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' o
X
BULLETIN
DE LA
r f
SOCIETE DE GEOGRAPHIE
Septième série
TOME XX
LISTE
DES PRÉSIDENTS HONORAIRES DE LA SOCIÉTÉ*
MM.
* Marquis de Laplace.
'"Marquis DE Pastoret.
* V'« de Chateaubriand.
* Cte Chabrol de Volvic.
* Becquey.
♦ct«chabrol de crousol.
* Baron Georges Cuvier.
* B°» Hyde de Neuville
* Duc de Doudeauville.
♦Comte d'Argout.
* J.-B. Eyriês.
* Vice-amiral de Rigny.
* Contre-am. d'Ur ville.
♦Duc Degazes.
♦Comte de Montalivet.
♦Baron de Barante.
* Général baron Pelet.
♦Guizot.
♦De Salvandy.
♦Baron Tupinier.
* Comte Jaubert.
* Baron de Las Cases.
* VlLLEMAIN.
MM.
♦ Cunin-Gridaine.
♦Amiral baron Rous-
SIN.
♦ Am. baron de Mackau.
♦ B°" Alex. DE HUMBOLDT.
♦ Vice-amiral. H alg AN.
♦ Baron Walckenaer.
♦ Comte Mole.
♦ De la Roquette,
♦Jomard.
♦ Dumas.
♦Contre-am. Mathieu.
♦ Vice-amir. La Place.
♦Hippolyte Fortoul.
♦ Lefebvre-Duruflé.
♦ Guigniaut.
♦ Daussy.
♦ Général Daumas.
♦ Duc de Beaumont.
♦ Rouland.
♦ Amir. Desfossés.
♦C. de Grossolles-
Flanarens.
MM.
♦ Duc de Persigny.
♦ Vice-amiral de laRon-
CIÈRE LE NOURY.
♦ Comte Walewski.
♦ De Quatrefages.
♦Michel Chevalier.
♦ Alfred Maury.
♦Vivien de St-Martin.
♦Mi8 DE CHASSELOUP-
Laubat.
♦ Meurand.
♦Contre-am. Mouchez.
♦Ferdinand de Lesseps.
Alph. Milne-Edwards.
Alfred Grandidier.
♦Auguste Daubrée.
Emile Levas seur.
Dr E. T. Hamy.
♦Antoine d'Abbadie.
Emile Cheysson.
Auguste Himly.
Jules César Janssen.
Bouquet de la Grye.
PRÉSIDENT
De la Section de comptabilité
de la Société
M. Paul Miraraud.
TRÉSORIER
delà
Société
M. Georges Meignen, notaire.
ARCHITECTE DE LA SOCIÉTÉ
M. Edouard Leudière.
AGENCE
M. Charles Aubry, agent,
Hôtel de la Société, boulevard Saint-Germain, 184.
1. Les noms sans * sont ceux des présidents honoraires aujourd'hui vivants.
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
RÉDIGÉ
À\fiC LE CONCOURS DE LA SECTIOJI DE PUBLICATION
PAR
LES SECRÉTAIRES DE LA COMMISSION CENTRALE
SEPTIEME SERIE — TOME VINGTIÈME
ANNÉE 1899
►S<3SS>5-
PARIS
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
184, Boulevard Saint-Germain, 184
1899
COMPOSITION DU BUREAU
ET DES SECTIONS DE LA COMMISSION CENTRALE
pour 1899
BUREAU
Président M. Gabriel Marcel.
. . , , (M. Edouard Anthoine.
Vtce-prestdents 2 „ , 4 „ • • ^
f M. le comte Casimir Delamarre.
Secrétaire général M. le baron Hulot.
Secrétaire adjoint M. Jules Girard.
Secrétaire général honoraire», M. Charles Maunoir.
Archiviste-bibliothécaire M. le baron Jules de Guerne.
Section de Correspondance
MM. le marquis de Bassano.
Edouard Blanc.
Edouard Cas pari.
Général Derrécagaix.
Jules Garnicr.
Charles Gauthiot.
MM. Janssen, de l'Institut.
Emile Levasseur, de l'Institut.
Georges Rolland.
Charles Schlumberger.
Franz Schrader. *
Joseph Vallot.
Section de Publication
MM. Prince Roland Bonaparte.
Emile Cheysson.
Henri Cordier.
Baron Jules de Guerne.
E. T. Hamy, de l'Institut.
A. deLapparent, de l'Institut.
Le Myre de Vilers.
MM. Emmanuel de Margerie.
Alfred Martel.
Charles Maunoir.
A. Milne-Edwards, de l'Inst.
Lieut. -colonel Prudent.
Charles Rabot.
Section de Comptabilité
MM. Bouquet de la Grye, de l'In-
stitut.
Alfred Grandidier, de l'Inst.
MM. Georges Meignen, notaire.
Paul Mirabaud, banquier.
Comte Louis de Turenne.
r
RAPPOET
SUR LB8
PROGRÈS DE LA GEOGRAPHIE1
PENDANT L'ANNÉE 1898
PAH
Le 13si3?oxl HTJLOT
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE T. A_ COMMISSION CENTRALE.
Une géographie vraiment universelle serait la description
complète de la terre et des hommes *. Nous n'avons pas la
prétention d'écrire dans ce grand livre des connaissances
humaines la page qui revient à 1898. Toute notre ambition
serait de résumer à cette place les principaux faits d'ordre
géographique accomplis ou connus au cours de cette année
et dont la plupart ont été consignés au jour le jour dans les
Comptes rendus des séances. Mais ce programme est lui-
môme trop vaste pour être développé dans une seule con-
férence. Il nous faudra choisir, en insistant, autant que
possible, sur les explorations françaises.
Un simple coup d'œil jeté sur le planisphère permet de
diviser les continents en trois tranches longitudinales offrant
entre elles certaines analogies. La première tranche contient
l'Europe et l'Afrique, séparées seulement par une mer inté-
rieure, ouverte sur un point. La seconde, plus vaste, est
formée par l'Asie, que l'Insulinde rattache à l'Australasie
i . L'exposé des travaux de la Société pendant Tannée 1898 se trouve
dans les Comptes rendus. Le présent rapport a été rédigé pour la
séance du 23 décembre 1898.
2. Elisée Reclus, Nouvelle Géographie universelle, I, p. 5. Paris, Ha-
chette, 1876.
Nota. — Le 4e trimestre 1897 du Bulletin paraîtra ultérieurement.
HAPPOBT SDR LES PltOGRÈS DE LA GEOGRAPHIE
suivant une courbe qui rappelle les contours du golfe du
Mexique et de la mer des Antilles. La troisième, moins mor-
celée, est composée des deux Amériques, unies l'une à l'autre
par un lien si faible qu'il fut question de le couper.
Chacune de ces tranches se compose de deux masses
continentales développées et déchiquetées au nord del'équa-
teur, réduiles et uniformes au sud. C'est dans cet ordre que
nous passerons en revue les cinq parties du monde, en ré-
servant pour la lin les explorations polaires.
EUROPE
En Europe l'homme a pris si complètement possession du
sol qu'il s'en dispute jusqu'aux moindres parcelles. Et ce-
pendant, sur certains points, le territoire n'est pas scientifi-
quement connu. Les recherches de M. Slarkoff sur la dis-
tribution des eaux de la nier Blanche et de la mer Baltique
ont prouvé que, dans le nord de la Russie (Finlande et pro-
vince d'Arkhangel), des bourgs eomme celui de Kebolo
et de vastes forets ne figurent sur aucune carte. M. Slar-
koff a constaté, sur la ligne même du partage des eaux,
à 250 mètres d'altitude, l'existence d'un plateau, d'où
s'échappent trois rivières : la première vers la Kern, tribu-
taire de la mer Blanche, la seconde vers les lacs Wuoxen et
Ladoga, qui alimentenl la Neva, la troisième vers l'Ouléa,
dans le nord du golfe de Bothnie*.
Des faits analogues ont été constatés sur les bords de
l'Adriatique dans la haute Albanie, où MM. Hassert et Bal-
dacci ont entrepris différentes excursions et sont parvenus
à déterminer une série d'altitudes, autour de Sculari et de
Prîzrcn, en se servant d'un baromètre anéroïde qu'ils tirent
passer pour une pendule*.
1. nvieitiit, Sic. liéogr. russe, 1x07, p, ini.,
ï. VerlHinttl. Soc. Géogr. Berlin, 1897, u" 10, p. i33, nvw c
PENHANT l'année 1898. 7
Ces contrées, où l'alpiniste n'a pas moins a glaner que
l'eibnographe et l'archéologue, ont également tenté le vi-
comte de Cuve rv il! fl dont les circulations à travers la pénin-
sule balkanique ont élé décrites à l'une de nos séances1.
Dans le domaine rit la géographie économique, deux pro-
jets sont à mentionner : le prolongement de la voie ferrée
qui va de Luléa à Gellivara et qui relierait le golfe de Both-
nie, souvent encombré par les glaces, aux eaux libres de
l'Atlantique en face du Ofoten fjord*; l'étude du tracé d'un
canal de la mer Baltique à la mer Noire par la Dvina, la
Bérézina et le Dnieper, qui permettrait aux vapeurs fluviaux
de traverser l'Europe en six jours sans quitter le territoire
russe3.
L'exploration du sous-sol de la France, qui s'organise
avec méthode sous l'action de la Société de Spéléologie, a
pris depuis deux ans une grande extension *. A la fin de
1897, M. Martel, n^i^lé de M. Viré, naturalisa du Muséum,
découvraildans la Lozère, sur leCaiisseMéjean,l'un ries plus
profonds abîmes connus, l'aven Armand, dont les stalag-
mites mesurent jusqu'à 30 mètres de hauteur. Cette année,
en aménageant la rivière souterraine du gouffre de Pariirac
(Gard), M. Martel a mis les savants à même de contrôler le
réel mode de fonctionnement des réservoirs des sources,
et ses constatations auront, dans la pratique, des résultats
considérables \
1 . Comptes rendus, I89N, p. liO.
;. [iultetin Soc. Géogr. commerciale, 1838, p. Ï35.
3. Verkmdl. ^•■: i'..-ut!r. Berlin, XXV, ÎB'.IS, n- i, p. 193.
4. V. la collection du Bulletin et des Mémoires de ta Société de Spé-
léologie. 1S9T el 1898. *
5. Celle opinion, quis nous émettions eu décembre. 18!!R, :i reçu une
in le confirmation au début de Ittlti). Lus conséquences qui résultent
de ces recherches, au point île vue de lit santé publique, ont été l'objet
d'importants débats 3 lu Chambre des députés dans lu séance du
30 janvier 1899. Vuir le Journal aftieief du 31 janvier 1899, p. ÎM-M7,
; M. Jules Legrand, sous-secré-
I iMiiiniiirn'iii ce passage du d
,ES PHOGÏ1ËS DE LA GÉOGRAPHIE
Les recherches de MM. Viré dans les Pyrénées, Ma/.auric
sur les rivières perdues des Cévennes, Deambaz sur les
grottes et les sources du JJauphîné, Driolon dans les sou-
terrains de la Côle-d'Or, Fournier dans les cavernes des
environs de Marseille, etc., ont déjà démontré que le travail
du spéléologue nous apporterait dans un avenir prochain
une ample moisson de faits géographiques.
Eu Angleterre, en Espagne, en Autriche, l'impulsion est
donnée et les investigations se poursuivent au grand avan-
tage des sciences physiques et naturelles. Si nous avions un
voeu à formuler pour tel jeune Société de Spéléologie, nous
lui souhaiterions la prospérité du Club alpin.
L'alpinisme, qui est également une des formes de la géo-
graphie, propage le goût de cette science, complète l'œuvre
du géologue par l'étude minutieuse du relief et stimule la ré-
vision des cartes de montagnes. M. Joseph Va Ilot, qui vient de
faire paraître le troisième tome des ,4 un" 1rs de l'Observatoire
météorologique du Mont-Blanc1, a pu aborder ce sujet avec
compétence en appréciant récemment la part de M. Durier
da.js la création du Club alpin français, de même qu'il a
fait ressortir les belles éludes que M, A. Delebecque a en-
treprises sur plus de 150 lacs français*.
laire d'État au ministère de l'intérieur : « M. Martel m'a moiuré ù
ment la contamination de sourres répuiécs pures pouvait se produire
au moyen de ces cavernes, de tes sortes de dépotoirs ruraux, 011 l'on
enfouit toutes espèces d'otijels. Lorsque l'eau est puisée, elle parall
pure ; mais il y a des •M'.iti's sonlecr.i in-'s i|ui meltent eus puits, 1
cavernes, en communication avec l'eau, et des épidémies, dont on ne
trouvait pas l'orit'iin*. oui [irérisf-iuriil leur .viuse dans la communication
de ces gouffres avec cis source. J'ai pensé que le ministère de l'Inté-
rieur, que le servke dont j*:il la liauie direction, devait s'occuper immé-
"ïiiie m <!<■ n-ite queslion, et j'en ai saisi le comité d'hygiène publique
de France, j- ( Très bien ! très bien I)
1. Paris. 1898, <•. Sieinheil, édit.
1 Bulletin de la Sncittè de Gio'iraphit, [898. Vil" série, tome XIX,
p. lfW-171, 180-iM. -Les Lan français, par André IK'Iebeeque. l'arls,
Cliawernt cl lleiioiurd. INHN.
:
m
11
Iquc
FSHBAHT I. 1
Les travaux hydrographiques sur les côtes de France du
ran t les deox années 1897
1898 c
nprennent : 1" la revi-
sion ries cartes de la côle sud de France depuis le cap Bé-
nat jusqu'au cap de la Garoupe et de là à la frontière, celle
de la baie de Marseille et de la côte à l'est jusqu'à Handol,
par M. Mion, ingénieur hydrographe à bord de la Chitnère;
2" les sondages de la rade de Cherbourg par M. le lieutenant
de vaisseau Faucon, pour étudier l'effet produit par la con-
struction des digues de Chavagnac et de l'île Pelée; 3° le
levé des abords rie Brest, abord du Laborieux, entre Saint-
Malbicuetla pointe de Toulinguct, par M. Renaud, ingé-
nieur hydrographe, qui reconnut ensuite le plateau de Mo-
lène et, entre temps, dut lever les passes de laTeignouseet
refaire les sondages de la partie sud du chenal du Four, où
des roches dangereuses lui avaient été signalées; 4" la me-
sure d'une base de vitesse pour torpilleurs dans le l'erluis
Breton, par M. Gauthiers'.
Le service de la carte de France au 1/100,000% établie au
Minislèrc de l'Intérieur par la centralisation des travaux des
agents voyers, tient à jour l'œuvre par des rééditions suc-
cessives portant sur une centaine de feuilles par an. 11 con-
tinue également le eliehago sur cuivre de ce document afin
de constituer le matériel délinitif de l'Étal'.
Sur la demande du département dos Finances, le Service
géographique de l'Armée commence une revision générale
1. Résumé ri 'une romiiiiirHf.-a.linn île M. Cri^ptiri. ingénieur liyilro-
gi-uplii:
i, la frirte au I 100,000" a été, d'abord gravée sur pierre et les
h "fil été publiées nu fur al à mesure de leur acbèvemrm. i>
niiilcfiel Bocomhrant et sujel à accidents rst fictui'lU'nn-nl iriiiislWmé.
n j.rr,. ,■,],■■ l'iciMni-cIniiiique, en rulvres gravés il'uno nmservatioii
e et d'un maniement facile. La moitié environ de (es culwes est
a en fail en moyenne 350 par an (noie île M. Anihntne, chef
u service iju la carte di- France an Ministère i\e l'Intérieur).
10 RAPPORT SUR LUS PROGRÈS DF. LA GÉOGRAPHIE
du réseau français pour fournir les bases fonda ruen laïcs d'un
nouveau cadastre. Celle entreprise de longue haleine don-
nera à la triangulation de la carie de France une précision
supérieure à celle de l'ancien corps d'état-major qui, malgré
son savoir, ne pouvait pas obleuir les résultais précis que
donne aujourd'hui l'emploi d'instruments perfectionnés',
Algérie-Tunisie. — Le Service géographique de l'armée
poursuit sans interruption l'exécution de la carte d'Algérie
et de Tunisie.
« La triangulation de premier ordre', qui comprend
âgrandes chaînes parallèles et 4 chaînes méridiennes, a
terminée en 1898. En outre, les quadrilatères de remplissage
sont tous pourvus d'une triangulation de premier ordre com-
plémentaire, à l'exception du quadrilatère qui embrasse la
région du sud-ouest, près de la frontière du Maroc, dont
l'exécution aura lieu incessamment. La triangulation secon-
daire, destinée spécialement à fournir les points de repère
des travaux lopographiques, est achevée sur les quatre cin-
quièmes du territoire.
* Dans le cours de l'année 1898, on s'est attaché à com-
pléter le réseau des points astronomiques, destinés à fournir
les vérifications nécessaires au calcul des coordonnées géo-
graphiques. C'est ainsi que l'on a effectué les mesures de
différence de longitude entre Alger (observatoire militai]
1. Il esisiR un receni travail île M. E. Fauvel, sur * l'historique
réfection, ilu cadastre» couronné en 1X98 par la Société île Topographie
el actuellement soumis au Comité des travaux historiques et scientifiques
' au ministère île l'Instruction publique.
'2, Note ohligeamment communiquée par M. le général ltassol, ili
l'Institut, snus-chef d'élat-majnr général de l'Armée, directeur du Sor-
ti re jréographlque.
de
:
nie
les
PBHDÀKT L'ANNÉE 1898. il
de Colonne-Voiiol) el les posles d'Aïn-Scfra, Médenine, Sé-
tif et Gafsa. On a de môme mesuré la latitude et un azimut
en ces quatre stations, ainsi qu'à Saïda ut à Kairouan. Le
réseau de l'Algérie comporte maintenant 15 points astro-
nomiques : Nemours, Msabiha, Alger, Sétif, Bône, CarLhage,
sur 11- parallèle du nord; Aïn Sefra, Géryville, Laghouat,
Iliskra, Gafsa et Médenine, sur le parallèle du sud; Saïda,
sur la méridienne d'Or.in ; Guelt-es-Slel, sur la méridienne
de Laghouat, et Kairouan, sur la méridienne de Gabès.
< Dès maintenant, le Service géographique se préoccupe
de développer la triangulation dans la région saharienne, et
des reconnaissances vont être entreprises en 1899 pour
établir deux chaînes, l'une, qui partira de Biskra pour
aboutir àOuargla, l'autre, qui partira de Laghouat, passera
à Gbardaïa et viendra se souder à la première à Ouargla.
c Les levés topo graphiques progressent chaque année en
fournissant en moyenne 3 feuilles au 50,000* pour les
cartes à cette échelle de l'Algérie el de la Tunisie, 4 feuilles
au 100,000' pour la Tunisie et 2 feuilles au 200,000" pour
les hauls plateaux de l'Algérie. Il esta présumer que ces
différentes cartes seront achevées dans une dizaine d'années1,
c En outre de ces opérations régulières, le Service géogra-
phique alimente quelques missions spéciales qui commen-
cent à dresser les cartes des colonies. A Madagascar se
trouvent quatre officiers géodésiens, qui ont déjà établi des
réseaux sur des régions assez étendues entre Tananavive,
Tamatave, Port-Dauphin et Tulléar;d'aulres iront prochai-
nement au Tonkin pour entreprendre une triangulation
régulière. Il y auraiL intcrétàce que ce mouvement s'étendit
et que l'on entreprit sans trofi larder les cartes des im-
menses territoires placés actuellement sous noire influence
ou sous notre domination, dans le cœur de l'Afrique. »
1891 61 l«HB bd Algérie
C vi iJi'n CiiiniiitjfiiKS lupiifiiiiphiiiues
i Tunisie mnttiml le Si'i-vici» ^'■•■|.T;i|iliiitii<:
12 RAPPORT SUR LES PBOGRF.S DE LA GEOGRAPHIE
On ne saurait trop insisler sur la nécessité d'entre-
prendre la triangulation des territoires conquis. Au Soudan
comme an Congo ou dans le Haut-Oubangui, les leïés à la
boussole ne sont plus suffisants et les cartes, dont le dessin
se complique à mesure que les itinéraires augmentent,
exigent l'établissement de points astronomiques précis.
Force sera d'adopter des cartes a grande échelle pour décrire
ceB vastes espaces que, naguère, on nommait Sahara ou
Grand Désert, Nigritie ou Soudan, ou qu'on laissait innom-
més, tels que cette région équatoriale traversée par la
chaîne mystérieuse des monts de la Lune.
en mesure de produire vingt-trois feuilles nouvelles île ilidérenics
I9 Campiiij-na de IK97, douie feuilles ;
Algérie au 50,000'. Feuille n" 115. liordj b,ra Arréridj.
— n" 110. Sainl-Donat.
Algérie au 300,000". Feuille n' 23. Ammi-Moussa.
— — n" 24. Iloghar.
— — n- 38. Aurè*.
— — n" 45. Zénina.
Tunisie an 50,000". Feuille n° I. Kef Abbed.
— n" V. Oued Sedjenane.
— — n- XXXVIII. Ouargia.
Envimnt du Kef.
Tunisie au 100,000". Feuille n" XXIV, Le Kel.
— — n" XXV. Jama.
— — n" XXVI. Djeiiitiir
f Gninpiigne de ÎKHS, orne feuilles :
Algérie au 50,000". Feuille n" 130. Aine Mllla.
Algérie au 300,000". Feuille ti> 35. Guclt es Stel.
— — n- 37. El K amant.
Tunisie, au 50,000". Feuille n" LII1I, Kairouau.
— — n" LXIV. Sidi el Hani.
Tunisie au lOOtOOO*. Feuillfi n XXllt. liordj Sidi ïoosaef.
— — n" XXVIII. I>Jel>el_ liarraha.
— — n* XXIX. Ksour.
— — n XXX. Maktar.
— n" XXWII. h
— n- XXXVIII. Sidi el Hani.
PERDANT l'année 1X98. 13
nui'lr <!■ Niger et régi ou il» TuiMtioDFIou, — Il suffit
p jeter les yeux sur une carte d'Afrique pour voir que nos
colonies se sont soudées à travers le Sahara. L'an dernier,
nous constations que les missions du Mossi et du Gou-
rounsi, du Gourma et du pays bariba reliaient entre elles
nos possessions de la côte de Guinée et du Soudan. Ce mou-
renient, qu'imprimèrent entre autres les missions Hugot,
Voulet-Cbanoîne, Baud-Vermeersch et Bretonnet, s'esl pro-
pagé en 1898. On s'en convaincra aisément en comparant
eutre elles la 1" et la 2" édition de la carte de la boucle
du Niger, publiée par le Service géographique des colonies
sous l'habile direction de M. Guy.
Le commandant Destenave, qui procéda en 189(1-1897 à
l'organisation du Yatenga et du Mossi ainsi qu'à la prise de
possession des pays de l'est, depuis l'Arîbinda jusqu'à Say,
vient de publier, à son retour en France, un exposé som-
maire des opérations de la boucle du Niger. Au mois de
mars 1898 la pacification était achevée dans cette région où
le bien-être s'accroît avec le commerce '. Deux voies de
pénétration ont été ouvertes, au moyen de prestations
fournies par le pays. L'une, large de 10 métrés, longue de
900 kilomètres, part de Saraféré (sud de Tombouclou) et va
à la frontière dahoméenne; l'autre réunit les deux branches
de la boucle, de Mopti à Say, sur 800 kilomètres environ.
Les voilures Lefebvre circulent jusqu'à Dori, dans le Liptako,
el l'on peut certifier que ce marché, le rival de Tombouclou
et (le Kano avant la conquête, détourne maintenant à son
profil les courants d'affaires, qui inclinaient autrefois vers
l'est on vers le nord. Les levés exécutés par les nombreuses
reconnaissances ont permis de dresser une carie provisoire
de ces territoires si peu connus du sommet de la boucle.
s opérations ell'ectuées sous les ordres du commandant
, liullelin du Comité de l'Afrique fr^nf.uise. : renneigiu
■a,..,, [898, p. «4.
ii RAi'POnT SUR LES l'IlOURÈS DE LA GÉOGRAPHIE
Caudreliernous onlvalu des reconnaissances dans le bassin
de la Voila. Le lieutenant Blondiaux, complétant ses explo-
rations de 1897, a reconnu les hauts bassins du Cavally et
de la Sassandra, départageant les affluents du Niger et les
bassins côliers entre le 8" et le 11° long. G.*, Les recon-
naissances de M. l'administrateur Hostains sur le Cavally se
compléteront bientôt par celles de la nouvelle mission
Hoslains-d'Ollone sur le terrain qui sépare les itinéraires
île M. lilondiaux de ceux de M. I'obéguin. Du coté de la
république de Libéria, l'explorateur est en terrain neul" et
l'on comprend ia noble ambition qui s'était emparée de
deux jeunes voyageurs, MM. Georges Bailly-ForlUlère et
Pauly, massacrés à Zolou le lli mai dernier au moment où
ils tentaient de réunir par un trait continu la Guinée
française et la Côte d'Ivoire.
I. I:.i|.|".n il.' la missinn Itlnudiaui i.Vriliivtrs Je la Sociale).
FEKDANT l'ahh ée 1898. 15
l>a lopograpliie générale de la Boucle du Niger est fixée
parla carie au 1/1,500,000" que le Service géographique
des colonies publie. On ne constate pas dans cette région
la présence d'une croie montagneuse régulière, orientée de
l'ouest à l'est et faisant pour ainsi dire contrepoids aux
\iautes monlagnes de l'est africain. Celle belle symétrie
rencontre pas ici, et les fameuses montagnes de Kong
forment non pas une muraille gigantesque, mais une série
de plissements parallèles orientés du sud-ouest au nord-
est avec quelques massifs, dont le plus connu est le Fouta
Djallon, et quelques chaînes transversales peu élevées. Le
relief s'accentue surtout au nord de la Guinée française et
de la république de Libéria, puis entre le Bandama et le
Niger, entre la Volta Blanche et ce fleuve, enfin au nord du
Dahomey. Les points culminants ne dépassenl pas 1,200 mé-
trés et les ondulations qui les relient ont les dimensions de
simples collines. Au nord-ouest du Mossi, le relief est à
peine sensible des sources de la Volta au Niger1.
L'hydrographie, moins confuse que l'orographie, continue
à se préciser. Le Niger est connu sur tout son parcours,
grâce aux frères Lander,auxCaron,aux Jaime,aux Toulèe,
aux Hourst, aux Baudry, aux Bluzet, etc.
Les grandes nappes d'eau qui prolongent le lleuve a
l'époque des crues dans la région de Ras-e!-Ma provoquent
de nouvelles études. L'état de nos connaîssnnces sur le ter-
ritoire qui s'étend au nord du Niger, entre le 4" et le 8"
long. O., est fixé par une carte au 1/500,000" dressée en
janvier 1898 par le lieutenant Lofler, commandant du cercle
de Goundam. Ce dessin, établi d'après les travaux des offi-
ciers de la région de Tombouctou et sous la direction du
commandant Goldschœn, permet de se représenter ce pays
sillonné de rivières et de marigots, baigné par une série de
i, imii. A/i /V.:
ITi,«
t, janvier 18SKK
RAPPORT SOT l.KS PROCHES DE LA GÉOGRAPHIE
s et de marais qui suivent le cours du f
saesenl au sud du lac Faguibine'.
lacs, de m;
fleuve ou s
Les bassins cûliers, très nombreux, offrent peu de voies
d'accès faciles. Les rivières du FoutaDjallon sont peu larges
et les deux Scarcies ne sont pas navigables. Le fleuve Saint-
Paul n'est connu qu'à sa sortie des hauteurs qui le séparent
du Niger et le Gavai ly n'a pas l'imporlance qu'on lui suppo-
sait. Mais la rivière Sassandra, qui prend sa source 1res au
nord, constitue une artère fluviale dont l'utilité s'est surtout
affirmée à la suite des explorations de M. Mondiaux.
Les travaux des missions Marchand, Polwuin, Eysserïe
sur le Bandama, Binger, Clozel sur le Comoé, Baud, Alby
sur la Volta, Ballot sur l'Ouémé et le Koulïo, nous donnent
une idée très exacte du système hydrographique du centre
et de l'est de la boucle . Ajoutées aux précédentes, ces cons-
tatations ont permis à M. Guy d'exposer dans leur ensemble
les résultats scientiliques des explorations du Niger pendant
p(H mx dernières années.
Lu morne temps que nos incertitudes sur la géographie
de l'Afrique occidentale se dégagent, uos difficultés de fron-
tières et les causes de trouble semblent disparaître, au
moins de ce côté.
La convention du U juin 1898 a délimité les possessions
de In France et de l'Angleterre sur une étendue d'environ
ifiQQ kilométra*, an faisant un tout de notre domaine afri-
cain de l'Algérie au Congo, par le Tchad. Cet accord, basé
ni ,;i- raafittstoiW réripruqurs que nous avons énumé-
nV>, cliM l.i térifl d« traités passés pur nous avec toutes
k'. puissance* limtttoptiM1. Oa a lieu de penser que, les
iiiiiiT. -niiv neuant, l'Agitation se calmera dans la région
il' \--ik.i. ii. M'iniiir dam le* territoire* où les sofas de
:-.im,.i j répandelenl la désolation3.
1 | . .ii'kmmI.-iIi- l.i ii-yinll mini i;irrll.ilt» IllSOCLéV'
.. ■ i -r.,ju. .!«> tétmt, 1888, p. ani-aoii ; cm* aiï-an.
a. Siil lu |.il-r ,W ji. i*vvcln ii ai' Il loulou, pur M. GW.'I.
C.A,
1898.
17
La tleslruclion de l'empire du vieil Almamy a pour la
Prance et la civilisation une imporlance capitale. Après
avoir anéanti la puissance des El Hadj'Omar, des Ahmadou,
des Tiéba, des Béhanzin, nos soldats commandés cette l'ois
car le colonel Audénud, le lieiilenanl-colonel Berlin, les
rimmandants Pineau et de Lartigue, ont résolu, d'accord
Mec le pouvoir centrât, de se débarrasser de Samory. La
prise de Sikasso qui nous délivra des intrigues de Babemba,
mais coûta la vie aux lieutenants Gallet et Loury, eut un
grand retentissement et priva notre adversaire d'un puissant
llié (1er roai 1898)'. Alors fut commencée la poursuite ha-
bilement combinée où le lieutenant Wœlfel, le capitaine
Gouraud, le lieutenant Jacquin, le sergent Hrafières se sont
plus particulièrement distingués*. Sans reprendre à celte
place l'exposé du plan de campagne qui aboutit à la capture
de Samory et de tous les siens, nous sommes heureux de
constater une fois de plus que nos troupes coloniales ont
bien mérité de la patrie et de l'humanité dans ce Soudan
où le général de Trenlinian reprend actuellement sa lâche
féconde. Nous devons à ces explorateurs militaires, excel-
,i iin topographes pour la plupart, la solution de problèmes
fwngraphiques qui, sans eux, seraient restés longtemps en-
core insolubles. Grâce à leur dévouement, nos ingénieurs,
ans commerçants, nos colons pourront circuler en paix dans
.i- nmlrécs délivrées de la barbarie.
C'est l'heure des améliora lions économiques. La construc-
tion du chemin de Ter de Kayes à Bammako recevra une
impulsion nouvelle, et les études approfondies du capitaine
ei liront de base à la voie qui de Conakry gngnera
■■ Niger navigable '. Le fait que le. chemin de fer de Sfax à
, n-,., mi se soni miiiûLetiiLs MM, Le
I lialrol du llie.i, vnîr il. U . I«i8. p. '■<:■:■.
,- ,,.. juin ■■' juilki I8iw. p. iw; ri *w.
i . UV..T i»r,i,ji. ai.
■■■■ U9S. |>, i".:. IHiiy, |i l-'.
I" THUKvrHK 183H. w. - ï
JIAPI'OIIT SUR [.ES PROGRÈS l)E LA CËOGIIAHUE
Gafsa, terminé na septembre 18'JX, a été construit sur plus
de 200 kilomètres en un an esl de bon augure pour l'exécu-
tion de semblables travaux.
La prise, de possession de la boucle du Niger était à peine
achevée que déjà le capitaine Cazemajou, plein d'avenir et
d'espérance, suivait les traces du colonel Monteil et s'avan-
çait, par la ligne Say-Barroua, vers le Tchad. II est tombé
à Zinder, le 5 mai 1898, sous les coups des fanatiques,
malgré les efforts désespères de ses tirailleurs indigènes qui
réussirent à sauver ses carnels. Dès aujourd'hui on peut
affirmer que les révélations de Djebari sur la présence à
Thaoua des survivants de la mission Flatlers sont de pure
invention. L'œuvre du capitaine Gazemajou ne périclitera
pas. Sur ses pas se sont déjà engagés deux de ses émules,
qui ont l'ait leurs preuves dans le Mossi et le Gouiounsi,
MM. Voulet et Chanoine.
Mntiitrn. — Fendant que le mouvement d'expansion se
dirigeait vers le Soudan central, nos chefs de stations, dans
des raids audacieux, ajoutaient à nos connaissances sur
l'extrême Sud algérien. La poursuite d'un rezxou peut
contribuer, d'une façon très efficace, aux progrès de la géo-
graphie, quand elle est confiée à un bon topographe. L'iti-
néraire d'El-Abîod-Sidi- Cheikh au bas Oued-Zousfana et à
l'Erg occidental, levé par le capitaine Battesli, en est un
exemple. Grâce à cet officier, placé sous les ordres du com-
mandant Godron, dont nous avons cité les reconnaissances
dans le Sud oranais, nous possédons une carte au 1/400,000'
d'une région inexplorée*.
Ces raids, qui exigent autant de sang-froid que d'intré-
pidité, ont eu, entre autres avantages, le mérite de prouver
que nous pourrions tirer un excellent parti de goums bien
1. Rapport du capitaine liattesti (archives de lu Société).
- ne remplacent pas, cependant, les missions
ftxploralion qui s'avancent vers le suri sans autre préoccu-
pation qne de découvrir ni de passer. Aussi sommes-nous
teurenx de constater que la pénétration française par le
Afrique s'accentue. De la sorte, nous reprenons
me tradition longtemps interrompue.
C'est par le nord, en effet, qu'a été commencée la pé-
on européenne en Afrique1. En 1822 et 1823, ce furent
m, Oudney et Clappcilon; en 182J3, Laing!; en 1854,
Bichardson, CWerweg, puis Vogel et de Baumann, qui
ni tous la Tripolilaine pour base d'opérations et explo-
it les régions comprises entre le Niger et le Tchad.
dus entrâmes dans ce mouvement d'expansion an len-
de noire conquête de l'Algérie. En 18.~>7, le capitaine
demain arrivait à Ghadamés; l'année suivante l'inter-
Bou-Derba atteignait le lac Menkoug. En 1859-I8W),
limyrier accomplissait ses beaux voyages chez, les Touareg
h Nord. En ISfiO encore, le corn mandant Cnlonieu pénétrait
leTouat. En 1862, le colonel de Polignac signaille traité
Gfaadamès. Ce furent les explorateurs étrangers qui con-
fèrent le mouvement, et le plus connu fui Nachtigal.Mais
isïons pacifiques parul se clore à ce moment.
iniii.'.ltournaux-IlupeiTé, les Pères Paulmier, Ménoret,
iochard furent successivement assassinés. Largeau ne put
■ Salah visitée par Soleillet en 1S73. Fialterssuc-
en 1881 dans des circonstances restées mystérieuses,
lui, les Pères Richard Moral, Pouplard, le lieutenant
enfin Murés ajoutèrent lejrs noms au martyrologe
. Seul l'infatigable Foureau poursuivait avec opinià-
marche vers le sud, sans se laisser rebuter par les
tés. Il vient de repartir avec le commandant Lamy,
■ Socifilé pnr !■■ Ik-iit'-iiunt Olivier, iJn Service
l< ■■ -r ■!■■ rieuc Caillé h iruvers le Suharii (IB3S)
i > lI .mi nord, île foui bout Uiu ii h Maroc.
20 RAPPORT SUR LES PROGRÈS DE LA GÉOGRAPnlE
le lieutenant Chambrun et d'autres encore. Puisse-t-il faire
sa jonction avec le capitaine Voulet! »
Nous ne pouvons que nous associer à ce souhait.
D'accord avec les pouvoirs publics et certaine de remplir
le vœu le plus cher
deRenoust desOr-
geries, qui l'a faite
sa légataire univer-
selle, la Société de
Géographie a con-
fié à M. Foureau
une mission scien-
tifique nettement
spécifiée et dont
l'effet sera, si le
succès répond à
ses efforts, de relier
par un même iti-
néraire nos possessions africaines. Qu'il nous soit permis
en saluant les continuateurs de notre regretté Duveyrier,
au moment où ils quittent Timassinine*, de proclamer
notre reconnaissance envers l'homme de bien et l'ardent
patriote que fut lienoust des Orgeries.
F,F0!Uimi—~ Q- o — »
c»ngn et iiam Oiihniiimi. — Notre pénétration africaine,
qui a fait entrer dans le domaine de la géographie positive
le Sahara septentrional, la boucle du Niger et le Soudan
français, n'a été nulle paît plus profonde que dans notre
colonie du Congo. Sans reprendre l'historique de cette
France équatoriale, fondée par M. de Brazza, nous devons,
au moment où l'exécution de son plan d'exploration s'achève,
rappeler les noms du marquis de Compiègne, de Marche,
de Jacques de Brazza, de Do treuil de Rhins, de Crampel,
t. Correspondante de SI. l-'uurtHui (archives).
PENDANT L'ANNÉE 48ÎÏ8.
■i\
de Lisfours, ouvriers de la première heure. Ceux-là ne sont
plus; mais d'autres tels qui) MM. Rallay, Mizon, Cholet,
[tolisie ', Fourneau, Ponel, Maistre, Decazes, ont pu parti-
ciper au développement du programme de 1875, agrandi
ta 1890 et complété depuis. La pénétration s'elfectua soit
parla Sanghasoit par l'Oubangui el les aflluents du Chari.
!». Petdrizet, dont les itinéraires au 1/100,000% exécutés de
IS9& à 1898, s'élendent entre le 13= et le 16° long. E-, le
ï et le 6* lat. N., reprit avec succès la reconnaissance de
b rivière Ouom, découverte par M. Clozel et le D1 Ilerr. 11
t suivi cette rivière depuis Gouikora jusque près du 16°
long. E. La Ouom, qu'il écrit Ouahm, ne constitue pas une
«rie navigable et ne serait autre que la Ouahmé, où aboutit
l'itinéraire suivi en 1892 par M. Ponel-. Trois points sont
infranchissables : les chutes de ftoulaye, de Bola et celles
qni sont situées au-dessous d'Ih-Oua.
M. J. Bouysson, chargé d'une mission par la Société du
Haut-Ogooué, étudie le sol et le sous-sol dans la région
côtière au nord de Libreville et sur le Bas-Ogooué, menant
de froul des recherches ininéralogiques, économiques et
ethnographiques, qui compléteront tes données recueillies
par ses prédécesseurs.
Au delà du Congo, en remontant l'Oubangui et le
M'Itomou, nos explorateurs ont reconnu les territoires qui
forment aujourd'hui le Haut-Oubangui, dont l'organisation
aélé confiée à M. le gouverneur Liotard. Cette désignation
des possessions françaises, qui bordent au nord l'Etat indé-
rtndant, l'ut officiellement adoptée en 1893.
i se souvient du différend franco-belge, comme des
RAPPORT SUR LES PROGRÈS DE LA GÉOGRAPHIE
missions d'Uïès, Monteil-Decazes, qui oui porté vers l'est
l'expansioR coloniale française. Sans refaire l'historique de
notre installation dans le Haut-Oubangui, nous devons rap-
peler que M. Liotard, secondé par des collaborateurs tels
que MM. Cureau, Bobichon, Grech, Chapuis, Mathieu,
Comte, Hossinger, fonda le poste de Taroboura, dans le
Bahr-el-Ghazal, en février 1896, et qu'il étendit ses conquêtes
au nord en prenant, en avril 1807, Dem-Ziber comme base
d'opération.
L'œuvre politique accomplie par ce gouverneur, avec
autant d'habileté que de méthode, ne va pas sans de pré-
cieuses découvertes dans le domaine scientifique. Les races
du Haut-Oubangui sont encore incomplètement connues
et les études faites sur elles par nos administrateurs et nos
officiers ont l'importance de véritables documents. Les notes
que M. E.Carlier, chef de station dans l'Oubangui,arecueillies
sur les Bondjos, population anthropophage qui occupe les
deux rives de ce grand affluent du Congo jusqu'aux envi-
rons de Ouadda, sont entièrement nouvelles et nous révèlent
les mœurs et coutumes de cette race sanguinaire, venue
suivant toutes probabilités du centre de l'Afrique'.
De bons itinéraires avaient élé fournis les années der-
nières, entre Zemio sur le M'Bomou et Dem Ziber dans le
bassin du Bahr-el-llomr; mais, faute d'instruments spéciaux,
les explorateurs n'avaient pu entreprendre une triangulation
régulière. M. le Dr Cureau a déterminé astronomiquement
les positions de ces itinéraires et étudié la géologie de celle
nouvelle province.
« La roule de Zemio à Djebel-Mangayat, dit-i! dans son
rapport, partant des bords du M'Bomou, franchit sept bas-
sins, dont lesquatre premiers se rattachent par le M'Bomou
au Congo, et les trois autres par le Bahr-el-Arab au Nil. Ici,
comme sur la route du Soueh, la ligne de démarcation entre
; paraîtront dans le liai le tin île 1899.
PEKDJLNT L*ANN&E 1898. 23
les versants des deux grands fleuves africains est insensible
et écliappe complète oient à l'atlenlion du voyageur... Le
nivellement barométrique indique pourtant un léger seuil,
Ilguré par un plateau ferrugineux aux parois abruptes;
île part et d'autre de ce point, le caractère général du sol
est une inclinaison en pente douce vers le- nord el le sud...
Ce seuil île séparation atteint environ ISO mètres au-dessus
des liasses eaux du M'Bomou, ce qui correspond à une alti-
tude de 780 mètres1. »
Deux explorateurs, dont l'histoire retiendra les noms, le
lieutenant de vaisseau Gentil et le commandant Marchand,
se sont avancés,
ÏU>J*r "s"'^r".
binm
l'un par la Tomi,
dans le bassin du
Chari, vers le
Tchad, l'autre par
le M'Bomou, dans
le bassin du Bahr-
el-Ghazat, vers le
N'il. Tous les deux
ont touché le but.
Le magnifique
voyage de M. Gen-
til9, qui dura de
1X95 à 1898, a rap-
porté à la géogra-
phie un itinéraire de l'Oubanguï au Chari, les levés de la
Tomi, tf" (iribingui, du Chari et du Babr-Erguig jusqu'au
Tchad. A cette mission se l'attache le remarquable itinéraire
de M. Prins, du poste de Gribingui au pays de Snoussi. Au
total, 2,400 kilomètres levés, dont plus de 2,000 en pays
inconnu. Le tout est appuyé sur des longitudes, un grand
21 RAPPORT SDR LES PltOGRÈS DE I.A GÉOGRAPHIE
nombre de latitudes et une série d'observations scienti-
fiques. Nous allions oublier la reconnaissance du confinent
de quatre tributaires importants du Chari. Pour la première
fois un vapeur, le Léon Blot, a llolté sur les eaux du grand
lac, dont Monteil avait longé la rive septentrionale, entre
Barroua et Nguigmi (1892).
L'heureux chef de l'importante mission dn Chari a eu
l'honneur de placer le Baguirmi sous la protection de la
France et la joie de voir consacrer ses conquêtes par un
traité diplomatique. Par lui, le bassin du Tchad est devenu
le point de jonction géographique des trois groupes qui
composent l'Afrique française. Qui sait s'il ne sera pas
un jour leur point de jonction économique? Les missions
commerciales de MM. de Behagle et Bonnel de Mézieres,
d'autres encore, dont il serait prématuré de parler, sont un
acheminement dans cette voie. Le gouvernement a donné
à M. Gentil un avancement mérité et la Société de Géo-
graphie, qui l'a reçu a la Sorbonne, lui décernera bientôt
sa grande médaille d'or.
Le commandant Marchand quittait Brazzaville le t"mars
1897, remontait ensuite l'Oubangui, prenait, sur l'avis de
M.Liolard, la ligne du M'Bomou, et transportait, à force
d'énergie, toute sa flottille des bords de cette rivière dans le
bassin du Bahr-el-Ghazal. Le cours inférieur du M'Bomou,
impraticable, n'a été franchi ou tourné qu'au prix d'efforts
inouïs. L'hydrographie de cette section était à faire et fut
faite. Au delà des grandes chutes, le cours supérieur, encore
inexploré, fut relevé par le capitaine Bustier, qui remonta
cette voie de pénétration et son affluent de droite, le Bo-
kou, jusqu'à sa source. Pendant ce temps, le chef de la
mission poussait une pointe vers Lado, par les pays Bongo
et Miltou. La flottille parvint, par la voie Oubangui-M*Bo-
mou-Bokou, à 70 kilomètres de Tamboura (bassin du Nil),
soit à une distance de plus de 3,300 kilomètres de Brazza-
ville. Le commandant Marchand, après avoir reconnu le
plmiwt l'asnée 1898. 25
Soueh jusqu'au continent de l'Ûuaou, lit ouvrir une roule
de 5 mètres de large sur ltiO Momèlres de long pour
relier les deux points extrêmes de la navigation entre le
Congo et le Nil. Deux canonnières, une dizaine de cha-
lands, démontés pièce par pièce, 2,000 charges y passèrent,
tandis que lies reconnaissances déterminaient le cours de
l'Ouaou, du bas Soueh, du Bahr-el-Ghaziil, l'embouchure
du Bahr-e!-Arab, puis le lac No, enfin !e Nil, ou la flottille
s'engagea résolument pour aboutir à Fachoda, le 10 juillet
dernier'.
Entre temps, la mission dut, dans un combat héroïque,
triompher des résistances des Mahdistcs. Le but atteint,
elle songea au ravitaillement, lâche diflicile qoo sut remplir
l'enseigne de vaisseau Dyé, commandant du Faidlterbe.
Ce travail de géant était achevé et, pourtant, il fallut,
cinq mois après, prendre la roule à l'est, en laissant à la
diplomatie le soin de régler un différend.
1, au sujet du Bahr-al-Gbaïal on peut rappeler I
BcHwduflirth, 'le r'essi Pacha et du ti' Junker ; mais les
■:: M.LrcliriTiil jusqu'il ce tributaire du Nil ont L
de premier ordre au point de vue géographique.
26 RAPPORT SUR LES TOUCHÉS DE LA GÉOGRAPHIE
AhyMHiuie et Sonmi. — L'itinéraire du commandant
Marchand se complétera encore par le levé du Sobat ou
Baro, de son confluent à sa rencontre avec la rivière Djouba
on parvint, après une longue, périlleuse et laborieuse ex-
ploration, un autre Français qui venait de l'est, II n'a pas
dépendu de M. de Bonchamps de mener lui-même jusqu'au
bout la reconnaissance qu'il avait entreprise et qui, telle
qu'elle est, représente un des plus fructueux et des plus
remarquables voyages qui soit à mentionner dans ce rap-
port1. Ses deux principaux collaborateurs, MM. Michel et
Bartholin durent prendre avec lui le chemin du retour*.
II faut signaler, à côté de cette belle exploration en pays
neuf, qui d'Addis Abbaba aboutit aux abords de Nasser,
terminus d'un des itinéraires de Junker, le voyage scien-
tilique de M. G. Saint-Yves dans l'Erythrée, sur lequel
nous n'avons encore que des renseignements incomplets et
celui du vicomte Edmond de Poncins chez les Danakils et
les Somalis, dont les mœurs étaient aussi peu connues
que le pays. M. de Poncins a relevé environ 3,500 kilo-
mètres de route sur un trajet de 4,500 kilomètres. Ses
itinéraires sillonnent la contrée comprise entre Djibouti,
Harrar, Addis-Ahbaba et Ankober; ils lui ont permis de
dresser une carie au 1/666,660*, qui rectifie les cartes pu-
bliées en France ou en Italie sur le pays des Somalis et des
Danakils. Des déterminations d'altitudes, des notes sur le
climat, sur la faune et sur la flore du Choa, i
cabulaires nouveaux composent le bagage scienlifiqui
I. La conférence de H. de ttoncliamps a eu lieu à
que la ierture de ce rapporL; iiiissi avi.us-nous laissi'-
même le soin d'exposer les résultats scientifiques de
(,'. R„ 1898, p. 456, ei Bulletin, 1898, 4- trimestre, p. 404-4SJ
8. mm. Poller et Faivre, sut les Instaures de. M. de Born-Jr
veinent atteint, repartirent avec le dadjaz
atteignirent le cod Huent Sobal-Nil en juin 1898. Noua
douloureuse nouvelle de la mort de M. Potier, lue dan-
nu moment où il regagnait !e plateau tHliiopien.
PENDANT L'ANNÉE IX!
M
ce grand chasseur, qui ne dissimule pas ses sympathies
pour les races guerrières avec lesquelles il a vécu h dans ce
désert soraal brûlé par un soleil de feu, où les feuilles de
cactus se dressent rigides comme un fer de lance' ».
On connaît, d'autre part, les tentatives hardies du prince
Henri d'Orléans et du comte Léonliefl', celle de M. Clo-
chette, mort à la peine, et certaines missions qui eurent
pour objectif les régions situées au sud de l'Ethiopie.
La roule suivie par M. Darrag«u entre Addis-Ahbaha et
le lac Stéphanie est nouvelle. Bien que le voyageur ail été
souvent contrarié dans ses observalions par un brouillard
épais et qu'il n'ait pas eu à sa portée d'instruments précis,
il a réuni des documents intéressants sur la rivière Sageun
et sur les montagnes entourant le lac l'agadé (juin-ocl.
DWT). Celui-ci, reconnupar la mission Boltego (1895-181)7),
avait été signalé longtemps auparavant par M. A. il'Ab-
badie ; mais le petit lac Abbasi ne figurait sur aucune
carie.
Deux voyageurs autrichiens, le comte E. deWickenbourg
et M. Wahrmanu1, tentèrent vainement de traverser le
Choa ; ils se heurtèrent à un refus du Négus et durent li-
miter au pays des Somalis leurs explorations. Le comte de
Wickenbourg a effectué deux itinéraires. Le premier, de
mars à octobre 1897, a été mentionné l'an dernier. Ce tracé
circulaire, de 3 degrés de diamètre environ, part de Ber-
bera sur le golfe d'Aden, traverse le pays inexploré des Dol-
bobanlé et l'Haoud. Le second se développe dans le sul-
tanat de Zanzibar et aux confins des colonies allemandes
et anglaises de l'Afrique orientale ; il contourne à l'est
le Kilimandjaro et longe le Tsavo, de sa source au tracé
du chemin de fer de l'Ouganda, à peu de dislance du
Sabaki.
. Bulletin, 18US. 1" irimeslra, (
i. felernuznn's MilteiluiHjru.,
. p. 4SI: curie. — MUr. Suc.
28 RAPPORT SUR LES PROGRÈS DE LA GÉOGRAPHIE
Le voyage de M. Wahrmann, achevé en 1898, se rap-
proche d'abord du la partie orientale du premier itinéraire
de sors compatriote et porte également sur des régions nou-
velles, telles que le Fafan. Sa route traverse les vallées du
Biahemedou et du Boholorlimou, longe le Daghbour jusqu'à
sa jonction avec le Ouebi-Cbebel, prend ensuite une direc-
tion nord et se poursuit, non sans peine, par le pays des
Ali Somalis, vers l'IIaoud. Cet itinéraire, joint aux premiers
levés tle M. de Wickenbourg, constitue un document carto-
graphique important sur la région comprise entre l'Abys-
sinie, le bassin de la Djouba ut le cap Guardafui.
Les missions Wellby et Delamere ont également dirigé
leurs explorations dans celte partie de l'Afrique, le premier
au sud-ouest de l'Abyssin ie, le deuxième dans le pays des
Somalis.
Au cours d'un voyage en Ethiopie, le D* Slcboussof a pu
visiter les sources sacrées du Nil Bleu et le lac Tana.
Afrique opifinnic. — Si la descente du Nil n'a pas ré-
pondu aux espérances de l'Angleterre, sa montée s'est
effectuée avec autant de méthode que de succès. A vrai dire,
ceci n'est plus de l'exploration. Mais, cependant, il est bon
de retenir quela marche sur Khartoum,longleinps différée,
n'a été entreprise que le jour où les Anglo-Égyptiens se
sentirent appuyés par une voie de communication capable
d'assurer le ravitaillement.
Leur mode de pénétration, moins rapide que le nôtre,
aboutit à une prise de possession durable. Nous avons
examiné, l'an dernier, les grands travaux des [lusses le long
du Transsibérien et du Transcaspien ; nous pourrions, de
même, exposer les grands travaux des Américains et des
Canadiens et, sans sortir de l'Afrique, les grands travaux des
Anglais, des Allemands et des Belges.
La pénétration anglaise au Soudan s'est affirmée après
la prise d'Omdurman ; mais elle se manifestait depuis
PENDANT L'ANNÉE 1898.
29
de longues années sur la ligne Le Cap-Alexandrie1. On
connaît la voie projetée de Souakim à Berber ; il faut
citer aussi, du côté des cataractes, le chemin de fer de Ko-
rosko à Abou Ahmed et Berber qui coupe la boucle du Nil
et doit aller jusqu'à Khartoum. La pose des rails, qui con-
vergent vers le Victoria-Nyanza, s'effectue rapidement et le
chemin de fer de Mombassa au grand lac ne progresse pas
100 kilom.
ÂLbtrt
moins. Sur 423 kilomètres, 261 étaient livrés à la circula-
tion en août dernier. La. voie s'arrêtait à Mtoto-Andéï;
Maji-Choumoï, lieu situé à 53 kilomètres de la côte, était
signalé comme le point culminant de toute la ligne entre le
lac Victoria et la mer8. Une route carrossable relie déjà
ces deux localités. Cette entreprise assurera à l'Angleterre
la possession du grand plateau central.
1. Carte de la vallée du Nil, du lac Tchad et du Congo, par Prompt,
H. Barrère, éd. Paris, 1898. — Afrique, carte générale des voies de
communication, Service géographique des colonies, 1897.
2. Peterm. Mitt., X, 1898, p. 231.
30 RAPPORT SIM LES PKOGIIÈS HE L\ GËOGIUPI1IE
Un lil télégraphique, en attendant une ligne de Ter, longe
le lac Nyassa qu'il rattache au Tanganyîka. Plus bas, c'est
la voie ferrée qui, du Cap, par Mafeking, Boulouvayo, va
rejoindre le Zamhèze et le rentre africain.
Sur la côte occidentale, les efforts ne sont pas compa-
rables, mais la même tendance, le même procédé de péné-
tration apparaissent. Nous n'en voulons pour exemple que
les travaux commencés en Sierra-Leone.
Parmi les missions anglaises dans l'Afrique centrale et
l'Afrique orientale, se distinguenl celles de MM. Gibbons
(Haul-Zambèze), Wallace (lac Roukoua), Cîaud Hobart (ré-
gion est du Vicloria-Nyanza), Kirkpatrîk (lac Kodja), Mac-
donald (de l'Ouganda au lac Ilodolphe).
L'imporlance du plateau central et de la région des
grands lacs n'a pas échappé a l'Allemagne. Son projet de
chemin de fer de Tanga, eu face de 111e Pemba, à Aroucha,
est en bonne voie d'exécution. On le prolongera sans doute
jusqu'au Victoria-Nyanza, parallèlement à la ligne anglaise
de Mombassa. Une aulre voie ferrée reliera le port de Ita-
gamoyo. en l'ace de Zanzibar, à Oudjidji, sur le lac Tanga-
nyika. Il est même question de faire partir de Tahora un
embranchement vers le nord, qui détournerait le commerce
de l'Ouganda de sa voie naturelle.
L'Est africain allemand, riverain des trois grands lacs, a
été, dans ces trois dernières années, parcouru et levé en
plusieurs sens par les missions Prince, lïornhardt, Capus et
Wulfeu, Trolhn, Eflgelhardt, Knndl. Ilamsay. M. Boruhardt,
entre autres, a étendu ses levés, appuyés sur des détermi-
nations astronomiques, de Dar-es-Salam a Hovouma, le long
de la côte, puis de la baie de L'mdy au lac Nyassa, entin
dans la région que baigne le nord de ce lac. M. Engelbardt
a relevé le cours supérieur du Rovouma et sillonné le sud-
ouesl de la colonie. Le 11' Kandl a exploré le sud du bassin
du M.dagarasi, tributaire du Tangaoyika. La partie nord re-
i
PENDANT L'ANNÉE 1898. 31
vient au colonel de Trotha qui fit également des levrs dans
rOuroundi et sur le littoral du Victoria1.
En parlant des missions belges Lange et Long au lac
Rivou, nous avons eu l'occasion de citer, dans le rapport de
1897,1e nom du capitaine allemand Ramsay2. Son œuvre
est aujourd'hui mieux connue. Dès février 1897, le major
Wissmann l'envoyait, avec une forte escorte, sur les bords
du Tanganyika. De Bagamoyo, en face de l'île de Zanzibar,
il se rendit à Tabora par la région peuplée et fertile de
Tourou, traversa trois tributaires du lac qu'il atteignit le
8 mai. Pendant dix-huit mois, il rayonna dans cette con-
trée. La géographie lui doit la reconnaissance du haut
Malagarasi, le cours de la Kagera, du Rouvourou et du
Louviranza, à l'extrême nord du Tanganyika. Il a complété
et rectifié les données fournies par le Dr Raumann. Sans
résoudre complètement la queslion des sources du Nil, il a
comblé bien des lacunes de la carte au nord-ouest de la
colonie allemande. Le pays parcouru, d'une fertilité re-
marquable, contient des plateaux comme celui de Rouanda,
qui s'élèvent parfois à une altitude de 2,000 mètres, et un
lac (lac Ssakke), de 7 kilomètres sur 3, dans lequel la sonde
accusait 2 m. 75 ou 3 mètres de profondeur. Au sud
d'Oudjidji, une autre exploration du capitaine Ramsay a
augmenté nos connaissances sur le versant est el sud-est du
Tanganyika, dans le Kaouendé et le sultanat de Fipa. Ses
observations portent encore sur le lac Roukoua, situé au
pied d'un plateau de 1,500 mètres d'altitude. Toute cette
région déshéritée contraste avec les riches territoires du
nord; aussi le caractère des indigènes se ressent-il de ce
dénuement.
Le Kilimandjaro, découvert par l'Allemand Rebmann en
1848, a tenté, cette année encore, le célèbre ascensionniste
i. VerhandU Soc. Géogr. Berlin, 1898, n° 5-6, p. 270.
t ibid., I8H8, P. 302.
SlïR l.ËS PltOCRKS HE L\ GÉOGRAPHIE
H;ins Mayer, qui reconnut, sur le versant nord, un vaste
plateau et trois glaciers s'élevanl à plus de 5,000 mètres.
Son exploration lui permit de déterminer la limite des fo-
rets et des laves.
Oneal nfricnin. — Les reconnaissances effectuées depuis
quatre années dans le Damaraland, appela aussi Damaland,
nécessiteraient un remaniement complet de la carie. Des
éludes nouvelles ont amené la rectification du cours du
fleuve Orange et de l'Okavango, des modifications pro-
fondes dans l'hydrographie et surtout dans l'orographie de
celte colonie, où les Allemands vont construire un chemin
de fer, qui reliera la haie de la Baleine (Walfish Bay) à la
jeunecapila!e,Windhoek,ailuéeau pied du montOlyhivère.
Le même esprit pratique dirige la colonie allemande de
Cameroun, qui se dispose à rendre effective la possession
des territoires du bassin du Congo que la convention franco-
allemande de 1894 lui a dévolus. Déjà, M. le lieutenant de
Carnap a étendu ses reconnaissances au sud-est de celte
colonie et, de là, par la Sangha et l'Oubangui, s'esL rendu au
Stanley Pool pour- prendre part à l'inauguration du chemin
de fer congolais. L'occupation de la partie allemande de
la vallée de la Sangha aura sans doute pour conséquence
la mise en valeur de celte région1.
Le gros événement qui, en juillet dernier, faisait affluer
dans l'État indépendant du Congo les délégués des princi-
pales puissances est l'inauguration du chemin de fer de
Matadi à Slanley Pool. Nous ne pouvons que féliciter nos
voisins d'avoir su mener à hien, malgré la difïiuullé du ter-
rain, cette entreprise qui transformera les conditions éco-
nomiques de toute l'Afrique équatoriale. Pour utiliser cet
immense réseau navigable qui s'étale entre le Nil et le Zam-
1. Le Temps, 17 d
PENDANT L'ANNÉE IS98. 33
léze et se réunit au Stanley Pool, il fallait ou forer un
■ dans un relief de 300 kilomètres ou tracer une voie
contournant les rapides sur une longueur de 390 ki-
es. Le dernier plan, seul pratique, fut exécuté en
huit ans et ne coûta pas moins de tiâ millions; aujourd'hui
relie en quelque sorte le Tanganyika à l'Atlantique
et elle ouvre aux marches de l'Europe tout le centre africain.
Le roi des Belges a attaché son nom à celle œuvre que le
major Thys et notre compatriote M. Espanet surent diriger
i et terminer ; mais d'autres ont concouru au succès de cette
I entreprise en démontrant son utilité par leurs explorations.
' oniprenona-nous la fierté de la Belgique qui fMe en
■ Irconstance les Delcommune, les Cambier, les Dha-
, es Lolhaire, les Chaltin, etc., qui tous ont concouru à
commune.
■■dafiaeir, — Une dernière œuvre géographique nous
retiendra encore quelques instants dans le groupe africain,
c'est celle que notre illustre collègue, le général Callieni,
gouverneur général de Madagascar, accomplit dans la grande
', La pacification se produit activement sur tous les points
les Sakaîaves suscitaient des troubles, et les opérations
d«s colonels Sucillon eLLyauley, des commandants Gérard,
l'iitz, Durand, du capitaine Lucciardi, etc., dont les derniers
(bmrlers nous apportaient des nouvelles, amènent chaque
jour la soumission de groupes importants.
La route carrossable qui reliera Tananarive à Fiana-
nntsoa est activement poussée sous la direction du com-
mandant Lavoisot.
Celte dernière ville, capitale du Betsiléo, a été le point de
départ d'explorations qui nous intéressent d'une façon toute
-|HVi:ik\ Celle du capitaine de Tbuy couvre une région très
lit Madaqnicar, Paris, 1898. — i
BMiwncci, Tananai'ive, 1KH8.
I démh. - 1" TBiMsatKE ISS».
Ht RAPPORT SUR L1ÎS J>nOCRÈS DE LA GÉOCRAPfflE
peu connue où ae développe la vallée du Mangoky. Un mé-
moire, parudanslesA'ofi'*, Reconnaissances et Explorations
de janvier 1898, conlienl des indications précieuses sur la
nalure physique du pays Bara, la navigabilité du Heuve et
les ressources de la contrée.
Le capitaine Lefort, parti du même point, se porta au
sud, releva la Mananara jusqu'à son embouchure dans la
mer des Indes, descendit
à Fort-Dauphin, puis re-
montant au nord par les
affluents du Mandrare, il
passa dans les vallées du
Mançoky et de l'ihosy
pour retourner à Fiana-
rantsoa. Au nord-est de
cette ville, M. le chance-
lier Durand a enlrepris
diverses reconnaissances.
Dans le Belsimisaraka, le
lieutenant Braconnier a
éludié les bassins côtiers.
Dans l'Ambongo, le
Milanja et le Bouéni, où-
îl a effectué up parcours de plus de 600 kilomèlres,M. Prince,
pharmacien de la marine, a pu réunir des noies géologiques,
zoologiques, botaniques et économiques consignées dans
son journal de marche. Malheureusement son «pim-aiiini
dans des régions accidentées et parfois malsaines a dépassé
ses forces et il est mort à Majunga au mois de mars 1898.
L'bypsomélrie de la partie nord de Madagascar se lixe, et
M. E. F. Gautier a pu en donner la description en s'appuyant
sur les voyages de MM. Meurs, Boucabelle, Duruy et sur les
colonnes du capitaine de Bouvié. Indépendamment du grand
massif de l'imérina, il existe un plateau très élevé au nord.
Une large vallée sépare ces deux soulèvements et forme la
PENDANT l'année 1x98. 35
mute naturelle qui relie l'est à l'ouest, c'est-à-dire le Bel&i-
lïiisamka au liouéni. C'est le chemin du commerce, qu'il
était important d'explorer. Aussi de nombreuses recon-
n ces ont-elles été dirigées dans la vallée duMahajamba
H du Bemarivo et sur les bords du lac Alaolra.
Sur le versant occidental du plateau du nord jusqu'au ca-
n.')! de Mozambique s'étend l'itinéraire de la mission i.
Milkovski et A. J. Boyer, limité Its long de la cote par l'em-
bouchure de la Betsiboka et la baie du Mabajamba.
Il faut remonter plus haut encore, atteindre Nossi-bé,
puis aborder à Ambohimitatao, dans la baie Ampasindava,
pour suivre la route levée au théodolite par notre collègue
M. de Hechniewski '. Il remonta en avril dernier le Sambi-
m no et sillonna la partie occidentale de l'Ankaiana, puis il
; la baie d'Ambaro et celle de Tsimipaika. La zone
montagneuse, 1res fertile, rappelle certains sites de l'Amé-
rique du Sud, tels que la région du Chaco et du Paraguay ;
l'autre, proche de la mer, est sablonneuseou marécageuse,
parfois propre à l'élevage, ruais moins riche que la vallée du
Sambirano.
Du voyage de M. Guillaume Grandidier, nous avons eu
déjà l'occasion de parler '. Nous connaissons les recherches
pal éontologiq ues de cet explorateur sur la côte ouest, au
Morondava, ses itinéraires dans le bassin del'Onilahy, dont
il releva plusieurs affluents. 11 fut attaqué deux fois par des
partis Bara en remontant du pays des Antanosy émigrés à
Ihosy. Continuant sa roule par le Hetsiléo jusqu'en Imérina .
il atteignit Tananarive. Il décrivit ensuite un autre itinéraire
dans le ttouéni et l'Antsihanaka. Si ses projets se réalisent,
M. Guillaume Grandidier rentrera en France au milieu de
mai, quatorze mois après son départ. Son voyage, préparé
née soin, sera profitable à la géographie physique et à l'his-
36 RAPPORT SUR LES l'BllGRÈS f>E LA <;KO<iRAPPIE
toire naturelle. Il a réussi à accomplir une œuvre scientifi-
que et ulile dans celle grande île que le labeur de son père
a si largement contribué a faire entrer dans le patrimoine
intellectuel et moral de la France, avant qu'elle ne lit partie
intégrante de notre domaine colonial.
L'étude des routes et îles voies ferrées suffirait à elle seule
pour remplir une séance '. On en trouvera les éléments dans
les Notes, Reconnaissances et Explorations comme dans le
liuUrtin du comité de Madagascar, qu'il s'agisse, par
exemple, des routes destinées à relier Tananarive à Fiana-
rantsoa et à Andévoranle ou qu'on se reporte au tracé du
chemin de fer de Tamalave à Tananarive.
La tache accomplie sous l'impulsion du général Gallieni
pendant l'année qui finit, mériterait de plus amples déve-
loppements. Mais, forcé de nous resleindre, nous n'avons
pu que l'indiquer. Elle n'est pas seulement précieuse pour
le géographe ; elle est réconfortante pour le Français.
A*la niHHo. — La part faite dans le rapport de 1893 aux
travaux des Russes en Asie rendrait superflu un nouvel
aperçu du plan qui s'exécute, fie plan, d'ailleurs, ne pouvait
manquer d'attirer l'attention des géographes en raison des
découvertes que son étude et son exécution ont entraînées.
Nous sommes heureux de constater que des érudits' ont
pu donner depuis à ce sujet plus de développement que
n'en comporte la revue des faits géographiques d'une année.
Les progrès continus de nos connaissances sur la côte
sibérienne, sur le parcours du Transsibérien et du Trans-
1. Une noie iléUtillée iW. M. Jugaa
1899.
t. Annales de féogr., article île M
Kuitiri en Asie septentrionale, l. VII
s C. /?. île
PENDANT L'ANNÉE 1898. 37
, sur les frontières île l'Empire russe, dans le bassin
s grands fleuves et sur le versant de l'océan Pacifique, né-
cessitent une réfection de la carte de l'Asie septentrionale
Et d'une grande partie de l'Asie cenlrale.
Du jour où la navigation sur le cours de l'Ob et de
l'Ienisseï a été admise comme possible, nous avons eu à
tenir compte de reconnaissances hydrugraphiques qui ont
précisé les découpures des estuaires. Nous avons cité les
recherches de M. VilkiUki, celles du capitaine Wiggins et
l'expédition de M. Hogdanovitch vers la mer d'Okhotsk et le
Kamtchatka.
A l'est de l'élranglement de cette presqu'île, la mer de
Behring baigne les côtes d'une terre peu connue, l'île Kara-
ghinski. Deux officiers, MM. Barrel-Hamillon et Jones lui
rendirent visite en août 1897 '. Son exploration méthodique
fut entreprise par eux. Aujourd'hui, sa forme, son étendue,
sa position sont déterminées. A ces résultats s'ajoutent des
observations sur la température de l'eau dans le détroit
d'Oukinsk et des rensei-
gnemenls précis sur les
habitants de l'île, mé-
lange de Tcboukchis, de
Koriak et de Kamtcha-
dals se rattachant à la
race mongole.
Au cours de ses excur-
sions entre la Lena et la
Kolyma, sur le littoral
del'océanGIacial ctdans
les bassins qui s'y déversent, M. loehelson s'est surtout oc-
cupé des races aborigènes sans ccpendanL négliger le cûlé
raphiqtie*. Pour s'en convaincre il suffit de jeter les
s sur le cliché ci-dessus.
J8 IUPPOIIT SUH LES PROGRÈS UE LA GÉOGRAPHIE
Les entreprises de la Société hambourgeoise ont un tout
autre caraclère. Leur bul est d'assurer lin transit régulier
sur le fleuve Amour. Peu à peu la vie économique pénètre
en Sibérie par le nord et par l'est, en même temps qu'elle
afflue dans le cœur même de l'Asie par le Transsibérien.
Les deux tronçons de la grande ligne transcontinentale
se rapprochent. La locomotive relie Irkoutsk à Moscou et
Vladivostock à Strelensk. Encore un elFort et la soudure
se fera à travers la Transbaïkalie.
L'artère immense, qui mettra dans un avenir prochain
Moscou en relation avec Port-Arthur, établira de même
une communication entre la mer Jaune et la mer Blanche
par l'embranchement qui passe à Vologda et rejoint
Arkhangel.
.■i-.tr ceotraie et Tibet. — La carte de l'Altaï, qui, dans
toute sa partie orientale, est loin d'être achevée, s'est cepen-
dant transformée depuis quelques années par les décou-
vertes de MM. Sapojzrikof, Sobolef, Ignalof et Loulzenko,
Tronof, etc. L'idée que, seul, le massif de la Beloukba
contenait des glaciers, n'a pas tenu devant cette enquête qui
signala la présence d'autres glaciers, notamment dans les
monts de Katoun et les monts Kanas situés à l'ouest et au
sud de ce groupe, qu'on compare aujourd'hui à la chaîne
des Alpes.
Plus au sud, M. Pantoussolf, conseiller d'Etal à Vernyi,
entreprit une exploration qui amena la découverte sur les
bords rocheux de l'Ili d'une série d'inscriptions et de ligures
kalmoukes et tibétaines gravées dans la pierre, et dont les
photographies sontà la Société1.
Ici nous sommes dans le Sémiretchiè, où se développe la
partie occidentale du système des Tian-chan dont M. Saint-
Yves étudiait, l'an dernier, les six rameaux principaux en
1. Compte- note, tWH, p. :tit-:tii.
PENDANT L'ANNÉE 1898. 39
s'appuyant sur les travaux cartographiques de l'état-major
russe.
C'est d'Och en Ferghana que partit sous la direction du
lieutenant Olufsen * la seconde expédition danoise au Pamir,
pour y continuer ses levés topographiques et ses observa-
tions physiques.
L'élé se passa à lever la carte de plusieurs lacs tels que
le Yachil-koul, le Bouloun-koul, leFous-koul et deux autres
nappes voisines de la passe Chargach, situées à plus de
4,000 mètres d'altitude. En se rendant par le Vakhan sur
les rives du Pàndj, la mission a traversé une région criblée
de sources sulfureuses jaillissantes qui font songer au Yel-
lowstone Park des États-Unis. Des sondages, des observa-
tions astronomiques et météorologiques appuient ces levés,
qui seront continués après l'hiver.
L'accès du Ferghana est actuellement facilité par les
progrès du Transcaspien. Cette ligne est construite d'un
côté, jusqu'à Tachkent, avec prolongement sur Vernyi, de
l'autre jusqu'à Andidjan.
Nous n'avons pas d'explorations importantes à signaler à
l'ouest de l'empire des Indes, si ce n'est la dernière partie
du long voyage de M. Marcel Monnier 3, qui se fît sur l'iti-
néraire parcouru par les invasions mongoles. En sep-
tembre 1897, nous l'avions laissé devant les ruines de
Karakoroum. Des rives de l'Orkhon il gagna les sources de
l'Ob, traversa le Turkestan, atteignit la Perse. A la fin de
janvier 1898, il était à Téhéran. Un mois plus tard, par
l'Euphrate et Babylone, il arrivait à Bagdad et, le 26 juin, il
rentrait à Paris après quatre ans d'absence avec un levé au
l/100,000e de plus de 2,000 lieues. Il y aurait lieu d'insis-
ter sur les résultats géographiques de ce voyage si nous
n'avions déjà apprécié dans les publications de la Société
les travaux de M. Marcel Monnier.
1. C. R.9 p. 297.
1 C R., 1897, p. 358-361; 1898, p. 296-297. V. carte ci-contre.
HÀPPORT SUR LUS PIlOlîH
L'expédition austro-suédoise du comte Landberg et <
professeur David Millier, partie récemment pour étudier l
ruines de l'Arabie, n'est encore qu'à ses débuts.
Les observations de M. Spindler dans le Kara-Bougaz
portent principalement sur la température des eaux de la
Caspienne1,
Celles de M. de Déchy* dans le Caucase concernent les
S? „q£*^ ^g
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MARCEL MOfUMCR
glaciers et sont une précieuse contribution à la géographie
physique de ce grand massif, sur les versants duquel M. le
baron de Baye dirige ses recherches ethnographiques.
Dans l'Inde, en dehors des opérations militaires des
Anglais et des tentatives de pénétration dans le Tibet par le
Ladak, il faut noter le voyage du capitaine Novilzki, de
l'armée russe. Parti de l'Inde méridionale, il visita le
Beloutchistan anglais, le territoire des Afridis et rentra en
Russie par le Kachmir et le Turkestan oriental, rapportant
PBSDÀST l'anhée 1H98.
de son voyage, outre ses noies et ses levés, i
il
collections
géologiques et d'histoire naturelle.
Le cœur même du Tibet n'a pas été atteint par des Euro-
péens depuis le mémorable voyage de Dulreuil de Rhins;
mais l'ampleur, l'importance de ta parlie scientifique de cette
exploration, qui coûta la vie à notre collègue, s'éclaire d'un
jour singulier à mesure que la publication des travaux
accumulés par la mission se poursuit. Ce sera l'honneur de
M. Grenard, second de Dutrcuil de Rhins, d'avoir, par un
travail opiniâtre, rassemblé et mis en valeur tous ces maté-
riaux pour en faire un monument durable. N'ayant pu
sauver la vie de son chef, M. Grenard a conservé son œuvre,
et il nous la rend en 3 volumes, qui supposent chez leur
NAeurdes connaissances aussi variées qu'étendues.
Detix autres voyages accomplis au Tibet, l'un avant,
l'autre après la mission Dulreuil de Rhins, ont été publiés en
1898.
Le premier, exécuté de 1891 a 1893 par M. Raza-Mon-
kodjoueir, Kalmouk de naissance, mais instruit à l'euro-
péenne, nous conduit à Lhassa même*. Cet explorateur
passa par Astrakhan et Kiakhta, suivit les roules de
MM. Prjevalsky et Hue et put, en sa qualité de bouddhiste,
s'incliner devant le dalaï-lama. Sa relation a paru en langue
mongole et en langue russe.
Le second nous fait traverser le nord du Tibet, en parlant
de Leh, capitale du Ladak, pour aboutir à Lan-tchéou sur le
Hoang-ho et parce lleuve à Pékin. C'est le voyage du capi-
taine Wellby et du lieutenant Malcolm, dont l'itinéraire,
suivi en 1896, se maintient aux envivons du 35" latitude,
puis remonle au nord-est, à travers le Tsaïdam, pour con-
tourner le bord septentrional du Kouk-nor et suivre le
versant méridional de la chaîne des Nan-Chan. La publica-
tion de cette exploration, très sérieusement conduite, fait
l. Hôte i!e M. Véuukoff [Compte» ren.iiu de janvier layy, p. 43).
^■i
ii BAPPORT SDH LES PilOGBÈS DK LA GÉ(
ressortir l'importance des résultats obtenus*. Comme l'a
fait remarquer M. Grenard, il était très intéressant pour
notre connaissance d'ensemble de la géographie du centre
asiatique d'accomplir la traversée des bauls plateaux de
l'ouest a l'est, autant que possible sur le même degré de
latitude. Ce programme, M. Wellby sut !e mener à bonne
lin, emprunlant d'abord la route de Dutrenil de Rhins, puis
obliquant au nord et y découvrant, à l'ouest du Yachil-koul,
un lac considérable, se maintenant ensuite entre le prolon-
gement des monls Kouk.cb.ili, au nord, et ceux des monts
Dongbouré, au sud. A cette mission appartient encore la
reconnaissance de plusieurs branches du haut fleuve Bleu,
dont l'hydrographie avait été déjà révélée sur d'autres
points par les missions Rockhill et Dulreuil de Rhins.
L'exploration de MM. Wellby et Malcolm a porté sur près
de 3,000 kilomètres, dont. 1,600 au moins sont entièrement
nouveaux.
La partie du voyage du Dr Sven-lledin (1893-97) qui se
rapporte au Tibet s'esl effectuée plus au nord sur l'autre
versant des Kouen-lun, puis au Tsaidam, où les itinéraires
se rapprochent et souvent se confondent. Celte traversée
mouvementée, dont ou connaît le succès, a été exposée par
son auteur devant la Société. Le rapport précédent l'a
signalée et nous n'aurions pas à y revenir, si nous ne tenions
à mentionner, à côlé de l'ouvrage suédois où le W Sven-
lledin expose les circonstances et les résultats de sa péril-
leuse exploration, le beau volume que vient d'en extraire
M. Rabot sous ce litre : Trois Ans de luttes aux déserts
d'Asie '.
De tels exemples stimulent l'énergie des audacieux. A la
fin de novembre 1897, deux Allemands, les docteurs Futlerer
et Holderer, quittaient Karlsruhe se rendant à Och par le
chemin de fer transcaspien, puis à Kachgar par le Terek-
PENDANT l'année 1898. 43
Davan. Leur exploration a débuté par l'étude du système
orographique de l'Alaï. Gagnant ensuite le bassin septen-
trional du Tarim, ils s'engagèrent dans la portion monta-
gneuse du Gobi et recueillirent des notes nombreuses sur la
constitution du sol, le régime désertique et les conditions
climatériques de cette contrée. Sur les versants nord et sud
de cette haute région, longue de 250 kilomètres, les dépres-
sions sont envahies par des amas de roches tendres qui
semblent se rattacher, d'une part, aux contreforts du Tian-
Chan, de l'autre, à ceux du Nan-Chan. C'est dans cette région
où les sables arides et les steppes herbeuses se succèdent,
qu'on observe les plus hautes températures et la plus
grande sécheresse de l'air. L'itinéraire de MM. Futtereret
Holderer se prolongeait en juin jusqu'à la ville chinoise de
Liang-tchéou *.
Chine. — A l'autre extrémité du Gélçste Empire, com-
mençait, au début de 1897, la tournée du Dr Cholnoky3. Ses
excursions le conduisirent dans le delta du Yang-tsé, et dans
la région comprise entre la baie du Hang-tchéou et le fleuve,
où il put étudier la composition du sol et les dépôts allu-
vionnaires. On le retrouve au printemps dans le désert
mongol, plus tard à Vladivostok, d'où il descend en Mand-
chourie. Ses principales découvertes furent faites dans la
région de TOu-mosso, entre Houn-tchoun-fou et Kirin, où
fat reconnue une région volcanique, et ses levés au
i/100,0008 contiennent de nombreuses données sur le partage
des eaux du Soungari et du Liao-ho. Enfin, ses détermina-
tions astronomiques reportent à un demi-degré plus au sud
qu'elles ne le sont sur nos cartes la ville de Houn-tchoun-
fou et la pointe nord de la Corée '. Les détails nous man-
1. Verhandl. Soc. géogr. Berlin, 1898, nos 5-6, p. 263; n°"8-9, p. US.
- Peterm. Mitt.y X, p. 237.
3. Voir l'itinéraire, p. 48.
3. Peterm. Mitt.y 1898, 111, p.
4-i RACPOl
quenL surta dernière partie de ce voyage, que le IJ' Cholnok;
comptait entreprendre le long du Hoang-ho en partant 6
Pékin.
Les itinéraires de la mission lyonnaise en Chine ont été
résumés dans le rapport de 1891 et noire collègue, M. Bre-
nier, a pu les décrire plus en délail à cette tribune; mais
l'enquête accomplie sous les auspices de la chambre de
commerce de Lyon a été si féconde en résultats scientifiques
et pratiques que nous devons signaler l'apparition du grand
ouvrage qui les uxe, les coordonne et les condense. Sur
20,895 kilomètres parcourus dans l'intérieur de la Chine,
13,335 ont été levés à la boussole, chiffres supérieurs à ceux
que nous avions recueillis l'an dernier sur cet itinéraire. Le
pendant l'asnee 1X98. 45
voyages, où la géographie descriptive et l'eth-
nologie ont une large part, l'orme la première partie île la
' publication; les rapports commerciaux et les notes diverses
>ur certains centres et certains produits composent la se-
conde. En un mot le livre répond au programme de la mis-
n qui, en dehors d'une enquête sur le commerce de nos
possessions indo-chinoises, en dehors d'une étude spéciale
ir le Se-tchouen, en plus d'investigations techniques sur
l le commerce général de l'empire et le parti qu'on pourrait
■, contenait une série de questions d'ensemble devant
des recherches et conduire à des solutions pra-
«Dans cet Extrême-Orient, conclut M. Brenier', vers
;l se déplace l'axe politique et économique du monde,
s pouvons jouer un beau rôle soit par nous-mêmes,
.: par notre Indo-Chine. Cette magnifique colonie nous
e plus de 1,000 kilomètres de côte sur le Pacifique et
régions fertiles, habitées par une race nombreuse ma-
', travailleuse et prolifique... »
n'est pas surprenant que les économistes choisissent
■éférence l'Extrême-Orient comme champ d'étude. Tout
irellement, M. Pierre Leroy-Beaulieu devait s'y rendre.
travaux sur la Sibérie orientale se compléteront par les
} qu'il a accumulées sur la Chine et le Japon. Son at-
s'est portée sur les centres commerciaux de l'est :
tin, Tien-tsin, Changhaï,Tokio, Osaka, etc. Celle grande
.■ersée de l'Asie se termine par la visite du Tonkin et de
» Cochinchine et de l'Inde1.
Dans les provinces limitrophes du Tonkin s'est effectuée,
à la lin de 1H96, une exploration française, dont l'itinéraire
D'avait pas été communiqué à la Société lors de la lecture
dent rapport. M. François, consul de France à
Long-lchéou, eut l'occasion de remonter sur une jonque
46 «APPORT SUR LES Pnm.IlÈS DE LA GÉOGRAPHIE
le Si-kiang ou rivière de l'Ouest jusqu'à son confluent avec i
le bras qui lui amène les eaux du versant tonkinois '. 11 s'en-
gagea ensuite sur cet affluent, nommé Tsou-kiang dans la '
carte de M. Brenier. 11 eut l'occasion de suivre les deux voies j(,
fluviales qui se réunissent à Long-lchéou, descendant, l'une
de Lang-son. l'au-
tre de Cao-bang.
Enfin, reprenant le
chemin de Can-
ton, M- François
empruntait une
deuxième fois le
cours de la rivière
de l'Ouest et reve-
nait à son poste
après avoir dressé
de ces différentes
voies de naviga-
tion une carie au
1/20,000- très dé-
taillée, accompa-
gnée d'une série
de vues donnant
l'aspect général
des rives el des sites environnants. Après un court séjour en
France, M. François, à peine remis de ses fatigues, a repris
le chemin de Canton et tout nous fait espérer qu'il fera,
cette fois encore, une ample moisson de faits intéressant la
physique terrestre autant que la géographie économique.
Une mission scientifique, qui mérite toute notre attention
a élé confiée celle année à M. Bonin qu'accompagne M. le
vicomte de Vaulserre. lîn avril 1H98, les voyageurs remon-
taient le Yang-lsé. Après un arrêt à Tchoung-king (Se-
1. Xolcx de voyage, archive
a SudiHé.
pbhdakt l'année 1X98. 47
Ichoueii) ils arrivèrent en août à Soui-fou, terminus de la
navigation du tleuve. Leurs éludes ont porté notamment
tnr sa navigabilité et sur Ûmei-chan, la montagne sainte
de* Chinois et Tibétains bouddhistes'. Ils s'occupaient à
celte époque de !a rectification du tracé de la vallée en
amont de Souï-fon et comptaient faire roule vers Tali-fou
pour compléter les résultats géographiques du précédent
tarage de M. Bonin*. Nous espérons que des nouvelles pro-
chaines nous renseigneront sur la suite de cet itinéraire
dans le ïunnati et le Se-lchouen et sur les découvertes que
la mission ne manquera pas de faire dans cette contrée
abrupte qui termine à l'est le massif tibétain.
Dans le sud du Yunnan, le Dr A. Henry a pu constater
noe, malgré la prédominance de l'élément chinois, les abo-
rigènes présentaient certains caractères des races negrito,
malaise et même caucasienne''. C'est là un champ d'étude
pour les anlhropologistes. A ces documents s'en ajoutent
beaucoup d'autres qui se rapportent plus particulièrement
aux sciences naturelles.
La lutte commerciale des Occidentaux en Extrême-Orient,
entreprise au lendemain de la guerre sine-japonaise', a eu
pour conséquence un remaniement dans la géographie po-
litique de la Chine. Les Allemands, qui ont donné le signal,
1. Les tapeurs peuvent remonter le ïang-tsé de Clianghaî à 1-ctiang
sur une longueur do 1,751) kilomètres i'i les euifoiircati.ms légères pour-
suivent leur route à 1,100 kilométra plus loin, c'est-à-dire sur plus de
: lé de son cours. Cependant, sur les liOO kilomètres <|iii séparent
l-cliiuig lie Tchang-king, on rencontre une. soixanlaine île rapides (gui
-ihr l'iiisiallaituii par les Chinois de reluis de coolies et de
;i . nivi.iiiiM [iri'i'icux pour le voyageur. Au delà de Tchang-
ri galion n'offre plus de difficultés sérieuses.
imptc* rendus, 1898, p. 31)4; î«99, p. 3a.
3. .Volurc, nov. 1898, p.tlt.
L Lu Corée indépendante, juste ou japonai-e, par Villelard de La-
l'arls, Hachette, I89S. — Tehé-twm-po, nouveau port coréen,
p.r A. A. Pauvel, Bulletin. 1898, p. 189-497.
48
RAPl'OltT SUR LES PHOGHÈS DE LA GÉOI1EW
acquirent pour quatre- vingt-dix-neuf ans dans le Chan-toung
la baie de Kiao-tchéou. Les deux bandes de terre qui eu
ferment l'accès au nord et au sud sont comprises dans cette
concession, et tout le littoral jusqu'à 50 kilomèlres dans
l'intérieur constitue une zone neutre.
Déjà profitant de la position prise, l'Allemagne fait pro-
céder à des sondages dans la baie et ses ingénieurs s'avancent
dans le Chan-toung. Ainsi, M. Gœderl?. vient de tracer deux
itinéraires autour de Kiao-tchéou et jusqu'aux rives du
lloang-ho. Ses observations qui portent sur les formes et la
composition du sol visent surtout un projet de chemin de
fer1.
La Russie achève son œuvre de pénétration en s'appro-
priant, aux mêmes conditions que l'Allemagne, la baie de
Talien-ouan et Port-Arthur, qui commande le golfe de Pet-
chili. En outre, elle est autorisée à construire une ligne al-
lant de Bedouné à un point stratégique sur lequel s'ouvre
un port libre de glaces.
1. Verhandl. Berlin, n"8-U, 1898. p. 47»; carie.
rl.MM.M L'ARMÉE iKfl-X. i'.l
'resque en face de Port-Arthur, l'Anglelcrre a obtenu,
ujours à bail, le port de Oueï-haï-oueï, véritable poste
d'observation, d'importantes concessions autour de Hong-
i.'.niu'1 et tuut un ensemble d'avantages, qui ue concernent
pas pour le moment la géographie politique.
La France reçoit la baie Kouang-tchéousur la côte nord-
est de la presqu'île Lten-tchéou *, décrite dans les Comptes
rendus par M. Fauvel. Des clauses diverses, dans le déliiil
desquelles nous ne pouvons pas entrer ici, concernent l'ina-
iiénabililé de certaines provinces, l'organisation de cerlains
services, la création des voies ferrées. C'est en quelque
sorte le partage économique de la Chine, qui commence.
lad»- Chine rrnnçaisc. — En présence de cetle situation,
on comprend que l'Indo-Cbine française songe à développer
son réseau de chemins de fer et qu'elle mette à l'étude le
[race de lignes de pénétration qu'on pourrait également
appeler des lignes d'aspiration, puisqu'elles sont surtout
destinées à attirer vers notre colonie les grands courants
commerciaux de la Chine.
Le colonel Pennequin.qui débuta par rétablir l'ordre dans
te llaul-Tonkin, fil étudier les voies d'accès vers la Chine
méridionale.
Le lieutenant Privey, de rinfantorie de marine, partit de
Lao-kay et remouta successivement toutes les rivières qui
débouchent du plateau du Yunnan.en s'altachant d'une fa-
ytn plus spéciale à la vallée du Siou-tchen-ha.
D'autre pari, le lien tenant Du carre, appartenant à la même
lime, relevait la rivière Claire et atteignait Kai-houâ par
une route peu fréquentée et moins accidentée que ta plu-
part de celles qui aboutissent dans ces hautes régions.
Les itinéraires de ces officiers ont l'avantage de rucoiipur
[ Compta rendus, 1X88, p, Î9S-301; cane.
Complet rindui, I8UB, p. Ï27-2Î!»; cane.
. DE GSOOH. — I" TRIMESTRE 1890. \S. — 1
50 RAPPOHT 5UH LES 1-ROBHKS DE LA GÉOGRAPHIE
ceux de la mission Guilleriioto. Cette mission s'est séparée
au Tonkin eu deux sections principales, l'une chargée
d'opérer au Kouang-si, l'autre au Yunnan. La première a
d'abord fait une rnpidc reconnaissance de son itinéraire
de Long-tchéou à Han-kéou avant d'être arrêtée par les
troubles du Kouang-si. La seconde s'est immédiatement
transportée à Mong-tsé, d'où elle a rayonné d'un côté vers
le fleuve Rouge et la frontière tonkinoise, de l'autre vers
Yunnan-sen1.
Ces travaux topographtqnes, qui nous intéressent à tant
de points de vue, font partie de tout un ensemble etauront
pour résultat scientifique de compléter nos données sur le
nord de nos possessions d'ExIrcme-Orient el sur les abords
des provinces chinoises qui les limitent.
L'œuvre géographique des officiers français en Indo-Chine
a pour organe le Bureau topographique d'Hanoï. A coté des
premières caries d'ensemble au 1/2,000,000" et des feuilles
du Tonkin au 1/100,000' éditées par le Service géographique
de l'armée, il publie une carte topographique au 1/200,000»
embrassant le Tonkin, l'Annam et la Cochinchine, et une
carte choro graphique de l'Indo-Chine au 1/1,000,000".
Ce service comprend trois sections : triangulation, topo-
graphie, cartographie. L'énuméralion de ces travaux éche-
lonnés sur une dizaine d'années a paru dans les Annales de
Géographie'.
Nous nous bornerons donc à noter les principaux, en les
eomplétanl par un aperçu des travaux ell'ectués sous la di-
rection du commandant Le Breton, chef actuel du Bureau
topographique3.
1. Communication r|e M. Vashelli*. siius-ilireetrur ii p l'Asie au Miliis-
bn des colonies.
1. Annales de Géographie, 16 nov. 189N.
3. Le Bureau Uijmi.'i'iipliique des troupes du l'Iudo-L'Iiiue, foudé eu
886 à Hanoï, s'est développé sous l'impulsion du général Uègin. Le capi-
PENDANT L'ANNÉE 1898. 51
Aux travaux de cet ordre, il faut ajouter les études qui
ont pour but l'utilisation des fleuves comme voies de naviga-
tion. On conçoit sans peine que le Mékong ait tout d'abord
et depuis longues années attiré l'attention du gouverne-
ment. Nous avons signalé Tan dernier le trajet de la châ-
taine Bauchet, ancien chef de ce bureau, jugeant superflu de recourir aux
méthodes de la géodésie de premier ordre, établit des stations déter-
minées par des observations astronomiques et reliées par des chaînes
de triangles coupées par d'autres chaînes aboutissant aux points du
littoral déjà fixés. Les travaux de triangulation ont été confiés aux mis-
sions suivantes : 1886 et 1887, l'ingénieur Delaporte (coordonnées de
Hanoï) : 1888-1889, capitaine Michelez et lieutenant de Gemmes (mont Bavi,
Yen-thé); 1889-1890, capitaine Michelez et lieutenant Bouffez (rivière
Claire, Lao-kai); 1891, capitaine Michelez (triangulation de la frontière
du Kouang-toung : commission d'abornement) ; 1891-1892, capitaine
Bauchet (Lang-son); 1893, lieutenants Husson et Détrie (Cao-bang);
1894, lieutenants Pécaud et Yormèse; 1895, capitaine Rivière (rivière
Noire) ; 1896, capitaine Chapes (Cao-bang, Lang-son).
Les fièvres coûtèrent la vie au capitaine Michelez, en 1891, et au capi-
taine Rivière, en 1895.
A côté des travaux de triangulation, l'étude topographique du sol
était confiée annuellement à des officiers chargés de combler les vides
de certaines feuilles du Haut-Tonkin et de la rivière Noire. Ces travaux
topographiques furent efficacement aidés par les missions d'aborne-
ment. On sait que le Tonkin a été délimité de 1889 à 1897, du côté du
Kouang-toung d'abord (1889-1890, chef de bataillon Chiniac de la La-
bastide); du Kouang-si (1890-1891, capitaines Didelot et Bachelier); du
Vun-nan (1891 à 1897, successivement capitaine Bachelier, colonel Ser-
vière, colonel Pennequin). Enfin, il faut ajouter à ces levés topogra-
phiques ceux des missions Pavie (1878-1879, 1890-1891, 1894-1895), l'iti-
néraire du lieutenant Oum entre Louang-prabang et Hanoï (1897).
A cet aperçu, ajoutons d'autres renseignements sur l'œuvre du Bu-
reau topographique après l'installation du commandant Le Breton.
Ainsi : les levés du commandant Le Breton et du capitaine Bernard
(région de Tourane), du capitaine Giorgio (Luc-an-chau), du lieutenant
Colon na de Leca (rivière Noire), des lieutenants Privey et Ducarre (routes
du Yun-nan), enfin du capitaine Friquegnon. Ce dernier, assisté des capi-
taines François et de Gaudel, a commandé la mission géodésique qui a
déterminé les coordonnées astronomiques des principaux centres des
hautes régions du Tonkin. Le capitaine Friquegnon, ex-membre de la
mission Pavie, est l'auteur d'une bonne carte au 1/2,000,000* de la Chine
méridionale et du Tonkin, publiée en janvier 1899 par le Service géo-
graphique du Ministère des Colonies (Henry Barrcre, éd.).
98 rapport snn les moGafts bb là géographie
loupe à vapeur le Samber de KraLié â Stung Treng aux
basses eaux et les rapports de MM. YLier, Desbos et Morin
sur la navigabilité du Bas-Mékong.
Les travaux de la mission hydrographique du Un ut-Mékong,
qui ont fait à plusieurs reprises l'objet de communications
importantes, sont aujourd'hui précisés dans YAtlas du
Haut-Mékong du lieutenant de vaisseau Simon, chef de
celte mission, publié ces jours derniers par le Ministère
des Colonies*.
On se souvient qu'en 1893 le gouvernement se décida à
lancersiirlellaul-Mckong deux canonnières, le La Grandirre
el le Massie. La mission a pris fin en 18%. Elle revenait avec
un itinéraire de 10,486 kilomètres après s'être avancée jus-
qu'à Xien-kong (Louang-prabang). Ces travaux sont actuel-
lement représentés par 3 cartes d'ensemble au 1/400,000%
en40ff.au 1/30,000' composant une carte générale, 3 ff. don-
nant les sections et 9 ff. figurant les courbes.
Les plans correctifs ont été dressés en 1807 et 1898. Le
lieutenant de vaisseau Simon et ses collaborateurs ont établi
toutes ces caries en vue de la navigation praliquée dans
les circonstances les plus défavorables, au moment de la
décrue annuelle maxima. A cette publication est joint un
album de photographies exécutées par les membres de la
mission. C'est la note pittoresque à calé d'un document
scientifique d'une incontestable valeur.
Si nous n'avons pas à consigner dans ce rapport de grandes
explorations françaises en Asie, nous pouvons Taire valoir il
juste titre les beaux travaux qui complètent les enquêtes
géographiques Conduite* fc travers ce continent pur nos com-
patriotes au .-ours des dernières années. Les caries du com-
mandant Simon, le volume du prince Henri d'Orléans sur
son exploration du golfe du Tonkin au golfe du Bengale, ceux
de M- Grenard sur la mission I lut rend de Ithinset de M. Bre-
I. Allât Uu UnHUlumg.fÈA*, IWK. — Itinéraire ri-dessus, paire 4i.
PENDANT L'ANNÉE 1898. .M!
nier sur la mission lyonnaise ont lous paru en 18118. La
géographie française a le droit d'en tirer quelque orgueil,
•t vrai que le livre précise les connaissances acquises
en cours de roule, fixe les résultats qui en découlent, for-
mule les enseignements qui s'en d égalent et n'est en somme
que l'expression définitive et réfléchie du voyage.
ncuiPËL Asiatique. — lie <i« in Sonde. — La laborieuse
ploratton que lit, en 1897, M. Raoul, membre du conseil
lérieur de santé des colonies, dans les forêls de l'in-
rieur de Sumatra, a excédé ses forces. Il a succombé en
I dernier, peu de temps après son retour'; mais son
lui survivra. Nos possessions profileront de ses
hexches fécondes sur la cullure des plantes tropicales, et
i. ■laminent sur la gutta percha dans les Indes néerlandaises,
comme de l'ensemble de ses études, qui concernent autaut
l'économie politique que l'histoire naturelle.
Un autre de nos collègues, M. Chailley-Bert, secrétaire
général de l'Union coloniale, a con sacré cinq mois à. l'accom-
plissement d'une mission à Java s. Chargé d'étudier le sys-
tème de colonisation adopté parlesHollandais, il s'est livré
4 une véritable enquête, dont il a exposé devant la Société
les caractères principaux3. Laissant de coté le riz comme
peu rémunérateur, les colons des Indes néerlandaises
s'adonnent aux cultures riches telles que le café, le thé, le
poivre, la cannelle et le tabac. Ils mènent au milieu de leurs
vastes domaines une existence large autant que séduisante.
1. Compte* rendu», 1898, p. 218-913.
ï. Compte* mwJu*. 1898, p. 63-68.
S. Voir o^alirneri! l'ouvrage île M. J. Ledercq, présidant île la Société
_r:i[iln.- il.:* Bni.fr-Ui:-. : Un xêjour dan» Vile de Java... Puris,
■
M RAPPORT SUH LES l'IIOliRÈS DE LA GKOGRAPH1E
Tout autre est le coup d'œil qu'offrent nos colonies. Eu dé-
mêlant les causes d'un tel contraste, M. Cbailley-Berl a fait
œuvre utile, et les renseignements qu'il rapporte méritent
d'éveiller l'attention de nos planteurs, d'autant plus que les
conditions de Java sont celles d'une grande partie des pos-
sessions françaises.
itorné». ■ — Trois voyageurs américains, les D" Hiller
et Purness, et M. Hamson, entreprennent depuis trois ans
l'exploration de Bornéo, où la civilisation a tant de peine à
pénétrer '. Leurs tentatives portèrent d'abord au nord-ouest,
dans le Sarawak. Ils remontèrenlîa rivière Barram jusqu'au
mont Malu (juin 18%); puis, revenante la côte, ils explo-
rèrent le fleuve Kedjang et le cours supérieur du Sadong.
Le Dr Furness, d'oclobred897 à mars 1898, reprit le premier
de ces itinéraires et étendit ses reconnaissances à tout le
bassin du Barram, tandis que MM. Hiller et Hamson péné-
traient dans la province de l'ouest par la vallée du Kapouas
jusqu'au dernier fort hollandais. En janvier 1898, ceux-ci
complétèrent avec un chef indigène l'exploration du bassin
supérieur du Redjang, en territoire nouveau. Revenus à
Singapour au printemps, ils en repartirent pour visiter, au
sud de la grande île, la vallée du Barito, déjà connue, et à
1. Complet renitux, p. 370-372; carie.
PENDANT l'année 1898. 55
Test celle du Mahakkam, que le docteur norvégien Charles
Bock fut le premier à explorer *, sans cependant s'avancer
aussi loin dans l'intérieur que ne le ûrent MM. fliller et
Hamson. Le temps que les trois voyageurs américains pas-
sèrent en dehors de Bornéo fut employé à d'autres explo-
rations, notamment dans les îles Liéou-tchéou et dans l'in-
térieur de Célèbes.
Célèbes. — La partie la plus étroite, mais aussi la moins
connue de cette lie, aux contours tourmentés, a été par-
courue par un missionnaire, M. A. C. Kruyt, en compagnie
du docteur Adriani *. Ce voyage, motivé par l'étude des
dialectes indigènes, a amené l'exploration du lac deLindou,
dont les eaux se déversent dans le détroit de Macassar par
la rrvière de Palos. Un lever complet de la vallée a été
exécuté par les voyageurs.
Philippines; le traité hispano-américain. — Les évé-
nements, dont les Philippines ont été le théâtre, ne rentrent
pas dans le cadre de nos études ; mais, les traités amenant des
remaniements dans la géographie politique, nous occupent
à ce titre. La commission hispano-américaine, réunie à
Paris, a terminé ses travaux le 10 décembre. L'Espagne
cède les Philippines aux États-Unis et renonce à l'île de
Guam dans les îles Mariannes. D'autre part, elle abandonne
tout droit de souveraineté sur Cuba. Porto-Rico et les
autres îles espagnoles des Indes occidentales passent sous
la domination des États-Unis 3.
1. Charles Bock, The Head-Hunters of Bornéo... London, 1882; et
Rapports annuels sur les progrès de la Géographie, par C. Maunoir,
tome II, 1896, p. 615.
2. Peterm. Mitt.y 1898, 1, p. 22.
3. Les préliminaires de paix, signés à Washington le 12 août 1898,
comportaient les dispositions suivantes :
Article Premier. — L'Espagne renonce à toute prétention à sa sou-
veraineté et à tous droits sur Cuba.
Article II. — L'Espagne cédera aux États-Unis rite de Porto-Rico
56
RAPPORT SlIIl LES PROCRKS DE LA GÉOGRAPHIE
AttSTKALASIE. — Nouvelle- «nlnàe. — LaNoilVelle-Guînée
anglaise, dans sa partie orientale, a été l'objet de récentes
explorations de MM. Giulianetti etMac Gregor1. Le premier
s'est dirigé de l'embouchuTe île la Vanapa vers la chaîne des
Owen Stanley, et il a fondé une station météorologique sur le
mont Wharton à l'altitude de 3,400 mètres. M. Mac Gregor
visita cet observatoire, installé d'après ses instructions,
lorsqu'il effectua la traversée de cette partie de l'île en se
portant au secours de chercheurs d'or capturés par les
indigènes.
Le fleuve Aroa, qui se jette dans la baie lledscar, a l'ouest
de la Vanapa, et qui prend ses sources dans les ramifica-
tions de l'Owen Stanley est grossi à gauche parla Veida. La
vallée de cette rivière conduit à des forcis inexplorées dans les-
quelles s'aventurèrent deux missionnaires du Sacré-Cœur,
les PP. Juliien et de Rycke, qui entrèrent en relation avec une
population monlagnarde énergique très différente de celles
de la côte. Le mont Manakou, au pied duquel sont groupés
des villages, atteintenviron 2,000 métrés d'altitude. Ce voyage
est de 1896. Un autre, commencé en" août 1897, s'effectua
également dans le bassin de l'Aroa, mais plus au nord,
jusqu'à la ligne de faite qui sépare ses eaux de celles du
Saint-Joseph. La montée de ce fleuve, qui aboutit à un
massif dont le sommet, nommé par les voyageurs le mont
Sainte-Marie, se dresse à une altitude d'envi ion -1,500 mètres,
et les autres lies actuelli-mi-ni snus la souveraine te i ipannole dans les
Indes occidentales, ainsi qu'une lie dans les Ladrones qui sera choisie
par les États-Unis.
Article III. — Les Étals-U
baie et le pori lie. Manille,
pan qui devra déterminer 1
ment des Philippines.
Ahticle IV. — L'Kspsgne évacuent immédiatement Cuba, l'orto-Rico
et les autres [les actuellement s"n<s la souveraineté espagnole dans Ira
Inde- 0.7 e idem a les..., eu.
t. hfill. Soc. geogr. itai „ 1898, p. 385; carie. — Verhmdl. Ilerlin,
189*. n*8-U, p. «57.
s occuperont ei tiendront la ville, la
.■il ,iti. Tnl.'iDt la conclusion d'un traité de
i crjiitiiile. la disposition et le irouverne-
PBKDÀNT L'ANHËE 1898. 61
i1! lu re connaissance d'un de sesafHuents de gauche, consti-
tuent les principaux résultats géographiques de la seconde
exploration '.
AuNimiu.- La découverte des champs d'or de l'Australie
occidentale a, dans ces dernières années, provoqué une sé-
rie de missions qui réduisent de plus en plus les blancs de la
carte. La connaissance scientifique du sol est naturellement
Tort avancée dans les colonies orientales où le peuplement
a été rapide. Le littoral et tout le parcours de la ligne
télégraphique transcontinentale sont ensuite entrés dans le
domaine de la géographie positive. Les enquêtes se multi-
pliant, les données se sont précisées, et les voyageurs ou
érudils ont pu aborder l'étude du désert australien, analyser
les Formes hydrographiques, creeks plutôt que rivières, et
Cft sol poreux où s'infiltre l'eau que le soleil n'absorbe pas,
el qu'il n'est pas rare de retrouvera une faible profondeur
retenue par une couche imperméable. Ces constatations
résultent des récils des diverses missions (missions Horn et
Wînnecke, Hubbe el H. W. Ilarslett, D. W. Carnegie,
Fletcher, etc.), qui se sont succédé depuis quelques années
dans les régions déserliques de l'intérieur australien*.
A l'appui de la théorie des rivières souterraines qui
recouvriraient les creeks australiens comme les oued saha-
riens, nous pourrions rappeler les communications que
M. Jules Garnier nous adressait le 30 avril 1898 de
l'Australie occidentale. Les nappes souterraines s'y mani-
festent souvent à la surface par une végétation verdoyante,
et notre collègue a constaté que certaines essences d'arbres
sont pourvues de racines spongieuses qui s'imprègnent d'eau
potable en telle quanti té que les indigènes en font usage pour
combattre la soif pendant les grandes sécheresses s.
( /;.. 1898, p. ÏO7-209.
3. Vulr Annale* <U géoyr., 15jnillet 1S1IK, |>. 55-73.
tmtux, 189H, [,. 319, 331).
58 lUrPOTtT SUR LES PROCHES DR LA GÉOGiUPHïE
La santé de M. Jules Garnier oe lui a pas permis de
continuer ses recherches géologiques. Peu après son retour
en France, il reçut la désolante nouvelle de la mort de son
(Ils, M. Pascal Garnier, qui poursuivait seul ce voyage com-
mencé à deux, quand les atteintes du climat le forcèrent
à rebrousser chemin jusqu'à Coolgardie, où il succomba
âgé seulement de vingt-six ans. Rien ne pouvait faire prévoi
la mort de ce jeune explorateur déjà rompu aux fatigues, ei
dont les précédents travaux en Nouvelle-Zélande e
Transvaal avaient produit des résultats dans le domaine
de la géographie physique '.
Plusieurs lies du Grand Océan équatorial ont été l'objet
d'investigations géologiques en vue de l'élude des formations
coralliennes,
L'Ile Chrislmas, située à 400 kilomètres au sud des îles
de la Sonde, devail, dans la pensée d'un membre corres-
pondance la Société, M. John Murray, fournir de précieux
éléments à cette enquête. L'exploration que M. Andrews
entreprit aux frais de notre collègue, a permis de dé-
terminer le caractère volcanique du cœur de l'île'. Lea
bandes de corail qu'on y découvre semblent un indice
que Christmas s'est élevée graduellement et à des inter-
valles de temps considérables. L'île, qui émerge de l'eau
jusqu'à l'altitude de 350 mètres, est couverte d'une épaisse
végétation forestière qui en rend la reconnaissance d'autant
plus difficile que l'eau potable fait défaut. La petite colonie
venue des îles Keeling sur la rôle, ne s'aventure pas
dans l'intérieur, et c'est au prix des plus grandes diffi-
cultés que M. Andrews a réussi à accomplir la traversée de
i. Comptes rendue, tS'.iS, p. 334.
S. Science, sept. 1898, p. 293. - Geogr. Journul, 1899. p. 17.
pendant l'année 1898. 59
cette terre, d'où il rapporte cependant d'intéressantes collec-
tions de géologie et d'histoire naturelle.
Les sondages effectués dans les îles Eilice et particulière-
ment à Founafouti ont été continués en 1898. Les puils
forés dans les couches coralliennes atteignaient en juillet
dernier une profondeur de 280 mètres environ*.
Sans discuter ici la théorie de Darwin, que ces inves-
tigations remettent sur le tapis, nous constatons que dans
le groupe des Viti ou Fidji d'autres expériences analogues
. sont conduites par M. Agassiz, qui s'occupe en même temps
I de zoologie sous-marine.
Le problème des migrations des Polynésiens et des
courants variables du Pacifique n'est pas résolu ; aussi nous
paraît-il intéressant de rappeler un fait que M. Vossion,
consul de France à Honolulu, signalait récemment à la
Société*. Le 23 mai arrivait à Hookena, dans l'île d'Hawaï,
une barque tahitienne en détresse. En quittant les îles
Scilly situées à l'ouest de Tahiti, ce schooner à deux mâts
monté par huit personnes essuya une tempête qui fit des
avaries au bâtiment, brisant la boussole et le compas.
Perdus dans l'Océan, sans instruments et sans cartes, les
passagers, dont les provisions étaient heureusement abon-
dantes, furent ballottés pendant quatre-vingts jours à la merci
des flots et la barque finit par être jetée, comme une épave,
sur les côtes hawaïennes. Le fait est d'autant plus curieux,
que bon nombre d'Hawaïens sont d'origine tahitienne et que
les traditions parlées ou écrites attestent, qu'aux époques
les plus reculées des rapports furent établis entre les îles
d'Hawaï et les îles de la Société. Si l'on en croit les travaux
du capitaine Hepwarth, les courants, qui servirent ainsi
de traits d'union entre ces groupes à travers le Pacifique,
t. Geogr. Journ., janv. 1898, p. 50. — Nature, nov. 1898, p. 22. —
Americ. Journ. of Se, 1898, p. 113.
2. C. R., 1898, p. 372.
I
fiO RAPPORT StR LES PROGRÈS HE LA GÉOGRAPHIE
varient suivant les saisons. Leur étude, qui intéresse di-
rectement la marine, apporterait peut-être la solution du
problème, posé par M. de Quatrefages, du peuplement
graduel des iles de l'Océanie.
\m.r[.,.x du Nord. — Alnakn et Cnnada. — Le mouve-
ment d'immigration qui, l'an dernier, s'était accentué dans
la direction de l'Alaska et du nord-ouest canadien ne s'est
pas ralenti cette année, mais la nécessité de ravitailler les
prospecteurs et de faciliter aux chercheurs d'or l'accès du
Klondyke, a provoqué l'organisation de certains services et
l'amélioration des voies de communication. Trois routes
sont fréquentées : celle de Dyea et du col Chilkoot, celle
de Skaguay au col de White, celle de la rivière Stickine et
du lac Teslin1. En raison de la concurrence qui s'établit
sur ta cote du Pacifique entre Canadiens et Américains, ces
derniers commencent déjà le tracé d'un chemin de fer de
Skaguay au lac Bennett par le col de White. Il se peut
qu'un autre courant se dessine à l'est des Montagnes Ro-
cheuses par la ligne transcontinentale du Canadien-Paci-
fique avec embranchements sur Prince-Albert etEdmonlon.
L'un des hommes qui ont le plus contribué à développer
les connaissances géographiques sur la région du Klondyke
est M. William Ogilvie, attaché au département de l'inté-
rieur du gouvernement canadien. Son exploration de 1887,
appuyée sur de nombreuses observations astronomiques,
lui a permis de lever la route entre le porl de Skaguay
et le fleuve Youkou. Chargé cette année de rédiger un
guide officiel du Klondyke1. il a rassemblé à la hâte lesdo-
t 6 tU, !«*, p. 309.
±. Qmtàt o/fieitt Jb Ktomâftr, Toronto. 189».
PENDANT L'ANNÉE 189X.
61
cuoienls les plus récents sur l;i constitution et les formes
du sol, qu'il fait suivre de renseignemenls pratiques. Bien
que les prospecteurs se soient achemines vers le Youkon
dès 1873, la fièvre de l'or ne s'empara des chercheurs que
vingt-trois ans plus tard lors de l'exploration des creeks du
Kloudyke. < Il nous est permis d'affirmer, écrit M. Ogilvie,
que nous avons dans les territoires nord-ouest une région
qui s'étend sur une longueur de IÎ00 milles et sur une lar-
geur de plus de 500, le long de la frontière de la Colombie
anglaise jusqu'au 111e méridien (Gr.) et au delà, dont la
surface est sillonnée par de nombreux cours d'eau qui sont
tous aurifères. » L'œuvre de l'explorateur est cependant
fort imparfaite, car si les abords de Dawson City et les voies
qui y conduisent sont connus, les levés topograpbiquesqui
ne concouraient pas directement au but, que chacun pour-
rait dans ce pays des daims, ont été systématiquement
négligés.
On ne lira qu'avec plus d'intérêt la conférence de M. Loicq
de Lobel sur le Klondyke, l'Alaska, le Youkon et les îles
Aléoutienoes'.
Nous ne pouvons oublier non plus les descriptions atta-
chantes que lirent à celle tribune, dans le courant de l'année
1898, M8rGrouard%sur l 'Ath abusk a-Mac k en zie, et Mer Légal 3
sur la tribu des Pieds noirs.
Dans les montagnes, qui liérissenlle nord-ouest canadien
.nii-iini que l'Alaska, les alpinistes peuvent se donner libre
carrière et leurs ell'orts serviront la géologie autant que la
géographie physique. Ou n'en peut citer rie meilleur témoi-
gnage que l'ascension cinq l'ois tentée de ce fameux mont
Baint-Elie,qui marque au sud la frontière entre les territoires
canadiens du Nord-Ouest et la péninsule américaine. Grâce
S, C. fl.. 1888, p. S20-S2S.
/;. II.. IR98, P.2Ï2-225.
RAPPORT SUR LES Plun.llns m; [,» i;ÉOf;HAI'HIE
au duc des| Abbruzzes, la montagne réputée la plus haute
de l'Amérique du Nord est main tenant escaladée et mesurée
avec une précision su ftlsaii te1. Le sommet, atteint le 31 juillet
1891, s'élève à 5,514 mètres d'altitude, d'après les obser-
vations barométriques de la mission; le bras oriental du
glacier de Malaspina présente une surface de 4,600 kilo-
mètres carrés; enfin, du point culminant, les ascensionnistes
ont aperçu, au nord, un autre glacier de dimei
logues et dans l'ouest de grands mussits neigeux non portés
sur (es caries. Dès à présent on peut admettre que le Saint-
Élie rivalise avec l'Orizaba (Mexique) sans cependant l'égaler,
mais que l'illimani (Bolivie), dont l'explorateur Cotiway a
franchi celte année l'un des pics, le domine de 1 ,000 mètres
environ.
Le Canada, qui, pendant de longues années, sembla se
désintéresser des abords de la haie d'Hudson, dirige son
activité de ce coté. A l'exemple de la Russie, qui se préoccupe
de la navigation de la mer de Kara, il s'est mis en devoir de
1. G. II..
, p. 73-75.
r
i
PENDANT l'année 1898. 63
reconnaître l'état de navigabilité de cette baie et du détroit
qui la met en communication avec l'Océan Atlantique.
La campagne de la Diana, commencée durant l'été de 1897,
acquiert une importance particulière depuis l'adoption du
projet de relier par une voie ferrée Fort-Churchill, sur la baie
d'Hudson, à Winnipeg, capitale du Manitoba l. En juillet, ce
vapeur visitait le détroit dont la partie nord était obstruée
par un banc de glace ; en août, il abordait la Terre de
Baffin par le Cumberland Sound et l'équipage y plantait le
drapeau canadien ; puis, rebroussant chemin, il se rendit
à Fort-Churchill et croisa jusqu'en octobre dans les eaux
de la baie d'Hudson. Le capitaine de la Diana considère que
la navigation par cette baie et ce détroit reste libre pen-
dant quatre mois de l'année et peut s'effectuer dans des
conditions satisfaisantes.
Sans quitter la Terre de Baffin, nous devons signaler, à la
même époque, les reconnaissances de M. Porter dans la baie
de Frobisher3. Le Hope, qu'il montait avec M. et Mme Shaw,
y pénétra par le Bear's Sound, à travers un fouillis d'îlots ne
laissant qu'un chenal de 700 ou 800 mètres de l^rge. Les
bords de la baie, dentelés de fjords, ont été suivis par le
bateau en commençant par la côte nord. Les récifs nom-
breux s'élèvent jusqu'à 200 mètres et les cours d'eau que
les voyageurs ont longés se distinguent par de nombreuses
chutes. L'intérieur des terres a d'ailleurs un aspect désolé.
M. Porter rapporte de cette campagne des levés appuyés
sur des déterminations de latitude, diverses hauteurs prises
au moyen de l'anéroïde, des documents géologiques, enfin
des notes sur les formations glaciaires.
Ces explorations complètent au nord les travaux que le
Geological Survey entreprend depuis quelques années sur
le pourtour de la baie d'Hudson et au nord de la province
de Québec.
1. Geogr. Zeitschr.y 1898, p. 248.
2. Amer. Geogr. Soc, XXX, 2, 1898, p. 97.
JtAPl'OItT SUR LES PlUHinÈS HE LA CÉOtJIUPHIE
McniijiiG. — Les notes économiques de M. Schœnfeld sur
différentes circonscripliotis administratives du Mexique et
celles de M. Sempé sur l'Etat de Véra-Cruz^ùse développe
la petite colonie française d e Jicaltepec et de San Rafaël, nous
ont été communiquées par le Ministère des Affaires étran-
gères et soûl résumées dans le compte rendu des séances1.
En dehors des recherches archéologiques de M. Niven,
dont il a été parlé dans le précédent rapport, nous n'avons
pas d'exploration à mentionner au Mexique.
Amérique rentrait;. — Dans le Nicaraguael le Honduras
on peut suivre, de Coban k Tégucigalpa, c'est-à-dire- de la
Sierra Cbama aux monts Lepaterique, la première partie
de l'itinéraire de M. K. Sapper, chargé d'une mission par la
Société de géographie de Berlin9. La seconde partie se
développe au nord-est, passe à Jutigalpa, longe la chaîne
centrale, et atteint la côte a Trujillo pour revenir à Téguci-
galpa et s'étendre ensuite dans le sud, sur le versant du
Pacifique. L'objet de cette exploration portait principale-
ment sur les formations géologiques du centre et de l'est du
Honduras. Dans l'intérieur du pays, la nature volcanique du
sol se manifeste. A l'est et au centre les gisements de chaux
et de conglomérats quarlzeux sont beaucoup moins nom-
breux que dans la partie occidentale du pays.
Amérique tlu s. ni. — Colombie. — Avec M. le i ■unir
de Brellcs, nous arrivons à l'Amérique du Sud. Des noies
qu'il a adressées à la Société de Géographie, il résulte qu'il
a remonté la rive droite du fleuve Magdalcna et parcouru
le nord-est de la Colombie, vîsitéleBoyacaetle Sanlander,
;. i:< > ilot'unieiiu; et la plupart de cens que la 5<>ciûlô a publiés telle
année sur l'Aiiiùrrijuc mit élé rùs 1 1 il i .'-s par M. [•■ priilï^wnr K roi de vaux,
dont l'active collaboration aux Compte rendu» noua a eU parUculte-
remem précieuse.
1 Vtrh.ui.ll. soc. (iet.gr. herlin, MB, p. lit). M6, 338.
PENDANT l'année 1898. 65
el que son nouveau voyage s'est terminé par une excursion
dans le territoire indien de la péninsule goajire '.
Contesté franco- brésilien. — Dans le Contesté franco-
brésilien, M. Georges Broussean a, de 189-t à 1898, effectué
de nombreuses reconnaissances qui s'ajoutent aux travaux
deM.Coudreau. H a relevé le cours de la Carsevenne et d'un
de ses principaux affluents, qu'il nomma la rivière Carnot.
ILa carte, qu'il a dressée d'après ses observations ou par ren-
seignements, est comprise entre le 52e et le 5.j* degré de
longitude et s'étend sur un développement de 450 kilomètres
de côtes. On peut s'y reporter pour discuter les points qui
ont amené le conflit de 1894. Celui-ci s'est élevé au sujet
des territoires aurifères de la Carsevenne et du Mapa. La
France et le Brésil s'en remirent, on le sait, à l'arbitrage
du président de la Confédération helvétique, par la conven-
tion du 10 avril 1807. La difficulté vient de ce que la rivière
Japoc ou Vincent Pinson est confondue par les Brésiliens
avec la rivière Oyapoc dont l'estuaire s'ouvre sur le-ï'degré de
latitude nord, tandis que, d'après nous, cette rivière Vincent
Pinson ou Japoc ne serait autre que le fleuve Araguary ou
encore le canal du Nord qui fart partie des bouches des
Amazones U degrés plus au sud9.
Rrraii- — Dans l'estuaire du Rio Para débouche le Rio
Capirû; qui fut, dans l'été 189", l'objet d'une intéressante
reconnaissance -!. MM. Gœldi etHuber effectuèrent rapide-
ment la montée de ce cours sous l'impulsion de la marée
sur plus de 100 kilomètres. Au delà d'Apronaga le fleuve fait
plusieurs coudes et prend une direction nord-nord-est avant
de retourner au sud. Le point le plus éloigné qu'aient atteint
ces voyngeurs est à 3"30' de latitude sud. Ils ont relevé soi-
.. 1898, |i- :i]B, Jiiii.
-. [>>ipr<^ des ducumems cummuni.iu&i par M. UroiiBseau.
J, Pelerm.Mitth., Il, 1898. p. 36.
lïli
RAPPORT SUR LES I>nOGRÈS DE LA CftOGIIAPHIE
gneusement les nombreux affluents de cette artère qu'il
serait facile de canaliser et de rendre navigable à peu de
frais. Aux travaux topographiques de MM. Gœldi et Huber
s'ajoutent des collections d'histoire naturelle et des notes '
ethnographiques sur les Indiens Tembès.
Bolivie. — L'Office national d'immigration et de propa-
gande géographique, institué par cet État en 18%, a une
large part dans l'organisation et l'équipement des missions
boliviennes. C'est sous ses auspices qu'a été entreprise
l'expédition déjà signalée du colonel Pando dans le haut
bassin du Madré de Dios. La revue, dont ce service com-
mence la publication, contribuera à avancer la connaissance
d'une contrée très imparfaitement décrite.
Le célèbre alpiniste Conway possède à son actif une
nouvelle ascension, la plus difficile, suivant lui, qu'il ait
entreprise jusqu'à ce jour, celle de l'IIlimani. De "ce mas-
sif granitique, qui domine au sud-est La Paz et forme le
nœud extrême de la chaîne du Sorata, se rattachent
plusieurs pics dont un, le pic de Paris, fut escaladé en 1 877
par MM. Wiener, Grumkow et de Ocampo '. D'après leurs
évaluations, il aurait 6,131 mètres d'altitude. Le sommet du
pic de l'Indien a été atteint par M. Conway le 3 sep-
tembre 1898. Sa hauteur approcherait de (i.'iOU mètres.
Chili cl République At-gcuiiiic. — Le conflit qui s'est
produit entre la République Argentine et le Chili, à propos
de la délimitation de leurs frontières, pourrait bien s'apaiser
d'unefaçon inattendue. A la suite d'un accord, il a été décidé
récemment que les délégués des deux puissances se réuni-
ront à Buenos-Ayres pour fixer la ligne de démarcation
entre le 23" et le 27° lat. S., c'est-à-dire dans le territoire
1. ftapporlsan
tome 11, p. 113.
iieh inr /<".« pnitjrt's tic 'ri yt'."/i /!(]'■!'
pendant l'année 1898. 67
appelé puna de Atacama d. Cette commission pourrait, le
cas échéant, être saisie du règlement total de la frontière,
et rendre inutile l'arbitrage de la reine d'Angleterre, devant
laquelle était porté le différend. Quoi qu'il en soit, ces
discussions ont provoqué des enquêtes, qui eurent pour
résultat de fixer, dans une très large mesure, la forme,
l'importance de toute cette région des Andes, dont 'on
ignorait la structure et l'aspect autant que les ressources.
Du plateau bolivien, ces chaînes s'allongent et se confondent
à l'ouest du Gran Chaco et des Pampas, jusqu'en Patagonie et
dans la Terre de Feu; mais cette puissante muraille n'empri-
sonne pas les bassins des grands fleuves en départageant,
comme le supposaient les anciens traités, les eaux de
l'Atlantique et celles du Pacifique. L'érosion a produit des
brèches profondes, qui ont fait dévier les cours de leur
direction primitive.
En regard des constatations du Dr Moreno, qui dirige,
pour le compte du gouvernement argentin, l'exploration des
Andes orientales, on peut placer les travaux du Dr Steffen,
le voyageur chilien, qui, l'an dernier, reconnaissait la rivière
Aysen et cette année, en compagnie du Dr Krautmacher,
s'engageait dans les Cordillères de la province de Chiloé.
Remontant le cours inexploré du Rio Gisnes à travers les
Andes, avec l'espoir de parvenir au lac Fontana, les voya-
geurs se heurtèrent à une immense chaîne de montagnes
couvertes de glaciers. Le fleuve, qui se fraye un passage, au
nord, entre des rochers abrupts, devient alors impossible à
suivre. La mission dut tourner au sud et explorer une nou-
velle vallée qui la conduisit à un lac nouveau. Elle aboutit
au Rio Senguer, tributaire de l'Atlantique, après deux
mois passés dans une région inhabitée. Son retour s'est
effectué par le lac Nahuel-Huapi. La principale constatation
géographique de cette expédition est l'identification du Rio
1. Comptes rendus, 1899, p. 38; carte.
68 RAFrOffT SC* LES FWCHÈS »K U «AKUltE
Cisnes avec le Rio Félix Prias exploré par JL )
plaçait an nord du lac Fontaoa'.
Une aatre mission chilienne, confiée a MM. Kmger et
Betnwisch dans vie région voisine, avait poar objectif ta
ligne séparative des eaaz du Rio Chabot, et do haut Poala-
leofon ainsi que l'étude de la vallée do Corcorado *. Ce
doubie bat fui atteint. On sait maintenant que ce dernier
cours d'eau n'a pas d'affluents, qu'il ne peut se confondre
avec le Foul-aleufou et qu'il prend sa source dans un glacier
bas (600 mètres d'altitude), adossé à une chaîne de
2,000 mètres d'élévation.
Aui observations astronomiques de ces voyageurs s'ajou-
tent des collections géologiques et botaniques. Leurs rapports
nous fournissent de nouvelles données sur le relief de cette
partie de l'Amérique du Sud et nous permettent de constater
une fois déplus la présence de vallées transversales. Les ex-
plorations des Argentins ont d'ailleurs démontré que, sous
l'action glaciaire, des cours d'eau, nés dans l'est, se frayent
un passage vers le Grand Océan, préparant ainsi dans la Pa-
tagonie andine la voie à u,n canal interocéanique, dont te
Rio Cbubut et le Rio Epaven constitueraient les éléments.
Uu.a>ogra[-hie. — • Pour achever la revue rapide des fi
géographiques de l'année, il nous reste à parler des régioi
polaires. Toutefois, avant d'aborder cette dernière partie d
rapport, il importe de mentionner certains travaux qui n'o
pu prendre place dans les divisions adoptées. Lesrecberc
océanographiques, par exemple, ne se localisent pas dai
telle zoue ou Lelle mer,
Celles qu'effectue l'expédition allemande pour l'élude des
grands fonds, sous la direction du D' Cbun, comportaient
i" 7, 18U8, p, 3311. carte |>. I(i3.
PËNriANT l'année 1898.
d'abord l'élude de l'Océan entre l'Ecosse et
69
lies Shetland,
puis le long de la cote d'Afrique jusqu'au Cap '. Ce travail
est aujourd'hui accompli et la campagne du Vatdivia se
poursuit vers les régions antarctiques. La mission a pu
déterminer dans l'Atlantique nord la ligne de séparation des
courants froids venant de l'océan Glacial et des couranls
chauds parlant de l'équateur. A 500 mètres de profondeur
on a nolé 0"4 dans la zoue froide et 9" 6 dans la zone chaude.
Des expériences analogues ont été effectuées il y a plus
de quinze ans dans le nord Atlantique, par le Knight Errant
et le Triton, de même que dans ta Méditerranée et le golfe
de Gascogne par le Travailleur et. le Talisman. Ces der-
nières missions ont été accomplies sous la direction de
M. Alphonse Milne- Edward s, président actuel de la Société,
dont les recherches sous-marines, commencées en 1801,
faisaient suite aux études sur les fonds de la mer que son
père, l'ancien doyen de l'Académie des sciences9, avait
entreprises dès 18âti.
La nouvelle campagne de la Pola dans la mer Rouge a
eu lieu dans la zone comprise entre Djedda et AdenJ. De
septembre 1897 à mai 1898, les observations ont porté sur
les fonds coralliens, sur la température et la salure ; 5-i son-
dages ont été opérés et des remarques intéressantes ont été
consignées sur la conliguration des eûtes.
RÉGIONS POLAIRES
Ukgions arctiques. — spiiziierK- — C'est encore l'élude
de l'océanographie qu'eut pour principal objectifs. A. S, le
prince de Monaco; mais à la suite de son nouveau yacht, lu
t. r.eo-)r. Journal, déc. 1898, p. SOÎL
2. Rapports annuels sur les progrès de lu géographie, 18AÏ-189Ï. [
moir.l, 11, p.3l9-3ï1, 1M-43T (carie), !.S0-f.3O, (119.
,': . Journal, dÊe. 1898, p. 371.
70 RAPPORT SUR LES PROGRÉS DE LA GÉOGRAPHIE
Princesse Alice, nous pénétrerons dans les régions polaires '.
Partie en juin du Havre, l'expédition arrivait à Tromsô le
24 juillet après une escale à Kîel. Le 30 était consacré à la
visite de l'Ile Beeren (ou de l'Ours), le 31 à l'île Hope. Après
une tentative vers les îles du Roi-Charles, le navire longeait
la cote ouest du Stor-fjord, remontait la côte ouest du Spilz-
berg, entrait dans l'Ice-fjord et y faisait diverses opérations
avant de visiter l'île des Danois, d'où partirent l'an dernier
Andrée et ses compagnons. Les débris du hangar, où fut
gonflé le ballon Hanta, jonchent le sol et l'absence de
nouvelles l'ait redouter qu'ils soient les derniers vestiges de
cette audacieuse entreprise. Poursuivant sa route au nord,
la Princesse .l/ire atteignit la banquise et la suivit jusqu'au
80" 37 de lai. N. par 3" 4-5' de long. E. Le 30 août, le yacht
quittait le Spitzberg et, le 14 septembre suivant, il arrivait
à Leith. D'abondantes collections zoologiqucs ont été re-
cueillies jusqu'à 3,310 mètres de profondeur. Des excursions
faites pendant les mouillages ont permis de rassembler des
documents sur des contrées encore peu connues.
Deux autres expéditions scientifiques ont exploré le Spitz-
berg en 1898 : celle du Dr Nathorst et celle de M. Lerner,
auxquelles il faut ajouter la visite que fit au grand archipel
arctique une mission russo-suédoise chargée de mesurer
un arc d'un degro.
L'expédition suédoise du Dr Nathorst, montée sur l'An-
taretic, aborda comme celle de la Princesse Alice à l'île
Beeren, Favorisée par le temps, elle y séjourna une se-
maine; elle en fit la carte complète au 1/50,000° et exécuta
un levé hydrographique du mouillage du sud. Une tenta-
tive dans l'est du Spitzberg conduisit VAnUtrctie jusqu'au
7730' latitude nord, où la banquise s'opposa à sa marche.
Rétrogradant à l'ouest sur la cote sud de l'île Edge et le
. Noies manuscrilps i'nniiiniiii(iink'»[i:ir M. Ilii-hîin.1, spcrvtaire srien-
|up du prince dp Monaco. pL ('.amples rendus. I8il8, p. 343-315.
PENDANT l'année 1898. 71
Stor-fjord, l'expédition recueillit des empreintes végétales
fossiles, doubla le cap Sud, leva le Bel Sound sur la cote oc-
cidentale et, pendant un séjour dans l'Ice Fjord, découvrit de
riches gisements de plantes fossiles et deux coléoptères. A
l'ouest de l'archipel, la sonde indiqua des fonds de
2,700 mètres et 3,100 mètres, mais les constatations de la
Sofia, qui prêtaient à la fosse suédoise une profondeur de
4,850 mètres, n'ont pas été confirmées. Une nouvelle tenta-
tive vers la Terre du Roi-Charles fut couronnée de succès. La
topographie de ces deux grandes lies est désormais fixée.
L'Antrtrctic fit route au nord; puis toucha l'Ile Blanche cou-
verte d'une coupole de glace et terminée par des falaises.
le point le plus septentrional, qui fut atteint, est le 81°15'
de latitude. Il fallut se rabattre sur les Sept-Iles et le nord de
l'archipel, marcher au sud-ouest, enfin au sud surTromsô,
après avoir effectué le tour complet du Spitzberg (7 sep-
tembre 1898*).
1. Lettres du professeur Nailiorsi au Stockholm*! Dagbtad et au Xya
Dagligl AtUhartda; lettres du r/Gumar Anderssnn aux Dagent Nijheter.
1 SUR LES PROCnftS DE LA GKO-rli A Pli l K
riph
;i les
72
L'expédition allemande du Helgotand, sous la direcli<
de M. Th. Lerner, n'est pas moins importante'. Le péri]
entier des mêmes terres arctiques a été exécuté; mais, si
itinéraires du Helgoland et de FAntarctic offrent de grandes
analogies, ils sont loin de se confondre. La circumnavigation
de la Terre du Nord-Est, accomplie par la mission alle-
mande, attire particulièrement l'aitenlion.
A la lin de juillet, une station de onze jours à la Terre du
Hoi-C liarles amena laconnaissancedetroisîlotsetde plusieurs
récifs. Les icebergs rencontrés dans ces parages proviennent
non de la Terre François-Joseph, mais plus vraisemblable-
ment de la Terre du Nord-Est. Remontant lacôle orientale
de celle-ci, l'expédition s'avança, le 10 août, jusqu'au 81°32'
de latitude nord par 26" 52' de longitude est de Greenwich.
Le plateau sons-marin qui prolonge le Spitzberg s'étend
jusqu'au 81° 13', où la sonde n'accusait que des profondeurs
de 160 à 180 mètres environ, tandis qu'au terminus nord de
celte navigation, une ligne de 1,150 mètres ne trouvait pas
le fond. Cette constatation nouvelle, dont l'importance n'a
pas besoin d'être soulignée, vient à l'appui des observations
de la mission Nansen et tend à prouver qu'il existe au
pôle nord non pas une terre, mais, au contraire, une dépres-
sion considérable du sol sous-marin.
L'exposé des reconnaissances accomplies dans les fjords
de l'fte principale nous entraînerait au delà des limites de
ce rapport. Nous renvoyons d'ailleurs, pour plus de dé-
tails, à la revue très complète que M. Rabot a faite des
explorations polaires dans les comptes rendus des séances*.
Toutefois, constatons avec notre collègue que le succès
exceptionnel des croisières entreprises autour du Spitzberg
est dû, il lu fois, à la dextérité des capitaines, à la perfection
de l'outillage et a un débluiemenl très caractéristique des
1. Verkanttl. S.vt. Gttgr. Berlin. 1898, u"
ï. C. Il, W», P IM4M; 18WÏ. i.. 39.
PENDANT L*À1»NÊE 1898. 73
* qu'il faut sans doute attribuer à une extension anor-
edu Gulf Strearo.
Terre FrançoU-Jonepli. — Si lion- poursuivons notre
enquête vers l'est, nous rencontrons à la Terre Francois-
Jo&eph l'expédition américaine du Frithjof, placée sous la
direction de M. Wellmann. A deux reprises, en juillet, ce
navire, parti d'Arkhangel, se heurta à une épaisse banquise
par 17" et 77"44' de latitude nord ; cependant, après une na-
vigation pénible, il força le passage et atteignit le cap Flora ;
il découvrit plusieurs lies prés de l'île Wilczeck et s'installa au
cap Tegethoff. Des recherches vers l'ouest, sur la lisière mé-
ridionale de l'archipel, furent accomplies dans l'espoir de
retrouver les traces de la mission Andrée; elles amenèrent
Is découverte d'une île nouvelle. Le 8 août, le Frithjof arri-
vait à la Terre du Roi-Charles, poussaitjusqu'à81°7'au nord
du Spitzherg et se repliait sur la Norvège par la Terre du
Nord -Ouest.
Groenland. — En regard des expéditions au Spitzherg et
à la Terre François-Joseph, il faut placer les explorations
du Grœnland et de l'Islande.
Le Groenland fut attaqué par trois missions scientifiques.
Le lieutenant Peary a quitté New -York, le 2 juillet, monté sur
le II" 'indward, qui, pendant trois étés, a ravitaillé l'expédi-
tion Jackson. Un mois plus lard, il se trouvait dans le nord
de la mer de Baffin, s'apprètanl à entrer dans la mer de
Kane et à commencer l'exploration du Grœnland septen-
trional.
C'est de Krisliania qu'est parti, à bord du Frnm, le fameux
capitaine norvégien Sverdrup, pour entreprendre la circum-
navigation de ce continent arctique et tenter une pointe
vers le nord.
Quant à l'expédition organisée parlaCommission danoise
explorations géographiques et géologiques du Grœnland,
74 RAPPORT StîB LES PROGRÈS DE LA GÉOGRAPHIE
elle a repris son projet de. 1891 et elle a confié au M
nant Amdrup le soin de reconnaître la partie de la côte
orientale comprise entre le 66° et le 70* latitude nord, n
y a là une lacune que personne jusqu'ici n'est parvenu à
combler. Au-dessus du 70°, Scoresby, dès 1822, avait effectué
d'importants relèvements. Le lieutenant Amdrup a quitté
Copenhague, le 16 août 1898, sur la barque à vapeur
Godtlatab. Taisant route vers la station grœnlandaise d'Ang-
magsalik, qu'il atteignit le 31 août. Après l'hivernage, il
tentera en canot, entre terre et banquise, la r
de cette cote inconnue '.
iminndc. — Grâce aux savantes recherches et aux persé-
vérants efforts du IV Tboroddsen, l'Islande révèle peu à
peu tous ses secrets et l'on peut dire que, après dix-sept an-
nées d'un labeur opiniâtre, ce voyageur a pris possession
au nom de la science du centre môme de celle île. L'été
dernier, il étudiait la région volcanique du Iluchland,
au nord du Borgarfjord, explorait deux grands glaciers,
rEiritsjÔkul] et le Langjokull, visitait les vallées du Borgar,
le massif d'Ok, levait plusieurs lacs et terminait cette tour-
née géologique et géographique par une excursion à la
pointe occidentale du Heykjanœs*.
A cette belle campagne, qui complète l'œuvre du Dr Tho-
roddsen, s'ajoutent, cette année, les recherches archéolo-
giques du capitaine Daniel Bruun. Dans l'Islande méridio-
nale, on rencontre, en effet, des constructions archaïques
en forme de dômes et, sur la côte nord-ouest, des tombeaux
de l'époque païenne3. Tous ces vestiges des siècles passés
furent visités avec un soin minutieux et les recherches ont
amené des découvertes de châteaux forts et d'églises, qui
1. Geegrafitk Tîdtkrifi.
ï. C. H., 1B9B, p. 377-3711. lettre du D' Thormldsen
S. Geognfiik Tidtkrift.
pendant l'année 1898. 75
permettront de reconstituer en partie l'histoire de cette
contrée avant les bouleversements volcaniques qui l'ont fait
déserter.
0
Ici s'arrête notre nomenclature.
Au sujet de l'expédition Andrée nous en sommes réduits
aux conjectures, et de la campagne antarctique de M. de
Gerlach on est toujours sans nouvelles.
11 est possible que le navire de ce dernier, la Belgica, ait
hiverné dans les "terres australes et que l'expédition norvé-
gienne de M. Borcligrevink, qui a dû partir en août 1898 pour
la Terre Victoria, le rencontre. Ce serait alors, aux abords du
pôle Sud la répétition de la scène fameuse qui se passa, le
il juin 1896, entre Nansen et Jackson4. Si ce coup de for-
tune se représente et si les deux tentatives réussissent, Ross
etDumont d'TJr ville auront trouvé des continuateurs dignes
d'eux. Peut-être les mystères qui enveloppent le continent
antarctique seront-ils dissipés ou partiellement éclaircis?
Le baleinier Southern Cross, qui porte la mission Borchgre-
?ink parait bien équipé pour un tel voyage et rien ne nous
autorise à croire que la Belgica ne poursuive pas à l'heure
présente la glorieuse tâche qu'elle ambitionnait de remplir.
Et que penser du sort réservé à ces passagers du ballon
Hansa cette autre Jeannette à la dérive, voguant à travers
les airs pour conquérir le pôle Nord? Sans doute la navi-
gation aérienne progresse chaque année davantage, et le
jour viendra peut-être où le rapporteur de votre Société
pourra noter les découvertes géographiques dues à de sem-
blables campagnes. Mais entre ciel et eau, par les froids
extrêmes que Nansen nous a fait pressentir, Andrée et ses
compagnons ont-ils pu accomplir le prodige de sauvegarder
leur existence ?
1. Vers le Pôle, p. 356. Paris, Flammarion, 1897.
UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE
EN SUISSE
GABRIEL MARCEL'
Au cours d'une mission en Suisse qui me fut donnée par
le Ministère des Affaires étrangères à la fin de l'année der-
nière, j'ai pu réunir un certain nombre de documents géo-
graphiques qui me paraissent de nature à intéresser la
Société de Géographie.
M. le marquis de Monclar, ministre plénipotentiaire,
avait été frappé en allant visiter le Scbweirisches Landes-
museum, dont les portes ont été ouvertes au public au
mois de juin dernier, de la présence dans ce musée de trois
globes de dimensions inusitées.
Deus de ces globes, je n'eus pas de peine à le recon-
naître d'après la description de M. de Monclar, sont de
Coronelli; c'est la réduction des deux énormes sphères
terrestre et céleste que ce cosmographe de la République
de Venise avait faites pour le cardinal d'Eslrées qui les
offrit en 1683 à Louis XIV. Ils furent d'abord installés à
Marly en 1104, mais leur dimension les rendit bien vite
encombrants et ils furent transportés d'abord au Louvre
puis à la Bibliothèque royale où l'on dut, pour les installer,
construire pour eux, en 17-2-2, une salle spéciale dont le
plancher était crevé circulairement afin de voir d'en bas
les pieds et l'un des hémisphères et d'en haut l'autre hémi-
sphère. Ils sont encore a la Bibliothèque ; mais on ne peut
plus les voir, car l'accès de la salle qui les contient est interdit
1. Voir les Irois planches Jointes à ce numéro.
NOTE SDn UNE MISSION CÉOGRAPLIHiUE EN SUISSE. 77
au public et l'on a dû, depuis L'année 1886, les entourer
d'une épaisse carapace de madriers et de planches. Ils ne
sont ainsi à l'abri ni de l'humidité ni de la poussière, et
l'on constatera sans doute, lorsqu'on démolira l'étroite pri-
son où ils sont enfermés loin des regards des curieux, que
ces globes, uniques au monde par leur grandeur, par la ri-
chesse de leurs montures, par l'intérêt historique de leur
contexte etdeleurdessinqui use l'état de nos connaissances
à la fin du xvn* siècle, ont subi d'irréparables dommages.
Deux des globes du musée de Zurich ont donc leurs
frères à la section de géographie de la Bibliothèque na-
tionale; mais le troisième, d'après la description qui en
avait été faite par M. de Monclar, avait vivement excité ma
curiosité et je m'imaginais que ce devait être un document
inconnu ; je ne m'étais pas trompé.
ton
■S
MI
Puissamment recommandé par notre ambassadeur,
M. le comte de Montholon, dont la gracieuse bienveillance
est connue de tous ceux qui ont eu recours a ses bons
offices, je fus accueilli avec une extrême affabilité par
M. leD'H. Angst, directeur du SchweirischesLandesmuseum,
qui me donna toutes les facilités désirables pour l'élude de
ce vénérable monument. Qu'il me soit ici permis d'adresser
tons mes remerciements à M. Angst ; grâce à lui, j'ai pu
ever, en divers endroits, de longues listes d'inscriptions,
ipier les légendes qui me paraissaient les plus intéres-
santes ou les plus topiques, obtenir enfin les photographies
qui sont jointes à cette notice, toutes choses indispensables
pour arriver à l'identification de ce globe si curieux.
H ne porte ni date ni nom d'auteur, tout au moins les
longues recherches auxquelles je me suis livré ne m'ont
pas permis d'en relever trace, maisil est incontestablement
de la seconde moitié du xvi* siècle.
Montée sur une solide armature en bois qui parait con-
temporaine, cette sphère passe pour avoir été faite pour
I UNE MISSION GEOGRAPHIQUE EN SIJISS
l'abbaye de Saint-Gall ; elle y était du moins, lorsqu'elle f
enlevée en 1712 avec beaucoup d'autres objets et trans-
portée à Zurich. Telles sont les informations qui m'ont été
données sur place; il y aurait lieu de vérifier cette date et
à la suite de quels événements eut Heu ce transfert.
Sur les montants qui supportent l'équateur sont peinte
des représentations et des armoiries d'abbés et de r
de Saint-Gall et la date dorée de 159ô se trouve au-dessoi
de la mllre et de la crosse qui surmonlent les armoiries <
la figure d'un certain Hel. Pertcus, monachut lialli, 102(
Pluls (pky&icux) musicas, aslronom. calculator. Est-ce
date de i'exéculion du globe, de sa monture, ou de s
entrée à Saint-Gall ? C'est ce qu'il est impossible de décidi
Sur l'équateur en bois sont peints les signes du zodîaqi
ainsi qu'un calendrier avec les noms des saints et des vonts
Sur le grand cercle perpendiculaire à l'équatenr s
mités les climats et reportés les degrés de latitude. Le n
ridîen initial est celui des Açores.
Quant au globe lui-même il n'a pas moins de 3 m
circonférence. Il est composé de fuseaux gravés,
habilement gravés, collés sur une sphère de carton «
peints par dessus. La mer est d'un vert sombre, les terre
sont teintées de jaune, d'un gris rosé ou blanchâtre. Qu;
aux montagnes elles sont relevées d'une teinte bistrée.
terre, quelques rares animaux ou des représentations de n
barbares, tandis que la ruer est sillonnée et animée par d«
navires très arlistement dessinés, des barques, des poissoi
ou des monstres marins,
Dans le bas de la sphère est représenté un Neptune arm
du trident et monté sur un cheval marin.
Dans l'hémisphère sud, sur l'emplacement du continet
austral qui brille par son absence — constatation qui n'e;
pas sans intérêt à la fin du xvic siècle, — un animal assez
fantastique dans lequel on peut voir un chien tout aussi
bien qu'un loup, regarde Madagascar. Des nuages dans les-
GLOBE DU MUSÉE DE ZURICH
NOTE SUR UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE. 79
quels il se perd, émerge un mât de hune à la voile carguée,
au nid de pie et à la pointe duquel flotte une flamme trian-
gulaire blanche traversée dans le sens longitudinal par une
bande rouge. Les nuages s'effacent, on voit briller des
étoiles, on distingue les signes du zodiaque : taureau, ba-
lance, cancer... Ajoutons qu'en différents endroits du
globe, mer ou terre, sont représentées en relief les planètes
à la place qu'elles occupent dans le ciel.
Le temps qui a déposé sa patine sur ces curieuses enlu-
minures et sur le globe tout entier, rend parfois la lecture
des inscriptions fort pénible. La pluie et la brume intense,
qui n'ont cessé que la dernière journée de mon séjour à
Zurich, m'ont, parfois, rendu très difficile malgré l'emploi
de la loupe et de la lumière électrique, le déchiffrement
des légendes.
Je fus de suite frappé de la ressemblance qu'elles parais-
saient présenter avec celles de la carte plate de Mercator de
1569. Je copiai donc nombre des inscriptions qui me parais-
saient les plus curieuses, je relevai en bien des endroits la
nomenclature côtière et, lorsque j'eus sous les yeux le pla-
nisphère à latitudes croissantes et décroissantes de Merca-
tor, je reconnus immédiatement qu'il n'y avait pas seule-
ment ressemblance, mais identité presque absolue avec le
globe de Zurich. En voici quelques exemples :
Rive méridionale du Saint-Laurent.
Globe de Zurich
Mercator %
Monmorancy.
Châûbriant.
Laguille.
Y Dorleans aliis de Baccho.
Y de 1 épures.
G de Mabre.
Roquelay.
R Dille.
Le nions Nostre-Dame.
Monmorancy.
Châûbriant.
Laguille.
Y Dorleans alias de Baccho.
Y de Lépures.
G de Mabre.
Roquelay.
R d'ille.
Le mons Nostre-Dame.
80 NOTE 9tm IINË MISSION GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE.
Sur la Nouvelle-Guinée se lit une longue inscription :
Meucatùfi
Globe oe /lricu
NouaGuinea que 1 ab Andréa Cor-
Noua Guinea que | ab André»
sali Florcn | lino videtur dici
Corsali lluren | tino videtur
Terra de piecinacoli. Forte
dici Terra de piecinacoli. Forte
La l bitdii insula esl Ptolemeo
La | badii insula es) Ptolemeo
si modo insula est, nain | sit
ai modo insula est, nam | sit
ne insula au para continentis
ne insula an pars continentis
austral is ignotû | adliucest. |
australis ignolù | adhur est. |
Prenons un autre exemple dans une région différente,
dans l'Amérique du sud, entre les Antilles et la rive méri-
dionale de la rivière des Amazones, la nomenclature entière 1
nous donne :
Mercatoh
Gloiib de Zurich
H de Auiapari.
R, de Auiapari.
Monte especo.
R. dulce.
II. Dulce.
Terra llana.
l'un ta bas; a.
Punta basa.
H. de la barca.
Cap ut Pegasi.
Ancon.
B. Verdc.
il. verde.
li. Salado.
11. Salado.
II. du la barca.
1t. de la barca.
Aldc.a de aT'boledas.
Aldca de arboledas.
II. de Vincenle Pinçon.
H. de Vincente Pinçon.
C. Blanco.
C. Manco.
I>. de arboledas.
II. de arboledas.
K. de Pascua.
II. de Pascua.
0. de los esdauos.
C. de los esclauos.
Remonlons dans l'Amérique du Nord, nous trouvons sur
le Labrador une longue inscription ainsi conçue :
Mercatoh
Gl.OBK DE ZUIUCH
Aiiiio Domini 1500 Gaspar Cor-
Amio Uomîni 1500 Gaspar Cur-
lerealis Portugaleusis nauiga-
lerealis Portugalensis nauiga-
uil ad lias terras, spectans a
uit ad bas terras spectans a
parte septentrional! inveniro
parle septentrional! in t entra
trausilum ad insulas Moine-
trarisitum ad insulas Holuc-
au, peruenieDB au | iem ad
cas, pemeuiens au | luni ad
flnuiuiii...
lluiiium...
SOTE SCR UNK SIISS10>- GiCOClUPHlijUË EN SOISSE. 81
Je crois absolument inutile de prolo[iger,eommejepour-
rais le faire grâce aux noies que j'ai prises, ce travail de
comparaison. On voit que les différences, quand il s'en pré-
sente, sont absolument minimes. On peut se demander si le
globe de Ziirich est une copie, une contrefaçon de la carte
plate de Mercator dressée sur une projection sphérique et
un peu agrandie, ou si ce n'est pas une œuvre inconnue du
géographe de ftuppelmonde. Ne peut-on pas supposer que
cette sphère commencée par Mercator aitélé terminée,après
sa mort arrivée en 159-1, par son (ils ttumold1? Nous ad-
mettons dans ce cas que la date 1595 que nous avons vue
sur la monture soit celle du globe même; mais il pourrait
n'en êlrepas ainsi, nous ne possédons pas assez de lettres
de Mercator pour espérer trouver dans sa correspondance
quelques informations relatives à ce globe. I! est un fait,
c'est que je n'ai vu signalée nulle part la sphère de Ziirich, pas
plus dans les travaux relatifs à Mercator lui-même (Van
Raemdonck*, Van Ortroy-1, général Wauwermans') que
dans les histoires de la géographie. C'est un document qui
n'a jamais été décrit, tout à fait inconnu, vraisemblablement
unique et qui présente pour l'histoire de l'œuvre de Merca-
tor un intérêt tout particulier.
La bibliothèque de Zurich n'est pas riche en documents
t. KL cependant, ai ce glutu? n'est |.;l.s rie llwrcator, il ne peut être que
mil d'Urtelius, son planisphère du 1">ÎI). tout en étant d'une projeeiiim
■me. offre la plus griinde ressemblance ilaus le tracé cl les inscrip-
lians .'ivi-e te planisphère île Mercator de Vfiit. soit d'Apitm rloul il exista
. ■ >■ moins grand dédié au duc de Bavière eu 157u et conservé à
!i Bibliothèque de Munich.
1. Gérard Mercator, sa vie. et ses œuvres. Saint-Nicholas, 1NU9,
ID-S.
3. L'Œuvre géographique de Mercator,... Bruxelles, 1893, in-8 de
m pages. — Id.. Quatre tetlres auliHjjaphït de Gérard Mercator i
Henri de Rantiau. ttruxellt's (s, d.), in-8 de 9 pages.
*. Histoire de IVcule cariiigrapliii|ue ituvi-r-oisi' duns lé. Itulletin île ta
Sodétl de géographie d'Anvers, 1892-1894, pattim.
SOC. BE CÈOGn. — l"r TRIMKSTHE 1899. II. — B
82 NOTE SUR UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE.
géographiques; on n'y rencontre guère, comme à Berne,
que des caries lirées à un grand nombre d'exemplaires,
productions de Sanson, Duval, Uelisle.BIaeu, Jansson, Seut-
ter, Honiiinn. J'ai cependant eu la bonne fortune d'y ren-
contrer, sur l'indication d'un des membres du conseil du
Musée national, un document fort inléressant. C'est un atlas
in-4° manuscrit dont les feuilles de parchemin sont encore
admirablement tendues sur leurs ais de bois. Les plats de
la reliure, également en bois, sont peints en jaune d'or et
divisés en deux compartiments par un encadrement sur le-
quel s'entrecroisent des lignes vertes formant un treillis
de dessin assez primitif, des feuilles brunes sont semées sur
le fond jaune et chaque compartiment porte un écu mi-parti
d'argent à trois besans de gueules eL de gueules à trois be-
sans d'argent. Ces armoiries, que nous n'avons pu déterminer,
sont vraisemblablement italiennes, elles sont contempo-
raines de l'atlas et de son étui.
Cet allas, composé de cinq feuilles d'une fine et jolie gra-
phie en lettres rouge et bistre, ornées à chaque coin d'assez
fines miniatures sur fond d'or représentant une Vierge au
bambin, un saint Christophe et des saints particulièrement
vénérés des marins, notamment saint Nicolas, saint Jacques
et saint Julien, porte au premier feuillet l'inscription sui-
vante : Perinus Vesco.nte d'Ianua fecit istam | tabula
A.NNO dni HCf.CXXI J VENECIA.
La première feuille représente les Iles Britanniques, c'est-
à-dire l'Irlande avec le lac aus îles innombrables qu'on
voit sur tous les portulans de cette époque, l'Angleterre avec
une nomenclature assez serrée qui finit à Berwick; de
l'Ecosse on n'a que le nomScocia; les côles de l'Europe
continentale s'étendent depuis la poinle du Danemark jus-
qu'à Mogador, sur la Méditerranée sont dessinées les côtes
d'Espagne jusqu'au golfe du Lion avec les Iles Baléares et les
rivages du Maroc et de l'Algérie.
La seconde feuille comprend la Méditerranée centrale,
SOTE SCtt BUE MISSION GÊOGFIÀrHIOUE EN SUISSE. 83
soil les côtes d'Algérie et de Tunisie avec les Baléares, la
Corse et la Sardaîgne, l'Italie avec laSicile et les côtes orien-
tales de l'Adriatique jusqu'à Durazzo.
Sur la troisième feuille nous avons sous les yeux l'Archi-
pel avec les cotes d'Afrique et d'Asie jusqu'aux Darda-
nelles.
La quatrième feuille représente la mer Moire et la mer
d'Azov».
La cinquième nous donne le calendrier.
Ce joli portulan, admirablement conservé, possède en-
core son étui. C'est une gaine de cuir très épais, contem-
poraine, décorée sur une face d'un aigle et d'un lion inscrits
dans deux circonférences placées l'une au-dessus de l'autre,
entre lesquelles sont posés sur la même ligne deux écus
sur l'un desquels est un chasseur tenant sur le poing un oi-
seau de proie, en face Hercule et le lion de Némée, à moins
que ce soil un Samson. Sur l'autre face entre le lion et
l'aigle, est estampée une feuille bien découpée.
Ce qui ajoute à l'intérêt que présente cette gaine c'est
qu'elle a conservé les coulants de cuir par lesquels passait
la courroie permettant de porter ce portulan en sautoir
i la façon d'une lorgnette. Le coulant do haut est assez
long et assez large pour qu'on ait pu y insérer un compas.
Sous voyons ainsi que les capitaines ou les pilotes por-
taient toujours sur eux leur atlas auquel ils avaient, à cette
époque, constamment recours pour leur navigation au ca-
botage.
C'ast peut-être le seul allas du xiv* siècle qui nous soit
parvenu aussi complet; malheureusoment,M.le D' Eichardt,
bibliothécaire de Zurich, n'a pu nous dire à quelle époque
el dans quelles circonstances ce beau et curieux portulan
est entré dans l'établissement dont il a la garde.
Perinus Vesconte, qu'on ne doit pas confondre, croyons-
nous, avec Petrus Vesconte, bien qu'ils soient contempo-
rains et appartiennent vraisemblablement àla même famille,
«4 NOTE BUB L'NE MISSCON GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE.
n'est pas un inconnu. MM. Uzielli et Amal di San Filippo
ont cité de lui * une carte qui se trouve à Florence à la Bi-
bliothèque laurencienne, qui fut faite également à Venise,
mais porte la date un peu antérieure de 1317.
Bà!e a déjà fourni aux amateurs de cartes rares du
xvie siècle deux pièces d'un intérêt considérable : le plan de
Varis de Truscbet, dont la reproduction a qui n'est point co-
loriée ne donne qu'une idée bien incomplèle et bien affaiblie,
et la carte de France d'Oronce Fine, de 1538, dont une re-
production réduite a élé publiée par M.Gallois, aujourd'hui
maître de conférences à l'Ecole normale3.
C'est que Baie fut au xvi* siècle un foyer intellectuel ex-
trêmement puissant. Nombre d'érudils et d'artistes y sé-
journèrent et quantité d'ouvrages géographiques — nousne
citerons que les éditions de Ptolémée de 1540 et de 1542 —
y furent publiés. Ii n'est donc pas extraordinaire qu'on y
rencontre des vieilles cartes géographiques qu'on ne trou-
verait pas ailleurs. Dernièrement encore un érudit allemand
y découvrait une grande carte de Grèce, celle de Sophianus
de 1544-, qu'il faisait reproduire à une échelle réduite.
Comme la plupart des grandes cartes qui, en raison même
de leur dimension ont presque toutes disparu ou sont de-
venues extrêmement rares, la carte de Sophianus était pour
ainsi dire inconnue ; je n'en sais, pour ma pari, qu'une édi-
tion postérieure, celle de 1552, qui se trouve à la Section de
géographie delà Bibliothèque nationale, mais quia jadis été
lacérée et dont il manque une partie.
Dès mon arrivée à Baie, j'exposai à M. Bernoulli, conser-
vateur de la bibliothèque de l'Université, quel était l'objet
1, Studi bioiirafici e. bihlinijrafici, vol, II. Mttppamundi, p. 54.
3. RppriiiJurlii'ii puliliùr on 1*70 par la SndeV •!•: i'Histoïri! do
Bl UcompagTtée d'une notice par M. Jules Cousin.
3. De Orontio Fin/sa g&llico gsoijrapho, l'acultati fiflerarwn
tiensi thtsim pruponr.liat /,. Wotff, l'aiïsiis, apuil E. Lorou*. 1SXI.
SOTE SUR UNE M1SSIOK GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE. H5
de mes recherches et je lui dis l'espoir que j'avais de trou-
ver, dans un établissement aussi riche que le sien, les docu-
ments que j'avais vainement cherchés a Berne et a Ziirieh.
Je tombais, d'ailleurs, dans un Tort mauvais moment, à la
veille de Noël ; j'avais été retenu à Berne et à Zurich plus
longtemps que je ne l'aurais voulu et je n'avais plus que très
peu de temps devant moi. M. Bernoulli Qt fléchir en ma la-
veur les rigueurs du règlement, il se mit à ma disposition
avec une obligeance dont je ne saurais trop le remercier, fit,
lui-même, les recherches nécessaires et m'apporta bientôt
un grand atlas in-f* oblong qui ne contenait que des cartes
du xviP ou du commencement du xvn* siècle.
La première pièce sur laquelle je tombai, Tut un exem-
plaire du grand planisphère à latitudes croissantes de Mer-
cator publié a Duisbourg en 1560. On sait que jusqu'à ces
derniers temps, le seul exemplaire connu fut celui qui se
trouvait à la Bibliothèque nationale de Paris et que Jomard
avait fait reproduire dans ses Monuments de la géographie.
En 1891, le Dr Alphonse Hayer, en rangeant la collection
des cartes de la Bibliothèque de Breslau, a découvert un se-
cond exemplaire de ce planisphère de Mercator. Il y
trouva également un exemplaire de la carie d'Europe1 du
même auteur que jusqu'alors on croyait perdue. Ces deux
cartes, ainsi que celle ries IlesLrilanniquesdu même Merca-
tor, ont éLé reproduites, en 1891, en fac-similé grandeur de
l'original par la Société de géographie de Berlin*.
C'est donc d'un troisième exemplaire du planisphère de
Mercator que je pus constater l'existence à la Bibliothèque de
l'Université de Bile. Cette carte est dans un étal de conserva-
tion vraiment merveilleux, il semble qu'elle sorte à l'instant
1. Kll'1 porte ilïns le coin inférieur gnoehr. : Absuliil-um el vulgatum
eit opiiH Dttyxltuiiii imnii fiiii lâiii même octobre per Gerurdum Mer-
■ Hupeimondflnum.
. i.ii! Zeitnchrift fur wiaensohaftiiche Géographie lterau.tijtyeben
i KWIter,t.YlI, 1890, p«**im.
Sti NOTE Sl'lt UNE MISSION GÈOGRÀPHIijUE KN SUISSE.
île !';iielifr du graveur. Pliée dans un atlas, elle n'a jamais
sans doute été consultée par un amateur ou un érudit, car on
n'aurait pas manqué de signaler aussitôt sa présence. Elle
est iulinimenl plus belle que celles de Paris et de Breslan.
11 faut Mre, comme je le suis, curieux de ces vieux docu-
ments pour éprouver le plaisir que je ressentis en admirant
la gravure si large, si précise et si artistique de Mercator.
l'.'esl avec une sorte de vénération que je contemplais cette
tuuvre, que je connaissais pourtant bien, du plus grand des
géographes du xvi" siècle. En même temps, je me sentis
envahi par l'espoir de trouverdans cet allas factice d'autres
documents inconnus ou perdus et dont on ignorait absolu-
ment a Baie l'intérêt et la valeur.
J'eus, en effet, l'heureuse fortune de tomber presque
aussitôt sur une autre production de Mercator non moins
intéressante : sa grande carte d'&irope. Mais, au lieu que
ce soit un double de l'édition de 1554 que le Dr Hayer a
trouvée à Breslau et qui a été reproduite par la Société de
géographie de Berlin, comme nous l'avons dit plus haut,
c'est la seconde édition, celle de 1512, qu'on croyait per-
due, que j'avais sous les yeux.
Van Uaemdonck, qui a consacré sa vie entière à réunir et
à publier des documents sur Mercator, s'exprime ainsi au
sujet de cette carte' :
* Mercator sut se tenir au courant du progrès et publia,
au mois de mars 1572, une nouvelle édition de sa grande
carte d'Europe, enrichie de toutes les découvertes qui
uvait'iit été laites depuis dix-huit ans. Dressée sur une pro-
jection nouvelle, résumant toutes les cartes particulières
récemment élaborées et perfectionnées, gravée avec ce soin
que Mercalor savait y mettre, celte carte a dû faire sensa-
tion dans le monde. A son apparition, c'est Ghymnius qui
r.iiin me, les savants de tous les pays en firent un éloge'
1. Op. cil., p. 81.
KOTË SUR UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE. 87
tellement brillant, qu'on eût dit que jamais œuvre aussi
parfaite n'avait vu le jour.
* Celte grande et belle carte est signalée par les contem-
porains Ghrmnîus, Ortelius, Molanus et par Mercator lui-
même. Le Dr Camerarius la reçut en cadeau en 1574, elle
faisait partie de la collection géographique du président
Viglius et ornait habituellement la cheminée de sa biblio-
thèque. Elle se trouvait probablement dans toutes les cours,
dans toutes les abbayes et chez tous les savants de l'Eu-
rope, et cependant on n'en trouve pas d'exemplaire. >
Les amers regrets de M. Van Baemdonck n'ont plus au-
jourd'hui raison d'être, puisque le Dr Hayer a trouvé l'édi-
tion prioceps et que moi-même, je viens de découvrir à
Bile celte seconde édition que M. Van Raemdonck louait
en termes qui semblent hyperboliques et qui ne sont pour-
tant que l'expression de la vérité. Le biographe de Mercator
n'avait pas été le seul, d'ailleurs, à déplorer la perte de ce
document. D'Avezac, dans son Coup d'œil historique' sur
la projection des cartes ijèoijrit.phiqum, disait : « Nous
n'avons pu rencontrer d'exemplaire de cette grande carte
d'Europe, soit de l'édition originale de 1554, soit de la
deuxième édition de 1572, mais il s'en trouve, dans l'Atlas
posthume édité en 1595 par son fils Rurnold, une réduc-
tion que nous avons examinée. » D'après ce qu'il est facile
d'en juger, d'Avezac n'avait eu qu'une bien faible idée de
la carte originale dont voici le titre et la dédicace.
Et]BOP.« UESCRIPTIO | EHENDATA ANNO C10CILXXII.
Reverendiss. et illustriss. Domino \ D.Antonio Perrenot
Atrebatensium episcopo | imp. Cnroli V Augusti primo
contiiiario | titerarum studiormti j omnium \ unico fau-
tori | Gerardut Mercator Rupelmondanus \ dedicabat. |
Cette belle pièce mesure 1 m. 605x1 m. 335.
I. l'aris. iuipr. Martinet, 18G3, in-8, p. 61.
88 NOTE SUR ÔME MISSION GKOlîllAPHlyUE EN SUISSE.
J'ai encore noté la présence dans le même atlas fac-
tice de la carte cordiforme d'Apian, de sa grande carie
de Bavière en 24 feuilles publiée à Ingolstadt en 1568,
de la carte de Suisse die Tscbudi de 1560, de trois cartes
d'Espagne de Carolus Ciusius (L'Écluse), de Paolo Forlani,
publiée par Berleli, et de celle île Pirrho Ligorio gravée par
Jean et Lucas a Duelecum, enfin d'un certain nombre
d'autres cartes extrêmement rares, qui n'avaient pas pour
moi un intérêt immédiat et dont je me contentai de prendre
rapidement note.
Je ne m'arrêterai que sur une carte cordiforme dont j'ai
constaté l'absence au British Muséum et à la Bibliothèque
nationale et qui n'a pas été citée, autant qu'il m'en sou-
vient, par les historiens de la cartographie, même par
ceux, comme le professeur Fiorini1, de Bologne, qui ont
fait une étude spéciale des projections cordiformes, ou
comme Ceradim', qui a publié sur les géographes et les
cartes du ïti* siècle un travail très avisé, trop touffu, que
la mort l'a malheureusement empêché de reviser et d'alléger.
Voici le litre de cette carte que je considère comme abso-
lument ignorée et unique jusqu'ici.
Nova totjus terrarum onms juxta nés | toricohum
TRALlITIONES DËSCRIPTI0 | AultAH. OnTELIO | ANTUKRHANO |
Anno Domini | MCGCCCLXIIII.
L'adresse porte : Prostant Antuerpiœ apud Gerardum
de \ Jode in Bor&a noua \ cum Hegiœ Maiestatis Priui-
legioad | Sexenium | .La dédicace est ainsi conçue iNobili
et srudito Marco | Laurina D.de Watereliet \ Abrahamits
1. Le prnjt-.ioni cordifor,
Le jir"jt:inni /juiinlttalive e
ï nelta cartogrtifia. HOnu, 1889, in— H. —
iquivalenli nrtla eartografia. Rnraa, 1887,
2, A proponiui dei dm- glohi Mrrt:/it:,ritiiti. I.Ml-1'râl. — Appunli c:
tîci lulla sluria délia geografia net tteoli XVe XVI... MUano, 1884, in
BOTE SDR UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE. 89
Urtelius | DD. | Celte carte, qui mesure 1 m. 58x0 m. 87,
tel ornée des têtes des vents. Dans le bas, à droile et à
gauche, deux canouches nous donnent les plans de Mexico
et de Cuzco. Elle offre une grande ressemblance comme
projection avec la mappemonde de Johannes Honterus qui
se trouve dans son ouvrage : De geographiœ rudimentis,
qui parut à Baie en 1561.
Coïncidence qui ne manque pas de piquant, une réduc-
tion de cette même carte d'Orlelius publiée par de Jodc
(de Judceis) figure dans le même recueil de la Bibliothèque
de I1Iiiiverfité do Bàle; je ne la crois pas moins rare que
l'original. En voici la description :
NOVA TOTITÏS TERIUIïCM ORDIS DESCRlrTin ad exemplar
HAIORIS E1IIT.E Ai! ABRAH. OrTEMO SONC VERO 1571 IN HAN'i;
FORUAH REDACTA PEU GER. DE JODE. JOHANNU9 A DKOTECD,
Lucas a DkutecC feceriint.
Dans le bas de cette carte, qui mesure 0 m. 52x0 m. 335,
sont deux cartouches : un globe céleste à gauche, un globe
terrestre à droile.
La date de publication de cette carte, 1571, est intéres-
sante à noter parce que l'ingénieur Fiorini affirme que fa
dernière des caries en forme de cœur est celle de Cimer-
tinus publiée en 1566'.
Comme on ie voit par les noies rapides que j'ai prises, il
y a à Baie un ensemble de documents excessivement inté-
ressants. Il serait à désirer qu'un éditeur français entreprît
la reproduction de ces cartes qui sont toutes ou excessive-
ment rares ou uniques; je suis certain que celte publication,
à laquelle on pourrait adjoindre quelques spécimens em-
pruntés à d'autres dépôts, rencontrerait le même accueil
qu'a reçu la reproduction de cartes anciennes publiée par
I. Le prajetioni eordiformi nella cartotjrafla... op. cit., p. !fi.
■
90 NOTE SUil UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE.
F. Miiller, d'Amsterdam*, si l'on voulait surtout s'en tenir
aux documents absolument introuvables.
Je ne veux pas quitter Bile sans parler de quelques autres
monuments géographiques que j'y ai découverts, non plus
à la bibliothèque de l'Université, mais au Musée historique.
Là, au milieu de pièces infiniment curieuses pour l'histoire
des mœurs, de la civilisation et de l'art : meubles, armes,
tableaux, ustensiles de toute sorte, costumes, vitraux, etc.,
j'ai aperçu cinq globes célestes dans plusieurs de ces
chambres qu'on a enlevées tout entières : plafonds, poêles,
meubles, et jusqu'aux lambris, de châteaux ou d'habita-
tions anciennes, pour les transporter au Musée. L'accès
des pièces exposées dans ces salles étant interdit au public
généralement indiscret ou maladroit, je n'ai pu examiner
ces sphères célestes d'un peu près, elles m'ont cependant
paru appartenir toutes au siècle dernier.
Enfin une longue vitrine, dans une petite salle donnant
dans le chœur de l'ancienne église des Gordeliers où est
installé le Musée, en face l'endroit où sont exposés les mor-
ceauxqui restent de la Danse des morts, contient trois beaux
vases à boire en argent en forme de globes terrestres.
Pour deux de ces pièces, le globe est porté par un Atlas,
l'un les deux mains appuyées sur les hanches, le second une
main sur la hanche et l'autre sur un fort bàlon; quant au
troisième, plus simple, il est monté sur un pied aux élé-
gantes moulures. Le globe s'ouvrait à l'équaleur et était
généralement surmonté d'un sphère armillaire ou d'un
globe céleste. Sur celle sphère est gravé et doré le monde
connu, alors que les mers ont conservé la couleur naturelle
de l'argent. Si l'on examinait un peu attentivement chacun
de ces objets, on arriverait assez facilement, par l'étude des
1 . Hemarkahle Map* of Iht XV. XVI, XVII th centuries, reproducat
in their originat me... Amsterdam, F. Millier, 18U4-18U8, in-fol.
HOTE SliH UNE MISSION GKOGRAI'HIQUE EN SUISSE. 91
inscriptions, des terres et des lies représentées, aussi bien,
que par l'absence de certaines, à leur fixer une date.
Par malheur, ces globes, en raison même de leur appro-
priation, sont toujours d'une dimension assez restreinte,
leur diamètre ne doit pas dépasserO m.20.
J'ai été assez frappé de rencontrer à Bàle, dans le même
musée, trois de ces coupes dont j'avais vu d'autres exem-
plaires à Nancy et à Genève au musée Ariana. Cela m'a
appris que ces objets dont on rencontre en Suisse un grand
nombre, mais sous des formes très ililférentes, étaient plus
nombreux que je n'imaginais; peut-Ctre, si l'on poussait
les recherches plus à fond que je n'ai pu le faire aux Musées
historiques de Berne et de Ziïrich, pourrait-on trouver
d'autres pièces du même genre. Il serait instructif do les
comparer entre elles, de les examiner de près; on y décou-
vrirait probablement le nom du graveur et le lieu de la fa-
brication, constatations qui pourraient nous réserver une
surprise et qui ne me semblent pas dépourvues d'intérêt.
Telles sont en résumé les quelques notes que j'ai pu
prendre au cours de la mission où je recherchais des docu-
ments de géographie historique ; ce sont, si je puis ainsi
m "ex primer, des trouvailles à coté. J'ai pensé qu'elles pré-
sentaient un intérêt général et que les historiens de la géo-
graphie, à quelque nation qu'ils appartinssent, y pourraient
trouver pour leurs études d'utiles renseignements.
Post-Sciuptum. — Telles étaient les conclusions aux-
quelles j'étais arrivé, lorsque je reçus peu de temps après
mon retour à Paris la visite du directeur du musée de Zu-
rich, M. leD' H. Angst. Au cours de notre entretien, j'eus
l'occasion de lui parler des coupes en forme de globe que
j'avais admirées à Bàle, Il m'apprit l'existence à Zurich
d'un vase à boire de même genre; celui-ci n'était pas en-
core sous vitrine lors démon passage, je n'avais donc pu le
voir. M. Angst, qui est l'obligeance et la gracieuseté mêmes,
92 NOTE Sril l'NB MISSION GEOGRAPHIQUE EN SUISSE.
s'excusa de ne m'avoir pas montré ce globe, me promil de
me donner, à son retour, les renseignements que je désire-
rais sur cette belle pièce et de m'envoyer en même temps
une photographie qui me permettrait de l'étudier; c'est
celle que nous reproduisons.
Celte sphère qui appartient depuis longtemps à la biblio-
thèque de Zurich est en argent, mais les continents et cer-
taines autres parties sont dorées. Elle est surmontée d'un
globe céleste du même mêlai. Elle a été reproduite en litho-
graphie et décrite dans une publication locale' que M. le
Dr H. Lehmann, du même musée, a eu l'obligeance de me
faire parvenir et à qui j'adresse ici tous mes remerciements.
La sphère terrestre a 0 m. 17 de diamètre; elle est très
arlistement dessinée et gravée avec une extrême habileté.
La photographie nous montre l'océan Pacifique; le détroit
de Behring ou d'Anian, comme on disait alors, y est figuré
comme sur une sphère en cuivre faite à Rouen que nous
avons décrite1. La Californie est une île et non pas une
presqu'île comme on l'a souvent représentée au xvn' siècle.
On lit très exactement le nom de l'archipel Saint-Lazare;
sur la Nouvelle-Guinée se trouve cette inscription : Nova
Guinea nuper inventa quœ ... i usai a an pars continentisaus-
tralis, et sur ses côtes : y de los marttres, y. de los crespos,
y. de hombres blancos. In Èarbada..., échos attardés des ex-
péditions de Grijalva en 1537 et de Otiz de Heles en 15+5, et
empruntés très vraisemblablement à Mercalor.
Un peu plus loin se trouve l'archipel Salomon, et au-des-
sous de la Nouvelle-Guinée se profile à travers le Pacifique
jusqu'à la Terre de Feu et jusqu'au pùle un vaste continent
présentant une profonde éebancrure qui rappelle le golfe de
1. XfUjalirsblntt hcrtiustientlien uni! iltr Slaittbiblintliek in Zurich,
auf dut Jalir, 1860. Zurich, în-4" de 12 pages avec ce sous-tllre : De
Beektr des ehe.iauliijen Cborlierreiutubt.
!. .Vole sur une sphère terrestre en cuivre faite a Rouen à ta fin du
XVI' itecle. Rouen, Cagniard, 1H91, in— i" de 10 pages.
fj
COUPE A BOIRE
HOTE SDR UM-: HlSSIOrf GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE. 93
Carpentarte, échancrure qu'on remarque sur presque loules
les caries depuis In publication des cartes cordilbrmes
d'OronceFine et deMercator. Sur celle immense terre aus-
trale.on lit la légende suivante : liane continentem Austra-
1m noniinlli Magellanifam regionem ab ejus inventore
aurtcuiiaiit.
L'absence du détroit de Lemaire, de la Nouvelle-Zélande,
de la moindre trace réelle de l'Australie nous délerrainentâ
fixer pour l'époque du dessin de cette sphère le dernier
quart du xvi* siècle, ce qui concorde d'ailleurs complète-
ment avec les données artistiques.
Comme on le voit sur la photographie, le globe terrestre
surmonté de la sphère céleste repose sur un vieil Atlas
barbu qui fait eiFort pour le porter et semble se relever avec
peine. Le corps est fléchi, les jambes sont repliées, l'un des
pieds se crispe sur le sol, l'autre repose sur une boule.
Sur le pied très élégant de celle pièce d'orfèvrerie sont
gravés en bas-relief, entre de délicates consoles ajourées en
forme de rinceaux, les quatre éléments sous la figure
d'une salamandre, d'un dauphin, d'un aigle et d'un élé-
phant. Sur le quart de cercle, dernière moulure de la base,
des médaillons à figure séparent les quatre parties du
monde. L'Europe est représentée par un joueur de luth et
ses auditeurs, l'Asie par un prince et ses guerriers, l'Afrique
par un roi sous sa tente avec des guerriers elun prisonnier,
enfin l'Amérique est représentée par un sauvage lenant une
massue, sa femme avec un arc.
Les deux globes terrestre et céleste s'ouvrent à l'équateur
et forment ainsi quatre coupes à boire extrêmement élé-
gantes et riches, puisque si l'ensemble était d'argent, les
conlinents, les constellations, l'éqaateur, l'écliplique étaient
dorés ainsi que les bas-reliefs et les petites figures du pied.
Examinée avec plus de soin qu'elle ne l'avait été en 1860,
celle pièce curieuse a révélé par les marques gravées qui
ont été découvertes dans la cavité de la base qu'elle est
04 NOTE SUR UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE EW SUISSE.
l'œuvre de l'orfèvre Abraham Gessner (1553-1614) de Zu-
rich. On y voit, en effet, un Z au milieu d'un cartouche en
forme d'écu et dans un autre h marque assez compliquée de
Gessner,
i (È
Gomment ce glohe est-il entfé a la bibliothèque de Zu-
rich; on ne sait, mais un document reproduit dans le Neu-
jahrsblatt que nous avons cité plus haut, nous apprend du
. moins que le 4 juillet 1673, dans une réunion (convenl) de
la Société des chanoines et d'une délégation de la Société
des jeunes ecclésiastiques, il fut à l'unanimité décidé
d'acheter pour ces sociétés réunies et avec leurs propres
fonds la remarquable coupe d'honneur que nous venons de
décrire.
A une époque relativement récente, ce beau bibelot fut
acquis chez un orfèvre. D'où celui-ci le tenait-il ? Pour qui
avait été faite celte sphère et dans quelles circonstances?
Voila ce que ne dit pas le document que nous citons et ce que
l'on ignorera peut-être toujours. Néanmoins la découverte
des marques du fabricant et du lieu de fabrication sont des
éléments nouveaux qui éclairciront peut-être l'histoire des
vases à boire similaires qu'on trouve à Ilappoilsweiler (Al-
sace), à Bâle,à Genève et à Nancy '.C'est une étude que nous
réservons pour un moment où nous aurons un peu plus de
loisir.
G. M.
1. Il existe au Mnste national du. Siiii'kliihlrn un ii];ignilli[UK gliibe en
argent ijui a appartenu à G ustai'e- Adolphe, qui porte In date de il')30
et le nom de Johann Hajauer de Nuremberg. Une reprodnclion de ce
globe nous a été envoyée eu ]8»ï par noire ami E. Sordenskiold. Nous
ne savons si celle sphère étail, elle aussi, une coupa à boira.
LE KLONDYKE, L'ALASKA, LE YDKON
ET LES ILES .W.BHTIKNM'S
Ml. LOICQ IDE LOB EL1
Quand les premières nouvelles des trouvailles d'or faites
en Alaska parvinrent en Europe, peu de monde ajouta foi
à ce qu'on croyait èlre des canards d'Amérique. Puis, à
ces nouvelles succédèrent des rapports officiels qui confir-
maient en partie les récits des mineurs revenus du Klondyke.
Ceux-ci relataient également les difficultés et les dangers
de la roule et du climat auxquels le mineur était exposé
dans ce pays de rocs et de glace éternelle. On apprenait
bientôt que le gouvernement canadien avait envoyé un
gouverneur à Dawson ; et dès lors ce pays, qui jusqu'ici
n'avait pas d'histoire, eut le don d'exciter la curiosité du
monde entier.
Une chose entre toutes attirail l'attention comme la pilié
sur les malheureux qui osaient affronter les périls de ce
voyage; c'était la traversée de cette fameuse passe du
Chilkoot, ot la nature semble avoir jeté là, pèle-mcle, les
uns sur les autres les plus énormes blocs de pierre de la
création, formant ainsi une barrière infranchissable aux
trésors qu'ils protègent.
Ces rocs gigantesques, dont les ravins se cachent sous
d'épaisses avalanches de neige, il fallait les gravir au plein
I. Commuilicalioii adnsséi- à lu SoeiéSé <k* Géog raphia dans s:
du 6 janvier. — Voir la carie jointe à ce numéro. Celle
eilraiie ilu rapport île M. Loicq de Lohei, a dû, nécessairement, èlre
96 LE KLONDYKK, L'ALASKA, LE YOTCOK
cœur de l'hiver et par étapes cent fois répétées, car chacun
devait transporter ses vivres sur le dos.
Mais, là n'était pas la seule difliculté du voyage; si le
Chilkoot était terrible, combien dangereux étaient les lacs
et rivières qu'il fallait suivre sur des embarcations toutes
primitives, faites deplanches mal jointes provenant d'arbres
brûlés, et incapables de résister longtemps aux secousses
des torrents et des rapides.
Ajoutez à cela le tableau qu'on faisait des malheureux
mineurs atteints du scorbut et forcés de travailler la terre
par une température de 60° sous léro; voilà, à peu près, les
renseignements que nous possédions quand j'entrepris mon
exploration en avril 1898.
J'allai m'embarquer à Liverpool, à destination de Mont-
réal. Je choisissais de préférence un port canadien, pour
éviter les tracasseries et les tarifs élevés de la douane
américaine. Je devais me rendre dans le Yukon par Glenora,
Telegraph-Creek et le lac Teslin.
Je ne vous décrirai pas ici les sites merveilleux des jolies
villes du Canada que nous avons traversées : Québec, Mont-
réal, deux villes restées bien françaises de mœurs et de
langue ; Ottawa, le foyer intellectuel du Canada ; ni les vastes
contrées que le Canadian Pacific traverse de Montréal à Van-
couver. M. le baron Hulot, notre distingué collègue, lésa
merveilleusement dépeintes dans son livre De l'Atlantique
au Pacifique.
Mais, je ne puis m'empêcher de vous parler de ces Mon-
tagnes Rocheuses, qui gardent perpétuellement leurs cimes
couvertes de neige et sur lesquelles le train court à une
allure vertigineuse, traversant des ravins profonds de 2,000
pieds sur quelques poutres dont nous ne voudrions pas en
France pour un pont de jardin; descendant des courbes
brusques et rapides, à fleur de roche, où l'œil ne distingue
plusque le vide immense du gouffre béant. Cette traversée
des Montagnes Rocheuses donne le vertige a plus d'un
ET LES ILES ALÉOUTIENffES. 91
toyageur et laisse dans l'esprit un inoubliable souvenir.
Nous arrivons à Vancouver le 10 mai, où nous complé-
tons notre équipement et nos provisions.
Ici, pas plus qu'à Montréal, on ne peut nous donner le
moindre renseignement sur les régions arctiques ; mais en
revanche, nous sommes assaillis par les marchands qui nous
relancent jusqu'à l'hôtel pour nous offrir des vêtements de
fourrure ou d'autres approvisionnements. Le 14 mai, nous
nous embarquons sur Yhlander, avec ma femme, mes deux
filles et mes deux fils qui n'ont jamais consenti à attendre
mon retour à Vancouver. Ici commence notre apprentissage
de la rude existence que nous allons mener pendant six
mois. Ce petit steamer est occupé par les 250 hommes de
troupe qui composent la milice du Yukon. Comme il n'y a
que quelques cabines qu'on réserve aux dames, nous cou-
chons sur le pont. Le chenal que nous traversons est magni-
fique ; le bateau tile entre deux rangs de (lords merveilleux,
derrière lesquels se dressent les cimes élevées des montagnes
couvertes de neige.
Nous arrivons à Wrangel le 17 mai. Wrangel est une pe-
tite ville bâtie toute en bois et sur pilotis, mais bien campée
sur une colline boisée et située sur territoire américain.
Les rues sont de vastes fossés, vrais cloaques de boue et,
d'immondices de toute sorte; de place en place émergent
«les troncs d'arbres sciés à un mètre du sol et supportant
des planches pourries qui plient sous vos pas. Ces espèces
de trottoirs sont très étroits et l'on ne s'y aventure qu'avec
précaution.
Il pleut, dit-on, à Wrangel pendant toute l'année. Jus-
qu'en 1897, Wrangel était une ville d'Indiens el ne conte-
nait que 3 blancs. La population actuelle est composée en
majeure partie de blancs et est très mauvaise. On nous dit
qu'il est dangereux de sortir après 7 heures du soir quand
les jours sont courts. On y assassine pour 4 bits (4 fois
75 centimes),
Les
LE KLONDÏKE, L ALASKA, LE VDKON
ichètent, dit-on, de 5 à 10 dollars;
juges sont Laxées un peu plus.
mblables sur toute la fron-
mais celles d
Ces mœurs sont d'ailleurs s
tière américaine, en Alaska.
Les Indiens portent le costume européen, mais au lieu de
chapeau les femmes portent sur la tôle nu grand châle. De
taille plutôt petite, ces Indiens ont une large carrure, des
cheveux plats et luisants et la peau cuivrée. Leurs habitations
construites comme celles des blancs sont tenues propre-
ment. Ils vivent du produit de leur pêche el la plupart d'en-
tre eux sont dans une situation prospère.
Depuis notre arrivée nous nous débattons contre la
douane américaine pour le s formalités à remplir concernant
nos bagages pris en transit.
Nous quittons Wrangel le 19 mai sur le Stratkcona, ba-
teau à fond plat, mû par une grande roue à palettes tenant
lieu d'hélice. C'est le bateau en usage dans cette région sur
les rivières généralement peu profondes.
Ce steamer fait son premier voyage ; il a été frété spécia-
lement pour transporter les hommes de la milice du Yukon
à Glenora. Bien qu'il fasse très froid et qu'il pleuve, tout le
monde est sur le pont tant le paysage qui se déroule sous
nos yeux est superbe.
A l'horizon, des montagnes s'élevanl en amphithéâtre et
toujours plus hautes, blanches de neige sur laquelle se dé-
tachent les sapins verts dont le soleil de mai a fondu le
manteau hivernal. Autour du bateau quantité de phoques
de l'espèce à poil rude prennent leurs ébats. Ils sont plus
petits que les phoques à fourrure; les jeunes gagnent dix
livres par jour jusqu'à l'âge adulte. On les chasse pour la
peau dont on fait des chaussures imperméables ainsi que
le cuir servant à. la fabrication des portefeuilles, des bu-
vards, etc.
Nous arrivons à la pointe de Rothsay, à l'entrée de la Sli-
kine, la Stah-Keena des Indiens ou la grande rivière.
ET LES [LES ALOUTIENNES. 96
Depuis un temps immémorial, c'est par la Stikine que les
indiens de- la coïe pénétraient a l'intérieur. Ses sources sont
encore inconnues; mais ellesdoi vent se trouver au sud du 58"
parallèle de latitude nord. Le fleuve est navigable jusqu'à
Glenora, à 250 kilomètres de Wrangel, pour dessteamersà
fond plat et munis de puissantes machines.
A. certains moments on peut remonter le fleuve jusqu'à
Telegraph Creek, à 20 kilomètres de Glenora. Au delà on
tombe dans le grand canon qui mesure 80 kilomètres de lon-
gueur et qu'il est impossible de traverser soit en steamer,
soit en barque.
On appelle canon une partie du fleuve qui se rétrécit entre
deux murs de rochers à pic, formant ainsi une gorge où
l'eau se précipite et roule avec une force incroyable. Les In-
diens eux-mêmes, si experts à manœuvrer dans les eaux de
la Stikine, n'ont jamais osé tenter la traversée du grand
cation en canot. Ils attendent l'hiver pour le faire sur la
glace.
La navigation sur la Stikine s'ouvre de mai à novembre.
Fin novembre le fleuve est complètement gelé. En juin les
eaux sont le plus hautes par suite de lit fonte des neiges. La
vallée de la Stikine mesure en moyenne 3 milles de largeur
jusqu'au petit canon. Les montagnes qui la bordent ont
1,000 métrés de hauteur environ.
Elles sont de nature granitique et de couleur grise. Tout
le long de la vallée les sapins, les arbres à coton et d'autres
montrent une végétation vigoureuse. Beaucoup commen-
çaient à bourgeonner quand nous sommes passés.
Quelques-uns, même, étaient couverts de feuilles et tein-
taient le paysage de différents tons de vert produisant le
plus joli eonstraste avec la neige qui couvre le sol.
Qui n'a pas vu la Stikine nu peut se faire une idée de ce
fleuve terrible, dont les eaux bouillonnent en tourbillons
ininterrompus.
A l'embouchure, le courant est assez modéré; mais,
100 LE KLONUÏKE, L'ALASKA, LE ÏDKOK
100 milles plus haut, il est terrifiant. Sur tout le parcours la
navigation est très difficile, tant à cause du peu de profon-
deur des eaux que par suite des nombreuses épaves que le
fleuve charrie, pour la plupart des arbres arrachés au
moment de la débâcle des glaces.
De plus, le lit du fleuve change tous les ans, ce qui dé-
route le pilole; tel endroit qui, aujourd'hui, possède un
bon chenal se trouvera remplacé, l'année suivante, par un
banc de sable.
Cette particularité, qui rend le dragage de la Slikine pres-
que impossible, en a empêché jusqu'aujourd'hui l'exploi-
tation, car elle contient de l'or en bonne quantité.
Le Strathco7ia avance lentement. Un homme à l'avant
sonde sans cesse le fleuve; il accuse 4 pieds, 6 pieds et
8 pieds d'eau, le maximum.
Sur la rive quelques petits campements d'Indiens. Des
aigles à tête blanche s'envolent à l'approche du steamer.
De temps en temps on aperçoit une tente; ce sont de pau-
vres mineurs venus là sur la glace, pris par la débâcle et qui
n'ont pu aller plus loin, car remonter la Slikine en barque
est une œuvre de géant.
Le cœur se serre en voyant ces malheureux abandonnés
seuls dans ce désert. Animés par l'espoir de trouver une
occasion d'aller plus avant, ils resteront là quand même
jusqu'à l'épuisement de leurs provisions.
Alors, ils redescendront la rivière en radeau. Nous arri-
vons à la fronlière canadienne où se trouve un poste de
police montée.
Une des particularités de la Slikine, ce sont les nombreux
glaciers qui y déversent leurs eaux. On en compte 300 sur
son parcours. Quatre de ceux-ci sont remarquables. Le
Popoff, qui se trouve à 10 milles au-dessus de la pointe de
ftothsay avant d'arriver à la rivière Iskoot. La scène ici est
sauvage au delà du possible. Des glaciers, des précipices,
des pics détient les plus intrépides grimpeurs du Monl-
ET LES ILKS AMOUTTI KNM:.-.
101
La région de l'Iakoot est, riche en gros gibier. Des
i, brun» et grizzelis; des chèvres el des moulons
de montagnes; des cariboo et des élans y vivent paisibles
(le cariboo esl une espèce de cerf grand comme le cerf
d'Europe). Les grouses y sont fort nombreuses ; quant aux
moustiques, ils dépassent en nombre et en voracité toutes
les espèces connues. Les mêmes animaux et les mômes in-
sectes se rencontrent sur tout le parcours de la Slikine.
Voici maintenant l'Orlebar, ou grand glacier, qui mesure
5 kilomètres de longueur le long du fleuve et qui s'étend en
profondeur sur un espace immense dont on n'a pas exacte-
ment déterminé la fin. En face, de l'autre coté du fleuve, se
trouvent les sources d'eau chaude. Un peu plus loin, sur le
parcours d'un mille environ, s'étend le Coude du Diable.
Enfin à 25 kilomètres plus haut, le Flood Glacier.
Nous avançons péniblement étalions échouer sur un banc
de sable. La manœuvre est très difficile. Le fleuve se divise
ici en plusieurs bras el forme une nappe d'eau à perte de
vue. De tous côtés émergent des bancs de sable et de gra-
viers. Sur l'eau flottent de gros troncs d'arbres et plusieurs
canots, la quille en l'air, tristes épaves des malheureux que
le Heuve a engloutis.
Après bien des efforts notre steamer reprend sa marche
en avant. Le 21 mai, nous arrivons en vue du redouté petit
canon, long de plus de 1 kilomètre et se rétrécissant à
50 mètres à certains endroits, entre deux montagnes de
rochers de 3 à 400 pieds de hauteur. Souvent, en cet en-
droit, les bateaux luttent pendant une heure avant de pou-
voir sortir de cette effroyable gorge et il arrive qu'ils sont
forcés de stopper pendant plusieurs jours à l'entrée du
cation, en attendant que le courant soit moins rapide.
Mais voici le moment du passage du bateau dans l'antre
du mauvais esprit, comme disent les Indiens. Des hommes
sont envoyés à terre pour attacher au roc le câble qui doit
remonter le bateau à l'aide du cabestan.
102 LE KLONDYKE, l'àLASKA, LE YUKON
A l'entrée du canon, le Ramona, parti deux jours avant
nous, est sur ses ancres et solidement amarre. Le capitaine
hésile à lancer son hateau dans le gouffre. Au pied des ro-
chers deux barques de mineurs sont attachées. L'audace de
certains hommes est vraiment stupéfiante.
Heureusement, le passage du canon s'accomplit sans ac-
cident. Au delà, le courant entrave encore la marche du
steamer. Nous traversons les grands rapides, puis le
Kloochman Canon, puis encore de nouveaux rapides. L'eau
tourbillonne avec force et fracas. On dirait un fleuve en
ébullition. Nous avançons de 50 en 50 mètres à l'aide du
cabestan.
Un moment le capitaine ordonne de chauffer au maxi-
mum de pression et d'essayer de marcher sans l'aide du
câble; mais à peine cet ordre est-il exécuté que nous recu-
lons de toute la distance que nous venions de Franchir par
le cabestan.
Deux barques d'Indiens passent avec la rapidité d'une
flèche, descendant le fleuve.
Nous reprenons notre marche en avant péniblement. La
neige devient moins épaisse, la végétation est plus avancée
et voici que de jolies fleurs se montrent partout. Dans l'in-
térieur le printemps est plus précoce que sur les côles ; c'est
ainsi qu'à notre arrivée à Gienora nous trouvons quantité
de fleurs épanouies, des papillons et des oiseaux.
J'ai tenu à vous donner, très en détail, la description de
notre voyage sur la Slikine pour celte raison que toutes
les rivières de l'Alaska sont semblables et qu'ainsi, je n'au-
rai plus à y revenir dans la suite de mon récit,
A Gienora, toute la ville est sur la plage attendant l'arrivée
du Strathcona qui apporte le courrier. Gienora est une ville
de tentes qui abritait alors une population de 2,500 hommes
venus pour la plupart sur la glace dans l'espoir de gagner
le Klondyke par la voie du lac Teslin.
Mais il n'y a pas de route et les pauvres gens sont arrêtés
ET LES ILES ALÉOUTIBNHBS.
103
là Taule d'argent pour payer leur passage et le transport de
feurs provisions sur un steamer qui redescend et personne
n'osant s'aventurer a redescendre la Slikine en barque ou
eu radeau. Uu instant ces mineurs croient que la troupe va
leur frayer une route ; mais leur espoir est bientôt déçu.
Nous établissons notre camp et nous nous mettons en
quête de chevaux et de porteurs, mais sans succès. Tous
les chevaux ont été réquisitionnés pour la troupe qui se
frayera une route à coups de hache à travers les épaisses
foréls qu'elle doit traverser.
A Glenora la chaleur est accablante; le 24 mai, le thermo-
mètre marquait 29° centigrades et lo 25 mai 38" centigrades.
Les nuits sont claires. On peut lire aisément à 11 heures
du soir. Les moustiques sont terribles et nous empoisonnent
te sang au point de faire naître quantité d'abcès sur le corps.
Nous faisons quelques reconnaissances au delà de Tcle-
graph Greek, qui est la limite de la navigation. Peu de stea-
mers, en effet, consentent à remonter jusque-là et à tra-
verser ce qu'on appelle les rapides des Trois-Sœurs, ainsi
dénommés parce que !e fleuve est barré en cet endroit par
trois immenses roches sur lesquelles plus d'un bateau s'est
brisé.
Telegraph Creek doit son nom à ce fait qu'il avait été
question d'établir là un poste télégraphique; mais ce projet
n'a jamais été exécuté. •
A partir de là, on rencontre d'innombrables roches de
basalte et d'autres rocs volcaniques de l'âge tertiaire. En
sortant de Telegraph Creek il n'y a comme route qu'un
petit sentier grimpant très à pic les rochers qui protègent
ta vallée de la Thaltau où l'on trouve plusieurs villages
d'Indiens.
On a fait de riches découvertes d'or sur cette rivière Thal-
tau. J'ai visilé les villages d'Indiens qui y ont établi des réserves
et qui ne permettent à aucun blanc de travailler chez eux.
Mais j'ai été fort bien accueilli par ces Indiens et c'est une
lOi LE KL0NI1YKE, L'ALASKA, LE ÏUKON
grande erreur, pour ue pas dire une faute, que île laisser
croire que ceux-ci barrent les rivières pour empêcher les
blancs de passer ou pour les dépouiller. Le gouvernement
canadien a su, depuis longtemps déjà, imposer aux Indiens
du nord-ouest le respect du blanc, et l'assassinat d'un de
ceux-ci est un acte tout à fait isolé.
On a cherché à cultiver des légumes à Glenora. La pomme
de terre, même au cas où ses feuilles sont touchées par la
gelée, y vient très bien; l'orge, le blé, l'avoine y mûrissent
également.
Après avoir reconnu la route impraticable, nous nous
décidons à redescendre le fleuve et a nous rendre dans le
Yukon par la passe du Chilkoot. Nois prenons le petit
steamer Glenora, qui marche vapeur en arrière pour ré-
sister au courant. Malgré cela, le Glenora va s'abîmer contre
un rocher et il a son bastingage et une partie de son avant
brisés. Cet accident a failli couler la vie à un des miens.
De retour à Wrangel, nous nous embarquons pour Dyea
sur VAl-Ki. Nous allons suivre le Stephens Passage pour
entrer ensuite dans le canal de Lynn jusque Dyea. Le che-
nal est très dangereux, car une dizaine de navires y ont
péri depuis le commencement de l'année.
Voici le glacier du Tonnerre qui envoie à la mer des
myriades d'icebergs qui étincellent au soleil.
Les Indiens Tlingits ente mdaut les mystérieux rugissements
de ce glacier le croyaient habité par l'oiseau du tonnerre
Hutli et ils attribuaient ces bruits assourdissants aux batte-
ments de ses ailes. Ils croyaient que les montagnes étaient
jadis des êtres animés ou de puissants esprits.
Les glaciers, disaient-ils, sont leurs enfants qu'ils tien-
nent dans leurs bras, dont ils plongent les pieds dans la
mer, les recouvrant en hiver d'une épaisse couche de neige
s et répandant ensuite sur eux des rocs et de la terre pour
prè&ervet Ûte rayons du soleil d'été,
\ Sîtlh loo Yehk «st le nom de i'esprit de glace et, à la fa-
I
ET LES ILKS AI,t;niIT!ENNBS. 105
pin dont les Tlingils murmurent son nom on peut juger de
l'horreur qu'ils éprouvent pour le froid. Dans leur imagina-
lion bornée, ils ont conçu un enfer de glace comme devant
(tre l'état futur de ceux qui ne se font pas incinérer. Ils
attribuent à l'esprit de glace une puissance invisible extraor-
dinaire. Son souille glacé donne la mort. Aussi éprouvent-ils
nne frayeur indicible lorsqu'ils entendent les hurlements
furieux des tempêtes dans lus montagnes et les craquements
des glaciers.
Dans sa rage, disent-ils, Sitth lance des icebergs qui écra-
sent les canots et lave ensuite la terre avec de grandes vagues.
Quand le vent glacial disparaît un peu, ou que les glaciers
se taisent, c'est que Sitth dort ou erre sous des labyrinthes
de glaces, tramant de nouvelles destructions. Ces ludiens
parlent comme en un murmure de crainte de réveiller ou
d'offenser ce mauvais génie et ils se garderaient bien de
frapper les icebergs avec les pagaies de leurs canots, car
ils considèrent ceux-ci comme ses sujets. Quand ils doivent
faire un voyage a travers un glacier, ils implorent la clé-
mence de Sitth too Yehk par de nombreuses incantations ;
parlant très doucement et marchant légèrement, ils ont soin
ie oe pas offenser l'esprit par les odeurs ou les restes de
leurs repas. Les phoques à poil rude sont considérés par eux
comme les enfants des glaciers; aussi peuvent-ils se pro-
mener impunément sur les blocs de glace flottante.
Notre paquebot stoppe à la baie de Sumdum, inaccessible
aux grands steamers. Sur les côtes, quantité de canards, de
mouettes et d'aigles à tête blanche. Les montagnes ici sont
très élevées et bien boisées. La principale essence d'arbres
sur les côtes est le sapin. Le laurier, les violettes, les ané-
mones et d'autres fleurs y poussent abondamment.
Notre hateau aborde un des nombreux icebergs qui émer-
gent de la surface des flots, et les matelots en détachent de
lïros morceaux à coups de hache pour notre prévision de
1(16 LE KLONDYKE, L'ALASKA, LE VtKOM
Nous arrivons à l'Ile de Douglas où sont situées les fa-
meuses mines de Treadwel! el où 1,000 ouvriers travaillent
jour et nuit. Ce sont les mines d'or les mieux outillées du
monde entier.
Les indigènes de cette contrée sont des Indiens Anks,
bannis de la iribu des Hoonah et dont le nombre diminue
chaque année.
Nous arrivons à Juneau le 15 juin. Comme toutes les
villes de l'Alaska, Juneau. est construite toute en bois et
sur pilotis; plus propre que Wrangel, on y trouve de nom-
breux magasins bien approvisionnés. Sa population atteint
1,500 âmes. C'était jadis le principal village des Indiens
Taku, surnommés les Juifs de l'Alaska, et très redoutés des
blancs.
Depuis la pacification, ils ont adopté les coutumes et les
costumes des blancs. De 500 membres que la tribu comptait
en 1869, elle est tombée à 250 environ aujourd'hui. Non
loin de la ville, se trouve un cimetière indien très curieux à
visiter; les tombes sont ornées de bois sculptés, de couver-
tures de danse d'une grande valeur et d'autres offrandes
aux esprits qui sont partis. Aucun blanc n'oserait toucher
à ces objels. Ces Indiens vivent de la pêche et font de très
jolis travaux de vannerie.
Le détroit de Chalham est fameux pour ses pêcheries. La
morue y abonde. On paye 50 centimes aux naturels les
poissons de 5 livres dont ils apportent en moyenne 8 à
10 mille par jour. On sèche le poisson et on fabrique
l'huile de foie de morue. Les harengs y sont plus nombreux
encore; on raconte qu'un, jour le steamer portant le cour-
rier a, pendant quatre heures, marché sur un banc de harengs.
Les naturels les pèchent au moyen d'un râteau et en rem-
plissent un canot en moins d'une heure.
On a trouvé dans celte région un grand nombre d'inté-
ressants fossiles, entre autres l'épine dorsale d'un ptéro-
dactyle. Les ours, les cerfs, les palmipèdes, le saumon et
ET LES ILES ALÊ0UT1ENNES. 107
ia truite y sont nombreux; on y trouve des crabes dont les
pattes mesurent 5 pieds d'un boul à l'autre.
Le canal de Lynn, dans lequel nous entrons en quittant
Jnneau, s'étend a 90 kilomètres jusqu'à la pointe Séduction
on il se divine en deux bras : le bras du Chilkat à l'ouest
et celui du Chilkoot à l'est.
La chaîne ininterrompue des montagnes s'élève à une
moyenne de 6,000 pieds avec des glaciers dans chaque ravin.
Nous passons la mission Haines où commence le Dalton Iraîl,
c'est-à-dire la roule conduisant à Fort-Sel kirk par l'intérieur
des terres ; mais cette route n'est praticable qu'en été.
Nous arrivons à Skagway le troisième jour, vers (> heures
du soir. C'est ici que s'arrêtent les voyageurs qui pénètrent
dans le Yukon par la passe de White. Sans nous arrêter,
nous prenons une petite barque à vapeur qui nous conduit
à Dyea, où les grands steamers ne peuvent arriver. Cette
barque elle-même décharge sa cargaison sur des camions
dont les chevaux sont, dans l'eau jusqu'au poitrail, et les
voyageurs sont portés à terre à dos d'homme, à moins qu'ils
n'entrent bravement a l'eau.
Dyea, bâtie toute en bois sur une dune de sable, s'étend
dans la vallée du Chilkoot sur 7 kilomètres de longueur. 11
n'y a que très peu de tentes. Dans le petit cimetière une
trentaine de tombes toutes fraiches. Ce sont les malheu-
reuses victimes de la dernière avalanche sur le Chilkoot.
La passe du Chilkoot est la roule la plus courte suivie
depuis des générations par les Indiens Chilkals et Cbilkoots
pour pénétrer dans le Yukon. Dyea ou Taya en indien
signifie paclage, parce que cette route oblige l'homme à
transporter ses vivres sur le dos. A Dyea, les voyageurs
trouvent aujourd'hui un câble aérien, auquel sont suspen-
dus de petits wagonnets, pour le transport de leurs bagages
et provisions au delà du Chilkoot. La Compagnie du Chilkoot
Railroad livre même ces bagages directement au lac Bennett
de bonnes conditions.
1,K KLOKDYKK, L ALASKA. LE ÏLKON
Les Chilkats cl Chilkools ne forment en réalité qu'une
seule tribu cl ils appartiennent à la grande race des Tlingits
qui habitent les côtes jusqu'à la Stîkine. Ils s'opposaient au
début à l'intervention des blancs dans leur trafic, et pendant
cinquante ans ils ont su empêcher les mineurs de traver-
ser les passes qui conduisent dans le bassin du Yukon.
La Compagnie de la baie d'Hudson Faisait avec les f.hil-
kats un trafic 1res avantageux de fourrures. Les Ghilkats
n'étaient eux-mêmes que des intermédiaires et ils achetaient
les peaux aux Indiens Tinnehs, qu'ils rencontraient au mont
Labouchère et qui ne tentaient jamais de franchir la ligne
frontière des deux tribus.
Quand, par hasard, quelques-uns de ceux-ci étaient
amenés dans les villages chilkat, en qualité d'hôtes, les
Chilkats leur montraient le haleau à vapeur des trafiquants,
fumanteomme une énorme pipe, qui manœuvrait sur l'eau
sans pagaies ni voile, leurs canots de guerre et leurs grands
villages, et les Tinnehs s'en retournaient éblouis de la puis-
sance de leurs voisins.
La Compagnie de la baie d'Hudson leur vendait des
raousqueLs à pierre pour autant de peaux de martre qu'on
pouvait empiler sur toute la hauteur du fusil, de la crosse
au bout du canon. La longueur du fusil atteignit bientôt la
taille du chasseur lui-même.
A ce trafic la Compagnie de la baie d'Hudson faisait de
jolis bénéfices, mais les Chilkats y gagnaient tout autant, car
c'était les Tinnehs qui fournissaient les peaux.
Les habitations d'hiver rie ces Indiens Chilkats consistent
en trois grands villages dont le principal est fortifié avec des
bastions et des meurtrières. Les nobles y ont une maison
de fête garnie de colonnes sculptées, a l'intérieur. Leurs
cimetières sont très curieux à voir. Leur grand-chef Kloh-
Kulz est un vaillant guerrier. Son père faisait partie de la
bande qui détruisit le Fort-Selkirk de la Compagnie de la
baie d'Hudson, en 1852; c'esl Kloh-Kutz qui dessina la pre-
ET LES ILES ALÉUUTIËNNES. 109
ière carte des passes conduisant des villages Cbilkat dans
Yukon.
Les Chilkats connaissent depuis longtemps l'art de forger
le cuivre et ils ont un procédé pour le rendre aussi dur que
l'acier. Ils tissent aussi de magnifiques robes de danse sur
lesquelles se rencontrent toujours les légendes de la famille
du tisseur avec les grilles et les yeux renversés de Hulli,
l'oiseau du tonnerre. Chaque sujet est tissé séparément,
comme dans les tapisseries japonaises, et relié l'un à l'autre
par quelques fils.
Nous restons deux jours â Dyea pour surveiller le trans-
port de nos bagages par le câble aérien du Chilkoot et nous
partons le 18 juin pour commencer la traversée de cette
fameuse passe.
De Dyea à Caiîon-City, la route est rocailleuse et suit la
rivière Dyea qu'on est obligé de traverser quatorze fois à
gué. De Canon-Cily à Sheep-Camp le trajet devient des plus
difficiles; d'énormes blocs de rochers qu'il faut escalader
barrent sans cesse la route; puis, ce sont des marais qui se
continuent pendant plus d'un mille el remplis d'arbres morts,
puis encore des creeks qu'il faut traverser sur de minces
sapins, ou dans l'eau quand celle-ci n'est pas trop profonde.
De nombreux cadavres de cbevaux en décomposition
empestent l'atmosphère d'une façon épouvantable. Le sen-
tier à peine tracé dans ces roches monte pendant 10 kilo-
mètres et devient très pénible. De tous cotés ce ne sont que
ravins et précipices. Le paysage est superbe et sauvage â
l'extrême. Nous arrivons ainsi à Sheep-Camp où nous trou-
vons dans une cabane en bois qui slnlitule hôtel un lit de
paille très propre et un bon souper au tard et aux haricots,
Nous en repartons le lendemain, à 3 heures du matin; Sheep-
Camp marque la limite boisée. Au sortir de cette localité il
faut gravir les rocs comme des chats. Des centaines de che-
vaux morts jalonnent la route, et ces émanations nauséa-
bondes sont pour nous le plus terrible supplice.
lin i.k KLOKltïRK, i.'alaska, i,e ydkdk
Nous arrivions a Scales vers 6 heures. Ici ce supplice cess
Ou 1rs chevaux ne peuvent ailer plus loin. Cet endroit
;iiiim dénommé parce qu'au début du rush (ou poussée) d
mineurs vers le Yukon, c'était là qu'on pesait les bagagi
des mjrtgwrK
Aujourd'hui les gouvernements américain et canadien :
sont mis d'accord et la douane est établie au sommet d
Chilkoot.
Le temps devient glacial; nous marchons dans la nei;
fondante où nous enfonçons parfois jusqu'aux genoux. I
brouillard est devenu tellement intense que nous ne noi
voyons plus à 1 métré de distance et nous marchons e
nous appelant sans cesse les uns et les autres. Le thermt
métré marque 5° sous zéro. C'est une vraie escalade qi
nous faisons, car il faut marcher à quatre pattes, en enfoi
liant profondément les pieds et les mains dans la neigi
pour Taire des marches.
Il arrive aussi qu'on redégringole toute la partie qu'o
avait péniblement gagnée; dans ce cas, il faut remonter
l'assaut ItW la furie du vaincu.
Kncore quelques roches qui tremblent sous nos pas,
gravir; quelque» ravins a passer sur la neige durcie, un
tferntn pu- droit comme un 1 à escalader et nous voici au
sommet.
Nuits \ iri'itviuis quel i] ues tentes dout une sert à la douane,
une à In police moulée et une de restaurant; la neige leur
sort de tipil et le bois a brûler s'y paye 1 fr. 25 la livre de
450 gnuiilai.
La dflMenl», de» lOM, se fait rapidement. Nous rencon-
i roui il,* ttomnei qui rebrotmenl chemin n'osant traverser
. qnl MmmsaM II dégeler. C'eslen effet la plus
in .un ,i rfion pour paiter le Chilkoot, car en hiver les
■ i. ooasMeOB eu maints endroits
sur no lac ne sont pa» «craindre.
Nous nodl aventurons a la grâce de Dieu, sur cette neige
ir
ET LES ILES iLÉOUriIHHEfl. 111
,'uudue où nous enfonçons jusqu'il mi-corps. An milieu du
lac les crevasses sont plus larges et plus nombreuses. Nous
entendons l'eau gronder sous nos pas et ce n'est qu'au prix
des plus grands efforts que nous parvenons au bout du lac
sains et saufs. Ce lac Cratère est la véritable source du
îukon. Nous traversons le canon sur la neige et arrivons au
lac Mud (ou lac de boue), qui se trouve dégelé en partie.
Nos bagages sont là, éparpillés sur 1k neige, en attendant
que des chevaux viennent les prendre du lac Bennett.
Tous ces objets sont cependant en parfaite sûreté, car on
ne vole pas sur la route du Chilkoot.
Entre le lac Mud et Long-iake nous sommes forcés de
traverserla rivière assez haute à ce moment. Ainsi mouillés
et transis de froid nous arrivons a Long-lake où nous trou-
vons dans une tente une tasse de café chaud que nous pre-
nons debout, à la hâte, n'osant rester en place dans l'état
où nous sommes.
Nous essayons de traverser ce long lac en canot; mais il
□'est qu'à moitié dégelé et les hommes qui nous conduisent
ne peuvent lutter contre les vagues furieuses qui menacent
de nous faire chavirer.
Force nous est de gagner la rive où nous abordons au
pied d'un rocher gigantesque que nous escaladons en ram-
pant de roc en roc.
Vers 6 heures du soir nous arrivons à Deep-lake (c'est-à-
dire le lac profond). Celui-ci est complètement dégelé et nous
le contournons en passant dans des marais noirs et nauséa-
bonds. Il nous faut encore ici recommencer l'ascension
d'énormes rochers que de pauvres chevaux gravissent aussi
avec 250 livres sur le dos.
Dans le lointain nous apparaissent les tentes du lac Lin-
fanaa. M est 8 h. 1/2 du soir et nous marchons depuis
du matin avec deux arrêts de dix minutes chacun.
jndeman est une ville de tentes sur le lac du même nom,
mesure 5 milles de longueur. Les montagnes, très
113 LE KLONDYKE, L'ALASKA, LE YUKON
hautes, qui entourent ce lac sont couvertes de neige. Nous
y passons la nuit et repartons le lendemain pour Bennett
où nous attendons l'arrivée de nos bagages.
Comme Lindeman, Bennett est une ville de tentes qui
s'étend sur toute la longueur de la plage. Le lac Bennett
mesure 45 kilomètres de longueur et se trouve encaissé
entre deux rangs de hantes montagnes couvertes de neige.
Celles-ci s'avancent en promontoire sur le lac; se rétrécis-
sent ensuite pour former ëes baies et se reforment plus loin
dans leur position première.
Nous achetons à Bennett une barque mesurant environ
8 mètres de longueur sur 2 m. 50 de large, que nous bapti-
sons du nom de « Lobelia > et au mât de laquelle nous his-
sons le drapeau aux trois couleurs.
Nous y entassons nos bagages et provisions et par-dessus
le tout nous nous installons tant bien que mal sur les sacs.
Nous avions avec nous trois hommes engagés pour conduire
la barque et cinq chiens. C'est sur ce frêle esquif que nous
allons voyager pendant cinq semaines, exposés aux rayons
du soleil brûlant et à la pluie qui nous rafraîchira souvent
Nous quittons Bennett à 9 heures du soir par un temps
relativement calme. Mais vers A heures du malin le lac se
change en une mer en furie et nous jette sur un roc qui
entame assez sérieusement notre légère coquille. Nous con-
statons alors que l'honnête fabricant du bateau a fermé les
jointures des planches avec da mastic au lieu d'étoupe.
Nous le réparons comme nous pouvons et nous nous remet-
tons en route. Mais à peine sommes-nous partis qu'une
voie d'eau se déclare et il nous faut lutter de vitesse pour
gagner le bord où nous déchargeons toutes nos provisions.
Le lendemain nous sommes prêts h reprendre « le lac ».
Nous voguons depuis une heure quand de nouveau le ciel
s'obscurcit; les vagues deviennent houleuses; en quelques
minutes nous sommes ballollés sans plus pouvoir nous
guider et nous dansons sur les ilôts comme un bouchon.
ET LES ILES ÀLÉQUTIENHES.
113
Pour comble, noire bateau est pris en travers et à chaque
coup de lame ce sont trois seaux d'eau qui entrent dans la
barque. Deux d'entre nous pompent sans cesse, pendant
que les autres rament avec vigueur. Le moment est critique;
quelques craquements se font entendre; c'est le bateau qui
a buté sur un roc. Enfin après des efforts inouïs nous par-
venons à gagner une baie où nous atterrissons, en sautant à
l'eau à une dizaine de mètres du bord pour évitera notre
bateau d'être éventré par les rochers.
J'en protite pour grimper sur ces roches et en étudier la
composition. Celles-ci sont de nature granitique et de teinte
grise en général, qui se continuent sur une longueur de
5 milles; au delà ce sont des rocs stratifiés et du schiste.
Nous arrivons à la tête du lac Tagîsh. Notre pauvre
bateau est bien endommagé; malgré cela nous passons sans
encombre le Windy arm (le bras des vents). Au Windy arm
ou a fait quelques découvertes de quartz aurifères, ainsi que
des gisements de marbres d'une belle espèce,
Tagish est le centre des Indiens Tagish. Mais je n'ai pu
recueillir sur eux aucun renseignement. La plupart des rocs
qui bordent le lac sont de nature granitique ; on y trouve du
sebiste et beaucoup de mica, de même la pierre à chaux et,
derrière, des rocs volcaniques.
Li traversée du bras deTaku est plus mauvaise et dix fois
notre barque manque de chavirer. Le 4 juillet, nous arri-
vons au poste de police montée, a. la fin du lac Tagish. C'est
ici qu'on enregistre tous les bateaux qui descendent le fleuve
et qui reçoivent chacun un numéro d'ordre, A chaque poste
de police que l'on rencontrera sur sa route, en descendant,
on devra représenter ce numéro. La rivière de 5 milles suit
le lac Tagish. Ici la vallée s'élargit beaucoup et s'étend à
perte de vue. Nous nous arrêtons à un village indien, où
l'un de ceux-ci nous propose de nous vendre son papoosc
(c'est-à-dire son bébé, de 12 mois) pour deux sacs de farine
de 50 livres chacun.
Hi LE KLONDïKE, L'ALASKA, LE YUKOP1
Le lac Marsh qui suit cette rivière mesure 30 kilomètres
de longueur surplus de 3 kilomètres de largeur. Le paysage
est superbe et les montagnes qui l'entourent ont leur cime
couverte de neige. On se demande pourquoi on l'a sur-
nommé Mud-lake (ou lac de boue), car ses eaux sont très
limpides. Au moment où nous arrivons le lac est très calme;
notre barque poussée par une brise légère glisse lentement
sur l'eau pendant deux heures. La plupart de nous, harassés
de fatigue, s'étaient assoupis, lorsque tout à coup eu un clin
d'œîl le vent se lève et le lac roule des vagues énormes.
Nous sommes à nouveau le jouet des flots et pour comble,
dans la manœuvre le gouvernail se brise. Nous faisons des
efforts désespérés pour gagner la rive, mais nos rames sont
impuissantes à diriger le bateau. Chacun de nous comprend
que notre vie ne tient plus qu'à un fil et donne le maximum
de son énergie. Après deux heures de mortelles angoisses
nous échouons sur un banc de sable mouvant. Ce n'est pas
le salut, car il nous faut défendre notre petit bateau que les
vagues roulent avec furie. Nous sommes tous dans l'eau
jusqu'aux épaules, pour maintenir la barque à laquelle
nous nous cramponnons désespérément. Pour comble nous
sommes sur un terrain vaseux où l'on enfonce pour peu
qu'on reste sur place et où plusieurs d'entre nous ont failli
laisser leur vie. Dans ces heures difficiles, les femmes ont
montré un courage extraordinaire et je vous avoue qu'en
maintes circonstances leur exemple a décuplé mes forces.
Nous arrivons a la rivière de 60 milles. Ici les roches ont
disparu pour faire place à, des bancs de pierre à chaux entre
lesquels cette rivière coule très rapide avec des courbes si
brusques qu'on peut y briser son bateau à chaque tour-
nant.
Le 7 juillet, nous arrivons au fameux Miles Canon qui pré-
cède les White horse rapides. Là nous déchargeons nos
provisions qu'un petit tramway de construction toute pri-
mitive transportera par la montagne de l'autre côté de ce
'creux passage. La police n'autorise pas les femmes à
e traverser.
La rivière mesure ici 800 pieds de largeur pour se rétré-
cir à 33 à l'entrée du carton. On peut ainsi s'imaginer avec
quelle force les eaux s'y précipitent, roulant des vagues
énormes qui bondissent comme une cataracte entre deux
murailles perpendiculaires de basalte de 120 pieds de hau-
teur. m
A un mille plus bas que le canon on tombe dans les rapides
des WMte horse, les plus dangereux de la rivière. Beaucoup
débarques ont fait naufrage en cet endroit et beaucoup
de personnes ont péri.
Nous prenons un pilote expérimenté et nous nous aban-
donnons aux flots écumeux du torrent, passant comme une
Bêche à travers les vagues qui nous couvrent de toute part,
eu rasant les récifs qui émergent de ce gouffre épouvantable.
Nous arrivons à la Takeena le 8 juillet. La Takeena est
une importante rivière qui mesure en moyenne 250 pieds
de largeur et 10 pieds de profondeur. Les montagnes qui la
bordent sont en grande partie de nature granitique; mais
on y trouve de très curieux spécimens de jade. Ses eaux
sont très boueuses et assez rapides. La source de ia Takeena
remonte à 80 kilomètres du bras ouest du canal de Lynn.
Les Indiens Chilkats se servaient beaucoup de cette voie
pour pénétrer dans le Yukon, mais ils l'ont abandonnée
lujourd'hui a cause du long portage à faire jusqu'au lac
Kosawa. J'ai remonté cette rivière en compagnie de deux
Indiens, dans une barque eu écorcede bouleau. A 50 milles
environ de son embouchure, j'ai découvert de superbes
vallées où l'on pourrait faire de la culture, et je suis porté
à croire que dans un avenir prochain on pourra aisément
tracer une route nouvelle de ce coté avec un petit chemin
de fer, pour supprimer le portage à faire.
Le M juillet, nous arrivons devant le lac Lebarge, qui se
XI pieds au-dessus du niveau de la mer. Le lac
116 Lt KL0M1ÏKK, L'àLÀSKA, LE YUI
est praprisonné dans des montagnes de pierres à chaux, de
9,000 pîeds de hauteur; il est réputé très dangereux par
suite des vents violents qui sévissent en cet endroit et qui
retiennent souvent les mineurs plusieurs jours au rivage.
Nous y avons trouvé des groseilles rouges, du cassis, des
oignons sauvages bons à manger et des anémones. La navi-
gation sur ce lac est plus difficile que sur le lac Bennelt et
nous avons été plusieurs fois forcés de décharger nos pro-
visions mouillées par les lames qui les arrosaient sans
cesse.
C'est à la lin du lac Lebarge que commence la rivière
Lewes, que les mineurs appellent la rivière de 30 milles.
Son courant de 11 kiïomèlresà l'heure est très tortueux et
seméd'écueils; pendant 40 kilomètres l'eau bouillonne et
écume engrosses vagues comme celles de la mer. C'est la
partie la plus redoutée de la longue route fluviale qui con-
duit à Dawson City.
Les rives de la Lewes sont peu élevées, mais bien boisées,
et les mêmes essences d'arbres se retrouvent ici, entre autres
les pins noirs, les bouleaux, les peupliers, les frênes et les
arbres à coton d'une taille énorme. Nous rencontrons plu-
sieurs troupes de mineurs qui ont eu leur barque brisée sur
des écueils et qui font sécher leurs provisions.
La Hootalinqua où noua arrivons, prend sa source au lac
Teslin, suit un parcours d'environ 160 kilomètres sans
rapides ni écueils, et vient opérer sa jonction avec la Lewes
à 31 milles du lac Lebarge.
On a trouvé de l'or fin sur toutes ses rives, et à l'heure
actuelle beaucoup de mineurs prospectent cette rivière.
Au Heu dit « Cassiar bar », sur la Lewes, on a trouvé des
sables aurifères assez riches et dont j'ai constaté la teneur.
Aussi tout le banc, c'est-à-dire l'île, est déjà steké; c'est
ainsi qu'on appelle la prise de possession d'une concession
minière ou d'un « claim ».
Le 10 juillet, nous arrivons a. la Big Salmon (la grande
KT LES II.KS iLÉOrTIENNKB. 117
rivière du Saumon), que j'étaisdécidéà remonter malgré les
avis des officiers de la police montée.
Aux arbres sont suspendues des pancartes en bois laissées
par des mineurs, a l'adresse de compagnons qui suivent,
on d'autres tout simplement adressées au premier passant
venu, le priant de faire telle commission à telle personne.
La Big Salmon a environ 400 pieds de largeur ; à mesure
qu'on avance vers sa source, la rivière devient plus rapide
et plus difficile. Je laisse ma famille à l'embouchure, et,
en compagnie de deux ofiieiers de la police montée,
MM. Sennant et Solly, nous remontons cette rivière pendant
trois jours, en traînant notre canot dans l'eau jusqu'aux
aisselles. Arrivés à la fourche, force nous esl de traverser le
courant en canot car l'eau devient trop profonde. Mais, à
peine installés, nous voici entraînés avec une rapidité
extrême sur le bras droit du torrent. Une ligne noire barre
la rivière 1 500 mètres de là.
C'est un immense sapin tombé d'une rive à l'autre, et
contre lequel notre canot vient huiler avec un choc violent,
qui uous culbute dans le rapide où nous roulons entraînés
au loin comme un petit ballot. Dans cette circonstance,
nous n'avons dû noire salut qu'à notre présence d'esprit.
Toutes nos provisions étant perdues, nous sommes forcés
de redescendre les rapides pour gagner notre camp. En
Irenle-trois minutes, nous accomplissions le trajet que
nous avions mis trois jours à faire en marchant.
Les hommes que nous avions engagés à Bennett refusent
de continuer le voyage dans un baquet tel que le nôlre, et
nous quittent.
Dans ces conditions, mes filles se metlent aux rames.
Arrivés à la Lillle Salmon, nous y trouvons des camps
d'Indiens qui péchaient du saumon. Ceux-ci sont de petite
taille avec de longs cheveux noirs et luisants, le nez aplati
et la mâchoire large. — Ils ressemblent à des brutes sau-
vages, et paraissent plutôt effrayés de notre présence. — Un
118 LE KLONDYKE, l'àLASKÀ. LE YUKON
air de flageolet les ramène autour de nous, et nous pouvons
alors les photographier, non sans constater la crainte que
leur inspire l'objectif fixé sur eux.
La Little Sa] mon a les mêmes natures de montagnes et de
rocs que la Big Salmon.
Les Five-Pingers, rapides qui la suivent, doivent leur nom
à cinq énormes roches plantées au milieu du fleuve, laissant
entre chacune d'elles un étroit passage hérissé de récifs,
sur lesquels l'eau se brise en mugissant. Il s'agit de prendre
le meilleur passage, car il est tout à fait impossible de
contourner ces rocs parvoie de terre.
Trois barques passent devant nous, dont une se brise
contre une de ces roches. La notre passe sans accident,
mais avec une effrayante rapidité.
Nous gagnons les Rinks Rapides, à 0 milles plus bas. Ici
on a trouvé de riches gisements de charbon et du quartz
aurifère.
A l'embouchure de la rivière Pelly, c'est-à-dire à Fort-
Selkirk, les rocs qui enserrent le fleuve sont de nature
crayeuse et calcaire, et précèdent des montagnes bien
boisées.
Les Indiens de la Pelly font un grand commerce de four-
rures, et sont d'ailleurs des chasseurs de premier ordre.
Quand nous arrivons, presque tous sont partis à la chasse
au moose et au cariboo. L'un d'eux, un grand chef, est
tout ce qu'on peut voir de hideux; — petit, malingre, les
cheveux noirs et très longs, les yeux à moitié rongés par
une lèpre qu'ils contractent dans leur case, avec ça d'une
malpropreté répugnante, c'est bien le type de ces Indiens de
la Pelly que la débauche a dégénérés à ce point.
C'est a son confluent arec la Pelly que la rivière prend le
nom de Vukon; — mais en réalité, celui-ci a sa source au
lac Cratère, comme je vous l'ai dit plus haut.
La Compagnie de la baie d'Hudson avait établi un fort à
Forl-Selkirk, mais les Indiens le détruisirent en 1852.
ET LES ILES ALÉOUTIENNES. 119
Actuellement, on y a construit des casernes en bois pour
la milice canadienne, une église catholique, et un poste de
police montée. Certains voudraient en faire la capitale du
ïkradyke. Surladroitedu Yukon.àFort-Selkirk, se trouvent
te fameux remparts (murs énormes de rocs perpendicu-
iiires, et qui longent le fleuve pendant 29 kilomètres). La
iurface de ces remparts est polie comme la glace, sans une
crevasse sur tout le parcours. Au sommet, on trouve des
plaines pouvant former de bons pâturages, et, derrière, de
hautes montagnes bien boisées qui peuvent fournir d'im-
portantes provisions à Dawson où le bois fait totalement
défaut.
Nous passons la rivière White qui transforme l'eau du
Yukon en une boue liquide, qui conservera le même aspect
surtout son parcours, jusqu'à la mer de Bering.
Nous voici maintenant à la rivière Stewarl.
Il y a là, à l'embouchure, un camp de 5,000 mineurs dont
les tentes sont échelonnées le long de la rivière et sur un
ïaste plateau sablonneux.
J'y installe ma famille pendant que je vais remonter la
rivière avec un officier de la police montée, et n'éprouvant
aucune crainte d'abandonner les miens, car dans le Yukon
on est plus en sûreté que dans certaines campagnes de
Seîne-et-Oise.
Dans ce camp de rudes mineurs, jamais de bruit, jamais
de querelles. Il n'y a là cependant qu'un caporal et deux
hommes de la police montée, dont les ordres sont exécutés
par tous. Dans tout le nord-ouest, cette admirable institution,
qui régne et gouverne, a su inspirer le respect et l'obéis-
sance. Grâce à elle, le pays est sûr et le chercheur d'or peut
dormir tranquille à coté de son trésor.
La Slewart n'a pas été explorée au delà de 100 milles. Jus-
qu'à ce point, au printemps, elle est assez navigable, et sur
tout son parcours sont plantées des tentes de mineurs qui
lavent l'or sur les bancs de sable de ses rives. Dans la vallée
120 LE KLONDYKE, L'ALASKA, LE YUKON
ne la Slcwart il y a de l'excellent foin qu'on vend 1res cher
à Dawson .
Nous remontons la rivière pendant cinq jours, jusqu'à un
endroit inexploré, pour nous enfoncer ensuite dans les
montagnes. Une nuit un ours nous allège du restant de nos
provisions, et il ne nous reste pendant trois jours que des
myrtiles pour calmer notre faim. Heureusement, des Indiens
nous ont secourus, et nous avons pu rentrer sains et saufs à
notre camp.
Cette exploration sur la rivière Stewart a été pour moi
fertile en renseignements de toute nature, tant sur la
richesse de la rivière elle-même, que sur les dépôts miné-
raux de toute espèce que renferme cette région, C'est là que
s'est affermie en moi la conviction de M. Ogilvie sur les
richesses de ces contrées, là que j'ai reconnu l'existence du
Gold Beit (ceinture de l'or), qui doit partir de la Colombie
britannique pour aller rejoindre la Sibérie en passant sous
le détroit de Bering, décrivant un demi-cercle où sont
compris les territoires de l'Alaska américain.
Nous gagnons ensuite la rivière Indienne, où nous visitons
tous les creeks aurifères. S'il y a beaucoup de lentes de
mineurs sur ses bords, en revanche il y a peu de daims en
exploitation. Quelques-uns ont donné de très beaux résul-
tats, et l'on annonce pour cet hiver un rush sur ces creeks.
Nous arrivons à Dawson-City le 7 août. Dawson-City,
surnommé l'Eléphant blanc, sans doute à cause des diffi-
cultés qu'il faut vaincre pour y arriver, est situé sur la rive
droite du Yukon, à l'embouchure du Klondyke. Klondyke,
ou « Troandik », en indien signifie * beaucoup de poissons î ;
le fait est que, dans cette rivière, le saumon abonde.
La ville, qui date de deux ans à peine, s'étend sur une
longueur de deux kilomètres et compte a peu près
20,000 habitants.
Toutes les maisons sont en bois — quelques-unes, plu:
jolies, ont deux étages — les autres sont ce qu'on appelle
ET LES ItBS U-ÉOCTIEBHES.
121
là-bas des log-cabines, parce qu'elles sont bâties avec le
sapin non dépouillé de son écorce.
On y voit également de nombreuses tentes. Dawson compte
trois églises dont la principale, une église catholique, a été
bâtie par un mineur millionnaire auquel elle a coûté
250,000 francs. Non loin de là, l'hôpital catholique, et à
l'autre extrémité de la ville, l'hôpital protestant, mais ces
deux hôpitaux ne suffisaient pas, pendant notre séjour, aux
besoins des malades atteints de la lièvre typhoïde.
Il y a déjà deux banques installées à Dawson, la Canadian
Bank of Commerce, qui est la principale, et la Bank of
Britisb Norlh America, et de belles casernes pour la police
montée, avec une prison construite en bois et qui n'a pas
coûté moins de tiO.OOO francs.
J'ai déjà parlé de la Police montée, celte institution com-
posée d'hommes recrutés parmi les jeunes gens de bonne
famille et qui remplissent à la fois les fonctions d'officiers
de police judiciaire et de juges de paix. Le respect qu'on a
pour celle milice toute particulière est remarquable, et à
Dawson, notamment, où ceLle vaillante troupe a pour chef
le capitaine Slarns, le calme le plus complet règne.
Grâce à la police montée, l'ordre n'est jamais troublé par
des querelles ou des rixes. La plus grande solidarité unit
tous ces mineurs et les discussions qui peuvent surgir
entre eux sont réglées paternellement par la police montée,
dont on trouve toujours un des soldats surveillant les bars
où l'on joue ou les saloons où l'on danse.
Les 250 hommes de troupe qui composent la Milice du
Yukon et que le gouvernement vient d'adjoindre à la po-
lice montée sont campés à Fort-Selkirk. Ils sont placés sous
les ordres d'un colonel, d'un major et de quatre capitaines.
A mon départ de Dawson le gouvernement venait d'y en-
voyer le colonel Steele, qui précédemment commandait la
police montée au lac Bennelt.
lawson possède aussi de grands magasins d'approvision-
122 LE KLONDÏKE, L'ALASKA, LE YUKOtf
nements établis par deux importantes sociétés américaines:
la Norlh American transportalion CV et l'Alaska Commer-
cial CJ'. Il est entré à Dawson 32 steamers de rivière chargés
de provisions pour ravitailler la ville. Les mineurs ne mour-
ront pas de faim cet hiver, pas plus qu'ils n'y sont morts
l'hiver dernier, où cependant la farine s'est vendue jusqu'à
100 et 150 dollars le sac de 50 livres.
Tout y est nécessairement hors de prix. La main-d'œuvre
se paye de 60 à 75 francs par jour. La viande vaut 10 francs
la livre, les pommes de terre et les oignons 5 francs la livre,
et ainsi de suite. Au restaurant, un poulet de grains se
paye 50 francs, et une bouteille de Champagne 150 francs.
Par contre, un saumon de 10 à 12 livres ne vaut que 2 fr. 50.
La nomination deM. Ogilvie, comme gouverneur général
à Dawson, a été fort bien accueillie par tous les mineurs,
surtout au lendemain du vote de la loi qui frappe les
produits d'un claim d'une royauté de 10 p. 100 en faveur
de l'Etat.
M. Ogilvie connaît à fond le pays qu'il administre aujour-
d'hui, et qu'il a parcouru en tous sens il y a quelques
années, et il a prédit l'avenir de ces territoires du Nord-
Ouest, grâce à ces nouveaux champs d'or. Les découvertes
que j'ai faites me permettent d'affirmer que M. Ogilvie n'a
rien exagéré et que ses prévisions se trouveront bientôt
réalisées.
En vous présentant ici, parmi les nombreuses projections
photographiques qui viennent de défiler soiib vos yeux, le
portrait bien imparfait de M. Ogilvie, permettez-moi, mes-
sieurs, d'exprimer au nom des miens nos sentiments de
vive gratitude envers le gouvernement canadien, pour les
marques de sympathie et le concours que n'ont cessé de
nous prodiguer ses officiers, pendant notre séjour dans le
Yukon.
Non loin de Dawson, sur les creeks Bonanza, Eldorado,
French-Hill et autres, se trouvent les riches placers qui ont
ET LES ILKS A I. ICO C TIENNES. 123
tant fait couler d'encre dans Le monde entier, depuis
on an.
Ces placera se trouvent au centre de la ceinture aurifère à
laquelle j'ai fait allusion plus haut. Au début, les mineurs
se jetaient en foule sur les daims situés dans les vallées
arrosées par un cours d'eau qui leur permettait de laver la
terre avec le sluice.
Mais aujourd'hui de riches trouvailles ont été faites
également sur les montagnes qui a voisinent ces creeks, et la
nature de cet or, qui selon moi n'appartient pas à la
même époque de formation que celui des creeks, déroule
tous les géologues el les experts en la matière. On a payé
à l'Etat celte année une royauté de 6 millions d'or, cor-
respondant à 60 millions d'or extrait. Mais, en réalité, on
en a tiré davantage. Les frères Berry pour leurparl ont payé
200,000 francs de redevance.
Je n'ai pas à m "étendre, ici, sur la richesse de ces placers et
leur exploitation actuelle, ce qui nous écarterait de noire
sujet; mais d'après les observations que j'ai faites, pendant
les cinq semaines que j'ai passées dans la région des placers,
j'ai acquis la conviction que le pays est plus riche encore
qu'on ne l'a dît.
On y a découvert également des mines d'argent, de
nickel, d'étain et de plomb ; de riches gisements de cuivre
et de charbon et enfin des sources de pétrole. Dans ces
conditions, tout fait présumer que, malgré les rigueurs du
climat d'hiver et les difficultés de la route (que le gouverne-
ment canadien travaille du reste à aplanir), ces territoires du
nord-ouest sont appelés à un grand développement.
Depuis notre départ de Betinelt jusqu'à notre arrivée à
Dawson, le 1 août, nous avons eu la même température
qu'à Paris pendant les mois d'été.
Les nuits étaient plus froides cependant; mais comme
l'air y est plus sec et plus pur, on s'y habitue très vite. C'est
d'ailleurs à ce manque d'humidité dans l'atmosphère que
124 LE KLONDVKE, L'ALASKA, LB TOKOB
l'on doit de pouvoir supporter les tempéralures aussi basses
que celles relevées à Dawson, c'est-à-dire 50 et 55" F. sous
zéro en janvier et février. A cette saison le temps reste
généralement clair et beau.
Pendant les mois d'été le soleil ne quitte l'horizon que
fort peu de temps. En hiver, par contre, il n'y a que quelques
heures de jour, sans pour cela que l'obscurité soit complète.
Les animaux qui habitent les districts du Yukon sont les
mêmes que sur la Stikine :
Le moose, genre de cerr grand comme un bœuf et pesant
8 à 000 livres, sur les bois duquel on pourrait mettre un
sac de farine à l'aise.
Le cariboo, le mouton de montagne, les ours bruns, noirs
et grizzelis; à part ce dernier, les autres n'attaquent pas
l'homme, Les Indiens les chassent avec des flèches et les
plus braves les attaquent au couteau.
Parmi les animaux à fourrure, l'on trouve des renards
argentés, bleus, noirs, blancs et rouges ; le lynx, les loutres,
les castors et la martre zibeline.
Les canards et les oies abondent dans le Yukon ainsi que
la poule de prairie et la perdrix rouge. Les montagnes sont
pleines de fleurs brillantes, d'églantiers superbes, de pieds
d'alouettes, de myosotis, de lupins, de sauges et de mousses
de toutes couleurs. Des groseilles, des framboises, du cassis,
desfraises eldesmyrtiles. Toutes cesplanlessontd'une belle
venue et aussi vigoureuses que dans nos jardins d'Europe.
Les vesces et une espèce de carotte sauvage y poussent
abondamment et Fourniraient un excellent fourrage.
Nous quittons Dawson le 14 septembre, pour redescendre
le Yukon jusqu'à la mer de Bering, non sans quelque appré-
hension d'être pris en route par les glaces. Tout Dawson
était réuni sur la berge pour voir partir le dernier bateau
qui redescend vers le monde habité, vers la civilisation.
Ici le fleuve coule entre des rochers immenses et le paysage
offre un aspect des plus sauvages.
ET LES ILES ALÉOUTIENNE!
125
Peu à peu le fleuve s'élargit à ce point que nous distin-
guons à peine les côtes, avec des lies de plus en plus nom-
breuses et des bancs de sable qui rendent la navigation des
plus difficiles.
Nous nous arrêlonsàFortyMile,la ville frontiôre,compo-
sée, comme toutes les villes de l' Alaska, d'une agglomération
de quelques cabanes en bois sur un amoncellement de boue.
Chose intéressante, nous y avons trouvé un petit jardin
bien cultivé avec des fleurs et des légumes.
La rivière de Forty Mile, qui se jette dans le Yukon, a
150 mètres de large à son embouchure avec un très fort cou-
rant d'eau et de nombreux rapides.
Quelques découvertes d'or ont été Faîtes ici.
Le 15 septembre, nous arrivons à Circle City, la plus-
grande agglomération de cabanes en troncs d'arbre du
monde; située peu au-dessous du cercle arctique, elle con-
tient environ 1,000 cabanes, 3,000 blancs et 100 Indiens.
Cette ville, qui date de 1894, était jusqu'à l'année dernière,
avant la découverte du Klondyke, le plus important centre
des mines de l'Alaska.
Les mines sont situées à 100 kilomèlres de la ville et on
y travaille l'été, contrairement à ce qui se pratique au Klon-
dyke. J'ai cependant assislé à des travaux d'été sur les
creeks prés de Dawson, et j'ai la conviction qu'en changeant
leur méthode actuelle les mineurs du Klondyke pourraient
fort bien travailler toute l'année.
A partir de Circle City le Yukon s'étend à perle de vue,
laissant émerger de nombreuses iles bien boisées et fort
jolies. Le froid ici est plus vif qu'à Dawson et je relève une
température de 46° F.
Comme j'avais perdu mes deux thermomètres (alcool et
mercure) dans le naufrage de la Big Salmon, j'ai été forcé
depuis lors de me servir du thermomètre Farenheit. Cet
hiver, mes deux fils, qui sont restés à Dawson, relèveront
chaque jour les températures sur tous les points qu'ils visi-
m
LB M.ONDYKE, L ALASKA, LE ÏUkON
feront, et nous pourrons ainsi par comparaison déterminer
bat dflfp&i centigrades sous zéro.
Comme à Dawson el Forty Mile, on trouve à Circle City
une quantité de chiens de la race Husky, qui se vendent
iinWimiMBl de 100 à 400 dollars.
Le nombre des Indiens Stick, qui habitent les régions du
haut Yukon et du Klondyke, est tombé aujourd'hui à 3,500.
Us sont d'un tempérament morose et, malgré leur apparence
de stoïcisme, ils sont constamment sujets à des paniques ou
à des hallucinations. Leurs chefs sont choisis sans aucune
distinction de naissance ou de famille, et seulement d'après
leur valeur guerrière et les présents qu'ils distribuent. Leur
contact avec les blancs leur a donné la fièvre de l'or et beau-
coup d'entre eux travaillent aujourd'hui dans les placers.
Dans un de leurs villages, je demandai à leur chef Izak à
quoi pourrait lui servir l'or qu'il amassait? Il me répondit
avec un sourire : t Moi aussi je veux sortir. J'en ai assez
du froid et de la neige; je veux aller à Washington dans la
ville du grand-père et vivre avec les blancs. »
Le 11 septembre, nous arrivons à Fort-Yukon, situé au-
dessus du Cercle arctique. La ville se compose de cabanes
en bois et de campements indiens.
Ceux-ci, comme leurs frères de Tagish, de Lebarge et du
haut Yukon, sont dégénérés, petite, malingres et malpropres;
offrant le type mongol des plus prononcés. Habiles chasseurs
et pécheurs, ils fontégalement des vêtements de peaux orne-
mentés de perles de couleurs d'un très joli travail ; mais ils
sont très paresseux, bien que leurs facultés soient plus déve-
loppées que chez les autres Indiens.
C'est ici que la Porcupine se jette dans le Yukon. Cette
iuii.Vi iM m dangereuse que très peu de blancs l'ont remon-
tée; elle est ainsi fort peu connue.
irant est tellement rapide que les Indiens Itbane
Kuttchio se servent très peu du canot en écorce et i
oendent cette rivière en radeau.
ET LES ILBS AI.É0UT1ENNES. 127
J'ai vu un de ces Indiens qui errait inconsolable depuis
des semaines de la mort de sa femme. Ils sont pour la plu-
part convertis au protestantisme, et beaucoup d'entre eux
savent l'anglais. Les plus jeunes de la tribu le parlent d'ail-
leurs couramment.
Nous quittons Forl-Yukon dans la soirée pour entrer
dans ce qu'on appelle les Flats du Yukoo, c'est-à-dire le
pays plat où le Tukon s'étale en une immense nappe d'eau
an milieu d'innombrables îles et de bancs de sable.
Les capitaines des steamers craignent beaucoup ce pas-
sage, où ils son! retenus parfois deux et trois semaines sur
les terribles bancs de sable.
Nous arrivons à Manook, du nom de l'Indien qui y a
découvert l'or. Ici on a fait de riches découvertes de pla-
ciers d'or de toute première qualité et qui vaut 97 francs
l'once.
Depuis lors la ville s'est rapidement peuplée et compte
aujourd'hui 1,500 habitants.
Elle possède une église, un hôpital, des magasins d'appro-
visionnements; mais il n'y a ni police, ni autorités. Les
mineurs se gouvernent eux-mêmes. L'homme condamné
pour meurtre ou vol est déposé sur un radeau au milieu du
fleuve, ce qui équivaut à une sentence de mort, car le malheu-
reux doit ou périr ou mourir de faim.
Le 19 septembre, nous arrivons à l'embouchure de la
Tanana, rivière qui mesure plus de 1,600 kilomètres de lon-
gueur. A son confluent avec le Yukoo, les deux fleuves
forment une nappe d'eau à perte de vue.
Dans le bassin de la Tanana on a trouvé de riches
mines d'or, d'argent et de charbon, et l'on prédit, pour
l'an prochain, un nouveau rush américain vers cette ré-
gion.
Nous stoppons à Nulalo, où la thermomètre marque 24°
sous zéro; il n'y a ici que quelques cabaues et quelques lentes
d'Indiens du même type que ceus de Fort-Yukon.
1
IS8 LE KLONDÏKE, L'ALASKA, LE ÏUKON
Sur la rivière Ko-Yu-Kuk , que nous gagnons ensuite, on a
fail il y a quelques mois les plus belles trouvailles d'or pur
de tout l'Alaska. On m'a montré un de ces spécimens gros
comme le poing, et dont l'élude de surface présentait en effet
tous les caractères de l'or absolument pur.
Nous abordons à Anvic, où se trouve une mission russe
établie là depuis de longues années.
Les maisons indiennes sont ici d'une forme singulière et
ressemblent à d'énormes pains de sucre, mais très bas, à hau-
teur d'homme, avec une ouverture semblable aux chatières
de nos fermes, juste assez grande pour laisser passer les
épaules. C'est la porle de l'habitation.
Les Indiens qui les habitent sont horribles à voir. Des
tètes énormes sur de larges épaules carrées avec un buste de
géant planté sur de petites jambes grêles et tordues, des che-
veux noirs et raides, voilà leur portrait bien embelli, je vous
assure. Les femmes sont moins jolies et d'une malpropreté
repoussante.
Nous passons devant la mission de la Sainte-Croix où les
sœurs de Sainte-Anne élèvent des enfants indiens et cultivent
des fleurs et des légumes.
AKoymut, il n'y a plus de trace d'arbres; ce sont de vastes
plaines, et les Indiens et leur barque en écorce de bouleau
ont disparu pour faire place aux Esquimaux qui viennent
dans leurs cayaks nous souhaiter la bienvenue.
Ici nous sommes échoués sur un banc de sable et nous
en profilons pour aller à terre en canot faire une excellente
partie de chasse dans ces plaines marécageuses où nous
marchonsdans l'eau jusqu'aux genoux. Le nombre de canards,
de ptarmigans et d'oies que nous tirons est une véritable
fête pour tous nos passagers. Les bécassines abondent éga-
lement dans cette contrée. Quelles chasses merveilleuses de
vrais chasseurs pourraient faire là!
Le lendemain 2d septembre, nous arrivons à Saint-Michel,
où nous trouvons un hôtel très confortable avec des repas
P LES ILES Al.KOUTIEWNES.
129
un peu plus substantiels que la nourriture que nous avons
eue jusqu'ici.
Quand on n'a mange que du latd et des haricots pendant
six mois, une autre nourriture même en conserves n'est pas
désagréable.
Situé sur une île à 90 milles au nord de l'embouchure du
Yukon, Fort-Sainl-Michel est la station la plus importante
des régions arctiques.
Il y a là un poste militaire américain, et c'est le point de
ravitaillement pour toutes les localités de l'extrême nord.
Une église russe, de grands magasins d'approvisionnements
installés par les trois grandes compagnies américaines qui
ravitaillent les mineurs de l'Alaska et le Klondyke.
L'aspect de la ville est propre et repose des ignobles
villages d'Indien» que nous avons visités plus haut.
Les naturels de Saint-Michel sont des Esquimaux aux
mœurs paisibles qui travaillent très joliment les peaux de
phoque à poil rude et les peaux de renne. Leurs habitations
sont de simples trous en terre au-dessus desquels des troncs
d'arbres forment un dôme, le tout recouvert de terre. Un
morceau de peau de poisson ou d'entrailles de morse sert de
fenêtre. L'été ils vivent sous la tente, leur demeure préférée.
Les Esquimaux de l'Alaska sont au nombre de 18,000
environ; ils sont honnêtes, douxettoujourshospitaliers en vers
l'étranger. Us vivent uniquement de poissons et leurs cou-
tumes familières sont un peu désagréables pour un Européen.
Ils ont la figure large, le teint foncé et des cheveux noirs,
plats et luisants; bien plantés sur leurs jambes, tout en eux
indique la force et l'énergie.
La femme esquimaude vieillit vite et prend un fort embon-
point; elles s'habillent nomme les hommes avec des parka
(une espèce de longue robe faite en peau de renne), des
pantalons en peau également et des mocassins. Les mocas-
is sorti des espèces de bottes en peau de renne montant
qu'aux genoux et tout à fait imperméables.
130 LE KLONDYKE, L'ALASKA, LE YllKON
Pendant les quinze jours que j'ai passés au milieu d'eux,
j'ai été à même d'étudier leurs mœurs très curieuses, qu'il
serait trop long de vous détailler ici.
Les Esquimaux sont des pécheurs audacieux et expéri-
mentés, et j'ai trouvé parmi eux de véritables artistes dans
l'art de graver l'ivoire.
Nous nous embarquons ensuite sur le Roattoke, le dernier
steamer qui quittera Saint-Michel et qui y a été envoyé spé-
cialement pour prendre Les mineurs du Klondyke. Nous
avons à bord 12,500,000 francs de poudre d'or gardés par
deux officiers de la police montée, qui sont chargés de les
déposer à Seattle.
Nous gagnons les îles Aléoutiennes où nous arrivons après
une épouvantable traversée sur la mer de Bering.
Les 70 îles aléoutiennes sont d'origine volcanique et l'on
y rencontre encore plusieurs volcans constamment en érup-
tion. Une seule de ces îles possède une colonie de blancs.
Sans aucun arbre, mais couvertes d'herbes et de mousses
avec de jolies fleurs partout, ces îles ont un climat très
agréable. L'on a installé dans la principale d'elles, à Una-
laska, plusieurs fermes où le bétail engraisse très bien.
La température y est très douce et rarement le thermo-
mètre descend au-dessous de zéro.
Unalaska possède une église russe fort jolie ainsi que de
grands magasins d'approvisionnements et des dépôts de
charbon.
On n'y rencontre ni ours, ni loups, niais en revanche
beaucoup de renards bleus, dont les métis indiens font
même l'élevage.
Ces naturels des lies Aléoutiennes, par leur croisement
avec la race russe, forment aujourd'hui des métis et ceux-ci
considèrent comme un outrage d'ôtre comparés à des In-
diens.
La manière dont ils chassent le phoque est particulière-
ment curieuse.
ET LES ILES ALÉ0UT1ENNES. 131
Leurs barques étroites et longues sont entièrement re-
couvertes de peau de lion de mer, à part deux ouvertures
rondes dans lesquelles deux hommes se glissent. Sur cette
barque se trouve attaché tout l'attirail du chasseur y com-
pris la peau gonflée d'un jeune phoque qui servira de flot-
teur et d'appât.
Armés d'une flèche-harpon dont la pointe en ivoire est
attachée à une lanière en peau de renne et retenue au
centre de la tige, ils lancent celle-ci avec une adresse pro-
digieuse dans le flanc du phoque. Le harpon s'enfonce dans
les chairs et la tige en bois se détachant par les mouve-
ments de l'animal flotte sur l'eau en indiquant aux chas-
seurs la piste à suivre. Dès qu'ils l'ont rejoint ils rattrapent
le flotteur, attirent doucement la bête et l'assomment d'un
violent coup de massue.
Les Aléoutes ont des habitations en bois confortablement
aménagées, et j'ai trouvé chez plusieurs d'entre eux de
petits salons fort proprets avec un piano ou un harmo-
nium.
C'est à une Compagnie américaine qu'est réservé le droit
de chasse au phoque dans le détroit de Bering. Mais le
voyageur de passage seulement peut les chasser aussi.
Parmi les charges qui sont imposées à cette Compagnie
figure notamment l'obligation de nourrir les Aléoutes.
Plusieurs de ces îles sont le rendez-vous des phoques où
ils vont en masse à l'époque de la reproduction. C'est là
qu'on les tue également après les avoir rassemblés en grand
nombre.
J'ai parlé plus haut de la quantité de saumons, morues,
halibuts et harengs qui abondent sur les côtes de l'Alaska et
du Pacifique.
Dans les environs de Vancouver, c'est par bandes énormes
que les saumons remontent la rivière Fraser, à ce point que
souvent ils obstruent celle-ci et qu'on pourrait la traverser
en marchant sur ce banc naturel.
j ^
132 LE KLONDYKE, L'ALASKA, LE YUKO
Les Américains ont établi sur les côtes
quelques grandes usines pour la fabrication d
mais nos compatriotes y trouveraient place c
création de beaucoup d'établissements de ce {
Nous arrivons à Seattle le 19 octobre et de
Montréal en traversant les États-Unis par B:
serves indiennes, Kansas City, Saint-Louis, C
ronto.
Et maintenant il me reste à conclure en s
nos compatriotes n'attendent pas pour jeter
ces riches contrées qu'elles soient bondées d
toutes les nations.
Qu'ils se rappellent qu'au Transvaal nous s
arrivés trop tard.
A ceux que n'effrayeront pas les quelques d
route et du climat; aux commerçants qui i
des premiers à introduire les produits de h
ces terres lointaines, auxquelles on s'accorde
grand avenir, je ne puis assez répéter : « N
faire quelques sacrifices ; car en travaillant
les relations du commerce français vous trava
votre fortune personnelle. »
Le Gérant responsi
HULOT,
Secrétaire général de la Commis
5555. — L.-Imprimeries réunies, B, rue Saint-Benoît, 7. — M
!•* trimestre 1899.
^CKtLrlLms
srl».l39'
Route
DU KLONDYKE
par
la Passe Ghilkoot
PPORT SUR LES PRIX DÉCERNÉS
LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
Présenté jpar le baron HULOT
MM- Mi lue- Edward?, de l'Institut; Alf. Grandidier, de l'Institut;
Ch. MauDoir; prince Roland Bonaparte;
U. Çaspari ; Mb. de Lapparent, de l'Institut; E. T. Haaiy, de l'Institut
et le baron Hulot.
Les médailles, que la Commission des pris décerne chaque
«née, proviennent pour la plupart de fondations particu-
lières. Grâce à ces libéralités, dont les auteurs ont souvent
limité l'objet, la Société de Géographie est en mesure de
récompenser un certain nombre de voyageurs et d'érudîts
et de remplir, par le fait même, l'une de ses fonctions essen-
tielles.
Toutefois elle ne saurait restreindre sa tâche à la propo-
rtion et à la distribution des prix. Elle doit, en outre, faire
entreprendre des explorations, se tenir au courant du
mouvement géographique, publier des cartes et des rela-
tions inédiles. Ces fonctions diverses, qui s'ajoutent à la pre-
mière, sont spécifiées comme celle-ci dans l'art. I des
ilatu ts, mais elles n'ont pas eu toutes l'occasion de se déve-
lopper avec la môme ampleur.
Si la correspondance avec les Sociétés savantes, les
géographes et les voyageurs a pris une importance consi-
dérable, si la bibliothèque, qui ne compte pas moins de
5,000 cartes et de 45,000 volumes, reçoit chaque jour de
nouveaux dons, tels que celui du regretté Christian Garnier,
SOC. DE UÉOGR. — 2' TMIMESTRE 1899. M, — 10
134 RAPPORT SUR LES PRIX DÉCERNÉS
les ressources n'ont pas permis de prêter aux explorations
un appui vraiment efficace, ni de donner aux publications
toute l'extension qu'elles devraient comporter. Le fonds
des voyages, créé après La guerre de 1870, aida cependant à
plusieurs missions; mais, épuisé depuis longues années, il
semblait appelé à disparaître, quand M. Renoust des Orge-
ries légua à la Société sa fortune avec mandai de l'em-
ployer pour relier par un même itinéraire nos possessions
de l'Algérie, du Soudan et du Congo. On sait avec quel
succès la mission Foureau-Lamy remplit, grâce à cette
libéralité, le programme qu'avait entrevu ce fervent pa-
triote, A vrai dire, cette grande entreprise doit absorber
tout le capital du legs, suivant le vœu du testateur; mais le
résultat sera proportionné à l'effort.
Le fonds des voyages subsistera cependant; il sera même
reconstitué d'une façon définitive, et ce bienfait, nous le
devrons à notre distingué collègue, M. H.ené Henri Dumont,
qui a légué récemment dans ce but à la Société le capital
nécessaire à l'établissement d'une rente annuelle de mille
francs. L'exemple est donné et nous ne doutons pas qu'au
début du xx' siècle le fonds des voyages ne permette de
munir d'instruments les voyageurs qui font œuvre géogra-
phique, tout en travaillant au développement de l'influence
française.
Deux autres legs, l'un de 5,000 fr., l'autre de 10,000fr. ont
été faits celte année à la Société par deux de ses meilleurs
amis, dont M. le Président, se Taisant l'interprète de tous, a
signalé la perle : M. Alexandre Boulroue, décédé le 3 février,
et le comte de Bizemont, enterré à Nancy le 4 avril*. Le
comte de Bizemont, dont le large savoir s'alliait à un
dévouement absolu, appartenait à la Société d'une façon
plus étroite. Il y a deux mois à peine, il exposait devant
la section de publication le projet d'un ouvrage qu'il avait
!. V. Complu* rendus, mal 1899. ji. 198-1911.
PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 135
lé d'entreprendre sur les explorateurs français du
et qu'il eût été plus particulièrement désigné pour
r à bien, en sa triple qualité de marin, d'explorateur
,e fondateur de la Réunion des voyageurs français.
On nous excusera d'avoir commencé ce rapport par ces
tristes souvenirs, mais ne fallait-il pas, avant de parler des
lauréats des différents prix, consacrer une pensée aux fon-
dateurs de ces prix, et, d'une façon générale, à ceux qui
donnent à notre association le moyen d'élargir son enquête
scientifique, d'étendre son champ d'action, d'augmenter
son rôle utile et de poursuivre l'œuvre éducalrice qu'elle
» entreprise, il y a près de quatre-vingts ans?
Nous aurions encore à parler des efforts lentes pour amé-
liorer nos publications et du concours que nous avons
quelque raison de prévoir dans l'exécution de cette lâche.
tl faut se borner, laisser, pour le moment, les souvenirs
d'hier el les projets de demain. Une mission réconfortante
nous a été confiée par la Commission des prix, et nous
ies d'autant mieux assuré de la remplir qu'elle est
l'œuvre collective des rapporteurs des différents prix.
La grande médaille d'or est le plus souvent réservée à
t l'auteur d'un voyage hors ligne par l'importance comme
par la nouveauté des résultats, dont il enrichit la géogra-
phie ». Aux termes du règlement, la Société ne pourra
décerner ce prix que « sur l'examen des documents du
Toyageur et après avoir reçu de celui-ci toutes les explica-
tions qu'elle croira devoir lui demander ».
Toutefois, quand il ne s'agit pas d'une exploration pro-
prement dite, mais d'une série de travaux, qui constituent
dans leur ensemble une œuvre géographique considérable,
la Société peut encore, à titre exceptionnel, décerner sa
grande médaille d'or, la plus haute récompense dont elle
dispose. Elle l'a fait seulement dans trois circonstances,
jour rendre hommage à l'œuvre de MM. Vivien de Saint-
136 RAPPORT SDR LES PB1X DÉCERNÉS
Martin, Charles Mairaoir et Elisée Reclus. Il lui a paru
qu'une nouvelle exception s'imposait; aussi aurons-nous,
dans un instant, deux grandes médailles d'or à proclamer.
La première récompensera le grand voyageur qui a ré-
vélé le cours du Ghari et fait flotter sur les eaux du Tchad
le pavillon français, tandis qu'un de ses émules, que nous
fêterons bientôt, entreprenait cette audacieuse traversée de
l'Afrique qui, de Loango, devait aboutir a Djibouti.
La seconde a été attribuée au soldat qui s'est illustré au
Soudan, au Tonkin, à Madagascar et qui sut toujours, dans
les postes où l'appela la confiance du gouvernement, ouvrir
de vastes enquêLes géographiques, dont les résultats n'ont
pas seulement profité à la science.
Neuf autres médailles d'or et la médaille spéciale du prix
P. F. Fournier prennent place après ces hautes distinctions.
Cinq d'entre elles ont été attribuées à des explorations en
Afrique, trois à des missions en Asie, une à tin voyage dans
les régions arctiques, une enfin à des travaux cartogra-
phiques.
Puis viennent quatre grandes médailles d'argent. Elles se
rapportent à trois voyages importants qui ont été accomplis
deux en Asie, un en Afrique. La quatrième a trait à des
recherches scientifiques sur le massif du Mont Blanc.
Quatre autres récompenses concernent des études de
géographie historique et deui ensembles de publications
d'ordre géographique.
Tous ces pris ont une importance réelle, parce qu'ils
sont la récompense d'études approfondies et d'efforts géné-
reux, qui élargissent le domaine de nos connaissances, ser-
vent la cause de la civilisation et souvent contribuent à for-
lilier ou à étendre l'influence française.
PAR LA SOCIÉTÉ 1
l.randr niédBllIc d'or de In H
M. Caspari, rapporteur.
Aux esprits chagrins qui seraient tentés de méconnaître
l'œuvre du siècle qui touche à sa (in, nous ne pouvons que
recommander de consulter l'Atlas de Delamarche, publié
en 1824, et qui représentait à celle époque Sa somme des
connaissances géographiques, et de jeter un coup d'œil
Attentif sur la carte de l'Afrique. 11 y verraient d'abord
deux immenses espaces blancs, le Sahara et surtout la
moitié sud du continent, totalement inconnue. Ils trouve-
raient par contre une immense barrière de hautes mon-
tagnes, suivant à peu près le 10" degré de latitude nord,
commençant près de Sierra Leone par les monts de Kong,
se continuant vers l'est par les monts de la Lune et abou-
tissant sans interruption au golfe de Tadjoura. Cette bar-
rière reporte la source du Nil à environ 1,500 kilomètres
trop au nord et, empêchant le Niger de rejoindre l'Océan, le
fait aboutit à la mer de Nigrilie qui occupe à peu près
l'emplacement du lac Tchad, maïs avec des dimensions
plus que doubles (500 kilomètres au lieu de 200 du nord
au sud).
Malgré une erreur de 1° 30' en latitude et de 3° en longi-
tude, ce lac était connu : il est donc assez singulier que le
reste du continent ait été exploré avant qu'on arrivât à rec-
tifier cette position.
En 18ÏI3, notre Société décernait sa grande médaille d'or
au commandant Munteil qui avait réussiàalleindreleTehad
en partant du Soudan français et du Niger. Dans son rap-
port sur ce prix, M. Milne-Edwards faisait ressortir l'im-
portance politique de ce voyage, qui tendait a établir une
communication entre nos établissements du Soudan et
138
RAPPORT SDH LES PRIX DÉCERNÉS
ceux du Congo par l'intérieur du continent. Il rappelait
les tentatives faites pour atteindre ce même objectif en
parlant du Congo, l'issue tragique de l'expédition Craïupel,
les efforts de MM. de Brazza,Cholet, Fourneau, Dybowskî,
Maistre : on paraissait être sur le point de tenir la solution.
Ce n'est pourtant que quatre ans plus tard qu'il était
réservé à M. Emile Gentil de faire flotter le pavillon fran-
çais a bord du Mot sur les eaux de celte mer inlérieure.
M. Gentil a exposé devant la Société les émouvantes
péripéties de ce voyage, sa longue et patiente préparation ;
il vous a conté ses relations avec les indigènes, avec ceux
du Baguirmi en particulier, les traités qu'il a conclus au
nom de la France, et les résultats politiques de cette jonc-
lion entre nos deux grands groupes coloniaux de l'Afrique
tropicale. Nous aimons à rappeler cet aspect de l'expédi-
tion, et votre Commission ne s'est pas défendu d'en tenir
compte dans l'appréciation du mérite de l'explorateur;
ici pourtant il convient d'insister plus particulièrement sur
la portée géographique et scientifique de ce beau voyage.
En voici les principales étapes :
En avril 1895, M. Gentil, accompagné notamment de
MM. Hunlzhucbler et Viral, quille la France, emportant le
vapeur le Léon Mot et des approvisionnements pour deux
ans.
M. Vival succomba dès le début de la mission et fut rem-
placé par M. Pierre Prins, auquel revient une part glorieuse.
C'est lui qui de Gribingui s'est rendu chez Snoussï par un
itinéraire nouveau, et quand il fut question de laisser un
résident à Maesenia, c'est encore lui qui fut désigné '. Quant
à M. Huntzbiichler. il s'est montré le second le plus dévoué
et le plus utile. Nous avons malheureusement appris sa mort
au Congo français, trois ans et huit mois après son départ
de France.
s 20 novembre, M. Gentil est rendu avec son vapeur à
ladda, sur l'Oubangui, et su dispose à chercher une v
pour rejoindre le Cliari.
Le 21 septembre 1896, il a réussi, au prix d'efforts pro-
longés, à amener son vapeur sur la Nana, affluent du Chari ;
puis il arrive à Gribingui, où il entre en relations avec les
musulmans de Snoussi.
Le 21 août 1897, il commence la descente du Chari ; le
M octobre nous le trouvons à Massenia, capitale du Baguirmi,
et enfin le 30 octobre le Léon Blot flotte sur le Tchad.
Voici maintenant les résultats géographiques :
Un itinéraire de 300 kilomètres de l'Oubangui au Chari,
presque entièrement nouveau;
Un levé de la Tomi (120 kilomètres);
Un levé de la rivière Gribingui depuis le >N. jusqu'à
«in confluent avec le Chari, par 8- 4' N., soil 200 kilomètres
en ligne droite, et plus du double avec les courbes ;
Uq levé du fleuve Chari depuis son confluent avec le Gri-
bingui jusqu'au lac Tchad, soit 800 kilomètres à vol d'oi-
seau, et en réalité 1,200;
Un levé du Bahr-Erguig depuis Bougoman jusqu'à Madji,
près de Massenia (environ 100 kilomètres);
Enfin un itinéraire du Gribingui au pays de Luomi, se
raccordant avec l'itinéraire de Crampel el de Hanolet,
300 kilomètres.
An total à peu près 2,400 kilomètres dont plus de 2,000
en pays inconnus.
Ces itinéraires sont repères au moyen d'observations
astronomiques nombreuses et soignées : Ouadda, Gribingui
et le point atteint sur le Tchad sont déterminés en longi-
tude absolue au moyen de hauteurs égales de la lune et
d'étoiles, et contrôlés par les distances lunaires. Les points
intermédiaires sont reliés à ceux-là par le transport du
temps ; un grand nombre de latitudes sont déterminées
par des hauteurs circum méridiennes d'étoiles ou du soleil.
■
140 RAPPORTS SUIt LES PRIX DÉCERNBS
C'est donc un travail définitif sur un espace considérable
et inconnu jusqu'à ce jour. Si nous y ajoutons des observa-
tions barométriques et thermomélriques et des détermi-
nations de déclinaisons magnétiques, nous pourrons nous
rendre comple de ce que notre connaissance scientifique
de l'Afrique doit à l'observateur consommé qui a fait ce
voyage.
Nous aurions évidemment relevé beaucoup l'intérêt de
ce rapport en suivant dans leur détail les péripéties du
voyage, en suivant les longues négociations avec les indi-
gènes, eu faisant ressortir les difficultés vaincues pour
faire flotter un bâtiment à vapeur sur !e lac Tchad, et
toutes les qualités de décision, de patience et de persé-
vérance qui s'ajoutent chez M. Gentil au talent du géo-
graphe. Nous nous sommes refusé ce plaisir, aussi bien
que celui d'estimer les résultats au point de vue patriotique,
parce que nous devions nous mettre strictement sur le ter-
rain de la science.
La sèche esquisse que nous venons de présenter suffit
largement à elle seule à justifier l'attribution à M. Gentil
de la plus haute récompense dont la Société dispose et
qu'elle réserve à ceux qui ont fait faire à la science un pro-
grés décisif.
Général Gallieni
Urnnde médaille d'or de la Société n litre exceptionnel
M. A. Graodldler, de l'Institut, rapporteur.
La Société de Géographie décerne au général Gallieni,
l'explorateur du Soudan occidental, l'ancien commandant
supérieur du Haut-Sénégal, l'ancien commandant de terri-
toire au Tonkin, aujourd'hui gouverneur général de Mada-
gascar, sa grande médaille d'or, en témoignage de recon-
naissance pour les services qu'il a rendus à la géographie
M
H
PAR LA SOCIÉTÉ DE GËOGRAPim:.
et la sollicitude éclairée qu'il n'a cessé de témoigner aux
voyageurs et explorateurs pendant sa brillante carrière, en
témoignage de haute estime pour la très grande part qu'il
a prise à l'expansion coloniale de la France.
La France a aujourd'hui sons sa domination les hauts
bassins du Sénégal et (tu Niger el une partie considérable
du Soudan occidental. Il y a vingt ans, cette vaste région
était en grande partie inconnue. C'est le capitaine Gallieni
qui a été un des premiers a y porter le drapeau français.
Remontant le Sénégal, il a suivi le cours de ses deux princi-
paux affluents, le Bâ-Khoï et le Bà-Oule, et il a étudié le
massif, jusque-là inexploré, qui sépare son bassin de celui
du Niger, Ayant gagné, après des combats meurtriers, les
bords du ÎSiger, il a descendu ce fleuve jusqu'à Segou-Si-
fcoro, où il a fait un long séjour, qui a été aussi utile à la
géographie el à l'ethnographie qu'à l'expansion de notre
influence.
Sept ans plus tard, nous retrouvons le lieutenant- colonel
Gallieuî vainqueur du marabout Mohammed Làmin; après
le rade combat de Diana, il reçut la soumission des chefs
de toute la région comprise entre le Haut-Sénégal et la
Haute-Gambie. Cette campagne, qui a été si profitable à la
cause française, l'a élé non moins pour la géographie ; elle
a fait connaître ou précisé le tracé de nombreuses rivières,
el elle a permis de lever une vaste étendue de pays peu ou
point connue. Le lieutenant-colonel Gallieni a, en effet,
multiplié les missions topo^raphiques et donné à leurs
études une impulsion féconde.
Envoyé au Tonkin comme commandant de territoire
militaire, le colonel Gallieni a réussi à pacifier et organiser
les frontières de notre colonie.
A peine de retour en France, sacrifiant ses intérêts et
quittant sa famille qu'il venait de retrouver après une longue
absence, il consentit, par patriotisme, à accepter le gou-
vernement de Madagascar. Ceux-là seuls, qui ont connu.
IT SUD LES TRIS DÉCERNÉS
l'élal d'anarchie el de rébellion générale dans iequel 3e
trouvait noire nouvelle colonie au lendemain de sa con-
quête, sont capables d'apprécier le dévouement et l'abné-
gation dont a fait preuve en celte occasion le général Gal-
lieni. Rompu par sa longue carrière coloniale aux moeurs
et aux besoins des peuples sauvages, joignant à la décision
du chef militaire l'habileté de l'administrateur, ayant pour
devise : les colonies aux colons, il était très capable de
mener à bonne fin l'œuvre extrêmement difficile qu'on lui
confiait et qu'il a accomplie avec un remarquable succès.
Votre rapporteur est heureux de pouvoir exprimer ici son
admiration très sincère pour l'activité déployée depuis deux
ans el demi par le gouverneur général de Madagascar dans
toutes les branches des connaissances humaines et de l'in-
dustrie et pour les résultats véritablement extraordinaires
de son intelligente administration, obtenus avec des moyens
très restreints, tout à fait hors de proportion avec le but à
atteindre. Le nom de Gallieni planera à tout jamais sur la
grande île de Madagascar dont on ne saurait plus le séparer.
Cen'esl point dans un rapport, qui doit cire très sommaire,
qu'il est possible de raconterl'histoiresi remarquable de la
pacification et de la mise en valeur de notre uouvelle
colonie. Quand, le 16 septembre 1896, le général Gallieni
prit le commandement du corps d'occupation et que, le
38 septembre, il réunit entre ses mains tous les pouvoirs
civils et militaires, !a situation était très critique; l'insur-
rection s'élendait sur tout le plateau central, l'audace des
rebelles croissait de jour en jour et il y avait tout lieu
de craindre le massacre général des Européens résidant
dans l'île. Sans tarder, il prit des mesures énergiques;
l'effectif du corps d'occupation étant très faible et la région
soulevée contre nous élant extrêmement peuplée, il con-
centra ses troupes dans les provinces les plus troublées
et, agissant avec rapidité et vigueur, il délogea les rebelles
des positions quasi-inexpugnables où elles s'étaient reIran-
PAR J,A SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
bées cl d'où elles portaient partout l'incendie, le meurtre
le pillage. Grâce au réseau de postes qu'il disposa
judicieusement et an\ colonnes volantes qui opérèrent de
concert, des milliers d'insurgés furent promptement pris
ou contraints de se soumellre, et, en quelques mois, la
pacification du centre et de l'est de la grande île, qui sont
les parties les plus peuplées et les plus importantes, du
moins pour le moment, a été complète.
Le général Gallieni a ensuite entrepris de soumettre à
a autorité les Satalaves, les Baras et les Antandroys, peu-
■ qui sont clairsemées sur une immense surface de
ys, égale au moins à la moitié de la France, et droit les
bitudes pastorales et de pillage rendront longtemps
ncore l'assimilation difficile. Il y a déjà du progrès dans
Btte vaste région, où sont répartis de nombreux postes.
i le général avait disposé de troupes un peu plus nom-
«uses, la prise de possession serait certainement com-
pte.
Mais nous n'avons pas pour mission de louer l'œuvre
nïlitaire du général Gallieni. Dès le lendemain de la paci-
Ication de l'Imerina, les travaux d'utilité publique ont élé
:ommencés dans toute l'Ile el poussés activement. Des
•outes carrossables ou muletières, faites avec les seules
îssourccs de la colonie, sillonnent déjà les provinces les
plus importantes, et les projets de chemin de fer, encoura-
gés par le gouverneur général, auraient déjà abouti sans
les retards, très regrettables, apportés par le Parlement à
leur adoplion.
Le nombre des écoles a considérablement augmenté et
on a créé plusieurs écoles professionnelles où les indigènes
sont initiés aux divers arts el métiers et où l'on forme des
intremaîlres et de bons ouvriers.
Le général a donné un grand essor à toutes les études
relatives à la colonisation, qui, sous son impulsion, se pour-
suivent partout, et de ombreux lots, reconnus par le Ser-
144 RAPPORT SUR LES PRIS M'CKI'.m:-
vice topographique, sont mis à la disposition des n
venus. Par son ordre, des jardins d'essai onl été établis, en
beaucoup de points, pour centraliser et fournir aux colons
tous les renseignements agronomiques sur l'île, ainsi que
pour rechercher les améliorations à apporter aux systèmes de
culture actuellement en usage et pour introduire les plantes
qui peuvent intéresser à un titre quelconque les Européens
ou les indigènes. Ces jardins, qui possèdent de vastes pépi-
nières, évitent des pertes de temps et d'argent et de longues
recherches aus immigrants, qui y trouvent à leur disposi-
tion des plants, des boutures et des graines; on y forme,
en outre, des jardiniers et des ouvriers; enfin, on s'y occupe
des meilleures méthodes d'élevage et de l'amélioration des
races de bétail.
Le développement du commerce a été aussi l'objet des
constantes et intelligentes préoccupations du général Gal-
lieni qui a déjà, sous ce rapport, obtenu d'importants
succès.
Il ne nous est pas possible de passer en revue, même
brièvement, tous les actes de l'administration du gouver-
neur général de Madagascar, par lesquels il a affermi notre
domination, étendu notre influence, conquis l'appui de
la plus grande et de la plus intelligente partie de la popu-
lation malgache, développé notre commerce et notre colo-
nisation. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que si,
comme nous en sommes convaincu, nous avons avant peu
une France australe riche et prospère, nous le devrons
au général Gallieni qui, au milieu d'obstacles de toutes
sortes dont il a su triompher, a admirablement organisé ce
grand pays. Grâce à lui et aux militaires, fonctionnaires et
colons, dont il a habilement dirigé et utilisé le concours et
le dévouement, ce qui, il y a trois ans, paraissait une chi-
mère, une entreprise irréalisable, est aujourd'hui un fait
accompli.
L'œuvre du général Gallieni est grande, utile à tous!
PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 145
Aussi, la Société de Géographie est-elle heureuse d'offrir à
son ancien lauréat de 1883 sa grande médaille, en Lémoi-
e et d'admiration.
M. C. DK BONCllAMPS
Médaille d'or. — Prix. Angn>te Logero!
M. le général Derrecuj.Mii, rapporteur.
Au mois de février 1897, une mission française, dirigée
par M. Bonvalot, quittait Djibouti pour se diriger vers le
Haut-Nil et tenter de donner la main à la mission Marchand.
M. de Bonchamps, déjà connu par le remarquable voyage
qu'il avait exécuté au Katanga, dans les régions orientales
de l'Etat indépendant du Congo, en était le second.
Cette mission gagna d'abord Harrar, d'où M. Bonvalot
partît en avant pour se rendre à Addis-Ababa, résidence du
négus ; et, le 23 avril, elle y arrivait à son lour, sous la direc-
tion de M. de Bonchamps. Le négus lui fit bon accueil,
mais n'approuva la marche vers l'ouest qu'à la condition
expresse de ne pas dépasser au nord la rive droite du Sohat.
Le mois suivant, M. Bonvalot, forcé de rentrer en France,
confia le commandement à M. de Bonchamps, qui put
quitter Addis-Ababa, le 17 mai, avec trois Européens,
MM. Michel, Bartbolin et Potier, 40 Abyssins et un convoi
de 15 mulets et de 40 chameaux.
Apres avoir traversé la rivière Guibier, qui coule au sud
sous le nom d'Omo ou Gama vers le lac Rodolphe, la mis-
sion franchit la ligne de partage des eaux qui sépare les bas-
sins intérieurs des lacs Stéphanie et Rodolphe de celui de la
Méditerranée et ne tarda pas à arriver sur les rives de la
Didessa, affluent de gauche du Nil bleu, ou Abal.
Le 28 juin, elle était à Goré, où elle rencontrait la mis-
sion française de M. Clochette, ancien officier d'artillerie,
flié depuis assez longtemps en Abyssinie et parti également
lPPOM
DÉCË11KÊS
vice lopographiqin .
venus. Par son ordre ' a iie nouvelles diffl-
beaucoup de point . Ies> »t*np«>l M. de
tous les renseign ■ :M| seulement à cette date
pour rechercher l, ' ' su roule jusqu'à
culture actuellemei :" nord-ouest, où il
'■!. Clochette, grave-
' iù il succomba le 24 août.
Inde est et par 8' 14'
.-- d'altitude, et à 1,400 kilo-
le Bonchamps comptait y
pour la suite de son voyage,
éji très éprouvée et fort
qui peuvent intér
ou les indigènes. :
nières, évitent •!.
recherches au
lion des plants, ■ J ■. : _-.
en outre, des jai-dmi-
des meilleure
races de bétail.
Le dévelop lil lus difficultés qui se dres-
coostantes i nchamps chercha d'abord une
lieni nui :i dateau abyssin dans la plaine.
3UCCÈS tiona furent dirigées du côté
Il 1]t) nous confluent des rivières Baro et
brièvement i la GanJ> avec la rivière Baro. Ce
neur général naissances que l'hostilité des
domination, àtmn r°b,iëea à envoïer Près <
lit JllUS L'I
rière, au commencement de sep'
npagnons de voyage, MM. Michel
[ offerts spontanément pour cette
OÙ furent ainsi perdus. M. de Bon-
négus et celle de M. Lagarde,
. qu'au commencement de novembre. Elle
rai, pleins pouvoirs et le commandement
ivalot et Clochette. Tous les obstacles
Mais, en réalité, les désertions conti-
éa locales, résistant aux ordres supi
il toujours des dispositions hostile;
accompli
lation mal
nisatien, Qg
comme
une l[.i!i''.-
.
ivembre, la mission reconstituée put
de i'ouest. Elle comprenait six Euro-
ichamps, Michel, Bartholin, Polter,
é-
:
;:
n
m
du
Bo
gai
«1
dei
PAU LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 14"
Faivre et Véron; 140 Abyssins ou Gallas avec un convoi
composé de 125 mulets et d'une quinzaine de chameaux
restants.
Quittant ta falaise éthiopienne, elle descendit dans la pro-
fonde vallée du Baro, par des pentes d'une raideur extrême
et franchit ce cours d'eau a Daunaba, au moyen de radeaux
péniblement construits. Le Baro, grossi par les nombreuses
rivières qui descendent des hauts plateaux d'Kthiopie,
forme par sa réunion avec la Djoubba, au delà du trente et
unième degré de longitude Est, la rivière Sobat, un des
principaux affluents de droite du Nil, qu'elle rejoint vers le
10' degré de latitude nord.
Le 4 décembre, M. de Bonchamps entrait dans le pays
Yanubo, laissant sur sa droite la rivière Birbir et arrivait le
à Pokodi, où il recevait un bon accueil du roi de Garo-
béla. A partir de ce point, le Baro prend une magnifique
impleur qui l'a fait comparer au Rhône. Les rapides
cessent. Les Yambos forment une tribu puissante qui offrit
à notre explorateur un intéressant, sujet d'études. Il attei-
gnit et visita successivement les centres importants de
Finkeo, Immero, Pohol et Itoueni, après avoir traversé les
rivières Gandjy, Bonghaï et Ouanthine, affluenis de gauche
du Baro. A partir de cette dernière rivière, distante de
:ouré d'une centaine de kilomètres, le Baro devient navi-
gable. Sur tous les territoires parcourus depuis Bouré, les
.plorateurs avaient eu la plus grande peine à se procurer
des vivres et à se frayer un passage à travers la brousse
épaisse qui couvrait les rives du fleuve. Les marais s'éten-
daient chaque jour davantage et la mission, sans bateau,
sans bois pour en construire, sans pirogue d'aucune sorte,
ne rencontrait que des populations effrayées qui fuyaient
devant elle. Ses hommes et ses animaux, épuisés, n'avan-
çaient plus qu'avec les plus grandes peines. Ce fut dans ces
mnditions que M. de Bonchamps put encore franchir les
ivières Alourou et Guilo. Le 25 décembre, toute la c
148 RAPPORT SUR LES PRIX DÉCERNÉS
se trouvait sur la rive gauche de ce dernier cours d'eau,
dans un état complet d'épuisement et de découragement.
Son chef, cependant, était soutenu par l'espoir d'atteindre
Nasser sur le Sobat, point extrême visité par Junker, en
1878. Il poursuivit donc la marche en avant et arriva le
29 décembre sur les rives delaDjoubba,large de 150 mètres
environ.
Là il fut impossible de trouver un moyen quelconque de
franchir cette rivière. D'autre part, le manque de vivres,
l'absence de guides, la perte de plusieurs hommes et d'un
grand nombre d'animaux ne laissaient plus entrevoir la pos-
sibilité d'aller plus loin. 11 fallut se résigner au retour.
Le 31 décembre la retraite commença, sans autres res-
sources qu'une faible provision de riz, en laissant Forcément
en arrière les malheureux qui ne pouvaient plus suivre et
qui étaient voués d'avance à une mort certaine.
La mission ne put revenir ainsi à Goré que le 12 février
1898, ayant perdu environ 70 hommes sur 150, tous ses
chameaux et 85 animaux porteurs sur les 125 emmenés au
départ de Goré. M. de Bomchamps dut rentrer à Addis-
Ababa au mois d'avril et, le 12 juin suivant, il put s'em-
barquer pour la France.
Le but poursuivi n'avait pu être atteint, faute de moyens
suffisants; mais les résultais obtenus n'en avaient pas moins
une importance considérable. La mission avait parcouru
2,000 kilomètres depuis l'océan Indien, découvert de nou-
veaux territoires, reconnu plusieurs cours d'eau affluents
du Sobat, et avait poussé son exploration jusqu'à un point
situé par 30" 39' de longitude est et 8° 29' de latitude nord.
Elle avait relié son itinéraire vers l'Ile de Poun, près du
village d'Ilea, avec celui de la mission italienne Bottego,
qui était venue du lac Rodolphe el qui fut massacrée à
quelques étapes au nord du Baro, près de Goho. Enfin, elle
avait ouvert le chemin de l'ouest et tracé la route que
d'aulres explorateurs pourraient suivre désormais. Au point
r
PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 140
de vue géographique cette exploration ne pouvait rester
sans récompense. Votre Commission des prix a pensé que
les généreux efforts de M. de Bonchamps méritaient d'être
encouragés et que cet explorateur était bien digne de la
médaille d'or, du prix Logerot, qu'elle est heureuse de lui
offrir *.
MM. les lieutenants Voulet f:t Chanoine
Médaille d'or. — Prix Louise Bourbonnaud
M. le général Derrécagaix, rapporteur.
Au mois de mai 1896, les événements survenus dans la
boucle du Niger nous forcèrent d'envoyer une mission au
Mossi. £lle fut confiée au lieutenant Paul Voulet, de l'infan-
terie de marine, auquel on adjoignit le lieutenant Chanoine,
des spahis soudanais.
Le Mossi, alors convoité par les Anglais, est une vaste
région, d'une superficie de 80,000 kilomètres carrés envi-
ron, peuplée de près de trois millions d'habitants, fertile,
située entre le 12e et le 14* degré de latitude nord, et vers le
4e degré de longitude ouest, sur la route de Bammako à
Say, entre le Yatenga et le Gourma. Ce pays était alors
assez fortement organisé et gouverné par un petit souve-
rain désigné sous le titre de Moro-Naba et résidant à Oua-
gadougou, dont rentrée venait d'être refusée au comman-
dant Destenave, notre résident à Bandiagara. Sa position
géographique, son importance, les convoitises des Anglais
et la nécessité de protéger notre allié Bakhaté, naba du
Yatenga, ne permettaient plus de différer son occupation.
Le personnel placé sous les ordres du lieutenant Youlet
comprenait 213 combattants, dont 33 réguliers, tirailleurs
1. MM. Michel et Bartholin ont reçu chacun un exemplaire en argent
de la médaille du prix Logerot, pour la part importante qu'ils ont prise
à la mission de Bonchamps.
• • •
SOC. DZ GÉOGR. — ïe TRIMESTRE 1809. XX. — 11
150 RAPPORT SUR LUS PRIS !
et spahis. Le 30 juillet 1896, la mission se dirigea par le
Yatenga et le Yak», sur le Mossi,
Une partie du mois d'août fut employée à relever le pou-
voir de notre vassal Bakharé, sur le Yatenga et à le réta-
blir dans sa résidence de Ouahigouya. Divers engagements
amenèrent promptement ce résultat et le 22 août, Bakharé
rentrait dans sa ville sainte de Goursi. Le lieutenant Voulet
enlrait de force a Yako le 27 et arrivait à Ouagadougou,
capitale du Mossi, le 1" septembre. Le n;>ba Bakhari-Koun-
tou, s'était enfui vers le sud, dans les États de Samory,
après avoir tenté, contre le lieutenant Chanoine, une at-
taque qui échoua.
An sud du Mossi s'étBndaiL une riche contrée, le Gou-
rounsi, alors très divisée et menacée à la fois par Samory et
par les Anglais. Deux chefs s'en disputaient la possession.
L'un, Hamaria, de race autochtone, descendant de l'an-
cienne famille régnante, choisi par les tribus gouroungas;
l'autre, Baba To, lieutenant d'un des derniers souverains,
commandant ses troupes et soutenu par les Zabermabés,
puissante Iribu voisine qui ravageait le pays. Baba To comp-
tait en outre sur l'appui de Sarakkéni Mory, fils de Samory,
près duquel il avait trouvé asile.
Hamaria, se sentanl menacé, avait demandé notre pro-
tection et signé, le ÏQ septembre à Sali, un traité qui pla-
çait son pays sous l'autorité de la France. Le lieutenant
Voulet notifia aussitôt à Samory l'occupation du Gourounsi
et en reçut, le 2 octobre, une réponse par laquelle ce der-
nier s'engageait a respecter ce territoire, et le faisait éva-
cuer par ses sofas.
La mission put alors revenir au Mossi pour l'organiser.
Mais, Bakhary refusant de se soumettre, il fallut réduire
successivement tous les nabas qui hésitaient encore. Le
lieutenant Voulet rentra ensuile à Ouahigouya, d'où il
esposa la situation au gouverneur du Soudan, en fai-
sant ressorlir la nécessité d'occuper défini livement le Mossi.
PAH LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 151
Il recul alors l'ordre d'établir un poste à Ouagadougou
et y rentra le 23 décembre, pour achever son œuvre.
OevanL l'attitude de Bakhary, il dut, le mois suivant, pro-
clamer sa déchéance et investir du pouvoir suprême un de
ses frères, Kouka, qui était venu à Kounda, ville sainte du
Mossi, faire sa soumission et apporter celle de plusieurs
chefs .
Le 20 janvier, un traité définitif plaça tout le pays sous
notre protectorat; et sept jours plus tard, la mission pro-
céda à l'investiture solennelle du nouveau souverain, en
présence de tous les nabas réunis. Les États vassaux du
Hobsî avaient, en même temps, reconnu notre autorité.
C'est à ce moment que le lieutenant Voulet apprit l'arri-
vée sur la frontière sud du Mossi, d'une mission anglaise,
dirigée par le résident de Coumassie et soutenue par quatre
colonnes de 100 hommes chacune. Il se porta aussitôt à
sa rencontre, exposa nos droits et obtint, le 9 février, qu'elle
se retirât au delà du Mampoursi, tandis que nos troupes,
de leur coté, se reportaient au delà du pays de Tenkoudo-
gou.
Peu de jours après, le 16 février 1897, la mission faisait
sa jonction avec celle des capitaines Baud et Vermerseb,
qui étaient venus procéder à l'occupation du Gourma. Le 27,
le lieutenant Voulet rentrait à Ouagadougou, où le comman-
dant Destenave venait d'arriver pour organiser notre occu-
pation jusqu'à Say. De là, la mission Voulet revint à Ban-
diagara, son point de départ. Son exploration avait duré
huit mois, pendant lesquels elle avait acquis le Mossi, le
Gourounsi et parcouru 3,500 kilomètres d'itinéraires dont
plus de 3,000 en pays inconnu.
L'honneur de ces résultats revenait au lieutenant Voulut
et à son second, le lieutenant Chanoine, qui dut rester à
Ouagadougou pour repartir bientôt vers le sud.
Il fallait, en effet, renforcer sans retard notre protectorat
du Gourounsi par une occupation effective. Le comman-
152
APPORT SCIi LES PttIX DÉClillKÉS
dant Destenave en chargea le lieutenant Chanoine, qui se mit
en route aussilôt. Le 12 mars, il était à Kangalian, à
plus de 200 kilomètres au sud de Ouagadougou,, avec
40 tirailleurs et 15 cavaliers, auprès de notre protégé Ha-
maria, qui venait d'être vainement sollicité par deux agents
anglais de renoncer a la protection de la France et dont
Baba To avait envahi le territoire.
L'agitation qui en résultait nous obligea à agir. Un com-
bat sanglant eut lieu le 14 mars à Gandiaga. Baba Toet ses
alliés les Zaliermabés furent complètement battus. L'auto-
rité du naba Hamaria fut raffermie partout et le lieutenant
Chanoine put continuer sa marche vers le sud, jusqu'à
Asseydou-Bélélé, où il signa un nouveau traité et dont il
prit possession. I! y installa comme agents quatre sofas
d'Hamaria, ramena ensuite à Oua Loumbélé la population
qui eu avait été chassée et regagna Léo a 60 kilomètres au
nord, où il trouva six tirailleurs anglais, installés là par
surprise. Aidé du capitaine Seal, qui arriva de Ouagadougou
le 9 avril, il put faire reconduire ces agents au résident
anglais de Coumassie, qu'il rencontra à Yarba, le 20 du
même mois. Après des discussions animée* au sujet des
droils de la France sur le Gourounsi, le lieutenant réussit
à faire admettre une frontière provisoire, à trois journées
de marche de ce point, sur la Voila orientale et la rivière
de Koudougou. Cette convention sauvegardait nos acquisi-
tions du Gourounsi et du pays d'Asseydou.
Le lieutenant Chanoine rentra ensuite à Ouagadougou,
ayant ainsi complété l'œuvre qu'il avait si remarquablement
commencée avec son chef et camarade, le lieutenant Voulet.
A côté de ces beaux succès militaire et politique, ces
explorations présentent, pour les progrès de la géographie,
un tel intérêt, que la Commission des prix s'est fait un
devoir de décerner le prix Bourbonnaud à nos deux vail-
lants officiers, MM. les lieutenants Voulet et Chanoine, au-
jourd'hui capitaines et décorés.
PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
MM. les capitaines BArii f.t Vermerscu
Médaille tl'»r. — Prli Urm i Diiveyrler
M. le général Derréca^iiv, rapporteur.
de 1800, les progrès des Allemands au nord du
Togo nous faisaient craindre une occupation du Gourma cl
du pays de Say. Par suile, on décida l'envoi au Niger de la
mission Brelonnet et, au Gourma, de celle du capitaine
Baud auquel furent adjoints le capitaine Vermerscli,
M. Combes, garde principal de 1" classe de la milice in-
digène, et 80 tirailleurs sénégalais et haoussas, avec
100 porteurs. Le but. était d'occuper définitive me rit la con-
trée située au nord de Sniisaiinc-Mango. ,
Le 6 janvier 189", ce personnel partit de Bafilo, dernier
poste du Haut-Dahomey, vers Le nord, contourna San-
sanné-Mango, où les Allemands s'étaient installés, et attei-
ma le 20 du même mois.
Le Gourma, auquel cette ville appartenait, constitue un
royaume d'une superficie de 7-1,000 kilomètres carrés, voi-
sin de Say à l'est, du Mossi à l'ouest, du pays de Sansanné-
Mango au sud, du territoire des Baribas au sud et au sud-
est, enfin du Liptako, du Yaga, du Torodi et du Guéladjo
an nord. Placé sous l'autorité du sullan Bantchandé, qui
résidait 'i Fada N'Gourma, il était divisé en provinces,
administrées par des chefs appelés lamas, dont plusieurs
•Vuïfiit révoltés. L'un d'eux, Adama, famade Matiacouali,
au nord-est de Fada N'Gourma, avait récemment pillé des
villages aux environs de la capilale, se vantait d'Être le
maître du pays et avait signé depuis peu avec les Alle-
mands, abusés par lui, un trailé par lequel il prétendait
placer le Gourma sous leur protectorat.
Dans cette situation, le roi Bantchandé, qui avait déjà
Mdchi un traité en janvier 1805 avec le commandant
154
RAPPORTS SUR. LES PRIX DÉClillKiïf
Decœur, accueillit les Français en libérateurs. Le capitaine
Baud le joignit à Diabo le 2 février 1898, prit le com-
mandement de ses forces el se porta, le 5, sur Toueouma
dont il s'empara. Depuis longtemps, celte ville insoumise
bravait tous les efforts dirigés contre elle. Bargo fut occupé
lef>; Tibga, le lendemain, et Tanliaka, dans l'est, le 12.
Malgré ces succès, Yacombato,chef de la révolte, continua
la lutte.
C'est à ce moment que la jonction des missions Baud et
Voulet, à Tibga, amena un rassemblement de forces impo-
sant, qui, joint à notre récente occupation du Mossi, et
aux succès obtenus dans le Gourma, eut parmi les indi-
gènes un retentissement considérable.
La petite armée que dirigeait nos officiers se rendit à
Bilanga, le 26, pour y installer un cbef dévoué à B.int-
cliandé. Elle reprit ensuite la roule du sud, reçut àMoarby
de nombreuses soumissions el rentra le 4 mars à Toueouma
où l'on apprit la mort du chef rebelle Yacombalo.
Bientôt les intrigues du chef de Maliacouali, Adama, et
ses négociations avec les Allemands obligèrent le capi-
taine Baud à marcher sur sa résidence. Le 5 avril, ses
forces étaient réunies à une demi-journée de celte ville, d'où
Adama s'était déjà enfui. Banlcbandé fit alors notifier aux
Allemands de Sansanné-Mango, par deux de leurs agents
venus en mission à Maliacouali, qu'il était le seul maître
du pays el qu'il en avait déjà fait don à la France. En
même temps les hommages des chefs lui arrivaient de tous
côlés.
Tandis que le capitaine Baud se rendait à Pâma le 17
avril, pour y régler avec les Allemands les limites de nos
territoires, le capitaine Vermerscb restait avec le sultan
pour le soutenir. Ce dernier se vit forcé de remplacer par
un chef dévoué le fama rebelle de Maliacouali, réfugié à
Saiisanné-Mango. A la suite de cet acte, toules les insou-
missions cessèrent.
TAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGBAPIUE, 155
Pendant ce temps, le capitaine Baud passait, avec le
lieutenant allemand Thierry, une convention qui mainte-
nait le statu qiio en laissant aux deux gouvernements le
temps de conclure un accord.
Après une poinle vers Konkobiri pour y rencontrer la
mission du capitaine Ganier, de l'infanterie de marine, !e
capitaine Vermersch rejoignit le capitaine Baud sur la
Sabar, rivière de Sansanné-Mango. Ils séjournèrent à Ta-
marga jusqu'au 5 juin, el en repartirent pour aller de nou-
veau à Pâma protester contre les prétentions persistantes de
nos voisins du sud. Le capitaine Baud ramena ensuite Bant-
ehandé dans sa capitale, pendant que son camarade con-
duisait à Porlo-Novo une ambassade du rot du Gourma
chargée de réclamer la ville de Pâma.
Grâce à l'activité de nos deux officiers et à leurs efforts
incessants pendant les six premiers mois de l'année 1807, le
Gourma était définitivement occupé par nous. La conven-
tion franco-allemande devait le reconnaître peu de temps
après.
Pendant que le capitaine Baud continuait de résider au
Gourma d'où il devait plus lard se rendre sur le Niger, le
capitaine Vermersch était appelé à agir dans le pays des
Baribas. Celle peuplade, guerrière et pillarde, habitant un
riche pays de prés de 80,000 kilomètres carrés placé sous
Tantorilé plus nominale que réelle du roi de Nikki, se sou-
leva au mois d'août 1897 contre noire suprématie. Le capi-
taine, placé à la tête d'un personnel fiançais et d'une petite
force armée, se porla d'abord sur le poste de Kouandé
pour le dégager et y instiller un chef dévoué a nos intérêts.
Le 12 septeinbre.il franchit le Mékroo et In Béron, affluents
du Niger el rejeta les Baribas au delà de lu Niaitbali, et se
contenta de maintenir le pays à l'abri de leurs incursions
jusqu'à l'arrivée de renforts qu'il aLlendait, Dès qu'il les
ent reçus, le 5 novembre, il marcha de nouveau contre les
rebelles, leur infligea le «, jires des ruines de Trioré, une
156 RAPPORT SUR LES PRIX DËCEÏKfEB
sanglante défaite, et oecup.i Nikki le \3. Le roi Siré Torou
fît aussitôt sa soumission, et l'affirma par un traité qui
annexait son territoire au Dahomey. Son exemple entraîna
la soumission de tous les antres chefs.
Ces opérations, complétées par l'établissement d'une
ligne de postes depuis Nikki jusqu'au Niger, assurèrent
définitivement notre autorité sur If H.mt-D.ihomey.
Au mois de janvier 1N98, après un an de courses, de
combats et d'explorations, Je capitaine Vermerscb pu!
quitter cette région où un résidrnt lut inslallé.
Cet officier el son ancien chef, le capitaine Bancl, avaient,
pendiinl leurs courses incessantes, levé tous les nombreux
itinéraires parcourus. Ils ont recueilli ainsi, sur la géogra-
phie du Soudan, les éléments d'une carte qui s'élend du
10s au 13e degré de latitude nord et du 2B degré de lon-
gitude ouest au l" degré de longitude est.
Ces remarquables travaux ont paru, à votre Commission
des prix, dignes d'être couronnés par l'obtention du prix
H. Duveyrier.
M. le lieutenant Pmti. Blosiuai \
ilaille d or. -
LtOUt
réser
C'est encore dans ia boucle du Niger que s'est exercée
l'activité du lieutenant Blondiaux. Parli en octobre 1896, il
s'est rendu à Beyla, notre poste extrême du Soudan, le
li février 1897. Son exploration qui n'a pas duré moins
d'une année s'est effectuée dans la région comprise entre
la République de Libéria, le ïfaoulé et les Etals de Kong.
Des péripéties qui ont accompagné son voyage nous
n'avons pas à parler, notre préoccupation devantôlre avant
lout de justifier au point de vue géographique la distinction
réservée par la Commission des prix à M. Blondiaux. Qu'il
MB U SOCIÉTÉ HE GÉ0GRÀP1
:ependant de dire que s
157
nous soit permis cependant de dire que son voyage ne fut
oi exempt de fatigues, ni exempt de dangers.
Le jeune officier auquel était assignée ia tâche de recon-
naître la ligne de démarcation entre les hauts hassins des
affluents du Niger et des fleuves côliers, à partir du fleuve
Sainl-Patil jusqu'au Handama bianc, devait se montrer
explorateur capable et documenté. Par lui l'hydrographie
et l'orographie du pays compris dans ces limites furent
révélées. Le rio Cavally, qu'on supposait être la principale
voie navigable de celte partie de la cote de Guinée, n'a ni
cette qualité, ni cette importance. Loin d'être un affluent
du Bandama rouge, la Sassandra ne fait qu'un avec le Féré-
dougouba distinct du Cavally et constitue l'artère fluviale
la plus considérable de ce système hydrographique.
Des constatations tout aussi nouvelles concernent les
affluents du Niger et en particulier la rivière Hafing, dont
les eaux sont séparées de celles du Férédougouba par une
chaîne transversale qui relie entre eus les massifs du Boo-
kolou et du Touradougou. D'ailleurs, le relief dans la
boucle du Niger n'a rien d'uniforme et les fameuses mon-
tagnes de Kong, tracées par l'imagination des géographes
en regard des hauts massifs de l'Afrique orientale, sont
remplacées par deux sortes de soulèvements 1res prononcés
"etorientés l'un du sud-ouest au nord-esj, l'aulredusud-est
au nord-nord-ouest, venant s'engager dans les plissements
de trois ou quatre nœuds orogra uniques. Ces chaînes n'étant
pas simples, mais érigées eu échelons ajoutent à la confu-
sion. Ainsi les hauteurs qui, de la Itépublique de Libéria, se
dirigent vers Tiolaet Sikasso rendent ia marche extrême-
ment pénible, bien que l'altitude moyenne soit seulement
de 500 mètres.
Ce simple exposé suffira, en l'absence d'un rapport spé-
cial, pour justifier le choix qu'a fait de M. Ëlondiaux la
Commission des prix, quand elle a discuté l'attribution du
Prii J.-tt. Morot.
RAPPORT SUR LES PRIS DÉCERHÉS
MM. II. DU L\ MARTIMiillK ET N. LACHOIX
Uédnille ■!■;>!- — Prix < 'onrnil Mallr-flrun
M. le prince Roland Bonaparte, rapporteur,
Lfl succès de l'expédition dirigée en 1830 par la France
contre le dey d'Alger fut, pour ta plus grande part, dû aux
soins qu'on avait mis à la préparer.
On avait l'ait choix de la presqu'île de Sidi Ferruch comme
point de débarquement parce qu'on en avait trouvé l'indi-
cation dans les travaux du capitaine de vaisseau Boulin, qui
remontaient à 1807. Cet officier avait été chargé par Napo-
léon d'explorer le littoral des Etats barharesques. Sa mission
avait été si complète qu'il avait même relevé l'itinéraire que
nos troupes devaient suivre pour marcher du point où elles
avaient mis le pied sur le sol africain jusqu'à Alger.
Aussi les auteurs du livre ' qui nous occupe constatent-ils
avec juste raison que la France recueillait ainsi, après vingt-
trois années écoulées, les fruits de la prévoyance de l'empereur.
C'est là, ajoutent-ils, un excellent exemple de ce que peut,
pour le succès des grandes entreprises, l'étude intelligente
des archives.
Or nous avons, à Theure qu'il est, épars dans les cartons
de divers services publics, mille renseignements, le plus
souvent inconnus, et qui rassemblés, comparés, mis en
œuvre, pourraient fournir des indications précieuses et
constituer, par leur réunion même, l'ensemble de documents
le plus utile à consulter sur toutes les questions qui inté-
ressent notre domination dans le nord de l'Afrique,
Il a donc paru nécessaire de les rechercher, de les com-
pléter et de les coordonner.
1. Documents pour servir à l'étude du nurd-oiiesl africain réunis et
rédigés par ordre de M. Jules Carntion, gouverneur généra! de. l'Algérie,
pat MM. II. d" Lï tUrttntère ei N. Laeroli. Gouvernement général de
l'Algérie, service des Affaires Indigènes, 18U-18S7, i vol. et un allas.
PAI» LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
!5S
Le gouverneur général de l'Algérie, M. Jules Cambon, l'a
pensé et c'est grâce à son initiative qu'a été publié le bel
ouvrage que noire Société récompense aujourd'hui.
Les auteurs, MM. de la Martinîère et le capitaine N. Lacroix,
ne se sont pas conteniez de publier à la suite les uns des
autres les documents manuscrits qu'ils ont extraits des
archives; ils les ont fondus dans une relation d'ensemble
où ils décrivent minutieusement le sol, les habitants qui
l'occupent, ainsi que leurs groupements politiques et reli-
gieux. A l'aide de publications plus ancienne?, ils ont com-
plété, éclairé et commenté celle niasse déjà considérable de
renseignements nouveaux.
Des reproductions de nombreuses caries ou croquis jus-
qu'alors inédits complètent ce grand travail. De fort belles
héliogravures nous font connaître par l'aspect les points les
plus intéressants du sol algérien. Le premier volume traite
des régions qui bordent la frontière entre l'Algérie et le
Maroc jusqu'au point où elle a élé délimitée, c'est-à-dire
jusqu'à Teniet Es Sassi, ainsi que de celles qui forment le
nord de l'empire chéri lien. Celte étude est continuée dans
le second volume qui traite uniquement de la contrée située
entre le Teniet Es Sassi et le Gourara.
Cette région frontière présente ce caractère singulier que
la frontière n'existe pas.
Les deux derniers tomes sont consacrés aux oasis saha-
riennes, connues généralement sous le nom un peu trop
généralité de Touat. L'intérêt politique qu'ils présentent à
l'heure actuelle est la conséquence même du progrès de
notre domination dans l'Afrique du Nord. Il y a peu d'an-
nées, on n'eût pas cru nécessaire d'aborder l'étude de ces
pays lointains.
Tel est le beau travail géographique qui a attiré L'atten-
tion de votre Commission des prix et pour lequel elle a
attribué la médaille d'or du prix Conrad Malte-Brun à MM. de
la Martinière et Lacroix.
160 RAPPORT SUR LES PRIX DÉCERNÉS
M. Marcel Monnier
Ni-ilalllu d'iiF. — Prix Dm !'•-- iniiv:
H. Henri Cordier. rapporteur.
Les membres de la Société ont connu M. Marcel Monnier,
voyageur en Amérique et en Afrique; aujourd'hui ils le
retrouvent (avec le même plaisir) en Asie. Parti le 11 no-
vembre 1894,11 n'est rentré qu'au mois de juillet 1898; pen-
dant ces quatre années, il a exploré le Cambodge, la Bassc-
Cochincbine, l'Annam, le Tong-king et la province chinoise
de Kouang-si (novembre 1804-juin 1895), Du mois de juin
au mois de septembre, il visite le Jiipon jusqu'à l'Ile sep-
tentrionale de "Yesso; il termine l'année 1805 en étudiant
Peking et ses environs. Les six premiers mois de l'année
1896 sont consacrés à la visite du Yang-tse et des provinces
limitrophes jusqu'au Se-Lchnueri, y compris sa capitale
Tching-tou et le mont Omei, décrit naguère par Baber,
Hosie et récemment par M. Bonin. Du Kiang, M. Monnier
se rend dans la capitale du Yun-nan, en passant à Tong-
tchouen où mourut Doudart de Lagrée et rentre au Tong-
king par la roule ordinaire de Man-hao, Mong-tse et le
fleuve Houge (décembre 1895-juillet 18%). Puis, nouvelle
campagne dans le nord de la Chine, au-delà de la Grande
Muraille: Kalgan, la passe de Nan-kiao et retour par Dolon-
nor et Djehol, célèbre résidence de l'empereur de la Chine.
où l'on se rappellera que Hien-foung s'était retiré au momi
des désastres de la campagne de 1800 (juillet-décembre
1896).
Une excursion dans la province maritime du Pou-kien
la vallée supérieure de la rivière Min. qui baigne l'arsenal
créé par nos compatriotes Pierre d'Aiguehelle et Prosper
Giquel, la continuation de l'exploration du Japon par la
visite de ta partie méridionale de l'archipel, c'est-à-dire de
on-
ne,
ent
bre
lel
nal
PAIt LA SOCIÉTÉ RE GÉOGRAPHIE. 161
Kiou-siou, et des îles Lieou-kieou, occupent les mois de
décembre 1806 a avril 1807. Noire voyageur parcourt un
itinéraire nouveau en Corée, de la mer Jaune à la mer du
Japon par la province de Kang-ouen-to et les monlagnes
Kioum-kan (avril-juillet 1897).
M. Monnier nous transporte ensuite dans la région du
(leuve Amour; débarquant à Vladivostok, il nous conduit à
Irkoutsk; de là à la frontière chinoise, àKiachta, et pénètre
en Mongolie, vers Ourga (juillet-août 18'.)"). Puis il dirige
ses pas vers la vallée de l'Orkhon, visite l'Erdeni-tso, em-
placement de la célèbre Karakoroum des Mongols gengis-
khanules, Kara-balgnsoun, capitale des Ouigours, but des
missions finlandaise et russe, Ou-lia-sou-tnï et Kobdo. De
ces dernières villes, il se rend à Semipalalinsk par un itiné-
raire neuf, les passes de l' Allai et !a vallée de la Kamoun,
source de l'Obi (août-oclobre 1897). La steppe kirghise.
Llssik-koul, sur les bords duquel est enterré Pijevalsky,
Tachkent, le tour du Ferganali, Samarcande, Boukhara.
Askiiabad, sont les étapes de noire voyageur jusqu'à la fron-
tière de Perse (octobre-décembre 1897). Puis commence
une exploration systématique de la Perse : d'Askhabad a.
Mecbed, de Meched à Téhéran, de Téhéran à Hamadan,
Kermancliab, Hagdad; du Tigre à l'Euphrale, tlilleh, Baby-
lone, Bassoiah, le golfe Persique, Bander Bonehir (décem-
bre-avril 1898). Du golfe Pcrsiqueil se rendait à la Caspienne
par Chiraz, Persépolis, Ispahau. Téhéran, Qasvin (avril-juin
1898).
M. Marcel Monnier rentrait en France par le Caucase et
la Russie en juillet 1898. II avait parcouru sur le continent
asiatique environ 32,000 kilomètres dont 10,100 a cheval.
Il a levé à la boussole, à l'échelle 1/48,760, un total de
13,581 kilomètres ainsi répartis : le Yang-tse de I-lehangà
Tchoung-king, itinéraire au Se-lcbouen, et du Se-lchouen
au lleuve Rouge, 2,700 kilomètres; en Corée, de la mer
Jaune à la mer du Japon, par le Kang-ouen-to, 500 kilornè-
169 RAPPORT SDH LES PRIX D*CK*KÉ3
rus: île Onrga. à Babjlonc, X,037 kilomètres; du golfe Per-
a Caspienne, 1,444 kilomètres.
ma ilii Temps ont eu le plaisir de lire quelques
ohftftlMB <ÏB 0* long cl fructueux voyage que ce journal a
US Le nom de Tour d' Asie ; s'ils ont pu être séduits
par le charme du style de l'écrivain, ils ont admiré le rare
esprit d'observation et la force d'endurance du voyageur.
i- le récit d'un globe-trotter, mais d'un explora-
teur expérimenté, et tel de ses itinéraires, la Corée, la Mon-
golie, et surtout la Perse, classe M. Marcel Monnier au pre-
mier rang des voyageurs asiatiques.
M. Hcmii Brbhibb
Frli Pierre l-'éllx I i..uiii.->
M. le lieutenant-colonel Prudent, rapporteur.
Ce prix se compose d'une médaille spéciale, due au talent
la M. Roty, et d'une somme de 1,000 francs, destinées au
meilleur ouvrage de géographie paru dans l'année.
Les suffrages de la Commission centrale se sont réunis
sur le beau livre qu'a publié et en grande partie rédigé
M. 11. Brenïer, sous les auspices de la chambre de com-
merce de Lyon, ouvrage ' qui porte le litre de : La mission
Iftiiunaist' d'exploration commerciale, en Chine, 1895-1897.
t Au lendemain de la guerre sino-jiiponaise et du traité de
Sîmonosaki (17 avril 1895) et en présence des problèmes
que ces deux actes posaient — dit M. H. Grenier dans
son introduction — l'utilité d'une élude plus approfondie
du gruud marché chinois, de ses ressources, de son avenir
apparaissait nettement. »
« Peu de personnes se souviennent sans doute que la
première mission commerciale sérieuse en Exlrême-Orienl,
I, Eitiu: ù Lyon meim>.
r-ÀR U SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
sérieuse à la fois par le nombre de ses membres et par
l'abondance des renseignements rapportés, a été une mis-
sion française, celle qui a accompagne M. de Lagrenée en
1843, il y a plus d'un demi-siècle, s
C'est un grand honneur pour la chambre de commerce
de Lyon d'avoir, après un si long espace de temps, imité ce
très louable exemple, et d'avoir ainsi mis en pratique le
principe du « self helft (aide-loi) » qui domine l'esprit rie
cette grande cité ; après avoir sollicité et oh tenu la partici-
pation des principales chambres de commerce françaises,
celles de Marseille, Bordeaux, Lille, Roulais et Roanne,
elle constitua, sous la direction de M. le consul Rocher, une
importante mission composée de spécialistes, MM. Bre-
nier, secrétaire général, Antoine, Métrai, Duclos, Sculfort,
Grosjean, Rabaud, Vial, Wacles et Riault, auxquels fut
adjoint, avec l'agrément du ministre de la marine, M. le
médecin de première classe Détienne. Mais, peu après l'ar-
rivée en Chine rie la mission, M. le consul Rocher, malade,
dut rentrer en France, et la direction échut à M. Brenier.
L'œuvre de la mission qui a parcouru le Tnnkin, le Yun-
nan, le Kouï-tchéou, le Se-tchouan, le Tibet en partie et
visité Hong-kong, Canton, Han-k'éou, etc., s'accomplît à
souhait et les résultats en furent immédiats; tels l'ouver-
ture au commerce européen de douze nouveaux ports
chinois, et la construction ou concession de nombreuses
voies ferrées, impulsion dont l'effet s'accroît de jour en
jour.
L'examen du livre dans lequel M. H. Brenier a publié
ses rapports ainsi que ceux de ses collaborateurs échappe-
rail à la compétence de la Société de Géographie, si cette
œuvre ne renfermait que des renseignements commer-
ciaux; mais plus de la moitié en est relative à des faits
purement géographiques : règle de transcription des noms
chinois, renseignements sur l'administration, les poids et
mesures, éphémérides de !a mission, caries très claires,
164 BAI'POriT SUR LES PRIX DKCEIINÉS
dressées par M. H. Brenier lui-même, parfois avec les levés
ou renseigncmenls rapportés par les membres rie la mis-
sion, récils de voyage surlout, dus au même, d'un haut
intérêt, abondamment pourvus de belles photographies, pit-
toresques ou piquantes, plein d'anecdotes le plus souvent
humoristiques, parfois dramaliques aussi, et, enfin, de la
plume du Dr Deblenne, contribution à l'ethnologie des races
autochtones de la Chine méridionale et occidentale.
Les rapports commerciaux et relalifs aux ressources mi-
nières sont dus pour la plupart à M. H. Brenier et, pour le
surplus, aux autres membres précités de la mission.
Le livre de la mission lyonnaise est donc une œuvre pri-
mordiale, non seulement au poinl de vue commercial, mais
aussi à celui de la propre science géographique :1a Société de
Géographie, en allrihuan Là son principal auteur, M. H. Bre-
nier, le prix P. Pélix Fournier, et en offrant à ses compa-
gnons des médailles commémoratives, croit avoir répondu
exactement à la peusée du fondateur, très heureuse de
donner celte marque de sympathie à la chambre de com-
merce de Lyon et de signaler en même temps un acte
d'excellente et fructueuse décentralisation.
M. GEOitgiis Eugène Soion
Médairie d'or. — Prix Léon ■tnrem
H. Ca.spo.rl, rapporteur.
La Cechinchine française est principalement constituée
par le délia du Mékong. Dès les premiers temps de l'occu-
pation, l'imporlance de cette voie, tant pourles communica-
tions intérieures que pour les relations avec le Cambodge,
le Laos et la Chine, s'imposa à l'esprit des gouverneurs. A
partir <le 18(>3, les ingénieurs hydrographes Manen, Vida-
lin, Héraud, el fous ceux qui les suivirent, étudièrent dans
les plus grands détails les embouchures el le fleuve jus-
PAR LA SOCIÉTÉ DE GEOGRAPHIE.
165
qu'ans rapides de Sambor qui marquent les limites de
la navigation cou m n te. Doudarl de la Grée et F. Gar-
tner le remontèrent ensuite jusqu'en Chine, et en firent
un relevé exact; mais Garnier estimait que les nombreux
- qui constituent, autant de barrages à partir de
Sambor interdisaient de songer à l'utilisation de cette
raie pour la navigation. Cette opinion prévalut jusqu'en
1885, époque à laquelle le commandant lléveillère eut
la hardiesse de franchir avec une canonnière les rapides
de Préapalang. Le branle était donné; successivement
MM. de Fésigny, Heurtel, Guissez, Pelletier et Robaglia
répétèrent l'expérience, et on arrivait aux rapides de Khône.
Ici l'obstacle semblait infranchissable. 11 l'était, en effet,
avec les faibles bâtiments de rivière dont on disposait.
Aussi, au mois de mars 1893, le gouvernement décida, sur
l'initiative de M. Delcassé, sous-secrétaire d'Etat aux colo-
nies, « de faire lancer et naviguer sur le haut Mékong deux
canonnières fluviales destinées à montrer le pavillon et àfaire
acte de souveraineté de la Franne sur les eaux du grand
fleuve au-dessus des chutes de Khône et, sur les territoires
laotiens de la rive gauche, s'opposer aux empiétements des
Siamois, et ouvrir cetle immense voie fluviale à notre civi-
lisation, en reconnaître aussi haut que possible la navigabi-
lité, en étudier le régime, et, par des levés rigoureux, en
préciser l'hydrographie et l.i navigation ».
Les canonnières La Grandière et Massie furent con-
struites dans ne but, capables de filer 11 nœuds; on y joignait
la chaloupe Ham Luong.M. le lieutenant de vaisseau Simon
fut chargé de la direction de la mission, ayant sous ses
ordres les enseignes de vaisseau Le Vay' et Henri Pi, et
l'aspirant Le Blévec. Montées à Saigon, les canonnières
gagnent Khône par leurs propres moyens, y sont démontées
1 Un exemplaire en argent du prix Devez a été attribué à M. Le Vay
lihur la part qu'il a prise ans travaux do la mission hydrographique du
Sékong- ni à l'éiablisseiiienl de la cane.
SOC. DE GÉUGH. — 2" TRIMESTRE 18S9. XX. — 13
106 RAPI'OUT SU1I LES PRIX UÉCEHNÉS
fit transportées par un chemin de fer de 5 kilomètres dans
le liief supérieur où elles flottent le 31 octobre 1893. Ce bief
est exploré jusqu'à l'embouchure de la Sémoun où com-
mence une série de 150 kilomètres de rapides, le défilé de
Kemmarat. Le Massie les franchit, non sans peine, et arrive
le 26 février 1894 au confluent de la Se-bang-hien, puis le
31 mai dans le bief supérieur; après une reconnaissance
rapide du cours de la basse Se-bang-hien, le La Grandière
ne rallie le Massie à Thakek que le 21 novembre.
On est arrivé à Vien-tiane le 26 juin, et l'année 1894 a
été consacrée à la reconnaissance du hier de Bassac.
En février 1895, M. Simon fait en pirogue une reconnais-
sance du chenal tortueux entre Vien-tiane et Luang-pra-
nang, et Se 1" septembre de la même année le La Gran-
dière salue la terre de Luang-prubang, où il est accueilli
« avec surprise et enthousiasme ». Enfin, il va montrer le
pavillon jusqu'à Tang-ho, en pays Shan, à 2, 500 kilomètres
de la mer et 400 mètres d'altitude; la mission finissait le
16 janvier 18116. Le La GrandUre avec M. Simon avait
parcouru 10,486 kilomètres. Malgré des difficultés de tout
ordre, la mission avait complètement réussi; on en jugera
par la publication qui vient d'eire faite des cartes hydro-
graphiques :
1" partie, de Don-eau à Don-khone-kong, 4 caries d'en-
semble ; 30 cartes de détail au 1/3(1,000.
2' partie, de Don-kbon*-kong à Luang-prabang, 1 carte
d'ensemble; 7 cartes de détail au 1/50,000.
3° partie, de Xîeng-kong à Tang-ho, 4 caries au 1/30,000.
Enfin 7 planches donnent les courbes représentatives du
niveau du fleuve aux stations de kliône, Bassac, Muong-
kong, Kemmarat, Thakek, Vien-tiane, Luang-prabang et
2 planches résument toutes les observations météorolo-
giques. Ces cartes sont très claires et présentent tous les
détails qui peuvent intéresser la navigation. Les circon-
stances politiques, les difficultés de la navigalioq et du
PAR LA SOCIÉTÉ DE UÉOGFtAPHIE. |I17
ravi lai llenicnt n'ont pas permis, de consacrer au travail
hydrographique tout le temps dont on disposait : les chro-
nomètres, avariés dans le trajet de France en Cochinchine,
n'ont pas donné la précision qu'on en attendait. Néan-
moins, en s'aidant des déterminations de G armer, en les
complétant par de nombreuses observations de lalitude, en
mesurant des bases et établissant des triangulations par-
tielles, on est arrivé à représenter avec toute la (Idélilé
désirable le tracé du grand Qeuve qui constitue la principale
artère de nos possessions de l'Indo-Chine. Ce résultat fait
le plus grand honneur à M. Simon et à ses collaborateurs.
|**~e à lui, comme le rappelait M. Bouquet de la Grye, le
>og est devenu une voie française, une voie pratique,
d'autres pourront franchir et qu'ils s'apprêtent à
;hîr( portant avec eux le nom français et l'influence
;aise.
>tre commission a pensé qu'un travail hydrographique
uté avec tant de soin, dans des conditions aussi excep-
„„uae))es et au milieu de difficultés toutes particulières,
méritait d'être distingué, autant comme une importante
contribution à la géographie que comme une cause d'ac-
croissement de notre puissance coloniale; elle décerne le
prix Devez h M. Simon.
.
H. Frederick il- Jacksq»
Méilniilr d'»r. — prix de lu ■!•>•,
Le 30 août 1873, l'expédition du Tegethoff, loujours rivée
au glaçon avec lequel elle dérivait depuis un au, découvrait
ia Terre François-Joseph, et. au printemps suivant, Payer en-
treprenait une longue reconnaissance vers le nord à tra-
rchïpel. D'après les levés de cet explorateur, la
Terre François-Joseph se composait de deu« masses ronii-
168
RAPPORT SUR LES l'dlX DÉCERNÉS
nentales séparées par un fjord, et, d'après ses observations,
atteignait une grande extension, dans la direction du nord.
En 1879, deux expéditions montées sur de petits voiliers,
celle du Willem Barents, commandée par le lieutenant De
Bruyne, et celle de YJsbjOrn, dirigée par le commandant
A. H. Markham, réussirent, dans la première quinzaine de
septembre, à arriver en vue de ce prétendu continent arc-
tique que, six ans auparavant, les Autrichiens avaient trouvé
entouré de banquises impénétrables. L'année suivante,
M. Leigh Smilh fut encore plus heureux et reconnut une
ligne de eûtes longue de 110 milles à l'ouest du point
extrême que les précédents voyageurs avaient atteint dans
cette direction. En 1881, M. Leigh SmilL revint à la Terre
François-Joseph, mais cette fois le succès ne répondit pas
à ses efforts. Son navire fut brisé par les glaces et ses re-
cherches furent par suite limitées aux environs du havre
d'hivernage.
Comme Payer, Leigh Smith semble croire à l'extension
de la Terre François-Joseph vers le nord1. La rencontre
à'icebergs s'élevanl à 50 ou 10 métrés au-dessus du niveau
de la mer lui faisait supposer l'existence d'une très vaste
étendue de terre soumise à la glaciation dans ces parages.
A cette époque, à la suile des insuccès éprouvés par les
expéditions qui avaient essayé d'avancer sur les hanquises,
les explorateurs arctiques pensaient que ie seul moyen
d'alteindrc une haute latitude était de suivre une terre
s'étendant vers le nord. Aussi bien, la Terre François- Joseph
fut-elleconsidérée comme un excellent pointde départ pour
une marche vers le Pôle, cl tout le monde admettait qu'elle
conduirait très loin vers le nord.
A M. Frederick G. Jackson était réservé l'honneur de
résoudre cet important problème de géographie. Grâce à la
1. C. R. Markham, The Voyage of ihe Eira und M. Leigh Smith's Arc-
ïic lliscovtrits in tSSO, in Proceedlnçt of tht li. Geographictit Society.
Londres, 1881, 111,3, p. 186.
PÀtt LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRÀPU1E. ItiO
libéralité de M. Alfred G. Harmsworth, ce voyageur put
organiser une expédition parfaitement équipée, composée
de plusieurs naturalistes et disposant d'un bâtiment appro-
prié à la navigation arctique, et, au commencement de
septembre 1804, celte mission vint s'établir au cap Flora, à
l'extrémité méridionale de la Terre François-Joseph. Avec
une persévérance dont on ne saurait trop faire l'éloge,
M. Frederick Jackson est demeuré quatre ans de suite au
milieu des glaces polaires, et, pendant (oui ce temps, lui et
ses collaborateurs ont appliqué leur énergie à l'étude mé-
thodique d'une portion de la zone arctique.
Ces efforts ont abouti à des résultats considérables.
M. Jackson a reconnu que la Terre François-Joseph, loin
de former une masse continentale irès étendue vers le nord,
comme on le supposait, constitue simplement un archipel
de petites îles, large tout au plus de 250 kilomètres, A
l'ouest de l'Austria Sound, sur l'emplacement de la Terre de
Zichy, ce voyageur a découvert un grand fjord ouvert vers
1c m ird. De plus, M. Jackson, après avoir atteint les limites
de cet archipel vers l'ouest, a constaté l'absence d'Iles entre
la Terre Aiexandra, la plus occidentale de cet archipel, et le
Spitsberg oriental. Les levés de l'expédition anglaise com-
plétés par ceux de Nansen dans le nord-est ont donc tota-
lement modifié la configuration que les cartes donnaient à
la Terre François-Joseph.
Non moins que la géographie, les sciences physiques et
naturelles ont été enrichies de précieux documenls par la
mission de M. Frederick Jackson. Par les soins du lieutenant
Armitage,des observations météorologiques et magnétiques
ont été exécutées régulièrement pendant quatre ans au cap
Flora. Leur comparaison avec celles effectuées simultané-
ment par l'expédition du Fram à une latitude plus septen-
trionale permettra de suivre le processus des phénomènes
atmosphériques dans une partie de la zone polaire. A ce
point de vue, l'expédition anglaise aura rendu à la science
170 tUI'l'OUT SUH LES l'IUS DÉCEItNES
un service dont l'importance n'échappera à personne. En
même temps, MM. Harry Fislier et W. S. Bruce étudiaient
la flore et ta faune de la Terre François-Joseph, tandis que
!e médecin de l'expédition, le ûr Ileginald Kcetlitz, em-
ployait les nombreux loisirs que lui laissait l'exercice de sa
profession a l'exploration géologique de l'archipel. Les îles
de ta Terre François-Joseph, constituées par des nappes de
basalte reposant sur des as-sises jurassiques, sont les débris
d'en vaste continent aujourd'hui en grande partie disparu.
Le D1' Nathorsl a observé la même série de formations à la
Terre du Moi-Charles, au Spitsberg; il n'est donc peut-
être pas téméraire d'étendre jusqu'à ce dernier archipel les
limites occidentales de cette ancienne masse continentale
dont i! ne subsiste plus actuellement que des témoins.
L'âge des basaltes de la Terre François-Joseph a soulevé de
nombreuses discussions; d'après M. H. Kœllilz, ces épnn-
chemenls se seraient produits pendant le jurassique.
Par toutes ces recherches, M. Frederick G. Jackson a
considérablement ajouté à nos connaissances dans une r
gion arctique demeurée jusqu'ici en dehors des investig;
tions, et à l'unanimité notre Commission des prix lui a atlr:
bué le prix La Roquette.
M. Jeas Emile Delàcnk
Mrilnille il'or. — I*rl\ i:.li;,iil
M. GasjHirl, r;i|4)nrieur.
L'essor des éludes géographiques qui caractérise noire
siècle s'est manifesté par une production extraordinaire de
publications cartographiques. Les journaux de toute espèce
en offrent couramment à leurs lecteurs, et rien sans doute
n'est plus propre à faciliter l'intelligence des événements de
toute sorte qui se passent sur la surface du globe. Les
exigences de la publicité ont forcé les géographes à se mettre
PAIt LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 171
en quête de moyens nouveaux, rapides et économiques, et
l'on ne peut qu'admirer les résultats obtenus dans cctlevoie.
Mais ces productions éphémères sont en rapport avec le
caractère provisoire des informations qu'elles représentent :
on ne travaille plus guère pour l'avenir, le document est noté
au jour le jour; il est remplacé le lendemain par un docu-
ment nouveau, aussi hâtif et aussi peu durable. Autrefois
on considérait la Terre comme quelque chose d'immuable :
une carte était un monument définitif, et les artistes gra-
veurs lui imprimaient ce cachet par la manière même
dont ils travaillaient le cuivre, par leurs tailles profondes
qui excluaient toute correction. Envisageant au contraire la
Terre comme un organisme soumis à un changement continu
et perpétuel, nous aurions mauvaise grâce à nous plaindre
si les productions actuelles reflètent celle conception nou-
velle: il nous est pourtant permis de regretter la rarelé
croissante du beau spécimen de gravure cartographique.
Le graveur consciencieux comprend que son travail ne doit
pas être de la fantaisie, mais une représentation rigoureuse
de la réalité; mais il sait en même temps que son œuvre
doit avoir un cachet artistique, qu'il y a manière d'inter-
préter la nature tout en lui restant absolument lidèle. La
réunion de ces qualités est rare, et, d'ailleurs, la gravure des
cartes ne conduit ni à la fortune ni a la gloire. Ne devons-
nous pas d'autant plus de reconnaissance aux travailleurs
que n'entraîne pas legoùt d'un gain facile et rapide, qui con-
sentent encore à user leurs yeux et leur santé à fouiller le
cuivre poury tracer lentement des documents qui resteront,
et à former des élèves pour garder ces austères traditions?
M. Delaune est de ceux-là, et l'histoire de sa vie se résume
dans les planches qu'il a exécutées, el dans les élèves qu'il
a formés. Élève lui-même de Gérin, il débute avec son
maître par les cartes de France au Dépôt de la guerre; on lui
doit les feuilles de Tarbes, Quillan, etc. Il entre ensuite chez
Collin, graveur de la marine, en -1868, pour y commencer la
RAl'i'OHT *L"K VUS PRIX DKCERSÊS
imwareei de Vivien de Sainl-Martin et de
... .iu M. l-'.Schrader, édité par la maison Hachette.
En même Urnps. il commence à graver des cartes hydro-
gnptuques.
.1 succède à son maîlre et ami, et depuis celle
■■ iiiinue la grav lire de ce m6me allas et celle des
i.iiiits hydrographiques. Nous ne saurions Faire ici le compte
mbeetiz travaux. Citons seulement :
La belle carte générale de la Guadeloupe et plusieurs
i,u tes particulières de cette colonie;
nie partie des cartes de l'Annam, duTonkin, de
.,', de lu Tunisie;
La réfection des cartes de la côte de France renduenéces-
saire par l'usure des cuivres ;
i, ilin, fi tout dernièrement, la magnifique carie de la
fnTMirTU dix feuilles enlièremenl terminée, sauTIa carie d'en-
semble qui sera prête à la lin de celle année.
Lju productions de M. Delanne sont caractérisées par le
l'iu du travail, par la reproduction stricte et exacte des
originaux, qui n'exclut pas une interprétation artistique :
i'lk'5 oui valu à leur auteur l'estime et l'admiration des
. ,'ini;u--i'iiis. Voire Commission a voulu reconnaître à son
lour les mérites de ce travailleur consciencieux en lui altri-
|.ii:ml la médaille d'or du prix Erhard.
Mme Isabelle Massieu
l.vmiji' inrilnlllr d'urgent. — Prit Al|il>nu-<- <lr Woinlurot
St. Alli. lin [.apparent, île l'Insiikit, rapporteur.
Pu l'attribution du prix Alphonse de Montherot â
.M 1 1 n ■ llfcbolle Massieu, la Commission n'a pas seulement
voulu marquer la sympathie que lui inspire l'inlrépidilé
il'inu' voyageuse qui ne craint pas d'affronter des faligues et
n auxquels son sexe n'a pas coutume de s'exposer.
: GÉOGRAPHIE.
C'est un véritable mérite d'exploratrice que la Commission
a prétendu consacrer,
Après s'être fait connaître par un premier voyage au
Tibet et aux Indes ; après avoir visité la Cochinchine et le
Cambodge en compagnie du regretté gouverneur général
Rousseau, Mme Massieu a exécuté, de 1896 à 18117, un voyage
de quinze mois, qui l'a conduite successivement a travers
la Birmanie, les Etats Chans, le Laos, le Tonkin, la Chine,
le Japon, la Mongolie, la Sibérie, les steppes kirghiz, le
Turkestan, la Caspienne et le Caucase.
La partie la plus intéressante de son expédition est la
traversée des Etats Chans, par celte route de Taungay
à Xieng-long, qu'aucun Français n'avait parcourue avant
elle, et qui est particulièrement difficile aux abords de la
Salouen. Mme Massieu y a réuni d'intéressantes observa-
tions, tant sur le paysage et sur les mœurs des populations
que sur la grande habileté avec laquelle la colonisation bri-
tannique y est conduite.
Le caractère particulier des explorations de Mme Massieu
consiste en ce que les dil'licultés semblent vraiment s'éva-
nouir sur son passage. Partout elle est bien accueillie;
même les fonctionnaires étrangers mettent à son service un
empressement dont, peut-être, ils seraient plus avares
envers des hommes. «J'ai toujours vu, écrivait-elle un jour,
que les voyages sont bien plus aisés qu'on ne pense, s Et de
fail, tandis qu'elle supporte allègrement les privations et les
fatigues, sa bonne grâce lui concilie le concours des indigènes
de tout ordre, respectueux du rare exemple qu'elle donne
et conquis par l'aimable humeur qui ne l'abandonne jamais.
En même temps que ses voyages profitent à la géographie,
la façon dont elle les exécute laisse, parmi les populations
traversées, une impression de sympathie tout à fait favo-
rable au bon renom de la France. Ce n'est que justice de le
reconnaître en attribuant à Mme Massieu une des récom-
penses dont dispose notre Société.
174 1UPP0HT SDR LES PRIX OÉCERNÉS
M. Jean Marc Bel
j.tJinilc nipilallle l'uriml. — I*rii J. Jniuapn
M. Cil. Maunoir, rapporteur.
La médaille d'argent du prix Janssen fut instituée en
1896 comme récompense à décerner au voyageur qui au-
rait recueilli le plus d'observations scientifiques suivies.
M. Janssen, fondateur du prix, a entendu encourager les
déterminations d'ordre précis, susceptibles d'être fixées par
des mesures. Elle avait été jusqu'ici attribuée aux auteurs
d'observations astronomiques ou hypso métriques.
Cette fois-ci, laCommission des prix a distingué un voyageur
dont les travaux sont plus spécialement du domaine de la géo-
graphie physique. Le lauréat, M.Jean Marc Bel, ancien élève
de l'Ecole polytechnique, ingénieur civil des mines, a visité,
de 1880 à 1897, Saint-Domingue, les États-Unis et le Canada,
]'Urugu;iy, la Guyane et le Venezuela, le Chili et la Bolivie,
le Transvaal, le Siam, la Sibérie occidentale, l'Annam et
le Laos. Ses longs itinéraires, relevés sur la majeure partie
du trajet à la boussole et au baromètre, l'ont conduit
surtout dans des contrées minières dont il a scruté le sous-
sol. A ses recherches de géologie appliquée, a l'examen de la
valeur économique des minéraux utiles, M. J. M. Bel a voulu
.ajouter des recherches de science pure. Outre les échantillons
exigés p.ir sa tâche spéciale, il a recueilli et classé méthodi-
quement de nombreux spécimens de roches, de minéraux, de
rainerais dont il a repéré avec soin le gisement sur le tracé
de ses lignes de route. Il a mesuré avec un soin extrême les
directions et inclinaisons des terrains, déterminé autant
que possible l'étendue des gisements, observé le caractère
général des systèmes montagneux. Nous lui devrons aussi
des constatations originales comme celle de gisements de
protogine analogue à celle du Mont Blanc, entre Menam
PAU I.A SOCIÉTÉ HE GÉOGRAPHIE. 175
et Mékong, au voisinage du niveau de la tuer; comme la
découverte de giles li Ioniens aurifères dans le bas Laos.
Ainsi pendant plusieurs années, avec une compétence
reconnue, M. J. M. Bel a réuni des éléments précis pour la
connaissance des contrées qu'il a parcourues. L'École
nationale des mines et le Muséum d'histoire naturelle ont
reçu, pour leur part, des collections dont la valeur scien-
tifique suffirait à justifier les missions accordées à M. Bel
par le Ministère do l'Instruction publique. tën dehors des
recherches géologiques, M. Bel, avec le concours actif de
Mme Bel, compagne d'une partie de ses voyages, a enrichi
(e Muséum d'une intéressante série d'objets d'histoire
naturelle.
La Commission des pris, avant constaté que M. J. M. Bel
a apporté à ses recherches la continuité, la rigueur de mé-
thode qu'exige la science, lui a décerné la médaille d'ar-
gent du prix Janssen.
M. Léon Darragou
t.rnml.- médaille «l'argent. — ITH f-hnrlp» «ni
11. If D' [lamy, de l'Inslitu!, rapporteur.
La Commission des prix a décerné à M. Léon Darragon
le prix Ch. Grad.
Le jeune voyageur, parti pour l'Abyssinie avec de minimes
ressources, en janvier IX'.H, était arrivé à la capitale de
Ménélik après de longues tribulations le 1 mars de la même
année. A Addis-Ababa, M. llg, conseiller de Ménélik, puis
le négus lui-môme, voulurent bien s'intéresser à ses pro-
jets de pénétration dans le sud de l'Ethiopie. 11 fut chargé
de conduire au Uurena, à l'est du lac Rodolphe, une expé-
dition abyssine commandée par le fltworaré Gheorgues.
M. Darragon réussit ainsi à parcourir les montagnes qui
ne
RAPPORT SUIS LES FBIX DÉCERNÉS
encadrent les lacs Pagadé et Tchamo, à des alLiludes qui
atteignent jusqu'à 3,500 mètres. Au cours du voyage effec-
tué presque constamment dans des conditions fort pénibles,
sous des pluies continuelles, le voyageur a relevé avec une
application digne d'éloges de longs itinéraires, en utilisant
de son mieux les Faibles moyens dont il disposait.
Anl. d'Abbadie, en 1848, M. Borelli, quarante ans plus
tard, avaient signalé les premiers le lac Pagadé ou Abhala
dont M. Darragon nousa rapporté une étude plus complète.
C'est ce même lac, auquel nous conservons se* noms indi-
gènes, que l'expédition italienne defJoltego, venue après ces
voyageurs français, a cru pouvoir se permettre de debap-
Liser en lui donnant le nom de Hegina Marghareta.
M. Léon Darragon, qui avait déjà eu maille à partir avec
les Danakils eu allant de Djibouti à. Addis-Ababa, est tombé
de nouveau entre les mains de Tembako, chef des Waïmas,
comme il retournait à la mer. Il n'a dû sa liberté qu'à l'étal
de guerre qui dure encore entre Danakils et Comalis et
grâce auquel il a pu s'échapper en sauvant les notes et les
caries, dont l'examen a décidé notre Commission des prix à
lui attribuer la médaille du prix Charles Crad.
M. Lons Duparc
tiraadi- médaille d'argent. — Prix William HiiIiit
M. Alti. un [.appariai, de l'Institut, rapporteur.
Depuis plusieurs années, M. Louis Duparc, professeur à
l'Académie de Genève, consacre la meilleure part de son
activité à l'élude du Mont Blanc. En collaboration, tantûl
avec M. Rilter, tantôt avec al. Mrazec, tantôt avec M.Joseph
Vallol, il s'applique à recueillir et à étudier le plus grand
nombre possible d'échantillons pris dans ce massif.
Sous leur apparence presque exclusivement pélrogra-
phique et géologique, ces recherches ont une importance
I>An LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 177
géographique qu'on ne saurait méconnaître; non seulement
parce qu'elles réclament l'exploration systématique et
Maillée de parties habituellement négligéesdes alpinistes;
mais aussi parce que leur résultat est de modifier notable-
ment ta conception qu'on s'était faite de la structure du
missif, en fournissant la raison de quelques-unes de ses
particularités les plus caractéristiques.
En effet, le Mont Diane a été longtemps considéré comme
un culot d'une roche érupttve appelée protogîne, laminé
p:n TcUort qu'il aurait subi en crevant une boutonnière de
l'tcorce terrestre. Les bancs engendrés par ce laminage se
«raient ensuite renversés dés deux côtés vers l'extérieur,
rnmme font les éléments d'une gerbe serrée en son milieu.
Ainsi serait née la célèbre structure en. éventail, jusqu'ici
regardée comme propre au massif du Mont Blanc.
Or, il a sufti des recherches détaillées dont il vient d'être
question pour modifier du tout au tout cette manière de
loir. En réunissant à ses échantillons ceux que M. Vallot
ivi.it récoltés dans ses nombreuses courses en vue de la
carte du Mont Blanc, M. Duparc a pu montrer que la pro-
lugine n'était pas le seul élément constituant du massif.
En plus d'un point, le microscope révèle l'existence de
schistes, dont quelques-uns sont assimilables à ceux du
terrain houiller des Alpes. Ces schistes formaient originai-
rement une série de plis, tous couchés au nord-ouest. La
structure en éventail est une fausse apparence, exclusive-
ment propre au chemin suivi pour ia descente en Italie, et
résultant de ce qu'une poussée locale au vide a, sur ce
pnînt, rebroussé la tète des bancs. En outre, les schistes,
plus tendres que la protogîne, ont été plus facilement
mievéa par l'érosion, et plusieurs des profondes échan-
crures du massif marquent justement la place que ces
schistes occupaient dans l'origine.
Le résultat définitif de ces recherches, après avoir fait
l'objet de communications de MM. Duparc et Vallot à l'Aca-
_
178 RAPPORT SUR LES PRIX DÉCERNÉS
demie des sciences, vient d'être résumé dans un grand
ouvrage, rédigé en commun par MM. Duparc et Mrazec. Le
côté géographique n'y est pas négligé, et une suite de pho-
tographies très heureusement choisies permet de saisir d'un
coup d'œil l'influence exercée, sur la forme des arêtes, par
la nature et la structure des roches.
Si nous ajoutons que M. Duparc s'est signale aussi par
d'importantes observations sur les Alpes transylvaines, où,
en compagnie de M. Mrazec, il a signalé des formes topo-
graphiques qui révèlent d'anciens glaciers, on jugera sans
doute qu'en proposant de lui attribuer la médaille William-
Huber, la Commission a Fait un choix absolument conforme
aux intentions qui ont présidé à la fondation de ce prix.
IIév. Pèbe J- H. Piolet
Médaille d'argent de In Hacléle
M. A. (irandiilier , île l'inslittii, rapporteur.
Le Rév. Père Piolet, ancien missionnaire à Madagascar,
a publié plusieurs ouvrages sur ce pays, notamment Mada-
gascar, sa description et ses habitants et Madagascar et
tes Ilova. On lui doit aussi diverses brochures intéres-
santes : 1rs Habitants de f'Imrrina, l'Armée nova, l'Escla-
vage à Madagascar, la Colonisation à Madagascar, la
Culture du caoutchouc, etc. Ces livres et notices, écrits
avec conscience après des recherches laborieuses et intel-
ligentes, remplissent parfailement le but que s'est proposé
leur auteur de laire connaître, apprécier, aimer la grande
lie africaine. Le P. Piolet, en les publiant, a rendu service
à notre nouvelle colonie.
Le P. Piolet a fait, en outre, a la Sorbonne, en 1898, douze
leçons sur Madagascar, son état actuel et ses ressources ;
ces leçons, qui ont élé suivies par un auditoire nombreux
et attentif, OBI eu leur utilité, et on doit lui savoir gré
PAJl LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 179'
d'avoir, sous les auspices de l'Union coloniale française, mis
te public au courant du passé, dn présent et de l'avenir de
notre nouvelle colonie.
La Société est heureuse de récompenser cet ensemble de
travaux, en décernant au P. Piolet une de ses médailles.
d'argent.
M. Jules Caiviéhr
Médaille d'argent dr lu Sorlôlé
M. A. Graadidier, >!•■ rinsliti.it, rapporteur.
M. Jules Gauvière a publié, sous le Litre ta Provence et
ses voies nouvelles, une série d'études historiques et géo-
graphiques sur le sud-est de la France. Il ne faut point cer-
tainement chercher dans cet ouvrage la part de découvertes
qui se trouve dans ceux des explorateurs en pays lointain
que nous venons de récompenser; ces récits d'excursion sur
le littoral méridional de notre pays, où l'on trouve l'accent
ries impressions personnelles de l'auteur, ne sont pas, ce-
pendant, sans nous apprendre du nouveau, en vulgarisant
îles détails qui sont enfouis dans des ouvrages peu connus.
H. Cauvière a mis, en effet, à contribution les histoires
locales et les travaux techniques, et son livre, écrit d'un
alerte et qu'illustrent de jolies gravures, non seule-
ment intéresse le lecteur, mais l'instruit aussi bien en his-
toire qu'en géographie.
Lu Société lui décerne une de ses médailles d'argent.
M. Y'.ym.i: HivSCHAMPS
Médaille d'argent de In Kurlélé
SI, \, Crandidier, de l'Institut, rapparient.
M. Emile Deschamps a publié un certain nombre d'ou-
vrages de vulgarisation (lels que la Vie mystérieuse des
180 rapport sur les prix décernés
mers, etc.), et plusieurs carnets de voyage sur lesquels il a
jeté au courant de la plume ses souvenirs et impressions,
Au harem, Au pays d'Aphrodite (Chypre), Au pays des
Veddas (Ceylan), C'est ce dernier ouvrage qui a fixé, d'une
manière plus particulière, l'attention de la Commission des
prix.
Ce livre n'ii pas la prétention d'apprendre du nouveau
sur Ceylan, mais il n'en instruit pas moins le lecteur. On y
trouve la description Tort intéressante de l'intérieur de cette
île que l'auteur, chargé d'une mission scientifique par le
Gouvernement français, a parcouru et étudié avec soin; il
nous met au courant des anciennes lois kandyennes, et il
nous raconte les mœurs des Rhodias, ces parias tenus si
sévèrement depuis des siècles à l'écart des autres Singalais,
ainsi que celles des Veddas, qui sont les aborigènes de
l'ile; après avoir rapporté quelques-unes des légendes lo-
cales, i[ donne l'histoire sommaire de Ceylan et décrit les
belles et remarquables ruines des anciennes cités qui y
Ilorissaient avant l'ère chrétienne.
La Société de Géographie décerne à M. Emile Des-
champs l'une de ses médailles d'argent.
. Arthur Halotet
Pris Jihiitiird
M. A. Grandiilie
l'Iitstiiiii, rapporteur.
M. Arthur Malolet, professeur d'histoire au lycée de
Valenciennes, a présenté, comme thèse de doctorat devant
la Faculté des lettres de l'Université de Paris, un ouvrage
intitulé : Etienne de Flacourt oit les origines delà coloni-
sation française à Madagascar de 1641 à 1661, volume de
340 pages, où il a fait l'élude approfondie de la vie et du
rûle de l'ancien gouverneur de Port-Dauphin.
11 a d'abord, dans une introduction d'une centaine de
PAU LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 181
pages, ënuniéré les immigrations malaises, africaines et
arabes et retracé les premières explorations des Portugais,
île» Anglais et des Français à Madagascar, el il a résumé
l'état de nos connaissances sur cette île vers 164**.
11 a eusuite mis eu lumière l'origine de Flaeourt, sou
éducation, ses débuis, son caractère, ses projets et ses
moyens d'action, et il a l'ait l'histoire complète de son gou-
vernement de HiH à 1655, qui comprend trois périodes : les
préliminaires de la conquête (du i décembre 1648 au 2° mai
1660); la lutte contre les indigènes (du 29 mal 1650 au
22 décembre 1653), el la période de pacification apparente
(du 22 décembre 1653 au \-2 février 1655).
Le volume se termine par un chapitre où l'auteur expose
en détail l'œuvre scientifique et coloniale de Flaeourt.
C'est une élude complète sur l'ancien gouverneur de
Fort-Dauphin, l'un des premiers Français qui aient cherché
I coloniser Madagascar. Il faut louer M. Malolet de ses
recherches nombreuses et consciencieuses, qui lui ont
coulé plusieurs années de travail el qui font revivre la
ligure intéressanle et originale de l'auteur du premier livre
qui a appelé sérieusement l'attention de la France sur
notre colonie actuelle. Ceux qui s'occupenL de ia colonisa-
tion a. Madagascar devront lire l'ouvrage de M. Malotel,
auquel la Commission des prix décerne le prix Jomard,
affecté par l'auteur des Monuments delà Géographie aux
travaux de géographie historique.
CUHATIOS RELATIVES A U CONSTRUCTION
CARTE LIlHOLOCIÛliE DIS GHH DE FRAIE
I/T. T. THOITLET
La lithologie sous -marine se propose l'étude des fonds
déposés sur le lit de l'Océan, de leur distribution, de leur
genèse, de leurs transformations, de toutes les lois qui les
régissent. Elle devient de jour en jour une branche plus
importante de l'océanographie. Sa conclusion, ce qu'on
appellerait volontiers sacondensation, es tlacoufection d'une
carte lithologique sous-marine donnant d'un seul coup
d'œil loutes les informations qui ne sauraient être fournies,
si on tentait de les exposer par écrit, qu'en un mémoire
comme il n'en existe malheureusement que trop dans la lit-
térature scientifique, long, diffus, aussi pénible à lire que
difficile à conserver dans le souvenir el, en définitive, tou-
jours insuffisant. Une carte lithologique est indispensable
à la navigation, à l'industrie des pêches et à celle des télé-
graphes sous-marins. Elle l'est plus encore, s'il est possible,
à la géologie théorique, puisque l'histoire des mers disparues
aux âges géologiques ne peut et ne doit logiquement
s'appuyer que sur la connaissance complète des mers
actuelles el des phénomènes qui s'y accomplissent.
Un grand nombre de ces cartes ont déjà été dressées en
Norvège où elles sont particulièrement remarquables, en
Angleterre, en Allemagne, aux Etals-Unis et ailleurs. Delesse
en a publié en 1866 une relative aux côtes de France. Cette
carte très ancienne, à une échelle très réduite, est devenue
aujourd'hui insuffisante.
CARTE LIT 110 LO (il QUE DES i i'UIj DE I IIA.M:K- 183
r être en élat de rendre les services qu'on est en droit
d'en attendre, une carte lilhologique sous-marine doit pos-
séder les caractères suivants:
1. Elle doit parler aux yeux. Pour parvenir à ce résultat,
il lui suffira d'imiler les cartes géologiques terrestres,
exemple depuis longtemps connu et pour lequel une longue
expérience a enseigné les meilleures conditions de netteté
et de clarté. La carie lilhologique sous-marine devra donc
6tre coloriée de leinles aussi différenciées que possible ; les
indications seront figurées par des signes conventionnels
assez distincts pour être aussitôt reconnus,
2. Elle doit représenter les fonds actuels. A de 1res rares
exceptions près, on ne trouve au fond des eaux aucune
trace immédiate de la nature du sous-sol dans lequel il est
à peu près impossible de pénétrer audelà de quelques cen-
timètres. Une carte lilbologique, lit de la mer rendu visible,
est une carte d'actualité et c'est pour ce motif qu'on lui
donne le nom de carte lilhologique et non celui de carte
géologique sous-marine.
3. La nature du sol superficiel sous-marin est liée si inti-
mement à son modelé, la relation mutuelle et la comparai-
ion de ces deux caractères sont susceptibles de rendre tant
de services a la pratique aussi bien qu'à la théorie, qu'il est
idispensabie qu'une carie lilhologique soit en même temps
«graphique. Ce résultat s'obtiendra aisément et simple-
ment à l'aide du tracé des courbes isobathes. Le procédé
est d'une utilité si évidente qu'il a été adopté par tous ceux
qui sb sont occupés de dresser de semblables documents
i bien terresires que marins.
4. La vérité n'est jamais que le résultat d'une suite pro-
longée de perfectionnements. Il en est particulièrement
ïinsi d'une œuvre pour laquelle les idées générales déri-
vent de l'examen d'une collection de faits particuliers
recueillis isolément, indépendamment les uns des autres et
ISi CARTK L1TH0 LOGIQUE TES COTB8 DE FRANCE.
considérés ensuite dans leur ensemble. Une carie litholo-
gique sous-marine esl, en effet, construite d'après des son-
J;i-i'^ l'i des récoltes d'échantillons, opérations exigeant la
possession d'un personnel, d'un matériel et surtout d'un
navire rarement à la disposition d'un observateur. Ces docu-
ments fondamentaux sont d'ailleurs souvent obtenus à la
suite de considérations plus ou moins étrangères à ia con-
fection d'une carte lilbologique.
Du ces motifs, il résulte qu'une telle carte doit, dès le
début, présenter un ensemble aussi exact que possible mais,
avant tout, complet. En revanche, par la façon même dont
elle est dressée, elle doit être indéfiniment perfectible; les
corrections y seront indépendantes les unes des autres et
pourront s'effectuer en n'importe quel point. Enfin cette
carie doit porter partout la mesure de son poids, c'est-à-
dire du degré de confiance mérité par ses indications-
An moment de commencer la confection d'une carte
lilbologique et de marquer d'une teinte ou d'un signe
les diverses natures du sol sous-marin, on est frappé de la
confusion qui règne parmi les termes employés pour dési-
gner les objets mêmes dont on so propose de représenter
l'image. Les termes d'argile, de boue, de vase sont il peu
près synonymes. Que signifie exactement, par exemple, le
mol luf? Un échantillon, à moins qu'il ne soit extrêmement
caractérisé, recevra trop souvent des noms différents
d'observateurs différents. Les ternies gros gravier, gravier,
lin gravier, gros sable, sable fin, sable coquillier, sable,
sable vaseux, vase sableuse, vase n'ont point de limites
précises. Tour s'en convaincre, il suffit de demeurer, pen-
dant un levé hydrographique, auprès de l'homme qui relève
Il sonde, examine le suif et chante le fond. Les échantil-
lons mal récollés, lavés pendant la remontée, ne sont plus
M qu'ils étaient au fond. Heureux lorsque pour différencier
deux sols offrant certaines analogies et cependant diffé-
CARTE L1THOL0G1QUE DBS CÔTES D6 FRANCE. 185
renls, certains auteurs n'emploieront pas ries désignations
du genre de t vase entière » et « vasedu large»,* sables du
nord » et t sables du sud », ou d'autres du même genre.
La confusion existe malheureu-remenl en allemand et en
anglais comme en français, ainsi que le prouvent les termes
de schlamm, de schlick, de mud, de clay, de ooze.
Dans de pareilles conditions, il devient impossible de
procédera une unification. Il faut avant tout établir une
classification rigoureuse entre les différents fonds. La clas-
sification, pour Sire précise, doit être basée sur une analyse.
Celle-ci doit être, en même temps, assea rapide pour qu'une
carte n'exige pour sa confection qu'un temps raisonnable,
et néanmoins assez facile pour n'avoir point besoin d'Être
effectuée par de véritables spécialistes.
Aimé, le premier, a établi que la nature lithologique d'un
dépôt demeure permanente au môme endroit. Il s'agit,
bien entendu, de phénomènes actuels, car l'observation des
couches géologiques qui se sont formées au sein des eaux
dans les mêmes conditions que nos couches actuelles,
monire par la superposition brusque, sur une même verti-
cale, de grés, de calcaires, de marnes, d'argile ou de sable,
que des variations dans les conditions ambiantes amènent
un changement correspondant dans la constitulion du
dépôt. Mais ces variations s' effectuent très lentemenlet leur
constata lion m6me, rendue possible, n'est pas un des épi-
sodes les moins intéressants à constater.
La considération des couches fossiles prouve qu'un dépôt
est beaucoup plus délimité en surface qu'on ne serait tenté
de le croire. La remarque s'applique surtout aux dépôts de
mer peu profonde et voisins des cotes, car à mesure qu'on
s'éloigne de la terre, les conditions ambiantes s'uniformi-
sent, passent des unes aux autres par gradations insensibles,
et il eu est de même des couches sédimentaires qui en sont
le résultat. J'ai constaté à la mer celte délimitation en une
foule de circonstances, même à des profondeurs de
H
■
i86 CARTE l.lTIIOLOOIQdE DES COTES I1E FRANCE,
2 000 mèlres, et elle frappait les esprits les moins prévenus,
ceux des simples matelots tirant sur le chalut ou la drague.
On est, par conséquent, autorisé à dresser une carte litho-
logique à l'aide de teintes brusquement limitées, non
fondues entre elles et indiquant un étatpermanent,avec les
restrictions énoncées précédemment.
Les dépôts sous-marins, au point de vue de leur nature
lithologique, se partagent en trois grandes catégories, les
roches, les sables elles vases.
Nous avons dit que la carie était la représentation du
fond tel qu'on peut s'en faire une idée d'après les échantil-
lons rapportés. Or il n'est pas toujours possible de récolter
un échantillon. Si le fond est constitué par de la roche vive
ou par des pierres trop grosses pour Être ramenées entières
ou en fragments au moyen de la drague, du chalut ou du
plomb de sonde, si le plomb suilïé ne possède d'autre
marque qu'un suif mâché, en un mol, si l'on n'obtient qu'un
résultat négatif, !e fond sera dénommé roche,
Le sable est constitué par des grains minéraux de gros-
seur quelconque, non accolés les uns aux aulres, dont cha-
cun possède son individualité. La vase proprement dite est
au contraire une masse minérale où il n'est possible, ni à
l'œil nu, ni à la loupe, ni même au microscope, d'apercevoir
aucun individu minéral isolé, si petit qu'il soit. Entre le
sable et la vase, on trouve tous les passages désignés sous
les noms de sables vaseux lorsque les grains semblent pré-
dominer ou de vases sableuses quand ils paraissent être en
moindre quantité relativement à la vase. Pour distinguer
entre eux ces divers genres de terrains et introduire de la
précision dans leur nomenclature jusqu'à présent vague et
arbitraire, il faut avoir recours à l'analyse.
De même que l'analomie, description des organes ani-
maux ou végétaux, n'est qu'une introduction à la physiolo-
gie, qui est l'étude du jeu de ces organes, l'analyse d'un Fond
CARTE LITIIOLOr.lQUE DES CÔTES
marin ne sérail qu'une vaine collée Lie
187
de chiffres, rem-
plissage servant à communiquer un aspect respectable à un
mémoire scientifique, si elle n'était pas une introduction à
l'histoire de ce fond, depuis sa naissance jusqu'à sa mort,
de sa genèse, des phénomènes dont il a été, est et sera le
théâtre, de sa vie enlière. Sous celte condition d'être un
moyen et non un but, l'analyse complète d'un fond devra
être quadruple. Elle sera mécanique, minéralogique, chi-
mique et biologique.
L'analyse mécanique se propose de distinguer entre les
divers dépôts ceux qui appartiennent à une même catégo-
rie. Elle ouvre l'œuvre d'invesligation. Entre ces passages,
par degrés insensibles, du sable à la vase, elle établit des
types, fixe des jalons. A ceux qui veulent philosopher, elle
impose des limites en deçà desquelles portera la discussion
pour èlre fructueuse et au delà desquelles celle-ci ne man-
querait pas de s'égarer. L'analyse mécanique doit être
simple pourpouvoir èlre effectuée au commencement même
des recherches et rester à la portée de tous.
L'analyse minéralogique poursuit l'enquête. Considérant
chaque minéral en particulier, elle tire de la présence de
chacun d'eux, de l'élat sous lequel il apparaît, une série de
conclusions.
L'analyse chimique, plus délicate, exigeant de la part de
celui qui l'exécute des connaissances plus spéciales, cherche
dans le fait de la composition des divers éléments chi-
miques, dans leurs rapports mutuels, les phénomènes in-
times s'acco m plissant au sein même du dépôt. Enfin,
comme dans la nature entière et, s'il est possible, davan-
tage encore dans la nature sous-marine, la vie organique est
si intimement reliée à la vie inorganique qu'à elles deux
elles complètent le cycle d'existence des choses et des êtres,
un dépôt n'aura vraiment raconté son histoire que lorsque
sa portion actuellement vivante ou jadis vivante, aura été
examinée, étudiée et connue. A l'analyse mécanique, puis
18H CAUTF. I.ITUO LOGIQUE DE» COTES DE FBÀSCE,
minéralogique, puis chimique succédera donc comme der-
nier complément et achèvement, l'analyse biologique.
Examinons succinctement les procédés que comporte
chacun de ces divers genres d'analyse.
L'analyse mécanique consiste essentiellement en un
triage qui s'effectue de deux manières. On procède d'abord
à la séparation de la portion amorphe. On y parvient an
moyen d'un tube trie m* à l'intérieur duquel un courant
d'eau d'intensité variable à volonté emporte et isole les par-
ties légères. Parmi les parties lourdes, un tamisage isole à
son tour, 1res simplement et très promptement, les grains
selon leur grosseur. On sait que, dans le commerce, les ta-
mis en toile métallique ou en tissu de soie, sont classés se-
lon leur numéro, c'est-à-dire d'après le nombre de mailles,
pleins et vides, comptées sur une longueur de 1 pouce ou
27 millimètres.
Du passage au tube trieur, quelque facile que soit cette
opération, demande nu peu plus de temps qu'un tamisage
et, à loutle moins, un instrument particulier. Lorsque l'ap-
proximation est suffisante pour le but qu'on se propose, on
se contente, an lieu d'un triage a l'eau, d'exécuter un tami-
sage à travers un tamis excessivement un portant le nu-
méro 200. Si d'ailleurs on souhaitait, dans la suite, obtenir
plus de précision, on reprendrait le résultat du tamisage et
on le séparerait par lévigation, en deux ou plusieurs por-
tions.
L'analyse minéralogique dose le carbonate de chaux si
commun dans les dépôt?. L'opération est facile puisqu'elle
se borne à une attaque à L'acide chlorhydrique étendu. On
isole ensuite les deux grandes catégories de grains miné-
raux : d'une part le quartz, le silex et le feldspath, éléments
en général prédominants et, d'autre part, les minéraux
lourds, beaucoup plus rares, mais, par contre, très caracté-
ristiques et précieux pour les indications qu'ils apportent.
Dans re but, on passe à la liqueurd'iodures.de densité 2.7.
I
CAHTE LITHOLOGIQUE DES CÔTES DE FRANCE. Ifî'J
L'analyse minera logique se termine par la reconnaissance,
au microscope, de la nature et des caractères extérieurs des
divers minéraux et on prolile alors ries ressources et procé-
dés si nombreux el si précis mis récemment par la science
au service de ce genre d'investigation, phénomènes opti-
ques, aspect anguleux ou arrondi des grains, mesure micro-
scopique des propriétés physiques, réactions microchi-
miques.
L'analyse chimique, par des procédés délicats, compli-
qués et véritablement techniques, se livre à l'examen dé-
taillé du dépôt. S'il fallait en citer un exemple, on parlerait
des beaux travaux du Dr Konrad Nallerer sur les fonds re-
cueillis par la Pola dans la Méditerranée orientale et dans
la mer Rouge.
L'analyse biologique consiste dans la reconnaissance des
débris d'êtres vivants, piaules ou animaux, contenus dans
le dépôl. Gomme la présence d'Olres vivants particuliers est
la preuve d'un ensemble de conditions extérieures qui, s'il
était modifié au delà de limites déterminées, impliquerait
une modification correspondante dans le groupement de ces
êtres, on conçoit que la nomenclature seule des êtres pré-
sents ou de leurs restes renseigne synthétiquemenl sur les
conditions ambiantes auxquelles a été soumis le dépôt. 11
faut que, possesseur des connaissances qu'il aura recueil-
lies en examinant, au point de vue biologique, les dépôls ac-
tuels, informé des découvertes faites par l'océanographe el
le chimiste en étudiant à leur point de vue spécial ces
mêmes fonds, le naturaliste livre au géologue des lois
qui permettront à celui-ci de reconnaître, à l'inspection
une couche ancienne, les lois qui ont présidé à son
istence. Assuré, par exemple, à l'examen des fossiles,
e la couche a été déposée à une profondeur déterminée
ius les eaux, il sera en état d'en conclure, mainlenant que
elle couche est exondée, quelle a été la hauteur de son
oulcvement et, par comparaison avec d'autres couches voi-
CARTE UTtlOLOCIQUE DES CÔTES DC FRANCE.
sines, quelle était la pente du lit de la mer qui les baignait.
Il pourra alors évaluer les plissements qui se sont eiFectués
et mesurer l'érosion, c'est-à-dire la hauteur des montagnes
qui n'existent plus, estimer la salure et la température de
la mer. Pendant ce lemps, l'océanographe, grâce à l'examen
minéralogique de la couche, en arrivera de son côté, d'in-
duclion en induction mais s'appuyant toujours sur des
chiffres, a retrouver les dimensions et les contours de cette
mer disparue depuis des milliers d'années, la force de ses
vagues, la puissance et la direction de ses courants, peut-
être aussi la durée en années ou en siècles que la couche a
mise à se déposer, c'est-à-dire l'intensité de l'érosion qui
s'accomplissait sur le continent. La géologie de sentiment
ou de description se transformera enfin en géologie de pré-
cision, véritable paléogéographie, description et histoire
vivante de la terre aux Ages géologiques.
La classification des fonds est hasée sur ces principes à.
propos desquels il est inutile de donner ici plus de dé-
tails.
Roche. — On donne le nom de roche à tout lerrain dont
il est impossible de rapporter un échantillon soit à la drague,
soit au plomb de sonde. Son existence au fond de l'eau ne
se conslale que par ce fait que le plomb muni de sa cou-
pelle à suif revient sans aucun débris, sauf quelquefois un
fragment d'herbe ou de rocher brisé par le choc et incrusté
dans le suif. La désignation de roche dépend du procédé
d'investigation dont on a fait choix. Si, par exemple, on sup-
pose un sol sableux recouvert de blocs éparpillés trop gros
pourèlre rapportés par la drague, le terrain serait dénommé
roche au cas où le plomb ne tomberait pas sur des espaces
sableux, jusqu'au jour où des coups de sonde plus nom-
breux ou plus heureux, don t quelques-uns auraient ramené
du sable, renseigneraient plus exactement sur la vraie na-
ture du sol.
CARTE I.ITIIOI.OOIQIE DES C"TËS DE CHANCE.
191
Pierres, galets. — Les pierres sont des cailloux anguleux
nt le poids dépasse 3 grammes. Les pierres arrondies
nt des galets.
Gravier. — Fragments minéraux anguleux ou arrondis
poids inférieur a 3 grammes et arrêtés par le ta-
> 10. Pour pius de précision, lorsqu'il sera nécessaire, on
.doptera les trois catégories suivantes :
«. Gros gravier. Grains d'un poids moyen inférieur à
3 grammes et arrêtés par le tamis 3.
S. Gravier moyen. Grains ayant franchi le lamis 3 et ar-
rêtés par le lamis 6. Poids moyen environ Ogr. 5.
y. Gravier fin. Grains ayant franchi le tamis 6 et arrêtés
par le lamis 10. Poids moyen environ 0 gr. 05.
Sable. — Celle désignation comprend les grains ayant
franchi le tamis 10, mais arrêtés par le Lamis 200, avec les
subdivisions suivantes :
« Sable gros. Grains ayant franchi le tamis 10 et arrêtés
par le lamis 30.
p. Sable moyen. Grains ayant franchi le tamis 30 et arrê-
tés par le tamis 60.
y. Sable fin. Grains ayant franchi le tamis 60 et arrêtés
par le lamis 100.
3. Sable très fin. Grains ayant franchi le lamis 100 el ar-
rêtés par le lamis 200.
Le sable est homogène lorsque 80 p. 100, en poids, au
moins, de l'échantillon, appartient à la même catégorie.
Le sable est mélangé lorsque les grains peuvent être sé-
parés en catégories différentes sans qu'aucune d'elles soit
nettement prédominante. Dans ce cas, on désigne le sable
d'après la dénomination des deux catégories de grains en
majorité. Ainsi on aura du sable moyen-fin ou moyen-gros
ou très fin-fin.
Le sable est légèrement calcaire quand il renferme au plus
Ô p. 100 de carbonate de chaux, calcaire lorsque cette pro-
portion est comprise entre 5 et 50 p. 100, très calcaire entre
102 CARTE LIT1I0LOGIQUE DES CÔTES DE FRANCE.
50 et 75 p. 100, extrêmement calcaire au-dessus de 75 p. 100.
Le sable est cotfuitlier quand il contient des coquilles
nettement visibles et, dans ce cas, les coquilles sont brisées
ou mouilles selon la grosseur de leurs fragments.
Va$e. — Les matériaux ayant traversé le tamis 200 sont
dénommés vase. Ils se composent essentiellement de deux
portions, l'une amorphe, ne se laissant pas individualiser
sous le microscope et appelée argile. Cette argile, est plus
on moins calcaire; quand elle ne manifeste pas ou plus
d'effervescence avec les acides, elle est de Y argile pure.
La seconde partie est constituée par des grains minéraux
extrêmement pelits, quoique discernables au microscope
qui permet, le plus souvent, de reconnaître leur nature mi-
néralogique. Us portent le nom As fin- fins. On peut les sé-
parer de l'argile au moyen d'un appareil trieur.
Les vases profondes sont distinguées d'après leur cousli-
tulion.On aura ainsi des vases à globîgérines, àptéropodes,
à radiolaires, à diatomées, des vases bleues, vertes, glauco-
nieuses, des vases eorallières ou volcaniques. On aura de
même des argiles grises et rouges des abîmes.
Lorsque l'échantillon ne contient pas plus de 5 p. 100 de
vase, on lui conserve le nom de sable.
Lesable vaseux renferme 115 à 75p. lOOde grains minéraux,
et par conséquent de 5 à 25 p. 100 de vase proprement dite.
La vase sableuse, contient de 75 à 10 p. 100 de grains mi-
néraux et par conséquent de 25 a 80 p. 100 de vase.
Enfin si la vase contient moins de 10 p. 100 de grains
minéraux, on lui conserve son nom de vase.
En résumé, les fonds se classeront et se désigneront de
la manière suivante :
l'ierres, galels, poids tnoy<'ii jamais intérieur a 3 jjr.
t gros, arrêté par tamis 3.
Cravier J moyen, — 6
' Hn. — 10.
i I.ITHOLOGtQUE DES CÔTES DE l'IUNCE.
Sable
i irèsfln, — iliO.
, Hn-fltis, ayant franchi tamis 500.
argile J calcaire'
' ( pure.
Sable vaseu», outre 95 et 75 p. 100 de grains minéraux.
Vaae sableuse, — 75 et 10 p. 100 —
Vase proprement ilile, moins île 10 p. 100 de grains m
(1
Les principes suivants élanl bien établis, savoir :
l" L'indispensable nécessité pour la science pure aussi
bien que pour la navigation el l'industrie de construire, à
l'imitation de ce qui a été accompli par les nations étran-
gères, une carte lilhologique des eûtes de France;
2° La nécessité non moins indispensable d'appuyer celle
carie sur une classification précise des divers fonda sous-
marins ;
3° L'obligation de créer, dès le début, cette carte com-
plète, quoique susceptible d'être indéfiniment perfectionnée
dans chacune de ses parties.
J'ai dressé la carte lilhologique des côtes de France de la
acon suivante :
J'ai choisi une échelle suffisante pour donner les détails
avec une approximation convenable. Les feuilles de la Ma-
rine à l'échelle m = 12 millimètres pour la Méditerranée el
rn = 15 millimètres pour l'Atlantique et la Manche, qui se
raboulant et se superposant les unes les autres couvrent
ut le littoral français, m'ont semblé répondre au but que
me proposais et je les ai adoptées. La Méditerranée com-
irend quatre de ces cartes. L'échelle m'en a paru un peu
tout à cause de la faible largeur du plateau con-
tentai dans ces régions, mais les feuilles à échelle plus
ande, ni = 37 millimètres, sont au nombre de quatorze
qui aurait augmenté considérablement les feuilles de
'atlas- Du resle, comme ces quatorze caries onL été colo-
l'Jl CARTE LITHOLOGMJOE DES CÔTES DE FRANCK.
riées par moi, je les possède en manuscrit et le public, par
la demande qu'il en fera, demeure le meilleur juge de l'op-
portunité de leur publication.
L'océan Atlantique, de l'Espagoe a Brest, comprend
8 feuilles et la Manche, jusqu'à la frontière belge, 10 feuilles,
c'est-à-dire en lout, pour l'atlas complet, 22 feuilles.
CARTE LITHOI.C-GIOUE DES CÔTES DE KRANCE. 195
Sur les feuilles du dépôt de la Marine, j'ai reporté tout
ce qui a été indiqué par les divers auteurs. Pour la Médi-
terranée, j'ai colorié les 14 feuilles m = 37 millimètres et
en ai reporté les indications sur les 4 feuilles m — 12 mil-
limètres. J'ai trouvé peu d'informations : les travaux de
M. Pruvot aux environs deBanyuls et de Roscoff, ceux de
M. Durègne et de moi-même dans le bassin d'Arcachon ;
je cite pour mémoire la carte de Delesse, petites! ancienne,
celles du commandant de Roujous pour l'entrée de Brest,
du commandant Trudelle pour la Manche. On est fort em-
barrassé lorsque deux auteurs désignent d'une façon diffé-
rente le fond d'une localité déterminée et que l'on ne pos-
sède point, pour décider entre eux, le fond même dont il est
question.
En revanche, les indications de fonds telles qu'elles sont
données par les caries du dépôt de la Marine sont le véri-
table document sur lequel il soit possible de s'appuyer
d'une manière générale. Ce n'est pas qu'une étude appro-
fondie ne laisse apercevoir,en un certain nombre de points,
des diversités de désignation. Il serait bien désirable, en
considération du développement pris par l'océanographie,
que les jeunes ingénieurs aient sur la géologie et la miné-
ralogie sous-marines ries notions plus complètes que celles
qu'ils possèdent. Mais, au total, les cartes dressées par les
hydrographes offrent une précision avec laquelle il faut
compter, et quant à la désignation des fonds, elles sont le
fruit d'une tradition qui en fait un ensemble dont il est
impossible de méconnaître la valeur alors môme qu'on se-
rait amené a critiquer quelques détails. Aussi aï-je consi-
déré comme bon tout ce qu'a fait le service de la Marine,
jusqu'à preuve du contraire, et lorsqu'un auteur s'est trouvé
en désaccord avec les indications portées sur les feuilles,
j'ai toujours donné raison à la Marine à moins que les di-
vergences n'aient été formulées d'une manière précise, à
l'aide de chiffres ou d'analyses et non de simples affirma-
1% CAHTE LITHOLOGIQITE DES COTES DE FRANCE.
tions. 11 convient que chacun porle la responsabilité <le ce
qu'il a avancé. Je considère la carte lilhologique de France
comme devant être une œuvre de haute précision.
J'ai colorié les fonds avec les teintes plaies qui m'ont
semblé se distinguer le miens tout en favorisant le rendu
typographique. Dans quelques cas, pour la plus grande fa-
cilité des corrections subséquentes, j'ai essayé de rendre
possible la représentation, ;iu moins momentanée, du même
terrain, de deux façons différentes. Ainsi du sable au milieu
de roches sera ligure soit par une teinte plate carmin, soit
par de fins points rouges sur la teinte bleue de la roche; de
la vase par du jaune gomme gutte en teinte ou en points.
Je n'ai pas dislingué les sables vaseux des vases sableuses
n'ayant aucun document suffisant pour établir cette dis-
tinction. Je croîs qu'il sera nécessaire de le faire dès que
de nouveaux échantillons auront été récoltés et analysés.
J'ai indiqué par des signes analogues quant ù la couleur,
mais différents quant à la forme, des sols présentant entre
eux des analogies. Les graviers gros et lin, les pierres et les
galets sont en rouge de la nuance du sable dont ils sont des
variétés ; les coquilles vivantes, les coquilles brisées et les
coquilles moulues sont figurées en bleu par des croix, de
courtes lignes et des points. Ces différences, qui traduisent
des différences dans les conditions ambiantes du milieu
environnant, m'ont paru devoir être signalées.
Chaque fois que l'indication d'un fond résulte de l'ana-
lyse d'un échantillon récollé, j'ai noté la place, ce qui donne
une eei'lituile complète. Il n'a pas dépendu de moi que les
points fussent plus nombreux ; c'est à*Lous que revient la
Lâche de le-- multiplier et, pour ce travail, j'ai foi en l'avenir.
Le nombre de points de récolle fournit le poids de l'in-
dication générale. Lorsqu'il sera assez considérable sur un
espace déterminé et surLout à la limite de deux sols diffé-
rents, un sera en mesure de marquer celle limite non pas
seulement, ainsi que je l'ai l'ail, par la simple juxtaposition
CARTE UTHOLOGIQUE DUS CÔTES DE FRANCE. 1W7
de deux teintes, mais au moyen d'un trait pointillé noir qui
ne se confondra pas avec les isobathes, affirmera la préci-
sion de la délimitation sous la responsabilité de celui qui
l'aura reconnue et permettra ensuite de supprimer, pour
plus de simplicité, l'indication des points isolés.
J'ai noté par des traits noirs continus les isobathes de
10 en 10 mètres jusqu'à 100 mètres, sauf l'isobathe de
50 mètres, qui est en traits interrompus afin d'être plus fa-
cilement distinguée, celle de 100 mètres en un trait con-
tinu plus nourri et, en Méditerranée, celles de 100 mètres
en lOOmèlres.
La carte géologique de France, quelle que soit sa valeur,
n'est pas ce qu'elle sera dans un siècle. Sa précision ac-
tuelle est le résultat de perfectionnements successifs dus
aux efforts et au labeur de ceux qui se sont consacrés à
cette œuvre depuis Mounel et Guvier, les plus anciens, Du-
frénoy et Élie de Beaumont, les auteurs de la première carie
détaillée, jusqu'aux observateurs régionaux qui ont dressé
des cartes particulières, lesquelles ont été ensuite revisées et
coordonnées. Les cartes que j'ai terminées ne sont guère
aujourd'hui qu'une esquisse, mais elles existent. Il fallait
les faire telles qu'elles sont, afin qu'elles puissent Être faites
mieux. J'espère fermement que, d'année en année, elles se
préciseront davantage sans qu'il soit nécessaire de modifier
essentiellement les bases longuement mûries, laborieuse-
ment expérimentées sur lesquelles j'ai cherché, dès le dé-
but, à les établir.
- S" Tm*B5TRS 18B9.
LES DERNIERS VOYAGES DANS LE TIBET ORBITAL
MM HOLDERER et FUTTERER,
M.'etM"' RIJNHART, M. CH. BONIN
« Depuis quelques années les expéditions au Tibet se mul-
tiplient, ayant toutes le même but idéal d'atteindre Lhassa
et toutes condamnées à n'y point arriver. Mais en cela,
l'orame beaucoup d'autres, choses, c'est moins le but qui
tist intéressant que le chemin pour y arriver s, Cette phrase
a été écrite par M. Grenard, le compagnon de Dutreuil de
Hhins, au sujet de l'exploration de M. Lillledale en 1895 :
elle est toujours valable pour les voyages qui se sont suc-
cédé depuis lois. Mais si les eflbrts et les insuccès des
explorateurs européens dans ces régions sont invariables,
il faut noier le changement important qui semble se pro-
duire dans la politique que les Tibétains opposent à ces
tentatives.
Les premiers voyageurs qui se présentèrent sur le terri-
toire de Lhassa, Bonvalol et le prince d'Orléans, le capitaine
Bower et Mockhill, furent traités, comme on sait, avec une
aménité relative. Après les avoir savamment amenés à
renoncer à leur projet d'arriver jusqu'à la ville sainte, les
autorités de Lhassa s'empressaient ensuite de reconnaître
ce désislement en leur fournissant les moyens de gagner
dans les meilleures conditions la frontière chinoise. Cetle
façon d'agir n'ayant pas découragé, tout au contraire, les
voyageurs, les tentatives se multiplièrent si bien qu'un
fonctionnaire indigène disai t : < Autrefois nous étions occu-
pés à empêcher les Européens d'entrer au Tibet; aujour-
d'hui nous ne sommes plus occupés qu'à les en faire sortir. »
Les Tibétains paraissent donc s'être décidés à employer
LES IiEKNIEKS VOYAGES WANS LE TIBET ORIENTAL . l'Jt)
désormais des moyens plus Énergiques et ce me semble la
raison principale pour laquelle presque toutes les expédi-
tions libélaines faites durant ces cinq dernières années ont
été arrêtées par des attaques et des assassinats. Il est à noter
toutefois que ces actes de violence ne sont pas commis
généralement sur les territoires dépendant directement de
Lhassa, comme pour bien mettre à couvert la responsa-
bilité des autorités tibétaines et chinoises de la capitale du
Tibet : ce sont des tribus de la frontière qui furent char-
gées ou se chargeront d'elles-mêmes de ces exécutions.
Je rappellerai comme exemples principaux le pillage de
miss Taylor dans les monts Dangla, l'assassinat de Dulreuil
de Rhins à Tongboumdo, l'attaque du colonel Roborovsky
dans les monts Amnyé Matchin et du lieutenant Poltinger
sur le Haut-Iraouaddy, la façon violente dont le capitaine
Deasy fut rejeté, comme Liltledaie, sur le Ladak d'où il
sortait, les tortures qu'eut à subir le journaliste Savage
Landor, la disparition mystérieuse de M. Rijnhart, très
probablement assassiné sur le Haut-Mékong, enfin les ten-
tatives de massacre et d'empoisonnement commis contre le
D* Holdereret ses compagnons.
Au sujet de ces deux derniers voyages, dont les détails
ne sont pas encore connus en Europe, j'ai été à môme de
réunir sur place d'assez nombreux renseignements. Je les
dois d'une part à Mme Rijuhart, la compagne du voyageur
assassiné, qui est arrivée à Tatsienlou (Tibet) au moment
même où je m'y trouvais en novembre dernier, et d'autre
part au très aimable et distingué Dr Holderer, qui vient
d'arriver à Shanghaï. Une lettre de Mme Rijuhart a paru
dans le Nortk China Daily Sews du 4 janvier dernier avec
les notes de voyage sommaires de son mari jusqu'à sa dis-
parition. Grâce aux renseignements qui m'ont été donnés à
Tatsienlou, je puis y ajouter des détails sur la dernière
partie du voyage avec des éclaircissements géographiques
sur l'itinéraire suivi.
"
200 LES DERNIERS VOYAGES DAtiS LE TIBET ORIENTAI..
M. Peter Rijnhart, né à Rotterdam en Hollande, était
établi depuis plusieurs années dans la région de Sining (dans
le Kan-sou); Mme Rijnhart, Anglaise du Canada, y exerçait
la médecine. Sans appartenir régulièrement aux missions
protestantes d'Angleterre ou d'Amérique, ils avaient déjà
fait chez les tribus du Koukbe-nor plusieurs voyages, dont
le succès les engagea a pousser plus loin. Ils espéraient
peut-être atteindre Dordjéling (entre le Népal et le Bhoutan,
terminus d'une ligne qui aboutit à Calcutta) en passant par
Lhassa : l'itinéraire adopté par eux le laisse au moins sup-
poser. Ils partirent deTankar' (Donkyr) en mai dernier,
emmenant leur fils âgé d'un an à peine. Comme il était
facile de le prévoir, le pauvre enfant ne put supporter les
fatigues et les privations de la route et il succomba trois
mois après le départ : il est enterré sur les bords du Mou-
roui-Ûussou, le haut Fleuve Bleu.
Les voyageurs avaient avec eux Irois serviteurs indigènes
et treize chevaux pour leurs bagages; ils subvenaient aux
frais du voyage principalement en vendant des livres de
piété et en donnant leurs soins médicaux aux populations.
Le résident chinois (amban)3 de Sining leur avait refusé
un passeport, mais ils passèrent outre, se fiant a leur con-
naissance du pays. Ils suivirent d'abord la rive nord du lac
Koukbe-nor à travers un pays peuplé de Tibétains et des-
cendirent vers Barong-tsaidam, où commencent les régions
désertes. Continuant vers le sud, ils franchirent deux
grandes chaînes de montagnes, qu'ils appellent Shaya-koko
(sans doute les monts Chouga ou Koukhe-tchilt) et Shih-
1. Tong-kor, ou Tong-k'ar. Celte iternière orthographe es! probablement
[abonne. Tong-k'ar signifie marcha-forteresse <mark©t-borûug:h| (Gre-
3. Légal impérial, k'iny-tch'ai (C).
LES DERNIERS VOYAGES IIANS LE TIBET ORIENTAL. 201
dangla (Dangla)1. Ils arrivèrent ainsi à la préfecture de
Nagchuka (iS'ag-tchou-ka), où résident un mandarin chinois
et un chef tibétain, après avoir élé volés déjà de trois obe-
vaux sur la route. Les aulorilès les prévinrent qu'ils ne
pourraient continuer plus au sud vers Lhassa et leur
offrirent des guides et des chevaux pour gagner à l'est Jye-
hundo (Gyé-rgouu-do), d'où ils pourraient rentrer en Chine
par Tatsienlou. Ils acceptèrent et, partis de Nag-tchou-ka
au commencement de septembre, ils conlinuèrent leur
voyage à travers une région montagneuse et difficile, où ils
durent franchir deus grandes rivières, le Dangchu et le
Suchu : c'est le Cbaglchou-, descendant des monts Dangla,
et le Sogtchou, qui forment avec le Nagtchou les trois
branches supérieures de la Salouen. Après avoir traversé
■•i gué te Ta-chu, qui n'est autre que le Haut-Mékong
(Diatchou), ils furent égarés par leurs guides sur une roule
impraticable, qui longe la rivière, et assaillis par des coups
de fusil qui jetèrent la confusion dans leur petite cara-
vane. Leurs guides s'enfuirent, leurs chevaux furent enlevés
ou tués, et M. et Mme Rijnhart restèrent seuls sur le bord
du fleuve avec un seul cheval, le plus fatigué de tous. Dans
cette position désespérée, après avoir tenté pendant plu-
sieurs jours de retrouver la roule, M. Rijnhart se décida à
relraverser le Mékong à la nage pour atteindre quelques
lentes qu'il apercevait dans le lointain. Sa femme suivait
«es mouvements avec un télescope : elle le vit disparaître
peu à peu parmi les rochers qui bordaient l'autre rive, se
dirigeant vers un troupeau de moutons qui paissait là,
I. L'ortiio graphe de ce nom est douleuse ; aucun Tibétain n'a pu m'en
donner une explication saiisfiiisauie. l'eut-élre est-ce Drang-la qui se
prouotwe Dang-ta avec nu d foii et explosif facile ii confondre avec un
/_ Drang signifie droit, direct, sans détours, comme le turc Toghry ou
fughrou, si fréquents dans la géographie de l'Asie ceuiralu. M. Rock-
iiill, la première autorité en ces matières, éeril Dang la (Urenard).
•i Cliag-lchov est le nom que prend la rivière formée par la réunion
Èa Liang-Miou el du Sang-ldiou (G.).
202 LES DERNIERS VOYAGES DANS LE TIBET ORIENTAL,
et depuis lors elle n'a plus eu de lui aucune nouvelle...
Cela se passait le 2ti septembre. Mme Rijnharl resta six
jours à [attendre le retour de son mari; enfin, avec l'aide
desj Tibétains des lentes, qui rerusèrent d'ailleurs de lui
donner aucun renseignement sur le sort de son mari, elle
put atteindre la lamaserie de Tachi, d'où le supérieur la fit
conduire par requissions jusqu'à Racbi-gonpa* et de là à
Gyergoundo. Le mandarin chinois, délégué de l'amban de
Sining, qui commande ce poste, lui fit trouver des chevaux
et donner deux guides chinois pour gagner Tatsienlon par
la route de Kangdzé, mais elle n'avait pas encore épuisé
tous les malheurs : une semaine environ avant d'arriver au
but, elle fut attaquée de nouveau sur le territoire de Tawo
(Dswo-gonpa), qui dépend nominativement du roi libétain
de Kiala* (Tatsienlou); le peu d'argent qui lui reslait fut
enlevé, le sabre fut levé sur sa tète, et, sauvée par ses
prières, elle arriva à Tatsienlou dans le plus complet dénue-
ment. Quelques jours auparavant, un missionnaire anglais
de cette dernière ville, qui peut-être marchait à sa rencontre
dans celte direclion, avait élé attaqué pendant la nuit à ce
même Tawo el avait dû revenir en hâte, portant son
bagage sur le dos. C'est même, dît-on, ce qui l'avait pro-
tégé du coup de sabre qu'un Tibétain lui lançait par derrière
et qui fui paré par l'épaisseur de la charge.
Le Dr Holderer est originaire du grand-duché de Bade,
)ù il exerçait les fonctions à'amtmann (administrateur)
I. Ou plulùl Rak'i-yonpti, le monasière ilt- la trilm des Rak'i. 11 n"est
pas indiqué sur ma carte, parce que nous n'en avons pas connu la
position exacte. 11 nous a été signalé comme situé dans le liant rie In
vallée Foumo-djoiijr (Atlas de- la missinn hiitreuil de llhius, carte XXII},
il rie la r«
e(G.).
i. Ltchug.*-la. pron. Trhajf-1
(G.).
LES DERMEBS VOYAGES DANS I.E T1IÎET ORIENTAL. 20;!
du district de Lorrach. Agé de 32 ans, il était déjà pré-
paré à diriger une exploration par un premier voyage au-
tour du monde. Celui qu'il vient de terminera travers
l'Asie a été fait entièrement à ses Trais, pendant un congé
que lui a donné son gouvernement et sans aulre concours
que desrecommandations officielles pour les pays traversés.
Son ami le Dr Fiilterer, qu'il s'est adjoint pour cette expé-
dition, était spécialement chargé de la partie scientifique :
observations et histoire naturelle. Les voyageurs étaient
accompagnés d'un domestique allemand, et le gouverne-
ment russe mit à leur disposition pour les suivre en Asie
centrale trois cosaques provenant du détachement de
Khouldja; ils ne paraissent pas en avoir été très satisfaits :
l'un des cosaques tomba malade à Sining et dut être rapa-
trié, les deux autres nbandonnèrent la mission peu après,
avant d'entrer dans les régions dangereuses où leur con-
cours aurait été utile.
Parti d'Europe en novembre 18(17, le Dr Holderer et son
compagnon se dirigèrent parla Méditerranée, la mer Noire
et la Transcaucasie vers le Turkestan russe. De Tachkenl,
ils entrèrent sur le territoire chinois par Kachgar, où le
consul général de Russie, M. Petrovsky, bien connu de
tous ies voyageurs, dispose, grâce à son escorte de 64 co-
saques, du pouvoir effectif, mais non nominal, sur la Kach-
garîe. Il lit donner aux voyageurs comme interprète un
marchand russe, échangé plus tard contre un Sarle, égale-
ment sujet du Tsar, qui n'alla pas non plus jusqu'au terme
de la route, en sorte que la dernière partie du voyage s'ef-
fectua sans escorte et sans interprète, ce qui en augmenta
singulièrement les difficultés.
De Kachgar les explorateurs se dirigèrent à l'est en sui-
vant les monts Tien-chan vers Tourfan et Hami, dans la
partie occidentale du désert de Gobi. Infléchissant au sud-
est, ils atteignirent a Soutclieou la province du Kansou, abri-
tée derrière le prolongement occidental de la Grande Mu-
'204 LES DERNIERS VOYAUES DANS LE TltlET ORIENTAL.
raille. En longeant, celle-ci .jusqu'à Leang-tcheou, ils des-
cendirent vers Sining, laissant sur leur gauche la capitale
du Kansou, Lanlcheou. Jusque-là les routes suivies étaient
d'\jà connues par des explorations précédentes, dues spé-
cialement aux Russes. C'est à Sining et à Donkyr que les
voyageurs organisèrent définitivement leur caravane pour
pénétrer dans le Tibet du nord et explorer le cours supé-
rieur du Hoang-ho, qui était leur objectif. Ils emmenaient
avec eux une douzaine de chevaux et une quarantaine de
yaks pour le transport de leurs provisions; l'été élait venu
et l'herbe haute facilitait la nourriture de ces animaux. La
caravane se dirigea d'abord à l'ouest en suivant les pâtu-
rages qui s'étendent sur la rive méridionale du grand lac
Koukhe-nor. Ils ne rencontrèrent dans ces régions que les
lentes noires des Tibétains nomades, qui y fonl circuler
leurs troupeaux.
Arrivés au lac Dalai-Dabassou les explorateurs ne purent
trouver de guides pour les conduire au sud-ouest vers les
lacs Kiaring et Ngoring et se décidèrent à revenir vers le
sud-est pour atteindre au moins le cours supérieur du
Hoang-ho. Ils le franchirent à un gué, gardé par un petit
poste de soldats chinois, qui paraît tilué à 40 ou 50 kilo-
mètres en amont de Balaikoun-gomi '. A celle hauteur le
fleuve coule dans un étroit défilé, un cniion, qui ne laisse le
long de ses rives aucune route praticable.
Continuant vers le sud-sud-esl, les voyageurs arrivèrent
dans un pays de pâturages, où ils trouvèrent pour la pre-
mière fois les tentes tde feutre blanc des Mongols, mêlées
aux lentes en poil de yak des Tibétains s. Ils établirent leur
camp sur le Tse-Lcheu, affluent de droite du fleuve Jaune,
ie Ktchî-tzn de la carte de Dutretiil de llhins. Laissant là
leur caravane sous la garde de leur domestique allemand,
1. 0uahon-t;oml (G.).
2. Les Tibétains du Kouknor se servent quelquefois de ternes de
finilrt blanc (G.).
LES DERNIERS VOYAGES DANS LE TIBKT ORIESTAL. 205
ils piquèrent vers le sud pour atteindre le Hoang-ho, très
probablement près du confluent de la rivière qui porte sur
les cartes le nom mongol de Bakha-Kalioutou (la petite
Kalioulou), tandis que le Tse-tcheu porte celui de Yeke-
Kalioulou (la grande Kalioulou). Ils constatèrent que le
fleuve Jaune coule ici au pied d'un large plateau avant
d'entrer dans les défilés qui l'enserrent ensuite, que si
direction est à celte hauteur rigoureusement de l'est à
l'ouest, comme elle est marquée sur les cartes chinoises,
mais non sur les cartes européennes, et qu'enfin au sud du
fleuve court une grande chaîne de montagnes qui parait
absolument déserle. Ce sont les monts Amnyé Matchin, la
montagne sainte des Tibétains Ngologs.qui battent du front
à son seul aspect.
Revenu au camp duTse-lcheu, le D'Holderer apprit qu'il
avait été attaqué pendantson absence par des rôdeurs tibé-
tains et mongols, et qu'on avait tenté de faire périr son do-
mestique avec du lait empoisonné; celle région est en effet
relativement très peuplée, et la population nomade y est
particulièrement belliqueuse, insolente et hostile. En consé-
quence, les voyageurs reprirent la direction du sud-esl pour
se rapprocher des Lerriloires chinois, et arrivèrent sur le
cours supérieur du Tao-ho, dans une région où les forôls se
mêlent aux palurages. Près du gonpa de Chin-se ou Tcbin-
tse, lamaserie importante sur la rive gauche du Tao-ho,
qui compte iOO lamas environ, ils furent attaqués de nou-
veau par les Tibétains; malgré leur énergique défense tous
leurs bagages furent pillés, leurs yaks enlevés et ils restè-
rent seuls avec deux chevaux, sur lesquels ils se hâtèrent
de gagner la préfecture chinoise de Tao-tcheou. Ce n'est
pas sans regrels qu'ils abandonnaient ainsi la vallée du
fleuve Jaune sans avoir pu relier de nouveau son cours supé-
rieur à leur itinéraire; ils avaient appris en effet que, de
Tchin-lse, on peut se rendre en deux jours de cheval à la
pointe orientale du coude du Hoang-ho, point qu'il aurait
2<Hi I.KS DBRKIEnS VOïAUES DAIS'S t-E TIBET ORIENTAL.
été liés important de fixer pour savoir jusqu'où dans
cette direction le fleuve s'avance vers l'est- C'est seulement
près de Tao-tcheou, à deux jours environ dans l'ouest de
cette ville, qu'ils retrouvèrent les premiers agriculteurs chi-
nois, qui ne semblent pas de ce côté gagner peu à peu sur
les Tibétains comme ils le font depuis plusieurs années sur
les frontières du Setclmen et du Yunnan.
Ayant adressé leur plainte officielle aux autorités du
Kansou et réclamé le remboursement de leurs bagages
enlevés, les voyageurs gagnèrent Singan-fou par Kong-
tchang et Ping-leanget descendirent de la à Ilan-keou par
les barques du Tan-ho et de la rivière Han. Arrivés à
Changhai, ils se séparèrent pour rentrer en Europe, le
Dr Fùtterer par l'Amérique et le Dr Holderer par le canal
Bien qu'il n'ait pu, par suite de l'hostilité des populations,
être accompli dans son entier, ce voyage n'eu reste pas
moins un des plus intéressants parmi ceux qui ont été exé-
cutés sur la frontière tibélaine : il remplit en effet un vide
important de la carte entre les itinéraires de Prjévaisky,
de Rockhill et de Grenard à l'ouest, celui de Potanine et
mon voyage de 18913 à l'est. Si le Dr Holderer avait pu,
franchissant la boucle du Hoang-ho, rejoindre le point où
Itoborovsky fut arrêté le 27 janvier 1895, le problème eût
été presque entièrement résolu; ce sera l'œuvre de ceux
qui s'engageront sur leurs traces, demain ou dans dix ans,
car, selon le mot du philosophe allemand, « toute œuvre
n-l-elle encore et toujours l'éternité du temps pour s'ac-
complir»,
C.-E. Bonin.
LES OKBMERf VOYAGES DAZV* LE TIBET ORIENTAI.. 207
La très intéressante note de M. Bonin qu'on vient de lire
s quelques observations complémentaires de ma part.
1 ce qui concerne le voyage de Kijnhart et de sa femme,
je n'ai rien à ajouter à ce que j'en ai dit dans les Comptes
rendus de la Société d'après les notes mêmes du voyageur
et les lettres de sa femme. Je fais seulement remarquer
qu'il n'y a point de mandarin chinois à Nag-lchou dzong;
celui qui est venu à la rencontre de H. Kijnhart à la fron-
tière septentrionale du royaume de Lha-sa était probablement
un des secrétaires de la légation de Lha-sa, chargé d'aller
recevoir selon la coutume l'hommage et le tribut du prince
des Tibétains Hor-tsi, qui réside à Pa-tchen au nord-est de
Nag-tchou. Il ne peut avoir été envoyé spécialement delà
capitale pour arrêter M. Ftijuhart, puisque l'arrivée de celui-
ci n'avait pas été signalée avant le 2ti août, et que dès le
l" septembre il rencontrait ledit fonctionnaire; or, un cour-
rier ne peut pas mettre moins de six jours, ni un fonction-
naire moins de dix, pour accomplir le trajet de Nag-lchou à
Lha-sa et inversement ; de plus, M. Rijnharl a été arrêté a
deux journées de marche an nord de Nag-lchou dzong.
Le voyage de MM. Holderer et Fiitterer, moins difficile,
noins long et moins dramatique que le précédent, est plus
utile au point de vue géographique. Il n'y a rien à dire de
s partie déjà bien connue de leur itinéraire entre Kâchgar
et le lac Dalai Dabsoun. Je remarque en passant que l'es-
corte du consul russe à Kâchgar, quin'était que de 40 cosa-
raes lors de notre passage, a été portée à 64. Le fait a son
importance. Quant à l'opinion d'après laquelle le repré-
sentant du tsar posséderait le pouvoir effectif sur la Kach-
garie, elle est singulièrement exagérée; mais, comme j'ai
déjà expliqué ailleurs l'état exact des choses, je n'y revien-
drai pas ici. Il est regrettable que MM. Holderer et Fiitterer
aient renoncé à leur intention de se rendre du Dalai Dab-
508 LES DEKPilEilS VOYAGES DANS LE TIBET ORIENTAL.
soun aux lacs Kya-ring el Ngo-ring. Peut-être le défaut de
guides n'élail-il point un motif suffisant d'abandonner ce
projet dont l'exécution nous aurait fixés d é fi ni li veinent
sur les sources du Hoang hô. Au demeurant, je prie le lec-
teur de ne point voir de reproche ni de critique dans ce
regret que je me permets d'exprimer; car l'exploration
que les voyageurs allemands ont accomplie n'est pas moins
originale que celle qu'ils ont nianquée, et elle étail en réa-
lité plus dangereuse.
En partant du Dalai Dabsoun dans la direction du sud-
esl, ils ont croisé successivement l'itinéraire de M. Rockhill
(1892), le mien (189-1) et celui de Prjévalsky (1880; avant
d'atteindre le fleuve Jaune. Celte partie du voyage permettra
de débrouiller l'orographie encore obscure de la région qui
s'étend au sud du Kouk nor. Le fleuve Jaune franchi, les
voyageurs entrèrent dans un pays où les Européens n'avaient
jamais pénétré avant eux, el qui ne nous est connu que par
des cartes chinoises el un certain nombre de renseignements
recueillis principalenieni par M. Potanine. Ils remontèrent
probablement la vallée du Mba tchou et atteignirent la
rivière dont ils IranscriventTsé-lcheu, le nom que Polanine
écrit Rlcbi-dza (Tehi-dza). C'est, comme le dit M. Bonin,
i'iki Kalioutou des Mongols. Je n'insisterai pas sur la suite
de l'expédition que M. Bonin explique très clairement. Je
me contenlerai de noter que ma carte générale de l'Asie
centrale se trouve ÔIre conforme aux premiers renseigne-
ments fournis par MM. lloldereret Fûllerer, ce qui prouve
en faveur des géographes chinois qui m'ont servi à la con-
struire. Mais il est bien certain que les travaux des deux
voyageurs allemands, lorsqu'ils seront complètement con-
nus, y apporteront de nombreuses modifications de détail,
et des changements peut-elre importants dans quelques po-
sitions, qui nous donneront le moyen de rapprocher davan-
tage de la vérité le dessin de la grande courbe décrite par le
fleuve jaune. En somme, MM. Holderer el FiilLerer, autant
LES BKMilEflS VOYAGES DANS LE TIUET ORIENTAL. 209
que nous pouvons le savoir présentement, ont parcouru
environ 750 kilomètres entièrement nouveaux. Ils ont pré-
cisé les cours supérieurs de l'Obé tchou el du Tché-tché
tchou, fixé deux points du fleuve Jaune, reconnu pour la
première fois les vallées du Tchi-dza, du Baka Kalioutou et
du Tao ho jusqu'à Tao Icheou. Ils ont réduit d'une manière
1res notable l'étendue inexplorée qui a le pays des Ngo-log
pour centre et qui demeure encore la plus vasle des terrœ
incognito. C'est là un résultat considérable, qui leur fera
d'autant plus d'honneur que les circonstances étaient plus
défavorables.
Les plus récenles expéditions tentées parles voyageurs
européens sur les confins occidentaux de la Chine ont été
marquées par les mêmes revers. Mais les causes de ces
revers sont différentes ; les unes doivent Être attribuées au
milieu, les autres au moment. Les régions où se sont aven-
turés M. et Mme Rijnhart, MM. Holderer et Fiitterer ont
été dangereuses de tout temps. Les explorateurs les avaient
évitées avec soin jusqu'à ces dernières années. Prjévalsky
ne s'y est jamais hasardé. M. Kockhill, qui les a traversées
en 1889 par la route la moins périlleuse, parce qu'elle est
tenue par quelques garnisons chinoises, y a éprouvé de
graves difficultés; Dulreuil de llhins y a été tué en 1894;
M. Roborovsky, l'année suivante, a été attaqué au moment
où il essayait d'y pénétrer et obligé à rebrousser chemin;
Mme Bîsbop en 1891 a été expulsée après y avoir parcouru
quelques lieues. Celte contrée, qui laisse aux explorateurs
du xx* siècle plus de travail que toute autre au monde, est
limitée à peu près à l'est par les itinéraires de Polanine en
1885 et 1893, au sud par la grande roule de Ta-tsien-lou à
Ba-t'ang et par l'itinéraire de M. Bonvalot, à l'ouest par
l'itinéraire de Hue, au nord par celui de Prjévalsky en 1884
et par les lacs Kya-ring et Ngo-ring. Politiquement, elle
comprend presque toutes les principautés tibétaines indé-
pendantes de Lha-sa, sauf celle des Hor-lsi, que leur hosli-
L
210 LES DERNIBKS VOVACES UANS I.Ë TIBET ORIË]
lilé au bouddhisme rend relativement favorables aux Euro-
péens. L'une d'entre elles, celle des Ngo-Iog, est un État
de brigands que nul n'ose forcer dans leur repaire. Les
autres, échappant à l'autorité réelle delaChine, sont livrées
au caprice de leurs chefs, qui se querellent et se battent
sans cesse; elles sont morcelées en une foule de clans et de
cantons toujours prfits à guerroyer entre eux, vivant sous, le
régime de la vendetta et de la razzia ; elles sont la proie de
moines tout-puissants, durs et rapaces, qui, d'instinct, crai-
gnent et haïssent l'étranger et exaspèrent contre lui l'âme
superstitieuse et défiante des montagnards. Sans doute les
Européens ne sont pas mieux vus dans le royaume de Lha-sa,
qui est aussi tout entier dans la main des moines; mais
c'est un État organisé qui sait maintenir l'ordre parmi ses
sujets, et qui, soucieux par politique de garder un carac-
tère régulier, observe les formes pour mettre à la porte les
intrus dès qu'ils apparaissent. Il veille d'ailleurs à leur
sûreté, dont il se sait responsable ; mais, s'il leur arrive mal-
heur hors do ses frontièresjils'en lave les mains ; bien mieux,
il excite secrètement conlre eux les gens des principautés
voisines sur lesquels sa suprématie religieuse lui donne une
grande influence. Si le gouvernement de Lha-sa avait placé
son devoir au-dessus de sa haine, il aurait pu facilement
sauver la vie de Dutreuil de Rhins; il lui aurait suffi de
nous accorder la lettre que nous lui avions demandée pour
les abbés que nous devions rencontrer sur notre chemin, et
nous aurions trouvé aide et sympathie là où nous n'avons
trouvé que mauvais vouloir et inimitié.
Dans la partie du Seu-lch'ouen où M. Bonin a voyagé, il
n'en va pas de mÈme que dans la région dont je viens de
parler. L'autorité chinoise s'y fait sentir davantage. Je ne
veux pas dire que les indigènes, Tibétains ou autres, qui y
sont établis, soient toujours de bonne composition. C'est
une chose assez délicate que de s'entendre avec eux, et que
M. Bonin ait su s'en faire accepter tant dans son exploration
■
LES DKBMEflS YOïAi.KS HANS I.K TlliET ORIENTAL.
1\\
de 18H5 que dans celle de l'année dernière, cela fait honneur
à ses qualités diplomatiques; mais enfin, avec une conduite
prudente, on peut traverser ce pays sans grand danger dans
les circonstances ordinaires. Malheureusement, M. Bonin y
est arrivé au moment le plus défavorable. La guerre du
Japon, les intrigues etles révolutions de palaisqui en avaient
Été la conséquence à Pékin avaient ébranlé le pouvoir im-
périal; des révoltes avaient éclaté dans le nord et dans le
sud de la Chine, on parlait d'un changement de dynastie,
et partout les fonctionnaires locaux, sentant la bride du
maître flotter sur leur cou, donnaient carrière à leurs fan-
taisies : hostiles pour la plupart aux étrangers, ils commen-
çaient à les persécuter sous main, quelquefois ouvertement;
les lettrés sans emploi, n'ayant d'espoir que dans le désordre,
stimulaient les pires passions populaires contre les démons
d'occident ; les soldats licenciés, les paysans affamés et les
gueux des villes étaient à l'affût de mauvais coups et de
pillerïes ; les associations politiques s'agitaient et tous les
fauteurs de troubles tournaient leurs premières violences
contre les Européens parce que c'est contre eux qu'il était
le plus facilede s'accorder. Des missions chrétiennes furent
ravagées et incendiées, des missionnaires tués, maltraités
ôli expulsés. Dans ces conjonctures, l'expédition de M. Bo-
nin ne pouvait se poursuivre sans péril.
Les indigènes l'avaient bien accueilli, mais les Chinois,
qui ne respectaient plus les ordres de Pékin, l'attaquèrent
ou le firent attaquer. Il eut quatre hommes blessés dans le
combat, dont il sortit lui-même sain et sauf. Il gagna avec
peine Kieu-lch'ang ou Ling-yuen, puis'l'a-tsien-lou,pardes
routes nouvelles. Cette dernière ville, calme d'ordinaire,
était alors livrée au désordre comme le reste de la province j
le télégraphe avait été coupé; les missionnaires, épargnés
jusqu'à ce jour, mais menacés, vivaient dans l'inquiétude
et pensèrent un moment à se réfugier avec M. Bonin sur
une montagne prochaine peu accessible. Bientôt le voya-
^^^m
212 LES DEKMlKnS V0VA4ÏES DANS LE TIBET ORIENTAL.
genr apprit le pillage d'une grosse partie de ses bagages el
de son argent, que M. de Vaulserre lui avait expédiée. Il
lui était désormais impossible de continuer sa marche en
avant, moins encore à camuse du manque de ressources que
de l'état d'anarchie et de rébellion où le pays était plongé.
Il revint donc par la grande route sur Ya-tcheou afin de
regagner le lleuve Bleu. En prenant toutes les précautions
el en faisant face aux dangers qui le suivaient sous des
formes multiple?, il put atteindre le fleuve et descendre
par eau jusqu'à Tch'oung-k'ing et I-tch'ang en retraversant
départ en part la vallée du Ta Kiang de plus en plus troublée.
Ainsi la période d'agitation au milieu de laquelle M. Bon in
a tenté son exploration ne lui a pas permis de remplir son
programme entier. Cependant les résultais qu'il a obtenus
sont considérables et seraient très satisfaisants pour une
première année de voyage, même si elle s'était écoulée sans
incident fâcheux. Tandis que son second, M. de Vaulserre,
relevait le cours du lleuve Bleu en amont de Soei fou,
M. Bonin prenait la voie de Ta-knuan, Tchao-t'oung et
Toung-tch'ouan, qu'avaient suivie avant lui Francis Garnier
en 1868, Jean Dupuis en 1871, Baber en 1876. A quelques
lieues au delà de Toung-tch'ouan, il abandonna les chemins
battus et s'engagea sur une route inexplorée qui le conduisit
à travers le Leang-chan à Ling-yuen; de là il marcha sur
les traces de Baber (1877) jusqu'à Lou-kou,puîs il remonta
une vallée plus occidentale que celle qu'avait descendue le
voyageur anglais et aboutit à Tzeu-la-li sur leTa-kin tch'ouen
où il rentra en pays connu. Aulanl que je puis m'en rendre
compte préseniemenl, M. Bonin a relevé environ 400 kilo-
mètres nouveaux. Son itinéraire, comme il l'écrit lui-
même, complète et rectifie celui qu'il a suivi en 1895-1896;
l'un et l'autre forment les deux côtés d'un triangle isocèle qui
aurait Ta-lsicn-lou pour sommet et la ligne de Ta-li à Toung-
tch'ouan pour base. Les nombreux renseignements géogra-
phiques qu'il a recueillis sur les régions voisines de sa route
*-ES L'LriîlliilS YGYAi. m D.^NS 1a. r »BiùT 0.»iK.NT..L. LiO
doublent l'importance de son exploration et permettront
de dresser la carte du pays situé entre le fleuve Bleu, le
Ya-long kiang et le Ta-kin tch'ouen. J'ajouterai que ce
voyage emprunte un singulier intérêt à la .peuplade des
Lolos, ou plutôt des Nyé-sou, pour employer le nom véri-
table, au milieu de laquelle il a été accompli. Cette peu-
plade, qui n'est guère connue que par les notes deBaber,
bien superficielles malgré la grande intelligence de l'auteur,
et les travaux encore incomplets du P. Vial, a été étudiée
récemment, dans les tribus qui en subsistent au Yun-nan,
par M. Bons d'Anty, aujourd'hui consul de France à
Tch'oung-k'ing. Nous souhaitons qu'il puisse bientôt publier
les résultats des recherches qu'il a poursuivies longtemps
avec patience et avec la plus parfaite compétence. Les
informations de M. Bonin y ajouteront sans doute d'impor-
tants détails, et achèveront de nous donner une connais-
sance générale de ce débris de l'antique race indonésienne,
primitive occupante de la Chine et chassée dès les temps
préhistoriques par le peuple des cent familles dans les
montagnes du Tibet.
M. Bonin reprendra son exploration dès qu'il aura obtenu
du gouvernement de Pékin la satisfaction qui lui est due.
Mais au lieu d'aborder l'Asie centrale par le Seu-tch'ouen.,
il l'abordera par le Kan-sou. Il rencontrera certainement
moins d'obstacles de ce côté, et pourra vraisemblablement
résoudre plusieurs questions géographiques concernant le
haut fleuve Jaune et le haut fleuve Bleu; de cette manière
il aura accompli une mission un peu différente de celle
dont il s'était fixé le programme, mais non moins impor-
tante.
F. Grenard.
V&w^i-a**^-
SOC. DE GÉOGR. — 2e TRIMESTRE 1890. XX. — 15
AU TRAVERS DU CONTINENT AUSTRALIEN
Le capitaine H. VERE BARCLAY1
Il y a vingt-Jeux ans, le gouvernement de l'Australie méri-
dionale désira déterminer la position de ta ligne frontière
entre cette colonie et le Queensland. M. H- Vere Barclay était
à ce moment en congé temporaire; il Tut recommandé au
gouvernement ite l'Australie méridionale par le Ministère de
la Marine anglaise comme étant toutù fait qualifié pour ac-
complir cette périlleuse et savante mission. La ligne, jus-
qu'alors idéale, qui séparait les deux provinces australiennes
était presque parallèle à une ligne télégraphique qu'on venait
d'établir entre le port d'Adélaïde au sud et Port-Darwin au
nord de l'Australie; en plus de la mission qui lui était con-
fiée par les provinces, le capitaine Barclay devait étudier
le tracé d'une ligne de chemin de fer destinée à rejoindre
dans l'avenir les rivages sud de l'Australie à ses rivages
nord, c'est-à-dire une longueur d'environ 3,000 kilomètres.
H. Barclay commença d'abord a. déterminer astronomi-
quemenlte point d'Alice S prings, place sur la ligne télégra-
phique, sur laquelle il mesura ensuite sa base d'opérations
qu'il relia par des triangulations à la ligne frontière qu'il
avait à tracer. Pour arriver à. cette ligne, il eut à traverser
une contrée formée de collines de sable avec nombreux
spinifex; mais un peu plus haut les sables cessent a Mac-
donnell Ranges, où commence une chaîne de montagnes
dont certains pics atteignent 1,700 mètres de hauteur,
, CiuBmuiilciiiion faite par H. Jules Garnier dans la séance du
Mrs 1699. — Voir le profil Joint à ce numure.
AU TRAVUIIS DU CONTINENT AUSTRALIEN. 215
andis que sa base d'opérations n'était qu'à 700 mètres au-
s du niveau de la mer. Cette haute chaîne s'étend est-
ouest et va rejoindre dans le Queensland la chaîne de
Garas. M. Barclay était accompagné de 9 hommes et de
nombreux chevaux; en même temps que la topographie, il
relevait la coupe des terrains traversés, que l'on peut voir
sur le profil ci-joint. A l'endroit nommé Hergol Springs,
fi 350 kilomètres au sud du lac Eyre, M. Barclay traversa
la contrée la plus remarquable de son voyage : ce pays est
au niveau de la mer eL quelquefois an-dessous; ainsi la
surface 'du lac Ëyre est à 3 m. 50 au-dessous du niveau
lie la mer; autour d'Hergol Springs s'élèvent de nom-
breuses collines de sable en forme de pains de sucre et
c'est au sommet de ces collines que se trouve généralement
une petite nappe d'eau dont la plus grande peut avoir
15 mètres de diamètre, et pendant que l'eau abonde sur ces
omroets de sable on n'en trouve pas une goutte à leurs
jïeds ; le voyageur qui n'aurait pas l'idée de gravir ces troncs
e cône pourrai t mourir de soi!' dans la plaine. M. Barclay ne
a pas le fond de ces pièces d'eau même à 380 mèlres,
■ofondeur à laquelle ses sondes pouvaient atteindre. L'eau
de ws bassins est salée, saturée d'iodurcs et rie chlorures
alcalins, de plus elle est imprégnée d'hydrogène sulFuré et sa
température atteint 82° centigrades; des vapeurs s'en dé-
gagent. On arrive à la rendre potable pour les animaux en
fa laissant reposer pendant vingt-quatre heures; les ga»
qu'elle contient s'évaporent, mais comme elle est toujours
très salée, l'homme n'en peut boire que très modérément.
Cette eau provient de puits artésiens naturels, et la silice
dont elle est chargée a formé graduellement au travers des
sables une sorte de tube solide par lequel l'eau arrive régu-
lièrement du fond au sommet de chaque c6ne.
M. Barclay a constaté par les faits suivants la façon dont ces
phénomènes se produisent. Dans les Macdonnell Ranges, ;iu
nord, le sol est l'orme de schistes inclinés de 70° vers le sud,
210
ai: TRAVEBS !
les pluiesqui tombent surce territoire monlagneuxatteignent
une hauteur qui varie entre 50 centimètres et 1 m. 60, elles
suivent souterraine nient la pente des schistes et vont remon-
ter vers HergoL Springs sous la forme de ces puits artésiens;
une preuve de ce fait, c'est qu'il ne pleut jamais sur les
sables qui couvrent l'intervalle et que, de quatre à sept
mois environ après tes grandes pluies qui tombent dans les
montagnes de Macdonnell Ranges, la vigueur des sources
d'HergotSprings augmente en proportion des pluies; de
plus l'immense bassin qui entoure du côté du nord-est,
jusque dans le tjueensland, ces puits artésiens, écoule toutes
ses eaux dans la mer de sable à la surface de laquelle appa-
raissent ces puits artésiens. Ce curieux pays de sable est
ainsi traversé par des sources ascendantes sur une distance
de 800 kilomètres environ. L'eau du lac Eyre, dont le niveau
est si bas, est ta plus salée de toutes, et c'est un fait très
remarquable si l'on observe que c'est précisément dans ce
lac que toutes les rivières du grand bassin nord-est du
Queensland, sur une largeur de 160 kilomètres, viennent se
déverser, de sorte que cette salure ne peut s'expliquer que
par l'arrivée dans ce bassin lacustre des sources salines sou-
terraines dont nous avons parlé. Nous ferons remarquer à
ce sujet que les eaux jaillissantes dans les pays de sable ont
non seulement une grande influence pour retenir les sables
à l'état de dunes, mais encore pour fixer ces dunes et en
former des collines solides où les sables sont agglomérés
par les subslances minérales qui s'échappent des eaux
ascendantes qui les tenaient en dissolution1.
1. Ces falLs vunnenl appuyer I opinion Énoncée par M. Jules tarnier ;i
la Sociéu de Ciugraplik en I88J. et pins lanl reprise par le capitaine
du génie Courbi», à teVotr qu'il eii-lf dans le Sutura des dune!! qui
prennent naissante aux poims un se irouvrni des sources jaillissantes.
On avait objecte a Mlle opinion que la» eaui dont cette variété de
dunes sont Imprùyiiéi'» provenaient des pluie-s et non des sources sous-
JaillUsante* : cela ne saurait être, en tout cas, dans les dunes de
Hergni Spriug*. puisque les pluies n'y tombent jamais.
AU THAVËRS PU CONTISKNT AUSTRALIEN.
ird de ce pays des sources, on traverse des colli
sable rouge couvertes de silex rouges
ntre aujourd'hui, à Charlotte Waters, i
-217
li nés
. noirs; on'ren-
observatoirc du
gouvernement qui constate parfois des températures de 50"
centigrades à l'ombre. Au nord de Charlotte Waters, le pays
s'élève rapidement jusqu'à Macdonnell Ranges; celte con-
trée a subi une énorme dénudation. ainsi que le montre la
curieuse colonne appelée Cliambers Pillais; ce pilier formé
île grès friable est un témoin de l'ancienne hauteur du sol;
mais celte colonne à peu près verticale, maintenue par une
cohésion plus grande de ses éléments, disparaît rapidement
usée par le vent et les pluies.
Plus au nord l'aspect du pays change complètement : les
sables et les grès font place à de vastes séries de chaînes de
quart zî te et de granit s'étendant sur une longueur de 700 ki-
lomètres de l'est à l'ouest et sur une largeur de 100 kilo-
mètres. La limite sud de celte chaîne est une barrière extra-
ordinaire, taillée à pic et absolument inaccessible à l'homme.
De dislance en dislance, celle chaîne est coupée d'étroits
passages par lesquels se déversent les eaux du nord pour
aller au sud dans la mer de sable; ces ouvertures ont jus-
qu'à 20 mètres de largeur, pendant que le roc a 70 mètres
de hauteur. Au nord de cette barrière se trouve une plaine
très fertile, comprise entre la barrière même et les mon-
tagnes du nord ; tantôt elle s'amincit et tantôt s'élargit jus-
qu'à 60 kilomètres de largeur; c'est là une véritable oasis.
Du coté de l'est, on retrouve des rivières courant au sud.
Nous devons rappeler que les rivières de ces pays ne
coulent que dans la saison des pluies, mais les sables qui
encombrent leur lit conservent, à quelques pieds de pro-
fondeur, de l'eau où le voyageur neuls'abreuver; en dehors
de ces lits de rivières, l'eau fait absolument défaut, et le
capitaine Barclay a dû rester jusqu'à trois semaines sans
n trouver pour ses soins de propreté.
Au nord de l;i chaîne est-ouest dont nous venons de
m
At TRAVERS DU CONTIENT AUSTRALIEN.
faste plateau ; cette région est hien pins
parler, se trouve un v
fertile qu'aucune des régions du sud, la pluie y tombe aussi
plus régulièrement et l'on y sent l'arrivée de la mousson du
nord, qui n'atteint pas le sud à cause des montagnes qui
l'arrêtent. On comprend que dans ces conditions les indi-
gènes soient ici d'un type supérieur à ceux du reste de l'Aus-
tralie; ce sont les highlanders du continent australien; ils
sont braves et bien armés, anthropophages et guerriers.
Toutefois ils ont toujours respecté le capitaine Barclay parce
qu'ils voyaient en lui un homme d'une grande bonté, qui
donnait des remèdes à leurs malades, maïs ils le sentaient
aussi fort et résolu; il est vrai encore qu'ils le prenaient
pour an sorcier en voyant ses télescopes, ses théodolilhes
et antres instruments, c Ce sont pour moi, dit le capitaine
Barclay, des amis », et il a pu voyager au milieu d'eus pen-
dant plusieurs mois, accompagné d'un seul blanc, sans être ,
le moins du monde inquiété. Il est revenu plusieurs fois
dans la contrée depuis vingt ans pour y terminer ses travaux
et il est de mieux en mieux reçu ; pour lui, il y a là une race
humaine qu'on ne peut qualifier d'inférieure et il est bon
juge, car il a observé un grand nombre de peuplades diverses
dans le cours de sa longue carrière d'explorateur.
Ces Australiens ont des coutumes qui semblent extraordi-
naires : leurs mœurs au sujet du mariage sont très strictes ;
il est défendu d'épouser une parente m6me éloignée et, ils
doivent même souvent chercher leurs femmes dans une
tribu étrangère; l'homme qui désire s'unir à une femme
doit l'enlever; celle-ci, surprise par l'homme, doit le suivre
et lui la protège ensuite contre toute agression. Ils ne sortent
de leur territoire que s'ils doivent porter un message et,
dans ce cas, ils ont comme sauf-conduit un petit bâton sur
lequel sont entaillés des signes spéciaux qui sont les mêmes
pour tout le continent australien. Le capitaine envoyait
ainsi ses lettres et. télégrammes à plusieurs centaines de
kilomètres de distance ; il faisait une fente dans un bàtun, il
un bàtun, il
AU TRAVERS DU CONTINENT AUSTRALIEN. 219
y insérait son message et l'indigène, le bâton à la main et
bien en vue, traversait tout le pays, respecté de tous à cause
du message qu'il portait. Quelquefois on rencontre, chemin
faisant, des inscriptions tracées sur des pierres dont le sens
nous échappe encore.
Au nord du plateau dont nous venons de parler et à partir
de Barrox Creek, la contrée est formée de vastes steppes
sans intérêt, qui descendent en penle douce jusqu'au rivage
du nord.
M. Barclay, quand il arriva à Port-Darwin, dans le nord,
qui sera le point terminus du chemin de fer qu'il a tracé
depuis, apprécia grandement la position de ce vaste port
qui se trouve en face des immenses continents de la Chine
et de llnde.Ge sera là, d'après lui, le centre d'un commerce
des plus florissants quand le chemin de fer y aboutira. Près
de 1,-400 kilomètres de la ligne sont déjà construits; il ne
reste plus que 2,200 kilomètres à faire. Il n'est pas douteux
qne ce continent ne soit destiné à recevoir dans l'avenir
une immense population.
MISSION VOULET-CHANOINE
Itinéraire du capitaine CHANOINE
UE D1ENNÈA S ANSANNE-HAOUSSA'
Saiisaotié-H;inin«a i.rivi- candie fin Nipcf, 100 kilomètres
en amonl île 5ay\ le S janvier 1899.
J'ai quille Dienné le 18 octobre 1898 avec 3130 tirailleurs
pour me rendre à Say p;ir la voie de terre, tandis que Vou-
let parlait pour Tombouelou et Say par le Niger avec, les
chalands chargés de matériel. Au mois d'octobre, toute la
plaine de Dienné est inondée et couverte de 2 mètres d'eau.
Le Niger et le Bani sont réunis et de loir, en loin on voit
émerger des monticules hérissés d'un bouquet de rôniers;
ce sont les villages devenus des lies, Dienné même, avec ses
grandes maisons à deux étages, ses mosquées, ses terrasses
et son enceinte, baignée par le canal de Koakourou qui
l'entoure de toutes parts, a l'air d'une forteresse.
J'ai débarqué sur la rive droite du fi.ini àKombaka{20 ki-
lomètres nord-est de Dienné) et j'ai pris la route de Yarro-
Sô. On rencontre la montagne à lïl kilomètres du fleuve;
c'esl la montagne du Dakol, de Bandiagara, de Donentza,
du llomboi'i: c'est la montagne des turbulents H abcs. La
route de Dienné à Oualiigouya la traverse directement à
Diam, mais elle est encombrée de rochers et très mauvaise
1. Celle relation de H, le capital
communiquée à la Sociélë par l'un de si
1U. le général Chanoine, père de cet offleier.
Chanoine a été obligeamment
cicos membres.
DE IUENNÉ A SANSANNÉ-HAOUSSA. '221
pour les chevaux; c'est pourquoi je fis un crochet vers le
nord pour passer par une sorte de col qui s'étend de Yarro
à Su. Sô est le village- qui domine la plaine, leSéno au sud-est.
De Yarro à Sô, 30 kilomètres; c'est la largeur de l'arête
montagneuse, La montagne de Bandiagara est un des
importants accidents de terrain de l'Afrique; on la traverse
près de Dîou, entre San et Sono, et encore entre Sikasso et
Bobo-Dioulaso; elle se prolongerait, dit-on, davantage vers
le sud. Au nord, elle continue au delà du Hombori, qui est
simplement la dénomination d'une de ses parties; elle va
sans doute jusqu'au Nieer, à Tosaye, et s'étend peut-être
au delà. Elle a une longueur connue de plus de 1,000 kilo-
mètres et sépare très nettement les bassins du Niger supé-
rieur (Bani et ses affluents) et du Niger moyen du bassin
des Volta. Elle en fournit une bonne partie des eaux, qui,
traversant les sables du Séno, viennent sourdre 150 kilo-
mètres plus au sud.
La montagne est habitée par une population très dense,
que nous appelons improprement «: les Habé ». Le mot
4 Kado », au pluriel « Habé », est en effet le nom général que
donnent les Foulbé à toutes les populations noires, par
antithèse avec eux-mêmes qui se considèrent comme des
étrangers. Le mot < Kado » signifie l'autochtone, le noir.
Les habitants de la montagne se disent « Toma s et
d'origine c mandé ». Ils ont des noms païens très différents
de ceux des Malinkés et des Bambaras, qui sont aussi des
Mandés. Il est probable qu'ils ont conservé sans altération
noms, tandis que, dans tout le reste du Soudan, ceux-
ci sont altérés ou changés, par imitation des noms musul-
mans ou de lu Bible.
La montagne est appelée dans le Soudan le « Tomakou-
loii î (la montagne des Toma, en langue bambara).
Les Habé ne sont pas tatoués ; ils sont robustes et plus
musclés que les gens de ta plaine ; ils ont les dents incisives
limées en pointe; leurs traits sont avenants. Ils ont une
2LJ2 MISSION" VOULKT-CHAISniSE.
langue particulière, mais parlent aussi la langue des habi-
tants de la plaine, soit le poulie, soit le hambara, soit le
songhay, suivant qu'ils sont en contact avec ces peuples : le
bambara, du côté de Dienné; le poullo, de Bandiagara à
Douenlza; le songhay, près de Hombori.
De leur langue propre, il y a môme plusieurs dialectes, el
l'on ne se comprend pas toujours entre habitants de vil-
lages éloignés.
Les Habé construisent des villages en pierres sèches et
en lerre qui, perchés au sommet de rochers presque inac-
cessibles, délient toute altaque et semblent de loin des
châteaux-forts inexpugnables. Dans certains villages, on
n'accède qu'au moyen de troncs d'arbres et d'échelles. Les
Habé sont sédentaires et ne s'arrachent qu'à regret à leurs
rochers. Ils sont très bons cultivateurs, travaillent avec soin
leurs champs qu'ils savent fumer; ils récollent beaucoup
de mil, sont plus prévoyants que les autres Soudanais et
emmagasinent de grands approvisionnements. Us ont peu
de bœufs, n'ayant pas de pâturages, mais un grand nombre
de moutons et de chèvres. Ils fabriquent beaucoup de dolo
et le soir, dans la montagne, c'est une grande orgie; on bal
le tam-tam, on fait un vacarme infernal, on boit, on danse,
on se grise, on tire des coups de fusil. Les Habé sont indus-
trieux, ils lissent de la toile, qu'ils teignent en noir uu en
brun foncé, de sorte qu'on les dislingue à peine, au milieu
de leurs pierres; ils sont presque tous armés de fusils qu'ils
entretiennent avec le plus grand soin; ils fabriquent leur
poudre eux-mêmes et, comme projectiles, se servent de cail-
lou* ferrugineux.
Ils sont batailleurs, ils ont toujours défendu énergïque-
œenl l'accès de leur montagne, mais iis ne sont pas con-
quérants et ne s'aventurent guère pour combattre hors des
derniers éboulis de la falaise. Les Foulbé, les Bambara,
les Foulanké les ont soumis en les prenant par le ventre,
en les empêchant de venir cultiver leurs champs, qu'ils
DL U1ENNÉ A SÀN5A]SNÉ-HA0USSA. 23$
ont dans la plaine au pied de la falaise. Au milieu île leurs
rocher, bons tireurs, agile?, connaissant leur terrain, les
Habé sont très redoutables.
Les villages habé sont tous indépendants les uns des
autres; ce sont dans chacun les vieillards qui dirigent les
affaires de concert avec un fétichiste nommé « l'Ogom »
lequel ne doit, sous aucun prétexte, quitter la case où il
opère ses maléfices et ses conjurations. L'Ogom a la plus
grande influence, personne n'ayant jamais pu convertir les
Habé à l'Islamisme ; les Foulbé fanatiques de Hamdallahé,
qui, cependant, firenl peser sur eux une dure domination,
y renoncèrent.
Actuellement les Habé du sud de Bandiagara obéissent
assez bien; quant à ceux du Dakol et de Bamba, il existe
entre eux et le résident de Bandiagara une sorte de compro-
mis; ils vivent dans une presque complète indépendance,
nous considèrent avec indifférence et se contentent., comme
concession, de ne pas molester en ce moment les agents
poli liq Lies et les gouverneurs foulankés d'Aguibou, qui
parfois, pour la forme, vont se promener eues; eux.
La route que j'ai suivie descend de la montagne à Sô, puis
la longe jusqu'à Diam et là se dirige vers l'est-sud-est pour
aller à Courganda, Ntori, Goécé, Louta, Goniboro, Boussé-
nou et Ouahigouya.
Au pied de la montagne s'étend une vaste plaine sablon-
neuse, c'est le Séno. La largeur du Séno varie de 80 a
100 kilomètres; puis au delà reparait le sol ferrugineux.
Dans le Séno, l'eau est rare; dans la saison sèche, on n'en
trouve que dans des puits très profonds, et cependant le
Séno est couvert d'arbres qui, du haut de la montagne, le
font ressembler h un immense verger. Après l'hivernage,
il est couvert d'une herbe excellente pour les troupeaux.
Le Séno est très peu peuplé; on y rencontre quelques
Habé et surlout des Foulbé faisant paître leurs troupeaux
et devenus en quelques endroits sédentaires. Le Séno est
ââi MlSSIO!l VOIILET-CliÀNOINE.
composé de Irois dunes de sable dont la plus haute court
parallèlement à la montagne à 1 kilomètre environ;
deuxième se trouve à 3 kilomètres, la troisième à envi-
ron 10 kilomètres, puis le Séno s'abaisse insensiblement.
On comprend donc que les eaux des pluies d'hivernage
qui courent sur les surfaces rocheuses de la montagne et
viennent tomber en cascades sur la plaine, disparaissent
dans le sable, traversent les trois dunes et reparaissent
100 kilomètres au sud pour former les suites de mares qui
sont les sources septentrionales des deux Volta. Au sud de
celte partie du Séno, se trouve le pays des Samos. La route
de Dienné à Ouahigouya en traverse le nord. Le pays des
Samos est plat, son sous-sol est ferrugineux et la couche
d'eau souterraine est à une assez grande profondeur. Les
eaux qui viennent de la montagne, après avoir traversé les
sables du Séno, forment une suite de inares qu'on appelle
le Sourou, dont la pente est si faible qu'au moment de la
crue de la Volta, dans laquelle se jette le Sourou, crue qui
précède celle de ce cours d'eau, les eaux de la Volta refluent
dans le Sourou à plus de 100 kilomètres de son confluent.
La population du pays des Samos est très dense. Les Sa-
mos sont groupés par gros villages de 3,000, 4,000 et même
6,000 habitants, distants de 10 ou 15 kilomètres les uns des
autres. Leurs villages sont des agglomérations de cases en
terre pressées les unes contre les autres, que leurs sauvages
habitants défendent avec une rare ténacité.
Au Soudan, plus on va vers le sud et plus les peuples que
l'on rencontre sont barbares et sauvages. C'est a quelques
kilomètres îles côtes que se trouvent les plus arriérés et les
anthropophages. Ce phénomène s'explique par le fait que
les populations plus civilisées et conquérantes sont toujours
venues du nord-est et ont constamment refoulé devant elles
les autochtones jusqu'à la forêt vierge, qui s'étend à partir
du 6" degré de latitude nord.
Les Samos commencent la série des peuples sauvages;
DE D16SHÉ A SANSAXNA-HAOUSSA. 225
plus au sud viennent, successivement les Bobos de la boucle
rie la Voila, puis les Dagaré, les habitants du Lobi el enfin
les indigènes du nord de la Côte d'Ivoire et de la Côte d'Or.
Les Samos, bien que fétichistes, ont un grand respect pour
les marabouts markos originaires de Dienné qui se sont
installés chez eu* et leur vendent des amulettes, exploitent
leur crédulité et font quelques prosélytes. Les Samos ne
sont pas soumis, bien que, depuis deux ans, chaque bulletin
politique des commandants de la région annonce la lin de
leurs rébellions. On n'a pas eu la main assez dure avec eux
au début ; on a châtié il y a trois ans les villages faibles, en
laissant impunis les grands et les forts. On a laissé, séduit
f leur trompeuse parole, les marabouts markos exercer
r détestable propagande. Il y a deux ans, quand la rébel-
1 fut devenue générale, on se décida à mettre les Samos
i raison. On agit alors sans énergie, par des demi-mesures
lie les rebelles ont interprétées pour ce qu'elles étaient
jelletnent, de la faiblesse de la part des chefs de la région.
Les Samos comme les llabé ont pris conscience de leur force ;
ils ont pris l'habitude de maltraiter ou de tuer les agents poli-
tiques et les percepteurs d'impôts, sachant très souventqu'ils
sont sûrs de l'impunité, tant ceux qui se disent les maîtres
du pays redoutent les responsabi lités el craignent de prendre
d'énergiques décisions. Enfin, les Foulbé et les Foulanké
d'Aguibou agitent le pays pour pêcher en eau trouble.
Le pays des Samos a été divisé en quatre parties : la partie
septentrionale appartient à Aguibou ; la partie occidentale
dépend de Ouidi ; le sud a formé le cercle de Sono ; l'est est
rattaché au Yatenga et dépend de Onahigouya. C'est Ousman-
Oumarou, le gendre d'Aguibou, qui est gouverneur de la
partie septentrionale. Les États d'Aguibou, qui sont fort
étendus, sont divisés en provinces à la lele de chacune des-
quelles est placé un gouverneur toucouleur. Aguibou a peu
d'autorité, ses gouverneurs lui obéissent mal, se délestent,
se jalousent tous et cherchent à se susciter mutuellement
2ÏG .UISS10N VOOLET-CHAKOlPifi.
des embarras, en encourageant, en protégeant même les
désobéissances dans les territoires de leurs voisins.
Aguibou et les siens, toujours menacés d'être dépossédés,
sont maintenant impassibles devant les blâmes tes plus vio-
lents; mais, restés pillards comme tous ceux de leur race,
ils prennent leurs précautions et font soigneusement leur
fortune qu'ils mettent en lieu sûr. Leur fortune, ils la font
au délrimentde leurs sujets et de nos intérêts. LeToiicoulenr
est, du reste, mauvais administrateur, car il a des goûts
luxueux el grandioses. Son pire défaut est l'orgueil, défaut
qui coûte cher quand on a une troupe de griots et de chan-
teurs de louanges gagés. Le Toucouleur aime à être envi-
ronné d'honneurs, l'encens lui est agréable. Le plus grand
luxe, en môme temps que le plus grand plaisir des chefs
musulmans est de posséder un grand nombre de femmes,
de les parer, de les habiller des étoffes les plus coûteuses;
leur vanité est flattée qu'on le sache. Or, ce i|ue les marchands
indigènes aiment avant lout prendre en échange de leurs
marchandises les plus riches, c'est le captif. On comprend
facilement que les Touconleurs ne tiennent pas a ce que le
pays qu'ils commandent soit en pais; ils créeraient au
besoin des troubles pour pouvoir les réprimer.
C'est Ousman-Omnarou qui réside à Loula. Le gendre
d'Aguibou est une sorte de grand seigneur noir dont l'hos-
pilalilé et la générosité sont proverbiales. 11 est très brave
-aussi, triais il a tous les instincts pillards de sa race. C'est
un lettré, cependanl, un esprit distingué qui se tient au cou-
rant de toutes choses et a beaucoup appris. Je le connais
depuis lungtemps, et toujours il m'a été agréable de converser
avec lui.
A 30 kilomètres de Loula, on pénètre chez les NUgabé,
Samos dépendant de Ouahigouya. Le 1" novembre, j'étais
dans la capitale du Yalanga.
Le vieux Bakarcy, le naba du Yatanga que nous avons en
18u6 débarrassé de ses ennemis et remis sur son trône, est
DE DUSSNÉ A SANSAINPiÉ-HAOUSSA. 227
.•irrivé à l'étal de décrépitude complète que faisaient prévoi
ses habitudes d'intempérance.
J'avais fait venir à Ouahigouya Marna go u Aguibou, (ils dt
Fidiani, tdrissa. fllsdeOuidi, et B aie, nos anciens auxiliaire
en 1896 et 189T, auxquels le gouvernement a accordé de
décorations. J'ai donné de l'éclat a la remise de ces distinc
lions. J'ai passé une revue; on a Lire le canon. Le soir, tam-
tam et salves d'honneur. Celle fêle avait surtout pour bu
^■ft £ iîf^È
HiniM Chanoine quilUnl k ■ 41a.
d'exciter l 'enthousiasme de nos jeunes tirailleurs. L
12 novembre, j'étais à Ouagadougou, j'y prenais livraison d
740 porteurs et de 30 chevaux. De concert avec le résident
je remis au Moro-Naba !a décoration du Cambodge, a
milieu d'une grande assistance venue de tous les points d
Mossi. Je suis heureux que le gouvernement ait accordé a
Moro-Naba cette décoration. C'est le premier des frères d
Bokary Koutou, le naba dépossédé en 1897, qui vint nou
faire sa soumission, el si on peut lui reproeber avec just
raison son indolence, on ne peut guère, jusqu'à présenl
MispecLer sa sincérité.
228 MISSION "VOIILET-CHANOINE.
J'ai quitté Ouagadougou le 16 novembre et je suis arrivé
le 22 à Koupéla, non loin de la frontière du Gourma, c'est-
à-dire du haut Dahomey. J'ai pris à Koupéla le complément
des porteurs. Dans tout le Mossi, que j'ai traversé pendant
360 kilomètres, j'ai reçu le plus parfait accueil des chefs et
de la population. Je venais de traverser tout le Soudan
depuis Kayes par Nioro, Ségou et Dienné; le Mossi me fit,
relativement à ces contrées, la môme impression de richesse
et de prospérité qu'en 1896. L'air est sain, le sol excellent.
Les chevaux, les ânes, les bœufs, les moutons abondent. Il
est regrettable que l'habitant du Mossi soit inerte et comme
plongé dans une sorte de torpeur; il cultive à peine ce sol
si riche et ne cherche à faire produire que la quantité de
grains qui lui est strictement nécessaire; aussi' souffre-t-il
cruellement de la famine dans les années de récoltes mau-
vaises semblables à l'année dernière. Quel remède faudrait-il
apporter à cette incroyable paresse? Peut-être l'appal du
luxe arracherait-il le Mossi a sa somnolence, si les commer-
çants venaient le tenter.
Je croîs encore qu'une énergique impulsion de la part des
résidents amènerait des résultats.
Elargir les chemins, en faire des routes, le long de ces
routes, creuser des puits; aider aux transactions commer-
ciales entre Tombouctou et la dite d'Ivoire par le Mossi et
la Volta; créer des marchés, constitueraient des mesures
propres à amener un changement matériel et moral dans le
pays. Mais pour atteindre ce but, il ne faut pas hésiter à
imposer des corvées aux habitants, à les forcer enfin de tra-
vailler pour leur bien-être. Les Romains ne lïrent pas autre-
ment pour civiliser leurs conquêtes. Agir ainsi, c'est gou-
verner, ce qu'ignorent la plupart des Français qui prétendent
à celte fonction.
J'ai traversé le Gourma de Koupéla à Takalami, en passant
par Tibga, Gaiérî, Pahou, Bartibogou. J'ai rejoint à Taka-
lami la route de Dori à Say. Le nord du Gourma est un
DK OIENNÉ A SANSANNÉ-HAOUSSA. 229
t où les villages, misérables agglomérations d'une cen-
taine de cases, sont distants de 35 ou 40 kilomètres. Les
habitants sont sauvages et craintifs, toujours en butte aux
exactions fie leur souverain. L'eau est rare, même à cette
époque. Cependant, belle est la végétation, car la couche
d'eau souterraine est à une profondeur médiocre. La route
de Dori à Say n'est guère peuplée, et les Foulbé de Torodi
l'ont abandonnée en plus d'un point.
Le 14 décembre, j'arrivai à Say. Voulet n'était pas encore
arrivé. Je reçus un courrier de lui, me disant qu'it ne serait
à Busongo que le "20 décembre et de me porter à sa rencontre.
Nous restâmes quelques jours à Say; nous avions parcouru
900 kilomètres depuis Dienné. Tout le monde avait besoin
de repos.
Le Niger à Say n'est plus le majestueux Niger de Ségou
on de Sausanding. La moitié de ses eaux a grossi les mari-
gots et les lacs des environs de Goundam et de Tombouctou.
11 n'a guère que 500 mètres de largeur. La crue commence
à arriver. Les crues du Niger donnent lieu à des observations
très intéressantes. Ce sont des phénomènes créés parla forme
même des coudes du Meuve. Les al'fluents du Niger supérieur
prennent leur source vers le 8* degré de latit. N., et sous
cette latitude les pluies commencent en avril, tandis que
sous le 12B degré elles ne commencent qu'en juin, sous le
14* qu'en juillet. A Tombouctou il pleut très peu. Le Niger
n'a pas d'affluents dans tout le secteur de sa boucle compris
entre Mopli et Zinder. Les pluies ne sont pas suffisantes
dans cette région, La crue du ileuve dans ces parages n'est
donc déterminée que par l'arrivée des eaux du Niger supé-
• rieur. La crue arrive en juillet à Bammako, en août à Ségou,
au commencement de septembre à Dienné et à Mopli. A
partir de cet endroit, la crue remplit le lac Débo et les
nombreux lacs, mares, lits secondaires qui constituent le
système lacustre de Goundam, de Saraféré, de Tombouctou.
penle est très peu sensible; aussi les eaux ne sont-elles
SOC. DE CÉOOH. -
230 Missior* voulet-chanoine.
hautes à Tombouctou qu'en janvier et restent stationnaires
pendant tout ce mois. Le niveau du fleuve demeure maintenu
par l'apport des eaux de tous les lacs, qui se déversent lente-
ment après la crue.
A partir de Tombouctou, le lit du fleuve est mieux défini,
resserré entre des dunes et des collines; sa vallée finit par
n'avoir guère que 2 ou 3 kilomètres à Sansanné-Haoussa.
La pente est plus rapide. La crue arrive à Say à la fin de
janvier et les eaux sont hautes en ce point alors qu'elles
n'ont pas encore baissé à Tombouctou. C'est ainsi que
s'explique ce Fait, étrange en apparence, que le maximum
de la crue puisse avoir lieu à Tombouctou et à Say à la
même époque. A Say, les pluies d'hivernage tombées dans
la région ne sont pas suffisantes pour amener une crue au
mois de juillet ou d'août. Après les grandes tornades, le fleuve
monte de 20 ou 30 centimètres pour baisser ensuite.
Il n'y a à Say que la erue venue du bassin supérieur et
arrivant en janvier.
Mais en aval de Say le régime change; on arrive dans la
région des pluies abondantes commençant de bonne heure,
le Niger reçoit des affluents. En aval de son confluent avec
la Béuoué, il y a deux crues bien distinctes, la seconde
n'arrivant qu'en mars, et précédant de deux mois seulement
le commencement de la première. Il résulte de la disposition
des crues du Niger et des pluies d'hivernage, que, depuis
Tombouctou, il est possible de faire deux récoltes. On sème
avant les premières pluies; la récolte est faite après l'hiver-
nage en novembre. On sème de nouveau dans les terrains
que l'inondation vienl fertiliser en janvier. Et si les habitants
de ces contrées savaient se servir d'appareils élévatoires
comme les Égyptiens, ils pourraient, le pays étant peu élevé,
conduire au loin les eaux: du fleuve. Tout le pays deviendrait
d'une incroyable prospérité.
Dès notre arrivée à Say, nous avons traversé le fleuve au
moyen de pirogues. Le courant est violent, les pirogues sor
DE DIEKXÉ A SANSANBË-HAOUSSA. 231
petites; le passage a duré deux jours. Les chevaux sont
obligés de nager trente minutes; il n'y a pas eu d'acci-
dents.
Le 22 décembre, nous nous remîmes en route à la ren-
contre de Voulet, en suivant la rive gauche du fieuve. La
rive droite se nomme «Gourma», la rive gauche «Haoussa »,
noms qui signifient en deçà ou au delà du fleuve dans la
langue songhay.
La rive * Haoussa > est habilée par les Djerma, population
qui s'étend, de quatre jours en aval de Say, à Karma,
100 kilomètres en amont. Les Djerma sont très nombreux,
leurs villages riches et prospères, leur sol admirablement
cultivé. Ils possèdent beaucoup de troupeaux, beaucoup de
chevaux. Les Djerma se disent d'origine mandé; ils seraient
venus de Tombouctou en longeant le fleuve au moment où
les Bambara conquirent la grande cité. Ils se sont croisés
avec les Foulbé et les Songhay. Us parlent le songhay. Ils
ont de fréquents rapports avec leis Touareg, qui vivent en
bonne intelligence avec eux, car les Djerma sont braves et
nombreux. Us sont bons cavaliers et combattent à la façon
des Touareg.
Les villages djerma sont tous indépendants les uns des
autres, il n'y a ni roi, ni capitale. Personne n'ose venir les
attaquer.
Les Djerma sont pillards et aventureux; ils traversent
sans cesse le fleuve et poussent leurs expéditions à des cen-
taines de kilomètres. Us se vantent de leurs rapines et les
considèrent comme le noble et honorable usage de leur
intelligence et de leur force. Us sont musulmans, mais
paraissent peu fanatiques.
Ahmadou Cheikou s'était réfugié chez eux à Dounga et
prenait part à leurs déprédations. Il se produisit entre les
Foutanké et les Djerma quelques dissentiments; il y a un
an environ, les cavaliers de Dounga revenaient d'une expé-
dition ; excités par le combat, en rentrant chez eux, ils alta-
232 MISSION VO|!L ET- CHANOINE.
quèrent les Toucouleurs el leur tuèrent 200 hommes.
Abmadou Cheikou s'enfuit chez les Touareg de l'est.
C'est du Djerma que sont partis il y a quelque trente ans
les aventuriers Gadiari, Baba-To, Jsaka, pour envahir el
ruiner le Gourounsi.
Sur ces rives du Niger, se rencontrent une foule de popu-
lations et de races différentes : les Djerma, les Foulbé, les
Touareg, les Songhay et une population noire très ancienne
qui est asservie aux Songhay; enfin, un grand nombre de
marchands haoussas eL arabes. J'ai rencontré a Say et à
Sansanoé-Haoussa des commerçants de GUadamès qui
viennent acheter des plumes d'autruches.
Enfin, dans les îles du Niger, habilent les Kourtéi, race
venue depuis fort longtemps dans le pays et qu'on dit
Sonioké. Les Kourtéi vivent en bons termes avec tout le
monde, car Touareg, Foulbé, Songhay, Djerma, ont besoin
de leurs pirogues. Les Foulbé ont de grands villages sur la
rive droite; les Touareg habitent à deux jours à l'intérieur;
ils ont des vi.lages de bella (captifs) au bord du fleuve et
viennent fréquemment exercer des réquisitions sur les
Songhay qu'ils ont terrorisés, et qui obéissent passivement
à la première injonction des durs nomades.
On a beaucoup écrit sur les Touareg, et bien des choses
inexactes. Quand on parle d'eux en France, on les nomme
les Chevaliers ifu désert el on ne tarit pas d'éloges sur leurs
vertus, leur honnêteté, leur courage, leur loyauté, leur
hospitalité.
Seule, leur bravoure est incontestable; il y a quelques
jours nous en avons eu une preuve nouvelle. Une bande de
300 cavaliers Touareg a chargé en plein jour
Crave qui cherchait à rejeter les tribus qui __.
Bokary Ouandéidiou sur la rive gauche du Niger. Les
Touareg ont enfoncé une face du carré et traversé toute la
colonne; ils ont été repoussés. Trois kilomètres plus loin,
ils ont renouvelé leur attaque qui, cette fois, n'a pas réussi.
:. une uaime ur
our la colonne
ui obéissent à
DE BIENNÉ A SAKSANNÉ-11A01JSSA. "233
Le- s Tnuareg ont éprouvé de grosses pertes, mais ils avaient
à lutter contre 250 fusils à tir rapide et du canon. Le
Targui n'a de considération que pour la guerre et le pil-
lage; il a le travail en haine. Il lui faut exploiter les popu-
lations noires, sur les frontières 'lesquelles il va errant et
semant la terreur; il lui faut des esclaves qu'il vend au
Maroc, ou à Tripoli, pour acheter les marchan dises qui le
tentent. Touies ces causes ensemble en font un irréduc-
tible ennemi de la civilisation.
On a dît des Touareg qu'ils étaient les rouliers du
Sahara.
On les confond avec les tribus maures, ou les tribus
arabes qui exploitent les salines et font tout le commerce
entre le sud du Maroc, de l'Algérie, de la Tunisie, de Tri-
poli et le pays des noirs. Le vrai Berbère se contente d'errer
à travers les plaines de sable, de se trouver sur le chemin
des caravanes et de percevoir sur elles un impôt exorbi-
tant, lorsqu'il ne s'empare pas de touL ce qui est à sa con-
venance.
Jadis, sur les rives du Niger, s'édifièrent de puissants
empires qui refoulèrent les nomades dans le désert, leur
interdirent l'accès du grand lleuve, s'emparèrent de leurs
troupeaux, les réduisirent à la misère. Ces empires,
Ghannala, Mali, Songhay, sombrèrent au milieu de guerres
et de révolutions qui nous sont peu connues; leurs débris
se désagrégèrent; les Touareg reparurent et devinrent les
maîtres. Pour réduire les Touareg, chassons-les dans le
désert. Ils chercheront toujours à fondre sur les noirs
sédentaires, nos protégés. Créons des corps légers, quelques
escadrons, quelques compagnies tle mébari qui donneront
la chasse aux pillards jusqu'au fond de leur désert, qui
prouveront aux nomades que l'ère des méfaits impunis est
passée, qui accompagneront même et protégeront les cara-
vanes de commerçants paisibles. Occupons les frontières
méridionales et septentrionales du Sahara, les ports du
Î34 MISSION VOULET-CHANOINE.
désert; la puissance des Touareg disparaîtra et ceux-ci,
chiens faméliques, repoussés de parlout, à chacune de leurs
agressions poursuivis et frappés, demanderont grâce pour
ne pas mourir de faim. Peut-être aiors pourra-l-on les
parquer dans quelques oasis el changeront-ils de mœurs
avec le temps.
A quelques kilomètres de Karma, linit le pays Djerma;
on arrive chez les Songhay. Les Songhay, jadis si puissants,
sont aujourd'hui d'une incroyable faiblesse. Ils sont nom-
breux cependant et pourraient résister aux Touareg qui les
oppriment. Ils n'en ont pas mecne l'idée. Le Targui vient
chez eux, commande et réquisitionne tout ce qui lui plaît.
J'ai trouvé chez les Songhay un mélange de crainte et
d'hostilité déguisée. Ils nous craignent, mais ils sont ter-
rifiés à ia pensée des représailles que pourraient exercer sur
eux les Touareg, s'ils nous faisaient franchement un bon
accueil. On sent dans chacun de ses actes, derrière le
Songhay, le Targui imposant sa volonté. Et cependant, en
ce moment, les Touareg se sont retirés à plusieurs journées
dans le nord-est.
Les populations noires ne deviendront nôtres que le jour
où elles seront sûres d'être délivrées pour toujours de leurs
sauvages oppresseurs. Cette délivrance ne peut venir que
par la puissance de nos armes.
L'esprit de lutte n'est plus dans leur âme qui s'est
façonnée et accepte toutes les tyrannies. Jamais, d'eux-
mêmes, les Songhay ne sortiront de la soumission la plus
servile pour combattre leurs maîtres.
Je suis arrivé le 1er janvier àSansanné-Haoussa. Le 2 jan-
vier, Voulet arrivait dans celte ville avec les chalands chargés
de matériel. 11 avait victorieusement franchi les rapides du
Niger et triomphé des difficultés de la navigation. Nos
troupes sont réunies. Personne ne manque parmi les offi-
ciers et les sous-officiers européens. L'étal moral et sani-
taire des hommes est excellent; ces quatre mois de marche
DE DIENNÉ A SAIfSANNÉ-HAOUSSA. 235
sont une bonne préparation. Nos jeunes tirailleurs sont
devenus des soldats disciplinés et robustes. La plupart
viennent de marcher 2,000 (deux mille) kilomètres. Ils sont
rompus à la fatigue et peuvent affronter les étapes les plus
pénibles. Ils ont appris à tirer, à manœuvrer. Ils ont con-
fiance dans leurs chefs.
COTE D'IVOIRE
P. J. CLOZE
SUPEI1FICIE El POPULATK
Les limites de la Côte d'Ivoire sont :
Au nord, le Soudan français, dont la sépare une ligne
idéale suivant le 0" degré de latitude nord ; à l'est, la fron-
tière de la colonie anglaise de la Côte d'Or telle que l'a
tracée l'acte diplomatique du 12 juillet 1893; au sud, le lit-
toral du golfe de Guinée ; à l'ouest, le territoire de la Répu-
blique de Libéria déterminé par la convention du 8 décem-
bre 1892.
La superficie de la colonie ainsi délimilée peut être
évaluée à 250,000 kilomètres carrés.
Sa population atteint le chiffre global de 2,250,000 habi-
tants, ce qui donne à la Cote d'Ivoire une moyenne de neuf
habitants par kilomètre carré.
Pour apprécier la valeur de ces chiffres, il convient d'exa-
miner les conditions dans lesquelles l'administration se
trouvait placée pour les obtenir.
On peut à cet effeL diviser la colonie en trois zones :
Celle où une occupation assez ancienne permet de donner,
à défaut d'un recensement absolument régulier, des chiffres
exacts;
Celle qui a été reconnue et sur laquelle nous possédons
des renseignements suffisamment nombreux pour arriver à
des évaluations serrant de fort près la vérité;
côte d'ivoire. 237
Enfin une zone à peine explorée, dont on a dû estimer la
population en raisonnant par analogie avec les régions simi-
laires que nous connaissons, et en tenant compte de la con-
figuration générale du sol, de la nature de la végétation,
forêts ou savanes, qui influent sur la densité, le groupement
et la manière de vivre des habitants d'un pays.
La première zone comprend les onze cercles de la colonie
qui se présentent avec les chiffres respectifs qui suivent :
Assinie 40.000 habitants.
Grand-Bassam 62.300 —
Dabou 103.000 —
Lahou 25.000
San Pedro 6.085 —
Sassandra MO. 500 —
Bereby 55.000 —
Cavally 27.000 —
Indénié 1 7 . 000 —
Bondoukou 83.000 —
Baoulé 1 .230.000 —
Total 1 .788.885 habitants.
On peut faire rentrer dans la seconde zone les pays sui-
vants, en tenant compte, pour les chiffres attribués à cer-
tains d'entre eux (pays de Kong, Djimini, Diammala), des
pertes qu'ils ont subies par suite de la présence des bandes
de Samory.
Pays de Kong 20.000 habitants.
Diammala 20.000 —
Djimini 40.000 —
Anno ou Mango 10.000 —
Peuplades Baoulés entre le Co- i
moe et le Nzi S °° ""
Morénou 5.000 —
Attié 7 .500 —
Total 110.000 habitants.
Dans la troisième zone rentre la partie nord-ouest de la
colonie, comprenant le prolongement logique vers Tinté-
238 CÔTE d'ivoire.
rieur des cercles fie Cavally, Bereby, Sassandra et San Pedro.
Il est permis d'évaluer à 350,000 habitants la population de
cette vaste région dont la superficie dépasse 110,000 kilo-
mètres carrés, soil un peu plus de 3 habitants an kilomètre
carré.
Il serait prématuré de répartir dès à présent en des races
distinctes les 2,250,000 noirs qui peuplent la Côte d'Ivoire.
L'anthropologie, l'ethnographie, la linguistique, qui seules
pourraient nous fournir un critérium pour une classifica-
tion scientifique, ont à peine commencé leur Œuvre dans
celtejparlie de l'Afrique.
Le mot de race ne sera appliqué qu'aux peuplades
Mandés, mieux étudiées et complètement distinctes des
autres habitants de la colonie. Le reste sera réparti en des
groupes provisoires suffisamment différenciés les uns des
autres pour que la question de leurs origines communes
demeure encore irrésolue.
Les^Mandés possèdent le pays de Kong, le Diammala, le
Djimini et la région de Bouna. Us peuplent dans I'Abron la
ville de Bondoukou el le Barabo; les Ligouys, qui sont
installés dans le district nord-est de cette contrée, appar-
tiennent à la même race puisque leurs affinités linguisti-
ques les apparentent étroitement aux Veï-Veï de i'hinter-
land du Libéria, dont l'origine mandé est depuis longtemps
reconnue. A la suite de l'invasion de Samory, 7,000 Mandés-
Dioulas environ se sont réfugiés dans le Baoulé tandis qu'un
millier d'entre eux demandaient protection aux forêts de
l'Anne- et de l'Indénié. Enfin dans la partie ouest de la
colonie nous retrouvons des villages mandés au nord de la
zone de la végétation dense continue. On peut évaluer leur
chiffre total à 200,000, presque tous musulmans et arrivés
de ce fait à une organisation sociale plus avancée que celle
des peuplades fétichistes.
La partie orientale de la colonie, notamment dans les
cercles de Bondoukou, de l'Indénié, d'Assinie, de Grand-
côte d'ivoire. 239
Bassani el du Baoulé, est habitée par un groupe de popula-
tions ayant entre elles une étroite parenté.
Ces peuplades paraissent être venues de l'est (pays
As.hantîs) à une date plus ou moins récente, la migration
de plusieurs d'entre elles a pu être fixée à la seconde moitié
du XVIIIe siècle. C'est dire que les traditions et les légendes
en ont conservé nettement le souvenir.
Parmi les Asbantis, les Apolloniens proprement dits
méritent une mention spéciale; les uns sont fixés dans le
pays sans esprit de retour; les autres, venus plus récem-
ment en commerçants, ont encore l'intention de retourner
dans leur patrie après fortune faite.
L'ensemble de ce groupe, qu'on pourrait sans inconvé-
nient appeler le groupe Agui, nom sous lequel les indigènes
qui le composent sont plus généralement désignés que sous
celui d'Ashantis, comprend environ 750,000 âmes. Il se
recommande, malgré l'indolence des indigènes, par des
aptitudes commerciales marquées qui, chez les Apolloniens
notamment, ont acquis un développement très appréciable.
Les habitants des lagunes PoLou, Ebrié et Lahou forment
un second groupement plus géographique qu'ethnogra-
phique. On a tenté d'expliquer la diversité des peuplades
qui le composent par le fait que des populations d'origines
diverses, chassées par les guerres et les invasions des con-
trées de l'intérieur qu'elles occupaient primitivement sont
venues se confondre ou se juxtaposer en se réfugiant vers
le littoral. Il est également permis de supposer qu'une
étude plus approfondie de ces tribus permettra d'établir leur
parenté et de les rattacher à une souche commune.
Les principales peuplades de ce groupe, dont le total
atteint le chiffre de 170,000 habitants, sont les Attiés, les
Ebriés, les Jack-Jacks, les Boubourys et les Brignans.
populations de la côte ouest forment un troisième
upe dont les affinités ethnographiques et linguistiques
graissent d'une façon suffisante dès à présent pour qu'on
240 côte d'ivoire.
puisse leur assigner une commune origine. Ces peuplades,
connues dès le xvir siècle des nations européennes sous le
nom de Kroomen, habitent les cercles de San Pedro, Sas-
sandra, Uereby et Gavally. On peut évaluer leur nombre à
230,000 individus.
Ils sont en possession de fournir la majeure partie de la
main-d'œuvre employée dans la colonie, ainsi que celle
embarquée à bord de la plupart des paquebots qui desser-
vent la côte occidentale d'Afrique.
En debors de la race mandé et des trois groupes que nous
venons d'énumérer, il reste encore sur le territoire de la
Côte d'Ivoire près d'un million d'habilanls épars dans toute
la colonie niais surtout dans la région nord-ouest, pour
lesquels toute classification, même provisoire, serait pré
maturée en l'état actuel de nos connaissances.
Mais il est permis de croire que les renseignements à
venir auront pour résultats de faire rentrer le plus grand
nombre d'entre eux dans les grandes divisions dont nous
venons d'esquisser les contours.
NOTICE SUR LES BONDJOS
PAR
E. CAHLIEH
CHEF DE STATION DANS l'OUBAN'GUI1.
En remontant rOubangui, dès qu'on a dépassé le
2* parallèle nord, on entre en pays bondjo. A partir de
de ce point, les berges deviennent plus hautes, la forêt
moins dense, les villages plus nombreux.
LesBondjos habitent les deux rives de POubangui jusque
près du poste français de Ouadda, c'est-à-dire jusque près
du 5* degré. On prétend que, par l'intérieur, ils auraient des
relations avec les Pahouins de la côte occidentale, dont ils
ont les mœurs et une vague ressemblance de langage; mais
il est bien difficile de croire qu'il ait pu exister des rapports
entre deux peuples aussi éloignés.
Les Bondjos se divisent en quatre fédérations ou tribus :
1° Les Sabarés, les premiers que l'on rencontre après
avoir dépassé le 2e parallèle, s'étendant fort avant dans
l'intérieur et limités au nord par la rivière Lobaï.
2° Les Yakatous, improprement appelés Bouzérous, nom
qui leur est donné à cause d'un chef célèbre nommé Bou-
zérou, chef du village de Bimbo. Ils occupaient tout le
pays compris entre les rapides de Zinga, jusque près du
poste de Bangui. Ils ont maintenant abandonné la rive pour
se réfugier principalement dans la rivière M'Poko.
3° Les Boboyas, compris, au nord de Bangui, entre le
poste de Bangui et la rivière Ombella.
1. Notice communiquée à la Société par M. le Gouverneur Liotard.
212 NOTICE SER LES BOSDJOS.
-1" Enfin les Boutous, entre celle dernière rivière et la
kémo.
IU> tous les Bondjos, les Sabarés sont, sans contredît, tes
plus nombreux. Ils ne nous sont pas ouvertement hostiles,
et les quelques rares bateaux de passage trouvent chez eux
à échanger des vivres du pays, contre dn cuivre et de
l'étoffe. Ils ont de l'ivoire et le donnent volontiers contre
nos produits d'Europe.
Après eux, par ordre d'importance, viendraient ensuite
les Boboyas. Ceux-ci entretiennent avec le poste de Bangui
des relations très amicales. Ce sont eux qui, avec les Bou-
tous — très peu nombreux, — ravitaillent Bangui en maïs,
bananes et parfois même en chèvres et en poulets. Ce sont,
parmi tous les Bondjos, les plus assimilables, et l'essai que
vient de tenter M. le gouverneur de l'Oubangui, Liotard,
de s'en servir comme pagayeurs pour les transports par
pirogues de Bangui à Ouadda, est appelé à nous les rendre
encore plus soumis.
Quant aux Takatous-Bouzérous, ils ont pour la plupart
abandonné leurs villages. C'est presque toujours avec eux
que nous avons eu affaire depuis notre installation dans
l'Oubangui. Souvent le poste de Bangui a été l'objet de
leurs atlaques et l'histoire de la colonie compte parmi leurs
viclimes quelques Européens et beaucoup de nos auxi-
liaires sénégalais.
Quoique appartenant tous à une même race, les Bondj<
des diverses tribus entretiennent peu de rapports entre eux.
Les Sabarés et les Boboyas n'en ont aucun.
Avant la répression, il existait bien une certaine entente
entre les Boboyas et les Yakatous (Bouzérous). Mais depuis
que M. l'administrateur Bobichon — dernièrement encore
administrateur de la région de Bangui — s'est fait livrer par
les Boboyas certains chefs bouzérous réfugiés chez eux, cette
entente a disparu, ou du moins, elle nous est cachée.
Bien que chez les Bondjos Sabarés, il ait été remarqué
:
X.
NOTICE SUR t.ES HOND.rOS. 243
des ressemblances d'habitudes et de langage avec les I'a-
houiûs anthropophages du Gabon, les Bondjos, — d'après
le récil de Moussa Mongo, frère du grand chef boboya,
Mabata, — viendraient du centre de l'Afrique, du sud, par
conséquent, par rapport à leur position géographique ac-
tuelle. Us auraient quitté leur pays d'origine, il y a près de-
deux siècles, à la recherche d'autres terrains de culture.
Leur véritable patrie serait donc vraisemblablement tout le
pays arrosé par les affluents de la rive droite du Kassaï.
On peut croire que les Bondjos ont conservé le type de
leur race dans toute sa pureté. Ils sont généralement de
haute taille, bien musclés, respirant la vigueur et la force.
11 semblerait à les voir que la viande humaine, qui entre en
partie dans leur nourriture, donne une vigueur musculaire
rarement rencontrée chez les autres peuples. Enfants, ils
ont la peau d'un jaune noir assez clair et prennent avec
l'âge un teint plus ou moins bronzé. Chose curieuse, on
voit assez souvent chez eus des individus à peau blanche :
ce sont des albinos.
En général, le Bondjo a les traits durs, les maxillaires
très prononcés, te front large, bombé et fuyant en arrière,
le nez épaté, mais non écrasé, les lèvres assez minces, les
cheveux coupés ras. Ils ne portent point la barbe, et on
rencontre rarement chez eux le tatouage si commun chez
s peuples de l'Afrique.
Une habitude générale chez les Bondjos est de s'arracher
i deux incisives supérieures. C'est une coutume qu'ils
:onserveraient de leurs ancêtres,, et qui serait pour eux une
marque de beauté. L'extirpation de ces deux dents se fait
(ers l'âge de 6 ou 7 ans.
Les qualités morales des Bondjos sont beaucoup plus
discutables. Quelques voyageurs, victimes de vols à leur
>assage en pays Bondjos, ont prétendu qu'après toutes les
précautions prises par eux-mêmes, les Bondjos devaient
î bien audacieux et braves pour arriver à les voler. A
ÎH NOTICt SfR LES BONDJOS.
vrai dire, ce ne sont que des pillards. Ils arrivent, on ne
sait comment, à se glisser dans un camp gardé, et â enle-
ver sans bruit tout ce qui leur tombe sous la main. Le cas
s'est présenté d'un voyageur qui, le matin à son réveil, n'a
plus retrouvé une cantine que, pour la nuit, il avait placée
dans sa tente, sous son lit de camp. Lui, n'avait rien en-
tendu, les sentinelles n'avaient rien vu. Quand on a été
victime des Bondjos en pareille circonstance, on se dit que
vraiment ils ne manquent pas d'audace, mais tous sont
lâches devant le danger.
Il faut reconnaître, du reste, que tels que nous les con-
naissons, voleurs, pillards, anthropophages endurcis par-
dessus le marché, il nous est difficile de les juger en con-
naissance de cause et sans parti pris.
Devant la puissance de nos armes, ceux qui vivent avec
nous en termes d'amitié semblent avoir abandonné une
partie de leurs défauts. Mais renonceront-ils jamais à l'an-
thropophagie ! 11 ne faut guère y compter.
Les Bondjos n'ont pas de grands chefs auxquels ils obéis-
sent. Le commandement est exercé dans chaque village
par un chef qui n'a, au point de vue de l'autorité, aucune
relation avec son voisin. A sa mort, l'autorité passe a. son
fils aîné et, à défaut, au chef de famille le plus riche ou
à celui qui a tué le plus grand nombre d'ennemis à la
guerre.
Chez les Bondjos, la richesse est calculée en raison du
nombre de femmes. Un homme de condition ordinaire e
possède deux, rarement trais. Un chef peut aller jusqai
dix.
La femme, chez eux, n'est pas une esclave. Elle est ch;
gée des soins du ménage et n'a d'autre occupation <
celle d'élever ses enfants.
L'homme se marie généralement entre 20 et 25 ans, ou
plus tôt, s'il a les moyens d'acheter une femme.
Une femme jeune et belle coûte environ 100 guinejat
NOTICE SUR LES BOMUOS. 345
monnaie du pays représentée en plaques de 1er faites avec
un minerai 1res riche qu'on trouve en abondance dans
presque toul l'Oubangut. Elle s'aclièle, parfois aussi, avec
des perles, de l'étoffe ou du laiton; mais on peut assurer
qu'elle ne dépasse jamais le prix de 350 francs, valeur en
marchandises décomptées au prix de traite.
Les Bondjos comprennent dans leur élément social deux
castes distinctes: l'homme libre ou Rondjo pur et l'es-
clave.
L'homme libre défend sou village et assure la police des
environs, c'est-à-dire qu'il pille et rançonne tout ce qui
n'est pas en élnt {le lui résister. Entre temps, il cultive son
champ de maïs ou de bananes, chasse pour se procurer de
la viande, pèche et va faire des razzias dans les villages
voisins.
L'esclave est le noir pris à la guerre. Sa condition n'est
pas des plus heureuses, puisque, tôt ou tard, il est destiné
à servir de repas à tout le village.
Après une guerre, tous les cadavres sont mangés. Un
certain nombre de prisonniers subit le même sort. Cepen-
dant, il arrive parfois que le village vaincu peut racheter
ses prisonniers.
L'esclave qui a commis une faute grave doit mourir. 11
est solidement garrotté et gardé à vue. Au jour fixé pour le
sacrilice, il est porté en dehors de ta prison et étendu à
terre par devant son maître. Celui-ci, s'adressant à tout le
village qui l'entoure, rappelle le crime commis par son
esclave qu'il tue aussitôt, en le saignant au cou ou en lui
enfonçant un couteau dans le cœur. Immédiatement le
corps est dépecé et partagé entre les amis du maître. Ce
dernier n'y Louche pas, mais il se réserve de prendre sa
revanche à l'exécution d'un autre esclave que le sien.
La chair, qu'on a soin de laisser faisander, est cuite dans
l'eau bouillante avec du manioc et des bananes — la cervelle
est réservé aux vieillards — et le tout est arrosé d'un alcool
SOC. DE fiKOGA. — ï" TRIlfïSTRK Î8BSI. XX. — 17
346 NoriCK SUR LES BONDJOS.
exécrable qu'ils font eux-mêmes avec de la farine de mais
et appelé pë.
Les mêmes cérémonies président an sacrifice des caplifs
de guerre ; mais, dans ce cas, la télé revient de droit au
Bondjo qui l'a fait prisonnier, et le crâne sert d'ornement
au loit de la case du guerrier.
A sa morl, le Bondjo libre ne subit pas les mêmes profa-
nations. Son corps est pour ainsi dire embaumé. 11 est ouvert
depuis l'eslomac jusqu'au bas-ventre, de façon à remplacer
le cœur et les intestins par des plantes aromatiques. Les
entrailles elles-mêmes sont lavées dans un bain odorant, et
conservées dans une jarre. Puis, le corps desséché est lixéâ
un piquet, debout à l'entrée de la case du défunl et, pen-
dant deux jours, les parents et les amis invités aux funé-
railles battent le lam-lam en l'honneur du mort.
L'inhumation a lieu ensuite dans quelque endroit as:
rapproché de la case. La fosse, profonde de ï>0 centimètres à
peine a au préalable été bien haltue, puis chauffée pour que,
disent les « Bondjos », le mort n'ail pas à souffrir du froid.
Au milieu des pleurs et du bruit des lams-lams, le corps est
déposé précieusement dans la fosse; on y dépose également
la jarre qui contient le cœur et les entrailles et le tout est
recouvert de nattes pour que la terre* n'abîme pas le corps».
La cérémonie terminée, le partage des biens s'opère entre
les amis et les parents du défunt qui, en signe de deuil,
s'assemblenl pendant plusieurs jours pour pleurer el battre
du lam-lam.
A voir l'esprit qui préside à leurs funérailles, ou pourrait
s'imaginer que les Bondjos ont une idée vague de l'éternité
et qu'ils ont un semblant de religion. 11 n'en est rien, ou du
moins ils seraient plutôt fétichistes, car ils sont très supers-
titieux.
En général, les Bondjos ne sont pas velus. Ils portent aux
bras et aux jambes des bracelets de fer ou de enivre, les
femmes en plus grande quantité. Celles d'entre elles qui
N<HTGK SUR LES BONDJOS. "2-17
sont le moins nues portent tout simplement une lonffe de
fibres d'écorce ou bien une feuille debananierdélicalement
retenue par une ficelle qui leur entoure les reins. Aujour-
d'hui, cependant, tous recherchent le morceau d'étoffe, le
« bongo » qui servira à couvrir leur nudité.
Comme armes, les Bondjos ont la lance en fer, haute de
1 m. 50 à -1 mètres, la sagaye, un couteau large et pointu
qu'ils portent en bandoulière et le couteau de jet qu'ils
lancent comme la sagaye avec une adresse remarquable.
Comme armes défensives, ils ont un grand bouclier l'ail en
peau de buffle ou en bambou fortement tressé. Ils portent
également une cuirasse en peau. Les armes à feu sont
icore rares chez eux, mais les Yakatous possèdent une
laine quantité de fusils a tir rapide et de munitions, pro-
it de leurs vols et de leurs assassinats,
guerre, ou pourmieux dire le pillage, est leur industrie
Lion aie. La fuite et la surprise constituent leur tactique
.bituelle. Ils n'attaquent que la nuit, toujours par sur-
lorsqu'ils se sentent très supérieurs en forces, et
tout après avoir anéanti toute résistance delà part du nos
:iliaires indigènes en leur procurant de l'alcool et des
mes.
iup terminer ce rapide exposé sur celte race qui habite
premiers territoires de l'Oubangui, il faut ajouter que le
imerce français peu llrouverchézles Bondjos un débouché
plus faciles. Le café, le caoutchouc ne manquent pas;
oire se trouve en grande quantité et les Bondjos le livrent
lemenlâ un prix qui n'atteint pas 0 fr. 70 le kilogramme.
is Bondjos, qui ne sont pas à craindre malgré la mauvaise
réputation qui leur est faite, verraient avec plaisir s'installer
sous la garde de notre pavillon des factoreries où ils pour-
raient échanger leurs produits contre des Tusilsde traite, de
la poudre, des perles, du laiton, des étoffes et, en général,
tous les articles de traite.
uant à ceux a qui incombe le devoir de maintenir dans
.
248 X0T1CE SUK LES BONDJOS.
ces régions éloignées les droits de la France, ils sont d'avis
que l'établissement du commerce chez les Bondjos aura un
salutaire effet sur les mœurs et les habitudes de ces peuples
encore sauvages, parce qu'ils n'ont eu d'autres relations
avec nous que par les armes.
Bangui, 26 août 1898.
Le Gérant responsable,
Hulot,
Secrétaire général de la Commission centrale.
5W5. — L.- Imprimeries réuniog, B, rue Saint-ltonoît, 7. — Mottshoz, <lir.
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par M Sei gland
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Haute, en. construction.
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Bulletin d<» la
fffim»Trimeattv 1699
/
LA COTE D'IVOIRE
NOTICE HI3TOEICJUE
, U. CLOZEL
I es Normands et tes l'orLuL'ais. In premier H alili. -sèment français *
\ssinie sous Louis XIV. — Croisières contre les né^ri^rs. — Occupa-
tion de Graiul-Ilassam el d'Assinle. -- llee.qnard. — Le général Faid-
'i. i tir- el ta construction du fort de Dabou. — La Crtte d'ivoire de
1870 à 1N8;. — lltnger et Treich-Laplône. — La Cote d'Ivoire colonie
française en 1893. — M. Binger, premier gouverneur. — Occupation
■ t. la i <>! ii'si. — l'éneiration dans le Saoulé:. — Gouvernement de
M Mou «et (1896). — Occupation de la frontière orientale. — i'rlse de
Samory en 1898. — M. Boherdeau, gouverneur.
L'antiquité ne nous a rien laissé sur la Côte d'Ivoire. Le
périple d'Hannon, ce premier voyage de découverte le long
des rivages de l'Afrique occidentale, ne renferme aucun
renseignement qu'on puisse lui appliquer. Les nombreux
Érudits qui ont disserté sur les navigations de l'amiral car-
thaginois s'accordent pour les faire remonter enlre le vi* et
le v* siècle avant l'ère chrétienne, et, bien que moins una-
nimes sur ce poinl, tes plus compétents d'enlre eux assi-
gnent comme limite au voyage les bouches de la rivière
Slierbroo dans le sud de la colonie anglaise de Sierra-
Leone, ce qui exclut naturellement notre Cale d'Ivoire du
monde connu des anciens.
Les géographes arabes sont également muets. Il semble
rjtte leurs navigateurs se montrèrent beaucoup moins hardis
dans l'océan Atlantique que dans les mers des Indes et de
Chine. Les principaux ports de commerce des Arabes étaient
snc. de si OCR. ■
252 LA cote d'ivoire.
Normands, ne fondèrent aucun établissement sur la partie
du littoral qui correspond à notre colonie de la Côte
d'Ivoire. Ses limiles actuelles ne sont point du resle tout
à fait celles qu'avait la cote dont elle a conservé le nom.
Les anciens géographes comprenaient généralement sous
le nom de Côle des Dents ou de l'Ivoire toute la partie du
littoral africain qui s'étend du cap des Palmes à celui
d'Apollonie; d'autres font commencer la Cote de l'Or à la
rivière d'Assinie ou même à Gamo, point qui correspond à
peu près à la situation qu'occupe aujourd'hui Grand-Bassam.
Ils subdivisèrent celte, région en trois parties : la Côle
d'Ivoire proprement dite, du cap des Palmes à la rivière de
Sassandra ; la C6te de Mal-gens, de Sassandra à Labou ; celle
des Quaqua, de Lahou à la rivière d'Assinie.
Des Marchais' nous donne une autre division avec des
limites légèrement différentes. Voici du reste ce qu'il en
dit:
a Toute cette cûte, depuis le cap des Palmes jusqu'à celui
des Trois-Pointes, est connue des navigateurs sous le nom
de Côte des Dents. Les Hollandais l'appellent en leur langue
Tand-Kusl. On la divise pour l'ordinaire en deux parties,
que l'on appelle la Côte de Mal-gens, ou mauvaises gens, et
la Côte des Bonnes-gens. C'est la rivière de Bolrou qui
sépare ces deux peuples. De savoir qui leur a donné ces
noms, c'est ce qui n'est pas facile, non plus que la raison
pourquoi on les leur a donnés. Il est certain que les nègres
qui sont à l'est du cap des Palmes sont méchants, traîtres,
menteurs, voleurs, d'un naturel féroce et sanguinaire. En
voilà assez pour justifier ceux qui leur ont donné une
épiihète si odieuse.
« A l'égard du nom de Côte des Dents qu'on donne à toute
la côte d'un cap à l'autre, la raison en est facile à trouver.
la cote d'ivoihe. 253
Elle viutit de la prodigieuse quantité de de;ils, de cornes ou
de défenses d'éléphants qu'on trouve dans tout ce pays. *
Avant des Marchais, dont le voyage remonte seulement
a 1724, bien d'autres navigateurs avaient fréquenté notre
cote, mais tous, l'anonyme dont les voyages furent rédigés
et publiés .par Go tard Arihus, plus connu sous le nom
d'Arlhus de Dantzig (un du xvi" siècle), Villault (1667),
Thomas Phillips (11193), Jacques Barbot (1699), s'accordent
pour parler en assez mauvais tennes des indigènes de la
Côte d'Ivoire; certains nous les donnent même comme
anthropophages, ce qui n'a rien d'invraisemblable, puisque
les peuplades de l'intérieur dans la partie ouest de la
colonie le sont peut-être encore. Tout le kvil0 siècle s'écoule
sans qu'aucune des nalions européennes qui avaient occupé
nombre d'autres points de la cote occidentale essaye de
s'établir à terre. C'étaient nos compatriotes qui devaient le
tenter les premiers.
Celte première installation française dans notre colonie
actuelle de la Côte d'Ivoire remonte au commencement du
xviue siècle. Le R. P. Godefroy Loyer, religieux jacobin
d'un couvent breton, qui fut l'aumônier de la petite colonie,
nous en a conservé une relation fidèle et détaillée'. L'histoire
est intéressante en plus d'unpoint, et notre occupation prît
lin par une de ces évacuations manu militari dont notre
histoire coloniale offre d'autres exemples.
Cela commence avec une mission fondée à Assinie en
1687 par un religieux dominicain, le P. Gonsalvez, qui
malgré son nom espagnol était Auvergnat. Cette mission
n'eut, qu'une existence éphémère, mais son supérieur put ra-
mener en France deux jeunes nègres qui, conformément à
une tradition que nous avons conservée, y furent présentés
Domine lils de roi.
page iiu royaume d'Issijmj, par le R. P. C. Loypr.
254 LA CÔTE d'ivoire.
En 1100, le P. Loyer, au retour d'un voyage aux îles
d'Amérique, se trouvait à Rome pour le jubilé. 11 se fit
nommer par la congrégation de la Propagande préfet apos-
tolique des missions de la Côte de Guinée et vint ensuiteen
France pour y trouver les moyens d'action propres à ap-
puyer son entreprise religieuse. On y songeait précisément
à renvoyer à Assinie, l'un des deux jeunes nègres, le prince
Louis Aniaba, qui, après avoir été élevé noblement, ava.t
servi quelques années dans l'armée royale en qualité de ca-
pitaine de cavalerie.
L'espédiiion se composait du vaisseau de guerre le Poly
ayant pour capitaine le chevalier Damnu, de deux navires
de la Compagnie de Saint-Domingue, l'Impudent et la Hol-
lande. Elle quitta La Rochelle le 18 avril 1101, emportant le
prince Aniaba auquel le roi avait fait donner « un équipage
convenable à son rang », le P. Loyer et un autre religieux
jacobin, le P. Jacques Villard. Après une courte escale à
Grand- Bassam, la petite escadre mouillait devant Assinie, le
25 juin à midi.GabHrel, lieutenant de vaisseau, et le P. Loyer,
qui, le 5 juillet 1101, se rendirent les premiers à terre, cha-
virèrent dans la barre avant que d'y arriver, mais en furent
quittes pour un bain. Après des pourparlers que nous pas-
sons sous silence, le roi Akasini concéda aux Français pour
s'y établir un emplacement sur la bande de sable qui sépare
la lagune d'Aby de l'Océan. C'est sur ce banc de sable que
s'élève aujourd'hui la pelile ville d'Assinie.
Le fort construit en 1701 fut composé d'une courtine et
de deux demi-bastions, avec une palissade de 10 on
12 pieds de hauteur et un fossé extérieur. Sur chaque bas-
lion on plaça quatre pièces de trois livres de balle et quel-
ques pierriers. Derrière ce retranchement, on bâtit les loge-
ments pour les officiers et la garnison, et quelques
magasins, assez petits à la vérité, mais suffisants pour les
marchandises qu'on avait débarquées.
Les indigènes paraissaient entièrement favorables et
LA CÔTE d'ivoire. 255
avaient prêté un concours empressé à noire établissement.
Le chevalier Damou, qui avait dirigé les pourparlers avec
eux et présidé à toute l'installation, quilta ensuite la rade
d'Assiuie.
C'eût été très bien si l'on avait pensé à la colonie nais-
sante ; mais on devait l'oublier quatre ans et ne s'en souve-
nir en 1704 que pour rapatrier les survivants.
Le- H'illandaisd'El-Mina.qnicraignaient que le voisinage
des Français devint nuisible à leur commerce, vinrent atta-
quer le Tort d'Assînie avec une escadre de quatre vaisseau*
le 3 novembre 1702. Après avoir essayé infructueusement
de détacber les indigènes de notre cause et sondé la rade,
ils se rapprochèrent de terre et commencèrent le bombar-
dement le 13 à huit heures du malin. La petile garnison ri-
posta d'abord assez heureusement; mais, n'ayant plus que
deux barils de poudre, elle dut cesser le feu des pièces et ré-
server la poudre pour la mousqueterie. Les Hollandais, au
contraire, continuaient de plus belle et envoyaient près de
1,200 coups de canon sur ce malheureux fort construit en
bois, sans lui faire, grand mal, parait-il.
La situation n'en paraissait pas moins désespérée lorsqu'à
deux heures de l'après-midi, se pruduisit un accident qui sem-
blait devoir tout perdre et qui vint tout sauver. Il y avait dans
le fort, près de la chapelle, une grande ruche d'abeilles qui
futrenversée par un boulet. Les muuches furieuses se jelèrenl
Sur la petite garnison et la forcèrent à évacuer la place. Les
Hollandais, ue doutant, pas que les Français n'en eussent
abandonné la défense, firent immédiatement débarquer cin-
quante hommes pour en prendre possession, mais les Fran-
çais rentrèrent dans le fort par une des embrasures du bas-
lion donnant sur la rivière sans cjue l'ennemi s'en aperçut.
D'autre pari nos alliés indigènes s'embusquèrent sur le
chemin que devaient suivre les Hollandais, si bien que, des
cinquante hommes de la compagnie de débarquement, trente-
nenf furent tués et les onze autres faits prisonniers.
256
LA CÔTE D'IVOIRE.
L'échec de cette te nlative mil fin a l'attaque dps Hollan-
dais. Pendant !e danger, te prince el ci-devant capitaine de
cavalerie Aniaba brilla par son absence. Le chevalier des
Marchais, qui fit sa connaissance quelques années plus
tard, nous renseigne sur le personnage et sur son prin-
cipal.
D'après lui, Aniaba était un petit esclave appartenant au
capitaine Compère, patron d'un bateau marchand, qui se
proposait d'en faire son domesLique. Arrivé en France, l'air
intelligent du négrillon donna bonne opinion de lui à quel-
ques personnes qui trouvèrent avantageux de lui Taire jouer
le rôle de prince. Ce à quoi le jeune Aniaba se prêla de fort
bonne grâce. Malheureusement, dès son retour à Assinie,
ses compatriotes le dépouillèrent des présents de Louis XIV
et lui firent reprendre son ancienne condition d'esclave.
Bosman confirme les points principaux de la version de
des Marchais. Ce qui n'empêche pas le Mercure de l'avoir
fait connaître à l'Europe «n 1701 sous le nom de Louis An-
nibat, roi d'Issiny, et de nous apprendre que, baptisé par
Bossuet, filleul du grand roi.il avaitreçu la communion des
mains du cardinal de Noailles, archevêque de Paris.
Le chevalier de Gènes, qui hombardaenl6051e forlJames
sur la Gambie, avait découvert un autre prince d'Assinie. A
propos de quoi un vieux voyageur fait remarquer que, mal-
gré la stupidité qu'on attribue aux nègres, ils ont assez d'es-
prit'pour nous en imposer à l'occasion.
En 1703, Loyer avait quitté Assinie. Les quelques Fran-
çais qu'il y laissait en élaieni déjà réduits à une telle misère
que, faute de marchandises, ilsdevaient vendre leurs habits
pour acheter de quoi manger.
Enfin, en juillet 1 704, trois navires marchands et un vais-
seau de guerre commandé par le capitaine de Grosbois ar-
rivèrent devant Assinie. C'est la saison des plus mauvaises
barres el il fallut trois jours aux Français du fort pour se
mettre en communication avec Grosbois. Celui-ci traita si
LA CÔTE d'ivoire. 257
talemenl les nègres venus à son bord qu'il ne l'ut plua
ssible de trouver des pirogues.
tTn soldat du Tort, nommé Parisien, ne craignit pas de
rnosera la fureur des fiais pour gagner les vaisseaux à la
c et représenter 1 Grosbois l'imprudence de sa conduite
qui mettait tous les Français de la garnison en danger d'être
massacrés; mais le capitaine, insensible à tous les discours,
déclara qu'il ne fallait penser qu'à l'embarquement pour re-
tourner en France. Parisien retourna au fort avec cette
nouvelle ; et, dès le môme jour, Grosbois envoya des ra-
deaux au rivage comme la seule ressource pour ramener
tous les Français à son bord. Le P. Villard Tut le premier
qui en osa courir les risques. 11 se mit en chemise avec son
chapelet au cou. Après avoir ouvert heureusement la route,
il se flattait de retourner au Tort pour y prendre ses habits
et sa chapelle, mais cette permission lui fui refusée par le
capitaine. Sept autres Français, moins heureux que lui, se
noyèrent en passant, la barre et le fort fut abandonné à la
discrétion des nègres.
Comme le terrible capitaine de Grosbois ne voulut faire
aucun cadeau, ni tenir aucune des promesses failes aux in-
digènes paries Français d'Assinie pendant leurs années de
misères, cette tentative d'occupation heureusement com-
mencée laissa les noirs, d'abord si favorables, fort indispo-
sés contre nous.
Les débuts et la fin de notre première occupation d'Assi-
nie justifiaient cette réplique d'une cheffesse d'Apollonie au
P. Loyer : < Si les Français avaient aulaut de fidélité dans
leurs promesses que de civilité dans leur conduite, foute la
côte d'Afrique serait a eus ; mais comme ils tiennent rare-
ment ce qu'ils promettent, leurs amis ne peuvent y prendre
beaucoup de confiance. »
En d'autres termes, pour réussir en Afrique, et peut-être
même ailleurs, il faut savoir ce que l'on veut et le vouloir
longtemps.
LA COTE D'IVOIRE.
Gel échec mit fin pour plus d'un siècle aux tenlalivesdes
Européens sur la Côte d'Ivoire; les difficultés du débarque-
ment causées par la barre ei la mauvaise réputation desna-
turels les en détournèrent. Ils y commerçaient cependant,
et des Marchais nous renseigne sur la façon dont s'opéraient
les transactions' :
* Les nègres de la côte, quoique du mauvais caractère
qui leur a attiré le nom de Mal-gens, aiment le commerce.
Dès qu'ils voient un batimt nt en panne ou mouillé à une
distance peu considérable de la côte, ils le viennent recon-
naître, et quand ils se sont assurés qu'on y peut traiter avec
sûreté, ils portent à bord tout ce qu'ils ont de marchan-
dises, soit or, morphil, captifs, vivres ou raffraîchissemenls,
et prennent en échange les marchandises rie traite dont ils
ont besoin. Il est plus à propos de traiter avec eux à bord
que de porter les marchandises à terre. Les Européens sont
maîtres dans leurs vaisseaux, pourvu qu'ils n'y laissent en-
trer qu'une quantité de nègres qu'il leur soit facile de chas-
ser s'ils se mettaient en état de leurvouloirfaireviolence.au
lieu qu'ils ne le seraient pas s'ils étaient à terre où la vue des
marchandises serait une tentation très forte pour porter les
nègres à quelque massacre, ou du moins à quelque pillage
dont il serait difficile d'avoir raison, à moins de prendre
le parti d'enlever des captifs au prorata du pillage que leurs
compatriotes auraient fait, ce qui serait encore un autre in-
convénient parce que les nègres ne manqueraient pas de
s'en venger sur les premiers Européens qui auraient le
malheur de tomber entre leurs mains.
t Ils viennent donc avec assez de confiance aux vaisseaux,
surtout quand le pavillon blanc les assure qu'ils sont Fran-
çais. Ils ne s'y sont pas toujours fiés; et pour s'assurer qu'ils
étaient tels que le pavillon marquait, ils exigèrent que le
capitaine descendit du bord et que mettant un pied sur li
I [ip? Marchais, lot. cit., p. 17B.
etfant un pied sur le
I.* CÔTE [/IVOIRE.
259
bord de la chaloupe et l'autre sur une précïnte de son
«aisseau, il prit de l'eau de la mer avec la main et s'en mit
quelques gouttes sur les yeux. A|jrès cette cérémonie ils
«'abandonnaient entièrement à sa discrétion, étant persuadés
que rien au monde ne serait capable de lui Taire violer la foi
qu'il leur donnait parce serment.
« Ils s'en servent eux-mêmes quant ils veulent promettre
quelque chose, et disent qu'ils perdraient la vue s'ils faisaient
le contraire de ce qu'ils ont promis. Je veux croire qu'ils
craignent l'effet de l'imprécation que celte cérémonie signi-
le ; cependant je conseille à ceux qui traitent avec eux de
s'y fier que sous bénéfice d'inventaire, et d'être toujours
n armés et en état de les repousser vivement si quel-
'un d'eux avait assez peu de religion pour ue pas craindre
►erle de sa vue, comme cela est arrivé plusd'une fois, car
y a partout des gens qui savent le secret des restrictions
sntafes et qui ne sont pas esclaves de leur parole. »
s Marchais étudie cependant la possibilité d'un établîs-
ment sur celte côte et préconise l'embouchure du Rio
inl-André, la rivière Sassandra de nos cartes. Nous y
ins aujourd'hui un poste. L'opinion de des Marchais nous
ieuseà rappeler, car il est actuellement question
e transférer le cbef-lîeu de notre colonie de Grand-Bassani
o un point de la côte plus sain el plus agréable à habiter,
a rapports des médecins des colonies chargés à diverses
:s d'éludier la question s'accordent pour recomman-
r comme favorable à rétablissement de la ville future le
sau qui s'étend entre Sassandra et Grand-Drewin. Des
îhais, dans le passage qu'on va lire, apporte à l'appui de
p thèse un témoignage qu'il nous a paru intéressant
[humer1:
i Le Grand-Drouïn est un village considérable bâti dans
c ile environnée de la rivière de ce nom. On voit au delà
I. Des Marehiis, loe. cil., p. 183.
2fiO a LA C&TE D'IVOIRE.
du village des prairies des deux côtés de la rivière, tant que
la vue peut s'étendre.
' « Kio-Saint-André est sans contredit le lieu de toute
celte côte le plus propre à placer une forteresse. La rivière
qui porte ce nom est considérable par elle-même, avant
môme d'avoir reçu les eaux d'une autre rivière qui s'y perd
une lieue avant son embouchure dans la mer. La première
vient du nord-nord -ouest, et la seconde du nord-est. Elles
sont l'une el Taure bordées de grands arbres, avec des
prairies naturelles et de vastes campagnes unies, d'un ter-
rain gras et profond, coupé par des ruisseaux qui le rafraî-
chissent et qui le rendent propre à produire toul ce qu'on
en voudrait tirer, s
Comme si ce n'était pas assez de tous ces avantages, notre
auteur nous fournit un peu plus loin un argument qui n'est
pas mince en faveur des agréments du séjour dans ces ré-
gions».
* Généralement parlant, toutes les femmes de Saint-An-
dré sont d'une taille assez petite, déliées et très bien prises.
Elles ont les plus beaux traits du monde, les plus beaux
yeuj, les plus vifs ; la bouche petite, les dents d'une blan-
cheur à éblouir. Elles sont enjouées ; elles ont l'esprit fin,
beaucoup de vivacité, et surtout un air tout à fait coquet ;
leur physionomie est libertine et n'est puint trompeuse. »
Notre respect pour la vérité nous oblige à rabattre
quelque peu sur les louanges enthousiastes du brave che-
valier. Sommes-nous devenus moins galants et moins im-
pressionnables que lui, ou bien est-ce la faute des beautés
indigènes, mais nos compatriotes qui habitent aujourd'hui
Sassandra se montrent beaucoup moins affirmalifs en cette
intéressante question.
Bossman, Akins, Smith et les autres voyageurs du
xviii* siècle ne parlent de la Côte d'Ivoire qu'en passant. Les
1. Des Marchai-, I
LA CÔTE d'ivoihe. 261
grandes compagnies commerciales qui existaient alors en
France comme en Angleterre et en Hollande continuèrent
à la négliger pour porter leur principal effort sur la Séné-
gambie, la Côte d'Or et le Bénin.
Ce qui achevait de rendre les communications rares et
difficiles entre les indigènes de la Côte d'Ivoire et les Euro-
péens, c'est que ceux-ci, lorsqu'ils faisaient escale en quelque
point du littoral, enlevaient parfois et vendaient ensuite en
Amérique les indigènes venus à leur bord pour y faire des
échanges. C'est du moins ce que nous rapporte Snelgrave,
navigateur anglais, qui visita tout le golfe de Guinée
en 1727.
Le fait n'a rien d'impossible; le nègre était alors une
denrée fort prisée et les capitaines des navires qui fréquen-
taient la côte occidentale d'Afrique n'embarquaient pas
toujours une très forte cargaison de scrupules, marchan-
cuandise encombrante sans qu'il y paraisse, et parfois bien
gènan te.
Pendant les guerres de la dévolution et de l'Empire, tout
bateau de commerce naviguant au long cours était plus ou
moins armé. Ayant la force, on devenait corsaire à l'occa-
sion, elquand on s'épargnait si peu entre blancs, pouvait-on
se montrer bien délicat vis-à-vis des noirs, race en dehors
du droit des gens, dont les ambassadeurs n'intervenaient
point dans ies congrès. Marchands, corsaires et négriers,
les marins de ces époques héroïques savaient l'être lour à
lour et tant qu'on ne faisait point franchement de la pira-
terie en s'attaquant à des navires amis, personne n'y trou-
vait rieu à dire.
Tous ces hommes d'action écrivaient malheureusement
Tort peu et, pour trouver sur la Cote d'Ivoire en particulier
quelques renseignements nouveaux, il nous faut attendre
la fin des guerres de l'Empire.
Robertson.qui fut en Afrique l'agent d'une des principales
maisons do commerce de Liverpool et qui fit en cette qua-
262 la côte d'ivoire.
lite" plusieurs voyages en Guinée, avait heureusement la
plume moins rétive. Il nous a donné, sur les différentes
escales de !a C6te d'Ivoire visitées par lui, d'itssez curieux
détails dans ses Notât onAfriva1, publiées à Londres en 1819.
D'après lui, Cnvally est remarquable par son grand com-
merce qui consisle en riz, ivoire, grains de paradis, grains
de fossiles5, poivre rouge, fourrures el autres denrées.
Ilobertson, se trouvant en mai à l'embouchure du Cavally,
vil flotter sur le rivage quantité de poissons morts, tous les
ans à pareille époque ce phénomène se renouvelait. Nous
occupons la rive gauche du Cavally depuis 1894, et aucun
de nos agent? n'a signalé le fait. Tabou, on réside actuelle-
ment l'administrateur du cercle de Cavally, était alors un
pauvre village, mais à Bassa, en face de Tabou, on faisait un
assez gros commerce d'ivoire el de dents d'hippopotames.
De Tabou à Sassandra, Robertson ne voit que les Bereby
et Drewin qui vaillent la peine d'être cités. A l'en croire,
l'importance de Sassandra a bien diminué depuis l'aboli-
tion de la traite des nègres; cependant, on y trouvait encore
de l'ivoire et de l'or.
Puis viennent Fresco et Koilrou, peu connus el peu fré-
quentés des Européens ; Cap Lahou, au contraire, le Grand-
1, Sole* onAfrica; particulury Ihusc pai ti wich are sitvated betwee»
Cap Ycrd and tht river Congo ; coidaining iketchei of Ihe geographical
lituations, mannen and cuttomt, tht trade, etc., of Ihe varions na-
tion* in thù extetuivt tract, etc., by G. A. Robertson, Esq., wilb a
correct map. Londres, 1818, in-8° de 4B0 pages.
i. Presque toute la population maie est employée a faire de» cha-
pelets composés de grains d'une substance fossile, trouvée au Tond de
It mer prè-s de la cote, qui ressemble au corail mais n'en a pas It
couleur. Tous les habitants des contrées environnantes pavent fort cher
ces chapelets, qui passent pour proléger contre les sortilèges, Les
plongeur- qui rrrueillent celle substance se munissent d"uo instrument
de r*r pour creuser lu couette de terre qui la recouvre au fond de la
mer. Chose curieuse, tous nos renseignements récents se taisent à ce
sujet; il semblerait que depuis quatre-vingts ans le souvenir même do
relie substance el du commerce auquel elle donnait lieu se soit perdu
dan? le pays.
LA CÔTE d'ivoire. 269
I. iliùu d'aujourd'hui, est l'établissement, le pli.s important
de la côte. On y traite annuellement pour 15,000 I. si.
(375,000 francs) d'or et d'ivoire, et pour 20,000 l. si.
(500,000 francs) d'huile de palme, gommes, poivres, bétail
et autres articles.
Tout le pays à partir de Lahou est placé sous la suzerai-
neté plus ou moins directe de l'Ossey ou roi des Achautis.
Robertson nous signale sur cette partie de la côte Jack -Jack,
dont les habitants sont industrieux, Piquininy-Bassam (au-
jourd'hui Petit-Bassani), où l'ancrage est difficile et dange-
reux à cause de cet abîme sans fonds appelé communément
le Puits du Diable; à Grand-Bassam la barre est très élevée
et ne peut être passée sans danger; la ville d'Issiny ou
d'Assini, qu'on trouve ensuite, n'a été qu'en partie rebâtie
depuis qu'elle a été détruite par les deux États coalisés de
Grand-Bassani et d'Apollouie. La barre est très dangereuse,
aussi les vaisseaux y viennent peu et le commerce y est
irès restreint ; de celui, assez considérable, qu'y faisaient
autrefois les Français il ne reste aucune trace. Là s'arrête
t'e que dit notre auLeur du littoral de la Côte d'Ivoire ;
quanta ses données géographiques sur l'intérieur du pays,
elles sont d'une telle fantaisie que nous croyons inutile de
nuus y arrêter.
Les traités de 1815 créèrent des loisirs aux marines de
guerre européennes. D'autre part, la répression de la
Iraite des nègres les amena à faire de nombreuses croi-
sières le 'long des côtes d'Afrique, elle fut aussi l'une des
raisons déterminantes de l'occupation permanente de cer-
tains points de la côte occidentale.
Mais l'un de ses premiers résultats fut de nous faire
mieux connaître l'hydrographie et les divers aspects de la
c»le. C'est de celte période que datent le grand atlas an-
glais d'Owen1, les travaux des hydrographes français. Le
1. Owcii (W. F. «.), Hydrographical Sureey oj the coa*l of Aftiko,
iOcarU^ in-1'olin pi OS [.lantlie* iii-V. Londres, 1822-I8Î6.
264 la côte d'ivoire.
Prédour, Darondeau, etc., continués par île Kerhallel et
Legros, sans parler de nombreux officiers de notre division
navale de l'Atlantique sud. C'est alors aussi que commen-
cent les nombreuses croisières que l'amiral Bouët-Willau-
mez fit le long de cette côte pendant vingt ans{1830-1850),
ainsi que les prises de possession et les établissements qui
en résultèrent.
C'est en 1842 * que, sur la demande 'de plusieurs mai-
sons de commerce françaises qui avaient créé quelques
comptoirs sur la Côte de l'Or et y faisaient un trafic assez
important, le ministre de la marine chargea le comman-
dant Boufit-Willaumez d'entrer en relations avec les chefs
de la contrée.
Celui-ci obtint alors d'Amatifou, souverain d'un royaume
situé à l'ouest du pays Aclianli, la cession du territoire
d'Assinîe, et du roi Piter (ou Peter), dont l'autorité s'éten-
dait sur les villages de la lagune Ebrîé, la cession des ter-
ritoires de Grand-Bassam, ainsi que le droit d'établir un
poste à Dabou, dans la partie moyenne de la lagune.
Ces deux chefs s'engageaient, en outre, à assurer, dans
toute l'étendue de la contrée qui leur était soumise, la sé-
curité des voies de communication et recevaient en échange
une redevance annuelle du gouvernement français.
La prise de possession eut lieu l'année suivante. Le lieu-
tenant de spahis Hecquari, qui visita nos posles de la Côte
d'Ivoire en 1849 avec le commandant Bouet-Willaumez,
alors gouverneur du Sénégal, et qui connut la plupart des
officiers qui avaient participée leur fondation, nous a laissé'
un récildétaillé et intéressant des événements qui marquèrent
notre installation désormais définitive à la Côte d'Ivoire.
1. La Colonies françaiten, notir.es puDliei's .sous la direction de
ht, Louis l!(!iirii|ue à l'occasion de l'exposition di> 1H8J. Paris, in-12,
l. VI, p. 192 et suiv.
2. M. Heci|uurd, Voyage *«r la ente el tlaitx l'intérieur de l'Afrique
occidentale. Taris. 1N53, in-4°, >;rav, cl caries, p. 51 et suiv.
LA CÔTK D'IVOIRE.
265
Kiste d'Àssinic qui fut fondé le premier.
h Le 4 juin 1843, la galiare l'Indienne, commandée par
M. Rataillol, el le cutler l'Êpertan, sous les ordres de
M. Darricau, lieutenant de vaisseau, parlaient de Gorée
pour Assinîe avec trois navires de commerce chargés du
matériel et de la garnison du Tort que devait commander
M. de Mont-Louis, enseigne de vaisseau. Le 2 juillet, celte
petite escadre arrivait devant Assi nie, MM. Rataillot et Dar-
ricau descendaient à terre, et, le 4, un traité était passé
avec le roi Amatifou, qui nous concédait un territoire
ei se mettait sous notre protection contre les gens d'Apol-
lonie, avec qui il était continuellement en guerre et dont il
redoutait les fréquentes incursions. Le 5 juillet, M. Dar-
ricau prenait le co m mandement de la plage, où le débar-
quement commençait. Celte opération était excessivement
périlleuse et difticile, et il ne fallait rien moins que la per-
sévérance et le courage de nos officiers et de nos matelots
pour en venir à boul. Des radeaux furent établis avec les
planches destinées à la construction des baracons ; l'on y
plaça les vivres, puis on les conduisit sur les bords des
hrisants, d'où ils furent remorqués vers la terre au moyen
île cordes disposées en va-el-vienl par des honuues placés
pies du rivage et ayant de l'eau jusqu'au milieu du corps.
Quelques-uns de ces radeaux chavirèrent ; mais, dans tous
les cas, les objets qu'ils portaient étaient mouillés, et il
[allait les déballer aussitôt et tes faire sécher sur le sol.
Ceux qui connaissent les difficultés que préseule un débar-
quement, même en pirogue, sur la côte d'Afrique, se feront
facilement une idée des obstacles que nos marins eurent à
vaincre dans cette circonstance. Cependant, quoique privés
de toutes les ressources qu'on trouve près des lieux fré-
quentés par nos bâtiments, le 29 juillet, l'artillerie, les mu-
nitions, les vivres, tout élailàterre, le blockhaus était élevé,
et notre pavillon, flottant pour la première fois sur ce ri-
t, était salué de vingt et un coups de canon.
26(i ia hôte d'ivoire.
s. Le poste d'Assinie, établi à neuf milles de l'embouchure
de la rivière et sur la rive droite, est une bon*e position
militaire, car il commande de là les passes qui conduisent
soit au lac d'Aby, soit à celui d'Apollonie, et est éloigné à
peine d'un mille du village d'Assinie, qu'il tient ainsi faci-
lement en respect.
« Le commandant habite une maison modèle envoyée
de France et qui se compose d'un seul étage entouré d'une
galerie couverte. Elle occupe le milieu d'un carré ceint
de fortes palissades et flanqué à chaque angle d'un bastion
eu pierres. Autour de la maison s'élèvent quelques ba-
raques en planches qui servent d'hôpital, de magasins et
de caserne. La garnison compte un commandant, un chi-
rurgien, un commis de marine chargé de la comptabilité,
une vingtaine de soldais noirs, deux canonniers blancs et
quelques laplots.
v AS milles du comptoir sont les passes conduisant au
lac Aby, qui a plus de 55 milles de long sur 8 ou 10 de
large. Les principaux villages sont Aby, bàli sur la rive
gauche, et dont le chef nommé Biconé a toujours été très
bienveillant pour nous ; un peu plus loin, Azouan, village
de cultivateurs et de pécheurs, qui fournit au poste des pro-
visions.
* Aby, le premier de ces villages, fut brûlé en 1848 à la
suite d'une méprise fâcheuse. M. Thévenard, officier d'in-
fanterie de marine, revenant de Kinjabo où il avait été voir
le roi Amatifou, fut assailli, au moment où il s'y attendait
le moins, par plusieurs pirogues armées en guerre. Quoique
inférieurs en nombre, et bien qu'ils eussent à peine le
temps de mettre les armes a la main, M. Thôvenard et ses
hommes se défendirent énergiquemenL. Mais bientôt ce
brave oftieier, qui avait été blessé à la première décharge,
succomba ainsi que ceux qui l'accompagnaient, a l'excep-
tion d'un soldat noir qui s'échappa. Ce massacre avait lieu
a l'entrée du grand lac d'Apollonie; mais pour délourm
LA CÔTE D'iYOlM.
i67
s soupçons, les Apollonîens qui montaient ces pirogues
dllèrent échouer notre canut sur la rive gauche du lac
Abj; puis ils dépouillèrent les cadavres, en coupèrent les
télés et les parties génitales el. les emportèrent avec les
armes prises dans l'embarcation, n'épargnant que le soldat
unir qu'ils emmenèrent avec eux.
c Or, la position dans laquelle on trouva la chaloupe et
indices trompeurs faisant supposer que c'élait les
habitants d'Aby qui avaient commis le crime, ce village
fut réduit en cendres, malgré les protestations du roi Ama-
tlfou, tandis que les habitants, à qui le roi, pour donner
une marque de son dévouement aux Français, avait détendu
de résister sous peine de mort, *e sauvaient dans les buis
d'où ils Assistaient à la destruction de leurs cases. Mais
quelques mois plus tard, les Anglais ayant fait une expédi-
tion contre Kakouaka, roi il'Apullonie, et s'étant empares
du village, le soldat noir fut retrouvé, raconta toutes les
circonstances de cette catastrophe et désigna les Apollo-
nieus comme les seuls auteurs de ce guet-apens Aussi,
lorsque le commandant Bmié.-\\ illaumez vint me conduire
au Grand-Bassani, il (Il appeler Amatifou et, après quelques
Explications, il lui fit compter comme réparation du dom-
mage qu'on lui avait causé une somme de 5,0U0 francs, 11
y ajoHta comme cadeau mon uniforme d'officier de spahis,
dont les vives couleurs causèrent une joie indicible au r.ii
notr. >
L'ordonnance royale de janvier 1843 prescrivant la fonda-
lion des comptoirs d'Assinie et du Gabon eu prévoyait un
troisième à Garroway. Au moinenl où l'expédition qui
■ levait fonder cet établissement allait partir du Seuégal, le
commandant Bouel-Willau ruez apprit que les Anglais avaient
l'intention de s'emparer de Grand- Bas sa ni et d'annihiler
ainsi noire comptoir d'Assinie. N'ayant pas le temps de
demander des ordres en France, il fjrit sur lui de changer la
lestinalion de l'expédition qu'il atail sous la main, et la
268 LA CflTK D*IVOIRE.
dirigea immédiatement de Corée sur Grand-Bassam, où elle
arriva !e 17 août.
La barre y est particulièrement mauvaise, surtout aux mois
de juillet et d'août. Aussi n'ayant aucun moyen d'aborder,
M, Besson, enseigne de vaisseau, désigné pour commander
le poste, traversa les brisants à la nage et porta à [erre une
ligne au moyen de laquelle on parvint à établir un va-et-
vient entre le rivage et la haute mer en deçà des brisants.
Le débarquement, toutefois, ne se lit point sans perte. Une
embarcation engagée dans la barre chavira et quatre mate-
lots disparurent. On employa alors le procédé qui avait
réussi pour Assinie; on construisit des radeaux avec les
planches destinées au baraquement et, en quinze jours, tout
était débarqué. Le 28 septembre suivant, les chefs de Grand-
Bassam se renflaient au poste pour en saluer le commandant,
et le pavillon français était arboré au bruit de salves d'artil-
lerie répétées par les navires en rade.
Cette heureuse prise de possession fut suivie assez rapi-
dement de difficultés avec certaines peuplades indigènes du
bas Comoe et de la lagune Ebrié. Le commandant Bouet-
Willaumez eut maille a partir avec les tribus de l'Akapless
en 1849. 11 dut bombarder et détruire le village de Yaou,
sur la riche gauche du Comoe, à une dizaine de kilomètres
de Grand-Bassam. Quarante-deux officiers et marins tués ou
blessés dans ces différents combats témoignent de la résis-
tance qui fut faite par les naturels, fort supérieurs en
nombre, pourvus d'armes à feu et pretégés par la nature
boisée du terrain.
C'est en 184° également que le lieutenant de spahis Hec-
quard vint à Grand-Bassam pour tenter de relier le golfe de
Guinée au Niger. C'était, eu sens inverse, le voyage que
devait réussir le capitaine Binger quarante ans plus tard.
Hecquard complaît, pour le succès de son entreprise, sur
l'aide des Mandés-Dioulas de Bondoukou, qui venaient
alors en assez grand nombre commercer à Grand-Bassam.
^H
LA CÔTE D'iVOIRE. 209
Mais il ne put remonter plus haut que les rapides de Kotto-
krou sur le ComoS, à TO ou 80 kilomètres du littoral. Il est
curieux que le mouvement commercial entre les Dioulas
et nos ports de la Côte d'Ivoire, que nos efforts fonl renaître
depuis quelques mois seulement, après une longue inter-
ruption, ait eu alors une aussi réelle intensité.
En 1853, le capitaine de vaisseau Caudin, qui avait rem-
placé Bouet-vVillaumez dans le gouvernement du Sénégal,
eut à châtier quelques peuplades de la lagune Ebrié et décida
la constfuelîon du fort de Dabou pourconlenirles Boubou-
rys, la plus turbulente de ces tribus. La construction du fort
fut dirigée par le capitaine du génie Faidherbe, qui commença
ainsi dans notre colonie une carrière africaine glorieuse et
justement célèbre.
Il convient de remarquer également que les gens de
l'AkaplessetlesBoubourys, avec lesquels nous eûmes maille
à partir dès les débuts de notre occupation, sont les mêmes
qui, à diverses reprises, et tout récemment encore, ont
Iroublé l'ordre dans la colonie.
L'amiral Fleuriot de Langle, après avoir pris part en qua-
lité de lieutenant de vaisseau à l'occupation de Grand-Bas-
sani et d'Assinîe, commanda pendant plusieurs années la
division de l'Atlantique sud, et fît le long de la côte occi-
dentale d'Afrique plusieurs croisières qui ne prirent fin
qu'en 1807.
Nous passons sous silence les renseignements nombreux
que le brave amiral donne sur l'inlérieur du pays; il eut
beaucoup de mérite à les recueillir, mais les régions dont
il parle ont été visitées depuis, et nos explorateurs ont dû
faire justice de quelques-unes de ses hypothèses, de celle
entre autres qui faisait sortir toutes les rivières de la Côte
d'Ivoire, depuis le Cavally jusqu'au Comoë, d'une grande
lagune nommé Glé, située fort loin dans l'inlérieur et qui
recevait toutes les eaux descendant des montagnes de Kong.
L'amiral Fleuriot de Langle est beaucoup plus intéressant,
■
270 LA CÔTE D'IVOIRE.
et d'une lecture profitable encore aujourd'hui, lorsqu'il nou>
parle de 1» côte'Orouman, des lagunes de Lahou, de Grand-
Bassam et d'Assinie, qu'il avait visitées au cours de ses
voyages. Il nous dépeint les peuplades qui habitent de
Fresco jusqu'à Apollonie comme très divisées, et nous
apprend qu'il a fallu traiter avec quarante villages pour
acquérir les droits de souveraineté épars entre tons les chefs.
A Lahou, deux des trois chefs principaux éliienl soumis à
notre influence. Le nord de la lagune étail commandé par
une reine très obéie et très redoutée. Nous n'y avions pas
alors d'installation permanente.
« Le cercle de Dabou ne comptait pas moins de qua-
torze ou quinze centres qui n'avaient pas de lien commun.
Celui de l'Éhrié renfermait dis-huit villages, dont quelques-
uns étaient réunis sans avoir renoncé a leur autonomie.
Le Potou, réuni à l'Ébrié, en comptait au moins huit qui
étaient vassaux d'Amatifnu qui, comme tout souverain
éloigné, laissait à ses gouverneurs une grande latilude. Eu
un mot, cetle population très dense et fort intelligente, qui
ne monte pas à moins de £00,000 âmes, est gouvernée par
une oligarchie entre laquelle il n'existe pas de lien com-
mun.
t Les langues parlées se ressentent de ces différences
d'origine, et forment une bigarrure qui demande le secours
de plusieurs inlerprèles. Il est rare qu'un seul individu
connaisse tous les idiomes adoptés par chaque communauté.
o Les intérêts commerciaux et les rivalités de casles
amenaient des guerres fréquenles entre toutes ces popula-
tions, et nous en ressentîmes bieniôt nous-même le contre-
coup. Le CnmoB, le Polou-Aghien avaient pour centre de
commerce Grand-Bassam. Ceux de Bonouâ commerçaient
à Alassaui, situé sur le bord de la mer a l'est de l'embou-
chure de la rivière. Les gens de l'Ébrié avaient pour clien-
tèle les villages dils des Jacks, qui s'étendent sur la plage
vis-à-vis de Dabou. Le cercle de û<ibou était dans l'habi-
LA CÔTE f> 'IVOIRE. 271
lude de Iraiter avec ces mêmes Jacks, qui reçoivent bon an
mal an dix à quinze navires anglais Taisant la traite à tra-
vers la barre.
f Tant que les relations que nous avions avec les chefs
se bornèrent à leur donner des cadeaux, tout fut facile. Les
courtiers étaient heureux de recevoir les primes en outre
de l'huile traitée. Mais lorsqu'ils virent des magasins four-
nis de marchandises nombreuses venir leur disputer les
marchés, ils pensèrent qu'ils s'étaient donné des concur-
rents dangereux ; une sourde animosilé suscitée par eux
se traduisit bientôt en une hostilité flagrante qu'il fallut ré-
primer. Soixante pirogues s'essayèrent contre l'un de nos
avisos qu'elles voulurent attaquer et subirent une défaite
signalée1. >
L'éparpil'ement du pouvoir politique signalé par l'amiral
Fleuriot de l'Angle est toujours le même. S'il a l'avantage
d'empêcher les troubles de se généraliser et tout soulève-
ment de prendre des proportions inquiétantes, il nous
oblige par contre à agir nous-mêmes dans bien des cas où
une autorité indigène reconnue nous faciliterait singulière-
ment noire lâche.
Celte insécurité explique aussi la date relativement ré-
cente des installations commerciales permanentes à terre
ailleurs qu'à Grand-Bassani et à Assinie, où les factoreries
étaient protégées par nos postes. C'étaient des capitaines
marchands qui faisaient périodiquement le voyage de la
côte et passaient des mois entiers sur leurs voiliers trans-
formés en comptoir devant Jacqoeville ou Lahou.
A Assinie, l'autorité d'Amatifou, jrénéralement respectée,
sinon toujours obéie, rendait les relations plus faciles.
L'amiral Fleuriot de l'Angle raconte qu'en 1843 le souvenir
de l'occupation française du xvm' siècle n'était pas encore
a cole d'Afrique [Tout
272 LA CÔTE D'fVOIilE.
perdu. On le conduisit à l'ancien emplacement du puslc
fondé par le chevalier Damou, en lui disant : « Voilà le ter-
rain des Français. » C'est là, sur le banc de sable, que s'éleva
d'abord le blockhaus, mais comme il faillit être enlevé par
un raz de marée, en 1867 on l'avait déjà transporté auprès
du village de Malia, sur la grande terre, à l'entrée de la la-
gune Aby, où se trouve encore la résidence actuelle de l'ad-
ministrateur du cerele d'Assinie.
Après la guerre contre l'Allemagne, en 1871, le gouverne-
ment français rappela les faibles garnisons de Grand-Bas-
sam, de Dabou, d'Assinie. Un négociant de la Rochelle,
M. Verdier, qui avait des comptoirs à la Cote d'Ivoire, Tut
chargé d'y remplir les fonctions de résident de France. H
recevait une subvention annuelle de 20,000 francs pour
l'entretien d'une petite force de police indigène et le paie-
ment de quelques coutumes aux chefs noirs. On lui avait
donné les constructions que possédait l'État et il pouvait
compter sur l'appui intermittent de quelque aviso de la
station du Sénégal ou de quelque croiseur de la division de
l'Atlaniique.
Le fort de Dabou fut complètement abandonné, mais
M. Verdier eut le mérite de maintenir nuire pavillon et de
faire respecter nos droits à Grand-Bassam cl à Assinie.
Après une longue période d'inaction, M. Verdier, malgré
la faiblesse des moyens dont il disposait, prit l'initiative du
premier essai de pénétration dans l'intérieur dix pays. Il
en contia l'exécution à Treich-Laplène, son agent à Assi-
nie. Celui-ci, s'aidanl fort habilement de l'influence du roi
de Khrinjaboo, s'avança jusqu'à Zaranou, la capilale de
l'Indénié, remontant d'abord la vallée de la Bia, puis il re-
descendit sur Grand-Bassam par le Comoé. II rapportait
des traités de prolectorat étendant noire influence sur l'In-
dénié, y compris l'Alangoua, et sur le Betlié.
Cependant le capitaine Binger, parti de Bordeaux le
20 février 1887, s'était enfoncé dans la boucle du Niger
LA CÔTE D'IVOIKE.
pour y exécuter le remarquable voyage que l'on sait. Au
début de 1888, le bruit île sa mort se répandait en Europe.
11. Verdier, après entente avec le s ou s- sécréta ire d'Étal des
Colonies, envoya à sa recherche Treinh-Laplèue. Les deux
explorateurs après s'être manques de quelques jours à
Boodoukou, se rencontrèrent à Kong le 5 janvier 188°.
Tous deux revinrent ensemble à Grand-Bassam en pas-
sant par le Djimini, l'Anno, l'Indénié et le Beltié.
Le retentissement mérité qu'oui en France le beau voyage
de M. tîinger, le réveil de l'esprit colonial, les renseigne-
ments nombreux el précis rapportés par le voyageur ouvri-
rent les yeux sur l'importance économique et politique de
nos établissements de la Côte d'Ivoire. Les projets rêvés
parBouet-Willaumez et Faidherbe venaient d'être exécutés
parle capitaine Bingeravec une ampleur qu'ils n'avaient
pu prévoir. Il fallait se mettre en mesure de faire donner
à cette belle exploration tous ses résultats.
Un décret du 1e' janvier 1800 organisa nos établissements
des rivières du Sud, de la Guinée et du Bénin en colonie
indépendante. Un résident officiel fut installé a Grand-
Biissam. Le premier titulaire de l'emploi devait être Treich-
Laplène, que les services qu'il venait de rendre désignaient
au choix du gouvernement.
Sans avoir encore sa vie propre, la Cote d'Ivoire était dé-
sormais connue en France. Pendant les années 1890 et
1891 , elle attira quelques jeunes officiers de cavalerie dont
les monotonies de la vie de garnison ne remplissaient pas
suffisamment l'existence. Arago, Quiquerez et de Segonzac,
Armand et de Tavernost essayèrent de remonter ses ri-
vières coupées de rapides et de percer l'épais rideau de ses
forêts. Si l'insuffisance de leurs, ressources et peut-être
aussi leur inexpérience des choses africaines ne leur permit
- pas d'aller bien loin, il ne faut pas moins leur tenir compte
de cette belle ardeur et de cette bonne volonté qui, pour cer-
tains, est allée jusqu'au sacrifice de leur vie.
274 la cote d'ivoire.
C'est également en 1891 , que deux jeunes gens, Toituret
et Papillon, venus pour faire une exploration commerciale
du pays y Turent massacrés par les indigènes.
Treich-Laplène, morl prématurément, Tut remplacé par
M. l'administrateur Desailles, puis par M. l'administrateur
de Beeckmann. Lahou,.Iacqueville furent occupésen 1892.
Au nord de Lahou, noire pénétration se heurtait à la résis-
tance des gens de Thiassalé, qui, en possession de servir
d'intermédiaires commerciaux entrt les peuplades de l'in-
térieur et les traitants de la côte, ne voulaient pas perdre
les bénéfices de cette situation. Les capitaines Marchand et
Manet brisèrent leur résistance. Le second perdit la vie
dans les rapides du B.mdutna, au retour de cette expédi-
tion. Le premier, continuant son voyage, explora le Baoulé
et poussa jusqu'à Kong.
En 1892, lecapilaine Binger fut placé à la lete de la mis-
sion qui, conjointement avec des commissaires anglais, de-
vait délimiter la fioiitière séparant notre colonie de la co-
lonie anglaise de la Côte d'Or. Il visita le pays d'Assinie,
l'Indénié, l'Assikasso, revit Kong et Bondoukou et revint
par le Djimini et le Diammala. Ses compagnons de voyage
furent le Dr Crozat, le lieutenant Braulot et M. Marcel Mon-
nier, qui s'est fait l'historiographe de l'expédition'.
La fâcheuse attitude des membres anglais de la commis-
sion n'avait pas permis à celle-ci d'accomplir son œuvre en
Afrique, mais les deux gouvernements se mirent d'accord
et signèrent le 12 juillet 1893, à Paris, une convention qui,
complétant celles du 10 amH 1889 et du 26 juin 1891, dé-
terminait la frontière orientale de la Côte d'Ivoire jusqu'au
9* degré de latitude nord.
Un décret du 10 mars 1893 organisa la Côte d'Ivoire en
colonie indépendante, en chargeant son gouverneur
d'exercer le prolectorat de la République française sur les
1. Marcel Monnier, la Fi-n
LA CÔTE d'ivoire. 275
Uls de Kong. Le premier gouverneur de la Côte d'Ivoire
e capitaine Binger.
Son premier soin fut de prendre possession de la côte
lest de la colonie. La convention conclue avec la Répu-
>lique de Libéria, le 8 décembre 189-2, arrêtait notre terri-
toire à l'embouchure du Cavally, mais le gouvernement de
i petite république africaine faisait des difficultés pour
ratifier celte convention. M. Binger en quelques mois, à
l'aide du petit aviso Ménard, sut occcuper toute cette côte,
fonderies postes de'Sassandra, San Pedro, Bereby, Tabou,
Bliéron à l'embouchure du CavalJy et, fort de l'assentiment
des indigènes qu'il s'était gagnés, porter notre influence
au delà de la rivière jusqu'au cap des Palmes.
La République de Libéria s'empressa de ratifier la con-
vention de 1892, et le cours inférieur du CavalJy forme de-
puis lors notre frontière incontestée.
L'administrateur Pobéguin tut chargé de la reconnaissance
géographique de toute la côte ouest, depuis la frontière jus-
qu'à Labou.
En même temps, le gouverneur faisait commencer la pé-
nétration méthodique vers l'intérieur, par deux voies pa-
rallèles, en fondant les postes de Thiassalé sur le Bandama
et de Bettié sur le Comofl. Malheureusement l'administra-
teur Poulie, chargé de la pénétration par la vallée du Co-
moe, était assassiné en 1804 dans l'indénié à l'instigation
du chef Rassi Dikié et des noirs originaires de la Côte
d'Or anglaise qui formaient son entourage. Les adminis-
trateurs de Bonchamps et Bricard réprimèrent en 189ô
les troubles qui suivirent ce meurtre et fondèrent un poste
à Zaranou, capitale de l'indénié.
Le Baoulé était le thélilre d'événements beaucoup plus
raves. Le capitaine Marchand avait dû quitter Kong de*
; bandes de Samory, qui, repoussé dans le sud par
* colonels Archinard et Combes, envahissait le pays de
mg, le Diammala et le Djimini. Le colonel Monteil, à, la
276 la cote d'fvoihe.
tÊte d'une colonne de 1,200 hommes, reçut la 1
d'aller secourir ces pays, qui avaient accepté notre protection.
Débarqué à Grand-Bassani en 1894, il dut tout d'abord
mettre à la raison Amangoa, le chef de l'Akapless, qui
troublait les environs de Grand-Bassam. Bonouà, sa capi-
tale, fui enlevée à la suite de deux sanglants combats, et
Amangoa lui-même s'élanl rendu quelque temps après
fut déporté au Gabon.
Le colonel Monteil reprit alors son principal objectif et
essaya d'aller au secours aie Kong en montant dans l'inté-
rieur par le Baoulé. Mais le manque de porteurs, l'hosti-
lité déclarée des indigènes de celle région qui, sans l'aire
cause commune avec Samory, s'effrayaient du passage de nos
troupes, affaiblirent tellement la colonne que le colonel
Monteil ne put dépasser Satama, dans le sud du Diammaia.
Blessé dans un des combats livrés à Samory, le colonel
Monteil rentra en France ; Satama fut évacué et notre pé-
nétralion dans la vallée du Bandama s'arrêta-à Koudiokofl, à
peu près sous le 7' degré de latitude nord. Dans la vallée du
Comoë, nous étions arrivés à peu près h ta même hauteur
par la fondation du poste d'Atlakrou, sur la rive gauche du
fleuve à une centaine de kilomètres en amont de Bettié
(novembre 1895).
L'année 1805 vit également se produire deux explora-
lions qu'il convient de mentionner. La première, dirigée
par le lieutenant de vaisseau Brelonnet assisté de M. Lam-
blin, partit de Koudiokofl, vint traverser le Comoë à Abé
et se dirigea sur Bondoukou. Elle ne put y pénétrer, arrêtée
par l'opposition d'Ardjoumani, le roi de l'Abron, et par
l'approche des bandes de Samory.
Presque à la même époque, les lieutenants liaud et Ver-
meersch, partis du Dahomey, traversaient Bouna et arrivaient
à Grand-Bassam par l'Assïkasso et l'Indénié.
Au mois de février 1896, te gouverneur Binger fut rem-
placé dans le gouvernement de la Côte d'Ivoire par le
, CÔTE D'iVOIRK.
277
l Grand -Bassani un mois à
iverneur Berlin, qui i
peine après avoir rejoint son poste.
Il fut remplacé par le gouverneur Moultet, en mai 1896.
Celui-ci s'appliqua à compléter l'organisation administra-
tive de la colonie. Puis convaincu, malgré l'échec du ca-
pitaine Braulot envoyé en ambassade auprès de Samory
et qui n'avait pu dépasser Bouakë, que, si Samory ne vou-
lait pas traiter, il ne menaçait pas du moins nos postes du
Baoulé, le gouverneur (il continuer activement la pénétra-
tion le long de la frontière orientale de la colonie. L'admi-
nistrateurCloze! fondaille posle d'Assikasso en janvierl897,
et occupait Bondoukou le 5 décembre de la même année.
Les administrateurs Hostains et Thomann exploraient en
1897 Je bas Cavally el le cours moyen de la Sassandra, tan-
dis qu'un officier du Soudan, le lieutenant Blondiaux, tra-
çait toute une série d'itinéraires dans le nord-ouest de la
colonie. Les administrateurs Nebout el Pobéguin, ainsi que
M. Eysseric, complétaient lu reconnaissance géographique
du Baoulé, tandis que de nouveaux levés de l'Jndénié et de
l'Assikasso étaient exécutés par MM. Clozel, Lamblin et
Seîgland.
A la lin de 1897, une nouvelle mission était envoyée à
Samory. Dirigée d'abord par M. le secrétaire général Bon-
boure, puis par M. l'administrateur Nebout, elle fut bien
reçue par l'almamy, mais le massacre du capitaine Braulot,
auprès de Bouna, par Sarantiené Mory rendait tout traité
impossible.
L'uriné 1898 vit enfin la chute de Samory : pressé par les
Iroupes du Soudan qui avaient occupé Bouna et Kong,
arrêté par nos postes de Bondoukou el de Koudiokofi, poussé
dans l'ouest parla colonne du commandant Lartigue, battu
en plusieurs rencontres, il finit par être pris dans l'hinter-
land de la République de Libéria1.
impies Rendus, 1899, p. 315,
ii rie M. I
capitaine
278 LA. CÔTE d'ivoire.
En mai 1898, une invasion d'Achantis, sujets anglais, qui
vinrent soutenir une révolte de deux ou trois petits chefs
de notre territoire, mit en danger notre poste d'Assikasso.
Assiégé pendant deux mois, il ne put être délivré qu'à la
venue de renforts demandés au Sénégal.
Le 18 août, les Boubourys, dont nous avons eu déjà à
parler au cours de cet historique, troublaient les environs
de Dabou. M. Le Yoaz, patron de la canonnière le Diamant,
et M. Eudes, employé d'une maison de commerce, furent
assassinés par eux. La répression de ce double meurtre
n'alla pas sans quelques difficultés et sans combats assez
meurtriers à cause de la nature boisée du pays.
En octobre 4898, M. le gouverneur Mouttet quittait le
gouvernement de la Côte d'Ivoire et était remplacé par
M. le gouverneur Rbberdeau.
IISSION VOULET-CHANOINE
Bart Beré (par 13- laL ?iord et 3'W long. Est,
à l'Ml du Niger), lr I] avril Ï89B.
C'est à environ 15 kilomètres au sud de Gagnou que le
loi Maouri vient rencontrer le Niger. Pendant une cen-
6 de kilomètres cette dépression est assez bien carac-
risée, puis elle s'élargit en une plaine immense. A partir
e Kara-Kara, il n'y a plus de limite pouvanl indiquer où se
mine la dépression eloù elle commence; du rente, même
r. endroits où elle est exactement définie, elh n'affecte
s la forme d'un oued, ou d'un lit de rivière desséché.
C'est un bas-fond pendant une cinquantaine de kilomètres,
■ nvert de palmiers corners. On extrait du sel dans toute la
'lie nommée Fogha (sel en baoussa). Les indigènes
tent les effiorescences salines, placent celte linedans
grands récipients et fonl filtrer de l'eau au travers.
; sature de sel; on fait bouillir jusqu'à evapora-
nori complète, le sel est ensuite aggloméré en pains de la
forme des pains de sucre. Celle industrie esl 1res prospère.
Le Fogha est couvert de monticules hauls de cinq nu sis
mètres formés des terres ainsi lavées. Le Fogha, aux envi-
rons de Banou, à 30 kilomètres du Niger, se divise eu deux :
Jallol Maouri, qui s'incline légèrement vers te nord-est,
e Fogha proprement dit, qui continue vers le nord.
; le Dallol Maouri, il n'y a ni palmiers rôuiers, ni
280 MISSION VOULET-CHANOINE.
terrains salifères. Le Fogha au contraire, comme son nom
l'indique, continue d'être un terrain d'exploitation durant
8(1 kilomètres, puis il se termine par un étang, une sorte de
canal large d'une centaine de mètres, long de 15 kilo-
mètres, profond de i m. 50, aux berges élevées de 7 mètres,
et quelquefois plus.
Ceat leMisso, c'est l'extrémité du Fogha, c'est un canal
artificiel formé par l'extraction de la terre salifière durant
des siècles. Les hautes berges sont des amas de terres
lavées. L'eau du Misso est saumâlre, elle est buvable
cependant.
Depuis la séparation du Dallol Maouri en deux branches,
les rûniers ont disparu dans le Fogha et presque toute
végétation, parce que les terres contiennent une plus grande
quantité de sel. Ce terrain du Dallol serait fort intéressant
a étudier; le sel qu'on en relire contient une grande pro-
portion de salpêtre; certaines parties du sol contiennent
une plus grande quantité de sel que d'autres, et ces endroits
sont souvent très proches.
De deux trous creusés à quelques mètres l'un de l'autre,
l'un contiendra de l'eau potable, l'autre de l'eau salée, car
j'ai omis de dire que, dans tout le Fogha, l'eau se trouve
dès qu'on creuse le sol de quelques centimètres.
Dans le Dallol Maouri, au contraire, l'eau ne se trouve
qu'à 7, 8, 10 ou 20 mètres, les profondeurs sont variables.
Le véritable centre de l'exploitation du sel se trouve à partir
de l'embranchement du Fogha et du Maouri, dans la partie
nord du Fogha. Dans la parLie inférieure, où Fogha et
Maouri sont réunis, on extrait aussi du sel, mais en quantité
moindre, e[ les terres semblent être moins riches; en effet, la
plupart des mares contiennent de l'eau douce.
Les efflorescences salines, d'un blanc grisâtre, sont pro-
duites de la façon suivante : l'eau, montant à travers le
sol par capillarité, dissout une certaine quantité de sel, puis
celte eau vient s'évaporer à la surface, laissant le sel se
MISSION VOULKT-CIIANOINE.
déposer. La terre, d'une Façon générale, ne doil pas contenir
uoe 1res grande quantité de sel, puisque l'eau n'est pas
raturée dans les puits et les mares, et se trouve être souvent
potable.
Une dépression analogue, que nous avons traversée entre
Kirtachi et Gagnou, et qui coupe le Niger à 70 kilomètres
en amont de Gagnou, se nomme le Dallol Dosso : sa direc-
tion est nord-nord-est; elle se prolongerait jusqu'à l'Air.
Un en extrait du salpêtre en quantité par le même procédé
qu'on extrait le sel du Fogha. Ce sel du Fogha et ce salpêtre
du Dallol Dosso sont la base d'un commerce actif. On ren-
contre constamment des caravanes de bourricots chargés des
précieux produits, le sel en pain ou en vrac, enfermé dans
des étuis faits d'une fibre végétale tressée, longs de 30 cen-
timètres et gros comme le bras, le salpêtre en pains
coniques énormes de I mètre de haut et de 20 centimètres
de diamètre à la base. Le Fogha alimente de sel tout le
Gando et uoe grande partie du pays Haoussa. Tout le
commerce et l'exploitation du sei sont entre les mains des
Haoussas, qui ont leurs campements le long de la vallée
vil me.
A partir de Gagnou sur le Niger, nous avons commencé
i étudier la nouvelle limite franco-anglaise. Un gros village
nommé Douudiou, situé au nord du Dallol Fogha, a essayé
Je barrer la route à Voulet qui était parti en avant pour
reconnaître la route; le village a été enlevé d'assaut. Les
Wns de ce pays se fortifient très bien. Leurs villages sont
entourés d'un rempart de 4 mètres d'élévation précédé
d'un fossé profond de 3 mètres et large de 4 mètres, de
sorte que, du haut du rempart au fond du fossé, il y a
6 ou 7 mètres de hauteur. Le rempart est un mur contre
lequel est entassée de la terre en façon de plate-forme.
L'intérieur du village est aussi surélevé au-dessus du sol
snnronnant, de sorte que la crête du rempart est à
lin. 50 environ au-dessus du sol du village, et à 4 mètres
282 MISSION VOCILBT-CHANOINE.
au-dessus du terrain environnant le village. Les portes sont
barrées par d'énormes poutres. Dans le village, tes habita-
tions sont des cases, genre mossi, cylindriques, couvertes
d'un chapeau de paille conique; les magasins à mil très
nombreux sont en terre battue et ont la forme d'un œuf
dont on aurait cassé le petit bout, et qui reposerait sur
cette partie comme base ; ces magasins à mil sonthauls de
-2m. 50 à 3 mètres; case et magasin à mil sont pressés les
uns contre les autres; chaque groupe de 3 ou 4 cases,
c'est-à-dire la propriété d'un chef de famille, est entouré
d'une clôture en paille tressée.
Ces villages sont très populeux. Doundiou, par exemple,
compte 2,000 habitants, et possède en outre des villages
de culture dont les habitants viennent se réfugier dans
l'enceinte fortifiée dès que l'alarme est donnée. Les puits
sont à l'intérieur des villages.
Le rempart est un gros obstacle. Le canon de 80 milli-
mètres de montagne n'a pas d'effet sur une semblable
épaisseur de terre, il faut donner l'assaut soit par une des
portes qu'on enfonce, soit par un endroit faible de la forti-
fication, car heureusement la paresse et l'insouciance des
noirs font que, presque toujours, dans leurs ouvrages de
défense, il y a quelque place, ou mal protégée, ou moins
bien construite. — A l'attaque de Doundiou, Voulet a eu
la cuisse traversée par une flèche, et le sergent-major
Faury, une blessure à la main. Ces deux blessures sont
aujourd'hui guéries. Les prisonniers faits a Doundiou ont
déclaré avoir été poussés à la résistance par les Foulbé de
S.y...
Le Sahara ne commence pas à la ligne Say-Barroua ; une
région intermédiaire s'étend durant 200 ou 300 kilomètres;
c'est le grenier des Touareg, c'est là qu'ils ont leurs hrlla
(tillage de captifs) qui .habitent en bons termes avec les
Maouri. Le sol, si maigre qu'il soit, donne encore une abon-
MISSION V0ULET-CHA.NOINE. 283
! récolte en mil; l'herbe est bonne, les chevaux, les
, les moutons son! beaux et nombreux; c'est un bon
terrain pour l'élevage, car l'air est sec et très salubre. On
ne trouve de l'eau que dans les puits à des profondeurs
qui varient entre 20 et 60 mètres. Chaque village possède
un ou deux puils; mais, comme c'est un ouvrage long et
délicat, qu'il faut non seulement creuser les puits, mais
encore établir un coffrage tout le long des parois pour
éviter les éboulements, on ne trouve de puits que daas les
villages.
Ces puits sont étroits, le diamètre à l'orifice n'a que
i mètre, quelquefois 1 m. 00 de diamètre; on ne peut tirer
l'eau qu'avec 4 ou 5 seaux en cuir simultanément, et c'est
an gros travail de haler ainsi a bras sans poulie, d'une pro-
fondeur de 20, 40, liO mètres,des tonnes et des tonnes d'eau.
Nous avons tant de bouches à désaltérer, et il faut tant d'eau
pour désaltérer un noir !
Pour abreuver la colonne, il faut 60 tonnes d'eau par
jour. L'eau ne manque pas, car les puits en donnent en
abondance et la plupart ne tarissent pas. Mais il faut sortir
des puits cette énorme quantité d'eau, et comme il n'y a
qu'un puits ou deux par village, il faut agir vite sous peine
de voir des hommes et des animaux mourir de soif près des
puits, il faut procéder avec ordre sous peine de voir une foule
se battre autour du puits et se disputer chaque goutte d'eau
qui sort. 11 faut surtout trouver de quoi abreuver en peu
de temps tout le monde quand on arrive à l'étape après une
marche de 30 kilomètres, quelquefois 40 kilomètres, sans
eau et sous le soleil. 11 ne faudrait, surtout pas à ce momenl-
là trouver les puits obstrués ou infectés par des corps en
décomposition. Nous procédons de la façon suivante : le
gros de la colonne est précédé d'une colonne légère de
50 cavaliers et 200 fusils qui n'emportent aucun bagage.
La colonne légère est commandée à tour de rôle par Voulet
et par moi. Elle marche très rapidement, faisant 50 kilo-
284 MISSION VOULET-CHANOINE.
mètres par jour, franchissant la nuit les espaces déserls,
déterminant exactement la route a suivre, reconnaissant le
pays, brisant les obstacles, s'emparant des puits. La colonne
légère fait ainsi un bond de 100 kilomètres en avant, puis
s'établit fortement; elle garde également par des détache-
ments les puits dont il serait dangereux de ne pas s'assurer.
Le gros de la colonne se met alors en mouvement et se
dirige sans hésitation sur les cantonnements reconnus
d'avance ; il est parfois obligé de se fractionner en deux ou
trois détachements, mais on fait en sorte que ces déta-
chements se Lrouvenl peu éloignés les uns des autres. En
arrivant dans ceux des cantonnements qui sont gardés par
des détachements de l'avanl-garde, ie gros de la colonne
trouve l'eau préparée dans ces grands récipients en toile
que nous avons fait faire en France, et qui nous rendent
d'inappréciables services; ce sont des bâches en forme
d'auges de 3 mètres de longueur, de 1 mètre de largeur et
0 m. 80 de hauteur, dressées au moyen de 6 piquets en fer.
A l'arrirée au cantonnement, un service d'ordre est établi
au puits; et sans discontinuer, depuis l'arrivée jusqu'au
départ, le jour et la nuit, on tire l'eau.
Celte façon de procéder a tous les avantages; nous
n'aventurons pas en aveugle noire lourd convoi ; et avant de
le mettre eu marche, nous savons à quoi nous en tenir sur
les dispositions des habitants.
Dans le Maouri-Béré, ou Grand Maouri, qui s'étend vers
le nord-nord-ouest du Sokoto, j'ai, précédant la colonne,
trouvé une population de Maouri mélangée aux hella des
Touareg. Quant aux Touareg, ils ont pris le large. Le chef
du Maouri, qui réside à Matau-Kari, s'est déclaré pour nous,
mais il commande peu; on sent dans le pays l'inlluence
occulte du Touareg...
DANS LE SUD ALGÉRIEN
Le JD' J. HU^GTTET
§ 1. — Géologie ** liydruftl*» pille 'lu .tl/:il>.
iflguration générale et limites de la Chebka du Miab. — Raisons
' i la non-ideniifieatiic de lu C!n*l>ka ei du pays du Mzab. — Élude
olngique de la Chebka par M. l'ingénieur Ville, — Travaux récents
* M. l'Ingénieur Jacob. — Disposition des couches géologiques au
- Structure des gour d'après M. Jaeob et M. le professeur
teneur. — Consliluiiou dvs «.ysiviiies limitrophes de la Chebka : rê-
s des ganteras, plateaux en hammada, zone des dunes. — Les
1s '.lied- 'lu ll/iil> : niirfl ïi-grir. uiieil N'cssa. oued Mzah, oued
ii l'on jette les jeux sur une carie du Sud algérien et,
1 particulier, sur une carte géologique telle que celle
e par les missions Ville et Choisy, on est frappé de
disposition relative de deux zones superposées l'une à
tre, celle de la Chebka, celle des Dayas.
i région des Dayas a comme limite septentrionale la
I. M. le D< Hugucl a entrepris au début de l'année 189G des i
:r le Sud algérien qu'il n'a ces*é de continuer depuis lors; ses ou-
vrages manuscrits sur ce pays et sur le Saliara constituent un travail
d'ensemble où sont étudiés à la fois les grands ksour et leurs habitants,
les itinéraires de parcours et les nomades. Cette étude considérable du
Sud algérien, qui comprend trois volumes lie Sud algérien; le Pays
tOmrgla; le* Hàgions sahariennes), sera suivie d'un ouvrage sur la
mission que M. le [>' Huguet vient d'accomplir au Mzab.
Après avoir rendu compte de celte dernière mission au Ministère de
l'Instruction publique, M. le D' Huguet a soumis ses carnets à l'examen
de la Société de Géographie; nous en extrayons les pages suivantes.
C'est à l'obli<;eance du gouvernement général de l'Algérie que la
Si.ni-u- dé Géographie est redevable des cartes hors texte ci-jointes,
établies d'après les travaux du Dr Huguet et de ses deux collaborateurs.
La Société tient à adresser ici ses remerciements à M. le gouverneur
général de l'Algérie. (Xole de la Rédaction.)
HANS LE SUR ALGÉRIEN.
brttedn de Laghouat; pour parler plus exactement, elle
;\ une vingtaine de kilomètres au sud de ce ksar
^'lisiblement la forme d'un immense croissant qui
fe» sa concavité la partie nord de la Chebka du
M*ab. La région des Dayas est limitée au nord par l'oued
Hjeddi. a l'est par une ligne 8 clive passant à la hauteur d'EI
H «ijint ei à l'ouest par l'oued Gharbi, celui-là même dont
... vallée vient d'être si bien décrite dans le récent ouvrage
0» i'Oranit au Gourant dû à un membre de l'Université
lien connu pour ses savants travaux sahariens,
M G.-B.-M. Flamand.
La région de la Chebka est un vaste plateau rocheux
incline du nord-ouest au sud-est, qui se développe sur une
largeur de plus de 100 kilomètres ; ses premières assises se
trouvent à 110 kilomètres environ au sud de Laghouat, un
peu au delà de la citerne de Tilrempt. De ce côté, c'est-
.Vilirc au nord, la Chebka est limitée par l'oued besbaïer,
l'oued Setlafa et une ligue à peu près droite qui, partant
de Haniet el Melagua, irait aboutir à Lekkaz, en passant par
Mekhadeur Khadem. Son arête rocheuse présente de ce côté
un relief d'environ 200 mètres au-dessus des terrains asoî-
siuanls, relief qui constitue une défense naturelle de pre-
mier ordre.
Au sud, elle s'étend jusqu'au voisinage d'EI Hadadra
mais, à partir de l'oued Metlili, elle s'élargit considérabl
ment, et les mouvements de terrain sont moins enebevël
que. dans la partie nord.
Vers l'ouest, on voit laChebka former une muraille abrupte
i«l servir de berge à la rive gauche de l'oued El Loua, fran-
chissable en quelques points seulement. La rive droite de
M dernier est à peine indiquée; cette vallée a dû subir des
gtlom nombreuses, si l'on en juge par l'aspect mouve-
i':' el iléihiré du sol, par la quantité de sable graveleux
vi W uombre des cailloux qui tapissent son lit. L'oued Loua
rftn le sud, non loin de la Dayet Et Tarfa.
ta;
ble-
DMT3 LE SUD ALGÉRIEN. 287
delà de ce bas-fond se poursuit la succession des
mes qu'on voit, occupant une largeur de plus de 100 kilo-
êtres, s'étendre de la région des Dayas jusqu'à EIGoléa, où
mmeoce l'Erg proprement dit.
k sa limite est, laChebka présente non une série continue
le hauteurs, mais des massifs rocheux séparés par des ravins
rulièrenient découpés où passent de nombreux oueds h.
:clion générale nord-ouest sud-est, l'oued Zegrir, l'oued
Farch, l'oued Nessa, l'oued Mzab et ses affluents, enfin
tued Metlili. Entre l'oued Mzab et i'oued Mellili, ces iiau-
s'abaissent insensiblement et finissent par se con-
; en lia vaste plateau dont les ondulations sont peu
rvementées. Enfin, vers le sud, ainsi qu'il a été dit plus
it, la Cbebka se prolonge jusqu'à l'oued Zirara, mais les
uvemenls de terrain sont moins fréquents et présentent
s une orientation à peu près identique; leur altitude
■ entre 300 et 800 mètres, el leur altitude moyenne,
lculée par Duveyrier, est de 515 mètres,
e crois devoir insister sur ce fait que le ternie de Cbebka
u Mzab doit être considéré comme une expression pure-
it géographique et sans aucune signification politique.
;st à remarquer que, dans des travaux relativement
ints, par exemple dans le rapport du général de Loverdo
édu 29 août 1877, nous trouvons le passage suivant :
t Ce plateau a une superficie d'environ 8,000 kilomètres
carrés; il est connu par les indigènes sous le nom de
Chebka' (Filet). C'est le pays des Béni Mzab. » Cette erreur
lété reproduite par différents auteurs. M. Louis Rousselet,
dans l'article Mzab du Supplément du Dictionnaire de Vi-
vien deSainl-Marlin, dit : < Le Mzab est compris entre 32' el
33*20' de lalitude nord, 0*4' de longitude ouest et 2*50' de
1. H. ïbjs parle de la Sebka du ittah. Voir Législation mmbite,
Alger, 1885, p. 18. Il nous suffira de Taire remarquer que le mot Sebka
■ une toute autre slftiilkatiou. Voir, pour la traduction de cei termes,
Flamand. De l'Oranie au Gourara (ChaHsunel. 1898), pages 911 «I H8.
288 DANS LE SUD ALGÉRIEN.
longitude esl; sa superficie est d'environ 8,000 kilomètres
carrés. »
Il importe d'insister sur ce fait que le Mzab proprement
dil, e'est-â-dire la partie du territoire de la Chebka effec-
tivement possédée par ies Mzabites, n'est que de 3,255 hec-
tares; en d'autres termes, ie Mzab, envisagé au point de vue
politique, a une surface égale à un tiers seulement de celle
de la Chebka. Celle distinction nous parait utile à signaler
pour permettre aux géographes d'éviter désormais toute
cause d'erreur.
Quel est donc dans le Mzab ie territoire en propre aux
Mzabites? C'est d'abord celui occupé par leurs ksour, puis
celui couvert par leurs jardins, enfin une bande de terrain
périphérique s'étendanl au maximum à quelques portées
de fusil autour des ksour et des oasis.
Le reste de la zone praticable de la Chebka est sillonné
par des terrains de parcours et fréquenté par les nomades
arabes du sud qui y campent une partie de l'année.
Tandis que les cinq ksour du Mzab : Ghardaîa, Melika,
Béni Isguen, Bou Noura, El Ateuf, occupent la vallée de
l'oued et peuvenl en quelque sorte être considérés comme
formant une agglomération unique, Berria et Guerara sont
comme deux colonies éloignées, tellement isolées même
que les hahitants disent qu'ils vont au Mzab, quand ils se
rendent dans l'un quelconque des cinq autres ksour.
L'aspect si particulier de la Chetika rend d'autant plus
intéressante son étude géologique; celle-ci a été, depuis
déjà plus de quarante ans, exposée magistralement par
M. l'ingénieur Ville ' dont le travail, même à l'heure actuelle,
n'a rien perdu de sa valeur :
i Le plateau dolomitique de la Chebka des Béni Mzab,
dit-il, forme un vaste Ilot entouré de tous côtés par le
terrain quaternaire. Il est très remarquable que, au nord, à
DANS LE SUD ALGÉRIEN.
289
t et au sud, son plan l'orme le prolongement exact du
plateau quaternaire. Il n'y a dénivellation bien sensible que
le long de la corniche d'El Loua. Là, cette dénivellation a
plusieurs centaines de mètres de hauteur. On doit supposer
que, lorsque la mer quaternaire couvrait l'immensité du
Sahara, la Chebka des Beni-Mzab formait un récif sous-
marin à couches sensiblement horizontales et terminé par
des parois plus ou moins abruptes; les dépots calcaires ou
sableux n'ont pu dès lors se former au-dessus de lui et te
sont déposés contre les flancs de ce récif. Lorsque le fond
de la mer saharienne s'est soulevé, le plateau dolomitique
s'est redressé vers le nord-ouest. Les couches ont été frac-
tarées pins au moins profondément; alors se sont formées
les grandes vallées de l'oued Mellili, de l'oued Mzab.de l'oued
EnNça{Nessa)qui se sont prolongéesà peu près parallèlement
dans la Chebka et dans la région des Guenlras (Ganteras). De
cette époque date peut-être aussi la formation des nom-
breux témoins qui sont êpars dans la Chebka. Le déplace-
ment des eaux sahariennes par suite du soulèvement du
fond de la mer a donné lieu à des courants d'eau d'une
violence extrême, qui ont entraîné au loin et réduit en
menus débris les blocs dolomitiqjues détachés de leur base
première. A la suite de ce cataclysme, de grandes nappes
d'eau ont couvert les vallées récemment creusées de l'oued
■Mellili, de l'oued Mzab et de l'oued En Nça. i Alors se sont
déposées les alluvîons anciennes signalées par M. Ville,
dans ces rivières, sous le sol des oasis : t En plusieurs points
et notamment entre El Ateuf et Bou Noura, ces alluvions
anciennes ont tout à fait les caractères minéralogiques du
terrain quaternaire du Sahara1, b
Ailleurs, M. Ville fait remarquer encore que » le terrain
quaternaire a été soulevé postérieurement à son dépôt dans
leseaux tic la mer saharienne, et c'est probablement la cause
I. Ville, Exploration du lUtali et du Saliara, p. 116, 117
•_\u\
UNS LE BDB ALGÉRIE».
ri déterminé l'assèchement de cette mer et qui a produit
;randes dépressions à pans abrupts comme ce
l.miH t.
Eu 1893, M. l'ingénieur des mines Jacob a repris l'étude
|ttltiïgll|H| et la Chebka du Mzab, particulièrement au point
do rue de la possibilité de la recherche d'un point d'eau
Je rappellerai les parties principales du rapport
médti de cet auteur :
i L'Uefoki du Mzab et de Metlili , de même que les pla-
teaux d'EI Goléa, comprend deux divisions bien tranchées :
if MfjtdMM, les calcaires crayeux dans la région
d'Kl Ciuléa. passe ut insensiblement à mesure qu'on marche
vois le nord, a des calcaires sHCcliaroides à grains fins, pois
,'i Je» ■-■» i ■-■ ■> : es [>:itichemen! ilnloinitiques.
extérieur de la roche noire se modifie suivant
■■tu 'elle a été soumise * un polissage par les sables entraînés
par le veut. Dans les parties où l'action du sable s'est fait
• Icaire est d'un beau luisant, blanc et poli. Par-
'our d'ailleurs il est exactement gris noiràlre. La cassure
■urs blanche,
u L'épaisseur de cette formation est très variable. Elle
descend à El Goléa jusqu'à une dizaine de mÈtres et atteint
Au» les environs de Ghardaïa 110 à 120 mètres. Cette varia-
tion tient en partie aux conditions dans lesquelles s'est
déposée la formation calcaire et en partie à une dénudalion
postérieure. Pendant la période diluvienne, les eaux ont agi
«a creusant et élargissant les fissures naturelles de la roche
pour donner naissance aux nombreux oueds qui sillonnent
ce plateau; elles ont en outre enlevé une certaine épaisseur
de calcaire dans la région d'El Goléa. Les gour Ouargla
en sont une preuve.
« Les couches de la craie supérieure qui débutent par
des assises marneuses ont été au contraire enlevées sur de
très grandes surfaces. Elles recouvraient sans doute la plus
grande partie des calcaires turoniens ; on en trouve de nom-
DANS LE SUD ALGÉRIEN. 291
.in; rix vestiges dans la région de Ghardaïa. Assez souvent
les nombreuses fissures de ce calcaire sont remplies par
un calcaire concrétionné de couleur violacée ou lie de vin.
C'est l'équivalent de la carapace tufacée des alterrissements.
Ce dépôt s'est formé à l'époque quaternaire.
f Au-dessous vient une formation de marnes et argiles
vertes ou blanches et rouges avec des intercalations de bancs
peu épais de calcaire ou de grès fortement marneux et de
deux ou trois bancs épais de gypse. »
La coupe prise au voisinage de Hassi bou Messaoud et
résumée ci-dessous donne le type de cette formation :
(Calcaire marneux, 0 m. 80.
Marne verte, 0 m. 40.
Calcaire coquille.
Bboulls.
Calcaire majncuv et a rai le L'vuseuae.
av moires ' „ n ,n
' Gypse, 0 m. 40.
Marne verte.
Calcaire marneux, 0 ni. 50.
Argile gypseuse éboulée.
. Gypse, 1 m. 50.
< Kboulis.
. | Calcaire marneux.
Marnes bariolées.
Éboulis.
i Calcaire marneux.
Marnes vertes.
/ Marnes vertes.
Éboulis.
Dépôt quaternaire.
La structure des gour qui surmontent le plateau dolomi-
turonien a été étudiée naguère par M. l'ingénieur
ïob et M. le professeur Ficheur; d'après eux, ces gour
sont formés de marnes à gypse avec lit de calcaire siliceux
dans lesquels aucun fossile n'a éié rencontré. Ce sont pro-
bablement des représentants du sénonien inférieur*.
2M
DASS LE SUD ALGÉRIEN.
Berria est situé sur un mamelon de calcaire et les ter-
rains environnants sont formés de calcaire diluvien recou-
vrant la dolomite, (Juant à Guerara, il est situé en dehors
de la chebka, en amont de la vaste dépression de l'oued
Zegrir limilée par des escarpements formés de sable, de
grés sahariens, notamment de grès quartzeux rouges.
Je n'ai rien à ajouter à la belle description faite par
M. Viile, de la région de Guerara1 ; j'insisterai seulement
sur l'intérêt que présentent les témoins géologiques qui se
dressent dans le bas fond de l'oued Zegrir9, et parmi lesquels
les plus curieux à examiner sont ceux désignés par les indi-
gènes sous les noms de La Meyed et Ksar el Khola.
On ne peut parler de la constitution géologique de la
Chebka sans jeter an coup d'œil sur les différents systèmes
qui caractérisent les régions limitrophes; c'est pourquoi
nous nous trouvons conduits à dire quelques mots de la
région des Ganteras, des plateaux en Hammada et enfin de
la région des Dunes.
Enlre Ouargla, la Chebka du Mzab et Guerara, zone que
j'ai parcourue deux fois en détail, s'étend un haut plateau
crétacé découpé de loin en loin par de profondes vallées,
dont les thalweg sensiblement parallèles sont presque tou-
jours à sec. Dans ses parties unies, la Gantera présente de
loin eu loin des mamelonnements de faible hauteur, aux re-
bords en pente douce, à sommet arrondi de 30 à 60 centi-
mètres, plus rarement 1 mètre, et à diamètre variant entre
5 el 50 mètres. Cette région a une physionomie toute par-
ticulière qu'elle tient de sa structure. Elle lui a valu de la
part des indigènes le nom de Bled el Gantera, le pays des
ponts, parce que les hauts plateaux compris enlre les vallées
1. Ville, loe. cit., page 12, \ 21.
2. « I. 'oasis de Guerara... fait exception comme situation géologique,
et elle occupe une dépression dans les terrains d 'al terri s sèment ; elle
appartient à la partie orientale de la région des Dayas. n Mission Clioity,
l"vol., p. 142.
DANS LE SUD ALGÉRIEN.
293
■eniblêiit assez à des poms qui les relieraient les unes aux
itres. Les Ganteras grises que l'on observe dans la région
qui nous occupe sonl limitées au nord-ouest par l'oued
Eegrir, dont le bassin inférieur, dans les environs de
Guerara, est bordé du cûlé sud par une ligne de collines
abruptes, mais non rocheuses, qui se recourbe dans la direc-
tion du nord-ouest pour séparer le bassin de l'oued Zegrir
et celui de l'oued Nessa. Les Gauleras les plus typiques
que j'ai observées sont celles qui se trouvent entre El
Hobrat et l'oued Nessa d'une part, d'autre part à la hauteur
de la piste de Guerara à Ghardaïa, dans la partie comprise
entre Guerara et l'oued Nessa.
Les plateaux de Hammada sont ceux qui se présentent à
nous sous forme de roches en calcaire crétacé de coloration
noire à la surface et occupent des régions absolument
dépourvues de végétation. Sur la route de Ghardaïa à
Ouargla, on en rencontre déjà, mais c'est surtout a l'est de
la Chebka entre Ouargla et El Goléa (au delà de Djafou
vers l'oued Zîrara) que s'étend une hammada digne d'être
classée parmi les plus typiques.
A l'ouest de l'oued El Loua, et particulièrement au sud
des limites extrêmes de la Chebka, l'Erg apparaît avec son
chaos de dunes enchevêtrées les unes dans les antres, véri-
table labyrinthe dans lequel il est impossible de se diriger
sans guide. Celle région est limitée au sud par l'oued
Meguiden et à l'ouest par l'oued Saoura. Dans la zone inter-
médiaire entre El Goléa et Ouargla, il existe un certain
nombre de passages de dunes; parmi les plus importants,
je citerai Areg Chrardel et Areg Khaneœ.
Ce dernier présente une disposition particulière; il est
formé de deux bancs sablonneux distants de 1 kilomètre, à
direction absolument parallèle. J'ai trouvé là des formes
assez spéciales de dunes qui, je crois, ne sont pas très
communes. Ce sont les dunes isolées en hélice et celles
en forme de cube. Plus près du Mzab, entre Mellili et
294 DANS LE SUD ALGÉRIEN.
Zelfana, on rencontre quelques gour recouverts de sable,
notamment dans la région de l'oued Ghorfan, enfin on
trouve de petites dunes à la hauteur même de l'un des
ksour du Mzab, je veux parler de Guerara. Des amoncel-
lements de sable se sont faits au niveau de l'enceinte du
Ksar dans la partie opposée à l'oasis; de petites dunes,
hautes de 1 mètre et longues de 8 à 10, se sont formées
notammenl dans l'angle nord-ouest en dedans du mur.
La porte qui se trouve en cet endroit avait déjà deux
noms: Bab Moussa ou KharréjaDahraouïa; elle en possède
actuellement un troisième, et les indigènes ne la désignent
plus que sous le nom de Bab el Areg.
Les eaux de la Chebka se déversent dans de nombreuses
vallées; les principales sont les vallées de l'oued Ze-
grir, dont nous venons dédire quelques mots; la vallée de
l'oued Nessa, celle de l'oued Mzab et enfin celle de l'oued
Metlili. Je me bornerai ici à exposer des généralités, me
réservant d'enlrer dans les délails quand je ferai l'étude
des lignes de parcours du Mzab et du pays des Cbaanba.
A ce moment, je parlerai non seulement des vallées, de
leurs oueds et des accidents de terrain qui les limitent,
mais aussi de leur faune et surtout de leur végétation qui,
lorsqu'elle est abondante, est recherchée par les nomades
pour l'alimentation des troupeaux.
L'oued Zegrîr prend sa source près de Mdaguin sur le
ras Ghaab et, après un parcours de plus de 150 kilomètres,
passe à la hauteur de Guerara. Après avoir décrit un cro-
chet vers le nord-est et traversé l'oasis, il va se perdre à
18 kilomètres au sud-est de ce ksardans la Daya ben Feïla.
L'oued Nessa prend sa source à El Peidh situé au nord de
la Chebka eL orienté de l'ouest à l'est. Il prend ses eaux d'ori-
gine dans les bas-fonds qui a voisinent la Daya Magrounet et
vient se terminer au nord de Ngoussa dans le bassin, ou pour
employer l'expression indigène, dans la Heïcha d'Ouargla.
Dans son parcours, l'oued Nessa reçoit l'oued Hegam,
DANS LE S0D ALGERIEN. 295
l'oued Settafa, l'oued Kebch, l'oued El Abiod, l'oued El
Baguel, l'oued Soudan, l'oued Bal Loub, l'oued El Bir,
l'oued Nechou et l'oued El Farcb.
Les vallées qu'ils traversent sont d'importance variable
tant comme étendue que comme fertilité. Je ne saurais ici
m'étendre sur les résultats de mes investigations person-
nelles dans les régions traversées par l'oued Nessa dont la
vallée doit être considérée comme très importante. La lar-
geur moyenne de l'oued est de 800 mètres environ; son lit
est bien tracé partout , étroit, et ne mesure pas plus de 5 à
6 mètres dans les endroits les pius resserrés; les berges
sont en terre d'alluvton.qui atteignent dans plusieurs points
1 à 5 mètres de hauteur. L'oued Nessa décrit de nom-
breux méandres : à la hauteur Je certains d'entre eux, no-
tamment en aval de Hassi Rebib, son lit s'élargit considé-
rablement, disparaît en quelque sorte par suite de l'absence
de berges, et au lieu d'un fond uni on ne trouve plus que
des amoncellements de pierres et de rochers. C'est dans la
partie moyenne de son cours, entre El Hachana et. Hassi
Rebib que l'oued Nessa traverse les terrains les plus riches
en alluvions. Les Beloum y croissent nombreux, on ne sau-
rait faire 100 mètres sans en rencontrer; mais ces arbres
Hissent de préférence sur les berges mêmes, tandis que
■ les îlots nombreux qui se succèdent, la végétation est
représentée par quelques palmiers isolés et surtout par
s arbustes dontle plus fréquent m'aparu être le djedaria'.
L'oued Mzab a son origine dans la partie nord-ouest
e la Chebka, au lieu dit Ras-el-Eung, à 775 métrés d'alti-
ide. Pendant tout son parcours, jusqu'après son passage
s la vallée occupée par la pentapole mzabite, à la sor-
i de laquelle l'altitude n'est plus que de 550 mètres,
l'oued Mzab traverse une série de vallées étroites bordées
r des rochers élevés formant des murailles souvent înfran-
le analogue au sedra, mais qui croît en liauteur au Heu d'être
290 DANS LE SUD ALGÉRIEN.
chissables. Son bassin supérieur, depuis sa source jusqu'à
son débouché par les gorges d'El Ateuf, forme une vallée
étroite bordée de chaque côlé par une ligne de rochers très
élevés aux croupes dénudées et aux flancs presque inacces-
sibles. C'est dans un élargissement de la vallée de l'oued
Mzab qu'ont été bâtis les cinq ksour qui constituent le
centre de la confédération mzabite.
L'oued Mzab a pour affluents de droite l'oued Saïd ben
Ali, l'oued El Abiod, l'oued Touzouze, l'oued NUssa, l'oued
Mesadjir et l'oued Noumerat: pour affluents de gauche
l'oued Zouïli, l'oued Amraïa, l'oued Nimmel, l'oued Zéfat
et l'oued Oughirlou. Il est à remarquer que les deux val-
lées de l'oued Nessa et de l'oued Mzab venant se terminer
dans la grande dépression de l'oued Mia, passent ainsi de
la formation dolomilique dans le terrain quaternaire, tandis
que l'oued Zegrir, qui passe à Guerara, se trouvant plus
au nord-est sur les confins, extrêmes de la Chebka « a pro-
bablement tout sou cours en dehors de la formation dolo-
mitique et au milieu du terrain quaternaire ». J'ai pu vé-
rifier sur place cette opinion de M. Ville, notamment dans
l'immense bas-fond de l'oued Zegrir.
L'oued Metiili traverse la Chebka de l'ouest à l'est et va
se perdre à peu de dislance de Ouargla dans le bas-fond
Ben Khlala. Sa vallée, dont !a végétation très luxuriante
peut rivaliser avec celle des oasis qui environnent Berria,
limite en quelque sorte le massif principal de la Chebka
du côté du sud.
Faisons remarquer, en terminant ces quelques considé-
rations sur les grands oueds du Mzab, qu'ils ont tous la
même direction générale nord-est-sud-est, et qu'après
avoir quitté la Chebka ils effectuent tous leur descente dans
le bassin de Ouargla. Celui-ci doit être considéré comme le
grand collecteur, sa faible altitude lui permettant d'être le
centre d'attraction de toutes les eaux de cette partie du
Sahara algérien.
DANS LE SUD ALGÉRIEN.
; }. — La r.. m. .Mr. ri.- d i;i ttoléa-Onargla.
Des itinéraires du sud algérien, celui d'El Goléa-Onargla
est le moins connu. Les troupes régulières ne passant pas
dans celte région, c'est a peine si , depuis quelques années,
Irois ou quatre officiers du service des affaires indigènes
ont suivi ce parcours dans le Lut de rechercher les endroits
les plus propices à des essais de creusement de puits.
Sauf à Hassi el lladjar, ou l'eau est du reste mauvaise,
il n'existe aucun point d'eau. En 1898, au moment où je
parcourais le pays à l'occasion de ma mission, des puisa-
tiers indigènes travaillaient déjà à Djafou et à Talesmout.
Avec de l'eau dans ces deux futurs gîtes d'étape et dans un
troisième, à la hauteur de l'oued Fahl, où un forage sera
prochainement entrepris, la route directe se trouverait
pourvue de quatre puits. Elle deviendrait par conséquent
praticable en tout temps pour des hommes aussi bien que
pour des chevaux, tandis qu'à l'heure actuelle les rares
voyageurs indigènes ou officiers qui y passent ne peuvent
employer que le chameau comme porteur et le méhari
comme monture.
Pour se rendre d'Ouargla à El Goléa, les caravanes et
convois vont par Ghardaïa, suivant, ainsi une roule qui
constitue les deux côtés d'un triangle dont le troisième
côté (roule directe) a 120 kilomètres environ de moins que
les deux autres.
L'itinéraire que j'ai suivi diffère de celui de la colonne
Galliffet (1873), quoique en étant peu distant. Cela tient à
ce que la colonne avait marché sur la piste nommée par
les indigènes trik foukani (chemin d'en haut) et que mes
guides m'avaient engagé à suivre celle aujourd'hui préférée,
dite trik tahtani (chemin d'en bas) '.
1. J'ai Éic aidé dans l'établis!
Siab el du pays des Cliaanba par le lieul
MIL. DE GËOGR. — 3" IH1MESTRE 1SB&.
39H
DANS LE SUD ALGÉRIEN.
Parti d'El Goléa le 13 juin, j'ai parcouru en quatre
jours et demi la distance de- 300 kilomètres environ qui
sépare ce ksar d'Ouaigla. Le 13 au soir,je m'arrêtais dans
l'oued Tinigel après une étape de 54 kilomètres. Le 14,
j'étais àDjafou,distantde 58 kilomètres du point précédent.
Le 15, après une étape beaucoup pluslongue, 80 kilomètres,
j'arrivais vers huit heures du soir à l'oued Fahl, ayant mar-
ché u bon pas de méhari depuis 4 heures du malin, et fait
seulement une halte d'une heure au milieu de la journée.
Le 16, je pouvais, après 60 kilomètres, atteindre les gour
Bou Chareb. Enfin, dans la matinée du 17, une dernière
étape de 48 kilomètres me permettait d'arriver à Ouargla.
En quittant El Goléa, on contourne la gara Magrounet
sidi Cheikh, de laquelle le service du génie extrait depuis
plusieurs années les pierres employées à la construction de
la redoute. Quelques tentes sont groupées à peu de distance
de la gara. On ne les a pas laissées derrière soi depuis plus
d'une demi-heure qu'il faut aborder des dunes hautes de
15 mètres disposées suivant trois étages successifs d'un
accès assez facile. La crête des dernières une fois fran-
chie, le terrain devient uni; le vaste plateau en ham-
mada qui s'étend au loin cons truste par son aridité absolue
et sa coloration noire uniforme avec l'aspect si mouve-
menlê, la forme si variée des dunes. En traversant celles-ci,
j'ai noté parmi les végétaux qui y croissaient le djefna,
zefzef, metnan, rguig. Cette constatation me met à même
d'insister sur ce fait que, dans le Sahara, en dehors des
thalwegs des grands oueds où croît une végétation arbo-
rescente, on ne peut trouver de plantes que là où il y a de
la dune. Les nomades le savent bien el, quand ils ont à
sahariens, i'l par le lieutenant Goubeau, du 1" tirailleurs. Je tenais â
Taire ici mention du coocuurs précieuKiueiu'unt prêiéce-ideuiofflciers.
tjuaiid le lecteur confia 1er» des nnhoirraphes différentes sur les
JMe, nuus le prions de considérer celle du leite
e élanl la seule à adopter. (Soles de l'auteur.)
, DANS LE SUD ALGËRIEf. 299
ser les régions désolées que recouvre la hammada,
s prennent toujours la précaution de faire une provision
Hjffisante des plantes nécessaires à l'alimentation de leurs
chameaux .
Sur le plateau, la piste oblique légèrement à gauche
vers l'est-nord-esl, à hauteur des dunes situe.es à égale
dislance entre El Goléa et les gour Ouargla. Ces dunes,
dont le massif est connu sous le nom d'Areg Ghrardel, ont
leur concavité tournée vers le nord-est et une disposition
générale en hélice tout àfait caractéristique. Sur la gauche
se dressent quelques groupes isolés de collines-dunes en
forme d'N, dont l'aspect n'est pas moins particulier que
celui des dunes d'Areg Ghrardel.
La sa fi a Tinigel est un bas-fond occupé par le lit de
l'oued Tinigel et de l'oued Lefalr. C'est dans le lit de
l'oued Tinigel qu'ont été entrepris les travaux de forage
d'un puits. Au centre de la dépression, où croissent des
végétaux tels que le rtem, dhoumran, guezzoum, azereh,
s'élève un djeddar à sommet blanchi à la chaux et servant
de signal aux nomades. La limite nord de la safia Tinigel
300 DAHS LE SUD ALGÉRIEN.
est formée par une quinzaine de gour disposés en arc de
cercle, avec une brèche dans la direction nord-ouest-sud-
esl pour le lit de l'oued Le lai r. A 16 kilomètres à l'ouest,
on aperçoit la gara Gouïnin qui se dresse non loin de la
route de Ghardaïa à Ei Goléa; à l'est s'étend la ligne des
gour SetlaMammra, dont les plus rapprochés sont à 3 oh
4 kilomètres.
Au delà de la safia Tinigel et de la ligne des gour qui la
borne au nord, le sol devient plus sablonneux, déjà à 2 kilo-
mètres vers l'ouest, les gour sont en partie recouverts de
sable. Une vaste plaine peu ondulée, où croît une végéta-
tion de ajerem, djefna, dhuumran, s'étend au loin, limitée
au nord et à l'est par les deux bancs de dunes connus sous
le nom d'Areg Renem. Ces areg, dont le premier est à
12 kilomètres au nord de la salia Tinigel et l'autre un peu
plus loin, ont chacun 1 kilomètre environ de largeur sur 10
de longueur. L'un et l'autre ont leur pente douce orientée
vers le sud-ouest. Leur flore est variée et abondante, com-
posée de drinn, de larta, d'arfej, de guezzah et de rtem.
Après le passage d'Areg Renem, c'est la hammada qui
reparait. On peut dire que sa flore est nulle et que sa faune
n'est guère plus riche; seul une sorte de lézard, le bon
kekkach, trouve à y vivre. A 15 kilomèlres au nord d'Areg
Ilenem, un nouveau banc de sable se présente, Areg
Aggabi, orienté du nord-ouest au sud-est, après lequel la
plaine en hammada s'étend de nouveau, limitée à 1 o;i
8 kilomètres au nord par quelques gour peu élevés. Au
milieu d'eux une petite gara se dresse, celle de Ben Bah-
rour, ainsi nommée à cause de l'existence en cet endroit
de la sépulture du nomade célèbre auquel les indigènes
attribuent le tracé des pistes du Sahara.
Au nord de la gara de Ben Bahrour, le medjebed tra-
verse une série de vallonnements assez réguliers qui se
continuent pendant une trentaine de kilomèlres. A celte
distance, le terrain charge d'aspect et devient plat.
DANS LE 5CD ALGÉRIEN. oOl
piste s'engage bientôt dans une sorte de ravin où croît une
végétation assez drue d'arfej, de dhoumran et de ngoud.
Après 4 ou 500 mètres l'horizon s'élargit, limité à quelques
kilomètres de distance par quelques gour recouverts de
sable; on entre dans la vallée de Djafou, dont le sol uni est
parsemé de dhoumran. Quand j'y suis passé, un forage de
puits venait d'être entrepris au point le plus déclive du lit
de l'oued. Deux travailleurs indigènes y travaillaient pénible-
ment. Entre Djafou et Djorf el Begrat, s'étend un immense
plateau de hammada que coupe seulement le lit de l'oued
Zirara. L'aridité est dans cette région plus absolue encore
qu'ailleurs. La seule plante qui y pousse est te gourtel, vé-
gétal avec lequel on ne peul faire du l'eu, car à peine allumé
il se réduit en cendres. J'en ai fait l'expérience à mes dé-
pens; mes cavaliers indigènes, mieux avisés, n'avaient même
pas essayé de faire brûler celle plan le, sachant qu'ils devraient
renoncer à tout aliment chaud, même au café traditionnel.
Djorf el Begrat est situé non point avant l'oued Zirara,
mais bien à 10 kilomètres au nord. Ce djorf, ainsi d'ail-
leurs que l'indique son nom, est formé d'une série de bas-
fonds orientés du nord au sud, très découpés, parsemés
d'amas sablonneux où pousse du dhoumram. Les talus qui
limitent le djorf ont de2àô mètres de hauteur; à ce niveau,
la hammada reparait aussitôt, mais partiellement ensablée,
Ver* l'est, à quelques kilomètres, apparaît lergTalesmoul,
qui domine la masse imposante de la Gara Zmila, vaste
massif rocheux rectangulaire recouvert de sable. C'est au
pied 'de la Gara Zmila que les travaux de creusement du
puits Talesmout ont été entrepris.
302 DANS LE SDD ALGÉRIEN.
La région qui s'étend entre la gara Zmila et l'oued Fahl
est désignée sous le nom d'El Haout; sur le terrain de reg
qu'on y rencontre ne pousse guère que du dhoumran. A la
hauteur de l'oued Fahl, quelques gour couverts d'un revê-
tement sablonneus dominent la vallée. Le lit de l'oued
n'existe pas à proprement parler, car il est en mainls en-
droits comblé par de petites dunettes de 1 mètre à 1 m. 50
de hauteur où poussent du dhoumran, du larla, du henna
et de l'alenda. C'est là que le service des affaires indigènes
se propose de tenter le creusement d'un puits.
Pour se rendre de l'oued Fahl à la Gara el Arora, la
m
marche est facile sur un sol de reg fin ; c'est à peine si quel-
ques vallonnements se dessinent à l'horizon. Les dunes
d'Areg tahtani que l'on rencontre sont d'un passage facile.
Au delà, la région d'El Ferhas est un peu plus mouvemen-
tée. La Gara el Amra qui la domine et se dresse à proximité
du lit de l'oued Kebrit est constituée par deux massifs
rocheux ayant l'un la forme d'un cube, l'autre celle d'un
parallelipipède rectangle partiellement abrasé sur un de ses
points.
De la Gara el Amra à Hassi el Hadjar, que l'on aperçoit
seulement en y arrivant à cause des gour qui, au sud-ouest,
cachent le puits, le terrain est uni et sensiblement plat. A
quelques kilomètres avant ces gour, le sol se modifie dans
DANS LE SUD ALGÉRIEN.
303
sa nature et son aspect; au lieu île présenter la coloration
sombre de la hammada il devient blanc crayeux, et, du
reste, la qualité de l'eau s'en ressent; celle-ci a franche-
ment mauvais goût.
Après Hassi el Hadjar, on traverse l'Aoudh Sebkha, dont
le nom indique la nature ; l'horizon est limité à l'ouest par
nne ligne de petites hauteurs, les gour Zmali. A 15 kilo-
mètres d'Hassi el Hadjar, une surprise attend le voyageur.
Dans l'un des gour Bou Cbareb, un ébonlement s'est opéré
an niveau de la partie lalérale d'une gara; ii en est résulté
la formation d'une sorte d'abri sous lequel quinze hommes
peuvent trouver de l'ombre. Ce réduit naturel mérite d'au-
tant plus d'être signalé qu'entre Ouargla et El Goléa, c'est
le seul qui existe.
D'Hassi el Hadjar à Konm ez Zorgh, le terrain devient
plus accidenté. Ce dernier point est dominé par des gour
qui sont les analogues de Kbouiet Ahmar sur la route
d'Ouargla-Gbardnïa. A partir de l'endroit où commence la
descente dans le bas-fond d'Ouargla, on peut considérer le
Toyage comme terminé, car Koum ez Zorgh est relié à la
Sultane du Désert par une véritable ronte carrossable, amorce
delà rature voie de communication régulière entre Ouargla
et El Goléa.
MISSION BONNEL DE MEZIÈRES
CAMILLEI a-TT-Z-
GI1VUE GÉOGRAPHIQUE DU HIMSTÏKI DU
La mission Bonnel de Mézières continue sans difficull
graves son périlleux voyage h travers l'Afrique central
On sait que le courageux explorateur, aeci
MM. Colrat et Charles Pierre, qui ne marchandent, eux non
plus, ni leur dévouement ni leur activité, a remonté depuis
quelques mois le cours de l'Oubangui, suivi le cours du
M'Bomou et refait dans un intérêt commercial une partie
de l'itinéraire précédemment établi par le commandant
Marchand. Son but est de pousser vers l'ouest aussi près
que possible du Bahr-el-Ghazal, puis de se rabattre par le
nord-ouest pour gagner le lac Tchad par une route qui
croisera celle de M. de Béhagle.
Des lettres très intéressantes de M.Charles Pierre, qui,
dans une sorte de journal très pittoresque et très vivant, ra-
conte avec humour les péripéties de ce voyage accidenté,
nous extrayons les passages suivants qui intéressent à la
fois la géographie et l'ethnographie.
Détaché du gros de la mission, M. Charles Pierre s'est
avancé vers Tamboura par M'Boudoungou, c village im-
portant, le dernier du sultanat de Bangassou s, Bafaï, Ali
€ sur les bords de l'Ouari, affluent du M'Bomou », Bazimbé,
« dépendant de Zémio, sur les bords d'une jolie rivière », et
Assouvie i village perdu dans les hautes herbes ».
En partant de M' Boudoungou * les chemins sont mau-
aie.
HISSIOII BONNEl. DE MEZIÈRES. 30.)
vais, et de 10 heures à 3 heures 1/2 la marche est particu-
lièrement pénible dans ces herbes à moitié brûlées par un
soleil de feu. i
Le 9 décembre, notre voyageur arrive à une grande ri-
vière. « C'est le Moi qu'il faut traverser en pirogue, puis
nous entrons sur une bande de terre d'une cinquantaine de
kilomètres de large que les deux sultans de Bangassou et
de Rafaï s'entendent pour laisser déserte. L'État tampon ! On
sort à ce moment du pays N'Sakkara pour entrer en pays
■ Zaodé, puis il faut encore traverser la rivière Chanko. »
Quelques jours après, l'arrivée à Rafaï, « Rafat est un an-
cien esclave de Zobeïr pacha. A la mort de Zobeïr, il est
venu ici et a réussi à se créer un sultanat très important.
Il parle vaguement l'arabe. Son fils Hetman', ou mieux
Toumane, est un jeune homme d'une vingtaine d'années,
assez policé, parlant français, mais mendiant comme pas un
et faux par-dessus le marché; son second fils Ali boit déjà
trop il 'arrégui. »
Il existe deux routes pour aller à Tamboura, la première
praticable en saison sèche, l'autre pour la saison des pluies.
< Après Rafaï, dans la direction de Tamboura, le pays de-
vient montueux, tandis que ce n'était auparavant qu'un
grand plateau entaillé par de nombreux marigots. Ceux
que nous rencontrons maintenant sont faciles à traverser et
propres. Ils n'ont pas, comme ceux des environs de Rafaï,
ces approches de boue cl de vase. Les ruisseaux sont ici
petits et charmants. «
Sur le plateau se dressent de nombreuses termitières.
t Dans ce pays, les termitières sont énormes. Ce sont de
véritables monticules de i à 5 mètres de haut, et sur cha-
cune d'elles il y a un petit bouquet d'arbres.
t. D'uù
ient ce nom d'Helmao? Il esl probable que l'explorateur
ir, dont il a ét<S le compilation dans sou enfante, a travesti
'ai nom de Toumane.
MM MISS10S BOIHNEL DE MÉZIÈRËÎ.
Enfin M. Pierre arrive à Zémio. « La Zériba du sultan de
Zémio est sur une colline de 100 à 120 mètres de hauteur.
La pente qui y conduit est lellement raide qu'on a dû y
tailler des marches. Elle est située sur la rive belge. Zémio
est un homme de taille un peu au-dessus de la moyenne,
très poli, s'habillant avec des vêlements arabes, portant
des chaussettes et des babouches et se parfumant légère-
ment avec de l'encens et différentes plantes du pays. C'est
an contraste marqué avec Bangassou et Rafaï, qui tous deux
sont plutôt crasseux. »
Enfin, pour lerminer, calons d'après M. Pierre les points
suivants qu'il tient du D' Cureau et qui sont extrêmement
précieux pour la construction d'une carte de ces régions
Longitude Est. I.alilmtr Nord
Zémin Ï2- .18' 30" -V 01' 56"
Tarabouni 55 03 30 S 35 «
l>em liber M 18 15 7 42 55
Les lettres de M. Pierre contiennent aussi quelques ta-
bleaux de genre que ne désavoueraitpas un écrivain de pro-
fession. Que dites-vous de celui-ci? « Le 13 février, défilé
des guerriers Bazingné. Les chefs sont les plus étonnanls.
Ils portent tous des costumes qui sortent des magasins
d'accessoire de théâtre et tiennent à la main des épienx et
des sabres de tous ies modèles possibles. Ils les portent,
d'ailleurs, comme des cierges et se croient obligés, en défi-
lant, de l'aire ie salut du sabre au blanc qui les regarde. La
troupe tourne en cercle derrière eux autour de la place
comme un monôme sans queue ni tête. »
Chemin faisant, M. Pierre ne se désintéresse pas des dé-
tails culinaires. Il note avec un empressement que justifient
assez ses menus ordinaires les recettes précieuses que lui
apprennent les indigènes. 11 apprend à fabriquer du nougat
avec du miel et des arachides, à apprêter les pintades grises
et à récolter le miel : « La saison du miel a commencé. Le
MISSION BONNEL DE MÉZIÈRKS. 307
pays en produit en abondance et il est excellent. On ne
pourrait lui reprocher qu'une chose, c'est d'être trop par-
fumé, ce qui n'est pas étonnant, étant donné que les fleurs
de tous les arbres de ce pays ont un parfum tellement vio-
lent qu'il en est écœurant. Les indigènes ne connaissent
pas l'apiculture et se contentent d'aller chercher dans la
brousse les ruches que les abeilles ont construites dans les
trous des vieux arbres. Quand l'arbre est grand, ils font du
feu à son pied et attendent que l'arbre tombe. Le miel est
excellent pour couper l'eau, qui n'est pas toujours très
bonne, quoique, en général, on trouve des sources aux
abords de tous les villages. »
Nous sommes heureux d'avoir pu publier quelques pas-
sages de ces lettres d'un tour si français et qui prouvent
avec quel courage et quel entrain nos compatriotes savent
braver les dangers physiques et les souffrances morales.
M. Charles Pierre, comme M. Bonnel de Mézières, est un
homme brave et qui mérite de réussir. Tous nos vœux les
accompagnent.
VOYAGES DE DMITRI KLEMENTZ
EN MONGOLIE OCCIDENTALE
I. — La première fois que je voyageai en Mongolie,
c'était en 1885. J'habitais à Minousinsk, lorsqu'un com-
merçant russe m'offrit de l'accompagner dans le pays des
Ouri;inkh, bassin de la rivière Kemtchik, sur le versant occi-
dental du Ienisei. Au commencement du mois de mai nous
nous mimes en route, accompagnés de deux ouvriers.
L'hiver avait été long celte année-là, et, malgré l'époque
avancée, les monts Saïan étaient couverts d'une neige pro-
fonde; nous mîmes trois jours pour traverser le col de
Chabin-Daban, à la source de la rivière de Tchakhan. Le
passage une fois traversé, le tableau changea subitement;
partout des prairies verdoyantes, des Pulsatilla altaica,
des Erithromum detis cttnis, des Adonis appeaina en
fleurs. 11 fallait ensuite descendre dans la vallée de la
rivière Khanlighir, puis, longeant le cours de sou affluent, la
Tosla, monter sur la seconde chaîne des monts Saïan, nom-
mée les monts des Sotots. La croie de cette chaîne était éga-
lement couverte déneige; mais deux jours de beau temps
suffirent à faire fondre l'épaisse couche neigeuse, ce qui nous
permit de descendre sans trop de difficultés dans la vallée
du tributaire du Kemtchîk, ['Ich-Jtem. Toutes les cartes
russes qui existent jusqu'à' présent donnent un tracé tout à
fait fantaisiste des affluents du Kemtchik dans cette région.
Au lieu de deux leh-kem, tous les deux affluents de
gauche du cours inférieur du Kemtchik, et la rivière Ak-
I. Voir la carie jointe à ce numéro.
VOYAGES DB HMITHI KLEMEriTZ EN MONGOLIE. 309
kein, en amont des précédents, on trouve sur la carie
un Ary-kem et un Ak-kem, qui n'ont jamais existé. De
même, la carte indique un grand lac Siout-koul qui n'existe
pas en réalité. Il y a bien un lac de ce nom, mais il est petit
et se trouve à droite de l'Ich-kero.
Dans la vallée du haut lch-kem, nous avons trouvé des
villages de Soiots. Nous descendîmes ensuite dans la vallée
du Manjourek, afflueut de l'Ak-kem, et nous suivîmes son
cours jusqu'à l'embouchure. Après avoir traversé l'Ak-kem
à gué, nous descendîmes dans la vallée de la rivière Kemt-
chik, puis, passant la rivière sur un radeau avec l'aide des
Soïots, nous regagnâmes la factorerie du marchand Salianoll',
à 6 versles en amont de l'affluent du Kemichik, YAlach.
Pendant quinze jours je fis des excursions vers le cours
supérieur du Kemtchik jusqu'à son confluent avec la
rivière Tchou, qui prend sa source au coi de Tchaptchal,
dans la chaîne du Tannou-oia.
Le retour s'opéra par un nouveau chemin. Traversant la
rivière Alach, nous montâmes jusqu'aux sources de la
rivière Ak-kem et nous atteignîmes le cours supérieur de la
rivière Any, affluent important de VAbakan (du coté droit).
Cependant, comme on ne pourrait descendre le courant de
VAny qu'en hiver, nous fûmes obligés de tourner à l'est,
Longeant la chaîne des Satan, nous arrivâmes aux sources
de la rivière Karasioubé, affluent gaucho du Djebach. Nos
deux guides, des Soïots, essayèrent de nous piller; mais,
comme nous savions nous défendre, ils se sauvèrent, nous
abandonnant à nous-mêmes e[ croyant que nous allions nous
perdre dans les montagnes; heureusement, nous parvînmes
à trouver notre chemin jusqu'à L'Abakan d'abord, et ensuite
jusqu'à notre destination, Minousinsk.
II. — En 1887, je pris un autre chemin pour aller dans
le pays des Ouriankh. Je traversai les monts Saïan à
l'est du Ienisei, je descendis dans la vallée de la rivière
310 VOYAGES DE DMITUI KLEMENTZ
OulouLf m , aa coadaent des deux rivières qui la forment, le
Bei-kem et le Kha-kem, et je descendis le courant en
bateau jusqu'à l'embouchure de la rivière TclmtchkouL De
là, regagnant ieKemtehik, j'explorai la rivière Alaclt, jus-
qu'à ses sources (tac de Kara-kol). Ensuite, du lac de
Tvhoullchin et des sources du Petit Abakan, je descendis
jusqu'au Grand Abakan, accompagné d'un Ouriankh,
sans autre guide que la boussole et la direction des chaînes
des montagnes. Ici, nous fûmes obligés de quitter nos
chevaux et de nous charger des bagages. Nous descendîmes
l'Abakan sur un radeau composé de 7 poutres, malgré le
danger que présentent ses ccueilsetses rapides.
Nous étions les premiers explorateurs de la contrée qui
s'étend entre les monts Saïan et i'Abakan. En 1843, Pierre
de Tchikhatcheff avait fait une première tentative, mais il
avait dû y renoncer. Dix ans se sont écoulés depuis notre
voyage sans que personne ait pénétré dans cette région.
1H. — En 1891, j*ai visité encore le pays des Ouriankh;
mais ce dernier voyage n'a pas ajouté beaucoup à ce que
j'avais appris dans mes premières excursions. Voici les
résultats de mes recherches ;
MONTS SAÏAN
La chaîne des monts Saïan présente deux grands plis-
sements. La partie nord est composée do schistes talqueux
avec des filons de quartz, recouverts de schistes chlo-
riteux et de schistes argileux, ensuite vient une couche
de calcaires. Dans la partie sud, on remarque un conglo-
mérat argileux et des schistes contenant des fossiles (trou-
vés sur les rives de l'Alach). Ces pétrifications, qui n'ont
pas encore été étudiées, démontrent l'existence d'anciennes
formations paléozoïques, probablement du système cara-
brien.
E> MONGOLIE OCCIDENTALE. 311
Ce* formations renferment de puissants filons de granité
se transformant quelquefois en schlier. Dans les vallées du
Kemtchik et de l'Ouloukem, on trouve des formations érup*
tives de la nature des mélaphyres- Les vallées du Kemlchik
et de rOuloukem sont limitées au nord par les monts
Saïanet au sud parla chaîne-de Tannou-ola. Dans les Tan-
nou-ola on rencontre des schistes amphibolîques archéens
et des micaschistes ; à la rivière de Torkhalik, Us sont
recouverts d'argiles rouges contenant du gypse et du sel
le. On trouve la même série de roches rouges dans
les profondeurs du Tannou-ola (cette fois sous forme de
grès calcaires), où elles donnent aux montagnes une appa-
rence feuilletée.
l.a vallée de l'Ouloukem et du Kemtchik, à l'endroit de
mes recherches, s'étend à plus de 20 à 100 verstes. Dans cer-
taine; parties elle présente de puissantes formations de grès
Licrt-ux.de conglomérais et d'argiles renfermant des couches
île houille (sur les rives de l'Eleghatetde l'Irbek, tributaires
de l'Ouloukem). Des empreintes de la plante Czekanoic-
skaya rigida permettent de leur attribuer un âge jurassi-
que. Point de formations tertiaires ; d'anciens fonds de lacs
el les lits des rivières présentent des traces de dépôts allu-
vîsut. Les affluents de l'Ouloukem et du Kemtchik présen-
tent la disposition suivante ; le cours d'eau s'encaisse dans
des alluvions anciennes formant deux terrasses, la couche
supérieure, plus ancienne, composée d'argiles, de sables et
de cailloux, et la couche inférieure, sur laquelle s'est établi
le lit actuel de la rivière offrant une série de nouveaux pro-
duits d'alluvion. Les deux terrasses renferment beaucoup
d'or, associé quelquefois au platine. La vallée inférieure est
de formation très récente. Pendant les travaux dans les
- d'or, on y a découvert^ une profondeur de 2 mètres,
des armes de bronze, pareilles à celles que nous trouvons
dans les anciens tertres de Sibérie.
La végétation de ce pays présente une transition entre
312
VOYAGES DE ilHITBI KLEMENTZ
celle des forêts de la Sibérie et celte de la Mongolie. Les
forèls sont composées principalement de mélèzes, rarement
de sapins ou de cèdres; en revanche on trouve toute une
série de nouvelles espèces du genre Caragana, particulier
à la Mongolie.
La population du pays est la tribu des Soïots. Je ne l'es
appelle pas Ouriankh, parce que ce nom, emprunté au
chinois, s'applique à plusieurs tribus différentes. Les Soïots
eux-mêmes s'appellent les Touba; aux environs du lac
Terinor, ils se donnent le nom d'Oiïigour.
Les Touba étaient premièrement une tribu de la race
des Samoyèdes, habitant la Sibérie du sud, et qui a donné
son nom à l'affluent droit du Ieniseï, la Touba. Les des-
cendants de ces Touba habitent le cercle de Minousinsk
et parlent la langue turque. Le nom de Touba est mentionne
pour la première fois dans les documents chinois à l'époque
de la dynastie des Tan. Ces documents parlent d'une cer-
taine tribu Doubo, vivant dans les montagnes et s'adonnant
à la chasse et au pillage. Les Kirghises en font souvent
leurs esclaves. L'historien persan Kachid-eddin mentionne
les tribus qui habitaient les forêts de Mongolie à l'époque
de Gengiskhan, entre autres il cite des noms qui res-
semblent a ceux des tribus des Soïots de nos jours comme
les O'inar, les Ondar. Kastren, en parlant des données
fournies par la linguistique, a reconnu les Soïots comme
une Iribu de Samoyèdes ayant subi l'influence des Turcs.
Ensuite Topinard, se basant sur les recherches pré-
cédentes, a reconnu les Soïots comme étant une tribu
samoyède. Mais, en fait, Kastren a vu très peu de Soïots,
et notamment ceux qui habitent la vallée de l'affluent du
ISeikem, le Hamsara.lA, les Soïots ont les caractères d'une
ancienne race : petite taille, poitrine rentrée, pieds plats,
cheveux châtain clair; leurs mœurs sont celles d'une véri-
table tribu de chasseurs ; leurs habitations ont la forme de
huttes coniques recouvertes de peaux d'animaux. En des-
EN MONGOLIE OCCIDENTALE. 313
rendant dans la vallée du Kemlcliik, nous en rencontrons
d'un type tout différent : bruns, de grande taille, pommettes
très saillantes, le crâne rond et court et le visage long. Ils
s'occupent d'élevage, quelquefois d'agriculture, tout à fait
primitive. Je crois que les ethnologues devraient distinguer
les Soïols des montagnes, chasseurs, des habitants des val-
lées, pasteurs. Les animaux domestiques sont également
différents. Ici nous rencontrons îles chèvres, des chameaux
domestiques, des yacks du Tibet. Les chevaux des montagnes
sont de petite taille, à pelage clair, aux mollets très dévelop-
pés; le cou est court et la tête sèche. Dans les vallées, la
race venant des steppes de Mongolie est tout autre : cou
fort et charnu, grande taille, tète grande, os saillants.
Les Soïols ont un caractère gai, nerveux, énergique,
moqueur et fourbe. Ils diffèrent profondément de leurs voi-
sins, indigènes de Mînousinsk. Ces derniers sont des rêveurs
flegmatiques, sans aucun penchant à la raillerie, bons pères
de famille, attachant une grande importance à la chasteté
des femmes et ne se permettant jamais un mot inconvenant
en leur présence. Le Soïot, au contraire, est de mœurs
légères. Les indigènes de Mînousinsk chantent leurs anciens
héros; ils ont aussi des chansons à seus équivoque, mais
celles-là, ils ne les chantent que devant les hommes et
encore ne sont-elles risquées qu'en tant qu'elles appellent
les choses par leur nom. Un jour, mon compagnon de
voyage ayant pris un bain dans une rivière, alla demander
hospitalité chez des Soïots pour changer de linge. Malgré
U présence de la femme, le mari le pria de ne pas se gêner.
A peine avait-il commencé à se déshabiller que la femme
sortit, mais... ce n'était que pour appeler ses voisines à
venir voir le corps blanc d'un Russe,
Je ne parlerai pas du mode de gouvernement des Soïots,
de leurs rapports avec la Chine, et du commerce avec la
Kussie. Je dirai seulement que ce pays possédait autrefois
Ë population cultivée. De grands tumuli, des pierres
ne, de cëocr. — 3-
s 1899.
ix. - 24
314 VOYAGES DE DMITR1 KLEMENTZ
portant des inscriptions avec des caractères runiques, les
ruines dans l'île de Teri-nor, aux sources de la rivière
du Djedan et à l'embouchure de la rivière Aksouk, sont
témoins d'une ancienne civilisation.
IV. — En 1891, on m'offrit de prendre part à une
expédition dans la vallée de l'Orkhon, organisée par l'Aca-
démie des sciences de Saint-Pétersbourg. L'expédition
partit en chaise de poste, de Kiakhta à Ourga, puis se rendît
à l'ouest sur les côtes du lac Oughei-nor, et enfin aux
ruines de Karakoroum entre les rivières Orklion et Djer-
manlai. Le but principal de l'expédition était de procéder à
des recherches archéologiques sur l'Orkhon. Arrivés au lieu
de destination, nous fîmes des copies d'inscriptions décou-
vertes par Yadrintseff, des photographies et un plan de
ruines. Les résultats ont déjà été publiés en grande partie,
aussi je n'en parle pas davantage. A la lin du mois de
juillet, je proposai au chef de l'expédition, l'académicien
Radlow, de faire une excursion indépendante en dehors
de l'itinéraire, au nord-ouest des bords de l'Orkhon, vers
les sources du Ienisei. Nous achetâmes cinq chevaux pour
la monture et le transport de nos bagages et nous quittâmes
l'Orkhon nous dirigeant à l'ouest. Après avoir traversé un
chaînon des monts Khangaï, entre l'Orkhon et POrtou-
Tamir, formée principalement de granité, nous dûmes
passer à gué la rivière d'Ortou-Tamir. Une chaîne de mon-
tagnes, composée encore de granité et de schistes argileux
rouges, nous amena au Khoïtou-Tamir, puis, au bout de
huit jours de voyage dans la direction du nord-nord-ouest,
nous arrivâmes sur les bords de la Selenga. C'est un pays de
montagnes composées principalement de schistes argileux
et de granité à biotite. Les schistes ont une texture feuilletée
dans la direction du nord-nord-ouest. On rencontre souvent
des mélaphyres et des basaltes sur les bords de PAtcbin,
affluent de la Selenga. Ces deux formations sont disposées
EH MONGOLIE OCCIDENTALE. 345
en traînées dont la direction générale est du sud-ouest au
nord-est. Par leur étendue, ces traînées témoignent d'un
grand développement de forces volcaniques en Mongolie du-
rant les époques géologiques récentes. Je noterai une erreur
que j'ai toujours remarquée, même sur les cartes russes les
plus récentes qui représentent la Selenga comme formée
de deux branches, tandis qu'en réalité elle est formée par
la réunion de trois cours d'eau : VEder, le Boukioui et le
Ùelghir-mouren. Les lacs Sanghin-dataï et Toune-moul,
que nous visitâmes en quittant la Selenga, ont sûrement élé
autrefois des lacs d'eau douce, mais maintenant, par suite
du dessèchement de leurs tributaires, l'eau est devenue sau-
matre. De là, suivant le courant de la rivière Tes et en
traversant le Tannou-ola, nous regagnâmes l'Oulou-kem et
descendîmes le Ienisei sur un radeau jusqu'à la ville de
Hinousinsk. Sur notre chemin, nous rencontrâmes beau-
coup de tombeaux, restes de l'ancienne civilisation turque,
et sur les bords d'un affluent de la Selenga, le h'Ittntyngol,
les ruines d'une ville où on pouvait voir les restes d'une
ancienne citadelle. On peut supposer que cette ville n'était
autre que la Ville des trésors (des pierres précieuses), men-
tionnée par Abel lii'musat. Le caractère des tombeaux,
leur ressemblance avec ceux de la Sibérie méridionale, indi-
quent de la façon la plus frappante une seule et même civi-
lisation. Nous savons maintenant que c'était la civilisation
turque ; reste à savoir seulement si les Turcs l'ont héritée de
races plus anciennes encore ou s'ils lui ont donné eux-
mêmes tout son développement
V. — En 1805, je Ils encore une petite excursion. J'étais
parti d'Irkoutsk dans la direction du sud-ouest. Mon itiné-
raire passait à travers les Alpes de Tounka au lac de Koso-
gol, de là au couvent des Darkhat et finissait au lac de
Teri-nor. Le but de mon voyage était de visiter les ruines
qui existent dans une île du lac de Teri-nor. Ces ruines
316 VOYAGES PU DMITRI KLEMEKTZ
préseDlent une analogie complète comme caractère et
plan de construction avec le célèbre Karakuroum (Kara-
bangasoun, sur FOrkhon'). Le pays est extrêmement aride,
ce qui tient à son élévation <1, 300 mètres). Le sol est composé
partout de terrains cristallins. Le lac Kosogol doit proba-
blement sa formation à un plissement du sol, marqué par de
puissantes éruptions de basaltes sur les rives est et nord-est
de ce lac. Les indigènes de cepayssontlcsDin'A/iaietles 0u~
riankit. Ces derniers eux-mêmes se donnent le nom d'Oui-
gour. Les Darkbat appartiennent à la même race que les
Ouriankh [ seulement ils parlent la langue des Mongols et
ne payent pas d'impôls, étant attachés au couvent du Bogdo-
gheghen d'Ourga, auquel on attribue une origine divine. Ils
doivent leur position privilégiée à une félonie. Depuis le
règne de la dynastie mandjoue, les princes mongols des-
cendants de Gengiskhan n'ont pas toujours été soumis à
leurs vainqueurs. Ils organisèrent des conspirations dans le
but de secouer le joug des étrangers. Enfin, à l'une des
conspirations, lés princes mongols, après avoir prêté ser-
ment et bu du sang sacramentel d'un bouc noir, décidèrent
de se soulever. Mais la plupart des princes conjurés nour-
rissaient le secret projet de trahir les autres. L'un des con-
spirateurs (nommé Cbatyrnavan) fut assez naïf pour croire
a la sincérité des autres ; il réunit ses troupes et se mit en
campagne ; battu par les Mandjous et par ses alliés perfides,
abandonné par les siens, il se décida à fuir en Russie, mais
il fut saisi par les Ouriankh et livré aux Mandjous. Le
malheureux prince fui exécuté à Péking et les Ouriankh
furent nommés Darkbat (privilégiés) et exemptés de l'impôt.
Dans ce pays, l'agriculture n'existe point. Les yacks sont
les seuls animaux domestiques.
!»i>i'-<liti«n ik l'Orkliini, Aatii/uitét
t le Mongolie
SU MONGOLIE OCCIDENTALE. 317
VI. — En 1803, je fis une excursion sur la rive droite de
TOrkhon, en partant de Kiakhta. Vers le sud, le pays devient
plus élevé. Nous rencontrons sur noire passage de Kiakhta
à Ourga des chaînes de montagnes que nous traversons. Le
terrain est sec et rocailleux. Des steppes s'étendent dans
l'espace compris entre les affluents de l'Orkhon. Des salines.
commencent à partir de l'embouchure du Kharagol.Au sud
e cette région, enlre l'Orkhon et le lac Oughei-nor, nous
mcontrons de grands affleurements de basalte. De l'Or-
:hon, je me dirigeai au lac Oughei-nor, de là je remontai le
iourant de la rivière Ortou-tamir et je descendis dans le
etil Gobi, au pied des monts Altaï, puis en descendant la
ivière Touingol j'arrivai au lac Orok-nor.
MONTS KHANGAÏ
Plusieurs fois depuis celte époque, j'ai eu occasion de
raverser la région montagneuse où les affluents de l'Orkhon
it de la Selenga prennent naissance, ainsi que les rivières
ipparlenanl aux bassins des lacs intérieurs de la Mongolie
méridionale. Je dirai donc quelques mots sur ce pays.
Toute la contrée enlre l'Orkhon et le Dzapkhyn a reçu des
phes russes le nom de « système de Khangaï ». Plu-
ieurs explorateurs russes l'ont visitée avant moi : Potanine,
Pîevtzofî, Raderine, Chichmareff et, en plus, l'Anglais Elias.
ï une époque plus reculée, l'explorateur le plus connu fut
un contemporain de Gengis-khan, le moine du Daos Tchan-
tchoun, qui a donné quelques renseignements sur le Khan-
$aï. C'est un pays montagneux 1res élevé; il n'existe pas de
:ol au-dessous de 7,000 pieds de hauteur, et il y en a quel-
jues-uns, comme Bombotou,Tsagnn-daban, qui atteignent
(0,000 pieds. Le sommet le plus élevé porte le nom de
nkhon-khaïrkkan Tengri et se trouve à près de 80 kilo-
318 VOYAGES DE DHITill KLEMENTZ
mètres de la ville d'Ouliasoutdi. J'ai fait l'ascension de
cette montagne durant l'été de 1896. Elle est complètement
dépourvue de forêts; elle a une réputation de montagne
sacrée; ses versants sont couverts d'autels bouddhiques
(oboti). La montagne a une forme conique, sa base est de
granité, son sommet formé de rnélaphyre. Sur son versant
sud-est se trouve un petit glacier, qui donne naissance à
une petite rivière, la Bouiti-Kol ou Dsapkhyn.
A l'exception de VOtkkon Tengri, la chaîne de Khangaï
n'a pas de hauteurs considérables. Les montagnes ne s'élè-
vent pas à plus de 1,000 pieds au-dessus du niveau des
cols; la plupart de ceux-là présentent des surfaces planes
encadrées de hauteurs; il y en a peu offrant l'aspect de
crêtes. Les rivières coulent dans des lits étroits. Au point
de vue géologique, le Khangaï présente une série de plis
s'écarlanl vers le nord, et se terminant par une pente
abruple au sud. La vallée enlre V Altaï et le Khaiigaï a l'as-
pect typique d'un graben (fossé). Le Khangaï est principa-
lement composé de schistes cristallins ou semi-cristallins.
Comme formations d'origine paléozoïque, on pourrait sup-
poser l'existence du terrain carbonifère avec affleurements
de couches productives; mais ce n'est qu'une simple sup-
position qui n'a pas pu être confirmée, attendu que jusqu'à
présent on n'a pas pu y découvrir de traces d'organismes.
On trouve beaucoup de granit à petits grains.
Les formations éruptives sont très développées dans le
Khangaï. La plus ancienne est celle de granit (schlier).
On en voit des masses énormes dans ia parlie centrale et
méridionale du Khangaï. La seconde place, comme époque
de formation, appartient aux porphyres (felsites), remplis-
sant les fentes dans ce que nous supposons être le terrain
carbonifère. Les porphyrites et les roches Irachytoïdes
sont peu développées. Je n'ai pas eu une seule occasion de
voir un trachyle, tandis qu'on trouve des mélaphyres et des
porphyres en grande quantité. Les mélaphyres s'étendent
EN MONGOLIE OCCIDENTALE. 319
r un espace de plus de 10 kilomètres dans la vallée de
myn-gol. Les basaltes sont très fréquents,
1 faut mentionner toute une région volcanique entre les
j des fleuves Onghiin et Orkhon. Nous rencontrons
ici toute une série de lacs encaissés dans des parois de lave.
Les deux rives de l'Onghiin sontcouvertes par des basaltes ;
les rives des sources de Y Orkhon et des deux rivières dont
: forme, le Tamlchin et YOvlhtsoutaï, présentent des
liées de lave solidifiée reposant sur des schistes méta-
>rphiques; enfinlelitdel'Orkhon,à plus de 50 kilomètres
ï aval de ses sources, est creusé dans de la lave basal-
te. Les cours moyen et inférieur des rivières Tatsa-
. et Touin-gol ont leurs rives composées d'argiles
:poque post-tertiaire, recouvertes partout de coulées basal-
. La rivière Tchonloutei traverse des gorges formées
de basaltes sur une étendue de plus de 100 kilomètres.
J'ai trouvé dans le bassin de la rivière Tchouloutéï de
vrais volcans stratifiés éteints, les premiers qui aient été
découverts en Mongolie. Ils ont la forme d'un cône tronqué,
composé de nappes alternantes d e basaltes, de pierre ponce
et de scories. Le sommet du volcan présente une dé-
pression remplie d'eau et formant un petit lac. Dn autre
volcan est coupé par le courant d'une rivière, de sorte que
nous avons sous les yeux une coupe de montagne faite par
la nature elle-même. La base est formée de basaltes recou-
verts par toute une série de couches successives de diffé-
rents produits d'éruptions volcaniques. J'ai souvent ren-
contré dans d'autres contrées du Khangaï les produits
d'éruptions basaltiques, mais ces formations étaient géné-
ralement disposées sur des crevasses, et je n'ai jamais
vu d'autres volcans stratifiés que ceux que je viens de
décrire. Je n'ai pas trouvé de dépôts tertiaires dans le
Khangaï. Dans la vallée supérieure de la rivière Onghiin,
j'ai découvert des couches de conglomérats sur une grande
étendue appartenant aux formations mésozoïques.
320
VOYAGES DE DMiriU KLEMENTZ
D'après sa végétation, le Khangaï peut être divisé en
deux parties, le versant nord et le versant sud. Le premier
abonde en forêts de mélèzes; on y rencontre quelquefois
des cèdres, des pins et des sapins. Sur le versant méri-
dional, les forets sont rares; nous y rencontrons des plantes
particulières au Gobi, beaucoup de variétés de Caragana,
qu'on ne trouve pas sur le versant septentrional. Trois khans
mongols, descendants de Gengiskban, gouvernent le pays.
Touchetou-kkan, dans l'est, Saïn-Noïn, dans le sud-ouest
et la partie centrale, et Dsataktou-kkan, dans l'ouest.
A part ces trois kh;ms, il y a encore deux demi-dieux,
ou incarnations de la divinité, selon les croyances des Mon-
gols qui ont des possessions dans le Khangaï, le Zaïn-
gkeghen et le Laman-gkvgiken. Les terres appartenant à ce
dernier, dont j'ai fait la connaissance, s'étendent loin dans
le Gobi. C'est un jeune homme âgé d'environ 30 ans, d'une
obésité touchant à la difformité, ce qui ne l'empêche pas
d'avoir un caractère très vif et de posséder un don d'assi-
milation remarquable. Il me questionna avec beaucoup
d'intérêt sur les chemins de fer, les télégraphes et sur dif-
férents détails de la vie européenne. On rapporte que des
lamas de sa suite, pour se débarrasser de cette divinité un
peu trop énergique et indépendante, lui ont mis du poison
dans un plat. La divinité mangea le plat qui lui était servi
et dit à son entourage : « Vous avez voulu m'empoisonner,
mais mon temps n'est pas encore venu, tout ce que vous
avez gagné par là, c'est que votre poison va me faire engrais-
ser, de sorte que je ne pourrai plus vous surveiller avec
autant de vigilance qu'auparavant. »
VII. — En 1894, je m'établis définitivementen Mongolie ;
je passai l'hiver à Ourga, et je fis des excursions en été.
Au printemps de 1804, je traversai le Khangaï jusqu'à Ou-
liasoulal et je descendis le versant méridional au nord du
Gobi, puis, longeant la limite de ce dernier dans la dir
EN MONGOLIE OCCIDENTALE. 321
lion de l'est, j'arrivai à l'embouchure de la rivière Argouin-
gol. Ce pays désert, avec une population rare, forme une
transition au grand désert de Gobi. Les montagnes sont
composées de calcaires métamorphiques et de schisles
recouverts à certains endroits de grès et de pierres cal-
caires. En l'absence de fouille, l'âge relatif de ces terrains
ne peut être déterminé que par leur allure. Les grès el les
pierres calcaires forment des escarpements. Ces terrains
affleurent rarement à la surface du sol, soit qu'ils aient été
masqués par des alluvions, soit qu'ils se trouvent recou-
verts par les couches récentes des formalions sableuses du
Gobi '. La partie inférieure de ces dernières se compose
d'argiles ferrugineuses jaunes et rouges, la partie supé-
rieure est formée de grès à gros grains et de conglomérats
d'abrasion. Les argiies, de même que les grès et les
Conglomérats, forment des dépôts sans consistance. Le
pays est pauvrement arrosé. Les cours d'eau sont assez
abondants dans les gorges de montagnes, mais, à peine
sortis de ces défilés, ils se perdent dans les sables et les
cailloux. Quelquefois, lorsque le terrain est pierreux et
argileux, ils continuent leur cours pendant un certain
temps, mais bientôt les sables les envahissent, formant des
bas-ronds et changeant la rivière en marais. La végétation
des marais tait un réseau épais et mobile qui maintient une
certaine fraîcheur. Aussi l'eau est toujours très froide dans
de pareils courants et ne tarît jamais, même dans les plus
grandes chaleurs.
1. Je trois que la désignation de « formation du Gobi • est plus
JostB que celle qui est adoptée par Riclilbofen, qui dit, dans le même
cas, ■ du Han-Haï » ; attendu que « Han-Haï s jieut donner lieu à
une erreur par sa ressemblance avec liliiingai. De plus, le mol Han-llaî
signifie non seulement une mer de sable, niais pourrait avoir d'autres
sens encore. Comme les depuis dont il s'agit viennent du Gobi, il n'y
a pa. de raison a introduire une désignation nouvelle au Heu de garuVr
«elle qui est généralement admise et dont le sens esl intelligible à
il le inonde.
32Z VOÏAOES OE DMITM KLEMEKTZ
La proximité des montagnes est la cause d'orages fré-
quents aux mois de juillet et d'août, époque des plus grandes
pluies en Mongolie. Les torrents impétueux emportent les
matériaux meubles et forment des ravins énormes, sem-
blables auxouadis du Sahara ou aux canons de l'Amérique.
Ces ravins, présentant des lits desséchés, sillonnent de lous
les côtés la surface du désert ; leur direction indique claire-
ment l'inclinaison du terrain,
Dans les endroits, arrosés par des cours d'eau plus ou
moins continus, de ce pays, formant le seuil du Gobi, les
habitants cultivent la terre. Ils sèment du blé et de l'orge.
L'agriculture n'est guère possible qu'à la condition d'un
arrosage artificiel. Les habitants arrosent leurs champs au
prinlemps, ils sèment ensuite et labourent la terre au
moyen de charrues primitives, puis changent de campe-
ment aussitôt qu'apparaissent les premières pousses. Au
moment de la floraison, on arrose encore. Jusqu'à l'époque
de la moisson, les champs restent aux soins des vieillards,
qui sont chargés de surveiller les semailles, chassant les
oiseaux, les antilopes sauvages, défendant leurs terres
contre le passage de caravanes. Le pays s'anime à la saison
des moissons, des tentes sont dressées, les nomades revien-
nent; on travaille toute la journée, la nuit encore on peut
voir dans les champs des feux allumés près des tentes. La
moisson terminée, le pays redevient calme et désert jus-
qu'à la saison prochaine.
On rencontre dans l'Altaï méridional deux représentants
de régions différentes : le yack du Tibet, domestique, ori-
ginaire des montagnes, et le chameau des déserts. Les
chameaux de Gobi sont réputés comme les meilleurs dans
toute la Mongolie. On en trouve ici en grand nombre. Sou-
vent les habitants ont autant de chameaux que de moutons.
Dans ce pays, le chameau n'est pas seulement une bêle tic
somme, mais encore un moyen de subsistance. Les habi-
tants se nourrissent de lait de chamelle, ils en font du fro-
EN MONGOLIE OCCUENTALE.
323
ï sorte d'eau-de-vie. Dans d'autres régions de la
îe, au nord, on élevé également des chameaux,
mais aussitôt qu'il y a dans le pays des brebis et des vaches,
on néglige le lait dechamelie. Aussi, pour le pays que nous
décrivons, le seul fait qu'on se sert de celui-là prouve qu'il
n'y a pas moyen d'élever en quantité suffisante d'autres
espèces de bétail fournissant du lait.
Autrefois le pays avait une population plus nombreuse.
Le long des deux versants de l'Altaï, nous rencontrons par
centaines des pierres d'anciennes tombes. Sur la rivière
Tsagan-gol, j'ai eu la bonne fortune de découvrir des ruines
d'une ville entière ou d'un grand couvent. Je crois qu'il
serait prémaluré de faire des conjectures à ce sujet, avant
ta publication du plan et des photographies des ruines.
De l'Altaï, je passai dans la partie orientale des monts
Khangaï ; je visitai, aux sources de l'Orkbon, un des plus
anciens couvents de Mongolie, l'Erdenï-dzo; ensuite, pre-
nant le chemin à travers les steppes, entre l'Orkhon et la
Tola,je retournai à Ourga, où je passai l'hiver,
En 1895, je fis une excursion au Keroulen, dans le but de
rechercher une ancienne inscription runique sur l'un des
rochers. Je découvris en plus toute une série de tombeaux
ornés de figures de cerfs très intéressantes, et c'est avec
ces résultats que je retournai encore à Ourga.
Les chevaux de posle me menèrent jusqu'à Oughei-nor;
ensuite, traversant le Khangaï, j 'arrivai à Ouliassoutaï et
de là au nord, à travers la chaîne de Khan-khoukliei', dans
la vallée du lac Oubsa-nor; je visitai Oulankom, puis, en
quôte de monuments archéologiques, j'arrivai jusqu'à la
chaîne servant de frontière à la Russie; de là je rentrai à
Ourga.
Le pays dans le nord d'Ouliassoutaî présente un ter-
rain rocailleux, couvert de salines et extrêmement riche
en monuments archéologiques. C'est ici qu'ont eu lieu des
batailles entre les Dzoungars et les Mandjous; probable-
324 VOYAGES DE DMITRI KLEMENTZ
ment, depuis les époques les plus reculées, des troupes
ennemies venant de l'orient et de l'occident se sont ren-
contrées dans ces lieux, comme le prouvent de nombreuses
tombes ornées de pierres sépulcrales.
Au sud de Khau-khùukheï, se trouve un vallon encaissé,
dans lequel sont situés les lacs Aïryk-nor, Kirgltiz-nor
et Dzfren-nor. Le vallon est formé par une chaîne de mon-
tagnes (un plissement), le séparant d'un plateau où sont
disposés les lacs de Kkara-nor et de h'hara-ousou. Je
n'ai pas pu découvrir la base du plissemeul au sud ; mais,
sur le versant opposé du Khan-kkoukheï, on remarque des
rochers coupés à pic, formant le bassin du grand lac
Oubsa-nor.
Mien que ces exemples prouvent déjà l'importance de la
dislocation disjonclive dans la formation du relief de l'an-
cien continent.
En 1896, après avoir visité en Khangaï des volcans
éteints, je me dirigeai vers Ouliassoutaï; ensuite, traver-
sant une steppe au sud-ouest, j'arrivai à la limite du Gobi.
Ici, je tentai de faire l'ascension de la chaîne de Tsassa-
tou-botjdo; mais un tourbillon de neige nie força à renon-
cer à ce projet. Je me rendis à Kobdo en suivant un itiné-
raire qu'aucun voyageur n'avait suivi jusqu'alors. Laissant
mes chameaux se reposer à h'obdo, je traversai l'.4(iaï
jusqu'à la frontière russe, aux sources de Tsagangol, affluent
gauche de la Kobdo ; de là, je me dirigeai vers les sources
du Saksaï, en traversant deux fois la chaîne de l'Altaï, et
je retournai à Kobdo par le Terekly-daban. Puis je pris
l'itinéraire suivant : je descendis la rivière Houlgoun jus-
qu'au campement d'un prince torgoout; et je m'avançai
ensuite dans le pays des Ouriankti, à travers les campe-
ments des Kirghîses le long de l'Irtych Noir, jusqu'à Zaï-
sansk.
D'après mes observations, je crois pouvoir affirmer que
EN MONGOLIE OCCIDENTALE. 32n
l'Altaï présente une série <le plis, renversés dans la direc-
tion du sud, et que le Gobi de la Dzoungarie est formé en
pente abrupte. L'Altaï est composé de schistes cristallins
anciens et de schistes talqueux et siliceux. Ces roches sont
recoupées par de nombreux filons de granité, après la
venue desquels le travail du dislocation a continué en don-
nant lieu aux enchevêtrements les plus bizarres : des veines
nombreuses de granité clair semblent parfois alterner avec
les schisles, dont la couleur est foncée. Au sud, l'Altaï est
coupé à pic en différents endroits, de sorte que les sources
de plusieurs rivières sont absolument inaccessibles.
Dans la partie de l'Altaï appartenant à la Mongolie, on ne
rencontre de forêts que dans certaines vallées encaissées.
Toute végétation arborescente est détruite par le souffle
ardent des vents du Gobi. Le Boulgowi et VIrtych .Xoir
coulent au milieu de sables, où ne poussent que des peu-
pliers, des buissons épineux et des joncs dans les endroits
marécageux. Notons une erreur de certains voyageurs
russes qui mentionnent la présence du lœss dans les val-
lées de i'Irtyeh Noir et du Boulgoun. Après un examen
minutieux, nous trouvons que ce qu'ils supposent être du
lœss n'est qu'un produit d'alluvions, du gravier mêlé
d'une boue argileuse. Le lœss typique d'origine subaé-
rienne n'e.xiste pas; mais, en revanche, on trouve beaucoup
de sables mouvants dans la vallée de l'Irtych Noir. En face
de l'embouchure de la rivière de Kliaba, une chaîne de
montagnes est entièrement recouverte de ces sables, de
sorte qu'il est absolument impossible de savoir quels sont
les terrains en place qui en forment l'ossature.
Il existe une mine de houille près du Zaïsansk, dans la
vallée de la rivière h'inderlt. Ce gîte paraît appartenir a
l'époque tertiaire. On a essayé de l'exploiter; mais actuelle-
ment la mine est presque abandonnée. En passant sur la
frontière de la Dzoungarie, j'ai fait l'acquisition d'un bel
exemplaire de cheval sauvage, qui appartient aujourd'hui
326 VOYAGES DE DHITRI KLEMENTZ
au musée zoologique de l' Académie des sciences de Saint-
Pétersbourg. Parmi les autres animaux rares, il faut men-
tionner !a loutre des rivières qu'on trouve encore sur les
bords du Boulfjoun.
La population de l'Altaï est très variée : des Oïrals ou
Oulets sur le versant oriental, les Durbuts au nord-est, les
Torgoouts au sud-est, et des tribus d'Ouriaukh dispersées
dans les montagnes. De toutes ces peuplades, les unes par-
lent turc, les autres une langue mongole.
Dernièrement, celte population s'est accrue de tribus
kirghises arrivées de l'ouest. Ces Kirghises ont conservé
leur costume archaïque, composé d'un cafetan, d'une
ceinture, à laquelle est attachée une sacoche, et d'une
chemise à grand col marin. C'est aussi le costume que nous
voyons sur les statues primitives qu'on trouve partout dans
l'ouest de la Mongolie.
De Zaïsansk, je me rendis à Semipalatinsb,de là à Om
ensuite par le chemin de fer à Pélersbourg.
En -1897, je pris part à deux recherches statistiques con-
cernant la Transbaïkalie. J'ai eu à ce propos à étudier les
mœurs des Bourtats, et j'ai obtenu d'intéressants résultats
au point de vue sociologique. Si nous suivons l'histoire du
développement de ce peuple, nous voyons le passage gra-
duel de la vie de nomades à celle de cultivateurs.
On ne rencontre qu'en Mongolie et parmi les Bouriats,
habitant sur la limite de ce pays, des nomades primitifs,
errant toute l'année d'un endroit à l'autre. Chaque famille
décriL en quelque sorte une orbite déterminée dans l'an-
née. Le changement de camp se fait de la façon suivante.
Lorsque l'endroit choisi ne suffit plus à nourrir les trou-
peaux, des vieillards, ou des personnes désignées pour la
circonstance, sont envoyés à la recherche d'autres prairies,
qu'ils distribuent parmi les membres de leur groupe. C'est
alors seulement que te groupe se met en marche. L'idée
EN MONGOLIE OCCIDENTALE. 327
de la propriété privée de ia terre est inconnue dans ce pays.
La série de campements de ce terrain de parcours forme
le patrimoine de chaque groupe. Ces orbites s'entrecroi-
sent, s'allongent ou prennent une forme serrée suivant les
circonstances. Le premier pas vers une habitation fixe se
présente sous forme d'hivernage amenant nécessairement un
approvisionnement de combustible. Vient ensuite le besoin
d'établir une garde dans les pâturages et les prés. Puis on
commence à entourer de haies les champs appartenant à
une famille, ou plutôt à un groupe avec plusieurs divisions
partielles. Depuis les époques les plus anciennes existe
chez les Bouriats nomades l'irrigation des prairies. Nous
voyons dans l'histoire de leur développement la lutte entre
L'association familiale et la commune basée sur le travail.
Du moment que les nomades commencent à cultiver la
lerre. c'est encore un pas dans la môme direction ; le pas-
sage de la vie de nomades à une habitation fixe se fait très
lentement, car l'élevage assure l'existence avec bien moins
de peines que l'agriculture. Je n'entre ici dans aucun détail
pour éviter des longueurs inutiles ; mais les matériaux que
j'ai rassemblés me serviront pour un prochain travail que
je me propose de faire au sujet de recherches comparatives
des mœurs de différents peuples nomades.
Je suis revenu à Saint-Pétersbourg en novembre 1897;
ainsi, depuis 1885, sans compter quelques interruptions
insigniGantes, j'ai passé douze années en expédition parmi
les Turcs et les Mongols.
Les résultats de ces travaux apparaissent sous la forme
de quelques milliers de spécimens de roches et de fossiles,
plus de 15,000 verstes d'itinéraires, des observations météo-
rologiques pendant cinq années consécutives, des maté-
riaux qui me servent en ce moment à composer une carte
archéologique de la Mongolie du nord, et 400 photogra-
phies.
Notre collection botanique compte plus de 40,000 exem-
328 VOYAGES DE DMITRI KLEMENTZ
plaires, provenant de différentes parties de la Mongolie1.
Comme il n'a rien paru a l'étranger — que je sache —
concernant les expéditions auxquelles j'avais pris pari, j'ai
prié mon ami, M. D, Aïloff, de communiquer ce résumé à la
Société de Géographie de Paris. Je crois que ces expéditions
ont permis de compléter dans une certaine mesure nos con-
naissances sur l'Asie. 11 y a encore beaucoup de lacunes; si
je n'ai pas pu les combler, ce n'est que par suite de défaut
de ressources. Il sufiit de dire que toutes ces recherches
n'ont occasionné qu'une dépense, à des époques différentes,
de 10,500 roubles à peine. C'était tout ce dont je disposais.
Quant aux matériaux se rapportant à l'expédition, ils sont
déjà pour la plupart entre les mains de savants spécialistes.
Personnellement, je serai obligé d'interrompre mes tra-
vaux, car je partirai encore pour cinq mois a Tourfan.
D. Klementz.
HOTE SUR LA CARTE
La carie qui accompagne l'exposé des voyages Je M. Dniiiri
KlcmeDtzen Mongolie Occidentale estdresséed'aprêsles feuillesV,
VI, Mil ei XIV de la carte de la frontière méridionale de la Itussie
d'Asie à l'échelle de 1/1,680,000.
Les itinéraires y ont été tracés par M. Iilemenlz lui-même.
Le figuré du terrain a été omis sur notre carte, le document
russe qui nous a servi de guide l'indiquant lui-même d'une façon
par trop rudiraeulairc ei iraliissant clairement qu'aucun levé, si
sommaire qu'il fût, n'avait servi de base au dessin.
La mélliode des cartographes russes dessinant le figuré du ter-
rain est toujours la même : ils tracent des chaînes de montagnes
1. Ces plantrs seront décrites dans la série d'ouvrage? qui von
publiés sous le titre de f Résultats scienlilîuues des expedllloi
Pijevalsky c.
r
EN MONGOLIE OCCIDENTALE. 329
entre chaque cours d'eau. Lorsque les cours d'eau sont rapprochés,
les chaînons ont la forme d'une chenille ; lorsque, par contre, ils
sont éloignés l'un de l'autre, le dessinateur laisse au crayon litho-
graphique la faculté de s'étaler en arabesques plus ou moins
bizarres.
Ce dessin de la plus haute fantaisie est ensuite religieusement
reproduit par les cartographes européens qui ont à s'en servir.
Nous croyons qu'il vaut mieux s'en abstenir et ne pas dessiner
les montagnes, dont on connaît parfois la structure géologique
et l'extension générale, mais dont on ignore complètement les
formes.
D. AÏTOFF.
SOC. DE GÉOGR. — 3° TRÏMESTRE 1899. XX. — 23
ATJ PAYS DES MOIS
Le comte de BARTHELEMY'
Mes voyages précédents en Indo-Chine m'avaient donné
quelque nolion de fa Cochinchine, du Cambodje, du Bas-
Laos, du Tonquin, du Haut-Laos et du nord de t'Annam.
Il restait pour compléter mes études la partie comprise
entre Hué et la Cochinchine. Au point de vue économique,
des visites aux récentes plantations de l'Annam présen-
taient un gros intérêt ; au point de vue de la géographie et
de l'histoire naturelle, la montagne, le pays des Mois, dont
tant de parties sont absolument inconnues, sont pleins
d'attrait pour le voyageur épris d'imprévu et qui s'intéresse
à l'avenir de notre belle colonie.
Je m'attacherai, dans ce compte rendu, plus spéciale-
ment à la partie géographique, je passerai sous silence
la visite aux plantations pour m'étendre plus longuement
sur l'exploration accomplie en montagne et les travaux
géographiques auxquels nous nous sommes livrés.
Parti de Hué accompagné de mon ami le comte de Mar-
say, j'avais pris pour premier but la route de Hué au Song-
Caï par la montagne. C'était un premier contact, une école,
afin de nous accoutumer aux mœurs des populations mois.
M. de Marsay a collaboré avec moi aux travaux géogra-
phiques. Paul Cabot, le jeune naturaliste qui m'accompagna
il y a deux ans, était chargé de la préparation des pièces
d'histoire naturelle.
Accompagnés de trois lîuhs de Ja milice de Hué, nous dé-
1. Voir la carie jointe à ce numCro.
AIT PAYS DES MOIS. 331
s en remontant le Song-Ta-Voy jusqu'aux derniers
lages annamites.
On sait que les villages annamites ne cessent d'exister
u'à partir de l'endroit où les fleuves deviennent complé-
ment impossibles k remonter en sampans. C'est alors
e commence le pays des Moïs.
Le mot Moï veut dire * sauvage 1 en annamite. C'est
i nom générique, mais la vérité est que la montagne,
s Hué jusqu'à la mission des Bahnars, recèle une con-
sion de races assez diverses où des différences de langage
ft quelque peu de caractère sont fort sensibles.
Contrairement à ce qu'ont prétendu les Annamites aux
mts de l'occupation française, ces régions sont habitées,
s habitées même. Mais les sauvages des sommets n'ai-
ïnt pas à voir menacer leur indépendance. Retranchés
rrière les forets vierges malsaines qui les séparent des
lys civilisés, ils n'ont que difficilement des rapports avec
i côte. Leurs flèches empoisonnées, une réputation de
laulé peul-ëtre exagérée les ont mis à l'abri des tenta-
d'invasion annamites. Ils ont conscience qu'on ne
;t rien contre eux par la force, qu'ils échapperont tou-
; mais on peut beaucoup obtenir d'eux en agissant
c droiture et en prenant sur eux une influence morale.
i) peuple aux lemps héroïques; contrairement aux
inamites, la parole donnée est sacrée pour eux ; ils esti-
!Ht la franchise et la loyauté avec une religion qui les
idrait naïfs et ridicules aux yeux de certains civilisés.
Tel est, dans sa généralité, le caractère des races que nous
à visiter cette année.
Ainsi que je l'ai dit précédemment, nous divisâmes notre
jyage en monlagne en deux excursions : la première de
D-Rraï (premier village moï dans la région de Hué) au
j-Caï; la seconde, plus importante, de Tra-My à la
ssion des Bahnars parles sources du Song-Tracùk et le
a du Krong-Blâ.
332 AU PAÏS DES MOIS.
La première excursion a eu pour but de signaler à l'ad-
ministration deux villages nouveaux. Ce fut le premier
contact avec les populations mois, qui devait être pour
nous une première étude de leur caractère. Ces premiers
pas en montagne nous furent rendus très pénibles par les
pluies incessantes qui ont sévi à Hué et dans les environs
jusqu'à la lin de février celte année.
Au village de Bao-Rraï, nous pûmes observer ce qu'est
le trafic des Annamites de l'intérieur avec les Mois soumis.
Le mouvement commercial ne se monte pas à de grosses
sommes et il s'opère avec de grosses difûcultés. L'Anna-
mite échange des barres de sel, de la pacotille, contre du
bétel, du tabac, des poulets et des porcs. On voit qu'il ne
s'agit pas, de ce côté, de produits bien importants. 11 es!
cependant intéressant de constater ce mouvement très
indicatif de l'activité de la race annamite pour les petites
affaires. On a traité nos sujets d'incapables au point de vue
commercial, c'est à tort. Voici l'opinion réelle à répandre
â leur sujet : excellents petits commerçants parce qu'ils
sont malins et actifs, ils n'ont aucune aptitude pour le
gros commerce, parce qu'ils sont légers et peu calcula-
teurs. L'Annamite est donc un auxiliaire précieux pour
l'Européen qui sait centraliser les efforts individuels de ces
fourmis du commerce.
En face du village de Bao-Rraï, sur l'autre rive du
Song-Ta-Voy, est le premier village moi de la ré-
gion.
Les villages sont composés de pauvres cases surélevées,
mais beaucoup moins que les cases laotiennes; le toit est
en paillote, les murs en planches mal équarries; au centre
du village il y a la maison commune où l'on reçoit les
étrangers. Dans celte maison commune sont accrochés des
trophées de chasse offerts sans doute aux esprits. Au centre
de la place du village, il y a un piquet élevé, couvert de
peintures bizarres et de dessins primitifs représentant gros-
Al< PATS DES. HOlS. 333
sièrement des hommes, des serpents. C'est là que se font
les sacrifices aux jours de grandes agapes. Ces Mois por-
tent un costume des plus succincts. C'est un langouli roulé,
passé entre les jambes et dont l'extrémité tombe sur la cuisse
gauche. Par les temps très froids, ils se couvrent d'une
sorte de manteau multicolore où le bleu sombre domine.
Les villages sout défendus des betes sauvages qui viennent
dévorer les récoltes par des pièges ingénieux. Contre le
tigre, ils placent dans quelques chemins connus des habi-
tants des petits piquets en bambous pointus destinés à
blesser le? pieds de l'animal. Contre les cerfs et les san-
gliers, un piège à ressort est tendu : il consiste en un jeune
e coupé. On le maintient horizontalement au moyen de
: piquets fort solidement Bébés en terre, puis on le
, tendu comme un ressort. Deux lianes, en forme de i,
nettent de tendre l'appareil au bout duquel un pieu
i coupé en javeline est adaplé. Ces pièges sont
■ au jardinet. Lorsque l'animal passe sur une des
le piège part, l'arbrisseau se raidit subitement
trainant la pointe dans sa course; celle-ci, maintenue
Ire deux poteaux assez élevés ; l'animal est transpercé et
-été entre les deux poteaux par l'arme qui l'a blessé. De
nbreux collets assurent la prise des oiseaux et des petits
lifêres. Tous ces pièges sont fort ingénieux, enlière-
nt faits de bois et de lianes. Ils existent chez tous les
:S des montagnes d'Annam.
Nous avons obtenu assez facilement des porteurs, mais
ûlement j usqu'aux villages de Ca-Daû, de Lop et de Bouc.
3 de Bouc fut l'un de ceux que nous découvrîmes
cette première excursion. Nous eûmes beaucoup de
3 à le joindre.
s pluies apportant avec elles les sangsues, et détrem-
t le sol glaiseux des chemins à pic, nous arrêtèrent
i d'une fois et nous procurèrent les mille désagréments
a connus des voyageurs qui ont couru la brousse. Ce ne
334 AU PAYS DES MOÏS.
fut qu'au prix de mille fatigues et de nombreuses chutes
que nous atteignîmes le village.
De Bouc à Bolo, les chemins ne valent guère mieux; il
fallut circuler dans les lits desarroyos avec de l'eau jusqu'à
la ceinture, parfois plus haut. Ce terrain, coupé de quelques
marches en montagne, pour ainsi dire au coupe-coupe,
permet de se faire une idée des difficultés qu'éprouve le petit
commerçant annamite qui fait des transactions aux villages
mêmes. Car le Moi ne se dérangera jamais de chez lui
pour une promesse, il lui faut la sécurité du marché con-
clu. Force est donc aux commerçants annamites de se
rendre aux villages mêmes pour y faire leurs affaires.
Bolo était également un village inconnu des Européens.
Son chef avait un caractère fier et énergique. Il nous reçut
froidement, mais son hospitalité fut aussi large que pos-
sible. Il consentit à nous fournir de vivres, faisant son
prix avec intelligence, sans chercher à exploiter. Le lende-
main, il s'engagea à faire porter les bagages de la Mission
jusqu'à Tia-Dao, village suivant.
D'après une conversation que nous eûmes avec le chef de
Bolo, il est à supposer que l'emplacement du village de
Phù-Hac a dû être changé. Le chef nous confia qu'il avait
été en guerre, il y a peu de temps, avec les gens de Phù-
Hac. « Le village n'existe plus, ajouta-t-il, ils sont tous
morts! » Il est certain que cette assertion est très exagé-
rée. Mais il ne faut pas douter que Phù-Hac, à la suite de
ces événements, a dû abandonner l'emplacement de l'an-
cien village. C'est une des caractéristiques du Moi, aussitôt
qu'une calamité quelconque a frappé le village, de changer
immédiatement son emplacement, ne fût-ce qu'à 500 mètres
delà.
Nous vîmes un exemple de cette coutume à Tia-Dao. Le
village a été porté à 800 mètres de sa primitive position,
l'année dernière, à la suite d'une épidémie de choléra.
A Tia-Dao, on nous a signalé le passage d'un Français
An PATS DES MOIS.
335
ée précédente. L'explorateur était venu accompagné
d'une forte escorte de garde civile annamite. Il fut obligé
de rétrograder, une grande partie de ses hommes étant
atteints des fièvres. Cet explorateur est, croit-on, M. Ri-
chardson, le planteur d'An-Dien. A peu de distance de Tia-
Dao, est le village de Lang-Tié-San, une belle vallée aux
terrains riches et bien irrigués. Cette vallée est habitée par
nue assez forte population moi agglomérée au village. Les
Mois vont souvent commercer à la plantation d'An-Dien.
Le lendemain, à 2 heures de l'après-midi, nous domi-
nions la vallée de la Song-Con ; a 4 heures, nous joignîmes,
sur les bords de la rivière, le premier village annamite,
village de Na, et ce ne fut pas sans un certain plaisir que
nous retrouvâmes les sampans. Après deux heures et demie
île descente, les casques blancs des planteurs d'An-Dien
apparurent, et nous fumes reçus avec cette cordiale hospi-
talité commune à tous les Français habitant l'Indo-Chine.
La plantation d'An-Dien est à la période des défriche-
ments, c'est l'établissement français le plus avancé dans
l'intérieur de la province de Quang-Nam. Elle s'entretient
dès maintenant avec ses rizières et ses cannes a sucre. Des
thés sont préparés par les planteurs pour assurer, dans
l'avenir, un revenu considérable. Nos compatriotes cher-
chent à entrer en relations commerciales avec les Mois de
Lang-Tié-San et de Tia-Dao. Les produits apportés à la
plantation sont le tabac, le riz de montagne, le bétel, le
maïs, le manioc et la patate ainsi que quelques produits
forestiers. Le tabac moï n'est pas désagréable à fumer;
cependant sa fermentation insuffisante n'en fait qu'un tabac
de qualité inférieure, incapable actuellement de créer une
branche de commerce sérieux vers l'extérieur.
Les planteurs d'An-Dien sont en relations commerciales
avec un commerçant de Faî-Foot M. Derobert ; celte mai-
son française fait de grosses affaires avec les Annamites.
Elle leur fournit la pacotille nécessaire pour traverser les
336 AU PAYS DES HOÏS.
régions des Mois et commercer avec ces derniers; la maison
Derobert a exporté l'année dernière sur France 70,000 kilo-
grammes de Ihés, vendus sons le nom de thés de l'Aanam.
]jes commerçants se sont servis d'Annamites formés par
le Père Maillard pour apprendre aux * Nha-Qués » à
couper les petites feuilles et jeunes pousses qui seules sont
employées pour faire le thé au goût européen. Les affaires
de la maison Derobert vont tous les ans en croissant et
auraient pris de très grosses extensions si les frets sur
France n'étaient pas si onéreux. On manque de navires
actuellement pour transporter les produits de l'Indo-Chine,
Nous avions obtenu ce que nous désirions en visitant
cette première région : nous savions désormais à quoi nous
en tenir sur le caractère moï et pouvions nous risquer à
marcher plus vers l'intérieur dans des régions moins con-
nues et plus intéressantes. Une des plus curieuses et des
moins parcourues était la région de Tra-My et la chaîne de
partage des eaux du Laos de ce côté. L'intérêt que je porte
spécialement aux questions économiques me fit arrêter
quelques jours chez mon ami M. Alfred Ilerbet, fondateur
de la Société des Mines de Bung-Miù; j'ai déjà parlé de
cette affaire il y a deux ans. Elle était alors à ses débuts,
on déterminait les périmètres de recherches et les pre-
miers plans étaient préparés, dans la brousse, pour l'ex-
ploitation future. Aujourd'hui, une usine à broyer le quartz
a été faite. L'eau de la pittoresque chute qui traverse la
concession a été employée comme force motrice. Un che-
min de fer aérien joint les galeries de mine à l'usine, une
colonie européenne s'est créée et de nombreuses cases de
mineurs annamites ont remplacé la jungle. C'est une com-
plète transformation, et cela en deux ans! On ne peut que
louer l'activité des directeurs, et spécialement de M. Alfred
Herhel, qui a pu obtenir de sérieux et très sensibles résul-
tats. Bung-Miù ne fut pour nous qu'une étape vers le pays
moï, notre rentable but Gt fut a Tra-My que
gam-
AL' PAVS DES MOIS. 337
sèmes complètement notre expédition. On sait que Tra-My
est célèbre en Indo-Chine pour l'important commerce de
cannelle qui s'y fait avec les Mois.
Malheureusement tout ce commerce est entre les mains
des Chinois de Fal-Foo, soutenus par les mandarins anna-
mites de la province. 11 se monte à 1,600,000 francs. L'ad-
ministration en connaît depuis longtemps l'existence, elle
a cherché, mais vainement, à mettre la main sur cette
importante affaire.
Elle y établit d'abord une régie; on dut renoncer à ce
système à cause des difficultés de pénétration chez, les Mois
de ce côté. Les Mois n'acceptent de descendre que porteurs
de marchandises achetées chez eux et accompagnés du
commerçant qui a commercé avec eux. lis ne se soucient
pas de descendre en pays annamite seuls, et pour le compte
d'autres que les mandarins de la province. C'est ce qui
explique comment la seconde tentative de l'administration
ne réussit pas mieux que la première. Les résidents créè-
rent, sur l'ordre de M. Boulloette, résident supérieur, que
celte question intéressait beaucoup, une série de s Marchés
mois ». Ainsi, pensait-on, les Mois pourraient commercer
librement avec les Annamites, mais seraient moins volés
par ces derniers, surveillés par un garde principal. La mau-
vaise volonté des mandarins fit échouer ce projet.
Cela se comprend assez facilement. L'Annamite qui
monte dans la montagne offre pour -10 kilogr. (une charge)
de cannelle, valeur 200 piastres à la côte, le modeste
échange d'un buffle(12 à 15 piastres). Encore ne payent-ils
pas toujours. Alors les Mois descendent sur le pays anna-
mite et se payent en esclaves qu'ils vendent au Laos. Cette
répression sauvage nous ayant émus, nous avons pris parti
le plus souvent pour les Annamites et usé de représailles
contre les Mois. De là cette méfiance avec laquelle ils
reçoivent, de ce côté, les Européens. Ajoutons à cela quel-
ques explorations conduites brutalement, et nous pouvons
338 AU PAYS DES MOÏS.
nous estimer heureux que la région n'ait pas été, en raison
de ces différents faits, complètement fermée.
Nous eûmes nous-mêmes à souffrir du mécontentement
que les Annamites éprouvent à voir passer les Européens de
ce côlé. Les porteurs, obéissant sans doute à quelque mot
d'ordre des mandarins, ne tardèrent pas à chercher a. faire
le vide autour de nous et à fuir dans la forêt avec leurs
charges. Nous dûmes surveiller nous-mêmes, avec notre
escorte1, chacun un certain nombre de charges fusil au
poing. Nous avons mis d«ux jours à atteindre le premier
village nioï de Tra-Vian. L'emplacement de ce village a été
changé ù la suite d'une dure leçon que lui avait infligée un
explorateur précédent. Il a été transporté à 800 mètres de
son ancienne situation. Tra-Vian est habité par desDaviats,
Mois de celte région; il est fortement palissade et défendu
par des pieux en bambous inclinés à 45° rendant les abords
de la palissade très difficiles. On ne peut pénétrer dans le
village que par une porte étroite par laquelle un seul
homme peut passer difficilement en se baissant. Les alen-
tours sont défendus par des pièges et des petits piquets. La
forteresse est excellente contre des gens armés de lances et
d'arbalètes. Ce ne fut pas sans palabres que nous pûmes
obtenir des coolies mois pour le lendemain matin. Par
contre, ce ne fut pas sans plaisir que nous licenciâmes nos
coolies annamites.
La troupe se trouva donc réduite à 2 Européens, 3 mili-
ciens annamites, 3 boys, 2 coolies annamites, qui avaient
demandé à suivre l'expédition jusqu'à Quin-Nhone; enfin,
deux chiens européens qui rendirent bien des services au
cours du voyage en faisant bonne garde dans notre case ou
nos campements.
Mes voyages précédents chez les Muongs et les Méos,
notre court séjour chez les Mois de Hué, tout cela m'avait
i. 8 liulis, 1 bèp de lii milice de Tourace.
ris à i
AU PATS DES MOIS. 331
s rendre compte que de petites escortes biei
.ies valent mieux qu'un grand nombre d'hommes, dif-
surveiller et auxquels il est plus facile de com-
Ire des abus. Combien d'explorateurs ont été attaqués
sans savoir pourquoi, et uniquement par suite des mala-
dresses de leurs hommes.
Nous voulions à tout prix éviter les conflits dans la mon-
tagne d'Annam. Une exploration mal menée là-bas pour-
rail fermer à tout jamais la pénétration pacifique que
recherche avec juste raison notre administration.
Les Davials différent des Mois de la région de Hué en ce
que leurs yeux sont plus fendus en amande ; ils se couvrent
d'oripeaux en cuivre et circulent toujours armés. C'est une
population guerrière et certainement plus sauvage que celle
du nord. Jusqu'au village de Nuoc-Mao, il se fait un impor-
tant commerce de cannelle. On trouve cet arbre vers le
Nnoc-Méo et le Song-Tracùk, mais les habitants ne com-
mercent de ce côté que de village à village, entre Mois.
Jusqu'à Man-Ré, toutes agglomérations sont défendues et
fortifiées à la façon de Tra-Vian.
Nous devions, à chaque village, déployer un certain céré-
monial que je ne saurais trop recommander et qui en
impose aux sauvages. Nous envoyions en avant notre dra-
peau porté sur la lance d'un chef moï, généralement celui
du village précédent. Le chef demandait alors pour nous
l'entrée du village et des porteurs pour le lendemain. ». Les
< Français, disait-il, ont des armes terribles, ils ne s'en
« serviront que si ies Mois n'acceptent pas leurs conditions.
i Étant forts, ils sont bons, ils payent leurs porteurs et
i loul ce qu'ils demandent, » La discussion durait tou-
jours longtemps et souvent des difficultés s'élevaient qui
forçaient à prendre l'attitude menaçante.
Parfois il nous arrivait de* aventures comiques. Unjour,
nous nous trouvâmes en face d'un village qui buvait le
choum-cuoum depuis trois jours et dont tous les habitants
340 AU PAYS DES MOIS.
étaient complètement gris. Les malheureux se croyaient
perdus, sentant eux-mêmes qu'ils étaient en complet état
d'infériorité. C'est une coutume chez les sauvages, où l'es-
prit communiste domine avec l'esprit féodal, de mettre en
commun tout leur superflu pour le consommer dans de
grandes fêtes publiques qui durent tant qu'il reste quelque
chose à hoire ou à manger.
De village à village nous nous rendîmes aux régions du
H au t-S on g-T ra cù k .
Passons aux résultats géographiques obtenus par nous
dans cette contrée complètement inconnue. Une erreur
assez forte existe sur la carte Pavie ; celle-ci porte le
cours du Nuoc-Méo dans une direction toute différente de
celle que nous avons relevée (sud-est). La direction donnée
parles renseignements fournis aux topographes de la mission
Pavie pourlecoursdu Nuoc-Méo était est et ouest rejoignant,
à une quarantaine de kilomètres de Man-Ré (itinéraire Gar-
nîer), le Song-Tracùk. Cette dernière rivière a également un
cours beaucoup pins ouest. La carie Pavie le porte nord-sud.
Ce sont ces erreurs de cartes qui lîrent que, pendant
quelques jours, nous avons cru être sur le Song-Bâ, alors
que nous reconnaissions le cours du Krong-Blâ, fleuve
appartenant au régime du Laos. Les sources du Song-
Tracùk et celles du Bà ne sont donc pas nord-sud, l'une par
rapporta l'autre, ainsi que l'indique la carte Pavie. Il suf-
fit d'ailleurs de jeter un regard sur les deux cartes pour se
rendre compte des différences lopographiques importantes
que nous avons relevées.
Nous traversâmes donc la ligne de partage des eaux du
Laos, passant par des altitudes de 1,000 mètres et relevant
des altitudes plus élevées (2,000 m. environ) pour tomber
sur les sources du Krong-Blà.
Le Bla, appelé dans le SedangDak-Ngai ' (Nuoc-Ngai par
1. D.ik, eau, sedang; Kuoc, e
AD PAYS DES MOIS. 'Ml
les Annamites), esl formé de deux torrents, le Dak-Là et le
Ltak-Lâii, Ils se réunissent dans un lieu appelé Con-Tan,
gros village sedang très important, parce qu'il est le point
de bifurcation de plusieurs roules vers le Laos, notamment
celle suivie par Garnier du Dak-Psi. Tout près de Con-Tan,
le BIA coule avec déjà un volume d'eau considérable dans
une large et magnifique vatiée. Là, les Sedangs cultivent à
l'annamite et ce lieu parait très sain.
Les habitants nous montrèrent une grande déliance. On
lirait pu croire qu'ils avaient conscience de la richesse de
ir pays et qu'ils craignaient de la voir signaler. Les chefs
: vinrent qu'après cinq heures de palabres et sur la
mace d'attaquer le village.
jes Sedangs sont plus grands et plus forts que les
riais; leurs villages ne sont pas fortifiés, mais cachés
s les bois el fort bien dissimulés. Comme les Davîats,
ls circulent loujours armés. Les mais enguirlandés et ornés
le dessins des Daviats n'existent pas au milieu de leurs vil—
; cependant ils ne sont pas exempts de superstitions,
t nous nous trouvâmes arrêtés- au village de Rreun par
! sorcière. Celle-ci occupait un pont de liane et nous
iait de ne pas avancer, de ne pas offenser les esprits en
mt dans la partie qu'ils hantaient. Nous lui répondîmes
ravement que nous ne voulions pas offenser leurs
, mais que nous ne voulions pas y croire. En
inséquence, nous demandâmes qu'on nous construisît une
e sur les bords du Blâ, non loin du village. Les habitants
e montrèrent pleins de reconnaissance pour notre magna-
mité. Cet acte, qui fut interprété sans doute à une valeur
mcoup plus haute que nous pensions, nous sauva la vie le
mdemain à Yo-Chié. Une bande pillarde engagea iO de
i hommes parmi les porteurs de l'expédition. Cent
mires hommes attendaient dans la montagne, deux
îommes énergiques avaient élé chargés de tuer d'un coup
t lance chacun des Européens. Le village de Yo-Chié
342 AU PAYS DES uots.
refusa de tremper dans le complot et le chef de ce village
prévint notre interprèle. Notre attitude heureusement
intimida les bandits qui gagnèrent les sommets avoisinants,
et te chef du village de Yo-Chié, par une cérémonie d'al-
liance solennelle consistant à boire ensemble le sang d'un
poulet, assura un passage facile à notre petite troupe dans
tous les villages suivants jusqu'à la mission des Bahnars.
Entre Néa et Yo-Chié, on traverse de vastes plaines bien
irriguées ; plus loin, ce sont des forêts jusqu'à Roup. De là,
on passe par de hauts plateaux fort riches et qui paraissent
très sains. Le pays conserve cel aspect jusqu'à Con-Lang.
C'est à ce village que commence à se faire sentir l'influence
des pères de la mission. Les villages sont catholiques ou
catéchumènes à partir de ce point. L'influence morale des
pères s'étend beaucoup plus loin, jusqu'à Yo-Chié. Ce ne
sont alors que des traditions de montagnards à monta-
gnards. Les habitants savent qu'il existe bien loin des Fran-
çais très puissants et très bons ; ils sont prêts à les recevoir
avec plaisir. C'est peut-être à ces bruits que nous devons
d'avoir trouvé tant de dévouement dans le chef de Yo-Chié.
La mission des Bahnars, est composée de sept Pères; ils
ont chacun un énorme district à surveiller et évangéliser.
Leur activité est très grande et, grâce à elle, ils sont arrivés
à grouper autour d'eux près de 1,000 sauvages dont ils
obtiennent, assez difficilement d'ailleurs, un peu de travail.
Les Pères nous donnèrent d'intéressants renseignements
sur la constitution des vill âges mois : le village est divisé en
maisons; chaque maison a son chef propre, c'est le père de
famille; celui-ci représente les intérêts de la maison au
conseil des anciens.
Le conseil des anciens discute des intérêts intérieurs du
village, il règle les différends de maison à maison, tes fêtes,
la consommation en commun du superflu au moment de la
rentrée des récoltes nouvelles.
Cependant il y a un chef de village, c'est généralement
iu PAYS DES xols. 3i3
jeune homme fort et actif. Dans certains villages, il est
me par le conseil ; dans d'autres, c'est un fils d'une
famille privilégiée. J'ai pu observer qu'au village de
., le chef avait une dizaine d'années, il était assisté d'un
jeune homme d'une trentaine d'années qui commanda les
s pour lui, mais lui remit le cadeau que nous desti-
s ordinairement aux chefs.
Le chef du village est chargé des rapports du village avec
iitérieur, il est chef de guerre et son commandement est
jrême en ce cas. En temps de pais, le conseil des anciens
t généralement consulté
Celte constitution, pour toute simple qu'elle soit, n'esl-
e pas des plus raisonnables? Elle repose cependant sur
e simple bon sens d'hommes ignorants.
Les Pères, après nous avoir fait visiter la mission dans
l plus complets détails, nous ravitaillèrent généreuse-
snt, car nos vivres étaient depuis longtemps épuisés, et
tous prêtèrent même leurs éléphants. Dès lors, nous sui-
mes la route bien connue de la Mission à An-Kê et d'An-Ké
Binh-Dinb, afin deprendre la route mandarine et descendre
a Pban-Rang, but de notre voyage. Nous abandonnâmes
s lors la géographie proprement dite pour nous livrer a
: éludes économiques et spécialement aux visites des
lelques plantations françaises qui débutent actuellement
ins ces régions.
ÏETEMHILOGIE HE LA PALESTINE ET DE LA SÏME
L.© E. F. ZUMOFFEN S. T.
La Palestine est devenue un vaste champ de recherches :
toutes les parties en sont explorées, tons les monuments
sacrés et profanes étudiés avec soin et minutieusement dé-
crits, les localités bibliques identifiées, (andis que la météo-
rologie de cette contrée semblait rester en retard jusqu'à
ces dernières années. On était réduit à quelques observa-
tions isolées ou incohérentes, ii des appréciations trop sou-
vent basées sur des impressions personnelles des voyageurs.
Mais, grâce à l'initiative du comité anglais Palestine ewpto-
ration fuitd, nous possédonsaujourd'hui des séries d'obser-
vations précises et non interrompues, qui permettent de
nous faire une idée assez exacte des conditions climatéri-
ques de la Terre Sainte.
Les observations ont été faites tous les jours ?ers9 heures
du matin, à Jérusalem depuis 1861 jusqu'à 1896, à Jaffa
(Sarona)de 1880à 1889', à TibÉriade de 1890àl896; elles
onl été discutées chaque année par le savant météorolo-
giste M. Glaisher et le résultat en a élé publié dans le
(Juarterly Statement. Ce son! ces observations, éparses dans
i*Lé malheureusement inter-
1 MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 345
lublication anglaise et à peu près inconnues en dehors de
Grande-Bretagne, que j'ai réunies et dont j'ai déduit les
éléments météorologiques qui vont suivre.
A Beyrouth, les observations ont été faîtes trois fois par
jour et ont paru dans la Zeitschrift fiir Météorologie de
Vienne.
Il est regrettable que nous ne possédions pas de rensei-
gnements positifs sur la climatologie des autres parties de
la Palestine et de la Syrie.
Après avoir exposé les données météorologiques telles
qu'elles ressortent des observations directes, il nous restera
à examiner une question assez souvent agitée, à savoir si les
conditions climatériques de la Palestine et de la Syrie ont
subi une modification depuis les temps bibliques.
I. — Pression atmosphérique.
Dans le tableau n- 1 (p. 346), toutes les hauteurs baro-
métriques, sauf celle de Beyrouth, ont été ramenées à la
température de 0°. Ce tableau donne la hauteur moyenne
du baromètre pour chacun des mois de l'année; il montre
fin outre que la pression atmosphérique varie avec les sai-
sons et les différents mois de l'année; qu'elle atteint son
maximum aux mois de décembre et janvier; qu'elle baisse
ensuite insensiblement jusqu'à son minimum qui arrive au
mois de juillet. A Paris, le minimum s'observe ordinaire-
ment au printemps vers le mois d'avril.
Jérusalem (lat. N. 31*47' et 32°53' long. Est de Paris) est
située à une altitude de 762 mètres. Dans l'espace de 36 ans,
le maximum absolu de la pression atmosphérique observé
à Jérusalem a été 706 millim. 5, le 31 décembre 1879,
et le minimum absolu 685 millim.,* décembre 1896 el
avril 1863. Le plus grand écarta été 21 millim. 5.
Le maximum moyen pendant ce môme laps de temps a
soi:, de niant.. — 3" trimestre 1899. XX. — U
340 LA MÉTÉOROLOGIE HE LA PALESTINE ET HE LA STEIE.
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LA MÊTÉOHOLOGir: DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 347
É 704 millim. 5 et le minimum moyen 687 millim. 7. La
ifférence est 16 millim. 8. L'amplitude des oscillations
myennes mensuelles est 7 millim. 8; elle est plus grande
e décembre à avril (10 millim. 7) et plus faible de mai à
novembre (5 millim. 6).
Tibériade (lat.N. 32-48' el 33°14' long. Est de Paris) étant
située à 208 mètres au-dessous de la Méditerranée, la hauteur
barométrique est supérieure à la pression atmosphérique
normale au niveau de la mer (760 millim.). Le maximum
absolu a été 793 millim. 03, novembre 1893, et le minimum
absolu 767 millim. 08, aoûL 1895. L'écart est "2D millim. 9;
c'est la plus grande amplitude des oscillations barométri-
ques à Tibériade. La variation moyenne mensuelle est de
Il millim. La plus grande (16 millim.) a eu lieu au mois de
janvier, el la pins faible au mois de juillet {6 millim. 5).
Jaffa(Sarona,lat.N. 32"-ieL32"271ong.EstdcParis)aeusoi>
maximum absolu (769 millim.) au mois de janvier 1887 et son
mitiimumabsolu(747millim.)aumoisdejuin.L'écartextreme
a ét622 millim. L'oscillation moyenne mensuelle est 10 millim.
II. — Température.
Le tableau n° II (p. 34K) donne la température moyenne
mensuelle; il montre que la température moyenne annuelle
est 16°7 centigrades à Jérusalem, 22°4 à Tibériade, 19"3 à
JalFa et20o4 à Beyrouth ; que la chaleur suit une marche
ascendante de janvier à août et décroît au contraire d'août
à janvier; que le mois le plus chaud est celui d'août et le
mois le plus froid celui de janvier. Les saisons météorolo-
giques établies d'après la marche moyenne de la tempéra-
ture sont parfaitement applicables à la Palestine, avec cette
différence, cependant, queles saisons intermédiaires, prin-
temps el automne, sont plus courtes que l'été el l'hiver et
moins tranchées qu'en Europe. La température reste sen-
348 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA STRIE.
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LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE, 349
ment égale pendant les mois de décembre à mars, puis
rapidement durant le mois d'avril, ne subit guère de
indes variations du milieu de mai jusqu'au milieu d'oc-
e et tombe enfin très brusquement dès que les pluies
meucent.
e maximum absolu a été : à Jérusalem i~2°i {juin lS'.i-l),
ibériade 44°4 (août 1896 et juin 1894), à Jalïa U'i (juin
t6), à Beyrouth 38"8 (mai 1876). Le minimum observé à
îalem a été — 3°5au-dessous de zéro (janvier 1890), à Ti-
iriade 1"1 (Janvier 1890), à Jaffa 0° (janvier 1880 et fé-
ier 1884), à Beyroulh 1°7 (janvier 1874). Le plus grand
t a donc été à Jérusalem 45'7, à Tibériade 43"3, à Jaffa
* et à Beyrouth 37"1.
i différence des moyennes de tous les maxiina et de tous
a absolus nous donne l'oscillation annuelle du
thermomètre.
Jkiii S*LEM. 'l'iHÉid U'i.. Un-\. i.KVH'.i m.
Maximum moyen. 38"5 12"7 39"4 36" 8
L'écart annuel de température est le même à Jérusalem
et à Tibériade et supérieur à celui de Jaffa et de Beyrouth ;
cela lient probablement au voisinage de la Méditerranée.
Le mois le plus chaud est celui d'août, et pourtant les
raaxima s'enregistrent dans tous les mois depuis avril jus-
qu'à novembre; les minima s'observent ordinairement aux
mois de janvier et de décembre.
Oscillation mensuelle. — La variation moyenne men-
suelle de la température est 22° à Jérusalem, 23" à Tibé-
riade, 21° à Jaffa et 18" à Beyrouth. L'oscillation thermo-
métrique est maxima pendant les quatre mois : mars, avril,
mai et juin; elle atteint à Beyrouth 22' centigrades et varie
dans les trois autres localités de 24° à 27*. La varia- _
35fl LA MÉTÉOROLOGtE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE.
Lion est moindre vers les mois de juillet et août, plus grani
en octobre et novembre et minima pendant l'biver : dé-
cembre, janvier et février. Durant ces derniers mois, elle
est 17° à Jérusalem et a Beyrouth et 20° environ à Tibériade
et â Jaffa.
Oscillation diurne. — La différence de la plus haute te
péralure du jour et de la plus basse température de la nuit
donne la variation diurne du thermomètre, qui est en
moyennell"àJérusalemJ 12" à Tibériade, H°àJaffa et 9°3
à Beyrouth. L'oscillation diurne est plus prononcée en été
qu'en hiver. A Jérusalem, elle varie de mai a novembre
entre 10° et li°; pendant l'hiver, elle est à peine 8° degrés
centigrades. A Tibériade, elle est 15° en été (juin, juillet et
août); durant les autres mois de l'année, elle varie entre
10" et 13". A Jaffa, l'oscillation diurne maxima existe en mai,
juin et novembre (12*5), et minima en décembre, janvier
et février (9°5). A Beyrouth, la variation diurne est ÎO en
août, septembre et octobre, et 8° pour les autres mois.
A Jérusalem, chaque_année il gèle en moyenne 5 ou 0
nuits, mais la glace résiste rarement à la chaleur du jour
suivant, à moins d'être abritée.
La température moyenne annuelle pour la période de
8 ans 1882-1889 a été àJaffa 19"2 et à Jérusalem 16-7. L'os-
cillation mensuelle pour la même période a été 21*3 à Jaffa
et 22û2 aJérusalem. L'oscillation diurne aété la mémedans
les deux localités.
La température moyenne annuelle pour la période de
7 ans 1890-1896 a été à Tibériade 22*5 et à Jérusalem lfi°7.
L'oscillation mensuelle est 23" à Tibériade et 21"6 à Jéru-
salem. L'oscillation diurne ne diffère que de 1 degré dans
les deux villes (M" à Jérusalem et 12*2 a Tibériade),
m-
A MÉTÉOROLOGIE 1>E LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 351
III. — Pluies.
leau de la page 352 montre la moyenne mensuelle Je
pluie reçue dans les quatre localités. La moyenne annuelle
d'eau pluviale a été 654 millim. à Jérusalem, 536 millim. &
Tiùériade, 549 millim. à Jaffa et 921 millim. à Beyrouth. Il
pleut plus à Beyrouth que dans les trois villes palestiniennes.
Celte différence doit être attribuée au voisinage du Liban
dont la température est assez basse pour condenser les va-
peurs d'eau amenées par les vents du sud-ouest et de
l'ouest. On remarquera que les mois sans pluie sont juin,
juillet, août et septembre pour la Palestine, et que les mois
les plus humides sont parlout ceux de décembre, janvier
et février. Les deux tiers environ de la quantité totale
annuelle de pluie tombent pendant ces trois mois et l'autre
tiers se répartit sur les mois de mars, avril et novembre.
Les années les plus humides ont été a Jérusalem celle de
1888 avec une chute d'eau de 959 millim,, dont 416niillim.
sont tombés dans le seul mois de décembre, et celle de
1890, qui mesurait une hauteur d'eau pluviale de 901 millim .
Les années les plus sèches ont été 1870, où l'on n'a recueilli
que 330 millim., et 1889, où la quantité de pluie ne dé-
passait pas 344 millim.
A Tibériade, l'année qui a reçu le plus d'eau est 1893, où
il en est loin hé 650 millim.; celle au contraire qui en a
«eu le moins est 1895. oui! est tombé seulement 364 millim.
de pluie.
A Jaffa, l'année la plus pluvieuse a été 1883, qui mesurait
une hauteur d'eau de 763 millim., et l'année la plus sèche
1889, qui n'a reçu que 342 millim. de pluie.
Beyrouth a eu son maximum de pluie de 1,307 millim. en
1877, et son minimum de 763 millim. en 1876.
A Jérusalem, dans l'espace de 36 ans (1861-1896), les pluies
352 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET OE LA SYRIE.
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LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA STMË. 353
ont commencé 20 fois au mois d'octobre, 14 fois en no-
vembre, 1 fois en septembre et 1 fois en août. Les dernières
pluies sont tombées 12 fois au mois d'avril et 21 fois au
mois de mai et 2 fois en juin.
Pour la dernière période de 1882-1896, il y a eu en
moyenne 150 jours consécutifs sans pluie, la saison de sé-
cheresse la plus longue a été de 196 jours en 1887 et la
plus courte de 116jours en 1885. Pour la période anté-
rieure de 1861-1882, la saison sèche durait en moyenne
117 jours, la plus longue 211 et la plus courte 134 jours. La
longueur de la saison sèche semble avoir diminué dans ces
derniers temps.
A Tibériade, les premières pluies sont arrivées 3 fois au
mois d'octobre, 3 fois en novembre et 1 fois en décembre ;
les dernières averses sont tombées 2 fois au mois d'avril et
5 fois en mai. La durée moyenne de la saison sèche est de
191 jours. La plus longue a été 218 jours en 1896, où il n'a
pas plu depuis le 9 avril jusqu'au 14 novembre, et la plus
courte 142joursen 1895.
L'année peut être divisée en deux parties approximative-
ment égales : la saison d'humidité qui dure 6 mois, de no-
vembre àavril, et la saison de sécheresse qui dure autant, de
mai à octobre, car la quantité d'eau tombée à Jérusalem et
à Tibériade pendant les mois de mai et d'octobre est si
bible qu'on peut les considérer comme des mois sans
pluie.
A Jaffa, les premières pluies ont paru 6 fois en octobre et
4rois eo novembre; les dernières averses sont tombées 7 fois
au mois de mai et 3 fois au mois d'avril. La saison sèche a
doré en moyenne 172 jours, la plus longue 215 et la plus
courte 147 jours.
Lorsqu'on compare les moyennes annuelles d'eau plu-
viale tombée à Jérusalem dans l'espace de 36 ans, on
ne tarde pas à s'apercevoir que les pluies ont notablement
augmenté dans ces dernières années. En effet, depuis 1861
:&i LA MÉTÉOnOLOaiB DE LA PALESTINE ET DE LA STBIE.
jusqu'à 1878, la moyenne annuelle n'avait jamais atteint la
hauteur de 763 millim. et, depuis 1878 jusqu'à 1806, il y a
eu au moins 13 ans dont les chutes annuelles dépas-
saient ce chiffre; mais comparons la moyenne des chutes
d'eau annuelles de deux périodes égales de 16 ans par
exemple : la moyenne de la première période de 1861 à
1876 est 577 millim., et 737 millim. pour la seconde période
de 1881 à 1896. La différence est 160 millim. ou lficentim.
Les années consécutives de 1869 à 187 3 constituaient
une période de sécheresse de 5 ans; la quantité d'eau an-
nuelle de chacune de ces années restait au-dessous de la nor-
male qui est de 654 millim. ; mais depuis 1873 les pluies ont
commencé et continuent à augmenter graduellement. C'est
une chose extraordinaire. Pour le moment, il serait difficile
de dire si l'année 1873 a été la dernière d'une période de
sécheresse ou s'il y a un changement dans le climat. Les
observations ultérieures décideront.
Il existe une très grande différence entre les quantités
d'eau tombée dans le même mois de différentes années :
ainsi la chute d'eau du mois de janvier de 1873 a été
3 millim. et celle du même mois de 1878, 340 millim.
La quantité d'eau tombée pendant le seul mois de décem-
bre de 1888 a été 416 millim. ; elle est supérieure aux
chutes d'eau annuelles de 1864, 1870 et 1889.
Les pluies peuvent tomber par tous les vents; cepen-
dant les vents pluvieux sont ceux du sud-ouest et de
l'ouest. Sur 506 chutes d'eau à Jérusalem, 238 ont eu lieu
par le vent du sud-ouest, 156 par le vent d'ouest, 40 par le
vent du sud-est, 19 par le vent du sud, etc.
Il neige parfois à Jérusalem dans les mois de décembre,
janvier ou février; mais la couche de neige est ordinaire-
ment peu épaisse et fond promptemenl. La plus grande
quantité de neige est tombée du 28 au 29 décembre 1879 ;
la hauteur mesurait plus de 40 centimètres.
Jérusalem a reçu en moyenne annuelle 694 millim. d'e
- Jours de pluie.
LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET IIE LA SYRIE. 355
pluviale en 57 jours pour la période de 10 ans, de 1880-
1889, et Jaffa 545 millim. en 59 jours pour le même laps
de temps.
La quantité moyenne d'eau tombée à Tibérïade pendant
la période de 7 ans 1890-1890 a été 530 millim. en 59 jours,
et à Jérusalem, pour la môme période, la chute d'eau
moyenne a été 811 millim. en 65 jours. Il pleut plus à
Jérusalem qu'à Jaffa et à Tibériade, mais les pluies sont
plus régulières dans ces deux dernières localités.
pluie pour chaque mois de l'année. Le nombre moyen an-
nuel de jours de pluie est à Jérusalem 55 jours, à Beyrouth
80 et à Tibériade et à Jaffa 50 jours. Le nombre le plus élevé
de jours de pluie a été, à Jérusalem, 73 jours en 1890; et le
nombre le plus faible 36 jours en 1861 et 41 jours en
1870 et 1889. A Tibériade, le maximum a été 70 jours en
1890, el le minimum 48 jours en 1895. A Jaffa, le plus grand
nombre de jours pluvieux a été 71 jours en 1883, et le
plus petit 43 jours en 1887. On remarquera aisément que
le nombre de jours de pluie ne diffère pas notablement
dans les trois localités palestiniennes.
A Jérusalem, le nombre de jours pluvieux a augmenté
dans ces derniers temps comme la pluie elle-même. En
prenant la moyenne des jours de pluie de deux périodes
égales à 16 ans, nous trouvons pour la première période,
1861-1876,52 jours el pour la seconde, 1881-1896, 60 jours.
La différence donne une augmentation de 8 jours.
Nous avons vu plus haut que la hauteur moyenne annuelle
d'eau pluviale était à Jérusalem 651 millimètres, a Tibé-
riade 536 millimètres et à Jaifa 54'J millimètres. C'est à peu
es la même quantité de pluie qui tombe a Paris et à
35'ï LA MÉTÉOROLOGIE CE LA PALESTINE ET DE LA STRIE.
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•es. An pan: Sainl-Maur, station météorologique du
i de Paris, la moyenne annuelle de pluie recueillie
5 10 ans est de 540 millimètres; eile diffère très peu
Jle de Tibériade et de Jaffa; la France reçoit approxî-
ivement 080 millimètres d'eau pluviale par an. La
Leur moyenne de pluie recueillie à l'observatoire de
mwich pour la période de 50 ans (1841-1890) est de
aillimètres; le bassin de la Tamise reçoit, année
nne, 050 millimètres d'eau, quantité peu différente
«lie qui tombe à Jérusalem.
Il tombe autant d'eau en Palestine qu'à Paris et à Lon-
s quelle différence dans la répartition des eaux
viales ! Toute la quantité annuelle de pluie tombe en
sstine en 55 ou 00 jours, tandis qu'à Paris et à Londres
5 même quantité est répartie sur 150 jours environ. En
lestine, la valeur d'un jour de pluie est en moyenne
9 à 11 millimètres, elle n'est que 4 millimètres à Paris et
à Londres. Les pluies en Palestine sont plus fortes, plus
violentes qu'en France; une seule averse donne fréquem-
ment 1,2, jusqu'à 3 centimètres d'eau et dans l'espace d'un
jour le pluviomètre reçoit assez souvent 4, 5, 8, jusqu'à
10 centimètres de pluie, mais ces ondées durent peu de
temps. Les jours où il pleut du matin jusqu'au soir, sans
discontinuer, sont assez rares. Les pluies unes, continues,
pénétrant lentement dans le sol et si utiles à la culture, sont
presque inconnues dans ces régions. Ce sont des averses
torrentielles qui tombent sur un sol pierreux et dénudé;
l'eau pluviale ruisselle sur les pentes, se réunit dans les
dépressions et court à la Méditerranée ou à la mer Morte.
Le soleil qui paraît après une averse est assez chaud pour
évaporer le reste de l'humidité, de sorte que la portion
d'eau atmosphérique vraiment profitable à la végétation
est bien plus faible en Palestine qu'en France.
En outre, il pleut en France tous les mois de l'année,
la quantité de pluie en été est plus grande que celle qui
358 lai MÉTÉOROLOGIE UE LA PALESTINE ET DE LA SÏH1E.
tombe en hiver, elle est presque totalement bue par la
végétation. En Palestine, il ne tombe pas d'eau durant
5 ou 6 mois consécutifs, et les deux tiers de la quantité
totale annuelle tombent de décembre à février, à une époque
où la végétation, sans être complètement interrompue, est
du moins considérablement ralentie à cause de la basse
température dont la moyenne n'est que 8° centigrades,
sauf sur le littoral et dans la dépression du Char.
Humidité de l'air.
Le tableau n° V (p. 359) présente l'humidité de l'air pour
chaque mois de l'année. Le point de saturation est repré-
senté par le chiffre 100. L'humidité relative annuelle a été,
à Jérusalem 59 p. 100, à Tibériade 56, à Jaffa 65 et à
Beyrouth 68 p. 100. Les mois les plus humides sont par-
tout, en Palestine, ceux de décembre, janvier et février;
et les mois les plus secs, mai, juin, juillet, août, septembre
et octobre. A Tibériade et à Jaffa, l'humidité a été un peu
plus grande.
Les oscillations hygrométriques sont souvent considéra-
bles à Jérusalem et montrent le plus grand contraste entre
la séeheresse et l'humidité de l'air. Pendant l'hiver, l'air
est souvent saturé de vapeur d'eau et la rosée est alors
très abondante; mais lorsque le vent du sud-est ou de l'est
souffle, l'hygromètre descend parfois jusqu'à 20 p. 100. La
moyenne annuelle des oscillations est 37 p. 100.
Pendant le beau temps de l'hiver, la rosée tombe en
Palestine par les mêmes causes et dans les mêmes circon-
stances qu'en France. Lorsque le sol rayonne et que l'air
est près d'être saturé, les vapeurs d'eau se précipitent.
En été, toute la région étant desséchée et sans eau qui
puisse s'évaporer, la rosée ne peut y avoir lieu que lorsque
LÀ MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 359
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360 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET Dr. LA SYRIE.
le vent a soufflé assez longtemps de la mer. Au printemps
et à l'automne, la rosée est un peu plus abondante.
A Tibériade, on fait chaque jour deui observations,
l'une le malin vers 8 heures, et l'autre le soir à 4 heures.
Les chiffres dans le tableau ci-dessus donnent l'humidité
relative du malin seulement, comme à Jérusalem et à Jall'a.
Les observations du soir présentent quelques interruptions ;
je n'ai pu les utiliser pour calculer la moyenne du soir,
cependant elles suffisent pour constater que l'air est beau-
coup plus sec dans l'après-midi que dans la matinée. La
série des observations du soir des années 1891, 1893, 1894,
1895 est complète et donne une moyenne de 51 p. 100. La
moyenne de l'humidité relative du matin de ces mêmes
années est 67 p. 100; il y a une différence de 16 p. 100
entre l'humidité du matin et celle du soir. La moyenne
annuelle des oscillations est 24 p. 100.
L'humidité relative est asse^ uniforme à Jaffa et à Bey-
routh; pourtant on observe parfois des écarts considéra-
bles. Lorsque le vent chaud du désert, le ckelouk des
Syriens, se levé, l'hygromètre descend jusqu'à 25 p. 100
et monte jusqu'à 90 et même à 100 par les vents d'ouest
et du sud-ouest.
VI. — Évaporation.
Nous ne possédons pas malheureusement d'observations
directes sur l'évaporation de l'eau dans ces contrées; elle
est plus grande en été qu'en hiver. La quantité d'eau éva-
porée est souvent le double ou le triple de celle qui toml
de l'atmosphère.
La couche d'eau évaporée à Beyrouth en plein air et sous
abri est en moyenne de2à 3 millimètres en hiver dans l'es-
pace de 24 heures, et de 3 à 5 millimètres en été. L'évapo-
pâ-
lie
A METEOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 361
ration est plus active par le vent sud-est, qui est chaud et
sec ; elle atteint 8 à 9 millimètres.
D'après un calcul approximatif du professeur Zech, de
Stuttgard ', la couche d'eau évaporée à la mer Morte serait
14 millimètres en 24 heures. La quantité d'eau évaporée
dans une année serait 5 ni. 11. Il n'y a rien de surpre-
nant à cela quand on songe que fa chaleur est très grande
dans la dépression du Ghar et l'air très sec.
VIL
- Vents.
Le vent du nord (V. le tahleau n" VI, p. 362) est froid et
sec; il souffle habituellement à Jérusalem {26 fois) du mois
e juin au mois d'oclobre, à Beyrouth (39 fois) au printemps
et en automne et il est assez rare à Jaffa (10 fois). Lorsqu'il
; lève, il dissipe les nuages et rassérène le ciel. En hiver,
il est d'un froid vif et pénétrant ; les habitants de la côte
le redoutent, car il cause fréquemment des pneumonies,
des bronchites et irrite légèrement le système nerveux.
Le vent du nord-est a les mêmes caractères que le ventdu
nord. Il se fait sentir à Jérusalem (41 fois) du mois d'oc-
tobre au mois de février, à Beyrouth (37 fois) durant les
mois de mars, avril, mai, octobre et novembre; il est nul
î été. A Jan"a,il souffle aux mômes époques (14 fois), mais
plus rarement qu'à Beyrouth.
Le vent d'est est assez fréquent à Jérusalem (29 fois) en
iuloinne, en hiver et au printemps; à Beyrouth (tl fois)
Bsi qu'à Jaifa (11 fois), il est nul en été et peu fréquent
pendant le reste de l'année.
En hiver, le vent d'est est accompagné d'un ciel bien, il
sst sec et excitant , très agréable quand il n'est pas trop
; mais, pendant l'été, il est pénible, rend la chaleur à
1. Fraas, .lus dem Orient, I, p. 75.
362 LA MKTÉOHOLOGIË LE LA PALESTINE ET DE LA SÏHIE.
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LA HÉTÊOHOLOGIE ilE LA PALESTINE ET DE LA BÏB1K. 86tf
Jérusalem insupportable à cause de sa liaule température,
de sa grande sécheresse, et à cause aussi de la grande
quantité de poussières ténues qu'il transporte du désert de
Syrie d'où il provient. I! nuit parfois à la végétation en
brûlant les feuilles et les fleurs.
Le vent du sud-est est une sorte de sirocco, il prend nais-
sance dans le désert de l'Arabie. Lorsqu'il souffle, le ciel
est sans nuages, sauf quelques cirrus et stratus, la tempé-
rature s'élève à 30° on 35" centigrades et plus, l'air est
extrêmement sec, l'hygromètre tombe jusqu'à 20 p. 100, la
différence du thermomètre sec et du thermomètre mouillé
du psychromètre varie entre 10" et 18°. L'eau s'évapore
rapidement, les meubles craquent, les couvertures des
livres se tordent, et le blé et les vignes sont parfois brûlés.
Il produit sur l'homme et les animaux un malaise géné-
ral, il dessèche les muqueuses des conduits respiratoires
et rend incapable de tout travail. Il souffle à Jérusalem
(25 fois) au printemps (mars, avril, mai) et en automne
(octobre-novembre); à Jaffa (25 fois) en janvier, février,
mars, novembre et décembre; à Beyrouth (42 fois) pendant
les mêmes mois qu'à Jafia. Il dure ordinairement;! à 4 jours,
mais quelquefois il persiste pendant 7, 10 ou 20 jouis.
Le vent du sud se fait rarement sentir en été ; il est plus
fréquent pendant la saison pluvieuse. A Jérusalem, il a été
observé 9 fois dans l'année, à Beyrouth 21 fois et à Jafia
41 fois. Dans cette dernière ville, il souffle souvent depuis
le mois de novembre jusqu'au mois d'avril. C'est un vent
chaud, et le ciel se couvre de nuages et dépoussières quand
il se lève; il amène parfois la pluie, surtout à Jall'a.
Le vent qui souffle le plus souvent à Beyrouth (113 fois)
et à Jaffa (88 fois) est celui du sud-ouest; il domine dans
ces deux villes depuis le mois de mars jusqu'au mois
d'octobre, tandis qu'à Jérusalem ce courant aérien règne
(53 fois) pendant la période pluvieuse, depuis le mois de
novembre Jusqu'au mois d'avril.
361
\ SIÉTKOKOl.OtilK UK l-A i'AI.LSTINE ET DE LA SïlilE.
Le vent du sud-ouest ne peul paraître que le vent de
retour ou contre-alizé ; îl est chaud et humide. En balayanL
une assez grande portion de la Méditerranée, il se charge
de vapeurs d'eau qui, rencontrant les collines refroidi
la Palesline ou la chaîne du Liban, se condensent
précipitent sous forme de pluie on de neige. Avec le vent
d'ouest, c'est le vent qui amène la pluie dans ces régioiisJI
Le vent d'ouest a été observé à Beyrouth 49 fois et A
Jaffa 53 fois; il domine ordinairement depuis le mois de
mars jusqu'au mois de septembre. A Jérusalem, il est un
peu plus fréquent dans les mois de juillet et d'août que
pendant le reste de l'année.
Ce vent venant de la Méditerranée est humide. Il se lève
vers 9 heures sur la côte et modère la haute température,
Passant sur la plaine du littoral, il se décharge d'une partie ,
de ses vapeurs d'eau et arrive vers le soir à Jérusalem. S'il I
ne souffle pas, ou faiblement, il n'y a pas de rosée et les]
nuits manquent de fraîcheur. En hiver, il est pluvieux.
Le vent du nord-ouest est le vent dominant a Jérusalem I
(113 fois); il souffle pendant toute l'année, mais d'une '
manière presque constante; depuis le mois de maijusqu'a
mois d'octobre, il est frais et relativement humide. Il tem-l
père les ardeurs du soleil. A Beyrouth il n'a été observé)
que 27 fois el à Jafl'a 20 fois dans l'année.
(A suivre.)
Gérant responsable,
Helot,
Secrétaire général de la Commission centrale.
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DE CONAKRY AU NIGER
Le capitaine E. SALESSES1
s celle occasion de remercier publiquement la Société
de Géographie qui a bien voulu m 'accorder le pris: Duveyrier pour
ma première mission. J'étais dans la brousse quand j'en ai reçu
la nouvelle, malade, isolé, découragé par la longueur de ma tache
et par la mort ou la maladie de la plupart de mes compagnons;
ce souvenir de France me rendit alors l'ardeur et la confiance.
Je n'ignore pas que mon meilleur titre à cette distinction a été
l'uuiforme que je suis fier de porter, mais cette pensée m'a rendu
la récompense plus précieuse; permettez-moi donc de reporter
sur*rar.inêc, comme à sa cause première, l'honneur qui m'a été
fait.
Il m'échoit l'honneur de porter la parole au nom de mes
deux missions; elles sont actuellement dispersées; quel-
ques-uns de ses membres se sont vaillamment remis a.
l'œuvre pour la perfectionner; d'autres sont morts glorieu-
sement, tels que le maréchal des logis de Bernis et, le ser-
gent du génie Grenot; un soûl, M. le capitaine Mitlot, a pu
m'accompagner ici; permettez-moi de vous signaler leur
mérite et leur dévouement auxquels j'ai dû tout le succès ;
permettez-moi aussi de saluer respectueusement ceux qui
sont morts pour leur pays.
J'aurai sans doute besoin de toute votre indulgence; ce
sont mes débuts de conférencier ; vous trouverez cependant,
dans ce que je vais dire, l'expression d'une convic-
tion ardente et sincère; j'ai l'heureuse fortune de pouvoir
limitation faite à la Société de Géographie fana sa séance
3tW DU COKAKHV AD WIGEH.
exposer devant cet auditoire d'élite des idées qui me sont
chères et que j'ai bien longtemps méditées.
Je me suis fait le missionnaire et le champion d'un che-
min de fer de pénétration qui, partant de ia mer, abouti-
rait au Niger navigable par la plus courte distance entre
le fleuve et la côte. Le point de départ est le port de Cona-
ki y : le point d'arrivée est Kardamanîa près de Kouroussa.
Mon but est de vous exposer à la fois la justification et les
détails de ce projet ; je diviserai ma conférence de la façon
suivante :
1" Récit de ma première mission; 2" ma deuxième mis-
sion ; 'S" description de la Guinée ; mœurs et coutumes des
habitants; ï~ indications relatives au projet de chemin de
fer; 5" colonies étrangères.
Récit de la première mission.
uil-
Conakry est une ville récente, qui n'existait pas en juil
let 1890, quand M. Ballay, premier et unique gouverneur
de la Guinée française, y débarqua ; le palais du gouverne-
ment, triste palais, était alors inachevé et n'avait reçu ni
portes ni croisées; on voyait au nord de l'île la factorerie
delà Compagnie française de l'Afrique occidentale et a»
sud la factorerie allemande Colin et Jacob ; ces trois maisons
étaient reliées par des sentiers étroits pratiqués dans une
végétation exubérante où se cachaient les panthères et les
serpents. En novembre i8!»5, lors de mon arrivée, la ville
possédait déjà cinq à six rues et le commerce total de la
colonie s'élevait à dix millions; en juillet 1898, à la lin de
ma dernière mission, la ville couvrait l'Ile entière de ses
constructions, et le commerce était passé à vingt millions.
Ce simple détail vous expliquera clairement pourquoi, en
1895-96, j'ai été chargé seulement de l'étude d'une simple
route, dont 120 kilomètres sont du reste déjà exécuté», et
Lfc CONAKRV Al: NIGKH. 889
pourquoi, en 1897-98, je suis reparti de nouveau pour
entreprendre une étude de chemin de fer. L'importance
«croissante du commerce est la principale cause de l'ex-
tension du programme primitif.
La première mission arriva le 7 novembre 1895 à Cona-
*try, après une traversée de douze jours; elle comprenait
un seul officier et deux sous-officiers, parmi lesquels le
xmaréchal des logis de Bernis, tombé depuis à Uo au cours
de l'expédition Bretonnet.
L'intérieur du pays était alors presque indépendant,
comme on va le voir, et très peu connu; on me chargea
d'étudier le tracé d'une route entre la capitale de la Guinée
et Farana, poste et marché important sur le Niger. La
besogne était trop lourde pour que le petit effectif de la
mission pût l'accomplir entièrement dans une année
résolus donc de consacrer la campagne au levé exact
la première moitié du tracé de Gonakry à Bamhaïa, et de
reconnaître simplement le reste entre Bambaîa et Farana.
Dès qu'on quitte Conakry, on arrive au pied d'une haute
montagne qui s'élève à pic de près de 1,000 mètres au-
dessus de la plaine environnante; cette montagne, nommée
Kakoulima, est très redoutée des noirs qui la dépeignent
comme un séjour de mauvais génies et qui n'osent s'y aven-
turer; comme elle constitue un magnifique belvédère, je
résolus d'en faire l'ascension aûn de jeter sur le pays un
Coup d'oeil d'ensemble et de mieux jalonner ma route. Au
cours de l'ascension, nous fûmes tellement gênés par les
broussailles et les lianes que nous ne pûmes avancer que
très lentement et qu'il fallut bivouaquer en pleine forêt; la
foret qui couvre le Kakoulima est très épaisse et remplie
de singes, de chimpanzés principalement, qui font au lever
et au coucher du soleil un concert assourdissant; les noirs
disent qu'ils font « salam * ; d'autre part, de gros mous-
tiques attirés par le feu se jetèrent sur nous; nous ne
pûmes fermer l'œil de la nuit et l'ascension fut reprise dès
368 DE CONÀKRÏ AU MIGER.
que le jour le permit; malheureusement, dans la marche au
milieu delà forêt nous perdîmes la bonne direction, et nous
arrivâmes au pied d'une muraille infranchissable qu'il fal-
lut longer jusqu'à ia rencontre d'une passe étroite; celte
passe était à demi fermée par un arbre résineux dont une
haute branche horizontale portait enroulé un naja noir, ser-
pent très venimeux. J'eus la pensée d'essayer d'atteindre le
naja avec un mauvais revolver d'exportation appartenant à
mon guide; le but était assez difficile à atteindre ; deux des
balles ne portèrent pas et les autres cartouches donnèrent
des raies. Je passai néanmoins sans me préoccuper autre-
ment de l'incident; quelle ne fut pas ma surprise de con-
stater que mes noirs ne me suivaient pas! Je revins en
arrière; j'employai tour à tour les menaces et les pro-
messes ; tout fut inutile ; les noirs étaient persuadés qu'ils
allaient commettre un sacrilège; le naja était pour eux
l'incarnation du démon familier de la montagne et leur
jetterait un sort ; l'incident du revolver, joint à nos autres
mésaventures, avait porté leur superstition aucomhle; bref,
je dus redescendre, mes porteurs m'étant nécessaires pour
mes vivres, d'autant plus que le brouillard s'était levé et
que mon espoir d'examiner le pays ne pouvait plus se réa-
liser. Un essaim d'abeilles, dérangé par notre passage, se
chargea de transformer la retraite en déroute.
Durant ma deuxième mission, j'ai exécuté avec M. Naudé,
adjoint du génie, et le sergent Dubus, cette ascension dans
des conditions excellentes, et nous avons établi un signal
topographique à son sommet, après avoir franchi les der-
niers vingt mètres au moyen de la corde.
Après cet épisode, la mission poursuivit sa marche; elle
découvrit une magnifique cascade sur la rivière Kitim, près
de Tangbaïa; la rivière court dans un chenal profond avec
vitesse énorme, se brise contre les rocs et finalement
se jette dans un gouffre de 40 mètres de hauteur surmonté
d'un rocher à pic de pareille dimension; le spectacle est
BE CONAKRY AU NIGER. 3W
'une beauté incomparable, surtout à la fin de l'hivernage.
Arrivée à Senienla, la mission s'informa des chefs du
-village pour en obtenir l'hospitalité; pendant que cette
recherche s'opérait, le maréchal des logis tomba sur un
sentier conduisant à un carrefour d'où les indigènes cher-
chèrent à l'écarter, en lui disant qu'il y trouverait des dia-
fcles; il n'y trouva pas de diables, mais bien les chefs et les
notables fort occupés à s'enivrer avec du « bili », liqueur
«du pays ayant une saveur opiacée.
Nous survînmes à Koliagbé en pleines réjouissances, à
l'occasion du « boundoum » ou baptême musulman; le
soir, le corps de ballet de l'endroit se présenta devant nous,
«t exécuta sous la surveillance d'une vénérable matrone, aux
sons d'un xylophone appelé balafon, un tam-tam des mieux
a'éussis. Cet honneur nous coûta un très grand nombre de
piécettes de cinquante centimes, car il est d'usage en pays
«noir de se montrer généreux dans ces sortes de cérémo-
nies. La rivière Oua-Oua nous offrit encore une suite mer-
ùlleusede 13 cascades consécutives, dont quelques-unes
it percé le rocher en créant des. ponts fantastiques.
Nous atteignîmes enfin les frontières du Foutah Djallon,
pays alors indépendant en fait, bien qu'il eût déjà signé
avec nous des traités de protectorat. Les Peuls sont une
ace fiëre très différente des noirs ordinaires; on les
lit descendants des Fellahs égyptiens; ils élèvent des
ifs et montrent beaucoup d'aptitude au tissage et aux
ivaux de maroquinerie. L'instruction musulmane est chez
assez répandue.
Dans une reconnaissance préliminaire que je fis à Noun-
ilo, je fus repoussé sans motif du village du chef, et obligé
m'abriter dans une mauvaise case du voisinage, je
'avais pas d'armes et six noirs seulement m'accompa-
Ient; le chef, qui avait sur la conscience quelques
'ails antérieurs, refusa de me recevoir et môme de
'entretenir avec moi. Ni vivres ni guides ne me furent
■uni ue
es avoir
irrêter :
onakry,
370 DE OOIMKRY M) «Gît.
donnés pour continuer ma roule, et je fus contraint de
rebrousser chemin vers le gros de ma mission, après a
perdu ma mule qui s'était échappée la nuit.
Il va sans dire que je ne pouvais me laisser a
je n'avais pas le temps, à une pareille dislance de Conaki
d'en référer au gouverneur ; je me procurai au poste voisin
une dizaine de tirailleurs, et je revins à Nounkolo, espérant
encore négocier. Je fus accueilli à coups de fusil, et mou
guide fut blessé; les tirailleurs ripostèrent, mais je fis aus-
sitôt cesser le feu en voyant que les Foulahs s'enfuyaient.
Nous entrâmes dans le village abandonné où je retrouvai
ma mule, que les Poulabs m'avaient volée à mon insu; cette
mule, profitant de l'iusouciance du noir qui la gardait,
avait pu se détacher, et avait repris le chemin qu'elle avait
déjà parcouru, afin de rejoindre ses compagnons d'écurie
restés avec le gros de la colonne; les Foulahs l'avaient
confisquée au passage, désireux de se procurer économi-
quement une bête dont la force, la taille et la douceur les
émerveillaient. Le Foutah ne possède, en effet, d'autres
bêtes de somme que les bœufs, et l'on y voit seulement
quelques chevaux de petite taille importés pour l'usage des
chefs.
Ce ne fut pas là ma seule querelle avec les Foulahs :
deux jours plus tard, les habitants de Bamè me refusèrent
toute nourriture, même contre paiement; comme j'avais
jugé nécessaire de confisquer un bœuf afin de les ramener
à de meilleurs sentiments, ils m'attaquèrent le soir pour
reprendre leur bien et s'emparer de mes caisses. Le maré-
chal des logis de Bernis était alors malade de la fièvre, le
deuxième sous-officier était absent; je n'avais gardé qu'un
seul tirailleur afin de ménager les vivres. Dans cette situa-
tion critique, mes porteurs, que j'avais à peu près militari-
sés, me servirent beaucoup ; je restai maître de la situation,
et des perquisitions minutieuses dans les cases abandon-
nées me procurèrent assez de riz pourjnourrir mes hommes.
DE COKAK&T AI' MIGER. 371
I me restait à m'enfoncer dans les pays que Samory avait
dévastés et ruinés ; cette région est semée à chaque pas de
restes d'anciens village»; mais l'éléphant y a maintenant
remplacé l'homme. Pendant trois jours, nous ne vîmes
aucune trace humaine et le sentier avait lui-même disparu ;
*1 fallait marcher à la boussole, et s'approvisionner à l'a-
vance pour ne pas mourir de faim.
Je ferai remarquer à ce propos que ce ne sont pas les
livres de l'Européen qui l'embarrassent, mais bien la néces-
sité de nourrir les porteurs; on ne peutse charger de tout
1 e riz nécessaire, car alors les porteurs ne suffiraient même
pas à porter leur propre nourriture; d'autre part, il ne faut
pas affamer les pays où l'on passe, si on ne veut pas créer
le vide autour de soi. C'est ainsi que j'arrivai à Parana,
poste autrefois important sur la rive droite du Niger.
La mission n'y resta pas longtemps et revînt sur ses pas
>ar un meilleur chemin qui traversait le Foutah Djallon;
e passai à Kouria, village détruit en 1891 par les Sofas, au
moment de l'expédition de Brosselard-Faidherbe. Ainsi que
me l'expliqua un indigène, témoin oculaire du massacre,
s Sofas avaient choisi comme centre d'hivernage et maga-
i général le poste d'Hérémakono, où les noirs anglais de
Sierra Leone venaient échanger de la poudre, des fusils et
s tissus contre des esclaves. De là ils guettaient quelque
s village entouré de fermes, sur lequel ils fondaient au
:bul de la belle saison; ils y vivaient au jour le jour,
«liant de temps à autre les provisions et dévorant les
s des habitants, puis ils se retiraient au commence-
ment de l'hivernage en mettant le feu à leur refuge. Ce fut
insi que les Sofas prirent Kouria; Kémoko Bilali vint du
iud, Sisséké du nord, un troisième chef entra par l'ouest;
l'assaut fut donné de grand matin, alors que les habitants
ne s'y attendaient pas; les hommes furent égorgés ou se
sauvèrent chez les Houbbous; les femmes et les enfants
furent réduits en esclavage.
DE CONAKIIY Ad NIGER.
Les ravages de ces Sofas furenl durement réprimés, car
!e colonel Combes dirigea, en 1893, une expédition en
Guinée; il poursuivit partout les Sofas, de Farana jusqu'au
Kissi et jusqu'à la Grande Scarcie, point extrême qu'ils
avaient atteint; Ouossou était un poste sofa. Tous les Sofas
pris les armes à la main étaient envoyés à Farana, jugés
par une cour martiale et, en cas de condamnation, exécutés;
les exécutions furent assez nombreuses pour que l'on
puisse retrouver encore un fouillis d'ossements et de crânes
dans un champ de riz auprès du Niger. L'on raconte que
l'exécuteur, un noir exerçant aujourd'hui le métier de bou-
langer, ne pouvant couper une têle avec un sabre au tran-
chant émoussé, appuyait par petits coups donnés en des-
sous le col de la victime sur le tranchant pour le faire
mordre, et lui disait en même temps dans un jargon que
je traduis à peu près : « Pourquoi faire tant de façons? »
Après la traversée de cette triste contrée, la mission péné-
tra enfin de nouveau dans le Foutah Djallon, mais non sans
difficultés. En effet, le Foutah était entouré de peuples
vassaux qui les redoutaient et nous refusaient des guides,
en nous renvoyant de l'un à l'autre; nous tournions donc
autour du pays sans jamais y pénétrer. Je réussis enfin
à gagner un chef malinké qui, au prix d'un gros collier
d'ambre, objet de parure très recherché, consentit à ine
fournir un guide et des porteurs.
Le Foutah est entouré d'une sorte de rempart monta-
gneux constitué par des soulèvements granitiques est-ouest
s'élevant à pic du milieu de la plaine; l'ascension fut donc
très dure, mais enfin le succès couronna nos efforts. Ce fut
alors que j'eus une troisième querelle, beaucoup plus grave
que les premières, avec les Foulahs. La mission marchait en
deux groupes, le maréchal des logis de Remis en tête avec
le convoi, moi-même avec les noirs qui m'aidaient dans
mon levé, le premier groupe à une allure naturellement
plus rapide que le deuxième. En approchant du village de
DE CONAKRÏ AU NIGER. 373
Laïcomboia, je fus accueilli par un spectacle inattendu :
mon guide avait été poignardé ; mes porteurs en fuite
avaient laissé leurs charges au milieu du chemin; le maré-
chal des logis était assis prisonnier au milieu d'une cen-
taines d'hommes qui m'attendaient. Je n'avais avec moi
que deux aides, mon interprète et un tirailleur; la diplo-
matie seule pouvait nous sauver. J'arrêtai le tirailleur déjà
prêt à faire feu, et je m'avançai seul et ostensiblement dé-
sarmé vers le groupe hostile qui m'accueillit par des cla-
Je n'ignorais pas que les Foulahs étaient en proie à des
discordes intestines, et qu'ils avaient essayé déjà de né-
gocier avec les Français; de plus ils craignent nos régi-
ments soudanais; je fis donc expliquer au chef peul que
j'étais venu en voyageur, en ami, et que te gouverneur de
Conakry m'avait invité à venir leur porter l'assurance de
son amitié; que nos soldats n'étaient pas venus avec moi,
pour n'effrayer personne dans cette démarche; mais ils
savaient que je devais revenir tel jour à la frontière; ils
m'y attendaient, et si je ne paraissais pas, l'on pouvait
compter sur des coups de fusii. Celte raison fût goûtée; un
ou deux colliers d'ambre achevèrent de bien disposer les
Peuls;ils nous donnèrent des cases, des vivres et des guides.
C'est dans cette conversation que je pus le mieux appré-
cier les qualités de finesse native des Foulahs ; la discussion
entre le chef et moi fut extrêmement polie et courtoise,
sans mouvements d'impatience, sans injures ; et j'étais vrai-
ment embarrassé parfois pour soutenir la discussion ou
réfuter des arguments, tout autant que j'eusse pu l'être
avec un Européen. Ce chef, nommé Alfa Aliou, tint, en nous
séparant, à me demander ma carte; sur quoi quatre autres
se crurent obligés aussitôt d'en faire autant. Alfa Aliou a
été tué dans les troubles qui ont suivi la conquête du Fou-
tah, mais on trouverait certainement nombre de Peuls aussi
intelligents que lui.
'■'■'. i OS CONAKRV AU MBËII.
Notre retour en Guinée et à Conakry s'elfectua sans dif-
ficulté, et nous pûmes utiliser la belle route que M. Oswald,
garde principal d'artillerie, construisait d'après notre tracé;
nos montures succombèrent toutes, mais heureusement
quand finissait notre tâche. La maladie vint ensuite nous
éprouver. J'eus un accès de dysenterie qui nécessita trois
mois de traitement au lait à Saint-Louis et en France pour
guérir; me trouvant dans l'impossibilité de repartir aussi-
tôt, je rendis au maréchal des logis de Bernis sa liberté; il
s'embarqua de nouveau avec la mission Bretonnet pour le
Dahomey, où il était destiné à périr.
Pendant la même année 1895-1896 une autre mission,
comprenant les capitaines Pas saga, Cayrade et Millot,
exécuta en Guinée la délimitation des frontières anglo-
françaises, et détermina la position astronomique exacte
des sources du Niger.
En 1896-1897, le temps fut largement mis a profit par la
colonie : elle fit continuer la route sous la direction de
M. Leprince, garde d'artillerie de marine, poser un réseau
télégraphique se reliant par Farana et Kouroussa à celui du
Soudan, entamer un autre réseau côtier se reliant avec
Dakar par la Casamance. M. Leprince fit exécuter une large
piste pour les caravanes, le long du fil télégraphique ; les
capitaines Muiler et Desdouils conquirent le Foulah ; on
organisa l'intérieur du pays, on créa des magasins; des
recensements furent commencés; le gouverneur établit
l'impôt de capilation et brisa les résistances dont les épi-
sodes de ma mission avaient prouvé la réalité. Enfin, sous
l'impulsion de M. le gouverneur Ballay, secondé par
M. Couslurier, Conakry tripla d'étendue et d'importance,
et le commerce doubla. En 1897 , la roule arrivait à
Mambia après avoir franchi, sous l'impulsion énergique de
M. Leprince, les deux premières terrasses que l'on ren-
contre à partir de la côt« vers l'intérieur, Cette route a
5 mètres de large, elle bsI carrossable, mais dotée seule-
DE COKAKRÏ AU NIGER. 375
t de ponts en bois que les termites rongent en un ou
n'est pas encore bien empierrée ; la nécessité
d'aller vile et diverses circonstances matérielles ont fait
accepter quelques rampes raides faciles à adoucir, et quel-
ques courbes qu'on pourra supprimer; le tracé est défec-
tueux, entre les 12' et 30" kilomètres, cette partie ayant élé
exécutée par des noirs sans aucune reconnaissance préa-
lable; la longueur totale de la route est actuellement de
100 kilomètres, et l'on ne dépassera pas sans doute Fri-
guiagbé qui sera atleint cette année ; on est en train de la
munir de ponls en fer.
II- — Deuxième mission; description no pays;
MfKIJItS ET COUTUMES DES HABITANTS
A la suite de l'accroissement de la prospérité de Conakry,
is vues changèrent, et je fus cbargé d'aborder, aux frais
e la colonie, l'étude d'un chemin de fer; d'ailleurs la
lonie de Sierra Leone, notre concurrente, avait com-
:ncé une entreprise analogue, et les renseignements
ma première mission m'avaient permis
r que la chose était possible II restait à le prouver
i exécutant l'avant-projet. La mission comprenait 3 offi.
i et 5 sous-ofliciers, le capitaine Millot ici présent,
djoint du génie Naudé actuellement en Guinée, les sér-
iais du génie Turpin, Greuot, Dubus et Godfrin, et le
réchal des logis Lachaud. Le débarquement eut lieu à
ikry le 14 octobre. Pendant que les préparatifs de
jart dans la brousse s'effectuaient, je pus me rendre
iognito à Sierra Leone et y lever grossièrement le chemin
le fer existant; je pus même revenir en locomotive; il n'y
lainement aucune raison de croire que les Anglais
«iraient molesté s'ils avaient connu ma présence, mai* je
raignais précisément leur hospitalité qui aurait pu me
376 DE CONAKRY Al' NIGER.
gêner alors que j'Étais pressé par le temps; je me souvenais
de la réception que l'on fait traditionnellement aux officiers
étrangers qui suivent les grandes manœuvres : on leur
réserve bon accueil et bonne chère, mais leurs cicérones ne
les conduisent sur le terrain qu'au moment où la pièce va
se jouer et ils n'en ont pas vu les coulisses. Pour ne pas
être connu, j'ai pris une goélette à Conakry; expérience
faite, je ne conseille à personne la navigation en goélette;
on peut rester en panne pendant deux jours par les temps
de calme ; c'est ce qui nous arriva ; on rechercha les pro-
visions dont disposait l'équipage pour ne pas mourir de
faim, elles se montaient à une boite de sardines et six bou-
teilles de vin.
Le chemin de fer anglais de Sierra Leone a 50 kilomètres
de long actuellement etO m. 70 de large; il comprend tl à
12 viaducs, ce qui l'a rendu relativement tort cher; la
révolte des Mendès et des Timénés, qui a éclaté en 1898, a
retardé sérieusement sa construction, et il nous est facile
de le devancer maintenant ; il se dirige par Songolown vers
Kotifunk.
De retour à Conakry, je trouvai la mission prête à partir,
constituée en trois groupes devant opérer séparément cha-
cun sous la conduite d'un officier. Le capitaine Millot était
plus particulièrement chargé de la reconnaissance du
Niger et du Haut-Konkouré, et accessoirement de plusieurs
autres itinéraires. Il a reconnu le premier exactement la
partie du cours du Niger entre Farana et Kouroussa, et
a ainsi dignement complété le travail de Hourst, qui com-
mence à Kouroussa. M. le Ministre des Colonies, tenant
compte de cette œuvre, a bien voulu l'en récompenser en
lui accordant la croix de la Légion d'honneur.
M. l'adjoint du génie Naudé a exécuté la majeure partie
du levé détaillé; le reste, soit 200 kilomètres, ainsi que les
grandes reconnaissances â travers le Foutah Djallon et la
plaine du Niger, m'a été réservé.
On peul i
DE CONAKRY *î) NIGER.
que le travail
377
npli ;
accompl
sidérable et qu'il dépasse ta mesure habituelle;
aussi, malgré la chaleur, le travail durait-il chaque jour de
6 heures à midi, et se prolongeait même parfois le soir;
sauf pour cause de maladie, pas une heure n'a été perdue.
Quelques jours ont été gagnés sur l'hivernage de 1897 et
quelques autres sur celui de 1898; les officiers ont, en
outre, exécuté eux-mêmes la mise au net du travail tous
les soirs ; le travail de débroussailleraient a été accompli la
plupart du temps par des prestations indigènes sous la
conduite d'un sergent. La presque totalité des montures a
succombé. Nous avons eu la douleur d'enregistrer le décès
du sergent du génie Grenot, mnrt à l'hôpital de Conakry
d'une fièvre bilieuse hématurique; avant de mourir, le gou-
rerneur de la Guinée a pu lui remettre la médaille militaire,
qu'il avait obtenue par sa belle conduite à Madagascar.
Le début de ma mission a élé marqué par l'ascension
teureuse du Kakoulima, qui nous a fixés sur l'orographie
du voisinage; nous avons ensuite commencé le nouveau
racé du chemin de fer, en utilisant au début nos porteurs
comme débroussaîlleurs; ceux-ci ont regimbé contre ce
changement de tâche, sous l'influence de divers meneurs
ù regrettaient déjà d'Être partis; ils se sont mis en grève,
t sont repartis pour Conakry, d'un pas d'abord rapide, qui
e ralentissait à mesure qu'ils appréciaient mieux les consé-
s de cet acte. Au pont de Tombo, près de Conakry,
s auraient bien voulu s'arrêter, mais le gouverneur, pré-
mu télégraphiquement, les avait fait accueillir par des
miliciens ; on les mit en prison et les meneurs furent plus
rticulièrement punis ; le lendemain, je voyais reparaître
tout mon monde, honteux et confus, implorant mon par-
, et montrant le poing au fil télégraphique qui les avait
renonces; depuis ce jour-là, quand ils entendaient le fré-
missement du fil et le murmure produit par la vibration des
rateaux, mes hommes se disaient : « Vuilà les blancs qui
IÎ78 DU CONAKHY Ali NIOtH.
parlent entre eux » ; ils conservèrent longtemps rancune au
télégraphe accusateur.
A Koussi, le chef de village possédait des sarraus singu-
liers, teints en rouge sombre, garnis de petits objets couverts
do cuir si nombreux qu'ils semblaient former une sorte du
cuirasse à écailles imbriquées; mon inlerprète m'expliqua
que je voyais là des vêtements de guerriers couverts d'amu-
lettes ou « grigris >, possédant l'invulnérabilité contre
les balles. Je lui proposai immédiatement un essai sur
sa personne, mais il ne voulut pas y consentir, disant qu'il
n'y a pas de grigris contre les blancs.
Gelte observation montre bien la raison pour Inquelle les
merveilles de notre civilisation n'étonnent jamais les noirs;
ils se contentent de dire : « Ce sont manières de blancs »,
exprimant ainsi l'opinion que nous sommes un peu sor-
ciers, et qu'alors la chose est toute naturelle.
Précisément lors de mon arrivée en Guinée, Sory Elely,
nommé almaniy du FoutahDjallon en remplacement deBo-
karBirotuépar nous, avait été à son tour assassiné dans son
propre village, par le Gis de son prédécesseur; le meurtrier,
nommé Tierno Siré, Fut fait prisonnier à Ségaïa et passé
par les armes; beaucoup de parents de la famille des alma-
rnys Souria avaient participé au complot et furent envoyés
captifs à Gonakry ; je craignais que ces événements, se pas-
sant dans le pays que j'avais à lever, ne rendissent ma
lâche plus difficile; heureusement il n'en fut rien. M. Noi-
rot, résident du Foutah Djallon, voulut bien me donner
comme guide le frère du deuxième almamy, nommé Bou
Bakar, jeune homme très intelligent et très instruit, par-
lant toutes les langues du pays, y compris l'arabe, et écri-
vant correctement en caractères arabes. Ce guide avait un
profil lin et pur qui offrait de grandes analogies avec ceux
des inscriptions égyptiennes; il manifestait des manières ti
nobles, de la discrétion et de la réserve; j'en tirai un ei
parti pour me diriger dans le pays cl trouver ma ro
IDE C0NÀKK1 AU NIGER. 379
Grâce à ses conseils, nous découvrîmes la source et la
vallée du Haut-Tinkisso, ainsi que les sources et les hautes
valides du Konkouré et des deux Scarcies. La vallée du
Tinkisso est déserte actuellement, par suite des guerres
entre les Foulahs et les dissidents du nom de Houbbous,
nais elle ne tardera pas à se repeupler; le sergent Dubus
y fut pris d'un grave accès de lièvre qui dura dix jours;
malgré sa maladie, comme nous étions dans un désert sans
vivres et sans habitations, il fut obligé de marcher presque
constamment pendant de longues étapes, d'abord jusqu'à
Passaïa, et ensuite jusqu'à Soia Moreia sur les bords du
Niger. En ce point le Niger ne devient navigable qu'aux
hautes eaux et à la descente; la remontée n'est jamais
(possible sans portage; la descente aux basses eaux est
également impossible; les barrages rocheux ne cessent
d'encombrer le Niger depuis Farana jusqu'à Bafara, au-
dessous du confluent du Mafou et du Niger; cette circon-
stance nous décida à transférer le terminus de la voie
ferrée de Farana à Kardamania, en amont de Kouroussa;
Kardamania est vraiment le point où le Niger devient
navigable en tout temps.
Le gros de la mission se trouvait réuni le i" janvier 1898
à Kouroussa; je garderai longtemps le souvenir de celte
entrée, qui s'opéra dans la nuit, guidés que nous étions
par des feux immenses embrasant l'horîy.on; le capitaine
Franceries, commandant du cercle de Kouroussa, avait
tenu à célébrer le jour de l'An, ainsi que notre arrivée,
par un tam-tam monstre réunissant tous les indigènes des
environs. Le poste de Kouroussa est assis sur un beau
plateau, sur les flancs duquel le village s'étage jusqu'au
Niger; c'est un marché très important pour le caoutchouc
et les autres produits indigènes; ce sera la capitale future
du Soudan,
Le retour s'effectua par Bauko, autre gros marché très
binn situé au pied de hautes montagnes; entre res mon-
_
DE CONAKRV AU NIGER.
tagnes el le Niger s'élend une plaine fort peu accidentée,
à part quelques mamelons isolés; cette plaine est fertile,
très riche en riz et en caoutchouc; elle pourrait être le
grenier à riz de tout le Soudan. Le chemin de fer n'y
éprouvera aucune difficulté de construction et pourra suivre
de grands alignements droits, favorables à la vitesse.
A Kourouflng, la mission croisa un marabout snoussi
qui venait de Tombouctou et avait recueilli des dons fort
nombreux au Foutah, où les habitants sont zélés musul-
mans.
A Kambaïa, les Malinkés quittaient le village et se dépla-
çaient vers le Tinkisso; notre colonne croisa un noir qui,
nouvel Énée, transportait sa mère sur ses épaules jusqu'à
l'ancien village de ses aïeux qu'on reconstruisait. Les noirs
sont très aimants pour leur mère, et ce sentiment lou-
chant suffirait à leur faire pardonner certains défauts dont
on souffre beaucoup parfois; ils aiment également leur
village natal et ne manquent jamais d'y revenir lorsque la
cause qui les en éloignait a disparu. Le Foutah Djatlon
était plein de réfugiés venant des bords du Niger ou du
Tinkisso, chassés par Saroory ou par les Houbbous ; main-
tenant que ces vallées redeviennent paisibles et que les
almamys ne peuvent plus les retenir, les réfugiés s'en
retournent à leur village natal prier, comme ils disent, sur
les os de leurs pères.
L'accueil le plus affectueux nous attendait à Timbo de la
part de M. Noirot, résident du Foutah, et du capitaine Des-
douits, commandant des troupes; malheureusement j'y res-
sentis les premières atteintes de la lièvre, qui m'obligea à
m'aliter; l'accès dura environ vingt jours. Pour comble de
malheur, nous apprîmes coup sur coup la mort du maré-
chal des logis de Bernis à Ilo, du sergent Grenot à Cona-
kry, du lieutenant Curutchet et du sergent Delesse, ceux-ci
étrangers à la mission et faisant partie de la garnison de
Timbo. Ces déplorables nouvelles furent un peu adoucies
DE CONAKRY At! NIGER. SW
par l'annonce des récompenses que la Société de Géogra-
phie avait bien voulu accorder au capitaine Millot et à moi.
Après beaucoup de fatigues, grâce au dévouement de
tout le monde, le travail de levé fut enfin terminé complè-
tement le 4 juin et la mission put rentrer à Conakry, où
elle fit de nouveau connaissance avec la lièvre. Il est remar-
quable que la sauté se soutient relativement, malgré un
travail pénible, tant que le travail dure; dès les premiers
moments de repos, une réaction se produit, qui amène
généralement la fièvre. H fallut même presser le départ du
maréchal des logis Lachaud, qui était le plus gravement
atteint.
Le tracé de chemin de fer ainsi obtenu a 680 kilomètres
de long et 1 mètre de large; le levé a été Tait à 1/5,000*
c'est-à-dire à une échelle moitié de celle du cadastre, sur
i mètres de large; il n'y a pas de grands ponts, ni de
onels, ni de viaducs, ni de grandes tranchées; les ponts
ont couramment de 10 à 15 mètres de longueur avec
travées maximum de 35 mètres; les courbes ont
100 mètres de rayon minimum et les pentes absolues ne
dépassent pas 25 millimètres par mètre, sauf sur 3 kilo-
mètres le long des monts Ouloum; c'est donc un chemin
de fer analogue à ceux de France, un peu plus étroit et
plus sinueux cependant. 11 est productif dans toutes ses
>arties, et on pourrait, par exemple, se contenter d'en exé-
cuter d'abord la première partie, de Conakry aux sources
u Bafing, sous le nom de chemin de fer du Foutab Djal-
. Le prix à prévoir varie de 70 à 90,000 francs le kilo-
lèlre, suivant qu'on ajoute ou non le bénéfice de l'en-
trepreneur. Il reste à exécuter l 'avant-projet du tracé,
c'est-à-dire à retoucher le tracé fait sur le terrain et à le
débarrasser des coudes brusques qu'il présente, tout en
ménageant la pente le mieux possible. La main-d'œuvre
nécessaire existe, car on peut disposer, comme le Congo
belge, des nombreux travailleurs de nos possessions, qui se
soc. ue uéogr. — 4" trimestre IfMW. \x. — 27
383 DE CONAkRÏ AU HIGEB.
sont élevés jusqu'à 8,000 hommes sur les chantiers du
Congo; la journée de terrassier nous reviendrait seulement
à 1 franc, tandis que le prix admis au Congo, tous faux
frais compris, était de 3 francs.
III. — Description de la Guinée. — Mœurs et i:ohtcme:
DES HABITANTS.
La Guinée française, appelée naguère Rivières duSud, n'a
été érigée en gouvernement distinct qu'en 1890; elle doit
son origine aux comptoirs fondés par nos commerçants,
la Compagnie 'Verminck enlre autres, au sud de la Casa-
mance; le colonel du génie Pinet-Laprade, successeur de
Faidherbc au Sénégal, plaça sous notre protectorat la
plupart de ces comptoirs, entre autres le Rio Nufiez, d'où
était parti Hené Caillié, te Rio Pongo, Dubreka et Benly.
Pareillement les postes de Grand Bassani, Petit Bassani,
Grand Lahou, Assinie, Grand Popo et Petit Popo relevaient
tous du gouverneur du Sénégal. En 1883, sans rompre
le lien de dépendance avec ta colonie- mère, on réunit
tous les postes situés au sud de la Casamance sous les
ordres d'un lieutenant-gouverneur, M. Bayol. La guerre du
Dahomey et la magnifique exploration de Singer donnèrent
de l'importance à la Cote des Esclaves et à la Cote d'Ivoire,
qui furent détachées l'une après l'autre de la partie occi-
dentale située au nord de Sierra Leone. La campagne du
colonel Combes, en 1890, fournil également un hinterland
à la colonie des Rivières du Sud, et ce fut ainsi que se
constituèrent trois gouvernements distincts sous les ordres
de MM. Ballay, Ballot et Binger, dont les aptitudes colo-
niales remarquables nous ont valu une bonne partie de nos
succès dans la Boucle du Niger. En 18^5, pour assurer
l'unité d'action politique entre nos diverses possessions
coloniales au nord du Congo, on créa le gouvernement
BK C0N-4KRY AU NIGER. 383
général de l'Afrique occidentale, dont le siège fut fixé à
Saint-Louis.
Le gouvernement des Rivières du Sud a pris le nom de
Guinée française parce qu'il a été, à un moment donné, le
noyau principal de nos possessions de l'Afrique occiden-
tale entre la Casamance et le Gabon, le long du golfe de
Guinée; cette dénomination reste comme trace et comme
témoin de l'ancienne organisation politique.
La colonie est limitrophe de la Guinée portugaise, de la
Gainée anglaise, du Sénégal et du Soudan ; le Rio Compony
la sépare de la Guinée portugaise; la Grande et la Petite
Scarcie, et ensuite une ligne brisée irrégulière allant de
la Petite Scarcie aux sources du Niger, la séparent de la
Guinée anglaise; ces diverses délimitations ont été l'œuvre
des missions Brosselard-Faidherbe en 1887, Passaga, Cay-
rade et Millol en 1896. Du coté du Sénégal et du Soudan, la
séparation est constituée par les falaises nord du Foutah
Djallon et par le Mafou et le Niantan, affluents du Niger.
La colonie comprend, outre les territoires annexés du
Rio Nunez, du Rio Pongo, de Dubreka, des îles de Cona-
kry et de Matakong, enfin de Benly, un certain nombre de
petits États indigènes placés sous notre proleclorat; les
principaux de ces États sont ceux du Foutah Djallon et
du Kanéah, situés sur les plateaux élevés qui séparent les
bassins cotiers du bassin du Niger; presque tons ces États
sont musulmans, à part quelques tribus Bagas qui sont
fétichistes au nord de Conakry.
La côte est basse et marécageuse, car elle est due à une
transgression de la mer, le véritable rivage se trouvant en
mer, séparé du rivage apparent par une distance variant
entre 200 et 500 mètres; ce littoral véritable est une sorte
de falaise sous-marine arrêtant les gros navires et ne pré-
sentant de brèches qu'en face des estuaires ou des caps
d'origine éruptive, tels que Freetown, les lies de Loss et le
Kakoulima. Celte constitution de la cote est la principale
384 DB COKÀKHV AU NIGER.
cause de l'absence de ports convenables entre Dakar et
Freetown; il n'existe qu'une seule exception, celle de
Conakry, due à sa situation au bout d'un promontoire qui
lui permet de dépasser la zone basse pour atteindre les
grandes profondeurs; les lies de Loss ainsi que divers bancs
de sable au nord, protègent cette heureuse position contre
les vagues du large; le détroit entre Conakry et les lies de
Loss est parcouru deux fois par jour,en sens contraire, par
des courants de marée violents, de sorte que l'ensablement
du port est tout à fait impossible. Les îles de Loss sont
malheureusement anglaises, et leur distance de Conakry à
vol d'oiseau ne dépasse pas 10 kilomètres.
Les marées, très fortes sur la côte, permettent de remon-
ter aisément les petites rivières côtières telles que la
Mellacorée depuis Benly jusqu'à Farmoréah, la Dnbreka
depuis Dubreka jusqu'à Corera, le Rio Nunez depuis Vic-
toria jusqu'à Boké et au delà, la rivière Manéah depuis
Tanéné Doron jusqu'à Manéah; toutefois le terrain, s'éle-
vant rapidement en forme de terrasses, brise presque
aussitôt le Ht des rivières sous forme de rapides ou même
de chutes remarquables, de sorte qu'une navigation un
peu sérieuse devient tout à fait impossible; c'est pourquoi
le Rio Grande, le Konkouré et les deus Scarcies sont im-
propres en tout temps à la navigation; leurs vallées ne
peuvent être utilisées que pour un tracé de chemin de fer.
La superficie de la Guinée française est à peu près la
moitié de celle de la France; sa population est de 1,500,000
habitants, avec une densité variant de 5 à 10 habitants par
kilomètre carré. Sa parlie orientale, savoir l'arête sépara-
live des bassins côtiers et du bassin du Niger, la totalité de
ce dernier bassin, et enfin les hautes vallées des fleuves
côtiers sont granitiques; le granité est masqué sur de
larges étendues par la terre végétale ou la latérite, forma-
tion quaternaire consistant en un poudingue à ciment fer-
rugineux et à élémentsgranitiques ; celte latérite n'est dure
DE CONAKÎIY AU NIGER.
385
que superficiellement; elle est très poreuse, de sorte que
l'on trouve dans sa masse d'assez belles cavernes et des
ruisseaux souterrains anatogties à ceux des Causses; la
source d'une riviè™ se transforme souvent en une mare
isolée durant la saison sèche; la partie supérieure de son
cours devient souterraine et ne reparait à la surface que
pendant l'hivernage. Cette nature de terrain fait com-
prendre pourquoi l'on ne rencontre pas de marécages tant
soit peu importants dans l'intérieur du pays; exception
doit cependant être faite pour les bords de la rivière Kora,
affluent de la Grande Scarcie, qui sont assez marécageux.
Une bande étroite de schisles lustrés et de psammites
s'appuie sur la masse granitique; des grès blancs ou rouges,
Iriasiques probablement, lui succèdent en affectant la forme
des « amba n d'Abyssinie, c'est-à-dire de plateaux termi-
nés par des falaises analogues à nos falaises dolomitiques.
Parfois on rencontre aussi des soulèvements dioritiques ou
granitiques isolés le long des bords de la mer, comme
ceux du Badi, du Kakoulima, du Bennah, de Sierra Leone.
Le calcaire et la houille sont restés partout invisibles.
En revanche on trouve beaucoup de kaolin, — de l'hématite
brune vers les cotes provenant de la transformation de la
latérite, — de l'hématite rouge excellente, analogue à celle de
Mokta-el-Hadid, mais en pays granitique seulement, — enfin
de l'or dans les hautes et moyennes vallées des rivières
issues du Foulah Djallon.
L'eau est extrêmement abondante, vive, intarissable
même en saison sèche; de nombreuses cascades fourni-
raient de la force électrique à bon marché pour remplacer
la bouille.
La dore est abondante et variée : la cote produit surtout
des noix de kolas, bien connues dans la thérapeutique, des
amandes de palme provenant de Vêlais guinensis, de la
gomme copal, du sésame, du mil, des arachides, des fruits
de toute sorte, principalement des mangots non greffés,
38fi DL Cl»ÀK[lY Ali NIGER.
des ananas, des avocats et des corosols, enfin du café et da
cacao. Le haut pays fournit surtout du caoutchouc prove-
nant d'une liane de l'espèce landolphia, du coton à courte
soie, du tabac abâtardi, des oranges et des citrons, des
papayes, du petit mil, des arbres précieux ressemblant à
l'acajou; le bassin du Niger est riche en caoutchouc, pa-
payes, ananas, riz et maïs. Autour de tous les villages on
remarque une bordure d'orangers, papayers, manguiers,
palmiers sur la côte, baobabs vers le Niger. Les forets pos-
sèdent le fromager, dit aussi faux cotonnier, dragonnier
ou bembénier, arbre énorme dont la hauteur peut dépasser
50 mètres et le pourtour plus de 10 mètres de circonfé-
rence; les racines partent de 2 mètres environ au-dessus
du sol et forment en s'élargissant à mesure qu'elles se rap-
prochent du sol des sortes de contreforts puissants entre
lesquels on se loge facilement en voyage. Sur les bords des
rivières à marée croissent les palétuviers, pourvus d'un
grand nombre de racines adventives plongeant dans la mer
à marée haute.
Les légumes ou plantes alimentaires cultivés d'habitude
sont les patates, les ignames, les diabérés (sortes d'oignons
à pulpe enserrée dans des filaments ligneux), les haricots,
le manioc, le tara des Antilles, les tomates, l'oseille, l'au-
bergine, les courges ; les radis, les salades et les asperges
d'Europe viennent aussi très facilement, ainsi que toutes
les sortes de cacaos et de cafés.
Il sérail facile d'améliorer le coton et le tabac indigène,
et d'utiliser en outre une infinité de plantes textiles que
l'on rencontre dans le pays; on pourrait aussi monter quel-
ques scieries mécaniques à roues circulaires pour débiter
les bois du pays.
La faune du pays n'est pas moins remarquable que la
llore : elle comprend d'abord des animaux domestiques,
chiens, chats, poules, canards, moutons, chèvres, ânes,
chevaux et surtout bœufs; les animaux féroces sont le lion
Ut COKAKRY AU NIGfcK. 383
sans crinière dans le bassin du Niger, la panthère, la hyène,
le cynhyène pris parfois à tort pour un loup, le crocodile ;
les animaux sauvages sont les éléphants très nombreux
vers le Niger, les hippopotames dans toutes les rivières, les
antilopes de toute taille, les singes variés parmi lesquels
les chimpanzés, les macaques et les cynocéphales, les cer-
vidés tels que les céphalops et les biches-cochons, les san-
gliers ou phacochères, les lièvres, les serpents parmi les-
quels le boa, le trigonocéphale, la vipère à cornes, le ser-
pent minute, le bida ou serpent cracheur, le naja ou aspic,
le bananier, etc. ; les lézards tels que les caméléons, les
iguanes et les tarentes ; les oiseaux tels que autruches,
outardes, pintades, perdrix grises, courlis, cailles de Bar-
barie, pigeons verts, pigeons gris, tourterelles, canards
sauvages, aigles à télé blanche, petits vautours dits charo-
gnards, buses, milans, perroquets verts, martins-pècheurs,
merles métallique», colibris, marabouts, aigrettes, grues
couronnées, coqs de pagode, touras, etc.; les insectes
tels que fourmis blanches ou termites, fourmis carnivores
ou magnans, fourmis-lions, fourmis-cadavres, sauterelles,
moustiques, éphémères, papillons variés, puces dites « chi-
, araignées fileuses, cenl-pieds, scolopendres, mou-
ches tsétsé, etc.; la mouche tsétsé est confinée dans le
bassin du Niger entre Farana et Kouroussa; les poissons
sont aussi fort nombreux, entre autres ceux dits < capi-
; on trouve beaucoup de tortues de terre et d'eau
douce.
Les habitants se subdivisent ethniqueraent en Foulahs
ou Peuls, Maliokés et Sousous; les trois races, surtout les
deux premières, sont mêlées dans le Foutah Djallon; les
Sousous se divisent en Sousous de la côte et Diallonkés;
ceux-ci sont les anciens habitants du Foutah Djallon que
les Peuls chassèrent il y a un siècle ou deux ; les Peuls sont
des émisants, des pasteurs fort habiles à soigner les bœufs;
ils proviendraient, au dire du général Faidherbe, des an-
Iî«8 ÎIE CONAKKV AU NIUKR.
ciens Fellahs égyptiens; eux-mêmes déclarent descendn
des Arabes de Tombouclou, ce qui, sans être exact tout &
fait, pourrait approcher de la vérité si l'on remarque la
présence des Peuls dans le Macina, le Mossi et le royaume
de Sokoto.
Les trois races se distinguent d'abord par leurs traits,
quoique les croisements de Foulahs avec Malinkés et Dial-
lonkés aient altéré beaucoup de types : les Peuls sont gé-
néralement élancés, basanés plutôt que noirs, avec un nez
et des lèvres à l'européenne, les yeux fendus en amandes,
les cheveux â peine crépus, bref un profil pharaonique
analogue en effet à ceux des anciens Égyptiens; les Dial-
lonkés ou Sousous et les Malinkés ne sont que deux varié-
tés du type mandingue ou mandé, cousines des Bambaras
par leurs traits et leurs dialectes ; les Malinkés sont moins
nombreux et moins robustes que les Dîallonkés ; tous ont
le type nigrilien, nez épaté, grosses lèvres, cheveux crépus,
angle facial assez faible, le teint franchement noir, les yeux
gros et ronds et souvent de la corpulence.
Le langage des Peuls diffère totalement de ceux des Dîal-
lonkés et des Malinkés ; le général Faidberbe a trouvé une
parenté entre le peul et le ouolof, et j'ai remarqué moi-
même des roots se rapprochant du grec; les dialectes sou-
sou et malinké sont cousins l'un de l'autre; chez tous la
base de la numération est cinq au lieu de dix; tous aussi, en
écrivant leur langue, emploient des caractères arabes; ils
ont en effet des sons gutturaux analogues au ch allemand
et au kit des Arabes,' ils ont aussi des sons plus compliqués
tels que gn, ngn, mu, ad, etc., qui nécessitent une oreille
exercée et beaucoup de soin pour parvenir à les répéter,
Les flexions ou suffixes sont souvent remplacés par des pi
fixes; beaucoup de mots leur manquent, surtout pour dé-
signer certains objets et la division du temps, parce qu'ils
n'ont pas les notions correspondantes; les objets ou noms
européens dont ils ont pris l'habitude de se servir amènent
:
fies ternies anglais déformés tels que Bélia pour
William, ouachi pour watch (montre), masisi pour matches
(allumettes, mèches), tombili pour timbale (verre), pléti pour
plate (assiette), pensili pour pencil (crayon, porte-plume),
etc. Ils ont emprunté aux Arabes beaucoup de noms pro-
pres, sans doute par prosélytisme, mais après modification
préalable; c'est ainsi que l'on voit chez eux des Ahmedou
(de Ahmed), Mamadou (de Mohammed), Bokari (de Beker),
Bon rama (de Ibrahim), Sedou (de Saïd), etc.
Beaucoup de marabouts foulais connaissent l'arabe has-
ani ; en outre, de nombreux missionnaires arabes parcou-
rent la région; j'ai rencontré notamment aux environs de
rimbo un Senoussi qui venait de Tombouctou.
On peut en Guinée négliger les indigènes chrétiens et les
fétichistes, qui sont en très petit nombre et tous sur la
:ôte. Les musulmans sontd'autanl plus fervents qu'ils sont
oisins du Niger ou du Fou ta h Djallon, parce que l'isla-
nisme s'est répandu de l'intérieur vers le littoral, en contour-
int toutefois le gros bloc des Bambaras soudanais idolà-
res ; les Peuls et les Diallonkés d u Niger sont assez exacts
à pratiquer leur religion, mais les Sousous de la côte sont
incore fortement teintés de fétichisme, c'est-à-dire ne se
sont pas complètement débarrassés de leur croyance aux
fétiches (baré) et de leur penchant à l'ivrognerie et aux danses
j tamtam ; les musulmans véritables n'usent pas de vin,
nsent fort peu et croient aux démons (dinné ou djinns),
■ais non aux fétiches; quelques convertis récents ont
incore recours aux sacrifices mystérieux d'animaux, à dé-
t d'hommes sans doute.
Les fêles de la religion musulmane, les quatre prières quo-
lîdiennes, le jeûne du ramadan, la circoncision, l'excision
même pour les femmes, les pratiques de la polygamie sont
mis fidèlement; la femme est achetée à ses parents
loyennant une dot ou cadeau pouvant varier de 300 à
0 francs suivant l'importance de la famille, la beauté et
STO HE CONÀMiï AU SftOKR-
la jeunesse de l'épousée; elle peut être répudiée comme
chez les Arabes, mais la doi n'est rendue qu'en cas de faulp
grave de la part de la femme ou de tromperie de la pari.
des parents. La mort ne donne lieu à cérémonie que dans
le cas d'un homme important; en ce cas l'anniversaire de
la mort est célébré par un sacrifice d'animaux que le fils
aîné du mort immole lui-même. La femme est perpétuel-
lement mineure et dépend, jeune de ses parents ou de son
mari, vieille de ses enfants ; l'héritage est réservé aux mâles
et principalement au lils aîné, II est vrai que l'affection du
noir pour sa mère est touchante et que les mœurs suppléent
ici aux lois; il est remarquable de voir ces esprils simples
et souvent cupides oublier leurs plus chers intérêts pour
sauver leur mère en danger; je citerai notamment l'histoire
des enfants d'Ahmadou rapportée par le capitaine Piétri
dans ses Français au Niger.
L'héritage va du père au fils, mais le pouvoir passe du
frère aine au puîné jusqu'à ce que cette génération soit
épuisée; on revient alors aux enfants du Sis aîné; cette
coutume assure aux noirs, et aux Foulabs notamment, l'exis-
tence d'héritiers présomptifs et de chefs plus âgés et plus
expérimentés. Le chef est en général pris dans certaines
familles bien connues; on distingue des chefs de villages
(mangues), des chefs de canton (alkhalis) et des chefs de
provinces (lamidos) ; si la province ou le groupe de pro-
vinces est autonome, son chef prend le titre d'almamy et
l'investiture lui est donnée publiquement par le résident ou
administrateur français au moyen de la remise d'un turban
d'honneur. Par analogie avec nos anciens titres féodaux ou
religieux, on distingue chez les Peuls les titres honorifiques
d'alfa, lierno et modi.
Faute de cadis, les chefs et les marabouts foulahs ou
arabes exercent la justice; ils répartissent les charges de
l'impôt et la portion des récoltes réservée au public; ils
figurent aux cérémonies religieuses, exercent l'hospitalité
DU C0NÀKR1 AL NlUtiK. IttM
et président aux palabres; il existe en outre parfois des
chefs militaires distincts, par exemple dans le Ranéah et le
Bennah. Les soldats sont recrutés parmi les captifs et pren-
nent le nom de sofas, mot qui vient de l'arabe rof; d'au-
tres captifs les commandent sous le nom de saliguis.
L'esclavage est une institution entrée profondément dans
les mœurs de ces populations. En Guinée, l'homme libre
est celui qui ne travaille pas, comme notre ancien baron
féodal, le Freiherr; il y a donc entre les noirs et nous un
malentendu quand nous parlons de les libérer; ils nous
répondent parfois : < Tu m'as fait libre, donne-moi des
esclaves. » L'ancien captif à peine délivré des mains de
Samory s'empressait de nous réclamer quelques vaincus
comme fruit de la victoire. En réalité, on se trouve en pré-
sence d'une nécessité économique de main-d'œuvre, pro-
venant de l'absence de toute bêle de somme dressée et de
mt appareil mécanique; le jour ou les noirs auront des
tintes, des voitures et un chemin de fer, il ne sera plus
lin d'esclaves porteurs pour faire la traite; lejour ou
l'on attellera des bœufs à la charrue, on pourra diminuer
e nombre des esclaves agriculteurs et finalement le sup-
rimer tout à fait; mais abolir brutalement par décret
•clavage existant, c'est à la fois ruiner les maîtres et rem-
icer l'esclavage par le vagabondage; c'est détruire la
ieille société sans préparer celle qui doit la remplacer. La
ictique à suivre est d'abord de supprimer sans pitié la
aite des esclaves et d'en tarir le recrutement; en même
mps, il faut répandre le goût du travail en donnant aux noirs
s besoins à satisfaire, des impôts à payer ou des presta-
ions vicinales à acquitter; il faut créer de nombreuses
oies de communication, enseigner l'utilisation des ani-
laux tels que bœufs et mulets, et enfin introduire les
:hines agricoles pour labourer la terre, récolter et
loudre le riz. Les progrès économiques amèneront ainsi
talement tous les maîtres à accepter le travail, et les
&>2 DE CONAKRV AB «IGER.
esclaves à s'élever à la condition supérieure de domesti-
ques; du reste ils sont actuellement assez humainement
traités en tant qu'esdaves de case, et l'appellation qui leur
conviendrait serait plutôt celle de serfs.
L'impôt de capitation est de 2 francs par tôle; il a rap-
porté en 1898 500,000 francs environ, la part des chefs
réservée; cela correspond à peu près à 300,000 hommes
valides, en tenant compte de l'argent laissé aux chefs, et
par suite à 1,200,000 habitants au moins, en ne comptant
que quatre personnes par homme valide; comme l'impôt
n'a pas été payé par tous les indigènes et que prés de la
moitié y ont échappé, on voit que le chiffre de 1,500,000
habitants donné plus haut comme population de la Guinée
est assez exact. Il est curieux de remarquer que les popu-
lations le plus anciennement soumises sont celles qui font
le plus de difficultés pour payer l'imp6t.
AB PROJET DE CHEMIN DE FER.
La durée de la construction de la ligne totale serait de
huit ans environ et coûterait soixante millions d'après les
dernières évaluations; mais il est possible de se contenter
de faire d'abord les premiers 300 kilomètres allant de la
côte au Fou ta Djallon, ce qui rabaisse la dépense à vingt-
sept millions, tout en desservant la majeure partie du trafic ;
en effet, les routes du caravanes convergent toutes vers
Friguiagbé et suivent, à partir de ce point, la route de Fii-
guiagbé à Conakry. Il ne faudrait que trois ou quatre ans
pour terminer cette partie de l'œuvre.
La construction et l'exploitation pourraient être concé-
dées à une société pour une durée déterminée moyennant
certains avantages à débattre; à défaut de cette solution
la colonie peut emprunter directement en utilisant son cré-
DE COfiAKRY AU NIGER.
dit toujours croissant, et construire par voie d'entreprise
ou en régie. Quant à l'exploitation, elle serait assurée encore
par la colonie ou par une société concessionnaire.
Il est singulier, à ce propos, de comparer la timidité des
Français d'aujourd'hui à la témérité de nos aïeux, ces har-
dis armateurs du xvi' siècle, qu'une tempête pouvait ruiner
sans rémission et qui ne tablaient pour s'enrichir que
sur des probabilités commerciales et météorologiques ; on
demande maintenant encore la garantie de l'Étal dans les
affaires les plus sûres; on désire les gros bénéfices sans
courir cependant les risques légitimes, et l'on ne s'aperçoit
pas que les uns sont liés aux autres. Telle ville dénuée
d'avenir et plus ou moins bien gérée trouvera crédit dans
de meilleures conditions qu'une colonie florissante, même
si celle-ci n'emprunte que pour exécuter des travaux publics
de première utilité, dont le résultat palpable atteste aux
yeux le bon emploi des capitaux et leur sert à la rigueur
de gage. Les capitaux préfèrent adopter soit des valeurs
nationales de rapport très minime, soit des valeurs étran-
gères privées de tout contrôle national et tout aussi aléa-
toires en réalité que les nôtres. Pendant ce temps, l'Angle-
terre crée un fonds d'emprunt pour ses colonies pauvres
au taux de 2,5 p, 100.
La traction du chemin de fer pourrait être électrique bien
facilement -, des usines emprunteraient la force à des tur-
bines hydrauliques et l'enverraient au moyen de courants
biphasés et de transformateurs de tension dans deux trol-
leys aériens; l'espacement des usines serait de 150 kilo-
mètres environ, sauf pour la première que l'on installerait
à 50 kilomètres de Cooakry.
Malheureusement, ces procédés ne sont pas encore suffi-
samment entrés dans la pratique; le prix de revient actuel
serait encore trop élevé; il vaut donc mieux se contenter
provisoirement de la traction à vapeur, malgré l'absence de
bouille dans le pays ; on emploiera des macbines-tenders
I>E CONAKRÏ AU NIUKK.
Compound pesant de 15 à 30 tonnes en ordre de marche, à
2 ou 3 essieux couplés, sans bogies; le reste du matériel
sera à bogies, les trains se composeront d'un petit nombre
de véhicules, pesant ensemble chargés de 50 à 80 tonnes
dontSOàfiOuliles.
Il y aurait environ un train par jour dans les deux sens,
afin de desservir le tonnage total qui est au moins de 30,000
tonnes, dont 23,000 à la montée. La vitesse commerci
serait de 25 à 30 kilomètres à l'heure.
■ COLONIES ÉTRANGÈRES.
"
1! me reste encore, pour épuiser la matière de cette con-
férence, à parler des colonies étrangères que j'ai visitées au
cours de mes explorations, et notamment dans le voyage
que j'ai fait, en 1898, comme délégué français à l'inaugura-
tion du chemin de fer du Congo. Il ne peut être que pro-
fitable de comparer les eil'orts de nos rivaux aux nôtres,
principalement en ce qui concerne les Allemands, les Belges
et les Anglais.
Je n'ai vu aucune colonie allemande africaine, mais il
y a partout des factoreries allemandes assez prospères, et
Conakry lui-même a failli devenir allemand vers 1887,
grâce aux démarches actives d'un commerçant de Ham-
bourg établi à Conakry ; nous avons même dû céder
Petil-Popo comme rançon de l'abandon des prétentions ger-
maniques. Les vapeurs de la compagnie Wœrmann, de Ham-
bourg, desservent mensuellement presque tous les points
de la côte sans aucune subvention, et paraissent faire de
bonnes opérations commerciales.
La colonie espagnole des îles Canaries est anglicisée
dans les villes de Las Pal mas, dont l'excellent port de La Luz
est eu entier anglais, de Santa-Cruz et d'Orotava; une
compagnie anglaise vend à La Luz du charbon à 18 francs
cosakrï \r niger. :i95
J -a tonne, elnos vapeurs nationaux subventionnés s'y appro-
"visionnent eux-mêmes.
Les riantes Acores et les Iles du Cap-Vert sont des colo-
*~»ies portugaises assex florissantes, les premières surtout;
1 «s Américains fréquentent volontiers les Acores ; cet archi-
t*el manifeste des tendances à l'autonomie. Sa situation
^ tratégique serait fort belle pour la marine des États-Unis,
•louant aux îles du Cap-Vert, la principale station est celle
«rie Saint-Vincent, rivale heureuse de Dakar pour les escales
«ries paquebots européens à destination de l'Amérique du
Sud ; ce port est anglicisé eL la compagnie charbonnière est
anglaise; ce serait un excellent port d'attacbe pour une flotte
anglaise chargée d'observer Dakar et l'Afrique occidentale.
Le Sénégal et la Casamance sont riches et prospères,
;urtout à cause des cultures d'arachides dont le port d'em-
'quemenl est Itufisque. La barre du Sénégal est prati-
ble pour des navires ne calant pas plus de 4 mètres,
tant que la barre n'est pas fermée, ce qui se produit quel-
|uefois à la fin de la saison des pluies; les bateaux sont
lors obligés d'aller embarquer ou débarquer leur fret à
Lkar. Le vieux port franc de Gorée reeoit encore quel-
ues bateaux anglais. Dakar, position splendide pour un
port de guerre et excellente escale pour les bateaux du
Brésil, n'aura pas d'ici longtemps l'avenir commercial rêvé
par le général Faidherbe; son hinterland est en effet petit
et peu important, constitué uniquement par le Sine et le
Baol, que borde le pays stérile du Ferlou. Rufisque lui
enlève le commerce des arachides ; La Lu/ et Saint-Vincent
les entrepôts de charbon ; Saint-Vincent lui enlève pour les
escales du Brésil tous les vapeurs qui ne sont pas français;
Saint-Louis continue à relier directement le haut Sénégal
à Bordeaux; le chemin de fer de Dakar à Saint-Louis, mal-
gré un certain trafic de voyageurs et d'arachides, ne pros-
père pas comme il devrait le faire à cause de la concur-
rence du cabotage qui lui impose des prix très bas.
3% DE CONAKRV AU NIGER.
La Casamance et la Guinée portugaise se sont révélées
riches en caoutchouc. La Gambie anglaise vit surtout du
commerce de ses arachides qui sont très renommées ; cette
colonie est peu importante pour l'Angleterre, mais elle
aurait été peut-être meilleure pour nous que la voie du
Sénégal au point de vue pénétration; en effet, le fleuve
est navigable en tout temps jusqu'à Yarbatenda, et de ce
point on atteint facilement le Foutab Djallon, le Bambouk
et Kayes.
La Guinée portugaise serait également entre nos mains
une excellente acquisition et une bonne voie de pénétration
vers le Foutah Djallon par le Rio Grande.
La Guinée anglaise, dite par les Anglais colonie de Sierra
Leone, date de 1780, époque où les Anglais y fondèrent
une station pour régénérer les esclaves libérés; de là le
nom de Freetown donné à la capitale. Celte ville possède
aujourd'hui 30 mille noirs anglicisés et est entourée d'une
banlieue riche et florissante où l'on cultive beaucoup les
fruits, le gingembre, etc. ; elle possède un chemin de fer
qui a déjà 50 kilomètres en pleine exploitation. Le port est
excellent; la rivière de Sierra Leone permet de pénétrer à
l'intérieur jusqu'à Port Lokko, point assez rapproché des
centres de traite indigène à l'intérieur. Le terrain est assez
accidenté du reste, surtout aux environs des aiguilles de
Kinki. Les traitants de Sierra Leone firent jadis d'assez
belles affaires commerciales avec le Foutah Djallon et avec
Samory, qui leur achetait des fusils et de la poudre contre
des esclaves; l'expédition du colonel Combes coupa heu-
reusement les communications enlre Freetown, Saniory et
le Foutah, de sorte que ces trois ennemis n'ayant pu se
réunir ont fini ou finiront par tomber entre nos mains. Le
commerce de la colonie, surtout à l'exportation, a été for-
tement atteint par la prospérité de Conakry; le port de
Freetown n'est plus comme autrefois l'entrepôt de nos fac-
toreries guinéennes et le lieu de relâche des grands va-
DE C0HAK1IY AU JSiGEIl.
:W7
peurs; Conakry lui dispute ce rôle avec avantage, en atten-
dant le succès plus complet qu'assurera le chemin de fer
projeté. Freetown vit encore d'un certain commerce avec
sa banlieue, avec son hinterland oriental du Mano et du
Sherbro, avec les caravanes de Kankan et du Kissi et les
productions du Libéria. Les Anglais manœuvrent pour
annexer ce dernier pays au point de vue économique ; il y
aurait lieu de chercher à les en empêcher.
La ville de Conakry est commandée par les îles de Loss,
qui sont anglaises ; ces îles abritent entre elles un excellent
mouillage pour des navires de guerre, et pourraient être
couronnées de batteries qui interdiraient complètement le
bombardement du port si elles étaient entre nos mains.
Le Congo belge est en pleine croissance, grâce à son
chemin de fer qui relie le bas Congo, où arrivent les plus
grands steamers, au Congo supérieur navigable et à ses
*fDuents sur une immense élendue. Le tracé des frontières
du Congo belge est un chef-d'œuvre de diplomatie; il a été
feU de manière à écarter pratiquement les voisins français
6t portugais et à empêcher les uns et les autres de con-
struire plus tard une voie ferrée le long du fleure. Notre
manque de clairvoyance et notre obstination le long du
Niari-Kouilou nous ont fait perdre le bénéfice de la merveil-
leuse occupation de Brazzaville. Il aurait été indispensable
que notre frontière, au lieu d'arriver sur le Congo moyen à
Manyanga arrivât sur le bas Congo à Vivi, afin de nous
fendre possible une voie ferrée allant de Vivi à Brazzaville
en territoire français.
Le chemin de fer de Maladi au Stanley-Pool présente sur
tous ceux qu'on peut tenter dans ce pays deux énormes
avantages- ceux du port et de la distance. Le port de Matadi
ni excellent et permet à tous les steamers d'aborder à
quai sans rompre charge depuis l'Europe; la distance est
en outre réduite à -W0 kilomètres, alors que noire voie
rojetée du Niari-Kouitou aurait plus de 500 kilomètres, à
398
m. CONAKRï Alt Mi.l'.ïi.
moins d'admettre de nombreux transbordements [tour uti-
liser la voie fluviale. Nos ports de Loango et de l'embou-
chure du Kouilou sont des rades foraines contrariées par
des barres et des courants. Si par fortune la voie belge
actuelle devenait insuffisante, il vaudrait mieux la doubler
ou en créer une deuxième sur la rive droite du Congo que
d'entamer une voie ferrée le long du Niari-Kouilou.
11 n'a tenu qu'à nous de devancer les Belges, et nos éter-
nels tâtonnements nous ont fait perdre l'occasion, non seu-
lement de mettre notre domaine en valeur, mais même de
conquérir économiquement celui de nos voisins. Le chemin
de fer belge est vraiment une œuvre admirable pour l'ha-
bileté de sa préparation diplomatique, pour la netteté, l'au-
dace et la vigueur de son exécution.
Cette ligne est une ligne de montagne, de 0 m. 75 d'écar-
tement, avec des rampes énormes et des courbes très accen-
tuées; la traction est à vapeur; l'entreprise vit néanmoins
et prospère, malgré quelques défauts que la traction élec-
trique supprimera plus lard et bientôt peut-être; son ter-
minus, Léopoldville, se développe vis-à-vis de notre mer-
veilleuse position de Brazzaville que nous laissons presque
déserte et sans utilisation.
La construction du chemin de fer des Belges a pour pre-
mier effet de donner à Brazzaville une importance énorme
et d'en faire la vraie capitale du Congo français ; Brazzaville
se trouve en effet maintenant au centre des communica-
tions fluviales ou terrestres de cette contrée; on est en
train de le relier à Loango et à Libreville par une ligne télé-
graphique terrestre.
La deuxième conséquence du chemin de fer belge est de
reporter vers le nord, vers Libreville, l'Ogôoué et la San-
gha, nos projets de voie ferrée; ce n'est que là, en effet, que
nous trouverons à la fois un port convenable et un tracé
économiquement justifiable; nous mettrons ainsi en exploi-
tation un pays fort riche tout eu nuus assurant une corn-
DE COKAKHY AU NIGEH. 391*
munication autonome vers l'Oubangui, et une zone com-
merciale distincte de celle de la voie belge.
Enfin le principal résultât de l'œuvre du colonel Thys est
encore de porter sur ce point essentiel l'attention interna-
tionale; il ne faut pas oublier que nous sommes les héri-
tiers de la Belgique, et que telle circonstance imprévue
peut faire ouvrir un héritage qui sera contesté sans doute
par les Anglais ou les Allemands; or, celui qui tiendra le
chemin de fer du Congo sera maître de l'Afrique centrale.
Il nous importe, en prévision de cet événement, de relier
nos possessions entre elles et avec la France par deux câ-
bles nationaux allant l'un de Brest à Saint-Louis et l'autre
b Kotonou à Libreville, et d'achever toutes nos lignes ter-
istres.
L'Angola portugais est un pays naturellement riche qui
lépérit faute d'argent et peut-être aussi de population eu-
ropéenne suffisante ; le port de Saint-Paul de Loanda s'en-
;able tous les jours ; la ville a un aspect misérable; les babi-
ints semblent nonchalants et paresseux. Le chemin de fer,
de Saint-Paul a Ambaca vient à peine d'atteindre
Amboca, bien qu'entrepris avant celui des Belges. Malgré
tous ces signes d'infériorité, l'Angola bien situé, riche en
bœufs et en cafés, pourrait éveiller certaines convoitises.
KKKSKIilSKMKN'rS CfiMPLÉMBSTÀlKES
SUIl I.E CHEMIN DE FER DE CONAKRY AU NIGEH
A. — Mliwlon .Viuri.-. de ISttS n lNWt). en (. iiim <■
Les deux missions Salesses, ainsi qu'il a été dit plus haut,
avaient rapporté un tracé complet de la ligne projetée. Pour
des raisons commerciales, il y avait lieu, toutefois, d'étudier
grande variante entre L'riguiagbé et le bassin du
400
IIE CONAKRY AU NIGER.
Bafing par la vallée du Konkouré; deux i
de cette variante soigneusement Faites ayant été encoura-
geantes, il était possible de lever immédiatement le tracé à
grande échelle.
La deuxième mission Salesses se scinda donc en deux
parties, l'une chargée d'exécuter à Paris l'avant-projet du
chemin de fer d'après les données acquises que l'on modi-
fierait au fur et à mesure des nouveaux renseignements,
l'autre dirigée par l'adjoint du génie Naudé, chargée de
lever en Guinée la grande variante du Konkouré. C'est
l'abrégé des travaux de cette troisième mission qui va être
exposé ci-après.
Le programme de la mission Naudé comprenait :
1° Le lever de la variante précitée, longue de 204 kilo-
mètres.
2° L'élude d'un embranchement reliant Timbo à la
grande ligne, soit 30 kilomètres.
3* L'étude d'une deuxième grande variante de 170 kilo-
mètres de longueur, reconnue déjà partiellement, entre
Soarella et Kouroussa par Banko.
4° L'étude de divers perfectionnements de détail entre le
TabilietKoniakori,sur une longueur tolalede 45 kilomètres.
5' Diverses reconnaissances dont le résultat a été tantôt
négatif et tantôt positif, et parmi lesquelles il faut citer sur-
tout une belle reconnaissance le long de i'Ouaulamba, du
Samou et de l'Ouankou, par Soulia et Bettésimbaïa, qui
permettra à la fois d'adoucir les pentes et de raccourcir le
tracé.
Ce programme a été largement rempli.
Pour l'exécuter, M. Naudé disposait de trois sous-officiers
du fïénie, l'adjudant Nicolas et les sergents Dubus et Van-
dnmme, tous trois déjà exercés a la vie coloniale, aux levers
et aux travaux de chemins de fer. Les instruments étaient
constitués par des planchettes, des boussoles Peigné, des
règles à éclimètrc, des niveaux à lunette, des baromètn
DE CONAKBV AD NH;EM. 401
oloslériques. Le matériel de la mission précédente lut
largement utilisé ; il fut nécessaire cependant de renouveler
les montures qui avaient toutes succombé sans exception
mi fatigues de la campagne de 1898.
Embarquée le 25 octobre 1898 à Marseille, la mission
Naudê était de retour le 17 juillet 1899 au même poinl;
elle avait exécuté 445 kilomètres de lever régulier au
1/5,000 et environ 500 kilomètres de reconnaissances
diverses. Son itinéraire, à partir de Conakry, passait par
Friguîagbé, Koba, le Konkouré, Timbo, Soarella, Kourou-
koro, Banko et Kouroussa, avec crochets vers Tanéné Kan-
gourou, Koniakori et Bantanbourou sur le Haut Tinkisso.
Le séjour dans la brousse a duré plus de sept mois sans
aucune perte de temps. Si l'on déduit environ soixante-cinq
jours employés aux marches et aux reconnaissances, on voit
que la vitesse du lever régulier a été de 3 kilomètres par jour
eu moyenne.
La santé de la mission n'a jamais été assez gravement
compromise pour l'immobiliser; toutefois, ses membres ont
éprouvé d'assez fréquents accès de fièvres, notamment le
ttrgenl Dubus.
Les résultats qu'elle a obtenus sont remarquables. La
variante du Konkouré a été déjà adoptée par le Ministre
des Colonies sur la proposition du gouverneur de la Guinée,
comme étant meilleure au point de vue tracé et au point de
vue commerce, bien que plus longue de 50 kilomètres.
Cette -variante supprime le pont de la Grande Scarcie et les
grandes rampes de Gouléah et de Bambaïa; elle dessert le
grand marché de Demokoulima fit se rapproche du Labé.
Son tracé suit en général le thalweg du Konkouré, sauf
entre Kouuîeia et Songouya où l'on a pris la corde de l'arc
décrit par le Konkouré; dans cette partie le tracé suit le
cours des rivières Koufa, Finké et Coïé, affluents du Kon-
kouré; on rejoint l'ancien tracé près de Aïndé Konkouré.
Le tracé de l'embranchement desservant Timbo part des
Le 1
102 DE COKAKBÏ AE NIGER.
environs de Sarébowel, rejoint le Bafing à Socotoro, redes
cend ce fleuve jusqu'à l'embouchure du Hériko, et se dirige
encn sur Timbo en remontant successivement le Hériko. le
Saman et le Tchiangui; cette dernière rivière passe à
Timbo; ce tracé est long de 30 kilomètres environ, mais
tout tracé plus court conduit à des pentes inacceptables à
cause de la grande altitude de Timbo par rapport au Bafing
jointe à sa proximité du fleuve; ce tracé tourne les monts
Elaïaqui séparent le fleuve de la capitale du Foutab, Djallon.
Timbo est bien déchu, et M. Noirot, administrateur du
Foutab, songe à reporter vers le nord, près de Fougoumba,
le centre politique de sou cercle. Il est donc probable qu'il
n'y aura jamais lieu d'exécuter cette partie du projet; si
l'on juge plus tard que le Foutab mérite d'être desservi
spécialement par une ligne sud-nord passant par ses princi-
paux centres, on devra revoir la question à un point de vue
d'ensemble.
La deuxième variante, celle qui va de Soarella à Kou-
roussa en passant par Banko, a exactement la même longueur
que la partie correspondante de l'ancien tracé et présente
l'avantage de desservir directement Toumania, Dinguiray,
Banko et Kouroussa; elle traverse en plein les pays à caout-
chouc, passe près des pays de l'or et coupe le Tinkisso vers
l'extrémité amont de sa partie navigable; en outre elle sup-
prime la difficulté de la descente de Simbacounian.
Par contre, elle a le désavantage de négliger le bassin du
Niger supérieur et la zone de Beyla exploités commercia-
lement par les Anglais; il est évident qu'on devra plus tard,
si on adopte celte variante, créer un embranchement de
Soarella à Beyla le long du Tinkisso, de la B. Koba et du
Niger. Mais l'exécution de la deuxième moitié du tracé est
encore assez lointaine; il n'y a donc aucune urgence à
prendre parti dès maintenant, et il vaudra mieux ne trancher
la question que lorsque le mouvement commercial se sera
dessiné.
; CONAKIU AU Hllibllt.
103
Us reconnaissances faites vers Tanéné Kaligourou, vers
les sources de la R. Kangan, affluent du Konkouré, et vers
Banlanbourou, sur le haut Tinkisso, ont prouvé qu'il n'exis-
tait pas de passages meilleurs queceuxdeBinkéli, deSourni
etdeBérendéprès de Simbacounian. En revanche la recon-
naissance faîte en dernier lieu le long de l'Ouantamha, du
Samou ou Badi et enfin de l'Ouankou est tout à fait encoura-
geante; elle permet de franchir le seuil desmonlsOuloumà
eaviron20 mètres plus bas, tout en raccourcissant le tracé et
départissant la pente sur une longueur quadruple; cette heu-
reuse découverte permettra de réduire extrêmement la der-
nière difficulté qui existait encore, c'est-à-dire celle de la
montée des monts Ouloum.
Si l'on compare le tracé actuel tel qu'il résulte des derniers
travaux de la mission Naudé au tracé tel qu'il a été exposé
par le capitaine Salesses dans sa conférence de 1898, il est
facile de constater que l'on a obtenu en réalité deux et sou-
*eol trois tracés jumeaux entre Conakry et Kouroussa; ces
Iracés se contrôlant tous entre eux, il est facile de juger que
peu d'avanl-projets présentent plus de garanties de sincé-
rité et d'exactitude. Le nivellement part de la mer et aboutit
au fleuve du Niger en deux points, Kardamania et Kou-
roussa; il résulte de ce nivellement que le Niger a une cote
de 365 m. 75 à Kouroussa; ce fleuve n'aurait que 292 mètres
à Bamakou et 278 mètres à Toulimandio, d'après les colo-
nels Marraieret Joffre; le colonel anglais Trotter fixe la cote
de la source du fleuve à Tembikounda à 85i mètres au
moyen de déterminations barométriques. La cote du point
le plus bas séparant la Petite Scarcie du Konkouré, c'est-
à-dire celle du col de Sourni, est de 713 m. 38; celle du point
analogue séparant le Bafing de la petite Scarcie, c'est-à-dire
celle du col de Koumi, est de 717 m. 48; la cote de Dindéa
près du Bafing est de 642 m. 90; l'altitude du Tinkisso au
passage de Kouroukoro est de 399 m. 92; elle est de
S75 mètres en amont en face de Simbacounian dans le
40* I>E COIÏAKRÏ AD NTCEK.
tracé de 1H98. Tous ces chiffres ont été obtenus avec le ni-
veau à lunette et ne peuvent être affectés de graves erreurs.
L'altitude niaximades montagnes du FoutahDjallonserait,
d'après le docteur Maclaud, de 1 ,4-00 à 1 ,500 mètres au nœud
orographique du Diaguissa où le Bafing et le Konkouré
prennent leur source. Je ne crois pas qu'il s'y trouve un
seul point atteignant 2,000 mètres.
L'œuvre de la mission a été trop complète au point de
vue topographique pour tolérer des préoccupations paral-
lèles. Toutefois, la mission a pu observer à nouveau une
belle cascade du Tinkisso en aval de Soarella, cascade déjà
signalée par d'antres voyageurs. Elle a également relevé
partiellement la ligne de démarcation du grès et du grai
aux environs de Yerabetta et des rives du Khobé,
IhlK-rlv.n
Cette roule, cause initiale des éludes qui précèdent, con-
serve encore sa raison d'être, par suite des commodités qui
en résulteront pour la construction du chemin de fer; elle
a atteint Friguiagbé au cours de l'année 1899 et aurait été
menée plus loin si on ne l'eût arrêtée pour ménager les res-
sources de la colonie. La plupart des ponts en bois ont été
remplacés par des ponts en fer el des améliorations diverses
ont été apportées à son tracé. Elle est bien tassée, solide et
parfaitement utilisable pourde lourds charrois. On en a pro-
filé aussitôt pour organiser les transports au moyen de voi-
lures à bœufs; des caravansérails et des parcs à bœufs
espacés de 25 kilomètres environ jalonnent la route; des
Foulahs conduisent des attelages de bœufs bien dressés
permettant de réduire nos frais de transport et surtout
l'emploi des porteurs. C'est à M. Leprince, garde d'artillerie
de marine, que sont dus ces beaux résultats, pour lesquels
te Ministre des Colonies a bien voulu lui attribuer la croix
mit
DE CONÀKltY AIT NIGER. 405
de dievalier de la Légion d'honneur. Cette route, conslam-
méat parallèle an tracé de la voie ferrée, rendra plus lard
de précieux services, notamment pour le transport des fers
îles ponts et le ravitaillement des chantiers.
C. — Slinniloii fiiij.ml.-ri- il<- la liuinée rrnii^»i».-.
Euur de lu «■nloiiir.
La prospérité de la Guinée française devient de plus en
plus marquée, et les résultats du 1er trimestre de 1899 ont
été tels qu'ils ont égalé ceux de Tannée 1896 toute entière.
Le commerce a perdu le caractère de l'ancienne traite et est
devenu tout à fait européen; la nionnaie française est em-
ployée constamment pour les échanges et est importée dans
l'intérieur en quantités extraordinaires. D'autre part, les
différences entre les saisons s'atténuent au point de vue du
Irafic, et le 3" trimestre, notamment, présente un trafic encore
1res appréciable; il est clair que lorsque le chemin de fer
sera créé et que des comptoirs permanents seront fondés
dans l'intérieur, le commerce deviendra permanent aussi.
Il a été dit souvent que la Guinée française n'enlèverait
rien au commerce du Sénégal, et que la lutte se localiserait
entre Freetown et Conakry. Le tableau suivant montre que
les importations annuelles totalesdues à Freetown et Conakry
vont en croissant, mais que la somme des exportations des
deux pays se maintient constante. Le premier phénomène
est dû sans doute à l'existence d'une population ouvrière
nombreuse le long des chantiers du chemin de fer anglais,
mais les exportations ne sont pas faussées et représentent
bien le vrai commerce permanent de la région.
Guinée française... 4,810,000 fr. 7,610,000 fr. 9.050,000 fr.
Guinée anglaise... lï,B00,O00 11,650,000 15,370,000
Total 17,410.000 fr. 19,290.000 fr. Î4.3UO,000 fr.
tracé de 1898. To
veau à lunette et m .
L'altitude
d'après le docteur ■
orographiqae du
prennent leui
seul point atti
L'œuvre de ^_
vue topiij
lèles. Toi
signalée p
■
8,7*5,000 fr.
10,8*5,000
9,380.000 fi
8,430,000
I6£G0,O00fr. 17,310,000 fr
^trv est évidemment perdu par
hjr cette ville.
ut ressortir la progression de;
liions à Conakry depuis 18ÏHÎ,
■ :■-. 3,900.000
KO 000
365,000
5*5,000
*9S -- ■
m,ws
u. 180.000
«0.000
90,000
8Û&.000
1897
iûTÙl» 7.640,000 9,OÎO,0OO 4,275.00
6,7î5,00O 9,î80.,«JO 4,185,00
14,365,000 18,300,1.00 8,560,01
« ci-dessous montrent la nature i
a et des articles d'exportation en Goin
DE CONAKHY JLD MIGEH. 407
Parmi ces articles, il faut noter les bœufs, le riz, le sel
comme étant susceptibles de développement; le commerce
du sel prendra une extension considérable dès que l'on
pourra le livrer à bas prix sur le Niger. 11 faut noter aussi
que les importations françaises augmentent sensiblement,
mais qme les exportations en France restent stalionnaires à
cause de l'absence d'un marché national pour le caoutchouc ;
tant que ce marché n'existera pas, les importations anglaises
seront toujours considérables, à cause des relations étroites
existant entre Manchester et Liverpool, le marché des
cotonnades et le marché de caoutchouc. La faiblesse de
notre marine marchande est également une cause de fai-
blesse pour nos importations.
On peut catégoriser les marchandises au point de vue
tarifs de transport d'après les indications de ces tableaux :
il est clair que, parmi les marchandises payant le ptuscher,
il faut ranger le caoutchouc, la gomme copal et les colon-
nades, car ce sont elles qui donneront le plus clair des
recettes; à celte catégorie on peut ajouter, en se guidant
sur des considérations morales, le tabac, les alcools, les
armes et la poudre; on mettrait dans une catégorie plus
favorisée les articles lourds et de peu de valeur dont il faut
encourager la vente, tels que sel, quincaillerie, arachides,
riz, sésame, fruits ; enfin la catégorie la plus basse compren-
drait les bœufs, les peaux, les fers, les machines, les
articles de consommation. Cette classification favoriserait
ainsi éminemment la propagation de la civilisation à l'inté-
rieur.
Quand le chemin de fer sera entrepris, il en résultera un
afflux d'ouvriers noirs et, par suite, de nombreux achats de
leur part effectués au moyen de leurs salaires. 11 en résul-
tera aussi la création et la prospérité des petits corps de
métiers, tels que tailleurs, cordonniers, blanchisseurs, maré-
chaux, charpentiers, forgerons, etc. ; on créera forcément
des hôtels, restaurants et cafés, et l'on fondera des com-
408 DE CONAKRV AU NIGER.
pagnies pour la fourniture de l'éclairage, de la glace et
charbon. Le port lui-même et les transports maritimes
viaux et terrestres feront l'objet d'aménagements et de con-
cessions,
La colonie étudie en ce moment un grand projet d'adduc-
tion d'eau vers la capitale, projet dont l'adoption suppri-
mera le principal défaut du port de Conakry qui est de
n'avoir pas une véritable eau de source.
D.
■ La Guinée nnpçlnlaf cl i
1a l'Iitriiilia de fer.
Les tableaux ci-dessus donnent
actuel de la Guinée anglaise; il y a lieu d'indiquer en outre
que le calme est maintenant complet dans cette colonie. Le
gouverneur de Sierra Leone, colonel sir Thomas Cardew,
malgré l'enquête défavorable de sir Frédéric Chalmers,
commissaire royal, a conservé la confiance de M. Chamber-
lain et revient à Sierra Leone.
Le Parlement anglais vient de voter un fonds d'emprunt
de 85 millions pour les travaux publics des colonies pauvres,
entre autres pour le chemin de fer de Freetown; le taux
d'emprunt sera 2,5 p. 100. Les dépenses déjà effectuées
pour le railway de Freetown atteignent 5 millions.
D'après des documents extraits du Boaril o[ trade, Docu-
ments parlementaires anglais de 1899, le chemin de fer de
Freetown est en exploitation depuis le \" mai dernier sur
ses 51 premiers kilomètres, de Freetown à Songotown; il
est en construction de Songotown à Rotofunk sur 39 kilo-
mètres; les levers comprennent une première partie de
Songotown à Bumban (177 kilom.) et une deuxième de
Rotofunk à Mano (66 kilom.). Ce chemin de fer comprendra
deux branches, l'une destinée à exploiter le Libéria, le Mano
et le Sherbro, l'autre desLinée à desservir notre binterland
soudanais depuis Beyla jusqu'à Kouroussa en passant par
I
I)E C0NAKRV AU NKiKK. 409
Kankan. Il devient urgent que nous nous mettions en
marche en Guinée, en profitant de l'énorme avantage que
nous donnent la possession exclusive de l'hiuterland et celle
du Niger navigable.
E. — l'<[n( actuel de In question du «-lirinin de fer
de Couskry.
L'avanl-projet du chemin de fer et son état estimatif
n'ont été dressés d'abord que pour les premiers 275 kilo-
mètres, bien que l'on possède le lever complet jusqu'au
Niger, sur 670 kilomètres de longueur totale. Toutefois, le
reste de l'avant-projel est en cours d'exécution et le tracé
en plan est même complètement terminé à l'heure actuelle.
Quelques changements de chiffres ont eu lieu, par suite
des nouvelles données et de diverses décisions prises depuis
le 1" janvier 1899 : la longueur a été portée à 670 kilo-
mètres, et l'altitude définitive du point le plus élevé de la
ligue, le col de Koumi, a été fixée à 717 m. 48; les autres
principales cotes ont été données dans le compte rendu de
la mission Naudé.
Le tracé actuel partant de Conakry suivrait la direclion
indiquée sur la carte ci-jointe ; il quitterait, à partir de
l'Ouankou, le tracé de 1898 pour rejoindre le Samou et
remonter cette dernière rivière ainsi que ses affluent*,
l'Ouantamba et la Fassara, jusqu'à Kindia; entre Kîndia et
le Konkouré, le tracé nouveau emprunte les vallées de la
Fissa, du Bamban, du Méonkouré et du Méonkourédi. Le
racé longe ensuite le Konkouré, la Koufa et la Fioké jus-
qu'à Songouya, puis elle reprend la vallée du Konkouré
jusqu'à Aïndé Konkouré; entre Aïndé Konkouré et Soarella,
s tracés de 1808 et 1899 se confondent; de Soarella à Kou-
•oukoro le nouveau tracé suivrait ie Tinkisso, puis gagne-
rait Banko et Kouroussa par les vallées du Bagne, du Sili,
a la II. Tamba et de la 11. Kouroussa.
■410 llli CONAKKï AU SltiKK
Cette dernière partie du tracé de 1899 n'est pas officielle-
ment adoptée.
Le tracé peut se diviser en i sections, ainsi qu'il suit :
Section 'lu Conakry an Kunkouré £13 kilom.
Section du Konkouré k Dimléa, près du Baflng 155 —
Section du Bailng au pont du Tinkisso (Kouraukoro). 180 —
Section du Tinkisso à Kouroussa sur le Niger 1ÏS —
Total 670 kilom.
Les limites de pentes et de courbes n'ont pas changé et
sont toujours de 25 millimètres par mètre et de 100 mètres
de rayon. Il n'y a aucun tunnel ni pont exceptionnel; tou-
tefois, le nombre des ponts est assez considérable. Le prix
de revient kilométrique a été porté à 90,000 francs par le
comité des travaux publics qui a examiné le projet. Ce
projet, avec ses modifications proposées ou acquises, doit
donc f'tre considéré comme ne présentant plus aucune
espèce de difficulté sérieuse, à part celles qui sont inhérentes
au climat et à la main-d'œuvre.
Les grandes entreprises de travaux publics, dans certaines
colonies et en particulier en Guinée, peuvent être autorisées
par un décret présidentiel rendu sur avis du Conseil d'État.
Cette solution rapide a pu heureusement être adoptée. La
Caisse des retraites pour la vieillesse a consenti un emprunt
de 8 millions au taux de 1,1 p. 100, remboursable en qua-
rante annuités de 408,000 francs environ chacune; cet
emprunt est gagé sur les recettes des douanes à l'exporta-
tion; il est loin d'absorber d'ailleurs le crédit disponible de
la colonie, Cette dernière compte pousser son emprunt jus-
qu'au chiffre de 12 millions, afin de se rapprocher du
Konkoiiré et du Foutah Djallon le plus possible. On espère
que le développement du commerce sera tel que bientôt la
somme nécessaire toute entière pourra être empruntée;
peut-être encore se présentera-l-i I uu demandeur i
ML LOAARHY AU N1GKK. 41 I
cession plus hardi et plus confiant, lorsque la pratique aura
démontré l'exactitude des chiffres prévus.
En attendant, comme le temps pressait, la colonie s'est
comportée comme si elle devait être laissée à ses seules
ressources; elle a pris ses dispositions en conséquence; les
travaux seront mis en adjudication par lots et exécutés à
l'entreprise, si les offres des soumissionnaires sont accep-
tables. Dans le cas où il n'en serait pas ainsi, on appliquerait
le système de la construction en régie. A n'importe quelle
période de la construction, la conversation pourra être
reprise entre la colonie et des demandeurs en concession ;
car la procédure suivie jusqu'ici ne préjuge en rien les dé-
cisions ultérieures.
Si la lenlative de l'adjudication réussit, ce sera d'un très
favorable augure pour nos travaux publics dans les colonies
.lilaires; ce n'est, en effet, qu'à la longue que l'on parvient
ï grouper des entrepreneurs sérieux autour d'un genre de
ravaux nouveau par quelque côté. La Guinée française
a bénéficier les autres colonies de son expérience et des
s qu'elle aura aidé a former.
Il faut espérer que l'année 1900, et en tout cas l'.MM, ne
s'écouleront pas avant que nos locomotives arrivent à Fri-
uiagbé. — Ce jour-là, la cause du chemin de fer de Cona-
kry au Niger, gagnée déjà devant l'opinion et les pouvoirs
publics, triomphera définitivement dans la pratique.
~
EXPLORATIONS DE M. PERDRIZET
CAMILIiB QTJ-2"
M. Perdrizet, entré au service du Congo en 18°4:
sitôt après son arrivée, envoyé dans la Sangha. Là, il conçut
le projet d'explorer le pays encore très peu connu entre
Koundé et Carnot pour y étudier avec une méthode et une
précision peu ordinaires le cours de la rivière Wora et com-
pléter ainsi les précieux renseignements que nous avaient
déjà rapportés M. Ponel en 1892 et M. Clozel en 1895.
Il suivi! le cours de cette rivière pendant trente-cinq jours
depuis Guikora, point où s'était arrêté Clozel, et fit un levé
remarquablement soigné et intéressant jusque par environ
18" E. Au retour, le courageux explorateur complétait et
raccordait les reconnaissances faites par ses prédécesseurs
en recoupant les rivières Bali, M'Bayéré qu'il réussissait à
identifier, d'accord en cela avec M. Ponel, au cours supé-
rieur des rivières Lobai' et Jbenga, affluents de l'Oubangui,
Il redescendait ensuite vers le sud-ouest pour rejoindre
près de Bayenga, aux bords de la Sangha, les itinéraires de
Fourneau et Husson. En 1897, M. Perdrizet entreprenait de
revenir à la côte en traversant une partie du Cameroun alle-
mand et les régions du nord du Congo français occupées
parles Pahouins. Mais il dut obéira un contre-ordre qui lui
1, Voir la tarie jointe a M numéro.
.
NOTE SDR LES EXPLORATIONS DK M. PEKDRIZKT. 4-13
parvenait au village de Bertoua, situé à plus de 400 kilo-
mètres au sud-ouest de Garnot. C'est à la suite de cet arrêt
forcé qu'il revenait en France, après quatre ans de séjour
dans la région de la haute Sangha. Il avait donc établi que
la rivière Wom, impraticable pour la navigation, n'était pas
une voie de pénétration utile et qu'elle n'était pas une
branche supérieure du Lagone. D'après ses observations et
ses calculs, elle serait un affluent de la rivière Bar-sara. Ces
observations, conformes, du reste, à celles de M. Ponel, éta-
blissent que les rivières Bali et Bayéré sont vraisemblable-
ment les branches supérieures des rivières Lobai et Ibenga,
affluents de l'Oubangui, et non pas, comme on l'avait long-
temps supposé, de la Likouala aux herbes.
SOC. DE GÉOGR. — 4* TRIMESTRE 1899. XX. — 29
DE HANOÏ A MONGTZE
M. BOMS 33 'j
Lcioq ;
Hong]
La oh a
La distance de Hanoï à Monglste peut être évaluée à
420 kilomètres.
Le voyage s'effectue, le plus généralement, par ta vole du
fleuve Rouge jusqu'à Manhao, et par terre à parlîr de cet
endroit, point terminus de la navigation commerciale.
Il existe bien au Tonkin une route reliant Hanoï àLaokay
(six jours de marche, environ); mais, après Honghoa,
c'estrà-dire sur plus des deux tiers du parcours, cette route
n'est plus qu'un sentier qu'il est difficile de suivre pendant
l'été, et qui n'est alors empruntée que par les courriers et
pour les relations de poste à poste. De même, il est pos-
sible de se rendre par terre de Laokay à Mongtze, mais les
chemins étant peu praticables d'ordinaire, et souvent
coupés durant la saison des pluies, les voyageurs prennent
de préférence la voie fluviale : la nécessité où ils se trouvent
d'accompagner leurs bagages les oblige, du reste, à choisir
cette voie par suite de la difficulté des transports par terre.
La durée du trajet sur le fleuve varie dans des propor-
tions considérables, suivant qu'on l'accomplit en bateau à
vapeur ou en jonque, et que les circonstances sont plus ou
moins favorables.
Les bateaux à vapeur mettent normalement de quatre à
cinq jours, sans compter le temps passé aux escales de
Honghoa et de Yenbai. De l'un de ces derniers centres à
Laokay, en jonques chinoises, il faut de quinze jours à trois
DE HANOI A MONGTZE. il 5
semaines; les mêmes jonques conduisent les voyageurs en
dis ou quinze jours de Laokay à Manhao.
On se rend aisément de Manhao àMongtze en deux jours,
a cheval ou en chaise à porteurs. En ce qui me concerne
j'ai franchi en dix jours, la distance qui sépare Hanoi de
Laokay, à bord de la canonnière le Moutun mise à ma dis-
position par M. le gouverneur général de l'Indo-Chine; puis
j'ai atteint Mongtze par terre en six journées à cheval.
I. — De Hanoi a Laokat (300 kilomètres).
Daus l'état actuel des choses, le fleuve Rouge n'est acces-
fale aux bateaux à vapeur, au-dessus de Honghoa, que
durant la saison des pluies (juin-seplembre), c'est-à-dire
mdant quelques mois de l'année seulement.
Jusqu'à présent, exception faite de quelques tentatives
ui ne furent pas toujours heureuses, du reste, pour con-
luire à Laokay une canonnière, le fleuve n'est fréquenté,
cours supérieur, que par les chaloupes de la com-
me subventionnée des Messageries fluviales du Tonkin.
; termes de ses contrats, celte compagnie doit établir
2 service régulier de vapeurs entre Hanoï el Laokay : on
s'est un peu trop pressé d'annoncer, semble-t-il, qu'elle
tossédait, dès maintenant, les moyens d'assurer ce service
•.h liant toute l'année ; en réalité ses chaloupes ne dépassent
Yenbai que lorsque le niveau du fleuve s'élève de beaucoup
au-dessus de l'étiage d'hiver; et, quand les eaux sont très
basses, il leur est même impossible d'aller au-dessus de
Honghoa. H n'est donc pas exagéré de dire que la naviga-
tion à vapeur n'existe sur le haut fleuve Rouge qu'à l'état
d'exception.
Dans les années qui présentent les conditions les plus
favorables à ce point de vue, les chaloupes remontent à
Laokay vers le commencement de mai, et peuvent continuer
416 DE HANOÏ A HONCT/.K.
parfois à effectuer ce trajet jusqu'à la lin octobre; les
échouages sont, d'ailleurs, très fréquents, et le service est
même souvent interrompu par un abaissement temporaire
du niveau des eaux.
D'habitude, le» crues ne se produisent qu'au milieu de
mai, ou dans les derniers jours de ce mois; cette année,
par suite de la sécheresse qui a régné au Tonkin et en
Chine, dans ces régions, elles se sont fait attendre plus
longtemps encore; et c'est seulement le 2 juin que la
canonnière le Moulu» put se mettre en route pour Laokay.
Elle monta jusqu'à Honghoa le même jour, sans difficulté.
Les eaux ayant subitement baissé dans la nuit du 2 au 3,
elle se trouva immobilisée jusqu'au 4, date à laquelle elle
reprit sa marche, mais pour s'échouer sur un bas-fond
dans l'après-midi.
Le lendemain 5, une légère crue suffit pour la remettre à
flot, et lui permettre d'arriver à Yenbai dans la soirée. La
nécessité de renouveler l'approvisionnement de charbon
retint le bateau une autre journée à Yenbai ; puis le 7, il ne
put marcher que peu de temps, s'étant échoué à nouveau
sur un banc de galets, où il resta trente-trois heures. Le 8,
vers la fin de l'après-midi, grâce à une petite crue, il se
remit en route.
Nous entrions à ce moment dans la zone t des Rapides »,
mais le niveau des eaux étant demeuré stable, la canon-
nière trouva partout suffisamment de fond, et ne fut que
fort peu gênée par le courant et par les roches. Aucun
échouage ne se produisit plus jusqu'à Laokay, où le Mou-
Hin mouilla le H juin à 8 heures du matin.
Deux chaloupes des Messageries fluviales, les premières
qui eussent pu dépasser Yenbay cette année, nous avaient
précédés d'une heure environ ; — la veille, un petit vapeur
appartenant à un entrepreneur d'Haiphong, M. Porchet,
avait aussi abordé à Laokay. Cet entrepreneur, qui a l'adju-
dication des batimenls militaires qu'on élève actuellement
DE HAMOl A HOH0T9X. 117
à Laokay, a construit son bateau spécialement pour la navi-
gation du haut fleuve, sur lequel il désire circuler en toute
saison. La chaloupe a un très faible tirant d'eau (0 m. 70
en pleine charge) et est actionnée par une hélice placée
dans une cavité ménagée sous la coque. Malgré tous ses
avantages, a la saison actuelle, elle n'a pu gagner qu'une
journée sur le Moulun, qui cale 1 mètre; mais le proprié-
taire a plutôt en vue de naviguer pendant la saison sèche,
que de lutter contre les forts courants de l'été.
Les régions traversées dans ce voyage de Hanoï à Laokay
ne présentent que peu d'intérêt. Dès que l'on a quitté le
Delta proprement dit, la population devient de plusen plus
clairsemée, et l'on ne rencontre aucune agglomération
importante. Les principales, Honghoa et Camkhé, devant
lesquelles on passe tout d'abord, ont à peine un millier
d'habitants, et sont simplement des centres d'échange
locaux. Quant à Yenbay, c'est uniquement un poste mili-
taire, autour duquel se sont groupés quelques Annamites
et quelques Chinois.
A partir de cet endroit, la population annamite disparaît
pour faire place aux * Thos » dans la plaine, et aux peu-
ilades « Méos » dans la montagne.
ne trouve plus ensuite sur les rives du fleuve que des
postes comme Traioutt (9 juin), Pholu et Bahoa (10 juin),
litîs près de villages ou de hameaux t thos ». Entre ces
iO'érents postes, s'élèvent ou sont eu construction un assez
and nombre de blockhauss.
L'aspect des rives du fleuve est monotone et manque, en
somme, de grandeur, s'il est pittoresque sur certains points.
Aux berges plates du Delta succèdent, au-dessus de Viélri,
des chaînes de mamelons qui croissent en altitude au fur
et à mesure qu'on s'avance dans l'intérieur. Ces mamelons
Isont couverts de forêts d'arbres grêles, étouffés par les
broussailles et les lianes, dont l'exploitation u'oltriraît,
DE HANOÏ A MDMji/l-..
consistent surtout en riz dans les vallons, eu maïs et sorg]
sur les flancs des mamelons.
La flore comporte peu d'espèces différentes, et reste uni-
forme jusqu'à Laokay; parmi les plantes les plus com-
munes, je citerai le latanier, abondant surtout vers Camkhé,
qui est le plus grand centre d'exploitation des feuilles de
ce palmier, employées par les Annamites à la fabrication
des chapeaux.
Puis un bananier sauvage, confondu, — à tort, je crois, —
avec la backa aux libres textiles des Philippins (chanvre de
Manille).
La formation géologique des rives du haut fleuve Roi
(calcaires et schistes) rappelle celle de la région qu'an
le cours supérieur du Sikiang; mais je n'ai pu m'empêcber
de faire une comparaison toute à l'avantage de ce dernier
fleuve, quant au pittoresqne.
,1e n'ai rien vu, en effet, de Yenbay à Laokay qui ressem-
blât aux grandioses spectacles qu'offrent les gorges rocheuses
de la rivière de l'Ouest entre Namming et Longtchéou.
Cette différence apparaît particulièrement dans les rapi-
des qui sont loin d'avoir, sur le fleuve Rouge, le caractère
imposant qu'ils tiennent, sur le Sikiang, d'un dénivellement
plus accentué et de la prés«nce, au milieu du lit, d'amas de
roches considérables.
Il me parait qu'on s'exagère la difficulté de ces rapides
en ce qui concerne la navigation à vapeur. Le véritable
obstacle réside dans les nombreux bancs de sable mouvant,
qui créent des bas-fonds impossibles à franchir pour les
bateaux calant plus de 0 m. 60. Les travaux que l'on con-
duit actuellement ne sauraient, de longtemps, améliorer
le lit du fleuve à cet égard ; la vraie solution ne consisterait-
elle pas dans l'adoption d'un type de chaloupes ayant un
tirant d'eau très réduit, semblables à celle qu'a const
M. Porcbet, par exemple?
Ces chaloupes seraient appelées à rendre de grandi
•
DE IIAMII A MUMiTïE.
vices, puisque, grâce à leur rapidité relative, elles permet-
traient d'assurer dans des conditions plus satisfaisantes, les
relations des postes entre eux et avec le Delta, ainsi que
leur ravitaillement. Quant au transit avec le Yunnan, il
semble que les jonques chinoises qui circulent entre Hanoi
et Maohao suffisent amplement comme moyen de transport
pour les marchandises importées ou exportées par la place
de Mongtxe.
Il tombe sous le sens que la dorée du trajet est, pour le
commerce chinois qui vise surtout à l'économie dans le
fret, un facteur de moindre importance.
A Laokay et à Coc-leou, son faubourg de la rive droite,
un centre militaire européen est en voie d'installation dans
des conditions d'hygiène et même de confortable, qui vont
enlever à ce poste-frontière sa réputation d'insalubrité, un
peu exagérée, d'ailleurs.
Au point de vue commercial,, cette localité n'a pour le
moment, il faut bien le reconnaître, aucune importance.
En fait de négociants, il n'y existe qu'une seule maison
française, celle de M. Blelon, qui se borne exclusivement
à faire la commission d'opium pour la douane, se désinté-
ressant absolument de toute autre question; les quelques
marchands chinois fixés à Laokay sont des fournisseurs de
la garnison. En ce qui concerne le grand commerce avec
le Yunnan, Laokay n'est qu'un Heu de transit, presque au
même litre que les autres escales de la navigation sur le
fleuve. Cependant, on doit noter qu'il s'y opère des transac-
tions assez sérieuses, en contrebande, sur l'opium et sur le
sel; c'est le point d'attache de quelques caravanes qui se
livrent à cette contrebande.
L'absence de relations commerciales régulières, entre
Laokay et les marchés chinois voisins, se mahilesle bien
dans la difficulté que l'on rencontre à se procurer des
moyens de transport pour se rendre en Chine. C'est ainsi
que j'ai été obligé d'avoir recours au mandarin de Hokéou
«0 l)Ë HÀKOÏ A MONGTZE.
(Sonphong) pour trouver des jonques, et que sans t'inta
vention de M. le colonel Viinard, commandant le quatrième
territoire, il m'eût été impossible de recruter les bêtes de
somme el les montures dont j'avais besoin ; j'ajouterai que
le colonel dut réquisitionner une caravane de contreban-
diers.
Hokéou (Sonphong) est situé sur la rive gauche du fleuve
et sur la rive droite du Namti dont le lit forme la frontière
entre la Chine et le Tonkin.
C'est une agglomération de deux à trois cents misérables
cases, bien inférieure comme aspect au bourg de Tonghing
qui occupe, sur les confins du Kouangtong, une position
similaire à celle de Hokéou sur les limites du Yuonan.
La population, qui vil surtout de contrebande et, le cas
échéant, de la piraterie, parait être entièrement composée
de Cantonnais : on connaît la répugnance invincible des
Yunnanais à descendre de leurs plateaux pour se fixer sur
les bords du fleuve.
Le mandarin civil qui a été installé depuis peu à Hokéou
était avisé de ma prochaine venue par mon collègue à
Mongtze.
J'ai été dès mon arrivée lui faire une visite qu'il m'a
rendue le lendemain; il m'a accueilli avec le pins grand
empressement, et, grâce à ses bons offices, j'ai trouvé toute
facilité pour poursuivre ma route et expédier mes bagages
sur Manhao.
II. — DeLaokay a Mongtze (120 kilomètres environ).
Pour se rendre de Laokay à Mongtze par terre, le voya-
geur a le choix entre plusieurs chemins. L'un d'eux rejoint
la grande route de K'aihoufou; c'est la voie la plus facile,
mais aussi la plus longue, le trajet n'exigeant pas moins de
dix à douze jours. D'un autre côté, on peut, parall-il, en
I)K HANOI A MOHGTZB. -12 i
suivant pendant une journée le cours du Namti, monter
immédiatement sur le plateau, et gagner assez rapidement
Monglze. J'aurais désiré suivre ce chemin, mais la région
étant actuellement infestée par les débris des bandes refou-
lées du troisième territoire, le mandarin m'a dissuadé de
prendre cette direction; et sur sa demande, j'ai choisi la
route de Manhao qui longe la ligne télégraphique, et sur
laquelle circulent les courriers du consulat et de la douane
de Monglze. Je n'ai pas, du resle, été jusqu'à Manhao : à
Sinkai, j'ai abandonné ce chemin pour gagner le sommet
du plateau, ce qui m'a permis d'économiser deux journées
sur la durée du trajet. Je crois utile de noter ici qu'à
Laokay, il m'a été absolument impossible d'obtenir des
renseignements sur le parcours de la frontière à Mongtze
lar terre; la route n'est pas connue des Européens rési-
dant à Laokay, surtout dans la partie comprise entre Sinkai
et Mongtze. Toutes les personnes que j'ai consultées m'as-
suraient que je rencontrerais de très grosses difficultés et
e je serais très probablement forcé de revenir sur mes
s. J'ai pu pourtant, au prix de grandes fatigues, il est
vrai, effectuer le voyage en six journées.
Je quittai Laokay le i3 juin à 8 heures du matin. Sur
l'ordre du commandant de ia marine du Tonkin, /.: Moutttn
a d'une salve de 7 coups de canon au moment où
je passai la frontière.
Je poursuivis immédiatement ma route sans m'arrêter à
Hokéou. Pendant les trois premiers jours de marche, je
nageai le neuve, sur la route de Manhao ; c'était un étroit
intïer, à peine frayé, qui, dans cette saison, est envahi par
i brousse et coupé par de nombreux arroyos. Le chemin
îdtoie presque continuellement le cours du fleuve; il ne
s'en écarte qu'à une petite distance, quand il cherche à
éviter les courbes du lit, en s'engageant dans les vallées
qui les sous-lendent.
Pour passer du bord du fleuve dans ces vallées, ou pour
1IE HANOÏ A MONIiTZE.
revenir sur les berges, on traverse fréquemment des chaînes
de mamelons dont la hauteur va en augmentant à mesure
qu'on s'éloigne de Laokay; en général, d'ailleurs, le ter-
rain est très accidenté; le plus grand obstacle à la marche
provient des ravins et des torrents que l'on rencontre à
chaque pas.
De Laokay à Basât, ma première étape (13 juin, 15kiIom.
environ), j'ai été arrêté ainsi à plusieurs reprises : d'abord,
aux portes même de Sonphong, par le passage d'un arroyo,
et par celui d'un ravin vaseux; puis, vers la fin de l'étape,
une petite rivière, franchie sur un pont en mauvais état, m'a
occasionné un relard considérable. Les muletiers devant
décharger les bats et les transporter à bras d'homme, puis
faire traverser des animaux souvent récalcitrants, on perd
beaucoup de temps, et des accidents se produisent quel-
quefois, chutes, charges renversées, etc. Durant cette pre-
mière journée, on parcourt une région très peu habitée et
peu cultivée. Je n'ai rencontré sur les hords de la route
qu'un hameau de quelques cases, Choueimi, où je dus
m'arrêter rie midi à i heures pour laisser reposer ma cara-
vane, et un petit village, Manngo (a le Bongo » des cartes
éditées au Tonkin). A Choueimi s'est fixée une famille
cantonnaise; Manngo est une agglomération d'aborigènes
Thos, située dans une vallée assez cultivée, que la route
suit pendant près de 2 kilomètres. Au sortir de cette
vallée, et après avoir franchi un col de 85 mètres d'altitude,
on s'engage sur une sorte de plateau accidenté, sur les
bords même du fleuve, à l'extrémité duquel se trouve le
marché chinois de Baxat. Un poste français, qui porte le
même nom, est installé en face, sur un haut mamelon de
la rive droite.
Parti à i heures de l'après-midi de Choueimi, j'arrivai à
Baxat vers 6 heures du soir. Mon escorte me conduisit au
poste militaire qui s'élève en arrière et au-dessus du village,
et qui se compose d'une réunion de quelques paillotes
DE hivh K MOHGTZfc.
entourées d'une enceinte en pisé et en bambous; j'y fus
fort bien reçu par le mandarin, qui mil à ma disposition
son propre logement.
La population du marché est mélangée de Cantonnais et
de Tbos, bateliers, contrebandiers et, sans doute aussi,
pirates à l'occasion.
Le 14 juin, je gagnai l'étape de Namt'ing, à ii kilomètres
de B.ixiil environ. Le caractère du pays sur ce parcours
reste celui que nous avons décrit plus baut.
Marchant depuis 7 heures du matin, j'atteignis sans peine,
vers 11 heures, le marché de T'ienfang, commandé par
un petit poste militaire. Je fis halle dans ce village, dont les
habitants sont aussi des Thos et des Cantonnais. Je m'y
installai chez un notable Tho. qui parut m'offrir avec plai-
sir l'hospitalité; sa demeure très propre respirait une cer-
taine aisance.
Le marché battantson plein lorsque j'entrai à Tien fang,
je tus à même de constater qu'il était fréquenté par des
aborigènes de race Yao (Yao rouges et Yao blancs). —
Les articles mis en vente par des colporteurs, consistaient
en fils et aiguilles de provenance anglaise, filés et tissus
de coton venant de l'Inde, pilules de santonine, poudre
d'aniline (bleu d'oulre-mer) d'exportation allemande, allu-
mettes et serviettes d'origine japonaise, pierres à briquet,
alun, etc.
Je me remis en route a 2 heures, et j'étais vers i heures
à Namting, marché qui, comme Baxat, est situé sur le
bord du fleuve. J'y fus logé aussi dans le posle militaire;
ce poste, qui est à l'entrée du marché sur une petite émi-
nence, ne parait pas être occupé actuellement, et les pail-
lettes qui le composent sont complètement délabrées.
Dans la journée du 15, je me rendis de Namting à Sinkai
{i~ kilomètres environ).
C'est la plus longue étape, et c'est aussi la plus difficile.
Dès la sortie de Namtinp, on se heurte à des obstacles, le
revenir sur les berges, on Irav
de mamelons dont la hautcu l
qu'on s'Éloigne de Laokay.
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_. l'après-midi. Le chemin
i ■rroyos et les ravins le tra-
HCtte ooupe sans cesse des
h gravit sur des pentes escar-
rignant parfois 250 mètres,
a des déclivités très rapides.
-st arrêté par un torrent, le
une largeur
..0. de chercher moi-même
rofond, je trouvai plus d'un
ail à lutter également contre
'.m qui menaçait d'entraîner hommes
fleuve, et que, d'autre part, les berges
ei ulfritées étaient d'un abord dif-
...re toutes les charges et employer les
suit pendant - ns pour les porter, et pour conduire
vallée, et apr . ... c0l6 du lorrent.
on s'en, |s d.une heure d'efforts que le con-
bords formé sur la rive opposée; je mar-
marc Ire,s dans l'obscurité et sous la pluie,
m'"',n nllago 'le Sinkai.
la '" i,.s niâmes caractères que ceux de
,., il,. NamliiiB*. ce sont évidemment là des
......es des hautes vallées et
' 'vrrsiiiil du plateau viennent s'approvi-
''' i;' latioH ,tc .■»•» localités est généralement
: BÀHO) A NONGTZE.
nnais et de Thos, ceux-ci habitant les
ii en outre quelques Yunnanaîs, dont plu-
Ces différentes localités semblent être
. contrebande et d« piraterie, ainsi que l'indi-
uombreuses proclamations émanant de diverses
civiles et militaires, que j'ai remarquées; procla-
jfm exhortent les populations à la tranquillité, ou
nt l'exportation du riz et le commerce du sel et de
, Smkai possède aussi un poste militaire, mats H
i sur la rive droite; ce point a sans doute servi, pen-
aul tes dernières hostilités entre la France et la Chine, à
■les concentrations de troupes et du matériel de guerre;
un remarque, en effet, dans la rue principale quelques
pièces de canon en bronze et en cuivre, démontées, et des
orpilles formées de deux bassines à riz soudées ensemble.
Les habitants du village paraissent jouir d'une certaine
aisance, et entretenir de fréquentes relations avec Monjjtze
au moyen de caravanes; aussi, ai-je pu y louer quelques
nules dont j'avais grand besoin pour soulager les animaux
scrutés à Laokay, très fatigués par ces trois dures journées
b marche.
En résumé, le pays parcouru dans cette partie de mon
■nyage est un système de petits coteaux s'étendant sur une
Hroile bande, au pied du grand massif montagneux. Il est
H.-ii habité et partant peu cultivé. La population se partage
i Chinois, presque exclusivement gens des deux Kouang,
t en aborigènes de races différentes, Thos dans les basses
ra!lés,Yao et Poula dans les hauts vallons et sur les sommets.
Le terrain présente les mômes caractères que dans la
gîon qui s'étend de Yenbaî à Laokay (calcaires, conglo-
lérats, schistes argileux et grès; sol argileux).
L'aspect est pourtant différent par suite des défriche-
*nts qui y sont plus nombreux, la plupart des coteaux
ml déboisés.
iiH DE HANOÏ A MONIiTZE,
Pour ce qui est des cultures, elles ne sont plus limitées
au maïs et au sorgho ; partout où cela est possible, le sol
est occupé par des rizières inondées; on remarque aussi
des plantations d'arachides, de sarrasin, de riz rouge, etc.
La flore m'a paru peu différente de celle de Longtchéou et
de Langson ; le genre ficus domine, et se présente sous de
très nombreuses variétés ; avec le bananier sauvage et une
petite plante à fleurs pourpres (espèce de callicarpa) qui
abonde dans les broussailles, les ficus forment la caracté-
ristique de la végétation; j'ai trouvé dans les broussailles
beaucoup de plantes curieuses, déjà vues au Kouangsi,
entre autres l'amorphophallus,dont le tubercule est employé
dans la pharmacopée chinoise.
Le climat est celui de la haute région du Tonkin : chaud
et orageux à cette époque de l'année où la saison des pluies
commence à s'établir; après une journée de chaleur
intense, le 13, j'ai subi le 14 et le 15 des pluies (fortes
averses) qui ont gêné ma marche.
Le 16 juin, je quittai Sinkai, abandonnant la route, qui
longe le fleuve et qui se continue jusqu'à Manhao, pour
gravir immédiatement le versant du plateau, et je gagnai
l'étape deHaodjeti (16 kilomètres environ).
Aux portes mêmes de Sinkai commence l'ascension de
ce versant; le chemin s'élève par des paliers successifs, que
relient entre eux des escaliers de pente assez raide, dont
les marches sont formées de gros blocs de grès ; de distance
en distance, celte série d'escaliers est interrompue, et la
roule serpente alors par des sentiers en lacets, sur le flanc
ou dans les replis de la montagne ; le terrain est du reste
très mouvementé, et le voyageur ne cesse de monter et de
descendre. De 11 heures à 1 heure de l'après-midi, après
avoiratteint un premier faile, je suivis dans ces conditions
l'arête d'une longue croupe aux versants escarpés, très
boisée en certains endroits, et aboutissant à un grand
massif, au pied duquel se trouve le gîle d'étape de T'angkia-
HE HANOÏ A MONGT/.E. 121
t'ien, à 1,400 mètres d'altitude, groupe de bâtiments en
briques mis à la disposition des voyageurs.
Un mandarin appartenant à la secte musulmane, qui
réside dans cet endroit, me reçut fort bien, et m'offrit
même des provisions. Je me reposai chez lui jusqu'à
3 heures du soir. Au sortir de T'angkia t'ien, te chemin
s'Élève d'abord à pic jusqu'à 1,800 mètres d'altitude; il
continue ensuite sur le sommet du massif, montant et des-
cendant continuellement à travers les plis de terrain, tout
en gagnant en altitude, d'ailleurs, jusqu'à un petit plateau
calcaire à 1,935 mètres d'altitude, qu'occupe le poste mili-
taire d'Haodjeti, où j'arrivai à 5 heures du soir.
Ce poste est entouré d'une curieuse enceinte crénelée en
pierre sèches.
Les autorités me firent préparer un logement dans un
vaincu bâti à l'entrée du poste; de même qu'à T'angkia-
t'îen, je n'eus qu'à me louer de l'hospitalité qui me fut
ainsi offerte.
Tangkiat'ien et Haodjeti, où sont détachés des groupes
de soldats appartenant à la brigade de « Lin Yuan », sont
évidemment des postes qui, tout en commandant les points
accessibles du plateau, servent surtout de gite d'étape pour
les mandarins, comme semble l'attester l'installation rela-
tivement confortable qu'ils offrent (bâtiments en briques
avec planchers, construits en forme de yamen) et les ap-
provisionnements qu'ils renferment. D'après la teneur des
proclamations qui y sont affichées, ces postes seraient prin-
cipalement destinés à empêcher la contrebande, particuliè-
rement celle du sel.
En dehors des enceintes, ont été ménagées des sortes d'es-
planades rectangulaires, ayant à leurs extrémités des abris
cubiques à toitures piates, en pisé; sur ces emplacements
se tiennent des marchés fréquentés par les montagnards, à
qui les mandarins ont ainsi fourni les moyens de vendre
leurs produits, ou de s'approvisionner dans la région même.
Le 17 juin, je me rendis de Haodjeti à Hsinhsien (14 ki-
lomètres environ). Le plateau sur lequel est bâti le poste
se termine brusquement, el de façon très abrupte, au delà
de l'enceinte. Après une descente assez rapide au milieu
d'une sorte d'alignement d'aiguilles calcaires, j'entrai dans
une vaste plaine accidentée où, vers 11 heures, je laissai
à droite le village de Choueitongpo. Le pays est alors rela-
tivement désert, et j'avance au milieu d'un système de ma-
melons herbeux où l'on ne voit que de rares traces de cul-
ture; le chemin s'élève à travers ces mamelons, atteignant
par degrés une altitude de plus de 2,000 mètres. Vers
1 heure, après avoir passé un col de 2,055 mètres, je des-
cendis dans une vallée cultivée, en forme d'entonnoir,
m'arrêtant à mi-flanc du versant, au hameau de Chelong
(1,845 mètres); la vallée présente une formation calcaire
très accusée (aiguilles, belles grottes). Chetong est habité
par des indigènes chinois (Hanjèn); les femmes ont les
« petits pieds »; ces paysans paraissent très sauvages, et
mon escorte eul beaucoup de peine à me faire recevoir dans
l'une de leurs cases. Je restai à Chelong jusqu'à 3 heures;
en sortant de cet endroit, je gravis une pente escar-
pée, franchis un col élevé, puis, descendu au pied du col,
je traversai une longue vallée très cultivée, et semée de
groupes d'habitations ; le passage d'un second col me con-
duit dans une autre vallée également bien cultivée, et assez
peuplée : celle-ci se termine en une sorte de couloir, dont
le marché de Hsinhsien (1,400 mèires d'altitude) occupe la
largeur.
Les vallées dont je viens de parler sont arrosées par des
arroyos assez forts et il est digne de remarque que la route
passe sur des ponts à arches en pierre.
J'arrivai à Hsinhsien à 5 heures du soir. C'est une agglo-
mération, qui semble relativement importante, de cara-
vansérails et de magasins où se vendent, outre les pro-
ductions du pays et de la province (huile d'arachides, sel
: HANOI A MONGTZE. 429
nome, opium, etc., etc.), des marchan dises étrangères
s de coton, al lu mettes, tissus, etc., etc.).
i population est composée d'indigènes chinois. Je logeai
a grand caravansérail en bois, très propre, où étaient
déjà installées plusieurs caravanes; un mouvement assez
actif de convois de bêles de somme paraît exister entre
Mongtze cl llsinhsien; j'ai noté que ces convois, en cette
saison lout au moins, transportent surtout de l'huile d'ara-
chide.
La dernière étape de llsinhsien a Mongtze (25 kilomètres
environ) m'avait été annoncée comme devant être très
longue et très fatigante. Je me suis mis en marche, le
18 juin, à 7 heures du matin, avançant sans trop de difli-
culté, à travers un pays plus peuplé que précédemment,
presque partout cultivé.
Le chemin suit une série de vallées arrosées par des tor-
rents, et séparées les unes des autres par des chaînes de
mamelons plus ou moins élevés,- il y a ainsi à franchir un
certain nombre de cols (1.500 à 1,000 mètres d'altitude)
d'accès généralement ardu, par suite de l'escarpement des
A plusieurs reprises aussi, la roule prend au milieu des
rizières, ou emprunte le lit d'un torrent, et alors elle devient
assez mauvaise. Au bout d'une vallée particulièrement bien
cultivée (belles rizières) et renfermant de nombreux ha-
meaux à l'aspect relativement riche, je fais halte, à 1 heure,
dans un petil groupe d'habitations défendu par une en-
ceinte en pisé. C'est Hokiatchai (1,535 mètres d'altitude),
point près duquel la voie que j'ai prise rejoint celle qui va
de Manhao à Mongtze. La ligne télégraphique venant de
Laokay, que j'avais perdue de vue depuis llsinkai, reparaît
ici; je dirai, en passant, que cette ligne m'a semblé avoir
été construite d'une façon très précaire : en beaucoup de
points, le lil est simplement accroché à des arbres et même
à des arbustes; il n'y a donc point à s'étonner qu'elle soit
430 DE HA.NOJ A MONGTZE.
presque continuellement interrompue, ainsi que j'ai eu
l'occasion de le constater par moi-même depujs que je
suis ici.
Parti de Hokiatchai vers 3 heures, je rencontrai au bout
d'une heure de marche sur un plateau aride, d'argite rouge,
jonché de débris calcaires, une porte monumentale barrant
à l'extrémité du plateau, un col qui donne accès à la plaine
de Mongtze; une étroite vallée, semée de groupes d'habi-
tations et bien cultivée, longe le pied du plateau.
Une courte et peu rapide descente conduit à l'entrée de
la grande plaine (1,330 mètres d'altitude). Là, par des che-
mins faciles (lits de torrents à sec, le plus souvent), après
avoir traversé le bourg muré de Sinnganson, j'arrive, en
moins de deux heures, au consulat de France.
Sur le parcours de llsinkai à Mongtze le pays présente
une grande variété d'aspects et de caractères divers très
tranchés, en ce qui concerne le climat, la flore, les popu-
lations, etc.
Les pentes du plateau sont principalement habitées par
des aborigènes, Yao et Poula notamment. Une fois la
crête dépassée, lesvallées sont peuplées d'indigènes chinois
(Hanjên) parlant un dialecte qui se rapproche beaucoup du
« mandarin »; les Thos semblent avoir complètement
disparu.
Les cultures consistent surtout en riz, arachides, maïs;
le coton et l'indigo sont aussi communs. La culture maraî-
chère est à peu près celle de France. Dans les parties boi-
sées de la montagne, jusqu'à T'angkial'ien, le bambou do-
mine; plus loin, on voit apparaître, à l'état sauvage, le
châtaignier et plusieurs arbres fruitiers d'Europe : poiriers,
pêchers, pommiers, etc.
Vers le même point, les broussailles renferment des
mûres, des fraisiers (fraises blanches), des chardons.
Parmi les plantes, je citerai comme étant très répandues
deux espèces de lis (lis blanc et lis rouge) et une espèce
m aiitoi a ionci». -tti
d'hypericum. Les grands arbres sont rares. Le pin, si com-
mun dans le Koiianesi. ne commence à apparaître que dans
la région voisine de Mongtze; il est presque toujours
associé à une espèce de liquidambar, ressemblant beau-
coup à l'érable.
En ce qui concerne le climat, j'ai trouvé des conditions
différentes sur le versant, au sommet et dans la plaine.
Le versant participe du climat de la vallée du lleuve; la
^a i^on des pluies commence à s'y établir. Les sommets sont
noyés dans la brume, et des pluies continues y régnent;
G* 'après les dires des mandarins de T'angkiat'ien et de Haod-
je:fci, le ciel resterait couvert dans ces endroits la plus
gr-ande partie de l'année, et des ondées y tomberaient tous
's s jours. Dans la plaine de Mongtze, au contraire, les pluies
"* «té n'ont pas encore fait leur apparition, et les arroyos,
1 *J i inondent le plateau à la saison humide, sont encore à
s*ï«i; ce serait là, du reste, une circonstance extraordinaire,
*■ «e qu'on m'a assuré ici. Dans tous les cas, des averses
fï,J*olidiennes arrosent les chaînes qui entourent la plaine.
La caractéristique de Mongtze, au point de vue du cli-
^^at, est la brise, très forte par instants, qui ne cesse d'y
â,=* nfller actuellement.
La route de Hsinkai à Mongtze témoigne de très grands
e Hbrts faits à une certaine époque pour créer une bonne
^*ie de communication entre ces deux points.
Les travaux exécutés dans ce but ont été réellement con-
**lérables ; comme je l'ai dit, on a construit des escaliers
ï pierre pour faciliter l'ascension et la descente des prin-
:*pales pentes; de plus le chemin est dallé sur la plus
rande partie du parcours.
En beaucoup d'endroits, la route a été taillée dans le
Qanc de la montagne. Sur le plateau, les ponts à arches, en
pierre, sont très nombreux. Malheureusement, celle voie
n'est pas entretenue et, à l'heure qu'il est, elle n'est plus
ralicahle qu'aux cavaliers et aux piétons; elle justifie ainsi
\'A1 DE HANOI A MON^TZE.
le proverbe chinois qui dît, en parlant de ces routes pavées,
qu' « elles sont bonnes pendant dix ans, et ensuite mau-
vaises pour toujours ».
Les ponts pourtant sont encore dans un excellent état de
conservation; j'en ai vu un grand en cours de construction
à Hokiatchai possédant plusieurs arches.
A partir de Hsinhsien, les agglomérations que j'ai tra-
versées, ou près desquelles je suis passé, contiennent sou-
vent des habitations indiquant chez leurs propriétaires une
certaine aisance.
Les maisons de bois commencent à se monlrer. Les bâti-
ments les plus riches sont ornés sur leur façade de portes
décorées de motifs originaux, d'un elfet très pittoresque.
Dans plusieurs villages, j'ai vu des constructions à toils
plats.
A Sinnganson et à Mongtze, les monuments dignes de
remarque (pagodes, arcs de triomphe, portes monumen-
tales, ponts ornés, etc.) abondent et parlent en faveur du
goût artistique, des ressources et de l'activité des popula-
tions qui les ont élevés autrefois.
DE CANTON A LONG-TCHEOU
M. FRANÇOIS
i la fin de l'année 189-0, j'accomplissais le voyage de Can-
on à Long-Tchéou, remontant sur une jonque la rivière de
luest jusqu'à son confluent avec !e bras qui luiamèneles
s du versant tonkinois et je m'engageais ensuite sur cet
Auent pour gagner Long-Tchéou.
J'eus l'occasion de me rendre à plusieurs reprises au
'onkin et de suivre les deux voies fluviales qui se réunissent
à Long-Tchéou, descendant, l'une de Lang-Son et la se-
■onde de Cao-Eang.
Knfin, reprenant le chemin de Canton, j'empruntais une
leuxième fois le cours de la rivière de l'Ouest, après avoir
dressé de ces différents fleuves une carte au 1/30,000'. Je me
lonnerai donc ici pour but d'indiquer rapidement celle
lartie spéciale du système fluvial tonkinois et de décrire le
lays traversé par le grand fleuve du Koimng-SL
La rivière venant de Lang-Son entre en Chine à Bin-Nhî
zBîgni);elle serpente de la manière la plus capri-
, se dirigeant à peu près exactement h l'est, entre des
mamelons incultes semblables à ceux de la région de Lang-
. Le pays est excessivement pauvre; à l'exception de
lelques rares et étroites rizières, étagées dans les ravins,
i terre des collines est stérile. La population, de la race
, est très clairsemée, dispersée dans de misérables ha-
. Voir lu i-irli1 jfiintt' â eu numéro
434 PB lAVmi a [.ONC-Tnin>oiT.
meaux. La seule agglomération de quelques centaines d'ha-
bitants est Ya-Choueï-Tân. De ce point, le cours d'eati
tourne brusquement au nord, pénétrant dans les grandes
masses de roches qui forment un cirque de 12 à 45 kilo-
mètres de diamètre autour de Long-Tchéou. Le lit n'est
qu'une suite ininterrompue de petits rapides, accessibles
seulement à. des sampans de 25 à 30 centimètres de tirant
d'eau, dirigés par des bateliers d'une extrême habileté.
Cette branche, qui n'est indiquée par aucun des livres chi-
nois, n'a pas de nom officiel ; on la connaît encore à Long-
Tchéou sous le nom qu'elle porte au Tonldn: s le Song-Ki-
Kong»; ou bien on la désigne « rivière qui conduit à
Lang-Son ». Son cours total en territoire chinois est d'envi-
ron 60 kilomètres.
La branche qui vient de Cao-Bang passe en Chine entre
le poste tonkinois de Ta-Lung et le poste chinois de Choueï-
Kéou. Sa direction est exactement sud-est. Ses eaux coulent
dans un chenal de pierre, entre des berges à pic, hautes de
15 à 18 mètres, de ruches déchiquetées de la façon la plus
fantaisiste; au point de vue du pittoresque les bords de cette
rivière sont extrêmement beaux, mais la campagne qu'elle
traverse est toujours également pauvre; c'est partout le ro-
cher; de tous les côtés se dressent de hautes masses de cal-
caires, qui s'alignent en file dans des directions parallèles.
On ne rencontre entre la frontière et Long-Tchéou, sur un
parcours d'une quarantaine de kilomètres, qu'un seul petit
centre, Chang-Hia-Tong, bourgade d'un millier d'habitants
et résidence d'un de ces mandarins aborigènes dont les
fonctions sont héréditaires. 11 subsiste encore une vingtaine
de ces circonscriptions adminisiralives particulières, encla-
vées dans les préfectures chinoises de cette région.
Cette rivière peut porter des sampans un peu plus forts
que ceux du Song-Ki-Kong; les fonds y sont plus réguliers;
s les crues, qui se produisent avec une rapidité extrême,
viennent souvent interrompre la navigation. L'écoulement
coulemenl
t CANTON A LONG-TCHÉOt.
135
des eaux, sur ce sol de rochers, élève le niveau de la rivière
de plusieurs mètres en quelques heures. Parti de Long-
Tchéou par des eaux 1res basses, j'ai dû, après une journée
de navigation, rentrer le lendemain, ramené en deux heures
par un courant vertigineux, les eaux s' étant élevées de plus
de 4 mètres dans la nuit. Elles atteignent parfois jusqu'à
14 mètres en face de Long-Tchéou, sans jamais sortir de
leur lit. Ce cours d'eau, qui porte au Tonkin le nom de Song-
Bang-Giang, est dénommé Li-Kiang en Chine; il prend le
nom de Long-Kiang dans la partie qui arrose le territoire
de Long-Tchéou.
Il est indispensable de faire ressortir combien les appel-
lations, données d'ordinaire à toutes ces rivières, sont
inexactes-, elles sont de nature à causer des erreurs. D'ail-
leurs, si l'on se reporte aux livres officiels des mandarins, on
ne trouve pas moins de sept appellations pour ce seul cours
d'eau entre Long-Tchéou et Nan-Ning-Fou. Il en est ainsi
pour toutes les rivières. Lorsqu'on voyage, on constate qu'il
est impossible de les désigner aux riverains eux-mêmes au-
trement qu'en indiquant le point où l'on se rend.
Le même fleuve appelé ici Li-Kiang, se nomme Tso-Kiang
à quelque dislance, puis « Tsing-Lou-Kiang », ou * Ouen-
Tseu-Choueï u, ou « Long-Teo u-Ouan ». Il partage le nom
île Long-Kiang avec presque tous les cours d'eau de la pro-
vince en un point de leur cours. Chaque rivière est rivière
de gauche dans une partie pour devenir rivière de droite
peu après; de branche du nord elle devient branche du sud
un peu plus loin. En aucun lieu, l'un de ces noms ne dé-
signe l'ensemble d'un lleuve et ne peut le faire reconnaître
des habitants. Cette confusion est propagée même par les
géographies officielles de la province, préparées par les au-
torités provinciales pour le service des mandarins. Ces géo-
graphies représentent une juxtaposition de travaux géogra-
phiques indépendants les uns des autres, faits dans chaque
circonscription sans aucune préoccupation de la circonscrip-
436 DE CANTON A LONC-TCBÉOO.
lion voisine. Chaque tronçon du même fleuve y est traité
comme un cours d'eau particulier, et il n'est pas rare de voir
indiquer le Ironçon supérieur comme source initiale, et
de faire jeter le fleuve dans le Ironçon inférieur, dé-
nommé autrement, comme s'embranchant dans un Douve
nouveau1.
Long-Tchéou,où les deux fleuves précédents se réunissent,
est une ville de 20,000 habitants environ, construite sur la
rive gauche, au centre d'un cirque de rochers de 6 à 8 kilo-
mètres de rayon. Quelques cultures de riz et de canne à
sucre sont faites surtout sur la rive droite entre les mame-
lons stériles qui occupent la plus grande partie de ce cirque.
Long-Tchéou est le siège d'un mandarin du grade de préfet
de deuxième rang nu Tinh, et la circonscription dépend du
cercle de Taï-Ping-Fou. Ce territoire appartenait autrefois
àl'Annam,et ce n'est en réalité que depuis 1726 que l'auto-
rité du mandarin chinois s'y est établie. Il existe encore
21 arrondissements placés sous les ordres de chefs abori-
gènes héréditaires. La population est de race Tho.
La ville de Long-Tchéou, avec sa ceinture de murailles or-
dinaires, forme un carré irrégulier, percé de quatre portes
aux quatre points cardinaux, et vers lesquelles se dirigent
des ruelles boueuses, puantes, séparées par des mares qui
occupent la bonne moitié de l'enceinte murée. Pourtant, en
jugeant par comparaison, la ville est relativement propre.
On n'y peut rien noter de remarquable. Le site seul est ad-
mirable, et la sortie de la rivière passant entre des roches
superbes couronnées de pagodons originaux est d'un aspect
ravissanl.
Au point de vue commercial c'est un centre sans impor-
tance, sans autre trafic que le petii négoce tout local d'une
t. Je remettrai à la Société la traduction crnnpli:ie,a.crinDpapiée des
noms en caractères chinois, du système lluvial du Kouiing-Si: et Je
joindrai également les renseignement* traduits sur les circonscriptions
administratives parcourues par la grande rivière de l'Ouest.
riE CANTON A LONG-TCHÉOE. 137
population extrêmement pauvre dans un pays incultivable
et sans avenir.
En quittant Long-Tchéou la rivière s'engage immédiate-
ment dans des gorges formées de murailles de calcaire tom-
bant à pic dans la rivière, li n'existe plus de vallée, l'eau re-
jetée d'obstacle en obstacle s'est creusé un lit décrivant des
courbes extraordinaires, se repliant souvent plusieurs fois
autour d'un même point. Et les grandes murailles déroches
se succèdent sans interruption, hautes de 80 mètres jusqu'à
200 mètres, traçant à la rivière un couloir aux parois inac-
cessibles, sans même place pour un sentier de halage. Les
jonques se hissent péniblement à la perche. Tout l'en-
semble du pays présente un chaos indescriptible. Parfois
des apports de sable ont formé une courte presqu'île de
quelques hectares au maximum, fermée hermétiquement
par la muraille rocheuse. Sur quelques-unes deces langues
de terre, quelques familles de Thos ou de Man vivent miséra-
blement comme sur un îlot, sans autre voie de communica-
tion que la rivière.
Le pays tout entier n'est qu'un bloc compact de rochers
inaccessibles de quartz oudemarbres, dépourvus de végéta-
tion autre qu'une courte brousse ou de hautes herbes. Les
eaus de l'intérieur se déversent par des fissures, par des cre-
vasses, suintent entre les feuillets de la pierre en y laissant
ries bourrelets de dépots, des masses de stalactites mena-
çantes. On est frappé de ne pas rencontrer d'affluents, de
ruisseaux ou de déversoirs; le sol ne présente que des sé-
ries d'entonnoirs, de cavernes, de même que les sommets
sont percés d'une infinité de grottes. Une piste conduisant
par terre à Taï-Ping-Fou, passe péniblement sur ces chaînes
et traverse onze fois la rivière (qu'elle rejoint par des esca-
liers) sur un parcours de 80 kilomètres environ.
Au-dessous de Long-Tchéou, le seul affluent notable est le
ii Ming-Kianjt s, coulant lui-même dans de semblables cou-
loirs de roches. Il est cependant fréquenté par de gros sam-
desce
Man,
ititérc
autre
i:î8 [>E C ASTON A LONG-TCHÉOIJ.
pans dont la circulation est limitée à moitié de son cours
par une grande chute. Cetl« rivière, qui vient du sud, est une
des voies de communication vers Pak-Hoï. Au-dessus de la
chute, un autre bief se termine dans la province de Canton.
Le général chinois Sou fait exploiter des gisements de char-
bon qu'il a découverts sur la rivière même.
Toute cette région est déserte. On n'aperçoit aucun ani-
mal; pas un oiseau de proie ne plane au-dessus de ces
roches, ni un oiseau aquatique ne longe la rivière. Le pois-
son est très rare, et souvent même on ne recueille pas le
moindre fretin. Il est difficile d'imaginer une nature plus
admirablement sauvage.
En trois ou quatre jours de cette navigation tortueuse,
butant d'une muraille à une autre rnuraille,on rencontre la
préfeelure de « Taï-Ping-Fou a. Cette préfecture, qui est le
siège d'un cercle administratif important, n'est qu'un misé-
rable bourg de 400 mètres de cûlé, dans des murailles crou-
lantes. Cette ville, qui a été représentée dans quelques rela-
tions comme un centre de 30,000 habitants, au milieu d'une
plaine fertile, riche en rizières et en champs de cannes à
sucre, ne couvre pas entièrement une de ces petites langues
de sable dont il a été parlé plus haut entre la rivière et le
rocher; deux rues qui se croisent ne conduisent même pas
leurs rangées de maisons espacées jusqu'aux portes ex-
trêmes; et l'on peut juger de la misère de ce pays en consi-
dérant que, pour le territoire de la préfecture tout entière,
l'impôt des rizières n'est que de 727 piculsde riz (moins de
4,500 kilogr.) alors que les greniers de prévoyance pour les
famines doivent contenir une réserve de 17,500 piculs; l'im-
pôt foncier en argent ne rapporte pas i.OOO francs.
Aux jours de marchés qui se tiennent tous les cinq jours, il
id des rochers voisins une population de Thos et de
Man, très curieuse. On y rencontre des spécimens ethniques
intéressants, mais on n'y voit aucun élément de commerce
tre que les volailles et quelques légumes. Tous les indi-
M CANTON A LONOTCBÈOF. 439
dus, hommes et femmes, sont uniformément vêtus d'une
•ossière étoffe de coton indigène teinte avec l'indigo du
lays. Les hommes portent le turban et les femmes sont
oilfées d'une sorte de bonnet blanc laissant passer des che-
x coupés sous le front qu'ils recouvrent; tandis que, sur
i coté, des mèches longues retombent jusqu'aux épaules.
e reste est roulé en chignon.
Au-dessous de Taï-Ping-Fou, la rivière continue son cours
mire les mêmes murailles. Toujours les roches affectent les
■ iTiifs les plus fantastiques;àunjouret demi de navigation,
on rencontre «To-Lou », réputé le plus gros marché de la
igion.Le préfet de Taï-Ping-Fou y délègue un mandarin.
i village, placé comme la préfecture dans une presqu'île
Étroite de la rive gauche, se compose de six ruelles boueuses
mourant une place d'une centaine de mètres de longueur,
Étroite, occupée par un hangar massif à piliers de briques.
C'est là que, dix fois par mois, se tiennent les marchés. Ceux-
ci ne sont pas plus importants que ceux de Taï-Ping-Fou.
Dans quelques misérables échopes, on voit dispersés quelques
mètres de colonnades, et c'est tout. On continue toujours la
descente du fleuve, toujours bordé des mêmes rochers, et
m deux jours on parvient à Sin-Ning-Tchéou.
Cette préfecture de deuxième rang est située sur la rive
droite, dans un coude, à l'intersection du fleuve et d'une pe-
e rivière, à sec aux basses eaux. Sin-Ning s'élève à \ ki-
omètre de la rive. C'est un centre purement administratif.
Autour de la ville s'étend une petite plaine cultivée en ri-
a production est encore bien faible, l'impôt ne rend
s plus del,120piculsde riz. En face de Sin-Ning se dresse
me des plus belles murailles de roches rencontrées sur le
mve; au tiers de la hauteur se trouve une petite grotte
>nt l'entrée a été ornée d'une façade originale ; un escalier
taillé dans le rocher y conduit; c'est la grotte de la « poule
d'or >, transformée en pagode. Il s'y rattache une légende;
:11e est l'objet d'un culte particulier chez les bateliers.
440 HE CUttON \ UING-TCHÉOIJ.
A partir de Sin-Ning-Tchéou, les rives se découvrent un
peu. Le pays est encore semé de masses rocheuses,
elles commencent à s'ouvrir. Toutefois, il serait impossible
de qualifier de plaine un terrain crevassé et mamelonné de
buttes rougeàtres et stériles.
On passe devant les marchés de Long-Teou-Hiu et de
Yang-Oueï-Hiu, plus pauvres que les précédents. Le (leuve
serpente toujours aussi péniblement dans une contrée ro-
cheuse et misérable, et se jette enfin dans le grand (leuve au
village de Ho-Kiang-Tchen. En seize jours, je n'ai compté
que 47 embarcations remontant le fleuve, en comprenant
même les plus infimes sampans.
Ici même embarras pour désigner cette rivière, que nous
appelons généralement le Si-Kiangou rivière de l'Ouest. Les
indigènes ne la connaissent que sous le nom de Ta-Kiang
(Grand Fleuve), en dehors des appellations propres à chaque
région ou même à chaque localité.
Voici les dénominations officielles pour chaque circon-
scription, et qui sont d'ailleurs généralement ignorées des
habitants.
ï source au Yun-Nan, et aussi
i Ts'ang-
« Loug-
Kirni
Peï-1
c Nan-P'an-Kiang » vers
« Yé-Lang-Touen-Choueï j.
« Yeou-Kiang » à partir de « Pé-Sé »
Ko-Choueï ».
u Yù-Kiang » depuis sa réunion à la rivière de
Tcheou », et aussi u Fou-Tsien-Kiang ».
« Hoang-Yang-Kiang » et « Ngo-Yii-Kiang » vers « Ton.
Tchouen-Hien ».
« Tsiun-Riang s au-dessous de Tsiiin-Tcheou-Fou.
« Koung-Kiang » et « Tou-Ni-Ktang » à Ping-Nan-Hien.
« Ïeng-Kiang n àTeng-Hien.
Il est encore dénommé Nan-Kiang, rivière du Sud ; Tso-
Kiang, rivière de gauche, par rapport au Kien-Kiang ou
Peï-Kiang, auquel il se réunit à Tsiun-Tchéou-Fou. Ce n'est
'
DE CANTON A LUNG-TCUÉÛU. 441
que sur une courte partie et dans la province de Canton
qu'il reçoit le nom de Si-Kiang.
Mais continuons à le désigner par celte appellation de
Pitière de l'Ouest, qui paraît maintenant consacrée en Eu-
rope.
A partir du point de jonction des deux rivières, le pays
change totalement d'aspect; le terrain sur les deux rives
est encore mouvementé, mais les courbes s'élargissent, les
villages apparaissent nombreux: entourés de bambous.
Une demi-journée suffit pour gagner la ville de Nan-
Ning-Fou. Celte cité, lorsqu'on débouche par la rivière, pré-
inte un port encombré de bateaux, dans une courba
allongée, sur une longueur de 1,300 à 1,500 mètres de dé-
veloppement et de 500 mètres de largeur d'une rive à
l'autre.
Il règne sur la rive gauche une grande animation, don-
isnt toul d'abord l'impression d'un mouvement commercial
important; mais, en observant de plus près, on esL surpris
de ne découvrir qu'un nombre assez restreint de jonques
sellemenl destinées au commerce, parmi cette masse con-
fuse de sampans, — embarcations de pèche, ou habita-
tions, — de canonnières en bois armées d'antiques canons
de fonte et couvertes de leurs multiples étendards bariolés;
et de jonques mandarines surmontées des longues bande-
roles sur lesquelles sont émimérés les litres et qualités des
voyageurs officiels.
Au-dessus de berges ravinées et immondes, coupées par
[uelques escaliers qui sont de "véritables égouts, s'alignent
les rangées de pilotis, de bambous, de bois ou de briques
loutenant des masures croulantes, une ligne de maisons
lépreuses suspendues au-dessus de la berge, qu'elles inon-
inl de toutes les déjections, versées à même par les in-
jrstices nombreux du plancher de ces belvédères. Aux
hautes eaux, le fleuve s'élève jusqu'à traverser ces construc-
tions aériennes. Pendant la période de sécheresse, ces
442 DE C.ANTON A L0HG-TCHÉO0 .
berges se couvrent de constructions en nattes, ou d'abris
informes, composés de tous les matériaux imaginables, de-
puis la paille jusqu'aux débris de ferraille. Un chapeau
défoncé remplit l'office de tuile à côté d'un fond de casse-
role troué; le chiffon, la planche, les détritus de toutes
sortes, et j'insisterai sur « de toutes sortes », trouvent leur
emploi dans cette architecture qui ajoute des tas d'immon-
dices creux à côté des autres plus compacts sur lesquels
des gens, des chiens et des pourceaux opèrent simultané-
ment des fouilles continuelles.
A vrai dire, cette bordure n'est que la face postérieure
d'une rue ; les maisons s'ouvrent du coté opposé, sur m
voie qui longe les murs de la citadelle.
Cette rangée de masures est trouée, de distance en dis-
tance, par de larges escaliers dont chacune des dalles
trouverait sa place dans un palais, mais dont l'ensemble se
présente dans un ordre très dispersé. Ces travées de
pierres, jetées sur les berges, aboutissent aux ruelles laté-
rales qui déversent sur les marches de marbre des cascades
odorantes et diversement colorées, venant de l'intérieur, où
il existe d'amples réservoirs, formés par le caprice du ter-
rain. Sur ces escaliers, les femmes vont et viennent, sans
cesse chargées de seaux, qu'elles rapportent remplis d'une
eau qui n'est pas beaucoup plus liquide que celle qu'elles
ont déversée au même endroit une seconde auparavant.
Cette description peut s'appliquer a toutes les villes que
l'on rencontrera sur le fleuve, toutes semblablement si-
tuées dans une courbe, invariablement face au sud ; et, à
l'exception de «Teng-Hten » et de « Young-Tchouen n, éga-
lement édifiées sur la rive gauche.
Après avoir franchi la porte qui forme l'escalier au pied
duquel stationnent les jonques mandarines, on pénètre
dans des ruelles en boyaux, fangeuses, empestées, horri-
bles, qui conduisent à la porte de la citadelle. I)d suit une
rue étroite, mais moins sale, qui est la grande rue de la
ire
ne
is-
DE CANTON A LOMi-TCllÉllU. 443
citadelle. Des boutiques la bordent des deux côtés. C'est là
et dans une rue à peu près semblablequi suit parallèlement
que se trouve le petit commerce de détail. Vers le milieu,
les magasins disparaissent faisant place aux masures, et la
rue se termine par des ruelles sordides partant dans plu-
sieurs directions. Vers le nord, lonl un secteur est dé-
pourvu d'habitations et rempli de mares.
On a ainsi parcouru la partie commerçante de la cita-
delle. En franchissant la porte nord, on débouche dans une
campagne inculte, légèrement mamelonnée et pierreuse.
Toute la partie de l'est, aussi loin que la vue peut s'étendre,
est couverte de tombeaux, simples huttes de terre en gé-
néral, qui occupent une surface dix fois supérieure à celle
de la ville, dont l'enceinte (de forme très irrégulière), a un
développement d'environ 4 kilomètres. Vers la porte de
Test on trouve un assez beau portique de pierre, dit h Pa'i-
Leou*, et un pavillon monumental de la Cloche et du Tam-
bour.
A l'intérieur de la citadelle et à l'ouest, suivant des di-
rections à peu près parallèles au fleuve, s'étendent trois
rues reliées entre elles par des ruelles, descendant vers le
fleuve. C'est dans ces rues que se tiennent les véritables
maisons de commerce aux mains des négociants de Can-
ton, celles qui entretiennent des relations avec le Yun-Nan,
le Kouei-Tchéou et la région de Pé-Sé. Ces maisons com-
mercent presque uniquement sur l'opium, les thés du Yun-
Nan, les cuirs et les cotonnades européennes. Ces dernières
leur servent de produits d'échange dans leur trafic avec le
Yun-Nan. Une dizaine de ces maisons représentent comme
chitTre d'affaires de 400,000 à 600,000 piastres chacune, an-
nuellement. Une dizaine d'autres maisons moindres se li-
vrent aux mêmes opérations pour 100,000 ou 200,000 pias-
tres chacune.
Tout ces négociants s'accordent pour montrer la grande
tculté rencontrée par le commerce de Nan-Ningdans
DE CANTON A LOMG-TCIIÉOU.
ses relations avec le Yun-Nan. Ils indiquent unanimement
la voie du lleuve Rouge et du Tonkin comme la véritable
roule commerciale du Yun-Nan, et c'est d'ailleurs celle
qu'ils empruntent eux-mCmcs pour l'envoi des marchan-
dises encombrantes, telles que les cotonnades, qu'ils expé-
dient tout d'abord de liaï-Phong, en échange de l'opium et
du thé qui leur viennent alors directement par caravanes
et par les routes de terre. C'est là ce qui explique le peu
d'importance du mouvement de navigation sur la rivière
de l'Ouest.
En quittant Nan-Ning-Fou, le fleuve forme un large canal
régulier de 400 à 500 mètres de largeur en moyenne, et
profond jusqu'au premier barrage de Fan-Tan, à une jour-
née de navigation.
Là, une triple rangée de rochers oblige les jonques des-
cendantes à croiser trois fois dans la largeur du lit pour
prendre les passes. La difficulté consiste dans le peu d'es-
pace laissé entre les lignes de rochers pour manœuvrer.
Des pilotes officiels, entretenus par les mandarins, balisent
le chenal au moyen d'uue perche de bambou ou d'un pa-
quet d'herbes. Ils dirigent les jonques avec une grande ha-
bilelé. Les jonques montantes traînées à la cordelle suivent
au contraire la rive.
De ce point, les rapides se succèdent très rapprochés;
ils sont passés très aisément sous la conduite des pilotes
qui se renouvellent de poste en poste. On rencontre les
marchés de * Pou-Miao-Uiu », de « Leng-Li-Hiu », un peu
moins pauvres que les précédents. La contrée olfre encore
un aspect assez tourmenté. Des collines à pente très dure
bordent le fleuve; elles produisent quelques pins qui pous-
sent très clairsemés. La nature est toute différente de celle
de la région supérieure, mais le pays n'est pas beaucoup
plus riche ; poursuivant ainsi le long de ces monticules
arides, ou gagne la sous-préfecture de Vong-Tchouen-Hieii.
C'est une toute petite ville, très pittoresquement située
IIE CANTON A LONG-TCTTÉOr. i ■■(■.")
a angle saillant de la rive droite, montranl en bor-
tnre du fleuve, sur des rochers qui le surplombent, une
;ne de vieux créneaux ruinés de 300 mètres de côté.
L'intérieur de la citadelle est presque désert, et la parlie
principale de la ville se compose de deux rues extérieures
sans intérêt
A Yong-Tchouen, d'autres pilotes officiels remplacent
ceux de Nan-Ning et conduisent à Houen-Tchéou. Entre
ces deux points, deux passades sont délicats. C'est d'abord
rapide de Mo-Mien-Tan, long de 3 à 4 kilomètres, au mi-
u de roches. La direction est assez tortueuse.
Un peu au-dessous, la petite rivière de Tchen-Pou, ve-
t du Kouang-Tong, se réunit au grand fleuve, et l'on
rive au marché assez important de Nan-Hiang, point d'ar-
rivée de l'une des routes de Pak-Hoï.
A quelques kilomètres de Nan-Uiang, on aborde le grand
es 30 lis (d'environ 12 à 13 kilomètres de longueur).
a courant de foudre emporte les jonques, au milieu d'un
morcellement de roches émergeant de toutes parts. Trois
5 marquent l'entrée, le milieu et la sortie du rapide. En-
e quelques kilomètres et, dans un tournant, l'on aperçoit
Houang-Tchéou. Celle préfecture, autrefois prospère, a été
lélaissée pour Koueï-Hien par le commerce. Ce n'est plus
■ présent qu'une citadelle déserte, flanquée d'une rue mi-
en bordure du fleuve. On y remarque les restes de
; belles pagodes. La contrée est très montagneuse. En
e de Houang-Tchéou se dresse le massif des Ouan-Chan,
ir l'un des sommets duquel a été édifié le monastère boud-
tiique de Yin-Tien-Sseu, qui conserve la tablette du dernier
mpereur des Minh, qui s'est réfugié dans ces montagnes
s sa défaite. Tout ce pays est misérable; la population
t très turbulente et toujours prèle à la rébellion ou à la
raterie.
De nouveaux pilotes sont indispensables pour le passage
i grand rapide de Ki-King-Ta-Tan, la frayeur des bâte-
4-iti DE CANTON A LOSG-TCHÉOU.
liers du Si-Kiang. Une très belle pagode domine le passage
dangereux. Elle est l'objet d'un culte tout particulier. Outre
les offrandes portées par les bateliers avant de se lancer
dans le courant, on jette dans le rapide des petits chiens
noirs dont il se fait un commerce au village qui le précède.
Ces chiens se précipilenL aussitôt vers la pagode pour y
être sacrifiés, et l'on se rend ainsi propice le génie du Qeuve.
Dans cette pagode, on a eu aussi la précaution d'enchaîner
un tigre en bois qui est, parait-il, d'une extrême férocité.
Celte pagode a été élevée au maréchal Fou-Pouo, qui a fait
améliorer le chenal.
Les grandes jonques embarquent de 50 à 60 hommes de
renfort pour le passage de ce rapide où, dans un tournant
dénommé le tournant des Trois-Diablcs , l'embarcation
doit exécuter trois virages successifs, bout pour bout, au
milieu d'un courant furieux. La moindre hésitation de ma-
nœuvre lait voler la jonque en éclats dans ce passage, où
les patrons de bateaux dépensent une quantité considé-
rable de papiers consacrés. Des cris de joie et des libations
copieuses suivent l'arrivée à la rive.
En une journée, on atteint ensuite Koueï-Hien, sous-pré-
fecture disposée d'une manière absolument pareille à toutes
les précédentes.
Koueï-Hien a profité de l'abandon de Houang-Tchéou ;
mais, au point de vue commercial, c'est encore une place
des plus médiocres. Dix-sept monts-de-pi été, tous pros-
pères, sont portés sur les registres d'impôt. Tout près de
Koueï-Hien, à l'ouest, s'alignent les Yin-Chan, les mon-
tagnes d'argenl, où se trouvent des mines d'argent aban-
données; pourtant les habitants les gardent avec un soin
jaloux.
Au-dessous de Koueï-Hien, le fleuve prend l'allure d'un
canal ; il est d'une parfaite régularité et d'une parfaite mo-
notonie jusqu'à Kouel-Ping-llicn, sous-préfecture qui est
aussi le siège de la préfecture de Tsiuu-Tchéou-Fou. Unt
f>E CANTON A LONU-TCHÊOt*. 447
citadelle de Forme allongée et irrégulière s'incruste dans
l'angle aigu formé par la réunion de la grande rivière du
Nord avec la rivière de l'Ouest. Ses murailles disparaissent
sous une couche épaisse de végétation, et l'intérieur de la
forteresse est surtout occupé par des cultures maraîchères.
Un commerce tout local occupe deus rues extérieures en
bordure du Si-Kiang.
Sur la rive du Ho-tluoue'i-Kiang, on cherche vainement
le fourmillement de jonques indiqué par cerlaines bro-
chures. Il n'existe pas une seule embarcation, pas même
un de ces sampans qui servent d'habitation, et la ville n'a
aucune façade sur ce fleuve. Le mur d'enceinte disparail
sous une épaisse couche de bruyères, et toute cette partie de
la citadelle est dépourvue de constructions. On peut affir-
mer de la manière la plus catégorique que le commerce
qui peut venir de Lieou-Fou pur celte rivière du Nord ne
louche pas Koueï-Ping-rlieu.
Ce Ho-Choueî-Kiang, qui descend en ligne droite sur la
face nord de la muraille, se courbe brusquement contre
l'enceinte et forme à. son embouchure avec l'autre rivière
un large estuaire encombré de sable, de galets et de ro-
chers. Ce cours d'eau n'est d'ailleurs qu'une succession
ininterrompue de rapides qui ne peuvent être abordés que
par des embarcations de moins do 40 centimètres de tirant
d'eau.
Tl faut, de celle embouchure, une journée pour gagner
le marché deTa-Ouang-Kiang-Hiu, placé sur la rive gauche,
dans l'angle inférieur du fleuve et d'une petite rivière, le
Ta-Ouang-Kiang. Un canal, ou bras, d'une quarantaine de
lis (environ 4 lieues), relie le Ho-Choueï-Kiang à cette der-
nière rivière de Ta-Ouang-Kiang; et c'est, dit-on, par ce
canal que les sampans du Ho-Choueï-Kiang rejoindraient
la grande rivière de l'Ouest, évitant ainsi Koueï-Ping-Hien.
A une journée encore plus bas, et placée de la même fa-
çon dans l'angle du grand fleuve vl d'un petit cours d'eau,
448 riE CANTON A I.ONG-TCIIÊOI;-
on voit la sous-pré feclurc de Ping-Nan-Hien. C'est un petit
centre administratif, le plus pelit de tout le parcours; uni
citadelle carrée de 150 mètres de côté environ ne renferm
que les yamens des fonctionnaires.
Depuis Koueï-Hien, le Ileuve a coulé régulièrement, tra-
çant ses couihes dans un pays moins tourmenté; mais ici
on rentre peu à peu dans une région montagneuse. Des
lignes de collines indiquent le lit, dans lequel leurs pentes
descendent à pic. Le cours devienL très tortueux, el, sui-
vant tous les capricieux conlours des massifs, se rétrécit
brusquement ou s'élargit avec exagération, formant des
golfes, des séries de lacs (parfois de plusieurs kilomètres de
largeur), où les roches sont entassées par bancs énormes
dans un indescriptible chaos. On voit défiler ainsi une série
de tableaux merveilleux. Des rapides se succèdent très
rapprochés, parmi lesquels il faut citer celui de Kou-Yong-
Tan, où un goult're insondable soulève des remous impré-
vus, dangereux pour les petites embarcations. Des contre-
couranls s'opposent en tous sens, et les sampans qui ten-
teraient de lutter sont instantanément submergés, attirés
dans des profondeurs d'où aucun débris n'a jamais reparu.
Leshabilanls et les bateliers assurent que ce gouffre s'élend
fort loin sous lerre et aurait une sortie sur uoe autre ri-
vière (le Peï-Lieou) qui aboutit à Teng-Hien. Pourtant, le
péril est aisément écarté, en opérant la manœuvre conve-
nable, qui est d'aborder simplement la passe sans vitesse
et en se laissant porter sur le remous sans opposition.
On côtoie encore de grandes îles, renfermant des villages,
et l'aspect ne se modifie pas jusqu'à Teng-Hien, petite sous-
préfecture élevée sur la rïve droite du Ta-Riang et sur la
rive gauche du Peï-Lieou. Ici la ville est en grande partie
contenue dans la citadelle, pourtant fort exiguë. Aussi ses
rues ne sont-elles que d'étroits couloirs, dépassant en hor-
reur toutes les rues des villes précédentes. Les abords de la
ville, obstrués de rochers, sont difficilement approchés par
\ DE CANTON A LONOTCHÉOU. 449
c
*s le mouvement commercial du Peï-Lieou
ig-Hien; il suit directement vers Wou-
'eng-Hien le fleuve poursuit encore
a cours ; les roches et les îles se succèdent ;
*-Tcheou n'a pas moins de 12 kilomètres
.éur, et presque immédiatement au-dessous se
ou-Tchéou-Fou.
dernière ville étant à présent ouverte à la navigation
,ur et au commerce étranger, il semble que Ton peut
ner ici ces renseignements sur la rivière de l'Ouest. Ce
,adre ne permet d'ailleurs qu'un court résumé de l'itiné-
raire suivi, qui exigerait de longs développements. Les
photographies ci-jointes compléteront mieux une des-
cription beaucoup trop sèche ; la carte précisera davantage
le cours du fleuve, et tous les renseignements qui ne peu-
vent trouver place ici sont entièrement mis à la disposition
de la Société. Je m'empresserai de lui remettre aussi les
documents géographiques chinois très utiles que j'ai pu
me procurer et qui ont été traduits par M. Beauvais, chan-
celier interprète auquel je tiens en terminant à adresser
très particulièrement mes remercîments pour son excellente
collaboration.
AU NORD-OUEST CANADIEN
LES l'IEDS-NOIKS
Le continent du nord de l'Amérique présente, dans sa
partie centrale, une particularité remarquable. C'est une
immense prairie, une plaine monotone, où la vue s'étend
indéfiniment sans pouvoir se reposer sur une colline ou
s'arrêter sur une forêt. C'est un océan de verdure, une
prairie émaillée de fleurs, pendant quelques mois de l'an-
née; puis bientût une plaine aride et desséchée, recouverte
d'une herbe rare et courte ; et enfin, pendant de longs mois,
un immense linceul de neige qui recouvre un sol glacé.
Cette immense prairie américaine s'étend depuis les
grands lacs du centre du continent jusqu'aux Montagnes
Rocheuses, et depuis la rivière Labiche, affluent de la
Saskatchewan, jusqu'à la hauteur des terres du Missouri et
du Mississipi. Elle recouvre toute la partie méridionale du
Nord-ouest Canadien et s'étend sur plusieurs territoires des
États-Unis.
L'extrémilé nord-ouest de celte vaste plaine, confinant
aux Montagnes Rocheuses, est le pays des Pieds-Noirs.
Avant de parler de ces aborigènes, disons quelques mots du
pays qu'ils habitent.
La surface, comme je l'ai dit déjà, est d'une monotonie
désolante, ou l'œil s'égare à l'infini, sans trouver d'obstacle ;
pourtant ici, quand on arrive à environ 80 milles des Mon-
tagnes Rocheuses, la crête irrégulièrement découpée de cette
chaîne immense se dessine à l'horizon, et à mesure que
l'on approche, le spectacle devient de plus en plus impo-
LKS P1KDS-N0IKB. *>4
sant. L'uniformité est le plus souvent brisée aussi par les
nombreux cours d'eau qui découlent de la montagne et se
creusent des lits profonds dans l'argile de la prairie. Ces
vallées profondes sont plus fraîches et plus verdoyantes,
et il n'est pas rare d'y rencontrer d'épaisses forets que la
bauteur des cotes ne laissait pas soupçonner.
Le sous-sol est composé d'épaisses couches argileuses,
ou d'immenses dépôts de galets roulés, usés et arrondis par
l'action des torrents ou les frottements des glaciers. En
quelques endroits, les lianes déchirés de cette immense
plaine laissent apercevoir des couches nombreuses d'argile
irisée, offrant toute la série des couleurs.
Si vous descendez plus profondément, à lOOou 120 mètres
de la surface, vous pourrez trouver une couche plusou moins
épaisse de houille, fournissant un excellent combustible,
qui est exploité déjà sur une multitude de points. Le district
d'Alberta, qui occupe précisément cette extrémité de la
grande prairie, est spécialement riche en dépôts houillers.
A 3 mètres environ au-dessus de la couche de houille, on
trouve une autre couche excessivement riche en dépôts
fossiles de coquillages marins : des bivalves de plusieurs
espèces, des conglomérats réunissant différents genres de
coquilles, et surtout des ammonites en grand nombre.
L'ammonite déprimée est celle que l'on rencontre le plus
souvent. Elle atteint parfois des dimensions énormes,
comme 1 mètre et plus de diamètre. Il y a aussi, et en
grand nombre, des tronçons couverts de larges écailles,
qui semblent avoir appartenu soit à des poissons, soit à des
sauriens. Les morceaux de bois pétrifiés sont aussi très
nombreux. Quelques-uns semblent appartenir à des espèces
encore représentées aujourd'hui, comme le peuplier et le
saule; d'autres représentent des espèces n'existant plus
dans le pays. Le lit de certaines rivières est tout rempli
parfois deces pierres qui ne sont que du bois pétrifié.
Tout cela prouve que cette immense plaine a été jadis le
45:2 au nohu-ouëst canadien,
bassin d'une mer intérieure, puisque toutes ces coquilles
sont des coquilles marines et vivant dans l'eau salée. Les
ammonites forment, comme on le sait, une classe éteinte à
l'heure présente. 11 est vrai que celte condition de l'exis-
tence d'une mer intérieure peut remonter à une époque
extrêmement reculée, dans les périodes gâogéniques ;
cependant d'autres preuves, dans le détail desquelles il
m'est impossible d'entrer, semblent indiquer que cette
condition a existé jusqu'à une époque beaucoup plus
récente et postérieure au peuplement du globe et du conti-
nent américain lui-même.
Le sol de la vaste prairie n'est pas partout également
pauvre et stérile. En certains endroits, et surtout dans
l'extrémité occidentale qui se relève insensiblement vers les
Montagnes Rocheuses, la couche d'humus est plus ou
moins épaisse et il y a des terrains assez fertiles. Dans le
voisinage des montagnes» l'herbe est riche et succulente,
aussi c'est là que s'établissent de puissantes compagnies qui
s'occupent, en grand, de l'élevage des bêtes à cornes et des
chevaux. Bon nombre de colons viennent aussi s'établir de
ce coté. Il y en a un peu de toutes les nationalités.
Mais mon intention n'est pas de vous parler de ces nou-
veaux venus. Je ne veux vous entretenir que des aborigènes,
de ceux qui s'étaient considérés, pendant longtemps, comme
les souverains de cet immense domaine : les Pieds-Noirs.
Ces Indiens appartiennent à la classe que l'on appelle
Indiens des prairies. Les Pieds-Noirs se disputaient, avec les
autres Indiens des plaines, les Sioux, les Gros-Ventres, les
Cheyennes, les Comanches, etc., l'empire de ces immenses
territoires. Ils formaient des tribus guerrières et aven-
tureuses dans un état de perpétuelle hostilité les unes contre
les autres. Les Pieds-Noirs s'étaient adjugé surtout le terri-
toire qui s'étend de la rivière Labiche au nord jusqu'au
Missouri au sud dans cette extrémité de la prairie confinant
aux Montagnes Rocheuses. Ils en repoussaient toutes les
i.ES MHtS-MOIRS. i53
.utres peuplades, en se réservant toutefois le droit de taire
s excursions sur les terres de leurs voisins.
Les Pieds-Noirs, comme d'ailleurs tous les sauvages des
plaines, forment le type le plus parfait de la race rouge
méricaine. Ils sont, au physique, de taille imposante,
robustes et agiles. Ce sont des cavaliers infatigables et des
ihasseurs excellents. Ils aiment les aventures et les coups
d'éclat; mais cependant ils demeurent prudents et rusés,
et, dans leurs expéditions guerrières, ils ne s'exposent inu-
tilement à aucun danger ; mais, au contraire, font toujours
q sorte de mettre toutes les chances de leur côté.
Par leur langue, ils appartiennent à la grande famille
algonquine, qui, depuis le Labrador jusqu'aux Montagnes
Rocheuses, a encore de nombreux représentants ; je men-
tionnerai seulement les Cris, les Sauteux, les Maskégons et
tnfin les Pieds-Noirs. Toutes les langues de ces tribus ont
des caractères communs. Ce sont des langues polysynthé-
tiques. Le polysynthétisme consiste à réunir le plus d'idées
sible dans un seul mot et à accoler ensemble les diffé-
rentes parties du discours. C'est un procédé tout différent
de celui de nos langues européennes, qui, au contraire, dis-
raguenl par l'analyse les différents éléments des phrases.Ces
:n gués sont extrêmement logiques, régulières et homogènes,
îlles sont d'un mécanisme merveilleux et offrent des res-
iources dont nos langues européennes ne peuvent nous don-
ner l'idée. Le vocabulaire est très riche en expressions pour
lésigner les choses réelles et concrètes; ou plutôt le voca-
mlaire est, en réalité, inépuisable, puisqu'il y a toujours
possibilité de former de nouvelles expressions nuancées et
modifiées à l'infini. L'abstraction n'est pas dans le génie
de la langue, et c'est une difficulté, quand il s'agit d'en venir
à des explications d'un ordre plus élevé. Cependant le prin-
cipe de l'abstraction existe, il reste à en faire un usage plus
tendu.
De toutes les langues que j'ai nommées tout à l'heure, le
45'J AU NORD-OUBBT CAHABlJiK.
transporter et toujours prête pour l'usage,
n'était pas très pala table.
Enfin, dans cet animal providentiel pour l'Indien, toi
était utilisable. Les tendons lombaires rie l'animal, une fc
desséchés, pouvaient se subdiviser en fibres de différentes
grosseurs qui servaient de fil pour coudre loges et vêtements;
les os mêmes étaient utilisés pour en faire une foule d'armes
et d'instruments, les cornes et les sabots de l'animal, ré-
duits par l'êbullition, procuraient une colle forte de pre-
mière qualité, employée pour une multitude d'objets d'uti-
lité ou d'ornementation.
Est-il élonnant après cela que l'Indien ait voué à cet ai
mal une sorte de culte superstitieux? Toujours est-il que
buffalo se trouve mêlé, d'une manière inexplicable, à presqi
toutes les pratiques superstitieuses de ces peuplades.
El comment l'Indien se procurait-il cet animal en suffi-
sante quantité? Il faut dire que le bison errait à l'état libre
dans les immenses plaines de l'ouest, en troupeaux innom-
brables, et quoiqu'il fallût quelque adresse pour rappro-
cher, cependant on peut dire que la chasse du bison con-
stituait pour les Indiens un exercice salutaire rempli d'inté-
rêt. C'était réellement une partie de plaisir pour eux, et
nos amateurs de sport seraient heureux de prendre part à
une chasse de ce genre, dans laquelle l'Indien lui-même
trouvait un si vil' entraînement. Parfois les troupeaux de bi-
sons étaient si considérables qu'ils semblaient couvrir la
prairie toute entière. Les grandes plaines sans limite parais-
saient n'être qu'une masse noire mouvante. Il n'y avait qu'à
lancer son cheval au milieu de ce troupeau, et à tuer l'ani-
mal qui paraissait le mieux engraissé pour le service du
seigneur de la prairie. Inutile d'en tuer davantage. D'abord,
les moyens de transport, étant très limités, ne permettaient
pas de se charger d'une trop grande quantité de provisions.
Puis à quoi bon? Pendant des journées entières peut-être il
faudrait passer au milieu de cet immense troupeau.
iti-
i
LES l'IEDS-NOIRS. fôl
Je parle de tout cela au temps passé; car, hélas! ces
temps sont passés et ne reviendront pins, et l'Indien qui
les a connus ne s'en console pas. Le bison, ce majestueux
animal des plaines américaines, a été presque anéanti. Il
ne reste que quelques représentants de cette race, que l'on
conserve précieusement dans les parcset jardins publics. 11 y
a un peu plus de vingt ans, des compagnies américaines s'orga-
nisèrent pour la traite des robes de bulfalos. Ces compagnies
mirent sur pied des bandes considérables de chasseurs
métis ou blancs, ou même sauvages, armés de carabines à
tir rapide. Ces nouveaux engins perfectionnés, contenant
un magasin de 14 ou 16 cartouches, pouvaient être dé-
chargés en quelques secondes, et rechargés en moins d'une
minute. On conçoit que des bandes de chasseurs se précipi-
tant sur les troupeaux, avec des armes semblables, pou-
vaient les anéantir avec la plus grande facilité. C'est ce qui
arriva, et après 1870 le bison avait presque complètement
disparu.
Avec cet animal les Indiens perdaient leur principal
moyen d'existence. De plus, depuis quelques années, le
courant de l'immigration se portait du côté de la partie
septentrionale et occidentale de- la vaste prairie. Il y avait
la de magnifiques terres a exploiter, des vallées qui, surtout
au pied des montagnes, étaient éminemment favorables à
l'élevage des bestiaux. Pour éviter toutes les difficultés qui
pourraient résulter du contact des nouveaux colons aven
les races aborigènes, le gouvernement avait pris les devants,
en concluant avec ces Indiens des sortes de traités par les-
quels les sauvages faisaient au gouvernement la cession de
leurs terres de chasse, moyennant uu secours que ce même
gouvernement leur promettait. Tant que le bison exista sur
la vaste prairie, les Indiens ne cherchèrent nullement à
changer leur mode de vie; mais quand cet animal disparut
tout à coup, force leur fut de se soumettre aux termes du
traité qui les confinait sur certaines portions du territoire à
, prirent le nom de
l ces Indiens an
moment où ils
4.r)H AU NOnit-OUEST CANADI
eux réservées, et qui, pour cette raison
Réserves.
J'ai assisté à cette transformation, j';
moment où s'opérait cette transitioo,
faisaient l'essai de ce nouveau genre de vie, et cet essai était
pénible. Les secours fournis étaient souvent insuffisants. Ils
recevaient quelques rations de nourriture, jusle assefc pour
les empêcher de mourir de faim; mais cela paraissait bien
dur à ceux qui jusque-là étaient habitués à l'abondance.
De plus, outre les rations de bœuf et de farine, ils avaient
hesoin de beaucoup d'autres choses etn'avaient aucune res-
source pour se les procurer. Ils avaient commencé à s<
bâtir des maisons, mais quelles maisons! Le prototype de
l'habitation pour eux était toujours la loge avec le foyer
au milieu et une ouverture ménagée au haut pour le pas-
sage de la fumée. Ne pouvant l'aire la maison ronde et co-
nique comme ia loge, ils la firent carrée, en croisant gros
sièremeut aux angles des troncs d'arbres coupés de 1;
longueur voulue. La toiture était formée de perches recou-
vertes de longues herbes et de terre. Les vides entre les
pièces de bois composant les murailles étaient fermés avec
un mélange de foin et de boue. Le foyer était au milieu de
la maison,. ou plutôt il n'y avait pas de foyer proprement
dit, mais le feu était allumé au milieu du réduit, et une
sorte de cheminée, soutenue au moyen de quatre grosses
perches fichées en terre, devait conduire la fumée au
dehors; mais, de fait, la fumée se répandait la plupart du
temps dans tout l'intérieur. Pour toute porte, une ouver-
ture basse fermée d'un morceau de peau, et pour fenêtre,
si toutefois il y en avait, un petit (rou de 30 à 30 centi-
mètres. C'est là, accumulés dans ces taudis obscurs ethien-
tôt infects, que ces Indiens tâchaient de passer l'hiver.
Mais ils avaient grande hâte de voir arriver la belle saison;
et dès que la neige avait disparu de la surface du sol, dès
que le soleil commençait à réchaulfer la terre, ils lepienaienl
LES PIKUS-NOIRS. -iô'.l
leur loge et allaient camper au grand air dans les vallées des
rivières ou sur les plateaux qui les dominent. Là ils repre-
t les vieilles traditions, là ils recommençaient, autant
|ue leur pauvreté le leur permettait, leurs fêtes et réjouis-
sances. Les chants et le bruit du tambour résonnaient pen-
dant toute la journée, et môme pendant une grande partie
des nuits. Les danses, plus ou moins superstitieuses, se suc-
idaient les unes aux autres. Il y avait toujours quelque ré-
e nouvelle, et enfin les Indiens célébraient, durant
les beaux jours de l'été, leur grande solennité supers-
titieuse : la (firme du soleil; c'était le résumé de tout leur
culte superstitieux. Pendant une semaine environ, ils ac-
complissaient leurs rites bizarres, faisaient leurs offrandes
à leurs multiples divinités, se donnaient eux-mêmes en
sacrifice par les tortures et les privations auxquelles ils se
soumettaient. Parfois, pourtant, les réjouissances faisaient
place au deuil, aux chants d'allégresse succédaient les
chants de la tristesse, car alors encore les morts étaient
pleures avec beaucoup d'ostentation ; et le deuil se prolon-
geait longtemps, quelquefois un mois durant. Alors, à l'ap-
proche de la nuit, quand le silence commençait à se
répandre sur le camp, les pleureuses et aussi quelquefois
s pleureurs montaient sur une colline voisine et repre-
laient leurs lamentations sur un ton traditionnel, mais
lugubre, et qui ne manque pas de faire une vive impression.
Alors ces peuplades avaient encore conservé leur étrange
coutume qui consistait à exposer dans les branches des arbres
les cadavres de leurs morts soigneusement ensevelis.
Depuis ce teuips-ià, il y a eu de grand progrès accomplis,
les Indiens ont renoncé à beaucoup de leurs superstitions,
leur mode barbare de sépulture aérienne a à peu près
complètement disparu. La danse du soleil est supprimée
presque partout. Plusieurs des habitudes des peuples civi-
lisés ont été adoptées. Des maisons plus convenables ont
succédé au* premières buttes d'autrefois. Ce ne sont pas
4WI il) NOUU-OUEST CANA1HEN.
encore des palais, mais cependant l'amélioration est no-
table. Les Indiens vont assez loin, au pied des montagnes,
pour se procurer de plus belles pièces de bois, ils les équar-
rissent et les réunissent soigneusement et régulièrement
aux angles. Ils ont à leurs maisons nouvelles portes et
fenêtres, qu'ils se procurent toutes faites. Le toit est de la
forme ordinaire et recouvert de bardeaux, ou petites plan-
ches minces, qui, dans ce pays, tiennent lieu d'ardoises.
De plus, un grand nombre ont pu se procurer des planches
pour faire un plancher. Dernièrement enfin, j'ai pu con-
stater que, dans un certain nombre de maisons, il y avait
des cloisons pour distinguer la salle de réception de la cui-
sine et de petites chambres à coucher. Puis quelques pièces
d'ameublement viennent graduellement augmenter le con-
fort et la bonne apparence de la demeure. Des bois de lit
ou des couchettes en fer, des tables, quelques chaises et
commodes servent à meubler la maison. J'ai même trouvé,
une fois, dans une maison, deux belles chaises berceuses,
alors que je n'en avais pas même une seule a la maison de la
mission ; et je pense qu'il n'y en a pas encore actuellement.
Et comment les Indiens se procurent-ils tout cela? Par
leur travail et leur industrie. Les employés du gouverne-'
ment, qui s'occupent sincèrement d'améliorer leur bien-
êlre, leur fournissent les moyens de se créer quelques res-
sources. Ils leur procurent quelques contrats pour fournir
des centaines de tonnes de foin aux rancherx ou gens qui
s'occupent de l'élevage des bestiaux. De même ils fournis-
sent aussi des centaines de tonnes de charbon ans blancs
qui les entourent. Ce charbon est extrait par les Indiens
eux-mêmes, qui ont une mine sur leur propre réserve, et
exploitent cette mine. De plus, ils élèvent eux-mêmes un
grand nombre rie chevaux, et aussi de petits troupeaux de
bêtes à cornes pour lesquels il y a toujours un marché rai-
sonnable.
Le missionnaire, tout en s 'efforçant d'inculquer à ces peu-
I.KS PIKDS-NOIRS.
461
plaiies les principes du christianisme, ne craint pas de
prêter la main aux agents du gouvernement pour pousser
ces Indiens dans la voie du progrès, qui s'obtient par le
travail et l'industrie. Nous tachons de leur inspirer l'amour
du travail, d'un travail soutenu et persévérant qui leur fera
compter plus sur eux-mêmes que sur la charité du public.
En agissant ainsi, nous pensons faire beaucoup pour le
maintien de leur santé physique et morale. Ces peuples ont
droit aussi bien que tout autre à l'existence; et la religion
sera encore le plus sûr moyen de progrès au point de vue
matériel. Nous voulons conserver ces races, et tout en les
engageant à modifier leur genre de vie pour l'adapter aux
nouvelles conditions dans lesquelles elles se trouvent, nous
pensons, en leur donnant le bienfait de la religion, leur
assurer le meilleur moyen de perpétuer leur existence. On
a quelquefois reproché aux Espagnols leur cruauté envers
les indigènes qui habitaient les contrées du nouveau
monde découvertes par eux. C'est une calomnie. Ce qui est
vrai, c'est que le missionnaire catholique accompagna ou
suivit de près les découvreurs, et la religion a toujours pris
un soin spécial de ces peuplades diverses, en les protégeant
contre toute oppression. Aussi, à l'heure présente, les popu-
lations indigènes despueblosdela Californie et du Mexique
sont à peu près aussi nombreuses que du temps de la con-
quête. En pourrait-on dire autant des nombreux sauvages
qui occupaient jadis les États de la Nouvelle-Angleterre?
De même, sur les bords du Saint-Laurent, les tribus
huronnes et iroquoises, ainsi que plusieurs tribus algonquines
converties par les premiers missionnaires du Canada, ont
encore des représentants échelonnés depuis te Labrador
jusqu'aux grands lacs, et s'ils ne sont pas plus nombreux,
il faut s'en prendre aux guerres exterminatrices qu'ils se
ît faites entre eux avant d'être convertis.
METEMOMt DE LA PALESTIIE Et DE LA SÏBIE
Le K. F. ZTTMOPFEK", S.
Il
TbIs sont les principaux caractères du climat actuel de
la Palestine, Mais une question se présente ici, à savoir si
les conditions climatériques ont toujours été les mêmes
depuis Abraham et Moïse jusqu'à nos jours? Nous ne pos-
sédons pas des données précises de cette époque lointaine
pour pouvoir les comparer avec les observations météoro-
logiques actuelles, puis la série des observations embrasse
un temps trop court pour qu'on puisse conslaler une modi-
fication dans les saisons, dans le régime des pluies et dans
la température ; mais ce sont les témoignages de la Bible et
des auteurs profanes, la faune et la flore qui peuvent
nous fournir des renseignements précieux à cet égard.
" Je donnerai à votre terre la ploie précoce et la pluie tar-
dive et vous aurez récolte de froment, de vin et d'huile. Je
produirai de l'herbe dans vos champs pour voire bétail
et vous-mêmes vous aurez des aliments en abondance »
(Deut., XI, 12). «Je vous introduirai dans une terre de fro-
ment, d'orge, de vigne, de figuier et de grenadier, une
terre d'oliviers, d'huile et de miel, une terre où vous man-
1. Voir Bulletin de la Société de Géographie, S- trimestre de 1899,
LA MÉTÉOHOLOGIE DE LA PAI.BSTI.NE ET DE LA SYBIR. 1G3
■ez votre pain sans craindre la pénurie ni la privation
tucune chose » (Deul., VIII, 7-9). « Je vous mènerai dans
e terre excellente, une terre ruisselant de lait et de miel»
îxod., III, 8).
Les auteurs profanes parlent dans le même sens. Hécatée
dit que la Palestine est une terre fertile et très peuplée,
une province très bonne et riche en toutes sortes de fruits
(Jos. contra App., I, 22). Pline mentionne aussi la fertilité
de Jérusalem (Plin., 1. V, c. xiv, 1). Amien Marcellin nous
affirme que la Syrie offre des vallées d'une bonne et riche
culture (Am. M., XIV, 8). Tacite apporte aussi son témoi-
gnage en faveur de la richesse de la Palestine, en disant
que le sol est fertile et que les habitants ont toutes sortes
de productions en abondance, et de plus le baumier et les
dattes (Hist., V, c. iv).
Ces descriptions riantes de l'ancienne fertilité contrastent
singulièrement avec l'aspect désolé que présente aujour-
d'hui la Palestine. De nos jours, ce pays jadis découlant de
lait et de miel paraît sec, pierreux et stérile; les montagnes
sont arides et dénudées, les ouadis sont sans eau pendant
une grande partie de l'année, les plaines se couvrent de
chardons.
Le changement est manifeste et incontestable ; mais
quelle esl la cause qui a produit cette modification dans
les productions de la Terre Sainte?
Les uns, comme MM. Couder', etc., prétendent que depuis
Abraham et David aucun changement n'a eu lieu dans les
conditions climatériques. Les saisons, les pluies, la tem-
pérature, la végétation et la constitution du sol de la
Palestine actuelle ne dill'èrenl en rien de ce qu'elles étaient
dans les temps bibliques. C'est la négligence et l'insou-
ciance des habitants, le vandalisme et l'oppression de
l'administration qui ont changé l'aspect du pays. Les forêts
i. Couder, QuaTterlu 5l«iemeni
l.A MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DK LA SYRIE.
ont été abattues, les pluies sont devenues plus rares, le sol
ne conserve pas l'eau; les constructions hydrauliques que
les anciens avaient faites pour utiliser l'eau sontruinées; le
sol porte encore les mêmes fruits qu'au temps le plus
prospère du royaume d'Israël, pourvu qu'où le cultive el
qu'un gouvernement intelligent encourage el protège le
travail de l'agriculteur.
D'antres, comme MM. Fraas 4, Hull*, Elisée Reclus3,
Fischer* et Blankenhom s croient, au contraire, que la
culture et la sécurité peuvent augmenter les productions
du sol, mais qu'elles sont incapables de lui rendre sa pre-
mière prospérité. La vraie cause, la principale sinon l'unique
cause du changement de la Palestine et de la Syrie est la
modification que le climat a éprouvée depuis les temps his-
toriques. Il est devenu plus sec; la diminution des précipi-
tations atmosphériques a amené le tarissement ou l'affai-
blissement des sources, le dessèchement total ou partiel
des courants d'eau, et par suite la stérilité.
Cette diminution des pluies a été constatée non seule-
ment en Palestine el en Syrie, mais dans tout le bassin de
la Méditerranée. Le savant météorologiste M. Fischer a
démontré que toute la zone semi -tropicale, à partir du
34° lat. nord, lend à se transformer en une large bande de
steppes et de désert, et que cette modification lente ne sau-
rait être attribuée qu'à une cause générale qui serait, sui-
vant lui, un déplacement vers le nord de la zone où les
vents contre-alizés descendent des hauteurs du ciel et
s'abaissent sur la terre, en un mot, un changement dans le
régime des vents.
Il est incontestable que beaucoup de contrées du bassin
1. Fraiis, .lui rfem Orïttit, I, p. lilli.
•i. Ilull, Memoir un the Centugg and (ieuf/r., |i. 1Ï3.
3. EBsée Beelos, Géographie universelle, vol. IX, p. 740.
4. Fischer, Sludtm ùher Uan Kl i nui iet Mitletwcerlànder, p
!i. Illauki;i]liurii, Zeitivlm/I du* Palaintina- Verein, vuj. X\
U MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SÏRIE. Ifi5
de la Méditerranée sont devenues plus sèches et impro-
ductives. La mer Rouge est entourée d'une ceiniure de
récifs interrompue en face de l'embouchure des fleuves
côtiers. Ce sont ces cours d'eau douce qui ont produit ces
;hancrures profondes en tuant les coraux, ou en contra-
riant leur travail; ils étaient donc autrefois plus constants
et plus considérables qu'aujourd'hui, car, maintenant, un
grand nombre n'atteignent plus la mer Rouge et les autres
coulent trop rarement ou sont presque insuffisants pour
entretenir ces entailles. Les pluies qui les alimentaient
étaient donc plus fréquentes.
Il est certain que les eaux étaient jadis plus abondantes
dans les vallées des montagnes li byques. En maints endroits,
on distingue sur les rochers la trace d'anciennes cascades
qui coulaient d'un Ilot continu, tandis que ces conlrées
sont aujourd'hui sans eau. Le chameau n'est pas représenté
monuments égyptiens avant l'époque saïte; il était
certainement inconnu pendant les siècles qui ont précédé*.
Les Égyptiens de cette époque n'étaient pas encore assiégés
par le désert, qui était moins dénué d'eau et plus habité;
les voyages y étaient possibles sans cet animal domestique.
L'Arabe de nos jours ne pourrait plus se hasarder dans ces
solitudes brûlantes sans le chameau.
Le Sahara était moins aride qu'il ne l'est actuellement.
;es lits avec leurs berges et leurs plages racontent
; passage ries fleuves dans ces régions desséchées aujour-
d'hui.
La population du Sahara algérien semble avoir conservé
e souvenir d'une époque où le Chott er Selam était cou-
vert d'eau. Aujourd'hui il est desséché et les Arabes assu-
rent qu'il n'a plus été rempli depuis un siècle3. Du temps
i Eg'jplt, p. lit.
lUograj'itie de Pal
■iljli LA MÉTÉOROLOGIE HE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE.
des Romains, disent les Arabes de ces régions, l'Ouad-Souf
était un grand fleuve, mais on lui jeta un sort et il dispa-
rut. Dans l'oasis Hodna qui manque complètement d'eau,
en dehors des puits artésiens, on trouve des ruines de vil-
lages, des restes de construction pour utiliser l'eau, des
digues, des réservoirs de l'époque romaine; preuve mani-
feste qu'à cette époque il y avait une plus grande abon-
dance d'eau1.
Ces faits sont confirmés par la considération de la faune.
Le chameau, qui semble avoir été créé uniquement pour le
Sahara, fut introduit assez tard dans l'Afrique septentrio-
nale comme en Egypte. Polybe dit que les Carthaginois con-
naissaient l'éléphant, mais il ne mentionne pas le chameau.
César en reçut 22 du roi Juba, ce qui parut extraordinaire
aux yeux des contemporains. Si cet animal avait été de
quelque utilité, les Phéniciens, qui le connaissaient, l'au-
raient bien introduit dans leurs colonies. On ne le trouve
pas sur les sculptures des roches du Maroc et du Fez/.an
qui représentent l'éléphant, le bœuf, le cheval, etc. Les
tribus nomades du nord de l'Afrique se servaient dans l'an-
tiquité de chars traînés par des bœufs ou des chevaux pour
transporter leurs biens à travers les dunes3; de nos jours,
il est impossible de traverser le désert sans l'aide du cha-
meau. Il n'était donc pas indispensable dans ces régions
où abondaient les grands pachydermes, car le chameau ne
peut s'accommoder des conditions climatériques qui con-
viennent à l'éléphant Partout où l'éléphant parait dans le
Haut-Nil, le chameau périt malgré tous les soins ou devient
inutile.
Les Carthaginois furent le seul peuple de l'Afrique qui ail
réussi à capter et à dresser l'éléphant à la guerre. Ce grand
. Ilallelin dt ta Société dr Cêographie de Paris
LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 467
pachyderme s'est répandu du centre au nord de l'Afrique.
Le Sahara n'opposait pas encore une barrière infranchis-
sable à l'émigration de ces animaux vers le nord. Il a dû y
avoir des contrées bien arrosées et riches en pâturages qui
formaient en quelque sorte un pont reliant le lerriloire du
Niger à celui de l'Atlas. Dès que ce pont fut rompu, les élé-
phants du nord de l'Afrique furent séparés du grand trou-
peau de leurs congénères et destinés à périr sous un climat
qui ne leur était plus favorable. On ne peut pas attribuer leur
destruction totale à l'action de l'homme, car dans les ré-
gions bien peuplées des Indes, on n'a pas réussi à le dé-
truire complètement.
L'histoire contemporaine de l'Algérie offre déjà de nom-
breux exemples de fontaines qui ont desséché, de vallées
naguère verdoyantes qui ne sont plus maintenant qu'argile
et que rochers. Les villes mêmes n'ont plus ni sources
ni puits ; il faut des convois d'eau pour la ville de Saint-Denis
du Sig (Elisée Reclus, X, p. 601).
Plusieurs points de l'Espagne nous fournissent des
preuves indubitables d'une modification de climat. L'Estra-
madure, si désolée et si dépeuplée aujourd'hui, avait du
temps des Romains une population très dense. C'est là que
se trouvait la grande cité Colonia Augusta Emerita; ses
plaines, si stériles actuellement, donnaient des récolles abon-
dantes. Ses cités ont été remplacées par la solitude, et les
bruyères ont succédé aux céréales.
La Gaule n'a plus l'intensité de froid et la surabondance
de pluies dont parlent les anciens. L'Asie Mineure, d'après
les recherches de Tchihalcheff, est certainement, à l'heure
présente, moins humide qu'à l'époque romaine'.
Il n'est guère douteux que des changements physiques
le se soient accomplis dans le climat de la Syrie et de la
'alestine, comme dans les contrées voisines.
i. ,'ttie Mineure, II. p
468 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE.
Palmyre, la cité de Zénobie, avant d'être détruite par
Aurélien, avait une population de plusieurs centaines de
mille âmes. Pline parle de sa situation heureuse, de la ri-
chesse du sol el de la bonté de ses eaux (Hist. n«(., liv. V,
21, 3). Là il y avait en effet des sources en abondance et
une rivière qui arrosait les campagnes. Ptolomée dit qu'un
cours d'eau semblable au Chrysorhoas (Barada de Damas)
passait à côté du temple. Procope et les auteurs arabes des
x' et xn" siècles parlent encore de l'abondance des sources
et des eaux courantes de Palmyre, de ses vergers et de ses
champs. Au milieu du siècle dernier, le voyageur anglais
Wood vit encore deux petits ruisseaux, mais l'eau était
devenue sulfureuse. De nos jours, tous les voyageurs par-
lent de l'extrême sécheresse, du manque d'eau potable ; un
seul ruisselet coule au sud de la ville et se perd dans le sol
à peu de distance. Le climat est devenu plus sec et les
pluies ne suffisent plus pour alimenter les sources.
M. Cernick constata, au cours d'un voyage qu'il fit à
Palmyre pendant l'hiver 1872-1873, qu'entre la vallée le
Asy, près de Homs, et celle de l'Euphrate, près Deir, il y
avait peu de sources, — el encore Iburnissaienl-elles une
eau non potable, — et que partout, même en plein désert, se
montraient des ruines, de nombreuses traces d'une cul-
ture ordinaire. Il vit en outre plus de 20 grands pressoirs
d'huile creusés dans des grands blocs de basalte, roche ab-
solument étrangère à cette région, mais nulle part il n'a
aperçu un olivier, qui a pourtant une vie si longue et si
tenace.
De el Farclus jusqu'à Palmyre, sur une étendue de
20 lieues, il n'a pas trouvé une goutte d'eau, même en hiver,
et cependant il rencontra sur cet espace des constructions
en ruine, des vestiges d'ancienne culture et d'habitations.
Palmyre même, conclut-il, n'a qu'un petit ruisselet, et si
ce filet d'eau venait à tarir, les derniers vestiges de la vie
disparaîtraient, les habitants déjà si peu nombreux éroi-
LK MÉTÉOROLOGIE nE LA PALESTINE ET DE LA SYRrE. 469
traient et de nouvelles ruines s'ajouteraient aux an-
En Phénicie, nous trouvons également des preuves d'un
mat autrefois plus humide. De grands ponts romains
>nt jetés sur des torrenls actuellement insignifiants comme
Djebailé (l'ancien Byblos) et à Maamiltein,au bas de fiha-
:ir. Pour justifier l'existence de ces ponts, il faut, en effet,
ipposer que ces torrents étaient jadis plus considérables
D'aujourd'hui ; où ils n'ont qu'un mince filet d'eau après
e forte pluie; le reste du temps ils sont toujours à sec.
e plus, on rencontre des murs d'end iguement sur plu-
:urs torrents des environs de Djebailé qui, de nos jours,
mt plus d'eau même en hiver5.
ville de. Petra3 fut à l'époque romaine un centre de
ïimerce de 40,000 âmes au moins. Aujourd'hui on n'y
■ouverait pas même un camp de Bédouins. Strabon parle
e l'abondance de ses sources et de ses jardins. Pline dit
[ue la ville est traversée par une rivière, amne interflitente.
a nombreux ponts, dont plusieurs ruines existent encore,
■ouvent que cette rivière était jadis plus considérable que
e nos jours, où elle n'est plus qu'un ruisselet formé par la
«îrce d'Ain Mottsa, située près du village d'Eldji. Cette
serait absolument insuffisante à alimenter une ville
ipuleuse comme l'était Petra et à abreuver ses troupeaux,
ion Laborde et Linant ont décrit un bel aqueduc, mais
s sources ne peuvent plus fournir la quantité d'eau en
ipport avec ce canal.
Au sud-est de Petra, entre l'Ouadi Sabra et Akabaaïla,
iborde a découvert les ruines d'une ville qui témoignent
icore d'un étal jadis riche et florissant. Des ponts ruinés,
s et des barrages prouvent que l'eau n'y manquait
. PeUrmann'i MUtheiiuntjen, lùyiiniunijsiiej'l, n° 14, p. 9 el 1
i Renau, Million de Phénicie, p. 174.
. Fischer, op. cit., p. 43.
470
LA MÉTÉOROLOGIE HE LA PALESTINE ET DE LA SÏRIE.
pas autrefois; des amas de pierres dont on nettoyait 1
champs, des murs retenant la terre arable sur les pentes
des collines, la division des champs par des bancs de menus
cailloux, datent, suivant Laborde, de l'époque nabatéenne,
démontrant que ces régions étaient jadis bien peuplées. Le
désert et la solitude ont succédé à cet état de prospérité'.
Lors de l'invasion des armées assyriennes en Arabie, la
pénurie d'eau, obstacle principal des marches dans ces
contrées, se Taisait moins sentir qu'aujourd'hui. De nos
jours, une armée y périrait (Revue drs questions scienti-
fique», 1885, p. 164).
D'après les explorateurs Pal mer et Drack-, le désert de
et Tih, cette région comprise entre la Palestine et la pres-
qu'île du Sinaï, est habitée par 4,000 Bédouins qui y trou-
vent à peine leur subsistance. Ils sont toujours en guerre
pour des sources et de maigres pâturages. C'est le désert sans
eau, sans arbres ni végétation. Cependant on rencontre
partout des vestiges d'une culture disparue, des ruines de
fontaines dans une région absolument dénuée d'eau, des
terrasses, des restes d'anciennes villes. C'est dans ce désert
actuellement si aride et sî désolé que les Hébreux errèrent
pendant dix ans, et ils y trouvèrent de l'eau et les pâturages
nécessaires à l'entretien de leurs troupeaux. Le manque
d'eau a rendu le sol stérile.
La source de Moïse, au Sinaï, qui abreuva si longtemps
le peuple bébreu, ne suffirait pas aujourd'hui, suivant
Praas, a 2,000 hommes.
La Pali'slinc, comme les pays limitrophes, est devenue
plus ikoho i'I plui aride. « Dieu vous introduira dans une
lionne terre, (Un* une terre pleine d'eau, de ruisseaux et
de rOAtAlneft, ûu lus MHirces de rivières jaillissent en abon-
dance it;iu - lei pUlnfll et les montagnes n (Deut., VIII, 7).
IMImiT, l'ht durrl nf fhr f«l*)|,
LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. il I
Ce passage n'est plus applicable à la Palestine actuelle, qui
est aujourd'hui pauvre en cours d'eau permanents. Outre
le Jourdain, elle n'a ni fleuve, ni rivière qui mérite ce
m. Tous les affluents du Jourdain, sauf le Yarmouk et le
Kerka, sont éphémères et ne donnent de l'eau que pendant
les pluies. Les torrents côtiers sont à sec dans tout leur
parcours pendant une grande partie de l'année; d'autres
n'ont de l'eau que dans leur cours inférieur, près de la
mer, comme le Nahr Andje et le Nahr Mokatta.
Tous les voyageurs ont été frappés de la pénurie d'eau
vive en Palestine. Les sources sont rares dans la Judée, un
peu plus fréquentes à mesure qu'on avance vers la Galilée;
mais des sources abondantes et pérennes capables de tour-
ner un moulin ou de donner naissance à un cours d'eau,
sont très peu nombreuses. Un grand nombre tarissent en
été, et le débit des autres diminue tellement qu'à une faible
distance de la source l'eau se perd dans le sol ou disparait
par évaporation. A Nazareth, il y a deux fontaines : l'une
tarit communément en été; l'autre, la fontaine delà Vierge,
ne débite, suivant M. Schumacher, que tiOO litres par
heure; c'est bien peu de chose pour une popuialion de
7,500 âmes.
Des villages paraissent avoir été nommés d'après une
source qu'ils possédaient jadis. La source a disparu et le
nom est resté à la localité; ainsi les villages Ain (source)
Ghems, Aïn Jebrud, etc., n'ont plus de sources, pas même
dans leur voisinage.
Le grand nombre de réservoirs, de puits et de citernes
répandus dans toute la région ne prouve pas qu'il y ait
eu pénurie d'eau dans l'antiquité comme aujourd'hui, car
a des puits et des citernes dans des districts où l'eau
est abondante. Le puits de Jacob se trouve dans le voisi-
nage de Naplouse, qui se vante d'avoir 60 sources. De nos
jours, il y a des villages suffisamment pourvus d'eau de
source où des maisons possèdent une citerne; en outre,
472 LA MÉTÉOilOLOGIE I>E LA PALESTINE ET DE LA SYRIE.
les puits et les citernes datent un peu de tous les âges :
des temps bibliques, de l'époque romaine, du moyen âge et
des temps modernes. Si l'on pouvait fixer l'époque exacte
de chacune de ces constructions, on trouverait sans doute
que les puits et les citernes qui sont postérieurs aux temps
bibliques sont bien plus nombreux que ceux qui ont été
construits par les Hébreux; d'ailleurs, supposons que la
plupart de ces travaux hydrauliques aient été accomplis
par les Hébreux, il en résulterait que les pluies eussent été
plus abondantes à celte époque, car de nos jours l'eau plu-
viale, dont la moyenne est de 60 centimètres, serait insuffi-
sante à les remplir et à fournir une provision d'eau néces-
saire pour 6 ou 7 mois consécutifs de sécheresse ; enfin, le
grand nombre de citernes, de puits et de bassins témoi-
gne plutôt d'une population considérable et d'immenses
troupeaux de bestiaux et de moutons qui se comptaient
par centaines de milliers.
La diminution des pluies a non seulement desséché
nombre de sources et de cours d'eau, mais a amené la sté-
rilité du sol, et, par suite, la dépopulation de la contrée; car
la population aux temps bibliques a été 6 ou 7 fois plus
grande que de nos jours. La Bible nous fournit quelques
renseignements statistiques à cet égard. D'après un passage
des Nombres (I, 16), lesHébreux, en entrant dans la terre
promise, comptaient 603,500 hommes capables de porter
les armes. Les Israélites formaient donc une population de
2 à 3 millions d'âmes environ. La population allait toujours
en croissant, et le recensement ordonné par David donnait
un chiffre de 1,300,000 à 1,400,000 hommes en état de
porter les armes (Il Livre des Rois, en. 24, 9; Paralip-, I,
21,5), ce qui suppose une population de 5 à 6 millions
d'âmes. Les tribus de Lévi et de Benjamin ne sont pas com-
prises dans ce nombre. La Judée seule fournissait un con-
tingent de 470,000 combattants. Josèphe dit que la Galilée
était extrêmement populeuse à cause de la richesse du sol
LA KSTEOIIOLOCIE HE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 473
Or, la Palesu'ne compte, depuis Dan jusqu'à Barsebée,
225 kilomètres environ de longueur et 10 kilomètres de lar-
geur moyenne, ce qui fait une superficie de 16,000 kilomètres
carrés. La population kilométrique était de 312 habitants.
La Terre Sainte était plus peuplée qu'aucun État d'Europe
ne l'est de nos jours. En 1897', la Belgique comptait
220 habitants par kilomètre carré, l'Italie 169, la Grande-
Bretagne 126, l'Allemagne 97 et la France 72. Dans tous
ces pays, l'industrie est très développée, et l'industrie peut
occuper et nourrir une population plus grande que l'agri-
culture et l'élevage du bétail. Il faut donc admettre, et les
témoignages de la Bible le confirment, que les productions
du sol ont dû être prodigieusement abondantes pour nourrir
3 population aussi dense que celle de la Palestine au
temps de David. Or celte fécondité du sol parait être incom-
patible avec le climat présent, car, dans les conditions
météorologiques actuelles, il serait impossible à 5 millions
d'habitants, vivant principalement des produits du sol et de
l'élève du bétail, de trouver leur subsistance sur une étendue
de 16,000 kilomètres carrés qui, de nos jours, peut à peine
nourrir 700,000 habitants occupant le territoire de l'an-
cienne Palestine.
Pour nous en convaincre, il suffit de comparer la ferti-
lité de l'ancienne Palestine avec celle de nos jours. L'un des
principaux produits du sol, aux temps bibliques, futle blé.
D'une qualité exceptionnelle et très appréciée à l'étranger,
le froment fut utilisé avec l'orge dans toutes les parties de
la Palestine, et le rapport dépassait de beaucoup les besoins
des habitants, pourtant si nombreux, Salomon pouvait dont
ner chaque année 20,000 cars de froment à Diram et au-
tant aux ouvriers occupés à la construction du temple, ce
qui fait une somme totale annuelle de 135,000 hectolitres,
sans compter le froment livré au commerce des Phéniciens
1, Revue scienlifalU, 19 mars ma, p. S79,
■474 LA MÉTÉOROLOGIE EJE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE.
et la quantité plus considérable qu'une population de 5 mil-
lions d'habitants consommait chaque année, car le pain Tut
le principal aliment des Hébreux. Le sol était éminemment
favorable à cette culture, et les récoltes donnaient 30,
60 et 100 fois la semence.
De nos jours le rapport du froment est médiocre, même
dans les régions bien cultivées, et ne dépasse guère 7 ou
8 pour 1 '.
Dans certaines parties de la Judée, la culture du froment
est devenue impossible, les eaux pluviales ont emporté la
terre arable et mis les rochers à nu; dans d'autres districts,
la couche terreuse est trop mince pour retenir l'humidité,
un jour de soleil suffit pour la dessécher complètement. En
général, on y compte une honne récolte sur trois médiocres
ou mauvaises. Les grains confiés au sol des plateaux ou des
pentes qui ne reçoit pas d'engrais rapportent le double ; les
récoltes dans les vallées des environs d'Hébron bien culti-
vées et fumées donnent le quadruple de la semence pour le
froment et le quintuple pour l'orge.
Mais c'est la plaine des Philistins qui peut nous donner
une idée de ce que put être la fertilité de l'ancienne Pales-
tine. Les collines sont formées de calcaire crayeux et la
plaine proprement dite d'alluvion. Ici comme ailleurs, le
rendement varie suivant les conditions météorologiques et,
la bonté du sol. Si les pluies du mois d'avril sont tombées à
propos, ni trop lût ni trop tard et en quantité suffisante, et
si le vent du désert n'a pas- soufflé au printemps, les grains
de froment confiés à une terre bien cultivée peuvent rap-
porter de !i jusqu'à 30 pour 4, et ceux de l'orge de 20 jus-
qu'à 120 pour 1.
La plaine d'Esdralon ne reçoit pas d'engrais; le maximum
de rapport y est 10 pour 1, et le minimum 4 pour 1, c'est-
à-dire la semence. La moyenne de 10 ans est 7 à 8 pour 4.
ilerliiiil, /.filsclirifl rfe» falaiKtina-VtTtinx, IX. |>. 46-51
LA MÉTÉOROLOGIE IIE H PALESTINE ET IIF LA SYME.
L'orge n'y réussit guère à cause de la trop grande humidité
de l'hiver.
Dans les montagnes de Nazareth el d'Ephraïm, dont le sol
est calcaire, le rendemenL maximum est 13 pour 1 et peut
être nul l'année où paraissent les criquets. La moyenne est
0 pour 1.
De ce qui précède, il résulte que la fertilité de la Pales-
tine n'est plus ce qu'elle était aux temps bibliques.
Maïs on dit que la stérilité actuelle n'est qu'apparente et
a sa source dans l'incurie des habitants, el que, si l'on se don-
nait la peine de cultiver la lerre, la Palestine deviendrait
de nouveau une terre de froment et d'orge.
H est peu probable que, dans les conditions météorolo-
giques actuelles, le meilleur mode de culture puisse rendre
à la Terre Sainte sa première prospérité. Près de Jaua et à
Calfa, sont établis des templiers allemands qu'il serait bien
difficile d'accuser d'incurie et d'insouciance; ils ne négli-
gent rien, ni travail, ni engrais, pour faire rendre au sol
tout ce qu'il peut produire. Or, le maximum du rendement de
froment a été 30 pour \ elle minimum de 4 jusqu'à 6 pour
1. La moyenne de plusieurs années est H pour 1 . Quant à
l'orge, le maximum derapport a été 50 pour 1, la moyenne
est 15 pour l.A Calfa, le sol est formé d'alluvions calcaires,
et le rendement moyen du froment est 7 pour 11 et de l'orge
6 pour 1,11 est manifeste que la quantité de blé que le sol pa-
lestinien convenablement cultivé peut produire aujourd'hui
est bien inférieure àcelle qu'il rapportait aux temps bibliques.
[I lui faut donc autre chose que la culture européenne ; il lui
faut précisément ce qui constituait son ancienne fertilité,
l'eau du ciel, des pluies plus abondantes et réparties d'une
façon plus favorable àla végétation. De tout temps, l'eau atmo-
sphérique a été la première condition de la fécondité de la
Terre Sainte. La Bible semble toujours faire dépendre la
richesse du sol palestinien des pluies pluldt que du travail
des habiianls. Si Dieu donnait la pluie, la pluie précoce et
LA MÊTÉOIIOLOGIE DE LA V ALF.STWË ET DE LA SVltlE.
la pluie tardive, les Hébreux nageaient dans l'abondance e
ne manquaient d'aucune chose; mais si Jéhova la refusai
la terre ne produisait rien, elle était frappée de stérilité
(Deut.,\I, 10, 11; Joël, II, 23). Sous ce rapport, la Palestini
n'a pas changé. De nos jours, si les pluies ontété suffi
à l'époque des semis, de la floraison et du déveioppemei
des grains de blé, une bonne récolte est assurée; mais s
l'eau pluviale manque à une époque quelconque de la saison
humide ou si les vents d'est et du sud-est ont desséché le
sol en faisant évaporer toute humidité, les moissons sont
compromises. En général, la richesse des récoltes augmente
dans la même proportion que les pluies. A quoi se réduisent
aujourd'hui la pluie précoce, celle qui tombe au mois d'oc-
tobre à l'époque des semis, et la pluie tardive, qui arrive au
mois d'avril à l'époque de la formation et du développe-
ment des grains de blé? La pluie précoce ne dépasse pas
9 millimètres et la pluie tardive 4 centimètres. C'est la
moyenne de 3(1 ans. Or, cette quantité est insuffisante
pour assurer une riche récolte, quelle que soit d'ailleurs
la culture. Si la Palestine a été autrefois plus fertile que
mainlenant, comme il n'est guère permis d'en douter, les
pluies ont été plus abondantes et surtout mieux réparties.
S'il faut encore des preuves en faveur d'un changement
de climat, la considération des richesses pastorales et de la
disparition des forêts va nous les fournir.
Mesa, roi de Moab, nourrissait d'immenses troupeaux, il
devait payer au roi d'Israël un tribut annuel de 100,000 bé-
liers avec leur toison et 100,000 agneaux (IV, Reg., 111, 20).
Salomon entretenait 52,000 chevaux (III, Reg., IV, 26), ei
à- la dédicace du temple, il immola 23,000 bœufs et 100,000
brebis (III, Keg., VII, 03). Les tribus occidentales devaient à
Salomon une prestation annuelle d'environ 3,000 bœufs gras,
6,000bœufs de pâture et 35,000 moutons (III, Reg., IV, 23).
Les Hébreux ravissaient aux Madianites, comme butin de
guerre : 075,000 montons, 72,000 bœufs et 61 ,000 ânes.
LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 477
Une telle richesse pastorale appartenant à un peuple se-
mtaire et agriculteur suppose nécessairement de grands
>àturages, de vastes prairies. En effet, la plaine de Saron
renommée pour ses riches pacages éminemment pfo-
i à l'élevage du bétail ; Josèphe nous vante les grasses
■airies de la Galilée, et les tribus de Ruben et de Gad
clamèrent les immenses pâturages situés au delà du Jour-
siii. Mais les prairies exigent un climat plus humide que
:elui d'aujourd'hui. Si l'Angleterre et la Flandre sont des
de pâturages, c'est surtout en raison de l'humidité de
mr climat. De nos jours, on ne voit nulle part, en Pales-
ine et en Syrie, des prairies proprement dites, c'est-à-dire
des terrains couverts de plantes herbacées consommées
sur place par les bestiaux, car elles ne peuvent supporter
la longue sécheresse de l'été. On n'y trouve d'autre végéta-
tion que celle des steppes. Les plaines se couvrent d'ané-
de liliacées, de crucifères, de labiées et de carduées,
nais les plantes fourragères manquent complètement.
D'ailleurs l'humus, la terre végétale proprement dite sans
laquelle les prairies naturelles sont impossibles, fait entière-
nent défaut en Palestine. La formation de l'humus a lieu,
uivant Fraas, dans les pays d'Europe, pendant l'hiver où la
régélion subit une interruption. Les feuilles des arbres tom-
>ent, les herbes se fanent et restent sur le sol. La neige ou
a basse températureles préserve d'une décomposition com-
plète. Au printemps, les plantes renaissent, couvrent
omptemeni les resles des végétaux à moitié décomposés
t les protègent contre les rayons solaires qui achèveraient
. décomposition. Chaque année, il se forme une pellicule
s qui s'ajoute à celles des années précédentes ei
ugmente insensiblement cette terre noire nécessaire à la
irmation du gazon, au succès des prairies et à la produc-
ion des plantes fourragères.
n'eu est pas de même dans les pays qui n'ont qu'un
iltt nombre de jours pluvieux dans l'année, comme
SOC. CE GÉOGR. — 4' TRIMESTRE 1839. XX. — 33
478 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE.
l'Egypte, l'Arabie et la Palestine. La saison de sécheresse
y dure six ou huit mois, et la température descend rarement
a 7-êrn. L'interruption de la végétation a lieu pendant la
saison sèche et chaude, les plantes herbacées se dessèchent
et ?e décomposent totalement, et l'humus ne peut se former.
Une telle richesse pastorale suppose des prairies, les prai-
ries de l'humus, et l'humus un climat plus humide et diffé-
rent de celui de nos jours. Dans les conditions climaté-
riques actuelles, la culture la plus intelligente et la meilleure
administration ne pourront guère restituer à la (erre de
Chanaan ses anciennes prairies.
Une terre ruisselant de lait et de miel devait avoir non
seulement des prairies, mais des forêts. Le Liban avait ses
cèdres et l'Hermon ses cyprès. Les forets ont disparu au-
jourd'hui. La Judée ne produit pas même le bois nécessaire
pour faire les cercueils, à plus forte raison pour les con-
structions; le bois lui vient aujourd'hui de Marseille ou de
Trieste. Au mont Carmel. il n'y a plus de forêls habitées par
les ours ; laforet d'Haret. où David se retira, n'existe plus, ni
celle de Bethel, d'où Elisée fit sortir les ours pour punir les
enfants qui l'insultaient; la loi de Moïse : < si quelqu'un va
avec son voisin dans la forêt, etc. », serait inutile aujourd'hui ;
de même on ne comprendrait pas comment les Gabaonites
ont pu Stre condamnés à porter de l'eau et à couper du bois
pour le service du temple et du peuple.
De loin, on voit encore sur les pentes de quelques mon-
tagnes des taches sombres et vertes qui ont toutes les appa-
rences de forêts, mais lorsqu'on les examine de près, elles
se réduisent à des fourrés de broussailles, à des arbustes de
1 à 4 mètres de hauteur qu'on désigno comme des forêts;
mais les bois de haute fatale manquent partout.
On trouve encore les arbres mentionnés dans la Bible,
mais quelques-uns ne prospèrent plus, leur tronc est ra-
bougri et leur végétation chétive comme s'ils avaient été
transplantés dans un pays dont le climat ne leur est plus
L* MÉTÉOriOLOCIE DE LA PALESTINE ET DE LA SïniE. 47°.
favorable. Les pins réussissent mieux sur la côte et sur les
pentes exposées aux vents humides que dans l'intérieur de
la Palestine.
La Palmaraie de Jéricho, autrefois si bien arrosée, avait,
suivani Strabon, 100 stades oulSkilomèlresde long, et, sui-
vant Josèpbe 70 stades de long et 20 stades de large, environ
5,000 hectares. Aujourd'hui, les dattiers ont complètement
disparu de Jéricho et d'Etigaddi ; ils n'y croissent plus
faute d'humidité ; car le palmier a le pied dans l'eau et [a
tête dans le feu, comme disent les Arabes. La source d'Aîn
Soultan, quoique abondante, ne pourrait fournir la quantité
d'eau nécessaire à l'irrigation d'une étendue aussi consi-
dérable.
Les cèdres couvraient jadis les sommets du Liban et
mrnissaient le bois aux Hottes phéniciennes et aux con-
structions du temple et des palais de Jérusalem. Aujour-
d'hui il ne reste que 400 arbres eu tout; mais les cèdres
nts qu'on croit avoir été les contemporains de Su lo ni on
nt peu nombreux et destinés a disparaître a breF délai.
En 1550, Bellonius compta 28 vieux cèdres; en 1573,
taucbwoll'en trouvait; en 1754, Pococke en vit encore 15
i 1810, liurkhardleu compta H à 13; en 1836, Russegger
n'en trouva plus que 7 et aujourd'hui il n'en reste que 5
Innt le plus gros mesure, à 00 centimètres au-dessus du sol.
Ode circonférence. On peut conclure d'après celte
ninution progressive qu'en 1950, il n'en resli'ra pas un;
i meilleure preuve que le climat ne leur convient
lus, ils prospèrent mieux dans l'Europe centrale. Les plus
innés cèdres ont un diamètre de 20 à 30 centimètres, ce
i suppose un âge de 100 à 150 ans,
Rustem Pacha, ancien gouverneur du Liban, afin de favo-
r le développement de ces arbres, fit entourer le bosquet
d'un mur pour empêcher les chèvres et les moutons d'y
iller piétiner le sol et brouter les jeunes pousses; il y a
iSme établi un gardien qui veille à ce que les arbres ne
480 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET I»E LA SYRIE.
soient pas endommagés par le couteau des touristes et la
hache du bûcheron. Mais depuis plus de vingt ans on ne voit
pas un seul jeune cèdre repousser.
Quelques voyageurs ont par erreur signalé la présence
des cèdres au Djebel Baruk, près de Ain Zehal ta, et àHadet,
près Tannourine. Fraas les a étudiés et a trouvé que ce ne
sont pas des cèdres véritables, mais des cyprès horizontaux
qui ont une très grande analogie avec les cèdres du Liban ;
d'ailleurs les indigènes semblent les en distinguer; ils appel-
lent les arbres de Hadet e( de Ain Zehalta « Cherbi t et les
arbres au-dessus de Becharra, les cèdres proprement dits,
c Arz »'.
Boissier, l'auteur de la Flore orientale, ne paraît pas les
avoir vus lui-même; il ne signale leur présence dans ces
deux localités. Aï ri Zehalta et Hadet, que sur le témoignage
d'une lettre de Blanche.
Mais il y a plus. Tout près de cèdres, à coté de la souri
du NahrKadieha, se trouvent des tufs calcaires remplis d'ei
preintes de feuilles ayant appartenu au hêtre, à l'orme, au
noisetier et aux chênes (Quercus pedunculala et sessili-
flora); or, tous ces arbres ne croissent plus à l'état spoutané
dans le Liban; ils ont émigré vers les régions plus humides :
t'Anatolie, l'Arménie, la Grèce, etc. LeschCnes, qui ont dis-
paru du Liban, forment de nos jours de belles forêts dans le
nord et au centre de l'Europe. M y a bien encore des chênes
au Liban, mais ce ne sont pas les mêmes espèces.
Tous ces faits tendent à prouver que le climat a subi une
modification; il est devenu plus sec, les pluies sont deve-
nues insuffisantes au développement des forêts.
Mais c'est à la disparition des forêts, dit-on, qu'il
attribuer la diminution des pluies et, par suite, la plus
moins grande aptitude cullurale des terres, car il n'est
douteux (?) que les forêts augmentent et régularisent
1. FraaK, Orei Mvttate am Libawm, p.
z
LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SÏRIE. 481
pluies. Les environs de Nazareth sont boisés, c'est pour
cette raison que les pluies y sont plus abondantes et plus
régulières qu'à Jérusalem '.
Nous faisons remarquer que, s'il pleut plus à Nazareth
qu'à Jérusalem, cela tient à la configuration de la contrée
plutôt qu'à la présence des bois. En effet, la ville de Naza-
reth es! plus rapprochée de la mer, et les vents pluvieui
rencontrent à peu près directement les monlagnes assez
élevées (500 à 600 mètres) des environs de Nazareth, tandis
que Jérusalem est plus éloignée de la mer, et les courants
aériens, chargés de vapeur d'eau en passant sur les plaines
de la c&te et sur les premiers plateaux des montagnes de la
Judée, abandonnent une partie de leur fardeau avant d'at-
teindre Jérusalem. En outre, Beyrouth reçoit 30 centimètres
environ plus d'eau que Nazareth, et pourtant il n'y a pas de
forêts dans les environs, car le Liban est dénudé et il ne
vient à la pensée de personne d'invoquer la présence de
quelques pins situés au sud de la ville pour expliquer cet
excédent d'eau pluviale. Cette augmentation est due à la
configuration de la région. Les vents pluvieux venant de
la mer vont se heurter contre les pentes du Liban, qui se
dresse derrière la ville jusqu'à 2,000 mètres de hauteur :
les vapeurs se condensent; enfin la régularité des pluies est
aussi grande à Beyrouth qu'à Nazareth. Il pleut moins à
Tibériade et à Jaûa, il est vrai, niais la régularité. y est bien
plus grande qu'à Nazareth, et pourtant il n'y apasdefor&ts
dont on puisse invoquer l'action régulatrice.
D'ailleurs il n'est pas démonlré jusqu'à ce jour que les
forèls exercent une influence sur la quantité annuelle et la
régularité des pluies. La seule action bien constatée des
êls est leur influence protectrice sur le sol ; elles re-
tiennent les terres et les empêchent d'être entraînées. Ainsi
dans les pays de montagnes elles arrêtent les torrents, mais
t. AnderlindjZeilicftri'/f tltt Pataextina l'ereins, 1885,vol.VllI,p.
482 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE.
on ne saurait nullement affirmer qiie le déboisement a pom
conséquence de diminuer la proportion annuelle de pluie
«car, dit M. Bouquet de laGrye, on ignore encore si la pré
sencedes forets augmentela quantité de pluie et leur régu-
larité ; dé même, est-ce parre que les pluies sont fréquentes,
que certaines régions de la France sont bien boisées ou esl-ce
parce qu'elles son L boisées que les pluies y sont fréquentes? >
Tout porle à croire que les phénomènes météorologiques
qui déterminent la condensation des eaux atmosphériques
se passent à des hauteurs bien supérieures à celle des mas-
sifs boisés. C'est à la configuration du sol et à la direelim
générale des courants, bien plusqu'a la végétation, que d<
être attribuée la fréquence des pluies. Les contrées comme
la Bretagne, la Normandie, qui reçoivent directement les
Courants du sud-ouest et de l'ouest, sont pluvieuses ; les
montagnes, sur les versants desquelles les courants aériens
s'élèvent et se refroidissent, reçoivent de grandes quantités
de pluies; les plaines, sur lesquelles les courants s'échauf-
fent et se dilatent, sont en général saches. En somme, le
reboisement peut sans doute atténuer l'évapor.'ition du sol
et y maintenir quelque fraîcheur, mais cet effet lout local
ne semble pas avoir une influence très appréciable sur h
climat d'une contrée1.
Les changements climalériques ont une cause beaucoup
plus générale que le déboisement de quelques portions du
sol. L'homme peut agir sur le sol, mais les grands courants
atmosphériques, qui déterminent le climat, échappent com-
plètement à son action.
«C'est en vain, dit M. de Lapparent, qu'on voudrait attri-
buer ces changements {de climat) à l'intervention de
l'homme et en particulier à l'influence du déboisement.
L'homme n'est pour rien dans le dessèchement du Sahara
si bien pourvu d'humidité jadis... Il vaut mil
as-
inn
oit
il
e
P
Ohm icieiHifii/w, 189-r>, SO avril, p. ,
LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA STRIE. iK.l
que nous ignorons encore les lois qui gouvernent ces modi-
fications, dont l'avenir seul nous révélera peut-être le
secret', t
11 semble résulter de tout ce qui précède que le climat
de la Palestine est devenu plus sec, et que ce changement
n'est pas dû à l'action de l'homme, mais à une cause géné-
rale qui a exercé son influence sur la Palestine comme sur
toutes les contrées du bassin de la Méditerranée.
Mais si le climat est devenu plus sec, la température est-
elle restée la même depuis le temps de Moïse?
Ou répèle communément que la température moyenne
de la Palestine n'a pas été altérée depuis25 siècles, puisque
la limite septentrionale de la zone où mûrissent les dattes
et la limite méridionale de la vigne coïncident encore sur
les bords du Jourdain.
Arago est, je crois, le premier qui ait émis cette opinion ;
voici la preuve qu'il en donne -. c La maturation des dattes
et des raisins, dit-il, exige une température déterminée. Or,
la limite thermo métrique en moins de la datte diffère très
peu de la limite (hermomélrique eu plus de la vigne ; si donc
nous trouvons qu'à deux époques différentes la dalte et le
raisin mûrissaient simultané/tient dans un lieu donné, nous
pourrons affirmer que, dans l'intervalle, le climat n'y a pas
sensiblement changé. »
La ville de Jéricho s'appelait la ville des palmiers. La Bible
parle des palmiers de Debara situés entre Rama et Belhel;
de ceux qui longeaient le Jourdain ; la ruine des palmiers
était rangée parmi les épreuves les plus sensibles, etc., etc.
Les Juifs mangeaient les dattes et les préparaient comme
fruits secs ; ils en tiraient aussi une sorle de miel et de li-
queur fermenlée; les monnaies hébraïques offrent des re-
présentations distinctes de palmiers couverts de fruits.
484 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE.
Pline, Théophraste, Strabon, Tacite, Josèphe, etc.,
fonl
mlion des bois de palmiers situés dans la Palestii
ne peut donc pas douter que cet arbre ne fût cultivé
grand par les Juifs.
Nous trouvons tout autant de documents sur la vigne.
Dans vingt passages de laBible.il estquestton des vignobles
delà Palestine. La Genèse parle des vins de Juda ; Strabon
et Diodore vantent beaucoup les vins de la Judée; enfin le
raisin figurait comme symbole sur les monnaies hébraïques
tout aussi fréquemment que le palmier.
Il est donc bien établi que, dans les temps les plus
reculés, on cultivait simultanément le palmier et la vigne
au centre des vallées de la Palestine. Voyons maintenam
quels degrés de chaleur la maturation de la datle et celle
raisin exigent.
A Palerme, dont la température moyenne surp;
17e centigrades, le dattier croît, mais son fruit ne mùi
pas.
A Catane, par une température moyenne de 18° à 19° ci
ligrades, les dalles ne sont pas mangeables.
A Alger, dont la température moyenne est d'environ
21' centigrades, les dattes mûrissent. Toutefois elles sont
incontestablement meilleures dans l'intérieur du pays.
En partant de ces données, nous pouvons affirmer qu'à
Jérusalem, à une époque où l'on cultivait le dattier en
grand dans les environs, à une époque où le fruit de cet
arbre servait d'aliment a la population, la température
moyenne n'était pas au-dessous de celle d'Alger où la datte
mûrit tout juste. Eh bien, c'est porter la température de
Jérusalem, ou à 21" centigrades, ou à un nombre plus fort.
De Buch place la limite méridionale de la vigne à l'Ile de
Fer, dans les Canaries, dont la température moyenne doit
être entre 21° et 2-2" centigrades.
Au Caire et dans les environs, par une température
moyenne de 22° centigrades, on trouve bien cà et là quel-
igne
iant
:
m,
idrit
ceo-
LA MÉTÉOROLOGIE BE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 485
|ues ceps dans les jardins, mais pas de vigne* proprement
ii tes.
Les vignes nous apprennent que, dans les temps les plus
wulés, ia température moyenne de ce pays ne surpassait
Ï2° centigrades, et le palmier prouve qu'on ne saurait
prendre pour cette même température un nombre au-des-
■ de 21" centigrades. Nous sommes donc amené à
caractériser par 2l°5 du thermomètre centigrade le climat
ï la Palestine au temps de Moïse, sans que l'incertitude
tara h se devoir aller à un degré entier.
La température moyenne de la Palestine, à combien
s'élève-t-eile aujourd'hui? Arago ne possédait malheureu-
sement pas d'observations directes; il y suppléa par des
;ermes de comparaison pris en Egypte.
! La température moyenne du Caire, dit-il, est de 22°.
Jérusalem se trouve 2° plus au nord ; 2° de latitude corres-
tondant, sous ces climats, à une variation d'un demi à trois
[uarts de degré lia thermomètre centigrade. La température
noyenne de Jérusalem doit donc être peu supérieure à 20*.
Pour les temps les plus reculés, nous trouvions 21° 5. Tout
porte donc à reconnaître que trois mille trois cents ans
n'ont pas altéré d'une manière appréciable le climat de la
Palestine. »
Observons d'abord que les considérations sur le palmier
et la vigne ont amené le savant astronome a conclure que
la température moyenne de Jérusalem a été, au temps de
Moïse, de 21°2 centigrades, sans que l'incertitude paraisse
devoir aller a un degré entier; or la température moyenne
actuelle de Jérusalem, d'après les observations directes et
non interrompues de quinze et même de trente-six ans
(1861-189H) est de 16°7 centigrades; il en résulte que la
température a varié de 4° environ. Le climat, au temps
biblique, était plus chaud qu'aujourd'hui. En effet, la cul-
ture du palmier a disparu de la Palestine, pour la raison bien
naturelle que les dattes n'y réussissent plus. Le dattier est
nque
mpé-
ire de
186 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SÏHIE.
devenu un arbre d':igrémenl, et tend à disparaître. 11
quarante ans, Jérusalem possédait dans son enceinte
Lren [aine de pal miers; aujourd'hui la ville sainte n'en coi
que huit environ, suivant M. Anderlind. On voit encore
palmiers isolés dans les vallées humides de la Galilée,
la Samarie, de Sa Judée, et dans les environs de Jérusalem;
mais les dattes n'y mûrissent plus. Le dattier croît encore
bien et devient très élevé sur le littoral, comme à Beyrouth,
àSaint-Jean-d'Acre et à J ami, mais son fruit ne parvient pa*
à une pleine maturité; les dattes jaunissent, mais restent
acerbes et sèches. Elles sont très médiocres et très peu
appréciées. Nous ne possédons pas de données positives snr
la maturation des dattes dans le Ghar, mais il est certain
le baumier ne réussit plus a Jéricho; il exige la tei
rature de l'Arabie méridionale.
Celte modification de la température peul se déduire
l'époque des moissons et des vendanges, qui parait aujour-
d'hui plus tardive que dans l'antiquité. Aux temps bibliques,
la moisson fut légalement ouverte le second jour de Pâques,
par îa présentation de la première gerbe au temple national.
La fête de Pâques tombait toujours le i5 du mois Nisan,
qui correspond à notre mars-avril. De nos jours, les mois-
sons commencent habituellement vers le milieu du mois de
mai.
Les raisins noirs destinés à la fabrication du vin sont
récoltés au mois de septembre, mais les vendanges de
raisins blancs se prolongent dans le mois d'octobre. Aux
temps bibliques, on célébrait la fête des Tabernacles après
les vendanges, le îô du mois Tiscbri, qui correspond à peu
prèsau l"r octobre.
Nous ne croyons pas manquer au respect dû à la mémoire
de l'illustre astronome, en faisant en outre remarquer
qu'en déterminant la température moyenne actuelle de la
Palestine, il n'a tenu compte que de Ja différence de lati-
tude entre le Caire et Jérusalem, et semble avoir négligé
i MÉTÉOKOI.OCIE DE l.\ PALESTINE ET DE LA SYRIE. 487
3 Facteur important dans ce genre de calcul, c'est-à-dire
i différence d'altitude. Le Caire est à 12 mètres et Jéru-
alem à 762 rnèlres au-dessus de ia Méditerranée. S'il est vrai
[lie la température diminue de 1D centigrade pour tous les
0 ou 200 mètres d'élévation, la différence de température
a la différence d'altitude de ces deux villes ferait un
plus de 3° centigrades. En tenant compte de la
ifférence de latitude et d'altitude, on trouve que la tcmpé-
alure moyenne de Jérusalem est à peu près 17° centi-
rades. Cette approximation satisfaisante aurait certaine-
ment empêché Arago de conclure que la lempérature n'a
s éprouvé de modification depuis le temps de Moïse.
Notons enfin que, si la limite septentrionale du pilmîer
e trouvait autrefois sur le bord du Jourdain, la limite méri-
dionale de la vigne descendait, et descend encore aujour-
, plus vers le sud. Dès la plus haute antiquité, la vigne
cultivée en grand en Egypte. < La vigne abondait,
M. Maspero, au moins dans la Moyenne et Basse-
;yple; on connut l'art de presser le vin de temps immé-
morial, et les monuments les plus anciens énumèrent déjà
lue demi-douzaine de crus fameux, blancs et rouges. » Et
I ajoute en note. « Les quatre espèces de vin canonique
rées de chacune des régions nord, sud, est et ouest du
»ays font partie du repas officiel et de la cave des morts
s la plus haute antiquité1. »
Strabon parle de l'importance du vignoble de l'Egypte.
'line mentionne l'excellence de trois espèces de vin qu'on
briquait sur le bord du Nil. Il est vrai qu'Hérodote
[firme le contraire, mais son témoignage est en opposi-
manifeste avec le* monuments égyptiens les plus
mthen tiques.
Plusieurs passages de la Bible font mention des vignes
luées dans le nord de l'Arabie. Moïse, en demandant au roi
. Maspero, Riitoirt
. Eygple, p. 65.
488 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA STRIE.
d'Idumée le libre passage à travers son territoire, s'engage
à ne pas traverser les vignes, ce qui suppose qu'elles avaient
une certaine importance.
De nos jours, la vigne ne réussit guère en Egypte, mais
elle est cultivée avec succès en Arabie1. En Perse, elle des-
cend jusqu'au 29° et même au 27° de latitude. A Abousheer,
la vigne prospère, et la température moyenne est 25° centi-
grades d'après Maklmann.
1. Elisée Reclus, Géographie universelle, vol. IX, p. 874.
Le Gérant responsable,
Hulot,
Secrétaire général de la Commission centrale.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE TOME XX DE LA VII» SÉRIE (1899)
PREMIER TRIMESTRE
Baron Hulot. — Rapport sur les progrès de la géographie pen-
dant Tannée 1898 (avec 14 cartes dant le texte) 5
Gabriel Marcel. — Note sur une mission géographique en Suisse. 76
Loicq de Lobel. — Le Klocdyke, l'Alaska, le Yukon et les lies
Aléoutiennes 95
2* trimestre
Baron Hulot. — Rapport sur les prix décernés par la Société de
Géographie dans sa séance générale du 21 avril 1899 133
J. Thoulet. — Considérations relatives à la construction d'une
carte lithologique des côtes de France 182
C. E. Bonin et F. Grenard.— Les derniers voyages dans le Tibet
oriental (MM. Holderer et Ffltterer, M. et Mme Rijnhart,
M. Ch. Bonin) 198
Capitaine H. Vere Barclay.— Au travers du continent australien. 214
Capitaine Chanoine. — Mission Voulet-Chanoine. De Dienné à
Sansanné-Haoussa 220
F. J. Clozel. — Côte d'Ivoire 236
E. Carlier. — Notice sur les Bondjos 241
3* trimestre
F. J. Clozel. — La Côte d'Ivoire, notice historique 249
Capitaine Chanoine. — Mission Voulet-Chanoine 279
Dr J. Ile g cet. — Dans le Sud algérien (avec figures dans le texte). 285
TABLE DES MATIÈRES.
Camille Gdt. Mission lionne] de Alézleres
Voyais île Dmitki Kllmkntz t-n Mongolie occidentale, de ltW5 a
1897
Comte si B*fiTH*i.EMï. — Au pays des Mois
B. p. Zmnans, S. J. — La météorologie de la Palestine et de la
Capitaine E. Salesses. — De Conakry au Niger 305
Camille Ouï. — Notes sur les eiplurations de M. Perdrîzet 4IS
Bons d'An tv. - De Hanoï à. Mongize . 1U
H. François. — De Canton a Long-Tchéou 433
M" Légal. —Au Nord-Ouest canadien. Les Pieds-Noirs ,. -150
R. P. ZtiMom;*, S. J. — La météorologie de la Palestine et delà
Syrie [mit» et fin)
■i.iobe du musée de Zurich.
I„i cote des Guyanes, d'après la globe de Zurich,
i Coupe à boire au musée de Zurich,
i DlCfl ue Lobel. - Exploration à travers le Klundyhe 81 1
1888.
i Itinéraires dans l'Indénié, par M. Seiglakd, au 600,408*.
i Tableau d'assemblage îles feuilles île la l'.arlt litholagique det e
France, dressée par M. J, Tboulei.
Il' J. HiIGiitr. — Carte des kç-our du Mzab.
— Itinéraires du Mzal> et du pays ds:s Chaamba.
Itinéraires de Dmiihi Klekentz en Mongolie occidentale i1S85-1KD
Uinéraire de la misiion du cuniie de Barîhelehv en pays Moi (1
Capitaine E. Salessks. — Carte des voies (
Conakry au Niger,
i Ch. pERnmzËT. — Itinéraire outre les rivières Siiiigii
1896-mai 1897;, au 150,000 .
v. FUteOis. — Cours du Si-kMang, du San-Kiang et
Long-Tchéou (otoui Lire-décembre 1096,.