille ou cassure!
que le Doubs a mis à profit pour sortir du plateau du Jura:
faille de Pont-de-Roide. Il est à remarquer que cette bille
n'est pas simple, mais conjuguée avec une autre de moindre
importance qui lui est parallèle ; aussi le lambeau qu'elles
emprisonnent s'est-il effondré alors que les deux parties
attenantes du Lômont seraient demeurées à la même alti-
tude. C'est donc là, non point une cluse, dans le sens ordi-
naire du mot, et pas davantage une de ces vallées- failles dont
la Val6erine nous a fourni le type, mais une vallée (feflon-
drement du genre de celle de Nantua.
D. — De Fourg à Glerval, la vallée du Doubs est jalon-
née par une faille continue qu'enlace la rivière dans ses \
innombrables méandres. Le Lômont bisontin en estlaiéte ;
redressée et le Chailluz la ride affaissée correspondante.
Elle forme au Sud-Est de Besançon un faisceau de troi* .
failles parallèles qui explique de la façon la plus simple
l'échelonnement des travaux de la forteresse dans ce gtaûd
secteur. Ce sont, de l'Ouest à Y Est :
La faille des Trois-ChâteU (Trochatey). Suite de la faille
du Doubs : Busy, Larnod, Beure, faille de Trois-Châtelf,
Morre;
LE JURA. 583
La faille de Monifaucon : Arguel-Pugey, Mont-des-Buis,
Morre;
La faille de Fontain : Chez-l'Homme, F on tain, la Vèze,
Citadelle F. Tribal els „ „e ^ Couleurs de Fonlaia
Besaaeon :Pont 4r Secteurs iaoo 51IÂ. LaVèfe
dt
Trois-ChateJs MantftucoD Foutais
Flg. 8.
Partant en quelque sorte de la hauteur de Chez-Clément,
elles se réunissent vers Montfaucon et déterminent ainsi
les extrémités du secteur et deux groupes d'ouvrages dont
l'un, le Montfaucon, est achevé et l'autre à l'étude. Nulle
part peut-être, la géologie et la fortification ne se montrent
plus heureusement d'accord que dans le périmètre défensif
de Besançon, et je me gardais de l'oublier (1).
E. — J'ai parlé de la chaîne du Chailluz •, elle dessine
un arc de cercle dont le Doubs et le Lômont bisontin for-
meraient la tangente, Besançon étant situé au point de con-
tact. Ici encore, il y a faille de premier ordre et escarpe
vers l'Ouest, comme dans toutes celles que nous venons
d'énumérer. On la suit sans interruption de Rougemont à
Audeux par Rigney, Devecey et Auxon, produisant une
grande dénivellation qui se poursuit jusqu'à Héricourt.
Cette falaise est un des accidents les plus heureux pour
la défense de Besançon. On y découvre, domine et bat
toute la vallée de FOgnon jusqu'à Yillersexel, si ce n'est
même jusqu'à Lure. La ride présente une dépression con-
sidérable à Miserey, aux portes de la place, où l'Ognon se
trouve le plus rapproché du Doubs ; elle est mise à profit
par les voies ferrées de Besauçon sur Gray et sur Yesoul.
La hauteur fortifiée du Chailluz bat cette sorte de trouée
(*) Pour ton* ces détails, roir la carte d'état-maj or auSO 000 . Fcmille de Besançon.
584 ÉTUDES DR GÉOLOGIE MILITAIRE.
et la gare de bifurcation. Il est vrai de dire qu'à partir de
Miserey, en tirant vers le Sud, règne une véritable confu-
sion de hauteurs qui constitue pour Besancon, de ce côté,
une zone relativement faible ou Ton ne sait trop jusqu'où .
pousser les travaux de défense.
F. — L'intérieur du massif du Jura est silloniié par un
grand nombre de failles et je me bornerai à citer les plus
importantes de l'Ain à la Bienne et à la Valserine : toutes
ont leur regard vers l'Ouest.
Faille de l'Euthe:àu Poids-de-Fiolez au Pont-d'Héry, par
Mirebel et Montrond : elle a mis en contact le jurassique j
inférieur, qui forme l'arête de l'Euthe, avec l'oxfordien, j
dont une longue bande longe toute la chaîne à l'Ouest
(flg. S). |
Faille de Chdtel-de-Joux: de Moizans par Étival, Châtel-de- !
Joux à la Frânée.
Faille du Lison et du Dombief: les Crozete par le6 Piards,
Prénovel, la Chaux-du-Dombief, Morillon, les Planches
et les Ghalémes. Dans ces deux failles le jurassique supé-
rieur a été relevé et elles ont donné naissance à de puis-
sants chaînons : les forêts de la Joux, de Moizans et de la
Grochère ; les bois de la Sourda, et de la Joux -Derrière,
la forêt de Prénovel et des Piards, la forêt de Bonlieu, la
côte du Maclus et le Haut-Joux (flg. 28).
Faille du Tacon: elle a mis en contact le jurassique supé-
rieur avec l'inférieur.
Enfin, la faille de la Valserine a mis en contact le crétacé
avec le jurassique inférieur et surélevé la chaîne du Re-
culât et du Crêt-de-Ia-Neige (flg. 23).
Combien d'autres à citer ! Le Lômontde Pont-de-Roide
et le Mont-Terrible paraissent être la lèvre redressée d'une
longue faille dont le plateau du Sundgau serait la lèvre
abîmée. Je n'ai jamais pu voir, depuis les environs de Bel-
fort, cette muraille rocheuse et tapissée de forêts de
sapins, sans me dire qu'elle ne résultait point de l'érosion
LE JURA. 585
et n'était point une écorchure, mais le résultat d'une for-
midable cassure, un des bords s'étant relevé et l'autre
abîmé, et sans songer au jeu des touches d'un piano qui
s'affaissent sous les doigts, alors que les autres demeure*
raient dans leur position. La plaine suisse aussi s'est
abîmée, et au pied de la falaise, le long de la Thicle, du
lac de Neuchâtel, de l'Aar, il y a faille.
Que le lecteur me pardonne d'être entré dans ces détails ;
j'attache aux grandes lignes de cassures suivies de rejets
une grande importance dans l'orographie des masses mon-
tagneuses : 6i l'on observe que des failles, pratiquées le
plus souvent à leur pied occidental, accompagnent les
chaînons du Jura et ont dressé leurs flancs, abrupts de
ce côté, à de grandes hauteurs, qu'elles sont jalonnées
par de6 conduits souterrains où s'amassent les eaux qui
se dégorgent par de grosses sources dans les vallées per-
pendiculaires aux chaînons, on comprendra que ce sont
là, avec les plissements et les voussures, les traits fonda-
mentaux de l'architecture de nos montagnes.
Nous aurons l'occasion d'y revenir lorsqu'il s'agira de
l'hydrographie du Jura.
SECTION V.
Caractères des vallées.
Il est aisé de le concevoir, les vallées tirent leurs ca-
ractères extérieurs de la constitution et du mode de forma-
tion des montagnes au sein desquelles elles sont prati-
quées et qui les encadrent. C'est ainsi qu'elles offrent un
tout autre aspect dans les montagnes calcaireuses que dans
les masses dites primitives que constituent le granité, le
porphyre, les gneiss et schistes. Elles résultent dans tous
les cas de fractures ou de plissements, à moins qu'elles
n'aient été creusées par les eaux, et en effet, les vallées
ont une origine soit interne, soit externe, certaines vallées
môme, et du Jura notamment, n'ayant acquis leur confi-
586 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
guratioa actuelle qu'à la suite de la lutte plus que sécu-
laire de l'agent érecteur et de l'agent démolisseur. Ce qui
suit montrera clairement ce que nous voulons dire par là.
Dans le Jura, le voyageur qui, du plateau, aborde h
zone des chaînons et cherche à gagner la Suisse à Soleure,
à Neuchàtel ou à Genève, traverse une série de plis élevés
et de gorges rocheuses, sortes de crevasses profondes que
déserte tout chemin et au fond desquelles, entre les sapins,
il voit écumer et bondir la rivière. La route s'élève à flanc
de hauteur vers un plateau assez riant qu'encadrent, dans
un horizon plus ou moins rapproché, de belles forêts de sa-
pins et d'épicéas ; la rivière, réduite à l'état de ruisseau,
serpente sans bruit au travers des prairies. De ce point
pour atteindre la Suisse il n'y a plus beaucoup à faire :
une légère encoche au faite d'un chaînon voisin, puis
une descente rapide ; une gorge courte et rectiligne. Cer-
tes, il y a là, sans sortir du Jura, une grande diversité de
formes en dépit d'une monotonie et d'une austérité bien
connues, et la raison en est dans la succession de types
constants s'agençant bout à bout comme ACBCAB...,
chacune de ces lettres étant supposée représenter un de
ces types.
Ce n'est point tant dans leur sens longitudinal que dans
des coupes transversales convenablement choisies qu'il
faut étudier les vallées ; en procédant de la sorte, ce qui
est accidentel et topographique disparaît pour faire place
à la pureté des types, aux données vraiment géographiques;
car la constitution du sol, les dimensions en longueur,
largeur et profondeur aidant, on devine les choses, on les
voit en quelque sorte. Si donc nous remontons aux plisse-
ments et aux voussures du Jura, aux cassures qui tron-
çonnent les voûtes, aux failles qui les accompagnent à
fréquemment, il sera clair que ce massif ne doit présenter
que quatre types de vallées :
fracture ;
pliitemerU on combes ;
ffondrcment ;
es transversales des chaînons ou
t des brèches totales ; et au surplus,
pas de vallées et ne sont que des
uses dont profitent les rivières pour
ins une autre ; leur multiplicité ou
, l'économie- du système, et telle est
ace que, si elles n'existaient point,
'en faut, Bans écoulement et le Jura
ne muraille inaccessible et autre-
Alpes. Lyon et Vesoul ne soraient
uecy, Grenoble et la trouée de Bel-
par les figures 23, 12, 16, 24, 26
a et suffisamment expressives pour
ma la suite décrire à grands traita
du Jura. Je les ai multipliées &
iemeure quelque chose, non point
is dans la vue.
lées varient à l'infini, et chaque
Srie de variations en adoptant, par
, tel ou tel caractère de plissement
Les variations du Rhône, entre Genève et la plaine
lyonnaise, sont nombreuses, et celui qui dirait que le
fleuve y traverse une vallée de fracture commettrait une
grande erreur. Et en effet, il y a là successivement plisse-
ment* et fractures de plusieurs genres. Le Rhône s'engage
dans deux courtes cluses gardées par les ouvrages de
l'fictute et de Pierre-Châtel ; entre ces gorges, il circule
dans une longue combe, la Miehatiie, depuis Bellogarde
jusqu'au débouché du lac du Bourget. En aval de Saint-
588 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
Genix - d' Aoste, il remonte au Nord -Ouest et suit la
longue vallée- faille de Villebois; à droite, la chaîne da
Molard-de-Don e6t la lèvre redre66ée de la faille, et à
gauche le plateau dit c Ile de Crémieu » en est la lèvw
abaissée.
La vallée du Doubs est plus tourmentée encore, plus
complexe, tout en se tronçonnant naturellement de la même
manière. Sa branche initiale e6t la combe de Mouthe que
forment les chaînes du Mont-Noir et des Hautes-Joux;li
rivière débouche dan6 le lac de Saint- Point par la dusedt
rAbergement-Sainte-Marie. Ici, nouvelle combe. En arri-
vant à la cluse, elle se heurte contre la masse du Larmoni
et s'engage dans une cassure de 300 mètres de longueur
sur 200 mètres de profondeur. A Pontarlier, elle débouche
sur le plateau du Jura, mais elle n'y fait qu'une courte
apparition, car, reprenant bien vite sa direction Nord-Est,
elle s'engouffre jusqu'à Sainte-Ursanne dans une gorge
sauvage, étrange, et 6i resserrée à partir de Morteauque
la lumière y pénètre à peine et que pas même un sentier
ne peut l'y suivre. Là, tous le6 genres de beautés: c'est
une enfilade de crevasses et de failles accusées par des
escarpes vertigineuses de rochers. Enfin, de Sainte-Ur-
sanne à Saint-Hippolyte et Pont-de-Roide, il semblerait
que la vallée, côtoyant la chatne du Mont-Terrible et du
Lômont, doive prendre quelque largeur ; il n'en est rien,
la masse du plateau et les chaînes qui 6'en détachent se
pressent contre la montagne, étranglent la vallée coup sur
coup et n'en font encore qu'une longue déchirure. Le
Doubs serait sans issue si, à l'extrémité de ce cul-de-sac,
la coupure de Pont-de-Roide ne lui permettait de gagner
la région de Montbéliard. Mais là encore, ce n'est point la
plaine ; marchant à l'opposé de la direction qu'il a suivie
jusqu'alors, le Doub6 descend au Sud -Ouest : cours sinueux
et heurté, vallée étroite et profonde déterminée par une
faille qui a relevé en escarpe le Lômont bisontin et dé-
LE JURA. 589
primé la ride du Chailluz, c'est par cette voie qu'il atteint
Besançon et la plaine bressane.
Ces exemples suffisent pour l'instant, et nous voulons
seulement insister sur ce point, c'est que si les vallées du
Fora présentent à première vue de nombreuses variétés, la
géologie les range dans les quatre types rappelés plus
haut ; que ces types doivent demeurer présents à notre es-
prit et qu'il est nécessaire dans l'étude d'une vallée de re-
chercher avant tout, non point ses éléments longitudi-
naux, tel6 que l'étendue et l'aspect des penchants, mais des
coupes transversales choisies. Origine de la vallée, forme
des penchants, largeur et nature du fond, une bonne
coupe exprime tout cela de la manière la plus heureuse.
Nous n'avons évidemment point parcouru toutes les val-
lées du Jura, une année de voyages ne le permettrait
pas, mais faisant appel à nos souvenirs et comparant les
coupes des vallées que nous n'avons pu visiter à celles des
vallées que nous avons suivies pas à pas, nous sommes
parvenu à voir les premières se dérouler sous nos yeux
avec une netteté presque égale.
CHAPITRE III.
CHAINES.
SECTION I.
Jura bugeysien.
A. — Chaînes de liaison avec les Alpes.
Dans l'Étude des Alpes françaises, nous avons rappelé
l'opinion de Studer et vu dans la masse de l'Épine le hors-
d'œuvre méridional du Jura, dans les dépressions paral-
lèles des lacs du Bourget et 4'Aiguebelette des combes
jurassiques. Et, en effet, de longues et étroites files de
montagnes dirigées en somme du Sud au Nord, servent de
SOC. »■ 6S0OS. — 4* TBIMH«T*B 1388. 99
590 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
liaison avec les Alpes par la Grande-Chartreuse et les Beau-
gee. L'Épine du Chat, pui6 la chaîne duTournier sont sé-
parées de la Grande-Chartreuse par une sorte de vallée lon-
gitudinale profonde, tapissée de mollasse et que suit k
route de Chambéry à Yoreppe par les Échelles et le val
d'Hière.
251. — Voreppe.
596. — Col de la Placette.
403. — Bassin de Saint-Laurent-du-Pont et des Échelles.
547. — Tunnel des Échelles et 622. — Col de Couz.
270. — Chambéry.
A. l'Est de ce couloir, 6e dresse le premier chaînon delà
Chartreuse, surélevé par une faille continue. Les monta-
gnes encadrantes atteignent 900 à 1,400 mètres à l'Ouest
et 1,900 mètres à l'Est.
I. — Chaîne du Tournier et de Parves.
Elle s'étend de Voreppe à Belley et le Rhône la traverse
à la cluse de Pierre- Châtel. Son flanc oriental est allongé,
mais le côté opposé forme des escarpements rocheux pres-
que continus.
251. — Voreppe.
697. — Montagne du Raz.
, — Défilé pittoresque du Crossey. Ronte de Voïroa à Saisi-
Laurent-du-Pont.
825. — Rochers de Saint-Aupré.
384. — Cluse du Guiers, dite Porte de la Chaille. Route àts
Échelles au Pont-de-Beauvoisio.
723. — Montagne de Saint-Franc.
330. — Le Tier. Point de passage du chemin de fer de Saint-André-
le-Gaz à Chambéry.
702. — Signal de Montbel.
582. — CoZcte/aCrMS«7/e.RoutedeNo?alaiseàSaint-Genix-d,A05te.
884. — Mont Tournier.
220. — Le Rhône à la cluse de laBalme (Pierre-Châtel). Route*
Chambéry à Belley.
628. — Montagne de Par?es.
243. — Route de Seyssel à Belley.
LE JURA.
591
II. — Chaîne de l'Épine,
La combe de Novalaise (vallée du Flon) qui débouche
sur le Rhône à Yenne, la sépare de la chaîne du Tour-
nier. Elle est très escarpée sur 6es deux flancs et présente
*ï*de Parves
029
Fort les Bancs
Fort Pî Châtel
Goulet du Rhône Ch .du Tournisr
et pont delà Bahne
^VirignifT
Fig. 9.
une arête aiguë, rocheuse et hérissée. Les incisions qui
livrent passage aux mauvais chemins muletiers de Saint-
Michel et de l'Épine, 6ont légères et d'un accès difficile ;
au surplus, j'en donne une vue panoramique de Culoz au
mont Grelle.
387. — Passage des Échelles, ^
1,42G. —Mont Grelle.
1,497. —Mont du Chat.
638. — Col du Chat. Route de Beiley à Chambéry.
1,164. — Montagne de la Gharvaz.
234. — Le Rhône en face de Culoz.
(^Colombier
Cli
anaz
Si veau du Rhône
V Grelle
LaCbarax li^daChat Passade de
Mf; Col^Cbt i4M r^ineMoc.Sgdidttl,^
à Culoz
Fig. 10:
Des Échelles au passage de Saint-Michel, l'arête domine
le val d'Hière, et du col du Chat jusqu'à l'extrémité sep-
tentrionale, 6es rochers se dressent à pic au-dessus du lac
592 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
du Bourget. Le niveau du lac est à 231 mètres et sa pro-
fondeur, plus considérable de ce côté que sur la rive oppo-
sée, atteint 100 mètres. Sur cette rive se presse la chaîne du
Foug qui atteint 1,060 mètres et s'étend d'Aix-les-Bains à
Seys6el. Le Fier la traverse dans une profonde et étroite
crevasse entre le Signal du Clergeon et celui de la monta-
gne des Princes. (Route de Rumilly à Seyssel.)
La chaîne du Foug et celle de l'Épine sont tellement à
pic sur le lac du Bourget que le chemin de fer de Culoi-
Modane et la route de Chambéry ont la plus grande peine
à s'y dérouler, et que le chemin de fer même, outre de nom-
breux tunnels, a dû être jeté pendant 800 mètres en pleines
eaux du lac. Rien en Suisse n'est plus grandiose que le
spectacle de ce lac avec sa formidable ceinture de rochers
et ses eaux d'un bleu profond. Entre Châtillon et le Mo-
lard-de-Vions, les difficultés n'ont fait que changer de na-
ture : il a fallu traverser l'immense bassin d'inondation du
Rhône, connu sous le nom de marais de la Chantagne et de
Lavours. , Les passages de la chaîne 6e réduisent à la cre-
vasse du Fier : le flanc oriental s'allonge vers Albens et
Rumilly, c'est-à-dire vers le plateau de mollasse du ca-
nal de Genève, situé là à une hauteur qui varie entre 500
et 600 mètres. "
Ce6 trois chaînes sont formées par les calcaires blancs
et compacts du corallien.
B. — Chaînes du Bugey.
Le Bugey s'étend de l'angle que sillonne le Rhône entre
Bellegarde, Saint-Genix et Lagniep, à la trouée de Nantua.
Les chaînons qui le traversent affectent deux directions se
rapportant aux plissements du Viso et du Vercors (N.-O.
et N. 10° E.); de là viennent les orientations N.-O. du
Rhône dans la combe de Lhuis et de la gorge des Hôpitaux
entre Virieu et Tenay, pui6 S. presque N. du Val-Romey,
de la Michaille, du Ghampdor et de la combe d'Izenave.
LB JURA. 593
La gorge de Nantua termine brusquement et même
i pic les chaînes qui relèvent du Vercors, car leurs escar-
pes en dominent le fond de 500 mètres en moyenne : mais
les voûtes reparaissent pour la plupart de l'autre côté et
s'avancent dans la direction de Neuchâtel, Pontarlier,
Champagnole et Lons-le-Saulnier.
I. — Chaîne du Molard-de-Don.
Elle s'étend de Saint-Genix d'Aoste à Lagnieu, sur la
rive droite du Rhône. Très épaisse, elle est sillonnée de
combes élevées et à flancs réguliers, aboutissant à de pro-
fondes cassures transversales où les eaux s'engouffrent
pour gagner ici le Rhône, là le bassin de Belley, là Saint-
Rambert. Ces montagnes 6ont pittoresques sans doute,
mais pauvres et solitaires ; les chemins qui s'y élèvent ne
6ont ni sûrs ni commodes, surtout par les temps de neige
ou par les grands vents. Des failles parallèles au cours du
Rhône les découpent et les étagent en gradins. Aucune
route» Au S.-O., le plateau de Crémieu forme comme la
lèvre abaissée de la faille qui a accompagné l'assurgisse-
ment de la chaîne.
Moiarideta^*1*^ ^S*BŒ0ÎlM!dlzieii SaiduM*1t>uniier
- * ■ ' \Gro»léft frna. V an GUift Cluse du Rbônei
Ceniz
Briord LeftbôîiedaBsUComkdelhuis. Pî<b£«rdon Go/e?5
Flf . 11.
208. — Le Rhône au pont de Cordon.
413. — Montagne de Gordon.
• — Route de Belley.
760. — Montagne d'Izteu.
296. — Chemin de Glandieu à Belley (Y. da Gland).
1,020. — Tantainet.
786. — Chemin de Lhuit à Belley, par kmbléou.
1,219. — Molard-de-Dou.
594
ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
831. — Chemin de Serrières à Rossillon, par Ordonnai.
1,050. — Massif de la Chartreuse-de-Portes.
244. — Plaine d'Ambérieu.
Au nord de la gorge des Hôpitaux jusqu'à la trouée de
Nantua s'élève un plateau d'environ 800 mètres d'altitude,
à la surface duquel courent du S. au N. des chaînons qui,
somme toute, l'accidentent assez peu. Des échancrures
courtes et vives, comparables à des coups de gouge le ter-
minent et évident ses lisières, tandis que les chaînons,
s' enfonçant en quelque 6orte à l'intérieur des gorges de
Nantua et des Hôpitaux, les étranglent coup sur coup.
Seul, Le Val-Romey se relève doucement et s'épanouit vers
le cœur du plateau, mais c'est un bassin crétacé, appen-
dice naturel de celui de Belle y et dont le fond forme gla-
cis de 270 mètres au-dessus des chutes du Séran à Ger-
veyrieu jusqu'à 1,045 mètres au Golet de Belle-Roche-
Suivant l'expression de M. Faisan, les hautes vallées du
Val-Romey et de Thézillieu sont « béantes » sur le bassin
de Belley (*).
Les Mont d'Ain îfeynrflcs Pl««fti de Ib^tnW
Ch.tfes Joîx Hoires ri J m . Cfc.ies
woo^Si- Muse <fo Nantua
Fit. 1».
J» »P
Enfin, entre Nantua, Neyrolles et Saint-Germain-de-
Joux, les chaînons ont été rompus par une faille, de même
que ceux qui se dressent de l'autre côté du Sylans, de sorte
que la vallée de Nantua s'est formée par effondrement entre
les deux failles parallèles F, F', et que les lèvres de ces
failles marquent les lisières de la vallée.
La hauteur des chaînons décroît de TE. à l'O. ; mai»
(') MpnographU de* ancien* glaciers de la voilé* du KhÔnt.
LE JURA.
595
est là un fait général dans le Jura, et qui ne sera plus
ippelé.
II. — Chaîne du Colombier.
238. — Marais de Lavours.
301. — Culoz.
1,555. — Colombier (arête du).
1,061 . — Col de Richement. Chemin de Craz et de Chanay à Hvj/leu.
\ 1,322. — Retord (arête et plateau de).
441. — La Sessine (cassure de).
Deux vallées descendant vers le Sud, le Valromey et la
MichaUle encadrent cette chaîne : ce sont plu lot des plateaux
ravideGeiievray
«93 Scnm R
Àrtemare
Charomay
OÎOoloinMS^
1554
B91
14}
Fig. 18.
déchirés par le Séran et le Rhône, que des vallées. La
partie septentrionale du Val-Romey porte le nom de plateau
de Retord, vaste étendue couverte de beaux pâturages.
Constitution: Voûte oolithique avec crét corallien et flancs
néocomiens.
III. — Chaine de Cormaranche.
Plu6 ouverte que la précédente, qui n'est abordable que
par le chemin du Richemont, la chaîne de Cormaranche
s'élève entre la belle vallée du Val-Romey et la haute
combe de Ghampdor. — Constitution: Corallien.
1,110.
925.
1,237.
1,119.
1,166.
»
Forêt de Gémis.
Col de la Lèbe. Chemin de Champagne à Hauteviile.
Forêt de Cormaranche.
Col de la Rochelle. Chemin- de Rnfflen à HauteYilie.
Côte de Ghampdor.
Col du Bref. Route d'Artemart par Champagne à Saint-Mar-
tin-dn-Fresne.
596 ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITAIRE.
1,123. — Forêt des Moussières.
1.045. — Goletde Belle- Roc fie. Bifurcation du chemin de l'Ai
ment sur Nantua et Saint-Germain-de-Joox.
593. — Lac de Sylans. Voûte et chemin de fer de Bourg a
garde.
IV. — Chaîne de Joux-Noires.
Elle embrasse avec la chatiie de Cormaranche la coi
à fond plan et très peu incliné de Champdor, dontl'altil
moyenne est de 800™ et que sillonne rAlbaiine. La têt
de la combe est à la hauteur du Golet de Belle-Rocl
(Golet Ravaux: 940) ; elle s'effile à ses deux extrémités,
amont de Brenod et à Cormaranche, et en ces points com<
munique d'une manière remarquablement symétrique avec
les vallées voisines. — Constitution: Corallien.
A l'Est : le Bret, la lèbe. Val-Romey.
Ad Nord : 940. — Golet de Ravaux. Val de Nantua.
Au Sud : 861. — Thézillieu. Val de Thésillieu.
A l'Ouest : Gorge de Chaley. Val des Hôpitaux. — Gorge de Sepiet
Combe d'Izenare.
Nous pouvons la jalonner ainsi :
340. — Tenay.
1,084. — Montagne de Ghaney.
• — Col de la Grange-Goyet. Croisée des chemina de Coreeta
et de HautcTille à Ixenave et Aranc.
1.046. — Les Joux-Roires.
• — Roule de Brenod à Saint-Martin-du-Fresne.
1,041. — Les monts d'Ain.
480. — Nantua.
V. — Chaîne des Joux-Blanche*.
A l'inverse du Séran et de TAlbarine, qui descendent
vers le Sud et qui, après avoir circulé paisiblement sur le»
plateaux de l'Abergemeut et de Champdor, se précipitent
en cascades avant d'atteindre la vallée de Virieuet la gorge
de Tenay, YOignin coule au Nord et débouche sans entra-
ves sur la plaine de la Cluse. C'est la combe d7#na«,
LE JURA. 597
dont la tête, au sud d'Àranc, est très voisine de la gorge de
Tenay . La chaîne des Joux-Blanches part du S.-O. d'Aranc
et 6e termine àl'O. de Saint-Martin-du-Fresne. Constitution :
Corallien.
925. — Montagne de Malawi.
692. — Col de Cor lier. Chemin d'Izenave et d'Aranc i Cerdon (').
1,017. — Montagne de l'Avocat.
60^. — Route de Nantua à Pont-d'Ain, par Cerdon.
832. — Montagne de Maillât.
476. — L'Oignin à Brion.
728. — Côte de Samognat
628. — Chemin d'Oyonnax à Thoirette.
762. — Côte d'Émondan.
300. — L'Ain entre Uortan et Coudes.
De Brion à Dortan, cette chaîne sépare l'Oignin de
l'Auge, c'est-à-dire les vaux d'Oyonnax et d'Izernore.
A l'ouest de la chaîne, entre Cerdon et Saint-Rambert,
s'étend en s'affaissant très rapidement un plateau que limi-
tent de courtes falaises, en face d'Amhérieu, Ambronay et
Pont-d'Ain.
VI. — Chaîne des monte Berthiant.
Partant de l'Albarine à Torcieu, cette chaîne s'élève
sur la rive gauche de l'Ain. Elle est traversée en tunnel
par le chemin de fer de Bourg à Bellegarde et se termine
au nord d'Izernore, à Coieelet, en séparant l'Oignin de
l'Ain. La chaîne de l'Euthe lui fait suite. Constitution: Co-
rallien.
270. — l'Albarine à Torcieu.
842. — Cbalnoa do Luiaandre.
300. — Cerdon. Route de Nantoa au Pont-d'Ain.
800. — Montagne des Étables.
O Je ne puie indiquer autrement. Bien des passages ne p*rtent ni nome, ni co-
tée; annal, laissant la cote en blanc, donné-Je autant que poeaible au col le nom dn
TiUafe, nameau on ferme le plne à proximité. Lorsqu'à défiant de la earte, on Inter-
roge lee habitante, lie répondent inrarlablement : « C'est la côte! ■ à moine qu'ils
■e voea donnent le nom dn propriétaire de la grange ou de l'auberge situées an
sommât. Sa vérité, on ne peut rien tirer d'eux.
598
ÉTUDES DE GÉOLOGIE MILITALBE.
755. —
Col des Granges-Bcrthiant. Route de Bourg à Kantaa el
tunnel de Ifurieux-Bolozon.
Signal de Changeât.
Col de Mata/elon. Route de Nantua et chemin d'Oyonon
à Thoirette.
284. — L'Ain sous le château de Coiselet.
700.
AmDuim S* Germain
Leywont Ambulnx ^ uennmn
iBois de la Servdtte M 7?*Vaitille
CLdesAByme^1;
7fl(0
80»
VII. — Chaîne de Cor en t.
Elle borde la rive droite de l'Ain, de Cize à Neuville,
où cette rivière débouche dans la plaine d'Ambérieu. Entre
ces deux localités, la vallée de l'Ain n'est qu'une gorge
plus resserrée encore que dans 6es parties supérieures.
251 . — L'Ain au pont de Neuville.
551. — Signal de Hauteeour.
» — Col de Hautecour. — Route de Nantua à Bourg; passages
de l'Ain et du Surand aux ponts de Serrières et de Bob».
512. — Chaînon de Corent. Traversé par le tunnel de Simonin.
473. — Plateau d'Ar ornas. Route de Thoirette à Bourg.
VIII. — Chaîne du Revermont.
Cette chaîne est la plus occidentale du Bugey et elle
domine directement la plaine de la Bresse ; c'est la lèvre
nettement redressée de la faille bressane, l'autre s'étant
abîmée et ayant été recouverte par la mollasse. Ses pente-
orientales, généralement allongées, se raccordent assez vite
avec la surface du plateau que sillonnent le Surand el I*
Valouze.
Elle commence à Pont-d'Ain et se termine à la monta-
gne de Nivigne, au 6ud-est de Coligny.
LE JURA. 599
242. — VAin au Pont-d'Ain.
307. — Mont OliTeL
» — Le Surand au-dessous de Saint- André.
553. — La Croix-de-Ia-Dent.
398. — Col de Reconnus. Route de Nantua à Bourg, et tunnel suivi
de viaduc. Chemin de fer de Bourg à Beliegarde.
594. — La Rocne-de-Cuiron.
300. — Col de France. Route de Thoirette à Bourg.
771. — Àréte de Nivigne.
Constitution: Corallien.
(A suivre.)
3* MÉTÉOROLOGIE
ÉTUDE
SUB
L'ORIGINE DES OURAGANS
Par H. VIGNOT, lieutenant de ▼alMaan.
Le marin appelé à naviguer dans les parages à cycloo»
s'entoure des instructions nombreuses qui ont été publiée!
sur ces sortes de tempêtes ; il y trouve largement décrite
la manière de conduire son bâtiment pour le soustraire à
la fureur des éléments ; mais, s'il veut se rendre un compte
exact du phénomène qu'il a à combattre, s'il en cherche
l'origine, la question devient plus compliquée.
Les météorologistes sont, en effet, très divisés à ce su-
jet : les uns parlent d'électricité, les autres de rencontre
de courants; M. Marié-Davy explique ces météores par ]
une ascension rapide de l'air des régions équatoriales, et,
enfin, M. Faye compare ces grands mouvements rotaioire*
aux tourbillons de nos fleuves.
Sa théorie, très logique en apparence, gagne tous te
jours du terrain ; nous aurons cependant occasion de hae
voir plus tard qu'elle repose sur des hypothèses dtô
l'exactitude peut et doit être sérieusement contestée.
Il serait beaucoup trop long d'examiner et de faire des
objections à toutes les autres théories: aussi n'enfcrepres-
drons-nous que quelques critiques générales et cherche-
rons-nous plutôt à faire voir de quelle façon nous ayots
nous-même envisagé ces accidents de la machine aérienne.
Pour entrer de suite en matière, prenons une carte da
l'origine des ouragans. 601
londe et voyons dans quelles régions naissent plus parti -
nlièrement les tempêtes tournantes.
Nous trouvons, au nord de l'équateur : dans l'océan
itlantique, les ouragans des Antilles; dans l'océan In-
ien, les cyclones; dans les mers de Chine, les typhons.
Au sud de l'équateur on rencontre beaucoup plus rare-
&ent des cyclones ; les seuls bien connus sont ceux de
océan Indien.
A quoi peut tenir cette différence entre les deux hémi-
phères?
Nous savons que la prédominance des terres dans
hémisphère boréal fait qu'il est relativement plus chaud
iue l'hémisphère sud ; nous savons aussi que le point de
m
ne calorique est le plus important, quand on s'occupe des
nouvements aériens; il est donc tout naturel de regarder
i la différence de chaleur entre ces deux portions de la
erre est grande et comment elle peut agir.
Pour cela, traçons sur notre carte les courbes du maxi-
aum thermal, aux deux époques les plus contraires de
'année : août et février (cette carte a été prise dans la Mé-
éarologie de M. Ploix) ; nous faisons de suite une remar-
[ue fort curieuse et très intéressante, c'est que ces courbes
le descendent au-dessous de la ligne que dans l'océan In-
lien, où régnent parfois des cyclones.
Tout le reste du temps, le maximum demeure dans le
ïord, et les méridiens par lesquels il s'écarte le plus fran-
hement de l'équateur sont des parages à tourbillons.
Ainsi, dans l'océan Atlantique il se déplace de 5° nord
1 9° nord; aussi nous avons les ouragans des Antilles.
Dans la mer des Indes, on le voit monter jusque vers
l5° nord et descendre par 20° sud ; dans ces mers se trou-
vent les cyclones.
Du côté de la Chine, la courbe du mois d'août est éga-
ement tris élevée, et c'est dans ces parages qu'éclatent
es typhons*
602 MÉTÉOROLOGIE.
Dans l'océan Pacifique, au contraire, le maximum tte
mal ne s'éloigne pas de l'équateur, et nous ne rencontra
pas de véritables tempêtes tournantes.
Ces différentes analogies ne prouvent-elles pas qn5
existe une relation très étroite entre la position du nui
mum thermal et l'origine des tempêtes ?
Cette relation va nous paraître frappante, si nous che
chons quelle peut être l'influence de la position du mai
mum thermal sur la circulation atmosphérique.
Il est admis, et tout le monde reconnaît, que les couclu
chaudes et très élevées des régions équatoriales se dére
sent vers les pôles en créant dans chaque hémisphère o
courant supérieur appelé contre-alizé. Ce courant pn»
naissance non pas à l'équateur même, mais à Tendrai £
le6 couches de vapeur sont les plus hautes, c'est-à-dire
partir du maximum thermal; par suite, ce sera tantôt
l'équateur, tantôt dans l'hémisphère nord, tantôt dâi
l'hémisphère sud.
Nous devons ajouter que la déversion ne peut pas s
faire également sur tout le parcours de la zone lapin
chaude ; car, pour alimenter des courants supérieurs, i
faudrait des contre-courants fixes s'étendant sur toute 1
surface du globe.
Ceux-ci n'existent que sur les océans; c'est là seolen^i
que nous trouvons les vents constant» de N.-E. et de S.-E.
qui amènent dans les régions des calmes une grande <pas
tité d'air et de vapeur d'eau destinée à être renvoyée va
les zones polaires.
Sur terre, le phénomène n'est pas du tout le même:!*
brises sont variables et l'on ne remarque pas les coonaa
polaires fixes, indices certains de contre-courante sej*
rieurs. Il est donc bien probable que la dé version n'^
réellement importante que quand elle prend naissance a*j
dessus des océans ; dans les autres cas, au-dessus deste>
res chaudes de l'Afrique par exemple, elle existe enc^
l'obigine des ouragans. 603
très certainement, mais elle est alors beaucoup plus faible,
et nous pouvons dire que la chaîne de déversion n'est pas
régulière et continue, mais bien sinueuse et interrompue
par la présence des continents.
Ceci posé, prenons le cas où le maximum thermal 6e
trouve à l'équateur et voyons comment l'air va se rendre
vers les pôles.
Soit a une molécule élevée, si elle se déversait avec
une vitesse constante, elle suivrait la loi de Dove et tour-
nerait petit à petit vers rOrient(fig. 1); mais les choses
ne se passent point de la sorte, car a se transporte vers le
Nord, non pas d'une façon uniforme, mais avec une vi-
tesse faible d'abord, qui augmente ensuite jusqu'à devenir
énorme. En somme, ce6 molécules descendent un plan
incliné.
Il en résulte que l'influence de la rotation de la terre
sera très grande à l'origine, alors que la vitesse des molé-
cules vers le pôle est très petite ; elle diminuera ensuite à
mesure que ces molécules iront plus vite et s'éloigneront
du point de départ.
Dans les environs de la ligne, là où les parallèles diffè-
rent fort peu de grandeur, cette fluctuation dans l'influence
de la rotation terrestre n'est guère apparente; aussi la
courbe suivie par une molécule qui part de l'équateur esi-
elle sensiblement la même que celle donnée plus haut.
Mais quand la déversion se fera à une certaine distance
vers 10° de latitude nord ou sud, par exemple, la figure
sera totalement changée.
A l'origine, la molécule, marchant doucement vers le
Nord, sera déviée complètement suivant a a,, pui6, la force
qui l'envoie vers le pôle augmentant plus rapidement que
celle qui l'attire ver6 l'Est, le chemin se redressera sui-
vant ax a% a, (fig. 2); en somme, a décrira une courbe con-
vexe a A, et cela ne doit pas nous étonner, car nous avons
dans la nature une masse d'exemples semblables.
604 MÉTÉOROLOGIE.
Une bri6e de N.-E. qui fraîchit tourne au Nord, de
même qu'une brise de S.-O. mollissant fléchit vers l'Ouest.
(Voir le livre de l'amiral Bourgois sur la rotation diurne
des vents.)
Si nous en revenons donc à la zone de déversion, nous
verrns q ue quand elle existe à l'équateur, les molécules
a, ai, a, parcourent dans le Nord a A, a, A,, et, dans le Sud,
a', at} <h" — suivent a'A', a\ A\, a»" À,* (fig. 3).
Nous avons une nappe de déversion parfaitement cons-
tituée, dans laquelle nous ne voyons aucune trace de tour-
billon.
Il est vrai qu'elle doit être influencée dans le voisinage
des continents ; mais, dans aucun cas, nous ne constatons
des tendances à un mouvement rotatoire.
L'inverse se présente quand le maximum se trouve dans
l'hémisphère nord.
La molécule a suit, ainsi que nous l'avons vu, «A;
b suit 6B ; mais a se dirigeant vers l'équateur, passe de
parallèles plus petits à des parallèles plus grands; 6a vi-
tesse vers le Sud va aussi en augmentant, de sorte qu'elle
décrit a'A'; les molécules voisines suivent b' B', c C
(fig. 4), et rien qu'à voir la figure, nous sentons un mou-
vement tourbillonnaire en préparation.
Il devient presque forcé, si nous supposons dans les en-
virons et à l'Oue6t une terre quelconque. Celle-ci est tou-
jours plus ou moins avide de vapeur ; elle attire le6 molé-
cules a, b} c9 a, b\ c, suivant a A, 6B, cC — a'A', 6'B',
cC. Notre tourbillon est aux trois quarts formé; il n'est
plus retenu que par un côté à la grande chaîne de déver-
sion (fig. 4) ; dans certains cas, il pourra rompre cette at-
tache et se laisser aller au gré des courants supérieurs.
Nous comprenons ainsi la grande violence qu'atteignes*
ces ouragans : chacune de6 molécules a, b, cf a, b', c vient
apporter son énergie de position à la formation du météore.
Il nous est, au contraire, bien difficile de saisir dao6 la
l'origine des ouragans. 605
théorie de Dove comment deux courants, assez faibles par
eux-mêmes, peuvent arriver à créer des tourbillons auBsi
puissants.
Pour nous, les cyclones sont dus à l'énergie de position
possédée par les molécules élevées des régions les plus
chaudes. Cette énergie est énorme; elle est engendrée
sous l'action des rayons solaires et l'ouragan est un grand
dissipateur de cette force.
Les molécules de vapeur englobées dans cet immense
tourbillon qu'elles ont en partie créé, perdent peu à peu
de leur chaleur par suite d'une grande radiation; elles
descendent, les nuages se forment, se heurtent les uns les
autres ; de nombreux éclairs et le tonnerre annoncent une
grande condensation, et Ton reçoit à la surface une pluie
froide, caractéristique, et souvent de la grêle.
Tels doivent être les tourbillons dé l'héïnisphère nord;
pour l'hémisphère sud le phénomène est semblable, le
sens de rotation seul est changé tout comme pour les cy-
clones (âg. 5).
Ainsi donc, et voici le point sur lequel il faut insister,
quand le maximum thermal se trouve à l'équateur, la dé-
version se fait 6ans tendance à un mouvement tourbillon-
naire.
Quand le maximum est dans l'hémisphère nord, la
nappe de déversion tend à produire un tourbillon tournant
en sens inverse des aiguilles d'une montre et, enfin, quand
la zone de plus forte chaleur se trouve dans l'hémisphère
6ud, il y a cause de tourbillon direct.
En un mot, chaque fois que le maximum thermal s'é-
loigne suffisamment de l'équateur, la déversion sur les
côtes tend à produire un tourbillon en tout semblable aux
ouragans. Cela est-il toujours un effet du hasard? Ces
coïncidences ne sont-elles pas assez significatives? Nous
croyons que si; mais, pour que la vérité soit encore plus
frappante, nous allons montrer d'autres analogies.
' 100. xm oAoob. — 4t TKXMESTKB 1883- 59
606 MÉTÉOROLOGIE. ,
D'après notre théorie, lorsque la déversion se fait à
partir de Péquateur, il n'y a nulle tendance à un mouve-
ment tourbillon naire ; ce n'est guère que vers 10° de lati-
tude que cette tendance devient sensible; or, c'est juste
dans ces limites que se montrent les cyclones; on n'en»
jamais vu prendre naissance à moins de 8° de la ligne.
- Cherchons maintenant à quelles époques les causes de
tourbillons sont les plus fortes, nous trouverons que ces
époques correspondent à celles auxquelles les tempêtes
tournantes sont les plus nombreuses. Étudions, par exem-
ple, l'Atlantique nord :
Au mois de juin, la ligne de déversion peut y être re-
présentée par x, y (flg. 6), une molécule de vapeur a, voi-
sine du continent, va suivre le chemin aS, attirée qu'elle
est par l'endroit le plus chaud de la terre.
A partir du 21 juin, alors que l'alizé est très frais, le so-
leil 6e met à descendre et les molécules tendent alors i
suivre une courbe de plus en plus prononcée oSf, «S„
jusqu'à ce que le soleil arrive à peu près par la mène
latitude que xy} c'est-à-dire par 9° ou 10a nord; c'est évi-
demment l'époque à laquelle nous devons avoir le plus de
chances de tourbillons.
Or, c'est dans le mois d'août que le soleil occupe cette
position et le tableau qui suit nous désigne bien ce mois
comme le plus favorable aux ouragans.
Tableau de 365 ouragans des Indes occidentales
d'après Polv.
Janvier .
. . 5
Mal. . .
Septembre. . M
FéTrier .
. . 7
Juin,
. . 10
Octobre . . . 6S
Mars . . ,
. . 11
Juillet. .
. . 42
Novembre . . H
Avril . .
. . 6
Décembre . . T
Un raisonnement analogue nous montrerait que dans
les mers de Chine c'est vers septembre et octobre que les
cyclones sont les plus fréquents.
Si nous passons à l'océan Indien , nous ferons remar-
l'origine des ouragans. 607
quer tout d'abord que les continents y jouent un rôle
beaucoup plus important que dans les autres mers ; ce sont
eux qui font descendre, en mars, la chaîne de déver6ion
jusque dans les environs du 20e degré, tandis qu'en juillet
et août elle se trouve par 20* nord.
Ces mouvements de montée et de descente ne se font
ni tranquillement ni d'une façon progressive ; le centre de
déversion reste dans le Sud pendant janvier, février, mars
et quelquefois avril ; c'est l'époque des cyclones dans l'hé-
misphère austral.
Vers le milieu d'avril, le soleil échauffe déjà très forte-
ment les terres d'Asie; il existe à un moment donné
comme une lutte entre le Nord et le Sud, l'atmosphère
est troublée et l'époque est favorable aux ouragans dans
les deux hémisphères.
Il y a bientôt après transport brusque du centre de dé-
version au nord de l'équateur ; le changement de mousson
s'effectue et nous comprenons pourquoi celle-ci se déclare
par de vrais coups de vept.
La chaîne de déversion reste dans le Nord pendant
juin, juillet, août et septembre; on ne trouve plus de cy-
clones dan6 le Sud jusqu'au mois d'octobre, époque du
changement de mousson.
Le tableau ci-joint prouve en tous points ce que nous
venons d'avancer, et s'il nous fait voir quelques rares cy-
clones au nord de l'équateur, pendant les mois de janvier,
février et mars, cela provient de ce que dans la mer des
Indes la zone des couches les plus chaudes ne forme pas
toujours une ligne continue.
Les moussons, la distribution bizarre des continents,
font que quelquefois cette zone peut se trouver brisée,
coupée, transportée d'un bord de l'équateur à l'autre, ce
qui favorise la production de tempêtes à des époques non
prévues.
608 ItftTÉOROLOQIB.
Table d«a cyclones obaarTia dua l'océan Indien par Plddlngti
i
|
t
S
-—
A
\
1
i
1
s
t
2
1
f
a 1
Il Ootna Indlannd. , . S
Il Oaiaa Indien nord . . 1
15
1.
i
*
'■
0
S
S
I
»
:
9 1
Ces cas soulignés forment d'ailleurs des exceptions peu
nombreuses qui ne suffisent point pour détruire le prin-
cipe même de l'origine des tempêtes tel que nous venons
de l'établir. Les cyclones une fois créés, si l'on non*
demande quelles routée ils vont parcourir, nous répon-
drons avec presque tous les météorologistes, que ces grands
mouvements tourbillonnaireB doivent suivre la direction
parabolique de nos courante supérieurs.
M. Fave a cherché la raison de cette direction :
Il en est ainsi, dit-il, parce que les molécules possèdent,
au moment de leur déversion, Un mouvement assez fort
vers l'Ouest, mouvement qui n'est détruit que petit à petit
à mesure qu'elles s'éloignent de l'équateur.
Mais d'où vient ce mouvement vers l'Ouest ? Existe-t-il
réellement ?
Les molécules qui s'élèvent aux environs de la ligne
conservent, il est vrai, en montant, la vitesse de rotation de
la surface ; elles créeraient donc un courant si elles arri-
vaient dans des régions animées de vitesses -supérieure*.
Malheureusement, pour atteindre une différence de vi-
tesse de 10 mètres seulement,, il faudrait une élévation de
144,000 mètres ; or,1 c'est à peine si une molécule monte
de quelques kilomètres par jour, elle ,ne peut donc être
cause de vent sensible.
Il existe, il est. vrai, un autre moyen de réaliser cetti
hypothèse, il consiste à faire monter lentement dans l'a»
pace les molécules des alizés (fig. 8).
l'orioinb des ouragans. 609
Celles-ci apporteraient dans les basses latitudes une
vitesse verc l'Occident qui irait toujours en augmen-
tant, et il régnerait aux environs de la ligne un courant
élevé ouest, lequel se ferait d'autant mieux sentir à la
surface, que les molécules d'en- dessous possèdent déjà la
même direction. ■ '
Et cependant les observations ne sont pas probantes, les
alizés ne dévient pas davantage et ne sont pas plus forts,
à mesure que Ton se rapproche de la bande des calmes, et
si, dans l'océan Atlantique, on les voit tourner quand on
approche des côtes 4' Amérique, cela tient peut-être à l'in-
fluence des continents. . . . .
11 est plus que probable que <ce& vente se conduisent
dans les hauts comme à la surface, ils doivent perdre (peut-
être par frottement contre l'alizé de retour) leur vitesse vers
l'Ouest, et les molécules qu'ils entraînent doivent arriver
au sommet de la couche laplus chaude sans aucune vitesse.
C'est la déversion elle-même qui doit donner cette
direction au courant supérieur.1
Au milieu de l'Atlantique^ loin de l'influence des terres,
une molécule a doit suivre le chemin abc (flg. 9); à l'ap-
proche des côtes d'Afrique al suit une courbe plus tendue
a1 bl tx, et enfin sur Je continent Ém^éricam a% suit at b% c„
a, suit a, bt e„ mais à mesure qu'elle monte en latitude,
ellejest de plus en plus sollicitée à reprendre le chemin
ouest et elle finit par décrire une courbe concave a% bt c$ d9en.
La théorie de M. Faye ne nous semble donc pas juste,
comment expliquerait-elle d'ailleurs que les cycloneB ne
se forment presque jamais ni dans le sud de l'Atlantique,
ni dans le Pacifique.
De quelle façon nous ferait-elle voir que les tempêtes
tournantes ne peuvent prendre naissance à moins de
8 degrés de l'équateur ?
Quelles époques désignerait-elle comme étant les plus
favorables aux ouragans ?
610 MÉTÉOROLOGIE.
Pourquoi, enfin, les chemins parcourus par les grandi
tourbillons de l'air, sont -ils si différents suivant les para-
ges où ils sont créés.
Dans l'Atlantique, ils suivent une courbe parabolique
et leur vitesse de translation, assez forte à l'origine, va
continuellement en augmentant.
Dans la mer des Indes et dans les mers de Chine, les
typhons sont au contraire presque stationnaires, ou bien
ils suivent des routes bizarres allant parfois du N.-E.
au S.-O.
La seule chose dont le marin soit sûr dans ces parages,
c'est du sens de rotation de la tempête, les indications
barométriques lui viennent en aide et suffisent pour loi
indiquer quelle route il a à prendre.
Nous.pourrions à ce sujet entrer dans de plus amples
détails sur les ouragans, rappeler comment ils s'annoncent,
donner idée de leur grandeur, de leur force et de leur
durée ; répéter les récits émouvants de6 voyageurs qui y
ont échappé, mais tout cela serait faire œuvre de compila-
tion et sortir du but proposé.
Nous avons voulu exposer une nouvelle théorie très
simple de l'origine des cyclones ; notre hypothèse remet
tout le phénomène en lumière, elle permet à notre pensée
de prévoir les faite, d'indiquer les parages où peuvent
éclater les ouragans, d'annoncer les époques auxquelles ils
6ont le plus probables ; de montrer enfin le6 troubles qui
peuvent être apportés à la marche habituelle de ces mé-
téores. Cette théorie ne nous indique pas de nouvelles
règles à suivre quand on rencontre un cyclone, mais elle
nous fait mieux comprendre le mécanisme de la circulation
aérienne et nous montre la première des lois qui régit
notre atmosphère.
H. Vignot,
Lieutenant de vaisseau.
L'ORIGINE DE8 OURAGANS. 611
Nota. — La nappe de dêversion, telle que nous l'avons
Indiquée, donne naissance à de grands fleuves aériens qui
se dirigent vers les pôles ; nous avons montré qu'à leur
origine, il se créait d'immenses tourbillons très redoutés
des navigateurs. Il peut se faire au6si qu'ils engendrent
dans leurs cours d'autre6 tourbillons plus petits, moins
violents, qui descendent ou ne descendent pas j usqu'à la
surface terrestre, mais 7 amènent toujours des dépressions
plus ou moins marquées.
Ces tourbillons secondaires peuvent être dus à des
causeB fort différentes, nous ne les contestons pas, mais
nous pensons que les tempêtes ainsi créées ne sont pas de
"vrais cyclones ; ceux-ci sont d'une violence beaucoup plus
grande et ils ont une forme bien caractérisée par la théorie
que nous en avons donnée.
H. V.
4* GÉOGRAPHIE MÉDICALE
CLIMATOLOGIE
Conférence de M. le Dr Mauchal
(SudU.)
I
Les mêmes conditions climatériques vont se trouver de
plus en plus atténuées dans . les parties les plus voisines
ê
des deux zones qui constituent les climats chauds et qui
sont comprises entre les. lignes isothermes de -h 25 et
de •+• 15.
La température de ces zones présente une moyenne an-
nuelle inférieure de 7 à 8 degrés à la zone torride ; les
saisons y deviennent plus tranchées. La périodicité des
pluies disparaît à mesure que Ton s'éloigne de l'équateur,
sous le rapport de la salubrité, les climats tiennent le
milieu entre la zone torride et les climats tempérés : si
quelques contrées offrent à leurs habitants des conditions
presque irréprochables de bien-être, le plus grand nombre
se ressent encore du voisinage des régions intertropicales
et présente le même cortège de maladies à un moindre
degré de gravité.
Les climats chauds sont répartis dans l'hémisphère
septentrional et dans l'hémisphère méridional.
La zone septentrionale comprend le midi de l'Europe,
le nord de l'Afrique, le centre de l'Asie et le quart en-
viron de l'Amérique du Nord. La zone méridionale ne
comprend que l'extrémité sud de l'Afrique, la presque tfr
talité de l'Australie et la partie moyenne de l'Amérique
méridionale. La région formée par le nord de l'Afrique et
l'Europe méridionale embrassé la Méditerranée qui mo-
CLIMATOLOGIE. 613
dère et égalise leur température. Ce n est qu'en s'impré-
gnant de fraîcheur et d'humidité que les vents chauds du
désert arrivent sur le littoral européen. De leur côté, les
côtes d'Afrique sont rafraîchies tout à la fois par les
brises de la mer et les vents froids du Nord. Les pluies
qui 6e produisent régulièrement au printemps et à l'au-
tomne concourent avec la chaleur à entretenir la richesse
et l'activité de la végétation. Le climat exceptionnellement
beau que constituent de semblables conditions, a toujours
attiré vers ces régions les grandes émigrations des Bar-
bares ; il y attire aujourd'hui les malades qui demandent
à un climat plus doux le rétablissement de leur santé. Les
affections chroniques des voies respiratoires, la phtisie
que le séjour dans un climat froid et humide ne peut
qu'aggraver, trouvent dans quelques localités de cette zone,
sinon une guérison, du moins une notable amélioration.
Hais toutes les parties des climats chauds sont loin de
donner les mêmes résultats favorables et la plupart d'entre
elles ne feraient qu'imprimer une marche plus rapide i
ces maladies. E» étudiant les diverses régions de la zone
chaude, nous signalerons les points qui peuvent être con-
sidérés comme de vrais séjours climatériques.
Le nord de l'Afrique peut être divisé en deux parties,
l'une montagneuse et accidentée, comprenant le Maroc,
l'Algérie et la régence de Tunis, l'autre comprenant la
régence de Tripoli et l'Egypte. Celle-ci est formée par une
plaine aride et sablonneuse dans tous les points que n'at-
teignent pas les débordemeuts du Nil.
En Algérie, le Tell, c'est-à-dire la région située au nord
de l'Atlas, étale 6ur une longueur de plus de mille kilo-
mètres un Bpendide amphithéâtre de vallées et de collines
qui contraste avec l'aridité du reste de l'Afrique. Les
nuées humides venant de la mer, arrêtées par les hautes
crêtes du grand Atlas, s'y résolvent en pluie et alimentent
les cours d'eau qui sillonnent le nord de l'Afrique. Sur
614 GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
leurs parcours se forment, à la suite des périodes de grand»
pluies, des marécages dont la surface est de près de 40,000
hectares en Algérie seulement. La salubrité du payse*
tout à fait sous l'influence des saisons. C'est au momeœ
des sécheresses que les maladies endémiques 6e décla-
rent. Aux fièvres intermittentes simples succèdent la
accès pernicieux; les hépatites et les dysenteries se mon-
trent à leur 6uite. Toutes ces affections redoublent de gra-
vité lore de la saison de6 pluies pour diminuer de non-
veau à l'apparition du froid. En résumé, V Algérie est on
climat chaud et paludéen. Certaines portions du littoral
sont extrêmement salubres, Alger est pour les phtisiques
un bon séjour climatérique à la condition que la maladie
ne soit pas dans une période trop avancée.
Le Maroc et la Tunisie ne diffèrent pas sensiblement
de l'Algérie.
La partie orientale de la région africaine est générale-
ment insalubre, les étangs salés y donnent la fièvre, le*
variations de température entretiennent des affections des
voies respiratoires, et le sable des ophtalmies de la plus
haute gravité. Cependant TÉgypte n'est pas aussi malsaine
que le feraient supposer 6es inondations périodiques, »
température élevée et son sol couvert de marais. La salu-
brité augmente à mesure que Ton s'éloigne de la côte. Le
Caire est plus sain qu'Alexandrie, que Rosette et que Da-
miette. C'est l'ophtalmie qui constitue l'affection la pins
répandue; viennent ensuite la dysenterie et les accès per-
nicieux.
La partie de l'Europe située dans la zone des dimtè
chauds comprend, en premier lieu, l'Espagne sillonnée de
toutes parts par des montagnes dont la partie septentrionale
se compose de plateaux arides, les paramos, tandis quête
versants méridionaux 6'inclinent en pente douce vers la
Méditerranée. Sur les paramos, l'air est glacial et le climaî
6alubre. Dans la vaste plaine où se trouve Madrid, l'atmo*
CLIMATOLOGIE. 615
sphère est pure, les affections chroniques y prennent faci-
lement un caractère aigu; aux bords de la mer, l'air est
tiède, calme, il rend le climat mou et débilitant.
La portion du midi de la France comprise dan6 la zone
.chaude est peu étendue; on n'y compte que nos stations
hivernales maritimes : Hyères, Cannes, Nice, Menton,
Villefranche ; c'est à Cannes, à Menton et à Yillefranche
que Ton trouve la plus grande égalité de température. Le
vent et le brouillard communs à Nice et à Hyères, y sont à
peu près inconnus. Cela suffit pour donner à ces trois
.stations une grande supériorité aux yeux des valétudi-
naires qui ne demandent qu'un retour à la santé.
La partie méridionale de l'Italie est comprise, dans les
climats chauds. L'Apennin la divise en deux zones, l'une,
orientale, que baigne l'Adriatique, l'autre, occidentale,
que longe la Méditerranée. Ces deux zones diffèrent par
une condition très importante ; tandis que la côte orientale,
très élevée, domine presque partout l'Adriatique, la côte
occidentale est basse ; les eaux n'y trouvent pas d'écoule-
ment et forment, en 6e joignant à la mer, des marécages qui
s'étendent de jour en jour par suite du retrait de la. Mé-
diterranée. Ces marécages qui commencent à la lisière
des Calabres jusqu'au point où l'Apennin se rapproche
brusquement de la mer, tout en allant du Sud au Nord,
— les marais de Psestum, ceux de Baja et de Pouzzolle,
les marais Pontins, les Marennes, — déterminent des
fièvres paludéennes sur tout le littoral occidental ainsi que
dans VAgro romano et dans le golfe de Tarente.
Le séjour de Rome mémo présente de 6érieux dangers
pendant les mois de juillet, d'août et de septembre. A
Naples, que les brises tièdes de la mer et les vents glacés
des Apennins mettent à l'abri des influences miasmati-
ques, la phtisie est commune et marche rapidement.
Rome et Florence sont également de dangereux séjours
pour les tuberculeux. C'est Pise, justement renommée par
616 GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
l'uniformité et l'influence calmante de son climat, qui res-
semble le plus à nos stations hivernales françaises.
La Grèce est la contrée la plus chaude de l'Europe. Slli
est couverte de montagnes dont la plus élevée ne dépasse
pas 2,425 mètres ; les vallées y sont étroites, le sol est es
général stérile et mal cultivé, le littoral bordé de récifs et
de falaises. Cependant la côte de Morée au sud du golfe
de Lépante est basse et plate et des marais assez étendus
se rencontrent entre Patras et Gorinthe. Gomme au tempe
d'Hippocrate, ce sont les influences paludéennes qui domi-
nent au Pirée, dans la campagne d'Athènes, aux enrirofl*
des Thermopyles, où le Sperchius forme de grands maréca-
ges, dans le sud de la Morée, et dans la plaine d'Àrgosqn'a-
voisine le iparais de Lerne : toutefois ces fièvres sont moiiu
graves que celles de l'Algérie, et en somme la Grèce doit
être considérée comme un pay6 sain.
Sur le continent asiatique, la zone chaude embrasse
plus de 800 myriamètres de l'Ouest à l'Est et comprend
le nord de l'Arabie, la Turquie d'Asie, le nord de la
Perse, le Turkestan, l'Afghanistan, le royaume de Lahoit
et tout le sud de l'empire chinois.
Le nord de l'Arabie présente les mêmes particularité!
que la partie située dans la zone torride.
La Syrie peut être divisée en trois régions distincte*;
la première, à l'e6t du Jourdain, confond ses déserte avec
ceux de l'Arabie . La seconde, formée par la chaîne du Liban,
a la plus grande analogie avec l'Atlas. Son versant médi-
terranéen est fertile, pittoresque et jouit d'un climat défi*
cieux. La troisième partie ou zone du littoral se distingue
par sa fécondité, ses plaines marécageuses et 6on insala*
brité. On y rencontre à l'état d'endémie une affection cu-
tanée connue 60us le nom de bouton d'Alep. Le climat de
la partie occidentale de l'Asie Mineure est excellent, le*
anciens et les modernes l'ont célébré à l'envi. Les côte*
septentrionales répondent à la mer Noire et reçoivent te
CUXAT0L061B. 617
tts froids des steppes de la Russie. Sur la cote sud, les
Chaleurs son! insupportables, le pays est marécageux et
fiène sévit avec intensité.
Le climat de l'Arménie est généralement bon, on y ren-
itre cependant après le débordement des fleuves des
ferres paludéennes et des ophtalmies.
La Perse présente, au point de vue du climat, trois
les distinctes en allant du Nord au Sud. Le6 rive6 de la
îr Caspienne sont basses et humides en toute 6aison.
L'été, la chaleur y est très élevée, les fièvres intermittentes
[épargnent presque personne. Téhéran, 6ituée dans une
le marécageuse, est désolée par des fièvres palu-
>nnes. Le plateau central est froid et présente les carac-
des climats excessifs. En descendant vers le golfe
[ersique, on retrouve les chaleurs, les sécheresses et les
$nts brûlants de l'Arabie sans rencontrer des endémies
ni prononcées.
Le climat de l'Afghanistan est celui des pays de mon-
te : doux et tempéré dans les vallées bien orientées,
tceseif sur les points élevés ; lés étés y sont brûlants, les
irers froids. Les maladies les. plus communes sont le6
îvres intermittentes et les ophtalmies. La climatologie
du Turkestan est à peine connue, on y dit les maladies de
k peau très' répandues, et les fièvres intermittentes endé-
miques dans certaines localités, notamment à Boukhara.
Le royaume de Lahore est montagneux dans le nord,
plat, fertile dans le reste de son étendue, son climat est
très salubre. Après la saison des pluies, on voit survenir
de nombreux cas de fièvres intermittentes, mais, ces affec-
tions ne prennent pas le caractère pernicieux, on n'y ob-
serve ni l'hépatite ni les diarrhées des pays palustres.
L'empire chinois comprend deux régions très diffé-
rentes ; d'une part, la Boukharie et le Thibet; d'autre part,
la Chine proprement dite.
La Boukharie et le Thibet offrent tous les caractères des
618 GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
pays d'un niveau élevé situés au centre d'un continent. Le
climat en est excessif, et si ces contrées sont rangées dam
les climats chauds, c'est par respect pour les lignes iso-
thermes entre lesquelles ils sont compris.
L'hiver y est tellement rigoureux que les habitants des
montagnes sont obligés de se réfugier dans les vallées e$
les gorges profondes. L'été est chaud et court, c'est l'époque
des pluies. Pendant cette saison, l'économie est accablée,
languissante; les animaux restent couchés et l'homme
éprouve un inexprimable malaise.
La Chine proprement dite occupe la majeure partie du
versant oriental de l'Asie. Divisée par les chaînes de mon-
tagnes en quatre grands bassins, elle renferme de grands
lacs; elle est sillonnée par un nombre infini de canaux qm
tout en créant une grande fertilité, donnent naissance ides
exhalations miasmatiques à peu près constantes.
La partie méridionale surtout, arrosée par le Si Kiang, t
beaucoup d'analogie avec la Gochinchine dont elle repro-
duit assez exactement le climat. Shang-Haï s'élève au mi-
lieu des marécages et est une des localités les plus insalu-
bres de l'extrême Orient. Tout le littoral est, pendant h
saison chaude, envahi par les fièvres paludéennes et la
maladies qu'elles tiennent sous leur dépendance, c'est-à-
dire la diarrhée et la dysenterie. Le choléra' a 6éri avec
une grande intensité à diverses reprises et la petite véiok
fait des ravages effrayants chez les Chinois, sans épargner
toujours l'équipage des navires.
La région océanienne n'est représentée dans la iom
chaude septentrionale que par quelques petits archipels
clairsemés appartenant à la Polynésie. Les îles Sandwici
en forment le groupe le plus intéressant parce qu'elles sa-
vent de point de relâche aux nombreux baleiniers du Pa-
cifique. Le climat est chaud et humide dans les vallées,
sec sur le littoral, où régnent les vents généraux. Les Kb*
ropéens y jouissent d'une bonne santé, mais la population
CLIMATOLOGIE. 619
indigène y décroît d'une façon effrayante ; l'abus des li-
queurs fortes, les unions précoces et l'insuffisance de
l'alimentation sont les causes principales de cette dépopu-
lation.
La partie de l'Amérique située dans la zone septen-
trionale des climats chauds, comprend le nord du Mexique
et le sud des États-Unis. Elle est divisée par la chaîne des
montagnes Rocheuses en deux parties inégales : l'une, très
étroite tournée vers le grand Océan, l'autre, beaucoup plus
étendue, vers l'Atlantique. Cette dernière est divisée elle-
même en deux bassins par les Alleghanys.
Le territoire des États-Unis est ainsi partagé en quatre
régions dont le climat est différent : 1° la région mari-
time des côtes de l'Est, florissante et peuplée; 2° le bassin
du Mississipi, constitué par des terres déboisées et de
vastes prairies ; 3° le grand plateau désert, aride et sec
placé entre les montagnes Rocheuses et la Sierra Nevada ;
enfin, 4° la côte étroite et basse que baigne l'Océan.
Sous le rapport de la salubrité, ces contrées présentent un
caractère commun. Elles se composent de régions élevées
et salubres à l'intérieur, et d'une lisière maritime bordée
de marais et soumise aux mêmes influences que le littoral
du fond du golfe. La mortalité est beaucoup plus élevée
que dans la partie nord des États-Unis : à la Nouvelle-Or-
léans, dans la vallée du Mississipi , sur les côtes régnent
les fièvres paludéennes, les flux intestinaux. La fièvre
jaune s'y montre souvent, surtout à la Louisiane. Il est
rare qu'elle règne aux Antilles sans se montrer à la Nou-
velle-Orléans et elle a parfois parcouru tout le littoral de
l'Amérique du Nord.
Zone méridionale des climats chauds. — Les pays chauds
situés dans l'hémisphère sud comprennent l'extrémité sud
de l'Afrique, la presque totalité de l'Australie et la partie
moyenne de l'Amérique méridionale.
La région africaine forme un triangle dont la base
620 GÉOGRAPHIE MÉDICADB.
s'étend du cap Négro à l'embouchure du Zambèse et dont
le sommet e6t au cap de Bon ne -Espérance, l'intérieur en
est peu connu, la côte ouest est inhabitable, la cote orien-
tale, plus fertile, est marécageuse et insalubre. Les seule!
parties habitées sont les colonies de Port-Natal et le gou-
vernement du Gap qui sont d'une salubrité parfaite. C'ed
là que les Anglais viennent se rétablir des maladies qu'ili
ont contractées dans l'Inde. Les maladies qui y régnent
sont celles de la zone torride sou6 une forme extrêmement
atténuée et quelques maladies des zones tempérées.
La région océanienne comprend l'Australie et la Nou-
velle-Calédonie. La seule partie intéressante de l'Australie
e6t la côte orientale, où les Anglais ont fondé de grands
établissements très prospères. La 6ulubrité de ce magni-
fique pays est parfaite et le climat très favorable aux
Européens.
La mortalité des troupes est moindre qu'en Angleterre,
Ce sont les maladies de l'enfance qui dominent et le cadre
nosologique de l'Australie se rapproche beaucoup de
celui de l'Europe.
Notre colonie de la Nouvelle-Calédonie est également
très salubre. Malgré les marais qui entourent Port-de*
France dé toutes parts, on n'y rencontre pas de fièvres in-
termittentes. La fièvre typhoïde, les maladies de l'appareil
respiratoire et en particulier la phtisie sont le6 princi-
pales causes de mortalité.
La partie de l'Amérique du Sud qui appartient aux cli-
mats chauds comprend le Pérou, le sud du Brésil et le
nord des États de la Plata. Les montagnes la partagent en
trois régions: l'une, aride et sablonneuse, placée entre les
Cordillières et l'océan Pacifique, l'autre formée par les
immenses plaines de l'Amazone, la troisième, au Sud, re-
présentée par une série de plateaux, de vallées couvertes
d'épaisses forêts et parcourues par des rivières. Le Pérou
fait partie de ces trois régions, il passe pour très salubre;
CLIMATOLOGIE. 621
Cependant le chiffre de la mortalité y est très élevé et dû
aux fièvres paludéennes, aux fièvres éruptives et à la dysen-
terie. Une affection cutanée, la veruga, est exclusive au
Pérou et endémique sur le versant occidental des Cor-
dillières.
Le Brésil est une plaine boisée placée entre les steppes
deT Amérique méridionale, il est traversé par des chaînes
de montagnes, parcouru par de nombreuses rivières et cou-
vert de la plus splendide végétation. Son climat ne peut
être considéré comme malsain; l'intoxication paludéenne
est la seule des maladies endémiques des climats chauds
qui y conserve une certaine importance. La fièvre jaune
y fait de très rares apparitions, la maladie la plus meur-
trière au Brésil est la phtisie; c'est un des points du
globe où elle fait le plus de ravages.
L'espace compris entre le Pérou, le Brésil et les Cor-
dillières est le Paraguay et présente les mêmes conditions
climatérique6 que les provinces méridionales du Brésil.
CUmats tempérés. — Les deux zones représentant les
elimats tempérés sont limitées dans chaque hémisphère par
les lignes isothermes de + 15 et de + 5.
La zone méridionale ne comprend que quelques îles de
rOcéanie et la partie inférieure de l'Amérique du Sud. La
zone septentrionale, au contraire, embrasse les deux prin-
cipaux centres de la civilisation, l'Europe dans l'ancien
continent, les États-Unis dans le nouveau. Placées à égale
distance des pôles et de l'équateur, ces régions ne con-
naissent ni les chaleurs énervantes de la zone torride ni
L'action dépressive des climats polaires. Prises. dans leur
ensemble, elles sont salubres. C'est là que la race cauca-
sienne présente la plus faible mortalité. Le cadre noso-
logfique' est beaucoup plus varié que dans les latitudes
extrêmes où il est dominé par une cause constante et ex-
clusive.
L'hémisphère nord comprend trois régions : 1° la région
•oc. d» eàoes. — 4* trimbstm 1888. 40
622 GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
européenne, divisée en 2 groupes : le groupe occidental
dont font partie les Iles britanniques, la presqu'île Scandi-
nave, le Danemark, la Belgique, la Hollande, la France,
Tltalie continentale, et le groupe oriental formé par l'Alle-
magne, la Suisse, la Russie méridionale et la Turquie
d'Europe ;
2° La région asiatique, comprenant Le pays des Kirghiz,
la Dzoungarie, la Mongolie, la Chine septentrionale et le
Japon;
3° La région américaine, comprenant les États-Dais du
Nord.
L'Europe, a dit de Humboldt, doit la douceur de m
climat à sa configuration richement articulée, à l'Océan
qui baigne ses côtes occidentales, au gulf-stream qui dé-
verse 668 eaux chaudes dans la mer du Nord, et surtout!
l'existence et à la situation du continent africain dont les
régions intertropicales rayonnent abondamment et déter-
minent un immense courant d'air chaud.
Ces influences s'affaiblissent à mesure qu'on s'avance
de l'Ouest à l'Est et donnent aux deux groupes qui se par-
tagent l'Europe des caractères assez tranchés. Le groupe
occidental est séparé de l'oriental par une ligne «nueu«
qui, partant du fond du golfe de Bothnie, aboutirait à
l'Adriatique en passant par la Baltique et la mer du Nord
et en suivant le cours du Rhin et les Alpes. Les con-
trées situées à l'Ouest de cette ligne sont le type de»
climats maritimes, le long des côtes le thermomètre
s'abaisse rarement au- dessous de zéro, la neige y séjourne
i peine, les pluies sont plus abondantes que vers le centra
et vers l'Est. La douceur du climat n'exclut pas les varia-
tions brusques qu'on retrouve partout au bord du la mer.
Les lies Britanniques présentent le type le plus accentué
de ce climat maritime, les pluies y sont fréquentes à causa
de l'absence de chaînes assez élevées pour arrêter les vents
d'Ouest, l'Ecosse seule est fortement accidentée : aussi le
CLIMATOLOGIE. 623
a
climat en est-il plus salubre. L'Irlande, basse et maréca-
geuse dans ses parties centrales, ne présente de montagnes
que dans le nord et le sud ; l'air y est doux et humide.
La Suède est le pays où le passage d'un climat à un
autre est le plus rapide.
La côte occidentale est remarquable par la douceur de son
climat et l'humidité de son atmosphère, tandis que sur le
versant opposé des montagnes l'air est sec. Dans son en-
semble le climat de -la Suède est froid et peu variable.
Le climat du Danemark est moins froid que celui de
la Suède, il est essentiellement marin. La Belgique et la
Hollande, formées de terrains conquis sur la mer, sont des
pays plats entrecoupés de canaux et parsemés de maré-
cages. Le climat y est humide et brumeux, un peu plus
froid qu'en Angleterre. Là France représente à peu près
dans son ensemble les conditions que présente l'Europe
entière ; « elle a l'immen6e avantage (a dit Hartius) de
réunir toutes les variétés de climats dont les types existent
dans les pays voisins ; c'est la cause la plus réelle de sa
richesse, c'est le secret de sa puissance. »
L'Italie continentale diffère un peu des contrées précé-
dentes par l'élévation de 6a température, mais elle s'en
rapproche par la constance et par l'humidité du sol entre-
tenue par ses nombreux cours d'eau et 6es lacs.
Les pays composant l'Europe occidentale sont d'une
très grande salubrité, d'autant plus marquée qu'on se rap-
proche plus du Nord. La mortalité est moindre dans les
campagnes que dans les villes : les maladies les plus ré-
pandues sont les affections des voies respiratoires et la
fièvre typhoïde. Les premières sont l'apanage des climats
tièdes et humides ; c'est en Angleterre qu'elles ont leur
maximum de fréquence, puis en Belgique et en Suède,
malgré l'air vif qu'on y respire. L'Italie septentrionale
n'en est point exempte malgré la douceur de son climat.
La phtisie est commune à Gênes, à Milan, elle est rare à
624 GÉOGRAPHIE MEDICALE.
Venise, qui se rapproche ainsi de Pise comme station
climatérique pour les tuberculeux.
La fièvre typhoïde marche immédiatement après les
maladies de poitrine sur les tables de mortalité de l'Eu-
rope occidentale. Elle tient, dans l'armée, le premier rang
parmi les maladies aiguës et figure pour 9,10 p. 100 dans
la mortalité de la ville de Paris. En Angleterre, en Dane-
mark, en Belgique, elle représente le vingtième des décès.
Par une juste compensation, le6 fièvres endémiques ten-
dent à disparaître. En Angleterre, elles ne figurent plus
que pour un chiffre peu important dans le nombre des
décès. En France, on les retrouve encore sur le littoral
de l'Océan et de la Manche, depuis les Landes jusqu'à
la Somme, et sur celui de la Méditerranée. Elles sont plus
répandues encore en Belgique et en Hollande, où on les
désigne sous le nom de fièvre des polders. Dans l'Italie
continentale, la fièvre intermittente prend sa source dans
les rizières et dans les plaines inondées, elle y est relati-
vement bénigne et ne présente pas les redoutables carac-
tères qu'elle revêt sur le littoral méditerranéen de l'Italie
méridionale. Les autres affections endémiques que l'on
rencontre 6ont le goitre et le crétinisme. La pellagre est
commune dans le Piémont, la Lombardie et dans quelques
localités du midi de la France.
Le second groupe européen ou groupe oriental présente
une grande surface continentale traversée du Sud-Ouest
au Nord-Est par le faîte de partage des eaux. De ces deux
pentes, l'une, inclinée vers le Nord, est formée par des
plaines immenses ; l'autre, dirigée vers la Méditerranée, est
couverte de hautes montagnes et parcourue par les plus
grands fleuves de l'Europe.
L'Allemagne, au point de vue climatérique, peut se divi-
ser en trois régions : en premier lieu, les plaines septen-
trionales dont le climat n'offre pas encore le caractère con-
tinental et se rapproche, par son humidité et ses variations,
CLIMATOLOaiB. 625
de la Belgique et de la Hollande. La seconde région em-
brasse tout le centre de l'Allemagne, que ses montagnes
mettent à l'abri des influences maritimes, mais dont le
climat est assez rigoureux. La troisième région 66 1 celle
des Alpes, à laquelle se rattache la Suisse.
Aucun pays ne présente de contrastes climatériques
plus accusés: les glaciers du Tyrol y touchent aux vallées
fertiles de la Garniole et aux plaines délicieuses de la Yé-
nétie. La limite des neiges perpétuelles y est en moyenne
à 2,900 mètres ; elles s'accumulent pendant l'hiver sur tes
pics, se fondent à moitié quand la température s'élève,
pour se congeler de nouveau et former les immenses
glaciers qui 6ont les réservoirs des plus grands fleuves de
l'Europe.
Le quart de la Suisse est occupé par les eaux, les gla-
ciers et les rocs, le reste est fertile et produit la flore la
plus variée. Dans ces pay6 de montagnes, le climat change
arec l'attitude, en quelques heures on passe de la tempé-
rature des contrées méridionales aux froids les plus in-
tenses. Il y a quelques années, dans les premiers jours du
mois d'août, il nous est arrivé de recevoir de la neige pen-
dant toute la traversée du col de la Fluela et de retrouver, à
quelques heures d'intervalle, une température extrêmement
chaude dans la vallée de la Basse-Engadine.
La Russie et la Pologne représentent une immense
plaine triste et monotone, entrecoupée de lacs et de ma-
rais, couverte de forêts et ouverte aux vents glacés qui
soufflent de l'Asie. Le pays compris entre le Dnieper et le
Volga n'est qu'une immense steppe sans forêts ni rivières.
Au contraire, le nord de la Turquie et les provinces moldo-
▼alaques sont parcourus par de nombreux cours d'eau
qui se jettent dans le Danube. Dans toute cette région, le
climat est plus froid que ne le comporte la latitude. Lors-
que l'hiver est rigoureux, lesglaces du Dnieper ne disparais-
sent qu'à la fin d'avril, et pourtant les végétaux de l'Eu-
626 GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
rope méridionale prospèrent en Grimée et la vigne même
réussit à Astrakan.
Le climat de la Turquie est excessif, à Constantinople
les étés sont aussi chauds qu'à Naples et les hivers plus
froids et plus rigoureux qu'à Paris. Les contrées qui cons-
tituent l'Europe orientale sont, à l'exception de la Suisse,
moins salubres que celles qui 6ont baignées par l'Atlan-
tique, la mortalité y est plus élevée sans que les statis-
tiques permettent d'indiquer avec précision les maladies
qui en sont la cause.
Le cadre nosologique de la Pologne présente une parti-
cularité intéressante, l'existence de la pli que, qui attaque
les classes pauvres dans la proportion de 30 p. 100 et les
riches dans la proportion de 6 p. 100 seulement.
Les fièvres paludéennes régnent dans les provinces da-
nubiennes, où elles sont connues sous le nom de peste du
Danube, peste de Galatz, leur nom suffit à indiquer com-
bien elles sont redoutables. La fièvre typhoïde, la dysen-
terie se présentent souvent sous forme épidémique, par-
fois avec complication d'hépatite. La variole est également
très meurtrière en Orient. On signale, en outre, deux ma-
ladies graves déterminées par les coups de soleil et les
coups d'air et consistant l'une en une sorte de délire ou
de coma enlevant le malade en quelques heures, l'autre
en une espèce de typhus. En hiver, les affections des
voies respiratoires prédominent et ont fréquemment un
caractère diphtéritique.
La partie de l'Asie tempérée occupée par le& Kirghiz
n'offre que des steppes sans bornes au milieu desquelles
s'élèvent çà et là des collines sans direction déterminée,
les vents du Nord passent 6ans obstacle sur ces plaines ou-
vertes, le climat y est âpre et excessif ; dans l'été on ressent
de6 chaleurs tropicales, en hiver la température descend
à moins 29. On ne possède aucun renseignement sur les
maladies et la mortalité de ces hordes à' demi sauvages. La
CLIMATOLOGIE. 627
Dzoungarie présente le même aspect que le pays des Kir-
ghlz, à l'Est s'étend le désert de Gobi, formé de sables
mouvants au milieu desquels on aperçoit quelques lacs
salés et du côté de la Mantchourie des oasis comme celles
qui bordent le Sahara. Ce désert sépare la Mongolie en
deux régions climatériques. Au nord est le pays du Khal-
khas, grand plateau d'un climat rigoureux où l'hiver dure
neuf mois et dont Tété est court, mais torride. La région
située entre le Gobi et la frontière de Chine jouit d'un
climat tempéré qui rappelle celui d'Allemagne, l'hiver est
court et le sol fertile.
Le nord de la Chine est beaucoup plus froid que les
contrées d'Europe situées sous la même latitude, c'est un
climat excessif, mais plus sec et plus tonique que celui
du sud.
En pénétrant dans l'intérieur, le climat devient de plus
en plus rude. Péking, situé à l'extrémité d'une longue
plaine qui va jusqu'à l'Océan, reçoit, en* été, les brises du
Sud qui lui apportent des chaleurs excessives, en hiver,
les vents glacés de la Haute- Asie. Le nord de la Chine est
moins insalubre que le midi ; quelques localités, telles que
Tien-tsin, sont extrêmement malsaines, tandis que d'autres,
comme Tche-fou, sont très salubres. Le nord de la Chine
est soumis en été aux affections paludéennes; en hiver, les
endémies disparaissent pour faire place aux maladies de
l'appareil respiratoire fort souvent diphtéri tiques.
Le climat du Japon est agréable et doux ; à latitude égale,
il est plus chaud que celui de l'Europe et de l'Amérique;
l'hiver y est beau quoiqu'un peu froid, le printemps plu-
vieux, l'été moins brûlant qu'en Chine ; l'automne est la
saison des tempêtes. Le Japon est d'une salubrité remar-
quable, l'absence de marais le met à l'abri des fièvres
endémiques si communes sur le littoral de la Chine. Les
maladies des climats tempérés, la scarlatine, la rougeole,
les affections de poitrine s'y développent. La phtisie y
628 GÉOORAPHIB MÉDICALE.
fait de nombreux ravages et le béribéri y est, dit-on, très
répandu.
La partie de la région américaine comprise dans la zone
tempérée se fait remarquer par le caractère excessif de
6on climat et par la différence que Ton observe à latitude
égale entre la côte de l'Atlantique et celle du Pacifique. Le
climat est rude, franc, beaucoup plus salubre que celui
des États du Sud. Ce sont les maladies de poitrine qui
l'emportent, elles figurent pour 28 p. 100 dans le chiffre
total de la mortalité, les fièvres paludéennes y entrent à
peine pour 5 p. 100; on les retrouve cependant sur un
assez grand nombre de points. Le climat de la Californie
est extrêmement salubre, les endémies y sont inconnues.
Toutefois, à la fin de la saison des pluies, on observe quel-
ques fièvres paludéennes et des diarrhées ; en hiver, les ma-
ladies aiguës des voies respiratoires, la fièvre typhoïde et
les affections éruptive6 6ont les affections dominantes.
Les régions tempérées de l'hémisphère austral se corn*
posent uniquement de la Tasmanie, delà Nouvelle-Zélande
et d'une partie de l'Amérique méridionale.
La Tasmanie n'est pas un pays insalubre ; son climat
est froid en hiver, la gelée et la neige y sont fréquentes.
En été, les vents du Nord- Ouest y apportent une chaleur
sèche venant d'Australie : sa population, presque exclusi-
vement européenne, jouit d'une bonne santé.
Les deux fies qui forment la Nouvelle-Zélande sont cou-
vertes de montagnes couronnées de neiges éternelles et
dont les flancs escarpés et stériles contrastent avec la
riche végétation qui croît à leur base. Le climat est ana-
logue à celui de la France, il est très salubre : on n'y
trouve ni marais, ni fièvre intermittente, ni fièvre typhoïde;
les maladies les plus communes sont celles deB voies res-
piratoires, en particulier la phtisie.
La région américaine comprise dans la zone tempérée
méridionale e6t parcourue, le long de sa côte occidentale.
CLIMATOLOGIE. 629
par les Cordillières qui se rapprochent de plus en plus de
la mer jusqu'au détroit de Magellan, où elles se terminent;
leur versant occidental descend brusquement vers le Pa-
cifique, leur versant oriental forme un plan incliné qui
s'abaisse lentement vers la grande plaine s'étendant jus-
qu'à l'Atlantique.
Le Chili, situé entre les Cordillières et le Pacifique, est
une longue bande maritime hérissée de montagnes, boule-
versée par les tremblements de terre, très boisée et couverte
d'une riche végétation ; son climat est 6a in et agréable, il
n'y a que deux saisons : le pays est salubre, les fièvres pa-
ludéennes sont rares et bénignes. Le choléra et la fièvre
jaune n'y ont pas encore paru. Les maladies les plus com-
munes sont les fièvres éruptives, la fièvre typhoïde, l'hé-
patite, les affections des voies repiratoires; la phtisie y
marche avec la même rapidité que sous les tropiques.
Les plaines comprises entre les Cordillières et l'Atlan-
tique sont arrosées par des fleuves nombreux et importants
qui se réunissent pour former le Rio de la Plata. Ces
pampas, comme on le6 nomme, se composent de'pâturages,
de prairies marécageuses, de déserts sablonneux. Les
côtes sont basses et stériles. Le climat est tempéré et se
rapproche de celui de la France; seulement le6 conditions
en sont exagérées. Les bords de la Plata, bien que couverts
de marais, sont d'une salubrité très grande : on n'y observe
pas d'affection endémique. La fièvre jaune a fait une appa-
rition à Montevideo en 1857, mais les maladies que l'on ob-
serve habituellement présentent la même variété que celles
le l'Europe tempérée: variole, scarlatine, rougeole. Les
maladies de6 voies respiratoires viennent ensuite, puis la
lèvre typhoïde, qui n'affecte habituellement pas un haut
iegré de gravité. Nous ne savons rien de la salubrité de la
Patagonie, dont le climat, sec et froid dans la partie monta-
gneuse, plus chaud dans l'e6t, est à peu près uniformément
ioux dans le 6ud.
630 GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
Les climats froids sont compris entre les isothermes de
-h 5 et de — 5. Dans l'hémisphère nord, ils 6ont divisés en
trois régions : la région européenne, comprenant l'Islande,
le nord de la presqu'île Scandinave, la Laponie, et Ii
Russie septentrionale; la région asiatique, comprenant la
Sibérie et le Kamt6Chatka; la région américaine, compre-
nant l'Amérique russe, la Nouvelle-Bretagne, le Labrador,
le Canada, l'île de Terre-Neuve.
Dans l'hémisphère sud, les climats froids n'occupent
que la mer et quelques terres couvertes de glace à peine
connues.
Sous ces latitudes élevées, le climat est encore compa-
tible avec la culture de certaines espèces végétales et la
terre peut y nourrir ses habitants, mais la vie ne s'y main-
tient qu'à la faveur d'une lutte incessante, À mesure qu'on
s'élève dans le Nord, l'été devient plus court et ne dure
guère que deux mois pendant lesquels la végétation par-
court toutes ses phases. Durant cette courte période les
jours sont longs, mais ils diminuent bientôt à l'approche
de l'hiver, puis le soleil finit par ne plus se lever et le
pays reste plongé dans le6 ténèbres durant des mois. L'obs-
curité n'est du reste pas complète et ces longues nuits
sont splendides, illuminées par l'éclat des aurores bo-
réales.
Les climats froids sont salubres. Il suffit, pour s'y bien
porter, d'une habitation convenable, de vêtements chauds
et d'une nourriture suffisante. Les fièvres infectieuses y
sont à peu près inconnues ; les affections des voies respi-
ratoires, la phtisie que nous avons retrouvée sous toutes
les latitudes, paraissent atténuer leurs ravages dans ce*
pays qui paraissent si favorables à leur développement; en
revanche la grippe y acquiert un caractère de gravité in-
connu dans les régions tempérées.
L'Islande présente un caractère tout particulier : c'est
une immense montagne couverte de glaces éternelles et
CLIMATOLOGIE. 631
coupée de profondes déchirures s'élevaiit au milieu de la
mer. Grâce à cette position maritime et à la présence du
gtdfsîream, sa partie méridionale a une température plus
élevée que la latitude ne pourrait le faire croire, le nord
est beaucoup plus froid, le climat est inconstant ; l'Islande
n'est pas insalubre et sa mortalité n'est pas de beaucoup
supérieure à celle de la France.
Lee maladies qui y sont endémiques lui sont tout à fait
spéciales. Ce sont les affections hydatiques qui atteignent
un septième de la population et dont la marche et le mode
de terminaison sont les mêmes qu'en France. Une sorte de
lèpre appelée le spedalsked est développée principalement
sur le littoral. Enfin, le tétanos des nouveau-nés qui est
sans doute une sorte de sclérème, enlève plus de la moitié
des enfants dans les douze premiers jours de leur existence.
La fièvre typhoïde, la grippe et les fièvres érsptives figu-
rent aussi pour un chiffre élevé dans la mortalité. La zone
froide de la Suède et de la Norvège présente, au point de
vue de la salubrité, des conditions à peu près identiques à
celles de la zone tempérée.
Les parties les mieux connues de la Russie sont situées
dans la zone froide. Le climat est très rigoureux, l'hiver
est long, mais en général froid et sec. Au moment de la
débâcle des glaces, survient une sorte de printemps d'une
durée de quinze jours, puis un été de trois mois amène
une chaleur lourde, accablante pendant le jour, tandis que
les nuits sont calmes et douces. Le chiffre de la mortalité
est plus élevé que dans toute l'Europe, nous ne connais-
sons aucune statistique qui permette d'établir le degré de
fréquence et de gravité des maladies qu'on y observe. Tout
ce qu'il est possible de dire, c'est que les phlegmasies do-
minent, principalement celles des voies respiratoires ; les
lièvres intermittentes ne régnent que dans les marais de
Finlande et dans certains ports de mer, la mortalité des
enfants eqjt extrêmement considérable.
632 GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
La Sibérie est une des contrées les moins peuplées du
globe, elle se divise en deux zones dont l'une, couverte de
neiges éternelles et de marai6 glacés, fait partie des régions
polaires, tandis que l'autre est en partie cultivée et ren-
ferme des villes. Elle offre le même aspect lugubre que la
Russie septentrionale : d'immenses forêts, des steppes, de
grands fleuves remontant vers le Nord et gelé6 pendant six
mois de l'année. Le climat de la Sibérie est d'une rigueur
proverbiale, 6on cadre nosologique comprend le scorbut,
l'ophtalmie des neiges, les maladies aiguës des voies res-
piratoires en hiver, en été la dysenterie et la grippe à
l'état d'épidémie grave.
La partie américaine des climats froids s'étend du golfe
de Behring à l'Atlantique, le climat en est extrêmement
rigoureux, les contrées qui avoisinent l'océan Atlantique
et la mer d'Hudson sont le type le plus nettement accusé
des climats excessifs ; sur tout le pourtour de cette baie, le
sol ne dégèle jamais et l'eau disparaît pendant sept mois
sous une épaisse couche de glace. Dans le Bas-Canada la
terre est couverte pendant tout l'hiver d'une couche de
neige qui ne fond qu'en avril, en été la chaleur est insup-
portable. La température est plus égale et plus douce dans
le Haut-Canada, ces contrées sont salubre6, mais on n'a
de renseignements sur la mortalité que par les statistiques
des établissements anglais, les affections aiguës des voies
respiratoires entrent pour la moitié dans les décès el ré-
gnent parfois épidémiquement. Dans les îles Saint-Pierre
et Miquelon, les fièvres éruptives, la fièvre typhoïde se
montrent au printemps et à l'automne, et la phtisie est
pour les trois quarts dans la mortalité.
Les climats polaires sont compris entre les lignes
isothermes de — 5 et de — 15. Dans l'hémisphère nord,
ils comprennent le Spitzberg, la Nouvelle-Zemble, la
partie la plus septentrionale de la Sibérie et de la Nouvelle-
Bretagne, la terre de Baffîn, le Groenland et les fies delà
CLIMATOLOGIE. 633
mer polaire. Dans l'hémisphère sud il n'y a que des ré-
gions inconnues. Ce sont les limites de la terre habitée,
déserts glacés fréquentés par les pécheurs de phoque et
de morse et peuplés par quelques tribus d'Esquimaux.
Rien ne peut peindre l'aspect sinistre de ces solitudes
éclairées par un jour douteux, le froid y atteint une inten-
sité telle que l'on conçoit à peine que les hommes puis-
sent y résister, le vinaigre s'y transforme en gelée acide,
l'eau versée de la mâture à travers une passoire tombe à
l'état de grêle, le mercure se congèle dans la main, les
variations de température sont fréquentes, mais ce ne
sont que les nuances d'un climat rigoureux à un climat
froid; la végétation 6e compose de quelques variétés de
cryptogames.
Les régions polaires ne sont point insalubres, malgré
reffrayante rigueur du climat ; tous les dires des voyageurs
en font foi et, en lisant les récits qui nous les représentent
luttant pendant de longs mois contre le froid, la fatigue et
la faim, on est surpris de voir presque tous les hommes y
résister. Le fait le plus remarquable de ces contrées est
l'absence à peu près complète de maladies de poitrine.
Les causes des maladies y sont à peu près nulles, on y
meurt de faim ou de froid, mai6 on se porterait bien si
Ton avait le confortable nécessaire. Le froid, l'absence de
vivres frais et de végétaux, la tristesse et le découragement
qui n'envahissent que trop souvent les équipages déter-
minent la maladie la plus commune de ces régions, le
scorbut. C'est elle qui fait les plus nombreuses, on pourrait
presque dire les seules victimes. Les congélations sont ex-
trêmement communes. La plupart du temps superficielles,
elles sont parfois profondes et il n'est pas de relation qui
ne parle d'orteils ou de pieds gelés ayant nécessité l'am-
putation; dans des cas plus rares, la congélation prolongée
devient générale et amène la mort.
L'ophtalmie des neiges n'est qu'une blépharo-conjonc-
634 GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
tivite d'un caractère très aigu qui guérit en quelques jours:
elle est également très commune.
Les maladies auxquelles sont sujets les habitants des
climats. polaires sont les flux intestinaux, ils résultent des
longues privations suivies d'abus de nourriture. Les In-
diens de la baie d'Hudson sont, d'après les récits des
voyageurs, décimés par la dysenterie et par la phtisie et
n'arrivent que rarement à un âge avancé.
Telles sont dans leur ensemble ces régions désolées dont
la climatologie ne nous est connue que grâce aux hardis
navigateurs qui n'ont été égalés, dans leur courage comme
dans leurs souffrances, que par les explorateurs héroïque*
de l'Afrique centrale.
5* GÉOGRAPHIE PÉDAGOGIQUE. .
ÉTUDE
SUS
L'ENSEIGNEMENT GEOGRAPHIQUE
EN ANGLETERRE
Par M. GÉRARD IN, instituteur.
Nous avons entre les. mains troi6 petits volumes de géo-
graphie, adaptés aux programmes du New Education Code,
1880, dont nous entreprenons l'analyse, persuadé que cette
étude nous 6era fructueuse et que nous profiterons, dans
notre propre enseignement, des idées pédagogiques que
nous pourrons y trouver.
I.
Le premier livre comprend les leçons élémentaires; il
contient 84 pages, sur beau papier, avec 27 illustrations,
savoir : la mer, les points cardinaux, la rose des vents,
des paysages, des cartes à diverses échelles, un globe,
les hémisphères, îles, l'île de Wight et ses environs; —
pour l'indication des termes géographiques : les bords de
la mer, une côte rocheuse, un cap, une chaîne de mon-
tagnes, la plaine, une baie, un détroit, une chute d'eau
dans la montagne, le ruisseau, une rivière: la Dee; sources
dans la montagne, lac, zones de climat, plantes et fleurs
des tropiques, paysage arctique, diagramme représentant
la rondeur de la terre» le jour et la nuit, parallèles et mé-
ridiens. Ces gravures, ainsi que les cartes comprises dans
les autres livres» sont fort soignée* et de beaucoup supé-
rieures à celles que nous avons vues dans les livres de
classe à l'usage des écoles françaises.
i
636 GÉOGRAPHIE PÉDAGOGIQUE.
L'impression est soignée, la grosseur des lettres appro-
priée à Tâge des lecteurs , depuis les commençants jus-
qu'aux élèves les plu6 avancés.
Les leçons préliminaires sont au nombre de 40. Cha-
cune d'elles comprend un certain nombre de mots mis en
vedette ; ici douze, là six, huit ou dix ; puis la leçon se
subdivise en un certain nombre de paragraphes de chacun
trois ou quatre phrases courtes. Nous allons traduire quel-
ques-unes de ces leçons, pour donner l'idée du genre.
Leçon I.
Enveloppe.
Village.
Surface.
Suffisance.
Campagne.
Villes.
Manteau.
Grsrîer.
Terre.
Prairie.
Description.
Gracieux.
Surface de la terre. — Géographie.
1° Vous vivez dans les cités, dans les villes ou dans les
villages. Quelques-uns d'entre vous jouent dans les rues,
d' autres sur la pelouse du village. Vous aimez à vous pro-
mener le long des sentiers champêtres ou dans la cam-
pagne et à travers les bois. Vous voyez que les plantai
croissent dans les jardins et que l'herbe pousse dans le*
prairies.
2° Lorsque l'on creuse le sol, on trouve de l'argile, on
des pierres, ou du gravier, ou de la craie ; et, si l'on creuse
assez profond, on peut trouver du charbon et même des
roches, qui nous donnent de6 choses comme le fer, le
plomb, Té tain ou le cuivre.
3° Le sol ferme sur lequel nous marchons, qu'il soit col-
line ou vallon, campagne ou forêt, rue ou sentier, est ap-
pelé la terre.
4° Vous pouvez marcher plusieurs jours, ou même des
semaines, à travers les villes et les villages, sur les col-
lines et (fans les sentiers sinueux, et dépendant la terre ne
finira pas, du moins pour quelques-uns de vous.
5° D'autres, au contraire, vivent proche de l'extrémité
^ENSEIGNEMENT GÉOGRAPHIQUE EN ANGLETERRE. 637
de la terre, et peuvent y arriver en une heure ou deux, ou
même eu quelques minutes. (Ici 6e trouve la gravure :
La mer.)
6° Et lorsque vous arrivez au bout de la terre, que trou-
vez-vous? L'eau. L'eau, aussi loin, et beaucoup plus peut-
être, que vous puissiez voir. L'eau, sur laquelle les vais-
seaux peuvent naviguer des semaines entières sans que
les matelots aperçoivent une fois la terre.
7° Cette grande étendue d'eau est la mer. Goûtez cette
eau : elle eet amère, salée, et ne plaît pas du tout au goût.
8° La terre, ou monde, sur lequel nous vivons, est un
grand globe ou boule. C'est un globe que nous vous mon-
trerons tout à l'heure. Le dehors de la terre est appelé la
surface.
9° La surface du globe est faite de terre et d'eau ; mais
il y a beaucoup plus d'eau que de terre. Si la surface en-
tière était divisée en quatre parts égales, près de trois de
ces parties seraient d'eau, et l'autre de la terre.
10° Les hommes, qui ont voyagé sur le globe, d'un en-
droit à l'autre, nous parlent de peuples extraordinaires et
de spectacles curieux. Dans quelques parties, il fait si
chaud, que l'on porte à peine quelque vêtement léger, et
que l'on est heureux d'être à l'ombre et de se reposer au
milieu du jour. Dans d'autres, endroits, la mer est toute de
glace, et la terre est couverte de glace et de neige ; les peu-
ples s'enveloppent de chaudes fourrures et habitent des
cabanes bâties avec de la neige.
11° Le sol est, en certains endroits, uni sur une étendue
d'une vingtaine de lieues, presque aussi uni que le plan-
cher de cette chambre. En d'autres places, les montagnes
sont si hautes que leurs sommets paraissent dans les nua-
ges et sont pour toujours blancs d'un manteau de neige.
12° Quand nous étudions ce qui concerne la surface de
la terre, et ce que l'on y trouve, 6es contrées étranges et
Ees peuples étonnants, ses plantes extraordinaires et ses
•oo. vm atoas. — £■ t*immtbji 1883. 41
■
638 GÉOGRAPHIE PÉDAGOGIQUE.
animaux surprenants , nous apprenons la géographie.
Quand nous parlons d'une chose, nous la décrivons, et le
mot géographie signifie « description de la terre ».
Leçon VI.
Europe. Afrique. Australie.
Asie. Amérique. Continent.
Les continents.
1° Regardez encore la terre sur les deux hémisphères.
Vous verrez qu'elle consiste en beaucoup de parties de
toutes formes et de surfaces inégales. Mais il n'y a qu'une
seule grande région de terre sur chaque hémisphère, et h
région. Est est beaucoup plus grande que celle de l'hémis-
phère ouest.
2° Ces immenses masses de terre s'étendent sur de si
vastes distances, sans que l'eau les sépare, qu'elles sont
appelées « terres continues » ou continents. Ainsi vous
voyez qu'il y a deux grands continents, un sur chaque hé-
misphère.
3° Mais le continent de l'hémisphère Est se partage ha-
bituellement en trois parties, qui sont nommées, comme
vous voyez sur la carte, Europe, Asie et Afrique. II y i
une autre grande étendue de terre qui est isolée, au sud-
est de l'Asie, c'est l'Australie: on l'appelle souvent un
continent.
4° Dans l'hémisphère ouest, le continent est appelé
Amérique, mais la terre de ce continent est très longue,
large à deux extrémités, et à peine réunie par le milieu an
moyen d'une étroite raie de terre. L'étendue de terre au
nord .est nommée Amérique du Nord ; celle au sud, Amé-
rique du Sud.
Leçon IX.
Ile. Reine. Desséché. Continent.
Petite lie. Wight. Principal. Beauté.
L'ENSEIGNEMENT GÉOGRAPHIQUE EN ANGLETERRE. 639
Continent. — Ilot. — Ile.
1° Les îles sont ordinairement de plus petits morceaux
de terre placés près de plus grandes étendues de sol. Dans
une carte vous verrez que les îles paraissent comme de
petites pièces séparées d'une plus grande.
2° La plus grande portion est la terre principale ou le
continent, tandis que les plus petites portions sont les île6
ou les terres d'eau.
3° La Grande-Bretagne est la plus grande île d'Europe ;
ainsi l'Europe est le continent, et la Grande-Bretagne l'île.
4° Il y a aussi une belle île au sud de l'Angleterre, ap-
pelée l'île de Wight, où la reine habite une partie de
Tannée. Pour cette île la Grande-Bretagne est le continent.
5° Enfin, il y a quelques petites îles, et même des ro-
chers sortant de l'eau, proche de l'île de Wight. Par rap-
port à ces îlots, l'île de Wight est le continent.
6° Nous ne devons pas oublier que si l'eau était entiè-
rement desséchée, nous aurions la terre où la mer est
maintenant, et nous pouvons considérer les îles comme les
parties les plus hautes de la terre, qui sont au- dessus de
la surface de l'eau.
7*«Les petites îles sont quelquefois les sommets des col-
lines et des montagnes que l'eau ne peut recouvrir.
8° Ile est un nom abrégé pour Islande, ou < terre iso-
lée », et on appelle les petites Île6 des « îlots ».
Gomme il faut borner nos citations, sous peine de pa-
raître fastidieux, et que le lecteur peut déjà se rendre
compte de la manière dont sont définis les termes géogra-
phiques, qui est une amicale causerie plutôt qu'une leçon
sèche, nous ne mentionnerons que les définitions origi-
nales, c'est-à-dire qui s'écartent de la manière ordinaire.
Il n'est pas aisé de dire exactement ce que c'est qu'une
contrée. C'est une portion de continent gouvernée par ses
640 GÉOGRAPHIE PÉDAGOGIQUE.
propres lois et ayant le même chef. Les gens d'une contrée
diffèrent de coutumes et de manières de ceux d'une autre
contrée, et presque toujours leurs langages diffèrent.
Partout où vous puissiez demeurer, vous pouvez toujours
trouver une île après une pluie forte. Regardez dans le
jardin, dans la rue, sur la route, et soyez assuré que vous
trouverez de la terre, des pierres, du sable ou de la boue
avec de l'eau de toutes parts. C'est là une île en miniature.
Visitons en imagination le rivage de la mer. D'abord
nous verrons que la mer est toujours en mouvement La
mer n'est jamais tranquille. Par le jour le plus calme, les
vagues minces roulent et se brisent sur le sable. Hais
quand le vent fait rage, les grandes vagues s'élancent,
ondulent et se brisent 6ur le sable, lançant leur pluie et
leur écume avec un bruit continu et mugissant semblable
au tonnerre. Si vous vous asseyez sur le sable pour quel-
que temps, voiis trouverez que l'eau vient, peu à peu, plus
près de vous ; ou que, peu à peu, elle s'éloigne de tous.
Ce mouvement en avant et en arrière est continuel; le
premier est le flux, le second, le reflux. Le mouvement en
avant dure environ six heures et un quart, puis le recul se
fait sentir pour six heures et un quart.
Promenons-nous 6ur le rivage. Ici notre pied s'enfonce
dan6 le sable ; plus loin, le sol est couvert de petits cailloux
— pierres arrondies "par leur choc continuel les unes con-
tre les autres par l'action de6 vagues. Le sable est fait de
pierres mises en menus morceaux par la mer.
Voici les falaises rocheuses qui s'élèvent comme des
murs géants pour maintenir la mer à sa place ; à leur pied
gisent d'énormes rochers que la tempête en a arrachés et qui
souvent sont entraînés à plus d'un demi-mile (l) au large,
dangereux écueils pour les vaisseaux.
Sur les points les plus dangereux de la cote, on a hUi
(')Je conserve att mot mti* (mesure de chemin) l'orUiofrftphe anglaise, eo1»
n'aurait pu dû perdre.
JUL
L'ENSEIGNEMENT GÉOGRAPHIQUE EN ANGLETERRE. 641
des phares pour avertir les vaisseaux de s'éloigner ; et des
bateaux de sauvetage sont organisés pour aller secourir les
marins naufragés.
Le cap est un mot étranger qui signifie tête ; et les caps
sont ainsi appelés quand ils se composent de hautes fa*
laises.
Il fait plus froid sur le6 sommets des collines qu'à leur
base. La ligne au-dessus de laquelle la neige ne fond jamais
e6t appelée la ligne des neiges éternelles.
Enfin, nul géographe français, à ma connaissance, n'a
traité, dans le livre le plus élémentaire, « des usages de
la mer et de la terre ».
Voici l'utilité de la mer :
S'il n'y avait point de mer, il n'y aurait pas de nuages,
ni de pluie, et la terre serait un désert brûlé, sans une
plante ni un animal vivant.
La mer purifie la terre. Les nuages donnent leurs eaux,
qui descendent en torrents les flancs des collines et des
vallées ; les rivières portent à la mer toute la boue et les
débris de toute sorte qui, 6'ils demeuraient en place, amè-
neraient la maladie et la mort.
Nous ne pouvons pas boire l'eau de mer, et cependant
la mer est la vraie fontaine qui donne aux hommes, aux
animaux et aux plantes l'eau dont ils 6'abreuvent.
Non seulement la mer nourrit les hommes, mais elle
leur fournit une grande partie de leur nourriture avec le
poisson dont elle abonde.
Et enfin, c'est sur la mer que les vaisseaux vont, de
toutes parts, porter les trésors d'une terre aux habitants
d'une autre contrée.
La terre, le plancher de l'homme, produit des plantes
et des arbres, elle nourrit des animaux dans les champs- et
les bois ; du poisson dans les lacs et les fleuves, et cela
pour l'aliment, le confort et le bonheur de l'homme. Les
642 GÉOGRAPHIE PÉDAGOGIQUE.
animaux et les plantes l'habillent \ il tire du 6éin de la
terre la pierre et le fer pour bâtir sa maison et le charbon
pour se chauffer.
Les montagnes et les vallées, supposant à la stagnation
morbide de l'eau, la vivifient en lui procurant l'écoule-
ment qui la rend limpide et pure.
C'est du sein des montagnes et des collines que l'homme,
pour 6on usage, tire les minéraux et les pierres convena-
bles ; il lui est plus aisé d'attaquer le côté de la montagne
que de creuser verticalement le sol. Ces montagnes et ces
collines arrêtent le6 vents froids ou môme chauds et en
modifient la température, pour le plus grand bien des ha-
bitants ; elles servent de limites naturelles entre les Élats.
Les caps et les presqu'îles ont aussi leur usage: ils
enserrent les baies et les ports et arrêtent la force des vents
et des vagues, de manière que les vaisseaux entrent et
sortent en sûreté.
Pour bien dire, il faudrait tout citer. Il y a certains chapi-
tres qui excitent l'intérêt : ceux où, partant de la gouttelette
d'eau du brouillard, l'auteur fait l'histoire de la source daqs
la montagne, du ruisselet, du ruisseau, de la rivière et du
fleuve ; où il parle de l'eau salée et de l'eau douce ; où, se
plaçant dans un bateau, il indique les deux rives et Yamoni
et Y aval, ennuis des écoliers ; où il nous indique les zones,
les parallèles et les méridiens : tout cela est admirable-
ment dit.
IL
ANGLETERRE ET WALES.
Dans le premier livre, ou Leçons préliminaires, l'auteur
que nous analysons a étudié les termes géographiques ; il
a frappé l'imagination des enfants. Il ne reviendra plus en
explications sur cette partie ; il se propose un autre but :
L'ENSEIGNEMENT GÉOGRAPHIQUE EN ANGLETERRE. 643
l'étude de la mère patrie : l'Angleterre et le Wales. C'est
ce qui fait l'objet du second livre, qui comprend 40 leçons,
33 gravures et 140 pages. Disons-le en passant, l'Anglais
ne comprend pas, dans la mère patrie, TÉcosse et l'Irlande;
il en fait l'objet de chapitres spéciaux. L'Angleterre (et le
Wales) a tant été favorisée par la nature, que nous com-
prenons cette préférence de ses habitants ; le lecteur en
jugera.
Noua sommes accoutumés, dans les géographies fran-
çaises, à trouver une nomenclature des accidents géogra-
phiques, puis la désignation des comtés, avec leurs capi-
tales, et des* villes principales avec leur industrie. Ici, rien
de pareil. Sachant qu'il s'adresse à des enfants de onze
ans à peine , l'auteur développe ainsi le chapitre intitulé
Comtés :
Vous vivez dans une paroisse. Quel est le nom de votre
paroisse? Le mot « paroisse » signifie un certain nombre
de maisons placées proche l'une de l'autre. Dans les temps
anciens, le mot paroisse désignait un district dans lequel
il 7 avait une église. Aujourd'hui, une paroisse contient
souvent plusieurs églises. Excepté dans les grandes villes
et cités, une' paroisse renferme beaucoup d'acres (') de
terre autour des maisons réunies. Il y a environ douze
mille paroisses dans l'Angleterre et le Wales.
Un certain nombre de paroisses réunies forment un
comté ou shire (*). Il y a quarante comtés en Angleterre et
douze dans le Wales. Yorkshire, le plus grand, a une sur-
face de quarante fois le plus petit, Rutland. Il existe une
ville dans chaque comté appelée capitale.
Les montagnes de l'Angleterre sont les Gheviot, qui
servent de limite entre l'Ecosse et l'Angleterre, et dont
l'herbe courte qui couvre leurs flancs nourrit les agiles
O L'acre vaut 40 ftrei •nriron.
(*) Ce mot lignifie dfrlaion.
644 GÉOGRAPHIE PÉDAGOGIQUE.
moutons Cheviot ; — la chaîne Pennine qui se dirige vers
le sud et se termine près de Derby ; — les monts Cam-
brians en Wales, dont le mont Snowdon a 3,510 pieds an-
glais d'altitude. La région montagneuse des Cambrians,
vieux mot qui désignait autrefois le pays de Wales, ren-
ferme entre ses monts arrondis de petits lacs, ce qui lui a
valu le nom de petite Suisse.
Enfin, du sud de l'Angleterre, allant du Lizard au Wash
et à Douvres, existe une chaîne de petites collines, vrai
plateau central d'où jaillissent mille cours d'eau allant à
la mer et formant cette multitude d'anses et de golfes dont
est hérissée la Manche. C'est sur ces collines, dans le
comté de Wilts, près de Salisbury, que se rencontrent les
Stonehcnge, pierres énormes, disposées en table à la façon
des menhirs et dolmens bretons. Partout, sur les collines
et les plateaux, l'herbe croît courte, menue, couvrant le '
sol, vastes pâturages où paissent de nombreux troupeaux.
Les principales plaines sont celles de Cheshire, où coule
la Mersey, d'York, arrosée par les affluents de POuse, et
la fertile plaine de l'Est, entre le Wash et la Tamise.
Il y a quelques centaines d'années, le Wash fut formé
par la mer qui couvrit le vaste marais aujourd'hui devenu
un golfe ; mai6, depuis 200 ans, les Anglais ont repris à la
mer plus de 600,000 acres de ce terrain, changé en prai-
ries. Le même travail a rendu à l'agriculture 200,000 acres
de terrain dans le Somerset, sur les bords sud du canal de
Bri6tol.
La Tamise, la grande rivière anglaise, de sa source près
de Cheltenham à 6on embouchure, reçoit, sur les 210 miles
de sa course, douze rivières, et coule doucement, sa pente
étant de 1 pied par mile: aussi les vaisseaux la remontent-
ils facilement.
La Severn, qui 6e jette dans le canal de Bristol, reçoit
deux rivières du nom d'Avon, nom qui rappelle celui de
Shakespeare, le cygne de l'Avon. L'Avon de Bristol est
L'ENSEIGNEMENT GÉOGRAPHIQUE EN ANGLETERRE. 645
plutôt un canal entre deux chaînes de petites montagnes ;
et à Clifton on a construit d'une rive à l'autre un pont
suspendu sous lequel passent les navires.
lia Mersey a un vaste estuaire,, qui peut recevoir des
centaines de navires du plus fort tonnage dans le havre
de Liverpool.
La côte.
Lorsque les montagnes et les collines s'étendent jus-
qu'au rivage de la mer, elles forment des falaises et des
caps rocheux. Moitié de la côte du Yorkshire est formée dé
falaises atteignant en moyenne 200 pieds anglais de hau-
teur ; Flamborough Head a 300 pieds ; le Lizard et le cap
Land's End Bont les sommets les plus hauts de la côte ro-
cheuse de la Manche ; le rivage de la mer d'Irlande, qui
baigne les contreforts des Cambrians, des Pennines et des
Gheviot, e6t presque toujours rocheux.
La côte que baignent l'Humber, le Wash, celles du
Norfolk et du Suffolk, sont basses et sableuses.
Les îles sont : Sheppy, à l'estuaire de la Tamise ; Wight,
terminée à l'ouest par une chaîne de rochers pointus nom-
més les Aiguilles et séparée du Hampshire par un petit
détroit ; le mont Saint-Michel, avec son château au som-
met et son village de pécheurs au pied, dans la baie du
Mont, près du Lizard, et l'île d'Anglesea, qu'un pont tour-
nant relie à la terre ferme.
La leçon XIV explique l'action de la mer, dont les va-
gues rongent peu à peu les continents, emportant la terre,
le sable, les pierres, « morceau par morceau, jour et nuit,
année après année », et gagnant deux mètres en un endroit,
en d'autres six ou huit par an. Mais elle n'emporte pas
loin sa conquête ; de même qu'une pluie amasse au bas
des collines des tas de boue et de sable, la mer rejette plus
loin, sous forme de bancs de sable et de marais, ce qu'elle
a arraché du rivage. Le rivage sud du York6hire s'est
646 GÉOGRAPHIE PÉDAGOGIQUE.
creusé ainsi, et la ville de Ravenspur (près de Spurn Head)
a disparu, mais une île de 6able s'est formée à l'embûn-
chure de l'Humber ; elle contient des fermes et des villa-
ges. La côte nord du Norfolk se creuée continuellement,
et la terre s'allonge sans cesse à la boucbe de l'Yare : il 7
a 800 ans, le terrain qu'occupe Yarmouth était 60us la mer.
De même pour le rivage du Suffolk : Dunwich est aujour-
d'hui un petit village ; c'était autrefois une grande ville
avec un palais royal et une forteresse : la mer, pièce à
pièce, l'a emportée.
Sur d'autres points, au contraire, la mer se retire et
bouche les baies et les passages. Sandwich était, il y a
400 ans, un grand port du Kent, et maintenant elle esta
deux miles de la mer. L'fle Thanet, dans le même comté,
n'est séparée de la terre ferme que par un terrain maréca-
geux ; autrefois, c'était un large canal.
fin jetant le6 yeux 6ur la carte, on voit que l'Angleterre
possède de nombreux caps et que son rivage e6t profondé-
ment découpé par le6 baies, les havres et les bouches de
beaucoup de rivières qui sont navigables loin dans Tinté-
rieur des terres. La mer est la grande voie du commerce,
et pour l'Angleterre elle ne possède pas d'autre voie. Aussi
6es ports 6ont-ils nombreux et ses baies bien abritées.
Quelques ports, comme ceux de Douvres, de Plymouth,
de Falmouth, ont été créés de toutes pièces. D'autres Bout
formés naturellement par des anses abritées, tels les poils
de Yarmouth, de Sussex et de Spithead.
Le climat de l'Angleterre est humide, tempéré et sain.
Le vent du tiud-ouest amène la pluie, qui est deux fois plus
abondante dans la partie montagneuse de l'ouest que sur
la côte e6t ; et le vent dominant étant le S.-O., il s'ensuit
que les cours d'eau sont alimentés d'une quantité d'eau
considérable, et sont plus propres, par suite de leur lar-
geur et de leur profondeur, à recevoir les vaisseaux, que
nos grands fleuves français.
L'ENSEIGNEMENT GÉOGRAPHIQUE EN ANGLETERRE. 647
La côte sud-oue6t est plus chaude en hiver qu'aucune
autre partie d'Angleterre ; aussi les villes abritées des Cor-
nouailles et du Devon sont-elles fréquentées en hiver par
les malades. La fraîcheur de la mer amène, en été, les
Londoniens aux bains de mer: Brighton, Scarborough,
Hastings, Ramsgate, Yarmouth.
Leçon XVII. — Avantages naturels de l'Angleterre.
1° La nature a été prodigue envers l'Angleterre. Par 6a
grande étendue de rivages (200 miles), par tant de ports et
de larges embouchures de rivières et par 6a position vers
le centre des grandes masses continentales, elle possède
tous les moyens de commerce avec les autres nations.
2° Sa température et son climat sont aussi favorables aux
occupations de 6on peuple. Il n'existe pas de soleil tropi-
cal pour forcer au repos dans le milieu du jour, ni le froid
arctique qui empêche le travail durant les nombreux mois
d'hiver.
3° Son sol est fertile et arrosé par les vent6 chauds,
dons et humides qui soufflent de l'Atlantique. Il renferme
pins de métaux utiles et variés qu'aucune autre conlrée du
globe. Ses montagnes et ses collines renferment des pierres
à bâtir et des minéraux de plomb, cuivre, zinc et étain ; et
au-dessous des vallées et des plaines on trouve des lits de
charbon et de fer — lés plus précieux des minéraux —
dont la richesse est pour ainsi dire illimitée.
.4° C'est à ces avantages, et aussi à l'habileté, à l'énergie,
à l'esprit d'entreprise de son peuple, que l'Angleterre doit
d'être devenue la plus grande nation industrielle et com-
merciale du monde.
Industries.
Agriculture. — L'Angleterre et le Wales comprennent
environ 26 millions d'habitants ; l'agriculture en occupe
près de neuf millions. — Si nous traçons une ligne de
Flamborough Head à la pointe du Start, nous aurons, à
648 GÉOGRAPHIE PÉDAGOGIQUE.
l'est, un pays de plaines et de terres arables ; à l'ouest, us
pays montueux où se trouvent des pâturages fort étendus
entretenus par la grande humidité qui y règne. Le tiers
environ de la surface du pays est occupé parles prairies;
le cinquième en terres labourées. Le blé, l'avoine, Forge,
6ont cultivés en grand, ainsi que la pomme de- terre; le
houblon dans le Kent, le Surrey et le Sussex ; les pommes
à cidre dans le Devon et les plantes potagères prinianières
dans le Cornouailles. Les comtés riches en pâturages pro-
duisent du beurre et des fromages renommés. L'Angleterre
renferme un million de chevaux, quatre millions de bêtes
à cornes, un million et demi de porcs et Beize millions de
moutons.
Pêche. — Le poisson abonde dans les mers qui entourent
les îles. Britanniques ; mais le banc le plus renommé est la
Bogger Bank, dans la mer du Nord, où 200 bateaux mou-
Lés par 2,000 hommes de Yarmouth et de Grimsby sur
THumber, sont occupés à pêcher la sole, le turbot et le
hareng, abondant aussi dans la Manche. La sardine, abon-
dante en août sur les côtes de Cornouailles et des îles
Scilly, occupe plusieurs milliers de pêcheurs, et son pro*
duit annuel est de 20,000 à 30,000 barriques. Près des
côtes du Kent et de l'E6sex, à Golchester et à Whistable,
se trouvent des pêcheries d'huîtres. Le saumon est abondant
dans les rivières.
Minerais : Houille. — La houille se trouve en lits situés à
une assez grande profondeur, et lenr épaisseur varie de
quelques pouces à sept ou huit pieds. Dans le StafFortshire,
il y en a un épai6 de plus de trente pieds. Entre les cou-
ches successives qui reposent Tune sur l'autre, il se troow
des lits d'argile ou de roche, ou même de minerai de fer.
Plus de douze mines de houille sont situées dans l'An-
gleterre et le Wales. Les mines de Newcastle occupent!
travers le Northumberland et le Durham une étendue di
huit miles sur une largeur de dix à vingt miles. Les ports
L'ENSEIGNEMENT GEOGRAPHIQUE EN ANGLETERRE. 649
de Newcastle, de Schields, de S un de ri and et Hartlepool
exportent le charbon qu'on en retire.
Les mineB du Yorkshire sont très considérables ; leur
houille est employée sur place dans les manufactures ou
envoyée à Londres par voie ferrée.
Le charbon du Wales du Sud 6'étend sous cinq comtés,
principalement sous celui de Glamorgan, ports de Cardiff,
de Newport et Swansea. L'anthracite, espèce de charbon
de terre qui s'y trouve en grande quantité, est envoyé par
voie de terre à Burton-sur-Treut, où on l'emploie dans les
brasseries. Les mines de Lancastre fournissent la houille
employée dans les manufactures de coton du pays ; une
partie cependant est embarquée à Liverpool.
Le charbon du comté de Stafford est employé, pour le
sud, aux usines de Birmingham et Wolverhampton (fer),
et, pour le nord, dans les « poteries ».
La houille de Cumberland est exportée en Irlande ; elle
s'étend sous presque tout le comté, et même sous la mer à
Whitehaven.
Nous n'avons cité que les principales mines de houille.
L'ensemble fournit annuellement à l'Angleterre 120 mil-
lions de tonnes valant environ un milliard de francs, et
occupe 400,000 ouvriers.
Fer. — Dans le comté de Glamorgan (Wales), on compte
plus de cinquante hauts-fourneaux aux environs de Mer-
thyr-Tydwil, qui exploitent le fer du pays.
La portion nord du comté de Lancastre, appelée Furness
< fourneaux », e6t très riche en mines de fer. Le fer se
trouve aussi dans les comtés de York, (près de laTees),
de Stafford, sur les bords de la Tyne, dans le Sussex. Les
hauts-fourneaux donnent annuellement huit millions de
tonnes de fer ou fonte, évaluées à 400,000,000 de francs.
Étain et cuivre. — L'étain et le cuivre se trouvent, dans
les. roches granitiques du Cornouailles et du De von, à
l'état de minerai, et aussi dan 6 l'île d'Anglesea pour le
650 GÉOGRAPHIE PÉDAGOGIQUE.
cuivre. Les fonderies de cuivre de Swansea sont renom-
mées.
Plomb, — Le minerai de plomb, auquel 6e joint une pe-
tite quantité d'argent, se trouve dans les collines rocheuses
des comtés de Northumberland, Westmoreland, Durham,
York et Derby, traversés par la chaîne Pennine; dans les
comtés du Sud-Wales , de Cornouailles et l'tie de Man.
Sel. — Il 6e trouve d'importantes mines de sel dans le
Cheshire, au-de860UB de la plaine où coule la Weaver,çui
se jette dans la baie de Liverpool. Ces mines fournissent
près d'un million de tonnes de sel embarquées à Liverpool
Dans le comté de Worcester, il existe des- sources salées
qui, bien qu'utilisées depuis des centaines d'années, sont
aussi abondantes que jamais.
Argile. — L'argile se trouve en grande quantité près de
Londres, dans le Kent, le Middlesex, l'Essex et le Norfolk,
où sont établies de nombreuses manufactures produisant
chaque année des millions de briques pour construction,
et de tuiles.
Le kaolin, ou terre à porcelaine, s'extrait dans le Cor-
nouailles et est envoyé avec l'argile blanche du Dorset et
l'argile brune du Devon dans les « potteries » du comté de
Stafford; environ 200,000 tonnes sont employées par année.
Le granit se trouve en grande quantité dans le Cor-
nouailles et le Devon. Les ponts et les quais de Londres
sont bâtis avec cette pierre.
L'ardoise est en carrières dans les comtés nord du Wa-
les, dans le Cumberland et le Cornouailles.
La pierre de taille de Portland est renommée ; la ca-
thédrale de Saint-Paul et les plus belles églises de Londrei
sont bâties avec la pierre de Portland. On la trouve aussi
dans les comtés de Somerset, de Wilts et d'York.
Enfin, la pierre calcaire, les lits de craie, les cailloux et
le sable se trouvent en divers endroits de l'Angleterre.
6° GÉOGRAPHIE HISTORIQUE
DOCUMENTS GÉOGRAPHIQUES
■us \^y
L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE,
TRADUITS DB L'ARABE
Par René BASSET
y
/
FBOFBMBUB ▲ i/ÉCOLB SUPBBIBUBJB DBS LBTTRB^ d'ALOBB
INTRODUCTION
Tandis que la géographie de l'Afrique septentrionale à l'époque ro-
maine est l'objet de nombreux travaux et que, de toutes parts, Ton
étudie et l'on compare les indications fournies par les textes et l'épi-
graphie pour reconstituer YÂ/rica romana, il semble qu'on néglige la
période de douze siècles, qui Ta de la conquête musulmane i la domi-
nation française. Cette indifférence apparente s'explique lorsque Ton
considère que les documents à mettre en œuvre sont d'un accès beau-
coup plus difficile qu'une inscription ou qu'un texte latin ou grec.
L'élude de l'arabe n'est pas abordable à tous ceux qui s'occupent de
géographie comparée, et cependant, pour rester sur le domaine de
l'antiquité, les renseignements donnés par les géographes et les histo-
riens musulmans ne laissent pas d'être d'un grand secours pour com-
bler les lacunes des écrits des anciens tels qu'ils nous sont parvenus.
H est vrai que la conquête de l'Algérie a donné, surtout en France,
une nouvelle impulsion à ces études. La découverte, la publication et
la traduction d'ouvrages arabes ont mis déji d'importants matériaux
entre les mains des géographes. La courte liste suivante fera con-
naître les principaux :
Une des premières descriptions de l'Afrique que nous rencontrons
est celle donnée par Ibn Khordadbeah, d'origine guèbre (in* siècle de
r hégire), dans son livre intitulé: Les Routes et tes Provinces, qui ne
nous est arrivé qu'incomplet ('). En laissant de côté l'encyclopédie de
l1) H a été publié avec un9 traduction par H. Barbier de Meynard. Paris, 1865,
la-9o (extrait du Journal asiatique).
652 GÉOGRAPHIE HISTORIQUE.
Mas'oudi qui do traite de l'Afrique qu'accidentellement ('), non* tm~
vons une description du Maghreb, extraite du Kitdb el Bolddn [Le Lien \
des pays) d'Ahmed El Ya'qoubi ('), publiée et traduite en latin, jur
M. de Goeje ; les traités d'El-lsTakhry et dlbn-ffaoaqal (it* siècle de
l'hégire) ont paru dans la collection de géographes arabes éditée i
Leyde (s) ainsi que Fourrage d'El Moqadesi (4); le dictionnaire géo-
graphique d'Abou'Obeïd el Bekri (*) [?• siècle de l'hégire] a été pu-
blié à Leipzig; la description de l'Afrique du môme auteur (Eitàb-El-
Mesalik ou el-memalik), outrage capital depuis la perte de celui it
Moh'ammcd ben El Ouarraq, son modèle, a été traduite et publiée par
M. de Slane (•); la partie du grand ourrage d'El Edrisi (vr* siècle) qv
traite du même pays a paru par les soins de MM. Dosy et de Goeje ri
Il faut y joindre le géographe anonyme édité par M. de Kremer (•,,
dont je donnerai la traduction dans cette série et sur lequel je rerjea-
drai plus loin. A ces outrages techniques, on doit ajouter les réciU
de voyage et les itinéraires des pèlerins qui partaient du Maroc pont
le pèlerinage de la Meklte et traversaient l'Afrique septentrionale dans
toute sa longueur, pour accomplir cette obligation imposée à tout ha
musulman. M. Cherbonneau nous a fait connaître par des extraits la
relation d'Àbou Moh'ammed El'Abdery (vu* siècle) ('). Le grand dic-
tionnaire géographique de Yaqout (vi-vn* siècles) a été publié psr
M. Wustenfeld ("), ainsi que ses deux abrégés : le Mera'sid El-
(») Le» Prairie» d'or, publié et traduit par MM. Barbier de Meynnrd et Pavefée
Courteille. Paris 1861-1877, 9 vol. in-8«.
(*) Detcriptio al Maghribi. Lugduni Batavorttm, 1860, in-8».
(J) De Goeje, Bibliothecageographorumarabicorum. P. I, II, 1870-1873, S ToLifr4*.
Une version allemande d'Ël Is't'akhri est due i Mœller, son premier édite» : Dm
Buch der Lànder, Hamburg, 1845. M. de Slane avait traduit en français la partie d*I*i
H'aouqal qui traite da Maghreb : Description de V Afrique. Paris, 1S4S, in-*». Une
Tersion anglaise d'un remaniement de l'ouvrage complet, due à Ousetey, avait pan
à Londres en 1800 : The Oriental Gtography of Ibn Haoukal, in-4».
(*) Pars III. Deecriptio imperii moelemici. 1873, in-8°.
(5) Qeographische» WSrterbuch, publié par Wustenfeld. Leipzig, 4 voL la-8», 1876-71
(•) Description de V Afrique septentrionale, texte arabe. Alger, 1867, In-8» : trsist-
tlon française, Paris, 1859, in-8<>. En 1831, Quatremère avait déjà reconnu qa*ua sas-
nu scrlt incomplet de la BibUothéque nationale renfermait une partie du texte CS
Bekri et l'avait fait paraître dans les Notice» et Extrait» (t. XII).
I7) Description de V Afrique et de l'Espagne, texte et traduction. Leyde, 1866,1a-*6-
On ne la connaissait auparavant que par l'abrégé édité, sons le titre de GiofrujkM
Nubiensi», Rome, 1592, ln-4°, traduit par les deux Maronites Sionita et Hesreata,
Paris, sur lequel a été fait le commentaire de Hartmann (KdrUii Afrieeu GSttiafes,
1796, in-8<>), qu'on consulte encore aujourd'hui avec fruit et par la médiocre tradi-
tion publiée sons le nom de Jaubert {Géographie cYEdriei. Paris, a vol. in-4«, 1SW-
1840).
\*) Description de V Afrique par un géographe arabe anonyme du VI* sUcle de fhifîn.
«Vienne, 1852, in-8«.
(9) Notice et Extraits de ton voyage à travers l'Afrique teptentrionaU. Paris, lftL
in-8°.
\}°) Uo'djem El Bolddn, GeoçraphUchesWôrtêrbuch. Leipzig, 1865-1871,11 voLnrë-
l' AFRIQUE SEPTBNTIONALE. 653
It't'uV (') et le Mochtarik ou dictionnaire des synonymes géographi-
ques (*); après Rinck, Eichhorn (*) et Solvet (4), Reinaud et de Slane
fetisalent paraître le texte d'Abou'lféda (vii#-viiie siècles de l'hégire),
relatif à l'Afrique (»), dont le premier publiait en même temps la tra-
duction précédée d'une introduction capitale pour l'histoire de la géo-
graphie arabe ('). Le voyage d'ïbn Bat'out'ah (vma siècle de l'hégire),
le Marco Polo de l'Islam, a été édité et traduit en français (7); à la
même époque tirait Et Tidjâni que M. Rousseau a fait connaître par des
extraits dans le Journal asiatique (1852). Mais aucun de ces écrits n'a
Hmportance de Y Histoire des Berbères (■), d'ibn Khaldonn (vin* siècle),
extraite de sa grande histoire universelle et qui est pour l'Afrique sep-
tentrionale ce que sont les œuvres de Maqrizi pour l'Egypte et d'El-
Maqqari pour l'Espagne. Nous arrivons ainsi à l'époque moderne : Léon
l'Africain (xv6 siècle de notre ère), dont le livre, primitivement écrit
en arabe, fut traduit en italien puis en latin ('). Depuis lors, nous ne
trouvons plus à mentionner que des relations de pèlerinages (raKlah),
ou des Itinéraires de commerçants : Les voyages d'El-'Aïachi (xie siècle
de l'hégire, xvr* siècle de notre ère) et de Moula Abmed [xn* siècle de
l'hégire] ("); les Itinéraires de Sidi Ali ben Mezrag ("), des deux pèle-
rins marocains ("), de H'adj Ibn Eddin El Laghouati(13), de Abd El Qader
El Touaty i"), et ceux recueillis par Yenture de Paradis (,4) ou traduits
par de Sacy dans l'ouvrage de Walckenaer ("), etc.
(') Lexieon geographtcun, éd. Juynboll. Leyde, 1950*1862, G vol. In-8°.
(-) Publié par Wustenfeld. G&ttlngen, 1816, in-8°.
y3) Abulfedœ Africa. Leipsjg, 1791, in-8».
(*) Description dis pays du Maghreb. Alger, 1839, in-8°.
<*) Dana l'édition complète do la Géographie d'Abou'lféda. Paris, 1840, In 4°.
Ç"; Géographie d'Aboa'lfôda, traduite de l'arabe en français. Paris, 1818,2 vol. in-8*,
, t. II, 1« partie. JLa traduction a été terminée par M. Gtuyard. Paris, 1888, ln-4°.
\f) Par BCM. Defrémery et Sanguinettl, 4 vol. in«8°. Un abrégé de sa Relation avait
été traduit en anglais par Lee (Travels traiulated with notée. London, 1820, in-8°)
et la partie concernant l'Afrique septentrionale par M. Cherbonneau (Paris, 1852,
ln-8*); celle relative an Soudan, par M. de Slane (Parla, 1843, in-8<>).
(•) Le texte a été publié par M. de Slane. Alger, 1837-62, 2 vol. in-K Le même ta-
rant en a fait paraître une traduction complète avec des appendices. (Alger, 4 vol.
fn-8", 1852-56.)
(•; De Afriea Descriptions, Lugd. Batav. Elsevier, 1632. Le texte arabe parait
perdu.
(*°) La partie de leurs relations concernant l'Algérie et les pays barbaresquesaété
traduite par Beibrogjrer, Voyagea dans le Sud de V Algérie, 1 vol. in- 4°, Paris, 184B,
dans Y Exploration scientifique de V Algérie.
(u) Publié à la suite du volume précédent.
('*) Publiés par Berbrugger i la suite de la Description du Maroc de Renou. Paris,
184<)T in-i°, daus l'Exploration scientifique de l'Algérie.
(u Commenté par M. d'Avesae (Études de géographie critique $ur une partie de
VAfrtque septentrionale. Paris, 1836, 1 vol. iu-8^.)
(I4) Publié par l'abbé Barges, Le Sahara et le Soudan. Paris, 1853, in -8°.
I**} A I* suite de sa Qraminatre et Dictionnaire abrégée de la langue berbère. Paris,
1844, in-1". Ils ont été reproduits daus le volume de Y Univers pittoresque, consacré
à Y Afrique australe, orientale et centrale. Paris, 1848, ln-8°.
l**j Recherche* géographiques sur l'intérieur de l'Afrique septentrionale. Appendice,
Pari», 1821, in-8°. C'est a la même catégorie d'ouvrages qu'appartient l'opuscule ber-
bère dont j'ai donné la traduction: Relation de Sidi-Brahim de Massât. Paris, 1883.
ln-8».
SOC. DR OK043B. — 4* TRIX H8TRB 1883. 42
654 GÉOGBAPHIB HISTORIQUE.
Pour être complet fil faudrait mentionner les histoires particulières
d'une ville ou d'un État : en première ligne, le Qartas consacré »
Faa (') ; le Bilai et Maouachia, bis toi re de la Tille de Maroc (*) ; cdk
de Mequinès (Miknasa) par ibn Ghazi {3) ; le Maalim El Jmdn d'Ibnb
Nedji, indispensable à la topographie ancienne comme à l'histoire de
Qaïrouân (4), etc. ; en outre, les traités de géograpliie et les relit*»
de Toyages encore inédits: Les oarrages d'El Fezâri [xur* siècle de notre
ère] (5); dlbn Rechid En Nouchérichi [vnr» siècle de r hégire j fi;
d'El Belaout (T), dÀh'med El Ghazal El Fasi (•), de Mos't'ata El Be-
kri, etc.
Celle série comprendra des traductions de textes ou d'extraits de
textes, tous relatifs i l'Afrique septentrionale, ainsi que les itinéraires
que j'ai été à même de me procurer dans mes diTerses missions dts*
les États barbaresqoes, en j joignant les notes strictement nécessaire»
à l'intelligence des faits historiques mentionnés ci et là. J'espère pir
là contribuer, pour ma modeste part, au progrès de la géographie com-
parée de la région qui Ta des Syrtes à l'Océan Atlantique et qui, déjà
française en partie, le sera un Jour dans toute son étendue.
Lunêrille, 12 octobre 1883.
(') Traduit en portugais par Mou» et en allemand par Dombay ; il a été piblit
avec une veraiou latine par Tornberg (Annale» reçum Mauritanie. Up*a]o,i^l
in-4<>, 18 U- 1*45) et traduit en français paa Beanmier (Roudl H Qarfa*. Paris, ta-t",
1S60).
(*) Manuscrits de Parla, d'Alger, d* Tétouan.
(»; Manuscrit* de Faa et d'Alger.
{4, Manuscrits de Paria, d'Alger, de Tunis.
(») Manuscrits de Qaïrouân, d'Alger.
(•; Manuscrit do l'JSscurial.
(7; Manuscrits de Faa, d'Alger, de Tunis et de Gotha. Cf. la notice que fen ai osa*
née dans le* Manuscrit* arabe* de deux bibliothèque* de Fa*. Alger, 188*, grand ia-$*,
p. 14-15.
(*; Manuscrit de Tunis.
('; Manuscrit de Tunis.
&
LA
MÉDITERRANÉE DES ANCIENS
[Suite (■).]
XL
LA MER IONIENNE ET L* ADRIATIQUE.
En remontant la côte d'Italie à partir du cap Zéphyrion, et après
avoir dépassé le golfe de Scylacium et les lies de Calypso et de Dios-
curos, on entrait dans le vaste golfe de Tarente, appelé aussi la mer
d'Ausonie. La reine de ces parages était sans contredit l'opulente Ta-
rente, motte Tarentum, célèbre par son commerce et le grand nombre
de ses navires avant comme après la conquête romaine. Du fond de
son port, qui était excellent, partait une espèce d'isthme qui s'avan-
çait jusqu'en pleine mer, de sorte que la ville se trouvait située comme
sur une presqu'île et que les navires pouvaient très aisément être
transportés par la voie de terre, les deux rives de l'isthme étant fort
peu élevées au-dessus du niveau de la mer. En suivant la côte dans la
direction du S.-E., on atteignait, à 600 stades environ de Tarente, la
petite ville de Baris, appelée aussi Veretum, puis le promontoire lapy-
gîen, Hydros et Brundusium. Lflle de Saso, vrai repaire de pirates, si-
tuée à moitié chemin, entre Brundusium et la côte d'Épire, comman-
dait en quelque sorte l'entrée du détroit ionien. Ceux qui ne pouvaient
hasarder la traversée en ligne droite en partant de la côte d'Epire,
abordaient d'abord à Hydros, laissant l'Ile de Saso sur leur gauche; là
ils profitaient du premier vent favorable pour se rendre à Brundusium.
Cette dernière ville, à laquelle venait aboutir la voie Appienne, avait
des ports excellents, et c'est de là qu'au temps de la splendeur de
Rome on s'embarquait presque généralement pour la Grèce. On se di-
rigeait, pour effectuer cette traversée, vers les monts Gérauniens, qui
8* avançaient dans la mer en forme de promontoire ('), vers les côtes
adjacentes de l'Épire et de l'Hellade, et tout d'abord sur le port à'Epi-
damnoi, dont le nom de mauvais augure ne convint pas aux Romains
et quils changèrent en celui de Dyrrhachium. Là commençait la voie
Egnatienne, qui partait d'Apollonie et d'Épidamnos, et qui mettait en
communication llllyricum, la Macédoine et la Thrace. Un peu plus au
0) Voir le Bulletin du 4« trimettre 1882.
O Gtraunia, «ode iUr ItaUam ourêutq. brwUiinuê r«mi«.
656 GÉOGRAPHIE HISTORIQUE.
Sud, on rencontrait Nicopolis, fondée par Auguste et où se céiêbraie&t
les jeux institués en mémoire de la bataille d'Actium('), puis Ambrack,
qui a donné son nom an golfe qui ressemble plutôt à on lac, puis ir-
gos Amphilochicum, port important de PAcarnanle. Nous remarquerons
incidemment que les anciens connaissaient déjà le courant qui Tient
de l'Adriatique, longe les côtes de l'Albanie et de l'Épire et passe es-
suite à travers les lies Ioniennes, projetant des masses de sable et 4e
gravier (') sur les côtes de la Grèce.
Mais revenons sur la côte d'Italie baignée par l'Adriatique- De Bnur
dusium on gagnait Egnatta, ville très animée, où aboutissait le tronçon
de la voie Appienne qui conduisait de Bénévent à la mer et qui était
le rendez-vous habituel des voyageurs se rendant à Barinm par terre
ou par mer; le voyage par mer pour cette dernière Tille se faisait avec
l'aide du vent du Sud. Nous ferons observer i cette occasion que, chez
les anciens, les navires à voiles ne pouvaient marcher que lorsqu'ils
avaient le vent a l'arrière (') et que le marin éprouvait tout autant «Tus-
quiétude lorsque le vent venait à fraîchir, que celui de nos Jouis quand
il est assailli par le calme, qui ne manquait jamais de réjouir le rameur
d'autrefois. Dès qu'on se sentait menacé par l'orage on la tempête, on
se hâtait de gagner le rivage..
De Barium on arrivait à l'embouchure de PAufldus, sur les rives do-
quel florissait autrefois la ville grecque de Canuslum, où se réfugièrent
les débris des légions romaines après le bataille de Cannes, et dont
l'importance commerciale déclina considérablement à partir des guerres
puniques. .Non loin de cette ville, qui se trouve éloignée de la mer
d'environ 16 kilomètres, on rencontrait, à une certaine distance des
côtes, les cinq petites lies dites de Diomède, puis le port assez important
de Sipunlum, dont on faisait remonter l'origine i Diomède, et d'où se fes-
sait une exportation de blé considérable, puis enfin le promontoire de Gar-
ganum formant l'extrémité N.-E. de l'Apulie. Depuis ce point avancé, quede
nos jours on a appelé l'éperon de la boite italique, jusqu'à Ravenae.
dans la Gaule cispadane, la côte offrait peu de ports ayant quelque
importance ; pour arriver à un centre considérable, il fallait remonter
le littoral jusqu'au fond du golfe de Tergeste où se trouvait Aquilti*.
en Véuétie, la ville la plus commerçante de l'Adriatique : là venait
aboutir la voie Émilienne. Les marchandises venant de l'intérieur &s
terres y étaient expédiées par la voie de tfauportus, ville importante
l1) Actia Iliacië ctUbramuê liitora ludis. Tir;., JE*., III, 230.
{*) Il sVst fjrmé, dans le cours des «iodes, à l'endroit où ce courant rr-neona*)»
flenve venant du golfe lie Fatras, de* allavions considérables que d'ordinaire «
attribue exclusivement à l'Achéloûs.
(•» l'roêetjuitur êurgtn» a puppi ventuê êunte».
LA MÉDITERRANÉE DES ANCIENS. 657
du Noricum, d'où, suivant la tradition , les Argonautes, après avoir remonté
J'Ister, gagnèrent l'Adriatique, en transportant leurs navires par-des-
sus les Alpes. D'Aquiléia on se rendait dans l'Ile de Cerycticé ou Curicta
(Veglia), chez les lapyges, peuple de race iilyrico-celtique, dompté par
Auguste ; de là aux lies Liburniennes, puis aux lies Illyriennes d'Issa,
de Tragurium et de Pharus, situées en face des côtes de Dalmatie et
renommées, la première pour l'habileté de ses matelots, la seconde pour
la beauté de ses marbres, la troisième pour l'excellence de ses figues ;
enfin, aux côtes même de la Dalmatie, où se trouvait la ville de Salon»,
à laquelle les Romains avaient donné un développement considérable
comme point stratégique et centre commercial et industriel. En géné-
ra), toute cette côte orientale de l'Adriatique offrait de nombreux re-
fuges aux pirates illyriens, justement redoutés jusque sur les côtes de
la Messénie.
Tonte la côte d'Illyrie, de même que les lies voisines, est générale-
ment riche en ports, tandis que celle d'Italie qui lui fait face, et
qui se prolonge en droite ligne sans presque aucune découpure, en est
presque totalement dépourvue. Les côtes occidentales de l'Italie, bai-
gnées par la mer Tyrrhènienne, n'étaient guère plus avantagées que
celles de fEst; lès ports commodes et sûrs n'y abondaient pas.
Et cependant c'est de là que partaient les Étrusques, le peuple com-
merçant le plus important de l'Italie des anciens temps, pour visiter
le bassin occidental de la Méditerranée jusqu'en Sicile et même jus-
qu'à Sybaris. II y a lieu de supposer que tout ce qu'Homère raconte,
des Phéacîens ('), qui étaient déjà renommés comme maniant habile-
ment la voile, peut et doit leur être appliqué. Ce qui est certain, c'est
qu'à l'exemple des autres peuples navigateurs de l'antiquité; ils ne
dédaignaient pas de pratiquer la piraterie, qui, du reste, à cette époque
était loin de passer pour une flétrissure, pas plus que le brigandage
sur la terre ferme. Slrabon rapporte que les Tyrrhéniens contribuaient
surtout, par leurs pirateries, à rendre peu sûre cette partie de la Mé-
diterranée ; qu'après eux les Cretois marchèrent dignement sur leurs
traces, et que ceux-ci furent de beaucoup dépassés par les Giliciens,
jusqu'au moment où Rome les mit à la raison. Les principaux marchés
du commerce étrusque étaient Pise, Populonium et Caere. De Populo-
nium, bâtie sur une hauteur escarpée, on pouvait apercevoir assez
distinctement les côtes de la Corse, et même celles de la Sardaigne,
lorsque le temps était clair, et c'est dans ce port qu'on s'embarquait
ordinairement pour se rendre dans ces lies ainsi que dans celle
d'iîlhalia, qui n'en était pas éloignée. La ville d'Adria, qui a donné
(') ♦«*•(, habitants de Pisa (Pbrixa), ville de l'Élide.
658 GÉOGRAPHIE HISTORIQUE.
son nom à une partie Importante de la Méditerranée et qui aujourd'hui
est située à une certaine distance de la mer, était une colonie étrusque*
jouissant d'une certaine réputation commerciale ; il en était de même
de Luna, dont le port est aujourd'hui ensablé.
Le commerce maritime des Étrusques ne prit jamais une grande
extension du côté de la Grèce; d'un antre côté, ce peuple jaloux de
ses intérêts, s'appliqua presque constamment à tenir ses voisins de
l'Est aussi éloignés que possible des mers Ionienne et Adriatique. Après
la réduction de rÉtrurie par les Romains, son importance maritime et
commerciale fut frappée du même coup et même Caere, qui cependaat
s'était trouvée anciennement liée étroitement avec Rome par Ttospt-
tium publicum, fut supplantée et éclipsée par Ostia et plusieurs Tilles
de la Campante.
Nous terminerons ce que nous avons à dire du commerce chez les
Romains par une citation empruntée àStrabon (Ut. III) : « Le commerce,
dit cet auteur, se porte exclusivement Ters Rome et l'Italie, et Ton y
arrive commodément et aisément jusqu'aux Colonnes d'Hercule, où se
trouvent quelques passages difficiles, et aussi, il faut le dire, en pleine
mer. »
Nous ajouterons que les anciens avaient aussi connaissance des
vents qui soufflaient régulièrement A certaines époques de Tannée.
C'est ainsi que Posidonius nous apprend que, lors de son retour i
Rome, il lui est arrivé quelque chose de tout particulier dans la aer
Tyrrhénienne : les vents alizés, qui soufflent dans ces parages et qui se
font sentir jusque sur les côtes de Sardaigne, l'ont forcé d'errer asses
longtemps autour des lies Gymnésiennes (Baléares), de la Sardaigne et
des côtes de Libye qui font face à cette lie, et ce n'est qu'après trois
mois de navigation qu'il lui a été possible d'aborder en Italie.
Les côtes de la péninsule hispanique, sur lesquelles il nous reste
encore à jeter un coup d'œil, furent visitées de bonne heure par les
Phéniciens, qui y fondèrent un grand nombre de colonies importantes,
entre autres, Gades, qui fut de tout temps une place commerciale très
importante; Cartéja, Malaca et Hispalis, qui, quoique située à 500 stades
de la mer, grâce à son heureuse situation sur le Baetis, pouvait être
considérée , à juste titre, comme un port de mer, puisque le flux et ie
reflux, qui se faisaient sentir Jusque-là, permettaient aux grands navires
d'y aborder. Nous apprenons par Strabon que depuis les Colonnes d'Her-
cule jusqu'à Tarraco, ville fondée par les NassiKotes entre libéra et
les Pyrénées, il n'existait que fort peu de ports surs et commodes, nuds
qu'à partir de cette Tille jusqu'en Gaule il s'en trouvait en abondance
et dans le nombre d'excellents. D'Hemeroscopium (Dénia), colonie mas-
siliote, où Serlorius établit plus tard une de ses principales places d'ff-
LA MÉDITERRANÉE DES ANCIENS. 659
i, on se rendait aux Baléares et aux Pityuses, qui possédaient d'excel-
lents porls et où les Phéniciens avaient une de leurs stations les plus
importantes. Ce qui caractérisait tout particulièrement le commerce
maritime dans cette partie occidentale de la Méditerranée, c'est que
nous n'y voyons pas surgir, comme dans le bassin oriental, et surtout
dans F Asie-Mineure, de grandes lignes continentales, mises en communi-
cation avec la mer ; on y aurait cherché en vain de ces grandes voies
qui, comme la Via Appia et la Via Ëgnatia, ou comme les antiques routes
de f Asie-Mineure et de la Babylonie, suivies par les caravanes, et qui,
aboutissant à Éphèse, à Séleucie ou autres lieux, se rattachaient aux
grandes lignes navigables, dont elles formaient comme la suite naturelle.
Toutefois, il ne faut pas s'imaginer que ces lignes, reliées de la
sorte aox voies fréquentées par le commerce continental, aient différé
sensiblement des lignes côtières particulières à chaque contrée. La
plus grande de toutes, qui allait de la Phénicie jusqu'aux Colonnes
d'Hercule, n'était elle-même au fond qu'un composé d'un grand nombre
de lignes locales et particulières. Qu'on prenne, par exemple, celle du
Lioyd autrichien de Trieste à Alexandrie, ou les lignes qui vont de
Marseille à Malte, il suffira du plus simple examen pour se faire une
idée de la différence essentielle entre la navigation des anciens et celle
des modernes. Aujourd'hui, le pilote consulte avec soin Taire du vent i
observer; le rumb est, pour plus de commodité, inscrit sur la carte
marine déployée devant lui; il a ses tables loxodromiques et la longueur
des lignes généralement fréquentées réduites à une mesure minimum;
de plus, avec l'aide de la boussole, du sextant et du chronomètre, il
se trouve en état d'indiquer avec précision le lieu où il se trouve, et
suit en toute sécurité la route dont il connaît jusqu'aux moindres
détails, grâce aux progrès merveilleux de la science nautique. Le pilote
de l'antiquité se trouvait dans de tout autres conditions ; ce n'était
qu'en tâtonnant et dans une sorte de clair-obscur qu'il se frayait péni-
blement sa voie, serrant les côtes d'aussi prés qu'il le pouvait. Est-ce à
dire pour cela qu'il n'y a pas à tenir grand compte des services qu'il
a rendus ? Non, certes ; le premier navigateur qui prit l'étoile polaire
pour guide a frayé aux astronomes la voie où ceux-ci s'engagèrent
pour découvrir le système du monde, et l'inventeur de la boussole
nous a dévoilé l'existence de ces forces mystérieuses, toujours actives
à la surface du globe et qui sont encore pour nous, à l'heure qu'il est,
à l'état de révélations incomplètes.
Mais par cela même que l'ancien monde se borna à nous transmettre,
bous la forme d'ingénieuses allégories, ces vérités que la science
d'aujourd'hui est arrivée à démontrer et à exploiter â son profit, qu'il
personnifia cette influence grandiose, que les phénomènes de la mer
660 GÉOGRAPHIE HISTORIQUE.
ont de tout temps exercée sur le développement de l'esprit humain,
«or la conception de l'unité dans le cosmos, dans des êtres imagi-
naires, Neptune, lesDioscures et ces innombrables divinités de la mer,
il nous est parfaitement démontré qu'il avait pressenti, deviné cettt
influence ; mais, resserré comme il Tétait dans les limites de la Médi-
terranée, il n'avait pu se lancer à la conquête de l'Océan, ni acquérir
la connaissance nette et précise de la géographie physique de celte
vaste étendue qui seule peut fournir les moyens de se l'approprier.
Ed. Goguel
7° GÉOGRAPHIE MATHÉMATIQUE
DE L'EMPLOI DE
LA PROJECTION CONIQUE
DAVI
UN ATLAS SYSTÉMATIQUE UNlPROJECTlONNEL
(Suite.)
NOTES ET RENVOIS
(') MM. E. Cortambert, Levasseur, Malte-Bran, Vidal de Lablache, gé-
néral LewaI, etc., n'ont pas hésité, dans des déclarations écrites, à don-
ner lenr opinion.
(*) Encore cette échelle varie-t-elle dans la même carte d'une ma-
nière plus ou moins constante quand elle est faite autrement que par
la projection conique avec parallèles équidistants. De plus, dans toutes
les projectioDS complexes, les distances ne se peuvent mesurer que
par une courbe dont la détermination est toujours difficile, alors même
que Ton connaît la formule qui règle le canevas des cartes.
{*) Il y a tel ouvrage de Tune de nos plus grandes autorités scienti-
fiques où subsiste une de ces erreurs qui n'ont d'autres causes que
celles que j'indique. Ainsi, la Terre de Van-Diémen est indiquée comme
ayant une étendue supérieure à celle de Cuba, alors que celle-ci est au
contraire de plus de moitié plus grande.
(4) Certes, s'il est nombre de systèmes de projection Justement inap-
pliqués et tombés dans l'oubli, alors même qu'ils résultent d'une don-
née mathématique ingénieuse, je ne saurais méconnaître l'incontestable
utilité des autres pour les cartes spéciales dont l'objet est en quelque
sorte exclusif. Encore plus est utile la projection planisphêrique cylin-
drique de Mercator, qui forme le canevas de nos cartes marines, et
dont l'universel emploi Justifie la valeur. Mais, en ce qui concerne les
atlas, je tiens pour Tune des causes premières de l'imperfection de
nos connaissances géographiques, ces recueils hétérogènes de cartes
recrutées çà et là sans aijcun plan d'ensemble, sans aucun esprit de
suite et dont l'incohérence accuse une négligence contre laquelle il
n'est que temps de réagir. Au surplus, Y allas doit être fait pour satis-
faire aux besoins de toute nature, c'est l'élément primitif de nos con-
naissances en géographie, et le premier de ses mérites est d'être basé
662 GÉOGRAPHIE MATHÉMATIQUE.
sur une donnée simple, compréhensible à tons, et de frapper le»
yeux d'une manière telle, que le souvenir en soit anssi exact que du-
rable.
(') Chaque zone polaire est comprise dans 3 cartes qui embrassai
120° longitude chacune.
Chaque zone dn 70* au 50* est comprise dans 8 cartes de 45° longi-
tude chacune.
Chaque zone du 50e an 30* est comprise dans 12 cartes de 36° longi-
tude chacune.
Chaque zone du 30* au 10e est comprise dans 12 cartes de 30* lon-
gitude chacune.
La zone équatoriale est comprise dans 12 cartes de 30° longitude.
Le méridien qui sert de point de départ pour les divisions des cartes
est le 20* degré longitude occidentale de Paris (méridien de File de Fer)
Ce choix est absolument provisoire et je suis tout prêt à adopter le Mé-
ridien qui, placé immédiatement à côté de celui-là, correspondra exac-
tement à la nouvelle division déterminée par le congrès internatioafi
appelé à trancher la question du méridien initial universel.
(•) Je ne puis mieux faire, pour justifier cette appréciation, que de
donner la table générale des cartes du grand Atlas, zone par zone.
1° Zone polaire nord du 90e au 70* parallèle.
1" carte. Spitzberg, Terre François-Joseph, Nouvelle-Zemble et nart-
ouest de la Sibérie.
2* — Nord-est de la Sibérie, Nouvelle-Sibérie, mer polaire.
3* — Terres boréales de l'Amérique, nord du Groenland et de a
mer de Baffln.
2° Zone du 70* au 50* parallèle nord.
4* carte. Angleterre, Suède, Hollande, Danemark, Allemagne di
Nord, Pologne russe.
5* — Russie septentrionale et centrale, Sibérie orientale : FOb.
6* — Sibérie centrale : lac Balka), Jénissel.
7* — Sibérie orientale: Lena, mer d'Okhotsk.
8* — Mer et détroit de Behring, lies Aléoutiennes.
9* — Amérique nord-ouest : Youkon, Mackensie.
10* — Winnipeg, baie d'Hudson, Labrador.
1 1* — Sud de la mer de Baffln et de Groenland.
3* Zone du 50* au 30e parallèle nord.
12* carte. France, Espagne, Suisse, Italie, Allemagne du Sud, is-
- triche occidentale, Maroc, Algérie et Tunisie propre.
PROJECTION CONIQUE DANS UN ATLAS. 663
13* — Autriche orientale, Russie méridionale, Turquie d'Europe
et d'Asie, Grèce, littoral nord de l'Egypte, Perse occi-
dentale.
14« — Torkestan, Sibérie sud-ouest, Chine occidentale, Afghanis-
tan, Perse orientale, Indes et Haut-Gange.
15" — Chine au nord du Yang-tsé-Kiang, le Hoang-Ho, Mongolie.
16e — Mandchourie, Corée, Japon.
17* et 18e cartes. Océan Pacifique.
19* carte. États-Unis de l'Ouest, Orégon, Mississipi, Missouri.
20* — États-Unis de l'Est, Grands-Lacs, Canada, Terre-Neuve.
21" — Atlantique, Açores.
4* Zone du 30* au 10* parallèle nord.
22" carte. Iles Canaries et du Cap -Vert, Sénégal, Sahara occidental,
Haut-Niger.
23e — Sahara oriental, Soudan, Egypte, mer Rouge.
24e — Golfe d'Aden, Arabie, Béloutchistan, mer d'Oman.
25* — Indoustan: Gange, Brahmapoutre, Dekkan, Bengale, Bir-
manie.
26" — Chine méridionale, Indo-Chine, Philippines.
27", 28" et 29* cartes. Pacifique : des Mariannes à Hawaï.
*0* — Vieille-Californie.
31* carte. Mexique, Yucatan, Floride, Cuba.
32" — Grandes et petites Antilles, Honduras, lac Maracalbo.
33* — Atlantique, lies du Cap-Vert.
5° Zone du 10" parallèle nord au 10e sud. Equateur.
34" carte. Côte d'Afrique, Sierra-Leone, golfe de Guinée.
35e — Guinée méridionale, bassin du Livingstone et du Haut-Nil.
36* — COte d'Ajan, Océan Indien, les Seychelles.
37* — Océan Indien : les Maldires, Ceylan, lies Chagos, Malacca.
38* — Détroit de Malacca, lies de la Sonde, Bornéo, Célèbes, Mo-
luques.
39* — tiouYelle-Guinée, Carolines, le Pacifique, lies Salomon.
40* — Pacifique: lies Gilbert, Marshall, Ellice.
41* — Pacifique : les Sporades, Nouka-Hira.
42* et 43* Pacifique: Galapagos, Panama.
44* — Amérique du Sud: Nouvelle-Grenade, Venezuela, Guyane
anglaise, République de l'Equateur, Pérou septentrional,
nord-ouest du Brésil, Orénoque, Amazone.
45* — Le Parahyba, Atlantique. *
I
664 GÉOGRAPHIE MATHÉMATIQUE.
6° Zone du 10* au ZCP parallèle sud.
46* carte. Atlantique : Sainte-Hélène,
47* — Afrique : Benguela, HoUentotic, Gafrerie. Bassin du Zambèse
et do fleuve Orange.
48e — Madagascar, les Comores, Bourbon et Maurice.
49* — Océan Indien méridional.
50* — Australie occidentale.
51* — Id. septentrionale, Queenâland.
52* carte. Pacifique, NouTelIes-Hébrldes, Nouvelle-Calédonie, lies VttL
53» — Pacifique : lies Tonga, Talti, archipel Pomoutou.
54* — Id. Iles Gambler, de Bass.
55e — 11 lies de Pâques, Sala y Gomei, Juan-Fernando.
56* — Amérique du Sud : les Andes, le Parana.
57° — Paraguay, Rio-de-Janeiro, le San-Francisco.
7° Zone du 30* au 50* parallèle sud.
58* carte. Atlantique : lies Tristan-d'Acunha.
59* — Cap de Bonne-Espérance, colonie du Cap, lies du Priiee-
Édouard, Mariot et Croset, Amsterdam et SaiQt-Paol.
60* — Océan Indien : Terre de la Désolation.
61* et 62* cartes. Australie: du sud-ouest au sud-est, Terre de Vu-
Diémcn.
63* carte. Nouvelle-Zélande, Iles Broughton.
64* et 65* cartes. Région sud du Pacifique.
66* et 67* — Les Andes et la Plata du Sud, Uruguay, Patagonie,
8° Zone du 50* au 70* parallèle sud.
68e, 69*. 70*, 71e, 72* et 73* cartes. Océan austral, terres australes.
74* carte. Terre de Feu.
75* — Iles Falkland, Géorgie, Shetland, Orcades et Sandwich do Soi
9* Zone du 70* au 90* sud.
76*, 77* et 78e cartes. Pôle sud, Terre Victoria.
Cette table môme n'est qu'un appendice secondaire à l'Atlas, car il
est, à tous égards, préférable de le faire précéder d'une mappemorô
indiquant la division des cartes, en les numérotant et en les coloriât
diversement. C'est une table graphique facile à consulter et qui rem-
place avec avantage tout autre index, car non seulement on voit im-
médiatement à quelle région,' à quelle carte correspond le pays f*
PROJECTION CONIQUE DANS UN ATLAS. 665
l'on Teat étudier, mais encore toutes les cartes qui forment l'ensemble
d'an continent.
(7) Les parallèles extrêmes de chaque carte forment, à leur point de
rencontre, comme les coordonnées de l'angle spbérique correspondant,
un angle droit arec les méridiens.
(') De même que j'ai donné la table des cartes du grand Atlas, voici
celles de l'Atlas scolaire indiquées également par zones :
tre zone.
ln carte. Contient la zone polaire nord entière jusqu'au 70* degré.
2e et 3e zones.
2e carte. Europe, Asie-Mineure, Perse, Algérie, Tunisie, Maroc.
&• — Sibérie, Turkestan Afghanistan, Chine septentrionale, haut
Indus et haut Gange.
4e — Asie nord-ouest, mer de Behring, les Àléoutienncs, les Kou-
rilles, le Japon.
5* — Amérique nord-ouest, les États-Unis (région des Territoires).
6e — États-Unis, Canada, Labrador, Terre-Neuve, les Açores.
4e et 56 zones.
7* carte. Afrique septentrionale : Sénégal, Sahara, Egypte, bassin du
Nil et du Livingstone.
8° — - Littoral oriental de l'Afrique (Abyssinie, Ajan, Zauzibar) ; Asie
sud-ouest : Arabie, Uindoustan ; Océan Indien : les Scy-
chelles, les Maldives.
9e — Chine méridionale, Indo-Chine ; le Pacifique : îles Philippines,
de la Sonde, Moluques, Nouvelle-Guinée, Mariannes, Caro-
lines occidentales.
10S — Pacifique : Carolines orientales, lies Hawaï, Marshall, Gilbert,
Ellice.
H* — Pacifique : lies Nouka-Hiva etRevilla-Gigedo; Mexique, Amé-
rique centrale.
12e — Amérique centrale: les Antilles; Amérique du Sud: les
Guyanes, Venezuela, l'Equateur, nord du Pérou et du
Brésil.
6* et 7§ zones.
13e carte. Afrique méridionale, lies Sainte-Hélène, Tristan-d'Acunha.
14e — Littoral du Mozambique, Océan Indien, lies de Madagascar,
Bourbon, Maurice, d'Amsterdam et Saint-Paul; Terre de la
Désolation.
666 GÉOOKAFHIE MATHÉMATIQUE.
15* earte. Tonte l'Australie, Terre de Yan-Diémen.
16* — Pacifique : Nouvelle-Calédonie, lies Tonga, Viti, TaRi, Bos-
Telle-Zélande.
17* — Pacifique: lies Pomoutou, Gambier, de Pâques.
18* — Amérique du Sud : Partie méridionale du Pérou et du firésâ,
Bolivie, Paraguay, La Plata; le Chili, l'Uruguay,
8* et 9* zones.
19*, 20*, 21* et 22* cartes. Terre de Feu et terres australes, pâle Soi
Je dois faire remarquer que, dans cet Atlas, l'échelle étant moitié
moindre, chaque carte peut comprendre la hauteur de 40° an lieu de
20°, soit la hauteur de deux zones. C'est ce qui explique le classemett
de celles-ci deux par deux dans la table ci-dessus.
On remarquera aussi que, dans le grand comme dans le petit Atlas,
non content de limiter les cartes par une ligne de repère pour en (Mi-
liter la juxtaposition, j'indique aux 4 côtés de chacune d'elles le nu-
méro de la carte qui leur correspond immédiatement soit an nord, se*
au sud, à l'est ou à l'ouest, et reproduit, autant qu'il est nécessaire
jusqu'au cadre, les parties adjacentes.
(*) Yoici ces 1 1 cartes :
Carte A. Angleterre et Hollande.
— B. France O, Belgique, Espagne septentrionale.
— C. Portugal, Espagne centrale et méridionale, les Baléares, l'Al-
gérie, le Maroc.
— D. Italie méridionale, Corse et Sardaigne, Malte et Tunis.
— E. Allemagne du Nord et du Sud, Suisse, Autriche occidentale.
Italie septentrionale.
— F. Autriche orientale (Hongrie), Russie à l'ooest du Dnieper,
Principautés danubiennes.
— 6. Russie centrale.
— H. Id. méridionale (Caucase).
— I. Suède, mer Baltique, Finlande et littoral russe jusqu'au pla-
teau de Waldaï.
— J. Turquie d'Europe et littoral asiatique de la mer de Maman
et de l'Archipel.
— K. Turquie d'Asie.
(*) Cette earte n'exclut pu les feuillet partielles consacrées aux dHPèrentei par.
ties du territoire français, ni les carte» •péctaies de France à petite échelle eoeear
nant la géographie physique, la statistique économique, la météorologie, «te^ev
seraient Jugées nécessaires pour compléter l'Atlas.
PROJECTION CONIQUE DANS UN ATLAS. 667
(*•) Les données géométriques de cette projection sont si simples,
tout en restant dans les conditions mathématiques les plus correctes,
qu'il suffit à l'élèYe de savoir se sertir du compas et de la règle pour
arriver à construire facilement une carte. Pour l'enfant au début, afin
qu'il ressorte bien pour lui une notion claire de la partie de la terre
représentée par une zone et des cartes dont elle est l'origine, que le
maître lui mette sous les yeux, d'une part une petite splière et de
l'autre cette même sphère réduite par zones; que, d'un autre côté, il
ait des segments de papier ou autres coupés dans la forme des cartes
de chaque zone, et sur lesquels sont dessinés les profils des conti-
nents, il rendra évidente à l'élève la formation de ces cartes en appli-
quant ces segments à leur place correspondante sur la sphère. Ce sera
véritablement une leçon de choses frappante et rationnelle.
Enfin, la division de la terre par zones peut donner lieu à de nom-
breux exercices mnémotechniques et graphiques sur la comparaison
de la situation des contrées ou parties de contrées sous le rapport des
latitudes semblables ou différentes entre lesquelles eHes se trouvent
comprises. Sous ce rapport, l'expérience même de ceux qui enseignent
peut, mieux que moi, féconder ce champ si vaste : j'ai créé le principe,
f ai tracé la route, à eux d'appliquer l'un et de suivre l'autre.
Paris, avril 1883.
J.-V. Barbier.
8' GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
LES ILES DE L'OCÉANIE
GÉOGRAPHIE, PRODUCTIONS NATURELLES, RAGES HUMAINES
[Suite (').]
Géographie.
Aspect général de la carte du Pacifique. — Ce qu'on appelle « Ooéanie ». —
Division géographique.
Le faste espace de mer compris entre tes côtes occidentales des
deux Amériques d'une part, et les rivages orientaux de l'Australie et de
l'Asie de l'autre, est connu sons le nom é'Océan Pacifique, de Grand
Océan et de Mer du Sud. La seconde de ces appellations est la seak
Traiment convenable, car l'épithôte de Pacifique est applicable toit ai
plus à une très petite portion de cette immense étendue de mer; ail-
leurs elle n'est qu'une rentable ironie; quant au nom de Mer du Sud,
je ne sais pas sur quoi on peut se fonder pour le donner à une mer
qui s'étend autant au Nord qu'au Sud de l'équatenr, mais l'usage de
ces dénominations s'est conservé, et la première est peut-être la ptos
répandue aujourd'hui, bien qu'elle soit en contradiction arec les faits
observés.
Cet immense espace est parsemé d'Iles, en général à faible sur'ace.
quelquefois isolées, éparses à de grandes distances les unes des aa«
très, mais le plus souvent réunies en groupes, en archipels. Au pre-
mier coup d'oeil jeté sur une carte, on reconnaît qne les positions re-
latives de ces archipels ne sont pas indifférentes, mais qu'elles ont arc
contraire, l'apparence de suivre un plan, d'obéir a une loi, et, quand
on vient à étudier l'aspect, la forme, le relief des différentes lies, cette
loi devient évidente.
En allant vers l'Ouest à partir des côtes américaines, en dehors de
deux archipels voisins de ces côtes, celui des Galapagos sous l'éqna-
teur et celui de Revilla-Gigedo situé vers le 20* degré de latitude
.Nord, jusqu'au 135* méridien àl Ouest de Paris (ces chiffres sont donnés
cm nombres ronds) dans l'hémisphère sud, et le 165e dans l'hémisphère
(>) Voir le Bulletin du 3« trimestre 1833.
LES ILES DE l'OCÉANIB. 669
nord, à peine rencontre-t-on, tant au Nord qu'au Sud de l'équateur,
quelques Ilots épars, très éloignés les uns des autres, et encore l'exis-
tence des premiers est-elle douteuse : du moins, sauf pour deux ou
trois, leurs noms, sur les cartes, sont accompagnés d'un signe de doute,
d'un point d'interrogation (?).
A partir du 135' méridien, les lies et les archipels se multiplient,
surtout entre l'équateur et le 25e parallèle de latitude australe Jusqu'aux
rivages de ^Australie. Les principaux groupes qu'on rencontre dans
cet espace, en allant de l'Est à l'Ouest, sont : l'archipel des Marquises,
Tarebipel Paumotu ('), les lies de la Société, l'archipel Samoa [ou Ha-
rnoa] (*),«ies lies Tonga ou des Amis (3), l'archipel Viti (ou Fidji), les
Nouvelles-Hébrides, la Nouvelle-Calédonie ; plus au Nord : les lies Sa-
totnon, la Nouvelle- Bretagne, la Nouvelle-Irlande, aboutissant à la Nou-
velle-Guinée qui elle-même se rapproche, par sa partie occidentale,
du Grand Archipel d'Asie ; plus au Sud, entre 34 et 45 degrés de lati-
tude, l'archipel de la Nouvelle-Zélande, à l'Est et au Sud duquel on
▼oit encore quelques petites lies dont les dernières confinent aux ré -
gioos glacées du pôle austral.
Dans l'hémisphère nord, les premières terres un peu importantes
par leurs dimensions, qu'on rencontre, sont celles qui constituent l'ar-
chipel Hawaii (lies Sandwich), à la limite du tropique du Cancer et sous
le 160* méridien à l'Ouest de Paris. J'ai dit précédemment que l'exis-
tence de la plupart des petites lies marquées jusque-là sur les cartes
n'est rien moins que certaine. Des lies Hawaii part, dans la direction
E.-S.-E. 0.-N.~0., nne série d'Ilots et de récifs dont quelques-uns sont
également douteux. Dans l'Ouest, le Sud-Ouest et Je Sud, jusqu'au
delà de l'équateur, on ne troure également que des Ilots épars, clair-
semés, jusqu'au 175* méridien à l'Est de Paris, où la mer se peuple de
nouveau pour former les archipels Gilbert et Marshall, et dn 6e au 10e
parallèle de latitude Nord, le grand archipel des Carolines, qui, en y
adjoignant le groupe Peliou{4), éloigné de 150 lieues seulement des
lies Philippines, n'occupe guère moins de 30 degrés en longitude. Au
Nord des Carolines, les Mariannes, le petit groupe Bonin-Sima et des
Ilots épars vont gagner le Japon.
Cet ensemble d'Iles éparses et d'archipels, dont je viens de donner
— en l'abrégeant encore considérablement — l'aride énumération ,en
(*) On Tuamotu.
(*) Boogalnville a donné à ces îles le nom d'Archipel des Navigateur». Cependant
aea habitants, quoique hardis marins, sont, sons ce rapport, bien inférieurs à d'au-
tre» Insulaires, aux Caroline par exemple.
(*) Encore une appellation malheureuse : pendant longtemps les habitants des
I. Tonga furent loin de se montrer amicaux et hospitaliers pour les étrangers.
C*) P*let0 dei Anglais, Palaoi des Espagnols.
g OC OM GSOOB. — 4* TBIUB8TRK 1883. 48
670 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
y adjoignant les grandes terres occidentales, V Australie et k Tasma-
nie ou Terre de Van-Diemen, et le grand archipel situé an Kord-ftst
de l'Australie, constitue la â* partie du monde des géographes, TOcea-
nib, qui elle-même, pour faciliter les études, a été divisée plus on
moins arbitrairement, suivant la position géographique de ses diffé-
rentes régions, les productions de leur 6ol, la diversité dea races
d'hommes qui les habitent, etc., etc. ainsi les auteurs anglais donneBt,
en général, le nom $ Australasie à l'ensemble dont Y Australie «oa
Nouvelle-Hollande), presque aussi étendue en superficie que l'Europe,
forme comme le centre autour duquel rayonnent : au Sud la Tasmanie,
au S.-E. la Nouvelle-Zélande, à l'Est la Nouvelle-Calédonie, au JF.-E. et
au Nord les lies Salomon, la Nouvelle-Guinée et ses annexes, Nouvelle-
Bretagne, Nouvelle-Irlande, etc. Les terres qui avoisinent le S.-E. du
continent asiatique portent le nom d'Archipel Indien, Grand Archipel
d'Asie, Archipel Malais. Le reste des Iles, en allant à 1 Est jusqu'à l'A-
mérique, constitue les lies du Pacifique ou la Polynésie f1).
Les grandes expéditions de découvertes de la fin du dernier siècle,
desquelles datent réellement les connaissances positives sur l'Océanie,
trouvèrent presque toutes les terres qui la composent habitées. En ne
tenant compte que du caractère le plus saillant à première vue, la cou-
leur de la peau, on reconnut que l'homme y était représenté par déni
grands types : le type noir et le type brun (couleur de cannelle), le
premier dans la partie occidentale, an Sud de l'équateur, ie deuxième
dans l'hémisphère nord et dans la partie centrale de Thémispère snd.
On reconnut en outre — et cela non sans étonnement — que les popu-
lations au teint brun, habitant les archipels situés dans la partie orien-
tale, tant au Nord qu'au Sud de la ligne équinoxiale, sur une étendue
de plus de 1,200 lieues en latitude et de 1,700 lieues de l'Est à l'Ouest,
étaient semblables d'aspect, avaient, à très peu de chose prés, les mê-
mes mœurs, les mêmes croyances, ou plutôt les mêmes superstitions,
et pariaient des dialectes, en général très rapprochés les uns des autres,
d'une même langue.
Dans la partie occidentale du Grand Océan au N. de l'équateur, on
trouve également, ai- je déjà dit, des hommes au teint brun qui ne diffé-
raient pas sensiblement des précédents par l'aspect général et même
par les caractères zoologiques, vivant du même genre de vie que ces
derniers autant que le permet un milieu moins favorable, c'est-à-dire
l'habitation, sauf de rares exceptions, sur des Ilots coralligènes, des
atolls à peine exondés ; mais ici l'unité si remarquable du langage,
signalée plus haut, a disparu. 11 en est de même de certains usages,
[}) Les Anglais les désignent encore sons le nom général d'ito â* la «er ém S*4
(South $ta Mandé).
LES ILES DE L'OCÉANIE. 671
typiques, caractéristiques des populations chez lesquelles le langage
zsl sensiblement le même, usages dont il sera question plus loin, entre
antres celui d'un breuvage enivrant, le kava, et l'interdiction religieuse
do tabu.
Ces différences, dont n'ont pas tenu compte beaucoup de voyageurs
et parmi elles surtout le défaut d'unité dans le langage, ont paru suffi-
santes à Dumont d'Urville, auquel on est redevable de tant de connais-
sances sur TOcéanie, pour motiver, en prenant de plus en considération
l'aspect et les petites dimensions des lies du Pacifique nord-occidental,
remploi d'un nom spécial pour l'ensemble de ces lies : il lui a donné
celui de Micronésie, appelant Polynésie l'ensemble des lies occupant,
pour la plupart, la partie orientale du Grand Océan, tant au Nord qu'au
Sud de Téquateur, et habitées par des hommes au teint brun, parlant
des dialectes très voisins de la même langue. La Polynésie de d'Urville,
ainsi caractérisée, a pour limites une ligne sinueuse qui part de Yile
de Pâques (latit. 27° S.; long. 111° 0.), fait le tour des lies Hawaii
(latit. 24° H.; long. 157° 0.) et, laissant les lies Gilbert dans le Nord,
Tient passer près de Tikopia ('), sa borne occidentale, au Nord des lies
Pidji, entre cet archipel et celui de Tonga, puis se dirige vers le S.-0.,
enclavant l'archipel Néo-Zélandais. Des lies Hawaii à la Nouvelle-Zélande
il y a 1,580 lieues marines dans la direction N.-E.-S.-O., et de l'Ile de
Pâques à Tikopia 1,730 lieues, E.-S.-E., 0.-N.-0.
Les terres situées dans le Sud-Ouest, Nouvelle-Guinée et ses annexes,
les Salomon, Nouvelle-Calédonie, Nouvelles-Hébrides, lies Fidji, Aus-
tralie et Tasmanie, habitées par des races noires, différentes, il est
vrai, les unes des autres, mais, même pour celles qoi ont le teint le
plus clair, se rapprochant beaucoup plus du type noir que du type
brun, forment la Mélanésie.
La Malaisie de Dumont d'Urville se compose des lies (dont quelques-
unes très grandes) voisines du continent asiatique, dans lesquelles on
parle généralement le malais et ses dialectes (*). Elle est limitée par
(») Des explorations récentes à la Nouvelle-Guinée ont fait reconnaître une popu-
fclon de race polynésienne dans la partie S.-E. de cette grande île, oe qui reenle-
it les limites de la Polynésie de 400 lieues environ vers l'Ouest.
(*) La Malaisie n'est pas seulement habitée par des Malais. Dans les Moluques, ou
Igné sou» les noms généraux dL'Alfourou, Alfor, Harafor, etc., les populations
li se maintiennent en dehors de ces derniers et dont quelques-unes occupaient
tlee avant leur arrivée ; mais ce mot ne désigne pas une race d'hommes plutôt
l'une autre. heu Al four ou* ne sont pour les Malais que des sauvages non Mal ait
surtout non musulman*. Un voyageur français, M. Raffray, a pu constater, il n'y
IfMUi longtemps» dans rite de Gilolo qu'une partie des Alfourous sont des Papoua
pnxne ceux de la Nouvelle-Guinée, tandis que d'autres, par leur teint couleur
nielle et la masse de leurs caractères soologiques, se rattachent aux Dayaks de
trnéo, et par suite sont très voisins des Polynésiens proprement dits. M. Hamy
fulletin de la Société de géographie, mai 1877) propose le nom d'Indonésien* pour
insulaires pré-malais propres a l'Archipel Indien,Battas, Dayak*, etc.
672 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
une ligne passant au Sud des lies de la Sonde, remontant fers le Nord
entre les Moluques et la Nouvelle-Guinée qu'elle laisse i l'Est, enel*-
rant les lies Philippines et rejoignant la côte d'Asie, en passant entre
ces lies et Fonnose.
Cette division de l'Océanie par d'Urville a été adoptée par beaucoup
de géographes, quoiqu'elle soit tout artificielle, basée uniquement sur
des considérations de philologie et d'ethnographie, études pour la-
quelles TiUustre navigateur avait un goût tout particulier. A rai dire,
quand on sait sur quoi elle se base, elle en Tant bien d'autres dé-
duites de la situation géographique, des considérations politiques, de
la constitution du sol, du climat, qui n'offriraient pas des contmui
mieux déflnis; mais je ferai observer qu'il ne faut prendre cette drrisioa
que pour ce qu'elle vaut, et ne pas s'imaginer qu'en dehors des carac-
tères physiques ou moraux des habitants, on trouvera beaucoup de
rapports entre, par exemple, les lies Sandwich situées sous le tropique
du Cancer, dans l'hémisphère nord, et la Nouvelle-Zélande, située son
une latitude australe déjà élevée, à 1,580 lieues des premières, bien
que les deux archipels soient rangés dans la Polynésie, comme étant
peuplés d'hommes de la même race et parlant la même langue.
Domeny de Rienzi (') avait déjà auparavant proposé une division de
l'Océanie à peu près pareille, seulement la Micronésie était réduite à
peu de chose, à quelques petites lies et à quelques rochers déserts,
an peu au-dessous du tropique du Cancer, et s'élevait an Nord jusque
vers le 40* parallèle. Le petit groupe de Bonin-Sima était le plos
important de cette section.
Par suite, Rienzi comprenait dans la Polynésie, en plus de d'Urville,
les archipels Gilbert, Marshall, Carolines, Peliou, Mariannes, que celui-ci
place dans sa Micronésie. Il est certain que, si on laisse de coté te
défaut d'unité dans le langage, l'absence du tabu et de l'usage du
kavai*), et qu'on tienne compte de la plupart des habitudes de la vie
courante, et surtout des caractères zoologiques, les Micronésîens doives!
être considérés comme des Polynésiens chez lesquels l'influence d'un
milieu moins favorable et, dans quelques cas, d'anciens croisementi
avec une race noire, ont produit une sorte de dégénérescence.
VOcëanie centrale de Rienzi se composait de la Nouvelle-Guinée,
qu'il appelle Papouasie, et des lies adjacentes habitées par des Papou:
Nouvelle-Irlande, Nouvelle-Bretagne, etc., etc., auxquelles il adjcôt
les lies Salomon et les lies Fidji. VOcéanie méridionale ou Endamém
comprenait l'Australie, la Tasmanie, les Nouvelles-Hébrides, la NoureUe-
(*) Univerë pittoresque, Ocianie, 1. 1, 1836.
(*) Dans quelque* groupes mieronésiens, on retrouve des traces du taft»;
d'autres, la mastication du bétel, empruntée à l'Asie, a remplacé l'usage du
*
LES ILES DE l'oCÉANIE. 673
Calédonie, habitées par des noirs, en général très laids, à formes grêles,
très différents des Papous ; mais Rienzi reconnut que ce n'était pas
toujours vrai, que les différentes races étaient souvent répandues et
mêlées sur des terres éloignées de leur centre, et qu'il était, par suite,
très difficile de les rattacher géographiquement à Tune des divisions
do la Papooasie ou de l'Endamênie ; il adopta alors la division de
d'Urville, la Mélanésie, pour toutes les terres océaniennes peuplées
par des races noires (*).
Quelle que soit la division qu'on adopte, en jetant les yeux sur une
carte, on voit que la Micronésie et la Polynésie, à l'exception de l'ar-
chipel Néo-Zé landais, ne contiennent que des lies de très petites di-
mensions quand on les compare à la plupart des terres de la Malaisie
et surtout de la Mélanésie, dont une . la Nouvelle-Hollande ou Australie,
peut être regardée comme un continent. La Polynésie, la Micronésie et
quelques lies de la Malaisie et de la Mélanésie orientales constituent, à-
proprement parler, YOcéanie des marins, dont je m'occuperai plus par-
ticulièrement dans les pages qui suivent, parce que c'est de cette
partie de l'Océanie que je peux le mieux parler avec connaissance de
cause, et parce qu'il me semble que les petites terres isolées, épar-
pillées sur un espace immense, offrent peut-être plus de problèmes à
résoudre pour ce qui est de leur formation, de leur peuplement en
végétaux, en animaux et en hommes, que les grandes terres de la
Malaisie et de la Mélanésie, placées à toucher un grand continent, ou
reliées à lui par une suite non interrompue de grandes lies très peu
distantes les unes des autres.
Météorologie. — Climatologie.
Vents alises; leur peu de régularité dans le Pacifique. — Sortes de moussons. —
Vents généraux. — Cyclones. — Courants marins ; leurs diverses influences. —
Climat : Nourelle-Zélande, Iles intertropicales, Mélanésie, Nouvelle-Calédonie.
Le beau temps constant que rencontra Magellan, dans sa navigation
de la côte d'Amérique aux lies Philippines, lui fit donner à la mer qu'il
traversa le nom d'Océan Pacifique ; mais, je l'ai déjà dit, ce nom n'est
qu'une ironie quand on l'applique à toute cette immense étendue qui
n'est limitée que par l'Asie, la Nouvelle- Hollande, les deux Amé-
riques, le cercle arctique et le cercle antarctique : non seulement les
parties situées en dehors des tropiques, mais encore la zone comprise
entre ces derniers, sont soumises .à de grandes perturbations atmos-
phériques.
• Vents. — On avait d'abord supposé que, dans cette zone, les vents
(*) Voir note B, Appendice.
674 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
alizés soufflaient arec la même régularité que dans FOcéan Atlantique;
mais on ne tarda pas à reconnaître que, dans l'hémisphère sud , les
Tenta alizés du S.-E., plus ou moins variables rers l'Est et vers le Sod,
ne sont constants que dans la portion comprise entre le méridien de*
lies Galapagos (200 à 250 lieues de la côte d'Amérique) et celui des
lies de la Société. A cette limite, d'octobre en ayril le rent le plus
ordinaire, E.-S.-E., est souvent remplacé par le vent d'E.-N.-E., allant
quelquefois au N.-fl.-E. et même dépassant le Nord du côté de l'Ouest,
et alors il dégénère presque toujours en coup de vent (').
Dans rhémisphère nord, l'alizé N.-B. a un parcours plus étends,
commençant à 100 lieues environ de la côte d'Amérique et s'étendaot
Jusqu'aux lies Mariannes. A la limite septentrionale de ce parcours, à la
latitude des lies Hawaii, la régularité de l'alizé est souvent interrompue,
pendant les mois d'hiver, par des vents du Sud et de l'Ouest qui amè-
nent des calmes, parfois de longue durée ; mais, le plus souvent, Us
soufflent à l'état de petite brise.
11 semble que les nombreux groupes d'Iles qui se trouvent dans les
deux hémisphères, à l'Ouest des limites assignées plus haut en longi-
tude aux alizés, ont pour effet de changer ces Tenta en Tenta variables
dans la partie ouest du Pacifique, et dans quelques parages, en vents
dont le caractère périodique rappelle les moussons de l'Océan Indien.
Ainsi, on a remarqué que, dans l'O. du Pacifique, les vents alizés n'étaient
dominants que d'octobre en mai au Nord de l'équateur, et de mars es
octobre dans l'hémisphère sud ; que, pendant le reste de l'année, ils
étaient très souvent interrompus par du vent de la partie de i*0uest,
amenant de la pluie et des rafales (').
La zone des calmes et des vents variables èquatoriaux se trouve aa
Nord de l'équateur, se déplaçant quelque peu suivant la saison : ses
limites moyennes sont les parallèles de 3° et de 8° de latitude 2lord.
En dehors des tropiques les vents sont variables, mais, eu général,
ceux de la partie de l'Ouest dominent, changeant du N.-O. au S.-O., le
plus souvent soufflant en tempête dans les latitudes élevées, principa-
lement dans rhémisphère austral. La zone, qui fait le tour du globe,
au Sud du cap Horn, de la Terre de Van-Diemen et du cap de Bonne-
(*) En 1878, un cyclone * séti avec furie sur les îles Paumotu.
O Je puis dire, à la suite d'une expérience de trois années, que les vente de la
partie de l'Ouest régnent au moins pendant nn tiers de l'année à 1 a cote ooest de
la Nouvelle-Calédonie (bien que cette île soit dans le parcours que suivrait le veat
allié s'il était constant) à dea Intervalles à peu près réguliers, précédés par &«
grandes brises d'Est, parfois de véritables coups de vent, passant à l'Est, an. N.-2L,
avec une pluie continuelle, quand le vent estdn Nord à l'ouest. Le temps ne rede-
vient bean que quand le vent a passé au S.-O. ; alors l'alizé d'XL-S.-E. ne tarde ps»
4 reprendre son cours. De novembre en avril, les vents de l'Ouest dominent ass
Nouvelles-Hébrides, aux lies Salomon.
LES ILES DE l'OCÉANIE. 675
Espérance est, à juste titre, renommée pour ses vents impétueux et
pour la grosse mer qu'aucun obstacle n'arrête.
L'espace de mer compris entre la Nouvelle-Calédonie, l'Australie et
la Nouvelle-Zélande est peut-être un des points du globe les plus
exposés aux perturbations atmosphériques. Presque toute Tannée, les
vents d'Ouest et de N.-O. soufflent avec rage sur les côtes .occidentales
de l'archipel Néo-Zélandais. Les vents de N.-E. sont quelquefois aussi
violents sur la côte orientale ; aussi, c'est avec justesse que d'Urvitle a
pu dire que, si les anciens avaient connu là Nouvelle-Zélande, ils en
auraient fait le séjour favori d'Éole. Pendant les mois d'hiver, les vents
d'Ouest (0.-N.-0., 0.-S.-0.) [grand frais] dominent sur la côte orientale
d'Australie, et, à leur rencontre avec les vents alizés, assez réguliers dans
cette saison, il se produit des calmes, quelquefois des orages très
violents. Sons l'influence de ces vents divers, la mer est presque tou-
jours battue dans ces parages. Il est rare de faire un voyage de la
Nouvelle-Calédonie à Sydney, ou réciproquement, sans éprouver un
coup de vent, et cela quelle que soit la saison (').
La partie S.-0. du Grand Océan, entre les tropiques, est soumise pen-
dant les mois d'été, décembre, janvier et février, à des ouragans, des
cyclones qui se font sentir avec une violence terrible aux lies Salomon,
aux Nouvelles-Hébrides et à la Nouvelle-Calédonie ('). Dans l'hémis-
phère nord, les typhons de la mer de Chine s'étendent vers le Nord,
an delà des Philippines jusqu'au Japon : le méridien des lies Mariannes
parait être leur limite du côté de l'Est.
Très souvent, surtout dans la zone intertropicale, le voisinage im-
médiat des terres, le relief, la configuration, l'orientation de ces der-
nières, amènent des changements dans la direction du vent qui souffle
an large; les alternatives de la brise de terre et de la brise de mer sont
pins ou moins sensibles, le calme règne à certaines heures du jour ou
de la nuit. Ce sont là des phénomènes locaux qu'on retrouve dans
toutes les mers. Les bornes de ce livre ne me permettent pas d'entrer
dans les cas particuliers, mais j'en ai dit assez pour faire voir que des
vents, auxquels on avait cru d'abord pouvoir attribuer, par analogie
avec ce qui se passe ailleurs, une direction constante, subissent des
variations bien marquées. La constatation de ces variations — sans
(*) A moitié chemin de Sydney à la Nouvelle-Calédonie, il y a an petit groupe de
récifs madréporiques auprès desquels on éprouve presque toujours un changement
de temps. C'est presque un article de foi ches beaucoup de marins que le voisinage
des itou ooralligénes a une influence marquée sur le temps et la direction du vent.
Je ne vols nullement le pourquoi de cette assertion ; il n'y a eu, sans doute, dans la
eonetatation de oe fait que des coïncidences fortuites, mais il est Juste de dire que
ce* coïncidences ont été remarquées souvent.
(*) Un cyclone d'une violence inouïe a ravagé la Nouvelle-Calédonie tout récem-
ment (Si janvier 1S80).
C76 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
parler de L'intérêt majeur qu'ont les navigateurs à les connaître — est
des plus importantes pour résoudre, ou an moins pour discuter, un
problème qui s'est posé de bonne heure : la manière dont les archipels
océaniens, séparés des continents et des terres étendues, ont pu être
peuplés.
Courants, — Les courants marins, sans compter leur importance à
l'endroit de la navigation, n'ont pas une iufluence moindre, en raison
de leur direction, de leur vitesse, de leur température, sur la présence
de certaines espèces marines, animales et végétales, dans certains
parages plutôt que dans d'autres, sur les migrations humaines qu'ils
peuvent faciliter ou entraver, sur la formation du tapis végétal dans
des lies éparses, isolées, où ils apportent, quelquefois de très loin, des
graines ayant la faculté de conserver leurs propriétés germinatÎTes
malgré un long séjour dans l'eau de mer.
Dans le Sud du Grand Océan, vers la latitude du cap Horn (60°j, on
courant froid, venant de l'Ouest et se dirigeant vers l'Est, rient se
buter contre la côte occidentale de l'Amérique du Sud, la prolonge du
Sud au Nord, tempérant le climat du Chili et du Pérou, puis, s inflé-
chissant vers l'Ouest, se perd dans le grand courant équatorial qni
traverse la largeur du Pacifique de l'Est à l'Ouest, eu Ire les deux tro-
piques. Dans l'hémisphère sud, arrivé aux environs de la KooTeNe-
Galédonie, ce grand courant se divise en deux branches: Tune tourne
vers le Sud, entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande, l'autre se dirige
au N.-O., vers le détroit de Torres et la partie sud de la Nouvelle-
Guinée. Au Nord de cette grande lie et de celles qui l'avoisinent du
côté de l'Est, sous l'influence des moussons qui se fout sentir jusque
dans ces parages, le courant, suivant la saison, présente alternative-
ment des directions opposées, fi.-S.-E., 0.-N.-0. Plus au Nord, il s'inflé-
chit au N.-O. et va rejoindre le courant du Japon, le KuroStwo, sortant
des mers chaudes de la Malaisie, analogue au Gulf-slream de l'Atlan-
tique et qui, pour compléter l'analogie avec ce dernier, traverse de
l'Ouest à l'Est, la zone tempérée du Pacifique nord, frappe les côtes de
l'Amérique septentrionale, puis, s'inflé'chissant vers le Sud et le Sud-
Ouest, vient rejoindre le grand courant équatorial dans les en riront
des lies Hawaii C'est grâce à ce courant que des fruits du Grand
Archipel d'Asie ont été recueillis sur les rivages hawaiiens, après le
long circuit que je viens de signaler, et que des jonques japonaises
désemparées ont été rencontrées dans leur voisinage et sur les côtes
de l'Amérique du Nord.
Ainsi que je l'ai fait pour les vents, je n'indique que les grand*
mouvements des eaux, les principales lignes des courants marins, mais
ces derniers, de même que les courants aériens, subissent des modifi-
LES ILES DE L'OCÉANIE. 677
cations au voisinage des terres, au passage des détroits, etc., etc. Très
souvent, ordinairement même, quand un courant règne au large, un
contre-courant s'établit le long de terre, modiûé encore par les marées
et d'autres causes locales.
Les effets de la mer sur les côtes connus sous le nom de ras de
nutrée, quoiqu'ils n'aient rien de commun avec ce dernier phénomène,
ont été observés plusieurs fois, et sur divers points de TOcéanie, mais
t omme on a remarqué des coïncidences entre leur apparition et des
tremblements de terre ('), je me réserve d'en parler quand je m'occu-
perai de ces derniers.
La partie du Grand Océan austral comprise entre le courant équa-
torial et le courant froid venant de l'Ouest, présente une physionomie
particulière qui lui a fait donner à juste titre, par Maury, les noms de
Mer désolée, Mer déserte. A peine y rencontre-t-on un oiseau, un
poisson, la vie semble avoir disparu dans cet espace. J'ai été à môme
de vérifier l'exactitude de la description de Maury, dans une traversée
de la Nouvelle-Calédonie à Tahiti.
Climat. — Les lies nombreuses dont l'ensemble compose la Micro-
nésie et la Polynésie sont, à quelques exceptions près, comprises
entre les tropiques. Ces lies ne paraissent, à vrai dire, que comme de
simples points sur la carte, mais quelques-unes, eu égard à leurs
petites dimensions,, présentent un relief considérable (*), tandis que
d'autres ne sont guère que des récifs madréporiques, émergeant à
peine de la mer. Toutes ont un climat à peu près pareil, un printemps,
on plutôt un été perpétuel, car dans quelques-unes, voisines de
Téquateur, la chaleur dépasse quelquefois 33° centigrades à l'ombre
pendant le jour et ne tombe pas au-dessous de 26° pendant la nuit.
Naturellement, le climat présente des différences dans les lies plus
éloignées de Téquateur, et à fortiori dans celles dont la latitude est
encore plus élevée. Ainsi, aux lies Sandwich (Hawaii), situées sous le
tropique du Cancer, la neige couvre Jes plus hauts sommets pendant
les mois d'hiver, tandis que, plus près de Téquateur, la différence de
la température au bord de la mer et celle des hauteurs est à peine
appréciable au thermomètre. À la Nouvelle-Zélande, dans la zone tem-
pérée australe, les hivers sont rigoureux dans le Sud; la haute chaîne
de montagnes, Taréte de l'archipel, a la plus grande partie de ses som-
mets couverts de neiges éternelles. Dans le Nord de l'archipel, le climat
est plus doux, quelques végétaux à physionomie tropicale y croissent
(*) Ceet ce qui a eu lieu, le 28 mars 1875, aux Non relies-Hybride*. Depuis lors, le
▼blc&n de llle Tanna est re«;ô en activité.
(*) O Hlyaoa (ïlea Marqufseï) a 1,860 mètre» d'altitude tnr 7 lieue* de longueur;
— Hout Orohtna^ Tahiti : 3,887 métrée. — Mauna-Loa, A Hawaii : 4,166 motrea.
<678 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
spontanément, mais, par suite des vents tempétueux qui régnent très
souvent, il est loin d'être toujours agréable. Je me suis trouvé deux
fois à la Nouvelle-Zélande (à Auckland, dans l'Ile do Nord; à l'époqae
de Noël, c'est-à-dire au cœur de Tété de l'hémisphère austral, et, si
ce n'est qu'il ne faisait pas froid, le temps était souvent aussi mauvais,
aussi venteux qu'il Test, à cette époque, sur les rivages de UMandie.
Malgré cela — et peut-être à cause de cela, — le climat est très sais,
vivifiant ; les émigrants anglais s'en trouvent fort bien — il faut dire
que, dans la mère patrie, ils ne sont pas gâtés, — et Ton retrouve dus
les Jeunes filles, nées à la Nouvelle-Zélande, les belles carnations de
leurs sœurs d'Angleterre, ce qui est une exception en Australie.
Dans la zone intertropicale le baromètre oscille entre 0*,7SS et
0B,765, se tenant le plus ordinairement à 0B,762. Ses Indications n'ont
pas grande valeur, si ce n'est dans les parages exposés aux ouragans
(cyclones, typhons), où elles acquièrent une importance capitale. Elles
sont aussi précieuses dans les zones tempérées, au Nord et au Sud de
l'équateur.. Dans l'hémisphère sud, le mercure baisse avec les vents
du Nord, et arrive à son niveau le plus bas quand le vent est du Nord-
Ouest à l'Ouest, pour remouter quand il tourne vers le Sud. Le con-
traire a lieu dans l'autre hémisphère.
Les lies Intertropicales, au climat chaud et humide, sont rafraîchies
par les vents alizés, mais on a vu que ceux-ci ne sont pas toujours
réguliers et constants. Les sommets des lies élevées arrêtent les nuages,
des brouillards épais descendent le long des montagnes, aspirés par
les gorges où la chaleur raréfie l'air ; il pleut alors abondamment dans
le haut de ces vallées, tandis qu'en même temps, au bord de la mer,
il tombe à peine quelques gouttes d'eau. Il y a néanmoins une saison
humide, caractérisée par des pluies torrentielles, et une saison sèche,
mais leurs alternances ne son,t pas toujours bien tranchées. Les époques
des pluies sont aussi celles des perturbations atmosphériques, des
grains, des orages : ces derniers sont moins communs qu'on ne sérail
porté à le croire, sur des terres montueuses et, en général, couvertes
de végétation. Pendant trois années consécutives, je n'ai Jamais entends
le tonnerre aux lies Marquises, ce qui a lieu de surprendre, car j'ai
vu quelques orages très violents à Tahiti où les conditions sont très
sensiblement les mêmes.
En somme, le climat de la Polynésie tropicale est sain, et je crois
qu'on peut en dire autant de la Micron ésie. Il est clair cependant qo*i
la longue les Européens s'y énervent, mais ils y sont à l'abri de h
plupart des terribles affections des pays chauds. Quant aux indigène*,
les maladies, quelquefois très graves, auxquelles ils sont sujets, son*
presques toutes dues à un mauvais régime, à la négligence compte
LES ILES DE l'OCÉANIE. 679
des plus simples précautions d'hygiène et à d'autres causes encore
peu connues.
Dans TOuest du Pacifique, les conditions sanitaires sont loin d'être
aussi bonnes. Les terres de la Malaisie, couvertes d'une végétation
désordonnée, soumises aux alternatives d'un soleil brûlant et de pluies
diluviennes, à des calmes, à des orages, recèlent de nombreux foyers
de pestilence où la lutte pour la vie est bien pénible à l'Européen. Le
peu qu'on connaît» Jusqu'à présent, de la Mélanésie semble indiquer
qu'elle n'est pas, en général, plus favorisée. L'Ile Waigiou, à l'extrémité
ff.-O. de la Nouvelle-Guinée, est renommée pour son insalubrité, et les
quelques explorateurs qui ont attaqué résolument depuis quelques
années la grande lie papoue, ont tous eu à souffrir plus ou moins du
climat. Les Salomon sont très suspectées (*). D'Urville, dans le récit du
voyage de Y Astrolabe, a relaté l'effet pernicieux produit sur son équi-
page par un séjour de trois semaines à Vanikoro; la mauvaise répu-
tation de cette lie était si bien établie, que les naturels de la petite lie
voisine, Tikopia, conseillaient au navigateur français de n'y point aller,
rassurant que lui et son équipage succomberaient à la fièvre. Sur cinq
Tikopiens qui firent le voyage avec Y Astrolabe, un tomba malade, et
cependant ces individus venaient chaque soir coucher â bord du na-
vire {'). L'archipel Viti (Fidji), qui confine aux lies occidentales de la
Polynésie, est considéré comme ayant un climat salubre, bon pour les
Européens; j'ai cependant vu des individus en revenir assez malades
de fièvres, mais il est juste de dire que c'étaient, pour la plupart, des
gens à constitution à demi ruinée par des excès de tout genre, et qui
ne perdaient jamais l'occasion de faire une débauche alcoolique, quand
elle se présentait.
Dans plusieurs lies, l'insalubrité naturelle a été encore augmentée
par l'invasion de la variole importée par des navires, et qui fait pres-
que autant de victimes que de malades : j'ai vu le cas se présenter aux
nouvelles -Hébrides qui sont déjà très malsaines pendant la saison
humide. Les naturels eux-mêmes redoutent cette époque, toujours
marquée par une grande mortalité. On a pu remarquer que des caté-
chistes de race polynésienne, amenés par les missionnaires anglais,
ne supportaient pas mieux le climat que des Européens.
La Nouvelle-Calédonie, au moment de son occupation par la France,
contrastait heureusement avec la plupart des autres terres mélané-
(!) Sctn-CriêtovaX, Fane de ees îles, est très malsaine ; la fièvre y règne tonte
Pansée.
(*) Ce ne fat que par suite d'an accident, d'an par hasard, que ces Tikopiens ac-
compagnèrent V Astrolabe à Vanikoro. Bien n'aurait pu les décider & y aller de
bonne rolonté, tellement ils avaient peur de • cette terre qui tue • (mate mot fenua).
(XXUrrUle, Astrolabe, Hist. du voy., t. V, p. 117.]
680 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
siennes par une salubrité exceptionnelle. Une expérience de trois
années me permet de dire que l'Européen pouvait aller, Tenir, travailler,
passer la nuit en plein air, etc., arec la môme impunité que dans les
contrées les plus favorisées des zones tempérées : tout au plus, étail-oi
obligé de prendre quelques précautions contre les rayons d'an soleil
quelquefois trop ardent. En arriére des plages, aux embouchures des
cours d'eau, on rencontre de vastes surfaces couvertes de palétuviers
et de mangliers, et, comme chacun sait, les fièvres paludéennes
sont l'accompagnement le plus ordinaire de cette végétation. Ici, il n et
est rien, tout le monde a pu en faire la remarque, et, poux ma part,
j'ai tu l'équipage du navire que je commandais travailler impunémeai
pendant une semaine entière, nuit et Jour, avec des alternatives de
soleil brûlant et de pluie torrentielle, dans le delta marécageux de
Kanala. En 1 860, on constata bien quelques affections ayant en queiqie
sorte un caractère épidémique, mais il faut remarquer qu'elles s'atta-
quaient exclusivement à des Jeunes soldats, fraîchement débarqués après
une traversée longue et pénible, et qui, tombant tout à coup, au sortir
des parages froids de l'Océan Indien austral, dans un pays tropical, i
l'époque la plus chaude de l'année, ingurgitaient en grande quantité,
en dépit de toutes les recommandations, l'eau fangeuse des mares
formées par la pluie, la seule qu'on trouvât alors auprès de Nouméa.
Quelques travaux de terrassement indispensables avaient été asssi
l'origine de maladies, mais cet effet se produit souvent dans les ptyi
les plus sains; en somme, cela avait été très peu de chose à ta Nouvelle-
Calédonie qui conservait, à juste titre, sa réputation de salubrité.
Mais il parait qu'aujourd'hui il y a beaucoup à en rabattre, au moins
pour les environs de Nouméa. L'accumulation simultanée, sur ce point,
des condamnés à la transportation et des déportés à la suite de finsar-
rection de 1871, les travaux et les mouvements de terrain nécessités
pour l'installation de tout ce personnel, les prédispositions morbides
d'un certain nombre de ceux qui en faisaient partie, l'encombrement,
l'insuffisance et l'imperfection des logements, d'autres causes encore,
auraient développé avec acuité la plupart des affections des pays chaodi
dont Jusqu'alors on n'avait constaté que de très rares exemples, êtes*
core d'uu caractère bénin, sans gravité. Le tableau fait par mon ans,
M. Girard La Barcerie, médecin en chef de la marine, placé à la télé
du service médical de la colonie (1876-1878), renverse de fond es
comble les idées et les impressions des personnes ayant vécu a ta
Nouvelle-Calédonie pendant les quinze années qui ont suivi l'occupt-
tion ; mais, dira-t-on, très malade lui-même, M. Girard La Barcerie se
l'a-t-il pas inconsciemment assombri ? C'est peu croyable. pour ceax
qui connaissent sa science médicale et la trempe de son naturel éoer-
LES QUESTIONS DE GÉOGRAPHIE COLONIALE. 681
gique. En tout cas, ce qu'il dit parait ne devoir être appliqué qu'à Nou-
méa et à son voisinage immédiat, et, même en admettant que le tableau
ne soit nullement chargé, sous le rapport de la salubrité, la Nouvelle-
Calédonie l'emporte encore sur la plupart des contrées intertro-
picales.
(A suivre.)
9° Note sur les questions de géographie coloniale.
Plus d'un de nos lecteurs s'est déjà demandé, sans doute, comment
notre Bulletin, s'associant au mouvement d'opinion qui nous porte en
ce moment vers la Cochinchine et le Tong-King, ne renferme pas, en
première page, des études ou des nouvelles sur cette question ainsi
que sur celle de la colonisation officielle en Algérie, sur laquelle les
Chambres viennent de délibérer.
Pour les nouvelles, notre Bulletin trimestriel ne peut enregistrer
que celles qui marquent les phases sérieuses de nos entreprises ('),
l'actualité, le fait divers étant, au cas particulier, du domaine de la
presse périodique.
Quant aux études, depuis longtemps déjà les membres de la Société
de géographie de l'Est ont entre les mains les plus consciencieuses et
les plus complètes. Ils n'ont qu'à relire notre Bulletin de 1860 qui
renferme : le Bassin du Cambodge, par M. Fénal ; les Cinq Voyages du
VF Harmand en Indo-Chine, par M. E. Génin; Notice sur l'importance
commerciale de la voie du Song-koï (fleuve Rouge), traitée à deux
points de voe différents, par M. de Bizemont et par M. E. Génin, syn-
thèses complètes de tout ce qui tient à l'histoire de nos intérêts dans
1* extrême Orient.
Snr la question de la colonisation officielle en Algérie, nous n'avons
qn'à rappeler la conférence faite par M. G. Renaud, directeur de la
Revue géographique, dans laquelle il a résumé ce qu'il a publié contre
ce système. La Rçvue géographique est dans notre bibliothèque à la
disposition de nos lecteurs.
(<) Voir dans tow nos Bulletin* les Nouvelle* géographiques.
M ISCELLANÉES
Description de toutes les provinces, royaumes, États et villes prin-
cipales du monde, tirée des récits toscans de Juan Botero Ben es, par
F. Jaynie Rebullosa, de l'ordre des Prêcheurs. Édité à Gèrone par
Jayme Bro, imprimeur libraire, colle de las BallesterUu (me des
Arbalètes) en Tan 1748.
Cet ouvrage a été publié en 1602, comme le prouve l'autorisation
donnée par les RR. PP. Fr. Thomas Roca Maestro et Fr. Benito Torrente
Presentado, à Sainte-Catherine de Barcelone, le 27 novembre 1602.
LORRAINE.
Les historiens français nomment Austrasie le pays qui est situé entre
le Rhin et la Meuse, de même qu'ils appellent Neustrie celui qui est com-
pris entre la Meuse et la Seine. L1 Austrasie changea de nom sous r em-
pereur Lothaire et, depuis ce temps, Ton appelle Lotharingie celte
partie de l'Austrasie qui appartient à la maison de Lorraine.
Les limites de cette province sont à peu près la Sarre et la Meuse
(si Ton y comprend le pays de Bar qui appartient au même duc) ; par
conséquent, elle confine au Luxembourg, à l'État de Trêves, à I'AUace.
la Bourgogne et la Champagne.
Elle s'étend depuis Astènef), qui est sur la Meuse, jusqu'à Darne (V
sur un espace de quatre grandes journées ; et de Bar-le-Duc jusqu'à
Biba(3), trois journées. Elle possède trois évêchés : Metz, Tout et
Verdun. Les deux derniers ont aujourd'hui une garnison lorraine;
Metz est du parti contraire. Les grandes villes sont : Nancy, chef-lien
du duché de Lorraine; Bar-le-Duc, chef-lieu de l'autre État; Saint-
Nicolas, Épinal, Luné vil le, Pont -à-Mousson et antres groupes de popu-
lations de toutes sortes, formant un État qui s'est maintenu et se main-
tient heureusement au milieu d'ennemis et de voisins puissants. La
Lorraine doit ce résultat non seulement au succès de ses armes, mais
encore à une sage politique et une bonne administration. Elle prodoit
abondamment des grains, du vin, de la viande, du sel. Elle rapporte a
son seigneur 500,000 écus, dont 200,000 sont fournis par ses impor-
tantes salines, et le reste par les bois, les eaux, les grains, les prés,
(') Stenay; en latin Attenidum.
(*; Darney; en latin Darneium.
(■') J'ignore quelle est la localité qni correspond à ce mot peut-être mal écrit. Se
serait-ce pas Bldbonrg, en latin Btda, an N.-N.-O. de Trêves, sur la Kjl en KSic
(N. du tr.)
l'île d'anticosti. 683
les mines d'argent et autres choses semblables, sans gêner aucune-
ment ses vassaux. Les ducs tiennent leur cour à Nancy qu'ils ont
agrandie beaucoup et fortifiée en 1587, parce qu'ils redoutaient que
les Allemands ne ruinassent le pays en le traversant avec leur armée
formidable.
fiar-le-Duc, chef-lieu de l'antre duché, se divise en haute et basse
ville (comme on dit en français), et possède une bonne forteresse.
(Traduit par G. Millot.)
L'ILE D'ANTICOSTI
On arait annoncé, il y a quelque temps, que la France avait acheté
File d'Anticosti, puis cette nouvelle a été démentie; mais voici que
récemment une correspondance de Montréal annonce < que le chargé
d'affaire* du Canada a presque terminé, à Paris, les arrangements pour
la Tente de File d'Anticosti au gouvernement français; l'objet de cette
Tente est de mettre fin aux difficultés qui existent à Terre-Neuve entre
les pécheurs français et anglais. Le gouvernement français, en achetant
cette lie avec le consentement de l'Angleterre, en ferait un territoire
français et conseillerait aux pécheurs mécontents de France de Tenir
s'établir à Anticosti.
• Le projet n'est pas nouveau, car il y a trois ans le gouvernement
français proposa d'acheter cette lie. Le prix demandé est de 50 cent.
par acre. »
Nous empruntons au Dictionnaire de géographie universelle de
Yivien de Saint-Martin quelques renseignements sur cette lie. Elle est
située à l'entrée du fleuve Saint-Laurent, en face du littoral du Labra-
dor canadien, par 49° '/i latitude nord ; sa plus grande dimension, du
S.-E. au N.-O., est de 200 kilomètres et sa plus grande largeur de
50 kilomètres; sa superficie est de 610,000 hectares ; elle dépend du
comté de Saguenay, province de Québec. Entourée de glaçons pendant
une grande partie de Tannée, Anticosti est visitée en été par une
population de pêcheurs s'élevant à environ 5,000 âmes et montant une
Botte de 60 à 70 grandes barques de pêche. Cette population s'établit
sur la baie du Benard, qui, grâce à sa présence, prend bientôt l'aspect
d'une petite ville. Elle passe là les quatre ou cinq mois de la belle
saison. Les premières brises du nord venues, hommes/ femmes et
enfants remontent sur leurs bateaux, et la petite ville redevient dé-
serte. Au dernier recensement (1871), Anticosti n'avait qu'une popula-
tion fixe de 102 habitants, dont 58 Français ; mais depuis que l'Ile est
devenue récemment la propriété d'une compagnie, un assez grand
\
684 MISCELLANÉES.
nombre de familles nouvel les s'y sont fixées, familles pour la plupart
acadiennes ou canadiennes françaises. Pendant la belle saison, Àuticosti
ressemble à un jardin, tellement elle est couverte de verdure et de
fleurs. C'est la nature qui fait tous les frais de cette parure ; si l'on ci
excepte les jardins cultivés par les gardiens, et où croissent en abon-
dance les légumes d'Europe, la main de l'homme n'y est pour rien, le
trèfle, le sainfoin, y Tiennent à l'état naturel et couvrent toute la partie
connue de l'Ile qui ne se trouve pas sous bois. Des trappeurs rapportent
avoir vu. dans l'intérieur, des carrières de marbre, du charbon et do
fer. Les pêcheries fournissent principalement le saumon et Ja morne,
que l'on sale ou que l'on fait sécher et que Ton expédie à Québec on
à Montréal ; la quantité de poisson provenant de ttle est considérable.
Ànticosti est une corruption du mot indien Nalicostek.
[V Exploration.)
ÉTAT GÉNÉRAL DE L'ALGÉRIE
Le gouvernement général vient de publier, sur 1' « état de l'Algérie
au 31 décembre 1 882 », un volume qui présente un véritable intérêt par
la multiplicité des documents statistiques qu'il contient.
Le développement du mouvement général du commerce de la colo-
nie, par exemple, y est démontré par des tableaux desquels ressortait
des plus-values considérables sur l'exercice précédent. Ainsi, la valeur
des importations s'est élevée, en 1882, à 411,929,315 fr., soit par rap-
port à l'année précédente, une augmentation de 69,676,655 fr. Celle
augmentation porte, il est vrai, surtout sur les denrées alimentaires,
les cotonnades anglaises, et aussi — il convient de le signaler — sur
le riz importé des Indes pour être employé, à cause de son bas prix, à
la fabrication des alcools. L'industrie française a, cependant, contribué
à cette plus-value dans la proportion de 21 p. 100.
La valeur des exportations pendant l'année 1883 s'est élevée à
150,032,678 fr. L'heureuse influence exercée sur le commerce d'expor-
tation par l'abondance de la récolte s'est traduite par une augmentaiiu
de 6,448,075 fr.
Cette augmentation de l'année 1882 sur l'année 1881 a eu naturel*
lement pour résultat une plus-value relativement considérable au profe
du Trésor ou des « produits coloniaux ». Ainsi, le Trésor a perça
7,614,598 fr. et l'octroi de mer a rapporté 7,628,901 fr., soit au total
15,243,499 fr., somme qui constitue sur l'exercice précédent une aug-
mentation de 900,000 fr.
Le mouvement de la navigation s'est accru dans des proportions
ÉTAT GÉNÉRAL DE L'ALGÉRIE. 685*
remarquables. 11 est représenté à Ventrée, pour 1882, par uo effectif
de 5,469 navires, jaugeant ensemble environ deux millions de tonneaux.
Dans ce tonnage, les provenances de France sont comprises pour près
de 1,300,000 tonnes et celles de l'étranger pour 715,0i/0.
Les augmentations sur 1881, pour les entrées de navires, se chiffrent
par 870 navires et 37,139 lounes.
La sortie est représentée par 5,420 navires, jaugeant environ
1,900,000 tonneaux; ce qui donne une augmentation de plus d'un
millier de navires et de 90,000 tonnes sur l'année 1881.
Dans ce mouvement général de la navigation, les navires français
tiennent haut la main la première place: 2,260 bâtiments appartenant
à nos nationaux et jaugeant 1,826,600 tonnes, avec 62,782 hommes
d'équipage, sont sortis ou rentrés dans les ports d'Algérie. Viennent
ensuite les Anglais avec 513 bâtiments seulement, mais dont le ton-
nage s'élevait à 404,377 tonnes, tandis que les Espagnols Ûgurent pour
1,747 bateaux ne jaugeant que 137,794 tonnes. L'Espagne n'envoie
guère — on le sait — dans les ports oranais que des balancelles dont
la jauge ne dépasse pas, en moyenne, 50 ou 60 tonnes.
Dans les ports de 1 Est, c'est-à-dire dans ceux du département de
Gonstanline, c'est la navigation italienne qui vient immédiatement
après la nôtre. Ses bâtiments entrés ou sortis ont été au nombre de
674, jaugeant 75,982 tonnes.
Le mouvement de la population s'est augmenté dans des proportions
plus considérables que celles relevées pour le mouvement général du
commerce et de la navigation.
Le nombre des habitants recensés s'élève à 3,31 0,4 12, savoir:
Français 233,937
Israélites naturalisés 35,665
Musulmans indigènes, sujets français 2,415,713
Indigènes des tribus des commandements . . . 435,103
Étrangers 189.994
Ces chiffres étant donnés, on constate, entre le dénombrement de
1876 et celui de 1882, une augmentation de 17 p. 100 de la partie de
la population comprenant les Français, les israélites naturalisés et les
Européens non français.
Pour la population musulmane, l'augmentation serait formidable s'il
fallait s'en tenir strictement à la signiûcation des chiffres.
En 1872, le recensement donnait le chiffre de 2,125,052 indigènes,
et en 1876, celui de 2,472,129. Le recensement de 1882 donne au total
pour les indigènes sujets français et indigèues des tribus de comman-
dement, le chiffre de 2,850,816. D'où il résulterait que la population
indigène s'est augmentée, en 10 ans, de 725,814 âmes, soit d'un quart,
SOC. DE eiOOR. — 4* TKIMK8TJta 1383. 44
686 MISCELLANÉE8.
ce qui est inadmissible. On s'explique, tu contraire, cette augmentation,
si Ton lient compte de certains faits. Le recensement de 1882 s'est
opéré dans des conditions plus favorables que ceux de 1872 et de 1876,
par suite des améliorations introduites, ces dernières années, dans For
ganfsation administrative, et le dénombrement de la population indigène
a été rendu plus facile et, par conséquent, plus exact que dans le passé.
D'autre part, « le territoire des grands commandements » s'est
agrandi, en 1882, dans le Sud oranais, Jusqu'au delà des Qçours, ett
naturellement augmenté le contingent fourni par les tribus résidant
sur ce territoire.
Quant au nombre d'étrangers se trouvant actuellement dans la colo-
nie,, sa comparaison avec celui qui a été constaté en 1876, c'est-à-dire
au dernier recensement général, est assez curieuse à faire.
En 1876, il y avait en Algérie 95,510 Espagnols; il y en a anjour-
d'hui 112,047, soit 19,577 de plus. Il y avait 25,759 Italiens ; H y en a
maintenant 31,865, soit 6,106 de plus. Le nombre des Maltais a moins
progressé. Il était de 14,220 en 1876 ; il est aujourd'hui de 15,149, soft
929 de plus seulement. Il s'ensuit, cependant, que l'immigration coa-
sidérabie des Maltais en Tunisie, qui a suivi notre établissement dans
la Régence, n'a point diminué, — comme on le croyait, — celle qui se
produit vers l'Algérie. Les Allemands seuls sont en diminution. Leur
nombre est tombé de 5,722, — chiffre constaté en 1876, — à celui
de 3,738.
L'exposé constate que le nombre des demandes en natoraftsalka
s'est ralenti en 1882. 11 ne s'est élevé qu'à 354, dont 26 introduites par
des musulmans.
LES COLONIES FRANÇAISES
V Annuaire statistique de la France (6* année), qui vient d'être
publié par le ministère du commerce, contient sur nos possessions co-
loniales des renseignements qui, bien que se référant pour la plupart i
l'année 1880, n'en sont pas moins très utiles à consulter.
La Martinique, la Guadeloupe et la Guyane française ont vu s'accroî-
tre leur population, de 1872 à 1880, dans les proportions suivantes:
1872 1880
Martinique 156,799 habitants 166,100
Guadeloupe 136,311 — 158,480
Guyane 17,235 — 17,374
A la Réunion, au contraire, il y a eu diminution de 1872 à 1880. Oa
comptait, en 1872, 193,362 habitants; on n'en compte plus que 180,814
en 1880, comprenant la population blanche et la population affranchie.
LES COLONIES FRANÇAISES. 68T
Four les autres Colonies, excepté la Nouvelle-Calédonie, la statistique
se borne à nous indiquer la population en 1880 et en 1879, mais sans
comparaison avee une époque antérieure quelconque.
Le Sénégal et ses dépendances comptaient, en 1879, 190,789 habi-
tants, y compris la population flottante. L'épidémie de fièvre jaune
qui a sévi en 1881, aura dû avoir pour résultat de diminuer ce chiffre.
Pour les établissements français de l'Inde, la population s'élevait,
en 1880, à 283,022 habitants, dont 61,092 électeurs inscrits.
Nous relevons ensuite:
Mayotte 12,158 habitants.
Nossi-Bé 8,155 —
Sainte-Marie de Madagascar 7,177 —
Saint-Pierre, Miquelon, île aux Chiens,
Langlade 4,916 —
Établissements de l'Océanie .... 11,161 —
Aux établissements de l'Océanie, il faut ajouter Tuamotu, qui compte
7,270 habitants et l'archipel des Marquises avec 5,776 habitants.
En Cochinchine, la population était, en 1880, de 1,550,497 habi-
tants et se décomposait ainsi qu'il suit, d'après les documents fournis
par l'administration des affaires indigènes et la police de Saigon :
Européens 1,964 habitants.
Chinois 58,500 —
Tagals 56 —
Malais 4,553 —
Malabares 888 —
I Annamites 99,555 —
Cambodgiens 1.366,139 —
Mo» . ' 6,322 -
Chams 310 —
Asiatiques 67 —
Total 1,550,497 —
La population totale de la ville de Saigon est de 14,028 habitants,
dont 1,056 Européens et 12,972 Asiatiques.
Quant à la Nouvelle-Calédonie, aucun renseignement n'a été fourni
sur sa population; V Annuaire n'a donc pu la relater. Cest là une la-
cune regrettable.
L'agriculture est peu avancée à la Martinique, où l'on relève 27,850
hectares en friche; à la Guadeloupe, où il y en a 34,338, et à la Réu-
nion, qui en compte 65,650. Que de richesses entièrement perdues!
Les établissements français dans l'Inde paraissent mieux cultivés.
Quant à nos établissements de l'Océanie, nous n'avons aucun rensei-
gnement agricole en ce qui les concerne. Espérons qu'il n'en sera
688 miscellan£es.
plus longtemps ainsi : il n'est pas admissible qu'un pays ignore les
produits de ses colonies.
En Cochinchine, ce sont les rizières qui tiennent la première place
dans lacultore; elles occupent 521,910 hectares. La culture des are*
quiers et des cocotiers en prend 52,396.
Ce qui est vraiment lamentable à constater, dans les tableaux de
V Annuaire statistique, c'est que les importations directes de la France
dans les colonies françaises ne se sont élevées — en 1 880 — qu'à
51,427,314 fr., alors que les importations de l'étranger et des entre-
pôts de France ont atteint le chiffre de 77,996,722 fr. C'est cepen-
dant en France que les colonies exportent la majeure partie de leurs
produits. Elles lui en ont fourni pour 102,400,058 fr. en 1SS0, contre
44,238,081 fr., vendus à l'étranger
ÉPISODE DE LA CAMPAGNE DU SOUDAN
A la séance annuelle des cinq académies de l'institut de France,
II. Cherbuliez, de l'Académie française, a lu, avec le plus légitime
succès, une narration d'an épisode de la dernière campagne du Son-
dan, sous les ordres du colonel Borgnis-Desbordes, et dont nous re-
grettons de ne pouvoir citer que la conclusion, accueillie par des salves
répétées d'applaudissements :
Un jour que le colonel me racontait ces divers incidents que je
vous raconte à mon tour, je lui demandai ce qu'il avait fait du corps
du vieux chef Naba, qui me semblait une façon de héros, quoique on
peu voleur et s'il lui avait rendu les honneurs militaires. Le colonel
devint pensif et me Ût un aveu qui lui coûtait. Dieu me garde de rien
dire de désagréable à nos chers et illustres confrères de l'Académie
des sciences ! Mais ils reconnaîtront eux-mêmes que la curiosité des
savants ne respecte rien. Un docteur intrépide, attaché à l'expédition
du Soudan, eut la bonne fortune de découvrir le cadavre de Naba. Sa
tête lui parut si remarquable, si intéressante, qu'il conçut aussitôt le
projet d'en faire hommage à la Société d'anthropologie de Paris. Q U
coupa clandestinement, la prépara, l'enveloppa de serviettes, fenfonitau
fond d'un panier couvert. Gomme il tenait beaucoup à ce qtf on ne
sût pas ce qu'il y avait dans son panier, il imagina d'en confier la
garde à un prisonnier aveugle, à qui il n'avait pas besoin de recom-
mander la discrétion. Par malheur, cet aveugle y voyait asaex pour se
conduire. Ne doutant pas que le mystérieux panier ne contint on
trésor, il profita de la première occasion pour déguerpir arec son
butin. On ne Ta plus revu ; personne ne saura jamais ce qu'ont bîet
pu devenir et la tête du vieux chef Naba et le faux aveugle qui la por-
CAMPAGNE DU SOUDAN. 689
tait. Dans cette histoire, je vois une tête coupée et deux hommes
Tolés : c'est ce qui en fait la moralité.
Apre* ayoir donné tous ses soins à ses blessés, dont les uns furent
transportés à dos de mulet, les autres dans les litières, le colonel mo-
bilisa trois petites colonnes pour parcourir tout le pays environnant
et recevoir la soumission des villages. Les officiers né rencontrèrent
nulle part de résistance. La leçon avait profité; nos amis égarés
étaient revenus à de meilleurs sentiments et nous offraient à l'envl
leurs bons offices. Le colonel, que rien ne retenait plus dans le Bélé-
dougt>u, se disposa à poursuivre sa marche sur Bamako et le Niger.
Peu s'en fallut pourtant qu'il n'y renonçât. Des bruits sinistres cou-
raient. Deux souverains musulmans avaient résolu, disait-on, de pré-
venir nos desseins, ils concertaient une action commune, nous allions
nous heurter contre deux armées. Un troisième s'apprêtait à tomber
sur notre ligne de ravitaillement, à couper notre ligne de retraite ; il
avait fait dire au colonel* que le Jour où il le rencontrerait, les oi-
seaux du ciel n'auraient pas besoin de chercher leur nourriture ».
Mais le colonel savait que les sultans du Soudan sont aussi lents dans
leurs préparatifs que leur bouche est prompte à l'insulte. U savait
aussi qu'il faut beaucoup de temps pour faire entrer dans le même
bonnet trois têtes de prophètes. Il fut audacieux, et son audace le servit
bien. À quelques jours de là, nos soldats entraient à Bamako. Us pou-
vaient enfin contempler le grand fleuve qu'ils étaient venus chercher
de si loin.
Le 7 février de cette année, sans que personne réussit à nous dé-
ranger dans nos travaux de maçonnerie, nous posions la première
pierre de notre fort de Bamako, et dans le discours qu'il prononça en
posant cette pierre, le colonel disait à ses braves compagnons :
« JCous allons tirer onze coups de canon pour saluer les couleurs
françaises flottant pour la première fois et pour toujours sur les bords
du Niger. Le bruit que feront nos petites bouches à feu ne dépassera
pas les montagnes qui nous entourent, et cependant, spyez-en con-
vaincus, l'écho en retentira bien au delà du Sénégal. •
Les petites bouches à feu firent gronder leur tonnerre, le drapeau tri-
colore fut hissé et, malgré tant de souffrances endurées et celles qu'on
prévoyait encore, tous les cœurs étaient en fête. Ce drapeau qui flot-
tait sur le Niger, c'était la France, on l'avait apporté avec soi; elle
était là, on la voyait.
La séance s'est terminée par une lecture fort applaudie de M. de
Lesseps sur le caractère scientifique et civilisateur des grandes entre-
prises industrielles ayant pour but de faciliter les relations entre les
peuples.
690 lUBCBLLANtaS.
LA TÉLÉGRAPHIE EN CHINE
Les caractères de la langue chinoise représentant chacun un mot
diffèrent et non une lettre, comme dans les langues occidentales, b
Compagnie danoise qui exploite les nouvelles lignes télégraphiques de
la Chine a adopté le système suivant : le langage usuel chinois coav-
porte cinq ou six mille caractères ou mots que Ton a fait graver chaca
sur un bloc de bois séparé. A l'extrémité opposée de ce même bloc
est gravé un nombre en chiffres. L'employé du télégraphe reçoit h
dépêche en chiffres et prend le bloc correspondant à chaque nombre
transmis qui porte le caractère chinois correspondant à ce nombre.
Il imprime successivement tous les caractères sur une feuille de
papier et il envoie la dépêche à destination. Pour transmettre une dé-
pêche que Fexpéditeur remet en langue chinoise, l'employé doit
préalablement traduire tous les caractères en chiffres, ce qui l'obfigt
naturellement à connaître l'équivalent numérique de chacun de ces
caractères. _______ (** Na**r*.)
ENCORE LA MEE INTÉRIEURE EN ALGÉRIE.
Si déjà nous n'avions consacré bon nombre de pages à la question
de la mer intérieure dans nos précédents Bulletins, nous nous ferioos
un devoir de publier in extenso une brochure qui noua est communi-
quée. C'est un travail de M. A. Hanet publié dans les Mémoires de fc
Société des ingénieurs civils. Il se distingue de tous les autres en ce
que, tout en faisant de la critique de fond, tout en étant aussi sévère
qu'ont pu se montrer nos collabo râleurs, il prend les choses sur aa
ton quelque peu moqueur, et les formes respectueuses qu'il emploie
ne font que rendre sa critique plus mordante.
• En voyant, dit-il, des esprits distingués, des hommes de savoir et
t de science enthousiastes propagandistes de la mise à exécution «Fuse
• œuvre que moi, membre obscur de votre Société ('), je considéie
« comme une conception de ce roman scientifique qui Jouit présente-
• ment de l'engouement fugitif de la mode, je me suis demandé si
« réellement Je me trompais ou bien si, au contraire, les hommes se»
t périeurs dont Je parle ne sont pas les jouets d'un entraînement q»
« est le mal, la caractéristique de notre époque troublée.
■ Des savants non spécialistes veulent amener la mer à Paris; et
• toute la science des ingénieurs n'arrive pas à régulariser la navjtjt-
• tion sur le Rhône ni à supprimer une pauvre barre de sable.
0) La Société dos ingénieurs ciriis.
LA MER INTÉRIEURS EN ALGÉRIE. 691
« De* œuvres de toutes origines, des maniements de capitaux Actifs,
projettent on métropolitain devant coûter des centaines de millions...,
alors* que les édiles de la première capitale du monde sont acculés
à des opérations élémentaires comme la suppression de la pouav
sière en été autrement qu'en faisant de la boue et en sont encore A
faire disparaître les ordures de nos rues et de l'intérieur de nos mai-
sons comme cela se pouvait faire, j'imagine, à l'époque romaine... .~
Des esprits enthousiastes, novateurs audacieux, veulent construire
des chemins de fer allant au centre inexploré de l'Afrique, en em-
ployant des traverses métalliques d'un type non encore inventé;...*..
et nous, Français de la métropole, nous ne savons, au milieu d'une
population douce et travailleuse, comment arriver à doter de voies
ferrées des centres industriels et agricoles déshérités jusqu'à c ejour*
« Des hommes considérables parlent sérieusement de percer un ca-
nal de 200 kilomètres pour jeter les eaux de la Méditerranée dans
des bas-fonds humides et désolés, sans se préoccuper de la barre qui
pourri se former à Tune ou aux deux extrémités du canal, sans se
demander s'il ne vaudrait pas mieux aménager les eaux de cette
riche et fertile côte algérienne, où on laisse sans emploi les eaux deft
lies Tonga, Mella, Oubeïrah, Fetzara, etc., et des fleuves le Sevbouse*
le Safsaf, etc..
« 11 y a là, je ne crains pas de le dire, un phénomène de névrose
nationale.
« Me trouvant contredire un personnage de la taille du grand Fran-
çais, M. de Lesseps, d'aucuns me taxeront de témérité, d'autres
plus durement encore pour oser dire que ce vailjant entre les vail-
lants se trompe.
« Rendons de leur vivant, aux grands hommes dont la patrie s'honore,
l'hommage qui leur est légitimement dû, mais gardons-nous d'en
faire des papes infaillibles sur toutes choses. >
Puis il passe successivement en revue les différentes considérations
techniques (•) : 1° au point de vue maritime, cette mer sera très sure
pour les bâtiments : • Une mer bénie alors 1 quoi ? Jamais de houle,
• jamais de tempête, calme plat, dans une mer 17 fois grande comme
« le lac de Genève 7 Effet de mirage ! > 2° Au point de vue économique :
• On percevra des droits de navigation sur une mer où tout est à créer ;
« où, depuis la plus haute antlqnjté, murs, villes et ports tout dort,
m tout est asile de mort. Gommé' notre vice-président, M. de Comberonnc»
■ a raison lorsqu'il demande qu'on vulgarise la science économique ! »
5° lu point de vue de l'exécution des travaux : < Ces messieurs ont
C1) Non* signalons lss principales.
692 MISCELLANÉE8.
« reconnu qu'ils sont très faciles, qu'on rencontrera du sable et peu
« de roche et que, si on trouve de la roche, ce sera encore bien, at-
« tendu qu'on s'en servira pour faire de la maçonnerie. Tout cela n'est
« pas bien nouveau et je m'étonne que M. de Lesseps l'ait répété i
« l'Académie des sciences • L'auteur cite des exemples des décep-
tions ruineuses que, « dans un pays bien connu et étudié an point de
« vue géologique », des entrepreneurs trop confiants ont éprouvées,
malgré la compétence de ceux qui ont fait les études et envisagé toutes
les prévisions. 4° A propos de la sécurité, il dit que si les races pil-
lardes sont à redouter maintenant, elles le seront bien davantage alors
que l'on aura créé < 1 Éden rêvé » qui leur servira d'appât.
Gomme conclusion , l'auteur commence ainsi : « On m'a déjà dit :
• M. Roudaire ne demande rien au Gouvernement ('), il s'adressera an
■ public ; c'est le public qui sera juge de la confiance qu'il doit avoir
t dans l'affaire, c'est le public qui donnera son argent; vous êtes bien
■ mal inspiré de vouloir contrarier l'initiative privée, de combattre une
« œuvre aussi grandiose, aussi séduisante ; créer une mer ! pensei-y
« donc, cela ne s'est jamais vu : quelle gloire pour un siècle et pour
« un peuple I
■ La réponse est facile : que les économies de la nation, pour aSer
« s'engloutir dans les chotts, passent par les mains des banquiers ou
« par les caisses du trésor public, le résultat sera toujours le mène
« pour la fortune nationale ; pitoyable et ruineux pour la niasse des
t souscripteurs, alors que les promoteurs, eux, pourront se retirer
* indemnes et peut-être môme enrichis par la spéculation. Si la loi ce
« 1867 sur les sociétés anonymes imposait aux fondateurs de sem-
« niables entreprises une responsabilité effective et à longs termes,
« peut-être liendrais-je un autre langage. »
Il répond au reproche de voir les choses trop terre à terre, qu'il y
a chez nous à réaliser des entreprises non moins grandioses et biea
autrement utiles à réaliser ; qu'aux portes de Marseille «qui se lamente
« et gémit en se voyant près de déchoir, il existe une mer ialé-
« rleure (') ». 11 cite ces paroles de Reclus « que c'est un scandale de
« la laisser improductive ».
« Une flotte peut y manœuvrer à l'aise : il a (l'étang de Berre) 19,000
« hectares de superficie (*), il communique directement avec la mer
c par un canal de 6 kilomètres de longueur qui n'a de comparable,
t comme front de débarquement, que l'Escaut à Anvers, et, de l'une de
(') Il n'y pas longtemps qu'il n'a plna demandé.
(*) L'étang de Berre.
(*) La mer Roudaire aurait de 6,000 à 8,000 kilomètre* carrée.
LA MER INTÉRIEURE. 693
c ses berges, on pourrait faire un quai sans pareil ayec bien moins de
■ dépenses que n'en a nécessité le port beige.
« Il a un ayant-port à son extrémité vers la mer, une rade fermée
■ de 100 hectares de superficie, avec fond de vase d'une bonne tenue.
• Et point de terre ni d'ensablement à craindre : un courant se pro-
9 duit par les vents de la région de l'Est, balayant le canal et le Port-
« de-Bouc et éloignant les troubles de la côte de ce côté.
« Si, comme tous les gouvernements passés, vous reculez devant
« cette tâche, prenez au moins cette petite mer intérieure française
« comme terme de comparaison de ce que pourra produire votre grande
« mer inférieure africaine dans un pays désert, où l'acclimatation de
m l'Européen est encore un problême et déterminez le temps qu'il
« yods faudra pour que les rivages de la mer de Gabès soient seulement
« peuplés et productifs à l'égal des bords de l'étang de Berre i »
Impossible de dire ni plus vrai ni mieux. J. Y. B.
Note de la Rédaction. — Le travail important sur la mer intérieure
contenu dans notre précédent fascicule est le résumé de la confé-
rence faite fin mai à la Société. Actuellement, étant donné le caractère
absolument privé que doit avoir l'entreprise de la mer intérieure,
plusieurs des objections présentées par l'auteur de cette note n'ont
plus aucune raison d'être.
Bôligé d'ailleurs d'après les notes détachées de l'auteur et imprimé
en Sun absence, sans qu'il ait pu en faire lui-même les corrections,
ce résumé renferme des erreurs d'impression qu'il est de notre devoir
de rectifier comme suit en soulignant les mots et chiffres exacts :
Page 407, ligne 1S : Altitude de — S7,5(().... altitude, —24,5....
ligue 19 : que le milieu soit a — 30....
ligne 80 : de — 24 pendant 60 kilomètres....
Page 40*, ligne 5 : qui est en dessous de la cote \)àla cote — 20.... nn haut-fond re-
levé ...
ligne 11 : à la cote — 24....
Page 412, note 1, ligne J2 : par M. le commandant Roudairo....
Page 413, ligne 31 ; pour la surface du chott donnent'....
Page 414, ligne 35 : sur les 780 millions de mètres cubes....
Page 415, ligne 20 : étant, au lieu de allant.
Page 416, ligne 41 : eutre les deux chiffres cet de 325 mètres cubes.
ligno 42 : c'est au Heu de est.
Page 417, ligne 9 : mètres cube*. Quand la tranchée....
ligne 10 : au plafond (mais.... de 0,80} ;....
ligne 11 : le paragraphe compris entre les lignes 19 et 23 est une note à
placer à la page 416, ligne 12, après maximum.
Page 418, ligne 18 : suffisant au lieu de insuffisant.
lignes 14 et 15: ne pourra pas s'exercer.... au-dessous du niveau.
lignes 29 4 28, et p. 419. lignes 1 et 2, forment une note de la page 418,
ligne 6, après : Jusqu'à la cote O.
Page 419, ligne 19 : près de 300 million*.
ligne 41 : du Khentg au lieu du Yheneg.
(*) Le sigae —, placé devant les cotes, Indique qu'elles sont au-dessous du niveau
de la mer.
694 MISCELLANÉBS.
Pag* 41 \ ligne lt : elle *% «t....
Page 4ï , ligne il : de rAhmarcaddou au Djebel-Obechar.
Page 4M, ligne 7 : Onled-Ahmor.
Page 413, ligue* 4 et 6 : un Jardin. Jniqu'à... de Négriae nous.-.
ligne 30 : l'auréole pour quelquëë-un**...
Page 494, lignea 17 à 17, note à mettre en renvoi de U ligne 10, après: ™*
Page 486, ligne 4 : après l'oned JZirh. J. V.
LA SUPERFICIE DES MERS.
Le docteur Otto Krommel, de Gôttingue, a récemment publié sur k
superficie des mers du globe un important travail que nous résumons
ci-dessous.
D'après ses calculs, la superficie de l'Océan Atlantique est de
79,721,274 kilomètres carrés ; celle de l'Océan Indien, de 73,325,872;
et celle des mers du Sud, de 161,125,673.
Il en résulte que la superficie totale des trois grands océans est de
314,172,819 kilomètres carrés.
Voici quelle est ensuite la superficie des autres mers moins éten-
dues:
Océan Glacial du Nord 15,292,411 Ul. car.
Mer Méditerranée de l'Asie australe. . 8,245,954 —
Mer Méditerranée latine 2,885,522 —
Mer Baltique 415,480 —
Mer Rouge 449,910 —
Golfe Persique 236,835 —
Pour les diverses mers Méditerranêes, nous atons donc une super-
ficie totale de 32,111,386 kilomètres carrés.
Dans l'Océan Glacial du Nord, labaiedeHudson figure pour 1,069,573
kilomètres carrés, et la mer Blanche pour 12,545.
Viennent ensuite les mers que le docteur Krummel appelle littorales,
savoir :
La mer du Nord 547,623 kfl. car.
La mer de la Grande-Bretagne. . . 203,694 —
La mer du Saint-Laurent . .... 274,370 —
La mer de Chine . 1,228,440 —
La mer do Japon 1,043,824 —
La mer d'Okhotsk 1,507,609 —
La mer de Behring 2,323,127 —
La mer de Californie 167,224 —
Superficie totale des mers littorales. 7,205,907 —
Si aux 17 mers que nous venons de mentionner, on ajoute l*0eéaa
Antarctique, dout la superficie est évaluée à 20,477,800 kilomètres car-
rés, l'ensemble des mers couvre une superficie totale de 374,057,912
kilomètres carrés, tandis que la superficie totale des terres do globe
n'est que de 136,056,371 kilomètres carrés. (La Nature.)
;l
t$95
LE CANAL DE PANAMA j'
Voici où en étaient les travaux du canal de Panama en décembre
^1883 :
La longueur totale do canal est de 74 kilomètres, de l'Atlantique à
son embouchure sur le Pacifique, aux lies Naos et Flamenco. La ligne
est divisée en 12 sections dont les plus importantes sont celles de
Colon, Gorgona, Obispo, Emperador, Gulebra et Paraiso.
Les sections emploient ensemble, tous les Jours, SO excavateurs,
40 locomotives et 800 wagonnets. 11 y a à enlever 90 millions de mè-
tres cubes. La grande tranchée dont on a déjà enlevé les deux tiers,
se trouve entre Obispo et Paraiso. Le nombre d'ouvriers sur les chan-
tiers est de plus de 10,000, et le total des excavations était, au 15 oc-
tobre, de plus de 2,500,000 mètres cubes.
Pendant les derniers mois de la mauvaise saison, les excavations
ont donné environ 350,000 mètres cubes par mois. Ce chiffre sera cinq
Ibis plus fort pendant la belle saison qui commence en décembre, et
Tannée prochaine, la plus grande partie des machines nécessaires sera
au travail ; les excavations se chiffreront par 4 millions de mètres cubes
par mois; le nombre des ouvriers sera porté à 15,000.
À Colon, les travaux du port sont presque finis. Le terre-plein avec
la jetée destinée à arrêter l'effet des fortes mers i l'entrée du canal
est fini. Une ville tout entière 7 a été élevée, ainsi qu'une série d'ate-
liers, de magasins et de voies d'embranchement pour la réception et la
distribution des matériaux. La terre nécessaire pour le terre-plein a
été prise à Monkey-Hill, où l'on a creusé une grande tranchée pour
combler les lagunes au fond de la baie de Colon afin d'améliorer l'état
sanitaire.
La première des machines de. la force de 120 chevaux entre Colon
et Oatun (soit une distance de 9 kilomètres) est en plein fonctionne-
ment ; elle peut enlever la quantité énorme de 6,000 mètres cubes par
Jour que l'on paye au prix de 1 fr. 50 c. par mètre cube.
L'embouchure du cOté du Pacifique, entre le débouché du Rio-Grande
et Paraiso, a été prise à l'entreprise par la Franco- American Trading C°.
La première machine du système américain a commencé à fonctionner
récemment ; elle sera suivie d'autres machines qui seront nécessaires
pour finir cette partie du canal, en deux ans au plus, de Oatun à
Bohio-Soldado.
Sur le côté atlantique, la Compagnie a en travail deux machines qui
fournissent un minimum de 4,000 mètres cubes par jour.
(La Nature.)
NOUVELLES GEOGRAPHIQUES
FRANGE.
Le dimanche 28 octobre, à 1 heure et demie de l'après-midi, a eu lieu,
dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, la distribution solennelle
de récompenses de la Société de topographie, sous la présidence de
M. Ferdinand de Lesseps, président d'honneur de l'Association.
Après quelques courtes allocutions, M. Ferdinand de Lesseps a pro-
clamé la grande médaille d'honneur attribuée en 1883 à M. Dupuis.
Des médailles ont été attribuées à M. Jullien pour son ouvrage la
Nièvre à travers le passé; — à M. Labarlhe, dont les cartes topogra-
phiques d'Hanoï et des environs d'Hanoï ont été si remarquées; — à
M. Barbier, secrétaire général de la Société de géographie de l'Est.
Puis M. le docteur Bayol, lieutenant-gouverneur du Sénégal, et le
capitaine Roudaire ont fait, le premier sur son excursion au pays de
Hourdia (Soudan occidental), le second sur les chotts algériens et tuni-
siens, des exposés aussi attrayants qu'instructifs.
M. de Lesseps a ensuite captivé l'assistance par une de ces improvi-
sations si heureuses dont il est coutumier.
La houille dans Meurthe-et-Moselle. — On vient de mettre sous les
yeux d'un de nos collègues une note fort intéressante sur la question
d'existence de la houille dans le département des Vosges et de Meor-
tbe-et-Moselle.
Cette question) qui jusqu'à ce jour, semble avoir peu préoccupé les
industriels, est cependant d'une immense importance, non seulement
pour les départements de l'Est, mais pour la France entière, dont il
est urgent d'assurer l'indépendance aussi bien que l'avenir des diver-
ses industries qui consomment la houille. Il y a péril pour nous si
nous ne cherchons pas les moyens d'augmenter notre production
houillère proportionnellement à notre consommation.
Tandis que la Grande-Bretagne produit 156 millions de tonnes de
houille, l'Allemagne 61 millions, le petit royaume de Belgique 17 mil*
lions, la France n'en donne pas 19 millions. Aussi, payons-nous à ta
Belgique et à l'Allemagne, plus de 471 millions pour leurs exportations
de houille, sans compter le tribut que nous payons à l'Angleterre pour
les combustibles que nous recevons par le littoral.
Nos départements de l'Est ne produisent pas un kilogramme de
houille, et cependant la consommation qui s'y fait augmente de jour
en jour la proportion des nombreux établissements industriels qui sont
venus s'y fixer depuis l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine.
FRANCE. 697
Y rencontrer la houille serait donc trouver la richesse. D'après les
renseignements qnc M. Vivenot a recueillis, aucun indice n'exclut la
présence de ce combustible dans nos départements des Vosges ef de
Meurthe-et-Moselle. Sa profondeur parait avoir été le principal obsta-
cle à des recherches sérieuses.
Aujourd'hui qu'un outillage simplifié permet d'atteindre la profon-
deur de 700 mètres avec une dépense de moins de 200,000 fr.,
M. Vivenot croit pouvoir faire un appel qui sera peut-être entendu des
industriels de nos pays.
Des études nombreuses semblent indiquer que les sondages pour-
raient le plus utilement se faire entre Lunéville et Baccarat, dans le
voisinage de Saint-Clément.
Déjà on s'est assuré le concours d'un sondeur expérimenté qui,
pour le prix d'environ 175,000 fr., percerait le premier puits de GOO à
700 mètres de profondeur pour 155,000 fr.
Déjà plus de cent usines et industries, et en tête la Compagnie des
chemins de fer de l'Est et l'usine Solvay, ont promis leur concours.
Une tentative sérieuse va donc être faite dans notre pays. Sans doute
le résultat n'est pas certain. Mais n'aurait-on qu'une chance sur dix,
dans la situation critique où nous nous trouvons, il n'y a pas à hésiter.
Dans les questions de celte nature, un même sentiment national doit
unir toutes nos pensées, tous nos efforts.
Anthropologie. — On vient de placer au Muséum d'histoire natu-
relle, dans les galeries d'anthropologie, de nombreuses collections de
photographies représentant les types de l'Europe orientale, de la Sibé-
rie orientale, de la Birmanie et du pays des Somalis.
Outre ces photographies, les galeries se sont enrichies de pièces
curieuses, notamment de six crânes de fellahs provenant des ruines
de Babylone et des crânes d'Indiens Garaounis, que le regretté docteur
Grevaux avait recueillis dans sa première mission au centre de l'Amé-
rique du Sud.
Météorologie. — M. Léon Tesserenc de Bort, attaché au bureau cen-
tral météorologique, est chargé d'une mission dans le Sahara algérien
et tunisien, pour y faire des études météorologiques, et en particu-
lier pour y déterminer les valeurs des éléments du. magnétisme ter-
restre.
Expédition scientifique du « Talisman ». — L'expédition scienti-
fique à bord du navire de l'État le Talisman, sous la direction de
M. Alphonse Milne-Edwards, professeur au Muséum et membre de
l'Institut, a donné des résultats importants.
698 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
Des récoltes zoologiques preaqne miraculeuses ont été faites pen-
dant cette campagne, aujourd'hui terminée, et qui a?ait pour théâtre
l'Océan Atlantique. Des sondages, an nombre de deux cents, ont été
exécutés à de très grandes profondeurs, et, grâce â ses filets, l'expé-
dition a recueilli des échantillons du fond de la mer dans toute la région
parcourue.
Les savants explorateurs ont constaté que la carte batkfmétriau*
publiée par la direction allemande dans un allai récent, était tout à
fait fantaisiste ; les courbes indiquées ne correspondent en aucune
façon au véritable relief du Ut de l'Atlantique. Là où Ton annonçait
3,000 mètres, ils en ont trouvé, eux, 6,000. Cette carte portait 1,000
mètres là où la sonde en marquait 3,000.
La mer des Sargasses, que l'expédition a explorée avec soin, est fort
intéressante : le fond (à plus de 6,000 mètres) est entièrement volca-
nique.
Le Talisman a rapporté toute une collection de laves et de scories
dont quelques-unes paraissent avoir une origine relativement récente,
ce qui explique la pauvreté de la flore sous-marine qu'on y remarque.
11 existe donc dans l'Atlantique, comme M. Milne-Bdwards récrit i h
Société de géographie, une bande immense de volcans dont les lies da
Cap-Yèrt, les Canaries, les Açores forment les points culminants, et
qui s'étend parallèlement à la chaîne des Andes, en Amérique. Peut-
être cette bande se prolonge-t-elle au Nord jusqu'à l'Islande. Cest
une question intéressante que pose M. Milne-Edwards et qui sera à
étudier.
Dans File Branco, qui n'avait encore été visitée par aucun naturaliste,
lie dont l'abord est des plus difficiles et où nos voyageurs ont dû se
jeter à l'eau et aborder à la nage, ils ont découvert et étudié une es-
pèce de grand lézard qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Ces animaux
sont herbivores, et pourtant la végétation de File est presque nulle.—
(La Nature.)
Les deux globes de Jean L'Hoste à la bibliothèque de
— Deux chefs-d'œuvre viennent d'être découverts dans la bibliothè-
que de l'Institut. Ce sont deux globes en airain, d'un travail remar-
quable, dont la monture en ébène e3t ornée de belles figures de
bronze d'un grand caractère. Nul ne connaissait la provenance de ces
globes magnifiques, dont le diamètre est de 47 centimètres. M. La-
lanne vient de retrouver le nom de leur auteur. En consultant la Bi-
bliothèque lorraine du bénédictin Dom Calmet, il y trouva un article
élogieux en faveur d'un certain Jean L'Hoste, mort à Nancy, sa patrie,
le 8 août 1631, qui s'intitulait t mathématicien, conseiller et ingénieur
COLONIES FRANÇAISES. 699
« ès fortifications des pays de Son Altesse le duc de Lorraine. » Dans
l'on des ouvrages de ce mathématicien, il parle de « deux globes de
« bronze, d'une grandeur bien notable, faits par Son Altesse, sur les-
m quels, dit-il, J'ai tracé et buriné par un. travail de sept à boit ans, et
« y ai apporté toutes les singularités, tant de la mer que des orbes
« célestes. > 8ur chacun de ces globes se trouve gravée une inscrip-
tion latine, où J. L'floste dédie son ouvrage à Henri II, duc sérénis-
aime de Lorraine. Le premier en date, le globe terrestre, porte le mil-
lésime de 1616 ; le second, la sphère céleste, est de 1618. Pour cette
dernière, l'auteur annonce avoir utilisé les observations de Tycho-
Brahé et des autres astronomes. On ne sait comment ces chefs-d'œuvre
sont arrivés à la bibliothèque de l'Institut, mais on peut conjecturer
que, lors de l'occupation de Nancy par les Français au xvu* siècle, ils
auront été transportés à Paris, puis donnés à l'ancienne Académie des
sciences, au Louvre, avec le mobilier de laquelle ils passèrent au col-
lège des Quatre-Nations, lors de la création de l'Institut.
COLONIES FRANÇAISES.
Population des colonies françaises. — Nous avons donné en détail,
dans de précédents Bulletins, la population de la France et celle de
l'Algérie telles qu'elles résultent du dernier recensement.
Voici maintenant le relevé exact de la population des colonies fran-
çaises, fourni par le ministère de la marine et des colonies :
Réunion 180,814
Sainte-Marie de Madagascar 7,177
Sénégal et dépendances 190,789
Guyane 17,374
Saint-Pierre et Mlquelon 4,916
Mayotte 10,158
Nossi-Bé 8,165
Taïti et dépendances 25,247
Nouvelle-Calédonie 52,000
Inde française 285,022
Gochinchine 1,550,477
Gabon, chiffre Indéterminé.
Dans celte énumération ne figurent pas les pays placés sous notre
protectorat, tels que la Tunisie, le Tong-king et le Cambodge.
Les Français au Canada. — Nous revenons souvent sur ce sujet,
parce que la prospérité des Français dans cette partie du monde est
réellement étonnante. Tandis que la population française va toujours
700 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
en augmentant dans Ja prorince de Québec, la population anglaise
diminue dans une proportion sensible. Les Français n'étaient que 3,000
en 1653, 60,000 en 1763. Depuis cette date, l'émigration de France a
cessé; nous avons eu même à regretter le départ d'un grand nombre
de nos compatriotes, qui ont compté sur les avantages que pouvaient
leur offrir les États-Unis, et, malgré ces désavantages, il y a aujour-
d'hui dans les provinces canadiennes, 1,298,929 Français répartis de la
façon suivante :
Québec, 1,075,820; Ontario, 102,743; Nouveau-Brunswick, 56,635;
Nouvelle-Ecosse, 41,219; lie du Prince-Edouard, 10,751; ttanitoba,
9,949 ; Territoires, 2,896; Colombie anglaise, 916.
Les Français à Pernambouc. — Des lettres de la station navale des
Autilles nous apprennent que l'éclaireur d'escadre Je Second* séjourné
à Pernambouc du 23 au 29 octobre.
Le pavillon français n'avait pas paru depuis longtemps dans le port
de Pernambouc, aussi fétat-major et l'équipage du Segond ont-ils été
l'objet de l'accueil le plus chaleureux de la part de nos compatriotes.
Nos nationaux, peu nombreux sur ce point du Brésil, sont généra-
lement à la tôte d'entreprises commerciales ou industrielles impor-
tantes. Ils ont fait en 1882 pour près de 14 millions d'importations et
pour 2,250,000 fr. d'exportations (sucre et coton). Tout fait prévoir
que l'exercice 1683 atteindra au moins les mêmes chiffres.
Le docteur Bayol dans le Soudan. — On se souvient que, l'année
dernière, le docteur Bayol partait de Bordeaux pour le Sénégal, afin de
renouveler, dans la direction de Tombouctou, ses audacieuses péré-
grinations à travers les peuplades africaines. Le docteur Bayol est de
retour à Bordeaux, après onze mois d'absence.
Voici sur le dernier voyage du vaillant explorateur quelques notes
sommaires :
Parti de Bordeaux le 10 octobre 1882, le docteur Bayol s'est di-
rigé immédiatement dans le haut Sénégal pour entreprendre un voyage
diplomatique dans le Eaarta.
Malgré de nombreuses tentatives infructueuses, le docteur a franchi
le Sénégal à Bafoulabé et s'est dirigé sur Daïla, ville toucoulenr, com-
mandant la route de Nioro.
La susceptibilité des chefs et une vive fermentation qui régnas
dans le pays ont empêché le docteur de poursuivre son voyage. Les
chefs, surexcités et effrayés par notre marche sur le Jïiger, ont refasè
obstinément de s'entendre avec lui.
Devant le mauvais vouloir des partisans du roi de Ségou, le colonel
COLONIES FRANÇAISES. 701
Desbordes, qui venait de remporter la brillante victoire de Daba, la-
quelle plaçait le Bêléadougou dans nos mains, flt appeler le docteur
, Bayol à Bamako, où celui-ci parvint le 13 avril.
Le 16, il en repartait, muni des pleins pouvoirs que lui avait confé-
rés le colonel et, dans une marche rapide/ traversait la région inex-
plorée habitée par les Bambaras, visitait Nossombougou, Koumi, Mau-
ton, traversait la région fertile et industrielle du Fadongou et parvenait
dans le mois de mai à Dampa et à Mourdia, villes commerçantes ha*
bitées par des Sarracolets et des Maures. Go sont des marchés de la
plus haute importance au point de vue du transit de marchandises que
les Diolas et les Maures exportent, les uns vers le haut Niger, les au-
tres dans la région du Sahara central.
A Douaboûgou, sur la route de Ségala, la mission, devant l'hostilité
manifeste des habitants, fut obligée de revenir en arriére. La route de
Tombouctou leur était fermée obstinément.
Des traités réguliers ont été passés avec Koumi, Nousombougou,
Nouko, Dampa, Mourdia et Ségala.
Cette dernière ville est i six Jours de marche de caravane de Tom-
bouctou.
La région parcourue par la mission au delà de Bamako comprend
363 kilomètres de pays inexplorés que M. le lieutenant Quiquandon,
de l'infanterie de marine, adjoint à la mission du docteur Bayol, a re-
levés avec une grande habileté.
Aujourd'hui, le protectorat français, établi d'une façon incontestable
par les victoires de M. le colonel Desbordes et par son prestige mili-
taire dans le Soudan, du Sénégal au Niger, s'étend jusqu'au pays du
Kalari, grâce à la nouvelle mission qui vient d'avoir lieu.
Gomme on le voit, le voyage de l'intrépide et intelligent explorateur
a eu, cette fois encore, des fruits considérables. Ajoutons que le doc-
teur.Bayol est revenu en France en parfaite santé, malgré les fatigues
éprouvées, et qu'il est prêt à reprendre, après quelques mois de repos
bien mérité, le cours des explorations si utiles à sa patrie et qui lui
assurent une place des plus distinguées parmi les grands voyageurs.
Congo. — Nous recevons tous les jours des nouvelles contradictoi-
res du Congo ; dans l'impossibilité où nous sommes de contrôler leur
exattitude et de les résumer, nous prenons le parti de les reproduire
telles qu'elles nous parviennent et dans l'ordre où elles se présen-
tent.
Nous trouvons, en posC-scriptum d'une lettre adressée de Banana à
Y Agence Bavas, les nouvelles suivantes de M. de Brazsa :
Voici enfin des nouvelles de M. de Brazza qui est arrivé à Stanley-
80C. DB OKOGB* — 4« TBIliMTBB 1889. 45
702 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
Tool après avoir éprouvé les plus grands dégagements suscités par
M. Stanley et par M. Vetche, son aide de camp, qui pour laisser tonte
liberté aux noirs avaient quitté le Pool.
On s'attend i des coups de fusils arec le successeur de Makoko qui
est dévoué à Stanley.
Une dépêche de Londres adressée au Temps annonce que Stanley Ta
revenir en Europe, et Ton prétend que son retour est dû à certaines
difficultés entre lui et le comité de l'Association africaine. H aurait l'in-
tention de se présenter devant les présidents de cette Association et
de se défendre contre les accusations portées contre lui, accusations
d'après lesquelles il aurait manqué de discrétion dans se^ pourparlers
avec les indigènes. Bien des conflits, dit-on, auraient pu être évités sU
avait fait preuve de la prudence qu'on attendait de lui.
Le 25 novembre, à Saint-Denis, on a pratiqué des expériences d'es-
sai sur le Licona, petit bâtiment fourni par l'État pour le service de fa
mission Brassa.
Ce bâtiment est tout en fer et se démonte entièrement.
Il va être embarqué sur un navire de l'État. Les pièces en seront
transportées à dos d'hommes Jusque sur l'Alima et remontées an bord
de cette rivière, que le bâtiment descendra ensuite jusqu'au Congo.
Le Sew-York Herald a reçu la dépèche suivante :
Rome, 4 décembre.
Le comte Louis de Brassa, frère du voyageur, Tient de donner à
votre correspondant le sommaire de deux lettres qu'il a reçues de
l'expédition du Congo, l'une de trente pages, écrite par M. Jacques de
Brasza, qui accompague son frère, le chef de l'expédition, et l'antre
signée par M. Pêcile, naturaliste.
Les deux lettres sont datées du 15 août.
à cette époque, de Brassa se trouvait en compagnie de son frère,
du docteur Ballay, de M. Pêcile et d'une petite escorte, entre France-
ville et Brassaville, en bonne santé.
11 comptait rencontrer le roi Makoko trois Jours pins tard. H n'avait
pas encore vu Stanley. Le reste de l'expédition française se trouvai!
en arrière, à différents points de la rivière Ogooué.
Makoko était encore roi et il continuait à avoir des dispositions aussi
amicales pour de Brassa que pour Stanley.
On croyait que le roi ratifierait le traité signé avec M. de Brassa.
. Les lettres ne contiennent rien qui puisse donner à croire à des
conflits avec M. Stanley ou avec les indigènes.
L'expédition parait avoir beaucoup souffert des fièvres, mais elle ait
perdu qu'un matelot.
COLONIES FRANÇAISES. 703
Le comte Ludovic dit que son frère n'aurait pas l'intention d'aller
as delà de Brazzaville, mais qu'il pourrait bien changer d'opinion et
pousser vers l'intérieur du pays.
Des lettres particulières [du Oabon donnent d'excellentes nouvelles
de l'expédition de Brassa :
■ Tout le personnel est en bonne santé. Le climat est certainement
plus sain que celui de la plupart des colonies ; quelques fièvres inter-
mittentes dans la saison des pluies, mais point de fièvres pernicieuses,
pes de maladies de foie, pas de dysenterie.
« Arrivé le 21 avril» M. de Brazza avait présidé au débarquement,
no Gabon, des munitions et des marchandises de cadeaux et de troc
qui, malheureusement, ne purent être mises à l'abri dans les magasins
de la colonie ; des ordres ministériels ont dû faire cesser les tiraille-
ments soulevés par l'administration coloniale.
« Quelques jours plus tard, M. de Brazza allait visiter les postes de
Loango, dont le Sagittaire avait pris possession ; très satisfait de l'état
des choses de ce côté, il était parti pour remonter le haut Ogdoué.
m Dès son arrivée au Gabon, il avait expédié MM. de Montagnac rt
àûcheiet avec vingt laptots chargés de fonder le poste de l'Alima,
affluent du Congo supérieur. H. le lieutenant Decases, son chef d'état-
major, avait été surveiller l'installation de Lambaréné dépendant de
l'installation de N'Jolé.
« il y avait trouvé M. de Lastours, parti de France en décembre
1882, amenant une flottille de 60 pirogues, montées par 800 pagayeurs
Adoomas accourus au-devant de Brassa et devant remonter avec 80 ton-
nes de marchandises.
« M. Decazes, revnu au Gabon, devait attendre la Seudre et YOlumo,
qui apportaient un complément de matériel, et remonter avec ce der-
nier, commandé par l'enseigne de vaisseau Laporte, le bas Ogôoné, en
inspectant le poste du cap Lopès (dépôt du matériel du ravitaillement
des postes de l'Ogtoué Jusqu'à Frauceville), et rejoindre Brazza par un
nouveau grand convoi attendu vers la fin de- juillet.
m En résumé, le pian général arrêté par Brazza commençait à se dé-
velopper, sinon sans fatigues, sous ce climat brûlant, au moins sans
obstacles sérieux, à commencer par l'établissement de Loango, point
de départ de la future voie ferrée qui doit atteindre Brazzaville sur le
Congo parles riches vallées du Quiliou et du Miari.
« Le personnel de la mission est plein d'entrain, de zélé et de con-
fiance dans son chef. »
Le paquebot Niçer, parti dernièrement de Bordeaux, emmène entre
entres passagers, les sept membres de la nouvelle mission destinée* à
servir de renfort à la mission Brazza. H. Dufoorcq, agent supérieur du
!
~^\
704 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
ministère de l'instruction publique! est le chef de l'expédition; fl doit
être le second de M. de Brazza pour toute la région maritime dont il
aura désormais la surveillance. Arec lui partent M. Labeyrie, ancien
élève de l'École centrale, et MM. Faucher, Coste, Didelot, Massas et
f Froment, qui seront répartis dans les divers postes du littoral et de
* J'Ogôoué.
Le Niger débarquera les membres de la mission à Dakar, où la Sat-
dre, récemment partie de Rochefort, les prendra pour les transporter
,au Gabon. C'est là que M. Du fou req prendra les mesures nécessaires
pour faire parvenir chacun de ses subordonnés à son poste.
M. Dutreuil de Rhins, qui était parti pour le Gabon, au mois de Jan-
vier dernier, avec M. de Brassa, est de retour en France. 11 s'est séparé
de M. de Brassa le 7 Juillet dernier, à quelques journées de distance
de Franceville, après avoir accompli la mission dont il était spéciale-
ment chargé. H a redescendu l'Ogôoué et s'est embarqué sur le paque-
bot anglais pour revenir en Europe.
A la date de son départ, c'est-à-dire dans les premiers jours d'août,
voici où en était l'expédition de Brassa : deux postes avaient été fondés
sur la côte à Loango et sur la rivière Quillou. On sait que, sur ce der-
nier point, l'Association internationale africaine a également fondé un
poste dans le but évident de tenir le nôtre en échec. Ce poste aurait
lié créé par une expédition conduite par le capitaine Elliott, qui serait
venu par terre de Stanley-Pool en explorant à fond la rallée du Siari,
dont M. de Brazza n'a pu prendre qu'une première vue quand il Ta dé-
couverte.
Quatre autres postes avaient été échelonnés le long de l'Ogôoué, ai
cap Lopez, à Lambaréné, à fl'Jolé et près des chutes de Bôoué, dans le
pays des Okandas. Des traités ont été passés avec les peuplades voisi-
nes, qui se sont engagées à fournir un nombre de piroguiers déter-
miné pour le service du fleuve, et même des soldats pour l'escorte de
l'expédition. Un cinquième poste, que M. de Brazza allait créer dans le
nays des Adoumas, devait compléter la chaîne qni reliera désormais
la côte de l'Océan à Franceville, qui en est* à 850 kilomètres environ. Ces
stations de ravitaillement, où l'on trouvera des vivres et des hommes,
permettront de parcourir cette distance aussi rapidement que possible.
Au delà de Franceville, un poste a été créé sur l'Alima, raffinent par
lequel nos bateaux descendront au Congo, de sorte que Ton peut dire
que notre route, de la mer au grand fleuve africain, est maintenant
tracée. C'est là un premier résultat fort considérable qui était le prêt
minaire indispensable de toute entreprise ultérieure et qui a été ra-
pidement obtenu.
Le docteur Ballay, Jacques de Brazza, frère du chef de l'expédifiâfi.
*»
COLONIES FRANÇAISES. 705
et le sergent Malamine devaient, dans les premiers Jours d'août, être
rendus chez Makoko, pour le pays duquel ils étaient partis depuis six
semaines. On n'avait rien appris encore dansl'Ogôouéau sujet du bruit
d'après lequel ce chef indigène aurait été renversé par les intrigues
de Stanley. M. de Brazza, après avoir conduit jusqu'à Franceville le
convoi de huit cents piroguiers avec lesquels il remontait le fleuve,
devait se rendre également chez Makoko. Telle était la situation, de
tons points excellente.
En rentrant en Europe par le paquebot anglais, M. Dutreuil de Rhins
s'est arrêté à l'embouchure du Niger, et là il a assisté au départ de
250 Baoussas armés de fusils à tir rapide, enrôlés pour le compte de
Stanley; c'était Je second convoi de ce genre. On estime que M. Stan-
ley a actuellement sous ses ordres 200 blancs et 1,600 noirs zanziba-
rltes, kabindas ou baoussas. M. de Brazza n'a avec lui que 86 blancs,
y compris les 25 hommes de YOlumo, qui ne descendent jamais à
terre, et 350 noirs. Chaque station qu'il fonde diminue nécessairement
son personnel, car il est obligé d'y laisser deux blancs et quelques*
uns de ses noirs.
Télégraphe sons-marin. — La première section de la ligne télégra-
phique qui doit relier le Sénégal à la France a été inaugurée le 6 dé-
cembre. Cette section relie Cadix à Sainte-Croix, de TénéruTe, la capi-
tale des Canaries. Le câble qui doit réunir les Canaries à Saint-Louis
dn Sénégal sera posé le 15 janvier. >.
Les bâtiments qui ont pris part aux opérations de pose et de son-
dage sont les steamers spéciaux International et Dada, qui appartien-
nent aux constructeurs. L'aviso espagnol Consueto et la frégate fran-
çaise Résolue assistaient à l'inauguration.
Nouvelle-Calédonie. — L'arrivée du Brual, commandé par M. le
lieutenant de vaisseau Bénier, avec les débris provenant du naufrage
de la Boussole et de Y Astrolabe à Vanikoro, a été, à Nouméa, l'occasion
d'une grande solennité.
D'après les ordres du gouverneur, les compagnies de débarquement
des bâtiments de guerre et les troupes de la garnison ont été mises
sur pied pour la réception des ancres, des canons et autres épaves des
bâtiments que commandait l'illustre La Pérouse. Tous les fonctionnai-
res de la colonie accompagnaient le gouverneur, qui a présidé à cette
cérémonie, et la population entière s'était massée sur les quais pour
assister au débarquement de ces glorieuses épaves.
Elles ont quitté le Bruat dans une chaloupe ornée de fleurs et de
feuillage, remorquée par deux embarcations commandées par un offl-
706 NOUVKLLE8 GÉOGRAPHIQUES.
cier. A ce moment, le Bruailes a saluées de vingt et on coops de ca-
non. Le capitaine de vaisseau Palia de la Barrière a prononcé uneaBo-
cntion en recevant A leur arrivée à terre, ées mains de H. le lieutenant
de vaisseau Bénier, les épaves des deux bâtiments. La cérémonie a été
close par une seconde salve de vingt et un coups de canon.
Parmi les canons qui ont été retrouvés, se trouve une pièce de
bronze qui porte le millésime de 1621 ; les ancres sont recouvertes
d'incrustations de corail très curieuses qui affectent les formes les pies
Msarres. Les objets rapportés par le Bruat vont être envoyés an ra-
sée du Louvre et placés dans la salle La Pérouse, du musée de marine.
EUROPE.
L'heure universelle. — Une dépêche de Rome annonce que la con-
férence géodésique a délibéré : i* sur l'unification des longitudes
par l'adoption du méridien initial unique de Greenwich; 2° sur Fanl-
fleation de l'heure par l'adoption d'une heure universelle en prenant
comme point de départ l'heure de Greenwich.
Ces délibérations seront portées i la connaissance des gouverne-
ments, avec le vœu formulé par la conférence qu'une convention inter-
nationale ait Heu pour statuer sur ces questions.
Conformément aux décisions de la récente conférence géodéslqae
de Rome, IL Paye demande que l'heure universelle soit l'heure civie
de Greenwich et que les longitudes soient comptées de 0 i 160t avec
le signe positif vers l'Est, et avec le signe négatif vers TOnest.
(Académie des sciences, séance do 3 décembre 1883.)
L'expédition Nordenskjftld. — Les journaux de Stockholm signalent
une séance tenue, le 19 octobre, par la Société d'anthropologie et de
géographie de Stockholm, séance dans laquelle le baron Kordeoskjôtd
a rendu compte de la seconde partie de son voyage au Groenland.
On sait que l'expédition poursuivait un double but : étudier la si-
tuation intérieure do pays et rechercher sur la côte orientale les tra-
ces présumées par Nordenskjôld des colonies normandes qui fleuris*
salent autrefois dans cette région. La première partie du programme a
donné d'importants résultats, mais il n'en a pas été de même de l'autre
partie, qui n'a pas répondu à l'attente du baron Nordenskjôld. En effet
on n'a pas trouvé les vestiges que promettaient les anciennes sagas
populaires.
Toutefois, l'illustre explorateur a le droit de considérer le résultat de
son voyage comme un triomphe des investigations géographiques, b
EUROPE. 707
effet, sar plusieurs points, il a abordé une côte qui, depuis plus de
trois cents ans, c'est-à-dire de puis l'expédition entreprise surl'initiatiTe
de l'évoque Walkendorff, avait été inaccessible à toutes les expédi-
tions.
La difficulté d'accès et de pénétration à l'intérieur provient surtout
des glaces. Tandis que la côte orientale du Groenland est plus facile-
ment accessible au Nord du 70° degré de latitode, la portion méri-
dionale est bloquée par les montagnes de glace qu'un courant froid
accumule dans cette région.
Nordenskjôld, à l'inverse de ses prédécesseurs, a essayé de pénétrer
à l'intérieur de cette ceinture de glace en demeurant dans le voisinage
de la côte du continent. La tentative plusieurs fois renouvelée a échoué,
et il n'est pas resté d'autre parti à prendre que celui de suivre les ex-
péditions antérieures, c'est-à-dire de doubler le cap Farwell et de for-
cer la ceinture de glace du côté de la mer.
Grâce i la solidité de sa construction, la Sofia a réussi à faire ce que
les autres bâtiments n'avaient pu faire. Elle a pénétré de vive force
à travers la glace et l'on a pu atteindre la côte. Après un débarquement
préalable, la Sofia a jeté l'ancre, le 4 septembre, dans un port qui,
d'après Nordenskjôld, est uq des meilleurs de la côte suédoise et au-
quel il a donné le nom de port du Roi-Oscar IL Ce port est environ
au 66e degré do latitude. On y a trouvé, outre de fraîches traces d'Es-
quimaux qui s'étaient probablement retirés à l'approche du navire, des
vestiges indiquant avec certitude que cet endroit avait été habité
autrefois, sinon d'une manière permanente, du moins de temps à au-
tre par des Normands. On y a trouvé aussi une plante, le Potentilla an-
serina, qui est fréquente en Scandinavie, mais que dans le Groenland,
ou ne rencontre qu'à proximité des établissements européens.
Une tentative d'aller un peu plus au Nord, où Ton suppose qu'il
existe près du cap Dan une population assez nombreuse, n'a pas réussi,
et l'épuisement des provisions de charbon a contraint le baron Nor-
denskjôld à se diriger vers l'Islande, où il est arrivé, le 9 septembre, à
Heikjavik.
La prévision de Nordenskjôld, que l'on rencontrerait sur la côte sud-
est du Groenland le pays des anciens Normands, n'a donc point été
▼ériflée par cette expédition. Il est, en outre, regrettable que la retraite
des Esquimaux n'ait pas permis de recueillir des renseignements plus
étendus. Toutefois, le débarquement heureusement opéré sur cette
côte et surtout le premier succès de la tentative de pénétrer dans les
masses de glaces du Groenland assurent à cette expédition une page
glorieuse dans les annales arctiques.
708 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
Russie. — On lit dans le Journal de Saint-Pétersbourg :
t La Société de géographie a tenu le U novembre une séance géné-
rale à laquelle ont assisté les deux voyageurs français arrivés récem-
ment à Saint-Pétersbourg, MM. le comte de Mail 1 7 et le baron Mécfain.
t Ce dernier a rendu compte, en français, du grand voyage que lui et
son compagnon ont fait à travers l'Asie centale. Les deux voyageurs
sont arrivés en Russie venant de Kfaiva par Merv.
« Ainsi que le constate Y Invalide russe, le baron Méchin a pn se con-
vaincre de la fausseté du bruit d'après lequel il existerait encore à
Merv des milliers d'esclaves. L'esclavage y est aboli, grâce aux efforts
des autorités russes.
« Le baron Méchin a terminé son récit par quelques mots sur le voyage
que lui et le comte de Mailly ont fait à travers le Japon, la Chine, la
Mongolie et la Dijoungarie. •
Portugal. — On lit dans le Jornal do Commereio, do S novembre
dernier :
« Le nouveau ministre de la marine et des colonies vient de charger
deux de nos officiers de marine, MM. Hermenegildo Capello et Robert
Ivens d'une nouvelle expédition scientifique dans notre possession
d'Angola, et notamment de l'achèvement de la carte topographique de
cette vaste possession pour l'établissement de laquelle ces mêmes
voyageurs ont fourni déjà des éléments des plus appréciables par les
observations recueillies dans le cours de leur premier voyage d'expto- ;
ration au fleuve Gunène. !
« Les explorateurs partiront, à ce que l'on assure, par le paquebot |
de la malle portugaise du mois prochain ; non sans avoir pris part, de
même que leur collègue, le major Serpa Pinto, auquel sa traversée hé-
roïque du continent africain valut naguère la médaille d'or de la Société
de géographie de Londres, à la protestation vigoureuse que prépare
notre Société de géographie contre les calomnies récentes de Stanley
à l'égard de notre domination au Zaïre, et les menées continuelles
dont notre souveraineté dans ces parages est l'objet •
« On ne parle pas plus du traité avec l'Angleterre que sll n'en avait
jamais été question.
« En parlera-t-on davantage dans la suite? Il ne manque pas de gens
qui commencent à en douter, et l'opinion publique tend de pins es
plus chaque jour à se prononcer même pour l'abandon des négocia-
tions et l'occupation pure et simple des territoires qui nous appar-
tiennent, quoi que Ton en dise et quoi qu'en puissent prétendre seu-
lement ceux qui ont un intérêt à voir se maintenir an Congo le régis»
d'anarchie complète qui y fleurit actuellement.
AFRIQUE. 709
■ La Société de géographie de Lisbonne a décidé d'adresser aux So-
ciétés de géographie de l'étranger une circulaire pour protester contre
la lettre si offensante envers le Portugal, de M. Stanley. »
ASIE.
Le canal maritime an Palestine. — Les Anglais n'abandonnent pas
leor projet de relier la mer Morte à la Méditerranée et à la mer Rouge
par un canal maritime. Le samedi 20 octobre, uno expédition patronnée
par le Comité d'exploration de la Palestine a qnitté Londres pour
l'Orient, yole du Caire et de Suez, dans le but d'opérer une reconnais-
sance géologique du pays qoi s'étend de la mer Morte au golfe d'A-
feabah.
AFRIQUE.
Afrique orientale. — Sur les derniers travaux des explorateurs et
des missionnaires engagés en ce moment dans l'est de l'Afrique, un
rapport adressé an ministère des affaires étrangères par M. Ch. Lcdoolx,
consul de France a Zamibar, et communiqué à la Société de géogra-
phie, donne les renseignements suivants :
A la date de ce rapport (7 septembre 1883), M. 0. Revoil, chargé
d'une mission par le ministère de l'instruction publique et dont on
n'avait aucune nouvelle depuis quelque temps, — la mousson ayant
interrompu les relations de la côte çomali avec Zanzibar, — se trou-
vait à Gnélidi. Il y avait un mois qu'il avait quitté Magadoxo, y lais-
sant d'importantes collections qui allaient être transmises à Paris et
qui témoignent, écrit le consul, de la prodigieuse activité ainsi que du
zèle intelligent et dévoué de notre voyageur.
— De M. Giraud, enseigne de vaisseau, point de nouvelles, ce qni
n'est guère surprenant, la route qu'il suit se trouvant en dehors du
parcours des caravanes. Toutefois, le* consul s'est arrangé pour qu'il
soit transmis des nouvelles du jeune voyageur français, lorsqu'il pas-
sera à la station de Kakoma, ou à celle de Karéma, en supposant qu'il
touche à ces deux points, en revenant de Benguéla.
Dans un post-script um ajouté à sa lettre et daté du 8 septembre, le
consul annonce l'arrivée à Zanzibar du chef de la station française de
Condea, le capitaine Bloyet, qui se proposait d'adresser sous peu au
comité français de l'Association internationale africaine dont il relève,
un rapport sur son dernier voyage. Dans cette excursion, M. Bloyet était,
comme toujours, accompagné de sa courageuse femme qui l'assiste
710 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
dans 868 Ira? aux et dans la, formation de ses collections. Notre station-
naire continuait son œuvre de triangulation dans l'Ousagara et rOosi-
goua.
Le consul signale l'état prospère des missions françaises dont l'in-
fluence se fait déji sentir dans le voisinage. La coutume barbare des
sacrifices humains tend à disparaître là où s'établissent les mission-
naires; les sorciers, cette plaie de l'Afrique, commencent également a
perdre de leur crédit. Les indigènes finiront par comprendre que la sé-
cheresse, les épidémies et autres calamités ne sont pas dues au poa-
Toir occulte de tel ou tel individu et que c'est une cruauté de brûler
à petit feu celui que le sorcier désigne comme la cause du mal. Une
reine du pays a promis de faire cesser ces hideuses pratiques et d'en
châtier les auteurs; aussi, pour l'encourager dans ces bonnes disposi-
tions, notre consul lui a fait remettre en son nom, un bracelet d'or
avec d'autres présents.
Au nombre des missions dont nous parlons, M. Ledotihc cite surtout
Ifrogoro, qui promet de devenir lieu de passage pour les caravanes;
des transactions importantes s'y nooent déjà, et la civilisation 7 pénè-
tre peu à peu.
Parmi les explorateurs de nationalité étrangère, le rapport mentionne
en première ligne le docteur Fischer, revenu à Zanzibar depuis quel-
ques jours, après avoir accompli un important voyage dont les résul-
tats sont, parait-il, des plus précieux. Les observations recueillies par le
voyageur allemand vont amener des corrections nombreuses sur les
cartes ; il a signalé maintes erreurs à notre consul, qui s'est entretenn
avec lui et qui ajoute que M. Fischer rapporte, en fait de collections, des
sujets et des essences inconnus jusqu'à ce jour et qui vont enrichir les
sciences naturelles. La Société de géographie de Berlin doit publier la
relation de ce voyage, laquelle sans doute sera traduite en français.
Quant à M. Thomson, géologue anglais, qui suivait à peu près la
même voie, celle du Killimandjaro, il se trouvait, aux dernières nou-
velles, à Wandarobp, ayant éprouvé des difficultés, comme le précé-
dent voyageur, à cause de la terreur qu'inspire la tribu féroce et an-
thropophage des Massaï.
M. Stanley au Congo. — Les affaires de M. Stanley ne semblent pas
en bonne voie au Gongo.
D'après une lettre adressée à la Gazette de Bons, par un officier
belge, membre de l'Association africaine, en ce moment au Congo,
Stanley serait devenu insupportable. Il n'agit pas en voyageur, mail
en roi. Il prend ce dernier rôle très au sérieux et impose durement se*
volontés à tout son entourage.
AMÉRIQUE. , 711
»
Quand on ne partage pas complètement sa façon de yoir, il se ré-
volte, entre en colère et prononce parfois des paroles grossières peu
agréables à entendre et encore moins à supporter. Il a, comme toutes
les personnes Tires, des retours sur lui-même et essaie d'effacer alors
par mille paroles aimables le mal qu'il Tient de faire.
L'officier belge considère Stanley comme un Téritable casse-cou. Il
est craint par tous les petits princes et roitelets africains dont les tri-
bas bordent le Congo. Son effroyable passage à coups de fusils à tra-
vers les contrées centrales du continent noir leur est connu, et ils
redoutent une nouTelle boucherie en cas de résistance de leur part.
Ils se soumettent donc, envoient des présents à Stanley et, quittant
leurs palais de planches et de terre, vlenneut lui rendre hommage et
lui servir d'état-major.
A en croire l'officier belge, Stanley, il y a quelques mois, roulait,
à la tête des tribus amies, se ruer sur le territoire qu'un traité a lié à
la France par l'entremise de M. de Brazza. Un ordre impératif du roi
des Belges a serti de douche au bouillant Américain ; mais ses velléités
reviendront, et, avec l'amour que Stanley possède pour les aventures,
on doit s'attendre sous peu à quelque grare conflit qui mettra la France
aux prises avec l'Association africaine internationale. Bref, notre offi-
cier, homme de grand bon sens, trouve que le hardi explorateur n'a
pas les qualités requises pour coloniser les contrées où son autorité
est aujourd'hui reconnue. Il est plutôt un homme de guerre qu'un pa-
cificateur chargé d'une haute mission civilisatrice.
Sons Terrons bien si les événements justifieront cette conclusion
de l'officier.
AMERIQUE.
Découverte d'un nouveau fleuve dans l'Alaska. — On écrit de San-
Prancisco, 10 octobre : Le lieutenant Stoney, qui se trouvait à bord du
contre le Corwin, lorsqu'il fit son dernier voyage dans le but de distri-
buer aux Indiens Tcberchee, de l'Alaska, des présents pour une va-
leur de 12,500 fr. que leur envoyait le gouvernement en récompense
de l'hospitalité complète, abri et vibres, qu'ils donnèrent aux officiers
elà l'équipage du steamer Rodgers, brûlé en 1881, rapporte la décou-
verte d'un fleuve immense jusqu'ici iu connu aux géographes. Les In-
diens en avaient parlé vaguement à d'autres explorateurs, et Stoney,
étant dans l'obligation d'attendre le retour du convoi, se décida à s'as-
surer par lui-même de la vérité. Accompagné d'un de ses suivants, et
d'an interprète, il partit de Hoiham-inlet et gagna l'intérieur en pre-
nant la direction sud-ouest, et bientôt» en effet, il se trouva en présence
712 NOUVELLES GÊ0GRAPHIQUB8.
de ce qu'il pensait être la rivière mystérieuse. Il la suivit Jusqu'à aou
emlxMichore, une distance de quinze milles, et là il vit devant loi le
spectacle d'immenses bois flottants, qui le firent arriver à la conclusion
que ce cours d'eau derait être immense aussi. Il revint donc sur ses
pas, Jusqu'à une distance de cinquante milles, et fit la rencontre d'in-
digènes, qui lui dirent qu'il loi faudrait plusieurs mois pour atteindre
la source du fleuve inconnu. Les Indiens ajoutèrent qu eux-mêmes
l'avaient descendu à une distance de 1(S00 milles afin de rencontrer
des trafleants en fourrures, et que la rivière allait encore beaucoup
plus loin. N'ayant pas le temps de poursuivre son exploration, Stooey
revint. Il partage l'opinion de ceux qui, comme lui, étaient à bord du
Corwin et qui lui ont fourni les premiers renseignements, que la dé-
couverte de cette rivière explique l'existence de cette masse énorme
de bois flottants dans la mer Arctique, et que généralement on croyait
provenir de la rivière Yukon. Les Indiens dirent encore an lieutenant
Stoney que dans certains endroits le fleuve acquiert une largeur de
20 milles. Il se trouve dans le cercle arctique, et pourtant, au mois
d'août, alors que Stoney se trouvait dans ces parages, il y vit des fleurs
et une végétation comme Jamais il n'en avait rencontré sous une lati-
tude aussi élevée. (l'Exploration.)
Recensement de 1881 an Canada. — La population du Canada, en
1881, se répartit ainsi qu'il suit, entre les diverses nationalités: Afri-
cains, 21,394; Chinois, 4,383; Hollandais, 30,412; Anglais, 881,301;
Français, 1,298,929; Allemands, 255,319; habitants des terres polaires,
1,009; Indiens, 108,547 irlandais, 957,403; Italiens, 1,849; J arts, 667,
Russes, 1,227; Scandinaves. 1,214; Écossais, 4,586; Espagnols et
Portugais, 1,172; Suisses, 4,588.
Le canal maritime de la Floride. — Nous avons déjà dit un mot de
ce projet dans notre avant-dernier Bulletin (')• D'après nne dépêche
de New-York, le comité de direction aapprouvé le rapport de M.Stone,
ingénieur en chef, qui estime que le canal ayant 137 milles et demi de
long et assez de largeur pour permettre le passage de deux navires
de front, coûtera 46 millions de dollars (230 millions de francs). En pas-
sant par le canal, les navires gagneront 412 milles sur la route actuelle
entre Liverpool et la Nouvelle-Orléans.
L'expédition Crevaux. — M. Thouar, l'explorateur français qui
poursuit avec un calme persévérant la recherche des restes du docteur
(') Voir La Guerre aux Uthms$, p. 1 19.
OCÉANIE. 713
Crevaox et ses compagnons, vient d'adresser à la Société de géo-
graphie une lettre sur les progrès de sa mi6sion. Cette lettre est datée
e Gaïsa, dans le Grand-Chaco boréal, le 1er août 1883.
Arrivé à Cafta le 21 juillet, après 12 jours de marche à travers les
derniers contreforts des Andes, il avait parcouru les environs de cette
localité et recueilli des indigènes l'information que deux prisonniers
de r expédition du docteur Crevaux devaient être retenus chez les To-
bas du Rio-Abajo ou chez les Chorotis. Ces deux prisonniers seraient,
à n'en pas douter, le timonier Haurat, de la marine française, et l'Ar-
gentin Blanco, que M. Thouar avait envoyé à la recherche de Tinter-
prêté du docteur Crevaux.
D'autre part, il avait fait dire à Peloko, capitaine des Tobas, qu'il
eût à lui remettre les prisonniers et tout ce qui avait appartenu aox
explorateurs. Les Tobas, informés par des espions, paraissaient dis-
posés à accorder ce qui leur était demandé.
Le jeune voyageur avait recueilli les objets suivants appartenant à la
mission Crevaux: un baromètre Fortin; la dernière note du docteur
Crevaux, écrite au crayon et datée d'Irna, le 19 avril 1882, elle por-
tait : « Entregar a la mission de San Francisco mi grande mula mar-
cada B. C. (Remettre à la mission de San-Francisco ma grande mule
marquée B. C.) ». Enfin, un croquis du cours duPilcomayo à TAsuncion,
tracé au crayon et annoté par M. Billet, qui fixait la distance de Macha-
reti <I9°49' lat. sud) à 26 milles de San-Francisco.
If. Thouar devait, du 6 au 10 août, partir pour Téjo pour y continuer
%es recherches. De là, il traverserait sur la rive gauche du Pilcomayo
tout le Chaco boréal, pour être de retour i l'Asuncion vers le 15 sep-
tembre.
OCÉANIE.
Modifications apportées aux rivages du détroit de la Sonde par
le tremblement de terre de Batavia. — D'après les dépêches que
Ton a reçues de Batavia, c'est surtout le détroit de la Sonde, l'impor-
tant passage qui sépare nie de Java de celle 'de Sumatra, qoi a été
bouleversé par l'éruption volcanique qui a eu lieu le 27 août dernier.
Le détroit est considéré maintenant comme innavigable ; plusieurs
lies ont disparu, des Ilots ont surgi du fond de la mer, et la configura-
tion de la cOte du côté de Java est complètement modifiée. La ville
d'Anjer, quf est sur une lie au milieu du détroit, est détruite; Telok-
Betong et Tjeringen, sur la cote de Sumatra, ne présentent qu'un
monceau de ruines. On ne compte pas moins de quatorze nouveaux
Ilots; file de Krakatoa, qui est située à peu de distance de la ville de
714 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
Bantam, et son volcan le Krakatoa ont disparu. Le sinistre a été
compagne d'un ras de marée : une lame de vingt i trente mètres de
hauteur a envahi tonte la côte de Mérak. (Voir la carte.)
D'autre part, des marées extraordinaires sont signalées depuis le
27 août sur les côtes américaines de l'Océan Pacifique, à la suite du
tremblement de terre de Batavia.
Depuis quelques mois, le volcan de Krakatoa était en pleine éruption,
mais on présume que c'est le ras de marée qui a fait le plus de victi-
mes. L'Ile de Krakatoa a sept milles de long sur cinq de large ; elle se
trouve au nord du grand chenal, celui que suivent les bâtiments pour
aller à Batavia, aux Philippines et aux mers de Chine.
Le détroit de la Sonde, qui réunit lés mers de Chine à l'Océan Indien,
a environ cent milles de long et vingt milles de large à sa partie la
plus étroite. La route que suivent d'ordinaire les bâtiments est sur la
côte de Java, précisément celle qui a été la plus bouleversée.
Quelques-uns des volcans de Java ont des altitudes de trois à quatre
mille métrés; certaines éruptions ont causé d'immenses désastres, en-
tre autres celle de 1772, où quarante villages et trois mille personnes
ont disparu dans une nuit; celle de 1882, où le Galumgong a tout
détruit dans un rayon de vingt milles.
Cette fois, le nombre des victimes a été d'abord évalué à soixante»
dix mille, dont huit cents Européens. On verra plus loin ce qu'il en
est exactement.
Le gouvernement hollandais a eu la précaution de télégraphier dans
tous les ports du monde pour avertir les marins d'éviter provisoirement
ce passage, dont il faudra dresser de nouvelles cartes; mais on craint
que bien des navires, en mer à cette époque, soient exposés à se per-
dre sur ces dangers inconnus.
Lors d'une récente communication faite à la Société de gégographle
de France, M. Brau de Saint-Fol-Lias a rapporté des détails suivants (') :
« Comme cela arrive toujours en pareil cas, a dit le savant voyageur,
on a naturellement exagéré d'abord le nombre des victimes de la ca-
tastrophe, donnant tout de suite des chiffres au hasard. La vérité est
asses effroyable et je puis apporter ici un chiffre certain, le tenant de
S. Exe. le ministre des colonies de Hollande, que J'ai eu l'honneur de voir
II y a quatre ou cinq jours: 15,000 morts ont déjà été officiellement
constatées; mais les indigènes n'ayant point d'état civil, on ne sanra
jamais an juste le nombre de ceux qui ont disparu. Les détails curieux
et émouvants abondent déjà 6ur le désastre de Rakat*. Chacun àa
mille témoins voisins ou éloignés apporte sa page à l'histoire de ce ter-
(ft) Voir »• 696 du tt septembre 18S3, p. S30.
OCÉANIB. 715
riole phénomène. Le petit Tapeur du résident de Telok-Betoung, sta-
tionnant dans le port, a été retrouvé dans l'Intérieur des terres à plu-
sieurs kilomètres delà mer. La grande vague produite par l'effondrement
de File avait, dans le port de Batavia, m'a dit nn témoin oculaire, an
moins 5 mètres de haut. Un navire, portant des coolies dans les Lam-
pongs après le sinistre, et qui a sans doute rencontré le premier la
grande muraille de pierre ponce, a dû retourner à Java avec ses pas-
sagers. Le capitaine d'un autre navire qui traversait le détroit à cette
même date, a raconté qu'il s'est trouvé un moment dans un tel en-
combrement de corps humains surnageant à la surface des flots, que
la marche de son bateau a été ralentie: il traversait un banc de ca-
davres. »
M. de Lesseps a informé l'Académie des sciences (séance du 26 no-
vembre) que l'onde marine produite par le tremblement de terre de
Java s'est propagée du Pacifique dans l'Atlantique en contournant le
cap de Bonne-Espérance et elle n'a demandé que trente heures pour
sa propagation Jusqu'au marégraphe de Colon. Chose remarquable, Pa-
nama qui est sur le Pacifique n'a rien éprouvé de pareil et on doit l'at-
tribuer au barrage des lies océaniennes qui oot amorti le mouvement..
De son côté, M. Bouquet de la Grye a constaté l'arrivée de la même
onde au marégraphe de Rochefort quarante heures environ après le
phénomène, avec une propagation de 305 milles à l'heure.
CHillot.
Missions scientifiques, — Deux missions Tiennent d'être confiées à
MM. Henri de Vésine-Larue, ingénieur des arts et manufactures, et Mau-
rice Guay, ingénieur civil, pour reprendre la mission scientifique qui
avait été confiée en 1879 i MH. Louis Wallon, Jules Guillaume et Charles
Conrret, qui a été si malheureusement interrompue, le 30 mars 1880,
par l'assassinat de MM. Wallon et Guillaume à Sumatra. Il s'agit de par-
courir la côte occidentale de ce dernier pays, explorer le lac Poutchout-
Laont, étudier les populations riveraines, et visiter Bang-Kok, en tra-
versant les provinces siamoises de la presqu'île de Malacca.
L'autre exploration a été confiée à M. Georges Granger, pour recueillir
les données les plus exactes sur l'agriculture, le commerce et l'indus-
trie de la Birmanie, et étudier les habitudes du peuple, pour renseigner
les négociants exportateurs français.
Les collections que rapporteront ces deux missions enrichiront nos
collections publiques.
CORRESPONDANCE
Les Mines de nickel en Nouvelle-Calédonie.
À M. J. F. Barbier, secrétaire général di la Société de géographie
de t'Est.
Nouméa, le 30 août 1883.
Grâce à l'obligeance de M. Caubry, ingénieur des liants fourneaux de
nickel à Nouméa, j'ai pu recueillir, pour vous les envoyer, quelques
notes sur l'industrie la plus importante en Nouvelle-Calédonie.
Le nickel fut découvert dans cette colonie par M. Garnier, en 1863
ou 1864, mais ne commença à être exploité qu'en 1873 on 18 74. Il
se trouve toujours à l'état de silicate, à nne profondeur qui ne dépasse
pas 60 ou 70 mètres, et se rencontre généralement snr la côte Bat.
principalement à Tcbio, Brindi, Canala, Koua, Honaîlou.
Il y a en Nouvelle-Calédonie plusieurs sociétés qui se sont formées
pour l'exploitation du nickel, mais il n'y en a encore qu'une seule qui
fonctionne; c'est la compagnie dite : « Le Nickel ».
Environ 10,000 hectares de terrain en tout ont été concédés; mail
700 à 800 hectares seulement sont en exploitation, sur la rive gaaehe
de la rivière de Tchio. — Les exploitations de Ganala et de Honalteu
sont suspendues momentanément.
Le minerai s'expédie par mer de Tchio à Nouméa. Yu le peu de pro-
fondeur de l'eau et l'absence de quais à Tchio, ce qui ne permet pas
aux navires d'approcher du rivage, on est obligé d'empaqueter le mi-
nerai dans des sacs du poids de 30 à 36 kilogrammes, ce qui aug-
mente considérablement les frais.
Les fourneaux ont S mètres de hauteur, 2m,50 de diamètre an ventre,
0n,70 de diamètre au creuset; leur cube intérieur est de 26 mètres.
Dans ces conditions, un fourneau traite, en 24 heures, de 20 à 22 ton-
nes de minerai, et produit environ 3 tonnes de fonte.
La seule difficulté, dans ce traitement, consiste dans la fusion; efie
est due à la grande quantité de laitier que produit le minerai.
Voici les quantités nécessaires pour produire nne tonne de fonte:
72 quintaux de minerai; 36 quintaux de castine; 3 tonnes de coke.
On ne fait qu'une seule fusion; puis la fonte de nickel ainsi pro-
duite est expédiée à Birmingham, pour y être affinée. Elle contient:
0,70 de nickel; 0,26 de fer; 0,04 de carbone, soufre, silicium, etc.
— Auparavant, on l'envoyait à Marseille; mais, ensuite, on a trouvé
plus économique de la faire affiner en Angleterre.
CORRESPONDANCE, 717
La température . requise pour fondre le minerai de nickel est la
même que pour le minerai de fer. — L'oxyde de nickel se réduit pins
facilement que l'oxyde de fer. — Le silicate de nickel est d'une cou-
leur vert cendré, pius ou moins foncé, suivant sa richesse. Le nickel
pur est blanc, plus mat que l'argent. Sa densité est 8,2.
L'usine possède deux hauts fourneaux : l'un marchant en nickel,
1T autre en cobalt. Ils sont en fonctionnement constant, depuis le mois
de juillet 1879.
Le nickel est un beau métal, susceptible d'une foule d'applications,
n'étant pas snjet à s'oxyder à l'air. On peut l'employer avantageuse-
ment aussi sous forme de bronze de nickel. Lorsque son exploitation
aura pris de plus grands développements et se sera perfectionnée, le
prix de ce métal pourra descendre au niveau de celui du cuivre.
Je viens de faire à pied, en Nouvelle-Calédonie, un voyage de
325 kilomètres, traversant l'Ile deux fois, dans le sens de sa largeur,
de La-Foa à Canala, et de Tchie à Bouloupari.
J'ai visité les mines de nickel à Tchio. Le tramway d'ascension
aboutit au centre même de la localité, sur la rive gauche de la rivière,
à 1 kilomètre de la mer. La première rampe, de 200 mètres de lon-
gueur, a une pente de 25 p. 100. Les rails sont en bois et la Yoie est
double; le wagonnet plein, en descendant, fait remonter le wagonnet
vide, au moyen d'une corde en fil de fer, et d'un frein placé en haut
de la rampe. — La deuxième rampe, sur une longueur d'un kilomètre,
n'a qu'une pente très faible : 0,01 par mètre. La voie est simple, et
les rails en fer. Le wagounet descend par son propre poids, et est re-
monté à traction d'homme. — La troisième rampe a environ 150 mè-
tres de longueur, et la quatrième environ 100; toutes deux sont ins-
tallées comme la première, et ont une pente de 66 p. 100. — Arrivé
là-haut, on a un fort beau point de vue : on a devant soi la petite
vallée parcourue par la rivière de Tchio, et parsemée de plantations
de cocotiers, abritant chacune un petit village canaque; la vue s'é-
tend au loin sur la mer, au delà de la seconde barrière de récifs. —
Les mines de nickel commencent a ce point. De là, part un tramvay à
voie unique, à rails en fer et à traction de chevaux; il a une étendue
de 2 myriamètres et dessert les différentes mines dont la moutagne
abonde.
Bouraï est, après le chef-lieu, le centre le plus important de l'Ile,
sur la côte ouest, à environ 180 kilomètres de Nouméa, par la route,
à 12 kilomètres de la mer, sur les bords de la rivière de Néra, et au
centre d'une plaine magnifique arrosée par de nombreux cours d'eau
qui se jettent dans la Néra. Je suis allé dans le cimetière de Bouraï,
voir la tombe de mon ancien camarade Charles Rochel, natif de Nancy,
■OC. D» OÉOOE. — 4" TRIMESTBB 1883. 46
718 CORRESPONDANCE.
sous-lieutenant d'infanterie de marine, qui fut lue pendant l'insurrec-
tion de 1878-1879, à environ 2 myriamètres plus au Nord. Cn espace
carré, de 2mt5 de côté, est entouré d'une grille. An centre, se trouve
une Borte d'obélisque en pierre, reposant sur un socle, sur lequel on
lit l'inscription suivante :
A
la mémoire
des siens
tombés au champ d'honneur
à
Moueara
le 5 janvier 1879.
Itochel, sous-lieutenant;
Hourie, caporal;
Decliavannes, soldat,
Baccareau, soldat.
Le régiment de marche d'infànterine de marine.
1881.
£n descendant vers le Sud-Est, de Boural à La-Foa, 57 kilomètres,
on laisse, à 2 kilomètres à sa droite, Téremba, qui se trouve sur le
bord de la mer. En continuant, à 6 ljt kilomètres avant d'arriver à La-
Foa, la route rectifiée, en descendant une colline, décrit de gauche à
droite un arc de cercle dont l'ancienne route serait la corde, longue
de 2 hectomètres. Sur le bord de l'ancienne route, à moitié de la
corde, on voit encore debout le tronc d'un arbre mort. Au pied même
de cet arbre furent massacrées une vingtaine de personnes qui cou-
raient se réfugier au blockhaus de Téremba, dont elles se trouvaient
encore à 11 s/i kilomètres.
Toujours se dirigeant sur Nouméa, on arrive à La-Foa; on traverse
le village européen qui se trouve sur la rive droite de la rivière La-
Foa, puis le village malabar sur la rive gauche, et, 2 kilomètres après
avoir passé le gué, on rencontre, sur le milieu même de la route, une
colonne en bois, quadrangulaire, peinte en noir et entourée d'une
palissade. C'est là qu'est tombé un autre Lorrain, natif de Ponapey.
Sur la colonne on lit en lettres blanches :
« À la mémoire du colonel Gai 1 y-Pas sebose, tué en ce lieu, le 3 juil-
let 1878. »
Le chemin est large de 2 mètres seulement, et est bordé de chaque
côté d'un fourré presque impénétrable. On venait de La-Foa. Le colonel
fut frappé, à la cuisse et au ventre, de deux balles tirées du fourré de
droite, et alla tomber une centaine de mètres plus loin, à la place
même où Ton voit la colonne. — On fit un feu roulant sur le bois, put»
CORRESPONDANCE. 719
on le fouilla; mais on n'y troim rien. — Lorsque l'insurrection fat
réprimée, on exhuma le corps du colonel, on le transporta i Nouméa,
et on Tinhuma en grande pompe an cimetière, lequel se trouve à
4 kilomètres au Nord de la ville. On y érigea un beau monument en
pierre : une colonne de forme tétraédrique, tronquée près du sommet,
reposant sur un socle et portant cette inscription : « A la mémoire du
colonel d'infanterie de marine Gally-Passebosc, commandant militaire
de la Nouvelle-Calédonie, tué à La-Foa, le 3 juillet 1878. »
En traversant Bouloupari, à 83 kilomètres de Nouméa, on voit, sur
la place publique même, deux tombes : dans Tune reposent le briga-
dier de gendarmerie et deux gendarmes, surpris pendant leur repas,
et sans armes. Le quatrième gendarme dut son salut à cette circonstance
qu'il était parti à la rencontre de son lieutenant. — Dans l'autre tombe
reposent : le chef du télégraphe, massacré à son poste; l'aide- télégra-
phiste, tué en voulant porter secours à son chef, et la femme de ce
dernier. — L'insurrection ne s'étendit pas plus an Sud.
On aperçoit, à peu de distance à l'Est de Bouloupari, le pic Ouit-
chambo, en forme de pain de sucre. C'est là que livrèrent bataille aux
Canaques révoltés les Canaques des tribus de Canala, accourus à
notre aide sous le commandement d'un lieutenant de vaisseau, dont
j'oublie le nom en ce moment. Nos alliés n'eurent qu'un homme de
tué, et leur chef militaire canaque blessé grièvement à la tête. Le
chef Atal, promoteur de l'insurrection, tomba blessé, et eut la tête
coupée.
Le gouverneur actuel, M. Pallu, capitaine de vaisseau, fait person-
nellement les plus grands efforts pour améliorer cette colonie, on,
pour parler pin? exactement, pour la créer, car, avant son arrivée, tout
était à faire ici. Il n'y avait pas de routes, mais seulement deux ou trois
mauvais chemins et des sentiers canaques. La belle route qui doit
relier Nouméa à Bouloupari sera complètement terminée pour le 1er fé-
vrier prochain, sans parler de plusieurs autres tronçons. La-Foa vient
d'être reliée à Canala par une roule muletière de 45 kilomètres qui
traverse la chaîne centrale, et une antre ronte muletière de Boulou-
pari à Tchio, 50 kilomètres, est déjà construite sur une longueur de
38 kilomètres. — Enûn, les rivières de la côte ouest, la Tontouta et
TOuenghi, très dangereuses à traverser après deux ou trois jours de
pluie, peuvent, depuis deux mois, être passées en bac en tout temps.
J. à. Lbuoine.
720 CORRESPONDANCE.
A M. J. F. Barbier, secrétaire général de la Société
de géographie de tBst.
Oran, le 18 octobre 1883.
Très cber collègue,
Je trouve daus un vieux livre intitulé :
Description de totas las provincias, Reynos, Estudos y ciudaies
principales del mindo, facada de las reladones Toscanas de Juan Bo-
léro Benes;
Por fr. Jayme Rebullosa, de la orden de Predicatores. Gerona : pur
Jayme Bro impr essor, y libero en la calle de las Balleslerias, aniw
1748.
Cet ouvrage a été publié, en 1602, comme le prouve l'autorisation
donnée par les M. RR. PP. Fr. Thomas Roca, maestro, y fr. Benito Tor-
rente Presentado en santa Caterina de Barcelona, à 27 de noviembre
de 1602.
Je copie le texte.
LORENA (')
Los Historiadores francesses llaman Austrasia, al pais que cae entre
el Rin, y la Mosa, como tambien Neusiria, al que est à entre la Mosa,
y la Sena. A la Austrasia mudôle nombre el Ëmperador Lotbario, por
io que se llamana basta oy Lbotharingia aquella parte de Austrasia,
que pertenece à la casa de Lorena. Los lindes des ta, son cas! la Sara,
y la Mosa (si se cueuta cl eslrado de fiarlcduk, que es dcl mismo
Duque) de mucbo : confina con Luzemburgo, Treveris, Alsacia, Bor-
gona, y campaûa. Estiendese desde Astene, que esta sobre la Mosa,
basta Darne, por espacio de largas quatro jornadas; y de Barieduk
hasta Biba, tres. Tiene très obispos, Metz, Verdun, y Tulde, de Sos
quai es los dos posteros tienen oy presidio Loreno. Metz es de!
bando contrario Los Pueblos grandes fon Nanci, cabeza del Ducado
de Lorena : Barieduk, cabesa de otro estudo san Nicolo, Espinal.
Lnnevilla, Pontamusson, y ostras varias Poblaciones de tota qua-
lidad, las quales ltazen cuerpo de un estado, que se ha mant?nido,
y mantiene borosamente entre enemigos, y vezioos poderosissimos,
no menos con las armas, que con su cousejo, y bien regïmiento.
Abunda de graûos, vinos, carnes, sal. Renta 500 mil escudos de eo-
trada à su seôor, de los qualos 200 mil se facan de seis satinas im-
portantes, y el resto, de los bosques, aguas, granos, prados, minas de
plata, y olras cosas semejantes sin agruviar en cosa alguna à los vas-
sal los. En Nanci tienen los Duques, sa corte la quai fortiflearon, y en-
gradicieron muchissimo el ano de 1587. Porque recelandoze aqod
(') Voir la traduction aux Miscellanées, p. G <2.
CORRESPONDANCE. 721
principe que les Alemanes (viendo que cod espantoro poder passavan
à Fraocia) uo le arruinassen el pais, gel estado; murô las arravales, y
enfrancho la cercla de Nanci, à Un de pover recoyer, y savar en ella
la mos que pudierse Barleduk. cabeza de otro Ducado, se divide en
alla, y baxa villa (hablando à lo Frances) en medio de las quales ay un
fon en Castillo.
Je vous expédie le texte pour ne rien changer à sa couleur origi-
nale.
Veuillez agréer l'assurance de ma considération la plus distinguée.
L. de Foulques,
Secrétaire général de la Société de géographie
et d'archéologie d'Oran, membre correspon-
dant do la 8«clét6 normande de géographie.
M. L. Grandeau, doyen de la Faculté des sciences de Nancy, a reçu
île M. Mathieu, professeur à Saint-Louis (Sénégal), différentes commu-
nications dont 11 a fait part à M. Debidour, président de la Société, pour
être publiées dans notre Bulletin. Ces documents, dont fait partie un
très beau plan de Saint-Louis, seront insérés dans le Bulletin dn 1er
trimestre de 1884, l'impression de celui-ci étant trop avancée an mo-
ment où ces documents nous parviennent, pour qu'ils aient pu y rece-
voir la place qui leur est due. Il nous suffira de dire qu'ils touchent
directement i nos intérêts coloniaux : c'est indiquer l'accueil qui leur
sera, fait par nos lecteurs. J. Y. B.
Par suite d'une convention avec la direction du Cosmos (l), nous
avons acquis la propriété d'un tirage spécial de huit gravures ayant
trait à Thistoire du Tunquin (Tong-king) au xvn* eiècle. Deux de ces
gravures accompagnent le présent fascicule ; les autres seront jointes
aux fascicules de 1884. Elles se rattachent toutes aux Voyages de Ta-
vernier, de 1650 à 1670, dans cette région, dont nous publierons les
parties les plus intéressantes au point de vue historique, descriptif et
épisodique. J. V. B.
0) Comoë-Uê-Hondes, Revue hebdomadaire des sciences et de l'Industrie. (Paris,
49, rue de Grenelle. — 80 fr. par an. )
BIBLIOGRAPHIE
Noos avons reçu le compte rendu du Congrès des Sociétés suisses de
géographie, tenu à Genève en 1882. Dans cette session, il a été accordé
une place importante à la physique du globe et à l'histoire naturelle.
Parmi les sujets traités, nous signalerons particulièrement les sui-
vants:
La Faune maritime du canal de Suez, par M. le Dr Keller.
V Importance des forêts eu égard à la quantité et à la distribution
des vaux, par M. Boutillicr de Reaumont, président.
la Grêle et ses relations avec les forêts et la configuration du sol,
d'après les observations faites en Argovie, par M. Riniker, forestier-
chef; avec carte.
La Formation corallienne dans les Océans, au point de vue géolo-
gique, par M. le Dr Studer.
Le Groupement des roches et des terrains, classification pétrogé-
nique, par M. le professeur Renevier.
Anciennes ail uv ions de l'Arve; son confluent préhistorique dans le
lac, puis dans le Rhône immédiatement en aval de la coltine gene-
voise, par M. le professeur Golladon.
Les Races de la Suisse au point de vue historique et juridique, par
M. le professeur Hornung.
Etc., etc. C. M.
Les Polynésiens, leur origine, leurs migrations, leur langage, par
le Dr A. Lesson, ancien médecin en chef des établissements français
de TOcéanie. Paris, 1880-1882 (3 vol. grand in-8°, Ernest Leroux,
éditeur).
Dans cet ouvrage, dont les trois premiers volumes ont successi-
vement paru en 1880, 1881 et 1882, M. A. Lesson s attache à combattre
et à réfuter les différentes hypothèses proposées pour expliquer le
peuplement de TOcéanie, la présence, dans des archipels épars sur un
espace qui comprend plus de 1,200 lieues en latitude et plus de
1,700 de l'Est à l'Ouest, d'une race d'hommes dont tous les caractères,
physiques, moraux et intellectuels, les coutumes, les croyances, les
traditions, dénotent la communauté d'origine. Compagnon de Dumont
d'Ur ville, M. A. Lesson a parcouru presque toute TOcéanie, de 1826 à
1829, sur T Astrolabe; en 1840, il visitait, sur le Pglade, les points
qu'il n'avait pas vus lors de ce premier voyage; de 1843 à 1850, il ré-
sidait aux lies Marquises et aux lies de la Société; médecin, naturaliste,
philologue, sa compétence pour traiter un pareil sujet est indiscutable.
BIBLIOGRAPHIE. 723
M.Lesson a surtout pour objet la réfutation de l'opinion, générale-
ment admise aujourd'hui, émise par Horatio Haie, développée et com-
plétée par M. de Quatrefages dans son bean livre : Les Polynésiens et
leurs migrations, publié en 1866. D'après cette hypothèse, des emi-
gronts partis originairement dune des lies du grand % archipel d'Asie,
Bouro, auraient d'abord fait halte à Savait, dans l'archipel Samoa (Iles
des Navigateurs) et de là, des colonies se seraient répandues de proche
en proche sur les lies orientales du Grand Océan. Une des dernières
migrations ne remonte peut être pas plus loin qu'au XVe siècle: partie
c'6 Rarotonga (dans l'archipel Hervé y, à 200 lieues de Tahiti), aurait co-
lonisé la Nouvelle-Zélande ; c'est ce qui ressort des traditions très ex-
plicites des naturels de cet archipel, les Maori, recueillies par l'un des
derniers gouverneurs anglais, sir Georges Grey.
Nous ne pouvons guère, faute d'espace, qu'indiquer les grandes li-
gnes de l'immense travail de M. À. Les son, dont l'analyse un peu dé-
taillée demanderait déjà un gros volume. D'après lui, les caractères
physiques, les coutumes, etc., des Malais doivent faire rejeter, d'une
manière absolue, l'origine asiatique des Polynésiens. La présence de
quelques mots de langage de ces derniers dans les vocabulaires de la
Malaisie s'expliquerait beaucoup mieux par des incursions polyné-
siennes qu'autrement. Si les légendes, sur lesquelles s'appuient, les
partisans de l'origine malaise, n'avaient pas été interprétées d'une
manière erronée sous l'influence, peut-être inconsciente, d'une idée
préconçue — sauvegarder quand même la tradition biblique et le mo-
nogénisme — on serait arrivé à des conclusions tout à fait différentes.
L'Ile Bouro n'a été regardée comme le premier point de départ des émi-
grants que par suite d'une ressemblance avec Bourotou, Poulotou,
MTbourotou, mots qui désignent, aux lies Tonga, Samoa et Fidji, une
sorte de Paradis où vont les âmes des morts, et dont la position géo-
graphique est assez indéterminée. 11 ne faut pas davantage voir dans
Savait (une des lies Samoa) la deuxième métropole des Polyuésiens ;
ce nom n'est qu'un souvenir du véritable « Hawalki » {Bavaïki, Haval,
Hawaii.... Savait, suivant les différents dialectes), le pays que les tra-
ditions de tous les Polynésiens indiquent comme le berceau de leurs
ancêtres, situé dans l'Ouest (du N.-O. au S.-O.) des lies qu'ils habitent
respectivement aujourd'hui.
Le régime des vents, l'histoire naturelle, la linguistique, les coutu-
mes, les croyances, les traditions, tout, en un mot, concorde pour
amener M. À. Lesson à placer le « Hawalki » dans Vite du Milieu de
l'archipel néo-zélandais. Par sa faune et sa flore toutes spéciales , la
Nouvelle-Zélande (et le continent auquel elle tenait très probablement
avant d'avoir été réduite à ses dimensions actuelles) était un centre de
724 BIBLIOGRAPHIE.
création qui a donné, aussi bien qu'à des animaux et à des végétaux,
naissance à nne espèce distincte d'hommes — M. A Lesson est poiy-
géniste — les Maori, à laquelle la place ne manquait pas pour se dé-
velopper, et dont les descendants ont occupé, de proche en proche,
les lies tropicales : loin d'avoir été peuplée la dernière, la Nouvelle-
Zélande aurait colonisé les autres archipels polynésiens. On s'est com-
plètement trompé sur Rarotonga; ce n'est pas l'Ile de ce nom, située à
500 lieues dans le N.-E. de la Nouvelle-Zélande, que visent les légen-
des Maori, mais une autre Rarotonga, Vile du Centré des cartes, si-
tuée à l'ouvert occidental du détroit de Foveaux qui sépare Vile du Mi-
lieu de l'île Stewart. Avec cette interprétation, des points obscurs des
légendes s'éclaircissent, des épisodes de la navigation des émlgrant*,
des détails topographiques inapplicable à une pelile lie îelle que Ra-
rotonga (de l'archipel Hervey) s'expliquent aisément. L'intercourse,
qui s'établit entre le point de départ et les nouvelles colonies de l'ite
du Nord de l'archipel néo-zélandais, la seule que visent les légendes —
et non tout l'archipel — quand elles parlent du point d'arrivée, se
comprend aussi facilement par la proximité avec ri le du Milieu. Snr les
contours de cette dernière, on retrouve toutes les localités citées dais
les légendes qui racontent les voyages des émigrants ; dans ses forets,
dans la mer qui baigne ses rivages, on reconnaît les arbres» les plan-
tes, les animaux, dont il est question dans ces chants, et qui manquent
aux lies tropicales. Pas de doute possible pour M. A. Lesson: le Ba-
waïki était dans Vile du Milieu de la Nouvelle-Zélande.
Le troisième vol o me finit ici; le quatrième exposera, sans doute, la
marche des migrations ultérieures; les trois premiers font vivement
désirer son apparition.
Il ne nous appartient pas déjuger le procès intenté par M. A. Lesson
à ses devanciers, de trancher des questions que les maîtres de la
science n'ont pas élucidées; pourtant, si un long séjour en Océanfe
peut nous autoriser à émettre timidement une opinion, il nous semble
que, si beaucoup des arguments de M. Lesson portent des coups très
sensibles, très rudes, à la théorie généralement admise, il y en a d'ao-
tres qui peuvent être retournés contre loi sans trop de peine. Ainsi
que nous l'écrivait M. de Quatrefages, à qui nous avions soumis nos
doutes, les perplexités de notre foi chancelante, y aura-t-il, par
exemple, beaucoup de zoologistes pour admettre que l'homme se soit
greffé immédiatement sur une création mammalogiqoe de deux e>p£-
ces, un rongeur et un carnassier (') [un rat et un chîenj, les senti
mammifères terrestres reconnus à la Nouvelle-Zélande ?
(') Il y a i ajouter deux chauves-eourii, ce qui, à vrai dire, ao change guéri U
question.
BIBLIOGRAPHIE. 725
Quoi qu'il en soit, qu'il ait tort ou raison, le livre de M. A.. Lesson,
qui témoigne d'un travail prodigieux, plein de faits de toute sorte,
sera un magnifique monument pour la bibliographie océanienne, et,
selon ce que nous écrivait réminent anthropoiogiste cité tout à l:heure :
m un des points de départ nécessaires pour toute étude sur les Poly-
nésiens ». Dans le cours de la discussion, loin de chercher à diminuer
la valeur des arguments invoqués par ses adversaires, M. Lesson fait,
an contraire, ressortir en pleine lumière tout ce qui peut être avanta-
geux à leurs hypothèses. Ajoutons — ce qu'on ne voit pas toujours
aujourd'hui dans certaines publications scientifiques qui semblent
Touloir adopter le ton de quelques feuilles quotidiennes — que Fau-
teur ne s'écarte jamais des règles de la courtoisie à regard de ceux
qui ne pensent pas comme lui.
Qu'il nous soit permis, en terminant, d'émettre un vœu : c'est que
M. À. Lesson complète son étude sur les Polynésiens par une étude
analogue sur les terres qu'ils habitent. Rechercher comment ces (erres
<>at été créées, comment elles ont été peuplées en animaux, comment
le tapis végétal s'y est formé, voilà des problêmes que sa science de
naturaliste, ses souvenirs de voyageur, l'autorisent plus que personne
a aborder )
Cherbourg, 21 novembre 1882. Jouai*.
De ta lecture des cartes étrangères, par Henri Mager (Paris, Auguste
Cfhio et Charles Bayle et C*°, 1883).
En attendant que rasage du monde scientifleo-géographique, bien
plutôt que les congrès, ait fixé l'orthographe des noms en toutes les
langues, des hommes de bonne volonté et d'une compétence assurée,
comme M. Henri Mager, entreprennent de jeter les bases de cet usage
pour lui permettre de se fixer au plus vite.
Le jury de Bar-le-Dac a eu à apprécier le livre de M. Mager et en a
reconnu le mérite et l'utilité malgré quelques critiques de détail.
Ainsi nous nous expliquons mal que la dernière syllabe de Boden et de
Posen en allemand se prononce exactement deun et teun, au lieu de
demi et zenn, plus bref et plus Juste, et que Baume se dise berilmé
(œil ayant d'ailleurs ici la valeur que nous lui donnons en français), au
lieu que la syllabe eut se rapprocherait davantage, croyons-nous, de la
vérité. Quelques lapsus typographiques comme dans la prononciation
de P/orzeim où il est mis pforicailme, sans doute pour p fort çail me, ail
ayant ici aussi la valeur que nous lui donnons en français dans le
substantif de ce mot et qu'il serait plus correct de traduire par at\ Ces
réserves faites, l'entreprise est louable, l'œuvre est bonne, très bonne
et nous la recommandons au public le cœur léger. J. Y. F.
726 BIBLIOGRAPHIE
Étude sur les orages dans le département de Meurthe-et-Moselle, par
M. G Millot, ancien officier de marine, chef des travaux météorolo-
giques de la Faculté de* sciences de Nancy (Nancy, Berger-Lerraalt
et Cie, 1884).
Nous ne roulons pas nous mettre en retard arec notre cher collègue.
La brochure dont nous parlons est, du reste, extraite du Bulletin de
1883 de la Société des sciences laquelle peut s'honorer d'avoir M. 30-
lot parmi ses membres.
Gomme tous les vrais savants, notre collègue ne s'empresse pas de
conclure, 11 a penr des solutions hâtives et il travaille constamment a
réunir, à accumuler les observations. La météorologie en est, du
reste, tout à ses débuts; cependant, on voit déjà se former les points
des lois futures dont la connaissance sera un bienfait pour ragrieni-
ture. C'est à leur découverte que vient aider Tœavre de M. Millet et
tout le monde, comme nous, l'en félicitera. J. Y. B.
La République du Paraguay, étude historique et statistique par Aug.
Meulmans, secrétaire de légation et consul généra] (Paris K. Dents;
Bruxelles, Jules Decq, 1884).
Notre honorable correspondant est mieux en situation qne personne
pour parler de ce pays. Aussi, dans ses 33 pages, cette brochure est-
elle à la fois une œuvre concrète et sérieuse, trop sommaire peut-être
an point de vne géographique, — ce qoi, au surplus, n'entrait pas
dans le cadre que s'est proposé l'auteur, — mais elle n'en est pai
moins indispensable à la bibliothèque dan géographe. J. V. B.
Nancy avant V histoire, par M. Bleicher (Nancy, Berger-Levraolt et tf\
1883).
Tout le monde connaît cet excellent, cet utile travail de notre cher
et honoré vice-président ; beaucoup l'ont entendu, car c'est le texte
de son discours de réception à l'Académie de Stanislas en 1882 et ex-
trait des Mémoires de notre docte compagnie. Nous y renverrons donc
le lecteur.
D'ailleurs, M. le Dr Bleicher nous a promis an travail pour la Société
de géographie de l'Est, et il n'est pas besoin de dire avec quelle sa-
tisfaction il sera accueilli aussi bien par les membres de la Société
que par notre Bulletin. J. Y. B.
La Question du Zaïre, suum cuique, lettre à M. Behaghel, par M. La*
ciano Cordeiro.
Cet opuscule eit une véhémente et judicieuse revendication <te
droits historiques du Portugal dans la question du Congo (Zaïrejl
CARTOGRAPHIE. 727
M. Cordeiro est un ardent patriote portugais et vraiment on ne peut
qu'applaudir, sans toujours les adopter, aux inspirations d'un pa-
triote. J. Y. B.
CARTOGRAPHIE
Grâce à l'application d'un procédé physico-chimique qu'il tient se-
cret, M. Mendoxa, ancien ministre du Portugal, transforme les cartes
planes en-cartes en relief. Il parait que le résultat est tout à fait sa-
tisfaisant ; dans ce cas, nul doute qu'il ne reçoive de nombreuses ap-
plications.
(Extrait du compte rendu de la séance du 10 décembre 1883 de
r Académie des sciences.)
Ans concernant la carte* de l'état-major.
En Terlu d'une récente circulaire de M. le Ministre de la guerre, la
réduction faite à divers services et sociétés sur les publications carto-
graphiques du Dépôt de la guerre est étendue au public à partir du
l«r jauvier 1884. En conséquence, le privilège dont jouissait la Société
de géographie de l'Est devient celui de tout le monde et, à ce titre, les
membres de la Société n'ont plus de raison de s'adresser à notre in-
termédiaire pour l'achat des cartes du ministère de la guerre. Ils de-
vront s'adresser directement à leur libraire.
Nous ne pouvons que féliciter M. le Ministre de cette résolution à la
quelle ne sont certainement pas étrangers les vœux des congrès de
géographie ni les efforts que notre Société a faits en vue de la vulga-
risation de la carte de l'état-major. J. Y. B.
NÉCROLOGIE
Il n'est pas an Français — vraiment patriote — qui n'ait été dou-
loureusement ému en appreuaut la mort presque subite d'Henri
Martin, décédé à Paris, le M décembre dernier, à l'âge de 73 ans. Cet
événement a affligé le pays tout entier. Mais il a été particulièrement
sensible à la Société de géograpbie de l'Est qui, depuis plusieurs an-
nées, avait l'honneur de compter notre historien national parmi ses
membres honoraires.
C'est en 1879, presque au début de notre œuvre, qu'Henri Uariii
donna ses premiers encouragements à nos travaux. Ceux qui ont en-
tendu l'allocution cordiale et vibrante qu'il adressait à cette époque i
la Société (réunie pour le fêter en même temps que M. de Lesseus),
n'oublieront pas l'entrain tout juvénile avec lequel il s'associait a nos
premiers succès et à nos espérances. Il voyait, comme nous, dans
l'étude passionnée de la géographie, intimement unie à celle de l'his-
toire, une des conditions morales de ce relèvement de la France qui
était l'idée fixe de sa généreuse vieillesse. Jamais, depuis ce moment
Jusqu'à ses derniers jours, Il ne cessa de s'intéresser à nos recher-
ches, à nos publications. Notre association savait qu'elle pouvait, es
toute circonstance, compter sur son dévouement. Aussi tient-elle à loi
adresser un suprême hommage en retraçant ici rapidement sa vie le
meilleur qu'elle puisse lui rendre doit, en effet, consister à dire sim-
plement et sans phrases ce que fut l'existence si bien remplie de «
noble écrivain et de ce citoyen sans reproche.
Henri Martin, né à Saint-Quentin, le 20 février 1810, n'avait que
20 ans quand il débuta, non sans succès, dans le monde littéraire par
des romans historiques. Dès l'enfance, il aimait ardemment, presque
religieusement la France, et non seulement celle qu'il voyait et qui ri-
vait de sa vie, mais aussi la France du passé et jusqu'à cette Gaule
sous le vieux sol de laquelle dorment depuis tant de siècles nos aïeni
oubliés. Celte pairie, toujours jeune et forte malgré bien des désastres
et des révolutions, ces générations mortes qui ont souffert pour noos
et dont nous sommes les héritiers, il entreprit, jeune encore, de les
ressusciter, de les faire parler et agir. Grâce à une puissance de tra-
vail vraiment extraordinaire, il avait, dès 1836, publié en 15 volonai
cette Histoire de France qui devait être son principal titre de gloire.
Malgré le succès qui accueillit ce bel ouvrage, il ne s'en dissimula pis
un instant les imperfections. A peine la première édition avait-elle va
le jour qu'il se remettait à l'œuvre, parcourant sans relâche le pays
NÉCROLOGIE. 729
pour Je mieux décrire, recueillant de toutes mains les documents ori-
gnaux, donnant aux diverses parties de son livre plus de cohésion,
plus de rigueur et de précision scientifique. On peut dire qu'il passa
sa vie à refondre et à corriger cette histoire. Trois fois il la modifia
ainsi presque de fond en comble. Lorsqu'il la présenta sous sa qua-
trième forme (en 1865), le public admira sacs réserve. Lui seul n'é-
tait pas satisfait de son œuvre et se proposait encore de l'améliorer.
En attendant, il la mettait à la portée de tous en la résumant sous
une forme populaire (1867) ; et il entreprenait de relier la France
d'avant 1780, qu'il avait seule racontée jusqu'alors, à la France d'au-
jourd'hui/ par la publication de cette Histoire contemporaine, si claire,
si loyale, si fortifiante, qu'il a eu juste le temps de terminer et qui a
été son testament.
L'amour du passé ne l'empêchait pas de s'attacher avec passion au
présent et de se préoccuper patrictiquement de l'avenir. Divers jour-
naux ou revues (le Siècle, le National, la Revue indépendante, la Li-
berté de penser, la Revue de Paris, etc.), le comptèrent parmi leurs
plus actifs collaborateurs. 11 trouvait encore le temps d'écrire diverses
études historiques et politiques, toutes pleines de cet enthousiasme
libérai et de cette spiritualité démocratique dont débordait son âme
vaillante et tendre: De la France, de son génie et de ses destinées
(1847) ; Daniel Manin (1859) ; l'Unité italienne et la France (1861);
Jean Reynaud (1863) ; Pologne et Moscovie il 803) ; la Russie et l'Eu-
rope (1866) ; Dieu dans l'histoire (1867), etc., etc.
Sa valeur d'esprit et son caractère l'avaient depuis longtemps rendu
populaire. Les plus hautes ambitions lui étaient permises. Mais Henri
Martin n'était pas de ceux qui recherchent les honneurs. Ils vinrent à
lui et il lui fallut bien les subir. L'Institut, après avoir tant de fois cou-
ronné ses ouvrages, l'admit dans son sein, comme membre de 1 Aca-
démie des sciences morales et politiques en 1871 et membre de l'Aca-
démie française en 1878. Nommé maire du 16f arrondissement de
Paris, après le 4 septembre 1870, il remplit ses délicates fonctions
dans les circonstances les plus douloureuses pour la patrie et fit admi-
rer son abnégation, son activité, son inébranlable dévouement à la
France, à la République et à la cause de l'ordre. Élu représentant du
peuple à l'Assemblée nationale par les deux départements de la Seine
et de l'Aisne (8 février 1871), il porta dans la vie politique un bon
sens et une fermeté qui lui valurent la sympathie de tous ses collè-
gues. Depuis 1876, il siégeait au Sénat. Très appliqué aux affaires, il
prenait rarement la parole en séance publique, mais exerçait — sans
le vouloir — une influence considérable, que justifiaient sa connais-
sance approfondie des intérêts de la France, son patriotisme éprouvé
730 NÉCROLOGIE.
et la droiture bien connue de son caractère. Gambetta souhaitait, pa-
rait-il, qu'il devint un Jour Président de la République. Pour loi, pins
modeste encore après la gloire acquise qu'aux Jours déjà lointains de
ses débuts, ce n'est pas en intrigues égoïstes qu'il usait sa persistante
vigueur d'esprit et de corps. Il ne songeait qu'à répandre autour de
lui l'ardeur philanthropique et vivifiante dont il était animé. Sans parler
des nombreuses sociétés savantes aux travaux desquelles il s'était as-
socié, il dirigeait comme président ceux de YOrphelinat de la Seins,
de la Société française pour l'enseignement élémentaire, etc., etc.
Tout récemment, la Ligne des patriotes l'avait pris pour son chef. Elle
n'eût pu faire un choix pins louable.
Toujours sur la brèche, toujours à la tâche, c'est en pleine activité,
en pleine lutte qu'Henri Martin vient d'être frappé. On peut dire qu'il
est mort debout, comme il avait vécu. L'heure du repos a maintenant
sonné pour lui. a. nous qui Pavons vu de près, à nous qu'il honorait
de sa bienveillance et de ses conseils, comme à tous ceux qui ont été
témoins de sa noble vieillesse, il laisse, en même temps qu'on souve-
nir vénéré, les plus virils et les plus fortifiants exemples. A ceux même
qui l'ont combattu il laisse des regrets ; car s'il a pu avoir, comme
historien, comme homme politique, des contradicteurs ou des adver-
saires, Il n'a jamais eu un seul ennemi. À. Debidocb.
L'explorateur autrichien, Jules Payer, qui avait pris part à plusieurs
expéditions au pôle Nord, est mort le 2 décembre 1883, ài'àgede
41 ans.
Depuis son retour de la Terre de François-Joseph, il avait établi sa
résidence à Munich, et se livrait à la peinture. A l'exposition des beaux-
arts qui a eu lieu l'été dernier dans cette ville, M. Payer a eu une
médaille d'or pour un tableau représentant • la On de l'expédition de
Franklin ».
Le professeur Mansueli, de l'Institut géographique de Florence, en
faisant l'ascension du mont Sainte -Catherine, dans la Valteline, est
tombé dans un précipice et y a trouvé la mort.
£. 9
ACTES DE LA SOCIETE
RAPPORT DE M. J.-Y. BARBIER
psésiDBsrr do jubt
DE i/EXPOSITION GÉOGRAPHIQUE DE BAJR-LH-DUC
Messieurs les Membres du Jury,
Permettez-moi de m'adresser à vous tout d'abord, car si jamais pré*
sident s'est dû montrer profondément honoré du choix que Ton avait
fait de lui pour remplir cette délicate et redoutable fonction, jamais
knon plus président n'a rencontré un pareil ensemble de compétences
spéciales pour les diverses catégories d'une exposition géographique
et surtout pareil ensemble de bienveillantes dispositions à faciliter sa
tâche.
El si j'insiste sur ce point, Messieurs les Jurés, ce n'est pas, je tiens
à le dire, pour accentner un éloge banal ; mais c'est parce que déjà
j'ai eu l'honneur de faire partie de jurys généraux et régionaux, et
certes, quelque expérience que j'aie acquise jusqu'ici, je le déclare,
vous m'avez largement aidé dans ma dangereuse mission, car c'est de
celles où l'on se fait plus d'ennemis que d'amis, et surtout jamais je
ne suis sorti plus convaincu de l'indépendance apportée dans vos déli-
bérations, de l'importance que vous avez attachée à votre rôle, de l'é-
quité profonde de vos arrêts.
Merci donc, Messieurs tes Membres du Jury, merci à vous surtout,
Messieurs les Présidents et Secrétaires des Commissions : vous avez
bien mérité de la Section meusienne de la Société de géographie de
l'Est.
Mesdames,. Messieurs,
Il y a deux ans qu'au congrès des Sociétés françaises de géographie
à Lyon, un éminent géographe, M. Lcvasseur, chargé de présenter an
nom du jury un aperçu préalable sur l'exposition géographique, dé*
butait en rappelant ce qui constitue les sources de la science géogra-
phique, c'est-à-dire les documents auxquels, en raison de leur incon-
testable autorité et des garanties uniques qu'ils offrent, tout géographe,
tout cartographe surtout, est obligé de recourir s'il veut faire œuvre
valable et sérieuse.
C'est d'autant moins ici le lieu d'en parler, que les grandes cartes
732 ACTES DE LA SOCIÉTÉ.
publiées par les ministères, que j'ai trouvées dans l'exposition générale
récente de Douai, ne sont représentées à celle-ci que par quelques
feuilles de la carte de France publiée par M. le Ministre de l'intérieur,
encore que ce soit dû uniquement au gracieux concours de M. Sailliet.
Et ceci m'amène, Messieurs, à tous parler de ceux qui, par la nature
de leur exposition et par le désintéressement de leur concours, ont
donné à votre exposition un attrait et un éclat peut-être inespérés qui,
du jour au lendemain, ont fait évanouir les craintes pessimistes des
mieux intentionnés, les appréhensions des hommes même qui se son! le
plus dévoués au succès de l'œuvre entreprise. Qu'il me soit permis donc,
sans revenir sur les remerciements qu'à l'ouverture de l'exposition
j'adressais à toutes les bonnes volontés qui se sont produites, de rap-
peler les noms de MM. Yériot et Dubrcuil, et de ces infatigables orga-
nisateurs dont les noms sont dans toutes les bouches, MM. Konarstf et
Maxc-Werly, tons ceux dont les belles et riches collections, et le con-
cours absolu, ont fait ce qu'elle est l'exposition que tous ont admirée
à l'cnvi.
Et la population si intelligente de Bar et du département de la Meuse
ne s'y est pas trompée, elle; elle qui, peut-être, et je ne lui en lais
pas un reproche, avait douté; elle qui est revenue si franchement à
résipiscence en venant en nombre, tous les jours, contempler votre
œuvre et vous dire par là : Messieurs les organisateurs, vous avez bien
mérité de l'opinion publique.
Quelque embarras que j'éprouve, Messieurs, à vous parler de la coo-
pération qup vous a donnée, par son exposition, la Société-mère, quel-
que part qu'il m'ait été donné d'y prendre en son nom, je ne saurais
la passer sous silence, tout simplement pour vous dire qu'elle a voulu
vous donner là un gage incontestable de sa solidarité et de ses encou-
ragements, et moi, d'un dévouement à toute épreuve.
Mais, si les ministères n'ont pas contribué d'une façon directe à l'é-
clat de votre exposition, il est de mon devoir de faire ressortir la libé-
ralité si grande avec laquelle M. le Ministre de l'instruction publique
et M. le Ministre de la guerre, le premier par une grande médaille d'or,
le second par le don véritablement royal d'une collection montée de
trente feuilles gravées sur cuivre de la carte de l'état-major, comme
prix, ont prouvé leur profonde sollicitude pour renseignement natio-
nal et patriotique de la géographie.
Et, Messieurs, puisque je suis sur ce sujet, c'est ici le lieu de vous
citer les nombreux donateurs qui ont permis à votre jury de pouvoir
largement récompenser tous les mérites.
Ce sont d'abord MM. les Sénateurs et Députés de la Meuse qui don-
nent divers ouvrages de prix, M. Bradfer père et Mn0 veuve Bradfer
EXPOSITIONS GÉOGRAPHIQUES. 733
chacun une médaille d'argent, et M. Paul Yarin une médaille de bronze.
Puis, c'est encore la Société-mère arec trois médailles de vermeil et
une d'argent, la Section Tosgienne avec deux médailles d'argent et trois
de bronze, la Société d'émulation des Vosges arec deux médailles d'ar-
gent, et l'Académie nationale manufacturière et commerciale arec une
médaille de Termeil, une d'argent et une de bronze sous une destina-
tion spéciale.
Ce sont enfin les instituteurs primaires de la Meuse qui ont voulu,
eux aussi, contribuer, au bénéfice de l'instituteur le plus méritant, à
prouver une fois de plus le zèle dont ils nous donnent d'ailleurs tant
d'autres témoignages.
J'aurai fini cette énumération quand j'aurai signalé le don de M. Den-
ncry pour primer les dix premières mentions honorables, et le nôtre
pour donner en prix d'bonneur.
Grâce à toutes ces libéralités, il n'est resté à la charge de la Section
meusienne elle-même que la dépense de quatre médailles de bronze,
sans préjudice de celle de vermeil et d'argent réservée i la Section
adjointe d'horticulture.
Dans un instant, MM. les rapporteurs des commissions vous diront
Ja répartition de toutes ces récompenses. Il me reste ici la double tâche
de vous exposer sommairement les opérations du jury et le résumé
d'ensemble de l'exposition, particulièrement dans les parties que le
jury d'ores et déjà devait placer hors concours.
On se représente difficilement, Messieurs, quand on n'est pas passé
par là, combien est délicate la mission d'un jury chargé d'examiner une
variété aussi complexe de travaux. Ici, malgré le caractère précis des
catégories établies par le règlement, le jury s'est vu dans la nécessité
d'élargir les compétences de certaines de ses commissions pour pouvoir
embrasser quelques travaux qui ne tenaient que de fort loin à ces ca-
tégories, ce qui n'a pas empêché qu'un travail a dû, dans l'une d'elles,
être laissé* en dehors de toute appréciation.
Le règlement établissait dans l'exposition cinq sections auxquelles
devaient correspondre, dans une organisation bien comprise du jury,
cinq commissions spéciales. Toutefois, tout ce qui n'était pas œuvre
personnelle, tout ce qui était exposé à titre de curiosité ou encore tout
ee qui figurait sous des noms d'auteurs autres que les exposants eux-
mêmes, ne pouvait, dans l'esprit du jury, être admis à concourir. C'est
pourquoi aucune commission ne fut affectée à la ln section qui com-
prenait les collections d'objets rares rapportés par des explorateurs
et des voyageurs ; le seul qui pût vraiment se recommander de ce titre,
le grand voyageur lorrain que nous pleurons tous, Crevaux n'étant
plus là pour recevoir le prix des luttes auxquelles il a succombé!
■oc. dm qûoqm. — 4* TKauunnM 1888. 47
734 ACTES DE LÀ SOCIÉTÉ.
C'est aussi par l'une des considérations précitées que furent écartés
de la 3e commission les éditeurs qni, par eux-mêmes, n'étaient pas
auteurs de cartes.
Cela n'a pas empêché qu'en des cas particuliers, deux commissions
ont dû s'entendre entre elles pour statuer sur certains travaux, et si
les auteurs ne se jugent pas (et il y en aura toujours) suffisamment
récompensés, ils ne devront s'en prendre qu'à eux-mêmes et au carac-
tère Incertain de leurs travaux. Et ceci est d'autant pins utile à dire
bien haut et à répéter sans cesse, si Ton ne veut pas que les exposi-
tions ne soient un Jour encombrées de productions de toutes sortes, il
n'est que temps d'écarter du concours ceux qui croient avoir fait
œuvre géographique quand ils ne sont que des copistes serviles ou des
compilateurs plus ou moins intelligents auxquels, tout au plus, pour-
rait-on laisser, dans une certaine mesure, le seul titre dont ils peuvent
se parer et qui fait leur excuse : celui de vulgarisateurs.
Ce n'est pas tout encore, Messieurs, il est des œuvres hors de pair,
comme celle, par exemple, du commandant Bureau. Non seulement par
sa nature, elle ne peut être comparée à aucune autre œuvre exposée,
mais encore, par le fait des capacités professionnelles de son auteur,
desquelles, en somme, elle n'est que le reflet, elle été au jury tout
moyen d'établir un coefficient de comparaison.
Autre chose est le beau plan de Bar-le-Duc, exposé par M. Comte-
Jacquet Ici, quels que soient les Justes éloges que le Jury puisse
adresser à l'exposant, il se trouve en présence d'une œuvre signée par
MM. Léon Perronne, Ouillemin et Comte-Jacquet. Devant tant de colla-
borations diverses, toute personnalité disparaît. Mais il restera du moins
à M. Comte-Jaquet l'honneur d'une publication dont quelques critiques
de détail ne sauraient atténuer l'incontestable mérite.
Autre chose enfin est la magnifique collection de photographies
envoyée par la Société des touristes du Dauphiné, laquelle n'a pas
peu contribué à l'attrait offert aux visiteurs. Là aussi, c'est une collec-
tivité d'un autre genre, là ce sont des collaborations multiples et im-
personnelles, bien qu'on y remarque la belle série des vues de la
Norwège de M. Gh. Rabot. Et nous sommes convaincus que la Société
exposante n'a pas voulu autre chose que faire connaître ses intéres-
sants et très utiles travaux. Aussi, avec le témoignage de notre admi-
ration et de nos plus vifs encouragements, nous sommes heureux de
lui adresser l'expression de notre gratitude.
Vous le voyez, Messieurs, la tâche n'était pas facile. Et pourtant c'est
peu en comparaison de ce qui va suivre. Kt c'est ici que se présente,
par son côté le plus redoutable, le plus gros de conséquences, la mis-
sion d'un Jury de géographie; car si, avant tout, il doit récompenser
EXPOSITIONS GÉOGRAPHIQUES. 735
une œuvre suivant sa valeur intrinsèque, lorsqu'il s'agit des travaux
personnels d'instituteurs ou- d'écoles, il faut tenir compte i la fois des
moyens, des milieux, de l'effort réel accompli, de la somme de travail
accumulée, et, ce qui est surtout le point capital, de la direction, de
l'esprit pédagogique des œuvres présentées. De plus, il faut bien se dire
ici que le devoir à remplir est double, et que s'il s'agit de décerner un
prix mérité, il ne s'agit pas moins d'encourager f effort Juste, bien
dirigé, alors même qu'il ne se traduirait pas par nne œuvre saillante,
en laissant de; côté au contraire impitoyablement ce qui ne se traduit
que par une exubérance plus ou moins considérable de travaux
bizarres, hétérogènes, et qui n'ont rien de commun avec une méthode
pédagogique sobre, bien comprise, encore moins avec des travaux
scientifiques de quelque valeur. •
Aussi, Messieurs, quelques instituteurs seront-ils bien étonnés, ayant
eu tel prix dans les expositions antérieures, soit pour eux, soit pour
leurs écoles, de n'avoir pas obtenu cette fois de récompenses au moins
équivalentes. Et c'est ici, soit dit en passant, le lieu de constater
combien* été heureuse l'inspiration du comité d'organisation de n'ad-
mettre que des œuvres nouvelles, car c'était le seul, le vrai moyen
de constater la marche en avant ou en arriére. Alors on voit tel insti-
tuteur qui: a grandi dans Be& œuvres personnelles et qui voit décroître
la valeur des travaux de son école, et l'on se demande si les progrès
qu'il réalise par lui-même ne sont pas au détriment de ceux de ses
élèves. On ne saurait poser cela en règle; car il en est chez lesquels
tout marche de pair, et l'on sait aussi que, souvent d'une année à
l'autre, la valeur moyenne intellectuelle des premiers sujets d'une
école peut varier; mais nous devons, sinon signaler ce fait, au moins
émettre ce doute pour qui! serve d'enseignement i ceux qu'il con-
cerne et qui le savent bien*
D'un autre côté, il y a tel instituteur qui, entreprenant un travail au-
dessns de ses moyens, ne tenant aucun compte des avis et des conseils
que nous lui avons prodigués nous-méme, persiste à se fourvoyer
dans des œuvres scientifiques sans valeur, parce qu'il néglige les
sources les plus A sa portée et dépense ainsi en pure perte pour lui et
pour son école «ne somme de travail, de réelle bonne volonté que l'on
ne saurait méconnaître, et cela par une présomption dont aucun jury
ne saurait jamais se faire le complice en l'encourageant.
11 y a tel autre, —et je vous demande pardon, Messieurs, d'insister,
sur ee point; mais je mets ici le doigt sans hésiter sur une plaie qu'il
faut guérir à tout prix, — il y a tel autre, dis-je, qui se prodigue en pro-
ductions multiples, où l'on trouve une somme de travail qui serait mieux
employée ailleurs qu'en des écrits sans but comme sans originalité.
736 ACTB8 DZ LA SOCIÉTÉ.
Et à ceux-là Je dis hautement et arec toute l'indépendance de
caractère que consacre ici le titre de président de jury; à ceux-là,
comme à tons ceux qui seraient tentés de les imiter, Je dis : Prenez
garde ! tous tous méprenez tout aussi bien sur le caractère dont tous
êtes reTêtus, sur la mission que tous avez à remplir, que sur la base
de Justice et d'intégrité sur laquelle s'appuie un Jury et qu'il ne saurait
abandonner sans perdre sa seule force et sa seule raison d'être. Nous
roulons tous récompenser : oui! Nous voulons tous encourager : oui I
Nous faisons plus, nous tous donnons un conseil suprême, à vous d'en
profiter; tant pis pour tous si tous n'en profitez pas.
Mais, Messieurs, assez sur ce côté pénible, ingrat, mais profondément
utile de notre mission. Je laisse à MM. les rapporteurs la tâche plus
agréable et moins ingrate de révéler les mérites réels et nombreux
que nous avons eu à récompenser en voie ascendante et non décrois-
sante sur les années dernières. Toutefois, Je tous dois, sur le chapitre
des récompenses, encore quelques explications.
En décernant l'un des deux grands prix ministériels qui, par leur
importance comme par leur caractère, ne pouvaient être donnés qu'à
un ensemble de travaux remarquables, le jury n'a pu admettre, par
cette raison, que le lauréat de ce prix obtint d'autres récompenses.
C'est pourquoi, tandis que tous Terres quelques instituteurs briller
diversement dans la 3e section : travaux personnels, cartes et plans;
dans la 4* : travaux scolaires, et dans la 5e : monographies du dépar-
tement et autres, M. Lemoine, qui a obtenu le prix de M. le Ministre
de la guerre, a eu cette récompense unique pour ses travaux dans la
3e et la 58 section.
J'aborde maintenant, Messieurs, la partie de l'exposition qui com-
prend les éditeurs; car si, pour leur bienveillant concours ('), pour les
efforts de publicité et de vulgarisation qu'ils font tous, à des degrés
divers, le Jury s'est cru en devoir de leur donner un diplôme bon
concours, il convient ici, en leur rendant une Justice qui leur est
due, de donner un aperçu sur les mérites des diverses publications
exposées.
Certes, on ne saurait trop louer M. Delagrave pour ses importantes
publications des travaux géographiques de toute nature de M. Levas-
sent pour les reliefs de MUea Kleinhans, pour ses musées industriels
scolaires, pour sa publication de la Revue de Géographie, son Diction-
naire historique et géographique, de Desobry et Vachelet, ses livres de
voyages, etc. ; MM. Hachette et Cs* pour la Gaule Romaine d'Ernest Desjar-
(*) Et Ici il contient d'adresser dos remerciement* k M. Oollot pour U part si
dévoue* qttll s prise à l'instolUtien de cette exposition.
EXPOSITIONS GÉOGRAPHIQUES. 737
dins, la Gaule an yp> siècle d'Auguste Longnon, la Géographie de Reclus,
les innombrables Guides- Joanne, la Carte hypsométrique du commandant
Prudent, etc.; M. Colin pour les publications de M. Foncin; MM. Ch. Bayle
et C1* pour leurs Cartes en cours d'impression et de publication, si
flnement gravées, si expressives de relief; enfin, MM. Fauve et Natbalan
pour leurs cartes noires en rouleaux. Mais comment ne pas s'insurger
contre des publications exhumées d'on ne sait quelle époque et que Ton
présente à la confiance du public, qui ignore, après en avoir impudem-
ment changé la date? Comment expliquer que, sur l'entête d'une carte
de France et de l'Europe centrale, signée Bruée, datée à nouveau de 1 881 ,
on retrouve encore cette dénomination de routes impériales et dépar-
tementales ? Comment trouve-t-on, sous de riches et très séduisantes
couvertures, des atlas dont les cartes expriment le relief avec ces
lignes fatidiques ombrées en chenille et qui ne sont que le mensonge
du relief réel? Comment enfin y a-t-il encore, parmi les globes exposés,
trois d'entre eux qui ne sont pas à jour des grandes découvertes de
Stanley et.de Brazza et cinq qui ne le sont pas du voyage de Nordenskjôld
quand il est si facile et si peu coûteux de le faire?
Aussi, doit-on souhaiter qu'à l'avenir ceux qui veulent acheter des
publications géographiques quelconques, se renseignent près des gens
compétents, et la Société de géographie de l'Est, dans tous les dépar-
tements où elle rayonne, compte assez d'hommes instruits à ce sujet
pour qu'on la consulte en connaissance de cause. C'est là le moyen le
plus direct et le plus efficace de réagir contre cette chose sans nom,
dont le public est la victime inconsciente ! Peut-être, d'ailleurs, trou-
verait-il un remède à ce mal en s'associant à nous autrement que par la
simple curiosité et en contribuant de ses deniers à nos travaux et aux
publications de la Société.
Du reste, Messieurs, il en est qui prêchent d'exemple, non seulement
en souscrivant comme membres de la Section meusienne, mais encore
qui ont souscrit à son exposition.
k ceux-là aussi je dis : merci, car sans eux rien n'eût été possible,
et la bonne volonté, l'énergie, la persévérance de son premier orga-
nisateur seraient venues s'échouer dans l'impuissance et dans l'oubli.
fit c'est ici que je nommerai celui que vous connaissez tous :
M. Claude Bonnabellc.
Monsieur,
Si le jury, comme vous le saurez dans un Instant, vous a décerné
l'un de ses plus hauts prix pour les travaux innombrables que Ton
doit à votre persévérante initiative, il s'est trouvé sans moyens pour
vous récompenser de cette œuvre capitale à laquelle vous tous êtes
738 ACTES DE LA SOCIÉTÉ.
voué corps et âme, dont tous êtes resté le pivot, quelle que soit
d'ailleurs la part si large de vos dévoués collaborateurs. Cette œuvra
est double maintenant : hier c'était la fondation de la Section meo-
sienne, aujourd'hui c'est cette exposition magistrale où renseignement
primaire surtout a puisé le stimulant le plus énergique, les plus
inoubliables, les plus efficaces encouragements.
Aussi le Jury, unanime dans cette pensée, dans une lettre que tons
ses membres présents ont signée et adressée i M. le Préfet, le prie
instamment de solliciter pour tous les palmes académiques (').
Quel que soit le résultat de cette démarche, Monsieur, soyez fier de
votre œuvre, et si l'heure des récompenses officielles tarde un peu à
sonner, vous avez pour vous ce que nul au monde ne saurait vous ôter,
ce que beaucoup recherchent sans pouvoir Jamais l'obtenir : la sanction
de 1 opinion publique.
Messieurs,
Voilà bien longtemps, trop longtemps sans doute au gré des lauréat»
que j'abuse de voire attention. Et pourtant, il est un dernier point qui
Je ne saurais passer sous silence, encore que, malgré ma bonne
volonté, je ne puisse me flatter d'avoir oublié personne.
A côté de Texposltion purement géographique, ethnographique et
scolaire, et pour contribuer au succès par un attrait de plus, une
exposition horticole a été organisée sur l'appel qui leur a été adressé,
par MM. Jeoffroy et Mèclin, horticulteurs à Bar-le-Duc.
Une commission annexe du jury a présenté un rapport sur cette
partie si intéressante, quoique latérale, de l'exposition, et je suis heu-
reux, tout en remerciant ces Messieurs de leur concours si désintéressé,
de leur décerner au nom du jury : i M. Geoffroy, une médaille de ver-
meil, et à M. Méclin, une médaille d'argent.
Et maintenant, Messieurs, que ma tâche est terminée, je unirai par
l'expression de ma vive gratitude, pour vous tous qui m'avez écouté
avec tant de bienveillance et en disant aux lauréats : Bon courage!
Vous voyez que nous sommes avec vous et que nos encouragements
et nos récompenses sont aux plus méritants ; mais bon courage aussi
à ceux qui sont restés en route ou ont succombé dans la lotte : pareille
fortune les attend s'ils persévèrent dans le travail, s'ils écoutent nos
conseils, s'ils se pénètrent surtout du sentiment de sympathie pro-
fonde et cordiale qu'au nom du jury tout entier je leur exprime do
fond du cœur.
Le Président du Jury,
J.-Y. fiAKMSft.
0 Voir «a potfVMfiptju», p, 75*,
COUP D'ŒIL D'ENSEMBLE
8UKLE8
EXPOSITIONS GÉOGRAPHIQUES
DE DOUAI ET DE BAR-LE-DUC
ET BESUHÉ DBS TRAVAUX
DES COMMISSIONS DO JURY DE CETTE DERNIÈRE
Si l'on n'envisageait l'exposition géographique de Bar-le-Duc qu'au
point de vue de l'importance numérique des travaux présentés, oh ne
saurait la comparer à celle de Douai qui avait lieu à la même époque,
celle-ci empruntant au concours des ministères et des Sociétés de
géographie une bonne partie du surcroît que lui assurait déjà retendue
du ressort académique, au chef-lieu duquel elle avait lieu, et les nom-
breux établissements d'enseignement primaire et secondaire qui en
relèvent. Aussi, entre les sept vastes dortoirs du Lycée de Douai, garnis
sur panneaux doubles, et les quatre salles, déjà grandes pourtant, de
l'école municipale du quai des Gravières, à Bar-le-Duc, la disproportion
s'exptique-t-elle tout naturellement ; mais certainement les efforts ont
été égaux et, en tenant compte des causes que je viens de citer, les
résultats peuvent largement aller de pair.
Aussi bien, est-ce pour moi une singulière bonne fortune de pouvoir
mettre en parallèle, de vitu, deux expositions organisées dans le môme
but, le développement de renseignement géographique, et placées dans
des conditions de milieux et de proportions si diverses ; mais cela rend
doublement délicate Ja tâche, assez ardue déjà, des rapprochements et
des comparaisons qui doivent faire ressortir les côtés caractéristiques
et utiles de ces exhibitions.
Je n'ai pu prendre part d'une façon directe, en ma qualité d'exposant
concourant, aux travaux du Jury de Douai, bien qu'on ait cru devoir
me confier le rapport sur les expositions des ministères et des éditeurs
qui, là, comme à Bar-le-Duc, ont été placés hors concours, tandis que
j'ai eu l'insigne honneur de présider Je jury de l'exposition meusienne.
En cette dernière qualité, je n'ai fait partie exclusivement d'aucune
740 ACTB8 DE La société.
commission tout en suivant les travaux de chacune d'elles ; de sorte
que, n'ayant aucune attache particulière, j'étais, dans fnn comme
dans l'autre cas, dans l'indépendance de situation la plus complète.
Malheureusement, l'absence de catalogue à l'exposition de Douai a
été une grande lacune et a rendu difficile l'examen complet de l'expo*
sillon, alors que- là, moins qu'ailleurs, nous n'avions pas de temps dis-
ponible pour la visiter. Aussi nos collègues de Douai ne m'en voudront-
il8 pas si Je ne puis, malgré ma bonne volonté, donner de leur expo-
sition, qu'une idée très incomplète ('). Bn revanche, pour se ressentir
d'une Impression un peu hâtive, le catalogue de l'exposition de Bar-
le-Duc, très exactement fait, ne pouvait que faciliter les recherches et
les observations.
Mais si ces diverses causes rendent un parallèle très difficile i éta-
blir, par contre il est bon nombre de caractères de similitude ou de
dissemblance suffisamment accusés pour fixer les idées.
J'ai dit qu'à Douai le nombre des établissements scolaires exposants
était de beaucoup plus nombreux, dans l'enseignement secondaire
surtout, qu'à Bar-le-Duc; mais dans cette dernière exposition les pians
en reliefs exécutés, soit par les maîtres, soit par les élèves, étaient en
quantité presque aussi considérable, une vingtaine environ, que dans la
première.
Dans les uns comme dans les autres, beaucoup de couleurs criantes
et couvrant quelques défauts d'exécution. Mais si nous avons pu
admirer les reliefs en blanc, gradués, de M. Mangin, instituteur de Go-
viller (Meurthe-et-Moselle), à l'exposition de Bar, celui de M. Marguin,
instituteur à fichallon (Ain), à celle de Douai, nous a paru fort remar-
quable aussi : tous deux les ont exécutés absolument dans le même
ordre d'idées, quoique celui de M. Marguin soit à plus grande échelle.
Qu'il me soit permis de dire en passant que si le relief doit être
apprécié quand il résume une grande perfection de travail et de pré-
cision, il doit l'être bien davantage quand il révèle une conception
bien nette du relief du sol et surtout une méthode pédagogique bien
comprise. Aussi le fini d'exécution ne doit-il pas préoccuper unique-
ment le Jury qui apprécie un travail de ce genre quand il émane d'un
instituteur.
A un autre point de vue, comme reliefs arrondis et coloriés, nous
pourrions établir un parallèle entre celui de M. Lemoine à Beauxée
(') Je Mil que Ton Avait désiré faire le catalogue avec l'indication des récom-
penses décernées par le jury; mais, en se dispersant aussitôt après, las membre* dm
congrès au moins, si tant est qne le catalogue ait pn être imprimé pour le public dea
derniers jours, n'ont pu du tout en profiter. Cest une intention louable qui a porté
à côté du but, voilà tout.
EXPOSITIONS GÉOGRAPHIQUES. 741*
(Meuse) et ceux de M. Loup, Instituteur à Belley (Ain). Quant à ceux de
IL Leclercq, nous les connaissons depuis 1880.
Mate un relief original et important figure à Douai, qui est rouvre
d'un spécialiste; c'est celui des mines d'Aniche (Nord), exécuté par
M. Délavai, ingénieur-directeur des travaux. A. côté du relief qui indique
les coupes souterraines du aol avec le réseau des galeries de mines,
se trouve un cadran ingénieux indiquant les accroissements successifs
de l'exploitation: à peine de quelques centaines de tonnes en 184p,
elle atteint aujourd'hui 650,000 tonnes de charbon de terre. U y a
aussi un relief remarquable de la Loire-Inférieure, par M. Doby, pro-
fesseur à Nantes.
Il semble que tous les exposants de Douai aient pressenti l'immensité
des locaux où devaient figurer leurs travaux, car, soit en étendue
murale, soit en nombre de cartes, c'est à l'envi que chacun fournit
une surface incroyable. C'est Erbard avec sa grande carte murale de
France, peinte (au 250,000% d'après ce que j'ai pu en juger, la carte
étant muette de toute indication), destinée sans doute à l'École poly-
technique; — ce sont MM. Panneqoin et Barbaut, instituteurs à Béthune,
avec leurs cartes de cet arrondissement (faisant partie de l'exposition'
de la Société de Béthune qui compte plus de vinjt cartes murâtes,
tracées à la craie sur fond noir, — puis les reliefs en plâtre faits par
l'école des mines de Liévin. — C'est aussi l'immense earte au 1/2500* ■
des marais (wateringues) des environs de Saint-Omer, dédale inouï,
clairement représenté par M. Bagache, instituteur, aidé de ses adjoints;
— c'est encore l'atlas mural (car tes à fond noir) de la commune de Riens
par MM. Machuel, instituteur, et Hainaut, son adjoint; — ce sont enfin
42 cartes, — c'est bien quarante-deux, mais le mot carte est ioi un peu
prétentieux, -— ou plutôt 42 croquis dus A M. Facken, élève de la Faculté
des sciences de Lille, lesquels donnent la configuration des cotes de.
la France Nord-Ouest A toutes les époques géologiques. Il faut dire
qu'il est entré dans de grands détails de sous-classements, et nous
y trouvons les époques Gédinienne, Givétienne, Banietme, etc.
Mais il est deux hommes qui se sont faits les géographes du désar-
ment du Nord et dont les travaux mériteraient de faire l'objet d'une
étude spéciale; ce sont MM. Wacques-Lalo et Mille. Assurément»
M. Wacques-Lalo est un géographe de premier ordre, auquel aucune
des. sciences qui tiennent A la géographie ne' sont étrangères; mais, au
point de vue cartographique, M. Mille a une supériorité d'exécution
incontestable. Ce dernier n'a pu faire figurer, faute de temps et de *
place, ses travaux si considérables, et en particulier ses cartes hypso-
métriques et administratives du département du Nord, mais nous avons i
pu les voir chez lui-même et y recueillir de précieuses observations» «
74? açws ut Uk socitT*.
A l'appui ée notre opinion, nous pourrions dire que cas travaux oat
reçu les éloges publics de H. E. Levasseur.
levenons un moment, pour eu finir, aux reHefs exposée à Don».
Vf ai remarqua encore une carte de France en relief an ■,»»■ ^,
(les hauteurs au 250,000*), par M. Michel, instituteur à Marlf (Rord);
une antre Franee, en relief aussi, an itv,ô't>By P*r coorbes de
niveau, par M. Neud, instituteur â Hondschootte, ainsi qu'un relief do
département du Nord du môme ; puis un relief de rarrondissement de
Yaleuciennes an 4è.lAog et au rrfar P°ur les hauteurs (c'est ici
indispensable en raison do peu de saillie réelle du sol), par MM. Basset
et François, instituteurs ; enfin, celai de la commane de Cousolre, par
H. Jenaepin, Instituteur, d'après la carie de Fétat-maJor rectifiée sur
le terrain par Fauteur.
'à Bar*»le-Duc, les reliefe sont moins considérables' e» étendue et en
hardiesse; mais ceux de la commune de Delouze, par M. Gérard, insti-
tuteur, de ratroodiBsement de LunévtUe, par M. Jacqoot, instituteur
à WkniUe, du département du Deubs, par M. Scnmitt, deBeïfort, i côté
d>aeux déjà cités, soutiennent parfaitement la comparaison avec «eux
de leurs, collègues du Qord. Je puis ajouter que, certainement, les que!»
quea reliefs dus aux élèves (Il est vrai qu'il est difficile d'y discerner
laparttelpatioa du maître) des école* de la Meuse» et Je citerai parti-
entièrement ceux de l'école de freux, accusent une supériorité mar-
quée sur ceux que J'ai pu observer i Douât.
Jusqu'ici d'ailleurs, en l'un ou l'autre endroit, il ne sem&te pasqu?
Tegard de l'enseignement les instituteurs soient parvenus, les uns s
avoir pour leur compte, les autres â inculquer à leurs élèves, un seutK
ment bien rationnel du relief du sol, et les devoirs d'élèves dénotent;
particulièrement ceux exposés à Douai en très grand nombre, une
ignorance inconsciente i cet égard. Presque partout, dans des devoirs
bien rédigés d'ailleurs, et, autant qu'un rapide examen m'a permis de
F observer, révélant une excellente méthode d'enseignement géegrjK
phique, on constate tes dessins de montagnes en chenille et les con-
tour* des bassins avec des reliefe imaginaires. Gela tient évidemment
au mauvais matériel de cartes géographiques sur lesquelles on prend
modèle: et aux atla» défectueux encore trop répandus dans l'enseigne-
ment TouteJbis, le rapport- de là 4» commission du Jury de Bar4e-Duc
constate que les écoles de Ligny-en-Barrois, au premier rang; défiant-
beffvittec» {-Vosges); de Frets (Meuse) et de Limer (Heurtlie-er-MoeeJte*
indiquent' de réels progrès dans ce sens.
Venseigneme&t primaire était représenté aussi i Bax*ïe-Duc- dTttn»
face*' toute particiiliére et sans parité à Douar: c'est pur les travaux
qui relevaient d»la>5^cummlsaion» Ceux-ll oeusMtnnlant ce que Fb#
EXPOSITIONS GÉOGRAPHIQUES. 143
•
pourrait appeler les archives de la Meuse, bien que d'une valeur très,
inégale et dans une mesure fort incomplète. L'exposition de Bar-le-JOue
s en par là un Mérite d'originalité incontestable qui fait honneur an
comité d'organisation. On ne saurait trop féliciter celui-ci d'avoir pro-
voqué et encouragé la rédaction des monographies communales par les
instituteurs ; mais il y a eu beaucoup d'appelés et peu ont répondu. Là.
se sont signalés, suivant le rapport de la S6 commission, les beaux alla»
avec monographie de MM. Husson, instituteur à Vigneulles (Meuse), et
Lemorae, instituteur àBeauaée. Puis les nombreux travaux de M. Bonn»»
befle qui, pour faire honneur i la Société de géographie de l'Est àDoaai»
Y avait envoyé la majeure partie de son bagage géographique! histo-
rique et archéologique. Celui-là, je n'hésite pas à le dire, n'a pu être
jugé comme il le fallait dans le revue si rapide qu'a dû faire le jury du
congrès. • C'est une. eauvrede bénédictin », dit le rapport delà 6* com-
mission de Barbie-Duo et il s'explique que l'examen d'une telle œuvre
ne puisse se mire en quelques minutes. Puis, c'est un instituteur de
rAîlier, M. Regrain, de Chambley, que signale encore le rapport et à sa
suite MM. Blanchard, Houzelle, Lepointe, Saux, Oanier, etc^ instituteur*
dans la Meuse.
Si l'enseignement primaire a figuré avec honneur à Bar-le-Due». il
font constater que l'enseignement secondaire (lycées et collèges) n'y
était pas représenté, à Douai, plusieurs établissements de cet osdna
seraient exposé, bien que nous ne puissions citer, qui nous ait frappé»
<fne le Lycée de Charleville (f), lequel a présenté des cartes pseudo-
bypsométriques (*} au lavis» dues aux èlènea de rhétorique et révélant
ose étude consciencieuse dm rehaussas viser» apparemment du moins,
à un grand Oui d'exécution.
M mut bien dire aussi qu'obliger des élèves à faire des œuvres par-
laites,, c'est gaspiller un temps précieux et déjà si parcimonieusement
réservé à L'étude pratique. Nsn> ce que l'on doit apprécier dans le
travail de l'élève, c'est le reflet de la méthode du maître et la netteté
de conception de l'enfant : voilà ce qui se recommande entre toutes
disses à l'attention d'un jury, et celui de Douai» comme celui de Bar,
j'en sois certain, s'est placé, i est égard, au même point de vue.
Ceux dont nous ne trouions pas non plus de similaires à BaMo"
DncC), ce sont les établissements scalaires de flUes: le collège de
filles de La Fère, avec des cahiers de devoirs remarquables, puis l'école
(*) J'en oublie certainement, et probablement è> tri* bon*?
eeï» dam» oet immense dédale «mm oatalofoe- è la. nain ?
(*) Je définie ainsi dee earte» ombrée» par dégradacloiL S*
■h^ee^ ^aw ^ 1 ^ dM^avn^aVfHBk ^«eV m^^^m te^^ — ^»#— , — ^ a *._a.^^ —
■^■^■ev ^giaw* m*r vw eaMaw ^^a^^ bj^bw^p ^wa^ eaeNBM e^a^BBBr^BfâW ëjVJaW*1 eauenunmuei
laettiee jwr tim mmxbm 4» ninnt
(») OiUnu toutefois MU. Ménestrel, de Haaey, qui a eu d'esoeUsaSai
744 ACTES DB LA SOCIÉTÉ.
primaire supérieure de filles de Lille, tyee an croquis ombré «a crayon
du bassin du Rhin; enfin l'école de filles Saint-Jean, de Saint -Quentin,
arec une quantité de cahiers de promenades géographiques. Q y a
aussi l'école primaire supérieure de garçons de Haubourdin arec une
carte hypsométrique du Nord. Réparons ici, en passant, un oubli dans
les écoles primaires : c'est Ervillers, arec des carnets manuscrits de
l'élève 1. Gaillard sur l'hydrographie de la France, trarail vraiment
digne d'encouragement ; puis l'école d'Arleux, arec ou atlas du can-
ton. On ne saurait oublier non plus la collection géologique (musée
scolaire) du Nord, par M. Ladriére, Instituteur à Lille, et la collec-
tion, pour musée scolaire également, de M. Harlem, instituteur à Haut-
mont.
Les études spéciales topographiques, au point de vue pédagogique,
étaient représentées par les travaux des élèves desLLottin (Société de
topographie de Paris) et par les dessins graphiques d'arpentage des
élèves de M. Maleyre, enfants de 9 à 12 ans. Dans le même ordre
d'idées, l'école de Nourion-et-CSatillon a présenté des leçons de topo-
graphie écrites en devoirs.
À Douai, comme à Bar-le-Dnc, nous trouvons les belles cartes à la
plume, vraiment hors de pair, de M. Thuilier, auxquelles la S* com-
mission de Jury de Bar a rendu pleine et entière Justice. St entre
autres travaux soumis à cette même commission et que Je n'ai pas
encore cités, Je signalerai avec elle les ouvrages (■) si approfondis de
Xavier Thiriat, ce merveilleux travailleur, paralysé dès l'âge de 10 ans
en sauvant une Jeune fille qui se noyait dans un torrent; — le cours
de topographie et les belles cartes du capitaine Dennery ; — l'atlas delà
Meuse de Gayet (Julien), remarquablement complet; — les ouvrages (*)
et les cartes (*) de M. Mager, si bien secondé dans l'exécution de celles-
ci par son éditeur, lf. Gh. Bayle; — enfin, la carte par teintes hypso-
métriques, si légères et si nettes, de la Haute-Marne, par M. ftnfllemin,
instituteur a Damrémont, qui s'est révélé là comme géographe et comme
dessinateur, comme le dit la 3* commission.
à Douai comme A Bar, nous trouvons également la Société des tou-
ristes du Dauphiné : ici, avec les photographies des Alpes de MIL Bayard,
Charbonnier, Moisson, etc., et celles de Norvège de M. .G. Rabot; là,
exclusivement avec celles de IL Bayard.
(') La Gommtgsion dit que ees ouvrages embrassent également l'histoire, U géo-
logie, U. botanique, U météorologie, 1» littérature.
(*) Ces ouvrages traitent notamment de la prononciation do nome géographiques.
Hou* avons fait quelques réservée à oe sujet à l'auteur lui-même.
C) Nous ne comprenons guère non plus que l'édition a bon marché de an- carte do
Tonkin soit si inférieure comme exactitude à l'édition de pris; ee n'est pas faixeé*
bonne vulgarisation.
EXPOSITIONS GÉOGRAPHIQUES. 745
Si, à Douai, nous trouvons les photographies prises dans les nuages
par M. Paul Desmarest (*), —les belles photographies des Pyrénées de
M. Clément Sipière, de Toulouse, — la pendule cosmographique de
M. Mouret, — le baromètre enregistreur de M. Redier, l'hygromètre
de M. Delesaert ('), — les aquarelles si finement exécutées de M. Dé-
comble et du commandant Blanchot donnant les principaux sites des
Pyrénées, — du commandant Bianchot encore, un panorama des
Pyrénées ariégeoises et la carte topographique de l'itinéraire d'Andorre-
la- Vieille à l'Hospitalet, et tout cela exposé par la Société de Toulouse,
— enfin, entre diverses collections, celles d'anciens livres et cartes de
M. Crépin, de Douai; — par contre, nous trouvons à Bar-le-Duc : les
belles et fines eaux-fortes, petits chefs-d'œuvre du genre, de M. Ko-
narsky, donnant des vues de la ville de Bar-le-Duc, — la riche et
curieuse collection d'objets de Chine, exposée dans une vitriue qui
a fait le grand attrait de l'exposition (3) et appartenant à M. Yériot,—- la
collection d'objets de l'Inde de M. Dubreuil, — la collection des objets
rapportés de l'Amérique du Sud par le Dr CreYaux et qu'il a laissée
au secrétaire général de la Société de géographie de l'Est, — les
diverses collections de MM. Tranchant {*) et Lardenois ('), — les pho-
tographies du Spitzberg de Nordenskjôld, exposées par MM. Magnien et
Péraux, — la collection des cartes anciennes de M. Jomard, ^quelques
cartes murales de météorologie et de statistique médicale, faites pour
la Faculté de médecine de Nancy, et sans grande valeur particulière,
si ce n'est une carte géologique de France, si ce n'est comme véhi-
cule pédagogique, — enfin l'ouvrage important du commandant Bureau
et l'Atlas historique de M. Josse, gigantesque compilation d'amateur
intelligent, mais sans portée pour la vulgarisation, parce qu'il est sans
publication possible.
Ce qui a donoé l'éclat le plus justifié à l'exposition de Bar-le-Duc,
ce que Douai peut, lui envier, malgré la plus grande importance de
ses travaux, c'est, sans contredit, l'exposition de M. Maxe-Werly. Ici,
pour être complètement vrai, il faudrait citer tout au long le rap-
port de la 2e commission; j'en extrairai seulement ces deux passages :
« Les travaux par lui exposés en dehors des collections qu'il a for-
« mées sont son œuvre personnelle; plus qu'aucun de tous ses
« rivaux il l'a créée de toutes pièces, car ce n'est, à coup sur, ni
• dans les cartons du cadastre, ni dans ceux de r état-major, ni dans
(■) A 1,300 mètres de hauteur. Vue des méandres de la Seine, de Rouen 4 Quille-
beuf.
(*) Basé surles propriété* d'une mouise, la Jfanaria hygrometrica.
(3) Bile a été arrangée avec le plus grand goût par M. Konarsky.
(*) Principalement provenant des pays caftes.
\*) Objets rapportés des Indes et de la Coohincblne.
746 ACTK8 DB LA SOCIÉTÉ.
« les histoires de Tilles ou dé prorince* antérieurement publiées,
« qu'il a pu trouver les éléments fondamentaux de ses cartes et des
« monographies dont elles sont, pour la plupart, ou la préparation, ou
■ le complément. C'est aux sources originaires qu'il a du puiser, c'est
t aux entrailles même du sol qu'il a dû s'adresser bien souvent. C'est
« le géographe de la Meuse antique et de la Meuse du moyen âge qu'il
• fait revivre aujourd'hui.
• . . . L'exposition de M. Maxe-Werly est celle d'un savant 1 Elle est
« de plus l'exposition d'un. patriote qui, depuis vingt années, travaille
• à l'histoire de son pars natal, et trouve encore le temps d'entasser
« chaque jour de nouveaux documents pour ceux qui viendront après
■ lui !. ». •
Rien de plus vrai, je l'ai dit, rien de plus mérité par conséquent,
que ce jugement, et nous souhaitons voir, dans les expositions futures,
des travaux de cet ordre ajouter une valeur inestimable et une origi-
nalité sans précédent i ce qu'elles ont de commun entre elles, i ce
qui fait leur fonds et leur raison d'être : les travaux de l'enseignement
géographique.
Comme contrepoids, et sans songer un seul instant à établir un
parallèle entre des choses si dissemblables et si disproportionnées,
Douai avait en large mesure la coopération des ministères de la guerre,
de l'intérieur, de la marine et des travaux publics qui avaient envové,
avec une inégale importance, les travaux cartographiques exécutés
sous leurs directions respectives. Cette partie de l'exposition doit faire
l'objet d'un rapport spécial (*) qui s'étendra non seulement aux spéd-
mens qui ont figuré à l'exposition de Douai, mais encore à l'ensemble
des publications de chacun des ministères. Là sera certainement la
partie la plus difficile, la plus osée de toutes les tâches qui, en si
peu de jours, me sont incombées.
En résumé, quoi qu'on puisse penser de ces deux expositions, elles
ont été sans conteste eu voie ascendante sur les précédentes, et l'en-
seignement public y a trouvé de vigoureux, de nombreux encourage-
ments. Elles ont marqué les progrès réalisés sur le passé et donné le
gage de ceux qui l'attendent dans l'avenir. J. V. B.
(l) La publication de ee rapport commencera dan* le 1" Bulletin de 1884 et eer»
auirie d'un compte rendu de» travaux du congres de Douai.
Le Gérant responsable,
J. Y. Bajuubr.
TABLE DES MATIÈRES
TEXTE.
1er ET 2« TRIMESTRES.
Pages.
1° Études de géologie militaire : Les Alpes françaises (fin), par
Ch. Clerc 1
2° Géographie comparée : Remarques de géographie physique faites
durant un voyage de circumnavigation autour de l'Amérique du
Sud {suite), traduit de l'anglais, par C. Millot . 24
3* Géographie militante : Explorations : Voyage au Zambése [suite),
par P. Gctot 41
4° Géographie régionale : Excursion de Nancy au mont SainUMichel
prés de Toul, par E. Olrt, instituteur à Allain G4
5° Géographie générale : Bornéo, par H. Gh. Antoine, lieutenant de
vaisseau {suite) 84
De l'Atlantique au Niger par le Foutah-Djallon, par Aimé Ollivier,
vicomte de Sanderval, 1879*1880 0*2
G° Géographie coloniale : La Nouvelle-Calédonie, par M. Ch. Lehibb. 101
La situation au Congo 118
7° M iscel lunées : L'Ile de Cap-BMon, par M. John-George Boukinot,
d'Ottawa 120
Le commerce du Chili. 1 30
Les ressources naturelles des rampas argentines 132
Formation houillère du Tong-King 132
Comment Ton voyageait, en France, au siècle dernier, par M. A.
FooaniKA 134
Quels sont les vrais découvreurs du Sénégal. . 141
M. Stanley 144
Une expédition scientifique bambourgeoise dans les régions équato-
riales de l'Afrique orientale, par M. Weissardt 145
La guerre aux isthmes 149
Les voyageurs inconnus : On Vosgien tabou à Nouka-Hiva {suite). . 1 59
Nouvelles géographiques: France: Le méridien initial international.
Le monument Flatters a Paris. Côtes de France. — Colonies: Al-
gerie. L'inondation des chotts. L'idiome berbère. Le monument
Flatters en Afrique. Nouvelles du Sénégal. — Cochinchine. -*
Europe : Départ de NordenskjOld pour le Groenland. — Afrique:
La mission Révoil. La mission de Brazza, Le canal de Suez. Les
748 TABLE DES MATIERES.
sources da Niger, -te cap Jnby. — Amérique : Nouvelles de la Pages,
mission Crevaux. Une nouvelle capitale. — Pôle nord : Stations
météorologiques polaires. L'expédition danoise au pôle nord. Ré-
sultats géographiques de l'expédition de la Jeannette. — Le
Spitzberg. — Nouvelles diverses 160
Europe: Statistique des Sociétés de géographie. Monument Bé-
ringer. Institut national belge de géographie. Sondages dans l'At-
lantique. L'abbé Vetitot. Groenland. Musée commercial. —Asie:
Exploration dans l'Inde. Exploration de l'Amou-Daria. Nouvelles
routes en Perse. Études topographiques en Asie-Mineure. — Afri-
que : Nouvelles des explorateurs. M. de Brazza au Congo. Décou-
verte des sources du Bénoué. Frontières de Sierra-Leona an Rio-
Nunez. — Amérique: Les restes du docteur Crevaux. A la re-
cherche de Crevaux. Le passage de Bariloche 253
Bibliographie 177 et 262
Cartographie 262
Actes de la Société : Société-Mère : Compte rendu du Congrès de
Bordeaux {fin) 178
Section vosgienne: assemblée générale du 28 janvier 1883. ... 193
Section meusienne : assemblée générale du 21 janvier 1883. ... 194
Nécrologie : M. H. VARROY 202
Divers 207et263
Erratum, rectification et omissions 207
Liste générale des Membres de la Société de géographie de l'Est :
1° Société-Mère 208
2° Section vosgienne 233
3° Section meusienne 240
4° Sociétés et publications correspondantes 246
Album de la Société 264
3« TRIMESTRE.
1° Géographie militante : Explorations: Mission scientifique â Lucon
Mindanao, Souiou et Bornéo, conférence de M. le Dr Montano. . 265
Voyage au Zambèse, par P. Gutot (suite) 288
Mission scientifique en Algérie et au Maroc, par M. René Basset,
professeur de littérature arabe à l'École supérieure des lettres
d'Alger 303
2* Géographie médicale : Climatologie, conférence de M. le Dr Mae-
cral 327
3° Géographie commerciale : Le Bulletin consulaire français . . . 341
4° Géographie régionale : Excursion de Nancy au mont Saint-Michel,
par E. Oult [fin) ^ 34à
TABLE DES MATIÈRES. 749,
5° Géographie physique : Le Pôle magnétique, par M. Tb. E. Slkvm, ***<*•
de la Société de géographie du Pacifique 360
La lune influe-4-elle sur le temps ? par C. Miilot 372
6* Études de géologie militaire : Le Jura, par Gh. Clerc, capitaine
au 139e régiment d'infanterie 380
7° Géographie mathématique : De l'Emploi de la projection conique
dans un atlas systématique uniprojectionnel, communication de /
M. J. V. Bakbiib 396
8° Géographie économique : Étude sur la question de la mer inté-
rieure en Algérie 407
9° Géographie coloniale : La Nouvelle-Calédonie (suite) 430
Indo-Cbine, Cochinchine, par M. Gh. Lkmibk 440
10° Géographie générale : Les Voyageurs inconnus: Un Yosgien ta-
bou à Nouka-Hiva (suite) 451
Les Iles de TOcéanie : Géographie, productions naturelles, races hu-
maines, par M. Henri Jouan, capitaine de vaisseau en retraite. . 466
Miscellanées : Les Français sur la côte orientale d'Afrique. Oboek, le
Choa et l'Àbyssinie 474
La langue française au Japon 482
Décision ministérielle du 29 avril 1883 concernant l'École de dessin
créée au service spécial de la géographie (Dépôt de la guerre). . 483
Le Rhône 485
Commerce de la France avec la Chine 486
Profondeur des mers 486
L'Accroissement de la population nègre aux États-Unis 487
Le Premier Méridien et la fixation de l'heure 487
Les Volcans du globe 488
Notice sur le thé de l'Inde 490
Le Territoire français et ses voies navigables 497
Notes sur l'expédition de Madagascar, par Bonaparte; premier Consul
(document communiqué par P. Gotot) 499
Expédition arctique du Varna 500
Un Canal maritime en Palestine 501
Nouvelles géographiques : Colonie* françaises : Nouvelle-Calédonie.
Limite des possessions françaises en Sénégambie 503
Europe: Le tunnel de l'Arlberg. Angleterre et Portugal. Canal entre
la Méditerranée et l'Océan. Nouvelles du Talisman. Congrès géo-
désique. — Asie: Le lac Balkasch. Ascensions dans l'Himalaya. —
Afrique: Exploration au Niger. Une ambassade africaine en France.
Côte occidentale d'Afrique. Les compagnons de La Pérouse. Les
Espagnols au Maroc. M. Revoil. Au Congo. M. Revoil dans l'Afrique
orientale. Les Français au Congo. — Amérique : Nouvelles mines
750 TABLE DES MATIÈRES»
r
d'or. La lanr;,e française au Canada. Le port de la Yen-Cru. lus- r**^
titat géographique argentin. Le désert d'Ataeama. Les restes de la
mission Crevaux. — Pôle nord: Expédition polaire. La mer Kor-
/lenskjAld. L'Allemagne et le Pôle nord. L'expédition Nordeaskjold.
Station polaire américaine 505
Bibliographie 518
Nouvelles diverses 523
Actes de la Société : Inauguration de l'exposition de la Société de
géographie à Bar-le-Duc, par L. de M 524
Association pour l'avancement des sciences, congrès de Bonen, du
16 au 23 août 1883 . S3S
•
4* TRIMESTRE.
1° Géographie militante : Explorations : Voyage an Zambèse {suite). 541
Mission scientifique en Algérie et au Maroc (suite) 5SS
2° Études de géologie militaire : Le Jura (suite) 567
3* Météorologie : Etude sur l'origine des ouragans, par H. Vichot,
lieutenant de vaisseau. 600
4° Géographie médicale : Climatologie, conférence de M. le D' Maa-
cekl {fin) $12
5° Géographie pédagogique : Étude sur renseignement géographique
en Angleterre, par M. Géraidin, instituteur 635
6* Géographie historique : Documents géographiques sur l'Afrique
septentrionale, traduits de Parabe, par René Basset, professeur 4
l'École supérieure des lettres d'Alger 63 1
La Méditerranée des Anciens (fin) 655
7° Géographie mathématique : De l'Emploi de la projection conique
dans un atlas systématique uniprojectionnel (fin) 661
8° Géographie générale : Les lies de TOcéanie : Géographie, produc-
tions naturelles, races humaines («*i/c) 668
9° Note sur les questions de Géographie coloniale .- 681
Miscellanées : Lorraine 682
Vile d'Anticosti 683
État général de l'Algérie 684
Les Colonies françaises 686
Épisode de la campagne du Soudan 688
La Télégraphie en Chine -. 690
Encore la mer intérieure en Algérie 690
La Superficie des mers 694
Le Canal de Panama 69»
Nouvelles géographiques : France : La houille dans Meurthe-et-Mo-
selle. Anthropologie. Météorologie. Expédition scientifique du Ta-
TABLE DES MATIÈRES. 751
lisman. Les deux globes de Jean I/Hoste à la bibliothèque de *&*<*
l'Institut. — Colonies françaises : Population des colonies fran-
çaises. Les Français au Canada. Les Français à Pernamboue. Le
docteur fiayol dans le Soudan. Congo. Télégraphe sous-marin.
Nouvelle-Calédonie. — Europe : L'heure universelle. L'expédition
Nordenskjftld. Russie. Portugal. — Asie : Le canal maritime en
Palestine. — Afrique : Afrique orientale. — M. Stanley au Congo
— Amérique: Découverte d'un nouveau fleuve dans l'Alaska. Re-
censement de 1881 au Canada. Le canal maritime de la Floride.
L'expédition Crevaux. — Océanie: Modifications apportées aux ri-
vages du détroit de la Sonde par le tremblement de terre de Ba-
tavia. Missions scientifiques 696
Correspondance 716
Bibliographie 722
Cartographie ^ . 727
Nécrologie 728
Actes de la Société : Rapport de M. J. Y. Barbier, président du Jury
de l'exposition géographique de Bar-le-Duc 731
Coup d'oeil d'ensemble sur les expositions géographiques de Douai et
de Bar-le-Duc et résumé des travaux des commissions du Jury de
cette dernière 739
CARTES.
1* et 2e trimestres: 1« Voyage au Zambèse (2e feuille). — 29 Étude de
géographie régionale. — 3° Carte d'assemblage des feuilles de l'état-major.
3e trimestre: 1° Mouvement du pôle magnétique. — 2° Itinéraires du
Dr Montano. — 3° Carte des climats. — 4° Croquis géométriques de l'Atlas
aniprojectionnel. — 5° Croquis comparatifs de diverses grandes lies.
4e trimestre : 1° et 2° Croquis sur la marche des ouragans. — 3° Carte
du détroit de la Sonde avant et après le cataclysme des 11 et 12 août
1383. — 5° et 6» Gravures extraites des voyages de Tavernier au Tunquin
fTong-king).
N. B. Voir à te p«ffe suivante le post-seriptuui
POST-SCRIPTUM
Des nouvelles récentes du jeune et courageux voya-
geur, M. Thouar, nous apprennent qu'il aurait recueilli,
parmi les épaves de la mission Crevaux, le crâne de notre
cher compatriote. Malheureusement, cette bonne nouvelle
a été démentie au dernier moment. Cert36, b'U eût été
possible à la Société d'obtenir cette précieuse relique, il
n'est pas d'efforts qu'elle n'eût tentés pour y parvenir et
pour lui donner, peut-être môme dans le socle du monu-
ment qui va lui être érigé, une hospitalité digne de la mé-
moire du vaillant explorateur qui fut notre ami.
J. V. B.
Nous apprenons, au moment de mettre sous presse, que
notre cher collègue, M. Bonnabelle, secrétaire de la Sec-
tion meusienne, vient d'être nommé officier d'académie,
conformément au vœu émis par le jury de l'Exposition de
Bar-le-Duc.
C'est avec la plus vive satisfaction que nous enregis-
trons cette boune nouvelle, car, s'il se trouve quelque
part d'aus6i méritants, nul n'a jamais été plus digne de
cette récompense que notre dévoué et sympathique colla-
borateur. Gela, tous le savent et tous, nous en sommes
convaincus, joindront leurs félicitations aux nôtres.
J. V. B.
i
î
U * T-rvntoslres -1883
-nans.
n
Y
m
T-rim^stra 7883.
i\
AvMbûpdt/
1
liiJS
-»*
'S
X
I
■#■.■■11 . j'u. " ■ 4ni>i . .--i ^_a■ jm^nmst
>v_
f .
V.' «. V
£
t.
•S
#
V'
y-
.7.
a.
I
•<':
1
V
)
;e
I
S
>*-
'r
»*
*
a
«r»
..
I
ï