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Full text of "Bulletin de la Société de géographie"

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X 


BULLETIN 


DE    LA 


r  f 


SOCIETE  DE  GEOGRAPHIE 


Septième    série 


TOME   XX 


LISTE 

DES  PRÉSIDENTS   HONORAIRES  DE    LA   SOCIÉTÉ* 


MM. 

*  Marquis  de  Laplace. 
'"Marquis  DE  Pastoret. 

*  V'«  de  Chateaubriand. 

*  Cte  Chabrol  de  Volvic. 

*  Becquey. 
♦ct«chabrol  de  crousol. 

*  Baron  Georges  Cuvier. 

*  B°»  Hyde  de  Neuville 

*  Duc  de  Doudeauville. 
♦Comte  d'Argout. 

*  J.-B.  Eyriês. 

*  Vice-amiral  de  Rigny. 

*  Contre-am.  d'Ur  ville. 
♦Duc  Degazes. 
♦Comte  de  Montalivet. 
♦Baron  de  Barante. 

*  Général  baron  Pelet. 
♦Guizot. 

♦De  Salvandy. 
♦Baron  Tupinier. 

*  Comte  Jaubert. 

*  Baron  de  Las  Cases. 

*  VlLLEMAIN. 


MM. 

♦  Cunin-Gridaine. 
♦Amiral  baron    Rous- 

SIN. 

♦  Am.  baron  de  Mackau. 

♦  B°"  Alex.  DE  HUMBOLDT. 

♦  Vice-amiral. H  alg  AN. 

♦  Baron  Walckenaer. 

♦  Comte  Mole. 

♦  De  la  Roquette, 
♦Jomard. 

♦  Dumas. 
♦Contre-am.  Mathieu. 

♦  Vice-amir.  La  Place. 
♦Hippolyte  Fortoul. 

♦  Lefebvre-Duruflé. 

♦  Guigniaut. 

♦  Daussy. 

♦  Général  Daumas. 

♦  Duc  de  Beaumont. 

♦  Rouland. 

♦  Amir.  Desfossés. 
♦C.    de    Grossolles- 

Flanarens. 


MM. 

♦  Duc  de  Persigny. 

♦  Vice-amiral  de  laRon- 

CIÈRE  LE  NOURY. 

♦  Comte  Walewski. 

♦  De  Quatrefages. 
♦Michel  Chevalier. 

♦  Alfred  Maury. 
♦Vivien  de  St-Martin. 

♦Mi8    DE      CHASSELOUP- 

Laubat. 
♦ Meurand. 

♦Contre-am.  Mouchez. 
♦Ferdinand  de  Lesseps. 
Alph.  Milne-Edwards. 
Alfred  Grandidier. 
♦Auguste  Daubrée. 
Emile  Levas seur. 
Dr  E.  T.  Hamy. 
♦Antoine  d'Abbadie. 
Emile  Cheysson. 
Auguste  Himly. 
Jules  César  Janssen. 
Bouquet  de  la  Grye. 


PRÉSIDENT 

De  la  Section  de  comptabilité 

de  la  Société 

M.  Paul  Miraraud. 


TRÉSORIER 

delà 
Société 

M.  Georges  Meignen,  notaire. 


ARCHITECTE  DE  LA  SOCIÉTÉ 
M.  Edouard  Leudière. 

AGENCE 

M.  Charles  Aubry,  agent, 
Hôtel  de  la  Société,  boulevard  Saint-Germain,  184. 


1.  Les  noms  sans  *  sont  ceux  des  présidents  honoraires  aujourd'hui  vivants. 


BULLETIN 


DE    LA 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 


RÉDIGÉ 


À\fiC  LE  CONCOURS  DE  LA  SECTIOJI  DE  PUBLICATION 

PAR 

LES  SECRÉTAIRES  DE  LA  COMMISSION  CENTRALE 


SEPTIEME  SERIE  —    TOME  VINGTIÈME 

ANNÉE  1899 


►S<3SS>5- 


PARIS 

SOCIÉTÉ   DE    GÉOGRAPHIE 

184,  Boulevard  Saint-Germain,  184 
1899 


COMPOSITION  DU  BUREAU 


ET  DES  SECTIONS  DE  LA  COMMISSION  CENTRALE 


pour  1899 


BUREAU 


Président M.  Gabriel  Marcel. 

.  . ,     ,  (M.  Edouard  Anthoine. 

Vtce-prestdents 2  „    ,  4    „    •    •    ^ 

f  M.  le  comte  Casimir  Delamarre. 

Secrétaire  général M.  le  baron  Hulot. 

Secrétaire  adjoint M.  Jules  Girard. 

Secrétaire  général  honoraire»,  M.  Charles  Maunoir. 

Archiviste-bibliothécaire M.  le  baron  Jules  de  Guerne. 


Section  de  Correspondance 


MM.  le  marquis  de  Bassano. 
Edouard  Blanc. 
Edouard  Cas  pari. 
Général  Derrécagaix. 
Jules  Garnicr. 
Charles  Gauthiot. 


MM.  Janssen,  de  l'Institut. 

Emile  Levasseur,  de  l'Institut. 
Georges  Rolland. 
Charles  Schlumberger. 
Franz  Schrader.  * 
Joseph  Vallot. 


Section  de  Publication 


MM.  Prince  Roland  Bonaparte. 
Emile  Cheysson. 
Henri  Cordier. 
Baron  Jules  de  Guerne. 
E.  T.  Hamy,  de  l'Institut. 
A.  deLapparent,  de  l'Institut. 
Le  Myre  de  Vilers. 


MM.  Emmanuel  de  Margerie. 
Alfred  Martel. 
Charles  Maunoir. 
A.  Milne-Edwards,  de  l'Inst. 
Lieut. -colonel  Prudent. 
Charles  Rabot. 


Section  de  Comptabilité 


MM.  Bouquet  de  la  Grye,  de  l'In- 
stitut. 
Alfred  Grandidier,  de  l'Inst. 


MM.  Georges  Meignen,  notaire. 
Paul  Mirabaud,  banquier. 
Comte  Louis  de  Turenne. 


r 


RAPPOET 

SUR  LB8 


PROGRÈS  DE  LA  GEOGRAPHIE1 

PENDANT    L'ANNÉE    1898 


PAH 


Le     13si3?oxl     HTJLOT 

SECRÉTAIRE     GÉNÉRAL     DE     T. A_  COMMISSION     CENTRALE. 


Une  géographie  vraiment  universelle  serait  la  description 
complète  de  la  terre  et  des  hommes *.  Nous  n'avons  pas  la 
prétention  d'écrire  dans  ce  grand  livre  des  connaissances 
humaines  la  page  qui  revient  à  1898.  Toute  notre  ambition 
serait  de  résumer  à  cette  place  les  principaux  faits  d'ordre 
géographique  accomplis  ou  connus  au  cours  de  cette  année 
et  dont  la  plupart  ont  été  consignés  au  jour  le  jour  dans  les 
Comptes  rendus  des  séances.  Mais  ce  programme  est  lui- 
môme  trop  vaste  pour  être  développé  dans  une  seule  con- 
férence. Il  nous  faudra  choisir,  en  insistant,  autant  que 
possible,  sur  les  explorations  françaises. 

Un  simple  coup  d'œil  jeté  sur  le  planisphère  permet  de 
diviser  les  continents  en  trois  tranches  longitudinales  offrant 
entre  elles  certaines  analogies.  La  première  tranche  contient 
l'Europe  et  l'Afrique,  séparées  seulement  par  une  mer  inté- 
rieure, ouverte  sur  un  point.  La  seconde,  plus  vaste,  est 
formée  par  l'Asie,  que  l'Insulinde  rattache  à  l'Australasie 

i .  L'exposé  des  travaux  de  la  Société  pendant  Tannée  1898  se  trouve 
dans  les  Comptes  rendus.  Le  présent  rapport  a  été  rédigé  pour  la 
séance  du  23  décembre  1898. 

2.  Elisée  Reclus,  Nouvelle  Géographie  universelle,  I,  p.  5.  Paris,  Ha- 
chette, 1876. 

Nota.  —  Le  4e  trimestre  1897  du  Bulletin  paraîtra  ultérieurement. 


HAPPOBT   SDR    LES    PltOGRÈS   DE  LA   GEOGRAPHIE 

suivant  une  courbe  qui  rappelle  les  contours  du  golfe  du 
Mexique  et  de  la  mer  des  Antilles.  La  troisième,  moins  mor- 
celée, est  composée  des  deux  Amériques,  unies  l'une  à  l'autre 
par  un  lien  si  faible  qu'il  fut  question  de  le  couper. 

Chacune  de  ces  tranches  se  compose  de  deux  masses 
continentales  développées  et  déchiquetées  au  nord  del'équa- 
teur,  réduiles  et  uniformes  au  sud.  C'est  dans  cet  ordre  que 
nous  passerons  en  revue  les  cinq  parties  du  monde,  en  ré- 
servant pour  la  lin  les  explorations  polaires. 

EUROPE 


En  Europe  l'homme  a  pris  si  complètement  possession  du 
sol  qu'il  s'en  dispute  jusqu'aux  moindres  parcelles.  Et  ce- 
pendant, sur  certains  points,  le  territoire  n'est  pas  scientifi- 
quement connu.  Les  recherches  de  M.  Slarkoff  sur  la  dis- 
tribution des  eaux  de  la  nier  Blanche  et  de  la  mer  Baltique 
ont  prouvé  que,  dans  le  nord  de  la  Russie  (Finlande  et  pro- 
vince d'Arkhangel),  des  bourgs  eomme  celui  de  Kebolo 
et  de  vastes  forets  ne  figurent  sur  aucune  carte.  M.  Slar- 
koff a  constaté,  sur  la  ligne  même  du  partage  des  eaux, 
à  250  mètres  d'altitude,  l'existence  d'un  plateau,  d'où 
s'échappent  trois  rivières  :  la  première  vers  la  Kern,  tribu- 
taire de  la  mer  Blanche,  la  seconde  vers  les  lacs  Wuoxen  et 
Ladoga,  qui  alimentenl  la  Neva,  la  troisième  vers  l'Ouléa, 
dans  le  nord  du  golfe  de  Bothnie*. 

Des  faits  analogues  ont  été  constatés  sur  les  bords  de 
l'Adriatique  dans  la  haute  Albanie,  où  MM.  Hassert  et  Bal- 
dacci  ont  entrepris  différentes  excursions  et  sont  parvenus 
à  déterminer  une  série  d'altitudes,  autour  de  Sculari  et  de 
Prîzrcn,  en  se  servant  d'un  baromètre  anéroïde  qu'ils  tirent 
passer  pour  une  pendule*. 


1.  nvieitiit,  Sic.  liéogr.  russe,  1x07,  p,  ini., 

ï.  VerlHinttl.  Soc.  Géogr.  Berlin,  1897,  u"  10,  p.  i33,  nvw  c 


PENHANT  l'année  1898.  7 

Ces  contrées,  où  l'alpiniste  n'a  pas  moins  a  glaner  que 
l'eibnographe  et  l'archéologue,  ont  également  tenté  le  vi- 
comte de  Cuve rv il! fl  dont  les  circulations  à  travers  la  pénin- 
sule balkanique  ont  élé  décrites  à  l'une  de  nos  séances1. 

Dans  le  domaine  rit  la  géographie  économique,  deux  pro- 
jets sont  à  mentionner  :  le  prolongement  de  la  voie  ferrée 
qui  va  de  Luléa  à  Gellivara  et  qui  relierait  le  golfe  de  Both- 
nie, souvent  encombré  par  les  glaces,  aux  eaux  libres  de 
l'Atlantique  en  face  du  Ofoten  fjord*;  l'étude  du  tracé  d'un 
canal  de  la  mer  Baltique  à  la  mer  Noire  par  la  Dvina,  la 
Bérézina  et  le  Dnieper,  qui  permettrait  aux  vapeurs  fluviaux 
de  traverser  l'Europe  en  six  jours  sans  quitter  le  territoire 
russe3. 


L'exploration  du  sous-sol  de  la  France,  qui  s'organise 
avec  méthode  sous  l'action  de  la  Société  de  Spéléologie,  a 
pris  depuis  deux  ans  une  grande  extension  *.  A  la  fin  de 
1897,  M.  Martel,  n^i^lé  de  M.  Viré, naturalisa  du  Muséum, 
découvraildans  la  Lozère,  sur  leCaiisseMéjean,l'un  ries  plus 
profonds  abîmes  connus,  l'aven  Armand,  dont  les  stalag- 
mites mesurent  jusqu'à  30  mètres  de  hauteur.  Cette  année, 
en  aménageant  la  rivière  souterraine  du  gouffre  de  Pariirac 
(Gard),  M.  Martel  a  mis  les  savants  à  même  de  contrôler  le 
réel  mode  de  fonctionnement  des  réservoirs  des  sources, 
et  ses  constatations  auront,  dans  la  pratique,  des  résultats 
considérables  \ 

1 .  Comptes  rendus,  I89N,  p.  liO. 

;.  [iultetin  Soc.  Géogr.  commerciale,  1838,  p.  Ï35. 

3.  Verkmdl.  ^•■:  i'..-ut!r.  Berlin,  XXV,  ÎB'.IS,  n-  i,  p.  193. 

4.  V.  la  collection  du  Bulletin  et  des  Mémoires  de  ta  Société  de  Spé- 
léologie. 1S9T  el  1898.  * 

5.  Celle  opinion,  quis  nous  émettions  eu  décembre.  18!!R,  :i  reçu  une 
in  le  confirmation  au  début  de  Ittlti).  Lus  conséquences  qui  résultent 

de  ces  recherches,  au  point  île  vue  de  lit  santé  publique,  ont  été  l'objet 
d'importants  débats  3  lu  Chambre  des  députés  dans  lu  séance  du 
30  janvier  1899.  Vuir  le  Journal  aftieief  du  31  janvier  1899,  p.  ÎM-M7, 
;  M.  Jules  Legrand,  sous-secré- 


I   iMiiiniiirn'iii  ce  passage  du  d 


,ES  PHOGÏ1ËS   DE   LA    GÉOGRAPHIE 

Les  recherches  de  MM.  Viré  dans  les  Pyrénées,  Ma/.auric 
sur  les  rivières  perdues  des  Cévennes,  Deambaz  sur  les 
grottes  et  les  sources  du  JJauphîné,  Driolon  dans  les  sou- 
terrains de  la  Côle-d'Or,  Fournier  dans  les  cavernes  des 
environs  de  Marseille,  etc.,  ont  déjà  démontré  que  le  travail 
du  spéléologue  nous  apporterait  dans  un  avenir  prochain 
une  ample  moisson  de  faits  géographiques. 

Eu  Angleterre,  en  Espagne,  en  Autriche,  l'impulsion  est 
donnée  et  les  investigations  se  poursuivent  au  grand  avan- 
tage des  sciences  physiques  et  naturelles.  Si  nous  avions  un 
voeu  à  formuler  pour  tel  jeune  Société  de  Spéléologie,  nous 
lui  souhaiterions  la  prospérité  du  Club  alpin. 

L'alpinisme,  qui  est  également  une  des  formes  de  la  géo- 
graphie, propage  le  goût  de  cette  science,  complète  l'œuvre 
du  géologue  par  l'étude  minutieuse  du  relief  et  stimule  la  ré- 
vision des  cartes  de  montagnes.  M.  Joseph  Va  Ilot,  qui  vient  de 
faire  paraître  le  troisième  tome  des  ,4  un"  1rs  de  l'Observatoire 
météorologique  du  Mont-Blanc1,  a  pu  aborder  ce  sujet  avec 
compétence  en  appréciant  récemment  la  part  de  M.  Durier 
da.js  la  création  du  Club  alpin  français,  de  même  qu'il  a 
fait  ressortir  les  belles  éludes  que  M,  A.  Delebecque  a  en- 
treprises sur  plus  de  150  lacs  français*. 


laire  d'État  au  ministère  de  l'intérieur  :  «  M.  Martel  m'a  moiuré  ù 
ment  la  contamination  de  sourres  répuiécs  pures  pouvait  se  produire 
au  moyen  de  ces  cavernes,  de  tes  sortes  de  dépotoirs  ruraux,  011  l'on 
enfouit  toutes  espèces  d'otijels.  Lorsque  l'eau  est  puisée,  elle  parall 
pure  ;  mais  il  y  a  des  •M'.iti's  sonlecr.i in-'s  i|ui  meltent  eus  puits,  1 
cavernes,  en  communication  avec  l'eau,  et  des  épidémies,  dont  on  ne 
trouvait  pas  l'orit'iin*.  oui  [irérisf-iuriil  leur  .viuse  dans  la  communication 
de  ces  gouffres  avec  cis  source.  J'ai  pensé  que  le  ministère  de  l'Inté- 
rieur, que  le  servke  dont  j*:il  la  liauie  direction,  devait  s'occuper  immé- 

"ïiiie m  <!<■  n-ite  queslion,  et  j'en  ai  saisi  le  comité  d'hygiène  publique 

de  France,  j-  (  Très  bien  !  très  bien  I) 

1.  Paris.  1898,  <•.  Sieinheil,  édit. 

1  Bulletin  de  la  Sncittè  de  Gio'iraphit,  [898.  Vil"  série,  tome  XIX, 
p.  lfW-171,  180-iM.  -Les  Lan  français,  par  André  IK'Iebeeque.  l'arls, 
Cliawernt  cl   lleiioiurd.  INHN. 


: 

m 
11 

Iquc 


FSHBAHT  I.  1 


Les  travaux  hydrographiques  sur  les  côtes  de  France  du 


ran t  les  deox  années  1897 


1898  c 


nprennent  :  1"  la  revi- 


sion ries  cartes  de  la  côle  sud  de  France  depuis  le  cap  Bé- 
nat  jusqu'au  cap  de  la  Garoupe  et  de  là  à  la  frontière,  celle 
de  la  baie  de  Marseille  et  de  la  côte  à  l'est  jusqu'à  Handol, 
par  M.  Mion,  ingénieur  hydrographe  à  bord  de  la  Chitnère; 
2"  les  sondages  de  la  rade  de  Cherbourg  par  M.  le  lieutenant 
de  vaisseau  Faucon,  pour  étudier  l'effet  produit  par  la  con- 
struction des  digues  de  Chavagnac  et  de  l'île  Pelée;  3°  le 
levé  des  abords  rie  Brest,  abord  du  Laborieux,  entre  Saint- 
Malbicuetla  pointe  de  Toulinguct,  par  M.  Renaud,  ingé- 
nieur hydrographe,  qui  reconnut  ensuite  le  plateau  de  Mo- 
lène  et,  entre  temps,  dut  lever  les  passes  de  laTeignouseet 
refaire  les  sondages  de  la  partie  sud  du  chenal  du  Four,  où 
des  roches  dangereuses  lui  avaient  été  signalées;  4"  la  me- 
sure d'une  base  de  vitesse  pour  torpilleurs  dans  le  l'erluis 
Breton,  par  M.  Gauthiers'. 


Le  service  de  la  carte  de  France  au  1/100,000%  établie  au 
Minislèrc  de  l'Intérieur  par  la  centralisation  des  travaux  des 
agents  voyers,  tient  à  jour  l'œuvre  par  des  rééditions  suc- 
cessives portant  sur  une  centaine  de  feuilles  par  an.  11  con- 
tinue également  le  eliehago  sur  cuivre  de  ce  document  afin 
de  constituer  le  matériel  délinitif  de  l'Étal'. 

Sur  la  demande  du  département  dos  Finances,  le  Service 
géographique  de  l'Armée  commence  une  revision  générale 


1.    Résumé   ri 'une   romiiiiirHf.-a.linn   île   M.   Cri^ptiri.   ingénieur   liyilro- 

gi-uplii: 

i,    la    frirte  au   I  100,000"  a   été,  d'abord  gravée  sur  pierre  et  les 

h  "fil  été  publiées  nu  fur  al  à  mesure  de  leur  acbèvemrm.  i> 

niiilcfiel  Bocomhrant  et  sujel  à  accidents  rst   fictui'lU'nn-nl  iriiiislWmé. 

n  j.rr,.  ,■,],■■  l'iciMni-cIniiiique,  en  rulvres  gravés  il'uno  nmservatioii 

e  et  d'un  maniement  facile.  La   moitié  environ  de  (es  culwes  est 

a  en  fail  en  moyenne  350 par  an  (noie  île  M.  Anihntne,  chef 

u  service  iju  la  carte  di-  France  an  Ministère  i\e  l'Intérieur). 


10  RAPPORT   SUR    LUS   PROGRÈS   DF.   LA    GÉOGRAPHIE 

du  réseau  français  pour  fournir  les  bases  fonda ruen laïcs  d'un 
nouveau  cadastre.  Celle  entreprise  de  longue  haleine  don- 
nera à  la  triangulation  de  la  carie  de  France  une  précision 
supérieure  à  celle  de  l'ancien  corps  d'état-major  qui,  malgré 
son  savoir,  ne  pouvait  pas  obleuir  les  résultais  précis  que 
donne  aujourd'hui  l'emploi  d'instruments  perfectionnés', 


Algérie-Tunisie.  —  Le  Service  géographique  de  l'armée 
poursuit  sans  interruption  l'exécution  de  la  carte  d'Algérie 
et  de  Tunisie. 

«  La  triangulation  de  premier  ordre',  qui  comprend 
âgrandes  chaînes  parallèles  et  4  chaînes  méridiennes,  a 
terminée  en  1898.  En  outre,  les  quadrilatères  de  remplissage 
sont  tous  pourvus  d'une  triangulation  de  premier  ordre  com- 
plémentaire, à  l'exception  du  quadrilatère  qui  embrasse  la 
région  du  sud-ouest,  près  de  la  frontière  du  Maroc,  dont 
l'exécution  aura  lieu  incessamment.  La  triangulation  secon- 
daire, destinée  spécialement  à  fournir  les  points  de  repère 
des  travaux  lopographiques,  est  achevée  sur  les  quatre  cin- 
quièmes du  territoire. 

*  Dans  le  cours  de  l'année  1898,  on  s'est  attaché  à  com- 
pléter le  réseau  des  points  astronomiques,  destinés  à  fournir 
les  vérifications  nécessaires  au  calcul  des  coordonnées  géo- 
graphiques. C'est  ainsi  que  l'on  a  effectué  les  mesures  de 
différence  de  longitude  entre  Alger  (observatoire  militai] 


1.  Il  esisiR  un  receni  travail  île  M.  E.  Fauvel,  sur  *  l'historique 
réfection,  ilu  cadastre»  couronné  en  1X98  par  la  Société  île  Topographie 
el  actuellement  soumis  au  Comité  des  travaux  historiques  et  scientifiques 
'  au  ministère  île  l'Instruction  publique. 

'2,  Note  ohligeamment  communiquée  par  M.  le  général  ltassol,  ili 
l'Institut,  snus-chef  d'élat-majnr  général  de  l'Armée,  directeur  du  Sor- 
ti re  jréographlque. 


de 

: 

nie 
les 


PBHDÀKT  L'ANNÉE   1898.  il 

de  Colonne-Voiiol)  el  les  posles  d'Aïn-Scfra,  Médenine,  Sé- 
tif  et  Gafsa.  On  a  de  môme  mesuré  la  latitude  et  un  azimut 
en  ces  quatre  stations,  ainsi  qu'à  Saïda  ut  à  Kairouan.  Le 
réseau  de  l'Algérie  comporte  maintenant  15  points  astro- 
nomiques :  Nemours, Msabiha,  Alger, Sétif,  Bône,  CarLhage, 
sur  11-  parallèle  du  nord;  Aïn  Sefra,  Géryville,  Laghouat, 
Iliskra,  Gafsa  et  Médenine,  sur  le  parallèle  du  sud;  Saïda, 
sur  la  méridienne  d'Or.in  ;  Guelt-es-Slel,  sur  la  méridienne 
de  Laghouat,  et  Kairouan,  sur  la  méridienne  de  Gabès. 

<  Dès  maintenant,  le  Service  géographique  se  préoccupe 
de  développer  la  triangulation  dans  la  région  saharienne, et 
des  reconnaissances  vont  être  entreprises  en  1899  pour 
établir  deux  chaînes,  l'une,  qui  partira  de  Biskra  pour 
aboutir  àOuargla,  l'autre,  qui  partira  de  Laghouat,  passera 
à  Gbardaïa  et  viendra  se  souder  à  la  première  à  Ouargla. 
c  Les  levés  topo  graphiques  progressent  chaque  année  en 
fournissant  en  moyenne  3  feuilles  au  50,000*  pour  les 
cartes  à  cette  échelle  de  l'Algérie  el  de  la  Tunisie, 4  feuilles 
au  100,000'  pour  la  Tunisie  et  2  feuilles  au  200,000"  pour 
les  hauls  plateaux  de  l'Algérie.  Il  esta  présumer  que  ces 
différentes  cartes  seront  achevées  dans  une  dizaine  d'années1, 
c  En  outre  de  ces  opérations  régulières,  le  Service  géogra- 
phique alimente  quelques  missions  spéciales  qui  commen- 
cent à  dresser  les  cartes  des  colonies.  A  Madagascar  se 
trouvent  quatre  officiers  géodésiens,  qui  ont  déjà  établi  des 
réseaux  sur  des  régions  assez  étendues  entre  Tananavive, 
Tamatave,  Port-Dauphin  et  Tulléar;d'aulres  iront  prochai- 
nement au  Tonkin  pour  entreprendre  une  triangulation 
régulière.  Il  y  auraiL  intcrétàce  que  ce  mouvement  s'étendit 
et  que  l'on  entreprit  sans  trofi  larder  les  cartes  des  im- 
menses territoires  placés  actuellement  sous  noire  influence 
ou  sous  notre  domination,  dans  le  cœur  de  l'Afrique.  » 


1891  61  l«HB  bd  Algérie 


C vi    iJi'n   CiiiniiitjfiiKS  lupiifiiiiphiiiues 

i  Tunisie  mnttiml  le  Si'i-vici»  ^'■•■|.T;i|iliiitii<: 


12  RAPPORT    SUR    LES   PBOGRF.S   DE   LA    GEOGRAPHIE 

On  ne  saurait  trop  insisler  sur  la  nécessité  d'entre- 
prendre la  triangulation  des  territoires  conquis.  Au  Soudan 
comme  an  Congo  ou  dans  le  Haut-Oubangui,  les  leïés  à  la 
boussole  ne  sont  plus  suffisants  et  les  cartes,  dont  le  dessin 
se  complique  à  mesure  que  les  itinéraires  augmentent, 
exigent  l'établissement  de  points  astronomiques  précis. 
Force  sera  d'adopter  des  cartes  a  grande  échelle  pour  décrire 
ceB  vastes  espaces  que,  naguère,  on  nommait  Sahara  ou 
Grand  Désert,  Nigritie  ou  Soudan,  ou  qu'on  laissait  innom- 
més, tels  que  cette  région  équatoriale  traversée  par  la 
chaîne  mystérieuse  des  monts  de  la  Lune. 

en  mesure  de  produire  vingt-trois  feuilles  nouvelles   île  ilidérenics 

I9  Campiiij-na  de  IK97,  douie  feuilles  ; 

Algérie  au    50,000'.  Feuille  n"  115.  liordj  b,ra  Arréridj. 

—  n"  110.  Sainl-Donat. 
Algérie  au  300,000".  Feuille  n'  23.  Ammi-Moussa. 

—  —  n"  24.  Iloghar. 

—  —  n-  38.  Aurè*. 

—  —  n"  45.  Zénina. 
Tunisie  an    50,000".  Feuille  n°  I.  Kef  Abbed. 

—  n"  V.  Oued  Sedjenane. 

—  —      n-  XXXVIII.  Ouargia. 
Envimnt  du  Kef. 

Tunisie  au  100,000".  Feuille  n"  XXIV,  Le  Kel. 

—  —      n"  XXV.  Jama. 

—  —      n"  XXVI.  Djeiiitiir 
f  Gninpiigne  de  ÎKHS,  orne  feuilles  : 

Algérie  au    50,000".  Feuille  n"  130.  Aine  Mllla. 
Algérie  au  300,000".  Feuille  ti>  35.  Guclt  es  Stel. 

—  —      n-  37.  El  K  amant. 
Tunisie,  au    50,000".  Feuille  n"  LII1I,  Kairouau. 

—  —      n"  LXIV.  Sidi  el  Hani. 
Tunisie  au  lOOtOOO*.  Feuillfi  n    XXllt.  liordj  Sidi  ïoosaef. 

—  —      n"  XXVIII.  I>Jel>el_ liarraha. 

—  —      n*  XXIX.  Ksour. 

—  —      n    XXX.  Maktar. 

—  n"  XXWII.   h 

—  n-  XXXVIII.  Sidi  el  Hani. 


PERDANT  l'année  1X98.  13 

nui'lr   <!■   Niger  et  régi  ou   il»  TuiMtioDFIou,  —  Il   suffit 

p  jeter  les  yeux  sur  une  carte  d'Afrique  pour  voir  que  nos 
colonies  se  sont  soudées  à  travers  le  Sahara.  L'an  dernier, 
nous  constations  que  les  missions  du  Mossi  et  du  Gou- 
rounsi,  du  Gourma  et  du  pays  bariba  reliaient  entre  elles 
nos  possessions  de  la  côte  de  Guinée  et  du  Soudan.  Ce  mou- 
renient,  qu'imprimèrent  entre  autres  les  missions  Hugot, 
Voulet-Cbanoîne,  Baud-Vermeersch  et  Bretonnet,  s'esl  pro- 
pagé en  1898.  On  s'en  convaincra  aisément  en  comparant 
eutre  elles  la  1"  et  la  2"  édition  de  la  carte  de  la  boucle 
du  Niger,  publiée  par  le  Service  géographique  des  colonies 
sous  l'habile  direction  de  M.  Guy. 

Le  commandant  Destenave,  qui  procéda  en  189(1-1897  à 
l'organisation  du  Yatenga  et  du  Mossi  ainsi  qu'à  la  prise  de 
possession  des  pays  de  l'est,  depuis  l'Arîbinda  jusqu'à  Say, 
vient  de  publier,  à  son  retour  en  France,  un  exposé  som- 
maire des  opérations  de  la  boucle  du  Niger.  Au  mois  de 
mars  1898  la  pacification  était  achevée  dans  cette  région  où 
le  bien-être  s'accroît  avec  le  commerce  '.  Deux  voies  de 
pénétration  ont  été  ouvertes,  au  moyen  de  prestations 
fournies  par  le  pays.  L'une,  large  de  10  métrés,  longue  de 
900  kilomètres,  part  de  Saraféré  (sud  de  Tombouclou)  et  va 
à  la  frontière  dahoméenne;  l'autre  réunit  les  deux  branches 
de  la  boucle,  de  Mopti  à  Say,  sur  800  kilomètres  environ. 
Les  voilures  Lefebvre  circulent  jusqu'à  Dori,  dans  le  Liptako, 
el  l'on  peut  certifier  que  ce  marché,  le  rival  de  Tombouclou 
et  (le  Kano  avant  la  conquête,  détourne  maintenant  à  son 
profil  les  courants  d'affaires,  qui  inclinaient  autrefois  vers 
l'est  on  vers  le  nord.  Les  levés  exécutés  par  les  nombreuses 
reconnaissances  ont  permis  de  dresser  une  carie  provisoire 
de  ces  territoires  si  peu  connus  du  sommet  de  la  boucle. 
s  opérations  ell'ectuées  sous  les  ordres  du  commandant 


,   liullelin  du  Comité  de  l'Afrique  fr^nf.uise.  :  renneigiu 
■a,..,,  [898,  p.  «4. 


ii  RAi'POnT    SUR    LES    l'IlOURÈS    DE    LA    GÉOGRAPHIE 

Caudreliernous  onlvalu  des  reconnaissances  dans  le  bassin 
de  la  Voila.  Le  lieutenant  Blondiaux,  complétant  ses  explo- 
rations de  1897,  a  reconnu  les  hauts  bassins  du  Cavally  et 
de  la  Sassandra,  départageant  les  affluents  du  Niger  et  les 
bassins  côliers  entre  le  8"  et  le  11°  long.  G.*,  Les  recon- 
naissances de  M.  l'administrateur  Hostains  sur  le  Cavally  se 
compléteront  bientôt  par  celles  de  la  nouvelle  mission 
Hoslains-d'Ollone  sur  le  terrain  qui  sépare  les  itinéraires 


île  M.  lilondiaux  de  ceux  de  M.  I'obéguin.  Du  coté  de  la 
république  de  Libéria,  l'explorateur  est  en  terrain  neul"  et 
l'on  comprend  ia  noble  ambition  qui  s'était  emparée  de 
deux  jeunes  voyageurs,  MM.  Georges  Bailly-ForlUlère  et 
Pauly,  massacrés  à  Zolou  le  lli  mai  dernier  au  moment  où 
ils  tentaient  de  réunir  par  un  trait  continu  la  Guinée 
française  et  la  Côte  d'Ivoire. 


I.  I:.i|.|".n  il.'  la  missinn  Itlnudiaui  i.Vriliivtrs  Je  la  Sociale). 


FEKDANT  l'ahh  ée  1898.  15 

l>a  lopograpliie  générale  de  la  Boucle  du  Niger  est  fixée 
parla  carie  au  1/1,500,000" que  le  Service  géographique 
des  colonies  publie.  On  ne  constate  pas  dans  cette  région 
la  présence  d'une  croie  montagneuse  régulière,  orientée  de 
l'ouest  à  l'est  et  faisant  pour  ainsi  dire  contrepoids  aux 
\iautes  monlagnes  de  l'est  africain.  Celle  belle  symétrie 
rencontre  pas  ici,  et  les  fameuses  montagnes  de  Kong 
forment  non  pas  une  muraille  gigantesque,  mais  une  série 
de  plissements  parallèles  orientés  du  sud-ouest  au  nord- 
est  avec  quelques  massifs,  dont  le  plus  connu  est  le  Fouta 
Djallon,  et  quelques  chaînes  transversales  peu  élevées.  Le 
relief  s'accentue  surtout  au  nord  de  la  Guinée  française  et 
de  la  république  de  Libéria,  puis  entre  le  Bandama  et  le 
Niger,  entre  la  Volta  Blanche  et  ce  fleuve,  enfin  au  nord  du 
Dahomey.  Les  points  culminants  ne  dépassenl  pas  1,200  mé- 
trés et  les  ondulations  qui  les  relient  ont  les  dimensions  de 
simples  collines.  Au  nord-ouest  du  Mossi,  le  relief  est  à 
peine  sensible  des  sources  de  la  Volta  au  Niger1. 

L'hydrographie,  moins  confuse  que  l'orographie,  continue 
à  se  préciser.  Le  Niger  est  connu  sur  tout  son  parcours, 
grâce  aux  frères  Lander,auxCaron,aux  Jaime,aux  Toulèe, 
aux  Hourst,  aux  Baudry,  aux  Bluzet,  etc. 

Les  grandes  nappes  d'eau  qui  prolongent  le  lleuve  a 
l'époque  des  crues  dans  la  région  de  Ras-e!-Ma  provoquent 
de  nouvelles  études.  L'état  de  nos  connaîssnnces  sur  le  ter- 
ritoire qui  s'étend  au  nord  du  Niger,  entre  le  4"  et  le  8" 
long.  O.,  est  fixé  par  une  carte  au  1/500,000"  dressée  en 
janvier  1898  par  le  lieutenant  Lofler,  commandant  du  cercle 
de  Goundam.  Ce  dessin,  établi  d'après  les  travaux  des  offi- 
ciers de  la  région  de  Tombouctou  et  sous  la  direction  du 
commandant  Goldschœn,  permet  de  se  représenter  ce  pays 
sillonné  de  rivières  et  de  marigots,  baigné  par  une  série  de 


i,  imii.  A/i    /V.: 


ITi,« 


t,  janvier  18SKK 


RAPPORT   SOT    l.KS    PROCHES   DE    LA    GÉOGRAPHIE 


s  et  de  marais  qui  suivent  le  cours  du  f 
saesenl  au  sud  du  lac  Faguibine'. 


lacs,  de  m; 
fleuve  ou  s 

Les  bassins  cûliers,  très  nombreux,  offrent  peu  de  voies 
d'accès  faciles.  Les  rivières  du  FoutaDjallon  sont  peu  larges 
et  les  deux  Scarcies  ne  sont  pas  navigables.  Le  fleuve  Saint- 
Paul  n'est  connu  qu'à  sa  sortie  des  hauteurs  qui  le  séparent 
du  Niger  et  le  Gavai ly  n'a  pas  l'imporlance  qu'on  lui  suppo- 
sait. Mais  la  rivière  Sassandra,  qui  prend  sa  source  1res  au 
nord,  constitue  une  artère  fluviale  dont  l'utilité  s'est  surtout 
affirmée  à  la  suite  des  explorations  de  M.  Mondiaux. 

Les  travaux  des  missions  Marchand,  Polwuin,  Eysserïe 
sur  le  Bandama,  Binger,  Clozel  sur  le  Comoé,  Baud,  Alby 
sur  la  Volta,  Ballot  sur  l'Ouémé  et  le  Koulïo,  nous  donnent 
une  idée  très  exacte  du  système  hydrographique  du  centre 
et  de  l'est  de  la  boucle .  Ajoutées  aux  précédentes,  ces  cons- 
tatations ont  permis  à  M.  Guy  d'exposer  dans  leur  ensemble 
les  résultats  scientiliques  des  explorations  du  Niger  pendant 
p(H  mx  dernières  années. 

Lu  morne  temps  que  nos  incertitudes  sur  la  géographie 
de  l'Afrique  occidentale  se  dégagent,  uos  difficultés  de  fron- 
tières et  les  causes  de  trouble  semblent  disparaître,  au 
moins  de  ce  côté. 

La  convention  du  U  juin  1898  a  délimité  les  possessions 
de  In  France  et  de  l'Angleterre  sur  une  étendue  d'environ 
ifiQQ  kilométra*,  an  faisant  un  tout  de  notre  domaine  afri- 
cain de  l'Algérie  au  Congo,  par  le  Tchad.  Cet  accord,  basé 
ni  ,;i-  raafittstoiW  réripruqurs  que  nous  avons  énumé- 
nV>,  cliM  l.i  térifl  d«  traités  passés  pur  nous  avec  toutes 
k'.  puissance*  limtttoptiM1.  Oa  a  lieu  de  penser  que,  les 
iiiiiiT. -niiv  neuant,  l'Agitation  se  calmera  dans  la  région 
il' \--ik.i.  ii.  M'iniiir  dam  le*  territoire*  où  les  sofas  de 
:-.im,.i  j  répandelenl  la  désolation3. 


1    |  .       .ii'kmmI.-iIi-  l.i  ii-yinll  mini  i;irrll.ilt»  IllSOCLéV' 

..  ■  i -r.,ju.  .!«>  tétmt,  1888,  p.  ani-aoii ;  cm*  aiï-an. 

a.    Siil  lu  |.il-r  ,W  ji. i*vvcln ii  ai'  Il loulou,  pur  M.  GW.'I. 


C.A, 


1898. 


17 


La  tleslruclion  de  l'empire  du  vieil  Almamy  a  pour  la 
Prance  et  la  civilisation  une  imporlance  capitale.  Après 
avoir  anéanti  la  puissance  des  El  Hadj'Omar,  des  Ahmadou, 
des  Tiéba,  des  Béhanzin,  nos  soldats  commandés  cette  l'ois 
car  le  colonel  Audénud,  le  lieiilenanl-colonel  Berlin,  les 
rimmandants  Pineau  et  de  Lartigue,  ont  résolu,  d'accord 
Mec  le  pouvoir  centrât,  de  se  débarrasser  de  Samory.  La 
prise  de  Sikasso  qui  nous  délivra  des  intrigues  de  Babemba, 
mais  coûta  la  vie  aux  lieutenants  Gallet  et  Loury,  eut  un 
grand  retentissement  et  priva  notre  adversaire  d'un  puissant 
llié  (1er  roai  1898)'.  Alors  fut  commencée  la  poursuite  ha- 
bilement combinée  où  le  lieutenant  Wœlfel,  le  capitaine 
Gouraud,  le  lieutenant  Jacquin,  le  sergent  Hrafières  se  sont 
plus  particulièrement  distingués*.  Sans  reprendre  à  celte 
place  l'exposé  du  plan  de  campagne  qui  aboutit  à  la  capture 
de  Samory  et  de  tous  les  siens,  nous  sommes  heureux  de 
constater  une  fois  de  plus  que  nos  troupes  coloniales  ont 
bien  mérité  de  la  patrie  et  de  l'humanité  dans  ce  Soudan 
où  le  général  de  Trenlinian  reprend  actuellement  sa  lâche 
féconde.  Nous  devons  à  ces  explorateurs  militaires,  excel- 
,i  iin  topographes  pour  la  plupart,  la  solution  de  problèmes 
fwngraphiques  qui,  sans  eux,  seraient  restés  longtemps  en- 
core insolubles.  Grâce  à  leur  dévouement,  nos  ingénieurs, 
ans  commerçants,  nos  colons  pourront  circuler  en  paix  dans 
.i-  nmlrécs  délivrées  de  la  barbarie. 

C'est  l'heure  des  améliora  lions  économiques.  La  construc- 
tion du  chemin  de  Ter  de  Kayes  à  Bammako  recevra  une 
impulsion  nouvelle,  et  les  études  approfondies  du  capitaine 
ei  liront  de  base  à  la  voie  qui  de  Conakry  gngnera 
■■  Niger  navigable  '.  Le  fait  que  le.  chemin  de  fer  de  Sfax  à 

,   n-,.,  mi  se  soni  miiiûLetiiLs  MM,  Le 
I  lialrol  du  llie.i,  vnîr  il.  U  .  I«i8.  p.  '■<:■:■. 
,-    ,,..  juin  ■■'  juilki  I8iw.  p.  iw;  ri  *w. 
i .  UV..T  i»r,i,ji.  ai. 
■■■■    U9S.  |>,  i".:.    IHiiy,  |i    l-'. 

I"  THUKvrHK  183H.  w.  -  ï 


JIAPI'OIIT    SUR    [.ES    PROGRÈS   l)E    LA   CËOGIIAHUE 

Gafsa,  terminé  na  septembre  18'JX,  a  été  construit  sur  plus 
de  200  kilomètres  en  un  an  esl  de  bon  augure  pour  l'exécu- 
tion de  semblables  travaux. 


La  prise,  de  possession  de  la  boucle  du  Niger  était  à  peine 
achevée  que  déjà  le  capitaine  Cazemajou,  plein  d'avenir  et 
d'espérance,  suivait  les  traces  du  colonel  Monteil  et  s'avan- 
çait, par  la  ligne  Say-Barroua,  vers  le  Tchad.  II  est  tombé 
à  Zinder,  le  5  mai  1898,  sous  les  coups  des  fanatiques, 
malgré  les  efforts  désespères  de  ses  tirailleurs  indigènes  qui 
réussirent  à  sauver  ses  carnels.  Dès  aujourd'hui  on  peut 
affirmer  que  les  révélations  de  Djebari  sur  la  présence  à 
Thaoua  des  survivants  de  la  mission  Flatlers  sont  de  pure 
invention.  L'œuvre  du  capitaine  Gazemajou  ne  périclitera 
pas.  Sur  ses  pas  se  sont  déjà  engagés  deux  de  ses  émules, 
qui  ont  l'ait  leurs  preuves  dans  le  Mossi  et  le  Gouiounsi, 
MM.  Voulet  et  Chanoine. 

Mntiitrn.  —  Fendant  que  le  mouvement  d'expansion  se 
dirigeait  vers  le  Soudan  central,  nos  chefs  de  stations,  dans 
des  raids  audacieux,  ajoutaient  à  nos  connaissances  sur 
l'extrême  Sud  algérien.  La  poursuite  d'un  rezxou  peut 
contribuer,  d'une  façon  très  efficace,  aux  progrès  de  la  géo- 
graphie, quand  elle  est  confiée  à  un  bon  topographe.  L'iti- 
néraire d'El-Abîod-Sidi- Cheikh  au  bas  Oued-Zousfana  et  à 
l'Erg  occidental,  levé  par  le  capitaine  Battesli,  en  est  un 
exemple.  Grâce  à  cet  officier,  placé  sous  les  ordres  du  com- 
mandant Godron,  dont  nous  avons  cité  les  reconnaissances 
dans  le  Sud  oranais,  nous  possédons  une  carte  au  1/400,000' 
d'une  région  inexplorée*. 

Ces  raids,  qui  exigent  autant  de  sang-froid  que  d'intré- 
pidité, ont  eu,  entre  autres  avantages,  le  mérite  de  prouver 
que  nous  pourrions  tirer  un  excellent  parti  de  goums  bien 

1.  Rapport  du  capitaine  liattesti  (archives  de  lu  Société). 


-  ne  remplacent  pas,  cependant,  les  missions 
ftxploralion  qui  s'avancent  vers  le  suri  sans  autre  préoccu- 
pation qne  de  découvrir  ni  de  passer.  Aussi  sommes-nous 
teurenx  de  constater  que  la  pénétration  française  par  le 
Afrique  s'accentue.  De  la  sorte,  nous  reprenons 
me  tradition  longtemps  interrompue. 

C'est   par  le  nord,  en  effet,  qu'a  été  commencée  la  pé- 
on  européenne  en  Afrique1.  En  1822  et  1823,  ce  furent 
m,  Oudney  et  Clappcilon;  en  182J3,  Laing!;  en  1854, 
Bichardson,  CWerweg,  puis  Vogel  et  de  Baumann,  qui 
ni  tous  la  Tripolilaine  pour  base  d'opérations  et  explo- 
it les  régions  comprises  entre  le  Niger  et  le  Tchad. 
dus  entrâmes  dans  ce  mouvement  d'expansion  an  len- 
de  noire  conquête  de  l'Algérie.  En  18.~>7,  le  capitaine 
demain  arrivait  à  Ghadamés;  l'année  suivante  l'inter- 
Bou-Derba  atteignait  le  lac  Menkoug.  En  1859-I8W), 
limyrier  accomplissait  ses  beaux  voyages  chez,  les  Touareg 
h  Nord.  En  ISfiO  encore,  le  corn  mandant  Cnlonieu  pénétrait 
leTouat.  En  1862,  le  colonel  de  Polignac  signaille  traité 
Gfaadamès.  Ce  furent  les  explorateurs  étrangers  qui  con- 
fèrent le  mouvement,  et  le  plus  connu  fui  Nachtigal.Mais 
isïons  pacifiques  parul  se  clore  à  ce  moment. 
iniii.'.ltournaux-IlupeiTé,  les  Pères  Paulmier,  Ménoret, 
iochard  furent  successivement  assassinés.  Largeau  ne  put 
■  Salah  visitée  par  Soleillet  en  1S73.  Fialterssuc- 
en  1881  dans  des  circonstances  restées  mystérieuses, 
lui,  les  Pères  Richard  Moral,  Pouplard,  le  lieutenant 
enfin  Murés  ajoutèrent  lejrs  noms  au  martyrologe 
.  Seul  l'infatigable  Foureau  poursuivait  avec  opinià- 
marche  vers  le  sud,  sans  se  laisser  rebuter  par  les 
tés.  Il  vient  de  repartir  avec  le  commandant  Lamy, 


■  Socifilé  pnr  !■■    Ik-iit'-iiunt    Olivier,  iJn    Service 

l<    ■■ -r  ■!■■  rieuc  Caillé  h  iruvers  le  Suharii  (IB3S) 

i  >  lI  .mi  nord,  île   foui  bout  Uiu  ii  h  Maroc. 


20  RAPPORT    SUR    LES    PROGRÈS   DE    LA    GÉOGRAPnlE 

le  lieutenant  Chambrun  et  d'autres  encore.  Puisse-t-il  faire 
sa  jonction  avec  le  capitaine  Voulet!  » 

Nous  ne  pouvons  que  nous  associer  à  ce  souhait. 

D'accord  avec  les  pouvoirs  publics  et  certaine  de  remplir 
le  vœu  le  plus  cher 


deRenoust  desOr- 
geries,  qui  l'a  faite 
sa  légataire  univer- 
selle, la  Société  de 
Géographie  a  con- 
fié à  M.  Foureau 
une  mission  scien- 
tifique nettement 
spécifiée  et  dont 
l'effet  sera,  si  le 
succès  répond  à 
ses  efforts,  de  relier 
par  un  même  iti- 
néraire nos  possessions  africaines.  Qu'il  nous  soit  permis 
en  saluant  les  continuateurs  de  notre  regretté  Duveyrier, 
au  moment  où  ils  quittent  Timassinine*,  de  proclamer 
notre  reconnaissance  envers  l'homme  de  bien  et  l'ardent 
patriote  que  fut  lienoust  des  Orgeries. 


F,F0!Uimi—~    Q-     o  — » 


c»ngn  et  iiam  Oiihniiimi.  —  Notre  pénétration  africaine, 
qui  a  fait  entrer  dans  le  domaine  de  la  géographie  positive 
le  Sahara  septentrional,  la  boucle  du  Niger  et  le  Soudan 
français,  n'a  été  nulle  paît  plus  profonde  que  dans  notre 
colonie  du  Congo.  Sans  reprendre  l'historique  de  cette 
France  équatoriale,  fondée  par  M.  de  Brazza,  nous  devons, 
au  moment  où  l'exécution  de  son  plan  d'exploration  s'achève, 
rappeler  les  noms  du  marquis  de  Compiègne,  de  Marche, 
de  Jacques  de  Brazza,  de  Do  treuil  de  Rhins,  de  Crampel, 


t.  Correspondante  de  SI.  l-'uurtHui  (archives). 


PENDANT   L'ANNÉE   48ÎÏ8. 


■i\ 


de  Lisfours,  ouvriers  de  la  première  heure.  Ceux-là  ne  sont 
plus;  mais  d'autres  tels  qui)  MM.  Rallay,  Mizon,  Cholet, 
[tolisie  ',  Fourneau,  Ponel,  Maistre,  Decazes,  ont  pu  parti- 
ciper au  développement  du  programme  de  1875,  agrandi 
ta  1890  et  complété  depuis.  La  pénétration  s'elfectua  soit 
parla  Sanghasoit  par  l'Oubangui  el  les  aflluents  du  Chari. 
!».  Petdrizet,  dont  les  itinéraires  au  1/100,000%  exécutés  de 
IS9&  à  1898,  s'élendent  entre  le  13=  et  le  16°  long.  E-,  le 
ï  et  le  6*  lat.  N.,  reprit  avec  succès  la  reconnaissance  de 
b  rivière  Ouom,  découverte  par  M.  Clozel  et  le  D1  Ilerr.  11 
t  suivi  cette  rivière  depuis  Gouikora  jusque  près  du  16° 
long.  E.  La  Ouom,  qu'il  écrit  Ouahm,  ne  constitue  pas  une 
«rie  navigable  et  ne  serait  autre  que  la  Ouahmé,  où  aboutit 
l'itinéraire  suivi  en  1892  par  M.  Ponel-.  Trois  points  sont 
infranchissables  :  les  chutes  de  ftoulaye,  de  Bola  et  celles 
qni  sont  situées  au-dessous  d'Ih-Oua. 

M.  J.  Bouysson,  chargé  d'une  mission  par  la  Société  du 
Haut-Ogooué,  étudie  le  sol  et  le  sous-sol  dans  la  région 
côtière  au  nord  de  Libreville  et  sur  le  Bas-Ogooué,  menant 
de  froul  des  recherches  ininéralogiques,  économiques  et 
ethnographiques,  qui  compléteront  tes  données  recueillies 
par  ses  prédécesseurs. 

Au  delà  du  Congo,  en  remontant  l'Oubangui  et  le 
M'Itomou,  nos  explorateurs  ont  reconnu  les  territoires  qui 
forment  aujourd'hui  le  Haut-Oubangui,  dont  l'organisation 
aélé  confiée  à  M.  le  gouverneur  Liotard.  Cette  désignation 
des  possessions  françaises,  qui  bordent  au  nord  l'Etat  indé- 
rtndant,  l'ut  officiellement  adoptée  en  1893. 

i  se  souvient  du  différend   franco-belge,  comme  des 


RAPPORT   SUR    LES   PROGRÈS   DE    LA    GÉOGRAPHIE 

missions  d'Uïès,  Monteil-Decazes,  qui  oui  porté  vers  l'est 
l'expansioR  coloniale  française.  Sans  refaire  l'historique  de 
notre  installation  dans  le  Haut-Oubangui,  nous  devons  rap- 
peler que  M.  Liotard,  secondé  par  des  collaborateurs  tels 
que  MM.  Cureau,  Bobichon,  Grech,  Chapuis,  Mathieu, 
Comte,  Hossinger,  fonda  le  poste  de  Taroboura,  dans  le 
Bahr-el-Ghazal,  en  février  1896,  et  qu'il  étendit  ses  conquêtes 
au  nord  en  prenant,  en  avril  1807,  Dem-Ziber  comme  base 
d'opération. 

L'œuvre  politique  accomplie  par  ce  gouverneur,  avec 
autant  d'habileté  que  de  méthode,  ne  va  pas  sans  de  pré- 
cieuses découvertes  dans  le  domaine  scientifique.  Les  races 
du  Haut-Oubangui  sont  encore  incomplètement  connues 
et  les  études  faites  sur  elles  par  nos  administrateurs  et  nos 
officiers  ont  l'importance  de  véritables  documents.  Les  notes 
que  M.  E.Carlier,  chef  de  station  dans  l'Oubangui,arecueillies 
sur  les  Bondjos,  population  anthropophage  qui  occupe  les 
deux  rives  de  ce  grand  affluent  du  Congo  jusqu'aux  envi- 
rons de  Ouadda,  sont  entièrement  nouvelles  et  nous  révèlent 
les  mœurs  et  coutumes  de  cette  race  sanguinaire,  venue 
suivant  toutes  probabilités  du  centre  de  l'Afrique'. 

De  bons  itinéraires  avaient  élé  fournis  les  années  der- 
nières, entre  Zemio  sur  le  M'Bomou  et  Dem  Ziber  dans  le 
bassin  du  Bahr-el-llomr;  mais,  faute  d'instruments  spéciaux, 
les  explorateurs  n'avaient  pu  entreprendre  une  triangulation 
régulière.  M.  le  Dr  Cureau  a  déterminé  astronomiquement 
les  positions  de  ces  itinéraires  et  étudié  la  géologie  de  celle 
nouvelle  province. 

«  La  roule  de  Zemio  à  Djebel-Mangayat,  dit-i!  dans  son 
rapport,  partant  des  bords  du  M'Bomou,  franchit  sept  bas- 
sins, dont  lesquatre  premiers  se  rattachent  par  le  M'Bomou 
au  Congo,  et  les  trois  autres  par  le  Bahr-el-Arab  au  Nil.  Ici, 
comme  sur  la  route  du  Soueh,  la  ligne  de  démarcation  entre 


;  paraîtront  dans  le  liai  le  tin  île  1899. 


PEKDJLNT   L*ANN&E   1898.  23 

les  versants  des  deux  grands  fleuves  africains  est  insensible 
et  écliappe  complète  oient  à  l'atlenlion  du  voyageur...  Le 
nivellement  barométrique  indique  pourtant  un  léger  seuil, 
Ilguré  par  un  plateau  ferrugineux  aux  parois  abruptes; 
île  part  et  d'autre  de  ce  point,  le  caractère  général  du  sol 
est  une  inclinaison  en  pente  douce  vers  le-  nord  el  le  sud... 
Ce  seuil  île  séparation  atteint  environ  ISO  mètres  au-dessus 
des  liasses  eaux  du  M'Bomou,  ce  qui  correspond  à  une  alti- 
tude de  780  mètres1.  » 

Deux  explorateurs,  dont  l'histoire  retiendra  les  noms,  le 
lieutenant  de  vaisseau  Gentil  et  le  commandant  Marchand, 
se    sont    avancés, 


ÏU>J*r   "s"'^r". 


binm 


l'un  par  la  Tomi, 
dans  le  bassin  du 
Chari,  vers  le 
Tchad,  l'autre  par 
le  M'Bomou,  dans 
le  bassin  du  Bahr- 
el-Ghazat,  vers  le 
N'il.  Tous  les  deux 
ont  touché  le  but. 
Le  magnifique 
voyage  de  M.  Gen- 
til9, qui  dura  de 
1X95  à  1898,  a  rap- 
porté à  la  géogra- 
phie un  itinéraire  de  l'Oubanguï  au  Chari,  les  levés  de  la 
Tomi,  tf"  (iribingui,  du  Chari  et  du  Babr-Erguig  jusqu'au 
Tchad.  A  cette  mission  se  l'attache  le  remarquable  itinéraire 
de  M.  Prins,  du  poste  de  Gribingui  au  pays  de  Snoussi.  Au 
total,  2,400  kilomètres  levés,  dont  plus  de  2,000  en  pays 
inconnu.  Le  tout  est  appuyé  sur  des  longitudes,  un  grand 


21  RAPPORT   SDR   LES   PltOGRÈS   DE    I.A   GÉOGRAPHIE 

nombre  de  latitudes  et  une  série  d'observations  scienti- 
fiques. Nous  allions  oublier  la  reconnaissance  du  confinent 
de  quatre  tributaires  importants  du  Chari.  Pour  la  première 
fois  un  vapeur,  le  Léon  Blot,  a  llolté  sur  les  eaux  du  grand 
lac,  dont  Monteil  avait  longé  la  rive  septentrionale,  entre 
Barroua  et  Nguigmi  (1892). 

L'heureux  chef  de  l'importante  mission  dn  Chari  a  eu 
l'honneur  de  placer  le  Baguirmi  sous  la  protection  de  la 
France  et  la  joie  de  voir  consacrer  ses  conquêtes  par  un 
traité  diplomatique.  Par  lui,  le  bassin  du  Tchad  est  devenu 
le  point  de  jonction  géographique  des  trois  groupes  qui 
composent  l'Afrique  française.  Qui  sait  s'il  ne  sera  pas 
un  jour  leur  point  de  jonction  économique?  Les  missions 
commerciales  de  MM.  de  Behagle  et  Bonnel  de  Mézieres, 
d'autres  encore,  dont  il  serait  prématuré  de  parler,  sont  un 
acheminement  dans  cette  voie.  Le  gouvernement  a  donné 
à  M.  Gentil  un  avancement  mérité  et  la  Société  de  Géo- 
graphie, qui  l'a  reçu  a  la  Sorbonne,  lui  décernera  bientôt 
sa  grande  médaille  d'or. 

Le  commandant  Marchand  quittait  Brazzaville  le  t"mars 
1897,  remontait  ensuite  l'Oubangui,  prenait,  sur  l'avis  de 
M.Liolard,  la  ligne  du  M'Bomou,  et  transportait,  à  force 
d'énergie,  toute  sa  flottille  des  bords  de  cette  rivière  dans  le 
bassin  du  Bahr-el-Ghazal.  Le  cours  inférieur  du  M'Bomou, 
impraticable,  n'a  été  franchi  ou  tourné  qu'au  prix  d'efforts 
inouïs.  L'hydrographie  de  cette  section  était  à  faire  et  fut 
faite.  Au  delà  des  grandes  chutes,  le  cours  supérieur,  encore 
inexploré,  fut  relevé  par  le  capitaine  Bustier,  qui  remonta 
cette  voie  de  pénétration  et  son  affluent  de  droite,  le  Bo- 
kou,  jusqu'à  sa  source.  Pendant  ce  temps,  le  chef  de  la 
mission  poussait  une  pointe  vers  Lado,  par  les  pays  Bongo 
et  Miltou.  La  flottille  parvint,  par  la  voie  Oubangui-M*Bo- 
mou-Bokou,  à  70  kilomètres  de  Tamboura  (bassin  du  Nil), 
soit  à  une  distance  de  plus  de  3,300  kilomètres  de  Brazza- 
ville. Le  commandant  Marchand,  après  avoir  reconnu  le 


plmiwt  l'asnée  1898.  25 

Soueh  jusqu'au  continent  de  l'Ûuaou,  lit  ouvrir  une  roule 
de  5  mètres  de  large  sur  ltiO  Momèlres  de  long  pour 
relier  les  deux  points  extrêmes  de  la  navigation  entre  le 
Congo  et  le  Nil.  Deux  canonnières,  une  dizaine  de  cha- 
lands, démontés  pièce  par  pièce,  2,000  charges  y  passèrent, 
tandis  que  lies  reconnaissances  déterminaient  le  cours  de 
l'Ouaou,  du  bas  Soueh,  du  Bahr-el-Ghaziil,  l'embouchure 
du  Bahr-e!-Arab,  puis  le  lac  No,  enfin  !e  Nil,  ou  la  flottille 


s'engagea  résolument  pour  aboutir  à  Fachoda,  le  10  juillet 
dernier'. 

Entre  temps,  la  mission  dut,  dans  un  combat  héroïque, 
triompher  des  résistances  des  Mahdistcs.  Le  but  atteint, 
elle  songea  au  ravitaillement,  lâche  diflicile  qoo  sut  remplir 
l'enseigne  de  vaisseau  Dyé,  commandant  du  Faidlterbe. 

Ce  travail  de  géant  était  achevé  et,  pourtant,  il  fallut, 
cinq  mois  après,  prendre  la  roule  à  l'est,  en  laissant  à  la 
diplomatie  le  soin  de  régler  un  différend. 


1,    au  sujet   du  Bahr-al-Gbaïal   on  peut   rappeler   I 
BcHwduflirth,  'le  r'essi  Pacha  et  du  ti'  Junker  ;  mais  les 
■::    M.LrcliriTiil  jusqu'il  ce  tributaire  du   Nil  ont  L 
de  premier  ordre  au  point  de  vue  géographique. 


26  RAPPORT   SUR   LES   TOUCHÉS    DE    LA    GÉOGRAPHIE 

AhyMHiuie  et  Sonmi.  —  L'itinéraire  du  commandant 
Marchand  se  complétera  encore  par  le  levé  du  Sobat  ou 
Baro,  de  son  confluent  à  sa  rencontre  avec  la  rivière  Djouba 
on  parvint,  après  une  longue,  périlleuse  et  laborieuse  ex- 
ploration, un  autre  Français  qui  venait  de  l'est,  II  n'a  pas 
dépendu  de  M.  de  Bonchamps  de  mener  lui-même  jusqu'au 
bout  la  reconnaissance  qu'il  avait  entreprise  et  qui,  telle 
qu'elle  est,  représente  un  des  plus  fructueux  et  des  plus 
remarquables  voyages  qui  soit  à  mentionner  dans  ce  rap- 
port1. Ses  deux  principaux  collaborateurs,  MM.  Michel  et 
Bartholin  durent  prendre  avec  lui  le  chemin  du  retour*. 

II  faut  signaler,  à  côté  de  cette  belle  exploration  en  pays 
neuf,  qui  d'Addis  Abbaba  aboutit  aux  abords  de  Nasser, 
terminus  d'un  des  itinéraires  de  Junker,  le  voyage  scien- 
tilique  de  M.  G.  Saint-Yves  dans  l'Erythrée,  sur  lequel 
nous  n'avons  encore  que  des  renseignements  incomplets  et 
celui  du  vicomte  Edmond  de  Poncins  chez  les  Danakils  et 
les  Somalis,  dont  les  mœurs  étaient  aussi  peu  connues 
que  le  pays.  M.  de  Poncins  a  relevé  environ  3,500  kilo- 
mètres de  route  sur  un  trajet  de  4,500  kilomètres.  Ses 
itinéraires  sillonnent  la  contrée  comprise  entre  Djibouti, 
Harrar,  Addis-Ahbaba  et  Ankober;  ils  lui  ont  permis  de 
dresser  une  carie  au  1/666,660*,  qui  rectifie  les  cartes  pu- 
bliées en  France  ou  en  Italie  sur  le  pays  des  Somalis  et  des 
Danakils.  Des  déterminations  d'altitudes,  des  notes  sur  le 
climat,  sur  la  faune  et  sur  la  flore  du  Choa,  i 
cabulaires  nouveaux  composent  le  bagage  scienlifiqui 

I.  La  conférence  de  H.  de  ttoncliamps  a  eu  lieu  à 
que  la  ierture  de  ce  rapporL;  iiiissi  avi.us-nous  laissi'- 
même  le  soin  d'exposer  les  résultats  scientifiques  de 
(,'.  R„  1898,  p.  456,  ei  Bulletin,  1898,  4-  trimestre,  p.  404-4SJ 

8.  mm.  Poller  et  Faivre,  sut  les  Instaures  de.  M.  de  Born-Jr 
veinent   atteint,  repartirent  avec  le  dadjaz 
atteignirent    le   cod Huent    Sobal-Nil  en  juin   1898.  Noua 
douloureuse  nouvelle  de  la  mort  de  M.  Potier,  lue  dan- 
nu  moment  où  il  regagnait  !e  plateau  tHliiopien. 


PENDANT    L'ANNÉE    IX! 


M 


ce  grand  chasseur,  qui  ne  dissimule  pas  ses  sympathies 
pour  les  races  guerrières  avec  lesquelles  il  a  vécu  h  dans  ce 
désert  soraal  brûlé  par  un  soleil  de  feu,  où  les  feuilles  de 
cactus  se  dressent  rigides  comme  un  fer  de  lance'  ». 

On  connaît,  d'autre  part,  les  tentatives  hardies  du  prince 
Henri  d'Orléans  et  du  comte  Léonliefl',  celle  de  M.  Clo- 
chette, mort  à  la  peine,  et  certaines  missions  qui  eurent 
pour  objectif  les  régions  situées  au  sud  de  l'Ethiopie. 

La  roule  suivie  par  M.  Darrag«u  entre  Addis-Ahbaha  et 
le  lac  Stéphanie  est  nouvelle.  Bien  que  le  voyageur  ail  été 
souvent  contrarié  dans  ses  observalions  par  un  brouillard 
épais  et  qu'il  n'ait  pas  eu  à  sa  portée  d'instruments  précis, 
il  a  réuni  des  documents  intéressants  sur  la  rivière  Sageun 
et  sur  les  montagnes  entourant  le  lac  l'agadé  (juin-ocl. 
DWT).  Celui-ci,  reconnupar  la  mission  Boltego  (1895-181)7), 
avait  été  signalé  longtemps  auparavant  par  M.  A.  il'Ab- 
badie  ;  mais  le  petit  lac  Abbasi  ne  figurait  sur  aucune 
carie. 

Deux  voyageurs  autrichiens,  le  comte  E.  deWickenbourg 
et  M.  Wahrmanu1,  tentèrent  vainement  de  traverser  le 
Choa  ;  ils  se  heurtèrent  à  un  refus  du  Négus  et  durent  li- 
miter au  pays  des  Somalis  leurs  explorations.  Le  comte  de 
Wickenbourg  a  effectué  deux  itinéraires.  Le  premier,  de 
mars  à  octobre  1897,  a  été  mentionné  l'an  dernier.  Ce  tracé 
circulaire,  de  3  degrés  de  diamètre  environ,  part  de  Ber- 
bera  sur  le  golfe  d'Aden,  traverse  le  pays  inexploré  des  Dol- 
bobanlé  et  l'Haoud.  Le  second  se  développe  dans  le  sul- 
tanat de  Zanzibar  et  aux  confins  des  colonies  allemandes 
et  anglaises  de  l'Afrique  orientale  ;  il  contourne  à  l'est 
le  Kilimandjaro  et  longe  le  Tsavo,  de  sa  source  au  tracé 
du  chemin  de  fer  de  l'Ouganda,  à  peu  de  dislance  du 
Sabaki. 


.  Bulletin,  18US.  1"  irimeslra,  ( 
i.  felernuznn's    MilteiluiHjru., 


.  p.  4SI:  curie.  —  MUr.  Suc. 


28  RAPPORT   SUR    LES   PROGRÈS   DE    LA   GÉOGRAPHIE 

Le  voyage  de  M.  Wahrmann,  achevé  en  1898,  se  rap- 
proche d'abord  du  la  partie  orientale  du  premier  itinéraire 
de  sors  compatriote  et  porte  également  sur  des  régions  nou- 
velles, telles  que  le  Fafan.  Sa  route  traverse  les  vallées  du 
Biahemedou  et  du  Boholorlimou,  longe  le  Daghbour  jusqu'à 
sa  jonction  avec  le  Ouebi-Cbebel,  prend  ensuite  une  direc- 
tion nord  et  se  poursuit,  non  sans  peine,  par  le  pays  des 
Ali  Somalis,  vers  l'IIaoud.  Cet  itinéraire,  joint  aux  premiers 
levés  tle  M.  de  Wickenbourg,  constitue  un  document  carto- 
graphique important  sur  la  région  comprise  entre  l'Abys- 
sinie,  le  bassin  de  la  Djouba  ut  le  cap  Guardafui. 

Les  missions  Wellby  et  Delamere  ont  également  dirigé 
leurs  explorations  dans  celte  partie  de  l'Afrique,  le  premier 
au  sud-ouest  de  l'Abyssin ie,  le  deuxième  dans  le  pays  des 
Somalis. 

Au  cours  d'un  voyage  en  Ethiopie,  le  D*  Slcboussof  a  pu 
visiter  les  sources  sacrées  du  Nil  Bleu  et  le  lac  Tana. 


Afrique  opifinnic.  —  Si  la  descente  du  Nil  n'a  pas  ré- 
pondu aux  espérances  de  l'Angleterre,  sa  montée  s'est 
effectuée  avec  autant  de  méthode  que  de  succès.  A  vrai  dire, 
ceci  n'est  plus  de  l'exploration.  Mais,  cependant,  il  est  bon 
de  retenir  quela  marche  sur  Khartoum,longleinps  différée, 
n'a  été  entreprise  que  le  jour  où  les  Anglo-Égyptiens  se 
sentirent  appuyés  par  une  voie  de  communication  capable 
d'assurer  le  ravitaillement. 

Leur  mode  de  pénétration,  moins  rapide  que  le  nôtre, 
aboutit  à  une  prise  de  possession  durable.  Nous  avons 
examiné,  l'an  dernier,  les  grands  travaux  des  [lusses  le  long 
du  Transsibérien  et  du  Transcaspien  ;  nous  pourrions,  de 
même,  exposer  les  grands  travaux  des  Américains  et  des 
Canadiens  et,  sans  sortir  de  l'Afrique,  les  grands  travaux  des 
Anglais,  des  Allemands  et  des  Belges. 

La  pénétration  anglaise  au  Soudan  s'est  affirmée  après 
la  prise   d'Omdurman  ;    mais   elle  se   manifestait   depuis 


PENDANT    L'ANNÉE   1898. 


29 


de  longues  années  sur  la  ligne  Le  Cap-Alexandrie1.  On 
connaît  la  voie  projetée  de  Souakim  à  Berber  ;  il  faut 
citer  aussi,  du  côté  des  cataractes,  le  chemin  de  fer  de  Ko- 
rosko  à  Abou  Ahmed  et  Berber  qui  coupe  la  boucle  du  Nil 
et  doit  aller  jusqu'à  Khartoum.  La  pose  des  rails,  qui  con- 
vergent vers  le  Victoria-Nyanza,  s'effectue  rapidement  et  le 
chemin  de  fer  de  Mombassa  au  grand  lac  ne  progresse  pas 


100  kilom. 


ÂLbtrt 


moins.  Sur  423  kilomètres,  261  étaient  livrés  à  la  circula- 
tion en  août  dernier.  La.  voie  s'arrêtait  à  Mtoto-Andéï; 
Maji-Choumoï,  lieu  situé  à  53  kilomètres  de  la  côte,  était 
signalé  comme  le  point  culminant  de  toute  la  ligne  entre  le 
lac  Victoria  et  la  mer8.  Une  route  carrossable  relie  déjà 
ces  deux  localités.  Cette  entreprise  assurera  à  l'Angleterre 
la  possession  du  grand  plateau  central. 


1.  Carte  de  la  vallée  du  Nil,  du  lac  Tchad  et  du  Congo,  par  Prompt, 
H.  Barrère,  éd.  Paris,  1898.  —  Afrique,  carte  générale  des  voies  de 
communication,  Service  géographique  des  colonies,  1897. 

2.  Peterm.  Mitt.,  X,  1898,  p.  231. 


30  RAPPORT   SIM    LES    PKOGIIÈS    HE    L\    GËOGIUPI1IE 

Un  lil  télégraphique,  en  attendant  une  ligne  de  Ter,  longe 
le  lac  Nyassa  qu'il  rattache  au  Tanganyîka.  Plus  bas,  c'est 
la  voie  ferrée  qui,  du  Cap,  par  Mafeking,  Boulouvayo,  va 
rejoindre  le  Zamhèze  et  le  rentre  africain. 

Sur  la  côte  occidentale,  les  efforts  ne  sont  pas  compa- 
rables, mais  la  même  tendance,  le  même  procédé  de  péné- 
tration apparaissent.  Nous  n'en  voulons  pour  exemple  que 
les  travaux  commencés  en  Sierra-Leone. 

Parmi  les  missions  anglaises  dans  l'Afrique  centrale  et 
l'Afrique  orientale,  se  distinguenl  celles  de  MM.  Gibbons 
(Haul-Zambèze),  Wallace  (lac  Roukoua),  Cîaud  Hobart  (ré- 
gion est  du  Vicloria-Nyanza),  Kirkpatrîk  (lac  Kodja),  Mac- 
donald  (de  l'Ouganda  au  lac  Ilodolphe). 

L'imporlance  du  plateau  central  et  de  la  région  des 
grands  lacs  n'a  pas  échappé  a  l'Allemagne.  Son  projet  de 
chemin  de  fer  de  Tanga,  eu  face  de  111e  Pemba,  à  Aroucha, 
est  en  bonne  voie  d'exécution.  On  le  prolongera  sans  doute 
jusqu'au  Victoria-Nyanza,  parallèlement  à  la  ligne  anglaise 
de  Mombassa.  Une  aulre  voie  ferrée  reliera  le  port  de  Ita- 
gamoyo.  en  l'ace  de  Zanzibar,  à  Oudjidji,  sur  le  lac  Tanga- 
nyika.  Il  est  même  question  de  faire  partir  de  Tahora  un 
embranchement  vers  le  nord,  qui  détournerait  le  commerce 
de  l'Ouganda  de  sa  voie  naturelle. 

L'Est  africain  allemand,  riverain  des  trois  grands  lacs,  a 
été,  dans  ces  trois  dernières  années,  parcouru  et  levé  en 
plusieurs  sens  par  les  missions  Prince,  lïornhardt,  Capus  et 
Wulfeu,  Trolhn,  Eflgelhardt,  Knndl.  Ilamsay.  M.  Boruhardt, 
entre  autres,  a  étendu  ses  levés,  appuyés  sur  des  détermi- 
nations astronomiques,  de  Dar-es-Salam  a  Hovouma,  le  long 
de  la  côte,  puis  de  la  baie  de  L'mdy  au  lac  Nyassa,  entin 
dans  la  région  que  baigne  le  nord  de  ce  lac.  M.  Engelbardt 
a  relevé  le  cours  supérieur  du  Rovouma  et  sillonné  le  sud- 
ouesl  de  la  colonie.  Le  11'  Kandl  a  exploré  le  sud  du  bassin 
du  M.dagarasi,  tributaire  du  Tangaoyika.  La  partie  nord  re- 


i 


PENDANT    L'ANNÉE   1898.  31 

vient  au  colonel  de  Trotha  qui  fit  également  des  levrs  dans 
rOuroundi  et  sur  le  littoral  du  Victoria1. 

En  parlant  des  missions  belges  Lange  et  Long  au  lac 
Rivou,  nous  avons  eu  l'occasion  de  citer,  dans  le  rapport  de 
1897,1e  nom  du  capitaine  allemand  Ramsay2.  Son  œuvre 
est  aujourd'hui  mieux  connue.  Dès  février  1897,  le  major 
Wissmann  l'envoyait,  avec  une  forte  escorte,  sur  les  bords 
du  Tanganyika.  De  Bagamoyo,  en  face  de  l'île  de  Zanzibar, 
il  se  rendit  à  Tabora  par  la  région  peuplée  et  fertile  de 
Tourou,  traversa  trois  tributaires  du  lac  qu'il  atteignit  le 
8  mai.  Pendant  dix-huit  mois,  il  rayonna  dans  cette  con- 
trée. La    géographie  lui  doit  la  reconnaissance  du  haut 
Malagarasi,  le  cours  de  la  Kagera,  du  Rouvourou  et  du 
Louviranza,  à  l'extrême  nord  du  Tanganyika.  Il  a  complété 
et  rectifié  les  données  fournies  par  le  Dr  Raumann.  Sans 
résoudre  complètement  la  queslion  des  sources  du  Nil,  il  a 
comblé  bien  des  lacunes  de  la  carte  au  nord-ouest  de  la 
colonie  allemande.  Le  pays  parcouru,  d'une  fertilité  re- 
marquable, contient  des  plateaux  comme  celui  de  Rouanda, 
qui  s'élèvent  parfois  à  une  altitude  de  2,000  mètres,  et  un 
lac  (lac  Ssakke),  de  7  kilomètres  sur  3,  dans  lequel  la  sonde 
accusait   2  m.  75  ou  3   mètres  de  profondeur.   Au   sud 
d'Oudjidji,  une  autre   exploration  du  capitaine  Ramsay  a 
augmenté  nos  connaissances  sur  le  versant  est  el  sud-est  du 
Tanganyika,  dans  le  Kaouendé  et  le  sultanat  de  Fipa.  Ses 
observations  portent  encore  sur  le  lac  Roukoua,  situé  au 
pied  d'un  plateau  de  1,500  mètres  d'altitude.  Toute  cette 
région  déshéritée  contraste  avec  les  riches  territoires  du 
nord;  aussi  le  caractère  des  indigènes  se  ressent-il  de  ce 

dénuement. 
Le  Kilimandjaro,  découvert  par  l'Allemand  Rebmann  en 

1848,  a  tenté,  cette  année  encore,  le  célèbre  ascensionniste 


i.  VerhandU  Soc.  Géogr.  Berlin,  1898,  n°  5-6,  p.  270. 
t  ibid.,  I8H8,  P.  302. 


SlïR    l.ËS    PltOCRKS    HE    L\   GÉOGRAPHIE 

H;ins  Mayer,  qui  reconnut,  sur  le  versant  nord,  un  vaste 
plateau  et  trois  glaciers  s'élevanl  à  plus  de  5,000  mètres. 
Son  exploration  lui  permit  de  déterminer  la  limite  des  fo- 
rets et  des  laves. 


Oneal  nfricnin. — Les  reconnaissances  effectuées  depuis 
quatre  années  dans  le  Damaraland,  appela  aussi  Damaland, 
nécessiteraient  un  remaniement  complet  de  la  carie.  Des 
éludes  nouvelles  ont  amené  la  rectification  du  cours  du 
fleuve  Orange  et  de  l'Okavango,  des  modifications  pro- 
fondes dans  l'hydrographie  et  surtout  dans  l'orographie  de 
celte  colonie,  où  les  Allemands  vont  construire  un  chemin 
de  fer,  qui  reliera  la  haie  de  la  Baleine  (Walfish  Bay)  à  la 
jeunecapila!e,Windhoek,ailuéeau  pied  du  montOlyhivère. 

Le  même  esprit  pratique  dirige  la  colonie  allemande  de 
Cameroun,  qui  se  dispose  à  rendre  effective  la  possession 
des  territoires  du  bassin  du  Congo  que  la  convention  franco- 
allemande  de  1894  lui  a  dévolus.  Déjà,  M.  le  lieutenant  de 
Carnap  a  étendu  ses  reconnaissances  au  sud-est  de  celte 
colonie  et,  de  là,  par  la  Sangha  et  l'Oubangui,  s'esL  rendu  au 
Stanley  Pool  pour- prendre  part  à  l'inauguration  du  chemin 
de  fer  congolais.  L'occupation  de  la  partie  allemande  de 
la  vallée  de  la  Sangha  aura  sans  doute  pour  conséquence 
la  mise  en  valeur  de  celte  région1. 


Le  gros  événement  qui,  en  juillet  dernier,  faisait  affluer 
dans  l'État  indépendant  du  Congo  les  délégués  des  princi- 
pales puissances  est  l'inauguration  du  chemin  de  fer  de 
Matadi  à  Slanley  Pool.  Nous  ne  pouvons  que  féliciter  nos 
voisins  d'avoir  su  mener  à  hien,  malgré  la  difïiuullé  du  ter- 
rain, cette  entreprise  qui  transformera  les  conditions  éco- 
nomiques de  toute  l'Afrique  équatoriale.  Pour  utiliser  cet 
immense  réseau  navigable  qui  s'étale  entre  le  Nil  et  le  Zam- 


1.  Le  Temps,  17  d 


PENDANT   L'ANNÉE    IS98.  33 

léze  et  se  réunit  au  Stanley  Pool,  il  fallait   ou  forer  un 

■  dans  un  relief  de  300  kilomètres  ou  tracer  une  voie 
contournant  les  rapides  sur  une  longueur  de  390  ki- 
es.   Le  dernier  plan,  seul  pratique,  fut  exécuté  en 

huit  ans  et  ne  coûta  pas  moins  de  tiâ  millions;  aujourd'hui 

relie  en  quelque  sorte  le  Tanganyika  à  l'Atlantique 

et  elle  ouvre  aux  marches  de  l'Europe  tout  le  centre  africain. 

Le  roi  des  Belges  a  attaché  son  nom  à  celle  œuvre  que  le 

major  Thys  et  notre  compatriote  M.  Espanet  surent  diriger 

i  et  terminer  ;  mais  d'autres  ont  concouru  au  succès  de  cette 

I   entreprise  en  démontrant  son  utilité  par  leurs  explorations. 

' oniprenona-nous  la  fierté  de  la  Belgique  qui  fMe  en 

■  Irconstance  les  Delcommune,  les  Cambier,  les  Dha- 
,             es  Lolhaire,  les  Chaltin,  etc.,  qui  tous  ont  concouru  à 

commune. 

■■dafiaeir,  —  Une  dernière  œuvre  géographique  nous 
retiendra  encore  quelques  instants  dans  le  groupe  africain, 
c'est  celle  que  notre  illustre  collègue,  le  général  Callieni, 
gouverneur  général  de  Madagascar,  accomplit  dans  la  grande 

',  La  pacification  se  produit  activement  sur  tous  les  points 
les  Sakaîaves  suscitaient  des  troubles,  et  les  opérations 
d«s  colonels  Sucillon  eLLyauley,  des  commandants  Gérard, 
l'iitz,  Durand,  du  capitaine  Lucciardi,  etc.,  dont  les  derniers 
(bmrlers  nous  apportaient  des  nouvelles,  amènent  chaque 
jour  la  soumission  de  groupes  importants. 

La  route  carrossable  qui  reliera  Tananarive  à  Fiana- 
nntsoa  est  activement  poussée  sous  la  direction  du  com- 
mandant Lavoisot. 

Celte  dernière  ville,  capitale  du  Betsiléo,  a  été  le  point  de 
départ  d'explorations  qui  nous  intéressent  d'une  façon  toute 
-|HVi:ik\  Celle  du  capitaine  de  Tbuy  couvre  une  région  très 


lit   Madaqnicar,   Paris,   1898.   —    i 
BMiwncci,  Tananai'ive,  1KH8. 

I  démh.  -  1"  TBiMsatKE  ISS». 


Ht  RAPPORT   SUR    L1ÎS   J>nOCRÈS    DE    LA   GÉOCRAPfflE 

peu  connue  où  ae  développe  la  vallée  du  Mangoky.  Un  mé- 
moire, parudanslesA'ofi'*,  Reconnaissances  et  Explorations 
de  janvier  1898,  conlienl  des  indications  précieuses  sur  la 
nalure  physique  du  pays  Bara,  la  navigabilité  du  Heuve  et 
les  ressources  de  la  contrée. 

Le  capitaine  Lefort,  parti  du  même  point,  se  porta  au 
sud,  releva  la  Mananara  jusqu'à  son  embouchure  dans  la 
mer  des  Indes,  descendit 
à  Fort-Dauphin,  puis  re- 
montant au  nord  par  les 
affluents  du  Mandrare,  il 
passa  dans  les  vallées  du 
Mançoky  et  de  l'ihosy 
pour  retourner  à  Fiana- 
rantsoa.  Au  nord-est  de 
cette  ville,  M.  le  chance- 
lier Durand  a  enlrepris 
diverses  reconnaissances. 
Dans  le  Belsimisaraka,  le 
lieutenant  Braconnier  a 
éludié  les  bassins  côtiers. 
Dans  l'Ambongo,  le 
Milanja  et  le  Bouéni,  où- 
îl  a  effectué  up  parcours  de  plus  de  600  kilomèlres,M.  Prince, 
pharmacien  de  la  marine,  a  pu  réunir  des  noies  géologiques, 
zoologiques,  botaniques  et  économiques  consignées  dans 
son  journal  de  marche.  Malheureusement  son  «pim-aiiini 
dans  des  régions  accidentées  et  parfois  malsaines  a  dépassé 
ses  forces  et  il  est  mort  à  Majunga  au  mois  de  mars  1898. 

L'bypsomélrie  de  la  partie  nord  de  Madagascar  se  lixe,  et 
M.  E.  F.  Gautier  a  pu  en  donner  la  description  en  s'appuyant 
sur  les  voyages  de  MM.  Meurs,  Boucabelle,  Duruy  et  sur  les 
colonnes  du  capitaine  de  Bouvié.  Indépendamment  du  grand 
massif  de  l'imérina,  il  existe  un  plateau  très  élevé  au  nord. 
Une  large  vallée  sépare  ces  deux  soulèvements  et  forme  la 


PENDANT  l'année  1x98.  35 

mute  naturelle  qui  relie  l'est  à  l'ouest,  c'est-à-dire  le  Bel&i- 
lïiisamka  au  liouéni.  C'est  le  chemin  du  commerce,  qu'il 
était  important  d'explorer.  Aussi  de  nombreuses  recon- 
n ces  ont-elles  été  dirigées  dans  la  vallée  duMahajamba 
H  du  Bemarivo  et  sur  les  bords  du  lac  Alaolra. 

Sur  le  versant  occidental  du  plateau  du  nord  jusqu'au  ca- 
n.')!  de  Mozambique  s'étend  l'itinéraire  de  la  mission  i. 
Milkovski  et  A.  J.  Boyer,  limité  Its  long  de  la  cote  par  l'em- 
bouchure de  la  Betsiboka  et  la  baie  du  Mabajamba. 

Il  faut  remonter  plus  haut  encore,  atteindre  Nossi-bé, 
puis  aborder  à  Ambohimitatao,  dans  la  baie  Ampasindava, 
pour  suivre  la  route  levée  au  théodolite  par  notre  collègue 
M.  de  Hechniewski  '.  Il  remonta  en  avril  dernier  le  Sambi- 
m  no  et  sillonna  la  partie  occidentale  de  l'Ankaiana,  puis  il 
;  la  baie  d'Ambaro  et  celle  de  Tsimipaika.  La  zone 
montagneuse,  1res  fertile,  rappelle  certains  sites  de  l'Amé- 
rique du  Sud,  tels  que  la  région  du  Chaco  et  du  Paraguay  ; 
l'autre,  proche  de  la  mer,  est  sablonneuseou  marécageuse, 
parfois  propre  à  l'élevage,  ruais  moins  riche  que  la  vallée  du 
Sambirano. 

Du  voyage  de  M.  Guillaume  Grandidier,  nous  avons  eu 
déjà  l'occasion  de  parler  '.  Nous  connaissons  les  recherches 
pal éontologiq ues  de  cet  explorateur  sur  la  côte  ouest,  au 
Morondava,  ses  itinéraires  dans  le  bassin  del'Onilahy,  dont 
il  releva  plusieurs  affluents.  11  fut  attaqué  deux  fois  par  des 
partis  Bara  en  remontant  du  pays  des  Antanosy  émigrés  à 
Ihosy.  Continuant  sa  roule  par  le  Hetsiléo  jusqu'en  Imérina  . 
il  atteignit  Tananarive.  Il  décrivit  ensuite  un  autre  itinéraire 
dans  le  ttouéni  et  l'Antsihanaka.  Si  ses  projets  se  réalisent, 
M.  Guillaume  Grandidier  rentrera  en  France  au  milieu  de 
mai,  quatorze  mois  après  son  départ.  Son  voyage,  préparé 
née  soin,  sera  profitable  à  la  géographie  physique  et  à  l'his- 


36  RAPPORT   SUR   LES   l'BllGRÈS    f>E    LA    <;KO<iRAPPIE 

toire  naturelle.  Il  a  réussi  à  accomplir  une  œuvre  scientifi- 
que et  ulile  dans  celle  grande  île  que  le  labeur  de  son  père 
a  si  largement  contribué  a  faire  entrer  dans  le  patrimoine 
intellectuel  et  moral  de  la  France,  avant  qu'elle  ne  lit  partie 
intégrante  de  notre  domaine  colonial. 

L'étude  des  routes  et  îles  voies  ferrées  suffirait  à  elle  seule 
pour  remplir  une  séance '.  On  en  trouvera  les  éléments  dans 
les  Notes,  Reconnaissances  et  Explorations  comme  dans  le 
liuUrtin  du  comité  de  Madagascar,  qu'il  s'agisse,  par 
exemple,  des  routes  destinées  à  relier  Tananarive  à  Fiana- 
rantsoa  et  à  Andévoranle  ou  qu'on  se  reporte  au  tracé  du 
chemin  de  fer  de  Tamalave  à  Tananarive. 

La  tache  accomplie  sous  l'impulsion  du  général  Gallieni 
pendant  l'année  qui  finit,  mériterait  de  plus  amples  déve- 
loppements. Mais,  forcé  de  nous  resleindre,  nous  n'avons 
pu  que  l'indiquer.  Elle  n'est  pas  seulement  précieuse  pour 
le  géographe  ;  elle  est  réconfortante  pour  le  Français. 


A*la  niHHo.  —  La  part  faite  dans  le  rapport  de  1893  aux 
travaux  des  Russes  en  Asie  rendrait  superflu  un  nouvel 
aperçu  du  plan  qui  s'exécute,  fie  plan,  d'ailleurs,  ne  pouvait 
manquer  d'attirer  l'attention  des  géographes  en  raison  des 
découvertes  que  son  étude  et  son  exécution  ont  entraînées. 
Nous  sommes  heureux  de  constater  que  des  érudits'  ont 
pu  donner  depuis  à  ce  sujet  plus  de  développement  que 
n'en  comporte  la  revue  des  faits  géographiques  d'une  année. 

Les  progrès  continus  de  nos  connaissances  sur  la  côte 
sibérienne,  sur  le  parcours  du  Transsibérien  et  du  Trans- 


1.  Une  noie  iléUtillée  iW.  M.  Jugaa 
1899. 

t.  Annales  de  féogr.,  article  île  M 
Kuitiri  en  Asie  septentrionale,  l.  VII 


s  C.  /?.  île 


PENDANT   L'ANNÉE    1898.  37 

,  sur  les  frontières  île  l'Empire  russe,  dans  le  bassin 

s  grands  fleuves  et  sur  le  versant  de  l'océan  Pacifique,  né- 
cessitent une  réfection  de  la  carte  de  l'Asie  septentrionale 
Et  d'une  grande  partie  de  l'Asie  cenlrale. 

Du  jour  où  la  navigation  sur  le  cours  de  l'Ob  et  de 
l'Ienisseï  a  été  admise  comme  possible,  nous  avons  eu  à 
tenir  compte  de  reconnaissances  hydrugraphiques  qui  ont 
précisé  les  découpures  des  estuaires.  Nous  avons  cité  les 
recherches  de  M.  VilkiUki,  celles  du  capitaine  Wiggins  et 
l'expédition  de  M.  Hogdanovitch  vers  la  mer  d'Okhotsk  et  le 
Kamtchatka. 

A  l'est  de  l'élranglement  de  cette  presqu'île,  la  mer  de 
Behring  baigne  les  côtes  d'une  terre  peu  connue,  l'île  Kara- 
ghinski.  Deux  officiers,  MM.  Barrel-Hamillon  et  Jones  lui 
rendirent  visite  en  août  1897  '.  Son  exploration  méthodique 
fut  entreprise  par  eux.  Aujourd'hui,  sa  forme,  son  étendue, 
sa  position  sont  déterminées.  A  ces  résultats  s'ajoutent  des 
observations  sur  la  température  de  l'eau  dans  le  détroit 
d'Oukinsk  et  des  rensei- 
gnemenls  précis  sur  les 
habitants  de  l'île,  mé- 
lange de  Tcboukchis,  de 
Koriak  et  de  Kamtcha- 
dals  se  rattachant  à  la 
race  mongole. 

Au  cours  de  ses  excur- 
sions entre  la  Lena  et  la 
Kolyma,  sur  le  littoral 
del'océanGIacial  ctdans 
les  bassins  qui  s'y  déversent,  M.  loehelson  s'est  surtout  oc- 
cupé des  races  aborigènes  sans  ccpendanL  négliger  le  cûlé 
raphiqtie*.  Pour  s'en  convaincre  il  suffit  de  jeter  les 
s  sur  le  cliché  ci-dessus. 


J8  IUPPOIIT    SUH    LES   PROGRÈS    UE    LA    GÉOGRAPHIE 

Les  entreprises  de  la  Société  hambourgeoise  ont  un  tout 
autre  caraclère.  Leur  bul  est  d'assurer  lin  transit  régulier 
sur  le  fleuve  Amour.  Peu  à  peu  la  vie  économique  pénètre 
en  Sibérie  par  le  nord  et  par  l'est,  en  même  temps  qu'elle 
afflue  dans  le  cœur  même  de  l'Asie  par  le  Transsibérien. 

Les  deux  tronçons  de  la  grande  ligne  transcontinentale 
se  rapprochent.  La  locomotive  relie  Irkoutsk  à  Moscou  et 
Vladivostock  à  Strelensk.  Encore  un  elFort  et  la  soudure 
se  fera  à  travers  la  Transbaïkalie. 

L'artère  immense,  qui  mettra  dans  un  avenir  prochain 
Moscou  en  relation  avec  Port-Arthur,  établira  de  même 
une  communication  entre  la  mer  Jaune  et  la  mer  Blanche 
par  l'embranchement  qui  passe  à  Vologda  et  rejoint 
Arkhangel. 

.■i-.tr  ceotraie  et  Tibet.  — La  carte  de  l'Altaï,  qui,  dans 
toute  sa  partie  orientale,  est  loin  d'être  achevée,  s'est  cepen- 
dant transformée  depuis  quelques  années  par  les  décou- 
vertes de  MM.  Sapojzrikof,  Sobolef,  Ignalof  et  Loulzenko, 
Tronof,  etc.  L'idée  que,  seul,  le  massif  de  la  Beloukba 
contenait  des  glaciers,  n'a  pas  tenu  devant  cette  enquête  qui 
signala  la  présence  d'autres  glaciers,  notamment  dans  les 
monts  de  Katoun  et  les  monts  Kanas  situés  à  l'ouest  et  au 
sud  de  ce  groupe,  qu'on  compare  aujourd'hui  à  la  chaîne 
des  Alpes. 

Plus  au  sud,  M.  Pantoussolf,  conseiller  d'Etal  à  Vernyi, 
entreprit  une  exploration  qui  amena  la  découverte  sur  les 
bords  rocheux  de  l'Ili  d'une  série  d'inscriptions  et  de  ligures 
kalmoukes  et  tibétaines  gravées  dans  la  pierre,  et  dont  les 
photographies  sontà  la  Société1. 

Ici  nous  sommes  dans  le  Sémiretchiè,  où  se  développe  la 
partie  occidentale  du  système  des  Tian-chan  dont  M.  Saint- 
Yves  étudiait,  l'an  dernier,  les  six  rameaux  principaux  en 

1.  Compte-  note,  tWH,  p.  :tit-:tii. 


PENDANT  L'ANNÉE    1898.  39 

s'appuyant  sur  les  travaux  cartographiques  de  l'état-major 
russe. 

C'est  d'Och  en  Ferghana  que  partit  sous  la  direction  du 
lieutenant  Olufsen  *  la  seconde  expédition  danoise  au  Pamir, 
pour  y  continuer  ses  levés  topographiques  et  ses  observa- 
tions physiques. 

L'élé  se  passa  à  lever  la  carte  de  plusieurs  lacs  tels  que 
le  Yachil-koul,  le  Bouloun-koul,  leFous-koul  et  deux  autres 
nappes  voisines  de  la  passe  Chargach,  situées  à  plus  de 
4,000  mètres  d'altitude.  En  se  rendant  par  le  Vakhan  sur 
les  rives  du  Pàndj,  la  mission  a  traversé  une  région  criblée 
de  sources  sulfureuses  jaillissantes  qui  font  songer  au  Yel- 
lowstone  Park  des  États-Unis.  Des  sondages,  des  observa- 
tions astronomiques  et  météorologiques  appuient  ces  levés, 
qui  seront  continués  après  l'hiver. 

L'accès  du  Ferghana  est  actuellement  facilité  par  les 
progrès  du  Transcaspien.  Cette  ligne  est  construite  d'un 
côté,  jusqu'à  Tachkent,  avec  prolongement  sur  Vernyi,  de 
l'autre  jusqu'à  Andidjan. 

Nous  n'avons  pas  d'explorations  importantes  à  signaler  à 
l'ouest  de  l'empire  des  Indes,  si  ce  n'est  la  dernière  partie 
du  long  voyage  de  M.  Marcel  Monnier  3,  qui  se  fît  sur  l'iti- 
néraire parcouru  par  les  invasions  mongoles.  En  sep- 
tembre 1897,  nous  l'avions  laissé  devant  les  ruines  de 
Karakoroum.  Des  rives  de  l'Orkhon  il  gagna  les  sources  de 
l'Ob,  traversa  le  Turkestan,  atteignit  la  Perse.  A  la  fin  de 
janvier  1898,  il  était  à  Téhéran.  Un  mois  plus  tard,  par 
l'Euphrate  et  Babylone,  il  arrivait  à  Bagdad  et,  le  26  juin,  il 
rentrait  à  Paris  après  quatre  ans  d'absence  avec  un  levé  au 
l/100,000e  de  plus  de  2,000  lieues.  Il  y  aurait  lieu  d'insis- 
ter sur  les  résultats  géographiques  de  ce  voyage  si  nous 
n'avions  déjà  apprécié  dans  les  publications  de  la  Société 
les  travaux  de  M.  Marcel  Monnier. 

1.  C.  R.9  p.  297. 

1  C  R.,  1897,  p.  358-361;  1898,  p.  296-297.  V.  carte  ci-contre. 


HÀPPORT    SUR    LUS    PIlOlîH 

L'expédition  austro-suédoise  du  comte  Landberg  et  < 
professeur  David  Millier,  partie  récemment  pour  étudier  l 
ruines  de  l'Arabie,  n'est  encore  qu'à  ses  débuts. 

Les  observations  de  M.  Spindler  dans  le  Kara-Bougaz 
portent  principalement  sur  la  température  des  eaux  de  la 
Caspienne1, 

Celles  de  M.  de  Déchy*  dans  le  Caucase  concernent  les 


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•»—■**         ^Éi^^à 

MARCEL  MOfUMCR 

glaciers  et  sont  une  précieuse  contribution  à  la  géographie 
physique  de  ce  grand  massif,  sur  les  versants  duquel  M.  le 
baron  de  Baye  dirige  ses  recherches  ethnographiques. 

Dans  l'Inde,  en  dehors  des  opérations  militaires  des 
Anglais  et  des  tentatives  de  pénétration  dans  le  Tibet  par  le 
Ladak,  il  faut  noter  le  voyage  du  capitaine  Novilzki,  de 
l'armée  russe.  Parti  de  l'Inde  méridionale,  il  visita  le 
Beloutchistan  anglais,  le  territoire  des  Afridis  et  rentra  en 
Russie  par  le  Kachmir  et  le  Turkestan  oriental,  rapportant 


PBSDÀST  l'anhée  1H98. 
de  son  voyage,  outre  ses  noies  et  ses  levés,  i 


il 


collections 
géologiques  et  d'histoire  naturelle. 

Le  cœur  même  du  Tibet  n'a  pas  été  atteint  par  des  Euro- 
péens depuis  le  mémorable  voyage  de  Dulreuil  de  Rhins; 
mais  l'ampleur,  l'importance  de  ta  parlie  scientifique  de  cette 
exploration,  qui  coûta  la  vie  à  notre  collègue,  s'éclaire  d'un 
jour  singulier  à  mesure  que  la  publication  des  travaux 
accumulés  par  la  mission  se  poursuit.  Ce  sera  l'honneur  de 
M.  Grenard,  second  de  Dutrcuil  de  Rhins,  d'avoir,  par  un 
travail  opiniâtre,  rassemblé  et  mis  en  valeur  tous  ces  maté- 
riaux pour  en  faire  un  monument  durable.  N'ayant  pu 
sauver  la  vie  de  son  chef,  M.  Grenard  a  conservé  son  œuvre, 
et  il  nous  la  rend  en  3  volumes,  qui  supposent  chez  leur 
NAeurdes  connaissances  aussi  variées  qu'étendues. 

Detix  autres  voyages  accomplis  au  Tibet,  l'un  avant, 
l'autre  après  la  mission  Dulreuil  de  Rhins,  ont  été  publiés  en 
1898. 

Le  premier,  exécuté  de  1891  a  1893  par  M.  Raza-Mon- 
kodjoueir,  Kalmouk  de  naissance,  mais  instruit  à  l'euro- 
péenne, nous  conduit  à  Lhassa  même*.  Cet  explorateur 
passa  par  Astrakhan  et  Kiakhta,  suivit  les  roules  de 
MM.  Prjevalsky  et  Hue  et  put,  en  sa  qualité  de  bouddhiste, 
s'incliner  devant  le  dalaï-lama.  Sa  relation  a  paru  en  langue 
mongole  et  en  langue  russe. 

Le  second  nous  fait  traverser  le  nord  du  Tibet,  en  parlant 
de  Leh,  capitale  du  Ladak,  pour  aboutir  à  Lan-tchéou  sur  le 
Hoang-ho  et  parce  lleuve  à  Pékin.  C'est  le  voyage  du  capi- 
taine Wellby  et  du  lieutenant  Malcolm,  dont  l'itinéraire, 
suivi  en  1896,  se  maintient  aux  envivons  du  35"  latitude, 
puis  remonle  au  nord-est,  à  travers  le  Tsaïdam,  pour  con- 
tourner le  bord  septentrional  du  Kouk-nor  et  suivre  le 
versant  méridional  de  la  chaîne  des  Nan-Chan.  La  publica- 
tion de  cette  exploration,  très  sérieusement  conduite,  fait 

l.  Hôte  i!e  M.  Véuukoff  [Compte»  ren.iiu  de  janvier  layy,  p.  43). 


^■i 


ii  BAPPORT   SDH    LES   PilOGBÈS   DK    LA    GÉ( 

ressortir  l'importance  des  résultats  obtenus*.  Comme  l'a 
fait  remarquer  M.  Grenard,  il  était  très  intéressant  pour 
notre  connaissance  d'ensemble  de  la  géographie  du  centre 
asiatique  d'accomplir  la  traversée  des  bauls  plateaux  de 
l'ouest  a  l'est,  autant  que  possible  sur  le  même  degré  de 
latitude.  Ce  programme,  M.  Wellby  sut  !e  mener  à  bonne 
lin,  emprunlant  d'abord  la  route  de  Dutrenil  de  Rhins,  puis 
obliquant  au  nord  et  y  découvrant,  à  l'ouest  du  Yachil-koul, 
un  lac  considérable,  se  maintenant  ensuite  entre  le  prolon- 
gement des  monls  Kouk.cb.ili,  au  nord,  et  ceux  des  monts 
Dongbouré,  au  sud.  A  cette  mission  appartient  encore  la 
reconnaissance  de  plusieurs  branches  du  haut  fleuve  Bleu, 
dont  l'hydrographie  avait  été  déjà  révélée  sur  d'autres 
points  par  les  missions  Rockhill  et  Dulreuil  de  Rhins. 
L'exploration  de  MM.  Wellby  et  Malcolm  a  porté  sur  près 
de  3,000  kilomètres,  dont.  1,600  au  moins  sont  entièrement 
nouveaux. 

La  partie  du  voyage  du  Dr  Sven-lledin  (1893-97)  qui  se 
rapporte  au  Tibet  s'esl  effectuée  plus  au  nord  sur  l'autre 
versant  des  Kouen-lun,  puis  au  Tsaidam,  où  les  itinéraires 
se  rapprochent  et  souvent  se  confondent.  Celte  traversée 
mouvementée,  dont  ou  connaît  le  succès,  a  été  exposée  par 
son  auteur  devant  la  Société.  Le  rapport  précédent  l'a 
signalée  et  nous  n'aurions  pas  à  y  revenir,  si  nous  ne  tenions 
à  mentionner,  à  côlé  de  l'ouvrage  suédois  où  le  W  Sven- 
lledin  expose  les  circonstances  et  les  résultats  de  sa  péril- 
leuse exploration,  le  beau  volume  que  vient  d'en  extraire 
M.  Rabot  sous  ce  litre  :  Trois  Ans  de  luttes  aux  déserts 
d'Asie  '. 

De  tels  exemples  stimulent  l'énergie  des  audacieux.  A  la 
fin  de  novembre  1897,  deux  Allemands,  les  docteurs  Futlerer 
et  Holderer,  quittaient  Karlsruhe  se  rendant  à  Och  par  le 
chemin  de  fer  transcaspien,  puis  à  Kachgar  par  le  Terek- 


PENDANT  l'année  1898.  43 

Davan.  Leur  exploration  a  débuté  par  l'étude  du  système 
orographique  de  l'Alaï.  Gagnant  ensuite  le  bassin  septen- 
trional du  Tarim,  ils  s'engagèrent  dans  la  portion  monta- 
gneuse du  Gobi  et  recueillirent  des  notes  nombreuses  sur  la 
constitution  du  sol,  le  régime  désertique  et  les  conditions 
climatériques  de  cette  contrée.  Sur  les  versants  nord  et  sud 
de  cette  haute  région,  longue  de  250  kilomètres,  les  dépres- 
sions sont  envahies  par  des  amas  de  roches  tendres  qui 
semblent  se  rattacher,  d'une  part,  aux  contreforts  du  Tian- 
Chan,  de  l'autre,  à  ceux  du  Nan-Chan.  C'est  dans  cette  région 
où  les  sables  arides  et  les  steppes  herbeuses  se  succèdent, 
qu'on  observe  les  plus  hautes  températures  et  la  plus 
grande  sécheresse  de  l'air.  L'itinéraire  de  MM.  Futtereret 
Holderer  se  prolongeait  en  juin  jusqu'à  la  ville  chinoise  de 
Liang-tchéou  *. 

Chine.  —  A  l'autre  extrémité  du  Gélçste  Empire,  com- 
mençait, au  début  de  1897,  la  tournée  du  Dr  Cholnoky3.  Ses 
excursions  le  conduisirent  dans  le  delta  du  Yang-tsé,  et  dans 
la  région  comprise  entre  la  baie  du  Hang-tchéou  et  le  fleuve, 
où  il  put  étudier  la  composition  du  sol  et  les  dépôts  allu- 
vionnaires. On  le  retrouve  au  printemps  dans  le  désert 
mongol,  plus  tard  à  Vladivostok,  d'où  il  descend  en  Mand- 
chourie.  Ses  principales  découvertes  furent  faites  dans  la 
région  de  TOu-mosso,  entre  Houn-tchoun-fou  et  Kirin,  où 
fat  reconnue  une  région  volcanique,  et  ses  levés  au 
i/100,0008  contiennent  de  nombreuses  données  sur  le  partage 
des  eaux  du  Soungari  et  du  Liao-ho.  Enfin,  ses  détermina- 
tions astronomiques  reportent  à  un  demi-degré  plus  au  sud 
qu'elles  ne  le  sont  sur  nos  cartes  la  ville  de  Houn-tchoun- 
fou  et  la  pointe  nord  de  la  Corée  '.  Les  détails  nous  man- 

1.  Verhandl.  Soc.  géogr. Berlin,  1898,  nos  5-6,  p.  263;  n°"8-9,  p.  US. 
-  Peterm.  Mitt.y  X,  p.  237. 
3.  Voir  l'itinéraire,  p.  48. 
3.  Peterm.  Mitt.y  1898,  111,  p. 


4-i  RACPOl 

quenL  surta  dernière  partie  de  ce  voyage,  que  le  IJ'  Cholnok; 
comptait  entreprendre  le  long  du  Hoang-ho  en  partant  6 
Pékin. 

Les  itinéraires  de  la  mission  lyonnaise  en  Chine  ont  été 
résumés  dans  le  rapport  de  1891  et  noire  collègue,  M.  Bre- 


nier,  a  pu  les  décrire  plus  en  délail  à  cette  tribune;  mais 
l'enquête  accomplie  sous  les  auspices  de  la  chambre  de 
commerce  de  Lyon  a  été  si  féconde  en  résultats  scientifiques 
et  pratiques  que  nous  devons  signaler  l'apparition  du  grand 
ouvrage  qui  les  uxe,  les  coordonne  et  les  condense.  Sur 
20,895  kilomètres  parcourus  dans  l'intérieur  de  la  Chine, 
13,335  ont  été  levés  à  la  boussole,  chiffres  supérieurs  à  ceux 
que  nous  avions  recueillis  l'an  dernier  sur  cet  itinéraire.  Le 


pendant  l'asnee  1X98.  45 

voyages,  où  la  géographie  descriptive  et  l'eth- 
nologie ont  une  large  part,  l'orme  la  première  partie  île  la 
'  publication; les  rapports  commerciaux  et  les  notes  diverses 
>ur  certains  centres  et  certains  produits  composent  la  se- 
conde. En  un  mot  le  livre  répond  au  programme  de  la  mis- 
n  qui,  en  dehors  d'une  enquête  sur  le  commerce  de  nos 
possessions  indo-chinoises,  en  dehors  d'une  étude  spéciale 
ir  le  Se-tchouen,  en  plus  d'investigations  techniques  sur 
l  le  commerce  général  de  l'empire  et  le  parti  qu'on  pourrait 
■,  contenait  une  série  de  questions  d'ensemble  devant 
des  recherches  et  conduire  à  des  solutions  pra- 
«Dans  cet  Extrême-Orient,  conclut  M.  Brenier',  vers 
;l  se  déplace  l'axe  politique  et  économique  du  monde, 
s  pouvons  jouer  un  beau  rôle  soit  par  nous-mêmes, 
.:  par  notre  Indo-Chine.  Cette  magnifique  colonie  nous 
e  plus  de  1,000  kilomètres  de  côte  sur  le  Pacifique  et 
régions  fertiles,  habitées  par  une  race  nombreuse  ma- 
',  travailleuse  et  prolifique...  » 

n'est  pas  surprenant  que  les  économistes  choisissent 

■éférence  l'Extrême-Orient  comme  champ  d'étude.  Tout 

irellement,  M.  Pierre  Leroy-Beaulieu  devait  s'y  rendre. 

travaux  sur  la  Sibérie  orientale  se  compléteront  par  les 

}  qu'il  a  accumulées  sur  la  Chine  et  le  Japon.  Son  at- 

s'est  portée  sur  les  centres  commerciaux  de  l'est  : 

tin,  Tien-tsin,  Changhaï,Tokio,  Osaka,  etc.  Celle  grande 

.■ersée  de  l'Asie  se  termine  par  la  visite  du  Tonkin  et  de 

»  Cochinchine  et  de  l'Inde1. 

Dans  les  provinces  limitrophes  du  Tonkin  s'est  effectuée, 

à  la  lin  de  1H96,  une  exploration  française,  dont  l'itinéraire 

D'avait  pas  été  communiqué  à  la  Société  lors  de  la  lecture 

dent  rapport.  M.   François,  consul  de   France  à 

Long-lchéou,  eut  l'occasion  de  remonter  sur  une  jonque 


46  «APPORT   SUR    LES    Pnm.IlÈS    DE    LA    GÉOGRAPHIE 

le  Si-kiang  ou  rivière  de  l'Ouest  jusqu'à  son  confluent  avec    i 
le  bras  qui  lui  amène  les  eaux  du  versant  tonkinois  '.  11  s'en- 
gagea ensuite  sur  cet  affluent,  nommé  Tsou-kiang  dans  la     ' 
carte  de  M.  Brenier.  11  eut  l'occasion  de  suivre  les  deux  voies    j(, 
fluviales  qui  se  réunissent  à  Long-lchéou,  descendant,  l'une 
de  Lang-son.  l'au- 


tre de  Cao-bang. 
Enfin, reprenant  le 
chemin  de  Can- 
ton, M-  François 
empruntait  une 
deuxième  fois  le 
cours  de  la  rivière 
de  l'Ouest  et  reve- 
nait à  son  poste 
après  avoir  dressé 
de  ces  différentes 
voies  de  naviga- 
tion une  carie  au 
1/20,000-  très  dé- 
taillée, accompa- 
gnée d'une  série 
de  vues  donnant 
l'aspect  général 
des  rives  el  des  sites  environnants.  Après  un  court  séjour  en 
France,  M.  François,  à  peine  remis  de  ses  fatigues,  a  repris 
le  chemin  de  Canton  et  tout  nous  fait  espérer  qu'il  fera, 
cette  fois  encore,  une  ample  moisson  de  faits  intéressant  la 
physique  terrestre  autant  que  la  géographie  économique. 

Une  mission  scientifique,  qui  mérite  toute  notre  attention 
a  élé  confiée  celle  année  à  M.  Bonin  qu'accompagne  M.  le 
vicomte  de  Vaulserre.  lîn  avril  1H98,  les  voyageurs  remon- 
taient le  Yang-lsé.   Après  un  arrêt  à  Tchoung-king  (Se- 


1.  Xolcx  de  voyage,  archive 


a  SudiHé. 


pbhdakt  l'année  1X98.  47 

Ichoueii)  ils  arrivèrent  en  août  à  Soui-fou,  terminus  de  la 
navigation  du  tleuve.  Leurs  éludes  ont  porté  notamment 
tnr  sa  navigabilité  et  sur  Ûmei-chan,  la  montagne  sainte 
de*  Chinois  et  Tibétains  bouddhistes'.  Ils  s'occupaient  à 
celte  époque  de  !a  rectification  du  tracé  de  la  vallée  en 
amont  de  Souï-fon  et  comptaient  faire  roule  vers  Tali-fou 
pour  compléter  les  résultats  géographiques  du  précédent 
tarage  de  M.  Bonin*.  Nous  espérons  que  des  nouvelles  pro- 
chaines nous  renseigneront  sur  la  suite  de  cet  itinéraire 
dans  le  ïunnati  et  le  Se-lchouen  et  sur  les  découvertes  que 
la  mission  ne  manquera  pas  de  faire  dans  cette  contrée 
abrupte  qui  termine  à  l'est  le  massif  tibétain. 

Dans  le  sud  du  Yunnan,  le  Dr  A.  Henry  a  pu  constater 
noe,  malgré  la  prédominance  de  l'élément  chinois,  les  abo- 
rigènes présentaient  certains  caractères  des  races  negrito, 
malaise  et  même  caucasienne''.  C'est  là  un  champ  d'étude 
pour  les  anlhropologistes.  A  ces  documents  s'en  ajoutent 
beaucoup  d'autres  qui  se  rapportent  plus  particulièrement 
aux  sciences  naturelles. 

La  lutte  commerciale  des  Occidentaux  en  Extrême-Orient, 
entreprise  au  lendemain  de  la  guerre  sine-japonaise',  a  eu 
pour  conséquence  un  remaniement  dans  la  géographie  po- 
litique de  la  Chine.  Les  Allemands,  qui  ont  donné  le  signal, 


1.   Les  tapeurs  peuvent  remonter  le  ïang-tsé  de  Clianghaî  à  1-ctiang 
sur  une  longueur  do  1,751)  kilomètres  i'i  les  euifoiircati.ms  légères  pour- 
suivent  leur  route  à  1,100  kilométra  plus  loin,  c'est-à-dire  sur  plus  de 
:  lé  de  son  cours.  Cependant,  sur  les  liOO  kilomètres  <|iii  séparent 
l-cliiuig  lie  Tchang-king,  on  rencontre  une.  soixanlaine  île  rapides  (gui 
-ihr  l'iiisiallaituii  par  les   Chinois  de   reluis  de  coolies  et  de 
;i    .  nivi.iiiiM  [iri'i'icux   pour  le   voyageur.  Au  delà   de   Tchang- 
ri  galion  n'offre  plus  de  difficultés  sérieuses. 
imptc*  rendus,  1898,  p.  31)4;  î«99,  p.  3a. 
3.  .Volurc,  nov.  1898,  p.tlt. 

L  Lu  Corée  indépendante,  juste  ou  japonai-e,  par  Villelard  de  La- 

l'arls,  Hachette,  I89S.  —  Tehé-twm-po,  nouveau  port  coréen, 

p.r  A.  A.  Pauvel,  Bulletin.  1898,  p.  189-497. 


48 


RAPl'OltT    SUR    LES   PHOGHÈS    DE   LA    GÉOI1EW 


acquirent  pour  quatre- vingt-dix-neuf  ans  dans  le  Chan-toung 
la  baie  de  Kiao-tchéou.  Les  deux  bandes  de  terre  qui  eu 
ferment  l'accès  au  nord  et  au  sud  sont  comprises  dans  cette 
concession,  et  tout  le  littoral  jusqu'à  50  kilomèlres  dans 
l'intérieur  constitue  une  zone  neutre. 

Déjà  profitant  de  la  position  prise,  l'Allemagne  fait  pro- 
céder à  des  sondages  dans  la  baie  et  ses  ingénieurs  s'avancent 
dans  le  Chan-toung.  Ainsi,  M.  Gœderl?.  vient  de  tracer  deux 


itinéraires  autour  de  Kiao-tchéou  et  jusqu'aux  rives  du 
lloang-ho.  Ses  observations  qui  portent  sur  les  formes  et  la 
composition  du  sol  visent  surtout  un  projet  de  chemin  de 
fer1. 

La  Russie  achève  son  œuvre  de  pénétration  en  s'appro- 
priant,  aux  mêmes  conditions  que  l'Allemagne,  la  baie  de 
Talien-ouan  et  Port-Arthur,  qui  commande  le  golfe  de  Pet- 
chili.  En  outre,  elle  est  autorisée  à  construire  une  ligne  al- 
lant de  Bedouné  à  un  point  stratégique  sur  lequel  s'ouvre 
un  port  libre  de  glaces. 


1.  Verhandl.  Berlin,  n"8-U,  1898.  p.  47»;  carie. 


rl.MM.M     L'ARMÉE   iKfl-X.  i'.l 

'resque  en  face  de  Port-Arthur,  l'Anglelcrre  a  obtenu, 

ujours   à  bail,  le  port  de  Oueï-haï-oueï,  véritable  poste 

d'observation,  d'importantes  concessions  autour  de  Hong- 

i.'.niu'1  et  tuut  un  ensemble  d'avantages,  qui  ue  concernent 

pas  pour  le  moment  la  géographie  politique. 

La  France  reçoit  la  baie  Kouang-tchéousur  la  côte  nord- 
est  de  la  presqu'île  Lten-tchéou  *,  décrite  dans  les  Comptes 
rendus  par  M.  Fauvel.  Des  clauses  diverses,  dans  le  déliiil 
desquelles  nous  ne  pouvons  pas  entrer  ici,  concernent  l'ina- 
iiénabililé  de  certaines  provinces,  l'organisation  de  cerlains 
services,  la  création  des  voies  ferrées.  C'est  en  quelque 
sorte  le  partage  économique  de  la  Chine,  qui  commence. 

lad»- Chine  rrnnçaisc.  —  En  présence  de  cetle  situation, 
on  comprend  que  l'Indo-Cbine  française  songe  à  développer 
son  réseau  de  chemins  de  fer  et  qu'elle  mette  à  l'étude  le 
[race  de  lignes  de  pénétration  qu'on  pourrait  également 
appeler  des  lignes  d'aspiration,  puisqu'elles  sont  surtout 
destinées  à  attirer  vers  notre  colonie  les  grands  courants 
commerciaux  de  la  Chine. 

Le  colonel  Pennequin.qui  débuta  par  rétablir  l'ordre  dans 
te  llaul-Tonkin,  fil  étudier  les  voies  d'accès  vers  la  Chine 
méridionale. 

Le  lieutenant  Privey,  de  rinfantorie  de  marine,  partit  de 
Lao-kay  et  remouta  successivement  toutes  les  rivières  qui 
débouchent  du  plateau  du  Yunnan.en  s'altachant  d'une  fa- 
ytn  plus  spéciale  à  la  vallée  du  Siou-tchen-ha. 

D'autre  pari,  le  lien  tenant  Du  carre,  appartenant  à  la  même 
lime,  relevait  la  rivière  Claire  et  atteignait  Kai-houâ  par 
une  route  peu  fréquentée  et  moins  accidentée  que  ta  plu- 
part de  celles  qui  aboutissent  dans  ces  hautes  régions. 

Les  itinéraires  de  ces  officiers  ont  l'avantage  de  rucoiipur 

[    Compta  rendus,  1X88,  p,  Î9S-301;   cane. 
Complet  rindui,  I8UB,  p.  Ï27-2Î!»;  cane. 

.    DE  GSOOH.   —   I"  TRIMESTRE  1890.  \S.  —  1 


50  RAPPOHT    5UH    LES    1-ROBHKS    DE    LA    GÉOGRAPHIE 

ceux  de  la  mission  Guilleriioto.  Cette  mission  s'est  séparée 
au  Tonkin  eu  deux  sections  principales,  l'une  chargée 
d'opérer  au  Kouang-si,  l'autre  au  Yunnan.  La  première  a 
d'abord  fait  une  rnpidc  reconnaissance  de  son  itinéraire 
de  Long-tchéou  à  Han-kéou  avant  d'être  arrêtée  par  les 
troubles  du  Kouang-si.  La  seconde  s'est  immédiatement 
transportée  à  Mong-tsé,  d'où  elle  a  rayonné  d'un  côté  vers 
le  fleuve  Rouge  et  la  frontière  tonkinoise,  de  l'autre  vers 
Yunnan-sen1. 

Ces  travaux  topographtqnes,  qui  nous  intéressent  à  tant 
de  points  de  vue,  font  partie  de  tout  un  ensemble  etauront 
pour  résultat  scientifique  de  compléter  nos  données  sur  le 
nord  de  nos  possessions  d'ExIrcme-Orient  el  sur  les  abords 
des  provinces  chinoises  qui  les  limitent. 

L'œuvre  géographique  des  officiers  français  en  Indo-Chine 
a  pour  organe  le  Bureau  topographique  d'Hanoï.  A  coté  des 
premières  caries  d'ensemble  au  1/2,000,000"  et  des  feuilles 
du  Tonkin  au  1/100,000' éditées  par  le  Service  géographique 
de  l'armée,  il  publie  une  carte  topographique  au  1/200,000» 
embrassant  le  Tonkin,  l'Annam  et  la  Cochinchine,  et  une 
carte  choro graphique  de  l'Indo-Chine  au  1/1,000,000". 

Ce  service  comprend  trois  sections  :  triangulation,  topo- 
graphie, cartographie.  L'énuméralion  de  ces  travaux  éche- 
lonnés sur  une  dizaine  d'années  a  paru  dans  les  Annales  de 
Géographie'. 

Nous  nous  bornerons  donc  à  noter  les  principaux,  en  les 
eomplétanl  par  un  aperçu  des  travaux  ell'ectués  sous  la  di- 
rection du  commandant  Le  Breton,  chef  actuel  du  Bureau 
topographique3. 

1.  Communication  r|e  M.  Vashelli*.  siius-ilireetrur  ii p  l'Asie  au  Miliis- 
bn  des  colonies. 

1.  Annales  de  Géographie,  16  nov.  189N. 

3.  Le  Bureau  Uijmi.'i'iipliique  des  troupes  du  l'Iudo-L'Iiiue,  foudé  eu 
886  à  Hanoï,  s'est  développé  sous  l'impulsion  du  général  Uègin.  Le  capi- 


PENDANT   L'ANNÉE    1898.  51 

Aux  travaux  de  cet  ordre,  il  faut  ajouter  les  études  qui 
ont  pour  but  l'utilisation  des  fleuves  comme  voies  de  naviga- 
tion. On  conçoit  sans  peine  que  le  Mékong  ait  tout  d'abord 
et  depuis  longues  années  attiré  l'attention  du  gouverne- 
ment. Nous  avons  signalé  Tan  dernier  le  trajet  de  la  châ- 


taine Bauchet,  ancien  chef  de  ce  bureau,  jugeant  superflu  de  recourir  aux 
méthodes  de  la  géodésie  de  premier  ordre,  établit  des  stations  déter- 
minées par  des  observations  astronomiques  et  reliées  par  des  chaînes 
de  triangles  coupées  par  d'autres  chaînes  aboutissant  aux  points  du 
littoral  déjà  fixés.  Les  travaux  de  triangulation  ont  été  confiés  aux  mis- 
sions suivantes  :  1886  et  1887,  l'ingénieur  Delaporte  (coordonnées  de 
Hanoï)  :  1888-1889,  capitaine  Michelez  et  lieutenant  de  Gemmes  (mont  Bavi, 
Yen-thé);  1889-1890,  capitaine  Michelez  et  lieutenant  Bouffez  (rivière 
Claire,  Lao-kai);  1891,  capitaine  Michelez  (triangulation  de  la  frontière 
du  Kouang-toung  :  commission  d'abornement)  ;  1891-1892,  capitaine 
Bauchet  (Lang-son);  1893,  lieutenants  Husson  et  Détrie  (Cao-bang); 
1894,  lieutenants  Pécaud  et  Yormèse;  1895,  capitaine  Rivière  (rivière 
Noire)  ;  1896,  capitaine  Chapes  (Cao-bang,  Lang-son). 

Les  fièvres  coûtèrent  la  vie  au  capitaine  Michelez,  en  1891,  et  au  capi- 
taine Rivière,  en  1895. 

A  côté  des  travaux  de  triangulation,  l'étude  topographique  du  sol 
était  confiée  annuellement  à  des  officiers  chargés  de  combler  les  vides 
de  certaines  feuilles  du  Haut-Tonkin  et  de  la  rivière  Noire.  Ces  travaux 
topographiques  furent  efficacement  aidés  par  les  missions  d'aborne- 
ment.  On  sait  que  le  Tonkin  a  été  délimité  de  1889  à  1897,  du  côté  du 
Kouang-toung  d'abord  (1889-1890,  chef  de  bataillon  Chiniac  de  la  La- 
bastide);  du  Kouang-si  (1890-1891,  capitaines  Didelot  et  Bachelier);  du 
Vun-nan  (1891  à  1897,  successivement  capitaine  Bachelier,  colonel  Ser- 
vière,  colonel  Pennequin).  Enfin,  il  faut  ajouter  à  ces  levés  topogra- 
phiques ceux  des  missions  Pavie  (1878-1879, 1890-1891,  1894-1895),  l'iti- 
néraire du  lieutenant  Oum  entre  Louang-prabang  et  Hanoï  (1897). 

A  cet  aperçu,  ajoutons  d'autres  renseignements  sur  l'œuvre  du  Bu- 
reau topographique  après  l'installation  du  commandant  Le  Breton. 
Ainsi  :  les  levés  du  commandant  Le  Breton  et  du  capitaine  Bernard 
(région  de  Tourane),  du  capitaine  Giorgio  (Luc-an-chau),  du  lieutenant 
Colon na  de  Leca  (rivière  Noire),  des  lieutenants  Privey  et  Ducarre  (routes 
du  Yun-nan),  enfin  du  capitaine  Friquegnon.  Ce  dernier,  assisté  des  capi- 
taines François  et  de  Gaudel,  a  commandé  la  mission  géodésique  qui  a 
déterminé  les  coordonnées  astronomiques  des  principaux  centres  des 
hautes  régions  du  Tonkin.  Le  capitaine  Friquegnon,  ex-membre  de  la 
mission  Pavie,  est  l'auteur  d'une  bonne  carte  au  1/2,000,000*  de  la  Chine 
méridionale  et  du  Tonkin,  publiée  en  janvier  1899  par  le  Service  géo- 
graphique du  Ministère  des  Colonies  (Henry  Barrcre,  éd.). 


98       rapport  snn  les  moGafts  bb  là  géographie 

loupe  à  vapeur  le  Samber  de  KraLié  â  Stung  Treng  aux 
basses  eaux  et  les  rapports  de  MM.  YLier,  Desbos  et  Morin 
sur  la  navigabilité  du  Bas-Mékong. 

Les  travaux  de  la  mission  hydrographique  du  Un  ut-Mékong, 
qui  ont  fait  à  plusieurs  reprises  l'objet  de  communications 
importantes,  sont  aujourd'hui  précisés  dans  YAtlas  du 
Haut-Mékong  du  lieutenant  de  vaisseau  Simon,  chef  de 
celte  mission,  publié  ces  jours  derniers  par  le  Ministère 
des  Colonies*. 

On  se  souvient  qu'en  1893  le  gouvernement  se  décida  à 
lancersiirlellaul-Mckong  deux  canonnières,  le  La  Grandirre 
el  le  Massie.  La  mission  a  pris  fin  en  18%.  Elle  revenait  avec 
un  itinéraire  de  10,486  kilomètres  après  s'être  avancée  jus- 
qu'à Xien-kong  (Louang-prabang).  Ces  travaux  sont  actuel- 
lement représentés  par  3  cartes  d'ensemble  au  1/400,000% 
en40ff.au  1/30,000' composant  une  carte  générale,  3  ff.  don- 
nant les  sections  et  9  ff.  figurant  les  courbes. 

Les  plans  correctifs  ont  été  dressés  en  1807  et  1898.  Le 
lieutenant  de  vaisseau  Simon  et  ses  collaborateurs  ont  établi 
toutes  ces  caries  en  vue  de  la  navigation  praliquée  dans 
les  circonstances  les  plus  défavorables,  au  moment  de  la 
décrue  annuelle  maxima.  A  cette  publication  est  joint  un 
album  de  photographies  exécutées  par  les  membres  de  la 
mission.  C'est  la  note  pittoresque  à  calé  d'un  document 
scientifique  d'une  incontestable  valeur. 

Si  nous  n'avons  pas  à  consigner  dans  ce  rapport  de  grandes 
explorations  françaises  en  Asie,  nous  pouvons  Taire  valoir  il 
juste  titre  les  beaux  travaux  qui  complètent  les  enquêtes 
géographiques  Conduite*  fc  travers  ce  continent  pur  nos  com- 
patriotes au  .-ours  des  dernières  années.  Les  caries  du  com- 
mandant Simon,  le  volume  du  prince  Henri  d'Orléans  sur 
son  exploration  du  golfe  du  Tonkin  au  golfe  du  Bengale,  ceux 
de  M-  Grenard  sur  la  mission  I  lut  rend  de  Ithinset  de  M.  Bre- 


I.  Allât  Uu  UnHUlumg.fÈA*,  IWK.  —  Itinéraire  ri-dessus,  paire  4i. 


PENDANT   L'ANNÉE    1898.  .M! 

nier  sur  la  mission  lyonnaise  ont  lous  paru  en  18118.  La 
géographie  française  a  le  droit  d'en  tirer  quelque  orgueil, 
•t  vrai  que  le  livre  précise  les  connaissances  acquises 
en  cours  de  roule,  fixe  les  résultats  qui  en  découlent,  for- 
mule les  enseignements  qui  s'en  d  égalent  et  n'est  en  somme 
que  l'expression  définitive  et  réfléchie  du  voyage. 


ncuiPËL  Asiatique.  —  lie  <i«  in  Sonde.  —  La  laborieuse 

ploratton  que  lit,  en  1897,  M.  Raoul,  membre  du  conseil 

lérieur  de  santé  des  colonies,  dans  les  forêls  de  l'in- 

rieur  de  Sumatra,  a  excédé  ses  forces.  Il  a  succombé  en 

I  dernier,  peu  de  temps  après  son   retour';  mais  son 

lui   survivra.   Nos  possessions   profileront  de    ses 

hexches  fécondes  sur  la  cullure  des  plantes  tropicales,  et 

i.  ■laminent  sur  la  gutta  percha  dans  les  Indes  néerlandaises, 

comme  de  l'ensemble  de  ses  études,  qui  concernent  autaut 

l'économie  politique  que  l'histoire  naturelle. 

Un  autre  de  nos  collègues,  M.  Chailley-Bert,  secrétaire 
général  de  l'Union  coloniale,  a  con  sacré  cinq  mois  à.  l'accom- 
plissement d'une  mission  à  Java  s.  Chargé  d'étudier  le  sys- 
tème de  colonisation  adopté  parlesHollandais,  il  s'est  livré 
4  une  véritable  enquête,  dont  il  a  exposé  devant  la  Société 
les  caractères  principaux3.  Laissant  de  coté  le  riz  comme 
peu  rémunérateur,  les  colons  des  Indes  néerlandaises 
s'adonnent  aux  cultures  riches  telles  que  le  café,  le  thé,  le 
poivre,  la  cannelle  et  le  tabac.  Ils  mènent  au  milieu  de  leurs 
vastes  domaines  une  existence  large  autant  que  séduisante. 

1.  Compte*  rendu»,  1898,  p.  218-913. 
ï.  Compte*  mwJu*.  1898,  p.  63-68. 

S.  Voir  o^alirneri!  l'ouvrage  île  M.  J.  Ledercq,  présidant  île  la  Société 
_r:i[iln.-   il.:*  Bni.fr-Ui:-.  :    Un  xêjour  dan»   Vile  de  Java...   Puris, 

■ 


M  RAPPORT   SUH    LES    l'IIOliRÈS    DE   LA   GKOGRAPH1E 

Tout  autre  est  le  coup  d'œil  qu'offrent  nos  colonies.  Eu  dé- 
mêlant les  causes  d'un  tel  contraste,  M.  Cbailley-Berl  a  fait 
œuvre  utile,  et  les  renseignements  qu'il  rapporte  méritent 
d'éveiller  l'attention  de  nos  planteurs,  d'autant  plus  que  les 
conditions  de  Java  sont  celles  d'une  grande  partie  des  pos- 
sessions françaises. 

itorné».  ■ —  Trois  voyageurs  américains,  les  D"  Hiller 
et  Purness,  et  M.  Hamson,  entreprennent  depuis  trois  ans 
l'exploration  de  Bornéo,  où  la  civilisation  a  tant  de  peine  à 
pénétrer  '.  Leurs  tentatives  portèrent  d'abord  au  nord-ouest, 
dans  le  Sarawak.  Ils  remontèrenlîa  rivière  Barram  jusqu'au 


mont  Malu  (juin  18%);  puis,  revenante  la  côte,  ils  explo- 
rèrent le  fleuve  Kedjang  et  le  cours  supérieur  du  Sadong. 
Le  Dr  Furness,  d'oclobred897  à  mars  1898,  reprit  le  premier 
de  ces  itinéraires  et  étendit  ses  reconnaissances  à  tout  le 
bassin  du  Barram,  tandis  que  MM.  Hiller  et  Hamson  péné- 
traient dans  la  province  de  l'ouest  par  la  vallée  du  Kapouas 
jusqu'au  dernier  fort  hollandais.  En  janvier  1898,  ceux-ci 
complétèrent  avec  un  chef  indigène  l'exploration  du  bassin 
supérieur  du  Redjang,  en  territoire  nouveau.  Revenus  à 
Singapour  au  printemps,  ils  en  repartirent  pour  visiter,  au 
sud  de  la  grande  île,  la  vallée  du  Barito,  déjà  connue,  et  à 

1.  Complet  renitux,  p.  370-372;  carie. 


PENDANT  l'année  1898.  55 

Test  celle  du  Mahakkam,  que  le  docteur  norvégien  Charles 
Bock  fut  le  premier  à  explorer  *,  sans  cependant  s'avancer 
aussi  loin  dans  l'intérieur  que  ne  le  ûrent  MM.  fliller  et 
Hamson.  Le  temps  que  les  trois  voyageurs  américains  pas- 
sèrent en  dehors  de  Bornéo  fut  employé  à  d'autres  explo- 
rations, notamment  dans  les  îles  Liéou-tchéou  et  dans  l'in- 
térieur de  Célèbes. 

Célèbes.  —  La  partie  la  plus  étroite,  mais  aussi  la  moins 
connue  de  cette  lie,  aux  contours  tourmentés,  a  été  par- 
courue par  un  missionnaire,  M.  A.  C.  Kruyt,  en  compagnie 
du  docteur  Adriani  *.  Ce  voyage,  motivé  par  l'étude  des 
dialectes  indigènes,  a  amené  l'exploration  du  lac  deLindou, 
dont  les  eaux  se  déversent  dans  le  détroit  de  Macassar  par 
la  rrvière  de  Palos.  Un  lever  complet  de  la  vallée  a  été 
exécuté  par  les  voyageurs. 

Philippines;  le  traité  hispano-américain.  —  Les  évé- 
nements, dont  les  Philippines  ont  été  le  théâtre,  ne  rentrent 
pas  dans  le  cadre  de  nos  études  ;  mais,  les  traités  amenant  des 
remaniements  dans  la  géographie  politique,  nous  occupent 
à  ce  titre.  La  commission  hispano-américaine,  réunie  à 
Paris,  a  terminé  ses  travaux  le  10  décembre.  L'Espagne 
cède  les  Philippines  aux  États-Unis  et  renonce  à  l'île  de 
Guam  dans  les  îles  Mariannes.  D'autre  part,  elle  abandonne 
tout  droit  de  souveraineté  sur  Cuba.  Porto-Rico  et  les 
autres  îles  espagnoles  des  Indes  occidentales  passent  sous 
la  domination  des  États-Unis 3. 

1.  Charles  Bock,  The  Head-Hunters  of  Bornéo...  London,  1882;  et 
Rapports  annuels  sur  les  progrès  de  la  Géographie,  par  C.  Maunoir, 
tome  II,  1896,  p.  615. 

2.  Peterm.  Mitt.y  1898,  1,  p.  22. 

3.  Les  préliminaires  de  paix,  signés  à  Washington  le  12  août  1898, 
comportaient  les  dispositions  suivantes  : 

Article  Premier.  —  L'Espagne  renonce  à  toute  prétention  à  sa  sou- 
veraineté et  à  tous  droits  sur  Cuba. 
Article  II.  —  L'Espagne  cédera  aux  États-Unis  rite  de  Porto-Rico 


56 


RAPPORT    SlIIl    LES    PROCRKS    DE    LA    GÉOGRAPHIE 


AttSTKALASIE. —  Nouvelle- «nlnàe.  — LaNoilVelle-Guînée 

anglaise,  dans  sa  partie  orientale,  a  été  l'objet  de  récentes 
explorations  de  MM.  Giulianetti  etMac  Gregor1.  Le  premier 
s'est  dirigé  de  l'embouchuTe  île  la  Vanapa  vers  la  chaîne  des 
Owen  Stanley,  et  il  a  fondé  une  station  météorologique  sur  le 
mont  Wharton  à  l'altitude  de  3,400  mètres.  M.  Mac  Gregor 
visita  cet  observatoire,  installé  d'après  ses  instructions, 
lorsqu'il  effectua  la  traversée  de  cette  partie  de  l'île  en  se 
portant  au  secours  de  chercheurs  d'or  capturés  par  les 
indigènes. 

Le  fleuve  Aroa,  qui  se  jette  dans  la  baie  lledscar,  a  l'ouest 
de  la  Vanapa,  et  qui  prend  ses  sources  dans  les  ramifica- 
tions de  l'Owen  Stanley  est  grossi  à  gauche  parla  Veida.  La 
vallée  de  cette  rivière  conduit  à  des  forcis  inexplorées  dans  les- 
quelles s'aventurèrent  deux  missionnaires  du  Sacré-Cœur, 
les  PP.  Juliien  et  de  Rycke,  qui  entrèrent  en  relation  avec  une 
population  monlagnarde  énergique  très  différente  de  celles 
de  la  côte.  Le  mont  Manakou,  au  pied  duquel  sont  groupés 
des  villages,  atteintenviron  2,000  métrés  d'altitude.  Ce  voyage 
est  de  1896.  Un  autre,  commencé  en"  août  1897,  s'effectua 
également  dans  le  bassin  de  l'Aroa,  mais  plus  au  nord, 
jusqu'à  la  ligne  de  faite  qui  sépare  ses  eaux  de  celles  du 
Saint-Joseph.  La  montée  de  ce  fleuve,  qui  aboutit  à  un 
massif  dont  le  sommet,  nommé  par  les  voyageurs  le  mont 
Sainte-Marie,  se  dresse  à  une  altitude  d'envi  ion  -1,500  mètres, 


et  les  autres  lies  actuelli-mi-ni  snus  la  souveraine  te  i  ipannole  dans  les 
Indes  occidentales,  ainsi  qu'une  lie  dans  les  Ladrones  qui  sera  choisie 
par  les  États-Unis. 

Article  III.  —  Les  Étals-U 
baie  et  le  pori  lie.  Manille, 
pan  qui  devra  déterminer  1 
ment  des  Philippines. 

Ahticle  IV.  —  L'Kspsgne  évacuent  immédiatement  Cuba,  l'orto-Rico 
et  les  autres  [les  actuellement  s"n<s  la  souveraineté  espagnole  dans  Ira 
Inde-  0.7  e  idem  a  les...,  eu. 

t.  hfill.  Soc.  geogr.  itai „  1898,  p.  385;  carie.  —  Verhmdl.  Ilerlin, 
189*.  n*8-U,  p.  «57. 


s  occuperont  ei  tiendront   la  ville,   la 
.■il  ,iti. Tnl.'iDt  la  conclusion  d'un  traité  de 

i   crjiitiiile.  la  disposition  et  le  irouverne- 


PBKDÀNT   L'ANHËE   1898.  61 

i1!  lu  re connaissance  d'un  de  sesafHuents  de  gauche,  consti- 
tuent les  principaux  résultats  géographiques  de  la  seconde 
exploration  '. 


AuNimiu.-  La  découverte  des  champs  d'or  de  l'Australie 
occidentale  a,  dans  ces  dernières  années,  provoqué  une  sé- 
rie de  missions  qui  réduisent  de  plus  en  plus  les  blancs  de  la 
carte.  La  connaissance  scientifique  du  sol  est  naturellement 
Tort  avancée  dans  les  colonies  orientales  où  le  peuplement 
a  été  rapide.  Le  littoral  et  tout  le  parcours  de  la  ligne 
télégraphique  transcontinentale  sont  ensuite  entrés  dans  le 
domaine  de  la  géographie  positive.  Les  enquêtes  se  multi- 
pliant, les  données  se  sont  précisées,  et  les  voyageurs  ou 
érudils  ont  pu  aborder  l'étude  du  désert  australien,  analyser 
les  Formes  hydrographiques,  creeks  plutôt  que  rivières,  et 
Cft  sol  poreux  où  s'infiltre  l'eau  que  le  soleil  n'absorbe  pas, 
el  qu'il  n'est  pas  rare  de  retrouvera  une  faible  profondeur 
retenue  par  une  couche  imperméable.  Ces  constatations 
résultent  des  récils  des  diverses  missions  (missions  Horn  et 
Wînnecke,  Hubbe  el  H.  W.  Ilarslett,  D.  W.  Carnegie, 
Fletcher,  etc.),  qui  se  sont  succédé  depuis  quelques  années 
dans  les  régions  déserliques  de  l'intérieur  australien*. 

A  l'appui  de  la  théorie  des  rivières  souterraines  qui 
recouvriraient  les  creeks  australiens  comme  les  oued  saha- 
riens, nous  pourrions  rappeler  les  communications  que 
M.  Jules  Garnier  nous  adressait  le  30  avril  1898  de 
l'Australie  occidentale.  Les  nappes  souterraines  s'y  mani- 
festent souvent  à  la  surface  par  une  végétation  verdoyante, 
et  notre  collègue  a  constaté  que  certaines  essences  d'arbres 
sont  pourvues  de  racines  spongieuses  qui  s'imprègnent  d'eau 
potable  en  telle  quanti  té  que  les  indigènes  en  font  usage  pour 
combattre  la  soif  pendant  les  grandes  sécheresses  s. 

(     /;..  1898,  p.  ÏO7-209. 
3.  Vulr  Annale*  <U  géoyr.,  15jnillet  1S1IK,  |>.  55-73. 
tmtux,  189H,  [,.  319,  331). 


58  lUrPOTtT   SUR   LES    PROCHES   DR    LA    GÉOGiUPHïE 

La  santé  de  M.  Jules  Garnier  oe  lui  a  pas  permis  de 
continuer  ses  recherches  géologiques.  Peu  après  son  retour 
en  France,  il  reçut  la  désolante  nouvelle  de  la  mort  de  son 
(Ils,  M.  Pascal  Garnier,  qui  poursuivait  seul  ce  voyage  com- 
mencé à  deux,  quand  les  atteintes  du  climat  le  forcèrent 
à  rebrousser  chemin  jusqu'à  Coolgardie,  où  il  succomba 
âgé  seulement  de  vingt-six  ans.  Rien  ne  pouvait  faire  prévoi 
la  mort  de  ce  jeune  explorateur  déjà  rompu  aux  fatigues,  ei 
dont  les  précédents  travaux  en  Nouvelle-Zélande  e 
Transvaal  avaient  produit  des  résultats  dans  le  domaine 
de  la  géographie  physique  '. 


Plusieurs  lies  du  Grand  Océan  équatorial  ont  été  l'objet 
d'investigations  géologiques  en  vue  de  l'élude  des  formations 
coralliennes, 

L'Ile  Chrislmas,  située  à  400  kilomètres  au  sud  des  îles 
de  la  Sonde,  devail,  dans  la  pensée  d'un  membre  corres- 
pondance la  Société,  M.  John  Murray,  fournir  de  précieux 
éléments  à  cette  enquête.  L'exploration  que  M.  Andrews 
entreprit  aux  frais  de  notre  collègue,  a  permis  de  dé- 
terminer le  caractère  volcanique  du  cœur  de  l'île'.  Lea 
bandes  de  corail  qu'on  y  découvre  semblent  un  indice 
que  Christmas  s'est  élevée  graduellement  et  à  des  inter- 
valles de  temps  considérables.  L'île,  qui  émerge  de  l'eau 
jusqu'à  l'altitude  de  350  mètres,  est  couverte  d'une  épaisse 
végétation  forestière  qui  en  rend  la  reconnaissance  d'autant 
plus  difficile  que  l'eau  potable  fait  défaut.  La  petite  colonie 
venue  des  îles  Keeling  sur  la  rôle,  ne  s'aventure  pas 
dans  l'intérieur,  et  c'est  au  prix  des  plus  grandes  diffi- 
cultés que  M.  Andrews  a  réussi  à  accomplir  la  traversée  de 

i.  Comptes  rendue,  tS'.iS,  p.  334. 

S.  Science,  sept.  1898,  p.  293.  -  Geogr.  Journul,  1899.  p.  17. 


pendant  l'année  1898.  59 

cette  terre,  d'où  il  rapporte  cependant  d'intéressantes  collec- 
tions de  géologie  et  d'histoire  naturelle. 

Les  sondages  effectués  dans  les  îles  Eilice  et  particulière- 
ment à  Founafouti  ont  été  continués  en  1898.  Les  puils 
forés  dans  les  couches  coralliennes  atteignaient  en  juillet 
dernier  une  profondeur  de  280  mètres  environ*. 

Sans  discuter  ici  la  théorie  de  Darwin,  que  ces  inves- 
tigations remettent  sur  le  tapis,  nous  constatons  que  dans 
le  groupe  des  Viti  ou  Fidji  d'autres  expériences  analogues 

.    sont  conduites  par  M.  Agassiz,  qui  s'occupe  en  même  temps 

I   de  zoologie  sous-marine. 

Le  problème  des  migrations  des  Polynésiens  et  des 
courants  variables  du  Pacifique  n'est  pas  résolu  ;  aussi  nous 
paraît-il  intéressant  de  rappeler  un  fait  que  M.  Vossion, 
consul  de  France  à  Honolulu,  signalait  récemment  à  la 
Société*.  Le  23  mai  arrivait  à  Hookena,  dans  l'île  d'Hawaï, 
une  barque  tahitienne  en  détresse.  En  quittant  les  îles 
Scilly  situées  à  l'ouest  de  Tahiti,  ce  schooner  à  deux  mâts 
monté  par  huit  personnes  essuya  une  tempête  qui  fit  des 
avaries  au  bâtiment,  brisant  la  boussole  et  le  compas. 
Perdus  dans  l'Océan,  sans  instruments  et  sans  cartes,  les 
passagers,  dont  les  provisions  étaient  heureusement  abon- 
dantes, furent  ballottés  pendant  quatre-vingts  jours  à  la  merci 
des  flots  et  la  barque  finit  par  être  jetée,  comme  une  épave, 
sur  les  côtes  hawaïennes.  Le  fait  est  d'autant  plus  curieux, 
que  bon  nombre  d'Hawaïens  sont  d'origine  tahitienne  et  que 
les  traditions  parlées  ou  écrites  attestent,  qu'aux  époques 
les  plus  reculées  des  rapports  furent  établis  entre  les  îles 
d'Hawaï  et  les  îles  de  la  Société.  Si  l'on  en  croit  les  travaux 
du  capitaine  Hepwarth,  les  courants,  qui  servirent  ainsi 
de  traits  d'union  entre  ces  groupes  à  travers  le  Pacifique, 

t.  Geogr.  Journ.,  janv.  1898,  p.  50.  —  Nature,  nov.  1898,  p.  22.  — 
Americ.  Journ.  of  Se,  1898,  p.  113. 
2.  C.  R.,  1898,  p.  372. 


I 


fiO  RAPPORT   StR    LES   PROGRÈS   HE   LA    GÉOGRAPHIE 

varient  suivant  les  saisons.  Leur  étude,  qui  intéresse  di- 
rectement la  marine,  apporterait  peut-être  la  solution  du 
problème,  posé  par  M.  de  Quatrefages,  du  peuplement 
graduel  des  iles  de  l'Océanie. 


\m.r[.,.x  du  Nord.  —  Alnakn  et  Cnnada.  —  Le  mouve- 
ment d'immigration  qui,  l'an  dernier,  s'était  accentué  dans 
la  direction  de  l'Alaska  et  du  nord-ouest  canadien  ne  s'est 
pas  ralenti  cette  année,  mais  la  nécessité  de  ravitailler  les 
prospecteurs  et  de  faciliter  aux  chercheurs  d'or  l'accès  du 
Klondyke,  a  provoqué  l'organisation  de  certains  services  et 
l'amélioration  des  voies  de  communication.  Trois  routes 
sont  fréquentées  :  celle  de  Dyea  et  du  col  Chilkoot,  celle 
de  Skaguay  au  col  de  White,  celle  de  la  rivière  Stickine  et 
du  lac  Teslin1.  En  raison  de  la  concurrence  qui  s'établit 
sur  ta  cote  du  Pacifique  entre  Canadiens  et  Américains,  ces 
derniers  commencent  déjà  le  tracé  d'un  chemin  de  fer  de 
Skaguay  au  lac  Bennett  par  le  col  de  White.  Il  se  peut 
qu'un  autre  courant  se  dessine  à  l'est  des  Montagnes  Ro- 
cheuses par  la  ligne  transcontinentale  du  Canadien-Paci- 
fique avec  embranchements  sur  Prince-Albert  etEdmonlon. 

L'un  des  hommes  qui  ont  le  plus  contribué  à  développer 
les  connaissances  géographiques  sur  la  région  du  Klondyke 
est  M.  William  Ogilvie,  attaché  au  département  de  l'inté- 
rieur du  gouvernement  canadien.  Son  exploration  de  1887, 
appuyée  sur  de  nombreuses  observations  astronomiques, 
lui  a  permis  de  lever  la  route  entre  le  porl  de  Skaguay 
et  le  fleuve  Youkou.  Chargé  cette  année  de  rédiger  un 
guide  officiel  du  Klondyke1.  il  a  rassemblé  à  la  hâte  lesdo- 

t    6  tU,  !«*,  p.  309. 

±.  Qmtàt  o/fieitt  Jb  Ktomâftr,  Toronto.  189». 


PENDANT   L'ANNÉE    189X. 


61 


cuoienls  les  plus  récents  sur  l;i  constitution  et  les  formes 
du  sol,  qu'il  fait  suivre  de  renseignemenls  pratiques.  Bien 
que  les  prospecteurs  se  soient  achemines  vers  le  Youkon 
dès  1873,  la  fièvre  de  l'or  ne  s'empara  des  chercheurs  que 
vingt-trois  ans  plus  tard  lors  de  l'exploration  des  creeks  du 
Kloudyke.  <  Il  nous  est  permis  d'affirmer,  écrit  M.  Ogilvie, 
que  nous  avons  dans  les  territoires  nord-ouest  une  région 
qui  s'étend  sur  une  longueur  de  IÎ00  milles  et  sur  une  lar- 
geur de  plus  de  500,  le  long  de  la  frontière  de  la  Colombie 
anglaise  jusqu'au  111e  méridien  (Gr.)  et  au  delà,  dont  la 
surface  est  sillonnée  par  de  nombreux  cours  d'eau  qui  sont 
tous  aurifères.  »  L'œuvre  de  l'explorateur  est  cependant 
fort  imparfaite,  car  si  les  abords  de  Dawson  City  et  les  voies 
qui  y  conduisent  sont  connus,  les  levés  topograpbiquesqui 
ne  concouraient  pas  directement  au  but,  que  chacun  pour- 
rait dans  ce  pays  des  daims,  ont  été  systématiquement 
négligés. 

On  ne  lira  qu'avec  plus  d'intérêt  la  conférence  de  M.  Loicq 
de  Lobel  sur  le  Klondyke,  l'Alaska,  le  Youkon  et  les  îles 
Aléoutienoes'. 

Nous  ne  pouvons  oublier  non  plus  les  descriptions  atta- 
chantes que  lirent  à  celle  tribune,  dans  le  courant  de  l'année 
1898,  M8rGrouard%sur  l 'Ath  abusk  a-Mac  k  en  zie,  et  Mer  Légal 3 
sur  la  tribu  des  Pieds  noirs. 

Dans  les  montagnes,  qui  liérissenlle  nord-ouest  canadien 
.nii-iini  que  l'Alaska,  les  alpinistes  peuvent  se  donner  libre 
carrière  et  leurs  ell'orts  serviront  la  géologie  autant  que  la 
géographie  physique.  Ou  n'en  peut  citer  rie  meilleur  témoi- 
gnage que  l'ascension  cinq  l'ois  tentée  de  ce  fameux  mont 
Baint-Elie,qui  marque  au  sud  la  frontière  entre  les  territoires 
canadiens  du  Nord-Ouest  et  la  péninsule  américaine.  Grâce 


S,  C.  fl..  1888,  p.  S20-S2S. 
/;.  II..  IR98,  P.2Ï2-225. 


RAPPORT   SUR    LES    Plun.llns    m;   [,»    i;ÉOf;HAI'HIE 

au  duc  des|  Abbruzzes,  la  montagne  réputée  la  plus  haute 
de  l'Amérique  du  Nord  est  main  tenant  escaladée  et  mesurée 
avec  une  précision  su  ftlsaii te1.  Le  sommet,  atteint  le  31  juillet 
1891,  s'élève  à  5,514  mètres  d'altitude,  d'après  les  obser- 
vations barométriques  de  la  mission;  le  bras  oriental  du 
glacier  de  Malaspina  présente  une  surface  de  4,600  kilo- 
mètres carrés;  enfin,  du  point  culminant,  les  ascensionnistes 
ont  aperçu,  au  nord,  un  autre  glacier  de  dimei 


logues  et  dans  l'ouest  de  grands  mussits  neigeux  non  portés 
sur  (es  caries.  Dès  à  présent  on  peut  admettre  que  le  Saint- 
Élie  rivalise  avec  l'Orizaba  (Mexique)  sans  cependant  l'égaler, 
mais  que  l'illimani  (Bolivie),  dont  l'explorateur  Cotiway  a 
franchi  celte  année  l'un  des  pics,  le  domine  de  1 ,000  mètres 
environ. 

Le  Canada,  qui,  pendant  de  longues  années,  sembla  se 
désintéresser  des  abords  de  la  haie  d'Hudson,  dirige  son 
activité  de  ce  coté.  A  l'exemple  de  la  Russie,  qui  se  préoccupe 
de  la  navigation  de  la  mer  de  Kara,  il  s'est  mis  en  devoir  de 


1.  G.  II.. 


,  p.  73-75. 


r 


i 


PENDANT  l'année  1898.  63 

reconnaître  l'état  de  navigabilité  de  cette  baie  et  du  détroit 
qui  la  met  en  communication  avec  l'Océan  Atlantique. 
La  campagne  de  la  Diana,  commencée  durant  l'été  de  1897, 
acquiert  une  importance  particulière  depuis  l'adoption  du 
projet  de  relier  par  une  voie  ferrée  Fort-Churchill,  sur  la  baie 
d'Hudson,  à  Winnipeg,  capitale  du  Manitoba l.  En  juillet,  ce 
vapeur  visitait  le  détroit  dont  la  partie  nord  était  obstruée 
par  un  banc  de  glace  ;  en  août,  il  abordait  la  Terre  de 
Baffin  par  le  Cumberland  Sound  et  l'équipage  y  plantait  le 
drapeau  canadien  ;  puis,  rebroussant  chemin,  il  se  rendit 
à  Fort-Churchill  et  croisa  jusqu'en  octobre  dans  les  eaux 
de  la  baie  d'Hudson.  Le  capitaine  de  la  Diana  considère  que 
la  navigation  par  cette  baie  et  ce  détroit  reste  libre  pen- 
dant quatre  mois  de  l'année  et  peut  s'effectuer  dans  des 
conditions  satisfaisantes. 

Sans  quitter  la  Terre  de  Baffin,  nous  devons  signaler,  à  la 
même  époque,  les  reconnaissances  de  M.  Porter  dans  la  baie 
de  Frobisher3.  Le  Hope,  qu'il  montait  avec  M.  et  Mme  Shaw, 
y  pénétra  par  le  Bear's  Sound,  à  travers  un  fouillis  d'îlots  ne 
laissant  qu'un  chenal  de  700  ou  800  mètres  de  l^rge.  Les 
bords  de  la  baie,  dentelés  de  fjords,  ont  été  suivis  par  le 
bateau  en  commençant  par  la  côte  nord.  Les  récifs  nom- 
breux s'élèvent  jusqu'à  200  mètres  et  les  cours  d'eau  que 
les  voyageurs  ont  longés  se  distinguent  par  de  nombreuses 
chutes.  L'intérieur  des  terres  a  d'ailleurs  un  aspect  désolé. 
M.  Porter  rapporte  de  cette  campagne  des  levés  appuyés 
sur  des  déterminations  de  latitude,  diverses  hauteurs  prises 
au  moyen  de  l'anéroïde,  des  documents  géologiques,  enfin 
des  notes  sur  les  formations  glaciaires. 

Ces  explorations  complètent  au  nord  les  travaux  que  le 
Geological  Survey  entreprend  depuis  quelques  années  sur 
le  pourtour  de  la  baie  d'Hudson  et  au  nord  de  la  province 
de  Québec. 

1.  Geogr.  Zeitschr.y  1898,  p.  248. 

2.  Amer.  Geogr.  Soc,  XXX,  2,  1898,  p.  97. 


JtAPl'OItT    SUR   LES   PlUHinÈS    HE    LA    CÉOtJIUPHIE 

McniijiiG.  —  Les  notes  économiques  de  M.  Schœnfeld  sur 
différentes  circonscripliotis  administratives  du  Mexique  et 
celles  de  M.  Sempé  sur  l'Etat  de  Véra-Cruz^ùse  développe 
la  petite  colonie  française  d  e  Jicaltepec  et  de  San  Rafaël,  nous 
ont  été  communiquées  par  le  Ministère  des  Affaires  étran- 
gères et  soûl  résumées  dans  le  compte  rendu  des  séances1. 

En  dehors  des  recherches  archéologiques  de  M.  Niven, 
dont  il  a  été  parlé  dans  le  précédent  rapport,  nous  n'avons 
pas  d'exploration  à  mentionner  au  Mexique. 

Amérique  rentrait;.  —  Dans  le  Nicaraguael  le  Honduras 
on  peut  suivre,  de  Coban  k  Tégucigalpa,  c'est-à-dire-  de  la 
Sierra  Cbama  aux  monts  Lepaterique,  la  première  partie 
de  l'itinéraire  de  M.  K.  Sapper,  chargé  d'une  mission  par  la 
Société  de  géographie  de  Berlin9.  La  seconde  partie  se 
développe  au  nord-est,  passe  à  Jutigalpa,  longe  la  chaîne 
centrale,  et  atteint  la  côte  a  Trujillo  pour  revenir  à  Téguci- 
galpa et  s'étendre  ensuite  dans  le  sud,  sur  le  versant  du 
Pacifique.  L'objet  de  cette  exploration  portait  principale- 
ment sur  les  formations  géologiques  du  centre  et  de  l'est  du 
Honduras.  Dans  l'intérieur  du  pays,  la  nature  volcanique  du 
sol  se  manifeste.  A  l'est  et  au  centre  les  gisements  de  chaux 
et  de  conglomérats  quarlzeux  sont  beaucoup  moins  nom- 
breux que  dans  la  partie  occidentale  du  pays. 


Amérique  tlu  s. ni.  —  Colombie.  —  Avec  M.  le  i  ■unir 
de  Brellcs,  nous  arrivons  à  l'Amérique  du  Sud.  Des  noies 
qu'il  a  adressées  à  la  Société  de  Géographie,  il  résulte  qu'il 
a  remonté  la  rive  droite  du  fleuve  Magdalcna  et  parcouru 
le  nord-est  de  la  Colombie,  vîsitéleBoyacaetle  Sanlander, 


;.  i:<  >  ilot'unieiiu;  et  la  plupart  de  cens  que  la  5<>ciûlô  a  publiés  telle 
année  sur  l'Aiiiùrrijuc  mit  élé  rùs 1 1 il i .'-s  par  M.  [•■  priilï^wnr  K  roi  de  vaux, 
dont  l'active  collaboration  aux  Compte  rendu»  noua  a  eU  parUculte- 
remem  précieuse. 

1  Vtrh.ui.ll.  soc.  (iet.gr.  herlin,  MB,  p.  lit).  M6,  338. 


PENDANT  l'année   1898.  65 

el  que  son  nouveau  voyage  s'est  terminé  par  une  excursion 
dans  le  territoire  indien  de  la  péninsule  goajire  '. 

Contesté  franco- brésilien.  —  Dans  le  Contesté  franco- 
brésilien,  M.  Georges  Broussean  a,  de  189-t  à  1898,  effectué 
de  nombreuses  reconnaissances  qui  s'ajoutent  aux  travaux 
deM.Coudreau.  H  a  relevé  le  cours  de  la  Carsevenne  et  d'un 
de  ses  principaux  affluents,  qu'il  nomma  la  rivière  Carnot. 

ILa  carte,  qu'il  a  dressée  d'après  ses  observations  ou  par  ren- 
seignements, est  comprise  entre  le  52e  et  le  5.j*  degré  de 
longitude  et  s'étend  sur  un  développement  de  450  kilomètres 
de  côtes.  On  peut  s'y  reporter  pour  discuter  les  points  qui 
ont  amené  le  conflit  de  1894.  Celui-ci  s'est  élevé  au  sujet 
des  territoires  aurifères  de  la  Carsevenne  et  du  Mapa.  La 
France  et  le  Brésil  s'en  remirent,  on  le  sait,  à  l'arbitrage 
du  président  de  la  Confédération  helvétique,  par  la  conven- 
tion du  10  avril  1807.  La  difficulté  vient  de  ce  que  la  rivière 
Japoc  ou  Vincent  Pinson  est  confondue  par  les  Brésiliens 
avec  la  rivière  Oyapoc  dont  l'estuaire  s'ouvre  sur  le-ï'degré  de 
latitude  nord,  tandis  que,  d'après  nous,  cette  rivière  Vincent 
Pinson  ou  Japoc  ne  serait  autre  que  le  fleuve  Araguary  ou 
encore  le  canal  du  Nord  qui  fart  partie  des  bouches  des 
Amazones  U  degrés  plus  au  sud9. 

Rrraii-  —  Dans  l'estuaire  du  Rio  Para  débouche  le  Rio 
Capirû;  qui  fut,  dans  l'été  189",  l'objet  d'une  intéressante 
reconnaissance -!.  MM.  Gœldi  etHuber  effectuèrent  rapide- 
ment la  montée  de  ce  cours  sous  l'impulsion  de  la  marée 
sur  plus  de  100  kilomètres.  Au  delà  d'Apronaga  le  fleuve  fait 
plusieurs  coudes  et  prend  une  direction  nord-nord-est  avant 
de  retourner  au  sud.  Le  point  le  plus  éloigné  qu'aient  atteint 
ces  voyngeurs  est  à  3"30'  de  latitude  sud.  Ils  ont  relevé  soi- 

..     1898,  |i-  :i]B,  Jiiii. 
-.  [>>ipr<^  des  ducumems  cummuni.iu&i  par  M.  UroiiBseau. 
J,  Pelerm.Mitth.,  Il,  1898.  p.  36. 


lïli 


RAPPORT   SUR   LES   I>nOGRÈS    DE    LA    CftOGIIAPHIE 


gneusement  les  nombreux  affluents  de  cette  artère   qu'il 
serait   facile  de  canaliser  et  de  rendre  navigable  à  peu  de 
frais.  Aux  travaux  topographiques  de  MM.  Gœldi  et  Huber 
s'ajoutent  des  collections  d'histoire  naturelle  et  des  notes  ' 
ethnographiques  sur  les  Indiens  Tembès. 

Bolivie.  —  L'Office  national  d'immigration  et  de  propa- 
gande géographique,  institué  par  cet  État  en  18%,  a  une 
large  part  dans  l'organisation  et  l'équipement  des  missions 
boliviennes.  C'est  sous  ses  auspices  qu'a  été  entreprise 
l'expédition  déjà  signalée  du  colonel  Pando  dans  le  haut 
bassin  du  Madré  de  Dios.  La  revue,  dont  ce  service  com- 
mence la  publication,  contribuera  à  avancer  la  connaissance 
d'une  contrée  très  imparfaitement  décrite. 

Le  célèbre  alpiniste  Conway  possède  à  son  actif  une 
nouvelle  ascension,  la  plus  difficile,  suivant  lui,  qu'il  ait 
entreprise  jusqu'à  ce  jour,  celle  de  l'IIlimani.  De  "ce  mas- 
sif granitique,  qui  domine  au  sud-est  La  Paz  et  forme  le 
nœud  extrême  de  la  chaîne  du  Sorata,  se  rattachent 
plusieurs  pics  dont  un,  le  pic  de  Paris,  fut  escaladé  en  1 877 
par  MM.  Wiener,  Grumkow  et  de  Ocampo  '.  D'après  leurs 
évaluations,  il  aurait  6,131  mètres  d'altitude.  Le  sommet  du 
pic  de  l'Indien  a  été  atteint  par  M.  Conway  le  3  sep- 
tembre 1898.  Sa  hauteur  approcherait  de  (i.'iOU  mètres. 

Chili  cl  République  At-gcuiiiic.  —  Le  conflit  qui  s'est 
produit  entre  la  République  Argentine  et  le  Chili,  à  propos 
de  la  délimitation  de  leurs  frontières,  pourrait  bien  s'apaiser 
d'unefaçon  inattendue.  A  la  suite  d'un  accord,  il  a  été  décidé 
récemment  que  les  délégués  des  deux  puissances  se  réuni- 
ront à  Buenos-Ayres  pour  fixer  la  ligne  de  démarcation 
entre  le  23"  et  le  27°  lat.  S.,  c'est-à-dire  dans  le  territoire 


1.  ftapporlsan 
tome  11,  p.  113. 


iieh  inr  /<".«  pnitjrt's  tic  'ri  yt'."/i /!(]'■!' 


pendant  l'année  1898.  67 

appelé  puna  de  Atacama  d.  Cette  commission  pourrait,  le 
cas  échéant,  être  saisie  du  règlement  total  de  la  frontière, 
et  rendre  inutile  l'arbitrage  de  la  reine  d'Angleterre,  devant 
laquelle    était  porté  le  différend.  Quoi  qu'il  en  soit,   ces 
discussions  ont  provoqué  des  enquêtes,  qui  eurent  pour 
résultat  de   fixer,  dans  une  très  large  mesure,  la  forme, 
l'importance  de  toute  cette  région  des  Andes,  dont 'on 
ignorait  la  structure  et  l'aspect  autant  que  les  ressources. 
Du  plateau  bolivien,  ces  chaînes  s'allongent  et  se  confondent 
à  l'ouest  du  Gran  Chaco  et  des  Pampas,  jusqu'en  Patagonie  et 
dans  la  Terre  de  Feu;  mais  cette  puissante  muraille  n'empri- 
sonne pas  les  bassins  des  grands  fleuves  en  départageant, 
comme    le  supposaient  les  anciens  traités,  les  eaux  de 
l'Atlantique  et  celles  du  Pacifique.  L'érosion  a  produit  des 
brèches  profondes,  qui  ont  fait  dévier  les  cours  de  leur 
direction  primitive. 

En  regard  des  constatations  du  Dr  Moreno,  qui  dirige, 
pour  le  compte  du  gouvernement  argentin,  l'exploration  des 
Andes  orientales,  on  peut  placer  les  travaux  du  Dr  Steffen, 
le  voyageur  chilien,  qui,  l'an  dernier,  reconnaissait  la  rivière 
Aysen  et  cette  année,  en  compagnie  du  Dr  Krautmacher, 
s'engageait  dans  les  Cordillères  de  la  province  de  Chiloé. 
Remontant  le  cours  inexploré  du  Rio  Gisnes  à  travers  les 
Andes,  avec  l'espoir  de  parvenir  au  lac  Fontana,  les  voya- 
geurs se  heurtèrent  à  une  immense  chaîne  de  montagnes 
couvertes  de  glaciers.  Le  fleuve,  qui  se  fraye  un  passage,  au 
nord,  entre  des  rochers  abrupts,  devient  alors  impossible  à 
suivre.  La  mission  dut  tourner  au  sud  et  explorer  une  nou- 
velle vallée  qui  la  conduisit  à  un  lac  nouveau.  Elle  aboutit 
au  Rio  Senguer,  tributaire  de  l'Atlantique,  après  deux 
mois  passés  dans  une  région  inhabitée.  Son  retour  s'est 
effectué  par  le  lac  Nahuel-Huapi.  La  principale  constatation 
géographique  de  cette  expédition  est  l'identification  du  Rio 

1.  Comptes  rendus,  1899,  p.  38;  carte. 


68  RAFrOffT   SC*   LES   FWCHÈS    »K   U  «AKUltE 

Cisnes  avec  le  Rio  Félix  Prias  exploré  par  JL ) 
plaçait  an  nord  du  lac  Fontaoa'. 

Une  aatre  mission  chilienne,  confiée  a  MM.  Kmger  et 
Betnwisch  dans  vie  région  voisine,  avait  poar  objectif  ta 
ligne  séparative  des  eaaz  du  Rio  Chabot,  et  do  haut  Poala- 
leofon  ainsi  que  l'étude  de  la  vallée  do  Corcorado  *.  Ce 
doubie  bat  fui  atteint.  On  sait  maintenant  que  ce  dernier 
cours  d'eau  n'a  pas  d'affluents,  qu'il  ne  peut  se  confondre 
avec  le  Foul-aleufou  et  qu'il  prend  sa  source  dans  un  glacier 
bas  (600  mètres  d'altitude),  adossé  à  une  chaîne  de 
2,000  mètres  d'élévation. 

Aui  observations  astronomiques  de  ces  voyageurs  s'ajou- 
tent des  collections  géologiques  et  botaniques.  Leurs  rapports 
nous  fournissent  de  nouvelles  données  sur  le  relief  de  cette 
partie  de  l'Amérique  du  Sud  et  nous  permettent  de  constater 
une  fois  déplus  la  présence  de  vallées  transversales.  Les  ex- 
plorations des  Argentins  ont  d'ailleurs  démontré  que,  sous 
l'action  glaciaire,  des  cours  d'eau,  nés  dans  l'est,  se  frayent 
un  passage  vers  le  Grand  Océan,  préparant  ainsi  dans  la  Pa- 
tagonie  andine  la  voie  à  u,n  canal  interocéanique,  dont  te 
Rio  Cbubut  et  le  Rio  Epaven  constitueraient  les  éléments. 


Uu.a>ogra[-hie.  — •  Pour  achever  la  revue  rapide  des  fi 
géographiques  de  l'année,  il  nous  reste  à  parler  des  régioi 
polaires.  Toutefois,  avant  d'aborder  cette  dernière  partie  d 
rapport,  il  importe  de  mentionner  certains  travaux  qui  n'o 
pu  prendre  place  dans  les  divisions  adoptées.  Lesrecberc 
océanographiques,  par  exemple,  ne  se  localisent  pas  dai 
telle  zoue  ou  Lelle  mer, 

Celles  qu'effectue  l'expédition  allemande  pour  l'élude  des 
grands  fonds,  sous  la  direction  du  D'  Cbun,  comportaient 

i"  7,  18U8,  p,  3311.  carte  |>.  I(i3. 


PËNriANT  l'année  1898. 
d'abord  l'élude  de  l'Océan  entre  l'Ecosse  et 


69 


lies  Shetland, 

puis  le  long  de  la  cote  d'Afrique  jusqu'au  Cap  '.  Ce  travail 
est  aujourd'hui  accompli  et  la  campagne  du  Vatdivia  se 
poursuit  vers  les  régions  antarctiques.  La  mission  a  pu 
déterminer  dans  l'Atlantique  nord  la  ligne  de  séparation  des 
courants  froids  venant  de  l'océan  Glacial  et  des  couranls 
chauds  parlant  de  l'équateur.  A  500  mètres  de  profondeur 
on  a  nolé  0"4  dans  la  zoue  froide  et  9" 6  dans  la  zone  chaude. 

Des  expériences  analogues  ont  été  effectuées  il  y  a  plus 
de  quinze  ans  dans  le  nord  Atlantique,  par  le  Knight  Errant 
et  le  Triton,  de  même  que  dans  ta  Méditerranée  et  le  golfe 
de  Gascogne  par  le  Travailleur  et.  le  Talisman.  Ces  der- 
nières missions  ont  été  accomplies  sous  la  direction  de 
M.  Alphonse  Milne- Edward  s,  président  actuel  de  la  Société, 
dont  les  recherches  sous-marines,  commencées  en  1801, 
faisaient  suite  aux  études  sur  les  fonds  de  la  mer  que  son 
père,  l'ancien  doyen  de  l'Académie  des  sciences9,  avait 
entreprises  dès  18âti. 

La  nouvelle  campagne  de  la  Pola  dans  la  mer  Rouge  a 
eu  lieu  dans  la  zone  comprise  entre  Djedda  et  AdenJ.  De 
septembre  1897  à  mai  1898,  les  observations  ont  porté  sur 
les  fonds  coralliens,  sur  la  température  et  la  salure  ;  5-i  son- 
dages ont  été  opérés  et  des  remarques  intéressantes  ont  été 
consignées  sur  la  conliguration  des  eûtes. 


RÉGIONS   POLAIRES 

Ukgions  arctiques.  —  spiiziierK-  —  C'est  encore  l'élude 
de  l'océanographie  qu'eut  pour  principal  objectifs.  A. S,  le 
prince  de  Monaco;  mais  à  la  suite  de  son  nouveau  yacht,  lu 


t.  r.eo-)r.  Journal,  déc.  1898,  p.  SOÎL 

2.  Rapports  annuels  sur  les  progrès  de  lu  géographie,  18AÏ-189Ï.  [ 
moir.l,  11,  p.3l9-3ï1,  1M-43T  (carie),  !.S0-f.3O,  (119. 
,': .  Journal,  dÊe.  1898,  p.  371. 


70  RAPPORT    SUR    LES    PROGRÉS  DE   LA    GÉOGRAPHIE 

Princesse  Alice,  nous  pénétrerons  dans  les  régions  polaires  '. 
Partie  en  juin  du  Havre,  l'expédition  arrivait  à  Tromsô  le 
24  juillet  après  une  escale  à  Kîel.  Le  30  était  consacré  à  la 
visite  de  l'Ile  Beeren  (ou  de  l'Ours),  le  31  à  l'île  Hope.  Après 
une  tentative  vers  les  îles  du  Roi-Charles,  le  navire  longeait 
la  cote  ouest  du  Stor-fjord,  remontait  la  côte  ouest  du  Spilz- 
berg,  entrait  dans  l'Ice-fjord  et  y  faisait  diverses  opérations 
avant  de  visiter  l'île  des  Danois,  d'où  partirent  l'an  dernier 
Andrée  et  ses  compagnons.  Les  débris  du  hangar,  où  fut 
gonflé  le  ballon  Hanta,  jonchent  le  sol  et  l'absence  de 
nouvelles  l'ait  redouter  qu'ils  soient  les  derniers  vestiges  de 
cette  audacieuse  entreprise.  Poursuivant  sa  route  au  nord, 
la  Princesse  .l/ire  atteignit  la  banquise  et  la  suivit  jusqu'au 
80" 37  de  lai.  N.  par  3"  4-5'  de  long.  E.  Le  30  août,  le  yacht 
quittait  le  Spitzberg  et,  le  14  septembre  suivant,  il  arrivait 
à  Leith.  D'abondantes  collections  zoologiqucs  ont  été  re- 
cueillies jusqu'à  3,310  mètres  de  profondeur.  Des  excursions 
faites  pendant  les  mouillages  ont  permis  de  rassembler  des 
documents  sur  des  contrées  encore  peu  connues. 

Deux  autres  expéditions  scientifiques  ont  exploré  le  Spitz- 
berg en  1898  :  celle  du  Dr  Nathorst  et  celle  de  M.  Lerner, 
auxquelles  il  faut  ajouter  la  visite  que  fit  au  grand  archipel 
arctique  une  mission  russo-suédoise  chargée  de  mesurer 
un  arc  d'un  degro. 

L'expédition  suédoise  du  Dr  Nathorst,  montée  sur  l'An- 
taretic,  aborda  comme  celle  de  la  Princesse  Alice  à  l'île 
Beeren,  Favorisée  par  le  temps,  elle  y  séjourna  une  se- 
maine; elle  en  fit  la  carte  complète  au  1/50,000°  et  exécuta 
un  levé  hydrographique  du  mouillage  du  sud.  Une  tenta- 
tive dans  l'est  du  Spitzberg  conduisit  VAnUtrctie  jusqu'au 
7730'  latitude  nord,  où  la  banquise  s'opposa  à  sa  marche. 

Rétrogradant  à  l'ouest  sur  la  cote  sud  de  l'île  Edge  et  le 


.  Noies  manuscrilps  i'nniiiniiii(iink'»[i:ir  M.  Ilii-hîin.1,  spcrvtaire  srien- 
|up  du  prince  dp  Monaco.  pL  ('.amples  rendus.  I8il8,  p.  343-315. 


PENDANT  l'année  1898.  71 

Stor-fjord,  l'expédition  recueillit  des  empreintes  végétales 
fossiles,  doubla  le  cap  Sud,  leva  le  Bel  Sound  sur  la  cote  oc- 
cidentale et,  pendant  un  séjour  dans  l'Ice  Fjord,  découvrit  de 
riches  gisements  de  plantes  fossiles  et  deux  coléoptères.  A 
l'ouest  de  l'archipel,  la  sonde  indiqua  des  fonds  de 
2,700  mètres  et  3,100  mètres,  mais  les  constatations  de  la 
Sofia,  qui  prêtaient  à  la  fosse  suédoise  une  profondeur  de 


4,850  mètres,  n'ont  pas  été  confirmées.  Une  nouvelle  tenta- 
tive vers  la  Terre  du  Roi-Charles  fut  couronnée  de  succès. La 
topographie  de  ces  deux  grandes  lies  est  désormais  fixée. 
L'Antrtrctic  fit  route  au  nord;  puis  toucha  l'Ile  Blanche  cou- 
verte d'une  coupole  de  glace  et  terminée  par  des  falaises. 
le  point  le  plus  septentrional,  qui  fut  atteint,  est  le  81°15' 
de  latitude.  Il  fallut  se  rabattre  sur  les  Sept-Iles  et  le  nord  de 
l'archipel,  marcher  au  sud-ouest,  enfin  au  sud  surTromsô, 
après  avoir  effectué  le  tour  complet  du  Spitzberg  (7  sep- 
tembre 1898*). 

1.  Lettres  du  professeur  Nailiorsi  au  Stockholm*!  Dagbtad  et  au  Xya 
Dagligl  AtUhartda;  lettres  du  r/Gumar  Anderssnn  aux  Dagent  Nijheter. 


1    SUR    LES    PROCnftS   DE   LA    GKO-rli  A  Pli  l  K 


riph 

;i  les 


72 

L'expédition  allemande  du  Helgotand,  sous  la  direcli< 
de  M.  Th.  Lerner,  n'est  pas  moins  importante'.  Le  péri] 
entier  des  mêmes  terres  arctiques  a  été  exécuté;  mais, si 
itinéraires  du  Helgoland  et  de  FAntarctic offrent  de  grandes 
analogies,  ils  sont  loin  de  se  confondre.  La  circumnavigation 
de  la  Terre  du  Nord-Est,  accomplie  par  la  mission  alle- 
mande, attire  particulièrement  l'aitenlion. 

A  la  lin  de  juillet,  une  station  de  onze  jours  à  la  Terre  du 
Hoi-C  liarles  amena  laconnaissancedetroisîlotsetde  plusieurs 
récifs.  Les  icebergs  rencontrés  dans  ces  parages  proviennent 
non  de  la  Terre  François-Joseph,  mais  plus  vraisemblable- 
ment de  la  Terre  du  Nord-Est.  Remontant  lacôle  orientale 
de  celle-ci,  l'expédition  s'avança,  le  10  août,  jusqu'au  81°32' 
de  latitude  nord  par  26"  52'  de  longitude  est  de  Greenwich. 
Le  plateau  sons-marin  qui  prolonge  le  Spitzberg  s'étend 
jusqu'au  81°  13',  où  la  sonde  n'accusait  que  des  profondeurs 
de  160  à  180  mètres  environ,  tandis  qu'au  terminus  nord  de 
celte  navigation,  une  ligne  de  1,150  mètres  ne  trouvait  pas 
le  fond.  Cette  constatation  nouvelle,  dont  l'importance  n'a 
pas  besoin  d'être  soulignée,  vient  à  l'appui  des  observations 
de  la  mission  Nansen  et  tend  à  prouver  qu'il  existe  au 
pôle  nord  non  pas  une  terre,  mais,  au  contraire,  une  dépres- 
sion considérable  du  sol  sous-marin. 

L'exposé  des  reconnaissances  accomplies  dans  les  fjords 
de  l'fte  principale  nous  entraînerait  au  delà  des  limites  de 
ce  rapport.  Nous  renvoyons  d'ailleurs,  pour  plus  de  dé- 
tails, à  la  revue  très  complète  que  M.  Rabot  a  faite  des 
explorations  polaires  dans  les  comptes  rendus  des  séances*. 
Toutefois,  constatons  avec  notre  collègue  que  le  succès 
exceptionnel  des  croisières  entreprises  autour  du  Spitzberg 
est  dû,  il  lu  fois,  à  la  dextérité  des  capitaines,  à  la  perfection 
de  l'outillage  et  a  un  débluiemenl  très  caractéristique  des 


1.  Verkanttl.  S.vt.  Gttgr.  Berlin.  1898,  u" 
ï.  C.  Il,  W»,  P    IM4M;  18WÏ.  i..  39. 


PENDANT   L*À1»NÊE   1898.  73 

*  qu'il  faut  sans  doute  attribuer  à  une  extension  anor- 
edu  Gulf  Strearo. 

Terre    FrançoU-Jonepli.   —  Si    lion-    poursuivons    notre 

enquête  vers  l'est,  nous  rencontrons  à  la  Terre  Francois- 
Jo&eph  l'expédition  américaine  du  Frithjof,  placée  sous  la 
direction  de  M.  Wellmann.  A  deux  reprises,  en  juillet,  ce 
navire,  parti  d'Arkhangel,  se  heurta  à  une  épaisse  banquise 
par  17"  et  77"44'  de  latitude  nord  ;  cependant,  après  une  na- 
vigation pénible,  il  força  le  passage  et  atteignit  le  cap  Flora  ; 
il  découvrit  plusieurs  lies  prés  de  l'île  Wilczeck  et  s'installa  au 
cap  Tegethoff.  Des  recherches  vers  l'ouest,  sur  la  lisière  mé- 
ridionale de  l'archipel,  furent  accomplies  dans  l'espoir  de 
retrouver  les  traces  de  la  mission  Andrée;  elles  amenèrent 
Is  découverte  d'une  île  nouvelle. Le  8  août,  le  Frithjof  arri- 
vait à  la  Terre  du  Roi-Charles, poussaitjusqu'à81°7'au  nord 
du  Spitzherg  et  se  repliait  sur  la  Norvège  par  la  Terre  du 
Nord -Ouest. 

Groenland.  —  En  regard  des  expéditions  au  Spitzherg  et 
à  la  Terre  François-Joseph,  il  faut  placer  les  explorations 
du  Grœnland  et  de  l'Islande. 

Le  Groenland  fut  attaqué  par  trois  missions  scientifiques. 
Le  lieutenant  Peary  a  quitté  New -York,  le  2  juillet,  monté  sur 
le  II" 'indward,  qui,  pendant  trois  étés,  a  ravitaillé  l'expédi- 
tion Jackson.  Un  mois  plus  lard,  il  se  trouvait  dans  le  nord 
de  la  mer  de  Baffin,  s'apprètanl  à  entrer  dans  la  mer  de 
Kane  et  à  commencer  l'exploration  du  Grœnland  septen- 
trional. 

C'est  de  Krisliania  qu'est  parti,  à  bord  du  Frnm,  le  fameux 
capitaine  norvégien  Sverdrup,  pour  entreprendre  la  circum- 
navigation de  ce  continent  arctique  et  tenter  une  pointe 
vers  le  nord. 

Quant  à  l'expédition  organisée parlaCommission  danoise 
explorations  géographiques  et  géologiques  du  Grœnland, 


74  RAPPORT    StîB   LES    PROGRÈS   DE    LA    GÉOGRAPHIE 

elle  a  repris  son  projet  de.  1891  et  elle  a  confié  au  M 
nant  Amdrup  le  soin  de  reconnaître  la  partie  de  la  côte 
orientale  comprise  entre  le  66°  et  le  70*  latitude  nord,  n 
y  a  là  une  lacune  que  personne  jusqu'ici  n'est  parvenu  à 
combler.  Au-dessus  du  70°,  Scoresby,  dès  1822,  avait  effectué 
d'importants  relèvements.  Le  lieutenant  Amdrup  a  quitté 
Copenhague,  le  16  août  1898,  sur  la  barque  à  vapeur 
Godtlatab.  Taisant  route  vers  la  station  grœnlandaise  d'Ang- 
magsalik,  qu'il  atteignit  le  31  août.  Après  l'hivernage,  il 
tentera  en  canot,  entre  terre  et  banquise,  la  r 
de  cette  cote  inconnue  '. 

iminndc.  —  Grâce  aux  savantes  recherches  et  aux  persé- 
vérants efforts  du  IV  Tboroddsen,  l'Islande  révèle  peu  à 
peu  tous  ses  secrets  et  l'on  peut  dire  que,  après  dix-sept  an- 
nées d'un  labeur  opiniâtre,  ce  voyageur  a  pris  possession 
au  nom  de  la  science  du  centre  môme  de  celle  île.  L'été 
dernier,  il  étudiait  la  région  volcanique  du  Iluchland, 
au  nord  du  Borgarfjord,  explorait  deux  grands  glaciers, 
rEiritsjÔkul]  et  le  Langjokull,  visitait  les  vallées  du  Borgar, 
le  massif  d'Ok,  levait  plusieurs  lacs  et  terminait  cette  tour- 
née géologique  et  géographique  par  une  excursion  à  la 
pointe  occidentale  du  Heykjanœs*. 

A  cette  belle  campagne,  qui  complète  l'œuvre  du  Dr  Tho- 
roddsen,  s'ajoutent,  cette  année,  les  recherches  archéolo- 
giques du  capitaine  Daniel  Bruun.  Dans  l'Islande  méridio- 
nale, on  rencontre,  en  effet,  des  constructions  archaïques 
en  forme  de  dômes  et,  sur  la  côte  nord-ouest,  des  tombeaux 
de  l'époque  païenne3.  Tous  ces  vestiges  des  siècles  passés 
furent  visités  avec  un  soin  minutieux  et  les  recherches  ont 
amené  des  découvertes  de  châteaux  forts  et  d'églises,  qui 


1.  Geegrafitk  Tîdtkrifi. 

ï.  C.  H.,  1B9B,  p.  377-3711.  lettre  du  D'  Thormldsen 

S.  Geognfiik  Tidtkrift. 


pendant  l'année  1898.  75 

permettront  de     reconstituer  en  partie  l'histoire  de  cette 
contrée  avant  les  bouleversements  volcaniques  qui  l'ont  fait 

déserter. 

0 

Ici  s'arrête  notre  nomenclature. 

Au  sujet  de  l'expédition  Andrée  nous  en  sommes  réduits 
aux  conjectures,  et  de  la  campagne  antarctique  de  M.  de 
Gerlach  on  est  toujours  sans  nouvelles. 
11  est  possible  que  le  navire  de  ce  dernier,  la  Belgica,  ait 
hiverné  dans  les    "terres  australes  et  que  l'expédition  norvé- 
gienne de  M.  Borcligrevink,  qui  a  dû  partir  en  août  1898  pour 
la  Terre  Victoria,  le  rencontre.  Ce  serait  alors,  aux  abords  du 
pôle  Sud    la  répétition  de  la  scène  fameuse  qui  se  passa,  le 
il  juin  1896,  entre  Nansen  et  Jackson4.  Si  ce  coup  de  for- 
tune se  représente  et  si  les  deux  tentatives  réussissent,  Ross 
etDumont  d'TJr ville  auront  trouvé  des  continuateurs  dignes 
d'eux.  Peut-être  les  mystères  qui  enveloppent  le  continent 
antarctique    seront-ils  dissipés  ou  partiellement  éclaircis? 
Le  baleinier  Southern  Cross,  qui  porte  la  mission  Borchgre- 
?ink  parait  bien  équipé  pour  un  tel  voyage  et  rien  ne  nous 
autorise  à  croire  que  la  Belgica  ne  poursuive  pas  à  l'heure 
présente  la  glorieuse  tâche  qu'elle  ambitionnait  de  remplir. 
Et  que  penser  du  sort  réservé  à  ces  passagers  du  ballon 
Hansa    cette  autre  Jeannette  à  la  dérive,  voguant  à  travers 
les  airs  pour  conquérir  le  pôle  Nord?  Sans  doute  la  navi- 
gation aérienne  progresse  chaque  année  davantage,  et  le 
jour  viendra  peut-être  où  le  rapporteur  de  votre  Société 
pourra  noter  les  découvertes  géographiques  dues  à  de  sem- 
blables campagnes.  Mais  entre  ciel  et  eau,  par  les  froids 
extrêmes  que  Nansen  nous  a  fait  pressentir,  Andrée  et  ses 
compagnons  ont-ils  pu  accomplir  le  prodige  de  sauvegarder 
leur  existence  ? 

1.  Vers  le  Pôle,  p.  356.  Paris,  Flammarion,  1897. 


UNE  MISSION  GÉOGRAPHIQUE 

EN     SUISSE 

GABRIEL     MARCEL' 


Au  cours  d'une  mission  en  Suisse  qui  me  fut  donnée  par 
le  Ministère  des  Affaires  étrangères  à  la  fin  de  l'année  der- 
nière, j'ai  pu  réunir  un  certain  nombre  de  documents  géo- 
graphiques qui  me  paraissent  de  nature  à  intéresser  la 
Société  de  Géographie. 

M.  le  marquis  de  Monclar,  ministre  plénipotentiaire, 
avait  été  frappé  en  allant  visiter  le  Scbweirisches  Landes- 
museum,  dont  les  portes  ont  été  ouvertes  au  public  au 
mois  de  juin  dernier,  de  la  présence  dans  ce  musée  de  trois 
globes  de  dimensions  inusitées. 

Deus  de  ces  globes,  je  n'eus  pas  de  peine  à  le  recon- 
naître d'après  la  description  de  M.  de  Monclar,  sont  de 
Coronelli;  c'est  la  réduction  des  deux  énormes  sphères 
terrestre  et  céleste  que  ce  cosmographe  de  la  République 
de  Venise  avait  faites  pour  le  cardinal  d'Eslrées  qui  les 
offrit  en  1683  à  Louis  XIV.  Ils  furent  d'abord  installés  à 
Marly  en  1104,  mais  leur  dimension  les  rendit  bien  vite 
encombrants  et  ils  furent  transportés  d'abord  au  Louvre 
puis  à  la  Bibliothèque  royale  où  l'on  dut,  pour  les  installer, 
construire  pour  eux,  en  17-2-2,  une  salle  spéciale  dont  le 
plancher  était  crevé  circulairement  afin  de  voir  d'en  bas 
les  pieds  et  l'un  des  hémisphères  et  d'en  haut  l'autre  hémi- 
sphère. Ils  sont  encore  a  la  Bibliothèque  ;  mais  on  ne  peut 
plus  les  voir,  car  l'accès  de  la  salle  qui  les  contient  est  interdit 

1.  Voir  les  Irois  planches  Jointes  à  ce  numéro. 


NOTE   SDn    UNE    MISSION    CÉOGRAPLIHiUE    EN    SUISSE.        77 

au  public  et  l'on  a  dû,  depuis  L'année  1886,  les  entourer 
d'une  épaisse  carapace  de  madriers  et  de  planches.  Ils  ne 
sont  ainsi  à  l'abri  ni  de  l'humidité  ni  de  la  poussière,  et 
l'on  constatera  sans  doute,  lorsqu'on  démolira  l'étroite  pri- 
son où  ils  sont  enfermés  loin  des  regards  des  curieux,  que 
ces  globes,  uniques  au  monde  par  leur  grandeur,  par  la  ri- 
chesse de  leurs  montures,  par  l'intérêt  historique  de  leur 
contexte  etdeleurdessinqui  use  l'état  de  nos  connaissances 
à  la  fin  du  xvn*  siècle,  ont  subi  d'irréparables  dommages. 
Deux  des  globes  du  musée  de  Zurich  ont  donc  leurs 
frères  à  la  section  de  géographie  de  la  Bibliothèque  na- 
tionale; mais  le  troisième,  d'après  la  description  qui  en 
avait  été  faite  par  M.  de  Monclar,  avait  vivement  excité  ma 
curiosité  et  je  m'imaginais  que  ce  devait  être  un  document 
inconnu  ;  je  ne  m'étais  pas  trompé. 


ton 

■S 
MI 


Puissamment  recommandé  par  notre  ambassadeur, 
M.  le  comte  de  Montholon,  dont  la  gracieuse  bienveillance 
est  connue  de  tous  ceux  qui  ont  eu  recours  a  ses  bons 
offices,  je  fus  accueilli  avec  une  extrême  affabilité  par 
M.  leD'H.  Angst, directeur  du  SchweirischesLandesmuseum, 
qui  me  donna  toutes  les  facilités  désirables  pour  l'élude  de 
ce  vénérable  monument.  Qu'il  me  soit  ici  permis  d'adresser 
tons  mes  remerciements  à  M.  Angst  ;  grâce  à  lui,  j'ai  pu 
ever,  en  divers  endroits,  de  longues  listes  d'inscriptions, 
ipier  les  légendes  qui  me  paraissaient  les  plus  intéres- 
santes ou  les  plus  topiques,  obtenir  enfin  les  photographies 
qui  sont  jointes  à  cette  notice,  toutes  choses  indispensables 
pour  arriver  à  l'identification  de  ce  globe  si  curieux. 

H  ne  porte  ni  date  ni  nom  d'auteur,  tout  au  moins  les 
longues  recherches  auxquelles  je  me  suis  livré  ne  m'ont 
pas  permis  d'en  relever  trace,  maisil  est  incontestablement 
de  la  seconde  moitié  du  xvi*  siècle. 

Montée  sur  une  solide  armature  en  bois  qui  parait  con- 
temporaine, cette  sphère  passe  pour  avoir  été  faite  pour 


I    UNE    MISSION    GEOGRAPHIQUE    EN   SIJISS 

l'abbaye  de  Saint-Gall  ;  elle  y  était  du  moins,  lorsqu'elle  f 
enlevée  en  1712  avec  beaucoup  d'autres  objets  et  trans- 
portée à  Zurich.  Telles  sont  les  informations  qui  m'ont  été 
données  sur  place;  il  y  aurait  lieu  de  vérifier  cette  date  et 
à  la  suite  de  quels  événements  eut  Heu  ce  transfert. 

Sur  les  montants  qui  supportent  l'équateur  sont  peinte 
des  représentations  et  des  armoiries  d'abbés  et  de  r 
de  Saint-Gall  et  la  date  dorée  de  159ô  se  trouve  au-dessoi 
de  la  mllre  et  de  la  crosse  qui  surmonlent  les  armoiries  < 
la  figure  d'un  certain  Hel.  Pertcus,  monachut  lialli,  102( 
Pluls  (pky&icux)  musicas,  aslronom.  calculator.  Est-ce 
date  de  i'exéculion  du  globe,  de  sa  monture,  ou  de  s 
entrée  à  Saint-Gall  ?  C'est  ce  qu'il  est  impossible  de  décidi 

Sur  l'équateur  en  bois  sont  peints  les  signes  du  zodîaqi 
ainsi  qu'un  calendrier  avec  les  noms  des  saints  et  des  vonts 
Sur  le  grand  cercle  perpendiculaire  à  l'équatenr  s 
mités  les  climats  et  reportés  les  degrés  de  latitude.  Le  n 
ridîen  initial  est  celui  des  Açores. 

Quant  au  globe  lui-même  il  n'a  pas  moins  de  3  m 
circonférence.  Il  est  composé  de  fuseaux  gravés, 
habilement  gravés,  collés  sur  une  sphère  de  carton  « 
peints  par  dessus.  La  mer  est  d'un  vert  sombre,  les  terre 
sont  teintées  de  jaune,  d'un  gris  rosé  ou  blanchâtre.  Qu; 
aux  montagnes  elles  sont  relevées  d'une  teinte  bistrée. 
terre,  quelques  rares  animaux  ou  des  représentations  de  n 
barbares,  tandis  que  la  ruer  est  sillonnée  et  animée  par  d« 
navires  très  arlistement  dessinés,  des  barques,  des  poissoi 
ou  des  monstres  marins, 

Dans  le  bas  de  la  sphère  est  représenté  un  Neptune  arm 
du  trident  et  monté  sur  un  cheval  marin. 

Dans  l'hémisphère  sud,  sur  l'emplacement  du  continet 
austral  qui  brille  par  son  absence  —  constatation  qui  n'e; 
pas  sans  intérêt  à  la  fin  du  xvic  siècle,  —  un  animal  assez 
fantastique  dans  lequel  on  peut  voir  un  chien  tout  aussi 
bien  qu'un  loup,  regarde  Madagascar.  Des  nuages  dans  les- 


GLOBE  DU  MUSÉE  DE  ZURICH 


NOTE   SUR  UNE   MISSION  GÉOGRAPHIQUE   EN   SUISSE.        79 

quels  il  se  perd,  émerge  un  mât  de  hune  à  la  voile  carguée, 
au  nid  de  pie  et  à  la  pointe  duquel  flotte  une  flamme  trian- 
gulaire blanche  traversée  dans  le  sens  longitudinal  par  une 
bande  rouge.  Les  nuages  s'effacent,  on  voit  briller  des 
étoiles,  on  distingue  les  signes  du  zodiaque  :  taureau,  ba- 
lance, cancer...  Ajoutons  qu'en  différents  endroits  du 
globe,  mer  ou  terre,  sont  représentées  en  relief  les  planètes 
à  la  place  qu'elles  occupent  dans  le  ciel. 

Le  temps  qui  a  déposé  sa  patine  sur  ces  curieuses  enlu- 
minures  et  sur  le  globe  tout  entier,  rend  parfois  la  lecture 
des  inscriptions  fort  pénible.  La  pluie  et  la  brume  intense, 
qui  n'ont  cessé  que  la  dernière  journée  de  mon  séjour  à 
Zurich,  m'ont,  parfois,  rendu  très  difficile  malgré  l'emploi 
de  la  loupe  et  de  la  lumière  électrique,  le  déchiffrement 
des  légendes. 

Je  fus  de  suite  frappé  de  la  ressemblance  qu'elles  parais- 
saient présenter  avec  celles  de  la  carte  plate  de  Mercator  de 
1569.  Je  copiai  donc  nombre  des  inscriptions  qui  me  parais- 
saient les  plus  curieuses,  je  relevai  en  bien  des  endroits  la 
nomenclature  côtière  et,  lorsque  j'eus  sous  les  yeux  le  pla- 
nisphère à  latitudes  croissantes  et  décroissantes  de  Merca- 
tor, je  reconnus  immédiatement  qu'il  n'y  avait  pas  seule- 
ment ressemblance,  mais  identité  presque  absolue  avec  le 
globe  de  Zurich.  En  voici  quelques  exemples  : 

Rive  méridionale  du  Saint-Laurent. 

Globe  de  Zurich 


Mercator        % 

Monmorancy. 

Châûbriant. 

Laguille. 

Y  Dorleans  aliis  de  Baccho. 

Y  de  1  épures. 
G  de  Mabre. 
Roquelay. 

R  Dille. 

Le  nions  Nostre-Dame. 


Monmorancy. 

Châûbriant. 

Laguille. 

Y  Dorleans  alias  de  Baccho. 

Y  de  Lépures. 
G  de  Mabre. 
Roquelay. 

R  d'ille. 

Le  mons  Nostre-Dame. 


80        NOTE   9tm   IINË    MISSION    GÉOGRAPHIQUE   EN    SUISSE. 

Sur  la  Nouvelle-Guinée  se  lit  une  longue  inscription  : 

Meucatùfi 

Globe  oe  /lricu 

NouaGuinea  que  1  ab  Andréa  Cor- 

Noua  Guinea  que  |  ab   André» 

sali  Florcn  |  lino  videtur  dici 

Corsali    lluren  |  tino   videtur 

Terra    de    piecinacoli.    Forte 

dici  Terra  de  piecinacoli.  Forte 

La  l  bitdii  insula  esl  Ptolemeo 

La  |  badii  insula  es)  Ptolemeo 

si  modo  insula  est,  nain  |  sit 

ai  modo  insula  est,  nam  |  sit 

ne  insula  au  para  continentis 

ne  insula  an  pars  continentis 

austral is  ignotû  |  adliucest.  | 

australis  ignolù  |  adhur  est.  | 

Prenons  un  autre  exemple  dans  une  région   différente, 

dans  l'Amérique  du  sud,  entre  les  Antilles  et  la  rive  méri- 

dionale de  la  rivière  des  Amazones,  la  nomenclature  entière         1 
nous  donne  : 

Mercatoh 

Gloiib  de  Zurich 

H  de  Auiapari. 

R,  de  Auiapari. 

Monte  especo. 

R.  dulce. 

II.  Dulce. 

Terra  llana. 

l'un  ta  bas;  a. 

Punta  basa. 

H.  de  la  barca. 

Cap  ut  Pegasi. 

Ancon. 

B.  Verdc. 

il.  verde. 

li.  Salado. 

11.  Salado. 

II.  du  la  barca. 

1t.  de  la  barca. 

Aldc.a  de  aT'boledas. 

Aldca  de  arboledas. 

II.  de  Vincenle  Pinçon. 

H.  de  Vincente  Pinçon. 

C.  Blanco. 

C.  Manco. 

I>.  de  arboledas. 

II.  de  arboledas. 

K.  de  Pascua. 

II.  de  Pascua. 

0.  de  los  esdauos. 

C.  de  los  esclauos. 

Remonlons  dans  l'Amérique  du  Nord,  nous  trouvons  sur 

le  Labrador  une  longue  inscription  ainsi  conçue  : 

Mercatoh 

Gl.OBK  DE  ZUIUCH 

Aiiiio  Domini  1500  Gaspar  Cor- 

Amio  Uomîni  1500  Gaspar  Cur- 

lerealis  Portugaleusis  nauiga- 

lerealis  Portugalensis  nauiga- 

uil  ad  lias  terras,  spectans  a 

uit  ad  bas  terras  spectans  a 

parte   septentrional!  inveniro 

parle  septentrional!   in  t  entra 

trausilum  ad  insulas  Moine- 

trarisitum   ad  insulas   Holuc- 

au,  peruenieDB  au  |  iem  ad 

cas,    pemeuiens  au  |  luni   ad 

flnuiuiii... 

lluiiium... 

SOTE    SCR    UNK    SIISS10>-    GiCOClUPHlijUË    EN    SOISSE.        81 

Je  crois  absolument  inutile  de  prolo[iger,eommejepour- 
rais  le  faire  grâce  aux  noies  que  j'ai  prises,  ce  travail  de 
comparaison.  On  voit  que  les  différences,  quand  il  s'en  pré- 
sente, sont  absolument  minimes.  On  peut  se  demander  si  le 
globe  de  Ziirich  est  une  copie,  une  contrefaçon  de  la  carte 
plate  de  Mercator  dressée  sur  une  projection  sphérique  et 
un  peu  agrandie,  ou  si  ce  n'est  pas  une  œuvre  inconnue  du 
géographe  de  ftuppelmonde.  Ne  peut-on  pas  supposer  que 
cette  sphère  commencée  par  Mercator  aitélé  terminée,après 
sa  mort  arrivée  en  159-1,  par  son  (ils  ttumold1?  Nous  ad- 
mettons dans  ce  cas  que  la  date  1595  que  nous  avons  vue 
sur  la  monture  soit  celle  du  globe  même;  mais  il  pourrait 
n'en  êlrepas  ainsi,  nous  ne  possédons  pas  assez  de  lettres 
de  Mercator  pour  espérer  trouver  dans  sa  correspondance 
quelques  informations  relatives  à  ce  globe.  I!  est  un  fait, 
c'est  que  je  n'ai  vu  signalée  nulle  part  la  sphère  de  Ziirich,  pas 
plus  dans  les  travaux  relatifs  à  Mercator  lui-même  (Van 
Raemdonck*,  Van  Ortroy-1,  général  Wauwermans')  que 
dans  les  histoires  de  la  géographie.  C'est  un  document  qui 
n'a  jamais  été  décrit,  tout  à  fait  inconnu,  vraisemblablement 
unique  et  qui  présente  pour  l'histoire  de  l'œuvre  de  Merca- 
tor un  intérêt  tout  particulier. 

La  bibliothèque  de  Zurich  n'est  pas  riche  en  documents 

t.  KL  cependant,  ai  ce  glutu?  n'est  |.;l.s  rie  llwrcator,  il  ne  peut  être  que 

mil  d'Urtelius,  son  planisphère  du  1">ÎI).  tout  en  étant  d'une  projeeiiim 

■me.  offre  la  plus  griinde  ressemblance  ilaus  le  tracé  cl  les  inscrip- 

lians  .'ivi-e   te  planisphère  île  Mercator  de  Vfiit.  soit  d'Apitm  rloul  il  exista 

.  ■  >■   moins  grand  dédié  au  duc  de   Bavière  eu  157u  et  conservé  à 

!i  Bibliothèque  de  Munich. 

1.    Gérard    Mercator,   sa    vie.   et   ses    œuvres.    Saint-Nicholas,    1NU9, 

ID-S. 

3.  L'Œuvre  géographique  de  Mercator,...  Bruxelles,  1893,  in-8  de 
m  pages.  —  Id..  Quatre  tetlres  auliHjjaphït  de  Gérard  Mercator  i 
Henri  de  Rantiau.  ttruxellt's  (s,  d.),  in-8  de  9  pages. 

*.  Histoire  de  IVcule  cariiigrapliii|ue  ituvi-r-oisi'  duns  lé.  Itulletin  île  ta 
Sodétl  de  géographie  d'Anvers,  1892-1894,  pattim. 

SOC.    BE   CÈOGn.    —   l"r  TRIMKSTHE   1899.  II.  —  B 


82        NOTE   SUR   UNE    MISSION    GÉOGRAPHIQUE    EN   SUISSE. 

géographiques;  on  n'y  rencontre  guère,  comme  à  Berne, 
que  des  caries  lirées  à  un  grand  nombre  d'exemplaires, 
productions  de  Sanson,  Duval,  Uelisle.BIaeu,  Jansson,  Seut- 
ter,  Honiiinn.  J'ai  cependant  eu  la  bonne  fortune  d'y  ren- 
contrer, sur  l'indication  d'un  des  membres  du  conseil  du 
Musée  national,  un  document  fort  inléressant.  C'est  un  atlas 
in-4°  manuscrit  dont  les  feuilles  de  parchemin  sont  encore 
admirablement  tendues  sur  leurs  ais  de  bois.  Les  plats  de 
la  reliure,  également  en  bois,  sont  peints  en  jaune  d'or  et 
divisés  en  deux  compartiments  par  un  encadrement  sur  le- 
quel s'entrecroisent  des  lignes  vertes  formant  un  treillis 
de  dessin  assez  primitif,  des  feuilles  brunes  sont  semées  sur 
le  fond  jaune  et  chaque  compartiment  porte  un  écu  mi-parti 
d'argent  à  trois  besans  de  gueules  eL  de  gueules  à  trois  be- 
sans  d'argent. Ces  armoiries,  que  nous  n'avons  pu  déterminer, 
sont  vraisemblablement  italiennes,  elles  sont  contempo- 
raines de  l'atlas  et  de  son  étui. 

Cet  allas,  composé  de  cinq  feuilles  d'une  fine  et  jolie  gra- 
phie en  lettres  rouge  et  bistre,  ornées  à  chaque  coin  d'assez 
fines  miniatures  sur  fond  d'or  représentant  une  Vierge  au 
bambin,  un  saint  Christophe  et  des  saints  particulièrement 
vénérés  des  marins,  notamment  saint  Nicolas,  saint  Jacques 
et  saint  Julien,  porte  au  premier  feuillet  l'inscription  sui- 
vante :   Perinus  Vesco.nte  d'Ianua  fecit  istam  |  tabula 

A.NNO  dni    HCf.CXXI  J  VENECIA. 

La  première  feuille  représente  les  Iles  Britanniques, c'est- 
à-dire  l'Irlande  avec  le  lac  aus  îles  innombrables  qu'on 
voit  sur  tous  les  portulans  de  cette  époque,  l'Angleterre  avec 
une  nomenclature  assez  serrée  qui  finit  à  Berwick;  de 
l'Ecosse  on  n'a  que  le  nomScocia;  les  côles  de  l'Europe 
continentale  s'étendent  depuis  la  poinle  du  Danemark  jus- 
qu'à Mogador,  sur  la  Méditerranée  sont  dessinées  les  côtes 
d'Espagne  jusqu'au  golfe  du  Lion  avec  les  Iles  Baléares  et  les 
rivages  du  Maroc  et  de  l'Algérie. 

La  seconde  feuille  comprend  la  Méditerranée  centrale, 


SOTE    SCtt    BUE   MISSION   GÊOGFIÀrHIOUE    EN    SUISSE.        83 

soil  les  côtes  d'Algérie  et  de  Tunisie  avec  les  Baléares,  la 
Corse  et  la  Sardaîgne,  l'Italie  avec  laSicile  et  les  côtes  orien- 
tales de  l'Adriatique  jusqu'à  Durazzo. 

Sur  la  troisième  feuille  nous  avons  sous  les  yeux  l'Archi- 
pel avec  les  cotes  d'Afrique  et  d'Asie  jusqu'aux  Darda- 
nelles. 

La  quatrième  feuille  représente  la  mer  Moire  et  la  mer 
d'Azov». 

La  cinquième  nous  donne  le  calendrier. 

Ce  joli  portulan,  admirablement  conservé,  possède  en- 
core son  étui.  C'est  une  gaine  de  cuir  très  épais,  contem- 
poraine, décorée  sur  une  face  d'un  aigle  et  d'un  lion  inscrits 
dans  deux  circonférences  placées  l'une  au-dessus  de  l'autre, 
entre  lesquelles  sont  posés  sur  la  même  ligne  deux  écus 
sur  l'un  desquels  est  un  chasseur  tenant  sur  le  poing  un  oi- 
seau de  proie,  en  face  Hercule  et  le  lion  de  Némée,  à  moins 
que  ce  soil  un  Samson.  Sur  l'autre  face  entre  le  lion  et 
l'aigle,  est  estampée  une  feuille  bien  découpée. 

Ce  qui  ajoute  à  l'intérêt  que  présente  cette  gaine  c'est 
qu'elle  a  conservé  les  coulants  de  cuir  par  lesquels  passait 
la  courroie  permettant  de  porter  ce  portulan  en  sautoir 
i  la  façon  d'une  lorgnette.  Le  coulant  do  haut  est  assez 
long  et  assez  large  pour  qu'on  ait  pu  y  insérer  un  compas. 
Sous  voyons  ainsi  que  les  capitaines  ou  les  pilotes  por- 
taient toujours  sur  eux  leur  atlas  auquel  ils  avaient,  à  cette 
époque,  constamment  recours  pour  leur  navigation  au  ca- 
botage. 

C'ast  peut-être  le  seul  allas  du  xiv*  siècle  qui  nous  soit 
parvenu  aussi  complet;  malheureusoment,M.le  D'  Eichardt, 
bibliothécaire  de  Zurich,  n'a  pu  nous  dire  à  quelle  époque 
el  dans  quelles  circonstances  ce  beau  et  curieux  portulan 
est  entré  dans  l'établissement  dont  il  a  la  garde. 

Perinus  Vesconte,  qu'on  ne  doit  pas  confondre,  croyons- 
nous,  avec  Petrus  Vesconte,  bien  qu'ils  soient  contempo- 
rains et  appartiennent  vraisemblablement  àla  même  famille, 


«4        NOTE    BUB    L'NE    MISSCON   GÉOGRAPHIQUE    EN   SUISSE. 

n'est  pas  un  inconnu.  MM.  Uzielli  et  Amal  di  San  Filippo 
ont  cité  de  lui  *  une  carte  qui  se  trouve  à  Florence  à  la  Bi- 
bliothèque laurencienne,  qui  fut  faite  également  à  Venise, 
mais  porte  la  date  un  peu  antérieure  de  1317. 

Bà!e  a  déjà  fourni  aux  amateurs  de  cartes  rares  du 
xvie  siècle  deux  pièces  d'un  intérêt  considérable  :  le  plan  de 
Varis  de  Truscbet,  dont  la  reproduction  a  qui  n'est  point  co- 
loriée ne  donne  qu'une  idée  bien  incomplèle  et  bien  affaiblie, 
et  la  carte  de  France  d'Oronce  Fine, de  1538,  dont  une  re- 
production réduite  a  élé  publiée  par  M.Gallois,  aujourd'hui 
maître  de  conférences  à  l'Ecole  normale3. 

C'est  que  Baie  fut  au  xvi*  siècle  un  foyer  intellectuel  ex- 
trêmement puissant.  Nombre  d'érudils  et  d'artistes  y  sé- 
journèrent et  quantité  d'ouvrages  géographiques  —  nousne 
citerons  que  les  éditions  de  Ptolémée  de  1540  et  de  1542  — 
y  furent  publiés.  Ii  n'est  donc  pas  extraordinaire  qu'on  y 
rencontre  des  vieilles  cartes  géographiques  qu'on  ne  trou- 
verait pas  ailleurs.  Dernièrement  encore  un  érudit  allemand 
y  découvrait  une  grande  carte  de  Grèce,  celle  de  Sophianus 
de  1544-,  qu'il  faisait  reproduire  à  une  échelle  réduite. 
Comme  la  plupart  des  grandes  cartes  qui,  en  raison  même 
de  leur  dimension  ont  presque  toutes  disparu  ou  sont  de- 
venues extrêmement  rares,  la  carte  de  Sophianus  était  pour 
ainsi  dire  inconnue  ;  je  n'en  sais,  pour  ma  pari,  qu'une  édi- 
tion postérieure,  celle  de  1552,  qui  se  trouve  à  la  Section  de 
géographie  delà  Bibliothèque  nationale,  mais  quia  jadis  été 
lacérée  et  dont  il  manque  une  partie. 

Dès  mon  arrivée  à  Baie,  j'exposai  à  M.  Bernoulli,  conser- 
vateur de  la  bibliothèque  de  l'Université,  quel  était  l'objet 


1,  Studi  bioiirafici  e.  bihlinijrafici,  vol,  II.  Mttppamundi,  p.  54. 

3.  RppriiiJurlii'ii  puliliùr  on  1*70  par  la  SndeV  •!•:  i'Histoïri!  do 
Bl  UcompagTtée  d'une  notice  par  M.  Jules  Cousin. 

3.  De  Orontio  Fin/sa  g&llico  gsoijrapho,  l'acultati  fiflerarwn 
tiensi  thtsim  pruponr.liat  /,.  Wotff,  l'aiïsiis,  apuil  E.  Lorou*.  1SXI. 


SOTE    SUR    UNE   M1SSIOK    GÉOGRAPHIQUE    EN   SUISSE.         H5 

de  mes  recherches  et  je  lui  dis  l'espoir  que  j'avais  de  trou- 
ver, dans  un  établissement  aussi  riche  que  le  sien,  les  docu- 
ments que  j'avais  vainement  cherchés  a  Berne  et  a  Ziirieh. 
Je  tombais,  d'ailleurs,  dans  un  Tort  mauvais  moment,  à  la 
veille  de  Noël  ;  j'avais  été  retenu  à  Berne  et  à  Zurich  plus 
longtemps  que  je  ne  l'aurais  voulu  et  je  n'avais  plus  que  très 
peu  de  temps  devant  moi.  M.  Bernoulli  Qt  fléchir  en  ma  la- 
veur les  rigueurs  du  règlement,  il  se  mit  à  ma  disposition 
avec  une  obligeance  dont  je  ne  saurais  trop  le  remercier,  fit, 
lui-même,  les  recherches  nécessaires  et  m'apporta  bientôt 
un  grand  atlas  in-f*  oblong  qui  ne  contenait  que  des  cartes 
du  xviP  ou  du  commencement  du  xvn*  siècle. 

La  première  pièce  sur  laquelle  je  tombai,  Tut  un  exem- 
plaire du  grand  planisphère  à  latitudes  croissantes  de  Mer- 
cator  publié  a  Duisbourg  en  1560.  On  sait  que  jusqu'à  ces 
derniers  temps,  le  seul  exemplaire  connu  fut  celui  qui  se 
trouvait  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris  et  que  Jomard 
avait  fait  reproduire  dans  ses  Monuments  de  la  géographie. 
En  1891,  le  Dr  Alphonse  Hayer,  en  rangeant  la  collection 
des  cartes  de  la  Bibliothèque  de  Breslau,  a  découvert  un  se- 
cond exemplaire  de  ce  planisphère  de  Mercator.  Il  y 
trouva  également  un  exemplaire  de  la  carie  d'Europe1  du 
même  auteur  que  jusqu'alors  on  croyait  perdue.  Ces  deux 
cartes,  ainsi  que  celle  ries  IlesLrilanniquesdu  même  Merca- 
tor, ont  éLé  reproduites,  en  1891,  en  fac-similé  grandeur  de 
l'original  par  la  Société  de  géographie  de  Berlin*. 

C'est  donc  d'un  troisième  exemplaire  du  planisphère  de 
Mercator  que  je  pus  constater  l'existence  à  la  Bibliothèque  de 
l'Université  de  Bile.  Cette  carte  est  dans  un  étal  de  conserva- 
tion vraiment  merveilleux,  il  semble  qu'elle  sorte  à  l'instant 


1.  Kll'1  porte  ilïns  le  coin  inférieur  gnoehr.  :   Absuliil-um  el   vulgatum 
eit  opiiH  Dttyxltuiiii  imnii  fiiii  lâiii  même  octobre  per  Gerurdum  Mer- 
■  Hupeimondflnum. 
.     i.ii!      Zeitnchrift  fur  wiaensohaftiiche  Géographie  lterau.tijtyeben 
i  KWIter,t.YlI,  1890,  p«**im. 


Sti  NOTE  Sl'lt  UNE  MISSION  GÈOGRÀPHIijUE  KN  SUISSE. 
île  !';iielifr  du  graveur.  Pliée  dans  un  atlas,  elle  n'a  jamais 
sans  doute  été  consultée  par  un  amateur  ou  un  érudit,  car  on 
n'aurait  pas  manqué  de  signaler  aussitôt  sa  présence.  Elle 
est  iulinimenl  plus  belle  que  celles  de  Paris  et  de  Breslan. 
11  faut  Mre,  comme  je  le  suis,  curieux  de  ces  vieux  docu- 
ments pour  éprouver  le  plaisir  que  je  ressentis  en  admirant 
la  gravure  si  large,  si  précise  et  si  artistique  de  Mercator. 
l'.'esl  avec  une  sorte  de  vénération  que  je  contemplais  cette 
tuuvre,  que  je  connaissais  pourtant  bien,  du  plus  grand  des 
géographes  du  xvi"  siècle.  En  même  temps,  je  me  sentis 
envahi  par  l'espoir  de  trouverdans  cet  allas  factice  d'autres 
documents  inconnus  ou  perdus  et  dont  on  ignorait  absolu- 
ment a  Baie  l'intérêt  et  la  valeur. 

J'eus,  en  effet,  l'heureuse  fortune  de  tomber  presque 
aussitôt  sur  une  autre  production  de  Mercator  non  moins 
intéressante  :  sa  grande  carte  d'&irope.  Mais,  au  lieu  que 
ce  soit  un  double  de  l'édition  de  1554  que  le  Dr  Hayer  a 
trouvée  à  Breslau  et  qui  a  été  reproduite  par  la  Société  de 
géographie  de  Berlin,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut, 
c'est  la  seconde  édition,  celle  de  1512,  qu'on  croyait  per- 
due, que  j'avais  sous  les  yeux. 

Van  Uaemdonck,  qui  a  consacré  sa  vie  entière  à  réunir  et 
à  publier  des  documents  sur  Mercator,  s'exprime  ainsi  au 
sujet  de  cette  carte'  : 

*  Mercator  sut  se  tenir  au  courant  du  progrès  et  publia, 
au  mois  de  mars  1572,  une  nouvelle  édition  de  sa  grande 
carte  d'Europe,  enrichie  de  toutes  les  découvertes  qui 
uvait'iit  été  laites  depuis  dix-huit  ans.  Dressée  sur  une  pro- 
jection nouvelle,  résumant  toutes  les  cartes  particulières 
récemment  élaborées  et  perfectionnées,  gravée  avec  ce  soin 
que  Mercalor  savait  y  mettre,  celte  carte  a  dû  faire  sensa- 
tion dans  le  monde.  A  son  apparition,  c'est  Ghymnius  qui 
r.iiin  me,  les  savants  de   tous  les  pays  en  firent  un  éloge' 


1.  Op.  cil.,  p.  81. 


KOTË    SUR    UNE   MISSION   GÉOGRAPHIQUE    EN    SUISSE.        87 

tellement  brillant,  qu'on  eût  dit  que  jamais  œuvre  aussi 
parfaite  n'avait  vu  le  jour. 

*  Celte  grande  et  belle  carte  est  signalée  par  les  contem- 
porains Ghrmnîus,  Ortelius,  Molanus  et  par  Mercator  lui- 
même.  Le  Dr  Camerarius  la  reçut  en  cadeau  en  1574,  elle 
faisait  partie  de  la  collection  géographique  du  président 
Viglius  et  ornait  habituellement  la  cheminée  de  sa  biblio- 
thèque. Elle  se  trouvait  probablement  dans  toutes  les  cours, 
dans  toutes  les  abbayes  et  chez  tous  les  savants  de  l'Eu- 
rope, et  cependant  on  n'en  trouve  pas  d'exemplaire.  > 

Les  amers  regrets  de  M.  Van  Baemdonck  n'ont  plus  au- 
jourd'hui raison  d'être,  puisque  le  Dr  Hayer  a  trouvé  l'édi- 
tion prioceps  et  que  moi-même,  je  viens  de  découvrir  à 
Bile  celte  seconde  édition  que  M.  Van  Raemdonck  louait 
en  termes  qui  semblent  hyperboliques  et  qui  ne  sont  pour- 
tant que  l'expression  de  la  vérité.  Le  biographe  de  Mercator 
n'avait  pas  été  le  seul,  d'ailleurs,  à  déplorer  la  perte  de  ce 
document.  D'Avezac,  dans  son  Coup  d'œil  historique'  sur 
la  projection  des  cartes  ijèoijrit.phiqum,  disait  :  «  Nous 
n'avons  pu  rencontrer  d'exemplaire  de  cette  grande  carte 
d'Europe,  soit  de  l'édition  originale  de  1554,  soit  de  la 
deuxième  édition  de  1572,  mais  il  s'en  trouve,  dans  l'Atlas 
posthume  édité  en  1595  par  son  fils  Rurnold,  une  réduc- 
tion que  nous  avons  examinée.  »  D'après  ce  qu'il  est  facile 
d'en  juger,  d'Avezac  n'avait  eu  qu'une  bien  faible  idée  de 
la  carte  originale  dont  voici  le  titre  et  la  dédicace. 

Et]BOP.«  UESCRIPTIO   |   EHENDATA  ANNO  C10CILXXII. 

Reverendiss.  et  illustriss.  Domino  \  D.Antonio  Perrenot 
Atrebatensium  episcopo  |  imp.  Cnroli  V  Augusti  primo 
contiiiario  |  titerarum  studiormti  j  omnium  \  unico  fau- 
tori  |  Gerardut  Mercator  Rupelmondanus  \  dedicabat.  | 
Cette  belle  pièce  mesure  1  m.  605x1  m.  335. 


I.  l'aris.  iuipr.  Martinet,  18G3,  in-8,  p.  61. 


88       NOTE    SUR    ÔME    MISSION   GKOlîllAPHlyUE    EN    SUISSE. 

J'ai  encore  noté  la  présence  dans  le  même  atlas  fac- 
tice de  la  carte  cordiforme  d'Apian,  de  sa  grande  carie 
de  Bavière  en  24  feuilles  publiée  à  Ingolstadt  en  1568, 
de  la  carte  de  Suisse  die  Tscbudi  de  1560,  de  trois  cartes 
d'Espagne  de  Carolus  Ciusius  (L'Écluse),  de  Paolo  Forlani, 
publiée  par  Berleli,  et  de  celle  île  Pirrho  Ligorio  gravée  par 
Jean  et  Lucas  a  Duelecum,  enfin  d'un  certain  nombre 
d'autres  cartes  extrêmement  rares,  qui  n'avaient  pas  pour 
moi  un  intérêt  immédiat  et  dont  je  me  contentai  de  prendre 
rapidement  note. 

Je  ne  m'arrêterai  que  sur  une  carte  cordiforme  dont  j'ai 
constaté  l'absence  au  British  Muséum  et  à  la  Bibliothèque 
nationale  et  qui  n'a  pas  été  citée,  autant  qu'il  m'en  sou- 
vient, par  les  historiens  de  la  cartographie,  même  par 
ceux,  comme  le  professeur  Fiorini1,  de  Bologne,  qui  ont 
fait  une  étude  spéciale  des  projections  cordiformes,  ou 
comme  Ceradim',  qui  a  publié  sur  les  géographes  et  les 
cartes  du  ïti*  siècle  un  travail  très  avisé,  trop  touffu,  que 
la  mort  l'a  malheureusement  empêché  de  reviser  et  d'alléger. 

Voici  le  litre  de  cette  carte  que  je  considère  comme  abso- 
lument ignorée  et  unique  jusqu'ici. 

Nova   totjus   terrarum    onms    juxta    nés  |  toricohum 

TRALlITIONES    DËSCRIPTI0  |    AultAH.    OnTELIO   |   ANTUKRHANO  | 

Anno  Domini  |  MCGCCCLXIIII. 

L'adresse  porte  :  Prostant  Antuerpiœ  apud  Gerardum 
de  \  Jode  in  Bor&a  noua  \  cum  Hegiœ  Maiestatis  Priui- 
legioad  |  Sexenium  |  .La  dédicace  est  ainsi  conçue  iNobili 
et  srudito  Marco  |  Laurina  D.de  Watereliet  \  Abrahamits 


1.  Le  prnjt-.ioni  cordifor, 
Le  jir"jt:inni  /juiinlttalive  e 


ï  nelta  cartogrtifia.  HOnu,  1889,  in— H.  — 
iquivalenli  nrtla  eartografia.  Rnraa,  1887, 


2,  A  proponiui  dei  dm-  glohi  Mrrt:/it:,ritiiti.  I.Ml-1'râl.  —  Appunli  c: 
tîci  lulla  sluria  délia  geografia  net  tteoli  XVe  XVI...  MUano,  1884,  in 


BOTE  SDR  UNE  MISSION  GÉOGRAPHIQUE  EN  SUISSE.  89 
Urtelius  |  DD.  |  Celte  carte,  qui  mesure  1  m.  58x0  m.  87, 
tel  ornée  des  têtes  des  vents.  Dans  le  bas,  à  droile  et  à 
gauche,  deux  canouches  nous  donnent  les  plans  de  Mexico 
et  de  Cuzco.  Elle  offre  une  grande  ressemblance  comme 
projection  avec  la  mappemonde  de  Johannes  Honterus  qui 
se  trouve  dans  son  ouvrage  :  De  geographiœ  rudimentis, 
qui  parut  à  Baie  en  1561. 

Coïncidence  qui  ne  manque  pas  de  piquant,  une  réduc- 
tion de  cette  même  carte  d'Orlelius  publiée  par  de  Jodc 
(de  Judceis)  figure  dans  le  même  recueil  de  la  Bibliothèque 
de  I1Iiiiverfité  do  Bàle;  je  ne  la  crois  pas  moins  rare  que 
l'original.  En  voici  la  description  : 

NOVA  TOTITÏS  TERIUIïCM  ORDIS  DESCRlrTin  ad  exemplar 
HAIORIS  E1IIT.E  Ai!  ABRAH.  OrTEMO  SONC  VERO  1571  IN  HAN'i; 
FORUAH    REDACTA   PEU    GER.  DE   JODE.  JOHANNU9  A    DKOTECD, 

Lucas  a  DkutecC  feceriint. 

Dans  le  bas  de  cette  carte,  qui  mesure  0  m.  52x0  m.  335, 
sont  deux  cartouches  :  un  globe  céleste  à  gauche,  un  globe 
terrestre  à  droile. 

La  date  de  publication  de  cette  carte,  1571,  est  intéres- 
sante à  noter  parce  que  l'ingénieur  Fiorini  affirme  que  fa 
dernière  des  caries  en  forme  de  cœur  est  celle  de  Cimer- 
tinus  publiée  en  1566'. 

Comme  on  ie  voit  par  les  noies  rapides  que  j'ai  prises,  il 
y  a  à  Baie  un  ensemble  de  documents  excessivement  inté- 
ressants. Il  serait  à  désirer  qu'un  éditeur  français  entreprît 
la  reproduction  de  ces  cartes  qui  sont  toutes  ou  excessive- 
ment rares  ou  uniques;  je  suis  certain  que  celte  publication, 
à  laquelle  on  pourrait  adjoindre  quelques  spécimens  em- 
pruntés à  d'autres  dépôts,  rencontrerait  le  même  accueil 
qu'a  reçu  la  reproduction  de  cartes  anciennes  publiée  par 

I.  Le  prajetioni  eordiformi  nella  cartotjrafla...  op.  cit.,  p.  !fi. 


■ 


90        NOTE    SUil    UNE    MISSION   GÉOGRAPHIQUE    EN   SUISSE. 

F.  Miiller,  d'Amsterdam*,  si  l'on  voulait  surtout  s'en  tenir 
aux  documents  absolument  introuvables. 


Je  ne  veux  pas  quitter  Bile  sans  parler  de  quelques  autres 
monuments  géographiques  que  j'y  ai  découverts,  non  plus 
à  la  bibliothèque  de  l'Université,  mais  au  Musée  historique. 
Là,  au  milieu  de  pièces  infiniment  curieuses  pour  l'histoire 
des  mœurs,  de  la  civilisation  et  de  l'art  :  meubles,  armes, 
tableaux,  ustensiles  de  toute  sorte,  costumes,  vitraux,  etc., 
j'ai  aperçu  cinq  globes  célestes  dans  plusieurs  de  ces 
chambres  qu'on  a  enlevées  tout  entières  :  plafonds,  poêles, 
meubles,  et  jusqu'aux  lambris,  de  châteaux  ou  d'habita- 
tions anciennes,  pour  les  transporter  au  Musée.  L'accès 
des  pièces  exposées  dans  ces  salles  étant  interdit  au  public 
généralement  indiscret  ou  maladroit,  je  n'ai  pu  examiner 
ces  sphères  célestes  d'un  peu  près,  elles  m'ont  cependant 
paru  appartenir  toutes  au  siècle  dernier. 

Enfin  une  longue  vitrine,  dans  une  petite  salle  donnant 
dans  le  chœur  de  l'ancienne  église  des  Gordeliers  où  est 
installé  le  Musée,  en  face  l'endroit  où  sont  exposés  les  mor- 
ceauxqui  restent  de  la  Danse  des  morts,  contient  trois  beaux 
vases  à  boire  en  argent  en  forme  de  globes  terrestres. 

Pour  deux  de  ces  pièces,  le  globe  est  porté  par  un  Atlas, 
l'un  les  deux  mains  appuyées  sur  les  hanches,  le  second  une 
main  sur  la  hanche  et  l'autre  sur  un  fort  bàlon;  quant  au 
troisième,  plus  simple,  il  est  monté  sur  un  pied  aux  élé- 
gantes moulures.  Le  globe  s'ouvrait  à  l'équaleur  et  était 
généralement  surmonté  d'un  sphère  armillaire  ou  d'un 
globe  céleste.  Sur  celle  sphère  est  gravé  et  doré  le  monde 
connu,  alors  que  les  mers  ont  conservé  la  couleur  naturelle 
de  l'argent.  Si  l'on  examinait  un  peu  attentivement  chacun 
de  ces  objets,  on  arriverait  assez  facilement,  par  l'étude  des 


1 .  Hemarkahle  Map*  of  Iht  XV.  XVI,  XVII  th  centuries,  reproducat 
in  their  originat  me...  Amsterdam,  F.  Millier,  18U4-18U8,  in-fol. 


HOTE  SliH    UNE   MISSION    GKOGRAI'HIQUE    EN    SUISSE.        91 

inscriptions,  des  terres  et  des  lies  représentées,  aussi  bien, 
que  par  l'absence  de  certaines,  à  leur  fixer  une  date. 

Par  malheur,  ces  globes,  en  raison  même  de  leur  appro- 
priation, sont  toujours  d'une  dimension  assez  restreinte, 
leur  diamètre  ne  doit  pas  dépasserO  m.20. 

J'ai  été  assez  frappé  de  rencontrer  à  Bàle,  dans  le  même 
musée,  trois  de  ces  coupes  dont  j'avais  vu  d'autres  exem- 
plaires à  Nancy  et  à  Genève  au  musée  Ariana.  Cela  m'a 
appris  que  ces  objets  dont  on  rencontre  en  Suisse  un  grand 
nombre,  mais  sous  des  formes  très  ililférentes,  étaient  plus 
nombreux  que  je  n'imaginais;  peut-Ctre,  si  l'on  poussait 
les  recherches  plus  à  fond  que  je  n'ai  pu  le  faire  aux  Musées 
historiques  de  Berne  et  de  Ziïrich,  pourrait-on  trouver 
d'autres  pièces  du  même  genre.  Il  serait  instructif  do  les 
comparer  entre  elles,  de  les  examiner  de  près;  on  y  décou- 
vrirait probablement  le  nom  du  graveur  et  le  lieu  de  la  fa- 
brication, constatations  qui  pourraient  nous  réserver  une 
surprise  et  qui  ne  me  semblent  pas  dépourvues  d'intérêt. 
Telles  sont  en  résumé  les  quelques  notes  que  j'ai  pu 
prendre  au  cours  de  la  mission  où  je  recherchais  des  docu- 
ments de  géographie  historique  ;  ce  sont,  si  je  puis  ainsi 
m  "ex  primer,  des  trouvailles  à  coté.  J'ai  pensé  qu'elles  pré- 
sentaient un  intérêt  général  et  que  les  historiens  de  la  géo- 
graphie, à  quelque  nation  qu'ils  appartinssent,  y  pourraient 
trouver  pour  leurs  études  d'utiles  renseignements. 


Post-Sciuptum.  —  Telles  étaient  les  conclusions  aux- 
quelles j'étais  arrivé,  lorsque  je  reçus  peu  de  temps  après 
mon  retour  à  Paris  la  visite  du  directeur  du  musée  de  Zu- 
rich, M.  leD'  H.  Angst.  Au  cours  de  notre  entretien,  j'eus 
l'occasion  de  lui  parler  des  coupes  en  forme  de  globe  que 
j'avais  admirées  à  Bàle,  Il  m'apprit  l'existence  à  Zurich 
d'un  vase  à  boire  de  même  genre;  celui-ci  n'était  pas  en- 
core sous  vitrine  lors  démon  passage,  je  n'avais  donc  pu  le 
voir.  M.  Angst,  qui  est  l'obligeance  et  la  gracieuseté  mêmes, 


92         NOTE    Sril    l'NB   MISSION    GEOGRAPHIQUE    EN    SUISSE. 

s'excusa  de  ne  m'avoir  pas  montré  ce  globe,  me  promil  de 
me  donner,  à  son  retour,  les  renseignements  que  je  désire- 
rais sur  cette  belle  pièce  et  de  m'envoyer  en  même  temps 
une  photographie  qui  me  permettrait  de  l'étudier;  c'est 
celle  que  nous  reproduisons. 

Celte  sphère  qui  appartient  depuis  longtemps  à  la  biblio- 
thèque de  Zurich  est  en  argent,  mais  les  continents  et  cer- 
taines autres  parties  sont  dorées.  Elle  est  surmontée  d'un 
globe  céleste  du  même  mêlai.  Elle  a  été  reproduite  en  litho- 
graphie et  décrite  dans  une  publication  locale'  que  M.  le 
Dr  H.  Lehmann,  du  même  musée,  a  eu  l'obligeance  de  me 
faire  parvenir  et  à  qui  j'adresse  ici  tous  mes  remerciements. 

La  sphère  terrestre  a  0  m.  17  de  diamètre;  elle  est  très 
arlistement  dessinée  et  gravée  avec  une  extrême  habileté. 
La  photographie  nous  montre  l'océan  Pacifique;  le  détroit 
de  Behring  ou  d'Anian,  comme  on  disait  alors,  y  est  figuré 
comme  sur  une  sphère  en  cuivre  faite  à  Rouen  que  nous 
avons  décrite1.  La  Californie  est  une  île  et  non  pas  une 
presqu'île  comme  on  l'a  souvent  représentée  au  xvn'  siècle. 
On  lit  très  exactement  le  nom  de  l'archipel  Saint-Lazare; 
sur  la  Nouvelle-Guinée  se  trouve  cette  inscription  :  Nova 
Guinea  nuper  inventa  quœ ...  i  usai  a  an  pars  continentisaus- 
tralis,  et  sur  ses  côtes  :  y  de  los  marttres,  y.  de  los  crespos, 
y.  de  hombres  blancos.  In  Èarbada...,  échos  attardés  des  ex- 
péditions de  Grijalva  en  1537  et  de  Otiz  de  Heles  en  15+5,  et 
empruntés  très  vraisemblablement  à  Mercalor. 

Un  peu  plus  loin  se  trouve  l'archipel  Salomon,  et  au-des- 
sous de  la  Nouvelle-Guinée  se  profile  à  travers  le  Pacifique 
jusqu'à  la  Terre  de  Feu  et  jusqu'au  pùle  un  vaste  continent 
présentant  une  profonde  éebancrure  qui  rappelle  le  golfe  de 


1.  XfUjalirsblntt  hcrtiustientlien  uni!  iltr  Slaittbiblintliek  in  Zurich, 
auf  dut  Jalir,  1860.  Zurich,  în-4"  de  12  pages  avec  ce  sous-tllre  :  De 
Beektr  des  ehe.iauliijen  Cborlierreiutubt. 

!.  .Vole  sur  une  sphère  terrestre  en  cuivre  faite  a  Rouen  à  ta  fin  du 
XVI'  itecle.  Rouen,  Cagniard,  1H91,  in— i"  de  10  pages. 


fj 

COUPE  A   BOIRE 

HOTE    SDR    UM-:    HlSSIOrf    GÉOGRAPHIQUE    EN    SUISSE.        93 

Carpentarte,  échancrure  qu'on  remarque  sur  presque  loules 
les  caries  depuis  In  publication  des  cartes  cordilbrmes 
d'OronceFine  et  deMercator.  Sur  celle  immense  terre  aus- 
trale.on  lit  la  légende  suivante  :  liane  continentem  Austra- 
1m  noniinlli  Magellanifam  regionem  ab  ejus  inventore 
aurtcuiiaiit. 

L'absence  du  détroit  de  Lemaire,  de  la  Nouvelle-Zélande, 
de  la  moindre  trace  réelle  de  l'Australie  nous  délerrainentâ 
fixer  pour  l'époque  du  dessin  de  cette  sphère  le  dernier 
quart  du  xvi*  siècle,  ce  qui  concorde  d'ailleurs  complète- 
ment avec  les  données  artistiques. 

Comme  on  le  voit  sur  la  photographie,  le  globe  terrestre 
surmonté  de  la  sphère  céleste  repose  sur  un  vieil  Atlas 
barbu  qui  fait  eiFort  pour  le  porter  et  semble  se  relever  avec 
peine.  Le  corps  est  fléchi,  les  jambes  sont  repliées,  l'un  des 
pieds  se  crispe  sur  le  sol, l'autre  repose  sur  une  boule. 

Sur  le  pied  très  élégant  de  celle  pièce  d'orfèvrerie  sont 
gravés  en  bas-relief, entre  de  délicates  consoles  ajourées  en 
forme  de  rinceaux,  les  quatre  éléments  sous  la  figure 
d'une  salamandre,  d'un  dauphin,  d'un  aigle  et  d'un  élé- 
phant. Sur  le  quart  de  cercle,  dernière  moulure  de  la  base, 
des  médaillons  à  figure  séparent  les  quatre  parties  du 
monde.  L'Europe  est  représentée  par  un  joueur  de  luth  et 
ses  auditeurs,  l'Asie  par  un  prince  et  ses  guerriers,  l'Afrique 
par  un  roi  sous  sa  tente  avec  des  guerriers  elun  prisonnier, 
enfin  l'Amérique  est  représentée  par  un  sauvage  lenant  une 
massue,  sa  femme  avec  un  arc. 

Les  deux  globes  terrestre  et  céleste  s'ouvrent  à  l'équateur 
et  forment  ainsi  quatre  coupes  à  boire  extrêmement  élé- 
gantes et  riches,  puisque  si  l'ensemble  était  d'argent,  les 
conlinents,  les  constellations,  l'éqaateur,  l'écliplique étaient 
dorés  ainsi  que  les  bas-reliefs  et  les  petites  figures  du  pied. 

Examinée  avec  plus  de  soin  qu'elle  ne  l'avait  été  en  1860, 
celle  pièce  curieuse  a  révélé  par  les  marques  gravées  qui 
ont  été  découvertes  dans  la  cavité  de   la  base  qu'elle  est 


04         NOTE    SUR    UNE   MISSION    GÉOGRAPHIQUE    EW   SUISSE. 

l'œuvre  de  l'orfèvre  Abraham  Gessner  (1553-1614)  de  Zu- 
rich. On  y  voit,  en  effet,  un  Z  au  milieu  d'un  cartouche  en 
forme  d'écu  et  dans  un  autre  h  marque  assez  compliquée  de 
Gessner, 


i    (È 


Gomment  ce  glohe  est-il  entfé  a  la  bibliothèque  de  Zu- 
rich; on  ne  sait,  mais  un  document  reproduit  dans  le  Neu- 
jahrsblatt  que  nous  avons  cité  plus  haut,  nous  apprend  du 
.  moins  que  le  4  juillet  1673,  dans  une  réunion  (convenl)  de 
la  Société  des  chanoines  et  d'une  délégation  de  la  Société 
des  jeunes  ecclésiastiques,  il  fut  à  l'unanimité  décidé 
d'acheter  pour  ces  sociétés  réunies  et  avec  leurs  propres 
fonds  la  remarquable  coupe  d'honneur  que  nous  venons  de 
décrire. 

A  une  époque  relativement  récente,  ce  beau  bibelot  fut 
acquis  chez  un  orfèvre.  D'où  celui-ci  le  tenait-il  ?  Pour  qui 
avait  été  faite  celte  sphère  et  dans  quelles  circonstances? 
Voila  ce  que  ne  dit  pas  le  document  que  nous  citons  et  ce  que 
l'on  ignorera  peut-être  toujours.  Néanmoins  la  découverte 
des  marques  du  fabricant  et  du  lieu  de  fabrication  sont  des 
éléments  nouveaux  qui  éclairciront  peut-être  l'histoire  des 
vases  à  boire  similaires  qu'on  trouve  à  Ilappoilsweiler  (Al- 
sace), à  Bâle,à  Genève  et  à  Nancy  '.C'est  une  étude  que  nous 
réservons  pour  un  moment  où  nous  aurons  un  peu  plus  de 
loisir. 

G.  M. 


1.  Il  existe  au  Mnste  national  du.  Siiii'kliihlrn  un  ii];ignilli[UK  gliibe  en 
argent  ijui  a  appartenu  à  G ustai'e- Adolphe,  qui  porte  In  date  de  il')30 
et  le  nom  de  Johann  Hajauer  de  Nuremberg.  Une  reprodnclion  de  ce 
globe  nous  a  été  envoyée  eu  ]8»ï  par  noire  ami  E.  Sordenskiold.  Nous 
ne  savons  si  celle  sphère  étail,  elle  aussi,  une  coupa  à  boira. 


LE  KLONDYKE,  L'ALASKA,  LE  YDKON 


ET    LES    ILES    .W.BHTIKNM'S 


Ml.     LOICQ      IDE      LOB  EL1 


Quand  les  premières  nouvelles  des  trouvailles  d'or  faites 
en  Alaska  parvinrent  en  Europe,  peu  de  monde  ajouta  foi 
à  ce  qu'on  croyait  èlre  des  canards  d'Amérique.  Puis,  à 
ces  nouvelles  succédèrent  des  rapports  officiels  qui  confir- 
maient en  partie  les  récits  des  mineurs  revenus  du  Klondyke. 
Ceux-ci  relataient  également  les  difficultés  et  les  dangers 
de  la  roule  et  du  climat  auxquels  le  mineur  était  exposé 
dans  ce  pays  de  rocs  et  de  glace  éternelle.  On  apprenait 
bientôt  que  le  gouvernement  canadien  avait  envoyé  un 
gouverneur  à  Dawson  ;  et  dès  lors  ce  pays,  qui  jusqu'ici 
n'avait  pas  d'histoire,  eut  le  don  d'exciter  la  curiosité  du 
monde  entier. 

Une  chose  entre  toutes  attirail  l'attention  comme  la  pilié 
sur  les  malheureux  qui  osaient  affronter  les  périls  de  ce 
voyage;  c'était  la  traversée  de  cette  fameuse  passe  du 
Chilkoot,  ot  la  nature  semble  avoir  jeté  là,  pèle-mcle,  les 
uns  sur  les  autres  les  plus  énormes  blocs  de  pierre  de  la 
création,  formant  ainsi  une  barrière  infranchissable  aux 
trésors  qu'ils  protègent. 

Ces  rocs  gigantesques,  dont  les  ravins  se  cachent  sous 
d'épaisses  avalanches  de  neige,  il  fallait  les  gravir  au  plein 


I.  Commuilicalioii  adnsséi-  à  lu  SoeiéSé  <k*  Géog  raphia  dans  s: 
du  6  janvier.  —  Voir  la  carie  jointe  à  ce  numéro.  Celle 
eilraiie   ilu   rapport  île  M.  Loicq  de  Lohei,  a  dû,   nécessairement,  èlre 


96  LE    KLONDYKK,    L'ALASKA,    LE    YOTCOK 

cœur  de  l'hiver  et  par  étapes  cent  fois  répétées,  car  chacun 
devait  transporter  ses  vivres  sur  le  dos. 

Mais,  là  n'était  pas  la  seule  difliculté  du  voyage;  si  le 
Chilkoot  était  terrible,  combien  dangereux  étaient  les  lacs 
et  rivières  qu'il  fallait  suivre  sur  des  embarcations  toutes 
primitives,  faites  deplanches  mal  jointes  provenant  d'arbres 
brûlés,  et  incapables  de  résister  longtemps  aux  secousses 
des  torrents  et  des  rapides. 

Ajoutez  à  cela  le  tableau  qu'on  faisait  des  malheureux 
mineurs  atteints  du  scorbut  et  forcés  de  travailler  la  terre 
par  une  température  de  60°  sous  léro;  voilà,  à  peu  près,  les 
renseignements  que  nous  possédions  quand  j'entrepris  mon 
exploration  en  avril  1898. 

J'allai  m'embarquer  à  Liverpool,  à  destination  de  Mont- 
réal. Je  choisissais  de  préférence  un  port  canadien,  pour 
éviter  les  tracasseries  et  les  tarifs  élevés  de  la  douane 
américaine.  Je  devais  me  rendre  dans  le  Yukon  par  Glenora, 
Telegraph-Creek  et  le  lac  Teslin. 

Je  ne  vous  décrirai  pas  ici  les  sites  merveilleux  des  jolies 
villes  du  Canada  que  nous  avons  traversées  :  Québec,  Mont- 
réal, deux  villes  restées  bien  françaises  de  mœurs  et  de 
langue  ;  Ottawa,  le  foyer  intellectuel  du  Canada  ;  ni  les  vastes 
contrées  que  le  Canadian  Pacific  traverse  de  Montréal  à  Van- 
couver. M.  le  baron  Hulot,  notre  distingué  collègue,  lésa 
merveilleusement  dépeintes  dans  son  livre  De  l'Atlantique 
au  Pacifique. 

Mais,  je  ne  puis  m'empêcher  de  vous  parler  de  ces  Mon- 
tagnes Rocheuses,  qui  gardent  perpétuellement  leurs  cimes 
couvertes  de  neige  et  sur  lesquelles  le  train  court  à  une 
allure  vertigineuse,  traversant  des  ravins  profonds  de  2,000 
pieds  sur  quelques  poutres  dont  nous  ne  voudrions  pas  en 
France  pour  un  pont  de  jardin;  descendant  des  courbes 
brusques  et  rapides,  à  fleur  de  roche,  où  l'œil  ne  distingue 
plusque  le  vide  immense  du  gouffre  béant.  Cette  traversée 
des  Montagnes  Rocheuses   donne  le  vertige  a  plus   d'un 


ET   LES    ILES   ALÉOUTIENffES.  91 

toyageur  et   laisse  dans  l'esprit  un  inoubliable  souvenir. 
Nous  arrivons  à  Vancouver  le  10  mai,  où  nous  complé- 
tons notre  équipement  et  nos  provisions. 

Ici,  pas  plus  qu'à  Montréal,  on  ne  peut  nous  donner  le 
moindre  renseignement  sur  les  régions  arctiques  ;  mais  en 
revanche,  nous  sommes  assaillis  par  les  marchands  qui  nous 
relancent  jusqu'à  l'hôtel  pour  nous  offrir  des  vêtements  de 
fourrure  ou  d'autres  approvisionnements.  Le  14  mai,  nous 
nous  embarquons  sur  Yhlander,  avec  ma  femme,  mes  deux 
filles  et  mes  deux  fils  qui  n'ont  jamais  consenti  à  attendre 
mon  retour  à  Vancouver.  Ici  commence  notre  apprentissage 
de  la  rude  existence  que  nous  allons  mener  pendant  six 
mois.  Ce  petit  steamer  est  occupé  par  les  250  hommes  de 
troupe  qui  composent  la  milice  du  Yukon.  Comme  il  n'y  a 
que  quelques  cabines  qu'on  réserve  aux  dames,  nous  cou- 
chons sur  le  pont.  Le  chenal  que  nous  traversons  est  magni- 
fique ;  le  bateau  tile  entre  deux  rangs  de  (lords  merveilleux, 
derrière  lesquels  se  dressent  les  cimes  élevées  des  montagnes 
couvertes  de  neige. 

Nous  arrivons  à  Wrangel  le  17  mai.  Wrangel  est  une  pe- 
tite ville  bâtie  toute  en  bois  et  sur  pilotis,  mais  bien  campée 
sur  une  colline  boisée  et  située  sur  territoire  américain. 

Les  rues  sont  de  vastes  fossés,  vrais  cloaques  de  boue  et, 
d'immondices  de  toute  sorte;  de  place  en  place  émergent 
«les  troncs  d'arbres  sciés  à  un  mètre  du  sol  et  supportant 
des  planches  pourries  qui  plient  sous  vos  pas.  Ces  espèces 
de  trottoirs  sont  très  étroits  et  l'on  ne  s'y  aventure  qu'avec 
précaution. 

Il  pleut,  dit-on,  à  Wrangel  pendant  toute  l'année.  Jus- 
qu'en 1897,  Wrangel  était  une  ville  d'Indiens  el  ne  conte- 
nait que  3  blancs.  La  population  actuelle  est  composée  en 
majeure  partie  de  blancs  et  est  très  mauvaise.  On  nous  dit 
qu'il  est  dangereux  de  sortir  après  7  heures  du  soir  quand 
les  jours  sont  courts.  On  y  assassine  pour  4  bits  (4  fois 
75  centimes), 


Les 


LE    KLONDÏKE,    L  ALASKA,    LE    VDKON 

ichètent,  dit-on,  de  5  à  10  dollars; 
juges  sont  Laxées  un  peu  plus. 


mblables  sur  toute  la  fron- 


mais  celles  d 

Ces  mœurs  sont  d'ailleurs  s 
tière  américaine,  en  Alaska. 

Les  Indiens  portent  le  costume  européen,  mais  au  lieu  de 
chapeau  les  femmes  portent  sur  la  tôle  nu  grand  châle.  De 
taille  plutôt  petite,  ces  Indiens  ont  une  large  carrure,  des 
cheveux  plats  et  luisants  et  la  peau  cuivrée.  Leurs  habitations 
construites  comme  celles  des  blancs  sont  tenues  propre- 
ment. Ils  vivent  du  produit  de  leur  pêche  el  la  plupart  d'en- 
tre eux  sont  dans  une  situation  prospère. 

Depuis  notre  arrivée  nous  nous  débattons  contre  la 
douane  américaine  pour  le  s  formalités  à  remplir  concernant 
nos  bagages  pris  en  transit. 

Nous  quittons  Wrangel  le  19  mai  sur  le  Stratkcona,  ba- 
teau à  fond  plat,  mû  par  une  grande  roue  à  palettes  tenant 
lieu  d'hélice.  C'est  le  bateau  en  usage  dans  cette  région  sur 
les  rivières  généralement  peu  profondes. 

Ce  steamer  fait  son  premier  voyage  ;  il  a  été  frété  spécia- 
lement pour  transporter  les  hommes  de  la  milice  du  Yukon 
à  Glenora.  Bien  qu'il  fasse  très  froid  et  qu'il  pleuve,  tout  le 
monde  est  sur  le  pont  tant  le  paysage  qui  se  déroule  sous 
nos  yeux  est  superbe. 

A  l'horizon,  des  montagnes  s'élevanl  en  amphithéâtre  et 
toujours  plus  hautes,  blanches  de  neige  sur  laquelle  se  dé- 
tachent les  sapins  verts  dont  le  soleil  de  mai  a  fondu  le 
manteau  hivernal.  Autour  du  bateau  quantité  de  phoques 
de  l'espèce  à  poil  rude  prennent  leurs  ébats.  Ils  sont  plus 
petits  que  les  phoques  à  fourrure;  les  jeunes  gagnent  dix 
livres  par  jour  jusqu'à  l'âge  adulte.  On  les  chasse  pour  la 
peau  dont  on  fait  des  chaussures  imperméables  ainsi  que 
le  cuir  servant  à.  la  fabrication  des  portefeuilles,  des  bu- 
vards, etc. 

Nous  arrivons  à  la  pointe  de  Rothsay,  à  l'entrée  de  la  Sli- 
kine,  la  Stah-Keena  des  Indiens  ou  la  grande  rivière. 


ET    LES    [LES    ALOUTIENNES.  96 

Depuis  un  temps  immémorial,  c'est  par  la  Stikine  que  les 
indiens  de-  la  coïe  pénétraient  a  l'intérieur.  Ses  sources  sont 
encore  inconnues;  mais  ellesdoi  vent  se  trouver  au  sud  du  58" 
parallèle  de  latitude  nord.  Le  fleuve  est  navigable  jusqu'à 
Glenora,  à  250  kilomètres  de  Wrangel,  pour  dessteamersà 
fond  plat  et  munis  de  puissantes  machines. 

A.  certains  moments  on  peut  remonter  le  fleuve  jusqu'à 
Telegraph  Creek,  à  20  kilomètres  de  Glenora.  Au  delà  on 
tombe  dans  le  grand  canon  qui  mesure  80  kilomètres  de  lon- 
gueur et  qu'il  est  impossible  de  traverser  soit  en  steamer, 
soit  en  barque. 

On  appelle  canon  une  partie  du  fleuve  qui  se  rétrécit  entre 
deux  murs  de  rochers  à  pic,  formant  ainsi  une  gorge  où 
l'eau  se  précipite  et  roule  avec  une  force  incroyable.  Les  In- 
diens eux-mêmes,  si  experts  à  manœuvrer  dans  les  eaux  de 
la  Stikine,  n'ont  jamais  osé  tenter  la  traversée  du  grand 
cation  en  canot.  Ils  attendent  l'hiver  pour  le  faire  sur  la 
glace. 

La  navigation  sur  la  Stikine  s'ouvre  de  mai  à  novembre. 
Fin  novembre  le  fleuve  est  complètement  gelé.  En  juin  les 
eaux  sont  le  plus  hautes  par  suite  de  lit  fonte  des  neiges.  La 
vallée  de  la  Stikine  mesure  en  moyenne  3  milles  de  largeur 
jusqu'au  petit  canon.  Les  montagnes  qui  la  bordent  ont 
1,000  métrés  de  hauteur  environ. 

Elles  sont  de  nature  granitique  et  de  couleur  grise.  Tout 
le  long  de  la  vallée  les  sapins,  les  arbres  à  coton  et  d'autres 
montrent  une  végétation  vigoureuse.  Beaucoup  commen- 
çaient à  bourgeonner  quand  nous  sommes  passés. 

Quelques-uns,  même,  étaient  couverts  de  feuilles  et  tein- 
taient le  paysage  de  différents  tons  de  vert  produisant  le 
plus  joli  eonstraste  avec  la  neige  qui  couvre  le  sol. 

Qui  n'a  pas  vu  la  Stikine  nu  peut  se  faire  une  idée  de  ce 
fleuve  terrible,  dont  les  eaux  bouillonnent  en  tourbillons 
ininterrompus. 
A   l'embouchure,   le  courant    est  assez  modéré;  mais, 


100  LE    KLONUÏKE,   L'ALASKA,    LE    ÏDKOK 

100  milles  plus  haut,  il  est  terrifiant.  Sur  tout  le  parcours  la 
navigation  est  très  difficile,  tant  à  cause  du  peu  de  profon- 
deur des  eaux  que  par  suite  des  nombreuses  épaves  que  le 
fleuve  charrie,  pour  la  plupart  des  arbres  arrachés  au 
moment  de  la  débâcle  des  glaces. 

De  plus,  le  lit  du  fleuve  change  tous  les  ans,  ce  qui  dé- 
route le  pilole;  tel  endroit  qui,  aujourd'hui,  possède  un 
bon  chenal  se  trouvera  remplacé,  l'année  suivante,  par  un 
banc  de  sable. 

Cette  particularité,  qui  rend  le  dragage  de  la  Slikine  pres- 
que impossible,  en  a  empêché  jusqu'aujourd'hui  l'exploi- 
tation, car  elle  contient  de  l'or  en  bonne  quantité. 

Le  Strathco7ia  avance  lentement.  Un  homme  à  l'avant 
sonde  sans  cesse  le  fleuve;  il  accuse  4  pieds,  6  pieds  et 
8  pieds  d'eau,  le  maximum. 

Sur  la  rive  quelques  petits  campements  d'Indiens.  Des 
aigles  à  tête  blanche  s'envolent  à  l'approche  du  steamer. 
De  temps  en  temps  on  aperçoit  une  tente;  ce  sont  de  pau- 
vres mineurs  venus  là  sur  la  glace,  pris  par  la  débâcle  et  qui 
n'ont  pu  aller  plus  loin,  car  remonter  la  Slikine  en  barque 
est  une  œuvre  de  géant. 

Le  cœur  se  serre  en  voyant  ces  malheureux  abandonnés 
seuls  dans  ce  désert.  Animés  par  l'espoir  de  trouver  une 
occasion  d'aller  plus  avant,  ils  resteront  là  quand  même 
jusqu'à  l'épuisement  de  leurs  provisions. 

Alors,  ils  redescendront  la  rivière  en  radeau.  Nous  arri- 
vons à  la  fronlière  canadienne  où  se  trouve  un  poste  de 
police  montée. 

Une  des  particularités  de  la  Slikine,  ce  sont  les  nombreux 
glaciers  qui  y  déversent  leurs  eaux.  On  en  compte  300  sur 
son  parcours.  Quatre  de  ceux-ci  sont  remarquables.  Le 
Popoff,  qui  se  trouve  à  10  milles  au-dessus  de  la  pointe  de 
ftothsay  avant  d'arriver  à  la  rivière  Iskoot.  La  scène  ici  est 
sauvage  au  delà  du  possible.  Des  glaciers,  des  précipices, 
des  pics  détient  les  plus  intrépides  grimpeurs  du  Monl- 


ET    LES    ILKS    AMOUTTI KNM:.-. 


101 


La  région  de  l'Iakoot  est,  riche  en  gros  gibier.  Des 
i,  brun»  et  grizzelis;  des  chèvres  el  des  moulons 
de  montagnes;  des  cariboo  et  des  élans  y  vivent  paisibles 
(le  cariboo  esl  une  espèce  de  cerf  grand  comme  le  cerf 
d'Europe).  Les  grouses  y  sont  fort  nombreuses  ;  quant  aux 
moustiques,  ils  dépassent  en  nombre  et  en  voracité  toutes 
les  espèces  connues.  Les  mêmes  animaux  et  les  mômes  in- 
sectes se  rencontrent  sur  tout  le  parcours  de  la  Slikine. 

Voici  maintenant  l'Orlebar,  ou  grand  glacier,  qui  mesure 
5  kilomètres  de  longueur  le  long  du  fleuve  et  qui  s'étend  en 
profondeur  sur  un  espace  immense  dont  on  n'a  pas  exacte- 
ment déterminé  la  fin.  En  face,  de  l'autre  coté  du  fleuve,  se 
trouvent  les  sources  d'eau  chaude.  Un  peu  plus  loin,  sur  le 
parcours  d'un  mille  environ,  s'étend  le  Coude  du  Diable. 
Enfin  à  25  kilomètres  plus  haut,  le  Flood  Glacier. 

Nous  avançons  péniblement  étalions  échouer  sur  un  banc 
de  sable.  La  manœuvre  est  très  difficile.  Le  fleuve  se  divise 
ici  en  plusieurs  bras  el  forme  une  nappe  d'eau  à  perte  de 
vue.  De  tous  côtés  émergent  des  bancs  de  sable  et  de  gra- 
viers. Sur  l'eau  flottent  de  gros  troncs  d'arbres  et  plusieurs 
canots,  la  quille  en  l'air,  tristes  épaves  des  malheureux  que 
le  Heuve  a  engloutis. 

Après  bien  des  efforts  notre  steamer  reprend  sa  marche 
en  avant.  Le  21  mai,  nous  arrivons  en  vue  du  redouté  petit 
canon,  long  de  plus  de  1  kilomètre  et  se  rétrécissant  à 
50  mètres  à  certains  endroits,  entre  deux  montagnes  de 
rochers  de  3  à  400  pieds  de  hauteur.  Souvent,  en  cet  en- 
droit, les  bateaux  luttent  pendant  une  heure  avant  de  pou- 
voir sortir  de  cette  effroyable  gorge  et  il  arrive  qu'ils  sont 
forcés  de  stopper  pendant  plusieurs  jours  à  l'entrée  du 
cation,  en  attendant  que  le  courant  soit  moins  rapide. 

Mais  voici  le  moment  du  passage  du  bateau  dans  l'antre 
du  mauvais  esprit,  comme  disent  les  Indiens.  Des  hommes 
sont  envoyés  à  terre  pour  attacher  au  roc  le  câble  qui  doit 
remonter  le  bateau  à  l'aide  du  cabestan. 


102  LE    KLONDYKE,    l'àLASKA,    LE   YUKON 

A  l'entrée  du  canon,  le  Ramona,  parti  deux  jours  avant 
nous,  est  sur  ses  ancres  et  solidement  amarre.  Le  capitaine 
hésile  à  lancer  son  hateau  dans  le  gouffre.  Au  pied  des  ro- 
chers deux  barques  de  mineurs  sont  attachées.  L'audace  de 
certains  hommes  est  vraiment  stupéfiante. 

Heureusement,  le  passage  du  canon  s'accomplit  sans  ac- 
cident. Au  delà,  le  courant  entrave  encore  la  marche  du 
steamer.  Nous  traversons  les  grands  rapides,  puis  le 
Kloochman  Canon,  puis  encore  de  nouveaux  rapides.  L'eau 
tourbillonne  avec  force  et  fracas.  On  dirait  un  fleuve  en 
ébullition.  Nous  avançons  de  50  en  50  mètres  à  l'aide  du 
cabestan. 

Un  moment  le  capitaine  ordonne  de  chauffer  au  maxi- 
mum de  pression  et  d'essayer  de  marcher  sans  l'aide  du 
câble;  mais  à  peine  cet  ordre  est-il  exécuté  que  nous  recu- 
lons de  toute  la  distance  que  nous  venions  de  Franchir  par 
le  cabestan. 

Deux  barques  d'Indiens  passent  avec  la  rapidité  d'une 
flèche,  descendant  le  fleuve. 

Nous  reprenons  notre  marche  en  avant  péniblement.  La 
neige  devient  moins  épaisse,  la  végétation  est  plus  avancée 
et  voici  que  de  jolies  fleurs  se  montrent  partout.  Dans  l'in- 
térieur le  printemps  est  plus  précoce  que  sur  les  côles  ;  c'est 
ainsi  qu'à  notre  arrivée  à  Gienora  nous  trouvons  quantité 
de  fleurs  épanouies,  des  papillons  et  des  oiseaux. 

J'ai  tenu  à  vous  donner,  très  en  détail,  la  description  de 
notre  voyage  sur  la  Slikine  pour  celte  raison  que  toutes 
les  rivières  de  l'Alaska  sont  semblables  et  qu'ainsi,  je  n'au- 
rai plus  à  y  revenir  dans  la  suite  de  mon  récit, 

A  Gienora,  toute  la  ville  est  sur  la  plage  attendant  l'arrivée 
du  Strathcona  qui  apporte  le  courrier.  Gienora  est  une  ville 
de  tentes  qui  abritait  alors  une  population  de  2,500  hommes 
venus  pour  la  plupart  sur  la  glace  dans  l'espoir  de  gagner 
le  Klondyke  par  la  voie  du  lac  Teslin. 

Mais  il  n'y  a  pas  de  route  et  les  pauvres  gens  sont  arrêtés 


ET   LES   ILES   ALÉOUTIBNHBS. 


103 


là  Taule  d'argent  pour  payer  leur  passage  et  le  transport  de 
feurs  provisions  sur  un  steamer  qui  redescend  et  personne 
n'osant  s'aventurer  a  redescendre  la  Slikine  en  barque  ou 
eu  radeau.  Uu  instant  ces  mineurs  croient  que  la  troupe  va 
leur  frayer  une  route  ;  mais  leur  espoir  est  bientôt  déçu. 

Nous  établissons  notre  camp  et  nous  nous  mettons  en 
quête  de  chevaux  et  de  porteurs,  mais  sans  succès.  Tous 
les  chevaux  ont  été  réquisitionnés  pour  la  troupe  qui  se 
frayera  une  route  à  coups  de  hache  à  travers  les  épaisses 
foréls  qu'elle  doit  traverser. 

A  Glenora  la  chaleur  est  accablante;  le 24  mai,  le  thermo- 
mètre marquait  29°  centigrades  et  lo  25  mai  38"  centigrades. 
Les  nuits  sont  claires.  On  peut  lire  aisément  à  11  heures 
du  soir.  Les  moustiques  sont  terribles  et  nous  empoisonnent 
te  sang  au  point  de  faire  naître  quantité  d'abcès  sur  le  corps. 

Nous  faisons  quelques  reconnaissances  au  delà  de  Tcle- 
graph  Greek,  qui  est  la  limite  de  la  navigation.  Peu  de  stea- 
mers, en  effet,  consentent  à  remonter  jusque-là  et  à  tra- 
verser ce  qu'on  appelle  les  rapides  des  Trois-Sœurs,  ainsi 
dénommés  parce  que  !e  fleuve  est  barré  en  cet  endroit  par 
trois  immenses  roches  sur  lesquelles  plus  d'un  bateau  s'est 
brisé. 

Telegraph  Creek  doit  son  nom  à  ce  fait  qu'il  avait  été 
question  d'établir  là  un  poste  télégraphique;  mais  ce  projet 
n'a  jamais  été  exécuté.  • 

A  partir  de  là,  on  rencontre  d'innombrables  roches  de 
basalte  et  d'autres  rocs  volcaniques  de  l'âge  tertiaire.  En 
sortant  de  Telegraph  Creek  il  n'y  a  comme  route  qu'un 
petit  sentier  grimpant  très  à  pic  les  rochers  qui  protègent 
ta  vallée  de  la  Thaltau  où  l'on  trouve  plusieurs  villages 
d'Indiens. 

On  a  fait  de  riches  découvertes  d'or  sur  cette  rivière  Thal- 
tau. J'ai  visilé  les  villages  d'Indiens  qui  y  ont  établi  des  réserves 
et  qui  ne  permettent  à  aucun  blanc  de  travailler  chez  eux. 
Mais  j'ai  été  fort  bien  accueilli  par  ces  Indiens  et  c'est  une 


lOi  LE    KL0NI1YKE,    L'ALASKA,   LE   ÏUKON 

grande  erreur,  pour  ue  pas  dire  une  faute,  que  île  laisser 
croire  que  ceux-ci  barrent  les  rivières  pour  empêcher  les 
blancs  de  passer  ou  pour  les  dépouiller.  Le  gouvernement 
canadien  a  su,  depuis  longtemps  déjà,  imposer  aux  Indiens 
du  nord-ouest  le  respect  du  blanc,  et  l'assassinat  d'un  de 
ceux-ci  est  un  acte  tout  à  fait  isolé. 

On  a  cherché  à  cultiver  des  légumes  à  Glenora.  La  pomme 
de  terre,  même  au  cas  où  ses  feuilles  sont  touchées  par  la 
gelée,  y  vient  très  bien;  l'orge,  le  blé,  l'avoine  y  mûrissent 
également. 

Après  avoir  reconnu  la  route  impraticable,  nous  nous 
décidons  à  redescendre  le  fleuve  et  a  nous  rendre  dans  le 
Yukon  par  la  passe  du  Chilkoot.  Nois  prenons  le  petit 
steamer  Glenora,  qui  marche  vapeur  en  arrière  pour  ré- 
sister au  courant.  Malgré  cela,  le  Glenora  va  s'abîmer  contre 
un  rocher  et  il  a  son  bastingage  et  une  partie  de  son  avant 
brisés.  Cet  accident  a  failli  couler  la  vie  à  un  des  miens. 

De  retour  à  Wrangel,  nous  nous  embarquons  pour  Dyea 
sur  VAl-Ki.  Nous  allons  suivre  le  Stephens  Passage  pour 
entrer  ensuite  dans  le  canal  de  Lynn  jusque  Dyea.  Le  che- 
nal est  très  dangereux,  car  une  dizaine  de  navires  y  ont 
péri  depuis  le  commencement  de  l'année. 

Voici  le  glacier  du  Tonnerre  qui  envoie  à  la  mer  des 
myriades  d'icebergs  qui  étincellent  au  soleil. 

Les  Indiens  Tlingits  ente mdaut  les  mystérieux  rugissements 
de  ce  glacier  le  croyaient  habité  par  l'oiseau  du  tonnerre 
Hutli  et  ils  attribuaient  ces  bruits  assourdissants  aux  batte- 
ments de  ses  ailes.  Ils  croyaient  que  les  montagnes  étaient 
jadis  des  êtres  animés  ou  de  puissants  esprits. 

Les  glaciers,  disaient-ils,  sont  leurs  enfants  qu'ils  tien- 
nent dans  leurs  bras,  dont  ils  plongent  les  pieds  dans  la 
mer,  les  recouvrant  en  hiver  d'une  épaisse  couche  de  neige 
s     et  répandant  ensuite  sur  eux  des  rocs  et  de  la  terre  pour 
prè&ervet Ûte  rayons  du  soleil  d'été, 
\    Sîtlh  loo  Yehk  «st  le  nom  de  i'esprit  de  glace  et,  à  la  fa- 

I 


ET    LES    ILKS   AI,t;niIT!ENNBS.  105 

pin  dont  les  Tlingils  murmurent  son  nom  on  peut  juger  de 
l'horreur  qu'ils  éprouvent  pour  le  froid.  Dans  leur  imagina- 
lion  bornée,  ils  ont  conçu  un  enfer  de  glace  comme  devant 
(tre  l'état  futur  de  ceux  qui  ne  se  font  pas  incinérer.  Ils 
attribuent  à  l'esprit  de  glace  une  puissance  invisible  extraor- 
dinaire. Son  souille  glacé  donne  la  mort.  Aussi  éprouvent-ils 
nne  frayeur  indicible  lorsqu'ils  entendent  les  hurlements 
furieux  des  tempêtes  dans  lus  montagnes  et  les  craquements 
des  glaciers. 

Dans  sa  rage,  disent-ils,  Sitth  lance  des  icebergs  qui  écra- 
sent les  canots  et  lave  ensuite  la  terre  avec  de  grandes  vagues. 
Quand  le  vent  glacial  disparaît  un  peu,  ou  que  les  glaciers 
se  taisent,  c'est  que  Sitth  dort  ou  erre  sous  des  labyrinthes 
de  glaces,  tramant  de  nouvelles  destructions.  Ces  ludiens 
parlent  comme  en  un  murmure  de  crainte  de  réveiller  ou 
d'offenser  ce  mauvais  génie  et  ils  se  garderaient  bien  de 
frapper  les  icebergs  avec  les  pagaies  de  leurs  canots,  car 
ils  considèrent  ceux-ci  comme  ses  sujets.  Quand  ils  doivent 
faire  un  voyage  a  travers  un  glacier,  ils  implorent  la  clé- 
mence de  Sitth  too  Yehk  par  de  nombreuses  incantations  ; 
parlant  très  doucement  et  marchant  légèrement,  ils  ont  soin 
ie  oe  pas  offenser  l'esprit  par  les  odeurs  ou  les  restes  de 
leurs  repas.  Les  phoques  à  poil  rude  sont  considérés  par  eux 
comme  les  enfants  des  glaciers;  aussi  peuvent-ils  se  pro- 
mener impunément  sur  les  blocs  de  glace  flottante. 

Notre  paquebot  stoppe  à  la  baie  de  Sumdum,  inaccessible 
aux  grands  steamers.  Sur  les  côtes,  quantité  de  canards,  de 
mouettes  et  d'aigles  à  tête  blanche.  Les  montagnes  ici  sont 
très  élevées  et  bien  boisées.  La  principale  essence  d'arbres 
sur  les  côtes  est  le  sapin.  Le  laurier,  les  violettes,  les  ané- 
mones et  d'autres  fleurs  y  poussent  abondamment. 

Notre  hateau  aborde  un  des  nombreux  icebergs  qui  émer- 
gent de  la  surface  des  flots,  et  les  matelots  en  détachent  de 
lïros  morceaux  à  coups  de  hache  pour  notre  prévision  de 


1(16  LE    KLONDYKE,    L'ALASKA,    LE    VtKOM 

Nous  arrivons  à  l'Ile  de  Douglas  où  sont  situées  les  fa- 
meuses mines  de  Treadwel!  el  où  1,000  ouvriers  travaillent 
jour  et  nuit.  Ce  sont  les  mines  d'or  les  mieux  outillées  du 
monde  entier. 

Les  indigènes  de  cette  contrée  sont  des  Indiens  Anks, 
bannis  de  la  iribu  des  Hoonah  et  dont  le  nombre  diminue 
chaque  année. 

Nous  arrivons  à  Juneau  le  15  juin.  Comme  toutes  les 
villes  de  l'Alaska,  Juneau.  est  construite  toute  en  bois  et 
sur  pilotis;  plus  propre  que  Wrangel,  on  y  trouve  de  nom- 
breux magasins  bien  approvisionnés.  Sa  population  atteint 
1,500  âmes.  C'était  jadis  le  principal  village  des  Indiens 
Taku,  surnommés  les  Juifs  de  l'Alaska,  et  très  redoutés  des 
blancs. 

Depuis  la  pacification,  ils  ont  adopté  les  coutumes  et  les 
costumes  des  blancs.  De  500  membres  que  la  tribu  comptait 
en  1869,  elle  est  tombée  à  250  environ  aujourd'hui.  Non 
loin  de  la  ville,  se  trouve  un  cimetière  indien  très  curieux  à 
visiter;  les  tombes  sont  ornées  de  bois  sculptés,  de  couver- 
tures de  danse  d'une  grande  valeur  et  d'autres  offrandes 
aux  esprits  qui  sont  partis.  Aucun  blanc  n'oserait  toucher 
à  ces  objels.  Ces  Indiens  vivent  de  la  pêche  et  font  de  très 
jolis  travaux  de  vannerie. 

Le  détroit  de  Chalham  est  fameux  pour  ses  pêcheries.  La 
morue  y  abonde.  On  paye  50  centimes  aux  naturels  les 
poissons  de  5  livres  dont  ils  apportent  en  moyenne  8  à 
10  mille  par  jour.  On  sèche  le  poisson  et  on  fabrique 
l'huile  de  foie  de  morue.  Les  harengs  y  sont  plus  nombreux 
encore;  on  raconte  qu'un,  jour  le  steamer  portant  le  cour- 
rier a,  pendant  quatre  heures,  marché  sur  un  banc  de  harengs. 
Les  naturels  les  pèchent  au  moyen  d'un  râteau  et  en  rem- 
plissent un  canot  en  moins  d'une  heure. 

On  a  trouvé  dans  celte  région  un  grand  nombre  d'inté- 
ressants fossiles,  entre  autres  l'épine  dorsale  d'un  ptéro- 
dactyle. Les  ours,  les  cerfs,  les  palmipèdes,  le  saumon  et 


ET    LES  ILES   ALÊ0UT1ENNES.  107 

ia  truite  y  sont  nombreux;  on  y  trouve  des  crabes  dont  les 
pattes  mesurent  5  pieds  d'un  boul  à  l'autre. 

Le  canal  de  Lynn,  dans  lequel  nous  entrons  en  quittant 
Jnneau,  s'étend  a  90  kilomètres  jusqu'à  la  pointe  Séduction 
on  il  se  divine  en  deux  bras  :  le  bras  du  Chilkat  à  l'ouest 
et  celui  du  Chilkoot  à  l'est. 

La  chaîne  ininterrompue  des  montagnes  s'élève  à  une 
moyenne  de  6,000  pieds  avec  des  glaciers  dans  chaque  ravin. 
Nous  passons  la  mission  Haines  où  commence  le  Dalton  Iraîl, 
c'est-à-dire  la  roule  conduisant  à  Fort-Sel  kirk  par  l'intérieur 
des  terres  ;  mais  cette  route  n'est  praticable  qu'en  été. 

Nous  arrivons  à  Skagway  le  troisième  jour,  vers  (>  heures 
du  soir.  C'est  ici  que  s'arrêtent  les  voyageurs  qui  pénètrent 
dans  le  Yukon  par  la  passe  de  White.  Sans  nous  arrêter, 
nous  prenons  une  petite  barque  à  vapeur  qui  nous  conduit 
à  Dyea,  où  les  grands  steamers  ne  peuvent  arriver.  Cette 
barque  elle-même  décharge  sa  cargaison  sur  des  camions 
dont  les  chevaux  sont,  dans  l'eau  jusqu'au  poitrail,  et  les 
voyageurs  sont  portés  à  terre  à  dos  d'homme,  à  moins  qu'ils 
n'entrent  bravement  a  l'eau. 

Dyea,  bâtie  toute  en  bois  sur  une  dune  de  sable,  s'étend 
dans  la  vallée  du  Chilkoot  sur  7  kilomètres  de  longueur.  11 
n'y  a  que  très  peu  de  tentes.  Dans  le  petit  cimetière  une 
trentaine  de  tombes  toutes  fraiches.  Ce  sont  les  malheu- 
reuses victimes  de  la  dernière  avalanche  sur  le  Chilkoot. 

La  passe  du  Chilkoot  est  la  roule  la  plus  courte  suivie 
depuis  des  générations  par  les  Indiens  Chilkals  et  Cbilkoots 
pour  pénétrer  dans  le  Yukon.  Dyea  ou  Taya  en  indien 
signifie  paclage,  parce  que  cette  route  oblige  l'homme  à 
transporter  ses  vivres  sur  le  dos.  A  Dyea,  les  voyageurs 
trouvent  aujourd'hui  un  câble  aérien,  auquel  sont  suspen- 
dus de  petits  wagonnets,  pour  le  transport  de  leurs  bagages 
et  provisions  au  delà  du  Chilkoot.  La  Compagnie  du  Chilkoot 
Railroad  livre  même  ces  bagages  directement  au  lac  Bennett 
de  bonnes  conditions. 


1,K    KLOKDYKK,     L  ALASKA.    LE    ÏLKON 

Les  Chilkats  cl  Chilkools  ne  forment  en  réalité  qu'une 
seule  tribu  cl  ils  appartiennent  à  la  grande  race  des  Tlingits 
qui  habitent  les  côtes  jusqu'à  la  Stîkine.  Ils  s'opposaient  au 
début  à  l'intervention  des  blancs  dans  leur  trafic,  et  pendant 
cinquante  ans  ils  ont  su  empêcher  les  mineurs  de  traver- 
ser les   passes  qui  conduisent  dans  le  bassin  du  Yukon. 

La  Compagnie  de  la  baie  d'Hudson  Faisait  avec  les  f.hil- 
kats  un  trafic  1res  avantageux  de  fourrures.  Les  Ghilkats 
n'étaient  eux-mêmes  que  des  intermédiaires  et  ils  achetaient 
les  peaux  aux  Indiens  Tinnehs,  qu'ils  rencontraient  au  mont 
Labouchère  et  qui  ne  tentaient  jamais  de  franchir  la  ligne 
frontière  des  deux  tribus. 

Quand,  par  hasard,  quelques-uns  de  ceux-ci  étaient 
amenés  dans  les  villages  chilkat,  en  qualité  d'hôtes,  les 
Chilkats  leur  montraient  le  haleau  à  vapeur  des  trafiquants, 
fumanteomme  une  énorme  pipe,  qui  manœuvrait  sur  l'eau 
sans  pagaies  ni  voile,  leurs  canots  de  guerre  et  leurs  grands 
villages,  et  les  Tinnehs  s'en  retournaient  éblouis  de  la  puis- 
sance de  leurs  voisins. 

La  Compagnie  de  la  baie  d'Hudson  leur  vendait  des 
raousqueLs  à  pierre  pour  autant  de  peaux  de  martre  qu'on 
pouvait  empiler  sur  toute  la  hauteur  du  fusil,  de  la  crosse 
au  bout  du  canon.  La  longueur  du  fusil  atteignit  bientôt  la 
taille  du  chasseur  lui-même. 

A  ce  trafic  la  Compagnie  de  la  baie  d'Hudson  faisait  de 
jolis  bénéfices,  mais  les  Chilkats  y  gagnaient  tout  autant,  car 
c'était  les  Tinnehs  qui  fournissaient  les  peaux. 

Les  habitations  d'hiver  rie  ces  Indiens  Chilkats  consistent 
en  trois  grands  villages  dont  le  principal  est  fortifié  avec  des 
bastions  et  des  meurtrières.  Les  nobles  y  ont  une  maison 
de  fête  garnie  de  colonnes  sculptées,  a  l'intérieur.  Leurs 
cimetières  sont  très  curieux  à  voir.  Leur  grand-chef  Kloh- 
Kulz  est  un  vaillant  guerrier.  Son  père  faisait  partie  de  la 
bande  qui  détruisit  le  Fort-Selkirk  de  la  Compagnie  de  la 
baie  d'Hudson,  en  1852;  c'esl  Kloh-Kutz  qui  dessina  la  pre- 


ET  LES  ILES  ALÉUUTIËNNES.  109 

ière  carte  des  passes  conduisant  des  villages  Cbilkat  dans 
Yukon. 

Les  Chilkats  connaissent  depuis  longtemps  l'art  de  forger 
le  cuivre  et  ils  ont  un  procédé  pour  le  rendre  aussi  dur  que 
l'acier.  Ils  tissent  aussi  de  magnifiques  robes  de  danse  sur 
lesquelles  se  rencontrent  toujours  les  légendes  de  la  famille 
du  tisseur  avec  les  grilles  et  les  yeux  renversés  de  Hulli, 
l'oiseau  du  tonnerre.  Chaque  sujet  est  tissé  séparément, 
comme  dans  les  tapisseries  japonaises,  et  relié  l'un  à  l'autre 
par  quelques  fils. 

Nous  restons  deux  jours  â  Dyea  pour  surveiller  le  trans- 
port de  nos  bagages  par  le  câble  aérien  du  Chilkoot  et  nous 
partons  le  18  juin  pour  commencer  la  traversée  de  cette 
fameuse  passe. 

De  Dyea  à  Caiîon-City,  la  route  est  rocailleuse  et  suit  la 
rivière  Dyea  qu'on  est  obligé  de  traverser  quatorze  fois  à 
gué.  De  Canon-Cily  à  Sheep-Camp  le  trajet  devient  des  plus 
difficiles;  d'énormes  blocs  de  rochers  qu'il  faut  escalader 
barrent  sans  cesse  la  route;  puis,  ce  sont  des  marais  qui  se 
continuent  pendant  plus  d'un  mille  el  remplis  d'arbres  morts, 
puis  encore  des  creeks  qu'il  faut  traverser  sur  de  minces 
sapins,  ou  dans  l'eau  quand  celle-ci  n'est  pas  trop  profonde. 
De  nombreux  cadavres  de  cbevaux  en  décomposition 
empestent  l'atmosphère  d'une  façon  épouvantable.  Le  sen- 
tier à  peine  tracé  dans  ces  roches  monte  pendant  10  kilo- 
mètres et  devient  très  pénible.  De  tous  cotés  ce  ne  sont  que 
ravins  et  précipices.  Le  paysage  est  superbe  et  sauvage  â 
l'extrême.  Nous  arrivons  ainsi  à  Sheep-Camp  où  nous  trou- 
vons dans  une  cabane  en  bois  qui  slnlitule  hôtel  un  lit  de 
paille  très  propre  et  un  bon  souper  au  tard  et  aux  haricots, 
Nous  en  repartons  le  lendemain, à  3 heures  du  matin;  Sheep- 
Camp  marque  la  limite  boisée.  Au  sortir  de  cette  localité  il 
faut  gravir  les  rocs  comme  des  chats.  Des  centaines  de  che- 
vaux morts  jalonnent  la  route,  et  ces  émanations  nauséa- 
bondes sont  pour  nous  le  plus  terrible  supplice. 


lin  i.k  KLOKltïRK,   i.'alaska,  i,e  ydkdk 

Nous  arrivions  a  Scales  vers  6  heures.  Ici  ce  supplice  cess 
Ou  1rs  chevaux  ne  peuvent  ailer  plus  loin.  Cet  endroit 
;iiiim  dénommé  parce  qu'au  début  du  rush  (ou  poussée)  d 
mineurs  vers  le  Yukon,  c'était  là  qu'on  pesait  les  bagagi 

des  mjrtgwrK 

Aujourd'hui  les  gouvernements  américain  et  canadien  : 
sont  mis  d'accord  et  la  douane  est  établie  au  sommet  d 
Chilkoot. 

Le  temps  devient  glacial;  nous  marchons  dans  la  nei; 
fondante  où  nous  enfonçons  parfois  jusqu'aux  genoux.  I 
brouillard  est  devenu  tellement  intense  que  nous  ne  noi 
voyons  plus  à  1  métré  de  distance  et  nous  marchons  e 
nous  appelant  sans  cesse  les  uns  et  les  autres.  Le  thermt 
métré  marque  5°  sous  zéro.  C'est  une  vraie  escalade  qi 
nous  faisons,  car  il  faut  marcher  à  quatre  pattes,  en  enfoi 
liant  profondément  les  pieds  et  les  mains  dans  la  neigi 
pour  Taire  des  marches. 

Il  arrive  aussi  qu'on  redégringole  toute  la  partie  qu'o 
avait  péniblement  gagnée;  dans  ce  cas,  il  faut  remonter 
l'assaut  ItW  la  furie  du  vaincu. 

Kncore  quelques  roches  qui  tremblent  sous  nos  pas, 
gravir;  quelque»  ravins  a  passer  sur  la   neige  durcie,  un 
tferntn  pu-  droit  comme  un  1  à  escalader  et  nous  voici  au 
sommet. 

Nuits  \  iri'itviuis  quel  i]  ues  tentes  dout  une  sert  à  la  douane, 
une  à  In  police  moulée  et  une  de  restaurant;  la  neige  leur 
sort  de  tipil  et  le  bois  a  brûler  s'y  paye  1  fr.  25  la  livre  de 

450  gnuiilai. 

La  dflMenl»,  de»  lOM,  se  fait  rapidement.  Nous  rencon- 

i  roui  il,*  ttomnei  qui  rebrotmenl  chemin  n'osant  traverser 

.   qnl  MmmsaM  II  dégeler.  C'eslen  effet  la  plus 

in  .un  ,i        rfion  pour  paiter  le  Chilkoot,  car  en  hiver  les 

■     i.  ooasMeOB  eu  maints  endroits 

sur  no  lac  ne  sont  pa»  «craindre. 
Nous  nodl  aventurons  a  la  grâce  de  Dieu,  sur  cette  neige 


ir 


ET    LES    ILES    iLÉOUriIHHEfl.  111 

,'uudue  où  nous  enfonçons  jusqu'il  mi-corps.  An  milieu  du 
lac  les  crevasses  sont  plus  larges  et  plus  nombreuses.  Nous 
entendons  l'eau  gronder  sous  nos  pas  et  ce  n'est  qu'au  prix 
des  plus  grands  efforts  que  nous  parvenons  au  bout  du  lac 
sains  et  saufs.  Ce  lac  Cratère  est  la  véritable  source  du 
îukon.  Nous  traversons  le  canon  sur  la  neige  et  arrivons  au 
lac  Mud  (ou  lac  de  boue),  qui  se  trouve  dégelé  en  partie. 
Nos  bagages  sont  là,  éparpillés  sur  1k  neige,  en  attendant 
que  des  chevaux  viennent  les  prendre  du  lac  Bennett. 

Tous  ces  objets  sont  cependant  en  parfaite  sûreté,  car  on 
ne  vole  pas  sur  la  route  du  Chilkoot. 

Entre  le  lac  Mud  et  Long-iake  nous  sommes  forcés  de 
traverserla  rivière  assez  haute  à  ce  moment.  Ainsi  mouillés 
et  transis  de  froid  nous  arrivons  a  Long-lake  où  nous  trou- 
vons dans  une  tente  une  tasse  de  café  chaud  que  nous  pre- 
nons debout,  à  la  hâte,  n'osant  rester  en  place  dans  l'état 
où  nous  sommes. 

Nous  essayons  de  traverser  ce  long  lac  en  canot;  mais  il 
□'est  qu'à  moitié  dégelé  et  les  hommes  qui  nous  conduisent 
ne  peuvent  lutter  contre  les  vagues  furieuses  qui  menacent 
de  nous  faire  chavirer. 

Force  nous  est  de  gagner  la  rive  où  nous  abordons  au 
pied  d'un  rocher  gigantesque  que  nous  escaladons  en  ram- 
pant de  roc  en  roc. 

Vers  6  heures  du  soir  nous  arrivons  à  Deep-lake  (c'est-à- 
dire  le  lac  profond).  Celui-ci  est  complètement  dégelé  et  nous 
le  contournons  en  passant  dans  des  marais  noirs  et  nauséa- 
bonds. Il  nous  faut  encore  ici  recommencer  l'ascension 
d'énormes  rochers  que  de  pauvres  chevaux  gravissent  aussi 
avec  250  livres  sur  le  dos. 

Dans  le  lointain  nous  apparaissent  les  tentes  du  lac  Lin- 
fanaa.   M  est  8  h.  1/2  du  soir  et  nous  marchons  depuis 
du  matin  avec  deux  arrêts  de  dix  minutes  chacun. 
jndeman  est  une  ville  de  tentes  sur  le  lac  du  même  nom, 
mesure  5  milles    de  longueur.  Les   montagnes,   très 


113  LE    KLONDYKE,    L'ALASKA,    LE   YUKON 

hautes,  qui  entourent  ce  lac  sont  couvertes  de  neige.  Nous 
y  passons  la  nuit  et  repartons  le  lendemain  pour  Bennett 
où  nous  attendons  l'arrivée  de  nos  bagages. 

Comme  Lindeman,  Bennett  est  une  ville  de  tentes  qui 
s'étend  sur  toute  la  longueur  de  la  plage.  Le  lac  Bennett 
mesure  45  kilomètres  de  longueur  et  se  trouve  encaissé 
entre  deux  rangs  de  hantes  montagnes  couvertes  de  neige. 
Celles-ci  s'avancent  en  promontoire  sur  le  lac;  se  rétrécis- 
sent ensuite  pour  former  ëes  baies  et  se  reforment  plus  loin 
dans  leur  position  première. 

Nous  achetons  à  Bennett  une  barque  mesurant  environ 
8  mètres  de  longueur  sur  2  m.  50  de  large, que  nous  bapti- 
sons du  nom  de  «  Lobelia  >  et  au  mât  de  laquelle  nous  his- 
sons le  drapeau  aux  trois  couleurs. 

Nous  y  entassons  nos  bagages  et  provisions  et  par-dessus 
le  tout  nous  nous  installons  tant  bien  que  mal  sur  les  sacs. 
Nous  avions  avec  nous  trois  hommes  engagés  pour  conduire 
la  barque  et  cinq  chiens.  C'est  sur  ce  frêle  esquif  que  nous 
allons  voyager  pendant  cinq  semaines,  exposés  aux  rayons 
du  soleil  brûlant  et  à  la  pluie  qui  nous  rafraîchira  souvent 

Nous  quittons  Bennett  à  9  heures  du  soir  par  un  temps 
relativement  calme.  Mais  vers  A  heures  du  malin  le  lac  se 
change  en  une  mer  en  furie  et  nous  jette  sur  un  roc  qui 
entame  assez  sérieusement  notre  légère  coquille.  Nous  con- 
statons alors  que  l'honnête  fabricant  du  bateau  a  fermé  les 
jointures  des  planches  avec  da  mastic  au  lieu  d'étoupe. 
Nous  le  réparons  comme  nous  pouvons  et  nous  nous  remet- 
tons en  route.  Mais  à  peine  sommes-nous  partis  qu'une 
voie  d'eau  se  déclare  et  il  nous  faut  lutter  de  vitesse  pour 
gagner  le  bord  où  nous  déchargeons  toutes  nos  provisions. 

Le  lendemain  nous  sommes  prêts  h  reprendre  «  le  lac  ». 
Nous  voguons  depuis  une  heure  quand  de  nouveau  le  ciel 
s'obscurcit;  les  vagues  deviennent  houleuses;  en  quelques 
minutes  nous  sommes  ballollés  sans  plus  pouvoir  nous 
guider  et  nous  dansons  sur  les  ilôts  comme  un  bouchon. 


ET    LES    ILES   ÀLÉQUTIENHES. 


113 


Pour  comble,  noire  bateau  est  pris  en  travers  et  à  chaque 
coup  de  lame  ce  sont  trois  seaux  d'eau  qui  entrent  dans  la 
barque.  Deux  d'entre  nous  pompent  sans  cesse,  pendant 
que  les  autres  rament  avec  vigueur.  Le  moment  est  critique; 
quelques  craquements  se  font  entendre;  c'est  le  bateau  qui 
a  buté  sur  un  roc.  Enfin  après  des  efforts  inouïs  nous  par- 
venons à  gagner  une  baie  où  nous  atterrissons, en  sautant  à 
l'eau  à  une  dizaine  de  mètres  du  bord  pour  évitera  notre 
bateau  d'être  éventré  par  les  rochers. 

J'en  protite  pour  grimper  sur  ces  roches  et  en  étudier  la 
composition.  Celles-ci  sont  de  nature  granitique  et  de  teinte 
grise  en  général,  qui  se  continuent  sur  une  longueur  de 
5  milles;  au  delà  ce  sont  des  rocs  stratifiés  et  du  schiste. 

Nous  arrivons  à  la  tête  du  lac  Tagîsh.  Notre  pauvre 
bateau  est  bien  endommagé;  malgré  cela  nous  passons  sans 
encombre  le  Windy  arm  (le  bras  des  vents).  Au  Windy  arm 
ou  a  fait  quelques  découvertes  de  quartz  aurifères,  ainsi  que 
des  gisements  de  marbres  d'une  belle  espèce, 

Tagish  est  le  centre  des  Indiens  Tagish.  Mais  je  n'ai  pu 
recueillir  sur  eux  aucun  renseignement.  La  plupart  des  rocs 
qui  bordent  le  lac  sont  de  nature  granitique  ;  on  y  trouve  du 
sebiste  et  beaucoup  de  mica,  de  même  la  pierre  à  chaux  et, 
derrière,  des  rocs  volcaniques. 

Li  traversée  du  bras  deTaku  est  plus  mauvaise  et  dix  fois 
notre  barque  manque  de  chavirer.  Le  4  juillet,  nous  arri- 
vons au  poste  de  police  montée,  a.  la  fin  du  lac  Tagish.  C'est 
ici  qu'on  enregistre  tous  les  bateaux  qui  descendent  le  fleuve 
et  qui  reçoivent  chacun  un  numéro  d'ordre,  A  chaque  poste 
de  police  que  l'on  rencontrera  sur  sa  route,  en  descendant, 
on  devra  représenter  ce  numéro.  La  rivière  de  5  milles  suit 
le  lac  Tagish.  Ici  la  vallée  s'élargit  beaucoup  et  s'étend  à 
perte  de  vue.  Nous  nous  arrêtons  à  un  village  indien,  où 
l'un  de  ceux-ci  nous  propose  de  nous  vendre  son  papoosc 
(c'est-à-dire  son  bébé,  de  12  mois)  pour  deux  sacs  de  farine 
de  50  livres  chacun. 


Hi  LE    KLONDïKE,    L'ALASKA,    LE   YUKOP1 

Le  lac  Marsh  qui  suit  cette  rivière  mesure  30  kilomètres 
de  longueur  surplus  de  3  kilomètres  de  largeur.  Le  paysage 
est  superbe  et  les  montagnes  qui  l'entourent  ont  leur  cime 
couverte  de  neige.  On  se  demande  pourquoi  on  l'a  sur- 
nommé Mud-lake  (ou  lac  de  boue),  car  ses  eaux  sont  très 
limpides.  Au  moment  où  nous  arrivons  le  lac  est  très  calme; 
notre  barque  poussée  par  une  brise  légère  glisse  lentement 
sur  l'eau  pendant  deux  heures.  La  plupart  de  nous,  harassés 
de  fatigue,  s'étaient  assoupis,  lorsque  tout  à  coup  eu  un  clin 
d'œîl  le  vent  se  lève  et  le  lac  roule  des  vagues  énormes. 
Nous  sommes  à  nouveau  le  jouet  des  flots  et  pour  comble, 
dans  la  manœuvre  le  gouvernail  se  brise.  Nous  faisons  des 
efforts  désespérés  pour  gagner  la  rive,  mais  nos  rames  sont 
impuissantes  à  diriger  le  bateau.  Chacun  de  nous  comprend 
que  notre  vie  ne  tient  plus  qu'à  un  fil  et  donne  le  maximum 
de  son  énergie.  Après  deux  heures  de  mortelles  angoisses 
nous  échouons  sur  un  banc  de  sable  mouvant.  Ce  n'est  pas 
le  salut,  car  il  nous  faut  défendre  notre  petit  bateau  que  les 
vagues  roulent  avec  furie.  Nous  sommes  tous  dans  l'eau 
jusqu'aux  épaules,  pour  maintenir  la  barque  à  laquelle 
nous  nous  cramponnons  désespérément.  Pour  comble  nous 
sommes  sur  un  terrain  vaseux  où  l'on  enfonce  pour  peu 
qu'on  reste  sur  place  et  où  plusieurs  d'entre  nous  ont  failli 
laisser  leur  vie.  Dans  ces  heures  difficiles,  les  femmes  ont 
montré  un  courage  extraordinaire  et  je  vous  avoue  qu'en 
maintes  circonstances  leur  exemple  a  décuplé  mes  forces. 

Nous  arrivons  a  la  rivière  de  60  milles.  Ici  les  roches  ont 
disparu  pour  faire  place  à,  des  bancs  de  pierre  à  chaux  entre 
lesquels  cette  rivière  coule  très  rapide  avec  des  courbes  si 
brusques  qu'on  peut  y  briser  son  bateau  à  chaque  tour- 
nant. 

Le  7  juillet,  nous  arrivons  au  fameux  Miles  Canon  qui  pré- 
cède les  White  horse  rapides.  Là  nous  déchargeons  nos 
provisions  qu'un  petit  tramway  de  construction  toute  pri- 
mitive transportera  par  la  montagne  de  l'autre  côté  de  ce 


'creux  passage.  La  police  n'autorise  pas  les  femmes  à 
e  traverser. 

La  rivière  mesure  ici  800  pieds  de  largeur  pour  se  rétré- 
cir à  33  à  l'entrée  du  carton.  On  peut  ainsi  s'imaginer  avec 
quelle  force  les  eaux  s'y  précipitent,  roulant  des  vagues 
énormes  qui  bondissent  comme  une  cataracte  entre  deux 
murailles  perpendiculaires  de  basalte  de  120  pieds  de  hau- 
teur. m 

A  un  mille  plus  bas  que  le  canon  on  tombe  dans  les  rapides 
des  WMte  horse,  les  plus  dangereux  de  la  rivière.  Beaucoup 
débarques  ont  fait  naufrage  en  cet  endroit  et  beaucoup 
de  personnes  ont  péri. 

Nous  prenons  un  pilote  expérimenté  et  nous  nous  aban- 
donnons aux  flots  écumeux  du  torrent,  passant  comme  une 
Bêche  à  travers  les  vagues  qui  nous  couvrent  de  toute  part, 
eu  rasant  les  récifs  qui  émergent  de  ce  gouffre  épouvantable. 
Nous  arrivons  à  la  Takeena  le  8  juillet.  La  Takeena  est 
une  importante  rivière  qui  mesure  en  moyenne  250  pieds 
de  largeur  et  10  pieds  de  profondeur.  Les  montagnes  qui  la 
bordent  sont  en  grande  partie  de  nature  granitique;  mais 
on  y  trouve  de  très  curieux  spécimens  de  jade.  Ses  eaux 
sont  très  boueuses  et  assez  rapides.  La  source  de  ia  Takeena 
remonte  à  80  kilomètres  du  bras  ouest  du  canal  de  Lynn. 
Les  Indiens  Chilkats  se  servaient  beaucoup  de  cette  voie 
pour  pénétrer  dans  le  Yukon,  mais  ils  l'ont  abandonnée 
lujourd'hui  a  cause  du  long  portage  à  faire  jusqu'au  lac 
Kosawa.  J'ai  remonté  cette  rivière  en  compagnie  de  deux 
Indiens,  dans  une  barque  eu  écorcede  bouleau.  A  50  milles 
environ  de  son  embouchure,  j'ai  découvert  de  superbes 
vallées  où  l'on  pourrait  faire  de  la  culture,  et  je  suis  porté 
à  croire  que  dans  un  avenir  prochain  on  pourra  aisément 
tracer  une  route  nouvelle  de  ce  coté  avec  un  petit  chemin 
de  fer,  pour  supprimer  le  portage  à  faire. 
Le  M  juillet,  nous  arrivons  devant  le  lac  Lebarge,  qui  se 
XI  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Le  lac 


116  Lt    KL0M1ÏKK,    L'àLÀSKA,    LE    YUI 

est  praprisonné  dans  des  montagnes  de  pierres  à  chaux,  de 
9,000  pîeds  de  hauteur;  il  est  réputé  très  dangereux  par 
suite  des  vents  violents  qui  sévissent  en  cet  endroit  et  qui 
retiennent  souvent  les  mineurs  plusieurs  jours  au  rivage. 
Nous  y  avons  trouvé  des  groseilles  rouges,  du  cassis,  des 
oignons  sauvages  bons  à  manger  et  des  anémones.  La  navi- 
gation sur  ce  lac  est  plus  difficile  que  sur  le  lac  Bennelt  et 
nous  avons  été  plusieurs  fois  forcés  de  décharger  nos  pro- 
visions mouillées  par  les  lames  qui  les  arrosaient  sans 
cesse. 

C'est  à  la  lin  du  lac  Lebarge  que  commence  la  rivière 
Lewes,  que  les  mineurs  appellent  la  rivière  de  30  milles. 
Son  courant  de  11  kiïomèlresà  l'heure  est  très  tortueux  et 
seméd'écueils;  pendant  40  kilomètres  l'eau  bouillonne  et 
écume  engrosses  vagues  comme  celles  de  la  mer.  C'est  la 
partie  la  plus  redoutée  de  la  longue  route  fluviale  qui  con- 
duit à  Dawson  City. 

Les  rives  de  la  Lewes  sont  peu  élevées,  mais  bien  boisées, 
et  les  mêmes  essences  d'arbres  se  retrouvent  ici,  entre  autres 
les  pins  noirs,  les  bouleaux,  les  peupliers,  les  frênes  et  les 
arbres  à  coton  d'une  taille  énorme.  Nous  rencontrons  plu- 
sieurs troupes  de  mineurs  qui  ont  eu  leur  barque  brisée  sur 
des  écueils  et  qui  font  sécher  leurs  provisions. 

La  Hootalinqua  où  noua  arrivons,  prend  sa  source  au  lac 
Teslin,  suit  un  parcours  d'environ  160  kilomètres  sans 
rapides  ni  écueils,  et  vient  opérer  sa  jonction  avec  la  Lewes 
à  31  milles  du  lac  Lebarge. 

On  a  trouvé  de  l'or  fin  sur  toutes  ses  rives,  et  à  l'heure 
actuelle  beaucoup  de  mineurs  prospectent  cette  rivière. 

Au  Heu  dit  «  Cassiar  bar  »,  sur  la  Lewes,  on  a  trouvé  des 
sables  aurifères  assez  riches  et  dont  j'ai  constaté  la  teneur. 
Aussi  tout  le  banc,  c'est-à-dire  l'île,  est  déjà  steké;  c'est 
ainsi  qu'on  appelle  la  prise  de  possession  d'une  concession 
minière  ou  d'un  «  claim  ». 
Le  10  juillet,  nous  arrivons  a.  la  Big  Salmon  (la  grande 


KT    LES    II.KS    iLÉOrTIENNKB.  117 

rivière  du  Saumon),  que  j'étaisdécidéà  remonter  malgré  les 
avis  des  officiers  de  la  police  montée. 

Aux  arbres  sont  suspendues  des  pancartes  en  bois  laissées 

par  des  mineurs,  a  l'adresse  de  compagnons  qui  suivent, 

on  d'autres  tout  simplement  adressées  au  premier  passant 

venu,  le  priant  de  faire  telle  commission  à  telle  personne. 

La  Big  Salmon  a  environ  400  pieds  de  largeur  ;  à  mesure 

qu'on  avance  vers  sa  source,  la  rivière  devient  plus  rapide 

et  plus  difficile.  Je  laisse  ma  famille  à   l'embouchure,  et, 

en    compagnie   de   deux   ofiieiers   de   la    police    montée, 

MM.  Sennant  et  Solly,  nous  remontons  cette  rivière  pendant 

trois    jours,  en  traînant  notre  canot  dans  l'eau  jusqu'aux 

aisselles.  Arrivés  à  la  fourche,  force  nous  esl  de  traverser  le 

courant  en  canot  car  l'eau  devient  trop  profonde.  Mais,  à 

peine   installés,   nous    voici   entraînés   avec   une  rapidité 

extrême  sur  le  bras  droit  du  torrent.  Une  ligne  noire  barre 

la  rivière  1  500  mètres  de  là. 

C'est  un  immense  sapin  tombé  d'une  rive  à  l'autre,  et 
contre  lequel  notre  canot  vient  huiler  avec  un  choc  violent, 
qui  uous  culbute  dans  le  rapide  où  nous  roulons  entraînés 
au  loin  comme  un  petit  ballot.  Dans  cette  circonstance, 
nous  n'avons  dû  noire  salut  qu'à  notre  présence  d'esprit. 
Toutes  nos  provisions  étant  perdues,  nous  sommes  forcés 
de  redescendre  les  rapides  pour  gagner  notre  camp.  En 
Irenle-trois  minutes,  nous  accomplissions  le  trajet  que 
nous  avions  mis  trois  jours  à  faire  en  marchant. 

Les  hommes  que  nous  avions  engagés  à  Bennett  refusent 
de  continuer  le  voyage  dans  un  baquet  tel  que  le  nôlre,  et 
nous  quittent. 

Dans  ces  conditions,  mes  filles  se  metlent  aux  rames. 

Arrivés  à  la  Lillle  Salmon,  nous  y  trouvons  des  camps 
d'Indiens  qui  péchaient  du  saumon.  Ceux-ci  sont  de  petite 
taille  avec  de  longs  cheveux  noirs  et  luisants,  le  nez  aplati 
et  la  mâchoire  large.  —  Ils  ressemblent  à  des  brutes  sau- 
vages, et  paraissent  plutôt  effrayés  de  notre  présence.  — Un 


118  LE    KLONDYKE,    l'àLASKÀ.    LE    YUKON 

air  de  flageolet  les  ramène  autour  de  nous,  et  nous  pouvons 
alors  les  photographier,  non  sans  constater  la  crainte  que 
leur  inspire  l'objectif  fixé  sur  eux. 

La  Little  Sa]  mon  a  les  mêmes  natures  de  montagnes  et  de 
rocs  que  la  Big  Salmon. 

Les  Five-Pingers,  rapides  qui  la  suivent,  doivent  leur  nom 
à  cinq  énormes  roches  plantées  au  milieu  du  fleuve,  laissant 
entre  chacune  d'elles  un  étroit  passage  hérissé  de  récifs, 
sur  lesquels  l'eau  se  brise  en  mugissant.  Il  s'agit  de  prendre 
le  meilleur  passage,  car  il  est  tout  à  fait  impossible  de 
contourner  ces  rocs  parvoie  de  terre. 

Trois  barques  passent  devant  nous,  dont  une  se  brise 
contre  une  de  ces  roches.  La  notre  passe  sans  accident, 
mais  avec  une  effrayante  rapidité. 

Nous  gagnons  les  Rinks  Rapides,  à  0  milles  plus  bas.  Ici 
on  a  trouvé  de  riches  gisements  de  charbon  et  du  quartz 
aurifère. 

A  l'embouchure  de  la  rivière  Pelly,  c'est-à-dire  à  Fort- 
Selkirk,  les  rocs  qui  enserrent  le  fleuve  sont  de  nature 
crayeuse  et  calcaire,  et  précèdent  des  montagnes  bien 
boisées. 

Les  Indiens  de  la  Pelly  font  un  grand  commerce  de  four- 
rures, et  sont  d'ailleurs  des  chasseurs  de  premier  ordre. 
Quand  nous  arrivons,  presque  tous  sont  partis  à  la  chasse 
au  moose  et  au  cariboo.  L'un  d'eux,  un  grand  chef,  est 
tout  ce  qu'on  peut  voir  de  hideux;  —  petit,  malingre,  les 
cheveux  noirs  et  très  longs,  les  yeux  à  moitié  rongés  par 
une  lèpre  qu'ils  contractent  dans  leur  case,  avec  ça  d'une 
malpropreté  répugnante,  c'est  bien  le  type  de  ces  Indiens  de 
la  Pelly  que  la  débauche  a  dégénérés  à  ce  point. 

C'est  a  son  confluent  arec  la  Pelly  que  la  rivière  prend  le 
nom  de  Vukon;  —  mais  en  réalité,  celui-ci  a  sa  source  au 
lac  Cratère,  comme  je  vous  l'ai  dit  plus  haut. 

La  Compagnie  de  la  baie  d'Hudson  avait  établi  un  fort  à 
Forl-Selkirk,  mais  les  Indiens  le  détruisirent  en  1852. 


ET    LES    ILES    ALÉOUTIENNES.  119 

Actuellement,  on  y  a  construit  des  casernes  en  bois  pour 
la  milice  canadienne,  une  église  catholique,  et  un  poste  de 
police  montée.  Certains  voudraient  en  faire  la  capitale  du 
ïkradyke.  Surladroitedu  Yukon.àFort-Selkirk,  se  trouvent 
te  fameux  remparts  (murs  énormes  de  rocs  perpendicu- 
iiires,  et  qui  longent  le  fleuve  pendant  29  kilomètres).  La 
iurface  de  ces  remparts  est  polie  comme  la  glace,  sans  une 
crevasse  sur  tout  le  parcours.  Au  sommet,  on  trouve  des 
plaines  pouvant  former  de  bons  pâturages,  et,  derrière,  de 
hautes  montagnes  bien  boisées  qui  peuvent  fournir  d'im- 
portantes provisions  à  Dawson  où  le  bois  fait  totalement 
défaut. 

Nous  passons  la  rivière  White  qui  transforme  l'eau  du 
Yukon  en  une  boue  liquide,  qui  conservera  le  même  aspect 
surtout  son  parcours,  jusqu'à  la  mer  de  Bering. 
Nous  voici  maintenant  à  la  rivière  Stewarl. 
Il  y  a  là,  à  l'embouchure,  un  camp  de  5,000  mineurs  dont 
les  tentes  sont  échelonnées  le  long  de  la  rivière  et  sur  un 
ïaste  plateau  sablonneux. 

J'y  installe  ma  famille  pendant  que  je  vais  remonter  la 
rivière  avec  un  officier  de  la  police  montée,  et  n'éprouvant 
aucune  crainte  d'abandonner  les  miens,  car  dans  le  Yukon 
on  est  plus  en  sûreté  que  dans  certaines  campagnes  de 
Seîne-et-Oise. 

Dans  ce  camp  de  rudes  mineurs,  jamais  de  bruit,  jamais 
de  querelles.  Il  n'y  a  là  cependant  qu'un  caporal  et  deux 
hommes  de  la  police  montée,  dont  les  ordres  sont  exécutés 
par  tous.  Dans  tout  le  nord-ouest,  cette  admirable  institution, 
qui  régne  et  gouverne,  a  su  inspirer  le  respect  et  l'obéis- 
sance. Grâce  à  elle,  le  pays  est  sûr  et  le  chercheur  d'or  peut 
dormir  tranquille  à  coté  de  son  trésor. 

La  Slewart  n'a  pas  été  explorée  au  delà  de  100  milles.  Jus- 
qu'à ce  point,  au  printemps,  elle  est  assez  navigable,  et  sur 
tout  son  parcours  sont  plantées  des  tentes  de  mineurs  qui 
lavent  l'or  sur  les  bancs  de  sable  de  ses  rives.  Dans  la  vallée 


120  LE    KLONDYKE,    L'ALASKA,    LE   YUKON 

ne  la  Slcwart  il  y  a  de  l'excellent  foin  qu'on  vend  1res  cher 
à  Dawson . 

Nous  remontons  la  rivière  pendant  cinq  jours,  jusqu'à  un 
endroit  inexploré,  pour  nous  enfoncer  ensuite  dans  les 
montagnes.  Une  nuit  un  ours  nous  allège  du  restant  de  nos 
provisions,  et  il  ne  nous  reste  pendant  trois  jours  que  des 
myrtiles  pour  calmer  notre  faim.  Heureusement,  des  Indiens 
nous  ont  secourus,  et  nous  avons  pu  rentrer  sains  et  saufs  à 
notre  camp. 

Cette  exploration  sur  la  rivière  Stewart  a  été  pour  moi 
fertile  en  renseignements  de  toute  nature,  tant  sur  la 
richesse  de  la  rivière  elle-même,  que  sur  les  dépôts  miné- 
raux de  toute  espèce  que  renferme  cette  région,  C'est  là  que 
s'est  affermie  en  moi  la  conviction  de  M.  Ogilvie  sur  les 
richesses  de  ces  contrées,  là  que  j'ai  reconnu  l'existence  du 
Gold  Beit  (ceinture  de  l'or),  qui  doit  partir  de  la  Colombie 
britannique  pour  aller  rejoindre  la  Sibérie  en  passant  sous 
le  détroit  de  Bering,  décrivant  un  demi-cercle  où  sont 
compris  les  territoires  de  l'Alaska  américain. 

Nous  gagnons  ensuite  la  rivière  Indienne,  où  nous  visitons 
tous  les  creeks  aurifères.  S'il  y  a  beaucoup  de  lentes  de 
mineurs  sur  ses  bords,  en  revanche  il  y  a  peu  de  daims  en 
exploitation.  Quelques-uns  ont  donné  de  très  beaux  résul- 
tats, et  l'on  annonce  pour  cet  hiver  un  rush  sur  ces  creeks. 

Nous  arrivons  à  Dawson-City  le  7  août.  Dawson-City, 
surnommé  l'Eléphant  blanc,  sans  doute  à  cause  des  diffi- 
cultés qu'il  faut  vaincre  pour  y  arriver,  est  situé  sur  la  rive 
droite  du  Yukon,  à  l'embouchure  du  Klondyke.  Klondyke, 
ou  «  Troandik  »,  en  indien  signifie  *  beaucoup  de  poissons  î  ; 
le  fait  est  que,  dans  cette  rivière,  le  saumon  abonde. 

La  ville,  qui  date  de  deux  ans  à  peine,  s'étend  sur  une 
longueur  de  deux  kilomètres  et  compte  a  peu  près 
20,000  habitants. 

Toutes  les  maisons  sont  en  bois  —  quelques-unes,  plu: 
jolies,  ont  deux  étages  —  les  autres  sont  ce  qu'on  appelle 


ET   LES    ItBS   U-ÉOCTIEBHES. 


121 


là-bas    des  log-cabines,  parce  qu'elles  sont  bâties  avec  le 
sapin  non  dépouillé  de  son  écorce. 

On  y  voit  également  de  nombreuses  tentes.  Dawson  compte 
trois  églises  dont  la  principale,  une  église  catholique,  a  été 
bâtie  par  un  mineur  millionnaire  auquel  elle  a  coûté 
250,000  francs.  Non  loin  de  là,  l'hôpital  catholique,  et  à 
l'autre  extrémité  de  la  ville,  l'hôpital  protestant,  mais  ces 
deux  hôpitaux  ne  suffisaient  pas,  pendant  notre  séjour,  aux 
besoins  des  malades  atteints  de  la  lièvre  typhoïde. 

Il  y  a  déjà  deux  banques  installées  à  Dawson,  la  Canadian 
Bank  of  Commerce,  qui  est  la  principale,  et  la  Bank  of 
Britisb  Norlh  America,  et  de  belles  casernes  pour  la  police 
montée,  avec  une  prison  construite  en  bois  et  qui  n'a  pas 
coûté  moins  de  tiO.OOO  francs. 

J'ai  déjà  parlé  de  la  Police  montée,  celte  institution  com- 
posée d'hommes  recrutés  parmi  les  jeunes  gens  de  bonne 
famille  et  qui  remplissent  à  la  fois  les  fonctions  d'officiers 
de  police  judiciaire  et  de  juges  de  paix.  Le  respect  qu'on  a 
pour  celle  milice  toute  particulière  est  remarquable,  et  à 
Dawson,  notamment,  où  ceLle  vaillante  troupe  a  pour  chef 
le  capitaine  Slarns,  le  calme  le  plus  complet  règne. 

Grâce  à  la  police  montée,  l'ordre  n'est  jamais  troublé  par 
des  querelles  ou  des  rixes.  La  plus  grande  solidarité  unit 
tous  ces  mineurs  et  les  discussions  qui  peuvent  surgir 
entre  eux  sont  réglées  paternellement  par  la  police  montée, 
dont  on  trouve  toujours  un  des  soldats  surveillant  les  bars 
où  l'on  joue  ou  les  saloons  où  l'on  danse. 

Les  250  hommes  de  troupe  qui  composent  la  Milice  du 
Yukon  et  que  le  gouvernement  vient  d'adjoindre  à  la  po- 
lice montée  sont  campés  à  Fort-Selkirk.  Ils  sont  placés  sous 
les  ordres  d'un  colonel,  d'un  major  et  de  quatre  capitaines. 

A  mon  départ  de  Dawson  le  gouvernement  venait  d'y  en- 
voyer le  colonel  Steele,  qui  précédemment  commandait  la 
police  montée  au  lac  Bennelt. 

lawson  possède  aussi  de  grands  magasins  d'approvision- 


122  LE    KLONDÏKE,    L'ALASKA,    LE    YUKOtf 

nements  établis  par  deux  importantes  sociétés  américaines: 
la  Norlh  American  transportalion  CV  et  l'Alaska  Commer- 
cial CJ'.  Il  est  entré  à  Dawson  32  steamers  de  rivière  chargés 
de  provisions  pour  ravitailler  la  ville.  Les  mineurs  ne  mour- 
ront pas  de  faim  cet  hiver,  pas  plus  qu'ils  n'y  sont  morts 
l'hiver  dernier,  où  cependant  la  farine  s'est  vendue  jusqu'à 
100  et  150  dollars  le  sac  de  50  livres. 

Tout  y  est  nécessairement  hors  de  prix.  La  main-d'œuvre 
se  paye  de  60  à  75  francs  par  jour.  La  viande  vaut  10  francs 
la  livre,  les  pommes  de  terre  et  les  oignons  5  francs  la  livre, 
et  ainsi  de  suite.  Au  restaurant,  un  poulet  de  grains  se 
paye  50  francs,  et  une  bouteille  de  Champagne  150  francs. 
Par  contre,  un  saumon  de  10  à  12  livres  ne  vaut  que  2  fr.  50. 

La  nomination  deM.  Ogilvie,  comme  gouverneur  général 
à  Dawson,  a  été  fort  bien  accueillie  par  tous  les  mineurs, 
surtout  au  lendemain  du  vote  de  la  loi  qui  frappe  les 
produits  d'un  claim  d'une  royauté  de  10  p.  100  en  faveur 
de  l'Etat. 

M.  Ogilvie  connaît  à  fond  le  pays  qu'il  administre  aujour- 
d'hui, et  qu'il  a  parcouru  en  tous  sens  il  y  a  quelques 
années,  et  il  a  prédit  l'avenir  de  ces  territoires  du  Nord- 
Ouest,  grâce  à  ces  nouveaux  champs  d'or.  Les  découvertes 
que  j'ai  faites  me  permettent  d'affirmer  que  M.  Ogilvie  n'a 
rien  exagéré  et  que  ses  prévisions  se  trouveront  bientôt 
réalisées. 

En  vous  présentant  ici,  parmi  les  nombreuses  projections 
photographiques  qui  viennent  de  défiler  soiib  vos  yeux,  le 
portrait  bien  imparfait  de  M.  Ogilvie,  permettez-moi,  mes- 
sieurs, d'exprimer  au  nom  des  miens  nos  sentiments  de 
vive  gratitude  envers  le  gouvernement  canadien,  pour  les 
marques  de  sympathie  et  le  concours  que  n'ont  cessé  de 
nous  prodiguer  ses  officiers,  pendant  notre  séjour  dans  le 
Yukon. 

Non  loin  de  Dawson,  sur  les  creeks  Bonanza,  Eldorado, 
French-Hill  et  autres,  se  trouvent  les  riches  placers  qui  ont 


ET   LES   ILKS    A I. ICO  C  TIENNES.  123 

tant   fait    couler  d'encre   dans   Le   monde    entier,  depuis 
on  an. 

Ces  placera  se  trouvent  au  centre  de  la  ceinture  aurifère  à 
laquelle  j'ai  fait  allusion  plus  haut.  Au  début,  les  mineurs 
se  jetaient  en  foule  sur  les  daims  situés  dans  les  vallées 
arrosées  par  un  cours  d'eau  qui  leur  permettait  de  laver  la 
terre  avec  le  sluice. 

Mais  aujourd'hui  de  riches  trouvailles  ont  été  faites 
également  sur  les  montagnes  qui  a  voisinent  ces  creeks,  et  la 
nature  de  cet  or,  qui  selon  moi  n'appartient  pas  à  la 
même  époque  de  formation  que  celui  des  creeks,  déroule 
tous  les  géologues  el  les  experts  en  la  matière.  On  a  payé 
à  l'Etat  celte  année  une  royauté  de  6  millions  d'or,  cor- 
respondant à  60  millions  d'or  extrait.  Mais,  en  réalité,  on 
en  a  tiré  davantage.  Les  frères  Berry  pour  leurparl  ont  payé 
200,000  francs  de  redevance. 

Je  n'ai  pas  à  m  "étendre,  ici,  sur  la  richesse  de  ces  placers  et 
leur  exploitation  actuelle,  ce  qui  nous  écarterait  de  noire 
sujet;  mais  d'après  les  observations  que  j'ai  faites,  pendant 
les  cinq  semaines  que  j'ai  passées  dans  la  région  des  placers, 
j'ai  acquis  la  conviction  que  le  pays  est  plus  riche  encore 
qu'on  ne  l'a  dît. 

On  y  a  découvert  également  des  mines  d'argent,  de 
nickel,  d'étain  et  de  plomb  ;  de  riches  gisements  de  cuivre 
et  de  charbon  et  enfin  des  sources  de  pétrole.  Dans  ces 
conditions,  tout  fait  présumer  que,  malgré  les  rigueurs  du 
climat  d'hiver  et  les  difficultés  de  la  route  (que  le  gouverne- 
ment canadien  travaille  du  reste  à  aplanir),  ces  territoires  du 
nord-ouest  sont  appelés  à  un  grand  développement. 

Depuis  notre  départ  de  Betinelt  jusqu'à  notre  arrivée  à 
Dawson,  le  1  août,  nous  avons  eu  la  même  température 
qu'à  Paris  pendant  les  mois  d'été. 

Les  nuits  étaient  plus  froides  cependant;  mais  comme 
l'air  y  est  plus  sec  et  plus  pur,  on  s'y  habitue  très  vite.  C'est 
d'ailleurs  à  ce  manque  d'humidité  dans  l'atmosphère  que 


124  LE   KLONDVKE,    L'ALASKA,   LB   TOKOB 

l'on  doit  de  pouvoir  supporter  les  tempéralures  aussi  basses 
que  celles  relevées  à  Dawson,  c'est-à-dire  50  et  55"  F.  sous 
zéro  en  janvier  et  février.  A  cette  saison  le  temps  reste 
généralement  clair  et  beau. 

Pendant  les  mois  d'été  le  soleil  ne  quitte  l'horizon  que 
fort  peu  de  temps.  En  hiver,  par  contre,  il  n'y  a  que  quelques 
heures  de  jour,  sans  pour  cela  que  l'obscurité  soit  complète. 

Les  animaux  qui  habitent  les  districts  du  Yukon  sont  les 
mêmes  que  sur  la  Stikine  : 

Le  moose,  genre  de  cerr  grand  comme  un  bœuf  et  pesant 
8  à  000  livres,  sur  les  bois  duquel  on  pourrait  mettre  un 
sac  de  farine  à  l'aise. 

Le  cariboo,  le  mouton  de  montagne,  les  ours  bruns,  noirs 
et  grizzelis;  à  part  ce  dernier,  les  autres  n'attaquent  pas 
l'homme,  Les  Indiens  les  chassent  avec  des  flèches  et  les 
plus  braves  les  attaquent  au  couteau. 

Parmi  les  animaux  à  fourrure,  l'on  trouve  des  renards 
argentés,  bleus,  noirs,  blancs  et  rouges  ;  le  lynx,  les  loutres, 
les  castors  et  la  martre  zibeline. 

Les  canards  et  les  oies  abondent  dans  le  Yukon  ainsi  que 
la  poule  de  prairie  et  la  perdrix  rouge.  Les  montagnes  sont 
pleines  de  fleurs  brillantes,  d'églantiers  superbes,  de  pieds 
d'alouettes,  de  myosotis,  de  lupins,  de  sauges  et  de  mousses 
de  toutes  couleurs.  Des  groseilles,  des  framboises,  du  cassis, 
desfraises  eldesmyrtiles. Toutes  cesplanlessontd'une belle 
venue  et  aussi  vigoureuses  que  dans  nos  jardins  d'Europe. 

Les  vesces  et  une  espèce  de  carotte  sauvage  y  poussent 
abondamment  et  Fourniraient  un  excellent  fourrage. 

Nous  quittons  Dawson  le  14  septembre,  pour  redescendre 
le  Yukon  jusqu'à  la  mer  de  Bering,  non  sans  quelque  appré- 
hension d'être  pris  en  route  par  les  glaces.  Tout  Dawson 
était  réuni  sur  la  berge  pour  voir  partir  le  dernier  bateau 
qui  redescend  vers  le  monde  habité,  vers  la  civilisation. 

Ici  le  fleuve  coule  entre  des  rochers  immenses  et  le  paysage 
offre  un  aspect  des  plus  sauvages. 


ET    LES   ILES    ALÉOUTIENNE! 


125 


Peu  à  peu  le  fleuve  s'élargit  à  ce  point  que  nous  distin- 
guons à  peine  les  côtes,  avec  des  lies  de  plus  en  plus  nom- 
breuses et  des  bancs  de  sable  qui  rendent  la  navigation  des 
plus  difficiles. 

Nous  nous  arrêlonsàFortyMile,la  ville  frontiôre,compo- 
sée,  comme  toutes  les  villes  de  l' Alaska,  d'une  agglomération 
de  quelques  cabanes  en  bois  sur  un  amoncellement  de  boue. 

Chose  intéressante,  nous  y  avons  trouvé  un  petit  jardin 
bien  cultivé  avec  des  fleurs  et  des  légumes. 

La  rivière  de  Forty  Mile,  qui  se  jette  dans  le  Yukon,  a 
150  mètres  de  large  à  son  embouchure  avec  un  très  fort  cou- 
rant d'eau  et  de  nombreux  rapides. 

Quelques  découvertes  d'or  ont  été  Faîtes  ici. 

Le  15  septembre,  nous  arrivons  à  Circle  City,  la  plus- 
grande  agglomération  de  cabanes  en  troncs  d'arbre  du 
monde;  située  peu  au-dessous  du  cercle  arctique,  elle  con- 
tient environ  1,000  cabanes,  3,000  blancs  et  100  Indiens. 
Cette  ville,  qui  date  de  1894,  était  jusqu'à  l'année  dernière, 
avant  la  découverte  du  Klondyke,  le  plus  important  centre 
des  mines  de  l'Alaska. 

Les  mines  sont  situées  à  100  kilomèlres  de  la  ville  et  on 
y  travaille  l'été,  contrairement  à  ce  qui  se  pratique  au  Klon- 
dyke. J'ai  cependant  assislé  à  des  travaux  d'été  sur  les 
creeks  prés  de  Dawson,  et  j'ai  la  conviction  qu'en  changeant 
leur  méthode  actuelle  les  mineurs  du  Klondyke  pourraient 
fort  bien  travailler  toute  l'année. 

A  partir  de  Circle  City  le  Yukon  s'étend  à  perle  de  vue, 
laissant  émerger  de  nombreuses  iles  bien  boisées  et  fort 
jolies.  Le  froid  ici  est  plus  vif  qu'à  Dawson  et  je  relève  une 
température  de  46°  F. 

Comme  j'avais  perdu  mes  deux  thermomètres  (alcool  et 
mercure)  dans  le  naufrage  de  la  Big  Salmon,  j'ai  été  forcé 
depuis  lors  de  me  servir  du  thermomètre  Farenheit.  Cet 
hiver,  mes  deux  fils,  qui  sont  restés  à  Dawson,  relèveront 
chaque  jour  les  températures  sur  tous  les  points  qu'ils  visi- 


m 


LB    M.ONDYKE,     L  ALASKA,    LE    ÏUkON 


feront,  et  nous  pourrons  ainsi  par  comparaison  déterminer 
bat  dflfp&i  centigrades  sous  zéro. 

Comme  à  Dawson  el  Forty  Mile,  on  trouve  à  Circle  City 
une  quantité  de  chiens  de  la  race  Husky,  qui  se  vendent 

iinWimiMBl  de  100  à  400  dollars. 

Le  nombre  des  Indiens  Stick,  qui  habitent  les  régions  du 
haut  Yukon  et  du  Klondyke,  est  tombé  aujourd'hui  à  3,500. 
Us  sont  d'un  tempérament  morose  et,  malgré  leur  apparence 
de  stoïcisme,  ils  sont  constamment  sujets  à  des  paniques  ou 
à  des  hallucinations.  Leurs  chefs  sont  choisis  sans  aucune 
distinction  de  naissance  ou  de  famille,  et  seulement  d'après 
leur  valeur  guerrière  et  les  présents  qu'ils  distribuent.  Leur 
contact  avec  les  blancs  leur  a  donné  la  fièvre  de  l'or  et  beau- 
coup d'entre  eux  travaillent  aujourd'hui  dans  les  placers. 

Dans  un  de  leurs  villages,  je  demandai  à  leur  chef  Izak  à 
quoi  pourrait  lui  servir  l'or  qu'il  amassait?  Il  me  répondit 
avec  un  sourire  :  t  Moi  aussi  je  veux  sortir.  J'en  ai  assez 
du  froid  et  de  la  neige;  je  veux  aller  à  Washington  dans  la 
ville  du  grand-père  et  vivre  avec  les  blancs.  » 

Le  11  septembre,  nous  arrivons  à  Fort-Yukon,  situé  au- 
dessus  du  Cercle  arctique.  La  ville  se  compose  de  cabanes 
en  bois  et  de  campements  indiens. 

Ceux-ci,  comme  leurs  frères  de  Tagish,  de  Lebarge  et  du 
haut  Yukon,  sont  dégénérés,  petite,  malingres  et  malpropres; 
offrant  le  type  mongol  des  plus  prononcés.  Habiles  chasseurs 
et  pécheurs,  ils  fontégalement  des  vêtements  de  peaux  orne- 
mentés de  perles  de  couleurs  d'un  très  joli  travail  ;  mais  ils 
sont  très  paresseux,  bien  que  leurs  facultés  soient  plus  déve- 
loppées que  chez  les  autres  Indiens. 

C'est  ici  que  la  Porcupine  se  jette  dans  le  Yukon.  Cette 
iuii.Vi  iM  m  dangereuse  que  très  peu  de  blancs  l'ont  remon- 
tée; elle  est  ainsi  fort  peu  connue. 

irant  est  tellement  rapide  que  les  Indiens  Itbane 
Kuttchio  se  servent  très  peu  du  canot  en  écorce  et  i 
oendent  cette  rivière  en  radeau. 


ET   LES  ILBS    AI.É0UT1ENNES.  127 

J'ai  vu  un  de  ces  Indiens  qui  errait  inconsolable  depuis 
des  semaines  de  la  mort  de  sa  femme.  Ils  sont  pour  la  plu- 
part convertis  au  protestantisme,  et  beaucoup  d'entre  eux 
savent  l'anglais.  Les  plus  jeunes  de  la  tribu  le  parlent  d'ail- 
leurs couramment. 

Nous  quittons  Forl-Yukon  dans  la  soirée  pour  entrer 
dans  ce  qu'on  appelle  les  Flats  du  Yukoo,  c'est-à-dire  le 
pays  plat  où  le  Tukon  s'étale  en  une  immense  nappe  d'eau 
an  milieu  d'innombrables  îles  et  de  bancs  de  sable. 

Les  capitaines  des  steamers  craignent  beaucoup  ce  pas- 
sage, où  ils  son!  retenus  parfois  deux  et  trois  semaines  sur 
les  terribles  bancs  de  sable. 

Nous  arrivons  à  Manook,  du  nom  de  l'Indien  qui  y  a 
découvert  l'or.  Ici  on  a  fait  de  riches  découvertes  de  pla- 
ciers d'or  de  toute  première  qualité  et  qui  vaut  97  francs 
l'once. 

Depuis  lors  la  ville  s'est  rapidement  peuplée  et  compte 
aujourd'hui  1,500  habitants. 

Elle  possède  une  église,  un  hôpital,  des  magasins  d'appro- 
visionnements; mais  il  n'y  a  ni  police,  ni  autorités.  Les 
mineurs  se  gouvernent  eux-mêmes.  L'homme  condamné 
pour  meurtre  ou  vol  est  déposé  sur  un  radeau  au  milieu  du 
fleuve,  ce  qui  équivaut  à  une  sentence  de  mort,  car  le  malheu- 
reux doit  ou  périr  ou  mourir  de  faim. 

Le  19  septembre,  nous  arrivons  à  l'embouchure  de  la 
Tanana,  rivière  qui  mesure  plus  de  1,600  kilomètres  de  lon- 
gueur. A  son  confluent  avec  le  Yukoo,  les  deux  fleuves 
forment  une  nappe  d'eau  à  perte  de  vue. 

Dans  le  bassin  de  la  Tanana  on  a  trouvé  de  riches 
mines  d'or,  d'argent  et  de  charbon,  et  l'on  prédit,  pour 
l'an  prochain,  un  nouveau  rush  américain  vers  cette  ré- 
gion. 

Nous  stoppons  à  Nulalo,  où  la  thermomètre  marque  24° 
sous  zéro;  il  n'y  a  ici  que  quelques  cabaues  et  quelques  lentes 
d'Indiens  du  même  type  que  ceus  de  Fort-Yukon. 


1 


IS8  LE    KLONDÏKE,    L'ALASKA,    LE    ÏUKON 

Sur  la  rivière  Ko-Yu-Kuk ,  que  nous  gagnons  ensuite,  on  a 
fail  il  y  a  quelques  mois  les  plus  belles  trouvailles  d'or  pur 
de  tout  l'Alaska.  On  m'a  montré  un  de  ces  spécimens  gros 
comme  le  poing,  et  dont  l'élude  de  surface  présentait  en  effet 
tous  les  caractères  de  l'or  absolument  pur. 

Nous  abordons  à  Anvic,  où  se  trouve  une  mission  russe 
établie  là  depuis  de  longues  années. 

Les  maisons  indiennes  sont  ici  d'une  forme  singulière  et 
ressemblent  à  d'énormes  pains  de  sucre,  mais  très  bas,  à  hau- 
teur d'homme,  avec  une  ouverture  semblable  aux  chatières 
de  nos  fermes,  juste  assez  grande  pour  laisser  passer  les 
épaules.  C'est  la  porle  de  l'habitation. 

Les  Indiens  qui  les  habitent  sont  horribles  à  voir.  Des 
tètes  énormes  sur  de  larges  épaules  carrées  avec  un  buste  de 
géant  planté  sur  de  petites  jambes  grêles  et  tordues,  des  che- 
veux noirs  et  raides,  voilà  leur  portrait  bien  embelli,  je  vous 
assure.  Les  femmes  sont  moins  jolies  et  d'une  malpropreté 
repoussante. 

Nous  passons  devant  la  mission  de  la  Sainte-Croix  où  les 
sœurs  de  Sainte-Anne  élèvent  des  enfants  indiens  et  cultivent 
des  fleurs  et  des  légumes. 

AKoymut,  il  n'y  a  plus  de  trace  d'arbres;  ce  sont  de  vastes 
plaines,  et  les  Indiens  et  leur  barque  en  écorce  de  bouleau 
ont  disparu  pour  faire  place  aux  Esquimaux  qui  viennent 
dans  leurs  cayaks  nous  souhaiter  la  bienvenue. 

Ici  nous  sommes  échoués  sur  un  banc  de  sable  et  nous 
en  profilons  pour  aller  à  terre  en  canot  faire  une  excellente 
partie  de  chasse  dans  ces  plaines  marécageuses  où  nous 
marchonsdans  l'eau  jusqu'aux  genoux.  Le  nombre  de  canards, 
de  ptarmigans  et  d'oies  que  nous  tirons  est  une  véritable 
fête  pour  tous  nos  passagers.  Les  bécassines  abondent  éga- 
lement dans  cette  contrée.  Quelles  chasses  merveilleuses  de 
vrais  chasseurs  pourraient  faire  là! 

Le  lendemain  2d  septembre,  nous  arrivons  à  Saint-Michel, 
où  nous  trouvons  un  hôtel  très  confortable  avec  des  repas 


P  LES    ILES   Al.KOUTIEWNES. 


129 


un  peu  plus  substantiels  que  la  nourriture  que  nous  avons 
eue  jusqu'ici. 

Quand  on  n'a  mange  que  du  latd  et  des  haricots  pendant 
six  mois,  une  autre  nourriture  même  en  conserves  n'est  pas 
désagréable. 

Situé  sur  une  île  à  90  milles  au  nord  de  l'embouchure  du 
Yukon,  Fort-Sainl-Michel  est  la  station  la  plus  importante 
des  régions  arctiques. 

Il  y  a  là  un  poste  militaire  américain,  et  c'est  le  point  de 
ravitaillement  pour  toutes  les  localités  de  l'extrême  nord. 
Une  église  russe,  de  grands  magasins  d'approvisionnements 
installés  par  les  trois  grandes  compagnies  américaines  qui 
ravitaillent  les  mineurs  de  l'Alaska  et  le  Klondyke. 

L'aspect  de  la  ville  est  propre  et  repose  des  ignobles 
villages  d'Indien»  que  nous  avons  visités  plus  haut. 

Les  naturels  de  Saint-Michel  sont  des  Esquimaux  aux 
mœurs  paisibles  qui  travaillent  très  joliment  les  peaux  de 
phoque  à  poil  rude  et  les  peaux  de  renne.  Leurs  habitations 
sont  de  simples  trous  en  terre  au-dessus  desquels  des  troncs 
d'arbres  forment  un  dôme,  le  tout  recouvert  de  terre.  Un 
morceau  de  peau  de  poisson  ou  d'entrailles  de  morse  sert  de 
fenêtre.  L'été  ils  vivent  sous  la  tente,  leur  demeure  préférée. 
Les  Esquimaux  de  l'Alaska  sont  au  nombre  de  18,000 
environ;  ils  sont  honnêtes,  douxettoujourshospitaliers  en  vers 
l'étranger.  Us  vivent  uniquement  de  poissons  et  leurs  cou- 
tumes familières  sont  un  peu  désagréables  pour  un  Européen. 
Ils  ont  la  figure  large,  le  teint  foncé  et  des  cheveux  noirs, 
plats  et  luisants;  bien  plantés  sur  leurs  jambes,  tout  en  eux 
indique  la  force  et  l'énergie. 

La  femme  esquimaude  vieillit  vite  et  prend  un  fort  embon- 
point; elles  s'habillent  nomme  les  hommes  avec  des  parka 
(une  espèce  de  longue  robe  faite  en  peau  de  renne),  des 
pantalons  en  peau  également  et  des  mocassins.  Les  mocas- 
is  sorti  des  espèces  de  bottes  en  peau  de  renne  montant 
qu'aux  genoux  et  tout  à  fait  imperméables. 


130  LE    KLONDYKE,    L'ALASKA,   LE    YllKON 

Pendant  les  quinze  jours  que  j'ai  passés  au  milieu  d'eux, 
j'ai  été  à  même  d'étudier  leurs  mœurs  très  curieuses,  qu'il 
serait  trop  long  de  vous  détailler  ici. 

Les  Esquimaux  sont  des  pécheurs  audacieux  et  expéri- 
mentés, et  j'ai  trouvé  parmi  eux  de  véritables  artistes  dans 
l'art  de  graver  l'ivoire. 

Nous  nous  embarquons  ensuite  sur  le  Roattoke,  le  dernier 
steamer  qui  quittera  Saint-Michel  et  qui  y  a  été  envoyé  spé- 
cialement pour  prendre  Les  mineurs  du  Klondyke.  Nous 
avons  à  bord  12,500,000  francs  de  poudre  d'or  gardés  par 
deux  officiers  de  la  police  montée,  qui  sont  chargés  de  les 
déposer  à  Seattle. 

Nous  gagnons  les  îles  Aléoutiennes  où  nous  arrivons  après 
une  épouvantable  traversée  sur  la  mer  de  Bering. 

Les  70  îles  aléoutiennes  sont  d'origine  volcanique  et  l'on 
y  rencontre  encore  plusieurs  volcans  constamment  en  érup- 
tion. Une  seule  de  ces  îles  possède  une  colonie  de  blancs. 

Sans  aucun  arbre,  mais  couvertes  d'herbes  et  de  mousses 
avec  de  jolies  fleurs  partout,  ces  îles  ont  un  climat  très 
agréable.  L'on  a  installé  dans  la  principale  d'elles,  à  Una- 
laska,  plusieurs  fermes  où  le  bétail  engraisse  très  bien. 

La  température  y  est  très  douce  et  rarement  le  thermo- 
mètre descend  au-dessous  de  zéro. 

Unalaska  possède  une  église  russe  fort  jolie  ainsi  que  de 
grands  magasins  d'approvisionnements  et  des  dépôts  de 
charbon. 

On  n'y  rencontre  ni  ours,  ni  loups,  niais  en  revanche 
beaucoup  de  renards  bleus,  dont  les  métis  indiens  font 
même  l'élevage. 

Ces  naturels  des  lies  Aléoutiennes,  par  leur  croisement 
avec  la  race  russe,  forment  aujourd'hui  des  métis  et  ceux-ci 
considèrent  comme  un  outrage  d'ôtre  comparés  à  des  In- 
diens. 

La  manière  dont  ils  chassent  le  phoque  est  particulière- 
ment curieuse. 


ET  LES  ILES  ALÉ0UT1ENNES.  131 

Leurs  barques  étroites  et  longues  sont  entièrement  re- 
couvertes de  peau  de  lion  de  mer,  à  part  deux  ouvertures 
rondes  dans  lesquelles  deux  hommes  se  glissent.  Sur  cette 
barque  se  trouve  attaché  tout  l'attirail  du  chasseur  y  com- 
pris la  peau  gonflée  d'un  jeune  phoque  qui  servira  de  flot- 
teur et  d'appât. 

Armés  d'une  flèche-harpon  dont  la  pointe  en  ivoire  est 
attachée  à  une  lanière  en  peau  de  renne  et  retenue  au 
centre  de  la  tige,  ils  lancent  celle-ci  avec  une  adresse  pro- 
digieuse dans  le  flanc  du  phoque.  Le  harpon  s'enfonce  dans 
les  chairs  et  la  tige  en  bois  se  détachant  par  les  mouve- 
ments de  l'animal  flotte  sur  l'eau  en  indiquant  aux  chas- 
seurs la  piste  à  suivre.  Dès  qu'ils  l'ont  rejoint  ils  rattrapent 
le  flotteur,  attirent  doucement  la  bête  et  l'assomment  d'un 
violent  coup  de  massue. 

Les  Aléoutes  ont  des  habitations  en  bois  confortablement 
aménagées,  et  j'ai  trouvé  chez  plusieurs  d'entre  eux  de 
petits  salons  fort  proprets  avec  un  piano  ou  un  harmo- 
nium. 

C'est  à  une  Compagnie  américaine  qu'est  réservé  le  droit 
de  chasse  au  phoque  dans  le  détroit  de  Bering.  Mais  le 
voyageur  de  passage  seulement  peut  les  chasser  aussi. 

Parmi  les  charges  qui  sont  imposées  à  cette  Compagnie 
figure  notamment  l'obligation  de  nourrir  les  Aléoutes. 

Plusieurs  de  ces  îles  sont  le  rendez-vous  des  phoques  où 
ils  vont  en  masse  à  l'époque  de  la  reproduction.  C'est  là 
qu'on  les  tue  également  après  les  avoir  rassemblés  en  grand 
nombre. 

J'ai  parlé  plus  haut  de  la  quantité  de  saumons,  morues, 
halibuts  et  harengs  qui  abondent  sur  les  côtes  de  l'Alaska  et 
du  Pacifique. 

Dans  les  environs  de  Vancouver,  c'est  par  bandes  énormes 
que  les  saumons  remontent  la  rivière  Fraser,  à  ce  point  que 
souvent  ils  obstruent  celle-ci  et  qu'on  pourrait  la  traverser 
en  marchant  sur  ce  banc  naturel. 


j   ^ 


132  LE    KLONDYKE,   L'ALASKA,    LE   YUKO 

Les  Américains  ont  établi  sur  les  côtes 
quelques  grandes  usines  pour  la  fabrication  d 
mais  nos  compatriotes  y  trouveraient  place  c 
création  de  beaucoup  d'établissements  de  ce  { 

Nous  arrivons  à  Seattle  le  19  octobre  et  de 
Montréal  en  traversant  les  États-Unis  par  B: 
serves  indiennes,  Kansas  City,  Saint-Louis,  C 
ronto. 

Et  maintenant  il  me  reste  à  conclure  en  s 
nos  compatriotes  n'attendent  pas  pour  jeter 
ces  riches  contrées  qu'elles  soient  bondées  d 
toutes  les  nations. 

Qu'ils  se  rappellent  qu'au  Transvaal  nous  s 
arrivés  trop  tard. 

A  ceux  que  n'effrayeront  pas  les  quelques  d 
route  et  du  climat;  aux  commerçants  qui  i 
des  premiers  à  introduire  les  produits  de  h 
ces  terres  lointaines,  auxquelles  on  s'accorde 
grand  avenir,  je  ne  puis  assez  répéter  :  «  N 
faire  quelques  sacrifices  ;  car  en  travaillant 
les  relations  du  commerce  français  vous  trava 
votre  fortune  personnelle.  » 


Le  Gérant  responsi 

HULOT, 
Secrétaire  général  de  la  Commis 


5555.  —  L.-Imprimeries  réunies,  B,  rue  Saint-Benoît,  7. —  M 


!•*  trimestre  1899. 


^CKtLrlLms 


srl».l39' 


Route 

DU  KLONDYKE 

par 
la  Passe  Ghilkoot 


PPORT  SUR  LES  PRIX  DÉCERNÉS 


LA  SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 


Présenté  jpar  le  baron  HULOT 


MM-  Mi  lue-  Edward?,  de  l'Institut;  Alf.  Grandidier,   de  l'Institut; 

Ch.  MauDoir;  prince  Roland  Bonaparte; 

U.  Çaspari  ;  Mb.  de  Lapparent,  de  l'Institut;  E.  T.  Haaiy,  de  l'Institut 

et  le  baron  Hulot. 


Les  médailles,  que  la  Commission  des  pris  décerne  chaque 
«née,  proviennent  pour  la  plupart  de  fondations  particu- 
lières. Grâce  à  ces  libéralités,  dont  les  auteurs  ont  souvent 
limité  l'objet,  la  Société  de  Géographie  est  en  mesure  de 
récompenser  un  certain  nombre  de  voyageurs  et  d'érudîts 
et  de  remplir,  par  le  fait  même,  l'une  de  ses  fonctions  essen- 
tielles. 

Toutefois  elle  ne  saurait  restreindre  sa  tâche  à  la  propo- 
rtion et  à  la  distribution  des  prix.  Elle  doit,  en  outre,  faire 
entreprendre  des  explorations,  se  tenir  au  courant  du 
mouvement  géographique,  publier  des  cartes  et  des  rela- 
tions inédiles.  Ces  fonctions  diverses,  qui  s'ajoutent  à  la  pre- 
mière, sont  spécifiées  comme  celle-ci  dans  l'art.  I  des 
ilatu  ts,  mais  elles  n'ont  pas  eu  toutes  l'occasion  de  se  déve- 
lopper avec  la  môme  ampleur. 

Si  la  correspondance  avec  les  Sociétés  savantes,  les 
géographes  et  les  voyageurs  a  pris  une  importance  consi- 
dérable, si  la  bibliothèque,  qui  ne  compte  pas  moins  de 
5,000  cartes  et  de  45,000  volumes,  reçoit  chaque  jour  de 
nouveaux  dons,  tels  que  celui  du  regretté  Christian  Garnier, 

SOC.  DE  UÉOGR.  —  2'  TMIMESTRE  1899.  M,  —  10 


134  RAPPORT    SUR   LES   PRIX    DÉCERNÉS 

les  ressources  n'ont  pas  permis  de  prêter  aux  explorations 
un  appui  vraiment  efficace,  ni  de  donner  aux  publications 
toute  l'extension  qu'elles  devraient  comporter.  Le  fonds 
des  voyages,  créé  après  La  guerre  de  1870,  aida  cependant  à 
plusieurs  missions;  mais,  épuisé  depuis  longues  années,  il 
semblait  appelé  à  disparaître,  quand  M.  Renoust  des  Orge- 
ries  légua  à  la  Société  sa  fortune  avec  mandai  de  l'em- 
ployer pour  relier  par  un  même  itinéraire  nos  possessions 
de  l'Algérie,  du  Soudan  et  du  Congo.  On  sait  avec  quel 
succès  la  mission  Foureau-Lamy  remplit,  grâce  à  cette 
libéralité,  le  programme  qu'avait  entrevu  ce  fervent  pa- 
triote, A  vrai  dire,  cette  grande  entreprise  doit  absorber 
tout  le  capital  du  legs,  suivant  le  vœu  du  testateur;  mais  le 
résultat  sera  proportionné  à  l'effort. 

Le  fonds  des  voyages  subsistera  cependant;  il  sera  même 
reconstitué  d'une  façon  définitive,  et  ce  bienfait,  nous  le 
devrons  à  notre  distingué  collègue,  M.  H.ené  Henri  Dumont, 
qui  a  légué  récemment  dans  ce  but  à  la  Société  le  capital 
nécessaire  à  l'établissement  d'une  rente  annuelle  de  mille 
francs.  L'exemple  est  donné  et  nous  ne  doutons  pas  qu'au 
début  du  xx'  siècle  le  fonds  des  voyages  ne  permette  de 
munir  d'instruments  les  voyageurs  qui  font  œuvre  géogra- 
phique, tout  en  travaillant  au  développement  de  l'influence 
française. 

Deux  autres  legs,  l'un  de  5,000  fr., l'autre  de  10,000fr.  ont 
été  faits  celte  année  à  la  Société  par  deux  de  ses  meilleurs 
amis,  dont  M.  le  Président,  se  Taisant  l'interprète  de  tous,  a 
signalé  la  perle  :  M.  Alexandre  Boulroue,  décédé  le  3  février, 
et  le  comte  de  Bizemont,  enterré  à  Nancy  le  4  avril*.  Le 
comte  de  Bizemont,  dont  le  large  savoir  s'alliait  à  un 
dévouement  absolu,  appartenait  à  la  Société  d'une  façon 
plus  étroite.  Il  y  a  deux  mois  à  peine,  il  exposait  devant 
la  section  de  publication  le  projet  d'un  ouvrage  qu'il  avait 


!.  V.  Complu*  rendus,  mal  1899.  ji.  198-1911. 


PAR   LA   SOCIÉTÉ    DE   GÉOGRAPHIE.  135 

lé  d'entreprendre  sur  les  explorateurs  français  du 
et  qu'il  eût  été  plus  particulièrement  désigné  pour 
r  à  bien,  en  sa  triple  qualité  de  marin,  d'explorateur 
,e  fondateur  de  la  Réunion  des  voyageurs  français. 
On  nous  excusera  d'avoir  commencé  ce  rapport  par  ces 
tristes  souvenirs,  mais  ne  fallait-il  pas,  avant  de  parler  des 
lauréats  des  différents  prix,  consacrer  une  pensée  aux  fon- 
dateurs de  ces  prix,  et,  d'une  façon  générale,  à  ceux  qui 
donnent  à  notre  association  le  moyen  d'élargir  son  enquête 
scientifique,  d'étendre  son  champ  d'action,  d'augmenter 
son  rôle  utile  et  de  poursuivre  l'œuvre  éducalrice  qu'elle 
»  entreprise,  il  y  a  près  de  quatre-vingts  ans? 

Nous  aurions  encore  à  parler  des  efforts  lentes  pour  amé- 
liorer nos  publications  et  du  concours  que  nous  avons 
quelque  raison  de  prévoir  dans  l'exécution  de  cette  lâche. 
tl  faut  se  borner,  laisser,  pour  le  moment,  les  souvenirs 
d'hier  el  les  projets  de  demain.  Une  mission  réconfortante 
nous  a  été  confiée  par  la  Commission  des  prix,  et  nous 
ies  d'autant  mieux  assuré  de  la  remplir  qu'elle  est 
l'œuvre  collective  des  rapporteurs  des  différents  prix. 

La  grande  médaille  d'or  est  le  plus  souvent  réservée  à 
t  l'auteur  d'un  voyage  hors  ligne  par  l'importance  comme 
par  la  nouveauté  des  résultats,  dont  il  enrichit  la  géogra- 
phie ».  Aux  termes  du  règlement,  la  Société  ne  pourra 
décerner  ce  prix  que  «  sur  l'examen  des  documents  du 
Toyageur  et  après  avoir  reçu  de  celui-ci  toutes  les  explica- 
tions qu'elle  croira  devoir  lui  demander  ». 

Toutefois,  quand  il  ne  s'agit  pas  d'une  exploration  pro- 
prement dite,  mais  d'une  série  de  travaux,  qui  constituent 
dans  leur  ensemble  une  œuvre  géographique  considérable, 
la  Société  peut  encore,  à  titre  exceptionnel,  décerner  sa 
grande  médaille  d'or,  la  plus  haute  récompense  dont  elle 
dispose.  Elle  l'a  fait  seulement  dans  trois  circonstances, 
jour  rendre  hommage  à  l'œuvre  de  MM.  Vivien  de  Saint- 


136  RAPPORT  SDR   LES    PB1X    DÉCERNÉS 

Martin,  Charles  Mairaoir  et  Elisée  Reclus.  Il  lui  a  paru 
qu'une  nouvelle  exception  s'imposait;  aussi  aurons-nous, 
dans  un  instant,  deux  grandes  médailles  d'or  à  proclamer. 

La  première  récompensera  le  grand  voyageur  qui  a  ré- 
vélé le  cours  du  Ghari  et  fait  flotter  sur  les  eaux  du  Tchad 
le  pavillon  français,  tandis  qu'un  de  ses  émules,  que  nous 
fêterons  bientôt,  entreprenait  cette  audacieuse  traversée  de 
l'Afrique  qui,  de  Loango,  devait  aboutir  a  Djibouti. 

La  seconde  a  été  attribuée  au  soldat  qui  s'est  illustré  au 
Soudan,  au  Tonkin,  à  Madagascar  et  qui  sut  toujours,  dans 
les  postes  où  l'appela  la  confiance  du  gouvernement,  ouvrir 
de  vastes  enquêLes  géographiques,  dont  les  résultats  n'ont 
pas  seulement  profité  à  la  science. 

Neuf  autres  médailles  d'or  et  la  médaille  spéciale  du  prix 
P.  F.  Fournier  prennent  place  après  ces  hautes  distinctions. 
Cinq  d'entre  elles  ont  été  attribuées  à  des  explorations  en 
Afrique,  trois  à  des  missions  en  Asie,  une  à  tin  voyage  dans 
les  régions  arctiques,  une  enfin  à  des  travaux  cartogra- 
phiques. 

Puis  viennent  quatre  grandes  médailles  d'argent.  Elles  se 
rapportent  à  trois  voyages  importants  qui  ont  été  accomplis 
deux  en  Asie,  un  en  Afrique.  La  quatrième  a  trait  à  des 
recherches  scientifiques  sur  le  massif  du  Mont  Blanc. 

Quatre  autres  récompenses  concernent  des  études  de 
géographie  historique  et  deui  ensembles  de  publications 
d'ordre  géographique. 

Tous  ces  pris  ont  une  importance  réelle,  parce  qu'ils 
sont  la  récompense  d'études  approfondies  et  d'efforts  géné- 
reux, qui  élargissent  le  domaine  de  nos  connaissances,  ser- 
vent la  cause  de  la  civilisation  et  souvent  contribuent  à  for- 
lilier  ou  à  étendre  l'influence  française. 


PAR   LA   SOCIÉTÉ   1 


l.randr  niédBllIc  d'or  de  In  H 

M.  Caspari,   rapporteur. 


Aux  esprits  chagrins  qui  seraient  tentés  de  méconnaître 
l'œuvre  du  siècle  qui  touche  à  sa  (in,  nous  ne  pouvons  que 
recommander  de  consulter  l'Atlas  de  Delamarche,  publié 
en  1824,  et  qui  représentait  à  celle  époque  Sa  somme  des 
connaissances  géographiques,  et  de  jeter  un  coup  d'œil 
Attentif  sur  la  carte  de  l'Afrique.  11  y  verraient  d'abord 
deux  immenses  espaces  blancs,  le  Sahara  et  surtout  la 
moitié  sud  du  continent,  totalement  inconnue.  Ils  trouve- 
raient par  contre  une  immense  barrière  de  hautes  mon- 
tagnes, suivant  à  peu  près  le  10"  degré  de  latitude  nord, 
commençant  près  de  Sierra  Leone  par  les  monts  de  Kong, 
se  continuant  vers  l'est  par  les  monts  de  la  Lune  et  abou- 
tissant sans  interruption  au  golfe  de  Tadjoura.  Cette  bar- 
rière reporte  la  source  du  Nil  à  environ  1,500  kilomètres 
trop  au  nord  et,  empêchant  le  Niger  de  rejoindre  l'Océan,  le 
fait  aboutit  à  la  mer  de  Nigrilie  qui  occupe  à  peu  près 
l'emplacement  du  lac  Tchad,  maïs  avec  des  dimensions 
plus  que  doubles  (500  kilomètres  au  lieu  de  200  du  nord 
au  sud). 

Malgré  une  erreur  de  1°  30'  en  latitude  et  de  3°  en  longi- 
tude, ce  lac  était  connu  :  il  est  donc  assez  singulier  que  le 
reste  du  continent  ait  été  exploré  avant  qu'on  arrivât  à  rec- 
tifier cette  position. 

En  18ÏI3,  notre  Société  décernait  sa  grande  médaille  d'or 
au  commandant  Munteil  qui  avait  réussiàalleindreleTehad 
en  partant  du  Soudan  français  et  du  Niger.  Dans  son  rap- 
port sur  ce  prix,  M.  Milne-Edwards  faisait  ressortir  l'im- 
portance politique  de  ce  voyage,  qui  tendait  a  établir  une 
communication   entre  nos  établissements  du    Soudan   et 


138 


RAPPORT   SDH  LES    PRIX    DÉCERNÉS 


ceux  du  Congo  par  l'intérieur  du  continent.  Il  rappelait 
les  tentatives  faites  pour  atteindre  ce  même  objectif  en 
parlant  du  Congo,  l'issue  tragique  de  l'expédition  Craïupel, 
les  efforts  de  MM.  de  Brazza,Cholet,  Fourneau,  Dybowskî, 
Maistre  :  on  paraissait  être  sur  le  point  de  tenir  la  solution. 
Ce  n'est  pourtant  que  quatre  ans  plus  tard  qu'il  était 
réservé  à  M.  Emile  Gentil  de  faire  flotter  le  pavillon  fran- 
çais a  bord  du  Mot  sur  les  eaux  de  celte  mer  inlérieure. 

M.  Gentil  a  exposé  devant  la  Société  les  émouvantes 
péripéties  de  ce  voyage,  sa  longue  et  patiente  préparation  ; 
il  vous  a  conté  ses  relations  avec  les  indigènes,  avec  ceux 
du  Baguirmi  en  particulier,  les  traités  qu'il  a  conclus  au 
nom  de  la  France,  et  les  résultats  politiques  de  cette  jonc- 
lion  entre  nos  deux  grands  groupes  coloniaux  de  l'Afrique 
tropicale.  Nous  aimons  à  rappeler  cet  aspect  de  l'expédi- 
tion, et  votre  Commission  ne  s'est  pas  défendu  d'en  tenir 
compte  dans  l'appréciation  du  mérite  de  l'explorateur; 
ici  pourtant  il  convient  d'insister  plus  particulièrement  sur 
la  portée  géographique  et  scientifique  de  ce  beau  voyage. 
En  voici  les  principales  étapes  : 

En  avril  1895,  M.  Gentil,  accompagné  notamment  de 
MM.  Hunlzhucbler  et  Viral,  quille  la  France,  emportant  le 
vapeur  le  Léon  Mot  et  des  approvisionnements  pour  deux 
ans. 

M.  Vival  succomba  dès  le  début  de  la  mission  et  fut  rem- 
placé par  M.  Pierre  Prins,  auquel  revient  une  part  glorieuse. 
C'est  lui  qui  de  Gribingui  s'est  rendu  chez  Snoussï  par  un 
itinéraire  nouveau,  et  quand  il  fut  question  de  laisser  un 
résident  à  Maesenia,  c'est  encore  lui  qui  fut  désigné  '.  Quant 
à  M.  Huntzbiichler.  il  s'est  montré  le  second  le  plus  dévoué 
et  le  plus  utile.  Nous  avons  malheureusement  appris  sa  mort 
au  Congo  français,  trois  ans  et  huit  mois  après  son  départ 
de  France. 


s  20  novembre,  M.  Gentil  est  rendu  avec  son  vapeur  à 
ladda,  sur  l'Oubangui,  et  su  dispose  à  chercher  une  v 
pour  rejoindre  le  Cliari. 

Le  21  septembre  1896,  il  a  réussi,  au  prix  d'efforts  pro- 
longés, à  amener  son  vapeur  sur  la  Nana,  affluent  du  Chari  ; 
puis  il  arrive  à  Gribingui,  où  il  entre  en  relations  avec  les 
musulmans  de  Snoussi. 

Le  21  août  1897,  il  commence  la  descente  du  Chari  ;  le 
M  octobre  nous  le  trouvons  à  Massenia,  capitale  du  Baguirmi, 
et  enfin  le  30  octobre  le  Léon  Blot  flotte  sur  le  Tchad. 
Voici  maintenant  les  résultats  géographiques  : 
Un  itinéraire  de  300  kilomètres  de  l'Oubangui  au  Chari, 
presque  entièrement  nouveau; 
Un  levé  de  la  Tomi  (120  kilomètres); 
Un    levé  de  la  rivière  Gribingui  depuis  le  >N.  jusqu'à 
«in  confluent  avec  le  Chari,  par  8-  4'  N.,  soil  200  kilomètres 
en  ligne  droite,  et  plus  du  double  avec  les  courbes  ; 

Uq  levé  du  fleuve  Chari  depuis  son  confluent  avec  le  Gri- 
bingui jusqu'au  lac  Tchad,  soit  800  kilomètres  à  vol  d'oi- 
seau, et  en  réalité  1,200; 

Un  levé  du  Bahr-Erguig  depuis  Bougoman  jusqu'à  Madji, 
près  de  Massenia  (environ  100  kilomètres); 

Enfin  un  itinéraire  du  Gribingui  au  pays  de  Luomi,  se 
raccordant  avec  l'itinéraire  de  Crampel  el  de  Hanolet, 
300  kilomètres. 

An  total  à  peu  près  2,400  kilomètres  dont  plus  de  2,000 
en  pays  inconnus. 

Ces  itinéraires  sont  repères  au  moyen  d'observations 
astronomiques  nombreuses  et  soignées  :  Ouadda,  Gribingui 
et  le  point  atteint  sur  le  Tchad  sont  déterminés  en  longi- 
tude absolue  au  moyen  de  hauteurs  égales  de  la  lune  et 
d'étoiles,  et  contrôlés  par  les  distances  lunaires.  Les  points 
intermédiaires  sont  reliés  à  ceux-là  par  le  transport  du 
temps  ;  un  grand  nombre  de  latitudes  sont  déterminées 
par  des  hauteurs  circum méridiennes  d'étoiles  ou  du  soleil. 


■ 


140  RAPPORTS    SUIt    LES   PRIX   DÉCERNBS 

C'est  donc  un  travail  définitif  sur  un  espace  considérable 
et  inconnu  jusqu'à  ce  jour.  Si  nous  y  ajoutons  des  observa- 
tions barométriques  et  thermomélriques  et  des  détermi- 
nations de  déclinaisons  magnétiques,  nous  pourrons  nous 
rendre  comple  de  ce  que  notre  connaissance  scientifique 
de  l'Afrique  doit  à  l'observateur  consommé  qui  a  fait  ce 
voyage. 

Nous  aurions  évidemment  relevé  beaucoup  l'intérêt  de 
ce  rapport  en  suivant  dans  leur  détail  les  péripéties  du 
voyage,  en  suivant  les  longues  négociations  avec  les  indi- 
gènes, eu  faisant  ressortir  les  difficultés  vaincues  pour 
faire  flotter  un  bâtiment  à  vapeur  sur  !e  lac  Tchad,  et 
toutes  les  qualités  de  décision,  de  patience  et  de  persé- 
vérance qui  s'ajoutent  chez  M.  Gentil  au  talent  du  géo- 
graphe. Nous  nous  sommes  refusé  ce  plaisir,  aussi  bien 
que  celui  d'estimer  les  résultats  au  point  de  vue  patriotique, 
parce  que  nous  devions  nous  mettre  strictement  sur  le  ter- 
rain de  la  science. 

La  sèche  esquisse  que  nous  venons  de  présenter  suffit 
largement  à  elle  seule  à  justifier  l'attribution  à  M.  Gentil 
de  la  plus  haute  récompense  dont  la  Société  dispose  et 
qu'elle  réserve  à  ceux  qui  ont  fait  faire  à  la  science  un  pro- 
grés décisif. 


Général  Gallieni 

Urnnde  médaille  d'or  de  la  Société  n  litre  exceptionnel 

M.  A.  Graodldler,  de  l'Institut,  rapporteur. 

La  Société  de  Géographie  décerne  au  général  Gallieni, 
l'explorateur  du  Soudan  occidental,  l'ancien  commandant 
supérieur  du  Haut-Sénégal,  l'ancien  commandant  de  terri- 
toire au  Tonkin,  aujourd'hui  gouverneur  général  de  Mada- 
gascar, sa  grande  médaille  d'or,  en  témoignage  de  recon- 
naissance pour  les  services  qu'il  a  rendus  à  la  géographie 


M 


H 


PAR   LA    SOCIÉTÉ    DE    GËOGRAPim:. 

et  la  sollicitude  éclairée  qu'il  n'a  cessé  de  témoigner  aux 
voyageurs  et  explorateurs  pendant  sa  brillante  carrière,  en 
témoignage  de  haute  estime  pour  la  très  grande  part  qu'il 
a  prise  à  l'expansion  coloniale  de  la  France. 

La  France  a  aujourd'hui  sons  sa  domination  les  hauts 
bassins  du  Sénégal  et  (tu  Niger  el  une  partie  considérable 
du  Soudan  occidental.  Il  y  a  vingt  ans,  cette  vaste  région 
était  en  grande  partie  inconnue.  C'est  le  capitaine  Gallieni 
qui  a  été  un  des  premiers  a  y  porter  le  drapeau  français. 
Remontant  le  Sénégal,  il  a  suivi  le  cours  de  ses  deux  princi- 
paux affluents,  le  Bâ-Khoï  et  le  Bà-Oule,  et  il  a  étudié  le 
massif,  jusque-là  inexploré,  qui  sépare  son  bassin  de  celui 
du  Niger,  Ayant  gagné,  après  des  combats  meurtriers,  les 
bords  du  ÎSiger,  il  a  descendu  ce  fleuve  jusqu'à  Segou-Si- 
fcoro,  où  il  a  fait  un  long  séjour,  qui  a  été  aussi  utile  à  la 
géographie  el  à  l'ethnographie  qu'à  l'expansion  de  notre 
influence. 

Sept  ans  plus  tard,  nous  retrouvons  le  lieutenant- colonel 
Gallieuî  vainqueur  du  marabout  Mohammed  Làmin;  après 
le  rade  combat  de  Diana,  il  reçut  la  soumission  des  chefs 
de  toute  la  région  comprise  entre  le  Haut-Sénégal  et  la 
Haute-Gambie.  Cette  campagne,  qui  a  été  si  profitable  à  la 
cause  française,  l'a  élé  non  moins  pour  la  géographie  ;  elle 
a  fait  connaître  ou  précisé  le  tracé  de  nombreuses  rivières, 
el  elle  a  permis  de  lever  une  vaste  étendue  de  pays  peu  ou 
point  connue.  Le  lieutenant-colonel  Gallieni  a,  en  effet, 
multiplié  les  missions  topo^raphiques  et  donné  à  leurs 
études  une  impulsion  féconde. 

Envoyé  au  Tonkin  comme  commandant  de  territoire 
militaire,  le  colonel  Gallieni  a  réussi  à  pacifier  et  organiser 
les  frontières  de  notre  colonie. 

A  peine  de  retour  en  France,  sacrifiant  ses  intérêts  et 
quittant  sa  famille  qu'il  venait  de  retrouver  après  une  longue 
absence,  il  consentit,  par  patriotisme,  à  accepter  le  gou- 
vernement de  Madagascar.  Ceux-là  seuls,  qui  ont  connu. 


IT    SUD    LES   TRIS    DÉCERNÉS 

l'élal  d'anarchie  el  de  rébellion  générale  dans  iequel  3e 
trouvait  noire  nouvelle  colonie  au  lendemain  de  sa  con- 
quête, sont  capables  d'apprécier  le  dévouement  et  l'abné- 
gation dont  a  fait  preuve  en  celte  occasion  le  général  Gal- 
lieni.  Rompu  par  sa  longue  carrière  coloniale  aux  moeurs 
et  aux  besoins  des  peuples  sauvages,  joignant  à  la  décision 
du  chef  militaire  l'habileté  de  l'administrateur,  ayant  pour 
devise  :  les  colonies  aux  colons,  il  était  très  capable  de 
mener  à  bonne  fin  l'œuvre  extrêmement  difficile  qu'on  lui 
confiait  et  qu'il  a  accomplie  avec  un  remarquable  succès. 
Votre  rapporteur  est  heureux  de  pouvoir  exprimer  ici  son 
admiration  très  sincère  pour  l'activité  déployée  depuis  deux 
ans  el  demi  par  le  gouverneur  général  de  Madagascar  dans 
toutes  les  branches  des  connaissances  humaines  et  de  l'in- 
dustrie et  pour  les  résultats  véritablement  extraordinaires 
de  son  intelligente  administration,  obtenus  avec  des  moyens 
très  restreints,  tout  à  fait  hors  de  proportion  avec  le  but  à 
atteindre.  Le  nom  de  Gallieni  planera  à  tout  jamais  sur  la 
grande  île  de  Madagascar  dont  on  ne  saurait  plus  le  séparer. 
Cen'esl  point  dans  un  rapport,  qui  doit  cire  très  sommaire, 
qu'il  est  possible  de  raconterl'histoiresi  remarquable  de  la 
pacification  et  de  la  mise  en  valeur  de  notre  uouvelle 
colonie.  Quand,  le  16  septembre  1896,  le  général  Gallieni 
prit  le  commandement  du  corps  d'occupation  et  que,  le 
38  septembre,  il  réunit  entre  ses  mains  tous  les  pouvoirs 
civils  et  militaires,  !a  situation  était  très  critique;  l'insur- 
rection s'élendait  sur  tout  le  plateau  central,  l'audace  des 
rebelles  croissait  de  jour  en  jour  et  il  y  avait  tout  lieu 
de  craindre  le  massacre  général  des  Européens  résidant 
dans  l'île.  Sans  tarder,  il  prit  des  mesures  énergiques; 
l'effectif  du  corps  d'occupation  étant  très  faible  et  la  région 
soulevée  contre  nous  élant  extrêmement  peuplée,  il  con- 
centra ses  troupes  dans  les  provinces  les  plus  troublées 
et,  agissant  avec  rapidité  et  vigueur,  il  délogea  les  rebelles 
des  positions  quasi-inexpugnables  où  elles  s'étaient  reIran- 


PAR    J,A    SOCIÉTÉ   DE   GÉOGRAPHIE. 

bées  cl  d'où  elles  portaient  partout  l'incendie,  le  meurtre 
le   pillage.   Grâce  au    réseau   de    postes  qu'il   disposa 
judicieusement  et  an\  colonnes  volantes  qui  opérèrent  de 
concert,  des  milliers  d'insurgés  furent  promptement  pris 
ou  contraints  de  se  soumellre,  et,  en  quelques  mois,  la 
pacification  du  centre  et  de  l'est  de  la  grande  île,  qui  sont 
les   parties  les   plus   peuplées  et  les  plus  importantes,  du 
moins  pour  le  moment,  a  été  complète. 
Le  général  Gallieni  a  ensuite  entrepris  de  soumettre  à 
a  autorité  les  Satalaves,  les  Baras  et  les  Antandroys,  peu- 
■  qui  sont  clairsemées  sur  une  immense  surface  de 
ys,  égale  au  moins  à  la  moitié  de  la  France,  et  droit  les 
bitudes  pastorales   et  de  pillage    rendront   longtemps 
ncore  l'assimilation  difficile.  Il  y  a  déjà  du  progrès  dans 
Btte  vaste  région,  où  sont  répartis  de  nombreux  postes. 
i  le  général  avait  disposé  de  troupes  un  peu  plus  nom- 
«uses,  la  prise  de  possession  serait  certainement  com- 
pte. 

Mais  nous  n'avons  pas  pour  mission  de  louer  l'œuvre 
nïlitaire  du  général  Gallieni.  Dès  le  lendemain  de  la  paci- 
Ication  de  l'Imerina,  les  travaux  d'utilité  publique  ont  élé 
:ommencés  dans  toute  l'Ile  el  poussés  activement.  Des 
•outes  carrossables  ou  muletières,  faites  avec  les  seules 
îssourccs  de  la  colonie,  sillonnent  déjà  les  provinces  les 
plus  importantes,  et  les  projets  de  chemin  de  fer,  encoura- 
gés par  le  gouverneur  général,  auraient  déjà  abouti  sans 
les  retards,  très  regrettables,  apportés  par  le  Parlement  à 
leur  adoplion. 

Le  nombre  des  écoles  a  considérablement  augmenté  et 
on  a  créé  plusieurs  écoles  professionnelles  où  les  indigènes 
sont  initiés  aux  divers  arts  el  métiers  et  où  l'on  forme  des 
intremaîlres  et  de  bons  ouvriers. 
Le  général  a  donné  un  grand  essor  à  toutes  les  études 
relatives  à  la  colonisation,  qui,  sous  son  impulsion,  se  pour- 
suivent partout,  et  de    ombreux  lots,  reconnus  par  le  Ser- 


144  RAPPORT   SUR    LES   PRIS    M'CKI'.m:- 

vice  topographique,  sont  mis  à  la  disposition  des  n 
venus.  Par  son  ordre,  des  jardins  d'essai  onl  été  établis,  en 
beaucoup  de  points,  pour  centraliser  et  fournir  aux  colons 
tous  les  renseignements  agronomiques  sur  l'île,  ainsi  que 
pour  rechercher  les  améliorations  à  apporter  aux  systèmes  de 
culture  actuellement  en  usage  et  pour  introduire  les  plantes 
qui  peuvent  intéresser  à  un  titre  quelconque  les  Européens 
ou  les  indigènes.  Ces  jardins,  qui  possèdent  de  vastes  pépi- 
nières, évitent  des  pertes  de  temps  et  d'argent  et  de  longues 
recherches  aus  immigrants,  qui  y  trouvent  à  leur  disposi- 
tion des  plants,  des  boutures  et  des  graines;  on  y  forme, 
en  outre,  des  jardiniers  et  des  ouvriers;  enfin,  on  s'y  occupe 
des  meilleures  méthodes  d'élevage  et  de  l'amélioration  des 
races  de  bétail. 

Le  développement  du  commerce  a  été  aussi  l'objet  des 
constantes  et  intelligentes  préoccupations  du  général  Gal- 
lieni  qui  a  déjà,  sous  ce  rapport,  obtenu  d'importants 
succès. 

Il  ne  nous  est  pas  possible  de  passer  en  revue,  même 
brièvement,  tous  les  actes  de  l'administration  du  gouver- 
neur général  de  Madagascar,  par  lesquels  il  a  affermi  notre 
domination,  étendu  notre  influence,  conquis  l'appui  de 
la  plus  grande  et  de  la  plus  intelligente  partie  de  la  popu- 
lation malgache,  développé  notre  commerce  et  notre  colo- 
nisation. Tout  ce  que  nous  pouvons  dire,  c'est  que  si, 
comme  nous  en  sommes  convaincu,  nous  avons  avant  peu 
une  France  australe  riche  et  prospère,  nous  le  devrons 
au  général  Gallieni  qui,  au  milieu  d'obstacles  de  toutes 
sortes  dont  il  a  su  triompher,  a  admirablement  organisé  ce 
grand  pays.  Grâce  à  lui  et  aux  militaires,  fonctionnaires  et 
colons,  dont  il  a  habilement  dirigé  et  utilisé  le  concours  et 
le  dévouement,  ce  qui,  il  y  a  trois  ans,  paraissait  une  chi- 
mère, une  entreprise  irréalisable,  est  aujourd'hui  un  fait 
accompli. 

L'œuvre  du  général  Gallieni  est  grande,   utile  à  tous! 


PAR   LA    SOCIÉTÉ    DE    GÉOGRAPHIE.  145 

Aussi,  la  Société  de  Géographie  est-elle  heureuse  d'offrir  à 
son  ancien  lauréat  de  1883  sa  grande  médaille,  en  Lémoi- 
e  et  d'admiration. 


M.    C.    DK    BONCllAMPS 
Médaille  d'or.  —  Prix.  Angn>te  Logero! 

M.  le  général  Derrecuj.Mii,  rapporteur. 

Au  mois  de  février  1897,  une  mission  française,  dirigée 
par  M.  Bonvalot,  quittait  Djibouti  pour  se  diriger  vers  le 
Haut-Nil  et  tenter  de  donner  la  main  à  la  mission  Marchand. 
M.  de  Bonchamps,  déjà  connu  par  le  remarquable  voyage 
qu'il  avait  exécuté  au  Katanga,  dans  les  régions  orientales 
de  l'Etat  indépendant  du  Congo,  en  était  le  second. 

Cette  mission  gagna  d'abord  Harrar,  d'où  M.  Bonvalot 
partît  en  avant  pour  se  rendre  à  Addis-Ababa,  résidence  du 
négus  ;  et,  le  23  avril,  elle  y  arrivait  à  son  lour,  sous  la  direc- 
tion de  M.  de  Bonchamps.  Le  négus  lui  fit  bon  accueil, 
mais  n'approuva  la  marche  vers  l'ouest  qu'à  la  condition 
expresse  de  ne  pas  dépasser  au  nord  la  rive  droite  du  Sohat. 

Le  mois  suivant,  M.  Bonvalot,  forcé  de  rentrer  en  France, 
confia  le  commandement  à  M.  de  Bonchamps,  qui  put 
quitter  Addis-Ababa,  le  17  mai,  avec  trois  Européens, 
MM.  Michel,  Bartbolin  et  Potier,  40  Abyssins  et  un  convoi 
de  15  mulets  et  de  40  chameaux. 

Apres  avoir  traversé  la  rivière  Guibier,  qui  coule  au  sud 
sous  le  nom  d'Omo  ou  Gama  vers  le  lac  Rodolphe,  la  mis- 
sion franchit  la  ligne  de  partage  des  eaux  qui  sépare  les  bas- 
sins intérieurs  des  lacs  Stéphanie  et  Rodolphe  de  celui  de  la 
Méditerranée  et  ne  tarda  pas  à  arriver  sur  les  rives  de  la 
Didessa,  affluent  de  gauche  du  Nil  bleu,  ou  Abal. 

Le  28  juin,  elle  était  à  Goré,  où  elle  rencontrait  la  mis- 
sion française  de  M.  Clochette,  ancien  officier  d'artillerie, 
flié  depuis  assez  longtemps  en  Abyssinie  et  parti  également 


lPPOM 

DÉCË11KÊS 

vice  lopographiqin  . 

venus.  Par  son  ordre  ' a  iie  nouvelles  diffl- 

beaucoup  de  point  .  Ies>  »t*np«>l  M.  de 

tous  les  renseign  ■  :M|  seulement  à  cette  date 

pour  rechercher  l,  '  '    su  roule  jusqu'à 

culture actuellemei  :"  nord-ouest,  où  il 


'■!.  Clochette,  grave- 
'  iù  il  succomba  le  24  août. 
Inde  est  et  par  8'  14' 
.--  d'altitude,  et  à  1,400  kilo- 
le  Bonchamps  comptait  y 
pour  la  suite  de  son  voyage, 
éji   très  éprouvée   et   fort 


qui  peuvent  intér 
ou  les  indigènes.  : 
nières,  évitent  •!. 
recherches  au 
lion  des  plants,  ■  J  ■.  :  _-. 
en  outre,  des  jai-dmi- 
des  meilleure 
races  de  bétail. 

Le  dévelop  lil  lus  difficultés  qui  se  dres- 

coostantes  i  nchamps  chercha  d'abord  une 

lieni   nui    :i  dateau  abyssin  dans  la  plaine. 

3UCCÈS  tiona  furent  dirigées  du  côté 

Il   1]t)  nous  confluent  des  rivières  Baro  et 

brièvement    i  la  GanJ>  avec  la  rivière  Baro.  Ce 

neur  général  naissances  que  l'hostilité  des 

domination,  àtmn  r°b,iëea  à  envoïer  Près  < 

lit     JllUS   L'I 


rière,  au  commencement  de  sep' 
npagnons  de  voyage,  MM.  Michel 
[  offerts  spontanément  pour  cette 
OÙ  furent  ainsi  perdus.  M.  de  Bon- 
négus  et  celle  de  M.  Lagarde, 
.  qu'au  commencement  de  novembre.  Elle 
rai,  pleins  pouvoirs  et  le  commandement 
ivalot  et  Clochette.  Tous  les  obstacles 
Mais,  en  réalité,  les  désertions  conti- 
éa  locales,  résistant  aux  ordres  supi 
il  toujours  des  dispositions  hostile; 
accompli 


lation  mal 
nisatien,    Qg 
comme 

une    l[.i!i''.- 

. 


ivembre,  la  mission  reconstituée  put 
de  i'ouest.  Elle  comprenait  six  Euro- 
ichamps,   Michel,   Bartholin,  Polter, 


é- 


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du 

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dei 


PAU   LA    SOCIÉTÉ   DE    GÉOGRAPHIE.  14" 

Faivre  et  Véron;  140  Abyssins  ou  Gallas  avec  un  convoi 
composé  de  125  mulets  et  d'une  quinzaine  de  chameaux 
restants. 

Quittant  ta  falaise  éthiopienne,  elle  descendit  dans  la  pro- 
fonde vallée  du  Baro,  par  des  pentes  d'une  raideur  extrême 
et  franchit  ce  cours  d'eau  a  Daunaba,  au  moyen  de  radeaux 
péniblement  construits.  Le  Baro,  grossi  par  les  nombreuses 
rivières  qui  descendent  des  hauts  plateaux  d'Kthiopie, 
forme  par  sa  réunion  avec  la  Djoubba,  au  delà  du  trente  et 
unième  degré  de  longitude  Est,  la  rivière  Sobat,  un  des 
principaux  affluents  de  droite  du  Nil,  qu'elle  rejoint  vers  le 
10'  degré  de  latitude  nord. 

Le  4  décembre,  M.  de  Bonchamps  entrait  dans  le  pays 

Yanubo,  laissant  sur  sa  droite  la  rivière  Birbir  et  arrivait  le 

à  Pokodi,  où  il  recevait  un  bon  accueil  du  roi  de  Garo- 

béla.  A  partir  de  ce  point,  le  Baro  prend  une  magnifique 

impleur  qui  l'a  fait  comparer  au  Rhône.  Les  rapides 
cessent.  Les  Yambos  forment  une  tribu  puissante  qui  offrit 
à  notre  explorateur  un  intéressant,  sujet  d'études.  Il  attei- 
gnit et  visita  successivement  les  centres  importants  de 
Finkeo,  Immero,  Pohol  et  Itoueni,  après  avoir  traversé  les 
rivières  Gandjy,  Bonghaï  et  Ouanthine,  affluenis  de  gauche 
du  Baro.  A  partir  de  cette  dernière  rivière,  distante  de 

:ouré  d'une  centaine  de  kilomètres,  le  Baro  devient  navi- 
gable. Sur  tous  les  territoires  parcourus  depuis  Bouré,  les 
.plorateurs  avaient  eu  la  plus  grande  peine  à  se  procurer 
des  vivres  et  à  se  frayer  un  passage  à  travers  la  brousse 
épaisse  qui  couvrait  les  rives  du  fleuve.  Les  marais  s'éten- 
daient chaque  jour  davantage  et  la  mission,  sans  bateau, 
sans  bois  pour  en  construire,  sans  pirogue  d'aucune  sorte, 
ne  rencontrait  que  des  populations  effrayées  qui  fuyaient 
devant  elle.  Ses  hommes  et  ses  animaux,  épuisés,  n'avan- 
çaient plus  qu'avec  les  plus  grandes  peines.  Ce  fut  dans  ces 

mnditions  que  M.  de  Bonchamps  put  encore  franchir  les 

ivières  Alourou  et  Guilo.  Le  25  décembre,  toute  la  c 


148  RAPPORT  SUR  LES  PRIX  DÉCERNÉS 

se  trouvait  sur  la  rive  gauche  de  ce  dernier  cours  d'eau, 
dans  un  état  complet  d'épuisement  et  de  découragement. 
Son  chef,  cependant,  était  soutenu  par  l'espoir  d'atteindre 
Nasser  sur  le  Sobat,  point  extrême  visité  par  Junker,  en 
1878.  Il  poursuivit  donc  la  marche  en  avant  et  arriva  le 
29  décembre  sur  les  rives  delaDjoubba,large  de  150  mètres 
environ. 

Là  il  fut  impossible  de  trouver  un  moyen  quelconque  de 
franchir  cette  rivière.  D'autre  part,  le  manque  de  vivres, 
l'absence  de  guides,  la  perte  de  plusieurs  hommes  et  d'un 
grand  nombre  d'animaux  ne  laissaient  plus  entrevoir  la  pos- 
sibilité d'aller  plus  loin.  11  fallut  se  résigner  au  retour. 

Le  31  décembre  la  retraite  commença,  sans  autres  res- 
sources qu'une  faible  provision  de  riz,  en  laissant  Forcément 
en  arrière  les  malheureux  qui  ne  pouvaient  plus  suivre  et 
qui  étaient  voués  d'avance  à  une  mort  certaine. 

La  mission  ne  put  revenir  ainsi  à  Goré  que  le  12  février 
1898,  ayant  perdu  environ  70  hommes  sur  150,  tous  ses 
chameaux  et  85  animaux  porteurs  sur  les  125  emmenés  au 
départ  de  Goré.  M.  de  Bomchamps  dut  rentrer  à  Addis- 
Ababa  au  mois  d'avril  et,  le  12  juin  suivant,  il  put  s'em- 
barquer pour  la  France. 

Le  but  poursuivi  n'avait  pu  être  atteint,  faute  de  moyens 
suffisants;  mais  les  résultais  obtenus  n'en  avaient  pas  moins 
une  importance  considérable.  La  mission  avait  parcouru 
2,000  kilomètres  depuis  l'océan  Indien,  découvert  de  nou- 
veaux territoires,  reconnu  plusieurs  cours  d'eau  affluents 
du  Sobat,  et  avait  poussé  son  exploration  jusqu'à  un  point 
situé  par  30"  39'  de  longitude  est  et  8°  29'  de  latitude  nord. 
Elle  avait  relié  son  itinéraire  vers  l'Ile  de  Poun,  près  du 
village  d'Ilea,  avec  celui  de  la  mission  italienne  Bottego, 
qui  était  venue  du  lac  Rodolphe  el  qui  fut  massacrée  à 
quelques  étapes  au  nord  du  Baro,  près  de  Goho.  Enfin,  elle 
avait  ouvert  le  chemin  de  l'ouest  et  tracé  la  route  que 
d'aulres  explorateurs  pourraient  suivre  désormais.  Au  point 


r 


PAR   LA  SOCIÉTÉ   DE    GÉOGRAPHIE.  140 

de  vue  géographique  cette  exploration  ne  pouvait  rester 
sans  récompense.  Votre  Commission  des  prix  a  pensé  que 
les  généreux  efforts  de  M.  de  Bonchamps  méritaient  d'être 
encouragés  et  que  cet  explorateur  était  bien  digne  de  la 
médaille  d'or,  du  prix  Logerot,  qu'elle  est  heureuse  de  lui 
offrir  *. 

MM.  les  lieutenants  Voulet  f:t  Chanoine 

Médaille    d'or.  —  Prix  Louise    Bourbonnaud 

M.  le  général  Derrécagaix,  rapporteur. 

Au  mois  de  mai  1896,  les  événements  survenus  dans  la 
boucle  du  Niger  nous  forcèrent  d'envoyer  une  mission  au 
Mossi.  £lle  fut  confiée  au  lieutenant  Paul  Voulet,  de  l'infan- 
terie de  marine,  auquel  on  adjoignit  le  lieutenant  Chanoine, 
des  spahis  soudanais. 

Le  Mossi,  alors  convoité  par  les  Anglais,  est  une  vaste 
région,  d'une  superficie  de  80,000  kilomètres  carrés  envi- 
ron, peuplée  de  près  de  trois  millions  d'habitants,  fertile, 
située  entre  le  12e  et  le  14*  degré  de  latitude  nord,  et  vers  le 
4e  degré  de  longitude  ouest,  sur  la  route  de  Bammako  à 
Say,  entre  le  Yatenga  et  le  Gourma.  Ce  pays  était  alors 
assez  fortement  organisé  et  gouverné  par  un  petit  souve- 
rain désigné  sous  le  titre  de  Moro-Naba  et  résidant  à  Oua- 
gadougou, dont  rentrée  venait  d'être  refusée  au  comman- 
dant Destenave,  notre  résident  à  Bandiagara.  Sa  position 
géographique,  son  importance,  les  convoitises  des  Anglais 
et  la  nécessité  de  protéger  notre  allié  Bakhaté,  naba  du 
Yatenga,  ne  permettaient  plus  de  différer  son  occupation. 
Le  personnel  placé  sous  les  ordres  du  lieutenant  Youlet 
comprenait  213  combattants,  dont  33  réguliers,  tirailleurs 

1.  MM.  Michel  et  Bartholin  ont  reçu  chacun  un  exemplaire  en  argent 
de  la  médaille  du  prix  Logerot,  pour  la  part  importante  qu'ils  ont  prise 
à  la  mission  de  Bonchamps. 

•  •    • 

SOC.  DZ  GÉOGR.  —  ïe  TRIMESTRE  1809.  XX.  —  11 


150  RAPPORT    SUR   LUS   PRIS    ! 

et  spahis.  Le  30  juillet  1896,  la  mission  se  dirigea  par  le 
Yatenga  et  le  Yak»,  sur  le  Mossi, 

Une  partie  du  mois  d'août  fut  employée  à  relever  le  pou- 
voir de  notre  vassal  Bakharé,  sur  le  Yatenga  et  à  le  réta- 
blir dans  sa  résidence  de  Ouahigouya.  Divers  engagements 
amenèrent  promptement  ce  résultat  et  le  22  août,  Bakharé 
rentrait  dans  sa  ville  sainte  de  Goursi.  Le  lieutenant  Voulet 
enlrait  de  force  a  Yako  le  27  et  arrivait  à  Ouagadougou, 
capitale  du  Mossi,  le  1"  septembre.  Le  n;>ba  Bakhari-Koun- 
tou,  s'était  enfui  vers  le  sud,  dans  les  États  de  Samory, 
après  avoir  tenté,  contre  le  lieutenant  Chanoine,  une  at- 
taque qui  échoua. 

An  sud  du  Mossi  s'étBndaiL  une  riche  contrée,  le  Gou- 
rounsi,  alors  très  divisée  et  menacée  à  la  fois  par  Samory  et 
par  les  Anglais.  Deux  chefs  s'en  disputaient  la  possession. 
L'un,  Hamaria,  de  race  autochtone,  descendant  de  l'an- 
cienne famille  régnante,  choisi  par  les  tribus  gouroungas; 
l'autre,  Baba  To,  lieutenant  d'un  des  derniers  souverains, 
commandant  ses  troupes  et  soutenu  par  les  Zabermabés, 
puissante  Iribu  voisine  qui  ravageait  le  pays.  Baba  To  comp- 
tait en  outre  sur  l'appui  de  Sarakkéni  Mory,  fils  de  Samory, 
près  duquel  il  avait  trouvé  asile. 

Hamaria,  se  sentanl  menacé,  avait  demandé  notre  pro- 
tection et  signé,  le  ÏQ  septembre  à  Sali,  un  traité  qui  pla- 
çait son  pays  sous  l'autorité  de  la  France.  Le  lieutenant 
Voulet  notifia  aussitôt  à  Samory  l'occupation  du  Gourounsi 
et  en  reçut,  le  2  octobre,  une  réponse  par  laquelle  ce  der- 
nier s'engageait  a  respecter  ce  territoire,  et  le  faisait  éva- 
cuer par  ses  sofas. 

La  mission  put  alors  revenir  au  Mossi  pour  l'organiser. 
Mais,  Bakhary  refusant  de  se  soumettre,  il  fallut  réduire 
successivement  tous  les  nabas  qui  hésitaient  encore.  Le 
lieutenant  Voulet  rentra  ensuile  à  Ouahigouya,  d'où  il 
esposa  la  situation  au  gouverneur  du  Soudan,  en  fai- 
sant ressorlir  la  nécessité  d'occuper  défini  livement  le  Mossi. 


PAH   LA    SOCIÉTÉ    DE    GÉOGRAPHIE.  151 

Il  recul  alors  l'ordre  d'établir  un  poste  à  Ouagadougou 
et  y  rentra  le  23  décembre,  pour  achever  son  œuvre. 
OevanL  l'attitude  de  Bakhary,  il  dut,  le  mois  suivant,  pro- 
clamer sa  déchéance  et  investir  du  pouvoir  suprême  un  de 
ses  frères,  Kouka,  qui  était  venu  à  Kounda,  ville  sainte  du 
Mossi,  faire  sa  soumission  et  apporter  celle  de  plusieurs 
chefs . 

Le  20  janvier,  un  traité  définitif  plaça  tout  le  pays  sous 
notre  protectorat;  et  sept  jours  plus  tard,  la  mission  pro- 
céda à  l'investiture  solennelle  du  nouveau  souverain,  en 
présence  de  tous  les  nabas  réunis.  Les  États  vassaux  du 
Hobsî  avaient,  en  même  temps,  reconnu  notre  autorité. 

C'est  à  ce  moment  que  le  lieutenant  Voulet  apprit  l'arri- 
vée sur  la  frontière  sud  du  Mossi,  d'une  mission  anglaise, 
dirigée  par  le  résident  de  Coumassie  et  soutenue  par  quatre 
colonnes  de  100  hommes  chacune.  Il  se  porta  aussitôt  à 
sa  rencontre,  exposa  nos  droits  et  obtint,  le  9  février,  qu'elle 
se  retirât  au  delà  du  Mampoursi,  tandis  que  nos  troupes, 
de  leur  coté,  se  reportaient  au  delà  du  pays  de  Tenkoudo- 
gou. 

Peu  de  jours  après,  le  16  février  1897,  la  mission  faisait 
sa  jonction  avec  celle  des  capitaines  Baud  et  Vermerseb, 
qui  étaient  venus  procéder  à  l'occupation  du  Gourma.  Le  27, 
le  lieutenant  Voulet  rentrait  à  Ouagadougou,  où  le  comman- 
dant Destenave  venait  d'arriver  pour  organiser  notre  occu- 
pation jusqu'à  Say.  De  là,  la  mission  Voulet  revint  à  Ban- 
diagara,  son  point  de  départ.  Son  exploration  avait  duré 
huit  mois,  pendant  lesquels  elle  avait  acquis  le  Mossi,  le 
Gourounsi  et  parcouru  3,500  kilomètres  d'itinéraires  dont 
plus  de  3,000  en  pays  inconnu. 

L'honneur  de  ces  résultats  revenait  au  lieutenant  Voulut 
et  à  son  second,  le  lieutenant  Chanoine,  qui  dut  rester  à 
Ouagadougou  pour  repartir  bientôt  vers  le  sud. 

Il  fallait,  en  effet,  renforcer  sans  retard  notre  protectorat 
du  Gourounsi  par   une  occupation  effective.  Le  comman- 


152 


APPORT  SCIi  LES  PttIX   DÉClillKÉS 


dant  Destenave  en  chargea  le  lieutenant  Chanoine,  qui  se  mit 
en  route  aussilôt.  Le  12  mars,  il  était  à  Kangalian,  à 
plus  de  200  kilomètres  au  sud  de  Ouagadougou,,  avec 
40  tirailleurs  et  15  cavaliers,  auprès  de  notre  protégé  Ha- 
maria,  qui  venait  d'être  vainement  sollicité  par  deux  agents 
anglais  de  renoncer  a  la  protection  de  la  France  et  dont 
Baba  To  avait  envahi  le  territoire. 

L'agitation  qui  en  résultait  nous  obligea  à  agir.  Un  com- 
bat sanglant  eut  lieu  le  14  mars  à  Gandiaga.  Baba  Toet  ses 
alliés  les  Zaliermabés  furent  complètement  battus.  L'auto- 
rité du  naba  Hamaria  fut  raffermie  partout  et  le  lieutenant 
Chanoine  put  continuer  sa  marche  vers  le  sud,  jusqu'à 
Asseydou-Bélélé,  où  il  signa  un  nouveau  traité  et  dont  il 
prit  possession.  I!  y  installa  comme  agents  quatre  sofas 
d'Hamaria,  ramena  ensuite  à  Oua  Loumbélé  la  population 
qui  eu  avait  été  chassée  et  regagna  Léo  a  60  kilomètres  au 
nord,  où  il  trouva  six  tirailleurs  anglais,  installés  là  par 
surprise.  Aidé  du  capitaine  Seal,  qui  arriva  de  Ouagadougou 
le  9  avril,  il  put  faire  reconduire  ces  agents  au  résident 
anglais  de  Coumassie,  qu'il  rencontra  à  Yarba,  le  20  du 
même  mois.  Après  des  discussions  animée*  au  sujet  des 
droils  de  la  France  sur  le  Gourounsi,  le  lieutenant  réussit 
à  faire  admettre  une  frontière  provisoire,  à  trois  journées 
de  marche  de  ce  point,  sur  la  Voila  orientale  et  la  rivière 
de  Koudougou.  Cette  convention  sauvegardait  nos  acquisi- 
tions du  Gourounsi  et  du  pays  d'Asseydou. 

Le  lieutenant  Chanoine  rentra  ensuite  à  Ouagadougou, 
ayant  ainsi  complété  l'œuvre  qu'il  avait  si  remarquablement 
commencée  avec  son  chef  et  camarade,  le  lieutenant  Voulet. 
A  côté  de  ces  beaux  succès  militaire  et  politique,  ces 
explorations  présentent,  pour  les  progrès  de  la  géographie, 
un  tel  intérêt,  que  la  Commission  des  prix  s'est  fait  un 
devoir  de  décerner  le  prix  Bourbonnaud  à  nos  deux  vail- 
lants officiers,  MM.  les  lieutenants  Voulet  et  Chanoine,  au- 
jourd'hui capitaines  et  décorés. 


PAR    LA   SOCIÉTÉ   DE    GÉOGRAPHIE. 

MM.  les  capitaines   BArii   f.t  Vermerscu 

Médaille  tl'»r. —  Prli    Urm  i  Diiveyrler 

M.  le  général  Derréca^iiv,  rapporteur. 


de  1800,  les  progrès  des  Allemands  au  nord  du 
Togo  nous  faisaient  craindre  une  occupation  du  Gourma  cl 
du  pays  de  Say.  Par  suile,  on  décida  l'envoi  au  Niger  de  la 
mission  Brelonnet  et,  au  Gourma,  de  celle  du  capitaine 
Baud  auquel  furent  adjoints  le  capitaine  Vermerscli, 
M.  Combes,  garde  principal  de  1"  classe  de  la  milice  in- 
digène, et  80  tirailleurs  sénégalais  et  haoussas,  avec 
100  porteurs.  Le  but.  était  d'occuper  définitive  me  rit  la  con- 
trée située  au  nord  de  Sniisaiinc-Mango.  , 

Le  6  janvier  189",  ce  personnel  partit  de  Bafilo,  dernier 
poste    du  Haut-Dahomey,   vers  Le  nord,  contourna  San- 
sanné-Mango,  où  les  Allemands  s'étaient  installés,  et  attei- 
ma  le  20  du  même  mois. 
Le  Gourma,  auquel  cette  ville  appartenait,  constitue  un 
royaume  d'une  superficie  de  7-1,000  kilomètres  carrés,  voi- 
sin de  Say  à  l'est,  du  Mossi  à  l'ouest,  du  pays  de  Sansanné- 
Mango  au  sud,  du  territoire  des  Baribas  au  sud  et  au  sud- 
est,  enfin  du  Liptako,  du  Yaga,  du  Torodi  et  du  Guéladjo 
an  nord.  Placé  sous  l'autorité  du  sullan  Bantchandé,  qui 
résidait  'i  Fada  N'Gourma,  il   était   divisé  en  provinces, 
administrées  par  des  chefs  appelés  lamas,  dont  plusieurs 
•Vuïfiit  révoltés.  L'un  d'eux,  Adama,  famade  Matiacouali, 
au  nord-est  de  Fada  N'Gourma,  avait  récemment  pillé  des 
villages  aux  environs  de  la  capilale,  se  vantait  d'Être  le 
maître  du  pays  et  avait  signé  depuis  peu  avec  les  Alle- 
mands, abusés  par  lui,  un  trailé   par  lequel  il  prétendait 
placer  le  Gourma  sous  leur  protectorat. 
Dans  cette  situation,  le  roi  Bantchandé,  qui  avait  déjà 
Mdchi   un   traité  en  janvier   1805   avec  le   commandant 


154 


RAPPORTS    SUR.    LES    PRIX    DÉClillKiïf 


Decœur,  accueillit  les  Français  en  libérateurs.  Le  capitaine 
Baud  le  joignit  à  Diabo  le  2  février  1898,  prit  le  com- 
mandement de  ses  forces  el  se  porta,  le  5,  sur  Toueouma 
dont  il  s'empara.  Depuis  longtemps,  celte  ville  insoumise 
bravait  tous  les  efforts  dirigés  contre  elle.  Bargo  fut  occupé 
lef>;  Tibga,  le  lendemain,  et  Tanliaka,  dans  l'est,  le  12. 
Malgré  ces  succès,  Yacombato,chef  de  la  révolte,  continua 
la  lutte. 

C'est  à  ce  moment  que  la  jonction  des  missions  Baud  et 
Voulet,  à  Tibga,  amena  un  rassemblement  de  forces  impo- 
sant, qui,  joint  à  notre  récente  occupation  du  Mossi,  et 
aux  succès  obtenus  dans  le  Gourma,  eut  parmi  les  indi- 
gènes un  retentissement  considérable. 

La  petite  armée  que  dirigeait  nos  officiers  se  rendit  à 
Bilanga,  le  26,  pour  y  installer  un  cbef  dévoué  à  B.int- 
cliandé.  Elle  reprit  ensuite  la  roule  du  sud,  reçut  àMoarby 
de  nombreuses  soumissions  el  rentra  le  4  mars  à  Toueouma 
où  l'on  apprit  la  mort  du  chef  rebelle  Yacombalo. 

Bientôt  les  intrigues  du  chef  de  Maliacouali,  Adama,  et 
ses  négociations  avec  les  Allemands  obligèrent  le  capi- 
taine Baud  à  marcher  sur  sa  résidence.  Le  5  avril,  ses 
forces  étaient  réunies  à  une  demi-journée  de  celte  ville,  d'où 
Adama  s'était  déjà  enfui.  Banlcbandé  fit  alors  notifier  aux 
Allemands  de  Sansanné-Mango,  par  deux  de  leurs  agents 
venus  en  mission  à  Maliacouali,  qu'il  était  le  seul  maître 
du  pays  el  qu'il  en  avait  déjà  fait  don  à  la  France.  En 
même  temps  les  hommages  des  chefs  lui  arrivaient  de  tous 
côlés. 

Tandis  que  le  capitaine  Baud  se  rendait  à  Pâma  le  17 
avril,  pour  y  régler  avec  les  Allemands  les  limites  de  nos 
territoires,  le  capitaine  Vermerscb  restait  avec  le  sultan 
pour  le  soutenir.  Ce  dernier  se  vit  forcé  de  remplacer  par 
un  chef  dévoué  le  fama  rebelle  de  Maliacouali,  réfugié  à 
Saiisanné-Mango.  A  la  suite  de  cet  acte,  toules  les  insou- 
missions cessèrent. 


TAR  LA    SOCIÉTÉ    DE    GÉOGBAPIUE,  155 

Pendant  ce  temps,  le  capitaine  Baud  passait,  avec  le 
lieutenant  allemand  Thierry,  une  convention  qui  mainte- 
nait le  statu  qiio  en  laissant  aux  deux  gouvernements  le 
temps  de  conclure  un  accord. 

Après  une  poinle  vers  Konkobiri  pour  y  rencontrer  la 
mission  du  capitaine  Ganier,  de  l'infanterie  de  marine,  !e 
capitaine  Vermersch  rejoignit  le  capitaine  Baud  sur  la 
Sabar,  rivière  de  Sansanné-Mango.  Ils  séjournèrent  à  Ta- 
marga  jusqu'au  5  juin,  el  en  repartirent  pour  aller  de  nou- 
veau à  Pâma  protester  contre  les  prétentions  persistantes  de 
nos  voisins  du  sud.  Le  capitaine  Baud  ramena  ensuite  Bant- 
ehandé  dans  sa  capitale,  pendant  que  son  camarade  con- 
duisait à  Porlo-Novo  une  ambassade  du  rot  du  Gourma 
chargée  de  réclamer  la  ville  de  Pâma. 

Grâce  à  l'activité  de  nos  deux  officiers  et  à  leurs  efforts 
incessants  pendant  les  six  premiers  mois  de  l'année  1807,  le 
Gourma  était  définitivement  occupé  par  nous.  La  conven- 
tion franco-allemande  devait  le  reconnaître  peu  de  temps 
après. 

Pendant  que  le  capitaine  Baud  continuait  de  résider  au 
Gourma  d'où  il  devait  plus  lard  se  rendre  sur  le  Niger,  le 
capitaine  Vermersch  était  appelé  à  agir  dans  le  pays  des 
Baribas.  Celle  peuplade,  guerrière  et  pillarde,  habitant  un 
riche  pays  de  prés  de  80,000  kilomètres  carrés  placé  sous 
Tantorilé  plus  nominale  que  réelle  du  roi  de  Nikki,  se  sou- 
leva au  mois  d'août  1897  contre  noire  suprématie.  Le  capi- 
taine, placé  à  la  tête  d'un  personnel  fiançais  et  d'une  petite 
force  armée,  se  porla  d'abord  sur  le  poste  de  Kouandé 
pour  le  dégager  et  y  instiller  un  chef  dévoué  a  nos  intérêts. 
Le  12  septeinbre.il  franchit  le  Mékroo  et  In  Béron,  affluents 
du  Niger  el  rejeta  les  Baribas  au  delà  de  lu  Niaitbali,  et  se 
contenta  de  maintenir  le  pays  à  l'abri  de  leurs  incursions 
jusqu'à  l'arrivée  de  renforts  qu'il  aLlendait,  Dès  qu'il  les 
ent  reçus,  le  5  novembre,  il  marcha  de  nouveau  contre  les 
rebelles,  leur  infligea  le  «,  jires  des  ruines  de  Trioré,  une 


156  RAPPORT   SUR    LES   PRIX   DËCEÏKfEB 

sanglante  défaite,  et  oecup.i  Nikki  le  \3.  Le  roi  Siré  Torou 
fît  aussitôt  sa  soumission,  et  l'affirma  par  un  traité  qui 
annexait  son  territoire  au  Dahomey.  Son  exemple  entraîna 
la  soumission  de  tous  les  antres  chefs. 

Ces  opérations,  complétées  par  l'établissement  d'une 
ligne  de  postes  depuis  Nikki  jusqu'au  Niger,  assurèrent 
définitivement  notre  autorité  sur  If  H.mt-D.ihomey. 

Au  mois  de  janvier  1N98,  après  un  an  de  courses,  de 
combats  et  d'explorations,  Je  capitaine  Vermerscb  pu! 
quitter  cette  région  où  un  résidrnt  lut  inslallé. 

Cet  officier  el  son  ancien  chef,  le  capitaine  Bancl,  avaient, 
pendiinl  leurs  courses  incessantes,  levé  tous  les  nombreux 
itinéraires  parcourus.  Ils  ont  recueilli  ainsi,  sur  la  géogra- 
phie du  Soudan,  les  éléments  d'une  carte  qui  s'élend  du 
10s  au  13e  degré  de  latitude  nord  et  du  2B  degré  de  lon- 
gitude ouest  au  l"  degré  de  longitude  est. 

Ces  remarquables  travaux  ont  paru,  à  votre  Commission 
des  prix,  dignes  d'être  couronnés  par  l'obtention  du  prix 
H.  Duveyrier. 


M.  le  lieutenant  Pmti.  Blosiuai  \ 


ilaille  d  or.  - 


LtOUt 
réser 


C'est  encore  dans  ia  boucle  du  Niger  que  s'est  exercée 
l'activité  du  lieutenant  Blondiaux.  Parli  en  octobre  1896,  il 
s'est  rendu  à  Beyla,  notre  poste  extrême  du  Soudan,  le 
li  février  1897.  Son  exploration  qui  n'a  pas  duré  moins 
d'une  année  s'est  effectuée  dans  la  région  comprise  entre 
la  République  de  Libéria,  le  ïfaoulé  et  les  Etals  de  Kong. 

Des  péripéties  qui  ont  accompagné  son  voyage  nous 
n'avons  pas  à  parler,  notre  préoccupation  devantôlre  avant 
lout  de  justifier  au  point  de  vue  géographique  la  distinction 
réservée  par  la  Commission  des  prix  à  M.  Blondiaux.  Qu'il 


MB    U    SOCIÉTÉ    HE  GÉ0GRÀP1 

:ependant  de  dire  que  s 


157 


nous   soit  permis  cependant  de  dire  que  son  voyage  ne  fut 
oi  exempt  de  fatigues,  ni  exempt  de  dangers. 

Le  jeune  officier  auquel  était  assignée  ia  tâche  de  recon- 
naître la  ligne  de  démarcation  entre  les  hauts  hassins  des 
affluents  du  Niger  et  des  fleuves  côliers,  à  partir  du  fleuve 
Sainl-Patil  jusqu'au  Handama  bianc,  devait  se  montrer 
explorateur  capable  et  documenté.  Par  lui  l'hydrographie 
et  l'orographie  du  pays  compris  dans  ces  limites  furent 
révélées.  Le  rio  Cavally,  qu'on  supposait  être  la  principale 
voie  navigable  de  celte  partie  de  la  cote  de  Guinée,  n'a  ni 
cette  qualité,  ni  cette  importance.  Loin  d'être  un  affluent 
du  Bandama  rouge,  la  Sassandra  ne  fait  qu'un  avec  le  Féré- 
dougouba  distinct  du  Cavally  et  constitue  l'artère  fluviale 
la  plus  considérable  de  ce  système  hydrographique. 

Des  constatations  tout  aussi  nouvelles  concernent  les 
affluents  du  Niger  et  en  particulier  la  rivière  Hafing,  dont 
les  eaux  sont  séparées  de  celles  du  Férédougouba  par  une 
chaîne  transversale  qui  relie  entre  eus  les  massifs  du  Boo- 
kolou  et  du  Touradougou.  D'ailleurs,  le  relief  dans  la 
boucle  du  Niger  n'a  rien  d'uniforme  et  les  fameuses  mon- 
tagnes de  Kong,  tracées  par  l'imagination  des  géographes 
en  regard  des  hauts  massifs  de  l'Afrique  orientale,  sont 
remplacées  par  deux  sortes  de  soulèvements  1res  prononcés 
"etorientés  l'un  du  sud-ouest  au  nord-esj,  l'aulredusud-est 
au  nord-nord-ouest,  venant  s'engager  dans  les  plissements 
de  trois  ou  quatre  nœuds  orogra  uniques.  Ces  chaînes  n'étant 
pas  simples,  mais  érigées  eu  échelons  ajoutent  à  la  confu- 
sion. Ainsi  les  hauteurs  qui,  de  la  Itépublique  de  Libéria,  se 
dirigent  vers  Tiolaet  Sikasso  rendent  ia  marche  extrême- 
ment pénible,  bien  que  l'altitude  moyenne  soit  seulement 
de  500  mètres. 

Ce  simple  exposé  suffira,  en  l'absence  d'un  rapport  spé- 
cial, pour  justifier  le  choix  qu'a  fait  de  M.  Ëlondiaux  la 
Commission  des  prix,  quand  elle  a  discuté  l'attribution  du 
Prii  J.-tt.  Morot. 


RAPPORT   SUR   LES   PRIS    DÉCERHÉS 


MM.   II.  DU  L\  MARTIMiillK  ET  N.  LACHOIX 
Uédnille    ■!■;>!-     —  Prix   < 'onrnil    Mallr-flrun 

M.  le  prince  Roland  Bonaparte,  rapporteur, 

Lfl  succès  de  l'expédition  dirigée  en  1830  par  la  France 
contre  le  dey  d'Alger  fut,  pour  ta  plus  grande  part,  dû  aux 
soins  qu'on  avait  mis  à  la  préparer. 

On  avait  l'ait  choix  de  la  presqu'île  de  Sidi  Ferruch  comme 
point  de  débarquement  parce  qu'on  en  avait  trouvé  l'indi- 
cation dans  les  travaux  du  capitaine  de  vaisseau  Boulin,  qui 
remontaient  à  1807.  Cet  officier  avait  été  chargé  par  Napo- 
léon d'explorer  le  littoral  des  Etats  barharesques.  Sa  mission 
avait  été  si  complète  qu'il  avait  même  relevé  l'itinéraire  que 
nos  troupes  devaient  suivre  pour  marcher  du  point  où  elles 
avaient  mis  le  pied  sur  le  sol  africain  jusqu'à  Alger. 

Aussi  les  auteurs  du  livre  '  qui  nous  occupe  constatent-ils 
avec  juste  raison  que  la  France  recueillait  ainsi,  après  vingt- 
trois  années  écoulées, les  fruits  de  la  prévoyance  de  l'empereur. 

C'est  là,  ajoutent-ils,  un  excellent  exemple  de  ce  que  peut, 
pour  le  succès  des  grandes  entreprises,  l'étude  intelligente 
des  archives. 

Or  nous  avons,  à  Theure  qu'il  est,  épars  dans  les  cartons 
de  divers  services  publics,  mille  renseignements,  le  plus 
souvent  inconnus,  et  qui  rassemblés,  comparés,  mis  en 
œuvre,  pourraient  fournir  des  indications  précieuses  et 
constituer,  par  leur  réunion  même,  l'ensemble  de  documents 
le  plus  utile  à  consulter  sur  toutes  les  questions  qui  inté- 
ressent notre  domination  dans  le  nord  de  l'Afrique, 

Il  a  donc  paru  nécessaire  de  les  rechercher,  de  les  com- 
pléter et  de  les  coordonner. 

1.  Documents  pour  servir  à  l'étude  du  nurd-oiiesl  africain  réunis  et 
rédigés  par  ordre  de  M.  Jules  Carntion,  gouverneur  généra!  de.  l'Algérie, 
pat  MM.  II.  d"  Lï  tUrttntère  ei  N.  Laeroli.  Gouvernement  général  de 
l'Algérie,  service  des  Affaires  Indigènes,  18U-18S7,  i  vol.  et  un  allas. 


PAI»    LA   SOCIÉTÉ    DE    GÉOGRAPHIE. 


!5S 


Le  gouverneur  général  de  l'Algérie,  M.  Jules  Cambon,  l'a 
pensé  et  c'est  grâce  à  son  initiative  qu'a  été  publié  le  bel 
ouvrage  que  noire  Société  récompense  aujourd'hui. 

Les  auteurs,  MM.  de  la  Martinîère  et  le  capitaine  N.  Lacroix, 
ne  se  sont  pas  conteniez  de  publier  à  la  suite  les  uns  des 
autres  les  documents  manuscrits  qu'ils  ont  extraits  des 
archives;  ils  les  ont  fondus  dans  une  relation  d'ensemble 
où  ils  décrivent  minutieusement  le  sol,  les  habitants  qui 
l'occupent,  ainsi  que  leurs  groupements  politiques  et  reli- 
gieux. A  l'aide  de  publications  plus  ancienne?,  ils  ont  com- 
plété, éclairé  et  commenté  celle  niasse  déjà  considérable  de 
renseignements  nouveaux. 

Des  reproductions  de  nombreuses  caries  ou  croquis  jus- 
qu'alors inédits  complètent  ce  grand  travail.  De  fort  belles 
héliogravures  nous  font  connaître  par  l'aspect  les  points  les 
plus  intéressants  du  sol  algérien.  Le  premier  volume  traite 
des  régions  qui  bordent  la  frontière  entre  l'Algérie  et  le 
Maroc  jusqu'au  point  où  elle  a  élé  délimitée,  c'est-à-dire 
jusqu'à  Teniet  Es  Sassi,  ainsi  que  de  celles  qui  forment  le 
nord  de  l'empire  chéri  lien.  Celte  étude  est  continuée  dans 
le  second  volume  qui  traite  uniquement  de  la  contrée  située 
entre  le  Teniet  Es  Sassi  et  le  Gourara. 

Cette  région  frontière  présente  ce  caractère  singulier  que 
la  frontière  n'existe  pas. 

Les  deux  derniers  tomes  sont  consacrés  aux  oasis  saha- 
riennes, connues  généralement  sous  le  nom  un  peu  trop 
généralité  de  Touat.  L'intérêt  politique  qu'ils  présentent  à 
l'heure  actuelle  est  la  conséquence  même  du  progrès  de 
notre  domination  dans  l'Afrique  du  Nord.  Il  y  a  peu  d'an- 
nées, on  n'eût  pas  cru  nécessaire  d'aborder  l'étude  de  ces 
pays  lointains. 

Tel  est  le  beau  travail  géographique  qui  a  attiré  L'atten- 
tion de  votre  Commission  des  prix  et  pour  lequel  elle  a 
attribué  la  médaille  d'or  du  prix  Conrad  Malte-Brun  à  MM.  de 
la  Martinière  et  Lacroix. 


160  RAPPORT   SUR   LES   PRIX    DÉCERNÉS 

M.  Marcel  Monnier 
Ni-ilalllu  d'iiF.  —  Prix  Dm  !'•--  iniiv: 

H.  Henri  Cordier.  rapporteur. 

Les  membres  de  la  Société  ont  connu  M.  Marcel  Monnier, 
voyageur  en  Amérique  et  en  Afrique;  aujourd'hui  ils  le 
retrouvent  (avec  le  même  plaisir)  en  Asie.  Parti  le  11  no- 
vembre 1894,11  n'est  rentré  qu'au  mois  de  juillet  1898;  pen- 
dant ces  quatre  années,  il  a  exploré  le  Cambodge,  la  Bassc- 
Cochincbine,  l'Annam,  le  Tong-king  et  la  province  chinoise 
de  Kouang-si  (novembre  1804-juin  1895),  Du  mois  de  juin 
au  mois  de  septembre,  il  visite  le  Jiipon  jusqu'à  l'Ile  sep- 
tentrionale de  "Yesso;  il  termine  l'année  1805  en  étudiant 
Peking  et  ses  environs.  Les  six  premiers  mois  de  l'année 
1896  sont  consacrés  à  la  visite  du  Yang-tse  et  des  provinces 
limitrophes  jusqu'au  Se-Lchnueri,  y  compris  sa  capitale 
Tching-tou  et  le  mont  Omei,  décrit  naguère  par  Baber, 
Hosie  et  récemment  par  M.  Bonin.  Du  Kiang,  M.  Monnier 
se  rend  dans  la  capitale  du  Yun-nan,  en  passant  à  Tong- 
tchouen  où  mourut  Doudart  de  Lagrée  et  rentre  au  Tong- 
king  par  la  roule  ordinaire  de  Man-hao,  Mong-tse  et  le 
fleuve  Houge  (décembre  1895-juillet  18%).  Puis,  nouvelle 
campagne  dans  le  nord  de  la  Chine,  au-delà  de  la  Grande 
Muraille:  Kalgan,  la  passe  de  Nan-kiao  et  retour  par  Dolon- 
nor  et  Djehol,  célèbre  résidence  de  l'empereur  de  la  Chine. 
où  l'on  se  rappellera  que  Hien-foung  s'était  retiré  au  momi 
des  désastres  de  la  campagne  de  1800  (juillet-décembre 
1896). 

Une  excursion  dans  la  province  maritime  du  Pou-kien 
la  vallée  supérieure  de  la  rivière  Min.  qui  baigne  l'arsenal 
créé  par  nos  compatriotes   Pierre  d'Aiguehelle  et  Prosper 
Giquel,  la  continuation  de  l'exploration  du  Japon  par  la 
visite  de  ta  partie  méridionale  de  l'archipel,  c'est-à-dire  de 


on- 
ne, 
ent 
bre 

lel 
nal 


PAIt    LA   SOCIÉTÉ   RE    GÉOGRAPHIE.  161 

Kiou-siou,  et  des  îles  Lieou-kieou,  occupent  les  mois  de 
décembre  1806  a  avril  1807.  Noire  voyageur  parcourt  un 
itinéraire  nouveau  en  Corée,  de  la  mer  Jaune  à  la  mer  du 
Japon  par  la  province  de  Kang-ouen-to  et  les  monlagnes 
Kioum-kan  (avril-juillet  1897). 

M.  Monnier  nous  transporte  ensuite  dans  la  région  du 
(leuve  Amour;  débarquant  à  Vladivostok,  il  nous  conduit  à 
Irkoutsk;  de  là  à  la  frontière  chinoise,  àKiachta,  et  pénètre 
en  Mongolie,  vers  Ourga  (juillet-août  18'.)").  Puis  il  dirige 
ses  pas  vers  la  vallée  de  l'Orkhon,  visite  l'Erdeni-tso,  em- 
placement de  la  célèbre  Karakoroum  des  Mongols  gengis- 
khanules,  Kara-balgnsoun,  capitale  des  Ouigours,  but  des 
missions  finlandaise  et  russe,  Ou-lia-sou-tnï  et  Kobdo.  De 
ces  dernières  villes,  il  se  rend  à  Semipalalinsk  par  un  itiné- 
raire neuf,  les  passes  de  l' Allai  et  !a  vallée  de  la  Kamoun, 
source  de  l'Obi  (août-oclobre  1897).  La  steppe  kirghise. 
Llssik-koul,  sur  les  bords  duquel  est  enterré  Pijevalsky, 
Tachkent,  le  tour  du  Ferganali,  Samarcande,  Boukhara. 
Askiiabad,  sont  les  étapes  de  noire  voyageur  jusqu'à  la  fron- 
tière de  Perse  (octobre-décembre  1897).  Puis  commence 
une  exploration  systématique  de  la  Perse  :  d'Askhabad  a. 
Mecbed,  de  Meched  à  Téhéran,  de  Téhéran  à  Hamadan, 
Kermancliab,  Hagdad;  du  Tigre  à  l'Euphrale,  tlilleh,  Baby- 
lone,  Bassoiah,  le  golfe  Persique,  Bander  Bonehir  (décem- 
bre-avril 1898).  Du  golfe  Pcrsiqueil  se  rendait  à  la  Caspienne 
par  Chiraz,  Persépolis,  Ispahau.  Téhéran,  Qasvin  (avril-juin 
1898). 

M.  Marcel  Monnier  rentrait  en  France  par  le  Caucase  et 
la  Russie  en  juillet  1898.  II  avait  parcouru  sur  le  continent 
asiatique  environ  32,000  kilomètres  dont  10,100  a  cheval. 
Il  a  levé  à  la  boussole,  à  l'échelle  1/48,760,  un  total  de 
13,581  kilomètres  ainsi  répartis  :  le  Yang-tse  de  I-lehangà 
Tchoung-king,  itinéraire  au  Se-lcbouen,  et  du  Se-lchouen 
au  lleuve  Rouge,  2,700  kilomètres;  en  Corée,  de  la  mer 
Jaune  à  la  mer  du  Japon,  par  le  Kang-ouen-to,  500  kilornè- 


169  RAPPORT   SDH    LES   PRIX    D*CK*KÉ3 

rus:  île  Onrga.  à  Babjlonc,  X,037  kilomètres;  du  golfe  Per- 
a  Caspienne,  1,444  kilomètres. 

ma  ilii  Temps  ont  eu  le  plaisir  de  lire  quelques 
ohftftlMB  <ÏB  0*  long  cl  fructueux  voyage  que  ce  journal  a 
US  Le  nom  de  Tour  d' Asie  ;  s'ils  ont  pu  être  séduits 
par  le  charme  du  style  de  l'écrivain,  ils  ont  admiré  le  rare 
esprit  d'observation  et  la  force  d'endurance  du  voyageur. 
i-  le  récit  d'un  globe-trotter,  mais  d'un  explora- 
teur expérimenté,  et  tel  de  ses  itinéraires,  la  Corée,  la  Mon- 
golie, et  surtout  la  Perse,  classe  M.  Marcel  Monnier  au  pre- 
mier rang  des  voyageurs  asiatiques. 

M.  Hcmii  Brbhibb 

Frli   Pierre   l-'éllx    I  i..uiii.-> 

M.  le  lieutenant-colonel  Prudent,  rapporteur. 

Ce  prix  se  compose  d'une  médaille  spéciale,  due  au  talent 
la  M.  Roty,  et  d'une  somme  de  1,000  francs,  destinées  au 
meilleur  ouvrage  de  géographie  paru  dans  l'année. 

Les  suffrages  de  la  Commission  centrale  se  sont  réunis 
sur  le  beau  livre  qu'a  publié  et  en  grande  partie  rédigé 
M.  11.  Brenïer,  sous  les  auspices  de  la  chambre  de  com- 
merce de  Lyon,  ouvrage  '  qui  porte  le  litre  de  :  La  mission 
Iftiiunaist'  d'exploration  commerciale,  en  Chine,  1895-1897. 
t  Au  lendemain  de  la  guerre  sino-jiiponaise  et  du  traité  de 
Sîmonosaki  (17  avril  1895)  et  en  présence  des  problèmes 
que  ces  deux  actes  posaient  —  dit  M.  H.  Grenier  dans 
son  introduction  —  l'utilité  d'une  élude  plus  approfondie 
du  gruud  marché  chinois,  de  ses  ressources,  de  son  avenir 
apparaissait  nettement.  » 

«  Peu  de  personnes  se  souviennent  sans  doute  que  la 
première  mission  commerciale  sérieuse  en  Exlrême-Orienl, 

I,  Eitiu:  ù  Lyon  meim>. 


r-ÀR    U    SOCIÉTÉ   DE    GÉOGRAPHIE. 

sérieuse  à  la  fois  par  le  nombre  de  ses  membres  et  par 
l'abondance  des  renseignements  rapportés,  a  été  une  mis- 
sion française,  celle  qui  a  accompagne  M.  de  Lagrenée  en 
1843,  il  y  a  plus  d'un  demi-siècle,  s 

C'est  un  grand  honneur  pour  la  chambre  de  commerce 
de  Lyon  d'avoir,  après  un  si  long  espace  de  temps,  imité  ce 
très   louable  exemple,  et  d'avoir  ainsi  mis  en  pratique  le 
principe  du  «  self  helft  (aide-loi)  »  qui  domine  l'esprit  rie 
cette  grande  cité  ;  après  avoir  sollicité  et  oh  tenu  la  partici- 
pation des  principales  chambres  de  commerce  françaises, 
celles  de  Marseille,  Bordeaux,  Lille,   Roulais   et  Roanne, 
elle  constitua,  sous  la  direction  de  M.  le  consul  Rocher,  une 
importante  mission   composée  de  spécialistes,  MM.  Bre- 
nier,  secrétaire  général,  Antoine,  Métrai,  Duclos,  Sculfort, 
Grosjean,  Rabaud,    Vial,  Wacles  et  Riault,  auxquels  fut 
adjoint,  avec  l'agrément  du  ministre  de  la  marine,  M.  le 
médecin  de  première  classe  Détienne.  Mais,  peu  après  l'ar- 
rivée en  Chine  rie  la  mission,  M.  le  consul  Rocher,  malade, 
dut  rentrer  en  France,  et  la  direction  échut  à  M.  Brenier. 
L'œuvre  de  la  mission  qui  a  parcouru  le  Tnnkin,  le  Yun- 
nan,  le  Kouï-tchéou,  le  Se-tchouan,  le  Tibet  en  partie  et 
visité  Hong-kong,   Canton,  Han-k'éou,  etc.,  s'accomplît  à 
souhait  et  les  résultats  en  furent  immédiats;  tels  l'ouver- 
ture au  commerce   européen   de   douze  nouveaux   ports 
chinois,  et  la  construction  ou  concession  de  nombreuses 
voies  ferrées,  impulsion  dont  l'effet  s'accroît  de  jour  en 
jour. 

L'examen  du  livre  dans  lequel  M.  H.  Brenier  a  publié 
ses  rapports  ainsi  que  ceux  de  ses  collaborateurs  échappe- 
rail  à  la  compétence  de  la  Société  de  Géographie,  si  cette 
œuvre  ne  renfermait  que  des  renseignements  commer- 
ciaux; mais  plus  de  la  moitié  en  est  relative  à  des  faits 
purement  géographiques  :  règle  de  transcription  des  noms 
chinois,  renseignements  sur  l'administration,  les  poids  et 
mesures,  éphémérides  de  !a  mission,  caries  très  claires, 


164  BAI'POriT   SUR    LES   PRIX    DKCEIINÉS 

dressées  par  M.  H.  Brenier  lui-même,  parfois  avec  les  levés 
ou  renseigncmenls  rapportés  par  les  membres  rie  la  mis- 
sion, récils  de  voyage  surlout,  dus  au  même,  d'un  haut 
intérêt,  abondamment  pourvus  de  belles  photographies,  pit- 
toresques ou  piquantes,  plein  d'anecdotes  le  plus  souvent 
humoristiques,  parfois  dramaliques  aussi,  et,  enfin,  de  la 
plume  du  Dr  Deblenne,  contribution  à  l'ethnologie  des  races 
autochtones  de  la  Chine  méridionale  et  occidentale. 

Les  rapports  commerciaux  et  relalifs  aux  ressources  mi- 
nières sont  dus  pour  la  plupart  à  M.  H.  Brenier  et,  pour  le 
surplus,  aux  autres  membres  précités  de  la  mission. 

Le  livre  de  la  mission  lyonnaise  est  donc  une  œuvre  pri- 
mordiale, non  seulement  au  poinl  de  vue  commercial,  mais 
aussi  à  celui  de  la  propre  science  géographique  :1a  Société  de 
Géographie,  en  allrihuan  Là  son  principal  auteur,  M.  H.  Bre- 
nier, le  prix  P.  Pélix  Fournier,  et  en  offrant  à  ses  compa- 
gnons des  médailles  commémoratives,  croit  avoir  répondu 
exactement  à  la  peusée  du  fondateur,  très  heureuse  de 
donner  celte  marque  de  sympathie  à  la  chambre  de  com- 
merce de  Lyon  et  de  signaler  en  même  temps  un  acte 
d'excellente  et  fructueuse  décentralisation. 

M.  GEOitgiis  Eugène  Soion 
Médairie  d'or.  —  Prix  Léon  ■tnrem 

H.  Ca.spo.rl,  rapporteur. 

La  Cechinchine  française  est  principalement  constituée 
par  le  délia  du  Mékong.  Dès  les  premiers  temps  de  l'occu- 
pation, l'imporlance  de  cette  voie,  tant  pourles  communica- 
tions intérieures  que  pour  les  relations  avec  le  Cambodge, 
le  Laos  et  la  Chine,  s'imposa  à  l'esprit  des  gouverneurs.  A 
partir  <le  18(>3,  les  ingénieurs  hydrographes  Manen,  Vida- 
lin,  Héraud,  el  fous  ceux  qui  les  suivirent,  étudièrent  dans 
les  plus  grands  détails  les  embouchures  el  le  fleuve  jus- 


PAR   LA   SOCIÉTÉ    DE    GEOGRAPHIE. 


165 


qu'ans  rapides  de  Sambor  qui  marquent  les  limites  de 
la  navigation  cou  m  n  te.  Doudarl  de  la  Grée  et  F.  Gar- 
tner le  remontèrent  ensuite  jusqu'en  Chine,  et  en  firent 
un  relevé  exact;  mais  Garnier  estimait  que  les  nombreux 
-  qui  constituent,  autant  de  barrages  à  partir  de 
Sambor  interdisaient  de  songer  à  l'utilisation  de  cette 
raie  pour  la  navigation.  Cette  opinion  prévalut  jusqu'en 
1885,  époque  à  laquelle  le  commandant  lléveillère  eut 
la  hardiesse  de  franchir  avec  une  canonnière  les  rapides 
de  Préapalang.  Le  branle  était  donné;  successivement 
MM.  de  Fésigny,  Heurtel,  Guissez,  Pelletier  et  Robaglia 
répétèrent  l'expérience,  et  on  arrivait  aux  rapides  de  Khône. 
Ici  l'obstacle  semblait  infranchissable.  11  l'était,  en  effet, 
avec  les  faibles  bâtiments  de  rivière  dont  on  disposait. 
Aussi,  au  mois  de  mars  1893,  le  gouvernement  décida,  sur 
l'initiative  de  M.  Delcassé,  sous-secrétaire  d'Etat  aux  colo- 
nies, «  de  faire  lancer  et  naviguer  sur  le  haut  Mékong  deux 
canonnières  fluviales  destinées  à  montrer  le  pavillon  et  àfaire 
acte  de  souveraineté  de  la  Franne  sur  les  eaux  du  grand 
fleuve  au-dessus  des  chutes  de  Khône  et,  sur  les  territoires 
laotiens  de  la  rive  gauche,  s'opposer  aux  empiétements  des 
Siamois,  et  ouvrir  cetle  immense  voie  fluviale  à  notre  civi- 
lisation, en  reconnaître  aussi  haut  que  possible  la  navigabi- 
lité, en  étudier  le  régime,  et,  par  des  levés  rigoureux,  en 
préciser  l'hydrographie  et  l.i  navigation  ». 

Les  canonnières  La  Grandière  et  Massie  furent  con- 
struites dans  ne  but,  capables  de  filer  11  nœuds;  on  y  joignait 
la  chaloupe  Ham  Luong.M.  le  lieutenant  de  vaisseau  Simon 
fut  chargé  de  la  direction  de  la  mission,  ayant  sous  ses 
ordres  les  enseignes  de  vaisseau  Le  Vay'  et  Henri  Pi,  et 
l'aspirant  Le  Blévec.  Montées  à  Saigon,  les  canonnières 
gagnent  Khône  par  leurs  propres  moyens,  y  sont  démontées 

1  Un  exemplaire  en  argent  du  prix  Devez  a  été  attribué  à  M.  Le  Vay 
lihur  la  part  qu'il  a  prise  ans  travaux  do  la  mission  hydrographique  du 
Sékong-  ni  à  l'éiablisseiiienl  de  la  cane. 

SOC.    DE  GÉUGH.   —  2"  TRIMESTRE  18S9.  XX.  —   13 


106  RAPI'OUT    SU1I    LES    PRIX    UÉCEHNÉS 

fit  transportées  par  un  chemin  de  fer  de  5  kilomètres  dans 
le  liief  supérieur  où  elles  flottent  le  31  octobre  1893.  Ce  bief 
est  exploré  jusqu'à  l'embouchure  de  la  Sémoun  où  com- 
mence une  série  de  150  kilomètres  de  rapides,  le  défilé  de 
Kemmarat.  Le  Massie  les  franchit,  non  sans  peine,  et  arrive 
le  26  février  1894  au  confluent  de  la  Se-bang-hien,  puis  le 
31  mai  dans  le  bief  supérieur;  après  une  reconnaissance 
rapide  du  cours  de  la  basse  Se-bang-hien,  le  La  Grandière 
ne  rallie  le  Massie  à  Thakek  que  le  21  novembre. 

On  est  arrivé  à  Vien-tiane  le  26  juin,  et  l'année  1894  a 
été  consacrée  à  la  reconnaissance  du  hier  de  Bassac. 

En  février  1895,  M.  Simon  fait  en  pirogue  une  reconnais- 
sance du  chenal  tortueux  entre  Vien-tiane  et  Luang-pra- 
nang,  et  Se  1"  septembre  de  la  même  année  le  La  Gran- 
dière salue  la  terre  de  Luang-prubang,  où  il  est  accueilli 
«  avec  surprise  et  enthousiasme  ».  Enfin,  il  va  montrer  le 
pavillon  jusqu'à  Tang-ho,  en  pays  Shan,  à  2, 500  kilomètres 
de  la  mer  et  400  mètres  d'altitude;  la  mission  finissait  le 
16  janvier  18116.  Le  La  GrandUre  avec  M.  Simon  avait 
parcouru  10,486  kilomètres.  Malgré  des  difficultés  de  tout 
ordre,  la  mission  avait  complètement  réussi;  on  en  jugera 
par  la  publication  qui  vient  d'eire  faite  des  cartes  hydro- 
graphiques : 

1"  partie,  de  Don-eau  à  Don-khone-kong,  4  caries  d'en- 
semble ;  30  cartes  de  détail  au  1/3(1,000. 

2'  partie,  de  Don-kbon*-kong  à  Luang-prabang,  1  carte 
d'ensemble;  7  cartes  de  détail  au  1/50,000. 

3°  partie,  de  Xîeng-kong  à  Tang-ho,  4  caries  au  1/30,000. 

Enfin  7  planches  donnent  les  courbes  représentatives  du 
niveau  du  fleuve  aux  stations  de  kliône,  Bassac,  Muong- 
kong,  Kemmarat,  Thakek,  Vien-tiane,  Luang-prabang  et 
2  planches  résument  toutes  les  observations  météorolo- 
giques. Ces  cartes  sont  très  claires  et  présentent  tous  les 
détails  qui  peuvent  intéresser  la  navigation.  Les  circon- 
stances politiques,  les   difficultés  de  la   navigalioq  et  du 


PAR    LA   SOCIÉTÉ   DE    UÉOGFtAPHIE.  |I17 

ravi  lai  llenicnt  n'ont  pas  permis,  de  consacrer  au  travail 
hydrographique  tout  le  temps  dont  on  disposait  :  les  chro- 
nomètres, avariés  dans  le  trajet  de  France  en  Cochinchine, 
n'ont  pas  donné  la  précision  qu'on  en  attendait.  Néan- 
moins, en  s'aidant  des  déterminations  de  G  armer,  en  les 
complétant  par  de  nombreuses  observations  de  lalitude,  en 
mesurant  des  bases  et  établissant  des  triangulations  par- 
tielles, on  est  arrivé  à  représenter  avec  toute  la  (Idélilé 
désirable  le  tracé  du  grand  Qeuve  qui  constitue  la  principale 
artère  de  nos  possessions  de  l'Indo-Chine.  Ce  résultat  fait 
le  plus  grand  honneur  à  M.  Simon  et  à  ses  collaborateurs. 

|**~e  à  lui,  comme  le  rappelait  M.  Bouquet  de  la  Grye,  le 
>og  est  devenu  une  voie  française,  une  voie  pratique, 
d'autres  pourront  franchir  et  qu'ils  s'apprêtent  à 
;hîr(  portant  avec  eux  le  nom  français  et  l'influence 
;aise. 
>tre  commission  a  pensé  qu'un  travail  hydrographique 
uté  avec  tant  de  soin,  dans  des  conditions  aussi  excep- 
„„uae))es  et  au  milieu  de  difficultés  toutes  particulières, 
méritait  d'être  distingué,  autant  comme  une  importante 
contribution  à  la  géographie  que  comme  une  cause  d'ac- 
croissement de  notre  puissance  coloniale;  elle  décerne  le 
prix  Devez  h  M.  Simon. 


. 


H.  Frederick  il-  Jacksq» 

Méilniilr  d'»r.  —  prix  de  lu    ■!•>•, 


Le  30  août  1873,  l'expédition  du  Tegethoff,  loujours  rivée 
au  glaçon  avec  lequel  elle  dérivait  depuis  un  au,  découvrait 
ia  Terre  François-Joseph,  et.  au  printemps  suivant,  Payer  en- 
treprenait une  longue  reconnaissance  vers  le  nord  à  tra- 
rchïpel.  D'après  les  levés  de  cet  explorateur,  la 
Terre  François-Joseph  se  composait  de  deu«  masses  ronii- 


168 


RAPPORT   SUR    LES    l'dlX    DÉCERNÉS 


nentales  séparées  par  un  fjord,  et,  d'après  ses  observations, 
atteignait  une  grande  extension,  dans  la  direction  du  nord. 
En  1879,  deux  expéditions  montées  sur  de  petits  voiliers, 
celle  du  Willem  Barents,  commandée  par  le  lieutenant  De 
Bruyne,  et  celle  de  YJsbjOrn,  dirigée  par  le  commandant 
A.  H.  Markham,  réussirent,  dans  la  première  quinzaine  de 
septembre,  à  arriver  en  vue  de  ce  prétendu  continent  arc- 
tique que,  six  ans  auparavant,  les  Autrichiens  avaient  trouvé 
entouré  de  banquises  impénétrables.  L'année  suivante, 
M.  Leigh  Smilh  fut  encore  plus  heureux  et  reconnut  une 
ligne  de  eûtes  longue  de  110  milles  à  l'ouest  du  point 
extrême  que  les  précédents  voyageurs  avaient  atteint  dans 
cette  direction.  En  1881,  M.  Leigh  SmilL  revint  à  la  Terre 
François-Joseph,  mais  cette  fois  le  succès  ne  répondit  pas 
à  ses  efforts.  Son  navire  fut  brisé  par  les  glaces  et  ses  re- 
cherches furent  par  suite  limitées  aux  environs  du  havre 
d'hivernage. 

Comme  Payer,  Leigh  Smith  semble  croire  à  l'extension 
de  la  Terre  François-Joseph  vers  le  nord1.  La  rencontre 
à'icebergs  s'élevanl  à  50  ou  10  métrés  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer  lui  faisait  supposer  l'existence  d'une  très  vaste 
étendue  de  terre  soumise  à  la  glaciation  dans  ces  parages. 

A  cette  époque,  à  la  suile  des  insuccès  éprouvés  par  les 
expéditions  qui  avaient  essayé  d'avancer  sur  les  hanquises, 
les  explorateurs  arctiques  pensaient  que  ie  seul  moyen 
d'alteindrc  une  haute  latitude  était  de  suivre  une  terre 
s'étendant  vers  le  nord.  Aussi  bien,  la  Terre  François- Joseph 
fut-elleconsidérée  comme  un  excellent  pointde  départ  pour 
une  marche  vers  le  Pôle,  cl  tout  le  monde  admettait  qu'elle 
conduirait  très  loin  vers  le  nord. 

A  M.  Frederick  G.  Jackson  était  réservé  l'honneur  de 
résoudre  cet  important  problème  de  géographie.  Grâce  à  la 

1.  C.  R.  Markham,  The  Voyage  of  ihe  Eira  und  M.  Leigh  Smith's  Arc- 
ïic  lliscovtrits  in  tSSO,  in  Proceedlnçt  of  tht  li.  Geographictit  Society. 
Londres,  1881,  111,3,  p.  186. 


PÀtt    LA    SOCIÉTÉ    DE    GÉOGRÀPU1E.  ItiO 

libéralité  de  M.  Alfred  G.  Harmsworth,  ce  voyageur  put 
organiser  une  expédition  parfaitement  équipée,  composée 
de  plusieurs  naturalistes  et  disposant  d'un  bâtiment  appro- 
prié à  la  navigation  arctique,  et,  au  commencement  de 
septembre  1804,  celte  mission  vint  s'établir  au  cap  Flora,  à 
l'extrémité  méridionale  de  la  Terre  François-Joseph.  Avec 
une  persévérance  dont  on  ne  saurait  trop  faire  l'éloge, 
M.  Frederick  Jackson  est  demeuré  quatre  ans  de  suite  au 
milieu  des  glaces  polaires,  et,  pendant  (oui  ce  temps,  lui  et 
ses  collaborateurs  ont  appliqué  leur  énergie  à  l'étude  mé- 
thodique d'une  portion  de  la  zone  arctique. 

Ces  efforts  ont  abouti  à  des  résultats  considérables. 
M.  Jackson  a  reconnu  que  la  Terre  François-Joseph,  loin 
de  former  une  masse  continentale  irès  étendue  vers  le  nord, 
comme  on  le  supposait,  constitue  simplement  un  archipel 
de  petites  îles,  large  tout  au  plus  de  250  kilomètres,  A 
l'ouest  de  l'Austria  Sound,  sur  l'emplacement  de  la  Terre  de 
Zichy,  ce  voyageur  a  découvert  un  grand  fjord  ouvert  vers 
1c  m  ird.  De  plus,  M.  Jackson,  après  avoir  atteint  les  limites 
de  cet  archipel  vers  l'ouest,  a  constaté  l'absence  d'Iles  entre 
la  Terre  Aiexandra,  la  plus  occidentale  de  cet  archipel,  et  le 
Spitsberg  oriental.  Les  levés  de  l'expédition  anglaise  com- 
plétés par  ceux  de  Nansen  dans  le  nord-est  ont  donc  tota- 
lement modifié  la  configuration  que  les  cartes  donnaient  à 
la  Terre  François-Joseph. 

Non  moins  que  la  géographie,  les  sciences  physiques  et 
naturelles  ont  été  enrichies  de  précieux  documenls  par  la 
mission  de  M.  Frederick  Jackson.  Par  les  soins  du  lieutenant 
Armitage,des  observations  météorologiques  et  magnétiques 
ont  été  exécutées  régulièrement  pendant  quatre  ans  au  cap 
Flora.  Leur  comparaison  avec  celles  effectuées  simultané- 
ment par  l'expédition  du  Fram  à  une  latitude  plus  septen- 
trionale permettra  de  suivre  le  processus  des  phénomènes 
atmosphériques  dans  une  partie  de  la  zone  polaire.  A  ce 
point  de  vue,  l'expédition  anglaise  aura  rendu  à  la  science 


170  tUI'l'OUT   SUH    LES   l'IUS    DÉCEItNES 

un  service  dont  l'importance  n'échappera  à  personne.  En 
même  temps,  MM.  Harry  Fislier  et  W.  S.  Bruce  étudiaient 
la  flore  et  ta  faune  de  la  Terre  François-Joseph,  tandis  que 
!e  médecin  de  l'expédition,  le  ûr  Ileginald  Kcetlitz,  em- 
ployait les  nombreux  loisirs  que  lui  laissait  l'exercice  de  sa 
profession  a  l'exploration  géologique  de  l'archipel.  Les  îles 
de  ta  Terre  François-Joseph,  constituées  par  des  nappes  de 
basalte  reposant  sur  des  as-sises  jurassiques,  sont  les  débris 
d'en  vaste  continent  aujourd'hui  en  grande  partie  disparu. 
Le  D1'  Nathorsl  a  observé  la  même  série  de  formations  à  la 
Terre  du  Moi-Charles,  au  Spitsberg;  il  n'est  donc  peut- 
être  pas  téméraire  d'étendre  jusqu'à  ce  dernier  archipel  les 
limites  occidentales  de  cette  ancienne  masse  continentale 
dont  i!  ne  subsiste  plus  actuellement  que  des  témoins. 
L'âge  des  basaltes  de  la  Terre  François-Joseph  a  soulevé  de 
nombreuses  discussions;  d'après  M.  H.  Kœllilz,  ces  épnn- 
chemenls  se  seraient  produits  pendant  le  jurassique. 

Par  toutes  ces  recherches,  M.  Frederick  G.  Jackson  a 
considérablement  ajouté  à  nos  connaissances  dans  une  r 
gion  arctique  demeurée  jusqu'ici  en  dehors  des  investig; 
tions,  et  à  l'unanimité  notre  Commission  des  prix  lui  a  atlr: 
bué  le  prix  La  Roquette. 

M.  Jeas  Emile  Delàcnk 

Mrilnille    il'or.    —   I*rl\    i:.li;,iil 

M.  GasjHirl,  r;i|4)nrieur. 

L'essor  des  éludes  géographiques  qui  caractérise  noire 
siècle  s'est  manifesté  par  une  production  extraordinaire  de 
publications  cartographiques.  Les  journaux  de  toute  espèce 
en  offrent  couramment  à  leurs  lecteurs,  et  rien  sans  doute 
n'est  plus  propre  à  faciliter  l'intelligence  des  événements  de 
toute  sorte  qui  se  passent  sur  la  surface  du  globe.  Les 
exigences  de  la  publicité  ont  forcé  les  géographes  à  se  mettre 


PAIt    LA    SOCIÉTÉ   DE    GÉOGRAPHIE.  171 

en  quête  de  moyens  nouveaux,  rapides  et  économiques,  et 
l'on  ne  peut  qu'admirer  les  résultats  obtenus  dans  cctlevoie. 
Mais  ces  productions  éphémères  sont  en  rapport  avec  le 
caractère  provisoire  des  informations  qu'elles  représentent  : 
on  ne  travaille  plus  guère  pour  l'avenir,  le  document  est  noté 
au  jour  le  jour;  il  est  remplacé  le  lendemain  par  un  docu- 
ment nouveau,  aussi  hâtif  et  aussi  peu  durable.  Autrefois 
on  considérait  la  Terre  comme  quelque  chose  d'immuable  : 
une  carte  était  un  monument  définitif,  et  les  artistes  gra- 
veurs lui  imprimaient  ce  cachet  par  la  manière  même 
dont  ils  travaillaient  le  cuivre,  par  leurs  tailles  profondes 
qui  excluaient  toute  correction.  Envisageant  au  contraire  la 
Terre  comme  un  organisme  soumis  à  un  changement  continu 
et  perpétuel,  nous  aurions  mauvaise  grâce  à  nous  plaindre 
si  les  productions  actuelles  reflètent  celle  conception  nou- 
velle: il  nous  est  pourtant  permis  de  regretter  la  rarelé 
croissante  du  beau  spécimen  de  gravure  cartographique. 
Le  graveur  consciencieux  comprend  que  son  travail  ne  doit 
pas  être  de  la  fantaisie,  mais  une  représentation  rigoureuse 
de  la  réalité;  mais  il  sait  en  même  temps  que  son  œuvre 
doit  avoir  un  cachet  artistique,  qu'il  y  a  manière  d'inter- 
préter la  nature  tout  en  lui  restant  absolument  lidèle.  La 
réunion  de  ces  qualités  est  rare,  et,  d'ailleurs,  la  gravure  des 
cartes  ne  conduit  ni  à  la  fortune  ni  a  la  gloire.  Ne  devons- 
nous  pas  d'autant  plus  de  reconnaissance  aux  travailleurs 
que  n'entraîne  pas  legoùt  d'un  gain  facile  et  rapide,  qui  con- 
sentent encore  à  user  leurs  yeux  et  leur  santé  à  fouiller  le 
cuivre  poury  tracer  lentement  des  documents  qui  resteront, 
et  à  former  des  élèves  pour  garder  ces  austères  traditions? 

M.  Delaune  est  de  ceux-là,  et  l'histoire  de  sa  vie  se  résume 
dans  les  planches  qu'il  a  exécutées,  el  dans  les  élèves  qu'il 
a  formés.  Élève  lui-même  de  Gérin,  il  débute  avec  son 
maître  par  les  cartes  de  France  au  Dépôt  de  la  guerre;  on  lui 
doit  les  feuilles  de  Tarbes,  Quillan,  etc.  Il  entre  ensuite  chez 
Collin,  graveur  de  la  marine,  en  -1868,  pour  y  commencer  la 


RAl'i'OHT    *L"K    VUS   PRIX    DKCERSÊS 

imwareei  de  Vivien  de  Sainl-Martin  et  de 

...  .iu  M.  l-'.Schrader,  édité  par  la  maison  Hachette. 
En  même  Urnps.  il  commence  à  graver  des  cartes  hydro- 
gnptuques. 

.1  succède  à  son  maîlre  et  ami,  et  depuis  celle 

■■  iiiinue  la  grav lire  de  ce  m6me  allas  et  celle  des 

i.iiiits  hydrographiques.  Nous  ne  saurions  Faire  ici  le  compte 

mbeetiz  travaux.  Citons  seulement  : 

La  belle  carte   générale  de  la  Guadeloupe  et   plusieurs 

i,u tes  particulières  de  cette  colonie; 

nie  partie  des  cartes  de  l'Annam,  duTonkin,  de 
.,',  de  lu  Tunisie; 
La  réfection  des  cartes  de  la  côte  de  France  renduenéces- 
saire  par  l'usure  des  cuivres  ; 

i,  ilin,  fi  tout  dernièrement,  la  magnifique  carie  de  la 
fnTMirTU  dix  feuilles  enlièremenl  terminée,  sauTIa  carie  d'en- 
semble qui  sera  prête  à  la  lin  de  celle  année. 

Lju  productions  de  M.  Delanne  sont  caractérisées  par  le 
l'iu  du  travail,  par  la  reproduction  stricte  et  exacte  des 
originaux,  qui  n'exclut  pas  une  interprétation  artistique  : 
i'lk'5  oui  valu  à  leur  auteur  l'estime  et  l'admiration  des 
.  ,'ini;u--i'iiis.  Voire  Commission  a  voulu  reconnaître  à  son 
lour  les  mérites  de  ce  travailleur  consciencieux  en  lui  altri- 
|.ii:ml  la  médaille  d'or  du  prix  Erhard. 


Mme  Isabelle  Massieu 

l.vmiji'    inrilnlllr  d'urgent.   —  Prit   Al|il>nu-<-  <lr    Woinlurot 

St.  Alli.  lin  [.apparent,  île  l'Insiikit,  rapporteur. 


Pu   l'attribution  du   prix    Alphonse    de    Montherot   â 

.M  1 1 n ■  llfcbolle  Massieu,   la  Commission  n'a  pas  seulement 

voulu  marquer  la  sympathie  que  lui  inspire   l'inlrépidilé 

il'inu'  voyageuse  qui  ne  craint  pas  d'affronter  des  faligues  et 

n  auxquels  son  sexe  n'a  pas  coutume  de  s'exposer. 


:    GÉOGRAPHIE. 

C'est  un  véritable  mérite  d'exploratrice  que  la  Commission 
a  prétendu  consacrer, 

Après  s'être  fait  connaître  par  un  premier  voyage  au 
Tibet  et  aux  Indes  ;  après  avoir  visité  la  Cochinchine  et  le 
Cambodge  en  compagnie  du  regretté  gouverneur  général 
Rousseau,  Mme  Massieu  a  exécuté,  de  1896  à  18117,  un  voyage 
de  quinze  mois,  qui  l'a  conduite  successivement  a  travers 
la  Birmanie,  les  Etats  Chans,  le  Laos,  le  Tonkin,  la  Chine, 
le  Japon,  la  Mongolie,  la  Sibérie,  les  steppes  kirghiz,  le 
Turkestan,  la  Caspienne  et  le  Caucase. 

La  partie  la  plus  intéressante  de  son  expédition  est  la 
traversée  des  Etats  Chans,  par  celte  route  de  Taungay 
à  Xieng-long,  qu'aucun  Français  n'avait  parcourue  avant 
elle,  et  qui  est  particulièrement  difficile  aux  abords  de  la 
Salouen.  Mme  Massieu  y  a  réuni  d'intéressantes  observa- 
tions, tant  sur  le  paysage  et  sur  les  mœurs  des  populations 
que  sur  la  grande  habileté  avec  laquelle  la  colonisation  bri- 
tannique y  est  conduite. 

Le  caractère  particulier  des  explorations  de  Mme  Massieu 
consiste  en  ce  que  les  dil'licultés  semblent  vraiment  s'éva- 
nouir sur  son  passage.  Partout  elle  est  bien  accueillie; 
même  les  fonctionnaires  étrangers  mettent  à  son  service  un 
empressement  dont,  peut-être,  ils  seraient  plus  avares 
envers  des  hommes.  «J'ai  toujours  vu,  écrivait-elle  un  jour, 
que  les  voyages  sont  bien  plus  aisés  qu'on  ne  pense,  s  Et  de 
fail,  tandis  qu'elle  supporte  allègrement  les  privations  et  les 
fatigues,  sa  bonne  grâce  lui  concilie  le  concours  des  indigènes 
de  tout  ordre,  respectueux  du  rare  exemple  qu'elle  donne 
et  conquis  par  l'aimable  humeur  qui  ne  l'abandonne  jamais. 
En  même  temps  que  ses  voyages  profitent  à  la  géographie, 
la  façon  dont  elle  les  exécute  laisse,  parmi  les  populations 
traversées,  une  impression  de  sympathie  tout  à  fait  favo- 
rable au  bon  renom  de  la  France.  Ce  n'est  que  justice  de  le 
reconnaître  en  attribuant  à  Mme  Massieu  une  des  récom- 
penses dont  dispose  notre  Société. 


174  1UPP0HT   SDR    LES    PRIX    OÉCERNÉS 

M.  Jean  Marc  Bel 

j.tJinilc   nipilallle    l'uriml.   —  I*rii  J.    Jniuapn 
M.  Cil.  Maunoir,  rapporteur. 

La  médaille  d'argent  du  prix  Janssen  fut  instituée  en 
1896  comme  récompense  à  décerner  au  voyageur  qui  au- 
rait recueilli  le  plus  d'observations  scientifiques  suivies. 
M.  Janssen,  fondateur  du  prix,  a  entendu  encourager  les 
déterminations  d'ordre  précis,  susceptibles  d'être  fixées  par 
des  mesures.  Elle  avait  été  jusqu'ici  attribuée  aux  auteurs 
d'observations  astronomiques  ou  hypso métriques. 

Cette  fois-ci,  laCommission  des  prix  a  distingué  un  voyageur 
dont  les  travaux  sont  plus  spécialement  du  domaine  de  la  géo- 
graphie physique.  Le  lauréat,  M.Jean  Marc  Bel,  ancien  élève 
de  l'Ecole  polytechnique,  ingénieur  civil  des  mines,  a  visité, 
de  1880  à  1897,  Saint-Domingue,  les  États-Unis  et  le  Canada, 
]'Urugu;iy,  la  Guyane  et  le  Venezuela,  le  Chili  et  la  Bolivie, 
le  Transvaal,  le  Siam,  la  Sibérie  occidentale,  l'Annam  et 
le  Laos.  Ses  longs  itinéraires,  relevés  sur  la  majeure  partie 
du  trajet  à  la  boussole  et  au  baromètre,  l'ont  conduit 
surtout  dans  des  contrées  minières  dont  il  a  scruté  le  sous- 
sol.  A  ses  recherches  de  géologie  appliquée,  a  l'examen  de  la 
valeur  économique  des  minéraux  utiles,  M.  J.  M.  Bel  a  voulu 
.ajouter  des  recherches  de  science  pure.  Outre  les  échantillons 
exigés  p.ir  sa  tâche  spéciale,  il  a  recueilli  et  classé  méthodi- 
quement de  nombreux  spécimens  de  roches,  de  minéraux,  de 
rainerais  dont  il  a  repéré  avec  soin  le  gisement  sur  le  tracé 
de  ses  lignes  de  route.  Il  a  mesuré  avec  un  soin  extrême  les 
directions  et  inclinaisons  des  terrains,  déterminé  autant 
que  possible  l'étendue  des  gisements,  observé  le  caractère 
général  des  systèmes  montagneux.  Nous  lui  devrons  aussi 
des  constatations  originales  comme  celle  de  gisements  de 
protogine  analogue  à  celle  du  Mont  Blanc,  entre  Menam 


PAU    I.A   SOCIÉTÉ    HE    GÉOGRAPHIE.  175 

et  Mékong,  au  voisinage  du  niveau  de  la  tuer;  comme  la 
découverte  de  giles  li  Ioniens  aurifères  dans  le  bas  Laos. 
Ainsi  pendant  plusieurs  années,  avec  une  compétence 
reconnue,  M.  J.  M.  Bel  a  réuni  des  éléments  précis  pour  la 
connaissance  des  contrées  qu'il  a  parcourues.  L'École 
nationale  des  mines  et  le  Muséum  d'histoire  naturelle  ont 
reçu,  pour  leur  part,  des  collections  dont  la  valeur  scien- 
tifique suffirait  à  justifier  les  missions  accordées  à  M.  Bel 
par  le  Ministère  do  l'Instruction  publique.  tën  dehors  des 
recherches  géologiques,  M.  Bel,  avec  le  concours  actif  de 
Mme  Bel,  compagne  d'une  partie  de  ses  voyages,  a  enrichi 
(e  Muséum  d'une  intéressante  série  d'objets  d'histoire 
naturelle. 

La  Commission  des  pris,  avant  constaté  que  M.  J.  M.  Bel 
a  apporté  à  ses  recherches  la  continuité,  la  rigueur  de  mé- 
thode qu'exige  la  science,  lui  a  décerné  la  médaille  d'ar- 
gent du  prix  Janssen. 

M.  Léon  Darragou 


t.rnml.-  médaille  «l'argent.  —   ITH  f-hnrlp»  «ni 

11.  If  D'  [lamy,  de  l'Inslitu!,  rapporteur. 

La  Commission  des  prix  a  décerné  à  M.  Léon  Darragon 
le  prix  Ch.  Grad. 

Le  jeune  voyageur,  parti  pour  l'Abyssinie  avec  de  minimes 
ressources,  en  janvier  IX'.H,  était  arrivé  à  la  capitale  de 
Ménélik  après  de  longues  tribulations  le  1  mars  de  la  même 
année.  A  Addis-Ababa,  M.  llg,  conseiller  de  Ménélik,  puis 
le  négus  lui-môme,  voulurent  bien  s'intéresser  à  ses  pro- 
jets de  pénétration  dans  le  sud  de  l'Ethiopie.  11  fut  chargé 
de  conduire  au  Uurena,  à  l'est  du  lac  Rodolphe,  une  expé- 
dition abyssine  commandée  par  le  fltworaré  Gheorgues. 
M.  Darragon  réussit  ainsi  à  parcourir  les  montagnes  qui 


ne 


RAPPORT   SUIS   LES    FBIX    DÉCERNÉS 


encadrent  les  lacs  Pagadé  et  Tchamo,  à  des  alLiludes  qui 
atteignent  jusqu'à  3,500  mètres.  Au  cours  du  voyage  effec- 
tué presque  constamment  dans  des  conditions  fort  pénibles, 
sous  des  pluies  continuelles,  le  voyageur  a  relevé  avec  une 
application  digne  d'éloges  de  longs  itinéraires,  en  utilisant 
de  son  mieux  les  Faibles  moyens  dont  il  disposait. 

Anl.  d'Abbadie,  en  1848,  M.  Borelli,  quarante  ans  plus 
tard,  avaient  signalé  les  premiers  le  lac  Pagadé  ou  Abhala 
dont  M.  Darragon  nousa  rapporté  une  étude  plus  complète. 
C'est  ce  même  lac,  auquel  nous  conservons  se*  noms  indi- 
gènes, que  l'expédition  italienne  defJoltego,  venue  après  ces 
voyageurs  français,  a  cru  pouvoir  se  permettre  de  debap- 
Liser  en  lui  donnant  le  nom  de  Hegina  Marghareta. 

M.  Léon  Darragon,  qui  avait  déjà  eu  maille  à  partir  avec 
les  Danakils  eu  allant  de  Djibouti  à.  Addis-Ababa,  est  tombé 
de  nouveau  entre  les  mains  de  Tembako,  chef  des  Waïmas, 
comme  il  retournait  à  la  mer.  Il  n'a  dû  sa  liberté  qu'à  l'étal 
de  guerre  qui  dure  encore  entre  Danakils  et  Comalis  et 
grâce  auquel  il  a  pu  s'échapper  en  sauvant  les  notes  et  les 
caries,  dont  l'examen  a  décidé  notre  Commission  des  prix  à 
lui  attribuer  la  médaille  du  prix  Charles  Crad. 

M.  Lons   Duparc 

tiraadi-   médaille  d'argent.  —   Prix    William    HiiIiit 

M.  Alti.  un  [.appariai,  de  l'Institut,  rapporteur. 


Depuis  plusieurs  années,  M.  Louis  Duparc,  professeur  à 
l'Académie  de  Genève,  consacre  la  meilleure  part  de  son 
activité  à  l'élude  du  Mont  Blanc.  En  collaboration,  tantûl 
avec  M.  Rilter,  tantôt  avec  al.  Mrazec,  tantôt  avec  M.Joseph 
Vallol,  il  s'applique  à  recueillir  et  à  étudier  le  plus  grand 
nombre  possible  d'échantillons  pris  dans  ce  massif. 

Sous  leur  apparence  presque  exclusivement  pélrogra- 
phique  et  géologique,  ces  recherches  ont  une  importance 


I>An     LA    SOCIÉTÉ    DE   GÉOGRAPHIE.  177 

géographique  qu'on  ne  saurait  méconnaître;  non  seulement 
parce  qu'elles  réclament  l'exploration  systématique  et 
Maillée  de  parties  habituellement  négligéesdes  alpinistes; 
mais  aussi  parce  que  leur  résultat  est  de  modifier  notable- 
ment ta  conception  qu'on  s'était  faite  de  la  structure  du 
missif,  en  fournissant  la  raison  de  quelques-unes  de  ses 
particularités  les  plus  caractéristiques. 
En  effet,  le  Mont  Diane  a  été  longtemps  considéré  comme 
un  culot  d'une  roche  érupttve  appelée  protogîne,  laminé 
p:n TcUort  qu'il  aurait  subi  en  crevant  une  boutonnière  de 
l'tcorce  terrestre.  Les  bancs  engendrés  par  ce  laminage  se 
«raient  ensuite  renversés  dés  deux  côtés  vers  l'extérieur, 
rnmme  font  les  éléments  d'une  gerbe  serrée  en  son  milieu. 
Ainsi  serait  née  la  célèbre  structure  en.  éventail,  jusqu'ici 
regardée  comme  propre  au  massif  du  Mont  Blanc. 

Or,  il  a  sufti  des  recherches  détaillées  dont  il  vient  d'être 
question    pour  modifier  du   tout  au  tout  cette  manière  de 
loir.  En  réunissant  à  ses  échantillons  ceux  que  M.  Vallot 
ivi.it  récoltés   dans  ses  nombreuses  courses  en  vue  de  la 
carte  du  Mont  Blanc,  M.  Duparc  a  pu  montrer  que  la  pro- 
lugine  n'était  pas  le  seul  élément  constituant  du  massif. 
En   plus  d'un  point,  le  microscope   révèle  l'existence  de 
schistes,   dont  quelques-uns  sont  assimilables  à  ceux  du 
terrain  houiller  des  Alpes.  Ces   schistes  formaient  originai- 
rement une  série  de  plis,  tous  couchés  au  nord-ouest.  La 
structure  en  éventail  est  une  fausse  apparence,  exclusive- 
ment propre  au  chemin  suivi  pour  ia  descente  en  Italie,  et 
résultant   de  ce  qu'une  poussée  locale  au  vide  a,  sur  ce 
pnînt,  rebroussé  la  tète  des  bancs.  En  outre,  les  schistes, 
plus  tendres  que  la    protogîne,  ont   été  plus  facilement 
mievéa   par  l'érosion,  et  plusieurs  des   profondes  échan- 
crures  du   massif  marquent  justement  la   place  que  ces 
schistes  occupaient  dans  l'origine. 

Le  résultat  définitif  de  ces  recherches,  après  avoir  fait 
l'objet  de  communications  de  MM.  Duparc  et  Vallot  à  l'Aca- 


_ 


178  RAPPORT   SUR    LES    PRIX    DÉCERNÉS 

demie  des  sciences,  vient  d'être  résumé  dans  un  grand 
ouvrage,  rédigé  en  commun  par  MM.  Duparc  et  Mrazec.  Le 
côté  géographique  n'y  est  pas  négligé,  et  une  suite  de  pho- 
tographies très  heureusement  choisies  permet  de  saisir  d'un 
coup  d'œil  l'influence  exercée,  sur  la  forme  des  arêtes,  par 
la  nature  et  la  structure  des  roches. 

Si  nous  ajoutons  que  M.  Duparc  s'est  signale  aussi  par 
d'importantes  observations  sur  les  Alpes  transylvaines,  où, 
en  compagnie  de  M.  Mrazec,  il  a  signalé  des  formes  topo- 
graphiques qui  révèlent  d'anciens  glaciers,  on  jugera  sans 
doute  qu'en  proposant  de  lui  attribuer  la  médaille  William- 
Huber,  la  Commission  a  Fait  un  choix  absolument  conforme 
aux  intentions  qui  ont  présidé  à  la  fondation  de  ce  prix. 

IIév.  Pèbe  J-  H.  Piolet 

Médaille  d'argent  de    In  Hacléle 

M.  A.  (irandiilier ,  île  l'inslittii,  rapporteur. 


Le  Rév.  Père  Piolet,  ancien  missionnaire  à  Madagascar, 
a  publié  plusieurs  ouvrages  sur  ce  pays,  notamment  Mada- 
gascar, sa  description  et  ses  habitants  et  Madagascar  et 
tes  Ilova.  On  lui  doit  aussi  diverses  brochures  intéres- 
santes :  1rs  Habitants  de  f'Imrrina,  l'Armée  nova,  l'Escla- 
vage à  Madagascar,  la  Colonisation  à  Madagascar,  la 
Culture  du  caoutchouc,  etc.  Ces  livres  et  notices,  écrits 
avec  conscience  après  des  recherches  laborieuses  et  intel- 
ligentes, remplissent  parfailement  le  but  que  s'est  proposé 
leur  auteur  de  laire  connaître,  apprécier,  aimer  la  grande 
lie  africaine.  Le  P.  Piolet,  en  les  publiant,  a  rendu  service 
à  notre  nouvelle  colonie. 

Le  P.  Piolet  a  fait,  en  outre, a  la  Sorbonne,  en  1898,  douze 
leçons  sur  Madagascar,  son  état  actuel  et  ses  ressources  ; 
ces  leçons,  qui  ont  élé  suivies  par  un  auditoire  nombreux 
et  attentif,  OBI  eu  leur  utilité,  et  on  doit  lui  savoir  gré 


PAJl   LA   SOCIÉTÉ    DE  GÉOGRAPHIE.  179' 

d'avoir,  sous  les  auspices  de  l'Union  coloniale  française,  mis 
te  public  au  courant  du  passé,  dn  présent  et  de  l'avenir  de 
notre  nouvelle  colonie. 

La  Société  est  heureuse  de  récompenser  cet  ensemble  de 

travaux,    en  décernant  au   P.  Piolet  une  de  ses  médailles. 

d'argent. 

M.  Jules  Caiviéhr 

Médaille   d'argent    dr    lu    Sorlôlé 
M.  A.  Graadidier,  >!•■  rinsliti.it,  rapporteur. 

M.  Jules  Gauvière  a  publié,  sous  le  Litre  ta  Provence  et 
ses  voies  nouvelles,  une  série  d'études  historiques  et  géo- 
graphiques sur  le  sud-est  de  la  France.  Il  ne  faut  point  cer- 
tainement chercher  dans  cet  ouvrage  la  part  de  découvertes 
qui  se  trouve  dans  ceux  des  explorateurs  en  pays  lointain 
que  nous  venons  de  récompenser;  ces  récits  d'excursion  sur 
le  littoral  méridional  de  notre  pays,  où  l'on  trouve  l'accent 
ries  impressions  personnelles  de  l'auteur,  ne  sont  pas,  ce- 
pendant, sans  nous  apprendre  du  nouveau,  en  vulgarisant 
îles  détails  qui  sont  enfouis  dans  des  ouvrages  peu  connus. 
H.  Cauvière  a  mis,  en  effet,  à  contribution  les  histoires 
locales  et  les  travaux  techniques,  et  son  livre,  écrit  d'un 
alerte  et  qu'illustrent  de  jolies  gravures,  non  seule- 
ment intéresse  le  lecteur,  mais  l'instruit  aussi  bien  en  his- 
toire qu'en  géographie. 

Lu  Société  lui  décerne  une  de  ses  médailles  d'argent. 


M.    Y'.ym.i:  HivSCHAMPS 

Médaille  d'argent    de  In    Kurlélé 

SI,  \,  Crandidier,  de   l'Institut,   rapparient. 

M.  Emile  Deschamps  a  publié  un  certain  nombre  d'ou- 
vrages de  vulgarisation  (lels  que   la    Vie  mystérieuse  des 


180  rapport  sur  les  prix  décernés 

mers,  etc.),  et  plusieurs  carnets  de  voyage  sur  lesquels  il  a 

jeté  au  courant  de  la  plume  ses  souvenirs  et  impressions, 

Au  harem,  Au  pays  d'Aphrodite  (Chypre),  Au  pays  des 

Veddas  (Ceylan),  C'est  ce  dernier  ouvrage  qui  a  fixé,  d'une 

manière  plus  particulière,  l'attention  de  la  Commission  des 

prix. 

Ce  livre  n'ii  pas  la  prétention  d'apprendre  du  nouveau 
sur  Ceylan,  mais  il  n'en  instruit  pas  moins  le  lecteur.  On  y 
trouve  la  description  Tort  intéressante  de  l'intérieur  de  cette 
île  que  l'auteur,  chargé  d'une  mission  scientifique  par  le 
Gouvernement  français,  a  parcouru  et  étudié  avec  soin;  il 
nous  met  au  courant  des  anciennes  lois  kandyennes,  et  il 
nous  raconte  les  mœurs  des  Rhodias,  ces  parias  tenus  si 
sévèrement  depuis  des  siècles  à  l'écart  des  autres  Singalais, 
ainsi  que  celles  des  Veddas,  qui  sont  les  aborigènes  de 
l'ile;  après  avoir  rapporté  quelques-unes  des  légendes  lo- 
cales, i[  donne  l'histoire  sommaire  de  Ceylan  et  décrit  les 
belles  et  remarquables  ruines  des  anciennes  cités  qui  y 
Ilorissaient  avant  l'ère  chrétienne. 

La  Société  de  Géographie  décerne  à  M.  Emile  Des- 
champs l'une  de  ses  médailles  d'argent. 


.  Arthur  Halotet 


Pris   Jihiitiird 


M.  A.  Grandiilie 


l'Iitstiiiii,  rapporteur. 


M.  Arthur  Malolet,  professeur  d'histoire  au  lycée  de 
Valenciennes,  a  présenté,  comme  thèse  de  doctorat  devant 
la  Faculté  des  lettres  de  l'Université  de  Paris,  un  ouvrage 
intitulé  :  Etienne  de  Flacourt  oit  les  origines  delà  coloni- 
sation française  à  Madagascar  de  1641  à  1661,  volume  de 
340  pages,  où  il  a  fait  l'élude  approfondie  de  la  vie  et  du 
rûle  de  l'ancien  gouverneur  de  Port-Dauphin. 

11  a  d'abord,  dans  une  introduction  d'une  centaine  de 


PAU    LA    SOCIÉTÉ    DE    GÉOGRAPHIE.  181 

pages,  ënuniéré  les  immigrations  malaises,  africaines  et 
arabes  et  retracé  les  premières  explorations  des  Portugais, 
île»  Anglais  et  des  Français  à  Madagascar,  el  il  a  résumé 
l'état  de  nos  connaissances  sur  cette  île  vers  164**. 

11  a  eusuite  mis  eu  lumière  l'origine  de  Flaeourt,  sou 
éducation,  ses  débuis,  son  caractère,  ses  projets  et  ses 
moyens  d'action,  et  il  a  l'ait  l'histoire  complète  de  son  gou- 
vernement de  HiH  à  1655,  qui  comprend  trois  périodes  :  les 
préliminaires  de  la  conquête  (du  i  décembre  1648  au  2°  mai 
1660);  la  lutte  contre  les  indigènes  (du  29  mal  1650  au 
22  décembre  1653),  el  la  période  de  pacification  apparente 
(du  22  décembre  1653  au  \-2  février  1655). 

Le  volume  se  termine  par  un  chapitre  où  l'auteur  expose 
en  détail  l'œuvre  scientifique  et  coloniale  de  Flaeourt. 

C'est  une  élude  complète  sur  l'ancien  gouverneur  de 
Fort-Dauphin,  l'un  des  premiers  Français  qui  aient  cherché 
I  coloniser  Madagascar.  Il  faut  louer  M.  Malolet  de  ses 
recherches  nombreuses  et  consciencieuses,  qui  lui  ont 
coulé  plusieurs  années  de  travail  el  qui  font  revivre  la 
ligure  intéressanle  et  originale  de  l'auteur  du  premier  livre 
qui  a  appelé  sérieusement  l'attention  de  la  France  sur 
notre  colonie  actuelle.  Ceux  qui  s'occupenL  de  ia  colonisa- 
tion a.  Madagascar  devront  lire  l'ouvrage  de  M.  Malotel, 
auquel  la  Commission  des  prix  décerne  le  prix  Jomard, 
affecté  par  l'auteur  des  Monuments  delà  Géographie  aux 
travaux  de  géographie  historique. 


CUHATIOS  RELATIVES  A  U  CONSTRUCTION 


CARTE  LIlHOLOCIÛliE  DIS  GHH  DE  FRAIE 


I/T.    T.    THOITLET 


La  lithologie  sous -marine  se  propose  l'étude  des  fonds 
déposés  sur  le  lit  de  l'Océan,  de  leur  distribution,  de  leur 
genèse,  de  leurs  transformations,  de  toutes  les  lois  qui  les 
régissent.  Elle  devient  de  jour  en  jour  une  branche  plus 
importante  de  l'océanographie.  Sa  conclusion,  ce  qu'on 
appellerait  volontiers  sacondensation,  es tlacoufection  d'une 
carte  lithologique  sous-marine  donnant  d'un  seul  coup 
d'œil  loutes  les  informations  qui  ne  sauraient  être  fournies, 
si  on  tentait  de  les  exposer  par  écrit,  qu'en  un  mémoire 
comme  il  n'en  existe  malheureusement  que  trop  dans  la  lit- 
térature scientifique,  long,  diffus,  aussi  pénible  à  lire  que 
difficile  à  conserver  dans  le  souvenir  el,  en  définitive,  tou- 
jours insuffisant.  Une  carte  lithologique  est  indispensable 
à  la  navigation,  à  l'industrie  des  pêches  et  à  celle  des  télé- 
graphes sous-marins.  Elle  l'est  plus  encore,  s'il  est  possible, 
à  la  géologie  théorique,  puisque  l'histoire  des  mers  disparues 
aux  âges  géologiques  ne  peut  et  ne  doit  logiquement 
s'appuyer  que  sur  la  connaissance  complète  des  mers 
actuelles  el  des  phénomènes  qui  s'y  accomplissent. 

Un  grand  nombre  de  ces  cartes  ont  déjà  été  dressées  en 
Norvège  où  elles  sont  particulièrement  remarquables,  en 
Angleterre,  en  Allemagne,  aux  Etals-Unis  et  ailleurs.  Delesse 
en  a  publié  en  1866  une  relative  aux  côtes  de  France.  Cette 
carte  très  ancienne,  à  une  échelle  très  réduite,  est  devenue 
aujourd'hui  insuffisante. 


CARTE     LIT  110 LO (il QUE    DES     i  i'UIj    DE    I  IIA.M:K-  183 

r  être  en  élat  de  rendre  les  services  qu'on  est  en  droit 
d'en  attendre,  une  carte  lilhologique  sous-marine  doit  pos- 
séder les  caractères  suivants: 


1.  Elle  doit  parler  aux  yeux.  Pour  parvenir  à  ce  résultat, 
il  lui  suffira  d'imiler  les  cartes  géologiques  terrestres, 
exemple  depuis  longtemps  connu  et  pour  lequel  une  longue 
expérience  a  enseigné  les  meilleures  conditions  de  netteté 
et  de  clarté.  La  carie  lilhologique  sous-marine  devra  donc 
6tre  coloriée  de  leinles  aussi  différenciées  que  possible  ;  les 
indications  seront  figurées  par  des  signes  conventionnels 
assez  distincts  pour  être  aussitôt  reconnus, 

2.  Elle  doit  représenter  les  fonds  actuels.  A  de  1res  rares 
exceptions  près,  on  ne  trouve  au  fond  des  eaux  aucune 
trace  immédiate  de  la  nature  du  sous-sol  dans  lequel  il  est 
à  peu  près  impossible  de  pénétrer  audelà  de  quelques  cen- 
timètres. Une  carte  lilbologique,  lit  de  la  mer  rendu  visible, 
est  une  carte  d'actualité  et  c'est  pour  ce  motif  qu'on  lui 
donne  le  nom  de  carte  lilhologique  et  non  celui  de  carte 
géologique  sous-marine. 

3.  La  nature  du  sol  superficiel  sous-marin  est  liée  si  inti- 
mement à  son  modelé,  la  relation  mutuelle  et  la  comparai- 
ion  de  ces  deux  caractères  sont  susceptibles  de  rendre  tant 
de  services  a  la  pratique  aussi  bien  qu'à  la  théorie,  qu'il  est 
idispensabie  qu'une  carie  lilhologique  soit  en  même  temps 
«graphique.  Ce  résultat  s'obtiendra  aisément  et  simple- 
ment à  l'aide  du  tracé  des  courbes  isobathes.  Le  procédé 
est  d'une  utilité  si  évidente  qu'il  a  été  adopté  par  tous  ceux 
qui  sb  sont  occupés  de  dresser  de  semblables  documents 
i  bien  terresires  que  marins. 
4.  La  vérité  n'est  jamais  que  le  résultat  d'une  suite  pro- 
longée de  perfectionnements.  Il  en  est  particulièrement 
ïinsi  d'une  œuvre  pour  laquelle  les  idées  générales  déri- 
vent de  l'examen  d'une  collection  de  faits  particuliers 
recueillis  isolément,  indépendamment  les  uns  des  autres  et 


ISi  CARTK    L1TH0  LOGIQUE   TES    COTB8    DE    FRANCE. 

considérés  ensuite  dans  leur  ensemble.  Une  carie  litholo- 
gique  sous-marine  esl,  en  effet,  construite  d'après  des  son- 
J;i-i'^  l'i  des  récoltes  d'échantillons,  opérations  exigeant  la 
possession  d'un  personnel,  d'un  matériel  et  surtout  d'un 
navire  rarement  à  la  disposition  d'un  observateur.  Ces  docu- 
ments fondamentaux  sont  d'ailleurs  souvent  obtenus  à  la 
suite  de  considérations  plus  ou  moins  étrangères  à  ia  con- 
fection d'une  carte  lilbologique. 

Du  ces  motifs,  il  résulte  qu'une  telle  carte  doit,  dès  le 
début,  présenter  un  ensemble  aussi  exact  que  possible  mais, 
avant  tout,  complet.  En  revanche,  par  la  façon  même  dont 
elle  est  dressée,  elle  doit  être  indéfiniment  perfectible;  les 
corrections  y  seront  indépendantes  les  unes  des  autres  et 
pourront  s'effectuer  en  n'importe  quel  point.  Enfin  cette 
carie  doit  porter  partout  la  mesure  de  son  poids,  c'est-à- 
dire  du  degré  de  confiance  mérité  par  ses  indications- 


An  moment  de  commencer  la  confection  d'une  carte 
lilbologique  et  de  marquer  d'une  teinte  ou  d'un  signe 
les  diverses  natures  du  sol  sous-marin,  on  est  frappé  de  la 
confusion  qui  règne  parmi  les  termes  employés  pour  dési- 
gner les  objets  mêmes  dont  on  so  propose  de  représenter 
l'image.  Les  termes  d'argile,  de  boue,  de  vase  sont  il  peu 
près  synonymes.  Que  signifie  exactement,  par  exemple,  le 
mol  luf?  Un  échantillon,  à  moins  qu'il  ne  soit  extrêmement 
caractérisé,  recevra  trop  souvent  des  noms  différents 
d'observateurs  différents.  Les  ternies  gros  gravier,  gravier, 
lin  gravier,  gros  sable,  sable  fin,  sable  coquillier,  sable, 
sable  vaseux,  vase  sableuse,  vase  n'ont  point  de  limites 
précises.  Tour  s'en  convaincre,  il  suffit  de  demeurer,  pen- 
dant un  levé  hydrographique,  auprès  de  l'homme  qui  relève 
Il  sonde,  examine  le  suif  et  chante  le  fond.  Les  échantil- 
lons mal  récollés,  lavés  pendant  la  remontée,  ne  sont  plus 
M  qu'ils  étaient  au  fond.  Heureux  lorsque  pour  différencier 
deux  sols  offrant  certaines  analogies  et  cependant   diffé- 


CARTE   L1THOL0G1QUE    DBS    CÔTES    D6    FRANCE.  185 

renls,  certains  auteurs  n'emploieront  pas  ries  désignations 
du  genre  de  t  vase  entière  »  et  «  vasedu  large»,*  sables  du 
nord  »  et  t  sables  du  sud  »,  ou  d'autres  du  même  genre. 
La  confusion  existe  malheureu-remenl  en  allemand  et  en 
anglais  comme  en  français,  ainsi  que  le  prouvent  les  termes 
de  schlamm,  de  schlick,  de  mud,  de  clay,  de  ooze. 

Dans  de  pareilles  conditions,  il  devient  impossible  de 
procédera  une  unification.  Il  faut  avant  tout  établir  une 
classification  rigoureuse  entre  les  différents  fonds.  La  clas- 
sification, pour  Sire  précise,  doit  être  basée  sur  une  analyse. 
Celle-ci  doit  être,  en  même  temps,  assea  rapide  pour  qu'une 
carte  n'exige  pour  sa  confection  qu'un  temps  raisonnable, 
et  néanmoins  assez  facile  pour  n'avoir  point  besoin  d'Être 
effectuée  par  de  véritables  spécialistes. 

Aimé,  le  premier,  a  établi  que  la  nature  lithologique  d'un 
dépôt  demeure  permanente  au  môme  endroit.  Il  s'agit, 
bien  entendu,  de  phénomènes  actuels,  car  l'observation  des 
couches  géologiques  qui  se  sont  formées  au  sein  des  eaux 
dans  les  mêmes  conditions  que  nos  couches  actuelles, 
monire  par  la  superposition  brusque,  sur  une  même  verti- 
cale, de  grés,  de  calcaires,  de  marnes,  d'argile  ou  de  sable, 
que  des  variations  dans  les  conditions  ambiantes  amènent 
un  changement  correspondant  dans  la  constitulion  du 
dépôt.  Mais  ces  variations  s' effectuent  très  lentemenlet  leur 
constata  lion  m6me,  rendue  possible,  n'est  pas  un  des  épi- 
sodes les  moins  intéressants  à  constater. 

La  considération  des  couches  fossiles  prouve  qu'un  dépôt 
est  beaucoup  plus  délimité  en  surface  qu'on  ne  serait  tenté 
de  le  croire.  La  remarque  s'applique  surtout  aux  dépôts  de 
mer  peu  profonde  et  voisins  des  cotes,  car  à  mesure  qu'on 
s'éloigne  de  la  terre,  les  conditions  ambiantes  s'uniformi- 
sent, passent  des  unes  aux  autres  par  gradations  insensibles, 
et  il  eu  est  de  même  des  couches  sédimentaires  qui  en  sont 
le  résultat.  J'ai  constaté  à  la  mer  celte  délimitation  en  une 
foule    de    circonstances,    même    à   des     profondeurs   de 


H 


■ 


i86  CARTE    l.lTIIOLOOIQdE    DES  COTES    I1E    FRANCE, 

2  000  mèlres,  et  elle  frappait  les  esprits  les  moins  prévenus, 
ceux  des  simples  matelots  tirant  sur  le  chalut  ou  la  drague. 
On  est,  par  conséquent,  autorisé  à  dresser  une  carte  litho- 
logique à  l'aide  de  teintes  brusquement  limitées,  non 
fondues  entre  elles  et  indiquant  un  étatpermanent,avec  les 
restrictions  énoncées  précédemment. 

Les  dépôts  sous-marins,  au  point  de  vue  de  leur  nature 
lithologique,  se  partagent  en  trois  grandes  catégories,  les 
roches,  les  sables  elles  vases. 

Nous  avons  dit  que  la  carie  était  la  représentation  du 
fond  tel  qu'on  peut  s'en  faire  une  idée  d'après  les  échantil- 
lons rapportés.  Or  il  n'est  pas  toujours  possible  de  récolter 
un  échantillon.  Si  le  fond  est  constitué  par  de  la  roche  vive 
ou  par  des  pierres  trop  grosses  pour  Être  ramenées  entières 
ou  en  fragments  au  moyen  de  la  drague,  du  chalut  ou  du 
plomb  de  sonde,  si  le  plomb  suilïé  ne  possède  d'autre 
marque  qu'un  suif  mâché,  en  un  mol,  si  l'on  n'obtient  qu'un 
résultat  négatif,  !e  fond  sera  dénommé  roche, 

Le  sable  est  constitué  par  des  grains  minéraux  de  gros- 
seur quelconque,  non  accolés  les  uns  aux  aulres,  dont  cha- 
cun possède  son  individualité.  La  vase  proprement  dite  est 
au  contraire  une  masse  minérale  où  il  n'est  possible,  ni  à 
l'œil  nu,  ni  à  la  loupe,  ni  même  au  microscope,  d'apercevoir 
aucun  individu  minéral  isolé,  si  petit  qu'il  soit.  Entre  le 
sable  et  la  vase,  on  trouve  tous  les  passages  désignés  sous 
les  noms  de  sables  vaseux  lorsque  les  grains  semblent  pré- 
dominer ou  de  vases  sableuses  quand  ils  paraissent  être  en 
moindre  quantité  relativement  à  la  vase.  Pour  distinguer 
entre  eux  ces  divers  genres  de  terrains  et  introduire  de  la 
précision  dans  leur  nomenclature  jusqu'à  présent  vague  et 
arbitraire,  il  faut  avoir  recours  à  l'analyse. 

De  même  que  l'analomie,  description  des  organes  ani- 
maux ou  végétaux,  n'est  qu'une  introduction  à  la  physiolo- 
gie, qui  est  l'étude  du  jeu  de  ces  organes,  l'analyse  d'un  Fond 


CARTE    LITIIOLOr.lQUE    DES   CÔTES 

marin  ne  sérail  qu'une  vaine  collée  Lie 


187 


de  chiffres,  rem- 
plissage servant  à  communiquer  un  aspect  respectable  à  un 
mémoire  scientifique,  si  elle  n'était  pas  une  introduction  à 
l'histoire  de  ce  fond,  depuis  sa  naissance  jusqu'à  sa  mort, 
de  sa  genèse,  des  phénomènes  dont  il  a  été,  est  et  sera  le 
théâtre,  de  sa  vie  enlière.  Sous  celte  condition  d'être  un 
moyen  et  non  un  but,  l'analyse  complète  d'un  fond  devra 
être  quadruple.  Elle  sera  mécanique,  minéralogique,  chi- 
mique et  biologique. 

L'analyse  mécanique  se  propose  de  distinguer  entre  les 
divers  dépôts  ceux  qui  appartiennent  à  une  même  catégo- 
rie. Elle  ouvre  l'œuvre  d'invesligation.  Entre  ces  passages, 
par  degrés  insensibles,  du  sable  à  la  vase,  elle  établit  des 
types,  fixe  des  jalons.  A  ceux  qui  veulent  philosopher,  elle 
impose  des  limites  en  deçà  desquelles  portera  la  discussion 
pour  èlre  fructueuse  et  au  delà  desquelles  celle-ci  ne  man- 
querait pas  de  s'égarer.  L'analyse  mécanique  doit  être 
simple  pourpouvoir  èlre  effectuée  au  commencement  même 
des  recherches  et  rester  à  la  portée  de  tous. 

L'analyse  minéralogique  poursuit  l'enquête.  Considérant 
chaque  minéral  en  particulier,  elle  tire  de  la  présence  de 
chacun  d'eux,  de  l'élat  sous  lequel  il  apparaît,  une  série  de 
conclusions. 

L'analyse  chimique,  plus  délicate,  exigeant  de  la  part  de 
celui  qui  l'exécute  des  connaissances  plus  spéciales,  cherche 
dans  le  fait  de  la  composition  des  divers  éléments  chi- 
miques, dans  leurs  rapports  mutuels,  les  phénomènes  in- 
times s'acco  m  plissant  au  sein  même  du  dépôt.  Enfin, 
comme  dans  la  nature  entière  et,  s'il  est  possible,  davan- 
tage encore  dans  la  nature  sous-marine,  la  vie  organique  est 
si  intimement  reliée  à  la  vie  inorganique  qu'à  elles  deux 
elles  complètent  le  cycle  d'existence  des  choses  et  des  êtres, 
un  dépôt  n'aura  vraiment  raconté  son  histoire  que  lorsque 
sa  portion  actuellement  vivante  ou  jadis  vivante,  aura  été 
examinée,  étudiée  et  connue.  A  l'analyse  mécanique,  puis 


18H  CAUTF.    I.ITUO  LOGIQUE    DE»    COTES   DE   FBÀSCE, 

minéralogique,  puis  chimique  succédera  donc  comme  der- 
nier complément  et  achèvement,  l'analyse  biologique. 

Examinons  succinctement  les  procédés  que  comporte 
chacun  de  ces  divers  genres  d'analyse. 

L'analyse  mécanique  consiste  essentiellement  en  un 
triage  qui  s'effectue  de  deux  manières.  On  procède  d'abord 
à  la  séparation  de  la  portion  amorphe.  On  y  parvient  an 
moyen  d'un  tube  trie  m*  à  l'intérieur  duquel  un  courant 
d'eau  d'intensité  variable  à  volonté  emporte  et  isole  les  par- 
ties légères.  Parmi  les  parties  lourdes,  un  tamisage  isole  à 
son  tour,  1res  simplement  et  très  promptement,  les  grains 
selon  leur  grosseur.  On  sait  que,  dans  le  commerce,  les  ta- 
mis en  toile  métallique  ou  en  tissu  de  soie,  sont  classés  se- 
lon leur  numéro, c'est-à-dire  d'après  le  nombre  de  mailles, 
pleins  et  vides,  comptées  sur  une  longueur  de  1  pouce  ou 
27  millimètres. 

Du  passage  au  tube  trieur,  quelque  facile  que  soit  cette 
opération,  demande  nu  peu  plus  de  temps  qu'un  tamisage 
et,  à  loutle  moins,  un  instrument  particulier.  Lorsque  l'ap- 
proximation est  suffisante  pour  le  but  qu'on  se  propose,  on 
se  contente,  an  lieu  d'un  triage  a  l'eau,  d'exécuter  un  tami- 
sage à  travers  un  tamis  excessivement  un  portant  le  nu- 
méro 200.  Si  d'ailleurs  on  souhaitait,  dans  la  suite,  obtenir 
plus  de  précision,  on  reprendrait  le  résultat  du  tamisage  et 
on  le  séparerait  par  lévigation,  en  deux  ou  plusieurs  por- 
tions. 

L'analyse  minéralogique  dose  le  carbonate  de  chaux  si 
commun  dans  les  dépôt?.  L'opération  est  facile  puisqu'elle 
se  borne  à  une  attaque  à  L'acide  chlorhydrique  étendu.  On 
isole  ensuite  les  deux  grandes  catégories  de  grains  miné- 
raux :  d'une  part  le  quartz,  le  silex  et  le  feldspath,  éléments 
en  général  prédominants  et,  d'autre  part,  les  minéraux 
lourds,  beaucoup  plus  rares,  mais,  par  contre,  très  caracté- 
ristiques et  précieux  pour  les  indications  qu'ils  apportent. 
Dans  re  but,  on  passe  à  la  liqueurd'iodures.de  densité  2.7. 


I 


CAHTE   LITHOLOGIQUE    DES   CÔTES    DE    FRANCE.  Ifî'J 

L'analyse  minera  logique  se  termine  par  la  reconnaissance, 
au  microscope,  de  la  nature  et  des  caractères  extérieurs  des 
divers  minéraux  et  on  prolile  alors  ries  ressources  et  procé- 
dés si  nombreux  el  si  précis  mis  récemment  par  la  science 
au  service  de  ce  genre  d'investigation,  phénomènes  opti- 
ques, aspect  anguleux  ou  arrondi  des  grains,  mesure  micro- 
scopique des  propriétés  physiques,  réactions  microchi- 
miques. 

L'analyse  chimique,  par  des  procédés  délicats,  compli- 
qués et  véritablement  techniques,  se  livre  à  l'examen  dé- 
taillé du  dépôt.  S'il  fallait  en  citer  un  exemple,  on  parlerait 
des  beaux  travaux  du  Dr  Konrad  Nallerer  sur  les  fonds  re- 
cueillis par  la  Pola  dans  la  Méditerranée  orientale  et  dans 
la  mer  Rouge. 

L'analyse  biologique  consiste  dans  la  reconnaissance  des 
débris  d'êtres  vivants,  piaules  ou  animaux,  contenus  dans 
le  dépôl.  Gomme  la  présence  d'Olres  vivants  particuliers  est 
la  preuve  d'un  ensemble  de  conditions  extérieures  qui,  s'il 
était  modifié  au  delà  de  limites  déterminées,  impliquerait 
une  modification  correspondante  dans  le  groupement  de  ces 
êtres,  on  conçoit  que  la  nomenclature  seule  des  êtres  pré- 
sents ou  de  leurs  restes  renseigne  synthétiquemenl  sur  les 
conditions  ambiantes  auxquelles  a  été  soumis  le  dépôt.  11 
faut  que,  possesseur  des  connaissances  qu'il  aura  recueil- 
lies en  examinant,  au  point  de  vue  biologique,  les  dépôls  ac- 
tuels, informé  des  découvertes  faites  par  l'océanographe  el 
le  chimiste  en  étudiant  à  leur  point  de  vue  spécial  ces 
mêmes  fonds,  le  naturaliste  livre  au  géologue  des  lois 
qui  permettront  à  celui-ci  de  reconnaître,  à  l'inspection 
une  couche  ancienne,  les  lois  qui  ont  présidé   à    son 

istence.  Assuré,   par  exemple,  à  l'examen  des  fossiles, 

e  la  couche  a  été  déposée  à  une  profondeur  déterminée 
ius  les  eaux,  il  sera  en  état  d'en  conclure,  mainlenant  que 
elle  couche  est  exondée,  quelle  a  été  la  hauteur  de  son 
oulcvement  et,  par  comparaison  avec  d'autres  couches  voi- 


CARTE    UTtlOLOCIQUE    DES    CÔTES    DC    FRANCE. 

sines,  quelle  était  la  pente  du  lit  de  la  mer  qui  les  baignait. 
Il  pourra  alors  évaluer  les  plissements  qui  se  sont  eiFectués 
et  mesurer  l'érosion,  c'est-à-dire  la  hauteur  des  montagnes 
qui  n'existent  plus,  estimer  la  salure  et  la  température  de 
la  mer.  Pendant  ce  lemps,  l'océanographe,  grâce  à  l'examen 
minéralogique  de  la  couche,  en  arrivera  de  son  côté,  d'in- 
duclion  en  induction  mais  s'appuyant  toujours  sur  des 
chiffres,  a  retrouver  les  dimensions  et  les  contours  de  cette 
mer  disparue  depuis  des  milliers  d'années,  la  force  de  ses 
vagues,  la  puissance  et  la  direction  de  ses  courants,  peut- 
être  aussi  la  durée  en  années  ou  en  siècles  que  la  couche  a 
mise  à  se  déposer,  c'est-à-dire  l'intensité  de  l'érosion  qui 
s'accomplissait  sur  le  continent.  La  géologie  de  sentiment 
ou  de  description  se  transformera  enfin  en  géologie  de  pré- 
cision, véritable  paléogéographie,  description  et  histoire 
vivante  de  la  terre  aux  Ages  géologiques. 

La  classification  des  fonds  est  hasée  sur  ces  principes  à. 
propos  desquels  il  est  inutile  de  donner  ici  plus  de  dé- 
tails. 

Roche.  —  On  donne  le  nom  de  roche  à  tout  lerrain  dont 
il  est  impossible  de  rapporter  un  échantillon  soit  à  la  drague, 
soit  au  plomb  de  sonde.  Son  existence  au  fond  de  l'eau  ne 
se  conslale  que  par  ce  fait  que  le  plomb  muni  de  sa  cou- 
pelle à  suif  revient  sans  aucun  débris,  sauf  quelquefois  un 
fragment  d'herbe  ou  de  rocher  brisé  par  le  choc  et  incrusté 
dans  le  suif.  La  désignation  de  roche  dépend  du  procédé 
d'investigation  dont  on  a  fait  choix.  Si,  par  exemple,  on  sup- 
pose un  sol  sableux  recouvert  de  blocs  éparpillés  trop  gros 
pourèlre  rapportés  par  la  drague,  le  terrain  serait  dénommé 
roche  au  cas  où  le  plomb  ne  tomberait  pas  sur  des  espaces 
sableux,  jusqu'au  jour  où  des  coups  de  sonde  plus  nom- 
breux ou  plus  heureux,  don  t  quelques-uns  auraient  ramené 
du  sable,  renseigneraient  plus  exactement  sur  la  vraie  na- 
ture du  sol. 


CARTE    I.ITIIOI.OOIQIE   DES  C"TËS   DE    CHANCE. 


191 


Pierres,  galets. —  Les  pierres  sont  des  cailloux  anguleux 

nt   le  poids  dépasse  3  grammes.  Les  pierres  arrondies 

nt  des  galets. 

Gravier.  —  Fragments  minéraux  anguleux  ou  arrondis 
poids  inférieur  a  3  grammes  et  arrêtés  par  le  ta- 
>  10.  Pour  pius  de  précision,  lorsqu'il  sera  nécessaire,  on 
.doptera  les  trois  catégories  suivantes  : 

«.  Gros  gravier.  Grains  d'un  poids  moyen  inférieur  à 
3  grammes  et  arrêtés  par  le  tamis  3. 

S.  Gravier  moyen.  Grains  ayant  franchi  le  lamis  3  et  ar- 
rêtés par  le  lamis  6.  Poids  moyen  environ  Ogr.  5. 

y.  Gravier  fin.  Grains  ayant  franchi  le  tamis  6  et  arrêtés 
par  le  lamis  10.  Poids  moyen  environ  0  gr.  05. 

Sable.  —  Celle  désignation  comprend  les  grains  ayant 
franchi  le  tamis  10,  mais  arrêtés  par  le  Lamis  200,  avec  les 
subdivisions  suivantes  : 

«  Sable  gros.  Grains  ayant  franchi  le  tamis  10  et  arrêtés 
par  le  lamis  30. 

p.  Sable  moyen.  Grains  ayant  franchi  le  tamis  30  et  arrê- 
tés par  le  tamis  60. 

y.  Sable  fin.  Grains  ayant  franchi  le  tamis  60  et  arrêtés 
par  le  lamis  100. 

3.  Sable  très  fin.  Grains  ayant  franchi  le  lamis  100  el  ar- 
rêtés par  le  lamis  200. 

Le  sable  est  homogène  lorsque  80  p.  100,  en  poids,  au 
moins,  de  l'échantillon,  appartient  à  la  même  catégorie. 

Le  sable  est  mélangé  lorsque  les  grains  peuvent  être  sé- 
parés en  catégories  différentes  sans  qu'aucune  d'elles  soit 
nettement  prédominante.  Dans  ce  cas,  on  désigne  le  sable 
d'après  la  dénomination  des  deux  catégories  de  grains  en 
majorité.  Ainsi  on  aura  du  sable  moyen-fin  ou  moyen-gros 
ou  très  fin-fin. 

Le  sable  est  légèrement  calcaire  quand  il  renferme  au  plus 
Ô  p.  100  de  carbonate  de  chaux,  calcaire  lorsque  cette  pro- 
portion est  comprise  entre  5 et 50  p.  100,  très  calcaire  entre 


102  CARTE   LIT1I0LOGIQUE    DES   CÔTES   DE    FRANCE. 

50  et  75  p.  100,  extrêmement  calcaire  au-dessus  de  75  p.  100. 

Le  sable  est  cotfuitlier  quand  il  contient  des  coquilles 
nettement  visibles  et,  dans  ce  cas,  les  coquilles  sont  brisées 
ou  mouilles  selon  la  grosseur  de  leurs  fragments. 

Va$e.  —  Les  matériaux  ayant  traversé  le  tamis  200  sont 
dénommés  vase.  Ils  se  composent  essentiellement  de  deux 
portions,  l'une  amorphe,  ne  se  laissant  pas  individualiser 
sous  le  microscope  et  appelée  argile.  Cette  argile,  est  plus 
on  moins  calcaire;  quand  elle  ne  manifeste  pas  ou  plus 
d'effervescence  avec  les  acides,  elle  est  de  Y  argile  pure. 

La  seconde  partie  est  constituée  par  des  grains  minéraux 
extrêmement  pelits,  quoique  discernables  au  microscope 
qui  permet,  le  plus  souvent,  de  reconnaître  leur  nature  mi- 
néralogique.  Us  portent  le  nom  As  fin- fins.  On  peut  les  sé- 
parer de  l'argile  au  moyen  d'un  appareil  trieur. 

Les  vases  profondes  sont  distinguées  d'après  leur  cousli- 
tulion.On  aura  ainsi  des  vases  à  globîgérines,  àptéropodes, 
à  radiolaires,  à  diatomées,  des  vases  bleues,  vertes,  glauco- 
nieuses,  des  vases  eorallières  ou  volcaniques.  On  aura  de 
même  des  argiles  grises  et  rouges  des  abîmes. 

Lorsque  l'échantillon  ne  contient  pas  plus  de  5  p.  100  de 
vase,  on  lui  conserve  le  nom  de  sable. 

Lesable  vaseux  renferme  115 à  75p.  lOOde  grains  minéraux, 
et  par  conséquent  de  5  à  25  p.  100  de  vase  proprement  dite. 

La  vase  sableuse,  contient  de  75  à  10  p.  100  de  grains  mi- 
néraux et  par  conséquent  de  25  a  80  p.  100  de  vase. 

Enfin  si  la  vase  contient  moins  de  10  p.  100  de  grains 
minéraux,  on  lui  conserve  son  nom  de  vase. 

En  résumé,  les  fonds  se  classeront  et  se  désigneront  de 
la  manière  suivante  : 


l'ierres,  galels,  poids  tnoy<'ii  jamais  intérieur  a  3  jjr. 

t  gros,     arrêté  par  tamis    3. 
Cravier  J  moyen,  —  6 

'  Hn.  —  10. 


i   I.ITHOLOGtQUE   DES    CÔTES    DE    l'IUNCE. 


Sable 


i  irèsfln,  —  iliO. 

,  Hn-fltis,  ayant  franchi  tamis  500. 

argile  J  calcaire' 
'  (  pure. 

Sable  vaseu»,  outre  95  et  75  p.  100  de  grains  minéraux. 
Vaae  sableuse,     —     75  et  10  p.  100  — 

Vase  proprement  ilile,  moins  île  10  p.  100  de  grains  m 


(1 


Les  principes  suivants  élanl  bien  établis,  savoir  : 

l"  L'indispensable  nécessité  pour  la  science  pure  aussi 
bien  que  pour  la  navigation  el  l'industrie  de  construire,  à 
l'imitation  de  ce  qui  a  été  accompli  par  les  nations  étran- 
gères, une  carte  lilhologique  des  eûtes  de  France; 

2°  La  nécessité  non  moins  indispensable  d'appuyer  celle 
carie  sur  une  classification  précise  des  divers  fonda  sous- 
marins  ; 

3°  L'obligation  de  créer,  dès  le  début,  cette  carte  com- 
plète, quoique  susceptible  d'être  indéfiniment  perfectionnée 
dans  chacune  de  ses  parties. 

J'ai  dressé  la  carte  lilhologique  des  côtes  de  France  de  la 
acon  suivante  : 

J'ai  choisi  une  échelle  suffisante  pour  donner  les  détails 
avec  une  approximation  convenable.  Les  feuilles  de  la  Ma- 
rine à  l'échelle  m  =  12  millimètres  pour  la  Méditerranée  el 
rn  =  15  millimètres  pour  l'Atlantique  et  la  Manche,  qui  se 
raboulant  et  se  superposant  les  unes  les  autres  couvrent 

ut  le  littoral  français,  m'ont  semblé  répondre  au  but  que 

me  proposais  et  je  les  ai  adoptées.  La  Méditerranée  com- 
irend  quatre  de  ces  cartes.  L'échelle  m'en  a  paru  un  peu 
tout  à  cause  de  la  faible  largeur  du  plateau  con- 
tentai dans  ces  régions,  mais  les  feuilles  à  échelle  plus 

ande,  ni  =  37  millimètres,  sont  au  nombre  de  quatorze 

qui  aurait  augmenté  considérablement  les  feuilles  de 

'atlas-  Du  resle,  comme  ces  quatorze  caries  onL  été  colo- 


l'Jl  CARTE   LITHOLOGMJOE    DES    CÔTES   DE    FRANCK. 

riées  par  moi,  je  les  possède  en  manuscrit  et  le  public,  par 
la  demande  qu'il  en  fera,  demeure  le  meilleur  juge  de  l'op- 
portunité de  leur  publication. 


L'océan  Atlantique,  de  l'Espagoe  a  Brest,  comprend 
8  feuilles  et  la  Manche,  jusqu'à  la  frontière  belge,  10  feuilles, 
c'est-à-dire  en  lout,  pour  l'atlas  complet,  22  feuilles. 


CARTE   LITHOI.C-GIOUE    DES    CÔTES    DE    KRANCE.  195 

Sur  les  feuilles  du  dépôt  de  la  Marine,  j'ai  reporté  tout 
ce  qui  a  été  indiqué  par  les  divers  auteurs.  Pour  la  Médi- 
terranée, j'ai  colorié  les  14  feuilles  m  =  37  millimètres  et 
en  ai  reporté  les  indications  sur  les  4  feuilles  m  — 12  mil- 
limètres. J'ai  trouvé  peu  d'informations  :  les  travaux  de 
M.  Pruvot  aux  environs  deBanyuls  et  de  Roscoff,  ceux  de 
M.  Durègne  et  de  moi-même  dans  le  bassin  d'Arcachon  ; 
je  cite  pour  mémoire  la  carte  de  Delesse, petites!  ancienne, 
celles  du  commandant  de  Roujous  pour  l'entrée  de  Brest, 
du  commandant  Trudelle  pour  la  Manche.  On  est  fort  em- 
barrassé lorsque  deux  auteurs  désignent  d'une  façon  diffé- 
rente le  fond  d'une  localité  déterminée  et  que  l'on  ne  pos- 
sède point,  pour  décider  entre  eux,  le  fond  même  dont  il  est 
question. 

En  revanche,  les  indications  de  fonds  telles  qu'elles  sont 
données  par  les  caries  du  dépôt  de  la  Marine  sont  le  véri- 
table document  sur  lequel  il  soit  possible  de  s'appuyer 
d'une  manière  générale.  Ce  n'est  pas  qu'une  étude  appro- 
fondie ne  laisse  apercevoir,en  un  certain  nombre  de  points, 
des  diversités  de  désignation.  Il  serait  bien  désirable,  en 
considération  du  développement  pris  par  l'océanographie, 
que  les  jeunes  ingénieurs  aient  sur  la  géologie  et  la  miné- 
ralogie sous-marines  ries  notions  plus  complètes  que  celles 
qu'ils  possèdent.  Mais,  au  total,  les  cartes  dressées  par  les 
hydrographes  offrent  une  précision  avec  laquelle  il  faut 
compter,  et  quant  à  la  désignation  des  fonds,  elles  sont  le 
fruit  d'une  tradition  qui  en  fait  un  ensemble  dont  il  est 
impossible  de  méconnaître  la  valeur  alors  môme  qu'on  se- 
rait amené  a  critiquer  quelques  détails.  Aussi  aï-je  consi- 
déré comme  bon  tout  ce  qu'a  fait  le  service  de  la  Marine, 
jusqu'à  preuve  du  contraire,  et  lorsqu'un  auteur  s'est  trouvé 
en  désaccord  avec  les  indications  portées  sur  les  feuilles, 
j'ai  toujours  donné  raison  à  la  Marine  à  moins  que  les  di- 
vergences n'aient  été  formulées  d'une  manière  précise,  à 
l'aide  de  chiffres  ou  d'analyses  et  non  de  simples  affirma- 


1%  CAHTE    LITHOLOGIQITE   DES   COTES    DE    FRANCE. 

tions.  11  convient  que  chacun  porle  la  responsabilité  <le  ce 
qu'il  a  avancé.  Je  considère  la  carte  lilhologique  de  France 
comme  devant  être  une  œuvre  de  haute  précision. 

J'ai  colorié  les  fonds  avec  les  teintes  plaies  qui  m'ont 
semblé  se  distinguer  le  miens  tout  en  favorisant  le  rendu 
typographique.  Dans  quelques  cas,  pour  la  plus  grande  fa- 
cilité des  corrections  subséquentes,  j'ai  essayé  de  rendre 
possible  la  représentation,  ;iu  moins  momentanée,  du  même 
terrain,  de  deux  façons  différentes.  Ainsi  du  sable  au  milieu 
de  roches  sera  ligure  soit  par  une  teinte  plate  carmin,  soit 
par  de  fins  points  rouges  sur  la  teinte  bleue  de  la  roche;  de 
la  vase  par  du  jaune  gomme  gutte  en  teinte  ou  en  points. 
Je  n'ai  pas  dislingué  les  sables  vaseux  des  vases  sableuses 
n'ayant  aucun  document  suffisant  pour  établir  cette  dis- 
tinction. Je  croîs  qu'il  sera  nécessaire  de  le  faire  dès  que 
de  nouveaux  échantillons  auront  été  récoltés  et  analysés. 

J'ai  indiqué  par  des  signes  analogues  quant  ù  la  couleur, 
mais  différents  quant  à  la  forme,  des  sols  présentant  entre 
eux  des  analogies.  Les  graviers  gros  et  lin,  les  pierres  et  les 
galets  sont  en  rouge  de  la  nuance  du  sable  dont  ils  sont  des 
variétés  ;  les  coquilles  vivantes,  les  coquilles  brisées  et  les 
coquilles  moulues  sont  figurées  en  bleu  par  des  croix,  de 
courtes  lignes  et  des  points.  Ces  différences,  qui  traduisent 
des  différences  dans  les  conditions  ambiantes  du  milieu 
environnant,  m'ont  paru  devoir  être  signalées. 

Chaque  fois  que  l'indication  d'un  fond  résulte  de  l'ana- 
lyse d'un  échantillon  récollé,  j'ai  noté  la  place,  ce  qui  donne 
une  eei'lituile  complète.  Il  n'a  pas  dépendu  de  moi  que  les 
points  fussent  plus  nombreux  ;  c'est  à*Lous  que  revient  la 
Lâche  de  le--  multiplier  et,  pour  ce  travail,  j'ai  foi  en  l'avenir. 
Le  nombre  de  points  de  récolle  fournit  le  poids  de  l'in- 
dication générale.  Lorsqu'il  sera  assez  considérable  sur  un 
espace  déterminé  et  surLout  à  la  limite  de  deux  sols  diffé- 
rents, un  sera  en  mesure  de  marquer  celle  limite  non  pas 
seulement,  ainsi  que  je  l'ai  l'ail,  par  la  simple  juxtaposition 


CARTE    UTHOLOGIQUE    DUS    CÔTES   DE    FRANCE.  1W7 

de  deux  teintes,  mais  au  moyen  d'un  trait  pointillé  noir  qui 
ne  se  confondra  pas  avec  les  isobathes,  affirmera  la  préci- 
sion de  la  délimitation  sous  la  responsabilité  de  celui  qui 
l'aura  reconnue  et  permettra  ensuite  de  supprimer,  pour 
plus  de  simplicité,  l'indication  des  points  isolés. 

J'ai  noté  par  des  traits  noirs  continus  les  isobathes  de 
10  en  10  mètres  jusqu'à  100  mètres,  sauf  l'isobathe  de 
50  mètres,  qui  est  en  traits  interrompus  afin  d'être  plus  fa- 
cilement distinguée,  celle  de  100  mètres  en  un  trait  con- 
tinu plus  nourri  et,  en  Méditerranée,  celles  de  100  mètres 
en  lOOmèlres. 

La  carte  géologique  de  France,  quelle  que  soit  sa  valeur, 
n'est  pas  ce  qu'elle  sera  dans  un  siècle.  Sa  précision  ac- 
tuelle est  le  résultat  de  perfectionnements  successifs  dus 
aux  efforts  et  au  labeur  de  ceux  qui  se  sont  consacrés  à 
cette  œuvre  depuis  Mounel  et  Guvier,  les  plus  anciens,  Du- 
frénoy  et  Élie  de  Beaumont,  les  auteurs  de  la  première  carie 
détaillée,  jusqu'aux  observateurs  régionaux  qui  ont  dressé 
des  cartes  particulières,  lesquelles  ont  été  ensuite  revisées  et 
coordonnées.  Les  cartes  que  j'ai  terminées  ne  sont  guère 
aujourd'hui  qu'une  esquisse,  mais  elles  existent.  Il  fallait 
les  faire  telles  qu'elles  sont,  afin  qu'elles  puissent  Être  faites 
mieux.  J'espère  fermement  que,  d'année  en  année,  elles  se 
préciseront  davantage  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  modifier 
essentiellement  les  bases  longuement  mûries,  laborieuse- 
ment expérimentées  sur  lesquelles  j'ai  cherché,  dès  le  dé- 
but, à  les  établir. 


-  S"  Tm*B5TRS  18B9. 


LES  DERNIERS  VOYAGES  DANS  LE  TIBET  ORBITAL 

MM    HOLDERER  et  FUTTERER, 
M.'etM"'  RIJNHART,   M.    CH.    BONIN 


«  Depuis  quelques  années  les  expéditions  au  Tibet  se  mul- 
tiplient, ayant  toutes  le  même  but  idéal  d'atteindre  Lhassa 
et  toutes  condamnées  à  n'y  point  arriver.  Mais  en  cela, 
l'orame  beaucoup  d'autres,  choses,  c'est  moins  le  but  qui 
tist  intéressant  que  le  chemin  pour  y  arriver  s,  Cette  phrase 
a  été  écrite  par  M.  Grenard,  le  compagnon  de  Dutreuil  de 
Hhins,  au  sujet  de  l'exploration  de  M.  Lillledale  en  1895  : 
elle  est  toujours  valable  pour  les  voyages  qui  se  sont  suc- 
cédé depuis  lois.  Mais  si  les  eflbrts  et  les  insuccès  des 
explorateurs  européens  dans  ces  régions  sont  invariables, 
il  faut  noier  le  changement  important  qui  semble  se  pro- 
duire dans  la  politique  que  les  Tibétains  opposent  à  ces 
tentatives. 

Les  premiers  voyageurs  qui  se  présentèrent  sur  le  terri- 
toire de  Lhassa,  Bonvalol  et  le  prince  d'Orléans,  le  capitaine 
Bower  et  Mockhill,  furent  traités,  comme  on  sait,  avec  une 
aménité  relative.  Après  les  avoir  savamment  amenés  à 
renoncer  à  leur  projet  d'arriver  jusqu'à  la  ville  sainte,  les 
autorités  de  Lhassa  s'empressaient  ensuite  de  reconnaître 
ce  désislement  en  leur  fournissant  les  moyens  de  gagner 
dans  les  meilleures  conditions  la  frontière  chinoise.  Cetle 
façon  d'agir  n'ayant  pas  découragé,  tout  au  contraire,  les 
voyageurs,  les  tentatives  se  multiplièrent  si  bien  qu'un 
fonctionnaire  indigène  disai  t  :  <  Autrefois  nous  étions  occu- 
pés à  empêcher  les  Européens  d'entrer  au  Tibet;  aujour- 
d'hui nous  ne  sommes  plus  occupés  qu'à  les  en  faire  sortir.  » 
Les  Tibétains  paraissent  donc  s'être  décidés  à  employer 


LES    IiEKNIEKS   VOYAGES  WANS    LE    TIBET    ORIENTAL .      l'Jt) 

désormais  des  moyens  plus  Énergiques  et  ce  me  semble  la 
raison  principale  pour  laquelle  presque  toutes  les  expédi- 
tions libélaines  faites  durant  ces  cinq  dernières  années  ont 
été  arrêtées  par  des  attaques  et  des  assassinats.  Il  est  à  noter 
toutefois  que  ces  actes  de  violence  ne  sont  pas  commis 
généralement  sur  les  territoires  dépendant  directement  de 
Lhassa,  comme  pour  bien  mettre  à  couvert  la  responsa- 
bilité des  autorités  tibétaines  et  chinoises  de  la  capitale  du 
Tibet  :  ce  sont  des  tribus  de  la  frontière  qui  furent  char- 
gées ou  se  chargeront  d'elles-mêmes  de  ces  exécutions. 

Je  rappellerai  comme  exemples  principaux  le  pillage  de 
miss  Taylor  dans  les  monts  Dangla,  l'assassinat  de  Dulreuil 
de  Rhins  à  Tongboumdo,  l'attaque  du  colonel  Roborovsky 
dans  les  monts  Amnyé  Matchin  et  du  lieutenant  Poltinger 
sur  le  Haut-Iraouaddy,  la  façon  violente  dont  le  capitaine 
Deasy  fut  rejeté,  comme  Liltledaie,  sur  le  Ladak  d'où  il 
sortait,  les  tortures  qu'eut  à  subir  le  journaliste  Savage 
Landor,  la  disparition  mystérieuse  de  M.  Rijnhart,  très 
probablement  assassiné  sur  le  Haut-Mékong,  enfin  les  ten- 
tatives de  massacre  et  d'empoisonnement  commis  contre  le 
D*  Holdereret  ses  compagnons. 

Au  sujet  de  ces  deux  derniers  voyages,  dont  les  détails 
ne  sont  pas  encore  connus  en  Europe,  j'ai  été  à  môme  de 
réunir  sur  place  d'assez  nombreux  renseignements.  Je  les 
dois  d'une  part  à  Mme  Rijuhart,  la  compagne  du  voyageur 
assassiné,  qui  est  arrivée  à  Tatsienlou  (Tibet)  au  moment 
même  où  je  m'y  trouvais  en  novembre  dernier,  et  d'autre 
part  au  très  aimable  et  distingué  Dr  Holderer,  qui  vient 
d'arriver  à  Shanghaï.  Une  lettre  de  Mme  Rijuhart  a  paru 
dans  le  Nortk  China  Daily  Sews  du  4  janvier  dernier  avec 
les  notes  de  voyage  sommaires  de  son  mari  jusqu'à  sa  dis- 
parition. Grâce  aux  renseignements  qui  m'ont  été  donnés  à 
Tatsienlou,  je  puis  y  ajouter  des  détails  sur  la  dernière 
partie  du  voyage  avec  des  éclaircissements  géographiques 
sur  l'itinéraire  suivi. 


" 


200     LES    DERNIERS    VOYAGES    DAtiS    LE   TIBET    ORIENTAI.. 


M.  Peter  Rijnhart,  né  à  Rotterdam  en  Hollande,  était 
établi  depuis  plusieurs  années  dans  la  région  de  Sining  (dans 
le  Kan-sou);  Mme  Rijnhart,  Anglaise  du  Canada,  y  exerçait 
la  médecine.  Sans  appartenir  régulièrement  aux  missions 
protestantes  d'Angleterre  ou  d'Amérique,  ils  avaient  déjà 
fait  chez  les  tribus  du  Koukbe-nor  plusieurs  voyages,  dont 
le  succès  les  engagea  a  pousser  plus  loin.  Ils  espéraient 
peut-être  atteindre  Dordjéling  (entre  le  Népal  et  le  Bhoutan, 
terminus  d'une  ligne  qui  aboutit  à  Calcutta)  en  passant  par 
Lhassa  :  l'itinéraire  adopté  par  eux  le  laisse  au  moins  sup- 
poser. Ils  partirent  deTankar'  (Donkyr)  en  mai  dernier, 
emmenant  leur  fils  âgé  d'un  an  à  peine.  Comme  il  était 
facile  de  le  prévoir,  le  pauvre  enfant  ne  put  supporter  les 
fatigues  et  les  privations  de  la  route  et  il  succomba  trois 
mois  après  le  départ  :  il  est  enterré  sur  les  bords  du  Mou- 
roui-Ûussou,  le  haut  Fleuve  Bleu. 

Les  voyageurs  avaient  avec  eux  Irois  serviteurs  indigènes 
et  treize  chevaux  pour  leurs  bagages;  ils  subvenaient  aux 
frais  du  voyage  principalement  en  vendant  des  livres  de 
piété  et  en  donnant  leurs  soins  médicaux  aux  populations. 
Le  résident  chinois  (amban)3  de  Sining  leur  avait  refusé 
un  passeport,  mais  ils  passèrent  outre,  se  fiant  a  leur  con- 
naissance du  pays.  Ils  suivirent  d'abord  la  rive  nord  du  lac 
Koukbe-nor  à  travers  un  pays  peuplé  de  Tibétains  et  des- 
cendirent vers  Barong-tsaidam,  où  commencent  les  régions 
désertes.  Continuant  vers  le  sud,  ils  franchirent  deux 
grandes  chaînes  de  montagnes,  qu'ils  appellent  Shaya-koko 
(sans  doute  les  monts  Chouga  ou  Koukhe-tchilt)  et  Shih- 


1.  Tong-kor,  ou  Tong-k'ar.  Celte  iternière  orthographe  es!  probablement 
[abonne.  Tong-k'ar  signifie  marcha-forteresse  <mark©t-borûug:h|  (Gre- 


3.  Légal  impérial,  k'iny-tch'ai  (C). 


LES    DERNIERS   VOYAGES    IIANS    LE    TIBET    ORIENTAL.     201 

dangla  (Dangla)1.  Ils  arrivèrent  ainsi  à  la  préfecture  de 
Nagchuka  (iS'ag-tchou-ka),  où  résident  un  mandarin  chinois 
et  un  chef  tibétain,  après  avoir  élé  volés  déjà  de  trois  obe- 
vaux  sur  la  route.  Les  aulorilès  les  prévinrent  qu'ils  ne 
pourraient  continuer  plus  au  sud  vers  Lhassa  et  leur 
offrirent  des  guides  et  des  chevaux  pour  gagner  à  l'est  Jye- 
hundo  (Gyé-rgouu-do),  d'où  ils  pourraient  rentrer  en  Chine 
par  Tatsienlou.  Ils  acceptèrent  et,  partis  de  Nag-tchou-ka 
au  commencement  de  septembre,  ils  conlinuèrent  leur 
voyage  à  travers  une  région  montagneuse  et  difficile,  où  ils 
durent  franchir  deus  grandes  rivières,  le  Dangchu  et  le 
Suchu  :  c'est  le  Cbaglchou-,  descendant  des  monts  Dangla, 
et  le  Sogtchou,  qui  forment  avec  le  Nagtchou  les  trois 
branches  supérieures  de  la  Salouen.  Après  avoir  traversé 
■•i  gué  te  Ta-chu,  qui  n'est  autre  que  le  Haut-Mékong 
(Diatchou),  ils  furent  égarés  par  leurs  guides  sur  une  roule 
impraticable,  qui  longe  la  rivière,  et  assaillis  par  des  coups 
de  fusil  qui  jetèrent  la  confusion  dans  leur  petite  cara- 
vane. Leurs  guides  s'enfuirent,  leurs  chevaux  furent  enlevés 
ou  tués,  et  M.  et  Mme  Rijnhart  restèrent  seuls  sur  le  bord 
du  fleuve  avec  un  seul  cheval,  le  plus  fatigué  de  tous.  Dans 
cette  position  désespérée,  après  avoir  tenté  pendant  plu- 
sieurs jours  de  retrouver  la  roule,  M.  Rijnhart  se  décida  à 
relraverser  le  Mékong  à  la  nage  pour  atteindre  quelques 
lentes  qu'il  apercevait  dans  le  lointain.  Sa  femme  suivait 
«es  mouvements  avec  un  télescope  :  elle  le  vit  disparaître 
peu  à  peu  parmi  les  rochers  qui  bordaient  l'autre  rive,  se 
dirigeant  vers  un  troupeau   de  moutons  qui   paissait  là, 

I.  L'ortiio graphe  de  ce  nom  est  douleuse  ;  aucun  Tibétain  n'a  pu  m'en 
donner  une  explication  saiisfiiisauie.  l'eut-élre  est-ce  Drang-la  qui  se 
prouotwe  Dang-ta  avec  nu  d  foii  et  explosif  facile  ii  confondre  avec  un 
/_  Drang  signifie  droit,  direct,  sans  détours,  comme  le  turc  Toghry  ou 
fughrou,  si  fréquents  dans  la  géographie  de  l'Asie  ceuiralu.  M.  Rock- 
iiill,   la   première  autorité   en   ces  matières,   éeril  Dang  la  (Urenard). 

•i  Cliag-lchov  est  le  nom  que  prend  la  rivière  formée  par  la  réunion 
Èa  Liang-Miou  el  du  Sang-ldiou  (G.). 


202      LES   DERNIERS   VOYAGES    DANS    LE    TIBET   ORIENTAL, 

et  depuis  lors  elle  n'a  plus  eu  de  lui  aucune  nouvelle... 
Cela  se  passait  le  2ti  septembre.  Mme  Rijnharl  resta  six 
jours  à  [attendre  le  retour  de  son  mari;  enfin,  avec  l'aide 
desj  Tibétains  des  lentes,  qui  rerusèrent  d'ailleurs  de  lui 
donner  aucun  renseignement  sur  le  sort  de  son  mari,  elle 
put  atteindre  la  lamaserie  de  Tachi,  d'où  le  supérieur  la  fit 
conduire  par  requissions  jusqu'à  Racbi-gonpa*  et  de  là  à 
Gyergoundo.  Le  mandarin  chinois,  délégué  de  l'amban  de 
Sining,  qui  commande  ce  poste,  lui  fit  trouver  des  chevaux 
et  donner  deux  guides  chinois  pour  gagner  Tatsienlon  par 
la  route  de  Kangdzé,  mais  elle  n'avait  pas  encore  épuisé 
tous  les  malheurs  :  une  semaine  environ  avant  d'arriver  au 
but,  elle  fut  attaquée  de  nouveau  sur  le  territoire  de  Tawo 
(Dswo-gonpa),  qui  dépend  nominativement  du  roi  libétain 
de  Kiala*  (Tatsienlou);  le  peu  d'argent  qui  lui  reslait  fut 
enlevé,  le  sabre  fut  levé  sur  sa  tète,  et,  sauvée  par  ses 
prières,  elle  arriva  à  Tatsienlou  dans  le  plus  complet  dénue- 
ment. Quelques  jours  auparavant,  un  missionnaire  anglais 
de  cette  dernière  ville,  qui  peut-être  marchait  à  sa  rencontre 
dans  celte  direclion,  avait  élé  attaqué  pendant  la  nuit  à  ce 
même  Tawo  el  avait  dû  revenir  en  hâte,  portant  son 
bagage  sur  le  dos.  C'est  même,  dît-on,  ce  qui  l'avait  pro- 
tégé du  coup  de  sabre  qu'un  Tibétain  lui  lançait  par  derrière 
et  qui  fui  paré  par  l'épaisseur  de  la  charge. 


Le  Dr  Holderer  est  originaire  du  grand-duché  de  Bade, 
)ù  il  exerçait  les  fonctions   à'amtmann  (administrateur) 


I.  Ou  plulùl  Rak'i-yonpti,  le  monasière  ilt-  la  trilm  des  Rak'i.  11  n"est 
pas  indiqué  sur  ma  carte,  parce  que  nous  n'en  avons  pas  connu  la 
position  exacte.  11  nous  a  été  signalé  comme  situé  dans  le  liant  rie  In 
vallée  Foumo-djoiijr  (Atlas  de-  la  missinn  hiitreuil  de  llhius,  carte  XXII}, 


il  rie  la  r« 


e(G.). 


i.  Ltchug.*-la.  pron.  Trhajf-1 


(G.). 


LES   DERMEBS    VOYAGES   DANS    I.E   T1IÎET   ORIENTAL.      20;! 

du  district  de  Lorrach.  Agé  de  32  ans,  il  était  déjà  pré- 
paré à  diriger  une  exploration  par  un  premier  voyage  au- 
tour du  monde.  Celui  qu'il  vient  de  terminera  travers 
l'Asie  a  été  fait  entièrement  à  ses  Trais,  pendant  un  congé 
que  lui  a  donné  son  gouvernement  et  sans  aulre  concours 
que  desrecommandations  officielles  pour  les  pays  traversés. 
Son  ami  le  Dr  Fiilterer,  qu'il  s'est  adjoint  pour  cette  expé- 
dition, était  spécialement  chargé  de  la  partie  scientifique  : 
observations  et  histoire  naturelle.  Les  voyageurs  étaient 
accompagnés  d'un  domestique  allemand,  et  le  gouverne- 
ment russe  mit  à  leur  disposition  pour  les  suivre  en  Asie 
centrale  trois  cosaques  provenant  du  détachement  de 
Khouldja;  ils  ne  paraissent  pas  en  avoir  été  très  satisfaits  : 
l'un  des  cosaques  tomba  malade  à  Sining  et  dut  être  rapa- 
trié, les  deux  autres  nbandonnèrent  la  mission  peu  après, 
avant  d'entrer  dans  les  régions  dangereuses  où  leur  con- 
cours aurait  été  utile. 

Parti  d'Europe  en  novembre  18(17,  le  Dr  Holderer  et  son 
compagnon  se  dirigèrent  parla  Méditerranée,  la  mer  Noire 
et  la  Transcaucasie  vers  le  Turkestan  russe.  De  Tachkenl, 
ils  entrèrent  sur  le  territoire  chinois  par  Kachgar,  où  le 
consul  général  de  Russie,  M.  Petrovsky,  bien  connu  de 
tous  ies  voyageurs,  dispose,  grâce  à  son  escorte  de  64  co- 
saques, du  pouvoir  effectif,  mais  non  nominal,  sur  la  Kach- 
garîe.  Il  lit  donner  aux  voyageurs  comme  interprète  un 
marchand  russe,  échangé  plus  tard  contre  un  Sarle,  égale- 
ment sujet  du  Tsar,  qui  n'alla  pas  non  plus  jusqu'au  terme 
de  la  route,  en  sorte  que  la  dernière  partie  du  voyage  s'ef- 
fectua sans  escorte  et  sans  interprète,  ce  qui  en  augmenta 
singulièrement  les  difficultés. 

De  Kachgar  les  explorateurs  se  dirigèrent  à  l'est  en  sui- 
vant les  monts  Tien-chan  vers  Tourfan  et  Hami,  dans  la 
partie  occidentale  du  désert  de  Gobi.  Infléchissant  au  sud- 
est,  ils  atteignirent  a  Soutclieou  la  province  du  Kansou,  abri- 
tée derrière  le  prolongement  occidental  de  la  Grande  Mu- 


'204      LES   DERNIERS   VOYAUES   DANS    LE   TltlET   ORIENTAL. 

raille.  En  longeant,  celle-ci  .jusqu'à  Leang-tcheou,  ils  des- 
cendirent vers  Sining,  laissant  sur  leur  gauche  la  capitale 
du  Kansou,  Lanlcheou.  Jusque-là  les  routes  suivies  étaient 
d'\jà  connues  par  des  explorations  précédentes,  dues  spé- 
cialement aux  Russes.  C'est  à  Sining  et  à  Donkyr  que  les 
voyageurs  organisèrent  définitivement  leur  caravane  pour 
pénétrer  dans  le  Tibet  du  nord  et  explorer  le  cours  supé- 
rieur du  Hoang-ho,  qui  était  leur  objectif.  Ils  emmenaient 
avec  eux  une  douzaine  de  chevaux  et  une  quarantaine  de 
yaks  pour  le  transport  de  leurs  provisions;  l'été  élait  venu 
et  l'herbe  haute  facilitait  la  nourriture  de  ces  animaux.  La 
caravane  se  dirigea  d'abord  à  l'ouest  en  suivant  les  pâtu- 
rages qui  s'étendent  sur  la  rive  méridionale  du  grand  lac 
Koukhe-nor.  Ils  ne  rencontrèrent  dans  ces  régions  que  les 
lentes  noires  des  Tibétains  nomades,  qui  y  fonl  circuler 
leurs  troupeaux. 

Arrivés  au  lac  Dalai-Dabassou  les  explorateurs  ne  purent 
trouver  de  guides  pour  les  conduire  au  sud-ouest  vers  les 
lacs  Kiaring  et  Ngoring  et  se  décidèrent  à  revenir  vers  le 
sud-est  pour  atteindre  au  moins  le  cours  supérieur  du 
Hoang-ho.  Ils  le  franchirent  à  un  gué,  gardé  par  un  petit 
poste  de  soldats  chinois,  qui  paraît  tilué  à  40  ou  50  kilo- 
mètres en  amont  de  Balaikoun-gomi  '.  A  celle  hauteur  le 
fleuve  coule  dans  un  étroit  défilé,  un  cniion,  qui  ne  laisse  le 
long  de  ses  rives  aucune  route  praticable. 

Continuant  vers  le  sud-sud-esl,  les  voyageurs  arrivèrent 
dans  un  pays  de  pâturages,  où  ils  trouvèrent  pour  la  pre- 
mière fois  les  tentes  tde  feutre  blanc  des  Mongols,  mêlées 
aux  lentes  en  poil  de  yak  des  Tibétains  s.  Ils  établirent  leur 
camp  sur  le  Tse-Lcheu,  affluent  de  droite  du  fleuve  Jaune, 
ie  Ktchî-tzn  de  la  carte  de  Dutretiil  de  llhins.  Laissant  là 
leur  caravane  sous  la  garde  de  leur  domestique  allemand, 

1.  0uahon-t;oml  (G.). 

2.  Les  Tibétains  du  Kouknor  se  servent  quelquefois  de  ternes  de 
finilrt  blanc  (G.). 


LES   DERNIERS    VOYAGES   DANS    LE  TIBKT   ORIESTAL.      205 

ils  piquèrent  vers  le  sud  pour  atteindre  le  Hoang-ho,  très 

probablement  près  du  confluent  de  la  rivière  qui  porte  sur 

les  cartes  le  nom  mongol  de  Bakha-Kalioutou  (la  petite 

Kalioulou),  tandis  que  le  Tse-tcheu  porte  celui  de  Yeke- 

Kalioulou  (la  grande  Kalioulou).   Ils  constatèrent  que  le 

fleuve  Jaune  coule  ici  au  pied  d'un   large   plateau  avant 

d'entrer   dans  les   défilés  qui  l'enserrent  ensuite,  que  si 

direction  est  à   celte  hauteur   rigoureusement  de  l'est  à 

l'ouest,  comme  elle  est   marquée  sur  les  cartes  chinoises, 

mais  non  sur  les  cartes  européennes,  et  qu'enfin  au  sud  du 

fleuve  court  une  grande  chaîne   de  montagnes  qui  parait 

absolument  déserle.  Ce  sont  les  monts  Amnyé  Matchin,  la 

montagne  sainte  des  Tibétains  Ngologs.qui  battent  du  front 

à  son  seul  aspect. 

Revenu  au  camp  duTse-lcheu,  le  D'Holderer  apprit  qu'il 
avait  été  attaqué  pendantson  absence  par  des  rôdeurs  tibé- 
tains et  mongols,  et  qu'on  avait  tenté  de  faire  périr  son  do- 
mestique avec  du  lait  empoisonné;  celle  région  est  en  effet 
relativement  très  peuplée,  et  la  population  nomade  y  est 
particulièrement  belliqueuse,  insolente  et  hostile.  En  consé- 
quence, les  voyageurs  reprirent  la  direction  du  sud-esl  pour 
se  rapprocher  des  Lerriloires  chinois,  et  arrivèrent  sur  le 
cours  supérieur  du  Tao-ho,  dans  une  région  où  les  forôls  se 
mêlent  aux  palurages.  Près  du  gonpa  de  Chin-se  ou  Tcbin- 
tse,  lamaserie  importante  sur  la  rive  gauche  du  Tao-ho, 
qui  compte  iOO  lamas  environ,  ils  furent  attaqués  de  nou- 
veau par  les  Tibétains;  malgré  leur  énergique  défense  tous 
leurs  bagages  furent  pillés,  leurs  yaks  enlevés  et  ils  restè- 
rent seuls  avec  deux  chevaux,  sur  lesquels  ils  se  hâtèrent 
de  gagner  la  préfecture  chinoise  de  Tao-tcheou.  Ce  n'est 
pas  sans  regrels  qu'ils  abandonnaient  ainsi  la  vallée  du 
fleuve  Jaune  sans  avoir  pu  relier  de  nouveau  son  cours  supé- 
rieur à  leur  itinéraire;  ils  avaient  appris  en  effet  que,  de 
Tchin-lse,  on  peut  se  rendre  en  deux  jours  de  cheval  à  la 
pointe  orientale  du  coude  du  Hoang-ho,  point  qu'il  aurait 


2<Hi      I.KS  DBRKIEnS    VOïAUES   DAIS'S    t-E   TIBET    ORIENTAL. 

été  liés  important  de  fixer  pour  savoir  jusqu'où  dans 
cette  direction  le  fleuve  s'avance  vers  l'est-  C'est  seulement 
près  de  Tao-tcheou,  à  deux  jours  environ  dans  l'ouest  de 
cette  ville,  qu'ils  retrouvèrent  les  premiers  agriculteurs  chi- 
nois, qui  ne  semblent  pas  de  ce  côté  gagner  peu  à  peu  sur 
les  Tibétains  comme  ils  le  font  depuis  plusieurs  années  sur 
les  frontières  du  Setclmen  et  du  Yunnan. 

Ayant  adressé  leur  plainte  officielle  aux  autorités  du 
Kansou  et  réclamé  le  remboursement  de  leurs  bagages 
enlevés,  les  voyageurs  gagnèrent  Singan-fou  par  Kong- 
tchang  et  Ping-leanget  descendirent  de  la  à  Ilan-keou  par 
les  barques  du  Tan-ho  et  de  la  rivière  Han.  Arrivés  à 
Changhai,  ils  se  séparèrent  pour  rentrer  en  Europe,  le 
Dr  Fùtterer  par  l'Amérique  et  le  Dr  Holderer  par  le  canal 


Bien  qu'il  n'ait  pu, par  suite  de  l'hostilité  des  populations, 
être  accompli  dans  son  entier,  ce  voyage  n'eu  reste  pas 
moins  un  des  plus  intéressants  parmi  ceux  qui  ont  été  exé- 
cutés sur  la  frontière  tibélaine  :  il  remplit  en  effet  un  vide 
important  de  la  carte  entre  les  itinéraires  de  Prjévaisky, 
de  Rockhill  et  de  Grenard  à  l'ouest,  celui  de  Potanine  et 
mon  voyage  de  18913  à  l'est.  Si  le  Dr  Holderer  avait  pu, 
franchissant  la  boucle  du  Hoang-ho,  rejoindre  le  point  où 
Itoborovsky  fut  arrêté  le  27  janvier  1895,  le  problème  eût 
été  presque  entièrement  résolu;  ce  sera  l'œuvre  de  ceux 
qui  s'engageront  sur  leurs  traces,  demain  ou  dans  dix  ans, 
car,  selon  le  mot  du  philosophe  allemand,  «  toute  œuvre 
n-l-elle  encore  et  toujours  l'éternité  du  temps  pour  s'ac- 
complir», 

C.-E.  Bonin. 


LES   OKBMERf    VOYAGES    DAZV*    LE    TIBET    ORIENTAI..       207 


La  très  intéressante  note  de  M.  Bonin  qu'on  vient  de  lire 
s  quelques  observations  complémentaires  de  ma  part. 
1  ce  qui  concerne  le  voyage  de  Kijnhart  et  de  sa  femme, 
je  n'ai  rien  à  ajouter  à  ce  que  j'en  ai  dit  dans  les  Comptes 
rendus  de  la  Société  d'après  les  notes  mêmes  du  voyageur 
et  les  lettres  de  sa  femme.  Je  fais  seulement  remarquer 
qu'il  n'y  a  point  de  mandarin  chinois  à  Nag-lchou  dzong; 
celui  qui  est  venu  à  la  rencontre  de  H.  Kijnhart  à  la  fron- 
tière septentrionale  du  royaume  de  Lha-sa  était  probablement 
un  des  secrétaires  de  la  légation  de  Lha-sa,  chargé  d'aller 
recevoir  selon  la  coutume  l'hommage  et  le  tribut  du  prince 
des  Tibétains  Hor-tsi,  qui  réside  à  Pa-tchen  au  nord-est  de 
Nag-tchou.  Il  ne  peut  avoir  été  envoyé  spécialement  delà 
capitale  pour  arrêter  M.  Ftijuhart,  puisque  l'arrivée  de  celui- 
ci  n'avait  pas  été  signalée  avant  le  2ti  août,  et  que  dès  le 
l"  septembre  il  rencontrait  ledit  fonctionnaire;  or,  un  cour- 
rier ne  peut  pas  mettre  moins  de  six  jours,  ni  un  fonction- 
naire moins  de  dix,  pour  accomplir  le  trajet  de  Nag-lchou  à 
Lha-sa  et  inversement  ;  de  plus,  M.  Rijnharl  a  été  arrêté  a 
deux  journées  de  marche  an  nord  de  Nag-lchou  dzong. 

Le  voyage  de  MM.  Holderer  et  Fiitterer,  moins  difficile, 
noins  long  et  moins  dramatique  que  le  précédent,  est  plus 
utile  au  point  de  vue  géographique.  Il  n'y  a  rien  à  dire  de 
s  partie  déjà  bien  connue  de  leur  itinéraire  entre  Kâchgar 
et  le  lac  Dalai  Dabsoun.  Je  remarque  en  passant  que  l'es- 
corte du  consul  russe  à  Kâchgar,  quin'était  que  de  40  cosa- 
raes  lors  de  notre  passage,  a  été  portée  à  64.  Le  fait  a  son 
importance.  Quant  à  l'opinion  d'après  laquelle  le  repré- 
sentant du  tsar  posséderait  le  pouvoir  effectif  sur  la  Kach- 
garie,  elle  est  singulièrement  exagérée;  mais,  comme  j'ai 
déjà  expliqué  ailleurs  l'état  exact  des  choses,  je  n'y  revien- 
drai pas  ici.  Il  est  regrettable  que  MM.  Holderer  et  Fiitterer 
aient  renoncé  à  leur  intention  de  se  rendre  du  Dalai  Dab- 


508      LES    DEKPilEilS    VOYAGES    DANS    LE    TIBET   ORIENTAL. 

soun  aux  lacs  Kya-ring  el  Ngo-ring.  Peut-être  le  défaut  de 
guides  n'élail-il  point  un  motif  suffisant  d'abandonner  ce 
projet  dont  l'exécution  nous  aurait  fixés  d  é  fi  ni  li  veinent 
sur  les  sources  du  Hoang  hô.  Au  demeurant,  je  prie  le  lec- 
teur de  ne  point  voir  de  reproche  ni  de  critique  dans  ce 
regret  que  je  me  permets  d'exprimer;  car  l'exploration 
que  les  voyageurs  allemands  ont  accomplie  n'est  pas  moins 
originale  que  celle  qu'ils  ont  nianquée,  et  elle  étail  en  réa- 
lité plus  dangereuse. 

En  partant  du  Dalai  Dabsoun  dans  la  direction  du  sud- 
esl,  ils  ont  croisé  successivement  l'itinéraire  de  M.  Rockhill 
(1892),  le  mien  (189-1)  et  celui  de  Prjévalsky  (1880;  avant 
d'atteindre  le  fleuve  Jaune.  Celte  partie  du  voyage  permettra 
de  débrouiller  l'orographie  encore  obscure  de  la  région  qui 
s'étend  au  sud  du  Kouk  nor.  Le  fleuve  Jaune  franchi,  les 
voyageurs  entrèrent  dans  un  pays  où  les  Européens  n'avaient 
jamais  pénétré  avant  eux,  el  qui  ne  nous  est  connu  que  par 
des  cartes  chinoises  el  un  certain  nombre  de  renseignements 
recueillis  principalenieni  par  M.  Potanine.  Ils  remontèrent 
probablement  la  vallée  du  Mba  tchou  et  atteignirent  la 
rivière  dont  ils  IranscriventTsé-lcheu,  le  nom  que  Polanine 
écrit  Rlcbi-dza  (Tehi-dza).  C'est,  comme  le  dit  M.  Bonin, 
i'iki  Kalioutou  des  Mongols.  Je  n'insisterai  pas  sur  la  suite 
de  l'expédition  que  M.  Bonin  explique  très  clairement.  Je 
me  contenlerai  de  noter  que  ma  carte  générale  de  l'Asie 
centrale  se  trouve  ÔIre  conforme  aux  premiers  renseigne- 
ments fournis  par  MM.  lloldereret  Fûllerer,  ce  qui  prouve 
en  faveur  des  géographes  chinois  qui  m'ont  servi  à  la  con- 
struire. Mais  il  est  bien  certain  que  les  travaux  des  deux 
voyageurs  allemands,  lorsqu'ils  seront  complètement  con- 
nus, y  apporteront  de  nombreuses  modifications  de  détail, 
et  des  changements  peut-elre  importants  dans  quelques  po- 
sitions, qui  nous  donneront  le  moyen  de  rapprocher  davan- 
tage de  la  vérité  le  dessin  de  la  grande  courbe  décrite  par  le 
fleuve  jaune.  En  somme,  MM.  Holderer  el  FiilLerer,  autant 


LES    BKMilEflS    VOYAGES   DANS    LE   TIUET   ORIENTAL.       209 

que  nous  pouvons  le  savoir  présentement,  ont  parcouru 
environ  750  kilomètres  entièrement  nouveaux.  Ils  ont  pré- 
cisé les  cours  supérieurs  de  l'Obé  tchou  el  du  Tché-tché 
tchou,  fixé  deux  points  du  fleuve  Jaune,  reconnu  pour  la 
première  fois  les  vallées  du  Tchi-dza,  du  Baka  Kalioutou  et 
du  Tao  ho  jusqu'à  Tao  Icheou.  Ils  ont  réduit  d'une  manière 
1res  notable  l'étendue  inexplorée  qui  a  le  pays  des  Ngo-log 
pour  centre  et  qui  demeure  encore  la  plus  vasle  des  terrœ 
incognito.  C'est  là  un  résultat  considérable,  qui  leur  fera 
d'autant  plus  d'honneur  que  les  circonstances  étaient  plus 
défavorables. 

Les  plus  récenles  expéditions  tentées  parles  voyageurs 
européens  sur  les  confins  occidentaux  de  la  Chine  ont  été 
marquées  par  les  mêmes  revers.  Mais  les  causes  de  ces 
revers  sont  différentes  ;  les  unes  doivent  Être  attribuées  au 
milieu,  les  autres  au  moment.  Les  régions  où  se  sont  aven- 
turés M.  et  Mme  Rijnhart,  MM.  Holderer  et  Fiitterer  ont 
été  dangereuses  de  tout  temps.  Les  explorateurs  les  avaient 
évitées  avec  soin  jusqu'à  ces  dernières  années.  Prjévalsky 
ne  s'y  est  jamais  hasardé.  M.  Kockhill,  qui  les  a  traversées 
en  1889  par  la  route  la  moins  périlleuse,  parce  qu'elle  est 
tenue  par  quelques  garnisons  chinoises,  y  a  éprouvé  de 
graves  difficultés;  Dulreuil  de  llhins  y  a  été  tué  en  1894; 
M.  Roborovsky,  l'année  suivante,  a  été  attaqué  au  moment 
où  il  essayait  d'y  pénétrer  et  obligé  à  rebrousser  chemin; 
Mme  Bîsbop  en  1891  a  été  expulsée  après  y  avoir  parcouru 
quelques  lieues.  Celte  contrée,  qui  laisse  aux  explorateurs 
du  xx*  siècle  plus  de  travail  que  toute  autre  au  monde,  est 
limitée  à  peu  près  à  l'est  par  les  itinéraires  de  Polanine  en 
1885  et  1893,  au  sud  par  la  grande  roule  de  Ta-tsien-lou  à 
Ba-t'ang  et  par  l'itinéraire  de  M.  Bonvalot,  à  l'ouest  par 
l'itinéraire  de  Hue,  au  nord  par  celui  de  Prjévalsky  en  1884 
et  par  les  lacs  Kya-ring  et  Ngo-ring.  Politiquement,  elle 
comprend  presque  toutes  les  principautés  tibétaines  indé- 
pendantes de  Lha-sa,  sauf  celle  des  Hor-lsi,  que  leur  hosli- 


L 


210      LES    DERNIBKS   VOVACES   UANS   I.Ë   TIBET   ORIË] 

lilé  au  bouddhisme  rend  relativement  favorables  aux  Euro- 
péens. L'une  d'entre  elles,  celle  des  Ngo-Iog,  est  un  État 
de  brigands  que  nul  n'ose  forcer  dans  leur  repaire.  Les 
autres,  échappant  à  l'autorité  réelle  delaChine,  sont  livrées 
au  caprice  de  leurs  chefs,  qui  se  querellent  et  se  battent 
sans  cesse;  elles  sont  morcelées  en  une  foule  de  clans  et  de 
cantons  toujours  prfits  à  guerroyer  entre  eux,  vivant  sous, le 
régime  de  la  vendetta  et  de  la  razzia  ;  elles  sont  la  proie  de 
moines  tout-puissants,  durs  et  rapaces,  qui,  d'instinct,  crai- 
gnent et  haïssent  l'étranger  et  exaspèrent  contre  lui  l'âme 
superstitieuse  et  défiante  des  montagnards.  Sans  doute  les 
Européens  ne  sont  pas  mieux  vus  dans  le  royaume  de  Lha-sa, 
qui  est  aussi  tout  entier  dans  la  main  des  moines;  mais 
c'est  un  État  organisé  qui  sait  maintenir  l'ordre  parmi  ses 
sujets,  et  qui,  soucieux  par  politique  de  garder  un  carac- 
tère régulier,  observe  les  formes  pour  mettre  à  la  porte  les 
intrus  dès  qu'ils  apparaissent.  Il  veille  d'ailleurs  à  leur 
sûreté,  dont  il  se  sait  responsable  ;  mais,  s'il  leur  arrive  mal- 
heur hors  do  ses  frontièresjils'en  lave  les  mains  ;  bien  mieux, 
il  excite  secrètement  conlre  eux  les  gens  des  principautés 
voisines  sur  lesquels  sa  suprématie  religieuse  lui  donne  une 
grande  influence.  Si  le  gouvernement  de  Lha-sa  avait  placé 
son  devoir  au-dessus  de  sa  haine,  il  aurait  pu  facilement 
sauver  la  vie  de  Dutreuil  de  Rhins;  il  lui  aurait  suffi  de 
nous  accorder  la  lettre  que  nous  lui  avions  demandée  pour 
les  abbés  que  nous  devions  rencontrer  sur  notre  chemin,  et 
nous  aurions  trouvé  aide  et  sympathie  là  où  nous  n'avons 
trouvé  que  mauvais  vouloir  et  inimitié. 

Dans  la  partie  du  Seu-lch'ouen  où  M.  Bonin  a  voyagé,  il 
n'en  va  pas  de  mÈme  que  dans  la  région  dont  je  viens  de 
parler.  L'autorité  chinoise  s'y  fait  sentir  davantage.  Je  ne 
veux  pas  dire  que  les  indigènes,  Tibétains  ou  autres,  qui  y 
sont  établis,  soient  toujours  de  bonne  composition.  C'est 
une  chose  assez  délicate  que  de  s'entendre  avec  eux,  et  que 
M.  Bonin  ait  su  s'en  faire  accepter  tant  dans  son  exploration 


■ 


LES    DKBMEflS    YOïAi.KS    HANS    I.K    TlliET    ORIENTAL. 


1\\ 


de  18H5  que  dans  celle  de  l'année  dernière,  cela  fait  honneur 
à  ses  qualités  diplomatiques;  mais  enfin, avec  une  conduite 
prudente,  on  peut  traverser  ce  pays  sans  grand  danger  dans 
les  circonstances  ordinaires.  Malheureusement,  M.  Bonin  y 
est  arrivé  au  moment  le  plus  défavorable.  La  guerre  du 
Japon,  les  intrigues  etles  révolutions  de  palaisqui  en  avaient 
Été  la  conséquence  à  Pékin  avaient  ébranlé  le  pouvoir  im- 
périal; des  révoltes  avaient  éclaté  dans  le  nord  et  dans  le 
sud  de  la  Chine,  on  parlait  d'un  changement  de  dynastie, 
et  partout  les  fonctionnaires  locaux,  sentant  la  bride  du 
maître  flotter  sur  leur  cou,  donnaient  carrière  à  leurs  fan- 
taisies :  hostiles  pour  la  plupart  aux  étrangers,  ils  commen- 
çaient à  les  persécuter  sous  main, quelquefois  ouvertement; 
les  lettrés  sans  emploi,  n'ayant  d'espoir  que  dans  le  désordre, 
stimulaient  les  pires  passions  populaires  contre  les  démons 
d'occident  ;  les  soldats  licenciés,  les  paysans  affamés  et  les 
gueux  des  villes  étaient  à  l'affût  de  mauvais  coups  et  de 
pillerïes  ;  les  associations  politiques  s'agitaient  et  tous  les 
fauteurs  de  troubles  tournaient  leurs  premières  violences 
contre  les  Européens  parce  que  c'est  contre  eux  qu'il  était 
le  plus  facilede  s'accorder.  Des  missions  chrétiennes  furent 
ravagées  et  incendiées,  des  missionnaires  tués,  maltraités 
ôli  expulsés.  Dans  ces  conjonctures,  l'expédition  de  M.  Bo- 
nin ne  pouvait  se  poursuivre  sans  péril. 

Les  indigènes  l'avaient  bien  accueilli,  mais  les  Chinois, 
qui  ne  respectaient  plus  les  ordres  de  Pékin,  l'attaquèrent 
ou  le  firent  attaquer.  Il  eut  quatre  hommes  blessés  dans  le 
combat,  dont  il  sortit  lui-même  sain  et  sauf.  Il  gagna  avec 
peine  Kieu-lch'ang  ou  Ling-yuen,  puis'l'a-tsien-lou,pardes 
routes  nouvelles.  Cette  dernière  ville,  calme  d'ordinaire, 
était  alors  livrée  au  désordre  comme  le  reste  de  la  province  j 
le  télégraphe  avait  été  coupé;  les  missionnaires,  épargnés 
jusqu'à  ce  jour,  mais  menacés,  vivaient  dans  l'inquiétude 
et  pensèrent  un  moment  à  se  réfugier  avec  M.  Bonin  sur 
une  montagne  prochaine  peu  accessible.  Bientôt  le  voya- 


^^^m 


212      LES   DEKMlKnS   V0VA4ÏES    DANS    LE    TIBET   ORIENTAL. 

genr  apprit  le  pillage  d'une  grosse  partie  de  ses  bagages  el 
de  son  argent,  que  M.  de  Vaulserre  lui  avait  expédiée.  Il 
lui  était  désormais  impossible  de  continuer  sa  marche  en 
avant,  moins  encore  à  camuse  du  manque  de  ressources  que 
de  l'état  d'anarchie  et  de  rébellion  où  le  pays  était  plongé. 
Il  revint  donc  par  la  grande  route  sur  Ya-tcheou  afin  de 
regagner  le  lleuve  Bleu.  En  prenant  toutes  les  précautions 
el  en  faisant  face  aux  dangers  qui  le  suivaient  sous  des 
formes  multiple?,  il  put  atteindre  le  fleuve  et  descendre 
par  eau  jusqu'à  Tch'oung-k'ing  et  I-tch'ang  en  retraversant 
départ  en  part  la  vallée  du  Ta  Kiang  de  plus  en  plus  troublée. 
Ainsi  la  période  d'agitation  au  milieu  de  laquelle  M.  Bon  in 
a  tenté  son  exploration  ne  lui  a  pas  permis  de  remplir  son 
programme  entier.  Cependant  les  résultais  qu'il  a  obtenus 
sont  considérables  et  seraient  très  satisfaisants  pour  une 
première  année  de  voyage,  même  si  elle  s'était  écoulée  sans 
incident  fâcheux.  Tandis  que  son  second,  M.  de  Vaulserre, 
relevait  le  cours  du  lleuve  Bleu  en  amont  de  Soei  fou, 
M.  Bonin  prenait  la  voie  de  Ta-knuan,  Tchao-t'oung  et 
Toung-tch'ouan,  qu'avaient  suivie  avant  lui  Francis  Garnier 
en  1868,  Jean  Dupuis  en  1871,  Baber  en  1876.  A  quelques 
lieues  au  delà  de  Toung-tch'ouan,  il  abandonna  les  chemins 
battus  et  s'engagea  sur  une  route  inexplorée  qui  le  conduisit 
à  travers  le  Leang-chan  à  Ling-yuen;  de  là  il  marcha  sur 
les  traces  de  Baber  (1877)  jusqu'à  Lou-kou,puîs  il  remonta 
une  vallée  plus  occidentale  que  celle  qu'avait  descendue  le 
voyageur  anglais  et  aboutit  à  Tzeu-la-li  sur  leTa-kin  tch'ouen 
où  il  rentra  en  pays  connu.  Aulanl  que  je  puis  m'en  rendre 
compte  préseniemenl,  M.  Bonin  a  relevé  environ  400  kilo- 
mètres nouveaux.  Son  itinéraire,  comme  il  l'écrit  lui- 
même,  complète  et  rectifie  celui  qu'il  a  suivi  en  1895-1896; 
l'un  et  l'autre  forment  les  deux  côtés  d'un  triangle  isocèle  qui 
aurait  Ta-lsicn-lou  pour  sommet  et  la  ligne  de  Ta-li  à  Toung- 
tch'ouan  pour  base.  Les  nombreux  renseignements  géogra- 
phiques qu'il  a  recueillis  sur  les  régions  voisines  de  sa  route 


*-ES   L'LriîlliilS   YGYAi. m   D.^NS   1a.    r »BiùT   0.»iK.NT..L.      LiO 

doublent  l'importance  de  son  exploration  et  permettront 
de  dresser  la  carte  du  pays  situé  entre  le  fleuve  Bleu,  le 
Ya-long  kiang  et  le  Ta-kin  tch'ouen.  J'ajouterai    que  ce 
voyage  emprunte  un  singulier   intérêt  à  la  .peuplade  des 
Lolos,  ou  plutôt  des  Nyé-sou,  pour  employer  le  nom  véri- 
table, au  milieu  de  laquelle  il  a  été  accompli.  Cette  peu- 
plade, qui  n'est  guère  connue  que  par  les  notes  deBaber, 
bien  superficielles  malgré  la  grande  intelligence  de  l'auteur, 
et  les  travaux  encore  incomplets  du  P.  Vial,  a  été  étudiée 
récemment,  dans  les  tribus  qui  en  subsistent  au  Yun-nan, 
par  M.    Bons  d'Anty,  aujourd'hui    consul   de    France  à 
Tch'oung-k'ing.  Nous  souhaitons  qu'il  puisse  bientôt  publier 
les  résultats  des  recherches  qu'il  a  poursuivies  longtemps 
avec  patience  et  avec  la  plus   parfaite  compétence.   Les 
informations  de  M.  Bonin  y  ajouteront  sans  doute  d'impor- 
tants détails,  et  achèveront  de  nous  donner  une  connais- 
sance générale  de  ce  débris  de  l'antique  race  indonésienne, 
primitive  occupante  de  la  Chine  et  chassée  dès  les  temps 
préhistoriques  par  le  peuple  des  cent  familles  dans  les 
montagnes  du  Tibet. 

M.  Bonin  reprendra  son  exploration  dès  qu'il  aura  obtenu 
du  gouvernement  de  Pékin  la  satisfaction  qui  lui  est  due. 
Mais  au  lieu  d'aborder  l'Asie  centrale  par  le  Seu-tch'ouen., 
il  l'abordera  par  le  Kan-sou.  Il  rencontrera  certainement 
moins  d'obstacles  de  ce  côté,  et  pourra  vraisemblablement 
résoudre  plusieurs  questions  géographiques  concernant  le 
haut  fleuve  Jaune  et  le  haut  fleuve  Bleu;  de  cette  manière 
il  aura  accompli  une  mission  un  peu  différente  de  celle 
dont  il  s'était  fixé  le  programme,  mais  non  moins  impor- 
tante. 

F.  Grenard. 


V&w^i-a**^- 


SOC.  DE  GÉOGR.   —  2e  TRIMESTRE  1890.  XX.  —  15 


AU  TRAVERS  DU  CONTINENT  AUSTRALIEN 


Le  capitaine  H.  VERE  BARCLAY1 


Il  y  a  vingt-Jeux  ans,  le  gouvernement  de  l'Australie  méri- 
dionale désira  déterminer  la  position  de  ta  ligne  frontière 
entre  cette  colonie  et  le  Queensland.  M.  H- Vere  Barclay  était 
à  ce  moment  en  congé  temporaire;  il  Tut  recommandé  au 
gouvernement  ite  l'Australie  méridionale  par  le  Ministère  de 
la  Marine  anglaise  comme  étant  toutù  fait  qualifié  pour  ac- 
complir cette  périlleuse  et  savante  mission.  La  ligne,  jus- 
qu'alors idéale,  qui  séparait  les  deux  provinces  australiennes 
était  presque  parallèle  à  une  ligne  télégraphique  qu'on  venait 
d'établir  entre  le  port  d'Adélaïde  au  sud  et  Port-Darwin  au 
nord  de  l'Australie;  en  plus  de  la  mission  qui  lui  était  con- 
fiée par  les  provinces,  le  capitaine  Barclay  devait  étudier 
le  tracé  d'une  ligne  de  chemin  de  fer  destinée  à  rejoindre 
dans  l'avenir  les  rivages  sud  de  l'Australie  à  ses  rivages 
nord,  c'est-à-dire  une  longueur  d'environ  3,000  kilomètres. 

H.  Barclay  commença  d'abord  a.  déterminer  astronomi- 
quemenlte  point  d'Alice  S prings,  place  sur  la  ligne  télégra- 
phique, sur  laquelle  il  mesura  ensuite  sa  base  d'opérations 
qu'il  relia  par  des  triangulations  à  la  ligne  frontière  qu'il 
avait  à  tracer.  Pour  arriver  à.  cette  ligne,  il  eut  à  traverser 
une  contrée  formée  de  collines  de  sable  avec  nombreux 
spinifex;  mais  un  peu  plus  haut  les  sables  cessent  a  Mac- 
donnell  Ranges,  où  commence  une  chaîne  de  montagnes 
dont  certains   pics  atteignent  1,700  mètres  de  hauteur, 


,   CiuBmuiilciiiion   faite   par  H.  Jules   Garnier   dans   la   séance   du 
Mrs  1699.  —  Voir  le  profil  Joint  à  ce  numure. 


AU   TRAVUIIS    DU   CONTINENT    AUSTRALIEN.  215 

andis  que  sa  base  d'opérations  n'était  qu'à  700  mètres  au- 
s  du  niveau  de  la  mer.  Cette  haute  chaîne  s'étend  est- 
ouest  et  va  rejoindre  dans  le  Queensland  la  chaîne  de 
Garas.  M.  Barclay  était  accompagné  de  9  hommes  et  de 
nombreux  chevaux;  en  même  temps  que  la  topographie,  il 
relevait  la  coupe  des  terrains  traversés,  que  l'on  peut  voir 
sur  le  profil  ci-joint.  A  l'endroit  nommé  Hergol  Springs, 
fi  350  kilomètres  au  sud  du  lac  Eyre,  M.  Barclay  traversa 
la  contrée  la  plus  remarquable  de  son  voyage  :  ce  pays  est 
au  niveau  de  la  mer  eL  quelquefois  an-dessous;  ainsi  la 
surface 'du  lac  Ëyre  est  à  3  m.  50  au-dessous  du  niveau 
lie  la  mer;  autour  d'Hergol  Springs  s'élèvent  de  nom- 
breuses collines  de  sable  en  forme  de  pains  de  sucre  et 
c'est  au  sommet  de  ces  collines  que  se  trouve  généralement 
une  petite  nappe  d'eau  dont  la  plus  grande  peut  avoir 
15  mètres  de  diamètre,  et  pendant  que  l'eau  abonde  sur  ces 
omroets  de  sable  on  n'en  trouve  pas  une  goutte  à  leurs 
jïeds  ;  le  voyageur  qui  n'aurait  pas  l'idée  de  gravir  ces  troncs 
e  cône  pourrai t  mourir  de  soi!' dans  la  plaine.  M.  Barclay  ne 
a  pas  le  fond  de  ces  pièces  d'eau  même  à  380  mèlres, 
■ofondeur  à  laquelle  ses  sondes  pouvaient  atteindre.  L'eau 
de  ws  bassins  est  salée,  saturée  d'iodurcs  et  rie  chlorures 
alcalins,  de  plus  elle  est  imprégnée  d'hydrogène  sulFuré  et  sa 
température  atteint  82°  centigrades;  des  vapeurs  s'en  dé- 
gagent. On  arrive  à  la  rendre  potable  pour  les  animaux  en 
fa  laissant  reposer  pendant  vingt-quatre  heures;  les  ga» 
qu'elle  contient  s'évaporent,  mais  comme  elle  est  toujours 
très  salée,  l'homme  n'en  peut  boire  que  très  modérément. 
Cette  eau  provient  de  puits  artésiens  naturels,  et  la  silice 
dont  elle  est  chargée  a  formé  graduellement  au  travers  des 
sables  une  sorte  de  tube  solide  par  lequel  l'eau  arrive  régu- 
lièrement du  fond  au  sommet  de  chaque  c6ne. 

M.  Barclay  a  constaté  par  les  faits  suivants  la  façon  dont  ces 
phénomènes  se  produisent.  Dans  les  Macdonnell  Ranges,  ;iu 
nord,  le  sol  est  l'orme  de  schistes  inclinés  de  70°  vers  le  sud, 


210 


ai:   TRAVEBS   ! 


les  pluiesqui  tombent  surce  territoire  monlagneuxatteignent 
une  hauteur  qui  varie  entre  50  centimètres  et  1  m.  60,  elles 
suivent  souterraine  nient  la  pente  des  schistes  et  vont  remon- 
ter vers  HergoL  Springs  sous  la  forme  de  ces  puits  artésiens; 
une  preuve  de  ce  fait,  c'est  qu'il  ne  pleut  jamais  sur  les 
sables  qui  couvrent  l'intervalle  et  que,  de  quatre  à  sept 
mois  environ  après  tes  grandes  pluies  qui  tombent  dans  les 
montagnes  de  Macdonnell  Ranges,  la  vigueur  des  sources 
d'HergotSprings  augmente  en  proportion  des  pluies;  de 
plus  l'immense  bassin  qui  entoure  du  côté  du  nord-est, 
jusque  dans  le  tjueensland,  ces  puits  artésiens,  écoule  toutes 
ses  eaux  dans  la  mer  de  sable  à  la  surface  de  laquelle  appa- 
raissent ces  puits  artésiens.  Ce  curieux  pays  de  sable  est 
ainsi  traversé  par  des  sources  ascendantes  sur  une  distance 
de  800  kilomètres  environ.  L'eau  du  lac  Eyre,  dont  le  niveau 
est  si  bas,  est  ta  plus  salée  de  toutes,  et  c'est  un  fait  très 
remarquable  si  l'on  observe  que  c'est  précisément  dans  ce 
lac  que  toutes  les  rivières  du  grand  bassin  nord-est  du 
Queensland,  sur  une  largeur  de  160  kilomètres,  viennent  se 
déverser,  de  sorte  que  cette  salure  ne  peut  s'expliquer  que 
par  l'arrivée  dans  ce  bassin  lacustre  des  sources  salines  sou- 
terraines dont  nous  avons  parlé.  Nous  ferons  remarquer  à 
ce  sujet  que  les  eaux  jaillissantes  dans  les  pays  de  sable  ont 
non  seulement  une  grande  influence  pour  retenir  les  sables 
à  l'état  de  dunes,  mais  encore  pour  fixer  ces  dunes  et  en 
former  des  collines  solides  où  les  sables  sont  agglomérés 
par  les  subslances  minérales  qui  s'échappent  des  eaux 
ascendantes  qui  les  tenaient  en  dissolution1. 


1.  Ces  falLs  vunnenl  appuyer  I  opinion  Énoncée  par  M.  Jules  tarnier  ;i 
la  Sociéu  de  Ciugraplik  en  I88J.  et  pins  lanl  reprise  par  le  capitaine 
du  génie  Courbi»,  à  teVotr  qu'il  eii-lf  dans  le  Sutura  des  dune!!  qui 
prennent  naissante  aux  poims  un  se  irouvrni  des  sources  jaillissantes. 
On  avait  objecte  a  Mlle  opinion  que  la»  eaui  dont  cette  variété  de 
dunes  sont  Imprùyiiéi'»  provenaient  des  pluie-s  et  non  des  sources  sous- 
JaillUsante*  :  cela  ne  saurait  être,  en  tout  cas,  dans  les  dunes  de 
Hergni  Spriug*.  puisque  les  pluies  n'y  tombent  jamais. 


AU   THAVËRS    PU    CONTISKNT   AUSTRALIEN. 

ird  de  ce  pays  des  sources,  on  traverse  des  colli 
sable  rouge  couvertes  de  silex  rouges 
ntre  aujourd'hui,  à  Charlotte  Waters,  i 


-217 


li  nés 
.  noirs;  on'ren- 
observatoirc  du 

gouvernement  qui  constate  parfois  des  températures  de  50" 
centigrades  à  l'ombre.  Au  nord  de  Charlotte  Waters,  le  pays 
s'élève  rapidement  jusqu'à  Macdonnell  Ranges;  celte  con- 
trée a  subi  une  énorme  dénudation.  ainsi  que  le  montre  la 
curieuse  colonne  appelée  Cliambers  Pillais; ce  pilier  formé 
île  grès  friable  est  un  témoin  de  l'ancienne  hauteur  du  sol; 
mais  celte  colonne  à  peu  près  verticale,  maintenue  par  une 
cohésion  plus  grande  de  ses  éléments,  disparaît  rapidement 
usée  par  le  vent  et  les  pluies. 

Plus  au  nord  l'aspect  du  pays  change  complètement  :  les 
sables  et  les  grès  font  place  à  de  vastes  séries  de  chaînes  de 
quart  zî te  et  de  granit  s'étendant  sur  une  longueur  de  700  ki- 
lomètres de  l'est  à  l'ouest  et  sur  une  largeur  de  100  kilo- 
mètres. La  limite  sud  de  celte  chaîne  est  une  barrière  extra- 
ordinaire, taillée  à  pic  et  absolument  inaccessible  à  l'homme. 
De  dislance  en  dislance,  celle  chaîne  est  coupée  d'étroits 
passages  par  lesquels  se  déversent  les  eaux  du  nord  pour 
aller  au  sud  dans  la  mer  de  sable;  ces  ouvertures  ont  jus- 
qu'à 20  mètres  de  largeur,  pendant  que  le  roc  a  70  mètres 
de  hauteur.  Au  nord  de  cette  barrière  se  trouve  une  plaine 
très  fertile,  comprise  entre  la  barrière  même  et  les  mon- 
tagnes du  nord  ;  tantôt  elle  s'amincit  et  tantôt  s'élargit  jus- 
qu'à 60  kilomètres  de  largeur;  c'est  là  une  véritable  oasis. 
Du  coté  de  l'est,  on  retrouve  des  rivières  courant  au  sud. 

Nous  devons  rappeler  que  les  rivières  de  ces  pays  ne 
coulent  que  dans  la  saison  des  pluies,  mais  les  sables  qui 
encombrent  leur  lit  conservent,  à  quelques  pieds  de  pro- 
fondeur, de  l'eau  où  le  voyageur  neuls'abreuver;  en  dehors 
de  ces  lits  de  rivières,  l'eau  fait  absolument  défaut,  et  le 
capitaine  Barclay  a  dû  rester  jusqu'à  trois  semaines  sans 
n  trouver  pour  ses  soins  de  propreté. 
Au  nord   de  l;i  chaîne  est-ouest  dont  nous  venons  de 


m 


At   TRAVERS   DU    CONTIENT    AUSTRALIEN. 

faste  plateau  ;  cette  région  est  hien  pins 


parler,  se  trouve  un  v 
fertile  qu'aucune  des  régions  du  sud,  la  pluie  y  tombe  aussi 
plus  régulièrement  et  l'on  y  sent  l'arrivée  de  la  mousson  du 
nord,  qui  n'atteint  pas  le  sud  à  cause  des  montagnes  qui 
l'arrêtent.  On  comprend  que  dans  ces  conditions  les  indi- 
gènes soient  ici  d'un  type  supérieur  à  ceux  du  reste  de  l'Aus- 
tralie; ce  sont  les  highlanders  du  continent  australien;  ils 
sont  braves  et  bien  armés,  anthropophages  et  guerriers. 
Toutefois  ils  ont  toujours  respecté  le  capitaine  Barclay  parce 
qu'ils  voyaient  en  lui  un  homme  d'une  grande  bonté,  qui 
donnait  des  remèdes  à  leurs  malades,  maïs  ils  le  sentaient 
aussi  fort  et  résolu;  il  est  vrai  encore  qu'ils  le  prenaient 
pour  an  sorcier  en  voyant  ses  télescopes,  ses  théodolilhes 
et  antres  instruments,  c  Ce  sont  pour  moi,  dit  le  capitaine 
Barclay,  des  amis  »,  et  il  a  pu  voyager  au  milieu  d'eus  pen- 
dant plusieurs  mois,  accompagné  d'un  seul  blanc,  sans  être  , 
le  moins  du  monde  inquiété.  Il  est  revenu  plusieurs  fois 
dans  la  contrée  depuis  vingt  ans  pour  y  terminer  ses  travaux 
et  il  est  de  mieux  en  mieux  reçu  ;  pour  lui,  il  y  a  là  une  race 
humaine  qu'on  ne  peut  qualifier  d'inférieure  et  il  est  bon 
juge,  car  il  a  observé  un  grand  nombre  de  peuplades  diverses 
dans  le  cours  de  sa  longue  carrière  d'explorateur. 

Ces  Australiens  ont  des  coutumes  qui  semblent  extraordi- 
naires :  leurs  mœurs  au  sujet  du  mariage  sont  très  strictes  ; 
il  est  défendu  d'épouser  une  parente  m6me  éloignée  et,  ils 
doivent  même  souvent  chercher  leurs  femmes  dans  une 
tribu  étrangère;  l'homme  qui  désire  s'unir  à  une  femme 
doit  l'enlever;  celle-ci,  surprise  par  l'homme,  doit  le  suivre 
et  lui  la  protège  ensuite  contre  toute  agression.  Ils  ne  sortent 
de  leur  territoire  que  s'ils  doivent  porter  un  message  et, 
dans  ce  cas,  ils  ont  comme  sauf-conduit  un  petit  bâton  sur 
lequel  sont  entaillés  des  signes  spéciaux  qui  sont  les  mêmes 
pour  tout  le  continent  australien.  Le  capitaine  envoyait 
ainsi  ses  lettres  et.  télégrammes  à  plusieurs  centaines  de 
kilomètres  de  distance  ;  il  faisait  une  fente  dans  un  bàtun,  il 


un  bàtun,  il 


AU  TRAVERS   DU   CONTINENT  AUSTRALIEN.  219 

y  insérait  son  message  et  l'indigène,  le  bâton  à  la  main  et 
bien  en  vue,  traversait  tout  le  pays,  respecté  de  tous  à  cause 
du  message  qu'il  portait.  Quelquefois  on  rencontre,  chemin 
faisant,  des  inscriptions  tracées  sur  des  pierres  dont  le  sens 
nous  échappe  encore. 

Au  nord  du  plateau  dont  nous  venons  de  parler  et  à  partir 
de  Barrox  Creek,  la  contrée  est  formée  de  vastes  steppes 
sans  intérêt,  qui  descendent  en  penle  douce  jusqu'au  rivage 
du  nord. 

M.  Barclay,  quand  il  arriva  à  Port-Darwin,  dans  le  nord, 
qui  sera  le  point  terminus  du  chemin  de  fer  qu'il  a  tracé 
depuis,  apprécia  grandement  la  position  de  ce  vaste  port 
qui  se  trouve  en  face  des  immenses  continents  de  la  Chine 
et  de  llnde.Ge  sera  là,  d'après  lui, le  centre  d'un  commerce 
des  plus  florissants  quand  le  chemin  de  fer  y  aboutira.  Près 
de  1,-400  kilomètres  de  la  ligne  sont  déjà  construits;  il  ne 
reste  plus  que  2,200  kilomètres  à  faire.  Il  n'est  pas  douteux 
qne  ce  continent  ne  soit  destiné  à  recevoir  dans  l'avenir 
une  immense  population. 


MISSION  VOULET-CHANOINE 

Itinéraire  du  capitaine  CHANOINE 
UE   D1ENNÈA   S ANSANNE-HAOUSSA' 


Saiisaotié-H;inin«a   i.rivi-  candie  fin  Nipcf,  100  kilomètres 
en  amonl  île  5ay\  le  S  janvier  1899. 

J'ai  quille  Dienné  le  18  octobre  1898  avec  3130  tirailleurs 
pour  me  rendre  à  Say  p;ir  la  voie  de  terre,  tandis  que  Vou- 
let  parlait  pour  Tombouelou  et  Say  par  le  Niger  avec,  les 
chalands  chargés  de  matériel.  Au  mois  d'octobre,  toute  la 
plaine  de  Dienné  est  inondée  et  couverte  de  2  mètres  d'eau. 
Le  Niger  et  le  Bani  sont  réunis  et  de  loir,  en  loin  on  voit 
émerger  des  monticules  hérissés  d'un  bouquet  de  rôniers; 
ce  sont  les  villages  devenus  des  lies,  Dienné  même,  avec  ses 
grandes  maisons  à  deux  étages,  ses  mosquées,  ses  terrasses 
et  son  enceinte,  baignée  par  le  canal  de  Koakourou  qui 
l'entoure  de  toutes  parts,  a  l'air  d'une  forteresse. 

J'ai  débarqué  sur  la  rive  droite  du  fi.ini  àKombaka{20  ki- 
lomètres nord-est  de  Dienné)  et  j'ai  pris  la  route  de  Yarro- 
Sô.  On  rencontre  la  montagne  à  lïl  kilomètres  du  fleuve; 
c'esl  la  montagne  du  Dakol,  de  Bandiagara,  de  Donentza, 
du  llomboi'i:  c'est  la  montagne  des  turbulents  H  abcs.  La 
route  de  Dienné  à  Oualiigouya  la  traverse  directement  à 
Diam,  mais  elle  est  encombrée  de  rochers  et  très  mauvaise 


1.  Celle  relation  de  H,  le  capital 

communiquée   à   la    Sociélë   par  l'un   de   si 
1U.  le  général  Chanoine,  père  de  cet  offleier. 


Chanoine  a  été  obligeamment 
cicos  membres. 


DE    IUENNÉ    A    SANSANNÉ-HAOUSSA.  '221 

pour  les  chevaux;  c'est  pourquoi  je  fis  un  crochet  vers  le 
nord  pour  passer  par  une  sorte  de  col  qui  s'étend  de  Yarro 
à  Su.  Sô  est  le  village-  qui  domine  la  plaine,  leSéno  au  sud-est. 
De  Yarro  à  Sô,  30  kilomètres;  c'est  la  largeur  de  l'arête 
montagneuse,  La  montagne  de  Bandiagara  est  un  des 
importants  accidents  de  terrain  de  l'Afrique;  on  la  traverse 
près  de  Dîou,  entre  San  et  Sono,  et  encore  entre  Sikasso  et 
Bobo-Dioulaso;  elle  se  prolongerait,  dit-on,  davantage  vers 
le  sud.  Au  nord,  elle  continue  au  delà  du  Hombori,  qui  est 
simplement  la  dénomination  d'une  de  ses  parties;  elle  va 
sans  doute  jusqu'au  Nieer,  à  Tosaye,  et  s'étend  peut-être 
au  delà.  Elle  a  une  longueur  connue  de  plus  de  1,000  kilo- 
mètres et  sépare  très  nettement  les  bassins  du  Niger  supé- 
rieur (Bani  et  ses  affluents)  et  du  Niger  moyen  du  bassin 
des  Volta.  Elle  en  fournit  une  bonne  partie  des  eaux,  qui, 
traversant  les  sables  du  Séno,  viennent  sourdre  150  kilo- 
mètres plus  au  sud. 

La  montagne  est  habitée  par  une  population  très  dense, 
que  nous  appelons  improprement  «:  les  Habé  ».  Le  mot 
4  Kado  »,  au  pluriel  «  Habé  »,  est  en  effet  le  nom  général  que 
donnent  les  Foulbé  à  toutes  les  populations  noires,  par 
antithèse  avec  eux-mêmes  qui  se  considèrent  comme  des 
étrangers.  Le  mot  <  Kado  »  signifie  l'autochtone,  le  noir. 
Les  habitants  de  la  montagne  se  disent  «  Toma  s  et 
d'origine  c  mandé  ».  Ils  ont  des  noms  païens  très  différents 
de  ceux  des  Malinkés  et  des  Bambaras,  qui  sont  aussi  des 
Mandés.  Il  est  probable  qu'ils  ont  conservé  sans  altération 
noms,  tandis  que,  dans  tout  le  reste  du  Soudan,  ceux- 
ci  sont  altérés  ou  changés,  par  imitation  des  noms  musul- 
mans ou  de  lu  Bible. 

La  montagne  est  appelée  dans  le  Soudan  le  «  Tomakou- 
loii  î  (la  montagne  des  Toma,  en  langue  bambara). 

Les  Habé  ne  sont  pas  tatoués  ;  ils  sont  robustes  et  plus 
musclés  que  les  gens  de  ta  plaine  ;  ils  ont  les  dents  incisives 
limées  en  pointe;  leurs  traits  sont  avenants.  Ils  ont  une 


2LJ2  MISSION"    VOULKT-CHAISniSE. 

langue  particulière,  mais  parlent  aussi  la  langue  des  habi- 
tants de  la  plaine,  soit  le  poulie,  soit  le  hambara,  soit  le 
songhay,  suivant  qu'ils  sont  en  contact  avec  ces  peuples  :  le 
bambara,  du  côté  de  Dienné;  le  poullo,  de  Bandiagara  à 
Douenlza;  le  songhay,  près  de  Hombori. 

De  leur  langue  propre,  il  y  a  môme  plusieurs  dialectes,  el 
l'on  ne  se  comprend  pas  toujours  entre  habitants  de  vil- 
lages éloignés. 

Les  Habé  construisent  des  villages  en  pierres  sèches  et 
en  lerre  qui,  perchés  au  sommet  de  rochers  presque  inac- 
cessibles, délient  toute  altaque  et  semblent  de  loin  des 
châteaux-forts  inexpugnables.  Dans  certains  villages,  on 
n'accède  qu'au  moyen  de  troncs  d'arbres  et  d'échelles.  Les 
Habé  sont  sédentaires  et  ne  s'arrachent  qu'à  regret  à  leurs 
rochers.  Ils  sont  très  bons  cultivateurs,  travaillent  avec  soin 
leurs  champs  qu'ils  savent  fumer;  ils  récollent  beaucoup 
de  mil,  sont  plus  prévoyants  que  les  autres  Soudanais  et 
emmagasinent  de  grands  approvisionnements.  Us  ont  peu 
de  bœufs,  n'ayant  pas  de  pâturages,  mais  un  grand  nombre 
de  moutons  et  de  chèvres.  Ils  fabriquent  beaucoup  de  dolo 
et  le  soir,  dans  la  montagne,  c'est  une  grande  orgie;  on  bal 
le  tam-tam,  on  fait  un  vacarme  infernal,  on  boit,  on  danse, 
on  se  grise,  on  tire  des  coups  de  fusil.  Les  Habé  sont  indus- 
trieux, ils  lissent  de  la  toile,  qu'ils  teignent  en  noir  uu  en 
brun  foncé,  de  sorte  qu'on  les  dislingue  à  peine,  au  milieu 
de  leurs  pierres;  ils  sont  presque  tous  armés  de  fusils  qu'ils 
entretiennent  avec  le  plus  grand  soin;  ils  fabriquent  leur 
poudre  eux-mêmes  et,  comme  projectiles,  se  servent  de  cail- 
lou* ferrugineux. 

Ils  sont  batailleurs,  ils  ont  toujours  défendu  énergïque- 
œenl  l'accès  de  leur  montagne,  mais  iis  ne  sont  pas  con- 
quérants et  ne  s'aventurent  guère  pour  combattre  hors  des 
derniers  éboulis  de  la  falaise.  Les  Foulbé,  les  Bambara, 
les  Foulanké  les  ont  soumis  en  les  prenant  par  le  ventre, 
en  les  empêchant  de  venir   cultiver  leurs  champs,  qu'ils 


DL    U1ENNÉ   A    SÀN5A]SNÉ-HA0USSA.  23$ 

ont  dans  la  plaine  au  pied  de  la  falaise.  Au  milieu  île  leurs 
rocher,  bons  tireurs,  agile?,  connaissant  leur  terrain,  les 
Habé  sont  très  redoutables. 

Les  villages  habé  sont  tous  indépendants  les  uns  des 
autres;  ce  sont  dans  chacun  les  vieillards  qui  dirigent  les 
affaires  de  concert  avec  un  fétichiste  nommé  «  l'Ogom  » 
lequel  ne  doit,  sous  aucun  prétexte,  quitter  la  case  où  il 
opère  ses  maléfices  et  ses  conjurations.  L'Ogom  a  la  plus 
grande  influence,  personne  n'ayant  jamais  pu  convertir  les 
Habé  à  l'Islamisme  ;  les  Foulbé  fanatiques  de  Hamdallahé, 
qui,  cependant,  firenl  peser  sur  eux  une  dure  domination, 
y  renoncèrent. 

Actuellement  les  Habé  du  sud  de  Bandiagara  obéissent 
assez  bien;  quant  à  ceux  du  Dakol  et  de  Bamba,  il  existe 
entre  eux  et  le  résident  de  Bandiagara  une  sorte  de  compro- 
mis; ils  vivent  dans  une  presque  complète  indépendance, 
nous  considèrent  avec  indifférence  et  se  contentent.,  comme 
concession,  de  ne  pas  molester  en  ce  moment  les  agents 
poli liq Lies  et  les  gouverneurs  foulankés  d'Aguibou,  qui 
parfois,  pour  la  forme,  vont  se  promener  eues;  eux. 

La  route  que  j'ai  suivie  descend  de  la  montagne  à  Sô,  puis 
la  longe  jusqu'à  Diam  et  là  se  dirige  vers  l'est-sud-est  pour 
aller  à  Courganda,  Ntori,  Goécé,  Louta,  Goniboro,  Boussé- 
nou  et  Ouahigouya. 

Au  pied  de  la  montagne  s'étend  une  vaste  plaine  sablon- 
neuse, c'est  le  Séno.  La  largeur  du  Séno  varie  de  80  a 
100  kilomètres;  puis  au  delà  reparait  le  sol  ferrugineux. 
Dans  le  Séno,  l'eau  est  rare;  dans  la  saison  sèche,  on  n'en 
trouve  que  dans  des  puits  très  profonds,  et  cependant  le 
Séno  est  couvert  d'arbres  qui,  du  haut  de  la  montagne,  le 
font  ressembler  h  un  immense  verger.  Après  l'hivernage, 
il  est  couvert  d'une  herbe  excellente  pour  les  troupeaux. 
Le  Séno  est  très  peu  peuplé;  on  y  rencontre  quelques 
Habé  et  surlout  des  Foulbé  faisant  paître  leurs  troupeaux 
et  devenus  en  quelques  endroits  sédentaires.  Le  Séno  est 


ââi  MlSSIO!l    VOIILET-CliÀNOINE. 

composé  de  Irois  dunes  de  sable  dont  la  plus  haute  court 
parallèlement  à  la  montagne  à  1  kilomètre  environ; 
deuxième  se  trouve  à  3  kilomètres,  la  troisième  à  envi- 
ron 10  kilomètres,  puis  le  Séno  s'abaisse  insensiblement. 

On  comprend  donc  que  les  eaux  des  pluies  d'hivernage 
qui  courent  sur  les  surfaces  rocheuses  de  la  montagne  et 
viennent  tomber  en  cascades  sur  la  plaine,  disparaissent 
dans  le  sable,  traversent  les  trois  dunes  et  reparaissent 
100  kilomètres  au  sud  pour  former  les  suites  de  mares  qui 
sont  les  sources  septentrionales  des  deux  Volta.  Au  sud  de 
celte  partie  du  Séno,  se  trouve  le  pays  des  Samos.  La  route 
de  Dienné  à  Ouahigouya  en  traverse  le  nord.  Le  pays  des 
Samos  est  plat,  son  sous-sol  est  ferrugineux  et  la  couche 
d'eau  souterraine  est  à  une  assez  grande  profondeur.  Les 
eaux  qui  viennent  de  la  montagne,  après  avoir  traversé  les 
sables  du  Séno,  forment  une  suite  de  inares  qu'on  appelle 
le  Sourou,  dont  la  pente  est  si  faible  qu'au  moment  de  la 
crue  de  la  Volta,  dans  laquelle  se  jette  le  Sourou,  crue  qui 
précède  celle  de  ce  cours  d'eau,  les  eaux  de  la  Volta  refluent 
dans  le  Sourou  à  plus  de  100  kilomètres  de  son  confluent. 

La  population  du  pays  des  Samos  est  très  dense.  Les  Sa- 
mos sont  groupés  par  gros  villages  de  3,000, 4,000  et  même 
6,000  habitants,  distants  de  10  ou  15  kilomètres  les  uns  des 
autres.  Leurs  villages  sont  des  agglomérations  de  cases  en 
terre  pressées  les  unes  contre  les  autres,  que  leurs  sauvages 
habitants  défendent  avec  une  rare  ténacité. 

Au  Soudan,  plus  on  va  vers  le  sud  et  plus  les  peuples  que 
l'on  rencontre  sont  barbares  et  sauvages.  C'est  a  quelques 
kilomètres  îles  côtes  que  se  trouvent  les  plus  arriérés  et  les 
anthropophages.  Ce  phénomène  s'explique  par  le  fait  que 
les  populations  plus  civilisées  et  conquérantes  sont  toujours 
venues  du  nord-est  et  ont  constamment  refoulé  devant  elles 
les  autochtones  jusqu'à  la  forêt  vierge,  qui  s'étend  à  partir 
du  6"  degré  de  latitude  nord. 

Les  Samos  commencent   la  série  des  peuples  sauvages; 


DE    D16SHÉ   A   SANSAXNA-HAOUSSA.  225 

plus  au  sud  viennent,  successivement  les  Bobos  de  la  boucle 
rie  la  Voila,  puis  les  Dagaré,  les  habitants  du  Lobi  el  enfin 
les  indigènes  du  nord  de  la  Côte  d'Ivoire  et  de  la  Côte  d'Or. 
Les  Samos,  bien  que  fétichistes,  ont  un  grand  respect  pour 
les    marabouts  markos   originaires  de  Dienné  qui  se  sont 
installés  chez  eu*  et  leur  vendent  des  amulettes,  exploitent 
leur  crédulité  et  font  quelques  prosélytes.  Les  Samos  ne 
sont  pas  soumis,  bien  que,  depuis  deux  ans,  chaque  bulletin 
politique  des  commandants  de  la  région  annonce  la  lin  de 
leurs  rébellions.  On  n'a  pas  eu  la  main  assez  dure  avec  eux 
au  début  ;  on  a  châtié  il  y  a  trois  ans  les  villages  faibles,  en 
laissant  impunis  les  grands  et  les  forts.  On  a  laissé,  séduit 
f  leur  trompeuse  parole,  les  marabouts  markos  exercer 
r  détestable  propagande.  Il  y  a  deux  ans,  quand  la  rébel- 
1  fut  devenue  générale,  on  se  décida  à  mettre  les  Samos 
i  raison.  On  agit  alors  sans  énergie,  par  des  demi-mesures 
lie  les  rebelles  ont  interprétées  pour  ce  qu'elles  étaient 
jelletnent,  de  la  faiblesse  de  la  part  des  chefs  de  la  région. 
Les  Samos  comme  les  llabé  ont  pris  conscience  de  leur  force  ; 
ils  ont  pris  l'habitude  de  maltraiter  ou  de  tuer  les  agents  poli- 
tiques et  les  percepteurs  d'impôts, sachant  très  souventqu'ils 
sont  sûrs  de  l'impunité,  tant  ceux  qui  se  disent  les  maîtres 
du  pays  redoutent  les  responsabi  lités  el  craignent  de  prendre 
d'énergiques  décisions.  Enfin,  les  Foulbé  et  les  Foulanké 
d'Aguibou  agitent  le  pays  pour  pêcher  en  eau  trouble. 

Le  pays  des  Samos  a  été  divisé  en  quatre  parties  :  la  partie 
septentrionale  appartient  à  Aguibou  ;  la  partie  occidentale 
dépend  de  Ouidi  ;  le  sud  a  formé  le  cercle  de  Sono  ;  l'est  est 
rattaché  au  Yatenga  et  dépend  de  Onahigouya.  C'est  Ousman- 
Oumarou,  le  gendre  d'Aguibou,  qui  est  gouverneur  de  la 
partie  septentrionale.  Les  États  d'Aguibou,  qui  sont  fort 
étendus,  sont  divisés  en  provinces  à  la  lele  de  chacune  des- 
quelles est  placé  un  gouverneur  toucouleur.  Aguibou  a  peu 
d'autorité,  ses  gouverneurs  lui  obéissent  mal,  se  délestent, 
se  jalousent  tous  et  cherchent  à  se  susciter  mutuellement 


2ÏG  .UISS10N    VOOLET-CHAKOlPifi. 

des  embarras,  en  encourageant,  en  protégeant  même  les 
désobéissances  dans  les  territoires  de  leurs  voisins. 

Aguibou  et  les  siens,  toujours  menacés  d'être  dépossédés, 
sont  maintenant  impassibles  devant  les  blâmes  tes  plus  vio- 
lents; mais,  restés  pillards  comme  tous  ceux  de  leur  race, 
ils  prennent  leurs  précautions  et  font  soigneusement  leur 
fortune  qu'ils  mettent  en  lieu  sûr.  Leur  fortune,  ils  la  font 
au  délrimentde  leurs  sujets  et  de  nos  intérêts.  LeToiicoulenr 
est,  du  reste,  mauvais  administrateur,  car  il  a  des  goûts 
luxueux  el  grandioses.  Son  pire  défaut  est  l'orgueil,  défaut 
qui  coûte  cher  quand  on  a  une  troupe  de  griots  et  de  chan- 
teurs de  louanges  gagés.  Le  Toucouleur  aime  à  être  envi- 
ronné d'honneurs,  l'encens  lui  est  agréable.  Le  plus  grand 
luxe,  en  môme  temps  que  le  plus  grand  plaisir  des  chefs 
musulmans  est  de  posséder  un  grand  nombre  de  femmes, 
de  les  parer,  de  les  habiller  des  étoffes  les  plus  coûteuses; 
leur  vanité  est  flattée  qu'on  le  sache.  Or,  ce  i|ue  les  marchands 
indigènes  aiment  avant  lout  prendre  en  échange  de  leurs 
marchandises  les  plus  riches,  c'est  le  captif.  On  comprend 
facilement  que  les  Touconleurs  ne  tiennent  pas  a  ce  que  le 
pays  qu'ils  commandent  soit  en  pais;  ils  créeraient  au 
besoin  des  troubles  pour  pouvoir  les  réprimer. 

C'est  Ousman-Omnarou  qui  réside  à  Loula.  Le  gendre 
d'Aguibou  est  une  sorte  de  grand  seigneur  noir  dont  l'hos- 
pilalilé  et  la  générosité  sont  proverbiales.  11  est  très  brave 
-aussi,  triais  il  a  tous  les  instincts  pillards  de  sa  race.  C'est 
un  lettré,  cependanl,  un  esprit  distingué  qui  se  tient  au  cou- 
rant de  toutes  choses  et  a  beaucoup  appris.  Je  le  connais 
depuis  lungtemps,  et  toujours  il  m'a  été  agréable  de  converser 
avec  lui. 

A  30  kilomètres  de  Loula,  on  pénètre  chez  les  NUgabé, 
Samos  dépendant  de  Ouahigouya.  Le  1"  novembre,  j'étais 
dans  la  capitale  du  Yalanga. 

Le  vieux  Bakarcy,  le  naba  du  Yatanga  que  nous  avons  en 
18u6  débarrassé  de  ses  ennemis  et  remis  sur  son  trône,  est 


DE    DUSSNÉ   A   SANSAINPiÉ-HAOUSSA.                        227 

.•irrivé  à  l'étal  de  décrépitude  complète  que  faisaient  prévoi 
ses  habitudes  d'intempérance. 

J'avais  fait  venir  à  Ouahigouya  Marna  go  u  Aguibou,  (ils  dt 
Fidiani,  tdrissa.  fllsdeOuidi,  et  B aie,  nos  anciens  auxiliaire 
en  1896  et  189T,  auxquels  le  gouvernement  a  accordé  de 
décorations.  J'ai  donné  de  l'éclat  a  la  remise  de  ces  distinc 
lions.  J'ai  passé  une  revue;  on  a  Lire  le  canon.  Le  soir,  tam- 
tam  et  salves  d'honneur.  Celle  fêle  avait  surtout  pour  bu 

^■ft                                                        £              iîf^È 

HiniM  Chanoine  quilUnl  k ■  41a. 

d'exciter    l 'enthousiasme    de    nos    jeunes    tirailleurs.     L 
12  novembre,  j'étais  à  Ouagadougou,  j'y  prenais  livraison  d 
740  porteurs  et  de  30  chevaux.  De  concert  avec  le  résident 
je  remis  au  Moro-Naba  !a   décoration  du  Cambodge,  a 
milieu  d'une  grande  assistance  venue  de  tous  les  points  d 
Mossi.  Je  suis  heureux  que  le  gouvernement  ait  accordé  a 
Moro-Naba  cette  décoration.  C'est  le  premier  des  frères  d 
Bokary  Koutou,  le  naba  dépossédé  en  1897,  qui  vint  nou 
faire  sa  soumission,  el  si  on  peut  lui  reproeber  avec  just 
raison  son  indolence,  on   ne  peut  guère,  jusqu'à  présenl 
MispecLer  sa  sincérité. 

228  MISSION   "VOIILET-CHANOINE. 

J'ai  quitté  Ouagadougou  le  16  novembre  et  je  suis  arrivé 
le  22  à  Koupéla,  non  loin  de  la  frontière  du  Gourma,  c'est- 
à-dire  du  haut  Dahomey.  J'ai  pris  à  Koupéla  le  complément 
des  porteurs.  Dans  tout  le  Mossi,  que  j'ai  traversé  pendant 
360  kilomètres,  j'ai  reçu  le  plus  parfait  accueil  des  chefs  et 
de  la  population.  Je  venais  de  traverser  tout  le  Soudan 
depuis  Kayes  par  Nioro,  Ségou  et  Dienné;  le  Mossi  me  fit, 
relativement  à  ces  contrées,  la  môme  impression  de  richesse 
et  de  prospérité  qu'en  1896.  L'air  est  sain,  le  sol  excellent. 
Les  chevaux,  les  ânes,  les  bœufs,  les  moutons  abondent.  Il 
est  regrettable  que  l'habitant  du  Mossi  soit  inerte  et  comme 
plongé  dans  une  sorte  de  torpeur;  il  cultive  à  peine  ce  sol 
si  riche  et  ne  cherche  à  faire  produire  que  la  quantité  de 
grains  qui  lui  est  strictement  nécessaire;  aussi' souffre-t-il 
cruellement  de  la  famine  dans  les  années  de  récoltes  mau- 
vaises semblables  à  l'année  dernière.  Quel  remède  faudrait-il 
apporter  à  cette  incroyable  paresse?  Peut-être  l'appal  du 
luxe  arracherait-il  le  Mossi  a  sa  somnolence,  si  les  commer- 
çants venaient  le  tenter. 

Je  croîs  encore  qu'une  énergique  impulsion  de  la  part  des 
résidents  amènerait  des  résultats. 

Elargir  les  chemins,  en  faire  des  routes,  le  long  de  ces 
routes,  creuser  des  puits;  aider  aux  transactions  commer- 
ciales entre  Tombouctou  et  la  dite  d'Ivoire  par  le  Mossi  et 
la  Volta;  créer  des  marchés,  constitueraient  des  mesures 
propres  à  amener  un  changement  matériel  et  moral  dans  le 
pays.  Mais  pour  atteindre  ce  but,  il  ne  faut  pas  hésiter  à 
imposer  des  corvées  aux  habitants,  à  les  forcer  enfin  de  tra- 
vailler pour  leur  bien-être.  Les  Romains  ne  lïrent  pas  autre- 
ment pour  civiliser  leurs  conquêtes.  Agir  ainsi,  c'est  gou- 
verner, ce  qu'ignorent  la  plupart  des  Français  qui  prétendent 
à  celte  fonction. 

J'ai  traversé  le  Gourma  de  Koupéla  à  Takalami,  en  passant 
par  Tibga,  Gaiérî,  Pahou,  Bartibogou.  J'ai  rejoint  à  Taka- 
lami la  route  de  Dori  à  Say.  Le  nord  du  Gourma  est  un 


DK   OIENNÉ    A    SANSANNÉ-HAOUSSA.  229 

t  où  les  villages,  misérables  agglomérations  d'une  cen- 
taine de  cases,  sont  distants  de  35  ou  40  kilomètres.  Les 
habitants  sont  sauvages  et  craintifs,  toujours  en  butte  aux 
exactions  fie  leur  souverain.  L'eau  est  rare,  même  à  cette 
époque.  Cependant,  belle  est  la  végétation,  car  la  couche 
d'eau  souterraine  est  à  une  profondeur  médiocre.  La  route 
de  Dori  à  Say  n'est  guère  peuplée,  et  les  Foulbé  de  Torodi 
l'ont  abandonnée  en  plus  d'un  point. 

Le  14  décembre,  j'arrivai  à  Say.  Voulet  n'était  pas  encore 
arrivé.  Je  reçus  un  courrier  de  lui,  me  disant  qu'it  ne  serait 
à  Busongo  que  le  "20  décembre  et  de  me  porter  à  sa  rencontre. 
Nous  restâmes  quelques  jours  à  Say;  nous  avions  parcouru 
900  kilomètres  depuis  Dienné.  Tout  le  monde  avait  besoin 
de  repos. 

Le  Niger  à  Say  n'est  plus  le  majestueux  Niger  de  Ségou 
on  de  Sausanding.  La  moitié  de  ses  eaux  a  grossi  les  mari- 
gots et  les  lacs  des  environs  de  Goundam  et  de  Tombouctou. 
11  n'a  guère  que  500  mètres  de  largeur.  La  crue  commence 
à  arriver.  Les  crues  du  Niger  donnent  lieu  à  des  observations 
très  intéressantes.  Ce  sont  des  phénomènes  créés  parla  forme 
même  des  coudes  du  Meuve.  Les  al'fluents  du  Niger  supérieur 
prennent  leur  source  vers  le  8*  degré  de  latit.  N.,  et  sous 
cette  latitude  les  pluies  commencent  en  avril,  tandis  que 
sous  le  12B  degré  elles  ne  commencent  qu'en  juin,  sous  le 
14*  qu'en  juillet.  A  Tombouctou  il  pleut  très  peu.  Le  Niger 
n'a  pas  d'affluents  dans  tout  le  secteur  de  sa  boucle  compris 
entre  Mopli  et  Zinder.  Les  pluies  ne  sont  pas  suffisantes 
dans  cette  région,  La  crue  du  ileuve  dans  ces  parages  n'est 
donc  déterminée  que  par  l'arrivée  des  eaux  du  Niger  supé- 
•  rieur.  La  crue  arrive  en  juillet  à  Bammako,  en  août  à  Ségou, 
au  commencement  de  septembre  à  Dienné  et  à  Mopli.  A 
partir  de  cet  endroit,  la  crue  remplit  le  lac  Débo  et  les 
nombreux  lacs,  mares,  lits  secondaires  qui  constituent  le 
système  lacustre  de  Goundam,  de  Saraféré,  de  Tombouctou. 
penle  est  très  peu  sensible;  aussi  les  eaux  ne  sont-elles 

SOC.  DE  CÉOOH.  - 


230  Missior*  voulet-chanoine. 

hautes  à  Tombouctou  qu'en  janvier  et  restent  stationnaires 
pendant  tout  ce  mois.  Le  niveau  du  fleuve  demeure  maintenu 
par  l'apport  des  eaux  de  tous  les  lacs,  qui  se  déversent  lente- 
ment après  la  crue. 

A  partir  de  Tombouctou,  le  lit  du  fleuve  est  mieux  défini, 
resserré  entre  des  dunes  et  des  collines;  sa  vallée  finit  par 
n'avoir  guère  que  2  ou  3  kilomètres  à  Sansanné-Haoussa. 
La  pente  est  plus  rapide.  La  crue  arrive  à  Say  à  la  fin  de 
janvier  et  les  eaux  sont  hautes  en  ce  point  alors  qu'elles 
n'ont  pas  encore  baissé  à  Tombouctou.  C'est  ainsi  que 
s'explique  ce  Fait,  étrange  en  apparence,  que  le  maximum 
de  la  crue  puisse  avoir  lieu  à  Tombouctou  et  à  Say  à  la 
même  époque.  A  Say,  les  pluies  d'hivernage  tombées  dans 
la  région  ne  sont  pas  suffisantes  pour  amener  une  crue  au 
mois  de  juillet  ou  d'août.  Après  les  grandes  tornades,  le  fleuve 
monte  de  20  ou  30  centimètres  pour  baisser  ensuite. 

Il  n'y  a  à  Say  que  la  erue  venue  du  bassin  supérieur  et 
arrivant  en  janvier. 

Mais  en  aval  de  Say  le  régime  change;  on  arrive  dans  la 
région  des  pluies  abondantes  commençant  de  bonne  heure, 
le  Niger  reçoit  des  affluents.  En  aval  de  son  confluent  avec 
la  Béuoué,  il  y  a  deux  crues  bien  distinctes,  la  seconde 
n'arrivant  qu'en  mars,  et  précédant  de  deux  mois  seulement 
le  commencement  de  la  première.  Il  résulte  de  la  disposition 
des  crues  du  Niger  et  des  pluies  d'hivernage,  que,  depuis 
Tombouctou,  il  est  possible  de  faire  deux  récoltes.  On  sème 
avant  les  premières  pluies;  la  récolte  est  faite  après  l'hiver- 
nage en  novembre.  On  sème  de  nouveau  dans  les  terrains 
que  l'inondation  vienl  fertiliser  en  janvier.  Et  si  les  habitants 
de  ces  contrées  savaient  se  servir  d'appareils  élévatoires 
comme  les  Égyptiens,  ils  pourraient,  le  pays  étant  peu  élevé, 
conduire  au  loin  les  eaux:  du  fleuve.  Tout  le  pays  deviendrait 
d'une  incroyable  prospérité. 

Dès  notre  arrivée  à  Say,  nous  avons  traversé  le  fleuve  au 
moyen  de  pirogues.  Le  courant  est  violent,  les  pirogues  sor 


DE    DIEKXÉ   A   SANSANBË-HAOUSSA.  231 

petites;  le  passage  a  duré  deux  jours.  Les  chevaux  sont 
obligés  de  nager  trente  minutes;  il  n'y  a  pas  eu  d'acci- 
dents. 

Le  22  décembre,  nous  nous  remîmes  en  route  à  la  ren- 
contre de  Voulet,  en  suivant  la  rive  gauche  du  fieuve.  La 
rive  droite  se  nomme  «Gourma»,  la  rive  gauche  «Haoussa  », 
noms  qui  signifient  en  deçà  ou  au  delà  du  fleuve  dans  la 
langue  songhay. 

La  rive  *  Haoussa  >  est  habilée  par  les  Djerma,  population 
qui  s'étend,  de  quatre  jours  en  aval  de  Say,  à  Karma, 
100  kilomètres  en  amont.  Les  Djerma  sont  très  nombreux, 
leurs  villages  riches  et  prospères,  leur  sol  admirablement 
cultivé.  Ils  possèdent  beaucoup  de  troupeaux,  beaucoup  de 
chevaux.  Les  Djerma  se  disent  d'origine  mandé;  ils  seraient 
venus  de  Tombouctou  en  longeant  le  fleuve  au  moment  où 
les  Bambara  conquirent  la  grande  cité.  Ils  se  sont  croisés 
avec  les  Foulbé  et  les  Songhay.  Us  parlent  le  songhay.  Ils 
ont  de  fréquents  rapports  avec  leis  Touareg,  qui  vivent  en 
bonne  intelligence  avec  eux,  car  les  Djerma  sont  braves  et 
nombreux.  Us  sont  bons  cavaliers  et  combattent  à  la  façon 
des  Touareg. 

Les  villages  djerma  sont  tous  indépendants  les  uns  des 
autres,  il  n'y  a  ni  roi,  ni  capitale.  Personne  n'ose  venir  les 
attaquer. 

Les  Djerma  sont  pillards  et  aventureux;  ils  traversent 
sans  cesse  le  fleuve  et  poussent  leurs  expéditions  à  des  cen- 
taines de  kilomètres.  Us  se  vantent  de  leurs  rapines  et  les 
considèrent  comme  le  noble  et  honorable  usage  de  leur 
intelligence  et  de  leur  force.  Us  sont  musulmans,  mais 
paraissent  peu  fanatiques. 

Ahmadou  Cheikou  s'était  réfugié  chez  eux  à  Dounga  et 
prenait  part  à  leurs  déprédations.  Il  se  produisit  entre  les 
Foutanké  et  les  Djerma  quelques  dissentiments;  il  y  a  un 
an  environ,  les  cavaliers  de  Dounga  revenaient  d'une  expé- 
dition ;  excités  par  le  combat,  en  rentrant  chez  eux,  ils  alta- 


232  MISSION    VO|!L  ET- CHANOINE. 

quèrent  les   Toucouleurs   el   leur  tuèrent  200   hommes. 
Abmadou  Cheikou  s'enfuit  chez  les  Touareg  de  l'est. 

C'est  du  Djerma  que  sont  partis  il  y  a  quelque  trente  ans 
les  aventuriers  Gadiari,  Baba-To,  Jsaka,  pour  envahir  el 
ruiner  le  Gourounsi. 

Sur  ces  rives  du  Niger,  se  rencontrent  une  foule  de  popu- 
lations et  de  races  différentes  :  les  Djerma,  les  Foulbé,  les 
Touareg,  les  Songhay  et  une  population  noire  très  ancienne 
qui  est  asservie  aux  Songhay;  enfin,  un  grand  nombre  de 
marchands  haoussas  eL  arabes.  J'ai  rencontré  a  Say  et  à 
Sansanoé-Haoussa  des  commerçants  de  GUadamès  qui 
viennent  acheter  des  plumes  d'autruches. 

Enfin,  dans  les  îles  du  Niger,  habilent  les  Kourtéi,  race 
venue  depuis  fort  longtemps  dans  le  pays  et  qu'on  dit 
Sonioké.  Les  Kourtéi  vivent  en  bons  termes  avec  tout  le 
monde,  car  Touareg,  Foulbé,  Songhay,  Djerma,  ont  besoin 
de  leurs  pirogues.  Les  Foulbé  ont  de  grands  villages  sur  la 
rive  droite;  les  Touareg  habitent  à  deux  jours  à  l'intérieur; 
ils  ont  des  vi.lages  de  bella  (captifs)  au  bord  du  fleuve  et 
viennent  fréquemment  exercer  des  réquisitions  sur  les 
Songhay  qu'ils  ont  terrorisés,  et  qui  obéissent  passivement 
à  la  première  injonction  des  durs  nomades. 

On  a  beaucoup  écrit  sur  les  Touareg,  et  bien  des  choses 
inexactes.  Quand  on  parle  d'eux  en  France,  on  les  nomme 
les  Chevaliers  ifu  désert  el  on  ne  tarit  pas  d'éloges  sur  leurs 
vertus,  leur  honnêteté,  leur  courage,  leur  loyauté,  leur 
hospitalité. 

Seule,  leur  bravoure  est  incontestable;  il  y  a  quelques 
jours  nous  en  avons  eu  une  preuve  nouvelle.  Une  bande  de 
300  cavaliers  Touareg  a  chargé  en  plein  jour 
Crave  qui  cherchait  à  rejeter  les  tribus  qui  __. 
Bokary  Ouandéidiou  sur  la  rive  gauche  du  Niger.  Les 
Touareg  ont  enfoncé  une  face  du  carré  et  traversé  toute  la 
colonne;  ils  ont  été  repoussés.  Trois  kilomètres  plus  loin, 
ils  ont  renouvelé  leur  attaque  qui,  cette  fois,  n'a  pas  réussi. 


:.  une  uaime  ur 
our  la  colonne 
ui    obéissent   à 


DE   BIENNÉ    A    SAKSANNÉ-11A01JSSA.  "233 

Le- s  Tnuareg  ont  éprouvé  de  grosses  pertes,  mais  ils  avaient 
à  lutter  contre  250  fusils  à  tir  rapide  et  du  canon.  Le 
Targui  n'a  de  considération  que  pour  la  guerre  et  le  pil- 
lage; il  a  le  travail  en  haine.  Il  lui  faut  exploiter  les  popu- 
lations noires,  sur  les  frontières  'lesquelles  il  va  errant  et 
semant  la  terreur;  il  lui  faut  des  esclaves  qu'il  vend  au 
Maroc,  ou  à  Tripoli,  pour  acheter  les  marchan dises  qui  le 
tentent.  Touies  ces  causes  ensemble  en  font  un  irréduc- 
tible ennemi  de  la  civilisation. 

On  a  dît  des  Touareg  qu'ils  étaient  les  rouliers  du 
Sahara. 

On  les  confond  avec  les  tribus  maures,  ou  les  tribus 
arabes  qui  exploitent  les  salines  et  font  tout  le  commerce 
entre  le  sud  du  Maroc,  de  l'Algérie,  de  la  Tunisie,  de  Tri- 
poli et  le  pays  des  noirs.  Le  vrai  Berbère  se  contente  d'errer 
à  travers  les  plaines  de  sable,  de  se  trouver  sur  le  chemin 
des  caravanes  et  de  percevoir  sur  elles  un  impôt  exorbi- 
tant, lorsqu'il  ne  s'empare  pas  de  touL  ce  qui  est  à  sa  con- 
venance. 

Jadis,  sur  les  rives  du  Niger,  s'édifièrent  de  puissants 
empires  qui  refoulèrent  les  nomades  dans  le  désert,  leur 
interdirent  l'accès  du  grand  lleuve,  s'emparèrent  de  leurs 
troupeaux,  les  réduisirent  à  la  misère.  Ces  empires, 
Ghannala,  Mali,  Songhay,  sombrèrent  au  milieu  de  guerres 
et  de  révolutions  qui  nous  sont  peu  connues;  leurs  débris 
se  désagrégèrent;  les  Touareg  reparurent  et  devinrent  les 
maîtres.  Pour  réduire  les  Touareg,  chassons-les  dans  le 
désert.  Ils  chercheront  toujours  à  fondre  sur  les  noirs 
sédentaires,  nos  protégés.  Créons  des  corps  légers,  quelques 
escadrons,  quelques  compagnies  tle  mébari  qui  donneront 
la  chasse  aux  pillards  jusqu'au  fond  de  leur  désert,  qui 
prouveront  aux  nomades  que  l'ère  des  méfaits  impunis  est 
passée,  qui  accompagneront  même  et  protégeront  les  cara- 
vanes de  commerçants  paisibles.  Occupons  les  frontières 
méridionales  et  septentrionales  du  Sahara,  les  ports  du 


Î34  MISSION   VOULET-CHANOINE. 

désert;  la  puissance  des  Touareg  disparaîtra  et  ceux-ci, 
chiens  faméliques,  repoussés  de  parlout,  à  chacune  de  leurs 
agressions  poursuivis  et  frappés,  demanderont  grâce  pour 
ne  pas  mourir  de  faim.  Peut-être  aiors  pourra-l-on  les 
parquer  dans  quelques  oasis  el  changeront-ils  de  mœurs 
avec  le  temps. 

A  quelques  kilomètres  de  Karma,  linit  le  pays  Djerma; 
on  arrive  chez  les  Songhay.  Les  Songhay,  jadis  si  puissants, 
sont  aujourd'hui  d'une  incroyable  faiblesse.  Ils  sont  nom- 
breux cependant  et  pourraient  résister  aux  Touareg  qui  les 
oppriment.  Ils  n'en  ont  pas  mecne  l'idée.  Le  Targui  vient 
chez  eux,  commande  et  réquisitionne  tout  ce  qui  lui  plaît. 

J'ai  trouvé  chez  les  Songhay  un  mélange  de  crainte  et 
d'hostilité  déguisée.  Ils  nous  craignent,  mais  ils  sont  ter- 
rifiés à  ia  pensée  des  représailles  que  pourraient  exercer  sur 
eux  les  Touareg,  s'ils  nous  faisaient  franchement  un  bon 
accueil.  On  sent  dans  chacun  de  ses  actes,  derrière  le 
Songhay,  le  Targui  imposant  sa  volonté.  Et  cependant,  en 
ce  moment,  les  Touareg  se  sont  retirés  à  plusieurs  journées 
dans  le  nord-est. 

Les  populations  noires  ne  deviendront  nôtres  que  le  jour 
où  elles  seront  sûres  d'être  délivrées  pour  toujours  de  leurs 
sauvages  oppresseurs.  Cette  délivrance  ne  peut  venir  que 
par  la  puissance  de  nos  armes. 

L'esprit  de  lutte  n'est  plus  dans  leur  âme  qui  s'est 
façonnée  et  accepte  toutes  les  tyrannies.  Jamais,  d'eux- 
mêmes,  les  Songhay  ne  sortiront  de  la  soumission  la  plus 
servile  pour  combattre  leurs  maîtres. 

Je  suis  arrivé  le  1er  janvier  àSansanné-Haoussa.  Le  2  jan- 
vier, Voulet  arrivait  dans  celte  ville  avec  les  chalands  chargés 
de  matériel.  11  avait  victorieusement  franchi  les  rapides  du 
Niger  et  triomphé  des  difficultés  de  la  navigation.  Nos 
troupes  sont  réunies.  Personne  ne  manque  parmi  les  offi- 
ciers et  les  sous-officiers  européens.  L'étal  moral  et  sani- 
taire des  hommes  est  excellent;  ces  quatre  mois  de  marche 


DE  DIENNÉ  A  SAIfSANNÉ-HAOUSSA.  235 

sont  une  bonne  préparation.  Nos  jeunes  tirailleurs  sont 
devenus  des  soldats  disciplinés  et  robustes.  La  plupart 
viennent  de  marcher  2,000  (deux  mille)  kilomètres.  Ils  sont 
rompus  à  la  fatigue  et  peuvent  affronter  les  étapes  les  plus 
pénibles.  Ils  ont  appris  à  tirer,  à  manœuvrer.  Ils  ont  con- 
fiance dans  leurs  chefs. 


COTE     D'IVOIRE 


P.    J.    CLOZE 


SUPEI1FICIE     El     POPULATK 


Les  limites  de  la  Côte  d'Ivoire  sont  : 

Au  nord,  le  Soudan  français,  dont  la  sépare  une  ligne 
idéale  suivant  le  0"  degré  de  latitude  nord  ;  à  l'est,  la  fron- 
tière de  la  colonie  anglaise  de  la  Côte  d'Or  telle  que  l'a 
tracée  l'acte  diplomatique  du  12  juillet  1893;  au  sud,  le  lit- 
toral du  golfe  de  Guinée  ;  à  l'ouest,  le  territoire  de  la  Répu- 
blique de  Libéria  déterminé  par  la  convention  du  8  décem- 
bre 1892. 

La  superficie  de  la  colonie  ainsi  délimilée  peut  être 
évaluée  à  250,000  kilomètres  carrés. 

Sa  population  atteint  le  chiffre  global  de  2,250,000  habi- 
tants, ce  qui  donne  à  la  Cote  d'Ivoire  une  moyenne  de  neuf 
habitants  par  kilomètre  carré. 

Pour  apprécier  la  valeur  de  ces  chiffres,  il  convient  d'exa- 
miner les  conditions  dans  lesquelles  l'administration  se 
trouvait  placée  pour  les  obtenir. 

On  peut  à  cet  effeL  diviser  la  colonie  en  trois  zones  : 

Celle  où  une  occupation  assez  ancienne  permet  de  donner, 
à  défaut  d'un  recensement  absolument  régulier,  des  chiffres 
exacts; 

Celle  qui  a  été  reconnue  et  sur  laquelle  nous  possédons 
des  renseignements  suffisamment  nombreux  pour  arriver  à 
des  évaluations  serrant  de  fort  près  la  vérité; 


côte  d'ivoire.  237 

Enfin  une  zone  à  peine  explorée,  dont  on  a  dû  estimer  la 
population  en  raisonnant  par  analogie  avec  les  régions  simi- 
laires que  nous  connaissons,  et  en  tenant  compte  de  la  con- 
figuration générale  du  sol,  de  la  nature  de  la  végétation, 
forêts  ou  savanes,  qui  influent  sur  la  densité,  le  groupement 
et  la  manière  de  vivre  des  habitants  d'un  pays. 

La  première  zone  comprend  les  onze  cercles  de  la  colonie 
qui  se  présentent  avec  les  chiffres  respectifs  qui  suivent  : 

Assinie 40.000  habitants. 

Grand-Bassam 62.300  — 

Dabou 103.000  — 

Lahou 25.000 

San  Pedro 6.085  — 

Sassandra MO.  500  — 

Bereby 55.000  — 

Cavally 27.000  — 

Indénié 1 7 .  000  — 

Bondoukou 83.000  — 

Baoulé 1 .230.000  — 

Total 1 .788.885  habitants. 

On  peut  faire  rentrer  dans  la  seconde  zone  les  pays  sui- 
vants, en  tenant  compte,  pour  les  chiffres  attribués  à  cer- 
tains d'entre  eux  (pays  de  Kong,  Djimini,  Diammala),  des 
pertes  qu'ils  ont  subies  par  suite  de  la  présence  des  bandes 
de  Samory. 

Pays  de  Kong 20.000  habitants. 

Diammala 20.000  — 

Djimini 40.000  — 

Anno  ou  Mango 10.000  — 

Peuplades  Baoulés  entre  le  Co-  i 

moe  et  le  Nzi S           °°  "" 

Morénou 5.000  — 

Attié 7 .500  — 

Total 110.000  habitants. 

Dans  la  troisième  zone  rentre  la  partie  nord-ouest  de  la 
colonie,  comprenant  le  prolongement  logique  vers  Tinté- 


238  CÔTE  d'ivoire. 

rieur  des  cercles  fie  Cavally,  Bereby,  Sassandra  et  San  Pedro. 
Il  est  permis  d'évaluer  à  350,000  habitants  la  population  de 
cette  vaste  région  dont  la  superficie  dépasse  110,000  kilo- 
mètres carrés,  soil  un  peu  plus  de  3  habitants  an  kilomètre 
carré. 

Il  serait  prématuré  de  répartir  dès  à  présent  en  des  races 
distinctes  les  2,250,000  noirs  qui  peuplent  la  Côte  d'Ivoire. 
L'anthropologie,  l'ethnographie,  la  linguistique,  qui  seules 
pourraient  nous  fournir  un  critérium  pour  une  classifica- 
tion scientifique,  ont  à  peine  commencé  leur  Œuvre  dans 
celtejparlie  de  l'Afrique. 

Le  mot  de  race  ne  sera  appliqué  qu'aux  peuplades 
Mandés,  mieux  étudiées  et  complètement  distinctes  des 
autres  habitants  de  la  colonie.  Le  reste  sera  réparti  en  des 
groupes  provisoires  suffisamment  différenciés  les  uns  des 
autres  pour  que  la  question  de  leurs  origines  communes 
demeure  encore  irrésolue. 

Les^Mandés  possèdent  le  pays  de  Kong,  le  Diammala,  le 
Djimini  et  la  région  de  Bouna.  Us  peuplent  dans  I'Abron  la 
ville  de  Bondoukou  el  le  Barabo;  les  Ligouys,  qui  sont 
installés  dans  le  district  nord-est  de  cette  contrée,  appar- 
tiennent à  la  même  race  puisque  leurs  affinités  linguisti- 
ques les  apparentent  étroitement  aux  Veï-Veï  de  i'hinter- 
land  du  Libéria,  dont  l'origine  mandé  est  depuis  longtemps 
reconnue.  A  la  suite  de  l'invasion  de  Samory,  7,000  Mandés- 
Dioulas  environ  se  sont  réfugiés  dans  le  Baoulé  tandis  qu'un 
millier  d'entre  eux  demandaient  protection  aux  forêts  de 
l'Anne-  et  de  l'Indénié.  Enfin  dans  la  partie  ouest  de  la 
colonie  nous  retrouvons  des  villages  mandés  au  nord  de  la 
zone  de  la  végétation  dense  continue.  On  peut  évaluer  leur 
chiffre  total  à  200,000,  presque  tous  musulmans  et  arrivés 
de  ce  fait  à  une  organisation  sociale  plus  avancée  que  celle 
des  peuplades  fétichistes. 

La  partie  orientale  de  la  colonie,  notamment  dans  les 
cercles  de  Bondoukou,  de  l'Indénié,  d'Assinie,  de  Grand- 


côte  d'ivoire.  239 

Bassani  el  du  Baoulé,  est  habitée  par  un  groupe  de  popula- 
tions ayant  entre  elles  une  étroite  parenté. 

Ces  peuplades  paraissent  être  venues  de  l'est  (pays 
As.hantîs)  à  une  date  plus  ou  moins  récente,  la  migration 
de  plusieurs  d'entre  elles  a  pu  être  fixée  à  la  seconde  moitié 
du  XVIIIe  siècle.  C'est  dire  que  les  traditions  et  les  légendes 
en  ont  conservé  nettement  le  souvenir. 

Parmi  les  Asbantis,  les  Apolloniens  proprement  dits 
méritent  une  mention  spéciale;  les  uns  sont  fixés  dans  le 
pays  sans  esprit  de  retour;  les  autres,  venus  plus  récem- 
ment en  commerçants,  ont  encore  l'intention  de  retourner 
dans  leur  patrie  après  fortune  faite. 

L'ensemble  de  ce  groupe,  qu'on  pourrait  sans  inconvé- 
nient appeler  le  groupe  Agui,  nom  sous  lequel  les  indigènes 
qui  le  composent  sont  plus  généralement  désignés  que  sous 
celui  d'Ashantis,  comprend  environ  750,000  âmes.  Il  se 
recommande,  malgré  l'indolence  des  indigènes,  par  des 
aptitudes  commerciales  marquées  qui,  chez  les  Apolloniens 
notamment,  ont  acquis  un  développement  très  appréciable. 
Les  habitants  des  lagunes  PoLou,  Ebrié  et  Lahou  forment 
un  second  groupement  plus  géographique  qu'ethnogra- 
phique. On  a  tenté  d'expliquer  la  diversité  des  peuplades 
qui  le  composent  par  le  fait  que  des  populations  d'origines 
diverses,  chassées  par  les  guerres  et  les  invasions  des  con- 
trées de  l'intérieur  qu'elles  occupaient  primitivement  sont 
venues  se  confondre  ou  se  juxtaposer  en  se  réfugiant  vers 
le  littoral.  Il  est  également  permis  de  supposer  qu'une 
étude  plus  approfondie  de  ces  tribus  permettra  d'établir  leur 
parenté  et  de  les  rattacher  à  une  souche  commune. 

Les  principales  peuplades  de  ce  groupe,  dont  le  total 
atteint  le  chiffre  de  170,000  habitants,  sont  les  Attiés,  les 
Ebriés,  les  Jack-Jacks,  les  Boubourys  et  les  Brignans. 

populations  de  la  côte  ouest  forment  un  troisième 
upe  dont  les  affinités  ethnographiques  et  linguistiques 
graissent  d'une  façon  suffisante  dès  à  présent  pour  qu'on 


240  côte  d'ivoire. 

puisse  leur  assigner  une  commune  origine.  Ces  peuplades, 
connues  dès  le  xvir  siècle  des  nations  européennes  sous  le 
nom  de  Kroomen,  habitent  les  cercles  de  San  Pedro,  Sas- 
sandra,  Uereby  et  Gavally.  On  peut  évaluer  leur  nombre  à 
230,000  individus. 

Ils  sont  en  possession  de  fournir  la  majeure  partie  de  la 
main-d'œuvre  employée  dans  la  colonie,  ainsi  que  celle 
embarquée  à  bord  de  la  plupart  des  paquebots  qui  desser- 
vent la  côte  occidentale  d'Afrique. 

En  debors  de  la  race  mandé  et  des  trois  groupes  que  nous 
venons  d'énumérer,  il  reste  encore  sur  le  territoire  de  la 
Côte  d'Ivoire  près  d'un  million  d'habilanls  épars  dans  toute 
la  colonie  niais  surtout  dans  la  région  nord-ouest,  pour 
lesquels  toute  classification,  même  provisoire,  serait  pré 
maturée  en  l'état  actuel  de  nos  connaissances. 

Mais  il  est  permis  de  croire  que  les  renseignements  à 
venir  auront  pour  résultats  de  faire  rentrer  le  plus  grand 
nombre  d'entre  eux  dans  les  grandes  divisions  dont  nous 
venons  d'esquisser  les  contours. 


NOTICE  SUR  LES  BONDJOS 


PAR 


E.    CAHLIEH 

CHEF    DE    STATION    DANS    l'OUBAN'GUI1. 


En  remontant  rOubangui,  dès  qu'on  a  dépassé  le 
2*  parallèle  nord,  on  entre  en  pays  bondjo.  A  partir  de 
de  ce  point,  les  berges  deviennent  plus  hautes,  la  forêt 
moins  dense,  les  villages  plus  nombreux. 

LesBondjos  habitent  les  deux  rives  de  POubangui  jusque 
près  du  poste  français  de  Ouadda,  c'est-à-dire  jusque  près 
du  5*  degré.  On  prétend  que,  par  l'intérieur,  ils  auraient  des 
relations  avec  les  Pahouins  de  la  côte  occidentale,  dont  ils 
ont  les  mœurs  et  une  vague  ressemblance  de  langage;  mais 
il  est  bien  difficile  de  croire  qu'il  ait  pu  exister  des  rapports 
entre  deux  peuples  aussi  éloignés. 

Les  Bondjos  se  divisent  en  quatre  fédérations  ou  tribus  : 

1°  Les  Sabarés,  les  premiers  que  l'on  rencontre  après 
avoir  dépassé  le  2e  parallèle,  s'étendant  fort  avant  dans 
l'intérieur  et  limités  au  nord  par  la  rivière  Lobaï. 

2°  Les  Yakatous,  improprement  appelés  Bouzérous,  nom 
qui  leur  est  donné  à  cause  d'un  chef  célèbre  nommé  Bou- 
zérou,  chef  du  village  de  Bimbo.  Ils  occupaient  tout  le 
pays  compris  entre  les  rapides  de  Zinga,  jusque  près  du 
poste  de  Bangui.  Ils  ont  maintenant  abandonné  la  rive  pour 
se  réfugier  principalement  dans  la  rivière  M'Poko. 

3°  Les  Boboyas,  compris,  au  nord  de  Bangui,  entre  le 
poste  de  Bangui  et  la  rivière  Ombella. 

1.  Notice  communiquée  à  la  Société  par  M.  le  Gouverneur  Liotard. 


212  NOTICE    SER    LES   BOSDJOS. 

-1"  Enfin  les  Boutous,  entre  celle  dernière  rivière  et  la 
kémo. 

IU>  tous  les  Bondjos,  les  Sabarés  sont,  sans  contredît,  tes 
plus  nombreux.  Ils  ne  nous  sont  pas  ouvertement  hostiles, 
et  les  quelques  rares  bateaux  de  passage  trouvent  chez  eux 
à  échanger  des  vivres  du  pays,  contre  dn  cuivre  et  de 
l'étoffe.  Ils  ont  de  l'ivoire  et  le  donnent  volontiers  contre 
nos  produits  d'Europe. 

Après  eux,  par  ordre  d'importance,  viendraient  ensuite 
les  Boboyas.  Ceux-ci  entretiennent  avec  le  poste  de  Bangui 
des  relations  très  amicales.  Ce  sont  eux  qui,  avec  les  Bou- 
tous —  très  peu  nombreux,  — ravitaillent  Bangui  en  maïs, 
bananes  et  parfois  même  en  chèvres  et  en  poulets.  Ce  sont, 
parmi  tous  les  Bondjos,  les  plus  assimilables,  et  l'essai  que 
vient  de  tenter  M.  le  gouverneur  de  l'Oubangui,  Liotard, 
de  s'en  servir  comme  pagayeurs  pour  les  transports  par 
pirogues  de  Bangui  à  Ouadda,  est  appelé  à  nous  les  rendre 
encore  plus  soumis. 

Quant  aux  Takatous-Bouzérous,  ils  ont  pour  la  plupart 
abandonné  leurs  villages.  C'est  presque  toujours  avec  eux 
que  nous  avons  eu  affaire  depuis  notre  installation  dans 
l'Oubangui.  Souvent  le  poste  de  Bangui  a  été  l'objet  de 
leurs  atlaques  et  l'histoire  de  la  colonie  compte  parmi  leurs 
viclimes  quelques  Européens  et  beaucoup  de  nos  auxi- 
liaires sénégalais. 

Quoique  appartenant  tous  à  une  même  race,  les  Bondj< 
des  diverses  tribus  entretiennent  peu  de  rapports  entre  eux. 
Les  Sabarés  et  les  Boboyas  n'en  ont  aucun. 

Avant  la  répression,  il  existait  bien  une  certaine  entente 
entre  les  Boboyas  et  les  Yakatous  (Bouzérous).  Mais  depuis 
que  M.  l'administrateur  Bobichon  —  dernièrement  encore 
administrateur  de  la  région  de  Bangui  —  s'est  fait  livrer  par 
les  Boboyas  certains  chefs  bouzérous  réfugiés  chez  eux,  cette 
entente  a  disparu,  ou  du  moins,  elle  nous  est  cachée. 

Bien  que  chez  les  Bondjos  Sabarés,  il  ait  été  remarqué 


: 

X. 


NOTICE    SUR    t.ES    HOND.rOS.  243 

des  ressemblances  d'habitudes  et  de  langage  avec  les  I'a- 
houiûs  anthropophages  du  Gabon,  les  Bondjos,  —  d'après 
le  récil  de  Moussa  Mongo,  frère  du  grand  chef  boboya, 
Mabata,  —  viendraient  du  centre  de  l'Afrique,  du  sud,  par 
conséquent,  par  rapport  à  leur  position  géographique  ac- 
tuelle. Us  auraient  quitté  leur  pays  d'origine,  il  y  a  près  de- 
deux  siècles,  à  la  recherche  d'autres  terrains  de  culture. 
Leur  véritable  patrie  serait  donc  vraisemblablement  tout  le 
pays  arrosé  par  les  affluents  de  la  rive  droite  du  Kassaï. 

On  peut  croire  que  les  Bondjos  ont  conservé  le  type  de 
leur  race  dans  toute  sa  pureté.  Ils  sont  généralement  de 
haute  taille,  bien  musclés,  respirant  la  vigueur  et  la  force. 
11  semblerait  à  les  voir  que  la  viande  humaine,  qui  entre  en 
partie  dans  leur  nourriture,  donne  une  vigueur  musculaire 
rarement  rencontrée  chez  les  autres  peuples.  Enfants,  ils 
ont  la  peau  d'un  jaune  noir  assez  clair  et  prennent  avec 
l'âge  un  teint  plus  ou  moins  bronzé.  Chose  curieuse,  on 
voit  assez  souvent  chez  eus  des  individus  à  peau  blanche  : 
ce  sont  des  albinos. 

En  général,  le  Bondjo  a  les  traits  durs,  les  maxillaires 
très  prononcés,  te  front  large,  bombé  et  fuyant  en  arrière, 
le  nez  épaté,  mais  non  écrasé,  les  lèvres  assez  minces,  les 
cheveux  coupés  ras.  Ils  ne  portent  point  la  barbe,  et  on 
rencontre  rarement  chez  eux  le  tatouage  si  commun  chez 
s  peuples  de  l'Afrique. 
Une  habitude  générale  chez  les  Bondjos  est  de  s'arracher 
i  deux  incisives  supérieures.  C'est  une  coutume  qu'ils 
:onserveraient  de  leurs  ancêtres,,  et  qui  serait  pour  eux  une 
marque  de  beauté.  L'extirpation  de  ces  deux  dents  se  fait 
(ers  l'âge  de  6  ou  7  ans. 

Les  qualités  morales  des  Bondjos  sont  beaucoup  plus 
discutables.  Quelques  voyageurs,  victimes  de  vols  à  leur 
>assage  en  pays  Bondjos,  ont  prétendu  qu'après  toutes  les 
précautions  prises  par  eux-mêmes,  les  Bondjos  devaient 
î  bien  audacieux  et  braves  pour  arriver  à  les  voler.  A 


ÎH  NOTICt    SfR    LES   BONDJOS. 

vrai  dire,  ce  ne  sont  que  des  pillards.  Ils  arrivent,  on  ne 
sait  comment,  à  se  glisser  dans  un  camp  gardé,  et  â  enle- 
ver sans  bruit  tout  ce  qui  leur  tombe  sous  la  main.  Le  cas 
s'est  présenté  d'un  voyageur  qui,  le  matin  à  son  réveil,  n'a 
plus  retrouvé  une  cantine  que,  pour  la  nuit,  il  avait  placée 
dans  sa  tente,  sous  son  lit  de  camp.  Lui,  n'avait  rien  en- 
tendu, les  sentinelles  n'avaient  rien  vu.  Quand  on  a  été 
victime  des  Bondjos  en  pareille  circonstance,  on  se  dit  que 
vraiment  ils  ne  manquent  pas  d'audace,  mais  tous  sont 
lâches  devant  le  danger. 

Il  faut  reconnaître,  du  reste,  que  tels  que  nous  les  con- 
naissons, voleurs,  pillards,  anthropophages  endurcis  par- 
dessus le  marché,  il  nous  est  difficile  de  les  juger  en  con- 
naissance de  cause  et  sans  parti  pris. 

Devant  la  puissance  de  nos  armes,  ceux  qui  vivent  avec 
nous  en  termes  d'amitié  semblent  avoir  abandonné  une 
partie  de  leurs  défauts.  Mais  renonceront-ils  jamais  à  l'an- 
thropophagie !  11  ne  faut  guère  y  compter. 

Les  Bondjos  n'ont  pas  de  grands  chefs  auxquels  ils  obéis- 
sent. Le  commandement  est  exercé  dans  chaque  village 
par  un  chef  qui  n'a,  au  point  de  vue  de  l'autorité,  aucune 
relation  avec  son  voisin.  A  sa  mort,  l'autorité  passe  a.  son 
fils  aîné  et,  à  défaut,  au  chef  de  famille  le  plus  riche  ou 
à  celui  qui  a  tué  le  plus  grand  nombre  d'ennemis  à  la 
guerre. 

Chez  les  Bondjos,  la  richesse  est  calculée  en  raison  du 
nombre  de  femmes.  Un  homme  de  condition  ordinaire  e 
possède  deux,  rarement  trais.  Un  chef  peut  aller  jusqai 
dix. 

La  femme,  chez  eux,  n'est  pas  une  esclave.  Elle  est  ch; 
gée  des  soins  du  ménage  et  n'a  d'autre  occupation  < 
celle  d'élever  ses  enfants. 

L'homme  se  marie  généralement  entre  20  et  25  ans,  ou 
plus  tôt,  s'il  a  les  moyens  d'acheter  une  femme. 

Une  femme  jeune  et  belle  coûte  environ  100  guinejat 


NOTICE    SUR    LES   BOMUOS.  345 

monnaie  du  pays  représentée  en  plaques  de  1er  faites  avec 
un  minerai  1res  riche  qu'on  trouve  en  abondance  dans 
presque  toul  l'Oubangut.  Elle  s'aclièle,  parfois  aussi,  avec 
des  perles,  de  l'étoffe  ou  du  laiton;  mais  on  peut  assurer 
qu'elle  ne  dépasse  jamais  le  prix  de  350  francs,  valeur  en 
marchandises  décomptées  au  prix  de  traite. 

Les  Bondjos  comprennent  dans  leur  élément  social  deux 
castes  distinctes:  l'homme  libre  ou  Rondjo  pur  et  l'es- 
clave. 

L'homme  libre  défend  sou  village  et  assure  la  police  des 
environs,  c'est-à-dire  qu'il  pille  et  rançonne  tout  ce  qui 
n'est  pas  en  élnt  {le  lui  résister.  Entre  temps,  il  cultive  son 
champ  de  maïs  ou  de  bananes,  chasse  pour  se  procurer  de 
la  viande,  pèche  et  va  faire  des  razzias  dans  les  villages 
voisins. 

L'esclave  est  le  noir  pris  à  la  guerre.  Sa  condition  n'est 
pas  des  plus  heureuses,  puisque,  tôt  ou  tard,  il  est  destiné 
à  servir  de  repas  à  tout  le  village. 

Après  une  guerre,  tous  les  cadavres  sont  mangés.  Un 
certain  nombre  de  prisonniers  subit  le  même  sort.  Cepen- 
dant, il  arrive  parfois  que  le  village  vaincu  peut  racheter 
ses  prisonniers. 

L'esclave  qui  a  commis  une  faute  grave  doit  mourir.  11 
est  solidement  garrotté  et  gardé  à  vue.  Au  jour  fixé  pour  le 
sacrilice,  il  est  porté  en  dehors  de  ta  prison  et  étendu  à 
terre  par  devant  son  maître.  Celui-ci,  s'adressant  à  tout  le 
village  qui  l'entoure,  rappelle  le  crime  commis  par  son 
esclave  qu'il  tue  aussitôt,  en  le  saignant  au  cou  ou  en  lui 
enfonçant  un  couteau  dans  le  cœur.  Immédiatement  le 
corps  est  dépecé  et  partagé  entre  les  amis  du  maître.  Ce 
dernier  n'y  Louche  pas,  mais  il  se  réserve  de  prendre  sa 
revanche  à  l'exécution  d'un  autre  esclave  que  le  sien. 

La  chair,  qu'on  a  soin  de  laisser  faisander,  est  cuite  dans 
l'eau  bouillante  avec  du  manioc  et  des  bananes  —  la  cervelle 
est  réservé  aux  vieillards —  et  le  tout  est  arrosé  d'un  alcool 

SOC.   DE    fiKOGA.  —  ï"  TRIlfïSTRK   Î8BSI.  XX.  —  17 


346  NoriCK    SUR    LES    BONDJOS. 

exécrable  qu'ils  font  eux-mêmes  avec  de  la  farine  de  mais 
et  appelé  pë. 

Les  mêmes  cérémonies  président  an  sacrifice  des  caplifs 
de  guerre  ;  mais,  dans  ce  cas,  la  télé  revient  de  droit  au 
Bondjo  qui  l'a  fait  prisonnier,  et  le  crâne  sert  d'ornement 
au  loit  de  la  case  du  guerrier. 

A  sa  morl,  le  Bondjo  libre  ne  subit  pas  les  mêmes  profa- 
nations. Son  corps  est  pour  ainsi  dire  embaumé.  11  est  ouvert 
depuis  l'eslomac  jusqu'au  bas-ventre,  de  façon  à  remplacer 
le  cœur  et  les  intestins  par  des  plantes  aromatiques.  Les 
entrailles  elles-mêmes  sont  lavées  dans  un  bain  odorant,  et 
conservées  dans  une  jarre.  Puis,  le  corps  desséché  est  lixéâ 
un  piquet,  debout  à  l'entrée  de  la  case  du  défunl  et,  pen- 
dant deux  jours,  les  parents  et  les  amis  invités  aux  funé- 
railles battent  le  lam-lam  en  l'honneur  du  mort. 

L'inhumation  a  lieu  ensuite  dans  quelque  endroit  as: 
rapproché  de  la  case.  La  fosse,  profonde  de  ï>0  centimètres  à 
peine  a  au  préalable  été  bien  haltue,  puis  chauffée  pour  que, 
disent  les  «  Bondjos  »,  le  mort  n'ail  pas  à  souffrir  du  froid. 
Au  milieu  des  pleurs  et  du  bruit  des  lams-lams,  le  corps  est 
déposé  précieusement  dans  la  fosse;  on  y  dépose  également 
la  jarre  qui  contient  le  cœur  et  les  entrailles  et  le  tout  est 
recouvert  de  nattes  pour  que  la  terre*  n'abîme  pas  le  corps». 
La  cérémonie  terminée,  le  partage  des  biens  s'opère  entre 
les  amis  et  les  parents  du  défunt  qui,  en  signe  de  deuil, 
s'assemblenl  pendant  plusieurs  jours  pour  pleurer  el  battre 
du  lam-lam. 

A  voir  l'esprit  qui  préside  à  leurs  funérailles,  ou  pourrait 
s'imaginer  que  les  Bondjos  ont  une  idée  vague  de  l'éternité 
et  qu'ils  ont  un  semblant  de  religion.  11  n'en  est  rien,  ou  du 
moins  ils  seraient  plutôt  fétichistes,  car  ils  sont  très  supers- 
titieux. 

En  général,  les  Bondjos  ne  sont  pas  velus.  Ils  portent  aux 
bras  et  aux  jambes  des  bracelets  de  fer  ou  de  enivre,  les 
femmes  en  plus  grande  quantité.  Celles  d'entre  elles  qui 


N<HTGK    SUR    LES    BONDJOS.  "2-17 

sont  le  moins  nues  portent  tout  simplement  une  lonffe  de 
fibres  d'écorce  ou  bien  une  feuille  debananierdélicalement 
retenue  par  une  ficelle  qui  leur  entoure  les  reins.  Aujour- 
d'hui, cependant,  tous  recherchent  le  morceau  d'étoffe,  le 
«  bongo  »  qui  servira  à  couvrir  leur  nudité. 

Comme  armes,  les  Bondjos  ont  la  lance  en  fer,  haute  de 

1  m.  50  à  -1  mètres,  la  sagaye,  un  couteau  large  et  pointu 

qu'ils  portent  en  bandoulière  et  le  couteau  de  jet  qu'ils 

lancent  comme  la  sagaye  avec   une  adresse  remarquable. 

Comme  armes  défensives,  ils  ont  un  grand  bouclier  l'ail  en 

peau  de  buffle  ou  en  bambou  fortement  tressé.  Ils  portent 

également  une  cuirasse  en  peau.  Les  armes  à  feu   sont 

icore  rares  chez  eux,  mais  les  Yakatous  possèdent  une 

laine  quantité  de  fusils  a  tir  rapide  et  de  munitions,  pro- 

it  de  leurs  vols  et  de  leurs  assassinats, 

guerre,  ou  pourmieux  dire  le  pillage,  est  leur  industrie 
Lion  aie.  La  fuite  et  la  surprise  constituent  leur  tactique 
.bituelle.  Ils  n'attaquent  que  la  nuit,  toujours  par  sur- 
lorsqu'ils  se  sentent  très  supérieurs  en  forces,  et 
tout  après  avoir  anéanti  toute  résistance  delà  part  du  nos 
:iliaires  indigènes  en  leur  procurant  de  l'alcool  et  des 
mes. 

iup  terminer  ce  rapide  exposé  sur  celte  race  qui  habite 
premiers  territoires  de  l'Oubangui,  il  faut  ajouter  que  le 
imerce  français  peu  llrouverchézles  Bondjos  un  débouché 
plus  faciles.  Le  café,  le  caoutchouc  ne  manquent  pas; 
oire  se  trouve  en  grande  quantité  et  les  Bondjos  le  livrent 
lemenlâ  un  prix  qui  n'atteint  pas  0  fr.  70  le  kilogramme. 
is  Bondjos,  qui  ne  sont  pas  à  craindre  malgré  la  mauvaise 
réputation  qui  leur  est  faite,  verraient  avec  plaisir  s'installer 
sous  la  garde  de  notre  pavillon  des  factoreries  où  ils  pour- 
raient échanger  leurs  produits  contre  des  Tusilsde  traite,  de 
la  poudre,  des  perles,  du  laiton,  des  étoffes  et,  en  général, 
tous  les  articles  de  traite. 

uant  à  ceux  a  qui  incombe  le  devoir  de  maintenir  dans 


. 


248  X0T1CE    SUK   LES   BONDJOS. 

ces  régions  éloignées  les  droits  de  la  France,  ils  sont  d'avis 
que  l'établissement  du  commerce  chez  les  Bondjos  aura  un 
salutaire  effet  sur  les  mœurs  et  les  habitudes  de  ces  peuples 
encore  sauvages,  parce  qu'ils  n'ont  eu  d'autres  relations 
avec  nous  que  par  les  armes. 

Bangui,  26  août  1898. 


Le  Gérant  responsable, 
Hulot, 

Secrétaire  général  de  la  Commission  centrale. 


5W5.  —  L.- Imprimeries  réuniog,  B,  rue  Saint-ltonoît,  7.  —  Mottshoz,  <lir. 


i 


par  M  Sei gland 


Légende 

Jtaut*  ouverte 

Haute,  en.  construction. 

oentter  uuixgène, 

Itinéraire  par  renseignement- 

Wkuje.  de  culture. 

Campement 


Echelle  »  •  /  600000e 


Ben 


va 


•+  1  1, 


5 


IC 
Kilomètres 


15 


20 


Cm  iti*e>a<r+.  ont  été  levés  à  la.  boussole  Hione 

été  Ut  montre  ,  U*  altitudes  au  baromètre  Ooul 


Bulletin  d<»  la 


fffim»Trimeattv  1699 


/ 


LA  COTE   D'IVOIRE 


NOTICE      HI3TOEICJUE 


,    U.    CLOZEL 


I  es  Normands  et  tes  l'orLuL'ais.  In  premier  H  alili. -sèment  français  * 
\ssinie  sous  Louis  XIV.  —  Croisières  contre  les  né^ri^rs.  —  Occupa- 
tion de  Graiul-Ilassam  el  d'Assinle.  --  llee.qnard.  —  Le  général  Faid- 
'i.  i  tir-  el  ta  construction  du  fort  de  Dabou.  —  La  Crtte  d'ivoire  de 
1870  à  1N8;.  —  lltnger  et  Treich-Laplône.  —  La  Cote  d'Ivoire  colonie 
française  en  1893.  —  M.  Binger,  premier  gouverneur.  —  Occupation 

■  t.    la  i  <>! ii'si.  —  l'éneiration  dans  le  Saoulé:.  —  Gouvernement  de 

M  Mou  «et  (1896).  —  Occupation  de  la  frontière  orientale.  —  i'rlse  de 
Samory  en  1898.  —  M.  Boherdeau,  gouverneur. 

L'antiquité  ne  nous  a  rien  laissé  sur  la  Côte  d'Ivoire.  Le 
périple  d'Hannon,  ce  premier  voyage  de  découverte  le  long 
des  rivages  de  l'Afrique  occidentale,  ne  renferme  aucun 
renseignement  qu'on  puisse  lui  appliquer.  Les  nombreux 
Érudits  qui  ont  disserté  sur  les  navigations  de  l'amiral  car- 
thaginois s'accordent  pour  les  faire  remonter  enlre  le  vi*  et 
le  v*  siècle  avant  l'ère  chrétienne,  et,  bien  que  moins  una- 
nimes sur  ce  poinl,  tes  plus  compétents  d'enlre  eux  assi- 
gnent comme  limite  au  voyage  les  bouches  de  la  rivière 
Slierbroo  dans  le  sud  de  la  colonie  anglaise  de  Sierra- 
Leone,  ce  qui  exclut  naturellement  notre  Cale  d'Ivoire  du 
monde  connu  des  anciens. 

Les  géographes  arabes  sont  également  muets.  Il  semble 
rjtte  leurs  navigateurs  se  montrèrent  beaucoup  moins  hardis 
dans  l'océan  Atlantique  que  dans  les  mers  des  Indes  et  de 
Chine.  Les  principaux  ports  de  commerce  des  Arabes  étaient 


snc.  de  si  OCR.  ■ 


252  LA  cote  d'ivoire. 

Normands,  ne  fondèrent  aucun  établissement  sur  la  partie 
du  littoral  qui  correspond  à  notre  colonie  de  la  Côte 
d'Ivoire.  Ses  limiles  actuelles  ne  sont  point  du  resle  tout 
à  fait  celles  qu'avait  la  cote  dont  elle  a  conservé  le  nom. 

Les  anciens  géographes  comprenaient  généralement  sous 
le  nom  de  Côle  des  Dents  ou  de  l'Ivoire  toute  la  partie  du 
littoral  africain  qui  s'étend  du  cap  des  Palmes  à  celui 
d'Apollonie;  d'autres  font  commencer  la  Cote  de  l'Or  à  la 
rivière  d'Assinie  ou  même  à  Gamo,  point  qui  correspond  à 
peu  près  à  la  situation  qu'occupe  aujourd'hui  Grand-Bassam. 

Ils  subdivisèrent  celte,  région  en  trois  parties  :  la  Côle 
d'Ivoire  proprement  dite,  du  cap  des  Palmes  à  la  rivière  de 
Sassandra  ;  la  C6te  de  Mal-gens,  de  Sassandra  à  Labou  ;  celle 
des  Quaqua,  de  Lahou  à  la  rivière  d'Assinie. 

Des  Marchais'  nous  donne  une  autre  division  avec  des 
limites  légèrement  différentes.  Voici  du  reste  ce  qu'il  en 
dit: 

a  Toute  cette  cûte,  depuis  le  cap  des  Palmes  jusqu'à  celui 
des  Trois-Pointes,  est  connue  des  navigateurs  sous  le  nom 
de  Côte  des  Dents.  Les  Hollandais  l'appellent  en  leur  langue 
Tand-Kusl.  On  la  divise  pour  l'ordinaire  en  deux  parties, 
que  l'on  appelle  la  Côte  de  Mal-gens,  ou  mauvaises  gens,  et 
la  Côte  des  Bonnes-gens.  C'est  la  rivière  de  Bolrou  qui 
sépare  ces  deux  peuples.  De  savoir  qui  leur  a  donné  ces 
noms,  c'est  ce  qui  n'est  pas  facile,  non  plus  que  la  raison 
pourquoi  on  les  leur  a  donnés.  Il  est  certain  que  les  nègres 
qui  sont  à  l'est  du  cap  des  Palmes  sont  méchants,  traîtres, 
menteurs,  voleurs,  d'un  naturel  féroce  et  sanguinaire.  En 
voilà  assez  pour  justifier  ceux  qui  leur  ont  donné  une 
épiihète  si  odieuse. 

«  A  l'égard  du  nom  de  Côte  des  Dents  qu'on  donne  à  toute 
la  côte  d'un  cap  à  l'autre,  la  raison  en  est  facile  à  trouver. 


la  cote  d'ivoihe.  253 

Elle  viutit  de  la  prodigieuse  quantité  de  de;ils,  de  cornes  ou 
de  défenses  d'éléphants  qu'on  trouve  dans  tout  ce  pays.  * 

Avant  des  Marchais,  dont  le  voyage  remonte  seulement 
a  1724,  bien  d'autres  navigateurs  avaient  fréquenté  notre 
cote,  mais  tous,  l'anonyme  dont  les  voyages  furent  rédigés 
et  publiés  .par  Go  tard  Arihus,  plus  connu  sous  le  nom 
d'Arlhus  de  Dantzig  (un  du  xvi"  siècle),  Villault  (1667), 
Thomas  Phillips  (11193),  Jacques  Barbot  (1699),  s'accordent 
pour  parler  en  assez  mauvais  tennes  des  indigènes  de  la 
Côte  d'Ivoire;  certains  nous  les  donnent  même  comme 
anthropophages,  ce  qui  n'a  rien  d'invraisemblable,  puisque 
les  peuplades  de  l'intérieur  dans  la  partie  ouest  de  la 
colonie  le  sont  peut-être  encore.  Tout  le  kvil0  siècle  s'écoule 
sans  qu'aucune  des  nalions  européennes  qui  avaient  occupé 
nombre  d'autres  points  de  la  cote  occidentale  essaye  de 
s'établir  à  terre.  C'étaient  nos  compatriotes  qui  devaient  le 
tenter  les  premiers. 

Celte  première  installation  française  dans  notre  colonie 
actuelle  de  la  Côte  d'Ivoire  remonte  au  commencement  du 
xviue  siècle.  Le  R.  P.  Godefroy  Loyer,  religieux  jacobin 
d'un  couvent  breton,  qui  fut  l'aumônier  de  la  petite  colonie, 
nous  en  a  conservé  une  relation  fidèle  et  détaillée'.  L'histoire 
est  intéressante  en  plus  d'unpoint,  et  notre  occupation  prît 
lin  par  une  de  ces  évacuations  manu  militari  dont  notre 
histoire  coloniale  offre  d'autres  exemples. 

Cela  commence  avec  une  mission  fondée  à  Assinie  en 
1687  par  un  religieux  dominicain,  le  P.  Gonsalvez,  qui 
malgré  son  nom  espagnol  était  Auvergnat.  Cette  mission 
n'eut,  qu'une  existence  éphémère,  mais  son  supérieur  put  ra- 
mener en  France  deux  jeunes  nègres  qui,  conformément  à 
une  tradition  que  nous  avons  conservée,  y  furent  présentés 
Domine  lils  de  roi. 


page  iiu  royaume  d'Issijmj,  par  le  R.  P.  C.  Loypr. 


254  LA  CÔTE  d'ivoire. 

En  1100,  le  P.  Loyer,  au  retour  d'un  voyage  aux  îles 
d'Amérique,  se  trouvait  à  Rome  pour  le  jubilé.  11  se  fit 
nommer  par  la  congrégation  de  la  Propagande  préfet  apos- 
tolique des  missions  de  la  Côte  de  Guinée  et  vint  ensuiteen 
France  pour  y  trouver  les  moyens  d'action  propres  à  ap- 
puyer son  entreprise  religieuse.  On  y  songeait  précisément 
à  renvoyer  à  Assinie,  l'un  des  deux  jeunes  nègres,  le  prince 
Louis  Aniaba,  qui,  après  avoir  été  élevé  noblement,  ava.t 
servi  quelques  années  dans  l'armée  royale  en  qualité  de  ca- 
pitaine de  cavalerie. 

L'espédiiion  se  composait  du  vaisseau  de  guerre  le  Poly 
ayant  pour  capitaine  le  chevalier  Damnu,  de  deux  navires 
de  la  Compagnie  de  Saint-Domingue,  l'Impudent  et  la  Hol- 
lande. Elle  quitta  La  Rochelle  le  18  avril  1101, emportant  le 
prince  Aniaba  auquel  le  roi  avait  fait  donner  «  un  équipage 
convenable  à  son  rang  »,  le  P.  Loyer  et  un  autre  religieux 
jacobin,  le  P.  Jacques  Villard.  Après  une  courte  escale  à 
Grand- Bassam, la  petite  escadre  mouillait  devant  Assinie, le 
25  juin  à  midi.GabHrel,  lieutenant  de  vaisseau,  et  le  P.  Loyer, 
qui,  le  5  juillet  1101,  se  rendirent  les  premiers  à  terre,  cha- 
virèrent dans  la  barre  avant  que  d'y  arriver,  mais  en  furent 
quittes  pour  un  bain.  Après  des  pourparlers  que  nous  pas- 
sons sous  silence,  le  roi  Akasini  concéda  aux  Français  pour 
s'y  établir  un  emplacement  sur  la  bande  de  sable  qui  sépare 
la  lagune  d'Aby  de  l'Océan.  C'est  sur  ce  banc  de  sable  que 
s'élève  aujourd'hui  la  pelile  ville  d'Assinie. 

Le  fort  construit  en  1701  fut  composé  d'une  courtine  et 
de  deux  demi-bastions,  avec  une  palissade  de  10  on 
12  pieds  de  hauteur  et  un  fossé  extérieur.  Sur  chaque  bas- 
lion  on  plaça  quatre  pièces  de  trois  livres  de  balle  et  quel- 
ques pierriers.  Derrière  ce  retranchement,  on  bâtit  les  loge- 
ments pour  les  officiers  et  la  garnison,  et  quelques 
magasins,  assez  petits  à  la  vérité,  mais  suffisants  pour  les 
marchandises  qu'on  avait  débarquées. 

Les   indigènes   paraissaient   entièrement    favorables    et 


LA  CÔTE  d'ivoire.  255 

avaient  prêté  un  concours  empressé  à  noire  établissement. 
Le  chevalier  Damou,  qui  avait  dirigé  les  pourparlers  avec 
eux  et  présidé  à  toute  l'installation,  quilta  ensuite  la  rade 
d'Assiuie. 

C'eût  été  très  bien  si  l'on  avait  pensé  à  la  colonie  nais- 
sante ;  mais  on  devait  l'oublier  quatre  ans  et  ne  s'en  souve- 
nir en  1704  que  pour  rapatrier  les  survivants. 

Le-  H'illandaisd'El-Mina.qnicraignaient  que  le  voisinage 
des  Français  devint  nuisible  à  leur  commerce,  vinrent  atta- 
quer le  Tort  d'Assînie  avec  une  escadre  de  quatre  vaisseau* 
le  3  novembre  1702.  Après  avoir  essayé  infructueusement 
de  détacber  les  indigènes  de  notre  cause  et  sondé  la  rade, 
ils  se  rapprochèrent  de  terre  et  commencèrent  le  bombar- 
dement le  13  à  huit  heures  du  malin.  La  petile  garnison  ri- 
posta d'abord  assez  heureusement;  mais,  n'ayant  plus  que 
deux  barils  de  poudre,  elle  dut  cesser  le  feu  des  pièces  et  ré- 
server la  poudre  pour  la  mousqueterie.  Les  Hollandais,  au 
contraire,  continuaient  de  plus  belle  et  envoyaient  près  de 
1,200  coups  de  canon  sur  ce  malheureux  fort  construit  en 
bois,  sans  lui  faire,  grand  mal,  parait-il. 

La  situation  n'en  paraissait  pas  moins  désespérée  lorsqu'à 
deux  heures  de  l'après-midi,  se  pruduisit un  accident  qui  sem- 
blait devoir  tout  perdre  et  qui  vint  tout  sauver.  Il  y  avait  dans 
le  fort,  près  de  la  chapelle,  une  grande  ruche  d'abeilles  qui 
futrenversée  par  un  boulet.  Les  muuches  furieuses  se jelèrenl 
Sur  la  petite  garnison  et  la  forcèrent  à  évacuer  la  place.  Les 
Hollandais,  ue  doutant,  pas  que  les  Français  n'en  eussent 
abandonné  la  défense,  firent  immédiatement  débarquer  cin- 
quante hommes  pour  en  prendre  possession,  mais  les  Fran- 
çais rentrèrent  dans  le  fort  par  une  des  embrasures  du  bas- 
lion  donnant  sur  la  rivière  sans  cjue  l'ennemi  s'en  aperçut. 

D'autre  pari  nos  alliés  indigènes  s'embusquèrent  sur  le 
chemin  que  devaient  suivre  les  Hollandais,  si  bien  que,  des 
cinquante  hommes  de  la  compagnie  de  débarquement, trente- 
nenf  furent  tués  et  les  onze  autres  faits  prisonniers. 


256 


LA   CÔTE    D'IVOIRE. 


L'échec  de  cette  te nlative  mil  fin  a  l'attaque  dps  Hollan- 
dais. Pendant  !e  danger,  te  prince  el  ci-devant  capitaine  de 
cavalerie  Aniaba  brilla  par  son  absence.  Le  chevalier  des 
Marchais,  qui  fit  sa  connaissance  quelques  années  plus 
tard,  nous  renseigne  sur  le  personnage  et  sur  son  prin- 
cipal. 

D'après  lui,  Aniaba  était  un  petit  esclave  appartenant  au 
capitaine  Compère,  patron  d'un  bateau  marchand,  qui  se 
proposait  d'en  faire  son  domesLique.  Arrivé  en  France,  l'air 
intelligent  du  négrillon  donna  bonne  opinion  de  lui  à  quel- 
ques personnes  qui  trouvèrent  avantageux  de  lui  Taire  jouer 
le  rôle  de  prince.  Ce  à  quoi  le  jeune  Aniaba  se  prêla  de  fort 
bonne  grâce.  Malheureusement,  dès  son  retour  à  Assinie, 
ses  compatriotes  le  dépouillèrent  des  présents  de  Louis  XIV 
et  lui  firent  reprendre  son  ancienne  condition  d'esclave. 

Bosman  confirme  les  points  principaux  de  la  version  de 
des  Marchais.  Ce  qui  n'empêche  pas  le  Mercure  de  l'avoir 
fait  connaître  à  l'Europe  «n  1701  sous  le  nom  de  Louis  An- 
nibat,  roi  d'Issiny,  et  de  nous  apprendre  que,  baptisé  par 
Bossuet,  filleul  du  grand  roi.il  avaitreçu  la  communion  des 
mains  du  cardinal  de  Noailles,  archevêque  de  Paris. 

Le  chevalier  de  Gènes,  qui  hombardaenl6051e  forlJames 
sur  la  Gambie,  avait  découvert  un  autre  prince  d'Assinie.  A 
propos  de  quoi  un  vieux  voyageur  fait  remarquer  que,  mal- 
gré la  stupidité  qu'on  attribue  aux  nègres,  ils  ont  assez  d'es- 
prit'pour  nous  en  imposer  à  l'occasion. 

En  1703,  Loyer  avait  quitté  Assinie.  Les  quelques  Fran- 
çais qu'il  y  laissait  en  élaieni  déjà  réduits  à  une  telle  misère 
que,  faute  de  marchandises,  ilsdevaient  vendre  leurs  habits 
pour  acheter  de  quoi  manger. 

Enfin,  en  juillet  1 704,  trois  navires  marchands  et  un  vais- 
seau de  guerre  commandé  par  le  capitaine  de  Grosbois  ar- 
rivèrent devant  Assinie.  C'est  la  saison  des  plus  mauvaises 
barres  el  il  fallut  trois  jours  aux  Français  du  fort  pour  se 
mettre  en  communication  avec  Grosbois.  Celui-ci  traita  si 


LA  CÔTE  d'ivoire.  257 

talemenl  les  nègres  venus  à  son  bord  qu'il  ne  l'ut  plua 
ssible  de  trouver  des  pirogues. 

tTn  soldat  du  Tort,  nommé  Parisien,  ne  craignit  pas  de 
rnosera  la  fureur  des  fiais  pour  gagner  les  vaisseaux  à  la 
c  et  représenter  1  Grosbois  l'imprudence  de  sa  conduite 
qui  mettait  tous  les  Français  de  la  garnison  en  danger  d'être 
massacrés;  mais  le  capitaine,  insensible  à  tous  les  discours, 
déclara  qu'il  ne  fallait  penser  qu'à  l'embarquement  pour  re- 
tourner en  France.  Parisien  retourna  au  fort  avec  cette 
nouvelle  ;  et,  dès  le  môme  jour,  Grosbois  envoya  des  ra- 
deaux au  rivage  comme  la  seule  ressource  pour  ramener 
tous  les  Français  à  son  bord.  Le  P.  Villard  Tut  le  premier 
qui  en  osa  courir  les  risques.  11  se  mit  en  chemise  avec  son 
chapelet  au  cou.  Après  avoir  ouvert  heureusement  la  route, 
il  se  flattait  de  retourner  au  Tort  pour  y  prendre  ses  habits 
et  sa  chapelle,  mais  cette  permission  lui  fui  refusée  par  le 
capitaine.  Sept  autres  Français,  moins  heureux  que  lui,  se 
noyèrent  en  passant,  la  barre  et  le  fort  fut  abandonné  à  la 
discrétion  des  nègres. 

Comme  le  terrible  capitaine  de  Grosbois  ne  voulut  faire 
aucun  cadeau,  ni  tenir  aucune  des  promesses  failes  aux  in- 
digènes paries  Français  d'Assinie  pendant  leurs  années  de 
misères,  cette  tentative  d'occupation  heureusement  com- 
mencée laissa  les  noirs,  d'abord  si  favorables,  fort  indispo- 
sés contre  nous. 

Les  débuts  et  la  fin  de  notre  première  occupation  d'Assi- 
nie justifiaient  cette  réplique  d'une  cheffesse  d'Apollonie  au 
P.  Loyer  :  <  Si  les  Français  avaient  aulaut  de  fidélité  dans 
leurs  promesses  que  de  civilité  dans  leur  conduite,  foute  la 
côte  d'Afrique  serait  a  eus  ;  mais  comme  ils  tiennent  rare- 
ment ce  qu'ils  promettent,  leurs  amis  ne  peuvent  y  prendre 
beaucoup  de  confiance.  » 

En  d'autres  termes,  pour  réussir  en  Afrique,  et  peut-être 
même  ailleurs,  il  faut  savoir  ce  que  l'on  veut  et  le  vouloir 
longtemps. 


LA    COTE   D'IVOIRE. 

Gel  échec  mit  fin  pour  plus  d'un  siècle  aux  tenlalivesdes 
Européens  sur  la  Côte  d'Ivoire;  les  difficultés  du  débarque- 
ment causées  par  la  barre  ei  la  mauvaise  réputation  desna- 
turels les  en  détournèrent.  Ils  y  commerçaient  cependant, 
et  des  Marchais  nous  renseigne  sur  la  façon  dont  s'opéraient 
les  transactions'  : 

*  Les  nègres  de  la  côte,  quoique  du  mauvais  caractère 
qui  leur  a  attiré  le  nom  de  Mal-gens,  aiment  le  commerce. 
Dès  qu'ils  voient  un  batimt  nt  en  panne  ou  mouillé  à  une 
distance  peu  considérable  de  la  côte,  ils  le  viennent  recon- 
naître, et  quand  ils  se  sont  assurés  qu'on  y  peut  traiter  avec 
sûreté,  ils  portent  à  bord  tout  ce  qu'ils  ont  de  marchan- 
dises, soit  or,  morphil,  captifs,  vivres  ou  raffraîchissemenls, 
et  prennent  en  échange  les  marchandises  rie  traite  dont  ils 
ont  besoin.  Il  est  plus  à  propos  de  traiter  avec  eux  à  bord 
que  de  porter  les  marchandises  à  terre.  Les  Européens  sont 
maîtres  dans  leurs  vaisseaux,  pourvu  qu'ils  n'y  laissent  en- 
trer qu'une  quantité  de  nègres  qu'il  leur  soit  facile  de  chas- 
ser s'ils  se  mettaient  en  état  de  leurvouloirfaireviolence.au 
lieu  qu'ils  ne  le  seraient  pas  s'ils  étaient  à  terre  où  la  vue  des 
marchandises  serait  une  tentation  très  forte  pour  porter  les 
nègres  à  quelque  massacre,  ou  du  moins  à  quelque  pillage 
dont  il  serait  difficile  d'avoir  raison,  à  moins  de  prendre 
le  parti  d'enlever  des  captifs  au  prorata  du  pillage  que  leurs 
compatriotes  auraient  fait,  ce  qui  serait  encore  un  autre  in- 
convénient parce  que  les  nègres  ne  manqueraient  pas  de 
s'en  venger  sur  les  premiers  Européens  qui  auraient  le 
malheur  de  tomber  entre  leurs  mains. 

t  Ils  viennent  donc  avec  assez  de  confiance  aux  vaisseaux, 
surtout  quand  le  pavillon  blanc  les  assure  qu'ils  sont  Fran- 
çais. Ils  ne  s'y  sont  pas  toujours  fiés;  et  pour  s'assurer  qu'ils 
étaient  tels  que  le  pavillon  marquait,  ils  exigèrent  que  le 
capitaine  descendit  du  bord  et  que  mettant  un  pied  sur  li 


I    [ip?  Marchais,  lot.  cit.,  p.   17B. 


etfant  un  pied  sur  le 


I.*    CÔTE    [/IVOIRE. 


259 


bord  de  la  chaloupe  et  l'autre  sur  une  précïnte  de  son 
«aisseau,  il  prit  de  l'eau  de  la  mer  avec  la  main  et  s'en  mit 
quelques  gouttes  sur  les  yeux.  A|jrès  cette  cérémonie  ils 
«'abandonnaient  entièrement  à  sa  discrétion,  étant  persuadés 
que  rien  au  monde  ne  serait  capable  de  lui  Taire  violer  la  foi 
qu'il  leur  donnait  parce  serment. 

«  Ils  s'en  servent  eux-mêmes  quant  ils  veulent  promettre 
quelque  chose,  et  disent  qu'ils  perdraient  la  vue  s'ils  faisaient 
le  contraire  de  ce  qu'ils  ont  promis.  Je  veux  croire  qu'ils 
craignent  l'effet  de  l'imprécation  que  celte  cérémonie signi- 
le  ;  cependant  je  conseille  à  ceux  qui  traitent  avec  eux  de 
s'y  fier  que  sous  bénéfice  d'inventaire,  et  d'être  toujours 
n  armés  et  en  état  de  les  repousser  vivement  si  quel- 
'un  d'eux  avait  assez  peu  de  religion  pour  ue  pas  craindre 
►erle  de  sa  vue, comme  cela  est  arrivé  plusd'une  fois,  car 
y  a  partout  des  gens  qui  savent  le  secret  des  restrictions 
sntafes  et  qui  ne  sont  pas  esclaves  de  leur  parole.  » 

s  Marchais  étudie  cependant  la  possibilité  d'un  établîs- 
ment  sur  celte  côte  et  préconise  l'embouchure  du  Rio 
inl-André,  la  rivière  Sassandra  de  nos  cartes.  Nous  y 
ins  aujourd'hui  un  poste.  L'opinion  de  des  Marchais  nous 
ieuseà  rappeler,  car  il  est  actuellement  question 
e  transférer  le  cbef-lîeu  de  notre  colonie  de  Grand-Bassani 
o  un  point  de  la  côte  plus  sain  el  plus  agréable  à  habiter, 
a  rapports  des  médecins  des  colonies  chargés  à  diverses 
:s  d'éludier  la  question  s'accordent  pour  recomman- 
r  comme  favorable  à  rétablissement  de  la  ville  future  le 
sau  qui  s'étend  entre  Sassandra  et  Grand-Drewin.  Des 
îhais,  dans  le  passage  qu'on  va  lire, apporte  à  l'appui  de 
p  thèse  un  témoignage  qu'il  nous  a  paru  intéressant 
[humer1: 

i  Le  Grand-Drouïn  est  un  village  considérable  bâti  dans 
c  ile  environnée  de  la  rivière  de  ce  nom.  On  voit  au  delà 


I.  Des  Marehiis,  loe.  cil.,  p.  183. 


2fiO  a  LA    C&TE    D'IVOIRE. 

du  village  des  prairies  des  deux  côtés  de  la  rivière,  tant  que 
la  vue  peut  s'étendre. 

'  «  Kio-Saint-André  est  sans  contredit  le  lieu  de  toute 
celte  côte  le  plus  propre  à  placer  une  forteresse.  La  rivière 
qui  porte  ce  nom  est  considérable  par  elle-même,  avant 
môme  d'avoir  reçu  les  eaux  d'une  autre  rivière  qui  s'y  perd 
une  lieue  avant  son  embouchure  dans  la  mer.  La  première 
vient  du  nord-nord -ouest,  et  la  seconde  du  nord-est.  Elles 
sont  l'une  el  Taure  bordées  de  grands  arbres,  avec  des 
prairies  naturelles  et  de  vastes  campagnes  unies,  d'un  ter- 
rain gras  et  profond,  coupé  par  des  ruisseaux  qui  le  rafraî- 
chissent et  qui  le  rendent  propre  à  produire  toul  ce  qu'on 
en  voudrait  tirer,  s 

Comme  si  ce  n'était  pas  assez  de  tous  ces  avantages,  notre 
auteur  nous  fournit  un  peu  plus  loin  un  argument  qui  n'est 
pas  mince  en  faveur  des  agréments  du  séjour  dans  ces  ré- 
gions». 

*  Généralement  parlant,  toutes  les  femmes  de  Saint-An- 
dré sont  d'une  taille  assez  petite,  déliées  et  très  bien  prises. 
Elles  ont  les  plus  beaux  traits  du  monde,  les  plus  beaux 
yeuj,  les  plus  vifs  ;  la  bouche  petite,  les  dents  d'une  blan- 
cheur à  éblouir.  Elles  sont  enjouées  ;  elles  ont  l'esprit  fin, 
beaucoup  de  vivacité,  et  surtout  un  air  tout  à  fait  coquet  ; 
leur  physionomie  est  libertine  et  n'est  puint  trompeuse.  » 

Notre  respect  pour  la  vérité  nous  oblige  à  rabattre 
quelque  peu  sur  les  louanges  enthousiastes  du  brave  che- 
valier. Sommes-nous  devenus  moins  galants  et  moins  im- 
pressionnables que  lui,  ou  bien  est-ce  la  faute  des  beautés 
indigènes,  mais  nos  compatriotes  qui  habitent  aujourd'hui 
Sassandra  se  montrent  beaucoup  moins  affirmalifs  en  cette 
intéressante  question. 

Bossman,  Akins,  Smith  et  les  autres  voyageurs  du 
xviii*  siècle  ne  parlent  de  la  Côte  d'Ivoire  qu'en  passant.  Les 


1.  Des  Marchai-,  I 


LA  CÔTE  d'ivoihe.  261 

grandes  compagnies  commerciales  qui  existaient  alors  en 
France  comme  en  Angleterre  et  en  Hollande  continuèrent 
à  la  négliger  pour  porter  leur  principal  effort  sur  la  Séné- 
gambie,  la  Côte  d'Or  et  le  Bénin. 

Ce  qui  achevait  de  rendre  les  communications  rares  et 
difficiles  entre  les  indigènes  de  la  Côte  d'Ivoire  et  les  Euro- 
péens, c'est  que  ceux-ci,  lorsqu'ils  faisaient  escale  en  quelque 
point  du  littoral,  enlevaient  parfois  et  vendaient  ensuite  en 
Amérique  les  indigènes  venus  à  leur  bord  pour  y  faire  des 
échanges.  C'est  du  moins  ce  que  nous  rapporte  Snelgrave, 
navigateur  anglais,  qui  visita  tout  le  golfe  de  Guinée 
en   1727. 

Le  fait  n'a  rien  d'impossible;  le  nègre  était  alors  une 
denrée  fort  prisée  et  les  capitaines  des  navires  qui  fréquen- 
taient la  côte  occidentale  d'Afrique  n'embarquaient  pas 
toujours  une  très  forte  cargaison  de  scrupules,  marchan- 
cuandise  encombrante  sans  qu'il  y  paraisse,  et  parfois  bien 
gènan  te. 

Pendant  les  guerres  de  la  dévolution  et  de  l'Empire,  tout 
bateau  de  commerce  naviguant  au  long  cours  était  plus  ou 
moins  armé.  Ayant  la  force,  on  devenait  corsaire  à  l'occa- 
sion, elquand  on  s'épargnait  si  peu  entre  blancs, pouvait-on 
se  montrer  bien  délicat  vis-à-vis  des  noirs,  race  en  dehors 
du  droit  des  gens,  dont  les  ambassadeurs  n'intervenaient 
point  dans  ies  congrès.  Marchands,  corsaires  et  négriers, 
les  marins  de  ces  époques  héroïques  savaient  l'être  lour  à 
lour  et  tant  qu'on  ne  faisait  point  franchement  de  la  pira- 
terie en  s'attaquant  à  des  navires  amis,  personne  n'y  trou- 
vait rieu  à  dire. 

Tous  ces  hommes  d'action  écrivaient  malheureusement 
Tort  peu  et,  pour  trouver  sur  la  Cote  d'Ivoire  en  particulier 
quelques  renseignements  nouveaux,  il  nous  faut  attendre 
la  fin  des  guerres  de  l'Empire. 

Robertson.qui  fut  en  Afrique  l'agent  d'une  des  principales 
maisons  do  commerce  de  Liverpool  et  qui  fit  en  cette  qua- 


262  la  côte  d'ivoire. 

lite"  plusieurs  voyages  en  Guinée,  avait  heureusement  la 
plume  moins  rétive.  Il  nous  a  donné,  sur  les  différentes 
escales  de  !a  C6te  d'Ivoire  visitées  par  lui,  d'itssez  curieux 
détails  dans  ses  Notât  onAfriva1,  publiées  à  Londres  en  1819. 

D'après  lui,  Cnvally  est  remarquable  par  son  grand  com- 
merce qui  consisle  en  riz,  ivoire,  grains  de  paradis,  grains 
de  fossiles5,  poivre  rouge,  fourrures  el  autres  denrées. 
Ilobertson,  se  trouvant  en  mai  à  l'embouchure  du  Cavally, 
vil  flotter  sur  le  rivage  quantité  de  poissons  morts,  tous  les 
ans  à  pareille  époque  ce  phénomène  se  renouvelait.  Nous 
occupons  la  rive  gauche  du  Cavally  depuis  1894,  et  aucun 
de  nos  agent?  n'a  signalé  le  fait.  Tabou,  on  réside  actuelle- 
ment l'administrateur  du  cercle  de  Cavally,  était  alors  un 
pauvre  village,  mais  à  Bassa,  en  face  de  Tabou,  on  faisait  un 
assez  gros  commerce  d'ivoire  el  de  dents  d'hippopotames. 

De  Tabou  à  Sassandra,  Robertson  ne  voit  que  les  Bereby 
et  Drewin  qui  vaillent  la  peine  d'être  cités.  A  l'en  croire, 
l'importance  de  Sassandra  a  bien  diminué  depuis  l'aboli- 
tion de  la  traite  des  nègres;  cependant,  on  y  trouvait  encore 
de  l'ivoire  et  de  l'or. 

Puis  viennent  Fresco  et  Koilrou,  peu  connus  el  peu  fré- 
quentés des  Européens  ;  Cap  Lahou,  au  contraire,  le  Grand- 

1,  Sole*  onAfrica;  particulury  Ihusc  pai  ti wich  are  sitvated  betwee» 
Cap  Ycrd  and  tht  river  Congo  ;  coidaining  iketchei  of  Ihe  geographical 
lituations,  mannen  and  cuttomt,  tht  trade,  etc.,  of  Ihe  varions  na- 
tion* in  thù  extetuivt  tract,  etc.,  by  G.  A.  Robertson,  Esq.,  wilb  a 
correct  map.  Londres,  1818,  in-8°  de  4B0  pages. 

i.  Presque  toute  la  population  maie  est  employée  a  faire  de»  cha- 
pelets composés  de  grains  d'une  substance  fossile,  trouvée  au  Tond  de 
It  mer  prè-s  de  la  cote,  qui  ressemble  au  corail  mais  n'en  a  pas  It 
couleur.  Tous  les  habitants  des  contrées  environnantes  pavent  fort  cher 
ces  chapelets,  qui  passent  pour  proléger  contre  les  sortilèges,  Les 
plongeur-  qui  rrrueillent  celle  substance  se  munissent  d"uo  instrument 
de  r*r  pour  creuser  lu  couette  de  terre  qui  la  recouvre  au  fond  de  la 
mer.  Chose  curieuse,  tous  nos  renseignements  récents  se  taisent  à  ce 
sujet;  il  semblerait  que  depuis  quatre-vingts  ans  le  souvenir  même  do 
relie  substance  el  du  commerce  auquel  elle  donnait  lieu  se  soit  perdu 
dan?  le  pays. 


LA  CÔTE  d'ivoire.  269 

I.  iliùu  d'aujourd'hui,  est  l'établissement,  le  pli.s  important 
de  la  côte.  On  y  traite  annuellement  pour  15,000  I.  si. 
(375,000  francs)  d'or  et  d'ivoire,  et  pour  20,000  l.  si. 
(500,000  francs)  d'huile  de  palme,  gommes,  poivres,  bétail 
et  autres  articles. 

Tout  le  pays  à  partir  de  Lahou  est  placé  sous  la  suzerai- 
neté plus  ou  moins  directe  de  l'Ossey  ou  roi  des  Achautis. 
Robertson  nous  signale  sur  cette  partie  de  la  côte  Jack -Jack, 
dont  les  habitants  sont  industrieux,  Piquininy-Bassam  (au- 
jourd'hui Petit-Bassani),  où  l'ancrage  est  difficile  et  dange- 
reux à  cause  de  cet  abîme  sans  fonds  appelé  communément 
le  Puits  du  Diable;  à  Grand-Bassam  la  barre  est  très  élevée 
et  ne  peut  être  passée  sans  danger;  la  ville  d'Issiny  ou 
d'Assini,  qu'on  trouve  ensuite,  n'a  été  qu'en  partie  rebâtie 
depuis  qu'elle  a  été  détruite  par  les  deux  États  coalisés  de 
Grand-Bassani  et  d'Apollouie.  La  barre  est  très  dangereuse, 
aussi  les  vaisseaux  y  viennent  peu  et  le  commerce  y  est 
irès  restreint  ;  de  celui,  assez  considérable,  qu'y  faisaient 
autrefois  les  Français  il  ne  reste  aucune  trace.  Là  s'arrête 
t'e  que  dit  notre  auLeur  du  littoral  de  la  Côte  d'Ivoire  ; 
quanta  ses  données  géographiques  sur  l'intérieur  du  pays, 
elles  sont  d'une  telle  fantaisie  que  nous  croyons  inutile  de 
nuus  y  arrêter. 

Les  traités  de  1815  créèrent  des  loisirs  aux  marines  de 
guerre  européennes.  D'autre  part,  la  répression  de  la 
Iraite  des  nègres  les  amena  à  faire  de  nombreuses  croi- 
sières le  'long  des  côtes  d'Afrique,  elle  fut  aussi  l'une  des 
raisons  déterminantes  de  l'occupation  permanente  de  cer- 
tains points  de  la  côte  occidentale. 

Mais  l'un  de  ses  premiers  résultats  fut  de  nous  faire 
mieux  connaître  l'hydrographie  et  les  divers  aspects  de  la 
c»le.  C'est  de  celte  période  que  datent  le  grand  atlas  an- 
glais d'Owen1,  les  travaux  des  hydrographes  français.  Le 

1.  Owcii  (W.  F.  «.),  Hydrographical  Sureey  oj  the  coa*l  of  Aftiko, 
iOcarU^  in-1'olin  pi  OS  [.lantlie*  iii-V.  Londres,  1822-I8Î6. 


264  la  côte  d'ivoire. 

Prédour,  Darondeau,  etc.,  continués  par  île  Kerhallel  et 
Legros,  sans  parler  de  nombreux  officiers  de  notre  division 
navale  de  l'Atlantique  sud.  C'est  alors  aussi  que  commen- 
cent les  nombreuses  croisières  que  l'amiral  Bouët-Willau- 
mez  fit  le  long  de  cette  côte  pendant  vingt  ans{1830-1850), 
ainsi  que  les  prises  de  possession  et  les  établissements  qui 
en  résultèrent. 

C'est  en  1842  *  que,  sur  la  demande 'de  plusieurs  mai- 
sons de  commerce  françaises  qui  avaient  créé  quelques 
comptoirs  sur  la  Côte  de  l'Or  et  y  faisaient  un  trafic  assez 
important,  le  ministre  de  la  marine  chargea  le  comman- 
dant Boufit-Willaumez  d'entrer  en  relations  avec  les  chefs 
de  la  contrée. 

Celui-ci  obtint  alors  d'Amatifou,  souverain  d'un  royaume 
situé  à  l'ouest  du  pays  Aclianli,  la  cession  du  territoire 
d'Assinîe,  et  du  roi  Piter  (ou  Peter),  dont  l'autorité  s'éten- 
dait sur  les  villages  de  la  lagune  Ebrîé,  la  cession  des  ter- 
ritoires de  Grand-Bassam,  ainsi  que  le  droit  d'établir  un 
poste  à  Dabou,  dans  la  partie  moyenne  de  la  lagune. 

Ces  deux  chefs  s'engageaient,  en  outre,  à  assurer,  dans 
toute  l'étendue  de  la  contrée  qui  leur  était  soumise,  la  sé- 
curité des  voies  de  communication  et  recevaient  en  échange 
une  redevance  annuelle  du  gouvernement  français. 

La  prise  de  possession  eut  lieu  l'année  suivante.  Le  lieu- 
tenant de  spahis  Hecquari,  qui  visita  nos  posles  de  la  Côte 
d'Ivoire  en  1849  avec  le  commandant  Bouet-Willaumez, 
alors  gouverneur  du  Sénégal,  et  qui  connut  la  plupart  des 
officiers  qui  avaient  participée  leur  fondation,  nous  a  laissé' 
un  récildétaillé  et  intéressant  des  événements  qui  marquèrent 
notre  installation  désormais  définitive  à  la  Côte  d'Ivoire. 


1.  La  Colonies  françaiten,  notir.es  puDliei's  .sous  la  direction  de 
ht,  Louis  l!(!iirii|ue  à  l'occasion  de  l'exposition  di>  1H8J.  Paris,  in-12, 
l.  VI,  p.  192  et  suiv. 

2.  M.  Heci|uurd,  Voyage  *«r  la  ente  el  tlaitx  l'intérieur  de  l'Afrique 
occidentale.  Taris.  1N53,   in-4°,  >;rav,  cl  caries,  p.  51  et  suiv. 


LA    CÔTK    D'IVOIRE. 


265 


Kiste  d'Àssinic  qui  fut  fondé  le  premier. 
h  Le  4  juin  1843,  la  galiare  l'Indienne,  commandée  par 
M.  Rataillol,  el  le  cutler  l'Êpertan,  sous  les  ordres  de 
M.  Darricau,  lieutenant  de  vaisseau,  parlaient  de  Gorée 
pour  Assinîe  avec  trois  navires  de  commerce  chargés  du 
matériel  et  de  la  garnison  du  Tort  que  devait  commander 
M.  de  Mont-Louis,  enseigne  de  vaisseau.  Le  2  juillet,  celte 
petite  escadre  arrivait  devant  Assi  nie,  MM.  Rataillot  et  Dar- 
ricau descendaient  à  terre,  et,  le  4,  un  traité  était  passé 
avec  le  roi  Amatifou,  qui  nous  concédait  un  territoire 
ei  se  mettait  sous  notre  protection  contre  les  gens  d'Apol- 
lonie,  avec  qui  il  était  continuellement  en  guerre  et  dont  il 
redoutait  les  fréquentes  incursions.  Le  5  juillet,  M.  Dar- 
ricau prenait  le  co  m  mandement  de  la  plage,  où  le  débar- 
quement commençait.  Celte  opération  était  excessivement 
périlleuse  et  difticile,  et  il  ne  fallait  rien  moins  que  la  per- 
sévérance et  le  courage  de  nos  officiers  et  de  nos  matelots 
pour  en  venir  à  boul.  Des  radeaux  furent  établis  avec  les 
planches  destinées  à  la  construction  des  baracons  ;  l'on  y 
plaça  les  vivres,  puis  on  les  conduisit  sur  les  bords  des 
hrisants,  d'où  ils  furent  remorqués  vers  la  terre  au  moyen 
île  cordes  disposées  en  va-el-vienl  par  des  honuues  placés 
pies  du  rivage  et  ayant  de  l'eau  jusqu'au  milieu  du  corps. 
Quelques-uns  de  ces  radeaux  chavirèrent  ;  mais,  dans  tous 
les  cas,  les  objets  qu'ils  portaient  étaient  mouillés,  et  il 
[allait  les  déballer  aussitôt  et  tes  faire  sécher  sur  le  sol. 
Ceux  qui  connaissent  les  difficultés  que  préseule  un  débar- 
quement, même  en  pirogue,  sur  la  côte  d'Afrique,  se  feront 
facilement  une  idée  des  obstacles  que  nos  marins  eurent  à 
vaincre  dans  cette  circonstance.  Cependant,  quoique  privés 
de  toutes  les  ressources  qu'on  trouve  près  des  lieux  fré- 
quentés par  nos  bâtiments,  le  29  juillet,  l'artillerie,  les  mu- 
nitions, les  vivres,  tout  élailàterre,  le  blockhaus  était  élevé, 
et  notre  pavillon,  flottant  pour  la  première  fois  sur  ce  ri- 
t,  était  salué  de  vingt  et  un  coups  de  canon. 


26(i  ia  hôte  d'ivoire. 

s.  Le  poste  d'Assinie,  établi  à  neuf  milles  de  l'embouchure 
de  la  rivière  et  sur  la  rive  droite,  est  une  bon*e  position 
militaire,  car  il  commande  de  là  les  passes  qui  conduisent 
soit  au  lac  d'Aby,  soit  à  celui  d'Apollonie,  et  est  éloigné  à 
peine  d'un  mille  du  village  d'Assinie,  qu'il  tient  ainsi  faci- 
lement en  respect. 

«  Le  commandant  habite  une  maison  modèle  envoyée 
de  France  et  qui  se  compose  d'un  seul  étage  entouré  d'une 
galerie  couverte.  Elle  occupe  le  milieu  d'un  carré  ceint 
de  fortes  palissades  et  flanqué  à  chaque  angle  d'un  bastion 
eu  pierres.  Autour  de  la  maison  s'élèvent  quelques  ba- 
raques en  planches  qui  servent  d'hôpital,  de  magasins  et 
de  caserne.  La  garnison  compte  un  commandant,  un  chi- 
rurgien, un  commis  de  marine  chargé  de  la  comptabilité, 
une  vingtaine  de  soldais  noirs,  deux  canonniers  blancs  et 
quelques  laplots. 

v  AS  milles  du  comptoir  sont  les  passes  conduisant  au 
lac  Aby,  qui  a  plus  de  55  milles  de  long  sur  8  ou  10  de 
large.  Les  principaux  villages  sont  Aby,  bàli  sur  la  rive 
gauche,  et  dont  le  chef  nommé  Biconé  a  toujours  été  très 
bienveillant  pour  nous  ;  un  peu  plus  loin,  Azouan,  village 
de  cultivateurs  et  de  pécheurs,  qui  fournit  au  poste  des  pro- 
visions. 

*  Aby,  le  premier  de  ces  villages,  fut  brûlé  en  1848  à  la 
suite  d'une  méprise  fâcheuse.  M.  Thévenard,  officier  d'in- 
fanterie de  marine,  revenant  de  Kinjabo  où  il  avait  été  voir 
le  roi  Amatifou,  fut  assailli,  au  moment  où  il  s'y  attendait 
le  moins,  par  plusieurs  pirogues  armées  en  guerre.  Quoique 
inférieurs  en  nombre,  et  bien  qu'ils  eussent  à  peine  le 
temps  de  mettre  les  armes  a  la  main,  M.  Thôvenard  et  ses 
hommes  se  défendirent  énergiquemenL.  Mais  bientôt  ce 
brave  oftieier,  qui  avait  été  blessé  à  la  première  décharge, 
succomba  ainsi  que  ceux  qui  l'accompagnaient,  a  l'excep- 
tion d'un  soldat  noir  qui  s'échappa.  Ce  massacre  avait  lieu 
a  l'entrée  du  grand  lac  d'Apollonie;  mais  pour  délourm 


LA    CÔTE    D'iYOlM. 


i67 


s  soupçons,  les  Apollonîens  qui  montaient  ces  pirogues 
dllèrent  échouer  notre  canut  sur  la  rive  gauche  du  lac 
Abj;  puis  ils  dépouillèrent  les  cadavres,  en  coupèrent  les 
télés  et  les  parties  génitales  el.  les  emportèrent  avec  les 
armes  prises  dans  l'embarcation,  n'épargnant  que  le  soldat 
unir  qu'ils  emmenèrent  avec  eux. 
c  Or,  la  position  dans  laquelle  on  trouva  la  chaloupe  et 
indices  trompeurs  faisant  supposer  que  c'élait  les 
habitants  d'Aby  qui  avaient  commis  le  crime,  ce  village 
fut  réduit  en  cendres,  malgré  les  protestations  du  roi  Ama- 
tlfou,  tandis  que  les  habitants,  à  qui  le  roi,  pour  donner 
une  marque  de  son  dévouement  aux  Français,  avait  détendu 
de  résister  sous  peine  de  mort,  *e  sauvaient  dans  les  buis 
d'où  ils  Assistaient  à  la  destruction  de  leurs  cases.  Mais 
quelques  mois  plus  tard,  les  Anglais  ayant  fait  une  expédi- 
tion contre  Kakouaka,  roi  il'Apullonie,  et  s'étant  empares 
du  village,  le  soldat  noir  fut  retrouvé,  raconta  toutes  les 
circonstances  de  cette  catastrophe  et  désigna  les  Apollo- 
nieus  comme  les  seuls  auteurs  de  ce  guet-apens  Aussi, 
lorsque  le  commandant  Bmié.-\\  illaumez  vint  me  conduire 
au  Grand-Bassani,  il  (Il  appeler  Amatifou  et,  après  quelques 
Explications,  il  lui  fit  compter  comme  réparation  du  dom- 
mage qu'on  lui  avait  causé  une  somme  de  5,0U0  francs,  11 
y  ajoHta  comme  cadeau  mon  uniforme  d'officier  de  spahis, 
dont  les  vives  couleurs  causèrent  une  joie  indicible  au  r.ii 
notr.  > 

L'ordonnance  royale  de  janvier  1843  prescrivant  la  fonda- 
lion  des  comptoirs  d'Assinie  et  du  Gabon  eu  prévoyait  un 
troisième  à  Garroway.  Au  moinenl  où  l'expédition  qui 
■  levait  fonder  cet  établissement  allait  partir  du  Seuégal,  le 
commandant  Bouel-Willau  ruez  apprit  que  les  Anglais  avaient 
l'intention  de  s'emparer  de  Grand- Bas  sa  ni  et  d'annihiler 
ainsi  noire  comptoir  d'Assinie.  N'ayant  pas  le  temps  de 
demander  des  ordres  en  France,  il  fjrit  sur  lui  de  changer  la 
lestinalion  de  l'expédition  qu'il  atail  sous  la  main,  et  la 


268  LA   CflTK    D*IVOIRE. 

dirigea  immédiatement  de  Corée  sur  Grand-Bassam,  où  elle 
arriva  !e  17  août. 

La  barre  y  est  particulièrement  mauvaise,  surtout  aux  mois 
de  juillet  et  d'août.  Aussi  n'ayant  aucun  moyen  d'aborder, 
M,  Besson,  enseigne  de  vaisseau,  désigné  pour  commander 
le  poste,  traversa  les  brisants  à  la  nage  et  porta  à  [erre  une 
ligne  au  moyen  de  laquelle  on  parvint  à  établir  un  va-et- 
vient  entre  le  rivage  et  la  haute  mer  en  deçà  des  brisants. 
Le  débarquement,  toutefois,  ne  se  lit  point  sans  perte.  Une 
embarcation  engagée  dans  la  barre  chavira  et  quatre  mate- 
lots disparurent.  On  employa  alors  le  procédé  qui  avait 
réussi  pour  Assinie;  on  construisit  des  radeaux  avec  les 
planches  destinées  au  baraquement  et,  en  quinze  jours,  tout 
était  débarqué.  Le  28  septembre  suivant,  les  chefs  de  Grand- 
Bassam  se  renflaient  au  poste  pour  en  saluer  le  commandant, 
et  le  pavillon  français  était  arboré  au  bruit  de  salves  d'artil- 
lerie répétées  par  les  navires  en  rade. 

Cette  heureuse  prise  de  possession  fut  suivie  assez  rapi- 
dement de  difficultés  avec  certaines  peuplades  indigènes  du 
bas  Comoe  et  de  la  lagune  Ebrié.  Le  commandant  Bouet- 
Willaumez  eut  maille  a  partir  avec  les  tribus  de  l'Akapless 
en  1849.  11  dut  bombarder  et  détruire  le  village  de  Yaou, 
sur  la  riche  gauche  du  Comoe,  à  une  dizaine  de  kilomètres 
de  Grand-Bassam.  Quarante-deux  officiers  et  marins  tués  ou 
blessés  dans  ces  différents  combats  témoignent  de  la  résis- 
tance qui  fut  faite  par  les  naturels,  fort  supérieurs  en 
nombre,  pourvus  d'armes  à  feu  et  pretégés  par  la  nature 
boisée  du  terrain. 

C'est  en  184°  également  que  le  lieutenant  de  spahis  Hec- 
quard  vint  à  Grand-Bassam  pour  tenter  de  relier  le  golfe  de 
Guinée  au  Niger.  C'était,  eu  sens  inverse,  le  voyage  que 
devait  réussir  le  capitaine  Binger  quarante  ans  plus  tard. 
Hecquard  complaît,  pour  le  succès  de  son  entreprise,  sur 
l'aide  des  Mandés-Dioulas  de  Bondoukou,  qui  venaient 
alors  en  assez  grand  nombre  commercer  à  Grand-Bassam. 


^H 


LA   CÔTE    D'iVOIRE.  209 

Mais  il  ne  put  remonter  plus  haut  que  les  rapides  de  Kotto- 
krou  sur  le  ComoS,  à  TO  ou  80  kilomètres  du  littoral.  Il  est 
curieux  que  le  mouvement  commercial  entre  les  Dioulas 
et  nos  ports  de  la  Côte  d'Ivoire,  que  nos  efforts  fonl  renaître 
depuis  quelques  mois  seulement,  après  une  longue  inter- 
ruption, ait  eu  alors  une  aussi  réelle  intensité. 

En  1853,  le  capitaine  de  vaisseau  Caudin,  qui  avait  rem- 
placé Bouet-vVillaumez  dans  le  gouvernement  du  Sénégal, 
eut  à  châtier  quelques  peuplades  de  la  lagune  Ebrié  et  décida 
la  constfuelîon  du  fort  de  Dabou  pourconlenirles  Boubou- 
rys,  la  plus  turbulente  de  ces  tribus.  La  construction  du  fort 
fut  dirigée  par  le  capitaine  du  génie  Faidherbe,  qui  commença 
ainsi  dans  notre  colonie  une  carrière  africaine  glorieuse  et 
justement  célèbre. 

Il  convient  de  remarquer  également  que  les  gens  de 
l'AkaplessetlesBoubourys,  avec  lesquels  nous  eûmes  maille 
à  partir  dès  les  débuts  de  notre  occupation,  sont  les  mêmes 
qui,  à  diverses  reprises,  et  tout  récemment  encore,  ont 
Iroublé  l'ordre  dans  la  colonie. 

L'amiral  Fleuriot  de  Langle,  après  avoir  pris  part  en  qua- 
lité de  lieutenant  de  vaisseau  à  l'occupation  de  Grand-Bas- 
sani et  d'Assinîe,  commanda  pendant  plusieurs  années  la 
division  de  l'Atlantique  sud,  et  fît  le  long  de  la  côte  occi- 
dentale d'Afrique  plusieurs  croisières  qui  ne  prirent  fin 
qu'en  1807. 

Nous  passons  sous  silence  les  renseignements  nombreux 
que  le  brave  amiral  donne  sur  l'inlérieur  du  pays;  il  eut 
beaucoup  de  mérite  à  les  recueillir,  mais  les  régions  dont 
il  parle  ont  été  visitées  depuis,  et  nos  explorateurs  ont  dû 
faire  justice  de  quelques-unes  de  ses  hypothèses,  de  celle 
entre  autres  qui  faisait  sortir  toutes  les  rivières  de  la  Côte 
d'Ivoire,  depuis  le  Cavally  jusqu'au  Comoë,  d'une  grande 
lagune  nommé  Glé,  située  fort  loin  dans  l'inlérieur  et  qui 
recevait  toutes  les  eaux  descendant  des  montagnes  de  Kong. 
L'amiral  Fleuriot  de  Langle  est  beaucoup  plus  intéressant, 


■ 


270  LA    CÔTE   D'IVOIRE. 

et  d'une  lecture  profitable  encore  aujourd'hui,  lorsqu'il  nou> 
parle  de  1»  côte'Orouman,  des  lagunes  de  Lahou,  de  Grand- 
Bassam  et  d'Assinie,  qu'il  avait  visitées  au  cours  de  ses 
voyages.  Il  nous  dépeint  les  peuplades  qui  habitent  de 
Fresco  jusqu'à  Apollonie  comme  très  divisées,  et  nous 
apprend  qu'il  a  fallu  traiter  avec  quarante  villages  pour 
acquérir  les  droits  de  souveraineté  épars  entre  tons  les  chefs. 

A  Lahou,  deux  des  trois  chefs  principaux  éliienl  soumis  à 
notre  influence.  Le  nord  de  la  lagune  étail  commandé  par 
une  reine  très  obéie  et  très  redoutée.  Nous  n'y  avions  pas 
alors  d'installation  permanente. 

«  Le  cercle  de  Dabou  ne  comptait  pas  moins  de  qua- 
torze ou  quinze  centres  qui  n'avaient  pas  de  lien  commun. 
Celui  de  l'Éhrié  renfermait  dis-huit  villages,  dont  quelques- 
uns  étaient  réunis  sans  avoir  renoncé  a  leur  autonomie. 
Le  Potou,  réuni  à  l'Ébrié,  en  comptait  au  moins  huit  qui 
étaient  vassaux  d'Amatifnu  qui,  comme  tout  souverain 
éloigné,  laissait  à  ses  gouverneurs  une  grande  latilude.  Eu 
un  mot,  cetle  population  très  dense  et  fort  intelligente,  qui 
ne  monte  pas  à  moins  de  £00,000  âmes,  est  gouvernée  par 
une  oligarchie  entre  laquelle  il  n'existe  pas  de  lien  com- 
mun. 

t  Les  langues  parlées  se  ressentent  de  ces  différences 
d'origine,  et  forment  une  bigarrure  qui  demande  le  secours 
de  plusieurs  inlerprèles.  Il  est  rare  qu'un  seul  individu 
connaisse  tous  les  idiomes  adoptés  par  chaque  communauté. 

o  Les  intérêts  commerciaux  et  les  rivalités  de  casles 
amenaient  des  guerres  fréquenles  entre  toutes  ces  popula- 
tions, et  nous  en  ressentîmes  bieniôt  nous-même  le  contre- 
coup. Le  CnmoB,  le  Polou-Aghien  avaient  pour  centre  de 
commerce  Grand-Bassam.  Ceux  de  Bonouâ  commerçaient 
à  Alassaui,  situé  sur  le  bord  de  la  mer  a  l'est  de  l'embou- 
chure de  la  rivière.  Les  gens  de  l'Ébrié  avaient  pour  clien- 
tèle les  villages  dils  des  Jacks,  qui  s'étendent  sur  la  plage 
vis-à-vis  de  Dabou.  Le  cercle  de  û<ibou  était  dans  l'habi- 


LA   CÔTE    f> 'IVOIRE.  271 

lude  de  Iraiter  avec  ces  mêmes  Jacks,  qui  reçoivent  bon  an 
mal  an  dix  à  quinze  navires  anglais  Taisant  la  traite  à  tra- 
vers la  barre. 

f  Tant  que  les  relations  que  nous  avions  avec  les  chefs 
se  bornèrent  à  leur  donner  des  cadeaux,  tout  fut  facile.  Les 
courtiers  étaient  heureux  de  recevoir  les  primes  en  outre 
de  l'huile  traitée.  Mais  lorsqu'ils  virent  des  magasins  four- 
nis de  marchandises  nombreuses  venir  leur  disputer  les 
marchés,  ils  pensèrent  qu'ils  s'étaient  donné  des  concur- 
rents dangereux  ;  une  sourde  animosilé  suscitée  par  eux 
se  traduisit  bientôt  en  une  hostilité  flagrante  qu'il  fallut  ré- 
primer. Soixante  pirogues  s'essayèrent  contre  l'un  de  nos 
avisos  qu'elles  voulurent  attaquer  et  subirent  une  défaite 
signalée1.  > 

L'éparpil'ement  du  pouvoir  politique  signalé  par  l'amiral 
Fleuriot  de  l'Angle  est  toujours  le  même.  S'il  a  l'avantage 
d'empêcher  les  troubles  de  se  généraliser  et  tout  soulève- 
ment de  prendre  des  proportions  inquiétantes,  il  nous 
oblige  par  contre  à  agir  nous-mêmes  dans  bien  des  cas  où 
une  autorité  indigène  reconnue  nous  faciliterait  singulière- 
ment noire  lâche. 

Celte  insécurité  explique  aussi  la  date  relativement  ré- 
cente des  installations  commerciales  permanentes  à  terre 
ailleurs  qu'à  Grand-Bassani  et  à  Assinie,  où  les  factoreries 
étaient  protégées  par  nos  postes.  C'étaient  des  capitaines 
marchands  qui  faisaient  périodiquement  le  voyage  de  la 
côte  et  passaient  des  mois  entiers  sur  leurs  voiliers  trans- 
formés en  comptoir  devant  Jacqoeville  ou  Lahou. 

A  Assinie,  l'autorité  d'Amatifou,  jrénéralement  respectée, 
sinon  toujours  obéie,  rendait  les  relations  plus  faciles. 
L'amiral  Fleuriot  de  l'Angle  raconte  qu'en  1843  le  souvenir 
de  l'occupation  française  du  xvm'  siècle  n'était  pas  encore 


a  cole  d'Afrique  [Tout 


272  LA    CÔTE    D'fVOIilE. 

perdu.  On  le  conduisit  à  l'ancien  emplacement  du  puslc 
fondé  par  le  chevalier  Damou,  en  lui  disant  :  «  Voilà  le  ter- 
rain des  Français.  »  C'est  là,  sur  le  banc  de  sable,  que  s'éleva 
d'abord  le  blockhaus,  mais  comme  il  faillit  être  enlevé  par 
un  raz  de  marée,  en  1867  on  l'avait  déjà  transporté  auprès 
du  village  de  Malia,  sur  la  grande  terre,  à  l'entrée  de  la  la- 
gune Aby,  où  se  trouve  encore  la  résidence  actuelle  de  l'ad- 
ministrateur du  cerele  d'Assinie. 

Après  la  guerre  contre  l'Allemagne, en  1871,  le  gouverne- 
ment français  rappela  les  faibles  garnisons  de  Grand-Bas- 
sam,  de  Dabou,  d'Assinie.  Un  négociant  de  la  Rochelle, 
M.  Verdier,  qui  avait  des  comptoirs  à  la  Cote  d'Ivoire,  Tut 
chargé  d'y  remplir  les  fonctions  de  résident  de  France.  H 
recevait  une  subvention  annuelle  de  20,000  francs  pour 
l'entretien  d'une  petite  force  de  police  indigène  et  le  paie- 
ment de  quelques  coutumes  aux  chefs  noirs.  On  lui  avait 
donné  les  constructions  que  possédait  l'État  et  il  pouvait 
compter  sur  l'appui  intermittent  de  quelque  aviso  de  la 
station  du  Sénégal  ou  de  quelque  croiseur  de  la  division  de 
l'Atlaniique. 

Le  fort  de  Dabou  fut  complètement  abandonné,  mais 
M.  Verdier  eut  le  mérite  de  maintenir  nuire  pavillon  et  de 
faire  respecter  nos  droits  à  Grand-Bassam  cl  à  Assinie. 

Après  une  longue  période  d'inaction,  M.  Verdier,  malgré 
la  faiblesse  des  moyens  dont  il  disposait,  prit  l'initiative  du 
premier  essai  de  pénétration  dans  l'intérieur  dix  pays.  Il 
en  contia  l'exécution  à  Treich-Laplène,  son  agent  à  Assi- 
nie. Celui-ci,  s'aidanl  fort  habilement  de  l'influence  du  roi 
de  Khrinjaboo,  s'avança  jusqu'à  Zaranou,  la  capilale  de 
l'Indénié,  remontant  d'abord  la  vallée  de  la  Bia,  puis  il  re- 
descendit sur  Grand-Bassam  par  le  Comoé.  II  rapportait 
des  traités  de  prolectorat  étendant  noire  influence  sur  l'In- 
dénié, y  compris  l'Alangoua,  et  sur  le  Betlié. 

Cependant  le  capitaine  Binger,  parti  de  Bordeaux  le 
20  février  1887,  s'était  enfoncé   dans  la  boucle  du  Niger 


LA   CÔTE   D'IVOIKE. 

pour  y  exécuter  le  remarquable  voyage  que  l'on  sait.  Au 
début  de  1888,  le  bruit  île  sa  mort  se  répandait  en  Europe. 
11.  Verdier,  après  entente  avec  le  s  ou  s- sécréta  ire  d'Étal  des 
Colonies,  envoya  à  sa  recherche  Treinh-Laplèue.  Les  deux 
explorateurs  après  s'être  manques  de  quelques  jours  à 
Boodoukou,  se  rencontrèrent  à  Kong  le  5  janvier  188°. 

Tous  deux  revinrent  ensemble  à  Grand-Bassam  en  pas- 
sant par  le  Djimini,  l'Anno,  l'Indénié  et  le  Beltié. 

Le  retentissement  mérité  qu'oui  en  France  le  beau  voyage 
de  M.  tîinger,  le  réveil  de  l'esprit  colonial,  les  renseigne- 
ments nombreux  el  précis  rapportés  par  le  voyageur  ouvri- 
rent les  yeux  sur  l'importance  économique  et  politique  de 
nos  établissements  de  la  Côte  d'Ivoire.  Les  projets  rêvés 
parBouet-Willaumez  et  Faidherbe  venaient  d'être  exécutés 
parle  capitaine  Bingeravec  une  ampleur  qu'ils  n'avaient 
pu  prévoir.  Il  fallait  se  mettre  en  mesure  de  faire  donner 
à  cette  belle  exploration  tous  ses  résultats. 

Un  décret  du  1e' janvier  1800  organisa  nos  établissements 
des  rivières  du  Sud,  de  la  Guinée  et  du  Bénin  en  colonie 
indépendante.  Un  résident  officiel  fut  installé  a  Grand- 
Biissam.  Le  premier  titulaire  de  l'emploi  devait  être  Treich- 
Laplène,  que  les  services  qu'il  venait  de  rendre  désignaient 
au  choix  du  gouvernement. 

Sans  avoir  encore  sa  vie  propre,  la  Cote  d'Ivoire  était  dé- 
sormais connue  en  France.  Pendant  les  années  1890  et 
1891 ,  elle  attira  quelques  jeunes  officiers  de  cavalerie  dont 
les  monotonies  de  la  vie  de  garnison  ne  remplissaient  pas 
suffisamment  l'existence.  Arago,  Quiquerez  et  de  Segonzac, 
Armand  et  de  Tavernost  essayèrent  de  remonter  ses  ri- 
vières coupées  de  rapides  et  de  percer  l'épais  rideau  de  ses 
forêts.  Si  l'insuffisance  de  leurs,  ressources  et  peut-être 
aussi  leur  inexpérience  des  choses  africaines  ne  leur  permit 
-  pas  d'aller  bien  loin,  il  ne  faut  pas  moins  leur  tenir  compte 
de  cette  belle  ardeur  et  de  cette  bonne  volonté  qui,  pour  cer- 
tains, est  allée  jusqu'au  sacrifice  de  leur  vie. 


274  la  cote  d'ivoire. 

C'est  également  en  1891 ,  que  deux  jeunes  gens,  Toituret 
et  Papillon,  venus  pour  faire  une  exploration  commerciale 
du  pays  y  Turent  massacrés  par  les  indigènes. 

Treich-Laplène,  morl  prématurément,  Tut  remplacé  par 
M.  l'administrateur  Desailles,  puis  par  M.  l'administrateur 
de  Beeckmann.  Lahou,.Iacqueville  furent  occupésen  1892. 
Au  nord  de  Lahou,  noire  pénétration  se  heurtait  à  la  résis- 
tance des  gens  de  Thiassalé,  qui,  en  possession  de  servir 
d'intermédiaires  commerciaux  entrt  les  peuplades  de  l'in- 
térieur et  les  traitants  de  la  côte,  ne  voulaient  pas  perdre 
les  bénéfices  de  cette  situation.  Les  capitaines  Marchand  et 
Manet  brisèrent  leur  résistance.  Le  second  perdit  la  vie 
dans  les  rapides  du  B.mdutna,  au  retour  de  cette  expédi- 
tion. Le  premier,  continuant  son  voyage,  explora  le  Baoulé 
et  poussa  jusqu'à  Kong. 

En  1892,  lecapilaine  Binger  fut  placé  à  la  lete  de  la  mis- 
sion qui,  conjointement  avec  des  commissaires  anglais,  de- 
vait délimiter  la  fioiitière  séparant  notre  colonie  de  la  co- 
lonie anglaise  de  la  Côte  d'Or.  Il  visita  le  pays  d'Assinie, 
l'Indénié,  l'Assikasso,  revit  Kong  et  Bondoukou  et  revint 
par  le  Djimini  et  le  Diammala.  Ses  compagnons  de  voyage 
furent  le  Dr  Crozat,  le  lieutenant  Braulot  et  M.  Marcel  Mon- 
nier,  qui  s'est  fait  l'historiographe  de  l'expédition'. 

La  fâcheuse  attitude  des  membres  anglais  de  la  commis- 
sion n'avait  pas  permis  à  celle-ci  d'accomplir  son  œuvre  en 
Afrique,  mais  les  deux  gouvernements  se  mirent  d'accord 
et  signèrent  le  12  juillet  1893,  à  Paris,  une  convention  qui, 
complétant  celles  du  10  amH  1889  et  du  26  juin  1891,  dé- 
terminait la  frontière  orientale  de  la  Côte  d'Ivoire  jusqu'au 
9*  degré  de  latitude  nord. 

Un  décret  du  10  mars  1893  organisa  la  Côte  d'Ivoire  en 
colonie  indépendante,  en  chargeant  son  gouverneur 
d'exercer  le  prolectorat  de  la  République  française  sur  les 


1.  Marcel  Monnier,  la  Fi-n 


LA  CÔTE  d'ivoire.  275 

Uls  de  Kong.  Le  premier  gouverneur  de  la  Côte  d'Ivoire 
e  capitaine  Binger. 

Son  premier  soin  fut  de  prendre  possession  de  la  côte 
lest  de  la  colonie.  La  convention  conclue  avec  la  Répu- 
>lique  de  Libéria,  le  8  décembre  189-2,  arrêtait  notre  terri- 
toire à  l'embouchure  du  Cavally,  mais  le  gouvernement  de 
i  petite  république  africaine  faisait  des  difficultés  pour 
ratifier  celte  convention.  M.  Binger  en  quelques  mois,  à 
l'aide  du  petit  aviso  Ménard,  sut  occcuper  toute  cette  côte, 
fonderies  postes  de'Sassandra,  San  Pedro,  Bereby,  Tabou, 
Bliéron  à  l'embouchure  du  CavalJy  et,  fort  de  l'assentiment 
des  indigènes  qu'il  s'était  gagnés,  porter  notre  influence 
au  delà  de  la  rivière  jusqu'au  cap  des  Palmes. 

La  République  de  Libéria  s'empressa  de  ratifier  la  con- 
vention de  1892,  et  le  cours  inférieur  du  CavalJy  forme  de- 
puis lors  notre  frontière  incontestée. 

L'administrateur  Pobéguin  tut  chargé  de  la  reconnaissance 
géographique  de  toute  la  côte  ouest,  depuis  la  frontière  jus- 
qu'à Labou. 

En  même  temps,  le  gouverneur  faisait  commencer  la  pé- 
nétration méthodique  vers  l'intérieur,  par  deux  voies  pa- 
rallèles, en  fondant  les  postes  de  Thiassalé  sur  le  Bandama 
et  de  Bettié  sur  le  Comofl.  Malheureusement  l'administra- 
teur Poulie,  chargé  de  la  pénétration  par  la  vallée  du  Co- 
moe,  était  assassiné  en  1804  dans  l'indénié  à  l'instigation 
du  chef  Rassi  Dikié  et  des  noirs  originaires  de  la  Côte 
d'Or  anglaise  qui  formaient  son  entourage.  Les  adminis- 
trateurs de  Bonchamps  et  Bricard  réprimèrent  en  189ô 
les  troubles  qui  suivirent  ce  meurtre  et  fondèrent  un  poste 
à  Zaranou,  capitale  de  l'indénié. 

Le  Baoulé  était  le  thélilre  d'événements  beaucoup  plus 
raves.  Le  capitaine  Marchand  avait  dû  quitter  Kong  de* 
;  bandes  de  Samory,  qui,  repoussé  dans  le  sud  par 

*  colonels  Archinard  et  Combes,  envahissait  le  pays  de 

mg,  le  Diammala  et  le  Djimini.  Le  colonel  Monteil,  à,  la 


276  la  cote  d'fvoihe. 

tÊte  d'une  colonne  de   1,200  hommes,  reçut   la  1 

d'aller  secourir  ces  pays,  qui  avaient  accepté  notre  protection. 

Débarqué  à  Grand-Bassani  en  1894,  il  dut  tout  d'abord 
mettre  à  la  raison  Amangoa,  le  chef  de  l'Akapless,  qui 
troublait  les  environs  de  Grand-Bassam.  Bonouà,  sa  capi- 
tale, fui  enlevée  à  la  suite  de  deux  sanglants  combats,  et 
Amangoa  lui-même  s'élanl  rendu  quelque  temps  après 
fut  déporté  au  Gabon. 

Le  colonel  Monteil  reprit  alors  son  principal  objectif  et 
essaya  d'aller  au  secours  aie  Kong  en  montant  dans  l'inté- 
rieur par  le  Baoulé.  Mais  le  manque  de  porteurs,  l'hosti- 
lité déclarée  des  indigènes  de  celle  région  qui,  sans  l'aire 
cause  commune  avec  Samory,  s'effrayaient  du  passage  de  nos 
troupes,  affaiblirent  tellement  la  colonne  que  le  colonel 
Monteil  ne  put  dépasser  Satama,  dans  le  sud  du  Diammaia. 
Blessé  dans  un  des  combats  livrés  à  Samory,  le  colonel 
Monteil  rentra  en  France  ;  Satama  fut  évacué  et  notre  pé- 
nétralion  dans  la  vallée  du  Bandama  s'arrêta-à  Koudiokofl,  à 
peu  près  sous  le  7' degré  de  latitude  nord.  Dans  la  vallée  du 
Comoë,  nous  étions  arrivés  à  peu  près  h  ta  même  hauteur 
par  la  fondation  du  poste  d'Atlakrou,  sur  la  rive  gauche  du 
fleuve  à  une  centaine  de  kilomètres  en  amont  de  Bettié 
(novembre  1895). 

L'année  1805  vit  également  se  produire  deux  explora- 
lions  qu'il  convient  de  mentionner.  La  première,  dirigée 
par  le  lieutenant  de  vaisseau  Brelonnet  assisté  de  M.  Lam- 
blin,  partit  de  Koudiokofl,  vint  traverser  le  Comoë  à  Abé 
et  se  dirigea  sur  Bondoukou.  Elle  ne  put  y  pénétrer,  arrêtée 
par  l'opposition  d'Ardjoumani,  le  roi  de  l'Abron,  et  par 
l'approche  des  bandes  de  Samory. 

Presque  à  la  même  époque,  les  lieutenants  liaud  et  Ver- 
meersch,  partis  du  Dahomey,  traversaient  Bouna  et  arrivaient 
à  Grand-Bassam  par  l'Assïkasso  et  l'Indénié. 

Au  mois  de  février  1896,  te  gouverneur  Binger  fut  rem- 
placé dans  le  gouvernement  de   la  Côte  d'Ivoire   par  le 


,    CÔTE    D'iVOIRK. 


277 


l  Grand -Bassani  un  mois  à 


iverneur  Berlin,  qui  i 
peine  après  avoir  rejoint  son  poste. 

Il  fut  remplacé  par  le  gouverneur  Moultet,  en  mai  1896. 
Celui-ci  s'appliqua  à  compléter  l'organisation  administra- 
tive de  la  colonie.  Puis  convaincu,  malgré  l'échec  du  ca- 
pitaine Braulot  envoyé  en  ambassade  auprès  de  Samory 
et  qui  n'avait  pu  dépasser  Bouakë,  que,  si  Samory  ne  vou- 
lait pas  traiter,  il  ne  menaçait  pas  du  moins  nos  postes  du 
Baoulé,  le  gouverneur  (il  continuer  activement  la  pénétra- 
tion le  long  de  la  frontière  orientale  de  la  colonie.  L'admi- 
nistrateurCloze!  fondaille  posle  d'Assikasso  en  janvierl897, 
et  occupait  Bondoukou  le  5  décembre  de  la  même  année. 

Les  administrateurs  Hostains  et  Thomann  exploraient  en 
1897  Je  bas  Cavally  el  le  cours  moyen  de  la  Sassandra,  tan- 
dis qu'un  officier  du  Soudan,  le  lieutenant  Blondiaux,  tra- 
çait toute  une  série  d'itinéraires  dans  le  nord-ouest  de  la 
colonie.  Les  administrateurs  Nebout  el  Pobéguin,  ainsi  que 
M.  Eysseric,  complétaient  lu  reconnaissance  géographique 
du  Baoulé,  tandis  que  de  nouveaux  levés  de  l'Jndénié  et  de 
l'Assikasso  étaient  exécutés  par  MM.  Clozel,  Lamblin  et 
Seîgland. 

A  la  lin  de  1897,  une  nouvelle  mission  était  envoyée  à 
Samory.  Dirigée  d'abord  par  M.  le  secrétaire  général  Bon- 
boure,  puis  par  M.  l'administrateur  Nebout,  elle  fut  bien 
reçue  par  l'almamy,  mais  le  massacre  du  capitaine  Braulot, 
auprès  de  Bouna,  par  Sarantiené  Mory  rendait  tout  traité 
impossible. 

L'uriné  1898  vit  enfin  la  chute  de  Samory  :  pressé  par  les 
Iroupes  du  Soudan  qui  avaient  occupé  Bouna  et  Kong, 
arrêté  par  nos  postes  de  Bondoukou  el  de  Koudiokofi,  poussé 
dans  l'ouest  parla  colonne  du  commandant  Lartigue, battu 
en  plusieurs  rencontres,  il  finit  par  être  pris  dans  l'hinter- 
land  de  la  République  de  Libéria1. 


impies  Rendus,  1899,  p.  315, 


ii  rie  M.  I 


capitaine 


278  LA.  CÔTE  d'ivoire. 

En  mai  1898,  une  invasion  d'Achantis,  sujets  anglais,  qui 
vinrent  soutenir  une  révolte  de  deux  ou  trois  petits  chefs 
de  notre  territoire,  mit  en  danger  notre  poste  d'Assikasso. 
Assiégé  pendant  deux  mois,  il  ne  put  être  délivré  qu'à  la 
venue  de  renforts  demandés  au  Sénégal. 

Le  18  août,  les  Boubourys,  dont  nous  avons  eu  déjà  à 
parler  au  cours  de  cet  historique,  troublaient  les  environs 
de  Dabou.  M.  Le  Yoaz,  patron  de  la  canonnière  le  Diamant, 
et  M.  Eudes,  employé  d'une  maison  de  commerce,  furent 
assassinés  par  eux.  La  répression  de  ce  double  meurtre 
n'alla  pas  sans  quelques  difficultés  et  sans  combats  assez 
meurtriers  à  cause  de  la  nature  boisée  du  pays. 

En  octobre  4898,  M.  le  gouverneur  Mouttet  quittait  le 
gouvernement  de  la  Côte  d'Ivoire  et  était  remplacé  par 
M.  le  gouverneur  Rbberdeau. 


IISSION  VOULET-CHANOINE 


Bart  Beré  (par  13-  laL  ?iord  et  3'W  long.  Est, 
à  l'Ml  du  Niger),  lr  I]  avril  Ï89B. 

C'est  à  environ  15  kilomètres  au  sud  de  Gagnou  que  le 
loi  Maouri  vient  rencontrer  le  Niger.  Pendant  une  cen- 
6  de  kilomètres  cette  dépression  est  assez  bien  carac- 
risée,  puis  elle  s'élargit  en  une  plaine  immense.  A  partir 
e  Kara-Kara,  il  n'y  a  plus  de  limite  pouvanl  indiquer  où  se 
mine  la  dépression  eloù  elle  commence;  du  rente,  même 
r.  endroits  où  elle  est  exactement  définie,  elh  n'affecte 
s  la  forme  d'un  oued,  ou  d'un  lit  de  rivière  desséché. 
C'est  un  bas-fond  pendant  une  cinquantaine  de  kilomètres, 
■  nvert  de  palmiers  corners.  On  extrait  du  sel  dans  toute  la 
'lie    nommée   Fogha   (sel   en    baoussa).   Les    indigènes 
tent  les  effiorescences  salines,  placent  celte  linedans 
grands  récipients  et  fonl  filtrer  de  l'eau  au  travers. 
;  sature  de  sel;  on  fait  bouillir  jusqu'à  evapora- 
nori  complète,  le  sel  est  ensuite  aggloméré  en  pains  de  la 
forme  des  pains  de  sucre.  Celle  industrie  esl  1res  prospère. 
Le  Fogha  est  couvert  de  monticules  hauls  de  cinq  nu  sis 
mètres  formés  des  terres  ainsi  lavées.  Le  Fogha,  aux  envi- 
rons de  Banou,  à  30  kilomètres  du  Niger,  se  divise  eu  deux  : 
Jallol  Maouri,  qui  s'incline  légèrement  vers  te  nord-est, 
e  Fogha  proprement  dit,  qui  continue  vers  le  nord. 
;  le  Dallol  Maouri,  il  n'y  a  ni  palmiers  rôuiers,  ni 


280  MISSION    VOULET-CHANOINE. 

terrains  salifères.  Le  Fogha  au  contraire,  comme  son  nom 
l'indique,  continue  d'être  un  terrain  d'exploitation  durant 
8(1  kilomètres,  puis  il  se  termine  par  un  étang,  une  sorte  de 
canal  large  d'une  centaine  de  mètres,  long  de  15  kilo- 
mètres, profond  de  i  m.  50,  aux  berges  élevées  de  7  mètres, 
et  quelquefois  plus. 

Ceat  leMisso,  c'est  l'extrémité  du  Fogha,  c'est  un  canal 
artificiel  formé  par  l'extraction  de  la  terre  salifière  durant 
des  siècles.  Les  hautes  berges  sont  des  amas  de  terres 
lavées.  L'eau  du  Misso  est  saumâlre,  elle  est  buvable 
cependant. 

Depuis  la  séparation  du  Dallol  Maouri  en  deux  branches, 
les  rûniers  ont  disparu  dans  le  Fogha  et  presque  toute 
végétation,  parce  que  les  terres  contiennent  une  plus  grande 
quantité  de  sel.  Ce  terrain  du  Dallol  serait  fort  intéressant 
a  étudier;  le  sel  qu'on  en  relire  contient  une  grande  pro- 
portion de  salpêtre;  certaines  parties  du  sol  contiennent 
une  plus  grande  quantité  de  sel  que  d'autres,  et  ces  endroits 
sont  souvent  très  proches. 

De  deux  trous  creusés  à  quelques  mètres  l'un  de  l'autre, 
l'un  contiendra  de  l'eau  potable,  l'autre  de  l'eau  salée,  car 
j'ai  omis  de  dire  que,  dans  tout  le  Fogha,  l'eau  se  trouve 
dès  qu'on  creuse  le  sol  de  quelques  centimètres. 

Dans  le  Dallol  Maouri,  au  contraire,  l'eau  ne  se  trouve 
qu'à  7,  8,  10  ou  20  mètres,  les  profondeurs  sont  variables. 
Le  véritable  centre  de  l'exploitation  du  sel  se  trouve  à  partir 
de  l'embranchement  du  Fogha  et  du  Maouri,  dans  la  partie 
nord  du  Fogha.  Dans  la  parLie  inférieure,  où  Fogha  et 
Maouri  sont  réunis,  on  extrait  aussi  du  sel,  mais  en  quantité 
moindre,  e[  les  terres  semblent  être  moins  riches;  en  effet,  la 
plupart  des  mares  contiennent  de  l'eau  douce. 

Les  efflorescences  salines,  d'un  blanc  grisâtre,  sont  pro- 
duites de  la  façon  suivante  :  l'eau,  montant  à  travers  le 
sol  par  capillarité,  dissout  une  certaine  quantité  de  sel,  puis 
celte  eau  vient  s'évaporer  à  la  surface,  laissant  le  sel  se 


MISSION    VOULKT-CIIANOINE. 


déposer.  La  terre,  d'une  Façon  générale,  ne  doil  pas  contenir 
uoe  1res  grande  quantité  de  sel,  puisque  l'eau  n'est  pas 
raturée  dans  les  puits  et  les  mares,  et  se  trouve  être  souvent 
potable. 

Une  dépression  analogue,  que  nous  avons  traversée  entre 
Kirtachi  et  Gagnou,  et  qui  coupe  le  Niger  à  70  kilomètres 
en  amont  de  Gagnou,  se  nomme  le  Dallol  Dosso  :  sa  direc- 
tion est  nord-nord-est;  elle  se  prolongerait  jusqu'à  l'Air. 
Un  en  extrait  du  salpêtre  en  quantité  par  le  même  procédé 
qu'on  extrait  le  sel  du  Fogha.  Ce  sel  du  Fogha  et  ce  salpêtre 
du  Dallol  Dosso  sont  la  base  d'un  commerce  actif.  On  ren- 
contre constamment  des  caravanes  de  bourricots  chargés  des 
précieux  produits,  le  sel  en  pain  ou  en  vrac,  enfermé  dans 
des  étuis  faits  d'une  fibre  végétale  tressée,  longs  de  30  cen- 
timètres et  gros  comme  le  bras,  le  salpêtre  en  pains 
coniques  énormes  de  I  mètre  de  haut  et  de  20  centimètres 
de  diamètre  à  la  base.  Le  Fogha  alimente  de  sel  tout  le 
Gando  et  uoe  grande  partie  du  pays  Haoussa.  Tout  le 
commerce  et  l'exploitation  du  sei  sont  entre  les  mains  des 
Haoussas,  qui  ont  leurs  campements  le  long  de  la  vallée 
vil  me. 

A  partir  de  Gagnou  sur  le  Niger,  nous  avons  commencé 
i  étudier  la  nouvelle  limite  franco-anglaise.  Un  gros  village 
nommé  Douudiou,  situé  au  nord  du  Dallol  Fogha,  a  essayé 
Je  barrer  la  route  à  Voulet  qui  était  parti  en  avant  pour 
reconnaître  la  route;  le  village  a  été  enlevé  d'assaut.  Les 
Wns  de  ce  pays  se  fortifient  très  bien.  Leurs  villages  sont 
entourés  d'un  rempart  de  4  mètres  d'élévation  précédé 
d'un  fossé  profond  de  3  mètres  et  large  de  4  mètres,  de 
sorte  que,  du  haut  du  rempart  au  fond  du  fossé,  il  y  a 
6  ou  7  mètres  de  hauteur.  Le  rempart  est  un  mur  contre 
lequel  est  entassée  de  la  terre  en  façon  de  plate-forme. 
L'intérieur  du  village  est  aussi  surélevé  au-dessus  du  sol 
snnronnant,  de  sorte  que  la  crête  du  rempart  est  à 
lin.  50  environ  au-dessus  du  sol  du  village,  et  à  4  mètres 


282  MISSION    VOCILBT-CHANOINE. 

au-dessus  du  terrain  environnant  le  village.  Les  portes  sont 
barrées  par  d'énormes  poutres.  Dans  le  village,  tes  habita- 
tions sont  des  cases,  genre  mossi,  cylindriques,  couvertes 
d'un  chapeau  de  paille  conique;  les  magasins  à  mil  très 
nombreux  sont  en  terre  battue  et  ont  la  forme  d'un  œuf 
dont  on  aurait  cassé  le  petit  bout,  et  qui  reposerait  sur 
cette  partie  comme  base  ;  ces  magasins  à  mil  sonthauls  de 
-2m.  50  à  3  mètres;  case  et  magasin  à  mil  sont  pressés  les 
uns  contre  les  autres;  chaque  groupe  de  3  ou  4  cases, 
c'est-à-dire  la  propriété  d'un  chef  de  famille,  est  entouré 
d'une  clôture  en  paille  tressée. 

Ces  villages  sont  très  populeux.  Doundiou,  par  exemple, 
compte  2,000  habitants,  et  possède  en  outre  des  villages 
de  culture  dont  les  habitants  viennent  se  réfugier  dans 
l'enceinte  fortifiée  dès  que  l'alarme  est  donnée.  Les  puits 
sont  à  l'intérieur  des  villages. 

Le  rempart  est  un  gros  obstacle.  Le  canon  de  80  milli- 
mètres de  montagne  n'a  pas  d'effet  sur  une  semblable 
épaisseur  de  terre,  il  faut  donner  l'assaut  soit  par  une  des 
portes  qu'on  enfonce,  soit  par  un  endroit  faible  de  la  forti- 
fication, car  heureusement  la  paresse  et  l'insouciance  des 
noirs  font  que,  presque  toujours,  dans  leurs  ouvrages  de 
défense,  il  y  a  quelque  place,  ou  mal  protégée,  ou  moins 
bien  construite.  —  A  l'attaque  de  Doundiou,  Voulet  a  eu 
la  cuisse  traversée  par  une  flèche,  et  le  sergent-major 
Faury,  une  blessure  à  la  main.  Ces  deux  blessures  sont 
aujourd'hui  guéries.  Les  prisonniers  faits  a  Doundiou  ont 
déclaré  avoir  été  poussés  à  la  résistance  par  les  Foulbé  de 
S.y... 


Le  Sahara  ne  commence  pas  à  la  ligne  Say-Barroua  ;  une 
région  intermédiaire  s'étend  durant  200  ou  300  kilomètres; 
c'est  le  grenier  des  Touareg,  c'est  là  qu'ils  ont  leurs  hrlla 
(tillage  de  captifs)  qui  .habitent  en  bons  termes  avec  les 
Maouri.  Le  sol,  si  maigre  qu'il  soit,  donne  encore  une  abon- 


MISSION    V0ULET-CHA.NOINE.  283 

!  récolte  en  mil;  l'herbe  est  bonne,  les  chevaux,  les 
,  les  moutons  son!  beaux  et  nombreux;  c'est  un  bon 
terrain  pour  l'élevage,  car  l'air  est  sec  et  très  salubre.  On 
ne  trouve  de  l'eau  que  dans  les  puits  à  des  profondeurs 
qui  varient  entre  20  et  60  mètres.  Chaque  village  possède 
un  ou  deux  puils;  mais,  comme  c'est  un  ouvrage  long  et 
délicat,  qu'il  faut  non  seulement  creuser  les  puits,  mais 
encore  établir  un  coffrage  tout  le  long  des  parois  pour 
éviter  les  éboulements,  on  ne  trouve  de  puits  que  daas  les 
villages. 

Ces  puits  sont  étroits,  le  diamètre  à  l'orifice  n'a  que 
i  mètre,  quelquefois  1  m.  00  de  diamètre;  on  ne  peut  tirer 
l'eau  qu'avec  4  ou  5  seaux  en  cuir  simultanément,  et  c'est 
an  gros  travail  de  haler  ainsi  a  bras  sans  poulie,  d'une  pro- 
fondeur de  20, 40,  liO  mètres,des  tonnes  et  des  tonnes  d'eau. 
Nous  avons  tant  de  bouches  à  désaltérer,  et  il  faut  tant  d'eau 
pour  désaltérer  un  noir  ! 

Pour  abreuver  la  colonne,  il  faut  60  tonnes  d'eau  par 
jour.  L'eau  ne  manque  pas,  car  les  puits  en  donnent  en 
abondance  et  la  plupart  ne  tarissent  pas.  Mais  il  faut  sortir 
des  puits  cette  énorme  quantité  d'eau,  et  comme  il  n'y  a 
qu'un  puits  ou  deux  par  village,  il  faut  agir  vite  sous  peine 
de  voir  des  hommes  et  des  animaux  mourir  de  soif  près  des 
puits,  il  faut  procéder  avec  ordre  sous  peine  de  voir  une  foule 
se  battre  autour  du  puits  et  se  disputer  chaque  goutte  d'eau 
qui  sort.  11  faut  surtout  trouver  de  quoi  abreuver  en  peu 
de  temps  tout  le  monde  quand  on  arrive  à  l'étape  après  une 
marche  de  30  kilomètres,  quelquefois  40  kilomètres,  sans 
eau  et  sous  le  soleil.  11  ne  faudrait,  surtout  pas  à  ce  momenl- 
là  trouver  les  puits  obstrués  ou  infectés  par  des  corps  en 
décomposition.  Nous  procédons  de  la  façon  suivante  :  le 
gros  de  la  colonne  est  précédé  d'une  colonne  légère  de 
50  cavaliers  et  200  fusils  qui  n'emportent  aucun  bagage. 
La  colonne  légère  est  commandée  à  tour  de  rôle  par  Voulet 
et  par  moi.  Elle  marche  très  rapidement,  faisant  50  kilo- 


284  MISSION    VOULET-CHANOINE. 

mètres  par  jour,  franchissant  la  nuit  les  espaces  déserls, 
déterminant  exactement  la  route  a  suivre,  reconnaissant  le 
pays,  brisant  les  obstacles,  s'emparant  des  puits.  La  colonne 
légère  fait  ainsi  un  bond  de  100  kilomètres  en  avant,  puis 
s'établit  fortement;  elle  garde  également  par  des  détache- 
ments les  puits  dont  il  serait  dangereux  de  ne  pas  s'assurer. 
Le  gros  de  la  colonne  se  met  alors  en  mouvement  et  se 
dirige  sans  hésitation  sur  les  cantonnements  reconnus 
d'avance  ;  il  est  parfois  obligé  de  se  fractionner  en  deux  ou 
trois  détachements,  mais  on  fait  en  sorte  que  ces  déta- 
chements se  Lrouvenl  peu  éloignés  les  uns  des  autres.  En 
arrivant  dans  ceux  des  cantonnements  qui  sont  gardés  par 
des  détachements  de  l'avanl-garde,  ie  gros  de  la  colonne 
trouve  l'eau  préparée  dans  ces  grands  récipients  en  toile 
que  nous  avons  fait  faire  en  France,  et  qui  nous  rendent 
d'inappréciables  services;  ce  sont  des  bâches  en  forme 
d'auges  de  3  mètres  de  longueur,  de  1  mètre  de  largeur  et 
0  m.  80  de  hauteur,  dressées  au  moyen  de  6  piquets  en  fer. 
A  l'arrirée  au  cantonnement,  un  service  d'ordre  est  établi 
au  puits;  et  sans  discontinuer,  depuis  l'arrivée  jusqu'au 
départ,  le  jour  et  la  nuit,  on  tire  l'eau. 

Celte  façon  de  procéder  a  tous  les  avantages;  nous 
n'aventurons  pas  en  aveugle  noire  lourd  convoi  ;  et  avant  de 
le  mettre  eu  marche,  nous  savons  à  quoi  nous  en  tenir  sur 
les  dispositions  des  habitants. 

Dans  le  Maouri-Béré,  ou  Grand  Maouri,  qui  s'étend  vers 
le  nord-nord-ouest  du  Sokoto,  j'ai,  précédant  la  colonne, 
trouvé  une  population  de  Maouri  mélangée  aux  hella  des 
Touareg.  Quant  aux  Touareg,  ils  ont  pris  le  large.  Le  chef 
du  Maouri,  qui  réside  à  Matau-Kari,  s'est  déclaré  pour  nous, 
mais  il  commande  peu;  on  sent  dans  le  pays  l'inlluence 
occulte  du  Touareg... 


DANS   LE   SUD    ALGÉRIEN 


Le    JD'    J.    HU^GTTET 


§    1.    —   Géologie    **    liydruftl*»  pille    'lu    .tl/:il>. 

iflguration  générale  et  limites  de  la  Chebka  du  Miab.  —  Raisons 
'  i  la  non-ideniifieatiic  de  lu  C!n*l>ka  ei  du  pays  du  Mzab.  —  Élude 
olngique  de  la  Chebka  par  M.  l'ingénieur  Ville,  —  Travaux  récents 
*  M.  l'Ingénieur  Jacob.  —  Disposition  des  couches  géologiques  au 
-  Structure  des  gour  d'après  M.  Jaeob  et  M.  le  professeur 
teneur.  —  Consliluiiou  dvs  «.ysiviiies  limitrophes  de  la  Chebka  :  rê- 
s  des  ganteras,  plateaux  en  hammada,  zone  des  dunes.  —  Les 
1s  '.lied-  'lu  ll/iil>  :  niirfl  ïi-grir.   uiieil  N'cssa.  oued  Mzah,  oued 


ii  l'on  jette  les  jeux  sur  une  carie  du  Sud  algérien  et, 
1  particulier,  sur  une  carte  géologique  telle  que  celle 
e  par  les  missions  Ville  et  Choisy,  on  est  frappé  de 
disposition  relative  de  deux  zones  superposées  l'une  à 
tre,  celle  de  la  Chebka,  celle  des  Dayas. 
i  région  des  Dayas  a  comme  limite  septentrionale  la 


I.  M.  le  D<  Hugucl  a  entrepris  au  début  de  l'année  189G  des  i 

:r  le  Sud  algérien  qu'il  n'a  ces*é  de  continuer  depuis  lors;  ses  ou- 
vrages manuscrits  sur  ce  pays  et  sur  le  Saliara  constituent  un  travail 
d'ensemble  où  sont  étudiés  à  la  fois  les  grands  ksour  et  leurs  habitants, 
les  itinéraires  de  parcours  et  les  nomades.  Cette  étude  considérable  du 
Sud  algérien,  qui  comprend  trois  volumes  lie  Sud  algérien;  le  Pays 
tOmrgla;  le*  Hàgions  sahariennes),  sera  suivie  d'un  ouvrage  sur  la 
mission  que  M.  le  [>'  Huguet  vient  d'accomplir  au  Mzab. 

Après  avoir  rendu  compte  de  celte  dernière  mission  au  Ministère  de 
l'Instruction  publique,  M.  le  D'  Huguet  a  soumis  ses  carnets  à  l'examen 
de  la  Société  de  Géographie;   nous  en  extrayons  les  pages  suivantes. 

C'est  à  l'obli<;eance  du  gouvernement  général  de  l'Algérie  que  la 
Si.ni-u-  dé  Géographie  est  redevable  des  cartes  hors  texte  ci-jointes, 
établies  d'après  les  travaux  du  Dr  Huguet  et  de  ses  deux  collaborateurs. 
La  Société  tient  à  adresser  ici  ses  remerciements  à  M.  le  gouverneur 
général  de  l'Algérie.  (Xole  de  la  Rédaction.) 


HANS    LE    SUR    ALGÉRIEN. 

brttedn  de   Laghouat;  pour  parler  plus  exactement,  elle 

;\  une  vingtaine  de  kilomètres  au  sud  de  ce  ksar 

^'lisiblement  la  forme  d'un  immense  croissant  qui 

fe»  sa  concavité  la  partie  nord  de  la  Chebka  du 

M*ab.  La  région  des  Dayas  est  limitée  au  nord  par  l'oued 

Hjeddi.  a  l'est  par  une  ligne  8 clive  passant  à  la  hauteur  d'EI 

H  «ijint  ei  à  l'ouest  par  l'oued  Gharbi,  celui-là  même  dont 

...  vallée  vient  d'être  si  bien  décrite  dans  le  récent  ouvrage 

0»  i'Oranit  au  Gourant  dû  à  un  membre  de  l'Université 

lien  connu  pour  ses  savants  travaux  sahariens, 

M   G.-B.-M.  Flamand. 

La  région  de  la  Chebka  est  un  vaste  plateau  rocheux 
incline  du  nord-ouest  au  sud-est,  qui  se  développe  sur  une 
largeur  de  plus  de  100  kilomètres  ;  ses  premières  assises  se 
trouvent  à  110  kilomètres  environ  au  sud  de  Laghouat,  un 
peu  au  delà  de  la  citerne  de  Tilrempt.  De  ce  côté,  c'est- 
.Vilirc  au  nord,  la  Chebka  est  limitée  par  l'oued  besbaïer, 
l'oued  Setlafa  et  une  ligue  à  peu  près  droite  qui,  partant 
de  Haniet  el  Melagua,  irait  aboutir  à  Lekkaz,  en  passant  par 
Mekhadeur  Khadem.  Son  arête  rocheuse  présente  de  ce  côté 
un  relief  d'environ  200  mètres  au-dessus  des  terrains  asoî- 
siuanls,  relief  qui  constitue  une  défense  naturelle  de  pre- 
mier ordre. 

Au  sud,  elle  s'étend  jusqu'au  voisinage  d'EI  Hadadra 
mais,  à  partir  de  l'oued  Metlili,  elle  s'élargit  considérabl 
ment,  et  les  mouvements  de  terrain  sont  moins  enebevël 
que.  dans  la  partie  nord. 

Vers  l'ouest,  on  voit  laChebka  former  une  muraille  abrupte 
i«l  servir  de  berge  à  la  rive  gauche  de  l'oued  El  Loua,  fran- 
chissable en  quelques  points  seulement.  La  rive  droite  de 
M  dernier  est  à  peine  indiquée;  cette  vallée  a  dû  subir  des 

gtlom  nombreuses,  si  l'on  en  juge  par  l'aspect  mouve- 
i':'  el  iléihiré  du  sol,  par  la  quantité  de  sable  graveleux 
vi  W  uombre  des  cailloux  qui  tapissent  son  lit.  L'oued  Loua 
rftn  le  sud,  non  loin  de  la  Dayet  Et  Tarfa. 


ta; 
ble- 


DMT3   LE    SUD   ALGÉRIEN.  287 

delà  de  ce  bas-fond  se  poursuit  la  succession  des 
mes  qu'on  voit,  occupant  une  largeur  de  plus  de  100  kilo- 
êtres,  s'étendre  de  la  région  des  Dayas  jusqu'à  EIGoléa, où 
mmeoce  l'Erg  proprement  dit. 

k  sa  limite  est,  laChebka  présente  non  une  série  continue 
le  hauteurs,  mais  des  massifs  rocheux  séparés  par  des  ravins 
rulièrenient  découpés  où  passent  de  nombreux  oueds  h. 
:clion  générale  nord-ouest  sud-est,  l'oued  Zegrir,  l'oued 
Farch,  l'oued  Nessa,  l'oued  Mzab  et  ses  affluents,  enfin 
tued  Metlili.  Entre  l'oued  Mzab  et  i'oued  Mellili,  ces  iiau- 
s'abaissent  insensiblement  et  finissent  par  se  con- 
;  en  lia  vaste  plateau  dont  les  ondulations  sont  peu 
rvementées.  Enfin,  vers  le  sud,  ainsi  qu'il  a  été  dit  plus 
it,  la  Cbebka  se  prolonge  jusqu'à  l'oued  Zirara,  mais  les 
uvemenls  de  terrain  sont  moins  fréquents  et  présentent 
s  une  orientation  à  peu  près  identique;  leur  altitude 
■  entre  300  et  800  mètres,  el  leur  altitude  moyenne, 
lculée  par  Duveyrier,  est  de  515  mètres, 
e  crois  devoir  insister  sur  ce  fait  que  le  ternie  de  Cbebka 
u  Mzab  doit  être  considéré  comme  une  expression  pure- 
it  géographique  et  sans  aucune  signification  politique. 
;st  à  remarquer  que,    dans  des   travaux  relativement 
ints,  par  exemple  dans  le  rapport  du  général  de  Loverdo 
édu  29  août  1877,  nous  trouvons  le  passage  suivant  : 
t  Ce  plateau  a  une  superficie  d'environ  8,000  kilomètres 
carrés;  il   est  connu  par  les   indigènes  sous   le   nom  de 
Chebka'  (Filet).  C'est  le  pays  des  Béni  Mzab.  »  Cette  erreur 
lété  reproduite  par  différents  auteurs.  M.  Louis  Rousselet, 
dans  l'article  Mzab  du  Supplément  du  Dictionnaire  de  Vi- 
vien deSainl-Marlin,  dit  :  <  Le  Mzab  est  compris  entre  32'  el 
33*20'  de  lalitude  nord,  0*4'  de  longitude  ouest  et  2*50'  de 


1.  H.  ïbjs  parle  de  la  Sebka  du  ittah.  Voir  Législation  mmbite, 
Alger,  1885,  p.  18.  Il  nous  suffira  de  Taire  remarquer  que  le  mot  Sebka 
■  une  toute  autre  slftiilkatiou.  Voir,  pour  la  traduction  de  cei  termes, 
Flamand.  De  l'Oranie  au  Gourara  (ChaHsunel.  1898),  pages  911  «I  H8. 


288  DANS   LE    SUD   ALGÉRIEN. 

longitude  esl;  sa  superficie  est  d'environ  8,000  kilomètres 
carrés.  » 

Il  importe  d'insister  sur  ce  fait  que  le  Mzab  proprement 
dil,  e'est-â-dire  la  partie  du  territoire  de  la  Chebka  effec- 
tivement possédée  par  ies  Mzabites,  n'est  que  de  3,255  hec- 
tares; en  d'autres  termes,  ie  Mzab,  envisagé  au  point  de  vue 
politique,  a  une  surface  égale  à  un  tiers  seulement  de  celle 
de  la  Chebka.  Celle  distinction  nous  parait  utile  à  signaler 
pour  permettre  aux  géographes  d'éviter  désormais  toute 
cause  d'erreur. 

Quel  est  donc  dans  le  Mzab  ie  territoire  en  propre  aux 
Mzabites?  C'est  d'abord  celui  occupé  par  leurs  ksour,  puis 
celui  couvert  par  leurs  jardins,  enfin  une  bande  de  terrain 
périphérique  s'étendanl  au  maximum  à  quelques  portées 
de  fusil  autour  des  ksour  et  des  oasis. 

Le  reste  de  la  zone  praticable  de  la  Chebka  est  sillonné 
par  des  terrains  de  parcours  et  fréquenté  par  les  nomades 
arabes  du  sud  qui  y  campent  une  partie  de  l'année. 

Tandis  que  les  cinq  ksour  du  Mzab  :  Ghardaîa,  Melika, 
Béni  Isguen,  Bou  Noura,  El  Ateuf,  occupent  la  vallée  de 
l'oued  et  peuvenl  en  quelque  sorte  être  considérés  comme 
formant  une  agglomération  unique,  Berria  et  Guerara  sont 
comme  deux  colonies  éloignées,  tellement  isolées  même 
que  les  hahitants  disent  qu'ils  vont  au  Mzab,  quand  ils  se 
rendent  dans  l'un  quelconque  des  cinq  autres  ksour. 

L'aspect  si  particulier  de  la  Chetika  rend  d'autant  plus 
intéressante  son  étude  géologique;  celle-ci  a  été,  depuis 
déjà  plus  de  quarante  ans,  exposée  magistralement  par 
M.  l'ingénieur  Ville  '  dont  le  travail,  même  à  l'heure  actuelle, 
n'a  rien  perdu  de  sa  valeur  : 

i  Le  plateau  dolomitique  de  la  Chebka  des  Béni  Mzab, 
dit-il,  forme  un  vaste  Ilot  entouré  de  tous  côtés  par  le 
terrain  quaternaire.  Il  est  très  remarquable  que,  au  nord,  à 


DANS    LE    SUD   ALGÉRIEN. 


289 


t  et  au  sud,  son  plan  l'orme  le  prolongement  exact  du 
plateau  quaternaire.  Il  n'y  a  dénivellation  bien  sensible  que 
le  long  de  la  corniche  d'El  Loua.  Là,  cette  dénivellation  a 
plusieurs  centaines  de  mètres  de  hauteur.  On  doit  supposer 
que,  lorsque  la  mer  quaternaire  couvrait  l'immensité  du 
Sahara,  la  Chebka  des  Beni-Mzab  formait  un  récif  sous- 
marin  à  couches  sensiblement  horizontales  et  terminé  par 
des  parois  plus  ou  moins  abruptes;  les  dépots  calcaires  ou 
sableux  n'ont  pu  dès  lors  se  former  au-dessus  de  lui  et  te 
sont  déposés  contre  les  flancs  de  ce  récif.  Lorsque  le  fond 
de  la  mer  saharienne  s'est  soulevé,  le  plateau  dolomitique 
s'est  redressé  vers  le  nord-ouest.  Les  couches  ont  été  frac- 
tarées  pins  au  moins  profondément;  alors  se  sont  formées 
les  grandes  vallées  de  l'oued  Mellili,  de  l'oued  Mzab.de  l'oued 
EnNça{Nessa)qui  se  sont  prolongéesà  peu  près  parallèlement 
dans  la  Chebka  et  dans  la  région  des  Guenlras  (Ganteras).  De 
cette  époque  date  peut-être  aussi  la  formation  des  nom- 
breux témoins  qui  sont  êpars  dans  la  Chebka.  Le  déplace- 
ment des  eaux  sahariennes  par  suite  du  soulèvement  du 
fond  de  la  mer  a  donné  lieu  à  des  courants  d'eau  d'une 
violence  extrême,  qui  ont  entraîné  au  loin  et  réduit  en 
menus  débris  les  blocs  dolomitiqjues  détachés  de  leur  base 
première.  A  la  suite  de  ce  cataclysme,  de  grandes  nappes 
d'eau  ont  couvert  les  vallées  récemment  creusées  de  l'oued 
■Mellili,  de  l'oued  Mzab  et  de  l'oued  En  Nça.  i  Alors  se  sont 
déposées  les  alluvîons  anciennes  signalées  par  M.  Ville, 
dans  ces  rivières,  sous  le  sol  des  oasis  :  t  En  plusieurs  points 
et  notamment  entre  El  Ateuf  et  Bou  Noura,  ces  alluvions 
anciennes  ont  tout  à  fait  les  caractères  minéralogiques  du 
terrain  quaternaire  du  Sahara1,  b 

Ailleurs,  M.  Ville  fait  remarquer  encore  que  »  le  terrain 
quaternaire  a  été  soulevé  postérieurement  à  son  dépôt  dans 
leseaux  tic  la  mer  saharienne,  et  c'est  probablement  la  cause 


I.  Ville,  Exploration  du  lUtali  et  du  Saliara,  p.  116,  117 


•_\u\ 


UNS    LE    BDB    ALGÉRIE». 


ri  déterminé  l'assèchement  de  cette  mer  et  qui  a  produit 
;randes  dépressions  à  pans  abrupts  comme  ce 
l.miH  t. 

Eu  1893,  M.  l'ingénieur  des  mines  Jacob  a  repris  l'étude 

|ttltiïgll|H|  et  la  Chebka  du  Mzab,  particulièrement  au  point 

do  rue  de  la  possibilité  de  la  recherche  d'un  point  d'eau 

Je  rappellerai  les  parties  principales  du  rapport 

médti  de  cet  auteur  : 

i  L'Uefoki  du  Mzab  et  de  Metlili ,  de  même  que  les  pla- 
teaux d'EI  Goléa,  comprend  deux  divisions  bien  tranchées  : 
if  MfjtdMM,  les  calcaires  crayeux  dans  la  région 
d'Kl  Ciuléa.  passe  ut  insensiblement  à  mesure  qu'on  marche 
vois  le  nord,  a  des  calcaires  sHCcliaroides  à  grains  fins,  pois 
,'i  Je»  ■-■» i ■-■  ■> :  es  [>:itichemen!  ilnloinitiques. 

extérieur  de  la  roche  noire  se  modifie  suivant 
■■tu 'elle  a  été  soumise  *  un  polissage  par  les  sables  entraînés 
par  le  veut.  Dans  les  parties  où  l'action  du  sable  s'est  fait 
•  Icaire  est  d'un  beau  luisant,  blanc  et  poli.  Par- 
'our  d'ailleurs  il  est  exactement  gris  noiràlre.  La  cassure 
■urs  blanche, 
u  L'épaisseur  de  cette  formation  est  très  variable.  Elle 
descend  à  El  Goléa  jusqu'à  une  dizaine  de  mÈtres  et  atteint 
Au» les  environs  de  Ghardaïa  110  à  120  mètres.  Cette  varia- 
tion tient  en  partie  aux  conditions  dans  lesquelles  s'est 
déposée  la  formation  calcaire  et  en  partie  à  une  dénudalion 
postérieure.  Pendant  la  période  diluvienne,  les  eaux  ont  agi 
«a  creusant  et  élargissant  les  fissures  naturelles  de  la  roche 
pour  donner  naissance  aux  nombreux  oueds  qui  sillonnent 
ce  plateau;  elles  ont  en  outre  enlevé  une  certaine  épaisseur 
de  calcaire  dans  la  région  d'El  Goléa.  Les  gour  Ouargla 
en  sont  une  preuve. 

«  Les  couches  de  la  craie  supérieure  qui  débutent  par 
des  assises  marneuses  ont  été  au  contraire  enlevées  sur  de 
très  grandes  surfaces.  Elles  recouvraient  sans  doute  la  plus 
grande  partie  des  calcaires  turoniens  ;  on  en  trouve  de  nom- 


DANS    LE    SUD    ALGÉRIEN.  291 

.in; rix  vestiges  dans  la  région  de  Ghardaïa.  Assez  souvent 
les  nombreuses  fissures  de  ce  calcaire  sont  remplies  par 
un  calcaire  concrétionné  de  couleur  violacée  ou  lie  de  vin. 
C'est  l'équivalent  de  la  carapace  tufacée  des  alterrissements. 
Ce  dépôt  s'est  formé  à  l'époque  quaternaire. 

f  Au-dessous  vient  une  formation  de  marnes  et  argiles 
vertes  ou  blanches  et  rouges  avec  des  intercalations  de  bancs 
peu  épais  de  calcaire  ou  de  grès  fortement  marneux  et  de 
deux  ou  trois  bancs  épais  de  gypse.  » 

La  coupe  prise  au  voisinage  de  Hassi  bou  Messaoud  et 
résumée  ci-dessous  donne  le  type  de  cette  formation  : 

(Calcaire  marneux,  0  m.  80. 
Marne  verte,  0  m.  40. 
Calcaire  coquille. 
Bboulls. 
Calcaire  majncuv  et  a  rai  le  L'vuseuae. 

av  moires '      „  n         ,n 

'    Gypse,  0  m.  40. 

Marne  verte. 

Calcaire  marneux,  0  ni.  50. 

Argile  gypseuse  éboulée. 
.     Gypse,  1  m.  50. 
<     Kboulis. 
.  |    Calcaire  marneux. 

Marnes  bariolées. 

Éboulis. 
i    Calcaire  marneux. 

Marnes  vertes. 
/     Marnes  vertes. 

Éboulis. 

Dépôt  quaternaire. 

La  structure  des  gour  qui  surmontent  le  plateau  dolomi- 
turonien  a  été  étudiée  naguère  par  M.  l'ingénieur 

ïob  et  M.  le  professeur  Ficheur;  d'après  eux,  ces  gour 
sont  formés  de  marnes  à  gypse  avec  lit  de  calcaire  siliceux 
dans  lesquels  aucun  fossile  n'a  éié  rencontré.  Ce  sont  pro- 
bablement des  représentants  du  sénonien  inférieur*. 


2M 


DASS   LE    SUD   ALGÉRIEN. 


Berria  est  situé  sur  un  mamelon  de  calcaire  et  les  ter- 
rains environnants  sont  formés  de  calcaire  diluvien  recou- 
vrant la  dolomite,  (Juant  à  Guerara,  il  est  situé  en  dehors 
de  la  chebka,  en  amont  de  la  vaste  dépression  de  l'oued 
Zegrir  limilée  par  des  escarpements  formés  de  sable,  de 
grés  sahariens,  notamment  de  grès  quartzeux  rouges. 

Je  n'ai  rien  à  ajouter  à  la  belle  description  faite  par 
M.  Viile,  de  la  région  de  Guerara1  ;  j'insisterai  seulement 
sur  l'intérêt  que  présentent  les  témoins  géologiques  qui  se 
dressent  dans  le  bas  fond  de  l'oued  Zegrir9,  et  parmi  lesquels 
les  plus  curieux  à  examiner  sont  ceux  désignés  par  les  indi- 
gènes sous  les  noms  de  La  Meyed  et  Ksar  el  Khola. 

On  ne  peut  parler  de  la  constitution  géologique  de  la 
Chebka  sans  jeter  an  coup  d'œil  sur  les  différents  systèmes 
qui  caractérisent  les  régions  limitrophes;  c'est  pourquoi 
nous  nous  trouvons  conduits  à  dire  quelques  mots  de  la 
région  des  Ganteras,  des  plateaux  en  Hammada  et  enfin  de 
la  région  des  Dunes. 

Enlre  Ouargla,  la  Chebka  du  Mzab  et  Guerara,  zone  que 
j'ai  parcourue  deux  fois  en  détail,  s'étend  un  haut  plateau 
crétacé  découpé  de  loin  en  loin  par  de  profondes  vallées, 
dont  les  thalweg  sensiblement  parallèles  sont  presque  tou- 
jours à  sec.  Dans  ses  parties  unies,  la  Gantera  présente  de 
loin  eu  loin  des  mamelonnements  de  faible  hauteur,  aux  re- 
bords en  pente  douce,  à  sommet  arrondi  de  30  à  60  centi- 
mètres, plus  rarement  1  mètre,  et  à  diamètre  variant  entre 
5  el  50  mètres.  Cette  région  a  une  physionomie  toute  par- 
ticulière qu'elle  tient  de  sa  structure.  Elle  lui  a  valu  de  la 
part  des  indigènes  le  nom  de  Bled  el  Gantera,  le  pays  des 
ponts,  parce  que  les  hauts  plateaux  compris  enlre  les  vallées 


1.  Ville,  loe.  cit.,  page  12,  \  21. 

2.  «  I. 'oasis  de  Guerara...  fait  exception  comme  situation  géologique, 
et  elle  occupe  une  dépression  dans  les  terrains  d 'al  terri  s  sèment  ;  elle 
appartient  à  la  partie  orientale  de  la  région  des  Dayas.  n  Mission  Clioity, 
l"vol.,  p.  142. 


DANS   LE   SUD    ALGÉRIEN. 


293 


■eniblêiit  assez  à  des  poms  qui  les  relieraient  les  unes  aux 
itres.  Les  Ganteras  grises  que  l'on  observe  dans  la  région 
qui  nous  occupe  sonl  limitées  au  nord-ouest  par  l'oued 
Eegrir,  dont  le  bassin  inférieur,  dans  les  environs  de 
Guerara,  est  bordé  du  cûlé  sud  par  une  ligne  de  collines 
abruptes,  mais  non  rocheuses,  qui  se  recourbe  dans  la  direc- 
tion du  nord-ouest  pour  séparer  le  bassin  de  l'oued  Zegrir 
et  celui  de  l'oued  Nessa.  Les  Gauleras  les  plus  typiques 
que  j'ai  observées  sont  celles  qui  se  trouvent  entre  El 
Hobrat  et  l'oued  Nessa  d'une  part,  d'autre  part  à  la  hauteur 
de  la  piste  de  Guerara  à  Ghardaïa,  dans  la  partie  comprise 
entre  Guerara  et  l'oued  Nessa. 

Les  plateaux  de  Hammada  sont  ceux  qui  se  présentent  à 
nous  sous  forme  de  roches  en  calcaire  crétacé  de  coloration 
noire  à  la  surface  et  occupent  des  régions  absolument 
dépourvues  de  végétation.  Sur  la  route  de  Ghardaïa  à 
Ouargla,  on  en  rencontre  déjà,  mais  c'est  surtout  a  l'est  de 
la  Chebka  entre  Ouargla  et  El  Goléa  (au  delà  de  Djafou 
vers  l'oued  Zîrara)  que  s'étend  une  hammada  digne  d'être 
classée  parmi  les  plus  typiques. 

A  l'ouest  de  l'oued  El  Loua,  et  particulièrement  au  sud 
des  limites  extrêmes  de  la  Chebka,  l'Erg  apparaît  avec  son 
chaos  de  dunes  enchevêtrées  les  unes  dans  les  antres,  véri- 
table labyrinthe  dans  lequel  il  est  impossible  de  se  diriger 
sans  guide.  Celle  région  est  limitée  au  sud  par  l'oued 
Meguiden  et  à  l'ouest  par  l'oued  Saoura.  Dans  la  zone  inter- 
médiaire entre  El  Goléa  et  Ouargla,  il  existe  un  certain 
nombre  de  passages  de  dunes;  parmi  les  plus  importants, 
je  citerai  Areg  Chrardel  et  Areg  Khaneœ. 

Ce  dernier  présente  une  disposition  particulière;  il  est 
formé  de  deux  bancs  sablonneux  distants  de  1  kilomètre,  à 
direction  absolument  parallèle.  J'ai  trouvé  là  des  formes 
assez  spéciales  de  dunes  qui,  je  crois,  ne  sont  pas  très 
communes.  Ce  sont  les  dunes  isolées  en  hélice  et  celles 
en   forme   de  cube.  Plus  près   du  Mzab,  entre  Mellili  et 


294  DANS    LE   SUD   ALGÉRIEN. 

Zelfana,  on  rencontre  quelques  gour  recouverts  de  sable, 
notamment  dans  la  région  de  l'oued  Ghorfan,  enfin  on 
trouve  de  petites  dunes  à  la  hauteur  même  de  l'un  des 
ksour  du  Mzab,  je  veux  parler  de  Guerara.  Des  amoncel- 
lements de  sable  se  sont  faits  au  niveau  de  l'enceinte  du 
Ksar  dans  la  partie  opposée  à  l'oasis;  de  petites  dunes, 
hautes  de  1  mètre  et  longues  de  8  à  10,  se  sont  formées 
notammenl  dans  l'angle  nord-ouest  en  dedans  du  mur. 
La  porte  qui  se  trouve  en  cet  endroit  avait  déjà  deux 
noms:  Bab  Moussa  ou  KharréjaDahraouïa;  elle  en  possède 
actuellement  un  troisième,  et  les  indigènes  ne  la  désignent 
plus  que  sous  le  nom  de  Bab  el  Areg. 

Les  eaux  de  la  Chebka  se  déversent  dans  de  nombreuses 
vallées;  les  principales  sont  les  vallées  de  l'oued  Ze- 
grir,  dont  nous  venons  dédire  quelques  mots;  la  vallée  de 
l'oued  Nessa,  celle  de  l'oued  Mzab  et  enfin  celle  de  l'oued 
Metlili.  Je  me  bornerai  ici  à  exposer  des  généralités,  me 
réservant  d'enlrer  dans  les  délails  quand  je  ferai  l'étude 
des  lignes  de  parcours  du  Mzab  et  du  pays  des  Cbaanba. 
A  ce  moment,  je  parlerai  non  seulement  des  vallées,  de 
leurs  oueds  et  des  accidents  de  terrain  qui  les  limitent, 
mais  aussi  de  leur  faune  et  surtout  de  leur  végétation  qui, 
lorsqu'elle  est  abondante,  est  recherchée  par  les  nomades 
pour  l'alimentation  des  troupeaux. 

L'oued  Zegrîr  prend  sa  source  près  de  Mdaguin  sur  le 
ras  Ghaab  et,  après  un  parcours  de  plus  de  150  kilomètres, 
passe  à  la  hauteur  de  Guerara.  Après  avoir  décrit  un  cro- 
chet vers  le  nord-est  et  traversé  l'oasis,  il  va  se  perdre  à 
18  kilomètres  au  sud-est  de  ce  ksardans  la  Daya  ben  Feïla. 
L'oued  Nessa  prend  sa  source  à  El  Peidh  situé  au  nord  de 
la  Chebka  eL  orienté  de  l'ouest  à  l'est.  Il  prend  ses  eaux  d'ori- 
gine dans  les  bas-fonds  qui  a  voisinent  la  Daya  Magrounet  et 
vient  se  terminer  au  nord  de  Ngoussa  dans  le  bassin,  ou  pour 
employer  l'expression  indigène,  dans  la  Heïcha  d'Ouargla. 

Dans  son  parcours,  l'oued  Nessa  reçoit  l'oued  Hegam, 


DANS   LE    S0D    ALGERIEN.  295 

l'oued  Settafa,  l'oued  Kebch,  l'oued  El  Abiod,  l'oued  El 
Baguel,  l'oued  Soudan,  l'oued  Bal  Loub,  l'oued  El  Bir, 
l'oued  Nechou  et  l'oued  El  Farcb. 

Les  vallées  qu'ils  traversent  sont  d'importance  variable 
tant  comme  étendue  que  comme  fertilité.  Je  ne  saurais  ici 
m'étendre  sur  les  résultats  de  mes  investigations  person- 
nelles dans  les  régions  traversées  par  l'oued  Nessa  dont  la 
vallée  doit  être  considérée  comme  très  importante.  La  lar- 
geur moyenne  de  l'oued  est  de  800  mètres  environ;  son  lit 
est  bien  tracé  partout ,  étroit,  et  ne  mesure  pas  plus  de  5  à 
6  mètres  dans  les  endroits  les  pius  resserrés;  les  berges 
sont  en  terre  d'alluvton.qui  atteignent  dans  plusieurs  points 
1  à  5  mètres  de  hauteur.  L'oued  Nessa  décrit  de  nom- 
breux méandres  :  à  la  hauteur  Je  certains  d'entre  eux,  no- 
tamment en  aval  de  Hassi  Rebib,  son  lit  s'élargit  considé- 
rablement, disparaît  en  quelque  sorte  par  suite  de  l'absence 
de  berges,  et  au  lieu  d'un  fond  uni  on  ne  trouve  plus  que 
des  amoncellements  de  pierres  et  de  rochers.  C'est  dans  la 
partie  moyenne  de  son  cours,  entre  El  Hachana  et.  Hassi 
Rebib  que  l'oued  Nessa  traverse  les  terrains  les  plus  riches 
en  alluvions.  Les  Beloum  y  croissent  nombreux,  on  ne  sau- 
rait faire  100  mètres  sans  en  rencontrer;  mais  ces  arbres 
Hissent  de  préférence  sur  les  berges  mêmes,  tandis  que 
■  les  îlots  nombreux  qui  se  succèdent,  la  végétation  est 
représentée  par  quelques  palmiers  isolés  et  surtout  par 
s  arbustes  dontle  plus  fréquent  m'aparu  être  le  djedaria'. 
L'oued  Mzab  a  son  origine  dans  la  partie  nord-ouest 
e  la  Chebka,  au  lieu  dit  Ras-el-Eung,  à  775  métrés  d'alti- 
ide.  Pendant  tout  son  parcours,  jusqu'après  son  passage 
s  la  vallée  occupée  par  la  pentapole  mzabite,  à  la  sor- 
i  de  laquelle  l'altitude  n'est  plus  que  de  550  mètres, 
l'oued  Mzab  traverse  une  série  de  vallées  étroites  bordées 
r  des  rochers  élevés  formant  des  murailles  souvent  înfran- 

le  analogue  au  sedra,  mais  qui  croît  en  liauteur  au  Heu  d'être 


290  DANS   LE    SUD   ALGÉRIEN. 

chissables.  Son  bassin  supérieur,  depuis  sa  source  jusqu'à 
son  débouché  par  les  gorges  d'El  Ateuf,  forme  une  vallée 
étroite  bordée  de  chaque  côlé  par  une  ligne  de  rochers  très 
élevés  aux  croupes  dénudées  et  aux  flancs  presque  inacces- 
sibles. C'est  dans  un  élargissement  de  la  vallée  de  l'oued 
Mzab  qu'ont  été  bâtis  les  cinq  ksour  qui  constituent  le 
centre  de  la  confédération  mzabite. 

L'oued  Mzab  a  pour  affluents  de  droite  l'oued  Saïd  ben 
Ali,  l'oued  El  Abiod,  l'oued  Touzouze,  l'oued  NUssa,  l'oued 
Mesadjir  et  l'oued  Noumerat:  pour  affluents  de  gauche 
l'oued  Zouïli,  l'oued  Amraïa,  l'oued  Nimmel,  l'oued  Zéfat 
et  l'oued  Oughirlou.  Il  est  à  remarquer  que  les  deux  val- 
lées de  l'oued  Nessa  et  de  l'oued  Mzab  venant  se  terminer 
dans  la  grande  dépression  de  l'oued  Mia,  passent  ainsi  de 
la  formation  dolomilique  dans  le  terrain  quaternaire,  tandis 
que  l'oued  Zegrir,  qui  passe  à  Guerara,  se  trouvant  plus 
au  nord-est  sur  les  confins,  extrêmes  de  la  Chebka  «  a  pro- 
bablement tout  sou  cours  en  dehors  de  la  formation  dolo- 
mitique  et  au  milieu  du  terrain  quaternaire  ».  J'ai  pu  vé- 
rifier sur  place  cette  opinion  de  M.  Ville,  notamment  dans 
l'immense  bas-fond  de  l'oued  Zegrir. 

L'oued  Metiili  traverse  la  Chebka  de  l'ouest  à  l'est  et  va 
se  perdre  à  peu  de  dislance  de  Ouargla  dans  le  bas-fond 
Ben  Khlala.  Sa  vallée,  dont  !a  végétation  très  luxuriante 
peut  rivaliser  avec  celle  des  oasis  qui  environnent  Berria, 
limite  en  quelque  sorte  le  massif  principal  de  la  Chebka 
du  côté  du  sud. 

Faisons  remarquer,  en  terminant  ces  quelques  considé- 
rations sur  les  grands  oueds  du  Mzab,  qu'ils  ont  tous  la 
même  direction  générale  nord-est-sud-est,  et  qu'après 
avoir  quitté  la  Chebka  ils  effectuent  tous  leur  descente  dans 
le  bassin  de  Ouargla.  Celui-ci  doit  être  considéré  comme  le 
grand  collecteur,  sa  faible  altitude  lui  permettant  d'être  le 
centre  d'attraction  de  toutes  les  eaux  de  cette  partie  du 
Sahara  algérien. 


DANS    LE   SUD  ALGÉRIEN. 


;     }.    —    La    r.. m.     .Mr.  ri.-    d  i;i    ttoléa-Onargla. 

Des  itinéraires  du  sud  algérien,  celui  d'El  Goléa-Onargla 
est  le  moins  connu.  Les  troupes  régulières  ne  passant  pas 
dans  celte  région,  c'est  a  peine  si ,  depuis  quelques  années, 
Irois  ou  quatre  officiers  du  service  des  affaires  indigènes 
ont  suivi  ce  parcours  dans  le  Lut  de  rechercher  les  endroits 
les  plus  propices  à  des  essais  de  creusement  de  puits. 

Sauf  à  Hassi  el  lladjar,  ou  l'eau  est  du  reste  mauvaise, 
il  n'existe  aucun  point  d'eau.  En  1898,  au  moment  où  je 
parcourais  le  pays  à  l'occasion  de  ma  mission,  des  puisa- 
tiers indigènes  travaillaient  déjà  à  Djafou  et  à  Talesmout. 
Avec  de  l'eau  dans  ces  deux  futurs  gîtes  d'étape  et  dans  un 
troisième,  à  la  hauteur  de  l'oued  Fahl,  où  un  forage  sera 
prochainement  entrepris,  la  route  directe  se  trouverait 
pourvue  de  quatre  puits.  Elle  deviendrait  par  conséquent 
praticable  en  tout  temps  pour  des  hommes  aussi  bien  que 
pour  des  chevaux,  tandis  qu'à  l'heure  actuelle  les  rares 
voyageurs  indigènes  ou  officiers  qui  y  passent  ne  peuvent 
employer  que  le  chameau  comme  porteur  et  le  méhari 
comme  monture. 

Pour  se  rendre  d'Ouargla  à  El  Goléa,  les  caravanes  et 
convois  vont  par  Ghardaïa,  suivant,  ainsi  une  roule  qui 
constitue  les  deux  côtés  d'un  triangle  dont  le  troisième 
côté  (roule  directe)  a  120  kilomètres  environ  de  moins  que 
les  deux  autres. 

L'itinéraire  que  j'ai  suivi  diffère  de  celui  de  la  colonne 
Galliffet  (1873),  quoique  en  étant  peu  distant.  Cela  tient  à 
ce  que  la  colonne  avait  marché  sur  la  piste  nommée  par 
les  indigènes  trik  foukani  (chemin  d'en  haut)  et  que  mes 
guides  m'avaient  engagé  à  suivre  celle  aujourd'hui  préférée, 
dite  trik  tahtani  (chemin  d'en  bas)  '. 


1.  J'ai  Éic  aidé  dans  l'établis! 
Siab  el  du  pays  des  Cliaanba  par  le  lieul 

MIL.    DE  GËOGR.  —  3"  IH1MESTRE  1SB&. 


39H 


DANS   LE    SUD    ALGÉRIEN. 


Parti  d'El  Goléa  le  13  juin,  j'ai  parcouru  en  quatre 
jours  et  demi  la  distance  de-  300  kilomètres  environ  qui 
sépare  ce  ksar  d'Ouaigla.  Le  13  au  soir,je  m'arrêtais  dans 
l'oued  Tinigel  après  une  étape  de  54  kilomètres.  Le  14, 
j'étais  àDjafou,distantde  58  kilomètres  du  point  précédent. 
Le  15,  après  une  étape  beaucoup  pluslongue, 80  kilomètres, 
j'arrivais  vers  huit  heures  du  soir  à  l'oued  Fahl,  ayant  mar- 
ché u  bon  pas  de  méhari  depuis  4  heures  du  malin,  et  fait 
seulement  une  halte  d'une  heure  au  milieu  de  la  journée. 
Le  16,  je  pouvais,  après  60  kilomètres,  atteindre  les  gour 
Bou  Chareb.  Enfin,  dans  la  matinée  du  17,  une  dernière 
étape  de  48  kilomètres  me  permettait  d'arriver  à  Ouargla. 

En  quittant  El  Goléa,  on  contourne  la  gara  Magrounet 
sidi  Cheikh,  de  laquelle  le  service  du  génie  extrait  depuis 
plusieurs  années  les  pierres  employées  à  la  construction  de 
la  redoute.  Quelques  tentes  sont  groupées  à  peu  de  distance 
de  la  gara.  On  ne  les  a  pas  laissées  derrière  soi  depuis  plus 
d'une  demi-heure  qu'il  faut  aborder  des  dunes  hautes  de 
15  mètres  disposées  suivant  trois  étages  successifs  d'un 
accès  assez  facile.  La  crête  des  dernières  une  fois  fran- 
chie, le  terrain  devient  uni;  le  vaste  plateau  en  ham- 
mada  qui  s'étend  au  loin  cons truste  par  son  aridité  absolue 
et  sa  coloration  noire  uniforme  avec  l'aspect  si  mouve- 
menlê,  la  forme  si  variée  des  dunes.  En  traversant  celles-ci, 
j'ai  noté  parmi  les  végétaux  qui  y  croissaient  le  djefna, 
zefzef,  metnan,  rguig.  Cette  constatation  me  met  à  même 
d'insister  sur  ce  fait  que,  dans  le  Sahara,  en  dehors  des 
thalwegs  des  grands  oueds  où  croît  une  végétation  arbo- 
rescente, on  ne  peut  trouver  de  plantes  que  là  où  il  y  a  de 
la  dune.  Les  nomades  le  savent  bien  el,  quand  ils  ont  à 


sahariens,  i'l  par  le  lieutenant  Goubeau,  du   1"  tirailleurs.  Je  tenais  â 

Taire  ici  mention  du  coocuurs  précieuKiueiu'unt  prêiéce-ideuiofflciers. 

tjuaiid    le    lecteur   confia  1er»  des   nnhoirraphes  différentes  sur  les 

JMe,  nuus    le  prions   de  considérer   celle   du  leite 

e  élanl  la  seule  à  adopter.  (Soles  de  l'auteur.) 


,       DANS   LE    SUD    ALGËRIEf.  299 

ser  les  régions  désolées  que  recouvre  la  hammada, 
s  prennent  toujours  la  précaution  de  faire  une  provision 
Hjffisante  des  plantes  nécessaires  à  l'alimentation  de  leurs 
chameaux . 

Sur  le   plateau,  la  piste  oblique  légèrement   à    gauche 
vers    l'est-nord-esl,  à  hauteur  des  dunes  situe.es  à  égale 


dislance  entre  El  Goléa  et  les  gour  Ouargla.  Ces  dunes, 
dont  le  massif  est  connu  sous  le  nom  d'Areg  Ghrardel,  ont 
leur  concavité  tournée  vers  le  nord-est  et  une  disposition 
générale  en  hélice  tout  àfait  caractéristique.  Sur  la  gauche 
se   dressent  quelques  groupes  isolés  de  collines-dunes  en 


forme  d'N,  dont  l'aspect  n'est  pas  moins  particulier  que 
celui  des  dunes  d'Areg  Ghrardel. 

La  sa  fi  a  Tinigel  est  un  bas-fond  occupé  par  le  lit  de 
l'oued  Tinigel  et  de  l'oued  Lefalr.  C'est  dans  le  lit  de 
l'oued  Tinigel  qu'ont  été  entrepris  les  travaux  de  forage 
d'un  puits.  Au  centre  de  la  dépression,  où  croissent  des 
végétaux  tels  que  le  rtem,  dhoumran,  guezzoum,  azereh, 
s'élève  un  djeddar  à  sommet  blanchi  à  la  chaux  et  servant 
de  signal  aux  nomades.  La  limite  nord  de  la  safia  Tinigel 


300  DAHS   LE   SUD   ALGÉRIEN. 

est  formée  par  une  quinzaine  de  gour  disposés  en  arc  de 
cercle,  avec  une  brèche  dans  la  direction  nord-ouest-sud- 
esl  pour  le  lit  de  l'oued  Le  lai  r.  A  16  kilomètres  à  l'ouest, 
on  aperçoit  la  gara  Gouïnin  qui  se  dresse  non  loin  de  la 
route  de  Ghardaïa  à  Ei  Goléa;  à  l'est  s'étend  la  ligne  des 
gour  SetlaMammra,  dont  les  plus  rapprochés  sont  à  3  oh 
4  kilomètres. 

Au  delà  de  la  safia  Tinigel  et  de  la  ligne  des  gour  qui  la 
borne  au  nord,  le  sol  devient  plus  sablonneux,  déjà  à 2  kilo- 
mètres vers  l'ouest,  les  gour  sont  en  partie  recouverts  de 
sable.  Une  vaste  plaine  peu  ondulée,  où  croît  une  végéta- 
tion de  ajerem,  djefna,  dhuumran,  s'étend  au  loin,  limitée 
au  nord  et  à  l'est  par  les  deux  bancs  de  dunes  connus  sous 
le  nom  d'Areg  Renem.  Ces  areg,  dont  le  premier  est  à 
12  kilomètres  au  nord  de  la  salia  Tinigel  et  l'autre  un  peu 
plus  loin,  ont  chacun  1  kilomètre  environ  de  largeur  sur  10 
de  longueur.  L'un  et  l'autre  ont  leur  pente  douce  orientée 
vers  le  sud-ouest.  Leur  flore  est  variée  et  abondante,  com- 
posée de  drinn,  de  larta,  d'arfej,  de  guezzah  et  de  rtem. 

Après  le  passage  d'Areg  Renem,  c'est  la  hammada  qui 
reparait.  On  peut  dire  que  sa  flore  est  nulle  et  que  sa  faune 
n'est  guère  plus  riche;  seul  une  sorte  de  lézard,  le  bon 
kekkach,  trouve  à  y  vivre.  A  15  kilomèlres  au  nord  d'Areg 
Ilenem,  un  nouveau  banc  de  sable  se  présente,  Areg 
Aggabi,  orienté  du  nord-ouest  au  sud-est,  après  lequel  la 
plaine  en  hammada  s'étend  de  nouveau,  limitée  à  1  o;i 
8  kilomètres  au  nord  par  quelques  gour  peu  élevés.  Au 
milieu  d'eux  une  petite  gara  se  dresse,  celle  de  Ben  Bah- 
rour,  ainsi  nommée  à  cause  de  l'existence  en  cet  endroit 
de  la  sépulture  du  nomade  célèbre  auquel  les  indigènes 
attribuent  le  tracé  des  pistes  du  Sahara. 

Au  nord  de  la  gara  de  Ben  Bahrour,  le  medjebed  tra- 
verse une  série  de  vallonnements  assez  réguliers  qui  se 
continuent  pendant  une  trentaine  de  kilomèlres.  A  celte 
distance,  le  terrain  charge   d'aspect  et   devient   plat. 


DANS    LE   5CD   ALGÉRIEN.  oOl 

piste  s'engage  bientôt  dans  une  sorte  de  ravin  où  croît  une 
végétation  assez  drue  d'arfej,  de  dhoumran  et  de  ngoud. 
Après  4  ou  500  mètres  l'horizon  s'élargit,  limité  à  quelques 
kilomètres  de  distance  par  quelques  gour  recouverts  de 
sable;  on  entre  dans  la  vallée  de  Djafou,  dont  le  sol  uni  est 
parsemé  de  dhoumran.  Quand  j'y  suis  passé,  un  forage  de 
puits  venait  d'être  entrepris  au  point  le  plus  déclive  du  lit 
de  l'oued.  Deux  travailleurs  indigènes  y  travaillaient  pénible- 
ment. Entre  Djafou  et  Djorf  el  Begrat,  s'étend  un  immense 
plateau  de  hammada  que  coupe  seulement  le  lit  de  l'oued 
Zirara.  L'aridité  est  dans  cette  région  plus  absolue  encore 
qu'ailleurs.  La  seule  plante  qui  y  pousse  est  te  gourtel,  vé- 
gétal avec  lequel  on  ne  peul  faire  du  l'eu,  car  à  peine  allumé 
il  se  réduit  en  cendres.  J'en  ai  fait  l'expérience  à  mes  dé- 
pens; mes  cavaliers  indigènes,  mieux  avisés,  n'avaient  même 
pas  essayé  de  faire  brûler  celle  plan  le,  sachant  qu'ils  devraient 
renoncer  à  tout  aliment  chaud,  même  au  café  traditionnel. 

Djorf  el  Begrat  est  situé  non  point  avant  l'oued  Zirara, 
mais  bien  à  10  kilomètres  au  nord.  Ce  djorf,  ainsi  d'ail- 
leurs que  l'indique  son  nom,  est  formé  d'une  série  de  bas- 
fonds  orientés  du  nord  au  sud,  très  découpés,  parsemés 
d'amas  sablonneux  où  pousse  du  dhoumram.  Les  talus  qui 
limitent  le  djorf  ont  de2àô  mètres  de  hauteur;  à  ce  niveau, 
la  hammada  reparait  aussitôt,  mais  partiellement  ensablée, 

Ver*  l'est,  à  quelques  kilomètres,  apparaît  lergTalesmoul, 


qui  domine  la  masse  imposante  de  la  Gara  Zmila,  vaste 
massif  rocheux  rectangulaire  recouvert  de  sable.  C'est  au 
pied  'de  la  Gara  Zmila  que  les  travaux  de  creusement  du 
puits  Talesmout  ont  été  entrepris. 


302  DANS    LE    SDD    ALGÉRIEN. 

La  région  qui  s'étend  entre  la  gara  Zmila  et  l'oued  Fahl 
est  désignée  sous  le  nom  d'El  Haout;  sur  le  terrain  de  reg 
qu'on  y  rencontre  ne  pousse  guère  que  du  dhoumran.  A  la 
hauteur  de  l'oued  Fahl,  quelques  gour  couverts  d'un  revê- 
tement sablonneus  dominent  la  vallée.  Le  lit  de  l'oued 
n'existe  pas  à  proprement  parler,  car  il  est  en  mainls  en- 
droits comblé  par  de  petites  dunettes  de  1  mètre  à  1  m.  50 
de  hauteur  où  poussent  du  dhoumran,  du  larla,  du  henna 
et  de  l'alenda.  C'est  là  que  le  service  des  affaires  indigènes 
se  propose  de  tenter  le  creusement  d'un  puits. 

Pour  se  rendre  de  l'oued  Fahl  à  la  Gara  el  Arora,  la 


m 


marche  est  facile  sur  un  sol  de  reg  fin  ;  c'est  à  peine  si  quel- 
ques vallonnements  se  dessinent  à  l'horizon.  Les  dunes 
d'Areg  tahtani  que  l'on  rencontre  sont  d'un  passage  facile. 
Au  delà,  la  région  d'El  Ferhas  est  un  peu  plus  mouvemen- 
tée. La  Gara  el  Amra  qui  la  domine  et  se  dresse  à  proximité 
du  lit  de  l'oued  Kebrit  est  constituée  par  deux  massifs 
rocheux  ayant  l'un  la  forme  d'un  cube,  l'autre  celle  d'un 
parallelipipède  rectangle  partiellement  abrasé  sur  un  de  ses 
points. 

De  la  Gara  el  Amra  à  Hassi  el  Hadjar,  que  l'on  aperçoit 
seulement  en  y  arrivant  à  cause  des  gour  qui,  au  sud-ouest, 
cachent  le  puits,  le  terrain  est  uni  et  sensiblement  plat.  A 
quelques  kilomètres  avant  ces  gour,  le  sol  se  modifie  dans 


DANS   LE    SUD    ALGÉRIEN. 


303 


sa  nature  et  son  aspect;  au  lieu  île  présenter  la  coloration 
sombre  de  la  hammada  il  devient  blanc  crayeux,  et,  du 
reste,  la  qualité  de  l'eau  s'en  ressent;  celle-ci  a  franche- 
ment mauvais  goût. 


Après  Hassi  el  Hadjar,  on  traverse  l'Aoudh  Sebkha,  dont 
le  nom  indique  la  nature  ;  l'horizon  est  limité  à  l'ouest  par 
nne  ligne  de  petites  hauteurs,  les  gour  Zmali.  A  15  kilo- 
mètres d'Hassi  el  Hadjar,  une  surprise  attend  le  voyageur. 
Dans  l'un  des  gour  Bou  Cbareb,  un  ébonlement  s'est  opéré 
an  niveau  de  la  partie  lalérale  d'une  gara;  ii  en  est  résulté 
la  formation  d'une  sorte  d'abri  sous  lequel  quinze  hommes 
peuvent  trouver  de  l'ombre.  Ce  réduit  naturel  mérite  d'au- 
tant plus  d'être  signalé  qu'entre  Ouargla  et  El  Goléa,  c'est 
le  seul  qui  existe. 

D'Hassi  el  Hadjar  à  Konm  ez  Zorgh,  le  terrain  devient 
plus  accidenté.  Ce  dernier  point  est  dominé  par  des  gour 
qui  sont  les  analogues  de  Kbouiet  Ahmar  sur  la  route 
d'Ouargla-Gbardnïa.  A  partir  de  l'endroit  où  commence  la 
descente  dans  le  bas-fond  d'Ouargla,  on  peut  considérer  le 
Toyage  comme  terminé,  car  Koum  ez  Zorgh  est  relié  à  la 
Sultane  du  Désert  par  une  véritable  ronte  carrossable,  amorce 
delà  rature  voie  de  communication  régulière  entre  Ouargla 
et  El  Goléa. 


MISSION  BONNEL  DE  MEZIÈRES 


CAMILLEI      a-TT-Z- 

GI1VUE   GÉOGRAPHIQUE    DU   HIMSTÏKI   DU 


La  mission  Bonnel  de  Mézières  continue  sans  difficull 
graves  son  périlleux  voyage  h  travers  l'Afrique  central 
On  sait  que  le  courageux  explorateur,  aeci 
MM.  Colrat  et  Charles  Pierre,  qui  ne  marchandent,  eux  non 
plus,  ni  leur  dévouement  ni  leur  activité,  a  remonté  depuis 
quelques  mois  le  cours  de  l'Oubangui,  suivi  le  cours  du 
M'Bomou  et  refait  dans  un  intérêt  commercial  une  partie 
de  l'itinéraire  précédemment  établi  par  le  commandant 
Marchand.  Son  but  est  de  pousser  vers  l'ouest  aussi  près 
que  possible  du  Bahr-el-Ghazal,  puis  de  se  rabattre  par  le 
nord-ouest  pour  gagner  le  lac  Tchad  par  une  route  qui 
croisera  celle  de  M.  de  Béhagle. 

Des  lettres  très  intéressantes  de  M.Charles  Pierre,  qui, 
dans  une  sorte  de  journal  très  pittoresque  et  très  vivant,  ra- 
conte avec  humour  les  péripéties  de  ce  voyage  accidenté, 
nous  extrayons  les  passages  suivants  qui  intéressent  à  la 
fois  la  géographie  et  l'ethnographie. 

Détaché  du  gros  de  la  mission,  M.  Charles  Pierre  s'est 
avancé  vers  Tamboura  par  M'Boudoungou,  c  village  im- 
portant, le  dernier  du  sultanat  de  Bangassou  s,  Bafaï,  Ali 
€  sur  les  bords  de  l'Ouari,  affluent  du  M'Bomou  »,  Bazimbé, 
«  dépendant  de  Zémio,  sur  les  bords  d'une  jolie  rivière  »,  et 
Assouvie  i  village  perdu  dans  les  hautes  herbes  ». 

En  partant  de  M'  Boudoungou  *  les  chemins  sont  mau- 


aie. 


HISSIOII    BONNEl.   DE    MEZIÈRES.  30.) 

vais,  et  de  10  heures  à  3  heures  1/2  la  marche  est  particu- 
lièrement pénible  dans  ces  herbes  à  moitié  brûlées  par  un 
soleil  de  feu.  i 

Le  9  décembre,  notre  voyageur  arrive  à  une  grande  ri- 
vière. «  C'est  le  Moi  qu'il  faut  traverser  en  pirogue,  puis 
nous  entrons  sur  une  bande  de  terre  d'une  cinquantaine  de 
kilomètres  de  large  que  les  deux  sultans  de  Bangassou  et 
de  Rafaï  s'entendent  pour  laisser  déserte.  L'État  tampon  !  On 
sort  à  ce  moment  du  pays  N'Sakkara  pour  entrer  en  pays 
■    Zaodé,  puis  il  faut  encore  traverser  la  rivière  Chanko.  » 

Quelques  jours  après,  l'arrivée  à  Rafaï,  «  Rafat  est  un  an- 
cien esclave  de  Zobeïr  pacha.  A  la  mort  de  Zobeïr,  il  est 
venu  ici  et  a  réussi  à  se  créer  un  sultanat  très  important. 
Il  parle  vaguement  l'arabe.  Son  fils  Hetman',  ou  mieux 
Toumane,  est  un  jeune  homme  d'une  vingtaine  d'années, 
assez  policé,  parlant  français,  mais  mendiant  comme  pas  un 
et  faux  par-dessus  le  marché;  son  second  fils  Ali  boit  déjà 
trop  il 'arrégui.  » 

Il  existe  deux  routes  pour  aller  à  Tamboura,  la  première 
praticable  en  saison  sèche,  l'autre  pour  la  saison  des  pluies. 
<  Après  Rafaï,  dans  la  direction  de  Tamboura,  le  pays  de- 
vient montueux,  tandis  que  ce  n'était  auparavant  qu'un 
grand  plateau  entaillé  par  de  nombreux  marigots.  Ceux 
que  nous  rencontrons  maintenant  sont  faciles  à  traverser  et 
propres.  Ils  n'ont  pas,  comme  ceux  des  environs  de  Rafaï, 
ces  approches  de  boue  cl  de  vase.  Les  ruisseaux  sont  ici 
petits  et  charmants.  « 

Sur  le  plateau  se  dressent  de  nombreuses  termitières. 
t  Dans  ce  pays,  les  termitières  sont  énormes.  Ce  sont  de 
véritables  monticules  de  i  à  5  mètres  de  haut,  et  sur  cha- 
cune d'elles  il   y  a  un  petit  bouquet  d'arbres. 


t.  D'uù 


ient  ce  nom  d'Helmao?  Il  esl  probable  que  l'explorateur 
ir,  dont  il  a  ét<S  le  compilation  dans  sou  enfante,  a  travesti 
'ai  nom  de  Toumane. 


MM  MISS10S    BOIHNEL   DE    MÉZIÈRËÎ. 

Enfin  M.  Pierre  arrive  à  Zémio.  «  La  Zériba  du  sultan  de 
Zémio  est  sur  une  colline  de  100  à  120  mètres  de  hauteur. 
La  pente  qui  y  conduit  est  lellement  raide  qu'on  a  dû  y 
tailler  des  marches.  Elle  est  située  sur  la  rive  belge.  Zémio 
est  un  homme  de  taille  un  peu  au-dessus  de  la  moyenne, 
très  poli,  s'habillant  avec  des  vêlements  arabes,  portant 
des  chaussettes  et  des  babouches  et  se  parfumant  légère- 
ment avec  de  l'encens  et  différentes  plantes  du  pays.  C'est 
an  contraste  marqué  avec  Bangassou  et  Rafaï,  qui  tous  deux 
sont  plutôt  crasseux.  » 

Enfin,  pour  lerminer,  calons  d'après  M.  Pierre  les  points 
suivants  qu'il  tient  du  D'  Cureau  et  qui  sont  extrêmement 
précieux  pour  la  construction  d'une  carte  de  ces  régions 


Longitude  Est.  I.alilmtr  Nord 

Zémin Ï2-  .18'  30"  -V  01'  56" 

Tarabouni 55  03  30  S  35  « 

l>em  liber M  18  15  7  42  55 


Les  lettres  de  M.  Pierre  contiennent  aussi  quelques  ta- 
bleaux de  genre  que  ne  désavoueraitpas  un  écrivain  de  pro- 
fession. Que  dites-vous  de  celui-ci?  «  Le  13  février,  défilé 
des  guerriers  Bazingné.  Les  chefs  sont  les  plus  étonnanls. 
Ils  portent  tous  des  costumes  qui  sortent  des  magasins 
d'accessoire  de  théâtre  et  tiennent  à  la  main  des  épienx  et 
des  sabres  de  tous  ies  modèles  possibles.  Ils  les  portent, 
d'ailleurs,  comme  des  cierges  et  se  croient  obligés,  en  défi- 
lant, de  l'aire  ie  salut  du  sabre  au  blanc  qui  les  regarde.  La 
troupe  tourne  en  cercle  derrière  eux  autour  de  la  place 
comme  un  monôme  sans  queue  ni  tête.  » 

Chemin  faisant,  M.  Pierre  ne  se  désintéresse  pas  des  dé- 
tails culinaires.  Il  note  avec  un  empressement  que  justifient 
assez  ses  menus  ordinaires  les  recettes  précieuses  que  lui 
apprennent  les  indigènes.  11  apprend  à  fabriquer  du  nougat 
avec  du  miel  et  des  arachides,  à  apprêter  les  pintades  grises 
et  à  récolter  le  miel  :  «  La  saison  du  miel  a  commencé.  Le 


MISSION    BONNEL   DE   MÉZIÈRKS.  307 

pays  en  produit  en  abondance  et  il  est  excellent.  On  ne 
pourrait  lui  reprocher  qu'une  chose,  c'est  d'être  trop  par- 
fumé, ce  qui  n'est  pas  étonnant,  étant  donné  que  les  fleurs 
de  tous  les  arbres  de  ce  pays  ont  un  parfum  tellement  vio- 
lent qu'il  en  est  écœurant.  Les  indigènes  ne  connaissent 
pas  l'apiculture  et  se  contentent  d'aller  chercher  dans  la 
brousse  les  ruches  que  les  abeilles  ont  construites  dans  les 
trous  des  vieux  arbres.  Quand  l'arbre  est  grand,  ils  font  du 
feu  à  son  pied  et  attendent  que  l'arbre  tombe.  Le  miel  est 
excellent  pour  couper  l'eau,  qui  n'est  pas  toujours  très 
bonne,  quoique,  en  général,  on  trouve  des  sources  aux 
abords  de  tous  les  villages.  » 

Nous  sommes  heureux  d'avoir  pu  publier  quelques  pas- 
sages de  ces  lettres  d'un  tour  si  français  et  qui  prouvent 
avec  quel  courage  et  quel  entrain  nos  compatriotes  savent 
braver  les  dangers  physiques  et  les  souffrances  morales. 
M.  Charles  Pierre,  comme  M.  Bonnel  de  Mézières,  est  un 
homme  brave  et  qui  mérite  de  réussir.  Tous  nos  vœux  les 
accompagnent. 


VOYAGES  DE  DMITRI  KLEMENTZ 


EN    MONGOLIE   OCCIDENTALE 


I.  —  La  première  fois  que  je  voyageai  en  Mongolie, 
c'était  en  1885.  J'habitais  à  Minousinsk,  lorsqu'un  com- 
merçant russe  m'offrit  de  l'accompagner  dans  le  pays  des 
Ouri;inkh,  bassin  de  la  rivière  Kemtchik,  sur  le  versant  occi- 
dental du  Ienisei.  Au  commencement  du  mois  de  mai  nous 
nous  mimes  en  route,  accompagnés  de  deux  ouvriers. 
L'hiver  avait  été  long  celte  année-là,  et,  malgré  l'époque 
avancée,  les  monts  Saïan  étaient  couverts  d'une  neige  pro- 
fonde; nous  mîmes  trois  jours  pour  traverser  le  col  de 
Chabin-Daban,  à  la  source  de  la  rivière  de  Tchakhan.  Le 
passage  une  fois  traversé,  le  tableau  changea  subitement; 
partout  des  prairies  verdoyantes,  des  Pulsatilla  altaica, 
des  Erithromum  detis  cttnis,  des  Adonis  appeaina  en 
fleurs.  11  fallait  ensuite  descendre  dans  la  vallée  de  la 
rivière  Khanlighir,  puis,  longeant  le  cours  de  sou  affluent,  la 
Tosla,  monter  sur  la  seconde  chaîne  des  monts  Saïan,  nom- 
mée les  monts  des  Sotots.  La  croie  de  cette  chaîne  était  éga- 
lement couverte  déneige;  mais  deux  jours  de  beau  temps 
suffirent  à  faire  fondre  l'épaisse  couche  neigeuse,  ce  qui  nous 
permit  de  descendre  sans  trop  de  difficultés  dans  la  vallée 
du  tributaire  du  Kemtchîk,  ['Ich-Jtem.  Toutes  les  cartes 
russes  qui  existent  jusqu'à'  présent  donnent  un  tracé  tout  à 
fait  fantaisiste  des  affluents  du  Kemtchik  dans  cette  région. 
Au  lieu  de  deux  leh-kem,  tous  les  deux  affluents  de 
gauche  du  cours  inférieur  du  Kemtchik,  et  la  rivière  Ak- 

I.  Voir  la  carie  jointe  à  ce  numéro. 


VOYAGES    DB    HMITHI    KLEMEriTZ    EN    MONGOLIE.  309 

kein,  en  amont  des  précédents,  on  trouve  sur  la  carie 
un  Ary-kem  et  un  Ak-kem,  qui  n'ont  jamais  existé.  De 
même,  la  carte  indique  un  grand  lac  Siout-koul  qui  n'existe 
pas  en  réalité.  Il  y  a  bien  un  lac  de  ce  nom,  mais  il  est  petit 
et  se  trouve  à  droite  de  l'Ich-kero. 

Dans  la  vallée  du  haut  lch-kem,  nous  avons  trouvé  des 
villages  de  Soiots.  Nous  descendîmes  ensuite  dans  la  vallée 
du  Manjourek,  afflueut  de  l'Ak-kem,  et  nous  suivîmes  son 
cours  jusqu'à  l'embouchure.  Après  avoir  traversé  l'Ak-kem 
à  gué,  nous  descendîmes  dans  la  vallée  de  la  rivière  Kemt- 
chik,  puis,  passant  la  rivière  sur  un  radeau  avec  l'aide  des 
Soïots,  nous  regagnâmes  la  factorerie  du  marchand  Salianoll', 
à  6  versles  en  amont  de  l'affluent  du  Kemichik,  YAlach. 

Pendant  quinze  jours  je  fis  des  excursions  vers  le  cours 
supérieur  du  Kemtchik  jusqu'à  son  confluent  avec  la 
rivière  Tchou,  qui  prend  sa  source  au  coi  de  Tchaptchal, 
dans  la  chaîne  du  Tannou-oia. 

Le  retour  s'opéra  par  un  nouveau  chemin.  Traversant  la 
rivière  Alach,  nous  montâmes  jusqu'aux  sources  de  la 
rivière  Ak-kem  et  nous  atteignîmes  le  cours  supérieur  de  la 
rivière  Any,  affluent  important  de  VAbakan  (du  coté  droit). 
Cependant,  comme  on  ne  pourrait  descendre  le  courant  de 
VAny  qu'en  hiver,  nous  fûmes  obligés  de  tourner  à  l'est, 
Longeant  la  chaîne  des  Satan,  nous  arrivâmes  aux  sources 
de  la  rivière  Karasioubé,  affluent  gaucho  du  Djebach.  Nos 
deux  guides,  des  Soïots,  essayèrent  de  nous  piller;  mais, 
comme  nous  savions  nous  défendre,  ils  se  sauvèrent,  nous 
abandonnant  à  nous-mêmes  e[  croyant  que  nous  allions  nous 
perdre  dans  les  montagnes;  heureusement,  nous  parvînmes 
à  trouver  notre  chemin  jusqu'à  L'Abakan  d'abord,  et  ensuite 
jusqu'à  notre  destination,  Minousinsk. 


II.  — En  1887,  je  pris  un  autre  chemin  pour  aller  dans 
le  pays  des  Ouriankh.  Je  traversai  les  monts  Saïan  à 
l'est  du  Ienisei,  je  descendis  dans   la  vallée  de  la  rivière 


310  VOYAGES   DE    DMITUI    KLEMENTZ 

OulouLf  m ,  aa  coadaent  des  deux  rivières  qui  la  forment,  le 
Bei-kem  et  le  Kha-kem,  et  je  descendis  le  courant  en 
bateau  jusqu'à  l'embouchure  de  la  rivière  TclmtchkouL  De 
là,  regagnant  ieKemtehik,  j'explorai  la  rivière  Alaclt,  jus- 
qu'à ses  sources  (tac  de  Kara-kol).  Ensuite,  du  lac  de 
Tvhoullchin  et  des  sources  du  Petit  Abakan,  je  descendis 
jusqu'au  Grand  Abakan,  accompagné  d'un  Ouriankh, 
sans  autre  guide  que  la  boussole  et  la  direction  des  chaînes 
des  montagnes.  Ici,  nous  fûmes  obligés  de  quitter  nos 
chevaux  et  de  nous  charger  des  bagages.  Nous  descendîmes 
l'Abakan  sur  un  radeau  composé  de  7  poutres,  malgré  le 
danger  que  présentent  ses  ccueilsetses  rapides. 

Nous  étions  les  premiers  explorateurs  de  la  contrée  qui 
s'étend  entre  les  monts  Saïan  et  i'Abakan.  En  1843,  Pierre 
de  Tchikhatcheff  avait  fait  une  première  tentative,  mais  il 
avait  dû  y  renoncer.  Dix  ans  se  sont  écoulés  depuis  notre 
voyage  sans  que  personne  ait  pénétré  dans  cette  région. 

1H.  —  En  1891,  j*ai  visité  encore  le  pays  des  Ouriankh; 
mais  ce  dernier  voyage  n'a  pas  ajouté  beaucoup  à  ce  que 
j'avais  appris  dans  mes  premières  excursions.  Voici  les 
résultats  de  mes  recherches  ; 

MONTS  SAÏAN 

La  chaîne  des  monts  Saïan  présente  deux  grands  plis- 
sements. La  partie  nord  est  composée  do  schistes  talqueux 
avec  des  filons  de  quartz,  recouverts  de  schistes  chlo- 
riteux  et  de  schistes  argileux,  ensuite  vient  une  couche 
de  calcaires.  Dans  la  partie  sud,  on  remarque  un  conglo- 
mérat argileux  et  des  schistes  contenant  des  fossiles  (trou- 
vés sur  les  rives  de  l'Alach).  Ces  pétrifications,  qui  n'ont 
pas  encore  été  étudiées,  démontrent  l'existence  d'anciennes 
formations  paléozoïques,  probablement  du  système  cara- 
brien. 


E>    MONGOLIE    OCCIDENTALE.  311 

Ce*  formations  renferment  de  puissants  filons  de  granité 
se  transformant  quelquefois  en  schlier.  Dans  les  vallées  du 
Kemtchik  et  de  l'Ouloukem,  on  trouve  des  formations  érup* 
tives  de  la  nature  des  mélaphyres-  Les  vallées  du  Kemlchik 
et  de  rOuloukem  sont  limitées  au  nord  par  les  monts 
Saïanet  au  sud  parla  chaîne-de  Tannou-ola.  Dans  les  Tan- 
nou-ola  on  rencontre  des  schistes  amphibolîques  archéens 
et  des  micaschistes  ;  à  la  rivière  de  Torkhalik,  Us  sont 
recouverts  d'argiles  rouges  contenant  du  gypse  et  du  sel 
le.  On  trouve  la  même  série  de  roches  rouges  dans 
les  profondeurs  du  Tannou-ola  (cette  fois  sous  forme  de 
grès  calcaires),  où  elles  donnent  aux  montagnes  une  appa- 
rence feuilletée. 

l.a  vallée  de  l'Ouloukem  et  du  Kemtchik,  à  l'endroit  de 
mes  recherches,  s'étend  à  plus  de  20  à  100  verstes.  Dans  cer- 
taine; parties  elle  présente  de  puissantes  formations  de  grès 
Licrt-ux.de  conglomérais  et  d'argiles  renfermant  des  couches 
île  houille  (sur  les  rives  de  l'Eleghatetde  l'Irbek,  tributaires 
de  l'Ouloukem).  Des  empreintes  de  la  plante  Czekanoic- 
skaya  rigida  permettent  de  leur  attribuer  un  âge  jurassi- 
que. Point  de  formations  tertiaires  ;  d'anciens  fonds  de  lacs 
el  les  lits  des  rivières  présentent  des  traces  de  dépôts  allu- 
vîsut.  Les  affluents  de  l'Ouloukem  et  du  Kemtchik  présen- 
tent la  disposition  suivante  ;  le  cours  d'eau  s'encaisse  dans 
des  alluvions  anciennes  formant  deux  terrasses,  la  couche 
supérieure,  plus  ancienne,  composée  d'argiles,  de  sables  et 
de  cailloux,  et  la  couche  inférieure,  sur  laquelle  s'est  établi 
le  lit  actuel  de  la  rivière  offrant  une  série  de  nouveaux  pro- 
duits d'alluvion.  Les  deux  terrasses  renferment  beaucoup 
d'or,  associé  quelquefois  au  platine.  La  vallée  inférieure  est 
de  formation  très  récente.  Pendant  les  travaux  dans  les 
-  d'or,  on  y  a  découvert^  une  profondeur  de  2  mètres, 
des  armes  de  bronze,  pareilles  à  celles  que  nous  trouvons 
dans  les  anciens  tertres  de  Sibérie. 
La  végétation  de  ce  pays  présente  une  transition  entre 


312 


VOYAGES    DE   ilHITBI    KLEMENTZ 


celle  des  forêts  de  la  Sibérie  et  celte  de  la  Mongolie.  Les 
forèls  sont  composées  principalement  de  mélèzes,  rarement 
de  sapins  ou  de  cèdres;  en  revanche  on  trouve  toute  une 
série  de  nouvelles  espèces  du  genre  Caragana,  particulier 
à  la  Mongolie. 

La  population  du  pays  est  la  tribu  des  Soïots.  Je  ne  l'es 
appelle  pas  Ouriankh,  parce  que  ce  nom,  emprunté  au 
chinois,  s'applique  à  plusieurs  tribus  différentes.  Les  Soïots 
eux-mêmes  s'appellent  les  Touba;  aux  environs  du  lac 
Terinor,  ils  se  donnent  le  nom  d'Oiïigour. 

Les  Touba  étaient  premièrement  une  tribu  de  la  race 
des  Samoyèdes,  habitant  la  Sibérie  du  sud,  et  qui  a  donné 
son  nom  à  l'affluent  droit  du  Ieniseï,  la  Touba.  Les  des- 
cendants de  ces  Touba  habitent  le  cercle  de  Minousinsk 
et  parlent  la  langue  turque.  Le  nom  de  Touba  est  mentionne 
pour  la  première  fois  dans  les  documents  chinois  à  l'époque 
de  la  dynastie  des  Tan.  Ces  documents  parlent  d'une  cer- 
taine tribu  Doubo,  vivant  dans  les  montagnes  et  s'adonnant 
à  la  chasse  et  au  pillage.  Les  Kirghises  en  font  souvent 
leurs  esclaves.  L'historien  persan  Kachid-eddin  mentionne 
les  tribus  qui  habitaient  les  forêts  de  Mongolie  à  l'époque 
de  Gengiskhan,  entre  autres  il  cite  des  noms  qui  res- 
semblent a  ceux  des  tribus  des  Soïots  de  nos  jours  comme 
les  O'inar,  les  Ondar.  Kastren,  en  parlant  des  données 
fournies  par  la  linguistique,  a  reconnu  les  Soïots  comme 
une  Iribu  de  Samoyèdes  ayant  subi  l'influence  des  Turcs. 
Ensuite  Topinard,  se  basant  sur  les  recherches  pré- 
cédentes, a  reconnu  les  Soïots  comme  étant  une  tribu 
samoyède.  Mais,  en  fait,  Kastren  a  vu  très  peu  de  Soïots, 
et  notamment  ceux  qui  habitent  la  vallée  de  l'affluent  du 
ISeikem,  le  Hamsara.lA,  les  Soïots  ont  les  caractères  d'une 
ancienne  race  :  petite  taille,  poitrine  rentrée,  pieds  plats, 
cheveux  châtain  clair;  leurs  mœurs  sont  celles  d'une  véri- 
table tribu  de  chasseurs  ;  leurs  habitations  ont  la  forme  de 
huttes  coniques  recouvertes  de  peaux  d'animaux.  En  des- 


EN    MONGOLIE    OCCIDENTALE.  313 

rendant  dans  la  vallée  du  Kemlcliik,  nous  en  rencontrons 
d'un  type  tout  différent  :  bruns,  de  grande  taille,  pommettes 
très  saillantes,  le  crâne  rond  et  court  et  le  visage  long.  Ils 
s'occupent  d'élevage,  quelquefois  d'agriculture,  tout  à  fait 
primitive.  Je  crois  que  les  ethnologues  devraient  distinguer 
les  Soïols  des  montagnes,  chasseurs,  des  habitants  des  val- 
lées, pasteurs.  Les  animaux  domestiques  sont  également 
différents.  Ici  nous  rencontrons  îles  chèvres,  des  chameaux 
domestiques,  des  yacks  du  Tibet.  Les  chevaux  des  montagnes 
sont  de  petite  taille,  à  pelage  clair,  aux  mollets  très  dévelop- 
pés; le  cou  est  court  et  la  tête  sèche.  Dans  les  vallées,  la 
race  venant  des  steppes  de  Mongolie  est  tout  autre  :  cou 
fort  et  charnu,  grande  taille,  tète  grande,  os  saillants. 

Les  Soïols  ont  un  caractère  gai,  nerveux,  énergique, 
moqueur  et  fourbe.  Ils  diffèrent  profondément  de  leurs  voi- 
sins, indigènes  de  Mînousinsk.  Ces  derniers  sont  des  rêveurs 
flegmatiques,  sans  aucun  penchant  à  la  raillerie,  bons  pères 
de  famille,  attachant  une  grande  importance  à  la  chasteté 
des  femmes  et  ne  se  permettant  jamais  un  mot  inconvenant 
en  leur  présence.  Le  Soïot,  au  contraire,  est  de  mœurs 
légères.  Les  indigènes  de  Mînousinsk  chantent  leurs  anciens 
héros;  ils  ont  aussi  des  chansons  à  seus  équivoque,  mais 
celles-là,  ils  ne  les  chantent  que  devant  les  hommes  et 
encore  ne  sont-elles  risquées  qu'en  tant  qu'elles  appellent 
les  choses  par  leur  nom.  Un  jour,  mon  compagnon  de 
voyage  ayant  pris  un  bain  dans  une  rivière,  alla  demander 
hospitalité  chez  des  Soïots  pour  changer  de  linge.  Malgré 
U  présence  de  la  femme,  le  mari  le  pria  de  ne  pas  se  gêner. 
A  peine  avait-il  commencé  à  se  déshabiller  que  la  femme 
sortit,  mais...  ce  n'était  que  pour  appeler  ses  voisines  à 
venir  voir  le  corps  blanc  d'un  Russe, 

Je  ne  parlerai  pas  du  mode  de  gouvernement  des  Soïots, 
de  leurs  rapports  avec  la  Chine,  et  du  commerce  avec  la 
Kussie.  Je  dirai  seulement  que  ce  pays  possédait  autrefois 

Ë population  cultivée.  De  grands  tumuli,  des    pierres 
ne,  de  cëocr.  —  3- 


s  1899. 


ix.  -  24 


314  VOYAGES   DE    DMITR1    KLEMENTZ 

portant  des  inscriptions  avec  des  caractères  runiques,  les 
ruines  dans  l'île  de  Teri-nor,  aux  sources  de  la  rivière 
du  Djedan  et  à  l'embouchure  de  la  rivière  Aksouk,  sont 
témoins  d'une  ancienne  civilisation. 


IV.  —  En  1891,  on  m'offrit  de  prendre  part  à  une 
expédition  dans  la  vallée  de  l'Orkhon,  organisée  par  l'Aca- 
démie des  sciences  de  Saint-Pétersbourg.  L'expédition 
partit  en  chaise  de  poste,  de  Kiakhta  à  Ourga,  puis  se  rendît 
à  l'ouest  sur  les  côtes  du  lac  Oughei-nor,  et  enfin  aux 
ruines  de  Karakoroum  entre  les  rivières  Orklion  et  Djer- 
manlai.  Le  but  principal  de  l'expédition  était  de  procéder  à 
des  recherches  archéologiques  sur  l'Orkhon.  Arrivés  au  lieu 
de  destination,  nous  fîmes  des  copies  d'inscriptions  décou- 
vertes par  Yadrintseff,  des  photographies  et  un  plan  de 
ruines.  Les  résultats  ont  déjà  été  publiés  en  grande  partie, 
aussi  je  n'en  parle  pas  davantage.  A  la  lin  du  mois  de 
juillet,  je  proposai  au  chef  de  l'expédition,  l'académicien 
Radlow,  de  faire  une  excursion  indépendante  en  dehors 
de  l'itinéraire,  au  nord-ouest  des  bords  de  l'Orkhon,  vers 
les  sources  du  Ienisei.  Nous  achetâmes  cinq  chevaux  pour 
la  monture  et  le  transport  de  nos  bagages  et  nous  quittâmes 
l'Orkhon  nous  dirigeant  à  l'ouest.  Après  avoir  traversé  un 
chaînon  des  monts  Khangaï,  entre  l'Orkhon  et  POrtou- 
Tamir,  formée  principalement  de  granité,  nous  dûmes 
passer  à  gué  la  rivière  d'Ortou-Tamir.  Une  chaîne  de  mon- 
tagnes, composée  encore  de  granité  et  de  schistes  argileux 
rouges,  nous  amena  au  Khoïtou-Tamir,  puis,  au  bout  de 
huit  jours  de  voyage  dans  la  direction  du  nord-nord-ouest, 
nous  arrivâmes  sur  les  bords  de  la  Selenga.  C'est  un  pays  de 
montagnes  composées  principalement  de  schistes  argileux 
et  de  granité  à  biotite.  Les  schistes  ont  une  texture  feuilletée 
dans  la  direction  du  nord-nord-ouest.  On  rencontre  souvent 
des  mélaphyres  et  des  basaltes  sur  les  bords  de  PAtcbin, 
affluent  de  la  Selenga.  Ces  deux  formations  sont  disposées 


EH    MONGOLIE   OCCIDENTALE.  345 

en  traînées  dont  la  direction  générale  est  du  sud-ouest  au 
nord-est.  Par  leur  étendue,  ces  traînées  témoignent  d'un 
grand  développement  de  forces  volcaniques  en  Mongolie  du- 
rant les  époques  géologiques  récentes.  Je  noterai  une  erreur 
que  j'ai  toujours  remarquée,  même  sur  les  cartes  russes  les 
plus  récentes  qui  représentent  la  Selenga  comme  formée 
de  deux  branches,  tandis  qu'en  réalité  elle  est  formée  par 
la  réunion  de  trois  cours  d'eau  :  VEder,  le  Boukioui  et  le 
Ùelghir-mouren.  Les  lacs  Sanghin-dataï  et  Toune-moul, 
que  nous  visitâmes  en  quittant  la  Selenga,  ont  sûrement  élé 
autrefois  des  lacs  d'eau  douce,  mais  maintenant,  par  suite 
du  dessèchement  de  leurs  tributaires,  l'eau  est  devenue  sau- 
matre.  De  là,  suivant  le  courant  de  la  rivière  Tes  et  en 
traversant  le  Tannou-ola,  nous  regagnâmes  l'Oulou-kem  et 
descendîmes  le  Ienisei  sur  un  radeau  jusqu'à  la  ville  de 
Hinousinsk.  Sur  notre  chemin,  nous  rencontrâmes  beau- 
coup de  tombeaux,  restes  de  l'ancienne  civilisation  turque, 
et  sur  les  bords  d'un  affluent  de  la  Selenga,  le  h'Ittntyngol, 
les  ruines  d'une  ville  où  on  pouvait  voir  les  restes  d'une 
ancienne  citadelle.  On  peut  supposer  que  cette  ville  n'était 
autre  que  la  Ville  des  trésors  (des  pierres  précieuses),  men- 
tionnée par  Abel  lii'musat.  Le  caractère  des  tombeaux, 
leur  ressemblance  avec  ceux  de  la  Sibérie  méridionale,  indi- 
quent de  la  façon  la  plus  frappante  une  seule  et  même  civi- 
lisation. Nous  savons  maintenant  que  c'était  la  civilisation 
turque  ;  reste  à  savoir  seulement  si  les  Turcs  l'ont  héritée  de 
races  plus  anciennes  encore  ou  s'ils  lui  ont  donné  eux- 
mêmes  tout  son  développement 


V.  —  En  1805,  je  Ils  encore  une  petite  excursion.  J'étais 
parti  d'Irkoutsk  dans  la  direction  du  sud-ouest.  Mon  itiné- 
raire passait  à  travers  les  Alpes  de  Tounka  au  lac  de  Koso- 
gol,  de  là  au  couvent  des  Darkhat  et  finissait  au  lac  de 
Teri-nor.  Le  but  de  mon  voyage  était  de  visiter  les  ruines 
qui  existent  dans  une  île  du  lac   de  Teri-nor.  Ces  ruines 


316  VOYAGES  PU  DMITRI  KLEMEKTZ 

préseDlent  une  analogie  complète  comme  caractère  et 
plan  de  construction  avec  le  célèbre  Karakuroum  (Kara- 
bangasoun,  sur  FOrkhon').  Le  pays  est  extrêmement  aride, 
ce  qui  tient  à  son  élévation  <1, 300  mètres).  Le  sol  est  composé 
partout  de  terrains  cristallins.  Le  lac  Kosogol  doit  proba- 
blement sa  formation  à  un  plissement  du  sol,  marqué  par  de 
puissantes  éruptions  de  basaltes  sur  les  rives  est  et  nord-est 
de  ce  lac.  Les  indigènes  de  cepayssontlcsDin'A/iaietles  0u~ 
riankit.  Ces  derniers  eux-mêmes  se  donnent  le  nom  d'Oui- 
gour.  Les  Darkbat  appartiennent  à  la  même  race  que  les 
Ouriankh  [  seulement  ils  parlent  la  langue  des  Mongols  et 
ne  payent  pas  d'impôls,  étant  attachés  au  couvent  du  Bogdo- 
gheghen  d'Ourga,  auquel  on  attribue  une  origine  divine.  Ils 
doivent  leur  position  privilégiée  à  une  félonie.  Depuis  le 
règne  de  la  dynastie  mandjoue,  les  princes  mongols  des- 
cendants de  Gengiskhan  n'ont  pas  toujours  été  soumis  à 
leurs  vainqueurs.  Ils  organisèrent  des  conspirations  dans  le 
but  de  secouer  le  joug  des  étrangers.  Enfin,  à  l'une  des 
conspirations,  lés  princes  mongols,  après  avoir  prêté  ser- 
ment et  bu  du  sang  sacramentel  d'un  bouc  noir,  décidèrent 
de  se  soulever.  Mais  la  plupart  des  princes  conjurés  nour- 
rissaient le  secret  projet  de  trahir  les  autres.  L'un  des  con- 
spirateurs (nommé  Cbatyrnavan)  fut  assez  naïf  pour  croire 
a  la  sincérité  des  autres  ;  il  réunit  ses  troupes  et  se  mit  en 
campagne  ;  battu  par  les  Mandjous  et  par  ses  alliés  perfides, 
abandonné  par  les  siens,  il  se  décida  à  fuir  en  Russie,  mais 
il  fut  saisi  par  les  Ouriankh  et  livré  aux  Mandjous.  Le 
malheureux  prince  fui  exécuté  à  Péking  et  les  Ouriankh 
furent  nommés  Darkbat  (privilégiés)  et  exemptés  de  l'impôt. 
Dans  ce  pays,  l'agriculture  n'existe  point.  Les  yacks  sont 
les  seuls  animaux  domestiques. 


!»i>i'-<liti«n  ik   l'Orkliini,  Aatii/uitét 


t  le  Mongolie 


SU    MONGOLIE    OCCIDENTALE.  317 

VI.  —  En  1803,  je  fis  une  excursion  sur  la  rive  droite  de 
TOrkhon,  en  partant  de  Kiakhta.  Vers  le  sud,  le  pays  devient 
plus  élevé.  Nous  rencontrons  sur  noire  passage  de  Kiakhta 
à  Ourga  des  chaînes  de  montagnes  que  nous  traversons.  Le 
terrain  est  sec  et  rocailleux.  Des  steppes  s'étendent  dans 
l'espace  compris  entre  les  affluents  de  l'Orkhon.  Des  salines. 
commencent  à  partir  de  l'embouchure  du  Kharagol.Au  sud 
e  cette  région,  enlre  l'Orkhon  et  le  lac  Oughei-nor,  nous 
mcontrons  de  grands  affleurements  de  basalte.  De  l'Or- 
:hon,  je  me  dirigeai  au  lac  Oughei-nor,  de  là  je  remontai  le 
iourant  de  la  rivière  Ortou-tamir  et  je  descendis  dans  le 
etil  Gobi,  au  pied  des  monts  Altaï,  puis  en  descendant  la 
ivière  Touingol  j'arrivai  au  lac  Orok-nor. 


MONTS  KHANGAÏ 

Plusieurs  fois  depuis  celte  époque,  j'ai  eu  occasion  de 
raverser  la  région  montagneuse  où  les  affluents  de  l'Orkhon 
it  de  la  Selenga  prennent  naissance,  ainsi  que  les  rivières 
ipparlenanl  aux  bassins  des  lacs  intérieurs  de  la  Mongolie 
méridionale.  Je  dirai  donc  quelques  mots  sur  ce  pays. 
Toute  la  contrée  enlre  l'Orkhon  et  le  Dzapkhyn  a  reçu  des 
phes  russes  le  nom  de  «  système  de  Khangaï  ».  Plu- 
ieurs  explorateurs  russes  l'ont  visitée  avant  moi  :  Potanine, 
Pîevtzofî,  Raderine,  Chichmareff  et,  en  plus,  l'Anglais  Elias. 
ï  une  époque  plus  reculée,  l'explorateur  le  plus  connu  fut 
un  contemporain  de  Gengis-khan,  le  moine  du  Daos  Tchan- 
tchoun,  qui  a  donné  quelques  renseignements  sur  le  Khan- 
$aï.  C'est  un  pays  montagneux  1res  élevé;  il  n'existe  pas  de 
:ol  au-dessous  de  7,000  pieds  de  hauteur,  et  il  y  en  a  quel- 
jues-uns,  comme  Bombotou,Tsagnn-daban,  qui  atteignent 
(0,000  pieds.  Le  sommet  le  plus  élevé  porte  le  nom  de 
nkhon-khaïrkkan  Tengri  et  se  trouve  à  près  de  80  kilo- 


318  VOYAGES    DE    DHITill    KLEMENTZ 

mètres  de  la  ville  d'Ouliasoutdi.  J'ai  fait  l'ascension  de 
cette  montagne  durant  l'été  de  1896.  Elle  est  complètement 
dépourvue  de  forêts;  elle  a  une  réputation  de  montagne 
sacrée;  ses  versants  sont  couverts  d'autels  bouddhiques 
(oboti).  La  montagne  a  une  forme  conique,  sa  base  est  de 
granité,  son  sommet  formé  de  rnélaphyre.  Sur  son  versant 
sud-est  se  trouve  un  petit  glacier,  qui  donne  naissance  à 
une  petite  rivière,  la  Bouiti-Kol  ou  Dsapkhyn. 

A  l'exception  de  VOtkkon  Tengri,  la  chaîne  de  Khangaï 
n'a  pas  de  hauteurs  considérables.  Les  montagnes  ne  s'élè- 
vent pas  à  plus  de  1,000  pieds  au-dessus  du  niveau  des 
cols;  la  plupart  de  ceux-là  présentent  des  surfaces  planes 
encadrées  de  hauteurs;  il  y  en  a  peu  offrant  l'aspect  de 
crêtes.  Les  rivières  coulent  dans  des  lits  étroits.  Au  point 
de  vue  géologique,  le  Khangaï  présente  une  série  de  plis 
s'écarlanl  vers  le  nord,  et  se  terminant  par  une  pente 
abruple  au  sud.  La  vallée  enlre  V Altaï  et  le  Khaiigaï  a  l'as- 
pect typique  d'un  graben  (fossé).  Le  Khangaï  est  principa- 
lement composé  de  schistes  cristallins  ou  semi-cristallins. 
Comme  formations  d'origine  paléozoïque,  on  pourrait  sup- 
poser l'existence  du  terrain  carbonifère  avec  affleurements 
de  couches  productives;  mais  ce  n'est  qu'une  simple  sup- 
position qui  n'a  pas  pu  être  confirmée,  attendu  que  jusqu'à 
présent  on  n'a  pas  pu  y  découvrir  de  traces  d'organismes. 
On  trouve  beaucoup  de  granit  à  petits  grains. 

Les  formations  éruptives  sont  très  développées  dans  le 
Khangaï.  La  plus  ancienne  est  celle  de  granit  (schlier). 
On  en  voit  des  masses  énormes  dans  ia  parlie  centrale  et 
méridionale  du  Khangaï.  La  seconde  place,  comme  époque 
de  formation,  appartient  aux  porphyres  (felsites),  remplis- 
sant les  fentes  dans  ce  que  nous  supposons  être  le  terrain 
carbonifère.  Les  porphyrites  et  les  roches  Irachytoïdes 
sont  peu  développées.  Je  n'ai  pas  eu  une  seule  occasion  de 
voir  un  trachyle,  tandis  qu'on  trouve  des  mélaphyres  et  des 
porphyres  en  grande  quantité.  Les  mélaphyres  s'étendent 


EN   MONGOLIE    OCCIDENTALE.  319 

r  un  espace  de  plus  de  10  kilomètres  dans  la  vallée  de 
myn-gol.  Les  basaltes  sont  très  fréquents, 
1  faut  mentionner  toute  une  région  volcanique  entre  les 
j  des  fleuves  Onghiin  et  Orkhon.  Nous  rencontrons 
ici  toute  une  série  de  lacs  encaissés  dans  des  parois  de  lave. 
Les  deux  rives  de  l'Onghiin  sontcouvertes  par  des  basaltes  ; 
les  rives  des  sources  de  Y  Orkhon  et  des  deux  rivières  dont 
:  forme,  le  Tamlchin  et  YOvlhtsoutaï,  présentent  des 
liées  de  lave  solidifiée  reposant  sur  des  schistes  méta- 
>rphiques;  enfinlelitdel'Orkhon,à  plus  de 50 kilomètres 
ï  aval  de  ses  sources,  est  creusé  dans  de  la  lave  basal- 
te. Les  cours  moyen  et  inférieur  des  rivières  Tatsa- 
.  et  Touin-gol  ont  leurs  rives  composées  d'argiles 
:poque  post-tertiaire,  recouvertes  partout  de  coulées  basal- 
.  La  rivière  Tchonloutei  traverse  des  gorges  formées 
de  basaltes  sur  une  étendue  de  plus  de  100  kilomètres. 

J'ai  trouvé  dans  le  bassin  de  la  rivière  Tchouloutéï  de 
vrais  volcans  stratifiés  éteints,  les  premiers  qui  aient  été 
découverts  en  Mongolie.  Ils  ont  la  forme  d'un  cône  tronqué, 
composé  de  nappes  alternantes  d  e  basaltes,  de  pierre  ponce 
et  de  scories.  Le  sommet  du  volcan  présente  une  dé- 
pression remplie  d'eau  et  formant  un  petit  lac.  Dn  autre 
volcan  est  coupé  par  le  courant  d'une  rivière,  de  sorte  que 
nous  avons  sous  les  yeux  une  coupe  de  montagne  faite  par 
la  nature  elle-même.  La  base  est  formée  de  basaltes  recou- 
verts par  toute  une  série  de  couches  successives  de  diffé- 
rents produits  d'éruptions  volcaniques.  J'ai  souvent  ren- 
contré dans  d'autres  contrées  du  Khangaï  les  produits 
d'éruptions  basaltiques,  mais  ces  formations  étaient  géné- 
ralement disposées  sur  des  crevasses,  et  je  n'ai  jamais 
vu  d'autres  volcans  stratifiés  que  ceux  que  je  viens  de 
décrire.  Je  n'ai  pas  trouvé  de  dépôts  tertiaires  dans  le 
Khangaï.  Dans  la  vallée  supérieure  de  la  rivière  Onghiin, 
j'ai  découvert  des  couches  de  conglomérats  sur  une  grande 
étendue  appartenant  aux  formations  mésozoïques. 


320 


VOYAGES    DE    DMiriU    KLEMENTZ 


D'après  sa  végétation,  le  Khangaï  peut  être  divisé  en 
deux  parties,  le  versant  nord  et  le  versant  sud.  Le  premier 
abonde  en  forêts  de  mélèzes;  on  y  rencontre  quelquefois 
des  cèdres,  des  pins  et  des  sapins.  Sur  le  versant  méri- 
dional, les  forets  sont  rares;  nous  y  rencontrons  des  plantes 
particulières  au  Gobi,  beaucoup  de  variétés  de  Caragana, 
qu'on  ne  trouve  pas  sur  le  versant  septentrional.  Trois  khans 
mongols,  descendants  de  Gengiskban,  gouvernent  le  pays. 
Touchetou-kkan,  dans  l'est,  Saïn-Noïn,  dans  le  sud-ouest 
et  la  partie  centrale,  et  Dsataktou-kkan,  dans  l'ouest. 

A  part  ces  trois  kh;ms,  il  y  a  encore  deux  demi-dieux, 
ou  incarnations  de  la  divinité,  selon  les  croyances  des  Mon- 
gols qui  ont  des  possessions  dans  le  Khangaï,  le  Zaïn- 
gkeghen  et  le  Laman-gkvgiken.  Les  terres  appartenant  à  ce 
dernier,  dont  j'ai  fait  la  connaissance,  s'étendent  loin  dans 
le  Gobi.  C'est  un  jeune  homme  âgé  d'environ  30  ans,  d'une 
obésité  touchant  à  la  difformité,  ce  qui  ne  l'empêche  pas 
d'avoir  un  caractère  très  vif  et  de  posséder  un  don  d'assi- 
milation remarquable.  Il  me  questionna  avec  beaucoup 
d'intérêt  sur  les  chemins  de  fer,  les  télégraphes  et  sur  dif- 
férents détails  de  la  vie  européenne.  On  rapporte  que  des 
lamas  de  sa  suite,  pour  se  débarrasser  de  cette  divinité  un 
peu  trop  énergique  et  indépendante,  lui  ont  mis  du  poison 
dans  un  plat.  La  divinité  mangea  le  plat  qui  lui  était  servi 
et  dit  à  son  entourage  :  «  Vous  avez  voulu  m'empoisonner, 
mais  mon  temps  n'est  pas  encore  venu,  tout  ce  que  vous 
avez  gagné  par  là,  c'est  que  votre  poison  va  me  faire  engrais- 
ser, de  sorte  que  je  ne  pourrai  plus  vous  surveiller  avec 
autant  de  vigilance  qu'auparavant.  » 


VII.  —  En  1894,  je  m'établis  définitivementen  Mongolie  ; 
je  passai  l'hiver  à  Ourga,  et  je  fis  des  excursions  en  été. 
Au  printemps  de  1804,  je  traversai  le  Khangaï  jusqu'à  Ou- 
liasoulal  et  je  descendis  le  versant  méridional  au  nord  du 
Gobi,  puis,  longeant  la  limite  de  ce  dernier  dans  la  dir 


EN    MONGOLIE    OCCIDENTALE.  321 

lion  de  l'est,  j'arrivai  à  l'embouchure  de  la  rivière  Argouin- 
gol.  Ce  pays  désert,  avec  une  population  rare,  forme  une 
transition  au  grand  désert  de  Gobi.  Les  montagnes  sont 
composées  de  calcaires  métamorphiques  et  de  schisles 
recouverts  à  certains  endroits  de  grès  et  de  pierres  cal- 
caires. En  l'absence  de  fouille,  l'âge  relatif  de  ces  terrains 
ne  peut  être  déterminé  que  par  leur  allure.  Les  grès  el  les 
pierres  calcaires  forment  des  escarpements.  Ces  terrains 
affleurent  rarement  à  la  surface  du  sol,  soit  qu'ils  aient  été 
masqués  par  des  alluvions,  soit  qu'ils  se  trouvent  recou- 
verts par  les  couches  récentes  des  formalions  sableuses  du 
Gobi '.  La  partie  inférieure  de  ces  dernières  se  compose 
d'argiles  ferrugineuses  jaunes  et  rouges,  la  partie  supé- 
rieure est  formée  de  grès  à  gros  grains  et  de  conglomérats 
d'abrasion.  Les  argiies,  de  même  que  les  grès  et  les 
Conglomérats,  forment  des  dépôts  sans  consistance.  Le 
pays  est  pauvrement  arrosé.  Les  cours  d'eau  sont  assez 
abondants  dans  les  gorges  de  montagnes,  mais,  à  peine 
sortis  de  ces  défilés,  ils  se  perdent  dans  les  sables  et  les 
cailloux.  Quelquefois,  lorsque  le  terrain  est  pierreux  et 
argileux,  ils  continuent  leur  cours  pendant  un  certain 
temps,  mais  bientôt  les  sables  les  envahissent,  formant  des 
bas-ronds  et  changeant  la  rivière  en  marais.  La  végétation 
des  marais  tait  un  réseau  épais  et  mobile  qui  maintient  une 
certaine  fraîcheur.  Aussi  l'eau  est  toujours  très  froide  dans 
de  pareils  courants  et  ne  tarît  jamais,  même  dans  les  plus 
grandes  chaleurs. 


1.  Je  trois  que  la  désignation  de  «  formation  du  Gobi  •  est  plus 
JostB  que  celle  qui  est  adoptée  par  Riclilbofen,  qui  dit,  dans  le  même 
cas,  ■  du  Han-Haï  »  ;  attendu  que  «  Han-Haï  s  jieut  donner  lieu  à 
une  erreur  par  sa  ressemblance  avec  liliiingai.  De  plus,  le  mol  Han-llaî 
signifie  non  seulement  une  mer  de  sable,  niais  pourrait  avoir  d'autres 
sens  encore.  Comme  les  depuis  dont  il  s'agit  viennent  du  Gobi,  il  n'y 
a  pa.  de  raison  a  introduire  une  désignation  nouvelle  au  Heu  de  garuVr 
«elle  qui  est  généralement  admise   et   dont  le   sens  esl   intelligible  à 

il  le  inonde. 


32Z  VOÏAOES    OE  DMITM    KLEMEKTZ 

La  proximité  des  montagnes  est  la  cause  d'orages  fré- 
quents aux  mois  de  juillet  et  d'août,  époque  des  plus  grandes 
pluies  en  Mongolie.  Les  torrents  impétueux  emportent  les 
matériaux  meubles  et  forment  des  ravins  énormes,  sem- 
blables auxouadis  du  Sahara  ou  aux  canons  de  l'Amérique. 
Ces  ravins,  présentant  des  lits  desséchés,  sillonnent  de  lous 
les  côtés  la  surface  du  désert  ;  leur  direction  indique  claire- 
ment l'inclinaison  du  terrain, 

Dans  les  endroits,  arrosés  par  des  cours  d'eau  plus  ou 
moins  continus,  de  ce  pays,  formant  le  seuil  du  Gobi,  les 
habitants  cultivent  la  terre.  Ils  sèment  du  blé  et  de  l'orge. 
L'agriculture  n'est  guère  possible  qu'à  la  condition  d'un 
arrosage  artificiel.  Les  habitants  arrosent  leurs  champs  au 
prinlemps,  ils  sèment  ensuite  et  labourent  la  terre  au 
moyen  de  charrues  primitives,  puis  changent  de  campe- 
ment aussitôt  qu'apparaissent  les  premières  pousses.  Au 
moment  de  la  floraison,  on  arrose  encore.  Jusqu'à  l'époque 
de  la  moisson,  les  champs  restent  aux  soins  des  vieillards, 
qui  sont  chargés  de  surveiller  les  semailles,  chassant  les 
oiseaux,  les  antilopes  sauvages,  défendant  leurs  terres 
contre  le  passage  de  caravanes.  Le  pays  s'anime  à  la  saison 
des  moissons,  des  tentes  sont  dressées,  les  nomades  revien- 
nent; on  travaille  toute  la  journée,  la  nuit  encore  on  peut 
voir  dans  les  champs  des  feux  allumés  près  des  tentes.  La 
moisson  terminée,  le  pays  redevient  calme  et  désert  jus- 
qu'à la  saison  prochaine. 

On  rencontre  dans  l'Altaï  méridional  deux  représentants 
de  régions  différentes  :  le  yack  du  Tibet,  domestique,  ori- 
ginaire des  montagnes,  et  le  chameau  des  déserts.  Les 
chameaux  de  Gobi  sont  réputés  comme  les  meilleurs  dans 
toute  la  Mongolie.  On  en  trouve  ici  en  grand  nombre.  Sou- 
vent les  habitants  ont  autant  de  chameaux  que  de  moutons. 
Dans  ce  pays,  le  chameau  n'est  pas  seulement  une  bêle  tic 
somme,  mais  encore  un  moyen  de  subsistance.  Les  habi- 
tants se  nourrissent  de  lait  de  chamelle,  ils  en  font  du  fro- 


EN    MONGOLIE   OCCUENTALE. 


323 


ï  sorte  d'eau-de-vie.  Dans  d'autres  régions  de  la 
îe,  au  nord,  on  élevé  également  des  chameaux, 
mais  aussitôt  qu'il  y  a  dans  le  pays  des  brebis  et  des  vaches, 
on  néglige  le  lait  dechamelie.  Aussi,  pour  le  pays  que  nous 
décrivons,  le  seul  fait  qu'on  se  sert  de  celui-là  prouve  qu'il 
n'y  a  pas  moyen  d'élever  en  quantité  suffisante  d'autres 
espèces  de  bétail  fournissant  du  lait. 

Autrefois  le  pays  avait  une  population  plus  nombreuse. 
Le  long  des  deux  versants  de  l'Altaï,  nous  rencontrons  par 
centaines  des  pierres  d'anciennes  tombes.  Sur  la  rivière 
Tsagan-gol,  j'ai  eu  la  bonne  fortune  de  découvrir  des  ruines 
d'une  ville  entière  ou  d'un  grand  couvent.  Je  crois  qu'il 
serait  prémaluré  de  faire  des  conjectures  à  ce  sujet,  avant 
ta  publication  du  plan  et  des  photographies  des  ruines. 

De  l'Altaï,  je  passai  dans  la  partie  orientale  des  monts 
Khangaï  ;  je  visitai,  aux  sources  de  l'Orkbon,  un  des  plus 
anciens  couvents  de  Mongolie,  l'Erdenï-dzo;  ensuite,  pre- 
nant le  chemin  à  travers  les  steppes,  entre  l'Orkhon  et  la 
Tola,je  retournai  à  Ourga,  où  je  passai  l'hiver, 

En  1895,  je  fis  une  excursion  au  Keroulen,  dans  le  but  de 
rechercher  une  ancienne  inscription  runique  sur  l'un  des 
rochers.  Je  découvris  en  plus  toute  une  série  de  tombeaux 
ornés  de  figures  de  cerfs  très  intéressantes,  et  c'est  avec 
ces  résultats  que  je  retournai  encore  à  Ourga. 

Les  chevaux  de  posle  me  menèrent  jusqu'à  Oughei-nor; 
ensuite,  traversant  le  Khangaï,  j 'arrivai  à  Ouliassoutaï  et 
de  là  au  nord,  à  travers  la  chaîne  de  Khan-khoukliei',  dans 
la  vallée  du  lac  Oubsa-nor;  je  visitai  Oulankom,  puis,  en 
quôte  de  monuments  archéologiques,  j'arrivai  jusqu'à  la 
chaîne  servant  de  frontière  à  la  Russie;  de  là  je  rentrai  à 
Ourga. 

Le  pays  dans  le  nord  d'Ouliassoutaî  présente  un  ter- 
rain rocailleux,  couvert  de  salines  et  extrêmement  riche 
en  monuments  archéologiques.  C'est  ici  qu'ont  eu  lieu  des 
batailles  entre  les  Dzoungars  et  les  Mandjous;   probable- 


324  VOYAGES    DE    DMITRI    KLEMENTZ 

ment,  depuis  les  époques  les  plus  reculées,  des  troupes 
ennemies  venant  de  l'orient  et  de  l'occident  se  sont  ren- 
contrées dans  ces  lieux,  comme  le  prouvent  de  nombreuses 
tombes  ornées  de  pierres  sépulcrales. 

Au  sud  de  Khau-khùukheï,  se  trouve  un  vallon  encaissé, 
dans  lequel  sont  situés  les  lacs  Aïryk-nor,  Kirgltiz-nor 
et  Dzfren-nor.  Le  vallon  est  formé  par  une  chaîne  de  mon- 
tagnes (un  plissement),  le  séparant  d'un  plateau  où  sont 
disposés  les  lacs  de  Kkara-nor  et  de  h'hara-ousou.  Je 
n'ai  pas  pu  découvrir  la  base  du  plissemeul  au  sud  ;  mais, 
sur  le  versant  opposé  du  Khan-kkoukheï,  on  remarque  des 
rochers  coupés  à  pic,  formant  le  bassin  du  grand  lac 
Oubsa-nor. 

Mien  que  ces  exemples  prouvent  déjà  l'importance  de  la 
dislocation  disjonclive  dans  la  formation  du  relief  de  l'an- 
cien continent. 

En  1896,  après  avoir  visité  en  Khangaï  des  volcans 
éteints,  je  me  dirigeai  vers  Ouliassoutaï;  ensuite,  traver- 
sant une  steppe  au  sud-ouest,  j'arrivai  à  la  limite  du  Gobi. 
Ici,  je  tentai  de  faire  l'ascension  de  la  chaîne  de  Tsassa- 
tou-botjdo;  mais  un  tourbillon  de  neige  nie  força  à  renon- 
cer à  ce  projet.  Je  me  rendis  à  Kobdo  en  suivant  un  itiné- 
raire qu'aucun  voyageur  n'avait  suivi  jusqu'alors.  Laissant 
mes  chameaux  se  reposer  à  h'obdo,  je  traversai  l'.4(iaï 
jusqu'à  la  frontière  russe,  aux  sources  de  Tsagangol,  affluent 
gauche  de  la  Kobdo  ;  de  là,  je  me  dirigeai  vers  les  sources 
du  Saksaï,  en  traversant  deux  fois  la  chaîne  de  l'Altaï,  et 
je  retournai  à  Kobdo  par  le  Terekly-daban.  Puis  je  pris 
l'itinéraire  suivant  :  je  descendis  la  rivière  Houlgoun  jus- 
qu'au campement  d'un  prince  torgoout;  et  je  m'avançai 
ensuite  dans  le  pays  des  Ouriankti,  à  travers  les  campe- 
ments des  Kirghîses  le  long  de  l'Irtych  Noir,  jusqu'à  Zaï- 
sansk. 

D'après  mes  observations,  je  crois  pouvoir  affirmer  que 


EN    MONGOLIE    OCCIDENTALE.  32n 

l'Altaï  présente  une  série  <le  plis,  renversés  dans  la  direc- 
tion du  sud,  et  que  le  Gobi  de  la  Dzoungarie  est  formé  en 
pente  abrupte.  L'Altaï  est  composé  de  schistes  cristallins 
anciens  et  de  schistes  talqueux  et  siliceux.  Ces  roches  sont 
recoupées  par  de  nombreux  filons  de  granité,  après  la 
venue  desquels  le  travail  du  dislocation  a  continué  en  don- 
nant lieu  aux  enchevêtrements  les  plus  bizarres  :  des  veines 
nombreuses  de  granité  clair  semblent  parfois  alterner  avec 
les  schisles,  dont  la  couleur  est  foncée.  Au  sud,  l'Altaï  est 
coupé  à  pic  en  différents  endroits,  de  sorte  que  les  sources 
de  plusieurs  rivières  sont  absolument  inaccessibles. 

Dans  la  partie  de  l'Altaï  appartenant  à  la  Mongolie,  on  ne 
rencontre  de  forêts  que  dans  certaines  vallées  encaissées. 
Toute  végétation  arborescente  est  détruite  par  le  souffle 
ardent  des  vents  du  Gobi.  Le  Boulgowi  et  VIrtych  .Xoir 
coulent  au  milieu  de  sables,  où  ne  poussent  que  des  peu- 
pliers, des  buissons  épineux  et  des  joncs  dans  les  endroits 
marécageux.  Notons  une  erreur  de  certains  voyageurs 
russes  qui  mentionnent  la  présence  du  lœss  dans  les  val- 
lées de  i'Irtyeh  Noir  et  du  Boulgoun.  Après  un  examen 
minutieux,  nous  trouvons  que  ce  qu'ils  supposent  être  du 
lœss  n'est  qu'un  produit  d'alluvions,  du  gravier  mêlé 
d'une  boue  argileuse.  Le  lœss  typique  d'origine  subaé- 
rienne n'e.xiste  pas;  mais,  en  revanche,  on  trouve  beaucoup 
de  sables  mouvants  dans  la  vallée  de  l'Irtych  Noir.  En  face 
de  l'embouchure  de  la  rivière  de  Kliaba,  une  chaîne  de 
montagnes  est  entièrement  recouverte  de  ces  sables,  de 
sorte  qu'il  est  absolument  impossible  de  savoir  quels  sont 
les  terrains  en  place  qui  en  forment  l'ossature. 

Il  existe  une  mine  de  houille  près  du  Zaïsansk,  dans  la 
vallée  de  la  rivière  h'inderlt.  Ce  gîte  paraît  appartenir  a 
l'époque  tertiaire.  On  a  essayé  de  l'exploiter;  mais  actuelle- 
ment la  mine  est  presque  abandonnée.  En  passant  sur  la 
frontière  de  la  Dzoungarie,  j'ai  fait  l'acquisition  d'un  bel 
exemplaire  de  cheval   sauvage,  qui  appartient  aujourd'hui 


326  VOYAGES  DE  DHITRI  KLEMENTZ 

au  musée  zoologique  de  l' Académie  des  sciences  de  Saint- 
Pétersbourg.  Parmi  les  autres  animaux  rares,  il  faut  men- 
tionner !a  loutre  des  rivières  qu'on  trouve  encore  sur  les 
bords  du  Boulfjoun. 

La  population  de  l'Altaï  est  très  variée  :  des  Oïrals  ou 
Oulets  sur  le  versant  oriental,  les  Durbuts  au  nord-est,  les 
Torgoouts  au  sud-est,  et  des  tribus  d'Ouriaukh  dispersées 
dans  les  montagnes.  De  toutes  ces  peuplades,  les  unes  par- 
lent turc,  les  autres  une  langue  mongole. 

Dernièrement,  celte  population  s'est  accrue  de  tribus 
kirghises  arrivées  de  l'ouest.  Ces  Kirghises  ont  conservé 
leur  costume  archaïque,  composé  d'un  cafetan,  d'une 
ceinture,  à  laquelle  est  attachée  une  sacoche,  et  d'une 
chemise  à  grand  col  marin.  C'est  aussi  le  costume  que  nous 
voyons  sur  les  statues  primitives  qu'on  trouve  partout  dans 
l'ouest  de  la  Mongolie. 

De  Zaïsansk,  je  me  rendis  à  Semipalatinsb,de  là  à  Om 
ensuite  par  le  chemin  de  fer  à  Pélersbourg. 

En  -1897,  je  pris  part  à  deux  recherches  statistiques  con- 
cernant la  Transbaïkalie.  J'ai  eu  à  ce  propos  à  étudier  les 
mœurs  des  Bourtats,  et  j'ai  obtenu  d'intéressants  résultats 
au  point  de  vue  sociologique.  Si  nous  suivons  l'histoire  du 
développement  de  ce  peuple,  nous  voyons  le  passage  gra- 
duel de  la  vie  de  nomades  à  celle  de  cultivateurs. 

On  ne  rencontre  qu'en  Mongolie  et  parmi  les  Bouriats, 
habitant  sur  la  limite  de  ce  pays,  des  nomades  primitifs, 
errant  toute  l'année  d'un  endroit  à  l'autre.  Chaque  famille 
décriL  en  quelque  sorte  une  orbite  déterminée  dans  l'an- 
née. Le  changement  de  camp  se  fait  de  la  façon  suivante. 
Lorsque  l'endroit  choisi  ne  suffit  plus  à  nourrir  les  trou- 
peaux, des  vieillards,  ou  des  personnes  désignées  pour  la 
circonstance,  sont  envoyés  à  la  recherche  d'autres  prairies, 
qu'ils  distribuent  parmi  les  membres  de  leur  groupe.  C'est 
alors  seulement  que  te  groupe  se  met  en  marche.  L'idée 


EN    MONGOLIE    OCCIDENTALE.  327 

de  la  propriété  privée  de  ia  terre  est  inconnue  dans  ce  pays. 
La  série  de  campements  de  ce  terrain  de  parcours  forme 
le  patrimoine  de  chaque  groupe.  Ces  orbites  s'entrecroi- 
sent, s'allongent  ou  prennent  une  forme  serrée  suivant  les 
circonstances.  Le  premier  pas  vers  une  habitation  fixe  se 
présente  sous  forme  d'hivernage  amenant  nécessairement  un 
approvisionnement  de  combustible.  Vient  ensuite  le  besoin 
d'établir  une  garde  dans  les  pâturages  et  les  prés.  Puis  on 
commence  à  entourer  de  haies  les  champs  appartenant  à 
une  famille,  ou  plutôt  à  un  groupe  avec  plusieurs  divisions 
partielles.  Depuis  les  époques  les  plus  anciennes  existe 
chez  les  Bouriats  nomades  l'irrigation  des  prairies.  Nous 
voyons  dans  l'histoire  de  leur  développement  la  lutte  entre 
L'association  familiale  et  la  commune  basée  sur  le  travail. 
Du  moment  que  les  nomades  commencent  à  cultiver  la 
lerre.  c'est  encore  un  pas  dans  la  môme  direction  ;  le  pas- 
sage de  la  vie  de  nomades  à  une  habitation  fixe  se  fait  très 
lentement,  car  l'élevage  assure  l'existence  avec  bien  moins 
de  peines  que  l'agriculture.  Je  n'entre  ici  dans  aucun  détail 
pour  éviter  des  longueurs  inutiles  ;  mais  les  matériaux  que 
j'ai  rassemblés  me  serviront  pour  un  prochain  travail  que 
je  me  propose  de  faire  au  sujet  de  recherches  comparatives 
des  mœurs  de  différents  peuples  nomades. 

Je  suis  revenu  à  Saint-Pétersbourg  en  novembre  1897; 
ainsi,  depuis  1885,  sans  compter  quelques  interruptions 
insigniGantes,  j'ai  passé  douze  années  en  expédition  parmi 
les  Turcs  et  les  Mongols. 

Les  résultats  de  ces  travaux  apparaissent  sous  la  forme 
de  quelques  milliers  de  spécimens  de  roches  et  de  fossiles, 
plus  de  15,000  verstes  d'itinéraires,  des  observations  météo- 
rologiques pendant  cinq  années  consécutives,  des  maté- 
riaux qui  me  servent  en  ce  moment  à  composer  une  carte 
archéologique  de  la  Mongolie  du  nord,  et  400  photogra- 
phies. 
Notre  collection  botanique  compte  plus  de  40,000  exem- 


328  VOYAGES   DE    DMITRI   KLEMENTZ 

plaires,  provenant  de  différentes  parties  de  la  Mongolie1. 
Comme  il  n'a  rien  paru  a  l'étranger  —  que  je  sache  — 
concernant  les  expéditions  auxquelles  j'avais  pris  pari,  j'ai 
prié  mon  ami,  M.  D,  Aïloff,  de  communiquer  ce  résumé  à  la 
Société  de  Géographie  de  Paris.  Je  crois  que  ces  expéditions 
ont  permis  de  compléter  dans  une  certaine  mesure  nos  con- 
naissances sur  l'Asie.  11  y  a  encore  beaucoup  de  lacunes;  si 
je  n'ai  pas  pu  les  combler,  ce  n'est  que  par  suite  de  défaut 
de  ressources.  Il  sufiit  de  dire  que  toutes  ces  recherches 
n'ont  occasionné  qu'une  dépense,  à  des  époques  différentes, 
de  10,500  roubles  à  peine.  C'était  tout  ce  dont  je  disposais. 
Quant  aux  matériaux  se  rapportant  à  l'expédition,  ils  sont 
déjà  pour  la  plupart  entre  les  mains  de  savants  spécialistes. 
Personnellement,  je  serai  obligé  d'interrompre  mes  tra- 
vaux, car  je  partirai  encore  pour  cinq  mois  a  Tourfan. 
D.   Klementz. 


HOTE  SUR  LA  CARTE 


La  carie  qui  accompagne  l'exposé  des  voyages  Je  M.  Dniiiri 
KlcmeDtzen  Mongolie  Occidentale  estdresséed'aprêsles  feuillesV, 
VI,  Mil  ei  XIV  de  la  carte  de  la  frontière  méridionale  de  la  Itussie 
d'Asie  à  l'échelle  de  1/1,680,000. 

Les  itinéraires  y  ont  été  tracés  par  M.  Iilemenlz  lui-même. 

Le  figuré  du  terrain  a  été  omis  sur  notre  carte,  le  document 
russe  qui  nous  a  servi  de  guide  l'indiquant  lui-même  d'une  façon 
par  trop  rudiraeulairc  ei  iraliissant  clairement  qu'aucun  levé,  si 
sommaire  qu'il  fût,  n'avait  servi  de  base  au  dessin. 

La  mélliode  des  cartographes  russes  dessinant  le  figuré  du  ter- 
rain est  toujours  la  même  :  ils  tracent  des  chaînes  de  montagnes 


1.  Ces  plantrs  seront  décrites  dans  la  série  d'ouvrage?  qui  von 
publiés  sous  le  titre  de  f  Résultats  scienlilîuues  des  expedllloi 
Pijevalsky  c. 


r 


EN  MONGOLIE  OCCIDENTALE.  329 

entre  chaque  cours  d'eau.  Lorsque  les  cours  d'eau  sont  rapprochés, 
les  chaînons  ont  la  forme  d'une  chenille  ;  lorsque,  par  contre,  ils 
sont  éloignés  l'un  de  l'autre,  le  dessinateur  laisse  au  crayon  litho- 
graphique la  faculté  de  s'étaler  en  arabesques  plus  ou  moins 
bizarres. 

Ce  dessin  de  la  plus  haute  fantaisie  est  ensuite  religieusement 
reproduit  par  les  cartographes  européens  qui  ont  à  s'en  servir. 
Nous  croyons  qu'il  vaut  mieux  s'en  abstenir  et  ne  pas  dessiner 
les  montagnes,  dont  on  connaît  parfois  la  structure  géologique 
et  l'extension  générale,  mais  dont  on  ignore  complètement  les 
formes. 

D.    AÏTOFF. 


SOC.  DE  GÉOGR.  —  3°  TRÏMESTRE  1899.  XX.  —  23 


ATJ   PAYS   DES   MOIS 


Le   comte   de  BARTHELEMY' 


Mes  voyages  précédents  en  Indo-Chine  m'avaient  donné 
quelque  nolion  de  fa  Cochinchine,  du  Cambodje,  du  Bas- 
Laos,  du  Tonquin,  du  Haut-Laos  et  du  nord  de  t'Annam. 
Il  restait  pour  compléter  mes  études  la  partie  comprise 
entre  Hué  et  la  Cochinchine.  Au  point  de  vue  économique, 
des  visites  aux  récentes  plantations  de  l'Annam  présen- 
taient un  gros  intérêt  ;  au  point  de  vue  de  la  géographie  et 
de  l'histoire  naturelle,  la  montagne,  le  pays  des  Mois,  dont 
tant  de  parties  sont  absolument  inconnues,  sont  pleins 
d'attrait  pour  le  voyageur  épris  d'imprévu  et  qui  s'intéresse 
à  l'avenir  de  notre  belle  colonie. 

Je  m'attacherai,  dans  ce  compte  rendu,  plus  spéciale- 
ment à  la  partie  géographique,  je  passerai  sous  silence 
la  visite  aux  plantations  pour  m'étendre  plus  longuement 
sur  l'exploration  accomplie  en  montagne  et  les  travaux 
géographiques  auxquels  nous  nous  sommes  livrés. 

Parti  de  Hué  accompagné  de  mon  ami  le  comte  de  Mar- 
say,  j'avais  pris  pour  premier  but  la  route  de  Hué  au  Song- 
Caï  par  la  montagne.  C'était  un  premier  contact,  une  école, 
afin  de  nous  accoutumer  aux  mœurs  des  populations  mois. 

M.  de  Marsay  a  collaboré  avec  moi  aux  travaux  géogra- 
phiques. Paul  Cabot,  le  jeune  naturaliste  qui  m'accompagna 
il  y  a  deux  ans,  était  chargé  de  la  préparation  des  pièces 
d'histoire  naturelle. 

Accompagnés  de  trois  lîuhs  de  Ja  milice  de  Hué,  nous  dé- 

1.  Voir  la  carie  jointe  à  ce  numCro. 


AIT  PAYS  DES   MOIS.  331 

s  en  remontant  le  Song-Ta-Voy  jusqu'aux  derniers 
lages  annamites. 

On  sait  que  les  villages  annamites  ne  cessent  d'exister 
u'à  partir  de  l'endroit  où  les  fleuves  deviennent  complé- 
ment impossibles  k  remonter  en  sampans.  C'est  alors 
e  commence  le  pays  des  Moïs. 

Le  mot  Moï  veut  dire   *  sauvage  1  en  annamite.  C'est 
i  nom  générique,  mais  la  vérité  est  que  la  montagne, 
s  Hué  jusqu'à  la  mission  des  Bahnars,  recèle  une  con- 
sion  de  races  assez  diverses  où  des  différences  de  langage 
ft  quelque  peu  de  caractère  sont  fort  sensibles. 
Contrairement  à  ce  qu'ont  prétendu  les  Annamites  aux 
mts  de  l'occupation  française,  ces  régions  sont  habitées, 
s  habitées  même.  Mais  les  sauvages  des  sommets  n'ai- 
ïnt  pas  à  voir  menacer  leur  indépendance.  Retranchés 
rrière  les  forets  vierges  malsaines  qui  les  séparent  des 
lys  civilisés,  ils  n'ont  que  difficilement  des  rapports  avec 
i  côte.  Leurs  flèches  empoisonnées,  une   réputation  de 
laulé  peul-ëtre  exagérée  les  ont  mis  à  l'abri  des  tenta- 
d'invasion  annamites.  Ils  ont  conscience  qu'on  ne 
;t  rien  contre  eux  par  la  force,  qu'ils  échapperont  tou- 
;  mais  on   peut  beaucoup  obtenir  d'eux  en  agissant 
c  droiture  et  en  prenant  sur  eux  une   influence  morale. 
i)  peuple  aux  lemps  héroïques;  contrairement  aux 
inamites,  la  parole  donnée  est  sacrée  pour  eux  ;  ils  esti- 
!Ht  la  franchise  et  la  loyauté  avec  une  religion  qui  les 
idrait  naïfs  et  ridicules  aux  yeux  de  certains  civilisés. 
Tel  est,  dans  sa  généralité,  le  caractère  des  races  que  nous 
à  visiter  cette  année. 
Ainsi  que  je  l'ai  dit  précédemment,  nous  divisâmes  notre 
jyage  en  monlagne  en  deux  excursions  :  la  première  de 
D-Rraï  (premier  village  moï  dans  la  région  de  Hué)  au 
j-Caï;  la  seconde,  plus  importante,  de  Tra-My  à  la 
ssion  des  Bahnars  parles  sources  du  Song-Tracùk  et  le 
a  du  Krong-Blâ. 


332  AU   PAÏS   DES    MOIS. 

La  première  excursion  a  eu  pour  but  de  signaler  à  l'ad- 
ministration deux  villages  nouveaux.  Ce  fut  le  premier 
contact  avec  les  populations  mois,  qui  devait  être  pour 
nous  une  première  étude  de  leur  caractère.  Ces  premiers 
pas  en  montagne  nous  furent  rendus  très  pénibles  par  les 
pluies  incessantes  qui  ont  sévi  à  Hué  et  dans  les  environs 
jusqu'à  la  lin  de  février  celte  année. 

Au  village  de  Bao-Rraï,  nous  pûmes  observer  ce  qu'est 
le  trafic  des  Annamites  de  l'intérieur  avec  les  Mois  soumis. 
Le  mouvement  commercial  ne  se  monte  pas  à  de  grosses 
sommes  et  il  s'opère  avec  de  grosses  difûcultés.  L'Anna- 
mite échange  des  barres  de  sel,  de  la  pacotille,  contre  du 
bétel,  du  tabac,  des  poulets  et  des  porcs.  On  voit  qu'il  ne 
s'agit  pas,  de  ce  côté,  de  produits  bien  importants.  11  es! 
cependant  intéressant  de  constater  ce  mouvement  très 
indicatif  de  l'activité  de  la  race  annamite  pour  les  petites 
affaires.  On  a  traité  nos  sujets  d'incapables  au  point  de  vue 
commercial,  c'est  à  tort.  Voici  l'opinion  réelle  à  répandre 
â  leur  sujet  :  excellents  petits  commerçants  parce  qu'ils 
sont  malins  et  actifs,  ils  n'ont  aucune  aptitude  pour  le 
gros  commerce,  parce  qu'ils  sont  légers  et  peu  calcula- 
teurs. L'Annamite  est  donc  un  auxiliaire  précieux  pour 
l'Européen  qui  sait  centraliser  les  efforts  individuels  de  ces 
fourmis  du  commerce. 

En  face  du  village  de  Bao-Rraï,  sur  l'autre  rive  du 
Song-Ta-Voy,  est  le  premier  village  moi  de  la  ré- 
gion. 

Les  villages  sont  composés  de  pauvres  cases  surélevées, 
mais  beaucoup  moins  que  les  cases  laotiennes;  le  toit  est 
en  paillote,  les  murs  en  planches  mal  équarries;  au  centre 
du  village  il  y  a  la  maison  commune  où  l'on  reçoit  les 
étrangers.  Dans  celte  maison  commune  sont  accrochés  des 
trophées  de  chasse  offerts  sans  doute  aux  esprits.  Au  centre 
de  la  place  du  village,  il  y  a  un  piquet  élevé,  couvert  de 
peintures  bizarres  et  de  dessins  primitifs  représentant  gros- 


Al<   PATS   DES.   HOlS.  333 

sièrement  des  hommes,  des  serpents.  C'est  là  que  se  font 
les  sacrifices  aux  jours  de  grandes  agapes.  Ces  Mois  por- 
tent un  costume  des  plus  succincts.  C'est  un  langouli  roulé, 
passé  entre  les  jambes  et  dont  l'extrémité  tombe  sur  la  cuisse 
gauche.  Par  les  temps  très  froids,  ils  se  couvrent  d'une 
sorte  de  manteau  multicolore  où  le  bleu  sombre  domine. 
Les  villages  sout  défendus  des  betes  sauvages  qui  viennent 
dévorer  les  récoltes  par  des  pièges  ingénieux.  Contre  le 
tigre,  ils  placent  dans  quelques  chemins  connus  des  habi- 
tants des  petits  piquets  en  bambous  pointus  destinés  à 
blesser  le?  pieds  de  l'animal.  Contre  les  cerfs  et  les  san- 
gliers, un  piège  à  ressort  est  tendu  :  il  consiste  en  un  jeune 
e  coupé.  On  le  maintient  horizontalement  au  moyen  de 
:  piquets  fort  solidement  Bébés  en  terre,  puis  on  le 
,  tendu  comme  un  ressort.  Deux  lianes,  en  forme  de  i, 
nettent  de  tendre  l'appareil  au  bout  duquel  un  pieu 
i  coupé  en  javeline  est  adaplé.  Ces  pièges  sont 
■  au  jardinet.  Lorsque  l'animal  passe  sur  une  des 
le  piège  part,  l'arbrisseau  se  raidit  subitement 
trainant  la  pointe  dans  sa  course;  celle-ci,  maintenue 
Ire  deux  poteaux  assez  élevés  ;  l'animal  est  transpercé  et 
-été  entre  les  deux  poteaux  par  l'arme  qui  l'a  blessé.  De 
nbreux  collets  assurent  la  prise  des  oiseaux  et  des  petits 
lifêres.  Tous  ces  pièges  sont  fort  ingénieux,  enlière- 
nt  faits  de  bois  et  de  lianes.    Ils  existent  chez  tous  les 

:S  des  montagnes  d'Annam. 
Nous  avons  obtenu  assez  facilement  des  porteurs,  mais 
ûlement  j  usqu'aux  villages  de  Ca-Daû,  de  Lop  et  de  Bouc. 
3  de  Bouc  fut  l'un  de  ceux  que  nous  découvrîmes 
cette  première  excursion.  Nous  eûmes  beaucoup  de 
3  à  le  joindre. 

s  pluies  apportant  avec  elles  les  sangsues,  et  détrem- 
t  le  sol  glaiseux  des  chemins  à  pic,  nous  arrêtèrent 
i  d'une  fois  et  nous  procurèrent  les  mille  désagréments 
a  connus  des  voyageurs  qui  ont  couru  la  brousse.  Ce  ne 


334  AU   PAYS    DES  MOÏS. 

fut  qu'au  prix  de  mille  fatigues  et  de  nombreuses  chutes 
que  nous  atteignîmes  le  village. 

De  Bouc  à  Bolo,  les  chemins  ne  valent  guère  mieux;  il 
fallut  circuler  dans  les  lits  desarroyos  avec  de  l'eau  jusqu'à 
la  ceinture,  parfois  plus  haut.  Ce  terrain,  coupé  de  quelques 
marches  en  montagne,  pour  ainsi  dire  au  coupe-coupe, 
permet  de  se  faire  une  idée  des  difficultés  qu'éprouve  le  petit 
commerçant  annamite  qui  fait  des  transactions  aux  villages 
mêmes.  Car  le  Moi  ne  se  dérangera  jamais  de  chez  lui 
pour  une  promesse,  il  lui  faut  la  sécurité  du  marché  con- 
clu. Force  est  donc  aux  commerçants  annamites  de  se 
rendre  aux  villages  mêmes  pour  y  faire  leurs  affaires. 

Bolo  était  également  un  village  inconnu  des  Européens. 
Son  chef  avait  un  caractère  fier  et  énergique.  Il  nous  reçut 
froidement,  mais  son  hospitalité  fut  aussi  large  que  pos- 
sible. Il  consentit  à  nous  fournir  de  vivres,  faisant  son 
prix  avec  intelligence,  sans  chercher  à  exploiter.  Le  lende- 
main, il  s'engagea  à  faire  porter  les  bagages  de  la  Mission 
jusqu'à  Tia-Dao,  village  suivant. 

D'après  une  conversation  que  nous  eûmes  avec  le  chef  de 
Bolo,  il  est  à  supposer  que  l'emplacement  du  village  de 
Phù-Hac  a  dû  être  changé.  Le  chef  nous  confia  qu'il  avait 
été  en  guerre,  il  y  a  peu  de  temps,  avec  les  gens  de  Phù- 
Hac.  «  Le  village  n'existe  plus,  ajouta-t-il,  ils  sont  tous 
morts!  »  Il  est  certain  que  cette  assertion  est  très  exagé- 
rée. Mais  il  ne  faut  pas  douter  que  Phù-Hac,  à  la  suite  de 
ces  événements,  a  dû  abandonner  l'emplacement  de  l'an- 
cien village.  C'est  une  des  caractéristiques  du  Moi,  aussitôt 
qu'une  calamité  quelconque  a  frappé  le  village,  de  changer 
immédiatement  son  emplacement,  ne  fût-ce  qu'à  500  mètres 
delà. 

Nous  vîmes  un  exemple  de  cette  coutume  à  Tia-Dao.  Le 
village  a  été  porté  à  800  mètres  de  sa  primitive  position, 
l'année  dernière,  à  la  suite  d'une  épidémie  de  choléra. 

A  Tia-Dao,  on  nous  a  signalé  le  passage  d'un  Français 


An   PATS    DES    MOIS. 


335 


ée  précédente.  L'explorateur  était  venu  accompagné 
d'une  forte  escorte  de  garde  civile  annamite.  Il  fut  obligé 
de  rétrograder,  une  grande  partie  de  ses  hommes  étant 
atteints  des  fièvres.  Cet  explorateur  est,  croit-on,  M.  Ri- 
chardson,  le  planteur  d'An-Dien.  A  peu  de  distance  de  Tia- 
Dao,  est  le  village  de  Lang-Tié-San,  une  belle  vallée  aux 
terrains  riches  et  bien  irrigués.  Cette  vallée  est  habitée  par 
nue  assez  forte  population  moi  agglomérée  au  village.  Les 
Mois  vont  souvent  commercer  à  la  plantation  d'An-Dien. 

Le  lendemain,  à  2  heures  de  l'après-midi,  nous  domi- 
nions la  vallée  de  la  Song-Con  ;  a  4  heures,  nous  joignîmes, 
sur  les  bords  de  la  rivière,  le  premier  village  annamite, 
village  de  Na,  et  ce  ne  fut  pas  sans  un  certain  plaisir  que 
nous  retrouvâmes  les  sampans.  Après  deux  heures  et  demie 
île  descente,  les  casques  blancs  des  planteurs  d'An-Dien 
apparurent,  et  nous  fumes  reçus  avec  cette  cordiale  hospi- 
talité commune  à  tous  les  Français  habitant  l'Indo-Chine. 
La  plantation  d'An-Dien  est  à  la  période  des  défriche- 
ments, c'est  l'établissement  français  le  plus  avancé  dans 
l'intérieur  de  la  province  de  Quang-Nam.  Elle  s'entretient 
dès  maintenant  avec  ses  rizières  et  ses  cannes  a  sucre.  Des 
thés  sont  préparés  par  les  planteurs  pour  assurer,  dans 
l'avenir,  un  revenu  considérable.  Nos  compatriotes  cher- 
chent à  entrer  en  relations  commerciales  avec  les  Mois  de 
Lang-Tié-San  et  de  Tia-Dao.  Les  produits  apportés  à  la 
plantation  sont  le  tabac,  le  riz  de  montagne,  le  bétel,  le 
maïs,  le  manioc  et  la  patate  ainsi  que  quelques  produits 
forestiers.  Le  tabac  moï  n'est  pas  désagréable  à  fumer; 
cependant  sa  fermentation  insuffisante  n'en  fait  qu'un  tabac 
de  qualité  inférieure,  incapable  actuellement  de  créer  une 
branche  de  commerce  sérieux  vers  l'extérieur. 

Les  planteurs  d'An-Dien  sont  en  relations  commerciales 
avec  un  commerçant  de  Faî-Foot  M.  Derobert  ;  celte  mai- 
son française  fait  de  grosses  affaires  avec  les  Annamites. 
Elle  leur  fournit  la  pacotille  nécessaire  pour  traverser  les 


336  AU   PAYS   DES  HOÏS. 

régions  des  Mois  et  commercer  avec  ces  derniers;  la  maison 
Derobert  a  exporté  l'année  dernière  sur  France  70,000  kilo- 
grammes de  Ihés,  vendus  sons  le  nom  de  thés  de  l'Aanam. 
]jes  commerçants  se  sont  servis  d'Annamites  formés  par 
le  Père  Maillard  pour  apprendre  aux  *  Nha-Qués  »  à 
couper  les  petites  feuilles  et  jeunes  pousses  qui  seules  sont 
employées  pour  faire  le  thé  au  goût  européen.  Les  affaires 
de  la  maison  Derobert  vont  tous  les  ans  en  croissant  et 
auraient  pris  de  très  grosses  extensions  si  les  frets  sur 
France  n'étaient  pas  si  onéreux.  On  manque  de  navires 
actuellement  pour  transporter  les  produits  de  l'Indo-Chine, 
Nous  avions  obtenu  ce  que  nous  désirions  en  visitant 
cette  première  région  :  nous  savions  désormais  à  quoi  nous 
en  tenir  sur  le  caractère  moï  et  pouvions  nous  risquer  à 
marcher  plus  vers  l'intérieur  dans  des  régions  moins  con- 
nues et  plus  intéressantes.  Une  des  plus  curieuses  et  des 
moins  parcourues  était  la  région  de  Tra-My  et  la  chaîne  de 
partage  des  eaux  du  Laos  de  ce  côté.  L'intérêt  que  je  porte 
spécialement  aux  questions  économiques  me  fit  arrêter 
quelques  jours  chez  mon  ami  M.  Alfred  Ilerbet,  fondateur 
de  la  Société  des  Mines  de  Bung-Miù;  j'ai  déjà  parlé  de 
cette  affaire  il  y  a  deux  ans.  Elle  était  alors  à  ses  débuts, 
on  déterminait  les  périmètres  de  recherches  et  les  pre- 
miers plans  étaient  préparés,  dans  la  brousse,  pour  l'ex- 
ploitation future.  Aujourd'hui,  une  usine  à  broyer  le  quartz 
a  été  faite.  L'eau  de  la  pittoresque  chute  qui  traverse  la 
concession  a  été  employée  comme  force  motrice.  Un  che- 
min de  fer  aérien  joint  les  galeries  de  mine  à  l'usine,  une 
colonie  européenne  s'est  créée  et  de  nombreuses  cases  de 
mineurs  annamites  ont  remplacé  la  jungle.  C'est  une  com- 
plète transformation,  et  cela  en  deux  ans!  On  ne  peut  que 
louer  l'activité  des  directeurs,  et  spécialement  de  M.  Alfred 
Herhel,  qui  a  pu  obtenir  de  sérieux  et  très  sensibles  résul- 
tats. Bung-Miù  ne  fut  pour  nous  qu'une  étape  vers  le  pays 
moï,  notre  rentable  but  Gt  fut  a  Tra-My  que 


gam- 


AL'    PAVS   DES    MOIS.  337 

sèmes  complètement  notre  expédition.  On  sait  que  Tra-My 
est  célèbre  en  Indo-Chine  pour  l'important  commerce  de 
cannelle  qui  s'y  fait  avec  les  Mois. 

Malheureusement  tout  ce  commerce  est  entre  les  mains 
des  Chinois  de  Fal-Foo,  soutenus  par  les  mandarins  anna- 
mites de  la  province.  11  se  monte  à  1,600,000  francs.  L'ad- 
ministration en  connaît  depuis  longtemps  l'existence,  elle 
a  cherché,  mais  vainement,  à  mettre  la  main  sur  cette 
importante  affaire. 

Elle  y  établit  d'abord  une  régie;  on  dut  renoncer  à  ce 
système  à  cause  des  difficultés  de  pénétration  chez,  les  Mois 
de  ce  côté.  Les  Mois  n'acceptent  de  descendre  que  porteurs 
de  marchandises  achetées  chez  eux  et  accompagnés  du 
commerçant  qui  a  commercé  avec  eux.  lis  ne  se  soucient 
pas  de  descendre  en  pays  annamite  seuls,  et  pour  le  compte 
d'autres  que  les  mandarins  de  la  province.  C'est  ce  qui 
explique  comment  la  seconde  tentative  de  l'administration 
ne  réussit  pas  mieux  que  la  première.  Les  résidents  créè- 
rent, sur  l'ordre  de  M.  Boulloette,  résident  supérieur,  que 
celte  question  intéressait  beaucoup,  une  série  de  s  Marchés 
mois  ».  Ainsi,  pensait-on,  les  Mois  pourraient  commercer 
librement  avec  les  Annamites,  mais  seraient  moins  volés 
par  ces  derniers,  surveillés  par  un  garde  principal.  La  mau- 
vaise volonté  des  mandarins  fit  échouer  ce  projet. 

Cela  se  comprend  assez  facilement.  L'Annamite  qui 
monte  dans  la  montagne  offre  pour  -10  kilogr.  (une  charge) 
de  cannelle,  valeur  200  piastres  à  la  côte,  le  modeste 
échange  d'un  buffle(12  à  15  piastres). Encore  ne  payent-ils 
pas  toujours.  Alors  les  Mois  descendent  sur  le  pays  anna- 
mite et  se  payent  en  esclaves  qu'ils  vendent  au  Laos.  Cette 
répression  sauvage  nous  ayant  émus,  nous  avons  pris  parti 
le  plus  souvent  pour  les  Annamites  et  usé  de  représailles 
contre  les  Mois.  De  là  cette  méfiance  avec  laquelle  ils 
reçoivent,  de  ce  côté,  les  Européens.  Ajoutons  à  cela  quel- 
ques explorations  conduites  brutalement,  et  nous  pouvons 


338  AU   PAYS  DES  MOÏS. 

nous  estimer  heureux  que  la  région  n'ait  pas  été,  en  raison 

de  ces  différents  faits,  complètement  fermée. 

Nous  eûmes  nous-mêmes  à  souffrir  du  mécontentement 
que  les  Annamites  éprouvent  à  voir  passer  les  Européens  de 
ce  côlé.  Les  porteurs,  obéissant  sans  doute  à  quelque  mot 
d'ordre  des  mandarins,  ne  tardèrent  pas  à  chercher  a.  faire 
le  vide  autour  de  nous  et  à  fuir  dans  la  forêt  avec  leurs 
charges.  Nous  dûmes  surveiller  nous-mêmes,  avec  notre 
escorte1,  chacun  un  certain  nombre  de  charges  fusil  au 
poing.  Nous  avons  mis  d«ux  jours  à  atteindre  le  premier 
village  nioï  de  Tra-Vian.  L'emplacement  de  ce  village  a  été 
changé  ù  la  suite  d'une  dure  leçon  que  lui  avait  infligée  un 
explorateur  précédent.  Il  a  été  transporté  à  800  mètres  de 
son  ancienne  situation.  Tra-Vian  est  habité  par  desDaviats, 
Mois  de  celte  région;  il  est  fortement  palissade  et  défendu 
par  des  pieux  en  bambous  inclinés  à  45°  rendant  les  abords 
de  la  palissade  très  difficiles.  On  ne  peut  pénétrer  dans  le 
village  que  par  une  porte  étroite  par  laquelle  un  seul 
homme  peut  passer  difficilement  en  se  baissant.  Les  alen- 
tours sont  défendus  par  des  pièges  et  des  petits  piquets.  La 
forteresse  est  excellente  contre  des  gens  armés  de  lances  et 
d'arbalètes.  Ce  ne  fut  pas  sans  palabres  que  nous  pûmes 
obtenir  des  coolies  mois  pour  le  lendemain  matin.  Par 
contre,  ce  ne  fut  pas  sans  plaisir  que  nous  licenciâmes  nos 
coolies  annamites. 

La  troupe  se  trouva  donc  réduite  à  2  Européens,  3  mili- 
ciens annamites,  3  boys,  2  coolies  annamites,  qui  avaient 
demandé  à  suivre  l'expédition  jusqu'à  Quin-Nhone;  enfin, 
deux  chiens  européens  qui  rendirent  bien  des  services  au 
cours  du  voyage  en  faisant  bonne  garde  dans  notre  case  ou 
nos  campements. 

Mes  voyages  précédents  chez  les  Muongs  et  les  Méos, 
notre  court  séjour  chez  les  Mois  de  Hué,  tout  cela  m'avait 


i.  8  liulis,  1  bèp  de  lii  milice  de  Tourace. 


ris  à  i 


AU  PATS  DES  MOIS.  331 

s  rendre  compte  que  de  petites  escortes  biei 


.ies  valent  mieux  qu'un  grand  nombre  d'hommes,  dif- 
surveiller  et  auxquels  il  est  plus  facile  de  com- 
Ire  des  abus.  Combien  d'explorateurs  ont  été  attaqués 
sans  savoir  pourquoi,  et  uniquement  par  suite  des  mala- 
dresses de  leurs  hommes. 

Nous  voulions  à  tout  prix  éviter  les  conflits  dans  la  mon- 
tagne d'Annam.  Une  exploration  mal  menée  là-bas  pour- 
rail  fermer  à  tout  jamais  la  pénétration  pacifique  que 
recherche  avec  juste  raison  notre  administration. 

Les  Davials  différent  des  Mois  de  la  région  de  Hué  en  ce 
que  leurs  yeux  sont  plus  fendus  en  amande  ;  ils  se  couvrent 
d'oripeaux  en  cuivre  et  circulent  toujours  armés.  C'est  une 
population  guerrière  et  certainement  plus  sauvage  que  celle 
du  nord.  Jusqu'au  village  de  Nuoc-Mao,  il  se  fait  un  impor- 
tant commerce  de  cannelle.  On  trouve  cet  arbre  vers  le 
Nnoc-Méo  et  le  Song-Tracùk,  mais  les  habitants  ne  com- 
mercent de  ce  côté  que  de  village  à  village,  entre  Mois. 
Jusqu'à  Man-Ré,  toutes  agglomérations  sont  défendues  et 
fortifiées  à  la  façon  de  Tra-Vian. 

Nous  devions,  à  chaque  village,  déployer  un  certain  céré- 
monial que  je  ne  saurais  trop  recommander  et  qui  en 
impose  aux  sauvages.  Nous  envoyions  en  avant  notre  dra- 
peau porté  sur  la  lance  d'un  chef  moï,  généralement  celui 
du  village  précédent.  Le  chef  demandait  alors  pour  nous 
l'entrée  du  village  et  des  porteurs  pour  le  lendemain.  ».  Les 
<  Français,  disait-il,  ont  des  armes  terribles,  ils  ne  s'en 
«  serviront  que  si  ies  Mois  n'acceptent  pas  leurs  conditions. 
i  Étant  forts,  ils  sont  bons,  ils  payent  leurs  porteurs  et 
i  loul  ce  qu'ils  demandent,  »  La  discussion  durait  tou- 
jours longtemps  et  souvent  des  difficultés  s'élevaient  qui 
forçaient  à  prendre  l'attitude  menaçante. 

Parfois  il  nous  arrivait  de*  aventures  comiques.  Unjour, 
nous  nous  trouvâmes  en  face  d'un  village  qui  buvait  le 
choum-cuoum  depuis  trois  jours  et  dont  tous  les  habitants 


340  AU   PAYS   DES   MOIS. 

étaient  complètement  gris.  Les  malheureux  se  croyaient 
perdus,  sentant  eux-mêmes  qu'ils  étaient  en  complet  état 
d'infériorité.  C'est  une  coutume  chez  les  sauvages,  où  l'es- 
prit communiste  domine  avec  l'esprit  féodal,  de  mettre  en 
commun  tout  leur  superflu  pour  le  consommer  dans  de 
grandes  fêtes  publiques  qui  durent  tant  qu'il  reste  quelque 
chose  à  hoire  ou  à  manger. 

De  village  à  village  nous  nous  rendîmes  aux  régions  du 
H  au  t-S on g-T ra cù  k . 

Passons  aux  résultats  géographiques  obtenus  par  nous 
dans  cette  contrée  complètement  inconnue.  Une  erreur 
assez  forte  existe  sur  la  carte  Pavie  ;  celle-ci  porte  le 
cours  du  Nuoc-Méo  dans  une  direction  toute  différente  de 
celle  que  nous  avons  relevée  (sud-est).  La  direction  donnée 
parles  renseignements  fournis  aux  topographes  de  la  mission 
Pavie  pourlecoursdu  Nuoc-Méo  était  est  et  ouest  rejoignant, 
à  une  quarantaine  de  kilomètres  de  Man-Ré  (itinéraire  Gar- 
nîer),  le  Song-Tracùk.  Cette  dernière  rivière  a  également  un 
cours  beaucoup  pins  ouest.  La  carie  Pavie  le  porte  nord-sud. 

Ce  sont  ces  erreurs  de  cartes  qui  lîrent  que,  pendant 
quelques  jours,  nous  avons  cru  être  sur  le  Song-Bâ,  alors 
que  nous  reconnaissions  le  cours  du  Krong-Blâ,  fleuve 
appartenant  au  régime  du  Laos.  Les  sources  du  Song- 
Tracùk  et  celles  du  Bà  ne  sont  donc  pas  nord-sud,  l'une  par 
rapporta  l'autre,  ainsi  que  l'indique  la  carte  Pavie.  Il  suf- 
fit d'ailleurs  de  jeter  un  regard  sur  les  deux  cartes  pour  se 
rendre  compte  des  différences  lopographiques  importantes 
que  nous  avons  relevées. 

Nous  traversâmes  donc  la  ligne  de  partage  des  eaux  du 
Laos,  passant  par  des  altitudes  de  1,000  mètres  et  relevant 
des  altitudes  plus  élevées  (2,000  m.  environ)  pour  tomber 
sur  les  sources  du  Krong-Blà. 

Le  Bla,  appelé  dans  le  SedangDak-Ngai  '  (Nuoc-Ngai  par 


1.  D.ik,  eau,  sedang;  Kuoc,  e 


AD   PAYS  DES   MOIS.  'Ml 

les  Annamites),  esl  formé  de  deux  torrents,  le  Dak-Là  et  le 

Ltak-Lâii,   Ils  se  réunissent  dans  un  lieu  appelé  Con-Tan, 

gros  village  sedang  très  important,  parce  qu'il  est  le  point 

de  bifurcation  de  plusieurs  roules  vers  le  Laos,  notamment 

celle  suivie  par  Garnier  du  Dak-Psi.  Tout  près  de  Con-Tan, 

le  BIA  coule  avec  déjà  un  volume  d'eau  considérable  dans 

une  large  et  magnifique  vatiée.  Là,  les  Sedangs  cultivent  à 

l'annamite  et  ce  lieu  parait  très  sain. 

Les  habitants  nous  montrèrent  une  grande  déliance.  On 

lirait  pu  croire  qu'ils  avaient  conscience  de  la  richesse  de 

ir  pays  et  qu'ils  craignaient  de  la  voir  signaler.  Les  chefs 

:  vinrent  qu'après   cinq   heures   de  palabres  et  sur  la 

mace  d'attaquer  le  village. 

jes  Sedangs  sont  plus  grands  et  plus  forts  que  les 
riais;  leurs  villages  ne  sont  pas  fortifiés,  mais  cachés 
s  les  bois  el  fort  bien  dissimulés.  Comme  les  Davîats, 
ls circulent  loujours  armés.  Les  mais  enguirlandés  et  ornés 
le  dessins  des  Daviats  n'existent  pas  au  milieu  de  leurs  vil— 
;  cependant  ils  ne  sont  pas  exempts  de  superstitions, 
t  nous  nous  trouvâmes  arrêtés-  au  village  de  Rreun  par 
!  sorcière.  Celle-ci  occupait  un  pont  de  liane  et  nous 
iait  de  ne  pas  avancer,  de  ne  pas  offenser  les  esprits  en 
mt  dans  la  partie  qu'ils  hantaient.  Nous  lui  répondîmes 
ravement  que  nous  ne  voulions  pas  offenser  leurs 
,  mais  que  nous  ne  voulions  pas  y  croire.  En 
inséquence,  nous  demandâmes  qu'on  nous  construisît  une 
e  sur  les  bords  du  Blâ,  non  loin  du  village.  Les  habitants 
e  montrèrent  pleins  de  reconnaissance  pour  notre  magna- 
mité.  Cet  acte,  qui  fut  interprété  sans  doute  à  une  valeur 
mcoup  plus  haute  que  nous  pensions, nous  sauva  la  vie  le 
mdemain  à  Yo-Chié.  Une  bande  pillarde  engagea  iO  de 
i  hommes  parmi  les  porteurs  de  l'expédition.  Cent 
mires  hommes  attendaient  dans  la  montagne,  deux 
îommes  énergiques  avaient  élé  chargés  de  tuer  d'un  coup 
t  lance  chacun   des  Européens.  Le  village  de  Yo-Chié 


342  AU  PAYS  DES  uots. 

refusa  de  tremper  dans  le  complot  et  le  chef  de  ce  village 
prévint  notre  interprèle.  Notre  attitude  heureusement 
intimida  les  bandits  qui  gagnèrent  les  sommets  avoisinants, 
et  te  chef  du  village  de  Yo-Chié,  par  une  cérémonie  d'al- 
liance solennelle  consistant  à  boire  ensemble  le  sang  d'un 
poulet,  assura  un  passage  facile  à  notre  petite  troupe  dans 
tous  les  villages  suivants  jusqu'à  la  mission  des  Bahnars. 

Entre  Néa  et  Yo-Chié,  on  traverse  de  vastes  plaines  bien 
irriguées  ;  plus  loin,  ce  sont  des  forêts  jusqu'à  Roup.  De  là, 
on  passe  par  de  hauts  plateaux  fort  riches  et  qui  paraissent 
très  sains.  Le  pays  conserve  cel  aspect  jusqu'à  Con-Lang. 
C'est  à  ce  village  que  commence  à  se  faire  sentir  l'influence 
des  pères  de  la  mission.  Les  villages  sont  catholiques  ou 
catéchumènes  à  partir  de  ce  point.  L'influence  morale  des 
pères  s'étend  beaucoup  plus  loin,  jusqu'à  Yo-Chié.  Ce  ne 
sont  alors  que  des  traditions  de  montagnards  à  monta- 
gnards. Les  habitants  savent  qu'il  existe  bien  loin  des  Fran- 
çais très  puissants  et  très  bons  ;  ils  sont  prêts  à  les  recevoir 
avec  plaisir.  C'est  peut-être  à  ces  bruits  que  nous  devons 
d'avoir  trouvé  tant  de  dévouement  dans  le  chef  de  Yo-Chié. 

La  mission  des  Bahnars,  est  composée  de  sept  Pères;  ils 
ont  chacun  un  énorme  district  à  surveiller  et  évangéliser. 
Leur  activité  est  très  grande  et,  grâce  à  elle,  ils  sont  arrivés 
à  grouper  autour  d'eux  près  de  1,000  sauvages  dont  ils 
obtiennent,  assez  difficilement  d'ailleurs,  un  peu  de  travail. 

Les  Pères  nous  donnèrent  d'intéressants  renseignements 
sur  la  constitution  des  vill  âges  mois  :  le  village  est  divisé  en 
maisons;  chaque  maison  a  son  chef  propre,  c'est  le  père  de 
famille;  celui-ci  représente  les  intérêts  de  la  maison  au 
conseil  des  anciens. 

Le  conseil  des  anciens  discute  des  intérêts  intérieurs  du 
village,  il  règle  les  différends  de  maison  à  maison,  tes  fêtes, 
la  consommation  en  commun  du  superflu  au  moment  de  la 
rentrée  des  récoltes  nouvelles. 

Cependant  il  y  a  un  chef  de  village,  c'est  généralement 


iu  PAYS  DES  xols.  3i3 

jeune  homme  fort  et  actif.  Dans  certains  villages,  il  est 

me  par  le  conseil  ;  dans  d'autres,  c'est  un  fils  d'une 

famille    privilégiée.    J'ai    pu    observer    qu'au   village    de 

.,  le  chef  avait  une  dizaine  d'années,  il  était  assisté  d'un 

jeune  homme  d'une  trentaine  d'années  qui  commanda  les 

s  pour  lui,  mais  lui  remit  le  cadeau  que  nous  desti- 

s  ordinairement  aux  chefs. 

Le  chef  du  village  est  chargé  des  rapports  du  village  avec 

iitérieur,  il  est  chef  de  guerre  et  son  commandement  est 

jrême  en  ce  cas.  En  temps  de  pais,  le  conseil  des  anciens 

t  généralement  consulté 

Celte  constitution,  pour  toute  simple  qu'elle  soit,  n'esl- 

e  pas  des  plus  raisonnables?  Elle  repose  cependant  sur 

e  simple  bon  sens  d'hommes  ignorants. 

Les  Pères,  après  nous  avoir  fait  visiter  la  mission  dans 

l  plus  complets  détails,  nous  ravitaillèrent  généreuse- 

snt,  car  nos  vivres  étaient  depuis  longtemps  épuisés,  et 

tous  prêtèrent  même  leurs  éléphants.  Dès  lors,  nous  sui- 

mes  la  route  bien  connue  de  la  Mission  à  An-Kê  et  d'An-Ké 

Binh-Dinb,  afin  deprendre  la  route  mandarine  et  descendre 

a  Pban-Rang,  but  de  notre  voyage.  Nous  abandonnâmes 

s  lors  la  géographie  proprement  dite  pour  nous  livrer  a 

:  éludes  économiques  et  spécialement  aux  visites  des 

lelques  plantations  françaises  qui  débutent  actuellement 

ins  ces  régions. 


ÏETEMHILOGIE  HE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SÏME 


L.©    E.    F.     ZUMOFFEN     S.     T. 


La  Palestine  est  devenue  un  vaste  champ  de  recherches  : 
toutes  les  parties  en  sont  explorées,  tons  les  monuments 
sacrés  et  profanes  étudiés  avec  soin  et  minutieusement  dé- 
crits, les  localités  bibliques  identifiées,  (andis  que  la  météo- 
rologie de  cette  contrée  semblait  rester  en  retard  jusqu'à 
ces  dernières  années.  On  était  réduit  à  quelques  observa- 
tions isolées  ou  incohérentes,  ii  des  appréciations  trop  sou- 
vent basées  sur  des  impressions  personnelles  des  voyageurs. 
Mais,  grâce  à  l'initiative  du  comité  anglais  Palestine  ewpto- 
ration  fuitd,  nous  possédonsaujourd'hui  des  séries  d'obser- 
vations précises  et  non  interrompues,  qui  permettent  de 
nous  faire  une  idée  assez  exacte  des  conditions  climatéri- 
ques  de  la  Terre  Sainte. 

Les  observations  ont  été  faites  tous  les  jours  ?ers9  heures 
du  matin,  à  Jérusalem  depuis  1861  jusqu'à  1896,  à  Jaffa 
(Sarona)de  1880à  1889', à  TibÉriade  de  1890àl896;  elles 
onl  été  discutées  chaque  année  par  le  savant  météorolo- 
giste M.  Glaisher  et  le  résultat  en  a  élé  publié  dans  le 
(Juarterly  Statement.  Ce  son!  ces  observations,  éparses  dans 

i*Lé  malheureusement  inter- 


1  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE.       345 

lublication  anglaise  et  à  peu  près  inconnues  en  dehors  de 

Grande-Bretagne,  que  j'ai  réunies  et  dont  j'ai  déduit  les 
éléments  météorologiques  qui  vont  suivre. 

A  Beyrouth,  les  observations  ont  été  faîtes  trois  fois  par 
jour  et  ont  paru  dans  la  Zeitschrift  fiir  Météorologie  de 
Vienne. 

Il  est  regrettable  que  nous  ne  possédions  pas  de  rensei- 
gnements positifs  sur  la  climatologie  des  autres  parties  de 
la  Palestine  et  de  la  Syrie. 

Après  avoir  exposé  les  données  météorologiques  telles 
qu'elles  ressortent  des  observations  directes,  il  nous  restera 
à  examiner  une  question  assez  souvent  agitée,  à  savoir  si  les 
conditions  climatériques  de  la  Palestine  et  de  la  Syrie  ont 
subi  une  modification  depuis  les  temps  bibliques. 

I.  —  Pression  atmosphérique. 

Dans  le  tableau  n-  1  (p.  346),  toutes  les  hauteurs  baro- 
métriques, sauf  celle  de  Beyrouth,  ont  été  ramenées  à  la 
température  de  0°.  Ce  tableau  donne  la  hauteur  moyenne 
du  baromètre  pour  chacun  des  mois  de  l'année;  il  montre 
fin  outre  que  la  pression  atmosphérique  varie  avec  les  sai- 
sons et  les  différents  mois  de  l'année;  qu'elle  atteint  son 
maximum  aux  mois  de  décembre  et  janvier;  qu'elle  baisse 
ensuite  insensiblement  jusqu'à  son  minimum  qui  arrive  au 
mois  de  juillet.  A  Paris,  le  minimum  s'observe  ordinaire- 
ment au  printemps  vers  le  mois  d'avril. 

Jérusalem  (lat.  N.  31*47'  et  32°53'  long.  Est  de  Paris)  est 
située  à  une  altitude  de  762  mètres.  Dans  l'espace  de  36  ans, 
le  maximum  absolu  de  la  pression  atmosphérique  observé 
à  Jérusalem  a  été  706  millim.  5,  le  31  décembre  1879, 
et  le  minimum  absolu  685  millim.,*  décembre  1896  el 
avril  1863.  Le  plus  grand  écarta  été  21  millim.  5. 

Le  maximum  moyen  pendant  ce  môme  laps  de  temps  a 
soi:,  de  niant..  —  3"  trimestre  1899.  XX.  —  U 


340  LA  MÉTÉOROLOGIE    HE  LA  PALESTINE  ET  HE  LA  STEIE. 


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LA  MÊTÉOHOLOGir:  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE.      347 

É  704  millim.  5  et  le  minimum  moyen  687  millim.  7.  La 
ifférence  est  16  millim.  8.  L'amplitude  des  oscillations 
myennes  mensuelles  est  7  millim.  8;  elle  est  plus  grande 
e  décembre  à  avril  (10  millim.  7)  et  plus  faible  de  mai  à 
novembre  (5  millim.  6). 

Tibériade  (lat.N.  32-48'  el  33°14'  long.  Est  de  Paris)  étant 
située  à  208  mètres  au-dessous  de  la  Méditerranée,  la  hauteur 
barométrique  est  supérieure  à  la  pression  atmosphérique 
normale  au  niveau  de  la  mer  (760  millim.).  Le  maximum 
absolu  a  été  793  millim.  03,  novembre  1893,  et  le  minimum 
absolu  767  millim.  08,  aoûL  1895.  L'écart  est  "2D  millim.  9; 
c'est  la  plus  grande  amplitude  des  oscillations  barométri- 
ques à  Tibériade.  La  variation  moyenne  mensuelle  est  de 
Il  millim.  La  plus  grande  (16  millim.)  a  eu  lieu  au  mois  de 
janvier,  el  la  pins  faible  au  mois  de  juillet  {6  millim.  5). 

Jaffa(Sarona,lat.N.  32"-ieL32"271ong.EstdcParis)aeusoi> 
maximum  absolu  (769  millim.)  au  mois  de  janvier  1887  et  son 
mitiimumabsolu(747millim.)aumoisdejuin.L'écartextreme 
a  ét622  millim.  L'oscillation  moyenne  mensuelle  est  10  millim. 

II.  —  Température. 

Le  tableau  n°  II  (p.  34K)  donne  la  température  moyenne 
mensuelle;  il  montre  que  la  température  moyenne  annuelle 
est  16°7  centigrades  à  Jérusalem,  22°4  à  Tibériade,  19"3  à 
JalFa  et20o4  à  Beyrouth  ;  que  la  chaleur  suit  une  marche 
ascendante  de  janvier  à  août  et  décroît  au  contraire  d'août 
à  janvier;  que  le  mois  le  plus  chaud  est  celui  d'août  et  le 
mois  le  plus  froid  celui  de  janvier.  Les  saisons  météorolo- 
giques établies  d'après  la  marche  moyenne  de  la  tempéra- 
ture sont  parfaitement  applicables  à  la  Palestine,  avec  cette 
différence,  cependant,  queles  saisons  intermédiaires,  prin- 
temps el  automne,  sont  plus  courtes  que  l'été  el  l'hiver  et 
moins  tranchées  qu'en  Europe.  La  température  reste  sen- 


348  LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  STRIE. 


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LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE,      349 

ment  égale  pendant  les  mois  de  décembre  à  mars,  puis 

rapidement  durant  le  mois  d'avril,  ne  subit  guère  de 

indes  variations  du  milieu  de  mai  jusqu'au  milieu  d'oc- 

e  et  tombe  enfin  très  brusquement  dès  que  les  pluies 

meucent. 

e  maximum  absolu  a  été  :  à  Jérusalem  i~2°i  {juin  lS'.i-l), 
ibériade  44°4  (août  1896  et  juin  1894),  à  Jalïa  U'i  (juin 
t6),  à  Beyrouth  38"8  (mai  1876).  Le  minimum  observé  à 
îalem  a  été  — 3°5au-dessous  de  zéro  (janvier  1890),  à  Ti- 
iriade  1"1  (Janvier  1890),  à  Jaffa  0°  (janvier  1880  et  fé- 
ier  1884),  à  Beyroulh  1°7  (janvier  1874).  Le  plus  grand 
t  a  donc  été  à  Jérusalem  45'7,  à  Tibériade  43"3,  à  Jaffa 
*  et  à  Beyrouth  37"1. 

i  différence  des  moyennes  de  tous  les  maxiina  et  de  tous 
a  absolus  nous  donne  l'oscillation  annuelle  du 
thermomètre. 

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L'écart  annuel  de  température  est  le  même  à  Jérusalem 
et  à  Tibériade  et  supérieur  à  celui  de  Jaffa  et  de  Beyrouth  ; 
cela  lient  probablement  au  voisinage  de  la  Méditerranée. 

Le  mois  le  plus  chaud  est  celui  d'août,  et  pourtant  les 
raaxima  s'enregistrent  dans  tous  les  mois  depuis  avril  jus- 
qu'à novembre;  les  minima s'observent  ordinairement  aux 
mois  de  janvier  et  de  décembre. 

Oscillation  mensuelle.  —  La  variation  moyenne  men- 
suelle de  la  température  est  22°  à  Jérusalem,  23"  à  Tibé- 
riade, 21°  à  Jaffa  et  18"  à  Beyrouth.  L'oscillation  thermo- 
métrique est  maxima  pendant  les  quatre  mois  :  mars,  avril, 
mai  et  juin;  elle  atteint  à  Beyrouth  22'  centigrades  et  varie 
dans   les   trois  autres   localités  de    24°  à  27*.   La  varia-  _ 


35fl      LA  MÉTÉOROLOGtE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE. 

Lion  est  moindre  vers  les  mois  de  juillet  et  août,  plus  grani 
en  octobre  et  novembre  et  minima  pendant  l'biver  :  dé- 
cembre, janvier  et  février.  Durant  ces  derniers  mois,  elle 
est  17°  à  Jérusalem  et  a  Beyrouth  et  20°  environ  à  Tibériade 
et  â  Jaffa. 


Oscillation  diurne.  —  La  différence  de  la  plus  haute  te 
péralure  du  jour  et  de  la  plus  basse  température  de  la  nuit 
donne  la  variation  diurne  du  thermomètre,  qui  est  en 
moyennell"àJérusalemJ  12"  à  Tibériade,  H°àJaffa  et  9°3 
à  Beyrouth.  L'oscillation  diurne  est  plus  prononcée  en  été 
qu'en  hiver.  A  Jérusalem,  elle  varie  de  mai  a  novembre 
entre  10°  et  li°;  pendant  l'hiver,  elle  est  à  peine  8°  degrés 
centigrades.  A  Tibériade,  elle  est  15°  en  été  (juin,  juillet  et 
août);  durant  les  autres  mois  de  l'année,  elle  varie  entre 
10"  et  13".  A  Jaffa,  l'oscillation  diurne maxima  existe  en  mai, 
juin  et  novembre  (12*5),  et  minima  en  décembre,  janvier 
et  février  (9°5).  A  Beyrouth,  la  variation  diurne  est  ÎO  en 
août,  septembre  et  octobre,  et  8°  pour  les  autres  mois. 

A  Jérusalem,  chaque_année  il  gèle  en  moyenne  5  ou  0 
nuits,  mais  la  glace  résiste  rarement  à  la  chaleur  du  jour 
suivant,  à  moins  d'être  abritée. 

La  température  moyenne  annuelle  pour  la  période  de 
8  ans  1882-1889  a  été  àJaffa  19"2  et  à  Jérusalem  16-7.  L'os- 
cillation mensuelle  pour  la  même  période  a  été  21*3  à  Jaffa 
et  22û2  aJérusalem.  L'oscillation  diurne  aété  la  mémedans 
les  deux  localités. 

La  température  moyenne  annuelle  pour  la  période  de 
7  ans  1890-1896  a  été  à  Tibériade  22*5  et  à  Jérusalem  lfi°7. 
L'oscillation  mensuelle  est  23"  à  Tibériade  et  21"6  à  Jéru- 
salem. L'oscillation  diurne  ne  diffère  que  de  1  degré  dans 
les  deux  villes  (M"  à  Jérusalem  et  12*2  a  Tibériade), 


m- 


A  MÉTÉOROLOGIE  1>E  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE.      351 


III.  —  Pluies. 


leau  de  la  page  352  montre  la  moyenne  mensuelle  Je 
pluie  reçue  dans  les  quatre  localités.  La  moyenne  annuelle 
d'eau  pluviale  a  été  654  millim.  à  Jérusalem,  536  millim.  & 
Tiùériade,  549  millim.  à  Jaffa  et  921  millim.  à  Beyrouth.  Il 
pleut  plus  à  Beyrouth  que  dans  les  trois  villes  palestiniennes. 
Celte  différence  doit  être  attribuée  au  voisinage  du  Liban 
dont  la  température  est  assez  basse  pour  condenser  les  va- 
peurs d'eau  amenées  par  les  vents  du  sud-ouest  et  de 
l'ouest.  On  remarquera  que  les  mois  sans  pluie  sont  juin, 
juillet,  août  et  septembre  pour  la  Palestine,  et  que  les  mois 
les  plus  humides  sont  parlout  ceux  de  décembre,  janvier 
et  février.  Les  deux  tiers  environ  de  la  quantité  totale 
annuelle  de  pluie  tombent  pendant  ces  trois  mois  et  l'autre 
tiers  se  répartit  sur  les  mois  de  mars,  avril  et  novembre. 

Les  années  les  plus  humides  ont  été  a  Jérusalem  celle  de 
1888  avec  une  chute  d'eau  de  959  millim,,  dont  416niillim. 
sont  tombés  dans  le  seul  mois  de  décembre,  et  celle  de 
1890,  qui  mesurait  une  hauteur  d'eau  pluviale  de  901  millim . 
Les  années  les  plus  sèches  ont  été  1870,  où  l'on  n'a  recueilli 
que  330  millim.,  et  1889,  où  la  quantité  de  pluie  ne  dé- 
passait pas  344  millim. 

A  Tibériade,  l'année  qui  a  reçu  le  plus  d'eau  est  1893,  où 
il  en  est  loin  hé  650  millim.;  celle  au  contraire  qui  en  a 
«eu  le  moins  est  1895.  oui!  est  tombé  seulement  364  millim. 
de  pluie. 

A  Jaffa,  l'année  la  plus  pluvieuse  a  été  1883,  qui  mesurait 
une  hauteur  d'eau  de  763  millim.,  et  l'année  la  plus  sèche 
1889,  qui  n'a  reçu  que  342  millim.  de  pluie. 

Beyrouth  a  eu  son  maximum  de  pluie  de  1,307  millim.  en 
1877,  et  son  minimum  de  763  millim.  en  1876. 

A  Jérusalem,  dans  l'espace  de  36  ans  (1861-1896),  les  pluies 


352      LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  OE  LA  SYRIE. 


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LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  STMË.      353 

ont  commencé  20  fois  au  mois  d'octobre,  14  fois  en  no- 
vembre, 1  fois  en  septembre  et  1  fois  en  août.  Les  dernières 
pluies  sont  tombées  12  fois  au  mois  d'avril  et  21  fois  au 
mois  de  mai  et  2  fois  en  juin. 

Pour  la  dernière  période  de  1882-1896,  il  y  a  eu  en 
moyenne  150  jours  consécutifs  sans  pluie,  la  saison  de  sé- 
cheresse la  plus  longue  a  été  de  196  jours  en  1887  et  la 
plus  courte  de  116jours  en  1885.  Pour  la  période  anté- 
rieure de  1861-1882,  la  saison  sèche  durait  en  moyenne 
117  jours,  la  plus  longue  211  et  la  plus  courte  134  jours.  La 
longueur  de  la  saison  sèche  semble  avoir  diminué  dans  ces 
derniers  temps. 

A  Tibériade,  les  premières  pluies  sont  arrivées  3  fois  au 
mois  d'octobre,  3  fois  en  novembre  et  1  fois  en  décembre  ; 
les  dernières  averses  sont  tombées  2  fois  au  mois  d'avril  et 
5  fois  en  mai.  La  durée  moyenne  de  la  saison  sèche  est  de 
191  jours.  La  plus  longue  a  été  218  jours  en  1896,  où  il  n'a 
pas  plu  depuis  le  9  avril  jusqu'au  14  novembre,  et  la  plus 
courte  142joursen  1895. 

L'année  peut  être  divisée  en  deux  parties  approximative- 
ment égales  :  la  saison  d'humidité  qui  dure  6  mois,  de  no- 
vembre àavril,  et  la  saison  de  sécheresse  qui  dure  autant,  de 
mai  à  octobre,  car  la  quantité  d'eau  tombée  à  Jérusalem  et 
à  Tibériade  pendant  les  mois  de  mai  et  d'octobre  est  si 
bible  qu'on  peut  les  considérer  comme  des  mois  sans 
pluie. 

A  Jaffa,  les  premières  pluies  ont  paru  6  fois  en  octobre  et 
4rois  eo  novembre;  les  dernières  averses  sont  tombées  7  fois 
au  mois  de  mai  et  3  fois  au  mois  d'avril.  La  saison  sèche  a 
doré  en  moyenne  172  jours,  la  plus  longue  215  et  la  plus 
courte  147  jours. 

Lorsqu'on  compare  les  moyennes  annuelles  d'eau  plu- 
viale tombée  à  Jérusalem  dans  l'espace  de  36  ans,  on 
ne  tarde  pas  à  s'apercevoir  que  les  pluies  ont  notablement 
augmenté  dans  ces  dernières  années.  En  effet,  depuis  1861 


:&i      LA  MÉTÉOnOLOaiB  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  STBIE. 

jusqu'à  1878,  la  moyenne  annuelle  n'avait  jamais  atteint  la 
hauteur  de  763  millim.  et,  depuis  1878  jusqu'à  1806,  il  y  a 
eu  au  moins  13  ans  dont  les  chutes  annuelles  dépas- 
saient ce  chiffre;  mais  comparons  la  moyenne  des  chutes 
d'eau  annuelles  de  deux  périodes  égales  de  16  ans  par 
exemple  :  la  moyenne  de  la  première  période  de  1861  à 
1876  est  577  millim.,  et  737  millim.  pour  la  seconde  période 
de  1881  à  1896.  La  différence  est  160  millim.  ou  lficentim. 

Les  années  consécutives  de  1869  à  187  3  constituaient 
une  période  de  sécheresse  de  5 ans;  la  quantité  d'eau  an- 
nuelle de  chacune  de  ces  années  restait  au-dessous  de  la  nor- 
male qui  est  de  654  millim.  ;  mais  depuis  1873  les  pluies  ont 
commencé  et  continuent  à  augmenter  graduellement.  C'est 
une  chose  extraordinaire.  Pour  le  moment,  il  serait  difficile 
de  dire  si  l'année  1873  a  été  la  dernière  d'une  période  de 
sécheresse  ou  s'il  y  a  un  changement  dans  le  climat.  Les 
observations  ultérieures  décideront. 

Il  existe  une  très  grande  différence  entre  les  quantités 
d'eau  tombée  dans  le  même  mois  de  différentes  années  : 
ainsi  la  chute  d'eau  du  mois  de  janvier  de  1873  a  été 
3  millim.  et  celle  du  même  mois  de  1878,  340  millim. 
La  quantité  d'eau  tombée  pendant  le  seul  mois  de  décem- 
bre de  1888  a  été  416  millim.  ;  elle  est  supérieure  aux 
chutes  d'eau  annuelles  de  1864,  1870  et  1889. 

Les  pluies  peuvent  tomber  par  tous  les  vents;  cepen- 
dant les  vents  pluvieux  sont  ceux  du  sud-ouest  et  de 
l'ouest.  Sur  506  chutes  d'eau  à  Jérusalem,  238  ont  eu  lieu 
par  le  vent  du  sud-ouest,  156  par  le  vent  d'ouest,  40  par  le 
vent  du  sud-est,  19  par  le  vent  du  sud,  etc. 

Il  neige  parfois  à  Jérusalem  dans  les  mois  de  décembre, 
janvier  ou  février;  mais  la  couche  de  neige  est  ordinaire- 
ment peu  épaisse  et  fond  promptemenl.  La  plus  grande 
quantité  de  neige  est  tombée  du  28  au  29  décembre  1879  ; 
la  hauteur  mesurait  plus  de  40  centimètres. 

Jérusalem  a  reçu  en  moyenne  annuelle  694  millim.  d'e 


-  Jours  de  pluie. 


LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  IIE  LA  SYRIE.      355 

pluviale  en    57  jours  pour  la   période  de  10  ans,  de  1880- 

1889,  et  Jaffa  545  millim.  en  59  jours  pour  le  même  laps 
de  temps. 

La  quantité  moyenne  d'eau  tombée  à  Tibérïade  pendant 
la  période  de  7  ans  1890-1890  a  été  530  millim.  en  59  jours, 
et  à  Jérusalem,  pour  la  môme  période,  la  chute  d'eau 
moyenne  a  été  811  millim.  en  65  jours.  Il  pleut  plus  à 
Jérusalem  qu'à  Jaffa  et  à  Tibériade,  mais  les  pluies  sont 
plus  régulières  dans  ces  deux  dernières  localités. 

pluie  pour  chaque  mois  de  l'année.  Le  nombre  moyen  an- 
nuel de  jours  de  pluie  est  à  Jérusalem  55  jours,  à  Beyrouth 
80  et  à  Tibériade  et  à  Jaffa  50  jours.  Le  nombre  le  plus  élevé 
de  jours  de  pluie  a  été,  à  Jérusalem,  73  jours  en  1890;  et  le 
nombre  le  plus  faible  36  jours  en  1861  et  41  jours  en 
1870  et  1889.  A  Tibériade,  le  maximum  a  été  70  jours  en 

1890,  el  le  minimum  48  jours  en  1895.  A  Jaffa,  le  plus  grand 
nombre  de  jours  pluvieux  a  été  71  jours  en  1883,  et  le 
plus  petit  43  jours  en  1887.  On  remarquera  aisément  que 
le  nombre  de  jours  de  pluie  ne  diffère  pas  notablement 
dans  les  trois  localités  palestiniennes. 

A  Jérusalem,  le  nombre  de  jours  pluvieux  a  augmenté 
dans  ces  derniers  temps  comme  la  pluie  elle-même.  En 
prenant  la  moyenne  des  jours  de  pluie  de  deux  périodes 
égales  à  16  ans,  nous  trouvons  pour  la  première  période, 
1861-1876,52  jours  el  pour  la  seconde,  1881-1896, 60  jours. 
La  différence  donne  une  augmentation  de  8  jours. 

Nous  avons  vu  plus  haut  que  la  hauteur  moyenne  annuelle 
d'eau  pluviale  était  à  Jérusalem  651  millimètres,  a  Tibé- 
riade 536  millimètres  et  à  Jaifa  54'J  millimètres.  C'est  à  peu 

es  la  même  quantité  de  pluie  qui   tombe  a  Paris  et  à 


35'ï  LA  MÉTÉOROLOGIE  CE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA   STRIE. 


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L  MÉTK0H0I.0G1E  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE.      357 

•es.  An  pan:  Sainl-Maur,  station  météorologique  du 
i  de  Paris,  la  moyenne  annuelle  de  pluie  recueillie 
5  10  ans  est  de  540  millimètres;  eile  diffère  très  peu 
Jle  de  Tibériade  et  de  Jaffa;  la  France  reçoit  approxî- 
ivement  080  millimètres  d'eau  pluviale  par  an.  La 
Leur  moyenne  de  pluie  recueillie  à  l'observatoire  de 
mwich  pour  la  période  de  50  ans  (1841-1890)  est  de 
aillimètres;  le  bassin  de  la  Tamise  reçoit,  année 
nne,  050  millimètres  d'eau,  quantité  peu  différente 
«lie  qui  tombe  à  Jérusalem. 
Il  tombe  autant  d'eau  en  Palestine  qu'à  Paris  et  à  Lon- 
s  quelle  différence  dans  la  répartition  des  eaux 
viales  !  Toute  la  quantité  annuelle  de  pluie  tombe  en 
sstine  en  55  ou  00  jours,  tandis  qu'à  Paris  et  à  Londres 
5  même  quantité  est  répartie  sur  150  jours  environ.  En 
lestine,  la  valeur  d'un  jour  de  pluie  est  en  moyenne 

9  à  11  millimètres,  elle  n'est  que  4  millimètres  à  Paris  et 
à  Londres.  Les  pluies  en  Palestine  sont  plus  fortes,  plus 
violentes  qu'en  France;  une  seule  averse  donne  fréquem- 
ment 1,2,  jusqu'à  3  centimètres  d'eau  et  dans  l'espace  d'un 
jour  le  pluviomètre  reçoit  assez  souvent  4,  5,  8,  jusqu'à 

10  centimètres  de  pluie,  mais  ces  ondées  durent  peu  de 
temps.  Les  jours  où  il  pleut  du  matin  jusqu'au  soir,  sans 
discontinuer,  sont  assez  rares.  Les  pluies  unes,  continues, 
pénétrant  lentement  dans  le  sol  et  si  utiles  à  la  culture,  sont 
presque  inconnues  dans  ces  régions.  Ce  sont  des  averses 
torrentielles  qui  tombent  sur  un  sol  pierreux  et  dénudé; 
l'eau  pluviale  ruisselle  sur  les  pentes,  se  réunit  dans  les 
dépressions  et  court  à  la  Méditerranée  ou  à  la  mer  Morte. 
Le  soleil  qui  paraît  après  une  averse  est  assez  chaud  pour 
évaporer  le  reste  de  l'humidité,  de  sorte  que  la  portion 
d'eau  atmosphérique  vraiment  profitable  à  la  végétation 
est  bien  plus  faible  en  Palestine  qu'en  France. 

En  outre,  il  pleut  en  France  tous  les  mois  de  l'année, 
la  quantité  de  pluie  en  été  est  plus  grande  que  celle  qui 


358      lai  MÉTÉOROLOGIE   UE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SÏH1E. 

tombe  en  hiver,  elle  est  presque  totalement  bue  par  la 
végétation.  En  Palestine,  il  ne  tombe  pas  d'eau  durant 
5  ou  6  mois  consécutifs,  et  les  deux  tiers  de  la  quantité 
totale  annuelle  tombent  de  décembre  à  février,  à  une  époque 
où  la  végétation,  sans  être  complètement  interrompue,  est 
du  moins  considérablement  ralentie  à  cause  de  la  basse 
température  dont  la  moyenne  n'est  que  8°  centigrades, 
sauf  sur  le  littoral  et  dans  la  dépression  du  Char. 


Humidité  de  l'air. 


Le  tableau  n°  V  (p.  359)  présente  l'humidité  de  l'air  pour 
chaque  mois  de  l'année.  Le  point  de  saturation  est  repré- 
senté par  le  chiffre  100.  L'humidité  relative  annuelle  a  été, 
à  Jérusalem  59  p.  100,  à  Tibériade  56,  à  Jaffa  65  et  à 
Beyrouth  68  p.  100.  Les  mois  les  plus  humides  sont  par- 
tout, en  Palestine,  ceux  de  décembre,  janvier  et  février; 
et  les  mois  les  plus  secs,  mai,  juin,  juillet,  août, septembre 
et  octobre.  A  Tibériade  et  à  Jaffa,  l'humidité  a  été  un  peu 
plus  grande. 

Les  oscillations  hygrométriques  sont  souvent  considéra- 
bles à  Jérusalem  et  montrent  le  plus  grand  contraste  entre 
la  séeheresse  et  l'humidité  de  l'air.  Pendant  l'hiver,  l'air 
est  souvent  saturé  de  vapeur  d'eau  et  la  rosée  est  alors 
très  abondante;  mais  lorsque  le  vent  du  sud-est  ou  de  l'est 
souffle,  l'hygromètre  descend  parfois  jusqu'à  20  p.  100.  La 
moyenne  annuelle  des  oscillations  est  37  p.  100. 

Pendant  le  beau  temps  de  l'hiver,  la  rosée  tombe  en 
Palestine  par  les  mêmes  causes  et  dans  les  mêmes  circon- 
stances qu'en  France.  Lorsque  le  sol  rayonne  et  que  l'air 
est  près  d'être  saturé,  les  vapeurs  d'eau  se  précipitent. 

En  été,  toute  la  région  étant  desséchée  et  sans  eau  qui 
puisse  s'évaporer,  la  rosée  ne  peut  y  avoir  lieu  que  lorsque 


LÀ  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE.      359 


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360      LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  Dr.  LA  SYRIE. 

le  vent  a  soufflé  assez  longtemps  de  la  mer.  Au  printemps 
et  à  l'automne,  la  rosée  est  un  peu  plus  abondante. 

A  Tibériade,  on  fait  chaque  jour  deui  observations, 
l'une  le  malin  vers  8  heures,  et  l'autre  le  soir  à  4  heures. 
Les  chiffres  dans  le  tableau  ci-dessus  donnent  l'humidité 
relative  du  malin  seulement, comme  à  Jérusalem  et  à  Jall'a. 
Les  observations  du  soir  présentent  quelques  interruptions  ; 
je  n'ai  pu  les  utiliser  pour  calculer  la  moyenne  du  soir, 
cependant  elles  suffisent  pour  constater  que  l'air  est  beau- 
coup plus  sec  dans  l'après-midi  que  dans  la  matinée.  La 
série  des  observations  du  soir  des  années  1891,  1893,  1894, 
1895  est  complète  et  donne  une  moyenne  de  51  p.  100.  La 
moyenne  de  l'humidité  relative  du  matin  de  ces  mêmes 
années  est  67  p.  100;  il  y  a  une  différence  de  16  p.  100 
entre  l'humidité  du  matin  et  celle  du  soir.  La  moyenne 
annuelle  des  oscillations  est  24  p.  100. 

L'humidité  relative  est  asse^  uniforme  à  Jaffa  et  à  Bey- 
routh; pourtant  on  observe  parfois  des  écarts  considéra- 
bles. Lorsque  le  vent  chaud  du  désert,  le  ckelouk  des 
Syriens,  se  levé,  l'hygromètre  descend  jusqu'à  25  p.  100 
et  monte  jusqu'à  90  et  même  à  100  par  les  vents  d'ouest 
et  du  sud-ouest. 


VI.  —  Évaporation. 


Nous  ne  possédons  pas  malheureusement  d'observations 
directes  sur  l'évaporation  de  l'eau  dans  ces  contrées;  elle 
est  plus  grande  en  été  qu'en  hiver.  La  quantité  d'eau  éva- 
porée est  souvent  le  double  ou  le  triple  de  celle  qui  toml 
de  l'atmosphère. 

La  couche  d'eau  évaporée  à  Beyrouth  en  plein  air  et  sous 
abri  est  en  moyenne  de2à  3  millimètres  en  hiver  dans  l'es- 
pace de  24  heures,  et  de  3  à  5  millimètres  en  été.  L'évapo- 


pâ- 
lie 


A  METEOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE.      361 

ration  est  plus  active  par  le  vent  sud-est,  qui  est  chaud  et 
sec  ;  elle  atteint  8  à  9  millimètres. 

D'après  un  calcul  approximatif  du  professeur  Zech,  de 
Stuttgard  ',  la  couche  d'eau  évaporée  à  la  mer  Morte  serait 
14  millimètres  en  24  heures.  La  quantité  d'eau  évaporée 
dans  une  année  serait  5  ni.  11.  Il  n'y  a  rien  de  surpre- 
nant à  cela  quand  on  songe  que  fa  chaleur  est  très  grande 
dans  la  dépression  du  Ghar  et  l'air  très  sec. 


VIL 


-  Vents. 


Le  vent  du  nord  (V.  le  tahleau  n"  VI,  p.  362)  est  froid  et 
sec;  il  souffle  habituellement  à  Jérusalem  {26  fois)  du  mois 
e  juin  au  mois  d'oclobre,  à  Beyrouth  (39  fois)  au  printemps 
et  en  automne  et  il  est  assez  rare  à  Jaffa  (10  fois).  Lorsqu'il 
;  lève,  il  dissipe  les  nuages  et  rassérène  le  ciel.  En  hiver, 
il  est  d'un  froid  vif  et  pénétrant  ;  les  habitants  de  la  côte 
le  redoutent,  car  il  cause  fréquemment  des  pneumonies, 
des  bronchites  et  irrite  légèrement  le  système  nerveux. 

Le  vent  du  nord-est  a  les  mêmes  caractères  que  le  ventdu 
nord.  Il  se  fait  sentir  à  Jérusalem  (41  fois)  du  mois  d'oc- 
tobre au  mois  de  février,  à  Beyrouth  (37  fois)  durant  les 
mois  de  mars,  avril,  mai,  octobre  et  novembre;  il  est  nul 
î  été.  A  Jan"a,il  souffle  aux  mômes  époques  (14  fois),  mais 
plus  rarement  qu'à  Beyrouth. 

Le  vent  d'est  est  assez  fréquent  à  Jérusalem  (29  fois)  en 
iuloinne,  en  hiver  et  au  printemps;  à  Beyrouth  (tl  fois) 
Bsi  qu'à  Jaifa  (11  fois),  il  est  nul  en  été  et  peu  fréquent 
pendant  le  reste  de  l'année. 

En  hiver,  le  vent  d'est  est  accompagné  d'un  ciel  bien,  il 
sst  sec  et  excitant ,  très  agréable  quand  il  n'est  pas  trop 
;  mais,  pendant  l'été,  il  est  pénible,  rend  la  chaleur  à 

1.  Fraas,  .lus  dem  Orient,  I,  p.  75. 


362      LA  MKTÉOHOLOGIË  LE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SÏHIE. 


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LA  HÉTÊOHOLOGIE  ilE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  BÏB1K.      86tf 

Jérusalem  insupportable  à  cause  de  sa  liaule  température, 
de  sa  grande  sécheresse,  et  à  cause  aussi  de  la  grande 
quantité  de  poussières  ténues  qu'il  transporte  du  désert  de 
Syrie  d'où  il  provient.  I!  nuit  parfois  à  la  végétation  en 
brûlant  les  feuilles  et  les  fleurs. 

Le  vent  du  sud-est  est  une  sorte  de  sirocco,  il  prend  nais- 
sance dans  le  désert  de  l'Arabie.  Lorsqu'il  souffle,  le  ciel 
est  sans  nuages,  sauf  quelques  cirrus  et  stratus,  la  tempé- 
rature s'élève  à  30°  on  35"  centigrades  et  plus,  l'air  est 
extrêmement  sec,  l'hygromètre  tombe  jusqu'à  20  p.  100,  la 
différence  du  thermomètre  sec  et  du  thermomètre  mouillé 
du  psychromètre  varie  entre  10"  et  18°.  L'eau  s'évapore 
rapidement,  les  meubles  craquent,  les  couvertures  des 
livres  se  tordent,  et  le  blé  et  les  vignes  sont  parfois  brûlés. 
Il  produit  sur  l'homme  et  les  animaux  un  malaise  géné- 
ral, il  dessèche  les  muqueuses  des  conduits  respiratoires 
et  rend  incapable  de  tout  travail.  Il  souffle  à  Jérusalem 
(25  fois)  au  printemps  (mars,  avril,  mai)  et  en  automne 
(octobre-novembre);  à  Jaffa  (25  fois)  en  janvier,  février, 
mars,  novembre  et  décembre;  à  Beyrouth  (42  fois)  pendant 
les  mêmes  mois  qu'à  Jafia.  Il  dure  ordinairement;!  à  4  jours, 
mais  quelquefois  il   persiste  pendant  7,  10  ou  20  jouis. 

Le  vent  du  sud  se  fait  rarement  sentir  en  été  ;  il  est  plus 
fréquent  pendant  la  saison  pluvieuse.  A  Jérusalem,  il  a  été 
observé  9  fois  dans  l'année,  à  Beyrouth  21  fois  et  à  Jafia 
41  fois.  Dans  cette  dernière  ville,  il  souffle  souvent  depuis 
le  mois  de  novembre  jusqu'au  mois  d'avril.  C'est  un  vent 
chaud,  et  le  ciel  se  couvre  de  nuages  et  dépoussières  quand 
il  se  lève;  il  amène  parfois  la  pluie,  surtout  à  Jall'a. 

Le  vent  qui  souffle  le  plus  souvent  à  Beyrouth  (113  fois) 
et  à  Jaffa  (88  fois)  est  celui  du  sud-ouest;  il  domine  dans 
ces  deux  villes  depuis  le  mois  de  mars  jusqu'au  mois 
d'octobre,  tandis  qu'à  Jérusalem  ce  courant  aérien  règne 
(53  fois)  pendant  la  période  pluvieuse,  depuis  le  mois  de 
novembre  Jusqu'au  mois   d'avril. 


361 


\   SIÉTKOKOl.OtilK   UK  l-A  i'AI.LSTINE  ET  DE  LA  SïlilE. 


Le  vent  du  sud-ouest  ne  peul  paraître  que  le  vent  de 
retour  ou  contre-alizé  ;  îl  est  chaud  et  humide.  En  balayanL 
une  assez  grande  portion  de  la  Méditerranée,  il  se  charge 
de  vapeurs  d'eau  qui,  rencontrant  les  collines  refroidi 
la  Palesline  ou  la  chaîne  du  Liban,  se  condensent 
précipitent  sous  forme  de  pluie  on  de  neige.  Avec  le  vent 
d'ouest,  c'est  le  vent  qui  amène  la  pluie  dans  ces  régioiisJI 

Le  vent  d'ouest  a  été  observé  à  Beyrouth  49  fois  et  A 
Jaffa  53  fois;  il  domine  ordinairement  depuis  le  mois  de 
mars  jusqu'au  mois  de  septembre.  A  Jérusalem,  il  est  un 
peu  plus  fréquent  dans  les  mois  de  juillet  et  d'août  que 
pendant  le  reste  de  l'année. 

Ce  vent  venant  de  la  Méditerranée  est  humide.  Il  se  lève 
vers  9  heures  sur  la  côte  et  modère  la  haute  température, 
Passant  sur  la  plaine  du  littoral,  il  se  décharge  d'une  partie  , 
de  ses  vapeurs  d'eau  et  arrive  vers  le  soir  à  Jérusalem.  S'il  I 
ne  souffle  pas,  ou  faiblement,  il  n'y  a  pas  de  rosée  et  les] 
nuits  manquent  de  fraîcheur.  En  hiver,  il  est  pluvieux. 

Le  vent  du  nord-ouest  est  le  vent  dominant  a  Jérusalem  I 
(113  fois);  il  souffle  pendant  toute  l'année,  mais  d'une  ' 
manière  presque  constante;  depuis  le  mois  de  maijusqu'a 
mois  d'octobre,  il  est  frais  et  relativement  humide.  Il  tem-l 
père  les  ardeurs  du  soleil.  A  Beyrouth  il  n'a  été  observé) 
que  27  fois  el  à  Jafl'a  20  fois  dans  l'année. 

(A  suivre.) 


Gérant  responsable, 
Helot, 

Secrétaire  général  de  la  Commission  centrale. 


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DE  CONAKRY  AU  NIGER 


Le  capitaine  E.  SALESSES1 


s  celle  occasion  de  remercier  publiquement  la  Société 
de  Géographie  qui  a  bien  voulu  m 'accorder  le  pris:  Duveyrier  pour 
ma  première  mission.  J'étais  dans  la  brousse  quand  j'en  ai  reçu 
la  nouvelle,  malade,  isolé,  découragé  par  la  longueur  de  ma  tache 
et  par  la  mort  ou  la  maladie  de  la  plupart  de  mes  compagnons; 
ce  souvenir  de  France  me  rendit  alors  l'ardeur  et  la  confiance. 
Je  n'ignore  pas  que  mon  meilleur  titre  à  cette  distinction  a  été 
l'uuiforme  que  je  suis  fier  de  porter,  mais  cette  pensée  m'a  rendu 
la  récompense  plus  précieuse;  permettez-moi  donc  de  reporter 
sur*rar.inêc,  comme  à  sa  cause  première,  l'honneur  qui  m'a  été 
fait. 

Il  m'échoit  l'honneur  de  porter  la  parole  au  nom  de  mes 
deux  missions;  elles  sont  actuellement  dispersées;  quel- 
ques-uns de  ses  membres  se  sont  vaillamment  remis  a. 
l'œuvre  pour  la  perfectionner;  d'autres  sont  morts  glorieu- 
sement, tels  que  le  maréchal  des  logis  de  Bernis  et,  le  ser- 
gent du  génie  Grenot;  un  soûl,  M.  le  capitaine  Mitlot,  a  pu 
m'accompagner  ici;  permettez-moi  de  vous  signaler  leur 
mérite  et  leur  dévouement  auxquels  j'ai  dû  tout  le  succès  ; 
permettez-moi  aussi  de  saluer  respectueusement  ceux  qui 
sont  morts  pour  leur  pays. 

J'aurai  sans  doute  besoin  de  toute  votre  indulgence;  ce 
sont  mes  débuts  de  conférencier  ;  vous  trouverez  cependant, 
dans  ce  que  je  vais  dire,  l'expression  d'une  convic- 
tion ardente  et  sincère;  j'ai  l'heureuse  fortune   de  pouvoir 

limitation  faite  à  la  Société  de   Géographie  fana   sa  séance 


3tW  DU  COKAKHV    AD   WIGEH. 

exposer  devant  cet  auditoire  d'élite  des  idées  qui  me  sont 
chères  et  que  j'ai  bien  longtemps  méditées. 

Je  me  suis  fait  le  missionnaire  et  le  champion  d'un  che- 
min de  fer  de  pénétration  qui,  partant  de  ia  mer,  abouti- 
rait au  Niger  navigable  par  la  plus  courte  distance  entre 
le  fleuve  et  la  côte.  Le  point  de  départ  est  le  port  de  Cona- 
ki  y  :  le  point  d'arrivée  est  Kardamanîa  près  de  Kouroussa. 
Mon  but  est  de  vous  exposer  à  la  fois  la  justification  et  les 
détails  de  ce  projet  ;  je  diviserai  ma  conférence  de  la  façon 
suivante  : 

1"  Récit  de  ma  première  mission;  2"  ma  deuxième  mis- 
sion ;  'S"  description  de  la  Guinée  ;  mœurs  et  coutumes  des 
habitants;  ï~  indications  relatives  au  projet  de  chemin  de 
fer;  5"  colonies  étrangères. 


Récit  de  la  première  mission. 


uil- 


Conakry  est  une  ville  récente,  qui  n'existait  pas  en  juil 
let  1890,  quand  M.  Ballay,  premier  et  unique  gouverneur 
de  la  Guinée  française,  y  débarqua  ;  le  palais  du  gouverne- 
ment, triste  palais,  était  alors  inachevé  et  n'avait  reçu  ni 
portes  ni  croisées;  on  voyait  au  nord  de  l'île  la  factorerie 
delà  Compagnie  française  de  l'Afrique  occidentale  et  a» 
sud  la  factorerie  allemande  Colin  et  Jacob  ;  ces  trois  maisons 
étaient  reliées  par  des  sentiers  étroits  pratiqués  dans  une 
végétation  exubérante  où  se  cachaient  les  panthères  et  les 
serpents.  En  novembre  i8!»5,  lors  de  mon  arrivée,  la  ville 
possédait  déjà  cinq  à  six  rues  et  le  commerce  total  de  la 
colonie  s'élevait  à  dix  millions;  en  juillet  1898,  à  la  lin  de 
ma  dernière  mission,  la  ville  couvrait  l'Ile  entière  de  ses 
constructions,  et  le  commerce  était  passé  à  vingt  millions. 
Ce  simple  détail  vous  expliquera  clairement  pourquoi,  en 
1895-96,  j'ai  été  chargé  seulement  de  l'étude  d'une  simple 
route,  dont  120  kilomètres  sont  du  reste  déjà  exécuté»,  et 


Lfc   CONAKRV  Al:   NIGKH.  889 

pourquoi,  en  1897-98,  je  suis  reparti  de  nouveau  pour 
entreprendre  une  étude  de  chemin  de  fer.  L'importance 
«croissante  du  commerce  est  la  principale  cause  de  l'ex- 
tension du  programme  primitif. 

La  première  mission  arriva  le  7  novembre  1895  à  Cona- 
*try,  après  une  traversée  de  douze  jours;  elle  comprenait 
un  seul  officier  et  deux  sous-officiers,  parmi  lesquels  le 
xmaréchal  des  logis  de  Bernis,  tombé  depuis  à  Uo  au  cours 
de  l'expédition  Bretonnet. 

L'intérieur   du   pays    était    alors  presque   indépendant, 
comme  on  va  le  voir,  et  très   peu  connu;  on  me  chargea 
d'étudier  le  tracé  d'une  route  entre  la  capitale  de  la  Guinée 
et  Farana,  poste  et  marché   important  sur  le  Niger.  La 
besogne  était  trop   lourde  pour  que  le  petit  effectif  de  la 
mission  pût  l'accomplir  entièrement  dans  une  année 
résolus  donc  de  consacrer  la   campagne  au  levé  exact 
la  première  moitié  du  tracé  de  Gonakry  à  Bamhaïa,  et  de 
reconnaître  simplement  le  reste  entre  Bambaîa  et  Farana. 
Dès  qu'on  quitte  Conakry,  on  arrive  au  pied  d'une  haute 
montagne  qui  s'élève  à  pic  de  près  de  1,000  mètres  au- 
dessus  de  la  plaine  environnante;  cette  montagne,  nommée 
Kakoulima,  est  très  redoutée  des  noirs  qui  la  dépeignent 
comme  un  séjour  de  mauvais  génies  et  qui  n'osent  s'y  aven- 
turer; comme  elle  constitue  un  magnifique  belvédère,  je 
résolus  d'en  faire  l'ascension  aûn  de  jeter  sur  le  pays  un 
Coup  d'oeil  d'ensemble  et  de  mieux  jalonner  ma  route.  Au 
cours  de  l'ascension,  nous  fûmes  tellement  gênés  par  les 
broussailles  et  les  lianes  que  nous  ne  pûmes  avancer  que 
très  lentement  et  qu'il  fallut  bivouaquer  en  pleine  forêt;  la 
foret  qui  couvre  le  Kakoulima  est  très  épaisse  et  remplie 
de  singes,  de  chimpanzés  principalement,  qui  font  au  lever 
et  au  coucher  du  soleil  un  concert  assourdissant;  les  noirs 
disent  qu'ils  font  «  salam  *  ;   d'autre  part,  de  gros  mous- 
tiques attirés  par  le  feu  se  jetèrent  sur  nous;  nous   ne 
pûmes  fermer  l'œil  de  la  nuit  et  l'ascension  fut  reprise  dès 


368  DE   CONÀKRÏ   AU    MIGER. 

que  le  jour  le  permit;  malheureusement, dans  la  marche  au 
milieu  delà  forêt  nous  perdîmes  la  bonne  direction,  et  nous 
arrivâmes  au  pied  d'une  muraille  infranchissable  qu'il  fal- 
lut longer  jusqu'à  ia  rencontre  d'une  passe  étroite;  celte 
passe  était  à  demi  fermée  par  un  arbre  résineux  dont  une 
haute  branche  horizontale  portait  enroulé  un  naja  noir,  ser- 
pent très  venimeux.  J'eus  la  pensée  d'essayer  d'atteindre  le 
naja  avec  un  mauvais  revolver  d'exportation  appartenant  à 
mon  guide;  le  but  était  assez  difficile  à  atteindre  ;  deux  des 
balles  ne  portèrent  pas  et  les  autres  cartouches  donnèrent 
des  raies.  Je  passai  néanmoins  sans  me  préoccuper  autre- 
ment de  l'incident;  quelle  ne  fut  pas  ma  surprise  de  con- 
stater que  mes  noirs  ne  me  suivaient  pas!  Je  revins  en 
arrière;  j'employai  tour  à  tour  les  menaces  et  les  pro- 
messes ;  tout  fut  inutile  ;  les  noirs  étaient  persuadés  qu'ils 
allaient  commettre  un  sacrilège;  le  naja  était  pour  eux 
l'incarnation  du  démon  familier  de  la  montagne  et  leur 
jetterait  un  sort  ;  l'incident  du  revolver,  joint  à  nos  autres 
mésaventures,  avait  porté  leur  superstition  aucomhle;  bref, 
je  dus  redescendre,  mes  porteurs  m'étant  nécessaires  pour 
mes  vivres,  d'autant  plus  que  le  brouillard  s'était  levé  et 
que  mon  espoir  d'examiner  le  pays  ne  pouvait  plus  se  réa- 
liser. Un  essaim  d'abeilles,  dérangé  par  notre  passage,  se 
chargea  de  transformer  la  retraite  en  déroute. 

Durant  ma  deuxième  mission,  j'ai  exécuté  avec  M.  Naudé, 
adjoint  du  génie,  et  le  sergent  Dubus,  cette  ascension  dans 
des  conditions  excellentes,  et  nous  avons  établi  un  signal 
topographique  à  son  sommet,  après  avoir  franchi  les  der- 
niers vingt  mètres  au  moyen  de  la  corde. 

Après  cet  épisode,  la  mission  poursuivit  sa  marche;  elle 
découvrit  une  magnifique  cascade  sur  la  rivière  Kitim,  près 
de  Tangbaïa;  la  rivière  court  dans  un  chenal  profond  avec 
vitesse  énorme,  se  brise  contre  les  rocs  et  finalement 
se  jette  dans  un  gouffre  de  40  mètres  de  hauteur  surmonté 
d'un  rocher  à  pic  de  pareille  dimension;  le  spectacle  est 


BE   CONAKRY   AU    NIGER.  3W 

'une  beauté  incomparable,  surtout  à  la  fin  de  l'hivernage. 

Arrivée  à  Senienla,  la  mission  s'informa  des  chefs  du 
-village  pour  en  obtenir  l'hospitalité;  pendant  que  cette 
recherche  s'opérait,  le  maréchal  des  logis  tomba  sur  un 
sentier  conduisant  à  un  carrefour  d'où  les  indigènes  cher- 
chèrent à  l'écarter,  en  lui  disant  qu'il  y  trouverait  des  dia- 
fcles;  il  n'y  trouva  pas  de  diables,  mais  bien  les  chefs  et  les 
notables  fort  occupés  à  s'enivrer  avec  du  «  bili  »,  liqueur 
«du  pays  ayant  une  saveur  opiacée. 

Nous  survînmes  à  Koliagbé  en  pleines  réjouissances,  à 
l'occasion  du  «  boundoum  »  ou  baptême  musulman;  le 
soir,  le  corps  de  ballet  de  l'endroit  se  présenta  devant  nous, 
«t  exécuta  sous  la  surveillance  d'une  vénérable  matrone, aux 
sons  d'un  xylophone  appelé  balafon,  un  tam-tam  des  mieux 
a'éussis.  Cet  honneur  nous  coûta  un  très  grand  nombre  de 
piécettes  de  cinquante  centimes,  car  il  est  d'usage  en  pays 
«noir  de  se  montrer  généreux  dans  ces  sortes  de  cérémo- 
nies. La  rivière  Oua-Oua  nous  offrit  encore  une  suite  mer- 

ùlleusede  13  cascades  consécutives,  dont  quelques-unes 

it  percé  le  rocher  en  créant  des.  ponts  fantastiques. 

Nous  atteignîmes  enfin  les  frontières  du  Foutah  Djallon, 
pays  alors  indépendant  en  fait,  bien  qu'il  eût  déjà  signé 
avec  nous  des  traités  de  protectorat.  Les  Peuls  sont  une 
ace  fiëre  très  différente  des  noirs  ordinaires;  on  les 
lit  descendants  des  Fellahs  égyptiens;  ils  élèvent  des 
ifs  et  montrent  beaucoup  d'aptitude  au  tissage  et  aux 

ivaux  de  maroquinerie.  L'instruction  musulmane  est  chez 
assez  répandue. 

Dans  une  reconnaissance  préliminaire  que  je  fis  à  Noun- 

ilo,  je  fus  repoussé  sans  motif  du  village  du  chef,  et  obligé 
m'abriter  dans  une   mauvaise  case  du  voisinage,  je 

'avais  pas  d'armes  et  six  noirs  seulement  m'accompa- 
Ient;  le  chef,  qui  avait  sur  la  conscience  quelques 
'ails  antérieurs,  refusa  de  me    recevoir   et  môme    de 

'entretenir  avec  moi.  Ni  vivres   ni  guides  ne  me  furent 


■uni    ue 
es  avoir 

irrêter  : 
onakry, 


370  DE   OOIMKRY   M)    «Gît. 

donnés  pour  continuer  ma  roule,  et  je  fus  contraint  de 
rebrousser  chemin  vers  le  gros  de  ma  mission,  après  a 
perdu  ma  mule  qui  s'était  échappée  la  nuit. 

Il  va  sans  dire  que  je  ne  pouvais  me  laisser  a 
je  n'avais  pas  le  temps,  à  une  pareille  dislance  de  Conaki 
d'en  référer  au  gouverneur  ;  je  me  procurai  au  poste  voisin 
une  dizaine  de  tirailleurs,  et  je  revins  à  Nounkolo,  espérant 
encore  négocier.  Je  fus  accueilli  à  coups  de  fusil,  et  mou 
guide  fut  blessé;  les  tirailleurs  ripostèrent,  mais  je  fis  aus- 
sitôt cesser  le  feu  en  voyant  que  les  Foulahs  s'enfuyaient. 
Nous  entrâmes  dans  le  village  abandonné  où  je  retrouvai 
ma  mule, que  les  Poulabs  m'avaient  volée  à  mon  insu;  cette 
mule,  profitant  de  l'iusouciance  du  noir  qui  la  gardait, 
avait  pu  se  détacher,  et  avait  repris  le  chemin  qu'elle  avait 
déjà  parcouru,  afin  de  rejoindre  ses  compagnons  d'écurie 
restés  avec  le  gros  de  la  colonne;  les  Foulahs  l'avaient 
confisquée  au  passage,  désireux  de  se  procurer  économi- 
quement une  bête  dont  la  force,  la  taille  et  la  douceur  les 
émerveillaient.  Le  Foutah  ne  possède,  en  effet,  d'autres 
bêtes  de  somme  que  les  bœufs,  et  l'on  y  voit  seulement 
quelques  chevaux  de  petite  taille  importés  pour  l'usage  des 
chefs. 

Ce  ne  fut  pas  là  ma  seule  querelle  avec  les  Foulahs  : 
deux  jours  plus  tard,  les  habitants  de  Bamè  me  refusèrent 
toute  nourriture,  même  contre  paiement;  comme  j'avais 
jugé  nécessaire  de  confisquer  un  bœuf  afin  de  les  ramener 
à  de  meilleurs  sentiments,  ils  m'attaquèrent  le  soir  pour 
reprendre  leur  bien  et  s'emparer  de  mes  caisses.  Le  maré- 
chal des  logis  de  Bernis  était  alors  malade  de  la  fièvre,  le 
deuxième  sous-officier  était  absent;  je  n'avais  gardé  qu'un 
seul  tirailleur  afin  de  ménager  les  vivres.  Dans  cette  situa- 
tion critique,  mes  porteurs,  que  j'avais  à  peu  près  militari- 
sés, me  servirent  beaucoup  ;  je  restai  maître  de  la  situation, 
et  des  perquisitions  minutieuses  dans  les  cases  abandon- 
nées me  procurèrent  assez  de  riz  pourjnourrir  mes  hommes. 


DE   COKAK&T   AI'   MIGER.  371 

I  me  restait  à  m'enfoncer  dans  les  pays  que  Samory  avait 
dévastés  et  ruinés  ;  cette  région  est  semée  à  chaque  pas  de 
restes  d'anciens  village»;  mais  l'éléphant  y  a  maintenant 
remplacé  l'homme.  Pendant  trois  jours,  nous  ne  vîmes 
aucune  trace  humaine  et  le  sentier  avait  lui-même  disparu  ; 
*1  fallait  marcher  à  la  boussole,  et  s'approvisionner  à  l'a- 
vance pour  ne  pas  mourir  de  faim. 

Je  ferai  remarquer  à  ce  propos  que  ce  ne  sont  pas  les 
livres  de  l'Européen  qui  l'embarrassent,  mais  bien  la  néces- 
sité de  nourrir  les  porteurs;  on  ne  peutse  charger  de  tout 
1  e  riz  nécessaire,  car  alors  les  porteurs  ne  suffiraient  même 
pas  à  porter  leur  propre  nourriture;  d'autre  part, il  ne  faut 
pas  affamer  les  pays  où  l'on  passe,  si  on  ne  veut  pas  créer 
le  vide  autour  de  soi.  C'est  ainsi  que  j'arrivai  à  Parana, 
poste  autrefois  important  sur  la  rive  droite  du  Niger. 

La  mission  n'y  resta  pas  longtemps  et  revînt  sur  ses  pas 
>ar  un  meilleur  chemin  qui  traversait  le  Foutah  Djallon; 
e  passai  à  Kouria,  village  détruit  en  1891  par  les  Sofas,  au 
moment  de  l'expédition  de  Brosselard-Faidherbe.  Ainsi  que 
me  l'expliqua  un  indigène,  témoin  oculaire  du  massacre, 
s  Sofas  avaient  choisi  comme  centre  d'hivernage  et  maga- 
i  général  le  poste  d'Hérémakono,  où  les  noirs  anglais  de 
Sierra  Leone  venaient  échanger  de  la  poudre,  des  fusils  et 
s  tissus  contre  des  esclaves.  De  là  ils  guettaient  quelque 
s  village  entouré  de  fermes,  sur  lequel  ils  fondaient  au 
:bul  de  la  belle  saison;  ils  y  vivaient  au  jour  le  jour, 
«liant  de  temps  à  autre  les  provisions  et  dévorant  les 
s  des  habitants,  puis  ils  se  retiraient  au  commence- 
ment de  l'hivernage  en  mettant  le  feu  à  leur  refuge.  Ce  fut 
insi  que  les  Sofas  prirent  Kouria;  Kémoko  Bilali  vint  du 
iud,  Sisséké  du  nord,  un  troisième  chef  entra  par  l'ouest; 
l'assaut  fut  donné  de  grand  matin,  alors  que  les  habitants 
ne  s'y  attendaient  pas;  les  hommes  furent  égorgés  ou  se 
sauvèrent  chez  les  Houbbous;  les  femmes  et  les  enfants 
furent  réduits  en  esclavage. 


DE    CONAKIIY    Ad    NIGER. 

Les  ravages  de  ces  Sofas  furenl  durement  réprimés,  car 
!e  colonel  Combes  dirigea,  en  1893,  une  expédition  en 
Guinée;  il  poursuivit  partout  les  Sofas,  de  Farana  jusqu'au 
Kissi  et  jusqu'à  la  Grande  Scarcie,  point  extrême  qu'ils 
avaient  atteint;  Ouossou  était  un  poste  sofa.  Tous  les  Sofas 
pris  les  armes  à  la  main  étaient  envoyés  à  Farana,  jugés 
par  une  cour  martiale  et,  en  cas  de  condamnation,  exécutés; 
les  exécutions  furent  assez  nombreuses  pour  que  l'on 
puisse  retrouver  encore  un  fouillis  d'ossements  et  de  crânes 
dans  un  champ  de  riz  auprès  du  Niger.  L'on  raconte  que 
l'exécuteur,  un  noir  exerçant  aujourd'hui  le  métier  de  bou- 
langer, ne  pouvant  couper  une  têle  avec  un  sabre  au  tran- 
chant émoussé,  appuyait  par  petits  coups  donnés  en  des- 
sous le  col  de  la  victime  sur  le  tranchant  pour  le  faire 
mordre,  et  lui  disait  en  même  temps  dans  un  jargon  que 
je  traduis  à  peu  près  :  «  Pourquoi  faire  tant  de  façons?  » 
Après  la  traversée  de  cette  triste  contrée,  la  mission  péné- 
tra enfin  de  nouveau  dans  le  Foutah  Djallon,  mais  non  sans 
difficultés.  En  effet,  le  Foutah  était  entouré  de  peuples 
vassaux  qui  les  redoutaient  et  nous  refusaient  des  guides, 
en  nous  renvoyant  de  l'un  à  l'autre;  nous  tournions  donc 
autour  du  pays  sans  jamais  y  pénétrer.  Je  réussis  enfin 
à  gagner  un  chef  malinké  qui,  au  prix  d'un  gros  collier 
d'ambre,  objet  de  parure  très  recherché,  consentit  à  ine 
fournir  un  guide  et  des  porteurs. 

Le  Foutah  est  entouré  d'une  sorte  de  rempart  monta- 
gneux constitué  par  des  soulèvements  granitiques  est-ouest 
s'élevant  à  pic  du  milieu  de  la  plaine;  l'ascension  fut  donc 
très  dure,  mais  enfin  le  succès  couronna  nos  efforts.  Ce  fut 
alors  que  j'eus  une  troisième  querelle,  beaucoup  plus  grave 
que  les  premières,  avec  les  Foulahs.  La  mission  marchait  en 
deux  groupes,  le  maréchal  des  logis  de  Remis  en  tête  avec 
le  convoi,  moi-même  avec  les  noirs  qui  m'aidaient  dans 
mon  levé,  le  premier  groupe  à  une  allure  naturellement 
plus  rapide  que  le  deuxième.  En  approchant  du  village  de 


DE   CONAKRÏ    AU    NIGER.  373 

Laïcomboia,  je  fus  accueilli  par  un  spectacle  inattendu  : 
mon  guide  avait  été  poignardé  ;  mes  porteurs  en  fuite 
avaient  laissé  leurs  charges  au  milieu  du  chemin;  le  maré- 
chal des  logis  était  assis  prisonnier  au  milieu  d'une  cen- 
taines d'hommes  qui  m'attendaient.  Je  n'avais  avec  moi 
que  deux  aides,  mon  interprète  et  un  tirailleur;  la  diplo- 
matie seule  pouvait  nous  sauver.  J'arrêtai  le  tirailleur  déjà 
prêt  à  faire  feu,  et  je  m'avançai  seul  et  ostensiblement  dé- 
sarmé vers  le  groupe  hostile  qui  m'accueillit  par  des  cla- 


Je  n'ignorais  pas  que  les  Foulahs  étaient  en  proie  à  des 
discordes  intestines,  et  qu'ils  avaient  essayé  déjà  de  né- 
gocier avec  les  Français;  de  plus  ils  craignent  nos  régi- 
ments soudanais;  je  fis  donc  expliquer  au  chef  peul  que 
j'étais  venu  en  voyageur,  en  ami,  et  que  te  gouverneur  de 
Conakry  m'avait  invité  à  venir  leur  porter  l'assurance  de 
son  amitié;  que  nos  soldats  n'étaient  pas  venus  avec  moi, 
pour  n'effrayer  personne  dans  cette  démarche;  mais  ils 
savaient  que  je  devais  revenir  tel  jour  à  la  frontière;  ils 
m'y  attendaient,  et  si  je  ne  paraissais  pas,  l'on  pouvait 
compter  sur  des  coups  de  fusii.  Celte  raison  fût  goûtée;  un 
ou  deux  colliers  d'ambre  achevèrent  de  bien  disposer  les 
Peuls;ils  nous  donnèrent  des  cases,  des  vivres  et  des  guides. 

C'est  dans  cette  conversation  que  je  pus  le  mieux  appré- 
cier les  qualités  de  finesse  native  des  Foulahs  ;  la  discussion 
entre  le  chef  et  moi  fut  extrêmement  polie  et  courtoise, 
sans  mouvements  d'impatience,  sans  injures  ;  et  j'étais  vrai- 
ment embarrassé  parfois  pour  soutenir  la  discussion  ou 
réfuter  des  arguments,  tout  autant  que  j'eusse  pu  l'être 
avec  un  Européen.  Ce  chef,  nommé  Alfa  Aliou,  tint,  en  nous 
séparant,  à  me  demander  ma  carte;  sur  quoi  quatre  autres 
se  crurent  obligés  aussitôt  d'en  faire  autant.  Alfa  Aliou  a 
été  tué  dans  les  troubles  qui  ont  suivi  la  conquête  du  Fou- 
tah,  mais  on  trouverait  certainement  nombre  de  Peuls  aussi 
intelligents  que  lui. 


'■'■'.  i  OS   CONAKRV  AU  MBËII. 

Notre  retour  en  Guinée  et  à  Conakry  s'elfectua  sans  dif- 
ficulté, et  nous  pûmes  utiliser  la  belle  route  que  M.  Oswald, 
garde  principal  d'artillerie,  construisait  d'après  notre  tracé; 
nos  montures  succombèrent  toutes,  mais  heureusement 
quand  finissait  notre  tâche.  La  maladie  vint  ensuite  nous 
éprouver.  J'eus  un  accès  de  dysenterie  qui  nécessita  trois 
mois  de  traitement  au  lait  à  Saint-Louis  et  en  France  pour 
guérir;  me  trouvant  dans  l'impossibilité  de  repartir  aussi- 
tôt, je  rendis  au  maréchal  des  logis  de  Bernis  sa  liberté;  il 
s'embarqua  de  nouveau  avec  la  mission  Bretonnet  pour  le 
Dahomey,  où  il  était  destiné  à  périr. 

Pendant  la  même  année  1895-1896  une  autre  mission, 
comprenant  les  capitaines  Pas  saga,  Cayrade  et  Millot, 
exécuta  en  Guinée  la  délimitation  des  frontières  anglo- 
françaises,  et  détermina  la  position  astronomique  exacte 
des  sources  du  Niger. 

En  1896-1897,  le  temps  fut  largement  mis  a  profit  par  la 
colonie  :  elle  fit  continuer  la  route  sous  la  direction  de 
M.  Leprince,  garde  d'artillerie  de  marine,  poser  un  réseau 
télégraphique  se  reliant  par  Farana  et  Kouroussa  à  celui  du 
Soudan,  entamer  un  autre  réseau  côtier  se  reliant  avec 
Dakar  par  la  Casamance.  M.  Leprince  fit  exécuter  une  large 
piste  pour  les  caravanes,  le  long  du  fil  télégraphique  ;  les 
capitaines  Muiler  et  Desdouils  conquirent  le  Foulah  ;  on 
organisa  l'intérieur  du  pays,  on  créa  des  magasins;  des 
recensements  furent  commencés;  le  gouverneur  établit 
l'impôt  de  capilation  et  brisa  les  résistances  dont  les  épi- 
sodes de  ma  mission  avaient  prouvé  la  réalité.  Enfin,  sous 
l'impulsion  de  M.  le  gouverneur  Ballay,  secondé  par 
M.  Couslurier,  Conakry  tripla  d'étendue  et  d'importance, 
et  le  commerce  doubla.  En  1897 ,  la  roule  arrivait  à 
Mambia  après  avoir  franchi,  sous  l'impulsion  énergique  de 
M.  Leprince,  les  deux  premières  terrasses  que  l'on  ren- 
contre à  partir  de  la  côt«  vers  l'intérieur,  Cette  route  a 
5  mètres  de  large,  elle  bsI  carrossable,  mais  dotée  seule- 


DE    COKAKRÏ    AU    NIGER.  375 

t  de  ponts  en  bois  que  les  termites  rongent  en  un  ou 
n'est  pas  encore  bien  empierrée  ;  la  nécessité 
d'aller  vile  et  diverses  circonstances  matérielles  ont  fait 
accepter  quelques  rampes  raides  faciles  à  adoucir,  et  quel- 
ques courbes  qu'on  pourra  supprimer;  le  tracé  est  défec- 
tueux, entre  les  12'  et  30"  kilomètres,  cette  partie  ayant  élé 
exécutée  par  des  noirs  sans  aucune  reconnaissance  préa- 
lable; la  longueur  totale  de  la  route  est  actuellement  de 
100  kilomètres,  et  l'on  ne  dépassera  pas  sans  doute  Fri- 
guiagbé  qui  sera  atleint  cette  année  ;  on  est  en  train  de  la 
munir  de  ponls  en  fer. 

II-  —  Deuxième  mission;  description  no  pays; 

MfKIJItS    ET    COUTUMES   DES    HABITANTS 

A  la  suite  de  l'accroissement  de  la  prospérité  de  Conakry, 
is  vues  changèrent,  et  je  fus  cbargé  d'aborder,  aux  frais 
e  la  colonie,  l'étude  d'un  chemin  de  fer;  d'ailleurs  la 
lonie  de  Sierra  Leone,  notre  concurrente,  avait  com- 
:ncé  une  entreprise  analogue,  et  les  renseignements 
ma  première  mission  m'avaient  permis 
r  que  la  chose  était  possible  II  restait  à  le  prouver 
i  exécutant  l'avant-projet.  La  mission  comprenait  3  offi. 
i  et  5  sous-ofliciers,  le  capitaine  Millot  ici  présent, 
djoint  du  génie  Naudé  actuellement  en  Guinée,  les  sér- 
iais du  génie  Turpin,  Greuot,  Dubus  et  Godfrin,  et  le 
réchal  des  logis  Lachaud.  Le  débarquement  eut  lieu  à 
ikry  le  14  octobre.  Pendant  que  les  préparatifs  de 
jart  dans  la  brousse  s'effectuaient,  je  pus  me  rendre 
iognito  à  Sierra  Leone  et  y  lever  grossièrement  le  chemin 
le  fer  existant;  je  pus  même  revenir  en  locomotive;  il  n'y 
lainement  aucune  raison  de  croire  que  les  Anglais 
«iraient molesté  s'ils  avaient  connu  ma  présence,  mai*  je 
raignais  précisément  leur  hospitalité  qui  aurait  pu  me 


376  DE   CONAKRY   Al'    NIGER. 

gêner  alors  que  j'Étais  pressé  par  le  temps;  je  me  souvenais 
de  la  réception  que  l'on  fait  traditionnellement  aux  officiers 
étrangers  qui  suivent  les  grandes  manœuvres  :  on  leur 
réserve  bon  accueil  et  bonne  chère,  mais  leurs  cicérones  ne 
les  conduisent  sur  le  terrain  qu'au  moment  où  la  pièce  va 
se  jouer  et  ils  n'en  ont  pas  vu  les  coulisses.  Pour  ne  pas 
être  connu,  j'ai  pris  une  goélette  à  Conakry;  expérience 
faite,  je  ne  conseille  à  personne  la  navigation  en  goélette; 
on  peut  rester  en  panne  pendant  deux  jours  par  les  temps 
de  calme  ;  c'est  ce  qui  nous  arriva  ;  on  rechercha  les  pro- 
visions dont  disposait  l'équipage  pour  ne  pas  mourir  de 
faim,  elles  se  montaient  à  une  boite  de  sardines  et  six  bou- 
teilles de  vin. 

Le  chemin  de  fer  anglais  de  Sierra  Leone  a  50  kilomètres 
de  long  actuellement  etO  m.  70  de  large;  il  comprend  tl  à 
12  viaducs,  ce  qui  l'a  rendu  relativement  tort  cher;  la 
révolte  des  Mendès  et  des  Timénés,  qui  a  éclaté  en  1898,  a 
retardé  sérieusement  sa  construction,  et  il  nous  est  facile 
de  le  devancer  maintenant  ;  il  se  dirige  par  Songolown  vers 
Kotifunk. 

De  retour  à  Conakry,  je  trouvai  la  mission  prête  à  partir, 
constituée  en  trois  groupes  devant  opérer  séparément  cha- 
cun sous  la  conduite  d'un  officier.  Le  capitaine  Millot  était 
plus  particulièrement  chargé  de  la  reconnaissance  du 
Niger  et  du  Haut-Konkouré,  et  accessoirement  de  plusieurs 
autres  itinéraires.  Il  a  reconnu  le  premier  exactement  la 
partie  du  cours  du  Niger  entre  Farana  et  Kouroussa,  et 
a  ainsi  dignement  complété  le  travail  de  Hourst,  qui  com- 
mence à  Kouroussa.  M.  le  Ministre  des  Colonies,  tenant 
compte  de  cette  œuvre,  a  bien  voulu  l'en  récompenser  en 
lui  accordant  la  croix  de  la  Légion  d'honneur. 

M.  l'adjoint  du  génie  Naudé  a  exécuté  la  majeure  partie 
du  levé  détaillé;  le  reste,  soit  200  kilomètres,  ainsi  que  les 
grandes  reconnaissances  â  travers  le  Foutah  Djallon  et  la 
plaine  du  Niger,  m'a  été  réservé. 


On  peul  i 


DE    CONAKRY   *î)    NIGER. 

que  le   travail 


377 


npli    ; 


accompl 
sidérable  et  qu'il  dépasse  ta  mesure  habituelle; 
aussi,  malgré  la  chaleur,  le  travail  durait-il  chaque  jour  de 
6  heures  à  midi,  et  se  prolongeait  même  parfois  le  soir; 
sauf  pour  cause  de  maladie,  pas  une  heure  n'a  été  perdue. 
Quelques  jours  ont  été  gagnés  sur  l'hivernage  de  1897  et 
quelques  autres  sur  celui  de  1898;  les  officiers  ont,  en 
outre,  exécuté  eux-mêmes  la  mise  au  net  du  travail  tous 
les  soirs  ;  le  travail  de  débroussailleraient  a  été  accompli  la 
plupart  du  temps  par  des  prestations  indigènes  sous  la 
conduite  d'un  sergent.  La  presque  totalité  des  montures  a 
succombé.  Nous  avons  eu  la  douleur  d'enregistrer  le  décès 
du  sergent  du  génie  Grenot,  mnrt  à  l'hôpital  de  Conakry 
d'une  fièvre  bilieuse  hématurique;  avant  de  mourir,  le  gou- 
rerneur  de  la  Guinée  a  pu  lui  remettre  la  médaille  militaire, 
qu'il  avait  obtenue  par  sa  belle  conduite  à  Madagascar. 

Le  début  de  ma  mission  a  élé  marqué  par  l'ascension 
teureuse  du  Kakoulima,  qui  nous  a  fixés  sur  l'orographie 
du  voisinage;  nous  avons  ensuite  commencé  le  nouveau 
racé  du  chemin  de  fer,  en  utilisant  au  début  nos  porteurs 
comme  débroussaîlleurs;  ceux-ci  ont  regimbé  contre  ce 
changement  de  tâche,  sous  l'influence  de  divers  meneurs 
ù  regrettaient  déjà  d'Être  partis;  ils  se  sont  mis  en  grève, 
t  sont  repartis  pour  Conakry,  d'un  pas  d'abord  rapide,  qui 
e  ralentissait  à  mesure  qu'ils  appréciaient  mieux  les  consé- 
s  de  cet  acte.  Au  pont  de  Tombo,  près  de  Conakry, 
s  auraient  bien  voulu  s'arrêter,  mais  le  gouverneur,  pré- 
mu  télégraphiquement,  les  avait  fait  accueillir  par  des 
miliciens  ;  on  les  mit  en  prison  et  les  meneurs  furent  plus 
rticulièrement  punis  ;  le  lendemain,  je  voyais  reparaître 
tout  mon  monde,  honteux  et  confus,  implorant  mon  par- 
,  et  montrant  le  poing  au  fil  télégraphique  qui  les  avait 
renonces;  depuis  ce  jour-là,  quand  ils  entendaient  le  fré- 
missement du  fil  et  le  murmure  produit  par  la  vibration  des 
rateaux,  mes  hommes  se  disaient  :  «  Vuilà  les  blancs  qui 


IÎ78  DU    CONAKHY   Ali    NIOtH. 

parlent  entre  eux  »  ;  ils  conservèrent  longtemps  rancune  au 
télégraphe  accusateur. 

A  Koussi,  le  chef  de  village  possédait  des  sarraus  singu- 
liers, teints  en  rouge  sombre, garnis  de  petits  objets  couverts 
do  cuir  si  nombreux  qu'ils  semblaient  former  une  sorte  du 
cuirasse  à  écailles  imbriquées;  mon  inlerprète  m'expliqua 
que  je  voyais  là  des  vêtements  de  guerriers  couverts  d'amu- 
lettes ou  «  grigris  >,  possédant  l'invulnérabilité  contre 
les  balles.  Je  lui  proposai  immédiatement  un  essai  sur 
sa  personne,  mais  il  ne  voulut  pas  y  consentir,  disant  qu'il 
n'y  a  pas  de  grigris  contre  les  blancs. 

Gelte  observation  montre  bien  la  raison  pour  Inquelle  les 
merveilles  de  notre  civilisation  n'étonnent  jamais  les  noirs; 
ils  se  contentent  de  dire  :  «  Ce  sont  manières  de  blancs  », 
exprimant  ainsi  l'opinion  que  nous  sommes  un  peu  sor- 
ciers, et  qu'alors  la  chose  est  toute  naturelle. 

Précisément  lors  de  mon  arrivée  en  Guinée,  Sory  Elely, 
nommé almaniy  du  FoutahDjallon  en  remplacement  deBo- 
karBirotuépar  nous,  avait  été  à  son  tour  assassiné  dans  son 
propre  village,  par  le  Gis  de  son  prédécesseur;  le  meurtrier, 
nommé  Tierno  Siré,  Fut  fait  prisonnier  à  Ségaïa  et  passé 
par  les  armes;  beaucoup  de  parents  de  la  famille  des  alma- 
rnys  Souria  avaient  participé  au  complot  et  furent  envoyés 
captifs  à  Gonakry  ;  je  craignais  que  ces  événements,  se  pas- 
sant dans  le  pays  que  j'avais  à  lever,  ne  rendissent  ma 
lâche  plus  difficile;  heureusement  il  n'en  fut  rien.  M.  Noi- 
rot,  résident  du  Foutah  Djallon,  voulut  bien  me  donner 
comme  guide  le  frère  du  deuxième  almamy,  nommé  Bou 
Bakar,  jeune  homme  très  intelligent  et  très  instruit,  par- 
lant toutes  les  langues  du  pays,  y  compris  l'arabe,  et  écri- 
vant correctement  en  caractères  arabes.  Ce  guide  avait  un 
profil  lin  et  pur  qui  offrait  de  grandes  analogies  avec  ceux 
des  inscriptions  égyptiennes;  il  manifestait  des  manières  ti 
nobles,  de  la  discrétion  et  de  la  réserve;  j'en  tirai  un  ei 
parti  pour  me  diriger  dans  le  pays  cl  trouver  ma  ro 


IDE   C0NÀKK1    AU    NIGER.  379 

Grâce  à  ses  conseils,  nous  découvrîmes  la  source  et  la 
vallée  du  Haut-Tinkisso,  ainsi  que  les  sources  et  les  hautes 
valides  du  Konkouré  et  des  deux  Scarcies.  La  vallée  du 
Tinkisso  est  déserte  actuellement,  par  suite  des  guerres 
entre  les  Foulahs  et  les  dissidents  du  nom  de  Houbbous, 
nais  elle  ne  tardera  pas  à  se  repeupler;  le  sergent  Dubus 
y  fut  pris  d'un  grave  accès  de  lièvre  qui  dura  dix  jours; 
malgré  sa  maladie,  comme  nous  étions  dans  un  désert  sans 
vivres  et  sans  habitations,  il  fut  obligé  de  marcher  presque 
constamment  pendant  de  longues  étapes,  d'abord  jusqu'à 
Passaïa,  et  ensuite  jusqu'à  Soia  Moreia  sur  les  bords  du 
Niger.  En  ce  point  le  Niger  ne  devient  navigable  qu'aux 
hautes  eaux  et  à  la  descente;   la  remontée   n'est  jamais 

(possible  sans  portage;  la  descente  aux  basses  eaux  est 
également  impossible;  les  barrages  rocheux  ne  cessent 
d'encombrer  le  Niger  depuis  Farana  jusqu'à  Bafara,  au- 
dessous  du  confluent  du  Mafou  et  du  Niger;  cette  circon- 
stance nous  décida  à  transférer  le  terminus  de  la  voie 
ferrée  de  Farana  à  Kardamania,  en  amont  de  Kouroussa; 
Kardamania  est  vraiment  le  point  où  le  Niger  devient 
navigable  en  tout  temps. 

Le  gros  de  la  mission  se  trouvait  réuni  le  i"  janvier  1898 
à  Kouroussa;  je  garderai  longtemps  le  souvenir  de  celte 
entrée,  qui  s'opéra  dans  la  nuit,  guidés  que  nous  étions 
par  des  feux  immenses  embrasant  l'horîy.on;  le  capitaine 
Franceries,  commandant  du  cercle  de  Kouroussa,  avait 
tenu  à  célébrer  le  jour  de  l'An,  ainsi  que  notre  arrivée, 
par  un  tam-tam  monstre  réunissant  tous  les  indigènes  des 
environs.  Le  poste  de  Kouroussa  est  assis  sur  un  beau 
plateau,  sur  les  flancs  duquel  le  village  s'étage  jusqu'au 
Niger;  c'est  un  marché  très  important  pour  le  caoutchouc 
et  les  autres  produits  indigènes;  ce  sera  la  capitale  future 
du  Soudan, 

Le  retour  s'effectua  par  Bauko,  autre  gros  marché  très 
binn  situé  au  pied  de  hautes  montagnes;  entre  res  mon- 


_ 


DE  CONAKRV   AU    NIGER. 

tagnes  el  le  Niger  s'élend  une  plaine  fort  peu  accidentée, 
à  part  quelques  mamelons  isolés;  cette  plaine  est  fertile, 
très  riche  en  riz  et  en  caoutchouc;  elle  pourrait  être  le 
grenier  à  riz  de  tout  le  Soudan.  Le  chemin  de  fer  n'y 
éprouvera  aucune  difficulté  de  construction  et  pourra  suivre 
de  grands  alignements  droits,  favorables  à  la  vitesse. 

A  Kourouflng,  la  mission  croisa  un  marabout  snoussi 
qui  venait  de  Tombouctou  et  avait  recueilli  des  dons  fort 
nombreux  au  Foutah,  où  les  habitants  sont  zélés  musul- 
mans. 

A  Kambaïa,  les  Malinkés  quittaient  le  village  et  se  dépla- 
çaient vers  le  Tinkisso;  notre  colonne  croisa  un  noir  qui, 
nouvel  Énée,  transportait  sa  mère  sur  ses  épaules  jusqu'à 
l'ancien  village  de  ses  aïeux  qu'on  reconstruisait.  Les  noirs 
sont  très  aimants  pour  leur  mère,  et  ce  sentiment  lou- 
chant suffirait  à  leur  faire  pardonner  certains  défauts  dont 
on  souffre  beaucoup  parfois;  ils  aiment  également  leur 
village  natal  et  ne  manquent  jamais  d'y  revenir  lorsque  la 
cause  qui  les  en  éloignait  a  disparu.  Le  Foutah  Djatlon 
était  plein  de  réfugiés  venant  des  bords  du  Niger  ou  du 
Tinkisso,  chassés  par  Saroory  ou  par  les  Houbbous  ;  main- 
tenant que  ces  vallées  redeviennent  paisibles  et  que  les 
almamys  ne  peuvent  plus  les  retenir,  les  réfugiés  s'en 
retournent  à  leur  village  natal  prier,  comme  ils  disent,  sur 
les  os  de  leurs  pères. 

L'accueil  le  plus  affectueux  nous  attendait  à  Timbo  de  la 
part  de  M.  Noirot,  résident  du  Foutah,  et  du  capitaine  Des- 
douits,  commandant  des  troupes;  malheureusement  j'y  res- 
sentis les  premières  atteintes  de  la  lièvre,  qui  m'obligea  à 
m'aliter;  l'accès  dura  environ  vingt  jours.  Pour  comble  de 
malheur,  nous  apprîmes  coup  sur  coup  la  mort  du  maré- 
chal des  logis  de  Bernis  à  Ilo,  du  sergent  Grenot  à  Cona- 
kry,  du  lieutenant  Curutchet  et  du  sergent  Delesse,  ceux-ci 
étrangers  à  la  mission  et  faisant  partie  de  la  garnison  de 
Timbo.  Ces  déplorables  nouvelles  furent  un  peu  adoucies 


DE   CONAKRY    At!    NIGER.  SW 

par  l'annonce  des  récompenses  que  la  Société  de  Géogra- 
phie avait  bien  voulu  accorder  au  capitaine  Millot  et  à  moi. 
Après  beaucoup  de  fatigues,  grâce  au  dévouement  de 
tout  le  monde,  le  travail  de  levé  fut  enfin  terminé  complè- 
tement le  4  juin  et  la  mission  put  rentrer  à  Conakry,  où 
elle  fit  de  nouveau  connaissance  avec  la  lièvre.  Il  est  remar- 
quable que  la  sauté  se  soutient  relativement,  malgré  un 
travail  pénible,  tant  que  le  travail  dure;  dès  les  premiers 
moments  de  repos,  une  réaction  se  produit,  qui  amène 
généralement  la  fièvre.  H  fallut  même  presser  le  départ  du 
maréchal  des  logis  Lachaud,  qui  était  le  plus  gravement 
atteint. 

Le  tracé  de  chemin  de  fer  ainsi  obtenu  a  680  kilomètres 
de  long  et  1  mètre  de  large;  le  levé  a  été  Tait  à  1/5,000* 
c'est-à-dire  à  une  échelle  moitié  de  celle  du  cadastre,  sur 
i  mètres  de  large;  il  n'y  a  pas  de  grands  ponts,  ni  de 
onels,  ni  de  viaducs,  ni  de  grandes  tranchées;  les  ponts 
ont  couramment  de  10  à  15  mètres  de  longueur  avec 
travées  maximum  de  35  mètres;  les  courbes  ont 
100  mètres  de  rayon  minimum  et  les  pentes  absolues  ne 
dépassent  pas  25  millimètres  par  mètre,  sauf  sur  3  kilo- 
mètres le  long  des  monts  Ouloum;  c'est  donc  un  chemin 
de  fer  analogue  à  ceux  de  France,  un  peu  plus  étroit  et 
plus  sinueux  cependant.  11  est  productif  dans  toutes  ses 
>arties,  et  on  pourrait,  par  exemple,  se  contenter  d'en  exé- 
cuter d'abord  la  première  partie,  de  Conakry  aux  sources 
u  Bafing,  sous  le  nom  de  chemin  de  fer  du  Foutab  Djal- 
.  Le  prix  à  prévoir  varie  de  70  à  90,000  francs  le  kilo- 
lèlre,  suivant  qu'on  ajoute  ou  non  le  bénéfice  de  l'en- 
trepreneur. Il  reste  à  exécuter  l 'avant-projet  du  tracé, 
c'est-à-dire  à  retoucher  le  tracé  fait  sur  le  terrain  et  à  le 
débarrasser  des  coudes  brusques  qu'il  présente,  tout  en 
ménageant  la  pente  le  mieux  possible.  La  main-d'œuvre 
nécessaire  existe,  car  on  peut  disposer,  comme  le  Congo 
belge,  des  nombreux  travailleurs  de  nos  possessions,  qui  se 
soc.  ue  uéogr.  —  4"  trimestre  IfMW.  \x.  —  27 


383  DE    CONAkRÏ  AU    HIGEB. 

sont  élevés  jusqu'à  8,000  hommes  sur  les  chantiers  du 
Congo;  la  journée  de  terrassier  nous  reviendrait  seulement 
à  1  franc,  tandis  que  le  prix  admis  au  Congo,  tous  faux 
frais  compris,  était  de  3  francs. 


III.  —  Description  de  la  Guinée. — Mœurs  et  i:ohtcme: 

DES    HABITANTS. 


La  Guinée  française, appelée  naguère  Rivières  duSud,  n'a 
été  érigée  en  gouvernement  distinct  qu'en  1890;  elle  doit 
son  origine  aux  comptoirs  fondés  par  nos  commerçants, 
la  Compagnie 'Verminck  enlre  autres,  au  sud  de  la  Casa- 
mance;  le  colonel  du  génie  Pinet-Laprade,  successeur  de 
Faidherbc  au  Sénégal,  plaça  sous  notre  protectorat  la 
plupart  de  ces  comptoirs,  entre  autres  le  Rio  Nufiez,  d'où 
était  parti  Hené  Caillié,  te  Rio  Pongo,  Dubreka  et  Benly. 
Pareillement  les  postes  de  Grand  Bassani,  Petit  Bassani, 
Grand  Lahou,  Assinie,  Grand  Popo  et  Petit  Popo  relevaient 
tous  du  gouverneur  du  Sénégal.  En  1883,  sans  rompre 
le  lien  de  dépendance  avec  ta  colonie- mère,  on  réunit 
tous  les  postes  situés  au  sud  de  la  Casamance  sous  les 
ordres  d'un  lieutenant-gouverneur,  M.  Bayol.  La  guerre  du 
Dahomey  et  la  magnifique  exploration  de  Singer  donnèrent 
de  l'importance  à  la  Cote  des  Esclaves  et  à  la  Cote  d'Ivoire, 
qui  furent  détachées  l'une  après  l'autre  de  la  partie  occi- 
dentale située  au  nord  de  Sierra  Leone.  La  campagne  du 
colonel  Combes,  en  1890,  fournil  également  un  hinterland 
à  la  colonie  des  Rivières  du  Sud,  et  ce  fut  ainsi  que  se 
constituèrent  trois  gouvernements  distincts  sous  les  ordres 
de  MM.  Ballay,  Ballot  et  Binger,  dont  les  aptitudes  colo- 
niales remarquables  nous  ont  valu  une  bonne  partie  de  nos 
succès  dans  la  Boucle  du  Niger.  En  18^5,  pour  assurer 
l'unité  d'action  politique  entre  nos  diverses  possessions 
coloniales  au  nord  du  Congo,   on   créa  le  gouvernement 


BK   C0N-4KRY    AU    NIGER.  383 

général  de  l'Afrique  occidentale,  dont  le  siège  fut  fixé  à 
Saint-Louis. 

Le  gouvernement  des  Rivières  du  Sud  a  pris  le  nom  de 
Guinée  française  parce  qu'il  a  été,  à  un  moment  donné,  le 
noyau  principal  de  nos  possessions  de  l'Afrique  occiden- 
tale entre  la  Casamance  et  le  Gabon,  le  long  du  golfe  de 
Guinée;  cette  dénomination  reste  comme  trace  et  comme 
témoin  de  l'ancienne  organisation  politique. 

La  colonie  est  limitrophe  de  la  Guinée  portugaise,  de  la 
Gainée  anglaise,  du  Sénégal  et  du  Soudan  ;  le  Rio  Compony 
la  sépare  de  la  Guinée  portugaise;  la  Grande  et  la  Petite 
Scarcie,  et  ensuite  une  ligne  brisée  irrégulière  allant  de 
la  Petite  Scarcie  aux  sources  du  Niger,  la  séparent  de  la 
Guinée  anglaise;  ces  diverses  délimitations  ont  été  l'œuvre 
des  missions  Brosselard-Faidherbe  en  1887,  Passaga,  Cay- 
rade  et  Millol  en  1896.  Du  coté  du  Sénégal  et  du  Soudan,  la 
séparation  est  constituée  par  les  falaises  nord  du  Foutah 
Djallon  et  par  le  Mafou  et  le  Niantan,  affluents  du  Niger. 

La  colonie  comprend,  outre  les  territoires  annexés  du 
Rio  Nunez,  du  Rio  Pongo,  de  Dubreka,  des  îles  de  Cona- 
kry  et  de  Matakong,  enfin  de  Benly,  un  certain  nombre  de 
petits  États  indigènes  placés  sous  notre  proleclorat;  les 
principaux  de  ces  États  sont  ceux  du  Foutah  Djallon  et 
du  Kanéah,  situés  sur  les  plateaux  élevés  qui  séparent  les 
bassins  cotiers  du  bassin  du  Niger;  presque  tons  ces  États 
sont  musulmans,  à  part  quelques  tribus  Bagas  qui  sont 
fétichistes  au  nord  de  Conakry. 

La  côte  est  basse  et  marécageuse,  car  elle  est  due  à  une 
transgression  de  la  mer,  le  véritable  rivage  se  trouvant  en 
mer,  séparé  du  rivage  apparent  par  une  distance  variant 
entre  200  et  500  mètres;  ce  littoral  véritable  est  une  sorte 
de  falaise  sous-marine  arrêtant  les  gros  navires  et  ne  pré- 
sentant de  brèches  qu'en  face  des  estuaires  ou  des  caps 
d'origine  éruptive,  tels  que  Freetown,  les  lies  de  Loss  et  le 
Kakoulima.  Celte  constitution  de  la  cote  est  la  principale 


384  DB   COKÀKHV   AU    NIGER. 

cause  de  l'absence  de  ports  convenables  entre  Dakar  et 
Freetown;  il  n'existe  qu'une  seule  exception,  celle  de 
Conakry,  due  à  sa  situation  au  bout  d'un  promontoire  qui 
lui  permet  de  dépasser  la  zone  basse  pour  atteindre  les 
grandes  profondeurs;  les  lies  de  Loss  ainsi  que  divers  bancs 
de  sable  au  nord,  protègent  cette  heureuse  position  contre 
les  vagues  du  large;  le  détroit  entre  Conakry  et  les  lies  de 
Loss  est  parcouru  deux  fois  par  jour,en  sens  contraire, par 
des  courants  de  marée  violents,  de  sorte  que  l'ensablement 
du  port  est  tout  à  fait  impossible.  Les  îles  de  Loss  sont 
malheureusement  anglaises,  et  leur  distance  de  Conakry  à 
vol  d'oiseau  ne  dépasse  pas  10  kilomètres. 

Les  marées,  très  fortes  sur  la  côte,  permettent  de  remon- 
ter aisément  les  petites  rivières  côtières  telles  que  la 
Mellacorée  depuis  Benly  jusqu'à  Farmoréah,  la  Dnbreka 
depuis  Dubreka  jusqu'à  Corera,  le  Rio  Nunez  depuis  Vic- 
toria jusqu'à  Boké  et  au  delà,  la  rivière  Manéah  depuis 
Tanéné  Doron  jusqu'à  Manéah;  toutefois  le  terrain,  s'éle- 
vant  rapidement  en  forme  de  terrasses,  brise  presque 
aussitôt  le  Ht  des  rivières  sous  forme  de  rapides  ou  même 
de  chutes  remarquables,  de  sorte  qu'une  navigation  un 
peu  sérieuse  devient  tout  à  fait  impossible;  c'est  pourquoi 
le  Rio  Grande,  le  Konkouré  et  les  deus  Scarcies  sont  im- 
propres en  tout  temps  à  la  navigation;  leurs  vallées  ne 
peuvent  être  utilisées  que  pour  un  tracé  de  chemin  de  fer. 

La  superficie  de  la  Guinée  française  est  à  peu  près  la 
moitié  de  celle  de  la  France;  sa  population  est  de  1,500,000 
habitants,  avec  une  densité  variant  de  5  à  10  habitants  par 
kilomètre  carré.  Sa  parlie  orientale,  savoir  l'arête  sépara- 
live  des  bassins  côtiers  et  du  bassin  du  Niger,  la  totalité  de 
ce  dernier  bassin,  et  enfin  les  hautes  vallées  des  fleuves 
côtiers  sont  granitiques;  le  granité  est  masqué  sur  de 
larges  étendues  par  la  terre  végétale  ou  la  latérite,  forma- 
tion quaternaire  consistant  en  un  poudingue  à  ciment  fer- 
rugineux et  à  élémentsgranitiques  ;  celte  latérite  n'est  dure 


DE   CONAKÎIY    AU    NIGER. 


385 


que  superficiellement;  elle  est  très  poreuse,  de  sorte  que 
l'on  trouve  dans  sa  masse  d'assez  belles  cavernes  et  des 
ruisseaux  souterrains  anatogties  à  ceux  des  Causses;  la 
source  d'une  riviè™  se  transforme  souvent  en  une  mare 
isolée  durant  la  saison  sèche;  la  partie  supérieure  de  son 
cours  devient  souterraine  et  ne  reparait  à  la  surface  que 
pendant  l'hivernage.  Cette  nature  de  terrain  fait  com- 
prendre pourquoi  l'on  ne  rencontre  pas  de  marécages  tant 
soit  peu  importants  dans  l'intérieur  du  pays;  exception 
doit  cependant  être  faite  pour  les  bords  de  la  rivière  Kora, 
affluent  de  la  Grande  Scarcie,  qui  sont  assez  marécageux. 

Une  bande  étroite  de  schisles  lustrés  et  de  psammites 
s'appuie  sur  la  masse  granitique;  des  grès  blancs  ou  rouges, 
Iriasiques  probablement,  lui  succèdent  en  affectant  la  forme 
des  «  amba  n  d'Abyssinie,  c'est-à-dire  de  plateaux  termi- 
nés par  des  falaises  analogues  à  nos  falaises  dolomitiques. 
Parfois  on  rencontre  aussi  des  soulèvements  dioritiques  ou 
granitiques  isolés  le  long  des  bords  de  la  mer,  comme 
ceux  du  Badi,  du  Kakoulima,  du  Bennah,  de  Sierra  Leone. 

Le  calcaire  et  la  houille  sont  restés  partout  invisibles. 
En  revanche  on  trouve  beaucoup  de  kaolin,  —  de  l'hématite 
brune  vers  les  cotes  provenant  de  la  transformation  de  la 
latérite,  —  de  l'hématite  rouge  excellente,  analogue  à  celle  de 
Mokta-el-Hadid,  mais  en  pays  granitique  seulement, — enfin 
de  l'or  dans  les  hautes  et  moyennes  vallées  des  rivières 
issues  du  Foulah  Djallon. 

L'eau  est  extrêmement  abondante,  vive,  intarissable 
même  en  saison  sèche;  de  nombreuses  cascades  fourni- 
raient de  la  force  électrique  à  bon  marché  pour  remplacer 
la  bouille. 

La  dore  est  abondante  et  variée  :  la  cote  produit  surtout 
des  noix  de  kolas,  bien  connues  dans  la  thérapeutique,  des 
amandes  de  palme  provenant  de  Vêlais  guinensis,  de  la 
gomme  copal,  du  sésame,  du  mil,  des  arachides,  des  fruits 
de   toute  sorte,  principalement  des  mangots  non  greffés, 


38fi  DL    Cl»ÀK[lY   Ali    NIGER. 

des  ananas,  des  avocats  et  des  corosols,  enfin  du  café  et  da 
cacao.  Le  haut  pays  fournit  surtout  du  caoutchouc  prove- 
nant d'une  liane  de  l'espèce  landolphia,  du  coton  à  courte 
soie,  du  tabac  abâtardi,  des  oranges  et  des  citrons,  des 
papayes,  du  petit  mil,  des  arbres  précieux  ressemblant  à 
l'acajou;  le  bassin  du  Niger  est  riche  en  caoutchouc,  pa- 
payes, ananas,  riz  et  maïs.  Autour  de  tous  les  villages  on 
remarque  une  bordure  d'orangers,  papayers,  manguiers, 
palmiers  sur  la  côte,  baobabs  vers  le  Niger.  Les  forets  pos- 
sèdent le  fromager,  dit  aussi  faux  cotonnier,  dragonnier 
ou  bembénier,  arbre  énorme  dont  la  hauteur  peut  dépasser 
50  mètres  et  le  pourtour  plus  de  10  mètres  de  circonfé- 
rence; les  racines  partent  de  2  mètres  environ  au-dessus 
du  sol  et  forment  en  s'élargissant  à  mesure  qu'elles  se  rap- 
prochent du  sol  des  sortes  de  contreforts  puissants  entre 
lesquels  on  se  loge  facilement  en  voyage.  Sur  les  bords  des 
rivières  à  marée  croissent  les  palétuviers,  pourvus  d'un 
grand  nombre  de  racines  adventives  plongeant  dans  la  mer 
à  marée  haute. 

Les  légumes  ou  plantes  alimentaires  cultivés  d'habitude 
sont  les  patates,  les  ignames,  les  diabérés  (sortes  d'oignons 
à  pulpe  enserrée  dans  des  filaments  ligneux),  les  haricots, 
le  manioc,  le  tara  des  Antilles,  les  tomates,  l'oseille,  l'au- 
bergine, les  courges  ;  les  radis,  les  salades  et  les  asperges 
d'Europe  viennent  aussi  très  facilement,  ainsi  que  toutes 
les  sortes  de  cacaos  et  de  cafés. 

Il  sérail  facile  d'améliorer  le  coton  et  le  tabac  indigène, 
et  d'utiliser  en  outre  une  infinité  de  plantes  textiles  que 
l'on  rencontre  dans  le  pays;  on  pourrait  aussi  monter  quel- 
ques scieries  mécaniques  à  roues  circulaires  pour  débiter 
les  bois  du  pays. 

La  faune  du  pays  n'est  pas  moins  remarquable  que  la 
llore  :  elle  comprend  d'abord  des  animaux  domestiques, 
chiens,  chats,  poules,  canards,  moutons,  chèvres,  ânes, 
chevaux  et  surtout  bœufs;  les  animaux  féroces  sont  le  lion 


Ut   COKAKRY    AU   NIGfcK.  383 

sans  crinière  dans  le  bassin  du  Niger,  la  panthère,  la  hyène, 
le  cynhyène  pris  parfois  à  tort  pour  un  loup,  le  crocodile  ; 
les  animaux  sauvages  sont  les  éléphants  très  nombreux 
vers  le  Niger,  les  hippopotames  dans  toutes  les  rivières,  les 
antilopes  de  toute  taille,  les  singes  variés  parmi  lesquels 
les  chimpanzés,  les  macaques  et  les  cynocéphales,  les  cer- 
vidés tels  que  les  céphalops  et  les  biches-cochons,  les  san- 
gliers ou  phacochères,  les  lièvres,  les  serpents  parmi  les- 
quels le  boa,  le  trigonocéphale,  la  vipère  à  cornes,  le  ser- 
pent minute,  le  bida  ou  serpent  cracheur,  le  naja  ou  aspic, 
le  bananier,  etc.  ;  les  lézards  tels  que  les  caméléons,  les 
iguanes  et  les  tarentes  ;  les  oiseaux  tels  que  autruches, 
outardes,  pintades,  perdrix  grises,  courlis,  cailles  de  Bar- 
barie, pigeons  verts,  pigeons  gris,  tourterelles,  canards 
sauvages,  aigles  à  télé  blanche,  petits  vautours  dits  charo- 
gnards, buses,  milans,  perroquets  verts,  martins-pècheurs, 
merles  métallique»,  colibris,  marabouts,  aigrettes,  grues 
couronnées,  coqs  de  pagode,  touras,  etc.;  les  insectes 
tels  que  fourmis  blanches  ou  termites,  fourmis  carnivores 
ou  magnans,  fourmis-lions,  fourmis-cadavres,  sauterelles, 
moustiques,  éphémères,  papillons  variés,  puces  dites  «  chi- 
,  araignées  fileuses,  cenl-pieds,  scolopendres,  mou- 
ches tsétsé,  etc.;  la  mouche  tsétsé  est  confinée  dans  le 
bassin  du  Niger  entre  Farana  et  Kouroussa;  les  poissons 
sont  aussi  fort  nombreux,  entre  autres  ceux  dits  <  capi- 
;  on  trouve  beaucoup  de  tortues  de  terre  et  d'eau 
douce. 

Les  habitants  se  subdivisent  ethniqueraent  en  Foulahs 
ou  Peuls,  Maliokés  et  Sousous;  les  trois  races,  surtout  les 
deux  premières,  sont  mêlées  dans  le  Foutah  Djallon;  les 
Sousous  se  divisent  en  Sousous  de  la  côte  et  Diallonkés; 
ceux-ci  sont  les  anciens  habitants  du  Foutah  Djallon  que 
les  Peuls  chassèrent  il  y  a  un  siècle  ou  deux  ;  les  Peuls  sont 
des  émisants,  des  pasteurs  fort  habiles  à  soigner  les  bœufs; 
ils  proviendraient,  au  dire  du  général  Faidherbe,  des  an- 


Iî«8  ÎIE   CONAKKV   AU    NIUKR. 

ciens  Fellahs  égyptiens;  eux-mêmes  déclarent  descendn 
des  Arabes  de  Tombouclou,  ce  qui,  sans  être  exact  tout  & 
fait,  pourrait  approcher  de  la  vérité  si  l'on  remarque  la 
présence  des  Peuls  dans  le  Macina,  le  Mossi  et  le  royaume 
de  Sokoto. 

Les  trois  races  se  distinguent  d'abord  par  leurs  traits, 
quoique  les  croisements  de  Foulahs  avec  Malinkés  et  Dial- 
lonkés  aient  altéré  beaucoup  de  types  :  les  Peuls  sont  gé- 
néralement élancés,  basanés  plutôt  que  noirs,  avec  un  nez 
et  des  lèvres  à  l'européenne,  les  yeux  fendus  en  amandes, 
les  cheveux  â  peine  crépus,  bref  un  profil  pharaonique 
analogue  en  effet  à  ceux  des  anciens  Égyptiens;  les  Dial- 
lonkés  ou  Sousous  et  les  Malinkés  ne  sont  que  deux  varié- 
tés du  type  mandingue  ou  mandé,  cousines  des  Bambaras 
par  leurs  traits  et  leurs  dialectes  ;  les  Malinkés  sont  moins 
nombreux  et  moins  robustes  que  les  Dîallonkés  ;  tous  ont 
le  type  nigrilien,  nez  épaté,  grosses  lèvres,  cheveux  crépus, 
angle  facial  assez  faible,  le  teint  franchement  noir,  les  yeux 
gros  et  ronds  et  souvent  de  la  corpulence. 

Le  langage  des  Peuls  diffère  totalement  de  ceux  des  Dîal- 
lonkés et  des  Malinkés  ;  le  général  Faidberbe  a  trouvé  une 
parenté  entre  le  peul  et  le  ouolof,  et  j'ai  remarqué  moi- 
même  des  roots  se  rapprochant  du  grec;  les  dialectes  sou- 
sou  et  malinké  sont  cousins  l'un  de  l'autre;  chez  tous  la 
base  de  la  numération  est  cinq  au  lieu  de  dix;  tous  aussi,  en 
écrivant  leur  langue,  emploient  des  caractères  arabes;  ils 
ont  en  effet  des  sons  gutturaux  analogues  au  ch  allemand 
et  au  kit  des  Arabes,'  ils  ont  aussi  des  sons  plus  compliqués 
tels  que gn,  ngn,  mu,  ad,  etc.,  qui  nécessitent  une  oreille 
exercée  et  beaucoup  de  soin  pour  parvenir  à  les  répéter, 
Les  flexions  ou  suffixes  sont  souvent  remplacés  par  des  pi 
fixes;  beaucoup  de  mots  leur  manquent,  surtout  pour  dé- 
signer certains  objets  et  la  division  du  temps,  parce  qu'ils 
n'ont  pas  les  notions  correspondantes;  les  objets  ou  noms 
européens  dont  ils  ont  pris  l'habitude  de  se  servir  amènent 


: 


fies  ternies  anglais  déformés  tels  que  Bélia  pour 
William,  ouachi  pour  watch  (montre),  masisi  pour  matches 
(allumettes,  mèches),  tombili  pour  timbale  (verre), pléti  pour 
plate  (assiette),  pensili  pour  pencil  (crayon,  porte-plume), 
etc.  Ils  ont  emprunté  aux  Arabes  beaucoup  de  noms  pro- 
pres, sans  doute  par  prosélytisme,  mais  après  modification 
préalable;  c'est  ainsi  que  l'on  voit  chez  eux  des  Ahmedou 
(de  Ahmed),  Mamadou  (de  Mohammed),  Bokari  (de  Beker), 
Bon  rama  (de  Ibrahim),  Sedou  (de  Saïd),  etc. 

Beaucoup  de  marabouts  foulais  connaissent  l'arabe  has- 

ani  ;  en  outre,  de  nombreux  missionnaires  arabes  parcou- 
rent la  région;  j'ai  rencontré  notamment  aux  environs  de 

rimbo  un  Senoussi  qui  venait  de  Tombouctou. 

On  peut  en  Guinée  négliger  les  indigènes  chrétiens  et  les 
fétichistes,  qui  sont  en  très  petit  nombre  et  tous  sur  la 
:ôte.  Les  musulmans  sontd'autanl  plus  fervents  qu'ils  sont 

oisins  du  Niger  ou  du  Fou  ta  h  Djallon,  parce  que  l'isla- 
nisme  s'est  répandu  de  l'intérieur  vers  le  littoral,  en  contour- 

int  toutefois  le  gros  bloc  des  Bambaras  soudanais  idolà- 

res  ;  les  Peuls  et  les  Diallonkés  d  u  Niger  sont  assez  exacts 
à  pratiquer  leur  religion,  mais  les  Sousous  de  la  côte  sont 
incore  fortement  teintés  de  fétichisme,  c'est-à-dire  ne  se 
sont  pas  complètement  débarrassés  de  leur  croyance  aux 
fétiches  (baré)  et  de  leur  penchant  à  l'ivrognerie  et  aux  danses 

j  tamtam  ;  les  musulmans  véritables  n'usent  pas  de  vin, 
nsent  fort  peu  et  croient  aux  démons  (dinné  ou  djinns), 

■ais  non  aux   fétiches;   quelques  convertis   récents  ont 

incore  recours  aux  sacrifices  mystérieux  d'animaux,  à  dé- 

t  d'hommes  sans  doute. 

Les  fêles  de  la  religion  musulmane,  les  quatre  prières  quo- 

lîdiennes,  le  jeûne  du  ramadan,  la  circoncision,  l'excision 

même  pour  les  femmes,  les  pratiques  de  la  polygamie  sont 

mis   fidèlement;   la  femme  est  achetée  à  ses   parents 

loyennant  une  dot  ou  cadeau    pouvant  varier  de  300  à 
0  francs  suivant  l'importance  de  la  famille,  la  beauté  et 


STO  HE  CONÀMiï  AU   SftOKR- 

la  jeunesse  de  l'épousée;  elle  peut  être  répudiée  comme 
chez  les  Arabes,  mais  la  doi  n'est  rendue  qu'en  cas  de  faulp 
grave  de  la  part  de  la  femme  ou  de  tromperie  de  la  pari. 
des  parents.  La  mort  ne  donne  lieu  à  cérémonie  que  dans 
le  cas  d'un  homme  important;  en  ce  cas  l'anniversaire  de 
la  mort  est  célébré  par  un  sacrifice  d'animaux  que  le  fils 
aîné  du  mort  immole  lui-même.  La  femme  est  perpétuel- 
lement mineure  et  dépend,  jeune  de  ses  parents  ou  de  son 
mari,  vieille  de  ses  enfants  ;  l'héritage  est  réservé  aux  mâles 
et  principalement  au  lils  aîné,  II  est  vrai  que  l'affection  du 
noir  pour  sa  mère  est  touchante  et  que  les  mœurs  suppléent 
ici  aux  lois;  il  est  remarquable  de  voir  ces  esprils  simples 
et  souvent  cupides  oublier  leurs  plus  chers  intérêts  pour 
sauver  leur  mère  en  danger;  je  citerai  notamment  l'histoire 
des  enfants  d'Ahmadou  rapportée  par  le  capitaine  Piétri 
dans  ses  Français  au  Niger. 

L'héritage  va  du  père  au  fils,  mais  le  pouvoir  passe  du 
frère  aine  au  puîné  jusqu'à  ce  que  cette  génération  soit 
épuisée;  on  revient  alors  aux  enfants  du  Sis  aîné;  cette 
coutume  assure  aux  noirs, et  aux  Foulabs  notamment,  l'exis- 
tence d'héritiers  présomptifs  et  de  chefs  plus  âgés  et  plus 
expérimentés.  Le  chef  est  en  général  pris  dans  certaines 
familles  bien  connues;  on  distingue  des  chefs  de  villages 
(mangues),  des  chefs  de  canton  (alkhalis)  et  des  chefs  de 
provinces  (lamidos)  ;  si  la  province  ou  le  groupe  de  pro- 
vinces est  autonome,  son  chef  prend  le  titre  d'almamy  et 
l'investiture  lui  est  donnée  publiquement  par  le  résident  ou 
administrateur  français  au  moyen  de  la  remise  d'un  turban 
d'honneur.  Par  analogie  avec  nos  anciens  titres  féodaux  ou 
religieux,  on  distingue  chez  les  Peuls  les  titres  honorifiques 
d'alfa,  lierno  et  modi. 

Faute  de  cadis,  les  chefs  et  les  marabouts  foulahs  ou 
arabes  exercent  la  justice;  ils  répartissent  les  charges  de 
l'impôt  et  la  portion  des  récoltes  réservée  au  public;  ils 
figurent  aux  cérémonies  religieuses,  exercent  l'hospitalité 


DU    C0NÀKR1    AL    NlUtiK.  IttM 

et  président  aux  palabres;  il  existe  en  outre  parfois  des 
chefs  militaires  distincts, par  exemple  dans  le  Ranéah  et  le 
Bennah.  Les  soldats  sont  recrutés  parmi  les  captifs  et  pren- 
nent le  nom  de  sofas,  mot  qui  vient  de  l'arabe  rof;  d'au- 
tres captifs  les  commandent  sous  le  nom  de  saliguis. 

L'esclavage  est  une  institution  entrée  profondément  dans 
les  mœurs  de  ces  populations.  En  Guinée,  l'homme  libre 
est  celui  qui  ne  travaille  pas,  comme  notre  ancien  baron 
féodal,  le  Freiherr;  il  y  a  donc  entre  les  noirs  et  nous  un 
malentendu  quand  nous  parlons  de  les  libérer;  ils  nous 
répondent   parfois  :  <  Tu    m'as  fait   libre,  donne-moi  des 
esclaves.  »  L'ancien   captif  à  peine  délivré  des  mains  de 
Samory  s'empressait  de  nous  réclamer  quelques  vaincus 
comme  fruit  de  la  victoire.  En  réalité,  on  se  trouve  en  pré- 
sence d'une  nécessité  économique  de  main-d'œuvre,  pro- 
venant de  l'absence  de  toute  bêle  de  somme  dressée  et  de 
mt  appareil  mécanique;  le  jour  ou  les  noirs  auront  des 
tintes,  des  voitures  et  un  chemin  de  fer,  il  ne  sera  plus 
lin  d'esclaves  porteurs  pour  faire  la  traite;  lejour  ou 
l'on  attellera  des  bœufs  à  la  charrue,  on  pourra  diminuer 
e  nombre  des  esclaves  agriculteurs  et  finalement  le  sup- 
rimer   tout  à  fait;  mais  abolir  brutalement   par  décret 
•clavage  existant,  c'est  à  la  fois  ruiner  les  maîtres  et  rem- 
icer  l'esclavage  par  le  vagabondage;   c'est  détruire  la 
ieille  société  sans  préparer  celle  qui  doit  la  remplacer.  La 
ictique  à  suivre  est  d'abord  de  supprimer  sans  pitié  la 
aite  des  esclaves  et  d'en  tarir  le  recrutement;  en  même 
mps,  il  faut  répandre  le  goût  du  travail  en  donnant  aux  noirs 
s  besoins  à  satisfaire,  des  impôts  à  payer  ou  des  presta- 
ions  vicinales  à  acquitter;  il   faut  créer  de  nombreuses 
oies  de  communication,  enseigner  l'utilisation   des  ani- 
laux  tels  que  bœufs  et  mulets,  et  enfin  introduire  les 
:hines   agricoles   pour   labourer  la   terre,   récolter  et 
loudre  le  riz.  Les  progrès  économiques  amèneront  ainsi 
talement   tous  les  maîtres  à   accepter   le  travail,  et  les 


&>2  DE   CONAKRV   AB    «IGER. 

esclaves  à  s'élever  à  la  condition  supérieure  de  domesti- 
ques; du  reste  ils  sont  actuellement  assez  humainement 
traités  en  tant  qu'esdaves  de  case,  et  l'appellation  qui  leur 
conviendrait  serait  plutôt  celle  de  serfs. 

L'impôt  de  capitation  est  de  2  francs  par  tôle;  il  a  rap- 
porté en  1898  500,000  francs  environ,  la  part  des  chefs 
réservée;  cela  correspond  à  peu  près  à  300,000  hommes 
valides,  en  tenant  compte  de  l'argent  laissé  aux  chefs,  et 
par  suite  à  1,200,000  habitants  au  moins,  en  ne  comptant 
que  quatre  personnes  par  homme  valide;  comme  l'impôt 
n'a  pas  été  payé  par  tous  les  indigènes  et  que  prés  de  la 
moitié  y  ont  échappé,  on  voit  que  le  chiffre  de  1,500,000 
habitants  donné  plus  haut  comme  population  de  la  Guinée 
est  assez  exact.  Il  est  curieux  de  remarquer  que  les  popu- 
lations le  plus  anciennement  soumises  sont  celles  qui  font 
le  plus  de  difficultés  pour  payer  l'imp6t. 


AB   PROJET  DE  CHEMIN  DE   FER. 


La  durée  de  la  construction  de  la  ligne  totale  serait  de 
huit  ans  environ  et  coûterait  soixante  millions  d'après  les 
dernières  évaluations;  mais  il  est  possible  de  se  contenter 
de  faire  d'abord  les  premiers  300  kilomètres  allant  de  la 
côte  au  Fou  ta  Djallon,  ce  qui  rabaisse  la  dépense  à  vingt- 
sept  millions,  tout  en  desservant  la  majeure  partie  du  trafic  ; 
en  effet,  les  routes  du  caravanes  convergent  toutes  vers 
Friguiagbé  et  suivent,  à  partir  de  ce  point,  la  route  de  Fii- 
guiagbé  à  Conakry.  Il  ne  faudrait  que  trois  ou  quatre  ans 
pour  terminer  cette  partie  de  l'œuvre. 

La  construction  et  l'exploitation  pourraient  être  concé- 
dées à  une  société  pour  une  durée  déterminée  moyennant 
certains  avantages  à  débattre;  à  défaut  de  cette  solution 
la  colonie  peut  emprunter  directement  en  utilisant  son  cré- 


DE   COfiAKRY   AU   NIGER. 

dit  toujours  croissant,  et  construire  par  voie  d'entreprise 
ou  en  régie.  Quant  à  l'exploitation,  elle  serait  assurée  encore 
par  la  colonie  ou  par  une  société  concessionnaire. 

Il  est  singulier,  à  ce  propos,  de  comparer  la  timidité  des 
Français  d'aujourd'hui  à  la  témérité  de  nos  aïeux,  ces  har- 
dis armateurs  du  xvi'  siècle,  qu'une  tempête  pouvait  ruiner 
sans  rémission  et  qui  ne  tablaient  pour  s'enrichir  que 
sur  des  probabilités  commerciales  et  météorologiques  ;  on 
demande  maintenant  encore  la  garantie  de  l'Étal  dans  les 
affaires  les  plus  sûres;  on  désire  les  gros  bénéfices  sans 
courir  cependant  les  risques  légitimes,  et  l'on  ne  s'aperçoit 
pas  que  les  uns  sont  liés  aux  autres.  Telle  ville  dénuée 
d'avenir  et  plus  ou  moins  bien  gérée  trouvera  crédit  dans 
de  meilleures  conditions  qu'une  colonie  florissante,  même 
si  celle-ci  n'emprunte  que  pour  exécuter  des  travaux  publics 
de  première  utilité,  dont  le  résultat  palpable  atteste  aux 
yeux  le  bon  emploi  des  capitaux  et  leur  sert  à  la  rigueur 
de  gage.  Les  capitaux  préfèrent  adopter  soit  des  valeurs 
nationales  de  rapport  très  minime,  soit  des  valeurs  étran- 
gères privées  de  tout  contrôle  national  et  tout  aussi  aléa- 
toires en  réalité  que  les  nôtres.  Pendant  ce  temps,  l'Angle- 
terre crée  un  fonds  d'emprunt  pour  ses  colonies  pauvres 
au  taux  de  2,5  p,  100. 

La  traction  du  chemin  de  fer  pourrait  être  électrique  bien 
facilement  -,  des  usines  emprunteraient  la  force  à  des  tur- 
bines hydrauliques  et  l'enverraient  au  moyen  de  courants 
biphasés  et  de  transformateurs  de  tension  dans  deux  trol- 
leys aériens;  l'espacement  des  usines  serait  de  150  kilo- 
mètres environ,  sauf  pour  la  première  que  l'on  installerait 
à  50  kilomètres  de  Cooakry. 

Malheureusement,  ces  procédés  ne  sont  pas  encore  suffi- 
samment entrés  dans  la  pratique;  le  prix  de  revient  actuel 
serait  encore  trop  élevé;  il  vaut  donc  mieux  se  contenter 
provisoirement  de  la  traction  à  vapeur,  malgré  l'absence  de 
bouille  dans  le  pays  ;  on  emploiera  des  macbines-tenders 


I>E   CONAKRÏ   AU    NIUKK. 

Compound  pesant  de  15  à  30  tonnes  en  ordre  de  marche,  à 
2  ou  3  essieux  couplés,  sans  bogies;  le  reste  du  matériel 
sera  à  bogies,  les  trains  se  composeront  d'un  petit  nombre 
de  véhicules,  pesant  ensemble  chargés  de  50  à  80  tonnes 
dontSOàfiOuliles. 

Il  y  aurait  environ  un  train  par  jour  dans  les  deux  sens, 
afin  de  desservir  le  tonnage  total  qui  est  au  moins  de  30,000 
tonnes,  dont  23,000  à  la  montée.  La  vitesse  commerci 
serait  de  25  à  30  kilomètres  à  l'heure. 


■   COLONIES    ÉTRANGÈRES. 


" 


1!  me  reste  encore,  pour  épuiser  la  matière  de  cette  con- 
férence, à  parler  des  colonies  étrangères  que  j'ai  visitées  au 
cours  de  mes  explorations,  et  notamment  dans  le  voyage 
que  j'ai  fait, en  1898,  comme  délégué  français  à  l'inaugura- 
tion du  chemin  de  fer  du  Congo.  Il  ne  peut  être  que  pro- 
fitable de  comparer  les  eil'orts  de  nos  rivaux  aux  nôtres, 
principalement  en  ce  qui  concerne  les  Allemands,  les  Belges 
et  les  Anglais. 

Je  n'ai  vu  aucune  colonie  allemande  africaine,  mais  il 
y  a  partout  des  factoreries  allemandes  assez  prospères,  et 
Conakry  lui-même  a  failli  devenir  allemand  vers  1887, 
grâce  aux  démarches  actives  d'un  commerçant  de  Ham- 
bourg établi  à  Conakry  ;  nous  avons  même  dû  céder 
Petil-Popo  comme  rançon  de  l'abandon  des  prétentions  ger- 
maniques. Les  vapeurs  de  la  compagnie  Wœrmann,  de  Ham- 
bourg, desservent  mensuellement  presque  tous  les  points 
de  la  côte  sans  aucune  subvention,  et  paraissent  faire  de 
bonnes  opérations  commerciales. 

La  colonie  espagnole  des  îles  Canaries  est  anglicisée 
dans  les  villes  de  Las  Pal  mas,  dont  l'excellent  port  de  La  Luz 
est  eu  entier  anglais,  de  Santa-Cruz  et  d'Orotava;  une 
compagnie  anglaise  vend  à  La  Luz  du  charbon  à  18  francs 


cosakrï  \r  niger.  :i95 

J -a  tonne,  elnos  vapeurs  nationaux  subventionnés  s'y  appro- 
"visionnent  eux-mêmes. 

Les  riantes  Acores  et  les  Iles  du  Cap-Vert  sont  des  colo- 
*~»ies  portugaises  assex  florissantes,  les  premières  surtout; 
1  «s  Américains  fréquentent  volontiers  les  Acores  ;  cet  archi- 
t*el  manifeste  des  tendances  à   l'autonomie.  Sa  situation 
^  tratégique  serait  fort  belle  pour  la  marine  des  États-Unis, 
•louant  aux  îles  du  Cap-Vert,  la  principale  station  est  celle 
«rie  Saint-Vincent,  rivale  heureuse  de  Dakar  pour  les  escales 
«ries  paquebots  européens  à  destination   de  l'Amérique  du 
Sud  ;  ce  port  est  anglicisé  eL  la  compagnie  charbonnière  est 
anglaise;  ce  serait  un  excellent  port  d'attacbe  pour  une  flotte 
anglaise  chargée  d'observer  Dakar  et  l'Afrique  occidentale. 
Le  Sénégal  et  la  Casamance  sont  riches  et  prospères, 
;urtout  à  cause  des  cultures  d'arachides  dont  le  port  d'em- 
'quemenl  est  Itufisque.  La  barre  du  Sénégal  est  prati- 
ble  pour  des  navires  ne  calant  pas  plus  de  4  mètres, 
tant  que  la  barre  n'est  pas  fermée,  ce  qui  se  produit  quel- 
|uefois  à  la  fin  de  la  saison  des  pluies;  les  bateaux  sont 
lors  obligés  d'aller  embarquer  ou  débarquer  leur  fret  à 
Lkar.  Le  vieux  port  franc  de  Gorée  reeoit  encore  quel- 
ues  bateaux  anglais.  Dakar,  position  splendide  pour  un 
port  de  guerre  et  excellente  escale  pour   les  bateaux  du 
Brésil,  n'aura  pas  d'ici  longtemps  l'avenir  commercial  rêvé 
par  le  général  Faidherbe;  son  hinterland  est  en  effet  petit 
et  peu  important,  constitué  uniquement  par  le  Sine  et  le 
Baol,  que  borde  le  pays  stérile  du  Ferlou.   Rufisque  lui 
enlève  le  commerce  des  arachides  ;  La  Lu/  et  Saint-Vincent 
les  entrepôts  de  charbon  ;  Saint-Vincent  lui  enlève  pour  les 
escales  du  Brésil  tous  les  vapeurs  qui  ne  sont  pas  français; 
Saint-Louis  continue  à  relier  directement  le  haut  Sénégal 
à  Bordeaux;  le  chemin  de  fer  de  Dakar  à  Saint-Louis,  mal- 
gré un  certain  trafic  de  voyageurs  et  d'arachides,  ne  pros- 
père pas  comme  il  devrait  le  faire  à  cause  de  la  concur- 
rence du  cabotage  qui  lui  impose  des  prix  très  bas. 


3%  DE    CONAKRV   AU   NIGER. 

La  Casamance  et  la  Guinée  portugaise  se  sont  révélées 
riches  en  caoutchouc.  La  Gambie  anglaise  vit  surtout  du 
commerce  de  ses  arachides  qui  sont  très  renommées  ;  cette 
colonie  est  peu  importante  pour  l'Angleterre,  mais  elle 
aurait  été  peut-être  meilleure  pour  nous  que  la  voie  du 
Sénégal  au  point  de  vue  pénétration;  en  effet,  le  fleuve 
est  navigable  en  tout  temps  jusqu'à  Yarbatenda,  et  de  ce 
point  on  atteint  facilement  le  Foutab  Djallon,  le  Bambouk 
et  Kayes. 

La  Guinée  portugaise  serait  également  entre  nos  mains 
une  excellente  acquisition  et  une  bonne  voie  de  pénétration 
vers  le  Foutah  Djallon  par  le  Rio  Grande. 

La  Guinée  anglaise,  dite  par  les  Anglais  colonie  de  Sierra 
Leone,  date  de  1780,  époque  où  les  Anglais  y  fondèrent 
une  station  pour  régénérer  les  esclaves  libérés;  de  là  le 
nom  de  Freetown  donné  à  la  capitale.  Celte  ville  possède 
aujourd'hui  30  mille  noirs  anglicisés  et  est  entourée  d'une 
banlieue  riche  et  florissante  où  l'on  cultive  beaucoup  les 
fruits,  le  gingembre,  etc.  ;  elle  possède  un  chemin  de  fer 
qui  a  déjà  50  kilomètres  en  pleine  exploitation.  Le  port  est 
excellent;  la  rivière  de  Sierra  Leone  permet  de  pénétrer  à 
l'intérieur  jusqu'à  Port  Lokko,  point  assez  rapproché  des 
centres  de  traite  indigène  à  l'intérieur.  Le  terrain  est  assez 
accidenté  du  reste,  surtout  aux  environs  des  aiguilles  de 
Kinki.  Les  traitants  de  Sierra  Leone  firent  jadis  d'assez 
belles  affaires  commerciales  avec  le  Foutah  Djallon  et  avec 
Samory,  qui  leur  achetait  des  fusils  et  de  la  poudre  contre 
des  esclaves;  l'expédition  du  colonel  Combes  coupa  heu- 
reusement  les  communications  enlre  Freetown,  Saniory  et 
le  Foutah,  de  sorte  que  ces  trois  ennemis  n'ayant  pu  se 
réunir  ont  fini  ou  finiront  par  tomber  entre  nos  mains.  Le 
commerce  de  la  colonie,  surtout  à  l'exportation,  a  été  for- 
tement atteint  par  la  prospérité  de  Conakry;  le  port  de 
Freetown  n'est  plus  comme  autrefois  l'entrepôt  de  nos  fac- 
toreries guinéennes  et  le  lieu  de  relâche  des  grands  va- 


DE   C0HAK1IY   AU   JSiGEIl. 


:W7 


peurs;  Conakry  lui  dispute  ce  rôle  avec  avantage,  en  atten- 
dant le  succès  plus  complet  qu'assurera  le  chemin  de  fer 
projeté.  Freetown  vit  encore  d'un  certain  commerce  avec 
sa  banlieue,  avec  son  hinterland  oriental  du  Mano  et  du 
Sherbro,  avec  les  caravanes  de  Kankan  et  du  Kissi  et  les 
productions  du  Libéria.  Les  Anglais  manœuvrent  pour 
annexer  ce  dernier  pays  au  point  de  vue  économique  ;  il  y 
aurait  lieu  de  chercher  à  les  en  empêcher. 

La  ville  de  Conakry  est  commandée  par  les  îles  de  Loss, 
qui  sont  anglaises  ;  ces  îles  abritent  entre  elles  un  excellent 
mouillage  pour  des  navires  de  guerre,  et  pourraient  être 
couronnées  de  batteries  qui  interdiraient  complètement  le 
bombardement  du  port  si  elles  étaient  entre  nos  mains. 

Le  Congo  belge  est  en  pleine  croissance,  grâce  à  son 
chemin  de  fer  qui  relie  le  bas  Congo,  où  arrivent  les  plus 
grands  steamers,  au  Congo  supérieur  navigable  et  à  ses 
*fDuents  sur  une  immense  élendue.  Le  tracé  des  frontières 
du  Congo  belge  est  un  chef-d'œuvre  de  diplomatie;  il  a  été 
feU  de  manière  à  écarter  pratiquement  les  voisins  français 
6t  portugais  et  à  empêcher  les  uns  et  les  autres  de  con- 
struire plus  tard  une  voie  ferrée  le  long  du  fleure.  Notre 
manque  de  clairvoyance  et  notre  obstination  le  long  du 
Niari-Kouilou  nous  ont  fait  perdre  le  bénéfice  de  la  merveil- 
leuse occupation  de  Brazzaville.  Il  aurait  été  indispensable 
que  notre  frontière,  au  lieu  d'arriver  sur  le  Congo  moyen  à 
Manyanga  arrivât  sur  le  bas  Congo  à  Vivi,  afin  de  nous 
fendre  possible  une  voie  ferrée  allant  de  Vivi  à  Brazzaville 
en  territoire  français. 

Le  chemin  de  fer  de  Maladi  au  Stanley-Pool  présente  sur 
tous  ceux  qu'on  peut  tenter  dans  ce  pays  deux  énormes 
avantages-  ceux  du  port  et  de  la  distance.  Le  port  de  Matadi 
ni  excellent  et  permet  à  tous  les  steamers  d'aborder  à 
quai  sans  rompre  charge  depuis  l'Europe;  la  distance  est 
en  outre  réduite  à  -W0  kilomètres,  alors  que  noire  voie 

rojetée  du  Niari-Kouitou  aurait  plus  de  500  kilomètres,  à 


398 


m.    CONAKRï   Alt    Mi.l'.ïi. 


moins  d'admettre  de  nombreux  transbordements  [tour  uti- 
liser la  voie  fluviale.  Nos  ports  de  Loango  et  de  l'embou- 
chure du  Kouilou  sont  des  rades  foraines  contrariées  par 
des  barres  et  des  courants.  Si  par  fortune  la  voie  belge 
actuelle  devenait  insuffisante,  il  vaudrait  mieux  la  doubler 
ou  en  créer  une  deuxième  sur  la  rive  droite  du  Congo  que 
d'entamer  une  voie  ferrée  le  long  du  Niari-Kouilou. 

11  n'a  tenu  qu'à  nous  de  devancer  les  Belges,  et  nos  éter- 
nels tâtonnements  nous  ont  fait  perdre  l'occasion,  non  seu- 
lement de  mettre  notre  domaine  en  valeur,  mais  même  de 
conquérir  économiquement  celui  de  nos  voisins.  Le  chemin 
de  fer  belge  est  vraiment  une  œuvre  admirable  pour  l'ha- 
bileté de  sa  préparation  diplomatique,  pour  la  netteté,  l'au- 
dace et  la  vigueur  de  son  exécution. 

Cette  ligne  est  une  ligne  de  montagne,  de  0  m.  75  d'écar- 
tement,  avec  des  rampes  énormes  et  des  courbes  très  accen- 
tuées; la  traction  est  à  vapeur;  l'entreprise  vit  néanmoins 
et  prospère,  malgré  quelques  défauts  que  la  traction  élec- 
trique supprimera  plus  lard  et  bientôt  peut-être;  son  ter- 
minus, Léopoldville,  se  développe  vis-à-vis  de  notre  mer- 
veilleuse position  de  Brazzaville  que  nous  laissons  presque 
déserte  et  sans  utilisation. 

La  construction  du  chemin  de  fer  des  Belges  a  pour  pre- 
mier effet  de  donner  à  Brazzaville  une  importance  énorme 
et  d'en  faire  la  vraie  capitale  du  Congo  français  ;  Brazzaville 
se  trouve  en  effet  maintenant  au  centre  des  communica- 
tions fluviales  ou  terrestres  de  cette  contrée;  on  est  en 
train  de  le  relier  à  Loango  et  à  Libreville  par  une  ligne  télé- 
graphique terrestre. 

La  deuxième  conséquence  du  chemin  de  fer  belge  est  de 
reporter  vers  le  nord,  vers  Libreville,  l'Ogôoué  et  la  San- 
gha,  nos  projets  de  voie  ferrée;  ce  n'est  que  là,  en  effet,  que 
nous  trouverons  à  la  fois  un  port  convenable  et  un  tracé 
économiquement  justifiable;  nous  mettrons  ainsi  en  exploi- 
tation un  pays  fort  riche  tout  eu  nuus  assurant  une  corn- 


DE    COKAKHY   AU    NIGEH.  391* 

munication  autonome  vers  l'Oubangui,  et  une  zone  com- 
merciale distincte  de  celle  de  la  voie  belge. 

Enfin  le  principal  résultât  de  l'œuvre  du  colonel  Thys  est 
encore  de  porter  sur  ce  point  essentiel  l'attention  interna- 
tionale; il  ne  faut  pas  oublier  que  nous  sommes  les  héri- 
tiers de  la  Belgique,  et  que  telle  circonstance  imprévue 
peut  faire  ouvrir  un  héritage  qui  sera  contesté  sans  doute 
par  les  Anglais  ou  les  Allemands;  or,  celui  qui  tiendra  le 
chemin  de  fer  du  Congo  sera  maître  de  l'Afrique  centrale. 
Il  nous  importe,  en  prévision  de  cet  événement,  de  relier 
nos  possessions  entre  elles  et  avec  la  France  par  deux  câ- 
bles nationaux  allant  l'un  de  Brest  à  Saint-Louis  et  l'autre 

b  Kotonou  à  Libreville,  et  d'achever  toutes  nos  lignes  ter- 

istres. 
L'Angola  portugais  est  un  pays  naturellement  riche  qui 

lépérit  faute  d'argent  et  peut-être  aussi  de  population  eu- 
ropéenne suffisante  ;  le  port  de  Saint-Paul  de  Loanda  s'en- 
;able  tous  les  jours  ;  la  ville  a  un  aspect  misérable;  les  babi- 

ints  semblent  nonchalants  et  paresseux.  Le  chemin  de  fer, 
de  Saint-Paul  a  Ambaca  vient  à  peine  d'atteindre 
Amboca,  bien  qu'entrepris  avant  celui  des  Belges.  Malgré 
tous  ces  signes  d'infériorité,  l'Angola  bien  situé,  riche  en 
bœufs  et  en  cafés,  pourrait  éveiller  certaines  convoitises. 


KKKSKIilSKMKN'rS    CfiMPLÉMBSTÀlKES 
SUIl     I.E     CHEMIN     DE     FER    DE     CONAKRY     AU     NIGEH 


A.  —  Mliwlon  .Viuri.-.  de  ISttS  n  lNWt).  en  (.  iiim  <■ 


Les  deux  missions  Salesses,  ainsi  qu'il  a  été  dit  plus  haut, 
avaient  rapporté  un  tracé  complet  de  la  ligne  projetée.  Pour 
des  raisons  commerciales,  il  y  avait  lieu,  toutefois,  d'étudier 
grande    variante  entre   L'riguiagbé   et   le    bassin   du 


400 


IIE    CONAKRY    AU   NIGER. 


Bafing  par  la  vallée  du  Konkouré;  deux  i 
de  cette  variante  soigneusement  Faites  ayant  été  encoura- 
geantes, il  était  possible  de  lever  immédiatement  le  tracé  à 
grande  échelle. 

La  deuxième  mission  Salesses  se  scinda  donc  en  deux 
parties,  l'une  chargée  d'exécuter  à  Paris  l'avant-projet  du 
chemin  de  fer  d'après  les  données  acquises  que  l'on  modi- 
fierait au  fur  et  à  mesure  des  nouveaux  renseignements, 
l'autre  dirigée  par  l'adjoint  du  génie  Naudé,  chargée  de 
lever  en  Guinée  la  grande  variante  du  Konkouré.  C'est 
l'abrégé  des  travaux  de  cette  troisième  mission  qui  va  être 
exposé  ci-après. 

Le  programme  de  la  mission  Naudé  comprenait  : 

1°  Le  lever  de  la  variante  précitée,  longue  de  204  kilo- 
mètres. 

2°  L'élude  d'un  embranchement  reliant  Timbo  à  la 
grande  ligne,  soit  30  kilomètres. 

3*  L'étude  d'une  deuxième  grande  variante  de  170  kilo- 
mètres de  longueur,  reconnue  déjà  partiellement,  entre 
Soarella  et  Kouroussa  par  Banko. 

4°  L'étude  de  divers  perfectionnements  de  détail  entre  le 
TabilietKoniakori,sur  une  longueur  tolalede  45  kilomètres. 

5'  Diverses  reconnaissances  dont  le  résultat  a  été  tantôt 
négatif  et  tantôt  positif,  et  parmi  lesquelles  il  faut  citer  sur- 
tout une  belle  reconnaissance  le  long  de  i'Ouaulamba,  du 
Samou  et  de  l'Ouankou,  par  Soulia  et  Bettésimbaïa,  qui 
permettra  à  la  fois  d'adoucir  les  pentes  et  de  raccourcir  le 
tracé. 

Ce  programme  a  été  largement  rempli. 

Pour  l'exécuter,  M.  Naudé  disposait  de  trois  sous-officiers 
du  fïénie,  l'adjudant  Nicolas  et  les  sergents  Dubus  et  Van- 
dnmme,  tous  trois  déjà  exercés  a  la  vie  coloniale,  aux  levers 
et  aux  travaux  de  chemins  de  fer.  Les  instruments  étaient 
constitués  par  des  planchettes,  des  boussoles  Peigné,  des 
règles  à  éclimètrc,  des  niveaux  à  lunette,  des  baromètn 


DE   CONAKBV   AD    NH;EM.  401 

oloslériques.  Le  matériel  de  la  mission  précédente  lut 
largement  utilisé  ;  il  fut  nécessaire  cependant  de  renouveler 
les  montures  qui  avaient  toutes  succombé  sans  exception 
mi  fatigues  de  la  campagne  de  1898. 

Embarquée  le  25  octobre  1898  à  Marseille,  la  mission 
Naudê  était  de  retour  le  17  juillet  1899  au  même  poinl; 
elle  avait  exécuté  445  kilomètres  de  lever  régulier  au 
1/5,000  et  environ  500  kilomètres  de  reconnaissances 
diverses.  Son  itinéraire,  à  partir  de  Conakry,  passait  par 
Friguîagbé,  Koba,  le  Konkouré,  Timbo,  Soarella,  Kourou- 
koro,  Banko  et  Kouroussa,  avec  crochets  vers  Tanéné  Kan- 
gourou, Koniakori  et  Bantanbourou  sur  le  Haut  Tinkisso. 
Le  séjour  dans  la  brousse  a  duré  plus  de  sept  mois  sans 
aucune  perte  de  temps.  Si  l'on  déduit  environ  soixante-cinq 
jours  employés  aux  marches  et  aux  reconnaissances,  on  voit 
que  la  vitesse  du  lever  régulier  a  été  de  3  kilomètres  par  jour 
eu  moyenne. 

La  santé  de  la  mission  n'a  jamais  été  assez  gravement 
compromise  pour  l'immobiliser;  toutefois,  ses  membres  ont 
éprouvé  d'assez  fréquents  accès  de  fièvres,  notamment  le 
ttrgenl  Dubus. 

Les  résultats  qu'elle  a  obtenus  sont  remarquables.  La 
variante  du  Konkouré  a  été  déjà  adoptée  par  le  Ministre 
des  Colonies  sur  la  proposition  du  gouverneur  de  la  Guinée, 
comme  étant  meilleure  au  point  de  vue  tracé  et  au  point  de 
vue  commerce,  bien  que  plus  longue  de  50  kilomètres. 
Cette  -variante  supprime  le  pont  de  la  Grande  Scarcie  et  les 
grandes  rampes  de  Gouléah  et  de  Bambaïa;  elle  dessert  le 
grand  marché  de  Demokoulima  fit  se  rapproche  du  Labé. 
Son  tracé  suit  en  général  le  thalweg  du  Konkouré,  sauf 
entre  Kouuîeia  et  Songouya  où  l'on  a  pris  la  corde  de  l'arc 
décrit  par  le  Konkouré;  dans  cette  partie  le  tracé  suit  le 
cours  des  rivières  Koufa,  Finké  et  Coïé,  affluents  du  Kon- 
kouré; on  rejoint  l'ancien  tracé  près  de  Aïndé  Konkouré. 
Le  tracé  de  l'embranchement  desservant  Timbo  part  des 


Le  1 


102  DE    COKAKBÏ   AE   NIGER. 

environs  de  Sarébowel,  rejoint  le  Bafing  à  Socotoro,  redes 
cend  ce  fleuve  jusqu'à  l'embouchure  du  Hériko,  et  se  dirige 
encn  sur  Timbo  en  remontant  successivement  le  Hériko.  le 
Saman  et  le  Tchiangui;  cette  dernière  rivière  passe  à 
Timbo;  ce  tracé  est  long  de  30  kilomètres  environ,  mais 
tout  tracé  plus  court  conduit  à  des  pentes  inacceptables  à 
cause  de  la  grande  altitude  de  Timbo  par  rapport  au  Bafing 
jointe  à  sa  proximité  du  fleuve;  ce  tracé  tourne  les  monts 
Elaïaqui  séparent  le  fleuve  de  la  capitale  du  Foutab,  Djallon. 
Timbo  est  bien  déchu,  et  M.  Noirot,  administrateur  du 
Foutab,  songe  à  reporter  vers  le  nord,  près  de  Fougoumba, 
le  centre  politique  de  sou  cercle.  Il  est  donc  probable  qu'il 
n'y  aura  jamais  lieu  d'exécuter  cette  partie  du  projet;  si 
l'on  juge  plus  tard  que  le  Foutab  mérite  d'être  desservi 
spécialement  par  une  ligne  sud-nord  passant  par  ses  princi- 
paux centres,  on  devra  revoir  la  question  à  un  point  de  vue 
d'ensemble. 

La  deuxième  variante,  celle  qui  va  de  Soarella  à  Kou- 
roussa  en  passant  par  Banko,  a  exactement  la  même  longueur 
que  la  partie  correspondante  de  l'ancien  tracé  et  présente 
l'avantage  de  desservir  directement  Toumania,  Dinguiray, 
Banko  et  Kouroussa;  elle  traverse  en  plein  les  pays  à  caout- 
chouc, passe  près  des  pays  de  l'or  et  coupe  le  Tinkisso  vers 
l'extrémité  amont  de  sa  partie  navigable;  en  outre  elle  sup- 
prime la  difficulté  de  la  descente  de  Simbacounian. 

Par  contre,  elle  a  le  désavantage  de  négliger  le  bassin  du 
Niger  supérieur  et  la  zone  de  Beyla  exploités  commercia- 
lement par  les  Anglais;  il  est  évident  qu'on  devra  plus  tard, 
si  on  adopte  celte  variante,  créer  un  embranchement  de 
Soarella  à  Beyla  le  long  du  Tinkisso,  de  la  B.  Koba  et  du 
Niger.  Mais  l'exécution  de  la  deuxième  moitié  du  tracé  est 
encore  assez  lointaine;  il  n'y  a  donc  aucune  urgence  à 
prendre  parti  dès  maintenant,  et  il  vaudra  mieux  ne  trancher 
la  question  que  lorsque  le  mouvement  commercial  se  sera 
dessiné. 


;   CONAKIU    AU    Hllibllt. 


103 


Us  reconnaissances  faites  vers  Tanéné  Kaligourou,  vers 
les  sources  de  la  R.  Kangan,  affluent  du  Konkouré,  et  vers 
Banlanbourou,  sur  le  haut  Tinkisso,  ont  prouvé  qu'il  n'exis- 
tait pas  de  passages  meilleurs  queceuxdeBinkéli,  deSourni 
etdeBérendéprès  de  Simbacounian.  En  revanche  la  recon- 
naissance faîte  en  dernier  lieu  le  long  de  l'Ouantamha,  du 
Samou  ou  Badi  et  enfin  de  l'Ouankou  est  tout  à  fait  encoura- 
geante; elle  permet  de  franchir  le  seuil  desmonlsOuloumà 
eaviron20  mètres  plus  bas,  tout  en  raccourcissant  le  tracé  et 
départissant  la  pente  sur  une  longueur  quadruple;  cette  heu- 
reuse découverte  permettra  de  réduire  extrêmement  la  der- 
nière difficulté  qui  existait  encore,  c'est-à-dire  celle  de  la 
montée  des  monts  Ouloum. 

Si  l'on  compare  le  tracé  actuel  tel  qu'il  résulte  des  derniers 
travaux  de  la  mission  Naudé  au  tracé  tel  qu'il  a  été  exposé 
par  le  capitaine  Salesses  dans  sa  conférence  de  1898,  il  est 
facile  de  constater  que  l'on  a  obtenu  en  réalité  deux  et  sou- 
*eol  trois  tracés  jumeaux  entre  Conakry  et  Kouroussa;  ces 
Iracés  se  contrôlant  tous  entre  eux,  il  est  facile  de  juger  que 
peu  d'avanl-projets  présentent  plus  de  garanties  de  sincé- 
rité et  d'exactitude.  Le  nivellement  part  de  la  mer  et  aboutit 
au  fleuve  du  Niger  en  deux  points,  Kardamania  et  Kou- 
roussa; il  résulte  de  ce  nivellement  que  le  Niger  a  une  cote 
de 365  m.  75  à  Kouroussa;  ce  fleuve  n'aurait  que  292  mètres 
à  Bamakou  et  278  mètres  à  Toulimandio,  d'après  les  colo- 
nels Marraieret  Joffre;  le  colonel  anglais  Trotter  fixe  la  cote 
de  la  source  du  fleuve  à  Tembikounda  à  85i  mètres  au 
moyen  de  déterminations  barométriques.  La  cote  du  point 
le  plus  bas  séparant  la  Petite  Scarcie  du  Konkouré,  c'est- 
à-dire  celle  du  col  de  Sourni,  est  de  713  m.  38;  celle  du  point 
analogue  séparant  le  Bafing  de  la  petite  Scarcie,  c'est-à-dire 
celle  du  col  de  Koumi,  est  de  717  m.  48;  la  cote  de  Dindéa 
près  du  Bafing  est  de  642  m.  90;  l'altitude  du  Tinkisso  au 
passage  de  Kouroukoro  est  de  399  m.  92;  elle  est  de 
S75  mètres  en  amont  en  face  de  Simbacounian  dans  le 


40*  I>E    COIÏAKRÏ   AD   NTCEK. 

tracé  de  1H98.  Tous  ces  chiffres  ont  été  obtenus  avec  le  ni- 
veau à  lunette  et  ne  peuvent  être  affectés  de  graves  erreurs. 

L'altitude  niaximades  montagnes  du  FoutahDjallonserait, 
d'après  le  docteur  Maclaud,  de  1 ,4-00  à  1 ,500  mètres  au  nœud 
orographique  du  Diaguissa  où  le  Bafing  et  le  Konkouré 
prennent  leur  source.  Je  ne  crois  pas  qu'il  s'y  trouve  un 
seul  point  atteignant  2,000  mètres. 

L'œuvre  de  la  mission  a  été  trop  complète  au  point  de 
vue  topographique  pour  tolérer  des  préoccupations  paral- 
lèles. Toutefois,  la  mission  a  pu  observer  à  nouveau  une 
belle  cascade  du  Tinkisso  en  aval  de  Soarella,  cascade  déjà 
signalée  par  d'antres  voyageurs.  Elle  a  également  relevé 
partiellement  la  ligne  de  démarcation  du  grès  et  du  grai 
aux  environs  de  Yerabetta  et  des  rives  du  Khobé, 


IhlK-rlv.n 


Cette  roule,  cause  initiale  des  éludes  qui  précèdent,  con- 
serve encore  sa  raison  d'être,  par  suite  des  commodités  qui 
en  résulteront  pour  la  construction  du  chemin  de  fer;  elle 
a  atteint  Friguiagbé  au  cours  de  l'année  1899  et  aurait  été 
menée  plus  loin  si  on  ne  l'eût  arrêtée  pour  ménager  les  res- 
sources de  la  colonie.  La  plupart  des  ponts  en  bois  ont  été 
remplacés  par  des  ponts  en  fer  el  des  améliorations  diverses 
ont  été  apportées  à  son  tracé.  Elle  est  bien  tassée,  solide  et 
parfaitement  utilisable  pourde  lourds  charrois. On  en  a  pro- 
filé aussitôt  pour  organiser  les  transports  au  moyen  de  voi- 
lures à  bœufs;  des  caravansérails  et  des  parcs  à  bœufs 
espacés  de  25  kilomètres  environ  jalonnent  la  route;  des 
Foulahs  conduisent  des  attelages  de  bœufs  bien  dressés 
permettant  de  réduire  nos  frais  de  transport  et  surtout 
l'emploi  des  porteurs.  C'est  à  M.  Leprince,  garde  d'artillerie 
de  marine,  que  sont  dus  ces  beaux  résultats,  pour  lesquels 
te  Ministre  des  Colonies  a  bien  voulu  lui  attribuer  la  croix 


mit 


DE   CONÀKltY   AIT    NIGER.  405 

de  dievalier  de  la  Légion  d'honneur.  Cette  route,  conslam- 
méat  parallèle  an  tracé  de  la  voie  ferrée,  rendra  plus  lard 
de  précieux  services,  notamment  pour  le  transport  des  fers 
îles  ponts  et  le  ravitaillement  des  chantiers. 


C.  —  Slinniloii  fiiij.ml.-ri-  il<-  la  liuinée  rrnii^»i».-. 
Euur  de  lu  «■nloiiir. 

La  prospérité  de  la  Guinée  française  devient  de  plus  en 
plus  marquée,  et  les  résultats  du  1er  trimestre  de  1899  ont 
été  tels  qu'ils  ont  égalé  ceux  de  Tannée  1896  toute  entière. 
Le  commerce  a  perdu  le  caractère  de  l'ancienne  traite  et  est 
devenu  tout  à  fait  européen;  la  nionnaie  française  est  em- 
ployée constamment  pour  les  échanges  et  est  importée  dans 
l'intérieur  en  quantités  extraordinaires.  D'autre  part,  les 
différences  entre  les  saisons  s'atténuent  au  point  de  vue  du 
Irafic,  et  le  3"  trimestre,  notamment,  présente  un  trafic  encore 
1res  appréciable;  il  est  clair  que  lorsque  le  chemin  de  fer 
sera  créé  et  que  des  comptoirs  permanents  seront  fondés 
dans  l'intérieur,  le  commerce  deviendra  permanent  aussi. 

Il  a  été  dit  souvent  que  la  Guinée  française  n'enlèverait 
rien  au  commerce  du  Sénégal,  et  que  la  lutte  se  localiserait 
entre  Freetown  et  Conakry.  Le  tableau  suivant  montre  que 
les  importations  annuelles  totalesdues  à  Freetown  et  Conakry 
vont  en  croissant,  mais  que  la  somme  des  exportations  des 
deux  pays  se  maintient  constante.  Le  premier  phénomène 
est  dû  sans  doute  à  l'existence  d'une  population  ouvrière 
nombreuse  le  long  des  chantiers  du  chemin  de  fer  anglais, 
mais  les  exportations  ne  sont  pas  faussées  et  représentent 
bien  le  vrai  commerce  permanent  de  la  région. 


Guinée  française...       4,810,000  fr.        7,610,000  fr.        9.050,000  fr. 
Guinée  anglaise...     lï,B00,O00  11,650,000  15,370,000 

Total 17,410.000  fr.       19,290.000  fr.      Î4.3UO,000  fr. 


tracé  de  1898.  To 

veau  à  lunette  et  m   . 

L'altitude 
d'après  le  docteur  ■ 
orographiqae  du 
prennent  leui 
seul  point  atti 

L'œuvre  de  ^_ 

vue  topiij 
lèles.  Toi 

signalée   p 

■ 


8,7*5,000  fr. 
10,8*5,000 


9,380.000  fi 
8,430,000 


I6£G0,O00fr.      17,310,000  fr 

^trv  est  évidemment  perdu  par 
hjr  cette  ville. 

ut  ressortir  la  progression  de; 
liions  à  Conakry  depuis  18ÏHÎ, 


■      :■-.     3,900.000 
KO  000 
365,000 

5*5,000 

*9S  --  ■ 

m,ws 

u.  180.000 
«0.000 
90,000 

8Û&.000 


1897 

iûTÙl»        7.640,000  9,OÎO,0OO  4,275.00 

6,7î5,00O  9,î80.,«JO  4,185,00 

14,365,000  18,300,1.00  8,560,01 


«   ci-dessous    montrent  la  nature   i 
a  et  des  articles  d'exportation  en  Goin 


DE    CONAKHY   JLD    MIGEH.  407 

Parmi  ces  articles,  il  faut  noter  les  bœufs,  le  riz,  le  sel 
comme  étant  susceptibles  de  développement;  le  commerce 
du  sel  prendra  une  extension  considérable  dès  que  l'on 
pourra  le  livrer  à  bas  prix  sur  le  Niger.  11  faut  noter  aussi 
que  les  importations  françaises  augmentent  sensiblement, 
mais  qme  les  exportations  en  France  restent  stalionnaires  à 
cause  de  l'absence  d'un  marché  national  pour  le  caoutchouc  ; 
tant  que  ce  marché  n'existera  pas,  les  importations  anglaises 
seront  toujours  considérables,  à  cause  des  relations  étroites 
existant  entre  Manchester  et  Liverpool,  le  marché  des 
cotonnades  et  le  marché  de  caoutchouc.  La  faiblesse  de 
notre  marine  marchande  est  également  une  cause  de  fai- 
blesse pour  nos  importations. 

On  peut  catégoriser  les  marchandises  au  point  de  vue 
tarifs  de  transport  d'après  les  indications  de  ces  tableaux  : 
il  est  clair  que,  parmi  les  marchandises  payant  le  ptuscher, 
il  faut  ranger  le  caoutchouc,  la  gomme  copal  et  les  colon- 
nades, car  ce  sont  elles  qui  donneront  le  plus  clair  des 
recettes;  à  celte  catégorie  on  peut  ajouter,  en  se  guidant 
sur  des  considérations  morales,  le  tabac,  les  alcools,  les 
armes  et  la  poudre;  on  mettrait  dans  une  catégorie  plus 
favorisée  les  articles  lourds  et  de  peu  de  valeur  dont  il  faut 
encourager  la  vente,  tels  que  sel,  quincaillerie,  arachides, 
riz,  sésame,  fruits  ;  enfin  la  catégorie  la  plus  basse  compren- 
drait les  bœufs,  les  peaux,  les  fers,  les  machines,  les 
articles  de  consommation.  Cette  classification  favoriserait 
ainsi  éminemment  la  propagation  de  la  civilisation  à  l'inté- 
rieur. 

Quand  le  chemin  de  fer  sera  entrepris,  il  en  résultera  un 
afflux  d'ouvriers  noirs  et,  par  suite,  de  nombreux  achats  de 
leur  part  effectués  au  moyen  de  leurs  salaires.  11  en  résul- 
tera aussi  la  création  et  la  prospérité  des  petits  corps  de 
métiers,  tels  que  tailleurs,  cordonniers,  blanchisseurs,  maré- 
chaux, charpentiers,  forgerons,  etc.  ;  on  créera  forcément 
des  hôtels,  restaurants  et  cafés,  et  l'on  fondera  des  com- 


408  DE    CONAKRV  AU  NIGER. 

pagnies  pour  la  fourniture  de  l'éclairage,  de  la  glace  et 
charbon.  Le  port  lui-même  et  les  transports  maritimes 
viaux  et  terrestres  feront  l'objet  d'aménagements  et  de  con- 
cessions, 

La  colonie  étudie  en  ce  moment  un  grand  projet  d'adduc- 
tion  d'eau  vers  la  capitale,  projet  dont  l'adoption  suppri- 
mera le  principal  défaut  du  port  de  Conakry  qui  est  de 
n'avoir  pas  une  véritable  eau  de  source. 


D. 


■  La  Guinée  nnpçlnlaf  cl  i 


1a  l'Iitriiilia  de  fer. 


Les  tableaux  ci-dessus  donnent 
actuel  de  la  Guinée  anglaise;  il  y  a  lieu  d'indiquer  en  outre 
que  le  calme  est  maintenant  complet  dans  cette  colonie.  Le 
gouverneur  de  Sierra  Leone,  colonel  sir  Thomas  Cardew, 
malgré  l'enquête  défavorable  de  sir  Frédéric  Chalmers, 
commissaire  royal,  a  conservé  la  confiance  de  M.  Chamber- 
lain et  revient  à  Sierra  Leone. 

Le  Parlement  anglais  vient  de  voter  un  fonds  d'emprunt 
de  85  millions  pour  les  travaux  publics  des  colonies  pauvres, 
entre  autres  pour  le  chemin  de  fer  de  Freetown;  le  taux 
d'emprunt  sera  2,5  p.  100.  Les  dépenses  déjà  effectuées 
pour  le  railway  de  Freetown  atteignent  5  millions. 

D'après  des  documents  extraits  du  Boaril  o[  trade,  Docu- 
ments parlementaires  anglais  de  1899,  le  chemin  de  fer  de 
Freetown  est  en  exploitation  depuis  le  \"  mai  dernier  sur 
ses  51  premiers  kilomètres,  de  Freetown  à  Songotown;  il 
est  en  construction  de  Songotown  à  Rotofunk  sur  39  kilo- 
mètres; les  levers  comprennent  une  première  partie  de 
Songotown  à  Bumban  (177  kilom.)  et  une  deuxième  de 
Rotofunk  à  Mano  (66  kilom.).  Ce  chemin  de  fer  comprendra 
deux  branches,  l'une  destinée  à  exploiter  le  Libéria,  le  Mano 
et  le  Sherbro,  l'autre  desLinée  à  desservir  notre  binterland 
soudanais  depuis  Beyla  jusqu'à  Kouroussa  en  passant  par 


I 


I)E    C0NAKRV    AU    NKiKK.  409 

Kankan.  Il  devient  urgent  que  nous  nous  mettions  en 
marche  en  Guinée,  en  profitant  de  l'énorme  avantage  que 
nous  donnent  la  possession  exclusive  de  l'hiuterland  et  celle 
du  Niger  navigable. 


E.  —   l'<[n(  actuel  de  In  question  du  «-lirinin  de  fer 
de  Couskry. 

L'avanl-projet  du  chemin  de  fer  et  son  état  estimatif 
n'ont  été  dressés  d'abord  que  pour  les  premiers  275  kilo- 
mètres, bien  que  l'on  possède  le  lever  complet  jusqu'au 
Niger,  sur  670  kilomètres  de  longueur  totale.  Toutefois,  le 
reste  de  l'avant-projel  est  en  cours  d'exécution  et  le  tracé 
en  plan  est  même  complètement  terminé  à  l'heure  actuelle. 

Quelques  changements  de  chiffres  ont  eu  lieu,  par  suite 
des  nouvelles  données  et  de  diverses  décisions  prises  depuis 
le  1"  janvier  1899  :  la  longueur  a  été  portée  à  670  kilo- 
mètres, et  l'altitude  définitive  du  point  le  plus  élevé  de  la 
ligue,  le  col  de  Koumi,  a  été  fixée  à  717  m.  48;  les  autres 
principales  cotes  ont  été  données  dans  le  compte  rendu  de 
la  mission  Naudé. 

Le  tracé  actuel  partant  de  Conakry  suivrait  la  direclion 
indiquée  sur  la  carte  ci-jointe  ;  il  quitterait,  à  partir  de 
l'Ouankou,  le  tracé  de  1898  pour  rejoindre  le  Samou  et 
remonter  cette  dernière  rivière  ainsi  que  ses  affluent*, 
l'Ouantamba  et  la  Fassara,  jusqu'à  Kindia;  entre  Kîndia  et 
le  Konkouré,  le  tracé  nouveau  emprunte  les  vallées  de  la 
Fissa,  du  Bamban,  du  Méonkouré  et  du  Méonkourédi.  Le 
racé  longe  ensuite  le  Konkouré,  la  Koufa  et  la  Fioké  jus- 
qu'à Songouya,  puis  elle  reprend  la  vallée  du  Konkouré 
jusqu'à  Aïndé  Konkouré;  entre  Aïndé  Konkouré  et  Soarella, 

s  tracés  de  1808  et  1899  se  confondent;  de  Soarella  à  Kou- 
•oukoro  le  nouveau  tracé  suivrait  ie  Tinkisso,  puis  gagne- 
rait Banko  et  Kouroussa  par  les  vallées  du  Bagne,  du  Sili, 

a  la  II.  Tamba  et  de  la  11.  Kouroussa. 


■410  llli  CONAKKï   AU   SltiKK 

Cette  dernière  partie  du  tracé  de  1899  n'est  pas  officielle- 
ment adoptée. 
Le  tracé  peut  se  diviser  en  i  sections,  ainsi  qu'il  suit  : 


Section  'lu  Conakry  an   Kunkouré £13  kilom. 

Section  du  Konkouré  k  Dimléa,  près  du  Baflng 155      — 

Section  du  Bailng  au  pont  du  Tinkisso  (Kouraukoro).  180      — 

Section  du  Tinkisso  à  Kouroussa  sur  le  Niger 1ÏS      — 

Total 670  kilom. 

Les  limites  de  pentes  et  de  courbes  n'ont  pas  changé  et 
sont  toujours  de  25  millimètres  par  mètre  et  de  100  mètres 
de  rayon.  Il  n'y  a  aucun  tunnel  ni  pont  exceptionnel;  tou- 
tefois, le  nombre  des  ponts  est  assez  considérable.  Le  prix 
de  revient  kilométrique  a  été  porté  à  90,000  francs  par  le 
comité  des  travaux  publics  qui  a  examiné  le  projet.  Ce 
projet,  avec  ses  modifications  proposées  ou  acquises,  doit 
donc  f'tre  considéré  comme  ne  présentant  plus  aucune 
espèce  de  difficulté  sérieuse,  à  part  celles  qui  sont  inhérentes 
au  climat  et  à  la  main-d'œuvre. 

Les  grandes  entreprises  de  travaux  publics,  dans  certaines 
colonies  et  en  particulier  en  Guinée,  peuvent  être  autorisées 
par  un  décret  présidentiel  rendu  sur  avis  du  Conseil  d'État. 
Cette  solution  rapide  a  pu  heureusement  être  adoptée.  La 
Caisse  des  retraites  pour  la  vieillesse  a  consenti  un  emprunt 
de  8  millions  au  taux  de  1,1  p.  100,  remboursable  en  qua- 
rante annuités  de  408,000  francs  environ  chacune;  cet 
emprunt  est  gagé  sur  les  recettes  des  douanes  à  l'exporta- 
tion; il  est  loin  d'absorber  d'ailleurs  le  crédit  disponible  de 
la  colonie,  Cette  dernière  compte  pousser  son  emprunt  jus- 
qu'au chiffre  de  12  millions,  afin  de  se  rapprocher  du 
Konkoiiré  et  du  Foutah  Djallon  le  plus  possible.  On  espère 
que  le  développement  du  commerce  sera  tel  que  bientôt  la 
somme  nécessaire  toute  entière  pourra  être  empruntée; 
peut-être  encore  se  présentera-l-i I  uu  demandeur  i 


ML    LOAARHY    AU   N1GKK.  41  I 

cession  plus  hardi  et  plus  confiant,  lorsque  la  pratique  aura 
démontré  l'exactitude  des  chiffres  prévus. 

En  attendant,  comme  le  temps  pressait,  la  colonie  s'est 
comportée  comme  si  elle  devait  être  laissée  à  ses  seules 
ressources;  elle  a  pris  ses  dispositions  en  conséquence;  les 
travaux  seront  mis  en  adjudication  par  lots  et  exécutés  à 
l'entreprise,  si  les  offres  des  soumissionnaires  sont  accep- 
tables. Dans  le  cas  où  il  n'en  serait  pas  ainsi,  on  appliquerait 
le  système  de  la  construction  en  régie.  A  n'importe  quelle 
période  de  la  construction,  la  conversation  pourra  être 
reprise  entre  la  colonie  et  des  demandeurs  en  concession  ; 
car  la  procédure  suivie  jusqu'ici  ne  préjuge  en  rien  les  dé- 
cisions ultérieures. 

Si  la  lenlative  de  l'adjudication  réussit,  ce  sera  d'un  très 
favorable  augure  pour  nos  travaux  publics  dans  les  colonies 

.lilaires;  ce  n'est,  en  effet,  qu'à  la  longue  que  l'on  parvient 
ï  grouper  des  entrepreneurs  sérieux  autour  d'un  genre  de 
ravaux  nouveau  par   quelque   côté.  La  Guinée  française 

a  bénéficier  les  autres  colonies  de  son  expérience  et  des 
s  qu'elle  aura  aidé  a  former. 

Il  faut  espérer  que  l'année  1900,  et  en  tout  cas  l'.MM,  ne 
s'écouleront  pas  avant  que  nos  locomotives  arrivent  à  Fri- 

uiagbé.  —  Ce  jour-là,  la  cause  du  chemin  de  fer  de  Cona- 
kry  au  Niger,  gagnée  déjà  devant  l'opinion  et  les  pouvoirs 
publics,  triomphera  définitivement  dans  la  pratique. 


~ 


EXPLORATIONS  DE  M.  PERDRIZET 


CAMILIiB      QTJ-2" 


M.  Perdrizet,  entré  au  service  du  Congo  en  18°4: 
sitôt  après  son  arrivée,  envoyé  dans  la  Sangha.  Là,  il  conçut 
le  projet  d'explorer  le  pays  encore  très  peu  connu  entre 
Koundé  et  Carnot  pour  y  étudier  avec  une  méthode  et  une 
précision  peu  ordinaires  le  cours  de  la  rivière  Wora  et  com- 
pléter ainsi  les  précieux  renseignements  que  nous  avaient 
déjà  rapportés  M.  Ponel  en  1892  et  M.  Clozel  en  1895. 

Il  suivi!  le  cours  de  cette  rivière  pendant  trente-cinq  jours 
depuis  Guikora,  point  où  s'était  arrêté  Clozel,  et  fit  un  levé 
remarquablement  soigné  et  intéressant  jusque  par  environ 
18"  E.  Au  retour,  le  courageux  explorateur  complétait  et 
raccordait  les  reconnaissances  faites  par  ses  prédécesseurs 
en  recoupant  les  rivières  Bali,  M'Bayéré  qu'il  réussissait  à 
identifier,  d'accord  en  cela  avec  M.  Ponel,  au  cours  supé- 
rieur des  rivières  Lobai'  et  Jbenga,  affluents  de  l'Oubangui, 
Il  redescendait  ensuite  vers  le  sud-ouest  pour  rejoindre 
près  de  Bayenga,  aux  bords  de  la  Sangha,  les  itinéraires  de 
Fourneau  et  Husson.  En  1897,  M.  Perdrizet  entreprenait  de 
revenir  à  la  côte  en  traversant  une  partie  du  Cameroun  alle- 
mand et  les  régions  du  nord  du  Congo  français  occupées 
parles  Pahouins.  Mais  il  dut  obéira  un  contre-ordre  qui  lui 

1,  Voir  la  tarie  jointe  a  M  numéro. 


. 


NOTE  SDR  LES  EXPLORATIONS  DK  M.  PEKDRIZKT.   4-13 

parvenait  au  village  de  Bertoua,  situé  à  plus  de  400  kilo- 
mètres au  sud-ouest  de  Garnot.  C'est  à  la  suite  de  cet  arrêt 
forcé  qu'il  revenait  en  France,  après  quatre  ans  de  séjour 
dans  la  région  de  la  haute  Sangha.  Il  avait  donc  établi  que 
la  rivière  Wom,  impraticable  pour  la  navigation,  n'était  pas 
une  voie  de  pénétration  utile  et  qu'elle  n'était  pas  une 
branche  supérieure  du  Lagone.  D'après  ses  observations  et 
ses  calculs,  elle  serait  un  affluent  de  la  rivière  Bar-sara.  Ces 
observations,  conformes,  du  reste,  à  celles  de  M.  Ponel,  éta- 
blissent que  les  rivières  Bali  et  Bayéré  sont  vraisemblable- 
ment les  branches  supérieures  des  rivières  Lobai  et  Ibenga, 
affluents  de  l'Oubangui,  et  non  pas,  comme  on  l'avait  long- 
temps supposé,  de  la  Likouala  aux  herbes. 


SOC.   DE  GÉOGR.  —  4*  TRIMESTRE  1899.  XX.  —  29 


DE  HANOÏ  A  MONGTZE 


M.   BOMS    33 'j 


Lcioq  ; 
Hong] 
La  oh  a 


La  distance  de  Hanoï  à  Monglste  peut  être  évaluée  à 
420  kilomètres. 

Le  voyage  s'effectue,  le  plus  généralement,  par  ta  vole  du 
fleuve  Rouge  jusqu'à  Manhao,  et  par  terre  à  parlîr  de  cet 
endroit,  point  terminus  de  la  navigation  commerciale. 

Il  existe  bien  au  Tonkin  une  route  reliant  Hanoï  àLaokay 
(six  jours  de  marche,  environ);  mais,  après  Honghoa, 
c'estrà-dire  sur  plus  des  deux  tiers  du  parcours,  cette  route 
n'est  plus  qu'un  sentier  qu'il  est  difficile  de  suivre  pendant 
l'été,  et  qui  n'est  alors  empruntée  que  par  les  courriers  et 
pour  les  relations  de  poste  à  poste.  De  même,  il  est  pos- 
sible de  se  rendre  par  terre  de  Laokay  à  Mongtze,  mais  les 
chemins  étant  peu  praticables  d'ordinaire,  et  souvent 
coupés  durant  la  saison  des  pluies,  les  voyageurs  prennent 
de  préférence  la  voie  fluviale  :  la  nécessité  où  ils  se  trouvent 
d'accompagner  leurs  bagages  les  oblige,  du  reste,  à  choisir 
cette  voie  par  suite  de  la  difficulté  des  transports  par  terre. 

La  durée  du  trajet  sur  le  fleuve  varie  dans  des  propor- 
tions considérables,  suivant  qu'on  l'accomplit  en  bateau  à 
vapeur  ou  en  jonque,  et  que  les  circonstances  sont  plus  ou 
moins  favorables. 

Les  bateaux  à  vapeur  mettent  normalement  de  quatre  à 
cinq  jours,  sans  compter  le  temps  passé  aux  escales  de 
Honghoa  et  de  Yenbai.  De  l'un  de  ces  derniers  centres  à 
Laokay,  en  jonques  chinoises,  il  faut  de  quinze  jours  à  trois 


DE   HANOI    A    MONGTZE.  il  5 

semaines;  les  mêmes  jonques  conduisent  les  voyageurs  en 
dis  ou  quinze  jours  de  Laokay  à  Manhao. 

On  se  rend  aisément  de  Manhao  àMongtze  en  deux  jours, 
a  cheval  ou  en  chaise  à  porteurs.  En  ce  qui  me  concerne 
j'ai  franchi  en  dix  jours,  la  distance  qui  sépare  Hanoi  de 
Laokay,  à  bord  de  la  canonnière  le  Moutun  mise  à  ma  dis- 
position par  M.  le  gouverneur  général  de  l'Indo-Chine;  puis 
j'ai  atteint  Mongtze  par  terre  en  six  journées  à  cheval. 


I.  —  De  Hanoi  a  Laokat  (300  kilomètres). 

Daus  l'état  actuel  des  choses,  le  fleuve  Rouge  n'est  acces- 
fale  aux  bateaux  à  vapeur,  au-dessus  de  Honghoa,  que 
durant  la  saison  des  pluies  (juin-seplembre),  c'est-à-dire 
mdant  quelques  mois  de  l'année  seulement. 
Jusqu'à  présent,  exception  faite  de  quelques  tentatives 
ui  ne  furent  pas  toujours  heureuses,  du  reste,  pour  con- 
luire  à  Laokay  une  canonnière,  le  fleuve  n'est  fréquenté, 
cours  supérieur,  que  par  les  chaloupes  de  la  com- 
me subventionnée  des  Messageries  fluviales  du  Tonkin. 
;  termes  de  ses  contrats,  celte  compagnie  doit  établir 
2  service  régulier  de  vapeurs  entre  Hanoï  el  Laokay  :  on 
s'est  un  peu  trop  pressé  d'annoncer,  semble-t-il,  qu'elle 
tossédait,  dès  maintenant,  les  moyens  d'assurer  ce  service 
•.h  liant  toute  l'année  ;  en  réalité  ses  chaloupes  ne  dépassent 
Yenbai  que  lorsque  le  niveau  du  fleuve  s'élève  de  beaucoup 
au-dessus  de  l'étiage  d'hiver;  et,  quand  les  eaux  sont  très 
basses,  il  leur  est  même  impossible  d'aller  au-dessus  de 
Honghoa.  H  n'est  donc  pas  exagéré  de  dire  que  la  naviga- 
tion à  vapeur  n'existe  sur  le  haut  fleuve  Rouge  qu'à  l'état 
d'exception. 

Dans  les  années  qui  présentent  les  conditions  les  plus 
favorables  à  ce  point  de  vue,  les  chaloupes  remontent  à 
Laokay  vers  le  commencement  de  mai,  et  peuvent  continuer 


416  DE    HANOÏ   A   HONCT/.K. 

parfois  à  effectuer  ce  trajet  jusqu'à  la  lin  octobre;  les 
échouages  sont,  d'ailleurs,  très  fréquents,  et  le  service  est 
même  souvent  interrompu  par  un  abaissement  temporaire 
du  niveau  des  eaux. 

D'habitude,  le»  crues  ne  se  produisent  qu'au  milieu  de 
mai,  ou  dans  les  derniers  jours  de  ce  mois;  cette  année, 
par  suite  de  la  sécheresse  qui  a  régné  au  Tonkin  et  en 
Chine,  dans  ces  régions,  elles  se  sont  fait  attendre  plus 
longtemps  encore;  et  c'est  seulement  le  2  juin  que  la 
canonnière  le  Moulu»  put  se  mettre  en  route  pour  Laokay. 
Elle  monta  jusqu'à  Honghoa  le  même  jour,  sans  difficulté. 
Les  eaux  ayant  subitement  baissé  dans  la  nuit  du  2  au  3, 
elle  se  trouva  immobilisée  jusqu'au  4,  date  à  laquelle  elle 
reprit  sa  marche,  mais  pour  s'échouer  sur  un  bas-fond 
dans  l'après-midi. 

Le  lendemain  5,  une  légère  crue  suffit  pour  la  remettre  à 
flot,  et  lui  permettre  d'arriver  à  Yenbai  dans  la  soirée.  La 
nécessité  de  renouveler  l'approvisionnement  de  charbon 
retint  le  bateau  une  autre  journée  à  Yenbai  ;  puis  le  7,  il  ne 
put  marcher  que  peu  de  temps,  s'étant  échoué  à  nouveau 
sur  un  banc  de  galets,  où  il  resta  trente-trois  heures.  Le  8, 
vers  la  fin  de  l'après-midi,  grâce  à  une  petite  crue,  il  se 
remit  en  route. 

Nous  entrions  à  ce  moment  dans  la  zone  t  des  Rapides  », 
mais  le  niveau  des  eaux  étant  demeuré  stable,  la  canon- 
nière trouva  partout  suffisamment  de  fond,  et  ne  fut  que 
fort  peu  gênée  par  le  courant  et  par  les  roches.  Aucun 
échouage  ne  se  produisit  plus  jusqu'à  Laokay,  où  le  Mou- 
Hin  mouilla  le  H  juin  à  8  heures  du  matin. 

Deux  chaloupes  des  Messageries  fluviales,  les  premières 
qui  eussent  pu  dépasser  Yenbay  cette  année,  nous  avaient 
précédés  d'une  heure  environ  ;  —  la  veille,  un  petit  vapeur 
appartenant  à  un  entrepreneur  d'Haiphong,  M.  Porchet, 
avait  aussi  abordé  à  Laokay.  Cet  entrepreneur,  qui  a  l'adju- 
dication des  batimenls  militaires  qu'on  élève  actuellement 


DE   HAMOl   A    HOH0T9X.  117 

à  Laokay,  a  construit  son  bateau  spécialement  pour  la  navi- 
gation du  haut  fleuve,  sur  lequel  il  désire  circuler  en  toute 
saison.  La  chaloupe  a  un  très  faible  tirant  d'eau  (0  m.  70 
en  pleine  charge)  et  est  actionnée  par  une  hélice  placée 
dans  une  cavité  ménagée  sous  la  coque.  Malgré  tous  ses 
avantages,  a  la  saison  actuelle,  elle  n'a  pu  gagner  qu'une 
journée  sur  le  Moulun,  qui  cale  1  mètre;  mais  le  proprié- 
taire a  plutôt  en  vue  de  naviguer  pendant  la  saison  sèche, 
que  de  lutter  contre  les  forts  courants  de  l'été. 

Les  régions  traversées  dans  ce  voyage  de  Hanoï  à  Laokay 
ne  présentent  que  peu  d'intérêt.  Dès  que  l'on  a  quitté  le 
Delta  proprement  dit,  la  population  devient  de  plusen  plus 
clairsemée,  et  l'on  ne  rencontre  aucune  agglomération 
importante.  Les  principales,  Honghoa  et  Camkhé,  devant 
lesquelles  on  passe  tout  d'abord,  ont  à  peine  un  millier 
d'habitants,  et  sont  simplement  des  centres  d'échange 
locaux.  Quant  à  Yenbay,  c'est  uniquement  un  poste  mili- 
taire, autour  duquel  se  sont  groupés  quelques  Annamites 
et  quelques  Chinois. 

A  partir  de  cet  endroit,  la  population  annamite  disparaît 
pour  faire  place  aux  *  Thos  »  dans  la  plaine,  et  aux  peu- 
ilades  «  Méos  »  dans  la  montagne. 

ne  trouve  plus  ensuite  sur  les  rives  du  fleuve  que  des 

postes  comme  Traioutt  (9  juin),  Pholu  et  Bahoa  (10  juin), 

litîs  près  de  villages  ou   de  hameaux  t  thos  ».  Entre  ces 

iO'érents  postes,  s'élèvent  ou  sont  eu  construction  un  assez 

and  nombre  de  blockhauss. 

L'aspect  des  rives  du  fleuve  est  monotone  et  manque,  en 
somme,  de  grandeur,  s'il  est  pittoresque  sur  certains  points. 

Aux  berges  plates  du  Delta  succèdent,  au-dessus  de  Viélri, 
des  chaînes  de  mamelons  qui  croissent  en  altitude  au  fur 
et  à  mesure  qu'on  s'avance  dans  l'intérieur.  Ces  mamelons 

Isont  couverts  de  forêts  d'arbres  grêles,  étouffés  par  les 
broussailles   et  les  lianes,   dont   l'exploitation   u'oltriraît, 


DE    HANOÏ   A    MDMji/l-.. 

consistent  surtout  en  riz  dans  les  vallons,  eu  maïs  et  sorg] 
sur  les  flancs  des  mamelons. 

La  flore  comporte  peu  d'espèces  différentes,  et  reste  uni- 
forme jusqu'à  Laokay;  parmi  les  plantes  les  plus  com- 
munes, je  citerai  le  latanier,  abondant  surtout  vers  Camkhé, 
qui  est  le  plus  grand  centre  d'exploitation  des  feuilles  de 
ce  palmier,  employées  par  les  Annamites  à  la  fabrication 
des  chapeaux. 

Puis  un  bananier  sauvage,  confondu,  —  à  tort,  je  crois, — 
avec  la  backa  aux  libres  textiles  des  Philippins  (chanvre  de 
Manille). 

La  formation  géologique  des  rives  du  haut  fleuve  Roi 
(calcaires  et  schistes)  rappelle  celle  de  la  région  qu'an 
le  cours  supérieur  du  Sikiang;  mais  je  n'ai  pu  m'empêcber 
de  faire  une  comparaison  toute  à  l'avantage  de  ce  dernier 
fleuve,  quant  au  pittoresqne. 

,1e  n'ai  rien  vu,  en  effet,  de  Yenbay  à  Laokay  qui  ressem- 
blât aux  grandioses  spectacles  qu'offrent  les  gorges  rocheuses 
de  la  rivière  de  l'Ouest  entre  Namming  et  Longtchéou. 

Cette  différence  apparaît  particulièrement  dans  les  rapi- 
des qui  sont  loin  d'avoir,  sur  le  fleuve  Rouge,  le  caractère 
imposant  qu'ils  tiennent,  sur  le  Sikiang,  d'un  dénivellement 
plus  accentué  et  de  la  prés«nce,  au  milieu  du  lit,  d'amas  de 
roches  considérables. 

Il  me  parait  qu'on  s'exagère  la  difficulté  de  ces  rapides 
en  ce  qui  concerne  la  navigation  à  vapeur.  Le  véritable 
obstacle  réside  dans  les  nombreux  bancs  de  sable  mouvant, 
qui  créent  des  bas-fonds  impossibles  à  franchir  pour  les 
bateaux  calant  plus  de  0  m.  60.  Les  travaux  que  l'on  con- 
duit actuellement  ne  sauraient,  de  longtemps,  améliorer 
le  lit  du  fleuve  à  cet  égard  ;  la  vraie  solution  ne  consisterait- 
elle  pas  dans  l'adoption  d'un  type  de  chaloupes  ayant  un 
tirant  d'eau  très  réduit,  semblables  à  celle  qu'a  const 
M.  Porcbet,  par  exemple? 

Ces  chaloupes  seraient  appelées  à  rendre  de  grandi 


• 


DE     IIAMII    A    MUMiTïE. 

vices,  puisque,  grâce  à  leur  rapidité  relative,  elles  permet- 
traient d'assurer  dans  des  conditions  plus  satisfaisantes,  les 
relations  des  postes  entre  eux  et  avec  le  Delta,  ainsi  que 
leur  ravitaillement.  Quant  au  transit  avec  le  Yunnan,  il 
semble  que  les  jonques  chinoises  qui  circulent  entre  Hanoi 
et  Maohao  suffisent  amplement  comme  moyen  de  transport 
pour  les  marchandises  importées  ou  exportées  par  la  place 
de  Mongtxe. 

Il  tombe  sous  le  sens  que  la  dorée  du  trajet  est,  pour  le 
commerce  chinois  qui  vise  surtout  à  l'économie  dans  le 
fret,  un  facteur  de  moindre  importance. 

A  Laokay  et  à  Coc-leou,  son  faubourg  de  la  rive  droite, 
un  centre  militaire  européen  est  en  voie  d'installation  dans 
des  conditions  d'hygiène  et  même  de  confortable,  qui  vont 
enlever  à  ce  poste-frontière  sa  réputation  d'insalubrité,  un 
peu  exagérée,  d'ailleurs. 

Au  point  de  vue  commercial,,  cette  localité  n'a  pour  le 
moment,  il  faut  bien  le  reconnaître,  aucune  importance. 

En  fait  de  négociants,  il  n'y  existe  qu'une  seule  maison 
française,  celle  de  M.  Blelon,  qui  se  borne  exclusivement 
à  faire  la  commission  d'opium  pour  la  douane,  se  désinté- 
ressant absolument  de  toute  autre  question;  les  quelques 
marchands  chinois  fixés  à  Laokay  sont  des  fournisseurs  de 
la  garnison.  En  ce  qui  concerne  le  grand  commerce  avec 
le  Yunnan,  Laokay  n'est  qu'un  Heu  de  transit,  presque  au 
même  litre  que  les  autres  escales  de  la  navigation  sur  le 
fleuve.  Cependant,  on  doit  noter  qu'il  s'y  opère  des  transac- 
tions assez  sérieuses,  en  contrebande,  sur  l'opium  et  sur  le 
sel;  c'est  le  point  d'attache  de  quelques  caravanes  qui  se 
livrent  à  cette  contrebande. 

L'absence  de  relations  commerciales  régulières,  entre 
Laokay  et  les  marchés  chinois  voisins,  se  mahilesle  bien 
dans  la  difficulté  que  l'on  rencontre  à  se  procurer  des 
moyens  de  transport  pour  se  rendre  en  Chine.  C'est  ainsi 
que  j'ai  été  obligé  d'avoir  recours  au  mandarin  de  Hokéou 


«0  l)Ë    HÀKOÏ   A    MONGTZE. 

(Sonphong)  pour  trouver  des  jonques,  et  que  sans  t'inta 
vention  de  M.  le  colonel  Viinard,  commandant  le  quatrième 
territoire,  il  m'eût  été  impossible  de  recruter  les  bêtes  de 
somme  el  les  montures  dont  j'avais  besoin  ;  j'ajouterai  que 
le  colonel  dut  réquisitionner  une  caravane  de  contreban- 
diers. 

Hokéou  (Sonphong)  est  situé  sur  la  rive  gauche  du  fleuve 
et  sur  la  rive  droite  du  Namti  dont  le  lit  forme  la  frontière 
entre  la  Chine  et  le  Tonkin. 

C'est  une  agglomération  de  deux  à  trois  cents  misérables 
cases,  bien  inférieure  comme  aspect  au  bourg  de  Tonghing 
qui  occupe,  sur  les  confins  du  Kouangtong,  une  position 
similaire  à  celle  de  Hokéou  sur  les  limites  du  Yuonan. 
La  population,  qui  vil  surtout  de  contrebande  et,  le  cas 
échéant,  de  la  piraterie,  parait  être  entièrement  composée 
de  Cantonnais  :  on  connaît  la  répugnance  invincible  des 
Yunnanais  à  descendre  de  leurs  plateaux  pour  se  fixer  sur 
les  bords  du  fleuve. 

Le  mandarin  civil  qui  a  été  installé  depuis  peu  à  Hokéou 
était  avisé  de  ma  prochaine  venue  par  mon  collègue  à 
Mongtze. 

J'ai  été  dès  mon  arrivée  lui  faire  une  visite  qu'il  m'a 
rendue  le  lendemain;  il  m'a  accueilli  avec  le  pins  grand 
empressement,  et,  grâce  à  ses  bons  offices,  j'ai  trouvé  toute 
facilité  pour  poursuivre  ma  route  et  expédier  mes  bagages 
sur  Manhao. 


II.  —  DeLaokay  a  Mongtze  (120  kilomètres  environ). 

Pour  se  rendre  de  Laokay  à  Mongtze  par  terre,  le  voya- 
geur a  le  choix  entre  plusieurs  chemins.  L'un  d'eux  rejoint 
la  grande  route  de  K'aihoufou;  c'est  la  voie  la  plus  facile, 
mais  aussi  la  plus  longue,  le  trajet  n'exigeant  pas  moins  de 
dix  à  douze  jours.  D'un  autre  côté,  on  peut,  parall-il,  en 


I)K   HANOI   A    MOHGTZB.  -12 i 

suivant  pendant  une  journée  le  cours  du  Namti,  monter 
immédiatement  sur  le  plateau,  et  gagner  assez  rapidement 
Monglze.  J'aurais  désiré  suivre  ce  chemin,  mais  la  région 
étant  actuellement  infestée  par  les  débris  des  bandes  refou- 
lées du  troisième  territoire,  le  mandarin  m'a  dissuadé  de 
prendre  cette  direction;  et  sur  sa  demande,  j'ai  choisi  la 
route  de  Manhao  qui  longe  la  ligne  télégraphique,  et  sur 
laquelle  circulent  les  courriers  du  consulat  et  de  la  douane 
de  Monglze.  Je  n'ai  pas,  du  resle,  été  jusqu'à  Manhao  :  à 
Sinkai,  j'ai  abandonné  ce  chemin  pour  gagner  le  sommet 
du  plateau,  ce  qui  m'a  permis  d'économiser  deux  journées 
sur  la  durée  du  trajet.  Je  crois  utile  de  noter  ici  qu'à 
Laokay,  il  m'a  été  absolument  impossible  d'obtenir  des 
renseignements  sur  le  parcours  de  la  frontière  à  Mongtze 
lar  terre;  la  route  n'est  pas  connue  des  Européens  rési- 
dant à  Laokay,  surtout  dans  la  partie  comprise  entre  Sinkai 
et  Mongtze.  Toutes  les  personnes  que  j'ai  consultées  m'as- 
suraient que  je  rencontrerais  de  très  grosses  difficultés  et 

e  je  serais  très  probablement  forcé  de  revenir  sur  mes 

s.  J'ai  pu  pourtant,  au  prix  de  grandes  fatigues,  il  est 
vrai,  effectuer  le  voyage  en  six  journées. 

Je  quittai  Laokay  le  i3  juin  à  8  heures  du  matin.  Sur 
l'ordre  du  commandant  de  ia  marine  du  Tonkin,  /.:  Moutttn 
a  d'une  salve  de  7  coups  de  canon  au  moment  où 
je  passai  la  frontière. 

Je  poursuivis  immédiatement  ma  route  sans  m'arrêter  à 
Hokéou.  Pendant  les  trois  premiers  jours  de  marche,  je 
nageai  le  neuve,  sur  la  route  de  Manhao  ;  c'était  un  étroit 
intïer,  à  peine  frayé,  qui,  dans  cette  saison,  est  envahi  par 
i  brousse  et  coupé  par  de  nombreux  arroyos.  Le  chemin 
îdtoie  presque  continuellement  le  cours  du  fleuve;  il  ne 
s'en  écarte  qu'à  une  petite  distance,  quand  il  cherche  à 
éviter  les  courbes  du  lit,  en  s'engageant  dans  les  vallées 
qui  les  sous-lendent. 

Pour  passer  du  bord  du  fleuve  dans  ces  vallées,  ou  pour 


1IE    HANOÏ    A   MONIiTZE. 

revenir  sur  les  berges, on  traverse  fréquemment  des  chaînes 
de  mamelons  dont  la  hauteur  va  en  augmentant  à  mesure 
qu'on  s'éloigne  de  Laokay;  en  général,  d'ailleurs,  le  ter- 
rain est  très  accidenté;  le  plus  grand  obstacle  à  la  marche 
provient  des  ravins  et  des  torrents  que  l'on  rencontre  à 
chaque  pas. 

De  Laokay  à  Basât,  ma  première  étape  (13  juin,  15kiIom. 
environ),  j'ai  été  arrêté  ainsi  à  plusieurs  reprises  :  d'abord, 
aux  portes  même  de  Sonphong,  par  le  passage  d'un  arroyo, 
et  par  celui  d'un  ravin  vaseux;  puis,  vers  la  fin  de  l'étape, 
une  petite  rivière,  franchie  sur  un  pont  en  mauvais  état,  m'a 
occasionné  un  relard  considérable.  Les  muletiers  devant 
décharger  les  bats  et  les  transporter  à  bras  d'homme,  puis 
faire  traverser  des  animaux  souvent  récalcitrants,  on  perd 
beaucoup  de  temps,  et  des  accidents  se  produisent  quel- 
quefois, chutes,  charges  renversées,  etc.  Durant  cette  pre- 
mière journée,  on  parcourt  une  région  très  peu  habitée  et 
peu  cultivée.  Je  n'ai  rencontré  sur  les  hords  de  la  route 
qu'un  hameau  de  quelques  cases,  Choueimi,  où  je  dus 
m'arrêter  rie  midi  à  i  heures  pour  laisser  reposer  ma  cara- 
vane, et  un  petit  village,  Manngo  (a  le  Bongo  »  des  cartes 
éditées  au  Tonkin).  A  Choueimi  s'est  fixée  une  famille 
cantonnaise;  Manngo  est  une  agglomération  d'aborigènes 
Thos,  située  dans  une  vallée  assez  cultivée,  que  la  route 
suit  pendant  près  de  2  kilomètres.  Au  sortir  de  cette 
vallée,  et  après  avoir  franchi  un  col  de  85  mètres  d'altitude, 
on  s'engage  sur  une  sorte  de  plateau  accidenté,  sur  les 
bords  même  du  fleuve,  à  l'extrémité  duquel  se  trouve  le 
marché  chinois  de  Baxat.  Un  poste  français,  qui  porte  le 
même  nom,  est  installé  en  face,  sur  un  haut  mamelon  de 
la  rive  droite. 

Parti  à  i  heures  de  l'après-midi  de  Choueimi,  j'arrivai  à 
Baxat  vers  6  heures  du  soir.  Mon  escorte  me  conduisit  au 
poste  militaire  qui  s'élève  en  arrière  et  au-dessus  du  village, 
et  qui  se  compose   d'une   réunion   de  quelques  paillotes 


DE    hivh    K   MOHGTZfc. 

entourées  d'une  enceinte  en  pisé  et  en  bambous;  j'y  fus 
fort  bien  reçu  par  le  mandarin,  qui  mil  à  ma  disposition 
son  propre  logement. 

La  population  du  marché  est  mélangée  de  Cantonnais  et 
de  Tbos,  bateliers,  contrebandiers  et,  sans  doute  aussi, 
pirates  à  l'occasion. 

Le  14  juin,  je  gagnai  l'étape  de  Namt'ing,  à  ii  kilomètres 
de  B.ixiil  environ.  Le  caractère  du  pays  sur  ce  parcours 
reste  celui  que  nous  avons  décrit  plus  baut. 

Marchant  depuis  7  heures  du  matin, j'atteignis  sans  peine, 
vers  11  heures,  le  marché  de  T'ienfang,  commandé  par 
un  petit  poste  militaire.  Je  fis  halle  dans  ce  village,  dont  les 
habitants  sont  aussi  des  Thos  et  des  Cantonnais.  Je  m'y 
installai  chez  un  notable  Tho.  qui  parut  m'offrir  avec  plai- 
sir l'hospitalité;  sa  demeure  très  propre  respirait  une  cer- 
taine aisance. 

Le  marché  battantson  plein  lorsque  j'entrai  à  Tien  fang, 
je  tus  à  même  de  constater  qu'il  était  fréquenté  par  des 
aborigènes  de  race  Yao  (Yao  rouges  et  Yao  blancs).  — 
Les  articles  mis  en  vente  par  des  colporteurs,  consistaient 
en  fils  et  aiguilles  de  provenance  anglaise,  filés  et  tissus 
de  coton  venant  de  l'Inde,  pilules  de  santonine,  poudre 
d'aniline  (bleu  d'oulre-mer)  d'exportation  allemande,  allu- 
mettes et  serviettes  d'origine  japonaise,  pierres  à  briquet, 
alun,  etc. 

Je  me  remis  en  route  a  2  heures,  et  j'étais  vers  i  heures 
à  Namting,  marché  qui,  comme  Baxat,  est  situé  sur  le 
bord  du  fleuve.  J'y  fus  logé  aussi  dans  le  posle  militaire; 
ce  poste,  qui  est  à  l'entrée  du  marché  sur  une  petite  émi- 
nence,  ne  parait  pas  être  occupé  actuellement,  et  les  pail- 
lettes qui  le  composent  sont  complètement  délabrées. 

Dans  la  journée  du  15,  je  me  rendis  de  Namting  à  Sinkai 
{i~  kilomètres  environ). 

C'est  la  plus  longue  étape,  et  c'est  aussi  la  plus  difficile. 
Dès  la  sortie  de  Namtinp,  on  se  heurte  à  des  obstacles,  le 


revenir  sur  les  berges, on  Irav 
de  mamelons  dont  la  hautcu  l 
qu'on  s'Éloigne  de  Laokay. 
rain  est  très  accidenté  ;  le  i 
provient  des  ravin 
chaque  pas. 

De  Laokay  à  Baxat,  ma 
environ),  j'ai  été  arrêté  ai 


coupé  par  des  ravins 

end  sans  cesse,  et 
-     ,,U  assez  élevés 

du  confluent  du 
,  chinois  garde,  sur 
,ée  par  ie  cours  du 
on  abri  en  bambous  a  été 


aux  portes  même  de  Soi 

et  par  celui  d'un  ravin 

une  petite  rivière,  fran« 

occasionné  un  relard 

décharger  les  bats  et 

Taire  travers*.1!   nei 

beaucoup  de  tel  i 

quefois,  chuti 

mière  journée,  on  par  ]es  pi0ies 


peu  cultii 

qu'un   hameau  dr- 

m 'arrêter 

vane,  et  un  petit 

éditées   ; 

canlonnj 

Thos,  située 


des  mandarins. 
_.  l'après-midi. Le  chemin 
i  ■rroyos  et  les  ravins  le  tra- 
HCtte  ooupe  sans  cesse  des 
h  gravit  sur  des  pentes  escar- 
rignant  parfois  250  mètres, 
a  des  déclivités  très  rapides. 
-st  arrêté  par  un  torrent,  le 
une  largeur 


..0.  de  chercher  moi-même 
rofond,  je  trouvai  plus  d'un 
ail  à  lutter  également  contre 
'.m  qui  menaçait  d'entraîner  hommes 
fleuve,  et  que,  d'autre  part,  les  berges 
ei   ulfritées   étaient  d'un  abord  dif- 
...re  toutes   les  charges  et  employer  les 
suit  pendant    -  ns  pour  les  porter,  et  pour  conduire 

vallée,  et  apr  . ...  c0l6  du  lorrent. 

on  s'en,  |s  d.une  heure  d'efforts  que  le  con- 

bords  formé  sur  la  rive  opposée;  je  mar- 

marc  Ire,s  dans  l'obscurité  et  sous  la  pluie, 

m'"',n  nllago  'le  Sinkai. 

la  '"  i,.s  niâmes  caractères  que  ceux  de 

,.,  il,.  NamliiiB*.  ce  sont  évidemment  là  des 

......es  des  hautes  vallées  et 

'  'vrrsiiiil   du   plateau  viennent   s'approvi- 
'''   i;'  latioH  ,tc  .■»•»  localités  est  généralement 


:    BÀHO)    A    NONGTZE. 

nnais  et  de  Thos,  ceux-ci  habitant  les 


ii  en  outre  quelques  Yunnanaîs,  dont  plu- 

Ces  différentes  localités  semblent  être 

.    contrebande  et  d«  piraterie,  ainsi  que  l'indi- 

uombreuses  proclamations  émanant  de  diverses 

civiles  et  militaires,  que  j'ai  remarquées;  procla- 

jfm  exhortent  les  populations  à  la  tranquillité,  ou 

nt  l'exportation  du  riz  et  le  commerce  du  sel  et  de 

,  Smkai  possède  aussi   un  poste  militaire,  mats  H 

i  sur  la  rive  droite;  ce  point  a  sans  doute  servi,  pen- 

aul  tes  dernières  hostilités  entre  la  France  et  la  Chine,  à 

■les  concentrations  de  troupes   et  du  matériel  de  guerre; 

un  remarque,  en  effet,  dans  la  rue   principale  quelques 

pièces  de  canon  en  bronze  et  en  cuivre,  démontées,  et  des 

orpilles  formées  de  deux  bassines  à  riz  soudées  ensemble. 

Les  habitants  du  village  paraissent  jouir  d'une  certaine 

aisance,  et  entretenir  de  fréquentes  relations  avec  Monjjtze 

au  moyen  de  caravanes;  aussi,  ai-je  pu  y  louer  quelques 

nules  dont  j'avais  grand  besoin  pour  soulager  les  animaux 

scrutés  à  Laokay,  très  fatigués  par  ces  trois  dures  journées 

b  marche. 

En  résumé,  le  pays  parcouru  dans  cette  partie  de  mon 

■nyage  est  un  système  de  petits  coteaux  s'étendant  sur  une 

Hroile  bande,  au  pied  du  grand  massif  montagneux.  Il  est 

H.-ii  habité  et  partant  peu  cultivé.  La  population  se  partage 

i  Chinois,  presque  exclusivement  gens  des  deux  Kouang, 

t  en  aborigènes  de  races  différentes,  Thos  dans  les  basses 

ra!lés,Yao  et  Poula  dans  les  hauts  vallons  et  sur  les  sommets. 

Le  terrain  présente  les  mômes  caractères  que  dans  la 

gîon  qui  s'étend  de  Yenbaî  à  Laokay  (calcaires,  conglo- 

lérats,  schistes  argileux  et  grès;  sol  argileux). 

L'aspect  est  pourtant  différent  par  suite  des  défriche- 

*nts  qui  y  sont  plus  nombreux,  la  plupart  des  coteaux 

ml  déboisés. 


iiH  DE    HANOÏ    A    MONIiTZE, 

Pour  ce  qui  est  des  cultures,  elles  ne  sont  plus  limitées 
au  maïs  et  au  sorgho  ;  partout  où  cela  est  possible,  le  sol 
est  occupé  par  des  rizières  inondées;  on  remarque  aussi 
des  plantations  d'arachides,  de  sarrasin,  de  riz  rouge,  etc. 
La  flore  m'a  paru  peu  différente  de  celle  de  Longtchéou  et 
de  Langson  ;  le  genre  ficus  domine,  et  se  présente  sous  de 
très  nombreuses  variétés  ;  avec  le  bananier  sauvage  et  une 
petite  plante  à  fleurs  pourpres  (espèce  de  callicarpa)  qui 
abonde  dans  les  broussailles,  les  ficus  forment  la  caracté- 
ristique de  la  végétation;  j'ai  trouvé  dans  les  broussailles 
beaucoup  de  plantes  curieuses,  déjà  vues  au  Kouangsi, 
entre  autres  l'amorphophallus,dont  le  tubercule  est  employé 
dans  la  pharmacopée  chinoise. 

Le  climat  est  celui  de  la  haute  région  du  Tonkin  :  chaud 
et  orageux  à  cette  époque  de  l'année  où  la  saison  des  pluies 
commence  à  s'établir;  après  une  journée  de  chaleur 
intense,  le  13,  j'ai  subi  le  14  et  le  15  des  pluies  (fortes 
averses)  qui  ont  gêné  ma  marche. 

Le  16  juin,  je  quittai  Sinkai,  abandonnant  la  route,  qui 
longe  le  fleuve  et  qui  se  continue  jusqu'à  Manhao,  pour 
gravir  immédiatement  le  versant  du  plateau,  et  je  gagnai 
l'étape  deHaodjeti  (16  kilomètres  environ). 

Aux  portes  mêmes  de  Sinkai  commence  l'ascension  de 
ce  versant;  le  chemin  s'élève  par  des  paliers  successifs,  que 
relient  entre  eux  des  escaliers  de  pente  assez  raide,  dont 
les  marches  sont  formées  de  gros  blocs  de  grès  ;  de  distance 
en  distance,  celte  série  d'escaliers  est  interrompue,  et  la 
roule  serpente  alors  par  des  sentiers  en  lacets,  sur  le  flanc 
ou  dans  les  replis  de  la  montagne  ;  le  terrain  est  du  reste 
très  mouvementé,  et  le  voyageur  ne  cesse  de  monter  et  de 
descendre.  De  11  heures  à  1  heure  de  l'après-midi,  après 
avoiratteint  un  premier  faile,  je  suivis  dans  ces  conditions 
l'arête  d'une  longue  croupe  aux  versants  escarpés,  très 
boisée  en  certains  endroits,  et  aboutissant  à  un  grand 
massif,  au  pied  duquel  se  trouve  le  gîle  d'étape  de  T'angkia- 


HE   HANOÏ    A    MONGT/.E.  121 

t'ien,  à  1,400  mètres  d'altitude,  groupe  de  bâtiments  en 
briques  mis  à  la  disposition  des  voyageurs. 

Un  mandarin  appartenant  à  la  secte  musulmane,  qui 
réside  dans  cet  endroit,  me  reçut  fort  bien,  et  m'offrit 
même  des  provisions.  Je  me  reposai  chez  lui  jusqu'à 
3  heures  du  soir.  Au  sortir  de  T'angkia  t'ien,  te  chemin 
s'Élève  d'abord  à  pic  jusqu'à  1,800  mètres  d'altitude;  il 
continue  ensuite  sur  le  sommet  du  massif,  montant  et  des- 
cendant continuellement  à  travers  les  plis  de  terrain,  tout 
en  gagnant  en  altitude,  d'ailleurs,  jusqu'à  un  petit  plateau 
calcaire  à  1,935  mètres  d'altitude,  qu'occupe  le  poste  mili- 
taire d'Haodjeti,  où  j'arrivai  à  5  heures  du  soir. 

Ce  poste  est  entouré  d'une  curieuse  enceinte  crénelée  en 
pierre  sèches. 

Les  autorités  me  firent  préparer  un  logement  dans  un 
vaincu  bâti  à  l'entrée  du  poste;  de  même  qu'à  T'angkia- 
t'îen,  je  n'eus  qu'à  me  louer  de  l'hospitalité  qui  me  fut 
ainsi  offerte. 

Tangkiat'ien  et  Haodjeti,  où  sont  détachés  des  groupes 
de  soldats  appartenant  à  la  brigade  de  «  Lin  Yuan  »,  sont 
évidemment  des  postes  qui,  tout  en  commandant  les  points 
accessibles  du  plateau,  servent  surtout  de  gite  d'étape  pour 
les  mandarins,  comme  semble  l'attester  l'installation  rela- 
tivement confortable  qu'ils  offrent  (bâtiments  en  briques 
avec  planchers,  construits  en  forme  de  yamen)  et  les  ap- 
provisionnements qu'ils  renferment.  D'après  la  teneur  des 
proclamations  qui  y  sont  affichées,  ces  postes  seraient  prin- 
cipalement destinés  à  empêcher  la  contrebande,  particuliè- 
rement celle  du  sel. 

En  dehors  des  enceintes,  ont  été  ménagées  des  sortes  d'es- 
planades rectangulaires,  ayant  à  leurs  extrémités  des  abris 
cubiques  à  toitures  piates,  en  pisé;  sur  ces  emplacements 
se  tiennent  des  marchés  fréquentés  par  les  montagnards,  à 
qui  les  mandarins  ont  ainsi  fourni  les  moyens  de  vendre 
leurs  produits,  ou  de  s'approvisionner  dans  la  région  même. 


Le  17  juin,  je  me  rendis  de  Haodjeti  à  Hsinhsien  (14  ki- 
lomètres environ).  Le  plateau  sur  lequel  est  bâti  le  poste 
se  termine  brusquement,  el  de  façon  très  abrupte,  au  delà 
de  l'enceinte.  Après  une  descente  assez  rapide  au  milieu 
d'une  sorte  d'alignement  d'aiguilles  calcaires,  j'entrai  dans 
une  vaste  plaine  accidentée  où,  vers  11  heures,  je  laissai 
à  droite  le  village  de  Choueitongpo.  Le  pays  est  alors  rela- 
tivement désert,  et  j'avance  au  milieu  d'un  système  de  ma- 
melons herbeux  où  l'on  ne  voit  que  de  rares  traces  de  cul- 
ture; le  chemin  s'élève  à  travers  ces  mamelons,  atteignant 
par  degrés  une  altitude  de  plus  de  2,000  mètres.  Vers 
1  heure,  après  avoir  passé  un  col  de  2,055  mètres,  je  des- 
cendis dans  une  vallée  cultivée,  en  forme  d'entonnoir, 
m'arrêtant  à  mi-flanc  du  versant,  au  hameau  de  Chelong 
(1,845  mètres);  la  vallée  présente  une  formation  calcaire 
très  accusée  (aiguilles,  belles  grottes).  Chetong  est  habité 
par  des  indigènes  chinois  (Hanjèn);  les  femmes  ont  les 
«  petits  pieds  »;  ces  paysans  paraissent  très  sauvages,  et 
mon  escorte  eul  beaucoup  de  peine  à  me  faire  recevoir  dans 
l'une  de  leurs  cases.  Je  restai  à  Chelong  jusqu'à  3  heures; 
en  sortant  de  cet  endroit,  je  gravis  une  pente  escar- 
pée, franchis  un  col  élevé,  puis,  descendu  au  pied  du  col, 
je  traversai  une  longue  vallée  très  cultivée,  et  semée  de 
groupes  d'habitations  ;  le  passage  d'un  second  col  me  con- 
duit dans  une  autre  vallée  également  bien  cultivée,  et  assez 
peuplée  :  celle-ci  se  termine  en  une  sorte  de  couloir,  dont 
le  marché  de  Hsinhsien  (1,400  mèires  d'altitude)  occupe  la 
largeur. 

Les  vallées  dont  je  viens  de  parler  sont  arrosées  par  des 
arroyos  assez  forts  et  il  est  digne  de  remarque  que  la  route 
passe  sur  des  ponts  à  arches  en  pierre. 

J'arrivai  à  Hsinhsien  à  5  heures  du  soir.  C'est  une  agglo- 
mération, qui  semble  relativement  importante,  de  cara- 
vansérails et  de  magasins  où  se  vendent,  outre  les  pro- 
ductions du  pays  et  de  la  province  (huile  d'arachides,  sel 


:    HANOI    A    MONGTZE.  429 

nome,  opium,  etc.,  etc.),  des  marchan dises  étrangères 
s  de  coton,  al  lu  mettes,  tissus,  etc.,  etc.). 
i  population  est  composée  d'indigènes  chinois.  Je  logeai 
a  grand  caravansérail  en  bois,  très  propre,  où  étaient 
déjà  installées  plusieurs  caravanes;  un  mouvement  assez 
actif  de  convois  de  bêles  de  somme  paraît  exister  entre 
Mongtze  cl  llsinhsien;  j'ai  noté  que  ces  convois,  en  cette 
saison  lout  au  moins,  transportent  surtout  de  l'huile  d'ara- 
chide. 

La  dernière  étape  de  llsinhsien  a  Mongtze  (25  kilomètres 
environ)  m'avait  été  annoncée  comme  devant  être  très 
longue  et  très  fatigante.  Je  me  suis  mis  en  marche,  le 
18  juin,  à  7  heures  du  matin,  avançant  sans  trop  de  difli- 
culté,  à  travers  un  pays  plus  peuplé  que  précédemment, 
presque  partout  cultivé. 

Le  chemin  suit  une  série  de  vallées  arrosées  par  des  tor- 
rents, et  séparées  les  unes  des  autres  par  des  chaînes  de 
mamelons  plus  ou  moins  élevés,-  il  y  a  ainsi  à  franchir  un 
certain  nombre  de  cols  (1.500  à  1,000  mètres  d'altitude) 
d'accès  généralement  ardu,  par  suite  de  l'escarpement  des 


A  plusieurs  reprises  aussi,  la  roule  prend  au  milieu  des 
rizières,  ou  emprunte  le  lit  d'un  torrent,  et  alors  elle  devient 
assez  mauvaise.  Au  bout  d'une  vallée  particulièrement  bien 
cultivée  (belles  rizières)  et  renfermant  de  nombreux  ha- 
meaux à  l'aspect  relativement  riche,  je  fais  halte,  à  1  heure, 
dans  un  petil  groupe  d'habitations  défendu  par  une  en- 
ceinte en  pisé.  C'est  Hokiatchai  (1,535  mètres  d'altitude), 
point  près  duquel  la  voie  que  j'ai  prise  rejoint  celle  qui  va 
de  Manhao  à  Mongtze.  La  ligne  télégraphique  venant  de 
Laokay,  que  j'avais  perdue  de  vue  depuis  llsinkai,  reparaît 
ici;  je  dirai,  en  passant,  que  cette  ligne  m'a  semblé  avoir 
été  construite  d'une  façon  très  précaire  :  en  beaucoup  de 
points,  le  lil  est  simplement  accroché  à  des  arbres  et  même 
à  des  arbustes;  il  n'y  a  donc  point  à  s'étonner  qu'elle  soit 


430  DE   HA.NOJ    A    MONGTZE. 

presque  continuellement  interrompue,  ainsi  que  j'ai  eu 
l'occasion  de  le  constater  par  moi-même  depujs  que  je 
suis  ici. 

Parti  de  Hokiatchai  vers  3  heures,  je  rencontrai  au  bout 
d'une  heure  de  marche  sur  un  plateau  aride,  d'argite  rouge, 
jonché  de  débris  calcaires,  une  porte  monumentale  barrant 
à  l'extrémité  du  plateau,  un  col  qui  donne  accès  à  la  plaine 
de  Mongtze;  une  étroite  vallée,  semée  de  groupes  d'habi- 
tations et  bien  cultivée,  longe  le  pied  du  plateau. 

Une  courte  et  peu  rapide  descente  conduit  à  l'entrée  de 
la  grande  plaine  (1,330  mètres  d'altitude).  Là,  par  des  che- 
mins faciles  (lits  de  torrents  à  sec,  le  plus  souvent),  après 
avoir  traversé  le  bourg  muré  de  Sinnganson,  j'arrive,  en 
moins  de  deux  heures,  au  consulat  de  France. 

Sur  le  parcours  de  llsinkai  à  Mongtze  le  pays  présente 
une  grande  variété  d'aspects  et  de  caractères  divers  très 
tranchés,  en  ce  qui  concerne  le  climat,  la  flore,  les  popu- 
lations, etc. 

Les  pentes  du  plateau  sont  principalement  habitées  par 
des  aborigènes,  Yao  et  Poula  notamment.  Une  fois  la 
crête  dépassée,  lesvallées  sont  peuplées  d'indigènes  chinois 
(Hanjên)  parlant  un  dialecte  qui  se  rapproche  beaucoup  du 
«  mandarin  »;  les  Thos  semblent  avoir  complètement 
disparu. 

Les  cultures  consistent  surtout  en  riz,  arachides,  maïs; 
le  coton  et  l'indigo  sont  aussi  communs.  La  culture  maraî- 
chère est  à  peu  près  celle  de  France.  Dans  les  parties  boi- 
sées de  la  montagne,  jusqu'à  T'angkial'ien,  le  bambou  do- 
mine; plus  loin,  on  voit  apparaître,  à  l'état  sauvage,  le 
châtaignier  et  plusieurs  arbres  fruitiers  d'Europe  :  poiriers, 
pêchers,  pommiers,  etc. 

Vers  le  même  point,  les  broussailles  renferment  des 
mûres,  des  fraisiers  (fraises  blanches),  des  chardons. 
Parmi  les  plantes,  je  citerai  comme  étant  très  répandues 
deux  espèces  de  lis  (lis  blanc  et  lis  rouge)  et  une  espèce 


m  aiitoi  a  ionci».  -tti 

d'hypericum.  Les  grands  arbres  sont  rares.  Le  pin,  si  com- 
mun dans  le  Koiianesi.  ne  commence  à  apparaître  que  dans 
la  région  voisine  de  Mongtze;  il  est  presque  toujours 
associé  à  une  espèce  de  liquidambar,  ressemblant  beau- 
coup à  l'érable. 

En  ce  qui  concerne  le  climat,  j'ai  trouvé  des  conditions 
différentes  sur  le  versant,  au  sommet  et  dans  la  plaine. 

Le  versant  participe  du  climat  de  la  vallée  du  lleuve;  la 

^a  i^on  des  pluies  commence  à  s'y  établir.  Les  sommets  sont 

noyés  dans  la  brume,  et  des  pluies  continues  y  régnent; 

G* 'après  les  dires  des  mandarins  de  T'angkiat'ien  et  de  Haod- 

je:fci,   le   ciel  resterait  couvert  dans  ces  endroits  la  plus 

gr-ande  partie  de  l'année,  et  des  ondées  y  tomberaient  tous 

's s  jours.  Dans  la  plaine  de  Mongtze,  au  contraire,  les  pluies 

"*  «té  n'ont  pas  encore  fait  leur  apparition,  et  les  arroyos, 

1  *J  i  inondent  le  plateau  à  la  saison  humide,  sont  encore  à 

s*ï«i;  ce  serait  là,  du  reste,  une  circonstance  extraordinaire, 

*■      «e  qu'on  m'a  assuré  ici.  Dans  tous  les  cas,  des  averses 

fï,J*olidiennes  arrosent  les  chaînes  qui  entourent  la  plaine. 

La  caractéristique  de  Mongtze,  au  point  de  vue  du  cli- 

^^at,  est  la  brise,  très  forte  par  instants,  qui  ne  cesse  d'y 

â,=*  nfller  actuellement. 

La  route  de  Hsinkai  à  Mongtze  témoigne  de  très  grands 
e  Hbrts  faits  à  une  certaine  époque  pour  créer  une  bonne 
^*ie  de  communication  entre  ces  deux  points. 

Les  travaux  exécutés  dans  ce  but  ont  été  réellement  con- 

**lérables  ;  comme  je  l'ai  dit,  on  a  construit  des  escaliers 

ï  pierre  pour  faciliter  l'ascension  et  la  descente  des  prin- 

:*pales  pentes;   de  plus  le  chemin  est  dallé  sur  la  plus 

rande  partie  du  parcours. 

En  beaucoup  d'endroits,  la   route  a  été  taillée  dans  le 

Qanc  de  la  montagne.  Sur  le  plateau,  les  ponts  à  arches,  en 

pierre,  sont  très  nombreux.  Malheureusement,  celle  voie 

n'est  pas  entretenue  et,  à  l'heure  qu'il  est,  elle  n'est  plus 

ralicahle  qu'aux  cavaliers  et  aux  piétons;  elle  justifie  ainsi 


\'A1  DE    HANOI   A    MON^TZE. 

le  proverbe  chinois  qui  dît,  en  parlant  de  ces  routes  pavées, 
qu'  «  elles  sont  bonnes  pendant  dix  ans,  et  ensuite  mau- 
vaises pour  toujours  ». 

Les  ponts  pourtant  sont  encore  dans  un  excellent  état  de 
conservation;  j'en  ai  vu  un  grand  en  cours  de  construction 
à  Hokiatchai  possédant  plusieurs  arches. 

A  partir  de  Hsinhsien,  les  agglomérations  que  j'ai  tra- 
versées, ou  près  desquelles  je  suis  passé,  contiennent  sou- 
vent des  habitations  indiquant  chez  leurs  propriétaires  une 
certaine  aisance. 

Les  maisons  de  bois  commencent  à  se  monlrer.  Les  bâti- 
ments les  plus  riches  sont  ornés  sur  leur  façade  de  portes 
décorées  de  motifs  originaux,  d'un  elfet  très  pittoresque. 
Dans  plusieurs  villages,  j'ai  vu  des  constructions  à  toils 
plats. 

A  Sinnganson  et  à  Mongtze,  les  monuments  dignes  de 
remarque  (pagodes,  arcs  de  triomphe,  portes  monumen- 
tales, ponts  ornés,  etc.)  abondent  et  parlent  en  faveur  du 
goût  artistique,  des  ressources  et  de  l'activité  des  popula- 
tions qui  les  ont  élevés  autrefois. 


DE  CANTON  A  LONG-TCHEOU 


M.    FRANÇOIS 


i  la  fin  de  l'année  189-0,  j'accomplissais  le  voyage  de  Can- 
on à  Long-Tchéou,  remontant  sur  une  jonque  la  rivière  de 
luest  jusqu'à  son  confluent  avec  !e  bras  qui  luiamèneles 
s  du  versant  tonkinois  et  je  m'engageais  ensuite  sur  cet 
Auent  pour  gagner  Long-Tchéou. 

J'eus  l'occasion  de  me  rendre  à  plusieurs  reprises  au 
'onkin  et  de  suivre  les  deux  voies  fluviales  qui  se  réunissent 
à  Long-Tchéou,  descendant,  l'une  de  Lang-Son  et  la  se- 
■onde  de  Cao-Eang. 

Knfin,  reprenant  le  chemin  de  Canton, j'empruntais  une 

leuxième  fois  le  cours  de  la  rivière  de  l'Ouest,  après  avoir 

dressé  de  ces  différents  fleuves  une  carte  au  1/30,000'.  Je  me 

lonnerai   donc  ici  pour  but  d'indiquer  rapidement  celle 

lartie  spéciale  du  système  fluvial  tonkinois  et  de  décrire  le 

lays  traversé  par  le  grand  fleuve  du  Koimng-SL 

La  rivière  venant  de  Lang-Son  entre  en  Chine  à  Bin-Nhî 

zBîgni);elle  serpente  de  la  manière  la  plus  capri- 

,  se  dirigeant  à  peu  près  exactement  h  l'est,  entre  des 

mamelons  incultes  semblables  à  ceux  de  la  région  de  Lang- 

.  Le  pays  est  excessivement  pauvre;  à  l'exception  de 

lelques  rares  et  étroites  rizières,  étagées  dans  les  ravins, 

i  terre  des  collines  est  stérile.  La  population,  de  la  race 

,  est  très  clairsemée,  dispersée  dans  de  misérables  ha- 


.  Voir  lu  i-irli1  jfiintt'  â  eu  numéro 


434  PB  lAVmi   a   [.ONC-Tnin>oiT. 

meaux.  La  seule  agglomération  de  quelques  centaines  d'ha- 
bitants est  Ya-Choueï-Tân.  De  ce  point,  le  cours  d'eati 
tourne  brusquement  au  nord,  pénétrant  dans  les  grandes 
masses  de  roches  qui  forment  un  cirque  de  12  à  45  kilo- 
mètres de  diamètre  autour  de  Long-Tchéou.  Le  lit  n'est 
qu'une  suite  ininterrompue  de  petits  rapides,  accessibles 
seulement  à.  des  sampans  de  25  à  30  centimètres  de  tirant 
d'eau,  dirigés  par  des  bateliers  d'une  extrême  habileté. 

Cette  branche,  qui  n'est  indiquée  par  aucun  des  livres  chi- 
nois, n'a  pas  de  nom  officiel  ;  on  la  connaît  encore  à  Long- 
Tchéou  sous  le  nom  qu'elle  porte  au  Tonldn:  s  le  Song-Ki- 
Kong»;  ou  bien  on  la  désigne  «  rivière  qui  conduit  à 
Lang-Son  ».  Son  cours  total  en  territoire  chinois  est  d'envi- 
ron 60  kilomètres. 

La  branche  qui  vient  de  Cao-Bang  passe  en  Chine  entre 
le  poste  tonkinois  de  Ta-Lung  et  le  poste  chinois  de  Choueï- 
Kéou.  Sa  direction  est  exactement  sud-est.  Ses  eaux  coulent 
dans  un  chenal  de  pierre,  entre  des  berges  à  pic,  hautes  de 
15  à  18  mètres,  de  ruches  déchiquetées  de  la  façon  la  plus 
fantaisiste;  au  point  de  vue  du  pittoresque  les  bords  de  cette 
rivière  sont  extrêmement  beaux,  mais  la  campagne  qu'elle 
traverse  est  toujours  également  pauvre;  c'est  partout  le  ro- 
cher; de  tous  les  côtés  se  dressent  de  hautes  masses  de  cal- 
caires, qui  s'alignent  en  file  dans  des  directions  parallèles. 
On  ne  rencontre  entre  la  frontière  et  Long-Tchéou,  sur  un 
parcours  d'une  quarantaine  de  kilomètres,  qu'un  seul  petit 
centre,  Chang-Hia-Tong,  bourgade  d'un  millier  d'habitants 
et  résidence  d'un  de  ces  mandarins  aborigènes  dont  les 
fonctions  sont  héréditaires.  11  subsiste  encore  une  vingtaine 
de  ces  circonscriptions  adminisiralives  particulières,  encla- 
vées dans  les  préfectures  chinoises  de  cette  région. 

Cette  rivière  peut  porter  des  sampans  un  peu  plus  forts 

que  ceux  du  Song-Ki-Kong;  les  fonds  y  sont  plus  réguliers; 

s  les  crues,  qui  se  produisent  avec  une  rapidité  extrême, 

viennent  souvent  interrompre  la  navigation.  L'écoulement 


coulemenl 


t   CANTON    A    LONG-TCHÉOt. 


135 


des  eaux,  sur  ce  sol  de  rochers,  élève  le  niveau  de  la  rivière 
de  plusieurs  mètres  en  quelques  heures.  Parti  de  Long- 
Tchéou  par  des  eaux  1res  basses,  j'ai  dû,  après  une  journée 
de  navigation,  rentrer  le  lendemain,  ramené  en  deux  heures 
par  un  courant  vertigineux,  les  eaux  s' étant  élevées  de  plus 
de  4  mètres  dans  la  nuit.  Elles  atteignent  parfois  jusqu'à 
14  mètres  en  face  de  Long-Tchéou,  sans  jamais  sortir  de 
leur  lit.  Ce  cours  d'eau,  qui  porte  au  Tonkin  le  nom  de  Song- 
Bang-Giang,  est  dénommé  Li-Kiang  en  Chine;  il  prend  le 
nom  de  Long-Kiang  dans  la  partie  qui  arrose  le  territoire 
de  Long-Tchéou. 

Il  est  indispensable  de  faire  ressortir  combien  les  appel- 
lations, données  d'ordinaire  à  toutes  ces  rivières,  sont 
inexactes-,  elles  sont  de  nature  à  causer  des  erreurs.  D'ail- 
leurs, si  l'on  se  reporte  aux  livres  officiels  des  mandarins,  on 
ne  trouve  pas  moins  de  sept  appellations  pour  ce  seul  cours 
d'eau  entre  Long-Tchéou  et  Nan-Ning-Fou.  Il  en  est  ainsi 
pour  toutes  les  rivières.  Lorsqu'on  voyage,  on  constate  qu'il 
est  impossible  de  les  désigner  aux  riverains  eux-mêmes  au- 
trement qu'en  indiquant  le  point  où  l'on  se  rend. 

Le  même  fleuve  appelé  ici  Li-Kiang,  se  nomme  Tso-Kiang 
à  quelque  dislance,  puis  «  Tsing-Lou-Kiang  »,  ou  *  Ouen- 
Tseu-Choueï  u,  ou  «  Long-Teo  u-Ouan  ».  Il  partage  le  nom 
île  Long-Kiang  avec  presque  tous  les  cours  d'eau  de  la  pro- 
vince en  un  point  de  leur  cours.  Chaque  rivière  est  rivière 
de  gauche  dans  une  partie  pour  devenir  rivière  de  droite 
peu  après;  de  branche  du  nord  elle  devient  branche  du  sud 
un  peu  plus  loin.  En  aucun  lieu,  l'un  de  ces  noms  ne  dé- 
signe l'ensemble  d'un  lleuve  et  ne  peut  le  faire  reconnaître 
des  habitants.  Cette  confusion  est  propagée  même  par  les 
géographies  officielles  de  la  province,  préparées  par  les  au- 
torités provinciales  pour  le  service  des  mandarins.  Ces  géo- 
graphies  représentent  une  juxtaposition  de  travaux  géogra- 
phiques indépendants  les  uns  des  autres,  faits  dans  chaque 
circonscription  sans  aucune  préoccupation  de  la  circonscrip- 


436  DE    CANTON    A    LONC-TCBÉOO. 

lion  voisine.  Chaque  tronçon  du  même  fleuve  y  est  traité 
comme  un  cours  d'eau  particulier,  et  il  n'est  pas  rare  de  voir 
indiquer  le  Ironçon  supérieur  comme  source  initiale,  et 
de  faire  jeter  le  fleuve  dans  le  Ironçon  inférieur,  dé- 
nommé autrement,  comme  s'embranchant  dans  un  Douve 
nouveau1. 

Long-Tchéou,où  les  deux  fleuves  précédents  se  réunissent, 
est  une  ville  de  20,000  habitants  environ,  construite  sur  la 
rive  gauche,  au  centre  d'un  cirque  de  rochers  de  6  à  8  kilo- 
mètres de  rayon.  Quelques  cultures  de  riz  et  de  canne  à 
sucre  sont  faites  surtout  sur  la  rive  droite  entre  les  mame- 
lons stériles  qui  occupent  la  plus  grande  partie  de  ce  cirque. 
Long-Tchéou  est  le  siège  d'un  mandarin  du  grade  de  préfet 
de  deuxième  rang  nu  Tinh,  et  la  circonscription  dépend  du 
cercle  de  Taï-Ping-Fou.  Ce  territoire  appartenait  autrefois 
àl'Annam,et  ce  n'est  en  réalité  que  depuis  1726  que  l'auto- 
rité du  mandarin  chinois  s'y  est  établie.  Il  existe  encore 
21  arrondissements  placés  sous  les  ordres  de  chefs  abori- 
gènes héréditaires. La  population  est  de  race  Tho. 

La  ville  de  Long-Tchéou,  avec  sa  ceinture  de  murailles  or- 
dinaires, forme  un  carré  irrégulier,  percé  de  quatre  portes 
aux  quatre  points  cardinaux,  et  vers  lesquelles  se  dirigent 
des  ruelles  boueuses,  puantes,  séparées  par  des  mares  qui 
occupent  la  bonne  moitié  de  l'enceinte  murée.  Pourtant,  en 
jugeant  par  comparaison,  la  ville  est  relativement  propre. 
On  n'y  peut  rien  noter  de  remarquable.  Le  site  seul  est  ad- 
mirable, et  la  sortie  de  la  rivière  passant  entre  des  roches 
superbes  couronnées  de  pagodons  originaux  est  d'un  aspect 
ravissanl. 

Au  point  de  vue  commercial  c'est  un  centre  sans  impor- 
tance, sans  autre  trafic  que  le  petii  négoce  tout  local  d'une 


t.  Je  remettrai  à  la  Société  la  traduction  crnnpli:ie,a.crinDpapiée  des 
noms  en  caractères  chinois,  du  système  lluvial  du  Kouiing-Si:  et  Je 
joindrai  également  les  renseignement*  traduits  sur  les  circonscriptions 
administratives  parcourues  par  la  grande  rivière  de  l'Ouest. 


riE  CANTON   A   LONG-TCHÉOE.  137 

population  extrêmement  pauvre  dans  un  pays  incultivable 
et  sans  avenir. 

En  quittant  Long-Tchéou  la  rivière  s'engage  immédiate- 
ment dans  des  gorges  formées  de  murailles  de  calcaire  tom- 
bant à  pic  dans  la  rivière,  li  n'existe  plus  de  vallée,  l'eau  re- 
jetée d'obstacle  en  obstacle  s'est  creusé  un  lit  décrivant  des 
courbes  extraordinaires,  se  repliant  souvent  plusieurs  fois 
autour  d'un  même  point.  Et  les  grandes  murailles  déroches 
se  succèdent  sans  interruption,  hautes  de  80  mètres  jusqu'à 
200  mètres,  traçant  à  la  rivière  un  couloir  aux  parois  inac- 
cessibles, sans  même  place  pour  un  sentier  de  halage.  Les 
jonques  se  hissent  péniblement  à  la  perche.  Tout  l'en- 
semble du  pays  présente  un  chaos  indescriptible.  Parfois 
des  apports  de  sable  ont  formé  une  courte  presqu'île  de 
quelques  hectares  au  maximum,  fermée  hermétiquement 
par  la  muraille  rocheuse.  Sur  quelques-unes  deces  langues 
de  terre,  quelques  familles  de  Thos  ou  de  Man  vivent  miséra- 
blement comme  sur  un  îlot,  sans  autre  voie  de  communica- 
tion que  la  rivière. 

Le  pays  tout  entier  n'est  qu'un  bloc  compact  de  rochers 
inaccessibles  de  quartz  oudemarbres,  dépourvus  de  végéta- 
tion autre  qu'une  courte  brousse  ou  de  hautes  herbes.  Les 
eaus  de  l'intérieur  se  déversent  par  des  fissures,  par  des  cre- 
vasses, suintent  entre  les  feuillets  de  la  pierre  en  y  laissant 
ries  bourrelets  de  dépots,  des  masses  de  stalactites  mena- 
çantes. On  est  frappé  de  ne  pas  rencontrer  d'affluents,  de 
ruisseaux  ou  de  déversoirs;  le  sol  ne  présente  que  des  sé- 
ries d'entonnoirs,  de  cavernes,  de  même  que  les  sommets 
sont  percés  d'une  infinité  de  grottes.  Une  piste  conduisant 
par  terre  à  Taï-Ping-Fou,  passe  péniblement  sur  ces  chaînes 
et  traverse  onze  fois  la  rivière  (qu'elle  rejoint  par  des  esca- 
liers) sur  un  parcours  de  80  kilomètres  environ. 

Au-dessous  de  Long-Tchéou,  le  seul  affluent  notable  est  le 
ii  Ming-Kianjt  s,  coulant  lui-même  dans  de  semblables  cou- 
loirs de  roches.  Il  est  cependant  fréquenté  par  de  gros  sam- 


desce 
Man, 
ititérc 

autre 


i:î8  [>E    C ASTON    A    LONG-TCHÉOIJ. 

pans  dont  la  circulation  est  limitée  à  moitié  de  son  cours 
par  une  grande  chute.  Cetl«  rivière,  qui  vient  du  sud,  est  une 
des  voies  de  communication  vers  Pak-Hoï.  Au-dessus  de  la 
chute,  un  autre  bief  se  termine  dans  la  province  de  Canton. 
Le  général  chinois  Sou  fait  exploiter  des  gisements  de  char- 
bon qu'il  a  découverts  sur  la  rivière  même. 

Toute  cette  région  est  déserte.  On  n'aperçoit  aucun  ani- 
mal; pas  un  oiseau  de  proie  ne  plane  au-dessus  de  ces 
roches,  ni  un  oiseau  aquatique  ne  longe  la  rivière.  Le  pois- 
son est  très  rare,  et  souvent  même  on  ne  recueille  pas  le 
moindre  fretin.  Il  est  difficile  d'imaginer  une  nature  plus 
admirablement  sauvage. 

En  trois  ou  quatre  jours  de  cette  navigation  tortueuse, 
butant  d'une  muraille  à  une  autre  rnuraille,on  rencontre  la 
préfeelure  de  «  Taï-Ping-Fou  a.  Cette  préfecture,  qui  est  le 
siège  d'un  cercle  administratif  important,  n'est  qu'un  misé- 
rable bourg  de  400  mètres  de  cûlé,  dans  des  murailles  crou- 
lantes. Cette  ville,  qui  a  été  représentée  dans  quelques  rela- 
tions comme  un  centre  de  30,000  habitants,  au  milieu  d'une 
plaine  fertile,  riche  en  rizières  et  en  champs  de  cannes  à 
sucre,  ne  couvre  pas  entièrement  une  de  ces  petites  langues 
de  sable  dont  il  a  été  parlé  plus  haut  entre  la  rivière  et  le 
rocher;  deux  rues  qui  se  croisent  ne  conduisent  même  pas 
leurs  rangées  de  maisons  espacées  jusqu'aux  portes  ex- 
trêmes; et  l'on  peut  juger  de  la  misère  de  ce  pays  en  consi- 
dérant que,  pour  le  territoire  de  la  préfecture  tout  entière, 
l'impôt  des  rizières  n'est  que  de  727  piculsde  riz  (moins  de 
4,500  kilogr.)  alors  que  les  greniers  de  prévoyance  pour  les 
famines  doivent  contenir  une  réserve  de  17,500  piculs;  l'im- 
pôt foncier  en  argent  ne  rapporte  pas  i.OOO  francs. 

Aux  jours  de  marchés  qui  se  tiennent  tous  les  cinq  jours, il 
id  des  rochers  voisins  une  population  de  Thos  et  de 
Man,  très  curieuse.  On  y  rencontre  des  spécimens  ethniques 
intéressants,  mais  on  n'y  voit  aucun  élément  de  commerce 

tre  que  les  volailles  et  quelques  légumes.  Tous  les  indi- 


M    CANTON    A    LONOTCBÈOF.  439 

dus,  hommes  et  femmes,  sont  uniformément  vêtus  d'une 
•ossière  étoffe  de  coton  indigène  teinte  avec  l'indigo  du 
lays.  Les  hommes  portent  le  turban  et  les  femmes  sont 
oilfées  d'une  sorte  de  bonnet  blanc  laissant  passer  des  che- 
x  coupés  sous  le  front  qu'ils  recouvrent;  tandis  que,  sur 
i  coté,  des  mèches  longues  retombent  jusqu'aux  épaules. 
e  reste  est  roulé  en  chignon. 

Au-dessous  de  Taï-Ping-Fou,  la  rivière  continue  son  cours 
mire  les  mêmes  murailles.  Toujours  les  roches  affectent  les 
■  iTiifs  les  plus  fantastiques;àunjouret  demi  de  navigation, 
on  rencontre  «To-Lou  »,  réputé  le  plus  gros  marché  de  la 
igion.Le  préfet  de  Taï-Ping-Fou  y  délègue  un  mandarin. 
i  village,  placé  comme  la  préfecture  dans  une  presqu'île 
Étroite  de  la  rive  gauche,  se  compose  de  six  ruelles  boueuses 
mourant  une  place  d'une  centaine  de  mètres  de  longueur, 
Étroite,  occupée  par  un  hangar  massif  à  piliers  de  briques. 
C'est  là  que,  dix  fois  par  mois,  se  tiennent  les  marchés.  Ceux- 
ci  ne  sont  pas  plus  importants  que  ceux  de  Taï-Ping-Fou. 
Dans  quelques  misérables  échopes,  on  voit  dispersés  quelques 
mètres  de  colonnades,  et  c'est  tout.  On  continue  toujours  la 
descente  du  fleuve,  toujours  bordé  des  mêmes  rochers,  et 
m  deux  jours  on  parvient  à  Sin-Ning-Tchéou. 

Cette  préfecture  de  deuxième  rang  est  située  sur  la  rive 
droite,  dans  un  coude,  à  l'intersection  du  fleuve  et  d'une  pe- 
e  rivière,  à  sec  aux  basses  eaux.  Sin-Ning  s'élève  à  \  ki- 
omètre  de  la  rive.  C'est  un  centre  purement  administratif. 
Autour  de  la  ville  s'étend  une  petite  plaine  cultivée  en  ri- 
a  production  est  encore  bien  faible,  l'impôt  ne  rend 
s  plus  del,120piculsde  riz.  En  face  de  Sin-Ning  se  dresse 
me  des  plus  belles  murailles  de  roches  rencontrées  sur  le 
mve;  au  tiers  de  la  hauteur  se  trouve  une  petite  grotte 
>nt  l'entrée  a  été  ornée  d'une  façade  originale  ;  un  escalier 
taillé  dans  le  rocher  y  conduit;  c'est  la  grotte  de  la  «  poule 
d'or  >,  transformée  en  pagode.  Il  s'y  rattache  une  légende; 
:11e  est  l'objet   d'un   culte  particulier  chez  les  bateliers. 


440  HE    CUttON    \    UING-TCHÉOIJ. 

A  partir  de  Sin-Ning-Tchéou,  les  rives  se  découvrent  un 
peu.  Le  pays  est  encore  semé  de  masses  rocheuses, 
elles  commencent  à  s'ouvrir.  Toutefois,  il  serait  impossible 
de  qualifier  de  plaine  un  terrain  crevassé  et  mamelonné  de 
buttes  rougeàtres  et  stériles. 

On  passe  devant  les  marchés  de  Long-Teou-Hiu  et  de 
Yang-Oueï-Hiu,  plus  pauvres  que  les  précédents.  Le  (leuve 
serpente  toujours  aussi  péniblement  dans  une  contrée  ro- 
cheuse et  misérable,  et  se  jette  enfin  dans  le  grand  (leuve  au 
village  de  Ho-Kiang-Tchen.  En  seize  jours,  je  n'ai  compté 
que  47  embarcations  remontant  le  fleuve,  en  comprenant 
même  les  plus  infimes  sampans. 

Ici  même  embarras  pour  désigner  cette  rivière,  que  nous 
appelons  généralement  le  Si-Kiangou  rivière  de  l'Ouest.  Les 
indigènes  ne  la  connaissent  que  sous  le  nom  de  Ta-Kiang 
(Grand  Fleuve),  en  dehors  des  appellations  propres  à  chaque 
région  ou  même  à  chaque  localité. 

Voici  les  dénominations  officielles  pour  chaque  circon- 
scription, et  qui  sont  d'ailleurs  généralement  ignorées  des 
habitants. 

ï  source  au  Yun-Nan,  et  aussi 


i  Ts'ang- 
«  Loug- 


Kirni 
Peï-1 


c  Nan-P'an-Kiang  »  vers 
«  Yé-Lang-Touen-Choueï  j. 

«  Yeou-Kiang  »  à  partir  de  «  Pé-Sé  » 
Ko-Choueï  ». 

u  Yù-Kiang  »  depuis  sa   réunion  à  la  rivière  de 
Tcheou  »,  et  aussi  u  Fou-Tsien-Kiang  ». 

«  Hoang-Yang-Kiang  »  et  «  Ngo-Yii-Kiang  »  vers  «  Ton. 
Tchouen-Hien  ». 

«  Tsiun-Riang  s  au-dessous  de  Tsiiin-Tcheou-Fou. 

«  Koung-Kiang  »  et  «  Tou-Ni-Ktang  »  à  Ping-Nan-Hien. 

«  Ïeng-Kiang  n  àTeng-Hien. 

Il  est  encore  dénommé  Nan-Kiang,  rivière  du  Sud  ;  Tso- 
Kiang,  rivière  de  gauche,  par  rapport  au  Kien-Kiang  ou 
Peï-Kiang,  auquel  il  se  réunit  à  Tsiun-Tchéou-Fou.  Ce  n'est 


' 


DE   CANTON  A    LUNG-TCUÉÛU.  441 

que  sur  une  courte  partie  et  dans  la  province  de  Canton 
qu'il  reçoit  le  nom  de  Si-Kiang. 

Mais  continuons  à  le  désigner  par  celte  appellation  de 
Pitière  de  l'Ouest,  qui  paraît  maintenant  consacrée  en  Eu- 
rope. 

A  partir  du  point  de  jonction  des  deux  rivières,  le  pays 
change  totalement  d'aspect;  le  terrain  sur  les  deux  rives 
est  encore  mouvementé,  mais  les  courbes  s'élargissent,  les 
villages  apparaissent  nombreux:  entourés  de  bambous. 

Une  demi-journée  suffit  pour  gagner  la  ville  de  Nan- 
Ning-Fou.  Celte  cité,  lorsqu'on  débouche  par  la  rivière,  pré- 
inte  un  port  encombré  de  bateaux,  dans  une  courba 
allongée,  sur  une  longueur  de  1,300  à  1,500  mètres  de  dé- 
veloppement et  de  500  mètres  de  largeur  d'une  rive  à 
l'autre. 

Il  règne  sur  la  rive  gauche  une  grande  animation,  don- 
isnt  toul  d'abord  l'impression  d'un  mouvement  commercial 
important;  mais,  en  observant  de  plus  près,  on  esL  surpris 
de  ne  découvrir  qu'un  nombre  assez  restreint  de  jonques 
sellemenl  destinées  au  commerce,  parmi  cette  masse  con- 
fuse de  sampans,  —  embarcations  de  pèche,  ou  habita- 
tions, —  de  canonnières  en  bois  armées  d'antiques  canons 
de  fonte  et  couvertes  de  leurs  multiples  étendards  bariolés; 
et  de  jonques  mandarines  surmontées  des  longues  bande- 
roles sur  lesquelles  sont  émimérés  les  litres  et  qualités  des 
voyageurs  officiels. 

Au-dessus  de  berges  ravinées  et  immondes,  coupées  par 
[uelques  escaliers  qui  sont  de  "véritables  égouts,  s'alignent 
les  rangées  de  pilotis,  de  bambous,  de  bois  ou  de  briques 
loutenant  des  masures  croulantes,  une  ligne  de  maisons 
lépreuses  suspendues  au-dessus  de  la  berge,  qu'elles  inon- 
inl  de  toutes  les  déjections,  versées  à  même  par  les  in- 
jrstices  nombreux  du  plancher  de  ces  belvédères.  Aux 
hautes  eaux,  le  fleuve  s'élève  jusqu'à  traverser  ces  construc- 
tions  aériennes.   Pendant  la   période    de  sécheresse,  ces 


442  DE    C.ANTON    A    L0HG-TCHÉO0 . 

berges  se  couvrent  de  constructions  en  nattes,  ou  d'abris 
informes,  composés  de  tous  les  matériaux  imaginables,  de- 
puis la  paille  jusqu'aux  débris  de  ferraille.  Un  chapeau 
défoncé  remplit  l'office  de  tuile  à  côté  d'un  fond  de  casse- 
role troué;  le  chiffon,  la  planche,  les  détritus  de  toutes 
sortes,  et  j'insisterai  sur  «  de  toutes  sortes  »,  trouvent  leur 
emploi  dans  cette  architecture  qui  ajoute  des  tas  d'immon- 
dices creux  à  côté  des  autres  plus  compacts  sur  lesquels 
des  gens,  des  chiens  et  des  pourceaux  opèrent  simultané- 
ment des  fouilles  continuelles. 

A  vrai  dire,  cette  bordure  n'est  que  la  face  postérieure 
d'une  rue  ;  les  maisons  s'ouvrent  du  coté  opposé,  sur  m 
voie  qui  longe  les  murs  de  la  citadelle. 

Cette  rangée  de  masures  est  trouée,  de  distance  en  dis- 
tance, par  de  larges  escaliers  dont  chacune  des  dalles 
trouverait  sa  place  dans  un  palais,  mais  dont  l'ensemble  se 
présente  dans  un  ordre  très  dispersé.  Ces  travées  de 
pierres,  jetées  sur  les  berges,  aboutissent  aux  ruelles  laté- 
rales qui  déversent  sur  les  marches  de  marbre  des  cascades 
odorantes  et  diversement  colorées,  venant  de  l'intérieur,  où 
il  existe  d'amples  réservoirs,  formés  par  le  caprice  du  ter- 
rain. Sur  ces  escaliers,  les  femmes  vont  et  viennent,  sans 
cesse  chargées  de  seaux,  qu'elles  rapportent  remplis  d'une 
eau  qui  n'est  pas  beaucoup  plus  liquide  que  celle  qu'elles 
ont  déversée  au  même  endroit  une  seconde  auparavant. 

Cette  description  peut  s'appliquer  a  toutes  les  villes  que 
l'on  rencontrera  sur  le  fleuve,  toutes  semblablement  si- 
tuées dans  une  courbe,  invariablement  face  au  sud  ;  et,  à 
l'exception  de  «Teng-Hten  »  et  de  «  Young-Tchouen  n,  éga- 
lement édifiées  sur  la  rive  gauche. 

Après  avoir  franchi  la  porte  qui  forme  l'escalier  au  pied 
duquel  stationnent  les  jonques  mandarines,  on  pénètre 
dans  des  ruelles  en  boyaux,  fangeuses,  empestées,  horri- 
bles, qui  conduisent  à  la  porte  de  la  citadelle.  I)d  suit  une 
rue  étroite,  mais  moins  sale,  qui  est  la  grande  rue  de   la 


ire 
ne 

is- 


DE   CANTON    A    LOMi-TCllÉllU.  443 

citadelle.  Des  boutiques  la  bordent  des  deux  côtés.  C'est  là 
et  dans  une  rue  à  peu  près  semblablequi  suit  parallèlement 
que  se  trouve  le  petit  commerce  de  détail.  Vers  le  milieu, 
les  magasins  disparaissent  faisant  place  aux  masures,  et  la 
rue  se  termine  par  des  ruelles  sordides  partant  dans  plu- 
sieurs directions.  Vers  le  nord,  lonl  un  secteur  est  dé- 
pourvu d'habitations  et  rempli  de  mares. 

On  a  ainsi  parcouru  la  partie  commerçante  de  la  cita- 
delle. En  franchissant  la  porte  nord,  on  débouche  dans  une 
campagne  inculte,  légèrement  mamelonnée  et  pierreuse. 
Toute  la  partie  de  l'est,  aussi  loin  que  la  vue  peut  s'étendre, 
est  couverte  de  tombeaux,  simples  huttes  de  terre  en  gé- 
néral, qui  occupent  une  surface  dix  fois  supérieure  à  celle 
de  la  ville,  dont  l'enceinte  (de  forme  très  irrégulière),  a  un 
développement  d'environ  4  kilomètres.  Vers  la  porte  de 
Test  on  trouve  un  assez  beau  portique  de  pierre,  dit  h  Pa'i- 
Leou*,  et  un  pavillon  monumental  de  la  Cloche  et  du  Tam- 
bour. 

A  l'intérieur  de  la  citadelle  et  à  l'ouest,  suivant  des  di- 
rections à  peu  près  parallèles  au  fleuve,  s'étendent  trois 
rues  reliées  entre  elles  par  des  ruelles,  descendant  vers  le 
fleuve.  C'est  dans  ces  rues  que  se  tiennent  les  véritables 
maisons  de  commerce  aux  mains  des  négociants  de  Can- 
ton, celles  qui  entretiennent  des  relations  avec  le  Yun-Nan, 
le  Kouei-Tchéou  et  la  région  de  Pé-Sé.  Ces  maisons  com- 
mercent presque  uniquement  sur  l'opium,  les  thés  du  Yun- 
Nan,  les  cuirs  et  les  cotonnades  européennes.  Ces  dernières 
leur  servent  de  produits  d'échange  dans  leur  trafic  avec  le 
Yun-Nan.  Une  dizaine  de  ces  maisons  représentent  comme 
chitTre  d'affaires  de  400,000  à  600,000  piastres  chacune,  an- 
nuellement. Une  dizaine  d'autres  maisons  moindres  se  li- 
vrent aux  mêmes  opérations  pour  100,000  ou  200,000  pias- 
tres chacune. 

Tout  ces  négociants  s'accordent  pour  montrer  la  grande 
tculté  rencontrée  par  le  commerce  de  Nan-Ningdans 


DE    CANTON    A   LOMG-TCIIÉOU. 

ses  relations  avec  le  Yun-Nan.  Ils  indiquent  unanimement 
la  voie  du  lleuve  Rouge  et  du  Tonkin  comme  la  véritable 
roule  commerciale  du  Yun-Nan,  et  c'est  d'ailleurs  celle 
qu'ils  empruntent  eux-mCmcs  pour  l'envoi  des  marchan- 
dises encombrantes,  telles  que  les  cotonnades,  qu'ils  expé- 
dient tout  d'abord  de  liaï-Phong,  en  échange  de  l'opium  et 
du  thé  qui  leur  viennent  alors  directement  par  caravanes 
et  par  les  routes  de  terre.  C'est  là  ce  qui  explique  le  peu 
d'importance  du  mouvement  de  navigation  sur  la  rivière 
de  l'Ouest. 

En  quittant  Nan-Ning-Fou,  le  fleuve  forme  un  large  canal 
régulier  de  400  à  500  mètres  de  largeur  en  moyenne,  et 
profond  jusqu'au  premier  barrage  de  Fan-Tan,  à  une  jour- 
née de  navigation. 

Là,  une  triple  rangée  de  rochers  oblige  les  jonques  des- 
cendantes à  croiser  trois  fois  dans  la  largeur  du  lit  pour 
prendre  les  passes.  La  difficulté  consiste  dans  le  peu  d'es- 
pace laissé  entre  les  lignes  de  rochers  pour  manœuvrer. 
Des  pilotes  officiels,  entretenus  par  les  mandarins,  balisent 
le  chenal  au  moyen  d'uue  perche  de  bambou  ou  d'un  pa- 
quet d'herbes.  Ils  dirigent  les  jonques  avec  une  grande  ha- 
bilelé.  Les  jonques  montantes  traînées  à  la  cordelle  suivent 
au  contraire  la  rive. 

De  ce  point,  les  rapides  se  succèdent  très  rapprochés; 
ils  sont  passés  très  aisément  sous  la  conduite  des  pilotes 
qui  se  renouvellent  de  poste  en  poste.  On  rencontre  les 
marchés  de  *  Pou-Miao-Uiu  »,  de  «  Leng-Li-Hiu  »,  un  peu 
moins  pauvres  que  les  précédents.  La  contrée  olfre  encore 
un  aspect  assez  tourmenté.  Des  collines  à  pente  très  dure 
bordent  le  fleuve;  elles  produisent  quelques  pins  qui  pous- 
sent très  clairsemés.  La  nature  est  toute  différente  de  celle 
de  la  région  supérieure,  mais  le  pays  n'est  pas  beaucoup 
plus  riche  ;  poursuivant  ainsi  le  long  de  ces  monticules 
arides,  ou  gagne  la  sous-préfecture  de  Vong-Tchouen-Hieii. 
C'est  une  toute  petite  ville,  très    pittoresquement  située 


IIE    CANTON    A    LONG-TCTTÉOr.  i ■■(■.") 

a  angle  saillant  de  la  rive  droite,  montranl  en  bor- 
tnre  du  fleuve,  sur  des  rochers  qui  le  surplombent,  une 
;ne  de  vieux  créneaux  ruinés  de  300  mètres  de  côté. 
L'intérieur  de  la  citadelle  est  presque  désert,  et  la  parlie 
principale  de  la  ville  se  compose  de  deux  rues  extérieures 
sans  intérêt 

A  Yong-Tchouen,  d'autres  pilotes   officiels  remplacent 
ceux  de  Nan-Ning  et  conduisent  à  Houen-Tchéou.  Entre 
ces  deux  points,  deux  passades  sont  délicats.  C'est  d'abord 
rapide  de  Mo-Mien-Tan,  long  de  3  à  4  kilomètres,  au  mi- 
u  de  roches.  La  direction  est  assez  tortueuse. 
Un  peu  au-dessous,  la  petite  rivière  de  Tchen-Pou,  ve- 
t  du  Kouang-Tong,  se  réunit  au  grand  fleuve,  et  l'on 
rive  au  marché  assez  important  de  Nan-Hiang,  point  d'ar- 
rivée de  l'une  des  routes  de  Pak-Hoï. 
A  quelques  kilomètres  de  Nan-Uiang,  on  aborde  le  grand 
es  30  lis  (d'environ  12  à  13  kilomètres  de  longueur). 
a  courant  de  foudre  emporte  les  jonques,  au  milieu  d'un 
morcellement  de  roches  émergeant  de  toutes  parts.  Trois 
5  marquent  l'entrée,  le  milieu  et  la  sortie  du  rapide.  En- 
e  quelques  kilomètres  et,  dans  un  tournant,  l'on  aperçoit 
Houang-Tchéou.  Celle  préfecture,  autrefois  prospère,  a  été 
lélaissée  pour  Koueï-Hien  par  le  commerce.  Ce  n'est  plus 
■  présent  qu'une  citadelle  déserte,  flanquée  d'une  rue  mi- 
en bordure  du  fleuve.  On  y  remarque  les  restes  de 
;  belles  pagodes.  La  contrée  est  très  montagneuse.  En 
e  de  Houang-Tchéou  se  dresse  le  massif  des  Ouan-Chan, 
ir  l'un  des  sommets  duquel  a  été  édifié  le  monastère  boud- 
tiique  de  Yin-Tien-Sseu,  qui  conserve  la  tablette  du  dernier 
mpereur  des  Minh,  qui  s'est  réfugié  dans  ces  montagnes 
s  sa  défaite.  Tout  ce  pays  est  misérable;  la  population 
t  très  turbulente  et  toujours  prèle  à  la  rébellion  ou  à  la 
raterie. 

De  nouveaux  pilotes  sont  indispensables  pour  le  passage 
i  grand  rapide  de  Ki-King-Ta-Tan,  la  frayeur  des  bâte- 


4-iti  DE   CANTON    A    LOSG-TCHÉOU. 

liers  du  Si-Kiang.  Une  très  belle  pagode  domine  le  passage 
dangereux.  Elle  est  l'objet  d'un  culte  tout  particulier. Outre 
les  offrandes  portées  par  les  bateliers  avant  de  se  lancer 
dans  le  courant,  on  jette  dans  le  rapide  des  petits  chiens 
noirs  dont  il  se  fait  un  commerce  au  village  qui  le  précède. 
Ces  chiens  se  précipilenL  aussitôt  vers  la  pagode  pour  y 
être  sacrifiés,  et  l'on  se  rend  ainsi  propice  le  génie  du  Qeuve. 
Dans  cette  pagode,  on  a  eu  aussi  la  précaution  d'enchaîner 
un  tigre  en  bois  qui  est,  parait-il,  d'une  extrême  férocité. 
Celte  pagode  a  été  élevée  au  maréchal  Fou-Pouo,  qui  a  fait 
améliorer  le  chenal. 

Les  grandes  jonques  embarquent  de  50  à  60  hommes  de 
renfort  pour  le  passage  de  ce  rapide  où,  dans  un  tournant 
dénommé  le  tournant  des  Trois-Diablcs ,  l'embarcation 
doit  exécuter  trois  virages  successifs,  bout  pour  bout,  au 
milieu  d'un  courant  furieux.  La  moindre  hésitation  de  ma- 
nœuvre lait  voler  la  jonque  en  éclats  dans  ce  passage,  où 
les  patrons  de  bateaux  dépensent  une  quantité  considé- 
rable de  papiers  consacrés.  Des  cris  de  joie  et  des  libations 
copieuses  suivent  l'arrivée  à  la  rive. 

En  une  journée,  on  atteint  ensuite  Koueï-Hien,  sous-pré- 
fecture disposée  d'une  manière  absolument  pareille  à  toutes 
les  précédentes. 

Koueï-Hien  a  profité  de  l'abandon  de  Houang-Tchéou  ; 
mais,  au  point  de  vue  commercial,  c'est  encore  une  place 
des  plus  médiocres.  Dix-sept  monts-de-pi  été,  tous  pros- 
pères, sont  portés  sur  les  registres  d'impôt.  Tout  près  de 
Koueï-Hien,  à  l'ouest,  s'alignent  les  Yin-Chan,  les  mon- 
tagnes d'argenl,  où  se  trouvent  des  mines  d'argent  aban- 
données; pourtant  les  habitants  les  gardent  avec  un  soin 
jaloux. 

Au-dessous  de  Koueï-Hien,  le  fleuve  prend  l'allure  d'un 
canal  ;  il  est  d'une  parfaite  régularité  et  d'une  parfaite  mo- 
notonie jusqu'à  Kouel-Ping-llicn,  sous-préfecture  qui  est 
aussi  le  siège  de  la  préfecture  de  Tsiuu-Tchéou-Fou.  Unt 


f>E  CANTON   A    LONU-TCHÊOt*.  447 

citadelle  de  Forme  allongée  et  irrégulière  s'incruste  dans 
l'angle  aigu  formé  par  la  réunion  de  la  grande  rivière  du 
Nord  avec  la  rivière  de  l'Ouest.  Ses  murailles  disparaissent 
sous  une  couche  épaisse  de  végétation,  et  l'intérieur  de  la 
forteresse  est  surtout  occupé  par  des  cultures  maraîchères. 
Un  commerce  tout  local  occupe  deus  rues  extérieures  en 
bordure  du  Si-Kiang. 

Sur  la  rive  du  Ho-tluoue'i-Kiang,  on  cherche  vainement 
le  fourmillement  de  jonques  indiqué  par  cerlaines  bro- 
chures. Il  n'existe  pas  une  seule  embarcation,  pas  même 
un  de  ces  sampans  qui  servent  d'habitation,  et  la  ville  n'a 
aucune  façade  sur  ce  fleuve.  Le  mur  d'enceinte  disparail 
sous  une  épaisse  couche  de  bruyères,  et  toute  cette  partie  de 
la  citadelle  est  dépourvue  de  constructions.  On  peut  affir- 
mer de  la  manière  la  plus  catégorique  que  le  commerce 
qui  peut  venir  de  Lieou-Fou  pur  celte  rivière  du  Nord  ne 
louche  pas  Koueï-Ping-rlieu. 

Ce  Ho-Choueî-Kiang,  qui  descend  en  ligne  droite  sur  la 
face  nord  de  la  muraille,  se  courbe  brusquement  contre 
l'enceinte  et  forme  à.  son  embouchure  avec  l'autre  rivière 
un  large  estuaire  encombré  de  sable,  de  galets  et  de  ro- 
chers. Ce  cours  d'eau  n'est  d'ailleurs  qu'une  succession 
ininterrompue  de  rapides  qui  ne  peuvent  être  abordés  que 
par  des  embarcations  de  moins  do  40  centimètres  de  tirant 
d'eau. 

Tl  faut,  de  celle  embouchure,  une  journée  pour  gagner 
le  marché deTa-Ouang-Kiang-Hiu,  placé  sur  la  rive  gauche, 
dans  l'angle  inférieur  du  fleuve  et  d'une  petite  rivière,  le 
Ta-Ouang-Kiang.  Un  canal,  ou  bras,  d'une  quarantaine  de 
lis  (environ  4  lieues),  relie  le  Ho-Choueï-Kiang  à  cette  der- 
nière rivière  de  Ta-Ouang-Kiang;  et  c'est,  dit-on,  par  ce 
canal  que  les  sampans  du  Ho-Choueï-Kiang  rejoindraient 
la  grande  rivière  de  l'Ouest,  évitant  ainsi  Koueï-Ping-Hien. 

A  une  journée  encore  plus  bas,  et  placée  de  la  même  fa- 
çon dans  l'angle  du  grand  fleuve  vl  d'un  petit  cours  d'eau, 


448  riE    CANTON    A    I.ONG-TCIIÊOI;- 

on  voit  la  sous-pré feclurc  de  Ping-Nan-Hien.  C'est  un  petit 
centre  administratif,  le  plus  pelit  de  tout  le  parcours;  uni 
citadelle  carrée  de  150  mètres  de  côté  environ  ne  renferm 
que  les  yamens  des  fonctionnaires. 

Depuis  Koueï-Hien,  le  Ileuve  a  coulé  régulièrement,  tra- 
çant ses  couihes  dans  un  pays  moins  tourmenté;  mais  ici 
on  rentre  peu  à  peu  dans  une  région  montagneuse.  Des 
lignes  de  collines  indiquent  le  lit,  dans  lequel  leurs  pentes 
descendent  à  pic.  Le  cours  devienL  très  tortueux,  el,  sui- 
vant tous  les  capricieux  conlours  des  massifs,  se  rétrécit 
brusquement  ou  s'élargit  avec  exagération,  formant  des 
golfes,  des  séries  de  lacs  (parfois  de  plusieurs  kilomètres  de 
largeur),  où  les  roches  sont  entassées  par  bancs  énormes 
dans  un  indescriptible  chaos.  On  voit  défiler  ainsi  une  série 
de  tableaux  merveilleux.  Des  rapides  se  succèdent  très 
rapprochés,  parmi  lesquels  il  faut  citer  celui  de  Kou-Yong- 
Tan,  où  un  goult're  insondable  soulève  des  remous  impré- 
vus, dangereux  pour  les  petites  embarcations.  Des  contre- 
couranls  s'opposent  en  tous  sens,  et  les  sampans  qui  ten- 
teraient de  lutter  sont  instantanément  submergés,  attirés 
dans  des  profondeurs  d'où  aucun  débris  n'a  jamais  reparu. 
Leshabilanls  et  les  bateliers  assurent  que  ce  gouffre  s'élend 
fort  loin  sous  lerre  et  aurait  une  sortie  sur  uoe  autre  ri- 
vière (le  Peï-Lieou)  qui  aboutit  à  Teng-Hien.  Pourtant,  le 
péril  est  aisément  écarté,  en  opérant  la  manœuvre  conve- 
nable, qui  est  d'aborder  simplement  la  passe  sans  vitesse 
et  en  se  laissant  porter  sur  le  remous  sans  opposition. 

On  côtoie  encore  de  grandes  îles,  renfermant  des  villages, 
et  l'aspect  ne  se  modifie  pas  jusqu'à  Teng-Hien,  petite  sous- 
préfecture  élevée  sur  la  rïve  droite  du  Ta-Riang  et  sur  la 
rive  gauche  du  Peï-Lieou.  Ici  la  ville  est  en  grande  partie 
contenue  dans  la  citadelle,  pourtant  fort  exiguë.  Aussi  ses 
rues  ne  sont-elles  que  d'étroits  couloirs,  dépassant  en  hor- 
reur toutes  les  rues  des  villes  précédentes.  Les  abords  de  la 
ville,  obstrués  de  rochers,  sont  difficilement  approchés  par 


\         DE   CANTON   A   LONOTCHÉOU.  449 

c 

*s  le  mouvement  commercial  du  Peï-Lieou 
ig-Hien;  il  suit  directement  vers  Wou- 
'eng-Hien   le  fleuve  poursuit  encore 
a  cours  ;  les  roches  et  les  îles  se  succèdent  ; 
*-Tcheou  n'a  pas  moins  de  12  kilomètres 
.éur,  et  presque  immédiatement  au-dessous  se 
ou-Tchéou-Fou. 
dernière  ville  étant  à  présent  ouverte  à  la  navigation 
,ur  et  au  commerce  étranger,  il  semble  que  Ton  peut 
ner  ici  ces  renseignements  sur  la  rivière  de  l'Ouest.  Ce 
,adre  ne  permet  d'ailleurs  qu'un  court  résumé  de  l'itiné- 
raire suivi,  qui  exigerait  de  longs  développements.  Les 
photographies    ci-jointes  compléteront  mieux   une   des- 
cription beaucoup  trop  sèche  ;  la  carte  précisera  davantage 
le  cours  du  fleuve,  et  tous  les  renseignements  qui  ne  peu- 
vent trouver  place  ici  sont  entièrement  mis  à  la  disposition 
de  la  Société.  Je  m'empresserai  de  lui  remettre  aussi  les 
documents  géographiques  chinois  très  utiles  que  j'ai  pu 
me  procurer  et  qui  ont  été  traduits  par  M.  Beauvais,  chan- 
celier interprète  auquel  je  tiens  en  terminant  à  adresser 
très  particulièrement  mes  remercîments  pour  son  excellente 
collaboration. 


AU  NORD-OUEST  CANADIEN 


LES    l'IEDS-NOIKS 


Le  continent  du  nord  de  l'Amérique  présente,  dans  sa 
partie  centrale,  une  particularité  remarquable.  C'est  une 
immense  prairie,  une  plaine  monotone,  où  la  vue  s'étend 
indéfiniment  sans  pouvoir  se  reposer  sur  une  colline  ou 
s'arrêter  sur  une  forêt.  C'est  un  océan  de  verdure,  une 
prairie  émaillée  de  fleurs,  pendant  quelques  mois  de  l'an- 
née; puis  bientût  une  plaine  aride  et  desséchée,  recouverte 
d'une  herbe  rare  et  courte  ;  et  enfin,  pendant  de  longs  mois, 
un  immense  linceul  de  neige  qui  recouvre  un  sol  glacé. 

Cette  immense  prairie  américaine  s'étend  depuis  les 
grands  lacs  du  centre  du  continent  jusqu'aux  Montagnes 
Rocheuses,  et  depuis  la  rivière  Labiche,  affluent  de  la 
Saskatchewan,  jusqu'à  la  hauteur  des  terres  du  Missouri  et 
du  Mississipi.  Elle  recouvre  toute  la  partie  méridionale  du 
Nord-ouest  Canadien  et  s'étend  sur  plusieurs  territoires  des 
États-Unis. 

L'extrémilé  nord-ouest  de  celte  vaste  plaine,  confinant 
aux  Montagnes  Rocheuses,  est  le  pays  des  Pieds-Noirs. 
Avant  de  parler  de  ces  aborigènes,  disons  quelques  mots  du 
pays  qu'ils  habitent. 

La  surface,  comme  je  l'ai  dit  déjà,  est  d'une  monotonie 
désolante,  ou  l'œil  s'égare  à  l'infini,  sans  trouver  d'obstacle  ; 
pourtant  ici,  quand  on  arrive  à  environ  80  milles  des  Mon- 
tagnes Rocheuses,  la  crête  irrégulièrement  découpée  de  cette 
chaîne  immense  se  dessine  à  l'horizon,  et  à  mesure  que 
l'on  approche,  le  spectacle  devient  de  plus  en  plus  impo- 


LKS   P1KDS-N0IKB.  *>4 

sant.  L'uniformité  est  le  plus  souvent  brisée  aussi  par  les 
nombreux  cours  d'eau  qui  découlent  de  la  montagne  et  se 
creusent  des  lits  profonds  dans  l'argile  de  la  prairie.  Ces 
vallées  profondes  sont  plus  fraîches  et  plus  verdoyantes, 
et  il  n'est  pas  rare  d'y  rencontrer  d'épaisses  forets  que  la 
bauteur  des  cotes  ne  laissait  pas  soupçonner. 

Le  sous-sol  est  composé  d'épaisses  couches  argileuses, 
ou  d'immenses  dépôts  de  galets  roulés,  usés  et  arrondis  par 
l'action  des  torrents  ou  les  frottements  des  glaciers.  En 
quelques  endroits,  les  lianes  déchirés  de  cette  immense 
plaine  laissent  apercevoir  des  couches  nombreuses  d'argile 
irisée,  offrant  toute  la  série  des  couleurs. 

Si  vous  descendez  plus  profondément, à  lOOou  120  mètres 
de  la  surface,  vous  pourrez  trouver  une  couche  plusou  moins 
épaisse  de  houille,  fournissant  un  excellent  combustible, 
qui  est  exploité  déjà  sur  une  multitude  de  points.  Le  district 
d'Alberta,  qui  occupe  précisément  cette  extrémité  de  la 
grande  prairie,  est  spécialement  riche  en  dépôts  houillers. 
A  3  mètres  environ  au-dessus  de  la  couche  de  houille,  on 
trouve  une  autre  couche  excessivement  riche  en  dépôts 
fossiles  de  coquillages  marins  :  des  bivalves  de  plusieurs 
espèces,  des  conglomérats  réunissant  différents  genres  de 
coquilles,  et  surtout  des  ammonites  en  grand  nombre. 
L'ammonite  déprimée  est  celle  que  l'on  rencontre  le  plus 
souvent.  Elle  atteint  parfois  des  dimensions  énormes, 
comme  1  mètre  et  plus  de  diamètre.  Il  y  a  aussi,  et  en 
grand  nombre,  des  tronçons  couverts  de  larges  écailles, 
qui  semblent  avoir  appartenu  soit  à  des  poissons,  soit  à  des 
sauriens.  Les  morceaux  de  bois  pétrifiés  sont  aussi  très 
nombreux.  Quelques-uns  semblent  appartenir  à  des  espèces 
encore  représentées  aujourd'hui,  comme  le  peuplier  et  le 
saule;  d'autres  représentent  des  espèces  n'existant  plus 
dans  le  pays.  Le  lit  de  certaines  rivières  est  tout  rempli 
parfois  deces  pierres  qui  ne  sont  que  du  bois  pétrifié. 

Tout  cela  prouve  que  cette  immense  plaine  a  été  jadis  le 


45:2  au  nohu-ouëst  canadien, 

bassin  d'une  mer  intérieure,  puisque  toutes  ces  coquilles 
sont  des  coquilles  marines  et  vivant  dans  l'eau  salée.  Les 
ammonites  forment,  comme  on  le  sait,  une  classe  éteinte  à 
l'heure  présente.  11  est  vrai  que  celte  condition  de  l'exis- 
tence d'une  mer  intérieure  peut  remonter  à  une  époque 
extrêmement  reculée,  dans  les  périodes  gâogéniques  ; 
cependant  d'autres  preuves,  dans  le  détail  desquelles  il 
m'est  impossible  d'entrer,  semblent  indiquer  que  cette 
condition  a  existé  jusqu'à  une  époque  beaucoup  plus 
récente  et  postérieure  au  peuplement  du  globe  et  du  conti- 
nent américain  lui-même. 

Le  sol  de  la  vaste  prairie  n'est  pas  partout  également 
pauvre  et  stérile.  En  certains  endroits,  et  surtout  dans 
l'extrémité  occidentale  qui  se  relève  insensiblement  vers  les 
Montagnes  Rocheuses,  la  couche  d'humus  est  plus  ou 
moins  épaisse  et  il  y  a  des  terrains  assez  fertiles.  Dans  le 
voisinage  des  montagnes»  l'herbe  est  riche  et  succulente, 
aussi  c'est  là  que  s'établissent  de  puissantes  compagnies  qui 
s'occupent,  en  grand,  de  l'élevage  des  bêtes  à  cornes  et  des 
chevaux.  Bon  nombre  de  colons  viennent  aussi  s'établir  de 
ce  coté.  Il  y  en  a  un  peu  de  toutes  les  nationalités. 

Mais  mon  intention  n'est  pas  de  vous  parler  de  ces  nou- 
veaux venus.  Je  ne  veux  vous  entretenir  que  des  aborigènes, 
de  ceux  qui  s'étaient  considérés,  pendant  longtemps,  comme 
les  souverains  de  cet  immense  domaine  :  les  Pieds-Noirs. 
Ces  Indiens  appartiennent  à  la  classe  que  l'on  appelle 
Indiens  des  prairies.  Les  Pieds-Noirs  se  disputaient,  avec  les 
autres  Indiens  des  plaines,  les  Sioux,  les  Gros-Ventres,  les 
Cheyennes,  les  Comanches,  etc.,  l'empire  de  ces  immenses 
territoires.  Ils  formaient  des  tribus  guerrières  et  aven- 
tureuses dans  un  état  de  perpétuelle  hostilité  les  unes  contre 
les  autres.  Les  Pieds-Noirs  s'étaient  adjugé  surtout  le  terri- 
toire qui  s'étend  de  la  rivière  Labiche  au  nord  jusqu'au 
Missouri  au  sud  dans  cette  extrémité  de  la  prairie  confinant 
aux  Montagnes  Rocheuses.  Ils  en  repoussaient  toutes  les 


i.ES   MHtS-MOIRS.  i53 

.utres  peuplades,  en  se  réservant  toutefois  le  droit  de  taire 
s  excursions  sur  les  terres  de  leurs  voisins. 
Les  Pieds-Noirs,  comme  d'ailleurs  tous  les  sauvages  des 
plaines,  forment  le  type  le  plus  parfait  de  la  race  rouge 

méricaine.  Ils  sont,  au  physique,  de  taille  imposante, 
robustes  et  agiles.  Ce  sont  des  cavaliers  infatigables  et  des 

ihasseurs  excellents.  Ils  aiment  les  aventures  et  les  coups 
d'éclat;  mais  cependant  ils  demeurent  prudents  et  rusés, 
et,  dans  leurs  expéditions  guerrières,  ils  ne  s'exposent  inu- 
tilement à  aucun  danger  ;  mais,  au  contraire,  font  toujours 

q  sorte  de  mettre  toutes  les  chances  de  leur  côté. 
Par  leur  langue,  ils  appartiennent  à  la  grande  famille 
algonquine,  qui,  depuis  le  Labrador  jusqu'aux  Montagnes 
Rocheuses,  a  encore  de  nombreux  représentants  ;  je  men- 
tionnerai seulement  les  Cris,  les  Sauteux,  les  Maskégons  et 

tnfin  les  Pieds-Noirs.  Toutes  les  langues  de  ces  tribus  ont 
des  caractères  communs.  Ce  sont  des  langues  polysynthé- 
tiques.  Le  polysynthétisme  consiste  à  réunir  le  plus  d'idées 
sible  dans  un  seul  mot  et  à  accoler  ensemble  les  diffé- 
rentes parties  du  discours.  C'est  un  procédé  tout  différent 
de  celui  de  nos  langues  européennes,  qui,  au  contraire,  dis- 

raguenl  par  l'analyse  les  différents  éléments  des  phrases.Ces 

:n  gués  sont  extrêmement  logiques,  régulières  et  homogènes, 
îlles  sont  d'un  mécanisme  merveilleux  et  offrent  des  res- 
iources  dont  nos  langues  européennes  ne  peuvent  nous  don- 
ner l'idée.  Le  vocabulaire  est  très  riche  en  expressions  pour 
lésigner  les  choses  réelles  et  concrètes;  ou  plutôt  le  voca- 

mlaire  est,  en  réalité,  inépuisable,  puisqu'il  y  a  toujours 

possibilité  de  former  de  nouvelles  expressions  nuancées  et 
modifiées  à  l'infini.  L'abstraction  n'est  pas  dans  le  génie 
de  la  langue,  et  c'est  une  difficulté,  quand  il  s'agit  d'en  venir 
à  des  explications  d'un  ordre  plus  élevé.  Cependant  le  prin- 
cipe de  l'abstraction  existe,  il  reste  à  en  faire  un  usage  plus 

tendu. 
De  toutes  les  langues  que  j'ai  nommées  tout  à  l'heure,  le 


45'J  AU    NORD-OUBBT  CAHABlJiK. 

transporter   et   toujours    prête    pour    l'usage, 
n'était  pas  très  pala  table. 

Enfin,  dans  cet  animal  providentiel  pour  l'Indien,  toi 
était  utilisable.  Les  tendons  lombaires  rie  l'animal,  une  fc 
desséchés,  pouvaient  se  subdiviser  en  fibres  de  différentes 
grosseurs  qui  servaient  de  fil  pour  coudre  loges  et  vêtements; 
les  os  mêmes  étaient  utilisés  pour  en  faire  une  foule  d'armes 
et  d'instruments,  les  cornes  et  les  sabots  de  l'animal,  ré- 
duits par  l'êbullition,  procuraient  une  colle  forte  de  pre- 
mière qualité,  employée  pour  une  multitude  d'objets  d'uti- 
lité ou  d'ornementation. 

Est-il  élonnant  après  cela  que  l'Indien  ait  voué  à  cet  ai 
mal  une  sorte  de  culte  superstitieux?  Toujours  est-il  que 
buffalo  se  trouve  mêlé,  d'une  manière  inexplicable,  à  presqi 
toutes  les  pratiques  superstitieuses  de  ces  peuplades. 

El  comment  l'Indien  se  procurait-il  cet  animal  en  suffi- 
sante quantité?  Il  faut  dire  que  le  bison  errait  à  l'état  libre 
dans  les  immenses  plaines  de  l'ouest,  en  troupeaux  innom- 
brables, et  quoiqu'il  fallût  quelque  adresse  pour  rappro- 
cher, cependant  on  peut  dire  que  la  chasse  du  bison  con- 
stituait pour  les  Indiens  un  exercice  salutaire  rempli  d'inté- 
rêt. C'était  réellement  une  partie  de  plaisir  pour  eux,  et 
nos  amateurs  de  sport  seraient  heureux  de  prendre  part  à 
une  chasse  de  ce  genre,  dans  laquelle  l'Indien  lui-même 
trouvait  un  si  vil'  entraînement.  Parfois  les  troupeaux  de  bi- 
sons étaient  si  considérables  qu'ils  semblaient  couvrir  la 
prairie  toute  entière.  Les  grandes  plaines  sans  limite  parais- 
saient n'être  qu'une  masse  noire  mouvante.  Il  n'y  avait  qu'à 
lancer  son  cheval  au  milieu  de  ce  troupeau,  et  à  tuer  l'ani- 
mal qui  paraissait  le  mieux  engraissé  pour  le  service  du 
seigneur  de  la  prairie.  Inutile  d'en  tuer  davantage.  D'abord, 
les  moyens  de  transport,  étant  très  limités,  ne  permettaient 
pas  de  se  charger  d'une  trop  grande  quantité  de  provisions. 
Puis  à  quoi  bon?  Pendant  des  journées  entières  peut-être  il 
faudrait  passer  au  milieu  de  cet  immense  troupeau. 


iti- 

i 


LES    l'IEDS-NOIRS.  fôl 

Je  parle  de  tout  cela  au  temps  passé;  car,  hélas!  ces 
temps  sont  passés  et  ne  reviendront  pins,  et  l'Indien  qui 
les  a  connus  ne  s'en  console  pas.  Le  bison,  ce  majestueux 
animal  des  plaines  américaines,  a  été  presque  anéanti.  Il 
ne  reste  que  quelques  représentants  de  cette  race,  que  l'on 
conserve  précieusement  dans  les  parcset  jardins  publics.  11  y 
a  un  peu  plus  de  vingt  ans,  des  compagnies  américaines  s'orga- 
nisèrent pour  la  traite  des  robes  de  bulfalos.  Ces  compagnies 
mirent  sur  pied  des  bandes  considérables  de  chasseurs 
métis  ou  blancs,  ou  même  sauvages,  armés  de  carabines  à 
tir  rapide.  Ces  nouveaux  engins  perfectionnés,  contenant 
un  magasin  de  14  ou  16  cartouches,  pouvaient  être  dé- 
chargés en  quelques  secondes,  et  rechargés  en  moins  d'une 
minute.  On  conçoit  que  des  bandes  de  chasseurs  se  précipi- 
tant sur  les  troupeaux,  avec  des  armes  semblables,  pou- 
vaient les  anéantir  avec  la  plus  grande  facilité.  C'est  ce  qui 
arriva,  et  après  1870  le  bison  avait  presque  complètement 
disparu. 

Avec  cet  animal  les  Indiens  perdaient  leur  principal 
moyen  d'existence.  De  plus,  depuis  quelques  années,  le 
courant  de  l'immigration  se  portait  du  côté  de  la  partie 
septentrionale  et  occidentale  de-  la  vaste  prairie.  Il  y  avait 
la  de  magnifiques  terres  a  exploiter,  des  vallées  qui,  surtout 
au  pied  des  montagnes,  étaient  éminemment  favorables  à 
l'élevage  des  bestiaux.  Pour  éviter  toutes  les  difficultés  qui 
pourraient  résulter  du  contact  des  nouveaux  colons  aven 
les  races  aborigènes,  le  gouvernement  avait  pris  les  devants, 
en  concluant  avec  ces  Indiens  des  sortes  de  traités  par  les- 
quels les  sauvages  faisaient  au  gouvernement  la  cession  de 
leurs  terres  de  chasse,  moyennant  uu  secours  que  ce  même 
gouvernement  leur  promettait.  Tant  que  le  bison  exista  sur 
la  vaste  prairie,  les  Indiens  ne  cherchèrent  nullement  à 
changer  leur  mode  de  vie;  mais  quand  cet  animal  disparut 
tout  à  coup,  force  leur  fut  de  se  soumettre  aux  termes  du 
traité  qui  les  confinait  sur  certaines  portions  du  territoire  à 


,  prirent  le  nom  de 


l  ces  Indiens  an 
moment  où  ils 


4.r)H  AU    NOnit-OUEST   CANADI 

eux  réservées,  et  qui,  pour  cette  raison 
Réserves. 

J'ai  assisté  à  cette  transformation,  j'; 
moment  où  s'opérait  cette  transitioo, 
faisaient  l'essai  de  ce  nouveau  genre  de  vie,  et  cet  essai  était 
pénible.  Les  secours  fournis  étaient  souvent  insuffisants.  Ils 
recevaient  quelques  rations  de  nourriture,  jusle  assefc  pour 
les  empêcher  de  mourir  de  faim;  mais  cela  paraissait  bien 
dur  à  ceux  qui  jusque-là  étaient  habitués  à  l'abondance. 
De  plus,  outre  les  rations  de  bœuf  et  de  farine,  ils  avaient 
hesoin  de  beaucoup  d'autres  choses  etn'avaient  aucune  res- 
source pour  se  les  procurer.  Ils  avaient  commencé  à  s< 
bâtir  des  maisons,  mais  quelles  maisons!  Le  prototype  de 
l'habitation  pour  eux  était  toujours  la  loge  avec  le  foyer 
au  milieu  et  une  ouverture  ménagée  au  haut  pour  le  pas- 
sage de  la  fumée.  Ne  pouvant  l'aire  la  maison  ronde  et  co- 
nique comme  ia  loge,  ils  la  firent  carrée,  en  croisant  gros 
sièremeut  aux  angles  des  troncs  d'arbres  coupés  de  1; 
longueur  voulue.  La  toiture  était  formée  de  perches  recou- 
vertes de  longues  herbes  et  de  terre.  Les  vides  entre  les 
pièces  de  bois  composant  les  murailles  étaient  fermés  avec 
un  mélange  de  foin  et  de  boue.  Le  foyer  était  au  milieu  de 
la  maison,. ou  plutôt  il  n'y  avait  pas  de  foyer  proprement 
dit,  mais  le  feu  était  allumé  au  milieu  du  réduit,  et  une 
sorte  de  cheminée,  soutenue  au  moyen  de  quatre  grosses 
perches  fichées  en  terre,  devait  conduire  la  fumée  au 
dehors;  mais,  de  fait,  la  fumée  se  répandait  la  plupart  du 
temps  dans  tout  l'intérieur.  Pour  toute  porte,  une  ouver- 
ture basse  fermée  d'un  morceau  de  peau,  et  pour  fenêtre, 
si  toutefois  il  y  en  avait,  un  petit  (rou  de  30  à  30  centi- 
mètres. C'est  là,  accumulés  dans  ces  taudis  obscurs  ethien- 
tôt  infects,  que  ces  Indiens  tâchaient  de  passer  l'hiver. 

Mais  ils  avaient  grande  hâte  de  voir  arriver  la  belle  saison; 
et  dès  que  la  neige  avait  disparu  de  la  surface  du  sol,  dès 
que  le  soleil  commençait  à  réchaulfer  la  terre, ils  lepienaienl 


LES    PIKUS-NOIRS.  -iô'.l 

leur  loge  et  allaient  camper  au  grand  air  dans  les  vallées  des 
rivières  ou  sur  les  plateaux  qui  les  dominent.  Là  ils  repre- 
t  les  vieilles  traditions,  là  ils  recommençaient,  autant 
|ue  leur  pauvreté  le  leur  permettait,  leurs  fêtes  et  réjouis- 
sances. Les  chants  et  le  bruit  du  tambour  résonnaient  pen- 
dant toute  la  journée,  et  môme  pendant  une  grande  partie 
des  nuits.  Les  danses, plus  ou  moins  superstitieuses,  se  suc- 
idaient  les  unes  aux  autres.  Il  y  avait  toujours  quelque  ré- 
e  nouvelle,  et  enfin  les  Indiens  célébraient,  durant 
les  beaux  jours  de  l'été,  leur  grande  solennité  supers- 
titieuse :  la  (firme  du  soleil;  c'était  le  résumé  de  tout  leur 
culte  superstitieux.  Pendant  une  semaine  environ,  ils  ac- 
complissaient leurs  rites  bizarres,  faisaient  leurs  offrandes 
à  leurs  multiples  divinités,  se  donnaient  eux-mêmes  en 
sacrifice  par  les  tortures  et  les  privations  auxquelles  ils  se 
soumettaient.  Parfois,  pourtant,  les  réjouissances  faisaient 
place  au  deuil,  aux  chants  d'allégresse  succédaient  les 
chants  de  la  tristesse,  car  alors  encore  les  morts  étaient 
pleures  avec  beaucoup  d'ostentation  ;  et  le  deuil  se  prolon- 
geait longtemps,  quelquefois  un  mois  durant.  Alors,  à  l'ap- 
proche de  la  nuit,  quand  le  silence  commençait  à  se 
répandre  sur  le  camp,  les  pleureuses  et  aussi  quelquefois 
s  pleureurs  montaient  sur  une  colline  voisine  et  repre- 
laient  leurs  lamentations  sur  un  ton  traditionnel,  mais 
lugubre,  et  qui  ne  manque  pas  de  faire  une  vive  impression. 
Alors  ces  peuplades  avaient  encore  conservé  leur  étrange 
coutume  qui  consistait  à  exposer  dans  les  branches  des  arbres 
les  cadavres  de  leurs  morts  soigneusement  ensevelis. 

Depuis  ce  teuips-ià,  il  y  a  eu  de  grand  progrès  accomplis, 
les  Indiens  ont  renoncé  à  beaucoup  de  leurs  superstitions, 
leur  mode  barbare  de  sépulture  aérienne  a  à  peu  près 
complètement  disparu.  La  danse  du  soleil  est  supprimée 
presque  partout.  Plusieurs  des  habitudes  des  peuples  civi- 
lisés ont  été  adoptées.  Des  maisons  plus  convenables  ont 
succédé  au*  premières  buttes  d'autrefois.  Ce  ne  sont  pas 


4WI  il)   NOUU-OUEST  CANA1HEN. 

encore  des  palais,  mais  cependant  l'amélioration  est  no- 
table. Les  Indiens  vont  assez  loin,  au  pied  des  montagnes, 
pour  se  procurer  de  plus  belles  pièces  de  bois,  ils  les  équar- 
rissent  et  les  réunissent  soigneusement  et  régulièrement 
aux  angles.  Ils  ont  à  leurs  maisons  nouvelles  portes  et 
fenêtres,  qu'ils  se  procurent  toutes  faites.  Le  toit  est  de  la 
forme  ordinaire  et  recouvert  de  bardeaux,  ou  petites  plan- 
ches minces,  qui,  dans  ce  pays,  tiennent  lieu  d'ardoises. 
De  plus,  un  grand  nombre  ont  pu  se  procurer  des  planches 
pour  faire  un  plancher.  Dernièrement  enfin,  j'ai  pu  con- 
stater que,  dans  un  certain  nombre  de  maisons,  il  y  avait 
des  cloisons  pour  distinguer  la  salle  de  réception  de  la  cui- 
sine et  de  petites  chambres  à  coucher.  Puis  quelques  pièces 
d'ameublement  viennent  graduellement  augmenter  le  con- 
fort et  la  bonne  apparence  de  la  demeure.  Des  bois  de  lit 
ou  des  couchettes  en  fer,  des  tables,  quelques  chaises  et 
commodes  servent  à  meubler  la  maison.  J'ai  même  trouvé, 
une  fois,  dans  une  maison,  deux  belles  chaises  berceuses, 
alors  que  je  n'en  avais  pas  même  une  seule  a  la  maison  de  la 
mission  ;  et  je  pense  qu'il  n'y  en  a  pas  encore  actuellement. 

Et  comment  les  Indiens  se  procurent-ils  tout  cela?  Par 
leur  travail  et  leur  industrie.  Les  employés  du  gouverne-' 
ment,  qui  s'occupent  sincèrement  d'améliorer  leur  bien- 
êlre,  leur  fournissent  les  moyens  de  se  créer  quelques  res- 
sources. Ils  leur  procurent  quelques  contrats  pour  fournir 
des  centaines  de  tonnes  de  foin  aux  rancherx  ou  gens  qui 
s'occupent  de  l'élevage  des  bestiaux.  De  même  ils  fournis- 
sent aussi  des  centaines  de  tonnes  de  charbon  ans  blancs 
qui  les  entourent.  Ce  charbon  est  extrait  par  les  Indiens 
eux-mêmes,  qui  ont  une  mine  sur  leur  propre  réserve,  et 
exploitent  cette  mine.  De  plus,  ils  élèvent  eux-mêmes  un 
grand  nombre  rie  chevaux,  et  aussi  de  petits  troupeaux  de 
bêtes  à  cornes  pour  lesquels  il  y  a  toujours  un  marché  rai- 
sonnable. 

Le  missionnaire,  tout  en  s 'efforçant  d'inculquer  à  ces  peu- 


I.KS    PIKDS-NOIRS. 


461 


plaiies  les  principes  du  christianisme,  ne  craint  pas  de 
prêter  la  main  aux  agents  du  gouvernement  pour  pousser 
ces  Indiens  dans  la  voie  du  progrès,  qui  s'obtient  par  le 
travail  et  l'industrie.  Nous  tachons  de  leur  inspirer  l'amour 
du  travail,  d'un  travail  soutenu  et  persévérant  qui  leur  fera 
compter  plus  sur  eux-mêmes  que  sur  la  charité  du  public. 
En  agissant  ainsi,  nous  pensons  faire  beaucoup  pour  le 
maintien  de  leur  santé  physique  et  morale.  Ces  peuples  ont 
droit  aussi  bien  que  tout  autre  à  l'existence;  et  la  religion 
sera  encore  le  plus  sûr  moyen  de  progrès  au  point  de  vue 
matériel.  Nous  voulons  conserver  ces  races,  et  tout  en  les 
engageant  à  modifier  leur  genre  de  vie  pour  l'adapter  aux 
nouvelles  conditions  dans  lesquelles  elles  se  trouvent,  nous 
pensons,  en  leur  donnant  le  bienfait  de  la  religion,  leur 
assurer  le  meilleur  moyen  de  perpétuer  leur  existence.  On 
a  quelquefois  reproché  aux  Espagnols  leur  cruauté  envers 
les  indigènes  qui  habitaient  les  contrées  du  nouveau 
monde  découvertes  par  eux.  C'est  une  calomnie.  Ce  qui  est 
vrai,  c'est  que  le  missionnaire  catholique  accompagna  ou 
suivit  de  près  les  découvreurs,  et  la  religion  a  toujours  pris 
un  soin  spécial  de  ces  peuplades  diverses,  en  les  protégeant 
contre  toute  oppression.  Aussi, à  l'heure  présente,  les  popu- 
lations indigènes  despueblosdela  Californie  et  du  Mexique 
sont  à  peu  près  aussi  nombreuses  que  du  temps  de  la  con- 
quête. En  pourrait-on  dire  autant  des  nombreux  sauvages 
qui  occupaient  jadis  les  États  de  la  Nouvelle-Angleterre? 

De  même,  sur  les  bords  du  Saint-Laurent,  les  tribus 
huronnes  et  iroquoises,  ainsi  que  plusieurs  tribus  algonquines 
converties  par  les  premiers  missionnaires  du  Canada,  ont 
encore  des  représentants  échelonnés  depuis  te  Labrador 
jusqu'aux  grands  lacs,  et  s'ils  ne  sont  pas  plus  nombreux, 
il  faut  s'en  prendre  aux  guerres  exterminatrices  qu'ils  se 

ît  faites  entre  eux  avant  d'être  convertis. 


METEMOMt  DE  LA  PALESTIIE  Et  DE  LA  SÏBIE 


Le    K.    F.     ZTTMOPFEK",     S. 


Il 


TbIs  sont  les  principaux  caractères  du  climat  actuel  de 
la  Palestine,  Mais  une  question  se  présente  ici,  à  savoir  si 
les  conditions  climatériques  ont  toujours  été  les  mêmes 
depuis  Abraham  et  Moïse  jusqu'à  nos  jours?  Nous  ne  pos- 
sédons pas  des  données  précises  de  cette  époque  lointaine 
pour  pouvoir  les  comparer  avec  les  observations  météoro- 
logiques actuelles,  puis  la  série  des  observations  embrasse 
un  temps  trop  court  pour  qu'on  puisse  conslaler  une  modi- 
fication dans  les  saisons,  dans  le  régime  des  pluies  et  dans 
la  température  ;  mais  ce  sont  les  témoignages  de  la  Bible  et 
des  auteurs  profanes,  la  faune  et  la  flore  qui  peuvent 
nous  fournir  des  renseignements  précieux  à  cet  égard. 

"  Je  donnerai  à  votre  terre  la  ploie  précoce  et  la  pluie  tar- 
dive et  vous  aurez  récolte  de  froment,  de  vin  et  d'huile.  Je 
produirai  de  l'herbe  dans  vos  champs  pour  voire  bétail 
et  vous-mêmes  vous  aurez  des  aliments  en  abondance  » 
(Deut.,  XI,  12).  «Je  vous  introduirai  dans  une  terre  de  fro- 
ment, d'orge,  de  vigne,  de  figuier  et  de  grenadier,  une 
terre  d'oliviers,  d'huile  et  de  miel,  une  terre  où  vous  man- 

1.  Voir  Bulletin  de  la   Société  de  Géographie,  S-  trimestre  de  1899, 


LA  MÉTÉOHOLOGIE  DE  LA  PAI.BSTI.NE  ET  DE  LA  SYBIR.       1G3 

■ez  votre  pain  sans  craindre  la  pénurie  ni  la  privation 

tucune  chose  »  (Deul.,  VIII,  7-9).  «  Je  vous  mènerai  dans 

e  terre  excellente,  une  terre  ruisselant  de  lait  et  de  miel» 

îxod.,  III,  8). 

Les  auteurs  profanes  parlent  dans  le  même  sens.  Hécatée 
dit  que  la  Palestine  est  une  terre  fertile  et  très  peuplée, 
une  province  très  bonne  et  riche  en  toutes  sortes  de  fruits 
(Jos.  contra  App.,  I,  22).  Pline  mentionne  aussi  la  fertilité 
de  Jérusalem  (Plin.,  1.  V,  c.  xiv,  1).  Amien  Marcellin  nous 
affirme  que  la  Syrie  offre  des  vallées  d'une  bonne  et  riche 
culture  (Am.  M.,  XIV,  8).  Tacite  apporte  aussi  son  témoi- 
gnage en  faveur  de  la  richesse  de  la  Palestine,  en  disant 
que  le  sol  est  fertile  et  que  les  habitants  ont  toutes  sortes 
de  productions  en  abondance,  et  de  plus  le  baumier  et  les 
dattes  (Hist.,  V,  c.  iv). 

Ces  descriptions  riantes  de  l'ancienne  fertilité  contrastent 
singulièrement  avec  l'aspect  désolé  que  présente  aujour- 
d'hui la  Palestine.  De  nos  jours,  ce  pays  jadis  découlant  de 
lait  et  de  miel  paraît  sec,  pierreux  et  stérile;  les  montagnes 
sont  arides  et  dénudées,  les  ouadis  sont  sans  eau  pendant 
une  grande  partie  de  l'année,  les  plaines  se  couvrent  de 
chardons. 

Le  changement  est  manifeste  et  incontestable  ;  mais 
quelle  esl  la  cause  qui  a  produit  cette  modification  dans 
les  productions  de  la  Terre  Sainte? 

Les  uns,  comme  MM.  Couder',  etc.,  prétendent  que  depuis 
Abraham  et  David  aucun  changement  n'a  eu  lieu  dans  les 
conditions  climatériques.  Les  saisons,  les  pluies,  la  tem- 
pérature, la  végétation  et  la  constitution  du  sol  de  la 
Palestine  actuelle  ne  dill'èrenl  en  rien  de  ce  qu'elles  étaient 
dans  les  temps  bibliques.  C'est  la  négligence  et  l'insou- 
ciance des  habitants,  le  vandalisme  et  l'oppression  de 
l'administration  qui  ont  changé  l'aspect  du  pays.  Les  forêts 


i.  Couder,  QuaTterlu  5l«iemeni 


l.A  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DK  LA  SYRIE. 

ont  été  abattues,  les  pluies  sont  devenues  plus  rares,  le  sol 
ne  conserve  pas  l'eau;  les  constructions  hydrauliques  que 
les  anciens  avaient  faites  pour  utiliser  l'eau  sontruinées;  le 
sol  porte  encore  les  mêmes  fruits  qu'au  temps  le  plus 
prospère  du  royaume  d'Israël,  pourvu  qu'où  le  cultive  el 
qu'un  gouvernement  intelligent  encourage  el  protège  le 
travail  de  l'agriculteur. 

D'antres,  comme  MM.  Fraas  4,  Hull*,  Elisée  Reclus3, 
Fischer*  et  Blankenhom s  croient,  au  contraire,  que  la 
culture  et  la  sécurité  peuvent  augmenter  les  productions 
du  sol,  mais  qu'elles  sont  incapables  de  lui  rendre  sa  pre- 
mière prospérité.  La  vraie  cause,  la  principale  sinon  l'unique 
cause  du  changement  de  la  Palestine  et  de  la  Syrie  est  la 
modification  que  le  climat  a  éprouvée  depuis  les  temps  his- 
toriques. Il  est  devenu  plus  sec;  la  diminution  des  précipi- 
tations atmosphériques  a  amené  le  tarissement  ou  l'affai- 
blissement des  sources,  le  dessèchement  total  ou  partiel 
des  courants  d'eau,  et  par  suite  la  stérilité. 

Cette  diminution  des  pluies  a  été  constatée  non  seule- 
ment en  Palestine  el  en  Syrie,  mais  dans  tout  le  bassin  de 
la  Méditerranée.  Le  savant  météorologiste  M.  Fischer  a 
démontré  que  toute  la  zone  semi -tropicale,  à  partir  du 
34°  lat.  nord,  lend  à  se  transformer  en  une  large  bande  de 
steppes  et  de  désert,  et  que  cette  modification  lente  ne  sau- 
rait être  attribuée  qu'à  une  cause  générale  qui  serait,  sui- 
vant lui,  un  déplacement  vers  le  nord  de  la  zone  où  les 
vents  contre-alizés  descendent  des  hauteurs  du  ciel  et 
s'abaissent  sur  la  terre,  en  un  mot,  un  changement  dans  le 
régime  des  vents. 
Il  est  incontestable  que  beaucoup  de  contrées  du  bassin 


1.  Fraiis,  .lui  rfem  Orïttit,  I,  p.  lilli. 

•i.  Ilull,  Memoir  un  the  Centugg  and  (ieuf/r.,  |i.  1Ï3. 

3.  EBsée  Beelos,  Géographie  universelle,  vol.  IX,  p.  740. 

4.  Fischer,  Sludtm  ùher  Uan  Kl  i  nui  iet  Mitletwcerlànder,  p 
!i.  Illauki;i]liurii,  Zeitivlm/I  du*  Palaintina- Verein,  vuj.  X\ 


U  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SÏRIE.       Ifi5 

de  la  Méditerranée  sont  devenues  plus  sèches  et  impro- 
ductives. La  mer  Rouge  est  entourée  d'une  ceiniure  de 
récifs  interrompue  en  face  de  l'embouchure  des  fleuves 
côtiers.  Ce  sont  ces  cours  d'eau  douce  qui  ont  produit  ces 

;hancrures  profondes  en  tuant  les  coraux,  ou  en  contra- 
riant leur  travail;  ils  étaient  donc  autrefois  plus  constants 
et  plus  considérables  qu'aujourd'hui,  car,  maintenant,  un 
grand  nombre  n'atteignent  plus  la  mer  Rouge  et  les  autres 
coulent  trop  rarement  ou  sont  presque  insuffisants  pour 
entretenir  ces  entailles.  Les  pluies  qui  les  alimentaient 
étaient  donc  plus  fréquentes. 

Il  est  certain  que  les  eaux  étaient  jadis  plus  abondantes 
dans  les  vallées  des  montagnes  li  byques.  En  maints  endroits, 
on  distingue  sur  les  rochers  la  trace  d'anciennes  cascades 
qui  coulaient  d'un  Ilot  continu,  tandis  que  ces  conlrées 
sont  aujourd'hui  sans  eau.  Le  chameau  n'est  pas  représenté 
monuments  égyptiens  avant  l'époque  saïte;  il  était 
certainement  inconnu  pendant  les  siècles  qui  ont  précédé*. 
Les  Égyptiens  de  cette  époque  n'étaient  pas  encore  assiégés 
par  le  désert,  qui  était  moins  dénué  d'eau  et  plus  habité; 
les  voyages  y  étaient  possibles  sans  cet  animal  domestique. 
L'Arabe  de  nos  jours  ne  pourrait  plus  se  hasarder  dans  ces 
solitudes  brûlantes  sans  le  chameau. 

Le  Sahara  était  moins  aride  qu'il  ne  l'est  actuellement. 
;es  lits  avec  leurs  berges  et  leurs  plages  racontent 
;  passage  ries  fleuves  dans  ces  régions  desséchées  aujour- 
d'hui. 

La  population  du  Sahara  algérien  semble  avoir  conservé 
e  souvenir  d'une  époque  où  le  Chott  er  Selam  était  cou- 
vert d'eau.  Aujourd'hui  il  est  desséché  et  les  Arabes  assu- 
rent qu'il  n'a  plus  été  rempli  depuis  un  siècle3.  Du  temps 


i  Eg'jplt,  p.  lit. 
lUograj'itie  de   Pal 


■iljli      LA  MÉTÉOROLOGIE  HE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE. 

des  Romains,  disent  les  Arabes  de  ces  régions,  l'Ouad-Souf 
était  un  grand  fleuve,  mais  on  lui  jeta  un  sort  et  il  dispa- 
rut. Dans  l'oasis  Hodna  qui  manque  complètement  d'eau, 
en  dehors  des  puits  artésiens,  on  trouve  des  ruines  de  vil- 
lages, des  restes  de  construction  pour  utiliser  l'eau,  des 
digues,  des  réservoirs  de  l'époque  romaine;  preuve  mani- 
feste qu'à  cette  époque  il  y  avait  une  plus  grande  abon- 
dance d'eau1. 

Ces  faits  sont  confirmés  par  la  considération  de  la  faune. 
Le  chameau,  qui  semble  avoir  été  créé  uniquement  pour  le 
Sahara,  fut  introduit  assez  tard  dans  l'Afrique  septentrio- 
nale comme  en  Egypte.  Polybe  dit  que  les  Carthaginois  con- 
naissaient l'éléphant,  mais  il  ne  mentionne  pas  le  chameau. 
César  en  reçut  22  du  roi  Juba,  ce  qui  parut  extraordinaire 
aux  yeux  des  contemporains.  Si  cet  animal  avait  été  de 
quelque  utilité,  les  Phéniciens,  qui  le  connaissaient,  l'au- 
raient bien  introduit  dans  leurs  colonies.  On  ne  le  trouve 
pas  sur  les  sculptures  des  roches  du  Maroc  et  du  Fez/.an 
qui  représentent  l'éléphant,  le  bœuf,  le  cheval,  etc.  Les 
tribus  nomades  du  nord  de  l'Afrique  se  servaient  dans  l'an- 
tiquité de  chars  traînés  par  des  bœufs  ou  des  chevaux  pour 
transporter  leurs  biens  à  travers  les  dunes3;  de  nos  jours, 
il  est  impossible  de  traverser  le  désert  sans  l'aide  du  cha- 
meau. Il  n'était  donc  pas  indispensable  dans  ces  régions 
où  abondaient  les  grands  pachydermes,  car  le  chameau  ne 
peut  s'accommoder  des  conditions  climatériques  qui  con- 
viennent à  l'éléphant  Partout  où  l'éléphant  parait  dans  le 
Haut-Nil,  le  chameau  périt  malgré  tous  les  soins  ou  devient 
inutile. 

Les  Carthaginois  furent  le  seul  peuple  de  l'Afrique  qui  ail 
réussi  à  capter  et  à  dresser  l'éléphant  à  la  guerre.  Ce  grand 


.  Ilallelin  dt   ta  Société  dr  Cêographie  de  Paris 


LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE.      467 

pachyderme  s'est  répandu  du  centre  au  nord  de  l'Afrique. 
Le  Sahara  n'opposait  pas  encore  une  barrière  infranchis- 
sable à  l'émigration  de  ces  animaux  vers  le  nord.  Il  a  dû  y 
avoir  des  contrées  bien  arrosées  et  riches  en  pâturages  qui 
formaient  en  quelque  sorte  un  pont  reliant  le  lerriloire  du 
Niger  à  celui  de  l'Atlas.  Dès  que  ce  pont  fut  rompu, les  élé- 
phants du  nord  de  l'Afrique  furent  séparés  du  grand  trou- 
peau de  leurs  congénères  et  destinés  à  périr  sous  un  climat 
qui  ne  leur  était  plus  favorable.  On  ne  peut  pas  attribuer  leur 
destruction  totale  à  l'action  de  l'homme,  car  dans  les  ré- 
gions bien  peuplées  des  Indes,  on  n'a  pas  réussi  à  le  dé- 
truire complètement. 

L'histoire  contemporaine  de  l'Algérie  offre  déjà  de  nom- 
breux exemples  de  fontaines  qui  ont  desséché,  de  vallées 
naguère  verdoyantes  qui  ne  sont  plus  maintenant  qu'argile 
et  que  rochers.  Les  villes  mêmes  n'ont  plus  ni  sources 
ni  puits  ;  il  faut  des  convois  d'eau  pour  la  ville  de  Saint-Denis 
du  Sig  (Elisée  Reclus,  X,  p.  601). 

Plusieurs  points  de  l'Espagne  nous  fournissent  des 
preuves  indubitables  d'une  modification  de  climat.  L'Estra- 
madure,  si  désolée  et  si  dépeuplée  aujourd'hui,  avait  du 
temps  des  Romains  une  population  très  dense.  C'est  là  que 
se  trouvait  la  grande  cité  Colonia  Augusta  Emerita;  ses 
plaines,  si  stériles  actuellement,  donnaient  des  récolles  abon- 
dantes. Ses  cités  ont  été  remplacées  par  la  solitude,  et  les 
bruyères  ont  succédé  aux  céréales. 

La  Gaule  n'a  plus  l'intensité  de  froid  et  la  surabondance 
de  pluies  dont  parlent  les  anciens.  L'Asie  Mineure,  d'après 
les  recherches  de  Tchihalcheff,  est  certainement,  à  l'heure 
présente,  moins  humide  qu'à  l'époque  romaine'. 

Il  n'est  guère  douteux  que  des  changements  physiques 
le  se  soient  accomplis  dans  le  climat  de  la  Syrie  et  de  la 
'alestine,  comme  dans  les  contrées  voisines. 


i.  ,'ttie  Mineure,  II.  p 


468      LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE. 

Palmyre,  la  cité  de  Zénobie,  avant  d'être  détruite  par 
Aurélien,  avait  une  population  de  plusieurs  centaines  de 
mille  âmes.  Pline  parle  de  sa  situation  heureuse,  de  la  ri- 
chesse du  sol  el  de  la  bonté  de  ses  eaux  (Hist.  n«(.,  liv.  V, 
21,  3).  Là  il  y  avait  en  effet  des  sources  en  abondance  et 
une  rivière  qui  arrosait  les  campagnes.  Ptolomée  dit  qu'un 
cours  d'eau  semblable  au  Chrysorhoas  (Barada  de  Damas) 
passait  à  côté  du  temple.  Procope  et  les  auteurs  arabes  des 
x'  et  xn"  siècles  parlent  encore  de  l'abondance  des  sources 
et  des  eaux  courantes  de  Palmyre,  de  ses  vergers  et  de  ses 
champs.  Au  milieu  du  siècle  dernier,  le  voyageur  anglais 
Wood  vit  encore  deux  petits  ruisseaux,  mais  l'eau  était 
devenue  sulfureuse.  De  nos  jours,  tous  les  voyageurs  par- 
lent de  l'extrême  sécheresse,  du  manque  d'eau  potable  ;  un 
seul  ruisselet  coule  au  sud  de  la  ville  et  se  perd  dans  le  sol 
à  peu  de  distance.  Le  climat  est  devenu  plus  sec  et  les 
pluies  ne  suffisent  plus  pour  alimenter  les  sources. 

M.  Cernick  constata,  au  cours  d'un  voyage  qu'il  fit  à 
Palmyre  pendant  l'hiver  1872-1873,  qu'entre  la  vallée  le 
Asy,  près  de  Homs,  et  celle  de  l'Euphrate,  près  Deir,  il  y 
avait  peu  de  sources,  —  el  encore  Iburnissaienl-elles  une 
eau  non  potable,  —  et  que  partout,  même  en  plein  désert,  se 
montraient  des  ruines,  de  nombreuses  traces  d'une  cul- 
ture ordinaire.  Il  vit  en  outre  plus  de  20  grands  pressoirs 
d'huile  creusés  dans  des  grands  blocs  de  basalte,  roche  ab- 
solument étrangère  à  cette  région,  mais  nulle  part  il  n'a 
aperçu  un  olivier,  qui  a  pourtant  une  vie  si  longue  et  si 
tenace. 

De  el  Farclus  jusqu'à  Palmyre,  sur  une  étendue  de 
20  lieues,  il  n'a  pas  trouvé  une  goutte  d'eau,  même  en  hiver, 
et  cependant  il  rencontra  sur  cet  espace  des  constructions 
en  ruine,  des  vestiges  d'ancienne  culture  et  d'habitations. 
Palmyre  même,  conclut-il,  n'a  qu'un  petit  ruisselet,  et  si 
ce  filet  d'eau  venait  à  tarir,  les  derniers  vestiges  de  la  vie 
disparaîtraient,   les  habitants  déjà  si   peu  nombreux  éroi- 


LK  MÉTÉOROLOGIE  nE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRrE.      469 

traient   et  de  nouvelles  ruines   s'ajouteraient  aux  an- 


En  Phénicie,  nous  trouvons  également  des  preuves  d'un 
mat  autrefois  plus  humide.  De  grands  ponts  romains 
>nt  jetés  sur  des  torrenls  actuellement  insignifiants  comme 
Djebailé  (l'ancien  Byblos)  et  à  Maamiltein,au  bas  de  fiha- 
:ir.  Pour  justifier  l'existence  de  ces  ponts,  il  faut,  en  effet, 
ipposer  que  ces  torrents  étaient  jadis  plus  considérables 
D'aujourd'hui  ;  où  ils  n'ont  qu'un  mince  filet  d'eau  après 
e forte  pluie;  le  reste  du  temps  ils  sont  toujours  à  sec. 
e  plus,  on  rencontre  des  murs  d'end  iguement  sur  plu- 
:urs  torrents  des  environs  de  Djebailé  qui,  de  nos  jours, 
mt  plus  d'eau  même  en  hiver5. 

ville  de.  Petra3  fut  à  l'époque  romaine  un  centre  de 
ïimerce  de  40,000  âmes  au  moins.  Aujourd'hui  on  n'y 
■ouverait  pas  même  un  camp  de  Bédouins.  Strabon  parle 
e  l'abondance  de  ses  sources  et  de  ses  jardins.  Pline  dit 
[ue  la  ville  est  traversée  par  une  rivière,  amne  interflitente. 
a  nombreux  ponts,  dont  plusieurs  ruines  existent  encore, 
■ouvent  que  cette  rivière  était  jadis  plus  considérable  que 
e  nos  jours,  où  elle  n'est  plus  qu'un  ruisselet  formé  par  la 
«îrce  d'Ain  Mottsa,  située  près  du  village  d'Eldji.  Cette 
serait  absolument  insuffisante  à  alimenter  une  ville 
ipuleuse  comme  l'était  Petra  et  à  abreuver  ses  troupeaux, 
ion  Laborde  et  Linant  ont  décrit  un  bel  aqueduc,  mais 
s  sources  ne  peuvent  plus  fournir  la  quantité  d'eau  en 
ipport  avec  ce  canal. 

Au  sud-est  de  Petra,  entre  l'Ouadi  Sabra  et  Akabaaïla, 
iborde  a  découvert  les  ruines  d'une  ville  qui  témoignent 
icore  d'un  étal  jadis  riche  et  florissant.  Des  ponts  ruinés, 
s  et  des  barrages  prouvent  que  l'eau  n'y  manquait 


.  PeUrmann'i  MUtheiiuntjen,  lùyiiniunijsiiej'l,  n°  14,  p.  9  el  1 
i  Renau,  Million  de  Phénicie,  p.  174. 
.  Fischer,  op.  cit.,  p.  43. 


470 


LA  MÉTÉOROLOGIE   HE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SÏRIE. 


pas  autrefois;  des  amas  de  pierres  dont  on  nettoyait  1 
champs,  des  murs  retenant  la  terre  arable  sur  les  pentes 
des  collines,  la  division  des  champs  par  des  bancs  de  menus 
cailloux,  datent,  suivant  Laborde,  de  l'époque  nabatéenne, 
démontrant  que  ces  régions  étaient  jadis  bien  peuplées.  Le 
désert  et  la  solitude  ont  succédé  à  cet  état  de  prospérité'. 

Lors  de  l'invasion  des  armées  assyriennes  en  Arabie,  la 
pénurie  d'eau,  obstacle  principal  des  marches  dans  ces 
contrées,  se  Taisait  moins  sentir  qu'aujourd'hui.  De  nos 
jours,  une  armée  y  périrait  (Revue  drs  questions  scienti- 
fique», 1885,  p.  164). 

D'après  les  explorateurs  Pal  mer  et  Drack-,  le  désert  de 
et  Tih,  cette  région  comprise  entre  la  Palestine  et  la  pres- 
qu'île du  Sinaï,  est  habitée  par  4,000  Bédouins  qui  y  trou- 
vent à  peine  leur  subsistance.  Ils  sont  toujours  en  guerre 
pour  des  sources  et  de  maigres  pâturages.  C'est  le  désert  sans 
eau,  sans  arbres  ni  végétation.  Cependant  on  rencontre 
partout  des  vestiges  d'une  culture  disparue,  des  ruines  de 
fontaines  dans  une  région  absolument  dénuée  d'eau,  des 
terrasses,  des  restes  d'anciennes  villes.  C'est  dans  ce  désert 
actuellement  si  aride  et  sî  désolé  que  les  Hébreux  errèrent 
pendant  dix  ans,  et  ils  y  trouvèrent  de  l'eau  et  les  pâturages 
nécessaires  à  l'entretien  de  leurs  troupeaux.  Le  manque 
d'eau  a  rendu  le  sol  stérile. 

La  source  de  Moïse,  au  Sinaï,  qui  abreuva  si  longtemps 
le  peuple  bébreu,  ne  suffirait  pas  aujourd'hui,  suivant 
Praas,  a  2,000  hommes. 

La  Pali'slinc,  comme  les  pays  limitrophes,  est  devenue 
plus  ikoho  i'I  plui  aride.  «  Dieu  vous  introduira  dans  une 
lionne  terre,  (Un*  une  terre  pleine  d'eau,  de  ruisseaux  et 
de  rOAtAlneft,  ûu  lus  MHirces  de  rivières  jaillissent  en  abon- 
dance it;iu  -  lei  pUlnfll  et   les  montagnes  n  (Deut.,  VIII,  7). 


IMImiT,    l'ht  durrl  nf  fhr    f«l*)|, 


LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE.       il  I 

Ce  passage  n'est  plus  applicable  à  la  Palestine  actuelle,  qui 
est  aujourd'hui  pauvre  en  cours  d'eau  permanents.  Outre 
le  Jourdain,  elle  n'a  ni  fleuve,  ni  rivière  qui  mérite  ce 
m.  Tous  les  affluents  du  Jourdain,  sauf  le  Yarmouk  et  le 
Kerka,  sont  éphémères  et  ne  donnent  de  l'eau  que  pendant 
les  pluies.  Les  torrents  côtiers  sont  à  sec  dans  tout  leur 
parcours  pendant  une  grande  partie  de  l'année;  d'autres 
n'ont  de  l'eau  que  dans  leur  cours  inférieur,  près  de  la 
mer,  comme  le  Nahr  Andje  et  le  Nahr  Mokatta. 

Tous  les  voyageurs  ont  été  frappés  de  la  pénurie  d'eau 
vive  en  Palestine.  Les  sources  sont  rares  dans  la  Judée,  un 
peu  plus  fréquentes  à  mesure  qu'on  avance  vers  la  Galilée; 
mais  des  sources  abondantes  et  pérennes  capables  de  tour- 
ner un  moulin  ou  de  donner  naissance  à  un  cours  d'eau, 
sont  très  peu  nombreuses.  Un  grand  nombre  tarissent  en 
été,  et  le  débit  des  autres  diminue  tellement  qu'à  une  faible 
distance  de  la  source  l'eau  se  perd  dans  le  sol  ou  disparait 
par  évaporation.  A  Nazareth,  il  y  a  deux  fontaines  :  l'une 
tarit  communément  en  été;  l'autre,  la  fontaine  delà  Vierge, 
ne  débite,  suivant  M.  Schumacher,  que  tiOO  litres  par 
heure;  c'est  bien  peu  de  chose  pour  une  popuialion  de 
7,500  âmes. 

Des  villages  paraissent  avoir  été  nommés  d'après  une 
source  qu'ils  possédaient  jadis.  La  source  a  disparu  et  le 
nom  est  resté  à  la  localité;  ainsi  les  villages  Ain  (source) 
Ghems,  Aïn  Jebrud,  etc.,  n'ont  plus  de  sources,  pas  même 
dans  leur  voisinage. 

Le  grand  nombre  de  réservoirs,  de  puits  et  de  citernes 
répandus  dans  toute  la  région  ne  prouve  pas  qu'il  y  ait 
eu  pénurie  d'eau  dans  l'antiquité  comme  aujourd'hui,  car 
a  des  puits  et  des  citernes  dans  des  districts  où  l'eau 
est  abondante.  Le  puits  de  Jacob  se  trouve  dans  le  voisi- 
nage de  Naplouse,  qui  se  vante  d'avoir  60  sources.  De  nos 
jours,  il  y  a  des  villages  suffisamment  pourvus  d'eau  de 
source  où  des  maisons  possèdent  une  citerne;  en  outre, 


472      LA  MÉTÉOilOLOGIE  I>E   LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE. 

les  puits  et  les  citernes  datent  un  peu  de  tous  les  âges  : 
des  temps  bibliques,  de  l'époque  romaine,  du  moyen  âge  et 
des  temps  modernes.  Si  l'on  pouvait  fixer  l'époque  exacte 
de  chacune  de  ces  constructions,  on  trouverait  sans  doute 
que  les  puits  et  les  citernes  qui  sont  postérieurs  aux  temps 
bibliques  sont  bien  plus  nombreux  que  ceux  qui  ont  été 
construits  par  les  Hébreux;  d'ailleurs,  supposons  que  la 
plupart  de  ces  travaux  hydrauliques  aient  été  accomplis 
par  les  Hébreux,  il  en  résulterait  que  les  pluies  eussent  été 
plus  abondantes  à  celte  époque,  car  de  nos  jours  l'eau  plu- 
viale, dont  la  moyenne  est  de  60  centimètres,  serait  insuffi- 
sante à  les  remplir  et  à  fournir  une  provision  d'eau  néces- 
saire pour  6  ou  7  mois  consécutifs  de  sécheresse  ;  enfin,  le 
grand  nombre  de  citernes,  de  puits  et  de  bassins  témoi- 
gne plutôt  d'une  population  considérable  et  d'immenses 
troupeaux  de  bestiaux  et  de  moutons  qui  se  comptaient 
par  centaines  de  milliers. 

La  diminution  des  pluies  a  non  seulement  desséché 
nombre  de  sources  et  de  cours  d'eau,  mais  a  amené  la  sté- 
rilité du  sol,  et,  par  suite,  la  dépopulation  de  la  contrée;  car 
la  population  aux  temps  bibliques  a  été  6  ou  7  fois  plus 
grande  que  de  nos  jours.  La  Bible  nous  fournit  quelques 
renseignements  statistiques  à  cet  égard.  D'après  un  passage 
des  Nombres  (I,  16),  lesHébreux,  en  entrant  dans  la  terre 
promise,  comptaient  603,500  hommes  capables  de  porter 
les  armes.  Les  Israélites  formaient  donc  une  population  de 
2  à  3  millions  d'âmes  environ.  La  population  allait  toujours 
en  croissant,  et  le  recensement  ordonné  par  David  donnait 
un  chiffre  de  1,300,000  à  1,400,000  hommes  en  état  de 
porter  les  armes  (Il  Livre  des  Rois,  en.  24,  9;  Paralip-,  I, 
21,5),  ce  qui  suppose  une  population  de  5  à  6  millions 
d'âmes.  Les  tribus  de  Lévi  et  de  Benjamin  ne  sont  pas  com- 
prises dans  ce  nombre.  La  Judée  seule  fournissait  un  con- 
tingent de  470,000  combattants.  Josèphe  dit  que  la  Galilée 
était  extrêmement  populeuse  à  cause  de  la  richesse  du  sol 


LA  KSTEOIIOLOCIE  HE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE.      473 

Or,  la  Palesu'ne  compte,  depuis  Dan  jusqu'à  Barsebée, 
225  kilomètres  environ  de  longueur  et  10  kilomètres  de  lar- 
geur moyenne,  ce  qui  fait  une  superficie  de  16,000  kilomètres 
carrés.  La  population  kilométrique  était  de  312  habitants. 
La  Terre  Sainte  était  plus  peuplée  qu'aucun  État  d'Europe 
ne  l'est  de  nos  jours.  En  1897',  la  Belgique  comptait 
220  habitants  par  kilomètre  carré,  l'Italie  169,  la  Grande- 
Bretagne  126,  l'Allemagne  97  et  la  France  72.  Dans  tous 
ces  pays,  l'industrie  est  très  développée,  et  l'industrie  peut 
occuper  et  nourrir  une  population  plus  grande  que  l'agri- 
culture et  l'élevage  du  bétail.  Il  faut  donc  admettre,  et  les 
témoignages  de  la  Bible  le  confirment,  que  les  productions 
du  sol  ont  dû  être  prodigieusement  abondantes  pour  nourrir 

3  population  aussi  dense  que  celle  de  la  Palestine  au 
temps  de  David.  Or  celte  fécondité  du  sol  parait  être  incom- 
patible avec  le  climat  présent,  car,  dans  les  conditions 
météorologiques  actuelles,  il  serait  impossible  à  5  millions 
d'habitants,  vivant  principalement  des  produits  du  sol  et  de 
l'élève  du  bétail,  de  trouver  leur  subsistance  sur  une  étendue 
de  16,000  kilomètres  carrés  qui,  de  nos  jours,  peut  à  peine 
nourrir  700,000  habitants  occupant  le  territoire  de  l'an- 
cienne Palestine. 

Pour  nous  en  convaincre,  il  suffit  de  comparer  la  ferti- 
lité de  l'ancienne  Palestine  avec  celle  de  nos  jours.  L'un  des 
principaux  produits  du  sol,  aux  temps  bibliques,  futle  blé. 
D'une  qualité  exceptionnelle  et  très  appréciée  à  l'étranger, 
le  froment  fut  utilisé  avec  l'orge  dans  toutes  les  parties  de 
la  Palestine,  et  le  rapport  dépassait  de  beaucoup  les  besoins 
des  habitants,  pourtant  si  nombreux,  Salomon  pouvait  dont 
ner  chaque  année  20,000  cars  de  froment  à  Diram  et  au- 
tant aux  ouvriers  occupés  à  la  construction  du  temple,  ce 
qui  fait  une  somme  totale  annuelle  de  135,000  hectolitres, 
sans  compter  le  froment  livré  au  commerce  des  Phéniciens 


1,  Revue  scienlifalU,  19  mars  ma,  p.  S79, 


■474  LA  MÉTÉOROLOGIE  EJE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE. 

et  la  quantité  plus  considérable  qu'une  population  de  5  mil- 
lions d'habitants  consommait  chaque  année,  car  le  pain  Tut 
le  principal  aliment  des  Hébreux.  Le  sol  était  éminemment 
favorable  à  cette  culture,  et  les  récoltes  donnaient  30, 
60  et  100  fois  la  semence. 

De  nos  jours  le  rapport  du  froment  est  médiocre,  même 
dans  les  régions  bien  cultivées,  et  ne  dépasse  guère  7  ou 
8  pour  1  '. 

Dans  certaines  parties  de  la  Judée,  la  culture  du  froment 
est  devenue  impossible,  les  eaux  pluviales  ont  emporté  la 
terre  arable  et  mis  les  rochers  à  nu;  dans  d'autres  districts, 
la  couche  terreuse  est  trop  mince  pour  retenir  l'humidité, 
un  jour  de  soleil  suffit  pour  la  dessécher  complètement.  En 
général,  on  y  compte  une  honne  récolte  sur  trois  médiocres 
ou  mauvaises.  Les  grains  confiés  au  sol  des  plateaux  ou  des 
pentes  qui  ne  reçoit  pas  d'engrais  rapportent  le  double  ;  les 
récoltes  dans  les  vallées  des  environs  d'Hébron  bien  culti- 
vées et  fumées  donnent  le  quadruple  de  la  semence  pour  le 
froment  et  le  quintuple  pour  l'orge. 

Mais  c'est  la  plaine  des  Philistins  qui  peut  nous  donner 
une  idée  de  ce  que  put  être  la  fertilité  de  l'ancienne  Pales- 
tine. Les  collines  sont  formées  de  calcaire  crayeux  et  la 
plaine  proprement  dite  d'alluvion.  Ici  comme  ailleurs,  le 
rendement  varie  suivant  les  conditions  météorologiques  et, 
la  bonté  du  sol.  Si  les  pluies  du  mois  d'avril  sont  tombées  à 
propos,  ni  trop  lût  ni  trop  tard  et  en  quantité  suffisante, et 
si  le  vent  du  désert  n'a  pas-  soufflé  au  printemps,  les  grains 
de  froment  confiés  à  une  terre  bien  cultivée  peuvent  rap- 
porter de  !i  jusqu'à  30  pour  4,  et  ceux  de  l'orge  de  20  jus- 
qu'à 120  pour  1. 

La  plaine  d'Esdralon  ne  reçoit  pas  d'engrais;  le  maximum 
de  rapport  y  est  10  pour  1,  et  le  minimum  4  pour  1,  c'est- 
à-dire  la  semence.  La  moyenne  de  10  ans  est  7  à  8  pour  4. 


ilerliiiil,  /.filsclirifl  rfe»  falaiKtina-VtTtinx,  IX.  |>.  46-51 


LA  MÉTÉOROLOGIE  IIE  H  PALESTINE  ET  IIF  LA  SYME. 

L'orge  n'y  réussit  guère  à  cause  de  la  trop  grande  humidité 
de  l'hiver. 

Dans  les  montagnes  de  Nazareth  el  d'Ephraïm,  dont  le  sol 
est  calcaire,  le  rendemenL  maximum  est  13  pour  1  et  peut 
être  nul  l'année  où  paraissent  les  criquets.  La  moyenne  est 
0  pour  1. 

De  ce  qui  précède,  il  résulte  que  la  fertilité  de  la  Pales- 
tine n'est  plus  ce  qu'elle  était  aux  temps  bibliques. 

Maïs  on  dit  que  la  stérilité  actuelle  n'est  qu'apparente  et 
a  sa  source  dans  l'incurie  des  habitants,  el  que,  si  l'on  se  don- 
nait la  peine  de  cultiver  la  lerre,  la  Palestine  deviendrait 
de  nouveau  une  terre  de  froment  et  d'orge. 

H  est  peu  probable  que,  dans  les  conditions  météorolo- 
giques actuelles,  le  meilleur  mode  de  culture  puisse  rendre 
à  la  Terre  Sainte  sa  première  prospérité.  Près  de  Jaua  et  à 
Calfa,  sont  établis  des  templiers  allemands  qu'il  serait  bien 
difficile  d'accuser  d'incurie  et  d'insouciance;  ils  ne  négli- 
gent rien,  ni  travail,  ni  engrais,  pour  faire  rendre  au  sol 
tout  ce  qu'il  peut  produire. Or, le  maximum  du  rendement  de 
froment  a  été  30  pour  \  elle  minimum  de  4  jusqu'à  6  pour 
1.  La  moyenne  de  plusieurs  années  est  H  pour  1 .  Quant  à 
l'orge,  le  maximum  derapport  a  été  50  pour  1,  la  moyenne 
est  15 pour  l.A  Calfa,  le  sol  est  formé  d'alluvions  calcaires, 
et  le  rendement  moyen  du  froment  est  7  pour  11  et  de  l'orge 
6  pour  1,11  est  manifeste  que  la  quantité  de  blé  que  le  sol  pa- 
lestinien convenablement  cultivé  peut  produire  aujourd'hui 
est  bien  inférieure  àcelle  qu'il  rapportait  aux  temps  bibliques. 
[I  lui  faut  donc  autre  chose  que  la  culture  européenne  ;  il  lui 
faut  précisément  ce  qui  constituait  son  ancienne  fertilité, 
l'eau  du  ciel,  des  pluies  plus  abondantes  et  réparties  d'une 
façon  plus  favorable  àla  végétation. De  tout  temps,  l'eau  atmo- 
sphérique a  été  la  première  condition  de  la  fécondité  de  la 
Terre  Sainte.  La  Bible  semble  toujours  faire  dépendre  la 
richesse  du  sol  palestinien  des  pluies  pluldt  que  du  travail 
des  habiianls.  Si  Dieu  donnait  la  pluie,  la  pluie  précoce  et 


LA  MÊTÉOIIOLOGIE  DE  LA  V ALF.STWË  ET  DE  LA  SVltlE. 

la  pluie  tardive,  les  Hébreux  nageaient  dans  l'abondance  e 
ne  manquaient  d'aucune  chose;  mais  si  Jéhova  la  refusai 
la  terre  ne  produisait  rien,  elle  était  frappée  de  stérilité 
(Deut.,\I,  10,  11;  Joël,  II,  23).  Sous  ce  rapport,  la  Palestini 
n'a  pas  changé.  De  nos  jours,  si  les  pluies  ontété  suffi 
à  l'époque  des  semis,  de  la  floraison  et  du  déveioppemei 
des  grains  de  blé,  une  bonne  récolte  est  assurée;  mais  s 
l'eau  pluviale  manque  à  une  époque  quelconque  de  la  saison 
humide  ou  si  les  vents  d'est  et  du  sud-est  ont  desséché  le 
sol  en  faisant  évaporer  toute  humidité,  les  moissons  sont 
compromises.  En  général,  la  richesse  des  récoltes  augmente 
dans  la  même  proportion  que  les  pluies.  A  quoi  se  réduisent 
aujourd'hui  la  pluie  précoce,  celle  qui  tombe  au  mois  d'oc- 
tobre à  l'époque  des  semis,  et  la  pluie  tardive,  qui  arrive  au 
mois  d'avril  à  l'époque  de  la  formation  et  du  développe- 
ment des  grains  de  blé?  La  pluie  précoce  ne  dépasse  pas 
9  millimètres  et  la  pluie  tardive  4  centimètres.  C'est  la 
moyenne  de  3(1  ans.  Or,  cette  quantité  est  insuffisante 
pour  assurer  une  riche  récolte,  quelle  que  soit  d'ailleurs 
la  culture.  Si  la  Palestine  a  été  autrefois  plus  fertile  que 
mainlenant,  comme  il  n'est  guère  permis  d'en  douter,  les 
pluies  ont  été  plus  abondantes  et  surtout  mieux  réparties. 

S'il  faut  encore  des  preuves  en  faveur  d'un  changement 
de  climat,  la  considération  des  richesses  pastorales  et  de  la 
disparition  des  forêts  va  nous  les  fournir. 

Mesa,  roi  de  Moab,  nourrissait  d'immenses  troupeaux,  il 
devait  payer  au  roi  d'Israël  un  tribut  annuel  de  100,000  bé- 
liers avec  leur  toison  et  100,000  agneaux  (IV,  Reg.,  111,  20). 
Salomon  entretenait  52,000  chevaux  (III,  Reg.,  IV,  26),  ei 
à-  la  dédicace  du  temple,  il  immola  23,000  bœufs  et  100,000 
brebis  (III,  Keg.,  VII,  03).  Les  tribus  occidentales  devaient  à 
Salomon  une  prestation  annuelle  d'environ  3,000  bœufs  gras, 
6,000bœufs  de  pâture  et  35,000  moutons  (III,  Reg.,  IV,  23). 
Les  Hébreux  ravissaient  aux  Madianites,  comme  butin  de 
guerre  :  075,000  montons,  72,000  bœufs  et  61 ,000  ânes. 


LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE   ET  DE  LA  SYRIE.       477 

Une  telle  richesse  pastorale  appartenant  à  un  peuple  se- 
mtaire  et  agriculteur  suppose  nécessairement  de  grands 
>àturages,  de  vastes  prairies.  En  effet,  la  plaine  de  Saron 
renommée  pour  ses  riches  pacages  éminemment  pfo- 
i  à  l'élevage  du  bétail  ;  Josèphe  nous  vante  les  grasses 
■airies  de  la  Galilée,  et  les  tribus  de  Ruben  et  de  Gad 
clamèrent  les  immenses  pâturages  situés  au  delà  du  Jour- 
siii.  Mais  les  prairies  exigent  un  climat  plus  humide  que 
:elui  d'aujourd'hui.  Si  l'Angleterre  et  la  Flandre  sont  des 
de  pâturages,  c'est  surtout  en  raison  de  l'humidité  de 
mr  climat.  De  nos  jours,  on  ne  voit  nulle  part,  en  Pales- 
ine  et  en  Syrie,  des  prairies  proprement  dites,  c'est-à-dire 
des  terrains  couverts  de  plantes  herbacées  consommées 
sur  place  par  les  bestiaux,  car  elles  ne  peuvent  supporter 
la  longue  sécheresse  de  l'été.  On  n'y  trouve  d'autre  végéta- 
tion que  celle  des  steppes.  Les  plaines  se  couvrent  d'ané- 
de  liliacées,  de  crucifères,  de  labiées  et  de  carduées, 
nais  les  plantes  fourragères  manquent  complètement. 

D'ailleurs  l'humus,  la  terre  végétale  proprement  dite  sans 
laquelle  les  prairies  naturelles  sont  impossibles,  fait  entière- 
nent  défaut  en  Palestine.  La  formation  de  l'humus  a  lieu, 
uivant  Fraas,  dans  les  pays  d'Europe,  pendant  l'hiver  où  la 
régélion  subit  une  interruption.  Les  feuilles  des  arbres  tom- 
>ent,  les  herbes  se  fanent  et  restent  sur  le  sol.  La  neige  ou 
a  basse  températureles préserve  d'une  décomposition  com- 
plète. Au  printemps,  les  plantes  renaissent,  couvrent 
omptemeni  les  resles  des  végétaux  à  moitié  décomposés 
t  les  protègent  contre  les  rayons  solaires  qui  achèveraient 
.  décomposition.  Chaque  année,  il  se  forme  une  pellicule 
s  qui  s'ajoute  à  celles  des  années  précédentes  ei 
ugmente  insensiblement  cette  terre  noire  nécessaire  à  la 
irmation  du  gazon,  au  succès  des  prairies  et  à  la  produc- 
ion  des  plantes  fourragères. 

n'eu  est  pas  de  même  dans  les  pays  qui  n'ont  qu'un 
iltt   nombre   de  jours    pluvieux    dans    l'année,  comme 

SOC.    CE   GÉOGR.  —  4'  TRIMESTRE    1839.  XX.   —  33 


478      LA  MÉTÉOROLOGIE  DE   LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE. 

l'Egypte,  l'Arabie  et  la  Palestine.  La  saison  de  sécheresse 
y  dure  six  ou  huit  mois,  et  la  température  descend  rarement 
a  7-êrn.  L'interruption  de  la  végétation  a  lieu  pendant  la 
saison  sèche  et  chaude,  les  plantes  herbacées  se  dessèchent 
et  ?e  décomposent  totalement,  et  l'humus  ne  peut  se  former. 

Une  telle  richesse  pastorale  suppose  des  prairies,  les  prai- 
ries de  l'humus,  et  l'humus  un  climat  plus  humide  et  diffé- 
rent de  celui  de  nos  jours.  Dans  les  conditions  climaté- 
riques  actuelles,  la  culture  la  plus  intelligente  et  la  meilleure 
administration  ne  pourront  guère  restituer  à  la  (erre  de 
Chanaan  ses  anciennes  prairies. 

Une  terre  ruisselant  de  lait  et  de  miel  devait  avoir  non 
seulement  des  prairies,  mais  des  forêts.  Le  Liban  avait  ses 
cèdres  et  l'Hermon  ses  cyprès.  Les  forets  ont  disparu  au- 
jourd'hui. La  Judée  ne  produit  pas  même  le  bois  nécessaire 
pour  faire  les  cercueils,  à  plus  forte  raison  pour  les  con- 
structions; le  bois  lui  vient  aujourd'hui  de  Marseille  ou  de 
Trieste.  Au  mont  Carmel.  il  n'y  a  plus  de  forêls  habitées  par 
les  ours  ;  laforet  d'Haret.  où  David  se  retira,  n'existe  plus,  ni 
celle  de  Bethel,  d'où  Elisée  fit  sortir  les  ours  pour  punir  les 
enfants  qui  l'insultaient;  la  loi  de  Moïse  :  <  si  quelqu'un  va 
avec  son  voisin  dans  la  forêt,  etc.  », serait  inutile  aujourd'hui  ; 
de  même  on  ne  comprendrait  pas  comment  les  Gabaonites 
ont  pu  Stre  condamnés  à  porter  de  l'eau  et  à  couper  du  bois 
pour  le  service  du  temple  et  du  peuple. 

De  loin,  on  voit  encore  sur  les  pentes  de  quelques  mon- 
tagnes des  taches  sombres  et  vertes  qui  ont  toutes  les  appa- 
rences de  forêts,  mais  lorsqu'on  les  examine  de  près,  elles 
se  réduisent  à  des  fourrés  de  broussailles,  à  des  arbustes  de 
1  à  4  mètres  de  hauteur  qu'on  désigno  comme  des  forêts; 
mais  les  bois  de  haute  fatale  manquent  partout. 

On  trouve  encore  les  arbres  mentionnés  dans  la  Bible, 
mais  quelques-uns  ne  prospèrent  plus,  leur  tronc  est  ra- 
bougri et  leur  végétation  chétive  comme  s'ils  avaient  été 
transplantés  dans  un  pays  dont  le  climat  ne  leur  est  plus 


L*  MÉTÉOriOLOCIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SïniE.       47°. 

favorable.  Les  pins  réussissent  mieux  sur  la  côte  et  sur  les 
pentes  exposées  aux  vents  humides  que  dans  l'intérieur  de 
la  Palestine. 

La  Palmaraie  de  Jéricho,  autrefois  si  bien  arrosée,  avait, 
suivani  Strabon,  100  stades  oulSkilomèlresde  long,  et, sui- 
vant Josèpbe  70  stades  de  long  et  20  stades  de  large,  environ 
5,000  hectares.  Aujourd'hui,  les  dattiers  ont  complètement 
disparu  de  Jéricho  et  d'Etigaddi  ;  ils  n'y  croissent  plus 
faute  d'humidité  ;  car  le  palmier  a  le  pied  dans  l'eau  et  [a 
tête  dans  le  feu,  comme  disent  les  Arabes.  La  source  d'Aîn 
Soultan,  quoique  abondante,  ne  pourrait  fournir  la  quantité 
d'eau  nécessaire  à  l'irrigation  d'une  étendue  aussi  consi- 
dérable. 

Les    cèdres  couvraient  jadis   les  sommets   du  Liban  et 
mrnissaient  le  bois  aux  Hottes  phéniciennes  et  aux  con- 
structions du  temple  et  des  palais  de  Jérusalem.  Aujour- 
d'hui il   ne  reste  que  400  arbres  eu  tout;  mais  les  cèdres 
nts  qu'on  croit  avoir  été  les  contemporains  de  Su  lo  ni  on 
nt  peu  nombreux  et  destinés  a  disparaître  a  breF  délai. 
En  1550,  Bellonius   compta  28  vieux  cèdres;  en   1573, 
taucbwoll'en  trouvait;  en  1754,  Pococke  en  vit  encore  15 
i  1810,  liurkhardleu  compta  H  à  13;  en  1836,  Russegger 
n'en  trouva  plus  que  7  et  aujourd'hui  il  n'en  reste  que  5 
Innt  le  plus  gros  mesure,  à  00  centimètres  au-dessus  du  sol. 
Ode  circonférence.  On  peut  conclure  d'après  celte 
ninution  progressive  qu'en  1950,  il  n'en  resli'ra  pas  un; 
i  meilleure  preuve  que   le  climat  ne  leur  convient 
lus,  ils  prospèrent  mieux  dans  l'Europe  centrale.  Les  plus 
innés  cèdres  ont  un  diamètre  de  20  à  30  centimètres,  ce 
i  suppose  un  âge  de  100  à  150  ans, 
Rustem  Pacha,  ancien  gouverneur  du  Liban,  afin  de  favo- 
r  le  développement  de  ces  arbres,  fit  entourer  le  bosquet 
d'un  mur  pour  empêcher  les  chèvres  et  les   moutons  d'y 
iller  piétiner  le  sol  et  brouter  les  jeunes  pousses;  il  y  a 
iSme  établi  un  gardien  qui  veille  à  ce  que  les  arbres  ne 


480  LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  I»E  LA  SYRIE. 

soient  pas  endommagés  par  le  couteau  des  touristes  et  la 
hache  du  bûcheron.  Mais  depuis  plus  de  vingt  ans  on  ne  voit 
pas  un  seul  jeune  cèdre  repousser. 

Quelques  voyageurs  ont  par  erreur  signalé  la  présence 
des  cèdres  au  Djebel  Baruk,  près  de  Ain  Zehal ta,  et  àHadet, 
près  Tannourine.  Fraas  les  a  étudiés  et  a  trouvé  que  ce  ne 
sont  pas  des  cèdres  véritables,  mais  des  cyprès  horizontaux 
qui  ont  une  très  grande  analogie  avec  les  cèdres  du  Liban  ; 
d'ailleurs  les  indigènes  semblent  les  en  distinguer;  ils  appel- 
lent les  arbres  de  Hadet  e(  de  Ain  Zehalta  «  Cherbi  t  et  les 
arbres  au-dessus  de  Becharra,  les  cèdres  proprement  dits, 
c  Arz  »'. 

Boissier,  l'auteur  de  la  Flore  orientale,  ne  paraît  pas  les 
avoir  vus  lui-même;  il  ne  signale  leur  présence  dans  ces 
deux  localités.  Aï  ri  Zehalta  et  Hadet,  que  sur  le  témoignage 
d'une  lettre  de  Blanche. 

Mais  il  y  a  plus.  Tout  près  de  cèdres,  à  coté  de  la  souri 
du  NahrKadieha,  se  trouvent  des  tufs  calcaires  remplis  d'ei 
preintes  de  feuilles  ayant  appartenu  au  hêtre,  à  l'orme,  au 
noisetier  et  aux  chênes  (Quercus  pedunculala  et  sessili- 
flora);  or,  tous  ces  arbres  ne  croissent  plus  à  l'état  spoutané 
dans  le  Liban;  ils  ont  émigré  vers  les  régions  plus  humides  : 
t'Anatolie,  l'Arménie, la  Grèce,  etc.  LeschCnes,  qui  ont  dis- 
paru du  Liban,  forment  de  nos  jours  de  belles  forêts  dans  le 
nord  et  au  centre  de  l'Europe.  M  y  a  bien  encore  des  chênes 
au  Liban,  mais  ce  ne  sont  pas  les  mêmes  espèces. 

Tous  ces  faits  tendent  à  prouver  que  le  climat  a  subi  une 
modification;  il  est  devenu  plus  sec,  les  pluies  sont  deve- 
nues insuffisantes  au  développement  des  forêts. 

Mais  c'est  à  la  disparition  des  forêts,  dit-on,  qu'il 
attribuer  la  diminution  des  pluies  et,  par  suite,  la  plus 
moins  grande  aptitude  cullurale  des  terres,  car  il  n'est 
douteux  (?)  que  les  forêts    augmentent  et  régularisent 

1.  FraaK,  Orei  Mvttate  am  Libawm,  p. 


z 


LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SÏRIE.      481 

pluies.  Les  environs  de  Nazareth  sont  boisés,  c'est  pour 
cette  raison  que  les  pluies  y  sont  plus  abondantes  et  plus 
régulières  qu'à  Jérusalem  '. 

Nous  faisons  remarquer  que,  s'il  pleut  plus  à  Nazareth 
qu'à  Jérusalem,  cela  tient  à  la  configuration  de  la  contrée 
plutôt  qu'à  la  présence  des  bois.  En  effet,  la  ville  de  Naza- 
reth es!  plus  rapprochée  de  la  mer,  et  les  vents  pluvieui 
rencontrent  à  peu  près  directement  les  monlagnes  assez 
élevées  (500  à  600  mètres)  des  environs  de  Nazareth,  tandis 
que  Jérusalem  est  plus  éloignée  de  la  mer,  et  les  courants 
aériens,  chargés  de  vapeur  d'eau  en  passant  sur  les  plaines 
de  la  c&te  et  sur  les  premiers  plateaux  des  montagnes  de  la 
Judée,  abandonnent  une  partie  de  leur  fardeau  avant  d'at- 
teindre Jérusalem.  En  outre,  Beyrouth  reçoit  30  centimètres 
environ  plus  d'eau  que  Nazareth,  et  pourtant  il  n'y  a  pas  de 
forêts  dans  les  environs,  car  le  Liban  est  dénudé  et  il  ne 
vient  à  la  pensée  de  personne  d'invoquer  la  présence  de 
quelques  pins  situés  au  sud  de  la  ville  pour  expliquer  cet 
excédent  d'eau  pluviale.  Cette  augmentation  est  due  à  la 
configuration  de  la  région.  Les  vents  pluvieux  venant  de 
la  mer  vont  se  heurter  contre  les  pentes  du  Liban,  qui  se 
dresse  derrière  la  ville  jusqu'à  2,000  mètres  de  hauteur  : 
les  vapeurs  se  condensent;  enfin  la  régularité  des  pluies  est 
aussi  grande  à  Beyrouth  qu'à  Nazareth.  Il  pleut  moins  à 
Tibériade  et  à  Jaûa,  il  est  vrai,  niais  la  régularité. y  est  bien 
plus  grande  qu'à  Nazareth,  et  pourtant  il  n'y  apasdefor&ts 
dont  on  puisse  invoquer  l'action  régulatrice. 

D'ailleurs  il  n'est  pas  démonlré  jusqu'à  ce  jour  que  les 
forèls  exercent  une  influence  sur  la  quantité  annuelle  et  la 
régularité  des  pluies.   La  seule  action  bien  constatée  des 

êls  est  leur  influence  protectrice  sur  le  sol  ;  elles  re- 
tiennent les  terres  et  les  empêchent  d'être  entraînées.  Ainsi 
dans  les  pays  de  montagnes  elles  arrêtent  les  torrents,  mais 


t.  AnderlindjZeilicftri'/f  tltt  Pataextina  l'ereins,  1885,vol.VllI,p. 


482      LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE. 

on  ne  saurait  nullement  affirmer  qiie  le  déboisement  a  pom 
conséquence  de  diminuer  la  proportion  annuelle  de  pluie 
«car,  dit  M.  Bouquet  de  laGrye,  on  ignore  encore  si  la  pré 
sencedes  forets  augmentela  quantité  de  pluie  et  leur  régu- 
larité ;  dé  même,  est-ce  parre  que  les  pluies  sont  fréquentes, 
que  certaines  régions  de  la  France  sont  bien  boisées  ou  esl-ce 
parce  qu'elles  son L boisées  que  les  pluies  y  sont  fréquentes?  > 
Tout  porle  à  croire  que  les  phénomènes  météorologiques 
qui  déterminent  la  condensation  des  eaux  atmosphériques 
se  passent  à  des  hauteurs  bien  supérieures  à  celle  des  mas- 
sifs boisés.  C'est  à  la  configuration  du  sol  et  à  la  direelim 
générale  des  courants,  bien  plusqu'a  la  végétation,  que  d< 
être  attribuée  la  fréquence  des  pluies.  Les  contrées  comme 
la  Bretagne,  la  Normandie,  qui  reçoivent  directement  les 
Courants  du  sud-ouest  et  de  l'ouest,  sont  pluvieuses  ;  les 
montagnes,  sur  les  versants  desquelles  les  courants  aériens 
s'élèvent  et  se  refroidissent,  reçoivent  de  grandes  quantités 
de  pluies;  les  plaines,  sur  lesquelles  les  courants  s'échauf- 
fent et  se  dilatent,  sont  en  général  saches.  En  somme,  le 
reboisement  peut  sans  doute  atténuer  l'évapor.'ition  du  sol 
et  y  maintenir  quelque  fraîcheur,  mais  cet  effet  lout  local 
ne  semble  pas  avoir  une  influence  très  appréciable  sur  h 
climat  d'une  contrée1. 

Les  changements  climalériques  ont  une  cause  beaucoup 
plus  générale  que  le  déboisement  de  quelques  portions  du 
sol.  L'homme  peut  agir  sur  le  sol,  mais  les  grands  courants 
atmosphériques,  qui  déterminent  le  climat,  échappent  com- 
plètement à  son  action. 

«C'est  en  vain, dit  M.  de  Lapparent,  qu'on  voudrait  attri- 
buer ces  changements  {de  climat)  à  l'intervention  de 
l'homme  et  en  particulier  à  l'influence  du  déboisement. 
L'homme  n'est  pour  rien  dans  le  dessèchement  du  Sahara 
si   bien  pourvu  d'humidité  jadis...  Il  vaut  mil 


as- 
inn 
oit 


il 
e 

P 


Ohm  icieiHifii/w,  189-r>,  SO  avril,  p.  , 


LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA    PALESTINE  ET  DE  LA  STRIE.      iK.l 

que  nous  ignorons  encore  les  lois  qui  gouvernent  ces  modi- 
fications, dont  l'avenir  seul  nous  révélera  peut-être  le 
secret',  t 

11  semble  résulter  de  tout  ce  qui  précède  que  le  climat 
de  la  Palestine  est  devenu  plus  sec,  et  que  ce  changement 
n'est  pas  dû  à  l'action  de  l'homme,  mais  à  une  cause  géné- 
rale qui  a  exercé  son  influence  sur  la  Palestine  comme  sur 
toutes  les  contrées  du  bassin  de  la  Méditerranée. 

Mais  si  le  climat  est  devenu  plus  sec,  la  température  est- 
elle  restée  la  même  depuis  le  temps  de  Moïse? 

Ou  répèle  communément  que  la  température  moyenne 
de  la  Palestine  n'a  pas  été  altérée  depuis25  siècles,  puisque 
la  limite  septentrionale  de  la  zone  où  mûrissent  les  dattes 
et  la  limite  méridionale  de  la  vigne  coïncident  encore  sur 
les  bords  du  Jourdain. 

Arago  est,  je  crois,  le  premier  qui  ait  émis  cette  opinion  ; 
voici  la  preuve  qu'il  en  donne  -.  c  La  maturation  des  dattes 
et  des  raisins,  dit-il,  exige  une  température  déterminée.  Or, 
la  limite  thermo métrique  en  moins  de  la  datte  diffère  très 
peu  de  la  limite  (hermomélrique  eu  plus  de  la  vigne  ;  si  donc 
nous  trouvons  qu'à  deux  époques  différentes  la  dalte  et  le 
raisin  mûrissaient  simultané/tient  dans  un  lieu  donné,  nous 
pourrons  affirmer  que,  dans  l'intervalle,  le  climat  n'y  a  pas 
sensiblement  changé.  » 

La  ville  de  Jéricho  s'appelait  la  ville  des  palmiers.  La  Bible 
parle  des  palmiers  de  Debara  situés  entre  Rama  et  Belhel; 
de  ceux  qui  longeaient  le  Jourdain  ;  la  ruine  des  palmiers 
était  rangée  parmi  les  épreuves  les  plus  sensibles,  etc.,  etc. 
Les  Juifs  mangeaient  les  dattes  et  les  préparaient  comme 
fruits  secs  ;  ils  en  tiraient  aussi  une  sorle  de  miel  et  de  li- 
queur fermenlée;  les  monnaies  hébraïques  offrent  des  re- 
présentations distinctes   de   palmiers  couverts  de  fruits. 


484     LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE. 

Pline,  Théophraste,   Strabon,   Tacite,  Josèphe,  etc., 


fonl 


mlion  des  bois  de  palmiers  situés  dans  la  Palestii 
ne  peut  donc  pas  douter  que  cet  arbre  ne  fût  cultivé 
grand  par  les  Juifs. 

Nous  trouvons  tout  autant  de  documents  sur  la  vigne. 
Dans  vingt  passages  de  laBible.il  estquestton  des  vignobles 
delà  Palestine.  La  Genèse  parle  des  vins  de  Juda  ;  Strabon 
et  Diodore  vantent  beaucoup  les  vins  de  la  Judée;  enfin  le 
raisin  figurait  comme  symbole  sur  les  monnaies  hébraïques 
tout  aussi  fréquemment  que  le  palmier. 

Il  est  donc  bien   établi   que,  dans  les  temps   les  plus 
reculés,  on  cultivait  simultanément  le  palmier  et  la  vigne 
au  centre  des  vallées  de  la  Palestine.  Voyons  maintenam 
quels  degrés  de  chaleur  la  maturation  de  la  datle  et  celle 
raisin  exigent. 

A   Palerme,  dont     la    température    moyenne   surp; 
17e  centigrades,  le  dattier  croît,  mais  son  fruit  ne   mùi 
pas. 

A  Catane,  par  une  température  moyenne  de  18°  à  19°  ci 
ligrades,  les  dalles  ne  sont  pas  mangeables. 

A  Alger,  dont  la  température  moyenne  est  d'environ 
21'  centigrades,  les  dattes  mûrissent.  Toutefois  elles  sont 
incontestablement  meilleures  dans  l'intérieur  du  pays. 

En  partant  de  ces  données,  nous  pouvons  affirmer  qu'à 
Jérusalem,  à  une  époque  où  l'on  cultivait  le  dattier  en 
grand  dans  les  environs,  à  une  époque  où  le  fruit  de  cet 
arbre  servait  d'aliment  a  la  population,  la  température 
moyenne  n'était  pas  au-dessous  de  celle  d'Alger  où  la  datte 
mûrit  tout  juste.  Eh  bien,  c'est  porter  la  température  de 
Jérusalem,  ou  à  21"  centigrades,  ou  à  un  nombre  plus  fort. 

De  Buch  place  la  limite  méridionale  de  la  vigne  à  l'Ile  de 
Fer,  dans  les  Canaries, dont  la  température  moyenne  doit 
être  entre  21°  et  2-2"  centigrades. 

Au  Caire  et  dans  les  environs,  par  une  température 
moyenne  de  22°  centigrades,  on  trouve  bien  cà  et  là  quel- 


igne 
iant 

: 

m, 

idrit 
ceo- 


LA  MÉTÉOROLOGIE  BE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE.      485 

|ues  ceps  dans  les  jardins,  mais  pas  de  vigne*  proprement 
ii  tes. 
Les  vignes  nous  apprennent  que,  dans  les  temps  les  plus 
wulés,  ia  température  moyenne  de  ce  pays  ne  surpassait 
Ï2°  centigrades,  et  le  palmier  prouve  qu'on  ne  saurait 
prendre  pour  cette  même  température  un  nombre  au-des- 
■  de  21"  centigrades.  Nous  sommes  donc  amené  à 
caractériser  par  2l°5  du  thermomètre  centigrade  le  climat 
ï  la  Palestine  au  temps  de  Moïse,  sans  que  l'incertitude 
tara  h  se  devoir  aller  à  un  degré  entier. 

La  température  moyenne  de  la  Palestine,  à  combien 
s'élève-t-eile  aujourd'hui?  Arago  ne  possédait  malheureu- 
sement pas  d'observations  directes;  il  y  suppléa  par  des 
;ermes  de  comparaison  pris  en  Egypte. 

!  La  température  moyenne  du  Caire,  dit-il,  est  de  22°. 
Jérusalem  se  trouve  2°  plus  au  nord  ;  2°  de  latitude  corres- 
tondant,  sous  ces  climats,  à  une  variation  d'un  demi  à  trois 
[uarts  de  degré  lia  thermomètre  centigrade.  La  température 
noyenne  de  Jérusalem  doit  donc  être  peu  supérieure  à  20*. 
Pour  les  temps  les  plus  reculés,  nous  trouvions  21°  5.  Tout 
porte  donc  à  reconnaître  que  trois  mille  trois  cents  ans 
n'ont  pas  altéré  d'une  manière  appréciable  le  climat  de  la 
Palestine.  » 

Observons  d'abord  que  les  considérations  sur  le  palmier 
et  la  vigne  ont  amené  le  savant  astronome  a  conclure  que 
la  température  moyenne  de  Jérusalem  a  été,  au  temps  de 
Moïse,  de  21°2  centigrades,  sans  que  l'incertitude  paraisse 
devoir  aller  a  un  degré  entier;  or  la  température  moyenne 
actuelle  de  Jérusalem,  d'après  les  observations  directes  et 
non  interrompues  de  quinze  et  même  de  trente-six  ans 
(1861-189H)  est  de  16°7  centigrades;  il  en  résulte  que  la 
température  a  varié  de  4°  environ.  Le  climat,  au  temps 
biblique,  était  plus  chaud  qu'aujourd'hui.  En  effet,  la  cul- 
ture du  palmier  a  disparu  de  la  Palestine,  pour  la  raison  bien 
naturelle  que  les  dattes  n'y  réussissent  plus.  Le  dattier  est 


nque 
mpé- 

ire  de 


186      LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  SÏHIE. 

devenu  un  arbre  d':igrémenl,  et  tend  à  disparaître.  11 
quarante  ans,  Jérusalem  possédait  dans  son  enceinte 
Lren  [aine  de  pal  miers;  aujourd'hui  la  ville  sainte  n'en  coi 
que  huit  environ,  suivant  M.  Anderlind.  On  voit  encore 
palmiers  isolés  dans  les  vallées  humides  de  la  Galilée, 
la  Samarie,  de  Sa  Judée,  et  dans  les  environs  de  Jérusalem; 
mais  les  dattes  n'y  mûrissent  plus.  Le  dattier  croît  encore 
bien  et  devient  très  élevé  sur  le  littoral,  comme  à  Beyrouth, 
àSaint-Jean-d'Acre  et  à  J  ami,  mais  son  fruit  ne  parvient  pa* 
à  une  pleine  maturité;   les  dattes  jaunissent,  mais  restent 
acerbes  et  sèches.  Elles  sont  très  médiocres   et  très  peu 
appréciées.  Nous  ne  possédons  pas  de  données  positives  snr 
la  maturation  des  dattes  dans  le  Ghar,  mais  il  est  certain 
le  baumier  ne  réussit  plus  a  Jéricho;  il  exige  la  tei 
rature  de  l'Arabie  méridionale. 

Celte  modification  de  la  température  peul  se  déduire 
l'époque  des  moissons  et  des  vendanges, qui  parait  aujour- 
d'hui plus  tardive  que  dans  l'antiquité.  Aux  temps  bibliques, 
la  moisson  fut  légalement  ouverte  le  second  jour  de  Pâques, 
par  îa  présentation  de  la  première  gerbe  au  temple  national. 
La  fête  de  Pâques  tombait  toujours  le  i5  du  mois  Nisan, 
qui  correspond  à  notre  mars-avril.  De  nos  jours,  les  mois- 
sons commencent  habituellement  vers  le  milieu  du  mois  de 
mai. 

Les  raisins  noirs  destinés  à  la  fabrication  du  vin  sont 
récoltés  au  mois  de  septembre,  mais  les  vendanges  de 
raisins  blancs  se  prolongent  dans  le  mois  d'octobre.  Aux 
temps  bibliques,  on  célébrait  la  fête  des  Tabernacles  après 
les  vendanges,  le  îô  du  mois  Tiscbri,  qui  correspond  à  peu 
prèsau   l"r  octobre. 

Nous  ne  croyons  pas  manquer  au  respect  dû  à  la  mémoire 
de  l'illustre  astronome,  en  faisant  en  outre  remarquer 
qu'en  déterminant  la  température  moyenne  actuelle  de  la 
Palestine,  il  n'a  tenu  compte  que  de  Ja  différence  de  lati- 
tude entre  le  Caire  et  Jérusalem,  et  semble  avoir  négligé 


i   MÉTÉOKOI.OCIE  DE  l.\  PALESTINE  ET  DE  LA  SYRIE.     487 

3  Facteur  important  dans  ce  genre  de  calcul,  c'est-à-dire 
i  différence  d'altitude.  Le  Caire  est  à  12  mètres  et  Jéru- 
alem  à  762  rnèlres  au-dessus  de  ia  Méditerranée.  S'il  est  vrai 
[lie  la  température  diminue  de  1D  centigrade  pour  tous  les 
0  ou  200  mètres  d'élévation,  la  différence  de  température 
a  la  différence  d'altitude  de  ces  deux  villes  ferait  un 
plus   de   3°  centigrades.  En    tenant   compte   de   la 
ifférence  de  latitude  et  d'altitude,  on  trouve  que  la  tcmpé- 
alure  moyenne  de  Jérusalem  est  à  peu   près   17°  centi- 
rades.  Cette  approximation  satisfaisante  aurait  certaine- 
ment empêché  Arago  de  conclure  que  la  lempérature  n'a 
s  éprouvé  de  modification  depuis  le  temps  de  Moïse. 
Notons  enfin  que,  si  la  limite  septentrionale  du  pilmîer 
e  trouvait  autrefois  sur  le  bord  du  Jourdain,  la  limite  méri- 
dionale de  la  vigne  descendait,  et  descend  encore  aujour- 
,  plus  vers  le  sud.  Dès  la  plus  haute  antiquité,  la  vigne 
cultivée   en  grand    en    Egypte.  <  La  vigne   abondait, 
M.  Maspero,  au   moins  dans    la    Moyenne   et   Basse- 
;yple;  on  connut  l'art  de  presser  le  vin  de  temps  immé- 
morial, et  les  monuments  les  plus  anciens  énumèrent  déjà 
lue  demi-douzaine  de  crus  fameux,  blancs  et  rouges.  »  Et 
I  ajoute  en  note.  «  Les  quatre  espèces  de  vin  canonique 
rées   de  chacune  des  régions  nord,  sud,  est  et  ouest  du 
»ays  font  partie  du  repas  officiel  et  de  la  cave  des  morts 
s  la  plus  haute  antiquité1.  » 

Strabon  parle  de  l'importance  du  vignoble  de  l'Egypte. 
'line  mentionne  l'excellence  de  trois  espèces  de  vin  qu'on 
briquait  sur  le  bord  du  Nil.  Il  est  vrai  qu'Hérodote 
[firme  le  contraire,  mais  son  témoignage  est  en  opposi- 
manifeste  avec  le*  monuments  égyptiens  les  plus 
mthen  tiques. 
Plusieurs  passages  de  la  Bible  font  mention  des  vignes 
luées  dans  le  nord  de  l'Arabie.  Moïse,  en  demandant  au  roi 


.  Maspero,  Riitoirt 


.  Eygple,  p.  65. 


488     LA  MÉTÉOROLOGIE  DE  LA  PALESTINE  ET  DE  LA  STRIE. 

d'Idumée  le  libre  passage  à  travers  son  territoire,  s'engage 
à  ne  pas  traverser  les  vignes,  ce  qui  suppose  qu'elles  avaient 
une  certaine  importance. 

De  nos  jours,  la  vigne  ne  réussit  guère  en  Egypte,  mais 
elle  est  cultivée  avec  succès  en  Arabie1.  En  Perse,  elle  des- 
cend jusqu'au  29°  et  même  au  27°  de  latitude.  A  Abousheer, 
la  vigne  prospère,  et  la  température  moyenne  est  25°  centi- 
grades d'après  Maklmann. 

1.  Elisée  Reclus,  Géographie  universelle,  vol.  IX,  p.  874. 


Le  Gérant  responsable, 
Hulot, 

Secrétaire  général  de  la  Commission  centrale. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CONTENUES  DANS   LE   TOME  XX  DE  LA  VII»  SÉRIE  (1899) 


PREMIER  TRIMESTRE 

Baron  Hulot.  —  Rapport  sur  les  progrès  de  la  géographie  pen- 
dant Tannée  1898  (avec  14  cartes  dant  le  texte) 5 

Gabriel  Marcel.  —  Note  sur  une  mission  géographique  en  Suisse.      76 
Loicq  de  Lobel.  —  Le  Klocdyke,  l'Alaska,  le  Yukon  et  les  lies 
Aléoutiennes 95 


2*  trimestre 

Baron  Hulot.  —  Rapport  sur  les  prix  décernés  par  la  Société  de 
Géographie  dans  sa  séance  générale  du  21  avril  1899 133 

J.  Thoulet.  —  Considérations  relatives  à  la  construction  d'une 
carte  lithologique  des  côtes  de  France 182 

C.  E.  Bonin  et  F.  Grenard.—  Les  derniers  voyages  dans  le  Tibet 
oriental  (MM.  Holderer  et  Ffltterer,  M.  et  Mme  Rijnhart, 
M.  Ch.  Bonin) 198 

Capitaine  H.  Vere  Barclay.—  Au  travers  du  continent  australien.    214 

Capitaine  Chanoine.  —  Mission  Voulet-Chanoine.  De  Dienné  à 
Sansanné-Haoussa 220 

F.  J.  Clozel.  —  Côte  d'Ivoire 236 

E.  Carlier.  —  Notice  sur  les  Bondjos 241 


3*  trimestre 

F.  J.  Clozel.  —  La  Côte  d'Ivoire,  notice  historique 249 

Capitaine  Chanoine.  —  Mission  Voulet-Chanoine 279 

Dr  J.  Ile  g  cet.  —  Dans  le  Sud  algérien  (avec  figures  dans  le  texte).  285 


TABLE    DES   MATIÈRES. 

Camille  Gdt.        Mission  lionne]  de  Alézleres 

Voyais  île  Dmitki  Kllmkntz  t-n  Mongolie  occidentale,  de  ltW5  a 

1897 

Comte  si  B*fiTH*i.EMï.  —  Au  pays  des  Mois 

B.  p.  Zmnans,  S.  J.  —  La  météorologie  de  la  Palestine  et  de  la 


Capitaine  E.  Salesses.  —  De  Conakry  au  Niger 305 

Camille  Ouï.  —  Notes  sur  les  eiplurations  de  M.  Perdrîzet 4IS 

Bons  d'An tv.  -    De  Hanoï  à.  Mongize .  1U 

H.  François.  —  De  Canton  a  Long-Tchéou 433 

M"  Légal.  —Au  Nord-Ouest  canadien.  Les  Pieds-Noirs ,.  -150 

R.  P.  ZtiMom;*,  S.  J.  —  La  météorologie  de  la  Palestine  et  delà 
Syrie  [mit»  et  fin) 


■i.iobe  du  musée  de  Zurich. 
I„i  cote  des  Guyanes,  d'après  la  globe  de  Zurich, 
i  Coupe  à  boire  au  musée  de  Zurich, 
i  DlCfl  ue  Lobel.     -    Exploration   à   travers  le    Klundyhe  81   1 
1888. 
i  Itinéraires  dans  l'Indénié,  par  M.  Seiglakd,  au  600,408*. 
i  Tableau  d'assemblage  îles  feuilles  île  la  l'.arlt  litholagique  det  e 
France,  dressée  par  M.  J,  Tboulei. 
Il'  J.  HiIGiitr.  —  Carte  des  kç-our  du  Mzab. 
—  Itinéraires  du  Mzal>  et  du  pays  ds:s  Chaamba. 
Itinéraires  de  Dmiihi  Klekentz  en  Mongolie  occidentale  i1S85-1KD 
Uinéraire  de  la  misiion  du  cuniie  de  Barîhelehv  en  pays  Moi  (1 


Capitaine   E.    Salessks.    —    Carte    des    voies   ( 

Conakry  au  Niger, 
i  Ch.  pERnmzËT.  —  Itinéraire  outre  les   rivières  Siiiigii 
1896-mai  1897;,  au  150,000  . 
v.  FUteOis.   —   Cours  du  Si-kMang,  du  San-Kiang  et 
Long-Tchéou  (otoui Lire-décembre  1096,.