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Full text of "Bulletin de la Société de géographie"

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BULLETIN 


DE    LA 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHE 


Sepaéme    ««rie 


TOME  XI 


LISTE 

DES  PRÉSIDENTS    HONORAIRES  DE    LA    SOCIÉTÉ ^ 


MM. 

*  Marquis  DE  LAPLACE. 
♦Marquis  de  Pastûret. 

*  V'o  DE  Chateaubriand. 

*C'">CHABB0L0E  YOLVIC. 

*  Becouev. 

*C<»  Chadrol  de  Chûu- 

50].. 

•Baron  Cenrges  Cuvier. 

*  B"  Bvi)E  DE  Neuville 

*  Duc  UE  DOUDEAUVILLE 

*  Comte  d'Argout. 

*  J.-B.  EïBIÈS. 

*  Vice-amiral  DE  RlCNT. 
*Contre-aiii.  d'Ijkville. 
*Duc  Decazes. 

•CoiuU  OE  MOSTALIVET. 

*  Baron  de  Barabte. 

*  Gcniiral  Isaroti  Pelet, 

"CUIZOT. 

*De  Salvakdy. 

*  Baron  TUPIMIER, 


MM. 

•  Comte,  Jaubert. 

•  Baron  de  Las  Casss. 

*  VtLLEMAIN. 

*  CUNIN-CRIDAfflE. 

•  Amiral  baron  Roussik. 
*Ani.  baron  deMackau. 

*  B°"  Alex,  DE  Hl'iiboldt. 

•  Vice-amiral  Halcan. 

*  Baron  Walckenaer. 

•  Cointe  MuLÉ. 

•  De  la  Roûuette. 
*JoiaARD. 

•DtIHAS. 

*Contre-am.  MATHIEU. 

*  Vice-amir.  La  Place. 

•  Hippolyte  FoKTOix. 

♦  LEFEltVRE-DUBUFLÉ. 

*GutCNIAUT. 

*  Dausst. 
•Général  Daumas. 


MM. 

*  DDC  DE  BEAL'KOKT, 

*  nocLAND. 

*  Ariiir.  DesfossÈs. 

C.  deCrossolles-Fla- 
uarens. 

*  Duc  DE  Persignv. 

*  Vice-aiiiiral  de  la  RoH' 

CIÈRE  le  NotfRY. 

•Coinle  Wai.ewski. 
De  Quathefages. 

*  MrCHEL  CttEVALlER. 
ALFREU  MaL'RY. 

Vivien  de  St-Mariik. 

♦Mis    DE      CUASSELOUP- 

Laudat. 
Heurakd. 

Contre-am.  Mouchez. 
Ferdinand  Ije  Lesseps. 
Aljih.  Milne-Edwaiids. 
Alfreil  Graxuidieb. 
Auguste  Daudrëe. 


COMPOSITION  DU  BUREAU  DE  LA  SOCIETE 

POUR  L'ANNÉE  1890-1891 

Président M.  de  Quatrefawes  de  Biiéau,  membre  de  l'Inslilut. 

Vice-vrésidentt  ^  *''  Alp''- Milne-Edwards,  membre  de  l'IusUlut. 
*)  M.  TIj.  Parhentieh,  g-ciiéral  do  divisiun. 

Scrutateur».... \  M.  Edouard  Blakc. 
(  >l.  Marcel  Monnier. 

Secrétaire M.    Louis-Gustave    Bincer,   capitaine    d'infanlerie   de 

marine. 

TRÉSOftIER  DE  LA  SOCIÉTÉ 

M.  Meicnen,  tiuLaire  honoraire. 

ARCHITECTE  DE  LA  SOCIÉTÉ 

M.  Edouard  Leudiëre. 

AGENCE 

M.  Charles  AUBRT,  agent, 

HAtel  de  la  Sociélé,  boulevard  SalatrCermala,  181. 


BULLETIN 


DE   LA 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

BÉDIGÉ 

AVEC  LE  GOaCODBS  DE  LA  SECTION  DE  PDBLIGATION 

PAIt 

LBS  SECRÉTAIRES  DE  LA  COMMISSION  CENTRALE 


SEPTIÈME  SÉRIE.  —  TOME  ONZIÈME 

AHNÉ8  1890 


»  ijonçin   M 


PABIS 

SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

184,  Boulevard  Saint-Germain,  184 
1890 


DONS  ET  LE&S 

rXITS    A  LA  SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 


1869.  —  Impératrice  Eugénie. 

1870.  —  M.  Ferdinand  de  Lesseps. 
1881.  —  M.  Alexandre  Renouard. 

1881.  —  M.  Jean-Baptiste-Athanase  Desrosiers. 

1883.  —  M.  Léon  Poirier. 

1884.  —  M.  Edmond  Raquet. 

1885.  —  M.  Louis-Gustave- Alphonse  Pichard. 

1886.  —  M.  Arthur  Jean  Philibert  Grasset. 
1888.  —  M.  Alphonse  de  Montherot. 


FONDATION  DE  PRIX 

1870.  —  M.  Alexandre  de  La  Roquette. 
1878.  —  M.  Auguste  Locerot. 
1881.  —  MM.  Geoi^es,  Henri  et  Eugène  ërharo. 
1884.  —  M.  Pierre-Féli.x  Foornier., 
1884.  —  M.  Jean  Baptiste  Morot. 
1889.  —  M.  Victor-Adolphe  Malte-Brun  (Prix  Conrad 
Malte-Bran). 


RAPPORT 

SUR 

LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

ET    SUR 

LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES 

PKNDANT    l'année    1889 

PAR   CH.   MAUNOIR 

SeeréUir«  générti  de  la  CamniUsion  c:«atraJe 


Le  titre  de  ce  rapport  implique  deux  parties  distinctes  et 
d'illégale  importance,  comme  aurait  dit  le  maître  de  philo- 
sophie du  Bourgeois  gentilhomme.  L'une  a  trait  aux  travaux 
de  la  Société  ;  celle-li  sera  brève,  non  que  le  sujet  ne  prête 
à  certains  développements,  mais  par  égard  pour  les  conve- 
nances qui  veulent  qu'une  Sociétf^,  pas  plus  qii'im  individu, 
ne  s'étende  avec  trop  de  compbiisance  sur  ses  propres 
actes.  D'ailleurs,  ceux  qui  font  de  beaux  voyages  ou  écrivent 
de  beaux  ouvrages,  comme  ceux  qui  les  admirent,  ne 
seraient-ils  pas  fondés  à  se  plaindre  que  la  divinité  est  sa- 
crifiée à  l'autel,  si  la  Société  de  Géographie  prélevait  trop 
du  temps  destiné  à  la  géographie? 

La  seconde  partie  du  rapport  l'emportera  donc,  et  de 
beaucoup,  sur  la  première.  Le  rapporteur,  appelé  en  pré- 
parant sa  tâche  de  chaque  année,  à.  jetor  un  coup  d'œil  sur 
l'ensemble  des  progrès  accomplis  par  notre  science,  a 
éprouvé,  celte  fois  encore,  des  regrets  sincères  à  la  pensée 
de  tout  ce  qu'il  lui  fallait  laisser  dans  l'ombre. 

Avant  les  quelques  indications  indispensables  au  sujet  de 
la  Société,  nous  avons  le  devoir  d'énumérer  les  vides  que  la 
mort  a  creusés  autour  de  nous.  Cette  liste  ne  contient  pas 
moÎDS   de   quarante- deux  collègues,  dont    quelques-uns 


ià_ 


6 


UAPPOUT   SUR   LES   TRAVAUX   DE   LA   SOCIÉTÉ 


illustres  ou  particulièrement  dévoués  ii  notre  association. 
Elle  comprend  aussi  le  nom  d'un  membre  correspondant 
étranger.  Il  ne  saurait  être  ici  question  de  leur  consacrer 
plus  que  l'hommage  d'un  souvenir  reconnaissant. 

En  commençant  par  te  plus  anciennement  admis  parmi 
nous,  voici  d'abord  le  général  Cailler,  qui  était  membre  de 
la  Société  depuis  1830.  Il  avait  fait,  comme  capitaine  d'état- 
major,  des  voyages  en  Orient  qui  lui  valurent,  en  -1836, 
notre  grande  médaille  d'or.  Ses  papiers  scientifiques  ont 
été,  selon  ses  instructions,  livrés  à  la  Société  de  Géographie 
qui  les  conservera  précieusement.  Peut-être  y  trouverait-on 
encore  quelque  chapitre  qui  mériterait  d'être  publié. 

La  mort  de  V.-A,  Malte-Brun  a  privé  la  Société  de  l'un 
des  hommes  qui  lui  furent  le  plus  profondément,  le  plus 
sincèrement  attachés.  Admis  dans  son  sein  en  1851,  il  a  été- 
sept  fois  de  suite,  de  1860  à  1867,  élu  secrétaire  général  de 
la  Commission  centrale.  Le  titre  de  secrétaire  général  ho- 
noraire lui  fut  donné,  par  exception,  quanti  il  eut  décliné 
l'honneur  d'une  nouvelle  réélection.  Ceux  d'entre  nous  qui 
ont  été  en  relation  avec  lui  comprennent  la  perle  que  sa 
mort  inflige  à  notre  compagnie.  Nul  ne  pourrait  mieux  que 
son  successeur  au  secrétariat  général,  vous  dire  avec  quelle 
sollicitude  Y.-A.  Malte-Brun  a  toujours  pris  et  défendu  les 
intérêts  de  notre  association  dont  son  illustre  père  avait  été 
l'an  des  fondateurs.  Victor-Adolphe  Malte-Brun  a  légué  à  la 
Société  le  capital  nécessaire  pour  la  fondation  du  «  prix 
Conrad  Malte-Brun  a  ;  il  semble  qu'il  ait  voulu,  en  s'efTaçant 
ainsi  devant  la  mémoire  de  son  père,  s'acquitter  d'un  der- 
nier devoir  filial. 

A  l'époque  où  la  Société  avait  son  siège  rue  Christine,  les 
assistants,  moins  nombreux  qu'ils  ne  le  sont  aujourd'hui  à 
nos  séances,  voyaient  assez  régulièrement  s'asseoir  au  mi- 
lieu d'eux,  silencieux  et  attentif,  un  collègue  à.  la  figure 
grave.  C'était  le  colonel  Faidherbe,  qui,  dans  l'intervalle 
de  deux  périodes  de  gouvememeul  du  Sénégal,  venait  en- 


I 


I 

I 


ET   SUR  LES  PROGRÈS   DES    SCIENCES  GÉOCRAPBIQUES.         7 

tendre  parler  des  contrées  de  la  Terre  et  surtout  de  celle 
oii  son  influence  a  laissé  des  traces  aussi  profondes  au  point 
de  vae  de  la  géographie  qu'au  point  de  vue  de  la  colonisa- 
lion.  Le  nom  de  Faidherbe  dans  lequel  se  résume  toute 
une  vie  de  brillants  services  rendus  à  la  science  et  au  pays, 
est  de  ceux  dont  la  disparition  laisse  un  vide  que  rien  ne 
comble. 

Paul-Edouard-Didier  Riant  était  un  laborieux  érudît  dont 
les  recherches  se  sont  portées  sur  des  sujets  voisins  de  la 
géographie;  il  a,  par  exemple,  et  ce  fut  Tune  de  ses  pre- 
mières œuvres,  consacré  aux  expéditions  et  pèlerinages  des 
Scandinaves  eu  Terre  Sainte  au  temps  des  Croisades,  un  vo- 
lame  remarquablement  riche  en  informations  sur  des  voyages 
qui  ont  répandu  dans  le  nord  de  l'Europe  les  notions  rela- 
tives à  rOrienl  et  à  la  Palestine.  Dans  k's  publications  de  la 
Société  de  l'Orient  latin,  dont  il  fut  le  fondateur,  on  trou- 
verait aussi  un  grand  nombre  de  documents  intéressants 
pour  l'histoire  de  la  géographie  au  moyen  âge. 

Le  roi  dora  Louis  de  Portugal  élt\il  membre  de  la  Société 
de  géographie  de  Paris  depuis  1864,  Souverain  d'une  na- 
tion glorieuse  entre  toutes  par  son  passé  géographique,  il 
s'est  souvenu  de  ces  traditions.  Sous  son  règne  a  été  fondée 
la  Société  de  géographie  de  Lisbonne,  l'une  des  plus  actives, 
des  plus  brillantes  de  cette  phalange  de  Sociétés  dont  celle 
de  Paris  est  la  doyenne.  Ati  règne  de  dom  Louis,  égale- 
ment, appartiennent  de  reraarqiiiibles  voyages  en  Afrique, 
tels  que  ceux  de  M.  Serpa  Piulo  et  de  MM.  Brito  Capello  et 
Ivens,  pour  ne  citer  que  ceux-là. 

Le  docteur  Broch,  correspondant  de  i'instilut  de  France, 
était  un  savant  de  haut  mérite  en  même  temps  que  de  grande 
simplicité.  Inscrit  parmi  nous  en  1867,  il  manquait  rare- 
ment d'assister  à  nos  séances  et  ce  n'est  jamais  en  vain  que 
la  Société  s'est  adressée  à  lui  pour  obtenir  soit  des  rensei- 
gnements, soit  des  ouvrages  relatifs  à  la  Norvège,  sa  patrie, 
où  il  avait  occupé  de  hautes  dignités.  Ceux  de  nos  collègues 


8 


riAPPORT   STJR   LES  TRAVAUX  DE   LA   SOCIÉTÉ 


qui  ont  eu  à  recourir  à  son  savoir  si  large,  si  sûr,  ont 
toujours  trouvé  auprès  de  lui  l'accueil  le  plus  alTable. 

Lors  du  premier  congrès  international  de  géographie  teou 
à  Anvers  en  1871,  s'éJait  inscrit  parmi  nous  un  coii&cien- 
cieux  érudil  belge,  M.  E.  Dcigeur.  Orienté  vers  les  rechercties 
de  l'égyplologie,  il  n'avait  pas  négligé,  cependant,  d'autres 
études  parmi  celles  où  la  géographie  entre  pour  une  large 
part.  Le  recueil  de  la  Société  de  géographie  d'Anvers 
atteste,  dans  une  série  d'articles,  l'activité,  le  zèle,  en  même 
temps  que  l'élendiie  et  ta  solidité  du  savoir  de  M.  Delgeur. 

En  1873  entrait  dans  la  Société  un  jeune  officier  de 
marine,  Gaston  Baudens,  qui  depuis  lors  lui  est  toujours 
demeuré  dévoué  et  n'a  pas  cessé  de  suivre  ses  travaux.  De 
temps  h  autre  nous  le  voyions  apparaître  à  nos  séances  :  il 
revenait  de  quelque  navigation  lointaine.  Absent,  il  ne  se 
laissait  pas  oublier,  ou  pour  parler  plus  exactement,  il 
n'oubliait  pas,  cwr  nous  recevions  souvent  de  lui  des  inTor- 
mations  scientifiques,  des  notes,  des  documents  sur  la 
contrée  du  globe  où  l'avait  appelé  son  service.  Ceux-là, 
parmi  nous,  qui  l'ont  connu  savent  que  la  mort  nous  a 
privés  en  G.  Baiidens  d'un  collègue  avec  lequel  les  rela- 
tions avaient  à  la  fois  de  l'intérêt  et  du  charme. 

M.  Aimé  Pissis  qui  fut,  en  1873,  l'un  de  nos  lauréats, 
faisait  honorera  l'étranger  la  science  française.  Il  avait  fait 
de  la  géographie  physique  du  Cbili  le  sujet  de  ses  éludes  ; 
le  champ  est  vaste  el  les  travaux  de  noire  collègue  en  ont 
fécondé  une  grande  partie.  M.  Pissis  s'était  fiiil  inscrire 
parmi  nous  l'année  même  où  la  Société  lui  décerna  une 
inédaille  d'or. 

Il  y  a  quelques  mois,  M.  Edmond  Fuchs,  iagénieur  en 
chef  des  mines,  nous  a  été  subitement  enlevé,  en  pleine 
vigueur,  par  un  mal  dont  il  avait  contracté  le  germe  au 
.cours  de  ses  longs  voyages.  Il  s'était  plus  particulièrement 
voué  à  l'élude  des  gUes  minéraux,  de  leur  formation,  des 
indices  qui  les  révèlent,  des  ressources  qu'ils  promettent. 


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ET   Sl'R  LES   PROGRÈS   DES    SCIENCES   GÉOGIIAPHIOIES.       9 

et  dans  presque  toutes  les  parties  du  monde  il  avait  en 
l'occasion  d'appliquer, en  les  développant,  ses  connaissances 
spéciales  doublées  de  remarquables  aptitudes.  Il  fut  aussi 
l'uu  des  artisans  les  plus  actifs,  les  plus  dislin;iués  et  les  plus 
utiles  de  l'adraii'able  œuvre  rie  la  carte  géologique  de  notre 
pays.  Inieiligence  curieuse,  pénétrante,  ingénieuse  à  saisir 
des  relations  impréviics  entre  les  éléments  les  plus  divers 
des  sujets,  E.  Fufihs  ne  se  laissa  cependant  jamais  entraîner, 
en  naatière  scientifique,  aux  suggestions  de  son  penchant 
prononcé  pour  les  fantaisies  de  la  litlérature  ou  de  la  poés-ie. 
Deux  hommes  était  en  lui,  dont  l'un  goûtait  les  salisfitctions 
que  donnent  les  résultais  exacts,  les  solutions  rigoureuses, 
tandis  que  l'antre  se  complaisitit  à  poursuivre  le  rêve  irisé 
dans  le  domaine  sans  limite  de  l'imagination.  Celte  dualité 
fut  l'un  des  bonheurs  de  sa  vie  intense,  sans  ménHf^'emeiit 
pour  elle-même,  et  dont  la  fin  est  une  perte  pour  la  science 
en  même  temps  qu'un  grand  deuil  pour  les  alTeclions  dont 
Edmond  Fuchs  était  le  foyer. 

A  la  fin  de  l'an  dernier  nous  a  été  enlevé  Charles  Férand, 
ministre  de  France  au  Maroc,  notre  collègue  depuis  1879. 
Cr>mme  interprète  de  l'armée,  il  avait  pénétré,  dès  sa  jeu- 
nesse, aux  confina  de  notre  zone  d'occu[)ation  d'alors,  c'est- 
à-dire  aux  portes  de  l'inconnu.  Sa  carrière  s'est  faite  dans 
dfspays  de  langue  arabe;  à  Tripoli  comme  à  Tanger  il  a  su 
dutniner  lotijours  des  situations  parfois  très  diflîciles.  Au 
point  de  vueqai  intéresse  la  géographie,  Gb.  Féraud  a  fait, 
en  diverses  parties  de  l'Algérie,  des  éludes  sur  les  ruines 
romaines;  il  a  découvert  près  de  Wargla  des  silex  taillés, 
vestiges  des  premières  populations  du  Sahara  ;  enfin  il  a 
consacré  d'importantes  monographies  historiques  à  des 
villes  et  à  des  groupes  de  tribus  de  l'Algérie.  Ses  tra- 
vaux plutôt  historiques  que  géographiques,  se  rappor- 
Uîent  lous  à  des  contrées  où  l'histoire  est  inséparable  de  la 
géographie. 

L'un  des  fonctionnaires  les  plus  actifs  du  Gabon -Congo, 


10 


RAPPOUT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 


Paul  Dufourcq,  ancien  capitaine  au  long-cours,  est  mort 
récemment,  emporté  par  un  mal  qu'avaient  cerlainement 
développé  plusieurs  séjours  sous  des  climats  insalubres. 
Zélé  pour  les  "progrès  de  la  géographie,  désireux  de  voir 
s'accroître  et  se  répandre  la  connaissance  de  notre  colonie 
de  l'Ouest  Africain  au  développement  de  laquelle  il  s'était 
dévoué,  P.  Dufourcq  n'a  négligé  aucune  occasion  d'inciler 
ses  jeunes  collaborateurs  à  recueillir  des  informations 
d'ordre  géographique,  h  faire  des  observations,  à  dessiner 
des  cartes.  Les  lettres  qu'il  écrivait  en  Europe  renfermaient 
fréquemment  desdonnéesintéressantes  pournoscomraunes 
éludes.  Paul  Dufourcq  avait  été  admis  en  I88ià  faire  partie 
de  la  Société. 

Un  collègue  admis  depuis  peu  d'années  parmi  nous,  le 
lieutenant  de  vaisseau  Davoust,  a  succombé  aux  fatigues  et 
aux  effets  du  climat  sur  le  terrain  même  à  l'étude  duquel  il 
s'était  voué,  dans  la  région  du  Nigf>r.  Il  avait  préparé  le 
voyage  du  commandant  Caron  en  reconnaissant,  sur  une 
assez  grande  étendue,  le  cours  du  Niger  qu'allait  parcouiir 
la  canonnière  française  en  marche  vers  Tombouctou. 
M.  Caron  lui-môme  a  consacré,  dans  les  comptes  rendus  de 
nos  séances,  quelques  pages  de  cordial  souvenir  à  la  mé- 
moire de  son  camarade  et  ami. 

M.  Duveyrier  nous  a  retracé  récemment,  d'après  le  peu  de 
données  qu'on  en  ait,  le  voyage  ûe  Camille  Douls  et  le 
drame  par  lequel  il  s'est  terminé.  Le  malheureux  Douls  est 
une  nouvelle  victime  de  ce  Snhara  qui  nous  devra  beaucoup 
parce  qu'il  nous  a  beaucoup  pris. 

La  liste  de  nos  collègues  correspondants  étrangers  a 
perdu  un  nom  desplushonorablementconnus  en  géographie, 
celui  du  président  si  distingué  de  la  Société  de  Buda-Peslh, 
Jean  Hunfalvy  qui,  au  Congrès  international  des  sciences 
géographiques  tenu  à  Paris  en  1875,  avait  représenté  parmi 
nous  les  géographes  hongrois. 
>     La  Société  a  perdu   encore  :  MM.  Petrici  (Constantin  D.) 


i 


ET   SUR    LES  PnOGRÈS   DES   SCrENCKS   GÉOGRAPHIQUES,      it 

(l«63)*  ;  — Schroeder  (Karl)  (tSfô)  ;  —  Silva  Coiilinlio{J.  M. 
da)  (  1 867)  ;  —  Barlalier  de  Mas  (Frani;ois-Ed  mund-Eugène), 
capî  lai  ne  de  frégate  en  retraite  (1868)  ;  —  Masson  (Emile), 
ancien  négociant  (1872);  — Daniel  (Paul-Ernesl),  inspecteur 
général  honoraire  des  ponts  et  chaussées  (1874);  — Armin- 
gaud  (Jean-Jacques-Marc),  professeur  au  lycée  Henri  IV 
(1875);  —  de  Carcy  (André),  ancien  chef  d'escudron  d'étal- 
major  (1875);  —  Lefebvre  (Louis-Jules),  contre-amiral 
(  1 875)  ; — Loysel  (Charles-Joseph-Mari e),  gén é rai  d e  di vi sion 
(1875)  ;  — MuretdePagnac(François),conlre-amiral(1875);^ 
—  Paillard  (Edme-Achille)  (1875);—  Meyer  (Gharles-Eu- 
gène-Alfred), contre-amiral  (1875);  —  Gotendorr(5ytvanus- 
Nalha[i)(1876);  — Bizemont  (le  marquis  de)  (1879)  ;  —  Cler- 
monl-Tonnerre  (le  duc  de)  (1879);  —  Berlhier  de  Grandy 
(Marie-Philibert-Fernand),  général  de  brigade  (1880); — Bo- 
nabeau  (James) (1880);  —Saint-Michel  (Paul  de) (1880);  — 
Boulot  (Louis),  avocat  à  la  cour  d'appel  (1881);  — Lavech 
(Frédéric)  (1881);  — Van derEIst (Jean),  consul  dcBelf^ique 
(18«1);  —  Feist  (Michel)  (1882);  —  Ilarth  (Théodore),  né- 
gociant (1882);  —  Colin  (Louis)  (1883);  —  Husson  (Justin) 
(1884);— Lair  (René)  (1886);  —Marché  (Maurice  du), lieu- 
tenant-colonel d'artillerie  (188G). 

Coname  compensation,  s'il  en  peut  être  à  tant  de  pertes, 
notre  Société  enregistrera,  pour  cette  année,  deux  faits  heu- 
reux. 

Sa  participation  à  l'Exposition  universelle  de  1889  lai  a 
valu  un  grand  prix,  la  plus  haute  des  récompenses  qu'elle 
pût  obtenir.  A  chacun  de  vous  revient  une  part  de  l'hon- 
oearde  celte  distinction,  puisque  c'est  à  votre  concours  que 
la  Société  de  Géographie  doit  de  pouvoir  livrer  aux  hommes 
de  science  les  publications  on  ils  vont  chercher  les  éléments 


I.  Les  millésimes  entre  parenthr-ses  iadiqiieiit    les  années  d'admission 
«laos  la  Sociélé. 


RAPPORT   suit  LES  TRAVAUX   DE  LA  SOCl 


de  leurs  éludes  sur  la  terre,  ces  relations  de  voyages  iné- 
diles, ces  caries  qui  ineLlent  en  liimiÈre  les  elforls,  les 
mériles  et  les  succès  de  nos  explorateurs. 

Croyez  bien  que  ceux-là  qui  consacrent  leurs  labeurs  au 
progrès  de  la  géographie,  ceux-là^quiexposenl  leur  vie  aux 
dangers  des  voyages  en  pays  nuuveimx,  vous  sont  re-,j 
connaissants  des  sympathies  dont  vous  les  entoures,  dé^ 
l'appui  éclairé  que  vous  prêtez  à  leurs  efforts  pour  l'aviin- 
cemeiit  de  la  science  au  profit  de  laquelle  nous  sommes 
groupés. 

Le  Congrès  inlernalional  des  sciences  géographiques, 
réuni  ici  me^me  par  riniliative  delà  Société,  a  pleinement 
réussi.  Plus  de  cinq  cents  adhésions  venues  de  tous  les  pays 
avaient  répondu  à  l'appel  du  comité  d'organisation  consti- 
tué par  voire  Commission  centrale.  Grâce  au  dévouemetit 
actif  du  commissairiî  eldu  commissaire  adjoint  du  Congrès, 
MM.  de  Biïeinont  et  Gauthiot,  secondés  par  MM.  de  Mar- 
gerje,  Hulotet  ri'Estampes,  ce  congrès  a  été  aussi  animé  que 
les  précétJents,  et  la  Société  a  fait  à  ses  visiteurs  la  cordiale 
réception  à  laquelle  ils  avaient  droit. 

Des  mesures  sont  prises  pour  que  la  publication  des  actes 
du  Congrès  ne  se  fasse  pas  trop  allendre. 

Notre  Société  se  préoccupera  également,  selon  le  vœu 
exprimé  par  les  membres  non  français  du  Congrès,  de  fixer, 
d'accord  avec  les  .autres  associations  géographiques,  le  siège 
du  Congrès  prochain. 

Tels  sont  les  deux  faits  principaux  à  signaler  en  ce  qui 
touche  aux  manifestations  de  la  Société.  Il  y  faut  ajiiuter 
qu'en  raison  de  l'importance  hors  ligne  de  son  voyage,  le 
capitaine  Binger a  élé  reçu  en  séance  extraordinaire  à  la 
Sorbonne,  où  il  a  trouvé  l'accueil  qu'il  pouvait  alfendre 
d'une  Société  dont  le  devoir,  auquel  elle  ne  faillit  pas,  eslde 
reconnaîlre  tous  les  s-ervices  rendus  à  la  science,  mais  dont 
le  droit  est  d'applaudir,  avec  une  chaleur  particulière,  les 
résultats  dus  à  des  voyageurs  ou  à  des  savants  français. 


ET   Sun   LES    PnOGRÈS   DES   SCIENCES    UÉOGnAPIlIQCES,      13 

A  nos  séances  de 'quinzaine  toujours  très  suivies,  nous 
avons  entendu,  cette  année,  des  rommunicalinns  aussi 
variées  qu'inléressîinLes  dont  il  est  justt;  que  les  auteurs 
reçoivent  ici  les  remerciements  de  (a  Société. 

La  compéleuce  toute  particuîière  du  docteur  Hamy  nous 
a  montré  les  phases  successives  par  lesquelles,  depuis  trois 
siècles,  la  cartographie  a  fait  passer  le  figuré  des  contours 
de  l'Europe. 

L'an  dernier,  nous  avions  entendu  avec  beaucoup  d'intérêt 
une  communication  de  l'abbé  Tor.ditii  de  Qiiarenghi,  rela- 
tive à  l'adoption  d'un  calendrier  uriique.  M.  Ton di ni  de 
Quarenghi  nous  a  exposé  récemment  ses  idées  sur  le  pre- 
mier méridien  universel  que,  d'accord  avec  l'Académie  des 
sciences   de  Bologne,  il    voudrait  voir  passer    par  Jéru- 

saltrfll. 

Les  mers,  la  composition,  le  régime,  les  mouvements  de 
leurs  eaux,  la  forme  et  la  nature  des  fonds  qu'elles  re- 
couvrent, la  vie  intense  qui  les  anime,  sont  aujourd'hui  en 
divers  pays  l'objet  de  refherches  mélhodiquement  poursui- 
vies par  les  >oins  de  services  spéciaux.  M.  Thoulet  nous  a 
rendu  compte  de  l'enquête  dont  le  Ministère  de  l'Inslruc- 
lioii  publique  l'avait  chargé,  au  sujet  de  l'organisation  de 
ces  éludes  auxquelles  notre  pays  doit  désormais  prendre 
une  part  active. 

Sous  les  grandes  Causses  françaises  content  des  rivières, 
s'étalent  de  sombres  lacs  et  se  creusent  d'immenses  et  pro- 
fondes excavations  que  M.  Martel  a  vi-ités  à  deux  reprises. 
IJ  nous  a  vivement  intéressés  par  la  relation  de  ses  voyages 
de  découverte,  avec  leurs  difticullés,  leurs  imprévus,  leurs 
péril*;  c'esten  quelque  sorte  unecontre-parlie  des  ascensions 
auxquelles  les  membres  des  Clubs  alpins  melletit  leur 
audace,  leur  honneur  et  risquent  souvent  leur  vie. 

Le  docleur  Chervin  nous  a  montré,  en  les  expliquant  au- 
tant que  Taire  se  peut,  les  oscillations  du  cbilTre  de  !a  popu- 
lation dans  les  diverses  régions  de  la  France  et  pendant  une 


\  RAPeOBT   Sun  L£S  TOAVADX  DE   LA   SOCIÉTÉ 

s^rie  d'années.  lia  coaslaté,  une  fois  de  plus,  TinguiéUinte 
faiblesse  d'accroissement  de  celle  populatioo, 

Cooduil  aox  Baléares  par  des  recherches  archéologiques, 
M.  Carlailhac  nous  a  présenté  un  tableau  élégant  de  divers 
sites  de  cet  archipel  où  se  continue  la  terre  d'Espagne,  où 
soal  confondus  les  souvenirs,  les  vesliges  de  tant  de  races, 
apports  successifs  des  événements. 

Le  chemin  de  fer  ceniral  asiatique  et  les  contrées  ingrates 
qu'il  traverse  pour  arriver  aux  vieilles  cilés  désormais  rap- 
prochées de  notre  civilisation,  ont  fourni  à  M.  Leclercq  le 
thène  d'un  exposé  animé  de  son  voyage  à  Samarcande, 

D'une  mission  d'étude  des  voies  de  communication  entre 
la  Chine  el  le  Tonkin,  M.  de  Mores  a  rapporté  des  infor- 
QUàtioDS  dont  il  nous  a  préseolé  un  intéressant  résunaé.  Elles 
autorisent  l'espoir  d'un  bei  avenir  commercial  pour  notre 
aouv«lle  possession  asiatique. 

M.  C.  Paris, chargé  d'établir  une  ligne  télégraphique  entre 
Hué  et  la  Cochinchitie,  a  profité  de  celte  opération  pour 
réunir,  sur  le  littoral  de  l'Annam  el  sur  ses  habitants,  des 
infornialioas  détaillées  qui  prendront  utilement  place  dans 
la  littérature  géographique  de  la  soae  littorale  longée  par  la 
rout«  mandarine. 

M.  Henri  Kinder,  qui  naguère  nous  avait  entretenus  de  ses 
voyages  dans  le  Kurdistan,  nous  a  paHé  du  Mzab  et  de  sa 
curieus«  populalion  qu'il  a  été  étudier  surplace. 

M.  Edouard  Blanc  a  présenté  les  résultats  de  quatre  ans  de 
recherches  sur  la  région  des  oasis  sahariennes,  son  régime, 
son  avenir.  Il  a  Irailé,  dans  une  autre  communication,  de  la 
question  si  imporlaule  des  roules  entre  l'Afrique  septentrio- 
nale et  le  Soudan. 

Dans  une  excursion  pleine  d'intérêt  faite  en  compagnie 
du  docteur  L.  Vincent,  médecin  principal  de  la  marine, 
nous  avons  parcouru  ce  Canada  dont  nous  aimons  toujours  à 
■«abeodre  parler,  car  ses  ti(res  d'oiigine  sont  quelques-unes 
des  plus  belles  pages  de  notre  histoire. 


ET   SOR   LES    l'ROenÉS   DES   SCIE^NCES   CÉOGKAPHIQUES.     15 

Xvec  M.  de  Bretles,  nous  avons  abordé  le  redoulable 
Chac«,  dans  lequel  il  a  pénétré  non  sans  peine. 

La  région  à  peine  entrevue  des  Tumuc-Humac  ella  haute 

Gitrane    ont  fait  le  sujet   d'une  relation  de   voyage    par 

.V.  H-  Coudreau  qui  s'est  voué  courageusemenl,  obstiné- 

meni  à  l'étude  de  cette  région  dont  la  carte  malaisée  à 

dresser  lui  devra  ses  premières  lignes  précises. 

Quant  aux  détails  do  la  vie  intérieure  de  la  Société,  vous 
D'en  voudrez  pas  au  rapporteur  de  les  passer  sous  silence.  Il 
ne  saurai t  trop  répéter,  d'ailleurs,  que  la  Commission  cen- 
trale dont  les  séances  administratives  ne  sont  pas  des 
réunions  secrètes  pour  les  membres  de  la  Sociélé,  accueil- 
lera toujours  les  propositions,  les  idées,  les  projets  qui 
poarraient  lui  être  soumis,  à  la  condiiion  toutefois  qu'ils 
auront  été  étudiés  au  point  de  vue  de  la  réalisation  pra- 
tique. 

Le  rapporteur  ne  laissera  pas  passer  l'occasion  qui  lui  est 
oflierte  de  reconnaître  une  fois  de  plus  devant  vous  les  services 
rendus  à  la  Société  par  son  agent,  M.  Charles  Aubrj',  qui 
aç\Artc  k  des  fonctions  toujours  très  chargées  un  dévoue- 
meiil,  un  zèle  dont  nous  ne  saurions  trop  le  louer  et  nous 
louer  tous. 

Ici  commencera  la  seconde  partie  du  rapport,  l'exposé 
4es  progrès  de  la  géographie  pendant  l'année.  Ces  progrès 
résultent  de  faits  nombreux,  d'éléments  variés  et  délicats 
dontrénuméralion  complète  remplirait  un  volume,  impose- 
rait à  votre  attention  un  elTorl  de  plusieurs  heures.  Cepen- 
dant quelques  pages,  quelques  quarts  d'heure  seulement, 
y  doivent  être  consacrés. 

Les  sciences  géographiques  ont  eu  leur  place  dans  la  belle 
nanifesiatinn  industrielle,  scientifique  et  artistique  de 
(^9.  L'Exposition  de  l'esplanade  des  Invalides,  spécimen 
des  races  et  des  architectures  de  la  France  exotique,  a  pro- 
curé aux  savants  sédentaires  des  illustrations  vivantes  pour 


nAPPOUT  SUK  LES   TIIAVAUX   DE    LA   SOCIÉTÉ 

leurs  études;  aux  Français  en  général  un  aperçu,  comme 
uno  vision  reslreinte,  de  ce  monde  colonial  pour  ou  contre 
lequel  li's  politiciens  s'agilenl  ardemment  et  qui  n'a  mérité  M 
«  ni  cet  excès  d'honneur  ni  celle  indignité  ».    Savaniset  ■ 
simples  coniribuablesont  pu  contempler  iessveltes  pagodes, 
passer  de  la  tenlede  l'Arabe  nomade  ù  la  masure  du  Kabyle, 
circuler  entre  les  huttes  desCmaques  et  celicsdes  noirs  du 
Congo,  converser  tant  bien  que  mal  avec  le  marchand  tuni- 
sie'n  retors.  l'Annamite  moqueur  el  le  Sénégalais  de  bronze.  ■ 
par-dessuH  le  miirclié,  ils  ont  eu  des  Chinois,  des  Malais  et 
môme  quelques-uns  de  ces  Indiens  imposants  dont  la  race    _ 
ne  tardera  pas  à  mourir  éloufîée  sous  la  civilisation  des  I 
Él;it,s-IJnis. 

Pres(|ue  partout,  dans  les  galeries  du  Cbamp  de  Mars, 
les  géographes  ont  pu  trouver  leur  science  représentée  par 
des  ({lobes  terrestres  de  toutes  les  grosseurs,  des  cartes  de 
tout  genre,  de  tout  modèle,  de  tout  aspect  :  cartes  d'ensei- 
gnement elonuMvtairc,  immenses  caries  murâtes, cartes  topo- 
grApbiqiies  chargées  de  détails  finement  gravés,  cartes  géo- 
logiques et  caries  statistiques  diaprées  de  vives  cou- 
leurs, sans  compter  les  plans  et  les  cartes-relief  en  grand 
nombre. 

L'jibslenliou  de  plusieurs  gouvernements  a  malheureuse- 
ment privé  l'Kxposition  de  1889  d'une  quantité  considérable 
d'éléuienls  dus  à  la  cartographie  ofiicielle  qui  avait  été  lar- 
gement roprésenlt^e  aux  Expositions  antérieures. 

Il  faut  rcoonniiilrv  que  si  les  cartes  se  sont  complétées 
par  le  lait  des  explorations,  elles  n'ont  pas,  depuis  dix  ans, 
réalisé,  au  point  de  vue  de  rexéeutiou,  des  progrès  très 
marqu»^.  Toutefois,  la  gravure  et  l'impression  typogra- 
phiques, eu  M)  pcrf^oliouu«u(,  ont  valu  à  la  production  des 
caries  courantes  le  lién^fiiv  d'un  bon  marché  dont  profite 
largement  la  diltXision  de  Ia  science,  et  ce  n'est  pas  là  un 
avantage  &  dt^daigne^. 
Non  lut»  de«  »atle»  o«cup0«$  p«r  U  géographie  frauciise, 

il 


ET    SUR  LES   PROGRÈS   DES   SCIENCES  GÉOGBAPHIQL'ES.       17 

les  visiteurs  ont  pu  admirer  le  globe  à  1/1,000,000*  construit 
çtt  l'initiative  de  deux  de  nos  collègues,  MM.  T.  Viliard 
eX  t.  Cotard.  Les  difficultés  d'exécution  de  cette  repré- 
icglitlion  imposante  de  notre  planète  avaient  été  résolues 
pie  talent  d'un  ingénieur,  M.  Seyrig,  avec  le  concours 
ftn  comité  d'hommes  de  science  chargés  spécialement  de 
i  partie  géographique  de  l'fpuvre.  Les  parois  intérieures 
ilu  pavillon   qui  abritait  le  globe  terrestre  à  1/1,000,000" 
claient  couvertes  d'indications  d'ordre  physique  et  écono- 
mique heureusement  choisies.  La  Société  de  Géographie  ne 
saurait  trop  regretter  l'insuccès  de  ses  démarches   pour 
obtenir  que  le  globe  terrestre  de  MM.  T.  Viliard  et  C.  Cotard 
fût  conservé  dans  l'un  des  squares  de  Paris. 

Le  précédent  exposé  des  progrès  de  la  géographie  annon- 
çait la  publication  prochaine  d'un  premier  Rapport  sur  les 
travaux  exécutés  en  1888  par  le  Service  géographique  de 
Tarmée.  Ce  document  a  paru  en  1889  et  l'apparition  en  doit 
être  signalée  h  tous  ceux  qu'intjîressenl  les  progrès  de  la 
cartographie,  auxquels  a  si  largement  contribué  l'ancien 
Dépôt  de  la  Guerre,  dont  le  Service  géographique  continue 
les  belles  traditions. 

Il  n'est  pas  assez  connu,  partant,  pas  assez  apprécié  de  la 
généralité  du  public,  ce  Service  auquel  sont  dues  tant 
d'œuvres  remarquables  par  leur  ampleur  aussi  bien  que  par 
leur  solidité  scientinque. 

Si  la  nouvelle  publication  due  à  l'initiative  du  général 
Derrécagaix,  directeur  du  Service  géographique,  se  pour- 
suit d'année  en  année,  si  elle  reçoit  surtout  la  publicité 
désirable,  elle  contribuera  à  faire  comprendre  le  caractère, 
les  dilflcultés,  l'utilité  de  travaux  exécutés  par  ce  bel  éta- 
blissement, pour  développer  la  prospérité  comme  pour 
assurer  la  défense  de  notre  pays. 

En  attendant  que  les  Services  hydrographiques  de  la  ma- 

SOC.   DE  SÉOOU.  —  1"  TUiaESIRK  1890.  XI.  —  2 


18  UAl'l'linT    Still    LKS    TRAVAUX    DE    LA    SOCIÉTÉ 

rine  entreprennent  une  pulilicalion  analogue  à  cëIIl 

vice  géographique  de  l'armée,  voici  le  résunaé,  pour  celte 
année,  des  travaux  exécutés  par  les  ingénieurs  liydrographes 
el  les  offlciers  de  uoire  marine  natiouale,  sous  la  direction 
do  M.  Bouquet  de  la  Giye,  de  l'InsLilul,  ingénieur  hydro- 
graphe en  chef. 

Comme  toujours  les  côtes  de  France  dont  les  caries  doivent 
être  perpéUiellemeiil  remaniées,  revisées,  tenues  àjour,  oot 
eu  leur  part  dans  ces  tiavaux.  C'est  ainsi  que  M.  Hanusse, 
ingénieur  hydrographe,  assisté  de  MM.  La  Porta  et  RoUet 
de  risie,  a  terminé  la  reconnaissance  hydrographique  du 
plateau  des  Minquiers,  commencée  en  i888  par  M.  Cas- 
pari.  Il  a  procédé  également  à  une  revision  des  côtes  nord 
de  la  Bretagne. 

Deux  autres  ingénieurs  hydrographes,  MM.  Maneu  et 
Renaud,  oui  fait  une  reconnaissance  des  passes  de  la  Gironde 
et  du  mouillage  de  !a  Gironde. 

M.  llatt  a  terminé  la  triaaguiation  de  la  Corse,  et,  avec 
l'aide  de  M.  Perrolin,  directeur  de  l'Observatoire  de  Nice, 
et  de  M.  Driancourt,  ingénieur  hydrographe,  il  a  déterminé 
les  dillerinces  do  longitudes  entre  Nice,  l'île  Rousse  et 
Âjaccio;  il  a  déterminé  aussi  les  latitudes  exactes  des  deux 
points. 

A  Madagascar,  MM.  Mion  et  Tichot,  ingénieurs  hydro- 
graphes, continuent  l'hydrographie  de  cette  île;  ils  ont  exé- 
cuté le  levé  de  la  partie  de  la  côte  occidentale  comprise 
entre  Nossi-bé  et  Nossi-vé,  dans  le  but  d'éclairer  la  route 
des  paquebots  dans  ces  parages.  La  zone  comprise  entre  la 
terre  el  le  grand  récif  Tulear,  l'embouchure  de  la  rivière 
Saint-Augustin,  sont  achevées;  au  sud,  les  mouillages  de 
Raooubé,ducap  Saint-Vincent,  de  Morombe,  de  Campasi- 
lava,  de  Belo,  de  Mourouiidava,  Mainlérano  et  Saini-Jean 
de  Nova  sont  déterminés,  el  le  tout  a  été  réuni  par  un  levé 
sous  vapeur  de  250  milles  de  longueur. 

MM.  Thomas  el  Caubel,  enseignes  de  vaisseau,  ont  levé 


ET  SDR   LES   PROGRÉS  DES  SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES.     19 

et  dressé  le  plan  de  ia  baie  San  Antonio,  dans  l'ileaux  Prin- 
ces (îles  du  cap  Vert). 

M.  Martin,  lieutenant  de  vaisseau,  a  exécuté  différents 
levés  à  Terre-Neuve,  principalemenl  dans  la  baie  aux  Liè- 
vres. 

M.  Martel,  lieutenant  de  vaisseau,  a  fait  des  sondages  dans 
la  baie  de  Tourane  et  des  sondages  d'atterrage  dans  l'est  des 
îles  Norway. 

Les  officiers  de  la  station  navale  du  Gabon  et  du  Sané  ont 
reconnu  l'estuaire  du  Gabon.  Ce  travail  sera  rédigé  prochai- 
nement. 

Les  officiers  du  Fabert  ont  exécuté  différents  levés  dans 
le  Pacifique,  notamment  aux  îles  Gilbert,  Santa-Cruz  et  aux 
Nouvelles-Hébrides, 

Enfin  le  plan  de  Djibulil,  dans  la  baie  deTadjurah,  aélé 
levé  par  M.  de  Saint-Sauveur  de  Bougainville,  lieutenant 
de  vaisseau. 

Le  catalogue  des  caries  publiées  par  nos  services  hydro- 
graphiques s'est  augmenté  de  soixante  et  un  numéros,  dont 
trois  consacrés  aux  cartes  générales  ou  à  la  météorologie 
maritinie,  treize  à  l'Europe,  deux  aux  mers  boréales,  dixH 
sept  à  l'Asie  (dont  onze  pour  le  Tonkin),  onze  à  l'Afrique 
(dont  six  pour  la  Tunisie),  neuf  à  l'Amérique  et  six  aux  autres 
mers  australes. 

Les  voyages,  avec  leurs  éléments  dramatiques  pu  pitto- 
resques, leurs  émotions  et  leur  poésie,  avec  les  additions 
qu'ils  apportent  à  la  carte  du  monde,  détournent  tout  natu- 
rellement l'attention  des  problèmes  et  des  éludes  de  la  géo- 
graphie générale.  Ces  éludes,  cependant,  s'imposent  comme 
l'an  des  buts  les  plus  hauts  de  la  science. 

Il  convient  donc  de  les  signaler  dans  un  rapport  sur  les 
progrès  de  la  géographie  quand  elles  modifient,  en  donnant 
des  résultats  plus  précis,  les  conclusions  antérieurement 
admises. 


HAPPORT  son  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

L'altitude  moyenne  des  continents  el  les  profondeurs  des 
mers,  dans  leurs  relations  avec  les  aires  émergées  ou  immer- 
gées, ont  fait  souvent  l'objet  d'évaluations  et  de  calculs 
Les  récentes  recherches  de  MM.  le  général  de  Tillo.  le  doc- 
leur  A.  Supan,directeurdesMfÎPt/Mn3^M  de  Golha,  Mnrray, 
Ponck,  ont  conduit,  combinées  avec  celles  de  notre  coltègue 
M.  de  Lapparent,  à  des  tableaux  d'un  véritable  intérêt  pour 
les  géographes  qui  les  trouveront  dans  le  précieux  recueil 
géographique  de  Gotha. 

Ce  sera  maintenant  aux  voyages,  la  manifestation  la  plus 
claire,  la  plus  apparente  du  mouvement  géographique,  que 
le  rapporteur  consacrera  la  suite  de  cet  exposé.  Comme 
d'habitude,  il  effleurera  seulement  les  sujets,  eu  laissant 
presque  coraplètemenl  de  côté  les  aventures  et  les  épisodes 
émouvants.  Son  but  est  de  faire  entrevoir  dans  quelle  me- 
sure chaque  voyageur  a  contribué  à  accroître  la  richesse 
commune. 

Pour  le  rapide  trajet  que  nous  allons  entreprendre  autour 
du  monde  sur  les  pas  des  explorateurs,  le  choix  de  l'itiné- 
rairo  nous  apparlicnt.  Les  froids  polaires,  les  déserts  tor- 
rides,  les  Océans  comme  les  plus  énormes  massifs,  les 
peuples  les  plus  redoutables,  ne  nous  imposeront  ni  retard 
dans  l<i  marche,  ni  obligation  de  faire  de  longs  détours. 

Sans  autre  préambule,  transportons-nous  au  cceur  de 
l'Australie,  dans  la  partie  la  moins  favorisée  du  plus  mé- 
diocre des  continents. 

.\u  nord-ouest  du  lac  Eyre  est  la  station  Dalhousie  d'où 
partait,  eu  1886,  M.  David  Lindsay  dont  le  voyage  ne  nous 
a  été  bien  connu  que  cette  année;  il  venait  se  terminera 
l'Arthur  River,  alïluent  de  golfe  de  Carpentarie,  en  face  des 
lies  Kdward  FtUew  ;  c'était  lat  traversée  de  plus  d'une  moitié 
de  la  largeur  de  l'.Vustralie,  du  sud  au  nord. 

A  sa  droite^  le  Toya^aur  e«t  tout  d'abord  l'implacable    ^ 
désert  .111*1  lalîf 11  avee  ses  «space$  ioimenses,  accidentés  de 


ET   SUR  LES  PnOURÈS   DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      21 

rides  de  sable  recouvertes  de  spinifex.  Il  ne  faHail  piis 
peaser  à  s'engager  dans  celte  direcUoa;  l'expédition,  avec 
ses  douze  chameaux  de  transport,  suivit  donc  les  bords  de 
)a  rivière  Finck  jusqu'au  puits  Alice  (Alice  Spring).  A  partir 
de  ià  la  traversée  du  pays  fut  rendue  pénible  par  l'élévation 
de  la  température:  le  thermomètre  se  maintenait  toute  la 
nuit  entre  16°  et  20",  taudis  que,  pendant  le  jour,  il  mar- 
quait 40°  à  l'ombre. 

La  partie  occidentale  des  chaînes  Macdonnell  et  Ilart  que 
franchit  l'expédition,  lui  réservait  des  surprises.  Les  ver- 
sants méridionaux  du  massif,  formés  de  quartz  et  de  grès 
métamorphiques,  n'avaient  retenu  que  quelques  Dlets 
d'eau;  il  f.tisait  trop  chaud,  disaient  les  rares  indigènes 
avec  lesquels  on  put  se  mettre  en  relation,  et  «  l'eau  avait 
ilé  &e  mettre  à  l'ombre  >. 

Le  centre  du  massif  recelait,  heureusement,  entre  deux 
falaises  granitiques  et  à  quelques  centimètres  au-dessous  du 
toi,  une  belle  nappe  d'eau  dans  le  voisinage  de  laquelle  se 
trouvent  des  grenats  et  des  rubis. 

Au  nord  sont  les  rivières  Plcnty  et  MarshalS.  M.  D.  Lind- 
saj  et  son  escorte  faillirent  mourir  de  soif  non  loin  de  !a 
rivière  Pienly  dont  lo  lit  était  absolument  à  sec,  ainsi  que 
les  sources  signalées  dans  ces  parages  par  des  voyageurs 
précédents.  En  d'autres  saisons,  les  rivières  doivent  débor- 
der comme  Tindiquaient  des  tiots  d'abondants  pâturages, 
I  des  bouquets  d'acacias,  de  gommiers  et  d'eucalyptus. 

En  fait  dépopulation,  M.  D.Lindsay  ne  rencontra,  sur  ce 
|oinl,  que  quelques  malheureux  Australiens  en  quête  d'un 
I  peu  d'eau  et  de  nourriture.  Leur  chef,  après  avoir  offert  un 
felit  garçon  en  échange  du  chien  de  M.  Lindsay,  conQa  l'un 
fcses  fils  aux  blancs  pour  les  diriger  entre  la  rivière  Mar- 
Lliail  et  la  station  du  lac  Nash,  située  dans  le  nord-est.  Mais 
k  jeune  guide  une  fois  vêtu  et  rassasié  se  bâta  de  dispa- 
.■  Jusqu'au  lac  Nash,  le  terrain,  relativement  fertile, 
t  pas  de  difticultés  à  la  colonne.  Vers  la  station  du  lac 


22 


RAPPORT  SDR  LES  TUAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 


Nash  commence  une  région  particulière,  les  downs  ou 
plaines,  que  rev6l  un  lapis  d'excellents  pâturages  arrosés 
par  des  rivitres  dont  les  eaux  vont  ?e  perdre  dans  les  l;ics 
ou  les  sables  de  l'inlérieur.  La  zone  ries  downs,  entourée  par 
les  mauvaises  terres  couvertes  de  brousse,  s'étend  vers  le 
nord  jusqu'à  la  chaîne  côlière  du  golfe  de  Carpentarie. 
Dans  l'ouest,  elle  gagne  par  une  étroite  lisière  la  station 
télégraphique  de  Powell  Creek.  M.  D.  Lindsay,  après  avoir 
exécuté  sans  difficulté  le  levé  de  son  parcours  à  travers 
la  région  des  dotcus,  termina  le  voyage  par  une  recon- 
naissance du  fleuve  Arthur,  quij  naissant  au  Banc  septen- 
trional de  la  chaîne  côlière,  va  se  jeter  dans  le  golfe  de 
Carpentarie,  après  un  trajet  de  quelques  200  kilomètres. 

Les  voyages  sont  dépourvus  d'attrait  dans  le  cenire  aus- 
tralien dont  le  sol,  peu  varié,  ne  présente  que  de  faibles 
accidents  de  terrain.  A  quelques  détails  près,  on  sait  que 
le  voy.igeur  risquera  de  mourir  de  soif  en  traversant  des 
espaces  sahariens  sillonnés  de  rivières  sans  eau,  ou  de 
s'embourber  dans  des  plaines  brusquement  submergées. 

Entre  ces  deux  alternatives,  il  a  celle  de  traverser 
d'interminables  étendues  de  dunes  revêtues  d'une  épaisse 
fourrure  de  mimosas  aux  épines  acérées.  Ils  sont  d'un  carac- 
tère également  triste,  les  éléments  d'intérêt  oITerts  par  la 
maigre  et  famélique  population  qui  parcourt  cette  région 
avant  de  disparaître  à  toujours. 

Traversons  maintenant  le  détroit  de  Torrds  pour  nous 
transporter  à  la  Nouvelle-Guinée;  de  toutes  les  parties  du 
globe  elle  reste,  en  proportion  de  son  étendue,  l'une  de 
celles  dont  la  carte  est  le  plus  arriérée,  préseule  les  plus 
vastes  lacunes.  Elle  prend  place,  dans  le  présent  rapport, 
par  deux  voyages  importants,  l'un  sur  la  terre  ferme  de 
l'Ile,  l'autre  aux  archipels  qui  lui  font  escorte  du  côté  de 
l'est. 

Des  notes  dues  à  l'obligeance  du  prince  Roland  Bonaparte 


ET   SFH  LES  PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.         23 

î  est  si  versé  dans  la  connaissanct:  de  ces  contrées  et  des 

yagesdont  elles  sont  l'objet,  ont  fourni  à  votre  rapporteur 

s  éléments  de  celte  partie  du  résumé. 

La  côte  sud-csl  de  la  Nouvelle-Guinée  est  longée,  h 

tonce,  par  une  série  de  chaînes   de  montagnes  et,  en 

particulier  par  les  raonts  Owen  Stanley,  situés  au  nord  de 

Port  Moresby.  Personne  jusqu'ici  n'était  parvenu  jusqu'à 

CP  massif,  dont   le   soniniel  principal  paraissait  dépasser 

4,000  mètres. 

Le   20   avril  de  cette  année,   Sir   William  Mac-Gregor, 

ministrateur  de  la  Nouvelle-Guinée  britannique,  quittait 

Port  Moresby  à  bord  d'une  embarcation  construite  pour 

nariguer  sur  les  cours  d'eau.  C'est,  en  effet,  par  le  fleuve 

Vanapa  qu'il  devait  pénétrer  à  l'intérieur  des  terres;  mais 

l«s  rapides  et  les  rochers  se  multiplièrent  à  un  tel  point, 

qa'il  fut  impossible  de  continuer  à  suivre  cette  voie.  L'un 

des  membres  de  l'expédition  s'étant  rendu  h  Port  Moresby 

dans  Le   but  d'y  prendre  ries  approvisionnements,  Texpédi- 

lion  se  mettait  en  marche  le  17  mai;  la  marche  fut  pénible, 

car  au    bout    de   la  première  journée  on    n'avait  gagné 

EM'une  dillérence  de  niveau  de  moins  de  100  miitres. 
fCe  ne  fut  que  sept  jours  aptes  le  départ  qu'une  éclaircie 
dans  la  forêt  permit  d'apercevoir  les  raonts  Owen  Stanley, 
Br  lesquels  se  dirigea  la  petite  colonne,  en  suivant  la  crête 
■  un  massif  avancé,  le  nnont  Musgrave.  Pour  la  première 
fois  des  relations  s'établirent  alors  entre  les  voyageurs  et  les 
indigènes  dont  les  habitations  s'élèvent  jusqu'à  1,200  mètres 
snr  les  flancs  des  montagnes:  leurs  chasses  cependant  les 
conduisent  jusqu'à  2,000  mètres. 

C'est  ayec  M.  Dedfordjl'un  de  ses  compagnons  européens, 

deux   Polynésiens  et  six  Papouas,  que  sir  W.  Mac-Grcgor 

abordait  le  massif  même  de  l'Owen  Stanley,  défendu  par 

de   gros  contreforts.    L'ascension   du  premier,   le  mont 

«ilsford,  haut  de  3,000  mètres,  fut  rendue  très  ditflcile 

une  épaisse  forêt  de  bambous  qui  recouvre  presque 


2i  RAPPORT   son   LES  TRAVAUX  DE    LA   SOCIÉTÉ 

jusqu'au  sommet  les  flancs  de  la  montagne.  Le  second  con- 
Ireforl,  le  monl  Douglas,  atteint  3,000  mètres. 

Le  M  juin,  sir  W.  Mac-Gregor  pouvait  eiiflo  gravir  le  pic 
nord-ouest  de  l'ûwen-SUnley»  Les  arbres  s'arrêtent  à 
3,300  mètres,  c'est-à-dire  à  500  mètres  du  point  culminant. 
Avant  le  lever  du  soleil,  l'herbe  y  est  couverte  de  gelée 
blanche;  on  rencontre  même  de  pelils  stalactites  de  glace. 
La  dernière  partie  de  l'ascension  se  Ut  à  grand'peine  sur 
des  rochers,  et  le  12  juin  voyait  s'inscrire  sur  la  carte  du 
monde  un  nouveau  mont  Victoria. 

De  cet  observatoire,  qui  domine  de  4,000  mètres  le 
niveau  des  mers.  Sir  W.  Mac-Gregor  put  apercevoir,  au 
loin  dans  la  brume,  la  côte  nord  de  la  Nouvelle-Guinée. 

Faute  de  noms  indigènes,  les  sommets  de  la  chaîne  furent 
baptisés  du  nom  des  premiers  explorateurs;  la  chaîne  même 
continuera  d'ailleurs  de  s'appeler  chaîne  Owen  Stanley, 
du  nom  du  commandant  du  Rattiesnake,  qui  explorait  ces 
côtes  de  18it3  à  1850,  ayant  à  bord  comme  aide  chirurgien 
le  professeur  Huxley. 

La  Nouvelle-Guiuée  se  termine  du  côté  de  l'est  par  une 
pointe  que  semble  prolonger  un  semis  d'îles,  d'îlots,  de 
récifs  et  d'écueils  uu  milieu  desquels  la  navigation  est  péril- 
leuse. 

Il  y  a  là  des  terres  et  des  populations  fort  peu  connues. 
Dans  toute  cette  région  du  globe,  les  cartes,  encore  bien 
incomplètes,  portent  une  quantité  de  noms  français,  no- 
tamment ceux  des  archipels  de  la  Louisiade  et  d'Enlrecas- 
teaux. 

LaLouisiade,  découverte  en  1606  par  Torrès,  fut  revue  de 
nouveau  en  1708  par  Bougainville,  qui,  avec  la  Boudeuse  ei 
l'Étoile  dont  les  équipages  souffraient  de  la  famine,  longea 
la  partie  sud  de  cet  archipel,  auquel  il  donna  le  nom  de 
Louisiade. 

A  la  iiu  du  siècle  dernier,  d'Entrecasleaux,  sur  la  Re- 
cherche et  i'Espèrance  vil,  du  haut  des  hunes,  la  mer 


ET  30B  LES   PROGRÈS   BES   SCIENCES   GÉOGRAPH[QUES.       25 

téferier  sur    les  côtes    inhospitalières    de   la    Louisiade. 
Mais  son  objectif,  la  recherche  de  Lapérouse,  l'empêcha 

de  ''attarder  dans  ces  parages.  L'intrépide  Fluault-Coutance 

^ul,  en  1804,  le  premier  Français  qui  ait  conduit  un  navire 
travers  le  détroit  de  Torrès.  L'Adèle  qii'W  commandait  a 
laiwé  son  nora  à  l'îlot  extrême  contre  lequel  viennent  battre 
grandes  vagues  du  Pacifique, 

Plus  tard  ces  eanx  furent  vues  par  Dumonl  d'Urville  dont 
lesvoyages  sont  trop  connus  pour  qu'il  en  faille  parler.  Nous 
retrouverons  là  une  glorieuse  famille  d'ancêtres  qui  jouèrent 
Qo  rôle  considérable  dans  les  progrès  de  la  géographie  et 
en  l'honneur  desquels  vous  pardonnerez  à  votre  secrétaire 
généra)  cette  courte  digression  historique. 

Une  exploration  importante  a  été  récemment  exécutée 
dans  l'archipel  d'Entrecasteaux  et  de  ia  Louisiade  par 
M.  Basil  Thomson. 

Le  protectorat  britannique  sur  ia  Nouvelle-Guinée  ayant 
été  supprimé,  la  partie  anglaise  de  celte  terre  devint,  en 
188>f,  colonie  de  la  couronne.  Il  était,  dès  lors,  nécessaire 
de  connaître  les  parties  excentriques  du  nouveau  domaine, 
d'en  L'iudier  les  ressources,  de  faire  comprendre  aux  indi- 
gènes leurs  devoirs  envers  la  métropole.  Tel  a  été  le  motif 
da  voyage  de  M.  Basil  Thomson  qui,  parlant  de  Port  Mo- 
resby,  arrivait  le  A  octobre  1888  devant  l'île  sud-est  ou  Ta- 
guJa.  Elle  est  dominée  par  le  mont  Ralllesnake  aux  versants 
couverts  de  forêts  dont  la  teinte  sombre  contraste  avec  la 
che  ■verdure  des  coteaux  gazonnés  qui  descendent  vers 
mer.  La  population  est  très  clairsemée  car  elle  a  été 
détruite  en  partie  par  les  incursions  des  insulaires  cou- 
peurs de  tête  de  l'Ile  Brooker. 

L'île  Rossel,  deuxième  escale  de  M.  Basil  Thomson,  doit 
quelque  célébrité  au  naufrage  du  Saint-Paul.  Les  passagers 
d«  ce  navire,  des  Chinois  pour  la  plupart,  se  sauvèrent  à  la 
e<He,  où,  à  raison  de  trois  chaque  jour,  ils  furent  dévorés 
par  les  indigènes.  Les  habitants  de  l'île  Rossel  senablent 


■26  HAPPORT  SUn   LES   TRAVAUX   DE   LA   SOCIÉTÉ 

■êJre  le  produit  d'un  croisement  entre  des  Papouas  el  des 
naturels  des  lies  Salomoii.  Ils  ne  portent  pas  de  tatouages 
€l  récemment  ils  ont  passé  rie  l'âge  de  la  pierre  à  l'âge  du 
fer.  Leurs  demeures  ont  l'aspect  d'emhaications  renversées, 
supportées  par  des  piliers.  Le  nombre  des  armes  et  des  os- 
sements humains  répandus  dans  les  villages  révèle  des 
babiludos  belliquenses  queue  stimule  pas  le  seul  amour  de 
la  gloire. 

M.  Thomson  avait  eu  quelque  peine,  on  le  comprt^nd,  à 
trouver  des  guides  el  des  porteurs;  mais  ses  relations  avec 
les  habitants  ne  I'erpos^rent,  paraît-il,  à  iuicun  danger. 

Après  l'île  Russel  et  l'îlot  Joannet  dont  l'unique  centre  de 
population  est  un  village  situé  au  bord  d'un  marais,  ce  fui 
le  tour  de  l'île  inexplorée  de  Saint-.'iijjman  ou  Misima;  elle 
est  bordée,  sur  la  eùle  orientale,  d'une  sorte  de  muraille  de 
coraux  à  travers  laquelle  les  torrents  des  parties  hautes  de 
l'île  se  sont  (aillé  un  passage.  Les  natifs  de  Saint-Aignan, 
très  nombreux,  présentent  le  type  du  Papoua  et  celui  du 
Malais-  bien  que  coupeurs  de  têtes  ils  sont  gais,  se  mon- 
trèrent bienveillants  et  très  désireux  de  trafiquer;  malbeu- 
reusemenl  ils  sont  dépourvus  de  tout  article  d'échange. 

A  l'île  Normanby,  la  première  de  l'archipel  d'Entrecas- 
teaux,  les  indigènes,  de  véritables  Papouas,  sont  également 
actifs  et  industrieux.  Ils  établissent  leurs  cultures  sur  des 
pentes  fort  raides  dont  les  terres  sont  maintenues  par  des 
palissade».  Leurs  villages  sont  remarquablement  propres. 

Tout  à  côté  de  l'Ile  Normanby  est  lavasle  île  Fergusson, 
signalée  au  loin  par  un  sommet  de  1,800  mètres,  le  mont 
Kilkerran.  Ici,  plus  encore  que  dans  les  îles  précédentes,  les 
habitanls  se  montrèrent  ardents  à  trafiquer;  leurs  allures 
furent  môme  si  familières,  si  indiscrèles,  que  le  voyageur 
anglais  ne  put  séjourner  longtemps  au  milieu  d'eux. 

Sur  un  autre  poiul  de  l'île,  au  contraire,  ils  se  monlrèreat 
hostiles,  et  il  fallut  tirer  un  coup  de  fusil  pour  les  tenir  en 
respect.  Ailleurs  eucore  se  produisit  la  même  difûculté. 


ET  Sm  LES   PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.        27 

Good«nough  fui  la  dernière  des  îl«s  visitées  par  M.  Thom- 
son. Il  y  trouva  une  population  dont  l'allitude  paciGque 
în^sil  contraste  avec  l'étal  d'excitation  des  habitants  de 
l'ile  Fergusson. 

Cette  navigation,  donl  il  ne  pouvait  être  donné  ici  qu'un 
pAle  aperçu,  vaudra  à  la  géographie  aussi  bien  qu'à  l'ethno- 
graphie, une  foule  de  renseignements  du  plus  haut  intérêt 
sur  des  archipels  peu  visités,  sur  des  populations  dont 
rélude  détaillée  est  encore  à  faire. 


La  contribution  des  deux  Amériques  au  progrès  de  la 
géographie  est  généralement  inférieure  à  celle  des  autres 
terres,  et  celte  année  encore  le  rapport  ne  peut  enregistrer 
que  quelque;:  explorations  dans  les  vastes  champs  d'inconnu 
de  cette  partie  du  monde. 

Le  colonel  Fontana,  gouverneur  du  territoire  argentin 
du  ChuLut,  a  exécuté,  de  1886  à  iSliS,  des  explorations 
donl  l'exposé  général  a  été  consigné  dans  le  Boh'tin  de 
rinstituto  geograflco  argentino. 

M.  Fontana  a  déterminé,  depuis  les  plus  lointaines  sources 
dans  le  nord  jusqu'à  l'océan,  le  trajet  du  rio  Chubul,  ce 
loog  fleuve  qui,  né  aux  flancs  des  Ande.s,  traverse  en  trois 
inflexions  la  largeur  du  continent.  M.  Fcnlana  a,  de  plus, 
pénétré  au  cœur  des  Andes  sur  cinq  points  situés  entre 
41'  et  46"  de  latitude  méridionale. 

Pendant  sa  dernière  campagne,  en  18!i8,  il  s'est  attaché 
surtout  à  l'étude  des  cours  d'eau  qui  pourraient  lar.iliter  les 
commurrications  entre  les  régions  andines  de  la  République 
Argentine  et  l'océan  Pacifique. 

Le  Garren-Léoufou,  rivière  importante,  qui  sort  d'un 
joli  lac  situé  par  44"  iO'  de  latitude  sud  el  li'  30'  de  longi- 
tude ouest  de  Paris,  court  au  nord  pendunt  une  cinquan- 
taine de  kilomètres,  jusque  par  43°  40'  de  latitude  sud  ; 
pais  il  incline  au  nord-ouest  el  pénètre  dans  la  Cordil- 
lère au  nord  du  mont  Yanieles,  par  43°  3T  de  latitude  sud 


28     RAPPORT  SUn  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

et  75°  7' 30"  de  longitude  ouest  de  Paris.  On  ne  sait  pas 
encore  ce  que  devient  alors  le  Carren-Léourou. 

Les  Indiens  et  la  commission  chilienne  l'envoient  à 
l'océan  Pacifique.  Ce  serait,  dans  cette  hypothèse,  le 
rio  Corcovado  dont  la  carte  de  Fitzroy  marque  l'embou- 
chure sur  la  côte  du  Chili,  par  43°  de  latitude  sud. 

M,  Fontana  pense  qu'il  faut  voir  le  rio  Corcovado  non 
dans  ce  Carren-Léoufou  dont  le  cours  impétueux  entraîne 
des  blocs  de  rochersj  mais  bien  dans  le  Sla-Léoufou,  rivière 
beaucoup  plus  importante  qui  coule  doucement  sur  un  lit 
de  sable,  entre  des  rives  couvertes  de  magnifiques  forêts  de 
hêtres  et  de  pins. 

Celte  rivière  est  formée  par  la  réunion  de  six  cours  d'eau 
auxquels  les  Indiens  n'ont  pas  donné  de  nom,  si  ce  n'est  au 
plus  volumineux,  qu'ils  appellent  Uncaparia.  Ce  dernier 
qui  sort  du  petit  lac  de  Rosario,  finit  par  se  jeter  dans  le 
Sta-Léoufou  donl  il  constitue  te  principal  aniuent. 

Le  colonel  Fontana  a  reconnu  le  cours  du  Sla-Léourou, 
jusque  par  43»  16'  de  latitude  sud  et  74° 47'  de  longitude 
ouest  de  Paris,  sans  avoir  rencontré  de  confluent.  C'est 
précisément  dans  le  but  d'éclaircir  les  doutes  qu'il  fit  met- 
tre à  l'eau  la  chaloupe  démontable  dont  il  s'était  muni,  et 
qu'il  descendit  le  Sta-Léoufou  au  gré  du  courant.  Parfois 
une  éclaircie  de  la  forêt  laisse  entrevoir  des  clairières  her- 
beuses où  paissent  des  taureaux  el  des  vaches  sauvages. 

En  arrière  des  forêts  se  dressent  les  pentes  rie  monta- 
gnes aux  cimes  toujours  couvertes  de  neige.  Au  bout  du 
deu.\iènje  jour,  la  chaloupe  arriva  près  d'un  rapide  qui 
l'arrêta;  mais,  jusque-là  du  moins,  la  navigation  est  possi- 
ble et  abrège  la  dislance  entre  le  territoire  argentin  et  la 
côle  cbiiienne.  Il  est  probable,  du  reste,  que  le  cours  ulté- 
rieur de  la  rivière  est  semé  de  fortes  chutes,  car  le  point 
extrême  reconnu  par  le  colonel  Fontana  se  trouvant  à 
400  mètres  au-dessus  de  l'Océan  voisin,  la  pente  ne  pourrait 
Être  diminuée  que  si  la  rivière  faisait  d'immenses  circuits. 


ET    SUR    1-ES   PROGRÈS   DES   SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES.      29 

A  l'endroit  où  le  no  Uncaparia  se  jclte  dans  le  Sta- 
Léoufou,  entre  43°  50'  el  4-4'  de  latitude  sud,  fut  fondée  le 
1"  fétTier  1888,  la  Colonie  du  16  Oclobre,  en  coramémo- 
ration  du  iù  oclobre  1884,  date  de  la  promulgation  de 
la  Joi  qui  créa  les  gouvernements  des  territoires  nalio- 
naujt.  Celle  colonie,  située  sur  les  deux  rives  de  l'Unca- 
paria,  se  compose  de  lots  de  25  kilomètres  carrés  chacun, 
très  bien  disposés  pour  l'élève  du  bétail,  en  attendant  que 
des  communications  plus  faciles  permettent  de  cultiver 
des  céréales  pour  l'exportation. 

M.  Fontana  s'est  ainsi  pleinement  acquitté  de  la  mission 
qui  lui  avait  été  confiée  de  fonder  sur  le  territoire  du 
Chubut  une  colonie  pastorale  dans  les  vallées  des  Andes, 
de  tracer  le  plan  des  villes  de  Rawson  et  de  Gaiman  et  de 
procéder  à  la  division  de  3,000  lieues  de  terrains.  Lu  géo- 
graphie y  aura  sa  part,  puisque  M.  Fonlana  a  résumé  sur 
une  carie  les  résultats  de  ses  intéressantes  explorations. 

Un  document  d'une  réelle  importance  pour  la  géographie 
encore  indécise  du  Chaco  a  été  publié  par  tes  Proceedings 
de  la  Société  de  géographie  de  Londres.  C'est  la  relation 
d'un  voyage  accompli  sur  le  rio  Verraejo,  dans  la  seconde 
moitié  de  1885,  par  le  capitaine  John  Page,  de  la  marine 
argentine.  Nous  y  trouvons  une  intéressante  comparaison 
entre  le  caractère  du  Pilcomayo  et  celui  du  Verméjo,  des 
voes  générales  sur  la  nature  du  sous-sol  du  Gbaco  et  l'ex- 
plicalion  des  déplacements  si  capricieux,  si  imprévus  da 
cours  de  ces  deux  rivières.  Le  Vermejo,  par  exemple,  a  brus- 
quement adopté  en  1870  un  lit  situé  i  une  quinzaine  de 
milles  dans  l'est  de  celui  qu'il  suivi^it  primitivement.  Les 
richesses  forestières  qui  bordent  le  Vermejo  sont  considé- 
rables, soil  comme  quantité,  soit  comme  variété  et  qualité 
d'essences.  D'après  M.  J.  Page,  la  rivière  est  navigable; 
loulefois  les  difficultés  qu'il  a  éprouvées  pendant  son 
voyage,  les  peines,  les  fatigues,  les  dangers  que  son  équi- 


30 


RAPPORT 


LES  TRAVAUX  DE  LA   SOCIETE 


page  a  (iû  siipporlcr,  soil  en  reinontanl,  soit  en  descen- 
dant, semblent  indiquer  simplement  que  le  Vermejo, 
comme  le  Pilcomayo,  n'est  pas  innavigable. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  géogrnphie  devra  de  Irt  reconnais- 
sance à  M.  J.  Page  pour  Jes  indications  si  nettes  et  les 
détails  nouveaux  qu'il  lui  a  foornis  au  sujet  de  la  partie 
du  Cbaco  arrosée  par  le  rio  Vermejo,  entre  son  confluent 
dans  le  Paraguay  et  la  colonie  de  Rivadavia. 


L'une  de  nos  séances  de  quinzaine  a  été  consacrée  ii  la 
communication  de  M.  Coudreau  sur  les  résultats  de  la 
mission  qu'il  a  remplie  pour  le  Ministère  de  rinstniction 
publique,  aux  monts  Tumuc-Humae,  dans  l'extrême  sud  de 
la  Guyane  française;  il  est  opportun  de  dégager  de  ce  docu- 
ment certaines  indications  qui  disparaissaient  un  peu  sous 
l'abondance  des  incidents  et  des  accidents  du  voyage. 

Le  figuré  des  Turauc-Humac  a  été,  jusqu'à  la  mission  de 
M-  Coudreau,  fort  rudimentaire  sur  les  caries;  en  effet,  les 
voyageurs  précédents  avaient  abordé,  sans  y  pénélrerj  cette 
chaîne  au  nom  étrange  et  encore  inexpliqué. 

Le  docteur  Crevaux  l'avait  franchie,  mais  préoccupé  sur- 
tout des  fleuves,  il  n'avait  décrit  que  très  sommairement  les 
montagnes. 

Après  un  mois  et  demi  de  canotage  pour  remonter  le 
Maroni,  M.  Coudreau  atteignait,  à  Apoiké,  petit  village  des 
ttoucouyennes,  te  pied  des  Titmiic-Humac  occidentales.  Il 
avaU  alors  devant  lui  un  ensemble  long  de  300  kilomètres, 
du  Maroni  à  rOyapoclt,  large  de  iOO  kilomètres,  des  tribu- 
taires de  l'Océan  à  ceux  de  l'Amazone.  C'était  là  une  terre 
absolument  inconnue,  puisque  personne  avant  lui  n'avait 
démêlé  le  réseau  des  vallées,  déterminé  les  sommets,  les 
chaînons  et  les  lignes  de  partage  des  eaux. 

La  première  reconnaissance  des  Tumuc-Humac  est  au- 
jourd'hui faite  aussi  complètement  qu'il  était  possible  de  la 
faire  au  cours  d'un  seul  voyage.  C'est  d'abord  la  moitié 


ET   SCR   LES   PROCnÈS   DBS   SCIENCES   CÉOCBAPHIQUES.      3t 

uccideiitale  des  Tumuc-Ilumac  qu'a  explorée  M.  Coudreaa: 
il  commençait  par  la  partie  la  plus  ardue  de  sa  lâche. 
Entre  les  villages  d'Apnïké,  sur  le  haut  Ilany,  affluent  de 

"^9  du  Maroni,  et  de  Pililipou,  sur  les  eaux  naissantes  du 

i,  M.  Coudreau  a  sillonné  le  pays  de  longues  e^■cur- 
«ions.  Un  mois  fut  consacré  à  l'exploration  de  la  contrée  aux 
rds  (i'Apoïké,  puis  quatre  mois  furent  employés  à  par- 
urir  la  montagne  qui  entoure  le  village  de  Pililipou.  L'une 
de  ces  courses  eut  pour  terme,  au  sud,  le  moQt,Mitaraca;uiie 
deuxième  conduisit  M.  Coudreau  dans  l'est,  jusqu'au  mont 
.\inana;  une  troisième  enfin,  dans  l'ouest,  aboutit  .iu  mont 
Pnlourouïmenepeu.  Ces  divers  points  circonscrivent  une 
région  déserte;  la  TÏeindigène  s'est  concentrée  sur  les  bords 
des  gr.iods  cours  d'eau.  Ailleurs,  pas  de  villages,  pas  de 
sentiers;  il  fc»ut  marclier  en  faisant  perpétuellement  brèche 
dans  la  forôt,  vivre  de  chasse  et  de  pêche. 

Deux  tribus  cannibales,  les  Eielianas  et  les  Toussari  qui 
Taguent  dans  ces  solitudes,  inspiraient  une  indicible  terreur 
tui  Roucuuyennes  de  l'escorte,  hantés  d'ailleurs,  en  pays 
inconnu  pour  eux,  de  toutes  sortes  de  terribles  visions. 

Les  conditions  telluriques,  sinon  climatériques,  sont 
ouuvaises.  On  vitsous  une  forCt  humide  de  pluie  et  de  rosée, 

00  traverse  des  marais  inondés  ou  détrompés.  M.  Coudreau 
ré34»ta  relativement  bien  aux  influences  de  ce  milieu  redou- 
Lihle;  M.  Laveau  subit  un  assaut  de  fièvre  des  bois  qui  le 
{»longea  dans  un  état  comateux  dont  il  ne  sortit  qu'au  bout 

sept  jours.  Apatou  lui-même,  l'ancien  compagnon  noir 

docteur  Crevauîk,  fut  gravement  atteint. 

Trois  canots  construits  sur  place  ramenèrent  l'expédition, 

parle  Marouini  et  ses  innombrables  rapides,  au  Maroni  non 

moins  accidenté,  et  de  là  à  Gayenne,  où  tous,  y  compris 

M.  Coudreau  tombé  malade  vers  la  fin  dn  voyage,  rentraient 

1  bout  de  Toices, 

Cependant,  en  septembre  1888,  l'infatigable  explorateur 
re|>renail  la  campagne  et  remontant  l'Oyapock,  il  abor- 


32 


RAPPORT  SUR  LES  THAVAPX  DE  LA  SOCIÉTÉ 


dail  cette  fois-ci  le  sj'stèrae  orographique  par  sa  seciion 
orientale.  Elle  est  d'un  parcours  un  peu  moins  difficile  que 
la  section  occidentale  ;  M-Courireau  y  put  relever  1,2M  kilo- 
mètres d'itinéraires,  tandis  qu'il  n'en  avait  relevé  que  200 
dans  lesTumuc-Humac  de  l'ouest.  Cette  fois-ci,  en  revanche, 
une  famine  vint  ajouter  aux  difficultés  du  voyage,  en  rendant 
délicates  les  relations  avec  les  indigènes  et  en  obligeant 
l'expédition  à  vivre  d'une  manière  très  chétive,  très  précaire. 

A  force  de  patience,  de  marches,  de  contremarches, 
M.  Coudreau  réussit  à  atteindre  l'un  des  points  de  son  pré- 
cédent itinéraire.  Il  avait  donc,  le  premier,  traversé  les 
Tumuc-Humac  de  l'ouest  à  l'est,  du  Maroni  k  l'Oyapock  ; 
«  la  circumpérégrination  de  la  Guyane  française  par  les 
Tumuc-Humac  était  accomplie  pour  la  première  fois  »,  dit 
le  voyageur  dans  un  rapport  au  Ministre  de  l'Instruction 
publique. 

Ce  voyage  occupera  une  large  place  dans  l'histoire,  si 
honorable  pour  les  Français,  des  explorations  de  l'Amérique 
du  Sud.  Il  nous  donnera,  au  sujet  des  Tumuc-Humac,  des 
notions  déjà  nettes,  très  fermes,  qui  ne  sont,  à  la  vérité, 
pas  de  nature  à  tenter  beaucoup  les  touristes.  Les  vues  d'en- 
semble en  sont  monotones.  Dç  sommets  de  peu  de  relief 
liés  entre  eux  par  des  croupes  molles,  on  aperçoit  au  loin 
un  horizon  de  collines  en  masses  bleuâtres,  parfois  em- 
brumées pendant  plusieurs  jours. 

Les  points  culminants  ne  s'élèvent  guère  i'i  plu$  de 
600  mètres.  Du  Mitaraca  haut  de  580  mètres,  et  du 
Tayaouaou  haut  de  450  mètres,  M.  Coudreau  a  pu  faire 
des  tours  d'horizon  et  viser  un  certain  nombre  d'au  1res 
sommets.  L'ensemble  de  la  chaîne  est  à  peu  près  parallèle 
à  la  côte.  Il  n'existe  pas,  à  proprement  parler,  de  chaîne  de 
séparation  des  eaux;  les  Tumuc-Humac  se  con]posent  «  de 
chaînons  brisés,  jetés  sur  le  plateau  comme  au  hasard  et 
sans  logique  apparente.  » 
•  La  mission  de  M.  Coudreau  dans  les  Tumuc-Humac  a  pro- 


I 


\ 


ET   SUn  LES   l'ROGUÈS  DES  SCIEXCES   GÉOORAI'UJOUES.      33 

duit  des  résultats  géographiques,  historiques,  ethnogra- 
phiques et  linguistiques  d'un  véritable  intérôt,  sans  parler 
des  collections  rapportées  par  le  missionnaire. 

Elle  aura  valu  à  la  géographie  4,000  kilomètres  d'itinéraire 
relevés  à  la  boussole,  à  l'échelle  de  1/100,000%  dont  2,600  en 
rivière  et  1,400  dans  la  montagne.  EUeaura  donné  un  levé 
complet  de  l'ensemble  du  Maroni,  de  l'Oyapock,  du  Ma- 
rouini.  Ce  dernier  cours  d'eau  aura  été  parcouru  pour  la 
première  fois,  et  le  voyageur  a  constaté  l'existence  de 
300  rapides.  Il  a,  de  plus,  découvertles  sources  de  l'Oyapoek, 
auprès  desquelles  avait  passé  Crevaux. 

Dans  les  Tumuc-Humac  mêmes,  M.  Coudreau  a  relevé 
150  sommets  et  fait  connaître  toute  la  région  des  têtes  du 
Maroni,  du  Gachipour,  de  l'Araguari  et  de  grands  affluents 
du  Yari.  Quelques  observations  astronomiques  ont  été 
Taites,  niais  le  voyageur  lui-même  ne  les  présente  point 
comme  suffisantes.  Les  distances  parcourues  sur  terre  ont 
été  mesurées  au  podomètre. 

En  résumé,  il  surfil  d'étudier  les  seize  feuilles  de  la  carte 
rapportée  par  M.  Coudreau  pour  se  rendre  compte  de  la 
réelle  importance  géographique  de  ses  voyages.  On  peut 
dire  qu'il  a  révélé  à  la  géographie  toutes  les  Tumuc-Humac 
au  moins  dans  leurs  traits  généraux.  C'est  là  une  œuvre 
dont  l'intérêt  n'échappera  pas  aux  géographes. 

M.  Coudreau  a  recueilli,  de  plus,  2,000  observations 
météorologiques  prises  de  jour  et  de  nuit,  et  des  notes 
importantes  pour  la  connaissance  du  climat  de  cette 
contrée. 

Il  a  étudié  aussi  les  populations  de  la  haute  Guyane,  dont 
il  s'est  efforcé  de  rechercher  le  passé.  Il  rapporte  de  volu- 
mineux documents  sur  les  Roucouyennes,  les  Oyampis  et 
d'autres  tribus,  dont  il  a  pris  de  nombreuses  mensurations 
anlbropométriques. 

Comme  résultats  linguistiques,  il  a  réuni  les  éléments 
d'une  étude  complète  de  deux  importants  dîâtecles,  le  tupi 

soc.  ut  GiOGR.  —  1"  TRIMBSTIiK  1890.  M.  —  3 


34       RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

et  le  caraïbe,  le  dialecle  des  Oyampis  eL  le  dialecte  des 
Roucouyennes. 

Enfin,  oiilre  les  données  qu'il  a  réunies  sur  la  faunp  et  la 
flore  de  la  région,  il  a  rapporté  onze  caisses  de  collections 
de  tout  genre  destinées  à  nos  musées. 

Le  côté  pratique  des  questions  qui  intéressent  notre 
colonie  rie  ia  Guyane  n'a  pas  échappé  h  M.  Cfudrcau;  il 
s'est  appliqué  à  constater  la  valeur  non  seulement  des 
ressources  du  pays,  mais  encore  des  populations;  il  est 
arrivé  à  conclure  que  la  formation  d'une  race  métissée  de 
blancs  et  d'Indiens  donnerait  à  la  Guyane  un  sérieux  foyer 
d'activité,  de  richesse  et  de  développement. 

Mais  c'est  là  un  point  de  vue  qui  concerne  plus  spécia- 
lement les  économistes. 


«  Quelque  étrange  que  le  fait  puisse  paraître  pour  une  co- 
loniesi  vieille  et  située  à  dix-huit  jours  derAn^leterre,rinté- 
rieurenestmoins  connuque  l'Afrique  centrale  ))Ainsis'ex- 
prime  M.  J.  Bellamy  en  parlant  d'une  partie  du  Honduras 
anglais  située  entre  le  golfe  de  Honduras  et  la  poinle  de  Be- 
lize.  M.  J.  Bellamy  a  fait  partie  d'une  raissiim  conduite  par 
le  gouvenieur  du  Honduras  anglais  pour  l'exploralion  d'un 
curieux  massif  de  montagnes,  les  Cokscomb,  situé  h  35  ki- 
lomètres environ  de  la  côte.  Supportés  par  une  sorte  de 
socle  monlHgneux  dirigé  de  Testa  l'ouest,  se  dressent,  jux- 
taposés sur  uue  vingtaine  de  kilomètres,  plusieurs  pics  très 
abruptes  aux  formes  bizarres  et  dont  le  plus  élevé,  le  mont 
Victoria,  a  1,128  mètres  d'akitude.  M.  J.  Bellamy  en  a  fait  la 
périlleuse  ascension. 

Il  constate  que  l'établissement  d'une  roule  pour  se 
rendre  de  la  côte  aux  monts  Cokscomb  doterait  la  cofonie 
d'un  sanatorium  situé  à  trois  jours  seulement  de  Belize. 
D'après  une  supposition  que  ta  rapidité  de  la  marche  l'a 
empêché  de  vérifier,  l'or  doit  se  rencontrer  sur  les  ver- 
sants méridionaux  des  Cokscomb.  Le  pays  est  d'ailleurs 


ET    SCR  LES    PROGRÈS  DES   SCIENCES   CÉOGHAPHIQL'ES.       35 

1res    riche   et  mériterait  d'attirer  un  courant   d'éinigra- 
4ion. 

La.  côte  occidentale  de  la  mer  des  Caraïbes  est  entaillée 
par  un  golfe  prol'ond  et  découpé,  le  golfe  Chetuma],  dont 
les  rives  appartiennent  eu  partie  au  Honduras  anglais,  en 
partie  au  Yucatao,  ou  pour  être  plus  exact,  à  des  Indiens 
du  Yucalan.  M.  W.  Miller,  attaché  aux  levés  du  Honduras 
.Bjiglais,  a  visité  le  territoire  de  ces  Indiens,  situé  au  nord  du 
golfe  Chetumal.  Des  restes  épars  indiquent  que  le  pays  dut 
êlre  Qori8âanl  avant  que  les  occupants  d'origine  espagnole 
■en  eussent  été  expulsés,  il  y  a  quelque  cinquante  ans,  par 
les  Indiens;  ceux-ci  sont  restés  hoslites  aux  visiteurs  blancs, 
«l  M.  W.  Miller  a  été  l'un  des  premiers  à  s'avancer  au  milieu 
d'eux  jusqu'à  Santa-Gruz,  située  à  une  soixante  de  kilo- 
mètres de  Carazal,  localité  du  Honduras,  sur  le  golfe  Che- 
turnaL 

En  territoire  indien,  le  point  de  départ  de  M.  W.  Miller 
fut  Bacalar,  ville  morte  dont  les  mes  et  les  constructions 
indiquent  un  brillant  passé.  L'église  renferme  un  ossuaire 
composé  des  restes  des  Mexicains  qui  vinrent  y  chercher  un 
refuge  au  moment  où  les  Indiens,  dans  leur  soulèvement, 
massacrèrent  les  étrangers.  Les  indigènes  n'habitent  pas  les 
maisons  abandonnées  ;  ils  préfèrent  vivre  dans  des  huttes 
construites  par  eux-mèraes. 

Pendant  la  roule  qu'il  parcourut  avec  une  escorte  de 
quatre  soldats  indiens,  M.  W.  Miller  a  constaté  un  certain 
nombre  de  corrections  à  apporter  à  la  carte  la  plus  complète 
du  Yucatan,  celle  de  J.  Hubbe  cl  Â.-A.  Perez,  revue  par 
C.  H.  Bereodt. 

La  roule  de  liacalar  à  Santa-Cruz,  assez  convenablement 
entretenue,  traverse  des  plaines  sèches,  rocailleuses,  cou- 
vertes d'une  végétation  de  hautes  broussailles.  Six  jours 
furent  nécessaires  pour  parvenir  à  Santa-Cruz,  la  capitale 
du  pays.  Personnellement,  le  chef  actuel  des  Ind  iens,  Auicelo 


30  nAI>POilT  SUR  LES  TRAVAUX  DE   LA  SOCIÉTÉ 

Sul  OU  Dua  Aot»,  réside  à  San-Pedro,  à  quelques  milles  au 
>ud  de  Santa-Cruz. 

Les  Indiens  vigiles  par  M.  W.  Miller  sont  généralement 
pclitx  el  «le  structure  légère.  Leur  peau  est  d'un  noirbrun; 
uno  chevelure  épaisse,  noire  comme  d u  jaiset  toute  hérissée, 
leur  donne  l'air  d'être  coilfé  du  traditionnel  bonneLà  poils  des 
grenadiers.  Ils  se  vêtissent  d'un  pîintalon  large,  d'une  che- 
mise et  d'un  chapeau  de  paille.  Les  soldais  ont  deux  bau- 
driers croisés  sur  la  poitrine,  donll'un  supporte  la  machete, 
l'autre  la  cartouchière. 

lis  ne  lisent  ni  n'écrivent,  et  leur  religion,  sans  clergé, 
est  nu  reste  informe  du  christianisme  introduit  autre- 
fois pur  les  Mexicains-  Chaque  village  a  son  église  pourvue 
de  dix  ou  douze  croix.  Dans  le  village  de  Tulum  où 
M.  \V.  Millrr  no  réussit  pasàse  faire  conduire,  est  une  croix 
célèbre  d'où  Dieu  lui-niérne  adresse  la  parole  aux  hommes. 
l.h  liil  uuiHHiicri!  un  ccclésiaslique  du  YucaLan  qui  s'était 
riHcpié  il  venir  évanfçéliser  les  populations  de  la  côte. 

Le»  Indiens  n'aiment  pas  lï  être  interrogés,  et  c'est  à  grand'- 
pcine  qnii  ^L  W.  Millw  obtint  d'eux  quelques  reuseigne- 
auMits  sur  la  eoiitrée. 

Au  villuKO  de  Clnntculche,  dans  le  sud  de  Santa-Cruz,  vit 
\l\\v  <'olunie  de  bhuud,  dvscoudanls  de  quelques  Espagnols 
é|wn>;iiés  par  les  Indiens. 

l'uur  Irt  (ieonrapluo  ilos  terifs  circumpolaires,  l'an  der- 
nier inscrivait  U»  vii)*^{vi  e\tr.iordinairtf  de  .M.  Nansen  à  tra- 
verii  tottio  In  iMi-^vur  du  Cu-oi>ubnd.  L'énergique  Norvégien 
avtùl  ou  t|Utf  lqu«  »ort«i  mmpu  un  charma  ;  il  avait  vu,  coupé 
d'un  iliiuSirtiiisriuléricur  do  |«  tcnt»  mystérieuse  à  lapéné- 
Irnliou  d»»  lnqutUe  »VUuvjat  «u  vaiu  ]k|>ptkqué$  deprécédeots 
e.vpUtrttlt»ui-»  el  ukO)  |hm  v)«i  moins  eap«lri«s  #•  réossùr. 

M,  N«n>eu,  dt"^  v»u  nMiMUr  «tt Eucoim»»  a  pré8««tiê  «M 
latiuu  k>r(U-t«>ll«  d«  »i.4t  ««y«|i»;  «IW  ii>^>atoqiie  èm 


ET    SUR  LES  PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGHAPHIQUES.     37 

communications  faites  depuis  lors  par  le  voyageur,  à  di- 
verses Sociétés  géographiques,  n'augmentent  pas  sensible- 
ment les  informations  relatives  aux  résultats  de  cette  expé- 
dition. Les  notes  et  observations  recueillies  par  M.  Nansen 
ont  été  livrées  à  des  savants  spéciaux  qui  n'ont  point  encore 
fait  connaître  le  résultat  de  leur  examen. 

M.  Nansen  n'avait  pu  constater,  môme  dans  leurs  grandes 
lignes,  les  traits  principaux  du  terrain  que  recouvre  un 
dôme  de  glaces. 

Contrairement  à  l'opinion  de  quelques  géologues  qui 
n'admettaient  pas  la  formation  de  placiers  sur  toute  la  lar- 
geur d'une  contrée  aussi  vaste  que  le  Groenland,  on  sait 
aujourd'hui  que  ce  continent,  du  moins  dans  sa  partie 
méridionale,  est  cuirassé  de  glace  d'une  mer  ii  l'autre,  et  il 
faut  se  contenter  de  demander  aux  formes  de  l'enveloppe 
des  indications  relatives  à  celles  du  terrain  sous-jacent. 

Sur  les  deux  versants  maritimes,  la  couche  de  glace  qui 
revêt  le  Groenland  s'élève  jusqu'à  un  plateau  uniforme  haut 
de  2,700  h  3,000  mètres.  Ce  revêtement  est-il  le  modelé 
exact  des  lignes  du  sol  groenlandais  ?  D'accord  avec 
le  professeur  A.-E,  Nordenskjold,  M.  Nansen  ne  le  pense 
pas.  Tous  deux  estiment  que  le  sol  peut  être  fort  irrcgulier 
et  accidenté  de  montagnes  dont  les  vallées  sont  remplies 
d'une  glace  compacte  soumise  h  la  pression  des  couches 
supérieures,  sans  cesse  renouvelées  en  même  temps  que 
nivelées  par  les  agents  atmosphériques. 


Le  lot  spécial  de  cette  année,  pour  les  progrès  de  la 
géographie  des  régions  circumpolaires,  est  un  voyage  fruc- 
tueux à  l'archipel  des  Spitzbergen,  accompli  par  un  natura- 
liste allemand,  M.  Kiikenltial,  envoyé  de  la  Société  de  géo- 
graphie deBréme. Monté  surla Berntine, il coniournàit,  vers 
Ifi  milieu  de  mai  l'île  aux  Ours  (Biiren  Kiland),  et  quelques 
Joui'S  plus  tard  il  atteignait  la  baie  Magdalena;  les  glaces  de. 
là  côte  rendaient  impossible  de  gagner  le  détroit  de  Hinlo- 


38  RAPPOnT   SUR   LES   TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

pen  par  le  nord;  la  Herntine  se  dirigea  donc  vers  le  sud, 
doubla  lapoiiileqiii  (erniine  l'île  SpiLzberj,' et  vint  mouillera 
la  b;iie  de  Whule  Point,  Elle  y  demeura  captive  dans  les 
glaces  pendant  onzejours,  consacrés  par  M.  Kiikenlhal  et  son 
adjoint  M.  Wailerà  des  excursions  dans  l'inlérieur  du  pays. 
A  peine  libre,  le  navire  assailli  par  une  tempête  vio- 
lente, se  réfugia  sur  l'un  des  nombreux  îlots  du  Roi 
Louis,  semés  à  l"enti'ée  de  la  baie  Deevie,  appelée  parfois 
Deicrow,  profonde  échancrure  de  l'île  SLans  Foreland  ou 
île  Edge.  Là,  de  nouveaux  assauts  donnés  par  des  lames 
énormes  chargées  de  bloos  de  salace  déterminèrent  le  nau- 
frage dédnilif  de  !a  Bevntiae.  Les  passa;jers  purent  se  réfu- 
gier sur  un  îlot  entièrement  couvert  de  ueige. 

Un  autre  baleinier,  Li  Ci>cilic  Malene,  prit  à  son  bord 
M.  Kukenlhal  dont  le  voyage,  si  mal  commencé,  fut,  dès  ce 
moment,  particulièrement  heureux.  La  côte  sud-est  du 
Stans  Foreland,  les  îles  Ryk  Ys,  dans  l'est  de  cette  terre, 
menèrent  une  première  fois  M.  Kiikenthal  à  la  côte  orientale 
de  la  Terre  du  floi  Charles. 

Revenant  en  arrière,  il  suivit  la  côte  orientale  de  Stans 
Foreland  et  de  l'Ile  Barents  jusqu'aux  îles  Bastian,  peuplées 
d'ours  blancs.  La  navigation  suivante  se  (il  au  sud  de  la 
terre  nord-est^  dont  la  côte  méridionale  semble  devoir  être 
reportée  un  peu  au  sud.  T^ne  deuxième  fois,  la  Cecilie 
Malene  réussit  à  s'approcher,  par  le  sud  et  le  sud-est,  de  la 
Terre  du  Roi  Charles. 

Lapasse  de  Ilinlopen  fut  ensuite  parcourue  jusqu'aux  îles 
For.ster,  par  70°  31'  de  latitude  nord.  A  son  extrémité  méri- 
dionale la  passe  Hinlopen  s'ouvre  sur  le  large  détroit  Olga 
dont  M.  Kukenthal  fit  plus  particulièrement  l'objet  de  ses 
études;  il  pratiqua  des  sondages  et  put,  en  pénétrant  pour 
la  troisième  fois  danslosparagesdelaTcrredu  Roi  Charles, 
trouver  au  sud  de  cet  archipel  une  profondeur  maximum 
de  266  mètres.  La  constatation  d'un  puissant  courant 
maritime  qui  sillonne  du  nord  au  sud  le  détroit  d'Olga  et 


ET    sua   LES   PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQCES.         39 

de»   observations  sur  les  températures  de  l'eau  furent  les 
résultats  de  celle  p.trtie  du  voyage. 

Les  cartes  ont,  jusqu'ici,  marqué  à  TesL  du  Stans  Fore- 
iand  trois  îles  assez  considérables  :  les  Ryk  Ys.  M.  Kiikin- 
(hal  les  a  réduites  à  trois  îlots  très  petits,  couverts  d'une 
▼égétalion  chétive;  en  revanche,  on  y  constate  la  présence 
de  rennes  qui  font  des  trajets  considérables  sur  les  glaces 
prises. 

La  Terre  de  Barents  n'est  pas  plus  riche  que  les  Ryk  Ys 
comme  faune  et  comn^e  flure.  Le  voyage  de  M.  Kiikenthal 
va  obliger  les  gcogr.iphes  à  rnodilier  le  tracé  de   la  cùte 
orientale  du  Slans  F(»reland;  il  a  servi  à  constater,  en  effet, 
que  le  glacier  du  Roi  Jean  s'étend  au  nord,  au  uord-ouest, 
puis  à  l'ouest  et  l'ouest-sud-ouesl;  il  forme,  en  réalité,  le  re- 
bord méridional  d'une  grande  baie  qui  entaille  la  lene  dans 
une  direction  opposée  à  celle  de  la  baieDeevieou  Deicrow. 
A  la  moitié  d'août  fui  effecLuée  une  nouvelle  navigation  aux 
abordsde  laTerredu  Roi  Charles,  pui&  des  masses  déglace 
compacte  ayant  commencé  àal'lluer  du  nord  et  de  l'est,  la 
lempéralure  s'étant  abaissée  brusquement,  d'épais  brouil- 
lards envahirent  l'atmosphère  et  la  Cecilie  Malene  prit  ie 
chemin  du  retour. 

A  plusieurs  reprises  vient  d'être  prononcé  le  nom  de 
Terre  du  Roi  Charles.  La  pointe  occidentale  de  cette  terre, 
le  cap  Suédois,  avait  été  naguère  aperçue  pour  la  première 
fois,  d'une  montagne  située  à  fa  pointe  orientale  de  l'île 
Spilzberg.  Peu  à  peu  les  baleiniers,  puis  M.  de  Htuglin 
vinrent  ajouter  de  nouveaux  éléments  aux  lignes  du  cap 
Suédois,  et  la  dernière  ligure  qui  ail  été  donnée  de  cet 
ensemble  confus  présente  trois  pointes^  dont  l'une  tournée 
à  l'ouest,  les  deux  autres  tournées  à  l'est.  Plus  tard,  en 
1884,  s'ajoutèrent  à  cel  ensemble,  deux  îles  situées  dans  Test 
d«  la  Terre  du  Roi  Charles.  A  partir  de  maintenant  il  semble 
que  désormais  ce  nom  doive  ôlre  changé  en  celui  d'archipel 
ou  îles  du  Roi  Charles.  M.  Kiikenthal,  en  eû'et,  a  pu  s'ap- 


^m 


^^n 


40      RAPPORT  Sun  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

procher  assez  pour  constater  des  parlicularilés  qui  l'ont 
conduit  à  rempiacer  la  notion  d'une  terre  unique  par  celle 
de  deux  îles,  vraisemblablement  de  Irois. 
•  Les  observations  faites  à  bord  ont  circonscrit  d'un  cadre 
de  méridiens  et  de  parallèles  les  points  extrêmes  du  nou- 
veau groupe  d'îles.  D'après  M.  Kiikenthal,  la  pointe  est  de  la 
plus  orientale  des  deux  îles  découvertes  en  1881  ne  serait 
que  l'extrémité  sur  laquelle,  en  \S~^,  avait  débarqué  le  ca- 
pitaine Johnson.  En  réalité,  l'étendue  du  groupe  du  Roi- 
Charles  devrait  être  diminuée  de  huit  degrés  rie  longitude 
dans  la  direction  de  l'est-nord-est.  MM.  Kiikenthal  ptWaI  ter 
ont  rapporté  des  collections  et  des  données  intéressantes 
pour  l'histoire  naturelle,  mais  certainement  aussi,  au  point 
de  vue  géographique,  leur  voyage  prendra  honorablement 
place  dans  l'histoire  de  la  géographie  circumpolaire. 

Plus  d'une  fois,  les  rapports  de  vos  secrétaires  généraux 
vous  ont  exposé  les  tentatives  faites  pour  s'élever  aux  plus 
hautes  latitudes  du  globe,  pour  tenter  l'accès  du  pôleNord. 
Mais  un  dénouement  sinistre  avait  rais  fin,  en  1881,  à  l'en- 
treprise de  ]AJfannelte. 

Le  capitaine  de  Long  et  les  restes  de  son  équipage  dé- 
cimé étaient  venus  mourir  de  froid,  de  fatigue  et  d'épuise- 
ment sur  le  delta  de  la  Lena,  où  ta  temp5te  avait  jeté  les 
embarcations  de  leur  navire  broyé  par  les  glaces,  au  nord 
de  la  Nouvelle-Sibérie. 

L'émotion  causée  par  le  drame  de  la  Jeanvpttp  était  à 
peine  calmée,  quand  les  derniers  survivants  de  l'expédition 
scientifique  des  États-Unis,  envoyée  à  la  baie  Lady  Franklin 
sons  les  ordres  du  lieutenant  Greely,  furent  recueillis 
en  1884,  sur  les  rivages  de  la  terre  Ellesmere,  au  moment 
où  commençait  leur  agonie. 

Ces  deux  événements  avaient  éteint  momentanément  le 
zèle  pour  les  expéditions  au  pôle.  Les  savants  avaient  alors 
sincèrement  pensé,  avec  l'opinion  publique,  que  les  connais- 


ET    SUR   LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES.         41 

sances  acquises  au  prix  du  tant  de  souiïrances,  de  tant 
de  vies  étaient  trop  chèrement  achetées.  Le  temps  un  pas- 
sant sur  ces  scrupules  les  a  notablement  alTaibli»:,  et  Tan 
dernier  a  vu  naître  en  Australie  et  dans  la  Républiquo  Ar- 
gentine des  projets  d'exploration  au.v  abords  du  pôle 
austral;  elles  n'ont  pas  rencontré,  il  est  vrai,  les  dispositioas 
et  le  concours  qui  leur  auraient  été  indispensables. 

Aujourd'hui  M.  Nansen,  soutenu   par  le   généreux  M.  0. 
Dickson,  songerait,  dit-on,  à  prendre  la  routedup<MeNord. 
Elle  a  des  attractions  sigulièrement  puissantes,  cette  région 
qui  se  défend  avec  tant  de  brutale  énergie  contre  les  attaques 
les    mieux   préparées;  elle  est  cepeodant,  par  elle-même, 
absolument  répulsive;  la  nature  y  dort  sous  un  suaire  éternel 
de  brumes,  de  neige  et  de  glace;  parfois  brusquement  dé- 
chiré, il  laisse  entrevoir  des  eaux   sombres,  à  l'aspect  hui- 
leux et  sinistre;  le  soleil  effleure  de  pâles  rayons  les  iminen- 
■sités    mornes  de  la  banquise;  l'ours  blanc,  le  phoque,  le 
morse  et  quelques  rares  oiseaux  fuyant  vers  de  moins  rudes 
climats,  animent  seuls  ce  monde  dont  le  silence  n'est  inter- 
rompu que  par  les  hurlements  de  la  tempête  ou  les  détona- 
tions desglaces  qui  se  fendent,  se  choquent  ets'écrasen  t.  Dans 
les  nuits  sans  lin,  l'aurore  magnétique,  cependant,  vient  de 
tempsàaulre  illuminer  le  paysage  en  inondant  de  ses  lueurs 
d'apothéose  l'édifice  colossal,  bizarre  et  mobile  de  l'iceberg. 
Tout  suggère  la  pensée  d'une  autre  planète  où  l'homme 
ne  saurait  vivre;  l'homme  pourtant  ne  cesse  d'y  aspirer, 
sollicité  par  la  curiosité  ardente,  par  les  séductions   de 
l'inconnu,  par  le  charme  irrésistible  du  mystère. 

La  volonté  humaine,  avec  son  ingénieuse  ténacité,  son 
■ardeur  obstinée  à  ro(retisive,aura  le  dessus  dans  cet  assaut 
contrôles  dernières  elles  plus  redoutables  forteresses  de 
l'inconnu  géographique  :  les  pùles.  Ceux  d'entre  nous  qui 
commencent  la  vie  assisteront  peut-être  à  ce  triomphe. 


La  part  de  l'Asie,  sans  être  tout  à  fait  aussi  abondante 


■42  nAPPonT  sur  les  travaux  de  la  socrÉTÉ 

celle  année  que  l'an  dernier,  n'en  comple  pas  moins  quel- 
ques voyages  fructueux.  Comme  d'habitude,  nous  consta- 
terons que  les  Russes  et  les  Anglais  lu  tient  d'audaoe,  de 
vitesse  et  de  vigueur,  chacun  voul.int  être  le  premier  à 
explorer  les  grandes  vallées,  fi  étudier  les  passes,  à  se 
faire  connaître  el  accepter  par  les  populations  de  l'Asie 
centrale.  C'est  toujours  nus  iiljords  de  l'Afghanistîm  el  du 
Turkestan  orienlal,  dans  cette  l'égion  où  se  rejoignent  de 
puissantes  monla{;nes  et  les  frontières  de  puissants  em- 
pires, que  les  voyageurs  russes  et  anglais  portent  leur 
enquête  el  s'efforcent  de  se  devancer. 

Dirigeons-nous  vers  l'Asie  centrale  en  mentionnant  d'abord 
les  récentes  explorations  dans  les  parties  du  continent  les 
plus  voisines  de  notre  Europe. 

Un  voyageur  français,  M.  A.  Dellers,  bien  préparé  à  la 
tâche  toujours  difficile  de  visiter  l'Arabie,  a  public  réeem- 
mentles  résultats  du  voyage  qu'il  accomplissait  en  1887  dans 
IcYemen,  l'ancienne  Arabie  Heureuse. 

M.  A.  Dellers  étant  botaniste,  c'est  à  la  botanique  qu'est 
plus  spécialement  consacré  son  ouvrage:  Voyage  au  Yemeni 
joufrial  tVune  excursion  botanique  dans  les  montagnes  de 
FArabie  Heureuse.  Toutefois,  la  géographie  trouve  d'excel- 
lents éléments  dans  l'œuvre  de  M.  Dcflers,  à  laquelle  mal- 
heureusement fait  défaut  la  carie  établie  p.irie  voyageur. 

L'itinéraire  dn  voyage  part  de  Hodeidah  pour  s'élever 
jusqu'à  Çan'à  par  la  route  habiluelle.  Autour  de  Çan'â, 
M.  A.  Dellers  a  fait,  à  l'est,  une  excursion  en  terrain  neuf, 
au  Djebel  Nougonm;  il  a  visité,  au  nord  et  à  Touest,  après 
l'Anglais  Miiliniren,  les  localités  de  Hamdân  el  Kaoukabàn. 
Enlre  Çan'â  et  Ta'ez  il  s'est  écarté  de  la  route  suivie  par 
Niebuhr,  pour  loucher,  dans  l'ouest,  le  village  de  Maber, 
ce  qui  prête  de  la  nouveauté  et  par  conséquent  un  surcroît 
d'intérûl  à  ses  observations  sur  un  tiers  environ  du  trajet 
entre  ces  deux  villes.  Sa  longue  excursion  à  l'cstde  Ta'ez  par- 


BT   SUR   LES   PnOGnÈS   DES   SCIENCES  GÉOGRAPIIIQCES. 

court  un  terrain  inexploré,  et  ses  observations  sur  les  pentes 
du  Djel>el  Saber  ajoutent  quelque  chose  à  celles  de  Botta 
qui  avait  atteint  le  sommet  de  ce  massif.  De  Ta'ez  h  Beït-el- 
Fagih  noire  voyageur  a  repris  l'ilinéraire  de  Niebuhr;  mais 
plus  loin,  de  Beïl-el-Fiigîh  à  Hodeïilah,  en  passant  par 
Derheïnn,  le  terrain  n'avait  pas  été  levé. 

M.  Detlers  a  fait  neuf  tours  d'iiorizon,  ainsi  que  des  ob- 
servations suivies  dti  biiromèlre  et  du  thermomètre;  il 
donne  les  cotes  d'altitude  oblenues  par  ses  observations 
doDl  il  a  publié  les  éléments,  ce  qui  permet  de  contrôler  la 
valt^ur  de!!.on  travflil.  On  n'a  pas  eu  les  mômes  g.iran lies  pour 
les  altitudes  publiées  par  MM.  Manzoni,  Glaser  et  le  colo- 
nel Haig.  Les  résultais  déduits  des  observations  de  M.  Deflers 
donnent  des  chiffres  inférieurs  à  ceux  de  M.  E.  Glaser  et 
de  M.  R.  Manzoni. 

Avec  le  relief  du  sol  M.  Deflers  précise  les  caractères  de 
la  flore  du  Yemen  dans  un  catalogue  raisonné  de  502  plan- 
tes indigènes  et  de  91  plantes  cultivées  qu'il  a  récoltées  ou 
otïservées.  Le  Yemen  possède  beaucoup  d'espèces  végétales 
qaî  lui  sont  propres  ou  du  moins  qui  n'avaient  pas  encore 
élé  trouvées  ailleurs,  et  les  espèces  nouvelles  sont  nom- 
breuses dans  l'herbier  rapporté  par  le  voyageur  français. 
Une  partie  assez  nolabJe  de  ia  tlore  de  l'Arabie  Heureuse 
présente  des  analogies  avec  la  flore  de  l*Elhiopie,  la  voisine 
africaine  du  Yemen  ;  mais,  ce  qui  paraîtra  plus  étrange,  elle 
a  quelques  points  de  contact  botaniques  avec  les  flores  dtt 
Sah<ara  central  et  des  îles  Canaries. 


M.  E.  Glaser,  un  voyageur  allemand  déjà  connu  par  de 
fructueuses  explorations  accomplies  dans  la  péninsule  ara- 
bique en  1883,  1884,  1885  et  188G,  a  parcouru  en  1888  le 
chemin  d'.\deu  à  Çan'à  et  visité  l'ancienne  Saba,  Marib, 
autour  de  laquelle  il  a  fait  une  moisson  admirable  par  la 
quantité,  comme  par  la  valeur,  d'inscriptions  relatives  à  la 
plus  ancienne  histoire  des  peuples  d'Arabie,  sans  compter 


44  RAPPORT   STjn  LES  TRAVAUX   DE  LA   SOCIÉTÉ 

les  inforniiilioDs  géographiques  et  ethnographiques  recueil- 
lies au  cours  de  ce  voyage  elfectué  dans  des  conditions  ex- 
trêmement périlleuses. 

M.  E.  Glaser  se  faisait  passer  pour  un  musulman  homme 
de  science,  mû  parl'inlenliond'aller  reconstruire  le  fameux 
réservoir  dont  la  rupture  fut  la  ruine  de  Marib. 

Avec  l'aide  du  gouverneur  turc  du  Yemen,  qui  paraît 
n'avoir  pas  ignoré  la  véritable  qualité  du  voyageur,  M.  Glaser 
a  gagné  sans  diftlcullé  Marib  et  à  force  de  patience,  de  sang- 
froid  et  d'audace,  il  a  réussi  à.  copier,  soit  dans  la  ville,  soit 
dans  des  localités  avoisinantes,  la  plus  riche  collection  de 
textes  épigraphiques  qui  ait  eacore  été  mise  à  la  disposi- 
tion des  éludes  sahéennes,  La  lecture  de  ces  inscriptions 
amènera,  parail-il,  une  transformation  dans  l'histoire  de 
l'Arabie,  dont  elle  reculera  les  limites  bien  au  delà  des  temps 
reconnus  jusqu'à  ce  jour. 

Les  éléments  géographiques  dus  à  ce  voyage  perraellroat 
à  M.  Glaser  de  dresser  une  carte  à  grande  échelle  du  pays 
qu'il  a  visité.  Ce  précieux  document  que  les  géographes 
attendent  avec  impatience  paraîtra  dans  un  volume  qui,  sous 
le  titre  de  Saba,  donnera  les  résultats  du  dernier  voyage  de 
M.  Glaser. 

Depuis  quelques  années  le  gouvernement  prussien  a  fait 
entreprendre  dans  l'Asie  Mineure  des  recherches  dont  l'ar- 
chéologie et  la  géographie  historique  ont  largement  profité. 
C'est  ainsi  qu'après  les  fouilles  de  Troie  et  d'Assur  ont  été 
e.Tcécutées,  de  1881- à  1885,  cellfis  de  l'ergame  dirigées  par 
M.  M.  Schuchardt  et  Humann,  puis  en  188G  celles  d'.^egse, 
l'antique  colonie  étéenne,  aujourd'hui  Namroud-Kaleh. 
Plus  tard  viendront  l'cnquôte  sur  les  ruines  de  Sardes,  puis 
l'étude  des  monts  Tmolus  et  la  recherche  des  restes  de 
Tmolus,  cité  enterrée  par  un  tremblement  de  leire  dans 
les  premières  années  de  l'ère  chrétienne. 

Pour  le  présent  voici  un  beau  travail  accompli  sous  les 


M 


ET   SUn  tES   PROOnÈS  DES  SCIENCES   OÉOCIUPHIQUES.         45 

auspices  de  l'Académie  des  Sciences  de  Berlin,  par  le  ca- 
pitaine d'élal-nîajor  W.  von  Diest,  avec  la  collaboration  du 
Ueulenant  Olfried  de  Karolath-Schùinatch. 

Il  consiste  en  une  étude  archéologique  et  lopographiquc 
de  la  région  dont  Petgamos  fut  ta  capitale,  c'esl-à-dire 
du  territoire  que  baignent  le  Bakyr-ïschaï  et  l'IIermos, 
CeUe  élude  s'est  continuée,  à  travers  la  Phrygie  et  la  Bithy- 
Die,  par  un  itinéraire  jusqu'à  Ainasia,  l'ancienne  Amasais, 
>Qx  rives  de  lu  mer  Noire.  Sur  la  roule  parcourue  s'élève  le 
Dindymus,  le  Mourad-Dagh  des  Turcs,  massif  dont  te  point 
culminaiiL  se  dresse  à  l'altitude  de  !2,500  mètres  et  dont 
les  eaux  s'écoulent  sur  plusieurs  points  de  l'horiKon. 

L'étude  do  M.  W.  von  Diest,  consignée  dans  un  supplé- 
ment des  Mitteiiiingi'n  de  Golba,  n'est  pas  de  celles  qu'on 
peut  analyser,  tant  elle  renferme  d'éléments;  mais  il  im- 
porte de  faire  ressortir  que,  précieuse  pour  la  géographie 
ancienne,  elle  ne  l'est  pas  moins  pour  la  géographie  physi- 
que d'une  contrée  à  laquellel'avenir  réserve  sans  nul  doute 
une  brillante  résurrection. 

Le  Karoun,  qui  se  jette  au  fond  du  golfe  Persique,  à  l'est 
des  cours  réunis  de  l'Euphrate  et  du  Tigre,  est  l'unique  fleuve 
de  la  Perse  qui  soit  navigable  sur  un  parcours  assez  consi- 
dérable. 11  a  pris,  en  ces  derniers  temps,  une  importance 
exceptionnelle  par  le  fait  que  le  shah  de  Perse  a  permis  au 
commerce  étranger  de  pénétrer  par  cette  voie  dans  ses  Etals. 
La  \allce  du  Karounaété  visitée,  en  1888,  parleD'Hodler, 
chargé  d'une  mission  géologique  en  Perse.  De  Sultanabad, 
il  traversa  les  districts  de  Djapelak  et  de  Serabend,  et  at- 
teignit le  Chuturun  Kuh,  haut  de  3,.^00  métrés,  d'ott  la  vue 
s'étend  sur  toute  la  parlie  montagneuse  du  Lauristan.  La 
défection  de  ses  guides  l'ayant  empoché  de  poursuivre  sa 
Dvarche  au  nord,  il  dut  se  rabattre  sur  Ispahan.  Puis,  sui- 
vant les  pentes  orientales  du  Zehnde  Kuh,  il  put  franchir  la 
ligne  de  faite  entre  le  bassin  du  Karoun  et  celui  de  Zaiende 


46  HAPPORÏ   SUR   LES  TRAVAUX   DE   LA    SOCIÉTÉ 

Kuii,  el  remontant  sa  branche  supérieure  il  atteignit 
Mahal  d'où  l'expédition  regagna  le  Feridan  et  l'Irak.  Ce 
voyageur  a  conDrmé  en  tous  points  les  descriptions  l'our- 
nies  par  M.  LolLus. 

Par  les  communications  toujours  nettes  et  pleines  d'inlé- 
Têlde  t'unde  nos  collègues  les  plus  éminents,  M.  Vtnioukof, 
■qui  fut  lui-même  un  grand  voyageur  dans  l'Asie  centrale, 
•la  Société  est  tenue  infornaée  deraclivité  des  t'xploraleuis 
russes.  Nous  avons  su  ainsi  que  le  colonei  Picvlzuir,  déjà 
connu  par  des  travaux  géogiaphiques  en  Mongolie,  avait 
hérité  de  la  lourde  maia  honorable  tâche  de  continuer  les 
explorations  entreprises  par  le  regretté  Prjévalski;  que 
M.  Scassy,  compagnon  de  vûyaj;e  de  M.  Potanine,  a  exécuté 
des  levés  lopographiques  et  des  observations  astrono- 
miques dans  ies  parties  de  l'empire  chinois  vois^ines  des 
sources  du  fleuve  Jaune,  du  Koukou-Nor,  des  monts  Khan- 
ghaï;  queMM.Koulberget  Gedeonof  avaient  respectivement 
exécuté  des  observations  magnétiques  et  des  observations 
astronomiques  sur  les  frontières  de  l'Afghanistan  ;  que 
M.  Iloudnef  a  levé  de  grandes  étendues  de  terrains  dans 
la  partie  orientale  du  Bonkhara  ;  que  M.  Alexandrow  a 
également  levé  une  partie  de  la  région  du  TbianSlian; 
que  le  capitaine  lloburowski,  attaché  à  la  mission  du 
colonel  Pievtzoïr,  rapporte  de  précieux  documents  topo- 
graphiques  sur  le  pays  entre  l'issik  Koul  et  Yarkand; 
que  M.  Bogdanovitch,  en  rejoignant  la  mission  Pievizofl", 
avait  parcouru  tes  montagnes  qui  séparent  les  plaines  du 
Turkeslan  chinois  des  hauts  platoaux  du  Pamir;  que 
M.  Yadrintzof  a  parcouru,  étudié  au  point  de  vue  arcliéo- 
logique,  le  nord  de  la  Mongolie-  La  Société  espère  que  les 
relations  de  ces  divers  voyages  viendront  enrichir  sa  biblio- 
thèque el  apporteront  aux  travailleurs  qui  lu  fréquentent  de 
nouveaux  éléments  pour  la  connaissance  de  l'Asie  cen- 
■trale. 


i 


ET    SUn  LES   PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.       47 

Le  Pamir,  forteresse  de  Titans,  est  défendu  de  tcus  côtés 
par  des  bastions  énormes,  entassement  de  montagnes  que 
sillonnent  des  fossés  profonds,  lits  d'impétueux  cours 
deau.  L'accès  de  la  place  n'est  possible  que  par  des  cols 
perdus  dans  les  nues.  Depuis  quelques  années,  cependant, 
on  sait  que  les  explorateurs  ont  réussi  à  prendre  possession 
4e  cette  région  si  bien  défendue. 

La  géographie  disposera  prochainement  des  résultats  du 
Tùyage  accompli  par  le  capitaine  Grombchevski,  de  l'armée 
russe,  dans  les  massifs  enchevôlrés  qui  bordent  5  l'est  le 
Toit  du  monde,  l'âpre  Pamir. 

Ce  voyage  a  en  comme  terme  extrême  au  sud  les  vallées 
du  Kandjouteet  du  Raskem  encaissées  dans  les  contreforts 
du  Moustaj^h  et  de  cette  chaîne  de  Karakorum  dont  les 
versants  méridionaux  regardent  la  vallée  de  l'Indus,  les 
possessions  britanniques.  Le  voyageur  russe  a  atteint,  à 
peu  de  dislance  près,  le  terrain  parcouru  en  1887  par  le 
voyageur  anglais  Younghusband. 

Le  voyage  de  M.  Grombchevski  nous  avait  été  signalé 
comnae  fort  impnilant  par  nos  collègues  MkM.  Venioitkof  et 
Capus.  Nous  savons  aujourd'hui  qu'il  rapporte  à  !a  science, 
outre  des  collections  variées,  le  levé  d'un  itinéraire  de 
1,500  kilomètres,  des  délGrininationsde  latitude  au  nombre 
de  44,  les  cotes  d'altitude  de  iîJS  points  judicieusement 
choisis,  des  observations  raétéorologiqui's  faites  trois  fois 
par  jour  pendant  tout  le  voyage  qui  a  duré  quatre  mois. 


En  1888,  le  célèbre  explorateur  russe  Prjévalski  mourait 
à  Karakul,  au  sud-est  du  lac  Issik-Koul.  De  celle  localité, 
désormais  appelée  Prjévalsk,  parlait  le  J3  mai  188'J  le  co- 
lonel PievtzofT,  chargé  de  continuer  l'œuvre  de  l'éminenl 
général  Prjévulski.  M.  Pievlzotl"  n'est  pas  un  nouveau  venu 
daoâ  l'Asie  centrale;  il  a  déjà  exploré  la  Dzoungarie  en  1876, 
la  Mongolie  et  pendant  les  deux  années  suivantes,  les  pro- 
tiuce^  seplentrionalcs  de  la  Chine.  11  a  pris  part  aussi,  en 


48  RAPPOllT   Sun   LES  TRAVAUX  DE   LA  SOCIÉTÉ 

488:2-1883,  à  la  délimitalion  de  la  frontière  russo-chinoise 
du  côté  de  Semipalatinsk.  Il  parle  le  chinois,  et  le  général 
l'rjévalski  eut  souvent  recours  aux  conseils  du  chef  actuel 
de  la  mission. 

Outre  le  colonel  Pievtzoff,  l'expédilion  comprend  trois 
comiJii gnons  du  général  Prjévalski  (MM.  lloborovski,  lîozlov 
et  liogdanovilch),  deux  interprètes,  un  préparateur  d'his- 
toire naturelle  et  une  escorte  de  douze  hommes.  L'explora- 
tion qui  durera  deux  ans,  sera  limitée  à  la  partie  nord-ouest 
du  Tihel,  jusqu'au  33*  degré  de  latitude  nord. 

Des  rapports  sommaires  adressés  par  le  lieutenant  Rûbo- 
rovski  ont  permis  de  suivre  les  premiers  travaux  de  l'expé- 
dition depuis  son  départ  de  Prjévalsk,  jusqu'au  30  octobre 
de  l'année  dernière;  à  celle  date,  les  voyageurs  étaient  arri- 
vés à  Nia,  localité  située  à  l'entrée  nord-ouest  du  Tibet  et 
à  l'est  du  Kholan;  c'est  à  Nia  qu'ils  devaient  passer  l'hiver. 

Dans  celte  première  partie  de  son  trajet,  la  mission  a  tra- 
versé uu  espace  d'environ  GÛO  kilomètres,  à  vol  d'oiseau; 
elle  a  exploré  en  partie  les  monts  Terskey-taou,  le  Sirtj 
haut  plateau  de  plus  de  3,000  mètres  d'aitilude  et  d'une 
étendue  considérable  de  l'est  à  l'ouest;  elle  a  pu  étudier 
aussi,  en  partie,  divers  cours  d'eau,  notamment  la  Touch- 
kan-Daria  au  nord,  la  Yarkend-Daria  au  sud;  les  voyageurs 
ont  longé  celte  dernière  rivière  jusqu'à  la  ville  de  Yarkend. 

Les  bal  les  forcément  prolongées  à  travers  un  pays  inconnu 
et  par  une  température  très  élevée  ont  toujours  été  em- 
ployées en  excursions  dans  les  alentours, 
j  Une  des  plus  importantes  de  cesexcui-sionsa  été  faiteen 
Kachgarie  par  M.  Bogdanovilch,  géologue  de  l'expédition. 
Le  but  en  était  l'étude  orographique  de  la  partie  occiden- 
tale du  Kuen-Lun.  La  caractéristique  de  ces  montagnes  est 
la  forme  demi-circulaire  des  chaînes  dont  la  direction,  du 
moins  pour  la  région  explorée,  est,  dans  la  partie  orientale, 
nord-ouest-sud-est.  Ce  double  caractère  de  l'orographie  se 
retrouve  aussi  dans  l'extrême  division  des  chaînes  séparées. 


KT    SOH   LES   PROGRÈS   DES   SCIENCES  GÉOGKAPIIIQCES.         49 

On  ne  peut  pas  toujours  évaluer  l'élendue  des  chaînes,  car 
les  montagnes  présentent  en  divers  endroits,  comme  celles 
qoi  s'élèvenl   à  l'est  de  Tiikht:i-koroum,  des   groupes  de 
pics  et  de  sommets  entre  lesquels  il  est  impossible  de  sai- 
sir un  lien  orographique.  C'est  peiil-êlre  une  des  raisons 
pour  lesquelles  les  massiTs  ne  portent  pas  de  noms  spéciaux 
chez  les  indigènes.  Ceux-ci  les  désignent  d'après  les  noms 
•les  rivières  ou  des  localités  les  plus  voisines. 
A  l'est  du  Takbta-koroum,  les  vallées  sont  transversales 
'  se  resserrent  en  étroits  défilés.  L'œil  n'aperçoit  que  des 
jiics  dominant  des  groupes  de  snmmets  neigeux;  k  neige 
couvre  rarement  une  chaîne  loule  entière.  A  l'ouest  pour- 
tant, avec  le  changement  de  direction  en  norfl-ouest-sud- 
esl,  l'aspftct  général  des  montagnes  change  aussi.  Les  rivières 
Tcboup  et  Kouliiiagal  coulent  à  travers  des  vallées  longitu- 
dinales  dominées  par  les  chuines  neigeuses  de  Kouloum- 
bagla,  TakhtH-koroura  et  Kokelan.  C'est  le  Takhla-koroum 
i\m  Tornie  le  partage  d'eau  entre  les  bassins  de  la  Ti^nab  et 
des  affluents  de  la  Yarkend-Daria,  Au  sud-est  de  ces  mon- 
laffiies,    les  chaînes    détachées   dispaiats^eat  entièrement. 
Ja&qu'à  Yanghi-Davan  la  région  affecte  la  forme  d'un  massif 
neigeux  élevé;  il  alimenlii  les  sources  de  la  Tiiriab  et  les 
affluents  droitsde  la  Yarkend. La  haute  chaîne  d'Arpavache- 
i.eul  être  considérée  comme  le  prolongement  du  soulè- 

-lit    du  Kuen-Luen  occidental.    C'est  à.  travers  cette 

branche,  par  le  col  de  Kilian,  que  passe  la  grande  route  de 
l'Inde. 

Dans  une  exploration  dont  l'itinéraire  se  confond  parfois 

avec   celui  du  capitaine  Grombchevski,  M.  Groum-Grshî- 

.."îi»  avait  visité  en  18K1  le  lac  Harig-Koul,  avait  franchi 

:  a.sh-Kouigan   et  continué  sa  roule  le  long  du   cours 

supérieur  du  Yarkend-Daria,  à  travers  le  Moùslagh  et  les 

lifiailions  du  Karakarum.  Puis,  par  le  col  de  Benkou  il 

*Uil  revenu  dans  la  vallée  de  l'Aksou.  Obligé  de  renoncer 

'  soc.    Df.  GÉOGU,  —  1"  TBIMESTIIE   1890.  ï(.  —  4 


50  UAri'OUT  SDR   LES  TRAVAUX   DE    LA  SOCIÉTÉ 

à  son  projet  de  visiler  le  Wakhan,  il  avait  pris,  pour  revenir 
au  nord,  la  route  la  plus  directe. 

Les  lev6s  lopogiap]iiques  qu'il  a  exécutés  couvrent  une 
irès  grande  étendue  de  pajs  el  seront,  combinés  avec  ceux 
de  M-  Grombchevski,  d'un  précieux  secours  pour  la  carto- 
graphie de  l'Asie  centrale.  Plusieurs  chiffres  d'altitude  indi- 
qués précédeniment  ont  pu  ûlre  reclifié.s,  une  vingtaine  de 
nouvelles  déterminations  sont  venues  s'ajouter  aux  données 
antérieures.  M.  Groum-Grshimailo  a  découvert,  en  outre, 
des  glaciers  à  l'origine  de  l.i  rivièreTagarma,  el  fi\é  les  prin- 
cipaux traits  de  la  partie  occidentale  de  la  chaîne  du  Kara- 
korum. 


Presque  à  la  veille  de  ta  lecture  de  ce  rapport,  la  Société 
a  été  informée  du  succès  d'un  important  voyage  accompli 
par  l'un  de  nos  collègues,  M.  Dauvergne,  un  intrépide  chas- 
seur qui  réside  au  Kashmir. 

11  ne  s'agissait  de  rien  moins,  dans  le  projet  réalisé  par 
M.  Dauvergne,  que  d'une  sorte  de  périple  embrassant  les 
frontières  vaguement  déterminées  de  l'Inde  etdesTuikestan 
chinois  et  afghan.  M.  Dauvergne  sait  que  la  vie  d'un  homme 
compte  pour  fort  peu  parmi  les  peuples  sauvages  réfugiés 
ou  refoulés  dans  le  massif  colossal  qui,  bordé  par  les  Hima- 
laya et  les  Tsoung-Ling,  s'appuie  sur  riIinilou-Koush,  et  dont 
les  immenses  glaciers  sëpareuL  les  aflluents  septeulrionaux 
de  rindus,  des  sources  de  la  rivière  Yarkend  et  de  celles  de 
rOxus. 

Du  Kashmir  il  se  rend  au  Ladiik,  d'où  il  marche  droit  vers 
le  nord,  franchit  le  col  de  Karakoroum,  traverse  les  sources 
de  la  rivière  de  Yarkend  et  s'avauce  dans  le  Turkestan  chi- 
nois jusqu'à  Kilian  ;  lu,  tourtiant  brusquement  à  l'ouest,  il 
suit  une  ligne  de  marche  tout  à  fait  nouvelle  sur  le  ver- 
saiU  nord  des  Tsoung-ling.  A  partir  de  Kilian,  il  n'a  pas  ■ 
franchi  moins  de  douze  cols  d'une  hauteur  de  3,GÛ0 
à  4,500  mètres   avant    d'atteindre    la  rivière  Zerafchan, 


ET   son   LES   PROGBÉS  DES   SCIENCES    GÉOGRAPUIQCES.       51 

qu'il  Imversa  et  remonta  jusqu'à  son  coufluenl  avec  la 
TouDg. 

En  parfaite  connaissance  de  cause,  M.  Dauvergne  recLifie 
l'hypothèse  qui  faisait  de  celle  rivière  un  al'iluerit  du  Tash 
Kourgan  ;  il  en  a  remonté  la  vallée  jusipi'au  pied  du  Kotli- 
Eandar.  Profondément  encaissée  entre  les  ûancs  à  pic  des 
monts  Arpalalik  et  Kandar,  la  vallée  delà  Toung  est  dou- 
blement remarquable  et  par  son  climat  et  par  sa  popu- 
lation. La  neige  y  est  inconnue  en  hiver  ut  le  climat  y 
permet  les  culUnes  et  les  fruits  des  pays  Lempérés.  Mais  qui 
se  serait  attendu  à  rencontrer  ici  des  purs  Aryens?  Très 
blancs  de  peau,  blonds,  aux  yeux  bleus,  d'une  haute  taille, 
arec  une  belle  et  intelligente  physionomie,  les  habitatils  de 
la  •vallée  de  la  Toung  réalisent,  écrit  M.  Dauvergne,  un  type 
qui  nous  ferait  honneur  en  Fratice. 

Du  col  de  KoUi-Kandar  (5,030  mètres)  M.  Dauvergne 
descendit  chez  les  Sarikoli  que  surveille  le  fort  de  Tash- 
Kourgan. 

NoD  moins  nouveau  que  le  précédent  est  l'itinéraire  de 
M.  Dauvergne  dans  les Tagh-Uoumbach,  entre  Tasli-Kouigan 
cl  ia  source  de  l'Oxus,  par  la  rivière  Karachmakar  et  le 
campement  de  Kuklhrup,  au  pied  des  cols  de  Min-Teke  et 
Kilik,  hauts  de  4,250  mèlres. 

Malgré  la  neige  et  un  froid  intense  (on  était  le  "le  sep- 
tembre et  l'équinoxe  se  fait  rudement  sentir  diins  ces 
régions),  M.  Dauvergne  franchit  le  nœud  des  Tsoung-ling  et 
de  l'Hindou-Koush  par  le  col  de  Wakjdé,  au  sommet  duquel 
et  à  l'altitude  de  4,725  mèties  est  un  petit  lac  sans  is.suc 
dont  les  eaux  doiveni,  par  iiilillration,  former  la  rivière  de 
Korachimkar.  Sur  le  versant  sud-ouest  s'étendent  trois 
énormes  glaciers  donnant  naissance  à  une  rivière  que 
M.  Dauvergne  suivit  pendant  environ  cent  kiïomèlres  vers 
l'ouest  etquiy  d'après  lui,  serait  la  principale  source  de  la 
rivière  de  Kila-pandja  ou  de  Wakan  à  laquelle  il  restitue  le 
Qooi  d'Oxus,  comme  étant  beaucoup  plus  importante  que 


52      EAPPOHT  Sun  LES  TBATArX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

le  Mourgab  ou  Aksou  reconnu  parlai  lors  de  son  précédent 
voyage. 

Ayant  vainement  attendu  pendant  cinq  jours  une  réponse 
à  une  demande  faite  par  lui  au  gouyernemenl  afgan  de  Kila- 
panja,  pour  être  autorisé  à  traverser  t'Hindoii-Koush  par 
le  col  rie  Daroghîl,  il  Torça  le  blocus  le  sixième  jour;  mais, 
cerlain  d'ôlre  poursuivi  sur  la  roule  de  Baroghil  el  de  Mas- 
toudj,  il  prit  au  sud-est  la  route  d'ishkanian  [jar  le  col,  le 
lac,  les  glaciers  et  la  vallée  de  Karambar,  pour  aboutir  à  la 
rivière  de  Gilgil. 

Il  cul  bienlût  devant  lui  une  colossale  muraille  blanche, 
haute  de  6,000  à  7,000  mètres,  l'Hindou-Koush  dans  le- 
quel, malgré  sou  expérience,  le  guide  égara  fa  caravane  au 
milieu  des  champs  déneige  où  les  chevaux  enfonçaient  jus- 
qu'au ventre.  Après  deux  jours  d'une  marche  à  laquelle 
une  tourmente  de  neige,  un  vent  de  tempête  et  un  froid 
sibérien  opposèrent  de  terribles  difficultés,  il  fîillui  camper 
près  d'un  glacier  qui  barr.iil  la  route.  C'était  là  une  dure 
nécessité,  mais  du  moins  M.  Dauvergne  était-il  hors  de 
l'atteinte  des  Afghans. 

Le  jour  suivant  commença  la  recherche  d'un  passage, 
pour  la  caravane  et  les  chevaux,  à  travers  le  glacier  formé 
d'une  succfibsiou  de  pyramides  de  glaces  rouvertes  et  reliées 
par  des  amas  de  neige.  Au  loin  le  voyageur  crut  apercevoir 
des  habitations,  mais,  à  la  (in  de  la  journée,  il  reconnut 
qu'il  était  en  présence  d'un  énorme  rocher.  Par  bonheur, 
non  loin  de  là  un  bois  de  sapin  abrita  tant  bien  que  mal 
M.  Dauvergne  pour  la  nuit. 

Le  lendemain  au  soir  il  était  rejoint  par  le  reste  de 
l'escorte  qui,  laissé  en  arrière,  avait  dû  faire  des  prodiges 
d'énergie  pour  transporter  bagages  el  chevaux  à  travers  les 
glaciers. 

Enfin,  après  trois  journées  de  marche  également  labo- 
rieuses sur  un  terrain  composé  de  rtjches  arrondies  et  de 
galets  recouverts  de  neige,  la  caravane  contournant  un  ciu- 


ET   son   LES    PROGRÈS  DES    SCIENCES   GÊOGHAPHIQCES        53 

quième  glacier,  arrivait  sur  le  petit  plateau  de  Boklit.  On  y 
revoyait  des  troupeaux,  deus  petites  huiles  en  pierres  et 
quelques  champs  cnltivés  par  deux  familles  de  Chilralr. 
C'était  le  retour  à  la  civilisation,  au  bien-être,  après  un 
vorage  extraorrJinairement  rude  dont  la  réussite  fait  grand 
honneur  à  noire  compatriote  et  collègue. 

La  connaissance  complète  du  voyage  de  M.  Dauvergne 
apportera  à  la  géographie  de  l'Asie  centrale  un  sérieux  con- 
tingent de  faits  nouveaux  et  utiles  pour  la  géographie  de 
contrées  tourmentées,  difficiles  à  étudier,  mais  d'un  grand 
intérêt. 

Me  quittons  pas  le  centre  de  l'Asie  sans  nous  rappeler 

que  trois  explorateurs  français  en  visitent,  à  l'heure  qu'il 

est,  dps  régions  d'un  parcours  pénible,  dangereux  même. 

Aux  premiers  jours  de  cette  année  partait  pour  la  Chine 

M.  Joseph  Martin,  avec  le  projet  de  se  diriger  de  Pékin  sur 

Lan-Tchéou,  à  travers  les  plateaux  encore  peu  connus  du 

Dord  de  la  Chine.  De  Lan-Tchéou,  il  mjtrcherait   diins  la 

direction  du  Koukou-Nor,   puis   prendrait  la  direction  du 

sud-ouest,  avec  l'intenlion  de  pénétrer  au  cœur  du  Tibet, 

peut-être  avec  l'arrière-pensée  de  parvenir  à  L'Hassa.  Le 

proverbe  de  la  coupe  et  des  lèvres  vient  ici  à  la  pensée  de 

tous  ceux  qui  connaissent  les  obstacles  dont  est  semée  la 

réalisation  d'un  tel  projet.  Mais  M.  Joseph  Martin  est  doué 

d'une    rare   énergie;  aussi    tenace    que   modeste,  il  sait 

voyager  dans  les  conditions  îes  moins  favorables,  et  ce  qu'il 

a  fait  nous  permet  de  bien  augurer  de  ce  qu'il  fera. 

Vers  le  Tibet  également  s'avance  M.  Bonvalot,  en  com- 
pagnie du  prince  Henri  d'Orléans.  Aux  dernières  nouvelles, 
ils  avaient  gagné  Kourlaï;  ils  doivent  maintenant  avoir  dé- 
jjassé  la  région  du  Lop  Nor  et  s'être  engagés  dans  les  séries 
de  montagnes  d'où  descendent  les  deux  grands  fleuves  cbi- 
■ois.  Ils  se  proposaient  de  regagner  la  presqu'île  iudo- 
cbiaoise  en  suivant  l'un  des  couloirs  encaissés  qui  donnent 


54 


nAPPOnT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIETE 


issue  à  la  Saîouen,  au  Mékong   et  au  Yang  Tsé  Kiang. 

La  Société  de  Géographie  voudra  envoyer  d'ici  aux  trois 

voyageurs  l'expression  de  ses  vœux  de  réussite  et  de  ses 

syrapalhies  les  plus  cordiales. 

Une  letitalive  relativement  heureuse  pour  aborder  le 
Tibet  a  été  faite,  en  1888-1889,  par  M.  Woodwiil  Uockhill, 
ancien  premier  secrétaire  de  la  légaliou  des  États-Unis  à 
Pékin.  Sa  connaissance  des  langues  chinoise  et  tibétaine 
n'a  pas  peu  contribué  à  rendre  possible  ce  voyage.  L'iti- 
néraire de  M.  W.  Rockhill  a  Pékin  pour  point  de  départ; 
traverse  le  Shansi  et  le  Shensi,  gagne  le  Koukou-Nor,  con- 
tourné les  rives  septentrionales  de  ce  lac,  visite  la  Tsaïdara 
et  redescend  sur  le  sud-sud-est  pour  gagner  la  Chine  en 
traversant,  sur  territoire  tibétain,  les  hantes  l'égions  sil- 
lonnées par  les  longs  fleuves  de  la  Chine  et  de  l'Indo- 
Chine.  Il  a  dû  parcourir  avec  beaucoup  de  rapidité  et  en  se 
dissimulant,  cette  dernière  partie  de  sa  route,  car  si  la 
population  n'est  généralement  pas  hostile  aux  étrangers, 
en  revanche  les  lamas  leur  interdisent  rigoureusement 
l'accès  du  pays. 

11  n'est  guère  possible  d'apprécier  le  voyage  de  M.  Rockhill 
avant  de  le  connaître  dans  ses  détails,  mais  il  sén)ble  diffi- 
cile que  la  carte  des  pays  dans  lesquels  il  s'est  accompli  n'y 
gagne  pas  des  données  précieuses  pour  établir  l'accord  entre 
les  documents  chinois  et  les  itinéraires  des  divers  voyageurs 
qui  ont  abordé  le  terrain  parcouru  par  l'entreprenant  voya- 
geur américain. 


L'Iraouady  birman  reçoit,  sur  sa  rive  droite,  une  rivière 
plus  longue  que  la  Loire,  la  Kindwin,  qui  descend  des  monts 
Palkoï. 

Ce  cours  d'eau  dont  le  tracé  avait  été  établi  tout  d'abord 
à  l'aide  de  renseignements  recueillis  par  le  colonel  Sir  Henry 
Yule,  puis  par  des  informations  dues  à  la  navigation  com- 


LES    rnOGRÈS   DES   SCIENCES   GÉOGR.VrHItjrKS.       55 

tnercîalc^  devait  être  l'objet  d'un  levé  d'ensemble  quand 
Ws  Anglais  occupèrent  la  haute  Birmanie. 

Le  levé  de  la  Kindwin  a  été  exécuté  par  le  colonel 
B-  fi.  Woodthorpe  dans  la  partie  de  la  rivière  située  au  sud 
du  parallèle  de  Manipour.  Ca  pays  non  pacifié,  c'était  une 
mission  dangereuse  an  succès  de  laquelle  noas  devons  un 
document  de  haute  valeur  pour  la  carte  de  la  Birmanie. 


Dans  l'Extrême  Orient,  sur  la  longue  presqu'île  coréenne 
encore  mal  connue,  nous  trouverons  un  voyageur  fran- 
çais, M.  Charles  Varat;  chargé  d'une  mission  du  Ministère 
de  rinstruclion  publique,  il  doit  recueillir  des  rensei- 
çnetnenls  sur  l'ethnographie  des  Coréens  et  rapporter  des 
collections  pour  le  musée  ethnographique  du  Trncadéro. 
Cest  en  traversant  l'Amérique  Hu  Nord  par  le  Canadian 
Pacific  que  M.  Varal  parvient  au  Japon  où  il  commence,  en 
Téalilé,  sa  mission,  «  car,  dil-il,  pour  bien  étudier  la  Corée, 
pour  détacher  d'une  manière  plus  vive  sa  personnalité 
ethnique,  il  faut  avoir  visité  les  pays  voisins.  »  Yesso,  avec 
ses  populations  Alnos,  est  l'un  des  points  que  visite  le  voya- 
geur; il  parcourt  ensuite  le  nord  du  Japon  d'où  il  s'em- 
barque pour  la  Chine.  Tour  à  tour  il  voit  Tchéfou,  Tient- 
aio,  Pékin;  il  franchit  ta  grande  muraille  et  met  le  pied 
sur  le  territoire  de  la  Mongolie.  Finalement,  il  s'embarque 
■à  Tchéfou  pour  Chemoulpo,  le  port  de  Corée  le  plus  voisin 
de  Ia  côte  chinoise. 

De  Chemoulpo,  à  cheval,  avec  une  escorte  de  trois  hommes 
qu'il  ne  comprend  pas  etqui  ne  le  comprennent  pas,  ilserend 
à  Séoul  où  l'obligeance  éclairée  de  M.  CoUin  de  Plancy,  ré- 
sident français,  lui  facilite  les  préparatifs  du  voyage  à  travers 
la  Corée.  Ce  voyage,  il  l'entreprend  accompagné  d'une 
escorte  pittoresque  de  douze  hommes  et  de  huit  poneys. 

De  jour,  le  chef  de  la  mission  marche  en  arrière  de  la 
colonne  pour  la  surveiller;  de  nuit,  il  marche  à  l'avant- 
farde,  certain  que  tout  le  monde  le  suivra.  Le  pays  dans 


BAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

lequel  M.  Varat  allait  s'engager  venait  d'être  en  proie  à  la 
faroiue  et  des  bandes  de  pillards  le  parcouraient,  rançon- 
nant les  voyageurs  et  brûlant  les  villages.  Il  eut  la  bonne 
fortune  d'échapper  aux  attaques,  toujours  faciles  dans  une 
contrée  montagneuse,  dont  les  chemins  sont  constamment 
bordés  de  précipices  qu'il  faut,  la  nuit,  c&toyer  à  la  lueur 
des  torches. 

Gi&ce  au  soin  de  toujours  leur  envoyer  une  carte  de 
visite  rouge,  selon  l'usage,  M.  Varat  fut  courtoisement 
reçu  par  les  mandarins.  Lapopulation,  d'ailleurs,  se  montra 
bienveilliuile  et  ce  fui  sans  encombre  que,  de  Séouf,  la  ca- 
pitale de  la  Corée,  en  passant  par  Taïkou,  il  parvenait  au 
port  de  Fusan,  à  l'extrémité  sud-est  de  la  presqu'île.  Per- 
sonne avant  lui  n'avait  accompli  ce  trajet. 

M.  Varat  ayant  pu,  au  cours  du  voyage,  s'assurer  qu'il 
n'existait  pas  de  rapports  anthropologiques  entre  les 
Coréens,  les  Chinois  et  les  Japonais,  jugea  nécessaire  de 
visiter  la  Sibérie  pour  constater  s'il  n'y  trouverait  pas  les 
pays  d'origine  des  indigènes  de  la  Corée.  Ses  conclusions 
sont  en  faveur  de  cette  hypothèse. 

AvHut  do  regagner  l'Europe,  M.  Varat  a  fait  de  nouvelles 
et  assez  longues  excursions  en  Chine,  puis  au  Tonkin,  en 
Ânnam,  au  Cambodge,  à  Sium,  aux  Indes. 

Les  résultats  de  ce  long  voyage  et  noiamraent  du  trajet 
accompli  en  Corée,  sont  d'ordre  plus  spécialement  ethno- 
graphique ;  la  géographie,  cependant,  y  gagnera  de  bonnes 
informations. 

Une  fois  de  plus  a  été  constaté  le  fait  qu'une  haute 
chaîne  de  montagnes,  «  sorte  d'Apennin  »,  comme  le  dit 
M.  E.  Reclus,  traverse  toute  la  presqu'île,  du  nord  au  sud, 
détachant  à  droite  et  à  gauche  des  chaînons  à  peu  près 
parallèles.  Ces  montagnes  sont  pittoresques  et  la  chaîne 
centrale  est  couverte  d'une  riche  végétation  arborescente. 
Les  vallées  qui  séparent  les  chaînes  latérales  sont  riantes; 
fréquemment  elles  sont  occupées  par   de  belles   nappes 


ET  SUR  LES    PROGnÈS  DES  SCIENCES   GÉOCnAPUIQUES.         57 

d'eau.  En  revanche,  la  chaîne  médiane,  avec  ses  précipices, 
est  d'un  aspect  un  peu  sombre. 

M.  Varat  se  di-pose  à  publier  un  livre  qui  ne  saurait 
manquer  d'intérél  et  permettra  de  juger  le  caractère  et 
l'importance  des  informations  recueillies  par  lui  au  cours 
de  sa  mission.  Dès  maintenant  on  connaît  la  valeur  des 
collection?  qu'il  a  rapportées  pou  rie  musée  ethnographique 
du  Trocadéro. 


A  l'Afrique  appartiennent,  cette  fois  encore,  les  honneurs 
(te  l'année  géographique.  Le  hasard  veut  que  quatre  des 
voyages  les  plus  considérables  à  signaler  aujourd'hui  se 
soient  accomplis  sur  des  terrains  symétriquement  placés 
deux  à  deux  à  Test  cl  à  l'ouest  du  continent,  et  sensiblement 
sous  les  naèmes  latitudes. 

Tandis  que  la  mission  du  capilaine  Binger  fail,  du  côté 
de  l'ouest,  pendant  aux  voyages  de  M.  Borelli,  du  côté  de 
l'est,  une  partie  du  théâtre  des  opérations  de  M.  Stanley  et 
d'Emin-Pachase  trouve,  à  l'orient,  sous  la  latitude  où,  vers 
h  côte  occidentale,  M.  Crarapel  a  exécuté  une  première 
reconnaissance  au  cœur  du  pays  des  M'Fang.  Celte  parti- 
cularité n'a  guère  d'inlérét  qu'au  point  de  vue  de  la  mné- 
monique, mais  il  en  est  une  autre  qui  mérite  d'attirer  votre 
attention.  Sur  les  quatre  explorations  qui  viennent  d'être 
mentionnées,  trois  ont  été  accomplies  par  des  Français. 
Si  Je  bon  goût  nous  interdit,  d'en  triompher  avec  emiihase, 
personne  n'aura  le  droit  de  reprocher  à  notre  patriotisme 
de  h'en  réjouir  sincèrement. 

A  côlé  de  ces  quatre  voyages,  il  va  sans  dire  qu'une  part 
sera  faite  à  d'autres  entreprises  d'un  réel  intérêt  pour  la 
connaissance  de  l'Afrique. 

C'est  aux  abondantes  notes  fournies  par  notre  collègue 
M.  Henri  Duveyrier  que  vous  devrez  d'êlre  netlemt'nt  ren- 
»ignés  sur  les  plus  récents  progrès  de  la  géographie 
africaine. 


58  nApponr  sur  les  thavaux  tie  la  société 

Pour  suivre  ces  progrès,  nous  avons,  désormais  complète, 
la  carte  dressée  au  Service  géographique  de  l'Armée 
par  M.  de  Lannoy  de  Bissy,  chef  de  bataillon  du  génie. 
Ici  m&mc,  il  y  a  dix  ans,  l'auleur  soumeUail  à  la  Société 
de  Géographie  une  partie  déjà  considérable  de  son  travail 
encore  à  l'état  de  dessin-minute.  Les  explications  dont 
lui  accompagnée  celte  présentation  décidèrent  la  Société 
à  faire  auprès  du  Minisire  de  la  Guerre  une  démarche  en 
vue  d'assurer  la  continuation  et  la  publication  de  la  carte 
d'Afrique  entreprise  par  M.  de  Lannoy.  Tels  furent  les 
débuts  d'une  œuvre  géographique  dont  actuellement  les 
géographes  de  tous  les  pays  ont  constaté  la  valeur  et 
l'utilité. 

Des  explorations  dont  vous  allez  maintenant  entendre 
l'exposé,  quelques-unes  avaient  déjà  pris  date  par  une  indi- 
cation dans  le  précédent  rapport;  elles  vont  se  représenter 
actuellement  avec  l'indication  plus  complète  de  leur  portée 
géographique. 

Vous  ne  trouverez,  dans  ce  chapitre,  aucune  allusion 
aux  événements  qui  se  passent  soit  à  la  côte  orientale 
•d'Afrique,  soit  dans  l'Arrique  australe.  Ils  échappent,  en 
efi'et,  k  la  géographie  proprement  dite;  ils  sont  du  domaine 
■de  la  pnlitique  courante  dont  notre  Société  a  le  devoir 
rigoureux  de  se  tenir  éloignée.  Incontestablement,  un  nou- 
veau champ  est  ouvert  à  la  rivalité  des  intérêts  qui  se 
heurtent  en  Europe;  la  lutte  entre  la  civilisation  chrétienne 
el  la  civilisation  musulmane,  entre  les  faiseurs  et  les  aJTran- 
■chisseurs  d'esclaves,  n'est  qu'une  des  faces,  une  des  appa- 
rences de  la  situation;  une  prise  de  possession  s'opère  avec 
toutes  ses  conséquences.  D'ores  et  déjà  cependant,  il  est 
permis  de  constater  que  le  Soudan  oriental,  conquis  à  la 
science  par  de  longues  années  d'efforts  et  une  pléiade 
d'explorateurs,  est  actuellement  interdit  aux  Européens;  te 
reflux  des  civilisations  indigènes  leur  en  ferme  la  route. 
Dans  l'est  de  l'Afrique,  l'obstacle  provient  de  la  barrière 


BT   SDH   LES   PROCnÈS   DES  SCIEKCES  GÉOURAPUIQUES.        59 

tècemmenl  élevée  contre  la  civilisation  européenne  par  le 
(]èilerisme>  autrement  dit  la  confrérie  de  Sîdi  'Abd  El-Qâder 
El-rihilâ.nf,  celle  qui,  naguère,  a  enlevé  Kharloùra  au  khé- 
dive et  qui  pénètre  déjà  dans  la  région  des  grands  lacs. 


Sur  une    terre    privilégiée    de    l'Islamisme,   le   Maroc, 
¥.  Henri  de  La  Martinière  achève  sa  quaL^^me  année  d'explo- 
rations archéologiques  et  géographiques.  Cet  actif  travailleur 
1  regagné  le  champ  de  ses  premières  recherches,  qui  empiète 
^éjà  sur  l'inconnu  au  point  de  vue  géographique.  M.  de 
La  Martinière,  procédant  partout  la  boussole  k  la  main, 
faisant  môme,  chaque  fois  qu'il  le  peut,  une  triangulation 
(U  théodolite,   avec  des  observations  astronomiques,  ses 
traraux  se  résumeront   quelque   jour  en   une  carie  telle 
qu'on  n'en  possédera  de  semblable  pour  aucune  autre  partie 
du  Maroc.  Une  excursion  au  Djebel  Moulai  Boû  Cheta, 
dans  le  nord  de  la  ville  de  Fus  (Fez)  et,  par  conséquent,  dans 
la  direction  du  Hif,   aura  pour  nous  tout  l'intérêt  de  ia 
nouveauté.    M.   de  I^  Martinière   est  encore    le  premier 
Européen   qui   ail  fait  l'ascension   du  Djebel  Zerhoûn  et 
i',  du  sommet,  tout  ce  gros  massif  silué  au  nord    de 
ede  Mekoàs(Mekinès).  AOeÇarFara'oûn  ou  Volubilis, 
oâ  il  a  de  nouveau  fait  un  séjour  et  pratiqué  des  fouilles, 
il  a  pris  les  estampages  de  sept  inscriptions  latines,  décou- 
vert des  monuments  et  reconnu  le  cimetière  de  la  ville 
antique.  Dans  une  boucle  de  l'Ouàd  B«h't,  afflueni  du  fleuve 
Sebûû,  sur  l'ancienne  route  de  Volubilis  à  Sala  colonia, 
ila  découvert  l'emplacement  d'une  cité  romaine  qu'il  estime 
«ix>irélé  lAGontiaua  mentionnée  par Ptolémée,  mais  vaine- 
ment cherchée  jusqu'à  ce  jour. 

[tevenu  à  Techcmmich,  sur  les  ruines  de  Lixiis,  M.  de  La 
Martinière  a  fait  tailler  des  sentiers  à  travers  le  fourré 
uiipénélrable  de  lenlisques  et  d'oliviers  sauvages  entrelacés 
df  lianes,  qui  recouvre  presque  toute  l'aire  de  la  ville 
antique.  Il  a  fouillé  l'acropole  sur  deux  points,  sondé  le 


60      RAPrORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTK 

terrain  en  maints  endroits  et  travaillé  sans  relâche  à  lever 
un  plan  coté  de  ce  site  célèbre.  Retourné  enfin  à  Volubilis, 
où  il  a  complélé  ses  fouilles  et  notamment  découvert 
plusieurs  inscriptions  latines,  notre  méritant  collègue  a 
terminé  sa  cnn pagne  par  un  second  voyage  au  Djebel 
Zerhoûn  elù  Mekiiiès;  il  compte  achever,  en  1890  et  1891, 
sur  le  cheraiu  de  Rabat  à  Merâkech  (Maroc),  son  explo- 
ration archéologique  du  Maroc,  exj)loration  qui  n'aura  pas 
été  sans  périls,  mais  dont  la  géographie  hit>torîque  de  la 
Mauretanie  tirera  un  large  profit. 

Un  Anglais,  M.  Waller  B.  Harris  qui,  en  1888,  comme 
vous  l'a  dit  le  rapport  précédent,  avait  dû  fuir  de  la  fana- 
tique cité  marocaine  de  CUichswMn,  a  parcouru  en  1889  la 
route  lie  Mekiiâs  et  de  Fâsà  Tanger,  par  Wazzàn.  Les  iiifor- 
raalJons  qu'il  a  recueillies  pendant  ce  voyage  lui  ont  pertnis- 
de  déplacer  sur  la  carie  quelques  noms  de  tribus  monta- 
gnardes établies  sur  la  pointe  que  le  Maroc  projetle  à  la 
rencontre  de  l'Espagne. 

La  liste  des  tribus  de  cette  partie  du  Maroc  s'est  accrue 
de  noms  qui  s'ajoutent  ainsi  à  la  liste  des  tribus  établies 
dans  l'ouest  de  la  ville  sainte  de  Moûleï  Tayyeb.  Ce  que 
M.  Wdlter  B.  Hrirtis  dit  des  Zaoua,  dts  Benî  Ysof,  des  Benî 
MesSua,  et  des  Ghroûné  (sans  doute  l'auteur  veut  parler 
des  Er-h6né),  njoute  à  notre  connaissance  de  ces  tribus 
dont  les  deux  dernières  n'avaient  pas  encore  été  placées 
sur  la  carte. 

Tout  près  (le  Wazzàn,  dans  ta  direction  de  l'est,  les 
indigènes  refusent  de  laisser  pénétrer  chez  eux  les  explo- 
rateurs dans  lesquels  ils  voient  Tavant-garde  des  con- 
quérants. Le  fanatisme  ne  joue  ici  qu'un  rôle  secondaire, 
car,  selon  M.  Waller  B.  Harris,  les  mœurs  de  ces  populations 
sont  peu  conformes  aux  prescriptions  du  prophète  Mo- 
hammed. 

Deux  points  du  travail  de  M.  Wdlter  B.  Harris  présentent 
un   cerlaiii  irilérèl  géographique.  Chez  les  Ghroûné  ou  Er- 


ET   SUR  LES    PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGR.\PHIQUES.      61 

hâné,  il  a  vu  des  cavernes  habitées  par  des  IrogloHytes, 
comrae  celles  que  le  docteur  Hooker  a\ait  examinées  à 
'AloTarsil,  dans  le  district  de  Mlouga^  au  nord  du  grand 
Allas.  Il  a,  de  plus,  entendu  parler  du  petit  volcan  jadis  vu 
et  décrit  par  Léon  l'Arricain,  mnis  sur  lequel  sont  muets 
tons  les  Toy:tgeurs  modernes.  D'après  les  renseignements 
recueillis  par  M.  Waller  B.  Harris,  qui  a  observé  lni-mfirae 
des  traces  d'action  volcanique  à  lest  d'EI-Qeçar  EI-KebUr, 
chez  les  Ghroûné,  et  plus  au  sud  chez  les  Estah,  ce  petit 
Tolcan  est  situé  dans  le  Djebel  Zerhoiin,  au  nord  de  la 
Tille  de  Meknàs. 

Au  prinlemos  de  1888  M.  Joseph  Thomson,  géologue 
anglais,  auquel  la  géographie  est  redevable  d'un  vnyage  de 
découvertes  au  Kdinia-N'djâro,  au  paj^s  des  Masaï  et  au 
N'yanza  de  Victoria,  parlait  pour  explorer  !e  grand  Atlas 
marorain. 

C'est  dans  un  triangle  circonscrit  par  Demnâl,  à  l'est, 
Asfi  ou  Safî  et  l'embouchure  de  l'Ouild  Soùs,  à  l'ouest, 
qoe  M-  Joseph  Thomson,  en  compagnie  d'un  officier, 
M.  n.  Crichlon-Browiie,  a  accompli  une  exploration  de 
i'Allas  intinimenl  plus  étendue  que  celle  d'aucun  de  ses 
prédécesseurs.  11  a  longé  le  versant  nord  de  la  chaîne  snr 
<leux  degrés,  de  Deranat  à  fmi-n-Tànoùl  :  il  en  a  reconnu, 
&  partir  du  littoral,  tout  le  versant  est;  deux  Fois  il  a  coupé 
le  massif  qu'il  a  sillonné  d'itinéraires  au  sud-ouest  de 
Maroc  et  sur  un  demi-degré  carré. 

M-  Joseph  Thomson  ne  dit  pas  sur  quelles  bases  repose 
la  carte-  qui  accompagne  la  relation  de  son  voyage  inti- 
tulée Trnvels  in  the  Allas  and  noulfiern  Mor&cco,  mais  on 
constate  qu'elle  abonde  en  cotes  d'altitudes  dont  toutes  ne 
»OQt  pas  le  résultat  de  mesures  réelles.  Le  mont  Tâmdjourt, 
au  suil  de  la  ville  de  Maroc,  y  tigiire  avec  une  aUilude 
évaluée  à  environ  4,572  mètres.  La  Tâmdjourt  serait  donc 
le  point  le  plus  élevé  connu  de  l'Atlas,  ce  qui  ne  signifie  pas 
qu'il  soit  le  point  culminaut  de  la  chaîne. 


62  RAPPORT   SCB    LES  TUAVAl'X    DE   LA    SOCIÉTÉ 

Grâce  à  M.  Joseph  Thomson,  nous  avons  des  raisons 
pour  penser  que  certains  sommets  de  l'Atlas  dépassent  de 
1,000  mètres,  en  chiffies  ronds,  les  plus  hautes  cimes  de  la 
Sierra  Nevada  d'Andalousie  et  de  la  chaîne  des  Pyrénées,  et 
de  750  mètres,  au  moin;:,  le  sommet  du  Teyde  ou  pic  de 
Ténériffe  qui  marque,  dansTOcëan,  le  prolongement  géolo- 
gique ou  préhistorique  de  l'Atlas.  Plus  tard  les  géodésiens 
nou»  apprendront  les  hauteurs  exactes  de  l'Adràr-n-Deren, 
du  Mont  des  Monts,  comme  l'ont  appelé  ses  habitants 
berbères. 

On  remarquera  que  plusieurs  des  chiffres  publiés  par 
M.  Joseph  Thomson  sont  de  130  à  150  mètres  inférieurs  à 
ceux  de  M.  le  viconile  rie  Foucauld,  dont  les  observations 
et  les  calculs  senihlenL  présenter  toutes  les  garanties 
désirables. 

La  relation  du  voyage  de  M.  Joseph  Thomson  renferme 
des  indications  nombreuses  sur  la  situation  économique  et 
pohlique  de»  hommes  qui  occupent  aujouril'hui  l'Atlas.  La 
géologie,  les  traces  de  l'époque  glaciaire  et  la  richesse 
minérale  du  sol  sont  autant  de  sujets  que  l'éminenl 
voyageur  a  traités  en  spécialiste. 


I 


Un  incident  des  guerres  de  races  qui  sévissent  entre 
Arabes  et  Touareg,  sur  la  limite  de  leurs  territoires  res- 
pectifs, an  sud  de  l'Algérie,  a  amené  la  capture  de  six  pri- 
sonniers touareg  appartenant  les  uns  à  ia  tribu  noble  des 
Tâïtôq,  les  autres  à  la  tribu  serve  des  Kôl  Ahenet.  Le 
capitaine  Dissuel,  chef  de  bureau  arabe,  après  avoir  soumis 
les  prisoimiers  à  une  lonj^e  enquête  géographique  a 
publié  {les  Touareg  de  l'ouest^  Alger,  1888)  ime  descrip- 
tion de  leur  pays  et  de  leurs  tribus  accompagnée  de  caries. 
Cet  ouvrage,  bien  que  basé  uniquement  sur  les  dires 
d'indigènes  d'une  contrée  non  encore  explorée,  a  une 
valeur  géogniphiqae  réelle.  Jusqu'ici  nos  cartes  du  Sahara 
avaient  indiqué  d'abord  une  montagne  très  longue  et  très 


ET    SCa   LES   PROGRÈS  DES  SCIE^CES  GÉ0GRA.PU1(JUES.        G'à 

étroite  au  nord  du  plateau  de  Tàn-Ezroùfl  (entre  le  Touât  et 
liiger),  pais,  sur  la  carte  de  M.  Duveyrier,  celte  montagne 
s'est  transformée  en  un  plateau  aux  coutouis  irréguliers, 
leBlten  Ahenet,  comme  rappellent  les  Arabes.  D'après  les 
deijcriptions  des  prisonnitTs  d'Alger,  l'Adrâr  Aheiiel,  pour 
lai  restituer  son  nom  berbère,  est  un  massif  de  montagnes, 
diversement  coupé  de  vallées,  de  ravins,  et  beaucoup 
moins  aride  que  ne  le  laissaient  soupçonner  les  rensei- 
^emenls  antérieurs.  Ce  massif  est  le  domaine  d'un 
croupe  de  tribus  lotiareg,  celui  des  Tàïlûq,  qui  forme 
ictuellement  et  aurait  môme  formé  depuis  très  longtemps 
ao«  confédération  tout  à  fait  distincte  de  celle  des  Âbaggar. 
C'est  cette  donnée  politique  importante  qui  a  juslilié  le 
litre  choisi  par  le  capitaine  Bissuel:  les  Touàrcijds  C ouest. 
L'auteur  y  a  donné  sur  chaque  tribu  des  iadicatîttns  plus 
détaillées,  plus  complètes  que  celles  que  nous  avions  sur 
d'autres  tritus,  vues  par  des  voyageurs  européens.  Son  livre 
«l  sa  carte  par  renseignennents  se  rangent  donc  au  nombre 
des  rares  documents  originaux  que  les  géographes  possè- 
dent sur  le  pays  des  Touareg. 

Le  capitaine  Brosselard-Faidherbe  qui  a  déjà  rendu  plus 
d'oû  service  à  la  géographie,  avait  été  désigné  en  188H 
(le  chef  de  la  commission  française  de  délimitation 
les  territoires  français  et  portugais  de  la  cûte  de  Guinée. 
Secondé  par  le  lieutenant  Clerc,  le  docteur  Noury,  médecin 
delà  marine,  et  M.  Galibert,  M.  Brosselard-Faidherbe  a 
commencé  a  l'ileBoulani  des  travaux  auxquels  nous  devrons 
Ucarledu  pays  entre  le  Ilio  Nunez  elle  lUo  Geba;  le  tracé 
(les  neuves  Kogoa  ou  Rio  Compony,  de  la  partie  supérieure 
lie  la  rivière  Cassini,  bras  de  mer  où  se  jette  un  ruisseau  * 
U  reconnaissance  du  cours  du  Kroubal  ou  Koli-Ba  qui 
débouche  dans  l'estuaire  du  Geba.  Nous  lui  devrons  enlln 

■  •  norlantes  rectifications  dans  le  tracé  du  Geba  dont  on. 

^^4t  exagéré  la  largeur. 


64      RAPPORT  Sun  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Il  a  été  fait  de  véritables  découverles  le  long  de  ces 
cours  d'eau  dont  les  bassins  ne  pénMrent  guère  h  plus  de 
200  kilomètres  de  la  côle.  Les  géographes  ne  s'en  éton- 
neront pas,  car  ils  savent  que  le  littoral  africain  de  la 
Méditerranée  renferme  encore  des  espaces  où  n'a  pénétié 
aucun  voyageur. 

A  la  suite  de  la  mission  du  capitaine  Brosselard-Faidherbe, 
le  poste  de  Zighincbor,  sur  la  Gazainance,  est  devenu  fran- 
çais. Au  sud  de  la  Guinée  portugaise,  le  bassin  du  Rio  Com- 
pony,  est  aussi  entièremenl  français.  M.  Brosselurd  a  publié 
dans  le  BuUelin  de  la  Société  Gi'ographique  de  Lille  une 
monographie  détaillée  de  la  «  Guinée  portugaise,  et  posses- 
sions françaises  voisines  »  accompagnée  d'une  carte  générale 
à  l'échelle  du  1/1,000,000°  oîi  sont  portés  les  levés  de  la 
mission  exécutés  à  l'échelle  du  1/200,000'. 


Notre  collection  de  cartes  s'est  enrichie  d'un  document 
de  premier  ordre  ;  l'atlas  photographié  des  caries  du  haut 
Dhiôli-Ba  ou  Niger  levées  à  l'échelle  du  1/50,000'  par  le 
commandant  Caron,  M.  Lefort,  lieutenant  d'ioranlerie  de 
marine  et  le  docteur  Jouenne.  Gel  atlas  de  21  fi-uilles 
n'a  été  tiré  qu'à  sept  exemplaires.  Il  renferme  les  2,000  kilo- 
mètres du  cours  du  Dhiôli-Ba  compris  entre  Manambougou 
et  Korîoumé,  port  de  Timboukiou. 

Exécutés  dans  des  conditions  particulièrement  difficiles 
les  levés  du  commandant  Caron  sont,  sans  contestation 
possible,  les  plus  détaillés  et  peut-être  aussi  les  plus  précis 
qui  aient  été  encore  laits  sur  une  partie  quelconque  du 
Niger.  En  longueur,  ils  dépassent  de  plus  d'un  quart  les  levés 
réunis  des  quatre  expéditions  anglaises  chargées  de  lever  le 
Kwâra  ou  Bas-Niger  avec  son  al'Ouent  la  Bénoufi,  et  dont 
une  seule  acculé  49  officiers  ou  raateloLs  et  deu.K  millions 
du  francs. 

Dans  une  Notice  sur  le  cours  du  Niger  entre  Manam- 
bugu  et  Tinit/uJctu,   insérée  dans  la    Revue  maritime  et 


I 


/> 


ET   SVR  LES   PROGRÈS   DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      65 

nloniatej  Je  commandant  Caron  a  rendu  un  compte 
détaillé  des  travaux  hydrographiques  auxquels  il  s'est  livré, 
dans  des  conditions  particulièrement  dirficil&s  et  pénibles. 

Arec  un  simple  sextant,  un  chronomètre,  un  comp- 
teur et  uoe  boussole  hydrographique,  il  a  déterminé 
la  latitude  de  1^  points,  la  longitude  de  10  points  et  la 
«îéclînaison  de  l'aiguille  aimantée  sur  12  points.  Ces  obser- 
rations  ont  servi  à  contrôler  l'itinéraire  du  fleuve,  par 
cheminement,  avec  sondages,  ainsi  que  les  levés  exécutés  à 
terre  entre  le  Dhiôli  Ba  et  Ban-Diagara,  capitaledu  Masina. 
Peut-être  le  modeste  chef  de  la  mission  a-t-il  été  un  juge 
trop  sévère  de  ses  travaux  astronomiques  en  admettant 
des  erreurs  inaxima  de  0'  sur  ses  latitudes  et  de  3'  sur  ses 
longitudes.  En  tout  cas,  ceux  qui,  mipiix  montés  et  mieux 
outillés,  suivront  ses  traces,  n'oublieront  pas  que  les 
circonstances  politiques  ne  permettaient  pas  d'observer  à 
terre;  que  la  hauteur  du  soleil  à  midi  interdisait  l'emploi 
de  l'horizon  ariificiel,  et  que  rarementà  cause  des  sinuosités 
du  DhiOli-Ba  l'observateur  pouvait  chercher  l'horizon,  dans  le 
pian  du  méridien,  sur  la  nappe  d'eau  du  Qeuve. 

Cne  deuxième  fois  —  ce  ne  sera  pas  la  dernière  —  nos 
couleurs  nationales  ont  flotté  devant  Korioumé,  avant-port 
de  Kabara,  et  pour  la  première  fois  à  Kabara  raérae,  c'est- 
à-dire  non  loin  de  Timbouktou.  Renouvelant  avec  la  canon- 
nière le  Mage  l'enlreprise  hardie  que  le  commandant  Caron 
availsi  vaillamment  réalisée  en  1887,  M.  Jaime,  lieutenantde 
vaisseau,  a  réussi  à  franchir,  en  10  jours  seulement,  la 
iiislaoce  entre  Koulikoro,  en  aval  de  Bamakou,  et  Korioumé. 
Les  résultats  géographiques  du  voyage  ne  sont  pns  encore 
connus,  mais  il  est  proliable  qu'ils  ajouteront  quelque  chose 
à  la  belle  carte  dressée  par  le  commandant  Caron.  En 
attendant,  nous  devons  applaudir  à  ce  nouveau  succès, 
nous  devons  désirer  voir  s'accomplir  le  plus  fréquemment 
(Nissible  le  trajet  entre  nos  postes  du  haut  Niger  et 
Tunbouktou. 

»0C.   DB  OÉOGR.  —  i"  IBIMEITIIE  1890.  XI.   —  5 


6C 


RAPPORT   SUR    LES    TIIAVAIJX   ItE    LA.    SOCIÉTÉ 


Le  Niger  immense  dont  les  premières  undes  naissent  non  , 
loin  du  Sénégal,  s'achemine  d'abord  v«rs  l'intérieur  du' 
continenl  puis,  à  la  hauteur  de  Tiinboukloii,  au  bord  dU' 
Sahara,  il  décrit  une  v.istP  courbe  pour  reprendre  la  direc- 
tion de  l'Océan  où,  après  un  parcours  de  plusieurs  milliers 
de  kilomètres,  il  vient  déverser  au  fond  du  golfe  de  Guinée^ 
la  masse  étiorme  de  ses  eaux.  Les  deux  branches  du  Niger 
forment  avec  la  côte  de  Guinée,  un  triangle,  double  de  la- 
France  en  étendue,  et  qui  renfermait,  il  y  a  quelques  mois 
encore,  une  terre  vierj^e  de  toute  exploration,  une  région 
beaucoup  plus  inconnue  que  celle  où  l'énergique  Stanley 
vient  d'accomplir  ses  plus  récents  voyages. 

C'était,  en  réalité,  l'un  des  derniers  grands  blancs  de  la 
carte  d'Afrique.  Les  éditeurs  de  cartes,  pour  donner  satis- 
faction au  public  qui  a  horreur  du  vide,  avaient  semé  là, 
d'après  des  traditions  légendaires,  lies  informations  indi- 
gènes souvent  difficiles  à  comprendre  ou  à  interprKer,  un 
certain  nombre  de  cours  d'eau  indéei^,  de  montagnes  hypo- 
thétiques, de  noms  d'ÉLats  et  de  populations  pâlus  comme 
des  souvenirs  de  l'antiquité. 

C'esl  au  cœur  de  cet  inconnu  que  nous  conduit  M.  G.  Bin- 
ger,  capitaine  d'infanterie  de  marine.  Voyons  d'ahnrd  com- 
ment les  travaux  de  ses  devanciers  sont  répartis  aux  abords 
du  chiimp  qu'il  nous  a  révélé. 

En  1876,  ic  docteur  Gouldsbury  avait  fait  le  voyage  de 
Koumassi  à  Saiaga,  où  notre  compatriote  Bonnat  l'avait 
précédé  par  une  voie  différente.  En  188^,  le  capitaine  Lons- 
dide.  Anglais  comme  M.  Gouldsbuiy,  relraçaiil  jusqu'à 
Saiaga  la  pisie  de  M.  Bonnal,  avait  atteint  Yendi,  au  nurd- 
nord-est  de  Saiaga,  puisa  l'ouest,  Demba  et  le  Bonduukou. 
Kinlanipo,  à  l'exlrémilé  nord  du  canton  de  Koranza, 
marque  le  terme  du  voyage  de  M.  Lonsdale.  Cet  itinéraire 
est  resté  inédit  et  le  seul  tnivail  publié  de  M.  Lonsdale  est 
son  itinéraire,  fait  en  conipîijiuie  du  capitaine  BramJon- 
Kirby,  d'Anamabou  et  d'Akrâ  à  Kinlampo.  Cette  ville  est 


ET    SOR    LES   PR0CBK5   DES    SCIENCES   GÉOGRAPHlOnES.      07 

située  à  65  kilomètres  au  nord-est  de  Koiimassi,  dans  le 
nord  du  royaume  d'Achanti  acluel,  l'ombre  ou  le  noyau  de 
«lui  rjuc  les  cartes  inoDlraient  il  y  ;i  une  quizaiiie  d'années. 
En  1886,  M.  Krause  parlait  de  Salaga,  poussait  d'abord 
sur  Wagadougou,  capitale  des  Môsi  ;  continuant  au  nord,  à 
Irarers  les  provinces  du  Tema  et  du  Yadega,  il  touchait  Ban 

commence  le  royaume  de  Tidiani,  puis  visitait  Douentsa 
ts'av.inçaitnQÔmed'une  quarantaine  de  kilomètres  au  delà, 
dans  la  direction  du  nord-nord-est.  M.  Krause  a  regagné 
la  cô'e  de  Guinée  par  Sinsani,  GasAri,  Kinlinfo  el  Saiaga, 
d'nù  il  s'avança  dans  Test,  jusqu'à  Soguédé  etausnd,  par 
Atakpamé,  pour  alleindre  les  rivages  de  l'Océan  à  Pia  ou 
Grand -Popo.  Cet  itinéraire-là  est  ésalemenl  inédit.  Enlîn, 
parti  d'Anchoou  Pelit-Popo  en  1888,  le  capitaine  von  Fran- 
çois a  fait,  eniiiémelempsque  M.Binger,  un  voyage  dans  le 
ba$sin  supérieur  du  Firou  qne  nous  appelons  le  fleuve 
Volta  ;  il  a  pénétré  à  330  kilomètres  au  nord  de  Salaga  et  à 
6H0  au  nord-nord-ouesl  d'Aneho,  à  la  frontière  du  pays  des 
M^i,  sacs  toutefois  atteindre  Wagadougou.  L'itinéraire  du 
capitaine  von  François  a"  paru  en  1888,  dans  les  Mit- 
teUungen  con  Forschuiujsreisendeii  undGelehrten  ausdeii 
lifuLschen  Schutzgebielen. 

Dans  la  partie  du  triangle  où  le  vieil  itinéraire  de  Hené 
Cailiié  offrait,  naguère  encore,  le  seul  document  assez  précis, 
les  travaux  plus  récents  du  capilaine  Delanneau  (1881),  du 
lieulenaDt  de  vaisseau  Fourniec  (188i>)  et  du  capitaine  Peroz 
(1887),  ont  précisé  le  figuré  du  lerraiu  au  sud-ouest  de  Bama- 
kou  jusqu'à  Kénieba-Koura,  Reniera  et  Bissandougou. 

En  résumé,  le  grand  espace  était  à  peine  entamé;  la 
géographie  en  était  toujours  aussi  vague;  car,  tandis  que 
certaines  caries  accusaient  encore  une  grande  chaîne  des 
montagnes  de  Kong,  se  prolongeant  à  l'est  jusqu'au  nord 
de  l'Acbanti,  un  maître  dans  l'art  de  bien  interpréter 
le»  renseignements  des  indigènes,  Henri  Barlh,  avait  nié 
l'exietence  de  celte  chaîne  de  Kong  el  afOrmé  que  le  pays 


68      RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

qui   porle   ce    nom    présenlait   la    forme   d'un    plateau. 
Où  commençaient,  au  nord-ouest,  les  fleuves  qui  dé- 
bouchent sur  la  côte  de  Guinée?  Où  commençaient,  dans 
le  sud-est  les  affluents  de  la  rive  droite  du  haut  Dhiôli- 
Ba?    C'étaient  là    des   questions  importantes  posées  aux 
explorateurs.  Chargé  d'une    mission    qui  consistait  à   dé- 
couvrir la  route  du   Dlii61i-B;i  français  au  Grand-Bussam 
français  le  capitaine  Bingeraeu  l'honneur  de  les  résoudre. 
Parti  de  Bamakou,  il  traversa  le  pays  de  Wosolébougou 
qui  fait  parlie  des  Etats  de  Samori,  et  atteignit  ainsi,  en 
terrain  neuf,  la  ville  de  TÊnelou,  à  l'ouesl  et   près  de  la 
Mayel  Balével,  dont  RenéCaillié  avait  franchi  les  tPlcs  dans 
le  Wiisoulou.  Continuant  sa  roule  au  milieu  d'une  région 
dévastée  par  la  guerre,  il  traverse  la  Bagoé  nu   Bagoué, 
affluent  de  la  Mayel  Balével  et  atteint,  sur  la  Sikaso,  les 
Étals  du  roi  Tiéba,   peuplés  par  les  Sienré  dont  il  nous 
apprend    l'existence.   A   ce-moment   là,   Benokhobougon, 
ville  située  sur  la  Sikaso,  était  assiégée  par  Samori.  Le  capi- 
taine   Binger   dut,   néanmoins,   y  faire  une  de  ses  haltes 
d'étapes. 

C'est  ici  que  prend  place  une  des  principales  découvertes 
du  voya{^eur.  A  une  petite  dislance  du  point  où  il  quitte  la 
Sikaso,  il  coupe  un  massif  montagneux  qui  sépare  les  bas- 
sins des  affluents  de  la  Bajçoé,  c'esl-à-dire  le  ba?sin  du 
Dbiôli-Ba,  de  ceux  des  rivières  du  Gvand-Bassam  et  du 
Firou  ou  Vol  ta.  Il  s'ensuit  que  cette  partie  du  bassin  du 
Dhi61i-6a  devra  être  diminuée  de  plusieurs  degrés  carrés 
sur  nos  cartes. 

Plus  loin,  dans  le  Kentilédougou,  le  capitaine  Binger 
touche  la  ville  de  Tengrela  vue  et  signalée  par  Runé 
Caillié.  Passant  Tiongui,  il  se  voit  arrêté  à  Fourou, 
aux  portes  du  pays  inconnu  de  Foloua,  où  une  fit'vre 
bémaluriqne  faillit  ineltre  un  terme  à  son  voyage.  Comme 
les  rives  de  la  Sikaso,  le  Folona  est  peuplé  par  des  Sienré, 
race  nouvelle  pour  nous  et  qui  vit  sur  un  partage  d'eaux. 


ET    SDll    LES   PBOGUÈS  DES   SCIENCES   GÉOCnAPHlQUES.      i\Q 

isolée  pour  ainsi  dire  de  ses  voisines  un  peu  nueux  connues 
des  géographes.  L'islam  a  commencé  à  faire  des  prosélytes 
cUez  les  Sieoré  du  Folona,  mais  ses  adeptes  y  sont  encore 
peu  nombreux. 

En  sortant  de  Folona,  M,  Binger  pénètre  dans  le  pays 
de  Kong)  qui  s'étend  fort  loin  du  nord  au  sud  et  non  de 
de  l'ouesl  à  l'est;  il  est  peuplé  par  des  Mandingues  musul- 
mans. Arrivant  des  Étals  de  Samori,  le  voyageur  fut  l'objet 
de  défiances  fort  naturelles  de  la  part  des  gens  du  pays  de 
Kong,  qui  redoutent  les  armes  du  conquérant  soi-disant 
prophète;  mais  l'élude  que  M.  Biiiger  avait  faite  autrefois 
dé  la  'angue  et  des  dialectes  mandingues,  lui  fut  d'un  puis- 
sant secours;  bientôt  les  soupçons  Greut  place  à  des  dispo- 
sitions bienveillantes  pour  cet  étranger  qui  parlait  l'idiome 
du  pays. 

Continuant  dans  l'est  ses  fructueuses  explorations, 
M.  Binger  aborde  le  pays  des  Môsi  ou  Moùchi  dont  l'Europe 
avait  entendu  vaguement  parler  il  y  a  quatre  siècles,  en  1488. 
M.  Krause  l'a  traversé,  il  est  vrai,  avant  notre  voyageur, 
mais  il  n'a  encore  rien  publié  de  sa  relation.  M.  Bin<;er 
arrive  à  la  capitale,  Wagadougou,  dont  la  position  sur  les 
caries  devra  être  transportée  d'un  degré  vers  le  nord  et 
corrigée  de  la  même  quantité  en  longitude.  Dans  cette 
partie  de  son  itinéraire,  il  entre  en  contact  avec  beaucoup 
de  peuplades,  distinctes  par  l'origine  et  la  langue,  vivant 
dans  des  pays  sauvages  et  adonnées  au  pillage.  Snr  le  chemin 
de  Walwalé,  qui  le  mène  vers  Salaga,  il  subit  les  menaces  de 
bandes  années. 

De  Salaga,  M.  Binger,  se  dirigeant  vers  l'ouest,  traverse  à 
deux  reprises  le  (leuve  Volta;  ses  observations  changent 
les  notions  antérieures  sur  ce  fleuve,  dont  elles  per- 
melleiit  de  dessiner  pour  la  première  fois  le  cours  com- 
plet. Au  sud-ouesldu  Voila,  il  remonte  vers  le  pays  de  Gon- 
dya  dont  le  nom  seul  nous  était  connu.  Il  louche  Kintampo, 
première  ville  du  royaume  Achanli;  Zaranou,  chef-lieu  de 


70 


nAPPORT    SUR   LKS   TRAVAUX    DE    LA   .SOCIETE 


Bondoukou,  pays  qui  porte  aussi  les  noms  de  Gamon  et 
GoLtogo.  Mais  au  lieu  de  continuer  vers  la  côte,  il  gaj^ne  de 
nouveau  le  pays  de  Kong  où  il  sait  que  M.  Treiclt-La- 
plène  est  allé  à  sa  recherche.  A  partir  du  5  janvier  1889, 
jour  de  leur  rencontre  h  Kong,  les  deux  voyageursscdiri(^<jnt 
ensemble  vers  le  fleuve  Komoï,  connu  sous  le  nom  d'Akha 
{du  iiora  d'un  vilhige  silné  sur  ses  bords),  et  qui  prend  .sa 
source  i\  quinze  marches  seulement  au  sud-est  de  Bamakiiu. 
Ils  longent  le  Komoï,  puis  traversent  le  Djimini.  L'Amo,  où 
commencent  seulemiTit  les  cultures  de  la  Sterculia  acumi- 
ntita  (Kola,  goùro),  et  signalé  autrefois  comme  le  pays  de 
production,  n'est  en  réalité  que  Je  marché,  l'entrepôt  de  ce 
précieux  stimulant. 

Rejoignant  le  Komoï  à  Attakou,  ils  s'embarquent  sur  des 
pirogues  et  descendent  le  fleuve  jusqu'à  notre  petit  établis- 
sement de  Grand-Bassam  sur  la  côte  de  Guinée,  où  ils 
arrivent  le  20  mars  1889,  deux  ans  juste  après  le  dépari  de 
M.  Binger  riu  Sénégal. 

Mais  l'explorateur  ne  considère  pas  encore  sa  mission 
comme  terminée  :  avant  de  quitter  l'Afrique,  il  t^mploie 
son  temps  à  relever  la  lagune  à  l'ouest  de  Grand-Bussam, 
avec  les  rivièreà  qui  s'y  jettent  après  un  cours  quatre  fois 
plus  long  qu'on  ne  supposait. 

Tel  est  l'aperçu  général  du  voyage  en  Afrique  lepkisétendu 
de  beaucoup,  et  de  beaucoup  le  plus  méritant  de  ceux  dont 
le  rapport  de  cette  année  eût  à  faire  mention  ;  c'est  l'événe- 
ment saillant  pour  la  géographie  de  l'Afrique. 

Non  content  d'avoir  levé  soigneusement  un  itinéraire 
détaillé  sur  4,000  kilomètres,  le  capitaine  Binger  l'a  contrôlé 
au  moyen  de  treize  bonnes  observations  astronomiques. 

L'itiuérairedeBamakou  au  Kong  et  au  Môsi  est  neuf;  du 
Môbi  à  Salaga,  il  touche  on  partie  la  ligne  relevée  par  le  capi- 
>-taine  von  François,  ut  de  Salaga  au  Bondoukou,  àla  ligne  de 
marche  relevée  par  le  capilaineLonsdale;  l'itinéraire  du  Bon- 
doukou au  Kong  elà  l'Océan,  sillonne  un  pays  jusqu'alors  in- 


I 


\N 


ET   SCB  LES    PROGRÈS  DES   SCIENCES   GÉO&RAPHIOUES.      71 

connti.  Non  seulement  la  carie  y  gagnera  ce  que  nous  venons 

^'indiquer,  mais  la  relation  de  M.  Btnger  nous  renseignera 

avissi  d'une  manière  précise  sur  la  géologie  et  la  llore  des 

régious  qu'il  a  parcourues;  sur  leur  climat,  sur  les  races  hu- 

ntoines  qui  y  vivent  et  sur  les  langues  qu'elles  parlent.  Elle 

Dous  donnera  endn  des  révélations  inattendues  sur  les  pro- 

irrè<>  que  l'isl&m,  mais  un  islam  assez  tolérant,  fait  dans  ces 

<yntrées. 

Le  rapporteur  n'avait  pas  à  exposer  plus  longuement 

'  r  e-Kploiulion  dont  le  récit  nous  n  été  fait  par  le  voya- 

^    :    lui-môme.  Il  nous  a  décrit  sommai  rement  les  contrées 

nouvelles  qu'il  a  visitées  ;  il   a  parlé  du  caractère  et  des 

mœurs  de  populations  qui  vont  apparaître  pour  la  première 

fois  dans  la  géographie;  il  a  donné  des  détails  suc  des  villes 

dont  les  noms  seuls  étaient  parvenus  à  uolrc  connaissance. 

Il  a  assisté  au  siège  et  à  la  défense  d'une  place;  il  a  vu  des 

champs  de  carnage  comme  en  Europe;  il  a  rencontré  des 

musulmans   pieux,  mais   tolérants  et  assez    éclairés  pour 

admettre  d'autres  religions  que  la  leur;  il  a  entendu,  de  la 

bouche  de  personnages  nègres,  des  paroles  véritablement 

élevées;  il  a  traversé  tantôt  des  tribus  bienveillantes,  tantôt 

des  tribus  hostiles.  Sa  vie  a  été,  pendant  vingt-huit  mois,  la 

▼ie  dure,  faite  de  fatigues,  de  privations,  de  contre-temps, 

de  dangers  eldesoulI'rances,que  mènent  tous  les  voyageurs 

en  pays  nouveau. 

Pendant  toute  cette  longue  campagne,  M.  Binger,  accom- 
p.ignè  d'une  faible  escorte,  a  réussi  à  ne  point  engager  de 
lulitiS,  à  ne  pas  laisser  derrière  lui  des  levains  de  haine 
contre  les  voyageurs  qui  lui  succéderont.  Il  a  ouvert  des 
portes  par  lesquelles  il  ne  dépendra  que  de  ses  successeurs 
de  passer  librement  en  invoquant  le  souvenir  et  surtout  en 
imitant  l'attitude  du  capitaine  Binger,  celle  du  calme, delà 
pitience,  du  respect  de  ses  hôtes. 


Devançant  la  publication  des  travaux  beaucoup  pluséten* 


72      RAPPORT  Sun  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

dus  et  plus  complels  du  capitaine  Binger,  le  capitaine  alle- 
maod  C.  von  François  publiait  dès  l'année  dernière  dans  le 
recueil  intitulé  :  Afitteilungen  ans  deutscken  Schtttzge- 
bieten,  la  carte  au  1/2,225,000'  de  son  voyage  et  le  résumé 
des  observations  qu'il  a  failes  jusqu'au  nord  du  pays  des 
Groûsi,  sur  la  limite  de  celui  des  Môsi  que  M.  Binger  allait 
bientôt  visiter.  Son  itinéraire  part  du  pelit  protectorat 
allemand  de  Togo,  qui  commence  sur  la  côte  des 
Esclaves,  à  la  limite  ouest  du  pays  de  protectorat  français,  un 
peu  à  l'ouest  d'Agoué,  pour  fitiir  50  liilnmètres  seulement 
plus  à  l'ouest,  entre  Lomé  et  Aflahou,  àlaliraite  des  posses- 
sions anglaises.  Aného  ou  Petit-Popo,  et  Baguida  (ou 
Bagrida)en  sont  les  deux  villes  maritimes  les  plus  considé- 
rables; Bisraarkburg,  à  250  kilomètres  nord-nord-ouest 
d'Aného,  est  la  station  allemande  la  plus  avancée  dans 
l'intérieur. 

Dans  son  voyage  de  i88S,  M.  von  François  a  cheminé,  à 
l'aller  comme  au  retour, à  l'estetassezpi-ès  dulleuve  Firu  ou 
Volta  (auquel  i!  donne  l'orthographe  incorrecte  deWolla)  que 
les  indigènes  appellenl  ici  Anou.  Il  a  relié  le  marché  de 
Salaga  à  la  côte  allemande  par  deux  itinéraires  touchant,  l'un 
Bismarkburgjà  l'est, l'autre Kpandouj  près  du  Firou,à  l'ouest. 
Au  nord  de  Saiaga,  il  a  atteint  Kous^ogo,  près  de  la  rivière 
Kloubing  Dagbaya.à  l'ouest,  et  le  marché  de  Yendi,  à  l'est. 
De  Zandoua,  dans  le  district  de  Gambaga,  jusqu'à  Surma, 
au  bord  du  pays  des  Môsi  ou  Moûchi,  il  a  suivi  à  deux 
reprises  le  mi^me  chemin.  C'est  dans  cette  partie  de  son 
voyage  que,  sortant  du  bassin  du  Firou,  il  a  coupé  le  cours 
supérieur  d'un  affluent  sud-est  du  Dhiôli-Ba,  le  Barou  Mou- 
bébou. 

M.  von  François  n'a  pu  indiquer  les  longitudes  de  son 
itinéraire  que  d'après  les  levés  à  la  boussole;  les  latitude» 
astronomiques  observées,  au  nombre  de  vingt-trois,  sont 
entachées  d'incertitudes  dues  à  la  défecluosilé  du  petil  ins- 
trument dont  il  s'est  servi.  Les  hauteurs  inscrites  sur  sa 


ET  strn  LES  pnocnès  des  sciknces  Gi'joGnAPiiiijiiKs.     73 

carte  ont  été  calculées  d'après  des  ubservaltoas  du  b.iro- 
mètre  anéroïde  elderhypsomèlre. 

Le  travail  de  M.  von  François  esl  non  pas  une  relation  de 
voyage  mais  un  exposé  mélhodirjue  de  ce  qu'il  appris  sur 
la  région  côlière,  sur  le  massif  montagneux  d'Obossoum  ou 
peut-être  mieux  d'Akposso,  qui  la  borde  au  nord,  et  sur  les 
plateaux  qui  font  suite  à  ce  massif,  encore  plus  au  nord. 
fl  y  a  joint  des  notes  botaniques,  zoologiques  et  anthropo- 
logiques basées  sur  les  constatations  possibles  à  un  obser- 
vateur qui  n'est  pas  spécialement  versé  dans  les  sciences 
naturelles. 

Au  commencement  de  cette  année  (1889).  le  capitaine  von 
François  a  accompli,  de  la  côte  à  Salaga  et  au  Firou,  en 
repassant  sur  l'un  de  ses  itinéraires^  un  nouveau  voyage 
dont  aucune  relation  n'a  été  encore  publiée. 

Après  le  voyage  d'oxploralion  dont  partait  le  dernier  rap- 
port, le  capitaine  Kund  a  essayé  do  pénétrer  une  seconde 
fois  dans  l'intérieur  et,  comme  la  première  fois,  il  a  trouvé 
les  populations  du  littoral  nettement  hostiles.  Par  la  môme 
roule  que  précédenimtnt,  il  a  gagné  le  haut  des  rivières 
Saonaga  et  N'djoog  ou  N'yong;  au  mois  de  février  1880,  il 
a  fondé  entre  ces-  deux  cours  d'eau,  au  village  de  Zonou, 
par  3"48'  de  latitude  nord  et  ÎMO'  de  longitude  est  de  Paris, 
une  stJition  allemandequ'il  a  laisséesousle  commandement 
da  lieutenant  Tnppenbeck. 

En  pays  inconnu  conjmc  celui  dont  il  s'agit,  toutes  les 
observations  des  voyageurs  ont  de  l'importance.  Sur  une 
largeur  de  II»  kilomètres,  M.  Kunri  a  trouvé  la  côte  presque 
déserte.  Ici  les  habitants  sont  des  Banôko  on  Bapouko, 
immigrés  du  nord,  et  les  Kasdjoua,  qui  paraissent  être  ori- 
ginaires des  contrées  du  sud.  Puis  commence  une  zone 
de  forêts  vierges  large  de  220  kilomètres.  Là  vivent  des 
tribus  variées  :  les  M'vellé  ou  Bakoko,  une  des  plus  puis- 
santes; les  Mavoutnba,  alliés  de  Kasdjoua  et  qui  s'étendent. 


ë 


7-1  RAPPORT  Sun   LES  TIUVAUX  DK   LA  SOCIÉTÉ 

au  nord,  jusqu'à  laLokendjé  et  au  suri  jusqu'au  territoire 
des  Bouliiï,  parents  de  MTàn,  ou  M'fang,  de  l'Ogôcué  ;  ils 
descendent  à  la  côte  en  suivant  le  cours  du  Rio  del  Campo. 
Au  sein  des  mêmes  forÊls  vierges  vivent  aussi  les  Kod- 
jaéli  ou  Boyaéli,  dont  les  individus  sooL  de  très  petite  tiiille 
bien  qu'ils  ne  méritent  pas  l'épithète  de  nains;  ils  ont 
la  peau  jaune  comme  certaines  races  primilives  du  sud  de 
l'Afrique;  extraordinairement  habiles  à  se  dirigera  travers 
forêts,  ils  sont  aussi  très  audacieux  pour  attaquer  l'élé- 
phanl  à  la  lance.  D'après  ces  caractères  on  croirait  recon- 
naître en  eux  des  fr&res  des  Sa'au  ou  Bosjesmans,  les  abo- 
rigènes de  l'Afrique  australe. 

De  fa  station  allemande  deBaroumbi  ou  Barombi,  située 
chez  le  peuple  du  môme  nom,  à  l'ouest  du  (lenve  Moungo, 
dans  l'intérieur  du  pays  de  protectorat  allemand  de  Kame- 
roûo,  le  docteur  Zintgraff.  accompagné  du  capitaine  Zeuner, 
entreprenait,  le  17  décembre  188S,  une  exploration  qui  pro- 
met et  a  déjà  donné  sans  doute  des  résultats  fort  utiles 
pour  la  géographie. 

Le  but  de  M.  Zinlgraflf  était  d'explorer  l'Adamawa,  cette 
province  de  l'empire  oriental  des  Foûlfaé  musulmans  perdue 
au  sud  de  la  Bénouè,  en  plein  pays  des  idolâtres.  Toute  la 
région  qui  sépare  l'Adamawa  du  protectorat  allemand  de 
Kameroûn  et  celle  qui  s'étend,  un  peu  plus  à  l'ouest,  entre 
la  côte  de  Guinée  et  la  Bénouê  est  une  terre  inconnue. 

Les  deux  explorateurs  allemands  paraissent  s'être  partagé 
la  lAche.  En  effet,  dès  le  mois  de  janvier  de  cette  année,  le 
capitaine  Zeuner  faisait,  à  l'ouest  de  Baroumbi,  une  excur- 
sion à  Bioko,  sur  le  haut  du  fleuve  Massaké  :  des  dépêches 
annoncent  qu'il  a  dû  renoncer  à  pénétrer,  de  là,  dans  le  nord 
et  le  nord-est,  à  cause  du  grand  massif  moiitueus  et  désert 
qui  se  dressait  sur  sa  route. 

Quant  au  docteur  ZinfgratI',  il  a  accompli  le  trajet  de  Ka- 
meroûn à  la  Bénoué,  rivière  qu'il  a  touchée  au  nord  du 


ET    SUR   LES    PROGRÈS   1>ES   SCIENCES   GÉOGRAPHIODES.       75 

•village  d'Ibi,  dans  le  pays  de  DJoukknu,  un  peu  à  l'est  de 
la  ville  de  Grandiko.  Ce  n'était  pas  là  la  roule  la  plus  courte 
pour  atteindre  l'Adamawa  qui  commence  à  presque  trois 
de^és  pitis  loin  dans  l'est,  et  la  ligne  droite  eût  peut-être 
permis  au  voyageur  d'apporter  à  la  carte  d'Afrique  des 
ren«eignenaents  orographiques  et  hydrographiques  plus  im- 
pi-rlanls;  mais  la  publication  d'un  voyage  sur  lequel  nous 
n'avons  encore  que  des  indications  télégraphiques  expliquera 
saos  doute  la  déviation,  à  l'ouest,  de  la  marche  du  voyageur. 
L'itinéraire  du  docteur  ZintgraB'  n'en  est  pas  moins  le  pre- 
mier qui  sillonne  ce  pays. 

Au  nord  de  l'Ogôoué  et  du  pays  découvert  par  MM.  de 
Brazza  et  Ballay  s'étend  l'une  de  ces  vastes  terres  incon- 
nues, bornée  vers  l'est  par  les  premiers  gros  affluents  de 
droite  du  Congo,  terminée  dans  le  nord  par  la  contrée  où  se 
cache  le  prohlématiqueet  mystérieux  lac  Liba. 

C'est  à  ce  vaste  blanc  de  la  carte  que  s'est  attaqué 
M.  Paul  Grampel,  chargé  d'une  double  mission  du  Minis- 
tère de  l'Instruction  publique  et  de  M.  de  Brazza,  Commis- 
saire général  du  gouvernement  français  dans  le  Gabon- 
Congo. 

Nous  sommes  ici  en  présence  d'un  véritable  voyage  de 
d<»couverte  dont  le  rapporteur  va  lâcher  d'exposer  som- 
mairement les  résultats,  de  montrer  la  portée.  «  Je  fions, 
disait  M.  de  Brazza  dans  ses  instructions  au  voyageur,  h.  ce 
que  vous  partiez  deLastoursville,  vous  dirigeant  vers  le  nord, 
pour  vous  rabattre  ensuite  vers  la  côte,  entre  Benito  et 
Campo.  >  M.  Grampel  quillailLastoursvilIe,  le  l'2  août  1888, 
sans  Eurnpéen  ni  interprète,  escortée  de  deux  Sénégalais, 
quelques  Adouma  et  gens  de  Loango  en  qualité  de  por- 

Aa  delà  de  la  ligne  des  villages  riverains  de  l'Ogôoué,  le 
pays  devient  désert,  car  les  indigènes  fuient  vers  l'intérieur 
ail  lien  de  se  rapprocher  de  nos  établissements.  Faute  de 


7G  lUFPnriT  sur  les  thavaux  de  lk  société 

roule,  M.  Crampel  dut  faire  d'abord  une  longue  courbe  à 
l'est,  vers  la  rivière  Sibé.  Un  mois  et  demi  après  son  départ,  il 
était  surJa  rivière  Ivindo^  affluent  de  rOffôoué,  à  120  kilo- 
mètres esl-nord-est  de  la  station  de  Bûoué.  Héunissanl  les 
chefs  bakota  de  la  rive  gauche  et  les  chefs  osyeba  de  la 
rive  droite,  il  obtenait  d'eux  un  premier  traité  favorable  à  la 
France. 

Deux  voies  s'offraient  à  lui  pour  remonter  l'Ivindo  :  l'une 
par  la  rive  gauche,  à  travers  les  Bakota  et  les  DjandJHm; 
l'autre  par  la  rive  droite,  à  travers  les  Osyeba  elles  M'fanp;. 
Désireux  de  préparer  les  populations  à  l'arrivée  des  Euro- 
péens, il  passa  huit  fois  d'une  rive  à  l'autre. 

Une  excursion  vers  l'oues't  le  conduisit  aux  sources  de  la 
rivière  N'iem,  dans  les  montagnes  N'koun.  Le  nom  de 
N'iem  n'est  pas  tout  à  fait  nouveau  pour  nous:  il  avaii  figuré 
naguère  comme  nom  d'un  lac,  dans  une  série  d'informa- 
tions fournies  par  des  indigènes  au  contre-amiral  Fleuriol 
de  Langle,  alors  gouverneur  du  Gabon. 

M.  Crampel, cheminant toujoursfolre  le  10*  etle il" degré 
de  longitude  est,  s'éleva  jusque  par  l^iS'  de  iatilude  nord.  A 
partir  de  là,  les  deux  rives  de  l'Ivindo  sont  occupées  par  les 
M'fang;  M.  Crampel  traita  avec  leurs  principaux  chefs  qui, 
tous,  lui  témoignèrent  le  désir  de  voir  créer  chez  eux  un 
établissement  français  pour  assurer  un  trafic  par  l'Ivindo 
et  protéger  les  communications  avec  la  côte. 

Les  Bakota  dont  M.  Crampel  avaii  traversé  le  terri- 
toire, sont  doux  et  relativement  riches.  Les  M'fang,  au 
contraire,  sont  hostiles  et  misérables  ;  chez  eux,  le  voyage 
.est  rendu  pénible  par  l'insuffisance  des  vivres  et  celte  diffi- 
culté fut  accrue  encore  par  le  manque  d'interprète.  Les 
honinies  de  Loango  de  l'escorte,  fatigués  par  la  marche  et 
les  privations  refusèrent  alors  de  suivre  leur  chef  du  côté 
de  l'est  où  il  voulait  aller  à  la  recherche  d'un  grand  lac, 
signalé  par  les  indigènes. 

Laissant  donc  ses  porteurs  et  ses  bagages  dans  un  village 


ET    SrB    LES    PnOGRÈS    DES    SCfENCES   GÉOGRAPHIQUES.      77 

m'fang,  à  la  garderies  Sénégalais,  M.  Crampel n'hésite  pas; 
il  se  met  en  roule  avec  les  douze  Adouma,  plus  soumis  ou 
plos  résist^inls  que  les  indigènes  du  Loango.  Dès  les  pre- 
miers pas,  il  rencontra  des  Okoa  ou  Akka,  population  d'une 
taille  très  au-dessous  de  la  moyenne.  En  continuant  à 
s'élever  vers  le  nord,  il  atteint,  par  2°10'  de  latitude 
septentrionale,  non  pas  le  grand  lac  annoncé,  mais  une 
rivière  importanle,  la  Djah,  dont  un  courant  presque  insen- 
sible porte  les  eaux  dans  la  direction  du  Lékoli,  atOuent  du 
Congo. 

Après  avoir  conclu  un  traité  avec  les  chefs  m'fang  de  la 
rive  droite  de  la  Djah  el  des  N'jima,  habitants  de  la  rive 
^uche,  M.  Crampol  rejoint  le  camp  de  ses  porteurs 
loangos. 

Il  ramenait  avec  lui  des  chefs  du  nord-est  auxquels  il 
tonlait  révéler  l'Ivindo  comme  une  route  pour  leur  com- 
merce futur. 

<!^tle  excursion  terminée,  la  mission  prend  la  direction 
de  l'ouest,  touche  lessources  de  l'Ivindo  el  parvienl  à  une 
rivière  nouvelle  pour  la  géographie,  la  rivière  Komm, 
affluent  de  la  rivière  N'tem. 

Une  seconde  fois  les  Loangos  refusent  de  marcher;  il 
faitt  faire  construire  des  radeaux  pour  s'aventurer  sur  le 
cours  de  la  Komm,  qui  amène  M.  Crarapel  non  loin  du 
conQuent  de  cette  rivière   avec  la  N'tem. 

Cependant  se  répandent  des  rumeurs  de  guerre  venues 

à  la  fois   du  nord-ouesl  et  du  sud-ouest,  de  la  direction 

lies  Kameroûn  et  de  celle  de  la  rivière  Mouni.  Les  M'fang, 

voyant    alors   en    M.   Crauipel    un  auxiliaire   des    blancs 

de   la  côte,  le  cernent  deux   fois  et  tuent  un    Sénégalais 

«Inn  homme  de  Loango.  A  une  troisième  attaque,  lors  du 

piasage  d'un  rapide,  M.  Grampel  est  atteint  de  deu.t  coups 

de  feu,  ses  porteurs  fuient  et  c'est  à  grand'peine  qu'il  réussit 

i  s'échapper  en  sauvant  ses  notes  el  ses  clichés   phologra- 

hiques.  La  situation   était  des   plus   menaçantes:   d'une 


78  RAPPOHT   SUH    LES   TRAVAUX    DE   LA   SOCIÉTÉ 

pari, en  effeU  l'appât  du  pillage  avait  alliré  uoe  multitude 
d'indigènes,  d'autre  pari,  les  blessures  du  chef  de  l'expé- 
dition étaient  uii  grave  obstacle  à  la  rapidité  de  la  retraite. 
Les  porteurs  ralliés  voulaient  ou  retourner  en  arrière  oa 
s'embanjuer  sur  la  N'iem;  mais  M.  Crauipel  prit  le  parli  de 
gagner  la  forêt  oh  sa  mardie  serait  mastjuée,  à  la  condition 
d'éviter  les  sentiers  et  de  ne  pas  allumer  de  feu. 

La  Bduâ,  la  Labbo,  la  N'tem,  sont  successivement  fran- 
chies; on  trompe  ks  M'fang  en  se  glissant  à  travers  des 
marais  réputés  iiifnrncbissahles  et,  après  quinze  jours  de 
marches  forcées,  le  voyageur  épuisé  entrait  dans  un  village 
des  bords  delaiN'tem  ;  mais  l'allilude  des  habitants  est  peu 
paccueiltante  ;  il  faut  repartir.  Porté  de  temps  à  autre  par 
ses  hommes,  M.  Crampel  arrive  aux  abords  de  la  côte  où 
les  Bakalê  et  les  Moulendié  se  montrent  moins  hostiles 
que  les  M'fang  el  entin,  la  petite  troupe  atteignait  Ualah^ 
sur  la  côte,  à  *[uelques  200  kilomètres  an  nord  du  Gabon. 

Du  ■!"■  février  1889,  jour  où  il  avait  été  attaqué,  au  3  mars, 
jour  de  l'arrivée  à  Batah.M.  Crampel  n'avait  pas  parcouru 
moins  de  350  kilomètres,  menacé  constamment  d'une 
attaque  flonl  Its  conséquences  ne  pouvaient  élrc  douteuses. 

N'eùL-il  été  qu'une  pointe  prrillense  et  stérile  au  cœur  de 
l'inconnu,  la  fantaisie  d'un  aventureux  dilettanie,  le 
voyage  dont  vous  venez  d'entendre  le  résumé  aurait  reçu 
ici  la  simple  mention  due  à  un  fait  curieux,  singulier;  mais 
nous  avons  déjà  vu  que  M.  Crampel  avait  conclu  des  traités 
avec  plusieurs  chefs  noirs  et  qu'il  s'était  eflorcé  d'attirer 
du  côté  de  l'Ivindo,  tributaire  de  notre  Ogôoué,  une  partie 
du  trafic  dirigé  actuellement  sur  le  fleuve  Mouni  et  sur  Ba- 
langa,  dans  le  sud  de  la  région  des  Kameroùn.  La  géogra- 
phie lui  devra  le  relevé  d'une  grande  partie  du  cours  de 
rivinrio,  avec  la  notion  des  afHuents  principaux  de  cette 
rivière  :  la  Mouyniandji,  la  Kiboumbi,  laN'jalah,  tributiiires 
de  gauche;  l'Ouah.  la  Poulab,  la  M'voubëb,  la  N'siab,  la 
Nounah,  tribuiuires  de  droite.  Tous   ces  noms-là  font. 


J 


ET    SUn   LES    PROCHES   DES   SCIENCES    GÉOGRAPHIQUES.      79 

pour    nous,     leur   enlrée  dans   la    géographie    africaine. 

M.  Crampel  a  atteint  les  sources  de  l'Ivindo,  situées  beau- 
coup plus  loin  vers  l'ouest  qu'on  ne  le  pensait.  La  décou- 
Teite  de  trois  grands  cmirs  d'eau  :  Ja  N'tem,  la  Djah,  la 
Koœm,  l'élude  de  la  ligne  de  faîte  entre  l'Ogûnué  et  le 
Congo  parriviudoet  la  Djah,  le  relevé  des  sentiers  de  com- 
merce entre  les  deux  bassins,  sont  d'importants  résultats  h 
enregistrer.  Le  large  blanc  de  cette  partie  de  la  carte 
d'Afrique  va  être  sillonné  d'un  itinéraire  de  2,100  kilomètres 
fait  toujours  à  pied,  levé  à  la  boussole  et  qui  se  vérifie  en  se 
coupant  à  plusieurs  endroits.  Nous  avons  un  li^uré  des 
grandes  lignes  du  terrain  complété  par  de  très  nombreuses 
Cotes  barométriques. 

A  peine  laut-ii  ajouter  que  M.  Crampel  a  réuni  de  cu- 
rieuses informations  sur  le  type  physique,  les  moîurs,  les 
aptitudes,  l'industrie  des  peuplades  avec  lesquelles  il  a  été 
en  contact. 

En  parlant  des  travaux  français  dans  l'Afrique  équatoriale, 
il  faut  signaler  tout  d'abord  un  petit  mémoire  qui  est  en 
réalité  un  iiuporlanl  travail  :  Observations  magnétiques  re- 
cueillies à  la  côte  occidentale  d'Afrique,  par  M.  Mizon,  lieu- 
tenant de  vaisseau.  Personne  n'ignore  la  nécessité  de  con- 
■p  exactement  la  déclinaison  magnétique,  quand  il  s'agit 
iriger  un  vaisseau  ou  de  corriger  un  itinéraire  levé  à  la 
boussole.  L'inclmaison  magnétique,  l'intensité  et  la  com- 
posante horizontale  ne  touchent  qu'indirectement  à  la  géo- 
Craphie;  mais  ces  données  sont  des  éléments  précieux  pour 
la  physique  du  globe.  Seul,  d'abord,  dans  l'inléiieur  de 
l'Afrique,  de  1880  à  1883,  aidé  ensuite  par  M.  de  Roujou,  lieu- 
tenant  de  vaisseau,  en  1885  et  1886,  M.  Mizon  a  effectué  sur 
ia  côleocciilenlale  d'Afrique,  de  Sainl-Louis  du  Sénégal  et  de 
La  Praya  (archipel  du  Cap  Vert),  au  nord,  à  Mossamedes, 
au  sud,  des  observations  destinées  à  trouver  la  déclinaison, 
rinclinaison,  l'intensité  el  la  composante  horizontale. 


HU  ivArroftT  ivn  ucs  thavâux  de  la  société 

Il  publK  4falM&  »ji  note  les  résultats  de  ces  observalions 
C<)ai|tax^  &UA  ut»servations  antérieures,  en  remonlanl  jus- 
qu'à Tiutu^^  1874.  L'examen  des  deux  caries  où  sont  tracées 
!<..  li  ..nv  li'é^ale  déclinaison  montre  la  valeur  scientiliquB 
^.  pratique  du  travail  de  M.  Mizon;  il  est  tel  points 

à  l&  h;»utuur  du  Sénégal,  où  la  carie  magnétique  de  Tami- 
rakuté  anglaise  fait  passer  ta  ligne  de  déclinaison  de  19° 
iK>rd-<)«Oï>t,  rapportée  à  une  môme  date,  à  plus  de  200  kilo- 
luMrcs  à  l'est  de  sa  course  réelle  déterminée  par  M.  Mizon. 
Di"  tt'lies  corrections,  pour  des  points  qui  ne  sont  ni  le 
pMc  sud,  ni  le  Pamir  de  l'Asie  centrale,  ni  le  Borgou  du 
Saluira  méridional,  laissent  entrevoir  ce  qui  reste  à  faire  pour 
établir  une  carie  exacte  des  lignes  d'égale  déclinaison  sur 
toute  la  surface  du  globe.  Elles  nous  montrent  bien  l'intérôt 
qui  s'attache  aux  observalions  comme  au  travail  critique 
de  M.  Mizon. 

Depuis  plusieurs  années,  la  question  du  choix  et  de 
raménagemenl  d'une  route  qui  relierait  à  Loango  les 
établissements  français  sur  le  cours  navigable  du  Congo, 
préoccupait  M.  de  Bnizza,  et  c'est  au  Kouilou-Niadi 
que  le  commissaire  de  ta  République  songeait  comme  pou- 
vant offrir  une  longue  voie  navigable  jusqu'à  une  distance 
relativement  faillie  du  Congo.  On  se  rappelle  la  première 
mission  d'éludés  malheureusement  interrompue  par  la  mort 
du  capitaine  Pleigneur,  englouti  dans  les  rapides  du  Kouilou. 
Un  ingénieur,  M.  Léon  Jacob,  fut  chargé  de  reprendre  et 
de  poursuivre  les  travaux  de  reconnaissances  el  de  nivel- 
lement du  lleuve.  Yers  la  fin  de  l'année  1887,  M.Jacob  avait 
déjà  dressé,  au  moyen  de  ses  premiers  itinéraires,  une  carte 
et  un  tracé  généra!  d'un  chemin  de  fer  qui  partait  du  bas 
Kouilou;  depuis  lors  il  a  continué  l'étude  du  terrain,  levé  de 
nouveaux  itinéraires  qui  portent  à  3,000  kilomètres  leur 
longueur  totale,  étudié  d'une  manière  précise  et  soumis  k 
un  nivellement  exécuté  avec  soin,  la  région  des  rapides  du 


ET    SUn    LES    PROGRÈS   DRS    SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES.      81 

Kouîlou.  De  ces  divers  travaux  est  résullée,  pour  M.  Jacob,  la 
conviction  qu'il  sufûrait  d'enlever  du  lit  de  ce  fleuve  ce r- 
t;ktQs  ob>lacles  tels  que  des  roches,  pour  faire  du  Kouilou- 
Niaii  une  voie  navigable.  M.  Jacob  est  rentré  en  France  et 
dresse  actuellement  la  carte  du  Kouilou-Niadi.  Ses  études 
apint  été  aussi  consciencieuses  qu'elles  ont  été  laborieuses, 
niMis  sommes  assurés  d'avoir  dans  la  carte  et  le  mémoire 
qpi  se  préparent,  l'un  des  documents  géographiques  les 
plus  complets,  les  mieux  établis  qui  aient  encore  été  publiés 
sur  la  région  du  Congo. 


Prenant  l'extrémité  sud  de  l'Afrique  en  un  seul  bloc  afin 
de  ne  pas  séparer  les  dilférenLes  parties  du  groupe  de  trolo- 
nies  européenne»,  nous  examinerons  d'abord  le  résultat  des 
«xplorations  dans  le  pays  de  protectorat  allemand  sous  la 
zooe  tropicale  à  l'ouest.  Les  Mitleilungpn  de  Gotha   ont 
donné  la  carte  des  voyages  du  baron  von  Sieiniicker  de  la 
baiv  de  la  Baleine  (WalQsch  B^i)  et  de  la  pointe  de  Farilhas 
xax  montagnes  d'Oukaniénié  ou  Okoiiiénié  (pays  de  Kao- 
kao),  au   nord,  et  à  Okahandja,  dans  le  pays  des  Herero,  à 
Twt;  cette  carte  couvre  ainsi  deux  degrés  de  longitude  et 
deux    degrés  de  latitude.  L;i  Deutsche  Kolotnalzeititng  a 
publié  sur  le  chemin  d'Angra  Pequena  à  Okahandja,  un  tra- 
vail de  M.  E.  Hermann  qui  complète  au  sud  le  précédent. 
Le  travail  dans  lequel  le  baron  von  Steinàcker  résume, 
avec  ses  propres  observations,  celles  de  ses  prédécesseurs  et 
de  missionnaires  et  marchands  vivant  dans  le  pays,  nous 
apporte  des  données  nouvelles;   elle  corrige  la  représen- 
tation de  la  contrée  entre  la  Kahn  et  le  Swachaub  qui,  en 
réalité,  n'est  pas  aussi  mon(a>^neux  que  les  cartes  le  repré- 
ventaient.  De  même,  plus  au  nord,  les  ravins  qui  descendent 
des  monts  Oukaaiénié  font  partie  du  bassin  de  l'Ougab  au 
lie«  de  dépasser  sa  latitude  vers  le  nord.  En  résumé  le  sol, 

posé  de  roches  métamorphiques  (serpentine,  ophite, 

.v>calcitej,  s'élève,  à  partir  de  la  côte,  en  terrasses  que 

soc    DE  GtoCB.  —  1"  TKIMKSTHB  1691).  XI.  —  6 


82 


RAPPORT  SUR  LES  TRAVAtX  DE  LA.  SOCIÉTÉ 


dominent  des  montagnes  entre  lesquelles  passent  les  cours 
d'eau;  mais  ceux-ci,  saiiT  pendant  la  saison  des  pluies,  ne  sont 
que  des  lils  de  torrents  à  surface  sèche  dans  lesquels  on 
trouve  pourtant  de  l'eau  en  creusant.  La  côte  el  le  liUoral 
sont  tout  à  fait  arides.  Dans  l'intérieur,  l'Européen  trouve 
un  climat  sahibre  qui  lui  permeltrail  de  se  livrer,  sur  de  rares 
points  il  est  vrai,  aux  rudes  travaux  de  la  culture  et,  dans  le 
nord  et  le  nord-ouest,  k  l'élevage  des  bestiaux.  Actuelle- 
ment toute  l'exportation  de  l'intérieur  se  réduit  aux  cuirs, 
aux  tburriires  et  aux  cornes  d'animaux,  qui  doivent  forcé- 
ment chercher  un  déboucbù  au  port  anglais,  la  baie  de  la 
Baleine.  Sandwigs  Hafen,  sur  le  territoire  allemand,  serait 
aussi  un  bon  port;  mais  l'eau  douce  et  aussi  les  coramuni- 
cations  avec  l'intérieur  y  fout  défaut.  Eiilin  les  guerres  qui 
sévissent  entre  les  Hotlenlots  de  la  côte  et  les  Herero  in- 
dépendants de  rinlérieur  enlèvent  toute  sécurité  aux  entre- 
prises des  Européens. 

M.  von  Sleinacker  nous  apprend, sans  l'expliquer,  l'aban- 
don du  territoire  d'Upinglonia  par  les  Boers  du  Transvaal 
qui  avaient  fondé  cette  république  située  au  nord  du 
Herero-land. 

Le  jugement  porté  par  M.  Ilermann  sur  la  région  au  sud 
dufleuveSwachaubconQrme  les  conditions  défavorables  du 
prolecloral  allemand  pour  la  colonisation.  C'était  à  ce  point 
de  vue  spécial  que  M.  Ilermann  avait  entrepris  le  voyage 
d'AngraPequefSa  à  Bethanicn  el  Okahandja.  Comme  le  baron 
von  Slcipiicker,  il  déclare  que  si  le  climat  est  bon  puur  des 
Européens,  en  revanche  les  terres  désertes  situées  entre  les 
régions  fertiles  de  l'intérieur  et  le  port  d'enibarquenieut 
des  produits,  sont  un  très  grave  obslacle  au  dévelo|ipenient 
de  la  colonisation.  Ces  deux  études  auront  un  résultat  géo- 
graphique utile  dans  les  indications  nouvelles  des  cartes 
itinéraires  qui  y  sont  jointes. 

Sur  Madagascar,  la  Bévue  maritime  a  publié  une  descrip- 


I 


ET    srR  LES    PROGnÈS  DES   SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES.      83 

lion  détaillée  du  chemin  de  Tanmasine  ou  Tamalave  à 
AnUiD^ioarivo,  par  le  capilaine  Le  Kournier,  qui  s'est  servi 
des  levés  et  notes  des  officiers  de  l'escorte  de  notre  rési- 
dent général,  en  1886.  Ce  travail  est  accompagné  d'une 
carte,  dressée  par  le  lieutenant  Slaiip,  intéressante  surtout 
■  >  cules  d'altitude  qui  difFèrenl  de  celles  qui  avaient 

ijunées  par  les  voyageurs  précédents. 

Mais  le  document  le  plus  important  que  l'année  ait 
«pporté  pour  la  connaissance  de  Madagascar  est  la  Carte 
4e  Madagascar,  h  l'échelle  de  l/l,ÛO(J/)00',  par  le  père 
jésuite  Désiré  Roblel.  Celte  carlr,  certciiuemenl  la  plus  com- 
plète qui  ait  été  publiée  jusqu'à  ce  jour,  repose  sur  des 
déments  de  plusieurs  ordre*.  Pour  l'îieen  géuiral,  l'auteur 
a  puisé  soit  dans  les  cartes  de  M.  Alfred  Grandidier  et  de 
H.  Mullens,  soit  dans  les  renseignements  fournis  par  seize 
antres  Eup.  >péens  ayant  résidé  ou  voyagea  Madagascar,  soit 
«nlln  dans  Ie<*  indications  orales  des  prisonniers  malgaches. 
Ouant  aux  provinces  d'imerina  et  de  Bulsileo,  le  ligure  en 
est  assis  sur  If  s  résolUits  des  travaux  personnels  du  P.  Hoblet, 
iiotam>uf  nt  sur  une  triangulation  commencée  en  1813,  avec 
des  luslrurnenls  rudimentaires,  puis  reprise  et  continuée 
avec  des  instruments  plus  parfaits. 

Parlant  d'une,  base  de  5,000  mèlres  de  longueur,  mesurée 
par  lui-môme  et  vériflée  au  moyen  d'une  base  auxiliaire 
par  le  capitaine  Lavoii^ieret  le  lieutenant  Martinie,  il  a  fait, 
çtr  des  tours  d'horizon  très  soignés  el  de  i  rès  nombreux  cro- 
■quis  à  l.i  i>lanchelte,  une  trinni^ulatinn  qui  s'étend  jusqu'au 
pajTsdes  Bara,c'esl-à-dire jusqu'à  -iOO  kilotuèlres  au  moins, 
d'Anlaiiânarivo;  au  nord,  elle  porte  jusqu'à  100  kilomètres 
du  ntiôitie  point;  à  l'est  jusqu'à  la  ceinture  des  forints  du 
Jitloral,  et  môme  aux  monts  Fody  et  Ambohiirakoholahy, 
de  la  côte.  A  l'ouest,  elle  s'arrête  à  une  distance 
ffinxima  de  100  kilomètres  d'Antanânarivn.  Celle  triangu- 
lation est  coujplétée  par  les  altitudes  des  points  déduites 
d'observalious  barométriques  et  thermométrtques.  Comme 


84  RAPPORT   SUIl    t.ES   TBAVAl'X   DE   LA   SOCIÉTÉ 

M.  Antoine  d'Abbadie,  en  Ethiopie,  le  père  Roblet  a  pris 
des  signaux  iialiirels  pour  sommets  de  ses  triangles.  Les 
levés  du  père  Roblet  sont  assez  détaillés  pour  que  l'auteur 
n'ait  pu  faire  entrer  dans  sa  carte  tous  les  éléments  qu'il  a 
dessinés  sur  !e  terrain.  Ce  beau  travail,  fruit  de  l'initiative 
et  du  dévouement  d'un  seul  homme,  mérite  les  éloges  que 
nous  ne  ménagerons  pas  au  père  Roblet.  Le  père  Koblet 
est  un  Français,  comme  le  sont  les  officiers  de  lit  mission 
diplomatique  de  1886,  comme  le  sont  aussi  M.  le  doc- 
leur  Catat,  et  M.  Foucart,  ingénieur,  qui  nous  ont  quittés 
celle  année  même  pour  e.\'ptorer  l'intérieur  inconnu  de  la 
partie  sud  de  Madagascar.  li!n  attendant  l'ère  des  levés  ré- 
guliers, il  est  bon  de  rappeler  que  la  géographie  de  la 
grande  île  a  surtout  progressé  par  les  travaux  de  Fraocjais, 
au  nombre  desquels  M  Alfred  Grandidier  conserve  la  place 
d'honneur. 

Une  publication  de  ia  London  Missionary  Society,  Anta- 
nanarivo  Annual  and  Madagascar  Magazine  de  1888,  a 
donné  un  premier  aperçu  du  voyage  accompli  de  juillet  à 
novembre  1887  par  M.  Nielsen-Lund,  missionnaire  nor- 
végien. 

M.  Nielsen-Lund,  après  avoir  traversé  d'abord  le  pays  des 
Bara  dans  les  directions  du  nord-ouest,  a  navigué  jusqu'au 
pays  de  Tanosy,  sur  TOnilaby,  tributaire  de  la  baie  de 
Saint-Augustin.  Du  pays  deTanosyil  atteignit,  au  sud,  un 
désert  où  l'eau  est  rare.  L'existence  d'un  désert  ou  plutôt  de 
steppes  dans  le  pays  des  Bara  s'explique  par  les  caractéris- 
tiques du  climat  que  donne  M.  Nielsen-Lund.  Pendant  la 
saison  sèche,  non  seulement  la  pluie  fait  défaut,  mais 
encore  le  ciel  reste  presque  toujours  sans  nuages  et  la 
chaleur  est  intense.  Aussi  les  herbes  sont-elles  très  rares; 
seuls  les  arbres  dont  les  racines  plongent  loin  dans  le  sol 
conservent  leurs  feuilles  et  leur  verdure.  Peut-être  ce 
désert  de  Madagascar  est-il  dû  aux  causes  générales  qui 
ont  déterminé,  sous   la  même  latitude,  la  formation  du 


ET    SUR  LES    PnOGRÈS   DES   SCIENCES   GÉOGRàPHIQOES.      85 

iésert  Kalahari  en  Afrique,  du  déserl  d'Alacama  en  Amé- 
rique. On  supposait  que  celle  région  inconnuL!  consistait 
en  plaines  semées  de  simples  collines;  le  voy-ige  du  mis- 
stoanaire  norvégien  aura  son  importance,  en  ce  qu'il  ré- 
Tèlp  la  présence  d'une  région  monlagneuse  dont  quelques 
sûCQfuels  dépassent  1,200  mètres  d'altitude.  Forl-Dauphin 
ei4  le  point  où  s'arréle  la  partie  nouvelle  du  voyage 
it  M.  Nielsen-Lund. 

Conamc  le  pays  des  Bara,  au  sud,  la  partie  nord  de 
Madagascar  offre  aux  explorateurs  un  champ  de  travaux 
à  peine  entamé,  oii  leur  seul  devancier  a  été  M.  Alfred 
Grandidier.  Une  compagnie  anglaise  ayant  conçu  le  projet 
d'exploiter  les  richesses  forestières  de  ce  pays  presque 
iiicoanu,  chargea  M.  llansome  de  reconniiître  le  terrain 
sur  une  superlicie  de  4,100  kilomètres  carrés,  à  partir  de 
rèslrémitô  nord  de  la  baie  d'Anlongil,  dans  l'intérieur, 
wrs  le  nord-ouest,  et  de  concentrer  son  attention  sur  le 
fleure  Antanambalana. 

Après  avoir  franchi  l'étroite  ligne  de  forfits  qui  borde  la 
<-'ôle,  M.  Ransorae  pénétra  dans  une  région  de  collines  qui 
atteignent  une  hauteur  de  GOO  mètres.  De  ces  hjuleurs 
{ircsque  entièrement  couvertes  de  forôts  vierges,  descend 
ters  le  sud-e^st,  le  fleuve  Antanambalana  qui  se  verse  dans 
U  mer  près  du  village  de  Aiuroantsetra,  dans  la  partie  nord 
<le  U  baie  qui  offre  un  bon  mouillage.  Par  un  fait  excep- 
Uoaoei  pourMadagascar,rAnlanambalanasurlequelM.  Ran- 
torao  donne  beaucoup  de  détails,  ne  forme  pas  de  barre  à 
»oa  embouchure,  mais  présente  un  cours  très  sinueux. 
A  une  trentaine  de  kilomètres  de  son  embouchure  com- 
ueocenl  des  rapides  qui  se  multiplient  à  mesure  qu'on 
aj>proche  des  montagnes;  à  quelques  cinquante  lulomètres, 
"  -  ''inlérieur,  de  vériUibles  cascades  empiîchent  les  grands 
s  de  remonter  plus  loin.  Le  seul  affluent  notable  du 
fleuve  est  le  Vohimaro,  sur  la  rive  droite;  il  est  pareille- 
ment barré  par  des  rapides. 


86  nAPPORT  SUB   LES   TRAVAUX  OE   LA   SOCIÉTÉ 

M.  Ransonie  vante  la  beauté  des  paysages,  la  fertilité  du 
sol  et  la  boulé  du  cliiiiiU  au  point  da  vue  de  la  végétation. 
Les  forêts  sont  peuplées  de  bois  durs  inconnus  dans  le 
commerce.  Parmi  les  fruits  et  les  légutties,  l'auteur  cite 
l'ananHS,  le  coco,  la  goyave,  la  banane,  la  mangue,  l'orange, 
le  citron,  le  gingembre,  le  manioc,  Ir  haricot  et  le  piment. 
Le  caoutchouc  abonde  aussi  et  on  exploite  ce  produit  vé- 
gétal. La  faune  est  représentée,  pour  les  mammifères,  par 
des  lémuriens.  Les  oiseaux  et  les  reptiles,  assez  nombreux, 
ont  été  étudiés  aussi  par  l'auleur. 

ijuant  aux  habitants  du  iiassin  de  l'Antanambalana,  ils 
appartiennent  j\  la  rare  des  Betsimisaraka;  leurs  cheveux, 
sont  généralement  crépus  et  leur  teint  est  pins  foncé  que 
celui  des  Ova.  Parmi  eux  viennent  s'établir,  pour  une  saison, 
des  Sakalava  de  l'ouest,  et  des  Bara  du  sud,  sorles  à'aoû- 
terons  qui  rentrent  dans  leur  pays  après  Fachèvemenl  des 
travau-v  des  champs. 

L'année  qui  va  finir  a  apporté  quelques  nouveaux  faits 
à  la  connaissance  du  fleuve  Zambézi  et  de  son  bassin.  C'est 
d'abord  l'indication  d'un  bras  du  delta,  le  Tchindé,  que 
M.  Raukin,  à  la  suite  de  huit  mois  d'études,  croit  introduire 
pour  la  première  fois  sur  la  carte.  Un  marin  anglais  auquel 
l'hydrographie  de  cette  côle  doit  beaucoup,  le  comman- 
dant Wharlon,  n'admet  pas  cette  découverte  et  pense  qu'il 
s'agit  du  bras  d'Inhaombé.  Mais  ce  qui  appartient  plus  sù- 
remenlà  IM.  Hankin,  e'estd'avoir  montré  que  des  bâtiments 
jaugeant  de  400  à  500  tonneaux  peuvent  remonter  le  bras  de 
Tchindé  ou  Inhaombé.  Jusqu'à  ce  jour,  d'après  une  note 
du  commandant  Wharton  dans  le  Scottisk  geographicat 
Magazine  de  ISHT,  la  navigation  prenait  le  bras  de  Quaqua 
pour  pénétrer  dans  le  Zambézi,  et  seuls  des  bateaux  d'un 
faible  tonnage  parvenaient  à  le  remonter,  non  sans  être 
forcés  de  rompre  charge  plusieurs  fois  en  route. 

Les  données  contenues  dans   une  communication  du 


ET  8PR   I.CS    PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES. 

dorleur  Oscar  Lenz  sur  le  delta  de  Zambézi,  imprimée  aux 
UiHeilungen,  ne  s'accordent  pas  avec  celte  dernière  indi- 
calioo  du  commandant  Wharton.  Selon  M.  Lenz  qui  ex- 
plorait le  delta  en  décembre  1886,  le  Quaqua  serait  un 
petit  fleuve  côlier;  né  tout  près  du  bras  principal  du 
fleuve^  il  en  serait  séparé  par  une  muraille  d'argile  qui, 
iaoefsamment  minée  par  les  eaux  de  ce  dernier,  cédera  tût 
ou  tard;  alors  seulement  le  Zambézi  se  jettera  dans  la  mer 
par  le  Quaqua  comme  par  les  autres  bras  du  delta. 

La  carie  de  la  Gbiré  et  du  lac  Nyassa  est  née  pour  ainsi 
dire  sous  Qos  yeux;  elle  date  de  la  publication  du  deuxième 
foyage  de  Livingstone,  en  i865.  Au  bonc  de  vingt-quatre 
»i)s  seulement,  nous  arrivent  des  déterminations  astrono- 
miques sûres  pour  appuyer  les  levés  détaillés  de  ce  bassin. 
Elles  sont  dues  h  M.  O'Neill,  consul  d'Angleterre  pour  ie 
tVyassa.  Déjà  une  première  fois,  il  y  a  quatre  ans,  M.  O'Neill 
lïail  déterminé  la  longitude  de  Diantyre.  Ses  observations 
plus  récentes  poussent  ce  point  légèrement  dans  l'ouest,  et 
tout  le  rivage  ouest  du  lac  Nyassa  se  reporte  à  un  huitième 
de  degré  dans  l'est,  par  rapport  au  tracé  de  l'ingénieur 
anglais  Stewart.  La  fi)rine  allongée  du  Nyassa  subira  donc 
une  réduction  en  largeur  qui  changera  d'une  manière  très 
appréciable  son  aspect  sur  la  carte. 

Pour  la  région  du  haut  Zambézi  et  des  pays  limitrophes 
«u  ofird  et  au  sud,  nous  devons  des  indications  géogra- 
phiques nouvelles  à  deux  voyageurs  anglais  :  un  ami  des 
missions  protestantes,  M.  Arnot,  et  un  célèbre  chasseur, 
M.  Selous. 

H.  Arnot  qui  a  consacré  à  sou  voyage  près  de  sept  ans, 
a  effectué  une  traversée  oblique  de  l'Afrique  australe,  de 
Nalai  à  Renguela.  Son  chemin,  levé  à  la  boussole,  se  con- 
fond sur  plusieurs  parties  avec  ceux  du  major  Serpa  Pinto, 
d«  MM-  Capello  et  Ivens,  de  Livingstone,  de  M.  Gameron, 
de  M-  Uolub,  etc.;  il  touche  Potscliefstroom,  dans  le 
Transvaal  et  Chochong,  capitale  du  Bii-Mangwato;  il  Ira- 


88      HAPrORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

verse  la  partie  nord-osl  du  Kalah;iri  et  examine  la  Botléllé, 
singulier  cours  d'eau  qui,  à  lu  saison  des  piuics,  coule  dans 
l'est,  vers  la  sebkha  ou  marais  salant  de  Ntwelw^é,  tandis 
qu'au  début  de  la  saison  sèche,  il  coule  au  lac  N'gami,  dans 
l'ouest.  M.  Arnot  a  été  ie  premier  à  indiquer  le  lien,  qui 
rattache  le  marais  salant  de  Nlwetwé  au  bassin  de  Kou- 
bango;  Livingslonc,  M.  Holub  el  le  major  Serpa  Pinlo 
l'avaient  marqué  sur  leurs  cartes  comme  une  cuvette  isolée. 

Sur  la  rivière  Mabali  et  sur  le  Tchobé  ou  Kwando,  qu'il 
remonte,  M.  Arnot  trouve  le  pays  éprouvé  par  une  grande 
sécheresse.  H  redescend  un  peu  au  sud,  à  Panda-ma-Tenka, 
où  il  savait  pouvoir  se  ravitailler,  puis  gagnant  Lialoui,  sur 
la  Liba,  il  demande  au  roi  des  Barotsé  la  permission  de 
voyager  dans  ses  États;  après  cinq  mois  d'fibscnce,  il  re- 
lourne  à  Penda-ma-Tenka,  Une  seconde  fois  il  remonte  le 
Zambézi,  et  repassant  par  Lialoui,  il  gagne  enfin  la  colonie 
portugaise  d'Angola,  à  Belmonle,  dans  le  district  d'Ovihé  ou 
Bihé.  De  Benguela,  ou  plutôt  de  Bihé,  M.  Arnot  repart 
pour  l'est  en  cheminant  au  nord  de  son  premier  itinéraire 
et  de  celui  de  M.  Caraeroo. 

A  Test  de  la  Loumesé,  haut  affluent  du  Zarabézi,  il  arrive 
à  un  des  points  les  plus  intéressaiHs  de  louL  son  voyage,  à 
la  grande  plaine  de  Tchifouraadji  ou  Kifoumadji,  dont 
M.  Gameron  avait  entendu  parler  et  qu'il  avait  cru  Être  un 
lac  important.  C'est  en  réalité  une  vaste  plaine  sablonneuse 
dans  laquelle  se  trouve  le  petit  lac  Dilolo;  pendant  la  saison 
des  pluies  seulement  la  plaine  est  recouverte  d'une  nappe 
d'eau  dont  la  profondeur  varie  de  60  centimètres  à  un 
mètre. 

Au  delà  de  cette  plaine,  M.  Arnot  pénètre  dans  l'ancien 
empire  de  Lounda  qui,  florissant  encore  en  187li,  s'est 
(ondu  depuis  lors;  nous  avons  ainsi  un  nouvel  exemple, 
après  celui  du  royaume  des  Rlakololo,  sur  le  Zambézi,  de 
la  facilité  avec  laquelle,  dans  l'inlérieur  de  l'Afrique  aus- 
trale, se  font  et  se  défont  les  empires. 


ET   SDR   LES   PROGRÈS   DES    SCIENCES   GÉOCUAPHIQUES.      89 

Franchissant  le  LouaUlba,  l'un  des  premiers  aflluents  de 
gaoclie  du  Congo,  il  entre  dans  le  Gareiiganzé,  connu  au- 
trefois sous  le  nom  de  Katani^a,  et  dont  le  chef  M'sidi  ou 
N'siri,  réside  à  Moukourrou-oa-Ouiikeya,  sur  la  Loulira. 
C'fst  là,  dans  le  Garenganzé,  que  s'étaient  déjà  renconirces 
le»  routes  de  M.  Reichard,  venu  du  nord,  et  de  MM.  Capello 
H  Ivens,  venus  du  sud.  A  une  quinzaine  d'années  en  arrière 
de  nous,  Garenganzé  faisait  partie  de  l'enapire  d'Ouroua  et 
obéissait  par  conséquent  au  kaxembé  lie  ce  pays.  L'empire 
d'Ouroua  aussi  s'est  dénienibré  et  d'ancien  vassal  du  ka- 
•'•,  M'siri,  est  devenu  roi  indépendant  du  Garenganzé. 
......  re  d'un  gynécée  de  [»(}Û  fiimrnes,  M'siri  a  su  leur  pro- 
curer des  occupations  utiles,  en  les  chargeant  de  repré- 
senter auprès  de  lui  les  gouverneurs  de  districts,  et  d'être 
aussi  les  banquiers  des  tributs  que  ces  gouverneurs  doivent 
verser  au  souverain. 

M.  Arnot  a  employé  un  séjour  de  deux  années  dans  le 
Garenganzé,  à  préparer  la  venue  de  missionnaires  proles- 
lanls.  envoyés  d'Angleterre  eu  1885.  Il  a  pu  constater  que 
les  cooinierçants  musulmans  de  l'est  ont  déjà  porté  jusque- 
iileurs  opérations. 

M.  Arnot  regagna  le  Bihé  à  peu  près  par  la  môme  roule 
qu'il  avait  suivie  au  commencement  du  voyage. 

Les  itinéraires  de  M.  Selaus  courent  dans  le  bassin  du 
Zambézi  jusqu'à  cinq  degrés  à  l'est  de  Lialoui  où  vient 
»|e  nous  conduire  M.  Arnot.  M.  Seîous  a  suivi  le  haut  Zam- 
bézi, l'a  longé  à  une  quarantaine  de  kilomètres  vers  l'est, 
dan»  Tempire  Maroulsé-Mambounda;  plus  à  l'est,  il  a 
poassé  des  pointes  dans  le  Baniangwato,  au  sud  du  Zam- 
bézi, et  chez  les  Macboukoulouuibwé,  au  nord  du  m€me 
fleare,  jusque  près  de  son  afUuent  la  Kaloukwé  ou  Loen- 
gué.  La  carte  de  M.  Selous,  après  la  carte  du  docteur 
Uotiib*  complète  celles  des  deux  premiers  ouvrages  de 
Livingslone,  pour  le  cours  du  Zambézi  cl  de  ses  affluenls. 


90      BAPPORT  SUn  LES  TRAVADX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Partant  du  kraal  de  Waiiki,  sur  la  rive  nord  du  Zanibézi 
et  à  une  centaitie  de  kiloaièlres  à  l'est  des  chutes  de  Mosi- 
oa-lounya  (VicloriaFalls),  il  a  tracé,  dans  le  nord  un  itiné- 
raire en  terrain  neuf,  jusqu'au  village  de  Minenga,  chez  les 
Machoukouloumbwé,  à  peu  de  dislance  de  la  rivière  Ka- 
foukwé.  M.  Selousét»ii  en  route  pour  le  pays  deGarenganzé, 
quand  allaqué  et  pillé  au  kraal  de  Minenga  comme  l'avait 
été  son  prédécesseur  le  docteur  Holub,  il  dut  se  résigner 
à  fuir  et  ce  n'est  pas  sans  peine  qu'il  regagna  le  kraal  de 
Séchéké  sur  le  Zambézi.  Déjà  les  Matabélé  du  sud  ont 
poussé  leurs  incursions  en  pays  Balukii,  sur  la  rive  nord  du 
Zambézi  etjusqu'à  moitié  de  la  route  entre  le  fleuve  el  le 
territoire  des  Maclioukoulourabwé;  leurs  courses  dévasta- 
Iriues  préparent  sans  doute  quelque  nouveau  changement 
politique  dans  la  région  déjà  si  bouleversée  du  Zambézi 
central. 

Au  mois  de  mai  dernier  M.  Selous  a  entrepris  un  nouveau 
voyage  vers  le  pays  de  Machona,  à  l'est  du  royaume 
Matabélé;  son  but  est  de  recliercher  des  placers  d'or  et 
d'étudier  une  région  où  pourraient,  pense-t-il,  s'établir  des. 
agriculieurs  anglais.  Ce  n'est  là  que  le  prélude  d'une  grande 
expédition  projetée  par  M.  Selous  qui  veut  atteindre  le 
Garenganzé  en  partant  du  Zambézi,  descendre  ensuite  le 
Loualaba  jusqu'à  N'yangwé,  puis  le  Congo  jusqu'à  l'océan 
Atlantique. 

Ceux  qui  ne  sont  pas  familiarisés  avec  la  géographie  afri- 
caine sourient  à  ses  noms  bizarres,  barbares,  décourageants. 
Il  leur  semble  entendre  parler  de  pays  ou  <îe  peuplades 
visités  par  Gulliver,  (jn'ils  s'y  habituent,  cependant,  car  peu 
à  peu  ils  verront  s'en  introduire  un  certain  nombre  dans 
leurs  journaux  où  les  événements  qui  se  préparent  en 
Afrique  exigeront  une  place  de  plus  en  plus  considérable. 


En  nous  éloignant  de  la  région  du  Zambézi,  enregistrons 
le  retour  à  Kilimané  d'un  Français,    M-  Trivier,  capitaine 


rr   SUR  tES    PBOGRÈS   DES   SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES,      ftl 

au  long  cours  qui,  parli  de  la  région  du  Congo,  a  effectué 
nne  traversée  de  l'Afrique.  Il  est  impossible,  quant  à 
prwent,  de  rien  dire  de  ce  voyage  dont  les  détails  ne  sont 
connus  que  d'après  quelques  lettres  adress<'es  par  le  voya- 
geur au  journal  la  Gironds,  aux  frais  duquel  i!  a  accompli 
son  voyage.  S'il  en  rapporte  des  notes  ou  observations  d'un 
caractère  scientifique,  c'est-à-dire  qui  ajoutent  quelque 
chose  d'important  aux  notions  acquises  déjà  sur  lus  pays 
qu'il  a  visités,  la  Société  de  Géographie  sera  heureuse  de  le 
constater  et  le  prochain  rapport  ne  manquera  pas  d'en 
aire  mention. 

Aurapporlde  1888,  vous  avez  trouvé  l'exposé  sommaire  de 
l'exploration  du  comte  Teleki  et  deM.  von  Ilôhne!,  officier 
de  la  marine  autrichienne,  dans  l'intérieur  de  l'Afrique 
équatoriale.  Jusqu'à  ce  jour  les  résultats  complets  du 
voyage  n'ont  pas  été  publiés;  mais  une  communication  de 
SL  von  Hôhnel  lui-même  à  notre  Congrès,  et  un  article 
donné  par  les  Milteilungenf  permettent  de  juger  l'impor- 
tance de  ce  voyage. 

Partie  de  l'embouchure  de  la  rivière  Pangani  en  février 
18S7,  l'expédilion  suit  le  fleuve  Rovouma  dont  elle  relève 
"0  kilomètres  encore  inconnus  ;  elle  s'achemine  sur  le 
msA^if  du  mont  Mérou  dont  elle  détermine  l'altitude  à 
4,W6  mètres;  elle  gagne  de  là  l'énorniu  Kiliiua  N'djâro,  non 
loin  duquel,  au  moment  de  se  mettre  en  route  dans  la 
di^eclio^  du  Kénia,  elle  est  obligée  de  soutenir  de  rudes 
combats  contre  les  MasaT  du  pays  de  Kikouyou.  En 
octobre  1887,  l'expédition  parvient  au  Kénia  ou  Doényo 
Bguéré,  le  «  mont  tacheté  b  des  Masaï;  puis,  continuant  sa 
roule  dans  le  nord,  elle  découvre  de  nouveaux  lacs  à 
ajouter  à  ceux  qui  se  développent  dans  l'Afrique  orientale, 
des  rives  de  l'océan  Iiulieii,  en  face  Madagascar,  au 
bassin  du  Nil,  sous  le  méridien  moyen  de  33°40'  à  l'est  de 
Paris. 


RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIETE 


MM.    Teleki  et  von    Hohnel     nous  apporleul,   sur    les 


Ihcs  le  pli 


de  la  côte,  eiilre    le  6'  degré  nord  et  le 


voisit 

4°  degré  sud  de  l'équateur,  des  informations  précises.  Ces 
lacs,  les  uns  gnmds,  les  autres  petits,  n'ont  pas  d'écoule- 
ment; ils  constituent  autant  de  bassins  fermés.  Si  les  uns, 
comme  le  Basso-Narok  (lac  noir)  ou  lac  Rodolphe, le  Baringo 
et  le  Naïwacha  renferment  de  l'eau  douce,  l'eau  estsaléedaus 
d'autres,  tels  que  le  Bassu-lîbor  (lac  blanc),  le  Nakoura- 
Sekelaï,  le  Maou  et  le  Manyara;  à  Soukouta,  entre  le  Basso- 
Narok  et  le  fiaringo,  le  sol  se  déprime  en  un  marais  couvert 
d'efflorescences  de  sulfate  de  magnésie,  qui  représente 
évidemment  le  fond  d'un  lac  desséché. 

Le  plus  grand  des  lacs  découvert;:  par  les  explorateurs 
autrichiens,  le  Basso-Narok,  occupe  un  véritable  désert. 
De  temps  à  autre  seulement  des  éléphants  viennent  cueillir 
des  algues  dans  ses  eaux  faiblement  salées.  Au  nord  du 
lac  vivent  les  Rechiàl  qui  appartiennent  peut-être  k  la  race 
oromo  ou  \^Ma,  puis  des  colonies  de  Bourkénédji  et  de 
Randilé.  Ces  derniers  sont  nomades  et  se  rattachent  aux 
Somâli.  Plus  loin  vers  le  nord-ouest  habitent  d'autres  tribus 
à  peu  près  nouvelles  pour  ia  gén^çruphie  ;  de  ce  nombre  sont 
lesTûurkana,  dont  avait  entendu  parler  M.  Joseph  Thomson. 
Dans  leur  p;iys  s'élève  un  volcan  cti  aciivité.  Ce  serait  le 
second  volcan  de  l'Afrique,  car  au  Djebel  Zer-hoùn,  dans  le 
Maroc,  M.  Duveyrier,  après  Léon  l'Africain  el  sur  le  dire 
des  indigènes,  nous  en  a  siynalé  un  dont  M.  Wulter  B.  Harris 
a  entendu  parler  récemment. 

Le  terriloire  des  lacs  sans  écoulement  découverts  par 
MM.  Teleki  et  von  HiJhnel  est  bordé  d'une  chaîne  de  mon- 
tagnes qui  l'isole  du  bassin  du  Nil  ;  dans  l'est  une  autre 
chaîne  dominée  par  te  Kénia  et  le  Kilima-N'djâro^  sépare 
de  l'océan  Indien  le  bassin  des  lacs  fermés  de  l'Afrique 
oricnlale. 


4 


A  une  quarantaine  d'années  en  arrière  de  nous,  un  Fran- 


ET    &DR   LKS   PnOCnivS   DES    SUIK>'CES   CÉOCRAPEIQLES.      ?3 

çais,  M.  Antoine  d'Abbadic,  découvrait,  an  sud  de  l'Ethiopie, 
la  rivière  Omo  qu'il  pouvait  alors  prendre  pour  l'uae  des 
ïorces  du  Nil.  Le  voyage  de  M.  Borelli,  s'ajoulant  ;\  celui 

MM.Teleki  et  vouHôhnel,  a  donné  une  solution  presque 
cotnplèle  de  la  question  de  ]'0mo. 

!\f.  Borelli  a  consacré  trois  ans  h  explorer  la  haute 
Elhiopic,  et  ses  relevés,  très  exacts,  viendront  compléter  h 
l'est  reiix  de  M.  d'Abbadie.  Ils  se  sont  étendus,  en  effet,  sur 
cinq  degrés  de  latitude,  de  Tatijuùra,  sur  le  golfe  d'Aden, 
au  mont  Bobbé,  dans  le  pays  de  Koullo,  à  160  kilomètres 
esl-sud-est  de  Bonga,  en  Kafl'a,  et  sur  sept  degrés  de  longi- 
tude, entre  Zêla,  et  les  environs  de  Bongn. 

En  butte  aux  méfiances  de  Méiiélik  II,  roi  de  Chawâ, 
M.  Borelli  dut  se  contenter  d'abord  défaire  quelques  excur- 
sioas  dans  les  Klals  de  ce  souverain.  Son  début  le 
mena  d'Anloto  à  Harar,  dont  Ménélik  venait  de  s'emparer. 
Il  fut  le  premier  Européen  à  profiler  de  la  percée  militaire 
UD&i  faite  par  le  souverain  du  Chawà, 

Dans  une  deuxième  campagne,  M.  Borelli  explora  le  petit 
rovautne  de  Djimma,  déjà  visité  par  M.  d'AbbarJie;  il  fit 
l'ascension  du  mont  Dendi  et  du  mont  llarro,  anciens 
volcans  dont  les  cratères  se  sont  transformés  en  lacs.  Le 
mont  Harro.avec  ses  3, 100  métrés  d'altitude,  forme  le  point 
culminant  du  massif.  De  l'antre  côlé  de  la  Guibé,  une  des 
télés  de  l'Omo,  il  gravit  le  taont  Otché,  traversa  le  royaume 
de  Limmou  et  fit  l'ascension  du  mont  Maï  Gôudo,  haut  de 
3,300  mètres  et  situé  au  confluent  de  la  Godjeb  dans  l'Omo. 
Plus  loin  dans  le  sud,  il  arriva,  à  travers  une  forêt  de  bara- 
bou$y  an  pic  de  Kalfarsa,  du  sommet  duquel  il  put  faire  des 
relèvements  dans  les  t«rres  inconnues  du  sud.  Sur  sa  route 
vers  le  petit  royaume  de  Zinguéro,  dont  les  habitants 
l'expulsèrent  à  coups  de  lance,  il  découvrit  le  confluent  de 
la  Guibé  dans  l'Omo. 

Revenant  à  Djiren,  capitale  du  Djimma,  il  repartit  vers 
l'est,    traversa  l'Omo  et  arriva  sur  les  confins  du  royaume 


■Ql  «APPORT   SDH   LES   TRAVAUX   DE   LA    SOCIÉTÉ 

de  Kambatta  où,  du  haut  da  moni  Kobidja,  il  aperçut  le  lac 
Abbala  dont  l'existence  avait  été  signalée  autrefois  par 
M.  d'Abbadio  d'après  les  dires  des  indigènes.  C'est  encore 
de  Djiren  où  il  était  rentré  en  Itaversant  le  pays  de  Wol- 
lamo,  que  M.  Borelii  poussa  une  reconnaissance  dans  le 
Koulio;  il  atteignit  dans  ce  pays,  par  6»  30'  de  latitude  nord, 
le  point  le  plus  méridional  de  son  voyage,  le  inotil  Bobbé, 
d'où  il  put  voir  l'Omo  s'enfoncer  en  serpentant  dans  la  di- 
rection du  sud. 

Les  indigènes  affirmèrent,  à  M.  Borelii  que  ce  cours  d'eau 
rOraOjSeperdaildaiis  un  lacappeléCharnbara.Cerenseigne- 
menl  concordait  avec  ceux  d'après  lesquels  le  voyageur  alle- 
mand Krapf,  le  missionnaire  français  Léon  des  Avanchers  et 
les  voyageurs  anglais  Wakefleld  et  Joseph  Thomson  avaient 
placé  sur  leurs  cartes,  approximaliveraent  dans  ces  parages, 
un  lac  Zambourou,  Sambourou  ou  Bôo.  A  vrai  dire  le  nom 
de  Sambourou  qui  ressemble  fort  à  Chambara,  est  non  pas 
le  nom  du  lac,  mais,  comme  l'ont  constaté  MM.  Teleki 
et  von  Hohncl,  celui  d'une  peuplade  qui  habile  sa  rive 
orientale. 

En  apprenant,  au  Caire,  les  résultats  de  cette  expédition, 
M.  Borelii  fut  amené,  fort  naturellement  ce  semble,  à  con- 
sidérer le  lac  Basse  Narok  qui  confine  aux  Sambourou, 
•comme  identique  avec  le  lac  de  Chambara  de  ses  infor- 
mateurs indigènes. 

Les  considérations  échangées  entre  MM.  Borelii  et  von 
HChnel  pour  éclaircir  ce  point,  permettent  de  cuni^i- 
dérer  comme  acquis  un  fait  géographique  que  tous  deux 
acceptent;  c'est  qu'au  lieu  d'être  un  affluent  do  ^iil,  la 
rivière  Omo  appartient  au  bassin  fermé  du  lac  Basso  Narok. 
Il  semble  également  presque  démontré  que  les  gens  du 
nord  appellent  Chambara  le  lac  Basso  I^arok,  parce  qu'il 
borde  le  pays  de  Sambourou. 

D'auires  excursions  faites  par  M.  Borelii  sur  le  chemin 
du  retour,  au  nord  du  Djimma,  lui  permirent  de  gravir  le 


ET    SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES.      95 

mont  Soumet,  qui  domine  les  vallées  du  Djimma  et  de 
X.iaimou  Enarya,;  de  visiter  le  pays  de  Hereto  et  d'aborder 
le  pays  de  Zinguéro  que  peuple  une  race  spéciale,  adonnée 
aax  sacrifices  humains.  M.  Borelli  put  expérimenter  la 
férocité  des  gens  de  Zinguéro,  car  le  chef,  sous  la  conduite 
et  la  protection  duquel  il  était  arrivé,  fut  tué  dans  un 
conabat. 

Rentré  enfin  à  Antoto  notre  méritant  compatriote  s'éloi- 
gnait de  l'Ethiopie  par  la  voie  de  Harar  et  de  Zêla'. 

En   dehors  des  observations  purement  géographiques  ce 
voyage  nous  vaudra,  pour  ne  toucher  que  les  points  les 
plus  saillants,  deux  années  d'observaiions  météorologiques 
dans  la  haute  Ethiopie,  huit  cents  photographies  des  types 
des  races  humaines,  et  des  études  ethnographiques  et  lin- 
guistiques fort  précieuses.  La  population  de  la  région  par- 
courue appartient  aux  (rois  races  amara,  oromoet  sidama 
qui   sont  étrangères  à  la  famille  nègre.  Il  n'existe  plus 
d' Amara  pur  sang;  ce  peuple  est  maintenant  très  métissé 
par    suite  de    nombreuses    alliances   avec    des  esclaves. 
Les  Oromo  sont  ce  que  nous  connaissions  autrefois  sous  le 
nona  de  G;illa.  Quant  aux  Sidama,  il  s'agit  d'une  famille, 
dislincle  des  Amara  et  des  Oromo  ou  Galla,  et  comprenant 
les  habitants  d'une  tr«'ntaine  de  pays,  y  compris  le  Kaffa, 
semés  dans  le  bassin  de  l'Omo. 

M.  Borelli,  a  rapporté  aussi  des  vocabulaires  kouUo, 
tamb'«ro  et  hadia  qui  permettront  de  classer  la  race  et  les 
langues  sidama.  Enfin  le  musée  du  Troradéro  s'est  enrichi, 
grice  à  M.  Borelli,  d'une  très  belle  collection  ethnogra- 
phique. 

Au  total,  solidité  et  abondance  des  éléments  ajoutés 
à  une  partie,  fort  pauvre  jusqu'ici,  de  la  carte  du  sud  de 
l'Élbiupie,  richesse  des  informations  de  toute  nature 
recueillies  dans  les  pays  visités,  font  de  la  mission  conQée 
à  M.  Borelli  par  le  Ministère  de  l'Instruction  publique  l'une 
des  plus  fécondes  qui  se  soient  accomplies.  L'ouvrage  dont 


96  RAPPORT    suit    LES    TRAVAUX    DE    LA   SOCIÉTÉ 

la  publication  se  prépare  en  ce  moment  établira  les  titres 
iiiconlcstables  de  M.  Borelli  à  la  reconnaissance  de  la  géo- 
graphie. 


La  contrée  droit  au  sud  de  Berbera^  port  assez  fréquenté 
du  j^'olfe  d'Adeii,  n'avait  été  visitée  jusqu'à  ce  jour  qu'à 
une  distance  de  "IW  kilomètres  sud-sud-ouest  de  Berbera, 
où  le  vaillant  Hagfçenmacher  avait  touché  le  point  de 
Libahéli.  Les  autres  voyageui's,  sur  ce  m&me  terrain, 
n'avaient  pas  dépassé  le  pied  du  Gan  Libab,  sommet  de 
2,895  mètres, qui  couronne  le  versant  du  plateau  intérieur, 
à  90  kilomètre?  seulement  de  Berbera. 

Du  mois  de  décembre  1884  au  mois  d'avril  1885,  MM.  P. -L. 
et  \V-D.  James,  accompagnés  par  MM.  Aylmer,  Loit-Phillips 
et  Thrupp  ont  accompli  dans  le  nord  des  pays  Somàli,  un 
voyage  d'e.xploration  plus  étendu  que  tous  ceux  de  leurs 
prédécesseurs. 

L'itinéraire  de  MM.  James  relie  pour  la  première  fois  la 
cûte  africaine  du  golfe  d'.^den  au  cours  du  fleuve  inté- 
rieur Wobi  ou  Webbé  Chebejli,  qui  se  perd  dans  un  lac 
près  delà  côte,  au  sud-ouest  de  Barawa.  Le  point  le  plus 
méridional  qu'ils  aient  atteint,  près  de  Barri,  sur  le  Ueuve 
Wobi,  est  à  545  kilomètres  dans  le  sud  de  Berbera  et  à 
468  kilomètres  seulement  dans  le  nord  de  Barawa.  Ils  ont 
rattaché  Barri  à  Berbera  par  deux  itinéraires  dont  l'écart 
maximum  dépasse  100  kilomètres  et  qui  courent  l'un  à  l'est 
et  l'autre  à  l'ouest  du  mont  Gan  Libah. 

Sous  le  titre  de  The  unknown  horn  of  Africa,  M.  F.-L. 
James  a  publié  l'an  dernier  (1888)  la  relation  de  cet 
important  voyage,  avec  une  carte  dressée  par  MM.  W.-D. 
James  et  Aylmer.  En  dehors  de  son  intérêt  pour  le  public 
en  général,  le  livre  est  un  document  précieux  pour  la 
géographie,  et  les  sciences  naturelles  y  trouveront  des 
appendices  zoologiques  et  botaniques.  Quanta  la  carte  qui 
est  à  grande   échelle,  et  représente  un  pays  jusqu'alors 


ET    Sfll   LES   PROCHES   DES   SCIENCES   GÉOCUAPHIQUES.       07 

inconnu,  il  ne  parait  pas  qu'elle  s'appuie  sur  des  observa- 
tions astronomiques.  Cette  partie  du  travail  de  MM.  James, 
malgré  des  divergences  notables avecle  tracé dcM.  Haggen- 
macber,  inspire  néanmoins  toute  la  confiance  qu'on  doit 
avoir  dans  un  itinéraire  soigneusement  levé. 

Dans  la  chaîne  côtière,  au  sud-sud-est  do  Berbeia,  naît 
an  cours  d'eau  important,  le  Toug  Daïr,  affluent  de  l'Oiiâdi 
Nogûl  qui  coule  au  sud-est  pour  aller  porter  ses  eaux 
à  l'océan  Indien  au  nord  du  cap  ItdsEl-Kheïl. 

Au  sud  de  la  chaîne  côtière  dont  fait  partie  le  moni  Gan 
Libab,  et  qui  n'est  à  vrai  dire  que  le  versant  nord  du  pla- 
teau intérieur,  le  sol,  garni  de  touffes  d'herbes  serrées,  est 
^rsemé   d'une  espèce  de   mimosa  ou  d'acacia  formant 
parasol.  Comme  les  plateaux  du  sud  de  la  province  d'Alger, 
celui-ci  paraît  être  un  lieu  de  prédilection  pour  les  graminées. 
Vw  autre  région,  plus  au  sud,  est  le  Haoï^d,  dont  le  nom 
arabe  veut  dire  «  bassin  »,  terres  rougeâlres  où  les  buissons 
te  montrent  plus  forts,  plus  hauts,  et  où  les  voyageurs  ont 
observé  un  minimum  de   température  de  5*  7  le  M  dé- 
cembre 1884.  Ces  conditions  n'empCcheni  pas  le  rhinocéros 
cl  plusieurs  antilopes  de  vivre  dans  te  Ilaoûd. 

.\u  delà  commence  le  pays  d'Ogadèn,  que  MM.  James 
ont  parcouru  les  premiers.  Jadis  rOgadôn  comme  d'autres 
contrées  plus  au  nord,  était  habité  par  les  Oromo  ou  Galla, 
qui  l'évacuèrent  pour  l'abandonner  à  des  Somâ.liMedjourtîa 
et  ans  Midgân.  Un  cours  d'eau  appelé  Toug  Fafan,  qui 
va  se  perdre  au  sud-est,  dans  les  marais  de  Hîran,  paraît 
former  la  limite  sud  de  ce  canton  qui  avait  été  le  but  du 
voyage  incomplet  de  M.  Ilaggen mâcher. 

Le  Wobi,  Webbé  ou  Webbé  Chebeyli,  coule  parallè- 
lement  à  la  Toug  Fafan,  et  à  peu  de  dislance  dans  le  sud  de 
cette  dernière  rivière.  Ici  déjà,  h  800  kilomètre  de  sa 
perle,  le  Wobi  est  un  cours  d'eau  large  de  plus  de  cinquante 
nètreset  profond  à  proportion.  k\ï  nord  et  au  sud  du  fleuve 
rirent  des  tribus  de  Somàli,  telles  que  les  braves  et  bons  Rèr 

soc.  »K  GÉOGR.  —  l"  TRIHESTRC  1890.  XI.  —  7 


98       nAPPORT  SUR  LES  TKAVADX  DU  h\    SOCIÉTÉ 

Hammer,  les  Hawija  et  les  Aoulehan;  une  Iribu,  celle  des- 
Âdoné  ou  AdoQÎ,  est  issue  des  esclaves  amenés  de  la  côte 
par  les  Hawija  ou  par  les  Kounli,  les  Badbadan,  les  Badjimal 
et  les  Dadji,  qui  vivent  plus  loin  de  cette  parti  du  Wobi. 

C'est  par  5"29'  environ  de  latitude  nord  que  MM.  James 
ont  touché  le  Wobi  à  Barri.  Déjà,  plus  au  nord,  les  Ougâs 
Elmi  et  les  RerDollol  les  avaient  menacés  d'une  altaque  et 
les  prêtres  musulmans  de  Faf  avaient  essayé  de  soulever  la 
population  contre  eux.  En  reprenant  le  chenoiin  de  Borbera^ 
MM.  James  assistent  à  des  combats  entre  les  Adoné  et  les 
Soraidi  ûollûl.  C'est  là  une  confirmation  nouvelle  du  carac- 
tère querelleur,  sanguinaire  et  cruel  de  la  race  somàli. 

La  saison  des  pluies  avait  commencé;  la  Toug  Fafan  qui 
coule  seulement  pendant  quatre  mois  de  l'année,  était 
métamorphosée  d'ouâdi  en  vérilable  rivière,  et  les  habitants 
avaient  transporté  leurs  villages  de  la  plaine  sur  lescollines. 
Le  nouvel  itinéraire,  à  l'ouest  du  premier,  touche  aux 
anciens  puits  de  llahi,  forés  parles  Oromoj  il  passe  auprès 
delà  mare  de  Darrorqui  n'a  que  le  nom  de  commun  avec 
la  vallée  découverte  par  M.  llcvoil;  enfin  il  atteint  Berbera 
après  avoir  coupé  la  chaîne  côtière  par  les  vallées  de  la 
Toug  Mandeira  el  du  Toug  Baba. 

Le  voyage  de  MM.  James  est  incontestablement  le  plus 
considérable  comme  étendue  et  le  plus  utile  pour  la  géo- 
graphie de  tous  ceux  qui  ont  été  accomplis  jusqu'à  ce  jour 
dans  les  pays  des  Somàli. 

Avant  d'en  venir  aux  résultats  des  voyages  de  M.  Stanley, 
le  rapport  doit  signaler  les  dernières  acquisitions  géogra- 
phiques relatives  au  cours  du  majestueux  Congo.  C'est  vers 
lemilieu  de  son  développement,  entre  les  chutes  de  Wenya 
(Stanley-Falls)  el  l'étang  de  Stanley  (Stanley-Pool)  que  se 
présentent,  ceAte  année-ci,  les  premiers  travaux  sur  le 
fleuve  même  en  parlant  de  ses  sources.  Pendant  la  niission 
du  docteur  Leox,  de  1885  à  1887,  le  D'  0.  Baumaan  avait 


ET    SUR    IJ:S   PROGKKS   des  sciences  GÉOGnAl'HIQl'ES.       99 

fait  un  levé  à  la  boussole  du  cours  du  Congo,  en  le  remontant 
de  Stanley  Pool  aux  Stanley  Falls,  c'est-à-dire  sur  une 
distance  de  {,350  kilomètres. 

Ce  travail  exécuté  soigneusement  s'accorde  avec  les 
levés  du  commandant  Rouvier  aussi  loin  que  soiL  possible 
1&  comparaison  des  deux  documents.  M.  Langhans,  pour 
la  miseau  net  des  levés  de  M.  Baumann,  a  adopé  les  déler- 
ininalions  astronomiques  de  M.  Ilouvier. 

En  1888,  un  envoyé  de  la  <«:  Société  du  Congo  pour  te 
commerce  et  l'industrie  j,  M.  Delcommune,  a  accompli  sur 
im  vapeur  la  reconnaissance  de  plusieurs  afUuenls  de  la 
Kasaï,  y  compris  l'OvaboumaeL  le  lac  Léopold  II  qui  lui  sert 
de  réservoir.  H  a  remonté  pendant  500  kilomètres  laLokenyé 
ou  Ikatta,  qui  se  jette  danslextrémilé  sud  de  ce  lac;  puis 
d'autres  tributaires  du  Congo,  comme  la  Louloua,  sur  la- 
quelle se  Irouvc  la  station  de  Louebo.  Ma  remonté  également 
la  Satikourou,  aflluent  sud;  la  Lomaai,  tributaire  de  la 
même  rive,  sur  laquelle  it  a  dépassé  le  point  atteint  deux 
ans  auparavant  par  le  D'  Wolf,  et  enlln  la  Kwango  et  ses 
affluents  laDjoumaet  la  Kwilou. 

Dans  l'étal  de  nos  connaissances,  les  travaux  de  M.  Del- 
commune  sur  la  Lomani  ont  une  importance  qu'il  n'est 
pas  inutile  de  signaler  ici.  La  Lomani,  afHuenL  de  la  San- 
kourou,  n'a  rjende  commun  avec  la  grande  Lomani,  tri- 
butaire direct  du  Congo,  sur  laquelle  M.  Delcommune  avait 
elTectué  un  trajet  de  930  kilomètres,  c'esl-à-dire  vraisembla- 
blemeat  jusqu'aux  environs  du  point  ou  M.  V.  Lovelt  Ca- 
ineron  l'avait  coupé. 

Quand  auront  paru  les  certes  du  méritant  voyageur  belge 
et  de  M.  BaumauQ,  le  tracé  du  Congo  et  de  ses  tributaires 
ttd  prendra  une  pbysionomie  toute  nouvelle. 

Nous  devons  à  un  autre  explorateur,  M.  le  D'  Meuse, 
ne  carte  de  la  dernière  partie,  fort  longue,  du  cours  du 
Kwango,  comprise  entre  les  rapides  ou  plutôt  la  barrière 
de  locbers  de  Kigoundji,  où  s'était  arrêté  le  commandant 


100  RAPPORT   SUR   LES    TRAVAUX   DE    LA   SOCIÉTÉ 

von  Mechow,  et  l'embouchure  de  ccUb  rivière  dans  le 
Congo.  M.  Mense  accompagnait  le  missionnaire  anglais 
Grenfell,  en  \SS&.  A  ce  propos,  M.Wichmann  fait  observer 
que  les  nouveaux  calculs  de  M.  von  Danckelmann,  pour  la 
hauteur  du  Slanlej-Pool,  ayant  donné  280  mètres,  il  faudra 
augmenter  de  40  mètres  les  altitudes  publiiies  par  M.  Grenfell 
qui  avait  pour  point  de  départ  le  Slanley-Pool  avec  l'ancienne 
altitude  de  240  mètres. 


Depuis  une  dizaine  d'années,  les  missionnaires  baplistes 
établis  dans  le  bassin  du  Congo  cherchaient  la  voie  la  plus 
facile  pour  relier  la  ville  de  San-Salvador,  dans  le  Congo 
portugais,  à  la  partie  navigable  du  cours  du  grand  Heure. 
Vers  la  fin  del'année  1888,  M,  Bentley  aurait  réussi  à  trouver 
que  c'est  à  Manyenga  que  cette  voie  nboutit  sur  le  Congo. 

La  (.  Compagnie  du  Congo  »  a  fait  étudier  par  des  ingé- 
nieurs, sur  le  terrain  longeant  le  Congo  au  sud,  le  tracé  d'un 
chemin  de  fer  destiné  à  remplacer  lavoie  d'eau,  coupée  par 
des  obstacles  entre  la  station  de  Matadt,  un  peu  en  aval  de 
Yivi,  etN'dolo  prèsKinchacha(ou  Rinchassa)  sur  le  Slanley- 
PooL  La  longueur  de  ce  tracé,  mesurée  par  les  ingénieurs, 
serait  de  439  kilomètres  et  l'exécution  de  la  ligne  rencon- 
trerait de  grandes  difficultés  de  terrain. 

Jusqu'ici  nous  n'avons  envisagé  que  le  Congo  même  et 
ses  affluents  du  sud.  Parmi  ceux  du  nord,  et  en  aval  des 
chutes  de  Stanley,  il  en  est  trois  aussi,  l'Arouwimi,  la 
N'gala  et  l'Oubangui,  dont  la  counaissnnce  aura  progressé 
cette  année.  Les  Proceedings  de  la  Société  géographique 
de  Londres  nous  ont  présenté  ces  progrès  sur  une  carie  du 
Congo  central  dressée  par  M.  Turner.  C'est  à  MM.  Werner 
et  Baerl,  employés  de  TEIat  du  Congo  que  nous  devons 
ceux  qui  concernent  FArouwinii  et  ia  N'gala,  En  remontant 
l'Arouwimi  jusqu'à  Yamhouya,  station  jadis  occupée  par  le 
commandant  Barttelot,  M,  Werner  a  rencontré  des  bancs 
de  sable  entre  lesquels  il  avait  à  chercher  un  canal  suffi- 


ET   SUR    LES   PnOOnÉS   DES   SCIENCES   GÉOCRAPHIQUES.      101 

saïunaent  profond  pour  sa  barque  à  vapeur.  Sur  les  points 
oî»  M.  Stanley  avait  vu  des  groupes  de  population,  il  n'existe 
plus  maintenant  que  forêt  et  clairières;  les  musulmans  escla- 
vagistes de  Tippou-Tib  qui  ont  ruiné  le  pays,  s'opposent, 
dit-on,  à  la  reconstruction  des  villages.  Ils  espèrent  ainsi 
trouver  les  habitants  de  la  contrée  toujours  disposés  à  se 
joindre  à  eux  dans  leurs  chasses  à  l'esclave. 

L'exploration  de  la  rivière  N'gala  ou  Mongalla,  par 
M.  Werner,  est  toute  nouvelle.  Elle  noua  révèle  un  cours 
d'eau  formant  d'innombrables  méandres,  au  milieu  d'une 
forêt  marécageuse  habitée  par  des  être  pauvres,  qui  pra- 
tiquent l'anthropophagie.  Ils  paraissent  appartenir  à  la 
tnba  des  Basoko,  de  l'Arouwini.  Quelques-uns  de  leurs 
•villages  sont  bâlis  sur  pilotis. 

Un  coup  d'oeil  sur  la  carte  nous  montre  cette  rivière,  la 
X'gala,  appelée  à  tort  Bangala  par  M.  Stanley,  lors  de  son 
premier  voyage,  coulant  à  un  degré  à  peu  près  à  l'est  du 
grand  Oubangui  ;  nous  voyons  aussi  l'Oubangui  inférieur 
coulant,  sur  une  distance  d'environ  200  kilomètres,  si  près 
da  Congo,  oîi  il  débouche,  qu'en  un  point,  à  120  kilomètres 
de  son  confluent,  il  est  sfiparé  du  fleuve  par  un  véritable 
iàlbme  large  de  10  kilomètres. 

Néanmoins,   un  afduent  de  l'Oubangui,    la    Loï,    que 

M.  Werner  a  cru  devoir  appeler  du  nom  de  N'guiri,  s'est 

frarê  un  passage  en  longueur  dans  la  largeur  de  l'isthme. 

Peut-être  celte  singulière  disposition  a-l-elle  fait  naître 

rhypolhèse  admise  par  les  Européens  de  ces  parages,  que 

l'Oubangui  aurait  plusieurs  confluents,   dont  l'un  par  la 

Loi,  avec  le  Congo. 

Ses  observations  ont  conduit  M.  Werner  à  une  conclusion 

•nie.  Il  a  vu,  entre  les  confluents  de  la  N'gala  ol  de 

.  ....^(angui,  des  canaux  dérivés  du  Congo  couler  pendant  la 

fJus  grande  partie  do  l'année,  selon  les  indigènes,  vers  la 

Loi,   affluent  de  l'Oubangui.  Quand  les  eaux   du  Congo 

comniencent  à  baisser  ces  raOmes  canaux  coulent  dans  le 


102  EAPPOUT   SUR   LES   TRAVAUX   DE  LA    SOCIÉTÉ 

Congo  et  M.  Werner  en  infère  que  l'Oubangui  baisse  moins 
vite  que  1«  Congo.  A  quelques  kilomètres  en  remontanl  la 
N'gala,  il  a  vu,  sur  la  rive  ouest,  un  canal  qui  conduirait, 
directement  dans  la  Loi.  Il  y  a  donc  ici,  sur  les  affluents 
Dords  du  Congo,  comme  sur  les  afQucnls  nord  du  Gange, 
sous  le  méridien  de  Mourchidabâd,  tout  un  vaste  réseau 
d'anastomoses  reliant  entre  eux  les  tributaires  d'un  grand 
fleuve. 


L'an  dernier,  ft  pareille  époque,  les  nouvelles  de  M.  Stanley 
remontaient  au  mois  de  juillet  1887  ;  c'est  donc  plus 
de  deux  ans  de  travaux  qu'il  faut  résumer  aujourd'hui 
en  s'appuyant  sur  des  lettres  arrivées  en  Europe  jusqu'à  ce 
jour. 

Le  22  juin  1887,  M.  Stanley  paitait  de  la  station  de 
Yamhouya,  sur  l'Arouwimi ,  avec  une  troupe  de  394  hommes, 
dont  cinq  Européens.  Uemonlant  la  rivière,  il  entrait  dans 
la  forêt  vierge  qui  est  le  Irait  caractéristique  du  coïur  de 
l'Alrique  équaloriale.  L'Arouwimi,  contrairement  à  ce  qu'on 
avait  supposé  lors  de  sa  découverte,  coule  de  l'est  à  l'ouest 
et  non  du  nord  au  sud  ;  elle  reçoit,  du  nord,  la  Nepoko, 
rivière  dont  la  découverte  appartient  h  M.  Junker,  qui 
l'avait  vue  chez  les  Mabodé.  Ainsi  l'exploration  a  relié  les 
résultats  des  explorations  de  M.  Junker  parti  du  bassin  du 
Nil,  aux  découvertes  faites  dans  le  bassin  du  Congo.  A 
Ougarrowwa  oii  î'Arouwimi  prend  le  nouveau  nom  de 
Nownllé,  h  Kilonga-Longa  où  elle  prend  celui  d'Itiri  ou 
Itouri,  M.  Slanley  trouve  des  établissements  de  musulmans 
de  la  côte  orientale;  il  laisse  à  leur  garde  ceux  de  ses 
hommes  qui  sont  malades  ;  c'est  une  preuve  que,  Ik  du 
moins,  n'a  pas  agi  la  recrudescence  de  fanatisme  qui  se 
manifeste  parmi  les  musulmans. 

La  géographie  connaît  depuis  plus  de  deux  siècles  un 
pays  de  Kakongo,  au  nord  du  Congo  et  non  loin  de  l'em- 
bouchure de   ce  lleuve.   Au  sortir  de  la  zone  des  forêts 


ET  SUR   LES   PROGRÈS  DES    SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES.       103 

■vierges,  à  l'extrémité  orientale  du  bassin  de  l'Arouwimi, 
M-  Stanley  trouve  un  peup2e  de  Kakongo  qui  peul-Ôtre 
est  la  souche  des  habitanl«  du  vieux  pays  do  Kakongo, 
L'explorateur  est  obligé  de  lui  livrer  des  combals  pour 
atteindre  des  hauleurs  de  1,080  mètres,  d'où  la  vue  plonge 
sur  la  nappe  d'eau  du  M'woulan,  du  Loùla-NV.Îgué,  ou  lac 
Albert.  Mais,  harcelé  par  les  habitants  et  ne  recevant  pas  de 
nouvelles  du  D''  Schnilzer,  autrement  dit  d'Euiîn-Pacha,  ii 
revient  sur  ses  pas  jusqu'à  Ibwirri,  une  de  ses  stations  au 
nord  de  l'Itiri  ou  Arouwimi.  Là,  il  établit  le  camp  de  Bodo. 

Le  2  avril  1H88,  neuf  mois  après  son  départ  de  Yambouya 
qui  n'est  pourtant  qu'à  500  kilomètres  environ  de  Bodo,  il 
part  pour  la  pointe  sud  du  lac  Albert;  il  y  arrive,  le  23  avril, 
à  Kavalli  et  sept  jours  plus  tard,  ii  se  rencontre  avec  Eraîn- 
Pacha  qu'il  a  mission  de  secourir.  Sans  perdre  i!e  temps, 
M.  Stanley  regagne  son  camp  de  Bodo;  de  là,  par  un  itiné- 
raire nouveau,  il  atteint  Ougarrowwa  puis,  par  l'Arouwimi, 
le  dép6t  qu'il  avait  laissé  àBanalyaen  amontde  Yambouya. 
Il  apprend  là  l'assassinat  du  commandant  Bartlelot. 

L'arrière-garde  de  l'expédition  laissée  sous  les  ordres  de 
cet  olUcier  supérieur,  a  été  réduite  par  des  désertions  qui 
avaient  suivi  l'événement-,  mais  le  ravitaillement  étant  encore 
suffisant,  M.  Stanley  repart  pour  rejoindre  Emîn- Pacha  avec 
les  provisions  et  du  renfort. 

En  1  iO  marches  seulement,  il  arrive,  le  18  janvier  1889, 
sur  le  lac  Albert  oh  l'attendaient  de  graves  nouvelles.  Les 
partisans  du  mahdî  qaderite  ont  envahi  le  pays;  les  troupes 
d'Emîn-Pacha  se  sont  révoltées  et,  depuis  le  18  août  1888, 
Emîn-Pacha  lui-môme  est  prisonnier  de  l'insurrection. 

Un  grand  nombre  de  postes  militaires  placés  sous  les 
ordres  du  gouverneur  du  Snud.m  égyptien,  se  sont  rendus 
aux  envahisseurs  qui  n'ont  subi  qu'un  seul  échec,  devant  le 
poste  égyptien  de  Douûi.  Du  14  février  au  8  mat  1889, 
M.  Stanley  reste  dans  !a  position  qu'il  a  choisie,  attendant 
£iutn-Pachaï  il  espère  que  la  nouvelle  du  renversement  du 


i04     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

gouverneur  est  un  bruit  mensonger,  mais,  elle  n'était 
que  trop  exacte;  louteTois  M.  Stanley  fit  bien  d'attendre 
car,  le  17  février  1889,  il  vit  arriver  au  camp,  près 
Kavalli,  deux  vapeurs  montés  par  Emîn-Pacha  avec  une 
partie  de  son  inonde.  Néanmoins,  EmÎQ-Pacha  n'était 
pas  encore  sauvé  et  M.  Stanley  dut  parlemenlcr  près  d'un 
mois  pour  décider  le  gouverneur  et  le  capitaine  Casati  à 
l'accompagner.  II  s'agissait  de  les  convaincre  qu'en  quit- 
tant l'ancienne  province  équatoriale  d'Egypte  ils  n'aban- 
donnaient pas  leur  poste  puisque  leurs  soldais,  au  nombre 
de  10,000,  s'étaient  ouvertement  révoltés  contre  eux,  leur 
avaient  refusé  l'obéissance  et  les  avaient  même  emprisonnés. 
Les  quelques  soldats  égyptiens  qui  avaient  suivi  Eraîn-Pacha 
essayaient  déjà  de  pousser  à  la  révolte  les  hommes 
de  M.  Stanley,  auxquels  ils  volaient  leurs  carabines  toutes 
les  fois  qu'ils  en  avaient  l'occasion. 

Enfin,  le  10  avril,  l'expédition  partit  du  camp  près 
Kavalli.  Elle  comptait  1,500  individus,  y  compris350 porteurs 
indigènes,  avec  une  troupe  de  femmes  eld'enfants,  les  familles 
des  soldats  égyptiens.  Après  avoirlongé  d'abord  la  chiine  des 
monts  Ballega,  parallèle  au  lac  Albert,  à  75  Kilomètres  dans 
l'ouest,  la  colonne  atteignit  la  cbaîne  des  Rouwenzori, 
jusqu'alors  inconnue.  Les  sommets  des  Rouwenzori  sont 
couverts  de  neiges  perpétuelles,  à  un  degré  au  nord  de 
l'équaleur  et  à  un  millier  de  kilomètres  de  la  raer  la  plus 
voisine,  l'océan  Indien. 

M.  Stairs,  officier  de  la  marine  anglaise,  tenta  de  suite 
l'ascension  des  Rouwenzori,  mais  il  dut  s'arrôter  à 
3,250  mètres,  c'est-à-dire  passablement  au-dessous  des 
premiers  champs  de  neige. 

Si  l'évaluation  de  M.  Stairs  est  exacte,  le  pic  gravi  en 
partie  atteindrait  l'altitude  de  5,059  mètres,  sûil635  mètres 
seulement  de  moins  que  celle  du  Kilima  N'djaro.  Le  sommet 
auquel  s'était  attaqué  le  voyageur  n'est  d'ailleurs  pas  le 
point  culminaût  des  Rouwenzori.  De  ces  monts  descendent 


4 


ET   SUR  LES   PnOGIlKS   DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIOUES.       105 

une  cinquantaine  de  cours  d'eau  qui  vont,  au  nord,  se 
perdre  dans  le  lac  Albert.  Ne  semble-t-il  pas  voir  se  véritier, 
à  peine  inudiGée  en  latitude  et  longitude,  la  vieille  tradition 
grecque  des  sources  du  NilV 

Uemonlanl,  à  l'est  du  Rouwenzori,  la  vallée  de  la  Sem- 
liki  ou  Kakibbi,  afiluent  sud  du  lac  Albert,  M.  Staaley  tra- 
verse, au  sud,  l'Awamha,  pays  inconnu;  l'Ousongora,  large 
presqu'île  sur  le  lac  Mwouta  N'zigué  auquel  il  donne  le  nom 
d'Albert-Edouard;  le  Toro  ou  Torou,  au  sud  du  Gambara- 
gara;  leNhaizana,  jusque-là  inconnu  etiecanlon  d'Ounyam- 
paka,  sur  ce  golTe  Béatrice  oîi  lui-môme,  jadis,  avait  décou- 
vert le  lac  Albert-Edouard. 

Par  iaSemliki,  le  lac  envoie  ses  eaux  dans  celles  du  lac 
Albert,  qu'il  domine  de  300  mètres. 

D'Ûunyampaka,  M.  Stanley  prend  au  sud-est,  traverse  le 
pays  inconnu d'Ankori  ou  Ousagara;  leKaragwé,  vu  d'abord 
par  le  capitaine  Speke,  à  l'ouest  du  lac  Victoria;  l'Onzinza, 
plus  au  sud.  Il  touche  enlin  la  partie  sud  du  lac  Victoria  ù 
l'un  des  établissements  des  missionnaires  anglais  de  la 
c  Church  Missionary  Society  >  De  ce  point  qui  fait  face  à 
Zanzibar,  on  n'a,  en  temps  ordinaire,  que  l'embarras  du 
choix  entre  les  chemins.  Mais  ie  moment  du  passage  de 
M.  Stanley  avec  sa  petite  armée  était  exceptionnel.  En  efiet 
leuiouveraent  qu'on  est  convenu  d'appeler  mabdistc,  et  qui 
avait  enlevé  à  Emîu-Pacha  la  province  des  lacs  nilotiqucs, 
des  réservoirs  du  Nil,  semble  s'être  propagé  jusque  dans 
l'Afrique  orientale  allemande.  Ainsi  s'expliquerait  une  expé- 
dition militaire  conduite  par  le  capitaine  Wissmann  dans 
rOuségoura,  au  nord-ouest  de  Bagamoyo.  Le  succès  n'a  pas 
déserté  la  cause  de  M.  Stanley  et,  le  4  décembre,  lui  et  Eraîn- 
Pacha  touchaient  enfin  la  côte,  à  Bagamoyo. 

Il  y  a  cinquante  ans,  nous  n'aurions  pas  pu  parler, 
comme  anjouid'hui,  d'un  J:iit  qui  s'accomplissait  le  4  dé- 
cembre dans  l'intérieur  de  l'Afrique.  Nous  n'aurions  pas 
pu  ajoutera  la  mention  du  ce  l'ail  l'exposé  des  acquisitions 


106         nAPPonr  scn  les  thavaux  de  la  société 

les  plus  marquantes  dont  la  dernière  campagne  de  M.  Stan- 
ley a  enrichi  la  géographie. 

Le  chemîn'qu'il  a  parcouru  est  trop  longjles résultats  obte- 
nus sont  trop  importants,  les  lettres  de  l'explorateur  ont 
été  trop  rares,  trop  sommaires,  et  !e  temps  attribué  à  la  lec- 
ture df!  ce  rapport  est  trop  limité pourpermettre  l'exposé  des 
aventures  qui  seront,  aux  yeux  de  beaucoup  de  lecteurs, 
ratlraction  principale  delà  relation  du  voyage.  Ces  pages 
doivent  d'ailleurs  être  consacrées  à  la  géographie,  non 
aux  épisodes  d'une  (épopée  d'ailleurs  très  extraordinaire. 

Voici  donc  ce  que  la  géographie  a  gagné  à  un  voyage  de 
deux  ans  et  neuf  mois,  accompli  par  l'homme  qui  était  le 
mieux  préparé  à  l'entreprendre,  M.  Stîinley  a  découvert 
jusqu'à  ses  sources  le  cours  supérieur  d'un  grand  affluent 
du  Congo  dont  lui-môine  et  des  voyageurs  français  el  belges 
avaient  fixé  le  cours  inférieur.  En  remontant  cette  rivière, 
il  a  découvert  une  forêt  vierge  impénétrable,  vérilahle  rati- 
raille  d'arbres  séculaires  et  de  lianes  gigantesques,  qui 
s'étend  sans  interruption  sur  une  profondeur  de  quatre 
degrés,  soit  440  kilomètres,  et  qui  parait  se  prolonger  de  la 
haute  Itouri,  à  quelques  cent  kilomètres  dans  le  sud-est. 

L'existence  d'une  véritable  forêt  vierge  en  Afrique  est 
un  fait  digne  d'attention  car,  à  latitudes  égales,  ce  conti- 
nent avait  passé  jusqu'ici  pour  plus  pauvre  en  bois  épais 
que  les  autres  continents,  l'Amérique  par  exemple. 

Nous  savions  que  des  nains  ou  pour  parler  plus  exacte- 
ment, des  hommes  de  fort  petite  taille,  au  type,  aux  mœurs, 
au  langage  tout  il  fait  particuliers  vivaient,  disséminés  en 
groupes  peu  nombreux,  dans  les  bassins  de  la  Wéllé  et  de 
rOgôoué.  M.  Stanley  paraît  avoir  trouvé  dans  la  grande 
forôt  vierge  la  véritable  pairie  de  cette  race  humaine,  dont 
les  anciens,  qui  en  avaient  entendu  parler,  plaçaient 
l'habitat  vers  les  sources  du  Nil. 

Les  anciens  n'avaient  donc  pas  été  trop  mal  renseignés. 
€euxdes  hommes  d'Afrique  que  nous  pouvons  tenir  pour 


ET    Sm    LES    PROGRftS    DES    SCIENCES   GÉOGRAPHIQCES.      107 

les  plus  primitifs  sont  restés,  comme  peuple,  cantomaés 
dans  les  bois  impénétrables,  dans  les  fourrés  éternels  qui 
les  ont  abrités  contre  les  races  pins  fortes,  tout  en  leur 
assurant,  pour  leur  alimentation,  le  gibier  qu'ils  savent 
tuer  avec  des  (lèches  enduites  d'un  poison  subtil,  ou  faire 
tomber  dans  des  fosses  recouvertes  de  branchages,  quand  il 
s'agit  de  gros  animaux. 

Tout  faisait  penser  qu'à  l'ouest  du  Nil,  le  lac  Albert 
était  le  dernier  réservoir  où  s'emmagasinent  les  eaux  du 
grand  fleuve.  M.  Stanley  a  découvert  un  autre  réservoir,  le 
lac  Edouard-Albert,  situé  plus  au  sud,  h  la  hauteur  du  der- 
nier tiers  du  lac  Vicloria.  Il  a  découvert  aussi,  dans  le 
Senniiki,  un  cours  d'eau  important  qui  relie  ce  lac.  à  l'an- 
den  lac  Albert. 

Depuis  la  découverte  des  premiers  monts  neigeus  de 
l'Afrique  équaloriale  —  il  y  a  de  cela  quarante  ans  —  leur 
nombre  s'était  accru  jusqu'à  onze,  en  coraptaal  ceux  où  la 
neige  fond  pendant  une  saison.  Toutes  ces  montagnes 
étaient  groupées  dans  la  partie  orientale  du  continent,  sur 
l'espace  assez  resserré  de  quatre  degrés  de  latitude  et  de 
deux  degrés  de  longitude. 

M.  Stanley  a  découvert  une  chaîne  do  montagnes  cou- 
rant à  l'est  du  lac  Albert,  de  la  vallée  delà  Semliki  et  du 
lac  Edouard-Albert,  Elle  regarde  à  l'ouest  une  autre  chaîne 
plus  basse,  celle  des  monls  Malcgga  qui  courent  p-irallèlc- 
cnent,  bordant  de  ce  côté  la  dépression  qui  contient  les 
deux  lacs.  La  chaîne  orientale  s'éltve  sur  une  plaine  dont 
le  niveau  qui  est  de  840  à  8ôO  mètres  dépasse  peu  celui  du 
lac  Albert.  Celte  chaîne  se  divise  en  trois  parties  :  au  nord, 
en  Ounyoro,  sur  un  développement  de  170  kilomètres,  ses 
altitudes  varient  de  1,150 à  1,750  mètres;  sa  partie  centrale, 
située  sous  les  mêmes  parallèles  que  la  vallée  de  la  Semliki, 
s'élève  de  2,050  à  5,434  mètres.  C'est  là  qu'elle  atteint,  dans 
le  Hou"wenzori,  son  point  de  culminalion.  La  partie  sud  en 
Oobaiyana,  en  Ounyampaka  et  en  Ankori,  s'abaisse  et  n'a 


108         n,\i'Pi>iiT  sua  les  travaux  dr  la  société 

plus  que.  1,400  ù  1,800  mèlres  d'altitude.  Longue  à  peu  près 
comme  la  chaîne  des  Pyrénées,  elle  dépasserait  donc,  au 
centre,  non  scnieraenl  la  hauteur  du  pic  deNéthou,  mais, 
de  quelques  600  raèlres,  celle  du  géant  des  Alpes,  du 
Mont-Blanc.  M.  Stanley  a  fait  remarquer  que  la  chaîne 
découverte  par  lui  à  l'est  des  lacs  Albert  et  Albert-Edouard, 
et  à  l'ouest  du  lac  Victoria  et  du  Nil  Blanc,  présente  ses 
deux  niiniraa  d'élévation  à  la  hauteur  des  deux  lacs  Albert 
et  Edouard-Albert. 

Selon  lui  aussi  le  Rouwenzori  ou  Rouwendjoura  sérail  le 
massif  auquel  les  géographes  anciens  qui  ne  le  connaissaient 
que  par  ouï-dire,  avaient  donné  le  nom  de  t  monts  de  la 
Lune  » . 

C'est  au  lieutenant  Slairs,  compagnon  de  voyage  de 
M.  Stanley,  que  la  Fcience  doit  la  première  tentative  d'tixplo- 
ration  du  Rouwenzori.  Entreprise  avec  des  porteurs  nalifs 
du  Zanzibar,  vôLus  à  la  mode  de  la  zone  équaloriaie  et  mu- 
nis d'une  provision  insuffisante  de  vivres,  cette  tentative  ne 
pouvait  Être  couronnée  de  succès.  Sortant  des  forêts  de  la 
plainp  M.  Stairs  commença  l'ascension  au  milieu  des  der- 
niers établissements  indigènes,  où  déjà  le  bananier  a  dis- 
paru. A  mesure  qu'il  s'élève  il  rencontre  successivement 
une  forêt  de  bambous,  des  herbages,  puis  des  fourrés  de 
bruyères  arborescentes  hautes  de  6  mètres,  parmi  les- 
quelles poussent  encore  des  bambous  nains,  des  violettes  et 
des  lichens.  Le  sol  est  couvert  d'une  mousse  spongieuse  et 
humide;  un  brouillard  froid  obscurcit  l'air. 

A  3,254-  mètres  d'aMitude,  M.  Stairs  est  forcé  de  renoncer 
à  s'élever  jusqu'aux  premiers  champs  do  neige,  dont  il 
n'était  qu'à  une  distancu  d'environ  4  kilomètres  et  demi.  I^ 
sommet  à  300  ou  370  mètres  au-dessous  duquel  il  les  aper- 
cevait, doit  avoir,  d'après  l'estime  de  M.  Stairs,  5,095  mètres 
d'altitude  absolue  soit,  si  l'évaluation  est  juste,  635  mètres 
seulement  de  moins  que  le  Kilima-N'djûro.  Le  pic  auquel 
M.  Slairs  s'était  attaqué  et  qui  lui  paraissait  terminé  par  un 


ET   SCR    LES  PROGBÈS  DES   SCIENCES   GÉOCRAPHIQiES.       109 

cratère,  n'est  pas  le  plus  haut  du  massif  du  Iloowenzori  ;  les 
nuages  ou  le  brouillard  lui  cachaient  le  point  culminant  du 
massif,  celui  qu'on  aperçoit  de  Kavalli,  c'est-ù-dire  du  lac 
Aibcrt. 

Ainsi,  à  2  degrés  de  latitude  plus  au  nord  que  le  Kénia, 
à  un  degré  seulement  de  l'équaleur,  et  un  à  peu  plus  du  tiers 
de  la  distance  entre  l'océan  Indien  et  l'océan  Atlantique,  la 
mystérieuse  Afrique  nous  cachait  un  massif  alpestre,  avec 
des  sommets  neigeux  plus  haut  que  l'Elbrouz,  et  rivaux  du 
fameux  pic  d'Orizaba,  Est-ce  à  dire  que  PLolémée  ait  été 
assez  bien  renseigné  sur  la  géographie  de  celle  partie  fermée 
de  l'Afrique  pour  avoir  entendit  parler  du  Rouwenzori?  Il 
n'est  pas  permis  de  l'admettre.  T^es  monts  de  la  Lune  sont, 
ou  bien  un  massif  beaucoup  plus  près  de  l'Egypte,  ou 
même  une  conception  du  géographe  ancien  pour  expliquer 
les  crues  du  Nil,  tout  en  faisant  rentrer  le  Nil  dans  la  règle 
rraphique  à  laquelle  étsient  soumis  les  autres  grands 
.i^;^ves  de  !a  mappemonde  antique.  La  carte  d'Afrique  de 
Ptolémée  est  une  carte  dressée  sur  les  renseignements  des 
indigènes  et  non  d'après  des  mesures  réelles;  ces  renseigne- 
ments (qui  augmentent  toujours  les  distances  véritables) 
pnrtaient  du  nord;  ils  ont  été  combinés  et  portés  par  Pto- 
lémée  sur  une  projection  où  le  degré  était  trop  petit  d'un 
sixième,  comme  on  peut  s'en  rendre  compte  en  comparant, 
par  exemple,  la  haute  Egypte  de  Ptolémée  à  celle  des 
cartes  modernes.  Par  conséquent  ce  que  le  géographe  grec 
place  sous  l'équalear,  en  Afrique,  est  à  plusieurs  degrés  plus 
«u  nord.  La  nature  confirme,  il  est  vrai,  le  rêve  et 
l'erreur  du  vieux  géographe  ;  la  joie  des  érudits  champions 
des  classiques  se  comprend;  mais  la  justice  obligea  resli- 
luer  à  l'expédition  de  M.  Stanley  l'honneur  de  la  décou- 
verte et  l'exploration  du  llouwenzori,  du  massif  neigeux  qui 
alimente  les  deux  réservoirs  occidentaux  du  Nil. 

Après  les  voyages  des  capitaines  Speke  et  Grant,  après 
le  périple  du  lac  Victoria  par  M.  Stanley,  après  les  nombreux 


no         RAPPORT   SCR   LES   TRAVAUX   DE  LA   SOCIÉTÉ,    ETC. 

voyages  qu'y  ont  fait,  plus  tard,  les  missionnaires  anglais, 
on  pouvait  croire  fixée  la  forme  du  lac  Victoria.  Il  n'en  était 
riea;  ua  archipel  raontueux  avait  fait  illusion  eu  masquant 
aux  navigateurs  un  élargissement  inconnu  de  cette  grande 
nappe  d'eau  dans  le  sud-ouesl,  entre  les  pays  d'Ouzinza  et 
d'Ouhaïya.  M.  Stanley  a  eu  la  satisfaction  de  corriger  lui- 
même  son  œuvre.  Il  nous  apprend  que  la  superlicie  du  iac 
Victoria  serait  de  20,900  milles  carrés,  c'est-à-dire  qu'elle 
excéderait  de  1,900  milles  carrés  l'estimalion  faite  na- 
guère par  le  capitaine  Speke. 

Certes,  la  dernière  expédition  de  M.  Stanley  n'avait  pas 
été  entreprise  dans  un  but  de  pure  science,  mais  il  faut 
reconnaître  qu'elle  a  été  l'occasion  de  découvertes  impor- 
tantes au  point  de  vue  de  la  géographie. 


Tel  est,  dans  la  limite  imposée  à  une  lecture  en  séance,. 
l'exposé  des  principaux  voyages  par  lesquels  l'année  188& 
aura  contribué  aux  progrès  de  la  géographie. 

S'il  était  reçu  qu'un  rapporteur  se  mette  lui-même  en 
cause  et  qu'un  rapport  ait  une  épigraphe,  le  résumé  que 
vous  venez  d'entendre  devrait  Être  précédé  de  la  phrase  de 
Montaigne:  <  J'ay  seulement  fait  ici  un  amas  de  fleurs 
estrangières,  n'y  ayant  fourni  du  mien  que  le  filet  à  les 
lier.  » 


L'UNIFICATION  DES  HEURES 


M.   1«.    DE    IH*RDI,i:VKl 


1.    — •   HtSTORlQUE  ET  KOTATION  DES  HEUHES. 

Dans  l'anliquité  ot  pendant  les  prenaiers  dix  ou  douze 

siècles  de  notre  ère,  le  lever  el  le  coucher  du  soleil  étaient 

les  grands  régulateurs  de  l'activité  journalière  des  hommes. 

Il  n'y  avait  pas  d'autre  repère  certain  pour  les  deux  divisions 

naturelles  :  le  jour  et  la  nuit.  Le  jour  était  subdivisé  en 

douze  heures,  comptées  à  partir  ^u  lever  du  soleil.  A  midi, 

OD  disait  qu'il  était  six  heures,  et  au   coucher  du  soleil 

douze  heures.  Les  indications  horaires  de  l'Ancien  et  du 

Nouveau  Testament  sont  conçues  dans  ce   sens,  La  nuit 

était,  à  son  tour,  subdivisée  en  douze  heures,  comptées  à 

partir  du  coucher  du  soleil.  La  durée  d'une  heure  de  jour 

n'était  donc  que  par  exception  égale  à  celle  d'une  heure  de 

Duil  et  variait,  sous  noire  latitude,  du  simple  au  double. 

EL  de  même  pour  les  heures  de  nuit. 

Vers  l'an  1300,  on  commençait  à  avoir  des  horloges,  et 
l'oD  peut  dire  que  cette  invention  marque  le  commence- 
ment d'une  guerre  de  cinq  cenls  ans  entre  le  pendule  et  la 
routine.  Les  contemporains  du  Dante  entendaient  que  les 


1.  La  question  de  rUaificalion  des  henres  •  été  traitée  par  M.  d» 
Korrflioir,  une  premièra  fois,  dans  la  Revue  générale  des  chemins  de 
fer,  n*  d'a»ril  1888.  En  venant  l'exposer  dovanl  la  Société  de  Céogra- 
flue  danilaaéance  du  91  février  1890,  il  n'a  fait  que  répondre  à  un 
ajipet  gracieux  que  celle-ci  iui'avait  adressé. 


112  l'unification  des  heuhes. 

pendules  marchassent  avec  des  vitesses  différentes  le  jour 
et  la  nuit,  de  façon  à  toujours  marquer  douze  heures  au 
lever  et  au  coucher  du  soleil.  On  se  fatigua  cependant  de  ces 
vains  efforts  et  on  finit  par  laisser  les  pendules  marcher  de 
la  mêmevilesse  pendant  vingt-quatre  heures.  Kn  divers  pays, 
notamment  en  Italie,  on  compta  alors  les  heures  de  zéro  k 
vingt-quatre,  à  partir  du  coucher  du  soleil.  Mais  —  nou- 
velle difticullé  !  — comme  l'heure  du  coucher  du  soleil  va- 
rie chaque  jour,  et  parfois  de  deux  minutes,  il  fallait  encore 
donner  de  fréquents  coups  de  pouce  pour  «  faire  sauter 
l'heure  ». 

On  s'avisa  enfîn  de  régler  les  horloges  non  plus  sur  le  cou- 
cher du  soleil,  mais  sur  le  midi  vrai,  c'est-à-dire  l'instant  où 
le  soleil  passe  au  méridien  de  chaque  localité.  C'est  apparem- 
ment de  ce  ril-glement  des  horloges  à  midi,  combiné  avec  le 
changement  de  date  à  minuit,  que  provient  notre  division 
actuelle  du  jour  en  deux  fois  douze  heures,  division  passa- 
blement bizarre,  puisqu'elle  recommence  à  mi-chemin,  et 
passablement  incommode,  puisqu'elle  nous  oblige  ii.  distin- 
guer sans  cesse  huit  heures  du  matin  de  huit  heures  du 
soir,  etc. 

Pour  faire  cesser  cette  incommodité,  on  propose  une  ré- 
forme bien  simple,  on  propose  de  dire  treize  heures  au  lieu 
de  une  heure  du  soir,  quatorze  heures  pour  deux  heures, 
dix-huit  pour  six  heures  du  soir  et  ainsi  de  suite  jusqu'à 
vingt-quatre  heures  pour  minuit.  Les  Américains,  toujours 
avides  de  progrès,  ont  déji  réalisé  cette  réforme  sur  une 
vaste  échelle.  Dès  1887,  «  ïAc24  hùur  system  »  était  appli- 
qué sur  4,500  kilomètres  de  chemins  de  fer,  et  à  la  fin  de 
188811  s'étendait  sur  près  de  11,000  kilomètres.  La  Société 
des  ingénieurs  civils  américains  publie  périodiquement  des 
listes  nominatives  des  partisans  du  nouveau  système.  Au 
dire  de  M.  Sandford  Fleming*,  les  directeurs  de  220,000 


1.  Lellr«  particulière  du  31  janvier  1890. 


L^'NIFICATJON  DES    IIEURKS-  113 

très  de  chemins  de  fer  sur  un  total  de  200,000  se- 
raient, à  l'heure  qu'il  est,  gagnés  à  la  réforme. 

Pour  la  réaliser  pratiquement,  les  Américains  n'ont  pas 
attendu  la  confection  de  nouvelles  montres;  ils  se  sont  bor- 
nés à  coller  sur  les  anciens  cadrans  des  feuilles  de  papier 
portant  un  second  anneau,  intérieur,  de  chilFres.  Il  parait 
qo'on  s'y  habitue  extrêmement  vite,  que  le  public  se  mon- 
tre sympathique  et  que  le  personnel  des  chemins  de  fer  s'en 
applaudit  hautement.  Il  est  certain  que  les  indicateurs  des 
chemins  de  fer  gagnent  beaucoup  en  clarté. 

Pour  ma  part,  je  considère  la  réforme  en  question  comme 
un  progrès  incontestable,  et  je  crois  qu'elle  nous  arrivera 
an  jour.  L'administration  des  télégraphes  italiens  l'a,  dit- 
on,  déjà  introduite  dans  son  service  intérieur.  Malgré  cela, 
i~  d'avis  de  ne  pas  nous  presser,  de  voir  venir.  Nos  po- 
,  uns  européennes  sont  plus  routinières  que  les  améri- 
caines. Il  y  a  d'ailleurs  une  question  dont  je  ne  vois  pas  en' 
core  la  solution,  celle  des  sonneries  des  pendules  et  des 
horloges.  En  Amérique,  elles  continuent  à  sonner  deux  fois 
douze  heures,  tandis  que  les  cadrans  et  les  indicateurs 
ouvquent  une  fois  vingt-quatre  heures.  Gela  ne  pourra  pas 
indéfioimeut.  Tôt  ou  lard  on  voudra  modifier  les  son- 
.  Cela  coûtera  cher.  El  dans  quel  sens  les  raodiliera- 
V-onî  Fera-l-on  sonner  jusqu'à  vingt-quatre  coups?  Je  ne 
le  coascilleraispas  en  France,  car  personne  n'aurait  le  temps 
ni  lu  patience  de  les  compter. 

Je  vous  ai  entretenus  de  cette  question  de  notation  parce 
que  je  l'ai  pour  ainsi   dire  rencontrée  sur  mon  chemin, 
'   ille  n'a  rien  de  commun  avec  l'unification  des  heures, 
iquelle  oiiridentifie  trop  souvent. 

IL  —  L'unification  intérieure  des  heures. 

Eu  réglant  les  horloges  à  midi,  on  n'était  pas  au  bout  des 
difficultés.  Elles  obéissaient  mieux  au  soleil;  mais  —  qui 

SOC-   1>E  OÉOGH.  —  1"  TBIJIKSTBE  1890.  XI,  —  ^ 


L  UNIFICATION  DES  HEURES. 


l'aurait  cru?  —  il  y  avait  encor  dos  différences  alleignant 
parfois  quinze  à  vinj^t  secondes  par  jour,  et  il  fallail  toujours 
de  petits  coups  de  poucel  C'est  que  notre  astre  du  jour  n'a 
pas  la  marche  égale  d'une  pendule.  Selon  tes  saisons,  il  met 
quelquefois  plus  de  vingt-quatre  heures,  quelquefois  naoins 
de  vingt-quatre  heures  à  revenir  au  méridien.  Le  cadran 
solaire,  qui  indique  le  passag^e  du  soleil  au  méridien  et  qui 
marque  pour  nous  le  Icmps  vrai,  n'est  d'accord  avec  un 
bon  chronomètre,  marchant  d'un  pas  égal  et  donnant  la 
temps  moyen,  que  quatre  fois  par  an,  inégalement  espacéesi 
Les  plus  grands  écarts  se  produisent  vers  la  mi-février  et  la 
Toussaint,  sans  dépasser  quinze  à  seize  minutes.  Malgré 
cela,  on  s'ohstinait,  encore  à  la  fin  du  siècle  dernier,  à  œ  tenir 
les  horloges  sur  le  soleil  ».  En  1780,  le  célèbre  Lepauta 
construisit,  ii  celefiet,  une  «  horloge  automatique  »  pour  la 
ville  de  Paris,  el,  en  1806,  une  autre  «  horloge  à  équation  t 
fut  couronnée  à  une  esposition  au  Champ-do-Mars. 

Cependant  les  hommes  de  bon  sens  se  demandaient  si  ces 
moyens  n'étaient  pas  hors  de  proportion  avec  le  but,  si  pour 
un  écart  de  si\  à  sept  minutes  en  moyenne  il  était  raison 
nable  de  renchérir  le  prix  des  pendules,  de  les  compliquer 
et  de  les  rendre  plus  sujettes  à  se  déranger.  Mais  les  cheva 
liers  de  la  routine  ripostaient  :  «  Si  te  midi  du  soleil  ne 
tombe  plus  sur  douze  heures  de  l'horloge,  les  hommes  de 
métier  seront  déroutés  dans  leurs  travaux.  Les  boulangers, 
trompés  par  les  horloges,  ne  seront  plus  prùts  à  l'heure  elle 
peuple  manquera  de  pain  !  '  » 

C'est  à  la  ville  de  Genève  qu'appartient  l'honneur  d'avoir 
rompu  avec  la  superstitioa  du  soleil.  A  partir  du  l""^  janvier 
1780,  les  horloges  de  Genève  ne  furent  plus  contrariées  par 
la  main  de  l'homme  et  marquèrent  le  temps  moyen. 
Londres  suivit  l'exemple  en  i79i!,  Berlin  en  1810,  Paris 


■1.  Histoire  de  l'heure.  Conférence  donnéo  à  la  Sociiité  royale  bclga 
do  Géographie  le  30  mm-s  iHUiS,  par  M.  Houzg»u. 


L'DNIFICATION   DES   HEPRES.  115 

1816.  Et  encore  à  cette  époque,  M.  de  Chabrol,  alors  préfet 
de  la  Seine,  redoutait  à  ce  point  un  raouvement  insurrec- 
tionnel dans  la  population  ouvrière,  qu'il  ne  signa  l'ordon- 
nance qu'après  avoir  demaudé  un  rapport  spécial  au  Bureau 
des  loni^itudes  '. 

Depuis  lors  et  jusqu'à  l'apparition  des  chemins  de  fer, 
tous  nos  cadrans  marquaient  le  temps  moyen,  et,  bien 
entendu,  le  temps  moyen  local,  les  horloges  des  dillërentes 
localités  avançant  les  unes  sur  les  autres  à  raison  de  quatre 
minutes  par  degré  de  longitude  est.  Celles  de  Paris  avan- 
çaient de  vingt-sept  minutes  sur  Brest,  relies  de  Nice  avan- 
çaient de  vingt  minutes  sur  Paris.  Le  public  ne  s'apercevait 
goère  de  ces  différences.  Ce  sont  les  chemins  de  fer  qui  les 
out  mises  en  relief.  Le  mécanicien,  le  chef  de  train  qui 
tttrtait  de  Paris  avec  son  chronomètre  réglé,  ne  devait  pas, 
oe  pouvait  pas  y  toucher  en  roule,  pour  le  mettre  en  accord 
avec  les  heures  locales  qu'il  rencontrait  sur  son  parcours. 
Pour  éviter  la  confusion,  il  fallait,  au  contraire,  régler  les 
cadrans  des  stations  sur  la  même  heure  que  les  chrono- 
mètres portatifs.  C'est  ainsi  que  les  chemins  de  fer  ont  suc- 
ce«jveinent  apporté  l'heure  de  Paris  dans  toutes  les  loca- 
lités desservies  et  que  celles-ci  ont  appris  à  compter  d'après 
dcQï  heures  différentes,  ï'heure  locale  et  l'heure  de  Paris. 
J'oublie  une  troisième  heure,  l'heure  du  méridien  de  Rouen, 
es  retard  de  cinq  minuies  sur  celle  de  Paris,  Voici  comment. 

A  l'origine  des  chemins  de  fer,  on  craignait  que  le  voya- 
geur en  partance  ne  se  mît  en  retard,  et  l'on  crut  hahiie  de 
tenir  les  horloges  intérieures  des  gares  en  retard  de  cinq  mi- 
nutes. Cette  mesure,  qui  partait  d'une  excellente  intention, 
n'était  peut-Êlre  pas  absolument  justiflée  par  les  habitudes 
d'alors  (car  autant  qu'il  m'en  souvient  le  public  affluait 
aux  messageries  bien  avant  l'heure)  ;  mais  en  tout  cas  elle 
i  '.e"-'!»!  sa  raison  d'être  depuis  que  les  voyageurs  ont  appris 

f.  krixgo,  Ailromniie  iiopulaive,  t.  I",  page  i'M. 


MO  l'unification  des  hedres. 

h  connaître  ces  cinq  minutes  et  h  en  tenir  compte.  Uion  de 
pareil  n'existe  d'ailleurs  dans  les  autres  pays. 

Celte  coexistence  de  trois  heures  diU'érentes  n'est  pas  sans 
inconvénienl.  Les  voyageurs  partant  de  Brest  qui  n'auraient 
pas  appris  que  l'heure  du  chemin  de  l'er  est  en  avance  sur 
la  ville  arriveront  à  îa  gare  en  retard  de  vingt-deux  minutes. 
Et  le  voyageur  qui  se  rend  à  Nice  et  qui,  d'après  l'indicateur, 
doity  arriver  à  neuf  heures,  ce  voyageur,  qui,  lui,  trèspro- 
blement,  ignorera  la  diirérence  do  l'heure  locale,  s'apercevra 
au  premier  cadran  urbain  qu'il  est  en  retard  de  vingt-cinq 
minutes  quand  bien  mûme  son  train  est  arrivé  exactement. 
C'est  se  priver  volontairement  d'une  partie  des  bienfaits  de 
l'invention  des  horloges  que  de  les  faire  fonctionner  dans 
de  pareilles  conditions.  Faire  disparaître,  en  France,  ces 
heures  simultanées  doubles  ettriples,  c'est  lebut  d'une  pre- 
mière unification,  de  rUniûcalion  intérieure  ou  nationale. 

En  Angleterre,  l'unification  intérieure  est  faite  depuis 
quaranle-deux  ans,  en  Suède  depuis  le  1"  janvier  1879,  au 
Japon,  aux  Étals-Unis  depuis  plusieurs  années.  Le  Wur- 
temberg est  dans  le  même  cas  et,  à  ce  qu'il  parait,  plusieurs 
autres  États  de  l'Europe  centrale.  Dans  tous  ces  pays,  l'heure 
des  chemins  de  fer  et  des  télégraphes  est  en  même  temps 
l'heure  de  la  vie  civile  toute  entière,  et  les  résultais  de 
l'expérience  sont  si  favorables  et  si  décisifs  qu'il  n'y  a 
aucune  témérité  h  prédire  que  peu  à  peu  cette  unification 
deviendra  la  règle  du  monde  entier,  que  l'Jieure  temps 
moyen  local  sera  remplacée  partout  par  l'heure  temps  moyen 
normal.  Quel  écart  maximum  peut-on  admettre  entre 
l'heure  normale  et  l'heure  locale?  La  pratique  seule  pourra 
résoudre  cette  question*. 


t.  Voici  quoiques  exemples  empruntes  à  l'Amérique  conlemponiino : 
l'heure  normale  retarde  iIg  'ii  iniuiitos  pour  Zanesvtlle  (Oliia):  avança 
de  iil  minules  pour  lirandon  (Manilotia),  de  tl  minute»  pour  Dadge-Cily 
(Kaneag),  de  ii  miaules  pour  Kortli-HaUe  (Nebrasiva),  do  46  minules 
pour  WnlUce  (Kauaas),  de  t>6  miaules  pour  El-Paao  (Texas). 


l'unification  des  heures.  h 7 

En  FraDce,  les  pouvoirs  publics  sont  saisis  de  celte 
réforme  par  un  projet  de  loi  présenté  à  la  Chambre  des 
députés  le  âO  novembre  1888',  il  y  a  quinze  mois.  Depuis, 
—je  n'en  ai  pas  entendu  parler. 

III.  —  UNIFICATION  INTBUNATIONALE. 

Mais  à  côté  de  l'unification  intérieure,  qui  est  facile,  il  y 
a  l'unification  extérieure  ou  internationale,  qui  est  difficile. 

La  plupart  des  États  ayant  adopté  des  heures  normales 
différentes,  au  gré  de  leurs  convenances  individuelles,  il 
bmt  changer  d'heure  presque  à  chaque  frontière.  Allons,  par 
exemple ,  de  Paris  à  Gonstantinople  :  il  faut  avancer  sa  montra 
dix  fois,  savoir: 


STATIONS  ET  FRONTIÈBES. 


Paris 

Anieourt 

Dans  la  traversée  de  l'Alsace 

Kehl  (frontière  badoise) 

Mûhlacker  ^firontiëre  wurternborgeoise). 

Om  (frontière  bavaroise) 

Simbach  (frontière  autrichienne) 

Bmck  (frontière  hongroise) 

Belgrade  (frontière  serbe) 

Tzaribrod  (frontière  bulgare) 

Slnstapha-Pacba  (frontière  turque) 


HEURE 
régulatrice. 


Rouen 

locale 

id 

Carlsruhe 

Stuttgart 

Munich 

Prague 

Pesth 

Belgrade 

SoAa 

Gonstantinople. 


Avance  totale  entre  Paris  et  Gonstantinople. 


AVANCE 

de 
minutes 


â3 
4 

3 
10 
11 
19 

6 
11 
33 


l'-sa» 


La  Bulgarie,  voulant  encore  délicatement  rendre  hommage 
à  son  suzerain,  en  réglant  ses  chemins  de  fer  sur  Gonstan- 
tinople, les  deux  dernières  étapes  n'en  font  pour  le  mo- 
ment qu'une  seule.  A  Tzaribrod  on  pousse  l'aiguille  à  la  fois 
de  11  +  23  =  34  minutes. 


1.  Journal  officiel  du  8  août  1889. 


us  l'pnification  des  HECIRES. 

Pour  remédier  à  cette  situation  confuse,  trois  moyens 
sont  proposés  : 

1»  L'heure  locale  abaoluc  —  On  nous  dit  :  «  Si  en  arrivant 
à  Avricourt  vous  trouvez  un  écart  de  vingt-trois  minutes, 
c'est  votre  faute  1  C'est  uniquement  parce  que  vous  y  avez 
artiflcieilement  transporté  l'heure  de  Rouen  (Paris),  heure 
que  le  soleil  entendait  réserver  à  cette  ville.  En  le  faisant, 
vous  avez  violé  les  lois  de  la  nature,  Revenez  aux  heures 
locales  pures  et  simples,  en  supprimant  votre  soi-disant 
heure  normale,  et  tout  rentrera  dans  l'ordre.» 

Fort  bien  !  —  direz-vous  —  mais  comment,  avec  ce 
système,  les  chemins  de  fer  pourront-iis  marcher?...  Ne 
vous  pressez  pas  trop  de  répondre.  Dans  toute  l'Allemagne 
du  Nord  et  même  en  Alsace-Lorraine,  c'est  sur  l'heure 
locale  que  les  horaires  ou  indicateurs  sont  réglés.  Les  méca- 
niciens, il  est  vrai,  ont  leurs  chronomètres  réglés  sur  l'heure 
de  Berlin  et  ils  ont  dans  leur  poche  des  itinéraires  rédigés 
en  conséquence,  mais  c'est  leur  secret  professionnel.  Le» 
horloges  des  chemins  de  fer,  les  intérieures  et  les  exté- 
rieures, ne  montrent  partout,  comme  lesclochers  des  villes, 
que  l'heure  locale,  rien  que  l'heure  locale.  Le  peuple  de 
de  l'Allemagne  du  Nord  ne  se  doute  pas  qu'il  puisse  y  avoir 
une  heure  de  chemin  de  fer  diQérenle  de  l'heure  vulgaire. 

L'Autriche,  qui  depuis  1870  ne  croyait  pas  pouvoir  trop 
imiter  la  Prusse,  s'était  laissée  entraîner,  au  printemps 
1874,  à  mettre  ses  chemins  de  fer  aussi  au  régime  de  l'heure 
locale.  Mais  il  souleva  tant  de  réclamations  que,  au  prin- 
temps i87G,  l'heure  locale  fit  place  aux  heures  normales  de 
Prague  et  de  Pesth,  encore  en  vigueur  aujourd'hui.  Les 
Compagnies  avaient  déclaré  la  sécurité  compromise,  et  une 
auguste  personne  avait  fait  la  remarque  topique  :  que  dans 
ses  voyages  elle  ne  savait  plus  jamais  l'heure  qu'il  était. 
C'est  qu'en  effet  une  fois  embarqué  votre  montre  ne  peut 
plus  vous  servir,  puisque  à  chaque  station  vous  rencontrez 
une  autre  heure  locale. 


l'unification  des  hedres.  119 

Mais  je  n'insiste  pas,  le  système  de  l'heure  locale  étant  de 
plus  en  plus  combattu  dans  les  paj's  où  il  subsiste  encore, 
et  De  trouvant  aucun  défenseur  en  France.  J'ajoute  seule- 
ment cette  réflexion;  que  ce  n'est  pas  tant  la  rapidité  de  la 
vapeur  et  de  l'électricité,  que  le  nombre  croissant  des 
(oyarjeurs  en  mouvement  qui  a  tué  et  qui  lue  l'heure  locale. 

^L'heure  nnivenieiie.  — Dececôlé,ûn  nousdil:  <<  Si  Cela 
TOUS  contrarie  de  toucher  à  vos  montres  à  chaque  fron- 
tière,  eh  bien  !  n'y  louchez  pas  !  Que  le  mécanicien  arrivé  à 
Avricourt  passe  son  chronomètre  à  son  collègue  allemand 
et  que  ce  même  chronomètre  continue  à  faire  ainsi  le  tour 
da  monde,  répandant  partout  l'heure  de  son  point  de 
départ.  Il  y  aura  ainsi  une  seule  et  môme  heure  sur  le  globe 
entier  —  l'heure  universelle  —  et,  qui  plus  est,  il  y  aura 
ime  seule  et  môme  date,  s 

La  mêoie  date  !  Vous  doutiez-vous  qu'à  côté  de  la  ques- 
tion de  l'uniflcation  des  heures  il  y  eilt  encore  une  ques- 
tioQ  d'unification  de  dates?  On  ne  saurait  le  nier,  et  il  y 
inrait  des  choses  curieuses  et  inattendues  à  dire  sur  ce 
point,  inattendues  pour  ceux  qui,  comme  moi,  ne  les  ont 
jamais  entendu  professer.  Mais  je  craindrais  de  sortir  de 
mon  cadre  et  me  borne  à  vous  signaler  quelques-unes  des 
anomalies  qu'on  se  plaît  à  répéter  et  à  grossir. 

Ainsi,  vous  pouvez  recevoir  aujourd'liui  un  télégramme 
régulièrement  expédié  demain.  —  Un  Anglais,  recevant  le 
3  mal,  à  Londres,  un  télégramme  lui  annonçant  la  mort  de 
son  oncle,  se  jette  dans  le  premier  bateau,  pour  recueillir 
un  riche  héritage.  A  son  arrivée  à  Hong-Kong  il  se  voit 
déshérité  par  un  testament  daté  du  4  mai.  Ce  testament  doit 
nécessairement  être  faux  !  Procès.  —  Procès  perdu  I 

Par  bonheur,  ces  sortes  de  surprises  n'arrivent  pas  tous 
les  jours,  ni  h  tout  le  monde,  pas  plus  que  les  surprises  du 
divorce.  Plus  elles  se  produiront,  d'ailleurs,  plus  elles 
deviendront  inoffensives,  parce  qu'on  se  sera  familiarisé  avec 
ane  situation  qui,  aujourd'hui,  n'est  bien  connue  que  d'un 


120  l'unification  des  heures. 

petit  nombre.  Que  les  esprits  géométriques  s'ingénient,  rien 
de  mieux.  Mais  la  solution  qu'ils  nous  offrent  jusqu'à  pré- 
sent, solution  consistant  à  considérei'  le  soleil  comme  une 
quantité  négligeable,  ne  saurait  convenir  à  tout  le  monde. 
L'heure  universelle  nous  réserverait  d'autres  surprises, 
d'autres  incommodités'.  Je  me  borne  à  l'objection  princi- 
pale. Actuellement,  !es  peuples  civilisés  changent  de  date 
à  minuit,  chacun  selon  son  méridien.  Avec  l'heure  univer- 
selle, le  changement  de  date  s'opérerait  simultanément  sur 
le  globe  entier,  au  moment  où  l'horloge  de  Paris  ou  de 
Greenwich  sonnerait  minuit,  c'est-à-dire  : 

Ao  Tonkin  à 7  heures  du  malin  (heure  locale  nctuollc). 

A  Sydney  à 10  —  — 

A  1.1  Nouvelle-Zélande  ver»  midi.  — 

A  San-Krancisco  à...    4  heures  du  soir.  — 

Comment  la  procédure  civile  et  le  commerce  s'arrange- 
raient-ils de  cela?  Los  mots  hier,  aujourd'hui  et  demain 
perdraient  leur  sens.  Ce  serait  une  confusion  sans  nom. 

Ne  nous  arrêtons  pas  plus  longtemps  à  ce  second  remède, 
qui  serait  pire  que  le  mal.  On  pourra  en  reparler  quand, 
dans  le  cours  des  siÈcles,  la  civilisation  aura  changé  de 
place,  quand  la  circulation  entre  l'Auslrrilie  et  l'Amérique 
sera  devenue  l'équivalent  du  Paris-Versailles  d'aujour- 
d'hui. 

3"  li«ii  raaeniix  hornirea.  —  Heureusement  qu'entre  le 
système  de  l'heure  locale  absolue  et  celui  de  Theure  univer- 
selle il  y  a  une  transaction  acceptable  et  pour  ainsi  dire 
naturelle.  Reprenons  l'itinéraire  de  Constantinople.  En 
nombre  rond,  la  différence  de  temps  est  de  deux  heures,  qui 
nous  sont  administrées,  aujourd'hui,  par  petites  gorgées  de 
deux  h  vingt-trois  minutes,  en  neuTou  dix  étapes.  Servez- 


1.  Voir  entre  .-lulro»  un  Iravail  do  M.  Wci«s,  succeiscur  de  M.  Qppcil- 
zor  à  l'observatoiro  do  Vienne  :  Zur  Frage  der  Weideil,  Vienne,  Cari 
Gcrold.  1886. 


122    '  l'unification  des  hecres. 

nous-les  en  deux  fois,  en  doses  deune  heure  juste,  à  la  fron- 
tière allemande  et  à  la  frontière  ollomane. 

Voilà  le  système  des  fuseaux  horaires!  Il  serait  difficile 
de  dire  qui  en  a  eu  la  première  idée,  tant  elle  est  naturelle, 
mais  il  est  certain  que  ce  sont  les  Américains  qui,  les  pre- 
miers, l'ont  appliqué  en  grand  sur  l'immense  territoire  qui 
les  y  conviait.  C'est  pour  cela  que  le  système  des  fuseaux 
horaires  est  désigné  aussi  sous  le  nom  de  système  américain. 

Les  Américains  ont  divisé  la  terre  en  24  fuseaux  ("Voir  la 
carte  ci-contre),  ayant  chacun  son  heure  normale,  différ.int 
d'une  heure  juste  de  l'heure  normale  du  fuseau  précédent. 
Ce  n'esl  pas  précisément  l'unification  des  heures,  mais  c'est 
l'unification  absolue  des  minutes  et  des  secondes,  marquées 
uniformément  par  tous  les  cadrans  du  globe.  Pour  méridien 
initial  les  Américains  ont  pris  celui  de  Greenwich.  Les 
heures  normales  des  autres  vingt-trois  fussaux  se  trouvent 
ainsi  être  les  heures  locales  des  15%  30°,  45»,  60%  etc., 
degrés  de  longitude  ouest  et  est  de  Greenwich. 

Dans  la  pensée  de  l'aulear  principal  du  système,  M.  Sand- 
ford  Fleming,  alors  ingénieur  en  chef  du  chemin  de  fer 
transcontinental  du  Canada,  les  vingt-qualre  fuseaux  et 
leurs  heures  normales  devaient  être  désignés  par  les  lettres 
de  l'alphabet,  M.  W.  F,  Allen,  un  autrti  homme  de  chemins 
de  fer,  proposa  de  remplacer  les  lettres  par  des  noms 
propres,  tels  que 

Heure  universelle  pour  le  fuseau  an glo- français, 

—    continentale  —  auiitro-ancniand. 

Paciflc-Time  pniir  le  JïïfP,  de  8  heure!  en  returd  «ur  Greenwich. 

Mountain-Tlme   —     11(0%        7  —  — 

Centrat-Time       —      90",        6  —  — 

EaBlern-Tirae     —      75",        5  —  ~ 

Intereulonial-T.  —       W",         4-  —  — 


Ces  cinq  derniers  noms  sont  aujourd'hui  universellement 
employés  dans  la  vie  publique  et  privée  de  l'Amérique  du 
Nord. 


L'UMIFICATION   des   HEUnES. 


123 


Les  Américains  ne  se  sont  pas  astreJDls  à  délimiler  leurs 
Tuseaux  d'après  les  méridiens  intermédiaires  (67' Vtj82"  '/,, 
97'  Vï»  il2"' 'j)  qui  sont  figurés  sur  la  carte  et.  qui  auraient 
pour    effet    de  iimiler   rigoureusement  à   trente   minutes 
l'écart  entre  chacune  des  heures  noriualeset  l'heure  locale. 
Ils  ont  tenu  comptedel'étenduedes  concessions  de  chemins 
de   fer,   des  frontièrus  des  Étals  et  d'autres  circonstances 
locales.  Les  chemins  de  fer,  en  particulier,  semblent  s'être 
beaucoup  inspirés,  à  mon  gré  même  trop  inspirés,  de  leurs 
convenances  spéciales.  C'est  ainsi  que  sur  la  ligne  de  Porl- 
Artbur,  sur  le  lac  Supérieur,  à  l'île  du  cap  BreLon,  longue 
de  près  dé  :2,50O  kilomètres,  ils  font  usage  de  l'heure  unique 
Easlern-Time,  en  avance  de  cinquante-sept  minutes  sur 
l'heure  vraie  de  Port-Arthur,  et  en  retard  de  quarante-six 
minutes  sur  l'heure  vraie  de  Halifax.  Aussi  la  municipalité  de 
Halirax  a-t-elle  adopté  l'InlercoIonial-Tîme,  en  avance  de 
quatorze  minutes  seulement  sur  l'heure  vraie  etde  une  heure 
juste  sur  l'heure  du  chemin  de  fer.  De  son  côté,  la  ville  de 
Savannah  a  conservé  son  heure  locale,  en  avance  de  trente- 
six  minutes  sur  l'heure  normale.  Je  pourrais  vous  signaler 
d'autres  exceptions,  grâce  à  une  obligeante  coraniunicalion 
de  M.   Allen,  mais  le  nombre  de  ces  exceptions  diminue, 
paratt-il,  de  jour  en  jour',  et  il  y  a  en  ce  moment  mi^me 
un  mouvement  de  pétitions  pour  que  le  Parlement  cana- 
dien et  le  Congrès  des  États-Unis  régularisent  le  nouvel  état 
de  choses  *. 

Dans  notre  ancien  monde,  les  fuseaux  américains  con- 
duisent aux  groupements  suivants  (Voir  la  carte  ci-contre),' 

1.  LeUresde  M.  AUeti  dos  29  et  31  Janvier  et  7  mars  1890.  —  Co  aoat 
iortoul  les  villes  ilc  l'Oliio  qui  â'âtaieiit  refusées  à  l'adoption  do  l'heure 
BurrnMle  de  Jours  clicmius  de  for,  en  retard  do  2i  à  27  miitules  sur  les 
huurcs  locales.  Maia  le  22  iï^vrior  1800,  jour  itiiiiiversairc  do  la  ûaissance 
de  Wasliingtûii,  Ijl  ville  de  Cinciiniati,  de  350,000  habilaiiU,  pour  célébrer 
'enr:  féto  niilionalc,  adopta  l'Iioure  iioniKilc,  et,  dupuis,  |dusiours  autres 

i.-T.  ont  déjri  suivi  son  cxcinj)le. 

;.  Lettre  de  M.  Saudford-FletTiinj  du  31  janvier  1890. 


■124  l'UKIFICATION  des  nEURES. 

Le  fuseau  A  comprend  :  les  Iles-Britanniques,  les  Pays- 
Bas,  la  Belgique,  la  France,  l'Espagne,  le  Portugal,  le  Ma- 
roc, l'Algérie,  la  Tunisie.  —  L'heure  A  n'est  en  retard  que 
de  4  minutes  sur  celle  des  chemins  de  fer  français. 

Le  fuseau  B  :  la  Suède  et  Norvège,  l'Allemagne,  la  Suisse, 
l'Italie,  l'Autriche-Hongrie,  la  Serbie.  —  L'heure  B  est  en 


15        IV,       0         -V,       -iS      2gVz       30       37/1! 


7^i 


îi^t 


15 


l'I'H 


avance  de  7  minutes  sur  Berlin,  de  3  minutes  seuleraentsur 
Vheure  de  Prague  (régulatrice  des  chemins  autrichiens),  et 
en  retard  de  5  minutes  sur  Vienne,  Celte  dernière  capitale, 
soit  dit  en  passant,  n'a  jamais  mis  son  araour-proprc  à  im- 
poser son  heure  locale  à  ses  chemins  de  fer. 

Le  fuseau  C  :  la  Pologne  et  la  Russie  jusqu'à  Moscou,  la 
Roumanie,  la  Bulgarie,  laTurquie  d'Europe, la  Grèce,  l'Asie 
Mineure,  la  Syrie,  l'Egypte,  —  L'heure  C  est  en  avance  de 
4  minutes  sur  Constantinople,  et  en  retard  de  i  minute 


L'UNinCATlON   DES  UEURES.  125 

sealement  sur  l'heure  de  Pélersbourg,  qui  règle  les  chemins 
de  fer  russes. 

Je  me  sers  des  lettres  pour  désigner  les  fuseaux,  mais  je 
reconnais  que  de  simples  lettres  peuvent  facilement  se  con- 
fondre. D'an  autre  côté,  tes  noms  adoptésou  proposés  par  les 
Américains  ne  sont  pas  non  plus  faciles  à  retenir  et,  d'ail- 
leurs, en  partie  ambigus.  Un  astronome  autrichien,  le 
D'  Schrano,  eut  l'ingénieuse  idée  de  combiner  ces  deux 
systèmes  en  choisissant  des  noms  géographiques  dans 
l'ordre  de  l'alphabet  :  Adria,  Bosphore,  Caucase,  etc.'.  Ce 
serait,  parfait,  à  mon  avis,  si,  dans  l'application  de  son  idée, 
le  D'  Schraro  ne  s'était  laissé  séduire  par  une  subtilité. 
Il  voudrait  considérer  le  fuseau  anglo-français,  le  fu- 
seau de  Greenwicb,  comme  le  zéro  d'un  système  d'abscisses 
et  n'attribuer  la  lettre  A  qu'au  fuseau  austro-allemand.  Les 
mathématiciens  sont  d'accord  que  le  méridien  initial  ou 
—  comme  on  l'appelle  quelquefois  moins  correctement  — 
le '<  premier  méridien  6  doit  porter  ie  numéro  zéro;  mais 
vouloir  étendre  cette  qualification  à  un  fuseau  d'une  tipais- 
seur  de  15  degrés,  c'est  méconnaître  les  priucipes.  C'est 
comme  si  l'on  prétendait  que  le  mois  de  janvier  est  le  mois 
zéro  et  février  le  premier  mois  de  l'année.  Et  pourquoi  cette 
bizarrerie?  Parce  que  pour  le  D'  Schrara,  chaque  lettre 
a  une  valeur  numérique  (Zahlenwerlh)  :  la  lettre  D,  comme 
quatrième  lettre  de  l'alphabet,  est,  pour  lui,  synonyme  de 
quatre;  E=  5;  etc.  Gela  étant,  M.  Schram  fait  observer 
que,  étant  donnée,  par  exemple,  un^  heure  E,  il  suffit  d'en 
retrancher  la  valeur  numérique  deE  pour  avoir  immédiate- 
ment l'heure  correspondante  de  Greenwicb,  pour  lui 
B  rtieure  universelle  ».  Ainsi 

Si  dans  le  fuseau  E  il  est    10  h.  25  du  matin, 

Comme  Ë    ^^         5 
Il  seraù  Greenwicli  5   li.  2Ô  du  malin. 


I .  Vuir  la  carlt:  iuséiée  à  in  |jage  91  du  procùs-vcrbal  de  la  séance  du 
il  février  1890. 


l'ukifigation  des  heures. 

Mais  combien  de  personnes  savent  p;ir  cœur  que  E  est  la 
cinquitme,  P  la  quinzième  lettre  de  l'alpliabet?  Il  faudra 
compter  surses  doigts,  eî,  en  cecas,  il  sera  tout  aussi  facile 
décompter  le  nombre  des  inlervatles  entre  les  lettres  que 
les  lettres  elles-mêmes.  L'opération  pratique  sera  donc  abso- 
lument la  môme,  que  le  fuseau  initiai  s'appelle  A  ou  zéro*. 

Le  fuseau  de  Paris-Londres  conservant  sa  lettre  A,  quel 
nom  lui  donner?  Le  nom  i  anglais  »  ou  «  anglo-français  » 
se  trouve  exclu  parce  que  ni  en  anglais,  ni  en  allemand,  ni 
en  italien  le  mot  «  anglais  $  ne  commence  par  un  a.  On 
pourrait  dire  heure  d'Alençon  ou  de  l'Atlas,  Mais  le  nom  le 
plus  neutre  et  le  plus  conforme  aux  résolutions  IV-Vl  de  la 
Conférence  de  Washington  serait  peut-être  heure  astrono- 
mique. 

Le  fuseau  B  pourrait  s'pppelerle  fuseau  baUique.  Ce  serait 
un  hommage  rendu  à  la  Suède,  qui,  comme  nous  allons  le 
voir,  a  devancé  rAraérique  de  quatre  ans  dans  l'umOcation 
pratique  des  heures. 

Je  ne  cite  ces  différents  noms  qu'à  titre  d'exemples, 
propres  à  vous  faire  saisir  les  avantages  mnémoniques  du 
système,  car  il  est  clair  que  pour  arriver  à  un  résultat  satis- 
faisant et  universelliiment  accepté,  les  dénominations  et  les 
délimitations  des fuseaus  devraientêtre l'objet  d'une  enlenle 
internationale. 

L  Je  suis  heureux  de  consUter  (page  Iti  du  procès-verbal  de  la  séance 
du  21  février)  que  le  frère  Alexis  ne  semble  pa$  goCUer  non  plus  la  série 
proposée  par  le  D'  Scliram  : 

Allontiquc.  ||Eiii'o|.e. 

S.T.V.  X.  Y.  Z.llu.A.B. 
et  qu'il  cherche  à  l'améliorer,  en  remettant  l'U  à  sa  place  : 

S.T.l'.V.X,  Y.IIZ.A.  B. 
et  en  donnant  Z  comme  l'ubrcvialion  as  '/.éto.  Mais  cplln  abréviation, 
comme  telle,  serait  inintelligible  p>uiir  Irs  nalioDs  gerai.iniques  et  slaves 
et  lai^iserait  snbsistct'  l'espace  de  fïiille  V-A  ou  Z-A  qui,  coupanl  l'Europe 
en  deux,  embarrasserait  8ùrctn<;nt  les  prufesseurs  de  géograpliie. 

Que  cliacua  veuille  avoir  la  lettre  A,  on  le  comprend  à  la  rigueur; 
mais  que  la  Franccs'en  l.iisse  dépouiller,  un  ne  le  cumiuTUdiail  pas' 


I.  ONIPICATION   DES  HECRES. 


slèmc  des  fuseaux  ho- 


^to; 


'ônstatons  que,  en  Ihéorie,  le 
nires  facilite  singulièrement  runificulion  intérieure  sur  le 
globe  entier,  qu'il  simpliâc  égnlcment  la  coordination  des 
dates  et,  en(in,que  le  saut  de  l'heure  qu'il  impose  au  contact 
des  fuseaux  entrera  aisément  dans  les  habitudes,  si  on  le 
fait  coïncider  avec  les  frontières  politiques. 
Et  au  point  de  vue  de  la  réalisation  pratique  du  système, 
nslatons  que,  sur  les  24  fuseaux,  5  tombent  dans  l'océan 
Pacifique,  2  dans  l'Atlantique,  et  qiie,  parmi  les  17  fuseaux 
restants,  il  en  est  9  oil  les  nouvelles  heures  normales  sont 
déjà  plus  ou  moins  en  vigueur,  savoir  : 


L'heure  A  en  Grande-Bretagne,  deimis  !o  l;{  janvier  !M18; 

— •  B  en  Suède,  depuis  le  !"■  janvier  1879; 

—  C  en  Russie,  depuis  le  l'7l3  janvier  1888  (à  1  minute  prè.i); 

—  K  au  Japon,  depuis  le  [■"'janvier  188^; 

—  R,  8,  T,  U,  V,  en  AiniSrique,  depuis  le  18  novembre  1883. 


IV.  —  La  solution  probable 


J'ai  cherché  à  vous  démontrer  les  avantages  des  fuseaux 
horaires,  mais  ces  avantages  ne  sont  pas  absolument  liés 
au  choix  rie  tel  ou  tel  méridien  initial,  Il  me  resterait  donc  à 
délercniner  avec  vous  le  méridien  remplissant  le  mieux  les 
conditions  scientiliques.  Mais  je  n'ai  garde  de  le  faire.  Il  y  a 
des  faits  accomplis  qui  dominent  les  théories,  et  il  s'y  mêle 
des  aspirations  nationales,  espèce  de  forces  de  la  nature, 

gvant  lesquelles  oa  est  réduit  au  rôle  impuissant  et  ingrat 

simple  météorologue. 

Voici  donc  mon  pronostic.  Le  système  américain,  tel 

}b1^  me  semble  aujourd'hui  arrivé  au  même  point  oti  était 

système  métrique  sous  le  second  Empire.  Et  à  cet  égard, 

»rmetlez-moi  une  explication  personnelle, 

En  1844,  à  peine  sorti  de  l'Ecole  des  ponts  et  chaussées, 
j'ai  comoaencé  un  apostolat  en  faveur  du  système  métrique 


138  l'unification   des   UEUnES. 

à  l'élranger.  J'ai  publié  des  brochures,  donné  des  confé- 
rences. Un  journal  allemand  me  signala  comme  un  homme 
dangereux,  soudoyé  par  l'empereur  Napoléon,  qui,  au 
moyen  du  syslème  métrique,  voulait  mettre  l'Allemagne  à 
ses  pieds.  En  1858,  je  terminais  une  brochure  par  ces  mots: 
«  Je  ne  sais  si  l'Europe  sera  républicaine  ou  cosaque,  mais 
je  suis  certain  qu'elle  sera  métrique.  Ce  n'est  qu'une  ques- 
tion de  temps!  >  Je  ne  me  trompais  pas.  Dès  18C8,  l'Alle- 
magnc  du  Nord  adopta  le  système  métrique  et,  en  1872, 
l'Autriche  suivit  son  exemple.  J'eus  l'honneur  de  faire  par- 
tie de  la  commission  qui  élabora  ta  loi  autrichienne. 

Si  je  me  permets  de  relater  ici  ces  détails,  c'est  unique- 
ment pour  montrer  que  j'ai  assisté  de  près  au  triomphe  du 
système  métrique  à  l'étranger  et  que  j'ai  pu  me  former  une 
opinion  sur  les  qualités  de  ce  système  qui  lui  ont  valu  son 
triomphe  au  dehors. 

C'était  d'abord  sa  clarté,  —  On  était  sûr  que  les  mesures 
métriques  ne  seraient  jamais  confondues  avec  aucun  pied, 
avec  aucune  des  anciennes  mesures,  dont  la  multiplicité 
désolait  le  monde. 

C'était  sa  décimalité.  —  Les  avantages  de  ta  division  déci- 
male étaient  tellement  appréciés  qu'on  l'avait  appliquée  à 
quelques-unes  des  mesures  anciennes. 

C'était  la  finesse  de  ses  divisions.  —  Les  savants  et  les 
mécaniciens  rivalisaient  d'amour  pour  le  millimètre. 

C'élail  enfin  la  contagion  de  l'exeraple.  —  Plus  on  voyait 
le  système  métrique  se  répandre,  plus  on  pouvait  espérer 
son  triomphe  final  et  exclusif,  et  plus  cet  espoir,  répondant 
au  besoin  d'unification,  devenait  un  nouveau  stimulant. 

N'était-ce  pas  aussi  sa  nomenclature? —  Sa  nomencla- 
ture systématique  était,  à  part  quelques  théoriciens,  coasi- 
dérée  comme  encombranle  et  comme  terrible  pour  le  peu- 
ple, qui  d'ailleurs  ne  s'est  fait  faute  nulle  part  de  l'estropier. 

Et  sa  neutralité?  La  dix-miîlionième  partie  du  quadrant? 
—  J'ai  raoi-mûrae,  aussi  souvent  que  possible,  rais  en  avant 


l'dsification  des  heures.  429 

f€tte  feuille  de  vigne;  mais,  au  fond,  elle  ne  trompait  aucun 
homme  sérieux.  On  savait  très  bien  que,  pour  se  procurer 
UD  mètre-étalon,  on  ne  pouvait  pas  remesurer  la  terre,  mais 
qu'il  fallait  écrire  à  Paris,  tout  comme  si  le  mètre  avait  été 
la  centième  partie  de  la  colonne  Veud6me.  Prenez  la  loi 
autrichienne;  elle  mentionne  en  toutes  lettres  le  «  mètre 
prololype  déposé  aux  archives  de  Paris,  s  Et  la  convention 
du  mètre,  de  1875,  n'a-t-elie  pas  donné  la  sanction  inter- 
nationale à  un  atelier  qui,  sons  le  contrôle  de  délégués 
étrangers,  confectionne,  à  Paris,  les  copies  des  étalons  mé- 
triques destinés  aux  nations  étrangères?  Or,  si  à  Paris  il 
peut  y  avoir  un  atelier  international  neutre,  je  ne  vois  pas, 
pour  ma  part,  pourquoi  le  méridien  de  Paris  n'aurait  pas 
pu,  à  fortiori,  être  accepté  comme  neutre;  car  l'atelier 
exige  la  présence  permanente  de  délégués  étrangers,  tandis 
que  le  méridien,  une  fois  adopté,  n'exigeait  aucune  surveil- 
lance. La  meilleure  preuve  que  les  autres  ualions  ne  tenaient 
pasbeaucoupà  la  prétendue  neutralité, c'est  qu'àWashington, 
comme  à  Rome,  elles  ont,  à  la  presque  unanimité,  adopté 
le  méridien  de  Greenwich.  Je  suis  convaincu  que  c'est  en 
%'atlardant  à  la  vertu  séductrice  d'un  méridien  «  neutre  » 
qu'on  a  laissé  le  temps  au  méridien  de  Greenwich  de  sup- 
planter celui  de  Paris  et  d'envahir  les  fuseaux  horaires. 

Ce  qu'il  y  a  de  surprenant,  c'est  que  ce  ne  sont  pas  du 
loot  les  Anglais  qui  ont  prôné  leur  méridien  de  Greenwich. 
Au  contraire  ! 

Les  fuseaux  horaires  ont  été  proposés  dès  1869  par  le 
professeur  Ch.  Dowd,  principal  d'un  lycée  de  demoiselles  à 
Saratoga,  en  les  basant  sur  le  méridien  national  de  Washing- 

lOD<. 

Le  véritable  auteur  de  la  réforme,  le  Canadien  Sandford 
Fleming,  ne  songeait  pas  davantage  au  méridien  de  Green- 
wich; il  proposait,  comme  méridien  initial,  le  méridien  du 

I.  Proceedings  of  the  Canadtan  Institute,  Toronto,  July  1885.  Univ.  or 
ttmic  Time,  p.  13. 

soc.  DEGÉOGR.  —  1"  THIMESTBE  1890.  XI.  —  0 


130  L'DNtFICATION   BES   HEPRES, 

détroit  de  Bering.  El  ses  compatriotes  anglais,  offlcielle- 
Taeal  consultés  sur  son  projet,  écoulez  ce  qu'ils  en  dirent. 
Sir  G.-B.  Airy,  directeur  de  l'observatoire  de  Greenwich, 
s'exprime  ainsi,  à  la  date  du  18  juin  187'J  : 

a  Jo  n'attaclje  pas  la  plus  légère  valeur  à  la  première  partie  dos  iilées 
de  M.  FlemtKg  y>  (considéralioiis  relatives  à  une  hoiire  internationalo). 
«  Setondemeiit,  en  ce  qui  concerne  un  mdriilien  initial,  aucun  pratinien 
c'a  jamais  besoin  d'une  pareille  chose.  Si  un  méridien  initial  devait  ^Ire 
doplé,  il  faudrait  que  co  fût  celui  de  Greenwich,  car  la  nnvigalion  du 
monde  presque  entier  dépend  de  calculs  basés  sur  Grcemvich.  Mais  moi, 
comme  directeur  de  l'obscrvaloiru  do  r.reoiiwich,je  repousse  absolument 
l'idée  do  {'oiidcr  là-dessus  une  prétention^,  v 

C'est  te  mot  déjà  cilé  par  M.  Tondini  de  Quarenghi.  Le 
dire  du  directeur  de  Tobservatoire  d'Edimbourg,  M.  Piazzi- 
Smyth,  est  encore  plus  extraordinaire.  Ecoutez  bien!  C'est 
son  rapport  officiel,  daté  du  30  août  1879*  : 

ir  Qui  a  créé  les  nations,  Dieu  ou  Satan"?  On  devrait  vraiment  croire 
que  c'est  Satan,  quand  on  voit  avec  quel  ^Me  on  s'attache  à  détniire  les 
distincliiins  qui  stjparent  le»  nations  et  qui  les  caractériiseiit...  Malheur  h 
ceux  qui  cherchent  à  les  elTucer!  Qui  sont-ils  d'aillmira''  Des  iiieiiibres 
de  l'Internationale,  des  athées,  des  liis  de  la  Révolution  frauçaise... 
Jamais  la  nation  britannique  ne  portera  une  atteinte  ni  à  sa  famille 
TOjrale,  ni  à  ses  poids  et  mesures,  héritage  divin,  remontant  à  l'origine  de 
sa  race.  t> 

Cependant  le  méridien  passant  par  l'observatoire  de 
Grecn'vvich,  création  relativement  récente  d'un  Français,  ne 
partage  pas  la  prédilection  de  l'astronome  écossais.  Celui-ci 
verrait  avec  faveur  transporter  le  méridien  national  des 
Anglais  en  Egj'pte,  de  façon  —  je  cite  mot  à  mot  — 

«  De  façon  a  pass«^r  exactement  sur  le  monument  cité  par  Isaïc,  c'est-à- 
dire  la  grande  pyra ru idc.  f.ar  c'estclle  quicst  le  pilier tiiit/^ë6e/i,  annoncé 
par  le  prophète  messianique  cumine  devant,  au  jour  dernier,  servir  de 
«igné  su  Dieu  des  armées.  » 


1.  Univ.  or  Cotmic  Time,  p.  33. 

2.  Ibid,  pp.  30,  37. 


L'UtfIFICATION  DES^HEtrnES.  131 

Vous  voyez  qae  le  méridien  de 'Jérusalem  trouée  un  rival 
inatléndu  dans  le  livre  du  prophète  Isaïe*. 

Le  méridien  de  Greenw  ich,  comme  méridien  initial,  paraît 
avoir  été  proposé  pour  la  première  fois,  en  1881,  par  le 
D'Barnard,  président  de  Col umbia  Collège,  New-York*. 

Deux  ans  après,  au  printemps  1883,  les  directeurs  des 
«hemins  de  fer  américains,  ne  se  reconnaissant  plus  au 
milieu  des  H  heures  régulatrices  qui  se  partageaient  alors 
leurs  réseaux,  se  réunirent  en  conférence  et  s'approprièrent 
le  système  des  fuseaux  horaires,  en  le  basant  non  sur  le 
méridien  problématique  du  détroit  de  Bering,  mais  sur  le 
méridien  marqué  sur  leurs  caries,  le  méridien  palpable  et 
tangible  de  Greenwich.  Ces  directeurs  étaient  pressés.  Jo 
suis  heureux  de  pouvoir  vous  montrer  une  copieaulhentique 
de  la  carte  qui  leur  a  été  soumise  par  leur  secrétaire, 
M.  Allen.  On  y  voit  indiqué  en  couleurs  le  domaine  de 
«haque  heure  normale  d'après  la  répartition  adoptée.  Avec 
-quelques  légères  modiflcaiions,  cette  mfirae  répartition  a  été 
mise  à  exécution  le  18  novembre  1883,  date  à  jamais 
tnémorable. 

Aussi,  l'année  suivante,  la  Conférence  internationale  offi- 
ciellement chargée  de  déterminer  un  méridien  initial 
comnoun  à  toutes  Ica  nations  était-elle  à  peine  réunie  à 
"'"  -liington,  le  l"  octobre  1884,  qu'elle  reçut  une  lettre  de 
-  ji  ùjômes  directeurs  de  chemins  de  fer  insinuant  A  la  Gorv- 
férence  qu'elle  pouvait  bien  délibérer  sur  les  intérêts  de  la 
science,  mais  que,  sur  les  chemins  de  fer,  la  réforme  de 
l'heure  était  faite  et  que  tout  changement  serait  inutile  et 
inopportun. 

Vous  savez  ce  qui  s'est  passé  ensuite  à  celte  conférence 
de  Washington.  La  France  demandait  un  méridien  enlière- 
mcnt  neutre,  sans  préciser  celui  qui  lui  semblait  le  mieux 
remplir  celte  condition,  et  en  sacrifiant  de  sa  propre  main, 

I.  C.  XIX,  WTMU  tô,  20. 

s.  Univ.  ur  Cosmic  Time,  p.  Ui, 


132  l'unification  des  heures. 

ur  l'aulel  de  la  neutralité  internationale,  non  seulement  le 
méridien  de  Paris,  mais  encore  le  méridien  tradilionnol  de 
nie  de  Fer.  Pourlanl,  ces  deux  méridiens  avaient  et  ont 
encore  des  amis  en  Europe.  Voici  par  exemple  une  leltrp 
du  professeur  Kiepert,  votre  membre  correspondant,  qui 
adhère  toujours  aux  arguments  qu'il  avait  si  chaleureu- 
sement développés  en  1871,  au  Congrès  d'Anvers,  en  faveur 
des  deux  méridiens  en  question  '. 

Mais  dans  les  conditions  données,  la  conférence  de 
Washington  se  borna  à  ratifier  le  vote  de  la  conférence 
géodésique  de  Rome  (1881])  et  l'œuvre  conforme  des  direc- 
teurs decbemins  de  fer  américains.  Le  méridien  de  Green- 
wicli  réunit  2â  voix  conlre  une  (Saint-Domingue)  et  contre 
2  abstentions  (France  et  Brésil).  C'est  bien  maigre.  Et  qui 
oserait  affirmer  qu'aujourd'hui  le  Brésil  ne  volerait  pas 
avec  les  autres  22  États,  parmi  les  quels  je  cite  seulement  : 
l'Allemagne,  l'Autriclie-lïongrie,  l'Espagne,  les  États-Unis, 
la  Grande-Bretagne,  l'iUilie,  les  Pays-Bas,  la  Russie,  lu 
Suède,  la  Suisse,  la  Turquie. 

On  cherche  à  nous  consoler,  en  nous  rappelant  que  les 
votes  des  délégués  n'ont  encore  été  ratifiés  par  aucun  acte 
diplomatique.  C'est  une  consolation  bien  illusoire,  car  si  les 
dillérents  gouvernements  ne  se  sont  pas  engagés  à  exécuter 
les  votes  de  la  Conférence  de  "Washington,  ils  ne  se  le  sont 
pas  interdit  non  plus,  et  voua  allez  voir  dans  quel  sens 
agissent  les  forces  de  la  nature. 

Ecoutez  d'abord  ce  qu'a  dit  de  la  conférence  de  Washing- 
ton, dès  1885,  le  délégué  russe,  M.  Otto  Struve,  directeur 
de  l'observatoire  de  Pulkova-  ; 


(  l'cndant  ta  discussion  sur  le  cliuix  du  méridien  initial,  los  d<^légué» 
français  fireiil  lu  proposition  de  fixer  ce  choix  sur  quoique  miVidien  n  en- 
tièrement neutre  •  et  non  sur  l'un  des  ohservatoires  existiints.  iiueli{ue 
plausible  que  parût  celle  praposiliun  au  premici-  aburd,  alin   d'écartor 


1.  LeUre  particulière  eu  date  de  fierlia  le  20  janvier  1890. 

2.  Univ.  or  Cotmie  Time,  pp.  93,  97. 


L  UNIFICATION   DES  HEURES. 


135 


Idute  jalousie  uutionalo,  l'essai  in(>mc  du  dcfinir  co  qu'il  rulliiil  entendre 
lutr  uu  inériilJcu  utsiiluiixïiit  neutre  reni'.Diitra  do  sérieuses  difltcultés. 
El  plus  on  envisageait  les  différentes  ciiriditions  fi  remplir,  pItiB  lu  propo- 
sition apparaissait  dans  un  jour  défnvoraldc.  Car  pour  inr^riter  le  nnm  de 
premier  méridien  au  milieu  des  autres  et  pour  exclure  toute  ambiguïté,  il 
blLitt  bien  se  départir  du  principe  de  la  iieulralitc',  ou  précisant  sa  pusi- 
ùon  par  rapport  à  l'un  des  ubscrvatoires  voisins,  clioisi  d'autorité  à  cet 
«ffel... 

»  On  peut  ron sidérer  comme  certain  que  l'emploi  du  méridien  de  Grcen- 
«icli  dans  la  carto^çraphic  et  dans  le  comptage  des  lon|;itudes  sera  à 
bref  délai  et  sans  difficultc'  introduit  dans  tous  [os  pa^vs.  Daus  celle  ma- 
tiisre.  le»  organes  des  gnuveriiemeiils  des  trois  pays  les  plus  vastes  du 
monde,  de  la  Russie,  de  la  Orande-Gretagnc  et  des  Ëtats-Unis,  sont 
irrivés  à  une  entente,  et  dans  d'autres  pays,  rAliomagno  et  l'itulia  par 
exemple,  on  peut  prévoir  le  rnchni?  rwiiltat,  allcudu  que  l'emploi  du 
tniïriJien  de  Greenwich  y  est  déjà  oflkiollcment  adopté  pour  la  confec- 
tion des  cartes  hydrographiques.  Peul-<^tre  la  France,  par  suite  du  sen- 
(imeol  national,  restera-t-elU  queiijue  temps  en  arriére.  Ùu  peut  prévoir 
né^ininoins  que  les  égards  dus  aux  iutéréls  généraux  de  l'bum;(nilé  et 
lux  intérêts  particuliers  de  la  muriiic  rrani.'aiseimluiroiit  le  gouvernement 
4e  06  pays  à  rendra  l'unification  complète.  Nous  pouvons  donc  considérer 
^ue  l'objet  principal  de  la  conrércuce  de  Washington,  l'établissement 
d'un  méridien  initial,  est  aittini  d'une  manièro  satisfaisante.  » 

Cn  professeur  de  l'université  de  Louvain,  dans  une  bro- 
churedu  mois  d'avril  1889',  exprimé  une  opinion  semblable: 

<  Dans  le  cas  où  la  Franco  ne  se  résignerait  pas  de  siloti  abandonner 
son  méridien  national  pour  en  aduptcr  un  autre  qui  ne  serait  pas  neutre, 
il  y  aurait  encore  pour  la  Belgique  de  jirands  avantages  à  introduire  le 
temp»  de  Creeuwicli  daus  tous  les  usaj^rcs  de  la  via  pulilique  et  privée.  » 

Ce  ne  sont  là,  il  est  vrai,  que  des  appréciations  person- 
nelles, plus  ou  moins  discutables,  mais  dillérents  faits 
tendent  à  les  corroborer.  Autrefois,  le  méridien  de  Paris- 
Ferro  régnait  sans  partage  dans  les  caries  allemandes, 
autrichiennes  et  russes.  Aujourd'hui,  le  méridien  de  Green- 
uich  s'y  infiltre.  Voici  une  lettre  toute  récente  de  M.  Justus 
Perl  lies-,  le  chef  du  grand  établissement  cartographique 


I.  M.   Pasquicr,  De  Vunilicadon  des  heures.  Extrait  des  Mémoires  de 
niaion  des  ingénieurs  de  Louvain. 
t  En  date  de  Collia,  le  20  janvier  i8!>0. 


434  l'unification  des  hedres. 

deGolha,[qul  déclare  que,  maintenant,  en  règle  générale, 
il  ne  se  sert  plus  que  du  méridien  de  Greenwich.  M.  Kic- 
pet't,  t\  Berlin,  dont  j'ai  d6jà  cité  la  lellre,  toul  en  restant 
attaché  do  cœur  aux  anciens  méridiens,  n'en  ajoute  pas 
moins,  à  présent,  le  méridien  de  Greenwich  sur  les  cartes 
fort  recherchées  qu'il  publie.  Croyez-vous  que  dans  ces 
conditions  les  maîtres  d'école  d'entre  Rhin  et  Oural  conti- 
nueront encore  longtemps  à  baser  leur  enseignement  géo- 
graphique sur  un  méridien  officiellement  abandonné  à 
Washington  ? 

Peul-ôtre  fces  maîtres  d'école  ne  sont-ils  pas  pressés. 
Mais  il  y  a  toujours  des  directeurs  de  chemins  de  fer  qui 
le  sont.  Je  vous  ai  dépeint  la  situation  confuse  qui,  sous  te 
rapport  des  heures  régulatrices,  règne  sur  les  chemins  de 
fer  de  l'Europe  centrale.  Or,  à  l'instigation  des  chemins  de 
l'État  hongrois,  autrefois  si  jaloux  de  son  heure  nationale 
de  Budapest,  les  directeurs  de  tous  les  chemins  de  fer  aus- 
tro-hongrois demandèrent  à  leurs  gouvernements  jumeaux, 
à  la  date  du  1"  mars  1889,  l'autorisation  d'adopter  l'heure 
du  second  fuseau  horaire,  l'heure  «  ballique  ».  J'ai  devant 
moi  la]  réponse  que  fit,  à  la  date  du  7  septembre  1889,  le 
ministre  autrichien,  non  seulement  en  son  nom,  mais 
d'accord  avec  son  collègue  hongrois  et  avec  le  ministre  de 
la  guerre  de  la  monarchie.  Cette  réponse  est  tout  à  fait  favo- 
rable. Elle  charge  les  directeurs  austro-hongrois  de  poser  la 
question  au  sein  do  la  vaste  union  de  chemins  de  fer  qui 
embrasse  les  73,000  kilomètres  de  rAllemagne,  de  l' Au- 
triche-Hongrie et  de  quelques  territoires  limitrophes,  et  en 
cas  d'adoption  de  l'heure  haltique  par  le  Verein,  le  gouver- 
nement autrichien  promet  des  négociations  diplomatiques 
avec  les  autres  pays  compris  dans  le  fuseau  balliijue  (la 
Suisse,  l'Italie  et  la  Serbie).  Depuis  lors,  l'opinion  publique 
s'est  de  plus  en  plus  prononcée  en  faveur  de  la  réforme  en 
question,  notamment  par  l'organe  de  la  Société  des  ingé- 
nieurs de  chemiEs  do  fer  à  Berlin  et  do  la  Société  des  ingé- 


l'unification  dks  heures.  135 

iiîeurs-mécaniciens  allemands*.  11  en  a  môme  déjà  été  ques- 
tion au  sein  du  Reichslag  (séance  du  5  décembre  1889). 
Aussi,  à  la  date  du  8  janvier  1890,  la  Commission  spéciale 
nommée  par  le  Verein  adopla-t-clle  à  son  tour  la  proposi- 
tion. Pour  devenir  exécutoire,  elle  devra  ûtre  volée  encore 
par  l'assemblée  générale  du  Verein,  assemblée  qui  se  réunira 
à  Dresde,  dans  le  courant  de  l'été.  Mais  la  ralification  en 
question  ne  saurait  faire  doute  et,  dès  l'hiver  prochain  peut- 
être,  les  trains  du  vaste  réseau  austro-allemand  seront 
réglés,  comme  ceux  de  Snède,  sur  l'heure  ballique,  autre- 
ment dit  sur  Greenwich. 

Si  vous  voulez  bien  vous  souvenir  maintenant  que  l'heure 
de  Saint-Pétersbourg,  régulatrice  actuelle  des  chemins 
russes,  ne  diflîre  que  de  1  minute  de  l'heure  C,  vous 
penserez  peut-être  comme  moi  que,  quand  l'AIienjfigne  et 
l'Autriche  auron  l  adopté  l'heure  B,  déjà  en  vigueur  en  Suède, 
le  trionnphe  complet  du  système  américain  en  Europe  ne  sera 
plus  qu'une  question  de  temps. 

V.  —  Attitude  de  la  fuance. 

Que  ferez-vous  en  face  de  cette  éventualité?  Reslerez- 
voos  indéfiniment  dans  la  statu  qtio?  Et  le  pourrez-vous? 
Au  dedans,  assurément,  cela  vous  sera  facile;  mais  quand 
au  dehors  tout  aura  changé,  le  slatu  quo  sera-t-il  sauvé? 
Vous  laisscrez-vous  cerner  lentement,  comptant  sur  nos 
alliés  naturels  pour  assurer  vos  derrières?  Ne  vous  y  liez  pas! 

Le  Portugal  (voir  la  Cfirte  page  14)  ne  peut  être  porté 
vers  vous.  Entre  Lisbonne  et  Greenwich  la  différence  est  déjà 
de  trente-sept  minutes,  entre  Lisbonne  et  Paris  elle  serait 
de  quarante-six  minutes.  C'est  tout  au  plus  si  le  Portugal 
peut  s'arranger  de  l'heure  de  Greenwich.  —  L'Espagne  aura 

i.  Depuis,  lo3  Sociélés  des  iiigéniours  ot  architectes  du  royaume  île 
&tie,  cl  des  provinces  prussiouncs  du  Rhin  ni  ilc  Westphalio  oui  volé 
4et  résolutions  couformes. 


186  l'unification  des  heures, 

également  avantage  à  prendre  l'heure  de  Greenwich,  car 
celle-ci  n'est  en  avance  que  de  quinze  minuLes  sur  Madrid,  de 
trente-trois  sur  la  Corogne;  avec  l'heure  de  Paris  ces  diffé- 
rences seraient  de  vingl-quaLre  etde  quarante-deux  minutes. 
—  Aurez-vûus  au  moins  la  Hollande  et  ta  Belgique? 
La  Hollande  a  son  plus  grand  contact  avec  l'Allemagne  et, 
placée  entre  l'Anglelerre  et  l'Allemagne,  préférera  probla- 
bleraent  l'heure  A  à  celle  de  Paris,  une  fois  que  l'Allemagne 
aura  adopté  l'heure  B.  — ■  Quant  à  la  Belgique,  je  vous 
ai  lu  tout  à  l'heure  l'appréciation  d'un  auteur  belge.  — Reste 
la  Suisse.  Mais  la  Suisse  est  tellement  enchevêtrée  entre 
l'Allemagne,  l'Autriche  et  l'Italie  que  l'heure  unique  adop- 
tée par  ces  trois  États  s'imposera  également  à  la  Suisse. 

Ne  nous  laissons  doue  pas  cerner!  11  est  déjà  assez  fâ- 
cheux d'êlre  isolés.  Et  nous  le  sommes.  Notre  clientèle 
ordinaire  se  tient  à  l'écart,  et  vous-mêmes,  vous  n'osez  pas 
la  rappeler.  Pendant  l'Exposition  de  l'été  dernier  on  a  tenu 
une  centaine  de  Congrès  internationaux,  sur  les  sujets  les 
plus  variés.  L'unincation  des  heures  semblait  un  sujet  tout 
indiqué  et  qui  s'imposait  en  quelque  sorte.  Il  devait,  effec- 
tivement, Être  traité  dans  un  congrès  spécial,  —  dont  le  gou- 
vernement avait  même  nommé  le  comité  d'organisation.  Je 
voulus  m'inscrire,  mais  le  secrétaire  me  prévint  que  le  con- 
grès n'aurait  à  s'occuper  que  de  l'unification  intérieure  de 
la  France.  Ainsi  limité  dans  son  objet,  un  congrès  interna- 
tional n'avait  plus  de  sens,  et  une  seule  séance  du  Comité 
suffit  pour  en  faire  abandonner  l'idée. 

Un  autre  congrès  international  semblait  appelé  à  s'occu- 
per de  la  question  :  le  congrès  des  chemins  de  fer.  Mais,  là 
aussi,  te  silence  ne  fut  pas  rompu.  Les  membres  français  ne 
désiraient  que  le  statu  qm,  et  les  étrangers  sentaient  le 
terrain  glissant.  «  Il  n'y  a  rien  h  faire  avec  vous  dans  cette 
question  j»,  me  dit  l'un  d'eux. 

Je  vous  le  demande:  celte  situation  répond-elle  au  passé  de 
la  France,  qu'on  est  habitué  à  voir  marcheràlalÈLe  du  progrès? 


I 


l'dnification  des  heures.  137 

Pour  sorlif  de  l'impasse,  pour  ramenernoire  ancienne  clien- 
l&le,  il  suffi  rade  modifier  un  peu  notre  fabricalion.  Le  sacri- 
ûce  matériel  ne  sera  vrainfient  pas  grand.  Que  faul-il,  en  effet, 
pour  nous  rattacher  au  sysliime  américain? 

Il  suffira  de  dire  à  nos  chemins  de  fer  de  retarder  leurs 
horloges  encore  de  quatre  minutes,  c'est-à-dire  de  les  régler 
sur  le  méridien  du  Havre  au  lieu  de  celui  de  Rouen,  et  d'o- 
pérer ensuite  l'unificalion  intérieure.  Certainement,  cette 
réforoie  passerait  presque  inaperijue. 

Cela  étant,  quel  intérêt  la  France  pourrait-elle  avoir  à  se 
tenir  à  l'écart  d'une  institution  qui  possède  les  préférences 
manifestes  de  l'immense  mnjorilé  des  nations?  Ne  voyons- 
nous  pas,  tous  les  jours,  les  plus  grands  hommes  d'État,  comme 
les  politiciens  les  plus  inùmes  sacrifier  quelque  chose  de 
leurs  préférences  intimes'/  Happelons-nous,  dans  cet  ordre 
d'idées,  le  mot  bien  connu  :  «  Il  me  fallait  bien  les  suivre, 
puisque  j'étais  leur  chef.  » 

Il  y  a  deux  ans,  étant  donnée  la  situation  créée  par  la  Con- 
férence de  Washington,  je  disais  moi-même,  dans  la  Revue 
générale  des  chemins  de  fer  :  «  Le  groupe  A  sera  l'un  des 
plus  lents  à  se  former,  La  France,  en  particulier,  n'y  trouve- 
rait aucun  avantage  immédiat.  A  son  point  de  vue  indivi- 
duel, la  France,  qui  se  trouve  très  bien  du  sttitii  quo,  n'a 
aucun  motif  de  se  presser,  j  Mais  depuis  deux  ans  les  événe- 
ments et  les  esprits  ont  marché  autour  de  nous.  Le  système 
des  fuseaux  horaires  l'emporie  décidément  ! 

Le  fuseau  B  étant  en  voie  de  formation,  je  crois  que  la 
Francene  devrait  pas  tarder  à  entreprendre  celle  dufuseau  A. 
Je  suis  convaincu  que,  au  premier  signal  donné  dans  ce 
scos,  les  représentants  du  monde  entier  accourraient  à  Paris, 
heureux  d'invoquer  l'arbitrage  de  la  France  dans  toutes  lus 
questions  qui  sont  encore  h  résoudre  pour  la  dénomination 
et  la  délimitation  des  dilférenls  fuseaux. 


LA  CAMPAGNE  SG1ENT1F!(3UE 
an 

SCHOONEft  DES  ÉTATS-UNIS  «  GRAMPUS  )> 

EN  1889 

Par  M.  J.   THOn.ET 

ProfcMeur  à  U  Faculté  dos  scicncei  do  Nancy. 


L'océanographie  ou  science  de  TOcéasi  accomplit  chaque 
année  de  nouveaux  progrès;  presque  toutes  les  nations  s'en 
occupent  d'unefaçon  sérieuse  et  continue, mfime  celles  aux- 
quelles le  faible  développement  de  leurs  côtes  ne  permet 
qu'une  importauce  maritime  secondaire.  C'est  ainsi  que 
l'Autriche  dont  le  pavillon  flottait  à  bord  de  la  Novara,  de 
Vhbjorn  et  du  Tegeltitof,  prépare  en  ce  moment  l'expédition 
du  Pola  qui,  pendant  Tété  de  1890,  doit  explorer  les  grands 
fondis  de  la  mer  Adriatique.  Le  prince  Albert  de  Monaco 
éludiesur  VHirondette  les  environs  des  Açores;  la  Norvège 
a  fait  l'expédion  du  Vôringen;  îa  Suède,  celle  de  la  Vèga; 
l'Ecosse  avec  la  Mediisaei  \'Ark  poursuit,  grâce  au  dévoue- 
ment éclairé  et  infatigahle  de  M,  John  Murray,  l'esamen 
détaillé  de  ses  rivages  et  doses  estuaires;  les  Ilalieas  ont  à 
leur  actif  les  campagnes  du  Washington,  du  Magenta  et  du 
Veltore-Pisani;  la  France  a  exécuté  les  belles  campagnes 
scientifiques  du  Travailleur  et  du  Talisman  particulière- 
ment fertiles  en  découvertes  zoologiques. 

Les  Etats-Unis  où  Maury  a  créé  rocéanographie  n'ont 
cessé  de  se  livrer  à  l'étude  de  la  mer.  Ces  travaux  ont  un 
double  but,  l'un  de  science  pure,  l'autre  d'application. 
L'Océan  doit  donner  la  solution  des  problèmes  delà  météo- 
rologie, de  la  géographie  et  de  la  géologie  straligraphique 
considérée  dans  la  haute  acception  de  son  nom;  le  but 
pratique  est  le  perfectionnement  méthodique  de  la  naviga- 
tion et  de  l'aquiculLure.  Tout  progrès  accompli  dans  l'art  de 
conduire  un  navire  est  une  nouvelle  chance  de  sécurité  pour 


CAMPAGNE    DU    SCHOONER   DES   ÉTATS-UNIS   «  CRAMPES  >.  139' 

les  tuarins  et  ea  même  temps,  l'augmenLalion  de  rapidité 

des  traversées,  la  diminulioD  des  dangers  de  perte  pour  les 

cargaisons    se  traduisent  par  des  avantages  commerciaux 

considérables.  D'autre  part,  la  pôche  raisonnée,  t'aquicul- 

ture,  est  l'art  de  faire  rendre  à  !a  mer  le  plus  grand  total  de 

bénéQces  qu'elle  puisse  fournir,  comme  l'agriculture  est  l'art 

d'obliger  le  sol  à  donner  son  produit  maximum.  L'agricul- 

lore  et  l'aquiculture  ont  cessé  l'une  et  i'aulre  d'ùtre  livrées 

à  la  routine;  elles  s'appuient  maintenant  sur  des  méthodes 

rationnelles  el  scientifiques.  Celuiqui  trouve  le  moyen  de  faire 

croître  deux  épis  de  bl/;  là  où  il  n'en  poussait  auparavant 

qu'un  seul  a  mieux  méritéque  les  plus  célèbres  conquérants; 

les  Américains  ont  appliqué  à  la  mer  le  mol  de  Sully  et  leur 

activité  cherche  à  exploiter  de  plus  en  plus  méthodiquement 

l'Océan.  Voilà  les  véritables  conquêtes  et  la  gloire  la  plus 

solide  que  puisse  ambitionner  une  nation. 

Deux  administrations  américaines  correspondent  àce  dou- 
ble but  scientiflque  elindustriel.Le  Coast  and  GeodeticSur- 
vey  s'occupe  de  science  el  de  navigation  sur  les  côtes  atlan- 
tiques de  la  Confédération.  Chaque  annéeun  navire  de  l'Etat, 
le  Btake^  spécialement  allecté  à  ce  service,  se  rend  en  croi- 
sière dans  le  golfe  du  Mexique  ou  le  long  du  Gulf-Slream. 
A  cette  administration  ont  appartenu  des  marins  et  des  sa- 
vants éminents,  Blake,  Pierce,  Barttletl,  Hilgard,  Sigsbee,  et 
des  naturalistes  comme  Louis  et  Alexandre  Agassiz  el  M.  de 
Pourtalèsont  souvent  accompagné  les  campagnes  d'été.  Oa 
examine  le  régime  des  couranls,  on  sonde,  on  mesure  des 
températures  profondes  et  de  surface  ou  des  densités,  on 
reciieille  des  échantillons  d'eaux,  on  exécute  des  dragages. 
LT»   S.  Fish  Commission  concentre  dans  ses  attributions 
tout  ce  qui  concerne  les  pêcheries,  mais  pour  cela  ses  pro- 
cédés d'investigation  n'en  restent  pas  moins  scietililiques. 

U  est  admis  aujourd'hui  que  la  plante  on  l'animal  sont 
des  instruments  de  physique.  Leurs  conditions  d'existence 
ans  diverses  époques  de  leur  vie  sont  intimement  reliées 
i  UD  ensemble  de  conditions  physiques  et  chimiques  du 


14-OcAMI'AGNE    DCr   SCHOONEIl   DES    ÉTATS-UNIS    «    GUAMPUS    ». 

milieu  ambiant.  Si  celles-ci  se  modiflent  loules  à  la  fois  ou 
même  s'il  ne  se  produit  qu'un  changement  dépassant,  une 
certaine  limite  dans  une  seule  d'entre  elles,  l'être  vivant 
l'indique  aussilôt  par  des  changements  correspondants  ou 
par  sa  disparilion. 

Sa  présence  est  la  mesure  d'un  état  d'équilibre  déler- 
miné,  car  l'animal,  doué  du  pouvoir  de  locomotion,  dispa- 
raît en  cas  de  modification  suffisante  et  la  ptautca  toujours 
Ja  liberté  de  mourir.  I!s  sont  par  conséquent  de  véritables 
instruments  indiquant  et  mesurant  des  conditionsde  milieu. 
Néanmoins,  ies  indications  fournies  par  eux  sont  très  com- 
plexes parce  qu'elles  se  rapportent  à  tout  un  ensemble  :  le 
thermomètre  se  borne  à  mesurer  des  températures,  l'aréo- 
mètre des  densités,  tandis  que  la  plante  ou  l'animal  don- 
nent l'indication  générale  et  totalisée  de  la  température,  de 
la  densité,  de  ta  salinité,  de  la  nature  du  fond,  de  la  vitesse 
et  delà  profondeurdes  courants  et  d'autres  variablesencore. 
Si  donc  on  veut  résoudre  logiquement  le  problème  des  rap- 
ports de  la  plante  ou  de  l'animal  avec  le  milieu  ambiant, 
loin  d'essayer  de  procéder  de  cet  animal  au  milieu,  il  sera 
plus  simple  de  suivre  la  marche  inverse  et  de  passer  de  la 
connaissance  préalable  du  milieu  à  celle  de  l'Être  vivant. 

Nous  ne  citerons  que  deux  exemples.  C'est  seulement 
après  une  élude  complète  de  telle  baie  ou  de  tel  estuaire 
d'Ecosse  avec  la  Médusa  et  VArk  que  le  terrain  est  livré 
aux  zoologistes  chargés  d'achever  l'œuvre.  En  Norvège, 
l'érainent  directeur  de  l'Institut  météorologique  de  Chris- 
tiania, le  chef  de  l'expédition  du  Vôringerit  M.  H.  Mohn, 
reconnaît  que  la  morue  des  îles  Lolfolen,  pendant  ta  sai- 
son de  la  pêche,  se  tient  toujours  dans  des  couches  à  tem- 
pérature fixe,  et  il  projtose  qu'un  navire  de  l'État  muni  de 
thormomètres  précis,  suive  désormais  celte  couche  au  sein 
de  l'Océan  et  indique  jour  par  jour  sa  profondeur  aux  pé- 
cheurs travaillant  alors  en  quelque  sorte  à  coup  sûr.  Indé- 
pendamment du  Jilake,  les  Etats-Unis  avaient  deux  navires 
chargés  du  service  des  p&cheries,  le  Fisli-Hawk  et  VAlba- 


CAUPAGNE    DU   SCHOOKElt    DES    ÉTATS-LMS    «   GRAMPUS   >.   l-ll 

tross;  ce  dernier  depuis  cinq  ans  l'ait  campagne  chaque 
année  ;  il  a  étudié  d'abord  rAUantique  el  se  trouve  mainte- 
nant dans  le  Pacifique.  On  a  ju^é  que  ce  n'était  point  assez 
el  l'été  dernier  le  schooner  triVimpuA',  monté  par  un  étal- 
major  de  marins  et  d'hommes  de  science,  a  accompli  dans 
l'Atlantique  une  très  intéressante  mission  scientifique. 

Le    Grampus,  schoontr  à  voiles  de  83  tonneaux,  était 
lûiini    d'une    petite   machine  destinée  à  faire  tourner  le 
tambour  sur  lequel  s'enroule  le  câble  des  sondages.   Ce 
cûble,  long  de  1000  brasses  (1829  mètres)  est  en  acier;  son 
diamètre  mesure  un  1/8  de  pouce  (3,17  millimètres);  il  est 
formé  de  19 brins  de  corde  à  piano  n"  54  et  possède  une  ré- 
sistance à  la  rupture  de  1500  pounds  (G80  kilogrammes). 
Pour  les  profondeurs  moindres  de  100brasses,on  y  attache 
un  plomb  de  25  pounds  (11,3  kilograturaes)  mais  pour  des 
profondeurs  plus  grandes  on   augmente  le  poids  jusqu'à 
-40  pounds  (18,1  kilogrammes).  Le  tambour  est  relié  h  un 
compteur  donnant  le  nombre  de  tours  déroulés  ou  enrou- 
lé%  et  par  conséquent  la  profondeur  atteinte;  le  câble  est 
maintenu  au-dessus  de  l'eau  à  la  façon  ordinaire  et  supporté 
par  un   accumulateur  à  deux  ressorts  d'acier.    Le   navire 
était    commandé    par    le   capitaine    A.  C.   Adams,   avec 
MM.  Uand  el  Cionnelly  comme  second  et  lieutenant;   son 
état-major  scientifique  se  couj  posait  des  professeurs  William 
Libbey   Jr.  de  Princeton  Collège,  Roekwood,  Magie  et  Mac 
Neill.  Tous  les  préparatifs  de  l'expédition  avaient  été  faits 
parle  colonel  M.Mac  Donald,  de  la  Commission  des  Pêche- 
ries, qui  y  avait  consacré  ses  soins  les  plus  vigilants. 

L'expédition  avait  pour  mission  de  contribuer  à  établir 
les  rapports  existant  entre  la  température  et  la  densité  des 
eaux  et  les  migrations  des  poissons.  On  suppose  que  les 
variations  qui  s'accomplissent  à  chaque  saison  dans  la  po- 
lition  des  couches  isothermes  sous-marines  expliqueront  ces 
migrations  et  la  distribution  géographique  des  espèces  vi- 
vantes aussi  bien  des  poissons  comestibles,  elen  particulier 
du  maquereau  et  du  hareng,  que  des  animaux  inférieurs 


4-42  CAMPAGHE    nn    SCHOON'ER   des    ÉTATS-INIS    «    GHAMPUS  ». 

dont  ceux-ci  se  noiirrissenl.  Comme  les  variations  des  iso- 
thermes sous-marines  sont  en  retalion  avec  celles  des  iso- 
thermes aériennes,  on  comprend  la  relation  étroite  qui  s'é- 
tablit entre  l'océanograpliieet  la  météorologie. 

Le  Grampus  avait  donc  ;ï  mesurer  des  températures  et  des 
densités,  à  recueillir  des  échantillons  d'eaux,  à  exécuter  des 
dragages  et  des  pik'hes;  il  devait  en  outre  tenir  note  de  tous 
les  phénomènes  météorologiques  de  jour  et  de  nuit  et  exé- 
cuter certaines  expériences  sur  l'électricité  atmosphérique. 
On  avait  embarqué  vingt-cinq  thermomètres  Negretti  et 
Zambra  montés  d'après  le  système  Magnaghi,  c'est-à-dire 
en  relation  avec  une  hélice  inactive  à  la  descente  et  qui, 
lorsqu'on  la  remonte,  tourne  en  sens  inverse,  détache  un 
ressort  en  verrou  et  permet  le  retournement  de  l'instrument. 
Les  bouteilles  à  ramener  l'eau  étaient  probablement  du 
«ystème  Sigsbee  basé  sur  le  m&me  principe. 

Le  terrain  à  explorer  s'étendait  de  la  pointe  orientale  de 
l'île  Nantucket  à  Montauk  I*oint,  à  l'extrémité  nord  de 
Longhland,  en  lalitude,  jusqu'à  la  limite  du  Gulf-Streara 
â  l'est.  On  devait  le  couper  par  on  nombre  aussi  considé- 
rable que  possible  de  sondages  en  lignes  parallèles.  Il  ira- 
porte  de  remarquer  un  fait  sur  lequel  nous  avons  déjà  nous- 
même  attiré  l'attention  à  plusieurs  reprises  :  les  Américains 
semblent  convaincus  que  le  temps  des  grandes  expéditions 
océanograpbiqties  est  passé  et  qu'au  point  où  eu  est  aujour- 
<i'hui  arrivée  la  science  de  la  mer,  connue  dans  ses  traits 
généraux,  il  est  préférable  de  s'en  tenir  à  une  aire  res- 
treinte dont  tous  les  détails  devront  être  élucidés  de  raa- 
iùère  k  ce  qu'il  n'y  ait  plus  à  y  revenir. 

Le  Grampus  quittait  Wood's  Holl,  quartier  général  de 
l'U.  S.  Fish  Co»»mt.s-s*ow,  le  33  juillet  1889.  Après  quelques 
essais  préliminaires,  il  descendît  vers  le  sud  jusque  par 
39*^2'  lat.  environ,  naais  des  réparations  indispensables 
l'obligèrent  à  rentrer  à  Wood's  Holl  le  27  juillet  au  matin. 
Une  série  de  mauvais  temps  l'y  retint  jusqu'au  31  juillet 
aa  soir;  il  sortiitde  nouveau.  Le  mauvais  temps  continuant 


CAMPAGNE    DU   SCHOONER  DES   ÉTATS-UNIS   «   GRAMPUS    ».   143 

il  dut,  le  3  août,  se  réfugier  à  Block  Island,  d'où  après  une 
seconde  tentative  infructueuse,  il  repartit  le  5  aoùl. 

La  mer  devint  alors  lelleraent  calme  que  le  navire  fut 
presque  incapable  d'avancer.  Les  journées  des  6,  7  et  8  se 
passèrent  ainsi;  le  9  un  coup  de  vent  violent  força  encore 
de  rentrer  à  Wood's  HoU.On  y  demeura  Jusqu'au  15  août; 
entre  le  16  et  le  22,  on  sortit  deux  fois  ;  le  23  août,  la  cam- 
pagne se  terminait  définitivement. 

L'expédition  contrariée  d'une  façon  très  fâcheuse  n'a  sans 
doute  pas  satisfait  toutes  les  espérances  qu'on  en  availconçues. 
Toutefois,  elle  a  démontré  l'impossibiHléde  faire  des  obser- 
vations suivies  et  régulières,  surtout  dans  des  parages  aussi 
battus  que  les  côtes  des  Etats-Unis,  avec  des  bâtiments  à 
voiles   et  d'aussi  faible  tonnage  que  le  Grampus  qui  a  été 
arrêté  aussi  bien  parlebeau  tempsqueparlemauvais  temps. 
Des  bâtiments  à  vapeur  sont  indispensables.  Telle  est  aussi 
l'opinion  de  M.  John  Murray.  L'Hirondelle   du  prince  de 
Monaco,  quoique  opérant  aux  Açores  dans  des  régions  beau- 
coup plus  tranquilles,  n'a  pas  été  sans  éprouver  bien  des 
difficultés  dont  elle  est,  il  est  vrai,  sortie  à  force  d'habileté 
et  d'énergie,  mais  qui  auraient  été  fort  simplement  évitées 
avec  la  vapeur. 

Le  Grampus  a  donné  101  coups  de  sonde  dont  37  dépas- 
sa ni  iOO  brasses  et  à  plus  de  100  milles  de  terre;  les  stations 
éiiiientà  environ  10 railles  les  unes  des  autres  sur  des  lignes 
transversales  à  la  côte  et  au  Gulf-Streara  et  espacées  entre 
elles  de  10  milles.  Jusqu'à  50O brasses,  on  touchait  le  fond; 
au  delà  on  ne  cherchait  plus  à  l'atteindre;  on  se  contentattdes 
50Û  brasses  du  câble  auquel  ou  attachait  17  thermomètres 
et  2  bouteilles  à  eau;  8  thermomètres  étaient  placés  daos 
les  50  premières  brasses  et  2  dans  les  50  brasses  suivantes. 
A  35  railles  delà  côte  apparaît  le  Gulf-Stream  sous  forme 
d'une  mince  couche  d'eau  chaude  d'épaisseur  variant  entre 
2aou30brasses  et  sa  séparation  avec  lescouches  sur  fesquel  les 
elle  repose  et  qui  lui  servent  de  lit  est  nettement  accusée 
par  le   thermomètre  descendant  brusquement  de  1(5   ou 


CAMPAGNE  DU  SCHOONEB  DES  ÉTATS-UNIS  «  GRAMPOS  >. 

18  degrés  Fahrenheit  (9  à  10°  G.)  sur  une  épaisseur  verticale 
de  5  brasses.  Il  paraîtrait  en  outre  qu'en  approchant  davan- 
tage encore  du  centre  du  Gulf-Stream,  on  rencontre  au- 
dessous  de  l'eau  froide  une  autre  couche  chaude  dont  la 
température  entre  50  et  100  brasses,  dépasse  souvent  de 
5  àiO"  F  (2°8  —  5"5  C)  celle  qu'on  trouve  au-dessus  à  des 
profondeurs  de  30  à  40  tirasses.  A  500  brasses,  la  lerapéra- 
tare  était  ordinairement  de  40"  F  (4°44  C).  Cette  seconde 
nappe  chaude  est  un  fait  très  important.  Si  les  travaux 
postérieursconOrment  son  existence,  il  faudra  exaraineravec 
soin  comment  l'eau  froide  intercalée  se  raccorde  avec  les 
eaux  qui  l'entourent.  Deux  hypothèses  me  semblent  per- 
mises :ou  bien  la  couche  froide  intercalée  offre  en  coupe  une 
forme  analogue  à  celle  d'un  champi}»non  renversé  et  elle 
serait  alors  un  élargissement  inférieur  d'un  des  multiples 
fllcts  froids  qui  coulent  parallèlement  à  des  filets  chauds 
en  suivant l'a.ve  du  Gulf-Stream;  ou  bien  —  et  cette  suppo- 
sition serait  d'accord  avec  une  théorie  que  j'avais  déjà 
émise  à  la  suite  de  mon  voyage  aux  bancs  de  Terre-Neuve, 
—  la  couche  froide  serait  le  passage  que  suivrait,  pour  se 
déverser  dans  la  m::sse  des  eaux  atlantiques,  le  courant  froid 
du  Labrador  longeant  immédiatement  la  côte  des  États- 
Unis  du  nord  au  sud  à  contre-sens  du  Gulf-Stream,  et  qui 
en  surface  est  acculé,  après  le  cap  Hatteras.  entre  la  côte 
et  le  Gulf-Stream  sortant  du  canal  de  Bahama,  L'écoulement 
du  courant  du  Labrador  serait  latéral  et  en  profondeur  et, 
s'il  en  était  ainsi,  la  nappe  froide  serait  disposée  comme  un 
coin  et  moins  nette  du  côté  de  l'est  que  du  côté  de  l'ouest. 
Pour  être  renseigné  exactement  sur  le  phénomène,  il  fau- 
drait posséder  une  coupe  thermique  assez  serrée  de  l'Océan 
sur  le  parcours  du  courant  du  Labrador. 


Le  Gérant  responsable, 
Ch.  Maunoih, 

Secrétaire  général  de  la  ComiDission  centrale. 


397i.  —  Lik.-inip.  réunies,  B,  rua  Mignon,  3.  —  U\\  ot  UoTTEBOZ,  diracteuri. 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL 

FAIT 

A  LA  SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

Dans  ■■  tc'noce  générale  ilii  25  avril   181N) 
AU     NKM     d'une    CûMMISSin»     rOlIPilSKi;     DE 

MM.    Henri   Duvejripr,  Alfred  Gr;mdklii;i',  U'  llumy,  de  Quatrofagos 
et  William  Huber,  rapporteur. 


Avant  d'exposer  les  titres  des  lauréats  aux  récompenses 
de  la  Société  de  Géographie,  la  Commission  des  prix  ne  peut 
se  défendre  de  constater,  avec  un  sentiment  de  salisfaclion, 
que  celte  assemblée  générale  de  1890  est  la  troisième  d'une 
série  au  cours  de  laquelle  toutes  vos  médailles  ont  été 
décernées  k  des  Français. 

Ce   n'est  pas  que  votre  Commission  ait  été  partiale  ou 
qu'elle  ail  cédé  au  désir  bien  naturel  de  mettre  en  lumière 
les  travaux  de  nos  nationaux;  c'estque  lenomlire  des  explo- 
rateurs français  augmente  chaque  année;  c'est  que  chaque 
année  plus  nombreux,  nos  voyageurs  portent  à  l'envi  d»ns 
des  régions  inconnues  le  nom  et  les  couleurs  de  noire  pays. 
En  couronnant  des  voyageurs  français,  1»  Commission  des 
prix  n'oublie  pas  que  la  Société  de  géographie  de  Paris 
est  la  seule  dont  tes  statuts  ne  fassent  aucune  différence 
entre  lesétrarige4's  elles  Français. La  science,  en  effel,  util« 
à  tous  et  cultivée  dans  tous  les  Etats  civilisés,  ne  peut  avoir 
(le  nationalité.  Celle  courtoisie  doit  rester  une  de  nos  Ira- 
ditioas  :  elle  rehausse  la  valeur  des  récompenses  que  vous 
décernez  dans  un  concours  qui,  par  le  fait  mùme,  devient 
international. 

L'heureux  accroissement  du  nombre  des  voyageurs  fran- 
çais, est  dû,  en  partie,  aux  encourrigaments  que  les  voyages 

>(i(;.   DE  C.liOGIl.  —  i'    rilDlESTHK  IWM).  XI.  —  10 


140 


HAPPOUT  sur   le  CONCOUHS   au   MIX  AWSltEL. 


et  missions  scienliliqiies  reçoivent  des  ministères;  en  partie 
aussi,  nous  aimons  h  le  croire,  h  l'appui  que  leur  a  prêté 
la  Société  en  leur  fournissant  des  renseignements  et  des 
instructions  au  départ,  en  faisant  connaître,  an  retour,  le 
mérite  elles  résultats  de  leurs  efforts.  Combien  plus  grands 
seront  son  influence  et  les  services  qu'elle  pourra-  rendre 
quand  elle  aura  réussi  à  créer  ce  fonds  des  voyages  dont  la 
constitution  est  si  hautement  désirable. 

Nous  avions  à  décerner  celle  annéCj  pour  la  première 
fois,  un  prix  nouveau  institué  par  la  Commission  centrale 
pour  perpétuer  le  souvenir  de  notre  collègue  M.  Alphonse 
de  Montherot,  lequel  a  légué  à  la  Société  de  Géographie  une 
somme  de  5,000  francs  sans  affectation  spéciale.  —  Elle  a 
décidé  en  principe  que  toutes  les  fois  qu'un  lej^s  serait  fait 
dans  ces  conditions  généreuses,  tout  ou  partie  do  l'intérêt 
de  la  somme  léguée  serait  affectée  à  un  prix  portant  le  nom 
du  donateur.  Elle  a  pensé  que  ce  rappel  annuel  d'un  nom 
regrellé  serait  le  rappel  aussi  de  la  reconnaissance  de  la 
Société. 

M.  Alphonse  de  MontheroL,  membre  de  noire  Société 
depuis  1882,  n'était  pas  un  voyageur  explorateur  dans  la 
portée  scienlifique  du  terme;  mais,  aimant  les  voyages,  il 
en  avait  toujours  profité  pour  rapporter  des  collections  de 
photographies  exéculées  par  lui-même  avec  un  réel  succès. 
D'un  espi'it  éclairé,  généreux,  il  était  sans  cesse  préoccupé 
de  rendre  sa  vie  utile  et  de  prûlcr  son  concours  aux  œuvres 
méritantes.  Son  nom  restera  attaché  à  la  Société  de  Géo- 
graphie par  ic  prix  Alphonse  de  Montherot, 

La  Commission  des  prix  a  décerné  les  médailles  suivantes 
pour  Tannée  1889. 

1"  Grande  médaille  d'or  à  M.  le  capitaine  Louis-Gustave 
BtSGEn  pour  son  voyage  du  Niger  au  golfe  de  Guinée  par 
Kong. 
Rapporteur  M.  Henri  Duveyrier. 
i"  Médaille  d'or  h  M.  le  commandant  RnniARn  de  Lannoy 


RAPPOni  son  LE  CONCOURS  AU   PRIX   ANNUEL. 

DE  BissY,  pour  la  carte  d'Afrique  dressée  sous  les  auspices 
du  Service  géographique  de  l'armée. 
Ilapporteur  M.  Charles  Maunoir. 

3°  Médaille  d'or  à  M.  Jules  Bohelli  pour  son  voyage  au 
Choa. 

Rapporteur  M.  Alfred  Grandidier,  membre  de  l'Inslitut. 
4*  Médaille  d'or  h  M.  Léon  Jacob,  ingénieur  des  mines, 
pour  ses  explorations  de  la  région  comprise  enlrc  IWllan- 
tique  et  Stanley-Pool  par  le  Kuillou-Niari. 
Rapporteur  M.  William  Huber. 

5*  Afédaille  d'or,  prix  Logerai,  h  M.  Pavl  Crampel  pour 
ses  explorations  au  nord  de  l'Ugôoué. 
Rapporteur  M.  Charles  Maunoir. 

6"  Médaille  d'arfifiit  h  M.  Camille  Paiuî?,  pour  sou' 
Toyage  en  Annam. 

Rapporteur  M,  Jules  Garnier. 

7°  Médaille  d'argent,  prix  Alphonse  de  Montherot,  à 
Bl.  Alfrkd  Martel  pour  ses  explorations  des  Causses  des 
Cévennes. 

Rapporteur  M.  AVilliam  Huber, 

8°  Prix  JoHifffï/ à  MM.  Charles  et  PACLBRÉAno,  pour  leur 

ouvrage  :  Histoire  de  la  marine  marchande,  au  xvi*  siMe. 

Rappprleur  M,  le  Dt  Ernest  Hamy,  membre  de  l'instilut, 

M.    LOUIS-GUSTAVE    BINGEH, 
CAPITAINE    d'infanterie    DE    MARIKE 

Crandc  mcilallU'  d'or. 

M,    Henri    Duvcyiier,   rupporkur. 

Choisissantdansle  nombre  des  voyages  de  découverte  et  des 
iravau.T  d'érudition  qui  ont  augmenté  ou  précisé  notre  con- 
naissance de  la  terre,  et  qui  s'olFraient  à  elle  dans  les  limites 
de  temps  requises  pour  concourir  celte  année,  votre  Com- 
mission des  prix  a  décidé  d'accorder  la  grande  médaille  d'or 


148  HAPPORT  Sun  LE  CONCOURS  AU  PRIX   ANNUEL. 

de  la  Société  de  Géographie  au  capitaine  L.-G.  Binger, 
comme  récompense  de  son  exploralion  des  pays  inconnus 
au  sud-est  du  Dhiôli-Ba,  ou  Haut-Niger. 

Par  sa  durée  de  deux  ans  complets,  par  les  4-,000  kilo- 
mètres du  dëveloppemenl  des  chemins  csaclement  et  minu- 
tieusement levés  et)  pays  iDconnu,  itinéraires  appuyés  sur 
treize  déterminations  astronomiques,  ce  voyage  de  décou- 
verte, qui  fait  honneur  à  la  science,  au  caractère  et  au 
laleni  de  M.  Binger,  a  été,  à  l'unanimité,  jugé  digne  de  la 
plus  haute  récompense  de  notre  Société. 

En  18K7,  quand  le  capitaine  Tîinger  i^oramença  son 
voyage,  achevé  deux  ans  plus  tard,  en  1889,  rintérieur  du 
grand  triangle  dont  le  cours  du  Dhiôli-Ba  arrête  les  deux 
eûtes  est  et  ouest  el  la  pointe  nord  n'avait  guère  été  en- 
tamé, à  l'ouest  du  méridien  de  Lagos,  que  par  le  Français 
René  Caillié,  dont  l'itinéraire,  courant  un  peu  à  l'est  du 
Dhiôli-Ba,  ne  sort  en  aucun  point  du  bassin  de  ce  (teuvc  ; 
—  par  l'Allemand  Henri  Barlh,  qui  avait  coupé  de  Siiï  i^ 
Kahara  le  sommet  du  triangle;  —  par  le  Français  Bonnal, 
qui  avait  pénétré  de  la  Côte  de  l'Or  jusqu'à  Salaga  en  rele- 
vant une  partie  du  ilcuve  Firou,  notre  Volta;  —  enfin  par 
le  capitaine  anglais  Lonsdale,  qui,  d'Elmina  etde  Koumassi, 
avait  visité  ie  Londoukou.  Nous  passons  sous,  silence  les 
voyages  assez  nombreux  d;i!is  le  littoral  jusqu'à  Abômé, 
capitale  du  Dahômé,  Koumassi,  capitale  de  TAchanti,  et 
Alousardou,  près  des  sources  du  Mayel  lîalével. 

Malgré  le  nombre  des  voyageurs  dont  on  vient  de  rappeler 
les  travaux  à  l'est  des  deux  grands  bras  supérieurs  du 
Dhiôli-Ba  et  à  l'ouest  du  méridien  de  Lagos,  ta  géographie 
physique  de  cette  partie  de  l'Arrique,  qui  mesure  au  moins 
un  million  de  kilomètres  carrés,  était  à  vrai  dire  ignorée. 
Tout  récemment  encore  les  géographes  traçaient  là  une 
chaîne  continue  de  montagnes,  la  chaîne  de  Kong,  courant 
de  l'ouei;!  à  l'est,  qui  leur  paraissait  une  nécessité  plastique 
pour  séparer  les  bassins  tels  que  Icursspéculatioos  tes  avaient 


»ponT  SUR  LE  coNcouns  w  pnix  annuel. 


149 


créés,  el,  sous  leur  crayon,  les  cours  J'eau  dont  l'embou- 
cbare  était  connue  avaient  pris  des  formes  arrêtées  en 
conséquence  de  celle  première  notion  fausse. 

Les  quatre  mille  kilomètres  de  l'ilinéraire  du  capit;iine 
Oinger  Iraver/ent  ce  pays  inconnu  de  Baminako,  poste 
français  sur  le  Dhiôli-Ba,  à  Grand-Bassam,  poste  français 
sur  le  golfe  de  Guinée;  ils  forment,  en  outre,  une  vaste 
boucle  dans  l'es!,  jusqu'à  Wagadougou,  capitale  des  Môsi, 
et  au  cours  supérieur  de  la  Balivirt,  la  branche  orientale  du 
Firou.  Ils  apportent  une  première  base,  et  une  base  large  et 
sûre,  au  dessin  delà  carte  de  cette  région.  Ces  levés  raonlrenl 
d'abord  qu'elle  n'est  pas  traversée  par  une  chaîne  de  mon- 
tagnes dans  le  sens  des  parallèles,  et  ils  donnent  un  cours 
bien  autrement  long  qu'on  n'avait  supposé  jusqu'ici  aux 
Oeuves  qui  débouchenl,  sur  lîi  Côte  de  l'Ivoire  et  sur  la  Côte 
de  l'Or. 

Les  résultats  de  ces  travaux  géographiques  assignent 
désormais  au  capitaine  Bingpr  une  place  des  plus  honora- 
bles dans  l'histoire  de  l'exploration  de  l'Afrique.  Pour  le 
démontrer  il  suffira  de  citer  ses  principales  découvertes. 

C'est  d'abord  la  découverte,  près  de  Sikasso,  par  11°7'  de 
latitude   nord  el  1"'M)'  de  longitude  ouest,  d'ua  très  petit 
massif,  culminant  par  780  mètres  d'altitude  seulement,  qui 
sépare  les  bassins  des  affluents  de  la  Maye!  Balével,  et  par 
conséquent  du  Dhiôli-Ba  ou  Niger,  de  ceax  du  Koraoï,  ou 
tleuve  du  Grand-Bassam,  el  du  Firou  ou  Volta;  c'est  ensuite 
la  fixation  des  limites  et  des  traits   principaux  du  ba.«sin 
supérieur    presque    tout    entier    du    Firoii,  qui,  inconnu 
jusqu'alors,  dépasse  au  nord  lo  12°  degré   de  latitude  sep- 
ipnlrionale  et  se  prolonge,  dans  le  nord-ouest,  jusqu'à 
OOO  kilomètres  de  l'embouchure.  Le  bassin  de  ce  fleuve 
eist  plus  étendu  que  ceux  de  la  Loire  ou  du  Rhône.  Cou- 
pant et    recoupant  ses  deux  bras  nord-ouest  et  nord-est, 
M.  Binger  a  assis  le  tracé  du  premier  jusqu'à  la  source. 
Enfin,  un  autre  litre  de  votre  lauréat  c'est  la  reconnais- 


I.tO  niPPOUT   SUR  LE   CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

sance  et  le  levé  presque  complets  qu'il  a  faits  du  cours  du 
fleuve  de  Grand-Bassam>  du  Komoi,  qui  ne  te  cède  que  de 
très  peu  en  longueur  au  cours  de  la  Loire. 

Par  le  capitaine  Binger,  qui  a  visité  à  deux  reprises  le 
pays  de  Kong  et  l'a  parcouru  dans  diverses  directions,  nous 
savons  maintenant  que  ce  pays  s'étend,  du  nord  au  sud, 
entre  la  région  des  sources  du  bras  ouest  du  Firou  et  la 
partie  moyenne  du  cours  du  Komoi.  Les  pics  granitiques 
qu'on  y  trouve,  el  dont  le  plus  haiit  atteint  1,450  mètres 
d'altitude  absolue,  ne  forment  pas  de  chaîne;  ils  sont 
isolés,  tandis  que  plus  à  l'est,  laBaliviri  ou  branche  orien- 
tale du  Voila,  paraît  sortir  d'un  plateau  au  rebord  ac- 
cusé d'une  manière  continue,  qui  atteint  1,800  mètres  au 
picNaouri  et  qui  va  se  perdant,  au  nord,  du  côté  du  pays 
des  Môsi. 

Aucun  Européen,  avant  M.  Binger,  n'avait  visité  Pon,ou 
Kong,  la  capitale  du  pays  de  ce  nom,  et  dont  la  position, 
sur  nos  cartes,  s'est  trouvée  être  en  erreur  de  1*24'  en 
longitude  (154  kilomètres),  de  même  qu'à  Wagadougou, 
capitale  du  pays  hier  inconnu  des  Môsi,  nos  caries  présen- 
taient des  erreurs  de  I"5'  (121  kilomètres)  en  latitude  et  de 
48'  (88kilomèlres)  en  longitude. 

B  a  clos  ses  explorations  en  faisant  le  premier  levé  com- 
plet de  la  Ingune  d'Ebrié,  ou  de  Grand-Bassam,  qui  s'étend 
parallèlement  à  la  côte,  sur  une  longueur  de  cent  vingt- 
quatre  kilomètres.  Voilà  pour  la  géographie  positive  !  —  A 
ces  levés  personnels  vient  s'ajouter  une  vaste  enquête  géo- 
graphique, conduite  auprès  des  indigènes,  et  qui  a  donné 
pour  résultats  cinq  mille  kilomètres  d'itinéraires  par  rensei- 
gnements. 

Ki  la  géologie,  ni  la  météorologie,  ni  la  botanique  n'ont 
été  négligées  par  ce  jeune  et  grand  voyageur.  Son  herbier 
et  ses  notes  lui  permettent  de  tracer  sur  sa  carte  les  zones 
de  végétation  des  arbres  el  plantes  les  plus  remarquables 
et  les  plus  utiles,  entre  autres  la  zone,  malheureusement 


RAPPOni  SUH   LE   CONC0CR3    UI   PHIX    ANNfKL.  Inl 

assez  restreinte,  des  Stercnlia  qui  donnent,  dans  la  Nigritie 
occidentale,  un  succédané  du  café. 

De  l'homme,  vivant  en  société,  ii  a  Fait  une  étude  appro- 
fondie. Outre  la  famille  m;indé,  ou  mandingue,  qu'il  con- 
Bai&sait  de  longue  date,  il  a  recueilli  des  observaLious  sur 
six  autres  groupes  importants,  tels  celui  des  Sienré,  qu'il  a 
découvert,  celui  des  Môsi,  qu'il  a  le  premier  étudié  chez 
lui,  et  sur  une  soixantaine  de  petits  îlots  ethnographiques. 
Ses  recberches  ont  porté  à  la  fois  sur  le  type,  la  langue,  le 
caractère,  les  aptitudes  et  l'industrie  de  ces  rameaux  du 
genre  humain,  les  uns  à  peine  connus  de  nom,  les  autres 
jusqu'alors  ignorés  de  l'Europe. 

Tels  sont  les  titres  géographiques,  —  car  nous  n'avons 
pas  eu  à  îipprécier,  en  commission,  le  c6té  poli lif|ue, l'essor 
de  Tinfluence  française,  qui,  grâce  au  dévouement  et  au 
patriotisme  du  capitaine  Binger,  vient  de  faire  entrer  dans 
la  sphère  de  la  France  des  territoires  aussi  vastes  et  des 
peuples  aussi  nombreux  que  ceux  qui  formaient  l'aiicienne 
colonie  du  Sénégal,  —  tels  sont  les  litres  géographiques  qui 
justifient  pleinement  la  décision  de  votre  commission  en 
ce  qui  touche  la  grande  médnillc  d'or  décernée  au  capitaine 
Binger. 


M.   Di;  LANNOV   DK    BISSY,    fJUEF   HK    BATAILLON   bU   OKMK. 
Médaille    d'or. 

M.  Clisrle*  Maunoir,  lappoiteur. 

Une  carte  géographique  a  pour  but  de  rendre  sensibles 
au  regard  les  rapports  de  position  des  localités,  les  rapports 
de  direction  des  vallées,  des  cours  d'eau,  des  chaînes  de 
montagnes. 

Tel  est  le  problème  dans  ses  termes  les  plus  généraux, 
les  plus  simples.   Mfis  l'idéal  et  la  pratique  onl,   en  ce 


l'52       nAPPORT  snn  le  concours  au  prix  annuel. 

domaine  comme  en  quelques  autres,  de  la  peine  à  s'en- 
tendre; la  conception  théorique  et  l'exécution  sont  séparées 
par  des  dirflcullés  dont  ne  se  font  aucune  idée  ceux  qui 
n'ont  pas  été  à  Tceuvrc. 

Elles  sont  particulièrement  ardues  pour  qui  veut  con- 
struire, sur  des  proportions  un  peu  larges,  la  carte  d'an 
continent  immense  à  l'aide  d'éléments  disparates  et  de 
valeur  très  inégale  comme  richesse  ou  comme  exactitude. 

L'établissement  d'une  carte  d'Afrique  présente  des  con- 
ditions bien  faites  pour  tenter,  parfois  ni&me  pour  décou- 
rager, la  patience  et  la  sagacité  d'un  géographe,  pour  stimuler 
les  esprits  enclins  h  poursuivre  la  vérité  au  milieu  de 
données  qui  s'en  rapprochent  plus  ou  moins,  en  les  com- 
parant, en  les  interprétant,  en  y  pratiquant  deséllminations. 
C'est  un  capîivant  exercice  de  savoir  et  rie  discernement, 
qui  exige  à  ia  fois  labeur  et  pénétration. 

L'Afrique,  depuis  le  milieu  de  notre  siècle,  a  été  parcourue 
par  quelques  cenlaines  de  voyageurs  dont  les  lignes  de 
marche  et  les  délerminalîons  agronomiques  concordent 
rarement. 

Le  capitaine  du  génie  Richard  de  Lannoy  de  Bissy,  aujour- 
d'hui chef  de  bataillon,  s'est  donné  la  lilolie  de  les  étudier 
minutieusement  et  de  les  combiner  en  se  rapprochant  le  plus 
possible  de  la  réalité.  11  a  entrepris,  pour  l'Afrique  entière, 
ce  que  M,  Ravenstcin  avait  heureusement  réalisé  pour 
l'Afrique  équatoriale  orientale  dans  sa  carte  dressée  par 
l'initiative  de  la  Royal  geographical  Society. 

II  faut  ici  rappeler  que  M.  de  Lannoy  avait  foulé  la  terre 
africaine,  car  il  faisait  partie  de  la  colonne  que  le  général 
de  Gallifet  conduisit  sans  coup  férir  jusqu'à.  El-Goleah, 
en  1872. 

A  ce  1,'oyagi;,  pendant  lequel  iM.  de  Lannoy  fut  chargé  de 
recueillir  des  informations  d'ordre  scientifique,  est  due 
l'exécution  de  la  carte  d'Afrique  à  1  2,000,000  que  les 
visiteurs  de  l'Exposition  universelle  rie  1889  ont  pu  voir 


nAPPORT  SCn  LE  CONCOUnS  AU  PRIX  ANMTEL.  153 

lUèrement  achevée  dans  l'exposilion  du  Ministère  de  la 
Guerre,  à  l'Esplanade  des  Invalides. 

Vous  soumelire  un  rappoi't  déluillé  sur  celte  œuvre,  les 
soins  dont  en  a  été  entourée  fexécutinn,  les  mérites  qui  la 
recommandent  à  l'atlenlion  des  hommes  de  science, 
entraînerait  des  longueurs  incompatibles  avec  les  exigences 
de  notre  ordre  du  jour. 

Ceux  d'entre  vous  qui  assistaient  h  la  séance  du  "î  décem- 
bre 1880  ont  pu  voir  ici  même,  à  l'état  de  dcssin-minule, 
une  partie  déjà  considérable  de  celle  carte  entreprise 
en  1875.  L'accueil  dont  elle  fut  l'objet  de  la  pari  de  la 
Société  attira  l'attention  éclairée  du  général  Farre,  alors 
Ministre  delà  Guerre,  qui,  pour  mellre  M.  de  Lannoy  à 
même  d'achever  son  œuvre,  l'attacha  en  1881  au  Dépôt  de 
la  Guerre,  devenu  plus  tard  Service  géographique  de 
l'Armée.  Depuis  lors  les  chefs  successifs  de  ce  vaste  établis- 
sement, le  colonel  Bugnot,  puis  le  général  Perrier  et  enfin 
le  général  Derrécagai.x,  ont  répondu  dans  la  mesure  la  plus 
large,  la  plus  libérale,  aux  vues  du  Ministre. 

Près  de  quinze  ans  ont  été  nécessaires  pour  parachever 
celle  en!  reprise.  Ici  le  temps  a  son  importance,  car  il  a  été 
laboriensement,  consciencieusement  rempli  par  les  recher- 
ches, par  les  études  accessoires  indispensables  à  la  solidité 
d'une  carie.  Telle  feuille,  comme  celle  de  l'Klbiopie,  comme 
celle  du  Maroc,  n'a  pas  demandé  moins  de  cinq  mois  de 
travail. 

C'est  exclusivement  aux  matériaux  de  première  main  que 
M.  de  Lannoy  a  eu  recours;  ils  ne  lui  ont  pas  fait  défaut,  et 
la  valeur  de  sa  carie  s'étant  révélée  dès  l'apparition  des 
premières  feuilles,  des  documents  rares  ou  inédits  lui 
pjrvinrenl  de  divers  côtés,  môme  de  l'étranger.  L'auteur 
\  i\ù  maintes  fois,  en  présence  de  nouvelles  et  plus  silres 
iodicatious,  recommencer  tout  une  partie  de  sa  Hche.  En 
lelques  cas,  il  a  lui-mËme  reconstitué,  par  une  minuLieuse 
lyse  des  journaux  de  rouler  certains   itinéraires  que 


ii>4  lUPPOUT  SCn   LE  CONCOURS   AU  PRIX   ANNUEL. 

n'avaienl  pas  dessinés  les  voyageurs;  ce  n'a  été  là  ni  le  plus 
facile  ni  le  moins  intéressaiil  du  travail.  Seuls  les  carlo- 
graphes  savent  et  M.  de  Lannoy  nous  le  dirail,  ce  que  peut 
exiger  d'efforts,  de  réflexions,  de  combinaisons  et  de  recoin- 
raencements  la  mise  en  leur  place  la  plus  probable,  de 
points  que  l'incerlitude  fait  errer  sur  des  espaces  parfois 
très  étendus.  Il  faut,  s'appujant  sur  des  indices  délicats, 
tantôt  prendre  des  moyennes,  tantôt  adopter  une  version  à 
l'exclusion  des  au  Ires;  c'estlajustesse  de  ce  choix,  démontrée 
pardes  explorations  subsétiuentes,  qui  atteste  la  perspicacité 
critique  de  l'auleur.  II  est  arrivé  déjà  que  les  décisions 
adoptées  par  M.  de  Lannoj  ont  reçu  celte  sanction. 

Chacune  des  63  feuilles  de  la  carie  d'Afrique  du  Service 
géographique  de  l'Armée  doilêtre  accompagnée  d'une  notice, 
complément  précieux  où  sont  consignées,  avec  des  vues 
sur  les  pays  compris  dans  le  champ  de  la  feuille,  des  indt- 
calions  sur  les  sources  consullées,  sur  les  solutions  admises 
dans  les  cas  où  les  données  n'étaient  pas  en  concordance. 
Les  nolices  n'ont  pas  encore  toutes  paru,  mais  il  est  hors 
de  doute  que  l'achèvement  en  est  assuré. 

Votre  Commission  des  prix  se  trouvait  en  présence  d'une 
œuvre  vraiment  scientifique  dont  la  valeur  et  l'utilité  ont 
été  reconnues  non  seulement  en  France,  mais  encore  dans 
tous  les  pays  où  la  Géographie  est  un  honneur,  par  des 
juges  dont  le  verdict  fait  auLorilé. 

Elle  a  donc  élé  unanime  à  décider  que  la  carte  d'Afrique 
dressée  par  le  commandant  de  Lannoy  de  Bissy,  sous  les  aus- 
pices et  avec  le  concours  du  Service  géographique  de  l'Armée, 
méritait  une  médaille  d'or  de  la  Sociélé  de  Géographie. 


M.    JULES    BORELLI 
Médaille  d'or. 

yi.  Alfred  Graudîdîer,  de  l'Inslilul,  rapporteur. 
M.  Julos  Borelli  a  exploré  pendant  trois  années,  de  1885 


BAPHOnT   SUR   LECONCOIRS   AU  PUIX   ANMJEL.  1Ô5 

I  1888,  le  grand  massif  de  montagnes  situé  au  sud  de 
l'Abyssinie,  dont  le  versant  nord  envoie  ses  eaux  dans  le 
Nii  Bleu  et  qui,  dans  le  sud,  donne  naissance  à  une  mulU- 
lude  de  rivières  se  réunissant  pour  former  le  grand  fleuve 
Omo. 

On  ne  possédait  jusqu'à  présent  que  très  peu  de  rensei> 
gnements  sur  cette  contrée,  habitée  par  des  peuples  de 
races  Oromo  et  Sidama. 

M.  Antoine  d'Abbadie  el,  plus  récemmenl^  M.  Alphonse 
Aubry  avaient  visité  tes  Oromo  ouGalla,  mais  ils  n'avaient  pu 
pénétrer  dans  la  partie  sud  des  pays  Sidama.  Quel  était  le 
cours  du  neuve  Omo,  quels  étaient  ses  affluents,  où  déver- 
sait-il ses  eaux?  Autant  de  problèmes  d'une  grande  impor- 
tance que  M.  Borelli  a  résolus. 

Les  géographes  s'accordaient  pouren  faire  un  des  grands 
affluents  du  Juba:  noire  hardi  et  zélé  collègue  a  montré 
qae,  loin  «ie  courir  vers  l'est  ,  comme  on  le  croyait,  il  se 
jetait  dans  le  grand  lac  Shacnbara  ou  Basso-Narok  récem- 
ment signalé  par  le  comte  Telekt,  au  nord  du  Nyanza. 
C'est  là  une  découverte  qui  change  complètement  la  carte 
de  toute  une  région  dp.  l'Afrique  et  qui  fait  grand  honneur 
à  rexploraleur. 

M.  Borelli  n'a  pas  fait  son  voyage  en  simple  touriste, 
avide  de  nouveautés,  que  le  hasard  favorise  plus  ou  moins 
ilans  ses  explorations;  il  l'a  fait  eu  homme  de  science  dési- 
reyi  d'étudier  le  pays  au  point  de  vue  lopographique.  Il  a 
parfaitement  réussi,  ne  se  laissant  arrêter  par  aucune  diffi- 
cullé,  par  aucun  danger,  au  prix  de  dépenses  considérables 
f»iles  avec  une  générosité  dont  nous  devons  le  louer  sans 
é&erves. 

Mani  des  instruments  de  précision  nécessaires,  i!  s'est 
ippUqué  h  suivre  l'exemple  donné  jadis  par  notre  collègue 
M.  d'Abbadie  et  a  couvert  d'un  vaste  réseau  de  triangles 
tout  le  bassin  du  Haul-Omo,  réseau  qui  se  relie  à  celui  de 
M.  d'Abbadie  par  un  tour  d'horizon  pris  du  sommet  du 


ir>(3 


RAPPOnT   SUR  LTi   C0NC0UH3   AU   PfilX   ANNUEL. 


mont  Garruque,  quaranle-quatre  ans  apiès  les  travaux  de 
son  prédécesseur. 

M.  Borelli  a  multiplié  ses  tours  d'horizon  au  théodolite, 
(in  Q3  stations,  fixant  ainsi  la  position  exacte  de  milliers  de 
points;  il  a  délerminé  celles  de  55  localités  en  latitude  et 
d'une  dizaine  en  longitude  ;  toutes  ces  observations  sont 
faites  avec  le  soin  et  la  précision  qu'on  pourrait  attendre 
d'un  topographe  de  profession. 

Grâce  aux  travaux  persévérants  de  M.  Jules  Borelli,  nous 
possédons  aujourd'hui  nnc  carte  exacte  d'une  région  de 
!25,0O0  kilomèlres  carrés  environ,  jusqu'à  présent  entière- 
ment inconiuie.  Le  voyageur  a,  de  plus,  porté  son  attention 
sur  la  délimitation  des  nombreuses  peuplades  désignées 
par  leurs  voisins  sous  le  nom  général  de  Sidama,  peuplades 
qui  habitent  au  sud  des  pays  Oromo  et  qui  ne  parlent  pas 
moins  de  huit  langues  diirérenles,  lia  formé  un  vocabulaire 
de  chacune  des  trois  langues  tambara,  koiillo  et  hadin, 
jusqu'alors  complètement  inconnues. 

Cet  aperçu  très  rapide  et  forcément  incomplet  des  prin- 
cipaux résullats  des  voyages  de  M.  Borelli,  dont  les  itiné- 
raires mesurent  plus  de  3,000  kilomètres,  suffit  cependant 
pour  donner  une  idée  des  découvertes  dont  la  géographie 
lui  est  redevable  et  de  Timporlance  de  ses  levés  topogra- 
phiques. 

Voire  rapporteur,  en  proclamant  la  décision  de  la  Com- 
mission des  prix,  ne  peut  que  féliciter,  au  nom  de  la  Société 
et  en  son  nom  personnel,  notre  collègue  d'avoir  si  bien 
accompli  sa  mission  et  d'avoir  fait  preuve  de  col  esprit 
scientitique  que  nous  aimons  à  constater  et  qui  malheu- 
reusement est  trop  rare  encore  chez  la  plupart  des  explora- 
teurs. 

La  Société  de  Géographie  décerne  une  médaille  d'or  à 
M.  Jules  Borelli. 


IIAI'PORT    SIIK    LE    CONCODKS    AU    PRIX    ANNUEL. 


157 


P 


M.   LÉON  iACOn,  I.NGÉMEUn  CIVIL  DES  MI^ES 
Médaille  il'tir, 

M.  William  Hub«r,  rapporleur. 


Lorsqu'au  rolour  de  sa  seconde  campagne  M .  Savorgnan  de 
Draz'^a  proposait  la  rotUe  du  IJuillou  pour  joindie  le  Congo 
fraQ<^ais  à  la  mer,  les  géographes  cooirne  les  techniciens  se 
demandaient  quelle  était  celle  région  à  peine  connue  de 
l'exploralRur  et  des  Portugais  établis  à.  LoanJa. 

On  savait  que  le  cours  du  IJ>nIlou-I^''<i<'i  était  obstrué  de 
rapides  qui  en  interdisaient  li  navigation;  mais  on  ignorait 
rimportance  de  ces  obstacles,  ce  qu'on  trouverait  au  delà, 
le  régime  et  la  direction  des  affluents,  l'étendue  des 
forêts  qui  couvrent  le  pays  et  les  dispositions  de  ses  habi- 
tants. 

La  mission  de  M.  liouvrer,  capitaine  de  frégate,  du  doc- 
leur  Ballay  et  du  capitaine  Pleigneur,  de  l'infanterie  de 
marine,  a  poussé  d'impartantes  reconnaissances  dans  cette 
région,  relevé  une  fçrande  partie  du  cours  du  Niari  et  appuyé 
son  iliaéraire  sur  des  observations  astronomiques,  mais 
l'intérieur  du  pays  restait  inconnu;  là  peul-ûtre  trouverait- 
on  quelque  dépression,  quelque  cours  d'eau, quelque  coupure 
dans  la  montagne  qui  permettraient  l'élablissernenl  d'une 
roule  ou  d'un  chemin  de  fer,  raccourcissant  de  près  de 
moitié  le  trajet  imposé  par  la  vallée  môme  du  Niari,  entre 
Ngoloii,  point  extrf^me  de  la  navigalion,  ctLoudima. 

C'est  à  M.  Léon  Jacob,  ingénieur  civil  des  mines,  que 
nous  devons  une  connaissance  beaucoup  plus  complète  du 
|»ays.  Chargé  par  M.  de  Brazza  de.  trouver  le  meilleur 
tracé  possible,  M.  Jacob  a  parcouru  cette  contrée  pendant 
deux  ans,  relevant  tous  ses  itinéraires,  les  appuyant  sur 
tes  coordonnées  déterminées  parla  mission  ducoramandant 
Rouvicr,  marclianl  le  baromèlre  en  main  çl  se  frayant  un 


15S 


UAPPOUT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANKUKL. 


passage  là  où  l'indigène  lui-même  n'avait  peu l-ôtre  jamais 
passé. 

La  mission  de  M.  Jacob  avait  à  l'origine  pour  but  unique 
l'étude,  au  point  de  vue  des  voies  de  communication  par 
terre,  rie  la  région  qui  sépare  la  côte  de  Loango  du  Stanley- 
Pool. 

Par  la  suite,  il  a  été  entrainé  à  étudier  et  h  relever  en 
détail,  h  deux  reprises,  la  région  de  BU  kilomfelres  des 
rapides  du  Niarl  oti  avait  trouvé  la  mort  le  capitaine  Plei- 
gneur,  qui  avait  d'abord  entrepris  ce  iravail.  Nous  ne  par- 
lerons pas  de  l'avant-projel  de  M.  Jacob  pour  rendre  ce  fleuve 
navigable;  il  est  absolument  distinct  des  travaux  géogra- 
phiqueset  lopographiques  qui  doivent  nous  occuper  aujour- 
d'hui. 

La  carte  que  nous  a  présentée  M.  .lacobaétù  tout  entière 
levée  par  lui;  il  n'y  entre  aucun  élément  étranger;  il  s'est 
borné,  avons-nous  dit,  à  se  servir  des  positions  de  quatre 
ou  cinq  points  déterminés  astronomiquement  par  son  pré- 
décesseur \L  Rouvier. 

Les  itinéraires  atteignent  une  longueur  développée  de 
plus  de  3,000  kilomètres.  Ils  ont  été  levés  à  la  boussole  et 
au  podomètre,  en  introduisant  certaines  corrections  empi- 
riques dictées  par  l'expérience  selon  la  nature  de  la  route. 

Les  cotes  d'altitude  ont  été  prises  au  baromètre  anéroïde 
à  des  dislances  très  rapprochées,  alln  que  les  variations  jour- 
nalières jouent  le  moindre  rôle  possible  dans  la  différence 
de  niveau  relative  entre  deux  points  voisins, 

Tous  les  cours  d'eau,  jusqu'aux  plus  petits,  ont  été  reb- 
vés  elflgurent  en  traits  pleins  sur  la  carte  ;  M.  Jacob  réserve 
avec  une  entière  franchise  les  poinlillés  pour  les  portions 
des  rivières  dont  il  n'a  pas  fait  le  levé  direct.  Les  centres 
d'habitation  sont  tous  indiqués  par  leurs  noms  transcrits  au 
plus  près  de  la  consonnancc  de  la  prononciation. 

Enfin  les  mouveraiinls  généraux  du  sol  sont  donnés  par- 
tout où  le  voyageur  pouvait  lesapprécicr,  avec  quelque  exac- 


RAPPOHT  SUR  LE  COXCOURS   AU  PIUX  ANMITEL. 


15'J 


Utudc.  Ailleurs  il  a  préféré  laisser  sa  carLe  en  blanc  plulôl 
que  de  s'exposer  à  y  introduire  des  erreurs.  Celte  sincérité 
dans  la  représentation  du  travail  est  d'un  bon  exemple;  trop 
souvent  le  voyageur  charge  inutilement  sa  carie  de  données 
ulileaues  par  renseignements,  ou  d'élémenls  qu'il  a  cru  voir 
dans  un  lointain  trompeur. 

Les  principaux  efforts  de  M.  Jacob  se  sont  portés  sur 
deux  points  distincts  :  les  montagnes  boisées  du  Mayombé 
comprises  dans  la  grande  boucle  que  décrit  le  Niari  vers  le 
nord;  puis  la  chaîne  de  hauteurs  qui  sépare  le  bassin  du 
Kiari  de  celui  du  Congo. 

Dans  la  première  partie  l'ingénieur  a  reconnu  de  nom- 
breuses rivières,  grandes  et  petites,  dont  il  identifiait  aisé- 
ment les  noms  avec  ceux  qu'elles  portent  à  leur  confluent 
connu  dans  le  Niari;  telles  que  la  Loukénéné,  grand  affluent 
de  la  Loômé,  les  rivières  Mangi,Loukamba,  Ngoraa  et  bien 
d'autres  dont  je  me  dispense  de  vous  présenter  ici  l'aride 
énuméralion. 

Aucun  de  ces  cours  d'eau  n'est  navigabie,  même  pour  des 
pirogues.  Ils  présentent  tous  des  fortes  pentes,  de  nom- 
breuses chutes  et  contiennent  peu  d'eau  dans  la  saison 
sèche.  Les  montagnes  du  pays  Mayombé  sont  entièrement 
boisées,  plantées  d'arbres  souvent  énormes  que  l'on  trouvera 
peut-être  moyen  d'utiliser  un  jour. 

Les  seuls  sentiers  indigènes,  parfois  à  peine  vii^ibles,  sont 
tivs  escarpés,  obstrués  de  brous^ailtes  et  ils  empruntent  en 
»'y  perdant  sans  cesse  te  lit  des  torrents. 

Dan<î  la  seconde  partie  de  son  travail,  entre  le  Niari  et  le 
Congo,  M.  Jacob  a  franchi  la  ligne  defaîte  à  ta  cote G30  mètres, 
alors  que  M.  Rouvier  l'avait  traversée  plus  à  l'est  à  080  mclres 
d'altitude.  Cette  concordance  est  intéressante.  Là  encore 
1»?*  rivières  ont  été  relevées  avec  d'autant  plus  de  soin 
ju'elles  sont  plus  importantes,  comme  la  Liikouni,  affluent 
Niari,  et  la  Nikengué  ou  Foulacari,  affluent  du  Congo^ 
les  deux  entièrement  inconnues  jusqu'alors. 


160       nAPPORT  sun  le  concours  au  prix  annuel. 

Celte  région  est  bien  plus  facile  à  parcourir  que  celle  de 
Majoinbé  et  l'élablissement  d'une  voie  de  coramunicalion 
y  ofFrirail  moins  de  difflcuUés. 

M.  Jacob  a,  de  plus,  fait  !i  travers  tes  plateaux  Bayaka 
dans  le  nord  du  Niari,  un  voyage  très  intéressant  qui  lui  a 
permis  de  retrouver  et  de  déterminer  un  point  du  cours  de 
laBouenza,  artliienL  du  Niari  presque  aussi  important  que 
ce  fleuve  lui-mônie- 

En  résumé,  M.  Jacob  estime  que  la  voie  de  communication 
entre  la  mer  et  Slanley-Pool  doit  être  cherchée  le  long  du 
Niari  jusqu'aux  environs  de  M'Soussou,  puis  suivre  un  des 
itinéraires  par  iM'Boukouzengi  et  ie  coi  de  Boundou,  pour 
rejoindre  le  Niari  àLoudima,remonlei' celte  rivière  jusqu'aux 
environs  du  poste  de  Comba,  enflri  se  diriger  sur  Brazzaville, 
soit  parles  vallées,  soit  par  le  sentier  indigène  qui  traverse 
direcLemenl  le  plateau  de  Bacougo. 

Ce  travail  persévérant  des  deux  années  1887  et  1888  nous 
a  donc  rapporté  des  éléments  précis,  nouve:ius  et  nombreux 
sur  une  contrée  française  par  laquelle  la  colonie  du  Congo 
aura  sans  doule  un  jour  ses  débouchés  sur  la  mer  et  ses 
relations  avec  la  patrie. 

La  Commission  des  prix  a  décerné  une  médaille  d'or  à 
M.  Léon  Jacob. 

M.    P.MIL    CRAMPKr- 


I 


.Wf^ilaillc    il'cir  (PriK  l.OKPrnl) 

M.  Chailos  Maijiioir,  rapporteur. 


L'attention  rie  votre  Commission  des  prix  a  été  attirée 
sur  l'exploration  accomplie  par  M.  Paul  Crampe!  au  milieu 
du  blanc  de  la  carte  d'Afrique  situé  juste  au  nord  de 
l'Ogûoué,  ce  ûeuvequi  a  désormais  sa  pince  dans  l'histoire 
de  la  géographie  africnine.  L'espace  dans  lequel  M.  Crampel 


ÎIAITORT  SUR  LE  COSCOUnS  AU  PRIX   ANNUEL.  101 

a  fait  un  véritable  voyage  de  découverte  s'étend  sur  deux 
degrés  en  iatilude  el  près  de  trois  en  longitude.  Le  voya- 
geur, parti  de  Madiville  sur  le  haut  Ogôoué,  marche  vers 
If  nord  auf  si  directement  que  le  lui  permeLlenUes  accidents 
de  terrain;  il  coupe  d'abord  les  rivières  Mianza  et  Moui- 
nandji,  tributaires  de  gauche  de  l'Ivindo,  puis  l'Ivindo  lui- 
même  dont  il  constate  que  le  cours,  avant  d'atteindre 
rOgôoué,  est  sensiblement  plus  dans  l'est  que  ne  l'indi- 
quaient les  informations  antérieures.  L'Ivindo  franchi, 
M.  Crampel  découvre  et  traverse  plusieurs  de  ses  affluents 
de  droite.  S'élevant  toujours  vers  le  nord,  il  apprend  que 
«ur  sa  gauche  naît  un  fleuve,  le  Ntem.  Enfin,  au  sommet 
de  sa  course  il  atteint  un  autre  courant,  celui  du  Djah, 
large  de  150  mètres  au  point  où  s'arrôte  le  voyageur  qui 
est  là  sur  la  ligne  où  les  eaux  se  partagent  entre  le  Congo 
el  l'océan  Atlantique;  il  est  arrivé  également  à  la  ligne 
frontière  du  protectorat  allemand  des  Gameroons. 

Tournant  à  l'ouest  pour  se  diriger  sur  la  côle,  il  est  su- 
hilennent  attaqué  le  i'  février  1889,  à  la  traversée  de  ce 
Beove  Ntem  dont  les  sources  lui  avaient  été  signalées.  A 
lir  de  ce  moment,  les  observations  qu'il  avait  soigneusc- 
nt  faites  jusqu'alors  lui  deviennent  impossibles.  Atteint 
deux  coups  de  feu,  poursuivi  avec  acharnement  par  les 
rs,  il  est  obligé  de  s'enfuir  à  travers  d'épaisses forCts  qui 
robent  sa  marche  el  c'est  il  grand'peine  qu'il  atteint  le 
loral  entre  les  rivières  Campo  et  Benito. 
Les  résultats  de  ce  voyage  sont,  à  côté  de  la  découverte 
'it- plusieurs  grands  cours  d'eau,  le  relevé  soigneusement 
idii  d'un  long  itinéraire  du  nord  au  sud  (de  l'Ogûoué  au 
f  degré  de  latitude  septentrionale),  à  travers  un  pays 
-ement  neuf  pour  la  géographie.  Cet  itinéraire,  dont  la 
-  -  est  couverte  de  noms  nouveaux,  a  été  remis  à  la  So- 
itlj^qui  en  préparait  la  publication  quand  M.  Crampel  est 
l^artipour  l'Afrique.  Les  populations  qui  habitent  la  ré- 
pon  parcourue  par  lui,  les  M'fangs,lcsBakatas,  lesT^'jimas, 

Si«C.    VC    GKOCII.  —   2°  THIMESTME    189lJ.  XI.  —    tl 


lui  RAPrORT   SDR   LE  CO^COURS   AC   l'RIX   ANNUEL. 

et  les  nains  Bagayas,  n'étaient  connues  que  par  information  j 
ou  n'étaient  pas  connues  du  tout. 

C'est  par  l'initiative  et  avec  les  iiislructions  de  M.  de 
Brazza,  notre  résident  à  l'Ogôoué-Congo,  que  M.  Crarapel, 
a  accompli  ce  voyage  difficite,  dangereux  comme  l'ont 
prouvé  les  événements,  et  dont  la  relation  sera  impatiemment 
attendue.  Elle  constituera,  pour  la  région  au  nord  du  Gabon, 
un  chapitre  important  qui  ne  lardera  pas  à  être  élargi  par 
les  explorations  d'autres  membres  de  la  mission  de  l'Ouest- 
Africain. 

Mue  par  un  sentiment  que  vous  partagerez  sans  doute, 
voire  Commission  des  prix  pense  que  les  voyages  fructueux 
pour  la  science  doivent  être  (oui  parliculièremenl  encou- 
ragés par  la  Société  de  Géographie  lorsqu'ils  ont  pour  champ 
des  contrées  voisines  de  celles  où  noire  pays  s'ellorce  de 
faire  prévaloir  son  influence. 

Prenant  donc  en  considération  les  résultats  du  voyage  ac- 
compli par  M.  Paul  Crampel   entre   rOgôoué,   le  2"  degré, 
de  latitude  nord  et  la  côte  occidentale  d'Afrique,  elle  a  at- 
tribué à  cet  entreprenant  voyageur  la  médaille  d'or  du  prixj 
Logerot. 

M.     CAMILLE     l'ARlS 
.Wédnillo  cl'arKcnl. 

M.  Jules  Gitniicr,  rapparleiir. 

Entre  Hué  et  la  frontière  de  la  Cochincliine,  le  litloral  de 
la  presqu'île  indo-chinoise  décrit,  sur  700  ou  800  kilomètres  j 
(la  distance  en  chemin  de  fer  de  Paris  à  Marseille),  une 
courbe  tournée  vers  l'est,  parallèlement  à  la  courbe  inverse^ 
formée  par  Bornéo,  Palauan,  Mindoro  et  Luzon, 

Ce  littoral  esl  longé  par  la  route  nwndarine,  sur  laquelle' 
les  relais  de  poste  sont  marqués  par  des  tram,  sortes  de 


RAPPOUT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PKIX  ANNUEL.     103 

caravansérails  d'où  partent  et  où  s'arrèlent  les  coolies  por- 
teurs des  dépôches. 

M.  Camille  Paris,  attaché  à  radniinislralioti  des  télé- 
graphes, avait  reçu  en  188f>  la  mission  d'établir  une  ligne 
l^légraphiqiie  de  Hué  à  la  frontière  de  noire  colonie  cochin- 
chinoise.  Celait  là  une  lâche  assez  difllcile,  au  milieu  de 
populations  dont  le  oncours  nécessaire  était  subordonné 
aux  caprices  de  mandarins  puissants,  mais  assez  mal  dis- 
posés. 

M.  Pîiris,  tout  en  s'acquitlanl  de  son  devoir  prolessionnel, 
s'est  etrorcé  de  recueillir  des  données  qui  prendront  fort 
nlilement  place  dans  la  géographie  et  l'ethnographie  de 
rindo-Chine. 

Pendant  de  longues  semaines  de  vie  parmi  les  indigènes, 
il  a  pu  et  su  les  éludicr;  ses  courses  lui  ont  fourni  l'acca- 
Mon  de  relever  plus  d'un  détail  nouveau  sur  la  topographie 
de  la  zone  littorale  de  l'Annam, 

Il  a  dressé,  à  l'aide  des  données  antérieures  et  des  siennes, 
sur  l'emplacement  et  les  noms  fies  localités,  sur  les  formes 
da  terrain,  sur  les  cours  d'eau  et  sur  les  routes  secondaires, 
«le  petites  cartes  an  nombre  rie  six,  qui  seront  oonstillées 
avec  profit  en  attendant  les  levés  définitifs  de  la  contrée. 
La  nrjission  de  M.  Paris  s'élanl  arrêtée  au  Binh-Thuan, 
I  c'est  au   savant  travail  du  commandant  Aymonier  que  le 
compte  rendu  de  celle  missiim  a  emprunté  les  détails  re- 
latifs h  la  province  de  l'Annam  la  plus  voisine  de  notre  co- 
lonie. 

Les  pages  dans  lesquelles  M,  Paris  a  consigné  ses  ohser- 
lalions  sont  animées  et  d'une  leclure  attrayante.  Klles  sont 
instructives  aussi;  et  bien  que  plusieurs  des  détails  qu'elles 
renferment  ne  soient  pas  toul  à  fait  nouveaux,  elles  en  con- 
tiennent un  bon  nombre  qui  ajouteront  au  fonds  commun 
(te  nos  conn^iissarices. 

L'.iuteur  mot  d'ailleurs  la  science  k  l'aise  par  la  phrase 
Rnrtie  de  son  inlroilnclion  :  «  Je  n'ai  eu  qu'un  but  en  élabo-' 


104  ItAI'POnT   SUR  LK   CONCOURS   AU   PKIX   AKSUEL. 

rant  ce  livre,  qui  représente  deux  années  d'emploi  liévreax 
des  loisirs  que  me  laissail  mon  service:  être  utile  à  la  géo- 
graphie; et  je  n'ai  qu'un  désir  en  le  livrant  h  la  publicité  : 
être  bientôt  complété  et  dépassé.  » 

Voire  Commission  des  prix  a  pensé  qu'il  y  avait  lieu  d'en- 
courager, de  récompenser,  en  décernant  à  M.  Paris  une 
médaille  d'argent,  le  zèle  des  fonctionnaires  qui  s'ap- 
pliquent k  conquérir  à  la  géographie  quelques  données 
nouvelles. 


M.    EDOnAnD-ALFTlED    MARTEL 
Mrdnille  d'nricvnt   (Prix  AtphoiiMC  de   Montlicrot) 

UappurteUr,  M.  William  lluber. 

Nagnère  encore,  les  géographes  et  les  géologues  ignoraient 
l'existence  en  France  d'une  région  incomplètement  étudiée 
au  poini  de  vue  topographique  et  géologique,  tout  h  fait 
méconnue  des  touristes,  quant  il  la  beauté  de  ses  paysages 
et  aux  curiosités  naturelles  qu'elle  renferme.  Cette  région 
est  celle  des  Causses  du  Languedoc,  plateaux  calcaires  dont 
l'étendue  couvre  5  à  600,000  hectares  dans  les  départements 
du  Lot,  de  la  Lozère,  de  l'Aveyroo,  du  Gard  et  de  l'Hérault. 

En  1879,  un  membre  du  Club  alpin  Français,  M.  A.  I^e- 
queutre,  fut  !e  premier  à  attirer  l'atleiition  sur  cette  contrée, 
particulièrement  sur  les  gorges  du  Tarn.  —  En  1883, 
M.  L.  de  Malafosse,  savant  naturaliste  de  Toulouse,  y  fil  une 
véritable  découverte  géographique,  celle  de  Montpellier-Ie- 
Vieux,  dont  le  nom  semble  rappeler  une  ville  ruinée,  mais 
qui  en  réalité  ne  s'applique  qu'à  un  chaos  rocheux  occu- 
pant environ  1 ,000  hectares  h  la  surface  du  Causse  Noir,  par 
800  mètres  d'altitude. 

C'est  h  cette  époque  que  notre  collègue  M.  Alfred  Martel 
résolut  d'entreprendre  l'exploration  complète  de  ce  pays  de 
France  où  il  restait  encore  tant  à  trouver. 


RAPPORT  SUR  LE  CONCODRS  AU   PRIX   ANNUEL.  16 

Les  années  1883,  1884  et  1885  furent  consacrées  à  l'ex- 
ploration de  la  surface  et  à  dresser  Iti  plan  (ieMonlpeJlier-le- 
Vieux  au  1/10,000,  Celmvail  permit  au  regreLlé^i'néral  Per- 
rier  de  corriger  une  surface  de  iO  cenLimètres  carrés  de  la 
feuille  208  de  la  carte  d'état-major.  —  Mais  d'autres  pro- 
blèmes excitaient  la  curiosité  de  M.  Martel. 

Quel  était  le  parcours  souterrain  de  ces  torrents  qui  dis- 
paraissent dans  les  crevasses  du  rocher?  B'oîi  venait  Teau 
des  sources  jaillissantes  et  dans  quel  sombre  réservoir  pui- 
saient-elles leur  cristal?  C'<!St  la  genèse  de  ces  sources  que 
M.  Martel  résolut  d'étudier,  c'est  le  mystère  de  l'origine  sous- 
sol  des  cours  d'eau  qu'il  est  allé  cherclier  au  sein  même  de 
la  terre. 

Ces  expéditions  n'étaient  pas  sans  périls:  étroits  couloirs 
où  l'homme  ne  passe  qu'en  rampant,  abîmes  profonds,  lacs 
silencieux  dont  te  vent  ne  ride  jamais  le  calme  séculaire, 
cascades  grondant  dans  l'ombre,  vastes  salles  dont  les  sta- 
lagmites semblent  supporter  les  ogives,  obstacles  do  toutes 
sortes  qu'il  s'agissait  de  franchir  ou  de  sonder  en  confiant 
son  existence  tantôt  à  un  frêle  esquif  de  toile,  tantôt  à  une 
longue  corde  à  laquelle  le  touriste  se  suspendait  en  éclairant 
de  sa  torche  ces  abîmes.  Partout  l'inconnu,  souvent  le  si- 
lence imposant  des  profondeurs  sans  lumière  et  sans  vie. 

Au  point  de  vue  scien[ifique,M.  Martel,  àcrtié  de  la  géolo- 
gie et  de  la  paléontologie,  poursuit  le  problème  de  la  trans- 
formation  des  pluies  en   sources,  impliquant  l'étude   du 
régime  bydrologique  interne  des  plaleaox  calcaires  juras- 
■>,    de  la  formation  des  cavernes  par  érosion,  et  de 
gi  ne  des  fractures  du  sol. 
Dans  le  domaine  de  lu  pratique,   l'explorateur  de  ces 
méandres  souterrains  espère  pouvoir,  un  jour,  l'aire  servir 
»<f5 recherches  à  la  réglementalion  des  fontaines  eldes  crues, 
à  la  captation  des  eaux  trop  souvent  perdues,  h  leur  éléva- 
•tificielleau  plus  grand  profit  de  l'agriculture,  du  rc- 
isement  et  de  l'alimentation. 


irifi        nAppoai  sun  le  concoirs  au  pkix  annuel. 

De  longues  années  seront  nécessaires  encore  pour  obtenir 
ces  résultats,  puisqu'en  deux  saisons  M.  Martel  et  ses  com- 
pagnons MM.  Gaupilliil  n'ont  réussi  à  lever  que  dix  kilo- 
mètres de  grottes  et  do  rivières  soulerraines.  L'œuvre  de 
M.  Martel  se  résume  aujourd'hui  dans  une  série  de  bro- 
chures, de  communications  aux  sociétés  savantes  et  dans 
son  livre  récent  i?s  Cévennes,  d'une  lecture  attachante  et 
instructive- 
Mais  quel  vaste  champ  d'étude  n'offre  pas  cette  science 
nouvelle  à  laquelle  l'auteur  donne  le  nom  de  groUologie,  par 
traduction  de  l'allemand  IIMenhûndef 

Après  les  Causses  des  Cévennes  viendra  le  tour  du  sous- 
sol  des  Gharentes,  de  quelques  points  des  Alpes  françaises, 
du  Jura  surtout  avec  ses  entonnoirs  oii  disparaissent  les 
eaux  de  ses  lacs,  ses  glacières  naturelles  et  ses  sources  qui 
alimentent  à  la  fois  le  Rhône  et  le  Rhin. 

Devant  tant  de  ténacité  et,  disons-le,  de  courage  dans  la 
recherche  de  l'inconnu,  la  Commission  des  prix  n'a  pas  hésité 
à  décernera  M.  Alfred  Martel  la  médaille  d'argent  du  prix 
Alphonse  deMontherot. 

MM.  Charles  et  Paul  BnÉAno 

Vrl\   Jnniurd. 

>1,  le  l>'  Eniral  Hiiiiiv,  de  l'Inslitui,  rappurlpiir. 

M.  Charles  Hréard,  de  Hondtur,  s'occupait  activeuieif 
depuis  plusieurs  années  de  l'histoire  de  sa  ville  natale,  et 
en  188&  il  av.iit  publié,  aux  frais  delà  municipalité,  un  beau 
volume  intitulé  les  Ardiives  de  In  vilie  du  ilon(lettt\  twtes 
historiqni's  i-t  analyses  du  documents,  extraites  des  archives 
commuiKilcfi.  Il  signalait  dès  lors  dans  les  275  registres  ou 
liasses  de  l'amirauté  de  celte  ville  qui  nous  ont  été  conservés, 
nombre  de  pièces  intéressantes  pour  les  navigations  des 


RAPPORT    sua  LE  CONCOURS  AU   PnJX  ANNUEL.  107 

Normands  sous  les  rèjjnes  rie  Louis  XIII,  de  Louis  XIV  et 
de  Louis  XV.  De  153G  à  1015,  par  exemple,  il  n'avait  pas 
îlevé   moins  de  236   armements  pour  le  Canada,  Terre- 
Heure,  les  Antilles,  le  Brésil  et  les  Indes;  ce  qui  représen- 
lit  une  moyenne  de  24  navires  par  an,  2  par  mois,  quitlant 
Jors  Ilondeur  pour  les  terres  lointaines.  Entre  IGBSet  4B7U, 
tgrelTe  avait  transcrit  410  rapports  de  mer,  dontSO  avaient 
^ait  à   des  voyages  au  Canada  ou  aux  Antilles.  Le  mouve- 
enl  des  entrées  du  porl  en  1G81  s'élevait  au  chill're,  considé- 
rable pour  l'époque,  de  405  bâtiments. 

Un  heureux  hasard  étant  venu  raellre  en  la  possession  de 
M.  Paul  Bréard,  notaire  h  Ronfleur,  une  énorme  colleclion 
de  2'24  registres  de  labetlionage  des  vicomtes  deRoncheville, 
d'Aoge  et  de  Pimt-Audenier,  il  fut  possible  aux  deux  frères, 
associant  leurs  elForls,  de  faire  paraître,  l'année  dernière, 
sous  les  auspices  de  la  Société  de  l'histoire  de  la  Normandie, 
tin  nouveau  volume'  bien  autrement  important  pour  le 
passé  de  la  marine  normande.  Ce  bel  ouvrage,  auquel  votre 
Commission  a  décerné  le  prix  Joraard,  permet  de  faire 
remonter,  à  l'aide  de  documents  notariés,  l'histoire  détaillée 
des  voyages  desHonlleuiaîs  jusqu'à  l'année  1514  et  par  plu- 
sieurs des  pièces  qu'il  renferme,  vient  jeter  quelque  lumière 
sur  divers  personnages  plus  anciens,  dont  les  noms  sont 
fs  h  des  travaux  ou  à  des  découvertes  d'un  haut  intérêt. 
Les  Documents  sur  la  marine  normande  de  MM.  Bréard 
nous  renseignent  d'abord  sur  la  construction  des  navires, 
les  contrats  d'affrètement,  d'association  et  de  botnerie,  les 
loyers  ou  gages  des  pilotes,  la  course  et  les  lettres  de  mar- 
que, le  rachat  des  captifs  chez  les  Barbaresques.  Puis,  dans 
une  suite  de  chapitres,  plus  curieux  les  uns  que  les  autres, 
les  auteurs  analysent  des  centaines  de  contrats  d'armement 
[Hjur  Terre-Neuve  et  le  Canada,  la  côte  d'Afrique  et  les 


i.  DocamenU  relatifs  à  ia  marine  normande  et  à  nés  arguments  au 
iw  et  iiii  \vu'  siècle,  par  Charlim  et  Paul  Bréxrd. 


168    nAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AD  PRIX  ANNUEL. 

Antilles,  le  Brésil  et  les  Indes  orientales.  On  trouve  notam- 
ment dans  cette  partie  de  leur  ouvrage,  des  détails  tout 
nouveaux  sur  Dupont-Gravé,  l'associé  de  Champlain,  qui 
mène  au  Canada  en  1603  l'illustre  voyageur;  sur  l'expédi- 
tion, si  mal  connue  jusqu'alors,  des  Français  aux  îles 
Açores  en  1582;  sur  Raulin  Tallois,  dit  Secalart,  le  conli- 
nuateur  de  l'œuvre  hydrographique  de  Jean  Alfonce  le  Sain- 
tongeois;  sur  Jean  Denys,  enfin,  ce  hardi  capilaine  de 
Ronfleur,  qu'on  trouve  en  1506  au  Saint-Laurent,  et  au 
Brésil  avant  1519. 

Ces  quelques  citations  vous  permettront  d'apprécier  l'in- 
térêt des  recherches  de  MM.  Charles  et  Paul  Bréard,  et 
justifieront  amplement  à  vos  yeux  la  récompense  que  nous 
sommes  heureux  de  leur  décerner. 


LES    ROUTES 

DE  L'AFRIQUE  SEPTENTRIONALE 

/VU  SOUDAN 

Par  EDOUARD    BLANC 


I 


Dans  une  précédente  communication  ',  en  exposanï  à  la 
Société  le  rôle  que  les  forages  arLésieos  paraissent  appelés 
àjûuer  pour  jalonner  par  des  points  d'eau,  par  des  puits, 
fl,  dans  certains  cas,  par  des  oasis  artificielles,  les  grandes 
rr»oles  sahariennes,  je  signalais  la  nécessité  de  déterminer 
préalablement  le  tracé  général  de  ces  grandes  roules  na- 
turelles,   c'est-à-dire   le   (racé   des  lignes  vers   lesquelles 
doivent  se    porter  nos  efforts  pour  chercher  à  établir,   h 
travers  le  Sahara,  des  voies  de  communicatinn  reliant  entre 
es  nos  possessions  africaines,  Algérie  et  Sénégal,  ou  plus 
clenaent,  à  un  point  de  vue  plus  large,  reliant  le  littoral 
diterranéen  et  le  Soudan. 
L'utilité   de    la   pénétration    de   notre   commerce    dans 
l'Afrique  centrale  n'a  pas  Ijesoin   d'être  démontrée,  et  il 
serait  superflu  d'insister  ici  sur   les  avantages  que  présen- 
terait pour  notre  pays  el  pour  la  civilisation  européenne 
«vénérai  l'ouverture  d'une  ligne  de  communication  per- 
II le  entre  le  littoral  méditerranéen   et  le  Soudan,  à 
jters  le  Sahara.  La  question    a  été  étudiée  et  discutée 

'iimunication  adressée  à  la  Sdciétù  de  Cént;raptiio  ilans  sa  séance 
..li  ISIS'J.  —  Voir  la  carte  jointe  à  ce  numéro. 
H-  Vuir  Comptes  rendus  de»  séaneeH  lie  la  Société  de  Géographie, 
«e  du  f  mars  1889. 


170  LES   ROUTES    DE    L'aFBIQI'E    SEPTENTRIONALE 

très  longuement,  et  d'une  façon  aussi  complète  que  le  com- 
portait l'état  des  connaissances  d'alors,  il  y  a  une  douzaine 
d'années,  par  des  commissions  spéciales,  an  moment  où  il 
s'est  agi  d'établir  un  chemin  de  fer  Iranssabarien.  On  sait 
comment  les  projets  élaborés  à  celle  époque,  peut-être 
d'une  façon  prématurée,  ont  été  abandonnés,  peut-être 
aussi  d'une  façon  trop  radicale,  à  la  suite  du  massacre  de 
la  mission  Flallers,  en  1881.  Je  n'ai  pas  à  revenir  pour  le 
moment  sur  cette  douloureuse  catastrophe,  qui  a  rappelé 
durement  à  la  réalité  les  auteurs  de  projets  conçus  à  distance, 
projets  dans  lesquels  il  avait  été  fuit  par  trop  abstraction 
des  grandes  difDculléi  naturelles  que  présente  ta  traversée 
des  pays  dont  il  s'agit.  Ces  difflcullés  sont,  les  unes  d'ordre 
physique,  les  autres  d'ordre  économique,  d'autres  enfin 
d'ordre  politique  :  ces  dernières  sont  les  moindres,  et 
cependant  nous  avons  vu  qu'elles  sont  loin  d'être  négli- 
geables; toutes  cûustilueiiL  de  sérieux  obstacles  non  seule- 
ment pour  l'établissement  et  le  fauclionnemL'nil  d'un  chemin 
de  fer,  mais  même  pour  le  simple  passage  de  voyageurs. 

Il  faut  reconnaître  cependant  que  les  missions  françaises 
organisées  à  l'époque  dont  nous  parlons,  si  elles  n'ont  pas 
abouti  à  la  création  immédiate  du  chemin  de  fer  projeté, 
ont  cependant  apporté  un  appoint  considérable  à  nos  con-  I 
naissances  louchant  la  géographie  physique  et  la  géologie 
du  Sahara  :  on  peut  dire  qu'elles  ont  inauguré  l'applicatiou 
des  méthodes  précises  et  de  la  cartographie  rigoureuse 
dans  un  pays  qui  jusque-lù  éUiit  resté  fermé  à  ce  genre 
d'études,  ou  qui  du  moins  n'avait  livré  que  des  documents 
épars  recueillis  par  des  voy.igeurs  isolés. 

Sans  entreprendre  de  faire  aujourd'hui  un  exposé  com- 
plet et  ab  initia  de  la  question  des  lignes  Iranssahariennes, 
question  qui  a  déjà  été  développée  à  plusieurs  repiiscs  par 
les  gens  les  plus  compétents,  à  l'époque  précitée,  et  qui  en 
outre  sortirait  absolument  des  limites  matérielles  du  cadre 
de  cette   communication,  nous  dirons  que,  depuis  IST'j, 


AD   SOUDAN.  17i 

momeut  où  a  cU:  posé  et  disculô  le  [irohième  ciu  cliemiQ 
de  fer  Iranssaharien,  des  modifieaLions  très  importantes 
sont  intervenues  dans  les  données  mêmes  de  ce  problème. 
Ces  modifications  sont  de  trois  sortes  : 

I»  Nos  bases  d'opérations  dans  le  nord  de  l'Afjique,  aussi 
bien  qu'au  Sénégal,"  ont  été  morlifiées  par  suite  de  l'exten- 
sion  naturelle  de  nos  possessions; 

2"  Notre  connaissance  des  conlréiis  à  travericr,  et  des 
régions  sahariennes  en  général,  a  fait  des  progrès  considé- 
rables, par  suite  des  découvertes  des  grands  voyageurs  qui, 
durant  ces  dernières  années,  ont  eireclué  dans  ces  contrées 
des  travaux  de  premier  ordre  ; 

3»  L'état  moral  des  popiilalions  à  traverser  a  subi,  pen- 
dant la  même  période,  des  changements  profonds,  dus  à 
des  circonstances  politiques  et  religieuses,  dont  il  importe 
de  tenir  également  compte. 

Ce  sont  ces  modifications,  ou  du  moins  les  résultats  de 
ces  modifications  nouvelles,  survenues  depuis  les  travaux 
de  la  commission,  que  je  voudrais  résumer  ici  et  exposer  à 
la  Société. 

En  ce  qui  concerne  la  première  caLégorie  de  change- 
ments, nous  avons,  d'une  part,  occupé  la  Tunisie  et  conso- 
lidé notre  établissement  dans  le  sud  de  l'Algérie.  Celle 
région  du  Sud-Algérien  esl  même  sortie  de  la  phase  d'occu- 
pation purement  militaire  pour  entrer  dans  la  phase  de  la 
colonisation  véritable.  L'ouverture  du  chemin  de  fer  de 
Biskra,  dans  la  province  de  Constanline,  et  de  celui  d'Aïn- 
Sefra,  dans  la  province  d'Oran,  ainsi  que  les  exploitations 
artésiennes  de  l'Oued  llîrh  sont  les  exemples  les  plus  frap- 
pants, et  non  les  seuls,  de  cet  ordre  de  failsj  ce  sont  en 
même  temps  des  moyens  d'extension  future  el  des  gages 
sérieux  de  la  continuation  du  mftme  mouveraeut  dans 
l'avenir. 

D'autre  part,  au  Sénégal,  les  expéditions  si  savamment 
et  si  brillamment  conduites,  dans  ces  dernières  années,  par 


172  LES   ROUTES  DE   l'aFRIQUE  SEPTENTRIONALE 

les  colonels  Borgnis-Desbordes,  Frey,  Gallieni^  et  par  leurs 
collaborateurs,  continuant  l'œuvre  préparée  laborieusement 
par  leurs  devanciers,  nous  ont  donné  un  vaste  empire 
colonial  et  nous  ont  assuré  là  possession  du  cours  du 
Haut-Niger. 

Au  second  point  de  vue,  en  ce  qui  concerne  le  progrès 
des  connaissances  géographiques  relatives  aux  déserts  qu'il 
s'agit  de  traverser,  des  découvertes  très  importantes  ont  été 
faites.  Sans  parier  des  études  spéciales  et  approfondies  qui 
ont  été  pifectuées  dans  diverses  parties  du  snd  de  l'Algérie, 
par  nos  ingénieurs  et  par  nos  officiers,  la  période  de  dix  ans 
qui  vient  de  s'écouler  a  vu  résoudre  plusieurs  problèmes 
qui  ont  fait  faire  un  pas  considérable  à  la  question.  D'un 
côté  le  D'  Lenz,  parti  du  Maroc,  est  arrivé  à  atteindre 
Tirabouklou*,  exécutant,  le  premier  depuis  Caillié,  c'esl- 
à-dire  depuis  1827,  la  traversée  du  Sahara  entre  cette  ville 
et  l'Afrique  du  nord.  D'un  autre  côté,  les  expéditions  de 
Hohlfs  et  de  Nachtigal  résolvaient,  plus  à  l'est,  le  même 
problème,  celui  de  la  traversée  complète  du  Sahara,  etelles 
faisaient  faire  à  nos  connaissances  un  progrès  immense  en 
ce  qui  concerne  la  région  comprise  entre  la  TripoJitaine  et 
le  bassin  du  lac  Tsad.  Entin,  dans  le  Soudan  oriental,  les 
travaux  de  Schweinfurth,  d'Ensor,  de  Matteucci,  et  en 
première  ligne  encore  ceux  de  Nachtigal,  nous  faisaient  con- 
naître les  régions  par  lesquelles  le  Soudan  se  relie  à  la  vallée 
du  Nil. 

De  toutes  ces  études  menées  à  bien  au  prix  de  si  grands 
efforls,  il  est  résulté  une  connaissance  de  la  géographie 
physique  du  Sahara  en  général,  que  nous  étions  loin  d'avoir 
à  l'époque  où  l'on  aconc-u  le  projet  préliminaire  du  chemin 
de  fer  Iranssaharicn,  et  où  la  commission  spéciale  qui  s'en 
est  occupée  a  groupé  les  données  d'ensemble  que  l'on  pos- 

i.  ce.  Len?.,  Timbou h Idu.  —  Voijat/e  an  MuioCf  uuSitliara  ei  auSouilan, 
irttil.  pnr  P.  I.cliautcaiivt,  2  vol.,  llaclielte,  18S«.  —  Cf.  nulletin  df  la  So- 
ciété lie  OéOQrai>hit,  W%i,  ji,  2X6  et  suiv. 


AU  SOUUAK.  173 

sédait  alors  sui'  la  malière.  La  plupart  des  voyages  qui  vien- 
nent d'être  énumérés  ont  été  effectués  pendant  la  période 
de  1870  à  1880.  Mais  les  résultats  n'en  ont  été  connus  et 
publiés  en  Europe  que  postérieurement  aux  travaux  de  la 
commission. 


II 


.\vant  d'examiner  le  troisième  groupe  de  raodiûcations 
survenues  dans  les  bases  du  problème,  à  savoir  celles  qui 
résultent  de  l'état  politique  et  religieux  des  populations, 
nous  allons  exposer  d'abord  quelles  sont  les  grandes  routes 
oaturclles  qui  traversent  le  Sahara,  et  qui  mettent  ou  peuvent 
mettre  l'Afrique  du  nord  en  communication  avecle  Soudan, 
le  pays  qui  alimente  toutes  les  cara%'anes.  Ces  grandes  routes 
Daturelles  sont  aujourd'hui  beaucoup  mieux  connues  qu'il  y 
a  dixans,  et  on  peut  les  indiquer  d'une  Façon  beaucoup  plus 
précise,  grâce  aux  découvertes  des  voyageurs  nommés 
ci-dessus  et  grâce  aux  progrès  qu'a  faits  en  môme  temps  la 
connaissance  générale  de  la  physique  du  Sahara. 
.Indépendamment  de  la  plus  ou  moins  grande  largeur  de 
l'Kone  désertique  à  traverser,  cequi  détermine  la  situation 
de  ces  routes,  c'est  la  conDguration  et  la  nature  des 
obstacles  topographiques  que  l'on  rencontre.  Ces  obstacles 
!onl  habituellement  de  deux;  sortes. 

Les  premiers  consistent  dans  les  grandes  masses  de  sable, 
formant  des  bandes  qui  s'étendent  en  général  de  l'est  h 
l'ouest,  et  qu'il  n'est  pas  possible  de  traverser  indifférem- 
ment suivant  des  itinéraires  quelconques,  tant  à  cause  du 
manque  d'eau  et  de  la  chaleur  excessive  qu'à  cause  de  la 
difDcullé  que  les  dunes  opposent  à  la  marche. 

Un  deuxième  genre  d'obstacles,  plus  insurmonlable 
encore  que  le  précédent,  consiste  dans  l'existence  des  pla- 
Uaui  que  Ton  appelle  hamadas.  Us  sont  considérés  par  les 
caravanes  comme  formant  une  barrière  à  peu  près  infran- 


I7i  LES   nOUTES    DE    L'AKllIgtE   SKE'TENTIirONALE 

chissable  dès  que  leur  traversée  dépasse  une  certaine  lon-j 
gueur,  et  ceci  à  cause  du  manque  presque  absolu  d'eau.  Dans^ 
les  régions  de  dunes,  mi^me  les  plus  arides,  il  existe  en  effet, 
lie  loin  en  loin,  des  points  d'eau,  des  puils  ou  des  oasis,  ce 
qui  est  naturel,  puisque  ces  sables,  apportés  par  le  veni,  se 
sont  accumulés  principalement  dans  les  parties  basses  du 
Sahara,  qui  devaient  primitivement  être  les  plus   riches  en 
eau.  Au  coniraire,  îes  linmndas  sont  les  parties  hautes,  qui 
ont  été  incessamment  balayées  par  le  vent,  et  qui  ont  fourni  I 
des  matériaux    pour  l'ensablement  des  dépressions    infé- 
rieures :    ce   sont   donc    en   général    les    parties  les   plus.| 
sèches. 

L'aspect  de  ces  plateaux  est  très  particulier  et  nous 
n'avons  rien  en  Europe  qui  les  rappelle.  Ils  sont  à  peu  près 
horizontaux  et  leur  surface  est  entièrement  couverte  de 
pierres  dures  el  anguleuses,  dont  la  composition  minérale 
est  très  variée,  mais  qui  ne  sont  pas  des  cailloux  roulés  et 
qui  n'ont  évidemment  pas  été  apportées  par  les  eaux  :  leur 
forme,  en  effet,  n'est  pas  arrondie,  ou  ne  l'est  que  très 
rarement.  Sous  cette  couche  de  pierres,  qui,  fait  très 
remarquable,  n'a  en  général  qu'une  épaisseur  égale  au 
diamètre  d'un  seul  de  ses  éléments,  on  trouve  un  terrain  de 
nature  variable,  formé  le  plus  souvent,  tantôt  de  grès 
tendres,  tantôt  de  gypse  et  de  marnes  gypseuses.  Dans  ce 
sous-so!  on  retrouve  habituellement, à  l'éfal  disséminé,  des 
fragments  ou  des  blocs  de  pierre  semblables  à  ceux  qui 
couvrent  la  surface  de  la  hamada. 

Cette  singulière  formation  géologique  paraîf,  ii  première 
vue,  assez  difficile  à  expliquer.  On  la  comprend  pourlaiil 
aisément,  si  l'on  remarque  que,  dans  le  Sahara,  l'rxlréme 
sécheresse  qui  rend  le  sol  friable,  et  en  même  temps 
l'absence  d'un  revêtement  végéta!  superliciel,  permettent  à 
l'action  du  vent  de  prendre  une  importrunce  dont  nous 
n'avons  aucun  exemple  dans  nospajv*.  On  peut  ilire  qu'ici,  au 
point  de  vue  des  formations  gcolngiqiic*  modems*,  r.icliou 


AU   SOUDAS. 


173 


des  eaux  supeiTicielies,  telle  que  nous  la  concevons  dans  la 
géogénie  européenne,  est  remplacée  par  faclion  des  phéno- 
mènes atmospbéi'iqucs  agissant  à  sec.  Dans  nos  climats,  les 
agents  d'érosion  et  de  transport  des  terrains  sont,  sur  les 
conlinenls,  l'eau  pluviale  et  t'eau  des  rivières  :  ici  c'est  le 
%enl  qui  remplace  ces  deux  causes.  Certaines  régions  monta- 
gneuses ou  certains  plateaux  du  Saliara  sont,  depuis  un  très 
grand  nombre  d'années,  balayés  par  les  couranlsd'airijuien 
ont  érodé  la  surface.  Ces  vents  ont  emporté  tous  les  maté- 
riaux provenant  de  cette  érosion,  et  dont  les  éléments  ne 
dépassaient  pas  une  certaine  grosseur  limite,  leur  permet- 
tant d'être  soulevés.  Mais  tes  pierres  plus  grosses,  qui  exis- 
taient soit  à  rétat  de  blocs,  de  veines  ou  de  noyaux  durs,  soit 
àl'état  de  rognons  disséminés  dans  les  terrains  dont  il  s'agit, 
sont  restées  sur  place,  et  peu  à  peu  la  surface  du  sol  s'est  usée 
jusqu'au  moment  où  ces  pierres   ont  formé  un   manteau 
complet  protégeant  le  sol  sous-jacent  contre  l'aclion  ullé- 
n'pure  du  vent.  A  ce  moment,  l'érosion  a  cessé  de  se  pro- 
duire, et  le  terrain  s'est  trouvé  avoir  une  surface  à  peu  près 
borizonlale,  ou,  dans  certains  cas,  une  surface  qui  repro- 
duit, en  les  atlénuanl  beaucoup,  les  reliefs  du  terrain  pri- 
mitif. C'est  ce   qui  explique   que   ce   lit  de  pierres  n'ait 
qu'une  épaisseur  à  peu  près  uniforme,  partout  égale  au  dia~ 
métré  d'un  de  ses  éléments,  en  d'autres  termes  qu'il  soit 
formé  partout  d'une  couche  simple,  ce  qui  n'aurait  certai- 
nement pas  lieu  si  ces  pierres  avaient  été  transportées  là  par 
les  eaux  ou  par  toute  autre  action  naturelle. 

On  peut  d'ailleurs  avoir  une  confirmation  directe  et 
pratique  de  cettu  théorie.  Si,  avec  un  râteau  ou  autrement, 
on  enlève  les  pierres  de  la  hamada  sur  une  certaine  surface 
ussez  étendue,  le  sol  s'entame  de  nouveau  sous  l'érosion 
(lu  vent,  et  l'aclion  géologique,  cjiii  se  trouvait  suspendue 
oar  suite  de  la  présence  de  cette  carapace  de  pierres,  recom. 
CDence.  Ceci  est  une  expérience  que  j'ai  faile  directement 
&  plusieurs  reprises,  et  dont  j".ii  pu  suivre  les  ellVts  pendant 


Éi 


176  Li;S    IlOUTES    IIE  L'aFIUQIE   SEI'TliNTHIUNALK 

plusieurs  années  consécutives,  sur  des  places  spécialement 
choisies. 

Les  matériaux  ténus  ainsi  enlevés  par  le  vent  sont  allés 
former  les  massifs  de  dunes,  ou  divers  atlerrissements  con- 
temportiins.  Ces  matériaux  ne  sont  pfis  tous  siliceux, 
comme  on  est  porté  à  le  croire  généralement  :  ils  sont 
très  souvent  gypscux  ou  argileuv.  Dans  ce  dernier  cas, 
s'ils  sont  transportés  dans  des  endroits  où  il  pleuve  quel- 
quefois, ils  peuvent  être  agglutinés  et  former  des  terrains 
nouveaux  en  apparence  compacts  :  tels  sont  ceux  que  l'on 
voit  dans  la  plaine  de  PAarad,  ou  ceux  qui  ont  comblé  les 
anciens  ports  romains  de  la  côte  tunisienne. 

Les  grès  ou  les  poudingues  siliceux  sont  des  terrains  qui 
s'entament  facilement  sous  l'action  du  vent,  et,  comme 
ils  renferment  souvent  des  nodules  ou  des  fragments 
roulés  de  roches  ferrugineuses  dures,  il  en  résulte  que 
les  hamadas  sont  rréquemment  couvertes  de  cailloux  noi- 
râtres de  celte  nature.  Ceux-là  sont  moins  anguleux  que  les 
autres,  parce  que,  à  une  époque  géologique  antérieure  à  la 
nôtre,  avant  l'agglutinalion  des  dépôts  sédimenlaires  qui  ont 
formé  ces  grès  ou  ces  poudingues,  ils  avaient  déjà  été  roulés; 
mais  leur  forme  arrondie  est  indépendante  de  la  formation 
moderne  de  la  hamada.  Quand  le  sous-sol  est  argileux  ou 
gypseux,  ce  sont  en  général  des  morceaux  de  calcaire  dur 
ou  de  gypse  dur  plus  ou  moins  anguleux  qui  couvrent  la 
surface  de  la  hamada.  Quelquefois  aussi  ce  sont  des  blocs 
de  roches  silicifiées,  car  on  sait  avec  quelle  énergie  se  sont 
exercés  les  phénomènes  de  silicificalion  dans  les  contrées 
qui  nous  occupent.  Il  faut  donc  examiner  la  situation 
géographique  de  ces  zones  de  dunes  et  de  ces  kainadas, 
pour  se  rendre  compte  du  tracé  souvent  très  sinueux  et 
compliqué  des  ftrandes  routes  sahariennes. 

Une  Iroisjôme  catégorie  d'obstacles  consiste  dans  les 
chaînes  de  montagnes  ou  dans  les  massifs  montagneux  qui 
existent  en  certaines  parties  du  Sahara.  Mais  les  obstacles 


i 

I 


AU  SOUDAtT. 


177 


de  ce  dernier  genre  sont  secondaires  et  ne  coraportent  pas 
toujours  la  déviation  des  roules,  attendu  qu'il  s'y  trouve 
fréquemment  des  passages  praticables,  et  que  souvent  ces 
régions  montagneuses  sont  précisément  les  plus  riches  en 
eau,  du  moins  dans  leurs  vallées.  On  ne  doit  donc  pas 
s'en  écarter  syslématiquement. 

Ces  obstacles  physiques  étant  donnés,  il  en  résulte  un 
réseau  de  grandes  routes  naturelles  que  nous  allons  in- 
diquer. Dans  cette  énumération  nous  comprendrons,  non 
seulement  les  routes  aujourd'hui  pratiquées  par  le  com- 
merce, mais  aussi  les  grandes  voies  naturelles  pouvant 
donner  accès  au  Soudan,  et  qui,  par  suite  de  circonstances 
momentanées ,  d'ordre  politique  ou  économique,  sont 
actuellement  abandonnées  ou  barrées. 


III 


En  commençant  par  l'ouest,  nous  voyons  que  plusieurs 
roules  partent  du  sud  de  Maroc  pour  aboutir  k  Timbouktou, 
e'esl-à-dire  au  sommet  du  grand  coude  du  Niger.  Une  pre- 
mière route,  ayant  pour  tête  de  ligne  la  ville  de  Maroc 
(Merrakech),  ou,  si  l'on  veut,  l'un  des  ports  de  Mogador  ou 
d'Agadir,  qu'elle  dessert  également,  longe  d'abord  le  littoral 
ttlanlique  de  manière  h  contourner  I»  chaîne  de  l'Atlas  par 
ion  extrémité  occidentale; "puis  elle  passe  à  Tendouf,  et 
traverse  les  sables  d'Iguidi  par  le  tracé  le  plus  court.  Cette 
fome  contourne  ensuite  ou  coupe  dans  une  parlie  éloignée 
de  leur  centre  les  massifs  de  dunes  du  Chech  et  du  Djouf, 
«t  elle  gagne  Timbouktou  par  Araouan  :  c'est  l'iLinéraire 
qui  a  été  suivi  en  1880  par  le  D""  Lenz*,  et  qui  avait  été 


LCf.  Lenz,  Timbukiu.  —  Reite  durek  Marohkû,  die  Sahara  und  den 
en  Leipzig  iS&i. 

soc.  DE  OiOGR.  —  â*  TBIMESTRË  IK'JO.  XI.  —  1% 


178  I.E8   ROUTES    DE    L'AFfirQUE   SKPTEXTniONAlE 

précédemment  parcouru  par  le  r«ibbin  Mardochée  (Mardo- 
chaï-Abj'-Serour*). 

Aujourd'hui  celle  route  n*est  pas  pratiquée  habituel- 
lement par  les  caravanes  soudaiiiennes  jusqu'à  Merrakech 
ni  m&ine  jusqu'aux  ports  de  la  côle  que  nous  avons  in- 
diqués comme  en  étant  la  terminaison  naturelle;  les  ca- 
ravanes se  forment  ou  se  disloquent  le  plus  souvent  à 
Goiiliniim,  qui  parait  être  maintenant  leur  principal  en- 
trepôt. 

Une  deuxième  voie  naturelle  part  de  l<'ez  ou  de  Meknës 
et  de  là  se  dirige  à  peu  près  droit  au  sud  en  traversant  les 
déflIcs  de  l'Atlas,  Elle  se  partage  ensuite  en  deux  routes. 
L'une,  celle  de  l'ouest,  suit  la  chaîne  des  oasis  du  Tafllelt, 
et,  après  avoir  passé  à  Abou-Aam,  principale  ville  do  ce  pays, 
elle  varejoindrelaroutedeLeuzentraversantdunordau  sud 
les  sables  d'Iguidi.  C'est  cette  route  qu'a  suivie  Cnitlié  dans 
son  voyage  de  retour  ;  la  traversée  des  sables  est  beaucoup 
plus  longue  que  par  le  tracé  précédent,  et  ce  chemin  est 
peu  fréquenté  par  les  caravanes. 

La  route  de  l'est,  parlant  également  de  Fez,  se  sépare  de 
la  précédente  après  la  traversée  de  la  ligne  de  partage  des 
eaux  entre  les  deux  versants  méditerranéen  et  saliarien. 
Elle  suit  la  vallée  de  l'Oued  Guir  ot  celle  de  l'Oued  Oura- 
es-Saoura,  qui  en  est  ta  continuation,  jusqu'au  Touat,  et 
elle  se  confond  à  partir  d'igli  avec  la  rouie  qui  vient  de 
Fignig,  et  dont  il  sera  question  à  propos  do  l'Algérie. 

Entre  ces  deux  tracés  partant  tous  deux  de  Fez,  il  existe 
une  jonction  transversale  qui  va  d'Abou-Aami»  Oum-ed-Dri- 
bina,  et  qui  permet  aux  caravanes  qui  ont  suivi  la  ligne  du 
Taftlell  de  rejoindre  ensuite  la  vallée  de  l'Oued  Guir  ; 
c'est  cet  itinéraire  que  Hohlfs  a  reconnu  en  1864.  C'est 
également  ce  point  d'Ouni-ed-Dribirui  qui  a  élé  la  limite 


1.  Cf,  evU.  Soc.  Giogr.,  1870,  lome  |«.  p.  345.  -  Prtmitr  Etah^»t- 
men(  de»  Israilitei  a  Timboukiov,  pir  Auguite  Beaumi«r. 


AU  SOIIDAX.  17§ 

extrême  atteinte  par  la  colonne  du  général  de  WimpfTen 
eo  i870. 

Il  existe  encore  une  autre  roule  qui,  partant  de  Mer- 
rakech,  traverse  les  montagnes  situées  au  surf  de  celte 
rtUe,  suit  le  cours  de  l'Oued  Uraa  jusqu'à  Tamagrout  et  de 
là  S6  rend  directement  au  Touat  par  un  tracé  qui  ne  ren- 
contre pas  de  grandes  dunes  et  qui  est  jalonné  par  une 
chaîne  de  petites  oasis  ou  de  points  d'eau  (Mimginna, 
Saoudjel-Tebalbalet,  El  Messiter,   Tamessinot,  El  Maa-es- 

SiO. 

Du  Touat,  une  route  directe  et  relativement  TaciEe  conduit 
àTitnbouktou  :  nous  en  parlerons  tout  à  l'beure,  à  propos 
de  l'Algérie.  On  sait  qu'elle  a  été  suivie  en  1825  et  1826 
par  le  major  Laing,  dont  les  notes  nous  sont  malheureuse- 
ment restées  inconnues,  par  suite  de  l'assassinat  dont  cet 
illustre  voyageur  a  été  victime  '. 

Le  Maroc  possède  donc  tout  un  faisceau  de  roules  qui 
le  mettent  en  communication  avec  le  Soudan  occidental. 

La  province  d'Oran  possède  aussi  une  route  naturelle 
qui  est  actuellement  amorcée  en  tant  que  route  commer- 
ciale européetme.  C'est  celle  qui,  partant  d'Oran  ou  mieux 
d'^zeu,  passe  par  le  Kreider,  Mocheria  et  Âïn-Sefra,  où  se 
termine  actuellement  le  chemin  de  fer.  Mais  le  prolonge- 
ment de  cette  route  n'est  pas  entre  nos  mains  :  en  elTet^ 
d'Ain-Sefra,  la  voie  naturelle  passe  par  Figuig,  qui  appar- 
tient au  Maroc  ;  là  elle  prend  la  vallée  de  l'Oued  Zousfana 
et  elle  la  suit  jusqu'à  Igli,  point  où  cette  rivière  se  réunit  à 
rOued  Guir  pour  former  l'Oued  Oura-es-Saoura.  La  route 
&e  confond  alors  avec  celle  qui  part  de  Fez  et  dont  il  a  été 
question  ci-dessus  ;  c'est-à-dire  qu'elle  suit  l'Oued  Oura-es- 
Saoura  jusqij'à  la  limite  méridionale  du  Touat. 

Daas  la  pratique,  les  caravanes  s'écartent  actuellement 

Cf.  Dttveyrier,  l'Afrique  nécrologique.  —  Bull.  Soe.  Giogr.,  1874, 
11.  f.  590. 


180  LES   ROUTES   DE   l'AFRIQUE   SEPTENTRIONALE 

de  celle  grande  ] igné   tnpographique  pour  se  rapprocher] 
d'Insalah,  l;i  ville  la  plus  imporlaiile  de  toute  cette  région, 
qui  est  située  dans  le  groupe  des  oasis  du  Tidikelt,  à  l'est] 
de  lu  vallée  de  l'Oued  Oum-es-Saouni. 

Du    Sud-Orauais   part  un   autre  itinéraire    qui   aboutit] 
au  Touat  sans  passer   par  Fi  gui  g  :  c'est  celui  qu'a  suivi  | 
rexpériition  du  commandant  Golonieu,  en  1800;  il  va  direc- 
tement du  nord  au  sud.  li  partir  d'El  Abiod  ou  d'un  autre] 
point  analogue,  et  il  rejoint  le  Touat  en  passant  par  le' 
groupe  compact  d'oasis  importantes  que  l'on  appelle  le 
Gourara.  Mais  cette  route,  qui  traverse  en  partie  les  sables 
de  l'Erg  occidental,  est  plus  difficile  et  moins  naturelle  que, 
la  précédente,  quoiqu'elle  soit  plus  courte. 

La  province  d'Alijer  possède  une  route  qui,  partant 
d'Alger,  passe  par  Blidah  et  Laghouat,  point  qui  est  la 
terminaison  d'un  chemin  de  fer  non  encore  exécuté,  mais 
projeté.  De  là  celui-ci  pourrait  se  prolonger  par  Ghardala, 
c'esl-à-dirc  par  le  Mzab,  jusqu'à  El  Goléah,d'où  deux  routes 
naturelles,  c'est-à-dire  deux  vallées,  aboulissetit  au  Touat, 
l'une  par  le  Gourara,  l'autre  par  le  Tidikelt  et  Insalah.  Ces 
routes  rejoignent  donc  forcément  celles  qui  partent  du 
sud  de  la  province  d'Oran. 

La  province  de  Constanline  a  aussi  sa  grande  roule  du 
sud,  déjà  marquée  par  un  chemin  de  fer  récemment  inau- 
guré quant  à  sa  partie  méridionale,  et  qui,  ayant  pour  port 
Philippeviile,  passe  à  Gonstantine,  à  Batna,  et  se  termine 
actuellement  à  Biskra.  La  continuation  naturelle  de  cette 
ligne  est  tout  indiquée  jusqu'à  Touggourt,  et  mfrmo  jus- 
qu'à Ouargla,  d'où  plusieurs  tracés  sont  possibles,  selon 
que  l'on  vise  telle  ou  Itlle  partie  du  Soudan.  Celui  qui  irait 
à  Timbouklou  remonterait  l'Oued  Mia  jusqu'à  Insalah. 
L'autre,  celui  qui  irait  au  Soudan  central,  remonterait 
rOued  Igharghar  jusqu'à  El  Biudii,  point  à  partir  duquel 
se  présentent  plusieurs  variantes  motivées  par  la  traversée 
du  plateau  d'Ahaggar,  et  dont  l'étude  a   fait  l'objet  des 


AD   SOUDAN.  184 

deui  missions  du  colonel  Flallers.  Celle  voie  n'est  pas 
pratiquée  actueHement,  et  cela  pour  des  motifs  d'ordre 
purement  politique.  Mais  nous  la  citons  cependant  parce 
que  c'est  inconteslabiement  une  grande  roule  naturelle. 

Par  contre,  nous  ne  regarderons  pas  comme  telle  une  route 
qui  actuellement  existe  au  contraire,  en  tant  que  cliemin 
commercial,  mais  qui  est  établie  d'une  façon  précaire  et 
en  dépit  de  toutes  les  lois  de   la  géographie  physique  : 
c'est  celle  qui,  de  Biskra,  se  rend  à  Rhadamës  et  au  Sou- 
dan par  le  Souf.  Cette  route  est  aujourd'hui  la  seule  qui 
établisse  ua  semblant  de  relations  entre  le  plateau  d'Air 
et  l'Algérie  :  c'est  par  là  que  nous  arrivent  les  quelques 
objets  de   fabricalioQ  soudanienne  que  l'on  peut  acheter 
dans  le  sud  de  la  province  de  Constantinc,  Mais  eile  n'est 
appelée    à  aucun  avenir,  attendu  qu'elle  traverse  le  désert 
de  l'Erg  oriental  dans  sa  partie  hi  plus  difficile  et  la  plus 
inabordable.  Il  a  fallu  tout  un  concours  de  eirconslances 
politiques  qui  ont  fermé  les   autres  routes,  et  il  a  fallu 
également  l'esprit  industrieux  et  comnierçant  de  la  nom- 
breuse   population  du  Souf,  installée  dans  les  sables  sur 
l'itinéraire  dont  il  s'agit,  pour  qu'une  pareille  roule  ait  pu 
s'établir.  Mais  elle  n'est  pas  susceptible  iramélioraLioii;  au 
contraire,  les  dunes  qui  la  barrent  paraissent  progresser  et 
grossir  chaque  jour,  et  il  serait  insensé  de  l'adopter  comme 
tracé  pour  une  ligne  de  chemin  de  fer,    ou  môme  pour 
VDe  simple  route  afTectée  au  commerce  européen. 

On  voit  que,  en  ce  qui  concerne  l'Algérie,  l'existence,  au 

sad  de  notre  colonie,  du  désert  sablonneux  de  l'Erg,  et 

celle  des  diverses  régions  montagneuses  occupées  par  les 

Touareg  (Mouïdîr,  Tasili  des  Azdjer,  Ahaggar),  restreignent 

lîièremenl  le  nombre  des  solutions  possibles  du  pro- 

;;e  des  routes  transsahariennes. 

Kn  continuant  la  revue  des  contrées  qui  bordent  la  Médi- 
terranée, nous  voyons  que  la  Tunisie  devntit  avoir,  comme 
les  pays  précédents,  sa  lifçne  de  pénétration  vers  le  Sud. 


k 


LKS    ROL'TES   DE    L'AFRIQUE    SEPTENTRIONALE 

Actaelleœeat  elle  n'en  a  pas;  nous  examinerons  tout  à 
l'heure  par  suite  de  quelles  circonstances;  celles-ci  sont! 
d'un  ordre  entièrement  artificiel,  c'est-à-dire  politique. 

La  Tripolilaine  est  la  région  côtière  la  mieux  partagée 
au  point  de  vue  des  lignes  de  pénétration  vers  le  Soudan.  De 
Tripoli  part  un©  route  directe,  aujourd'hui  très  fréquentée 
des  oai'avanes,  et  qui  se  rend  par  Mourxouk,  !e  déflîé  de 
Toummo  (El  Biban),  el  les  oasis  du  Kaouar,  dont  Bilma  est 
lô  centre  principal,  aux  riches  contrées  qui  entourent  le 
lac  ïsad,  c'est-à-dire  au  Bornou  et  au  Kanem.  C'est  la] 
route  qu'ont  successivement  recounue  Vogel  en  1854,  Barth 
dans  son  voyage  de  retour,  en  1855,  von  Beurraann  en  i862, 
Mohlfs  en  18G(),  et  enfln  Nachtigal  en  1870.  Cette  roule 
présente  deux  variantes  entre  Tripoli  et  Mourzouk  :  l'une, 
la  plus  directe,  qui  traverse  les  montagnes  au  sud  de  Tri- 
poli, el  qui  passe  par  Misda  (reconnue  par  Barth  en  1850  et 
par  von  Bary  en  187fi);  l'autre,  un  peu  plus  longue,  mais 
aussi  plus  facile,  qui  passe  plus  à  l'es!,  par  Sokna.  (Celte 
derni{>re  a  été  suivie  et  étudiée  par  Vogel,  en  1854,  puis 
pjir  Duveyrier  en  1861,  ensuite  par  Nachtigal  en  1860,  et 
par  Hohir»«Mi  1879.) 

La  tlyréiiai(iue,  avec  deux  têtes  de  lignes,  Derna  et  Ben- 
Hhazi,  possède  une  grande  route  naturelle,  parallèle  à  la 
précédente,  c'est-à-dire  nord-sud,  et  qui  se  rend  au 
Ouad&I  par  le  groupe  des  oasis  de  Roufra  *  et  par  le 
()u:uiyauga.  De  ce  dernier  pnys  part  un  embranchement, 
moins  fréquenté,  qui  oblique  au  sud-ouest  et  qui  relie  la  \ 
CyréuaVque  au  Bornou,  De  même  les  caravanes  de  Tripoli 
peuvent  passer  aussi  par  un  embranchement,  symé- 
trique du  précédent,  qui  se  sépare  de  la  route  de 
Mourzouk  au  Bornou  après  la  traversée  du  défllé  de 
Toummo,  et  qui  se  rend  au  Ouadaï  en  traversant  le  pays 


t.  Houl«  reconnue  depuis  Bea-IUiazi  jusqu'à  KoulVa  par  Rohirs,  en 
ttW.  —  or,  C,  Rohifs,  Kufrti,  UH\. 


KV  SOUDAN.  iS'i 

montagneux  du  Tibesti.  Celle  route  a  été  reconnue  et 
étudiée  en  1869  par  Nachligal,  à  qui  nous  devons  la  con- 
naissance du  Tibesli.  Ces  deux  roules  diagonales  se  croisent 
iïen. 

Plus  à  l'est  encore,  la  région  côtière  appelée  Marma- 
riqae»  qui  est  une  dépendance  de  V'Égyple,  possède  des 
routes  permettant  aux  caravanes  de  se  rendre  dans  les 
parties  orientales  du  Soudan.  Mais  ces  routes  sont  forcées 
de  dévier  et  de  se  rapprocher  de  la  vallée  du  Nil,  par  suite 
de  la  présence  des  sables  du  désert  de  Libye>  la  partie  la 
plus  difOcile  et  la  plus  aride  de  tout  le  Sahara.  Les  pistes 
venant  soit  de  Ben-Rhazi,  soit  de  Dcrna,  soit  du  port  de 
Tobrouk ,  le  raei  Heur  de  cette  côte^^  soit  de  Kasr  Djedid,  se  réu- 
nissent dans  l'oasis  de  Sioua,  d'où  une  voie  naturelle  (suivie 
par  Hohlfs  en  1874')  va  rejoindre  l'oasis  de  Farafrnh  et 
la  grande  Oasis,  où  elle  se  relie  aux  routes  égyptiennes. 

Knfln,  tout  à  fait  à  l'est,  le  Soudan  oriental  est  desser\i 
par  des  routes  annexes  de  la  vallée  du  Nil.  Plusieurs  d'entre 
elles  se  rendent  au  Darfour  :  ce  sont  notamment  celle  qui 
pari  de  Siout  (reconnue  pour  ta  première  fois  par  BroVi  ne 
en  1793*,  et,  plus  récemment,  étudiée  en  1858  par  le  voya- 
geur  français  Cuny')  et  quiabriulità  EUFachr,  capiUilo  du 
Darfour,  par  trajet  de  quarante  jours;  en  second  lieu  celle 
^ui  part  de  Bongola  et  qui  aboutit  aussi  à  El-Fachr (étudiée 
par  Masonen  187G-77)*;  celle  qui  se  détache  du  grand  coude 
du  Nil  au  Vieuv-Dongola,  et  qui  remonte  le  lit  desséché  de 
rOued-Malik'-    (itinéraire  d'Ensor  en   i875-7fi)'';  enfin  les 


i.  Cf.  KoUlh,  E.riiediiion  :'iii'  Erforsehuny  litr  Libyxchen.  Vl'U^le,  iSTti. 

t.  Cf.  W.-O.  browne,  TravéU  in  Àfrilia,  1709. 

3.  cr.  Cud;.  Journal  de  voijaije  Ue  Sioul  li  El  Obéid,  1858. 

i.  Cf.  Petermann.»  Miltheilungen,  lNS(i. 

&.  Le  lit  de  l'Oundi  Malik  ou  Oued  Nelek  «M  le  tracé  suivant  lequel 
il  a  élé  question,  en  1875,  d'établir  un  eliumin  de  fer  pour  aller  au 
Otrfaur.i  l'époque  du  maxiintitn  d'expansion  de  ladominallua  égvplienni:. 

6.  Cf.  Sidney  Ënsor,  Jourutij  tkrouyk  Subia  io  Darfour.  —  Cf.  Colslon, 
Biteoftnaiuanee  uf  tlie  Wadi  Ma^soul. 


184  LES   ROUTES   DF    L'aFHIQUE   SEPTENTRIONALE 

routes  qui,  des  mômes  contrées  du  Soudan,  aboutissent  di- 
rectement au  Nil  en  suivant  un  parallèle  et  en  traversant  le 
Kordofan  :  ces  dernières  sont  les  routes  étudiées  en  1875-76 
par  l'Américain  Proul,  officier  dans  l'armée  égyptienne  "^t 
par  Nachttgal  en  1874 °,  et  par  Massari  en  i880"\ 

Toutes  ces  routes  sont  mises  en  communication  avec  le 
littoral,  soit  par  la  vallée  du  Nil,  soit,  plus  direclement,  par 
la  roule  de  Berber  à  Souakin,  que  nous  raenlinnnons  ici, 
bien  qu'elle  soit  fermée  depuis  ces  dernières  années  par 
suile  d'événements  d'ordre  politique  et  que  tout  le  monde 
connaît.  Mais  elle  est  destinée  h  être  forcément  rouverte 
un  jour*. 

On  voit  en  résumé  que,  d'une  façon  générale,  abstrac- 
tion faile  des  roules  situées  aux  deux  extrémités  du  Sou- 
dan et  qui  sont  dirigées,  les  unes  vers  l'ouest,  pour  gagner 

1.  cr.  H-i'i.  Hrout,  General  fteporl  on  llie  province  of  Kordofan. 

S.  Cf.  l'eteriiiann'i  MMIteitunijen,  1S75, 

3.  cr.  Maltcucni  cl  Moasari,  La  spediiiune  Borghesi.  —  Boilelinù  délia 
Societa  ijeityrapca  ilaliatM,  tlec.  IKSl. 

■l.  jiit  sujet  lie  la  cummiinicatiun  veibaledeiapréseote  étuile,  comniuoic^i- 
tion  qui  a  élé  faite  ù  la  SociélédeGéo;;raphie  dans  saséanoe  du  10  mai 
1K89,  M.  Sevin-Dosplaces  b,  duns  la  séance  du  il  juin  suivanl,  fait  re- 
inari|uer  r^ue  nous  n'aviuas  pas  purlé  de  ia  route  ijui  joindrait  Ttmbouktou 
à  la  baie  d'Arguin,  en  passant  par  l'nasis  d'Âlar.  î4otre  collègue  signale 
ce  fiiit  comme  une  omission  ot  il  fait  observer  que  nous  n'avons  pas  com- 
prii  dana  l'éauinéralioii  qui  précÈiIo  los  travaux  de  M.  Charles  Sollcr, 
qui  a  préconisé  la  rociinstilutioii  du  celle  roule  commerciale,  aujour'dhui 
abandonnée  depuis  plus  d'uit  demi-siècle. 

La  routD  dont  il  »'agit  proLungerait  jusqu'à  l'océan  Atlantique  la  ligne 
qui,  pai'  Uualala  et  Tiubiit,  relie  eucore  actuellement  Tiinbouktau  à  l'im- 
portant  {^l'oupt;  ili;i  oaKts  de  l'Adrliarlt-ot-Tmar. 

As^urûiiieut  nuus  cuniuitHoa»  l'existence  dei  courants  commerciaux  de 
la  ri'ii^ioii  aatmiiennu  viiisiiio  de  In  ciMe  et  comprise  entre  le  Sous  et  le 
Sénégal.  Nous  n'ii^norotia  pax  uon  plus  los  importants  travaux  de 
M.  Cliarics  SoUer  sur  eus  i|uo»tiuns,  non  plu»  qno  le'  vues  formulées 
par  lui  «li|ul  ont  liiit  l'objet  de  sa  l'omnrnuicatiun  du  17  janvier  lS8ti  à 
lu  Société  de  iléngnipliii-  cumineroial».  Nous  litiuuB  d'autant  mains  dis- 
posé à  los  oublier,  lors  du  la  s(^anro  du  1IJ  mai  ileruier,  que,  le  34  mars 
précèdnnt,  très  peu  dr  Itmips  nnp:tr«vanl,  le  syslËiiie  des  routes  entre 
TinibouLtou  et  la  n'gloii  du  un|>  ttlane  avait  fait  In  matière  d'une  inté- 


AP  SOUDAN. 


185 


Tocéan  Atlantique,  les  autres  vers  l'est  pour  alteindre  le 
haut  Nil  et  la  mer  Rouge,  loules  ces  grandes  roules  com- 
merciales du  Sahara  sont  tracées  du  nord  au  sud,  perpen- 
diculairement au  littoral  méditerranéen.  Indépendamment 
delà  question  de  moindre  longueur  dans  la  traversée  du 
désert ,  il  y  a  là  une  nécessité  économique.  En  ellet,  on  sait 
que  la  partie  nord  de  l'Afrique  est  formée  de  bandes  pa- 
I    rallèles  très  étroites,  qui,  au  point  de  vue  des  ressources 

^^^Hfte  discussion,  à  laquelle  avaient  pris  part  M.   le  baron  d'Avril  et 
^ffi^B*  Colia,  dans  une  réunioD  de  la  Société  de  l'é^gnipiiie  commer- 
tlale  de  Paria  (3*  sectioa). 

Si  nous  n'en  avous  pas  parlé  à  la  Société  de  riéojraphie  et  si  nuus  ne 
fiuoDs  pas  figurer  cette  roiiln  ijans  Pi^numi^rulion  (]uj  jirécède,  c'est  que 
le  présent  mémoire  «  pour  Imt  l'étude  des  \oics  reliant  la  côte  médiCer- 
'aiiéenneet  leijuudiiu.c'ost-à-rlircile^  rolltI;i^t^atlssalla^ionaB!s,  dans  le  sens 
«il  ce  mol  s'entend  généraleiiicrvt,  relativement  à  l'Europe.  Or  la  roule  pro- 
jetée par  M.  Soller,  qui,  partant  de  Tinibnuktou,  irELit  aboutir,  à  la  bais 
d'irguiD,  sur  lu  cAte  de  l'ijcéan  Atlantique,  par  '20°  de  .latitude  Nord, 
■  est  pas  une  route  du  Soudan  à  la  Méditerranée;  ce  n'est  même  pas, 
i  proprement  parler,  une  roiitii  transsatiarienne.  Elle  appartient  à  un 
Brtre  système  de  voies  de  communicaliou,  ceHes  qui  ont  pour  objet  de 
^indre  lu  Soudan  occidental  au  littoral  Atlanliquc.  Ce  ne  sont  plus  là, 
comme  l'indique  le  litre  du  présent  Iravai!,  des  routes  iIp  l'Afrique  septen- 
tnooale  au  Soudan,  ce  sont  des  routes  de  l'Arrlijiie  occidentale  au  Soudan. 
Elles  répondent  à  un  autre  problème. 

Cette  route  de  la  Liaie  d'Arguin  est  intermédiaire  entra  les  voies  pro- 
jetées qui  auraient  pour  tâte  de.  ligne  les  établiâsementa  anglais  tels  qne 
Tictoria-Port  (cap  Juby),  ou  les  étaliliesemunls  espagnols  du  Hio-de-Orr>, 
Mies  routes,  plus  méridionales  et  aujourd'hui  i  peu  près  ouvertes,  qui 
parlent  du  Sénégal  et  ilcs  rivières  du  Su<l.  Tout  ce  système  de  voies  de 
p«Délration  est  très  intéressant  et  il  parait  appelé  à  un  grand  avenir. 
Mais  il  présente  assex  d'importance  pour  être  traité  séparément  du  pro- 
lltnie  qui  nous  occupe  ici,  et  il  nous  sciiibir.  demander  à  être  discuté 
^r  les  spécialistes  qui  onl  choisi  comme  cuuttB  de  leur  champ  d'éludés 
le  Sénégal. 

C'en  pourquoi  nous  n'erabrassnns  pas  celte  question  dans  le  cadre  de 

U  préteale  étude,  déjà  bien  assez  vaste  par  ulle-niémo.  Mais  on  trouvera 

;ourtaot,  sur  la  carte  d'ensemble  ci-iinnoxée,  l'indication  des  principaux 

itinéraires  que  suivent  le  plus  habitiniileiuent  les  caravanes  qui  circulent 

«Titnliouktou,  rAdrliarh-el-Tniar  et  le  Sous,c"esl-i-dire  qui  parcourent 

partie  littorale   du  Sahara,  itinéraires  sur   lesquels  aous  devons  i. 

■  Soller  de  si  précieux  renseii^aeinents  {Note  de  l'auleur). 


186  LES   ROUTES    DE    L'AFRIQUE    SEPTENTRIONALF. 

et  des  productions  naturelles,  se  complèlenl  les  unes  par 
les  autres.  Tous  ces  pays  sont  très  pauvres,  et  les  habitants 
de  l'une  des  zones,  n'ayant  à  leur  disposition  que  des  pro- 
duits insufllsamment  variés,  ont  besoin,  pour  vivre,  de 
faire  ries  échanges  avec  les  habitants  des  autres  zones, 
Ainsi  les  indigènes  de  la  région  des  hauts  plateaux  du 
système  de  l'Atlas,  par  exemple,  dont  le  genre  de  vie  est 
exclusivement  pastoral,  ont  besoin  d'échanger  la  laine  de 
leurs  troupeaux,  d'une  part  contre  le  blé  ou  l'orge  que 
produit  la  zone  méditerranéenne,  d'autre  part  contre  des 
dattes  que  produit  la  région  des  oasis  barbaresques.  Les 
habitants  de  celle  dernière  zone,  qui  cultivent  des  palmiers 
et  exercent  des  industries  textiles,  sans  avoir  de  troupeaux 
fautede  pâturages,  sont  de  mêmedans  la  nécessité  d'échanger 
les  produits  de  leurs  cultures  et  leurs  étoffes  contre  les 
objets  qui  leur  sont  fournis  par  leurs  voisins  du  nord  ou 
du  sud.  Les  habitants  des  parties  tout  il  fait  stériles  du 
Sahara  central  sont  eux-mêmes  en  relations  forcées  avec 
les  populations  limitrophes,  dont  ils  acquièrent  les  pro- 
duits en  leur  servant  de  convoyeurs  pour  leurs  transits.  De 
là  un  mouvement  général  de  relations  et  d'échanges  dirigé 
du  nord  au  sud  ou  réciproquement. 

Ce  phénomène  économique,  qui  se  produit  en  petit  entre 
les  diverses  zones  de  la  région  barbaresque,  et  qui  y  a  été 
souvent  analysé,  se  reproduit  sur  une  plus  grande  échelle 
pour  tout  l'ensemble  des  pays  constituant  l'Afrique  du  Inord 
jusqu'au  Soudan. 

A  ces  considérations  d'ordre  économique  s'en  joignent 
d'autres  résultant  de  la  configuration  physique  du  Sahara, 
où  les  chaînes  de  montagnes,  les  zones  de  dunes  et  tous  les 
obstacles  en  général  présentent  une  disposition  qui,  dans 
son  ensemble,  concourt  au  raÈme  résultat  au  point  de  vue 
du  transit  Les  routes  commerciales  se  sont  donc  forcément 
établies  suivant  la  direction  nord-sud,  perpendiculaire  aux 
zones  dont  il  s'agit. 


AD   SOUDAS.  187 

Comme  ces  zones  sont  très  élroiles  par  rapport  à  leur 
longueur,  elles  se  sont  nécessairement,  au  point  de  vue 
poIiUque,  fractionnées  en  plusieurs  tronçons  ;  c'est  ce  qui 
explique  que  jamais  l'Afrique  du  nord  n'a  pu  filte  réunie 
tool  entière  d'une  façon  durable  sous  unedomtnation  unique. 
Par  contre»  chaque  État  limitrophe  de  la  Méditerranée  et 
résultant  de  ce  fractionnement,  a  englobé  tout  naturelle- 
ment la  série  complète  des  segments  de  zones  intérieures 
compris  entre  les  mêmes  longitudes,  les  populations  de 

Iksque  zone  ne  pouvant  pas  avoir  une  vie  politique  indépen- 

mle. 


IV 


De  la  multiplicité  et  du  parallélisme  des  intérêts  écono- 
miques et  politiques  qui  ont  pour  siège  le  littoral  africain 
de  la  Méditerranée,  il  doit  résulter  forcément  l'existence  et 
le  maintien  de  plusieurs  routes  parallèles  et  indépendantes 
les  unes  des  autres,  se  rendant  au  Soudan. 

Seulement,  dans  la  situation  .ictuellc  des  choses,  tous 
sys  riverains  de  la  côte  ne  sont  pas  également  bien 
;és  sous  ce  rapport.  Les  moins  favorisés  sont  nos 
possessions  d'Algérie  et  de  Tunisie.  Nous  avons  vu  que 
toutes  les  routes  qui  parlent  d'Algérie,  sauf  une  seule,  se 
réunissent  aujourd'hui  h  Insalah,  point  qui  ne  nous  appar- 
tienlpas,  et  qui  est  même  le  siège  d'une  opposition  très 
énergique  à  notre  influence.  Les  routes  d'Algérie,  avec  des 
tWes  de  lignes  nombreuses,  forment  donc  un  faisceau  conver- 
gent, ce  qui  est  désavantageux  pour  les  intérêts  français.  Au 
contraire,  les  routes  partantde  Tripoli,  tête  de  ligne  unique, 
forment  un  faisceau  divergent,  c'est-à-dire  qu'elles  se  rendent 
dans  toutes  les  parties  du  Soudan.  Indépendamment  des  deux 
roules  du  Bornou  et  du  Ouadaï,  dont  il  a  été  question  tout 
à  l'heure,  il  en  existe  en  effet  une  troisième  que  nous  avons 
lolontairement  passée  sous  silence,  dansTénumération  pré' 


188  LES   ROUTES  DE   U'AFRIQUE  SEPTENTBIONALE 

cédenle,  pour  y  revenir  plus  tard  d'une  façon  spéciale,  c'est 
celle  qui,  par  Hhat,  se  rend  au  plateau  d'Air,  au  Damergou 
et  au  Sokolo.  Il  existe  même  une  quatrième  roule  qui,  de 
Tripoli,  se  rend  au  Soudan  occidental,  c'est-à-dire  à  Tim- 
bouktou,  par  Rhadamès,  Temassinin  etlnsalah.  Cette  route 
est  tout  à  fail  artificielle.  Elle  barre  au  Sud  les  possessions 
françaises  de  l'Afrique  seplenlrionale,  et  son  existence  est 
due  exciusivemeni,  d'une  part  à  l'annexion  de  Rhadamès 
par  laTripolilaine,  et  d'autre  part  à  l'influence  prépondé- 
rante que  le  principal  chef  d'insalah,  Abd-el-Kader-Ould- 
Badjoudah',  a  su  prendre  dans  le  commerce  du  Sahara 
occidental. 

Ainsi,  parmi  les  caravanes  qui  viennent  de  Timbouklou, 
toutes  celles  qui  ne  vont  pas  au  Maroc  arrivent  à  Insalah, 
longent  la  frontière  sud  de  nos  possessions  algériennes  sans 
y  pénétrer,  et,  par  Rhadamès,  se  rendent  à  Tripoli.  Les 
caravanes  qui  viennent  du  Gando  et  du  Sokoto,  c'est-à-dire 
du  bassin  moyen  et  inférieur  du  Niger,  la  partie  la  plus  riche 
des  contrées  avoisinant  ce  Jleuve,  passent  habituellement 
par  le  plateau  d'Aîr,  au  nord  duquel  le  régime  des  pluies 
équatoriales  atteint  son  maximum  de  latitude;  elles  vont  à 
Hhat,  puis  de  là  elles  gagnent  Tripoli,  soit  par  Mourzuuk, 
soit,  plus  fréquemment,  par  Rhadamès. 

Si  Ton  admet  comme  une  loi  naturelle  que  chaque  tranche 
du  littoral  barbarei^que,  comprise  entre  deux  méridiens, 
doit  emporter  avec  elle  toute  la  tranche  des  diverses  zones 
désertiques  qui  est  comprise  entre  les  mêmes  méridiens, 
l'occupation  de  Hhadamès  et  de  Khat  par  les  Turcs  de  Tri- 
poli a  constitué,  au  point  de  vue  géographique,  un  véritable 
empiétement  sur  le  domaine  tunisien.  Nous  disons  au  point 


i.  Dcfiuis  l'époque  un  le  préscnl  mémoire  a  été  rédigé,  c'esl-à-diro 
depuis  le  printemps  île  IKHtl,  la  mort  il'Al)d-cl-Kader-Uu1d-Badjouda1i 
est,  ]iaratl-il,  survenue.  Cette  inorl  aurait  suivi  de  trét  près  celle  de  outre 
cumputiiole,  M.  Caniillo  Kaiils,  <|ui,  selon  toute  apparence,  a  été  la  victime 
lies  iiilrijîucs  (]ii  iiiaraliuut  d'Iiisalali,  cuniitis  l'avait  été  déjà  auparavant 
le  lieutenant  Paliit  (.Vnti*  df  l'avleiif). 


A0  SOODAN. 


189 


de  viie  (féogrnphique  et  non  pas  au  point  de  me  politique, 
attendu  que  nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici  de  ce  der- 
nier côté  des  questions.  D'aulre  part  nous  n'avons  en  au- 
cune façon  le  droildenous  en  plaindre,  attendu  que  l'occu- 
pa lion  eETectivedeRhadamèsreraonteà  1869  et  celle  de  Ilhal  à 
JS'i.  Ces  deux  événements  sont  donc  antérieurs  à  l'occupa- 
lion  française  en  Tunisie.  Mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
la  Tunisie  est  acluellement  privée  de  sa  route  commerciale 
naturelle  et  que  Tripoli  en  délient  plusieurs,  par  suite  de 
combinaisons  politiques  factices. 

A  la  suite  de  l'occupation  de  ces  deux  points  par  les  Turcs, 
cl  à  la  suite  de  la  propagation  du  mouvement  religieux  se- 
Doussya  dans  ces  contrées,  qui  remonte  à  la  môme  époque, 
toute  la  région  qui  avoisine  tlhadamès  el  Rhal,  jusque-là 
relativement  accessible  aux  Européens,  est  devenue  tout  à 
fait  inabordable  pour  eux. 

C'est  en  1874  que  les  Turcs  ont  occupé  Rhat,  et  en  1876 
que  la  première  zaouia  senoussya  s'est  installée  à  Rhada- 
iDès.  Nous  en  avons  vu  la  conséquencedansie  massacredes 
Toyageurs  Dournaux-Duperré  el  Joubert,  en  1874,  près 
d'In-Azhâr,  et  dans  celui  des  PP.  Richard,  Pouplard  et 
Morat,  de  lamission  de  Rhadamès,  eni88i.  DucôtédTnsa- 
lâh,  sous  l'influence  de  la  même  recrudescence  de  fana- 
tisme, ont  eu  lieu  le  meurtre  des  PP.  Bouchard,  Ménoret 
el  Paulmîer,  en  1876,  et,  plus  récemment,  en  1886, l'assas- 
sinat du  lieutenant  PalaL  11  faut,  depuis  cette  année,  ajou- 
ter encore  à  cette  liste  le  nom  de  Camille  Douls,  le  coura- 
geux explorateur  tué  dans  les  mêmes  parages  et  presque 
dans  les  mêmes  conditions  que  le  lieutenant  Palat. 


Si  maintenant,  après  avoir  considéré  les  points  de  départ 
des  routes  transsabariennes,  nous  considérons  les  points 


190  LES    ROUTES   DE   L'AFniQrE   SEPTENTKIONALE 

d'arrivée,  c'esL-à-dire  les  marchés  d'échange  des  caravanes, 
nous  voyons  qu'ils  sont  au  nombre  de  trois  principaux  : 

fTimbouklou,  ou  plutôt  d'une  façon  générale  le  coude 
septentrional  du  Kiger,  car  Timbouktou  n'est  actuellement 
par  lui-même  qu'un  point  d'une  importance  très  secon» 
daire  ; 

2»  Le  Soudan  central,  c'est-à-dire  le  lac  Tsad  et  les  ré- 
gions qui  l'entourent,  ou  celles  qui  s'étendent  entre  lui  et 
le  bas  Niger,  à  savoir  le  Bornou,  le  Baghirmi,  le  Sokoto  et 
même  le  Ouadaï; 

3*  Enfin  le  Soudan  oriental,  comprenant  le  Darfour,  lo 
Kordofanel  les  pays  voisins. 

Depuis  que  nous  avons  pris  pied  en  Algérie,  et  même 
auparavant,  depuis  que  les  voyageurs  des  premiers  temps 
de  ce  siècle  ont  commencé  à  pénétrer  dans  le  Sahara  et  à 
découvrir  successivement  les  diverses  parties  du  mystérieux 
bassin  du  Niger,  on  a  admis,  par  une  sorte  de  convention 
tacite,  que  Timbouktou  était  le  point  principal  à  attein- 
dre, que  le  grand  coude  du  Niger  était  l'objectif  que  l'on 
devait  viser,  et  jusqu'à  ces  dernières  années  presque  tous 
les  projets  de  pénétration  ont  été  établis  sur  cette  base. 
Celle  opinion  est  peut-Cire  trop  absolue.  La  partie  supé- 
rieure et  moyenne  du  Niger  n'arrose  pas  des  pays  aussi 
riches  qu'on  se  l'était  figuré  d'abord.  Timbouktou  a  perdu 
beaucoup  de  son  importance  politique  et  commerciale. 
Celle  ville  n'est  plus,  comme  on  prétend  qu'elle  l'a  été 
autrefois,  un  grand  centre  intellectuel  renferxnant  même 
de  riches  bibliothèques.  Ce  n'est  plus  qu'une  grande  bour- 
gade, En  outre,  le  Soudan  occidental,  c'est-à-dire  le  bassin 
du  Niger,  est  atteint  aujourd'hui,  et  les  débouchés  de  son 
commerce  sont  assurés,  d'un  côté  par  nos  possessions  du 
Sénégal,  de  l'autre  par  les  établissements  européens  du  bas 
Niger,  que  nous  avons  eu  le  tort  de  laisser  récemment 
passer  aux  mains  des  Anglais,  mais  qui  néanmoins  appar- 
tiennent maintenant,  en  somme,  à  une  natron  européenne. 


Atl    SOUDAN.  191 

Les  transports  par  mer  ont  trop  d'avantage,  sous  le  rapport 
économique,  sur  les  transports  par  lerre,  pour  que  le  com- 
merce du  Niger  puisse  dorénavant  prendre  le  chemin  de 
l'Afrique  du  nord  :  la  ligne  réunissant  Timbouktou  à  l'Al- 
gérie pourra  6tre  une  ligne  d'inlérfil  politique  ou  stralé» 
gii|ue,  au  point  de  vue  français  :  elle  ne  sera  jamais  une 
ligne  commerciale,  sauT  d'une  façon  loul  à  fait  acnessoire. 

D'autre  part,  le  Soudan  oriental,  comprenant  le  Darfour, 
le  Kordofan  et  les  paysvoisins,  estunedépendanue  naturelle 
dâ  la  voilée  du  Nil,  et  il  est  destiné  à  èlre  mis  en  relation 
avec  le  monde  européen,  soit  par  le  Nil  ]ui-m(yme,  soit  par 
les  routes  venant  de  la  mer  Rouge,  telles  que  celle  de 
Souakin  à  Berber.  Ces  routes  sont  aujourd'hui  formées, 
iniis  celto  interruption  n'est  que  momentanée  :  elles  se 
rouvriront  le  jouroù  l'empire  du  Mahdi  s'écroulera,  ou  bien 
peut-être  le  jour  où  il  se  civilisera,  ce  qui  est  moins  pro- 
bable. 

Il  reste  donc,  comme  domaine  commercial  essentiel  de 
l'Afrique  du  nord,  le  bassin  du  lac  Tsad,  et  la  contrée  qui 
i'étend  entre  ce  lac  et  le  Niger  :  c'est  la  partie  incontesta- 

ment   la  plus  riche  de  tout  le  Soudan.  C'est  là,  à  mon 

9,  le  point  de  mire  que  doivent  viser  les  routes  transsaha- 
riennes à  ouvrir.  Les  explorateurs  ont  essayé  de  l'atteindra 
etc'estce  but  que  poursuivait  la  deuxième  mission  Flalters. 

En  jetant  les  yeux  sur  la  carte,  on  voit  que  l'ilinéritirede 
cette  mission,  parlant  d'Ouargln,  a  remonté  l'oued  Ighar- 
gbar  jusqu'à  El-Biodh,  et  ensuite  la  branche  occidentale 
de  cet  oued  jusqu'à  Amguid.  De  là,  elle  a  entrepris  la  tra- 
versée du  plateau  d'Ahaggar,  en  passwnt  par  Inselman 
Tichsin,  Temassinl,  et  enfin,  lorsqu'elle  a  été  massacrée,  le 
16  février  1881,  près  de  Bir-EI-Garma,  elle  se  dirigeait 
droit  au  Sud  et  n'était  pas  éloignée  d'atteindre  le  puit^ 
d'.\ssiou,  où  elle  aurait  rejoint  l'itinéraire  de  Barih  (1850) 
peu  éloigné  lui-même  de  la  route  habituelle  des  caravanes 
qui  se  rendent  au  pays  d'Air.  (Cette  voie  des  grandes  cara* 


192  LES   BOUTES   DE  L'AFUrQTE   SEPTElNTRlONALE 

Tanes  a  été  suivie,  eu  1877,  par  M.  de  Bary,  dont  la  mon, 
survenue  à  Rhat,  a  été  une  si  grande  perle  pour  la  science.) 

Cet  itinéraire  suivi  par  la  deuxième  mission  Flattera 
coïnciderait  avec  le  tracé  de  la  ligne  de  chemin  de  fer  dont 
le  plan  a  été  si  clairement  exposé  par  M.  Rolland  i. 

Ce  tracé,  qui  traverserait  par  le  milieu  le  plateau  d'Ahag' 
gar^  ne  rencontrerait  pas,  parait-il,  de  rampes  insurmon- 
tables, bien  qu'il  parvienne  à  des  altitudes  assez  élevées. 
Mais  on  peut  dire  toutefois  que  c'est  un  tracé  artificiel  au 
point  de  vue  de  la  géographie  physique  :  le  tracé  naturel 
consisterait  à  contourner  le  plateau  d'Ahaggar  par  l'est,  de 
même  que  la  route  dinsaiah  le  contourne  par  l'ouest.  C'est 
ce  qu'avait  commencé  à  Taire  la  première  mission  Flatters, 
lorsqu'on  1880  elle  remonta  la  branche  orientale  de  l'Ighar- 
ghar.  Mais  elle  abandonna  cet  itinéraire  en  constatant  qu'il 
la  ramenait  sur  Hhat.  Ceci  démontre,  non  pas  que  le  tracé 
oriental  soit  mauvais,  mais  simplement  que  Rhat  est  un 
point  de  passage  naturel   et  pour   ainsi  dire  obligatoire. 
Toutefois  îa  mission  Flatters  eut  parfaitement  raison  d'aban- 
donner cet  itinéraire  dans  les  conditions  où  l'on  était  alors^ 
et  cela  pour  deux  motifs  :  le  premier  c'estque  Rhat  appar- 
tenait à  une  puissance  étrangère,  et  que  nous  ne  pouvions 
pas  espérer,  à  celte  époque,  rattacher  cette  ville  à  noire 
domination;  et  le  second  c'est  que  ce  point  était  beaucoup 
trop  h  l'est  pour  un  tracé  a,vant  comme  télé  de  ligne  Ouargla 
et  se  proposant  d'atleindre   le  plateau  d'Air.  Cet  inconvé- 
nient ne  subsisterait  pas  avec  une  léte  de  ligne  située  plus  i 
l'est.  Nous  reviendrons  lout  àHieure  sur  ce  sujet. 


VI 

"De  lout  ce  qui  précède  il  résulte  que  Tripoli  est  acluelle- 
nientla  t&lede  ligne  de  toutes  les  routes  transsahariennes  en 

1.  ConWi>cn<îe  hilfl   i\  l'Asaoci«lj»a   ft-iioçaise  pour    t'avaneement  dei 
Kieacesje  3  mnri  1888. 


Ai:  soi;da.\. 


103 


iclivilé  et  le  grand  marché  du  Soudan.  Ce  résullal  lient  en 
partie  à  des  conditions  géographiques,  que  nous  venons  de 
résumer,  en  partie  à  des  conditions  politiques.  La  Tripoli- 
laine  est  en  eO'et,  avec  le  Maroc,  la  seule  contrée  de  l'Afrique 
du  nord  où  puisse  se   faire  librement  le   commerce  des 
esclaves.  Or  on  sait  que  (n'en   déplaise  aux  économistes 
philanthropes)  l'objet  principal  et  presque  unique  du  trafic 
du  Soudan  est  constitué  par  les  esclaves.  Les  autres  mar- 
chandises,  telles  que  la  poudre  d'or,  l'ivoire,  les  plumes 
d'autruche  et  les  cuirs,  ne  sont  que  l'accessoire  et  ne  suf- 
firaient pas  à  alimenter  le  transit  de  hi  moindre  ligne  de 
chemin  de  fer.  Ofliciellement,  îa  Turquie  a  adhéré  aux  con- 
Tentions  internationales   relatives  à  l'abolition  de  la  traite; 
mais,  en  l'ait,   comme  le  Koran  autorise  l'esclavage,  cette 
pratique  continue  à  ôlre  tolérée.  L'exportation  des  esclaves 
dans  les  pays  étrangers  est  seule  empêchée,  D'ailleurs  il  n'y  n 
pas  lieu  de  s'apitoyer  outre  mesure  sur  le  sort  des  esclaves 
nègres  en  pays  musulmans  :  ils  y  sont  souvent  beaucoup 
mieux  traités  que  dans  leurs  pays  d'origine,  où  ils  ne  re- 
tournent guère  quand  ils  sont  libérés,  ce  qui  leur  arrive 
très  fréquemment.  Ils  travaillent  peu  et  ne  sont  pas  l'objet 
de  mauvais  traitements.  Mais  nous  n'aborderons  pas  ici  le 
développement  de  cette  question  qui  nous  entraînerait  trop 
bin  et  s'écarte  de  notre  sujet  principal. 

Ce  sont  les  avantages  matériels  résultant  de  la  silualion 
géographique  de  Tripoli  qui  ont  conduit  nn  voyageur  alle- 
mand «le  grand  mérite,  l'homme  qui  aujourd'hui  connaît  le 
mieux  le  Sahara  et  qui  y  a  fait  les  plus  merveilleux  voyages, 
Gerhard  Rohlfs,  à  dire  ;  «  A   celui  qui  possédera  Tripoli 
appartiendra  le  Soudan,  u  Cette  conclusion  n'est  peul-âtre 
pas  obligatoire.  Si  nous  savons  nous  hâter  et  proOter  de 
notre  situation  actuelle  en  Tunisie,  malgré  les  avantage^ 
incontestables  que  Tripoli  doit  à  sa  latitude  et  aux  roules 
qui  y  aboutissent,  il  faut  espérer  que  nous  pourrons  com- 
penser le  désavantage  rcsultanl  de  la  position  moins  favo- 
soc.  HE  Gtoun.  —  2°  thi.mustre  IS90.  xi.  —  13 


Î94  LES  RODTES   DE   L' AFRIQUE   SEI'TEMitlONALK 

rablode  nos  I6tes  de  lignes  algériennes  et  tunisiennes,  par 
la  supérioriLé  que  nous  donnent  notre  civilisation  et  les 
moyens  matériels  et  intellectuels  dont  nous  disposons, 


VII 


Ceci  nous  conduit  à  parler  de  Tripoli  et  de  la  Tripoli- 
laine.  Qr,  parler  de  la  Tripolilaine,  c'est  loucher  à  un  sujet 
brûlant,  qui  demande  à  tire  traité  avec  un  extrême  ména- 
gemenl.  La  Turquie  a  fuit,  pendant  ces  dernières  années, 
de  très  grands  progrès  dans  cette  région  de  TAfrique, 
et  elle  lient  à  celle  partie  de  son  empire  d'une  façon  qui 
peut  sembler  exagérée  au  premier  abord,  mais  qui  cepen- 
dant est  bicH  motivée.  Ses  possessions  européennes  lui 
échappent  et  elle  paraît  depuis  longtemps  se  rendre  compte 
que  ses  provinces  d'Europe  sont  destinées  à  lui  élre  succes- 
sivement arrachées,  dans  un  avenir  plus  ou  moins  pro- 
chain. Aussi  l'avons-nous  vue,  depuis  la  guerre  turco-russe, 
les  abandonner  avec  une  grande  résignation,  au  fur  el  à 
mesure  que  les  circonstances  l'ont  exigé.  Mais,  en  môme 
temps,  elle  a  cherché  une  compensation  territoriale  en  Asie 
et  en  Afrique,  où  elle  comprend  qu'est  son  avenir,  et  où 
elle  trouve  un  milieu  plus  favorable  à  la  nature  de  son 
génie  et  à  l'utilisalion  de  ses  moyens  d'action.  Dans  le  nord 
de  l'Afrique,  elle  a  transformé,  depuis  quelques  années,  en 
une  possession  solide  et  réelle,  l'autorité  plus  ou  moins 
théorique  qu'elle  avait  sur  la  Tripolitaine;  en  même  temps 
elle  en  a  considérablement  reculé  les  limites  el  elle  nous  a 
devancés  de  beaucoup  sur  les  roules  du  Sud,  en  occupant 
d'une  façon  effective,  par  des  garnisons  régulières,  les  villes 
de  ilhat  et  de  Hhadamès,  ainsi  que  tout  le  Fezzan.  Sa  sou- 
vcrainelé  directe  s'étend  aujourd'hui  jusqu'aux  montagnes 
de  Toummo,  c'est-à-dire  presque  jusqu'au  22°  degré  de  lati- 
tude Nord,  et  son  influence  s'étend  beaucoup  plus  loin. 


At  SOUtiA.V. 


La  Tripolilaine  présente  un  double  intérêt  non  seole- 
nenl  par  celle  transformation  récente  de  la  domination 
torque,  mais  aussi  par  le  mouvement  religieux  dont  le  pays 
I  été  le  siège.  C'est  là  que  la  confrérie  des  Senoussya,  qui  a 
entrepris  de  régénérer  l'Islam,  a,  comme  on  le  sait,  établi 
son  centre.  C'est  à  celte  secte  que  Ton  doit  le  prodigieux 
mouTement  de  prosélytisme  musulman  qui  s'est  étendu, 
depuis  longtemps  déjà,  à  tout  le  Soudan,  et  qui  a  gagné  de 
tilesse  rnction  des  missionnaires  chrétiens,  pour  la  conver- 
sion des  populations  fétichistes  de  l'Afrique  centrale.  En 
les  convertissant  h  l'Islam,  elle  a  rendu  ces  populations 
absolument  réfractaires  au  christianisme,  et  en  même  temps 
à  notre  inûuence. 

On  sait  que  le  programme  qui  paraît  être  celui  du  suîtan 
actuel,  et  qui  consiste  à  étendre  la  puissance  territoriale  de 
ta  Turquie  en  Asie  et  en  Afrique,  en  se  considérant  person- 
nellemcnt  comme  l'héritier  légitime  des  califes,  tant  au 
point  de  vue  spirituel  qu'au  point  de  vue  temporel,  s'est 
trouvé  à  un  moment  donné  en,  compétition  avec  le  mouve- 
ment religieux  du  Senoussysme. 

M.  Duveyrier  a  donné,  dans  le  Bulletin  de  la  Sociclé  de 
IJéoijraphie,  une  étude  aussi  complète  que  possible  du  dé- 
veloppement de  celte  secte  si  intéressante'  :  je  n'ai  donc  rien 
à  y  ajouter.  Je  dirai  seulement  que  la  Porte,  ne  pouvant 
briser  la  puissance  du  Senoussysme,  a  pactisé  avec  elfe  et 
a  cherché  à  l'utiliser  à  son  profit,  moyennant  des  concessions 
considérables  d'ordre  administratif  et  financier.  Les  privi- 
lèges les  plus  larges  ont  été  accord  es  à  la  secteen  Cyrénai'que  et 
(hnsla  Marmarique,  où  elleconstilue  maintenant  une  puis- 
tance  administrative  et  judiciaire,  en  même  temps  que  reli- 
gieuse,el  même  une  puissance  militaire.  Moyennant  ce  s  sacri- 
fices, la  Turquie  a  conservé  l'autorité  gouvernementale,  et  a 


1,  Cf.  Duvejrier,  La  coiifréfU  mmuimatie  de  Sidi-Muha.iMned-bcn' 
iti-n-Senouiti.  —  BulUlin  de  ta  Soc.  de  Geogr.,  1884,  p.  H5-Ï'2fi. 


190  LE*   nOtlTES   DE   l'aFRIQUE   SET'TEKTRIONALE 

intime  su  employer  le  mouvement  duSenoussysme  pourl'a- 
granttissetnenl  géographique  de  son  empire,  malgré  l'exis-, 
tence  d'un  important  parti  hostile  aux  Turcs,  dans  la  secte' 
même.  C'est  ainsi  que  l'on  peut  dire,  par  exemple,  que  le 
groupe  des  oasis  de  Koufra  a  été  conquis  par  la  Turquie, 
puisqu'il  appartient  aux  Senoussya,  et  que  Jes  soldais  turcs] 
sont  les  seuls  qui,  au  point  de  vue  international,  aient  le  j 
droit  d'y  pénétrer. 

Il  ne  m'appartient  pas  d'examiner  par  quels  moyens  ce] 
but  a  été  atteint.  Je  n'examinerai  pas  quel  a  été,  à  Constan- 
tinople  et  à  Tripoli,  le  rôle  du  personnage  important  appelé! 
Si-Hamza,  ni   celui  de  son  frère  Mohammed-ben-Dhaler, 
qui  passe  pour  être  le  directeur  religieux  du  sultan.  Je  dirai  I 
seulement  que  le  mouveraentSenoussya  s'est  propagé  chez  les 
Touareg,  et  qu'une  grande  partie  de  ces  peuplades,  autre- 
Tois  en  dehors  du  rayon  d'influence  de  Tenipire  turc,  lui 
sonl  aujourd'hui  rattachées  par  des  liens  nombreux. 

A  la  suite  du  massacre  de  la  mission  Flallers,  les  Touareg 
Ahaggar,  craignant  des  représailles  de  notre  part,  ont  cher- 
ché tout  naturellement  une  sauvegarde  dans  la  protection 
turque. 

A  l'appui  de  cette  assertion,  nous  citerons  notamment 
les  deux  lettres  dont  le  texte  est  ci-dessous'. 


I,  Lellre  n"  l.  —  Arhilaihgn,  chef  dex  lloggnr,  à El-llailj-T<thar-Bo- 
nidi.  Il  Itliadamés. 

Au  nom  de  Dieu  clément  el  mlsiîricorJieux  f 

De  la  part  du  ctieikii  Yautiùs,  surnommé  ArliiUrhen-bcn-Biska,  che( 
dos  Ho^gur. 

A  nutrc  ami  El-liadj-Tahiii'rïastdi.  Salutations. 

Ce  que  j(i  l'écris  a  priiir  but  de  ré|>oiiilre  aux  divepsos  lettros  que  tu 
m'as  adri-ssées  au  stijut  ili;  Ion  aiui  le  Kramais.  Tu  me  disais  (Je  liiister 
ces  r.lircliens  traverser  iium  pays  |iuur  se  rendre  au  SouiKm. 

Pourquoi  donc  n'iitais-tu  [tas  eti  porsoiiiio  avec  eux?  Us  D'avaicut  pa.s 
cummencd  par  uractjuitter  le  droit  de  piiage  *.  En  outre,  je  n'avais  reçu  à 
leur  suji-t  aucune  instruction  du  sultan  de  l'onstitulinopic  |)as  plus  que 

1.  Droit  nae  perçoivent  lus  tribus  de  Tanarej  tar  lea  caraviiioi  cl  ^oytgaan 
(raTtinaat  litnr  (ni)*. 


AD  SOUDAN.  197 

La  première  est  adressée  par  Arhilarhen,  chef  suprême  des 
Touareg  Ahaggar,  à  un  négociant  de  R-hadamès,  Ei-Hadj- 
Tabar-Basidi,  qui  avait  fait  auprès  de  lui  des  démarches 
ayant  pour  but  de  le  rendre  favorable  à  la  mission.  La  se- 
conde est  écrite  parle  même  Arhitarhen  au  gouverneur  de 
Rbadamès^ 

Ces  lettres  non  seulement  démontrent  la  culpabililé  di- 
rectedu  chef  des  Touareg  Ahagi^ar.déjA.  établie  surabondam- 
ment par  d'autres  preuves,  mais  elles  montrent  aussi  son 
extrême  duplicité.  Il  est  impossible  de  ne  pas  ^tre  indigm* 
de  la  fourberie  et  de  la  déloyauté  dont  les  Touareg  ont  fait 

du  piiclia  de  Tripoli.  Pourquoi  dnnc  een  (ihrétiens  venaienl-ib  vo>;iger 
dans  notre  pays?  Jamais  de  aolre  vii;  nous  les  nvioiis  vus  liaverser 
noire  territoire.  C'est  chose  impossible  :  ils  ne  sont  paial  iiii  Diimbre  de 
ceux  qui  jouissent  de  la  protection  musulmane;  ils  i>taicnt  chrétiens, 
de  ceux  qui  font  ta  guerre  sainte  c-untre  les  Musulmans,  et  tu  préteads 
dans  les  lettres  que  tu  nous  écris  à  leur  sujet,  que  i^es  {^ens-là  ne  nous 
causeront  aucun  préjudice?  Aujourd'hui  tout  est  (îni  :  ils  sont  venaf,  ils 
wnl  morts. 

Des  gens  que  je  connaissiiis  sont  venus  chez  nous  rréqucniiuent  ;  ton 
fils,  par  exemple,  n'a-t-il  pas  vendu  ni  auliaté  librement  et  ne  s'en  est-il 
pas  retoarné  sain  et  sauf  avec  les  bénéfices  i|u'il  avait  pu  Filialiser? 

Au  surplus  ceux  qui  ont  lue  ces  chrétiens  «ont  les  Amrliari  d'.\ïr 
et  les  jtens  des  Aidjer.  Ils  sont  morts  sur  le  territoire  d'Aïr.  Ce  «ont 
les  Amrhad  susnommés  qui  les  nat  massacrés;  les  Hoggar  sont  étran- 
gers à  cette  allaire.  Ceux  qui  «ont  les  auteurs  du  meurtre  ont  pour 
chefs  ■Nalali-ben-Haï,  Bou-Kekheïr-ben-rKor.sk.i,  Teguten,  Nefi»,  Cuon- 
tali:  Kennin  et  Foug-as,  de  l'Adrharh,  étaient  nnssi  avec  eux. 

Au  naomcnt  où  ces  chrétiens  ont  été  tuéa,  le.4  tlog^ar  étaient  en  incur- 
«ion  contre  les  gens  de  TAdrliarb  et  n'étaient  pas  encore  de  rclaurches  eux. 
Donc  les  chrétiens  n'ont  été  massacrés  que  par  les  gens  plus  haut  dési- 
gnés: à  ces  chréliftns,  moi  j'avais  donné  un  guide  qui  avait  pour  mission 
de  les  conduire  chez  les  Air.  l'ai  perdu  dans  celte  aflaire  les  meilleurs 
de  mes  hommes  qui  ont  égak;ment  lité  tués  ;  deux  autres  ont  élô  blessés 
a  coups  de  lance. 

C'est  (Ini  et  je  t'ai  Informé  de  tout  ce  qui  est  arrivé.  J'ai  reçu  le  cachet 
ift  la  cire.  Salut. 

Le  C*  jour  du  mois  île  Rebbia  de  l'an  1:^*,I8  (dimanche  C  février 
1M81). 

1.  Lettre  n"  9,  —  Arhiturhen,  chef  des  ttognar,  A  Bou-Aïcha,  émir  de 
la  ville  de  lihaitaméx. 
Au  Dom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux  1  De  la  part  du  cheikh  Yuu- 


198  LES   nODTES   IiK    l'aFRIQUE   SEPTENTRIflNALE 

preuve  vis-à-vis  de  la  mission.  Ce  qui  esl  fait  pour  nous  ré- 
volter surtout,  c'est  non  pas  tant  leur  attaque,  qui  e!^t  en 
somme  un  fait  de  guerre,  admissible  dans  une  certaine  me- 
sure, que  les  circonstances  particulièrement  odieuses  dans 
lesquelles  a  eu  lieu  le  massacre. 

On  sait  qu'après  l'assassinat  des  chefs  délit  mission,  atti- 
rés dans  une  embuscade,  le  gros  de  la  troupe,  qui  n'avait  pu 


n-!i  (urnuiiiiné  ArhiUrlien-ben-ilbkn,  cbeT  des  Hoggnr,  i  »a  teigoeurie 
lloU'Aictia,  l'-mir  de  la  ville  <lc  Hliadumès.  Salutations. 

Si  vous  èlea  a»Rez  bnn  pour  voua  intéresser  à  noui,  «achez  que  nous 
nous  parlons  bien  et  qtic  nous  jouissons  de  ta  (itiix.  Nnus  faisons  des 
Vii'Ui  pimr  qu'il  en  soit  de  mAnie  da  volie  cùté,  s'il  pluft  â  Dieu  ;  nous 
n'avons  Rucuiie  nouvelle  i  vous  annoncer;  rieo  absotituicnl  n'est  sur- 
venu sur  niitre  lorritoim. 

MaiQlentnt,  6  ohog-  ami,  vous  noua  aviez  recommandé  dv  surveiller  les 
roules  et  de  les  préserver  contre  los  gens  huslilos;  r.'est  ce  que  nous 
«vous  lait.  Nous  nous  appliquons  à  garantir  les  ruute.'j  contre  les  iucur- 
siont  d'cnncmit  iimBuliiiims  et  rien  en  elTct  ne  s'ohI  produit;  mais 
aujourd'hui  ue  vi)ilà-t-il  pas  que  les  cbréliens  veulent  suivrt;  uos  routes! 
Je  vous  informe  de  ce  ijui  esl  .irrivâ  à  ces  chrétiens,  c'est-à-dire  au 
rolonel  Fiatteri,  qui  ejt  vcuu  che^t  nous  avec  des  lniinmes  armés  de 
mille  cinq  cent  cinquante  cannas  ihms  l'inlcntioA  de  traverser  le  pays 
des  lloggur;  mais  les  gens  de  cette  contrée  les  ont  conit>ttlug  pour  la 
guerre  sainte  de  la  muaièro  l«  plus  énertcii|uF,  ios  ont  mussacrâs  et  c'en 
est  fini.  iMainteuant  il  l'aut.  il  faut  uhsotunienl,  ù  ctier  ami,  que  la  nou- 
velle de  nos  actes  parvienne  à  Constantinople.  Annonce?,  là -bas  ce  i{U) 
esl  arrivé,  à  savoir  f\»f:  lc!>  Ttuirireg  ont  «nuteau  contre  les  cliri'lieri.s  une 
guerre  suinte  onuiiiplitire,  et  que  l>ieu  les  a  secourus  contre  ceui-ci 
pour  les  détruire.  Mais  aujourd'hui  li,  par  ordre  de  l'autorité,  les  chré- 
tiens ont  la  Taculté  de  voyager  chez  |ca  Touareg,  cela  sera  d'un  très  mau- 
vais efTotpour  nous  chez  les  chrétiens,  pour  nous  qui  les  avons  comhallus 
p«ur  la  guerre  sainlc. 

On  ilit  «]ue  ces  chrétiens  sont  énergiques  elbatiiilleurs:  donc,  0  cher 
ami,  r^is  parvenir  met  paroles  à  Ciiiistanlinople  et  dis  en  hauts  lieux  que 
je  demande  à  ce  que  les  Musulmans,  par  vos  ordres,  vienneot  à  notre 
aide,  pour  soutenir  la  guerre  sainte  dans  l,i  voie  qiie  Ltieu  nous  a 
tracée. 

S'il  [ilall  â  Dieu,  nous  testerons  les  champions  pour  la  guerre  saiple 
comme  Dieu  le  veut.  Salut. 

LeîGdumnis  de  llelibia  i\t  l'an  I2il8  duProphètetsamedi  ^février  IKHl). 

1.  Cf.  LieuleDuat-coSoDol  Derrécaitaix,  Exptoiatiun»  du  Suhaia  el 
le*  deM.r  mhnirtn»  ilu  lieutenaHt-colimfl  Flallfr*.  —  H»ll.  Soc.  Céogr., 
IWI. 


I 


AU  SOUDAN.  199 

être  entamé,  et  qui  se  composait  encore  d'une  soixantaine 
d'hommes,  privés  de  la  plupart  de  Jeurs  moyens  de  trans- 
port, commença  une  retraite,  sous  la  direction  de  M,  le 
lieutenant  de  Dianous,  de  l'ingénieur  Santin,  et  d'un  sous- 
ofBcier  français.  Je  n'ai  pas  à  rappeler  les  circonstances  de 
celle  retraite  désastreuse  :  elles  sont  dans  toutes  les  mé- 
moires*. On  sait  comment  les  Touareg  empoisonnèrent  les 
survivants  en  leur  offrant  des  dattes  que  ceux-ci  curent 
l'imprudence  d'accepter.  On  sait  comment,  cet  attentai 
n'ayant  qu'à  demi  réussi,  eu  ce  sens  que  les  accidents  ne 
furent  généralement  pas  mortels,  les  Touareg,  après  plu- 
sieurs assassinats  isolés,  commis  sur  la  personne  des  parle*- 
raenlairesdont  ils  demandèrent  l'envoi  à  plusieurs  riiprises, 
eurent  raison  de  leurs  adversaires  alTaiblis^au  combat  d'Am- 
guid,  où  furent  tués  MM.  de  Dianous,  Santin,  et  les  deui 
soldats  français  survivants,  Brame  et  Marjolet.  On  sait  que 
les  derniers  restes  de  la  mission,  parmi  lesquels  ne  se  trou- 
vait plus  qu'un  seul  Français,  le  mardchal-des-logis  Pobé- 
guin,  eurent  à  supporter  des  privations  inouïes,  qui  rédui- 
sirent les  survivants  à  se  manger  les  uns  les  autres.  On  sait 
que  le  sous-orflcier  français  auquel  appartenait  alors  le  com- 
mandement fut  l'une  des  victimes  de  ces  scènes  déplorables, 
sur  lesquelles  il  est  superllu  d'insister'. 

Mais  indépendamment  de  toute  considération  relative  aux 
désirs  de  vengeance  ou  aux  regrets  personnels  que  peut 
motiver  la  mort  de  nos  malheureux  compatriotes,  ce  qui 
est  infiniment  regrettable  et  ce  qu'il  aurait  fallu  chercher  à 
neutraliser,  c'est  le  désastreux  effet  moral  produit  sur  les 
populations  sahariennes  par  l'impunité  des  meurtriers,  c'est 
le  coup  porté  à  notre  prestige  en  Afrique,  atteinte  dont  les 
conséquences  ont  été  considérables.  Enlln,  on  peut  dire  en 
uutre,  au  point  de  vue  purement  géographique  et  scienti- 


1.  Ù'.  Diiveyrier,  Bull.  Soc.  Gi'iigr. 
f>fH.r  .Mmjikiiia  Flattera,  IK8'.». 


Cf,  le  capitaine  RrossRlard,  ks 


200  LES   nOUTES   ItE   L'AFRIQUE   SEPTKNTn.IONA!,E 

fii]ue,  en  laissant  de  côlc  le  point  de  vue  spécialement 
français  et  abstraction  l'aiLe  de  toute  idée  de  conquête  ou 
de  rivalité  vis-à-vis  d'autres  nations,  que  l'atteinte  portée  à 
la  sécurité  des  voyageurs  dans  le  Sahara  a  été  profonde,  et 
que  la  possibilité  inOmâ  des  voyages  futurs  s'en  trouve  gra- 
vement compromise.  Cet  acte  a  eu  pour  conséquence  la 
fermeture  d'un  pays  qui  jusque-là  avait  été  sinon  onvert,  du 
moins  entr'onvert,  grâce  aux  persévérants  efl'orts  d'explora- 
teurs érainents  et  dévoués,  efforts  dont  les  résultats  sont 
aujourd'hui  remis  en  question. 

Plus  la  France  a  tardé  à  frapper  les  coupables  comme 
ils  l'ont  mérité,  plus  il  sera  difficile  d'arriver  à  un  résultat 
efficace.  Actuellement  nous  ne  pouvons  guère  songer  à 
rétablir  notre  prestige  dans  ces  régions  à  moins  de  nous 
emparer  préalablement  deHhadamèsetdeEhat.  C'est  par  là 
seulement  que  nous  pourrions  atteindre  les  Hoggar  et  leur 
infliger  le  châtiment  que  nous  n'avons  pu  leur  faire  subir 
en  prenant  pour  base  d'opérations  l'Algérie,  car  il  aurait 
fallu  organiser  une  expédition  devant  laquelle  on  a  reculé, 
et  peut-être  avec  raison  :  elle  aurait  coûté  des  sommes 
énormes,  elle  aurait  été  selon  toute  apparence  sans  résul- 
tats, et  elle  n'aurait  abouti  peut-être  qu'à  un  nouveau 
désastre.  En  prenant  pour  base  d'opérations  ta  Tunisie 
méridionale,  le  succès  pourra  être  différent,  surtout  si  nous 
parvenons  à  occuper  un  jour  d'une  façou  solide  llhadamès 
et  Rhal. 

Personne,  parmi  ceux  qui  ont  l'expérience  de  l'Afrique  et 
des  Arabes,  ne  me  contredira  lorsque  j'affirmerai  qu'il  eût 
été  urgent  d'infliger  une  punition  exemplaire  aux  auteurs 
du  guct-apens,  punition  qui  aurait  dû  consister  dans  lacap: 
ture  et  dans  l'exécution  non  seulement  des  principaux  cou- 
pables, mais  aussi  d'un  certain  nombre  d'individus,  cou- 
pables ou  non,  appartenant  à  la  même  tribu.  Il  n'y  a  rien  de 
hasardé  ni  d'étrange  ;\  dire  que  l'exposition  d'une  centaine 
de  tètes  de  Touareg  Hoggar  dans  quelques-uns  des  princi- 


AU    SOUDAN. 


-iOI 


pinx  centres  conimerciaux  du  Sahara  aurait  produil  un  effet 
moral  excellent  pour  nos  inlérCls,  nous  aurait  ouvert  les 
roules,  et  aurait  élé  indispensable  pour  compenser  l'effet 
contraire  à  noire  prestige  qu'a  produil  l'iiffluence,  sur  le 
marché  de  Rhadamès,  des  pièces  d'or  françaises  provenant 
du  pillage  de  la  caisse  de  la  mission*. 

II  aurait  élé  nécessaire  en  parlieulier  de  faire  subir  un 
châtiment  personnel  à  Arhitarhen,  dont  la  duplicité  et  la 
fourberie  ont  été  si  manifestes,  ain«i  qu'à  son  auxiliaire  le 
cheikh  Tissi,  auteur  direct  du  massacre.  Malheureusement 
nous  devons  y  renoncer,  car  le  chef  souverain  des  Touareg 
Hoggar  est  mort,  paraît-il,  ainsi  que  son  principal  complice, 
il  y  a  maialenanl  plus  de  deu.t  ans,  h.  l'époque  de  la  prise  de 
Hhal. 

Je   rappellerai  en  effel  qu'au  commencement  de  l'hiver 
188G-1887,  la  ville  de  Rhat,  occupée  par  une  petite  garnison 
turque,  a  été  enlevée  par  les  Touareg  :  ce  coup  de  main  a  été 
amené  par  le  refus  de  la  Turquie  de  remettre  en  liberté  des 
Touareg  détenus  à  Tripoli  comme  prisonniers  ou  otages.  Il 
est  extrêmement  difficile  pour  nous  d'avoir  des  renseigne- 
ments exacts  et  précis  sur  les  événements  qui  se  passent 
dans  ces  régions;  toutefois  nous  savons  que  Rhat  a  élé  pris 
par    les    Touareg   à  la  fin   de    l'année  1886,    et  que   la 
garnison  turque,  composée  d'une  quarantaine  de  soldats, 
a  été  en  partie  massacrée,  en  partie  faite  prisonnière  pour 
tire  éc'.Jangée  contre  les  Touareg  détenus  à  Tripoli.  Gel 
éténemenl  a  eu  pour  conséquence  l'interruption  pendant 
dix  mois  du  commerce  avec  le  Soudan  qui  se  fail  par  celte 
roule.  Depuis  lors  les  Turcs  ont,  au  mois  d'octobre  1887, 
réoccupé  Rhat  sans  coup  férir. 

Dans  le  combat  auquel  donna  lieu  la  prise  de  la  vide  par 
les  Touareg,  on  prétend  qu'Arhitarhcn  fut  tué.  Il  n'est  pas 

Kl.  Cclt<!  bflIueDC<'.  :i  éLiicaracliTisée,  peuplant  un  certain  leiu{i9,|iar  une 
<épn>cialioo  très  notalile  du  cour»  tlo  l^i  pitco  ilu  vingt  francs   l'rançiiiso 
m  le  marché  de  Rliadaniès. 
[ 


202  LES    RODTES   DE   L'APUrQUE  SEPTENTRIONALE 

prouvé  que  sa  mort  ait  eu  lieu  dans  ces  circonstances;  il 
semble  au  contraire  qu'elle  a  été  antérieure,  et  celte  dernière 
version  paraît  k  mieux  établie.  D'après  les  renseignements 
qui  m'ont  élé  donnés  par  divers  indigènes,  il  paraîtrait  que 
deux  des  principaux  chefs  touareg  ont  trouvé  la  mort  dans 
cet  engagement.  On  n'est  pas  d'accord  sur  leurs  noms  :  on 
me  les  a  nommés  Cheikh  Sassi  et  Cheikh  Yahia.  Ces  noms 
sontceuiqueleurdonnaientles  Arabes elnon  pas  ceux  qu'ils 
portaient  parmi  leurs  compatriotes;  car  ou  E^ait  que  chaque 
Targui  a  généralement  deux  noms  ;  ainsi  l'on  voit,  par 
exemple,  dans  l'une  des  lettres  ciléesci-dessus,  qu'Arhitarhen 
s'intitulait  lui-mémeen  arabe  Cheikh  Youiiès.  Il  est  probable 
que  celui  qui  m'a  élé  désigné  sous  le  nom  de  Sassi  n'est 
autre  que  le  Cheikh  Tissi,  qui  commanda  personnellement 
l'altaquecontre  te  colonel  FLaLlers  et  ses  compagnons.  Quant 
à  Arbitarhen,  il  est  difficile  d'être  Gxé.  Toutefois  les  coni- 
pétitions  auxquelles  a  donné  lieu,  pendant  ces  deux  der- 
nières années,  la  possession  du  pouvoir  suprême  chez  les 
Abaggar,  semblent  démontrer  sa  mort.  On  sait  qu'il  s'agit 
là  d'une  souveraineté  considérable,  du  moins  au  point  de 
vue  de  l'étendue  territoriale,  car  les  Touareg  occupent  une 
surface  de  pays  grande  cinq  fois  comme  la  France;  on 
saitqu'ilsformentquatregrandesfpactions^etquelesHoggar 
ou  Ahapgarensonlla  iirincipate.  On  voitdoncquele  chef  du 
pays  d'Ahaggar,  l'auteur  direct,  sinon  l'instigateur  du  mas- 
sacre de  la  mission  Klatlers,  était  un  soiiveraia  puissant  i  sa 
manière,  et  on  voit  aussi  qu'il  nous  faut  renoncer  !\  le  prendre 
comme  objectif  de  noire  vengeance.  Je  dis  qu'il  a  élé  simple- 
ment l'auteur  direct  vl  lum  l'instigateur,  parce  que  nous 
savons  aujourd'hui  que  c'«bI  h  des  intrigues  ourdies  en  ma- 

1.  Ces  quatrn  grniiilM  fraolioilK  Hunt,  cDiniiii:  un  le  mit,  les  Alvjtg^r 
ou  Hoggar,  les  Azitjur,  Ish  Ki>1  Oui,  ttt  In»  Aouelitncnideii.  On  y  ajnutfi 
i|U6l(jtierois.  une  cint|uii<it)n  |i[i°niiile  «livision,  un  i-aiii[il:int  Ainsi  les 
Touareg  Ae  l'Adrliaih  Alunit,  a|i|K'li!K  «usai  Tnïlok  (\'nir  pnur  cp  ileniier 
point,  le*  Ti)unn-<i  </r  VlUii-nt,  [i:ir  II.  llifisiKil,  ]  vol.  Alger,  t88S). 


AD   SOUDAN.  903 

KjMtre  partie  h  Insalah  et  à  Rhadamès  qu'est  due  l'origine  du 
^HHacre  de  la  mission. 

^^^Tenant  avant  tout  à  n'entrer  dans  aucune  considération 
■  de  politique  pure  ni  de  diplomatie  et  à  rester  dam  te  do- 
aiaioe  de  li  géographie,  je  ne  puis  parier  ici  de  Tripoli 
qu'avec  une  extrême  réserve.  Un  incident  diplomatique 
très  regrettable  dans  ses  suites  a  été  soulevé,  au  mois  de 
janvier  1888,  par  une  communication  ttiite  à  la  Société 
de  Géographie  relativement  à  la  frontière  méridionale  de 
la  Tunisie.  Pour  éviter  de  donner  lieu  à  aucun  incident  du 
même  genre  à  propos  de  la  Tripoiitaine,  je  n'en  dirai  pas 
un  mot,  me  bornant,  en  ce  qui  concerne  la  description  de 
ce  pays,  aux  photographies  dont  j'ai  eu  l'honneur  de  mon- 
trer les  projections  à  la  Société  de  Géographie*. 

La  ville  de  Tripoli  est  actuellement,  avons-nous  dit,  la 
télé  de  ligne  du  grand  commerce  du  Soudan  et  le  point 
d'alUche  des  caravanes.  Les  principales  sont  au  nombre 
de  trois  ou  quatre  par  an  :  elles  comprennent  souvent  1,2:00, 
et  parfois  même  jusqu'à '^,000  personnes.  Elles  rentrent  h. 
Tripoli  habituellement  vers  lecommencement  de  mars.  En 
outre  il  arrive  dans  cette  ville,  à  peu  près  tous  les  quinze 
jours,  de  pelits  convois  formés  à  Hbadamès  et  comprenant, 
proportion  variable,  des  éléments  venus  du  Soudan 
N'ayant  pas  à  parler  politique,  je  ne  dirai  rien  des  convoi- 
tises étrangères  qui  peuvent  s'agiter  autour  de  Tripoli  :  je 
dirai  seulement,  et  je  répéterai  bien  haut,  qu'en  ce  qui  nous 
concerne,  malgré  toute  l'importance  de  Tripoli  au  point  de 
?ue  du  commerce  soudanien,  nous  n'avons  en  aucune  façon 
a  en  convoiter  l'occupation.  L'Algérie  et  ta  Tunisie  forment 
DR  tout  homogène  qui  a  une  mauvaise  frontière  du  côté  de 
l'ivuest,  avec  le  Maroc,  mais  qui,  du  côté  de  l'est,  touchant 
4  la  Tripoiitaine,  a  une  excellente  frontière  naturelle.  Malgré 
nombreuses  oasis,  la  Tripoiitaine  est  un  désert  dont  le 


\.  Séanec  du  10  mai  11189. 


il 


204  LES    nOUTES    OE    l/AFItlQL'E    SEPTENTHIOMALE 

climat  est  brûlant  et  intoiérabje  pour  les  Européens;  nous 
occupons  déjà  une  bien  assez  grande  étendue  de  déserts 
inhabitables  et  improductifs  dans  le  sud  de  l'Algérie  et  de  la 
Tunisie,  sans  chercher  à  en  acquérir  d'autres  qui  ne  nous  in- 
téressent pas  direclemenl.  Nos  possessions  aclueUes  d'A- 
frique nous  donnent  une  base  d'opérations  assez  vaste  et 
assez  solide,  en  ce  qui  concerne  le  commerce  soudanien, 
pourque  nous  n'ayons  pas  besoin  de  cherchera  leur  adjoindre 
laTripolJtaine-  C'est  uniquement  par  la  supériorité  que  nous 
donnent  notre  outillage  et  notre  civilisation  que  nous  devons 
cherchera  compenser  les  avantages  de  position  de  ce  der- 
nier pays,  sans  que  nous  ayons  besoin  de  nous  en  emparer. 


VllI 

De  tout  ce  qui  vient  d'être  d'exposé,  il  résulte  que  pour 
ouvrir,  en  partant  de  nos  possessions  françaises  de  l'Afrique 
du  nord,  une  roule  commerciale  aboutissant  au  Soudan 
central  el  pouvant  faire  concurrence  à  celles  de  Tripoli,  ta 
solution  la  meilleure  et  peut-être  même  la  seule  possible, 
tant  que  nous  n'avons  possédé  que  l'Algérie,  était  la  ligne 
préconisée  et  étudiée  par  M.  Rolland,  celle  que  suivait  la 
deuxième  mission  Flalters,  à  savoir  la  route  deConstantlne, 
Biskra,  Touggourt,  Ouargla,  El  Biodh,  Amguid.  C'était  une 
solution  à  la  fois  pratique  et  ingénieuse  d'une  question  très 
difficile  en  soi.  Mais  aujourd'hui  que  nous  possédons  la  Tu- 
nisie, il  n'en  est  plus  de  même  :  nous  pouvons  choisir  dans 
le  sud  de  cette  région  une  lèLe  de  ligne  située  par  la  même 
latitude  que  Touggourt  et  ayant  sur  ce  point  les  deux 
immenses  avantages  d'un  climat  beaucoup  plus  tempéré, 
supportable  toute  l'année  pour  les  Européens,  el  d'une  situa- 
tion au  bord  de  la  mer,  c'est-à-dire  accessible  aux  navires  et 
en  relation  directe,  rapide,  et  peu  coûleuse  avec  la  France 
au  lieu  d'exiger  un  trajet  préalable  de  600  kilomètres  par 


W    sot; DAN. 


20.1 


cbemio  de  fer.  Parlant  de  ce  poiol  dont  la  position  sera 
disculée  loul  à  l'heure,  il  faulchercherà  nous  rendre  naaitres 
de  la  grande  route  commerciale  qui  passe  par  Rhadamèset 
par  Ilhat,  route  qui  apparlient  de  droil  à  la  Tunisie  et  qui 
présente  une  telle  supériorité  sur  les  autres  voies  transsa- 
bariennes,  que,  comme  nous  l'avons  vu,  les  caravanes  partant 
de  Tripoli  vont  pour  la  plupart  la  rejoindre  au  lieu  de  pren- 
dre  la  roule  beaucoup  plus  directe  de  Mourzouk*.  Celte 
revendication  est  formulée  ici   sans  aucune  arrière-pensée 
politique  et  ne  doit  pas  être  interprétée  comme  un  propos 
hostile  vis-à-vis  d'un  pays  voisin   et  qui   est  notre  allié.  Il 
faut  espérer  que  celte  conquête  se  fera  d'une  façon  toute 
amiable  et  pacifique;  mais  elle  se  fera,  ctltendu  que  les  exi- 
gences de  la  géographie  physique  le  veulent  absolument.  Il 
est  à  noter  aussi  que  quand  nous  posséderons  Rhadamès  nous 
isolerons  Insalah,  ce  foyer  d'hostilités  et  de  résistance  à  notre 
ioâuence,  et  nous  empêcherons  les  vassaux  du  Maroc   de 
donner  la  main  aux  vassaux  de  la  Turquie  au  sud  de  nos 
possessions  de  manière  à  nous  barrer  les  routes  du  Sahara. 
Pour  atteindre  Rhadamès  nous  ne  prendrons  pas  la  route 
qai   vient  de  Biskra  et  du  Souf,  celle  qu'ont  étudiée  notre 
collègue  M.  Duveyrier-  et,  plus  récemment,  M.  Largeau"; 
elle  présente  des  obstacles  naturels  presque  insurmontables 
dus  h  la  traversée  des  sahles  de  TErg.  Nous  ne  prendrons 
pas  davantage  la  route  qui  vient  de  Ouargla,  étudiée  égale- 
ment par  M.  Largeau  et  par  Bou-Derba,  et  qui  comporte  dix 
jours    de  marche  sans  eau,  avec  la  traversée  de  dunes  très 


t.  Cette  route  de  Hhadarnès-I1hat,  comme  il  a  «lé  dit  plus  huot,  gagne 
l«  platcuu  d'Aïr,  et  de  là.  le  Sokolo  et  le  Gundo.  Mais  elle  peut  servir 
aussi  à  atteindre  dîrecteiiient  le  Bdihou,  moyennant  la  réouverture  de 
reiiilirancliejnent.  aujuurd'liui  pou  pratiqué  et  surtnut  pou  uonriu,  gui  va 
«le  Rltat  ;i  Bilma,  c'est-à-dire  qui  va  rejoindre  au  Kaouar  la  ;;raiide  |>isto 
menant  de  Mourzmik,  OeUe  traverse  a  été  figurée  sur  un  croi|ui&  inédit 
Ue  M.  le  générai  Pliiieliert. 

ï.  Cf.  Duvejrier,  tes  Tnitamt  du  Xord,  I8f4. 

'J.  Cf.  V.  Lurgeau,  l'oijuije  a  HUadames,  1879. 


20G  LES    ROUTE:?   I)E  L'aFRIOLE    SEPTENTRIONALE 

élevées.  Nous  partirons  d'un  porl  situé  sur  la  côte  méridio* 
nale  de  Tunisie,  ce  qui  nous  permettra  de  çagner  Hharlamès 
sans  avoir  à  traverser  le  massif  sablonneux  de  l'Erg  que 
nous  contournerons  par  l'est. 


IX 


Cbargé  par  le  gouvernement  tunisien  de  !a  recherche  et 
de  l'étude  des  points  les  plus  favorables  pour  servir  de  port 
d'attache  aux  futures  lignes  ferrées  du  sud  de  la  Régence, 
j'ai,  au  mois  de  décembre  1888,  dans  un  rapport  officiel, 
présenté  mes  conclusions,  lesquelles,  sur  le  point  géogra- 
phique qui  nous  occupe  en  ce  moment,  se  résument  à  ceci. 

La  côte  de  la  Tunisie  méridionale  se  prÔle  assez  mal  à 
l'établissement  d'un  port,  car  elle  est  plate  et  basse  ainsi 
que  tout  le  rivage  oriental  de  la  Régence.  Les  points  où  il 
serait  possible  d'élablii*  le  port  dont  il  s'agit  se  réduisent 
à  cinq,  à  savoir  Gabès,  Gourine,  BouGrara,  Zarzis,  Kl  Bi- 
ban.  Gabès,  le  plus  connu  de  tous  ces  points,  celui  qui  est  le  | 
siège'  d'un  commandement  militaire  important  el  celui  qui  a 
été  choisi  depuis  le  commencement  de  l'occupation  comme 
centre  de  ravitaillement  de  tous  les  postes  du  sud  de  la 
Tunisie,  semble,  à  première  vue,  être  tout  indiqué;  mais 
la  côte  y  est  tellement  plate,  tellement  basse  et  tellement 
dépourvue  d'abri  que  l'on  ne  peut  espérer  y  pouvoir  jamais 
faire  un  port  passable.  Nous  le  garderons  forcément  comme 
entrepôl  et  comme  magasin  militaire  à  cause  des  dépenses 
cotisidénibles  qu'on  y  a  faites,  et  qui  ne  permettent  plus  de 
l'abandonner,  mais  ce  ne  sera  jamais  la  tête  de  ligne  de  la 
route  de  pénétration  saharienne,  pas  plus  que  le  point  ter- 
minus des  chemins  de  fer  tunisiens  du  centre  et  du  sud. 
Quand  aux  diverses  localités  qui  sont  situées  au  nord  de  Gabés 
et  qui  ont  été  proposées  pour  devenir  le  port  du  sud  de  la 
Tunisie,  elles  présentent  également  desinconvénients  consi- 


À 


AU   SOUDAN. 


207 


derables  qui  doivent  les  faire  rtijeler  absolument,  et  dans  le 
détail  desquels  nous  n'entrerons  pas  ici.  Pour  Sfax,  qui,  mal- 
|ré  l'absence  de  pari  nature!,  serait  le  seul  point  à  discuter 
sérieusement,  à  cause  de  sa  nombreuse  population  et  du  port 
dragué  qu'on  y  crée  en  ce  moment,  it  faut  mentionner, 
comme  un  défaut  essentiel,  sa  situation  beaucoup  trop 
Bpt^nlrionale.  Elle  obligerait  !e  chemin  de  fer  futur  à  lon- 
■^r  la  côte  pendant  200  kilomètres  d'un  parcours  inutile, 
dont  1(50  dans  un  pays  sans  eau  et  sans  hfibitants,  où  aucun 
trafic  local  ne  compenserait  l'allongement  du  trajet. 

La  grande  lagune  d'EI  Biban,  qui  constitue  un  vaste 
bassin  fermé  ne  coramuniquaut  avec  la  mer  que  par  un 
goulet  très  étroit  bouché  lui-même  par  un  petit  ilôt,  pour- 
rail,  au  moyen  de  dragages  convenables,  être  aménagée  de 
manière  ii  permettre  l'établissement  d'un  port  dans  une  de 
iesparties.  Mais  elle  manque  de  profondeur;  elle  est  en  outre 

îp  près  de  la  frontière  tripolitaine,  et  comme  il  faut  que  le 

^orl  à  créer  soit  à  la  fois  la  tète  des  ligues  de  pénétration 

dans  le  sud  et  le  lieu  d'approvisionnement  des  centres  de 

population  de  la  Tunisie  méridionale,  El  Biban  serait  trop  à 

l'est  et  ne  remplirait  pus  à  ta  fois  les  deux  buts  proposés. 

Gourine  est  un  point  qui  a  sur  celui-ci,  ainsi  que  sur  les 
deux  suivants,  l'avantage  d'être  plus  à  l'ouest  et  plus 
rapproché  de  Gabès.  On  n'y  trouve  aucun  centre  de  popu- 
lation ;  il  n'y  a  là  qu'une  baraque  dans  laquelle  habite  un 
juif  qui  achète  de  l'alfa  aux  indigènes.  En  ce  lieu  la  mer 
communique  avec  une  sebkhra,  c'est-à-dire  avec  une  grande 
bgune,  qui  n'est  que  partiellement  inondée.  Mais  dans  la 
partie  de  cette  sebkhra  la  plus  voisine  de  la  mer,  il  existe  un 
petit  golfe  qui  a  de  l'eau  d'une  façon  permanente  et  qui 
constitue  un  port  naturel  bien  abrité.  Son  entrée  a  un  kilo- 
mètre de  largeur  à  marée  haute,  avec  une  faible  profondeur 
sur  sa  rive  orientale;  mais  dans  le  voisinage  de  sa  rive  occi- 
dentale, celte  entrée  présente,  sur  une  largeur  de  100  mètres, 
un  chenal  profond  conduisant  à  un  petit  bassin  naturel  qu'il 


:  TES    UE   L  AFRIQUE    SEPTENTRIONALE 

piMifc  p0esillle  d'aménager.  Ce  point  ne  serait  donc  pas! 
ilANiviiuUgttUx,  à  défaut  d'un  autre  plus  favorable. 

l,e«>  deui  points  qui   restent  sont  Zarzis  el  Bou-Grara. 

r»'    '^' ter    des  deux,   situé    sur    le    rivage    est   de    la] 

(..  du   même  nom,  présente   l'avantage  d'être  un' 

OttUlr«  de  population  assez  important  et  le  chef-lieu  d'une 
.   '        Ms.  Cette  oasis  est,  sinon  très  riche,  du  moins 
lie.  Mais  la  côte,  qui  présente  un  abri  naturel  suf- 
libuut  pour  les  très  petites  bnrques,  n'en  offre  qu'un  tout  à.| 
fait  iiiaulibanl  pour  les  navires,  car  on  ne  trouve  dans  cette] 
rade  4ue0"'50  d'eau  au  moment  des  plus  basses  mers. 

L'eudroit  qui  parait  incontestablement  le  plus  avantageux] 
Mlle  golfe  de  Bou-Grara,  qui  réunit  des  conditions  excep- 
"  lient  favorables.  C'est  ce  grand  bassin,  d'environ 
ires  de  diamètre,  qui  se  trouve  au  sud  Hc  l'île  de 
bjcrba» entre  cetle  île  el  la  côte;  il  est  entièrement  fermé  et| 
1)0  couiunuiique  avec  la  mer  que  par  deux  détroits,  celui 
d'Adjim  au  uoid-ouest  et  celui  d'El  Kantarn  au  uord-esl. 
11  avait  tité  rtïgardé  jusqu'à  ces  dernières  araiées  comme  une 
simple  lagune  sans  profondeur,  et  toutes  les  apparences 
svniblHiunl  ootitirmer  celte  hypothèse  :  en  effet,  toute  la 
région  est  ctmverte  d'une  série  de  sebkhras  ou  cuvettes 
Imcuikires  à  fond  très  plat,  et  dont  les  unes  se  sont  vidées 
eutièremcut  par  ôvaporatioii,  tandis  que  quelques  autres, 
cvlleii  qui  sont  un  cumumnicalion  avec  la  mer,  ont  conserve 
un  pitu  d'eau,  mais  tans  en  avoir  jamais  une  hauteur  les 
reuduitt  navigables,  .\ussi  la  mission  hydrographique  fran- 
^;aise  envoyée  i:n  I88L)-8tJ,  sous  la  savante  direction  de 
M.  l'ingéuieur  Héraud,  lit-elle  une  découverte  inattendue 
lorsqu'elle  trouva  dans  cette  lagune  de  très  notables  profon- 
deurs, suflisanlcs  pour  la  navigation  des  grands  bâtiments. 
La  passe  d'Adjim  tist  la  plus  profonde  des  deux;  elle  a  pu 
donner  pa^isa^o  ù  l'aviso  le  Linois,  et  tes  travaux  néces- 
Hi\'nxn  pour  la  rendre  accessible  à  tous  les  navires  seraient 
rclalivcmout  faibles.  La  passe  d'Hl  Kautara,  obstruée  par 


AU   SOUDAN. 


209 


des  bancs  de  sable,  manque  absolument  de  profondeur  et 
ne  peut  être  pratiquée  que  par  des  barques  de  pêcheurs.  Un 
»  môme  prélendn  qu'au Irt-lois  il  existait  d'un  bord  à  l'auLre 
uoe  comtnunicaLioii  terrestre  entre  l'île  de  Djerba  et  la  r,ùlo 
(Trik-el-Djerael).  Je  ne  crois  pas  que  celle  communit-ation 
ail  existé,  ou,  si  elle  a  existé,  il  paraît  s'être  produit  en  co 
point  un  affaissement  géologique.  La  barre  rocheuse,  quo 
Ton  considère,  d'après  lus  traditions  locales,  comme  étant 
l'ancienne  chaussée  romaine,  n'est,  selon  tuute  apparence, 
qa'un     sinnpie    banc   naturel    et   jamais,    même   lors   des 
marées  les  plus  basses, elle  n'affleure  au  niveau  de  l'eau.  La 
profondeur  générale  du  détroit  est  d'environ  2  mètres.  La 
longueur  à  draguer  pour  y  faire  un  chenal  serait  (rès  con- 
sidérable, plusieurs  kilomètres,  et  ce  chenal  devrait  ?tre 
prolongé  au  large  assez,  loin  au-delà  de  l'enlrf'je  du  déiroil. 
Cependant  la  lâche  ne  serait  pas  impossible,  car  nous  savons 
qu'en    ITiGO,  l'ilmiral  ottoman  Dragut,  bloqué  dans  le  golfe 
de  Bou-Grara  par  André  Doria,qui  gardait  la  passe  d'Adjim 
avec  des  forces  supérieures,  réussit  à  s'échapper  avec  toute 
sa  flotte,  en  se  creusant  un  passage  à  travers  les  bancs  de 
sable  du  détroit  d'El  Kantara.  Mais  il  ne  reste  plus  aujour- 
d'hui de  trace  de  ce  4:henal  qui  a  été  entièreincnl  eliacc  par 
la  mer.  Au  contraire  la  passe  d'Adjim,  acluellemenl  prati- 
cable pour  les  navires  d'un  tonnage  moyen,  pûurrnit  fttre 
rendue  accessible  à.  tous  les  bâtiments  au   moyeu  de  peu 
4ê  travaux.  Le  port  d'Adjim,  situé  à  rentrée  de  la  passe, 
dans  l'île  de  Djerba,  est  l'entrepôt  nalnrcl    du  commerce 
de   l'île;    il   est    bien  préférable  k  Ilourat-Souk,    capitale 
ar.tuclle,  d'où  les  navires   ne  peuvent  approcher  à  uiùius, 
de  t>  kilomètres.  Adjim  est  d'ailleurs  dès  maintenant  beau- 
coup  plus  important  comme  cabotage  que  la  capitale  ofii- 
eidJe  de  l'île. 

Le  golfe  de  Bou-Grara  réunit,  comme  on  le  voit,  des  con- 
ditions exceptionnelles  pour  l'installation  d'un  port  de 
commerce,  et  on  pouriait  même,  si  on  le  voulait,  y  faire  un 

soc.   UE  OÉOCK.  —i'  IHIMKSTriK   ÎMIIO.  XI.  —   Il 


tM  LES    RtKTKS    DE    l'aFUIQUE   SEPTENTRIONALE 

port  «le  guerre.  Eo  même  temps  qu'il  servirait  de  point  de 
départ  à  la  route  commerciale  du  sud,  il  serait  le  port  de  la 
Tuai:»ie  méridionale  et  il  desservirait  IMle  de  Djerba,  qui  est 
importante  par  sa  population  et  son  industrie'. 

Parmi  les  divers  points  du  littoral  du  golfe  deBou-Grara, 
plusieurs  se  prêtent  à  l'établissement  du  port  projeté.  Nou» 
sigualerons  notamment  le  point  même  appelé  Djorf-bou- 
Grura,  qui  aujourd'hui  n'est  plus  un  centre  de  population» 
mais  qui  à  l'époque  romaine  a  été  une  ville  dont  on  voit 
oocore  les  ruines.  MM.  Salomon  Reinach  et  Babelon  ont 
visité  ces  ruines,  où  ils  ont  trouvé  plusieurs  statues  intéres 

1.  Cette  lie,  Ur^ù  ûo.  "iH-  kituini-trcs  nur  30  <]e  longueur,  eiilu'ramBiil 
cvuvoite  liv  culture*  et  pciiplû^  de  plus  do  Sd.ÛOO  habitants  comnier- 
(anlt  el  aUonnés  à  diverses  iudustrics,  peut  devenir  un  centre  important 
pour  iiutre  coluni«ation  et  nutre  roinnierce,  et  allé  juitilierail  presque, 
k  oUo  seule,  la  créiitioa  d'un  port.  Les  haliltants,  gui  tipparlieniient  ù  la 
s^cle  Ibâilite,  (Icucendcnl,  dit  la  tradition,  d*tiJi<ï  immigration  de  Mzabites, 
qui  aui'iiit  et)  lieu  uu  xiu*  siècle.  Ceux-ci  ont  apporté  dans  \e.  pays  et 
l*wi's  duàieudiiiils  nnt  conservé  cet  esprit  laborieux  el  t'utte  aptitude  au 
ii^K^i'e  <|ui  le«  earaclériitent  en  AlgOrie.  Aussi  |  Iiisicurg  industries  sunt 
ftkgourU'hiii  floriâanntes  à  Djerlia.  fudiipeiidaniinent  île  la  culture  <lc.s 
pAlniiuri  et  ilea  ulivien,  qui  roiivrenl  l'ile,  et  Â  l'abri  desquels  se  font 
J'autros  uultureH  aceessuircs,  l'industrie  des  lissua  de  laine,  la  penche  deg 
ttpuugoit,  et  la  fabrication  des  poteries  ont  ù  Iijorba  un  grand  dévelop- 
pomoul.  Il  existe  dans  l'ilo  quntro  villes,  llauml-Souk,  qui  est  la  cupi- 
l«lo,  Adjim,  Uualalla,  lieu  de  fabrication  des  poteries  qui  se  vendent 
d«B»  luule  la  Tunisie,  «t  El  Kanturii.  l'uiicieirne  Me.nin.r,  d'où  ont  déjà 
é\,6  extriiils  un  ^Tund  iiuitibro  de  précieux  rnonunionts  de  l'art  antique, 
(.luire  cet  viliui  principales  il  y  a  dnns  Tlle  plusieurs  bourg^ades  impor- 
liiittet  tiilleii  (|ue  Cedrieii,  Huunnit-tîedouikcli,  Kl  llaharât-el-Kebirt  et 
Kl  llu))aral-ea-S»rbira;  te  dernier  village  est  entièrement  peuplé  par  le) 
Juii's,  qui  sont  nuiiibreux  rV  Djc-rbn.  Cette  tlo  n'est  en  somme  qu'une 
(grande  oasis  entuun-f?  pur  lu  mer.  Uien  qu'il  n'y  existe  ni  sources,  ni 
cours  d'eau,  ni  puiCa  ariéiieus,  et  gu'un  ou  eoit  réduit  uniquement,  pour 
l'irrigatiou,  aux  puil»  unliriaires  et  aux  citeines,  tes  babitunts  sont  a^sex 
laborieux  pour  entnrtentr  |i;s  cultures  avec  ces  seuls  moyens.  Les  pal- 
miers ne  donnent  que  des  fruits  sans  valeur,  le  rlinmt  étant  trop  tem- 
péra pour  permettre  aux  dattes  d'arriver  au  degré  de  maturité  ou,  pour 
parler  plus  exactemeul,  de  cuisson,  qui  lus  rend  comestibles-,  mai«  lei 
oliviers  ont  une  végétaliou  miigiiitlque.  Ou  en  couipte  officielieiuent 
din«  l'Ile  35t}0'Ki,  et  m  rlillTre  est  probablement  iuférieur  A  la  réalité. 
Parmi  eux  se  Ironvent  le»  iiln*  l>caux  olivieri  de  toute  l;i Tunisie  et  peut- 


Ar   SOUDAN. 


211 


notes,  et  ils  regardent  cette  localité  comme  étant  l'ancienne 


Du  port  ainsi  déterminé  partirait,  suivant  noire  projet, 
ane  ligne  de  chemin  de  fer  desservant  la  plaine  de  l'Aarad 
dans  toute  sa  longueur  jusqu'au  nord  de  Gabès,  c'est-à-dire 
jusqu'à  Oudref,  et  allant,  de  là  parGafsa  et  Feriana,  se  rac- 
corder avec  le  Ironçon  algérien,  déjà  exécuté,  de  Tébessa  à 
Soukabras  el  Bûne;  celte  ligne  pourrait  émettre  des  era- 
branchements  desservant,  l'nu  le  Nefzaoua  (ligue  de  Gabès 
aa  Nefzaoua),  et  l'autre  le  Djérië  (ligne  de  Gafsa  à  Tozeur). 
Mais  en  outre  ce  mCme  port  serait  le  point  de  départ  de  la 
ïûie  de  pénétration  dans  le  sud,  passant  par  Rhadaniès  et 
Rhal,  dont  nous  avons  indiqué  le  tracé  général. 

il  serait  intéressant  d'exposer  ici  en  détail  le  tracé  du 
premier  tronçon,  celui  qui  joindra  la  côte  h  ilhadamès. 
Cette  partie  de  la  ligne  est  la  plus  délicate  et  en  même  temps 
celle  dont  l'inléréf  est  le  plus  immédiat.  C'est  la  seule  sec- 
lion  de  cette  grande  route  saliaricnne,  qui  à  mon  avis, 
pourrait  raisonnabiement,  dans  un  avenir  prochain,  être 
établie  à  l'état  de  voie  ferrée. 

I.a  traversée  de  la  plaine  de  la  Djefara,  celle  du  massif 
montagneux  des  Oudernas,  dont  les  pentes  sont  escarpées, 

*lre  de  loule  l'Afrique.  l'rùs  du  village  li'ïA  Uahnrat-es-SerhirM,  la  mule 
d'Houmt-Soult  à  Uouinl-Cedouikcli  passe  au  milieu  J'un  g:i'i)upe  nom- 
breux d'oliviers  tous  à  iieii  pifcs  ilu  même  iige.  el  dont  l'un  mesure 
tfi  mètre»  de  tour  (diinension  prisu  sur  le  it<tac,  :i  hauteur  U'Iiomine).  Phi- 
ticurâ  arljru  voisins,  ég^ilernent  sains, ;ont  des  troncs  i|ui  mesurent  de 
J4  k  15  mètres  dejcircoufàronce.  La  proiJuctii'ii  do  ces  arbres  est  ronsi- 
4^riible,  et  il  y  a  là  tous  los  éléiiients  d'une  itulusirie  importante,  la  fa- 
kricalionde  l'huile,  lyai  jusiiuVi  présent  estcncnre  à  l'état  rudlmenlaire, 
taûi  que  l;i'créatitin  d'un  poi't  coDlribuerait  à  duvflapper. 

t.  Cf.  S.  Reinach  et  K.  Bahelitn,  Fteclierchr.s  o'-chêolngiqiies  en  Tunisie 
(JJ(S3-tilj,  Pari",  l«*li  (V.KiraUûM  flutlelin  arcliévluyiijue  liu  Comité  des 
Tnvaux  hiitoriquti  el  ncienlifiques,  lS86). 


212  LES    ROItTKS   DK    L'AF^QIE   SEPTENTHIONALE 

mais  qui  présente  des  trouées  singulières,  dues  à  des  éro- 
sions et  dont  il  est  possible  de  profiler  pour  le  passage  de 
la  ligne,  enfin  la  descente  vers  Rhadamùs,  sur  le  revers  mé- 
ridional de  ces  montagnes,  sont  des  problèmes  qui  pré- 
sentent plusieurs  solutions  et  que  j'ai  eu  l'occasion  d'étu- 
dier pendant  ces  dernières  années.  Mais  un  exposé  des  tracés 
possibles  serait  ici  prématuré,  pour  plusieurs  molifs,  dont 
le  principal  est  <iue  ces  éludes  seront,  il  faut  l'espérer,  conti- 
nuées, et  qu'il  est  inutile  de  les  entraver  en  donnant  l'éveil 
à  des  susceptibitilés  politiques  qui,  pour  être  mal  fondées, 
puisqu'un  chemin  de  fer  ne  peut  être  qu'utile  à  la  prospérité 
matérielle  des  pays  traversés,  n'en  sont  pas  moins  vives. 

Hhadamès  est  en  effet  un  point  près  duquel  passe,  théo- 
riqueraenl,  la  frontière  commune  de  l'Algérie  et  delaTri- 
politaine.  On  sait  que  ces  deux  contrées  sont  supposées 
devenir  limitrophes,  au  sud  de  la  Tunisie,  qui,  toujours 
ttif'oiiquemenl,  s'avance  beaucoup  moins  loin  qu'elles  vers 
le  sud. 

Or,  pour  atteindre  Rhadamès  par  l'un  ou  l'autre  des 
tracés  dont  il  vient  d'ûtre  question,  la  ligne  présente  un 
inconvénient,  c'est  de  passer  sur  des  territoires  qui  ne  sont 
pas  soumis  à  la  domination  française  cl  qui  sont,  comme  Itha- 
damcs  môme,  officiellement  subordonnés  ii  l'autorité  turque. 

Cet  inconvénient  est  sérieux,  et  c'est  ce  qui  m'a  conduit 
à  chercber,  en  1H8G,  IH87  et  1H88,  s'ii  n'existerait  pas,  au 
sud  du  choit  Djérid  et  plus  à  l'ouest  que  les  parages  dont  il 
s'agit,  un  thalweg  affluent  de  ce  grand  cliolt,  parallèle  h 
righargliar,  et  pouvant  servir  de  voie  de  pénétration  vers 
le  sud,  c'est-à-dire  vers  Uhadamés.  En  efiel,  quoique  la  di- 
rection initiale  suivie  pur  les  caravanes  qui  autrefois  allaient 
à  Rhadamès,  soi!,  au  début,  par  rapport  A  la  Tunisie,  celle 
du  sud-est,  celle  direction  apparente  est  due  au  détour  fait 
pour  éviter  le  désert  de  l'Erg  et  les  montagnes  qui  limitent 
TAarad.  En  réalité  Rhadamès  est  situé  directement  au  sud 
de  la  Tunisie,  par  0*  13'  de  longitude  est,  c'est-à-dire  que 


Ai;  soi: DAM. 


213 


son  méridien  est  à  peu  près  le  même  que  celui  d'E!  Guettar 
ri  passe  à  l'ouest  de  Béja. 

Dans  ces  conditions,  si  la  pointe  méridionale  du  choit 
Djérid  avait  été  l'embouchure  d'une  vallée  coulant  du  sud 
au  nord,  et  permettant  de  traverser  les  sables  deFErgorten- 
lal,  il  aurait  pu  être  avantageux  de  la  suivre,  pour  éviter 
toute  difficulté  relative  à  des  questions  de  frontière. 

A  première  vue  cette  hypotbèse  paraissait  très  probable. 
Si  en  eflel  les  cholLs  ont  été  à  une  certaine  époque  des  bas- 
iios  d'évaporation  pour  les  earix  de  fleuves  venus  de  l'int*^.- 
rieur  et  aujourd'hui  taris,  comme  paraît  le  prouver  la  croûte 
saline  qui  n'est  qu'un  résidu  de  celle  évaporation  dans  des 
bassins  fermés,  il  est  naturel  de  supposer  que  chacun  de 
ces  bassins  a  dû  être  alimenté  par  des  aftîuents  d'une  im- 
portance proportionnée  à  sa  propre  surface.  C'est  ainsi  que 
le  choit  Hharsa  recevait  et  reçoit  encore  l'oued  Baiech,  et 
que  le  chott  Melrhirh  reçoit  ou  recevait  i'oued  DJeddi  et 
l'oued  Igharghar  grossi  de  l'oued  Mia.  Le  chott  Djérid,  qui 
esl  le  plus  grand  de  tous,  ne  recevait  aucun  afiluentdu  côlé 
du  nord  ni  de  l'est;  il  n'en  pouvait  donc  recevoir  que  du 
rôle  du  sud.  Sa  forme  actuelle,  lerminée  en  pointe  vers  le 
sud  et  présentant  de  ce  côté  des  golfes  el  des  déchiquetures 
en  grand  nombre,  semblait  l'indiquer. 

Tous  les  oueds  parallèles,  coulant  vers  l'ouest,  et  descen- 
dant du  revers  occidental  du  massifdes  Troglodytes,  allaient- 
ils,  avant  d'être  ensevelis  sous  les  sables,  jusqu'à  la  vallée 
de  righarghar,  ou  bien  étaient-ils  drainés  par  une  grande 
artère  parallèle  à  celle-ci  et  aboutissant  au  chott  Djérid 
actuel  ? 

Malheureusement  les  recherches  attentives  et  suivies  que 
j'ai  faites,  pendant  trois  années  consécutives,  dans  celte 
contrée  jusque-là  si  peu  explorée,  m'ont  donné  la  preuve 
qu'un  pareil  Ihalvi'eg  n'existe  pas.  S'iia  existé,  il  a  été  barré 
par  les  dunes  modernes  qui  ne  permettent  pas  d'en  recon- 
n:iitre  la  trace  et  qui,  dans  tous  les  cas,  ont  modifié  le  relief 


244  LES  nOlfTKS   de    l'aFRIQ!  K  SEPTKNTitlONALE 

du  terrain  de  telle  sorte  qu'il  ne  reste  plus  de  vallée  que 
puisse  suivre  une  route  et  que  l'ou  puisse  jalonner  par  des 
puits. 

Les  ouvertures  qui  subsisLent  enire  les  dunes  ou  plutôt 
entre  les  petits  monticules  de  sable  riverains  du  chotl  Djérid, 
et  qui  présentent  un  faux  aspect  d'embouchures  d'anciens 
affluents,  ne  sont  que  des  apparences  accidcnlelles.  Ce  sonl 
desimpies  intervalles  où  la  croûte  saline  du  chotl  reste  à 
découvert  entre  les  dépôts  sablonneux  apportés  par  le  vent 
à  une  époque  moderne.  Ces  dunes  se  sont  formées  récem- 
nienl  à  la  surface  du  chotl  qui,  à  une  date  peu  reculée, 
s'étendait  au  sud  et  surtout  au  sud-ouest  beaucoup  plus 
loin  qu'il  ne  le  fait  aujourd'hui.  Il  devait  comprendre  toute  la 
grande  plaine  du  Rogaa  et  s'étendre  même  bien  au  delà  des 
limites  decettepîaine, sous  les  dunes  modernes  du  Kreb.  Les 
recherches  que  j'ai  lai  tes  dans  les  pnils  de  cette  région  m'ont 
permis  de  constater  l'existence  d'une  croûte  saline  continue, 
formée  de  fçypse  et  d'autres  sels  agglomérés,  et  qui  n'est 
autre  chose  qu'une  ancienne  croûte  de  choit,  recouverte 
par  des  dépôts  récents. 

Quant  à  ia  manière  dont  le  chott  Djérid  était  alimenté, 
c'était,  à  n'en  pas  douter,  par  une  communication  avec  le 
chott  Melrhirh;celie-ci  devait  se  faire  au  moyen  d'un  large 
passage,  à  travers  le  pays  occupé  aujourd'hui  par  des  sables 
dont  le  dépôt  est  moderne.  La  communication  avec  ie  chott 
Rharsaest  beaucoup  malus  probable,  car  l'isthme  séparatif, 
composé  de  bancs  de  grèsj  de  sables  et  de  bancs  de  gypse, 
parait  de  formation  ancienne,  et  son  altitude  est  assez  consi- 
dérable. Le  point  le  plus  bas  de  l'arèle  séparative  des  deux 
bassins,  ie  col  de  Mouï  Sollhan,  est  encore  à  une  hauteur  de 
iO  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  soit  prés  de 
60  mètres  au-dessus  du  niveau  actuel  du  choit  Rharsa. 


I 

i 


4 


A«   SOBDAN. 


2i5 


XI 


résumé,  au  point  de  vue  spécial  qui  fait  l'objet  pria- 
cipal  de  cette  élude,  mes  conclusions  sont  ccties^ci  : 

Sans  renoncer  à  établir  des  communications  entre  l'Al- 
gérie et  le  Sénégal  par  te  Tonal  et  Timbouktou,  nous 
cesserons  de  chercher  dans  nos  postes  avancés  du  Sud  algé- 
rien» les  tôles  do  ligne  pouvant  servir  à  atteindre  le  Soudan 
rentrai  et  le  bassin  du  lac  Tsad. 

Ceci  ne  signifie  pas  que  nous  devions  cesser  de  viser  In- 
salah,  dont  la  possession  nous  donnera  la  route  de  Tim- 
bouktou» et  reliera  noire  colonie  du  Sénégal  à  l'Algérie  :  je 
dis  seulement  que  cette  ligne  rie  jonction,  qui  pourra  avoir 
un  grand  intérêt  politique,  pourraétre  une  ligne  stratégique, 
utile  à  notre  influence,  mais  ne  sera  jamais  une  grande  voie 
commerciale. 

Nous  abandonnerons  la  route  de  Tnuggourt  i  El  liiodh 
elAmguid,  qui  constituait  une  solution  très  suffisante  et 
ême  la  solution  unique  de  la  question  de  pénétration  au 
oudan  central,  lorsque  dans  le  nord  de  TAfrique  nous  ne 
possédions  que  l'Algérie.  Nous  profiterons  de  ce  que  nous 
possédons  aujourd'hui  la  Tunisie  pour  ouvrir  plus  à  l'est 
une  ligne  de  pénétration,  évitant  la  traversée  des  sables 
de  l'Erg  et  ayant  pour  tête  un  point  accessible  par  mer. 

CI  Nous  créerons,  entre  Gabès  et  la  frontière  tripolilaine, 
un  port,  en  l'un  des  points  énuraérés  ci-dessus  (Gourme, 
Bou-Grara,  Zarzis,  El  Biban).  Le  golfe  de  Bou-Grara  paraît 
être  le  plus  avantageux. 
L  Partant  de  ce  point  et  suivant  l'une  des  grandes  trouées 
naturelles  qui  permettent  de  traverser  le  massif  montagneux 
qui  limile  à  l'ouest  et  au  sud-ouest  la  plaine  de  la  Djefara, 
nous  établirons  une  ligne  de  communication  permanente 
avec  Rhadamès. 


216   LES  ROUTES    DE    L'AFRIOOE   SEPTENTRIONALE   AU   SOUDAN. 

Nous  reprendrons,  par  des  moyens  autant  que  possible 
pacifiques,  mais  avec  la  ténacité  que  doit  justifier  notre 
droit  naturel,  cette  route  du  7*  degré  de  longitude  est, 
qui  passe  par  Rhadamès  et  par  Rbat.  Nous  occuperons  un 
jour  Rhadamès,  nous  occuperons  Rbat,  et,  à  l'abri  de  notre 
drapeau,  les  caravanes  pourront  aller  librement  de  la  Médi- 
terranée au  Soudan. 


-»CJ9^a^3*-»— 


DE    LIMA  A  IQUITOS  PAR  LE  PALGAZU 

LK    CORDILLÈHE   DE   ni.VCHON,  LES  CERHOS   DU   YVSACHAGA 
LK    niO    PACHITEA,    LE    l'AJONAL 

NOTES   C;Éni,HAPinQl'ES 

Par    OLIVIER     ORDINAIRE 


Aperçu  général.  —  Les  vnyagienrs  qui  nul  h  se.  rendre  do 
Lima  à  Iqiiilos,  capitale  de  l'Amazonie  pcrtivienne,  passent 
encore  par  Moyobaniba,  c'est-à-dire  par  le  chemin  primitif 
que  les  canquénvnls  espagnols  ouvrirent  sans  autre  but  ou 
vue  d'ensemble  que  d'aller  à  ta  recherche  de  l'El-Dorado. 
La  voie  que  j'ai  suivie,  dans  mon  récent  voyage  à  travers 
l'Anaérique  du  Sud,  par  les  rios  Palcazu  et  Pachitea,  est, 
de  Lima  à  Iqiiitos,  d'environ  80  lieues  plus  courte. 

La  question  des  moyens  de  communication  entre  la  côte 
lu  Pacifique  et  l'Amazonie  est  de  première  importance 
pour  le  Pérou,  qui  peut  trouver  dans  ses  territoires  de  la 
>lonlaila  si  puissamment  fertiles,  si  féconds  en  produits 
naturels  de  grande  valeur,  la  compensation  de  ses  guanos 
épuisés  et  de  ses  salpêtres  cédés  au  Chili. 

Or,  de  l'élude  comparative  des  explorations  qui  ont  eu 
lieu  depuis  deux  siècles  et  de  mes  propres  recherches,  je  tire 
les  conclusions  suivantes  : 

V  Le  port  fluvial  le  plus  rapproché  de  Lima  oh  puissent 
nbotitir,  <:n  toutes  saisons,  des  canots  venant  de  l'Amazone 
est  sur  le  rio  Palcazu,  près  du  confluent  de  celte  rivière  avec 
le  rioChuchurras; 

'2"  Le  port  fluvial  le  plus  rapproché  de  Lima  où  puissent 
tibiiutircn  toutes  saùons  des  rapeurs  venant  de  l'Amazone 


218       DE  LIMA  A  IQLITOS  PAR  LE  PALCAZU. 

estsurlerio  Ucayali,  soas  le   dixième  degré  de  latitude 
sud. 

C'est  à  rUcayali  môme  que  doit  aboutir  la  grande  route 
commerciale  reliant  la  capitale  du  Pérou  à  l'Amazooie,  et 
celle  route  devra,  comme  je  l'ai  exposé  dans  une  étude  pu- 
bliée par  la  Société  de  Géographie  commerciale  au  mois  de 
mai  1884,  traverser  le  grand  Pajonal. 

Le  Palcaîîu  et  le  Pachilea  n'étanl  généralementnavigables 
que  pour  des  canots,  la  roulfs  indiquée  par  le  bassin  de  ces 
rivières  ne  sera  qu'une  voie  secondaire,  une  sorte  decliemin 
de  traverse. 

Mais,  à  ce  point  de  vue  même,  elle  présente  sur  celle  de 
Moyobamba  de  tels  avantages  et  coûterait  si  peu  à  établir, 
qu'il  esl  vraiment  surprenant  qu'elle  ne  soit  pas  pratiquée 
depuis  longtemps.  La  longueur  du  chemin  k  ouvrir  étant 
de  13  lieues  seulement,  ia  dépense  serait  vraisemblablement 
inférieure  à  celle  qu'il  faudrait  pour  mettre  en  état  de  via- 
bilité les  parties  du  sentier  de  Moyobamba  comprises  entre 
Chacbapoyas  et  Balsapuerto,  où  l'on  ne  peut  actuellement 
voyager  qu'à  pied,  et  non  sans  danger. 

J'ai  dit  que  la  voie  du  Palcazu,  corapaiceà  cellequi  passe 
par  Pacasmayo,  La  Viiia,  Chacbapoyas,  Moyobamba  et 
Balsapuerto  raccourcit  de  80  lieues  la  distance  totale  de 
Lima  à  Iquitos.  Or,  cette  difJ'érence  en  moins  porte  pour 
72  lieues  sur  les  dislances  à  parcourir  à  dos  de  mule  ou  de 
cheval. 

En  effet,  de  La  Vifia,  où  aboutit  le  chemin  de  fer  de  Pa- 
casmayo jusqu'à  Balsapuerto,  où  l'on  peut  s'embarquer  en 
canot,  on  compte  125  lieues,  tandis  que  par  la  voie  que 
j'indique,  de  Chicla,  oîi  aboutissait,  lors  de  mon  départ  du 
Pérou,  le  chemin  de  fer  irwsrtHdiHo,  jusqu'au  port  du  Pal- 
cazu, il  n'y  a  que  53  lieues. 

Cet  aperçu  esl  suffisant  pour  faire  ressortir  les  raisons 
qui  m'ont  fail  adopter,  dans  mon  itinéraire,  la  voie  du  Pal- 
cazu, l'une  des  moins  connues  de  l'Amérique  méridionale. 


I 


DE   LIMA  A  IQDITOS   PAR  LE  PALCAZU.  219 

Sans  faire  entrer  en  ligne  de  compte  mes  explorations 
accessoires,  j'ai  parcouru  les  distances  suivantes  qui  sont 
celles  de  la  ligne  directe  : 

En  chemin  de  fer. 

licucsl. 

Du  Callao  à  Lima 2.60 

De  Lima  à  Ghicla 25.40 

Total 28.00 

A  cheval. 

De  Chicla  à  Garahuaro H 

De  Garahuaro  à  Ninacaca 12 

De  Ninacaca  à  Chipa 6 

De  Chipa  à  Tambo  del  Arroyo 6 

De  Tambo  del  Arroyo  à  Huancabamba 5 

Total iO 

A  pied. 

De  Huancabamba  au  confluent  des  rios  Chu- 
churras  et  Palcaza,  lieu  dit  Port  Gonzales. .      t3 

En  canot. 

De  Port-Gonzales  àrembouchure  durio  Mayro 
sur  le  Palcazu,  lieu  dit  Port  Mayro 6.67 

De  Port  Mayro  au  confluent  des  rios  Palcazu 
et  Pichis  (naissance  du  Pachitea) tl.H 

De  l'embouchure   du  Pichis  au  confluent  du 

Pachilea  et  de  l'Ucayali A7.77 

Total 65.55 

En  bateau  à  vapeur. 

De  l'embouchure  du  Pachitea  au  confluent 
des  rios  Ucayali  et  Maranon  (origine  de 

l'Amazone) 207.71 

De  l'embouchure  de  l'Ucalayi  à  Iquitos. . . .      24.13 
De  Iquitos  à  Tabatinga  (frontière  du  Brésil).      98.46 
De  Tabatinga  au  Para  (embouchure  de  l'Ama- 
zone)   632.89 

Total 963.49 

1.  La  lieue  dont  il  est  ici  question  est  d'un  vingtième  de  degré  ou 
cinq  kilomètres. 


'^IS»  DE   LIMA   A    IIJUITOS    PAK   LE    i'ALCAZU. 

RécapUulatiOH. 

Ii«ucs. 

ËQ  chemin  de  fer 28 

Aciieval 40 

A  pied 13 

Eu  canot (mJm 

En  bateau  à  vapeur 963. 4!J 

Total  général  rcprésenlant  la  distance  du 
Callao  à  l'embouchure  de  l'Ainazone  par 
le  rio  l*alcazu I .  I ILVÙI 

De  Niuacacti  à  Hïtancabanibu.  — Ninacaca  est  un  village 
du  plateau  de  Junin,  à  7  lieues  au  sud-est  du  Cerro  de 
Pascoetàralliliide  de  4,014  mètres.  Entre  Lima  el  ce  vil- 
lage, le  chetnin  de  lluancabaniba  se  confondant  avec  celui 
du  Cerro  de  Pasco,  i'un  des  plus  fréquentés  et  par  consé- 
quent des  plus  connus  du  Pérou  central,  je  ne  parlerai  pas 
do  celte  première  partie  de  son  parcours. 

Le  mol  Ninacaca  signifie  en  langue  quichua  Roche  de  feu. 
Bien  que  la  plaine  de  Junin  soit  entourée  d'un  cordon  de 
montagnes,  la  foudre  y  tombe  plus  fréquemment  peut-être 
(|ii'cn  aucun  autre  lieu  du  monde.  On  assure  qu'elle  y  fait 
en  moyenne  une  victime  humaine  par  an.  Les  orages,  qui 
couvrent  souvent  le  sol  d'une  épaisse  couche  de  grêle, 
éclatent  du  mois  d'octobre  k  la  fln  de  mars  et  de  trois  à 
dix  heures  du  soir.  Il  estextrèmementrareque  l'on  entende 
sur  ce  plateau  le  tonnerre  gronder  avant  midi. 

La  pampa  de  Junin  est  couverte  de  pâturages  naturels. 
Le  seul  végétal  que  l'on  y  cultive  pour  ralimenlation  de 
l'homme  est  !(t  niaca,  plante  .'i  racine  tuberculeuse,  d'une 
saveur  sucrée  agréable.  L'orge  ne  peut  mûrir  à  cette  hau- 
teur, mais  on  l'y  sème  encore  comme  fourrage.  La  maca 
tient  du  navet  par  sa  forme,  de  la  poranie  de  terre  et  de  la 
camote  ou  patate  douce  par  son  goût.  Sa  culture  donne  les 
meilleurs  résultats  sur  le  pourtour  du  grand  lac  de  Junin 
ou  Chinchaïcocha,  d'où  elle  est  vraisemblablement  origi- 


DE    LIMA   A   IQUITOS   PAR  LE  l'ALCAZU.  221 

Daire.  Etant  donnée  la  température  relalivement  froide  qui 

lui  convient,  il  semble  que  la  maca  pourrait  ôlre  acclimatée 

sur  cerlaines  monltignes  de  France,  où  elle  serait  précieuse. 

De  Ninacaca  à  Htiaiicabambii  existe  un  sentier  passable- 

menl    entretenu  par  les   liabitants   des    hameaux    et   des 

haciendas  situés  sur  son  parcours  etqui  n'ont  pas  d'autre  voie 

de  communication  avec  le  Cerro  de  Fasco,  où  ils  expédient 

leurs  produits  à  dos  de  mule  ou  de  lama.  Ce  sentier  sort  de 

la  pampa  de  Junin  en  traversant  son  bourrelet  de  e^rros, 

au  nord-est  de  Ninacaca,  ù.  l'altitude  de  4,350  mètres.  Puis 

il  s'engage  dans  le  val  du  Quiparacra,  qu'il  suit  depuis  son 

origine    jusqu'au  hameau   de  Chipa,  qui  n'est   plus  qu'à 

3,442  mètres. 

Dans  ce  trajet  de  (i  lieues,  le  voyageur  passe  de  la  région 
de  Vichu  ou  des  plantes  à  tiges  naines  dans  celle  des  arbris- 
seaux, dont  les  branches  lleiiries,  aux  vives  couleurs,  font 
un  heureux  contraste  avec  la  monotonie  grisedes  pâturages. 
A  Chipa,  le  (juiparacrn,  qui  n'est  encore  qu'un  ruisseau  cou- 
bnl  dans  un  ravin  pittoresque,  change  sa  direction  primi- 
1*  tîve  qui  était  celle  du  nord-nord-est  et  tourne  à  l'est-sud- 
esl  pour  aller  se  jeler  dans  le  Paucartainbo.  Le  sentier  le 
quitte  alors  et  entre  par  une  peute  raide  dans  le  val  d'Aûil- 
Cocha,  autrement  dit  val  du  lac  Bleu,  où  il  reprend  sa 
direction   vers  le   nord-est  jusqu'à  la  cordillère  orientale 
connue  sous  le  nom  de  sierra  de  Huachon.  Le  lac  est  au 
pied  même  de  cette  barritVc,  dont  il  réfléchit  dans  son  mi- 
roir d'une  admirable  limpidité,  les  lianes  escarpés  et  les 
cimes  blanches.  La  sierra  do  Huachon  est  l'une  des  plus 
hautes  du  Pérou  central. 

Au  bord  du  lac  je  relevai  îî,830  mètres  d'altitude,  et 
iur  le  col  4,428.  De  cette  hauteur  s'élancent  encore  des 
pics  d'une  élévation  considérable. 

Si  mon  baromètre  m'a  fait  commettre  une  erreur,  elle 

|doilètre  plutôt  en  moins  qu'en  plus,  car  le  col  est  sur  la 

limite  des  neiges  éternelles,  qui,  dans  celle  région  du  Pérou, 


i22  BE   LIMA    A    lOllITOS  PAIl    IK   PALCAZC. 

ne  descend  guôre  au-dessous  de  4,500  ixiùlres.  Le  sentier 
est  dominé  de  très  près  par  ces  neiges  dont  les  masses  sur- 
plombantes ont  une  couleur  bleuâtre  qui  indique  un  com- 
mencement de  formalioii  glaciaire. 

Malgré  les  escarpeturnls  de  celle  cbaine,  on  peut  la  fran- 
ciiir  h  cheval  sans  mettre  une  seule  fois  pied  à  terre. 

Au  milieu  des  roches  abruptes  du  versant  oriental  dor- 
ment plusieurs  peLils  lacs.  C'est  de  là  que  part  le  rio  de 
Huancabamha,  qui  descend  vers  l'esl-nord-est  et  que  le  sen- 
tier côtoie  ou  domine  jusqu'au  pied  du  cerro  de  Yana- 
chaga.  De  Tumbo  del  Arroyo,  oii  commence  la  forêt,  au 
hameau  du  Lucuma,  où  .^'élargit  la  vallée,  il  descend  à  Uanc 
de  coteau  sous  l'ombre  des  heliconias,  des  palmiers,  des 
cecropias,  des  ficus  et  autres  essences  caracLéristiques  de 
la  Montaûa. 

La  tûtigueur  moyenne  de  la  vallée  de  Huaucabaraba, 
dans  sa  partie  basse  el  piate,  est  d'environ  3  kilomètres;  son 
altitude  au  hameau  de  Tiago,  c'est-à-dire  au  coulluent  des 
rios  Huancabamba  et  Chorobamba,  est  de  i,a88  mètres. 
Son  climat,  rafraîchi  par  des  brises  régulières,  est  aussi 
agréable  que  saluhre.  Ses  deux  versants  sont  moitié  boisés, 
moitié  couverts  de  hautes  herbes,  comme  le  Pajoual,  dont 
je  parlerai  tout  k  l'heure.  Klle  est  beaucoup  moins  fertile 
que  la  vallée  du  Ghanchamayo,  particulièrement  dans  les 
espaces  que  n'a  pas  occupés  la  forôt.  La  canne  à  sucre  y 
donne  des  résultats  relativement  médiocres. 

Ses  principaux  produits  sont  :  1"  le  maïs,  base  de  l'ali- 
mentation des  Indiens  de  la  sierra;  2"  la  canne  k  sucre;  3"  le 
café,  mais  en  quanlilé  beaucoup  muindre. 

Les  indigènes  cultivent  encore  pour  fttre  consommés  sur 
place,  outre  quelques-uns  de  nos  légumes,  les  yuccas  et  les 
arracaclias,  racines  farineuses.  Làt'st  précisément  la  limite 
entre  le  climalqui  convient  au  manioc  ou  yucca  et  celui  qui 
permet  la  culture  de  la  pomme  de  terre.  Excellente  dans 
toutes  les  vallées  de  la  Cordillère  occidentale  et  sur  le  ver- 


% 


DE    LIMA    A    lOUlTOS  PAU    LE   PALCAZU.  223 

tant  oriental,  entre  les  altitudes  de  2,000  à  3,100  mètres,  la 
précieuse  solanée,  originaire  du  Pérou,  ne  donne  plus  à 
Huancabamba  qu'un  très  médiocre  alitnent*. 

Si  le  sol  de  Huancabamba,  comparé  à  celui  des  autres 
kisiins  de  celle  région,  doit  être,  sous  le  rapport  de  la  puis- 
sance productive,  classé  dans  un  rang  inférieur,  ses  pâtu- 
rages naturels,  permettant  l'élevage  de  la  race  bovine,  sont 
pour  le  colon  une  compensation  sérieuse.  Tandis  que  les 
lamas  ne  peuvent  descendre  dans  la  vallée  du  Ghancha- 
mavo  que  jusqu'au  village  de  Palca,  sur  la  limite  des  forêts 
cl  à  l'altitude  de  2,700  mètres,  il  vont  chercher  leurs  charges 
i  1,100  mètres  plus  bas  dans  la  vallée  do  lluancahamba,  où 
ils  trouvent  toujours  une  pâture  suffisante. 

La  colonie  de  lluancahamba,  beaucoup  moins  imporlanle 
que  celle  du  Clianchamayo,  se  compose  des  deux  hameaux 
deLucuma  et  du  Tingo  et  de  quinze  haciendas  ou  fermes  y 
compris  celles  de  la  vallée  adjacente  de  Chorob;imha.  Sa 
population,  en  majeure  partie  de  race  quichua,peuts'élever 
Ji  un  millier  d'habitants.  Par  ses  relations  avec  le  Cerro  de 
Pasco,  où  elle  fait  tous  ses  échanges,  la  vallée  de  Huanca- 
bamba appartient  encore  au  Pérou  du  Pacifique.  Elle  est 
léparée  du  Pérou  de  l'Amazone  par  le  Yanachagu,  chaîne 
iacerros  qui  s'élèvent  entre  le  bassin  du  Pozuzo,  dont  lerio 
Huancabamba  est  Iribulaire,  et  la  pampa  du  Palcazu. 

De  Huancnbamba  au  Palcazti.  — Pour  aller  de  Huanca- 
liamba  au  rio  Palcazu,  deux  voies  peuvent  Stre  suivies  : 
!•  celle  qui  passe  par  la  colonie  allemande  du  Pozuzo  et 


t.  Le  nom  pri;iiitil  dfi  la  ponitiio  de  tnireesUe  mol.qiiichiiapff/iff,  qui 
»  prévalu  au  Pùruu,  même  parniL  les  population»  l'uropéeanes,  sur  cnlui 
lie  patata  qui  sert  pluliM  il  dési^uer  lo  tubercule  de  eaveui'  aucréo 
(uDaii  aus.«i  sons  le  nom  dis  camote.  Dans  \e  dépdrtoineitt  âa  Juntn,  les 
Indien*  cultivent  trente  variâlt^s  de  pumines  du  terre  :  la  plus  estimée 
in»  Européens  est  la  jittpa  amarilia,  hvoïiIp  et  d'un  jaune  d'or,  IjC»  iiiiii- 
{iine»  préfèreal  la  itiiiutin  et  la  Mri,  très-riche»  eu  fécule  et  qu'ils 
ontr.miiicnl  de  préréreiii^e  suus  forme  de  chuno,  c'est-à-tliro  apt'ès  les 
ttoir  fait  bouillir,  puis  geler  au  jcrand  nir. 


224  DE   LIMA.  A   IQUITOS   PAU   LE   l'ALCàZC. 

aboulit  au  Palcazu,  à  l'embouchure  du  Mayro;  2°  celle  qui 
franchit  directement  la  Yanachaga,  traverse  le  petit  rio 
San  José  et  aboulit  au  Palcazu,  à  l'embouchure  du  Chu- 
cliurras. 

Cette  seconde  voie  a  sur  la  première  l'avantage  de  réduire 
de  6  lieues  environ  le  trajet  à  faire  dans  la  montagne,  ou  la 
longueur  du  chemin  dp  tierradura  qui  reste  à  établir. 

Pour  aller  deHuancabarabaauPalcuzu  pai'  le  chemin  ii°l , 
il  faut  d'abord  atteindre  le  confluent  des  rios  Huancabamha 
et  Pozuzo,  où  se  trouve  la  colonie  allemande.  Et  pour  cela 
on  est  obligé  de  gravir  une  première  fois  le  Yanachaga  eldo 
redescendre  sur  le  même  versant,  le  rio  Huancabamba  étant 
1res  encaissé  dans  celte  partie  de  son  cours.  De  Pozuzo  à 
Port  Mayro,  il  faut  gravir  une  seconde  fois  et  escalader  le 
Yanachaga  en  passant  pas  le  Mirador,  Tuo  de  ses  cerros  les 
plus  élevés.  Du  hameau  de  Tingo  à  Pozuzo  l'on  compte 
9  lieues  qui  exigent  de  trois  à  quatre  jours  de  marche,  et  do 
Pùzuzo  i  Port  Mayro  10  lieues. 

La  colonie  de  quarante-cinq  familles  allemandes  qui 
s'est  établie,  il  y  a  vingl-ueufans,  au  bord  du  Pozuzo,  est  très 
réduite  et  diminue  chaque  année.  Quant  aux  Indiens  Amages 
qu'on  y  découvrit  en  171:2  et  aux  colons  espagnols  et 
quichuas  qui  s'y  installèrent  à  cette  époque,  ils  ont  disparu 
sans  laisser  aucune  descendance.  La  dépopulation  actuelle 
du  Pozuzo  et  le  complet  anéantissement  de  ses  premiers  habi- 
tants connus  s'expliquent  pas  ce  fait  que  les  neuf  dixièmes 
des  enfants  engendrés  dans  cette  étroite  québrada,  quelle 
quesoil  leur  race,  naissent  goitreux  et  crétins.  Le  sentier  qui 
fut  ouvert  k  plusieurs  reprises  de  Pozuzo  i^  la  ville  de 
Huanuco,  dans  la  sierra,  a  toujours  été  en  très  peu  de  temps 
envahi  et  complètement  elfacé  par  la  forôt,  comme  si  la 
nature  voulait  interdire  ii  l'homme  l'enlrée  de  cette  funeste 
vallée. 

De  mCme  que  le  chemin  n°  1,  la  ligne  n°2  que  j'ai  suivie 
quille  le  rio  Huancabamba,  pour  gravirles  pentes  du  \ana- 


DK    LIMA    A    tnttTOS   TAIt    IK    TAIXA/T.  225 

ri);ig<l,  au  coude  que  failla  rivit-re  [irèsdu  hameau  deTingo. 
Sur  l.'i  crêle  de  la  montagne,  au  col  de  Cajon  Pat;i,  elle 
iifurque  avec  le  chemin  duPozuxo  pour  se  diriger  à  l'est  et 
descendre  dans  la  pampa  du  Palcazii,  nfi  elle  traverse, 
avant  d'arriver  à  Porl  Gnnzal*?s,  plusieurs  petits  affluents  du 
rio  Chuchurras,  entre  autres  le  ruisseau  auquel  on  a  donné 
le  nom  de  San  José  et  qtii  coule  au  pied  même  dd  Yanachaga. 

Pour  trouver  une  voie  plus  facile  ou  plus  courte,  ce  n'est 
pis  au  nord  de  Gajon  Pata  qu'il  faut  cberclier,  mais  à  deux 
ou  trois  kilomètres  au  sud,  où  existe  dans  la  montagne  une 
dépression  que  les  habitants  du  pays  nomment  !u  abra  del 
Yanachaffn.  Celte  dépression  est  l'origine  du  vallon  de 
Santa  Bosa  qui  ahoulit  dans  la  vallée  do  Chorobamba.  Je 
ne  fais  qu'indiquer  ce  passage  comme  pouvant  être  l'objet 
(l'une  élude  utile. 

A  vol  d'oiseau,  la  longueur  du  trajet  que  j'ai  parcouru  de 
Tingo  au  Palcazu  est  de  9  lieues.  En  tenant  compte  des 
détours  et  lacets  obligés  dans  les  parties  les  pins  abruptes  de 
la  montagne,  la  longueur  réelle  est  de  13  lieues. 

D'après  mes  observations,  les  altitudes  sont  les  suivantes  : 

niàlret. 

Tingo 1588 

r.ol  de  Cajou  l'ata.. ï!l)-2G 

Uto  Sun  José  à  rcntivcroiscmcul  de  la  ligue  suivie.  i.*.Hl 

Port  (jonzales 347 

l'urt  Mavro ^'M 


Le  massif  du  Yannchaga  est  couvert  de  forôts  partout  oii 
l'inclinaison  des  roches  permet  ;\  l;i  végétation  fie  prendre 
racine.  Son  versant  occidental  est  sillonné  de  ravins  où 
croissent  de  superbes  fougères  arborescentes  qu'on  ne 
retrouve  plus  sur  la  pente  opposée.  En  revanche,  sur  le 
rt'vers  orienlal,  à  partir  de  l'altitude  de  1,100  mètres  jusqu'au 
b;is  des  uerros,  apjiaraît  (e  .w/j//0(r«w/»!;fî<v  ffï?tc/(o,  arbre  h. 
caoutchouc  proprement  dit,  et  le  pus  seringue  qui  donne  la 

soc.  BE  CKOCB.  —  i'  ItUME.-^IKt  1890.  XI,  —    l.i 


226  DK    LIMA   A   IQUITOS   PAR   LE  PALCAZO. 

gomme  f5ne  du  Para.  Il  rae  fallut  huit  jours  pour  aller  de  , 
Huancabamba  au  Palcazu,  y  compris  un  jour  entier  consacré 
à  franchir,  dans  la  pampa,  le  courl  espace  de  'S  kilomètres 
entre  le  rio  San  José  et  le  rio  Victoria  où  la  forêt  avait  été 
transformée  par  un  orage  en  un  indescriptible  chaos.  Tarti 
du  Tingo  le  i  novembre  1SS5  dans  la  matinée,  j'atteignis 
CajoQ  PaLa,  le  0  au  soir.  Le  col,  de  même  que  les  cimes  les 
plusvoisines,  est  presque  toujours  enveloppé  de  nuages  ou 
voilé  par  la  pluie.  Il  pleuvait  lorsque  j'y  arrivai;  l'eau 
ruisselait  de  tous  côtés,  même  sous  l'nbri  de  branches  où  je 
passai  la  nuit,  et  mes  Indiens  eurent  toutes  les  peines  du 
monde  à  allumer  du  feu,  le  bois  mort  qu'ils  purent  trouver 
étant  imbibé  jusqu'à  ta  moelle.  Mais,  te  lendemain,  au  lever 
du  soleil,  j'eus  la  bonne  fortune  de  contempler  le  panorama 
par  un  ciel  clair.  Les  Andes  forment,  dans  celte  partie  du 
Pérou,  une  série  d'ondulations  avec  des  plissements  ana- 
logues à  ceux  des  vagues  de  l'Océan  dans  la  tempête.  Les 
grandes  vagues  du  système,  sortes  de  prororocas  arrêtées 
dans  leur  course  et  dont  les  hauteurs  vont  en  décroissant  de 
l'ouest  à  l'est,  sont,  à  partir  delà  grande  chaîne  des  Andes  : 
a  sierra  de  Huachon,  tes  monts  Yanachaga,  les  cerros  de 
SanMatias,  qui  séparent  le  Palcazu  du  Pichis,  et  plus  loin, 
invisibles  de  mon  observatoire,  les  collines  de  San  Carlos, 
qui  dominent  l'Ucayali.  Entre  le  Yanachaga  et  les  cerros  de 
San  Matias  s'ouvrait  devant  moi  la  pampa  du  Palcaxu,  formée 
elle-même  d'une  suite  d'ondulations  secondaires  dont 
l'ensemble,  vu  de  haut,  est  d'une  régularité  frappante.  Ces 
immensités  couvertes  de  forêts  confondaient  à  l'horizon 
leurs  teintes  bleuâtres  avec  l'azur  pâle  du  ciel. 

Si  Cajon  Pata  n'est  qu'à  400  mètres  environ  au-dessus 
du  Tingo,  il  est  à  plus  de  l,tiOO  mètres  au-dessus  du  rio 
San  José,  et  sur  le  versant  oriental,  heureusement  coupé 
par  quelques  plates-formes  ou  gradins,  les  pentes  sont 
généralement  plus  raides  que  sur  l'autre.  En  descendant 
j'étais  obligé  de  me  retenir  à  tout  instant  aux  branches  et 


1 


DE    LIMA   A   HiUITOS   l'AU   LE   PAf.CAZL',  227 

.tiiï  racines  des  arbres  et  j'arrivai  au  bas  de  la  moDlagne,  les 
tùns  ensanglantées. 

J'ai  dit  que  la  Pampa  n'est  pas  une  plaine,  comme  son 
nom  semblerait  l'indiquer.  Du  ruisseau  San  José  au  rio 
Paicazu  les  moulées  alternent  régulièrement  .ivec  les  des- 
centes, el  dans  les  sinus  de  toutes  ces  ondulations  coulent 
des  ruisseaux  ou  des  rivières.  Les  plus  importantes  sont  le 
no  Victoria  et  le  rio  Lorenzo,  que  je  pus  racilemenl  traverser 
à  gué.  Cette  large  vallée  du  Patcazu,  où  l'ouragan  boule- 
verse parfois  la  forêt,  comme  la  grôle  un  ciiamp  de  blé,  est 
généralement  dans  un  calme  absolu.  Les  brises  qui  passent 
sur  rUcayali  n'arrivent  pas  aux  cubeceras  duPalcazu,  oii  le 
vent  ne  souffle  qu'aux  approches  de  la  pluie. 

Les  Indiens  Quichuas  d'abord,  les  sauvages  Campas  en- 
suite, m'accoutumèrenl  àla  coca.  J'avais  constamment  dans 
la  bouche  ma  pelote  de  feuilles  uù  j'introduisais  de  temps 
à  autre,  au  bout  d'une  baguolle,  un  soupçon  de  chaux  ou  de 
cendre  alcaline.  Je  recommande  à  mon  tour  aux  alpi- 
nistes cet  usage  dont  je  n'ai  eu  qu'à  me  louer,  particuliè- 
rement pendant  la  traversée  du  Yanachaga.  On  sait  que  la 
coca  atténue  ou  endort  les  sensations  de  la  taim  et  de  la 
soif.  Or,  l'extrême  fatigue  peut  faire  oublier  la  faim,  mais 
non  la  soif.  Et  ce  n'est  pas  un  mince  avantage  que  d'êlre 
prémuni  dans  une  ascension,  surtout  en  pays  chaud,  contre 
la  perpétuelle  tentation  des  sources  Jraîcbes  et  des  casca- 
telles  cristal lines. 

Les  Campas  me  firent  connaître  un  végétal  de  la  Pampa 
du  Palcazu  qu'ils  considèrent  comme  plus  précieux  encore 
tjue  la  coca,  dans  tous  les  cas  où  l'homme  est  obligé  de 
lutter  contre  la  Fatigue.  Ce  réconfortant  se  nomme  le 
chumayro.  C'est  une  liane  qu'on  trouve  habituellement 
dans  les  fourrés  tt  dans  les  coins  sombres  de  la  forêt,  où  elle 
.iUeiat  la  grosseur  du  bras.  Les  sauvages  la  coupent  lorsqu'elle 
l'épaisseur  du  doigt  et  aussitôt  ils  en  détachent  l'écorce, 
t  la  seule  partie  utilisée.  Ils  font  sécher  cette  écorce  au 


228  DE   LtWA    A    H.1UIT0S    PAU    LE   PALCAZU. 

soleil  pendant  Irnis  ou  (jualre  jours,  puis  ils  la  lient  en 
pclils  ragots.  Il  ne  leur  reste  plus,  avant  de  la  consommer, 
qu'à  enlever  avec  l'ongle  ou  au  couteau  les  rugosités  d'appa- 
rence calcaire  qm  la  couvrent  plus  ou  moins. 

Les  Campas  mâchent  l'écorce  de  chumayro  avec  la  coca, 
ou,  s'ils  n'ont  pas  de  coca,  avec  la  feuille  du  premier  arbre 
fruilier  venu,  du  bananier  par  exemple.  Ils  supportent  plu» 
dilticilcment  la  privation  de  coca  que  celle  de  chumayro. 
J'ai  rapporté  en  France  quelques  échantillons  de  cette 
plante-  dont  il  sera  très  intéressant  et  utile  de  faire  l'analyse 
et  d'édidier  les  propriétés  médicales.  Elle  ne  se  trouve  pas 
dans  toutes  les  forfils  de  la  Monta ùa,  et  les  Campas  de 
Quillasu  et  du  Ghanchamayo  font  plusieurs  jours  de  marche 
pour  aller  s'approvisionner  dans  les  fonMs  du  Palcazu  et  dti 
Pichis. 

Lorsque  j'arrivai,  le  1i  novembre,  au  conlluenl  des  rios 
Paleazu  et  Chnchurras,  j'étais  bien  cetle  fois  dans  le  Pérou 
de  l'Amazone.  La  preuve  en  est  que  je  n'eus  plus  qu'à  me 
laisser  porter  pour  ainsi  dire,  d'abord  en  canot  jiisqu'i\ 
l'embouchure  du  Pacbitea  sur  lUcayali,  puis  en  Ivateau  h 
vapeur  de  ce  point  jusqu'à  l'Atlanliquc. 

Li  vallée  de  Huancabamba  fut  découverte  en  1057  par 
les  moines  franciscains,  qui  ouvrirent  à  peu  près  tous  les 
sentiers  allant  de  la  sierra  ;\  la  Montana  sauvage.  Dans  ce 
temps-là  ils  descendirent  du  cerro  de  la  Sal  à  Huanca- 
bamba parla  vallée  de  Cborobfimbn,  puis  de  Huancabamba 
à  rUcayali.  Aucun  document  no  dit  quelle  roule  ils  sui- 
vire^ntdans  c<ilte  seconde  partie  du  voyage,  mais  on  doit 
admettre  h  peu  près  forcément  que  ce  fut  celle  du  Palcazti 
et  du  PachiJea.  On  ne  suivit  leurs  traces,  en  passant  par 
Huancabamba,  (jue  dcuv  siècles  plus  lard.  Kn  iSôy  et  1800 
les  liabitanJs  du  Cerro  de  Pasco,  entraînés  par  leur  prôlel 
don  Bernardo  liermudez,  (Jrent  quelques  sacrifices  pour  étu- 
dier cette  lif^ne.  Ils  ouvrireoL  alors  le  sentier  dont  j'ai  parlé 
de  Tinter)  h  Poziizu.  Kl  l'un  d'eux,  dou  Esteban  Bravo,  (It 


DE   LUIA   A   IQriTOS   l'AH    \.E   l»Al,CA/U. 


!-0 


«leiis  expéditions  —  la  seconde  en  compagnie  du  célèbre 
père  Calvo  —  pour  chtrcher  uo  passage  aboulissanl  direc- 
itQient  au  Palcazu.  Les  exploi-iileiirs  descendirent,  non  pas 
au  Palcazu  même,  mais  à  sou  afOuenl,  \e  Chuclviirrus.  Enlin 
«1  1880,  le  père  Gonzaiès,  prieur  du  convent  d'Ocopa, 
réussit  à  ouvrir  une  tranchée  allant  de  Cajon  Pata  au  con- 
fluent des  deux  rivières.  C'osl  cette  ligne  que  j'ai  suivie 
autant  que  possible,  passant  parfois  sur  la  friïo  étroile  de 
roches  verticales.  Très  visible  encore  dans  tout  le  massif 
(lu  Yanachaga,  le  sentier  du  père  Gonzalès  a  été  cornplite- 
ment  elïacé  dans  !a  Pampa  paria  végétation  et  par  les  bou- 
leversements de  la  forÈl.  Mais  dans  celte  jiartie  du  Lrajcl  il 
est  avantageusement  remplacé  par  les  pistes  qui  unissent 
entre  elles  diverses  cabanes  de  sauvages. 

Les  religieux  qui,  de  leur  couvent  d'Ocopa  ou  de  leur 
mission  de  Ùui'lîisu,  nom  d'un  petit  aflluenl  du  rio  Choro- 
bamba,  "vont  une  fois  par  an  à  l'Ucayali,  n'ont  pas,  depuis 
I8SU,  suivi  d'autre  voie.  Divers  habitants  dtn^Huancabamha 
ont  aussi  traversé  le  Yanachaga,  attirés  vers  le  Palcaxu  par 
la  présence  d'un  cahuchero  qui  s'est  établi  à  Port  Gonzalès 
ménie,  au  milieu  des  Campas,  Enfin  les  Campas  de  Quil- 
lasu  et  d'0.\apampa  passent  de  temps  à  aulre  par  Cajon  Pata, 
allant  visiter  leurs  frères  duChuchurras  et  p&cher  dans  les 
petites  rivières  de  bi  Pampa  ou  récolter  le  chumayro. 

Du  rio  Cliuchurras  <)  t'Uaufali  et  à  Iquilos.  —  April^s 
(luelques  jours  de  repos  .\  Port  Gonzalès,  je  m'embarquai 
«lans  une  pirogue  dont  l'équipage  se  composait  de  cinq 
Campas.  Parti  à  buit  betnes  du  malin,  je  passai,  à  une 
heure  tic  relevée,  devant  l'embouciuire  du  rio  Muyro  ef, 
presque  aussitôt  après,  devant  celle  du  Poiîuzo,  dont  le  cou- 
rant furieix  et  de  couleur  boueuse  refoulait  les  eaux  vertes 
et  calmes  du  Palcazu.  De  Port  Mayro  je  descendis  eu  buit 
heures  à  l'euTbouchure  du  Picbis,  où  je  trouvai  un  autre 
élablissenaenlde  cabuchero.  Ut  jedus  prendre  congé  de  mes 
rameurs  Campas  et  me  pourvoir  d'une  nouvelle  embarca- 


230 


DE   LIMA   A    IQUITÛS    PAR   LE   l'ALCAZU. 


tion.  On  peut  aller  du  Pichis  à  l'Ucayali,  c'est-à-dire  de 
l'origine  du  Pachilea  k  son  embouchure,  en  deux  jours  et 
deux  nuits,  quand  la  lune  permet  de  naviguer  la  nuit.  Pour 
descendre,  on  garde  géni5ralement  le  milieu  de  la  rivière  et 
l'on  se  sert  de  la  rame.  Pour  remonter,  au  contraire,  on  suit 
tes  bords,  où  le  courant  est  moins  rapide,  et  on  emploie 
la  perche,  nommée  au  Pérou  botador.  A  la  montée  les 
canote  ne  font  guère  que  trois  lieues  par  jour  en  moyenne. 
Le  chemin  de  traverse  du  Pachilea  sera  donc  plus  utile  aux 
voyageurs  qui  auront  à  se  rendre  de  Lima  à  Iquitosqu'i  ceux 
qui  seront  obligés  de  l'aire  le  voyage  en  sens  inverse. 

pi>r  lu'iiri;. 

La  vitessemoyenneduPachiteaesidc,  44i4  métros. 
Celle  du  f^alcazu,  du  Chuchurras  au 

Miiyro,   df 3704      — 

El  du  Mayro  au  Pichis,  de. 5"2tîî      — 

De  Port  GOQzaies  au  Mayro,  le  Palcazu  forme  une  série 
de  nappes  qui  semblent  dormir  et  que  relient  des  courants 
peu  rapides. 

Dans  cette  partie,  la  navigation  en  baise  ou  en  pirogue  ne 
présente  pas  plus  de  difficultés  que  du  Mayro  au  Paehite*. 
Pendant  les  eaux  basses,  les  embarcations  chargées,  même 
les  canots,  sont  obligées,  dans  certains  passages,  soit  en 
amonl,  soit  en  aval  de  Port  Mayro,  de  chercher  le  canal. 
Si  les  petits  vapeurs  Ntipo  et  Putuniayo  purent  arriver 
jusqu'au  Mayro  le  1"  janvier  1867,  il  ne  faut  pas  oublier 
que  cette  époque  de  l'année  est  précisément  celle  des 
grandes  crues.  Encore  le  Putumayo  s'échoua  en  redes- 
cendant, et  pour  se  remettre  à  flot,  il  fut  obligé  d'attendre 
pendant  un  an  la  crue  nouvelle.  Lorsqu'en  1873,  l'amiral 
Tucker  voulut  explorer  le  Pichis,  il  laissa  ses  vapeurs  à 
l'embouchure  du  Pachitea  et  partit  en  canot.  Quant  à 
moi,  je  dois  déclarer  que  ma  pirogue  s'engrava  deux 
fois,  la  première  au  même  endroit  que  le  Pntumayn,  près 


Echelltt     I:  1.606^00  • 


f«  i«  t«  fa  f9  *a  M 


Gfirbal  fil  en  179-4  du  rio  Pachitea,  qui  couîe,  comme  tous 
les  fleuves  amazoniens,  entre  un  double  décor  de  forêts 
géantes,  et  je  reconnus  les  qualres  séries  de  courants  sam 
riolence  et  sans  danger  que  signale  le  moine  explorateur. 
Po«r  les  canots,  le  danger  est  moins  d'échouer  que  de  cha- 
wgr  en  buttant  contre  les  palizadas  ou   troncs  d'arbres 


932  DE   LIMA    A    IQUITIIS    PAR   LE   PALCAZl'. 

engravés,  souvent  invisibles  dansTeau  trouble.  Les  collines 
qui  abouti^sentau  rio,  formanl  entre  elles  de  petits  vallons, 
ra'apparurenl  comme  le  développement  dusyslèmed'ondu- 
lations  que  j'avais  observé  des  cimes  du  Yanachaga.  On  n'a 
plus  à  craindre  aujourd'hui  sur  les  rives  du  Padiitea  la  ren- 
contre des  Carapachos,  <|ui  tuèrent  par  surprise  un  des 
compagnons  du  père  Girbal,  ni  celle  des  anthropophages 
Cashibos  qui  dévoièrent,  en  17fi3,  le  père  Frances  et,  en 
18fJ6,  les  deux  officiers  de  marine  péniviuns  Westet  Tavara. 
Les  Carapachos  ont  complètement  disparu,  et  le»  Casliibos, 
refoulés  par  les  cahucheros,  se  sont  retirés  dans  les  vallées 
de  l'Aguaïlia  et  du  Pisqui.  Huit  cents  travailleurs  environ, 
Indiens  et  blancs,  sont  aclueïlement  disséminés  dans  le 
bassin  du  Pachitea,  l'un  des  plus  riches  eu  caoutchouc  de 
toute  la  Montafia.  Si  j'avais  pu  conserver  des  doutes  au 
sujet  àei'innavigahilUé  de  ce  fleuve  pour  den  vapeurs,  leur 
fixpériencti  m'aurait  suffisamment  éclairé.  Ils  m'apprirent  en 
elfel  que  his  pUts  petites  laminas  à  vapettr  qui  viennent  de 
Iquilos  chercher  le  caoulchouc,  et  dont  les  patrons  ont  inté- 
rêt à  reraouler  les  rlos  second  aires,  où  ils  font  des  échanges 
lucratifs,  ne  peuvent  en  temps  ordinaire  remonter  le  Pa- 
cliilca  au  delà  de  Chonta-Isia,  c'est-à-dire  à  huit  lieues  en- 
viron de  son  embouchure.  C'est  par  exception  seulement, 
du  mois  de  décembre  au  mois  de  mars,  qu'en  profilant  des 
crues,  elles  s'aventurent  plus  haut  et  arrivent  au  Piehis.  En 
1806  apparut  le  premier  pyroscaphe  sur  l'Ucayali,  que  des 
steamers  sillonnent  maintenant  deux  fois  par  mois.  Après 
mes  longues  pérégrinations  en  pays  sauvages,  j'éprouvai  une 
vive  émotion  lorsque  j'entendis  sur  ce  fleuve,  dans  la  soli- 
tude immense  des  forêts,  Tlialeine  retentissante  d'un  bilteau 
à  vapeur.  L'Ucayali  donc  étant  connu,  au  moins  dans  sa 
partie  basse,  je  ne  m'étendrai  pas  .sur  le  trajet  compris  entre 
le  Pachitea  et  Iquitos,  me  bornant  à  dire  qu'à  bord  d'un 
vaporciio  l'on  peut  se  rendre  de  l'un  à  l'autre  de  ces  points 
en  quatre  jours. 


DE    LIMA   A    igUITOS   i'A.R   LE    PALCAZU.  233 

En  résumé,  lorsque  le  sentier  du  Yanachaga  sera  prali- 
ohle  pour  les  bêtes  de  selle,  on  pourra  faire  l6  voyage  de 
Lima  à  Iquilos  dans  les  conditions  suivantes  : 

Jours. 

De  l^ima  à  Cliicla  ('28  lieues  en  chemin  de  fer).  1 

De  Chicla  à  PartGonzales  (.>t  iiuues  à  chpval)..  5 
De  Porl  Goiizales  à  TUcayali  (en  canol66  lieues, 

chiffre  rood) 3 

De     l'achilca  A   Iqnitos  (en   hatcau  à   vapeur, 

232   lieues) 4 

Total 13 


Pour  aller  de  Lima  à  Iqiiîlos  en  pass.int.  par  Moyobamba, 
on  n'enaploie  pas  moins,  dans  l'État  actuel  des  sentiers,  de 
quarante  à  quarante-cinq  jours.  On  voit  par  là  de  quelle 
utilité  serait  lo  chemin  du  Pachilea,  particulièrement  pour 
le  gouvernement  péruvien,  dont  l'action  ne  s'est  fait  sentir 
jusqu'ici  que  d'une  façon  très  indirecte  sur  ses  vastes  torri- 
loires  de  l'Amazone. 

I.e  Pajnnal.  —  Pour  aboutir  à  un  vi^ri table  port,  acces- 
sible   aux    vapeurs   pendant  toute  l'année,  la  roule  solide, 
chemin  dfi  fer  ou  chemin  de  herraduru  (bon  pour  bittes 
ferrées),  doit  aller  directement  de  Lima  à  l'Ucayali  en  tra- 
tersant  le  Grand  Pajonal.  En  18S4,  sur  la  foi  des  explora- 
teurs et  des  géographes,  je  croyais  l'IJcayali  navigable  sur 
toute  sa  longueur.  Or,  il  est  aujourd'hui  prouvé  par  l'expé- 
rience que  ce  fleuve  n'est  réellement  navigable  pour  les 
vapeurs  qu'à  partir  de  seize  lieues  environ  en  aval  de  l'em- 
bouchure de  l'Dnini,  au  sortir  du  dédale  de  petites  îles  qui 
divisent  son  lit  eu  une  infinité  de  caiiatix.  Ce  n'est  donc  pas 
sur  rUnini,  comme  je  le  proposais  en  188i,  que  doit  filre 
l'embarcadère,  mais  à  seize  lieues  plus  bas,  entre  les  lieux 
dits  Sbebuya  et  Cumaria,  à  peu  près  exactement  sous  le 
dixième  degré  de  latitude  sud.  Celle  modification  à  mon 


234  DE  LIMA  A    IQIIITOS   PAR   LE  PALCAZU. 

projet  primitif  admise,   les  distances  de  la  grande  voie 
commerciale  de  Lima  h  Iquitos  seront  les  suivantes  : 

Jiiurs. 
De  Lima  à  Chicla  (28  licuDS  eu  chemin  Je  Fit).       [ 
De  r.lùrla  au  l'io  Paucartamho  par  la  vallée  du 

Chanchamnyo  (chemin  ouvert,  ligne  de  clie- 

iiiiii  de  fer  projetée,  !1(J  lieues  à  cheval)...,       i 
Du   Paucarlnmljo  au  porl  proposé  sur  TUcayali, 

(chemin  à  établir,  35  lieues) 4 

Du  port  à  reinbouchure  du  Pachitea  (59  lieues 

en  vapeur) 1 

flu  Pachilea  à   Iquitos  (en  bateau   à  vapeur  : 

232  lieues) 4 

Total U 

La  route  à  parcourir  à  cheval,  en  attendant  qaelecbpinin 
de  fer  trasandino  traverse  les  Andes,  sera  plus  longue  que 
par  la  voie  du  Palcazn,  mais  elle  aura  l'avantage  d'être  pra- 
ticable en  tous  temps  et  accessible  à  ses  deux  bouts,  condi- 
tions hors  desquelles  on  peut  dire  qu'il  n'y  a  pas  de  route. 

Lorsqu'en  188-4  je  publiai  ma  première  étude  sur  la  Mon- 
taila,  j'exprimai  l'idée,  contraire  à  l'opinion  généralement 
rei,:ue,  que  le  Pujoual  est  un  plateau.  Je  me  basais  alors 
sur  ce  fait,  entre  autres,  que  le  rio  Péréné,  dont  M.  Werthe- 
man  a  dressé  la  carie,  ne  reçoit  sur  sa  rive  gauche  que  de 
courts  ruisseaux,  fait  incompréhensible  si  le  Pajonaleût  été 
coupé  par  une  série  de  quebiadas,  où,  sous  un  climat  aussi 
pluvieux,  se  fussent  formées  des  rivières  d'un  débit  plus  ou 
moins  proportionnel  à  leur  longueur.  J'ai  rapporté  de  mon 
voyage  la  confirmation  de  mon  hypothèse. 

La  Montafta  péruvienne  a  été  très  visitée  depuis  quelques 
années,  grilceau  caoutchouc. 

Au  Bré.sil,  on  récolte  hxserintja  ou  gomme  fine  du  Para 
en  exploitant  les  mêmes  arbres  pendant  vingt  ans. 

Au  Pérou,  pour  extraire  le  cahucho,  Ton  commence  par 
couper  l'arbre,  dont  la  souche  donnera  un  rejet  exploitable 


DE   LIMA   A   lOriTOS   l'AR   LE    PALCAZ0.  235 

Imq  lour  au  bout  de  quinze  ans.  Il  suit  de  là  que  le  cahu- 
cècro  péruvien  estesseiiliellemenl  nomade  et  lend  à  s'élol- 
(jursans  cesse  des  régions  habitées  pour  scruter  de  nou- 
itlles  forêts.  C'est  ainsi  que  !e  Pajonul,  qui  est  encore 
usidéré  à  Lima  comme  le  domaine  exclusif  de  sauvages 
Bgereux,  a  été  dans  ces  derniers  temps  parcouru  en  divers 
lens. 

Au  mois  d'août  1885,  don  Presentacion  G uerra,  Péruvien, 
lubitant  actuellement   au    confluent    du    Pachitea    et  de 

pUcayalî,  remonta  en  canot  le  rio  Ilnini,  dont  le  lit  est  pro- 
fond, mais  semé  de  roches,  jusqn'aa  lieu  désigné  par  les 
rampas  sous  le  nom  de  Toso,  oii  il  y  a  de  nombreuses  habi- 
tations sauvages.  De  là  il  gagna  la  cime  du  Pajonal  en  une 
journée  et  demie,  par  un  sentier  bien  frayé  et  de  pente  douce. 
Ad  sommet  il  trouva  une  plaine,  en  partie  couverte  de  forêts, 
en  partie  de  pâturages,  où  apparaissent  des  troupeaux  de 
kœafs  et  de  nombreuses  cases  de  Campas.  Elle  est  traversée 
divers  sentiers  au  bord  desquels  les  sauvages  entre- 
lieonent  des  tambos,  abris  en  feuilles  de  palmier,  leur  servant 

lie  haltes  pour  la  nuit  dans  leurs  continuelles  excursions. 

JAjant  suivi  avec  ses  guides  Campas  l'un  de  ces  sentiers, don 
?resentacion   Guerra,  après  deux   nouvelles  journées  de 
rche,  arriva  à  l'entrée  du  val  dePiirkeae,  qui  aboutit  dans 

^!a  vallée  duPichis.  Et  pendant  ces  deux  jours,  par  un  beau 
lemps,  il  ne  vit  à  l'ouest  aucune  montagne  s'élever  entre  lui 
elles  hauteurs  qu'il  connaissait  du  Chanchamayo,  du  cerro 
delaSal  et  du  Paucartambo.  Le  caoutchouc  étant  l'un  de 
ses  produits  naturels,  le  Pajonal  ne  doit  pas  dépasser  l'alti- 
lude  de  1,000  à  1,100  mètres,  et  j'ai  quelques  raisons 
le  croire  qu'il  ne  l'atteint  pas.  Je  n'ai  pas  besoin  d'insister 
ter  les  avantages  que  présente  cet  immense  plateau  pour 
roaverture  d'une  roule. 

Outre  sa  maison  du  Pachitea,  Don  Presentacion  Guerra 
potsède  un  établissement  à  l'embouchure  de  l'Unini  oii  il 
bit  de  constants  échanges  avec  les  Campas  qui  récoltent  le 


236  DE   LIMA    A    IQUITOS   PAR   I.K   WIXAZU. 

caoutchouc  à  son  intention.  Avant  de  chercher  lorlune  au 
milieu  des  sauvages,  il  avait  accompagné  Wertheman  dans 
plusieurs  de  ses  voyages  d'exploration. 

Il  y  a  peu  d'hommesqui  connaissentaussibien  la  Montana. 

C'est  un  Français  qui  découvriL  au  siècle  dernier  le  Grand 
PajonaL  Son  notn  est  Jean  de  la  Marque.  Dans  son  Compendio 
tiistorko,  le  père  Amich  lui  consacre  une  notice  spéciale, 

Jean  de  la  Marque  vint  d'Espagne  au  Pérou  avec  l'ingé- 
nieur Albert  de  Mioson,  entra  en  1722  dans  l'ordre  des 
Franciscains,  et  fut  pendant  dix  ans  l'un  de  ses  plus  infalU 
gables  et  intrépides  missionnaires. 

«  Il  apprit  avec  perfection,  dit  Amich,  l'idiome  ande  ou 
langue desCampas,  elen  composa  la  granimaireet  le  dictiou- 
iiaire.  11  fonda  le  pueblo  de  San  Antonio  de  CaLalipango. 
Il  découvrit  le  Grand  Pajonal  et  ses  nombreux  habilanls 
(la  mucha  tjente  que  enel  liabia)  eL  fonda  avec  eux  plusieurs 
villages,  AyauL  quitté  iaMoutatia  en  1735  par  ordre  du  vice- 
roi  pour  aller  reconnaître  Iti  pont  de  pierre  de  Jauja,  il  tomba 
maiaile  en  roule  et  mourut  dans  ta  vallée  de  ce  nom,  » 

Les  Campas  qu'il  avait  groupés  en  puebloR  et  catéchisés 
retournèrent  à  leur  vie  et  à  leur  religion  primitives,  quelques 
années  plus  lard,  en  I7t2,  lors  île  la  fameuse  insurrection 
de  Juan  Suntos  Atahualpa.  Depuis  cette  époque  jus- 
qu'à l'arrivée  des  cahncheros  dans  ces  derniers  temps, 
aucun  homme  de  race  blanche  n'avait  eu  accès  parmi  eux, 
et  le  Pajonal,  cette  ciladclle  de  leur  indépendance,  était 
comme  enveloppé  de  mystère.  ■ 

Le  chemin  qui  traversera  ce  plateau  découvert  par  un 
Français  sera  un  élément  de  pruspérilé  essenUei  pour  la  Cùlo- 
niecn  majorité  française  du  Chanchamayo,  la  plus  florissante  f 
des  vallées  hautes  de  la  Montana.  Indispensable  Irait  d'union 
entre  la  capitale  du  Pérou  el  l'Amazone,  la  route  du  Pajonal 
deviendra  l'une  des  plus  importantes  arlères  commerciales 
de  l'Amérique  du  Sud. 


\iU   RESSOURCES  8111  L'ASIE 


AIE 


IMPUKItAir    O  KHI  lit 

A  LA  COLONISATION   HUSSK 


Le      Lleiileiiaul-(|;éiléral     A  iV  \' l'^iV  KO  T 

Conslructeiir  ilii  Cliemiji  Jo  fer  Transcaspioii  ' 


A  iVpoque  où  le  maréchal  Munich  ni  sa  campagne  de 
Crimée,  en  1730,  il  érrivait  qu'il  était  bien  difficile  d'y 
effectuer  des  opérations  militaires,  car  on  manquait  de 
fourra pe,  les  roules  étaient  impraticables,  et  les  Talares 
délniisaient le  peu  de  villages  de  la  contrée,  en  cJiassant 
les  habitants,  si  bien  qu'on  ne  savait  littéralement  oii 
trouver  de  l'eau,  comment  nourrir  les  chevaux  et  de  quelle 
manière  éviter  les  défdés  dangereux. 

Un  siècle  et  demi  a  suI'H  à  métamorphoser,  en  même 
temps  que  la  Crimée,  tout  le  midi  de  la  Russie;  en  des 
villes  florissantes,  telles  qu'Odessa,  Rostow,  Taganrog, 
Kherson  et  Cathérinoslaw,  y  ont  surgi;  et,  sur  ces  mômes 
steppes  qu'on  avait  cru  propres  tout  au  plus  à  ta  vie 
Domade,  on  trouve  une  population  permanente  d'environ 
dix  raillions  d'hommes,  avec  une  densité  d'enviiron 
1,300  individus  par  raille  carré.  Cette  contrée,  qui  produit 
jusqu'il  trois  millions  de  tcketrerts-  de  diitérenls  Liés, 
cultivés  dans  les  provinces  de  Tatiridc,  de  Kherson,  de 
Cathérinoslaw,  de  Varonèje  cl  du  Do»,  fournirail  une 
récolte  encore  bien  ])lus  abondante,  si  l'on  y  prjtliqiiail  des 

1.  néFiiiiné  lie  ta  cunféreare  Tuile  pui'lc  gùiièrul  k  laSucîélé  impériale 
ili>  géograpliie  de  Saiiil-PiJlersboui'y,  dans  la  séance  du  >l-20  mars  1889. 
i.  Mesure  russe  de  ciijpacité,  val;tuJ  environ  •àll)  litres. 


238 


DES  RESSOURCES  QUE  L  ASIE  CENTRALE 


travaux  d'irrigation,  car  ia  stérilité  n'y  provient  jamais  que 
de  sécheresse.  D'ailleurs  on  n'a  guère  fait  davantage  pour 
favoriser  le  boisement,  si  utile  comme  moyen  de  procurer 
de  l'humidilé  aux  steppes  en  partie  privés  d'eau. 

On  peut  donc  envisager  la  Nouvelle-Hussie  comme  une 
brillante  colonie  que  la  Russie  elle-même  a  constituée,  et, 
tandis  que  l'Allemagne  perd  chaque  année  jusqu'à  deux 
cent  raille  de  ses  meilleurs  travailleurs,  qui  éraigrent  en 
Amérique,  notre  pays  jouit  du  précieux  privilège  de  colo- 
niser ses  confins,  élargissant  en  même  temps  ses  frontières 
et  faisant  pour  ainsi  dire  fondre  au  sein  de  la  population 
russe  le  peu  de  nomades  qui  se  trouvent  encore  dans  le 
pays. 

Telle  est  également  la  situation  du  pays  d'Orenbourg  et 
delà  Sibérie;  telle  sera  certes  aussi  celle  de  l'Asie  centrale 
en  général  et  de  ta  Transcaspienne  en  particulier. 

Mais  encore  imporle-t-il  d'examiner  si  cette  partie  de  la 
Russie  se  trouve  dans  des  conditions  propices  à  la  coloni- 
sation. 

C'est  peu  après  la  guerre  de  Grimée  en  1855  qu'a  com- 
mencé le  mouvement  en  avant  des  Russes  dans  l'Asie  cen- 
trale. Des  territoires  ont  été  annexés  à  la  Hussie,  l'un  après 
l'autre  et  finalement,  en  1881,  le  mouvement  s'est  terminé 
par  la  prise  de  Gheok-Tépé  et  par  l'annexion  définitive  de  la 
contrée  transcaspienne. 

Presque  simultanément  avec  ces  conquêtes  la  Société  de 
Géographie  poursuivait  ses  travaux  pour  l'élude  de  la  contrée 
où  des  expéditions  ont  été  envoyées  à  plusieurs  reprises. 
Quand  on  lit  le  premier  volume  de  l'ouvrage  du  professeur 
Mouschkétow  intitulé  le  Turkestau,  il  est  impossible  de 
n'être  pas  étonné  de  la  quantité  des  travaux  d'investigalinn 
auxquels  on  s'est  livré  dans  ces  parages.  Ces  travaux  ont 
permis  àM.  Elisée  Reclus  de  publier  son  volume  si  important 
sur  l'Asie  centrale;  rédigé  avec  le  concours  de  beaucoup  de 
Husses,  ce  volume  constitue  un  phénomène  remarquable  par 


\ 


POURRAIT   OFFRin   A   L\   COLOMSATION   RUSSE.  239 

la  masse  de  données   qu'il  contient  sur  un  pays  connu 
depuis  si  peu  de  temps. 

Si  l'on  jette  un  regard  sur  la  carte  de  l'Asie  centrale,  ce 
quifrappe  tout  d'abord,  c'est  le  Pamir,  ce  ToUdu  monde,  qm 
comprend  unepartie  assezconsidérable  (environ  70,000vers- 
tes  carrées)  de  toutes  les  montagnes  occupant  le  centre  de 
l'Asie.  Le  Pamir  est  comme  un  nœud  qui  relie,  d'un  côté, 
la  chaîne  de  Tiaa-Schan  ou  monts  Célestes,  dirigés  du  Pa- 
mir vers  le  nord-est,  et,  de  l'autre  côté,  leHiundou-Kousch 
et  l'Himalaya,  allant  vers  le  sud-est. 


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L'espace  qui  s'étend  entre  les  cbaùies  de  monlagnes  de 
Tian-Schan  et  de  l'Himalaya  est  occupé  par  toute  une 
rangée  d'autres  chaînes  se  déroulant  de  l'ouest  à  l'est  et  dont 
les  principales  sont,  au  nord,  le  Kouen-Loun;  plus  loin  le 
Tchécnen-Tag,le  Kouka-Schili  et  les  montagnes  du  Thibet. 

Le  lien  qui  existe  entre  les  chaînes  séparées  dont  elle  se 
compose,  donne  à  toute  celle  masse  montiigneuse  un  carac- 
tère d'unité  et  ses  parties  diverses  se  ressemblent  sous  bien 
des  rapports. 

De  la  sorte,  Wood  a  pu  dire  fort  justement  que  le  Pamir 
est  un  plateau  élevé  reliant  l'Inde,  la  Chine  et  le  Turkestan, 
et  qu'on  peut  regarder  comme  le  centre  d'où  partent  les 


240       rKS  RES.souiicEs  t'UK  l'asik  centra LK,  Etr:. 

puissantes  chaînes  et  les  immenses  lleuves  de  l'Asie  cen- 
trale. 

Du  haut  de  celle  masse  montagneuse  sortent,  d'un  côLé, 
les  fleuves  Jaune  (HoRng-Ho)  et  Bleu  (Yantse-Ktang),  qui 
se  jettent  k  l'est  dans  l'océan  PaciDque,  el  de  l'autre  côté, 
l'Amou-Daria  et  le  Syr-Daria,  qui  se  jettent  à  l'ouest  dans 
la  mer  d'Aral,  le  Saravschan,  qui  paraît  avoir  été  jadis  un 
affluent  de  l'Amou-Daria  et  qui  se  perd  maintenant  dans  les 
sables,  ainsi  que  le  Tedjen  et  le  Mourgab,  qui  coulent 
parallèlement  à  ces  fleuves  ei  se  perdent  également  dans 
les  sables  de  Kara-Kouscb. 

Ici  le  conférencier  s'est  appliqué  à  définir  certaines  parli- 
cularilés  exclusivement  propres  à  ces  fleuves. 

Le  fleuve  Jaune,  par  exemple,  ofl're  te  rem;irqiiable  phéno- 
mène d'un  déplacement  continuel  dcson  embouchure.  «  La 
plaine,  dit  Reclus  (chapitre  vu,  p.  293),  où  s'étendent  ses 
eaux  embrasse  une  immense  étendue  depuis  les  bouches  du 
Pcï-Ho  jusqu'à  celles  du  Hian-Tsé-Kiang,  de  manière  que  le 
fleuve  se  balance  comme  un  pendule  de  droite  à  gauche 
sur  une  longueur  de  i)00  kilomètres  du  nord  vers  le  sud. 
On  ne  trouve  dans  aucune  autre  partie  du  globe  terrestre 
d'aussi  considérables  revirements  dans  l'histoire  contem- 
poraine des  fleuves  ;  el  pour  se  faire  une  idée  de  ces  dépla- 
cements de  cours,  il  faudmit,  pas  exemple,  imaginer  que 
le  llhiu,  ayant  cessé  de  couler  en  Hollande,  au-dessous  de 
Cologne,  se  dirigerait  à  travers  les  plaines  de  l'Allemagne 
du  nord  jusqu'aux  bouches  de  la  Vislule. 

«  Dans  l'espace  des  vingt-cinq  derniers  si^cb-sà  partir  de 
la  tiOO"  année  de  la  vieille  ère,  la  partie  inférieure  du  cours 
du  Hoang-Ho  s'est  complètement  déplacée  neuf  fois.  » 

D'une  autre  citation  de  M.  E.  Reclus  qu'a  faite  ensuite  te 
général  Annenkof,  il  ressort  que  la  quantité  d'eau  coulant 
dans  ce  fleuve  doit  être  en  moyenne  bien  plus  c(insidéral)U' 
que.  celle  du  Nil  et  que  Ietier>  de  celle  du  Danube,  en  tout 
ca*,  que  cette  niasse  d'eau  contenant  une  grande  qiiaulilé 


i 


242       DES  RESSOURCE s  QUE  L  ASIE  CENTRALE 

de  parcelles  terreuses  suffit  pour  favoriser  chaque  annéa 
d'une  manière  sensible  la  réduction  de  la  surface  d'eau  du 
golfe  du  l'et-ché-li  et  de  la  mer  Jaune.  Ainsi,  pendant  les 
trente  années  de  sou  nouveau  cours  vers  le  nord,  le  Hoang- 
Ho  a  fait  avancer  assez  profondémenl  la  ligne  des  rivages, 
qui  a  envahi  toute  une  bande  du  golfe. 

D'après  les  calculs  de  Stauton  et  de  Barrow,  les  alluvions 
du  fleuve  Jaune  suffisent  pour  former,  dans  l'espace  de 
vingt-cinq  jours,  une  île  d'un  kilomètre  carré  d'étendue  et 
de  36  mètres  d'épaisseur. 

Le  ileuve  Bleu  porte  dans  ses  eaux  moins  de  parcelles 
terreuses  que  le  fleuve  Jaune,  et  suivant  les  observations  de 
Happy,  ces  parcelles  ne  constituent  que  la  2,200*  partie  de 
toute  1,1  masse  liquide  qui  y  coule,  l^s  alluvions  apportées  à 
son  embouchure  rcprésentenl  une  masse  solide  d'environ 
6  mètres  cubes  par  seconde  ;  par  conséquent,  la  sépa- 
ration du  limon  augmente  annuellement  de  180  millions  de 
mètres  cubes,  ce  qui  modifie  d'année  en  année  la  posi- 
tion des  issues  et  fait  surgir  de  petites  îles  qui  vont  toujours 
grandissant.  On  raconte  queîi'îled'Tsung-Ming  (qui  mesure 
environ  1,0(JO kilomètres carrésd'étendue)  atteignaità  peine 
la  surfaite  de  l'eau  à  l'époque  de  la  domination  mongole. 

Le  cours  inférieur  du  fleuve  Bleu  a  subi  des  changements 
moins  considérables  que  ceux  du  fleuve  Jaune,  mais  assez 
sensibles  pourtant  ;  outre  son  embouchure  actuelle,  il  en 
avait  jadis  deux  autres  qui  s'ouvraient  plus  au  sud.  Le 
principal  de  ces  lits  primitifs,  maintenant  engorgé  mais 
qu'on  peut  encore  reconnaître  sur  la  plus  grande  partie  de 
son  étendue,  se  séparait  du  bras  de  Ileuve  seplcnlrionat  à 
l'endroit  où  se  trouve  aujourd'hui  la  ville  de  Vougou, 
au-dessus  de  Nankin,  et  suivait  une  ligne  sinueuse  dans  la 
direction  du  sud-est,  portant  ses  eaux  vers  le  golfe  de  Han- 
tcheou. 

Les  lacs  abandonnés  par  le  Ileuve  iSleu  daus  la  péninsule 
de  Shanghaï  ont  conservé  les  contours  tortueux  du  fleuve 


I 


POURRAIT   OFFRIR  A    lA   COLONISATION   BU^JSE.  213 

primitir,  et  les  hautes  rives  qui  les  bordent  ofl'ienl  un  aspect 
tel  qu'on  les  croirait  encore  baignées  par  ce  fleuve;  toute 
la  contrée  avoisinante  rappelle,  en  généra!,  les  Pays-Bas, 
découpés  par  des  canaux  dans  maintes  directions. 

C'est  encore  à  M.  K.  Reclus,  et  notamment  à  son  remar- 
quable ouvrage  ialitulé:  la  Terreet  les  Hommes,  qnelecon- 
férencieraeu  recours  pour  établir  les  particularités  propres  à 
l'Amou-Daria  (Oxus),  qui,  s'il  n'a  poinljusqu'àprésent  formé 
an  véritable  delta  à  son  embouchure  et  ne  s'y  est  pas  creusé 
de  lits  réguliers,  n'a  apparemment  encore  pu  y  parvenir 
faute  de  temps,  puisqu'il  ne  coule  à.  l'endroit  actuel  que 
depuis  environ  350  ans.  De  fait,  pendant  la  première  moi- 
tié du  xvi"  siècle,  l'Amou-Daria  était  un  affluent  de  la  mer 
Caspienne,  phénomène  d'ailleurs  purement  temporaire, 
car  depuis  l'époque  des  historiens  grecs  ce  fleuve  a  déjà 
passé  deux  fois  de  la  mer  Caspienne  à  la  mer  d'Aral,  et  cice 
vcrsd. 

Le  général  Annenkof  a  conclu  ensuite  d'explications 
scientifiques  empruntées  àHumboldt  et  d'informations  pui' 
sées  chez  Klaproth  qu'indubitablement  l'Amou-Daria  a 
plusieiu-s  fois  modifié  ta  direction  de  la  partie  inférieure  de 
son  cours,  et  si  l'élendue  sur  laquelle  ont  eu  lieu  ces  dépla- 
cements d'embouchure  était  primilivement  moins  vaste 
peut-être  que  pour  le  lleuve  Jaune,  elle  a  cependant  été  en 
tout  cas  très  considérable. 

L'Amou-Daria  produit  d'ailleurs  le  même  elfet  que  les 
fleuves  chinois,  en  ce  qui  concerne  la  diminution  de  l'espace 
servant  de  bassin  aux  eaux  fluviales,  particularité  qui  établit 
entre  eux  une  analogie  essentielle. 

Celte  analogie,  ainsi  que  le  coup  d'œil  généra!  jeté  sur 
l'Asie  centrale  parM.  de  Richlhnfen  et  les  conclusions  qu'il 
en  a  tirées  par  rapport  à  la  Chine,  établissent  un  étroit  rap- 
prochement entre  les  conditions  respectives  des  deux  con- 
trées. 
M.  de  Richlhofen  examine  les  parties  centrales  et  extrêmes 


2-ii  DES   HESSOUJVCES   QUE   l'ASIE  CENTRALK 

du  cûiUinent  asiatique,  qui  se  disLinguenl  enire  elles  aussi 
bien  par  leur  origine  géologique  que  par  leur  caractère  phy- 
sique, la  répîtrtilion  des  plantes  et  des  animaux,  les  migra- 
tions des  peuples,  leur  histoire  politique  et  leur  développe- 
raenl  intellectuel. 

Dans  les  parties  centrales,  tous  les  produits  de  l'évenle- 
ment  des  parties  rocheuses  restent  au  sein  de  la  conirée,  et 
ne  Tonique  se  transporter  d'un  endroit  à  l'autre,  formant  des 
séparations  massives  dans  les  profondeurs  du  sol;  ils  déter- 
minent 1b  nivellement  de  sa  surface  en  tendant  à  lui  don- 
ner un  aspect  plus  ou  moins  uniforme. 

Dans  les  parties  extrAmes,  au  contraire,  les  produits  des 
bouleversemenls  terrestres  sont  emportés  par  les  fleuvesj 
vers  la  mer  et  servent,  d'une  part,  à  former  tes  amoncelle- 
ments riverains,  d'autre  part,  à  fournir  aux  eaux  de  mer  le 
complément  de  sels  nécessaire  à  leur  organisme. 

En  sorte  que  li'apriàs  M.  de  Richlhofen  et  M.  E.  Reclus, 
dans  l'Asie  centrale  prédomine  le  mouvement  centripète  et 
dans  les  confins  asiatiques  le  mouvement  centrifuge. 

Il  en  résulte  qu'on  trouve  dans  l'Asie  centrale  des  endroits, 
souvent  de  nature  saline,  couverts  d'une  végétation  uni- 
forme, ce  qui  inQue  certainement  sur  la  faune  et  aussi  sur 
la  civilisation  l'homme  ne  trouve  pas  d'emplacements 
favorables  à  la  vie  sédentaire,  sauf  d'insignifiantes  oasis; 
dans  les  confins  asiatiques,  au  contraire,  il  y  a  des  reliefs 
au  lieu  de  plaines,  il  y  a  de  nombreuses  rivières,  des 
vallées,  etc.,  tous  clcmenls  propices  à  une  grande  variété 
dans  la  vie  organique  et  qui  conséquemment  placent  l'homme 
dans  des  condition!:-  plus  favorables  à  son  existence  scden- 
laire.  h  son  développement  civil  et  intellectuel. 

Après  avoir,  en  s'appuyant  sur  des  citations  de  Humholdt, 
rendu  hommage  aux  progrès  déjà  fort  nncicns  du  peuple 
chinois  sous  le  rapport  scientillque,   iiM-unférencior  cons- 
late  qu'au  même  point  de  vue,  le  versant  occidental  du] 
Pamir  se  trouve  malheureusement  dans  de  tout  autres  con- 


POTRBAIT   OFFRIII   A    LA    COLO.MSATIOS    RUSSE.  UTi 

ditions.  La  civilisation  qui  y  a  existé  il  n'y  a  pas  bien  long- 
temps, n'a  presque  point  laissé  de  traces.  Les  peuplades  à 
demi-sauvages  qui  errent  actueliement  entre  la  mer  Cas- 
pienne et  la  mer  d'Aral  savent  très  peu  de  chose  concernant 
les  conditions  physiques  et  la  nature  du  sol,  à  l'égard  dos- 
quelles  on  possède  en  Chine  tant  de  données. 

En  outre,  celte  contrée  a  presque  toujours  été  le  tbéftlre 
de  luttes  entre  les  nomades  qui  la  pL'uptent,  cl  si  quelque 
germe  de  civilisation  y  surgissait  de  temps  à  autre,  il  devait 
naturellement  ûtre  aussitôt  anéanti. 

Voulant  tirer  des  conclusions  de  ce  qui  précède,  l'orateur 
a  cru  devoir  auparavant,  pour  leur  donner  plus  de  force,  tra- 
cer un  court  aperçu  des  renseignements  recueillis  de  fraîche 
date  sur  l'Amou-Daria  ;  comme  preuve  incontestable  de  ce 
que  ce  Ueuve  a  eu  j;idis  d'autres  lits  que  celui  où  il  coule 
acluellemenl,  il  invoque  l'esistence  de  ce  qu'on  nomme  les 
schors  et  les  tchinkis,  étudiés  seulement  depuis  peu. 

hesschors  représentent  des  rangées  de  cavités  successives 
ou  dévalions  encaissés,  séparés  les  uns  des  autres  par  des 
amas  de  sable.  Ils  sont  tantôt  secs,  tantôt  remplis  d'eau, 
mais  à  une  profondeur  qui  ne  dépasse  pas  un  pied  et  demi  et 
deux  pieds.  (Ju'on  se  ijgure  dts  alignements  entiers  de  ces 
tchors,  CD  aura  le  tableau  d'un  Ut  de  fleuve  desséché  et 
comblé  en  plusieurs  endroits  par  les  sables,  elleur  présence 
dans  la  contrée  en  question  y  conslituo  la  trace  indubitable 
de  cours  primitif  de  l'Amou-Daria. 

On  a,  en  outre,  remarqué  que  toute  la  localité  avoisinant 
le  Kopet-Dag  penche  dans  une  direction  concordant  avec 
celle  des  rangées  ûesckors,  ce  qui  prouve  également  l'exis- 
tence autrefois  en  cet  endroit  du  cour^  de  l'Amou-Daria, 
qui  avait  de  nombieuses  ramifications.  Ainsi,  dans  son 
ouvrage  intitulé:  les  l'ius  Anciens  Lils  de  l'Aimu-Daria, 
M.  Kaulburs  dit  que,  d'après  les  récits  de  voyageurs,  il  y 
avait  entre  Merw  et  l'Amou-Daria  actuel  jusqu'à  six  cavités 
rappelant  ces  anciens  lils. 


246  nEs  nESsouncES  que  l'aste  centrale 

Ed  admettant  que  ce  fût  efTectivement  des  lits  de  fleuve  et 
que  le  bord  de  la  mer  se  soit  trouvé,  dans  l'antiquité,  à  cet 
endroit,  nous  serons  fondé  à  condure  à  l'existence  primi- 
tive ici  d'un  vaste  delta  qui  comprenait,  outre  les  six  cours 
du  lit  actuel  de  Tchardjoui,  peut-être  aussi  la  plaine  de 
Karakoul;  mais  comme  il  n'est  guère  possible  de  douter  que 
la  mer  n'ait  baigné  jadis  celte  localité  et  que  le  fleuve  ne 
s'j'  soit  jelé  en  formant  un  delta,  notre  supposition  que  ces 
cavités  constituent  des  vestiges  de  lits  se  trouvei  confir- 
mée. 

Ce  n'est  qu'avec  le  Lemps,  au  fureta  mesure  du  recul 
de  la  mer  vers  l'ouesl,  ainsi  que  suus  l'influence  de  diffé- 
rentes causes,  qu'a  commencé  icil'activité  des  eaux  fluviales 
et  que  se  sont  ensuite  établis  deux  principauxcourants,  l'un 
situé  le  long  duKopel-Dag  et  l'autre  près  de  l'ûuzhoï  et  du 
Sary-Kamouisch,  Puis  le  courant  septentrional  a  augmenté 
audétrimentde  celui  do  l'ouest, de  plus  en  plus  engorgé  par 
les  aliuvionsel  finalement  transformé  en  une  série  de  sckors 
presque  dépourvus  d'eau,  s'est  encore  plus  détourné  dans 
lu  direction  de  la  mer  d'Aral. 

Les  kitinkis  représentent  de  longues  rangées  de  hauteurs 
abruptes  s'élevant  sur  la  surface  du  sol,  ce  qui  ne  peut  cer- 
tainement être  attribué  qu'à  une  force  quelconque  ayant 
arraché  sur  la  pente  générale  des  montagnes,  du  cAlé  de  la 
mer,  d'énormes  masses  de  terre  qu'elle  a  ensuite  entraînées 
au  bas  de  ces  montagnes. 

Le  plus  remarquable  de  ces  tchinkis  est  celui  d'Ûungouz, 
mesurant  environ 500  verstes  de  longueur;  mais  on  en  ren- 
contre encore  auprès  du  golfe  du  Césarévitch,  entre  les 
grandes  Balkhans  et  Krasnovodsk,  dans  l'oasis  de  Khiva  et 
en  d'autres  endroits  du  bassin  de  la  mer  Caspienne  et  de 
celui  de  la  mer  d'Aral. 

Les  explorations  des  derniers  temps  ont  démontré  qu'il 
existe  un  lien  rigoureusement  déterminé  entre  la  pente 
générale  des  localités  et  la  position  des  tchinkis  qu'on  y 


POCRRAIT   OFFRIR  A  LA  COLONISATION   RUSSE.  247 

rencontre,  et  qu'autrefois  Teau  a  certainement  coulé  au 
pied  de  toutes  ces  hauteurs.  Cette  notion  se  trouve  confir- 
mée par  la  circonstance  que  les  (f/<fHA"»sexistentseulemeut 
là  où  il  y  a  eu,  où  il  y  a  encore  des  courants,  et,  effective- 
ment,  nous  ne  les  rencontrons  qu'au  milieu  des  ramifica- 
tions des  anciens  lits  de  l'Amou  et  de  la  Sara,  ainsi  que 
sur  les  bords  des  principaux  fleuves. 

L'existence  des  schors  et  des  Ichinkis  conQroie  donc  indu- 
bitablement l'hypothèse  qu'une  partie  considérable  de  nos 
possessions  nouvelles  de  l'Asie  centrale  était  jadis  découpée 
par  toute  une  série  de  lits  de  l'Amou-Daria,  qui  se  sont 
«ans  doute  modifiés  de  la  même  manière  que  ceux  des 
fleuves  Jaune  et  lileu. 

Cette  conclusion  est  d'une  très  grande  importance  lors- 
qu'il s'agit  de  décider  si  l'Asie  centrale  est  propre  à  la  colo- 
nisation ceneCetle  long  de  ces  iits  se  trouvent  disposées 
ce  qu'on  appelle  des  étendues  de  lœss^  {lœsse  pur  et 
glaise  de  lœss)  qui  n'ont  pas  été  suffisamment  explorées 
jusqu'à  présent. 

Dans  son  ouvrage  sur  la  Chine,  le  professeur  de  Richthofea 
jette  un  coup  d'œil  sommaire  sur  l'Asie  centrale,  au  point 
de  vue  géologique,  et  passe  ensuite  à  l'étude  détaillée  et 
minutieuse  du  sol,  du  climat  et  en  général  des  conditions 
d'existence  de  cet  empire.  En  même  temps,  il  donne  une 
idée  du  sol  de  l'Asie  centrale  et  parle  de  ce  qu'on  nomme 
le  lœss. 

Le  sol  de  lœss  constitue  la  plus  récente  formation  qui 
se  soit  faite  sur  le  globe  ;  il  est  apparu  bien  après  la  forma- 
tion générale  de  la  surface  terrestre  et  la  répartition  primi- 
tive des  matériaux  qui  la  composent. 

Le  lœss  peut  être  envisagé  comme  le  résultat  d'une  opé- 
ration atmosphérique,  aérienne. 

Cette  hypothèse  se  trouve  confirmée: 


1.  Le  Icut  est  une  t«rre  glaiseuse  des  plus  fertiles. 


2-48  HF.s  RESsnuRnES  que  1,'asie  centrale 

1"  Par  le  fait  qu'on  rencontre  dans  lo  sol  de  lœss  des  dé- 
Iritus  de  roquiilages  dn  fimnips,  avec  absence  Lotiile  rie 
coquillages  d'eau  douce; 

2*  (Ju'on  y  consLale  la  présence  d'os  de  quadrupèdes 
mammifères  vivant  sur  terre  ferme  ; 

3>  Qu'on  y  voit  des  traces  de  végéLatiou. 

Bien  que  le  hi-sx  ne  renferme  point  de  détritus  de 
plantes,  un  grand  nombre  des  canaux  lubulaires  qui  s'y 
trouvent,  répondent  à  la  forme  el  à  la  ramification  de  ra- 
cines végétales. 

On  doit  considérer  comme  ayant  servi  de  facteurs  pour 
la  formation  du  kvss  : 

a.  Les  eaux  de  pluie,  qui  ont  entraîné  avec  elles  des 
parcelles  de  terre  des  montagnes,  sous  l'action,  de  l'air  et 
de  la  décomposition  des  couches; 

b.  Les  vents,  qui  ont  semé  ces  parcelles  sous  forme  de 
poussière  en  les  envoyant  dans  certaines  directions,  phé- 
nomène qu'on  continue  d'observer  actuellement  ; 

c.  Les  plantes,  mais  eavisagées  comme  facteurs  el  non 
comme  matériaux  de  formation.  Chaque  couche  du  sol  de 
lœtt  s'était  couverte  d'une  végétation  qui  l'avait  préservée 
de  la  dispersion  par  les  vents,  tirant  de  son  sein  des  sub- 
stances minérales  et  périssant  ensuite  à  sa  surface,  de  ma- 
nière à  y  former  ainsi  de  nouvelles  couches. 

I.a  carte  géologique  dressée  sous  la  direction  du  profes- 
seur Mouschkétow  el  des  ingénieurs  des  mines  Bogdano- 
vitch  el  Obroutchew,  montre  que  toute  l'étendue  du  terri- 
toire depuis  Kizil-Arvat  jusqu'à  .\skliabad  et  au  delà,  par 
toutrAtek,  oll're  un  sol  de  /«'ss  compact,  interrompu  seu- 
lement en  quelques  endroits  par  les  sables;  si  Ton  y  ajoute 
tous  les  lieux  oîi  se  sont  entremôlés  les  nombreux  lits  de 
r.\niou-Daria,  avec  leurs  vallées  ayant  également  un  sol  de 
iœss,  la  surface  de  territoire  de  celte  nature  se  présente 
encore  plus  vnsle. 

Le  lœss  pénètre  à  une   profondeur  très   considérable. 


d 


POl'KRAIT   OFFItlR  A  LK   COLONISATION   RUSSE.  249 

En  perforant  le  sol  en  plusieurs  endroits,  aussi  bien  pour  y 
creuser  des  pulls  artésiens  que  pour  se  rendre  compte  de  la 
aature  du  terrain  où  l'on  voulait  construire  des  ponts  sur 
ia  ligne  du  chemin  de  fer  transcfispien,  il  arriva  parfois  de 
ne  trouver  que  du  liess  à  la  profondeur  de  plusieurs  dizaines 
de  toises,  etcela  sans  qu'il  y  eût  même  de  légères  coiicbes 
interinédiaires.  |]  estenm&me  temps  indispensable  de  faire 
observer  que  l'analyse  chimique  a  démontré  l'identité  de 
composition  du  sol  àalaiss  en  Chine  et  dans  l'Asie  centrale, 
avec  celle  des  eaux  des  lleuvcs  chinois  dont  il  a  été  parlé, 
de  l'Amou-Daria  et  du  Nil. 

Ainsi  s'expliquent  les  surprenantes  récolles  qu'on  ob- 
tient dans  la  province  transcaspienne  sur  le  sol  de  lœss,  dès 
qu'il  reçoit  l'irrigation  voulue;  en  même  temps  il  faut  obser- 
ver que  lelabour  est  très  peu  satisfaisant  chez  lesTurcmènes 
et  ne  saurait  d'aucune  manière  se  comparer  à  celui  qu'on 
pratique  en  Boukharie;  néanmoins,  il  y  a  eu,  l'année  der- 
nière, dans  l'oasis  de  Mcrw,  des  récoltes  qui  ont  donné  170 
pour  un. 

Or,  la  densité  de  la  population  en  Chine  s'explique  pré- 
cisément par  l'extraordinaire  fertilité  du  sol  de  lœss,  qui 
permet  de  lui  faire  produire  une  énorme  quantité  des  sub- 
stances nutritives  les  plus  variées. 

Contre  l'opinion  que  l'Asie  centrale  est  propre  à  la  vie 
sédentaire  du  Russe,  on  peut  cerlainemenl  invoquer  l'exis- 
tence dans  ces  parages  d'étendues  sablonneuses  considéra- 
bles ;  mais,  outre  que  les  terrains  favorables  à  la  colonisation 
ne  sont  pas  moins  vastes,  il  faut  encore  ajouter  que  si,  dans 
certains  endroits,  les  sables  mouvants  paraissent  menacer  la 
culture, c'est  l'homme  lui-mèmequi  en  est  responsable, car  il 
créeimpiudemment  des  conditions  susceptibles  d'amener  ce 
mouvement  des  sables,  qu'on  remarque  seulement  dans  les 
localités  011,  pour  se  procurer  du  combustible,  il  a  anéanti  la 
végétation,  et  particulièrement  dans  les  endroits  ou  elle 
était  nécessaire  pour  les  besoins  quotidiens  des  indigènes. 


250  UKs  itEssorncES  que  l'asie  centuale 

Au  contraire,  le  sable  se  trouve  plus  éloigné  des  lieux 
d'habitalion,  sur  les  points  où  on  lui  oppose  une  plantation 
assez  épaisse  de  tamaris,  de  saksaoul  et  autres  plantes  du 
raéme  genre,  ou  bien  l'eriseinencement  d'herbes,  quiraffer- 
mi.ssenL  encore  davantage,  le  terrain. 

La  meilleure  preuve  que  le  sol  sablonneux  est  propre  à  la 
croissance  de  ces  végéLaux,  c'est  que,  depuis  l'inlerdiclion 
d'abattre  le  salisaonl  et  le  tamaris  sur  les  terrains  situés  à 
moins  de  cinq  versles  de  chaque  côté  du  chemin  de  fer,  la 
végétation  y  a  reparu  dans  tous  les  endroits  où  elle  avait 
clé  préccdemmentanéantie.  Celle  circonstance  a  obligél'ad- 
minislralion  de  la  ligne,  surtout  à  cause  du  peu  de 
succès  des  plantations  de  végétaux  importés,  h  fixer  soaal- 
tention  sur  les  espèces  locales  et  à  organiser  des  pépinières 
spéciales  pour  ces  espèces,  dans  le  but  d'en  planter  le  long 
des  remblais  traversant  les  localités  sablonneuses. 

Pour  mieux  démontrer  que  les  lieux  cultivés  peuvent 
être  garantis  contre  l'envahissement  des  sables,  mention- 
nons encore  la  circonstance  que  voici. 

La  formcla  plus  commune  des  hauteurs  sablonneuses  sem- 
ble indiquer  positivement  là-bas  le  rôle  prédominant  du  vent 
nord-ouest  dans  leur  création;  et  s'il  en  est  ainsi,  les  sables 
pourront  difficilement  pénétrer  à  l'intérieur  du  pays,  mais 
devront  plutôt  se  diriger  vers  la  mer  et  envahir  celte  d'Aral, 
au  lieu  de  venir  augmenter  les  amas  qui  en  existent  àKara- 
Koum,  du  côté  de  l'Orient.  A  l'appui  de  celte  hypothèse 
le  professeur  Mouschkétovv  constate  une  diminution  effective 
de  l'étendue  du  désert  de  Kara-Koum,  ou,  ce  qui  revient 
aumême,  une  extension  sensible  du  tapis  de  végétation  dans 
celle  contrée,  dans  la  direction  de  l'Orient. 

Après  avoir  exprimé  la  conviclion  que  les  nombreux 
essais  de  plantation  récemment  effectués  dans  la  province 
Iranscaspieuiie  le  long  du  chemin  de  fer,  près  des  proprié- 
lés  impériales  et  près  de  Samarcande,  prouveront  bientôt  la 
possibilité  de  lutter  avec  les  sables  ;  le  général  Annenkof  a 


pornnAiT  offhir  \  u  colonisation  russe.        251 

ajouté  que  peul-ôtre  aussi  parviendra-l-on  à  réaliser  le  pro- 
jet, depuis  longtemps  ffjrnn5  en  Boukhaiie,  de  percer  un 
eiinal  qui  amènerait  au  Karakoul  l'eau  de  l'Amou-Daria. 
Lorsqu'on  voit,  dit-il,  couler,  dans  le  tit  de  ce  fleuve,  à 
Tchardjoui,  une  bande  d'eau  de  quatre  versles,  avecla  rapi- 
dité de  onze  versles  à  l'heure,  on  ne  peut  mettre  en  doute 
la  possibilité  de  réaliser  pleinemetit  le  projet  en  question. 
L'émir  de  Boukharie  n'aura  même  pas  besoin  d'argent  pour 
cette  entreprise,  car  ses  sujets,  habitués  ii  accomplir  les  Ira- 
?aux  publics  par  voie  de  corvée,  se  présenteront  avec  leurs 
outils  et  provisions,  préparant  ainsi  la  rellorcscence  du  terri- 
toire de  Karakoul,  dont  le  sol  de  tii'ss  est  considéré  comme 
le  plus  productif  de  toute  la  vallée  de  Zaravschan. 

Il  est  vrai  que,  si  la  province  trancaspienne  se  trouve 
sous  le  rapport  du  sol  cultivable  dans  les  mêmes  condi- 
tions que  la  Chine,  celle-ci  est  plus  propice  à  la  végétation 
par  suite  du  voisinage  de  l'océan  Pacifique  et  d'une  plus 
forte  dose  d'humidité;  mais  encore  y  a-l-il,  même  en  Chine, 
des  graminées  qui,  comme  le  riz,  ne  poussent  que  grâce  à 
l'irrigation  artificielle. 

La  quantité  absolue  de  pluie  qui  tombe  dans  l'Asie  cen- 
trale en  général  et  dans  la  province  transcaspienne  en  par- 
ticulier, est  beaucoup  plus  considérable  que  bien  des  gens 
ne  le  supposent;  il  ressort,  par  exemple,  des  observations  de 
la  station  météorologique  de  Merw,  qu'il  est  tombé  plus  de 
1,654  millimètres  de  dépôts  atmosphériques  pendHnt  trois 
mois  de  l'année  1885  et  quatre  mois  do  18HG. 

Or,  en  Allemagne,  la  hauteur  annuelle  des  pluies  ne 
dépasse  pas  <»80  millimMres,  en  Angleterre  et  en  Irlande 
862  (fait  démontré  par  dix-neuf  ans  d'observations),  dans  la 
H  ussie  centrale  et  septentrionale  de -tOO  à  "00,  et  dans  la  Nou- 
velle Russie  300  seulement. 

Du  reste,  la  quantité  absolue  d'humidité  ne  saurait  avoir 
uoe  importance  particulière,  vu  que  celle-ci  se  répartit  par 
mois,  dans  la  contrée,  d'une  manière  très  irrégulière,  et 


252  RES30TRf.ES   QrE    L'aSIE   CENTRALE 

que,  grâce  à  l'élévation  extrême  de  la  température,  elle 
s'évapore  sans  avoir  eu  le  lenaps  de  remplir  son  office. 
Semblable  phénomène  se  produit  également  sur  les  rives 
caucasiennes  de  la  mer  Noire,  près  dn  port  de  Redoute- 
Kalé,  où  malgré  la  cbulede  i  ,700  millimètres  de  dépôts  atmo- 
sphériques, la  sécheresse  est  très  fréquente  par  suite  des 
circonstances  mentionnées  plus  haut. 

Si  donc  les  conditions  atmosphériques  ne  permettent  pas 
de  tirer  tout  le  prolit  que  le  sol  de  Iwns  est  susceptible  de 
donner  en  Asie  centrale,  on  peut  aisément  remédier  à  cet 
état  de  choses  en  recourant  h  l'irrigation  artificielle  des 
territoires  improductifs  au  moyen  des  eaux  de  l'Amou- 
Daria,  du  Syr-Daria,  du  Tedjen  et  du  Mourgab  ;  ces  deux 
derniers  fleuves,  par  ejtemple,  qui  se  perdent  dans  les 
sables  sans  profiter  à  personne,  favoriseraient  beaucoup  la 
culture  en  allant  jusqu'à  la  mer  ;  d'autres  ont  Tinconvé- 
nienl  de  dissiper  une  énorme  quantité  d'eau  dans  les  deltas 
et  marais  de  leur  embouchure;  par-ci,  par-là  l'on  s'avise 
d'améliorations,  c'est  sous  une  forme  et  avec  des  procédés 
tellement  primitifs  qu'elles  ne  sauraient  produire  de  résul- 
tats sérieux. 

Cependant  l'histoire  nous  prouve  que  les  contrées  en 
question  sont  indubitablement  propres  à  la  culture,  puisque 
làoti  s'étend  aujourd'hui  le  désert,  il  y  avait  jadis  des  plaines 
Jlorissanles  et  une  population  qui,  à  l'époque  d'Alexandre 
le  Grand,  s'élevait  au  chiffre  de  vingt  à  trente  millions 
d'habitants  (page  74  de  la  Description  des  campagnes 
d' Alexandre  y  par  M.  Grjgoriff). 

M.  E.  Reclus  lui-mlime  déclare  dans  son  ouvrage  que,  sans 
qu'il  soit  besoin  de  recourirà  des  mesures  spéciales,  le  sol  de 
l'Asie  centrale  pourrait  nourrir  cinq  fois  plus  de  gens  qu'il 
n'y  en  a  dans  la  contrée,  si  l'on  se  bornait  simplement  à  pro- 
filer du  iœ&s  et  à  organiser  une  irrigation  normale  au  moyen 
des  fleuves  actuellement  inutilisés. 

D'autre  part,  l'exemple  de  l'Amérique,  oîi  les  chemins  de 


POUR n AIT   OFfRin  A    LA   COLOMSAFION  RUSSE. 


253 


fer  produisent  de  merveilleux  résullats,  bien  que  le  sol  y 
soit   moins  fertile  que  dans  l'Asie  centrale,  montre  que  la 
ligne  Iranscaspien ne  pourtail rendre  ici  d'immenses  services, 
d'autant  plus  que  les  richesses  minérales  de  cetle  contrée 
restent  encore  à  esploiler.  On  peut  s'en  convaincre  en  lisant 
les  détails  que  M.  A,  Vambery  a  publiés  dans  ses  extraits 
concernant  les  gisements  de  minerais,  lapis-lazuli,etc.,du  Ba- 
daks-chan,et  les  mines  d'argent  des  monts  Scheikh-Djély. 
S'en  rapportantau  récit  d'un  entrelien  du  voyageur  Bruce 
avec  Pierre  le  Grand,  l'orateur  a  rappelé  que  la  colonisation 
du  pays  de  l'Amou-Daria  était  déjà  le  rôvede  l'illustre  em- 
pereur, que  ce  rêve  est  actuellement  réalisé,  et  que  si  l'on  y 
orpanise  un  système  rationnel  d'irrigation,  l'Asie  centrale 
donnera  certainement,  dit-il,  des  résultats  aussi  satisfai- 
sants que  ceux  qu'on  a  obtenus  dans  la  Nouvelie-Flussie, 
dans  le  pays  d'Orenbourg  et  en  Sibérie. 

De  tout  cela  il  résulte,  a  conclu  M.  Anneiikof,  qu'il  est 
nécessaire  de  prendre  des  mesures  pour  diriger  autant  que 
possible  la  colonisation  russe  de  la  Russie  d'Europe  vers 
l'Asie  centrale,  car  son  expansion  naturelle  sans  immixtion 
ni  concours  adminislrrilifs  a  eu  souvent  pour  conséquence 
de  réduire  des  masses  d'émigrants,  par  suite  d'ignorance, 
à  errer  des  mois  entiers  et  même  des  années  avant  de  par- 
venir h  trouver  où  s'établir  convenablement,  épuisant  ainsi 
leurs  ressources  el  leurs  forces  ph y siqups. 

L'orateur  ne  doute  pas  qu'il  n'y  ait  beaucoup  de  gens  dé- 
sireux d'émigrcr  vers  l'Asie  centrale;  déjà  un  certain 
nombre  d'entre  eux  y  ont  apparu;  mais  ils  arrivent  sans 
savoir  où  se  diriger,  comment  distinguer  les  terres  culti- 
vables des  terrains  réellement  arides,  ne  connaissant  ni  les 
procédés  locaux  do  culture,  ni  les  oulils  à  y  employer,  igno- 
rant en  un  mol  les  conditions  vitales  du  paj's  el  du  mode 
rationnel  de  s'y  livrer  au  IravaiL  Aussi  le  concours  gouver- 
nemental serait-il  infiniment  utile  aux  émigrants  en  se  tra- 
duisant par  les  mesures  que  voici  : 


25i  DES  RESSOURCES  QUE  L'ASIE  CENTRALE,   ETC. 

1*  Dresser  des  plans  topographiques  bien  précis,  pour  la 
détermination  deâ  terrains  pouvant  être  affectés  à  la  colo- 
nisation ; 

2°  Etudier  les  meilleurs  systèmes  d'irrigation,  réaliser 
les  projets  qui  sont  dès  à  présent  praticables  sous  ce  rap- 
port; 

3°  Organiser,  sur  les  points  les  plus  importants,  des  écoles 
d'agriculture,  d'après  le  type  élaboré  actuellement  par  le 
Ministère  des  Domaines,  en  y  annexant  des  fermes^modèles, 
dans  lesquelles  il  faudrait  surtout  prendre  en  considéra- 
tion l'opportunité  de  familiariser  les  émigrants  avec  la  cul- 
ture des  articles  qui  offrent  le  plus  de  chances  de  réussite, 
tels  que  le  coton,  la  soie,  le  raisin,  etc.,  et  qui  sont  le  plus 
capables  par  conséquent  de  favoriser  leur  bien-être. 


ISrOTES  8XJI?,  LE  THIBET 


M.    l'abbé   DESOODIWS' 


Montés  dans  les  vagons  de  rEastern-Bengal-Railway,  nous 
traversons  pendant  la  nuit  les  immenses  et  fertiles  plaines 
du  Bengale,  en  allant  toujours  du  sud  au  nord.  Le  matin, 
en  sortant  du  train  à  Siligurie,  nous  apercevons  devant 
nous  l'énorme  soulèvement  géologique  du  Thibet,  environné 
des  plus  hautes  montagnes  du  globe.  Un  triple  rempart, 
avec  ses  forts  avancés,  le  mont  Everest,  le  Kong-tchin-djé- 
nga   et    le   Davanagiri,  élevés   de   plus   de    8000  mètres 
(presque  deux  fois  la  hauteur  du  Mont  Blanc),  défendent  le 
Thibet  vers  le  sud.  Au  nord-ouest  le  Karakorum,  au  nord  le 
Tien-chan  puis  le  Kuen-Ien,  à  l'est  sept  ou  huit  chaînes  de 
montagnes,  véritables  Grandes  Murailles  élevées  par  la 
nature  entre  la  Chine  et  le  Thibet.  Au  centre,  les  plateaux 
très  accidentés  du  Thibet,  dont  l'altitude  varie  entre  3,500 
et  4,000  mètres.  Tous  ces  sommets  et  ces  plateaux,  la  com- 
raime  imagination  les  revêt  de  glaciers  et  de  neiges  perpétu- 
elles, et  en  lire  a  priori  la  conclusion  que  le  Thibet  est  maté- 
riellement inaccessible;  c'est  un  préjugé.  Il  y  a  une  multi- 
tude de  glaciers  il  est  vrai,  mais  leur  aspect  charme  de  loin 
le  regard  en  embellissant  le  paysage;  on  passe  à  côté  d'eux, 
dans  les  vallées,  sans  en  être  autrement  gêné.  Quant  aux 
neiges  annuelles,  elles  sont  très  rares  au  Thibet  à  cause  de  la 
grande  sécheresse  du  climat  et  de  la  latitude  peu  élevée 

1.  Communication  adressée  à  la  Société  dans  sa  séance  du  21  mars 
1890. 


256  SOTKS  Sun  le  tihcet. 

(du  28°  au  36°  lat.  nord).  On  ne  rencontre  guère  la  nei|;e, 
môme  sur  les  hauls  plateaux,  que  de  la  fin  de  février  à  la  fin 
d'avril. 

Quant  aux  roules,  elles  ne  manquent  pas  non  pins.  Voici 
d'abord  la  prantle  route  anglaise  qui  de  Sirala,  remontant 
Je  SuUeje,  conduit  à  la  frontière  occidentale  du  Thibct, 
province  de  Mgari.  riche  en  pâturages  et  eu  mines  d'or,  et 
au  Ladak  ou  Petit  Thibel;  mCme  quand  elle  est  accrochée 
aux  flancs  de  roches  verticales  par  de  fortes  poutres  en  fer, 
on  peut  y  passer  à  oheval  ou  en  dandi.  Voici,  en  second 
lieu,  une  route  très  frcquenti^e  par  le  commerce  lliibélain  à 
l'ouest  du  Népal  et  qui  aboutit  aux  sources  de  l'indus,  du 
Sulleje  et  du  Yarkioulsang-po  ou  Bramapoulre,  près  des 
lacs  Tso-ma-pang,  dans  les  plus  hauts  pâturages  du  ïhibet. 
De  plus,  deux  routes  qui  traversent  te  Népal  où  l'on  ne  peut 
pénétrer  sans  autorisation  préalable  des  deux  gouverne- 
ments anglais  et  nepalien.  Plus  h  l'est,  s'ouvrent  encore 
trois  roules  qui  traversent  les  llimalayas  par  la  vallée 
tbibétaine  de  To  wang  et  Boutang  dans  sa  partie  orienJale 
et  sa  partie  occidentale. 

En  résumé  nous  avons  là  sept  roules  (dont  une  euro- 
péenne) très  praticables  et  très  pratiquées  par  lesThibétains 
et  autres  indigènes.  Si  elles  restent  fermées  aux  Européens, 
et  aux  Européens  seuls,  si  elles  ne  sont  pas  déjii  transfor- 
mées par  la  science  des  ingénieurs  européens  en  1res  bonnes 
routes,  comme  celle  du  Sutlcje,  !a  faute  en  est,  non  h  la 
nature,  mais  à  la  mauvaise  volonté  des  hommes. 

A  Siliguric,  terminus  de  l'Eastcrn-Bcngal-Railway, 
embarquons-nous  dans  le  train  qui,  In  veille,  est  parti  de 
Calcutta  à  4  heures  du  soir  et  qui,  en  quatorze  heures  A 
parcouru  pins  de  IlOO  milles  du  sud  au  nord.  Siliginic  est 
non  seulement  un  terminus,  mais  encore  un  embarcadère 
pour  le  Darjceling-Ilitnalayan-ltnilway  (système  Deranville, 
je  crois),  qui  par  des  courbes  très  fortes  el  des  zigzags  très 
prolongés   dans    deux    ou    trois    vallées,    s'élève  jusqu'à , 


NOTES   SUR  LE  TIIIBICT,  257 

lûO  mèlres  en  60  kilom.  de  parcours;  en  huit  heures,  il 

[>ose  le  voyageur  à  Darjeeling.  Depuis  neuf  ans  qu'il 
fbnctionne,  il  n'y  a  pas  encore  eu  d'accidenl  sur  la  ligne. 
Le  grand  promoteur  de  celle  entreprise  est  Sir  Ashiey 
Eden,  lieutenanl-gouvemeur  du  Bengale;  les  travaux  ont 
élé  exécutés  surtout  sous  la  direction  de  l'honorable 
M.  Preslage.  J'ai  entendu  plusieurs  voyageurs  s'extasier 
devant  celle  merveille  de  la  science  et  de  l'art,  autant  que 
devant  les  points  de  vue  si  variés  qui  passent  sous  leurs 
yeux,  et  dire,  ce  qui  me  paraît  exagéré,  que  leur  voyage 
d'Europe  était  bien  payé  par  le  seul  plaisir  de  faire  un  tel 
trajet. 

Darjeeling  bâti  en  ampbilbéàlre  sur  le  Qanc  de  la  mon» 
tagoe,  est  une  ville  de  plaisance  cl  un  sanatorium  où  les 
anémiques  du  Bengale  viennent  pour  recouvrer  la  santé.  On 
y  jouit  d'avril  à  novembre  d'un  air  frais  et  du  plus  beau 
spectacle  de  la  nature  au  milieu  des  innombrables  points 
de  vue  des  Himalayas. 

Au  pied  du  Kong-lchin-djé'figa,  entre  ses  deux  puissants 
contreforts,  le  Singgalea  à  l'ouest  et  le  Chola  h  l'est,  ce 
fouillis  de  ravins  escarpés  et  de  montagnes,  noires  parce 
qu'elles  sont  très  boisées,  forme  le  petit  royaume  de  Siivim, 
autrefois  tbîbétain,  maintenant  anglais  pour  son  très  grand 
avantage  et  bonheur.  Malgré  sou  exiguïté,  il  est  peuplé  par 
quatre  races  d'hommes  ;  les  Rong  ou  Lepchas  aborigènes, 
les  Tbibétains  conquérants,  les  Limbous  venus  du  Népal, 
et  les  Newais  ou  Népaliens  émigrés  depuis  peu  d'années  et 
qui  forment  déjà  la  grande  majorité  dans  la  population 
totale  de  30,000  iinus  environ.  Il  y  a  vingt  ans,  elle  n'était 
que  de  12  à  13,000. 

Le  Sikim  est  arrosé  par  deux  rivières  principales  :  la 
Tista,  qui  coule  du  nord  au  sud  dans  la  partie  orientale  vers 
les  plaines,  et  son  al'ûuent  droit,  te  Bouri  Ranjit  qui  arrose 
la  partie  occidenlale  de  cet  État.  En  remontant  la  Tista  une 
route,  qui  d'ici  à  peu  d'années  sera  très  bonne,  se  bifurque 

&0C.  DECÉOGB.  —  â'  THiaiESIHE  IBIKf.  XI. —  17 


258  HOTES  sm  le  thiurt, 

daus  la  partie  supérieure  et  vient  aboutir  à  quatre  cols 
donnant  entrée  au  ThibeL.  Pour  le  nnoment,  une  autre  route 
partant  aussi  de  Darjeeling  ou  de  Siligurie,  traverse  la 
pointe  sud-est  du  Sikim  et  vient  aboutir  au  col  de  Jetep. 
Quoique  très  accidentée,  puisqu'elle  passe  successivement 
par  lesaltitudes  de  2,100,  :2 ,220,  1,315, 1,835,  et4,495  mètres 
d'altitude,  cette  roule  est  meilleure  que  celle  du  SuLlege; 
elle  est  même  carrussable  dans  la  première  moitié  de  son 
étendue  de  100  kilomètres. 

A  la  première  halle,  onrencontrelafaclorcriedeM.  Munro, 
l'un  des  principaux  planteurs  de  thé  de  la  région;  il  est 
heureux  de  pouvoir  oirrir  aux  voyageurs  un  ff/^H,  c'est-à- 
dire  un  copieux  goûter  et  de  nombreux  rarraîchissemenLs. 
A  -l  milles  plus  bas,  on  traverse  la  Tîsla  sur  un  beau 
pont  suspendu  en  tilde  fer,  de  lûû  mètres  de  long.  Au  sommet 
du  mamelon,  à  Kalimpong,  on  peut  visiter  les  écoles  des 
révérends  ministres  écossais^  t'hôtei  des  voyageurs,  celui 
de  l'inspecteur  des  Ibrèls,  la  maison  de  Teim-djrou,  magistrat 
indigène,  la  résidence  et  les  magasins  de  la  Compai;nie  des 
transports  par  voitures  à  boeufs.  Tout  le  vallon  sur  les 
deux  rives  de  la  llillie  est  admirablement  cultivé  par  les 
Newars  ou  Népaliens  émigrés.  Plus  loin,  à  12  milles  au  nord- 
est,  à  Padong,  on  aperçoit  le  camp  anglais,  les  magasins  de 
l'inlendance,  le  télégraphe,  le  bureau  de  poste,  le  bazar 
indigène,  le  tout  construit  en  bambous.  Une  modeste  maison 
carrée  ù  un  étage,  au  toit  pointu  et  surmonté  d'une  grande 
croix,  est  la  mienne  et  celle  de  mes  trois  confrères.  Kn 
fait  de  curiosités,  nous  n'avons  à  montrer  que  noire  jardi- 
net, une  école  et  un  orphelinal,  œuvres  encore  au  ber- 
ceau . 

Voici  neuf  ans  bicnlût  que  nos  regards,  passant  par- 
dessus le  mamelou  de  Ré-nock,  contemplent  au  nord-est 
ce  pic  de  Lingtou  qui  nous  caclie  la  frontière  du  Tbibel. 
Quand  pourrons-nous  la  franchir?  Si  la  route,  toujours 
excellente,  continue  à  rester  fermée,  c'est,  comme  nous 


i 


WOTES   SUR   LE  THIBET. 


259 


l'avons  déjà  fait  remarquer,  la  faute  non  delà  nature  mais 
des  hommes. 

Trois  ou  quatre  milles  après  avoir  dépassé  le  sommet  de 
Lingtou,nousdébouchonsdansle vallon  alpestre  deNatong, 
où  -400  braves  soldais  irlandais  nous  accueillent  par  de 
vigoureux  hourras  et  nous  offrent  une  gracieuse  hospitalité 
pour  la  nuit  dans  leur  camp  forliflé.  Un  peu  plus  loin  dans 
le  vallon  de  Kou-pup,  orné  de  deux  petits  lacs,  la  route  se 
bifurque  et  vient  aboutir  à  trois  cols. 

Nous  prenons  celle  du  milieu  et,  après  4  milles  d'une 
montée  relativement  douce,  nous  arrivons  enfin  au  Jelep- 
pass,  élevé  de  4,495  mètres  au-dessus  de  la  mer,  315  mètres 
seulement  moins  que  le  sommet  du  Mont-Blanc.  Quel  spec- 
tacle splendidel  De  tous  côtés  et  à  perte  de  vue,  des  som- 
mets de  montagnes  au-dessus  desquels  se  détachent  comme 
d'énormes  diamants  des  glaciers  et  des  neiges  perpétuelles  ; 
au-dessous  de  nous,  des  ravins  et  encore  des  ravins,  con- 
tournés dans  tous  les  sens  et  dont  les  précipices  sont  cachés 
par  d'épaisses  et  verdoyantes  forêts.  Le  pied  gauche  est 
encore  sur  le  Sikim,  que  le  pied  droit  est  déjà  sur  le 
Thibel, 

A    partir  du  Jelep-pass,  on  dit  adieu  à  la  bonne  route 

anglaise;  il  faut  se  contenter  de  la  route  thibélaine.  Une 

descente  rapide  de  18  kilomètres  amène  au  village  de  Rin- 

Ichin-gong,  sur  les  bords  do  la  rivière  A-mo-tchou,  à  une 

altitude  de  2,850  mètres  seulement.  De  Rin-tchin-gong  au 

passage  des  grands  Uimalayas,  entre  le  pic  Dong-kia  à  la 

pointe  nord-est  du  Sikira,  et  le  Tcho-mo-Lha-ri  «  montagne 

de  la  noble  déesse  »  à  la  pointe  nord -ouest  du  Boutang, 

cinq  ou  six  jours  de  marche  facile  et  d'une  douce  montée. 

Rien  de  remarquable,  si  ce  n'est  Chumbi,  l'ancienne  maison 

d'été  du  roi  du  Sikim  dont  il  peut  faire  son  deuil;  puis  Pa-ri- 

dzong,  le  chef-iieu  du  district.  En  Ihibétatn,  dzong  signifie 

bien   forteresse,  mais  actuellement   les  forteresses   étant 

presque  partout  tombées  en  ruine,  dzong  ne  signifie  plus 


-260 


NOTES   sua   LE  TOIDET. 


que  la  résidence  d'un  employé  du  gouvernement,  grand  ou 
petit,  peu  importe. 

Aussitôt  après  avoir  dépassé  la  ligue  de  faîte  des  grands 
HimalayEis  ueigeux,  nous  entrons  dans  la  lone  de  pâturages, 
qui  s'étend  entre  toute  la  chaîne  méridionale  et  la  chaîne 
centrale  des  Hiraalayas.  Il  existe  aussi  d'autres  grands  pâtu- 
rages sur  une  partie  de  la  province  de  Kgari  et  sur  le  cours 
supérieur  du  Yarkiou-tsang-po,  mais  les  plus  vastfis  occupent 
loutela  partie  nord  du  ïhibet  connue  sous  ie  nom  générique 
de  Tchang-tong  «  plaines  du  nord  s  ut  peuplée  parles  tribus 
lleur. 

Ces  plaines  du  nord,  dont  l'uititude  est  de  plus  de 
4,000  mètres,  couvrent  les  deux  tiers  des  deux  provinces  cen- 
trales et  sont  arrosées  par  de  nombreux  lacs  sans  écoulement 
vers  aucune  mer  cl  par  de  petites  rivières  qui  alimentent  ces 
lacs.  En  outre,  tous  les  sommets  de  montagnes  qui  dominent 
les  vallées  habitées  sont  consacrés  au  pilurage  dès  qu'ils 
altcifîuenl  ['altitude  de  3,300  mètres,  où  toute  agriculture 
devient  impossible.  De  la  superlicie  du  sol  iuférieure 
à  3,300  mètres,  retranchez  encore  les  pentes  de  ravins 
ahrnples,  dénudées  ou  parfois  couvertes  do  forêts,  et  vous 
conclurez  sans  doute  que  lu  nature  s'est  montrée  excessi- 
vement libérale  envers  la  population  pastorale  et  excessive- 
ment parcimonieuse  envers  la  population  agricole.  Celte 
seule  considération  (et  il  y  en  a  bien  d'autres)  sufûriiit  à 
rendre  raison  du  peu  de  densité  de  la  population  thibétaine; 
le  chifl're  en  est  probablement  dcO  à  7  millions  d'habitants 
pour  un  pays  dont  la  surface  est  presque  deux  fois  celle  de 
la  France,  et  trois  fois  au  moins,  si  l'on  tient  compte  des  irré- 
gularités du  sol. C'est  que  pour  chaquegroupe  de  tentes  noirea 
(une  douzaine,  une  vingtaine)  il  faut  un  territoire  grand 
comme  deux  ou  trois  de  nos  déparlcments,  capable  de 
nourrir,  non  des  centaines,  mais  des  milliers  de  vaches,  non 
dos  milliers,  mais  des  myriades  de  moutons,  sans  compter 
les  yaks  mâles,  les  chevaux  et  les  mulets  quand  ils  ne  sont 


NOTES  sun  LE  TniBËT.  261 

pas  en  route  pour  le  commerce;  cependant,  pour  gouverner 
et  soigner  tout  ce  monde  animal,  im  très  petit  nombre  de 
familles  suffisent. 

Les  pasteurs  thibétains  sont  souvent  obligés  de  changer 
leurs  campements;  onne  peut  pourtant  les  appeler  nomades, 
car,  à  chaque  groupe  de  tentes  noires  sont  assignées  telles 
montagnes  et  telles  vallées.  Malheur.'»  peux  qui  dépasseraient 
les  limites  fixées!  ce  serait  la  guerre  entre  voisins  éloignés  de 
trois  à  quatre  jours  rie  marche.  Ils  naissent,  vivent  el  meu- 
rent sous  la  tente  à  des  altitudes  et  soumis  h  un  climat  qui 
f nous  épouvantent;  malgré  cela,  les  plus  beaux,  les  plus 
.grands,  les  plus  forts  lypes  de  Thibétains  se  rencontrent  dans 
Lies  pâturages  des  hauts  plateaux.  Rarement  ils  quittent 
leurs  rudes  montagnes,  si  ce  n'est  pour  aller  faire  le  com- 
merce avec  les  vallées  voisines  ou  transporter  les  grandes 
caravanes.  Les  animaux  vivanls,  les  laines  brutes,  les  étoffes 
de  laine,  les  peaux  et  fourrures,  le  beurre,  le  borax,  sont  les 
principaux  objets  de  commerce  des  pasleurs. 

Après  les  pâturages  qui  occupent  les  quatre-vingt-dix- 
neuf  centièmes  du  Thibel,  viennent  les  vallées  qui  forment 
le  dernier  cetUif>itie,  vallées  peuplées  et  agricoles;  mais  pour 
aller  d'une  vallée  à  l'autre  il  faut  franchir  encore  bien  des 
monlagnes. 

La  rivière  qui,  après  s'être  promenée  nonchalamment  en 
nombreux  méandres  dans  les  luiuts  plateaux,  prend  enfin 
sa  course  vers  lo  nord-est,  c'est  le  Guiong-tchou  -,  du  moins 
elle  prend  ce  nom  iï  moitié  de  son  cours;  ce  nom  lui  vient  de 
la  bourgade  fiuicmg-tsé,  où  se  trouvent  une  garnison  i'hi- 
noisc  el  une  lamaserie.  Au-dessous  de  duiong-lsé  une  belle 
forôt,  puis  des  villages  entouras  de  quelques  champs  où 
l'orge,  le  blé  et  les  raves  poussent  comme  à  regret  au 
milieu  de  mauvaises  herbes;  car,  autantie  Thibékiin  excelle 
comme  berger  et  brocanteur,  autant  il  est  pauvre  agricul- 
teur. 

UnpeuavanldesejelerdansleYarkioM-tsang-pOjlelTuiong- 


262  NOTES  scn  le  thibet. 

tchou  passe  au  pied  de  Cliiga-tse,  capitale  de  la  province  de 
Tsang.  Là  encore  on  se  heurte  i  une  garnison  chinoise  et 
au  très  important  monastère  de  Trachi  lumbo  «  le  coaible  du 
bonheur  t>.  Le  supérieur  de  celte  lamaserie  a  ceci  de  particu- 
lier qu'il  est  presque  l'égal  du  Daiaï-lama  de  Lhassa,  parce 
qu'il  est  censé  l'incarnation  du  cfflur  du  même  Bouddha, 
dont  l'esprit  est  enfermé  dans  la  personne  du  Dalaï-lama. 
Cette  distinction  un  peu  subtile  fut  inventée  par  la  politique 
pour  prévenir  un  schisme  dans  la  secte  officielle  des  Gné- 
louk-pa  ou  lamas  jaunes;  mais  je  doute  fort  qu'elle  puisse 
maintenir  longtemps  l'unité  entre  l'esprit  et  le  cœur  de 
Bouddha. 

Administrative  ment,  la  province  de  Tsang  est  divisée  en 
plusieurs  préfectures  dont  les  titulaires  portent  le  titre  de 
déba.  Ceux-ci  ont  sous  leurs  ordres  des  dzonq-pun  (dans 
l'est,  chel-ngo)  ou  sous-préfets.  Chaque  vallon  un  peu  consi- 
dérable a  un  ditig-peun,  chargé  de  faire  exécuter  les  ordres 
supérieurs  par  les  maires  de  villages  ou  guen-pa  ir  les  an- 
ciens ».  Pour  obtenir  les  places  de  préfets  el  de  sous-préfets, 
deux  conditions  seulement  sont  requises  :  appartenir  à  l'aris- 
tocratie qui  est  peu  nombreuse,  et  surtout  bien  payer.  Pen- 
dant le  temps  de  leur  gestion,  qui  estde  trois  à  cinq  ans,  ces 
fonctionnaires  cumulent  tous  les  pouvoirs.  Quant  à  leurs 
devoirs,  ils  semblent  ne  connaître  que  la  maxime  formulée 
dans  ce  vers  de  fioileau  : 


L'argent,  l'argent,  sans  lui  tout  est  stérile. 


qu'ils  traduisent  ainsi  :  «manger  le  peuple  j),  dont  ils  sedisen 
pourtant  les  père  et  mère.  Ce  genre  d'administration  et  cette 
hiérarchie,  on  les  trouve  partout  au  Thibet,  pour  le  mal- 
heur du  peuple. 

De  tous  les  noms  géographiques  de  celte  province  je  n'en 
citerai  qu'un;  c'est  celui  de  Sa-kia-gun,  c'est-à-dire  le 
monastère  de  Sakia,  situé  à  -W  kilomètres  en  lignedroite  au 
sud-ouest  de  Chiga-^sé.  Je  le  cite,  parce  que  Sa-kia-gun  est 


n™ 


NOTES   son   I.E  TRIDET.  269 

le  chef-lieu  d'une  principauté  Ibibétaine  de  race  et  ecclé- 
uasUque  de  religion,  c'est  vrai,  mais  parfailement  indépen- 
dante de  Lhassa  au  civil  comme  au  spirituel.  Au  civil,  elle 
relève  directement  de  la  (Ihine;  au  spirituel,  le  supérieur 
de  Sa-kia-gun  éLanl  le  chef  de  la  secte  des  Sakia-pa,  ne 
relève  que  de  lui-mâme,  et  tous  les  monastères  et  peuples 
de  cette  secte,  n'importe  où  ils  soient  établis  auThibet,  ne 
reconnaissent  que  lui,  et  nullement  le  Dalai-lama,  pour  chef 
spirituel.  Il  en  est  de  môme  des  sept  ou  huit  autres  chefs  de 
sectes  bouddhiques  disséminées  au  Thibet.  Même  quand  ils 
n'ont  pas  do  principauté  territoriale,  tous  leurs  adhérents 
ne  reconnaissent  pour  supérieur  queleur  propre  chef,  et  noa 
le  Dalaï-lama.  Celui-ci  n'est  le  chef  spirituel  qnede  la  seule 
secteoffîcienedesGué-louk-pa  ou  deslamasjaunes.  Parcon- 
s^quent,  sa  situation  religieuse  ressemble  assez  bienA  celle  de 
l'évoque  protestant  de  Canforbery,  mais  pas  du  tout  à  celle 
du  pape,  puisqu'il  n'est  pas  le  moins  du  monde  le  chef  de 
tous  les  bouddhistes  même  au  Tbibel,  à  plus  forte  raison  de 
tous  les  bouddhistes  du  nord,  comme  on  le  croileton  le  dit 
généralement  en  Europe. 

A  Chiga-lsé  se  termine  la  route  impériale  de  Chine  au 
Thibet;  elle  ne  fait  pas  hooneur  à  son  illustre  seigneur. 
Reprenons-la  jusqu'à  Gujong-tse-dzong.  LA  elle  tourne 
vers  l'ouest  et  conduit  au  Ilaro-la,  d'une  altitude  de 
0,060  mL'lrcs.  Ce  nom  de  Itaro  signifiant  «  imbécile  »,  ferait 
supposer  qu'en  passant  ce  col,  les  voyageurs  éprouvent  des 
vertiges;  ils  sont  dus  h  la  raréfaction  de  l'air  et  non  k  des 
émanations  pestilentielles,  comme  on  l'a  supposé.  H;\tons- 
nous  donc  de  descendre  le  versant  oriental:  nous  sommes 
dans  la  province  de  Eu  «t  centrale  »,  et  un  voyage  de 
quelques  jours  à  une  altitude  de  4,300  métrés,  conduit 
ao  bord  du  lac  Peraatso,  ainsi  nommé  p;ir  les  Thihétains 
parce  que  sa  forme  annulaire  lui  donne  une  certaine 
ressemblance  avec  une  fleur  de  lotus,  la  presqu'île  centrale 
formant  le  bouton  de  la  ûeur.  Bogie  et  Turoer,  qui  l'ont- 


ifeiÉHi 


264  NOTES  srii  le  thibet. 

visité  à  la  fin  du  siècle  dernier,  racontent  que  la  supérieure 
du  couvent  de  religieuses  bouddhistes  bâti  sur  la  presqu'île 
porte  le  litre  de  Phag-mo-kio-mo,  «  madame  la  truie  ». 
Pour  moi,  j'incline  à  croire  qu'ici  le  nom  de  Phag  doit  ôtre 
pris  dans  le  sens  de  ati,  delà  et  non  de  truie,  parce  qu'il 
sert  à  désigner  plusieurs  autres  localités  de  la  même  région 
située  au  deli  des  montagnes,  relativement  à  Lhassa. 

De  la  courbe  septentrionale  du  lac  la  route  fait  l'ascension 
du  Kamba-!a,  élevé  de  4,557  mètres,  puis  par  une  descente 
continue  de  1,400  mètres  vient  aboutir  au  pont  de  chaînes 
de  fer  qui  traverse  le  Yarkiou-tsang-po.  Ce  pont,  comme 
tous  les  autres  ponts  de  fer  duTliibet,est,  bien  entendu,  de 
construction  chinoise.  Âudelàdupont,  nous  remontons  vers 
le  nord-est  pendant  55  kilomètres  à  vol  d'oiseau,  la  petiie 
«  rivière  du  Bonheur  »,  le  Ki-tchou,  au  confluent  de  deux 
torrents,  dans  une  plaine  bien  ouverte  aux  rayons  du  soleil, 
élevée  de  3,5iî5  mètres,  par  88°  45'  de  long,  est  et  200  40' 
de  latitude  nord. 

Nous  arrivons  à  Lhassa,  capitale  de  la  province  et 
de  tout  le  royaume  thibélain.  Le  P.  Hue  a  donné 
de  visu  une  description  typique  de  cette  mysli^rieuse  capi- 
tale dans  ses  Souvenirs  de  voyage  que  tous  les  amis  de  la 
géographie  et  des  aventures  de  voyage  ont  lus  avec  curio- 
sité. Inutile  de  la  recommencer.  Je  me  contenterai  d'y  ajou- 
ter quelques  renseignements. 

D'après  ceux  qui  me  semblent  dignes  de  conflance,  cette 
capitale  si  renommée  aurait  une  population  civile  d'environ 
"15,000  âmes  (comme  une  de  nos  petites  villes  de  province), 
y  compris  les  employés  du  gouvernement,  la  garnison  et  les 
marchands  chinois,  y  compris  également  une  colonie  de 
200  Cachemiriens  et  une  autre  de  400  Nepaliens  établis  à 
Lhassa  comme  commerçants  et  entremetteurs  die  com- 
merce. Les  aiilres  civils  que  l'on  y  rencontre  en  grand  nombre 
sont  des  voyageurs  de  commerce  ou  des  pèlerins  venus  de 
tous  les  coins  du  Tbibet  et  de  la  Mongolie. 


NOTES   SUR    LE   THIBET.  "w 

En  compensation ,  la  population  monacale  de  Lhassa 
JÏIèverail  à  32,^00  individus  dont  :  200  Tse-djrons  ou 
s  gardes-du- corps  du  Dalaï-lania,  vivant  avec  lui  sur  la 

Une  sainte  de  Po-ta-la;  un  millier  divisés  en   trois   ou 

lire  petites  lamaseries  vivent  dans  divers  quartiers  de  la 

pour  recueillir  plus  facilement  les  dons  des  dévots 

fins.  Ces  petites  lanaaserîes  ne  sont  que  les  annexes  des 

is  grands  monastères  :  Djrepong  '.>,000,  Gaden  7,000  et 

Serra  5,000  religieux,  qui  sont  un  peu  plus  éloignés  dans  la 

campagne  ou  sur  les  mamelons  voisins.  Ici  se  pose  une 

qnestion  fort  importante  :  comment  :2"i,'20O  religieux  peu- 

fenl-ils  trouvera  vivre  dans  une  petite  ville  de  15,000  âmes? 

ïa  France  ce  serait  impossible  ;  au  Thibet,  c'est  bien  simple. 

Voici   l'explication  de  ce  fait.  A  trois  époques  de  l'année 

conaprenant  ensemble  vingt-trois  jours,  Ions  les  religieux 

sont  obligés  d'être  présenis  au  monastère  pour  les  grandes 

et  solennelles  cérémonies.  Ils  se  gardent  bien  de  manquer 

au  rendez-vous,  parce  qu'alors  les  pèlerins  affluant  et  ne  se 

présentant  jamais  les  mains  vides,  les  religieux  peuvenlêtre 

nourris  facilement  aux  frais  du  public.  En  dehors  de  ces 

vingt-trois  jours,  les  religieux  bouddhistes  sont,  pendant 

tout  le  reste  de  l'année,  parfaitement  libres  de  leur  temps,  de 

leurs  mouvements, de  leurs  industriesel  deleur  commerce, 

en  dehors  du  monastère,  sans  que  les  supérieurs  sachent 

ce  qu'ils  sont  devenus  ni  ce  qu'ils  font.  Quant  à  ceux  qui 

préféreraient  rester  au  monastère  pendant  l'année,  ils  sont 

aussi  parfaitement  libres  de  disposer  deleur  temps,  de  leurs 

mouvements  et  surtout  de  prôter  à  usure.  Il  n'y  a  point 

d'exercices  religieux,  d'études,  de  repas  en  commun,  point 

dérèglement  qui  les  gânent.  Chacun  vit  dans  sa  maison  ou 

danssonapparlementQe  ne  dis  pas  sa  cellule)  comme  il  peut 

et  comme  il  veut.  Bref,  à  eu  juger  parles  cinq  grands  et  les 

sept  ou  huit  petits  que  j'ai  visités  en  détail  dans  l'est,  un 

monastère  bouddhique  ne  ressemble  en  rien  à  un  monastère 

chrétien.  C'est  une  agglomération  d'hommes,  un  village;  ce 


266  NOTES   SUR   LE   TIIIDET, 

n'est  aucunement  une  communnuté.  J'aurais  encore  bien 
des  rfélails  à  donner  sur  les  lamaseries,  mais,  comme  dit 
Boileaii, 

...  Le  lecteur  fraaçais  veut  filrc  rospcclé. 

Avant  de  quilter  Lhassa,  je  relèverai  une  autre  erreur 
européenne  très  répandue,  d'après  laquelle  le  gouverne- 
ment du  Thibel  serait  théocratique  et  ecclésiastique.  Rien 
de  plus  faus.  A  partie  Dalaï-lama,  qui  est  seul  propriétaire 
du  Thibe!,  de  par  la  donation  que  le  premier  empereur  de 
k  dynastie  mandchoue  lui  en  a  faite  ;  h  part  le  roi  ou  régent, 
qui,  depuis  une  soixantaine  d'années  seulement  est, aussi  un 
laraa,  tout  le  reste  du  gouvernement  centra!  thibélain  est 
laïque.  Les  quatre  Kalnns  ou  ministres  d'Élat  et  leurs 
seize  secrétaires  sont  laïques.  II  n'est  pas  inutile  d'ajouter 
que  le  Dalaï-lama  lui-même,  le  roi,  les  ministres  et  les 
secrélaires,  en  un  mot  les  vingt-deu.v  membres  du  gou- 
vernement central  lbib6tain,()nt,  touset  chacun,  besoin  d'un 
diplôme  de  l'empereur  de  Chine  avant  de  pouvoir  exercer 
leurs  fonction?.  Dans  les  provinces,  les  gouverneurs,  les  pré- 
fetsetles  sous-préfels  sont  laïques;  et  si  parfoison  rencontre 
parmi  eux  des  lamas,  ce  n'est  pas  parce  qu'ils  sont  lamas 
qu'ils  ont  obtenu  ces  places,  c'est  uniquement  parce  qu'ils 
ont  ofTerl  un  pot-de-vin  plus  considérable  qu'ils  sauront  bien 
faire  restituer  au  centuple  par  leurs  administrés. 

11  y  a  encore  à  Lhassa  le  gouvernement  chinois,  représenté 
par  trois  ambassadeurs  mandchous,  venus  de  Péking  et 
chargés  de  diriger,  de  contrôler  et  de  surveiller  le  gouver- 
nement Ihibétain  surtout  dans  ses  relations  extérieures; 
Dalaï-lama,  roi,  ministres,  personne  ne  peut  écrire  directe- 
ment à  l'Empereur  sans  laire  apostiller  et  envoyer  les  lettres 
par  les  ambassadeurs  chinois,  qui,  déplus,  s'espionnent  mu- 
tuellement. Ils  sont  appuyés  dans  leur  mission  par  une 
armée  d'occupation  de  4,0OO  hommes,  échelonnés  à  travers 
le  Thibet  depuis  Ta-tsien-lou  h  l'est  jusqu'à  Ting-ré  sur  les 


NOTES  SUn  LE  THIBET. 


267 


frontières  du  NepaL  Le  commandant  en  chef  de  celle  pelile 
innée  réside  à  Lhassa  avec  500  hora mes.  S)e]it  leang-taij  ou 
rvi-urs  des  troupes  el  des  lamais  reconnus  ofliciellement 
i,l  leur  offire  dans  les  principaux  centres  de  la  grande 
roule;  ils  sont  aussi,  au  besoin,  juges  principaux. 

Ouant  à  l'armée  tliibélaine,  elle  n'existe  mémo  pas  sur  le 
papier.  S'il  faut  des  soldais,  on  lève   des   gens  de  corvée 
pour  la  guerre  comme  pour  tout  autre  service  corvéable,  et 
lout  est  dit;  orQciers  et  soldats  en  savent  autant  les  uns  que 
les  autres. 
De    Lhassa,  deux  routes   peuvent  conduire    en  Chine- 
."une,  au  sud-est,  traverse  le  grand  district  de  Tak-po  en 
fuivant  la  rive  droite  du  Yarkiou-tsang-po  jusqu'au  mo- 
aient  où,   tournant  au  sud-est,   ce  fleuve  disparaît  dans 
lés  Himalayaspour  devenir  le  Diong,  puis  le  Brahmapoutre. 
Celte  route  tournait  ensuite  au  sud  et  allait  au  Tun-nan, 
mais  elle  est  abandonnée  depuis  longtemps  à  cause  des  bri- 
gandages de  la  tribu  thibétaine  de  Po-mî,  nominalenrent 
soumise    à  la  Chine  et  complètement    indépendante    de 
ssa.  Le  Tak-po,  situé  au  nord  duBoulang,  estundespays 
plus  peuplés  du  Thibet.  La  route  que  nous  devons  suivre, 
route  impériale,  se   dirige  à  l'est-nord-esl  à  travers  le 
^rand  district  de  Kong-pou  dont  Guiamda  est  le  chef-lieu. 
La  tenapérature  relativement  douce  de  Gniamcla  l'a  l'ail  choi- 
iir  pour  résidence  ordinaire  par  les  mandarins  chinois  qui, 
officiellement,  devraient  résider  à   Lha-ri,  situé  à  environ 
100  kilomètres  au  nord-esL,  à  une  attitude  de  4,173  mètres. 
En  soi  Lha-ri  n'a  rien  de  remarquable.  Nous  entrons  ici 
dans  une  région  dont  le  système  orographique  et  hydrogra- 
phique est    diamétralement    opposé    et  perpendiculaire 
à  celui  des  pays  que  nous  avons  parcourus.  .Jusqu'à  présent 
la  direction  générale  des  montagnes  et  du  Yarkiou-tsang- 
po  était  franchement  celle  de  l'ouest  à  l'est;  maintenant 
loules  les  montagneset  tous  les  fleuves  que  nous  allonsren- 
contrer  courent  du  nord-est  au  sud-est  dans  la  partie  sep- 


â6â 


NOTES  SUR   LE   TIIIBET. 


tentrionale  de  leur  cours,  puis  du  nord  au  sud,  du  29.  a 
27°  latitude,  pour  diverger  ensuite  dans  tous  les  sens  au- 
dessous  du  27°.  De  sorte  que  ces  chaînes  de  montagnes  et 
ces  neuves  sont  perpendiculaires  aux  Hîmalayas  et  au  Bra- 
mapoutre.  De  plus,  autant  du  moins  que  j'ai  pu  l'observer, 
la  composition  géologique  des  deux  systèmes  est  différente. 
DanslesHiraalayaSjla  roche  dominante  est  un  mauvais  mica- 
schiste injecté  de  silex  blanc.  Rarement  on  y  rencontre  les 
traces  de  roches  ignées,  de  grès,  de  calcaires,  d'ardoises, 
tandis  que  ces  roches  abondent  dans  le  système  oriental  on 
nous  allons  pénétrer.  Cela  dit,  revenons  àLha-ri. 

D'après  les  savantes  recherches  de  M.  Dutreuil  de  Rhins, 
la  rivière  qui  passe  i  Lha-ri  sous  le  nom  de  Song-lchou  se 
nomme  plus  au  sud  le  Ken-pou  ou  Gak-po-dzang-bo,  et  de- 
viendrait leMali-ka  des  Kamtis,  Sing  pho  et  autres  tribus 
Cban,  et  enDn  l'Irraouadi  de  Birmantf .  S'il  en  est  ainsi, 
honneur  à  Lha-ri  et  surtout  à  M.  Dutreuil  de  Rhins,  auquel 
je  souhaite  de  tout  cœur  la  bonne  fortune  de  pouvoir  aller 
constater  de  visu  l'exactitude  du  résultat  de  ses  inlerpréta- 
tions  géographiques, 

A  l'est  de  Lha-ri,  au  col  de  Charling(Ch;ir-gang-la),  élevé 
de  5,500  mètres,  oti  quitte  la  province  de  Eu  pour  entrer 
dans  ceîle  du  Kham.  Autrefois,  c'est-i-dire  il  y  adeux  cents 
ans,  cette  province  s'étendait  du  03'  au  101"  de  longitude. 
Depuis  1703,  elle  est  divisée  en  deux  parties  bien  distinctes: 
leKhamthibétain,  du  03' au  07'  et  le  Kham  chinois,  du  97' 
au  101*.  Je  le  nomme  Kham  ou,  comme  disent  les  Anglais, 
Thibet  chinois,  non  que  la  population  soil  plus  chinoise, 
mais  parce  qu'à  lasui Le  d'unerévolle  infructueuse  du  Thibot 
contre  la  Chine,  toute  la  partie  orientale  de  la  province  com- 
posée de  dix-huit  principautés  thibéLaines,  fut  soustraite  au 
gouvernement  de  Lhassa  etannexée  iiu  gouvernement  direct 
des  deux  provinces  chinoises  les  plus  voisines,  le  Sé-tchueà 
elle  Yun-nan. 

A   partir    du    col    de  Cliarling   en  descendant  vers  lé 


NOTES  SUR   LE   THIBET. 


269 


Nguen-kio,  Lou-tse-kiaiig  ou  Salouenne,  on  traverse  les 
deux  postes  importants  deChoupa-do  et  Lorong  dzong.  A 
25  kilomètres  de  ce  dernier  poste  nous  traversons  le  lleuve 
sur  le  pont  nommé  Jel-yâ-Sam  par  les  Thibétains  el  Kia- 
yu-kiao  par  les  Chinois;  c'est  là  que  vient  aboutir 
mainlenantla  route  du  Yun-nan  que  nous  avons  signalée  plus 
haut.  Le  Lou-tsc-kiang prend  ses  sources  à  5°  aanord-esl  du 
pont  où  nous  sommes,  coupe  le  Thibet  du  sud-est  jusqu'au 
28°  pour  entrer  dans  les  tribus  des  Lou-lse  el  des  Lyssous, 
traverse  la  partie  occidentale  du  Yun-nan  et  va  se  jeter  dans 
le  golfe  du  Bengale,  à  Martabang,  sous  le  nom  de  Salouenne. 

Ausommetde  la  montagnequi  sépare  le  Lou-lse-kiang  du 
Lant-sang-kiang  ou  Mékong,  au  milieu  d'immenses  pâtu- 
rages, selrouvele  tout  pclil  village  de  Lha-gongoùM.  Renou 
cl  moi  fûmes  arrêtés  en  1862  par  les  envoyés  de  Lhassa, 
quand  nous  tentâmes  de  pénétrer  jusqu'à  celle  capitale. 
Tout  ce  terrain  est  du  minerai  de  fer  très  riche,  mais  on  n« 
se  nourrit  pas  de  celte  substance.  Quand  il  ne  nous  resta 
plus,  ni  une  poignécde  farine,  ni  un  grainde  ri?.,  il  fallut  bien 
capituler,  puisqu'il  y  avait  défense  absolue  de  nous  vendre 
quoi  que  ce  fût.  M.  Renou  dicta  lui-même  les  conditions 
du  retour,  qui  furentacceptées  avecempressement.  Ces  con- 
ditions élaieiif  que  nous  serions  conduits,  aux  frais  de  nos 
expulseurs,  de  Lha-gongà  Bonga,  le  berceau  de  la  mission^ 
en  suivanlle  cours  du  Ou-kioet  en  passant  par  les  petites 
villes  de  Pomda,  Dzo-gong,  Tchrayul  et  la  lamaserie  de 
Pe-tou.  Gel  itinéraire  fut  suivi  Gdëlemenl.  Seulement  la  ca- 
ravane dut  passer  parTsiam-do  pour  y  prendre  les  animaux 
de  corvée.  Bonga  fut  incendié  le  7  octobre  1805. 

DeLha-gong  àTsiam-do,on  compledeuxjours  de  marche. 
Cette  ville,  comme  plusieurs  autres  au  Thibet,  est  riche  en 
noms  géographiques.  Les  Chinois  l'appellent  Tcbang-lou  el 
ïchamou-to;  les  Thibétains,  Kiob-do  el  Kiam-do  :  c'est  ce 
derniernam  un  peu  eslropié  qui  a  donné  lien  au  nom  européen 
deTsiara-do.  Tsiara-do  est  encore  enrichi  d'une  lamaserie  de 


270  NOTKS   SUR    LE   THIBET. 

3,000  lamas,  d'une  garnison  chinoise  de  JJOO  hommes,  de  deux 
rues,  de  boutiques  et  de  quelques  jardins  potagers.  Les  trois 
quartiers  de  la  ville  sont  bâtis  siirdeux  terrasses  superposées 
et  creusées  dans  l'angle  d'un  contrefort  qui  se  termine  au 
confluent  de  deux  petites  rivières,  le  Gomkio  h  l'ouest  et  le 
Dza-kio  à  l'est.  Leur  réunion  forme  le  Lan-tsang-kiang  ou 
Mékong,  qu'on  passe  en  hiver  sur  la  glace,  en  été  sur  des 
ponts  à  piles  de  pierre  et  à  tabliers  de  bois  construits  sur 
les  deux  affluents.  L'eau  qui  passe  sous  ces  ponts  par  31°  de 
latitude  nord  devient  française  dès  le  20»,  puisque  ce  sont  naes 
confrères  qui  évangélisent  ces  régions,  et  elle  le  devient  tout 
à  fait  dès  le  l-t",  au  tlarabodge  et  en  Cochinchine. 

Tsiam-dû  ne  fait  plus  partie  du  royaume  de  Lhassa,  mais 
elle  est  le  chef-lieu  de  l'une  de  ces  dix-huit  principautés 
réunies  à  la  Chine  dont  j'ai  parlé.  C'est  le  supérieur  «(i  tein- 
pus  du  monastère  qui  est  le  chef  civil  du  pays  sous  l'auto- 
rité chinoise. 

De  Tsiani-do  trois  routes  se  dirigent  vers  la  Chine. 
La  première,  au  nord,  rejoint  la  grande  route  qui, 
des  provinces  septentrionales  de  l'Empire,  passe  près  du 
Koukounor  et  se  rend  à  Lhassa.  La  deuxième  se  dirige 
d'abord  au  nord-esl,  passe  à  gué  le  fleuve  Bleu,  redescend 
au  sud-est  par  le  cours  supérieur  du  Yalongkiang,  qui  ar- 
rose les  principautés  de  Dégut  et  de  Mégnia  et  va  aboutira 
Ta-lsien-Iûu. La  troisième,  la  route  impériaîe,  prend  la  direc- 
tion du  sud-sud-esten  suivant  àmi-cûle  le  Hanc  ouest  delà 
chaîne  de  montagnes  qui  sépare  le Môkong  du  fleuve  Bleu. 

Le  sixième  on  seplièrae  jour  de  marche  après  avoir  quitté 
Tsiam-do,nousarrivonsàTchra-ya,  «  le  parasol  de  rocher  », 
ainsi  nommé  parce  qu'immédialemenl  au  sud  de  la  ville, 
d'énormes  roches  semblent  l'abriter  contre  les  rayons  du 
soleil.  Comme  Tsiam-do  et  aux  mômes  conditions,  Tchra-ya 
est  le  chef-lieu  d'une  principauté  indépendante  de  Lhassa 
et  soumise  à  la  Chine.  A  Tchra-ya,  encore  un  monastère  de 
2,500  k  3,U<3(J  religieux  et  une  garnison  chinoise.  Ce  Tchra-ya 


NOTES  SUR   LE   TIIIBET. 


271 


est   appelé  le  nouveau  Tchra-ya  par  opposition  au  vieux 
Tchra-ya,  qui  se  trouve  sur  les  rives  mômes  du  Mfikong. 

Le  troisième  jour  après  avoir  tjuiLlé  Tchra-ya,  nous 
passons  une  pelilc  rivière  à  gué  et  rentrons  sur  le  Kham 
Ihibétain.  Au  sommet,  de  la  montagne,  dans  les  pâturages 
près  du  village  de  Che-pan-keou  où  l'épizoolie  sévissait 
leprililement  lors  de  noire  passage  en  iHG'i,  se  trouve  un 
couvent  de  religieuses  bouddhistes,  le  seul  que  j'aie  rencontré 
dans  mes  longs  voyages  au  Tbibet  oriental.  Je  n'allai  pas 
le  visiter,  tandis  que  nous  visitions  alors  toutes  les  lamase- 
ries que  nous  rencontrions.  Ce  ne  serait  plus  possible 
aujourd'hui.  Les  religieuses  bouddhistes  ne  manquent 
pourtant  pas  au  Thibet,  mais  elles*  demeurent  dans  leurs 
familles.  On  les  distingue  à  leur  tf-tc  rasécetàleurvôtemenl 
sans  manches,  seuls  signes  dislinctiCs  qui  les  ditl'érencient 
des  autres  femmes. 

A  deux  jours  de  marche  au  sud-est  de  Chepan-Kcou, 
nous  arrivons  à  Gartoou  Merlcham,  leKiangkha  des  Chinois. 
C'est  une  mauvaise  bourgade  mi-tliibétaine,  mi-chinoise  qui 
n'a  de  remarquable  que  le  Dzong  ou  résidence  du  gouver- 
neur de  la  province,  un  petit  mandarinat  chinois  et  une 
petite  lamaserie.  Le  pays  est  si  élevé  que  les  récoltes  y 
réussissent  à  peine  tons  les  cinq  ou  six  ans;  frappées  de  la 
gelée  elles  servent  de  fourrage. 

A  deux  pas  dans  un  petit  vallon  solitaire,  se  (rouve  un 
pieux  monument  bien  cher  ;\  mon  cœur,  c'est  la  tombe  du 
lion  et  savant  P.  Renou,  le  fondateur  de  la  mission  du 
Thibet,  mort  en  18(j3'. 

Plus  au  sud,  à  cinq  jours  de  marche,  sur  les  deux  rives 
du  Mékong,  au  district  de  Tsa-kha,  dépendant  de  B&tang, 
sont  des  sources  d'eau  salée;  cette  eau,  portée  à  dos  cl  éva- 
porée au  vent  et  au  soleil  sur  des  terrasses  bâties  sur  pilo- 


1.  Oû  nous  a  dit  que  la  tombe  de  ce  grand  raisiionnaire  et  de   ce 
bon  Français  avait  été  violée. 


V  RE 


2'  TRIMESTRE    1890 


NOTES   SUn  LE  THIDET. 


279 


reçut  douze  coups  de  couteau  ni  euL  la  tôle  brisée  sous  uoe 
grêle  de  pierres.  Du  haut  d'un  petit  mameloa  qui  est  proche, 
nous    apercevons  Ir  dôme  doré  de  la  lamaserie  de  Batang, 
peuplée  de  1,500  religieux,  mais  peudant  viiigt-lrois  jours 
seulement,  comme  les  autres.  Le  marché,  qui  compte  envi- 
ron 350  maisons,  y  compris  les  dzongdes  deux  chefs  indi- 
gènes, les  préloires  et  les  pagodes  chinoises,  est,  de  l'autre 
côté  de  la  plaine,  à  environ  10  minutes  de  promenade  de  la 
lamaserie.    D'après  l'itinéraire   chinois,  la  plaine  de  Ba- 
tang a  1,000  lys  de  long;  en  rivalité  elle  a  8  kilomètres  de 
long  sur  1   kilomètre  et  demi  de  large.  On  la   représente 
presque  comme  un  paradis  terrestre;  il   faut  avouer  alors 
que  tout  est  relatif  en  ce  bas  monde.  Si  je  ue  partage  pas 
l'enthousiasme  chinois  pour  Balatig,  c'est  peut-ûtre,  hélas! 
parce  que  j'y  vois  les  ruines  de  notre  établissement  chrétien 
et  que  mes  confrères  ne  sont  plus  là  pour  nous  souhaiter 
la  bienvenue.  C'est,  bien  aussi  parce  que  le  peuple  de  ce 
gros  marché  est  un  des  plus  dégradés  du  Thibet;  lesCbinois 
ne  faisant  pase.\ceplion.  J'ai  calculé  que  la  population  de  la 
principauté  entière,  qui  occupe  environ  2  kilomètres  carrés, 
se  monte  à  ;{0  ou  35,000  àraes,  dont  i,Q()Ù  lamas  et  plus. 
Le  trajet  de  Batang  à.  Lylang  exige  sept  jours  de  marche, 
pendant  lesqu&ls  on  ne  voit  aucune  agriculture;  mais,  en 
compensation,]!  faut  franchir  quatre  chaînes  de  montagnes 
dont  un  passage  se  trouve  à  i,"7Û  mètres  d'altitude  (40  mètres 
au-dessous  de  la  cime  du  Mont-Blanc);  les  autres  ne  sont 
que  de  peu  inférieurs  comme  altitude.  De  môme  que  Batang, 
Lytang  est  le  chef-lieu  d'une   principauté  gouvernée  par 
deu.\  chefs  indigènes;  elle  a  un  mandarin  chinois  et  une 
garnison.  La   lamaserie   compte  environ  3,000  relJgieu.v. 
Tout  le  pays  au  nord  et  aux  environs  de  la  ville  qui  est 
composée  d'une  seule  rue,   est  couvert  de  pâturages;  les 
villages  agricoles  sont  plus  au  sud,  sur  les  bords  de  petites 
rivières  qui  vont  se  jeter  dans  le  Kinchakiang  près  de  Ly- 
kyang-iou,  au  Yun-nan.  On  m'a  assuré  que  les  lamaseries 

soc.    DE  CÉOCR.  —  S'  TRIMESTRE   1890.  XI.  —  18 


m  NOTES   Sun   LE   TIIIDET. 

sont  encore  plus  nombreuses  que  dans  la  principauté  de 
Badmg,  mais  il  ne  m'a  pas  été  donné  de  pouvoirvérifier  le  fait. 

En  parlant  de  Ly-lang  vers  Test,  nous  avons  encore  deux 
hautes  montagnes  à  franchir  avant  de  pouvoir  nous  reposer  _ 
un  peu  dans  la  jolie  pl:iine  de  Si-golo,  bien  peuplée  et  hiena 
cultivée.  Quel   bonheur  de  rencontrer  ries  champs  et  des 
moissons,  après  huit  jours  de  marche!  Les  habitants  sem- 
blentOtre  assez  riches,  bien  logés,  mais  fort  indépendants  de 
caractère,  surtout  les  dames  et  les  demoiselles,  qui  se  cou-  ■ 
vrent  d'ornements  d'argent;  leur  chevelure,  divisée  en  une 
multitude  de  petiles  tresses,  s'étale  sur  leurs  épaules;  elle 
est  un  peu  relevée  par  une  large  bande  d'étoffe  surchargée 
d'ornements  d'argent  et  de  pierreries;  leur  tête  est  couverte 
de  deux  espèces  d'assiettes  en  argent  ciselé  ou  bosselé  et 
qui  se  réunissent  par  un  bord  nu  sommet  de  la  tûte. 

A  Test  de  Si-golo,  une  très  haute  mcmtagne  nous  sépare 
encore  du  Ya-lon-kiang  ou  Quia-kio.  Mais  avant  de  passer 
cette  rivière,  remarquons  que  nous  avons  laissé  au  nord  la 
grande  principauté  de  Dégui  et  celle  deMé-gnia,  et  au  sud, 
celles  de  Tchong-tien  ou  Guié-dam  et  celle  de  Méli  ou 
Houang-lama,  ces  deux  dernières  appartenantau  Yun-nan. 
Le  Ya-long-kiang,  gros  affluent  du  fleuve  Bleu,  se  passe  en 
été  dans  des  bacs,  en  hiver  sur  un  pont  de  bateaux. 

Sur  sa  rive  gauche  nous  foulons  le  sol  de  la  principauté 
de  Kiala,  en  chinois  Ta-lsicci-lou  ;  mais  avant  d'arriver  au 
terme  du  voyage,  nous  avons  encore  à  passer  deux  grandes  ■ 
montagnes  entre  lesquelles  s'étalent  les  plaines  assez  bien 
peuplées  et  cultivées  de  ïong-golo  et  Agniampa.  Ce  petit 
peuple  a  dû  être  autrefois  assez  guerrier,  car  presque  toutes  ■ 
les  maisons  sont  crénelées  et  Ton  aperçoit  les  ruines  de 
plusieurs  tours  octogones  à  angles  rentrants  destinées  sans 
doute  à  la  défense  du  pays.  C'fist  à  Tong-golo  que  les  P.  Gi- 
raudeau  et  Courons  attendent,  dans  un  triste  et  studieux 
exilj  qu'il  leur  soit  permis  de  retourner  à  Balang  et  à  Yer- 
kalo. 


1 


NOTES  SDR   LE    TIIIBKT. 


275 


EoBn  nous  voilà  arrivés  à  la  ville  de  Tar-tsé-do,  appelée 
T.i-lsien-lou  par  les  Chinois.  C'est  Tenirepôt  du  commerce, 
surtout,  du  commerce  de  Ihé  en  briques,  entre  la  Chine  et 
leTliibet;  c'est  le  rendez-vous  de  toutes  les  caravanes  llii- 
bélaines.  Le  marché  se  compose  de  deux  ou  trois  rues 
tlroiles  et  de  maisons  basses,  sur  le  bord  de  trois  torrents 
impétueux.  C'est  la  résidence  d'un  grand  mandarin  civil, 
(l'uQ  général  de  brigade  chinois,  d'une  garnison,  d'une 
liouane  pour  le  thé,  du  roitelet  tbibétain  ;  on  y  trouve  deux 
lamaseries.  Cependant  toute  cette  agglomération  ne  forme 
qu'une  population  de  12,000  âmes  en  hiver  et  de  20,OiJO  en 
è\é.  Quant  au  paysage,  quelle  déception!  quelle  sauvagerie! 
Fi^'urez-vous  trois  énormes  montagnes  pressant,  écrasant  de 
leurs  pieds  cet  amas  de  maisons  au  fond  d'un  ravin  oîi  les 
rayons  de  soleil  ne  pénètrent  que  rarement  :  voilà  Ta-lsien- 
lou.  Les  autorités  civile?,  militaires  et  lamuïqnes  nous 
tiennent  rigueur  pour  nous  punir  d'avoir  osé  profaner  le 
sol  sacré  du  Thibet.  Qu'importe  !  Mgr  Biet,  lui,  nous  donne 
l'accolade  fraternelle  et  nous  bénit.  Le  P.  Dcjan  nous  pré- 
Mnle  les  élèves  de  son  séminaire  et  ses  cent  quatre  parois- 
siens. Les  sœurs  chinoises  nous  font  faire  le  ko-teou  par 
leurs  orphelines  et,  pendant  que  nous  prenons  un  rafraîchis- 
sement, tout  ce  petit  monde  crie  h  tue-téte  :  Vivent  les 
Toyageurs  français  !  S'ils  ont  déjà  vu  des  Européens,  ce  sont 
les  premiers  touristes  français  qu'ils  voient. 

Au  nord  et  au  nord-est  de  Ta-tsien-lou,  il  y  a  encore  plu- 
sieurs principautés  thibétaines,  surtout  te  Kin-tchouan  ou 
Se-lchouan  d'Or  qui  porte  bien  son  nom.  I!  serait  intéres- 
sant d'aller  explorer  ces  mines  et  toutes  celles  qui  abondent 
dans  le  pays  que  nous  venons  de  parcourir  depuis  Tsiam-do. 

A  l'est  de  Ta-tsien-lou,  l'on  ne  rencontre  plus  que  des  pays 
exclusivement  peuplés  as  Chinois.  Ici  finit  notre  vopge  au 
Tbibet.  A  deux  journées  de  ce  vilain  trou  de  Ta-tsien-lou, 
je  serre  encore  la  main  à  trois  àe  mes  confrères,  qui  ont 
réuni  leurs  trois  cent  cinquante  chrûtiens  pour  nous  saluer. 


ISib  NOTES    suit    LE    TtllUEr. 

Nous  passons  le  pont  de  fsr  deLou-tin-kiao.  Six  jours  après 
avoir  voyagé  par  terre  nous  sommes  à  Ya-tcheou;  nous 
monlons  sur  des  radeaux  ou  de  petites  barques  et  descen- 
dons rapidement  le  Min  jusqu'à  Souïlbu.  De  graudes 
liarques  chinoises  nous  emportent  sur  le  Yang-tsé-kiang, 
bordé  de  grandes  villes  et  de  gros  marchés.  Nous  descen- 
doDs  saos  encombre  tes  rapides  entre  Kouïfou  et  Y-lchang; 
là,  un  bateau  à  vapeur  nous  reçoit  et  nous  conduit  en  quatre 
jours  à  Shang-haï.  Nous  avons  traversé  toute  la  Chine  del 
l'ouest  à  l'est.  A  Stiang-haï,  nous  prenons  passage  sur  les 
Messageries  maritimes  françaises,  et  après  trente-cinq  jours 
d'une  navigation  confortable  et  agréable,  nous  rentrons 
enfin  sur  Je  sol  de  noire  chère  patrie. 

ntoie  wur  l«M  Etlrop6pBa  à  mitt  connus  qui 
ont  vénétrc  an  Tbkbct 

Il  est  très  probable,  presque  certain  que  la  religion  chré- 
tienne l'ut  prêchée  et  m6me  florissanle  au  Thihet  du  x-  au 
Tîiir  siècle.  Mais  il  est  probable  que  cette  première  évangé-  _ 
lisalion  fut  faite  par  les  Nestoriens.  Je  n'ai  pu  encore  appro-  \ 
fondir  cette  intéressante  question  historique.  Je  me  borne 
donc  à  citer  les  noms  et  dates  connus  : 


I.  —  Missionnaires  catholiques. 

1°  Au  xiif  siècle.  Saint  HiacinLho,  Polonais,  l'un  des 
premiers  compagnons  de  saint  Dominique,  va  évangéliser 
l'Inde  et  pénètre  jusqu'au  Thibet. 

2"  Au  xiv  sièlce.  Le  B.  Odoric  de  Pordenone,  francis- 
cain, venant  de  l'Inde,  traverse  le  Thibel  de  l'ouest  à  l'est, 
passe  de  là  en  Chine,  et  revient  dans  l'Inde  en  relraversant 
le  Thibet  de  l'est  à  l'ouest,  évangélisant  partout. 

3"  Au  XVII"  siècle,  vers  la  fin.  Les  P.  P.  Grueber  et  Dorville, 
jésuites,  évangélisent  les  provinces  centrales.  Le  premier  a 
laissé  quelques  mémoires. 


i 


NOTES  Sun    LE   THIDBT.  277 

4' Au  xyiii"  siècle,  au  commencemenl,  les  P.  P.  Disdeii 
et  Freire,  jésuites,  prêchent  aussi  dans  les  provinces  cen- 
trales. Le  premier  a  laissé  des  mémoires  allant  jusqu'en  172*.). 
5"  De  IT'29  à  1760,  vingt-fjualre  capucins  italiens  évaugé- 
Jisent  le  Thibel  central.  Ils  avaient  bâti  à  Lhassa  même,  avec 
raatorisation  du  Dalaï-lama,  un  couvent  et  un  autre  dans  le 
district  deTak  po,  an  nord  du  Boutang.  Chassés  vers  17fjl}, 
parce  que  les  chrétiens  commençaient  à  se  multiplier,  ils 
aliandonnèrent  la  mission.  Les  deux  supérieurs,  Horace 
délia Penna  et  d'Andrada,  ont  laissé  des  mémoires  assez  con- 
siJérables. 

G'  De  1844  à  1846.  MM.  Hue  etGabet,  missionnaires  laza- 
ristes français,  font  leur  grand  voyage  de  Mongolie  à  Lhassa, 
sunt  chassés  de  Lhassa  el  expulsés  par  la  Chine.  M.  Hue  a 
crildes  Souvenirs  de  voyage  en  Mongolie  et  au  Thibel. 
7' De  1846  à  1890.  La  Société  des  Missions  étrangères  de 
Paris  (128,  rue  du  'Bac)  a  déjà  envoyé  vingt-huit  de  ses 
membres  pour  évangéliser  le  Thibet.  De  1854  à  i8tJ5,  la 
mission  était  établie  au  Thibet  proprement  dit,  royaume  de 
Lhassa,  à  Bonga  et  Kiang-kha  et  environs.  Chassés  du  Thi- 
bet en  18(i.ô,  ils  se  sont  maintenus  jusqu'à  ce  jour,  malgré 
plusieurs  persécutions,  dans  le  Thibet  oriental  chinois. 

Les  travaux  scientifiques  dus  à  ces  missionnaires  sont  : 
le  manuscrit  d'un  grand  dictionnaire  Ihibclaia-latin-fran- 
çais-anglais  auquel  tous  ont  contribué.  —  MgrThomine  des 
Hazures  a  publié  quelques  lettres  sur  la  géographie; 
Mgr  Ghauveau,  quelques  lettres  sur  l'état  social  et  une  sur 
les  mines;  M.  Renou,  un  mémoire  sur  ses  voyages,  sur  les 
yaks,  et  sur  plusieurs  autres  sujets;  M,  Krick,  son  voyage 
chez  les  Abords  et  au  Dzayul  thibétain  à  travers  les  Miche- 
mis;  M.  Desgodins,  de  nombreux  renseignements  sur  la 
géographie  et  sur  toutes  sortes  de  sujets,  à  l'aide  desquels 
son  Trère  a  composé  la  Missioti  du  Thibet  (1"  édition)  et  le 
Thibet  (2*  édition);  M.  Alexandre  Biet  :  Vocabulaire  du 
laiecte  des  Lyssou  ;    M.  Dubernard   :  des  notes  sur  son 


278  NOTES   SUR  LE  THIBET. 

voyage  chez  les  Lou-lse  el  les  Lyssous  de  la  Salouenne; 
M.  Saleur,  plusieurs  notices  sur  le  Sikim  et  le  Népal 
(Voy.  Missions  catholiques).  Sont  en  préparation  :  un 
dictionnaire  lalin-thibétain  du  langage  usuel,  par  Ici'.  Giraii- 
deau  ;  un  dictionnaire  polyglotte,  cbinois-thibélain-mosso- 
lyssou-loulse,  etc.,  par  le  P.  Leard. 


II.  —  Voyageurs  laïques. 

1736.  Le  Hollandais  Vnn  den  Pute  explore  le  Thibe? 
maiis  fait  brûler  ses  mémoires  avant  sa  mort. 

1782.  Bogie  el  son  médecin,  et  quelques  années  plus 
tard  le  capitaine  Turner  a\ec  son  secrétaire  et  son  médecin, 
tous  envoyés  en  ambassade  officielle  au  grand  lama  de  Tra- 
chilnmbo  par  Warren  Haslings,  premier  gouverneur  général 
des  Indes  (Voy.  les  Mémoires  relatifs  à  ces  missions  dans 
Bogie  and  Manning,  par  (élément  Markam). 

1811.  Le  docteur  Manning  pénètre  jusqu'à  Lhassa  à  la 
suite  d'un  mandarin  chinois.  N'a  laissé  que  des  notes  insi- 
gnifiantes. 

Vers  1857.  Un  Anglais,  M.  "Wilson,  visita  plusieurs  fois  le 
Ladak  et  la  province  de  Ngari,  A  publié  de  savants  articles 
dans  les  revues  de  l'Inde. 

18fiG.  M.  T.-T.  Cooper,  venant  de  Chine,  pénètre  jusqu'à 
Batangetjusqu'àOuïsiau  Yun-nan;  il  estarrôlé  elrelourne 
par  la  même  route.  Il  publie  :  Tracels  of  a  pionneer  of 
commerce. 

De  1870  à  1885,  le  général  russe  Prjévalsky  a  exploré 
le  nord-esl,  el  a  pénétré  une  fois  dans  les  hauts  plateaux  du 
Thibel  jusqu'à  '250  milles  de  Lhassa.  Voir  les  savantes  publi- 
cations de  ses  voyage*. 

1875.  Le  capitaine  Gill  f  tM.  Mesny,  venant  aussi  de  Chine, 
arrivent  jusqu'à  Balang  et  sont  éconduits  par  le  Yun-nan 
et  la  Birmanie.  Le  premier  publie  :  The  River  of  golden 
Sand. 


( 


NOTES   SUH  LE  THIBET.  279 

1877.  Un  minisire  protestant  anglais,  M.  Cameron,  suit 
la  même  route  que  les  précédents.  J'ignore  s'il  a  publié  son 
voyage. 

1879.  Le  comle  hongrois  Szecheny  et  ses  deux  compa- 
gnons, MM.  Kreitner,  géographe,  et  de  Loizy,  géologue, 
suivent  la  même  route.  Le  comte  a  publié  ses  voyages  en 
allemand. 

1889.  M.  Rockhiil,  1"  secrétaire  de  l'ambassade  des  États- 
Unis,  pénètre  par  le  nord  au  Koukounor,  est  arrêté,  et  revient 
en  Chine  par  ta  vallée  supérieure  du  Ya-long-kiang  ou  Gnia- 
kio  qu'il  explore. 

1889.  Une  petite  armée  anglaise  de  1,500  hommes 
pénètre  avec  canons  et  bagiges  jusque  dans  la  vallée  de 
Ghumbi,  qui  appartient  au  Thibet  sur  le  versant  sud  des 
Uimalayas. 

Vers  1874,  M.  Ryan,  du  Trigonometrical  Survey  et 
India,  passant  à  l'ouest  du  Népal,  pénètre  jusque  sur  les 
hauts  plateaux  du  Thibet  et  y  relève  une  quarantaine  de  pics 
dans  l'intérieur. 

Vers  1888,  cinq  jeunes  officiers  anglais,  traversant  aussi 
les  Himalayas  à  l'ouest  du  Népal,  vont  faire  une  partie  de 
chasse  de  vingt  jours  près  du  grand  lac  Tso-ma-pam  et 
jusque  sur  les  bords  du  Sutleje.  J'ignore  s'ils  ont  publié  le 
récit  de  leur  excursion. 

Tels  sont,  à  ma  connaissance,  les  Européens  qui  ont 
pénétré  au  Thibet,  soit  pour  l'évangéliser,  soit  pour  l'explo- 
rer. Je  ue  parle  pas  ici  des  voyages  des  Pandits  hindous 
qui  ont  rendu  de  si  grands  services  à  la  géographie  du 
Thibet. 


LE     VŒU 


CONFÉRENCE  TÉLÉGRAPHIQUE  DE  PARIS 

AU   SUJET  DE   l'hEURK   UNIVERSELLE 


m.  To^niKi  do  QrAREnraHi 

Rrpra'Hi'nliiiit    tli'    rAcruli'iiiir    di'K    sfioncc'»    ilu    Kiilogitf, 
pour  l'miUicaUon  dsn*  Il  nn'siire   du  leiiip*. 


Le  n  juin  dernier,  la  Conlérence  télégraphique  inleriia- 
llonale  était  invitée  à  se  prononcer  sur  les  propositions  fai- 
sant l'objet  d'un  mémoire  distribué  précédemment  à  tons 
fes  membres  de  la  Conférence  et  ayant  pour  titre  :  Exposé 
des  raisons  appuyant  la  tiansuctmi  proposée  par  l'Aca- 
ddmie  des  sciences  de  Holoffne  au  sujet  du  méridien  initial 
et  de  l'heure  unirerselle.  Puisqu'il  s'agit  d'une  question  où 
sont  engagés  de  graves  et  nombreuxintérCts  internationaux, 
et  que  la  transaction  de  Bologne  est  basée  sur  les  proposi- 
tion mômes  delà  France  en  18SJ4,  telles  qu'ellessont  expo- 
sées dans  le  «  Rapport  fait  au  nom  de  la  Commission  des 
longitudes  et  des  heures,  par  M.  Caspari,  ingénieur  hydro- 
graphe de  la  marine  jd,  voici  d'abord  le  texte  même  de  la 
IransacLion,  J*ai  placé,  en  face  de  chaque  article,  les  pas- 
sages dudil  Rapport  qui  y  correspondent  et  qui  sont  cités 
ou  examinés  dans  VExposé. 

PASSAGES  DU   HA^l'MIKT  ul  l 
TEXTE  »E   I.*  TIUKS.VCTIOX  C(>FIIIES1>(>XIIEKT  A  I^HAUdE  AATICLE 

L'Acadâiiiie  de»  sciences  de  Bo- 
logne   suggère    d'abnrd  (ju'on  «*cn 

Uciiiie,  en  ce  qui  regarde  leilimiles  ' 

de  l'uiiiftcation  soit  des  heures,  .toit 
des  loiigittiiie»,  aux  propositions 
mimes  de  la  l''raDceeii  1894,à  savoir: 

1"   Stalu  quQ,  c'est-à-dire  Uhre         (  Pour  la  marine,  h  question  est. 
uiiige  du  Diériilien   miioital,  Jatis      des  jUiis  simples  :  elle  ne  trouve 


lETŒU  DE   LA  CONFÉnENCE  TÉLÉGRAPHIQUE   DE    PARFS.  2S1 


jJjiMriiie,  l'asirunotnic,  la  topogra- 
^ii«  cl  la  cartographie  locale. 


^Double  (traduation  —  d'aprùsle 
'nrridieii  natiunal  et  l'inlernalianal 
-<)«n«la  c.irtojçrapliie  géograpliuiiKi 
1,'àiiTnle,  |)our  faire,  ainsi,  scrv  r 
l'eoieijjaemtnl  ménie  de  J.i  gc'iognt- 
pliii'  à  rappeler  et  à  nourrir,  noii- 
julnlemcot,  l'amour  de  lu  patrie  et 
nliiideriiumanitu. 


3*  Application  de  l'heure  du  mt!'- 
ridion  initial —  conjoinlcmenl  avec 
l'ieure  locale  —  à  la  Léléj^rapliie, 
nu  profit  non  moins  du  commerce  et 
(les  relaliuas  internai ioaulcs  que 
lit!  observations  svienliriques. 


*'  Ensuite,  et  \touv  ce  «[ui  est  du 
«hoix  du  méridien  initi.d,  l'Acadé- 
mie d«8  acieaccs  do  Bolugno  dc- 
nwndfi  qu'on  veuille  bien  prendre 
en  considération  l«s  raisons  allé- 
(îuéM  dans  le  Riipport  ci-aprl-s  en 
faveur  du  méridien    de  .Icruaaloin, 


pas  lo  moindre  iiKunvéaicnl  «iii 
stalu  qun,  elle  en  verrait  de  très 
grnvea  à  lo  changer...  D'une  foçon 
générale,  lernéridicn  initial  vjnique 
CM  repoussé  par  les  astrnnumes,  les 
géodésiens,  les  navigateurs,  c'est-à- 
dire  pur  tous  ceux  pour  qui  l'origine 
de«  luiigituiJes  a  hesoin  d'être  dé- 
llnic  avec  une  grande  précision.  » 
{({app.  pp.  5-(j.) 

«  Par  ooiilre,  le  méridien  initial 
unique  parait  désiré  pourlu  carto- 
graphie générale,  qui,  en  raison 
des  échelles  possibles,  ne  recherche 
pas  une  précision  du  même  ordre... 
Pour  la  cartographie  géographique 
générale,  et  surtout  pour  l'ensei- 
gnement, il  n'y  aura  que  de.s  avan- 
tages h  tendre  vers  un  méridien 
initial  commun,  en  respectant  par 
nne  transition  bien  ménagée  les 
inlérèta  commerciaux  ei  autres,  u 
Khapp-  P!'-  '>  e'  '"■) 

•  Nous  avons  fait  valoir  plus, 
haut  SOS  considénitions,  ainsi  que 
celle  relative  à  l'heure  universelle, 
pour  les  mélcorologisLcs,  les  phy- 
ïicieas  et  les  géologoe».  Pour  le 
service  lélégritpttiquc  aussi,  s'il 
e«t  bien  entendu  que  l'heure  lo- 
cale sera  conservée  et  si  Ton  ob- 
tient la  lransniiss.ic)n  d'office  de 
l'beure  universelle,  s.ins  préjudice 
de  l'heure  Incalc,  les  iiicunvénïcnts 
signalés  disparaîtront,  et  il  restera 
l'avantage  de  faciliter  le  calcul  de 
la  durée  des  transmissions.  > 
[Usjtp.  p.  17,  suite.) 

«  Le  premier  méridien  univer- 
lel  doit  Être  océanique,  alin  que 
le  changement  de  date  du  temps 
universel,  auquel  correspond  le 
saut  de  date,  ne  se  produise  pas 
sur  un  continent  et,  aussi,  aOn  de 
mieux  marquer  «on  caraclilre  à  la 


282   LE  VŒU  DE   LA   CONFÉRENCE   TÉLÉGRAPHIQUE   DE  PAIVIS. 


celle  iurlout  tirée  de  la  cotncidenco 
Itigiijue  dos  longiludca  employées 
comme  mesure  «lu  Lenips,  avec  l'en- 
semble do  l;i  chi'onnloi^ic  en  ii9a(;('. 
chez  tous  IfiB  peuples  civilisés.  Qiimit 
à  la  double  grailiiatinn  —  l'une 
en  lignes  noires,  l'aittifi  en  lignes 
rouges  ou  en  pointillé  —  suggérée 
pour  la  ciit'tograpbiu  géograptiiqun 
générale,  c'est  Jù,  évideinineol,  une 
mesure  à  introduire  peu  ù  peu,  au 
fur  et  à  mesure  qu'on  4^ditcra  de 
nouvelles  cartes  (F-rpoîd,  pp.  U-10). 


fois  international,  c'est-à-dire 
neutre,  el  conventiaQuel,  c'est-à- 
dire  dépendant  de  tous  les  obscr- 
vatoifcj.  D  {Itapp.  p.  14.) 


La  Conférence  télégraphique  émetlait,  sur  l'avis  unanime 
de  ta  commission  chargée  d'en  référer  et  sur  la  proposition 
du  président,  le  vœu  suivant,  formulé  par  M.  le  comman- 
deur Ponzio-Vaglia,  délégué  d'Italie  : 

«  La  Conférence  téiégraphique  internationale,  tout  en  ne 
se  reconnaissant  pas  compétente  pour  trancher  la  question 
du  méridien  initial  devant  fixer  l'heure  universelle,  applau- 
dit  aux  efforts  de  l'Académie  royale  des  sciences  de  l'Institut  ■ 
de  Bologne  pour  trouver  une  solution  qui  concilie  tous  les 
intérêts,  et  émet  le  vœu  que  ce  projet  trouve  Lientôt sa  réa- 
lisation et  qu'on  arrive,  enfin,  à  l'unifi^alion  dans  la  me- 
sure. > 

Ainsi,  donc,  les  i-epiéscntanls  de  43  Etats  el  de  24  Compa- 
gnies télégraphiques  viennent  d'applaudir  aux  efforts  d« 
l'Académie  des  sciences  de  Bologne  pour  faire  reprendre  en 
considération  les  propositions  de  la  France  en  1884,  avec 
l'unique  substitution  du  méridien  continental  de  Jérusalem 
à  la  place  d'un  méridien  océanique, 

Quelques  mots,  maintenan(,surcclle  unique  substitution. 


J'observe  d'abord  qu'en  faisant  coïacider,  ainsi  qu'il  a 
été  convenu  à  Washington,  le  jour  universel  avecle  jour 
civil  du  méridien  initial,  c'est-à-dire  en  faisant  commencer, 
dans  le  cas  actuel,  le  jour  universel  à  minuit  de  Jérusalem, 


LE  VŒU  DE   LA  COXFÉnENCE   TÉLÉGBArUIQUE   DE   PAIIIS  283 

le  changement  de  date  et  le  saut  de  date  se  trouvent,  parla 
même,  relégués  en  mer.  De  plus,  ta  seule  portion  du  con- 
linenl  coupée  par  J'anliméridien  de  Jérusaleoi  est  précisé- 
ment l'Alaska,  où  le  suut  de  date  est  déjà  en  usage. 

Cela  observé,  je  distinguerai  dans  la  proposition  de  la 
Commission  française  de  i884,  au  sujet  du  méridien  initial, 
l'essentiel  de  l'accidentel.  Le  sauL  de  date  en  mer  ne  pou- 
vant plus  ôlro  invoqué  en  sa  faveur,  ['essentiel  dans  celle 
proposition  c'est  que  le  méridien  initiai,  au  lieu  d'6Lre  ii\é 
par  un  observatoire  national  existant,  soit,  comme  s'exprime 
le  Rapport  de  la  Commission,  <r  dépendant  de  tous  les  obser- 
Titoires  ».  Pour  atteindre  ce  but,  le  mOmc  Rapport  suggère 
qu'on  procède  de  la  manière  suivante  : 

t  La  manière  de  fixer  ce  méridien  sera  fort  simple.  Après 
l'avoir  défini  par  sa  dislance  horaire  à  un  observatoire  choisi 
arbitrairement,  on  déduira,  à  l'aide  des  chiffres  connus  des 
longitudes,  sa  position  par  rapport  à  tous  les  autres  obser- 
Taluires,  et  on  définira  le  méridien  initial  par  celte  liste.  » 
{Rapp.  pp.  13-11.) 

Les  choses  ainsi  étant,  et  en  présence  du  fait  que  22  États 
sur  !25,  plutôt  que  d'accepter  un  méridien  océanique,  se 
sont  prononcés,  à  Washington,  en  faveur  de  Greenwich, 
l'Académie  des  sciences  de  Bologne  s'emploie  précisément 
à  faire  accepter  tout  ce  qu'il  y  a  d'essentiel  dans  lu  propo- 
sition de  la  France,  k  savoir  un  méridien  neutre  et  fixé 
tXQCleinenl  de  iu  manière  surjgérée  dans  k  Rapport  de  la 
Commission  de  1884. 

Pour  ce  qui  est,  en  effet,  de  la  neutralité  du  méridien  de 
Jérusalem,  il  me  suffit  de  rappeler  qu'il  est  mCme  recom- 
mandé par  r  «  Union  méditerranéenne»,  doatleâ  adhérents 
représentent,  on  peut  bien  le  dire,  presque  toutes  les  natio- 
nalités et  tous  ks  cultes  de  l'Europe,  de  l'Afrique  et  de 
l'Asie.  On  avait  prédit  que  ce  choix  soulèverait  «  de  ter- 
ribles haines  de  race  et  de  religion  t>.  J'ai  voulu  interroger 
là-dessus  la  Sublime-Porte, et  la  réponse,  publiéeavec  l'au- 


484   LE  VŒD  DE  LA  CONFÉRENCE  TÉLÉCRAPiriQUE  DE   PAIIIS. 

lorisalion  de  l'ambassade  olloman«  ii  Paris,  nous  infûrnae 
au  contraire  que  «  ce  choix  flatterait  l'amour-propre  na- 
tional ottoman,  le  méridien  unique  f<e  trouvant  flxé  en 
Turquie!  ».  Enfln,  puisqu'on  a  objecté  l'idée  religieuse,  j'ob- 
serverai que  celle  idée  se  trouve  aussi,  et  dans  la  môme 
mesure,  dans  cette  expression;  î  Exposition  universelle  de 
1889.  »  Pour  y  échapper  entièrement,  remarquait  un  des 
savants  les  plus  distingués  de  la  Friince,  il  faudrait  effacer 
oiëmc  le  souvenir  de  notre  chronologie,  que  lous,  quoi  qu'il 
en  Poil  de  l'année,  s'accordent  à  faire  commencer,  ne  lût- 
ce  que  par  convention,  de  la  naissance  de  Jésus-Christ  ar- 
rivée à  minuil  du  méridien  de  lieihléem,  dont  l'heure  se 
confond,  à  quelques  secondes  de  minute  près,  avec  celle  de 
Jérusalem. 

Pour  ce  qui  est  maintenant  de  la  manière  de  fixer  le  mé- 
ridien initial,  l'Académie  des  sciences  de  Bologne  s'est  con- 
formée, de  tous  points,  aux  indications  de  la  Commission 
française  de  188-1.  On  l'a  défini,  d'abord,  par  sa  distance 
horaire  de  Paris,  trouvée  en  186T  par  l'amiral  Vignes;  en- 
suite on  l'a  repéré  par  rapport  à  tous  les  observatoires 
indiqués  dans  r Annuaire  du  Bureau  des  longitudes.  Voici  la 
liste  demandée  dans  le  Rapport  de  ladite  Commission. 

Liste  de  50  fihseri'uloiief 
auxiiueU  on  a  repéri  le  niéridien  de  Jérusalem. 

Distance  do  Parij,  Dialanco  do  Jdrujilcni. 

P.iri«0 o     ,    .,           h   m   .  3Î.52.M  —2.11.32 

Itenan'-s  E 80.3^.2H  —5.22.43  47.42,36  —3.10.50 

Kerlin  0 11.03.30  -0.44.14  21.4a.2*  —1.37.18 

Berne  0 5.06.11.6  —  0.40.21.7  27.46.40.4  —  1.51.07,3 

Bologne  0 9.00. M      -0.36.04  23.5J.r.3  —1.35.28 

Bombay  E 70.28.43  — 4.1I.54.K  37.35.51  —2,30.22,8 

Bonne- Espérance  0.  ie.0«.26  —1. 04.34  16,44.45  —1.06.57 

Breslau  0 14.12.21  -    0.5B,49  18.1031  —1.22.43 

Bruxelles  0 2.01.57  —  «.O8.07.H  30.5«.â%  —2.03.24.2 

Biide  ou  Ofen  0....  16.43.01  -1.06.52  16.0'.>.54  —1.04.40 

1.  Voir  ce  document  dans  la  XomeiU  Revue,  du  15  novembre  1888 
et  diDi  VAttronomie  du  mois  de  février  1889. 


LE  vœu  DE  LA   CONFÉRENCE  TÉLÉGRAPHIQUE  DE   PARIS.   285 

Distance  do  Paris.  Distance  de  Jérusalem. 

o      I      n            h    m    •  o      /      ».             Il    m    S 

Cadix  0 8.32.34.5  —  O.SiiiO.B  41.25.26.5  —  2.45.42.3 

Cirkruhe  0 6.03.54     —0.24.15.5  26.48.S8     —1.47.16.5 

Christiania  0 8.23.11     —0.33.32.8  24.29.41     —1.37.59.2 

Copenhague  0 10.14.28    —0.40.57.9  22.38.24     —1.30.34.1 

Cracovie  G 17.37.26    —1.10.30  15.15.26     —1.01.02 

Edimbourg  0 5.31.08    —0.22.04.5  38.24.00    —2.33.36.5 

Florence  0 8.55.08    —0.36.40.6  23.57.44     -1.35.51.4 

Glasgow  0 6.37.53     —0.26.31.5  39.30.45    —2.38.03.5 

Greenwich  0 2.20.14.4  —  0.09.21  35.13.06.4  —  2.20.53 

Hambourg  0 7.38.11     —  0.30.32.7  25.14.41     — 1.40.59.3 

HeUingfors  0 22.37.01.5  —  1.30.28  10.15.50.5—1.41.04 

Kazan  E 46.47.04     —3  07.08  13.54.12     —0.55.36 

Kônigsberg  0 18.09.30     —1.12.38  14.4.S.22     —0.58.54 

Leipzig  0 10.03.16     —  0.40.13  22.49.36     —  1.31.19 

Lisbonne  0 11.28.37.5  —0.45.54.6  44.21.2i).5  —  2.57.26.6 

Madras  E 77.54.35     —5.11.38  45.01.43     —0.03.06 

Madrid  0 6.01.31     —  0.24.06  38.54.23     -  2.35.38 

Mannheim  0 6.07.22     —0.24.29.5  26.45.30     —1.47.02.5 

Mexico  0 101.26.53    —6.45.47.6  134.19.45     —8.57.19.6 

Moscou  E 35.14.04     —2.20.56  2.21.12     —0.09.24 

MunicliO 9.16.16     —0.37.05.1  23.36.36    —1.34.26.9 

NaplesO 11.54.52.2-0.47.39.5  20.57.59.8—1.23.52.5 

Odessa  0 28.25.20    —1.53.41.4  4.27.32     —0.17.50.6 

PékinE 114.07.58    —7.36.31.9  81.15.06     —5.24.59.9 

Prague  0 12.05.19     -0.48.21  20.47.33     —1.23.11 

Québec  0 72.32.25     -4.54.10  108.25.17     —7.05.42 

ReykiavikO 24.15.14     —1.37.01  57.08.06     —3.48.33 

Rio-Janeiro  0 45.30.35     —3.02.02.03      78.23.27     —5.13.35.3 

Rome 0.08.52     —  0.40.35.5  22.44         —  1 .30.56..'-> 

Saint-Pétersbourg  0.    27.59.08     —1.51.56.5  4.53.44    —0.19.35.5 

Sainte-Hélène  0...      8.04.14     —0.32.17  40.57.06    —2.43.49 

Santiago  0 73.00.45     —4.52.03  105.53.37     —7.03.35 

Stockholm  0 15.43.16     —1.02.53  17.09.36    —1.08.39 

Sydney  E 148.52.08    —9.55.28.5  115.69.16    —7.43.56.5 

Tiflis  E 42.29.03     —  2.49.56  9.36.11    —  0.38.24 

TriesteO 11.25.40    —0.45.42  21.27.06    —1.25.50 

Tarin  0 5.20.13    —0.21.21  27.32.39    —1.50.11 

Varsovie  0 18.41.42     —1.14.47  14.11.10    —0.56.45 

Vérone  0 8.38.50     —0.34.35  24.14.12    —1.36.57 

Vienne  0 14.00.03.1  —  0.56.00.2  18.52.48.9  —  1.15.31.8* 

Ce  n'est  pas  encore  tout.  Dans  ma  brochure  :  Cadran  de 
l'heure  universelle,  etc.,  publiée  dès  1888  (Paris,  Gauthier- 

'  Cette  liste  a  été  contrdice  avec  la  ConnaUsance  des  Temps  de  1890. 


286   LE   VŒU   DE   LA   CONFÉnENCK   TÉLÉGIUPUIQOE   DE   PARIS. 

Villars),  on  trouvera  le  méridien  de  Jérusalem  déjà  repéré 
par  rapport  non  seulement  aux  observatoires,  européens  et 
autres,  mais  à  toutes  les  localités,  plus  de  deux  cent  soixante 
en  nombre,  dont  VAnnuaire  de  l'année  1888  donne  la 
position  géograpliiijue.  C'est  plus  qu'il  n'en  faut,  me  pa- 
rait-il, pour  réaliser,  si  on  s'y  décidait,  cette  année  mômr, 
centenaire  de  l'unilicalion  des  poids  et  mesures,  l'unifica- 
tion dans  la  mesure  du  temps. 

Le  méridien  de  Jérusalem  est  indiqué,  en  quelque  sorle^ 
par  la  nature  elle-mt'me,  étant  celui  qui  marque,  à  quelques 
secondes  près^  le  commencement  de  chaque  jour  de  notre 
chronologie,  qu'on  ferait  ainsi  coïncider  avec  le  jour  ^  uni- 
versel ».  —  Ce  méridien  a,  de  plus,  pour  lui  une  sorte  de 
droit  historique)  \ii  qu'au  mo3en  ûge  il  était  considéré, 
aimi  que  le  rappelle  Danle,  comme  méridien  central,  ori- 
gine, par  conséquent,  des  longitudes  est  et  ouest.  —  Il 
marque  aussi  le  commencement  de  la  chronologie  et  des 
lunaisons  des  Israélites. —  Sa  longitude  est  d(?j à  connue 
(32%  52'  52"  E.  Paris,  35=,  13' 6" 4  Greenwich)  et  n'a  besoin, 
pour  être  conlrûlée,  d'aucun  observatoire  national,  Jérusa- 
lem possédant  déjà  un  bureau  télégraphique.  —  Pris  dans  sa 
tolalilé,  ce  méridien  touche  à  toutes  les  parties  du  monde  et 
traverse  des  terres  appartenant  aux  principales  puissances 
ou  placées  sous  leur  prolectorat,  o(l"rant,à  ce  titre  aussi,  un 
caractère  réel  d'internationalité.  — L'antiméridien  de  Jéru- 
salem coupe  l'île  française  de  Tahanéa,  dans  les  Tuamotu, 
où  un  observatoire,  au  beau  milieu  du  Pacifique  et  dans  les 
mains  de  la  France,  rendrait  de  grands  services  surtout  à  la 
météorologie  nautique.  —  EnDn,  j'observe  que  la  confor- 
mité/og'igue  des  longitudes,  employées  comme  mesure  du 
temps,  avec  l'ensemble  de  notre  chronologie  a  été  déjà 
demandée  par  trois  membres  delà  Société  géographique  de 
Genève  au  Congrès  géographique  international  de  Paris  en 
1875,  et  à  la  Conférence  de  Washington,  par  le  délégué  de 
l'Espagne,  M.  Uuiz  el  Arbol. 


LE  TŒD   DE    LA   CONFÉRKNCI?   TÉLÉCHAIMnQUb:    DH    PARIS.    287 

Quanta  la  probable  altitude  de  rAnglelerre,  j'observe  que 
fkitatii  quo  dans  la  marine,  en  môme  temps  qu'il  garantit 
lia  France  le  pacifique  usage  de  son  mériclien  national  sur 
doutes  les  mers,  garantit  aussi  à  l'Angleterre  le  pacifique 
fustige  du  sien,  égateuient  sur  tontes  les  mers.  Statu  quo 
'sii![iiiûc  :  maintien  de  l'état  actuel;  or,  l'étal  actuel  c'est  la 
likrlé  pour  chaque  nation  d'employer,  dans  la  navigation^ 
le  méridien  qui  lui  convient  davantage,  sans  qu'elle  puisse 
l'imposer  aux  autres.  Cette  liberté  devrait  être  une  condi- 
tion sine  (/Mrt  no«  de  tout  arrangement  ultérieur. 

Rassurée  sur  ce  point,  l'Angleterre  s'opposera  d'autant 
Dioins,  rae  paraît-il,  i  la  transaction  proposée,  que  nul  n'a 
plus ériergiqiiement  protesté  contre  le  choix  du  méridien 
rde  Greenwich  pour  fixer  l'heure  universelle,  i  cause  des  ser-. 
Tices  qu'il  rend  à  la  marine,  que  l'ex-directeur  lui-même 
dcson  observatoire,  sir  G.  B.  Airy.  «  Presque  loule  la  navi- 
gation, écrivait-il  le  18  juin  1S79  au  secrétaire  d'Etat  pour 
les  colonies,  est  basée  sur  le  Nauiical  Almaiiac,  di>nl  les 
données  se  rapportent  au  méridien  de  Greenwich...  Moi, 
l'ependant,  comme  directeur  de  son  observatoire,  je  re- 
pousse entièrement  toute  idée  de  fonder  là-dessus  un  titre 
iinclconque  pour  le  choix  de  ce  méridien.  * 


En  présence  de  toutes  ces  considérations,  j'exprime  lacon- 

unce  que  tous  les  gouvernements,  appréciant  la  légitimité 

'desifemandes  de  la  France  en  ce  qui  concerne  soit  les  limites 

(\p  r«niflcation  des  longitudes  et  des  heures,  soit  la  maniùre 

de  fixer  le  méridicit  initial,  sanctionneront  une  transaction 

qui,  j'ose  l'affirmer,  «  concilie  tous  les  intérêts  ».  Le  général 

deiiabrea,  ambassadeur  d'Italie  et  membre  correspondant 

l'Institut,  en  a  communiqué  le  texte,  conjointement  au 

ou  de  la  Conférence  télégraphique  internationale,  à  l'Aca- 
3craie  des  sciences  de  Paris,  dans  la  séance  du  15  juillet 
^Voy.  Comptes  rendus,  pp.  96-97). 

La  France,  il  est  vrai,  ne  s'est  pas  encore  prononcée; 


288  LE  VlEt'   IiE   LA   CONFÉRENCE  TÉLÉCnAPHlQUE   DE   PARIS. 

qu'il  me  soit  permis,  cependant,  d'esptiraer  ta  conBance 
qu'elle  tiendra  à  raoïilrer  de  savoir  gré  à  l'Acailémie  des 
sciences  de  lîologiie  pour  tout  ce  qu'elle  a  fait  afin  d'ob- 
tenir de  tous  les  Étals  la  reprise  en  considération  des  pro- 
positions de  ia  France  à  Washington. 

Enfin,  j'observerai  en  terminant  que  le  système  amé- 
ricain des  fuseaux  horaires,  exposé  ici  niôme  et  avec  une 
clarté  si  remarquable  par  M,  de  Nordling,  peut  s'appliquer 
à  n'imporit'  quel  méridien.  J'en  fais  la  remarque,  tout  eii 
lui  préférant  le  système  des  heures  nalionules  ù  multiples 
simples,  préconisé  par  la  lievue  scientifique.  Ce  dernier 
système  possède,  me  paraît-il,  tous  te&  avantages  du  iire- 
mier  sans  en  partager  les  inconvénients. 

Posl-lcriptum .  — Lespngei  cjiii  préctileitl  étiili:ntilL-jù<''i:ril<;si|u3nitjni'(!>;u«coii]- 
iniiiiicalioii  du  vœu  suivnul,  émis  [lar  la  secliun  ilo  p'ograptilt:  liiiis  li'  XI \«  coii- 
l'i'èa  de  rAssncinlitin  triiiivni»e  {lour  l'avani^cRienldus  «cirucct  tiMiu  i  Limoges  du 
7  au  14  aoai  181311  : 

■  Ccin^iddrnnt  que  runjflcitivn  lltlll^^  la  mesuri;  ilii  teiik|i)  csl  un  ri'cl  )iro;ri« 
s<;lijntiljqiia  qui,  not:iriiii|[;ilL,  faeililtni  Tclucle  <^t  lu  caiiipantiHan  dus  oliierralioni 
iiiélcoroloKÎqiU'S,  [ilivsiqiics  cl  asIrDiiomiqtics,  Faitu  «iir  InulL'Iti  »ui*raci"  du  globa 
cl  li'.iiisiHUej  par  le  Idlot'rnplie  ; 

I  Persuadée  lii-  r<>p|iorlvinUi!  'le  resirpindro  runiflcalinu  dcn  heure»  el  dus  loni;i- 
tudej  aii<  liiniit'S  poKitt  par  l'Acaddiuic  des  »cîcrii:c9  ik'  Dolo^'no,  qui  joiit  les 
mi^nics  que  celle*  propoiiaut  pir  la  Franco  à  ta  Cunfi^reiim  ïnlernalionalc  de  Wat- 
Lingiou; 

•  l'crsuadén,  d'autre  pari,  de  la  convenance  jr!'viilifii|inï  do  fallu  coïncider  lof 
lanifiludo*,  emphnoci  cuniuio  uieiuio  du  Icinpf,  uvee  l'ciiacnilile  de  noire  cUiouf,- 
lopie; 

■  IJUBilfèa,  enfin,  par  la  pnrloo  ou  vuiu  tmi»  ù  l'niianiinUé  par  la  Coiifôrt'iitc 
téldgraphlquo  de  l'arls.  sur  la  p rupoailiun  niAmi;  du  l>lreclcur  gi^néral  dm  poste» 
et  téli^rïpliei  Imn^ai)*; 

(  Itemcrclc  l'Acadêriiie  de»  (cienci!<  de  Unlugnc  de  nea  lonus  et  porfovùranl» 
eflurla  pour  trouver  une  tulnlion  de  la  i|ucsli<iii  de  l'Iieiiri'  uiiivarsclle  qui  conrillc 
tou« Ion  Intérêt,  cl  lirncl  k  v<r>u  que  la  Iranaoclion  propoic'e  par  celle  Aiadéntie 
lioit  hienlilt  adoploc  par  tonles  li-t  (>uJBsance:i  civilUéei»  et  qu'on  arrive,  enlin, 
a   l'unilîcation  dan^  la  lueiiiire  du  leiups.  > 

Ce  vœu,  idopléù  riinaniiuitij  par  la  auction,  :i  la  suite  d'un  rapperl  de  M.  Fr<^- 
déric  Honianct  du  Caillaiid,  dcléjruè  de  la  Sociélé  do  féoifrapJiie  de  Parla  bu  Couvre» 
do  l,imui.'es,  u  élé,  l'nselu-  a|iprtniv^,  cdiiimo  vo'u  de  la  Fcclion  de  féi)'„'ra[i|iic, 
par  le  censcil  de  l'Asaorinlion  Ti aniaise,  pour  lîlro  transjni*  aux  aiiloritci  coin- 
péleulen.  La  souliail  i|ue  je  me  pcrnieiluîs  d'usprinier  a  élé  rempli  et  au  dclk  de 
mua  iiltenic.  Je  ttcn»  a  exprimer  icliouic  ina  rccuniiaisaaiir.e  à  la  SAclion  de  g(a- 
grapliie  de  VAisuiiialioa  (ram.aise  poiii-  l'avnncemenl  dcf  ideiiees  «t  a  tun  cou- 
Mil. 

l'arii,  17  aoill  1890. 

*.  Procit-verbaux  de  la  Cmf^enc«  lélégraphiiue,  (î*  (éanee  pléniorc.  17  inJn 
1800. 

Le  Gérant  responsable, 
Ch.  Mauxoiii, 

SccréLtire  punùral  ile  la  cuuiiiiissiHjo  eciitriile. 


4039.  —  Inipiiiiieries  véiiiiie*,  B,  nie  iliuiioii,  i.  —  JIw  .a  MoTTEnoz,  diroekiurm 


LE 

CONTESTÉ  FRANCO-BRÉSILIEN' 


HENRI    GOUDREAU 


Le  territoire  eonte«té  d'après  les  dernières  nég^octa- 

«lon«  orncleiies,  en  1856* —  Les  dernières  négociations 
officielles  entre  la  France  et  le  Brésil,  pour  la  délimitation 
des  Guyanes  française  et  brésilienne,  ont  eu  lieu  en  1856  au 
ministère  des  Affaires  étrangères,  à  Paris.  Le  plénipoten- 
tiaire de  la  France  était  le  baron  de  Butenval,  et  le  plénipo- 
tentiaire du  Brésil  le  vicomte  d'Uruguay. 

Premières  propositions. — La  France  revendiqua  d'abord  : 
1°  à  la  côte,  la  limite  dubras  nord,  obstrué  ou  non,  de  VAra- 
guary,  puisse  fleuve  Araguary;  2°  dans  l'intérieur,  de  l'est 
à  l'ouest,  une  ligne  partant  de  la  source  deV  Araguary  puis 
se  prolongeant  à  égale  distance  de  la  rive  de  V Amazone 
jusqu'à  ce  qu'elle  rencontrât  la  limite  ouest  du  rio  Branco. 

—  Le  Brésil  Vi'offrit  tout  d'abord  que  la  limite  de  l'Oya~ 
pock  et  la  chaîne  de  partage  à  l'ouest  de  la  source  de  l'Oya- 
pock. 

Dernières  propositions.  —  C'est  dans  le  procès-verbal  de 

1.  Cette  question  a  été  lon$;uemcnt  traitée  devant  la  Société  de  Géogra- 
plïic  en  1857  et  1858,  par  MM.  d'Avezac,  F. -A.  de  Yarohagen  et  J.-C.  da 
Silva.  Voirfîui/eWn  de  la  Société  de  Géographie,  1857  :  août-soptembre- 
octobre,  p.  89;  1858;  mars,  p.  145,  avril,  p.  213  et  353,  mai  et  juin, 
p.  351.  septembre  et  octobre,  p.'  129.  —  Voir  la  carte  jointe  à  ce  numéro. 

—  Voir,  sur  le  même  sujet,  la  France  équinoxiale,  par  M.  A.  Coudreau, 
Paris,  Challamel  aîné,  1887. 

soc.  DK  GÉOGR.  —  3'  TRIMESTRE  1890.  XI.  —  19 


29Ô  LE    CONTESTÉ    FUA>C0-BHKS1L1EN. 

la  séaace  du  1"  juillet  1856, 15""  et  dernière  séance  des  né- 
gociations, que  nous  trouvons  formulées  les  dernières  pro- 
positions de  la  France.  Le  gouvernement  de  l'empereur 
consent  à  ce  que  la  future  limt le  soit  ainsi  indiquée  dans  le 
traité  à  intervenir  : 

«  Le  canal  de  Carapaporis,  séparant  I'Up  de  Maracades 
«  terres  adjacenlex  du  Cap  de  Nord,  puis  la  branche  nord 
<i  du  fleure  Arouari,  si  cette  hr anche  est  libre,  on,  dans  le 
«  cas  où  cette  braucke  serait  aujourd'hui  obstruée,  le  pre- 
«  mier  cours  d'eau  ensuivant,  en  remontant  rem  le  nord, 
«  et  se  jetant  soiis  le  nom  de  Mannaie  ou  de  Carapaporis 
«  dans  te  canal  de  Carapaporis  à  un  degré  quarante-cinq 
«  minutes  environ  de  latitude. nord. 

«  La  limite,  partant  de  la  côle,  suivrait  le  cours  du  fleuve 
«  sus-in.di(jué  jusqu'à  sa  source,  puis  se  prolongerait  à 
a  égale  dislance  de  la  rivière  de  l'Amazone  jusqu'à  ce 
«  quelle  rencontrât  la  limite  ouest  du  rio  Branco.  »  (Pro- 
tocole de  la  conférence  sur  la  délimitation  des  Guyanes 
française  et  brésilienne,  1857,  Rio  de  Janeiro,  page  174.) 

«  Le  plénipotentiaire  français  (Protocole,  p.  17i),  s'es- 
«  time  heureux  d'être,  auprès  de  son  honorable  collègue, 
«  Pintermédiaire  d'une  proposition  qui  semble  de  nature  à 
«  clore  équitablement  et  heureusement  la  négociation 
«  poursuivie  depuis  plus  d'une  année.  Si  la  bouche  nord  de 
«  l'Arouari  ou  Vincent  Pinçon  est  libre,  en  l'adoptant  déft- 
«  nitivement  comme  frontière,  les  hautes  parties  contrac- 
«  tantes  ne  feront  qu'exécuter  le  traité  d'Utrecbt.  Si,  au 
('  contraire,  elle  estobslruée,  loin  de  se  prévaloir  de  ce  que  la 
V  limite  d'Utrecbt  aura,  en  quelque  sorte,  été  abolie  par 
«  les  éléments,  la  France  consent  à  reculer  jusqu'au  cours 
«  d'eau  le  plus  voisin  on  remontant  vers  le  nord.  Cette  con- 
«  cession  est  le  témoignage  des  sentiments  qui  inspirent  le 
«  gouvernement  de  l'empereur,  mais  c'est  le  dernier  effort 
«  qu'il  soit  permis  de  faire  vers  l'accord  définitif  qu'il  a  tant 
«  à  coeur  de  voir  s'établir.  » 


LE    CO«TE!>TÉ   FIIANCO-nnÉSIUEN.  291 

t  Le  plénipotentiaire  brésilien  (Protocole,  p.  174)  répond 
<  à  son  honorable  collègue,  qiCil  a  épuisé  toutes  les  con- 
«  tensions  qu'il  pouvait  faire  afin  de  terminer  la  question 
«  par  une  transaction,  mettant  le  droit  de  côté,  en  jiropo- 
«  sant  pour  limite  le  (]alsohu\  à  deux  deijrés  trente  mi- 
«  nutes  environ.  »  (Proposition  faite  dans  la  l-t""  confé- 

*  rence,  p.  170.) 

«  Le  plénipotentiaire  brésilien  ajoute  que  ce  qu'il  vienlde 
<  dire  se  réfère  à  /«  limite  de  la  cèle,  car,  quant  à  celle  de 
«  l'est  et  de  l'ouest,  il  s'alisiiendra  de  la  discuter  et 
«  d'émettre  sur  elle  tme  opinion,  non  seulement  parce 
«  qu'elle  est  indiquée  très  vaguement,  et  comme  une  con- 
«  séquence  d'une  lignedecôle  qui  n'est  pas  encore  acceptée 
«  et  fixée,  mais  aussi  parce  <ju'il  a  été  convenu,  dans  le  pro- 
c  locole  de  la  12""*  conférence,  qu'il  n'était  pas  possible  de 
€  s'occuper  de  la  limite  intérieure  avant  d'avoir  arrêté  la 
«  limite  de  la  côte.  »  (Protocole,  p.  174.) 

En  effet,  dans  le  protocole  de  la  1"2 '"  conférence,  du 
22  janvier  i85t),  on  lit  (Protocole,  pp.  loi,  152)  : 

<  M.  le  vicomte  d'Uruguay,  plénipotentiaire  du  Brésil, 
«  manifeste  le  désir  de  savoir  quelles  sont  les  inlenlions  et 
€  l'opinion  de  son  ancien  collègue  sur  la  seconde  partie  de 
«  son  Mémoire,  c'esl-à-dii'e  la  ligne  divisoire  qui  doit  sépa- 
<t   rer,  allant  de  l'est  à  rouesl,les  territoires  des  .leux  pays. 

«  Le  plénipotentiaire  français  répond  qu'à  son  avis,  le 
«  point  de  départ  de  toute  limite  étant  la  limite  maritime, 
«  celle  du  point  de  la  côte  où  débouche  le  cours  d'eau  com- 
«  mun  aux  deux  États,  il  lui  semble  impossible  de  s'occuper 
«  de  la  limite  intérieure  avant  d'avoir  arrêté  ce  point  de 
«  départ,  c'est-à-dire  d'avoir  résolu  la  difficulté  créée  par 
«  la  diversité  d'interprétation  du  traité  d'Utrecht  par  la 
«  France  et  par  le  Brésil. 

t  Le  plénipotentiaire  du  Brésil  déclare  partager  cette  opi- 

•  nion.  » 

Cette  question  de  la  limite  de  l'est  à  l'ouest  est  étudiée 


LE   CONTESTÉ   FUiNCO-HUÉSILlEN. 

les  mémoires  préalables  des  deux  plénipotentiaires. 
Le  plénipoLenUaire  du  lîrésil,  dans  son  Mémoire  offlciel 
surlo  délimitîition  des  Guyanes  française  et  brésilienne,  du 
15  juin  1855,  concluail,  pour  la  frontière  de  l'est  à  l'ouest, 
qu'«  il  serait  convenable  de  stipuler  que  la  limite  entre  le 
((  Drésii  et  la  Guyane  française,  de  l'est  à  l'ouest,  conlinue- 
«  rail  de  la  source  de  l'affluent  ou  embranchement  de 
«  rOyapock  dont  il  est  parlé  dans  la  première  partie  de 
û  son  Mémoire  (le  Brésil,  avant  de  consentir  la  limite  de 
«  Calsoène,  n'offrait  que  celle  de  rOyapock),  continue- 
«  rail  par  les  Cordillères,  chaînes  de  montagnes  ou  ter- 
«  rains  plus  élevés  qui  forment  le  partage  entre  les  eaux 
«  qui  vont  à  la  rivière  des  Amazones  et  celles  qui  vont  à  la 
«  liuyane  française  et  à  l'Océan.  «   (Protocole,  p.  lô.) 

A  quoi  le  baron  de  Uulenval  répliquHit,  dans  sa  réponse 
préliminaire  du  28  juiti  1855  au  Mémoire  de  M.  le  vicomte 
d'Uruguay  ;  <*  Le  Mémoire  de  M,  le  vicomte  d'Uruguay 
«  touche  aussi,  mais  très  sommairement,  à  la  question  des 
limites  dans  la  direction  de  l'ouest.  Cette  question  est 
intacte,  et  peut-être n'a-t-on  pas  encore,  de  partetd'aiitre, 
toutes  les  données  positives  qui  seraient  nécessaires  pour 
la  bien  régler.  La  pensée  du  cabinet  brésilien  paraît  ôtre 
de  chercher  une  ligne  naturelle,  comme  celle  d'un  par- 
tage d'eau,  de  préférence  à  une  ligne  artificielle  qui  con- 
stituerait plutôt  une  séparation  idéale  surle  papier  qu'une 
frontière  d'un  relief  bien  accusé  sur  le  terrain.  Nous  re- 
connaissons sans  peine  qu'une  frontière  ainsi  constituée 
«st  préférable.  Cependant,  on  ne  pourrait,  de  notre  côté, 
prendre  aucun  engagement  de  ce  genre  d'après  des 
données  aussi  peu  précises  que  celles  que  nous  possédons 
sur  l'intérieur  delà  Guyane  dans  la  direction  de  l'ouest, 
ni  renoncer,  en  principe,  au  bénéHce  d'une  ligne  astro- 
nomique plus  ou  moins  parallèle  à  l'Amazone,  qui  cou- 
perait quelques-uns  des  cours  d'eau,  afiluents  directs  ou 
indirects  de  la  rive  gauche  de  ce  fleuve.  « 


LE   CONTESTÉ  FRANCO-BRÉSILIEN.  293 

Les  négociations  de  1856  n'ont  pas  abouti,  bien  qu'elles 
aient  été  les  plus  sérieuses  qui  aient  été  engagées  depuis 
l'origine  du  différend.  «.  Jamais,  jusqu'à  ce  jour,  cette  ques- 
(  tion  des  limites  n'a  été  sérieusement  examinée,  instruite 
(  ni  discutée,  dit  le  plénipotentiaire  brésilien,  elle  a  tou- 
«  jours  été  écartée  ou  esquivée  à  la  hâte,  sous  l'influence 
(  d'événements  plus  considérables  qui  la  dominaient  et  qui 
€  l'étouffaient.  »  (Protocole,  p.  i44.)  «  La  France,  pour  la 
€  première  fois,  dit  le  plénipotentiaire  français,  vient  de 
c  produire  l'ensemble  de  ses  preuves  et  d'en  développer  les 
€  détails,  »  (Protocole,  p.  t44.) 

Délimitation  officielle  du  contesté.  —  Ces  négociations 
eurent  au  moins  pour  résultat  de  donner  des  frontières  of- 
ficielles au  territoire  contesté  franco-brésilien. 

Nous  référant  aux  propositions  faites,  au  nom  de  son  gou- 
vernement, par  le  plénipotentiaire  français,  la  France  re- 
vendiquait sa  frontière  historique,  sa  frontière  du 
XVIII*  siècle  ;  elle  réclamait  en  1856  : 

1»  A  la  côte  :  Le  bras  nord  de  l'Araguary  (représenté 
aujourd'hui,  en  1887,  parla  rivière  Jourdon,  le  lac  Macari, 
la  rivière  du  Coraprido,  le  lac  Novo  et  le  déversoir  du  lac 
Novo  dans  l'Araguary)  et  le  fleuve  Araguary. 

2*  Dans  l'intérieur,  de  l'est  à  l'ouest  :  Une  ligne  partant  de 
la  source  de  l'Araguary  puis  se  prolongeant  à  égale  dis- 
tance de  la  rive  de  V Amazone  jusqu'à  la  limite  ouest  du 
rio  Branco. 

Cette  limite  dans  l'intérieur,  la  limite  de  l'est  à  l'ouest, 
comme  les  diplomates  l'ont  appelée,  n'a  pas  été,  en  1856,  et 
n'aurait  pu  être  déterminée  avec  précision. 

Au  xviii'  siècle  c'était  «  une  ligne  s'écartant  le  moins 
possible  de  l'équateur  et  de  la  ligne  parallèle  au  cours  de 
l'Amazone  (Bessner,  mission  Mentelle,  1782),  se  rendant 
jusqu'au  rio  Branco,  et  essayant  de  trouver  à  nos  ter- 
ritoires de  l'intérieur  une  frontière  sensible,  scienti- 
fique. 


294  LE   liONTESTÉ   FKANClt-JlUÉSlLlEN. 

Ea  1850,  c'est  «  une  ligue  partant  de  la  source  de  l'ArU' 
guary  et  se  prolonijcaul  à  égale  distance  de  la  rive  de 
l'Amazone  jusqu'à  la  limite  ouest  du  rio  Branco  ».  La 
source  de  l'Araguary,  qui  n'esl  pas  encore  exactement 
Cûimue,  n'était  pus  alors  connue  même  conjecturalement. 
La  source,  égalenieul  inconnue,  du  Carapaporis  ou  Man- 
naie  offerl  iransaclionnellemicnt  comme  frontière,  eût  pu 
nous  donner  une  limite  plus  méridionale  que  celle  de  la 
source  de  l'Araguary.  Ce  n'est  donc  pas  naême  interpréter, 
c'est  seulement  traduire  la  pensée  du  gouvernement  fran- 
çais en  tabù  que  de  qualifier  la  frontière  intérieure  qu'il 
proposait  i'i  partir  de  la  source  du  lleuve  limité  à.  la  côte  : 
uti  équateur  lisible,  sensiblement  parallèle  à  l'Amazone 
jtisqu'au  rio  Branro.  Ce  qui  {pour  plus  de  précision), 
place  la  parallèle  \oulue  à  l'Amazone,  en  1856,  à  environ 
300  kilomètres  au  nord  du  (leuve.  Mous  pouvons  donc 
préciser  nettement  ainsi,  pour    Tavenlr,  notre  frontière  : 

L'aticien  bras  nord  de  rAraffuartf  :  l'Araguary  ;  une  ligne 
à  '200  kilomètres  environ  de  l' Amazone  jusqu'au  n'a 
Branco,  limite  occidentale. 


HiHtoriqae  de  la  «ineaiiuu.  —  Avant  le  traité  d'Utrecht. 
—  .\u  xvu'  siècle,  la  France  avait  nominalement  la  posses- 
sion delà  totalité  de  l'île  de  Guyane  entre  lOrénonue  et 
l'Amazone,  mais  nous  ne  cherchâmes  point  à  occuper 
toute  la  contrée.  Bientôt  les  Hollandais  s'établirent  entre  le 
Maroni  eU'Orcnoque.  Nous  testâmes  avec  le  pays  compris 
entre  le  Maroni  et  l'Amazone,  et,  malgré  toute  l'impor- 
tance de  ce  dernier  fleuve,  nous  nous  bornâmes  à  y  faire 
quelque  commerce  avec  les  Indiens  au  lieu  d'y  construire 
des  forts. 

C'est  alors  que  les  Portugais,  voyant  l'état  d'abandon 
dans  lequel  nous  laissions  cette  partie  de  notre  colonie, 
songèrent  sérieusement  h  nous  évincer  de  la  rive  septen- 
trionale de  l'Amazone.  En  l(J8S  ils  avaient  déjà,  sur  la  rive 


LECONTESTÉ   Fn\NCO-BRÉSIUEN. 


295 


nord  du  bas  Amazone,  quatre  petits  postes  forLiliés  :  Deslerro 
à  l'embouchure  du  Parou,  Toh6ré  près  de  celle  du  Jary, 
et,  un  peu  plus  bas,  Sào  Antonio  de  Macapâ  et  Araiiari. 

Le  fort  du  Desterro  avait  été  élevé  pirles  Portugais  dès  le 
commencement  du  xvir  siècle.  En  163'J,  le  P.  d'Acurta  en 
parle  comme  d'un  fort  garni  de  soldats  et  de  canons. 

Le  fort  de  Sào  Antonio  do  Macapà  avait  éié  baii  par  les 
Portugais  sur  l'emplacement  du  fort  de  Cainau,  que  Féli- 
ciano  Coeilio  de  Carvalho  prit  h  l'Anglais  Roger  Frey  en 
t632. 

Louis  XIV  lit  alors  affirmer  par  M.  de  FéroUes,  gouver- 
neur de  Cayenne,  les  droits  de  ta  monarchie  française  sur 
toutes  les  terres  du  bassin  guyanais  du  fieuve.  Le  gouverne- 
ment portugais  ayant  refusé  de  reconnaître  le  bien  fondé 
des  prétentions  du  gouvernemetil  français,  M.  de  Férolles, 
sur  l'ordre  de  Louis  XIV,  en  mai  1(3U7,  en  pleine  paix, 
enleva  et  occupa  Sào  Antonio  de  Macap;i  et  détruisit  Des- 
terro et  Tohéré.  Le  fort  d'Arauari  avait  été  précédemment 
enlevé  par  la  pororoca.  Le  lait  d'armes  de  M.  de  Férolles 
fut  inutile  :  la  petite  garnison  française  ne  put  se  maintenir 
i|u'un  mois  à  Sào  Antonio  de  Macapà,  et  les  Portugais  réoc- 
^cupèrent  le  poste  après  nous  en  avoir  chassés. 

La  première  convention  diplomatique  qui  ait  essayé  de 
'régler  le  différend  est  du  4  mars  1700.  Des  négociations 
eurent  lieu  à  la  suite  de  TaHaire  de  Macapà,  et  furent 
suivies  d'un  Irailé  provisionnel.  Le  roi  de  France  s'engageait 
à  s'abstenir  provisoirement  de  faire  aucun  élablissement 
sur  la  rive  nord,  mais  le  roi  de  Portugal  ferait  détruire 
Macapà  et  ne  prendrait  aucune  position  sur  la  rive  litigieuse, 
provisoirement  neutre.  Conformément  au  traité,  le  Portu- 
gal détruisit  Macapà. 

En  1701  fut  conclu  un  second  traité.  C'était  à  l'époque 
de  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne,  Louis  XIY  recher- 
chait l'alliance  du  PortuguL  Pour  obtenir  celte  alliance,  il 
rjrenonça  au.';  prétentions  que  la  monarchie  française  avait 


a 


i96  LE    CONTESTÉ   FBANCO-BnÉ?IUEN, 

jusqu'alors  maintenues  sur  la  proviuce  de  Maragnon,  au 
sud  de  l'Amazone.  Pour  ce  qui  était  de  la  rive  gauche  de 
l'Amazone,  le  statu  q^o  du  traité  provisionnel  ilu  i  mars 
1700  était  maintenu. 

Le  traité  iTUlrecht.  — C'estle  traité  d'Ulrecht,  du  1 1  avril 
1713,  qui  est  censé  terminer  le  différend.  En  réalité  il  n*a 
servi  qu'à  le  prolonger  jusqu'à  nos  jours. 

Ce  traité,  au  lieu  d'en  unir  avec  ua  conflit  qui  durait  depuis 
vingt-cinq  ans,  le  rendit,  pour  l'avenir,  dîplomaliquemenl 
presque  insoluble. 

Le  traité  d'Utrecht  dit,  en  substance  (articles  7  et  8), 
que  la  France  renonce  aux  terres  du  Cap  de  Nord,  situées 
entre  la  rivière  des  Amazones  et  celle  de  Japoc  ou  Vincent 
Pinçon;  (fue  la  navîgation  de  l' Amazone,  ainsi  (jue  les  deux 
rives  du  fleuve,  apparlieiidrout  axi  Portugal;  et  que  la 
rivière  de  Japoc  ou  Vincent  Pinçon  servira  de  limite  aux 
deux  colonies. 

Cette  rivière  de  Japoc  ou  Vincent  Pin(;.on,  i'rontière  des 
deux  colonies,  n'est  indiquée  ni  en  latitude  ni  en  longi- 
tude; de  plus,  le  traité  n'indique  que  le  point  de  départ,  à 
la  côte,  de  celte  frontière,  et  n'indique  pasl'aLlribution  des 
terres  de  l'intérieur,  il  dit  seulement  que  les  deux  rives  de 
l'Amazone  appartiennent  au  Portugal. 

De  là  double  difficulté, 

1"  Quelle  est  la  rivière  Japoc  ou  Vincent  Pinçon::'  Pour 
les  Portugais  c'est  l'Oyapock;  pour  les  Français,  un  bras 
nord  de  i'Araguary  se  déversant  au  sud  de  l'île  Maraca. 
Voilà  pour  la  limite  de  la  côte. 

2'  Pour  ce  qui  est  de  l'intérieur,  de  la  limite  de  l'est  à 
l'ouest,  les  Portugais  disent  que  la  rive  nord  de  l'Amazone 
signifie  tout  le  bassin  nord  de  ce  fleuve,  les  Français  disent 
que  la  rive  seule  est  portugaise  et  que  l'intérieur  est  fran- 
çais. 

Du  traité  d'Utrecht  à  la  Révolution.  —  Presque  aussitôt 
après  la  signature  ilu  traité  d'Utrecht  on  commença  à  dis- 


I 


I 


LE  CONTESTÉ  FRA^XO-BRÉSILIEN.  297 

cuter  officiellement  sur  la  position  exacte  de  la  rivière  de 
Japoc  ou  Vincent  Pinçon. 

Les  Portugais  écrasèrent  quelques  peuplades  indiennes 
de  la  côte  au  nord  de  l'Amazone,  qui  s'obstinaient  à  faire 
des  échanges  avec  Cayenne,  et  ils  envoyèrent  dans  l'inté- 
rieur des  missionnaires  jusqu'à  l'Oyapock.  De  notre  côté, 
en  1722  nous  dépéchâmes  un  détachement  pour  s'emparer 
de  Moribira,  dans  l'île  des  Guarlbas,  aux  portes  de  Para,  et 
ce  détachement  se  maintint  un  an  dans  le  poste  conquis. 
Le  tout,  en  interprétation  du  traité  d'Utrecbt. 

En  1723,  toujours  en  interprétation  du  traité  d'Utrecht, 
Gama,  gouverneur  du  Para,  ût  rechercher  par  Paes  do 
Amaral  les  anciennes  bornes  de  marbre  élevées  par  ordre 
de  Charles-Quint,  en  1 543,  entre  les  possessions  de  l'Espagne 
et  celles  du  Portugal.  Ces  bornes  antiques,  en  elles-mêmes, 
ne  signifiaient  pas  grand'chose.  Mais  la  recherche  qu'on  en 
fit  sert  à  nous  prouver  que,  quelques  années  seulement 
après  avoir  été  signé,  le  traité  d'Utrechtfut  réputé,  pour  ce 
qui  concerne  la  délimitation  de  la  frontière  entre  la 
Guyane  française  et  portugaise,  officiellement  inintelli- 
gible, du  moins  pour  le  Portugal.  Paes  do  Amaral,  qui  ne 
saurait  être  suspect  de  partialité  en  faveur  de  la  France, 
découvrit  les  bornes  par  1°30'  de  latitude  nord,  à  l'embou- 
chure d'une  rivière  qu'il  appelle  Wiapoc  ou  Vincent  Pinçon, 
et  que  sa  détermination  astronomique  nous  indique  claire- 
ment être  un  bras  de  l'Araguary. 

Aussitôt  après,  le  gouvernement  français  ayant  été 
informé  de  la  découverte  de  Paes  do  Amaral,  d'Orvillon, 
gouverneur  de  Cayenne,  reçut  l'ordre  d'agir  en  consé- 
quence; et  toute  la  côte,  de  l'Oyapock  au  bras  nord  de 
l'Araguary,  fut  effectivement  annexée  à  la  colonie  de 
Cayenne. 

De  leur  côté,  les  Portugais,  fort  irrités,  affirmèrent  offi- 
ciellement, pour  la  première  fois,  leurs  prétentions  à  la 
possession  de  la  rive  droite  de  l'Oyapock,  et  pour  justifier 


298 


I.E   CONTESTÉ    FnANCO-FinKSILIEN. 


leurs  revendicalions  ils  firent  rechercher,  à  l'embouchure 
de  ce  fleuve,  à  la  montagne  d'Argent,  les  fameuses  bornes 
de  Charles-Quint,  lesquelles,  ayant  déjà  été  trouvées  par 
Paes  do  Amaral  au  hras  nord  de  TAraguary,  ne  purent,  malgré 
loule  la  bonne  volonté  du  nouveau  commissaire  portugais, 
se  redécouvrir  àl'Oyapock. 

L'interprétalion  du  Irailé  d'Utrecht  continuait  d'ailleurs 
de  part  et  d'autre  :  les  Portugais  faisaient,  dans  l'inlérieur. 
de  grandes  razzias  d'Indiens  jusqu'à  l'Oyapock,  et  nous, 
nous  confisquions  les  barques  portugaises  jusqu'à  l'île  de 
Marajo. 

Sur  ces  entrefaites,  en  1732,  des  négociations  furent 
entamées  entre  le  gouverneur  de  Para  et  celui  de  Cayenne. 
Ces  négocialions  avaient  pour  but  d'arriver  à  délimiter 
la  frontière  des  territoires  litigieux.  Elles  aboutirent  à 
l'accord  de  1736,  qui  nous  laissa,  en  fait,  libre  pratique 
des  terres  au  nord  du  bras  septentrional  de  l'Araguary. 

C'était  une  espèce  de  désistement  tacite  de  la  part  du 
Portugal.  Et  pendant  près  de  soixante  années,  de  1736  à 
1794,  nous  usâmes  si  largement  de  ce  désistement  et  pra- 
tiquâmes si  librement  les  eûtes  au  nord  de  l'embouchure  de 
l'Amazone,  que,  plusieurs  fois,  les  autorités  portugaises 
purent  faire  saisir  des  barques  françaises  péchant  dans  les  ■] 
parages  de  Para.  Aussi,  en  17fii,  le  Portugal,  pour  protéger 
sa  rive  nord  de  l'Amazone,  de  moins  en  moins  respectée  par 
nous.  lit-il  construire  le  fort  de  Silo  José  de  Macapa,  non 
loin  de  l'emplacement  de  l'ancien  fort  de  Sâo  Antonio. 

A  celle  époque,  le  gouvernement  français  était  bien  pos- 
sesseur, de  fait,  comme  il  l'a  toujours  été  de  droit  depuis 
le  traité  d'Utrecht,de  toute  la  côte  entre  l'Ûyapock  et  le  bras 
nord  du  delta  de  l'Araguary,  bras  appelé  alors  Carapaporis. 

En  1766,  Malouet,  gouverneur  de  Cayenne,  envoyait  au 
ministre  deux  Mémoires  pour  établir  définitivement  et  irré- 
vocablement et  nos  droits  et  le  fait  accompli.  En  1 774,  Fied- 
mond,  successeur  de  Malouet,  faisait  faire,  par  le  sieur 


I 


LE   CONTESTE   FRANCO-UflESlLlEN. 


299 


Dessingy,  ingénieur-géographe,  un  relevé  de  la  côle  entre 
rOyapock  et  le  Carapaporis.  Trois  ans  plus  tard,  en  1777,16 
raêmeFiedmond  faisait  prendre,  "sans  réclamation  delà  part 
du  Portugal,  possession  elTecLive^  adrainislrative,  de  la  baie 
qu'on  appelait  alors  Vincent  Pinçon,  entre  l'île  Macara  et 
la  côte,  baie  dans  laquelle  dcbouciiail  le  Carapaporis,  par 
rétablissement,  sur  la  rive  gauche  du  Carapaporis  d'un 
poste  dénommé  Carapaporis  ou  Vincent  Pinçon,  el  un  peu 
au  nord-ouest,  en  suivant  la  càtu  vers  le  nord,  d'un  village- 
mission  appelé  Macari  sur  la  rive  droite  du  petit  fleuve 
Macari.  Un  ingénieur-géographe,  avec  le  Ulre  de  Gardien 
des  limites,  fut  installé  au  village-mission  de  Macari.  Ce 
fut  d'abord  le  sieur  Labbé,  ingénieur-géographe,  qui  rem- 
plit ces  fonctions;  puis  ce  fut  le  sieur  llonlct,  autre  ingé- 
nieur-géographe. 

La  frontière  ofUcielle  de  la  Guyane  française,  de  1736  à 
1794,  en  interprétation  du  traité  d'Utrecht,  sans  réclama- 
tion de  la  part  du  Portugal,  fut,  à  la  cftte,  le  Carapaporis, 
canal  naturel  alors  important  qui  devenait  l'Araguary  au 
sud  de  Maraca,  et  pour  rinlérieur  de  l'est  à  l'ouest,  une 
ligne  vague,   non   tracée,  qui  du   Carapaporis  allait  au 

Erio  Branco,  entre  l'Amazone  et  la  ligne  équatoriale,  se 
rapprochant  le  plus  possible  de  celle-ci,  et  le  plus  possible 
parallèle  à  celui-là. 
C'est  ce  bras  du  Carapaporis  que  Humboldt  déclarait  plus 
ttrd  être  le  vrai  Vincent  Pinçon.  Ce  bras,  jadis  considé- 
rable, est  obstrué  aujourd'hui. 

On  se  préoccupait  alors  aussi  de  la  limite  dans  Tintérieur, 
de  la  limite  de  l'est  à  l'ouest. 

En  1782,  M.  de  Bessner,  gouverneur  de  Gayenne,  donnait 
à  Simon  Mentelle,  géographe,  la  mission  de  reconnaître 
quelle  ligne  sensible  de  déraarcaiion  pourrait  être  établie 
entre  la  Guyane  française  et  les  possessions  portugaises,  en 
partant  du  point  où  le  canal  de  Vincent  Pinçon  ou  Carapa- 
poris, puis  l'Araguary,  cesse  de  séparer  les  deux  colonies. 


300 


LE   CONTESTÉ  FllANCÛ-OnÉSlLIEN. 


Poursuivant  vers  l'ouest,  Mentelle  devail,  «  s'écarlant  le 
moins  possible  de  l'équaLcur  et  de  la  ligne  parallèle  au  cours 
de  PAmazooe  (afin,  disaient  ses  instructions,  de  remplir 
exactement  l'esprit  du  traité  d'Ulrecht),  se  rendre  jusqu'au 
rio  Branco,  essayant  de  trouver,  à  nos  territoires  de  l'inté- 
rieur une  frontière  sensible,  scientifique.  » 

Malade,  Mentelle  ne  put  dépasser  l'Araguary. 

Les  choses  en  étaient  là,  après  l'échec  de  Mentelle, 
quand,  en  1792,  en  présence  du  danger  imminent  de  guerre 
universelle,  pour  concentrer  à  Gayenne  toutes  nos  forces  de 
la  Guyane,  nous  évacuilmes  le  poste  de  Garapaporis  ou 
Vincent  Piuçon. 

Les  traités  de  la  Révolution.  —  Eu  1794,  l'émancipalion 
des  esclaves  dans  la  Guyane  française  ayant  fait  craindre 
aux  Portugais  un  soulèvement  de  leurs  esclaves  du  Paià, 
les  Portugais  armèrent  cinq  petits  bâtiments,  et,  en  atten- 
dant une  déclaration  de  gueri-e  officielle,  commencèrent 
par  venir  piller,  dans  le  Ouassa,  une  grande  ferme  à  bétail 
dont  le  propriétaire,  le  citoyen  Pomme,  était  alors  député 
de  Cîiyenne  fl  la  Convention. 

Sortie  du  Ouessa,  la  lloltille  portugaise  entra  dans  l'Oya- 
pok.  Les  Portugais,  reprenant  après  cinquante-huit  ans,  et 
à  la  faveur  de  la  guerre  générale,  leurs  anciennes  préten- 
tions, adressèrent  au  commandant  du  fort,  qu'ils  qualifièrent 
de  commandant  des  limites,  sommation  d'avoir  à  livrer  les 
esclaves  portugais  fugitifs.  Le  poste  d'Oyapock  avait  été 
évacué,  et  le  commandant  provisoire  se  trouvait  être  le 
maire.  Ce  brave  homme  réunit  son  conseil  municipal,  qui, 
après  délibération,  déclara  aux  Portugais  que  la  frontière 
était  iiu  Carapaporis  et  que  la  Ilévolution  avait  libéré  les 
esclaves.  Les  Portugais,  en  se  retirant,  plantèrent  avec  so- 
lennité un  poteau  sur  la  rive  droite  de  l'Oyapock,  et  ils  ap- 
peièreul  ce  poteau  Notre-Dame  de  la  Conception.  Les  enva- 
hisseurs avaient  à  peine  mis  à  la  voile,  que  l'héroïque 
conseil  municipal  passait  le  lleuve  et  brûlait  le  poteau. 


CONTESTÉ  FRAXCO-BRÉSIUF-X.  301 

celte  expédition,  la  flottille  portugaise 
mouilla  à  l'embouchure  de  divers  fleuves  d'entre  rOyapock 
elleCarapaporis,  où  se  trouvaient  de  petits  villages  indiens 
vivant  sous  notre  proLaction,  et  notamment  à  Counani,  où 
nous  avions  depuis  1780  un  village-mission  de  300  âmes, 
et  au  village-mission  deMacari  à  peu  près  aussi  important. 
Les  Portugais  emmenèrent  en  musse  toute  cette  population 
indienne  au  Brésil.  De  HOià  1708  la  côte  d'entre  Carapa- 
poris  et  Oyapock  fut  systématiquement  dépeuplée  par  les 
Portugais,  11  importait  d'agrandir  le  désert  entre  Para  et 
Cayentie,  car,  au  contact  des  Fran*;ais  qui  donnaient  la  li- 
berté aux  Indiens  et  aux  esclaves,  Para  se  serait  bientôt 
trouvé  sans  esclaves  et  sans  Indiens.  Cependant  nos  indiens 
îus  regrettèrent.  Quelques-uns  d'entre  eux,  déportés  au 
in,  trompant  une  surveillance  active,  se  riant  de  puni- 
Dns  sévères  et  bravant  tous  les  dangers,  revinrent  dans  nos 
îlages  dans  de  frêles  pirogues,  par  cinquante  et  même 
^ni  lieues  de  haute  mer. 

'La  Révolution  n'élail  pas  liée  par  le  traité  d'Ulrecht  et 

3e  pouvait,  en  imposant  la  paix  au  Portugal,  se  choisir  une 

i>nne  frontière.  Au  premier  traité  (signé  le  10  août  1797) 

de  Talleyrand  n'eut  pas  \a  main  lieureuse.  La  limite 

ait  fixée  au  Vincent  Pinçon  ou  Carsevenne.  Or,  jamais  le 

3arsevenne  n'avait  été  pris  pour  le  Vincent  Pinçon.  Déplus 

accepter    cette  frontière  était    pour   nous    une  reculade 

après  la  victoire.  Le  2fi  octobre  de  la  même  année  le  Direc- 

Nre  déclarait  ce  traité  non  avenu. 

Le  6  juin  1801,  un  nouveau  traité  fut  signé  à  D  idajoz.  La 
Jrontière  devait  suivra  l'Araguary,  mais  non  plus  la  bouche 
M  de  l'Araguary,  noire  limite  historique,  mais  la  bouche 
"stid,  la  grande  bouche.  La  frontière  suivait  tout  le  cours  du 
flûuve  Jusqu'à  la  source,   et  de  la  source  gagnait  le  rio 
firanco  en  ligne  droite,  sans  préciser  le  point  où  elle  l'at- 
teignait. 
Le  traité  de  Badajoz  fut  ratiûé  le  16  juin,  mais  ce  traité 


:{()2  l-E   CONTESTÉ    FRANCO-DRÉSILIEN. 

ne  plaisant  pas  à  Bonaparte,  un  nouveau  traité  fut  signé  à 
Madrid  le  ÎO  septembre  1801.  Cette  fois  Bonaparte,  qui 
moins  que  tout  autre,  évidemment,  était  disposé  à  se  consi- 
dérer comme  lié  par  le  vieux  traité  de  l'ancienne  monarchie, 
déchirait  ouvertement  le  iraité  d'Ulrecht.  La  limite  est  re- 
portée au  Garapanatuba,  petite  rivière  qui  se  jette  dans 
l'Amaxone  un  peu  au-dessous  de  Maeapd,  par  un  tiers  do 
degré  de  latitude  nord.  La  frontière  devait  suivre  le  Garapa- 
natuba jusqu'à  sa  ^ource,  d'oii  elle  se  portait  vers  le  rio 
Branco,  sans  détermination  autrement  précise.  Ce  traité  ne 
fut  pas  ratifié. 

C'est  le  traité  d'Amiens,  du  25  mars  1802,  qui  est,  pour 
la  matière,  le  traité  défmitif  de  l'époque  révolutionnaire. 
Ce  Iraité  n'a  pas  été  fait,  sans  doute,  en  interprétation  du 
traité  d'Ulrecht;  il  nous  indique  seulement  comment  on 
comprenait,  à  cette  époque,  la  frontière  historique  et  natu- 
relle de  Guyane.  La  limite  était  fixée  à  la  grande  bouche  (la 
bouche  sud)derAraguarj',  par  1°  HO'  de  latitude  nord,  elle 
suivait  l'Araguary  jusqu'à  sa  source,  puis  de  la  source  de 
l'Araguary  se  continuait  par  une  ligne  droite  tirée  sur  le  rio 
Branco  à  un  point  non  déterminé  dans  le  traité.  C'était  la 
confirmation  du  Iraité  deBadajoz. 

Les  traités  de  la  période  révolutionnaire  (Badajoz,  Ma-  « 
drid,  Amiens)  si,  à  la  côte,  ils  dépassent  le  bras  nord  de 
l'Araguary,  nous  donnentpour  l'intérieur  —  le  point  de  rio 
Branco  dont  il  est  parlé  fùt-il  l'embouchure  de  cette  rivière, 
ce  qui  d'ailleurs,  paraît  probable  —  une  frontière  ne  se  rap- 
prochant assurément  pas  plus  de  l'Amazone  que  ne  le  veut 
l'esprit  du  traité  d'Ulrecht,  et  que  ne  le  comprenaient  les 
diplomates  de  l'ancien  régime. 

Des  trailés  de  la  Rétoiittion  mix  négociations  de  lSb6.  — 
En  180'.)  une  expédition  venue  de  Para  s'empara  deCayenne 
qui  resta  jusqu'à  la  Restauration  aux  mains  des  Portugais. 

Le  30  mars  1814  le  traité  de  Paris  stipule  que  la  Guyane  . 
sera   restituée  à  la  France  telle  qu'elle  était  au  1"  jan- 


LE    CONTESTÉ    FRANCO-nRÉSIUEN.  303 

Ti'er  179â.  Les  anciennes  conteslations  au  sujet  des  limites 
seront  réglées  à  l'amiable.  La  France  et  le  Portugal  nomme- 
ront des  commissaires  qui  se  réuniront  sur  les  lieux  pour 
trancher  le  dilTérend.  La  France  nomma  son  commissaire, 
qui  partit  aussitôt  pour  C;iyenne.  Le  Portugal  ne  nomma 
personne.  Ainsi  échoua  la  première  tentative  de  solution  à 
l'amiable  par  le  moyen  d'une  commission  scientifique  mixte. 

Non  seulement  le  Portugal  ne  voulait  pas  nommer  de 
commissaires,  mais  il  ne  voulait  même  pas  rendre  la  colonie. 
Les  traités  de  Vienne  (articles  106  et  107),  eurent  beau 
stipuler  que  le  Portugal  rendrait  à  la  France  «  la  Guyane 
J'entre  le  Maroni  et  rOyapock,  en  attendant  la  fixation  défi- 
nitive à  l'amiable  de  la  limite  entre  les  Guyanes  française 
et  portugaise,  conformément  au  sens  précis  de  l'arlicle 
huitième  du  traité  d'Ulrecht  >,  les  Portugais  restaient 
toujours  à  Cayenne.  Le  Portugal  ne  nous  restitua  la  Guyane, 
en  avril  1817,  que  sur  la  menace  riiile  par  le  gouvernement 
fran-jais  de  s'emparer  par  la  force  des  territoires  situés  entre 
le  Maroni  et  l'Oyapock  et  à  la  nouvelle  que  l'expédition, 
déjà  organisée,  allait  partir. 

La  conveniion  de  remise  eut  lieu  le  28  août  1817.  Le 
Portugal  nous  restituait  la  Guyane  «  depuis  l'Oyapock 
(est-il  dit  en  substance)  jusqu'au  58°  deg:ré  de  longitude 
à  l'ouest  de  Paris  et  jusqu'au  2°  24'  de  latitude  nord  ». 
Cne  commission  scientifique  IVanco-portuf^aise  fut,  pour 
la  seconde  fois,  chargée  de  vider  à  l'amiable  le  diffé-, 
rend  louchant  les  limites  définitives  à  la  côte  et  dans  l'inlé- 
rieur  de  l'est  à  l'ouest.  Les  deux  nations  devaient  nommer 
des  commissaires  qu'exploreraient  les  territoires  litigieux 
et  auraient  un  an  pour  s'entendre.  Si  au  bout  d'un  an  ils 
ne  s'entendaient  pas,  le  Portugal  et  la  France  prendraient 
l'Angleterre  comme  médiatrice.  II  n'y  eut  ni  commission  ni 
médiation,  et  on  ne  s'occupa  plus  du  contesté. 

Peu  après,  en  1822,  le  Brésil  se  rendait  indépendant.  De 
1834  à  1838,  une  grande  guerre  civile,  le  cabanageiii, 


ï{04  LE    CONTESTÉ    FRANCO-DRÉSIUEN. 

ensanglantait  les  provinces  du  Nord.  Dès  le  début  de  celle 
espèce  de  Jacquerie  brésilienne  le  gouvernement  français 
donnait  ordre  au  gouverneur  de  Cuiyennc  d'occuper  loulc 
la  coteau  nord  du  Car.ipaporis.Cependaulies soldais  déser- 
teurs elles  esclaves  fugitifs  du  Para  se  réfugièrent  en  grand 
nombre  dans  les  lerriloires  litigieux.  Jt  importait  de  ne  pas 
laisser  se  masser  sans  surveillance,  sur  la  côle  contestée, 
une  telle  population.  M.  de  Choisy  dut  élaldir.  en  1836, 
par  ordre  du  gouvernemont  central  et  de  concert  avec 
l'aniirat  Buperré,  un  poste  français  sur  l'îlot  qui  séparait 
le  lac  deM;ipa  de  celui  de  Macari.  On  rail  cinquante  hom- 
mes dans  ce  poste,  qui  fut  appelé  poste  de  Mapa. 

L'insurrection  de  Farâ  étouffée,  de  longues  négociations 
eurent  lieu  entre  la  France  et  le  Brésil  au  sujet  de  Mapa. 
Pour  la  troisième  fois,  des  commissaires  démart'ateurs  des 
deux  nations  durent  être  nommés.  Devant  l'imminence 
d'une  solution  à  l'amiable,  sur  les  instances  du  Brésil, 
M.  Giiiïot  fit  évacuer  notre  poste  de  Mapa.  La  commission 
de  démarcation  ne  se  réunit  pas.  El  presque  aussitôt  après 
avoir  obtenu  de  nous  l'évacuation  de  notre  poste  de  Mapa  en 
1840.  le  gouvernement  brésilien  établissait  dans  la  région 
litigieuse,  sur  la  rive  gauche  de  ri\ragunry,  en  mai  1840, 
la  colonie  militaire  deDom  Pedro  II. 

Toutefois,  une  note  du  5  juillet  i8ll,  de  M.  Guizot  au 
baron  Rouen,  notre  ministrcà  Rio,  constate  que  nous  main- 
tenons nos  droits  tels  qu'ils  résultent  du  traité  d'Utrechl. 

L'évacualioo  de  notre  posle  de  Mapa  aussitôt  suivie  de 
rinstallation  de  son  posle  deDom  Pedro  II,  était  un  encou- 
ragement pour  le  gouvernement  de  Rio.  En  1849,  puis  en 
1850,  une  expédition  brésilienne  organisée  à  Para  devait 
partir  pour  occuper  Mapa.  Il  s'agit,  disait,  le  19  avril  1850, 
à  ia  Chambre  des  députés  de  Rio-de-Janeiro  M.  Tosta, 
ministre  de  la  marine,  «  il  s'agit  de  fonder  dans  cette 
tf  contrée  une  solide  colonie,  afin  que  nous  puissions  y 
«  assurer  d'une  manière  eifective  notre  possession  j.  L'expé- 


LE  CONTESTÉ  FRANCO-BRÉSILIEN.  305 

dition  brésilienne  ayant  rencontré  dans  les  eaux  de  Mapa 
an  aviso  français  en  surveillance,  le  gouvernement  de  Rio 
oepat  installer  sa  colonie. 

Les  choses  en  étaient  là  quand  le  gouvernement  de 
Napoléon  III  reprit,  en  1855-1856,  les  négociations  avec  le 
Brésil. 

Pour  la  limite  à  la  côte,  le  Brésil  offrit  successivement 
rOyapock,  le  Gachipoar,  le  Gounani  et,  en  dernier  lieu, 
le  Garsevenne.  La  France  revendiqua  jusqu'au  dernier 
moment  l'ancienne  limite  historique  du  bras  nord  de  l'Ara- 
guary  et  du  cours  de  l'Âraguary  ;  puis,  au  dernier  moment, 
elle  consentit,  pour  le  cas  où  le  bras  nord  de  l'Araguary 
serait  obstrué,  à  accepter  comme  frontière  le  cours  d'eau 
qui  se  jette  dans  le  détroit  de  Maraca  par  1°45'  de  latitude 
nord.  Ce  cours  d'eau,  ainsi  déterminé  par  sa  latitude,  est 
dénommé  par  le  plénipotentiaire  français  Carapaporis  ou 
Mannaie.  On  trouve,  à  la  côte,  vers  1°45',  les  criques 
Macari  et  Jourdon,  et,  dans  l'intérieur,  le  Tartarougal, 
qui  les  prolonge. 

Pour  la  limite  à  l'intérieur,  de  l'est  à  l'ouest,  après  avoir 
■d'abord  proposé  la  cbaîne  de  partage  quand  il  n'ofifrait  que 
rOyapock,  le  Brésil  s'est  abstenu  de  faire  une  proposition 
nouvelle  ni  quelque  proposition  que  ce  fût  quand  il  a  vu 
son  offre  du  Garsevenne  rejetée.  La  France,  après  l'offre 
de  sa  concession  dernière  du  cours  d'eau  du  1°45'  de  lati- 
tude nord,  offrit  «  le  cours  du  fleuve  sus-indiqué  jusqu'à 
sa  source,  puis  une  ligne  se  prolongeant  à  égale  distance 
de  la  rive  de  l'Amazone  jusqu'à  ce  qu'elle  rencontre  la 
limité  ouest  du  rio  Branco.  « 

Depuis  les  négociations  de  1856.  — Les  négociations  de 
1856  n'ayant  pas  abouti  et  n'ayant  pas  été  reprises  depuis, 
les  choses  sont  restées  dans  le  statu  quo. 

Toutefois,  vers  1860,  le  Brésil  a  annexé  le  district  de 
l'Âpurema  entre  l'Araguary  et  le  Tartarougal.  Le  Tarta- 
rougal étant  visiblement  le  cours  d'eau  indiqué  sous  le 

soc.  SE  GÉ06R.  —  3<>  TRIMESTRE  1890.  XI.  —  20 


306  LE   CONTESTÉ   FHANCO-BRÉSILIEN. 

nom  de  Mannaie  ou  Carapaporis  daos  les  négociations 
de  1850,  et  ce  cours  d'eau,  ayant  été,  comme  concession 
dernière,  offert  comme  limile  par  le  plénipotentiaire  fran- 
çais, le  Brésiî  s'est  cru  autorisé  à  considérer  comme 
n'étant  plus  contesté  le  pays  entre  Araguary  et  Tarta- 
rougal.  Depuis  vingt-cinq  ans  les  Brésiliens  administrent 
le  district  d'Apurema,  ils  y  perçoivent  des  impôts,  ils  y 
ont  des  électeurs,  ils  y  ont  des  Conctionnaires,  et  quand 
j'y  passai  en  18813  on  y  alletidait  rinstallation  d'un  poste 
militaire  envoyé  de  Para. 


importnaee  du  Coaicmiè.  —  Superficie.  —  La  Guyam 
fraiic;aise  proprement  dite,  entre  l'Oyapock,  la  chaîne  de 
partage  et  l'Itany-Maroni,  mesure  environ  80,000  kilo- 
mètres carrés.  Le  territoire  protégé  par  la  France,  d'entre 
Itaiiy  et  Tapanaiioni  (Tté publiques  de  nègres  marrons), 
mesure  25,000  kilomètres  carrés.  Soit  105,000  kilomètres 
carrés  pour  cette  partie  de  la  Guyane  française. 

La  partie  que  nous  conteste  !e  Brésil  compte  00,000  kilo- 
mètres carrés  seulement  pour  ia  partie  littorale  d'entre 
Araguary  et  Oyapock.  Les  territoires  de.l'iotérieur,  de  l'Ara- 
guary  au  rio  Branco,  mesurent  environ  200,000  kilomètres 
carrés.  Soit  260,000  kilomèlres  carrés  pour  les  territoires 
que  nous  conteste  le  Brésil. 

Le  lerriloire  contesté  est  donc,  en  superficie,  deux  fois 
et  demie  plus  important  que  la  Guyane  française  actuelle. 

La  Guyane  française  totale,  Contesté  compris,  mesure 
donc  une  superficie  de  305,000  kilomètres  carrés. 

La  Côte.  —  Le  Contesté  nous  donne  plus  de  iOO  kilomètres 
de  côtes,  contre  350  que  nous  possédons  dans  la  Guyaue 
actuelle.  De  plus,  ia  limite  du  bras  nord  de  l'Araguary 
nous  met  à  50  kilomètres  de  l'embouchure  de  t'.lmazoneau 
lieu  de  450.  Enfin  l'ile  de  Maraca  commande,  dans  une 
certaine  mesure,  l'entrée  du  grand  llcuve. 


4 

inè       I 

[ 
I 

I 


/ 


LE   CONTESTÉ  FRANCO-BRÉSILIEN.  307 

Les  prairies  :  territoires  de  colonisation  européenne.  — 
Sur  ses  260,000  kilomèlres  carrés  de  superficie,  le  territoire 
que  nous  conteste  le  Brésil  possède  environ  100,000  kilo- 
mètres carrés  de  prairies,  dont  environ  40,000  à  la  côte, 
40,000  sur  la  rive  gauche  du  rio  Branco  et  20,000  dans  la 
région  intermédiaire. 

En  premier  lieu,  la  prairie  sourit  au  colon  européen.  Elle 
lui  plait  parce  qu'elle  est  belle.  La  prairie  est  une  des  séduc- 
tions de  l'Amérique  chaude. 

Ensuite  il  n'existe  dans  la  prairie  aucune  âèvre  de  quelque 
gravité.  La  prairie  est  saine.  Son  climat,  médiocrement 
chaud,  est  sec.  Pour  le  dépeindre  d'un  mot  :  c'est  le  climat 
de  l'Algérie. 

En  troisième  lieu,  le  colon  n'a  pas  à  s'y  préoccuper  de 
travaux  de  dessèchement  ni  de  drainage.  Ce  n'est  plus, 
comme  tant  de  terres  en  Guyane,  une  région  en  formation, 
moitié  terre  et  moitié  eau,  un  marais  en  croissance,  non;  la 
prairie  est  une  zone  achevée  où  tout  est  terre  ferme, 
rivières  courantes  et  lacs  d'eau  vive.  Les  dessèchements  et 
défrichements,  qui  dans  la  forêt  vierge  coûteraient  tant 
d'existences  et  tant  d'argent,  n'existeront  à  peu  près  pas 
dans  la  prairie,  où,  par  suite,  le  colon  pourra  s'installer 
avec  un  très  petit  capital  et  sans  s'exposer  à  des  maladies 


Les  défrichements,  enfin,  s'y  font  dans  des  conditions 
bien  différentes.  D'abord,  le  colon  des  prairies  sera  avant 
tout  un  éleveur,  'ce  qui  le  dispensera  de  remuer  la  terre. 
Ensuite,  la  plupart  de  ses  cultures  industrielles,  café,  cacao, 
tabac,  se  contentant  des  terres  légères  du  pays,  pourront 
être  faites  en  pleine  savane,  sur  le  versan  t  herbeux  de  quelque 
coteau  bien  arrosé.  Le  colon  n'aura  donc  à  faire  de  défri- 
chements que  pour  quelques  cultures  qui  exigent  des  terres 
un  peu  fortes,  telles  que  le  mais,  le  manioc,  les  légumes. 
Encore,  pour  cela,  n'aura-t-il  qu'à  arracher  quelques  bec- 
lares  de  ces  arbustes  qui  poussent  dans  la  prairie  sur  le  bord 


LE   CONEESTE  FRANCO-BRÉSILIEN. 


des  peliles  rivières.  Le  défrichement  en  prairie  consistl 
arracher  une  garenne  faiblement  enracinée  dans  la  terre 
sèche,  le  défrichement  en  forÈt,  au  contraire,  c'est  la  lu  lie 
de  l'homme  contre  de  puissanles  végétations  toujours  hu- 
mides et  contre  tous  les  miasmes  délét&res  qu'elles  ont 
économisés  pendant  des  siècles. 

Les  tribus  indiennes.  —  C'est  dans  le  territoire  contesté, 
au  pied  des  oionlagnes  centrales,  entre  les  sources  de  l'Oya- 
pock  et  cellfts  du  rio  Branco,  que  se  sont  réfugiées  les  tribus 
de  l'Amazone,  fuyant,  au  temps  de  la  conquête  et  depuis, 
les  cruautés  des  Portugais. 

L'éuumération  d'une  trentaine  des  tribus  les  plus  connues 
sufQra  pour  montrer  l'importance  de  ce  grand  groupe 
indien. 

Ue  l'ijuestà  l'est  on  connaît,  d'une  manière  positive  :  les 
MacoHchis,  les  Ouapichiaues,  les  AlorradiSf  les  Chiri- 
coumes,  les  Concoichis,  les  Couitias,  les  Kirichamans,  les 
Assahys,  les  Toucanes,  tes  Japiis,  les  Ouaijeoués,  les 
Tur'Hiï,  les  Car«A', les  Ou«fcA««,  les  Pa?tco(<;s,  les  Coudottts, 
les  Néres,  les  Piannocotes,  les  Tounaijanes,  les  Trios,  les 
Roucouyeuncs,  les  Apatnis,  les  Oyampis,  les  Coussaris,  les 
Taniocomes,  les  Couciachis,  les  Arenaibous. 

(Juelques-unes  de  ces  tribus,  comme  les  Ouayeoués,  les 
Piannocotes,  les  Rom-ouyennes,  les  Oyampis,  les  Apalaïs, 
les  Coussaris,  comptent  chacune  plusieurs  milliers  d'indi- 
vidus. Le  haut  Trombelas  et  le  haut  Jamundâ  passent  pour 
avoir  une  dense  population  indigène. 

Je  ne  crois  pas  que  l'on  puisse  évaluer  à  moins  de 
lOOjOÛÛ  individus  le  nombre  total  des  indigènes  du  terri- 
toire contesté. 

Ces  tribus  sont  vierges  encore.  Ni  les  colons  français  ni 
les  colons  brésiliens  ne  les  ont  pénétrées. 

Ceux  qui  savent  tout  le  parti  qu'il  y  a  à  tirer,  dans  l'Amé- 
rique chaude,  delà  raceindigène, — etpourracclimalement, 
parle  métissage,  de  la  race  européenne,  et  pour  le  dévelop- 


LE  CONTESTÉ  FRANCO-BRÉSILIEN.  309 

pement  général  de  la  prospérité  de  la  contrée,  —  ne  consi- 
déreront pas  comme  la  moindre  attraction  de  ce  territoire  au 
sad  des  montagnes,  territoire  qui  commande  l'Amazonie 
comme  le  Piémont  commande  l'Italie,  la  présence  de  ces 
100,000  Indiens  de  ces  100  tribus  vierges. 


ETUDE 


LE  ROYAUME  D'ASSINIE 


PAR 

J.  C.  REICBEMBAVB 

£x-Résidcnt    de    France,   délégué* 


Origine  et  historique  du  royaume  d'Assinie.  —  Le 
royaume  d'Assinie  ou  d'Amatifou  fait  actuellement  partie 
de  nos  possessions  du  Sénégal  et  dépendances,  lieutenance 
des  Rivières  du  Sud. 

Dès  le  début  de  notre  protectorat,  il  fut  placé  sous  la  dé- 
pendance du  Sénégal,  puis,  quelques  années  après, rattaché 
au  Gabon  et  enfin  fit  retour  au  Sénégal. 

Il  s'étend  de  l'ouest  à  l'est,  sur  une  largeur  d'environ 
55  milles  et  du  sud  au  nord,  sur  une  longueur  de  175  à 
200  railles,  en  comprenant  les  deux  royaumes  de  Bétié  et 
d'Indénié  au  nord  et  le  territoire  d'Akapless  à  l'ouest,  tous 
trois  tributaires  du  royaume  d'Assinie, 

Ce  royaume  n'a  guère  que  cent  vingt  cinq  à  cent  cinquante 
ans  d'existence.  Il  a  été  formé  par  une  invasion  de  Sahués 
(peuplade  faisant  partie  du  grand  royaume  des  Achantis),  qui, 
conduits  par  deux  chefs  dont  le  principal  s'appelait  A mana, 
vinrents*élablirsursonterritoireenrefoulantàrouesllesAka- 
pless,  qui  en  étaient  les  légitimes  propriétaires.  Ce  souvenir, 
qui,  chez  ces  derniers,  s'esttransmis  de  père  en  fils,  a  toujours 
été  un  obstacle  aux  bons  rapports  entre  les  vainqueurs  elles 
vaincus.  Aujourd'hui  encore  les  Akapless,  qui  sont  d'unca- 

1.  Voir  la  carte  jointe  à  ce  numéro. 


ÉTUDE    SUR   LE    ROYAUME   D'ASSINIE.  311 

raclère  très  fier,  prétendent  traiter  d'égal  à  égal  avec  les 
Assiniens. 

Araana  s'installa  donc  dans  le  pays,  tandis  que  son  lieu- 
tenant, prenant  la  direction  riunord-norii-ouesl,  vint  se  fixer 
dans  les  pays  de  Bettié,  d'Indénié  et  de  Potou  sur  la  rivière 
Ackba.  Ces  trois  derniers  formèrent  une  confédération  re- 
connaissant comme  chef  suprême  le  roi   d'Assinie.  A  la 
mort  d'Amana,  un  de  ses  neveux  lui  succéda,  en  vertu  de  la 
coutume  des  Achanlis,  qui    encore  aujourd'hui  réservent 
rbéi'itage  du  trône  au  premier  neveu  du  roi,  fils  de  sa  sœur 
ainée  de  même  père  et  de  même  mère;  les  fils  du  roi  n"hé- 
rilent  par  conséquent  jamais  du  titre  paternel. 

Ce  neveu  du  roi  défunt  était  AmaLifou,  qui  monta  sur 
le  trône  à  un  âge  peu  avancé,  mais  qu'on  ne  peut  préciser, 
les  noirs  do  cette  contrée,  ainsi  du  reste  que  ceux  de  toute 
la  cùle  occidentale  d'Afrique  que  j'ai  parcourue,  n'ayant 
jamais  la  moindre  notion  de  leur  âge.  Il  mourut  en  1886, 
laissant  pour  successeur  son  neveu  .\ka  Saraadou,  le  roi 
scluel.  J'estime,  d'après  les  renseignements  que  j'ai  pu  me 
procurer,  qu'Amatifou  est  mort  à  l'ûge  de  quatre-vingt- 
<!ini|  ans  environ,  après  un  règne  qui  avait  duré  à  peu 
près  soixante  ans.  Dans  les  dernières  années  de  sa  vie  il 
s'était  adonné  à  l'ivrognerie. 

Le  4  juillet  1843,  un  premier  traité  plaçant  le  royaume 
'ous  le  protectorat  français,  fut  conclu  entre  A  ma  ti  fou  et 
le  gouverneur  du  Sénégal.  Le  26  mars  de  l'année  suivante, 
une  seconde  convention  vint  confirmer  la  première  et  céder 
i  la  France  la  propriété  et  la  souveraineté  du  territoire.  En 
felour,  le  souverain  noir,  moins  exigeant  que  ses  collègues 
civilisés,  se  contenta  d'une  pension  annuelle  de  six  mille 
francs,  payable  en  pièces  de  cinq  francs  en  argent;  cette 
condition  élait  une  clause  expresse  du  traité.  Enfin,  une 
rente  annuelle  de  cinquante  francs  fut  également  accordée 
à  chacun  des  deux  principaux  chefs  du  village  de  Mafla, 
Kakou  liled  et  Nouba,   qui    avaient   facilité  les  relations 


312 


ETUDE    SUn    LE    ROYAUME    D  AS3INIE. 


entre  le  représentant  de  la  France  et  le  roi  Amatifou. 

Aka  Samadou  a  été,  au  nom  de  la  France,  reconnu  roi 
d'Assinie,  le  14  janvier  188G,  par  procès-verbal  signé  : 
G.  Pradier,  gouverneur  du  Gabon,  elCh.  Dour, commandant 
particulier  à  Assinie.  Quoique  reconnu  roi  par  la  France, 
Aka  Samadou  n'était  pour  tousses  chefs  et  ses  sujets  qu'un 
roi  provisoire,  et  son  titre  ne  devenait  pour  eux  délinitif 
qu'après  les  fêles  coraraémoralives  de  la  mort  d'Amalifou. 

Or,  ces  fêtes,  auxquelles  je  me  proposais  d'assister,  du 
moins  pour  la  partie  à  laquelle  les  blancs  peuvent  être  ad- 
mis, n'étaient  pas  encore  commencées  en  février  1888, 
époque  de  mon  départ.  La  seconde  partie  de  ces  fêles  se 
compose  de  sacrifices  humains,  et  la  surveillance  est  telle, 
qu'il  est  impossible  à  un  Earopéen  de  pouvoir  approcher 
de  l'endroit  où  ils  ont  lieu.  Assistants,  bourreaux  et  vic- 
times, tout  a  disparu  dans  la  profondeur  de  la  brousse  au 
moment  où  l'on  arrive  et  l'on  ne  trouve  plus  qiie  de  la  terre 
foulée  et  ries  ilaques  de  sang  pouvant  aussi  bien  provenir 
d'animaux  égorgés  que  de  victimes  humaines  ;  bref,  impos- 
sible défaire  la  preuve. 

Population.  — La  population  du  royaume  d'Assinie  pro- 
prement dit  se  compose  de  sept  tribus  bien  distinctes; 
quatre  habitent  îe  sud  du  pays  entre  la  mer  et  la  capitale 
Krinjaboo,  résidence  du  roi  :  les  Mafia,  les  Bielry,  les  Aby 
et  enfin  les  Krinjaboo;  les  trois  autres  sont  dans  l'intérieur 
au  nord  de  la  capitale.  J'estime  que  la  population  de  ce 
royaume  s'élève  à  environ  IIO.TOO  individus.  Le  roi  peut 
mettre  sur  pied  une  armée  de  ;i,000  guerriers  armés  de 
fusils.  Le  pays  tout  entier  est  la  propriété  du  souverain,  qui 
dispose  des  terres  et  des  individus  selon  son  bon  plaisir. 

Krinjaboo  est  une  ville  d'environ  3,500  babitauls.  H  est 
difficile  d'évaluer  la  population  des  villes  et  villages  de  ces 
contrées,  les  indigènes,  outre  leur  habitation  dans  le  chef- 
lieu  de  leur  tribu,  possédant  une  seconde  demeure  dans  l'un 
des  villages  environnants.  Krinjaboo  est  située  sur  un  pla- 


I 


ÉTDDE    SUR    Li:    ROYAUME    d'aSSINIE.  313 

(eau  d'environ  40  mètres  d'allilude  eL  à  52  kilomètres  d'As- 

sJaJe,  non  loin  de4a  rivière  Biaou  il'Assinie(Sueiro  da  Costa 

jdes  anciennes  cartes),  qui,apn''s  avoir  traversé  la  magnifique 

tigtine  Aby,  vient  se  jeter  dans  la  mer  près  du  village  de 

Dadiekoulou,  formant  la  frontière  entre  Assinie  et  Akapless. 

Jl  faut  presque  une  demi-heure  de  marche  pourse  rendre, 

pied,  de  l'embarcadère  à  la  ville. 

Cellf-ci  se  compose  (comme  on  peut  le  voir  par  le  plan 
annexé  à  ma  carte  du  royaume  d'Assinie)  de  cinq  rues, 
larges  de  4  à  5  mètres,  bordées  de  cases  en  terre  battue  sans 
aucun  alignement;  l'herbe  drue  et  folle  les  envahit  en  les 
réduisant,  sur  presque  toute  leur  longueur,  aux  dimensions 
modestes  sentiers.  La  voie  la  plus  longue  est  celle  d'As- 
ikotua;  viennent  ensuite  les  rues  Abouraki  (d'Europe  ou 
plutôt  de  France),  Aboro,  Koumassie  et  Yakassi;  toutes 
aboutissent,  sauf  celle  d'Aboro,  qui  finit  rue  Assakotua,  à 
à  une  place  sur  laquelle  on  remarque  la  case  des  palabres 
et  un  arbre  à  caoutchouc  dont  le  tronc  mesure  au  moins 
deux  mètres  de  diamètre.  Cet  arbre  fut  planté  par  Amalifou, 
lors  de  son  avènement  au  trône  ;  sa  position  à  l'une  des  ex- 
trémités de  la  place  en  avait  fait  un  endroit  tout  désigné 
pour  les  sacrifices  humains,  qui,  depuis  l'arrivée  des  pre- 
miers blancs  à  Krinjaboo,  ont  lieu  dans  la  brousse,  non 
loin  de  la  rue  Yakassi,  sur  un  emplacement  désigné  par  Araa- 
Jifou  et  où  j'ai  des  raisons  de  croire  que  ce  roi  a  été  enterré. 
(Le  quartier  du  roi  forme  l'angle  des  rues  de  Koumassi» 
Tl  d' Abouraki  ;  quant  au  quartier  d'Elua,  princesse  dont 
j[aurai  occasion  de  parler  plus  loin,  il  est  compris  entre  les 
sux  rues  parallèles  de  Koumassie  et  d'Aboro. 
Mœttrs,  coutumes,  relifiion.  —  Comme  chez  presque  tous 
peuples  de  la  côte  occidentale  d'Afrique,  les  mu'urs  des 
ssiniens  sont  des  plus  libres. 

La  femme,  du  jour  où  elle  est  nubile  jusqu'à  celui  où 
Hase  marie,  dispose  absolument  d'elle-même  et  personne 
ra  le  droit  de  l'empêcher  de  se  donner  à  qui  bon  lui  semble; 


314 


ÉTUDE   SUn    LE    ItOÏAUME   D'ASSIKIE. 


mais,  une  fois  mariée,  elle  devient  la  propriété  de  son 
époux,  qui  l'a  achetée  à  ses  parents,  comme  on  le  verra  plus 
bas,  qui  en  dispose  à  son  gré  et  qui  va  parfois  jusqu'à  s'en 
faire  une  source  de  bénéfices,  el  cela  sans  qu'elle  ail  à 
objecter  quoi  que  ce  soiL. 

La  polygamie  existe  ouvertemenl.  Un  homme  a  le  droit 
de  posséder  autant  de  femmes  qu'il  en  peut  entretenir.  Le 
noir  achète  sa  ou  ses  femmes.  Le  roi  seul,  qui  en  possède  un 
nombre  fort  respectable,  ne  les  achète  pas  ;  quand  une 
femme  lui  plaît,  mariée  ou  non,  il  a  le  droit  de  l'envoyer 
chercher,  et  tout  est  dit. 

Le  prix  d'achat  d'une  femme  varie  entre  2"*  (192  francs) 
et  8  arkés  (48  francs)  que  le  futur  paye  à  la  famille  de  la 
femme.  La  valeur  d'une  femme  docteur  est  plus  élevée;  le 
prix  peut  aller  jusqu'à  5  ou  6°",  auxquels  il  faut  ajouter 
plusieurs  moutons,  de?  poules,  des  pagnes  en  étoffe  blanche. 
Celte  catégorie  de  femmes  conserve,  dans  le  mariage,  une 
liberté  beaucoup  plus  grande  que  celle  de  la  femme  ordi- 
naire, ce  qui  est  assez  naturel,  puisque  le  rôle  de  cette 
femme  est  de  présider  aux  tams-lams,  cérémonie  à  laquelle 
assiste  rarement  le  ronri,  qui  parfois  deviendrait  gûnanl. 

A  partir  du  jour  où  il  emmène  sa  femme,  l'époux  doit 
pourvoira  tous  ses  besoins,  c'est-à-dire  la  nourrir  et  l'ha- 
biller. La  nourriture  se  compose  de  poisson  ou  de  viande 
fumée  et  de  bananes;  Thabillement,  fort  simple,  est  un 
pagne  en  étoffe  de  coton  d'une  brasse  de  longueur  que  son 
seigneur  el  maître  lui  accorde  généreusement  de  temps  en 
temps.  En  échange,  elle  doit  lui  préparer  sa  nourriture,  qui, 
d'un  bout  de  l'année  à  'autre  ne  varie  jamais  :  le  fotitou 
et  toujours  le  foutou. 

Dans  le  cas  où  ce  genre  de  vie  ne  serait  pas  celui  que  la 
jeune  épouse  avait  r6vé,  ou  si  son  mari  la  laissait  manquer 


t.  Onces  "l'or.  l/onc«  <l'or,  cniiime   on   le    verra  plus   loin,  vaut   en 
valeur  du  pays,  16  ackës,  l'acké  :  là  takous,  etc. 


ÉTUDE  SUR  LE  ROYAUME  D'ASSINIE.  315 

du  nécessaire,  ou  bien  encore  si  ses  procédés  n'étaient 
pas  ceux  que  tout  homme  d'une  éducation  distinguée  doit 
employer  à  l'égard  du  sexe  faible,  elle  quitterait  le  plus 
simplement  du  monde  la  case  commune,  sans  avertissement 
aucun  et  se  retirerait  chez  ses  parents;  de  leur  côté,  ceux-ci 
devraient  rembourser  au  mari  la  somme  qu'il  leur  a  remise 
lors  du  mariage,  sauf  4  ackés  (24  fr.)  à  titre  d'indemnité. 
Cette  somme  est  invariable.  Une  fois  ce  compte  soldé,  tout 
est  fini  entre  les  ex-époux. 

Aussi  longtemps  que  leremboursement  n'est  pas  effectué  et 
bien  que  la  femme  se  soit  éloignée  delà  case  commune,  elle 
n'a  le  droit,  ni  de  se  remarier  ni  de  donner  un  remplaçant 
à  son  mari,  car  dans  ce  dernier  cas,  le  mari  ferait  un 
palabre  à  son  successeur  et  celui-ci  pourrait  être  condamné 
par  le  ou  les  chefs  à  rembourser,  aux  lieu  et  place  des 
parents,  le  prix  de  la  femme,  mais  toutefois  sans  la  retenue 
de  4  ackés.  Dans  ces  conditions  la  femme  devient  naturelle- 
ment la  propriété  du  dernier  occupant  ;  en  tout  cas,  en  suppo- 
sant qu'il  ait  le  chef  pour  lui,  il  ne  pourrait  éviter  d'être 
condamné  en  faveur  du  mari  à  une  amende  s'élevant  de 
3  à  8  ackés  qui  viendraient  alors  en  diminution  de  ce  que  les 
parents  de  la  femme  avaient  à  rembourser. 

La  condamnation  pour  crime  d'adultère  se  règle  sur  les 
mêmes  bases,  mais  avec  cette  différence  que,  sans  avoir 
recours  au  chef,  le  mari  condamne  lui-même  le  coupable.  Le 
chef  n'est  appelé  à  se  prononcer  que  lorsqu'il  y  a  récla- 
mation sur  le  chiffre  de  la  somme;  ce  dernier  cas  est  fort 
rare,  étant  donné  que  le  chef  confirme  toujours  la  demande 
du  mari  trompé.  L'amende  dans  ce  cas  peut  s'élever  de 
une  '•  (96  fr.)  à  1  acké  (6  fr.);  elle  varie  suivant  les  circon- 
stances. Bien  des  maris  se  sont  enrichis  à  ce  genre  de  com- 
merce d'une  moralité  douteuse. 

Les  enfants,  naturels  ou  légitimés  par  le  mariage,  appar- 
tiennent toujours  à  la  mère;  le  père  n'a  aucun  droit  sur 
eox.  En  cas  de  séparation,  ils  suivent  leur  mère  et  sont 


31fi 


ÉTUDE    Srn   LE   ROYAUME  d'ASSINIB. 


élevés  par  la  famille  de  celle  dernière.  L'élevage  de  l'enfant 
esl  poussé  à  ses  extrêmes  limites:  la  mère  lui  donne  le 
sein  aussi  longtemps  qu'il  veut  le  prendre.  J'ai  vu  des 
enfants  de  trois  ans  qui  ne  dédaignaient  pas  ce  système 
d'alsraentalion  toléré  par  la  mère;  du  reste,  peu  importe 
aux  petils  nègres  le  changement  de  sein  deux  ou  trois  fois 
par  jour. 

Le  dixième  enfant  d'une  femme  est  irrévocablement  mis  à 
mort  dès  sa  naissance  et  j'ai  dû  intervenir  d'une  ftn^on  très 
sévère  dans  une  affaire  de  ce  genre  pour  arracher  l'enfant 
des  mains  de  ses  bourreaux. 

La  mère  de  l'un  de  mes  caporaux  de  tirailleurs,  nommé 
Anno,  venait  d'avoir  son  dixième  enfant.  Comme  j'étais 
au  courant  des  coutumes  du  pays,  j'avais  fait  la  leçon  à 
Anno,  qui  par  principe  répudiait  cette  coutume,  pour  qu'il 
me  prévînt,  aussitôt  que  sa  mère  serait  accouchée.  Une 
nuit,  il  arrive  vers  les  trois  heures,  couvert  de  sueur  et  trem- 
blant d'émotion,  à  la  plaiilaliond'Elima,  où  je  résidais  alors; 
il  m'annonce  que  les  parents  assemblés  dans  la  case  de  son 
père  voulaient  qu'on  leur  livrât  l'enfant  nouveau-né,  que 
lui-même  était  intervenu  et  avait  oblenu qu'on  attendit  mon 
arrivée  pour  prendre  une  décision.  Je  me  rends  à  la  hâte  au 
village.  En  entrant  dans  la  case,  j'assiste  à  une  violente  dis- 
cussion entre  l'oncle  et  la  mère  d'Anno;je  me  fais  expliquer 
de  quoi  il  s'agit;  l'homme  insistait  pour  que  l'enfant  lui  fût 
livré  avant  que  les  premières  vingt-quatre  heures  fussent 
écoulées.  Je  fais  arrêter  l'oncle  et  conduire  sous  bonne 
escorte  à  Eli  ma;  il  y  resta  détenu  pendant  trois  jours,  alin 
de  laisser  périmer  le  temps  durant  lequel  la  coutume  lui 
donnait  droit  de  possession  sur  t'enfantde  sa  sauir.  De  cette 
manière  ce  dernier  fut  sauvé,  ce  qui  établit  un  précédent 
qu'on  pourra  invoquer  par  la  suite. 

L'enfant  qui  naît  avec  six  doigts  à  l'une  ou  à  chaque 
main  esl  aussi  condamné  à  mourir.  J'en  ai  également  sauvé 
un  dont  le  père,  nommé  Ahinadi-Kakou,  travailleur  de  la 


ÉTUDE   SUR  LE   ROYAUME  D'ASSINIE.  317 

plantation  d'Elima,  était  Qls  d'an  tirailleur  sénégalais 
envoyé  pour  l'occupation  militaire  d'Assinie  en  1863. 

Dans  les  deux  cas  ci-dessus,  l'enfant  est  sur-le-champ 
enlevé  à  la  mère,  enduit  de  peinture  rouge,  et  emporté  dans 
la  forêt  par  les  parents  de  la  femme,  qui  l'enterrent  vivant. 

La  religion  et  la  médecine  jouent  un  rôle  très  important 
chez  les  Âssiniens;  l'une  est  liée  à  l'autre,  le  prêtre  étant 
toujours  docteur  en  médecine,  ou  la  doctoresse  prêtresse. 

Les  maladies  sont  conjurées  ou  guéries  par  ces  docteurs 
ou  doctoresses  indigènes  qui  se  servent  de  plantes,  d'écorces 
ou  de  racines  pilées  et  réduites  en  pâte  et  dont  on  en- 
duit entièrement  le  corps  du  malade;  suivant  la  maladie 
supposée,  le  docteur  lui  dessine  sur  la  partie  malade  des 
signes  cabalistiques  et  le  soir,  on  donne  un  tam-tam  pour 
cba^er  le  méchant  esprit,  cause  de  la  maladie. 

Le  principal  rôle  dans  cette  cérémonie  appartient  naturel- 
lement au  docteur,  quel  qu'en  soit  le  sexe.  Vêtu  de  blanc, 
couvert  d'une  couche  de  craie  ou  de  quelque  substance  ana- 
logue réduite  en  poudre  et  répandue  sur  toutes  les  parties 
de  son  corps  que  ne  cache  pas  son  pagne  blanc  (c'est-à-dire 
la  Ûgure,  les  bras,  le  torse  jusqu'à  la  ceinture,  les  jambes  et 
les  pieds);  orné  de  toutes  ses  amulettes,  colliers,  bracelets, 
entouré  de  tous  les  objets  consacrés  au  culte,  le  tout  enduit 
également  d'une  couche  de  blanc,  le  docteur  masculin  ou 
féminin  pontifie,  adressant  des  invocations  au  bon  fétiche.  Il 
le  conjure  de  chasser  la  maladie  en  faisant  sortir  du  corps  du 
patient  le  mauvais  esprit  qui  y  a  élu  domicile. 

Pendant  tout  le  temps  que  durent  ces  invocations  et  afin 
d'effrayer  l'esprit  malin,  les  assistants  sans  exception  font  un 
vacarme  infernal,  et  c'est  miracle  que  le  plus  souvent  ils  ne 
parviennent  pas  à  faire  trépasser  de  frayeur  ou  de  fatigue  le 
pauvre  diable  soumis  à  cette  cure  tonitruante.  Ce  manège 
dure  jusqu'à  la  pointe  du  jour.  Le  docteur  danse  sans 
presque  discontinuer  et  ne  s'arrête  que  de  loin  en  loin,  pour 
prendre  quelques  minutes  de  repos  pendant  lesquelles  les 


318  ÉTUDE   SirK   LE   UOVAUME    D'aSSINIE. 

assistants  conlinuenl  un  chant  dont  le  docteur  a  entonné  la 
première  strophe. 

Puis,  comme  intermède,  uo  vacarme  assourdissant  com- 
mence :  les  uns  frappent  sur  des  lams-lams  de  tiifférenies 
dimensions;  les  autres  sur  des  caisses  en  fer-blanc,  en  bois, 
ou  sur  une  planche  de  bois  dur  supportée  à  chaque  extré- 
mité par  une  traverse  l'empêchant  de  reposer  sur  le  sol  et  lui 
permettant  par  eonséquentdercndre  tout  le  son  possible,  sur 
une  espèce  de  gros  bourdon  (sonnette  en  fer  de  fabrication 
indigène),  avec  des  douves  de  barils  à  poudre  ou  des  mor- 
ceaux d'écaillés  de  tortue  frappés  l'un  contre  l'autre.  Ces  trois 
derniers  instruments  sont  spécialement  réservés  aux 
femmes. 

Si,  malgré  tant  de  soins,  le  malade  vient  à  succomber,  les 
femmes  s'assoient  par  terre  autour  du  défunt  et  alternati- 
vement pleurent  ou  bien  chantent  ses  vertus.  Ensuite, 
et  avant  que  le  corps  ait  contracté  la  rigidité  cadavérique, 
on  le  lave  à  grande  eau;  on  l'habille  de  ses  plus  beaux 
pagnes  et  on  le  laisse  exposé  d;ins  la  case  pendant  deux 
jours,  durant  lesquels  îes  pleurs  et  les  chants  des  femmes  ne 
cessent  de  se  faire  entendre,  même  pendant  la  nuit. 

Si  le  défunt  fait  partie  de  la  classe  des  guerriers,  tous  les 
hommesdu  village  ayant  droit  de  porter  un  fusil,  se  mettent 
à  tirer  sans  relâche  pendant  tout  le  temps  que  le  cadavre 
reste  exposé. 

Les  femmes  du  mort  se  font  raser  les  cheveux  et  couchent 
toutes  nues  pendant  un  et  môme  deux  mois  sur  la  terre  de 
leur  case;  elles  ne  peuvept  se  remarier  qu'avec  la  permis- 
sion du  roi,  qui  la  leur  accorde  habituellement  au  bout  de 
sixà  sept  mois.  Pendant  tout  le  temps  de  leur  veuvage  elles 
portent  les  cheveux  courts  et  s'habillent  de  leurs  plus  mau- 
vais pagnes,  l'envers  en  dehors;  c'est  là  leur  faconde  porter 
le  deuil. 

Je  reviens  au  cérémonial  des  obsèques.  On  fait  un  cer- 
cueil en  bois  du  pays;  avant  d'y  déposer  le  corps,  chaque 


ÉTCltE    SUn    LE    ROVADME   D'aSSINIK. 


:î19 


babilanl  du  village  apporte,  suivant  $ùs  moyens,  une  ou 
deux  brasses  d'étoffe  à  pagne,  qu'on  arrange  dans  le  fond  et 
sur  lesquelles  on  couche  le  cadavre;  puis  le  cercueil  (son 
couvercle  non  fermé)  est  sor)i  dans  la  cour;  on  répand  dessus 
le  sang  d'un  mouton  qu'on  égorge,  et  dont  la  chair  servira 
pour  un  festin  ;  le  corlège,  précédé  parla  veuve  qui  ouvre  la 
marche  en  portant  le  foutou  sur  sa  Léle,  se  met  en  route 
pour  le  cimetière  qui  est  toujours  dans  la  forêt,  mais 
à  peu  de  distance  du  village.  Pour  s'y  rendre,  on  suit 
toujours  les  chemins  en  dehors  de  ce  village,  tandis  que 
pour  sortir  de  l'habitation  on  passe  par  la  porte  sur  les 
jardins  de  bananiers;  un  convoi  ne  suit  jamais  les  rues 
principales. 

Une  fosse  d'environ  80  centimètres  de  profondeur  a  été 
creusée  d'avance;  avant  d'y  descendre  le  cercueil,  on  le 
pose  sur  deux  bâtons  en  travers  du  trou,  puis  un  proche 
parent  du  mort  s'avance  et  appelle  par  trois  fois  le  défunt  : 
t  Reviens  »  ;  <  Reviens,  nous  te  le  demandons  j;  «  Reviens, 
ou  nous  nous  en  allons  t.  Comme  l'appel  reste  sans  effet,  il 
ramasse  une  poignée  de  terre,  la  jette  d'un  air  courroucé 
contre  le  cercutùl  et  s'en  va,  suivi  des  assistants. 

Le  cercueil  est  ensuite  descendu  dans  la  fosse,  après  que 
le  couvercle  en  a  été  cloué  solidement,  puis  on  le  recouvre 
de  fortes  pierres  afin  d'empôcber  les  animaux  delà  forêt  de 
venir  déterrer  le  cadavre,  lo  lout  est  recouverlde  terre  :  la 
cérémùnie  est  terminée. 

Le  culte  des  morts  est  chose  sacrée  chez  les  Achantis  et 
les  Assiniens  ;  aussi,  pendant  une  période  de  Irois  années,  à 
l'époque  du  décès  d'un  parent,  ont-ils  l'habitude  d'en  célé- 
brer l'anniversaire.  On  organise  pour  cela  un  grand  lam- 
lani  oîi  il  est  tiré  de  nombreux  coups  de  fusil  et  consommé 
une  quantité  prodigieuse  de  bouteilles  de  gin  avec  d'innom- 
brables touques  de  vin  de  palme  et  de  bambou. 

Le  fétichisme  est  la  religion  des  indigènes.  Le  grand 
esprit  fétiche  du  bien  se  nomme  Tano;i\  habite,  disent-ils, 


320 


ETUDE    sril    hB    UOYAUMK    U  ASSINIE. 


la  rivière  Tano6(qui  se  jede  dans  la  lagune  Tendo,  à  l'est  du 
royaume  d'Assinie  et  qui  a  été  proposée  pour  servir  de  fron- 
tière entre  les  possessions  françaises  et  les  possessions  an- 
glaises de  la  côte  de  Guinée.)  De  nombreux  lams-tams  sont 
donnés  eu  son  honneur.  L'époque  de  ces  fûtes  est  Qxée  de 
préférence  au  moment  où  la  lune  est  dans  son  plein  et  prin- 
cipalement la  nuit  du  s:iniedi  au  dimanche.  Dès  les  trois 
heures  après  midi,  le  docteur  ou  la  doctoresse  (prêtre  ou 
prêtresse  de  Tano)  commence  à  invoquer  le  féliche  pour 
l'inviter  à  assistera  la  fûle  qui  aura  lieu,  la  nuit  suivante,  en 
son  honneur.  Cotte  cérémonie  préliminaire  n'est  que  de 
courte  durée,  puislout  rentre  dans  le  silence. 

Vers  liuit  heures  du  soir,  tout  le  monde  se  réunit  sur 
l'emplacement  choisi  par  l'officrant  et  le  tam-tam  cora- 
mence.  Jusqu'à  dix  heures  les  chants  et  les  danses  ont  un 
caractère  assez  tranquille.  A  ce  moment  le  fétiche  est  censé  ■ 
arrivé  sur  les  lieux  pour  présider  à  la  fôte.  Les  danses  et 
les  chants  deviennent  alors  plus  bruyants  et  se  prolongent 
ainsi  jusqu'au  point  du  jour,  puis  chaque  assistant  se  rend 
au  bord  de  la  rivière  ou  do  la  lagune  pour  se  baigner  et 
rentre  dans  sa  case  prendre  une  ou  deu.v  heures  de  repos. 

Comme  exemple  de  ce  que  j'ai  dit  plus  haut  relativement 
à  la  couleur  blanche  adoptée  par  le  fétichisme,  je  vais  ra- 
conter ce  qui  m'est  arrivé  à  M'boing,  village  situé  sur  la  la- 
gune Aby,  en  contre-bas  de  la  plantation  de  café  d'Elima  et 
habité  par  des  travailleurs  de  l'exploitation. 

J'avais  été  invité  par  la  doctoresse  du  village'  à  assister 
au  lam-taniqui  devait  avoir  lieu  quelques  jours  après,  dans 
la  nuit  du  samedi  au  dimanche,  en  l'honneur  de  Tano.  Au 
moment  de  l'invitation  j'étais  habillé  lout  en  blanc  ;  mais,  à. 

I .  Celle  femme  était  une  ApollniiJciinu  nuu  l'uuleur  avait  remarquée 
au  Gabon  en  188C  et  qui  n  chassée,  paraît-il,  de  iiolru  colonie,  était  ve- 
nue s'échouer  avec  son  llls,  un  mulâtre,  ca  Aasinic,  où  cUe  •'élait  don- 
née conimo  doctoresse,  pctiiJaiU  que  son  fils  élait  malhcurDuscment  ad- 
mis coraine  surveillant  à  la  plnntation  «. 


/ 


ETUDE    SU»   LE   ROYAUME   D  ASSIME. 


:m 


la  tombée  de  la  nuit,  avant  le  départ,  ayant  trouvé  que  la 
température  s'était  un  peu  rafraîchie,  je  changeai  mon  vê- 
tement blanc  contre  un  autre  en  laine  bleue.  Dès  le  pre- 
mier moment,  je  remarquai  chez  celui  de  mes  interprètes, 
Asampbo,  dévot  fétichiste,  dont  je  me  fis  accompagner, 
un  sentiment  de  gêne  dont  je  ne  rae  rendis  pas  bien  compte; 
je  lui  en  fis  l'observation,  attribuant  son  attitude  à  l'ennui 
qu'il  éprouvait  peut-être  d'Être  obligé  de  m'accompagner 
au  tam-tam;  mais  il  me  répondit  qu'il  était  tout  disposé  à 
rae  suivre.  J'arrivai  ainsi  sur  l'emplacement  où  avait  lieu 
la  fêle. 

On  imaginerait  difilcilement  l'elTet  produit  par  ma  pré- 
sence. Je  vis  aussitôt  des  regards  inquiets  se  diriger  vers 
moi;  assistants  et  assistantes  se  levèrent  l'un  après  l'autre 
et  disparurent,  suivant  en  cela  l'exemple  de  la  fétitheust*. 
Je  leur  avais  produit  l'effet  d'un  pestiféré.  «  Eh  bien,  dis-je 
tout  surpris  à  mon  interprèle,  le  tam-tam  est  donc  Uni? 
—  Oui,  commandant,»  me  répondit-il  sans  autre  expli- 
cation. 

Il  n'y  avait  pas  dix  minutes  que  je  m'étais  éloigné  que 
j'entendis  le  tam-tam  recommencer  de  plus  belle.  J'appe- 
lai Asampbo,  qui  s'était  empressé  de  me  quitter,  mais  il  se 
garda  bien  de  me  donner  une  explication.  J'eus  alors  re- 
cours à  Cadia,  mon  autre  interprète,  qui,  lui,  ne  croyait  ni 
à  fétiche  ni  à  aucun  autre  esprit,  mais  qui,  malgré  cela, 
était  parfaitement  au  courant  des  coutumes  et  croyances  du 
pays. 

Il  m'expliqua  qu'ayant  mis  des  habits  noirs  pour  aller 
au  tam-tam  (les  indigènes  ne  font  aucune  différence  entre 
le  bleu,  le  noir  et  le  violet,  qu'ils  confondent  sous  le  seul 
nom  de  noir),  j'étais  devenu  mauvais  fétiche;  c'est  pour  cela 
que  la  féticheuse avait  arrêté  la  danse  jusqu'à  mon  départ  et 
qu'elle  avait  recommencé  aussitôt  après.  «  Remets  tes  ha- 
bits blancs,  me  dit-il;  redescends  au  village  et  la  danse  con- 
tinuera. » 

«oc,  De  cÉocn.  —  3-  TiuMESTnE  1890.  xi.  —  21 


3âi  ÉTDDE   SDR   JLE   ROVAl'Mlî   d'asSJME. 

Je  suivis  son  conseii,  et  je  redescendis  avec  lui;  il  portait 
un  pagne  violet,  iuais.il  le  changea  aussitôt  contre  un  blanc. 
Hamon  Mounzoua,  la  féticheuse,  vint  à  moi,  me  serra  la 
main,  me  souhaita  la  bienvenue,  et  le  tam-tam  continua 
jusqu'aux  premières  lueurs  du  malin. 

Certains  lieux  sont,  fétiches.  Par  exemple,  à  une  centaine 
de  mètres  de  la  pointe  Blidiane,  sur  la  lagune  Aby,  on  ren- 
contre un  rocher  d'environ  un  mètre  de  circonférence  sur- 
monté d'un  petit  bouquet  de  buissons.  Ce  rocher  est  fétiche  ; 
il  se  trouve  presque  sur  le  passage  des  embarcations,  pi- 
rogues ou  baleinières  qui  vont  d'Assinie  à  Eltma,  Tancrou, 
Aby,  Adjouan  ou  Boue.  Chaque  lois  qu'une  embarcation 
montée  par  des  indigènes  passe  dans  le  voisinage  de  cette 
roche,  hommes  et  femmes  ont  l'habitude  de  jeter  dans  sa 
direction  une  banane,  une  igname  ou  tout  autre  comes- 
tible du  pays.  C'est  l'offrande  au  fétiche  du  lac  pour  qu'il 
éloigne  tout  danger  dans  le  cours  du  voyage  commencé, 
ou  pour  le  remercier  d'avoir  accordé  sa  protection  pendant 
le  voyage  qu'on  vient  de  faire. 

Dans  la  lagune  Tendo,  en  face  du  village  bietry  d'Agrobo- 
sika,  à  l'embouchure  de  la  rivière  Angon,  l'on  trouve  encore 
une  île  fétiche  d'environ  six  à  sept  hectares.  Cette  ile,  cou- 
verte d'une  brousse  impénétrable  et  où  jamais  indigène  n'a 
mis  le  pied,  n'est  fréquentée  que  par  d'innombrables  et 
énormes  chauves-souris,  qui  au  crépuscule  quittent  cet 
endroit  par  centaines  de  mille  et  prennent  généralement  la 
direction  du  Tanoë.  Aussi  les  indigènes  prétendent  que  ces 
chauves-souris  sont  les  âmes  des  morts,  qui  se  retirent  dans 
l'Ile  fétiche  pendant  le  jour  et  qui  chaque  nuit  doivent  faire 
acte  de  présence  à  l'endroit  où  réside  Tano. 

Ayant  voulu  tirer  un  de  ces  mammifères,  un  soir  que 
passant  à.  quelque  distance  de  l'île,  je  me  dirigeais  sur  le 
village  aby  de  Mooua,  mes  pagayeurs  me  supplièrent  de  n'eu 
rien  faire,  craignant  queje  ne  vinsseà  tuer  l'âme  de  quelqu'un 
de  leurs  parents.  Or,  étant  désireux  d'éviter  tout  froissement. 


ETODE    SUR    LE   nOVAUME    D  ASSIME. 


323 


j'accédai  à  leur  prière.  Quand  les  indigènes  passent  eu 
pirogue  dans  le  voisinage  de  l'ile,  ils  détournent  la  lète  et 
pour  rien  au  monde  iis  ne  la  regarderaient.  En  pagayant  ils 
ont  l'habilude  de  chanter,  mais  là  ils  cessent  leurs  chants, 
et  manœuvrent  aussi  rapidement  que  possible  afin  de 
dépasser  au  plus  vite  ce  lieu  maudit. 

L'islamisme,  cette  tache  d'huile  qui  s'étend  petit  à  petit 
sur  le  continent  africain,  a  pénétré  dans  le  royaume  d'As- 
siûie,  et  dans  la  famille  même  du  roi  on  en  rencontre  déjà 
des  adeptes.  De  nombreuses  caravanes  qui  descendent  du 
Soudan  arrivent  jusqu'à  Krinjabuo,  accompagnées  chacune 
de  plusieurs  imans  et  marabouts  qui  chaque  jour  font  leurs 
invocations  et  récitent  leurs  prières.   L'indif^ène  vient  les 
voir,  d'abord  par  curiosité;  puis,  son  esprit  étant  facilement 
impressionnable,  il  suit  plus  régulièrement  les  pratiques 
du  Coran  et  finit  par  devenir  un  fervent  serviteur  de  l'isla- 
misme, dont  il  accepte  toutes  les  obligations.  Comme  je  l'ai 
dit  plus  haut,  le  mal  existait  déjà  dans  la  famille  d'Âka  5a- 
tnadou  lors  de  mon  séjour  en   1887  ;   aujourd'hui  le  mal 
s'étend  peu  à  peu,  sans  qu'on  ait  songé  jusqu'à  présent  à 
opposer  aucune  barrière  à  son  envahissement.  Mais  il  n'est 
pas  nécessaire  d'être  un  observateur  bien    profond  pour 
juger  des  résultais  produits;  on  s'en  rend  compte  sur  les 
lieux  mômes,  ot  l'on  revient  effrayé  de  l'avenir. 

La  population  de  ces  contrées  se  divise  en  quatre  classes 
bien  distinctes  :  1°  les  chefs;  2"  les  hommes  libres;  3*  les 
boys;  i"  les  esclaves. 

Le  chef,  comme  généralement  partout  ailleurs,  doit  sou 
titre,  soit  à  sa  naissance,  soit  à  sa  fortune.  Dès  qu'un  homme 
libre  arrive  à  avoir  une  situation  très  indépendante,  le  roi 
le  fait  chef;  à  partir  de  ce  moment  il  ne  peut  redevenir  boy. 
L'homme  libre  est  un  individu  ayant  une  position  qui  lui 
permet  de  vivre  par  ses  propres  ressources;  mais,  s'il  lui 
arrive  un  revers  de  fortune  qui  l'empêche  de  faire  face  à 

u  engagement  pris,  il  s'adresse  alors  à  un  chef  duquel 


324  ÉTUBE  Sl'n  LE   nOVACME  b'assinie. 

il    pense    pouvoir    obtenir    aide   en    cette    circonstance. 

Ce  chef  lui  prêle  la  somme  dont  il  a  besoin,  et  à  partir 
de  ce  moment,  il  devient  le  boy  de  ce  chef,  ou  sondébileur. 
Le  chef  peut  lui  imposer  diverses  corvées;  i!  peut,  par 
exemple,  l'envoyer  travailler  dans  une  exploitation.  Chaque 
mois  le  créancier  viendra  toucher  la  somme  gagnée,  donnera 
i  acké  (6  francs)  an  débiteur  pour  sa  nourriture  du  mois 
suivant  et  s'appropriera  le  reste,  qui  ne  viendra  nullement 
enaraorlissement  de  la  dette. 

Il  faul,  pour  que  le  boy  puisse  recouvrir  sa  liberté,  qu'il 
s'acquitte  de  sa  dette  en  une  seule  fois.  Supposons  qu'un 
boy  doive  à  un  chef  une  somme  de  5°'  (480  francs).  Le 
créancier  l'a  placé  dans  une  exploitation  où  le  débiteur 
gagne  par  son  travail  5  ackés  (30  francs)  par  mois;  ce  der- 
nier pourra  travailler  de  longues  années  sans  s'être  acquitté, 
tandis  que,  chez  nous,  en  dix-huit  mois  la  dette  se  trouverait 
éteinfe. 

On  pourrait  croire  qu'après  une  vie  de  travail  incessant, 
;iu  cours  de  laquelle  moralement  et  malérielleraent  la 
dette  a  été  éteinte  plusieurs  fois,  la  mort  du  débiteur  serait 
une  cause  de  prescriplion  ;  il  n'en  est  rien.  Si  le  débiteur  a 
un  fils,  et  bien  que  ce  fils  ne  relève  que  de  la  mère,  la  cou- 
tume veut  que  l'enfant  hérite  de  la  dette  et  devienne  boy  du 
créancier  de  son  père. 

La  condition  des  esclave»  est  moins  dure  que  dans  bien 
d'autres  pays.  Ils  sont  considérés  presque  k  l'égal  des  boys 
do  la  seconde  génération.  La  seule  différence  qui  existe 
entre  ces  deux  situations,  c'est  que  le  boy,  comme  je  l'ai  dit, 
peut  redevenir  libre,  tandis  que  resclave  et  ses  descendants 
seront  toujours  esclaves,  à  moins  qu'une  fantaisie,  comme 
les  rois  en  ont  quelquefois,  vienne  à  changer  l'état  de  ces 
malheureux. 

Où  l'Assinien  devient  intraitable,  c'est  lorsqu'un  indi- 
vidu d'une  autre  nation  est  son  débiteur,  mais  un  mauvais 
débiteur,  enlendons-nous,  et  chez  qui  l'intention  de  ne  pas 


ÉTUDE  SUR  LE  R0Y4UME  d'ASSIME.  325 

s'acquitter  est  bien  établie.  Dans  ce  cas.  l'AssinieD  emploie 
tous  les  moyens  qu'une  cervelle  de  noir  peut  imaginer,  à 
seule  fin  de  s'emparer  de  la  personne  de  son  débiteur;  s'il 
y  parvient,  son  premier  soin  est  de  Tentrainer  cbez  lui  et 
d'en  faire  son  prisonnier.  Pour  mettre  ce  prisonnier  dans 
l'impossibilité  de  fuir,  il  s'assure  de  sa  personne  en  le  fixant 
à  quelque  énorme  tronc  d'arbre  transporté  à  cet  effet  dans 
un  emplacement  couvert  et  après  lequel  il  est  retenu  par 
le  poignet  droit  au  moyen  d'un  crampon  à  deux  pointes  en- 
foncé dans  le  bois  à  coup  de  masse.  Cette  opération  préli- 
minaire terminée,  les  parents  du  prisonnier  sont  prévenus 
qu'il  demeurera  dans  cette  position  jusqu'à  ce  que  la  dette 
soit  acquittée. 

Dans  le  cas  où  le  créancier  ne  pourrait  pas  s'emparer  de 
la  personne  de  son  débiteur,  il  ne  se  fera  aucun  scrupule  de 
prendre  en  son  lieu  et  place  un  parent  de  celui-ci  et  de  le 
garder  dans  des  conditions  pareilles  jusqu'à  complet  rem- 
boursement. 

Cette  sévérité  excessive  des  Âssiniens  s'applique  surtout 
à  leurs  voisins  de  l'est,  les  Appolloniens  ;  mais  il  convient, 
quand  on  connaît  l'insigne  mauvaise  foi  de  ces  derniers,  de 
reconnaître  qu'ils  méritent  à  tous  égards  les  procédés  em 
ployés  contre  eux. 

Dans  les  palabres  (discussions  pour  motifs  d'intérêts, 
d'adultère, etc.),  lorsque  les  deux  parties  ne  peuventfmir  par 
tomber  d'accord,  le  chef,  juge  du  palabre,  propose  alors  à 
la  partie  qui  croit  avoir  raison  de  prendre  fétiche,  afin  de 
savoir  si  l'esprit  qui  préside  à  la  justice  est  de  la  même  opi- 
nion que  lui.  L'opération  de  prendre  fétiche  consiste  à 
sbsorber,  soit  un  breuvage,  soit  une  matière  comestible 
ayant  subi  une  certaine  préparation  et  présentée  par  celui 
qui  a  qualité  pour  donner  fétiche.  Gela  revient  exactement 
à  notre  jugement  de  Dieu  des  siècles  passés. 

Si  l'individu  qui  a  pris  fétiche  a  raison,  l'esprit  de  la 
justice  le  protège  et  ce  qu'il  a  consommé  ne  lui  fera  aucun 


356 


ETUDE    SCn    LE    nOTAl'ME    D  ASSINIE. 


mal.  Le  refus  de  prendre  féLiche  entraîne  condamnation 
immédiate.  Le  féliche  est  généralement  composé  d'un  œuf, 
mais  il  est  indispensable  que  cet  œuf  ait  été  pondu  parune 
poule  blanche. 

Le  roi,  quelques  grands  chefs,  les  docteurs  et  les  docto- 
resses (ces  derniers,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  sont  prêtres  et 
prêtresses  de  Tano)  ont  seuls  le  droit  de  donner  fétiche, 
mais  le  fétiche  donné  par  le  roi  est  sans  appel. 

Le  règlement  de  tout  palabre  par  le  roi  est  soumis  à  une 
rétribution  en  or;  celle  des  chefs  est  payable  en  un  nombre 
variable  de  caisses  de  gin,  suivant  la  yravité  du  cas;  celte 
des  docteurs  ou  doctoresses  se  compose  d'un  nombre  plus 
ou  moins  grand  de  bouteilles  de  cette  même  liqueur. 

Aûn  d'ôlre  certains  de  ne  rien  perdre,  chefs  et  pr&lres,bien 
avisés,  ont  l'habitude  d'exiger  la  rétribution  de  chacune  des 
parties.  Le  roi  fait  exception  à  cette  coutume. 

Pour  les  Ashantis  en  général  etsurtoul  pour  les  Assiniens, 
rien  au  monde  n'est,  après  Tano,  plus  sacré  que  1  enora  du 
roi,  et  tout  serment  au  cours  duquel  son  nom  est  prononcé, 
entraîne  lerèglemcntdu  palabre pardevant lui, à Krinjîiboo. 

Comme  je  l'ai  dit  ci-dessus, le  roi  Aka  Saraadou, homme 
très  bon  et  surtout  très  juste,  n'applique  l'amende  qu'à  celle 
des  parties  qu'il  juge  avoir  tort;  suivant  le  cas  et  surtout, 
suivant  les  termes  du  serment,  cette  amende  peut  atteindre 
un  chiffre  assez  élevé. 

Le  roi  n'achète  rien  ;  il  réquisitionne.  Quand, par  exemple, 
il  a  besoin  de  poisson  sec  pour  la  nourriture  de  ses  femmes 
et  de  ses  gens,  il  charge  deux  ses  boys  d'aller  lui  en  cher- 
cher. A  cet  effet  il  remet  au  plus  âgé  une  queue  d'éléphant 
ornée  de  verroteries;  porteurs  de  ce  signe  conventionnel 
connu  dans  tout  le  royaume,  les  deux  boys  partent  sur  une 
légère  pirogue  et  descendent  la  rivière  Bia;  arrivés  dans  la 
lagune,  ilsse  dirigent  sur  le  premier  village  biétry  qu'ils  ren- 
contrent et,  présentant  au  chef  du  village  la  queue  d'éléphant, 
ils  lui  disent  que  le  roi  a  besoin  de  poisson. 


I 

I 


y 


m 


ÉTUDE    SUR    LE    ROYAUME    d'ASSINIE. 


327 


Le  chef  réunit  les  hommes  dn  village  (les  Tliétry  sont  es- 
sentieliemertt  pécheurs),  et  leur  communique  l'ordre  dti  roi; 
immédiatement  on  réunit  tout  le  poisson  sec  disponible;  on 
le  charge  sur  une  immense  pirogue  qu'une  escouade  de 
pagayeurs  est  chargée  de  conduire  à  Krinjaboo.  11  en  est  de 
même  pour  les  bananes,  qui  sont  fournies  par  les  Aby, 
tribu  de  cultivateurs. 

Aka  Samadou  entretient  pour  son  service  personnel  une 
petite  bande  de  chasseurs  d'éléphants,  au  nombre  de  douze 
hommes,  douze  colosses.  Leur  chef  N'Galta,  musulman 
comme  eux,  et  originaire  du  Boundoukou,  est  le  plus  petit 
(le  la  troupe,  car  il  ne  mesure  pas  plus  de  i"50;il  a  le  visage 
ovale,  les  yeux  perçants,  le  nez  aquilin,  les  lèvres  minces 
comme  celles  de  l'Arabe,  les  membres  fins.les  mains  et  les 
pieds  d'une  femme  ;  mais,  sous  celle  apparence  frêle  et  déli- 
cate, on  sent  des  muscles  d'acier,  comme  aussi  un  sang-froid 
el  une  force  de  volonté  peu  communs. 

Quoique  passant  presqueloutesavieau  milieu  de  la  forêt, 
N'Gatta  qui  doit  avoir  trente-six  ans,  est  d'un  caractère  très 
doux,  très  aimable,  presque  gai  el  qui  contraste  avec  le  ca- 
ractère généralement  sérieux  du  noir.  On  serait  tenté  de 
croire  qu'il  a  vécu,  pendant  quelque  temps  du  moins,  au 
milieu  de  gens  civilisés,  idée  que  j'ai  dû  abandonner,  après 
avoir  questionné  Aka,  qui  m'a  affirmé  que  j'étais  le  seul 
blanc  que  N'Gatta  eiit  jamais  vu. 

Vêtu  avec  beaucoup  de  goût,  de  coquetterie  même,  ses 
pagnes  aux  couleurs  voyantes  le  font  ressortir  au  milieu  de 
ses  douze  hercules,  dont  il  sait  se  faire  obéir  avec  une  mer- 
veilleuse promptitude  au  moyen  d'ordres  très  brefs. 

Une  seule  femme,  après  le  roi,  partage  avec  celui-ci  une 
partie  de  la  toute-puissance;  c'est  la  princesse  Êlua,  sœur 
cadette  du  feu  roi  Amalifou  et  par  conséquent  tante 
du  roi  actuel  Aka  Samadou.  Elle  est  sensiblement  plus  jeune 
que  ce  dernier,  J'eslime  qu'Aka  Samadou  a  environ  cin- 
quante ans,  tandis  qu'Elua  n'en  a  guère  plus  de  Irenle-oinq. 


328 


ÊTunE  svn  LE  novAi'ME  d'assinie. 


Après  le  roi,  autocrate  qui  commande  à  tous  ses  sujets 
des  deux  sexes,  vient  Elua,  qui  seule  a  le  droit  d'imposer 
ses  volontés  à  toutes  les  femmes  du  royaume,  et  ses  ordres 
sont  exécutés  par  toutes  à  l'égal  de  ceux  du  roi. 

Elle  possède,  ainsi  que  je  t'ai  dit,  un  vaste  quartier 
à  Knnjaboooù  elle  habile  et  garde  près  d'elle  une  cinquan- 
taine de  jeunes  filles  ou  de  jeunes  femmes  divorcées. 
Toutes  les  suivantes  d'Élua  portent  comme  signe  distinclif 
un  collier  composé  de  quatre  grains  plais,  de  forme  hexa- 
gonalcj  de  3  centimètres  de  long  sur  2  de  large;  deux  de 
ces  grains  sont  couleur  vert-pré  mat,  les  deux  autres  blanc 
mat.  L'entretien  de  toutes  ces  femmes  est  à  la  charge  d'Elua. 

De  leurcùté,  elles  se  rendent  utiles  dans  la  maison  jusqu'au 
jour  où  un  chef  ou  quelque  indigène  possédant  la  somme 
nécessaire  à  l'achat  d'une  femme,  vient  faire  son  choix. 
11  paye,  Elua  encaisse;  la  femme  pari  avec  son  nouveau 
maître,  l'affaire  est  conclue;  c'est  maintenant  au  tour  d'une 
autre  ! 

Pendant  mon  séjour,  je  n'ai  jamais  vu  Elua  autrement  que 
la  figure  et  le  torse  barbouillés  de  noir,  de  rouge  et  de  blanc 
et  couverts  de  vieux  pagnes  tombant  en  loques;  c'était  pour 
obéir  aux  coutumes  du  pays,  qui  exigent  qu'elle  porte  le 
deuil  d'Amîilifou  jusqu'aux  fêles  commémoratives  de  la 
mort  de  ce  dernier. 

Lorsque  vient  à  mourir  une  femme  enceinte,  toutes  les 
femmes  du  village  qui  sont  dans  la  même  position  se  réunis- 
sent, sa  teignent  mutuellement  la  figure  et  le  cou  en  se 
remplissant  la  bouche  d'un  liquide  vert  clair  que  chacune, 
faisant  l'office  de  pulvérisateur,  envoie  contre  la  figure  de 
sa  voisine.  Elles  se  tracent  des  dessins  cabalistiques  blancs 
sur  les  autres  parties  du  corps  qui  ne  sont  pas  recouvertes 
par  le  pagne,  mettent  ce  dernier  à  l'envers  en  signe  dedeuil 
et,  armées  chacune  d'une  baguette  dont  le  boutcassé  forme 
un  crochet,  se  mettent  en  route  par  les  rues  du  village  en 
chantant  des  chansons  en  chœur  contre  les  hommes.  11  est 


STUDE  srti  tE  noYAtJME  d'assime.  329 

prudent  pour  ces  derniers  de  se  garer  de  cette  procession, 
car  chaque  homme  qu'elles  peuvent  apercevoir  est  pour- 
saivt  &  outrance  par  ces  furies  et  Trappe  à  coupi>  de  baguette 
jusqu'à  ce  qu'il  soit  parvenu  à  se  réfugier  dans  quelque  case, 

La  jeune  femme  qui  conçoit  avant  sa  troisième  menslrua- 
tioD  voit  invariablement  son  enfant  lui  être  retiré  parles  pa- 
rents dans  l'intention  de  le  mettre  à  mort. 

L'enfant,  dès  sa  naissance,  prend  deux  noms:  celui  d'un 
de  ses  ancêtres,  et  celui  du  jour  où  il  est  né. 

Le  tatouage  est  en  honneur  dans  ces  pays.  Hommes  et 
femmes  sont  tatoués;  mais  comme  tous  ne  portent  pas  les 
mêmes  dessins,  je  serais  porté  à  croire  que  c'est  là  une  ma- 
nière de  reconnaître  entre  eux  à  quelle  tribu  un  tel  ou  une 
telle  appartient. 

Pour  les  deux  sexes,  la  figure  porte  invariablement  cinq 
m?rques  :  une  entre  chaque  œil  et  la  tempe;  une  à  la  nais- 
sance du  nezentre  les  sourcils  ;  et  une  surchaque  pommette. 

En  outrej  certains  indigènes  des  deux  sexes  portent  sur 
le  côté  gauche  du  cou  une  longue  ligne  de  petites  incisions 
horizontales.  Celte  ligne  commence  derrière  l'oreille  et 
descend  jusqu'à  la  naissance  du  cou.  Je  crois  que  c'est  une 
marque  de  tribu.  Sur  les  poignets  et  les  avant-bras  on  dis- 
tingue une  figure  carrée  composée  d'un  nombre  irrégulier 
de  lignes  horizontales  formées  de  petites  incisions  vsrticales 
serrées  les  unes  contre  les  autres. 

Chez  la  femme,  le  tatouage  est  beaucoup  plus  compliqué. 
Sur  la  poitrine,  trois  fortes  incisions  borixontales  de  3  cen- 
timètres de  long  chacune,  placées  à  côlé  Tune  de  l'autre 
à  environ  3  centimètres  de  distance;  entre  les  seins 
trois  incisions  verticales  de  2  centimètres  de  long,  placées 
l'une  à  côlé  de  l'autre;  2  centimètres  au-dessous,  une 
ligne  d'une  vingtaine  d'incisions  verticales  placées  les  unes  à 
côlé  des  autres  et  formant  une  ligne  horizontale. 

De  là  jusqu'au  nombril,  une  ligne   d'incisions  verticales 
placées  les  unes  au-dessous  desaulresel  traversées  au-dessus 


IVAQ  ÉTUDE    SUR    LE  IlOYAtlME   d'aSSISIE. 

du  nombril  par  deux  lignes  horizontales  de  petites  incisions 
verticales;  de  chaque  c6té  du  nombril, une  ligne  horizontale 
formée  de  5  incisions  verticales  partant  du  nombril;  et  de 
chaque  côté,  en  s'infléchissant  vers  l'aine,  une  ligne  de  cinq 
incisions  semblables  aux  précédentes.  Un  peu  au-dessous, 
horizontalement,  une  ligne  de  six  incisions  verticales  ;  enfla] 
sur  le  bas-ventre,  deux  incisions  verticales  à  5  centinnô-^ 
très  l'une  de  l'autre. 

Beaucoup  de  femmes  portent  au  cou  et  sur  les  poignets| 
les  mêmes  marques  que  les  hommes,  mais  elles  ont  en  plus 
sur  l'avant-bras  droit  trois  lignes  horizontales  superposées 
formées  de  petites  incisions  verticales;  les  deux  lignes  exté- 
rieures sont  droites,  celle  du  milieu  a  la  forme  d*un  arc  dont'J 
les  extrémités  seraient  légèrement  relevées;  i  la  naissance 
du  pouce,  trois  lignes  formant  un  carré  ouvert  d'un  côté; 
sur  la  partie  interne  et  au  milieu  delà  cuisse  droite,  une  ligne 
horizontale  d'une  vingtaine  d'incisions; au  mollet,  la  môme-; 
marque. 

Ces  femmes  supportent  avec  un  calme  extraordinaire  la] 
souffrance  occasionnée  par  cette  mullilude  de  petites  cou- 
pures d'où  le  sang  jaillit.  J'ai  eu  occasion  de  voir  un  jour, 
à  Ahy,  une  opéralion  de  ce  genre;  il  y  avait  là  trois  jeunes 
femmes  de  quinze  à  dix-sept  ans  opérant  chacune  à  son 
tour  à  l'aide  d'un  morceau  de  bouteille  cassée;  elles 
riaient  et  chantaient  comme  si  la  douleur  eût  été  inconnue 
pour  elles. 

Les  indigènes,  sans  exception,  sont  d'une  très  grande 
propreté;  ils  se  baignent  jusqu'à  trois  et  quatre  fois  dans 
la  môme  journée,  cl  chaque  fois  ils  se  frottent  avec  une 
espèce  d'épongé  faite  de  la  tige  d'un  régime  de  bananes 
et  une  sorte  de  savon  composé  de  terre  glaise,  d'huile  de 
palme  et  de  cendres  d'épi uchures  de  bananes;  ils  préparent 
cesavon  au  furetàmesurede  leursbesoins.Aprèss'êlre  bien', 
savonnés  et  lavés,  ils  attendent  à'Hre  bien  essuyés,  et  alors 
des  pieds  à  la  t«*te  ils  s'enduisent  de  suif  ou  mieux  encore 


ÉTUDE   SUR  LE  ROYAUME  d/ASSINIE.  331 

de   pommade   achetée   dans   les   factoreries,   et   quelle 
pommade  t 

D'une  frugalité  el  d'une  sobriété  extrêmes,  ils  se  suffisent 
toute  l'année  avec  un  seul  mets,  celui  dont  nous  avons 
déjà  prononcé  le  nom  plus  haut  :  le  foutOu.  Tout  est  bon 
pour  faire  un  fontou  :  poisson,  caïman,  singe,  antilope, 
gazelle,  poule,  varan  (espèce  d'iguane),  etc.,  etc.,  pourvu 
que  ce  soit  une  cbair  qui  ait  été  exposée  à  la  fumée.  Ce 
plat  se  prépare  de  la  façon  suivante  :  on  prend  d'abord  des 
graines  de  palmier  qu'on  pile  dans  un  mortier  en  bois  pour 
en  extraire  une  huile  jaune,  puis,  retirant  les  noyaux  et  la 
bonrre  de  ces  grainesj  on  ajoute  petit  à  petit  de  l'eau  qui 
se  mélange  très  bien  avec  l'huile  et  finit  par  former  une 
saoce  claire  qu'on  verse  dans  une  marmite  en  terre  de 
fabrication  indigène.  Au  bout  de  deux  heures  de  cuisson, 
l'on  ajoute  le  poisson,  caïman  ou  autre,  faisant  la  partie 
résistante,  une,  petite  poignée  de  piment  rouge  très  fort, 
bien  broyé  entre  deux  pierres,  et  on  laisse  cuire  encore  pen- 
dant deux  heures.  Une  fois  le  foutou  cuit,  on  le  sert  sur  la 
table  dans  la  marmite  même  ;  on  sert  en  même  temps  du 
pain  de  bananes,  autre  préparation  composée  de  bananes 
pilées  et  réduites  en  une  sorte  de  pâte  épaisse  et  dont  le  goût 
a  été  rehaussé  par  du  piment. 

Il  est  absolument  impossible  à  un  Européen  qui  débarque 
de  goûter  à  cette  abominable  cuisine,  sous  peine  d'avoir  le 
palais  en  feu  par  le  contact  du  piment.  Ce  n'est  qu'à  la 
longue  qu'on  finit  par  s'y  accoutumer,  et  je  suis  presque 
tenté  de  croire  que  cette  habitude  diminue  le  nombre  des 
accès  de  fièvre.  Je  pense  du  reste  qu'il  est  excellent  de 
s'habituer  à  l'alimentation  des  indigènes  quand  on  est 
appelé  à  vivre  au  milieu  d'eux. 

La  boisson  indigène  se  compose  de  vin  de  palme  et 

devin  de  bambou,  mais  surtout  d'eau  prise  en  mangeant. 

Commerce  et  productions.  —  Le  principal  commerce 

consiste    dans   l'échange    de   marchandises   européennes 


!Wi  ÉTDDE    Sun    LK    ROYAUME    Il'ASSINfE. 

» 

contre  delà  poudre  et  des  pépiles  d'or,  de  l'huile  de  palme, 
un  peu  d'ivoire  et,  depuis  quelques  années  seuleraenl,  de 
caoutchouc  de  liane. 

Le  précieux  métal,  qui  se  trouve  dans  l'inlérieur  en  plus 
grande  quantité  que  sur  lo  littoral,  est  généralement  apporté 
parles  caravanes  musulmanesquidescendentdu  Nord, venant 
même  de  Tombouctou  à  travers  le  Soudan,  mais  principale- 
ment par  celles  qui  viennent  des  conlrées  voisines  de  Kong 
et  qui,  traversant  le  Boundoukou,  arrivent  à  Aboisso,  Krin-  Il 
jaboo  et  Aby,  mats  descendent  assez  rarement  à  Assinie. 

Les  indigènes  s'occupent  très  peu  de  l'extraction  de  l'or, 
quoique  sur  certains  points  peu  distants  du  littoral  où  j'ai 
extrait  du  minerai,  j'aie  obtenu  des  résultats  peu  ordinaires. 

Ainsi,  sept  essais  ont  donné  les  chiffres  suivants  par  tonne 
de  rainerai  : 

1"  essai t'.  n.  5 

â»  —   2  .  0.  6 

3»  — 1   .  7.  ".t 

i«  —    i... 2  .   1.  (J 

5"  —    1    .«.10 

6«  —    2  .  U.  3 

7-  —    1   .10.  2 

(L'oiico  il'ur  =  'J(î  fr.         =  10  ackés. 
1  acké  =     G  fr.         =12  taltous. 

1  takou         =     I)  fr.  5fi) 

Ces  mêmes  échantillons  réunis  ont  donné  à  l'essai  par  un' 
essayeur  juré  de  Paris  : 

Or 929 

Argnnt G5 

Condres (i 

nm 

Je    puis    encore    aujourd'hui    présenter   le    bordereau 
d'essai. 
Les  placera  de  la  Côte  d'Or  sont  plus  étendus  qu'on  ne  le 


/ 


ÉTUDE   Srn    LE    nOYAUMK    1»  Aî^SiNlE, 


333 


croit  généralement,  grâce  à  de  faux  rapports  publiés  à  ce 
sujet,  et  l'est  de  la  Côte  d'Ivoire  fouroirait  même  des  quan- 
tités d'or  très  appréciables. 

Je  puis  affirmer  qu'avant  d'arriver  au  7"  long.,  on  trouve 
non  seulement  des  endroits  où  des  fouilles  ont  été  commen- 
cée?, mais  encore  des  terrains  aurifères  non  exploités  oîj  les 
terres  ont  donné  des  résultats  qui  ne  sont  nullement  à 
dédaigner.  EnBn,  en  se'jdirigeant  vers  l'est,  les  placers  devien- 
nent plus  riches  et  plus  nombreux. 

Une  maison  de  Londres,  rjui  possède  une  mine  en  expio"- 
tâlion  à  environ  3"  milles  nord-nord-ouesl  d'Axim,  a  reçu 
jusqu'à  700°»  dans  un  mois,  poudre  et  pépites  provenant  de 
quartz  aurifères. 

Lor.s  de  la  perte  du  vapeur  Senegut,  de  la  Britîsh  and  Afri- 
canC"  de  Liverpool,  naufrage  qui  eut  lieu  en  vue  de  Tabou 
(République  de  Libéria)  en  1887,  la  Compagnie  qui  avait 
assuré  l'envoi  d'or  de  cette  maison  a  dû  lui  rembourser 
ia  somme  de  2,918  l.  st.  8  pour  or  perdu  par  suite  du  nau- 
frage, soit  72,970  francs,  représentant  simplement  le  rende- 
ment de  leur  mine  pendant  un  mois.  Je  tiens  ce  chiffre  d'une 
source  absolument  indiscutable. 

ûans  des  conditions  pareilles,  il  me  parait  fort  regrettable 
que  la  France  laisse  aux  Anglais  le  monopole  de  l'extraction 
de  l'or  dans  ces  contrées,  car  avec  une  mise  de  fonds  rela- 
tivement peu  considérable,  une  société  française  pourrait 
se  former  et  exploiter  des  richesses  abandonnées  actuelle- 
ment par  nous. 

Les  travaux  d'exploitation  peuvent  être  confiés  aux  indi- 
gènes sous  la  surveillance  de  deux  ou  trois  Européens. 
Moyennant  un  salaire  de  1  franc  par  jour  payable  en 
marchandises  telles  que  gin,  lafla,  tabac,  poudre  de  traite, 
fusils  de  traite,  étoffes,  etc.,  ils  s'en  acquitteraient  à  notre 
entière  satisfaction. 

Il  faudrait  donc,  pour  tirer  tout  îc  parti  possible,  avoir  au 
littoral  une  maison  chargée  :  1"  de  recevoir  les  marchan- 


;I34  KriDK  sua  lk  koyaumk  d'assime. 

dises  venant  d'Europe;  t"  d'expédier   l'or  à  destination 
d'Europe. 

Cette  maison  pourrait  égaleraenl,  en  échange  de  l'or 
apporté  direclement  par  les  indigènes,  céder  à  ces  derniers 
une  partie  desdiies  marchandises  restées  comme  supplément 
de  !;i  paye  de  la  main-d'œuvre  de  la  raiae,  en  se  basant  sur 
un  bénéfice  \ari'ablo  suivant  les  articles,  tous  frais  ajoutés  au  ma 
prix  d'uehat  en  Europe.  f 

Tant  pour  l'or  provenant  de  la  mine  que  pour  celui  qui 
provient  des  achats  ci-dessus,  il  serait  indispensable  qu'un 
indtjjèue,  habile  nettoyeur  d'or,  fût  adjoint  à  la  maison  du 
littoral.  Cette  nécessité  se  ferait  surtout  sentir  dans  le  der- 
nier cas,  CCS  acheteurs  au  comptant  ne  se  faisant  aucun 
scrupule  de  mélanger  i  la  poudre  d'or  qu'ils  donnent  en 
payement  des  résidus,  rebutés  déjà  par  d'autres  maisons  et 
contenant  de  fortes  traces  de  cuivre.  Le  talent  du  trieur  d'or 
consiste  à  reconnaître  ces  rebuts  et  à  les  éliminer;  ils  sont 
rendus  à  l'acheteur,  qui  donne  en  échange  un  poids  égal 
d'or  pur.  On  pourrait  par  cette  méthode  obtenir  mensuelle- 
ment environ  150  à  200"'  d'or  au  comptant  avec  des  mar- 
chandises convenables  et  à  condition  qu'on  en  fit  venir  au 
fur  et  à  mesure  le  strict  nécessaire.  II  faudrait  qu'à  chaque 
vapeur  arrivant  d'Europe,  il  y  eût  une  réception  de  mar- 
chandises fraîches;  car  le  noir  est  très  observateur.  Voyant 
les  marchandises  souvent  renouvelées,  il  viendrait  de  préfé- 
rence, sachant  qu'il  serait  certain  de  pouvoir  toujours  faire 
son  choix  parmi  des  articles  nouvellement  arrivés. 

Si  le  sous-sol  est  prodigieusement  riche,  comme  nous 
venons  de  le  voir,  sa  surface  ne  laisse  rien  non  plus  k 
désirer. 

Pour  s'en  convaincre  il  suflit  de  jeter  un  coup  d'oeil  sur 
la  végétation,  qui,  soit  en   forél,  soit  en  plaine,  atteint  des 
proportions  tellement  surprenantes  pour  un  Européen  que,  M 
lors(iue  le  voyageur  eu  parle  à  son  retour  devant  des  per- 
sonnes  qui  n'ont  pas  visité  ces  parages,  celles-ci  ne  peu- 


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ETfl»E    sua   LE    IlOYAUME    t>  ASSIME. 


335 


venl  qu'avec  peine  dissimuler  le  sentiaaenl  d'incrédulité 
provoqué  pur  ces  invraisemblances. 

Actuellement  il  n'existe  sur  toute  l'étendue  de  ce  beau 
royaume  d'Assinie  qu'une  seule  exploitation  agricole;  c'est 
une  plantation  de  calé  appartenant  à  la  Compagnie  des 
cafés  d'Assinie,  fort  peu  connue,  sinon  par  les  dividendes 
qu'elle  a  omis  de  distribuer  depuis  1880  à  ses  actionnaires. 
Cette  plantation,  connue  dans  le  pays  sous  le  nom  de 
plantation  d'Elima,  est  située  sur  le  plateau  qui  domine  les 
villages  de  M'boing,  Eliraa  etTancrou.  Elle  a  été  établie 
sur  une  concession  gratuite  accordée  par  Amalifou  eu  1880 
el  créée  avec  des  plants  provenant  de  Cap  Palmas  (Répu- 
blique de  Libéria). 

A  une  certaine  époque  le  gouvernement  libérien,  fort 
gêné  et  désireux  d'accroître  ses  revenus,  frappa  l'exporta- 
tion des  plants  de  café  d'un  droit  énorme  de  deux  dollars 
par  plant.  Ct!  droit  subsiste  encore  acLuellement,  ainsi  que 
l'affirme  le  capitaine  Brosselard,  commissaire  du  gouverne- 
ment de  la  République  frauçaise  pour  la  délimitalioa  de 
nos  frontières  sur  la  Guinée  portuguise. 

La  direction  de  l'exploitation,  grevée  déjà  de  dépenses 
exagérées,  essaya  de  se  soustraire  à  ce  surcroît  de  dépenses 
et  créa  des  pépinières  en  utilisant  les  graines  de  sa  récolte. 
Ces  essais  réussirent  assez  bien,  étant  donné  le  manque 
d'expérience  de  ceux  qui  les  tentèrent,  et  depuis  cette  époque 
les  iransplalalions  n'ont  été  faites  qu'avec  des  plants  pro- 
venant de  l'exploitation.  Malheureusement,  faute  de  soins 
expérimentés  dans  le  passé  et  à  cause  des  fourrais  rouges 
et  noires  qui  ont  infesté  certains  quartiers,  les  récoltes  sont 
1res  difficiles  en  ce  moment. 

11  faut  Joindre  ù  cela  une  maladie  nouvelle  qui  atteint 
certains  plants  et  les  fait  sécher  en  quinze  jours.  J'avais 
entrepris  le  traitement  do  cette  maladie  et  avais  trouvé  un 
smède  fort  simple,  au  moment  où  j'ai  dû  quitter  Assinie. 

jlgré  tous  ces  inconvénients,  j'estime  que  la  récolte  1887- 


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ETlîDE   SliJl    LE    UOYAUSIK    I)  ASSIKIE. 


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1888,  commencée  par  mes  soins  en  novembre  1887,  a  du, 
si  elle  a  été  bien  conduite  jusqu'à  la  fin,  donner  environ 
■ii  tonnes  de  café  en  parrhemin. 

Ce  n'est  certes  pas  un  brillant  résultat,  mais  il  est  pas- 
sable, si  l'on  considère  que  celte  plantation  d'environ  no  hcc- 
tares,coramencée  en  1880,  est  divisée  en  quatre  quartiers  dont  fl 
chacun  correspond  aux  années  1881,188*2, 1883, 1885-1887.  " 
Encore  devrail-on  tenir  peu  compte  de  ce  dernier  qui  n'est 
■en  partie  qu'à  sa  premièreannée  de  rendement;  et  d'unautre  ■ 
coté,  le  quartier  de  1881  a  été,  il  y  a  deux  ans  environ,  fort 
maltraité  par  les  grandes  pluies  qui  ont,  faute  de  prévoyance, 
raviné  toutes  les  terres  et  laissé  à  nu,  dans  le  sable,  les 
racines  chevelues.  De  sérieuses  modifications  d'entretien 
ont  dû  ôlre  apportées  depuis  mon  départ,  car  j'apprends 
par  une  personne  de  la  parole  de  qui  je  ne  puis  douter, 
que  la  récolte  de  1888-1880  a  rendu  64  tonnes  de  café. 

Indépendamment  du  café,  on  pourrait  encore  cultiver 
avec  succès,  je  crois,  le  cacao.  Le  coton,  le  ricin,  l'indigo 
et  l'arachide,  qui  sont  des  plantes  indigènes,  donneraient 
certainement,  avec  une  culture  intelligente,  des  résultats 
auxquels  on  est  encore  loin  de  s'attendre  dans  ces  contrées 
où  la  richesse  du  sol  est  surprenante. 

Un  jour  viendra  sans  doute  où  nos  enfants,  peut-être 
seulement,  hélas!  nos  petits-enfants  en  France,  instruits  par 
les  leçons  du  passé  et  rompant  enfin  avec  la  routine,  se 
décideront  à  suivre  l'exemple  de  nos  voisins  les  Anglais  et 
les  .allemands.  Ceux-ci  auront,  il  est  vrai,  prélevé  déjà  le 
plus  facile  et  le  meilieur  tribut;  cependant  nos  descendants 
pourront  encore  profiter  de  ce  dont  nos  rivaux,  qui  ne 
craignent  pas  d'engager  leur  argent  dans  tes  entreprises 
coloniales,  n'auront  pas  eu,  espérons-le,  le  temps  de  s'em- 
parer. 

Au  nombre  des  produits  à  exploiter  se  trouve  le  caout- 
chouc; malheureusement  rindigène,  cédant  à  sa  paresse 
habituelle  et  à  son  insouciance  pour  l'avenir,  prépare  fort 


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{ 

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ÉTODE   SUR  LE  ROYAUME  D'ASSINIE.  337 

mal  cette  substance  el  en  trop  petite  quantité.  La  liane  à 
caoutchouc  croit  en  abondance  dans  les  forêts,  el  je  suis 
persuadé  qu'avec  quelques  équipes  de  Pahoulbs,  les  seuls 
indigènes  de  la  côte  occidentale  chez  lesquels  le  caoutchouc 
est  réellement  bien  traité,  on  obtiendrait  une  matière  pre- 
mière de  qualité  supérieure  à  celle  qu'ils  viennent  vendre 
au  Gabon. 

Aperçu  de  la  faune  et  de  la  flore.  —  La  faune  du  royaume 
d'Assinie  est  fort  riche  ;  malheureusement  elle  a  été  peu 
étudiée,  et  j'attribue  cela  à  la  mauvaise  réputation,  justifiée 
du  reste,  de  son  climat,  plus  inclément  encore  que  celui  du 
Gabon. 

Les  rares  observations  qui  ont  été  faites  jusqu'à  ce  jour 
n'ont  pas  permis  d'en  obtenir  une  description  précise  et 
détaillée.  Un  seul  naturaliste  possédant  des  connaissances 
sérieuses  (M.  Gh.  Âlluaud)a  failun  séjour  malheureusement 
trop  court  pour  lui  permettre  des  observations  suivies.  Il  a 
visité  une  partie  de  la  contrée  et  en  a  rapporté  une  collec- 
tion d'insectes  assez  complète,  mais  le  temps  lui  a  manqué 
pour  qu'il  put  s'occuper  d'une  façon  suivie  des  mammifères, 
des  oiseaux,  des  reptiles  et  des  poissons.  II  est  regrettable 
pour  la  science  qu'un  observateur  aussi  consciencieux  ait 
dû  s'arrêter  en  route. 

Les  nombreuses  sorties  que  j'ai  été  appelé  à  faire  dans 
l'intérêt  de  mon  service  m'ont  permis  de  voir  une  petite 
partie  des  animaux  qui  habitent  ou  passent  en  Assinie.  Les 
animaux  domestiques  sont  : 

Un  mouton  de  petite  espèce,  couvert  de  poils  et  non  de 
laine  comme  le  mouton  d'Europe  ;  —  la  chèvre  naine  qu'on 
rencontre  communément  sur  toute  la  côte  occidentale 
à  partir  du  Sénégal  jusqu'à  Saint-Paul-de-Loanda  ;  je  l'ai 
trouvée  également  aux  sources  du  Como  et  du  Bokoué;  — 
le  chat  domestique,  descendant  de  notre  chat  européen 
acclimaté  :  le  manteau  en  est  varié  comme  celui  de  ce 
dernier,  mais  la  forme  de  la  tête  semble  s'être  modiûée  dans 

soc.  DE  CÉqGR.  —  3*  TRIMESTRE  1890.  XI.  —  22 


338 


ÉTUDE   StlU    LE   ROYAUME    d'aSSINIE. 


le  sens  de  la  longueur;  la  largeur  de  la  lôte  aux  tempes 
paraM  ne  pas  avoir  subi  de  mociiFicalion,  mais  la  partie 
inférieure  sefnble  s'être  rétrécie,  ce  qui  lui  donne  une  forme 
plus  anguleuse;  —  enfin,  pour  clore  la  liste  des  quadru- 
pèdes, le  chien  indigène,  che/,  lequel  j'a'i  retrouvé  exacte- 
ment le  type  du  chien  pahouin. 

Ce  précieux  petit  auxiliaire  du  chasseur  ressemble  beau- 
coup, sous  le  rapport  de  la  taille,  au  fox  terrier  anglais, 
avec  celte  différence  que  les  membres  du  premier  sont 
plus  fins  el  qu'il  porte  les  oreilles  droites.  C'est  un 
régal  pour  les  indigènes;  les  gens  d'Adjouaet  des  environs 
en  font  des  foutous  renommés.  J'ai  possédé  plusieurs  de 
ces  chiens  et,  me  rappelant  les  observations  que  mon  séjour 
chez  les  Pahouins  m'avait  permis  de  faire  sur  leurs  congé- 
nères, je  me  suis  donné  la  peine  de  les  dresser  à  la  chasse. 

J'ai  remarqué  qu'ils  possèdent  une  finesse  d'odorat  éton- 
nante. Ni  la  rosée  ni  la  chaleur  ne  les  empêchent  de 
mener  pendant  des  heures  entières  l'anlilope,  la  gazelle,  la 
biche  ou  le  porc-épic  lancés  par  eux.  Ils  sont  en  outre 
d'un  courage  vraiment  extraordinaire,  très  tenaces  à  la 
menée  el  très  mordanls  au  ferme. 

Comme  je  Tai  dit  plus  haut,  j'ai  retrouvé  dans  le  chien 
assinien  le  type  du  chien  pahouin;  grosseur,  manteau, 
habitudes,  qualités  pour  la  chasse,  tout  en  un  mot  est  iden- 
tique à  ce  que  j'ai  rencontré  dans  mon  précédent  voyage  au 
Gabon  et  chez  les  Pabuuins,  qui,  en  général,  se  servent 
de  cet  animal  pour  la  chasse.  Ce  sont  surtout  ceux  du 
haut  Bokoué  qui  l'emploient  à  cet  usage.  Ce  chien  attaque 
indifféremment  le  porc-épic  ou  la  panthère,  mais  je  dois 
avouer  par  expérience  que  cette  dernière  chasse  ne  réussit 
pas  toujours  à  l'entière  satisfaction  du  propriétaire  des 
animaux. 

Les  chiens  amenés  d'Europe  dégénèrent  dans  ces  pays, 
perdent  le  nez  et  sont  fort  difficiles  à  conserver,  à  moins: 
qu'on  ne  puisse  les  habituer  à  manger  du  foutou. 


I 


ÉTUDE   SUR   LE    ROYAIME    d'aSSINIE.  330 

À  Assinie  on  trouve  également  à  l'état  domestique  une 
poule  et  un  coq  semblables  à  ceux  que  nous  avons  en 
Europe,  mais  de  taille  bien  inférieure,  la  poule  nègre,  un 
gros  canard  noir  à  reflets  bronzés,  lâches  blanchos  chez 
quelque»  sujets,  mats  ayant  invariablement  des  papilles 
rouges  autour  du  bec  et  des  yeux;  je  crois  que  c'est  un 
canard  de  Barbarie. 

De  fréquents  essais  ont  été  tentés  pour  acclimater  la 
poule  d'Europe,  l'oie  et  le  coq  d'Inde.  Ce  dernier  seul  a 
parfaitement  réussi.  J'en  ai  vu  de  nombreux  individus  à 
Krinjaboo,  provenant  sans  aucun  doute  de  délouroemenls 
d'œufs  opérés  à  la  plantation  d'Elinia  où  un  couple  de  coqs 
d'Inde  avait  été  envoyé  d'Europe.  J'attribue  à  la  chaleur 
du  climat  la  mauvaise  réussite  des  tentatives  faites  avec  les 
poules  d'Europe  et  les  oies. 

Ce  qui  augmente  beaucoup  la  difficulté  de  conserver  des 
poulaillers,  môme  formés  avec  des  poules  indigènes,  ce  sont 
les  migrations  de  fourmis  noires  et  rouges  devant  lesquelles 
Européens  et  indigènes  sont  parfois  obligés  de  battre  en 
retraite  en  abandonnant  à  l'envabisseur  bàlimenl,  mobilier 
et  provisions.  On  retrouve  toujours  le  bîltimenl  et  le  mobi- 
lier, mais  les  provisions  subissent  une  telle  attaque  que  de 
tout  ce  qui  n'est  pas  hermétiquement  fermé,  il  ne  reste  que 
le  contenant.  Il  me  souvient  qu'une  nuit,  à  Elima,  j'ai  dû  me 
lever  en  toute  hâte  et  me  sauver  dehors  pour  échapper  k  la 
perspective  d'être  dévoré  vivant  sur  mou  lit  par  des  milliers 
de  ces  insectes.  D'un  superbe  jambon  entamé  le  soir  nv&rae, 
je  ne  retrouvai  le  lendemain  qu'un  os  parfaitement  nettoyé! 
On  comprendra  donc,  sans  le  moindre  effort,  comment 
après  avoir  enfermé  la  veille  au  soir  avec  le  plus  grand  soin 
une  cinquantaine  de  poules,  on  n'en  retrouve  le  lenderaui« 
matin  que  quatre  ou  cinq,  quand  encore  on  les  retrouve! 

Un  autre  fléau  des  poulaillers,  c'est  une  espèce  de  petite 
martre  rougeitre,  ayant  l'extrémité  des  poils  du  dos  et  des 
côtés  d'une  teinte  grisâtre  assez  semblable  à  celle  du  petit 


'.m 


ÉTCDE   siUK    LE   nOYAlME   d'aSS1N[E. 


gris.  Ce  maraudeur  est  de  la  tailled'un  écureuil,  avec  lequel 
il  a  une  grande  ressemblance  ;  les  indigènes  le  Bomnaent 
kokofio;  il  se  retire  pendant  la  journée  dans  des  troncs 
d'arbres  creux. 

En  fait  de  mammifères  dangereux  je  ne  connais  en  Assi- 
nie  que  la  panthère,  qui,  parfois,  fait  des  apparitions  noc- 
lurnes  dans  les  villages;  sous  le  coup  de  cette  perspective 
menaçante,  les  indigènes  sont  obligés  chaque  soir  de  ren- 
fermer leurs  moulons. 

On  rencontre  en  for^t  le  grand  cfiat-tigre,  le  paradoxure 
lactielé,  espèce  de  petit  chat-tigre  beaucoup  plus  féroce  et 
plus  courageux  que  le  précédent;  la  civette,  qui  porte  à 
l'arrière- train  une  poche  renfermant  une  sécrétion  graisseuse, 
de  couleur  gris  foncé,  insoluble  dans  l'alcool  et  dégageant 
une  très  forte  odeur  analogue  à  cello  du  musc.  Quand  cette 
poche  est  pleine  de  matière  odorante,  l'animal,  se  trouvant 
gôné,  la  vide  en  se  frottant  contre  un  arbre  bu  contre  un 
piquet.  Les  femmes  indigènes  recherchent  celte  matière, 
dont  elles  se  servent  comme  de  parfum.  Elles  la  mettent 
dans  une  petite  corne  de  biche  percée  d'un  trou  qu'elles 
suspendent  à  leur  noilier  à  l'aide  d'un  fil. 

Les  palabres  que  j'ai  eus  à  ce  sujet  avec  les  femmes  des 
villages  de  M'boing,  Elima  et  Tancrou,  voisins  de  la  plan- 
tation de  café  d'Ëlima,  sont  innombrables.  Ces  femmes 
venaient  au  milieu  des  caféiers  chercher  le  musc  dont  les 
civettes  s'étaient  débarrassées  pendant  la  nuit  en  se 
IVotlant  contre  les  arbustes.  Pour  enlever  cette  matière  qui, 
ainsi  que  je  l'ai  dit  plus  haut,  est  grasse  et  très  adhérente, 
elles  arrachaient  l'écorce  des  pieds  de  café  ou  cassaient  des 
branches,  opérations  qui  entraînaient  fréquemment  la  perle 
des  caféiers. 

Le  porc-épic  abonde  dans  le  pays;  il  atteint  souvent  un 
poids  de  ir>  et  iO  kilogrammes.  Sa  chair  est  excellente  à 
manger;  rôtie,  elle  ressemble  au  porc  frais,  mais  le  goût 
en  est  plus  Un. 


ÉTUDE    SDR    l.E    ROYAUME    BASSIiNIK, 


341 


Ou  trouve  aussi  plusieurs  espèces  d'antilopes.  La  veille 
démon  retour  en  Europe,  j'ai  eu  l'occasion  de  tuer  un  de 
ces  animaux  que  j'avais  surpris  à  un  détonr  de  la  rivière 
d'Assinie,  essayant  de  gagner  k  la  nage  la  rive  opposée.  Il 
naesuraiti^SOau  garot,  La  chair  de  ranlilope  est  peu  estimée 
parles  Européens  à  cause  de  son  goût  de  musc  très  prononcé. 

Les  gazelles  sont  nombreuses.  J'en  ai  rencontré  trois 
espèces  :  la  première  et  la  plus  grande  à  pelage  roux, 
mesure  au  garot  environ  O^IO;  c'est,  je  crois,  la  gazelle  à 
groin  de  cochon,  très  commune  chez  les  Paliouins.  La 
seconde  est  grise,  mesurant  environ  0"'5O  à  0°55.  Enfin  la 
troisième,  grise  également,  ne  mesure  pas  plus  de  0'"35  à 
OMO;  c'est  celle  que  les  Européens  appellenl  la  petite 
biche  (Cephaloi)UH  Maxwelti).  Ces  trois  espèces  sont  très 
bonnes  à  manger,  la  dernière  surtout- 

Du  crépuscule  à  l'aurore  les  échos  de  la  forêt  ne  cessent 
de  retentir  du  cri  du  paresseux,  très  nombreux  en  forêt. 
Les  indigènes  m'ont  aflirmé  qu'il  ne  crie  que  lorsqu'il 
monte  après  un  arbre;  il  fait  alors  entendre  comme  une 
sorte  de  miaulement  dechaL  Faible  d'abord,  au  bout  d'une 
dizaine  de  minutes  et  au  fur  et  à  mesure  qu'il  se  répète,  le 
cri  augmente  de  force  et  finit  par  être  déchirant;  quand  on 
l'entend  pour  la  première  fois,  si  l'on  esta  l'alFùt,  seul  sur 
la  bordure  de  la  forôl,  instinclivemeiil  on  redouble  de  vigi- 
lance ;  l'impression  est  d'abord  pénible,  m.iis  après  quelques 
eoEpériences  du  môme  genre,  on  Unit  par  s'y  babiluer. 

Le  lamantin  (bœuf  marin)  est  assez  commun  sur  les 
bords  des  différents  bras  de  l'embouchure  de  la  rivière 
d'Âssinte  dans  la  lagune  Aby.  Telle  est  du  moins  l'affir- 
mation des  indigènes;  cependant,  malgré  de  fréquents 
déplacements  qui  m'obligeaient  à  passer  chaque  fois  dans 
les  endroits  où  l'on  prétend  qu'il  y  en  a  en  si  grand  nombre, 
je  n'ai  jamais  eu  qu'une  fois  l'occasion  d'en  tirer  un.  Encore 
n'ai-je  pu  le  poursuivre  pour  essayer  de  m'en  emparer, 
l'animaJ  s'élanl  jeté  dans  un  fourré  impénétrable  de  carex 


842  ÉTlllE    SI  11    LE    liCVAtME   h'asSINIE. 

au  travers  duquel  ma  pirogue  n'aurait  jamais  pu  passer. 
J'ajoute  que  la  crainte  des  serpents,  fort  nombreux  dans 
ces  endroits  herbeux,  paralysait  singnlièremenL  les  efforts 
que  mes  pagayeurs  n'auraient  pas  manqué  de  déployer  en 
toute  autre  circonstance. 

11  est  rare  desuivreun  sentier  dans  la  forêt  sans  apercevoir 
quelque  singe  se  balançant  aprè»une  liane  ou  sautant  d'un 
arbre  à  un  autre.  J'en  ai  remarqué  sept  espèces,  parmi  les- 
quelles se  trouve  le  chimpanzé,  susceptible  de  recevoir 
une  certaine  éducation.  La  factorerie  française  d'Assinie  en 
a  possédé  un  d'une  intelli§i;ence  rare,  Le  commerce  des 
peaux  de  ces  animaux  donne  lieu  à  des  échanges  assez  im- 
porta;! ts;  les  plus  estimées  sont  celles  d'un  beau  noir  luisant. 

Les  rivières  contiennent  de  nombreuses  loutres  que  les 
indigènes  appellent  o  chien  d'eau  »  ;  beaucoup  de  tortues  à 
carapuce  dure  et  h  carapace  molle.  On  trouve  aussi  une 
espèce  particulière  de  caïman  qui  ne  se  rencontre  que  dans 
les  rivières  elles  lagunes  d'Assinie  et  d'Appolionie;  c'est  je 
crois  une  espèce  du  genre  gavial.  Le  bout  de  son  museau 
est  percé  de  deux  trous  à  sa  partie  supérieure,  laissant 
passer  les  deux  canines  de  la  mâchoire  inférieure.  Cet  ani- 
mal atteint  parfois  i  mètres  du  bout  du  museau  à  Textré- 
milé  delà  queue.  Pendant  mon  séjour,  l'un  d'eux  ayant  au 
moins  la  dimension  ci-dessus  avait  élu  domicile  à  la  pointe 
sud  de  l'île  des  Caïmans,  snr  la  rivière  d'Assinie,  entre  la 
lagune  Aby  et  la  résidenceises  forfaits  devenaient  par  trop 
fréquents  et  sa  hardiesse  Unissait  par  dépasser  les  bornes. 

Il  avait  déjà  fait  plusieurs  victimes  en  attaquant  des 
pirogues  montées  par  un  seul  homme;  voici  de  quelle 
manière  il  s'y  prenait  :  l'homme,  afin  de  diriger  sa  frôle 
embarcation,  est  assis  à  l'arrière  qui,  très  étroit  et  par  con- 
séquent peu  porteur,  glisse  à  Heur  d'eau.  Le  caïman  suivait 
pendant  quelques  instants  la  pirogue  entre  deux  eaux,  puis, 
prenant  un  élan  formidable,  venait  saisir  d'un  coup  de 
gueule  îe  malheureux  nègre  par  le  milieu  du  corps  et,  grâce 


ETUUK    SUIl    LE    ItOYAUME    U  AS.SIMK. 


343 


aumouvement  d'arrachement  familier  au  crocoiîile,  enlevait 
sa  proie  de  dessus  rcmbarcali on,  qui  s'en  allait  à  ta  dérive 
tandis  qu'il  entraînuit  en  le  noyant  le  pauvre  diable  qui 
avait  eu  le  malheur  de  le  trouver  sur  sa  route. 

La  frayeur  était  à  son  comble  parmi  les  noirs  et  on  ne  trou- 
vait plus  personne  qui  voulût,  partant  d'Assinie,  remonter  la 
rivière  dans  les  pirogues  h  un  seul  homme.  Je  me  décidai 
(loiicà  lui  donner  lâchasse  afin,  ou  de  le  tuer,  ou  de  lui  faire 
abandonner  le  pays.  A  cet  effet,  et  pendant  quatre  mois,  je  l'ai 
chassé  tous  les  jours  durant  quatre  ou  cinq  heures,  sans 
jamais  réussir  à  l'exterminer.  Les  premières  l'ois  que  je 
l'aperçus,  je  m'en  approchai  suffisamment  pour  pouvoir  le 
tirer,  mais,  dès  ma  troisième  rencontre  il  reconnut  très  bien 
ma  pirogue, armée  deniesvingtpagayeursjetparlasuilejdès 
qu'il  m'éventaità  cent  ou  cent  cinquante  mètres,  il  se  laissait 
Inraquillement  glisser  du  tronc  d'arbre  sur  lequel  il  prenait 
son  bain  de  soleil  et,  filantentre  deux  eaux,  disparaissait  sans 
qcie,  bien  souvent,  mes  hommes  pour  lesquels  cet  exercice 
était  un  plaisir,  aient  pu  juger  de  la  direction  qu'il  avait 
prise,  ce  que  l'on  devine  en  certains  cas  au  moyen  de  la 
petite  vague  qui  le  suit,  formée  par  le  déplacement  de 
l'eau;  il  faut  pour  cela  que  la  rivière  soit  calme  et  que  l'eau 
ne  soit  pas  trop  profonde. 

Quand  on  veut  faire  une  vraie  chasse  au  caïman,  il  ne  faut 
pas  la  faire  au  fusil.  J'en  ai  tiré  bon  nombre  et  je  n'ai  jamais 
pu  en  retrouver  un  seul.  Le  caïman  blessé  d'un  coup  de  feu 
■ie  laisse  tomber  à  l'eau,  coule  à  fond  si  la  blessure  est 
mortelle,  se  noie  et  est  emporte  par  le  courant,  ce  n'est 
qu'après  deu.\  ou  trois  jours  qu'il  flotte.  J'en  ai  même  tiré 
qui  étaient  endormis  sur  des  touffes  d'herbes  :  d'un  coup 
de  queue  prodigieux  ils  disparaissaient  sans  qu'on  pilt  les 
suivre  et  allaient  rendre  leur  âme  noire  dans  quelque  fourré 
d*herbes  impénétrable. 

Le  seul  moyen  qui  m'ait  bien  réussi,  c'est  de  le  chasser 
au  harpon. 


su 


ETUDE   SUn    ht:    UOVAUME  UA3SIN1E. 


Cet  instrument  se  compose  d'un  fer  à  douille  d'environ 
0"30  de  tige,  terminé  par  une  pointe  semblable  à  celle 
d'un  hameçon.  Ce  l'en  est  fixé  à  un  manche  en  bois  de 
"2  mètres  de  long  au  moyen  d'une  bonne  corde  d'environ 
10  mètres,  dont  l'une  des  extrémités  est  solidement 
amarrée  à  la  douille  du  huipon  et  vient  ensuite  se  fixer  sur 
le  manche  au  moyen  d'uue  double  clé;  le  reste  de  la  corde 
est  amarré  au  poignet  du  chasseur.  Cette  disposition  de  la 
corde  est  destinée  à  retenir  le  1er  du  harpon  et  son  manche 
(dans  ie  cas  où  cet  instrument  viendrait  à  se  diviser)  et  à 
empûciier  le  ealmau  blessé  de  pouvoir  s'enfuir. 

Au  nombre  de  mes  tirailleurs  indigènes,  j'en  avais  trois 
qui  excellaient  dans  ce  genre  de  chasse.  Entièrement  nus, 
ils  se  mettaient  à  l'eau  et,  armés  chacun  d'un  harpon  sem- 
blable à  celui  que  nous  venons  de  décrire,  se  metlaicnt  à  la 
recherche  de  quelque  caïman  au  milieu  des  racines  de  pa- 
létuviers, opération  qui  s'eilectuait  avec  la  tranquillité  qu'ils 
auraient  mise  à  chercher  un  poisson.  Pendant  ce  temps, 
sur  la  pirogue  resiée  en  dehors  de  la  ligne  des  palétuviers, 
les  hommes  avaient  liberté  entière  de  causer,  de  riie,  de 
fumer,  le  bruit  qui  se  faisait  de  ce  côté  empêchait  les 
caïmans  qui  auraient  pu  se  trouver  dans  la  zone  comprise 
entre  la  pirogue  et  les  chasseurs  de  reprendre  le  large. 

Aussitôt  que  les  trois  chasseurs  avaientaperçu  un  caïman, 
ils  avançaient  doucement  sur  une  seule  ligne,  marchant  vers 
la  berge  et  poussant  petit  à  petit  l'animal  contre  la  terre. 
Quand  ce  dernier  s'apercevait  qu'il  allait  &tro  obligé  de 
prendre  pied,  il  cherchait  à  forcer  le  passage  pour  s'os- 
quiver,  mais  ,  alors  les  nombreuses  racines  de  palé- 
tuviers le  gênaient  pour  foncer  vigoureusement  et  passer 
entre  les  chasseurs.  C'est  ce  moment  que  mettait  à  profit 
celui  qui  serrait  le  plus  près  l'animal  pour  lui  lancer  son 
coup  de  harpon  j  puis  rapidement  il  enroulait  autour  d'une 
racine  on  d'un  petit  arbre  la  corde  assujettie  au  fer  et  au 
manche  du  harpon. 


■MMlta 


1 


ÉTUDE    Sl'll    LK    UOVALME    u'aSSINIE. 


345 


Ensuite  tous  trois,  munis  de  lianes  préparées  à  l'avance, 
manœuvraient  de  façon  que  fun  d^entre  eux,  lui  sautant 
sur  le  dos  ,pùl  lui  prendre  le  museau  dans  un  nœud  coulanl. 
Cette  opération  n'est  pas  la  plus  dangereuse  ;  une  fois  ter- 
miuée,  il  ne  reste  plus  qu'à  se  t;arer  des  coups  de  queue  de 
l'animal.  On  lui  ramène  alors  les  quatre  pattes  sur  le  dos  et 
on  les  lui  attache  solidement,  puis  on  lâche  de  saisir  sa 
queue  et  de  Un  faire  rejoindre  le  museau.  Le  harpon  est 
alors  arraché  delà  blessure,  et  ainsi  licelé  l'animal  est  porté 
dans  la  pirogue,  qui  de  son  côté  s'est  approchée  le  plus  près 
possible  du  lieu  de  l'opération.  Ces  hommes  considèrent 
l'amarrage  de  la  queue  comme  te  moment  le  pins  critique 
delà  prise  du  catman,  et  je  puis  affirmer  qu'ils  n'ont  pas 
tort.  Ainsi,  j'ai  rapporté  en  France  la  peau  d'un  gavial  me- 
surant 3°'50,  pris  dans  les  conditions  indiquées  ci-dessus. 
Tout  s'était  très  bien  passé,  mais  comme  il  était  déjà  un  peu 
lard  pour  tuer  et  dépouiller  l'animal,  j'avais  remis  au  len- 
demain cette  opération.  Eu  attendant,  je  l'avais  fait  déposer, 
soigneusement  tigolté,  dans  le  sous-sol  de  la  résidence, 
lequel  servait  de  magasin  aux  vivres;  je  m'étais  couché 
tranquillement,  ne  pensant  plus  à  mon  terrible  prisonnier. 
Tout  à  coup,  sur  les  deux  heures  du  matin,  je  fus  réveillé 
en  sursaut  par  un  vacarme  épouvantable  au-dessous  de  ma 
chambre.  Je  me  souvins  alors  de  ma  prise  de  la  journée  et 
descendis  voir  ce  qui  était  arrivé. 

Le  redoutable  saurien  avait  réussi  à  dégager  sa  queue  des 
liens  qui  la  retenaient  (j"ai  toujours  supposé  qu'un  rai, 
animal  qui  pullulait  chez  moi,  avait  dû  ronger  une  liane), 
et  c'était  avec  sou  appendice  caudal  qu'il  avait  fait  tout  ce 
tapage,  culbutant  les  l'ùts  de  farine,  de  lard,  de  biscuit  et 
autres  denrîes  qui  se  trouvaient  là.  On  amarra  de  nouveau 
l'animal  eu  ayant  soin  de  le  tixer  plus  solidement.  Le  len- 
demain, au  jour,  eut  lieu  son  esécution,  et  sa  chair  servit  à 
l'aire  de  nombreux  loutous. 

Eu  forêt,  sur  le  bord  des  lagunes  et  des  rivières,  on  trouve 


346  ÉTUDE    Sl'll    I.E   llOVAlUtE   d'aSSINIE, 

le  varan,  espèce  d'énorme  lézard  ressemblant  à  l'iguane. 
J'en  ai  lue  un  non  ioiix  de  la  résidence  ;  il  mesurait  2"27 
du  bout  du  museau  à  l'exlrémilé  de  la  queoe.  Sa  chair  est 
un  régal  pour  les  indigènes;  ce  qui  fait  que  je  n'ai  pu  rap- 
porU'r  la  peau  de  celui  dont  je  parle,  mes  Urailleurs  s'étant 
fort  peu  préoccupés,  lors  du  partage  de  l'animal,  de  ce  qui 
m'intôressait  le  plus.  J'ai  rapporté  néanmoins  une  peau  de 
varan  mesurant  l'"40. 

On  rencontre  des  serpents  en  grand  nombre  et  de  toutes 
les  dimensions,  depuis  les  pylhons  Sebae  et  Itegius  jusqu'à 
une  espèce  d'orvet  mesurant  au  plus  CC'^O.  Ix  plus  dan- 
gereux de  ces  reptiles  est  sans  contredit  la  viptre  cornue, 
qui  atteint  jusqu'à  i  mètre  de  longueur.  Les  crochets  d'une 
"Vipère  de  cette  taille  sont  longs  de  0"030  environ. 

Tous  les  serpents  fuient  l'homme  quand  ils  ne  sont  pas 
attaqués  ;  mais  la  vipère  cornue,  ne  pouvant,  en  raison  de  sa 
grosseur  disproportionnée  (une  vipère  de  1  nièlre  de  lon- 
gueur mesurant  environ  O'"30  de  circonférence  au  milieu 
du  corps),  se  mouvoir  facilement,  devient  précisémenl  dan- 
gereuse parce  fait.  Comme  celle  du  Gabon,  elle  porte  quatre 
cornes  sur  le  nez  et  deux  an-dessus  de  chaque  œil,  comme 
celle  du  Sénégal.  Yi vante,  elle  est  assurément  le  serpent 
ayant  la  plus  splendide  livrée  comme  dessins  et  comme  cou- 
leurs. En  séchant,  les  dessins  de  sa  dépouille  subsistent,  il 
est  vrai;  mais  les  brillantes  couleurs  de  la  vie  s'éteignent 
pour  faire  place  à  une  teinte  grise,  et  une  fois  la  peau  des- 
séchée entièrement,  on  ne  voit  plus  que  du  gris,  du  noir  et 
du  blanc  sale,  —  le  rouge,  le  bleu,  le  violet  irisé  et  lie  de 
vin  ayant  complètement  disparu. 

Les  indigènes  m'ont  affirmé  qu'elle  se  nourrit  exclusive- 
ment d'ananas  ;  je  ne  serais  pas  éloigné  de  croire  que  celte 
affirmation  est  vraie,  car  j'en  ai  trouvé  plusieurs  dans  la 
petite  plantation  d'ananas  que  j'avais  établie  lors  des  pre- 
miers jours  de  mon  arrivée. 

Les  crustacés  que  j'ai  observés  se  bornent  à  deux  es- 


ËTrDE  suit   LE    KOYAUME  D  ASSINIR. 


34'i 


pèces.  Sur  le  bord  de  la  mer,  le  crabe.  Les  indigènes  le 
chassent  d'une  manière  fort  singulière  :  doué  d'une  vue 
extraordinaire,  le  noir,  évitant  loulmouviimenl  brusque,  suit 
le  rivage  on  examinant  avec  soin  s'il  aperçoit  un  crabe  hors 
de  son  trou;  dés  qu'il  en  a  vu  un  disparaître  dans  le  sable, 
il  s'élance  en  courantdans  celte  direction  et  à  4  ou  5  mètres, 
prenant  son  élan,  il  fait  un  saut  en  ayant  soin  qu'en  retom- 
bant à  terre  ses  talons  portent  les  premiers  et  s'enfoncent 
dans  le  sable  h  l'endroit  où  l'expérience  lui  laisse  supposer 
que  doit  se  trouver  le  conduit  de  retraite  de  l'animal,  puis, 
avec  ses  mains  creusant  le  sable  très  vivenienL,  il  est  bien 
rare  qu'il  ne  ramène  pas  triouiphaleracnt  l'animal  qui  par 
cette  oxanœuvre  a  eu  la  retraite  coupée. 

La  seconde  espèce  est  la  crevette,  qu'on  rencontre  daus 
les  lagunes,  rivières  et  marigots.  J'ai  remarqué  cette  môme 
crevette  dans  le  Bokoué  et  le  Como.  Aux  Pahouines  des  deux 
rivières  ci-dessus  j'en  ai  souvent  acheté  qui  mesuraient 
25  et  môme  27  centimètres  de  longueur;  ces  dimensions  se 
rencontrent  également  à  Assinie. 

Je  n'ose  entreprendre  l'examen  des  insectes,  les  observa- 
tions de  M.  Cb.  Alhiaud  ne  me  le  permettant  pas.  Je  ne 
signalerai  en  passant  qu'un  énorme  ooléoplère,  ressemblant 
un  hanneton  argenté,  que  les  indigènes  nommeal  Kakaba 
Tano;  c'est  une  des  nombreuses  variétés  du  goiiath  qu'on 
rencontre  fréquemment  sur  toute  la  côte  occidentale 
d^Afrique  et  dont  M.  Alluaud  possède  une  collection  fort 
rare.  Son  apparition  a  lieu  en  décembre  et  en  janvier. 

Le  plus  beau  que  j'aie  rapporté  à  M.  Alluaud  de  la  part  de 
mon  successeur  à  la  résidence  d'Assinie,  M.  Treich-Laplèno, 
a  été  pris  dans  des  conditions  très  singulières.  M.  Treich 
en  avait  un  certain  nombre  qu'il  faisait  dessécher  pour  les 
eraballer;  parmi  ces  coléoptères  se  trouvait  une  très  belle 
femelle.  Un  soir,  à  la  tombée  de  la  nuit,  nos  boys  qui  flânaient 
sur  la  véranda  se  meltent  à  pousser  des  cris  assourdissants 
en  apercevant   un  goiiath  colossal  qui    voltigeait    autour 


'■iiS  ÉTUDE    Si;il   LE    nOYAUME    d'aSSINIE. 

de  la  raaison  et  affectait  de  venir  papillonner  près  de  la 
planche  sar  laquelle  était  posée  la  femelle  morte;  poursuivi 
par  les  petits  domestiques,  il  disparut;  le  lendemain,  même 
apparition,  même  chasse  et  même  disparition;  le  surlende- 
main je  signifiai  aux  domesliques  d'avoir  à  rester  tranquilles, 
dès  qu'apparaîtrait  te  golialh.  A  la  tombée  de  la  nuit,  comme 
les  deux  jours  précédents,  il  arrive,  fait  deux  ou  trois  fois 
le  tour  de  la  maison  et  finit  par  venir  se  poser  h  côté  de  la 
femelle  morte.  L'un  des  boys  s'avança  avec  prudence  et 
s'empara  de  l'insecte,  qui  paya  de  la  vie  sa  tendresse  pour  le 
beau  sexe. 

Le  genre  arachnide  est  représenté  par  de  nombreuses 
espèces  dont  la  plus  grosse  est  une  araignée  noire  à  bandes 
transversales  jaunes.  Elle  file  une  soie  capable  d'arrôte^ 
dans  son  vol  un  colibri.  Il  en  existe  une  autre  espèce  à 
carapace  dure  à  la  surface  supérieure  du  corps  et  portant 
sur  le  bourrelet  postérieur  quatre  pointes  ou  cornes;  elle  a 
l'aspect  d'un  petit  crabe.  C'est  principalement  enlre  deux 
pieds  de  café  qu'elle  établit  sa  toile. 

Les  oiseaux  varient  à  l'infini.  Sur  les  rivières  on  rencontre 
un  aigle  pôcheur  n^ir  h  tête  et  queue  blanches;  le  cormo- 
ran />/o(Ms,  l'ibis  fakinelle;  un  genre  d'ibis  blanc  à  tête  et 
cou  noirs,  qui,  je  crois,  doit  être  une  variété  de  l'ibis  sacré; 
un  très  grand  ibis  à  plumage  vert  bronze  foncé;  la  spatule; 
de  nombreux  hérons  de  diilôrenles  grosseurs  et  à  plumages 
variés;  le  courlis;  différentes  espèces  de  bécassines;  le  court- 
viteàcollier;  le  chevalier;  le  vanneau  ;  le  pluvier;  l'oedicnème 
criard  ;  l'outarde;  en  forôt,  une  espèce  de  pintade  à  croie 
inclinée  en  arrière  avec  le  cou  bleu  et  rouge;  une  grosse 
perdrix  que  les  indigènes  nomment  poule  des  bois;  des 
colombes  et  louiterelles  de  différenles  grosseurs  à.  plu- 
mage brun  sur  le  dos  et  couleur  lie  de  vin  sur  la  poitrine 
el  sur  le  ventre;  le  pigeon  vert  à  bec  et  pattes  rouge  ver- 
millon. 

A  certaines  époques  apparaît  le  martinet.  On  rencontre 


I 
I 


ÉTBDE  SUR  LE  ROYAUME  d'ASSINIE.  349 

aussi  une  petite  hirondelle  entièrement  noire  à  reflets  bleus. 
Le  poisson  qui  sert  communément  de  nourriture  aux 
indigènes  est  le  machoiron  (clarias  leviceps),  poisson  à 
grosse  lète  portant  autour  de  la  bouche  des  papilles  comme 
le  barbillon.  Ses  nageoires  pectorales  sont  armées  d'un  os 
très  pointu  et  garni  sur  le  côté  de  barbelures  qui  le  font 
ressembler  à  une  scie. 

On  rencontre  aussi  un  poisson  torpille  (semblable  à  l'ag- 
nie  des  Pahouins,  Yininda  des  Gabonais).  Ce  poisson  est 
consommé  par  les  femmes  seulement. 

La  partie  végétale  de  la  nourriture  des  indigènes  se  com- 
pose de  la  banane,  du  manioc  et  de  l'igname.  Ce  dernier 
tubercule  donne  lieu  à  la  plus  grande  fête  du  pays.  Le  roi 
seul  a  le  droit  de  manger  le  premier  de  l'igname  de  l'année, 
et  cette  coutume  est  observée  strictement.  Il  n'est  permis  à 
ses  sujets  d'en  manger  que  huit  jours  pleins  après  que  le 
roi  y  a  goûté.  A  l'occasion  de  cette  fête  des  ignames,  le  roi 
en  envoie,  comme  cadeau,  un  certain  nombre  au  résident 
et  quelques-unes  à  chaque  Européen  présent  dans  la  colo- 
nie au  moment  de  la  fête. 


DE  ZANZIBAR 


A    LA   STATION    DE    KONDOA' 


-A..     B  Ij  O  "5r  E  T 


Chargé  par  le  Comité  Trançais  de  l'Association  internatio- 
nale alricriine  de  fonder  une  station  scientiOque  et  hospita- 
lière dans  rOussagant,  aux  environs  de  Kilassa  ou  Kiora 
(côle occidentale  d'Afrique,  suUanat  de  Zanzibar),  je  partis 
de  Marseille  le  2  mai  1880  ;  le 29  du  même  mots  j'arrivais  à 
Zanzibar.  Après  avoir  organisé  une  petite  caravane,  je 
partais  le  lljuin  de  Bagamoyo  à  la  recherche  de  remplace- 
ment de  la  future  station.  Le  2  juillet  j'arrivais  à  Kondoà, 
lieu  que  j'avais  choisi  pour  l'édiGcalion  des  bâtiments 
de  la  nouvelle  station.  Le  mauvais  vouloir  des  chefs, 
excités  contre  moi  par  les  Ariibcs  qui  résidaient  dans  le 
pays,  et  surtout  les  fièvres  pernicieuses  qui  me  tinrent  pen- 
dant cinq  longs  mois,  m'empêchèrent  de  travailler  aux  con-  ■ 
slructions  comme  je  l'aurais  voulu.  Cependant  le  13  février 
1881  la  station  était  fondée.  Elle  se  composait  d'un  grand 
corps  de  logis  pour   le  missionnaire,  avec  magasin  pour 


I 


I.  Uien  nue  de  dale  un  peu  »nc<coitc,  celle  noticfl  renferme  des  iudi- 
catiotis  qui  pourrnnl  i^tre  utiles  aux  voyageur»  et  :iux  géotçra plies. 

M.  BInyel,  capit.:iitR<  au  long  cours,  avait  été  chargé,  va  1880,  pur  le 
«  Coiiiitù  TraDcuis  de  l'Association  litternaliunale  arricaiiio  »,  d'aller  fon- 
der dans  rOuiisagara  une  station  icientillque  et  hospitalière.  Pendant  un 
séjour  de  cinq  ans  clans  cette  contrée,  i]  s'est  nppliciué  à  l'étudier  avec 
plus  de  détail  que  ne  l'avaient  fait  jiisqu'alor-i  les  voyageurs  dont  les 
rapides  trajets  ne  comportent  pas  det   recherches  complètes.  C'est  ainai 


I 


DE   ZANZIBAR   A   LA   STATION  DE   KONOOA.  ^fôl 

marchandises  d^échanges,  et  des  huttes  des  serviteurs  el 
hommes  d'escorte.  Je  dus  revenir  à  la  côLe  le  30  mai 
de  la  même  année;  ma  santé  avait  été  trop  fortement 
ébranlée  el  un  repos  de  quelques  mois  à  Zanzibar  était 
nécessaire. 

M""  Bloyet  vint  me  rejoindre  à  Zanzibar  le  18  septembre, 
puis,  partis  pour  Bagaraoyo,  nous  nous  mîmes,  le  18  oc- 
tobre, en  roule  pour  laslalion  de  Kondoâ  où  nous  arrivions 
le  5  novembre. 

Les  travaux  qui  restaient  à  faire  à  la  station  m'empo- 
chèrent de  donner  suite  à  mes  projets  d'explorer  les  alen- 
tours; mais  malgré  cela,  tout  en  surveillant  les  Iravaux^,  ju 
pus  recueillir  quelques  collections  qui  furent  oll'ertes  par 
le  Comité  français  au  Muséum  d'histoire  naturelle  de 
Paris. 

Le  15  juin  1882,  ma  femme  et  moi  nous  parlions  pour  la 
côte,  d'où  après  avoir  renouvelé  nos  approvisionnements, 
nous  étions  de  retour  à  la  station  le  22  août.  Je  pus  relever 
Irfes  exactement  l'itinéraire  de  Kondoâ  à  Bagamoyo  el  lis  de 
nombreuses  observations  barométriques  ethypsomélriques. 
Au  mois  de  décembre  de  la  même  année,  je  fîs  un  petit 
voyage  d'excursion  aux  alentours,  passant  parKouà-Toupa, 
Kiloga,  Kiora,  Mounié-Sagara,  Kilàssa  elMadélé.  j'eus  Toc- 
caiion  d'observer  plusieurs  lours  d'horizon  et  principale- 
ment sur  le  pic  Louemba,  haut  de  1,700  mèties.  Des  obser* 
valions  hypsométriques  furent  faites  à  toutes  les  stations  de 
Ce  voyage. 
le  10  février  1883,  laissant  la  station  à  la  garde  de  ma 


I'''îl»cxéciité  des  observations  iinîtéorologiques  puiviea,  el  délcriiiiné  les 
'^liliides  de  vingt-cinc]  points,  les  longiludes  de  deux  points  (Kondoi  et 
Vriignro),  Ces  observations  doot  tes  cahiers  sont  déposée  dans  les 
«Hiiives  de  l.i  Société  do  Géograptiie,  ont  été  caluulces  par  les  soins  île 
"•  A,  Orandidier.  —  Au  sujet  desobsorviilions  do  M.  Bloyelet  de  ta  carte 
finie  au  présent  travail,  cotisiiUer  le  rapport  do  M.  A.  Graiidiilter  à  la 
'^iHinission  des  Prix  delà  Société  [Bulletin  de.  la  Société  de  Géographie, 
"'iTiwesire  1886,  p.  338). 


I 


352  DE   ZANZIBAR   A   LA  STATION   DE  KONDOA. 

femme,  je  partis  pour  un  peliL  voyage  à  Memboya,  au  nord 
de  la  station.  Je  ne  pus  faire  aucune  bonne  observation,  la 
saison  des  pluies  étant  trop  avancée  ;  mais,  par  contre,  je 
relevai  soigneusement  la  route  suivie  à  l'aller  et  au  retour. 
Le  1"  juillet  dfi  la  même  année,  ayant  pu  rnc  procurer 
les  porteurs  nécessaires,  nous  nous  mîmes  en  roule,  dans 
le  biu  de  nous  rendre  à  la  côte  en  faisant  un  grand 
coude  à  l'ouest,  passant  parMpouapoua  et  revenant  à  Baga- 
moyo  par  la  route  du  nord.  Notre  première  étape  nefl] 
fut  qne  de  5  kilomètres  car  nous  n'avions  pu  nous  mettre 
en  route  qu'à  une  heure  fort  avancée  de  laprès-midi. 
A  5  heures  du  soir  nous  canipimes  sur  les  bords  de  la 
Mkondoâ  après  avoir  fait  environ  5  kilomètres  à  l'ouest. 
Le  lendem;iin  nous  campions  k  Kitadaraave,  petit  village 
bâti  sur  une  colline  qui  domine  le  Mkondoâ  de  100  mètres; 
nous  avions  fait  13  kilomètres  au  nord-ouesH/4  ouest.  J'ob- 
servai, en  cotte  station,  un  tour^d'horizon  el  des  circummé- 
ridiennes.  Le  fi  juillet  nous  arrivions  au  village  de  Kimouaga 
après  avoir  fait  8  kilomètres  ii  l'ouest  1/4  nord-ouest  et 
avoir  passé  2  kilomètres  auparavant  vis-à-vis  le  village  de 
Mounié-Sagaro.  Le  lendemain  (7  juillet)  nous  arrivions  à 
Kilassa,  l'ancienne  mission  anglaise,  ayant  parcouru  10  ki- 
lomètres à  l'ouest-uord-ouesL  Je  pus  observer  un  tour 
d'horizon  et  des  circumméridiennes.  Le  8,  après  une  étape 
de  12  kilomètres  l/2au  nord-ouest,  nous  campions  àMadélé 
(lour  d'horizon),  C'est  ici  que  la  Uoumouma,  qui  sort  des 
montagnes  del'Ouhéhéet  forme  véritablement  le  prolonge- 
ment de  la  Mkondoâ,  sejette  dans  cette  dernière  rivière.  Une 
étape  de  7  kilomètres  au  nord-ouest  nous  conduisit  sur  les 
bords  du  lac  Ougombo,  où  nous  dressâmes  notre  tente. 
L'eau  de  ce  lac  est  fortement  saumàlre.  Les  crocodiles  et 
les  hippopotames  j  pullulent  (tour  d'horizon  et  circummé- 
ridiennes).  Le  10,  une  étape  de  10  kilomètres  au  nord  1/4 
nord-ouest  nous  conduisit  à  Godégodé.  Nous  campâmes 
sur  les  bordi  d'un  ruisseau  d'eau  sauraâlre  mais  très  claire 


DE    ZA>ZI(IAR   A    LA    STATION    DE    KONHOA,  353 

(tour d'horizon, circumméridiennes).  Lcit,  ayant  parcouru 
i'3  kilomètres  au  nord-nord -ouest,  nous  arrivions  à  Simbo 
ou  Matoumombo  (tour  d'horizon  el  circumméridiennes). 
Nous  étant  remis  en  roule  dans  l'après-midi,  nous  cam- 
pâmes dans  le  porri,  après  avoir  parcouru  10  kilomètres  à 
l'ouest-nord-ouest  1/2  nord.  Le  12  juillet,  une  étape  de 
IG  kilomtlres  nous  conduisit  à  Mpouapoua;  la  route  suivie 
tut  nord-nord-ouest.  Nous  séjournâmes  quatre  jours  à 
Mpouapoua  où  je  pus  observer  quatre  tours  d'horizon  et  des 
cirenraraéridiennes. 

De  la  station  de  Madété  nous  avions  suivi  la  vallée  de  la 
Mkondoâ,  contrée  splendide  el  relativement  bien  cultivée. 
De  Madélé  à  Mpouapoua,  la  contrée  est  déserte,  et  le  porrî 
qui  s'étend   entre    ces    deux    localités    a    une    mauvaise 
réputation  parmi  les  caravanes,  à  cause  des  nombreux  vols 
dont  celles-ci  sont  victimes  de  la  part  des  pillards  (Wahéhés 
et  Wagogos)  qui  infestent  cette  partie  de  la  roule.  L'aspect 
général  du  paysage  est  triste.  Le  sol  est  composé  de   col- 
ines  rocailleuses  (débris  de  grès  et  de  quart!;)  recouvertes 
li'une  végétation  d'arbres  rabougris  et  épineux  formant  par 
places  des  fourrés  impénétrables.  Entre  ces  collines  s'éten- 
dent de  petites  plaines  recouvertes  d'efllorescetices  salines 
ipiileur  donnent  l'air  d'avoir  été  blanchies  au  lait  de  chaux. 
Le  gibier  abonde,  principalement  le  gros  gibier,  comme  les 
rhinocéros,  les  bufiles,  les  élans  du  Cap,  etc.,  etc.  J'ai  rcn- 
Mntré  souvent  des  traces  d'éléphants. 

Pendant  les  mois  de  mai,  juin,  juillet  el  août,  les  ntiils 
sont  très  fraîches  à  Mpouapoua,  el  il  y  soufllp  un  vent  du 
îiud-est  extrêmement  violent. 

beraardi  i  7  juillet,  nous  quittâmes  Mpouapoua  à  six  heures 
•lu  matin.  Une  étape  de  22  kilomètres  à  l'est  i/4  sud-esl, 
"ûus conduisit  AToubougué,  apiès  avoir  descendu  une  mon- 
''gnedonlle  sommet  atteinll  ,260 mètres,  etquisépareTou- 
iiougué  de  Mpouapoua  (tour  d'horizon  el  circumméri- 
•fiennes). 

80C.  BE   GÉOCR.    —  3*  THIMESTHE   1890.  XI.    —    2'J 


364  DE   ZilNZtBAR    A    LA    STATJON    U£   KQISAOA. 

Le  10  juillet,  nous  allilmes  établir  notre  camp  de 
l'autre  côte  de  la  rivière  de  Toubougué,  à  4  kilomètres  cn- 
viroa  au  nord  (circumméridiennes,  tours  d'horizon). 

Le  20,  je  gravis  le  Kangadich  et  pus  observer  un  tour 
d'horizon  et  des  circumméridiennes  sur  un  des  sommets 
(altitude  l,7(>0  mètres).  Le  soir  j'étais  de  retour  au  carap 
à  six  heures. 

Le  21,  ayant  parcouru  9  kilomètres  au  nord-est,  puis 
12  kilomètres  à  l'est,  nous  arrivâmes  à  Miali  après  avoir 
contourné  le   .Mluici.  J'ai   fait  des   tours  d'horizon  à  Mlali. 

Le  24-,  après  avoir  pnrcoaru  21  kilomètres  au  nord-est,  nous 
dressâmes  notre  lente  au  pied  du  mont  Loubého,  dont  le 
sommet  atteint  2,000  mètres.  C'est  du  reste  entre  Loubého 
et  MIali,  à  environ  1  kilomètre  1,2  au  sud-out^t  de  notre 
camp  (1,500  mètres),  que  se  trouve  le  point  culminant  de  la 
roule,  de  Saadani  et  Mpouapoua (tours  d'horizon  et  circu- 
cumracridiennes). 

Le  2r»,  nous  arrivions  à  liitangué  après  avoir  fait  iO  kilo- 
mètres au  nord-est  1/4  est;  pendant  notre  halte  je  ,pus  ob- 
server un  tour  d'horizon  et  avoir  des  circumméridiennes. 
Nous  étant  rerais  en  route  i  deux  heures,  nous  eanipàmes 
pour  la  nuit  dans  la  forêt,  après  avoir  parcouru  10  kilo- 
mètres ausud-esl  l'iest. 

Le  27,  après  un  trajet  de  8  kilomètres  au  sud-est  de 
notre  point  de  départ,  nous  arrivons  à  Memboya,  siège 
de  la  mission  anglaise  que  dirige  M.  Last.  Nous  y  ftimes 
bien  reçus.  L'altitude  de  la  mission  est  de  1,2130  mètres. 
Nous  y  séjournâmes  quatre  jours  et  je  pus  y  observer  des 
tours  d'horizon  et  des  circumméridiennes.  De  Mpouapoua  ù 
Memboya  on  se  trouve  dans  l'Oukiigourou,  pays  mon- 
tagneux. Le  sentier  suit  le  tl.tnc  de  la  montagne  et  en  allant 
de  Mpouapoua  à  Memboya  on  a  au-dessous  de  soi,  sur  la 
gauche,  une  vaste  plaine  coupée  par  plusieurs  petites 
chaînes  de  collines  où  habitent  les  Massai  et  les  Waboum- 
bas,  tribus  uomades  qui  sont  sans  cesse  à  la  recherche  de 


I 


DE    ZANUBAR   A    L\    STATION   DE   KOMtOA-  355 

nouveaux  p&turages  pour  leurs  nombreux  troupeaux.  Une 
«{oantité  de  petits  ruisseaux  coulent  des  lianes  des  mon- 
tagnes de  l'OukayoiJrou  vers  la  plains,  mais  ils  n'y  forment 
aucun  cours  d'eau.  LesoL  de  la  plaine  en  partie  sablonneux 
abborlie  tout.  Dans  la  saison  où  nous  nous  trouvions  le» 
nnits  étaient  fraîches,  et  le  matin  une  brume  intense  empê- 
chait de  voir  à  six  pas  devant  soi. 

Le  1"  août  nous  limes  nos  adieux  à  M.  Last  en  le  remer- 
ciant de  son  bospitJilittt.  Ayant  parcouru  18  kilomètres  au 
eud-Kud-est,  nous  campâmes  non  loin  du  pied  du  mouL 
Nyangara,  dont  le  sommet  s'élève  à  i,i(M  mèlres.  Nous 
séjournâmes  là  le  i  et  le  3,  une  blessure  à  la  jambe  m'em- 
pôcbiratde  marcher;  je  pus  observer  un  tour  d'horizon. 

'Le  4,  après  avoir  suivi  un  sentier  excessivement  sinueux 
et  avoir  fait  à  peu  près  10  kilumètres  au  sud-est,  nous 
arrivâmes  au  pays  de  KilTé;  je  pus  observer  un  tour  d'ho- 
rison  l'après-midi. 

Le  ô,  une  étape  de  i5  kilomèlres  à  l'est  nous  condui- 
sit au  district  de  Kidélé.  Nous  dressilmes  notre  tente  à 
•200  mètres  d'un  viMagc  du  nom  de  Kiendiéni,  habité  pardes 
Maquois  (tour  d'horizon).  Le  ti,  après  une  étape  de  18  kilo- 
mèlres à  l'est-nord-est  nous  étions  à  Mangoubougoubou.  Un 
peu  avant  d'arriver  au  camp,  I  kilomètre  1/2  environ,  nous 
eûmes  à  traverser  un  marais  infect,  parmi  un  fouillis  inex- 
tricable de  roseaux  et  de  grandes  herbes;  nous  avions  de  la 
-vase  noire  et  fétide  jusqu'à  la  hauteur  des  hanches.  Malgré 
la  mauvaise  position  de  Mangoubougoubou,  qui  se  trouve 
dans  un  bas-fond,  je  pus  observer  un  tour  d'horizon  et  re- 
lever quelques  sommités  de  Ngourou. 

Le  7  nous  arrivions  à  Mvoméro  après  une  marche  de 
t8  kilomèlres  an  nord-esl.  Comme  la  veillenous  avons  pa- 
taugé dans  un  marais  qui  ne  le  cède  eu  ricii  au  précédent. 
Un  tour  d'horizon  fut  observé  d.ms  l'après-midi. 

Le  8,  après  avoir  parcouru  28  kilomètres  au  nord-est 
et  avoir  passé  à  Kouà-Mchoropa,  traversé  le  Mtoamawé, 


356 


DE   ZA^ZJUAH   A   LA    STATION   DE   KOKDOA, 


la  Lukindo,  le  Mkindo  el  quantité  de  petits  ruisseaux, 
nous  campâmes  dans  les  champs  au-dessous  de  la  montagne 
Mkoboué. 

Le  9  août,  ayant  traversé  encore  une  quantité  de  petits 
ruisseaux  qui  sortent  de  Mkoboué,  gravi  plusieurs  collines 
el  parcouru  ii  kilomètres  environ  au  nord,  nous  arrivâmes 
à  la  mission  catholique  française  de  M'honda,  dont  le  révé- 
rend père  Machon  est  supérieur.  Nous  fûmes  forcés  de 
séjourner  quinze  jours  k  M'honda  pour  permettre  à  la  bles- 
sure de  ma  jambe  de  se  cicatriser.  J'observai  pendant  ce 
temps-là  des  tours  d'horizon  et  des  circumraéridiennes. 

Ij3  23,  prenant  congé  de  nos  hôtes,  nous  allâmes  camper  à 
Bouâ-M'honga,à  9  kilomètres  au  sud-est  1/4  estdeM'bonda, 

Le  lendemain  24,  10  kilomètres  à  travers  la  jungle  nous 
amenèrent  à  Kidoudoué;  route  suivie  sud-est  1/4  est.  Tour 
d'horizon. 

Le  25,  après  avoir  parcouru  16  kilomètres  au  sud-est, 
nous  avons  campé  à  Kilinia-Magnani,  dans  le  porri.  Tour 
d'horizon. 

Le  26,  arrivé  à  Matoungou  après  imf  marche  de  li'i  ki- 
lomètres à   l'est.  Tour  d'horizon. 

Le  27,  traversé  la  rivière  Kouloulaà  l'endroit  appelé  Bou- 
7ini,  à  10  kilomètres  au  nord-est  de  notre  point  de  départ;  à 
4  kilomètres  à  l'est,  arrêt  au  village  de  Koua-Mlélé.  J'ai  fait 
quelques  relèvements  à  la  boussote,  un  tour  d'horizon  avec 
le  théodolite  étant  rendu  impossible,  par  l'abondance  des 
arbres  et  le  manque  d'horizon.  A  14  kilomètres  plus  loin 
dans  le  nord-est  1/4  est,  nous  campons  près  du  village  de 
Koua-Digouaraé.  Impossible  encore  d'observer,  faute  d'ho- 
rizon. 

Le  lendemain  28,  quittant  la  route  de  Saadani  nous 
nous  dirigeons  vers  Mandera,  et  un  parcours  de  10  kilo- 
mètres à  l'est-sud-est  nous  amène  près  du  village  à&  Ki- 
rongo,  où  nous  campons.  Comme  la  veille,  l'horizon  est 
trop  borné  et  je  ne  puis  faire  aucune  observation. 


DE  ZANZmAU   A   LA    3TATI0Î!   DE  KONDOA.  357 

Le  29  août  une  marche  de  19  kilomètres  à  l'esl-sud-est 
i/â  sud  uous  fit  arriver  au  village  de  Mahinbou.  Pas  plus 
qae  les  jours  précédents,  l'horizon  borné  que  j'avais  autour 
de  moi  ne  me  permit  d'observer  un  tour  d'horizon. 

Le  30,  ayant  parcouru  10  kilomètres  au  sud-est,  nous 
arrivâmes  à  la  mission  catholique  de  Mandera  dont  le  père 
Picardat  est  le  supérieur.  Nous  i'ûmes  reçus,  ma  femme  et 
moi,  avec  cette  cordialité  qui  est  l'apanage  des  boas  pères 
de  la  cûngrcgalion  du  Saint-Esprit.  Je  pus  faire  un  tour 
d'horizon  et  observer  des  circumméridiennes.  A  Mandera, 
une  partie  de  nos  porteurs  déserta,  sous  prétexte  que  nous 
devions  traverser  l'Oudoé  pour  nous  rendre  à  Bagamoyo.  Il 
est  vrai  que  les  Vadoés  sont  quelque  peu  anthropophages. 
Je  fus  donc  obligé  d'engager  d'autres  porteurs. 

Le  1"  septembre  nous  nous  mîmes  en  route  et  après 
avoir  parcouru  12  kilomètres  au  sud-est  1/4  sud,  nous  cam- 
pâmes à  Kouâ-MacluDJa.  Nous  avions  traversé  le  Warné  à 
3  kilomètres  de  notre  point  de  départ,  Mandera.  Le  2, 
une  marche  de  20  kilomètres  au  sud-est  nous  conduisit  ;\ 
Simba-Mbili;  le  3,  après  avoir  parcouru- 20  kilomètres  au 
sud-est  nous  arrivâmes  à  Karabaka, 

Le  i,  nous  traversâmes  le  Kiiigani,  à  6  kilomètres  au  sud- 
esl  de  Karabaka  et  8  kilomètres  au  sud  nous  arrivâmes  â 
Bagamoyo. 

Be  Memboya  au  pays  de  KiH'é  la  roule  suit  en  descendant 
un  terrain  accidenté.  Les  collines  sont  très  boisées  d'une 
espèce  d'arbre  appelé  mihoumbos,  dont  l'écorce  sert  à 
fairedes  cordes  et  des  liiidos  (espèces  de  paniers)  ;  les  vallées 
sont  encombrées  par  une  forte  végétation  de  bambous  et  de 
roseaux.  Le  terrain  a  une  couleur  rouge  d'ocre,  et  le  quartz 
îiomine  avec  des  grès  dans  !a  formation  des  collines;  de 
•vitré  à  Kidélé,  la  route  descend  encore  et  le  terrain  renferme 
<Javantage  d'argile  et  de  sable.  De  Kidété  à  Mvoméro  le 
''finlier  chemine  en  plaine.  A  part  quelques  endroits  cultivés 
3UX  alentours  des  villages,  la  plaine  est  inculte.  De  Mvoméro 


358  DE   7A^f^IM.\R   a    la   STAiroN    DE    ROWrOA. 

iV  M'honda  la  roule  passe ;\  travers  les  contrefort»  ùa  Ngou- 
rou;  le  sol,  arerdenlé,  est  fait  d'une  lerre  rouge,  avec  du 
quartz  et  du  granit.  De  M'honda  à  Matoungoii  la  plaine 
présente  la  même  aspect  que  de  Kidélé  à  Mvoméro.  De  Ma- 
toiingou  à  Simba-Nbili  le  sentier  serpente  à  travers  une 
quantité  de  collines  boisées,  dont  le  sol  rocailleux,  se  cono^ 
pose  de  quartz  et  de  grès.  Do  Simbo-Mbili  à  Bagamoyo 
les  collines  ne  représentent  pins  que  de  simples  ondulations 
d«  terraÏD^  L»  sol,  sablonneux  en  majeure  partie,  est 
argileux  dans  les  bas-fonds. 

Après  nous  fttre  ravitaillés  h  Bagamoyo,  nous  en  partîmes 
le  1-4  septembre.  Le  -4  octobre  nous  étions  de  retour  à  la 
station  après  avoir  fait  les  étapes  suivantes  :  de  Bagamoyo 
h  Mounié-Kondo,  IX  kilomètres,  route  h  l'ouesl-sud-onest; 
de  Monnié-Kondo  à  Bikiro,  3  kilomètres,  au  snd-ouesl  1/4 
ouest;  de  Bikiro  à  Kingueni,  15  kilomètres,  au  sud-ouest 
1  '4  ouest  (le  Kingueni  à  Mbouyouni,  i5  kilomètres  au  sud- 
ouest  1/4  ouest;  de  Mbouyouni  à  Mbiki,  i  kilomètres,  à  l'ejl- 
sud-ouest;  de  Mbiki  à  Sagali,  1  i  kilomètres,  au  sud-ouest 
i/4  ou«3t;  de  Sagali  à  Msouitb,  16  ktlomi:;lres,  an  sud-ouest 
1/4  ooest;  de  Msouùh  à  Kissérao,  \(t  kilomètres,  au  sud- 
ouest  1/4  ouest;  de  Kissémo  à  Guéringuerré,  18  kilomètres, 
àl'ouesl'^sud-ouestl/â  sud;  de  GuéringuerréàYanguéangué^ 
16  kilomètres,  à  l'ouesl-sud-ouesl  1  'isud;  de  Yangiiéangué 
h  Koù,  4  kilomètres  au  sud -ouest:  de  Koô  àMike^si,  lâkilo- 
raèlresà  l'ouesl-sud-ouest  1/:2  sud  ;  de  Mikessi  à  Kouft-Gouzo, 
2(1  kilomètres,  à  l'ouest  1/4  sud-oucsl  ;  de  Kouâ-Gouzo  &  la 
mission  de  Mrogoro,  5  kilomètres,  au  sud-sud-ouest;  de  la 
mission  au  village  de  Mrogoro,  .1  kilomètres  à  l'ouest  1/4 
nord-ouest,  de  Mrogoro  à  Guéringuerrc-Mdogo,  8  kilo- 
mètres, au  nord-ouest;  de  Guéringuerré-Mdosjo  à  Myanzi, 
16  kilonièires  au  nord-ouest,  de  Mian/.i  à  Kooà-Kigongo  ou 
Mkala,  21  kilomètres,  à  l'ouest  i/'i  sud;  do  KouA-Kigongoà 
Mkobéringa,  i7t  kilomètres  à  l'ouest;  do  Mkobéringa  h  la 
station  française  de  Kondoil,  'i7i  kilomètres  au  sud-oueal. 


I 


I 


( 


DE  ZANZIBA.U    A    LA   S^TATION   IHE   KOXDOA.  ÎJiiU 

Les  travanx  de  la  sUUion  et  los  collections  à  recueillir 
aux  alentours  nous  occupèrent  jusqu'au  l"juin  1884. 

Nous  partîmes  de  fa  slallnn  le  t"juin.  Notre  intention 
était  d'aller  passer  quelque  temps  à  Mrogoro  auprès  des 
pères  de  la  mission.  Nous  carupiinies  près  du  villag»  de 
Kofarbanî,  après  avoir  parcourn  7  kilomètres  au  nord.  Le 
lendemain,  après  unr-  marche  de  10  kilomèlres  à  l'est,  nous 
arrivâmes  à  Kotiâ-Kingo. 

Le  4  juin,  no\n  fûmes  camper  dans  la-  plaine  de  la 
IMkata  après  avoir  l'ait  10  kilomètres  au  nord-est  jusqu'à 
Mkobéringa  et  10  kilomètres  à  l'est  jusqu'à  l'endroit  où  nous 
avons  campé.  Je  pus  faire  deux  tours  d'horizon  dans  la 
jooméedu  lendemain. 

Le6  juin,  lOkilomètres  h  l'est,  nou?  traversûnies  la  Mkata 
à  l'endroit  appelé  Kouà-Kij;ongo,  el  3  kilomètres  plus  loin 
au  nord-est  1/4  est  nous  campions  dans  le  porri  (tours 
d'horizon).  Le  0  juin  nous  arrivâmes  à  Mianzi  après  avoir 
fait  17  kilomètres  â  l'est.  Nous  ne  nous  aiTélàines  qu'un 
tnoroenl,  et  à  16  kilomètres  au  sud-est  nous  arrivions  à  Gué- 
ringiicrré-Mdogo .  Là  je  Fis  encore  u  n  tour  d'horizon.  Le  10  une 
marche  de  10  kilomètres  au  sud-est  nous  amenai  la  mission 
<ie  Mrogoi'o.  Nous  y  séjoumAmes  vinj^t-cinq  jours  peruianl 
lesquels  je  m'occupai  d'observations  et  de  collections.  Le 
-juillet  nous  étions  de  retour  à  la  station. 

Les  soins  de  la  station  et  divers  ouvrages  me  retinrent  à 
Kondoâ  jusqu'au  8' octobre  1884.  Nous  partîmes  ce  jour-là 
""  la  station-,  mais  comme  nous  n'avions  pt\  réunir  les  por- 
'Curs  que  fort  tard  dans  la  soirée  nous  ne  fîmes  que  3  kilo- 
'"èlresau  sud-est  et  campimes  dans  les  champs  pour  passer 
'*  nuit.  Le  9  une  marche  de  6  kilomètres  au  sud-stid-est 
'lous  conduisit  i\  Kouà-Kirntou.  Nous  sommes  obligés 
'' attendre  toute  la  journée  pour  nous  procurer  des  guides, 
Purce  que  personne  de  nos  hommes  ne  connaît  la  route 
lue  nous  devons  suivTO.  Tour  d'horizt>n.  Le  10,  par  une 
f^arehe  Je  IT»  ktlomètres  nous  arrivions  ii  un  endroit  appelé 


360  DE   ZANZIIIAR   A    LA    STATION    DE    KONDOA. 

Tendiga  où  nous  carapâmes  et  où  je  pus  faire  un  tour 
d'horizon.  Nous  ne  partîmes  de  Tendiga  que  le  13,  et  après 
tj  kilomètres  à  l'est-snd-est  nous  carapâmes  sur  les  bords  de 
la  rivière  Mkata. 

Le  15  nous  campions  dans  le  porri  après  avoir  parcouru 
16  kilomèlres  au  sud-est.  A  cet  endroit,  nous  sommes  à  la 
limite  sud-est  de  la  plaine  de  la  Mkata  que  l'eau  couvre 
entièrement  pendant  la  saison  des  pluies.Legibier  y  abonde. 

Le  lendemain  16,  nous  arrivJimes  à  Msongoci  après  une 
marche  de  11  kilomètres  au  milieu  des  collines  qui  forment, 
de  ce  côté,  les  premiers  contreforts  des  montagnes  de 
rOurougourou.  L'après-midi,  ayant  effectué  une  marche  de 
10  kilomèlres  au  nord-est  1/4  est  dans  la  montagne,  nous 
carapîlmes  à  Magari  (tour  d'horizon). 

Le  18,  après  avoir  parcouru  une  distance  de  18  kilo- 
mètres au  nord-esi  1/4  est  dans  la  montagne,  nous  arrivÂnte.*; 
à  Mréré  (tour  d'horixon). 

Le  t'J,  après  avoir  parcouru  11  kilomètres  au  nord- 
est,  nous  arrivâmes  près  du  Kouâ-Gondo.  Tour  ii'horizon. 
Le  "20,  nous  passâmes  à  Mrogoro  après  avoir  parcouru 
15  kilomètres  au  nord- est,  puis  t  kilomètres  plusà  l'estnous 
arrivâmes  à  la  mission  des  pères  du  Saint-Esprit,  où  nous 
séjournâmes  jusqu'au  23  octobre.  Le  ^3,  nous  nous  mîmes 
en  route  et,  ayant  parcouru  Itl  kilomètres  au  sud-est,  nous 
campâmes  près  du  Kiroka.  Le  24,  notre  camp  élait  à 
Tomondo,  13  kilomèlres  au  sud-est  du  Kiroka.  Le  25,  après 
avoir  parcouru  péniblement  10 kilomètres  parmi  les  collines, 
nous  arrivâmes  à  Mféno;  la  route  suivie  avait  été  au  sud- 
sud-est. 

Le  26,  une  course  de  8  kilomèlres  au  sud-est  nous  fit  arri- 
ver à  Kilimbouici  où  le  sentier  débouche  en  plaine,  lïaprès- 
midi,  après  avoir  parcouru  4  kilomètres  à  l'est  nous  campions 
près  de  Kouà-Mamba.  Le  mauvais  temps  nous  força  de 
rester  la  journée  du  27  h  Kouà-Mamba. 

Le  28,  après  avoir  parcouru  22  kilomèlres  à  l'est-sud-esl, 


I 


DE    ZANZIBAR   A   LA    STATION    DE    KONDOA.  361 

nous  campâmes  près  du  village  de  Korongo.  Le  20,  nous 
arrivâmes  à  Kouâ-Mounié-lIodi  après  avoir  fait  13  kilomètres 
à  l'est-sud-est  ;  l'après-midi,  une  élape  de  12  kilomètres  à 
l'est  nous   conduisit  près  du  village  de  Foimdi-Banda,  où 
nous  établîmes  notre  camp  pour  la  nuit.  Le  30,  ayant  par- 
couru 16  kilomètres  à  l'est,  nous  nous  reposâmes  au  village 
de  Kour-Kirouà  ;  l'après-midi,  au  départ,  nous  traversâmes 
le  Guéringuerré,  qui  est  complètement  à  sec,  et  après  avoir 
parcouru  une  distance  de  13  kilomètres  au  nord-nord-est 
nous  dressâmes   notre   tente   près  d'un   village  en   pays 
Mihoumbo.  Une  pluie  diluvienne  nous  retint  au  camp  toute 
la  journée  du  31.  Le  l""*  novembre,  une  marche  de  19  kilo- 
mètres vers  le  nord-nord-est,  sous  une  pluie  battante  et  par 
des  sentiers  défoncés  nous  fil  arriver  au  village  de  Mapan- 
guiré.  Le  2   novembre  fut  une  journée  particulièrement 
pénible  à  cause  de  notre  manque  de  guides  et  du  mauvais 
état  du  sentier  ;  20  kilomètres   au  nord-nord-est  de  notre 
point  de  dépari,  nous  arrivions  sur  les  bords  du  Itouvou. 
Ayant  traversé  celte  rivière  avec  de   grandes  difficultés, 
nous  fîmes  5  kilomètres  au  nord-est  et  passâmes  la  nuil 
i  Issimiar».  Le   3   novembre  nous    arrivâmes  à   Dounda 
après  avoir  parcouru  25  kilomètres  au  nord  1/2  est.  Après 
un  peu  de  repos  nous  nous  remîmes  en  roule,  et  après  avoir 
parcouru  32  kilomètres  au  uord-esl  nous  arrivâmes  exté- 
nués à  Bagamoyo.  A  partir  de  Kouâ-Maraba  nous  avons  tra- 
versé une  contrée  désolée  depuis  deux  ans  par  la  famine. 
Nous  n'y  pouvions  rien  trouver  en  fait  de  nourriture,  ni  pour 
nous  ni  pour  nos  hommes. 

Après  avoir  séjourné  quelque  temps  à  Bagamoyo  et  avoir 
été  à  Zanzibar  nous  ravitailler,  nous  partîmes  le  24  novem- 
bre. Notre  itinéraire  de  retour  ne  présente  aucune  particu- 
larité parce  que  c'est  le  môme  que  nous  avons  maintes  fois 
suivi.  Le  12  décembre  nous  arrivions  à  la  station  après  une 
absence  de  deux  mois  et  quatre  jours.  Les  travaux  de  la 
station  nons    retinrent  à  Kondoà  jusqu'au  jour   où   une 


3e2 


DE  ZANZIBAR   A   LA    STATION   1>E   KOHDOA. 


dépêche  de  M.  Ferdinand  de  Lesseps,  transmise  par  le 
consul  de  France  à  Zanxibar,  m'ardonnait  de  laisser  ta 
station  entre  les  mains  des  frères  du  Saint-Esprit  et  de 
revenir  en  France.  Après  avoir  remis  la  slation  entre  les 
mains  du  père  Rion,  qui  était  venu,  sur  ma  demande,  de 
Mrogoro,  ma  femme  et  moi  nous  partîmes  é&  la  slation  le 
31  mai  188.">.  Nous  arrivions  le  15  juin  à  Bagamoyo,  dix 
jours  plus  lard  nous  étions  à  Zannbar.  Partis  de  Zanzibar 
le  7  juillet,  nous  arrivions  le  1-i  août  à  Marseille. 

Le  maictama,  le  riz,  le  manioc,  le  maïs,  la  patate  douée, 
plusieurs  espèces  de  haricots,  une  grande  variété  de  courges, 
forment  la  base  de  la  nourriture  des  diverses  peuplades  que 
nous  avons  visitées.  On  recolle  aossi,  mais  en  petite  quan- 
tité, les  arachides,  le  sésame  et  le  tabac.  La  canne  à  sucre 
et  le  colon  existent  presque  partout.  On  trouve  la  liane  -k 
caoutchouc  dans  toutes  les  forêts  vierges  qui  avoisinenl  les 
cours  d'eau.  Les  troupeaux  de  chèvres  et  de  moulons  sont 
assez  nombreux  et  forment  la  richesse  des  chefs.  La  volaille 
se  rencontre  dans  tous  les  villages.  Les  Wahéhés,  les  Massai 
et  les  Wahoumbas  possèdent  de  nombreux  tronp«aus:  de 
bœufs,  ces  peuplades  sont  nomades  et  continuellement  en 
guerre  entres  elles  pour  se  voler  leurs  troupeaux. 

Les  sorciers  jouissent  d'une  grande  iniluence  dans  toute 
cette  parlie  du  Zanguebar  et  sont  chiirgés  de  ta  confection 
des  dnonàs.Ca  mol  daoud  est  un  nom  j^'énérique  qui  sisnifie 
médecine,  charme,  sortilège,  lalisraan.  Il  existe  des  daouâs 
pour  toutes  choses,  pour  protéger  les  villages  de  la  guerre, 
pour  chasser  les  mauvais  esprits,  pour  faire  tomber  la  pluie, 
etc.,  etc.  La  poudre  est  un  daonà  aussi.  Ces  peuples  voient 
le  surnaturel  en  tout  et  pour  tout. 

Un  homme,  par  exemple,  ne  peut  pas  mourir  de  maladie 
ou  d'accident  ;  c'est  un  sort  qui  lui  a  été  jeté.  Le  sorcier  est 
chargé  de  faire  le  dnouà  pour  savoir  celui  qui  a  lancé  le 
sort,  n  y  a  plusieurs  genres  d'épreuves  pour  connaître  le 
coupable  ;  les  épreuves  le  plus  souvent  employées  scwit  celle» 


DE   ZANZIBAR   A    LA    STATION    l>K    KONDOA.  363 

de  l'eau,  du  feu  et  du  poison.  L'individu  présumé  coupable 
esl  saisi  et  brûlé  vif.  Ce  genre  àa  supplice  est  l'occasion 
d'une  fête.  Oa  boit  du  pombé  (bière  obteuue  par  la  fiirmea- 
tation  du  maïs  ou  du  moutania),  on  chante  el  ou  danse. 
b^rsqu'uD  chef  inllut-nt  meurt,  lé  nombre  des  victimes 
augmente  et  une  de  ses  femni«s  es4  ealecrée  vive  avec  son 
raari. 

L'infanticide  est  pratiqué  sur  une  vaste  échelle.  Une  foule 
de  circonstances  font  rejeter  le  nouveau-né  de  la  vie.  Les 
principales  causes  sont  colles-ci  :  un  enfant  venu  au  monde 
avec  des  défauts  physique*»,  lorsque  l'accouchement  a  été 
laborieux  (cas  rare),  lorsque  l'enfant  naît  avec  des  dents, 
lorsqu'il  naît  un  jour  répulé  néfaste,  comme  à  la  nouvelle 
lune,  lorsqu'il  naît  le  jour  d'une  éclipse  de  lune  ou  de 
soleil.  Tous  les  enfants  nés  pendant  que  la  comète  de  1882 
se  trouvait  sur  rhorïz4>n  ont  été  tués.  En  les  laissant  vivre, 
d'après  les  sorciers,  ils  auraient  été  cause  des  plus  grands 
malheurs  pour  leurs  famillesou  leurs  Iribus. Cette  pratique 
barbare  explique  le  manque  de  population. 

lis  possèdent  un  culte  particulier  pour  les  esprits.  11  j  en 
a  de  bons  et  de  mauvais,  c'est  surtout  ces  derniers  qu'ils  cher- 
chent à  se  rendre  favorables  parde»  sacrifices. 

Quantité  de  choses  sont  mouikos  ou  défendues.  Ainsi  la 
viande  de  poule  est  mouiko  pour  quelqu'un,  et  ce  quelqu'un 
n'en  peut  manger  sans  courir  le  risque  dà  malheurs.  Cer- 
taines montagnes  sont  mouikos.  Ceux  qui  tenteraient  d'y 
aller  seraient  silrs  de  mourir  sons  peu;  des  champs,  des 
arbres,  des  maisons  sont  mouikos.  On  ne  doit  pas  toucher  à 
ce  qui  est  mouiko. 

La  femme  s'achète  au  père,  leschefs  peuvent  en  posséder 
plosieurs,  ce  qui  est  un  signe  de  richesse.  L'adultère  du 
côté  de  la  femme  est  puni  de  mort. 

Lanaissance  nednnne  lieuiaucunecérémonie;parconlre, 
les  funérailles  sont  accompagnées  de  grands  deuils  appelés 
kalamou.  Ces  cérémonies  qui  durent  plusieurs  jours,  suivant 


364 


DE   ZANZIBAR   A    I,A   STATION    DE    KOKIJOA. 


la  richesse  du  défunt,  sont  une  occasion  de  manger  et  boire.  J 

Les  armes  sont  i'arc,  la  (lèche,  la  lance,  le  bouclier,  le] 
casse-têle,  le  fusil.  Une  espèce  de  houe  appelée  dieuibi\ 
sert  seule  pour  les  labours.  Les  ustensiles  de  ménage  etdej 
cuisine  sont  une  petite  espèce  de  hache  nommée  chokiifl 
une  espèce  de  serpe  nonamée  moundou,  le  mortier  pour! 
piler  le  grain  appelé  kino,  les  vases  appelés  houmjous,  des] 
espèces  d'assiettes  en  écorce  tressée  appelées  kitoungas,  des] 
paniers  en  fibres  de  palmiers  appelés  kikapoSf  des  vases  ea] 
terre  pour  faire  cuire  ta  bouillie  de  moutama  ou  de  maïs,] 
appelés  tchoungous,  les  vases  servant  à  mettre  l'eau  et  à  la] 
fabrication  du  pombè^  appelés  mtounguis. 

Les  femmes  se  percent   le    lobe    des  oreilles,  le    font 
distendre  et  y  introduisent  des  morceaux  de  bois  ou  de 
cuivre;  leurs  colliers  sont  en  cuivre  ou  en  perles.  Pour  les 
jambes  et  les  bras,  elles  ont  des  bracelets  en  fort  111  de  fer  oui 
de  cuivre  qui  partent  du  poignet  en  s'enroulant  sur  le  brasi 
jusqu'au  coude,  et  de  la  cheville  en  s'enroulant  autour  de  laj 
jambe  jusqu'à  mi-mollet.  Elles  ont  aussi  un  grand  soin  de 
leur  coiffure;  leurs  cheveux,  tressés  en  pclites  nattes,  sont] 
enduits  d'un  mélange  de  terre  rouge  et  d'huile  de  ricin. 

Les  hommes  se  percent  quelquefois  le  lobe  de  t'oreilie  ctl 
y  mettent  un  morceau  de  bois  rond,  quelques-uns  portenlj 
aussi  au  cou  des  colliers  en  chaînettes  de  fer. 

Ces  populations  sont  misérables  au  point  de  vue  moral  etJ 
intellectuel.  Le  mensonge  ne  leur  coûte  guère,  la  franchise 
est  inconnue  chez  eux,  le  vol  n'est  pas  considéré  comme  un  i 
crime. 


NOTE    &TJlEt   TOBROXJQ 


DUVETRIER 


Sèvres,  11  août  1886. 

Les  cartes  placent  Tobrouq  ou  Mersâ  Tobrouq  (Anti- 
f^rgoides  Grecs,  ancienne  station  romaine  etancien  évèché), 
dans  le  vilàyet  de  Ben-Gbàzi,  et  par  conséquent  en  Turquie. 
En  1817,  Délia  Cella,  qui  accompagnait  une  expédition  du 
bey  de  Tripoli,  poursuivant  des  tribus  rebelles,  relate 
qu'arrivé  au  golfe  de  Bomba  (à  l'ouest  de  Tobrouq)  le  bey 
de  Tripoli  n'osa  pas  s'aventurer  plus  loin  vers  l'est  parce 
qu'il  aurait  fallu  pénétrer  sur  le  territoire  égyptien  pour 
atteindre  les  rebelles.  Il  serait  intéressant  aujourd'hui  de 
rechercher  sur  quelles  données  s'appuient  le  gouvernement 
turc  et  nos  cartes  qui  placent  la  frontière  de  la  Tripolitaine 
et  de  l'Egypte  dans  l'est  de  Tobrouq.  En  1817  la  frontière 
passait  par  le  golfe  de  Bomba;  à  cette  même  date,  il  est 
peut-être  utile  de  se  le  rappeler,  l'Egypte  comme  la  Tri- 
politaine étaient  non  pas  des  provinces  turques,  mais  des 
États  tributaires  de  la  Turquie. 

Quoi  qu'il  en  soit,  aux  mois  de  juin  et  juillet  1869 
'Ali  Rizha  Pacha,  gouverneur  de  la  Tripolitaine,  se  rendit 
en  personne  à  Tobrouq  pour  y  procédera  la  fondation  d'une 
ville,  et  il  fit  élever  sous  ses  yeux  des  murailles  en  bois 
destinées  à  former  l'enceinte  de  cet  établissement  turc. 
Peut-être  le  gouverneur  aurait-il  travaillé  d'une  façon  plus 
durable  s'il  s'était  appliqué  à  faire  simplement  réparer  la 


:jOG  note  svk  tobkouq. 

vieille  muraille  d'enceinte  de  pierre  que  Barlb  a  vue  il  y  a^ 
trente-neuf  ans.  Uti  colonel  qui  «■vailfait  partie  de  l'expédi- 
tion de  'Ali  Rizha  Pacha  élail  furieux  de  celle  mesure, 
parce  qu'  «  on  n'avait  pas  trouvé  une  goutte  d'eau  à  To- 
bronq  ».  On  n'en  avait  pas  trouvé  parce  que,  pas  plus  que 
les  habilanls,  le  gouvernement  ne  sait  entretenir  les  con- 
sLruclions  d'utilité  publique. 

En  1873,  l'archiduc  Louis  Salvator  a  visité  Tobrou 
(Voy. Eine  Yachtreisein  tien  Syrien,  p.  H).  Il  a  imprimé  dan 
sa  relation  :  «  Les  navires  trouvent  là,  par  quatre  brasses', 
un  mouillage  sûr  par  tous  les  venls,  sauf  le  vent  d'est. 
Mais  le  port  estdifScile  à  reconnaître  sans  pilote  ef,  par  les 
vents  du  nord  et  du  nord-ouesl.  les  navires  menacés  devront 
se  réfugier  de  préférence  dans  le  golfe  de  Bomba.  » 

En  iSHi,  M.  Mamoli  dit  qu'on  allait  à  Tobronq  charger 
de  l'orge  à  destination  de  Lerna,  port  où  il  résidai  t.  Un  an 
plus  tard  il  fit  hn-même  l'excursion  de  Tobrouq,  pour  le 
compte  de  la  Société  d'explorations  commerciales,  de  Milan. 
II  déclare  qu'il  n'a  trouvé  à  Tobrouq  ni  un  q;Vid  ni  uu 
soldat  turc,  et  qu'il  a  élé  assez  mal  reçu  par  les  habi- 
tants. 

En  1883,  le  capitaine  Kelch,  de  la  marine  aHemande, 
choisit  le  port  de  Tobrouq  pour  faire  faire  aux  marins  de 
la  canonnière  Cyclop  les  exercices  de  tir  au  canon,  et 
peu L-étre  trouverai l-ori  dans  le  Marineverordtiungsblatt  àe 
1883  un  rapport  du  capitaine  Kelch.  11  avait  pris  àsonbord 
le  docteur  Schweinfurth,  qui  désirait  explorer  au  point  de  vue 
bolaiiique  les  environs  du  port,  et  c'est  ce  savant  voyageur 
qui  a  donné  les  détails  actuels  les  plus  complets  que  je  con- 
naisse sur  Tobrouq. 

H  ne  signale  ni  puits  ni  source.  11  décrit  pourlant  deux 
citernes,  vides,  il  est  vrai,    du  3  au  U  avril  1883,  mais  il 


i 


),  l)'après    les   données  lic  .M.  Sclivvcinrurlli,  ou    ptuliH  iki   capilaiiie 
Kelcli,  qtie  j'indiquerai  plus  loin,  cetlo  prufondeur  sérail  trop  Aiible. 


NOtfi  SOB  ToonotiQ.  3G7 

ajoute  que  l'humidité  MiinUit  le  long  des  murs  d'une  de  ces 
cilernes.  Or,  comme  M.  Schweinfurlh  ne  mealionDe  pas 
qn'ii  ait  plu,  et  coiQtnc  îl  déclare  que  la  conliguralion  du 
terrain  empêcherait  d'amener  dans  celte  citerne  l'eau  de  la 
chaîne  de  collines^  on  est  tenté  d'admellre  avec  lui  que  les 
denx  citernes  étaient  autrefois  alimentées  par  des  sources, 
etq^oe  lune  de  ces  deux  cilcroes  l'est  encore.  D'après  les 
raclures  de  Barth  un  des  deux  réservoirs  mrsure  soixante 
dix-huit  pas  de  long  sur  cinquante-sept  pas  de  large.  Les 
vieilles  digues  en  pierre  barrant  les  ravins  monlrenl  toute- 
fois qu'anciennement  ouinme  aujourd'hui,  l'eau  était  rare  à 
Tobrouq,  puisqu'on  avait  tant  travaillé  pour  s'en  procurer; 
niais  la  présence  de  ces  monuments  permel  d'espérer  qu'en 
le?  réparant  et  en  les  multipliant  on  arriverait  â  recueillir 
9ir  ie  port  une  quantité  d'eau  de  pluie  sufûsanlo  pour  les 
besoins  d'une  ville,  mômesiles  sourcesfùul  réellement  dé- 
(mL  J'ajouterai  cette  remarque  que,  d'après  la  composiUon 
générale  de  la  llore,  les  environs  de  Tobrouq  ne  seraient 
pas  plus  urides  que  la  Grèce  et  que  des  prairies  de  reQOQ- 
cules,  d'une  part,  des  Ibujjjères  et  Jes  mousses  dans  les  cre- 
vas&es  des  ruchers,  d'autre  pari,  Impliquent  forcé  ment  qu'il 
pleut  à  Tobrouq  ou  qu'il  s'y  dépose  des  rosées  très  abon- 
éadkes.  Les  rosées  étant  rares  dans  le  bassin  de  la  Méditer- 
naée,  il  faut  s'arrêter  à  la  première  supposition  '. 

11.  Schwelnfarlh  se  prononce  très  catégoriquement  sur 
iSs  avantages  offerts  par  Tobrouq,  dont  le  port  proroml  de 
6  à  ',)  brasses,  ayant  les  mêmes  dimensions  que  ceux 
d'Aileicandrie  et  de  Syracuse,  est  sinon  le  meilleur,  du  moins 
Ton  des  meilleurs  de  toute  laoôte  nord  d'Afrique.  Il  a  luoe 
entrée  iwane  et  large  qui  s'ouvre  du  o6té  de  l'borjzou  d'où 


I.  Tmil  fiOBla  à  penser  que  le  rcboiseuiniil  de  la  Marmarique  ul  de  la 
r.yrénaïque  aurait  de  boas  résulluU.  Daaf-  l'autiqiiilé  la  l'utiurus  amlnit 
4aoi  lies  forêts.  Aujourd'hui  ces  forôts  «al  disparu,  el  l'Ouàdi  Teiiiiiùni, 
qni  «iiL  lu  mOmQ  fleuve  ■{ue  lu  Puliiirus,  ne  contient  plus  dans  bqu  lit 
«juo  de  rare»  iliiques  d'euu  btiigimote. 


3<*iS  NOTE   sun  TOimOl'Q. 

les  Tcnls  violents  sont  les  plus  rares  dans  cette  partie  de  la 

Méditerranée. 

L'auteur  allennand  s'étonne  qu'une  puissance  européenne 
n'ait  pus  encore  créé  un  établissement  à  Tobrouq  cotntne 
l'Angleterre  en  a  créé  unà  'Aden.  I 

Pendant  la  visite  du  Cyrlop  5.  Tobrouq,  El-Ilâdj  Mançoûr 
Piclia,  gouverneur  du  vilâyel  de  Barga,  arriva  par  liasard 
à  Tobrouq,  et  il  parut  très  contrarié  d'y  trouver  la  canon- 
nière allemande.  Peut-être  venait-il  pour  surveiller  des» 
réfugiés  égyptiens,  anciens  partisans  de  Wrabi  Picha, 
qui  vivaient  autour  du  château.  Ce  vieux  fort  garde  par  une 
poignée  de  gendarmes  turcs  ne  protégerait  pas  sa  garnison  ■ 
contre  du  canon.  Il  n'y  a  pas  de  ville  ni  de  village  à 
Tobrouq;  toute  la  population  se  réduit  à  quarante  ou  cin- 
quante individus  de  la  fraction  ou  tribu  des  Oulâd  Harabi  , 
(groupe  de  tribus  du  Dàr  Fayal).  M 

On  peut  Glre  sûr  que  l'inslallatian  de  quelques  gendarmes 
dans  le  fort  de  Tobrouq  a  été  la  conséquence  du  voyage  de 
M.  Mamoli,  en  1882.  Les  autorités  turques  craignaient  de  ■ 
voir  soit  l'Italie,  soit  l'Angleterre,  prendre  pied  h  Tobrouq. 
Mais  il  y  a  de  cela  trois  ans  déjà  et  les  gendarmes  sont-ils 
restés  à  Tobrouq?  C'est  fort  douteux. 

Enfin,  revenant  sur  la  question  de  l'eau  douce,  dont  laj 
présence  à  Tobrouq  était  niée  ou  ignorée  par  le  colonel 
turc  en  1869  et  par  M.  Schweinfiirtli  en  1883,  il  est  clair 
que  l'eau  se  trouve  tout  près  du  port,  puisque,  préciséraenl  ; 
au  moment  du  passage  de  ce  dernier  informateur,    une 
centaine   d'hommes  et  une  cinquantaine  de  chevaux  (les 
Uiilàd  Harabi,  les  gendarmes  et  la   suite,  l'escorte  et  lesl 
animaux  de  transport  du   gouverneur   de    Ben-Ghizi)   yj 
trouvaient  de  quoi  s'abreuver.  Cette  observation  aurait  dù.| 
venir  à  l'esprit  du  voyageur  allemand.  La  citerne  où  il  a  vaij 
Teau  suinter  venait-elle  d'être  vidée  pour  les  besoins  du^ 
gouverneur  et  de  sa  suite"?  ou  bien,  ce  qui  est  fort  possible, 
les  habitants  croient-ils  devoir  tenir  cachées  leurs  ressources 


NOTE  SDR  TOBROUQ.  360 

en  eau?  C'est  ce  qu'on  ne  saura  qu'en  examinant  à  nouveau 
Tobrdbq  et  ses  environs.  Mais  l'eau  existe  à  Tobrouq,  car 
indépendamment  de  la  preuve  que  je  viens  de  donner,  il  est 
encore  impossible  d'admettre  que  l'on  exporte  des  grains 
d'an  port  où  les  convoyeurs  de  ces  grains,  qui  doivent 
arriver  longtemps  d'avance,  puisqu'il  n'y  a  pas  de  bâti- 
ments faisant  escale  à  dates  fixes,  devraient  apporter  avec 
eux  des  outres  pleines  en  nombre  suffisant  pour  se  désal- 
térer et  pour  abreuver  leurs  bêtes  de  bât  jusqu'au  moment 
où  leurs  marchandises  seraient  embarquées.  Pour  qui 
connaît  la  mobilité  du  caractère  des  Arabes,  cette  difficulté 
les  éloignerait  d'un  port  tel  qu'on  a  dépeint  Tobrouq. 

Ce  port,  si  négligé  par  le  commerce  européen,  joue  dans 
la  vie  des  populations  du  sud-est  du  bassin  méditerranéen 
un  autre  rôle  qui  mérite  une  mention.  C'est  par  Tobrouq 
que  le  grand  maître  de  la  confrérie  musulmane  de  Sidi 
Mohammed  Ben  *Alî  Es-Senoûsi  reçoit  à  Jerhboût,  sur  le 
territoire  égyptien,  les  approvisionnements  d'armes  et  de 
munitions  de  guerre  qu'il  tient  en  réserve  pour  faire  triom- 
pher un  jour  l'islam,  réformé  suivant  ses  vues  religieuses 
«t  politiques.  Par  une  conséquence  naturelle  de  ce  qui  pré- 
cède, au  mois  d'avril  1883,  les  explorateurs  al  emands  que 
nous  avons  nommés  trouvaient,  réfugiés  à  Tobrouq,  des 
vaincus  d'une  insurrection  musulmane. 

Docamentfi  imprimés  A  consalter  sur  Tobrouii. 

(On  ne  citera  pas  les  cartes  et  plans  de  ce  port  levés  par 
le  capitaine  Smith  (1821)  et  par  le  capitaine  Millard  (1861), 
de  la  marine  anglaise.  Ces  cartes  et  plans  sont  indiqués 
dans  le  catalogue  des  cartes  de  l'amirauté  anglaise.  Ils  ont 
été  utilisés  et  corrigés  sur  la  feuille  n°  2251  de  l'hydrogra- 
phie française.) 

Pseh».  —  Relation  d'un  voyage  dans  la  Cyrénaïque  et  la  Marma- 
rique.  Paris,  1827-1829. 

soc.  DB  fiÉGGR.  —  3°  TRIMESTRE   1890.  XI.  —  H 


370  NOTS   StJR  TOBROtQ. 

SMfiii.  —  The  Mediterranean.  Lottéret,  1844. 

■•rtii.  —  Wanderungen  durch  die  Kûstenlâudcr  des  MiUdnIeeres» 

Berlin,  1849. 
Mamoii.  —  Lettre  de  Tobrouq,  1"  février  1883  (Esploratore  di 

Milano,  n°  de  mai  1883,  p.  163  à  169). 
«chwefnnirui.  -~  Ein  Besuch  in  Tobrak  an  der  Kâste  von  Mar 

marie*  (Beiheft   zum  Mariti«v»«»imi»g!sblatt,   n"  47.  B«rKn, 

30  >ep4embre  1883,  p.  14  à  S^. 
sehweiararth.  —  Una  visita  al  porto  di  Tobrac  {Esphratore,  n°  de 

jain  1883),  traduction  du  travail  précédent  avec  additions,  plan 

et  vues. 
•ttveyrier.  —  La  cottfirérte  musulmane  de  Sidi  Mobammed  Ben. 

'AU  Es-Senoûsi.  Paris,  1884,  p.  2i  et  carte. 

(On  consulterait  encore  avec  utilité  les  Hydrographie  Notices- 
de  l'amirauté  anglaise  aux  années  18'ât  et  1861-1862.) 


EXPLORATIONS 

SAHS 

au  presqu'île  de  kola 

(1884-1885) 

PAR 

Charge   d'uBa  miasioa   sei*nt)ffqil» 
par  le  Ministre  de  l'Instruelion  publique  et  des  Beaux-Arls 

(a»  n  M) 


ETHNOGRAPBIE 


Les  régions  dont  nous  venons  de  décrire  l'aspect,  c'est" 
à-dire  en  Norvège  le  Sydvaranger,  en  Russie  la  Laponie 
finlandaise  et  la  presqu'île  de  Kola,  sont  habitées  par  des 
populations  appartenant  à  qualre.  races  dilTéreates,  On  y 
rencontre  des  Norvégiens,  des  Russes,  des  Lapons  et  d«S: 
Finnois.  Ces  divers  éléments  ethniques  ne  sont  point  can-> 
tonnés  dans  des  zones  distinctes,  mais  vivent  confoindas 
et  entremêlés.  Souvent  un  hameau  occupé  seaiem«nt  par 
quelques  familles  compte  des  représentants  de  trois  races 
différentes.  Toute  cette  région  de  l'Extrême  Nord  constitue 
une  mosaïque  de  peuples. 

Les  Scandinaves,  les  Russes  et  les  Finnois  se  sont  établis 
dans  ces  pays  comme  colons  aux  dépens  des  Lapons.  Le 
texte  le  plus  ancien  rekitif  à  la  presqu'île  de  Kola,  le  récit 
do  voyage  d'Otbère  écrit  par  le  roi  Alfred  (871-901),  nous 
la  montre  habitée  par  des  Lapons  vivant  à  cette  époque 


372  EXPLORATIONS   DANS   LA    I.AfOME  ttCSSE. 

comme  encore  aujourd'hui  des  produits  de  la  chasse  et  de 
la  pèche. 

Faute  de  documents,  il  est  impossible  de  fiser  la  date  de 
l'arrivée  des  Lapons  dans  les  rûpions  voisines  de  l'océan 
Glacial  dont  nous  nous  occupons  ici  ;  sur  ce  point  l'historien 
ne  peut  émettre  que  des  conjectures.  Il  estcftpendant  permis 
de  supposer  que  le  bassin  de  l'Enara  a  été  peuplé  par  ce 
peuple  à  une  époque  très  reculée,  peut-être  môme  aux 
temps  géologiques*.  Venant  de  l'Est  et  se  dirigeant  vers  le 
Nord,  les  Lapons  ont  dû  suivre  au  cours  de  leur  grande 
migration  les  routes  naturelles  conduisant  des  pays 
riverains  rie  la  Baltique  à  l'océan  Glacial,  comme  celle 
de  rounasjoki  et  du  Pasvig  qui  traverse  l'Enara.  Les 
mt^aifs  voies  parcourues  aujourd'hui  par  les  Finnois  dans 
leur  marche  vers  l'océan  Arctique  ont  selon  toute  vrai- 
semblance servi  antérieurement  aux  Lapons. 

Df!  nomlirenses  traces  de  populations  archaïques  se  trou- 
vent du  reste  dans  le  Sydvarangcr  et  dans  la  Laponie  finlan- 
daise. A  l'embouchure  du  Pasvig,  sur  la  rive  gauche,  à  3 
mMros  au-dessus  de  la  rivière,  est  située  une  grotte,  ouverte 
dans  lu  pegmalite  graphique.  Cette  roche  se  délite,  comme 
on  sait,  facilement,  et  il  n'a  pas  fallu  grand  travail  pour 
transformer  en  abri  la  caverne  formée  sous  l'action  des 
agents  atmosphériques.  Cette  grolle  ayant  été  habitée 
par  Trifon,  l'apôtre  des  Lapons  russes  au  xv*  siècle,  est 
regardée  par  les  indigènes  comme  un  lieu  sacré.  Auparavant 
elle  a  dû  servir  d'abri  aux  premiers  habitants  de  la  vallée*. 


1.'  Lns  La|i(.iiis  iluunuat  le  nam  de  Suolotsjilgi  (dos  <1e  l'ilc)  à  la 
Maanielkn,  In  ligne  ilt^s  linntcurs  !^i^pariint  le  bassin  de  l'Enara  de  celui 
du  KriiiielC.  MM,  Qvijfslacl  et  Sandlcr^;  {Lappiske  ei'enlyr  of  folkesagn. 
Kristiaiiiii.  1887,  |>.  'Si)  pensent  que  celte  dcnoniiaattoQ  rappelle  le 
suuv<'iiir  lie  traditions  gc  rapportant  à  rcnvaluKgenicnl  de  celte  régloD  par 
los  eaux  di>  la  im-r  à  la  Un  du  quaternaire.  Ils  senihlenL  croire  par  suite 
i|Ue  les  l.apoiisoecupiiient  le  bassin  de  l'Enara  déjà  à  celle époqut  lointaine. 

i.  U'aprùs  MM.  Uvigtlad  et  Sandlicrg  {Inc.  cit.,  p.  7,  ii*  i),  on  trouve 
un   grand   nombre   de    grottes  Bcniblubles  dans  le   Sydvaraiiger,  i  Kir- 


y* 


EXPLORATIONS  DANS  LA  LAPONIE  RUSSE.       373 

Et)  amont,  à  4  kilomètres  du  village  de  Boris  Gleb, 
en  dessous  du  Harefoss,  on  remarque  au  milieu  des  bois 
une  excavation  presque  carrée,  large  de  8  mètres,  profonde 
de4B50,  et  à  côté  un  second  trou  entouré  d'un  cercle 
de  pierres.  A  notre  avis,  il  faut  voir  là  une  chausse-trappe 
pour  capturer  les  rennes  comme  en  creusent  encore  aujour- 
d'hui les  Lapons  russes  et  un  abri  pour  permettre  au  chas- 
seur de  s'embusquer  et  de  &e  rendre  maître  du  gibier  après 
sachutedans  le  trou.  Le  renne  sauvage  ayant  disparu  depuis 
longtemps  de  ces  parages,  ce  travail  doit  être  très  ancien. 
ËnSn  dans  la  vallée  du  Pasvig,  les  fouilles  mettent  souvent 
à  jour  des  objets  en  pierre.  Sur  les  bords  du  Tschalmijauri 
nous  avons  acheté  une  Ûèche  en  schiste  argileux  pro- 
venant d'une  tourbière  voisine.  Dans  le  bassin  de  l'Enara, 
ootaniment  dans  une  île  du  Maddusjârvi,  de  semblables 
trouvailles  ont  été  faites.  Tous  ces  objets  sont  en  schiste 
poli  et  datent  par  conséquent  de  l'âge  de  la  pierre  arctique. 


l'entes,  sur  les  rives  du  Jarfjord  et  du  Jakobselv  notamment,  ainsi 
pe  sur  la  côte  mourmane.  «  Toutes  ces  cavernes  affectent  une  forme 
ronde  ou  carrée;  généralement  elles  sont  profondes  de  â  mètres  et  hautes 
'fi  4.  Les  murs  et  le  sol  étaient  recouverts  d'écorce.  Les  fouilles 
opérées  ont  mis  à  jour  des  ossements  d'animaux  et  des  arêtes  de  poissons, 
preuve  qu'elles  ont  servi  d'habitation  à  un  peuple  de  chasseurs  et  de 
pêcheurs.  »  Â  l'occasion  du  voyage  d'un  prince  de  la  famille  impériale 
de  Russie,  la  caverne  de  Trifon  ayant  été  nettoyée,  il  ne  nous  a  pas  été 
possible  d'y  découvrir  des  vestiges  de  ses  anciens  habitants.  Dans  le  pre- 
mier morceau  du  recueil  de  traditions  auquel  nous  empruntons  ces  ren- 
seignements, Du  temps  des  Tchoudes  (Tsjudetiden),  il  est  fait  allusion  à 
ces  grottes  habitées  parles  Lapons. D'après  M.  Svenonius  (r»ier.,1885, 1, 
Stockholm.  Résumé  de  la  séance  du  16  janvier  1885  de  la  Société  de 
géographie  de  Suède),  le  vocable  Lap  dériverait  du  mot  lapon  lappa 
•ignifiant  grotte;  les  Lapons  seraient  par  suite  les  gens  des  cavernes. 
Encore  aujourd'hui  en  Suède  ces  indigènes  utilisent  tous  les  abris  de  ce 
genre  qu'ils  connaissent.  Certaines  excavations  placées,  par  exemple, 
sur  leurs  routes  de  migration  servent  de  père  en  fils  de  gites  d'étape. 
Avant  que  les  Lapons  eussent  appris  à  domestiquer  le  renne,  alors  qu'ils 
liraient  leurs  ressources  de  la  chasse  et  de  la  pêche,  M.  Svenonius  pense 
.qu'ils  vivaient  toujours  dans  ces  lappas,  d'où  leur  serait  venu  le  nom 
qu'ils  portent. 


371  EXPLOHATIONS    BANS    LA    LAPONIE    nC5SE. 

Cetle  époque  ne  remonte  pas  à  une  1res  haute  antiquité  ; 
elle  coïncide,  croU-on,  avec  le  début  de  la  périodehistorique 
dans  nos  pays  et  a  persisté  presque  jusqu'à  nos  joors.  A  la 
tin  du  siècle  dernier,  les  indigènes  de  la  paroisse  d'Enara 
garnissaient  encore  de  lances  A  pointes  en  pierre  les  trappes 
qu'ils  creusaient  pour  capturer  des  rennes  sauvages'. 

Les  Norvégiens  [et  les  Russes  ne  sont  arrivés  que  long- 
temps après  les  Lapons  dans  le  Sydvaranger  et  dans  la  pres- 
qu'île de  Kola.  A  la  suite  du  voyage  d'Olhère  de  nombreux 
Scandinaves  visitèrent  la  c6te  de  l'océan  Glacial  ju5f]u'à  la 
mer  Blanche,  cototne  nous  l'avons  raconté  dans  un  chapitre 
recèdent,  p.  35;  au  xin*  siècle  seulement  ils  s'établirent 
définitivement  en  Pinmark.  Deux  cents  ans  auparavant 
les  Novgorodiens  avaient  déjà  pris  pied  dans  la  presqu'île 
de  Kola,  mais  ce  ne  Tut  que  deux  siècles  plus  tard  qu'ils 
atteignirent  le  littoral  de  foccan  Glacial. 

Les  Scandinaves  et  les  Novgorodiens  ont  été  précédés 
par  les  Finnois  de  Finlande  dans  ces  régions  occupées 
par  les  Lapons-  Le  Kalevala,  la  grande  épopée  linnoise, 
qui  aurait  él^  composée  du  v  au  vm'  siècle,  d'après 
Retzius,  ou  vers  le  ui'  siècle,  d'après  M.  de  Qualiefages, 
nous  montre  cetle  race  en  relations  avec  les  Lapons  -. 
D'autre  part,  à  une  date  qu'il  est  difficile  de  fixer,  mais  en 
tout  cas  antérieure  à.  l'arrivée  des  Russes  dans  la  presqu'île 

1.  Monteliii». 

2.  iJc  nombreux  auteurs  pensent  que  les  indigènes  de  Pohja  ou  de 
Pohjula,  dont  la  lude  avec  cou\  <le  Kalevala  furme  un  des  kujels  du 
poème,  sont  les  Lapuns  et  une.  ]a  nom  de  rohjola  désigne  la  LaponÎA. 
M.  Ilet/iiis,  diint  l'autorité  en  niiiLiÎTe  d'eCliiuigiapliic  finiiDisc  est  univcr- 
■selliïmenlreoonnup,  ncpartape  pnscetto  opininfl  (Fiimlia  Kranier,  Slock- 
lioliD.p.l tôV  Hansle  cliant  XIII  du  htilrvulu,  parexemplc,  le  mol  Laponie 
est  employé  à  cAlnde  celui  de  Pohjoln  pour  dcsipner  une  région  distincte 
«t  plus  éloignée.  Hiiti  s'adressaot  à  l'élan  que  doit  povirsuivrc  Lemnii- 
karnen  s'écrie  :  «  Pars,  maintenant,  (^  élan  de  Hiisi  ;  vulc,  clan  rapide. 
n  vars  les  lletix  où  s'accouplent  les  rennes,  vers  les  champs  des  Tils  de 
•  Lapuoie.  .  .  »  Et  l'ëlan  do  Hiisi  s'clanrîi,  1p  rapide  animal  prit  son 
essor  vers  les  régions  de  Polija,  vers  les  rlinnips  de  Laponie.  i  {Le  Kale- 
vala, traduit  par  L,  Léouzon  Le  Duc,  p.  ItO,  Paris,  \%l'i.) 


I 
I 


KXI'LOIIATIONS    IJAKs    LA    LAI-O-MK    RUS.SK.  375 

de  Kola,  des  Carélieas  ont  pénétré  dans  ce  dernier  pays  et 
plus  Urd  onL  fait  de  rréquaalcs  invasions  dans  la  Finlande 
-seplentrionale,  Les  lapons  d'Knara  oiit  consené  encore 
aujourd'hui  le  souvenir  de  ces  luttes.  Les  légendes  re- 
cueillies parmi  eux  par  MM.  QvigsUtd  el  Sandberg  racontent 
la  guerre  acharnée,  sans  pitié,  soutenue  par  ces  pauvres  in- 
digènes contre  les  Tchoudes'  une  puis$anlâ  raice  finnoise 
établie  à  l'est  de  leur  pays,  proLablenienl  ks  Carélieus-. 
(  Des  troupes  de  ces  pillards,  rapporte  une  tradition,  arri- 
vaient à  chaque  instant.  A  peine  une  bande  av;iit-el)e  tra- 
versé le  pays  qu'une  autre  survenait;  l'intervalle  de  leur 
passage  était  trop  court  pour  que  la  marmite  pût  refroidir,  v 
De  DOS  jours  encore  les  Lapons  vous  parleot  d'une  incursion 
des  Tclioudes  comme  d'une  cventualilé  iiu'ils  redoutent.  Il 
arrive  même  que  ceux  de  ces  indigcues  qui  vivent  h  l'écart 
dans  la  région  montuemie  de  la  Scandinavie  prennent  de 
paisibles  voyageurs  pour  des  Tchoudes  et  qu'ils  leur  fout 
subir  le  sort  que  leurs  ancùtres  réservaient  à  leurs  euuemis 
quand  ils  en  avaient  l'occasion  '. 

1.  Le  nom  de  Ti;lioud«  a  ua  sens  très  vaguo.  Saus  cotte  déaoïnina- 
lioti  certains  elhaai;i'aplie8  i!n;;]obuat  luus  les  Finnois  de  la  ttussic, 
tandis  i|ue  d'autres  la  réaerveat  pour  les  populalii>ui  de  race  rittooise 
babltial  au  sud  du  ^>alfe  dL-,  Finlanilo.  Dan^  la  bauctio  da  loin  les  indi- 
gènes do  lu  Etussi<<  et  niénia  itelaSibêi-iâocciilenlale,  il  désiguu  les  pupu- 
lations  prÉtiistorii]iies  dont  tes  ItSgenJiis  ont  conservé  le  souvenir 
«ajjue  ou  dont  le  soi  garde  d«»  vestiges  muets.  Comme  l'inilique  trè& 
justement  M.  Sommier  [Un  EsUHe  in  .Vtbi^rïa,  p.  13),  ce  nom,  eomne 
celui  des  anciens  Scythe»,  s'appliiiuc  à  de.i  peiiptca  d'orit^ine  diverse.  Ici 
il  désigne  évidemment  des  rinaois.  Au  milieu  de  xiii*  siÈcle,  il  était 
enooie  donné  aux  Carélieus  des  liords  du  lui;  Uiiej^a.  Le  testLinient  de 
Lazare,  fundaleur  Ju  cliiilro  Moorinnska,  porto  on  termes  esprAs  que  la 
région  voisine  de  cette  grauile  unp|ic  d'eau  éluit  liabilée  par  des  Lapons 
et  par  des  Tchoudes  (Diiheii,  thu  Lnpiilmu!  ncli  Lapimnie  foret radetvi.i 
lie  Si'eiiitke,  p.  302). 

i.  la  légeudc  «  tes  Tchoudes  et  le  ^uide  sur  la  ^:lacc  n  (n°  li,  p.  13 
ioc  ciL)  iiuiitient  ua  détuil  elhiiogrupUiiiuo  probant  l'i  eet  éj,'ard.  Le 
«.'tief  des  pilliirds,  racoiitc-t-elli.;,  i-tait  chaussé  de  mocassins  finnois  qui 
Vcmpi'^chalent  de  luurcher  rapidamuul  sur  la  jjçlace. 

3.  £n  1881,  du  Lapons  de  la  paroisse  du  Jukkttjurvi,  près  d^asource» 


376 


EXI'LORATrONS   DANS   LA    LArONIK   RUSSE. 


Pendant  la  période  historique,  les  Finnois  se  sont  établis 
î\  demeure  dans  le  Sydvaranger  et  dans  la  Laponie  finlan- 
daise. En  12fj4,  des  Bjarraes,  probablement  les  descendants 
ries  anciens  ïcboudes,  chassés  des  bords  de  la  Dvina  par 
une  invasion  de  Tatares,  vinrent  chercher  un  refuge  sur  la 
rive  méridionale  du  Varangerfjord.  Le  nom  de  Karleboltnen 
(Golfe  des  Cari-lienu)  donné  à  une  baie  de  ce  fjord  rappel- 
lerait le  souvenir  de  ces  anciens  occupants  du  pays*.  Plus 
lard,  à  la  suite  des  guerres  sanglantes  dont  la  Finlande  fut 
le  théâtre,  au  xvrii'  siècle,  les  Finnois  commencèrent  à 
émigrer  vers  la  côte  de  l'océan  Glacial.  Tous  ceux  qui 
purent  partir  quittèrent  alors  leur  patrie,  les  uns  se  diri- 
geant vers  la  Suède,  les  autres  vers  le  Finmark  norvégien. 
Depuis,  ce  mouvement  de  migration  ne  s'est  point  arrêté, 
et  aujourd'hui  on  peut  évaluer  à  une  dizaine  de  mille^  le 
nombre  des  Finnois  établis  actuellement  dans  les  trois 
départements  de  la  Norvège  septentrionale  :  Finmark, 
Tromsô  et  Nordtand.  Vers  le  sud,  l'Ofotenfjord  marque  la 
limite  de  leur  colonisation;  au  delà  on  ne  trouve  plus  que 
quelques  familles  isolées.  Le  plus  grand  nombre  de  ces 
Finnois  habitent  le  Finmark,  notamment  le  district  oriental 
de  ce  déparlement,  où  en  plusieurs  endroits  ils  forment  la 
majorité  de  la  population.  A  l'ouest  du  cap  Nord,  leurs 
centres  principaux  se  trouvent  sur  les  rives  de  rAltcnfjord, 
et  dans  la  partie  orientale  du  département  de  Tromsô,  à 
Skjervô  et  à  Lyngen.  Ces  immigrés  ne  se  fondent  pas  avec 
les  Scandinaves;  au  contraire  ils  absorbent  les  Norvégiens, 
dans  certaines  localités,  et  partout  les  Lapons.  Le  résultat 
de  ces  unions  entre  ces  différentes  races  sera  la  formation 
d'une  population  mélisse  composée  de  Norvégiens,  Lapons 


(lu  Kalixcir (Laponie  Buédoise),  asMSsinbienl  deux  voyageurs  Ilnnais  qu'ils 
avaîenl  pris  pour  des  pillards  tchoudes  (Qvigstad  et  Sandberg,  loc.  cit., 
p.  3.) 

1.  Kcilhaii,  licite  i  f)it-og  Vest-I'inmarken,  etc.,  p. 24. 

2.  En  1880,  7,637  plus  2,822  méliu 


EXPLOHATIONS  DANS  LA  LAPONIE  RUSSE.       377 

et  Finnois  dans  laquelle  dominera  l'élément  ânlandais.  Les 
FioDois  de  Norvège  conservent  l'usage  de  leur  langue,  ils 
l'imposent  même  aux  Scandinaves  et  aux  Lapons,  si  bien 
que,  dans  certaines  parties  du  Finmark,le  norvégien  devient 
noe  langue  étrangère.  Robustes,  endurants,  persévérants, 
s'assimilant  aux  différents  milieux  avec  une  merveilleuse 
facilité,  les  Finnois  ont  colonisé  le  Finmark,  et  c'est  à  eux 
que  celte  province  doit  sa  prospérité  actuelle. 

Les  Norvégiens  donnent  aux.Finnois  le  nom  de  Kvœn  ou 
QBwn,  réservant  celui  de  Fin  (Finner  au  plur.)  pour  désigner 
les  Lapons.  Longtemps  on  a  cru  que  ces  Kvscns  constituaient 
nn  groupe  ethnique  de  la  race  finnoise,  au  même  titre  que  les 
Caréliens  et  les  Tavastlandais.  Retzius  {Fivska  Kramier) 
a  même  partagé  cette  opinion.  Tout  récemment  M.  Sommier 
a  reconnu  au  contraire  que  cette  population  ne  présente 
aucune  différence  avec  l'ensemble  de  celle  du  Grand- 
Duché*,  et  que  l'on  devait  cesser  de  la  considérer  comme 
une  entité  ethnique.  Le  nom  de  Kvsen  est  une  ancienne 
dénomination  géographique  très  vague,  à  laquelle  on  a  eu 
tort  d'attacher  un  sens  précis.  Dans  la  relation  du  voyage 
d'Othère*,  le  roi  Alfred  appelle  Cwenland  le  pays  situé  au 
nord  de  la  Baltique,  probablement  le  Norbottenslan  dont 
les  Finnois  forment  la  majorité  de  la  population  et  la  partie 
adjacente  de  la  Finlande.  La  Saga  d'Eigil,  dont  la  date  de 
la  composition  peut  être  placée  entre  850  et  l'an  1000,  con- 
sent également  le  nom  de  Quânland  pour  désigner  la  même 

!■  Stepben  Sommier,  Due  Comunicaiionî  fatte  alla  Societa  d'Antro- 
fologia  m  Lapponi  e  mi  Finlandesi  iettentnonali.  Extrait  de  VArchivio 
Ptr  l'Antropologia  e  l'Etnologia.  vol.  XVI,  f.  1,  1886. 

2- 117.  A^l'extrémité  méridionale  de  la  Norvège,  au  delà  des  montagnes, 
**  trouve  la  Suède  qui  s'étend  vers  le  nord  ;  au  nord  de  ce  pays  est 
»lné  le  Cwenland.  De  temps  à  autre  les  Cwenes  traversent  les  monta- 
gaes  pour  aller  piller  les  Norvégiens,  et  vice  versa.  A  la  base  des  monta- 
goei  s'étendent  de  grands  lacs.  Les  Cwenes  portent  leurs  canots  à 
travers  les  terres  jusqu'à  ces  nappes  d'eau  et  de  là  partent  en  incursions 
'l)ei  les  Norvégiens.  Ils  possèdent  un  grand  nombre  de  petits  bateaux 
Irts  légers  (cité  par  Dubeo,  loc.  cit.,  p.  352). 


I 
I 


;]78  EXPLimATIONS   DANS    LA    l.AI>OMK   RUSSE. 

région*.  Au  moyen  âge  les  Kmens  élaient  donc  les  Finnois 
hitbitant  au  nord  de  la  Baltique;  ce  nom,  plus  lard  oublié 
de  tous,  a  élé  conservé  seulement  par  les  Norvégiens,  avec 
d'autant  plus  de  raisons  que  les  Finnois  immigrés  en  Nor- 
vège viennent  de  la  partie  de  la  Fiulande  appelée  Cwenland 
dans  les  anciens  documents. 

Ces  considérations  générales  exposées,  éludions  mainte- 
nant les  diverses  populations  établies  dans  le  Sydvaranger, 
la  Laponie  finlandaise  et  la  piresqu'ile  de  Kola. 


1 


La  rife  méridionale  du  Varangerfjord  qui  forme  le  district 
de  Sydvaranger  est  une  colonie  ûnnoise  en  territoire  nor- 
végien, comme  d'ailleurs  la  côte  septentrionale  de  cette 
baie*.  Sur  une  population  de  i,000  âmes,  cette  circon- 
scription ne  compte  pas  moins  de  852  Finnois  et  de  185  mé- 
tis finno-lapons.  Un  de  leurs  principaux  centres  est  Neiden.  M 
Tous  vivent  de  la  pâche  de  la  morue,  en  ajoutant  aux  pro-^ 
duits  de  celle  industrie  ceux  de  la  culture  de  quelques 
carrés  de  pommes  de  terre  et  de  l'élevage  de  botes  à  cornes. 

La  plupart  des  Lapons  établis  dans  ce  district  sont  égale' 
ment  pêcheurs;  presque  tous  habitent  des  maisons  en 
bois.  A  Neiden  se  trouve  une  petite  colonie  de  quelques 
Lapons  russes. 

L'élément  ethnique  dominant  dans  la  partie  delà  Finlande 


^ 


1.  A  l'est  «du  Naiiraadal  »,  portece  dncumenl.ie  irouvont  le  Jacntlaad 
pois  le  Quaaiaiid,  au  delà  la  •  Kiiinland  ",  la  Carélie,  ealui,  au  dtlkia 
i«a»  ces  pays,  le  «  Fînmurk  »  (Diibeo.  Itic.  cit..  p.  363). 

i.  Sur  une  population  de  i,i)0(}  âin«s,  Vadsii  compte  1.3(J0  FtnDoU  et 
seulement  7U0  Êcaiidiaavet.  Cliai^ue  race  eit  canlonnée  dkns  unâ  partie 
distincte  de  la  Tille.  Au  fond  ie  la  baie  et  au  centre  da  Vadso  &e  trouve 
tu  Tille  norvégMinei.',  un  groupe  de  maison*  appelé  Midtre  Vadso. 
A  l'ouL'tt  une  longue  rangée  de  inaiioiu  eonstruiLc*  sur  la  riva  forme  la 
ville  nnnoiae,  la  Â'iwaty.  A  l'e^t,  Yidfto  ee  prol«ii;fe  éj^eiMol  par  uo 
second  làuboiirg  (Innois. 


I 


OXS    DANS    LA    LAPONIE    IIDSSE.  379 

Maanselk.1  est  la  race  lapone.  Les  sta- 
tiitiqiies  officielles  fixent  à  927'  le  nombre  des  Lapons 
établis  dans  le  Grand-Duché.  Ce  chiffre  est  évidemnient 
trop  Faible,  comme  du  reste  tous  ceux  relatifs  à  celte  race 
jwbiiés  dans  les  documents  officiels.  Les  Lapons  n'avouent 
pss  volontiers  leur  narionalité  et  pour  celte  raison  les 
dénombrements  qui  en  ont  été  faits  sont  pîus  ou  moins 
entachés  d'erreurs.  En  Finlande,  par  exemple,  un  certain 
Aotnbre  de  ces  indigènes  devenus  sédentaires  se  disent  Fin- 
nois, de  même  qu'en  Norvège  beaucoup  d'entre  eux  se  font 
passer  pour  Scandinaves  parce  qu'ils  habitent  des  maisons 
due  portent  plus  îe  vêlement  spécial  à  leur  race.  Dans  la 
région  de  l'Enara,  nous  axons  rencontré  plusieurs  exemples 
de  ce  fait.  Ces  soi-disant  Finnois  avaient  les  cheveu.t  noirs, 
«l  seulement  en  les  pressant  de  questions  ils  avouaient 
leur  véritable  origine.  D'autre  part,  une  partie  des  descea- 
(laols  des  premiers  colons  finnois  venus  dans  le  pays  ont 
également  dans  les  veines  du  sang  lapon"-.  Plus  au  sud, 
dans  la  paroisse  de  Sodenkylii.  sur  les  bords  du  Muonio  et 
Mirceux  du  Kemilrask,une  partie  des  habilauts  descendent 
également  de  Lapons  feunisés'.  En  résumé,  dans  tout  le 
QOrd  de  la  Finlande  le  fonds  de  la  population  est  formé  de 
bpons  plus  ou  moins  mélangés  d'éléments  finnois,  mais 
aujourd'hui  les  paroisses  les  plus  septentrionales  du  Grand- 
Duché  renferment  seules  des  individus  de  race  relativement 
pttre.  Sur  une  popwl;«lion  <lc  1,000a  1. 100  habitants,  la 
paroisse  d'Enara  compte  environ    OlM)   Lapons'   et  celte 


I.  Ignatins,  ler  Psuple-i  jintio-oiiijrieiix  Uûuinnl  de  lu  Société  de 
Stalitlique  de  l'aris.  d'vr.  \SSG). 

i,  Sor  noB  iivpulation  de  1,Ù57  Aines  i<i  st*lislii|iio  ofliciellfl  ne 
ompte  pas  moins  179  métis  Lapons  Hniiois  iBovkhnrov,  l'uifulka  po 
Uj)t«HHu,  t9ain(-l'cter»bourg,  16S5,  fi.  liH);  très  cerlaineineiil  leur 
••Klif  Cil  iiloi  flev<'-. 

a        0 

II.  M.  A.  Oiislnsn,  Htseminnen  fivn  aren,    IS8K-18i4,  pp.  7  et  70. 

l.  ChifTrcs  (loniiës  par  le  pnsicur  dT.n.ira,  U'aprè.s  hoiikharor  lioCt 
cit.,  p.  12))),   IGO  Lapons,  phis  les  17.1  métifi. 


380       EXPLORATIONS  BANS  LA.  LAPOME  RUSSE. 

d'Utsjok,  377'.  Dans  ce  nombre  se  trouvent  seulement  une 
vingtaine  de  familles  vivant  principalement  de  l'élevage  du 
renne*. 

Ces  familles  appartiennent  k  la  catégorie  des  Lapons  fores- 
tiers. Toute  l'année  elles  habitent  sous  la  tente  dans  les  bois, 
changeant  seulement  de  temps  en  temps  de  campement  pour 
procurer  de  nouveaux  pâturages  à  leurs  troupeaux.  L'été, 
elles  s'établissent  sur  les  bords  d'un  lac  ou  d'une  rivière  pour 
ajouter  les  ressources  de  tapôche  àcelles  que  leur  procurent 
leurs  rennes.  Une  famille  posséderait,  nous  a-l-on  dit,  un 
troupeau  de  2,0Û0  têtes. D'après  lepasteur  d'Enara,  lesLapons 
de  ce  district  seraient  propriétaires  d'environ  onze  mille 
rennes.  La  statistique  insérée  par  Boukharov  indique  seule- 
ment la  présence  de  8,000  de  ces  animaux  dans  tout  le  dis- 
trict; 6,000  appartiendraient  aux  forestiers,  les  autres  aux 
colons  linnois  et  aux  Lapons  pêcheurs.  En  moyenne,  ces 
derniers  possèdent  une  cinquantaine  de  rennes  par  famille 

La  majorité  des  I^apons  d'Enara  sont  pécbeurs.  Les  néces- 
sités de  leur  industrie  obligent  ces  indigènes  à  de  fréquents 
déplacements.  L'hiver  ils  séjournent  dans  les  forêts  et  au 
printemps  vont  s'installer  sur  le  bord  des  lacs  pour  changer 
ensuite  de  résidence  eri  été,  puis  en  automne.  Chaque 
famille  possède  sa  station  pour  les  différentes  saisons  et 
tous  les  ans  vient  y  passer  quelque  temps.  Ces  stations  se 
composent  de  plusieurs  constructions.  Celle  de  Svarvanjargi, 
sur  l'Enara  par  exemple,  comprenait  une  maison,  une 
fiame^,  trois  magasins  et  un  abri  pour  les  canots.  Quelques- 
unes  de  ces  habitations  sont  très  propres  et  contiennent 


I 

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i 

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1.  lioukliarov.,  loc.  cit.,  p.  178. 

a.  D'après  le  pasteur  d'Ënara,  on  compterait  dans  sa  paroisse  dix-sept  , 
l'aiiiilles  menant  ce  genre  de  v'\f,  suivant  Boukliarov^  seuleiacnl  stMxi*. 
Ce  dernier  nombre  comprend  dix  familles  originaires  d'Enara  avec 
2'J  personnes,  et  six  éniigrées  d'dtsjok  avec  un  efleclif  de  ^5  indi- 
vidus. Dans  cette  dernière  paroisse  il  y  aurait  en  outre  5  Taniilles  de 
nomadei. 

3.  Voir  la  description  de  cotlc  biilt*.',  p.  lH. 


EXPLORATIONS  DANS  LA  LAPONIK  RUSSE.      381 

un  mobilier  assez  convenable,  des  lits,  des  chaises,  voire 
même  des  suspensions  en  porcelaine;  une  renfermait  même 
une  chambre  tapissée  de  papier. 

Outre  les  ressources  de  la  pêche  ces  Lapons  ont  celles 
de  la  culture  de  quelques  carrés  de  pommes  de  terre  et  de 
l'élevage  de  brebis  et  de  bêtes  à  cornes.  Un  indigène,  du  nom 
de  Kowa,  est  propriétaire  de  sept  vaches;  il  est  vrai  qu'il 
appartient  à  l'aristocratie  du  pays.  En  1672,  dans  les  luttes 
contre  les  envahisseurs  caréliens  ses  ancêtres  déjà  établis 
sur  les  bords  de  l'Enara  ont  joué  un  rôle  héroïque  dont  les 
traditions  ont  conservé  le  souvenir*.  Une  fois  les  lacs  re- 
couverts de  glace,  tous  ces  Lapons  deviennent  chasseurs. 
L'écureuil,  dont  la  peau  était  si  recherbhée  par  les  anciens 
Finnois,  est  poursuivi  par  eux  avec  acharnement.  Durant 
l'hiver  1883-1884  un  seul  indigène  de  ce  district  a  abattu 
plus  de  six  cents  de  ces  petits  rongeurs.  Le  grand  tétras 
{Tetrao  urogallus  L.)  et  le  tétras  des  saules  (Lagopus 
subalpinus  L.)  sont  également  l'objet  d'une  chasse  sans 
merci.  Pour  capturer  les  lagopèdes,  les  Lapons  n'emploient 
guère  que  le  lacet,  réservant  leurs  munitions  pour  le  coq 
de  bruyère  et  l'écureuil.  Leurs  armes  à  feu  sont  d'un 
modèle  très  primitif;  un  des  Lapons  que  nous  avons  ren- 
contrés était  armé  d'une  sorte  de  pierrier  datant  certai- 
nement de  plusieurs  siècles.  POur  atteindre  l'écureuil  et  le 
grand  tétras,  les  Lapons  emploient  des  chiens  spécialement 
dressés  à  cette  chasse.  Ces  animaux  battent  la  forêt,  et 
dès  qu'ils  aperçoivent  un  coq  perché  sur  un  arbre,  donnent 
immédiatement  de  la  voix  en  regardant  l'oiseau.  Le  tétras, 
au  lieu  de  s'envoler,  fixe  alors  le  chien  comme  s'il  voulait  se 
jeter  sur  lui;  le  chasseur  a  ainsi  toute  facilité  pour  l'abattre. 
Quand  le  chien  découvre  un  écureuil  sur  les  branches  d'un 
pin,  il -jappe  en  mordant  le  pied  de  l'arbre'.  Les  Lapons 

1.  Castren,  ioc.  cit.,  p.  li. 

2.  Cette  chasse  était  pratiquée  de  la  même  manière  par  les  anciens 
Finnois.  Dans  sa  lutte  d'évocations  magiques  avec  son  hôte  de  Polijola, 


KXPLOnATIONS    D\^'S   LA   LAPOMK   RUSSE 

d'Enara  paraissent  peu  se  saucier  des  palmipèdes,  Irès 
abundants  sur  lous  les  lacs  et  toules  les  rivières  de  la 
région,  mais  ils  sont  très  friands  de  leurs  fcnfs.  Afin  de 
s'en  procurer  facilemenl  ils  placent  sur  les  arbres  rive- 
rains des  nappes  d'eau  des  nids  artincicls  dans  lesquels 
ces  volatiles  viennent  déposer  leurs  œiils.  Ces  nids  sont 
formés  d'une  boîle  carrée  percée  d'un  Irou  par  lequel  l'oi- 
seau peut  entrer. 

Les  Lapons  d'Enara  ayant  des  relations  assez  fréquentes  J 
avec  des  marchands  ont  un  costume  moins  sommaire  que 
leurs  congénères  vivant  au  milieu  des  montagnes  de  la 
Suède.  La  plupart  ont  des  chemises  et  mfme  des  gilets. 
Par-dessus  lous  revêtent  l'hiver  un  pnsk\  et  en  été  un 
kofta  (tunique  en  vadmel).  (Juelques  indigènes  ont  ce  vê- 
lement garni  d'une  ornementalion  que  nous  n'avons  ob- 
servée  nulle  part  ailleurs.  Le  col  du  kofta  est  couvert  de 
bandes  d'étoffe  bleue  el  rouge  juxtaposées,  dont  l'une  est 
semée  de  croix  en  drap  jaune;  les  épanleltes  et  les  entour- 
nures des  manches  portent  également  des  lisérés  jaunes 
et  rouges,  et,  jusqu'au  milieu  du  dos  descend  une  ligne  de 
losjinges  rouges;  tout  cela  formant  une  bigarrure  très 
agréable  à  l'œil. 

Les  Lapons  pêcheurs  d'Enara  se  nourrissent  principale- 
ment de  poisson  et  de  gibier;  à  cet  ordinaire,  ils  ajoutent  du 
lait,  des  pommes  de  terre,  des  baies  sauvages-  et  quelque- 
fois en  hiver  de  la  viande  de  renne  lorsqu'ils  abattent 
une  t^te  de  leur  troupeau.  Éloignés  de  toute  réj^ion  agri- 
cole, séparés  pour  ainsi  dire  du  monde  par  des  déserts  sans 
route,  ils  peuvent  rarement  se  procurer  de  la  farine,  et 
bien  souvent  ils  sont  réduits  à  manger  une  sorte  de  pitte 


LemmiiaiDcii  (uil  enlrcr  en  scène  im  écureuil  pour  »iiutiller  mir  lec 
poutres  de  la  maiinn  et  pruvoquer  le  c!ii<M!    k  .ilioyer  {kaleiiala.  2"  ruiiu>. 

1 .  Tuitiqiie  en  peau  de  renne  dont  la  rdiuTiin?  oal  Uxirnùo  vcra  l'ex- 
térieur. 

i.  Hniiui  ilhammmoru»  L.:  /{mZ/kh  trelicui  L.,  etc. 


EXnX>RATIONS  DàNS  LA   LAPONIE   ROSSE.  383 

fiute  en  grande  partie  d'écorce  de  jeones  pins  sylvestres 
ou,  à  défaut,  d'écorce  de  bouleau.  Voici,  d'après  les  auto- 
rités culinaires  du  pays  les  plus  compétentes,  la  recette  de 
la  préparation  de  ce  pain  :  on  pulvérise  d'j^rd  l'écorce, 
puis  on  la  jette  dans  une  jatte  d'eau  contenant  de  la  farine 


FiCUHE  4. 

finttoiron  og  serrant  à  délacher  les 
ttiras  fikprem  des  Innés  des  pias' . 
(Birara)  (Mu*.  d'Ethnographie  du 
Tncadi^o,  coll.  Rabot). 


Figure  5. 

Pilon  servant  à  proparer  le  pain  d'é- 
corce (Boara)  (Hus.  d'Ethnographie 
du  Trocadéro,  coll.  Rabot). 


de  seigle  'dans  la  proportion  d'un  tiers,  après  quoi  on  cuit. 
QueUqoefois  la  farine  d'écorce  est  remplacée  par  des  graines 
de  fiumex  ocotosa  dans  la  proportion  d'un  tiers  contre  deux 
de  seigiie,  ou  bien  encore  par  des  racines  de  CoUa  palustris, 
de  la  pailte  en  du  lichen  de  penne  {flladonia  rangiferina). 
Enfin  dans  les  années  de  disette  le  pain  est  fait  seuleosent 
d'écorce  et  de  Cerastium  vulgatum^.  Pour  préparer  le 

1.  Les  Agures  t,  6, 8, 9,  lé,  empruntées  à  la  Revue  d'Ethnographie,  nous 
ent-été  «bKgeanment  prêtées  pnr  M.  E.  Leroui,  éditeur  de  ce  périodique. 
3  Castren,  loc.  cit.,  p.  64. 


•M\ 


EXl'l.nilATION"â   DANS    I.A    I.APaXlE    UDSSE. 


pain  d'écorce,  les  Lapons  se  servent  de  deux  instruments 
(rès  inléressanLs,  A  l'aide  d'un  grattoir  en  os  (fig,  4)  ils 
détachent  rie  l'arbre  les  tissus  comestibles  et  les  pulvérisent 
ensuite  en  tes  frappant  avec  un  pilon.  Ce  pilon,  garni  à  la 
partie  inférieure  de  deux  tranchants,  est  généralement  en 
bois.  Sur  les  bords  de  l'Enara,  nous  en  avons  acquis  un 
dont  les  tranchants  étaient  forinés  de  deux  larges  plaques 
de  bois  de  renne  (fig.  5). 


Fjguhe  6. 

Flolli'iir  cm  buis  )»)rl;int  la  itianiUL'  du  firnpriolair«  (Raara)  (.1/uj.  li'Elhiiograitliie  \ 
i/u  Trocadéro,  coll.  llabot}. 


Parmi  les  autres  objets  intéressants  que  nous  avons 
observés  chez  les  Lapons  d'Enara,  signalons  leurs  Qlets. 
Au  lieu  de  flotteurs  en  liège  ces  engins  portent  des 
lamelles  de  bois'  sur  lesquelles  est  inscrite  la  marque  du 
propriétaire  (flg.  (l),  elau  lieu  de  plombs,  des  pierres  entou- 
rées d'un  morceau  d'écorce  de  bouleau  cousu  au  moyen 
d'ane  racine  de  bouleau  nain.  Un  agencement  à  peu  près 
identique  de  filets  se  retrouve  chez  les  Finnois,  chez  les 
lapons  russes,  et  môme  chez  les  Scandinaves  de  certaines 

I .  L'aunt;e  Uerniùre,  le  pèclieurdu  l'iUaniB'  ilo  Marli;;ii('-i''erchaud  (lUe- 
•  't-Vilaiiio  se  servait  d'un  lîlet  garni  en  t^uise  de  plombs  de  lamelles 
d'ardoise  piùsenUot  la  même  forme  que  les  lludeun  en  bois  employés 
par  les  Lajions  d'Enara. 


EXPLORATIONS  DANS  LA  LAPOME  RUSSE.  385 

régions.  Le  mode  d'attache  de  la  pierre  servant  de  plomb 
est  seulement  différent  suivant  les  localités.  Quelques  Nor- 
Tégiens  se  servent  par  exemple  de  filets  lestés  de  pierres 
rondes  percées  au  milieu  d'un  trou.  Ailleurs  le  caillou  est 
inséré  entre  deux  bandelettes  doubles  d'écorce  de  bouleau 
entrecroisées  sur  un  cercle  fait  d'une  mince  branche  de 
cet  arbre.  M.  Sommier  a  trouvé  ce  poids  eu  usage  sur  les 
bords  de  i'Ounasjoki,  dans  la  Finlande  septentrionale,  et 
nous-même  nous  l'avons  vu  chez  des  Norvégiens  du  Vef< 
senfjord  (département  de  Nordland). 

Les  Lapons  de  Finlande,  comme  ceux  de  Suède  et  de 
Norvège,  possèdent  des  notions  assez  complètes  d'instruc- 
tion primaire;  presque  tous  savent  lire  et  écrire.  Leur  con- 
version au  protestantisme  a  été  le  point  de  départ  de  la 
diffusion  de  l'instruction  parmi  eux.  Depuis  deux  siècles  ils 
ont  été  convertis  au  luthéranisme;  néanmoins,  la  tradition 
a  conservé  dans  leur  mémoire  le  souvenir  des  pratiques 
païennes  de  leurs  ancêtres.  Autour  de  l'Enara  comme  par- 
tout, en  Laponie,  on  retrouve  des  légendes  concernant  les 
Seida.  Les  Seida  étaient  généralement  des  rochers  isolés, 
de  forme  bizarre,  dans  lesquels  l'imagination  reconnaissait 
une  forme  humaine,  ou  des  escarpements  de  montagne 
présentant  quelque  accident  singulier.  Sur  une  île  de 
l'Ënara,  Castren  a  vu  une  de  ces  idoles  faite  de  petites  pierres 
agencées  par  les  indigènes  de  manière  à  présenter  une 
figure  humaine.  Dans  cette  même  région,  le  rocher  d'Ukon, 
gros  bloc  pointu  visible  de  loin  au  milieu  du  lac,  a  été 
longtemps  révéré  par  les  Lapons*.  A  ces  Seida  les  Lapons 
faisaient  des  offrandes,  consistant  en  bois  et  os  de  renne; 
les  nomades  les  barbouillaient  en  outre  du  sang  de  cet 
animal,  et  les  pêcheurs  d'huile  de  poisson^    En  1881, 

1.  Dans  la  haute  vallée  duTarrejok  (Pitea  Lapprnark,  Suède),  une  ca- 
vité ronde  située  sur  le  flanc  d'une  montagne  a  eu  longtemps  également 
on  caractère  sacré.  La  même  superstition  était  attachée  à  une  sorte  d'abri 
sous  roche  voisin  d'Aktsisk  dans  la  vallée  de  Rapaâdno  (Pitea  Lapprnark). 

2.  Hfigstrôm. 

SOC.  DE  GÉOGR.  —  3<  TRIMESTRE  1890.  XI.  —  â5 


3i!(i  EXPLOIIATIONS   DANS    LA    LAPONIE    RUSSE. 

devant  le  rocher  sacré  d'Aktsisk,  nous  avons  trouvé  des 
ossements  en  assez  grand  nombre;  quoique  convertis,  les 
Lapons  ont  con.«ervé  jusque  dans  ces  dernières  années  les 
pratiques  païennes  de  l'ancien  temps. 

Quelques-unes  de  ces  divinités  étaient  entourées  à  une 
certaine  distance  d'un  abatis  d'arbres,  qui  formait  une 
sorte  d'enceinte  sacrée.  Le  chasseur  olFrait  à  la  divinité  la 
tète  et  les  pattes  de  tout  animal  abattu  dans  cet  enclos,  et 
de  plus  les  ailes  si  cV'tail  un  oiseau.  J 

Il  est  permis  de  croire  que  jadis  les  Lapons  ont  également' 
adoré  des  grossiers  morceaux  de  bois  sur  lesquels  des  en- 
tailles informes  dessinaient  une  figure  humaine,  comme  en 
vénèrent  encore  aujourd'hui  les  Samoyèdes  et  les  Ostiaques. 
llogstrôm  mentionne  cette  supersiilion.  En  1841,  Castren  a 
encore  vu  dans  les  districts  de  la  Finlande  septentrionale, 
sur  des  troncs  d'arbres,  des  sculptures  de  ce  genre.  A  So- 
dankyla  on  les  gravait  lorsqu'une  personne  venait  pour  la, 
première  fois  dans  le  pays.  Dans  le  district  de  Kajana,  eivl 
pareille  occasion,  on  abattait  toutes  les  branches  de  l'arbrej 
à  l'exception  d'une  seule,  orientée  dans  la  direction  où  le] 
visiteur  avait  son  domicile*. 


Les  Finnois  établis  dans  la  paroisse  d'Enara,  mènent  à  peu 
près  la  mfimevie  que  les  Lapons.  Comme  eux  ils  vivent  prin- , 
cipalementdes  produits  de  la  pèche,  mais  ils  possèdent  pour| 
la  plupart  un  plusgrand  nombre  de  bestiaux  que  leurs  voisins. 

Ces  indigènes  habitent  des  maisons  en  bois;  nulle  part 
^ans  cette  région  nous  n'avons  vu  de  pi)rte-;]es  Kota*\ 
y  sont  également  rares. 

Parmi  les  produits  de   leur  industrie  nous  devons  si- 

1,  Castren,  loc.  cil.,  p.  t'i8. 

t.  Le  Porte,  conatruclion  particulière  aux  Finnois,  e;t  une  chaumièraJ 
en  bois  renfermant  seulement  une  pièce  et  ne  prenant  jour  que  parla 
porte  et  par  un  trou  ménagé  itaiis  le  tuit  puur  laisser  passer  la  fumée  du 
poêle  en  piurrei  établi  dans  un  des  angles  de  la  chambre. 

3.  Uutte  formée  Je  perches  dressées  eu  furnie  de  uâno  autour  d'ua 


EXPLORATIONS    OA.NS    LA    LAPONIE    BQSSE.  387 

goaler  les  embarcations.  Certains  canots  construits  par 
les  Finnois  resserableni  à  des  pirogues  par  leurs  formes 
effllées  à  l'arrière  comme  h  l'avant  et  par  leur  longueur 
considérable  comparée  à  leur  largeur.  De  Tétrave  à  l'étam- 
bot  quelques-uns  mesurent  7"^70,  tandis  qu'entre  les  bor- 
dages  la  distance  n'est  que  de  1"M>7.  Ces  embarcations  sont 
mues  par  des  rames  ;  pour  faciliter  la  marche^  les  bateliers 
placent  parfois  à  l'avant  une  brancbe  de  bouleau  feuillue  en 
guise  de  voile.  Sur  l'Enara  naviguent  des  chaloupes  jau- 
geant quatre  à  cinq  tonnes,  qui  se  manti'uvrent  à  la  voile 
comme  à  l'aviron.  Certaines  pièces  du  gréeraent  sont  très 
curieuses,  comme  par  exemple  des  rocambeaux  en  corne 
de  renne.  Dans  cette  région  le  fer  est  encore  très  rare, 
et  dans  la  mesure  du  possible  les  Indigènes  le  rempla- 
cent par  l'os  et  le  bols  comme  le  faisaient  les  hommes 
préhistoriques. 


II 


Dans  la  presqu'île  de  Kola  on  rencontre  des  Norvégiens, 
des  Finnois,  des  Russes  et  des  Lapons.  Les  représentants 
des  trois  premiers  groupes  ethniques  restent  cantonnés  sur 
les  côtes,  laissant  aux  Lapons  la  jouissance  entière  des 
immenses  solitudes  de  l'intérieur  du  pays.  Sur  la  côle 
raourmane  jusqu'à  Klldin,  tous  les  habitants  permanents 
sont  des  immigrés'  soit  norvégiens  soit  finnois,  sauf  à  Kola, 
OÙ  se  trouvent  685  Russes  ou  se  disant  tels-.  Au  delà  de 
Kildin,  la  côte  est  occupée  par  des  Russes,  des  Caréliens 

orlre  ou  les  unes  contre  les  autres,  qui  a  clé  l'habitation  priuiilivn  des 
Finnois. 

1.  Eo  188t,  la  statistique  liu  district  liu  Kola  tenue  par  Visiirrinnik 
aeeasait  la  présence  dam  r.eUe  rcgion  de  &.K  individus  apparfennntà  la 
reli^ioQ  réformé».  Dôduciiuo  faite  de  quelques  famille*  de  Lapons  luthé- 
riens établis  dans  l'ÛurafjorJ,  ce  cliiffre  doit  représenter  celui  de»  colons 
norvégiens  et  liiinois. 

2.  Ea  ïbU,  il  n'y  avait  à  Kolu  que  trois  Finnuit. 


388  EXPLORATIOKS   DANS    LA    I.APOME   RUSSE. 

russifiés*  et  quelques  Finnois*.  Dans  certaines  localités, 
on  trouve  également  des  Lapons.  ■ 

Les  Lapons  russes  forment  un  groupe  «lislinct  des  autres 
Saraes^  La  religion  grecque  les  a  isolés  complètement  de 
leurs  frères  luthériens  de  Finlande  et  de  Scandinavie.  Lai 
différence  de  croyances  empêche  loule  union   entre    ces] 
deux  branches  de  la  mCme  race.  Les  Lapons  norvégiens  duj 
Sydvaranger,  par  exemple,  ne  s'allient  jamais  à  leurs  voisins 
de  Boris-Gleb.  Aux  yeux  de  ces  rationalistes  vêtus  de  peau] 
de  renne  les  pratiques  du  catholicisme  orthodoxe  sont  desj 
superstitions   enfantines  et  ses  sectateurs   des   sauvages. 
Pensez  donc!  eux,  sujets  norvégiens  savent  lire,  invoquent] 
le  libre  arbitre,  discutent  politique,  tandis  que  leurs  pauvres 
frères  de  Russie  sont  illettrés  et  n'ont  d'autres  préoccupa- 
lions  que  la  pêche  et  la  chasse.  De  plus,  Lapons  russes  et 
Lapons  norvégiens  sont  séparés  par  la  langue.  L'idiome  A 
des  Sames  de  la  presqu'île  de  Kola,  mêlé  de  mots  slaves     i 
et  flnnois,  est  difficilement  compris  par  les  autres  Lapons*. 
D'après  le  prôtre  de  Boris-Gleb,  les  dialectes  de  cet  idiome 
sont  si  différents,  qu'un  habitant  de  Ponoi  ne  peut  con- 
verser avec  un  naturel  des  bords  du   Notoxero.   Dans  la 
langue  des  Lapons  russes,  Castren  reconnaît  l'existence  de 
trois  dialectes,  l'un  parlé  par  les  indigènes  de  Petschenga, 
de  Muoikii,  de  Boris-Gleb,  de  Sundegjcld  (Songela),  du  No- 
tozero,  d'Iokostrov  et  du  Babinski  Iniandra;le  second  par 
ceux  de  Semi-Ostrov,  du  Lovozero,  de  Woronesk,  de  Kildin 
et  de  Masesid  ;  le  troisième  enfin  par  les  habitants  de  la  côte 
de  Ter  (littoral  Sud-Est  de  la  presqu'île) '.  Vivant  isolés  les 
uns  des  autres,  séparés  par  d'immenses  espaces  les  Sames 

1.  D'après  Ogorodoikov,  les  indigènes  de  la  presqu'île  de  Kola  qui 
passent  anjoard'liiii  pour  Russes  sernlenl  de  race  caréticnne. 

i.  D'après  Daa,  des  Finnois  seruient  étaltlis  jusHju'n  L'mbasur  les  bords 
de  la  mer  Blanche  (Daa,  Skigner  fra  Lapland,  Karelstranden  og  Finland), 

3.  Nom  des  Lapons  en  l.tD^'ue  lupone. 

A.  Daa,  loc.  cit. 

S.  Ca>lren,  loc.  cit.,  p.  167. 


EXPLORATIONS  DANS  LA  LAPONIE  BUSSE. 


389 


n'ont   pu  nulle  part   maintenir   l'unité  dans  leur  langue. 

Les  Lapons  russes  se  donnent  à  eux-mêmes  le  nom  de 
Huorteladsjak^  (d'habitants  de  l'Est).  Ils  sont  généralement 
innus  sous  le  sobriquet  de  Skolle  (Chauves)  par  lequel  les 
lôrvégiens  les  désignent.  Au  commencement  du  siècle,  la 
plupart  de  ces  indigènes  étaient  affligés  d'une  calvitie  com- 
plète. Aujourd'hui  les  inilividus  chauves  sont  assez  rares; 
durant  nos  deux  voyages  dans  la  presqu'île  dâ  Kola,  nous 
en  avons  rencontré  seulement  trois.  D'après  Friis,  la  cause 
de  cette  calvitie  aurait  été  une  espèce  de  teigne  dont 
souffraient  autrefois  ces  indigènes.  Suivant  Keilhau,  au 
contraire,  ils  se  seraient  fait  tomber  volontairement  les 
cheveux,  en  se  couvrant  la  tèlc  d'une  couche  de  sel  dans 
le  dessein  d'échapper  par  ce  moyen  au  service  militaire. 

A  une  époque  dont  il  est  difJiciie  de  préciser  ladale,  mais 
en  tout  cas  très  éloignée^  les  Lapons  russes  ont  été  modifiés 
parleurcontactaveclesCaréliens.  Keilhau  place  au  xm' siècle 
ce  croisement  des  deux  races,  sans  donner  la  source  à 
laquelle  il  emprunte  ce  renseignement.  Des  documents  du 
commeacement  du  xv*  siècle  signalent  les  ruines  d'établis- 
sements de  Caréliens  dans  la  presqu'île  de  Kola.  En  1419 
on  voyait  à  Varsouga  les  vestiges  d'un  pogoslc  de  ces 
Finnois,  qui  avait  été  détruit  par  les  Normands*.  D'après 
Sjôgren  les  Caréliens  auraient  occupé  toute  la  presqu'île  de 
Kola  jusqu'à  la  cùle  de  l'océan  Glacial.  Castren  pense,  au 
contraire,  qu'ils  sont  restés  cantonnés  dans  la  partie  méri- 
dionale du  pays,  sur  le  littoral  de  la  mer  Blanche.  Cette 
dernière  opinion  parait  la  plus  plausible.  Si  en  elTct  les 
Caréliens  s'étaient  établis  dans  la  péninsule  de  Kola  eu  aussi 
srand  nombre  que  le  pense  Sjogren,  ils  auraient  absorbé 
les  Lapons,  comme  ils  t'ont  fait  sur  la  rive  méridionale  de 


1.  Qig^tad  et  Stndbcrg,  loc,  cit. 

i.  Ogorodoikov.  ilarmanskii  i  tenkuberegn  pu  knigii'  bolnhmjox  cher- 
eja  (Zaïtitki  imperaUinlmijn  rttuHxkiigo  geogralitchenytigo  obtchesua.  Po 
obdieltu)  etnografi,  t.  II,  S»int-PélersbourK)- 


EXPLORATIONS  DANS  LA   LAPONIE   RUSSE. 

la    mer    Blanche.   Les   Lapons    s'étant   assimilé    les  îffi™ 
migrants,  il  est  permis  de  supposer  que  leur  effectif  n'a 
pas  dû  être  considérable.  C'est  là  un  des  rares  exemples 
que  l'on  puisse  citer  d'une  population  finnoise  absorbée 
par  les  Lapons*. 

La  présence  de  Carétieos  à  une  époque  ancienne  sur  la 
côle  méridionale  de  la  presqu'île  de  Kola  est  attestée  par 
les  nombreux  noms  de  lieu  d'origine  carélienne  que  l'on 
trouve  dans  celle  région.  Le  nom  de  Porja  (village  de  la 
cûte  nord  de  la  baie  de  Kandalaks)  dérive  par  exemple  de 
poro  (renne  domestiqué).  Kandalachka  (nom  russe  de  Kan- 
dalaks) est  une  déformation  des  deux  mots  Imnois  :  KanUf 
(pointe)  et  lahti  (baie).  Dans  le  même  ordre  d'idées,  on  pour- 
rait citer  sept  ou  huit  autres  exemples.  Maanselka  ou  Ma- 
sesid  (iocidité  située  sur  les  bords  du  Kolo/.ero  près  du 
point  de  partage  des  eaux  entre  l'océan  Glacial  el  la 
mer  Blanche)  est  le  seul  nom  finnois  que  l'on  trouve  dans 
l'intérieur  des  terres,  ce  qui  semble  indiquer  que  les  Caré- 
liens  ne  sont  guère  venus  dans  celle  région.  Le  mol  Kola 
ne  fournit  aucun  renseignement  sur  cette  question  de  l'an- 
cienne extension  des  Finnois  dans  la  Laponie  russe.  Les 
linguistes  ne  sonl  pas  d'accord  sur  son  origine  et  suivant 
qu'il  adoptent  l'opinion  de  Sjogren  ou  celle  de  Castren,  ils 
le  font  dériver  du  vocable  rinnois  kala  (poisson)  on  du 
mol  lapon  guoUe  qui  signifie  également  poisson. 

Ij'inlluence  exercée  par  les  Caréliens  sur  tes  Lapons 
russes  est  encore  actuellement  manifeste  dans  les  construc- 
tions élevées  par  ces  indigènes  el  dans  certains  détails 
d'ethnographie.  Aujourd'hui  qu'ils  n'ont  plus  que  de  très 
rares  relations  avec  les  Finlandais  ou  les  Caréliens%  et  qu'ils 

1.  A  Karisjok  lo  petite  culonio  llnlandaise  u  été  alisorbéo  par  les  La- 
pons (Soiiiiuier.  Due  riiiiiutncminni  xui  Lnppimi  e  nui  Finlandeii selten- 
triiinuli). 

'i.  Au  moment  Hc  la  pôchc  sur  la  c<Me  iiiouriii;iiiR,  des  Lapons  »e  reù- 
contreiit  parfois  avec  des  KioBuis,  Au  printemps  et  en  août,  le.t  Cari^licns» 
oriqu'ils  «e  dirigent  vers  Itr  lillumi  de  l'océuri  r.lacinl  ou  qii'ili  en  re- 


EXPLORilTIONS   DANS  LA   LAPONIE   RUSSE.  391 

ne  peuvent  par  suite  apprendre  de  leurs  voisins  l'art  d'élever 
des  abris,  les  Sames  russes  continuent  à  édifier  des  habi- 
tations sur  le  modèle  de  celles  des  Finnois.  Au  bord  du 
Njammeljauri,  nous  avons  rencontré  une  kota  et  sur  les 
rives  du  Peringo  ozero  un  porte,  tous  deux  construits  par 
des  Lapons.  Du  temps  de  Castren,  les  indigènes  de  Hasesid 
habitaient  également  des  porte.  Dans  la  parure  des  femmes 


Figure  7. 
Boucle  d'oreille  do  Laponne  russe  (MascUkaia.  Presqu'île  de  Kola). 

l'influence  finnoise  a  également  persisté.  Une  jeune  Laponne 
russe  qui  nous  a  servi  de  batelière  portait  une  paire  de 
boucles  d'oreilles  faites  d'une  touffe  de  duvet  de  palmipède 
ornée  de  perles  de  Margarita  margaritifera.  Ce  bijou 
primitif  est  identique  à  ceux  dont  se  parent  les  Finnoises 
des  bords  du  Yolga,  et  un  ethnographe  qui  ne  serait 
pas  prévenu  prendrait  certainement  ces  boucles  d'oreilles 

Tieanent,  passent  dans  les  stations  de  poste  échelonnées  entre  Kandalaks 
et  Kola  qui  sont  occupées  par  des  Lapons,  mais  sans  y  faire  de  séjour. 
Ils  ne  peuvent  donc  enseigner  à  ces  indigènes^l'art  d'élever  de  la  con- 
stnietioa. 


392  EXH.ORATIONS   DANS    LA   LAPONIE  RUSSE. 

pour  un  travail  tcheremisse'.  Enfin  la  physionomie  des  La- 
pons russes  décèle  leur  métissage  avec  les  Finnois.  La  plu- 
part de  ceux  que  nous  avons  rencontrés  avaient  une  che- 
velure blonde  ou  châtain  clair,  souvent  frisée,  des  yeux 
bleus,  une  taille  élevée  et  un  (eint  blanc;  quelques-uns 
portaient  raôrae  une  barbe  très  fournie. 

Le  nombre  des  Lapons  russes  est  assez  difficile  à  établir; 
suivant  les  auteurs,  il  varie  du  simple  au  triple,  de  ^,207*  à 
6,00tF- Après  avoir  consul  té  les  livres  des  paroisses  et  reconnu 
leur  concordance  avec  ceux  des  fonctionnaires  ci%'ils*,  M.  de 
Seraenov  fixait,  en  18îjl),  l'edectif  de  ces  indigènes  à  2,183^. 
Avec  le  voyageur  russe  Elysseiell"  nous  avions,  dans  une 
publication  précédente,  adopté  le  chiffre  de  3,000 \  Depuis 
nous  avons  été  conduit  à  penser  qu'il  était  peul-ôtre  trop 
élevé  :  à  notre  avis,  le  nonnbre  des  Lapons  russes  doit  être 
de  2,500  environ.  Kn  1884,  on  en  comptait  dans  le  district  de 
Kola  1,448,  d'après  le  dénombrement  fait  par  Vispravnik; 
l'autre  partie  de  la  presqu'île  doit  certainement  en  contenir 
au  moins  un  millier.  A  titre  de  renseignements  nous  publions 
la  statistique  de  ces  indigènes  par  pogoste*,  d'après  des  do- 
cuments russes  que  nous  a  obligeamment  communiqués 
M.  Bodura,  ancien  consul  général  de  Suède  et  Norvège  à 
Arkhangel.  Ces  statistiques,  comme  toutes  celles  relatives 


1.  Dana  dilVérenU  passage!^  du  Kiilerirln  un  voil  que  les  ancien  s  Finnois 
employaient  lea  perles  cnmriiB  ortienieiil.  Il  en  est  pluticurs  fois  quos- 
tion  dans  la  description  du  costumn  dea  femmes  et  le  futiet  du  louka— 
hainen  était  garni  de  perles. 

2.  Friis,  En  Sommer  i  Finmarken,  elc,  p.  165. 

3.  Ign;itiu8,  loc.  cit.,  iii  Journal  de  la  ttatisttijue  de  Pari»,  févr.  1886. 
•l.  Daa,  loc.  cil. 

5.  Seinenov,  Geographitcheikn-statittitcltenku  iloear  Rouiiikoi  Im- 
perii,  t.  III,  art.  Loi'Aiii. 

6.  Complex  rendus  de  la  Société  de  géo^mphie  de  Parti,  1883,  n"  I, 
p.  15.  Gointniinicalion  de  M.  Veninkov. 

7.  Cil.  RaUot,  A'ole»  ellmograpliii/uet  recueiUiet  en  Laponie.  llevue 
d'ethnographie,  t.  V,  p.  1 . 

8.  Village  d'hiver. 


m 


EXPLORATIONS  DANS  LA  LAPONIE  RUSSE.      393 

aux  populations  plus  ou  moins  nomades,  ne  doivent  être 
acceptées  que  sous  toutes  réserves.  Le  chiffre  qu'elles 
donnent  pour  les  femmes  est,  par  exemple,  inrérieur  à  celui 
des  hommes,  proportion  qui  n'a  point  été  observée  chez  les 
Lapons  en  général.  D'antre  part,  dans  plusieurs  localités, 
nous  avons  constaté  un  nombre  d'indigènes  supérieur  à 
celui  porté  sur  ces  documents,  et  une  de  ces  statistiques, 
celle  empruntée  à  l'ouvrage  intitulé,  la  Laponie  russe,  n'in- 
dique pas  toutes  les  localités  occupées  par  les  Lapons,  Po- 
noi,  entre  autres. 

StitUtisque 

empruntée  à  l'ourrage  publié  k  Slatiitique  fournie  par 
Arkhangel  en  1877  sous  le  titre  de  l'adminiatratioa  dea 

Laponie  ruttei.  affaires  des  paysans. 

Sexe  masculin.      Sexe  féminin.      Total.        Sexe  masculin. 

lokostrov 54  47  101  55 

Nolozero 110  121  331  110 

Masesid 35  34  69  33 

Sundgjeld . . . .        65  60  125  66 

Babinski  Iman- 

dra 48  57  105  45 

Rjikotaibal....        52  39  91  InhabittS. 

KiUa     (station 

de  poste)...  4  15» 

Voronveruts- 

che    (station 

de  poste). . .         3  6  9  » 

Rasnavalok 

(station  de 

poste) 3  7  10  » 

Voronjeozero 

(station  de 

poste) 4  7  11  » 

lokostrov  (sla- 

tiondeposte)         3  »  ."i  » 

Zatcheïka  (sta- 
tion de  poste)         2  2  4  » 
VisselokTchel- 

mozero «  i>  »  5 

Voroneschskiy.        56  55  111  58 

1.  La  date  à  laquelle  cette  statistique  a  été  dressée  n'est  pas  indiquée. 


3U4  EXPLORATIONS   DANS   LA.  LAPONIE   RUSSE. 

Sexe  mn^culin.      Sexe  témiuia.     total.        Soxii  lunsculiii. 

Seini  Oslrov  .  I2i  113  2:J7  122 

LoToïcro 65  64)  125  64 

Kildin ";i  60  133  87 

l'elscheDga...  iV<  43  «Qi  51 

MiilU r.O  46  %^  02 

Pasvis;:! 4K  40  91  55 

Visselok  Sred- 

nii 7  7  14  » 

Ekaosk 107  81  188  ir4 

Lumbov 56  57  113  45 

Susnovetz 33  28  til  38 

l*urna i  10  14  » 

Luniiuiî Il)  16  2(i  » 

knmeuu 35  30  65  » 

Vjnlosepâk.  ..  24  28  52  » 
Knïkig  Vissc- 

luk «  >>  "  5 

Ponoi' «  )»  «  84 

1131  1&61  2182  1131 

Ces  deux  mille  et  quelques  cents  Lapons  sont  disséminés 
sur  un  territoire  égal  au  tiers  de  la  France.  Leur  habi- 
tat s'étend  depuis  le  Pasvig  à  l'ouest  jusqu'à  Ponoi  à  l'est, 
et  dans  le  sens  de  la  latitude  de  la  côte  de  l'océan  Glacial  à 
Zatcheikaau  sud.  Même  en  faisant  entrer  en  ligne  de  compte 
les  Russes  et  les  Caréliens  établis  sur  le  littoral,  la  densité 
de  la  population  dans  la  presqu'île  de  Ivola  reste  très  faible; 
par  ;iO  ou  40  kilomètres  carrés  on  ne  compte  guère  qu'un 
habitant.  En  réalité,  les  côtes  seules  sont  peuplées,  et 
l'intérieur  est  un  désert.  Sur  les  bords  de  l'Imandra,  sur 
une  distance  en  ligne  droite  de  150  kilomètres,  on  ne  trouve 


1.  It'après  le  recensemonl  ila  1HS3  ce  pn/joste  n'était  plus  liabité  que 
par  73  Lapons  (32  hommes  cl  41  fciuiims)  (Boukharov,  Poieiiika  po 
Laplandii,  p.  8j. 

2.  Kn  IHNll,  -U  habitant»  seulement  fltoukliarov,  toc.  cit.,  p.  H}. 

3.  Kn  1884  la  (>opijlaiinn  de  ltorls-Cle6  où  se  trouvent  réunis  l'été  tous 
les  Lapon.-^  russe»  du  l'^isvig  &'<''l«vail  à  121'  individu»  {tjl  hommes  el- 
63  feinoies). 

t.  Kn  IHùl,  173  Lapons  liabiUiieiit  t'cMuii  (Duben,  loc.  Ht.,  p.  55. 


EXPLORATIONS  1»AKS  LA.  LAPOXIB  IIUSSE.  395 

en  été  que  soixante-dix  habîtanls  environ'.  Dans  la  vallée 
du  Jiinijok,  longue  de  120  kilomètpes,  quatre  familles  seu- 
lement sont  établies.  Les  ressources  du  pays  en  pêcheries, 
pâturages  et  forêts  permettraient  facilement  l'existence 
d'une  population  beaucoup  plus  considérable. 

Les  Lapons  russes  augmenLenl-its  ou  diminuent-ils,  telle 
est  la  question  qui  se  pose  naturellement  en  étudiant  leur 
statistique.  Friis  pense  que  leur  nombre  décroîl.  A  l'appui 
de  cette  opinion,  Daa  signale  une  diminution  notable  surve- 
nue de  1859  à  1&67  dans  le  chiffre  des  Lapons  établis  aux 
environs  de  Kandalaks.  En  huit  ans  il  se  sérail  abaissé  de^75 
à '206.  En  comparant  la  slalislîque  donnée  dans  l'ouvrage 
intitulé  la  Laponie  rxisse  et  celle  fournie  par  M.  Boukbarov, 
pour  les  pogoêtes  de  Petschenga  et  rie  Motka,  on  constate 
également  une  décroissance  dépopulation.  Dans  le  district 
de  Kola,  reffectif  des  Lapons  aurait  également  diminué  de 
1859  à  1867.  Pour  cette  dernière  région  ce  mouvement  n'a 
pas  persisté;  en  1881,  le  nombre  de  ces  indigènes  dépassait 
de  près  de  200  celui  indiqué  en  18(17  au  professeur  Daa. 
A  notre  avis,  la  décrois&anee  de  la  population  taponnen'est 
qu'apparente.  Nulle  pari  chez  ces  indigènes  le  chitt're  de  la 
mortalité  n'est,  croyons-nous,  supérieur  à  celui  delà  nata- 
lité, partout  le  nombre  des  naissances  est  plus  élevé  que  celui 
des  décès;  l'excédent  est  faible,  mais  il  existe.  D'après  les 
registres    de  l'église  de  Boris-Gleb,   la   population  de  ce 


1.  A  Kourinka,  à  l'embouchure  de  l'émissairts  dii  HelesmoîDro  dans 
lliuandra,  une  vieilJe  rciiiiue;  à  R:isnBvaluk,  un  lioiirmo  et  truia  t'emmes; 
ilans  la  Piebcliùgouba.  mm  ramilla  coin|)oiéi!  do  truis  pcrsoDnes;  dans  Ln 
MoQlËhégouba,  trois  ramilles  cumulant  jo?.e  membres;  diin»  Je  lélvuon 
igolfe  titu^  au  sud  do  la  iMoolcIiéirouba),  une  famille  de  citiq  individus; 
dans  la  tlielagouba,  deux  l'iimillcs  de  quatre  personnes  cliacune;  <luDa  la 
Tikigoubn,  udu  rainillc  égalcmorU  de  qualro  personnes,  dans  l'Hokta- 
ganda,  uno  fiimille  de  Iroit  personnes,  trois  indigènes  sur  le»  bords  du  ta 
Vuotclié  Lambeua  (rive  orientale  à  7  kilciniélre<<  d'Iukoslrov,  dam  la  Kli- 
poi^aiida  (rive  orienlnle  ù  U  kilomètres  do  Zutcheika)  une  faniille  cie  quatre 
{lersounes,  à  Zatcbcïka  deux  ramilles,  cinq  iadigcnes  à  lokosti'ov,  enfin 
«ept  riinilles  à  Akkula. 


396 


EXPLORATtONS  DANS  LA  LAPONIE  RUSSE. 


village  aurait  augmenté  de  11  individus  en  huit  ans'.  D'autre 
part,  toutes  les  familles  que  nous  avons  rencontrées  cona- 
ptaient  plusieurs  enfants,  quelques-unes  même  trois  ou 
quatre.  Dans  la  presqu'île  de  Kola,  comme  du  reste  partout 
ailleurs,  la  race  laponne  ne  disparaît  pas,  ne  meurt  pas,  mais 
se  fond  avec  les  populations  en  présence  desquelles  elle  se 
trouve,  d'autant  plus  facilement  qu'ici  elle  ne  se  distingue 
pas  des  autres  indigènes  par  des  signes  extérieurs  comme 
en  Norvège,  en  Suède  ou  en  Finlande,  Les  Lapons  de  la 
presqu'île  portent  à  peu  près  le  même  costume  que  les 
pécheurs  russes  ou  caréliens;  les  traits  de  leur  physionomie, 
la  taille,  ne  les  différencient  pas  beaucoup  non  ptusdesaulres 
habitants.  Que  ces  indigènes  s'établissent  sur  les  côtes  au  mi- 
lieu des  Russes,  après  un  séjour  de  quelque  temps  personne 
n'aura  gardé  le  souvenir  de  leur  véritable  origine;  eux- 
mêmes  l'auront  oubliée  ou  ne  voudront  pas  l'avouer.  Suivant 
les  circonstances,  ils  se  diront  Russes  ou  Caréliens,  et  les  sta- 
tistiques compteront  autant  de  Lapons  en  moins,  bien  qu'en 
réalité  leur  nombre  n'ait  pas  varié.  C'est  à  cette  fusion  de 
la  race  laponne  au  milieu  d'éléments  étrangers  qu'il  faut 
attribuer,  croyons-nous,  la  diminution  constatée  dans  les 
recensements-  Cette  opinion  nous  sommes  heureux  de  la 
voir  confirmée  par  M.  Ostrovskiy. 


1.  Mouvement'  iW  la  populalîua  de  Boris-fileb  : 

(S7I i  fitlcB.  l  reiunic!. 

j  a  garçons.  i  homme». 

^''" i  î  nilo».  i  femme». 

àa-a  I  ^  irirtons.  1  femme. 

"'" i  a  llllcs. 

,,_.  ,  i   2  liomin»». 

r    .  18" ÏBorcon..  ,   j  j^„„„^ 

àVia  i  ^  çtTçoni.  i  romnaet. 

'"" î  3  lillc». 

I  5  i;iiri,oiti.  \  liouiniGt. 

•*'" 1  1  nilc.  1  fetnme. 

^^^ \  a  girçoiu  2  feranic». 

.__  ,..  1    i  humilie. 

«88» ^«"'"-  !    «femme. 


EXPLORATIONS   DANS   LA    LAPONIE    RUSSE.  397 

Jadis  une  partie  des  Lapons  russes  vivaient  de  l'élevage 
du  renne  et  menaient  la  vie  nomade  comme  ceux  de 
leurs  frères  encore  aujourd'hui  pasteurs  en  Suède  et 
en  Norvège.  La  relation  du  voyage  d'Othère  mentionne 
la  présence  dans  ce  pays  de  deux  catégories  diflérentes 
d'indigènes  qu'elle  désigne  sous  les  noms  de  Finnois  et  de 
Terfinnois.  La  ressemblance  du  préfixe  1er  avec  le  vocable 
Ire  de  l'ancien  Scandinave  a  induit  I^ehrberg  à  penser  que 
les  Terfinnois  él^lcnl  des  Lapons  forestiers.  Dans  les  anciens 
textes,  ou  trouve  en  effet  cette  flcnomination  opposée  à  celle 
de  Skrith  ou  de  Cre-Finnois^  qui  désignerait  les  Lapons 
pasteurs.  Au  nom  de  la  linguistique,  Ilunfalvy  a  repoussé 
cette  identification';  à  son  avis,  il  n'est  pas  du  tout  dé- 
montré que  Irt!  ail  la  signification  d'arbre.  Quoi  qu'il  en 
iûil  de  cette  discussion*  des  documents  plus  récents,  mais 
qui  remontent  néanmoins  assez  loin,  établissent  avec  certi- 
tude qu'autrefois  uu  certain  nombre  de  Lapons  russes 
étaient  pasteurs  de  rennes.  La  relation  du  voyage  ac- 
itompli  en  U9(j  par  Istoraa  de  la  mer  Blanche  à  Thron- 
dhjem,  que  nous  a  conservée  IterLerstein,  mentionne  les 
t  Finnois  Lapons  »,  qui  vivent  au  bord  de  la  mer  dans  des 
huttes  et  les  u  Lapons  sauvages  i).  Sur  ce  point  le  testament 
d'Ivan  111  (1504)  est  également  particulièrement  précis.  «  A 
mon  nis  Ivan,  porte  ce  document,  je  donne  la  terre  et  la  ville 
des  Caréliens  avec  tous  leurs  revenus  et  impftts  ;  de  plus,  les 
Lapons  des  forêts  et  les  Lapons  sauvages  ou  de  troupeaux^.  > 
Le  testament  d'Ivan  le  Terrible  [1j78)  mentionne  aussi  les 
mêmes  catégories  de  Lapons*.  Aujouid'hui  aucun  Skolte 


1.  Paul  Huiifalvy.  Die  Vûlker  des  Vrai  untl  ihre  Sprachen  (Unga- 
riMhr  Renie,  VI.  \,  ISKIS,  p.  17). 

t  Sam  eiilrer  daua  )u  discussion,  nom  ferons  observer  qu'eu  décrivuiit 
la  vie  des  <t  I-'iunois  >>  c'est-à-dire  des  Lapons  pasteurs  dans  la  peasée 
lieLetirtierg,  Uilïère  ne  relate  pns  qu'ils  possèdent  des  rennes. 

<(.  Ugorodiiikov,  loc.  cit. 

4.  Ogorodnikov,  loc.  cil. 


398 


EXPLOnATIONS   DANS    LA.   LAPONIE   nu.SSR. 


n'est  pasteur.  Les  seuls  indigènes  de  la  presqu'île  de 
Kola  qui  vivent  de  l'élevage  du  renne  sont  une  dizaine 
de  familles,  originaires  du  Finmark,  établies  avant  18:2(> 
dans  le  district  indivis  entre  la  Norvège  et  la  Russie  et 
restées  sur  le  territoire  russe  après  le  partage  de  la  zone  a 
neutre.  Ces  pasleurs  forment  une  petite  tribu  complètement 
distincte  des  autres  Lapons  par  la  religion  et  parla  langue; 
ces  indigènes  sont  luthériens  et  parlent  le  dialecte  de 
Sydvaranger'. 

Tous  les  Lapons  russes  proprement  dits  tirent  leurs 
ressources  de  la  chasse,  de  la  poche  et  de  l'élevage  de 
quelques  brebis  et  d'un  petit  troupeau  de  renues.  Dans  la 
vallée  du  Junijok,  quade  familles  vivraient  de  l'élève  du  gros 
bétail,  nous  a  raconté  un  guide;  l'une  d'elles  posséderait 
vingt-cinq  vaches.  En  général,  les  Lapons  cantonnés  dans  ■ 
la  presqu'île  de  Kola  n'ont  qu'un  très  petit  nombre  de 
rennes.  Les  deux  troupeaux  les  plus  considérables  compte- 
raient mille  têtes  chacun  et  upparliendraient  à  deux  frères 
établis  aux  environs  de  Rasnavalok.  Un  indigène  établi  sur 
les  bords  du  Kopesozero,  homme  fort  à  son  aise,  ne  pos- 
sédait qu'une  trentaine  de  bètes.  Quelques  l'amilles,  nous 
a-t-on  affirmé,  en  ont  une  dizaine  à  peine.  La  statistique 
que  nous  a  obligeamment  communiquée  l'Ispraniik  de 
Kola  en  ISSiaccusaitseuiementl'existence  de  15, 000  rennes* 
dans  toute  la  presqu'île,  et  dans  ce  nombre  une  bonne 
partie  appartiendrait  aux  Russes. 

Durant  l'été  les  Skolte  laissent  leurs  rennes  errer  en  toute 
liberté.  Pour  être  ù  l'abri  des  moustiques,  la  plupart  de  ces 
animaux  séjournent  alors  sur  les  montagnes  d'où  la  brise 
toujours  fraîche  des  hauteurs  éloigne  les  insectes  ;  quelques- 

I.  Friis,  En  Sommer  i  h'ininarken  etc. 

a.  8,01IK  daiii  le  dfstricl  de  Kola  et  7,:)S«  ij.ins  celui  île  Kousamcn.  En 
1861,  les  statjslique»  uflicielle»  oe  coroj>taient  que  l;t.3S(l  rennes  ilani  ta 
presqu'ilo  de  Kola,  dont  4,1HI  seulemcnl  apparleoaieiil  aux  Lapons 
(Friis,  ioc.  cit.,  p.  192). 


EXPLORATIONS  DANS   I.A    I.AP0N1E   ROSSE.  399 

uns  cependant  restent  dans  les  forêts,  où  ils  sont  sans  cesse 
harcelés  par  ces  diptères.  Sur  les  bords  de  la  Kola  reka,nous 
avons  rencontré  de  malheureux  rennes  haletant  des  piqûres 
des  innombrables  moustiques  acharnés  contre  eux.  De  plus, 
ceux  de  ces  ariimaux  restés  dans  la  région  forestière  ont  à 
souffrir  de  températures  particulièrement  élevées  qui  s'y 
font  parfois  sentir  et  auxquelles  leurs  congénères  de  Nor- 
vège ne  pourraient  guère  résister'.  A  ta  [In  de  l'automne, 
les  Lapons  russes  réunissent  leurs  rennes.  Sur  les  bords  de 
rimandra,  ils  les  rassemblent,  en  les  chassant  vers  une 
langue  de  terre  faisant  saillie  au  milieu  du  lac,  qu'ils  ferment 
du  côté  de  terre  par  une  barricade  en  bois.  Les  indigènes 
laissent  leurs  troupeaux  pendant  quelque  temps  dans  cet 
enclos,  puis  les  emmènent  avec  eux  lorsqu'ils  vont  habiter 
les  pogostes  d'hiver.  Quoiqu'ils  vivent  presque  toujours 
dans  un  état  de  liberté  complète,  les  rennes  russes  ne  sont 
point  farouches;  ainsi  le  Itruitde  coups  de  feu  tirés  près  de 
leurs  oreilles  n'elfrayail  pas  les  animaux  de  notre  convoi; 
leur  domestication  est  aussi  complète  que  celle  des  rennes 
de  Suède  et  de  Norvège.  L'hiver,  on  les  attelle  à  des  traî- 
neaux, et  l'été  ils  servent  de  bétes  de  somme. 

Comme  les  Lapons  pêcheurs  d'Iînara  ceux  de  la  pres- 
qu'île de  Kola  se  déplacent  fréquemment.  Au  printemps, 
ils  s'établissent  à  un  endroit,  l'été  ils  le  passent  dans  un 
autre,  et  en  automne  ils  changent  de  nouveau  de  résidence. 
Dans  ces  différentes  localités  chaque  famille  a  sa  station  de 
pèche,  où  de  père  en  fils  elle  vient  séjourner  quelque  temps 
et  dont  elle  est  considérée  comme  propriétairt;.  Les  di- 
verses stations  appartenant  à  une  même  famille,  parfois 
très  éloignées  les  unes  des  autres,  de  30  et  même  40  kilo- 


I.  Sur  les  montagnes  riveraines  de  l'océan  Glacial,  en  Finmark,  nous 
•"«ns  vu,  un  jour  d'automne,  un  troupeau  de  reunea  ini-oiiiiiiodé  par  un 
'etnni  lourd,  alors  que  le  thermomètre  ne  dépassait  ima  +  10°;  ces  ani- 
maux à  bout  de  forces  se  couchaient  sur  la  neige,  et  les  rennes  rnsses 
WQt  exposés  à  des  températures  de  -f-  25°  1 


400  EXPLORATIONS  DANS  LA   LAPOSIE   RUSSE. 

mètres,  sont  généralement  établies  sur  le  môme  cours 
d'eau  ou  dans  le  môme  réseau  de  lacs.  Les  déménage- 
ments sont  par  suite  faciles;  la  famille  s'entasse  dans  un 
canot  avec  les  animau.\  domestiques  et  le  mubilier  composé 
de  quelques  hardes,  ustensiles  de  ménage  et  engins  de 
pèche,  el  elle  n'a  qu'à  suivre  la  rivière.  Les  Lapons  cantonnés 
dans  un  même  bassin  fluvial  sont  regardés  comme  proprié- 
taires de  toutes  les  eaux  de  la  région,  et  un  indigène  d'une 
autre  vallée  ne  peut  y  p&cher,  qu'à  condition  de  leur  payer 
une  redevance.  Les  stations  de  pÊche  se  composent  généra- 
lement d'une  hutte,  de  séchoirs  pour  le  poisson,  et  d'abris 
pour  le  mobilier  el  les  brebis.  Pendant  neuf  mois  les  Lapons 
vivent  ainsi  dispersés  le  long  des  rivières  ou  des  lacs;  l'hiver 
seulement  ils  vivent  réunis  par  groupes  de 50à  100' dans  les 
pogastes ,  réunions  de  quelques  cabanes  situées  au  milieu  de 
la  forôt.  Tous  ne  se  réunissent  pas  à  la  mûme  date  dans  leurs 
«  villes  d'hiver)).  Les  indigènes  de  Uasnavalok,  par  exemple, 
s'y  rendent  à  l'époque  oii  le  lac  se  couvre  de  glace,  c'est-à- 
dire  au  milieu  d'octobre,  tandis  que  les  habitants  de  Boris 
Gleb,  comme  du  reste  la  plupart  des  Lapons  russes,  ne 
gagnent  leurs /jo^ostw  que  vers  la  Notil,  pour  y  rester  trois 
ou  quatre  mois. 

L'hiver,  les  Lapons  russes  habitent  des  maisonnettes  en 
bois  à  toit  plal,  ressemblant  à  des  blockhaus,  appelées  par 
eux  toupa*.  Les  gens  de  Boris-Gleb  sontles  seuls  indigènes 
que  nous  ayons  trouvés  établis  l'été  dans  des  maisons. 
(Quelques-unes  de  ces  cabanes  ont  deux  chambres,  les  autres 
une  seule  (fig.  8  et  9).  Dans  les  preraiÈres,  la  pièce  d'entrée, 
la  moins  spacieuse,  sert  de  cuisine,  l'autre  de  chambre  à 
coucher.  Toutes  sont  garnies  d'un  mobilier  très  primitif.  Les 


I.Vuir  plus  haul  la  gUlistique  îles  Lapons  russes  p&v  pogoiU. 

3.  Ostrovskiy,  Lopari  i  ich  predania.  hvieslia  hnperatorskago  rotu- 
sliagct  geoyfafitcheskago  oblchetva,  t.  XXV,  1889,  l.  Ce  mut  est  emprunté 
dt  la  langue  finnoise  et  désigne  dans  cet  idiainc  la  c-lmmbrc  de  famille 
(Voir  Léouîoii-Leduc,  loc.  cit.,  p.  37,  n"  2). 


EXPLORATIONS  DANS  LA  LAPONIE  RUSSE. 


401 


lits  y  sont  remplacés  par  un  banc  fixé  au  mur,  sur  lequel  on 
étend  des  peaux;  en  face  sur  toute  la  longueur  de  la 
chambre  se  trouve  entre  le  mur  et  le  plancher  une  large  rai- 
nure dans  laquelle  on  dépose  sur  un  tapis  de  branches  de 
pio  le  poisson  destiné  à  l'alimentation  de  la  famille.  Durant 
l'été,  la  plupart  des  Lapons  russes  vivent  dans  des  games. 
Ces  battes,  qui  dérivent  de  la  kota  finnoise  sont  formées 
de  troncs  d'arbres  dressés  sur  un  appareil  composé  de  deux 
paires  de  montants  s'appuyant  l'un  contre  l'autre  au  som- 


FlGURE  8. 
Plin  d'habitation  de  Lapons  russes  de  Boris-Gleb. 

met  et  réunis  deux  à  deux  par  une  poutre  transversale  ;  le 
tout  est  recouvert  de  mottes  de  gazon  ou  de  tourbe  et  par 
places  d'écorce  de  pin.  Ces  abris  n'ont  que  deux  ouvertures  : 
"oeporteet  un  trou  qui  sert  tout  à  la  fois  de  fenêtre  et  de 
cheminée  pour  le  foyer  placé  au  milieu  de  la  hutte  dans  un 
cercle  de  gros  cailloux.  Dans  certaines  constructions,  cette 
«ernière  ouverture  peut  être  fermée  par  une  trappe  adaptée 
^^  toit.  A  côté  de  ces  games  primitives  on  en  trouve  d'autres 
piQs  perfectionnées,  formant  le  passage  entre  la  hutte  et  la 
■saison.  Elles  sont  par  exemple  éclairées  par  de  petites 

soc.  DE  GÉOGR.  —  3*  TRIMESTRE  1890.  XI.  —  â6 


402       EXPLORATIONS  DANS  LA  LAPONIE  RUSSE. 

fenêtres,  et  munies  d'une  cheminée  placée  conlre  une  de^ 
parois  de  la  cabane.  Comme  nous  l'avons  signalé  plus  haut, 
outrelesconslructionsde  ce  genre  les  Lapons  russes  édifient 
des  kota  et  des  porte  dont  ils  ont  emprunté  le  modèle  aux 
Finnois.  A  Pakajanoki,  sur  la  fronlière  de  Finlande  et  de 
Norvège,  au  milieu  d'un /jo/^ostc  abandonné  depuis  longtemps 
et  aujourd'hui  détruit,  notre  attention  a  été  attirée  par  deux 
excavations  circulaires,  profondes  dcO'"75,  mesurant  la  pre- 
mière un  diamètre  de  l"'2o,  la  seconde  large  de  â'"15,  et 
réunies  par  un  boyau  long  de  0"'60.  Ces  excavations  pour- 


j  "»j-j 


i^'.S 


Fif.niE  'J. 

T'Iaii  J  li.iliilalinii  ili;  Lnpoiis  rii-^es  ilu  Boii-=-(;ieb. 

raient  être  les  restes  d'un  abri  analogue  à  la  sauna  des 
aociens  Finnois,  qui  était  formée  d'un  trou  creusé  dans  le 
sol  et  recouvert  d'un  toit.  Peut-être  à  une  époque  anté- 
rieure les  Lapons  russes  ont-ils  construit  des  huttes  de  ce 
genre  comme  ils  élèvent  encore  aujourd'hui  des  kota  et  des 
porte.  Ces  indigènes  ne  possèdent  [toint  de  tente  semblable 
à  celle  des  pasteurs  de  rennes  de  la  Scandinavie.  L'été, 
lorsqu'ils  voyagent  à  travers  les  forôls,  ils  improvisent  un 
abri  avec  quatre  ou  cinq*Jeunes  troncs  li'arbres  entrecroisés 
au  sommet,  qu'ils  recouvreut  de  toile  '.  D'autres  fois,  afin  de 

t.  D'npr^s  M.  Oslrovskiy  ces  lentes  pi.irtcraiciil  le   nom   de   n   kouvo- 
kasse  *. 


EXPLORATIONS  DANS  LA  LAPONIE  RUSSE'.       403 

se  protéger  contre  les  moustiques,  ils  forment  une  tente 
minuscule  avec  une  pièce  de  linge  étendue  sur  des  baguettes 
de  bouleau  et  ramenée  sur  le  sol.  Pour  mettre  hors  de 
l'atteinte  des  rongeurs  les  provisions  qu'ils  n'emportent  pas 
dans  leurs  différents  déplacements,  les  Lapons  élèvent  des 
atfaS  cabanons  perchés  sur  un  tronc  de  pin  à  quelques 
mètres  au-dessus  du  sol.  Une  aïta  que  nous  avons  vue  sur 
les  bords  du  Notozero  était  élevée  d'environ  deux  mètres 
au-dessus  de  terre.  On  y  accédait  à  l'aide  d'un  tronc  d'arbre 


Figure  10. 
Hangar  couvert  d'écorcc  de  bouleau.  Kopesozero.  Laponie  russe. 


portant  de  grossières  encoches  en  guise  d'échelons.  Pour 
terminer  le  chapitre  des  constructions,  signalons  un  hangar 
bas,  formé  d'un  échafaudage  de  quelques  troncs  d'arbres  et 
recouvert  d'écorce  de  bouleau  (fig.  10). 

Les  Lapons  de  la  presqu'île  de  Kola  ont  adopté  presque 
entièrement  le  costume  russe.  La  plupart  sont  vêtus  de 
blouses  en  toile  serrées  à  la  ceinture,  d'autres  de  longues 
redingotes  appelées  en  russe  kaftan,  enfin,  presque  tous 

!•  Mot  emprunté  à  la  langue  finnoite.  Les  Lapons  de  Suède  et  de  Fin- 
unde  élèvent  également  des  constructions  de  ce  genre.  Dans  les  dia- 
'^<!te3  lapons  de  la  Suède  elles  portent  le  nom  de  njalla. 


•404  EXPLOKATIONS  DANS    LA    LAPONJE   BCSSE. 

de  pantalons  d'étolTe.  M.  Ostrovskiy  a  rencontré  à  Kitovka 
(côte  Mourmane)  des  Lapons  de  Kildin  qui  avaient  fort  bon 
air.  Tous  portaient  des  vêtements  et  des  pantalons  en  drap 
noir,  des  chapeaux  de  feutre,  des  souliers  j  quelques-uns 
possédaient  même  des  montres  en  argent.  Du  vêtement 
lapon,  la  plupart  des  Indigènes  de  celte  région  n'ont  guère 
conservé  que  les  mocassins  en  peau  de  renne  (komager  en 
norvégien)  dans  lesquels  les  pieds  sont  enveloppés  de  touffes 
de  carex^  séché.  L'été,  quelques-uns  seulement  onldespusfc 
en  peau  de  renne;  l'hiver,  probableraenl,  le  froid  rend  ce 
vêtement  indispensable  ù  tous.  Leur  coiffure  est  en  général 
un  bonnet  pointu,  de  laine  grossière,  blanc  quand  il  est 
neuf,  et  rayé  de  bandes  circulaires  verdâlres.  Les  femmes 
sont  toutes  vêtues  du  xra>'c/<i(H*!  des  paysannes  russes;  comme 
les  Laponnes  des  autres  régions,  elles  portent  la  chevelure 
divisée  par  derrière  en  deux  longues  tresses. 

Les  Lapons  russes  se  nourrissent  principalement  de  pois- 
son soit  salé  ou  séché,  soit  frais,  qu'ils  font  bouillir  avec 
des  touffes  d'AUium  schienoprasiiiti  en  guise  de  coiidi-. 
ment.  L'eau  ayant  servi  à  la  cuisson  sert  de  boisson  pen- 
dant le  repas.  Souvent,  notamment  en  voyage,  ils  se  réga- 
lent d'un  pâté  de  saumon  ou  de  truite,  le  kalebakiif  dont 
ils  ont  emprunté  la  recette  aux  Russes.  De  même  que  leurs 
frères  de  Finlande,  les  Lapons  de  la  presqu'île  de  Kola 
recherchent  les  œufs  de  palmipèdes,  et  comme  eux,  pour 
s'en  procurer  facilement,  établissent  des  nids  artificiels  sur 
le  bord  des  cours  d'eau.  En  hiver  seulement  ces  indigènes 
consomment  de  la  viande  de  renne;  tes  règles  de  l'Église 
orthodoxe  leur  interdisent  d'ailleurs  l'usage  des  aliments 
gras  pendant  une  bonne  partie  de  l'année.  Néanmoins, 
même  en  temps  d'abstinence,  ils  ne  se  font  pas  faute  de 
manger  des  lagopèdes  ;  les  oiseaux  sont,  disent-ils,  les  pois- 

1.  D'après  biilien  les  plantes  employées  par  les  Lapons  à  cet  usage 
sonl  :  le  Carex  aijuttuilis,  le  <j.  aciit<i,  le  C.  ampullitcea,\e  C-  vesicaria, 
VAvena  plexuota. 


EXPLORATIONS  DANS  LA  LAPONIE  UUSSE,       405 

sons  de  l'air^  et  cette  subtilité  paradoxale  fait  taire  leurs 
scrnpales  religieux.  Lorsqu'ils  ont  l'occasion  et  les  moyens 
d'acheter  de  la  farine,  ils  en  absorbent  volontiers  une  cer- 


FlCURE  H. 

Racloir  en  os  pour  préparer  les  peaux.  Kopesoîero.  Laponie  russe. 

{Mm.  d'Ethnographie  du  Trocadéro,  coll.  Rabot). 

taine  quantité  "sous  diverses  formes.  Les  habitants  de  Boris- 
Gleb,  qui  nous  ont  servi  de  bateliers  sur  le  Pasvig,  man- 
geaient à  chacun  de  leurs  repas  du  pain  qu'ils  avaient 


FlGUHE  12. 
Fermoir  en  os  de  renne  faisant  par'.ie  d'un  sac  on  peau  de  plioquc  (Enara). 
Laponie  Qnlandaise  et  Kopesozero,   Laponie  russe  {Mut.  d'Ethnographie  du  Tro- 
cadéro, coll.  Rabot). 


boulangé  avant  de  partir,  et,  à  Zatcheïka,  nous  avons  vu  les 
naturels  se  délecter  d'une  bouillie  de  farine  de  seigle  et  de 
baies  de  marais  {Rubus  chamœmorus  L.).  En  fait  de  végé- 
taux, les  Lapons  russes  mangent  comme  tous  les  peuples 


1.  Friis. 


EXPLORATIONS  DANS   LA   LAPONIE   BUSSE.  407 

peaux  (fig.  11).  Dans  les  nombreuses  cabanes  où  nous 
sommes  entré,  nous  n'avons  trouvé  qu'un  seul  objet  en  bois 
de  renne  orné  de  dessins  géométriques  comme  en  gravent 
les  autres  Lapons  sur  leurs  cuillers  ou  sur  les  mancbes  de 
leurs  couteaux.  C'était  le  fermoir  d'un  sac  en  peau  de 
phoque^  (flg.  12).  L'œuvre  d'art  la  plus  remarquable  que 
nous  ayons  vue  chez  les  Lapons  russes  est  une  peinture  or- 
nant le  dossier  d'un  traîneau  (Og.  13)3.  Sur  un  fond  rouge 
sedétachaientenjaune  des  arabesques  et  des  figures,  tracées 
■et  disposées  assez  régulièrement.  Gomment  l'artiste,  qui 


Figure  15. 

Sceau  en  écorcc  de  bouleau.  Kopesozero.  Laponie  russe  (SIus,  d' Ethnographie 
du  Troeadéro,  coll.  Rabot). 


)iabite  sur  les  bords  du  Kopesozero  au  milieu  d'un  désert, 
■avait-il  pu  se  procurer  la  peinture  nécessaire  à  l'exécution 
de  cette  ornementation  polychrome?  Le  bois  de  pin  et 
l'écorce  de  bouleau  sont  les  matières  premières  de  presque 
tout  le  mobilier  des  Lapons  russes.  Leurs  assiettes  (11g.  14) 

1.  Ce  sac  était  complètement  identique  à  celui  représenté  par  la 
4gnre  1â  que  nous  avons  acquis  d'un  Lapon  finlandais. 

2.  Le  traîneau  sur  lequel  se  trouvait  cette  ornementation  était  une 
Kjr»ri»  semblable  à  celles  en  usage  dans  les  autres  parties  de  la  Laponie. 
■Quelques  L^ons  russes  ont  un  véhicule  d'un  autre  type  qui  présente  une 
singulière  analogue  avec  le  traîneau  samoyède.  Il  se  compose  d'une 
■caisse  dans  laquelle  plusieurs  personnes  peuvent  prendre  place,  montée 
sur  des  patins  enybois.  Un  traîneau  de  ce  genre  figure  dans  la  photo- 
graphie d'un  campement  de  Lapons  russes  pris  sur  la  côte  mourmanepar 
M.  Leizinger  {Coll.  de  la  Société  de  géographie  de  Paris), 


408       EXPI.OBATIONS  DANS  r,A  LAPONIE  RUSSE- 

et  leurs  grossières  cuillers  sont  en  bois;  avec  l'écorce  du 
bouleau  tout  à  la  Tois  flexible,  résistante  et  imperméable, 
ils  confectionnent  des  sacs,  des  cordes,  des  boîtes,  des 
écopes,  des  seaux  (lig,  15),  môme  des  chaussures  et  des  vê- 
tements. Cette  précieuse  substance  leur  fournit  les  moyens 
de  transporter  l'eau,  et  un  morceau  suffit  à  faire  flamber 
les  branches  mouillées,  elle  procure  ainsi  l'eau  et  le  feu,  les 
deux  choses  essentielles  dans  les  déserts*.  Dans  le  voisinage 
des  habitations,  sur  le  bord  des  pistes  qui  traversent  la  fo- 
rêt, tous  les  bouleaux  présentent  des  cicatrices  noires  pro- 
duites par  la  perte  de  leur  écorce,  aussi  avec  quelle  joie  le 
voyageur  les  aperçoit  lorsqu'il  erre  perdu  dans  la  forêt! 
Elles  lui  indiquent  l'approche  d'une  hutte  et  le  bon  chemin. 
Le  bouleau  nain  [Betuia  nana,  L.)  est  également  utilisé  par 
les  Lapons.  Ses  longues  racines  flexibles  leur  servent  à  fa- 
briquer de  petits  paniers. 

Comme  l'a  appelé  emphatiquement  Acerbi,  le  bouleau 
est  le  cocotier  des  pays  du  nord  et  les  runoia  anonymes  du 
Kalevata  ont  célébré  son  utilité  en  strophes  d'une  poésie 
naïve.  «  Traversant  une  forêt,  Wiiinâmôinen,  entendit  tout 
n  à  coup  un  bouleau  pleurer,  de  suite  il  s'approche  et  lui 
«  demande  la  raison  de  ses  larmes. 

c  Les  heureux  n'ont  qu'un  seul  désir,  répond  l'arbre;  ils 
«  appellent  les  beaux  jours,  les  jours  ardents  de  l'été.  11  en 
«  est  autrementde  moi,  pauvre  malheureux!  Je  ne  m'attends 
«  qu'avoir  mon  écorce  déchirée,  mon  feuillage  ravagé. 

«  Souvent  dans  le  cours  du  printemps,  les  enfants  s'ap- 
t(  prochent  demoi,  le  désolé,  de  moi,  l'opprimé  et  ils  m'en- 
«  taillent  avec  cinq  couteaux,  ils  éventreniraon  tronc  riche 
«  en  sève*,  et  quand  vient  l'été,  les  bergers  me  dépouillent 

I.  Voir  le^  difTérenlcsulilisaliona  de  l'écorce  do  bnuleau  imaginées  par 
1e«  Finnois  dans  les  Firuika  kranier  de  Rclzius  (p.  96).  Ce  chapitre  a 
élé  reproduit  dan»  la  Revit)"  d'ethnographie,  188Î,  n"  2.  Au  musée  d'Ar- 
kliangel  Tigure  un  vêtement  cutiiplet  en  écorce  de  bouleau. 

i.  lA  sève  qui  découle  ilu  bouleau  i  l'époque  do  printemps  forme  une 
boluon  agréable. 


EXPLORATIONS   DANS    l-A    LAPONIE   RUSSE. 


400 


t  sans  pitié  de  ma  blanche  ceinture^  pour  s'en  faire,  ceux-ci 
((  des  cuillers,  ceux-là  des  fourreaux,  d'autres  des  corbeilles 
«  à  myrtilles'.  » 

Les  anciens  Lapons  enveloppaient  leurs  morts  d'un  lin- 
ceul d'écorce  de  bouleau  et  déposaient  à  côté  d'eux  dans 
la  tombe  les  armes  et  les  ustensiles  dont  les  survivants 
pensaient  que  le  défunt  devait  avoir  besoin  dans  l'autre 
monde  pour  pourvoir  à  son  existence  comme  ici-bas^. 
D'après  les  anciens  auteurs,  cette  coutume  a  été  générale 
chez  les  Lapons  et  semble  avoir  persisté  jusqu'au  xvi'  et 
même  au  xvii'  siècle '.  Le  souvenir  s'en  est  même  conservé 
chez  les  populations  actuelles  de  la  Laponie  suédoise/.  Au- 
jourd'hui ces  anciens  rites  funéraires  ont  été  seulement  con- 
servés par  les  Lapons  russes.  Dans  un  cimetière  de  ces  indi- 
gènes situé  à  Pakajanoki  et  abandonné  seulement  depuis  une 
trentaine  d'années,  chaque  tombe  contenait  un  plat  en  bois, 
une  cuiller,  une  hache,  un  fitet  et  une  pelle  également  en 
bois,  servant  en  hiver  à  débarrasser  de  neige  l'entrée  des 


1.  Lp  kalecatti  (Irad.  LéuuKon-Leiiuc,  p.  4'i9). 

i.  Nordvi,  t'ndersôyeisfy  ttf  itidre.  Iieiienske  gmue  i  ihilhimarlien 
{Over.  orer  haniht  Yidenk.  Selskabx  lù'irliatullinijer,  1853  et  I8ht>). 

3.  Hôgslrùm  {Heschreibung  den  der  Krnne  Swedenu  gehnrrnden  Lap- 
f  landes,  C.openhagiio  ul  Leipzig,  ITIH  ]i.  iï!))  raiiporte  que  les  Lapons 
eosevclissaienl  à  celé  des  morts  une  liaclie,  quelques  brunlillca  de  bois 
sec,  un  briquet  et  du  tal)&c. 

4.  Un  Suddoii  tiiibilaat  les  bords  du  Uoro  Afran  (Pitea  Lapmnrk)  aous 
a  raconté  à  ce  propos  \%  tradition  siiiv.inla  :  n  Jadis  los  Lapons  conduisaient 
leurs  morts  revêtus  de  leurs  vâtomcnts  au  ciaieliùre  dans  un  traîneau 
attelé  d'un  reanc.  Le  cor^is  était  cnsËveli  nvec  le  véhicule,  dans  lequel 
on  plaçait  une  pipe,  un  peu  de  tabac  et  un  Troma^e  de  lait  de  renne 
pour  servir  de  aourriture  au  défunt  pendant  le  grand  voyage;  après  quoi 
on  abattiiit  le  renne.  »  Les  détail»  de  ce  récit  sont  coiiliriués  par  les  anciens 
auteurs,  llâgstrôni,  lU-lia,  etc.  Le  fossoyeur  de  Jokkmok  a  afTirmé,  au 
professeur  Dijben,  avoir  souvent  trouvé,  en  creusant  des  fosses  dans  le 
cimetière,  des  pipe*  eu  (erre  de  tabrication  récenlp.  Les  Lapons  suédois, 
quoique  boas  luthériens,  ont  donc  coDservé  en  partie  losritei  funéraires 
de  leurs  ancêtres  païens.  D'après  M.  Ustruvskiy  les  Laponi  russes  donne- 
raient lin  renne  au  praire  lorsqu'il  enterre  un  indigène.  Cette  coutume 
dériverait  de  l'ancien  usai^e  da  saBrifice. 


410  EXPLORATIONS   ItANS  LA    LAPONIE    linSSE. 

huiles.  Sur  la  sépuUure  d'un  prêtre  russe,  à  Ri^tiket  (Nolo- 
zero)  les  habitants  avaient  déposé  une  hache.  Les  corps  sont 
placés  dans  des  cercueils  en  pin  et  en  guise  de  pierre  tonn- 
bale  la  fosse  est  surnionLée  d'un  appentis  en  bois,  à  deux  i 
pans  comme  un  toit  de  maison,  haut  seulement  de  quelqueafl 
centimètres  au-dessus  du  sol.  Sur  le  devant  est  peicée  une 
petite  ouverture  carrée,  sans  doute  pour  que  le  mort  puisse 
respirer.  Du  côlé  opposé  se  trouve  une  croix  grecque  dont 
un  des  bras  est  orné  d'une  tète  de  mort  d'une  exécution 
très  grossière  (fig.  16).  Sur  quelques-unes  des  tombes  du 
cimetière  de  Mogylni-Oslrov  (Imandra)  la  construction  est 
plus  importante.  Elle  a  l'aspect  et  la  forme  d'une  longue 


FintiiiE  IG. 

titc  'le  mort  gravée  «iir  In  lirnnclie  inrérieiii-i'  de  la  croix  ^'cqne 

placvp  sur  un  lomlmaii  de  Lapon  russe. 


maisonnette  coupée  à  la  cirae  pour  porter  une  autre  mai- 
sonnette plus  petite.  Figurez-vous  une  réduction  d'unebasi- 
lique  romaine.  L'arête  du  toit,  très  proéminente,  est  dé- 
coupée d'encoches  à  la  hache  figurant  une  sculpture  presque 
inrorme.  Ces  monuments  funéraires  mesurent  en  moyenne 
une  longueur  de  l"'t5  et  une  largeur  de  0"'45. 

Les  Lapons  russes  sont  convertis  au  catholicisme  grecJ 
mais,  pour  la  plupart  vivant  dans  les  forêts  de  rinlérieurj 
de  ta  presqu'île,  loin  des  églises,  ils  n'ont  que  rarement 
l'occasion  d'assister  à  la  céléliration  du  culte.  Presque  tous 
sont  illettrés;  nous  n'avons  cutinu  qu'un  seul  de  ces  indi- 
gènes sachant  lire.  Pareille  science  lui  valait  dans  tout  le 
pays  la  réputation  d'un  savant.  Les  Lapons  de  Kola  sup- 
pléent à  l'écriture  par  des  signes  qui  sont  de  véritables  hié- 


EXPr.OIlATIONS   DANS    l,A    LAPOME   KUSSE. 

roglj'pbes  et  qui  présentent  une  certaine  ressemblance  avec 
ceux  figurés  sur  les  tambours  magiques.  Chaque  famille  a 
son  signe  particulier  qu'elle  se  transmet  par  hérédité.  Elle 
l'appose  en  place  de  signature  sur  les  registres  de  l'auto- 
rité et  le  grave  sur  ses  ustensiles  de  ménage  et  engins  de 
pêche  pour  marquer  sa  propriété'.  Ces  caractères  informes 
sont  très  anciens,  et  les  indigènes  en  ignorent  l'origine'. 


De  tout  temps  les  Lapons  russes  ont  passé  pour  d'habiles 
sorciers  auprès  des  populations  an  milieu  desquelles  ils  vi- 
vent, llyacinquanleans,  les  indigènes  d'Akkala  étaient  regar- 
dés dans  tout  le  pays,  jusque  même  en  Finlande,  comme  les 
plus  habiles  magiciens.  Aujourd'hui  encore  les  Lapons  de  la 
presqu'île  de  Kola  ont  cette  réputation,  et  un  Finnois  établi 
dans  le  Bogfjord  nous  a  conlé  maints  sortilèges  dont,  dans 
sa  pensée,  les  habitants  de  Borïs-Gleb  étaient  capables. 

Au  témoignage  de  tous  les  voyaj^eurs,  ces  indigènes,  notam- 
ment les  femmes,  sont  d'une  très  grande  sensibilité  ner- 
veuse. Un  bruit  subit,  ou  la  vue  d'un  étranger,  sufQt  à  les 
effrayer,  à  leur  faire  perdre  pour  ainsi  dire  la  raison,  ou 
tomber  dans  une  sçrte  d'état  catiileptique.  Un  pêcheur  caré- 
lien  raconta  à  Castren,  que  la  vue  de   son  costume,  dif- 
férenlde  celui  des  indigènes,  eO'raya  tellement  une  Laponne 
qni  passait  dans   un  canot  à  cûté  de  son  embarcation, 
qu'elle  jeta  à  la  mer  l'enfant  qu'elle  avait  dans  les  bras, 
autre  Carélien  rapporta  au  savant  linguiste  finlandais 
a^oirvu  une  troupe  de  Lapons  tomber  comme  inanimés, 
pour  avoir   entendu   à    l'improvisLe   derrière    te   rnur  de 
Wcabaneun  bruit  analogue  àceluidu  choc  d'un  marteau, 
'o  jour,  Castren  vit  une  Laponne,  effrayée  par  le  bruit  d'un 
'vilement  de  main  produit  derrière  elle,  se  jeter  comme  une 
'trie  sur  les   personnes  présentes.  Si  vous   surprenez  les 

■•  Cei  signes  sont  stimblnblcs  à  ceux  ligurég  sur  Je  fermoir  rupré- 
'""W  (1(5.  ti. 
•  frii»,  /oc.  cil.,  p.  i29. 


i\^ 


EXPLORATIONS    DANS   I,A    LAPONIE   RUSSE. 


Lapons  de  Boris-Gleb  par  un  cri,  ils  se  précipitent  sur 
TOUS  et  fissajent  de  tous  faire  un  mauvais  parti,  nous  a 
conté  un  Finnois  du  Bogfjord'.  C'est  sans  doute  pour 
nous  mettre  h.  l'abri  de  pareils  Irailements  que,  dans  la  ré- 
gion comprise  entre  la  Peringa  reka  et  la  Tulom  dont  les 
rares  habitants  n'ont  jamais  vu  d'étrangers,  notre  guide 
prit  de  grandes  précautions,  chaque  fois  que  nous  rencon- 
trâmes des  in<Jigènes.  En  arrivant  à  une  game  sur  les  bords 
du  Roumiozero,  il  m'invita  ainsi  que  l'interprète  à  n'échan- 
ger aucune  parole,  à  ne  faire  aucun  mouvement  brusque  et 
à  ne  pas  approcher  de  la  hutte.  Les  Lapons  sont  des  sau- 
vages, racontait-il,  ils  pourraient  vous  assassiner.  Plus  loin, 
lorsqu'il  fallultraverser  te  N}ammeljaori,  noire  homme  nous 
fitcacherdans  les  taillis  pour  ne  pas  elfraj'erles  indigènes, 
disait-il,  et  seul  avança  sur  ta  rive  pour  héler  les  Lapons. 
Il  nous  invita  même  à  apprêter  nos  armes;  puis,  lorsqu'il 
eut  aperçu  une  femme  venir  au-devant  de  nous  en  canot,  il 
nous  recommanda  de  nouveau  le  silence  et  l'immobilité,  et 
ne  nous  laissa  approcher  qu'après  avoir  embrassé  h  trois  re- 
prises la  batelière. Notre  guide avaitl'esprithanté  d'histoires 
d'assassinat;  à  chaque  instant  il  parlait  de  deux  Finnois  qui 
avaient  été  massacrés  par  les  Lapons  sur  les  bords  du  Noto- 
zero,  sans  doute  quelque  vieille  tradition  remontant  au 
temps  desTchoudes, 

D'après  M.  Ostrovskiy,  les  Lapons  russes  auraient  un  ca- 
lendrier spécial  dont  les  divisions  correspondent  à,  leurs 
diverses  occupations.  L'année  laponne  (Ihé)  commence  à  la 
mi-septembre  et  est  partagée  en  dix  périodes  dont  voici  les 
noms.  La  première  s'appelle  V'towr  et  corresponde  la  pêche 
d'automne;  la  seconde,  Golgok,  est  l'époque  de  l'accou- 
plement des  rennes;  après  vient  le  Basse,  du  15  décem- 
bre au  15  janvier,  puis  le  Faitm,  qui  dure  jusqu'au  retour 


1.  M.  Klerk  nous  a  amrmé,  d'autre  part,  n'avoir  jamaii  été  témoin 
pareils  fait». 


V 

EXPLORUTIOMS  DANS  LA  LAPONIE  RUSSE.  <413 

des  cygnes  {Niouktché).  Au  Niouktché  fait  suite  le  Vizi, 
époque  à  laquelle  les  rennes  mettent  bas,  puis  au  Vixi  le 
Giida,  période  où,  après  avoir  tenu  pendant  tout  l'hiver  les 
rennes  du  pogoste  réunis  en  troupeau,  chacun  reprend  ses 
animaux.  Viennent  ensuite  le  Guolgga  (les  rennes  perdent 
lears  poils),  le  Gœsse  (l'été)  et  le  Pourgi,  époque  à  laquelle 
les  rennes  se  couvrent  de  nouveaux  poils. 

Isolés  au  milieu  des  forêts,  dispersés  sur  un  territoire 
immense,  presque  sans  aucune  relation  avec  les  Russes,  les 
Lapons  établi»  dans  l'intérieur  de  la  presqu'île  de  Kola  nous 
donnent  la  leçon  vivante  du  passé  le  plus  lointain  de 
rhomme.  Placés  dans  les  mêmes  conditions  que  les  tribus 
primitives  de  chasseurs  et  de  pêcheurs  dont  nous  sommes 
les  descendants,  ils  nous  offrent  le  spectacle  de  leur  vie  et 
de  leur  industrie.  Pour  vous  en  convaincre,  lisez  le  récit  du 
voyage  d'Othère,  la  description  qu'elle  contient  des  mœurs 
des  Lapons  russes  est  encore  aujourd'hui  exacte.  Depuis 
dix  siècles  la  plupart  de  ces  indigènes  ne  se  sont  guère  élevés 
en  civilisation. 

CLIMAT 

La  Laponie  finlandaise  et  la  Laponie  russe  sont  une  des 
légions  les  plus  froides  de  l'Europe.  Tout  ce  pays  est 
enveloppé  par  l'isotherme  0°,  à  l'intérieur  duquel  les  iso- 
(liennes  de  —  1*  et  —  2»  décrivent  des  courbes  concen- 
triques^ 

A  Kola,  pendant  trois  mois  seulement,  le  thermo- 
mètre se  maintient  au-dessus  de  0°.  En  général,  l'hiver 
commence  dès  le  15  septembre.  Là,  à  60  kilomètres  seule- 
ment de  la  mer,  il  se  produit  parfois  à  cette  époque,  des 
froids  de  —  6'9;  dans  l'intérieur  du  pays,  le  thermomètre 
descend  encore  plus  bas  en  cette  saison.  En  moyenne,  les 

1.  Mohn,  Jahre»  Uothermen  der  Luft-^\drme  (1872)  in  Sohiibeler, 
Me  Ppamenivelt  Norwegens,  Christiania,  1873. 


41  i 


EXPLOrtATIOSS   DANS   LA    LAPONIE    RUSSE. 


aflluents  de  l'Enara,  l'Ivaiojoki  et  le  Kamasjoki  sont  geléî^ 
dès  la  fin  de  septembre,  le  Pasvig  vers  le  15  octobre.  Deux 
semaines  plus  tard,  l'Imandra  est  généralement  couvert  de 
glaces'.  A  Kandalaks,  la  mer  Blanche  gfcle  dès  la  fin  d'oc- 
tobre. Suivant  les  affirmations  des  indi{;ènes,  l'Enara  ne 
serait  pris  qu'en  novembre. 

A  Kola-,  dans  ces  dix  dernières  .innées,  la  moyenne  du 
mois  le  plus  froid  a  varié  entre  —  8"^'  et  —  31°i*.  La 
plus  basse  température  observée  dans  celte  station  a  été  de 
—  38"4''.   Au   lac  de  l'Enara  des  froids  de  —  50"   sont 
fréquents.  L'hiver  se  prolonge  jusqu'en  mai  et  en  juin. 
A  Kandalaks  la  débâcle  de  la  mer  Blanche  se  produit  en 
mai,  celle  de  l'Imandra  commence  généralement  vers  le 
15  de  ce  mois.  En  1867,  les  dernières  glaces  ne  disparurent 
de  ce  lac  qu'à  la  fin  de  juin''.  Le  1"  juillet  1884,  des  gla- 
çons flottaient  encore  sur  l'Enara,   et  celle  année-là  la 
débâcle  du  Kaamasjoki  n'eut  lieu  à  Thulé  que  le  24  mai. 
Les  lacs  du  Pasvig  ne  sont  généralement  libres  qu'en  juin, 
mais  dès  le  mois  de    mai,  ou  même  d'avril,  lorsque  lej 
temps  est  chaud,   la    rivière  est   débarrassée   de  glacesj 
A  Kola,  chaque  année  en  mai,  le  thermomètre  descend' 
au-dessous  de  zéro;  en  188(3  on  a  même  observé  pendant 
ce  mois  un  froid  de  —  10",4,  et,  en  juin  1881  —  2%3.  Eal 
moyenne  le  thermomètre  de  celte  slalioti  reste  pendant 
âlO  jours  au-dessous  de  zéro. 

A  ce  long  hiver  fait  suite  un  printemps  d'une  quinzaine 
de  jours.  L'été  commence  dans  la  première  semaine  dei 


t.  Daa.  loc.  cit. 

'î.  Les  cliilTres  des  températures  iikliquéca  ici  pour  la  presqu'île  de 
Kola  sont  empruntas  aux  Tascicules  du  /{eperlorium  fiir  Metenrolûfji, 
publié  par  M.  H.  Wild  sou»  les  auapices  de  l'Académie  Impériale  des 
Ktence»  de  Saiiit-l>éU!r8bourg. 

3.  En  j:in\icr  1883. 

1.  En  novembre  187'J. 

5.  En  décembre  1887. 

0.  Daa,  loc.  cit. 


EXPIiORJiTIONS  DANS  LA  LAPONIE   RUSSE.  415 

juillet  et  dure  six  à  sept  semaines.  A  cette  époque  la  tem- 
pérature est  parfois  très  élevée.  A  Kola  on  a  observé 
-j-  32<'5*.  Dans  cette  localité,  le  mois  le  plus  chaud  est 
généralement  juillet  avec  une  moyenne  variant  de  -\-  H»!^ 
à  -f-  iB'S^.  Mais  quelquefois  en  cette  saison  le  thermo- 
mètre s'abaisse  à  +  S»  et  +  4°1  ;  il  est  même  descendu  à 
—  3°3  au  mois  d'août  (1880).  Dans  l'inlérieur  du  pays  des 
gelées  se  produisent  souvent  en  août.  En  1884,  le  13  de  ce 
mois,  le  thermomètre  tomba  à  —  2°  à  Kultala  dans  la  haute 

Observations  météorologiques  exécutées  en  1885  à  léréliki. 


Mus.. 

inil 

lii.. 


Jaia. 


Juilet . 


Août 

Septembre . 


TSaPK- 

DATE 

DATE 

aATURC 

■AXIXA. 

du 

HINIXA. 

du 

mayenae. 

ma.viaia. 

miiiima. 

—  3*.22 
+  0.05 
+  1.31 

0 

+   * 

+  8 
+11 

28 
25 
16 

— 10°.5 

-  8 

—  7 

8 

22 

5 

+  5,72 

+15 

30 

—  1 

13 

+11.32 

+22 

15 

+  2 

2 

+10.09 
+  6.56 

+21.5 
+16 

15 
4 

+  * 
+  1 

'8,29,30 
■     19 

OBSERVATIONS 

du  8  au  31. 


Neige  le  29. 
fTempéte,  gibou- 
<  Mes  de  neige  le 
(  ii  ;  neige  le  17. 
'Orage  le  15.  Kn 
15  min.  la  tem- 

Sérature  baisse 
e   l*".   Orage 
le  18. 

Neige  dans  lanuit. 


vallée  de  l'Ivalojoki;  àEIvenies,  il  s'abaissa  à  -i-  3  dans  la 
nuit  du  5  au  6.  Durant  l'été  les  variations  atmosphériques 
sont  très  brusques.  Le  19  août  1884,  sur  l'Enara,  le  ther- 
momètre s'élevait  à  -|- 17°  ;  à  9  heures  du  soir,  il  ne  marquait 
plus  que  -}- 1*. 

Le  climat  de  la  côte  mourmane  est  beaucoup  moins 
rigoureux  que  celui  de  l'intérieur  des  terres.  Grâce  à  l'obli- 
geance du  capitaine  Horn,  directeur  de  l'établissement  de 
chasse  à  la  baleine  de  lérétiki,  nous  pouvons  donner  ici  le 

1.  Juillet  1882. 
«.  —  1884. 
3.    —     1886. 


41G  EXPLOflATlONS   DANS    LA    LA.PONIE  RUSSE, 

résumé  des  observations  faites  à  8  heures  du  matia,  cl 
H  heures  du  soir  dans  celte  localité  pendant  le  printemps  et 
l'été  de  1885. 

Le  olimat  de  la  Laponie  russe  est  très  sec.  A  Kola, 
d'après  la  nioyenne  de  cinq  années  d'observation,  il  ne 
tombe  que  300  millimètres  de  pluie*.  M 

Pour  coinpiéter  cet  aperfu  sur  le  climat  de  la  Laponie 
finlandaise  et  de  la  Laponie  russe,  nous  y  joignons  l'indi- 
cation de  l'époque  de  la  floraison  pour  plusieurs  plantes 
dans  la  région  de  l'Enara  d'après  les  recherches  de 
M.  Kihlman*. 


lUnmnailus  ncrîs,  28 juin,  vallée  del'Ivalojokki. 

Cerastimu  alpestre,  3  juillet,  vallée  du  Kamasjokki. 

Geraiiiumpratense,  12  juillet,  id. 

Rufms  Chamcmorus,  26juillet,  Hammastuntaril  (357  mè^ 
1res). 

A:alen  procambens,  2(5  juin,  Kultala. 

Linnœa  borealis,  20  juillet,  vallée  du  Kamasjokki. 

Pinguicula  i-îtigtiris,  2  juillet,  id. 

Les  épis  du  seigle  d'hiver  apparaissent  à  Toivoniemi, 
vallée  du  Kamasjokki,  le  5  juillet. 

I.  Supaii.  bie  NiederHchlaijU'erhiUlnme  lies  Hunsixchei  Reicht{Pekr- 
mannH  Mitlh.,  188«). 
i.  KiliJiUtiD,  toc.  cil. 


/ 


ÉTUDES  DE  GÉOGRAPHIE  HISTORIQUE 

SBR 

LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR 

PTOLÉMÉE,  HIOUEN'-THSANG,  SONG-YOEN,  MARCO-POLO 

PAR 

Le»'  NICOLAS    SETEKTKOWl 


Ce  n'est  pas  sans  hésitation  que  j'aborde  ce  sujet  déjà 
traité  par  tant  de  savants  illustres;  mais  ce  qui  me  décide, 
c'est  qu'à  défaut  d'érudition,  je  suis  en  mesure  d'éclaircir 
les  renseignements  des  anciens  itinéraires,  à  l'aide  des 
données  topograpbiques  détaillées  et  précises,  fournies  par 

1.  La  publication  de  cet  important  travail  du  D'  Nicolas  Sévertzow  est 
malheureusement  posthume.  Le  savant  voyageur  et  le  doyen  des  explo- 
rateurs du  Turkestan  est  mort,  dans  la  nuit  du  9  au  10  février  1885,  à 
la  suite  d'un  accident  de  voiture  dans  la  rivière  Ironetz,  affluent  du  Don. 
La  couche  de  glace  ayant  cédé  sous  le  poids  de  la  voiture,  N.  Sévertzow 
put  être  retiré  vivant,  mais  il  était  mort  gelé  avant  d'arriver  au  prochain 
village  (Lettre  de  M.  Grigoriev  à  la  Société  de  géographie  de  Paris, 
24  février  1885).  <  Non  seulement  Sévertzow  occupait  une  place  distinguée 
parmi  les  naturalistes,  mais  encore  il  était  l'un  des  plus  actifs,  des  plus 
infatigables  soldats  de  cette  phalange  de  voyageurs  russes  qui  ont  tant 
fait  pour  la  géographie  de  l'Asie  centrale.  •  (M.  Milne-Edwards,  prési- 
dant la  séance  du  20  février  1885.) 

Dès  1850  Sévertzow  explore  la  contrée  riveraine  de  l'Aral,  puis  la 
«teppe  kirghize  ;  vers  1864  la  Société  de  géographie  russe  l'envoie  dans 
les  pays  transiliens. 

En  1867,  il  entreprend  l'étude  du  Thiàn-chàn  du  côté  de  l'Issyk-Koul 
et  du  Naryn.  En  187i,  il  fait  partie,  comme  zoologue,  de  la  mission 
seientiflque  qui  explore  le  khanat  de  Khiva.  Deux  fois  il  visite  le  Pamir  : 
une  première  fois  eu  1877,  en  même  temps  que  M.  Mouchkétoff;  une 
seconde  fois  l'année  suivante,  en  compagnie  de  HM.  Schwarz,  direc- 

SOC.  DE  CÉOGR.  —  3*  TRIMESTRE  1890.  XI.  —  27 


418       LES   ANCIKNS  JTINÉIUIEIES   A   THAVEKS   LE   PAMIR. 


les  récentes  explorations  russes  de  la  région  du  Pamir,  y 
compris  les  miennes. 
Je  ne  crois  pas  ces  éléments  nouveaux  inutiles  pour  la 

leur  Uc  l'obiervalnire  de  THchkeiit,  KouchakiéviLch,  botanisto,  Skassi  et 
Rouilrieiï,  lofio^tmplioB,  cL  SkoroiakofT,  "préparuleur. 

Ces  e\]ic<liliiiii>i,  eiivuyi>e>  pur  le  i^'énéi'al  KiiulTinafin,  gouverneur  général 
ilu  TurkesUn,  Curent  îles  plus  t'ruclueuses.  La  pr&i[)iÈre  (]ullle  Tachkent 
le  30  Bcplnnibi'c  1^77  <■[,  pcir  Kokanc  eLfioullciia,  alteiat  l'Alailcâti  octobre 
;iprfes  avoir  Iravcrsu  lu  passe  ilu  tlimrt,  litvx  jours  plus  tard,  elle  campe 
sur4o  Puniir  qu'elle  abonle  par  Ut  piiSEioïki  Ki»il-a.rU  Sans  pousser  au  delà 
de  1.1  VïllÙK  du  Kok-saï,  elle  rtituuruâ  sur  tes  pus  là  1"'  novembre  après 
>Iuo  Sévertza\\  eut  rassemblé  d'impurtantes  cnllecliuns  zoologiques, 
SkasBi  mesuré  15  pics  et  Sctiwarz  recueilli,  eutre  autres,  des  observa- 
tioni  miigoétiques. 

Le  17  juillet  I8T8,  après  avoir  exploré  une  partie  du  Fcrghanab  et  la 
l'igiori  pré-ftlaïeniie,  Si'verlzow  avec  Koucbakiévilcli  et  lUmdrif!^ partent 
pour  l'Alnï  qu'ils  atleigticul  le  ^7  par  la  p»sse  it'Arlrhat.  Puis  les 
membres  de  l'expédition  se  sépareut  en  se  domiaiLl  rennci-vous  géiiérnl 
sur  le  Kara-Koul.  Séverlatuw,  de  puu  t.Mé,  explore  le  Taou-raouroune  et 
la  gorv;e  d'IiUt-'i'litam.  Le  là  aodt  la  inissiou  est  réunie  au  lieu  du 
rend<'z-vous  et  l«  16  elle  remonte  vers  le  sud  la  vallée  de  l'Ak-baïlal 
septeatrioiial,  traverse  le  roi  de  Toui'inksou  et  rcdesccud  par  l'Ak-baïtal 
du  Sud  vcr«  l'Ak-sou  ou  Mourguàb  ^itiie  des  branches  |ianiiricnncs  de 
l'Oxus).  Après  avoir  exploré  le  Uan),'-Koul  et  la  ré^iiou  du  petit  Kara- 
Koul,  elle  pa'^se  le  Mourguâb,  remonte  le  Kara-a<pu  et  son  affluent  le 
Nosjii-lach  pour  atlcindro,  p;ir  la  paste  du  même  nom,  le  Pamtr  Alitchour. 
Malheureusement  les  cinissaîrcs  envoyés  pour  rapporter  de»  vivres  sont 
pillés  en  ruute  par  les  Kirgliiies,  ce  qui  force  Séveriïow  au  rctO'Ur.  II 
revient  sur  le  Kara-Koul  et  rentre  le  Sti  septembre  dans  le  Fergbaaali. 

Les  résultats  obtenus  sont  considérables,  la  récolle  d'bisloire  naturelle 
est  importante  :  SO.tHK)  exemplaires  de  planiesi  rcpréseolnnt  environ 
1,000  espèces  (y  compris  la  région  pré-pamiiiemie),  CO  espèces  de 
mammifères,  35U  d'oiseaux  et  2U  de  poi&soits,  dont  beaucoup  sont  nou- 
velles. Les  levers  do  Skassi  sont  allés  se  relier  à  ceux  du  capitaine 
au(;lais  Trotter  de  la  luiDsioti  Forsyth.  L'orographie,  l'Iiydrographie  et  la 
géologie  du  l'émir  sont  assises  sur  de  nonvellet  bases  et  la  conception  du 
Pamir,  en  tant  que  [ilateau,  est  complètement  changée.  Séverlsow  intro- 
duit la  théorie  du  type  orugrapliitjue  double  du  Pamir,  dont  lo  tyttètne 
comprend,  d'après  lui,  lus  m0Qta|,rae»  du  Fert^banah  (c'est-à-dire  une 
partie  du  Tbiàu-chàn)  au  nord,  jusqu'il  ia  rivière  Caboul  et  à  l'Indus  au 
sud   (c'csi-à-dire  une  partie  de  l'Ilindou-Kouch]. 

En  deliors  des  notes  insérées  dans  difîérents  recueils  scienlifiquei 
(parmi  ces  noies  nous  citerons  surtout  les  neinarquet  tur  la  /aune 
ilet  verUbréi  du  Pamir,  in  ZapisJii,  Tourliesl.-otdiela,  1,  obch.,  etc.. 


I 

I 

I 


LES  ANCIENS   ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.       419 

-géographie  historique.  Ainsi  je  démontrerai  que  l'itinéraire 
-des  caravanes  entre  Bacires  et  la  Sérique,  donné  par  Pto- 
lémée,élait  impossible  à  déterminer  avant  l'exploration  des 

Taobkent,  1879,  t.  I),  Sévertzow  a  publié  en  1880  une  carte  du  Pamir 
d'après  les  travaux  de  M.  Slossi  et  les  siens  (Karta  Pamira  i  soprediel-  ' 
nikh  stran.  —  Ins.  cartogr.  de  la  section  topogr.  de  l'état-major);  mais 
les  résultats  géo-physiques  de  ses  explorations  da  Pamir  ont  été  consi- 
gnés in  extento  dans  le  travail  auquel  il  fait  allusion  dans  la  présente 
étode,  travail  également  posthume,  paru  dans  les  Zapiski  de  la  Soc.  imp. 
rosse  de  géographie,  Saint-Pétersbourg,  1886.  Cet  ouvrage  n'utilise  pas 
eaeora  les  résultats  de  Texpédition  scientifique  de  MM.  Poutiata,  Ivanoif 
et  Benderskiy. 

Sévertzpw,  qui  fut  un  savant  explorateur,  fut  également  un  grand  éru- 
dit  :  la  preuve  en  est  dans  les  Éludes  de  géographie  historique  sur  les 
anciens  itinéraires  à  travers  le  Pamir,  qu'il  a  destinées  au  Bulletin  de 
-la  Société  de  géographie  de  Paris  et  dont,  ne  faisant  qu'œu\Te  de  correc- 
teur d^mprimerie,  nous  avons  tenu  à  respecter  le  style  et  l'enchaînement 
des  arguments. 

L'identification  des  itinéraires  des  anciens  voyageurs  à  travers  le  Pamir 
a  donné  lieu  déjà  à  do  numbreusesctsavantcsdiscussions auxquelles  ont 
pris  part  entre  autres,  MM.  Vivien  de  Saint-Martin,  Abel  K  emusat,  Klaproth, 
Pauthier,  Barthélémy  Saint-Hilaire,  le  migor  Ciinningham,  Sir  H.  Itaw- 
tlinson,  etc.  Le  colonel  Yule  en  a  fait  une  étude  assidue  (Notes  on 
Hiouen-Thsangs  account  of  the  princip.  of  Tokharistan.  —  Essai  on 
-Me  Geogr,  of  the  upper  Oxus.  —  Paper  cormected  with  the  upper  Oxus. 
—  The  book  of  Marco  Polo.  —  L'introduction  à  la  2"*  édition  du  voyage 
de  Wood  aux  sources  de  l'Oxus.  —  Cathaij  and  the  way  thither.) 
M.  Paquier  (ie  Pamir,  1876)  a  traité  le  sujet  dans  une  savante  mono- 
graphie. —  Des  découvertes  récemment  faites  ont  augmenté  nos 
•eoBoaissances  sur  le  Pamir  et  ravivé  ces  questions  de  géographie  his- 
torique. A  citer  les  ouvrages  de  van  den  Ghein  (le  Plateau  du  Pamir 
d'après  les  récentes  explorations,  Bruxelles,  1883);  une  monographie  de 
M.  W.  Ceiger  (Ote  Pamtr-Ce&tete,  Wien,  1887);  une  étude  de  M.  A.  Tim- 
niernian  {De  Ontwikkeling  orner  Kennis  van  het  Pamir-Gebied,  Leiden, 
1889);  enfin  un  article  de  Sir  H.  Rawlinson  (r/te  Dragon  Lake  of  Pamir. 
P.  R.  C.  S.,  février  1887)  dans  lequel,  d'après  les  données  de  M.  Ney 
Elias,  lé  lae  des  Dragons  de  Hiouen-Thsang  est  identifié  avec  le  lac 
Ran'g-Koul,  sur  la  foi  d'une  légende  ayant  cours  parmi  les  indigènes.  On 
trouvera  dans  les  ouvrages  cités  une  bibliographie  plus  complète  que 
celle  que  nous  pouvons  donner  ici. 

On  ne  saurait  trop  regretter  que  la  carte  et  les  figures  dont  ce 
mémoire  était  accompagné  se  soient  perdues,  avant  la  gravure,  entre 
Paris  et  Saint-Pétersbourg. 

Guillaume  Capus. 


420       LES   ANCIENS  ITINÉR-lIKES   A   TKAVERS    LE    PAMIR. 

vallées  de  Hissar  et  du  Karaté^;hinc,  faite  par  MM.  Mayew 
et  Ochanine,  en  1875  et  1878;  de  m<^me  les  ilinéraires  de 
Hiouen-Thsang  et  de  Marco  Polo  sont  restés  incompris 
par  les  plus  savants  conimentatRurs,  pane  que  la  plupart 
des  grandes  vallées  du  Pamir  central  étaient  inconnues 
avant  mon  exploration  de  1878,  pendant  laquelle  je  lisais 
assidûment,  sur  le  Pamir  m&me,  les  éludes  à  son  sujet  de 
Ritter,  du  colonel  Yule,  et  de  M.  Paquier.  C'està  l'excellent 
livre*  de  ce  dernier  que  je  rattache  mon  étude  actuelle, 
remerciant  ainsi]  l'auteur  (quoique  bien  tard)  de  m'avoir 
envoyé  son  ouvrage  au  moment  où  j'entreprenais  mon 
exploration. 


I.  —  Anciense  route  commerciale  de  Bactres  a  Sera 
Metkopoi.is,  n'APRÈS  Ptolêmêe. 


Outre  les  renseignements  de  Ptolémée,  empruntés 
comme  on  sait,  à  Marin  de  Tyr,  qui  les  tenait  d'un  marchand 
macédonien,  Maos  Titianus,  M.  Paquier  a  recueilli  sur  cette 
route  les  lémoignagtîs  de  Pline,  Slrabon  et  Ammien  Mar- 
ccllin',  tous  très  brefs  et  très  vagues,  et  qu'on  peut  résumer 
comme  suit. 

Cette  route  passe  à  travers  la  Sogdiarie  et  s'engage  entre  les 
montagnes  parla  \'aUisCoinedarum  (l'2Eî"i.V  à  l'est,  d'après 
Marin  de  Tyr,  comme  les  positions  géographiques  suivantes). 
Remontant  cette  vallée,  on  arrive,  par  le  pays  des  Saces,  à 
un  lieu  nommé  la  Tour  dit  pierre'  (135"  longitude  est, 
13°  5'  latitude  nord);  passé  cette  tour,  la  roule  franchit  les 
monts  Imaiis,  à  l'est  desquels  elle  traverse  une  Station  de 
marchands  {Statio  Mercatorum),  pour  arriver,  par  la  plaine 

I.  Paiiiiier,  Le  Pamir,  Étudo  de  géogrnphit  phijiiqvie  et  hiitorique 
sur  rAsie  centrale,  Paris,  1876,  in-8,  pages  l'J  et  2Î-23. 
i.  Ibid. 
3.  X(9ivo;  mpyo;,  Tarris  lapidea. 


LES   ANCIENS   ITINÉRAIRES   A   TAVERS  LE   PAMIR.        421 

déserle  de  la  Scythie,à  Sera  Metropolis  (125*  40'  longitude 
est). 

Ainsi  décrite,  la  route  en  question  serait  facile  à  détermi- 
nersi  les  positions  géographiques  ci -dessus  étaient  exactes  ; 
mais,  malheureusement,  elles  ne  le  sont  pas.  La  latitude  de 
43*5'  donnée  à  la  Tour  de  pierre  est  à  peu  près  celle  d'Aou- 
lié-Âta,  dans  les  steppes  au  pied  du  versant  nord  du  Thian- 
Schan  occidental  ;  plus  à  l'est  nous  trouvons,  sous  cette  lati- 
tude, les  chaînes  parallèles  du  système  des,  Thian-Schan, 
mais  rien  qui  puisse  correspondre  à  n'importe  quelle  route 
traversant  l'Imaiis,  lequel  est  bien  évidemment  l'ensemble 
des  montagnes  neigeuses  situées  entre  les  plaines  de  l'Oxus 
et  celles  du  Tarim,  c'est-à-dire  le  massif  du  Pamir. 

Reste  l'indication  des  localités,  mais  elle  est  bien  vague  ; 
évidemment,  une  fois  les  positions  géographiques  de  Marin 
de  Tyr  et  de  Ptolémée  reconnues  fausses,  leur  Tour  de 
pierre  et  leur  Station  des  marchands  ne  peuvent  être 
identifiées  autrement  que  par  la  détermination  de  la  Vallis 
Comedarumj  mais  cette  vallée  a  changé  bien  des  fois  de 
place  sur  la  carte,  selon  les  commentateurs. 

Pour  Humboldt,  la  Vallis  Comedarum  n'est  autre  que 
la  vallée  du  Ferghàna,  dans  laquelle  se  termine  le  cours  su- 
périeur du  Syr-Darya  oulaxarte;  il  place  la  Turris  lapidea 
sur  le  rocher  de  Takht-i-Souleyman,  à  Osch,  où  la  route 
commerciale  actuelle  de  Boukhara  et  Khokand  à  Kaschgar 
s'engage  dans  les  montagnes  qui  séparent  le  Ferghàna 
du  Turkestan  chinois,  pour  traverser,  par  le  col  du  Terek- 
davahn,  une  chaîne  méridienne  qui  correspond  réellement 
à  la  partie  nord  de  l'ancien  Imaus.  Alors  la  Statio  Merca- 
torum  serait  quelque  part  près  de  Kaschgar,  sinon  à 
Kaschgar  même,  dont  la  fondation,  qui  parait  un  peu  posté- 
rieure au  temps  de  Ptolémée,  a  bien  pu  être  précédée  et 
même  motivée  par  cette  station  permanente  de  marchands. 

Il  y  a  des  raisons  assez  plausibles  pour  cette  identifi- 
cation de  la  vallée  des  Comèdes  avec  celle  de  Ferghàna.  Les 


422       LES   ANCIENS   ITENÉRAIIŒS   A    TItAVERS   LE    PAMIR. 

Comédie,  d'après  Pline',  étaient  des  Saces,  et  Plolémée' 
borne  le  pays  des  Saces  h  l'ouest  pîir  la  Sogdiane,  au  nord 
et  à  l'estparlaScythie,mi  midi  parrimaiis;  dans  ce  passage, 
le  nom  d'Imaiiss'applîqueévidcmmentnon  pasjliine  chaîne 
méridienne  (nord-sud)  quelconque,  mais  bien  h  l'ensemble 
entier  du  système  de  montagnes  du  Pamir,  formant  juste  la 
limite  méridionale  du  Ferghâna  qui  serait  ainsi  à  l'extrême 
sud  do  pays  des  Saces.  De  plus,  la  seule  grande  route  com- 
merciale actuelle  qui  relie  le  Turkestan  occidental,  Boukliara 
et  Khoksnd  avec  la  Chine  passe  par  la  vallée  du  Ferghâna  et 
la  ville  d'Oscb;  or  les  roules  commerciales  des  caravanes 
ne  changent  généralement  pas   en  Asie  centrale;  depuis 
l'antiquité  la  plus  reculée,  elles  y  ont  été  déterminées  par  la 
nature  invariable  des  localités.  Enlin  les  annales  chinoises, 
citées  par   Ritter,   mentionnent   cette  route  de  Ferghâna 
comme  celle  du  commerce  de  la  CSiine  avec  l'occident,  dés 
le  temps  de  la  première  dynastie  dos  Han,  vers   la   fin   du 
second  siècle  avant  J.-C.  Néanmoins  le  général  Cunningham 
el  le  colonel  Tule,  cités  par  M.  Paquier  qui  se  range  à  leur 
avis,  pensent  que  la  VdUis  Coiuedamm  n'est  pas  le  Fer- 
ghâna, arrosé  par  le  laxarte,  mais  bien  une  grande  vallée 
du  système  (luvial  de  l'Oxus,  car  telle  est  la  position  du  Kiou- 
mi-tho  de  Hiouen-Thsang,  qu'ils  identifient  avec  la   Vattis 
Comedannii. 

L'identité  du  pays  des  Comedtr  avec  le  Kiou-mi-tho,  que 
Hionen-Thsang  décrit  comme  un  district  montagneux  placé 
h  l'est  du  Tokbaristan,  est  évidente;  M.  Cunningham  l'a 
prouvé.  La  description  géographique  que  les  Chinois  don- 
nent de  la  région  enlève  toute  espèce  de  doute  à  cet  égard. 
Située  à.  l'est  du  Khotl,  elle  est  entourée  par  les  monts 
Tsoung-ling  ou  montagnes  du  Pamir;  elle  a  l'Oxus  au  sud- 
ouest  et  le  Chighnan  au  sud^. 


\-i.  Cit(5»  par  M.  Pinjuier,  le  Pamir,  p.  l'J. 
'd.  Paquier,  le  Pamir,  p,  555. 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  K  T|[IAVERS  LE    PAMIR.      423 

M.  Paqaier,  immédiatement  après  cette  citation,  dit  : 
«C'est  l'État  actuel  duRoshan  qui  serait  ainsi  la  VallisCo 
meiarum  »  ;  mais  cette  interprétation  me  parait  complète- 
ment inadmissible,  la  vallée  de  Roshan,  qui  est  celle  de 
l'Âksou  inférieur,  étant  tout  à  fait  impraticable  pour  les 
caravanes  ^  Cette  vallée  se  compose  de  parties  élargies,  habi- 
tées et  cultivées,  mais  séparées  entre  elles  par  des  gorges 
étroites  dans  quelques-unes  desquelles  l'Aksou  se  fraye  avec 
peine  un  passage  au  milieu  de  rochers  infranchissables. 
Âossi  les  parties  cultivées  communiquent-elles  les  unes  avec 
les  autres,  soit  principalement,  soit  uniquement  par  des 
routes  de  montagnes  qui  tournent  ces  gorges,  en  passant 
par  le  Gbighnan  dont,  pour  celte  raison,  le  Roshan  a  tou< 
joors  été  une  dépendance  naturelle.  De  plus  l'Oxus  ne  coule 
pas  au  sud-ouest  du  Roshan,  qu'on  entende  par  Oxus  seu- 
lement les  cours  réunis  de  l'Aksou  et  du  Piandj,  ou  qu'on 
étende  le  nom  d'Oxus  aussi  au  dernier  de  ces  fleuves. 

L'Oxus  coule  bien  au  sud-ouest  du  Derwaz,  mais  ce 
n'est  pas  non  plus  dans  ce  dernier  pays  qu'on  peut  cher- 
cher la  ValHs  Comedarum,  aucune  route  vers  la  Sérique 
(Chine)  ne  pouvant  passer  par  les  vallées  des  affluents  de 
rOxus  qui  coulent  à  travers  le  Derwaz.  Toutes  ces  vallées 
dn  Derwaz  sont  des  impasses,  fermées  vers  l'orient  par  des 
Montagnes  infranchissables. 

En  général,  dans  le  système  fluvial  de  l'Oxus  au  nord  du 
Chigbnan,  il  n'y  a  qu'une  seule  route  possible  de  Bactres  en 
Sérique  :  c'est  celle  qui  passe  par  le  Karatéghine  ;  ce  pays, 
situé  entre  le  Derwaz  et  le  Ferghâna,  est  traversé  par  un 
pand  affluent  de  l'Oxus,  le  Sourkhab  ou  Wakhsh;  il  a 
l'Oxus  au  sud-ouest  et  se  trouve,  par  conséquent,  juste 

1.  Plus  loin,  au  reste,  M.  Paquier  (loc.  cit.,  p.  2t5,  et  carte  no  1)  trace 
*•"«  route  par  le  Chighnan  et  Tash-kourghane  ;  mais  alors  la  Vallis 
ûwMdon»»»,  identifiée  avec  celle  du  fleuve  Soutschan  dans  le  Chighnan, 
n'est  plus  le  Kiou-mi-tho  de  Hiouen-Thsang,  au  nord  et  en  dehors  de 
**piys;  nous  y  reviendrons  encore  plus  loin. 


42i-       LES   ANCIENS    ITINÉRAIRES   A   TUAVEHS    1,E   PAMIR. 

dans  Ja  posilion  géographique  assignée  par  MM.  Gunnin- 
gfaam  el  Yule  au  Kiou-rai-lho  de  Hiouen-Thsang.  De  plus, 
encore  an  x*  siècle  après  J.-C,  trois  cenls  ans  après  le 
célèbre  voyageur  chinois,  le  Karuléghine  est  indiqué  d'une 
manière  parfaileraent  recontiaissable  par  le  géographe  arabe 
Ibn-Dascht,  sous  le  nom  de  Khoumid,  dont  le  nom  de 
Coniedtp  csl  bien  cvidcmaieiit  une  simple  latiiiisalion. 

Je  reviendr;ii  bientôt  h  ce  témoignage  d'Ibn-Das^chl,  mais 
d'atord  il  faut  indiquer  la  topographie  si  peu  connue  du 
Karaléghine  ou  du  moins  de  sa  vallée  principale.  Celle-ci 
fait  partie  de  toule  une  série  de  vall(5es,  el  commeiit^-ant  au 
nord-osl,  près  de  Kaschgar,  elle  aboutit  au  sud-ouest  à 
rOxus,  tout  près  de  Bolkh,  l'aiicieniie  BacLrcs;  cile  offre 
donc,  de  Baclres  à  Sera  Metropolis,  une  route  toute  frayée 
par  la  nature,  et  si  facile  mO'me,  que  l'élablissement  d'un 
chemin  de  fer  n'y  exigerait  qu'un  petit  nombre  de  tunnels, 
de  dimensions  assez  ordinaires  en  France  et  en  Allemagne; 
aucune  ne  comporterait  les  proportions  de  ceux  du  mont 
Cenis  ou  du  Sainl-Golhard. 

Parlant  de  Ka'chgar  (1  ,'200  mètres),  la  route  remonte, 
versl'ouest-sud-ouest,  le  fleuve  de  celle  ville  (le  Kaschgar- 
Darya  qui  appartient  au  système  lluvial  du  Tarim)  jusqu'au 
col  de  Taou-Mouroune  (3,iOO  mètres),  sur  la  ligne  de  faîle 
qui  sépare  ks  syslèmes  fluviaux  de  l'Oxus  et  du  Tarjm 
(Oschardes)  et  qui  est  l'ancien  Imsiîjs,  sensu  stricto.  Celle 
montée  de  2,200  mètres,  répartie  sur  une  étendue  de 
250  kilomètres,  est  presque  insensible  vers  le  sommet  du 
col,  un  des  plus  bas  de  l'ancien  Iinaiis  qui,  immédiaLe- 
menl  au  sud,  se  relève  jusqu'à  6,200  mètres  dans  le  massif 
de  Gouruumdy,  pour  se  perdre  ensuite  parmi  les  nombreux 
soulèvements  du  Pamir  central. 

La  descente  du  Taou-mouroune  vers  l'Alaï  est  aussi  facile 
que  la  montée;  ensuile  l'Alaï  est  une  plaine  unie  entre  deux 
chaînes  de  monlagucs  neigeuses,  arrosées  par  le  Kysil-sou 
ou  Sûurkhab  supérieur.  Le  long  de  celle  rivière  el  sur  une 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES   A  TRAVERS   LE   PAMIR.        425 

étendue  de  125  kilomètres,  la  route  descend  ioscnsiblement 
de  l'allilude  de  3,000  mètres  au  pied  du  Taou-Mouroune, 
à  environ  2,400  mètres  à  la  limite  est  du  Karatéghine,  où 
l'Âlaï  se  termine  par  une  gorge  étroite  encaissant  le  Sour- 
kbab;  la  route  qui  suit  le  fleuve  le  long  de  cette  gorge  n'est, 
du  reste,  nullement  difûcile. 

La  vallée  du  Karatéghine,  qui  continue  celle  de  l'Alaï  sur 
une  étendue  de  220  kilomètres,  est  généralement  cultivée, 
assez  large  et  unie;  de  loin  en  loin  seulement,  elle  est 
resserrée  par  quelques  contreforts  avancés  de  ces  chaînes 
de  montagnes  latérales,  contreforts  d'ailleurs  tous  plus  ou 
moins  faciles  à  franchir  pour  les  bêtes  de  somme  des  cara- 
vanes, au  lieu  d'être  inabordables  comme  ceux  qui  inter- 
rompent la  vallée  du  Roshan. 

A  600  kilomètres  ouest-sud-ouest  de  Kaschgar  et  à 
330  kilomètres  du  Taou-Mouroune,  le  Sourkhab  tourne  au 
sud,  pour  aller  se  précipiter  dans  une  gorge  latérale,  fente 
transversale  de  la  haute  chaîne  de  montagnes  qui  borde  au 
sud  la  vallée  principale  du  Karatéghine  ;  mais  cette  vallée 
(tontiaue  sans  interruption,  et  toujours  assez  large  (0  à 
10  kilomètres),  dans  la  même  direction  ouest-sud-ouesl  ; 
elle  remonte  par  une  penle  insensible  la  rivière  Ob-Gharin, 
iffluent  du  Sourkhab,  et  descend  par  une  pente  également 
insensible  le  long  de  la  rivière  Fayzabad-Darya,  affluent  du 
Kafirnigban  qui  se  jette  lui-même  dans  l'Oxus.  Ces  deux 
pentes  opposées  de  la  même  vallée  sont  séparées  par  la 
plaine  parfaitement  horizontale  de  Dasht-i-bidana  qui, 
située,  comme  toute  la  vallée,  entre  deux  chaînes  de  mou- 
lues parallèles,  est  traversée  à  angle  presque  droit,  nord- 
SQd,  par  la  ligne  de  partage  des  eaux  dn  Sourkhab  et  du 
ïaflrnighan. 

Elevée  d'environ  1 ,500  mètres  au  Dasht-i-bidana,  la  grande 
wllée  que  nous  suivons  descend  à  1,000  mètres  à  Fayzabad, 
et  à  environ  700  mètres  à  Hissar,  sur  le  Kafirnighan.  De  là, 
elle  remonte  encore  à  environ  900  mètres  entre  le  Kaûrnighan 


lâli       LES   ANCIENS    ITINÉRAIHES    A   TRAVERS   LE   PAMin. 

et  leSoiirkhan,  autre  grand  affluent  de  l'Oxus,  le  longduqu< 
elle  tourne  droit  au  sud  et  descend  vers  l'Oxus  conservan 
d'abord  la  mf^me  largeur  de  12  à  15  kilomètres  et  s'élargis 
sant  ensuite  jusqu'à  plus  de  30  kilomMres.  La  dislance  di 
Dashl-i-bidana  au  Kafirnighan  est  de  100  kilomètres.  De  I< 
au  Sourklian  la  dislance  est  de  3"i  kilomètres;  on  compt 
170  kilomèlres  le  long  de  ce  dernier  fleuve  jusqu'à  soi 
embouchure  dans  l'Oxus  qui  termine  celte  longue  vallé< 
ou  série  ininterrompue  rie  vallées,  dans  laquelle  le  Sout 
khan  entre  à  une  hauteur  de  700  mf'li'es,  pour  tomber  dan 
l'Oxus,  à  une  hauteur  de  ^50  mC'tres.  Les  parties  inférieure 
de  la  grande  vallée  présentent  beaucoup  de  localités  niaré 
cageuses,  dont  la  plupart  sont  ulilisi^es  pour  la  culture  di 
riz,  excepté  vers  l'embouchure  du  Sourkhan.  La  longueui 
totale  de  celte  série  de  vallées,  de  Kaschgar  à  l'Oxus,  est  di 
Ù30  kilomètres. 

L'itperçu  topo^raphique  que  je  viens  de  donner  suTAt 
déjà  pour  montrer  que  la  roule  la  plus  facile,  donc  la  plus 
naturelle,  de  Bactres  en  Sérique,  a  dû  de  tout  temps  pas-* 
ser  parles  localités  de  llissar,  du  Karaléghinc,  de  l'Alaï  et 
de  Kaschgar;  c'est  donc  là  que  passait  aussi  la  roule  indi»- 
quée  par  Ptoléraée,  la  Vallis  Comednrum,  le  Kiou-mi-lho  da 
Hiouen-Thsang  étant  le  Karatéghine.  Mais,  outre  les  donnée» 
lopographiques,  d'anciens  témoignages  très  positifs  viennent 
aussi  à  l'appui  de  mon  interprétation. 

D'abord,  celui  d'Ammien  Marcelîin  postérieur  d'environ 
un  siècle  à  Piolémée,  mais  de  près  de  trois  siècles  antérieur 
à  Hiouen-Thsang;  cet  auteur  est  cité,  mais  très  incomplè- 
tement compris  par  M.  Paquier,  qui,  en  1877,  ne  pouvait 
évidemment  pas  profiter  des  renseignements  géographiques 
sur  le  Karatéghine  fournis  seulement  l'année  suivante,  par 
M.  Ochanine  et  par  te  relevé  lopographique  de  M.  Ilodionow, 
son  compagnon  de  voyage  dans  ce  pays. 
Voici  ce  que  dit  Ammicn  Marcellin  : 
«  Immédiatemeal  après  les  fiactriens  sont  les  Saces,  na- 


[LES  ANCIKHS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.        427 

tioofaroacbe  qui  habite  des  lieux  marécageux,  propres 
leulement  à  l'élève  du  bétail.  Le  canton  est  dominé  par  les 
monts  Ascanimium  et  Comedus.  Au  pied  de  ces  montagnes 
est  uo  lieu  nommé  XtOtvo;  ittpyot  {Turris  lapidea,  Tour  de 
pierre)  où  l'ontrouveun  chemin  fréquenté  parles  marchands, 
qui,  après  un  long  voyage,  se  rendent  chez  les  Sères.  > 

M.  Paquier  remarque  à  ce  sujet  que  «  ce  n'est  que 
l'itinéraire  de  Marin  de  Tjr  et  de  Ptoiémée,  sauf  une  erreur 
qu'on  ne  peut  comprendre  :  Âmmien  place  en  effet  la  Tour 
depierre  avant  le  pays  des  Saces  proprement  dit,  au  lieu  de 
la  rapporter  à  l'extrémité  orientale,  au  pied  de  l'Imaiis, 
qu'il  ne  nommejpas  ». 

Pour  ma  part,  je  ne  vois  pas  cette  erreur.  Dans  le  passage 
Blême  traduit  par  M.  Paquier,  Ammien  dit  seulement  que 
cette  tour  est  au  pied  des  deux  monts  Ascanimium  et  Co- 
medus, indication  vague  qu'on  peut  rapporter  à  tel  point 
qa'on  voudra  de  la  position.  Nous  reviendrons  encore  à 
cette  Tour  de  pierre;  pour  le  moment,  notons  seulement 
l'indication  que  donne  cette  tour,  d'après  Ammien,  sur  la 
PMition  de  la  route  commerciale  en  Sérique  :  entre  les 
monts  Ascanimium  et  Comedus,  dans  le  pays  des  Saces,  li- 
9itrophe  à  la  Bactriane. 

L'étendue  du  pays  des  Saces  n'est  pas  non  plus  indiquée 
pir  Anamien,  mais  au  moins  la  partie  occidentale  de  ce  pays 
«st  bien  certainement  la  province  actuelle  de  Hissar,  avec 
Jcs  rivières  Sourkhan  et  Kafirnighan,  cette  province  étant  à 
la  fois  :  1"  limitrophe  de  l'ancienne  Bactriane,  dont  elle  est 
séparée  par  l'Oxus;  2»  jusqu'à  présent  abondante  en  maré- 
''ages,  très  propre  (quoique  pas  exclusivement)  à  l'élève 
^1  bétail,  et  habitée  par  de  nombreux  nomades;  3°  domi- 
"^  par  deux  grands  massifs  de  montagnes,  séparés  par  la 
**rie  de  vallées  indiquée  ci-dessus. 

Ainsi  nous  voyons  que,  d'après  Ammien  : 

l'La  route  de  Bactres  en  Sérique  passait  par  le  pays  ac- 
tuel de  Hissar  ; 


428       LES   ANCIKNS   ITINÉRAIRES   A   TRAVKRS   LK    PAMIR. 

2"  Cette  route  passait  près  la  Tour  de  pierre,  quelque 
part  dans  [a  série  dfts  vallées  de  Hissar,  Fayzabad,  Karaté- 
yhine,  Alaï,  etc.; 

3  DoRc,  une  vallée  quelconque  de  cette  série,   oîais  de  i 
cette  série  seulement,   était  la   Valiis  Comedarum. 

Mais  laquelle? 

C'est  ce  que  rohs  dira  le  «géographe  arabe  Ibn-Daîchl, 
dont  les  renseiguemeHls  sur  les  provinces  de  Hissar  et  rie 
Kouliab  ont  été  commentés  et  vérifiés  sur  les  lieux  par 
M,  Mayew,  d'après  lequel  je  citerai  ici  les  extraits  nécessaires 
d'Ibn-Daschl  qui  inentionne  un  pays  des  Kbomed,  évideui- 
meul  les  Comedœ  des  anciens,  les  Kiou-mi-tho  de  Hiouen- 
Thsang, 

Voici  ce  que  dit  le  mémoire  deM.Mayew  ',  d'après  Ibn- 
Dasclil,  sur  la  position  decepaysde  Khoumid,  relativement 
à  la  province  de  Kouliab  : 

((  Le  Djeilioun  re(,'oil  beaucoup  rie  livifcres,  dont  une 
grande,  nommée  \Vakhii<'ha(i,f.\m  coule  d'un  pays  situé  au- 
dessus  de  celui  des  Turcs  Kharloukhs';  ensuite  duns  le 
pays  de  Faniir  (oti  Qamir'),  ensuite  dans  celui  de  Hast  (ou 
Rasb),  ensuite  dans  le  pays  de  Khumed,  passé  lequel  ce  fleuve 
(le  Wakhsch)  coule  entre  les  montagnes  qui  séparent  du 
pays  de  Wasclidsehird  un  district  du  pays  de  Khottel, 
nommé  Tenlial.  Etans  cette  localité,  c'est-à-dire  là  uù  le 
Wakhscti  coule  entre  les  nionljignes,  se  trouve  un  pont 
nommé  le  Pont  de  pierre'.  Par  en  pont  liasse  la  route  du 


i.  Bulletin  de  iti  Soc.  Impér.  géoyr.  rvsse,  1879,  n»  ),  «cet.  Il,  p.  Il, 
d'aiirèj  li?s  exlrails  it'Ibii-Daachl  (x"  siècle)  U-aduits  par  Rawlinson  (Journ. 
oflht'  ftotj.  Geogr.  Soc.,  v..l.  XLII,  p.  119). 

a.  Kli.irinukti,  pays  do  neige,  du  mot  lurc  khàr,  neige.  Ces  Kliarloitlchs 
sont  lus  Krtra-Kirfthiz  ;icliiel»,  au  sml-csl  du  Ffrgliàna. 

3.  Le  manuscrit  arabe  du  liriiisii  Afiineum,  à'oh  Rcuvlinson  a  extrait 
cns  notic<>s  géograpliii|ui!s  (l'jbii-Dasrhl,  p^MÎt  contenir  un  Sïscx  grand 
nombre  de  k'ilres  iudétlHlTraliJcs  (mal  ûcriles  ou  à  ilemi  effncéns),  dont 
la  priinoncialion  reste  incertaine  :  ainsi  d.ins  les  noms  de  Famir,  /îa«/,  elo. 

i,  <>  puni   i.'t  cutto  roule  existent  encore,  et  le   pont  se  nuuiuie  loi 


LES   ANCIENS   ITINÉIIAIRES   A   TRAVKRS   l,E   PAMIB.       429 

W'aschdschird  au  Kholtel,  celui-ci  à  droite,  celui-là  à  gauche 
dti  fleuve  qui  coule  ensuite  plus  loin,  jusqu'aux  dernières 
Iinii(es  (sud)  du  pays  de  Kholtel,  et  tombe  dans  le  Djeihoun 
prés  du  bourg  de  Mile,  aLi-de«sus  de  la  ville  de  Teniied, 

Le  nom  delà  Vallis  Comedarum  de  Plolémée  se  retrouve 

sans  altération  huit  siëctes  plus  tard,  dans  le  pays  de  Kho- 

oned,  d'Ibn-Dascht  qui  dit  que  ce  pays  (donc  la  Vallis  Co- 

medarnm)  se  trouve  sur  le  fleuve  Wakhsch  et  pas  ailleurs^ 

V.e  géographe  arabe  confirme  et  complète  ainsi  l'indication 

paiisablemenL  vague  d'Auimicn  Marcellin  sur  la   route  de 

Bjcires   en   Sérique.  Les  noms  des   piiys  arrosés    par  le 

^Vakbsch  ont  maintenant  changé,  mais  celui  du  (leuve  est 

resté,  au  moins  pour  la  partie  inférieure  de  son  cours,  dont 

i partie  moyenne  se  nomme  actuellement  Sourkhab,  et  la 

irlie  supérieure,  Kysil-sou'.  La  localité  du  l'oul  de  pierre, 

Dmervéo  jusqu'à  présent,  se  retrouve  sur  ce  fleuve  avec  la 

"jilas parfaite  certitude-,  ce  qui  fait  que  tous  les  pays  nommés 

par  Ibu-Dascht,  au-dessus  et  au-dessous  du  pont,  se  retrou- 

venl  aussi,  d'après  leurs  positions  relalives  indiquées  par 

•  géographe  arabe. 

^D'après  M.  Mayew  {foc.  cit.,  p.   Iii-i3),  le  Pamir  d'ibn- 

cht,  traversé  par  le  Wakhsch,  est  le  haut  plateau  nommé 

pluellement  Alaïj  celte  interprétation  me  paraît  en  effet  la 

nie  possible.  (Juant  aux   pays  de  Rasl  et  de  Khomed, 

^ew  suppose  que  l'un  des  deux  doit  ôtre  le  Karaté- 

isliine  actuel^  qui,  en  réalité,  correspond  à  tous  les  deux, 

i«WsPonl  de  pierru,  Tii.tcli-kepii  en  lurt,  Poul-i-sfiujiit  mi  LnJjik((Jin- 
Itetf  persan). 
^' Surkli-/iti  en  ladjik,  Kijsil-sou  en  Ixtrc,  ont  Iti  même  si^'nidcalion  : 

•■  La  mule  pur  le  i'ont  de  pierre,  ïniili([Ln;p  par  Ibii-Dastlii,  esl  cer- 
'iiiieniimt  Idi-ntiijue  avec  la  route  actiielli-,  celti'^  dernière  étant  la  seule 
•"'Mible  à  travers  la  gnrge  iiii|nalicabl;c  où  ge  trouve  eu  pont. 

il'  Commentant  Ibu-Uast-hl  en  automne  1878,  encore  pendant  l'expé- 
•"'ioii  (le  MM.  Ochaiiino  cL  tiodiunow  au  Karatéghine.  M.  Majew  ne  pou- 
••it  pu  encore  c<>nn»tlri;  la  tapographie  de  ce  pays,  que  celte  expédition 
lui  Is  première  à  détunniner. 


4.30       LES    ANCIENS    ITINÉRAHIES   A   TUAVEHS    LE   PAMIR. 


comprenante/  le  Khomed  et  la  plus  grande  partie  du  Rast  ' 
du  géographe  arabe.  Celui-ci  indique  la  position  du  Kho- 
med avec  une  extrême  précision  :  sur  le  Wakhsch,  immé- 
diatement au-dessus  de  la  gorge  dans  laquelle  est  bâti  lo 
Ponl  de  pierre;  or  celle  gorge  commence  près  du  fort 
d'Obi-Gharm,  sur  les  conllns  sud-ouest  de  Karatéghine,  a 
dans  lequel  le  Khomed  d'Ibn-Ilasohl  correspond  à  la  vallée      • 
dti  Sourkhab  ou  Wakhsch  moyen,  mais  [las  sur  toute  l'éten- 
due de  cette  dernière.  Enetfet,  le  Karatéghine  actuel  s'étend 
le  long  du  Soufkh.'ib,  depuis  Obi-Gharm  jusqu'au  plateau 
d'Alaï  ou  Famir  d'Ibu-Dascht  tandis  que,   d'après  ce  géo- 
graphe, le  Khomed  est  séparé  du  Famir  par  le  pays  de  Rast, 
également  arrosé  par  le  Wakhsch,  dont  le  cours,  dans  cet 
ancien  pays  de  Uast,  appartient  donc  aussi  au  Karatéghine 
actuel,  formant  sa  partie  orientale  ou  supérieure.  Les  ren- 
seignements  donnés  par  Ibn-Dascht  sur  son  pays  de  Hastdé-fl 
terminent  aussi  la  frontière  nord  du  Khomed  :  il  dit  que  la 
rivière  Ramid  (actuellement  Raoumit-DaryaquKatirnighan),      ' 
a  ses  sources  aussi  dans  le  pays  de  Rast.  Or  ces  sources  se  ■ 
trouvent  au  nord  et  au  nord-ouest  d'Ohi-rîharra,  limite  oc- 
cidentale du  Khomed.  Donc  le  pays  de  Rast,  à  la  fois  sépa- 
rant le  Khomed  de  TAlaï  et  s'étendanl  aussi  au  nord-ouest  du 
Khomed,  devait  longer  toute  la  frontière  nord  de  ce  dernier, 
ainsi  strictement  limité  à  une  partie  de  ta  vallée  de  Wakhsch 


4 


1.  M.  Mayew  r«fut(j  ici  avec  raison  l'upinion  de  M.  Fcdtôdiciiko  (Noies 
sur  l'essai  ilii  colonel  Yuif,  Geographical  Magaiine,  187-i),  d'après 
Uquelle  en  piiys  du  Ita^l  est  le  Koscliuii;  cetlc  inlerpi'ûtalioti  étant  ex- 
pressément (lûmcnlie  par  la  |>osiUiin  qu'lliii-DusalU  assi^iK;  au  Riist  rela- 
livemei^t  à  deuu:  lleiives,  le.  Warkhscti  el  le  Itutiiid.  Ominaissant  cela, 
d'itilleurs,  M.  Ferftschenku  liii-iii(?me  a  clieri'hc  à  se  tirer  (î'ftff.itrc  en  sup- 
posant, très  grtituHfmeHl,  ou  l)ieu  qu'Ibu-Oiistlit  »'est  Uompé  sur  la  posi- 
tion qu'il  assigne  au  Rast,  ou  bien  que  Kawlinson  a  nuil  ilécliiflrc,  dans  le 
texte  arubu,  losnomsdf:  Riat  et  dâ  Kbomod  ;  ces  supposiliniis  soat  inail- 
misiibks  maintenant,  l'exaclilud»  d'Ibii-Daschl  étant  vérilién  et  confii- 
inéo  quant  nu  Wakhsch  et  à  ses  pays  riverains,  par  les  explorations 
récentes. 


i 


LÇS  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS   LE   PAUIR.        431 

(Sourkhab),  sans  s'étendre  au  delà  des  montagnes  qui  bor- 
dent cette  vallée. 

Ainsi  limité,  le  Khomed  d'Ibn-Dascht  correspond  bien 
exactement  à  la  Yallis  Comedarum  des  anciens,  Ptolémée 
Pline,  etc.^  Cette  identification  incontestable  de  la  Vallis 
Comedarum  k\tL  vallée  de  Sourkhab,  dans  le  Karatéghine, 
détermine  aussi  la  direction  probable  de  toute  l'ancienne 
route  bactrosérique,  comme  traversant  le  massif  du  Pamir 
pair  la  série  ci-dessus  décrite  des  vallées  du  Sourkhan,  de 
Hissar,  du  Karatéghine,  de  l'Alaï  et  du Kaschgar-Darya,  jus- 
qu'à Kaschgar;  de  là  vraisemblablement  jusqu'au  pied  du 
X'ïiiaasclian  vers  l'emplacement  de  la  ville  actuelle  de  Hami, 
et,  à  travers  la. partie  la  plus  étroite  de  Gobi,  vers  Sera 
JS^stropolis*,  l'ancienne  capitale  de  la  dynastie  de  Han,  qui 
s^  trouvait  au  nord-ouest  de  la  Chine,  dans  la  province 
&<:tuelle  de  Schensi^. 

Les  annales  chinoises  mentionnent  aussi  d'autres  anciennes 

routes,  maintenant  presque  abandonnées,  qui,  passant  au 

sud  du  lac  Lop,  allaient  par  Kéria  et  Kholan  à  Yarkend,  de 

lÀ,àtraverslePamir  méridional, au  Badakhschan  et  à  Balkh 

(l'ancienne  Bactres)  ;  mais  ces  routes  du  Pamir  méridional 

paraissent  avoir    été    inconnues  des  auteurs  classiques, 

quoiqu'on  ait  cherché  sur  l'une  d'elles  (du  Schighnan  à  Yar- 


'  i.  Les  pays  des  Kharlouks,  du  Famir,  de  Rast  (ou  Rasb)  et  de  Komc<l 
ùnsi  déterminés,  restent  encore,  dans  le  passage  cité  d'Ibn-Dascht,  le 
Kottel,  leTemliat  et  le  Waschdschird,  pour  lesquels  j'admets  sans  réserve 
*••  déterminations  de  M.  Mayew,  qui  prouve  (loc.  cit.)  :  1°  que  le  Khot- 
id correspond  aux  districts  actuels  de  Fayzabad,  de  Kourgani-tubé  et  de 
"obadian,  dans  la  province  de  Hissar  ;  2°  que  le  Temliat  est  le  district 
<h  Fayzabad;  3°  que  le  Waschdschird  est  la  province  actuelle  de  Kouliab. 
'omets  ici  les  preuves  de  M.  Mayew,  qui  feraient  une  trop  longue  di- 

(tMiOQ. 

2>  C'est  la  détermination  la  plus  probable  de  ritinéraire  de  Ptolémée; 
""iii  Don  la  seule  possible,  comme  nous  le  verrous  plus  tard. 
'  3-  C'est  vraisemblablement  la  capitale  actuelle  de  la  province  de  Schensi, 
Sio-gan-fou,  la  Ken-chan-fou   de  Marco  Polo  (Yule,  le  Livre  de  Marco 
^«lo,  2-  éd.,  Il,  p.  21,  note  29). 


iSi      LES   ANCIENS    JTISÉRAIRES    A    TnAVERS    LE    PAMIR. 

kend  par  le  Pamir  Alitschour  et  Tasch-Kourgane)  l'iliné- 
raire  de  Plolémée',  ce  qui  est  réfuté  par  la  détermination 
ci-dessus  de  la  Vtillis  Comednrum.  Mais  aussi  cette  vallée 
est  la  seule  partie  de  son  ilinéiiiire  qui  puisse  fitre  déter- 
minée aveccertitude,grâceauxrenseig;nementsd'lbn-Dascht. 
Les  deux  autres  localités  menliontiées  par  Ptoléraée,  Turris 
lapidm  et  Statio  wffrrrtforuw,  sont  encore  problématiques 
leur  détermination  probable  dépend  de  la  direction  qu'on 
adoptera  pour  la  route  entre  la  Vatlis  Comedarum  et  la 
Sérique,  au  lieu  de  fixer  celle  direction. 

Sir  Henry  Rawlinson  est  tout  disposé  à  croire  que  la 
Turris  liipidea  occupait  l'emplacement  actuel  de  Tasch- 
Kourgane  dans  le  Sar-i-Kol-  et  dit  de  plus  :  «  J'examinerai 
plus  tard  s'il  n'y  a  pas,  dans  l'antiquité,  une  route  plus  di- 
recte, conduisant  de  Sam;ircande  au  haut  de  la  vallée  du 
Zarflfsclian,  jusqu'à  la  source  de  ce  fleuve,  et  qui,  croisant 
le  Pamir  par  le  lac  Kara-koul,  conduit  dans  la  plaine  de 
Kaschgarie.  Plusieurs  écrits  orientaux  indiquent  une  telle 
voie'.  » 

Samarcande  n'est  plus  en  relation  directe  avec  Yarkend, 
par  Tasch-Kourgane,  mais  la  route  indiquée  par  Rawlinson 
existe  encore  et  continue  à  &tre  fréquentée  dans  toutes  ses 
parties. 

Remontant  en  elfel  le  Zarafschan,  celte  roule  tourne  au 
sud  près  de  sa  source,  friincbit  le  col  de  Pakscliil*  (assez 
dil'licile,  mais  praticable  pour  les  bêles  de  .somme)  et  des- 
cend dans  le  Karatéghine  juste  dans  la  partie  correspondant 
î\  l'ancienne  vallée  des  Comèdes.  Ensuite  cette  roule  va  le 


1.  Paquier,  le  Pamir,  |>.  26. 

'î.  Rawlinson, /ourn.  »/■  the  Roy.  Geogr.  Soc,  1872. 

3.  Rawlinson,  Afonojr.  o/  the  Orus  (Joiirn.  of  the  Lond.  Geogr.  Sot-, 
1872);  ces  <leiix  passagKs  citéa  par  .M.  l'a^uier,  le  Pamir,  p.  25-26. 

i.  C'est  le  cul  le  plu»  fréiiiienté.  Il  e«t  situé  à  environ  60  kilomètres 
de  la  source  du  Zararschno,  qu'une  autre  route  au  Karatéghine,  plus  di(- 
ikilc,  par  le  col  de  Varhitscb,  quitte  à  un  kilomètre  seulement  du  glacier 
dont  il  découle. 


ANCIENS    ITlWÉffAlHES    A    TRAVERS   LE    PAMin.       433 

du  Sourkbab  dans  l'Alaï,  où  elle  se  bifurque;  de  la 
roule  directe  à  Kaschgarpar  le  Taou-Mouroune,  se  délache 
à  droite,  au  sud-est,  une  roule  qui  franchit  les  monts  Trans- 
Alalpar  ta  profonde  dépression  du  col  très  facile  de  Kysil- 
ait  Longeant  ensuite  le  lac  Grand  Kara-koul,  les  rivières 
jBchon-sou  et  Ak-bailal  et  les  deux  lacs  Rang-koul,  cette 
foule,  par  la  vallée  deTagharma,  abouti!  à  Tasch-Kourgane' 
el  de  là  à  Yarkend.  Entre  le  Kjsil-arl  et  Tasch-Kourgane, 
«llea  détaché  encore  plusieurs  routes  à  gauche,  descendant 
ules  dans  les  plaines  de  Kaschgarie,  par  les  gorges  des 
nontagnes  (l'iniaûs  de  Plolémée)  qui  séparent  ces  plaines 
Jes  hautes  vallées  du  Pamir  central.  Avec  celle  raullipli- 
litéde  routes  conduisant  de  l'iincienne  vallée  des  Coraèdes 
'"Saos  les  plaines  de  la  Kaschgarie,  une  détermination  à  peu 
fès  certaine  de  la  Turris  lapidea  et  de  la  Statio  Mercato- 
Km devient  embarrassante,  mais  non  impossible.  D'abord, 
int  à  la  longHude  de  ces  deux  localités,  il  est  évident, 
ï'ap'ès  le  texte  de  Plolémée,  que  la  Turris  lapidea  devait 
se  trouver  sur  l'une  de  ces  roules  (provisoirement,  n'im- 
ûrte  laquelle),  à  retttrée  de  cette  roule  dans  les  gorges  de 
Pmaiis-,  et  la  Sîutio  Mercatorum  au  débouché  de  cette 
Dême  route  dans  les  plaines  de  Kaschgarie.  Ensuite,  pour 
iCboix  de  la  route  nous  avons  le  texte  formel  de  PLolémée 
B'ii  dil  que  la  Vallis  CûUifdarum,   ta  Turris  lapidea,  et  ta 
îtafio  Mercatorum  sont  toutes  iroia  sous  la  mt^rae  latitude, 
celle  de  Uyzance  (AS"  nord).  Nous  savons  bien  que  la  lati- 
ttde  de  la  Vallis  Cotnedarum  (Karatéghine,  vers  39°  nord) 


['V  J'ai  siiiri  nioi-même,  jusqu'aux  lacs  Rang-koul  inctustvemcnl,  cette 
"te  (le  l'Alaï  4  Tascli-Kourgane,  et  des  Kirghiz  du  Pamir  m'ont  doQiié 
I  reuseigneuienls  sur  le  retic  île  son  parcours. 

La  position  à  l'eiilrtiu  d'une  gorgo    est  la  plus  naturelle  pour  wtie 

",  fusant  oflice  J'uii  poslr!  forlilîé  sur  cette  roule  de  commerce.  Âinti 

l'tW,  celte  tour  pouvait  à  U  fois  servir  pour  prélever  ua  trihiit  sur  les 

*r»v&nei  marchandeâ,  qui    ne  pouvaient  l'éviter,  et  aussi  pour  protéger 

csravanus  dans  une  localité  parliculicremoat  favorable  aux  enibus- 

Mcs  des  pillards. 

sot.  1>E  liÉOGK.  —  3'  THIMESTRE    1890.  XI.  —  28 


434      LES   ANCIENS    ITlNÉIlAinES    A    TRAVEHS    LE     PAHIR. 

est  fort  au  sud  du  parallèle  de  Byzance,  mais  ce  n'est  pas 
une  raison  pour  déplacer  la  Turris  iapidea  et  la  Statio  Mer- 
catofum  de  la  latitude  approximative  de  la  Vallis  Come- 
dartm  qui  est  également  celle  del'Alaï  et  deKaschgar.  Mais, 
d'autre  part,  il  y  a  aussi  des  roules  au  sud  de  Kysil-art  qui 
rangeât  de  près  ce  39°  nord. 

La  latitude  de  Gharme,  ville  principale  du  Karaléghine 
(dans  la  Vallis  Comedarum)  est  '39'"-2' ;  celle  de  KascUgar  en- 
viron SQ^SS';  la  route  entre  ces  deux  localités  monte  jus- 
qu'à SQ'iû',  dans  l'Alaï.  La  latitude  moyenne  du  lac  Karakoul 
est  39°5'-,  du  Kysil-art,  39020',  de  Tasch-Koiirgane  37°45', 
cette  dernière  localité  n'est  donc  pas  celle  de  Turris  Iapidea. 

Enfin,  pour  la  détermination  de  cette  tour,  nous  avons 
encore  îe  témoignage  (déjà  <'ité)  d'Aramien  Marcellin,  qui 
la  plaça  quelque  part  entre  les  monts  Ascanimiura  et  Co- 
niedus,  c'est-à-dire,  comme  noiis  l'avons  vu,  dans  lasérie  des 
vallées  Hissar,  Karatéghine,  Alaï,  KaschgarDarya  ;  tandis  que 
d'après  Plolémée,  elle  ne  se  trouvait  pas  immédiatement 
au  débouché  oriental  de  la  Vallis  Comedarum^  mais  à  une 
certaine  distance  au  delà,  près  de  rimaûs. 

Donc,  iiidépeiidammeul  de  ses  inexactes  positions  astro- 
nomiques, Plolémée  nous  donne  une  ligne  à  peu  prés  nord- 
sud,  quoique  irrégulière  :  la  ligne  des  débouchés  occidmlaux 
des  gorges  de  l'Imaiis,  et  Ammicn  une  ligne  également  irré- 
gulière, mais  à  peu  près  d'occident  en  orient  et  ne  sortant 
pa!&  de  la  série  des  vallées  ci-dessus.  Le  point  d'intersection 
de  ces  deux  lignes  est  l'emplacement  de  la  Tunis  Iapidea, 
et  ce  point  est  la  gonje  d'Itkestam,  extrémité  orientale  de 
la  large  vallée  de  l'Alaï'. 

1  D'a[>ri!-s  mes  explorations  et  ruesures  barométriiiues  (l'altitude,  c'est 
cette  gorpe,  et  non  le  col  de  Tiiuu-mouroiine,  qui  termine  l'Alaï,  dont 
celui-ci  est  un«  partie  iolégrante.  Quoique  li|çnc  <le  laltu  et  de  paitat^e 
des  eaux,  le  Taou-muuroune  ne  lonne  dans  la  vallée  qu'un  rondeinent 
Iransverse  à  peine  sensible.  Cus  tallées  à  double  pente  divergente,  entre 
deux  maisits  de  montagnes,  sont  communes  dans  le  système  du  Pamir, 
et  se  iclrouvent  aussi  dans  ceux  du  Thiaa-scliau  cl  du  Tibet. 


LES  ANCIENS   ITINÉRAIRES   A   TRAVERS  LE   PABfIR.      435 

Je  n'ai  pas  va  à  Irkestam  de  ruines  antiques  *  :  mais  les 
pierres  de  la  Turris  /t/ptd^a  pouvaient  bien  être  de  gros  ga- 
lets cimentés  d'arç;ile,  matériaux  qui  ne  donnent  pas  de  con- 
struction durable,  et  qui  ont  servi  à  Irkestam,  dans  le  siècle 
présent,  pour  un  poste  fortifié  alternativement  occupé  par 
des  troupes  du  Khokand  et  de  Kaschgar,  et  maintenant 
abandonné.  Qui  sait  si  ces  mêmes  galets,  de  roches  très  ré- 
sistantes (granité  et  pétrosilex  schisteux)  ne  servaient  pas 
dans  cette  gorge,  dès  avant  Ptolémée,  à  des  constructions 
pareilles,  incessamment  rebâties  de  diverses  manières  et 
presque  sans  frais,  à  mesure  qu'elles  tombaient  en  ruines. 

La  vallée  des  Comèdes  et  la  Tour  de  pierre  ainsi  déter- 
minées, le  troisième  point  de  repère  de  notre  itinéraire,  la 
Stalio  Mèrcatorum,  se  place  tout  naturellement  près  de 
Kaschgar,  sinon  sur  l'emplacement  même  de  celte  ville, 
dont  cette  ancienne  station  de  marchands  fut  peut-être  l'o- 
rigine. 

Entre  la  Statio  Mèrcatorum  et  Sera  Metropolis,  l'itinéraire 
deMaës  Titianus,  noté  par  Ptolémée  d'après  Marin  de  Tyr, 
lie  donne  aucun  point  de  repère.  Nous  savons  seulement 
qu'entre  Kaschgar  et  le  Schensi  il  y  avait  à  cette  époque 
(selon  les  Annales  chinoises,  citées  par  Kitter,  d'après 
Klaproth,  Abel  Rémusat  et  le  P.  Hyacinthe  Bitschourine) 
deux  routes  différentes  presque  également  fréquentées  :  l'une 
au  nord  du  Lop-Nor,  par  Hami;  l'autre,  par  Khotan,  au 
sod  de  ce  lac  ;  et  ce  fut  cette  dernière,  maintenant  aban- 
donnée à  partir  du  Lob-Nor,  que  suivit  encore  Marco  Polo^ 
plus  de  dix  siècles  après  Maës  Titianus. 

Revenons  maintenant  à  la  partie  occidentale  de  noire  iti- 
néraire entre  Bactres  et  la  vallée  des  Comèdes. 

Il  y  a  lieu  de  croire  que  cet  itinéraire  n'y  suivait  pas  la 

i-  Cette  détermination  de  la  Tour  de  pierre,  qui  me  parait  la  plus  pro- 
''ïble,  n'arrive  cependant  pas  encore  à  la  certitude  :  l'identité  de  la  tour 
d'Ammien  qvec  celle  de  Ptolémée  étant  seulement  vraisemblable,  mais 
"«Il  certaine . 


•136      f-ES  ANCIENS   ITINÉItAIRKS   A   TH.VVERS  LE    PAMIll. 


route  uatuffUe,  par  les  vallées  du  Somkhan  et  de  Hissar; 
car  ces  deux  vallées,  comme  toute  leur  série  entre  les  monts 
Ascaniraium  elComedus,  appartenaient,  d'après  Ammien, 
au  pays  des  Saces;elle  n'appartenait  donc  pas  à  la  Sogdiane 
qui  comprenait  tes  provinces  actuelles  de  Samarcande, 
Boukhara,  Karschiet  Schahr-i-Zabs,  en  dehors  et  au  nord- 
ouest  des  deux  massifs  monlagneux  nommés  par  Ammien, 
dont  l'un  (on  ne  peut  dire  lequel)  séparait  la  Sogdiane  du 
pays  des  Saces,  tandis  que  l'autre  s'élevait  entre  ce  dernier 
et  le  Pamir  intérieur,  tous  deux  aboutissant  à  l'Imaiis. 

Or,  c'est  juste  par  la  Sogdiaiie  dont  le  centre  commercial 
élail  jadis  Samarcande  (ancienne  Maracanda,  ville  anté- 
rieure aux  conquôles  d'Alexandre),  que  Ptolémée  trace  son 
itinéraire  entre  Bactres  et  la  Vallis  Comedaruiti;  et  celle 
route  par  la  Sogdiane  dut  6tre  un  puissant  molir(omis  ci- 
dessus)  pour  l'identification  de  la  Vallis  Comedarum  avec 
le  Ferghâna,  par  des  autorités  telles  que  Humboldt  et  Kil- 
ler. 

Ils  ne  connaissaient  pas  encore  le  Karatéyliine  et  mainte- 
nant que  nous  le  connaissons,  un  itinéraire  de  Bactres  àr 
la  vallée  Coraéde,  par  Samarcande,  n'en  paraît  pas  moins 
étrange.  Même  s'il  suivait  la  route  la  plus  directe  de  Bactres 
(Baikh)  à  Samarcande,  par  Karschi,  laissant  do  côté  Bou- 
khara, cet  itinéraire  n'en  présentait  pas  moins  un  grand  et 
inutile  détour,  comparativement  à  la  route  naturelle,  par 
Ilissar  (vallées  occidentales  des  Saces).  De  plus,  cette  der- 
nière évite  plusieurs  gorges  difficiles  sur  le  iiaut  Zarafschan 
et  les  escarpements  du  col  dePakschif,  obstacles  inévitables 
sur  la  roule  de  Samarcande  au  Karatéghine  {Vallis  Come- 
darum). 

Pourquoi  donc  l'itinéraire  de  MaGs  Titianus  indique-l-il 
cette  route  longue  et  difûcite,  au  lieu  de  la  roule  naturelle, 
plus  facile  et  plus  courte? 

D'abord,  un  fait  analogue  s'est  reproduit  pendant  les  ré- 
centes explorations  russes  du  'J'hian-schan.  Nos  guides  Kara- 


\ 


\ 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.        437 

kirghiz  ne  manquaient  jamais  d'indiquer  d'abord  les  routes 
les  plus  difficiles  et  de  tenir  secrètes  les  routes  plus  faciles. 
Les  anciens  marchands  qui  conduisaient  ou  envoyaient  des 
caravanes  en  Sérique  pouvaient  bien  en  faire  autant  pour 
écarter  la  concurrence;  c'a  été  le  cas  pour  Maës  Tilianus*, 
donnant  à  Marin  de  Tyr  des  renseignements  que  celui-ci 
recueillit  pour  la  géographie  publiée  par  Ptolémée. 

Indépendamment  de  la  jalousie  commerciale,  cet  itiné- 
raire par  une  mauvaise  route  au  lieu  de  la  bonne,  s'ex- 
plique encore  par  les  renseignements  chinois  que  cite  Rit- 
ter',  sur  les  anciennes  relations  de  la  Chine  avec  l'Occi- 
dent. 

Ces  relations  commencèrent  par  le  nord-ouest,  par  le 
pays  des  Ousoun,  sur  l'Issyk-koul  et  l'IIi,  et  le  Ferghâna. 

C'est  indirectement,  de  ce  dernier  pays,  par  Samarcande 
et  Bactres,  que  parvinrent  en  Syrie,  en  Grèce  et  à  Rome, 
les  premières  soieries  de  la  Sérique  dès  les  dernières  années 
de  la  République  romaine  et  ce  ne  fut  que  plus  tard  que 
commencèrent  les  relations  commerciales  de  ce  pays  avec 
la  Sogdiane  et  la  Bactriane. 

Il  est  bien  connu  que  ces  produits  de  la  Sérique,  surtout 
-ses  étoffes  do  soies,  étaient  extrêmement  recherchés  dans 
l'empire  romain  et  aussi  dans  les  pays  entre  ce  dernier  et 
Bactres,  et  payés  très  cher.  Par  conséquent  il  est  plus  que 
vraisembable  que  les  marchands  de  Samarcande,  d'abord 
intermédiaires  pour  ce  commerce  entre  le  Ferghâna  et 
Bactres.  durent  chercher  à  établir  des  relations  commer- 
ciales directes  avec  la  Sérique.  C'était  d'autant  plus  néces- 
saire que  l'exportation  des  soieries  chinoises  par  le  Fer- 


1-  Qui  montre  bien  celte  tendance  au  secret  du  commerce  sérique  et 
*e  «es  routes  par  l'évidente  insuffisance  pratique  de  ses  rensei(;nements, 
'ortout  entre,  Bactres  et  la  Vallis  Comedarum,  par  la  Sogdiane. 

^'  Une  compilation  plus  complète  de  ces  renseignements,  d'après  les 
tonales  officielles,  a  été  faite  par  le  défunt  sinologue  russe,  le  P.  Hya- 
cinthe Bitschourine. 


.t38       LES   ANCIENS    ITINÉBAlnES    A   TRAVERS    LE   PAMIR. 

ghûna,  d'après  les  Annales  chinoises,  élail  insignifiante  et 
se  réduisail  presque  à  des  éehanlillons  :  car  ces  Anriales 
(Jisctilqiic  le  FerghAna  expédiait  en  Chine,  sous  forme  de 
tribut,  1111  polit  nombre  de  chevaux  de  race  pour  les  écuries 
impériales  chinoises,  et  recevait  en  échange,  comme  pré- 
sents pour  son  souverain,  des  produits  chinois,  cnfre  autres 
des  soieries. 

Avec  des  relations  pareilles,  il  est  bien  évident  qu'une 
grande  partie  de  ces  présents  chinois  restait  dans  le  Fer- 
ghAna,  qui  n'en  pouvait  vendre  (jue  peu  d6cliose,et  qu'elle 
devait  exciter  la  demande  romaine  sans  lu  satisfaire. 

Samarcande  étant  la  ville  de  commerce  la  plus  proche  de 
FerghAna,  c'étaient  les  marchands  de  celte  ville  qui,  dans 
des  circonstances  pareilles,  devaient  songer  les  premiers  à 
ouvrir  une  route  commerciale  en  Sérique. 

C'est  ce  qui  est  confirmé,  quoique  indirectement,  par 
rilinérairc  de  Maës  Titianus. 

Cet  itinéraire,  avec  son  délour  par  la  Sogdiane,  donne 
une  route  absurde  pour  le  commerce  direct  de  Bacires 
avec  la  Sérique.  Mais  ce  délour  s'explique  en  admettant 
que,  du  temps  de  l'itinéraire,  c'était  Samarcande  et  non 
Bactres,  qui  envoyait  des  caravanes  en  Chine,  dont  Bactres 
recevait  les  produits  seulement  de  Samarcande. 

Cette  explication  me  ]>araîl  même  la  seule  possible.  La 
route  par  le  haut  Zaralschaci,  le  Karaléghine  et  l'Alaï  étant 
la  plus  naturelle  et  la  plus  directe  pour  aller  de  Samar- 
cande, à  Kascligar,  en  tU-ilanl  h  Fertjhàtut  au<|uel  les  mar- 
chands de  Samarcandi;  enlevaient  1«  monopole  des  produits 
chinois,  et  qu'ils  devaient  par  conséquent  éviter,  quoique 
les  transports  par  le  Ferghàna  fussent  de  tout  temps  plus 
faciles  entre  Kaschgar  et  Samarcande  que  ceux  par  le  haut 
Zarafschan  et  le  Karaléghine,  où  la  roule  ne  devient  facile 
qu'à  partir  de  ce  dernier  Etat.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier 
qu'alors  les  soieries  chinoises  se  vendaient  à  Rome  au  poids 
de  l'or,  et  les  difficultés    de  transport  se  payaient  triple 


li&  ANCIENS   ITI>'ÉR.\inES   X  THAVERS   LE   PAMIR.       439 

par  leur  achat  à  meilleur  compte  à  la  !^tatio  Mercalornm 
qu'au  Ferghâna. 

Car  d'après  les  sources  cliinoi?es,  c'était  à  une  ntatio 
imcatorum  que  les  Sngiliens,  plus  tard  vraisemblablement 
aussi  les  Bactriens,  achetaient  la  majorité  des  produits 
sériqucs  qu'ils  importaient  dans  leurs  pays,  pour  les  revendre 
dans  l'empire  romain.  Les  Antialts  chinoises  de  la  deuxième 
djTiasIie  des  Han,  contemporaine  de  Ptolémée,  mentionnent 
bien,  mais  comme  rares  et  exceptionnelles,  des  relations  de 
la  Chine  avec  la  Sogdiane,  la  Bactriane,  et  môme  l'empire 
romain*.  Le  gros  du  commerce  occidental  de  la  Chine  devait 
se  faire  autrement,  en  partie  par  des  marchands  chinois 
(Sferes),  en  partie  par  l'intermédiaire  du  ]iays  tributaire  de 
Kliotan-:  celuirci  expédiait  abondamment  en  Chine  ses 
pierres  dej/u  (jad«i,  néphrite)  et  recevait  en  retour  des  pro- 
duits chinois,  surtout  des  soieries,  qu'il  exportait  en  Occi- 
deni.  Un  peut  considérer  la  Slatio  Mercatorum  de  Pline  et 
de  Ptolémée  comme  un  lieu  convenu  de  rendez-vous  des 
marchands  de  la  Sogdiane  avec  ceux  de  la  Chine  et  de  ses 
paysiribuiaires,  pour  leurs  transactions  commerciales;  et  ce 

r^ommerce  à  la  Statio  Mercatorum  expliquerait,  à  son  lour, 
l'absence  de  renseignements,  dans  l'itinéraire  donné  par 

Iflolémée,  sur  toute  l'imincnseétendue  de  route  entre  cette 

Lilation  et  Sera  MelropoUs. 

Je  crois  avoir  suffisamment  motivé  ci-dessus  mon  inter- 
prétation de  l'ancien  itinéraire  conservé  par  Ptolémée  — 
aterprétation  d'ailleurs  en  partie  indiquée,  mais  non  dé- 

_inontr6e  par  sir  Henry  liawlinson,  dans  le  passage  cité 
jessus  sur  la  route  de  Samarcande  en  Kaschgario.  Cette 

"interprétation  s'accorde  avec  celle  de  Gunningham.de  Yule 

_et  de  M.  Paquicr,  en  ce  que  je  place  aussi  les  trois  jalons  de 


1.  J'unalyserai  les  léinoigiiages  cliinuis  à  ce  sujet,  Iradnits  en  russe  par 
Je  J'.  Uyacintlie,  dinis  des  iioLes  coin|»ltiiMenLaires  à  ce  Mémoire.  Cos 
iuiiioignages  ooiilîrtiitint  mju  inlurjirélalicHi  du  Ptoliiiiioc. 

2.  De»  renscigacDienlâ  doaués  par  lliUcr,  Asien,  livre  III,  t.  V. 


4iO       LES   ANCIENS   ITINÉRAIRES    A   TRA\'%R5   LE   Pi.MIR. 

cel  itinéraire  dans  le  système  fluvial  de  l'Oxus,  et  non  dans 
celui  du  Yaxarte  —  mais  là  s'arrête  notre  concordance. 
Yoici  la  conclusion  de  M.  Paquier  : 

t  Tout  concourt  à  faire  rejeter  la  roule  du  Yaxarte,  que 
les  traditions  arabes  chinoises  ont  seules  conlribiié  à  faire 
accepter,  pour  lui  substituer  la  vallée  de  l'Oxus,  et  un  che- 
min mal  défini,  il  est  vrai,  mais  que  nous  pouvons  nous  figu- 
rer dans  sa  direction  générale,  par  le  Chihgnan  (plus  exac- 
tement Schighnan)  actuel,  le  centre  du  Pamir  et  la  vallée 
de  Tasch-kurgan  (Tascb-kourgane).  Nous  restons  ainsi  dans 
les  probabilités,  qui  approchent  bien  près  de  la  vérité,  sur- 
tout quand  elles  sont  défendues  par  le  colonel  Yule,  auquel 
Fedlchenko  est  venu  apporter  l'autorité  de  son  nom  et  de 
ses  grandes  connaissances,  o 

Je  suisconvaincu  moi-même  que  cette  route  par  le  Schigh- 
nan  dût  t'n/in  servir  au  commerce  de  Bactres  avec  la  Sérique 
car  elle  est  la  plus  directe,  et  part'aitemenl  praticable.  Mais 
quand  commença-t-elle  à  être  fréquentée  par  les  Bactriens? 
VoiJii  ce  qui  est  inconnu. 

Ce  qui  est  bien  certain,  selon  les  textes  latins  cités  par 
M.  Paquier,  et  analysés  ci-dessus  d'après  son  livre,  c'est  que 
cette  route  directe  est  restée  inconnue  aux  auteurs  de  ces 
textes  jusqu'au  temps  d'Ammien,  bien  postérieur  cepen- 
dant â  Pline  et  à  Ptoléraée,  car  : 

l'La  Vallis  Comedarum  faisait  bien  certainement  partie 
du  Karatéghine  actuel,  considérablement  au  nord  du 
Schigbnan; 

2°  D'après  le  livre  de  M.  P,iquier(ft'  Pamir,  p.23)ritiné- 
ratrcde  Ptoléniée,  passant  par  la  Sogdiane',  s'écartait  beau- 


t.  îi'y  a-t-U  pa«,  dans  les  ilivcrsns  c^dilions  île  Ptoléméo,  d'.iprès  dif- 
férents innnuscrils,  fiii«li|uc  variniitc  qui  diiipUi!  ip  délour  par  la  Sojt— 
iJiane,  iiêpligé  diins  l'inter|prétalion  lîo  Yule?  Je  dois  avouer  nue  je 
n'ai  pas  l'éruditir»n  nécessaire  pour  résoudre  ci-tlo  question.  Mai»  même 
l'existence  d'utin  pareille  variante  ne  ctianijc  rien  à  l'inlerprêtatioD  ci- 
dcMU»  de  la  Valli»  Comedarum. 


LKS  ANCIENS   ITINÉRAIRRS   A    TRAVEnS    I.E    PAMIU.       441 

coup  de  ia  route  directe  indiquée  à  la  page  ^6  de  ce  mdme 
Jifre; 
3'Aminien,  comme  nous  l'avons  vu,  conduit  encore  la 
3nle  de  Baclres  en  Sérique  par  la  série  de  vallées  allant  de 
lissar  à  Kaschgnr. 
Si  je  me  permets  de  contredire  Yule,  c'est  uniquement 
jrce  que  je  suis  à  môme  de  profiler  de  l'augmentation  de 
jos  renseignements  sur  la  lopographie  du  Pamir  et  des  pays 
voisins,  surtout  par  nos  explorations  russes,  non  seulement 
depuis  1870,  quand  cet  illustre  orientaliste  écrivait  Essay 
on  the  Geographij  of  the  upper  (fxns,  mais  môme  depuis 
1876,  date  de  la  belle  élude  de  M.  Paquier. 

Quant  à  l'autorité  de  M.  Fedtschenko,  son  voyage  fait 
!)ien  époque  dans   l'exploralion   de  l'Asie  centrale,  mais 
l'est  par  ses  résultats  zoologiques.  Le  premier,  il  acquit 
la  science  la  faune  à  peu  près  complète  des  invertébrés 
lit  Tiirkcstan,  autres  que  les  insectes  coléoptères  et  lépi- 
ioplères,  déjà  étudiés  par  ses  prédécesseurs.  Tout  autre 
bose  est  cependant  son  iiuLorité  géographique,  sur  laquelle 
(.Paquier  me  permettra  une  dill'érence  d'opinion.  Ayant 
iérillé  sur  les  lieu.x,  de  visit,  ses  renseignements  sur  le  Pa- 
niir  (qu'il  n'a  pas  exploré  lui-même,  sauf  une  partie  des 
Dontagnes  qui  le  bordent  au  nord  et  au  nord-ouest)  j'y  ai 
ïouvé    la   plus    grande  source   d'erreurs    géographiques 
^ue  je  connaisse.  C'est  le  cas,   au   point  do  vue   de  la 
Éographie  physique,  pour  son  prétendu   parallélisme  de 
Dules  les  chîiînes  et  grandes  vallées  du  Pamir  et  du  Thiau- 
în,  entre  elles  et  avec  l'Aluï;  il  y  a  là  généralisation 
Wlraire  et  erronée  d'une  particularilé  orographique  locale, 
çue  Fedtschenko  observa  sur  le  haut  Zarafschan  cl  au  sud- 
Buest  du  Ferghiua.  D'après  cette  idée  préconçue,  il  a  même 
fu  roir  de  loin  le  col  de  Terek-davan  sur  une  chaîne  est- 
Ouest,  ce  col  se  trouvant  en  réalilé  sur  une  chaîne  nord-sud. 
11  en  est  de  môme  au  point  de  vue  de  la  géographie  histo- 
rique, de  l'idenlificalion  du   Rasl  (Rasb)  avec  le  Roshan, 


442      LES   ANCIENS   ITINÉRAIRES   A    TRAVERS   LE   PAMIR. 

citée  el  réfutée  ci-dessus.  M.  Fedtschenko,  en  dépit  du 
texte  d'Ibn-Daschl  f[u'il  connaît  et  mentionne,  s'obstine 
sans  cause  à  répéter  l'interprétation  hypothétique  de  Yule, 
antérieure  à  la  publication  de  ce  texte...  Ht  puisque  ce 
nom  de  Rasb  revient  sous  ma  plume,  je  ferai  observer  qu'il 
est  conservé  en  toutes  lettres  dans  le  nom  du  village  Uas- 
baï,  sur  la  rivière  llliak,  près  de  la  froiiticrc  du  Karaté- 
gbine  et  du  llissar.  Seulement,  entouré  actuellement  de 
nomades  Ouzbeks  (de  race  turque)  ce  village  a  eu  son  an- 
cien nom  de  Rasb  augmenté  d'une  désinence  qui  lui  donne 
une  signiticalion  turque  :  Has-baï  Bigoiflant,  en  turc  (dia- 
lecte djagalaï),  Ras  «  le  riche  ». 


II. 


Voyages  he  Hioien-Thsang  et  Song-Yuen. 


Avant  d'analyser  la  traversée  du  Pamir  par  le  célèbre 
voyageur  chinois  Hiouen-Thsang,  je  crois  nécessaire  de  rap- 
peler aux  lecteurs  une  condition  indispensable  pour  faire  un 
commentaire  vraiment  exact  sur  son  livre  '  :  c'est  de  se  sou- 
venir constamment  de  sa  manière  de  voyager,  prescrite  par 
le  but  de  son  voyage,  qui  fut  un  long  pèlerinage  bouddhiste. 
Hiouen-Thsang  avait  pour  but  non  seulement  de  visiter 
l'Inde,  berceau  du  bouddhisme,  mais  aussi  de  parcourir, 
autant  que  possible,  tous  les  pays  bouddhistes  situés  hors  des 
limites  de  la  Chine,  au  vir  siècle  de  notre  ère;  son  but 
l'obligeait  à  suivre  un  itinéraire  des  plus  compliqués, 
surchargé  de  d»''tours  et  d'excursions  latérales,  pour  visiter 
les  lieux  de  pèlerinage  de  chaque  pays,  y  rechercher  et 
jitudier  les  livres  saints  du  bouddhisme  el  leurs  cômmen- 

1.  Piiiir  CCS  voyages,  il  y  a  deux  ouvrages,  tous  deux  Uaduils  par, 
M.  SLiinislas  Julien  :  1°  Le  Ta-lhang-iii-yu-ki ,  Mémoires  sur  les  Toijaumei' 
de  rOcci(ifn\,  (Scrit  par  llioiifiii-TKsang  lui-iiit^riie,  el  2"  VHisloire  de  la 
vie  de  Hiouen-Tlinang  et  de  tex  ooijugi^ii  danx  i'hule,  \>ar  l)oei-li  et  Yen- 
TIhdii^',  (|Uc  m.  Slanisla^  Ini'mn  Irarliiisit  (t'abunJ,  en  y  ajoutant,  eoriimc 
(locurncnU  géugraphiquei,  de»  extraits  des  Mêmoiret.  Je  n'ai  eu  en  mftia 
4|ue  cette  biographie. 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TBAVERS   LE   PAMIR.       443 

taires,  y  étudier  aossi  l'état  da  clergé  bouddhiste,  son 
effectif,  ses  institations,  ses  pratiques  ascétiques,  son  in- 
fluence, les  différences  locales  de  doctrine... 

Voyageant  ainsi,  il  ne  donne  pas  son  itinéraire  complet; 
il  n'en  mentionne  que  les  parties  les  plus  remarquables, 
«Drtoat  les  routes  à  travers  les  montagnes;  la  majeure 
partie  de  son  :livre  se  compose  de  notices  purement  des- 
criptiTes  des  pays  qu'il  visita,  notices  dans  lesquelles  il  omet 
les  routes  qu'il  suivit  parce  qu'autrement  l'énumération  de 
ces  routes  serait  interminable.  Pendant  les  seize  années  de 
son  voyage,  il  ne  se  contente  pas  de  traverser  les  pays  qu'il 
mentionne,  mais  il  parcourt  chaque  pays,  dans  diverses 
directions. 

Déjà  les  directions  principales  de  son  itinéraire,  sur  les- 
quelles les  commentateurs  sont  unanimes,  excluent  toute 
idée  d'une  route  directe. 

Son  objectif  principal  était  l'Inde,  au  sud-ouest  de  la 
Cbine,  mais  comment  y  parvient-il  ? 

Il  s'en  va  d'abord  au  nord-ouest,  atteint  le  Thian-schan 
oriental  et  suit  son  versant  sud  en  se  dirigeant  vers  l'ouest. 
Ensuite  il  tourne  droit  au  nord,  traverse  le  Thian-schan  dans 
le  voisinage  du  lac  Issyk-koul,  se  dirige  de  nouveau  vers 
Fouest,  traverse  la  localité  de  Ming-boulak,  au  pied  du  ver- 
sant, nord  du  Thian-schan  occidental,  puis  tourne  droit  au 
sod,  contournant  les  extrémités  occidentales  des  systèmes 
du  Thian-schan  et  du  Pamir.  Ensuite,  tournant  vers  l'est, 
il  franchit  les  montagnes  les  plus  occidentales  de  ce  dernier 
système  par  le  défilé  delà  Porte  de  Fer,  et  remonte  le  To- 
ho-lo  septentrional  (vallée  de  Hissar)  jusqu'au  Karatéghine 
(Kiou-mi-tho);  delà  de  nouveau  au  sud-ouest,  vers  Bamyan  ; 
de  là  encore  au  sud-est,  par  Kaboul  et  Pechawer  dans  l'Inde. 
Un  tel  itinéraire  ne  peut  s'expliquer  que  par  le  projet  du 
voyageur  de  visiter  en  détail  les  pays  bouddhistes  à  l'ouest 
de  la  Chine,  dont  Hiouen-Thsang  complète  l'exploration  en 
revenant  de  l'Inde.  Sortant  de  l'Afghanistan  actuel  par  une 


444       LES   ANCIENS    ITINKBAIBES   A   TtlAVEIlS    LE    PAMIR. 

roule  plus  orientale  que  celle  de  Bamyan,  il  parcouri  leTo- 
ho-lo  méridional,  sur  la  rive  gauche  de  l'Oxus,  traverse  le 
Pamir,  et,  avant  de  rentrer  en  Ctiine,  il  parcouri  encore  les 
pays  de  Kaschgar,  Varkend  et  Khotan, 

Généralement,  les  comnoen  la  leurs  cherchent  à  ramener 
celle  partie  de  son  voyagea  la  route  directe  d'Anderab{An- 
lo-lo-po,  actuellement  Inderab)  à  Yarkend  :  je  comprends 
dilfidlemenl  celle  version,  car  elle  est  inconciliable  avec  le 
plan  général  du  voyageur,  qui  consistait,  nous  l'avons  vu, 
à  visiter  et  à  parcourir  le  plus  possible  de  pays  boud- 
dhistes. 

Nous  verrons,  par  les  détails  topographiques  qu'il  donne 
sur  sa  route  à  travers  le  Pamir,  qu'il  le  traversa  non  pas  par 
la  rouledirecle  indiquée  ci-dessus,  mais  dans  une  direction 
nord-est,  du  Badakhschan  à  Kaschgar,  d'où  il  se  dirigea  au 
Eud-est,  sur  Yarkend. 

Suivons  maintenant  plus  en  détail  Hioiien-Thsang  dansia 
région  du  Pamir,  d'après  les  extraits  de  iM.  Paquier  {le  Pa- 
mir, p.  35  et  suiv.),  qui  dit  : 

«  C'est  à  Sara;ircande  que  nous  prenons  lliouen-Thsang, 
quand  il  quitte  cette  ville,  pour  s'avancer  au  cœur  du  To- 
kharistan...  après  avoir  laissé  Kaskana,  Shahr-i-Sabz  ac- 
tuel ;  c'est  après  huit  journées  de  naarche  qu'il  atteint  la 
Porte  de  Fern...  donl  Ja  mission  russe  de  M.  Mayew,  en 
4875,  reconnut  remplacement  dans  le  er  défilé  non  loin  de 
la  ville  de  Derbend,  à  la  source  même  de  la  rivière  doKtschi- 
Ourou,  affluent  de  l'Ûbi-Shabr-i-Sabz,  au  lieu  raôrae  où 
Hiouen-Tlisang  le  rencontra,  » 

Par  ce  défilé,  Hiouen-Thsang  pénétra  dans  le  Tokhares- 
tan,  sur  lequel  M.  Paquier,  sans  suivre  en  détail  l'itinérairo 
du  voyageur  cliinois,  donne  seulemenL  quelques  notions 
générales,  disant  :  «Heprésentons-nous  en  effet  le  Tokha- 
reslan  tel  qu'il  pouvait  Hre  :  il  occupait  les  bords  et  le  fond 
d'une  immense  cuvette  que  doraiiiaieiit  au  nord  les  contre- 
forts du  Kuh-i-tan  (plus  exactement  Kobislan),  au  sud  des 


LES  ANCIENS   ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE   PAMIR.       445 

massifs  du  Koh-i-baba,àrest  les  pentes  abruptes  des  Tsoung- 
ling.  C'était  un  territoire  parfaitement  délimité  et  qui  ne 
s'ouvrait  que  dans  la  direction  de  l'ouest,  sur  le  désert  du 
Kharizm...  »  En  regardant  la  carte  du  Pamir,  de  M.  Paquier, 
on  verra  qu'il  restreint  le  fond  de  cette  «  cuvette  »  du  Tokha- 
restan  h  une  partie  de  la  vallée  de  l'Oxus,  dans  laquelle  ce 
fleuve  coule  dans  une  direction  générale  est-ouest,  de  l'em- 
bouchure du  Kokscha  jusqu'à  Kelif.  L'image  d'ensemble 
qu'il  donne  du  Tokbarestan  n'est  pas  conforme  à  la 
réalité. 

M.  Paquier  ne  connaît  encore  qu'une  grande  vallée  cen- 
trale dans  le  Tokbarestan,  celle  de  l'Oxus.  En  réalité,  il  y  a 
là  deux  vallées  principales,  quoique  d'inégale  largeur  :  celle 
de  rOxus  et  celle  de  Hissar,  cette  dernière,  arrosée,  dans 
sa  partie  inférieure,  par  le  Sourkhan  et  traversée,  dans  sa 
partie  supérieure,  par  le  Kafernighan.  Entre  ces  deux  val- 
lées confluentes,  s'élève  le  massif  central  de  l'ancien  Tokba- 
ristan,  massif  séparé  du  Kobistan  par  la  vallée  du  Hissar,  se 
rattachant  vers  l'est  au  Tbsoung-ling,  mais  n'atteignant  pas, 
de  beaucoup,  la  hauteur  des  neiges  éternelles  qui  couron- 
nent les  cimes  de  ce  dernier,  du  Kobistan,  du  Kob-i-baba  et 
de  l'Hindou-Kouscb. 

Je  ferai  observer  encore  que,  dans  sa  délimitation  du 
Tokbarestan,  M.  Paquier*  restreint  assez  arbitrairement 
l'étendue  du  Tbsoung-ling,  dont  il  distingue  le  Kobistan 
{montagnes  entre  l'Oxus  et  l'Yaxarte)  et  qu'il  identifie  avec 
le  massif  central  de  Pamir.  Les  limites  du  Tbsoung-ling  tel 
que  l'entendent  les  Chinois,  sont  très  clairement  et  tout 
autrement  indiqués  par  Hiouen-Thsang  :  le  Ming-Boulak  et 
le  lacIssyk-Koul  au  nord,  les  grandes  Montagnes  Neigeuses 
(Hindou-Kousch)  ausud.  Donc,  non  seulement  le  Kobistan, 
qui  appartient  bien  réellement  au  système  orographique 
du  Pamir,  mais  aussi  le  Thian-schan  occidental,  qui  en  est 

1.  Dont  j'ai  suivi  ci-dessus  la  nomenclature  géographique. 


446       LES  ANCIENS   ITINÉHAHU'.S   A   TRAVERS    LE   PAMIR. 

bien  distinct,  font  partie  du  Tàsoung-ling,  ainsi  délimité 
par  Hioiien-Thsang'. 

M.  Paquiei"  ne  commente  pas  tous  les  27  royaumes  du 
Tokharislan  (To-ho-Io  du  Icxlo  chinois)  énumércs  par 
Hioueii-Thsang  ;  je  ferai  tie  mCme,  et  ne  m'arrêterai  qu'aux 
parties  de  son  itinéraire  analysées  par  M.  Paquier  {le  Pa- 
mir, p.  37-45),  qui  continue  ainsi  (p.  37)  : 

«De  ces  dilférents  Etats  que  renferme  le  Tokharistan,  il 
en  est  un  qui  doit  nous  intéresser.  —  C'est  celui  de  KiV'tni- 
tfto,appelé  aussi  Kumida-.  —  Il  avait  \ingt  jours  de  marche 
de  l'est  ii  l'ouest,  et  deux  du  sud  au  nord  ;  il  s'étendait  le 
long  des  monts  Thsoung-liiig,  confinant  au  sud-ouest  au 
HeuveOxus,  — au  sud  au  royaume  de  Chik-ni  ou  Chigbnan,  k 

Ici  je  ferai  remarquer  que  la  traduction  n'est  évidemment 
pas  littérale.  Au  lieu  de  «  confimatl  à l'Oxus  et  au Chighnan  » 
it  faudrait  dire  :  ayant  l'Oxus  au  sud-ouest,  et  le  Chigbnan 
au  sud.  La  direction  de  l'Oxus  et  des  vallées  de  ses  affluents 
dans  le  voisinage  du  Chighnan  est  telle  qu'aucune  vallée 
confinant  au  Chighnan  proprenieuL  dit  (non  compris  le 
Roschan)  ne  l'a  au  sud-otiesl,  mais  bien  à  l'ouest  et  au 
nord-ouest.  La  première  vallée  qui  a  l'Oxus  au  sud-ouest  est 
celle  du  Yas-goulani,  ne  confinant  pas  au  Chighnan,  dont 
elle  est  séparée  par  le  Roschan  (vallée  de  l'Aksou). 

«Le  major Cunningham  a,  lepremîer,  heureuiemenl iden- 
tifié cette  longue  et  étroite  vallée  rie  Kiou-mi-îho  avec  la 
Vailis  Comedarum  de  Plolém^ée,  et  celte  position  corres- 
pond aujourd'hui  à  celle  du  Roschan-'.  Les  géographes 
arabes  nous  disent,  en  elfet,  qu'à  quatre  jours  de  marche  au 
delà  du  Washjird,  existait  une  place  nommée  Rasht,  ou 
Porte*,  qui  formait  l'exlrôrae  frontière  du  Khorassan  dns 

I .  Dûlimil^itioii  qu<>.  M.  Paquier   cite  lui-iii<)ine  litléralemcDt,  quelques 

pages  plus  loin  {le  Pamir,  p.  40). 

3.  l'iuscxaetëuient  A'(âu-mi-(/iO,  AViou m ù/u ;  Konicd,  d'après  Ibn-Daschl. 

3.  Le  colonel  Ynle  ajoule  :  «  el  Ju  Darwaz  »,  à  tort,  selon  M.  Paquier 
(/«  Pamir,  p.  37,  noie  1). 

4.  Ce  nom  du  Raslil  se  traduit  en  turc  par  Darwaz,  qui  signifie  égale- 


LES  ANCIENS   ITINÉRAIRES   A   TRAVERS   LE   PAMIR.      447 

cette  direction  ;  elle  est  située  au  milieu  d'une  vallée  res- 
serrée entre  des  montagnes  et  que  suivaient  les  Tares  pour 
leur  guerre  de  pillage.  Un  Barmécide,  Fadhl,  fils  de  Yahia 
(Ibn-Yahia),  au  ii*  siècle  de  l'Islam,  fit  construire  une  bar- 
rière dans  ce  passage  et  pendant  longtemps  y  maintint  une 
garnison.  Ce  fort  s'appelait  Ab-bad  et  datait  de  794.  Je 
soupçonne  fort,  dit  le  colonel  Yule,  que  cette  ville  de  Rashl 
ou  de  Rasik  donna  son  nom  à  la  vallée  du  Roschan  actuel*.  » 

J'ai  transcrit  ce  passage,  parce  qu'il  contient  une  confir- 
mation de  plus  pour  ma  détermination  de  la  Vallis  Corne' 
iarum  (Komed,  Khoumida,  Kiou-mi-tho),  donnée  plus 
haut. 

Nous  avons  vu  qu'il  ne  fallait  pas  songer  au  Roschan, 
cette  vallée  n'ayant  pas,  et  ne  pouvant  avoir  (à  moins  de 
coûteux  travaux  d'art,  qu'il  n'y  a  jamais  eu  de  raison  d'en- 
treprendre) de  route  longitudinale,  ni  pour  le  commerce, 
ni  même  pour  des  incursions  de  pillards.  Les  parties  habi- 
tées du  Roschan  sont  seulement  traversées  par  des  routes 
partant  de  Scbighnan,  pour  aboutir  à  diverses  localités  du 
Pamir  septentrional  ;  l'une  de  ces  routestransversales  du  Ros- 
chan fut  suivie,  comme  nous  le  verrons  bientôt,  par  Hiouen- 
Thsang,  pour  aller  du  Scbighnan  au  lac  du  Dragon,  mais 
cette  route  n'a  rien  de  commun  avec  le  Kiou-mi-tho  ;  la 
consonnance  même  (d'ailleurs  éloignée)  de  Roschan  avec 
Rasht  perd  toute  espèce  de  signification,  si  le  nom  et  l'em- 
placement de  celui-ci  se  retrouvent  exactement  ailleurs 
qu'au  Roschan. 

Or,  dans  le  passage  cité  de  M.  Paquier,  le  nom  de  Rasht 
s'applique  non  plus  à  toute  l'étendue  du  pays  ainsi  nommé 

ment  Porte.  Voilà  pourquoi  ridentification  du  Khoumida  avec  le  Roschan 
devait  conduire  Yule  à  identifier  le  Rasht  avec  le  Darwaz,  qui  est  bien. 
la  porte  pour  sortir  du  Roschan  dans  la  plaine  de  Tokharistan. 

1.  Paquier,  Pamir,  p.  37.  Ce  passage  est  rédigé  d'après  Reinaud,  /n~ 
trod.  à  la  traduct.  d'Aboulféda.  Mém.  sur  l'Inde,  p.  161,  et  d'après  Yule, 
Notet  on  Hiouen-Thsang's  account,  etc.,  que  M.  Paquier  cite  au  bas  d& 
la  page. 


4i8 


LES  ANCIKNS  lTI.>Kn.UHt:S  A  TRAVERS  LE  PAMIR. 


par  Ibn-Daschl  el  délermiaé  ci-dessus  d'après  ses  indications, 
mais  à  une  localité  précise  dans  la  partie  occidentale  de  ce 
même  pays,  localité  où,  200  ans  avant  Ibn-Dasht,  Fadhl- 
Ibn-Yahia  bâtit  son  fort  d'Ab-bad,  et  qui  plus  lard  donna 
son  nom  au  pays  entier  de  Rasbt. 

Ce  fort  de  FadhI-Ibn-Yahia  est  maintenant  remplacé  par 
le  village  de  lias-bai,  déjà  mentionné  plus  haut,  car  : 

I'  Il  est  bien  évident  que  le  nom  de  Ras-bai  (pius  exacte- 
ment peut-être  Bas-bail')  ressemble  infiniment  plus  à  une 
contraction- de  R<iHkt-Abbad'\  nom  du  fort  de  Fadlil-Ibn- 
YaLia,  que  le  nom  de  lloschan. 

i"  A  la  conservation  presque  complète  du  nom  se  joint 
l'idenlilé  de  position  :  d'après  le  levé  topographique  de 
M.  Rodionow,  Ras-bai  se  trouve  sur  la  r*jule  de  Kouliab  au 
Karaléghine  et  à  l'Alai,  par  le  pont  de  pierre  et  Fayzabad, 
exactement  à  quatre  journées  de  marclie  de  la  frontière  du 
Wasbjerd  (Konliab);  ce  qui  est  juste  la  position  donnée  au 
fort  de  Rasbt-Abbad  par  M.  lleinaud,  d'après  les  sources 
arabes,  dans  le  passage  de  M.  Paquier  que  je  viens  de  citer. 

3°  Cette  position  de  Uas-bai  (ou  Ras-bad),  sur  le  haut 
llliak,  entre  Fayzabad  et  le  plateau  de  Dasht-i-bidana  (plus 
près  de  ce  dernier),  dans  la  série  des  vallées  llissar-Karalé- 
ghine-Alaï,  convient  parfaitement  pour  l'établissement  d'une 
barrière  desJinée  à  protéger  la  grande  et  riche  vallée  de 
llissar  contre  les  incursions  des  montagnards  nomad  <s. 
Ceux-ci  se  coneeutrent,  acluellemenl  (dans  le  système  flu- 

1.  Je  uc  garanti!!  nuliement  que  le  imm  i)i;  ll:is-h:iï,  malgré  sa  aigni- 
licalion  tlirqiif;  (lUs-lc-llichc),  soil  currcclcniciil  érril  sur  le  levé  topo- 
yrapliique  de  M.  Rudioiiow. 

i.  Ces  L'onlra<:[ions  df.  noms  arabes  ou  |in-saii4  smit  fofl  usitées  dans 
le  raiiiea\t  djagalaï  de  la  race  turqte  :  piir  cxt-iiiplc,  Mad-Ali  (Khan  du 
KtiokaHd)  au  lieu  de  Mohammed- Ali. 

3.  Tel,  et  non  Abbad  tout  court,  devruit  être  le  vrai  nom  du  fort  bâti 
piir  FadhI,  d'aprùs  l'aiialoitic  d'ibbas-abbad,  Ma^affar-abbad,  Secunder- 
Hbbad  (Sicanderabbad),  etc.  Au  reste,  en  arabe,  porte  se  traduit  par  bab, 
el  j'ai  iruiiTé  dans  Yule,  pour  le  fort  de  Fadhl-lbn-Yahia,  le  nom  de  Al- 
ISub  (,1a  Porifj,  et  non  Abbad. 


I 

I 

I 


I 


LES  ANCIENS   ITINÉRAIRES  .A  TRAVERS  LE  PAMIR.       451 

x^oms  actuels,  qui,  comme  ceux  d'Andérab,  de  Badakschan, 

<ie  Bamyan,  datent  d'une  antiquité  reculée,  c'est  une  petite 

xminorité  ;  la  plupart  des  noms  locaux  de  son  temps  étaient 

X'cmplacés  par  d'autres  qui  ne  ressemblent  en  rien  à  ceux 

<lue  donne  le  voyageur  chinois.  Restent  le^  particularités 

Caractéristiques  de  géographie  physique,  pour  lesquelles 

Uiouen-Thsang  a  souvent  été  un  excellent  observateur  ;  mais 

souvent  aussi  il  les  omet,  et  alors  il  y  a  nécessairement  plus 

ou  moins  d'arbitraire  dans  les  corrections  d'orientation  et 

de  distance  sans  lesquelles,  cependant,  les  localités  qu'il 

mentionne  recevraient  sur  la  carte  des  positions  physique- 

ment  impossibles. 

J'ai  aussi  essayé  de  déterminer  ces  localités  encore  incer- 
taines, mais  je  suis  encore  loin  d'avoir  éclairci  tous  les 
doutes,  que  j'indiquerai,  de  même  que  les  déterminations 
qui  me  paraissent  positives. 

Parti  d'Andérab,  Hiouen-Thsang  se  dirigea  au  nord~ouest, 
vers  Kouo-si-to,  à  400  li  d'Andérab,  de  là  à  Houo,  300  li 
plus  loin  dans  la  même  direction.  M.  Vivien  de  Saint-Martin 
estime  15  li  =  6  kilomètres,  et  diminue  les  distances  de  un . 
tiers  pour  les  détours,  montées  et  descentes;  on  peut 
admettre  pour  les  distances  de  Hiouen-Thsang  3  li  par  kilo- 
mètre, avec  la  réduction  pour  les  détours,  etc.  Fomo  seraità 
environ  190  kilomètres  d'Andérab.  Hiouen-Thsang  dit  de 
cette  localité  qu'elle  se  trouve  dans  une  plaine,  avec  un  climat 
doux,  et  que  tout  près  de  là,  vers  l'est,  commence  déjà  la 
région  montagneuse  du  Thsoung-ling.  C'est,  comme  le 
remarque  justement  le  défunt  professeur  Grigoriew*,  à  peu 
près  la  position  de  Kotindouz,  ou  môme  un  peu  au  nord  de 
cett«  ville,  plus  près  de  l'Oxus,  et  non  Gour  (Gori)  comme 


1.  Un  de  nos  orientalistes  les  plus  distingués,  dans  sa  traduction  russe 
de  Ritler,  turkestan  oriental,  note  du  traducteur,  note  coxxx,  pages 
49i-495.  C'est  d'après  les  extraits  de  M.  Grigoriew,  loc.  cit.,  p.  i88-i89, 
que  je  donne  ici  cette  partie  du  voys^c  de  Hiouen-Thsang,  mais  en  in- 
terprétant autrement  (sauf  Houo)  les  localités  qu'il  mentionne. 


430     LES   ANCIENS   ITENÉRAItiES   X   TRAV£I\^  LE    PAMIR. 

Komed,  celle  barriilîre  devenait  trop  facile  à  tourner  par  le 
nord  el,  plus  à  l'ouest,  elle  laissait  sans  protection  une  partie 
du  district  de  Fayzfibaii.  Quant  aux  habitants  nomades  des 
montagnes  immédiatement  au  nord  de  Fayzabad  et  de 
Hissar,  le  nom  de  Rafiniighan,  conservé  dans  celle  localité 
pour  son  Ileuve  principal,  montre  bien  qu'ils  tardèrent  à  ■ 
adopter  l'Islam  (pifir  signifie  inCdèle)  ;  mais  ils  n'étaient 
pas  à  craindre  pour  les  musulmans  de  la  vallée,  dont  ils 
dépendaient  pour  leurs  pâturages  d'hiver. 

Cescclaircissemenls  sur  la  position  de  Kashl-abbad  con- 
firment surabondaramcnl  ma  détermination  du  ilashl  el  du 
Komed,  faite  plus  baul  d'après  Ibn-Dasbl.   Je  dirai  seu- 
lement que  le  vrai  nom  indigène  des  Coraêdes,  habitant  la  ■ 
VaUis  Comedarum,  devait  être  Khonmlif,  en  iransci'iplion     i 
chiiioise  KioH-mi-tlio.  (Juanlà  la  lorme  de  h'oriied,  employée 
par  Ibn-Dasht,  elle  me  paraît  être  une  réminiscence  classique, 
Ptolémée  ayant  été  bien  connu  des  géographes  arabes  du 
X'  siècle.  C'est  donc  îl  Ibn-Dasht,  dès  le  x"  siècle,  et  non  à 
moi  qu'appartient  ma  détermination  de  la  Vallis  Comcda-\ 
rujw  ;  je  n'ai  fait  que  la  reconnaître  dans  les  extraits  tra- 
duits que  j'ai  las  de  cet  auteur. 

Venons  mainlenant  à.  la  traversée  du  Pamir  par  l'illustre 
voyageur  chinois,  à  son  retour  de  l'Inde,  de  nouveau  par  le 
Kaboulistan.  De  là  au  Pamir,  il  passa  par  le  col  de  Kbawak, 
Andérab  et  le  Badakhschan. 

Les  comraenlaleurs  sont  unanimes  pour  ces  trois  jalons 
de  sa  roule,  mais  ils  varient  beaucoup  quant  à  la  délermi- 
nalion  des  pays  qu'il  mentionne  entre  son  An-to-lo-po^^-Aii- 
dérah,el  son  Po-lo-cktvang-nn^Hadakhschan  :  ce  qui  tient 
aux  difficullés  de  cette  délerniination. 

Lesdistances  données  par  Iliouen-Tlisangsonl  des  dislances 
d'estimation,  non  mesunies;  elles  sont  généralement  exagé- 
rées, el  cette  exagération  n'est  nulli'uient  unifurme.  De  plus, 
son  orien  lalion  est  souvent  inexacte,  et  si  quelques-uns  de  ses 
noms  de  localité  sont  encore   reconnaissablcs  dans    les^ 


LES  ANCIEMS   ITINÉRAIRES  .A  TRAVERS  LE  l'AMlR.       451 

noms  actuels,  qui,  comme  ceux  <rAiulérab,  de  Badakschan, 
de  Bamyan,  datent  d'une  anlic}iiit<i  reculée,  c'est  une  petite 
minorité;  la  plupart  des  noms  locaux  de  son  temps  étaient 
remplacés  par  d'autres  qui  ne  ressemblent  en  rien  à  ceux 
que  donne  le  voyageur  chinois.  Restent  le;^  p;irlicularilés 
caractéristiques  de  géographie  physique,  pour  lesquelles 
Hiouen-Thsang  a  souvent  été  un  excellent  observateur;  mais 
souvent  aussi  il  les  omet,  et  alors  il  y  a  nécessairement  plus 
ou  moins  d'arbitraire  dans  les  corrections  d'orieiilatiou  et 
de  distance  sans  lesquelles,  cependant,  les  localités  qu'il 
mentionne  recevraient  sur  ta  carte  des  positions  physique- 
ment impossibles. 

J'ai  aussi  essaye  de  déterminer  ces  localités  encore  incer- 
taines, mais  je  suis  encore  loin  d'avoir  éclairci  tous  les 
doutes,  que  j'indiquerai,  de  mèrae  que  les  déterminations 
qui  me  paraissent  positives. 

Parti  d'Andérab,  Hiouen-Thsang  se  dirigea  au  nord-ouest, 
vers  Kouo-si-to,  à  iOO  li  d'Andérab,  de  là  à  Houo,  300  li 
plus  loin  dans  la  même  direction.  M.  Vivien  de  Saint-Martin 
estime  15  li  =  G  kilomètres,  cl  diminue  les  distances  de  un  ■ 
tiers  pour  les  détours,  montées  et  descentes;  on  peut 
admettre  potu'  les  dislances  de  lliouen-Thsang  3  li  par  kilo- 
mètre, avec  la  réduction  pour  les  détours,  etc.  /foKoserailà 
environ  1^0  kilomètres  d'Andérab.  Hiouen-Thsang  dit  de 
cette  localité  qu'elle  se  trouve  dans  une  plaine,  avec  un  climat 
doux,  et  que  tout  prés  de  là,  vers  l'est,  commence  déjà  la 
région  tnontagneuMO  du  Thsoung-ling,  (Tesl,  comme  le 
remarque  justement  le  défunt  professeur  Grigoriew',  à  peu 
près  la  position  de  Koundouz,  ou  même  un  peu  au  nord  de 
cette  ville,  plus  près  de  l'Oxus,  et  non  Gour  (Gori)  comme 


1.  Un  de  uiM  orientalistes  les  plus  distingiiés,  dans  sa  traduction  russe 
fle  RîUer,  turkeslannrienlal,  noie,  du  traducteur,  note  r.DXXx,  pages 
Wl-i95.  O'es-l  d'après  Inn  PXlTaits  lii'  M.  i'.i'mov'u-.w,  Inc.  cil.,  p.  4XS-189, 
que  je  duiine  ici  «t^Ut!  partit!  du  vnjugi!  di;  lUuuen-Tlisant;,  mais  en  iu- 
terprëtaul  aulremerit  (sauf  llouo)  le*  localités  qu'il  mentioniK-. 


fôZ       LES  ANCIENS  JTINËRAIKKS.  A.  TRAVERS   LE  PAMIR. 

l'inlerprôU;  M.  Vivien  de  Saiul-Marlin,  d'après  une  cerlaioÉ 
coiisoaaacc  de  Houo  avec.  Gkonr  (prononcez  (ihuour). 

Pour  ma  pari,  d'accord  avec  M.  Grigoriew  pour  l'emplrt- 
cemenl  de  Uouo,  j'inler[>rétr<Ti  Kouo-si-to  par  celte  ville 
acluelle  de  Gori,  bîilie  au  nord-ouest  d'Andérah,  près  du 
confluenl  des  rivières  d'Andérab  et  de  Bamian,  dont  lu 
réunioa  forme  l'Ak-Séraï,  arUucnl  considérable  de  l'Oxus, 
passant  près  de  Kuuntlouz.  La  roule  acluelle  d'Andérab  au 
Badakbschaii  passe  parKuundoiiï:,  mais  sans  traverser  Gori 
qui  se  trouve  sur  la  roule  d'Andérab  à  Balkh.  Ma  délermi- 
naliori  de  Koun-si-Lho  ne  me  parait  donc  pas  aussi  positive 
que  l'eniplacenient  de  Houo  dans  le  voi>inage  immédiat  de 
Koundoux. 

De  WoMo,Hiouen-Tlisang  se  dirigeant  wers  l'est,  fit  100  li 
ii  AMoung-kien;  de  là,  par  de  haules  montagnes  et  des 
vallées  profondes,  en  traversant  plusieurs  dislricts  avec 
leurs  villes,  aoO  li  à  Ki-li-se-mo. 

D'après  la  posilion  de  Houo,  telle  que  je  viens  de  l'indi- 
quer, Mouny-kienne  peutîilre  cliercbé qu'entre Khan-abad 
elTalikhan.à  environ  25  ou  30  kilomètres esl  de Koundouz. 
Quanta  Ki-li-se-mo,  ceile  localité,  d'après  une  ancienne 
carie  japonaise  '  se  trouve  au  sud  de  Moung-kieii  :  ce  qui 
correspondrait  à  l'eaiplacemenl  de  la  ville  il'hch-Kamysch 
au  sud  de  Khan-abad  et  Talîkhati,  au  nord  d'Andérab. 
D'autre  pari,  Hioueii  Tlisang  mentionne  une  roule  allant 
de  Ki-li-se-uio  au  nord- est,  pour  aboutir  à  Po-li-ho.  Elle 
me  paraît  être  la  roule  atîtuelle  de  Rouslak  à  Baltsch- 
jouan,  dans  le  Kouliab,  dont  la  direction,  entre  Roustak  et 
rOxus,  est  vers  le  nord-nord-est.  Aussi,  pour  Ki-li-se-rao, 
ai-je  hésité  entre  Roustak  et  Iscb-Kamyscb  ;  mais,  en  défi- 


à.  Celte  carie,  qui  ae  Irouve  diin:»  uiik  cmijclopédii!  ja|niiinisc  du  der- 
nier siècle,  a  élé  d'abord  (tuUlkée  par  KlaproUi  [Méinoirei  retalifs  à  l'Atie, 
L  II,  p.  .ItO),  La  meilleure  éditinn  en  a  élé  laite  par  Stanislas  Julien,  qui 
l*a  jointe  au  Inint;  Il  de  la  liaduction  de  HJouen-Thsang,  Mémoire*  »ur 
lescoulrées  ociMit-ntates  (Si-yu-ki). 


LES  AMCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.        453 

nitive,  cette  dernière  localité  me"  paraît  plus  probable.  La 
route  entre  Ki-li-se-rao  et  Po-li-ho  pourrait  bien  être  une 
route  d'Anderab  à  Baltscbjouan,  passant  et  par  Isch-Ramyseh 
et  par  Roustak;  seulement,  sur  cette  route,  l'intervalle, 
entre  Isch-Kamysch  et  Talikban  est  encore  inexploré,  car 
c'est  de  Koundouz  que  divergent  les  routes  les  plus  fré- 
quentées allant  et  par  Roustak  au  Kouliab,  et  par  Isch- 
Kamysch  à  Andérab. 

En  tous  cas,  c'est  Baltschjouan  qui  me  paraît  être  l'em- 
placement le  plus  vraisemblable  pour  Po-h'-Ao,  localité  qui, 
du  reste,  ne  paraît  pas  avoir  été  visitée  par  Hiouen-Thsang. 

De  Ki-li-se-mo,  300  li  à  travers  des  montagnes  et  des  val- 
lées le  conduisent  à  ffî-TOo-^a-io,  de  là  à  Po-to-tschouang-na^ 

Pour  déterminer  la  position  de  Hi-mo-ta-lo,  que  ne  dé- 
lerminentniM.  Vivien  de  Saint-Martin,  ni  M.  Paquier  (d'après 
Yule),  ni  M.  Grigoriew,  nous  avons  outre  les  Mémoires*  de 
Hiouen-Thsang,  le  témoignage  de  sa  biographie  ^  qui  dit 
que  cette  localité  est  à  300  li  de  distance  directe  à  l'est 
de  Mong-kien.  Nous  avons  vu  que,  par  Ki-li-se-mo, 
cette  distance  est  double,  600  li,  ce  qui  fait  un  triangle 
éqnilatéral  avec  Mong-kien,  Ki-li-se-mo  et  Hi-mo-ta-lo  aux 
trois  angles. 

Les  localités  actuelles  dans  le  voisinage  de  la  route  Koun- 
douz-Badakschan  qui  correspondent  le  mieux  aux  angles 
de  ce  triangle  avec  les  distances  données  par  Hiouen- 
Thsang,  sont  Roustak,  Kischm  et  une  localité  intermédiaire 
entre  Khan-abadetTalikhan,  correspondante  à  Mong-kien. 

1.  Telle  est  la  vraie  transcription  française  du  nom  chinois  du  Bada- 
khschan,  d'après  Stanislas  Julien.  La  transcription  Po-to-chwang-na,  em- 
ployée par  M.  Paquier,  d'après  Yule,  est  anglaise  exprimant,  d'aprf's 
l'orthographe  anglaise,  les  mémei  sons  que  celle  de  Stanislas  Julien  : 
ehwang,  en  anglais,  se  prononce  Ischouàng. 

1.  Mémoires  tur  les  contrées  occidentales,  par  Hiouen-Thsang,  traduits 
en  français  par  Stanislas  Julien,  2  vol. 

3.  Histoire  de  la  vie  de  Hiouen-Thsang  et  de  ses  voyages  dans  l'Inde, 
traduit  du  chinois  par  Stanislas  Julien,  p.  269,  .179. 


454       LES  AKCIKNS    ITINÉRAIRKS  A   TRAVERS  LK    PAMIR. 

Alors  la  position  de  Ki-li-se-mo  serait  ilans  les  environs 
de  RoiiBiak,  et  celle  de  Ui-mo-tn-lo  près  de  KischmoM  un 
peu  au  nord  (12-15  kilomèlres),  mais  loul  près  du  méridien 
de  Kischm,  sur  la  route  directe  deRoundouz  à  Fayzabad.  En 
plaçant  au  contraire  Kt-li-se-mo  près  de  la  ville  actuelle 
d'Jsch-Karaj'sch,  selon  la  carte  japonaise  citée  ci-dessus, 
nous  obtenons  un  triangle,  mais  non  équilaléral,  et  dont  les 
côtés  ne  corn''spontlenl  pas  aux  distances  données  par 
Hiouen-Thsang,  cequi  diminue  la  valeur  des  considérations 
présentées  plus  haut  eu  favour  d'lsch-Kamysch,conirae  em- 
placement probable  de  Ki-li-se-mo,  la  plus  incertaine,  par 
conséquent,  des  localités  domje  viens  d'essaj'er  la  déter- 
mination. Mais  que  Ki-li-se-mo  soit  au  nord  ou  au  sud  de 
la  grande  route  Koundouz-Vayzabad,  dans  les  deux  cas 
la  position  du  district  de  Hi-mo-ta-lo  reste  la  même,  cor- 
respondant au  district  actuel  de  Kisckm. 

Au  reste, il  ne  faut  pas  oublier  que  toutes  les  détermina- 
lions  des  localités  ci-dessus,  mf  me  les  plus  positives, comme 
celle  deHouo,  ne  sont  encore  que  grossièrement  approxima- 
tives. Ce  sont  des  déterminations  de  districts,  non  de  villes. 
Des  déterrainalions  plus  précises  des  villes  principales  vi- 
sitées par  Hiouen-Tlisang  me  paraissent  impossibles  sans 
une  exploration  archéologique  de  l'ancien  Tokbaristan. 

Vérifions  maintenant  tes  détermiuations  ci-dessus  par  les 
distances  des  localités  d'Hiouen-Thsang  en  li  et  des  localités 
correspondantes  actuelles  en  kitonièlres. 

1°  La  roule  de  lîouo  par  Moung-kiang,  Ki-li-se-mo,  Hi- 
mo-la-lo,  à  Po-to-tschounng-na  est  de  100  -f-  300 -f- UOO 
-}-200  =^  000  lij  la  route  actuelle  de  Koundouz  à  Fayzabad 
dans  le  Badakscbao,  par  Khan-abad,  Talikhan,  Rouatak, 
ou  Isch-Kamysch,  et  Kischm  est  d'un  peu  plus  de  200  kilo- 
mètres (sur  la  carte). 

2' La  route  directe  par  Moung-Kiang  elHi-rao-la-lo,  lais- 
sant de  c6lé  Kiliscmo,  est  de  IW  -[-  300  -|-  200  =  fiOO  li  ;  la 
route  directe  de  Kinradoii/.  à  Fayzabad  suivie  par  Woodjesl 


LES   ANCIENS   ITINÉRAIRES   A   TRAVERS  LE  PAMIR.       455 

de  150  kilomètres  environ  (sur  la  carie).  La  dislance  di- 
recte de  Houo  à,  Hi-mo-ta-lo  est  de  400  li,  de  là  à  Po-to- 
Tschouang-na  300  11  :  de  Koundouz  àKischm  environ  100, 
de  là  à  Fayzabad  environ  50  kilomètres,  ce  qui  donne  une 
proportion  exacte  :  400  :  200  =  100  :  50,  et  montre  que 
la  différence  des  proportions  des  distances  totales,  900 
à  600,  et  200  à  150,  dépend  de  l'incertitude  de  la  détermi- 
nation de  Ki-li-se-mo. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  les  localités  ci-dessus  de 
Hiouen-Thsang  peuvent  être  cherchées  seulement  sur  la 
route  d'Andérab  au  Badakhschan,  par  Koundouz,  et  des 
deux  c6tés  de  cette  route,  mais  pas  plus  loin  que  40  kilo- 
mètres de  chaque  côté. 

Qnxai  an  Poto-tschouang-na  de  Hiouen-Thsang,  il  est 
bien  certain  que  cette  localité  se  trouve  dans  le  Badakh- 
schan actuel;  mais  celui-ci  est  un  pays  assez  étendu,  com- 
posé encore  de  plusieurs  des  royaumes  ou  principautés  que 
Hiouen-Thsang  mentionne  à  part.  Je  viens  d'identifier  Po- 
to-tschouang-na avec  les  environs  de  Fayzabad,  capitale 
actuelle  du  Badakhschan,  mais  c'est  déjà  moins  certain. 

Au  reste,  l'ensemble  de  l'itinéraire  d'Àndérab  au  Pamir, 
dont  nous  venons  d'analyser  la  moitié  occidentale,  ne  laisse 
pas  de  doute  sur  la  position  centrale  de  cette  localité  dans 
le  Badakhschan  actuel  ;  nous  n'avons  donc,  pour  Po-to- 
tschouang-na,  que  le  choix  entre  Fayzabad  et  la  petite 
plaine  centrale  du  Badakhschan,  au  confluent  des  rivières 
de  Djerm  et  de  Vardodj,  formant  le  Kokscha,  fleuve  prin- 
cipal du  Badakhschan  et  un  des  grands  affluents  del'Oxus. 
Nous  verrons  qu'il  vaut  mieux  choisir  Fayzabad. 

Avant  de  poursuivre  notre  itinéraire,  arrêtons-nous  un 
instant,  d'aprèsYule,  cité  par  M.  Jaquier  {le Pamir,  p.  40),  au 
royaume  d'0-li-ni,  dans  le  Thsoung-Iing  que  Cunningham 
et  Yule  identifient  avec  Ariniou  Ami,  un  des  centres  les 
plus  anciens  de  la  domination  aryenne.  D'après  mes  déter- 
minations des  localités  du  Tokharistan  et  du  Pamir  qui  se 


15t)       LES    ANCIENS   TTINÉKAIHES  A    TRAVERS    LE    P. 

trouvaient  sur  larouted'Hiouen-Thsang',  ce  pays  d'Olini  nu 
Arni,  qu'il  ne  paraît  pas  avoir  visiti;,  pourrait  bien  être  cher 
ché  dans  le  Darwaz  actueK  Revenons  cependant  k  l'itiné- 
raire. 

De  Po-to-tschouang-na  Hiouen-Thsang  fait  200  li  au 
sud-est  par  un  pays  montagneux  el  arrive  k  In-po-kien, 
d'après  la  Biographie  :  Kie-po-kien;  de  là,  après  30011 
de  roule  toujours  au  sud-est,  |>ar  «ies  sentiers  de  monlajïnes 
étroits  et  dangereux,  à  Khiou-lang-na  ;  de-  là,  faisait  ôOO  U 
vers  le  nord-est,  par  des  ctiemins  difficiles  el  dangereux,  à. 
travers  des  nioiilagnes  et  des  vallées,  i!  arrive  dans  le  Ta- 
7no-sitie-ti,  contigu  à  i'Oxus  (Pot-tsou)  et  s'étcndant  entre 
deux  chaînes  de  montagnes  dont  la  principale  se  nomme 
Huen-tho-to.  Au  nord  de  ce  dernier  pays  se  trouve  le  Chi- 
A7it-«i,  au  sud  le  Chfingmi,  à  700  li  au  nord-est  de  Ta- 
mo-sie-li  commence  la  haute  vallée  de  Po-mi-lo  '. 

Nous  avons  ici,  comme  jalon  principal,  le  pays  de  Chi- 
khi-ni  que  tous  les  commentateurs  reconnaissent  unani- 
mement pour  le  Ch'Kjhnan  actuel,  ce  qui,  comme  nous 
verrons  tout  de  suite,  est  parfaitement  confirmé  par  les  dé- 
tails que  donne  Iliouen-Thsang,  et  sur  ce  pays,  et  sur  le  Po- 
mi-lo  avec  son  lac  du  Dragon,  Les  autres  pays  sont  aussi 
reconnaissablcs  d'après  leurs  positions  relatives  el  les  pro- 
portions des  distances  données  par  le  voyageur  chinois*. 

1.  Cet  itinéraire  nst  reproduit  ici  de  nouveau  d'uiiros  les  Kxtcails  dn 
M.  Grigiiricw,  Irail.  de  RiUor.  Turkentan  anenlal  nu  chinolt,  ao\t  CDXXX, 
p.  i89-49U. 

i.  Toutes  mes  détcrmin.itions  Ac.  ces  localités  etilrc  le  Bmlaklischaii  <<i 
le  Chighiian  dilfërent  nsseiilicllement  Ap  celle»  que  j'ai  lue;:,  mais,  pour 
ne  pas  trop  allonger  ce  Mémoire,  je  ne  mentiaonerai  ni  ne  rérulerai  \i 
quelque»  cxccpliotis  près)  les  déterminations  ilitTi-rpules  des  luiennes, 
ni  celles  lie  M.  ViMendeSaiiit-Marliii.cîiées  par  M.  Grigoriew.  ni  celles  de 
M.  Grigoriew  liii-inAmc  ^18()tl),  ni  celles  de  Yule  (IKTii;,  générnlemefil 
suivies  cl  on  partie  leproduitcs  par  M.  Paquier.  Je  ferai  oliserver  «eiile- 
mentquc  louslo»,  ••ominenliiires  que  je  vicnsd'éniiinérer  soiil  nnlèrieu.rt  n\ix 
dernières  vxplur.iliiins  angUiaes  el  russe»,  du  Pamir  et  de  l'ancien 
Tnknrestan;  surlaut  de  1873  à  1978  inclusivement,  elles  ont  changé  de  Tond 


I 


ÎnCIKHS   itinéraires    a   THAVERS    LK,    PAMIR.       457 

D'après  ces  données,  In-pokien^,  h  200  li  sud-est  de  Po- 
to-tschouang-na,  se  place  pr&s  de  Djerm,  à  45  kilomfiires 
sud-est  de  Payzabad,  ce  qui  confirme  l'ideiitiflciiLion  ci- 
dessus  de  Po-lo-lschouang-na  avec  Payzabad,  et  non  avec 
le  confluent  des  rivières  de  Djerm  et  de  Vardodj,  situé  fi 
20  kilomètres  seulement,  droit  au  nord  deDjerm.  De  même 
Khiou-lang-na^,  à  300  li  sud-esL  de  la  localité  précédente,  se 
retrouve  dans  Zehak,  îi 70 kilomètres  environ  deDjerm.  Les 
dislances  proporlionnelles  45  :  70=^200  :  300,  sont  presque 
exactes,  mais,  remarquons  que  la  valeur  métrique  des  li 
de  îliuuen-Thsang  diminue,  à  mesure  qu'il  s'engage  dans  les 
montagnes. 

Zébak  se  trouve  sur  la  route  du  Badakhschan  au  Wakhan 
et. c'est  dans  la  partie  supérieure  de  ce  dernier  pays,  immé- 
diatement au-dessous  du  confluent  du  Hiandj  (rivière  ex- 
plorée par  Wood)  et  du  Sath;idd,  que  M.  Vivien  de  Saint- 
Martin  place  le  ra-mo-st-Itc-t<,  d'après  la  consonance  du 
nom  de  sa  rapilale  Houeu-to-to,  a\ec  A'(m(/<i/'/<,  village  du 
Waklian,  situé  à  environ  HO  kilomètres  au-dessous  du  con- 
fluent du  Piandj  et  du  Sarhadd. 

Mais  cette  consonance  est  assez  éloignée,  cl  la  position 
^du  Ta-mo-si-tié-ti,  telle  que  la  donne  Iliouen-Thsang,  est 
ion  pas  celle  du  Wakhan,  maïs  bien  celle  duGfaaran,actueî- 
ïinent  et  depuis  longlemps  province  du  Badakschan,  dans 
laquelle  se  trouvent  les  célèbres  mines  de  rubis  de  ce  pays, 
(maintenant  presque  épuisées),  car  la  frontière  nord  du  Gba- 
jran,  dans  toute  sa  longueur,  est  formée  parle  Chighnan,  et 
et  c'est  ce  <i«ie  dit  lliuuen-Thsang  de  son  Ta-mo-si-lié-ti.  De 
plus,  il  dit  que  ce  pays  est  conligu  à  l'Oxus  (Pol-sou);  celte 
parltculari  Lé  s'applique  aussi  au nharan,tbrmé  par  la  vallée  du 


en  coiiililo  la  carie  «le  ci*s  rontrrcs,  elles  cnittiniiviit  encore  etrenrtent  ma 
lâche,  dans  ce  iUilniirf,  inllnimeiU  [iliis  farilc  (|u<;  ccll"  rte  mes  savants 
prédécesseurs. 

1.  Biogr.,  Irail.  SUnisliis  fuli^Mi.  p.  270  et  :W7. 

2.  Biogr.,  trad.  Slaiiisliis  Julien,  p.  iH),  W,  106. 


458       LES   ANCIENS   ITINÉRAIRES   X   THAVERS   LE   PAMIR. 

Bogouz,  aftluent  de  l'Oxus,  et  une  partie  de  la  rive  gauche  de  ce 
fleuve,de8  deux  côtés  de  l'enibouduire  du  Bogouz;  mais  elle 
ne  s'applique  pas  au^Vakhan,  qui  est  une  partie  de  la  vallée 
môme  de  l'Oxus,  sur  les  deux  bords  du  fleuve,  et  forme  la 
frontière  sud  du  Gharan,  dont  il  est  séparé  par  une  chaîne 
de  montagnes  neigeuses,  situées  entre  rO\us  cl  leBougouz. 
Le  Wakhan,  séparé  du  Chighan  par  le  Gharan,  est  donc  le 
Chany-mi  de  Hiouen-Tbsang,  séparé  de  Ghi-khi-nipar  le 
Ta-mo-si-tie-ti. 

Voici,  du  reste,  ce  que  dit  encore  Iliouen-Thsang  de  ce 
dernier  pays  ; 

u  II  est  situé  entre  deux  chaînes  de  montagnes,  dans  le 
voisinage  du  tleuve  de  Pot  sou,  et  s'étend  sur  une  longueur 
de  cinq  à  six  journées  de  marche  de  l'est  à  Fouest,  de  quatre 
à  cinq  du  nord  au  sud;  mais  sa  partie  la  plus  étroite  n'a 
pas  une  li  de  large,  U  s'étend  le  long  du  fleuve,  suivant 
toutes  ses  sinuosités  ;  il  est  entrecoupé  de  collines  d'ondu- 
lations variées  en  hauteur,  de  petits  plateaux  couverts  de 
sable  et  de  pierres.  «  (Paquier,  te  Pamir,  p.  il.) 

Le  fleuve  que  la  vallée  «  suit  dans  toutes  ses  sinuosités  » 
est  bien  évidemment  le  Boiigouz,  l'Oxus  (Pol-sou)  étant 
seulement  voisin  de  cette  vallée  encore  inexplorée,  ce  qui 
fait  que  les  renseignements  de  Hiouen-Thsang  sont  les  seuls 
que  je  connaisse  sur  la  nature  du  pays.  La  largeur  de  400 
li  (quatre  journées),  paraît  exagérée;  la  roule  par  le  Gha- 
ran le  long  de  l'Oxus,  étant  de  60  kilomètres;  mais  une 
route  Iransverse  par  la  vallée  du  Bougouz,  d'une  crôte  de 
montagne  à  l'autre,  peut  bien  être  de  80  kilomètres,  avec 
les  montées,  descentes,  détours  elc,  de  même  que  la  lon- 
gueur du  Bougouz  (encore  inconnue)  peut  atteindre  100 
kilomètres  ou  plus  de  route,  avec  les  siimosilésde  la  vallée. 

Voici  maintenant  ce  que  Hiouen-Thsang  dit  du  Ghi-khi-ni: 

«  Au  nord  de  ce  rovaumo  (de  Ta-mo-si-tie-ti),  et  par 
delà  de  hautes  montagnes,  se  trouve  le  Chi-khi-ni  qui  a  un 
circuit  de  vingt  journées  de  marche.  11  consiste  en  une  suc- 


LES  AKCISNS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.       459 

ceMÏOD  de  collines  et  de  vallées,  de  plateaux  et  de  déserts 
couverts  de  sable  et  de  pierres  ;  cependant  on  y  voit  du 
blé  .» 

Entre  ia  vallée  du  Bogbouz  et  celle  du  Schah-dara,  dans  le 
Chighnan  s'élève  en  effet  une  chiUne  neigeuse  qui*  continue 
dans  le  Badakschan,  à  l'ouest  de  l'Ozus  ;  ce  fleuve  la  tra- 
verse par  une  fente  transversale,  la  gorge  de  Koughouz- 
Parin,  tellement  impraticable, qu'il  y  a  fallu  tailler  un  tun- 
neldans  le  roc  pour  la  route  qui  suit  la  rive  de  l'Oxus.  Ce 
tQimel  est  considérablement  postérieur  à  Iliouen-Tbsang, 
qui  dut  passer  du  Gbaran  au  Cbigbnan  par  quelque  col  au 
nord  du  BogouK,  col  encore  inconnu,  le  Cbigbnan  intérieur 
étant  aussi  inexploré  que  ia  vallée  du  Bogouz. 

De  plus,  la  notice  de  Hiouen-Thsang  nous  montre  que 
toa  Chi-kbi-ni  n'est  pas  une  seule  grande  vallée,  comme 
celle  de  Bogbouz;  c'est  un  composé  complexe  de  vallées  et 
de  montagnes.  Tel  est  en  effet  le  Cbigbnan,  d'après  les  ren- 
seigoements  locaux  recueillis  par  Abdul-soubban,  topo- 
graphe musulman  de  la  mission  Forsytb,  que  le  colonel 
Gordon  envoya,  en  avril  1874,  reconnaître  la  vallée  de  l'Oxus 
«tre  le  Wakban  et  le  Derwaz.  Il  apprit  que  le  Cbigb- 
nan  se  compose  de   deux  vallées  principales,  celles  de 
Giound  et  celle  du  Sehah-darah,  rivières  dont  la  réunion 
forme  le  Soutschan,  affluent  considérable  de  l'Oxus  et  de 
iKiQcoup   de  vallées   secondaires.    Hiouen-Tbsang   nous 
ipprend,  de  plus,  que  les  montagnes  intérieures  du  Cbi- 
II^Qan,  celles  qui  s'élèvent  entre  le  Gbound  et  le  Scbah- 
iuah,  sont  bien  moins  élevées  que  les  cbatnes  neigeuses  qui 
•Dtourent  ce  pays  de  tous  les  côtés,  chaînes  dont  j'ai  vu 
trois,  des  bopds  du  Yaschil-koul  :  celle  de  l'est,  celle  du 
oord,  le  long  de  l'Aksou,  et  l'énorme  massif  occidental  qui 
t'^lère  sur  le  bord   droit  de  l'Oxus,  portant  des  pics  de 

l'Paquier,iePam»r,p.  41.  —Biogr.,  trad.  Stanislas  Julien,  p.  270,  365. 
J'KTiendrai  encore  au  Chi-khi-ni  et  au  Chang-mi,  dans  une  note  com- 
Pl^iWDtaire. 


4^0       LES    A.XCIKNS    ITINÉRAIRES   A   TRAVERS    LE   PAMIR. 

plus  de  6,000  mètres,  dont  j'ai  nommé  le  plus  haut  pici 
Tcherniayew,  en  l'honoeur  de  l'illustre  général  qui  ouvritj 
l'Asie  centrale  h  nos  explorations  scientiflques. 

C'est  par  le  Chighnan  que  passa  Hioucn-ThsanR  pour 
atteindre  la  vallée  de  Po-nii-lo  et  le  Lac  du  Orrigon,  dont    . 
il  donne  la  description  suivante  :  ■ 

«  La  vallée  de  Pa-mi-lo  a  1,000  li  de  long,  de  l'est  à 
l'ouest,  et  100  ti  de  large,  du  nord  au  sud;  mais  sa  par 
tie  la  plus  étroite  n'a  que  10  11  de  large.  Elle  s'étend 
entre  deux  chnînes  neigeuses,  elle  e«t  très  froide,  et  le  vent 
y  souffle  par  violentes  rafales.  La  neige  y  tombe  même  au 
printemps  et  en  été;  le  vent  y  souffle  jour  et  nuit,  sans  sej 
calmer.  Le  sol  est  saturé  do  sel  et  couvert  de  petits  galets 
Il  ne  peut  y  croître  ni  blé,  ni  fruits;  les  arbres  et  autres 
plantes  sont  rares;  partout  un  désert  sauvage,  sans  trace 
d'habitation  tiumaine.  Au  milieu  de  cette  vallée  se  trouve  le 
grand  lac  du  l>ragon  ;  son  étendue  est  de  300  li  de  l'est 
à  l'ouest  et  de  .'>0n  li  du  nord  au  sud.  Ce  lac  est  situé 
à  une  hauteur  incommensurable,  dans  l'inlérieur  du  Ta- 
Tbsoung-ling,  au  milieu  du  Tchen-pou-lcheou  (tran- 
scription chinoise  de  Djambou-Dvvipa).  Si  on  le  regarde 
de  loin,  il  s'étend  comme  une  mer  immense  dont  l'eBil  ne 
peut  découvrir  les  bornes;  à  entendre  le  bruit  de  ses  vagues 
on  dirait  les  clameurs  d'un  vaste  marché  où  s'agite  une 
multitude  sans  no'nbro.  Ses  eaux  sont  pures  et  transpa- 
rentes; leur  profondeur  est  incommensurable.  La  couleur 
deseaux  est  un  bleu  foncé;  leur  goût  est  «loux  et  agréable... 

De  la  partie  occidentale  du  lac  sort  un  large  torrent,  qui! 
se  réunit  au  Pot-sou  dans  les  contins  orientaux  du  Ta-mo- 
si-lie-li  et  continue  à  couler  toujours  vers  l'ouest.  Toutes- 
les  eaux  à  droile  du  lac  coulent  également  vers  l'ouest.  De 
la  partie  orientale  du  lac  sort  aussi  une  large  rivière,  qui  se 
dirige  vers  le  nord-est,  se  joint  au  Si-to^  dans  les  conlins, 
occidentaux  du  Kié-cha,  et  continue  à  couler  vers  l'est. 

Je  connais  trois  déterminations  diiFérentes  du  Po-rai-lo 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS   LE  PAMIR.       461 

de  Hiouen-Thsang,  qui  est  bien  évidemment  une  Iranscrip- 
lion  chinoise  du  nom  de  Pamir. 

1"  La  tradition  constante  des  géographes  chinois,  qui 
citaient  Hiouen-Thsang,  en  décrivant  les  contrées  occiden- 
tales (Si-yu),  interprète  son  lac  Loun-tchi  (lac  du  Dragon) 
par  le  lac  Kara-koul.  Cette  détermination  chinoise  fut 
adoptée  par  Klaproth  que  suivit  aussi  Ritter.  Tous  d'ailleurs 
identifient  la  rivière  qui  découle  du  lac  du  Dragon  vers  l'est 
asec  leYaman-yar,  maintenant  complètement  absorbé  par 
des  canaux  d'irrigation,  mais  jadis  affluent  du  Kaschgar- 
Darya.  Or  le  Yaman-yar,  que  les  Chinois  croient  découlant 
d'un  grand  lac  nommé  Kara-koul  par  les  Kara-Kirghiz,  est 
en  réalité  séparé  par  plusieurs  chaînes  de  montagnes  du 
grand  lac  de  ce  nom  ;  il  ne  traverse  qu'un  petit  lac  insigni- 
fiant, qui  ne  répond  nullement  à  la  grandiose  description  de 
Hiouen-Tsang  ;  ce  lac  du  Yaman-yar  est  nommé  par  les  Kir- 
ghiz  Ktchi-kara-koul  (petit  Karakoul),  que  les  Chinois  ont 
toujours  cofondu  avec  le  grand*,  n'ayant  qu'une  connais- 
sance très  vague  de  cette  partie  du  Pamir.  Quant  à  l'affluent 
de  rOxus,  sortant  du  lac  du  Dragon  et  coulant  par  le  Po- 
tni'lo*,  les  auteurs  chinois  ne  le  déterminent  pas  plus  que 
Klaproth  et  Ritter. 

2°  La  plupart  des  commentateurs  européens,  interprétant 
le  TLa-mo-si-tie-ti  par  le  Wakhan,  identifient  la  vallée  de 
Po-mi-lo  ou  avec  celle  du  Piandj  supérieur  (grand  Pamir 
de  Yule)  ou  avec  celle  du  Sarhadd  (petit  Pamir).  La  pre- 


1.  Cette  confusion  fut  d'abord  soupçonnée  par  Shaw  qui  recueillit,  eu 
1872,  les  premiers  renseignements  kirghiz  sur  la  vraie  position  du 
petit  Kara-koul  ;  néanmoins,  elle  resta  encore  incertaine  pour  Yule,  en 
1872  {Essay  on  the  Geogrzphy  of  Upper  Oxu%,  p.  ciir)  et  ne  fut  défini- 
tivement établie  que  par  les  renseignements  de  Gordon  et  Trotter,  en 
1873-1874.  Mes  renseignements  sur  le  petit  Kara-koul  s'accordent  avec 
ceux  de  Shaw,  Gordon  et  Trotter;  quant  au  grand  Kara-koul,  je  l'ai 
exploré  en  détail. 

2  Hiouen-Thsang  ne  le  dit  pas  expressément,  mais  cela  découle  de 
toute  sa  description. 


454       LEd  ANCIENS   ITINKHAIRKS   A   TRAVERS  L£    PAMIR. 

Alors  la  position  do  Ki-U'Se-mo  serait  dans  les  environs 
do  Rouslak,  et  celle  de  Ui-mo-tii-lo  près  de  Kischmon  un 
peu  aunofd  (12-15  kilomètres),  mais  tout  près  du  méridien 
de  Kischnn,  sur  la  route  direcLe  deRoundouz  à  Fayzabad.  En 
plaçant  au  contraire  Ki-li-se-mo  près  de  la  ville  acluelle 
d'Iscb-Kamysch,  selon  la  carte  japonaise  citée  ci-dessus, 
nous  obtenons  un  tiiangle,  mais  non  équilatéral,  et  dont  les 
côtés  ne  correspondent  pas  aux  distances  données  par 
Hiouen-Tlisang,  ceqiii  diminue  la  valeurdes  considérations 
présentées  plus  liant  on  faveur  d'Jsch-Kamysch, comme  em- 
placement probable  de  Ki-li-se-mo,  la  plus  incertaine,  par 
conséquent,  des  localités  dont  je  viens  d'essaj'er  la  déter- 
mination. Mais  que  Ki-li-se-mo  soit  au  nord  ou  au  sud  de 
la  grande  route  KoundouK-Fayxabadj  dans  les  deux  cas 
la  position  du  district  de  Hi-mo-ta-to  reste  ia  même,  cor- 
respondant au  district  actuel  de  Kischm, 

Au  reste,  il  ne  faut  pas  oublier  que  toutes  les  détermina- 
lions  des  localités  ci-dessus,  môme  les  plus  positives, comme 
celle  deHouo,  ne  sont  encore  que  grossièrement  approxima- 
tives. Ce  sont  des  déterminations  de  i{islricts,r\oii  de  villes. 
Des  déterminations  phis  précises  des  villes  principales  vi- 
sitées par  Hiouen-Tbsang  nie  paraissent  impossibles  sans 
une  exploration  archéologique  de  l'ancien  Tokharistan. 

Vérifions  niainlcnant  les  déterminations  ci-dessus  par  les 
distances  des  localités  d'IIiouen-Tbsang  en  lietdes  localités 
correspondantes  actuelles  en  kilomfelres. 

1°  La  route  de  îJotw  par  Moung-kiang,  Ki-ii-se-mo,  Hi- 
mo-la-lo,  a  Po-to-lschouang-na  est  de  100  -|-  31.10  -f  300 
4-200=  000  li;  la  route  actuelle  de  Koundouz  à  Fayzabad 
dans  le  Badakschan,  par  Khan-abad,  Talikhan,  Boustak, 
ou  Isch-Kamysch,  et  Kischm  est  d'un  peu  plus  de  200  kilo- 
mètres (sur  la  carte). 

2°  La  roule  directe  par  Moung-Kiang  etHi-mo-la-lo,  lais- 
sant de  côté  Kiliserao,  est  de  100  +  300  +  20<)  —  000  li  ;  la 
route  directe  de  Koundouz  à  Fayzabad  suivie  par  Wood,esl 


LSS   AXrjEXS   ITINËIIAIIteK   A    IIUVKM   LII   MMIIt.        t^ 

de  lôO  kilomètres  environ  (»ur  l«  f-MUf.   Tw  lUiUh^ti; 
recte  de  Houo  à  lli-mo-U'Io  e»(  4«  l/Jif/ 

Tschouang-na  200  li  :  de  R(jiiu/U/';/ 

de  là  h  Fayzabad  environ  fiO  kikr^ 

proportion  exacte  :  400  :  2fX)        :v 

la  ditrérence  des  proportions   ûê»  4lMi»«< 

à  600,  et  ^200  à  150.  dépend  de  l'iMWAAMb^  • 

nation  de  Ki-li-se-mo. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  le*   i«M«llA4lAv 
Hiouen-Thsang  peuvent  Ctre  c\\etc.\iéf* 
route  d'Andérab  au  Hadakhschau,  p>ir  à 
deux  côtés  de  cette  route,  mais  pas  ph« 
mètres  de  chaque  côté. 

Quant  au  Polo-tscfiou(tHff-na  de  lli<iii*rri  7»  •**  / 
bien  certain  que  cette  localité  se  Irouvn  linin    -   ♦'• 
schan  actuel;  mais  celui-ci  est  un  paysastc/.  ^1>«  '"■ 
posé  encore  de  plusieurs  des  royaumes  ou  prtrt^;*^*'^/  *i*^ 
Hiouen-Thsang  mentionne  à  part.  Je  viens  d'ii<«iiU<4*'  '  ^ 
to-tschouang-na  avec  les  environs  de  Fay/.atr«4/ <«« 
actuelle  du  Badakhschan,  mais  c'est  déjà  moint  tf^t^^oi^  j 

Au  reste,  l'ensemble  de  l'itinéraire  d'Andi'irab  »<i  kt 
dont  nous  venons  d'analyser  la  moitié  occidt'ntttl<',f»* 
pas  de  doute  .sur  la  position  centrale  de  c&(li>-  locuItU  <(U%iU 
le  Badakhschan  actuel;  nous  n'avons  donc,  pour  f'.  ■/.-] 
Ischouang-na,  que  le  choix  entre  Fayzabad  et  lii  j^'»  w 
plaine  centrale  du  Badaklisclian,  au  con/luptit  don  r(»»>i«*-« 
de  Djerm  et  de  Vardodj,  formant  le  h'okicha,  fl«nv«  i^v-Ci 
cipal  du  Badakhschan  et  un  des  grands  affluents  Ati\'(Htéfè» 
Nous  verrons  qu'il  vaut  mieux  choisir  Fayzabad. 

Avant  de  poursuivre  notre  itinéraire,  arrêtons-non* 
instant,  d'après  Yule, cité  par  M.  Vaquiev  {ie  i^amir,  p.Uf/.tHii 
royaume  â'0-tt-ni,  dans  le  Thsoung-ling  que  CunninghA'W 
et  Yule  ideuliûent  avec  .-h7w/ou  Ami,  un  des  centre»  W« 
plus  anciens  delà  domination  aryenne.  D'après  mes  détcrvl 
minalions  des  localités  du  Tokharist«n  el  ilu  Pamir  qui  s«4 


LES  AlfCTENS  tTINÉItAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR. 

rniére  opinion  est  celle  de  Stanislas  Julien  et  de  M.  Vivien 
de  Sainl-Martin,  soutenue  plus  lard  aussi  par  MM.  Paquier 
et  Grigoriew;  la  seconde  est  celle  de  Rawlinson  et  Yule. 

Ces  derniers  se  fondent  vraisemblablement  sur  le  témoi-' 
gnage  de  Mirza*,  qui  dit  que  deux  rivières  découlent  du  lac 
ceniral  du  petit  Pamir  (lac  Pamir-Koul,  Ghaz-koul  ou  Oï- 
koul)  :  le  Sarhadd  vers  Toucsl,  la  rivière  de  Tasch-kourgane 
affluent  du  Yarkend-daria  vers  l'est;  mais  on  sait  à  présent 
que  celle  indicalion  est  une  erreur  de  Mirza,  qui  passa  le 
Pamir-Khourd  (petit  Pamir)  au  cœur  de  l'hiver,  par  une 
neige  profonde.  MM.  Gordon  et  Trotter,  en  1874,  reconnu- 
rent que  la  source  du  Sarliadd  est  complètement  séparée  du 
lac  Pamir-koul  qui  n'a  qu'un  seul  écoulement,  l'Aksou,  tribu- 
taire de  rOxus  et  non  du  Yarkend-Darya.  De  plus,  le  Pa- 
mir-Koul est  un  lac  de  fini  petites  dimensions;  si  même 
il  a  jadis  été  plus  grand,  comme  le  suppose  Yule,  il  n'a 
jamais  pu  être  quelque  chose  d'approchant  du  tableau 
grandiose  que  Iliouon-lsang  trace  de  son  lac  du  Dragon. 

Quant  au  lac  du  grand  Pamir,  personne  ne  s'est  rafimo 
trompé  en  lui  supposant  un  double  écoulement,  et,  s'il  est 
considérablement  plus  grand  que  le  Pamir-koul,  il  est  ce- 
pendant loin  d'approcher  <le  la  description  de  Hiouen- 
Thsang,  puisqu'il  n'a  que  2  tiloraèlres  de  largeur,  sur  envi- 
ron 20  de  longueur.  Au  reste,  les  auteurs  chinois  qui  citent 
ou  copient  Hiouen-Thsang,  ont  depuis  longtemps  changé  les 
dimensions  de  son  lac  Lountchi  et  remplacé  les  cinq  cents 
li  nord-sud  du  texte  original  (traduit  par  Stanislas  Julien) 
par  cinquante  li  pour  accommoder  la  largeur  du  lac  à 
celle  de  la  vallée.  Ainsi  transformé,  le  lac  Loun-Lschi  res- 
semble déjà  plus  à  celui  du  grand  Pamir,  au  moins  pour 
les  dimensions  iwoporticnoelles  :  seulement  cette  prétendue  j 
correction  est  parfaitement  arbitraire,  cl  tout  à  fait  inconci- 


l.  KvpKiraleur  iiiusuluian  envoyé  en  1870,  |iar  le  itiajiir  Moiitgdmpryi 
lie  rescliawer  il  Yaiketid,  qui  passa  par  Kaboul,  Kounilniiz.  Fn.rznbad  (daiii: 
le  Badakhsclian),  le  Wakhaii  et  le  l'élit  Pamir. 


J 


LES  ANCIENS   ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.       463 

liabieavec  les  détails  descriptifs  donnés  par  Hiouen-Thsang. 
Or  ces  détails  ne  sont  pas  de  ceux  qu'on  puisse  rejeter;  on  y 
reconnaît  trop  infailliblement  un  observateur  profondément 
inapressionné  par  le  grand  spectacle  qu'il  a  vu  de  ses  yeux 
et  notant  son  impression  avec  une  vérité  frappante,  ce  à 
quoi  nous  reviendrons  encore. 

De  plus,  pour  identiPier  le  Po-mi-Io,  soit  avec  le  grand 
Pamir,  soit  avec  le  petit,  il  faut  nécessairement  identifier 
aussi  le  Ta-mo-si-t'ié-ti  avec  le  Wakhan,  et  admettre  que 
Hiouen-Thsang  retourne  dans  ce  dernier  pays,  après  sa  visite 
au  Ghigfanaii  qu'il  a  bien  certainement  visité,  d'après  les  dé- 
tails qu'il  en  donne. 

Mais  nous  avons  déjà  vu  que  le  Ta-mo-si-t'ié-ti  est  le 
Gharan,  vallée  du  Bogouz,  et  non  le  Wakhan  :  ce  dernier 
pays  n'est  mentionné  qu'incidemment,  sous  le  nom  de 
Ghang<mi,  et  U  y  a  tout  lieu  de  croire  que  Hiouen-Thsang 
ne  le  visita  pas,  ce  pays  n'ayant  jamais  été  bouddhiste. 
D'après  les  traditions  locales,  recueillies  et  par  Wood,  et 
par  le  colonel  Gordon  *,  toutes  les  ruines  y  sont  attribuées 
aux  adorateurs  du  feu  et  Wood  y  a  trouvé,  dans  les  supers- 
titions des  musulmans  actuels,  des  traces  du  mazdéisme 
qui  fut  la  seule  religion  antérieure  à  l'Islam  dont  se  sou- 
vienne le  peuple  du  Wakhan  ;  sa  conversion  à  cette  dernière 
religion  paraît  avoir  été  tardive,  les  ruines  anté-musulmanes 
n'étant  pas  bien  anciennes. 

Quant  au  Chighnan,  Hiouen-Thsang  a  décrit  l'état  du 
bouddhisme  de  son  temps*,  et  c'est  immédiatement  après 
ïe  Chi-khi-ni  qu'il  décrit  la  vallée  de  Po-mi-lo. 

1.  Wood,  Joumey  to  the  source  ofthe  Oxux,  î»  éd*  p^  218.  —  Gordon, 
Roofofthe  World,  p.  U). 

2.  Ritter,  Asien,  tome  V,  livre  III,  p.  494;  Berlin,  1837,  antérieure- 
meirt  k  la  découverte  du  texte  original  de  Hiouen-Tlisang,  traduit  par 
Stanislas  Julien.  Ritter  s'est  servi  d'extraits  passablement  altérés,  tra- 
duits par  Jacquet,  d'après  «n  recueil  bouddhiste.  Le  Chighnan  dont  la 
description  est  très  reconnaissable,  y  est  nommé  Chang-mi,  au  lieu  de 
Ghi-khi-ni. 


46-t       LES    ANCIENS    rTJNKUAJRES    A    TttAVEllS    LE    PAMIR. 

C'est  donc  au  nord-est  du  Chighnan  «t  à  700  li  nord 
est  du  Bogouï,  qu'il  faut  chercher  le  Po-rai-lo  el  le  lac 
Loiin-tcht,  dans  une  région  du  Pamir,  qui  était  complète 
ment  inconnue  à  mes  savants  prédécesseurs,  quant  à  ce 
commentaire  de  Hioueii-Thsang;  en  effet,  la  plus  grande 
partie  de  cette  région  n'a  été  découverte  que  par  mon  expé- 
dition en  -IS'S. 

Au  nord-esl  du  Chighnan  nous  trouvons  la  vallée  de 
l'Aksou,  dont  la  partie  ayant  une  direction  générale  vers 
l'est  n'a  pas  de  lac,  et  à  laquelle  la  description  de  Hiouen- 
Thsang  est  doue  inapplicable  ;  puis  la  vallée  de  Koudara,  avec 
un  ailîuent  de  l'Aksou,  vallée  que  j'ai  vu  le  premier,  à  la- 
quelle la  description  de  Hiouen-Thsang  s'applique  parfaite- 
inenl,  et  qui  conduit  au  lac  Grand  Kara-koul,  que  j'ai  éga- 
lement exploré.  C'est  par  la  comparaison  du  Kara-koul  tel 
que  je  l'ai  étudié  sur  place,  avec  la  description  du  lac  Louii- 
Iscbi  que  je  commencerai  ma  déli'îrminalion  du  Po-mi-lo. 

LelHcLoun-lschi  doit  être  le  plus  grand  du  Pamir,  et  tel  est 
le  Grand  Kara-koul;  mais  la  question  principale  est  celle  de 
son  déversement.  D'après  les  renseignements  des  Kirgbiz, 
recueillis  par  les  explorateurs  anglais  en  Kasehgarie  (Shaw, 
Gordon,  Trotter),  legrand  Kara-koulse  déverse  dans  l'Aksou, 
aflhienl  de  l'Oxus.  Ensuite,  en  1875  ce  lac  fut,  pour  la  pre- 
mière fois,  visité  par  des  Européens,  par  des  topographes 
russes  qui  relevèrent  à  la  hâte,  très  imparfaitement,  le  lac 
et  une  des  vallées  qui  s'ouvrent  dans  son  bassin,  puis  par  le 
colonel  Kostenko  qui  décrivit  cette  localité;  il  décida  que 
le  Rara-koul  n'a  d'écoulement  nulle  part  et  se  trouve  dans  un 
bassin  complètement  fermé,  entouré  de  tous  côtés  par  de 
hautes  montagnes.  Néanmoins  il  mentionne  que  ces  mon- 
tagnes  sont  interrompues  par  un  intervalle  ouvert,  vers 
l'angle  sud-ouest  du  lac;  mais  Finlcrvalle  resta  inexploré, 
ce  qui  n'cmpècha  pas  M.  Kostenko  de  décider  tout  à  fait 
arbitrairement  que  cet  intervalle  doit  être  la  vallée  de 
quelque  affluent  du  Kara-koul. 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.       465 

Ea  1878,  une  exploration  plus  complète  me  montra  autre 
chose,  savoir  que  le  bassin  duKara-koul,  loin  d'être  complè- 
tement fermé,  n'est  que  l'élargissement  d'une  très  grande 
vallée  qui  s'ouvre  au  sud-ouest  dans  celle  de  l'Aksou,  du 
système  fluvial  de  l'Oxus,  au  nord-est  dans  celle  du  Markan- 
soii,  affluent   du   Kaschgar-Darya,  apparten  antdonc  au 
système  fluvial  du  Tariin.  Quant  au  lac  Kara-koul,  il  n'a,  à 
présent,  aucun  écoulement  dans  les  années  ordinaires; 
mais  après  un  hiver  particulièrement  neigeux,  les  crues 
exceptionnelles  du  Kara-koul  se  déversent  vers  l'Oxus,  par 
la  vallée  de  Koudara.  J'ai  aussi  trouvé,  par  des  lignes  hori- 
zontales d'érosion  sur  certains  escarpements  autour  du 
Kara-koul  (lignes  déjà  notées  par  M.  Rostenko),  que  le 
niveau  du  lac  était  jadis  de  30  mètres  plus  élevé,  et  son 
étendue  beaucoup  plus  grande;  j'ai  aussi  réussi  à  restaurer 
cette  ancienne  étendue  du  lac  d'après  les  traces  de  l'ancien 
niveau  des  eaux  ;  enfin  j'ai  aussi  trouvé  les  traces  d'un  ancien 
écoulement  du  Kara-koul  dans  le  Markan-sou.  Ces  traces, 
combinées  avec  les  données  hypsométriques  d'un  nivelle- 
ment entre  le  Ferghâna  et  le  Kara-koul,  exécuté  pendant 
mon  expédition  au  Pamir  par  mon  compagnon  de  voyage, 
M.  Scassi,  prouvent  qu'il  y  a  eu  immédiatement  au  nord  du 
Kara-koul  un  soulèvement  post-glaciaire,  donc  géologique- 
ment  très  récent  et  même  continuant  jusqu'à  présent.  Ce 
fait  est  d'ailleurs  confirmé  par  mes  observations  sur  la 
distribution  des  anciennes  moraines  et  autres  traces  de  la 
période  glaciaire  dans  les  systèmes  de  montagnes  du  Thian- 
Schan   et  du  Pamir.  Mais  je  m'arrête  :  l'exposé  de  ces 
observations  ainsi  que  la  topographie  détaillée  du  Kara- 
koul  et  ses  environs,  nous  conduirait  ici  trop  loin*;  je  me 

1 .  Tout  cela  sera  décrit  en  détail  dans  un  ouvrage  plus  considérable 
auquel  je  travaille  maintenant,  et  qui  doit  contenir  la  relation,  ainsi  que 
les  résultats  scientifiques  de  l'expédition  que  j'ai  dernièrement  dirigée 
au  Ferghâna  et  sur  le  Pamir,  en  1877-1878.  Le  Mémoire  actuel  est  un 
chapitre  de  cet  ouvrage,  dont  une  partie,  contenant  la  description  orogra- 

SOC.  DE  GÉOGR.  —  3'  TKIMESTRE   1890.  XI.  —  30 


4-66       LES   ANCIENS   ITINÉHAIUFS    A    THAVEllS    LE    TAJUn. 

contente  de  faire  observer  que  ce  soulèvement  a  beaucoup 
modifié  l'étendue  et  la  forme  du  Kara-koul,  même  depuis 
le  voyage  d'Hiouen-Thsang;  de  plus  ce  lac,  comme  tanl 
d'autres  de  l'Asie  centrale,  diminue  aussi  par  suite  de  la 
sécberesse  croissante  du  climat.  L'ancienne  étendue  du 
Kara-koul  était  d'environ  50  kilomÈli-es  nord-sud  et  30  kilo- 
mètres est-ouest,  chiiîres  exactement  proportionnels  a  ceux 
que  donne  Hiouen-Thsang,  soit  cinq  cents  li  nord-sud  el 
trois  cents  li  est-ouesL  Quant  aux  dimensions  actuelles  du 
K.ara-koul,  elles  sont  moindres,  soit  environ  30  kilomètres 
de  longueur  nord-sud,  sur  20  de  largeur  est-ouest;  de 
plus,  les  anciennes  îles  du  lac  sont  devenues  deux  pres- 
qu'îles qui  le  divisent  en  deux  bassins  réunis  par  un  détroit, 
tandis  que  jadis,  avec  un  niveau  des  eaux  plus  élevé  de  25 
à 30  mètres,  les  nombreuses  collines  rocheuses  mais  bassei$ 
de  la  presqu'île  nord,  devaient  présenter  un  archipel  de 
petits  écueils,  non  une  île  compacte. 

Comparée  avec  la  restauration  de  l'ancienne  étendue  du 
Kara-koul  du  temps  de  son  double  écoulement,  la  descrip- 
tion du  lac  du  Dragon  (lac  de  Loun-lchi)  par  Hiouen-Thsang 
est  d'une  exactitude  frappante,  malgré  une  exagération 
considérable  des  dimensions  absolues.  Même  tel  qu'il  est  à 
présent  le  grand  Kara-koul  reste  leseul  lac  du  P«»itrauquel 
on  puisse  rapporter  cette  description,  car  il  est  le  plus 
grand  de  tous,  et  le  seul  (sauf  peut-être  le  petit  Kara-koul 
encore  inexploré,  et  hors  de  question  par  sa  petitesse)  dont 
la  plus  grande  étendue  soit  dans  une  direction  nord-sud. 
De  plus,  c'est  le  seul  lac  du  Pamir  qui  présente  au  moins  des 
traces  d'un  ancien  double  écoulement.  Au  resie,  du  temps 
de  Hiouen-Thsang,  l'écoulement  nord-est  du  lac  vers  le 
Markan-sou,  était  déjà  remplacé,  peul-Stre,  par  une  bifur- 


phiquc  ilii  système  ile«  montagne»  Jti  Pamir,  comparativement  au 
Thian-sclian,  est  déjà  sous  preun  (en  russe),  et  donne,  d«  la  structure 
orogrnpliî<iue  du  Pamir,  une  idée  très  dilfëreiite  de  celle  (|u*on  en  avait 
jusqu'à  jtréscnt. 


LES  ANCIENS   ITINÉUAIUES   A   TRAVERS   LE   PAMIlt.       4fi7 

cation  duKara-soii,  aftluenl  nord  du  lac.  De  cette  bifurcation 
j'ai  aussi  tu  des  traces  sous  forme  de  trois  anciens  lits 
desséchés  de  rivières  :  dirigés  du  Kara-sou  vers  l'est,  et 
creusés  dans  un  amas  d'alluvions  limoneuses,  amoncelées 
par  le  Kara-sou  à  son  ancienne  embouchure  dans  le  lac 
Loun-tchi;  ces  alluvions  séparent  maintenant  cette  rivière 
du  petit  lac  Kalyr-koul,  jadis  une  baie,  formant  l'extrémité 
nord-est  du  Kara-koul. 

(À  suivre.) 


Le  Gérant  responsable, 
Ch.  Maunoir, 

Secrétaire  irénéral  de  la  Commissioo  centrale. 


■MOi.  —  Imprimeries  réuDiet,  B,  rue  Mignon,  2.  —  May  et  MOTTBROZ,  directeura. 


.î»  rrimt-j^n-  IS90 


DE 
GUYANE 

Echelle  ''i:^.5oo.ooo 


S«oXil. 


enae 


d'un-  dtpareertier. 
J'rançct*e 


D'ASSINIE 

■s  eaçloraboru 
Réaidenl  deErance] 

186; 

Echelle   1:4 


I     0  s 


FORA 


çulou 


A 


I 


VOYAGE  DANS  L'ASIE  CENTRALE 

ET    AU    PAMIR 


CABmiEL   BOirTAI.OT' 


Permettez-moi  de  remercier  d'abord  la  Société  de  Géogra- 
phie, en  la  personne  de  son  président,  de  l'insigne  honneur 
qa'elle  nous  fait  en  nous  recevant  avec  solennité  h  l'amphi- 
théâtre de  la  Sorbonne  ;  permettez-moi  de  vous  remercier, 
Mesdames  et  Messieurs,  d'avoir  répondu  à  l'appel  de  la 
Société,  et  croyez  que  mes  compagnons  Gapus  et  Pépin  sont 
également  touchés  de  ce  bienveillant  accueil.  Laissez-nous 
maintenant  vous  conter  rapidement  notre  voyage. 

En  1880-1881-1882,  M.  Gapus  et  moi  avions  parcouru 
une  partie  de  l'Asie  centrale,  mais  nous  nous  étions  tenu  au 
nord  de  l'Oxus,  sauf  au  moment  oiinous  quittions  le  grand 
fleuve  près  de  Khiva  pour  gagner,  en  hiver,  Krasnovodsk  par 
l'Oust  Ourt,  un  désert  désagréable  comme  vous  le  savez.  Les 
circonstances  nous  avaient  alors  permis  de  faire  des  collec- 
tions d'histoire  naturelle  considérables  et  intéressantes,  et 
de  reconnaître  les  grands  chemins  historiques  parcourus 
par  les  conquérants  divers  depuis  Alexandre  le  Grand 
jusqu'à  TchemaïeiT  et.KauiTmann. 

Une  fois  rentrés  en  France,  nous  nous  sommes  guéris  de 
la  flèvre  et  remis  de  nos .  fatigues.  En  examinant  ce  que 
nous  avions  fait,  nous  avons  constaté  des  lacunes  ;  des  docu- 
ments nous  ont  paru  incomplets,  il  nous  a  semblé  que  bien 
des  choses  d'Asie  centrale  nous  seraient  plus  claires,  si  nous 

1.  Cotnmunieation  adressée  à  la  Société  ie  Géognp\M.â&ns  son 
aisomblée  générale  extraordinaire  tenue  à  la  Sorbonne  le  14  janvier  1888. 

soc.  DE  GiOGB.  —  4*  TRIMESTRE  1890.  XI.  —  31 


470  VOYAGE   IIANS  L'aSIE   CENTRALE    ET   AU   PAMIR. 

en  trouvions  d'autres  à  leur  comparer,  et  l'idée  nous  vint 
bien  vite  de  poursuivre  au  sud  de  i'Oxus  l'œuvre  coraraencée 
au  nord. 

Comme  il  n'est  pas  dans  les  mœurs  de  notivî  pays  que  les 
particuliers  riches  prennent  à  leur  charge  les  frais  des  mis- 
sions d'expioration,  nous  nous  sommes  adressés  au  Ministère 
de  r Instruction  publique.  M.  Xavier  Charmes,  Directeur  des 
missions,  a  bien  voulu  s'intéresser  à  notre  projet  :  il  l'a  sou- 
tenu et  la  commission  des  missions  a  voté  les  fonds  avec 
lesquels  nous  sommes  partis.  Nous  devions  explorer  la 
vallée  du  Haut  Oxusel  tâcher  de  pénétrer  dans  le  Kafiristan. 
M.  Capus  devait  s'occuper  d'histoire  naturelle,  M.  Pépin, 
mon  ami  d'enfance,  devait  dessiner  ou  croquer  ce  qu'on  ne 
pourrait  photographier;  j'avais  à  m'occuper  d'histoire  et 
d'ethnographie. 

Nous  ne  regrettons  pas  les  fatigues  et  les  ennuis  de  notre 
long  voyage,  car  nous  en  rapportons  des  renseignements  de 
divers  genresquicontrihuerontà  faire  mieux  connaîtreTAsie. 
Nous  avons  rassemblé  ce  que  nous  avons  pu  d'objets  ethno- 
graphiques, costumes,  ustensiles  etc.;  nous  avons  des  cr:\nes 
des  différentes  races,  des  mensurations  anthropologiques, 
une  collection  d'histoire  naturelle  que  des  notes  complètent, 
des  observations  météorologiques  prises  plusieurs  fois  par 
jour  ;  directions  des  vents,  état  du  ciel,  etc.,  tout  a  été  noté 
autant  que  possible.  Le  thermomètre  nous  a  permis  de 
constater  que  nous  avions  subi  dans  notre  voyage  un  écart 
de  plus  de  100  degrés  (-)-  60*  au  soleil,  —  44°  h  l'ombre); 
après  être  descendu  plus  bas  que  la  mer  sur  les  bords  de  la 
Caspienne,  nous  sommes  montés  à  ti,0<X)  mètres  environ  sur 
le  Pamir.  Nous  avons  des  notes  sur  la  géologie,  sur  la  culture, 
lesirrigations,  des  itinéraires  relevés  avec  soin.  Nous  avons 
des  renseignements  tels  que  l'on  peutafllrmer  que  l'histoire 
d'Asie  doit  Hve  envisagée  à  un  nouveau  point  de  vue.  Nos 
petites  fouilles  de  Termiz  ont  donné  quelques  résultats  inté- 
pessants.  Tous  ces  documents  sont  complétés  par  une  col- 


VOYAGE   DANS   l'aSIE   CENTRALE    ET   AD  PAMIU.         471 

lection  unique  de  croquis,  de  dessins,  d'études  de  notre 
ami  Pépin.  Enfin  nous  avons  exploré  le  Paniir,  traversé 
l'Hindou  Kouch,  l'Hymalaja  et  étudié  les  tribus  curieuses 
qui  peuplent  oes montagnes. 

Avant  de  vous  dire  notre  voyage,  laissez-moi  réparer  un 
oubli  impardonnable  que  j'allais  commettre.  J'allais  oublier 
de  remercier  des  absents  ;  il  ne  faut  pas  qu'ils  aient  toujours 
tort. 

Disons  donc  merci  et  bien  haut  à  nos  amis  russes  du 
Turkestan,  au  général  Kamaroff,  au  général  Anneiikoff,  au 
général  Iranoff  et  enfin  au  général  KaralkofTdont  les  con- 
seils nous  ont  été  précieux.  Ajoutons  à  cette  liste,  qui  na 
saurait  Être  trop  longue,  le  nom  des  capitaines  Grombt- 
chefski,  Giouclianovski,  qui  nous  ont  tant  aidés,  et  celui  de 
M.  Muller,  de  Tachlcent,  un  Français,  un  ami  d'un  dévoue- 
ment rare. 

Nous  remercions  aussi  lord  Dufferin  et  M.  Durand,  qui 
sont  intervenus  si  efficacement,  lors  de  notre  arrestation  à 
Tchatral,  et  qui  nous  ont  aimablement  reçus  à  Simla. 

Il  me  reste  à  dire  que  nous  serons  toujours  sincèrement 
reconnaissants  h  M.  de  Balachoiï  de  la  générosité  avec 
laquelle  il  nous  a  aidés  alors  que  nous  étions  dénués  de  tout. 
C'est  une  générosité  dont  il  est  coulumier  et  qui  ne  nous 
a  pas  surpris,  car  nous  avions  appris  à  connaître  le  bon 
cneur  de  la  nation  russe,  et  c'est  la  sienne. 

En  décembre  1880  et  en  janvier  1887,  nous  faisons  nos 
préparatils,  et  en  février  nous  nous  embarquons  à  Marseille. 
Nous  touchons  à  Conslanfinople,  h  Samsoun,  à  Trébizonde, 
et  débarquons  à  lîatoum,  le  Bercy  du  napbte  et  du  pélrole. 
Le  chemin  de  fernous  emporte  sur  Tiflis,  à  travers  des  forêts 
vierges,  des  paysages  grandioses  animés  par  des  peuples  aux 
costumes  pittoresques.  A  Tiflis  nous  attendons  les  papiers 
qui  doivent  nous  faciliter  l'entrée  de  la  Transcaspie,  con- 
quise récemment  par  les  Russes.  Grâce  à  la  bienveillance  d-u 
gouverneur  généralDondoukoff  et  à  l'intermédiaire  de  notre 


m 


VOYAGE   DANS   F.  ASIE   CENTRALE   ET   AU   PAMIR. 


obligeant  consul,  M.  Meyer,  les  «  lettres  auverles»  nous  ar- 
rivent et  nous  poursuivons  noire  route,  décidés  à  quitter  le 
chemin  de  fer  à  Hadji  Caboul,  pour  gagner  ta  route  postale 
de  Perse  par  le  pays  peu  connu  du  Talych.  Le  gros  de  nos 
bagages  arriva  par  mer  de  Bakou  à  Enzeli,  et  de  là  à  Téhéran 
par  caravane.  M,  de  Balloy,  notre  Ministre  plénipotentiaire 
en  Perse,  qui  regagne  sa  résidence  avec  sa  jeune  femme,  a 
bien  voulu  joindre  nos  bagages  aux  siens  et  les  confiep  à  ses 
serviteurs.  Après  nous  fttre  donné  rendez-vous  à  Téhéran, 
nous  partons  pour  Lenkoran  laissant  h  notre  droite  la  steppe 
de  Karabagh,  traversant  la  Koura  à  Saliane  et  gagnant  Len- 
koran par  des  boues  épaisses,  des  marécages  fiévreux  et  sous 
une  pluie  battante.  C'est  que  nous  sommes  près  du  Guilan 
ou  pays  des  boues.  A  Astara  nous  quittons  le  territoire  russe, 
dont  la  frontière  est  marquée  par  une  rivière  qu'on  peut 
traverser  à  gué  s'il  ne  pleut  pas  et  en  pirogue  si  les  eaux  sont 
hautes. 

Nous  sommes  en  Perse,dans  ce  pays  d'impénétrables  forCIs, 
habitées  par  des  peuplades  clairsemées  d'origine  turque,  qui 
vivent  à  peu  près  indépendantes  et  ne  reconnaissent  guère 
que  l'autorité  des  khans  autour  desquels  elles  se  groupent. 
Nous  avons  de  vingt-cinq  à  trente  cours  d'eau  à  franchir 
pour  arriver  à  Recht.  Tantôt  nous  passons  dans  la  mer  et 
les  vagues  viennentmourirentre  les  jambes  de  nos  chevaux, 
tantôt  nous  suivons  d'étroits  sentiers  taillés  dans  les  forêts 
vierges  et  l'homme  qui  va  devant  élague  les  branches  épi- 
neuses qui  pourraient  nous  déchirer  la  face;  dans  des  clai- 
rières marécageuses,  nous  apercevons  des  maisons  en  bois 
couvertes  de  chaume,  autour  desquelles  errent  des  hommes 
armés  de  grandes  serpes  à  manche  très  long.  Ils  vivent  de 
l'exploitation  des  forêts,  de  pftche,  de  chasse  et  de  brigan- 
dage. Nous  ne  faisons  que  toucher  à  Enzeli  et  par  Recht,  la 
passe  de  Karzan,  Kazvin,  nous  gagnons  Téhéran.  C'est  là 
que  nous  trouvons  le  gros  de  nos  bagages  chez  M.  de  Ballojr, 
qui  nous  offre  la  plus  gracieuse  hospitalité. 


i 


\ 


VOïACE  DANS   L'ASIE   CENTRALE   ET  AU   PAMIR.  473 

Nous  visitons  liages,  le  vieux  Yéramiac  oîi  se  trouvent 
des  mosquées  superbes  vouées  à  une  destructioa  inévitable, 
et  dès  que  nous  avons  préparé  notre  caravane,  obtenu  les 
papiers  indispensables,  nous  partons  pour  Mesched.  Nous 
traversons  Simuan,  Ghahroud,  Bostan,  Sebzevar,  Nicbapour, 
souvent  nous  faisons  roule  avec  des  bandes  de  pèlerins  al- 
lant prier  sur  le  tombeau  de  l'imam  Hiza,  à  Mesched^  Dans 
le  nombre  ou  compte  beaucoup  d'Arabes  que  les  Persans 
exploitent  de  leur  mieux.  Nous  assistons  dans  les  caravan- 
sérails à  des  prières  inénarrables.  Nous  restons  à  Mesched 
le  temps  de  constater  que  nous  ne  pouvions  pénétrer  en 
Afghanistan,  ni  visiter  le  pays  des  Hazarùs,  pour  gagner 
Merv  par  le  Kouchk  etMourgab. 

Nous  nous  en  allons  par  la  vallée  du  Kchef  etla  passe  de 
Mazraa  à  Sarakhs. 

C'est  là  que  nousfrancbissonsleTedjendaux  flots  de  boue, 
et  que  nous  nous  trouvons  pour  la  seconde  fois  sur  le  ter- 
ritoire de  l'immense  empire  russe.  La  chaleur  est  torride; 
c'est  en  compagnie  d'une  grande  soif  que  nous  avons  fait  le 
chemin  de  Mesched  h  Sarakhs  et  que  nous  le  poursuivons 
jusqu'à  Merv  à  travers  un  désert  encore  plus  pénible  que  le 
précédent.  Nous  visitons  les  vieux  Merv,  Askhabad,  les 
ruines  de  Bagrlm,  et,  après  avoir  assisté  le  14  juillet  à  l'inau- 
guration du  chemin  de  fer  à  Merv,  nous  remercions  le  général 
Kamaroff,  le  général  AnnenkolT  dont  vous  savez  l'œuvre 
étonnante,  et  nous  parlons  pour  Tchardjoui,  à  travers  un 
désert  dont  M.  Cotleau  a  pu  apprécier  la  nudité  et  l'horreur 
en  le  traversant  eu  chemin  de  1er  i'année  suivante. 

Notra  iulenlion  n'était  pas  de  suivre  cette  direction,  nous 
voulions  entrer  eu  Aighanistan,  soit  du  côté  de  Penjdeb, 
soit  du  côté  de  Maïmené,  mais  une  mission  scientifique 
russe  ayant  échoué  de  ce  côté  pour  des  raisons  diploma- 
tiques, je  crois,  il  nous  fallut  bien  modifier  nos  plans  et 
traverser  le  désert.  Au  puits  de  Ilepetek,  nous  avons  con- 
staté 46"  h  lombri;,  à  4-  heures  de  l'après-midi 5  il  est  pro- 


k^É 


ii 


474  VOYAGE  DANS   l'ASIE   CENTRALE   ET  AU   PAillH. 

bable  que  durant  notre  sommeil  le  thermomètre  a  marqué 
davantage,  car  vous  pensez  bien  que  sous  un  cie!  pareil  on 
voyage  surtout  la  nuit  pour  se  reposer  le  jour.  Depuis 
Mesched  c'était  notre  manière  de  faire. 

De  Tchardjoui,  nous  avons  gagné  rapidement  Bokbara, 
puis  Samarcande.  A  Samarcande,  nous  avons  pris  un  peu  de 
repos  et  en  même  temps  préparé  notre  voyage  du  côté  de 
Balkh,  enpays  afghan.  Nous  avions  pourprogrammo  de  visi- 
ter le  Kafiristan  et  nous  vouliunsatteindre  ce  pays  par  laroute 
la  plus  intéressante.  Malheureusement  la  diplomatie  euro- 
péenne était  en  éveil,  la  commission  de  délimitation  était 
très  occupée  à  délimiter,  les  populations  de  l'Amou  Darya 
étaient  inquiètes,  et  les  Afghans  étaient  sur  pied^  mis  en 
défiance  par  les  venues  et  les  allées  des  Anglais  et  des  Russes. 
Le  moment  n'était  donc  pas  très  favorable  à  une  exploration 
de  ce  pays  peu  hospitalier  en  temps  ordinaire.  Mais  nous 
avions  une  tâche  tracée,  un  devoir  à  remplir,  e»  nous  réso- 
lûmes de  tenter  l'aventure,  malgré  les  avertissements  de 
nos  amis  de  Samarcande.  A  part  notre  Racbmcd,  qui  avait 
déjà  parcouru  avec  nous  une  bonne  partie  de  l'Asie  cen- 
trale durant  notre  premier  voyage,  nous  ne  pûmes  trouver 
un  indigène  qui  voulût  nous  accompagner,el  cependant  nous 
offrions  des  salaires  très  considérables.  Mais  la  seule  pensée 
d'avoir  à  traverser  l'Amou  Darya  décourageait  les  plus 
braves,  et  ils  s'en  allaient  immédiatement,  disant  qu'ils  se 
.  souciaient  peu  d'avoir  la  ICte  tranchée  comme  te!  ou  tel  de 
leurs  camarades,  qui  n'avait  jamais  repassé  le  fleuve. 

Nous  partons  donc  pour  l'Afghanistan  n'ayantqucnos  deux 
fidèles  Rachmed  et  Menas  de  Saraklis  et  des  hommes  loués 
pour  quelque»  jours,  que  nous  remplacerons  au  fur  et  à 
mesure. 

Nous  traversons  le  Chahri'Sabz,  Yakabag,  et,  par  la  passe 
de  Sanguirdak  de  14,000  pieds  qui  est  assez  difficile,  nous 
tombons  dans  la  vallée  du  Sourkhane,  à  Saridjoui.  De  Sarid- 
joui  nous  allons  à  Hissar,  dont  la  vaste  et  pittoresque  for- 


VOYAGE   DANS   LASIE   CENTUALE   ET   AU   PAMIR.  4i& 

teresse  vient  d'être  abandonnée  par  le  frère  de  l'émir  du 
Bokhara.  Elle  était  devenue  le  rendez-vous  des  raéconlenls 
et  des  partis.ins  des  vieilles  idées.  Selon  la  loi  le  maître  du 
llissar  étant  l'aîné  de  la  famille,  avait  droit  au  Irûne  laissé 
vacant  par  la  mort  de  Mozaffer-Eddiu,  son  père,  mais 
celui-ci  avait  désigné  pour  successeur  son  second  flls,  d'une 
intelligence  assea  remarquable,  paraîl-il.  L'aîné  avait  tenté 
de  fermenter  un  soulèvement  :  il  avait  cherché  uu  appui  à 
l'extérieur,  et  tant  qu'il  avait  compté  qu'on  l'aiderait,  il 
avait  fait  ferme  au\  envoyés  de  son  frère  qui  l'engageaienl 
à  se  soumettre,  à  transiger. 

Puis,  tout  espoir  de  lutter  avec  succès  s'étant  évanoui 
lors  de  l'éloigneraenl  de  la  commission  anglaise  et  certain 
que  les  Russes  soutenaient  le  nouvel  émir,  il  rendit  les 
armes,  dispersa  ses  partisans  et  s'enfuit  à  Baïssounne  dans 
une  forteresse  assez  piètre,  où  il  respire  un  air  pur  sous  la 
surveillance  des  hommes  de  son  frère. 

Voilà  pourquoi  nous  avons  pu  visiter  de  fond  en  comble 
la  plusinléressante  demeure  féodale  de  l'Asie,  parce  qu'elle 
est  la  plus  coinpièle.  Nous  n'en  ferons  pas  la  description. 
De  Hissar  nous  atteignons  la  vallée  du  Kafirnagan,que  nous 
suivons  jusqu'au  point  où  la  rivière  se  jette  dans  l'Aniou 
[Darya.  Nous  n'avons  pas  trouvé  dans  cette  région  intéres- 
sante les  ruines  importantes  qu'on  nous  avait  dit  y  exister. 

Nous  longeons  ensuite  le  majestueux  Amou,  car  il  s'agit 
pour  nous  de  passer  en  Afghanistan.  De  l'embouchure  du 
Kafirnagan,  nous  apercevons  au  sud-est  les  cimes  de  l'Hin- 
dou Kouch^  qui  se  dresse  comme  une  muraille  entre  les 
KâQrs  et  les  gens  de  la  plaine  bactrienne. 

Nous  nous  en  éloijçuons  à  regret,  mais  il  faut  dépister  les 
Afghans,  qui  ont  des  espions  très  nombreux  dans  le  Bokhara, 
et  qui  savent  bien  que  nous  irons  chez  eux.  Nous  voudrions 
pouvoir  pénétrer  inopinément  dans  le  pays,  de  sorte  qu'on 
ne  puisse  nous  arrÊlcr  sur  le  seuil  de  la  porte,  et  nous  em- 
pêcher de  prendre  langue  et  d'entamer  des  iiégocialioos 


476         VOYAGE  DANS  l'aSIE   CENTRALE   ET   AU   PAMin. 

avec  les  autorités,  au  cas  où  notre  présence  ne  serait  pas 
trop  déplaisante.  Les  Bokhares  nous  dissuadent  d'y  aller 
sous  couleur  qu'il  y  va  de  noire  vie,  mais  nous  sommes 
tous  d'accord  qu'il  faut  voir  et  ne  s'en  pas  laisser  imposer 
par  des  récils  terriQants.  Nous  allons  donc  donner  quelques 
coups  de  pioche  dans  l'immense  ruine  de  Terraiz,  puis  lais- 
.  sanl  la  besogne  commencée,  après  quelques  rûsuUals  signi- 
flcatifs,  nous  maichoQS  rapidement  vers Tchoucbka  Gouzar. 
Nous  contions  nos  bagages  et  nos  collections  à  la  garde 
d'un  homme  sûr,  et  nous  passons  le  fleuve  avec  ce  qu'il  faut 
pour  travailler,  nous  réservant  défaire  venir  le  reste  de  nos 
impedimenta  si  la  roule  est  belle.  Si  les  affaires  tournaient 
mal,  on  devait  faire  parvenir  notre  avoir  aux  autorités  russes 
et  de  là  en  France. 

Nous  n'avons  pas  eu  Taccasion  d'assister  à  la  triste  sépa- 
ration d'Urphée  et  d'Eurydice,  nous  doutons  pourtant  que  eu 
tendre  époux  ail  eu  une  flgurc  plus  lamentable  en  voyant 
s'éloigner  la  barque  de  Caron,  que  les  Bokhares,  qui,  de  la 
rive,  regardaient  partir  en  leur  disant  adieu  le  mirza  et  les 
deux  muletiers  qui  nous  accompagnaient  malgré  eus.  On 
eût  dit  que  nous  partions  pour  le  royaume  des  ombres. 

Nous  étions  accompagnés  cependant  par  des  gens,  un  peu 
de  sac  et  de  corde,  mais  les  Afghans  causent  un  tel  cQ'roi 
aux  indigènes  de  l'Asie,  que  la  perspective  de  tomber  dans 
leurs  mains  tcriifiait  positivement  nos  recrues  de  la  dernière 
heure. 

Nous  n'avons  pas  le  temps  de  vous  dire  comment  nous 
sommes  arrêtés  à  quelques  lieues  de  la  rive,  comment  on 
nous  garde  à  vue  durant  vingt-six  jours,  et  comment  fina- 
lement nous  sommes  relâchés  sans  grand  inconvénient,  gr&ce 
surtout  à  ce  que  l'on  nous  tienl  pour  des  Russes. 

Nous  retournons  alors  à  ïcrmis,  nous  faisons  quelques 
fouilles,  et  lorsque  l'hiver  menace,  nous  remontons  la  vallée 
du  Sourkhane  et  la  quittons  après  avoir  trouvé  les  traces  d'un 
aqueduc  en  ruines,  qui  amenait  autrefois  l'eau  et  la  vie  à  la 


VOÏACE  DANS  L'aSIE  CENTRALE    ET   AD   PAMIR .  477 

grande  ville  de  Termis,  abandonnée  depuis  longtemps.  Elle 
se  reforme  à  PatLa-Kissar,  où  n'existaient  que  quelques 
bulles  il  y  a  six  ans  et  qui  compte  maintenant  deux  milliers 
d'habitants,  peul-ÊLre  plus. 

Nous  sommes  rentrés  à  Sanaarcande  par  Baïssounne,  le 
délilé  de  Tchaklcbak,  Gouzar  et  Djame.  Le  16  décembre  nous 
étions  à  Samarcande.  Nous  nous  reposions  un  peu  de  notre 
excursion  de  trois  mois,  quatid  nous  apprîmes  l'arrivée  du 
général  Karalkoff,  notre  ancien  hôte  et  notre  ami.  Nous  lui 
contâmes  nos  déboires,  nous  lui  confiâmes  notre  désir 
d'arriver  aux  Indes,  et  la  conversation  tomba  iout  naturelle- 
ment sur  le  Pamir,  cette  sorte  de  pôle  Nord  des  voyageurs 
dans  l'Asie  centrale.  On  parla  aussi  de  la  route  des  Indes, 
la  grande  route  qui  traverse  le  Ferghanah,  le  Terek  Davan, 
Kachgar,  Yarkand,  le  Karakoroum  Ladack  ou  Leh.  C'est 
par  là  que  passent  les  caravanes  venant  de  l'Indouslan; 
elles  ne  rencontrent  pas  de  bleu  grandes  difficullés;  les 
passes  du  Karakoroum  sont  libres,  même  en  biver,  et  les 
autorités  chinoises  ne  tracassent  point  les  marchands  outre 
mesure.  Nous  n'étions  malheureusement  pas  assurés  d'un 
bon  accueil  :  notre  qualité  de  Français  n'aurait  pas  été  une 
recommandation  auprès  du  gouverneur  de  la  Kachgarie. 
L'administrateur  chinois  nous  aurait  certainement  fait 
bonne  mine  pour  nous  inviter  à  attendre  patiemment  les 
instructions  qu'il  aurait  demandées  à  Pékin.  Comme  on  ne 
fait  encore  usage,  dans  ce  pays  intéressant,  ni  du  télé- 
graphe ni  du  téléphone,  la  réponse  eut  été  sans  doute  reçue 
un  peu  tard, 

Ajoutez  à  cela  que  la  route  de  Kachgarie  nous  attirait 
moins  que  celle  du  Pamir,  et  vous  comprendrez  que, 
malgré  les  plus  sinistres  prédictions,  nous  ayions  aban- 
donné la  première  pour  nons  risquer  à  travers  les  neiges  du 
«  Toit  du  monde  ». 

L«s  personnes  qui  voulaient  nous  dissuader  de  tenter 
l'aventure,  nous  objeclaienlqup,  l'énorme  quantité  déneige, 


478  VOYAGE   DANS   L'ASIE   CENTRALE   ET  AD   PAMIR. 

la  raréfaction  de  l'air,  la  faiblesse  provenant  de  l'altitude, 
le  froid  excessif  étaient  des  obstacles  insurmontables,  que 
nous  courions  à  un  échec  certain,  que  si  nous  voulions 
aller  jusqu'au  bout,  quand  môme,  c'était  la  mort  assurée. 
El  puis  il  y  avait  les  Chinois,  les  Afghans,  les  tribus  sau- 
vages de  l'Hindou  Kouch,  du  Yaguistan.  D'autres  nous 
conseillaient  d'attendre  l'été  :  les  passes  seraient  alors  libres 
et  lo  Pamir  nous  fournirait  de  Therbe,  du  combustible,  des 
hommes.  Deux  personnes  seulement  pensaient  qu'il  fallait 
essayer,  que  peut-être  nous  réussirions,  car  on  leur  avait 
dit  que  le  Kizil-Art  n'était  pas  obstrué  par  la  neige  et  que 
les  hautes  vallées  n'étaient  jamais  impraticables.  Mais  ce 
n'était  là  que  des  on-dit,  pas  un  renseignement  n'était 
sûr,  et  c'était  précisément  celte  incerlilude  qui  contri- 
buait à  nous  faire  voir  l'avenir  sous  des  couleurs  riantes. 
En  effet,  si  le  bien  qu'on  nous  prédisait  n'était  pas 
certain,  le  mal  ne  l'élall  pas  non  plus. 

Grâce  à  l'hiver,  nous  étions  assurés  de  ne  pas  rencontrer 
grand  monde  là-haut  :  le  froid  polaire  oblige  à  descendre 
dans  la  plaine  les  Kara  Kirghis  que  les  copieux  pâturages 
attirent  dansk  vallée  de  l'Ak-Sou  ou  de  l'Oxus,  durant  les 
mois  de  juillet  et  d'aoftt.  Pour  la  môme  raison,  les  Afghans 
n'auraient  pas  de  poste  à  la  frontière  du  Wakane,  les  lacs 
seraient  gelés  et  l'on  ne  serait  pas  obligé  de  les  contourner; 
les  rivières  pourraient,  à  l'occasion,  nous  ofl'rir  une  roule  de 
glace  très  facile  aux  endroits  où  les  berges  ne  sont  point 
hautes  el  ne  retiennent  pas  la  neige  en  amas  considérables. 
Tels  étaient  les  avantages  qu'offrait  une  expédilion  durant 
l'hiver,  sans  compter  Tintérôl  scienlilique  qu'il  y  avait  à 
savoir  ce  qu'était  le  Pamir  en  cette  dure  saison.  Il  s'agissait 
de  dévoiler  un  mystère  géographique  :  n'y  avail-il  pas  de 
quoi  nous  tenter,  de  quoi  nous  faire  fermer  l'oreille  aux  dis- 
cours de  ceux  qui  nous  taxaieuL  de  folie?  Il  s'agissait  aussi 
pour  nous  de  la  réalisation  d'un  rêve  longuement  caressé  : 
d'arriver  aux  Indes  par  terre.  Avouez  que  c'étaient  là  des 


VOYAGE  DANS   L'ASIE  CENTHALE   ET  AI]   PAMIU. 


470 


raisons  nécessaires  et  suffisantes  pour  que  nous  fussions  au 
moins  imprudents.  Au  reste,  on  n'est  imprudent  en  voyage 
que  lorsqu'on  ne  réussit  pas,  que  lorsqu'on  succombe 
comme  Crevaux,  comme  Billel,  comme  tant  d'autres.  Or, 
nous  voici  parmi  vous  tous  les  trois. 

Une  fois  ]a  décision  prise,  après  avoir  rassemblé  tous  les 
renseignements  susceptibles  de  nous  éclairer,  il  nous  restait 
à  organiser  l'expédition,  et  à  choisir  entre  les  passes  qui 
devaient  nous  donner  accès  à  la  grande  vallée  de  l'AIaï, 
puis  au  Pamir. 

Nous  ne  vous  exposerons  pas  ici  le  détail  des  objets  indis- 
pensables à  l'exéculiou  de  notre  entreprise;  ce  serait  une 
énumération  peut-être  fastidieuse  à  la  longue.  Nous  avions 
à  traverser  un  désert  à  la  température  du  pôle,  souvent 
plus  haut  que  la  cime  du  Mont  Blanc,  où  nous  n'avions  ni 
combustible,  ni  fourrage,  ni  abri,  rien,  rien  que  la  neige  et 
de  fréquentes  tempêtes  en  perspective,  qu'on  disait  être 
épouvantables.  11  fallait  s'armer  contre  ces  difficultés  et 
contre  les  quelques  bandes  de  brigands  kirghis,  rebut  des 
tribus  de  la  plaine,  que  les  vendettas  qui  les  menacent 
obligent  à  se  réfugier  dans  les  vallées  les  mieux  abrités, 
ainsi  que  font  les  bêtes  méchantes  chassées  de  partout. 

Notre  première  préoccupation  était  de  nous  procurer  du 
feu  et  nous  avons  rempli  des  bidons  de  pétrole,  d'esprit  de 
vin;  acheté  de  l'amadou  ;  une  incalculable  quantité  déboîtes 
d'allumelles;  une  plaque  de  tôle  qui  devait  être  l'àlre  du 
foyer  improvisé  chaque  soir,  et  nous  permettrait  d'obtenir 
plus  vile  que  sur  la  neige,  la  llanimue  brillante  qui  vous 
réjouit  le  cœur  et  fait  chanter  la  marmite.  Puis  <ies  bêches, 
d6s  pioches,  des  haches^  du  sucre,  du  thé,  du  mouton 
fumé,  du  poisson  fumé,  qui  devait  être  notre  grande  res- 
source si  la  situation  élant  désespérée,  il  nous  fallait  tout 
abandonner  et  fuir.  Alors,  on  preud  les  notes  sur  sa  poi- 
trine, chacun  fourre  dans  sa  pelisse  quelques  livres  de 
poisson  fumé,  et,  ayant  des  vivres  pour  quelques  jours,  on 


480 


VOYAGE  I>ANS  L  ASIE  CENTRALE   ET  kV  PAHin. 


s'en  va  là  où  on  peut,  avec  une  bonne  provision  de  car- 
touches, le  fusil  au  poing.  Nous  renouvelons  égalemenl  la 
pharmacie;  on  n'oublie  pas  les  onguents  utiles,  en  cas  de 
gel  d'un  membre  ou  d'une  ejtlréraité.  On  fait  provision  de 
clous  et  de  t'ers  pour  les  chevaux  quand  ils  seront  dans  la 
montagne  caillouteuse,  et  tout  ce  qu'il  faut  pour  ferrer,  et  ■ 
les  piquets  en  fer  pour  la  lente  et  la  corde  à  laquelle  on 
attache  les  chevaux,  etc.  A  de  grandes  altitudes  l'homme 
est  sujet  a  des  délaillances  et  nous  avons  acheté  des  abri- 
cols  séchés,  du  millet  grillé  h  l'avance  :  pour  se  réconforter  ■ 
on  suce  un  abricot,  on  grignote  une  poignée  de  millet,  et  ' 
cela  vous  donne  du  jarret. 

Nous  devions  rencontrer  des  êtres  plus  ou  moins  bienveil»  V 
lants  :  nous  avons  acheté  peureux  quelques  menus  objets, 
des  pièces  d'étolTe  de  soie  et  de  cotonnade  et  de  ces  riens 
qui  plaisent  aux  sauvages  des  deux  sexes  sans  oublier  pour 
cela  les  arguments  concluants,  ceux  dont  usent  les  peuples 
quand  les  diplomates  reconnaissent  leur  impuissance,  j'en- 
tends de  bons  fusils  de  guerre,  winchester  berdane,  des 
revolvers,  pour  nos  iidèles  qui  avaient  en  outre  leurs  sabres 
et  leurs  couteaux. 

Il  importait  d'être  convenablement  vêtu,  c'esl-à-direl 
chaudement.  Voici  en  quoi  consistait  noire  harnachement 
qui  nous  faisait  ressembler  en  mal  à  des  mastodontes,  h  des 
animaux  bizarres,  aux  membres  gontlés,  au  corps  étrange- 
ment boursouilé.  C'était  en  bas,  des  valinki  ou  bottes  en 
feutre  double,  garnis  de  cuir  sur  les  coutures  et  au  pied, 
là-dedans  s'enfilait  un  bas  de  feutre  souple  de  Kachgar 
montant  plus  haut  que  le  genou;  puis  une  culotte  ouatée, 
et,  par  là-dessus,  un  vaste  pantalon  de  cuir  ayant  un  fond 
fantastique  dans  lequel  entrait  une  première  pelisse  col- 
lante en  mouton  de  Kachgar,  à  pans  très  longs,  appelés 
bechinct.  Sur  cette  pelisse  on  en  mettait  une  autre  nommée 
toidoup,  très  large,  u.  manches  très  amples  et  très  longues 
mais  très  étroites  du  côté  de  la  main  qui   s'y  abrite  du 


VOYAGE  DANS  L  ASIE   CENTRALE   ET  AU  PAMIR. 


481 


froid  et  du  vent.  Sur  la  tête  on  avait  d'abord  un  tépé, 
bonnet  conique  en  peau  t/e  mouton,  s'enfonçant  plus  bas 
que  tes  oreilles;  puis  une  sorte  de  capuchon  ajusté  à  la 
tête,  tombant  sur  le  cou  et  les  épaules  cl  taillé  de  telle  sorte 
par  devant  qu'on  pouvait  le  croiser  sur  la  figure  de  façon  il 
cacher  la  bouche  et  le  nez  auxquels  on  s'intéresse  toujours 
dans  les  climats  froids.  Les  yeux  étaient  garantis  par  des 
lunettes  bombées  et  bleues.  Le  tout  était  serré  par  la  cein- 
ture oh  'pendait  le  revolver,  et  en  bandoulière  nous  avions 
un  fusil.  Vous  comprenez  facilement  que  nous  n'avions  pas 
alors  l'alldre  pittoresque  de  nos  preux  chevaliers  du  temps 
jadis,  et  que  l'on  pouvait  surtout  nous  comparer  aux  plon- 
geurs costumés  du  scaphandre  élégant  que  vous  avez  sans 
doute  vu  prenant  l'air  sur  la  berge  de  la  Seine. 

Nous  pourrions  vous  donner  bien  d'autres  détails,  mais 
nous  n'avons  pas  un  instant  à  perdre,  car  il  nous  arrive  à 
Marguilane,  où  nous  faisons  nos  préparatifs,  chez  l'excellent 
général  Karaikoff,  une  dépêche  d'Osch,  annonçant  que  la 
neige  tombe  sans  interruption,  que  le  chemin  de  Terek- 
Davan  est  à  peine  praticable  et  que  les  passes  de  l'Alaï  sont 
fermées  à  partir  d'Osch, 

Pour  arriver  à  !a  haute  vallée  de  l'Alaï,  nous  avions  le 
choix  entre  trois  passes  :  celle  de  Tengiz-Baï,  de  Touyoun- 
Mouroum  à  l'ouest  d'Irkestame,  et  du  Taldik,  située  à  peu 
près  au  sud  d'Osch  et  la  plus  proche  de  la  passe  deKizil-Art, 
la  seule  qui  nous  conduise  aux  hautes  vallées  du  Pamir. 
A  Marguilane,  on  nous  conseillait  de  passer  par  le  Tengiz- 
baï,  mais  il  eût  fallu  huit  jours  de  marche,  au  moins,  dans 
la  vallée  de  l'Alaï  pour  arriver  au  pied  du  Kizjl-Art,  par 
Irkestame;  c'était  un  détour  et  une  perle  de  temps  de 
dix  jours,  de  quinze  peut-être,  sans  compter  la  perspective 
de  ti'ouver  fermée  la  passe  deTouyoun-Mouroum  qui  barre 
l'Alaï.  Aussi  je  partis  immédiatement  pour  Osch,  accom- 
pagné du  capitaine  Grombtchefskî,  afin  de  questionner  les 
indigènes  sur  place,  et  de  savoir  si,   en  employant   un 


4.82  VOYAGE   DANS   L'ASIE   CENTRALE   ET   AU   PAMIR. 

nombre  d'hommes  assez  considérable,  on  ne  pourrait  pas 
nous  transporter  au  delà  du  Taldik. 

Après  de  nombreux  conciliabules  avec  les  khans  kirghis, 
nous  tombâmes  enfin  d'accord.  C'élail  affaire  entendue,  les 
khans  rassembleraient  des  hommes,  des  chevaux  à  Ak  Ba- 
joga;  on  nous  piétinerait  la  route  et  tant  bien  que  mal  on 
porterait  les  bagages  au  bas  du  versant  sud  de  la  première 
chaîne  de  raonlagiies.  Je  prévins  de  suite  mes  compagnons 
de  quitter  Marguilane  le  plus  vite  possible,  et  d'achever  les 
achats  qui  devaient  être  faits  en  ville.  Aussitôt  je  discutai 
avec  les  khans  et  le  capitaino  Grombtchelski  de  ta  durée 
probable  du  voyage,  de  façon  à  fréter  notre  caravane  en 
conséquence.  Je  doublai  le  chiffre  le  plus  élevé  fixé  par  le 
khan  le  plus  pessimiste,  et  sur  cette  base  fut  établie  la 
quantité  de  vivres  à  emporter.  Lorsque  le  poids  de  chaque 
chose  fut  calculé  approximativement,  on  additionna,  et, 
au  moyen  d'une  division,  on  sut  le  nombre  de  chevaux  in- 
dispensable. 

On  fit  cuire  du  biscuit  pour  huit  personnes  et  pour  deux 
mois,  on  acheta  de  la  graisse  de  mouton  et  de  l'huile;  on 
prépara  de  la  viande  bouillie  une  fois  qu'on  sala;  on  acheta 
vingt  chevaux  à  Osch;  seize  furent  munis  de  selles  de  bat 
et  tous  eurent  des  pièces  de  feutre  pour  les  couvrir.  Les 
chevaux  prêts,  nous  partîmes  le  6  mars  pour  Ak-Basoga, 
où  nous  devions  trouver  notre  provision  de  farine,  d'orge, 
quelques  moutons  et  les  gens  qui  allaient  travailler  à  notre 
passage  des  Alpes.  Depuis  près  de  quinze  jours,  la  neige 
tombait  sans  interruption,  et  ce  fut  avec  une  certaine 
appréhension  que  nous  nous  dirigeAmessur  le  Taldik.  Pour 
mon  compte,  je  me  posais  souvent  cette  question  :  Allons- 
nous  pouvoir  passer?  Les  khans  kirghis  eux-mêmes  étaient 
devenus  moins  alOrmatifs.  Chemin  faisant,  nous  avions 
appris  qu'une  caravane  avait  été  anéantie  par  les  avalanches 
dans  le  Terek  Davane.  Nous  n'avions  pas  atteint  sans  peine 
Goultcha.   et  le  jour  de   notre  arrivée  à  Ak-Basnga,  le 


i 


VOYAGî;  dans   KASIE  centrale   et  au  PAMIR. 


483 


i3  mars,  le  renl  soufflait  1res  fort,  la  neige  tombait;  si  le 
vent  ne  cessait  pas,  tout  travail  était  impossible.  Le  froid 
était  déjà  intense;  il  ne  dégelait  pas  dans  la  journée  à 
l'ombre;  au  soleil,  le  13  mars,  nous  constations  -[-  37°  à, 
i  heures  de  l'après-midi,  — 18°  à  9  heures  du  soir.  Et  je  me 
répétais  fréquemment  à  moi-même  :  Pourrons-nous  passer? 
pourrons-nous  franchir  le  Taldik?  Il  importait,  en  effet, 
d'atteindre  l'Alaï  où  la  neige,  disait-on,  ne  serait  pas  trop 
profonde;  de  TÂlal  on  gagnerait  le  Pamir  par  la  grande 
passe  de  Kizil-Art  qu'on  nous  assurait  ne  devoir  pas  f^tre 
fermée  par  la  neige.  Une  fois  sur  le  Pamir,  on  irait  de  l'avant 
du  côté  du  Kandjout,  du  côté  des  Indes,  aussd  loin  qu'on 
pourrait,  jusqu'à  extinction  de  forces.  Il  fallait  donc  à  tout 
prix  arriver  là-haut,  sauf  à  s'en  tirer  de  son  mieux.  Une 
fois  à  l'eau,  on  nage  vers  l'autre  rive.  Eh  bien,  notre  crainte 
était  de  ne  pas  pouvoir  nous  jeter  à  Fean,  c'est-à-dire  sur 
le  Toit  du  monde. 

A  Ak-Basoga,  nous  avait  accompagnés  le  second  du  chef 
du  district  d'Osch,  le  brave  capitaine  Glouchanofski;  d'ac- 
cord avec  les  khans,  il  rassembla  environ  deux  cents  indi- 
gènes, cavaliers  et  piétons,   qui  travaillèrent  durant  trois 
jours  pour  nous  frayer  un  passage  à  travers    la  passe  du 
Taldik.  Le  vent  était  tombé;  le  14  mars  il  y  avait  eu  20°  de 
froid,   de  sorte  que  le  15  mars  au  soir  le  khan  Batir-Bey 
nous  annonça  que  de  suite  on  allait  expédier  en  avant  trente 
chevaux  chargés  de  nos  bagages,  de   nos  provisions  et  de 
bois  pour  six  ou  sept  jours.  Nous  devions  partir  le  lende- 
main dès  que  la  lune  serait  levée,  avec  vingt-quatre  chevaux 
«Je  selle  ou  non  chargés,  que  conduisaient  nos  trois  Kir- 
ghis  :  Sadik,  le  fameux  Djigite,  son  aide  Abdou-Raksoul, 
et  un  certain  Satli-Koul,  bandit  assez  illustre,  transfuge  du 
I*amir,  où  il  avait  habité  autrefois  et  commis  plus  d'un  mé- 
fait. Il  y  avait  en  outre  nos  deux  fidèles  Menas  et  Rachmed. 
Je  me  laisserais  facilement  entraîner  à  vous  conter  en  détail 
notre  marche  silencieuse  au  clair  de  lune,  parce  que  nous 


iSi         VOYAGE   DANS   l'aSIE  CENTRALE   ET   AU   PAMIR. 

voulions  éviter  des  avalanches  qui  menaçaient,  puis  notre] 
ascension,  nos  chûtes,  celles  des  chevaux,  les  peines  inouïes 
que  nous  avons  à  repêcher  les  gens  et  les  bêtes  enfouies] 
dans  les  neiges,  puis  notre  joie  de  nous  voir,  sur  les  huîtl 
heures  du  malin,  en  haut  de  la  passe,  ài,2f)0  mètres.  Je  me 
contenterai  de  vous  dire  qu'à  partir  d'Ak-Basoga  jusqu'au] 
delà  du  Kizil-Art,  nous  allons  supporter  toutes  les  fatigues 
que  vous  pouvez  imaginer.  Je  suis  convaincu  que,  si  la 
neige  avait  été  aussi  profonde  sur  le  Pamir  durant  cinq  jours! 
seulement,  l'expédition  eût  fini  misérablement.  Je  vais  essayer] 
de  vous  dire  l'emploi  d'une  ou  deux  de  nos  journées- 

G'est  le  17  mars;  nous  avons  mis  deux  jours  pour  arriver] 
au  seuil  de  l'Alaï;  nous  sommes  campés  dans  une  gorge  bien 
abritée;  le  beau  temps  persiste:  pas  de  vent.  Hier,  nous 
avons  envoyé  des  Kirghis  en  avant  pour  constater  si  l'Alaï 
a  aussi  peu  de  neige  qu'on  nous  l'avait  annoncé  et  tous,  1 
Sadik  le  premier,  à  mesure  qu'ils  reviennent,  laissent! 
tomber  ce  mot  turc  que  je  ne  crois  pas  oublier  jamais  : 
<  Darabarf  Barabar!  »  C'est  la  même  chose,  nous  disent-ils, 
et  ils  secouent  la  tôle.  Ils  nous  regardent  fixement  pour 
épier  l'impression  que  nous  fait  la  nouvelle  et  ils  ont  l'air 
do  nous  demander  :  (Ju'allez-vous  décider?  Ils  espèrent 
sans  doute  que  nous  allons  retourner  sur  nos  pas.  La  nou- 
velle en  effet  est  grave,  car  nous  n'avons  personne  pour 
nous  tracer  plus  loin  la  route,  pour  chercher  ii  tâtons  les 
bonnes  places.  Une  partie  des  Kirghis  qui  ont  travaillé  dans 
le  Taîdik  sont  déjà  retournés  sur  leurs  pas;  nous  allons 
renvoyer  les  autres,  ils  sont  très  fatigués.  Nous  faisons  un 
cadeau  à  leurs  chefs,  leur  payons  le  complément  de  la 
somme  dont  nous  avions  avancé  la  moitié  avant  le  départ, 
nous  leur  remettons  un  mot  pour  le  géni^ralKaralkoET,  et  ils 
s'éloignent  après  nous  avoir  souhaité  bon  voyage.  Je  monte 
sur  un  rocher  voisin  de  notre  campement;  d'en  haut  on 
domine  les  collines  qui  nous  abritent  et  on  aperçoit  la 
chaîne  de  l'Alaï  et  du  Transalaï.  Je  regarde,  tout  est  blanc. 


VOYAGE   ltAi\S   LASiE   liKNTIlALK    F.T   AU   l'AMIR. 


485 


êbloaissanl,  on  a  la  sensalioa  d'êlre  dans  un  autre  monde, 
d'être  tombé  dans  uneplanèLe  désolée.  J'aperçois  les  collines 
de  la  vallée  de  l'Alaï  enchevêtrées  comme  des  boucliers  blancs 
de  guerriers,  faisant  la  tortue  au  pied  des  cônes  immenses 
et  impassibles  du  Transalaï,  ce  second  rempart  du  Pamir. 

De  quelque  côlé  que  l'œil  se  dirige,  tout  est  blanc,  un 
linceul  immaculé  est  développé  sur  celte  nature  sans  vie, 
au  calme  cadavérique; on  dirait  une  terre  abandouoéedeses 
habitants  partis  pour  un  monde  meilleur. 

Demain  nous  nous  enfoncerons  dans  cet  inconnu^  dont 
les  paysages  morues  semblent  nous  narguer  tranquillement. 
Il  nous  reste  une  cinquantaine  de  chevaux  avec  une  vingtaine 
d'hommes  qui  doivent  allerjusqu'auPHmir,oùi!s  déposeront 
nos  bagages  et  nos  provisions  que  nous  chargerons  sur  tes 
vingt  chevaux  que  nous  réservons  et  dont  tes  cinq  hommes 
qui  constituent  notre  armée  régulière  s'occupent  spéciale- 
ment. Nous  avons  eu  deux  journées  terribles,  on  prévoit 
que  celle  de  demain  sera  chaude  —,  c'est  une  manière  de 
s'exprimer  peu  exacte,  —  et  chacun  se  dispose  à  la  bataille. 
Beaucoup  ont  déjà  les  lèvres  gercées,  les  yeux  malades,  les 
joues  brûlées,  ils  se  soignent  à  leur  façon  et  prennent  les 
mesures  de  précautions  suivantes  :  sur  les  lèvres  ils  appli- 
quent une  feuille  d'une  plante  grasse  qu'on  recueille  seule- 
iienl  dans  l'Ahu  en   été;  ils  se  fabriquent  des   lunettes 
spéciales  avec  du  crin  emprunté  à  la  crinière  des  chevaux; 
ils  en  engagent,  sous  leur  bonnet  de  peau  de   mouton, 
Me  touiïe  qui  retombe  en  broussaille  devant  leurs  yeux, 
qu'elle  garantit  comme  le  font  nos  lunettes  bleues;  quant 
au2  joues,  ils  les  barbouillent  tout  simplement  de  boue  où 
Is  crottin  entre  pour  une  bonne  part  sans  doute.  Cette  toi- 
'*lle  donne  k  nos  Kirghis  naturellement  peu  jolis  l'aspect 
•le  diables  ou  de  potiches  à  physionomie  mogole,  qu'on  se 
^rail  ingénié  à  enlaidir. 
Nous  voudrions  pouvoir  quitter  noire  campement  demain 
int  le  lever  du  soleil,  alinde  prollter  de  la  neige  gelée  qui 

WC,   DK  CEOGH.   —  i'   fHIMESTKE    189U,  XI.  —  32 


18(j 


VOYAGE    DANS    LASJE   CKM'KALE    KT   AU    PAMIR. 


supportera  alors  facilement  des  bêtes  peu  chargées  et  des  . 
hommes.  Ce  départ  est  impossible,  car  dans  la  nuit  il  y  aurafl 
probablement  comme  hier  environ  20  degrés  de  froid,  les 
cordes  gèleront  et  ne  pourront  être  tordues  avant  que  le  _ 
soleil  les  ait  déraidies.  Les  chevaux  seront  chargés  a^ïsexf 
tard,  nous  atteindrons  la  vallée  de  l'Alaï  quand  il  fera  chaud 
déjà,  et  les  difficultés  seront  grandes,  peut-être  insumionla- 
ble».  Mais  que  faire? 

Le  18  mai,  nous  parlons  avec  le  vieux  Sadik  et  deus| 
Kirghis  très  vigoureux,  qui  connaissent  bien  l'Alaï;  Menas 
fait  aussi  partie  de  l'avant-garde.  Abdou-Raskoul,  llachmed 
et  Satti  Koul  suivent  avec  nos  vingt  chevaux  non  chargés  ; 
derrière  viennent  les  trente  chevaux  de  charge  et  le  reste^ 
de  la  troupe. 

Nous  sortons  assez  facilement  de  la  vallée  du  Taldik  en' 
suivant  la  direction  de  la  rivière  qui  nous  porte  sur  sa  glace- 
Nous  voilà  dans  la  vallée  de  l'Alaï,  qui  s'étend  de  l'ouest  h 
l'est,  et  dont  nos  yeux  fatigués  ne  distinguent  pas  la  fin. 
Nous  avons  le  plus  grandiose  ou  tout  au  moins  le  pluS^Ï 
éblouissant  des  spectacles.  Au  nord  c'est  la  barrière  dej 
l'Alaï;  au  sud  se  dressent  les  picsKaull'mann  (20,000  pieds) 
et  du  Kizil  Aguil,  émergeant  du  Transalaï;  la  neige  couvre] 
tout  à  l'exception  des  rochers  aux  parois  lisses  qui  ne  lai 
retiennent  pas.  Il  fuit  un  beau  soleil,  et  la  plaine  qui  s'étale 
ainsi  qu'un  tleuve  entre  deux  berges  colossales,  est  si  écla- 
tante, si  brûlante  par  l'elfet  de  la  réverbération,  que  nous 
croyions  marcher  dans  du  soleil;  et  le  ciel  au-dessus  de^ 
nos  tôles  était  si   terne  en  comparaison  qu'on  l'eût  pris 
pour  cette  terre  prosaïque.  A  nos  pieds  le  scintillement  est] 
tel,  qu'on  croirait  voir  couler  de  la  lumière  sablée  d( 
étoiles  qui  n'eussent  plus  été  à  leur  place  là-haut,  aprèsl 
avoir  été  réduites,  je  ne  sais  par  quelle  magie,  en  unej 
poussière  de  diamants,  impalpable,  aux  reflets  d'une  vibra-' 
lion  incessante  et  insupportable. 

C'est  dans  ce  rayonnemcnl  de  feu  au  soleil,  de  glace  àj 


VOYAGE  DANS  L'ASIE  CENTRALE  ET  AU   PAMIR.         487 

l'ombre,  qu'il  nous  faut  avancer.  Tant  que  nous  longeons  les 
contreforts  de  l'Alaï,  tout  ne  va  pas  trop  mal. 

Il  n'y  a  guère  plus  d'un  mètre  de  neige,  mais  le  moment 
acrive  où  il  faut  absolument  aller  du  nord  au  sud  à  travers 
la  vallée  où  pas  le  moindre  sentier  n'est  visible  bien  en- 
tendu. Les  Kirghis  discutent  un  instant  et  nous  décidons 
de  nous  diriger  droit  par  la  rivière  de  Kizil-Art,  qui  débouche 
dangl'Alaï,  au  pied  delà  passe  menant  au  Pamir.  On  ira  en 
tâtonnant,  en  cherchant  les  places  où  la  neige  est  le  moins 
profonde,  de  façon  que  les  chevaux  chargés  puissent  s'en 
tirer. 

Nous  voilà  dans  la  neige.  Sadikva  devant,  se  laissant  gui- 
der par  soii  flair  d'homme  sauvage.  Durant  une  demi-heure 
noQ8  avançons  sans  que  les  chevaux  s'abattent.  Puis,  sou- 
dain, celui  de  Sadik  enfonce;  malgré  l'habileté  du  cavalier, 
us  efforts,  ses  coups  de  fouet,  il  ne  peut  se  relever,  ni  se 
d%iger.  Sadik  lui-même  est  pris  sous  la  bête  couchée 
wr  le  flanc  et  haletante.  On  leur  prête  aide  et  les  voilà 
tons  les  deux  sur  pied.  C'est  le  commencement  de  la 
i^e  de  chutes  et  de  culbutes  des  jours  précédents.  Sadik 
rt  ses  deux  Kirghis  vont  désormais  se  relayer,  prendre  la 
tMe  à  tour  de  rôle.  Le  chef  de  file  ôte  la  pelisse,  la  pose 
^  son  cheval  qu'il  tire  par  la  bride  et,  de  son  long  bâton, 
ildterche,  à  la  façon  d'un  aveugle,  où  il  doit  aller,  et  on 
IcniL  Nous  traçons  des  zigzags  à  l'inflni,  qui  allongent 
^ucouple  chemin,  et  nous  ne  nous  rapprochons  qu'insen- 
'iblMûent  du  Transalaï  qui  cependant  nous  paraissait  tout 
pfè!.Nous  avançons  tantôt  de  20  mètres  par  minute,  tantôt 
de  10,  parfois  sur  une  crête,  de  60  mètres.  Souvent  nous 
'OQUnes  contraints  de  faire  halte  ;  personne  n'en  peut  plus, 
"018  sommes  sans  souffle,  sans  force,  presque  totalement 
'Tïoglés,  nous  avons  des  maux  de  lête,  des  sufl'ocations  : 
West  étendu  sur  le  dos  à  côté  de  son  cheval  sur  le  flanc  ; 
|«n  antre  se  repose  debout,  la  tête  appuyée  sur  la  selle; 
I  '*ioi-ci  en  retard,  frappe  à  coups  de  fouet  son  pauvre  ani- 


488 


VOYAGE  DAXS  L  ASIE  CENTRALE  ET  AU  PAMIR. 


mal,  à  la  queue  duquel  il  se  cramponne,  comme  un  naufr;  ^ 
à  une  amarre;  on  en  voil  qui  saignent  du  nez,  les  chevaux 
eux-mêmes  perdent  du  sang  par  les  naseaux;  ils  ont  aussi 
sur  le  corps  des  caillots  rouges  là.  où  de  petites  veines 
éclatent.  Un  cheval  a  presque  disparu  dans  un  trou  :  on  le 
hisse,  on  le  traîne  comme  s'il  était  mort  avec  des  cordes 
qu'on  lui  a  glissé  sous  le  ventre,  et  puis  c'est  une  sangle  qui 
rompt  et  il  faut  lu  réparer.  Un  cheval  de  bat  est-il  tombé, 
on  doit  le  décharger  et  ce  n'est  pas  chose  facile  de  desserrer 
les  cordes  qui  raainiiennent  sa  charge;  elles  sont  couvertes 
déglace  et  des  mains  placées  sont  inhabiles  à  résoudre  uti 
nœud.  On  coupe  les  cordes,  on  remet  le  cheval  sur  pied,  ei 
les  coffres  ou  les  ballots  sont  de  nouveau  mis  en  palan.  Par- 
fois, c'est  sur  une  certaine  longueur  qu'il  faut  les  porter  à 
dos  d'homme,  car,  de  quelque  côté  qu'on  se  tourne,   la 
neige  est  profonde  de  2  mètres  :  on  y  plonge  en  entier  les 
bâtons  plus  hauts  qu'un  homme.  Après  avoir  franchi  c^H 
passes  ditflciles  on  se  repose.  On  cherche  dans  quelle  direc™ 
tion  louvoyer,  car  rien  n'engage  à  aller  dans  un  sens  ou 
dans  l'autre;  la  neige  est  sans  vestiges,  bien  unie,  nous 
aga<;.ant  de  sa  masse  vierge,  molle  et  comme  indifférente. 
Si,  par  hasard,  un  loup  a  laissé -sa  (race,  ou  la  suit  aussï 
longtemps  qu'on   peut,  ainsi  qu'un  fil  d'Ariane  dans  ce 
labyrinthe,  que  nous  dessinons  nous-mêmes,  comme  u 
noyé  se  raccroche  à  un  copeau.  Puis,  cette  piste  mène  à  un 
impasse,  à  un  truu  veux-je  dire,  et  l'on  patauge,  on  bal 
en  retraite,  on  cherche  el  Onaleraent  on  va  du  côté  du  Ki»il*; 
Art;  on  se  traîne;  c'est  une  lutte  sans  trêve  contre  cetl* 
blanche  poudre  sans  consistance.  La  caravane  est  sem^, 
sur  la  plaine  comme  les  grains  d'un  chapelet  dont  le  fil 
été  rompu;  les  grains  noirs  se  rassemblent  là  où  un  che' 
ou  bien  un  homme  ayant  fait  une  chute,  arrête  la  m 
de  ceux  qui  suivent,  jusqu'à  ce  qu'on  repêche  les  naufi 
Cette  lutte  dure  de  8  heures  du   matin  à  4  heures  1/ 
du  .'(oir,  sans  qu'on  prenne  de  repos.  Où  faire  halW 


VOYAGE  DANS  L'ASIE  CENTRALE   ET  AU  PAMIR.         489 

Nous  allons  jusqu'à  extinction  de  force.  En  route,  on 
mange  un  peu  de  pain,  un  abricot  séché,  du  millet  grillé, 
dont  on  prend  une  poignée  qu'on  grignotte,  pour  être 
soutenu  jusqu'à  ce  qu'on  arrive  enfin  au  monticule  sur 
lequel  on  campera.  Avec  les  pelles  on  déblaye  la  neige,  puis 
on  étend  les  feutres,  on  dresse  la  tente,  et  on  allume  le  feu 
avec  l'esprit-de-vin  pour  préparer  le  thé  de  ceux  qui  sont  là, 
et  la  bouillie  de  millet  pour  les  affamés  qui  arriveront 
ensuite.  Les  chevaux  sont  mis  à  ban  et  les  misérables 
bètes  s'exténuent  encore  à  creuser  du  pied  la  neige,  afin 
d'atteindre  la  mauvaise  herbe  et  les  racines  ensevelies  plus 
bas.  A  la  nuit  seulement  la  caravane  entière  est  réunie. 
Le  disque  d'or  du  soleil  vient  de  glisser  derrière  les  mon- 
tagnes du  côté  de  la  France,  et  nous  attendons  encore  deux 
ou  trois  chevaux  qui  se  traînent  à  portée  de  fusil.  Vers  sept 
heures  tout  le  monde  a  mangé  sa  bouillie,  bu  le  thé,  les 
chevaux,  qui  ont  dévoré  leur  musette  d'orge,  errent  autour 
des  trois  petits  tertres  où  nous  sommes  campés,  ou  plutôt 
ils  nagent  autour  des  lies  où  nous  nous  sommes  réfugiés 
pour  échapper  à  l'inondation  qui  nous  enveloppe.  La  brise 
est  du  sud-sud-est,  le  Transalaî  est  nuageux  au  sommet, 
les  pics  ont  leurs  panaches,  le  firmament  resplendit  sur  nos 
tètes,  avec  l'éclat  d'un  firmament  qui  n'aurait  jamais  servi, 
W  qu'il  sortit  du  chaos.  La  neige  s'est  éteinte  en  même 
temps  que  le  soleil,  et  la  voûte  bleue  paraît  s'élancer  plus 
haut  que  le  ciel  au-dessus  de  ce  désert  polaire  où  nos  trois 
petits  feux  clignotent,  dernières  étincelles  de  l'embra- 
sement de  la  journée.  La  terre  me  semble  toute  petite  et 
je  nous  trouve  infiniment  petits.  Aussi  vais-je  me  coucher 
après  avoir  pris  mes  notes  et  constaté  qu'à  huit  heures  il 
fait  20  degrés  de  froid. 

Le  lendemain  matin  à  6  heures  1/2  le  thermomètre 
ittarque  24  degrés.  Nous  nous  contons  les  uns  aux  autres 
que  nous  avons  mal  dormi,  que  nous  avions  de  temps  à  autre 
la  sensation  d'étouffer,  que  les  couvertures  nous  pesaient, 


4B0       voYAr.E  DANS  i/asie  centrale  et  au  pamu 

que  la  tête  nous  fait  mal,  que  les  lèvres  nous  brûlent,  que 
les  yeux  et  les  lèvres  nous  cuisent,  bref,  que  les  temps 
sont  durs  ;  mais  nous  conlinuons. 

Nous  vous  avons  conté  avec  quelques  détails  la  manière 
dont  nous  enaployons  la  journée  du  18  mars.  La  journée  du     ii 
19  a  été  pire.  Nous  avons  marché  dix  heures,  nos  bêtes  defl 
charge  ne  sont  arrivées  au  campement  que  le  20  ait  matin, 
et  nous  avons  dormi  dans  notre  costume  de  marche  à  la 
beUe  étoile,  à  côté  d'un  troupeau  de  moutons  et  de  chèvres 
cerné  par  l'hiver  et  dont  les  deux  propriétaires  mangeaient  J 
chaque  jour  un  peu,  n'ayant  pour  tout  ustensile  qu'une  café- 
tière,  pour  tout  combustible  que  la  crotte  de  leur  troupeau, 
dont  ils  avaient  fait  un  feu  qu'ils  entretenaient  soigneuse- 
ment. Ils  faisaient  bouillir  la  viande  dans  l'eau  et  ia  déchi- 
raient à  belles  dents,  c'était  leur  seule  nourriture;  ils  n'a-  ^ 
valent  ni  sel,  ni  farine;  le  bouillon  était  leur  boisson.  fl 

Ne  vous  étonnez  donc  pas  que  le  soir  de  ce  jour-là  notre 
armée  régulière  ait  tenu  des  conciliabules  secrets  avec  les 
irréguliers  et  que  Menas  les  ait  entendus  autour  du  feu  dis- 
cuter un  projet  de  retour  immédiat.  Aussi,  le  lendemain,  fl 
au  réveil,  après  que  nous  eûmes  beaucoup  ri  de  nos  physio-    «' 
nomies  devenues  comiques  par  l'enflure  du  nez,  des  joues  ^ 
et  des  paupières,  notre  premier  soin  fut-iî  d'annoncer  qu'on  I 
se  reposerait  ce  jour-là,  qu'on  mangerait  deux  moutons  du 
Kirghis  de  rencontre,  mais  que  le  lendemain  on  irait  au 
Ki/.il-Art  .sans  manquer,  sous  peine  de  tètes  cassées,  h  cora-< 
mencer  par  la  tête  de  celui  que  nous  appelions  père  Sadik. 
L'annonce  du  repos  et  du  mouton  à  discrétion  produisit  un 
excellent  elfet,  et  l'autre  décision  en  produisit  un  d'un  autre 
genre.  Néanmoins,  le  22  mars  au  soir,  nous  étions  au  sommet 
de  la  passe  du  Kizik\rt,  qui  n'était  pas  du  tout  praticable, 
aussi   à   mi-chemin  le  père  Sadik  me  deraanda-l-il  s'il 
fallait  continuer.  La  vérité  est  qu'il  y  avait  de  quoi  décou- 
rager ces  pauvres  diables  ;  ils  ne  saisissaient  pas  l'intérêt  i 

me  entreprise  qui  leur  paraissait  purement  insensée 


icou- 
ktérêt  M 


VOYAGE  DANS  L  ASIE  CEXTHALE  ET  AU  PAMIR, 


491 


lorsque  je  dis  à  Sadik  :  «  Va  toujours  a,  il  porta  la  main  à 
sa  barbe  avec  4a  résignation  d'un  homme  qui  a  fait  abnéga- 
tion de  sa  vie. 

Pendant  six  heures  ce  fut  une  véritable  ascension;  en  tout 
nous  avons  marché  dix  heures  et  demie  pour  atteindre  les 
crêtes  à  5,000  mètres  dominant  la  passe  et  d'où  nous  aperce- 
vons les  cimes  qui  environnent  le  Kara-Koul  perdu  dans  cet 
océan  infini  dont  les  vagues  sont  do  pierre. 

La  pensée  que  nous  avions  le  pied  sur  le  Pamir  nous 
eftt  l'ait  danser  de  joie  si  le  poids  de  notre  accoutrement 
nous  l'eut  permis.  C'était  en  effet  le  commencement  de  la 
réalisation  de  notre  rêve,  mais  ce  n'en  était  que  le  commen- 
cemeat.  T^ous  devions  craindre  que  le  Pamir,  lui  aussi,  ne 
Ml  couvert  d'une  neige  profonde,  bien  qu'on  nous  eût  dit 
le  contraire.  Ne  nous  avait-on  pas  affirmé  que  ia  traversée 
de  l'Alal  serait  facile,  que  celle  du  Kizil-Art  ne  présentait 
ïucune  difficulté?  Rien  de  tout  cela  n'était  vrai;  qu'arivien- 
drait-il  si,  plus  loin,  nous  constations  encore  qu'on  nous 
avait  induits  en  erreur. 

Ni  les  hommes  ni  les  animaux  n'étaient  capables  de  four- 
nir durant  trois  jours  seulement  une  dépense  de  force  aussi 
tonsidérable  qu'auparavant.  M.  Pépin  lui-même,  malgré  ses 
lunettes,  ne  voyait  plus  du  tout,  c'est  vous  dire  dans  quel 
*Ut  étaient  les  Kirghis.  Plus  de  la  moitié  d'entre  eux  étaient 
incapables  de  se  diriger;  quant  aux  chevaux,  ils  mettaient 
'fi  pied  au  hasard,  ils  n'avaient  plus  de  vigueur.  Ces  sept 
journées  terribles  les  avaient  réduits  h  une  faiblesse  très 
grande.  Les  hommes  malades  étaient  découragés,  et  le  len- 
ileraain  la  moitié  s'enfuyait,  abandonnant  l'orge  et  quel- 
ques bagages,  à  deux  heures  du  lac  Kara-Kuul  où  nous 
élionsarrivés  en  huit  heures  et  demie  et  sans  trouver  beaucoup 
•le neige,  sauf  k  la  petite  passe  qui  le  précède.  C'est  du  reste 
*ttpied  de  celle  petite  passe  quenousavonsretrouvénosba- 
gîges  et  une  partie  de  notre  orge  le  surlendemain  24  mars. 
Il  nous  en  manquait  mille  livres  environ,  fait  grave. 


motion,      V 


4 


,ASIK   CEJtTHALi;  KT  AU  PAMIH. 

perle  irréparable,  l'orge  étant  à  nos  agents  de  locomotion 
à  nos  chevaux,  ce  qu'est  le  charbon  à  une  machine. 

Du  Kara-Koul  nous  renvoyons  huit  Kirghis  restés  fidèles 
avec  un  mot  pour  le  général  KaralkofT,  et  nous  poursuivons 
notre  roule.  Nous  sommes  huit  avec  vingt  chevaux. 

Le  peu  de  temps  que  vous  pouvez  nousconsacrerm'oblige 
à  abréger  le  récit  des  péripéties  nombreuses  qui  retardèrent 
l'accomplissement  de  notre  voyage. 

Après  avoir  longé  !e  Kara-Kout  gelé,  cela  va  sans  dire, 
noas  avons  traversé  le  lac  de  Mons-K.oul,  puis  suivi  sur  la 
glace  la  rivière  du  môme  nom.  C'est  là  que  le  vent  a  com 
mencé  à  nous  gêner  très  fort  et  le  28  mars  nous  étion 
assaillis  dans  les  neiges  de  la  passe  du  Kizil  Djek,  où  notn 
baromètre  marq«aiL(>,000  mètres,  par  une  tempête  «  étouf- 
fante n.  Selon  le  mot  lrf>s  juste  de  Racbmed,  le  vent  nou^^ 

«  prenait  à  la  gorgeetnous  faisait  venir  l'Ame  à  la  bouche  » 

Il  cberchait  à  exprimer  les  angoisses  de  la  suffocation  dontrV~ 
nous  souffrions,  et  l'on  ne  saurait  mieux  dire. 

Nous  avons  trouvé  beaucoup  de  neigejusqu'au  Rang-Koul,^. 
où  nous  avons  campé  le  30  mars.  Le  31  mars  au  matin  1 
mercure  était  gelé,  dans  la  nuit  il  y  avait  eu  W  de  froid^^^ 
sans  doute.  Nous  sommes  restés  deux  jours  près  du  lai 
pour  y  faire  paître  nos  bêtes.  Nous  avions  trouvé  un  pe 
d'herbe  de  l'année  d'avant  et  des  Kirghis  chinois,  don*^ 
nous  apercevions  les  tentes  au  sud-esl  du  lac.  C'étaient  le:*^* 
premières  que  nous  rencontrions  depuis  quinze  jours  des:- 
désert.  Nous  étions  contents  de  revoir  de  nos  semblables 
et  surtout  de  songer  qu'ils  pourraient  nous  louer  quelques — -^ 
uns  de  leurs  chameaux  et  de  leurs  yaks,  et  nous  vendre^ 
un  de  leurs  moutons.  Nous  leurs  offrîmes  de  l'argent  er^ 
lingots  et  ils  nous  vendirent  un  mouton,  mais  en  cachette  ^^ 
car  le  chef  de  poste  ne  voulait  pas  qu'on  nous  vînt  er» 
aide.  Nous  étions  sur  le  territoire  chinois.  On  voulut  nou^ 
arrêter,  on  nous  menaça,  on  fut  insolent,  et  nous  de- 
vînmes rusés.  Nous  fîmes  prisonniers  les  deux  chefs  et 


VOYAGE  DANS  L'aSIE  CENTRALE  ET  AU  PAMIR.         493 

quelques  hommes  de  leur  suite;  les  ayant  invités  à  un 
repas,  nous  les  rossâmes,  et  le  revolver  au  poing,  nous  nous 
emparâmes  des  bétes  de  somme  que  nous  fîmes  filer,  après  les 
avoir  chargées,  du  côté  de  la  vallée  d'Ak-Sou.  Nous  ne  relâ- 
châmes les  prisonniers  que  le  plus  tard  possible,  afin  de  les 
empêcher  de  donner  l'alarme.  Nous  voilà  partis,  réquisi- 
tionnant chaque  fois  que  nous  trouvions  des  campemeuts 
jusqu'à  Ak-lach  où  nous  arrivons  en  marchant  sur  i'Oxus 
gelé  à  partir  de  Ak-Sou-Dala. 

A  Ak-tach,  les  Kirgbis  sont  en  assez  grand  nombre  pour 
pouvoir  nous  tenir  tête,  et  nous  ne  pouvons  pas  réquisi- 
tionner. Va  Afghan  vient  nous  rendre  visite,  il  est  arrêté  à 
Ak-tach  depuis  cinq  jours,  il  a  voulu  traverser  la  passe  de 
Tagharma  en  venant  de  Tach  Kourgane.  Il  ignorait  que  la 
route  fût  aussi  difficile  de  ce  côté.  Il  a  perdu  quarante-cinq 
chevaux  et  il  attend  le  beau  temps  pour  continuer  sa  route 
du  côté  du  Wakhane  et  du  Badakchane.  Il  vit  au  milieu  de 
ses  ballots  de  toile  et  de  haschich  qu'il  s'est  procuré  à 
Kachgar.  Il  nous  demande  un  peu  de  thé  et  du  sucre,  nous 
lui  en  donnons  ;  il  nous  vend  de  la  toile  de  Kachgar,  qui 
est  la  monnaie  courante  dans  ces  régions.  Nous  étant 
reposés  un  jour,  nous  partons  en  suivant  toujours  la  vallée 
de  l'Ak-Sou  ou  de  l'Osus. 

Dans  la  nuit  du  9  avril,  notre  seul  guide  s'est  sauvé  avec 
le  meilleur  cheval;  il  nous  en  reste  douze.  La  neige  est 
profonde,  toutes  les  passes  an  sud  sont  fermées  ;  il  neige 
fréquemment,  nous  avons  souvent  de  la  bourrasque,  nous 
avons  traversé  par  place  des  espèces  de  fondrières,  puis  de 
lacs  sur  la  glace;  la  surface  dégelant  dans  la  journée,  nous 
patau^ons  dans  une  bouillie  de  neige  sur  un  plancher  très 
glissant.  Dans  la  nuit  il  gelait.  A  cinq  jours  d'Ak-tach  nous 
avons  trouvé  les  campements  d'Andamane.  D'abord  on  nous 
a  bien  reçus,  puis  a  eu  lieu  une  réunion  assez  tumultueuse  ; 
mes  métaphores  n'ayant  pas  produit  d'effet,  nous  avons  eu 
recours  au  revolver,  et  nous  avons  pu  nous  procurer  des 


49'i  VOYAfiE   DANS   L'ASrE    CEXTRAI.E  ET   Af    PANIR. 

bCtes  de  somme  qui  devaient  aller  jusqu'à  la  frontière 
afghane;  les  passes  vers  le  Tag  Dumbach  Pamir  étaient 
fermées  en  effet. 

Nous  avons  quitté  les  sources  de  l'Oxus  et  la  monotone 
vallée  blanche  où  le  fleuve  coulait  sous  la  glace.  La  vallée 
se  ferme  ensuite  et  il  nous  faut  souvent  prendre  par  des 
hauteurs  peu  accessibles,  suivre  des  sentiers  tels  qu'on  doit 
décharger  les  chevaux.  En  deux  journées  1res  pénibles,  nous 
sommes  à  Langar.  Celte  fois,  il  y  a  moins  de  neige,  bien  qu'il 
en  tombe  presque  chaque  nuit.  Pour  la  première  fois,  de- 
puis un  mois,  nous  apercevons  une  broussaille,  et  nous 
sommes  heureux  de  voir  que  la  nature  daigne  encore  nous 
sourire. 

Nos  Kirghis  veulent  se  sauver,  nous  les  gardons  à  vue  et 
ils  entrent  en  pourparler  avec  des  Wakbis,  qui  gardent  des 
troupeaux  de  yaks.  Nous  en  louons  cinq  qui  porteront  nos 
bagages  jusqu'au  Ranjout,  par  le  chemin  deTach  Kouprouk. 
Une  sorte  de  saint  Julien  l'hospitalier  kirghis  nous  sert  de 
guide.  .\près  trois  jours  de  marche  sur  des  pentes  escarpées, 
dans  la  neige  et  sur  la  glace  ou  nous  taillons  des  marches 
h  coups  de  pioche,  les  Wakhis  s'enfuient  avec  leurs  yaks 
durant  la  nuit.  Nous  allons  reconnaître  la  passe  qui  mène 
an  Kanjout.  Malheureusement  Rachmed,  notre  saint  et  moi, 
sommessurpri»  par  une  tempête  épouvantable  à  5,500  mètres; 
nous  pouvons  seuloraent  constater  qu'un  glacier  nous  barre 
la  route  et  que  la  neige  est  si  profonde  sur  les  flancs  de  la 
gorge  bifurquant  à  nos  pieds  qu'il  y  a  impossibilité  d'aller 
plus  loin.  Nous  voyons  notre  saint  disparaître  dans  la  neige; 
ap&rs  avoir  attendu  plusieurs  heures  nous  nous  en  retour- 
nons persuadés  qu'il  est  perdu  à  jamais,  mais  cet  homme 
intrépide  nous  rejoint  à  la  nuit  tombante.  Celte  journée 
a  été  très  pénible.  Nous  abandonnons  le  peu  de  bagages  qui 
nous  reste  et  retournons  à  pied  à  Langar,  où  nous  sommes 
décidés  à  arrêter  les  passants  et  à  les  détrousser,  car  les  vivres 
baissent;  il  ne  nous  reste  que  huit  chevaux,  nous  n'avons 


E   DANS  L'ASIE   CENTRALE   ET  Al)    PAMIR.  -195 

plus  de  sel  et  il  faut  tirer  de  peine  le  brave  Menas  qui  est 
resté  près  des  bagages  avec  des  vivres,  c'est-à-dire  du  millet 
et  de  la  farine  pour  quelques  jours. 

Sur  ce  arrive,  par  la  neige  qui  lourbillonne,  une  caravane. 
On  court,  c'est  l'Afghan  d 'A k-tach  qui  s'est  remis  en  marche. 
Nous  le  recevons  comme  Noé  a  dû  recevoir  la  colombe 
apportant  le  rameau  d'olivier.  Il  nous  apprend  que  des  Chi- 
nois à  grandequeue,  venus  de  Tacli  Kourgam,  se  sont  misa 
nos  trousses  avec  des  Kirghis  pour  nous  arrêter,  et  qu'ils  ont 
renoncé  à  nous  poursuivre  qnand  ils  ont  appris  que  nous 
étions  sur  le  territoire  afghan  et  bien  armés.  Le  Père,  envoyé 
en  quftte  de  bi5te.s  de  somme  et  de  vivres,  revient  avec  deux 
moutons  dépecés,  un  morceau  de  sel  et  la  nouvelle  que  les 
Kirghis  d'Andarnan  qui  nous  ont  bien  reçus,  sont  en  fuite  et 
que  lui-même  va  retourner  prestement  vers  les  siens  et  qu'il 
va  se  sauver  du  côLé  du  Pamir. 

Disons  à  ce  propos  que  les  autochtones  désignent  sous 
le  nom  de  Pamir  ou  mieux  de  Pamcurre  la  région  de  l'Ali- 
Ichour,  pour  eux  tout  le  reste  n'est  pas  le  Pameurre.  Mais 
les  Wakhis,  les  Kachgaris,  toutes  les  peuplades  environnant 
le  Toit  du  monde  l'appelle  Pamirre. 

Nous  louons  à  un  prix  exorbitant  les  cinq  j'aks  qui  vont 
chercher  le  peu  de  bagages  laissé  à  la  fronliÈre  de  Kanjoul. 
En  quatre  jours  ils  vont  et  reviennent,  la  neige  a  fondu,  la 
route  est  meilleure.  Nous  allons  en  cinq  jours  à  Sarhad, 
par  des  sentiers  comme  un  fil,  mais  que  nous  trouvons 
charmants,  car  nous  sommes  plus  bas  et  souvent  il  n'y  a  pas 
de  neige.  Le  7  mai  nous  campons  h  Sarhad,  dans  un  pré 
humide,  il  y  a  de  l'herbe  fraîche  ;  la  neige  tombe  peu  drue, 
c'est  délicieux,  on  respire  assez  facilement;  nous  sommes  à 
1,100  pieds;  mais,  il  y  a  toujours  beaucoup  de  k  mais  »  en 
voyage,  il  nous  arrive  une  espèce  de  brigadier  de  gendarmerie 
afghan  qui  veut  nous  arrêter,  après  avoir  défendu  d'abord 
aux  habitants  de  nous  vendre  des  vivres.  En  cachette  nous 
faisons  acheter  de  la  farine  pour  huit  jours,  et  nous  nous 


496 


VOYAGE  DANS  L  ASIE  CENTRALE  ET  AU  PAMIR. 


sauvons  après  trois  jours  de  repos,  car  nous  avons  apprii 
que  du  renfort  arrive  de  Kila-Piindj.  Les  Afghans  n'étaien        i 
que  huit  et  nous  étions  cinq  décidés  et  sûmes  gardes,  il 
avaient  demandé  de  i'aide. 

J'ai  oublié  de  dire  que  de  Langar  nous  avions  renvoyi 
notre  brave  Sadiit  el  le  non  moins  brave  Aldourajsoul  ;  il 
avaient  autrefois  pillé  et  même  arr&té  un  chef  wakhi,  et  ii^ 
auraient  été  mal  reçus  dans  le  pays  où  nous  pénétrions- 
Nous  avons  appris  depuis  qu'ils  étaient  arrivés  dans  1^ 
Fer^hanah  au  mois  de  juillet.  Les  Chinois  les  avaient  fait» 
prisonniers,  mais  nos  hommes  s'étaient  évadés  et  on  les 
avait  recueillis   dénués  de  tout,  aux  avant-postes  russe» 
de  rAlaï. 

Donc  nous  voilà  partis  sans  ^nide  pour  le  Tchitral  par  le 
Barogui!.  L'Afghan  nous  a  conté  la  route  qu'il  connaissait- 
Nous  avons  marché  huitjours,  toujours  à  pied, — depuis  le» 
sources  de  l'Oxus  nous  n'avons  que  ce  mode  de  locomotion,  A 
—  et  après  mille  peines,  presque  déchaux,  ne  nous  nour-  i 
rissantque  de  farine  et  dégraisse  de  mouton,  nous  sommes 
arrivés  dans  le  Tchitral  par  le  versant  sud  de  l'Hindou-  ■] 
Kouch.  Il  nous  restait  sept  chevaux,  nos  instruments, 
nos  armes  el  quelques  pelisses.  Des  hommes  armés  nous 
entourent,  nous  menacent,  nous  disent  qu'ils  ne  nous  lais- 
seront pas  avancer,  parce  que  nous  sommes  Russes,  ce 
que  nous  nions.  Nous  disons  que  nous  sommes  Faranguis. 
Sommes-nous  Faranguis-lnglis?  Nous  sommes  Faranguis, 
tel  est  le  point  sur  lequel  nous  insistons.  «  Eh  bien,  dit  le 
chef  aux  longs  cheveux  si  vous  êtes  Faranguis,  c'est-à-dirc 
Inglis,  où  sont  les  roupies  que  vous  allez  nous  donner?  t 
Nous  n'avions  pas  de  roupies,  et  voilà  pourquoi  ils  nous 
flrent  quinauds,  un  .\nglais  n'étant  pour  eux  authentique 
que  s'il  distribue  des  roupies. 

Nous  parlementons,  menaçons,  discutons,  nous  nous  fâ- 
chons, mais  nous  avançons,  ce  qui  est  l'important.  A  Mas- 
boud,  halte  le  24  mai,  après  quatre-vingts  jours  de  marche 


VOYAGE  UANS  L'âSIE  CENTRALE   ET  AU  PAMIR.         497 

depuis  Osch.  C'est  là  qu'on  nous  garde,  du  moins  Rachmed 
et  moi,  qui  passons  quarante-neuf  jours  dans  un  marais 
puant,  entre  quatre  murailles  de  pierres  hautes  de  quelques 
milles  pieds.  Nous  gardons  les  chevaux  et  les  bagages,  tandis 
que  MM.  Gapus  et  Pépin  avec  Manas  sont  à  Tchitral  en 
ambassade  auprès  du  prince  régnant  Âmman-el-Moulk,  qui 
veille  sur  eux  avec  une  trop  grande  sollicitude.  Nous  étions 
pris  pour  la  seconde  fois.  Nous  faisons  parvenir  aux  Indes 
un  mot  qui  établit  notre  identité.  Je  conte  notre  lamentable 
situation  :  plus  d'argent  ni  d'habits  et  peu  de  forces.  Lord 
DutTerin  s'intéresse  à  nous,  il  intervient,  on  nous  relâcha 
le  6  juillet,  après  que  nous  étions  restés  presque  deux  mois 
dans  le  Tchitral.  Nous  nous  dirigeons  vers  le  Kachmir  à 
marches  forcées,  car  le  gouvernement  de  l'Inde  nous  a  fait 
parvenir  de  l'argent.  Nous  avons  fort  à  faire  pour  traverser 
le  Yaguistan,  c'est-à-dire  le  Pounial  et  le  Yassin.  Là  nous 
devons  nous  procurer  des  porteurs;  les  eaux  sont  hautes, 
les  rivières  ne  sont  plus  guéables  et  il  n'y  a  plus  sur  leurs 
rives  les  sentiers  pour  les  bêtes  de  somme  qui  existaient  du 
temps  des  eaux  basses.  Ce  n'est  pas  sans  batailler  que  je 
recrute  les  porteurs  parmi  ces  tribus  sauvages  et  indépen- 
dantes. J'arrive  le  14  juillet  à  Gahgoucb,  ainsi  que  Rach- 
med, avec  nos  quelques  bagages.  MM.  Gapus  et  Pépin  m'y 
rejoignent  et  nous  marchons  sur  Kachmir  sans  regarder 
derrière  nous,  faisant  chaque  jour  deux  étapes  que  nous 
trouvons  bien  courtes.  Enfin  le  14  août  nous  étions  à 
Kachmir,  il  ne  nous  restait  pas  un  cheval.  En  compagnie 
de  quatre  compatriotes,  MM.  Dauvergne,  Peychaud,  BouUet, 
Fabre,  nous  avons  bu  à  la  santé  de  la  France  l'excellent  vin 
de  Bourgogne  que  M.  Peychaud  fabrique  avec  des  plants 
de  Bordeaux. 

Puis  nous  avons  gagné  Rawal  Pindi,  après  avoir  garni 
notre  garde-robe  qui  laissait  à  désirer.  A  Simla  nous  avons 
acheté  des  souliers,  rendu  visite  à  Son  Excellence  lordDuffe- 
rin,  qui  nous  fit  le  plus  bienveillant  accueil  ainsi  que  son  en- 


498         VOYAGE  DANS  L'ASIE  CENTRALE  ET  AU   PAMIR. 

tourage,  et  le  1"  septembre  nous  nous  embarquions  tous 
les  cinq  à  Kurrachee  à  l'embouchure  de  l'Indus. 

Un  mot  pour  finir.  Â  Simla  nous  nous  sommes  trouvés 
en  société  d'officiers  et  de  hauts  fonctionnaires  des  Indes, 
qui  s'intéressaient  fort  à  notre  voyage.  L'un  d'eux  nous  dit 
avant  de  nous  quitter  :  «  Je  suis  assuré  que  vos  compatriotes 
seront  fiers  de  vous  et  qu'ils  vous  couvriront  d'honneurs. 
—  Je  ne  sais  pas  ce  qui  adviendra,  lui  répondis-je,  ni  si  l'on 
sera  très  fier  de  nous.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  puis  assurer  que 
nous  avons  agi  de  notre  mieux  en  pensant  à  faire,  autant  que 
possible,  honneur  à  notre  pays,  j» 


PAMIR  ET  TCHITRAL 


Giilllnliuic  C.%PUS  ' 


1 


Parmi  les  pays  qui  entourent  le  Pamir,  à  l'ouesl  et  au 
sud,  d'un  chapelet  d'Etals  plus  ou  moins  indépendants,  plus 
ou  moius  petits,  il  en  est  dont  nous  ne  savions  même  pas  le 
nom  il  y  a  une  vingtaine  d'années.  Aujourd'hui  presque 
tousonl  été  entamés  par  l'itinéraire  d'un  voyageur  d'Eu- 
rope, russe  ou  anglais,  et  nous  savons  qu'ils  appartiennent, 
les  uns  à  la  c  région  >  indienne,  les  autres  à  la  bactrienne, 
ou  Turkestan.  Les  populations  qui  les  habitent  sont  vieilles, 
peu  connues  et  méritent  de  l'être  beaucoup.  Ce  sont  de  ces 
épaves  ethniques  que  l'invasion  de  la  plaine  fertile  par  les 
conquérants  forts,  Mogols  et  Arabes,  a  repoussées  dans  les 
gorges  difficiles  et  ftpres  de  pi  us  en  plus  élevées,  où  la  vie  est 
plus  dure,  la  terre  moins  fertile,  mais  la  sûreté  plus  grande. 
Ces  montagnards  ;  Wakhis,  Kochis,  Chouguis,  Tchilralis, 
Kandjoutis,  Yagiiaous,  etc.,  ont  gardé,  de  la  sorte,  pour 
nous  un  intérêt  toul  spécial,  parce  qu'ils  ont  conservé,  avec 
leur  croyance  religieuse  ancienne  (ils  sont  chiites,  tandis 
que  ceux  de  la  plaine  sont  sunnites)  l'intégrité  relative  de 
leurs  mœurs  primitives  et  quelque  peu  de  leur  type  an- 
thropologique. 

Parmi  ces  pays,  —  et  c'est  de  celui-là  que  je  voudrais 
vous  entretenir  plus  spécialement  ce  soir,  —  un  des  plus  cu- 

I.  Communication  adressée  fila  Soctélé  dans  s.«  séauce  géniSrale  du 
25  avril  1890.  —  Voir  la  carte  joiule  à  ce  numéro. 


500  PAMlll   ET   TCHITRAL. 

deux  csl  le  TchilraJ  ou  Tchatrar,  qui  gravite  déjà  dans  la 
sphère,  d'action  de  l'Inde.  Il  esi  situé  sur  une  des  routes  qui 
mèneat,  de  l'Imie,  sur  le  Pamir,  route  dont  sir  Rawlinsoa 
disait  qu'elle  était  la  grand'route  vers  le  Turkcstan.  Et  le 
Tchitral  est  si  bien  situé  à  cheval  sur  cette  roule,  — d'ail- 
leurs Irùs  difficile  et  peu  fréquentée,  —  qu'il  la  commande, 
en  défend  éuergiqueraent,  ou  permet,  le  passage  et  fait  office 
de  sentinelle  avancée  vers  le  Pamir. 

Ce  pays  n'est  pas  grand  :  c'est  un  boyau  de  vallée  long 
de  150  kilomèlres,  avec  quelques  impasses;  mais,  quoique 
petite,  la  guérite  de  la  sentinelle  est  si  bien  placée  qu'il  est 
très  difficile  de  la  contourner. 

Au  moment  où,  descendant  peu  à  peu  du  Pamir,  nous  sui- 
vions, sans  peuscr  à  mal,  les  rigoles  qui  drainent  l'iiindou- 
kouch  vers  l'Indus,  et  lorsque  nous  crûmes  le  printemps 
venu  et  la  rancune  des  iiabilanls  du  (t  Toit  du  monde  » 
apaisée,  le  roi  du  Tchitral  nous  retint  prisonniers  pen- 
dant quarante-cinq  jours.  11  pensait  que  des  étrangers  dont 
il  ne  connaissait  même  pas  le  nom  du  pays,  venus  en  hiver, 
de  par  le  ».  Toit  du  monde  »  sans  but  plausible,  du  moins  à  la 
portée  de  son  eniendemenl,  ne  pouvaient  être  que  des  aven- 
turiers politiques  espionnant  ses  Etals  pour  faire  du  mai 
aux  Ingliz,  ses  amis.  Nous  n'étions  pas  assez  riches  pour 
acheter  ce  roi  montagnard,  quoiqu'il  n'eût  fallu  pour  cela 
que  quelques  mUliers  de  francs.  Je  ne  regrette  point,  pour 
ma  part,  d'avoir  été  son  hôte  involontaire  pendant  si  long- 
temps, puisque  cela  m'a  permis  de  voir  son  pays  et  ses  ad- 
ministrés de  près  et  de  vous  dire  —  rapidement  —  ce  que 
j'ai  vu  et  vécu. 

Mais  avant  de  parcourir  la  vallée  de  Tchitral,  je  ne  crois 
pas  sans  intérêt  d'esquisser  la  géo-physique  de  cette  formi- 
dable intumescence  terrestre  qu'on  appelle  improprement 
le  plateau  du  Pamir  et  à  laquelle  on  pourrait  appliquer  la 
majestueuse  et  pittoresque  expression  de  Michelet  parlant 
de  la  Matadetla  :  «  engendrée  dans  les  tortures  d'un  titauique 


PAMÎR    ET   TCHITHAL.  501 

enfantement  ».  Je  ne  fais  qu'ouvrir  une  parenthèse,  car  mon 
Miupagnon  de  voyage,  M.  Bonvalot,  vous  a  déjà  entretenus 
brillamment  de  notre  traversée  du  Pamir,  et  ce  que  j'aurai  à 
en  dire  ne  sera  qu'un  simple  complément. 

On  sait  que  l'imagination  plus  ardente  de  ses  voisins 
d'origine  arienne  a  donné  au  Pamir  le  nom  de  Bam-i-dou- 
niah,  c'est-à-dire  «  Toit  du  monde  ».  Pamir,  Pâmer  ou 
Pdmel  est  un  mot  sans  acception  bien  définie,  employé  par 
lesKirghizes  pour  désigner  d'une  façon  générale  une  région 
inculte,  difficile,  déserte.  Aussi  le  tout  orographique  que 
nous  connaissons  sous  le  nom  de  Pamir,  n'est-il  point  ainsi 
désigné  par  les  Kirghizes  qui  connaissent  quelques  Pamirs 
distincts,  surtout  l'Alitchour,  et  désignent  le  restant  par 
des  noms  locaux  empruntés  aux  particularités  des  terrain, 
lac,  rivière,  montagne,  etc. 

Le  Pamir,  pour  nous,  est  un  noBud  de  montagnes  d'une 
largeur  méridiennale  de  iOO  kilomètres  à  vol  d'oiseau  d'où 
semblent  se  détacher  les  chaînes  les  plus  puissantes  d© 
l'Asie:  le  Tbian-chân,  le  Kouen- iouen, le Karakoroum, l'Hi- 
malaya, l'Hindou-kouch.  Car  c'est  ainsi  raj'onnanles  qu'ap- 
paraissent, sur  une  carte  de  l'Asie,  ces  gigantesques  contre- 
forts du  môte  central  pamirien  qui  a  de  tout  temps  opposé 
une  barrière  infranchissable  aux  grandes  migrations  des 
peuples,  des  conquérants,  des  idées  et  des  civilisations. 
Jusqu'au  commencement  de  ce  siècle  le  Pamir  a  été  une 
barrière,  un  obstacle  résistant  aux  assauts  des  collectivités 
d'hommes;  ce  n'est  qu'avec  les  progrès  rapides  des  sciences 
géographiques  et  l'infiltration  de  plus  en  pins  étendue  de 
l'élément  et  de  l'esprit  européens  autour  de  sa  base  que  le 
Pamir  a  pu  devenir  un  but,  j'entends  un  but  scientifique 
d'étude  désintéressée.  Déjà  Titianus,  dans  l'antiquité,  en  sa- 
vait le  chemin  jalousement  obscurci;  Hiouen  Thsang,  le  pé- 
jerin  bouddhiste,  en  668,  traversa  les  monts  Tsoung-ling  et 
lePomilo  pour  aller  chercher  la  loi  du  Bouddha  dans  l'Inde; 
Marco  Polo,  l'Hérodote  du  moyen  âge,  croisa  le  Pamir  en 

soc.    DE    GÉOGR.  —  4*  TBIMESTRE  1890.  XI.  —  33 


50^2 


t'AMlR    ET   TCniTHAL. 


1271  avec  Nicolo  et  Mafleo,  son  père  et  son  oncle,  afin  d 
gagner  la  résidence  du  puissant  et  intelligenlKoublaïKaane; 
puis  Benoît  Go&z,  poussé,  comme  îliauenThsang,  par  un 
zèle  religieux  fervent,  lit,  en  1603,  un  voyage  mu!  recOQ-_ 
stitué  par  la  région  qu'il  appelle  Sar-i-Panil.  ■ 

Lorsqu'on   1838  le  capitaine  Wood   escalada,  premier 
pionnier  de  la  science  positive  des  faits  à  enregistrer  et  à 
comparer,  les  pentes  difficiles  du  «  Toit  du  monde  »,  on 
pouvait  dire  qu'il  entreprit  la  découverte   d*une  terra  in-iM 
cof/nUa.LQ  i^  février  1838,  jour  de  l'avènement  au  Irône 
de  Sa  gracieuse  Majesté  la  reine  d'Angleterre,  il  découvrit  j 
le  lac  Sar-i-KouI,  auquel,  en  l'honneur  de  ce  fait  historique,^! 
il  donna  le  nom  de  lac  Victoria.  Uuedesprincipalessources 
de  rOxus  était  découverte. 

Depuis  lors  les  Anglais  d'un  côté,  les  Russes  de  l'autre, 
sont  montés  victorieusement  à  l'assaut  du  Pamir  mystérieux,  fl 
En  ISîOHayward  paya  de  sa  vie  une  lenlative  pour  l'at- 
teindre par  le  Yassine.  Trois  ans  plus  lard  la  mission  de  sir 
Douglas  Forsyth,  avec  MM.  Biddulph,  Gordon,  Trotter,  Sto- 
liczka,  Chapman  et  quelques  Pundits  savants  de  l'Inde,  visita 
toute  la  partie  méridionale  du  Pamir.  Cette  expédition  eut 
un  plein  succès.  Ensuite  le  Grec  D'  Potagos  y  vint  du  Badak- 
chane  pourallerenKachgarie,  et  plus  récemment  MM.  Ney 
plias,  Carey,  colonel  Lockardt,  Barrow,  Woodhorpe,  enont 
parcouru  difiërentes  parties.  Il  y  a  quelques  mois,  un  Fran- 
çais, M.  Dauvergne  de  Cacbemire,  y  fit  un  des  plus  beaux 
et  des  plus  hardis  voyages  qu'on  puisse  faire  en  Asie  cen- 
trale. 

Du  côté  du  Turkestan  russe,  nous  voyons,  dès  1871,  Fed- 
chenko  et  Mme  Olga  Fedchenko  s'avancer  jusque  sur  l'Alaï 
et  découvrir  la  belle  chaîne  du  Trans-Alaï.  Puis,  en  1876, 
Skobelelfy  mena  ses  vaillantes  troupes  pendant  que  le  co- 
lonel Kastieuko  poussa  jusqu'au  delà  du  lac  Grand-Kara- 
koul,  MM.  Mouchkétow  et  Ssévertzow,  Kouchakiévitch, 
§Qh^'aflz,  .Sl^fli^ow,  Scassi,  étudièrent  en  1877  et  1878 


PAMin   ET  TCniTRAL.  503 

la  région  alaïenne  et  transalaïenne  avec  beaucoup  de  succès 
etl'expédilion  de  Ssévertzow  pénélra  jusqu'au  petit  Kara- 
koul,  d'un  cùté,  et  à  l'Alitchour,  de  l'autre.  MM.  Maïew, 
Regel,  Ochanine  et  Neviévskiy  explorèrent  en  même  lemps 
les  régions  prépamiriennes  occidentales.  Peu  à  peu  le  mys- 
lérieux  Pamir  sortit  des  nuages,  et  lorsqu'enl883  la  grande 
expédition  de  MM.  Poutiata,  Ivanmv  et  Benderskiy  l'eut 
parcouru  dans  presque  tous  les  sens,  multiplia  les  itiné- 
raires et  opéré  la  jonction  des  tracés  russes  et  anglais,  on 
Jiuldire  que  pas  un  cours  d'eau  important,  pas  une  chaîne 
considérable  ni  un  pic  éminenl  n'avaient  échappé  à.  la  vue 
des  explorateurs. 

Le  gros  de  l'œuvre  géographique  était  fait,  le  cadre  tracé; 
l'étude  détaillée  avait  des  points  de  repère  solides  et  pou- 
vait dès  lors  devenir  plus  intensive.  Tel  était  l'état  de  no-s 
connaissances  lorsqu'au  commencement  de  1887  nous  ré- 
solilroes  d'aborder  le  grand  massif  en  hiver. 

Vous  savez  les  beaux  voyages  que,  depuis,  le  capitaine 
Grombchevskiy  et  MM.  Groum-Grjimaïlo  ont  l'ails  jus- 
qu'aux frontières  les  plus  reculées  du  Pamir.  Je  rae  plais  à 
ajouter  à  ceUe  liste  de  voyageurs  du  Pamir  les  noms  de 
nos  compatriotes  MM.  Hidgway,  O'Connor  et  do  Breleuil  qui 
ont  traversé  le  Trans-Alal  à  deux  reprises  et  rapporté  de 
leur  expédition  cynégétique  de  belles  et  raves  colieclions. 

Le  Pamir  n'a  donc  plus  de  grands  secrets;  et  si  je  viens 
vous  en  parler  ici,  ce  n'osi  pas  pour  mettre  en  relief  quelque 
grande  découverte,  mais  pour  résumer  l'état  actuel  de  nos 
connaissances  et  esquisser  une  vue  d'ensemble  sur  une  de 
ces  contrées  du  globe  qui  méritent  au  plus  haulpointnotre 
altenlioQ. 

On  dit  couramment  le  plateau  du  Pamir.  Or,  le  «  Toit  du 
monde  »  n'est  pas  un  plateau  dans  le  sens  de  montagne  éle- 
vée étendue  en  plaine.  C'est  plutôt,  en  allant  du  nord  au  sud 
et  à  partir  de  la  chaîne  de  l'Alaï  jusqu'il  celle  de  l'Hindou- 
kouch,  une  succession  de  hautes  vallées  dont  le  thalweg 


501 


PAMm  ET  TCHITRAL. 


I 


atteint  en  moyenne  12,500  pieds  d'altitude.  Ces  vallées  sont 
séparées  par  des  chaînes,  simples  la  plupart,  dont  les  pics 
les  plus  élevés  tels  que  le  Gouroumdi  et  le  pie  Raudmann 
(Trans-Alaï)  atteignent  23,000  et  23,000  pieds.  La  pointe  la 
plus  élevée  de  ce  formidable  soulèvement  pamirien,  le  Ta- 
garma  ou  Moustag-ala,  se  dresse  à  26,800  pieds  d'altitude 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Ce  géant  qui  domine  à  la 
fois  l'immense  dépression  du  Gobi  et  le  Toit  du  monde  dont 
il  est  comme  la  flèche  naturelle,  n'est  dépassé  en  hauteur 
que  par  le  Dapsang  et  le  Gawrisankar  de  l'Himalaya. 

Si  on  jette  les  yeux  sur  une  carte  du  Pamir,  on  voit  que 
les  chaînes  les  plus  régulières  et  le^  plus  élevées  se  trouvent 
être  des  chaînes  bordières  du  système  orographique:  l'Alaï 
et  le  Trans-Alaïau  nord  et  l*Hindou-kouch  ausnd.  On  voit 
également  qu'entre  ces  deux  lignes  extrêmes  les  chaînes 
intermédiaires  suivent  en  général  la  même  direction  prédo-'l 
rainante  tt  que   les  grandes  lignes  transversales  viennent 
s'interposer  principalement  dans  la  partie  orientale,  dans  le 
voisinage  du  Tagarma.  Ce  n'est  que  dans  cette  dernière 
partie  que  les  vallées  longues  suivent  une  direction  plus  ou-fl 
moins  méridiennale  tandis  que  dans  la  partie  occidentale, 
elles  se  dirigent  vers  le  sud-ouest,  en  se  rétrécissant  cousi- 
dérablement  avant  de  déboucher  dans  la  grande  plaine  d&M 
laBactrianc,  leur  aboutissant  commun.  La  limite  des  eaax 
est  ainsi  reportée  beaucoup  plus  près  de  la  dépression  du 
Gobi  que  de  celle  de  la  Baclriane,  et  cette  limite  est  sensi 
blement    située  sur  une  ligne  idéale  partant,  dans  une' 
direction  sud-est,   du   Bach-Alaï    pour   aboutir  au   petit 
Pamir,  près  d'Ak-lach. 

En  résumé,  le  Pamir  divise  les  eaux  du  Tarim  et  de 
rOxus  et  ne  paye  point  tribut  h  l'Indus  :  car  aucun  de  ses 
cours  d'eau  ne  traverse  la  chaîne  de  l'Hindou-kouch.  C'est 
également  sur  le  trajet  de  cette  ligne  de  démarcation  des 
eaux  qu'on  trouve  quelques  petits  bassins  fermés,  comme 
celui  du  grand  Kara-koul,  bassins  qui,  autrefois,  se  déver- 


1 

I 


PAMIR    ET   TClllTnAL.  505 

saieiit  daas  les  affluents  du  Tarim  après  avoir  recueittt  une 
partie  de  ses  eaux  initiales. 

L'Oxus  ou  Amou-datia  à  l'ouest  et  le  Tarirn  à  l'esf  re- 
présentent ainsi  les  deux  grandes  gouttières  qui  drainent 
les  eaux  du  Toit  du  monde;  mais  c'est  surtout  le  premier 
de  ces  fleuves  qui  couvre  du  chevelu  de  ses  anastomoses  le 
sol  aîare  des  Pamirs,  réservant  ses  trésors  de  fertilité  à  la 
plaine,  oii  ses  eaux,  arrivées  à  maturilé,  fécondent  les  allu- 
vioQs  descendus  de  la  montague  à  l'époque  où  les  grands 
courants  ravinèrent  le  Pamir  et  sculptèrent,  à  leur  forme 
actuelle,  le  fond  des  vallées. 

La  pente  de  ces  vallées  étant  relativement  très  faible,  la 
limite  des  eaux  est  souvent  très  peu  accusée  et  les  cours 
d'eau  forment  de  nombreux  lacs.  Ces  varices  du  système  hy- 
drographique pcuventn'ôlrcque  temporaires,  eommecelaso 
ïoildansla  vallée  de  l'Ak-sou,  par  exemple  ;d'autresj  comme 
leSarikol  etie  Tchilâb,  forment,  on  un  grand  lac  régulateur, 
ou  un  lac  initial.  Enfln  quelques  uappeti  d'eau,  comme  celle  du 
grandKara-kouljSontles  résidus  d'anciens  lacsbeaucoup  plus 
étendus  et  défluenls  qu'un  manque  de  compensation  à  l'éva 
poration  a  réduits  à  leurs  dimensions  restreintes  actuelles, 
sans  que,  du  reste,  l'équilibre  soit  atteint.  A  l'inspection  de 
différentes  dépressions  et  vallées  tles  Pamirs  on  arrive  en- 
coreà  la  conclusion  qu'à  une  époque  géologique  précédente 
et  relativement  rapprochée,  ces  dépressions  et  vallées  for- 
maient le  fond  de  lacs  très  étendus,  aujourd'hui  vidés,  mais 
ayant  laissé  des  traces  de  leur  existence  sous  forme  de  ter- 
rasses nellement  accusées.  Je  ne  puis  songer  ici  à  entrer 
dans  ledétaildeces  questions,  quelque  intéressantes  qu'elles 
soient  ou  nie  paraissent. 

Rien  n'est  plus  triste  que  l'aspect  de  ces  paysages  où  la 
nature  semble  morte  dans  la  désolation  finale  et  le  vide.  Ce 
vide  est  tellement  poignant,  l'immobilité  tellement  pesante, 
que  la  conception  de  «  l'inéluctable  >  envahit  l'esprit  avec 
une  force  de  mysticisme  incounu.  Alors  le  mouvement  d'une 


506  PAMIR   ET  TCHITRAL. 

herbe  sèche  ou  le  vol  d'un  oiseau,  d'un  nuage,  la  niélopée 
de  la  bise  soufflant  dans  le  canon  du  fusil  pendu  au  dos, 
deviennent  choses  de  l'humanité.  M 

Ecoutons  Woodau  bord  du  lac  Sir-i-Kol  qu'il  vient  de  dé-  ■ 
couvrir  :  <i  Partout  le  regard  ne  rencontre  qu'un  lapis  étin- 
celant  déneige,  landisque  le  ciel  apparaît  comme  une  masse 
noire  et  menaçante.  Rien  ne  repose  les  yeux,  pas  môilae  un 
nuage.  Pas  un  soufile  ne  se  fait  sentir  à  la  surface  du  lac. 
Aucun  être  vivant,  pas  même  un  oiseau,  n'est  visible.  Le  son  ■ 
de  la  voix  humaine  aurait  semblé  une  musique  à  l'oreille  ; 
mais  dans  cette  saison  inhospitalière  personne  ne  pense 
à  s'aventurer  dans  celte  contrée  de  glace.  Le  silence  règne 
aux  alentours,  un  silence  si  profond  qu'il  opprime  le  cœur. 
Et  comme  je  contemplais  les  morues  sommets  de  ces  mon- 
tagnes que  jamais  le  pied  d'un  homme  n'avait  arpentées,  où 
se  sont  accumulées  les  neiges  des  temps  passés,  l'image  de 
ma  chère  patrie  m'apparut  comme  une  vision  sereine.  »  Et 
plus  loin  :  «  Les  hommes,  habitants  des  cités  populeuses,  ont 
beau  parler  des  délices  de  la  solitude;  qu'ils  viennent  passer 
seulement  vingt-quatre  heures  sur  les  bords  du  Sir-i-Kol,  et 
ce  séjour  fera  plus  pour  les  rendre  contents  de  leur  sort  que 
mille  arguments.  Le  vrai  milieu  de  l'homme  est  la  société...  » 

Quelques-uns  de  ces  lacs  ont  leurs  légendes  ;  mais  ce  ne 
sont  point  des  légendes  riantes  ni  sentimentales  d'ondines,  de 
naïades  ou  de  sirènes,  car  le  Kirghize  du  Pamir  n'a  pas  l'ima- 
gination exubérante,  et  les  Loreley  et  les  Mélusine  gèleraient 
sur  le  Pamir  ou  mourraient  d'ennui.  Ce  sont  les  lamenta-  M 
tiens  des  êtres  humains  et  les  plaintes  des  bêtes,  agonisant, 
qu'on  entend  souvent  sur  les  bords  du  lac  Yachii-koul  de- 
puis que  les  Kachgaris  et  les  Khodjas,  fuyant  devant  l'inva-  ■ 
sion  chinoise,  ont  préféré  se  noyer  dans  le  lac  avec  leurs 
femmes,  leurs  enfants  et  leurs  chevaux,  que  de  tomber  aux 
mains  de  leurs  persécuteurs.  Ce  sont  les  dragons  de  Hiouen- 
Thsang  qui  habitent  les  antres  profonds  du  Itang  ou  du 
Kara-koul  et  font  mourir  de  malemorl  l'audacieux  mortel 


PAMIR  ET  TCHITRAL.  507 

qui  tente  de  ravir  le  trésor  qu'ils  gardent  d'un  soin  jaloux. 
C'est  Macfaref,  le  mauvais  génie  de  l'Âlaï,  qui  renverse  la 
marmite  et  fait  périr  de  faim  le  malheureux  voyageur. 

Ces  antres  où  pourraient  se  loger  des  dragons  n'existent 
pas,  géologiquement  parlant,  et  j'en  prends  prétexte  pour 
dire  que  je  ne  connais  aucune  grotte  naturelle  sur  les  Pamirs. 
Ce  sont  tout  au  plus  des  rochers  surplombant  qui  donnent 
on  insufOsant  abri  temporaire  à  de  misérables  bergers  kir- 
ghizes.  L'ossature  géologique  desPamirs  est  faite  de  roches 
priinaires,  schistes  quartzitiques  pour  la  plupart,  avec  des 
afSeorements  de  schistes  métamorphiques  ou  de  roches 
éraptives  relativement   rares.  A  ces   couches   primaires 
s'adossent  des  terrains  secondaires,  représentés  surtout  pai 
des  grès  rouges,  et  enfin  des  dépôts  quaternaires  très  carac- 
téristiques sous  forme  de  conglomérats  adossés  aux  flancs  des 
montagnes,  et  de  ce  terrain  argilo-sablonneux  si  répandu  en 
Asie  centrale  qu'on  appelle  le  loess.  La  répartition  de  ces  con- 
glomérats, terrains  de  transport  violent,  et  la  position  des 
couches  de  loess  démontrent  clairement  que  celui-ci  est  dû  à 
une  action  neptunienne;  on  peut  même  assister  en  quelque 
sorte  à  la  formation,  actuelle  encore,  de  ce  dernier  terrain  sur 
le  modèle,  sans  doute,  de  ce  qui  s'est  passé  à  l'époque  plus 
lointaine  où  la  calotte  glaciaire  qui  avait  envahi  les  vallées 
longues  du  Pamir  fondait  à  la  chaleur  d'un  soleil  moins 
éloigné.  C'est  dire  en  même  temps  que  le&  traces  de  mo- 
raines anciennes  existent  sur  les  Pamirs,  et  il  me  parait  même 
très  probable  que  les  élévations  de  terrains  formant  aujour- 
d'hui des  limites  d'eau  si  peu  accusées  sur  le  Petit  Pamir 
et  sur  l'Âlaï,  ne  sont  que  les  restes  d'anciennes  moraines 
ainsi  que  le  soupçonnait  déjà  Gordon. 

Mais  si  les  vrais  glaciers  furent  étendus  et  abondants  au- 
trefois, il  n'en  est  plus  de  même  aujourd'hui  :  les  Pamirs 
sont  très  pauvres  en  glaciers  de  transport  proprement  dits, 
qui  n'apparaissent  qu'au  contact  de  la  chaîne  de  l'Hindou- 
kouch  dans  la  partie  sud-ouest,  sans,  du  reste,  atteindre  les 


5(tS  rAîHEl    ET   TCKITRAL. 

dimensions  grandioses  de  leurs  voisins  du  bassin  de  l'Indus 
Cependant  la  forme  des  contreforts  et  des  vallées  latérales 
est  très  propice  à  leur  formation  et  h  leur  marche,  et  leur 
absence  doit  Être  attribuée  à  la  quantité  moindre  des  mé- 
téores aqueux  et  au  régime  climatérique  particulier  du 
Pamir,  qui  est  excessif  et  fait  que  la  limite  des  neiges  éter- 
nelles est  très  élevée.  Cette  limite  atteint  en  effet  15,000  pieds 
sur  les  pentes  exposées  au  nord  et  jusqu'à  18,000  pieds  et 
même  18,500  pieds  sur  celles  qui  regardent  le  sud.  Aussi 
presque  toutes  les  passes,  fermées  ou  difficiles  en  hiver, 
sont-elles  libres  de  neige  en  été.  Ces  passes  sont  relativement 
faciles  à  traverser;  beaucoup  d'entre  elles  ne  sont  que  des 
ensellements  en  pente  douce,  ce  que  les  Kirghizes  désignent 
du  nom  spécial  de  bel  (Ûuz-bel,  Béïk-bel,  etc.),  réservant  le 
noox  de  art  (Kizil-art,  Kara-art)  à  la  passe  rocailleuse  et 
plus  pénible,  et  celui  de  davane  (Taldyk-davane,  Terck- 
davane)  à  la  grande  passe  traversant  unecbaînede  premier 
ordre  et  demandant  le  plus  souvent  l'etfort  d'une  ou  de 
plusieurs  journées.  Il  est  un  autre  fait  géologique  intéres- 
sant :  c'est  le  transport  éolien  de  fortes  quantités  de  sable 
provenant  des  dépôts  de  rivière  ou  de  la  décomposition  des 
roches.  Ces  sables,  chassés  par  te  veut  régulier  dans  l'élroil 
couloir  de  quelques  vallées  longues,  s'accumulent  en  dunes 
(baiichanes)  de  pins  en  plus  élevées  qui  s'avancent  d'une 
marche  lente  et  sîire  sous  la  poussée  incessante  de  la  brise 
ou  de  la  tempôte  ou,  s'entassant  les  unes  sur  les  autres, 
s'accouplant  ou  se  dédoublant,  montent  à  l'assaut  des 
pentes  et  des  flancs  de  montagnes  à  des  centaines  de  mè- 
tres de  hauteur.  Telles  on  les  voit,  dans  les  vallées  de  Chat- 
pout  et  de  Kocbaguil,  donner  un  aspect  fantastique  au 
paysage  et  reproduire,  à  l'origine  de  l'Oxus,  les  mêmes 
phénomènes  géologiques  qu'on  observe  dans  son  cours  infé- 
rieur, à  Tchardjoui  et  dans  le  Khiva. 

Ou  n'avait,  avant  notre  voyage,  que  des  données 
précaires  sur  la  météorologie  du  Pamir  eu  hiver,  et  ces  d 


PAMia  ET   TCHITRiVL. 


509 


nées  reposaient  eu  majeure  partie  sur  le  dire  des  indigènes. 
Les  chiffres  et  les  observations  que  nous  pouvions  récolter 
nous  semblèrent  donc  avoir  une  certaine  valeur,  non  moins 
que  les  autres  documents  d'ordre  géo-physique  à  recueillir 
à  celte  époque  de  l'année;  car  on  ne  s'aventure  pas  dans  les 
neiges  du  Pamir  pour  la  peu  fructueuse  satisfaction  person- 
nelle de  ne  pas  y  être  resté  et  de  vous  le  raconter  ensuite. 
1^  caractéristique  de  ce  climat  est  une  forte  amplitude  des 
températures  à  l'ombre  et  au  soleil,  du  jour  h  la  nuit  et  de 
i'élé  à  l'hiver.  En  été,  le  thermomètre  monte  souvent  jus- 
qu'à 75"  G.  au  soleil  et  descend  en  hiver,  pendant  la  nuit, 
jusqu'à  50"  C.  au-dessous  du  zéro,  ce  qui  fait  une  différence 
de  125  degrés. 

Nous  n'avons  constaté  de  visu  que  44"  G.  au-dessous 

de  zéro  dans  la  nuit  du   31   mars,  aux  bords  du  Rang- 

koul,  mais  il  est  certain  que  ce  chiffre  n'est  pas  le  minimum 

de  l'année.  La  température  tombe  très  rapidement  après  le 

coucher  du  soleil  et  se  relève,  de  môme,  très  vite  au  soleil. 

Dans  la   même  journée,  l'écart  entre  la  température  au 

soleil  et  à  l'ombre  est  géuératenient  considérable.  Souvent 

nous  l'avons  vu  atteindre  20°  G.,  c'est-à-dire  —  5°  C.  à 

l'ombre  et  -{-  ib"  C.  au  soleil. 

Un  filet  d'eau  de  neige,  fondue  au  soleil  et  au  contact  d'un 
objet  de  coloration  foncée,  regèle  sans  tarder  à  i'ombrede 
ce  même  objet.  Que  de  fois,  étant  à  cheval,  pour  ne  pas 
geler  de  la  moitié  du  corps  à  l'ombre,  nous  sommes-nous 
retournés  pour  avoir  une  plus  agréable  répartition  du  calo- 
rique céleste! 

Les  courbes  thermomélriques  sont  donc  1res  irrégulières, 
el  si  on  voulait  juger  du  climat  des  Pamirs  par  des  moyennes, 
on  arriverait  à  des  idées  fausses.  Aussi  la  répartition  des 
saisons  n'est-elle  nullement  comparable  îi  celle  des  pays 
situés  sous  les  mêmes  latitudes.  Sur  le  Pamir,  l'hiver  ne 
dure  pas  moins  de  sept  mois,  et  Télé  sans  gelées  nocturnes,  h 
peine  de  deux  ou  trois  semaines.  C'est  dire  qu'il  n'y  pleut  près- 


i 


510  PAMIR   KT   TCIIITRAL. 

que  jamais,  mais  que  les  précipités  se  font  surtout  sous  forme 
de  neige  ou  de  grSle;  cependant  ces  quantités  de  météores 
aqueux  sont  bien  moins  consif^érabies  qu'on  ne  pourrait  le 
croire,  et  les  Pamirs  sont  moins  chargés  de  neiîJje  que  les 
régions  prépamiriennes,  telles  que  l'Alaï  par  exemple.  Cette 
iuégale  répartition  ressort  visiblement  d'une  carte  spéciale  ■ 
que  j'ai  dressée  à  cet  effet,  en  y  marquant  les  observations 
recueillies  journellement  et  sur  lesquelles  j'aurai  l'occasion  y 
de  revenir  dans  un  travail  spécial.  fl 

J'ajouterai  seulement  que  le  régime  des  vents  est  assez 
régulier  en  certaines  vallées  longues,  comme  celle  d'Ak-tach 
par  exemple,  oii  le  vent  du  printemps,  remontant  la 
gorge  étroite  du  Wakhane,  sous  le  nom  de  Bad-i-Wakbane 
(Gordon),  souffle  avec  une  force  et  une  régularité  parfois 
très  gênantes.  II  en  est  de  même  sur  l'Alaï.  Ailleurs,  les 
impasses,  les  enchevêtrements  de  chaînes,  les  promontoires,  M 
déterminent  un  certain  nombre  de  points  critiques  oîi  le 
régime  des  courants  d'air  devient  local  et  très  changeant, 
suivant  l'échaulfement  irrégulier  des  couches  d'air  dans  un 
rayon  de  peu  d'étendue. 

On  observe  encore  sur  les  Pamirs  im  fait  constaté  souvent 
ailleurs,  à  savoir  que  les  grands  froids  qui  font  congeler  le 
naercuresont  accompagnés  d'accalmies;  el  il  est  fort  heu- 
reux qu'il  en  soit  ainsi,  car  on  sait  qu'un  froid  moyen  de 
20  C.  au-dessous  de  zéro,  avec  une  bise,  est  plus  sensible 
qu'un  froid  de  30"  C.  sans  vent.  On  se  demande  alors  com- 
ment non  seulement  l'homme,  mais  encore  les  grands 
mammifères,  mieux  hiibilléselacclimatés  que  lui,  pourraient 
résister  à  ces  températures  inférieures  à  celles  du  cercle 
polaire  et  aggravées  par  les  effets  déprimants  de  l'altitude, 
lorsque  l'oxygène  se  fait  plus  rare  et  le  coeflicient  des  mou- 
vements musculaires  plus  élevé. 

Je  crois  cependant  que  cette  aggravation  est  mitigée  dans 
une  certaine  mesure  par  une  réaction  physiologique  qui 
s'opère  dans  la  répartition  du  sang  dans  le  corps.  Cette 


I 


PAMin   ET  TCHITRAL, 


511 


répartition  est  troublée  par  les  effets  de  l'altitude,  sur- 
tout la  diminution  de  pression  atmosphérique,  elle  trouble 
se  manifeste  par  des  vertiges,  bourdonnements  dans  les 
oreilles,  céphalalgie  et  hyperémie  de  la  peau.  Cet  afflux  de 
sang  vers  la  périphérie  apparaissait  surtout  chez  nos  che- 

[Taux,  peinant  sous  leur  charge  dans  la  neige  et  à  la  montée 
des  passes.  Tous  avaient  k  robe  marbrée  de  filets  de  sang 
figé,  échappé  des  veines  superlicielles  crevées  sous  l'elTort- 
Or,  le  sang  étant  le  grand  réservoir  de  chaleur,  la  déperdition 
du  calorique  à  la  surface  du  corps  et  dans  les  poumons 
abaisse  bien  la  température  générale  moyenne  du  corps, 
taais  arrive  beaucoup  moins  rapidement  aux  effets  funestes 
«le  l'algidité  centripète.  Nous  avons  géuéralement  laissé  au 
soleil  le  soin  de  nous  réchauffer,  sans  jamais  avoir  recours  à 
la  ctidleur  factice  de  l'alcool.  J'attrape  des  rhumes  àParisot 
je  n'en  avais  point  sur  le  Pamir. 

Les  effets  de  l'altitude,  sur  lesquels  on  a  déjà  tant  écrit, 
jenousontpas  présenté  lesdifliijiultés  auxquelles  on  s'alten- 
il.  Personne  n'en  a  été  incommodé  au  delà  d'un  malaise 
ssager.  Le   nombre  des  pulsations  et  des  mouvements 
spiratoires  était  accru  ;  j'ai  compté  sur  moi  un  maximum 
de  180  pulsations  et  de  5t>  mouvements  respiraloiics  par 
minute  à  la  montée  très  pénible  de  la  passe  de  Kizil-Art;  — 
mais  si  les  effets  de  Taltitude  joints  à  la  pénurie  de  nourri- 
ture sont  devenus  néfastes  à  nos  chevaux,  les  hommes  ont 
marqué  une  tendance  à  l'adaptation  à.  ces  effets,  et  je  partage 
l'avis  de  Jacquemont,  qui  estime  qu'en  dehors  de  la  prédis- 
position  individuelle  et  anormale,    le  mal  de  montagne 
accuse  comme  première  cause  la  fatigue  musculaire*. 

M.  ViauU  vient  de  trouver  que  le  sang  des  montagnards 
de  grande  altitude  est  plus  riche  en  globules  rouges. 

Enfin,  pour  terminer  celte  rapide  esquisse  des  conditions 
géo-physiques  que  le  voyageur  rencontre  sur  les  Pamirs, 

I    Voir  pour  plus  de  détails  :  C.  Capus,    Efl'ets  de  l'altitade  sur   lue 
hauU  plateaux  (7)ev»e  tcitnlifiiiut,  n°  25,  1889). 


i 


\ 


512  PAMIR  ET  tchithal. 

nous  constatons  que,  rareonent,  il  lui  est  donné  d'admirer 
une  atmosphère  aussi  cristallinement  transparente  que  celle 
du  «  Toit  du  monde  »,  lorsque  le  ciel  voilé  ne  couve  pas  la 
tempête  de  la  nuit  ou  que  la  brume  opaline  n'entoure  la 
lune  d'un  halo  qui  l'emprisonne  dans  un  grand  cercle  lai- 
teux. Alors  tous  les  astres  brillent  d'un  éclat  inconnu  et  dar- 
dent des  rayons  tellement  longs,  qu'ils  paraissent  jaillir  de 
l'œil  du  spectateur.  La  lune  elle-jnÊme  semble  chauirer  la 
terre  de  son  éclat  d'emprunt  et  accuser  à  la  surface  de  la 
planète  les  ombres  fortes  de  ses  cratères  éteints.  Ce  sont  de 
ces  nuits  vides  de  son  et  remplies  de  a  pâle  clarté  y>  que  n'ou- 
blie aucun  de  ceuxquiles  ont  contemplées.  Au  jour,  le  soleil 
lance  ses  rayons  à  travers  une  atmosphère  faiblement  char- 
gée de  vapeur  d'eau,  allume,  en  glissant  sur  la  neige,  des 
milliards  de  feux  sur  les  crislaux  de  glace  et  vient,  en  fil- 
trant à  travers  le  poil  des  pelisses  impuissantes  et  par  le 
bord  des  lunettes,  irriter  les  yeux  et  crevasser  la  peau. 

Dans  ce  climat  excessif  vivent,  été  comme  hiver,  mal- 
gré les  froids,  les  tempêtes  et  la  raréfaction  de  l'air,  des  ani- 
maux, des  planLes,  constituant  une  faune  et  une  flore  beau- 
coup plus  riches  qu'on  ne  l'aurait  supposé  a  prton*.  Leplus 
important  représentant  de  cette  fiiune,  primus  inter  pares , 
est  l'homme.  DeTAlaï  au  Wakhane  et  au  Kandjout,  les  Pa- 
rairs  se  couvrent  en  été  d'une  savoureuse  et  ondoyante 
couverture  de  pacages  dont  Marco  Polo  déjà  nous  vante  les 
qualités,  en  disant  qu'  «  une  maigre  jumenty  deviendrait  bien 
grasse  en  dix  jours  ».  Alors  de  toutes  parts  affluent,  des 
vallées  basses,  au  fur  et  à  mesure  que  les  neiges  fondent  sur 
les  hauteurs  de  phis  en  plus  élevées,  les  Kirghizes  avec  leurs 
troupeaux  d'animaux  domesliques.Ils  plantent  leurs  tentes  m 
et  leurs  foyers  et  restent  jusqu'à  ce  que  les  pâturages  soient 
épuisés  ou  que  les  neiges  de  l'hiver  les  forcent  à  la  retraite. 

Ceux  qui  le  peuvent  reprennent  le  chemin  de  leurs  cam- 
pements d'hiver  des  basses  altitudes  cl  des  vallées  couvertes 
et  plus  chaudes.  Les  autres^  soit  habitude  héréditaire,  soil 


PAMIR  ET  TCniTRAL.  513 

force  des  circonstances,  restent  et  forment  la  population 
hivernale  du  Pamir.  Car  le  «  Toit  du  monde  »  constitue 
pour  beaucoup  d'entre  eux  une  sorte  de  refugium  peccatù' 
rum,  de  best'  naturel  où,  poursuivis  par  la  vengeance  de 
leurs  semblables  pour  un  crime  tombant  sous  la  loi  de  la 
vendetta,  insoumis  aux  lois  de  leur  pays  ou  réfugiés  poli- 
tiques après  avoir  été  révotlés  malheureux,  ils  vivent  une 
vie  raisérable  ou  font  le  métier  d'écuraeur  des  Pamirs  en 
jouissant  d'une  liberté  de  fauves.  Des  Kachgariens,  des  Wa- 
Ihis,  des  Kirghizesdu  Fergana,  mèine  des  Afghans  sont  ainsi 
Tenus  se  réfugier  sur  les  l*amirs,  où  les  Chinois  de  Karhgar 
ne  les  inquiètent  pas  pourvu  qu'ils  payent  l'impôt  et  les 
aident  à  empêcher  les  voyageurs  scientiflques,  par  exemple, 
Je  poursuivre  leur  roule. 

Quant  aux  réfugiés  politiques,  c'est  Abdoullah  qui, après 
avoir  mené  une  campagne  malheureuse  contre  les  troupes 
<le  Skobeleir  marchant  sur  l'Alaï,  vécut  pendant  quelque 
temps  sur  le  Pamir,  puis  s'en  alla  mourir  ;\  Caboul  où  il 
avait  vainement  demandé  à  Chir-Ali  d'embrasser  sa 
cause.  C'est  encore  Sadjk,  c'est  Sahib-Nazar,  la  terreur  des 
Kirghizes,  quivit,  vieux  et  couvert  de  blessures,  dans  la  vallée 
du  Koudara  où  ses  fils  et  ses  petits-fils  continuent  à  ren- 
çonner  leurs  voisins  de  pâturages.  Mais  depuis  que  les 
Russes  ont  reculé  leur  frontière  jusqu'à  l'entrée  de  son 
repaire,  il  a  mis  une  scuurdine  h  ses  instincts  de  brigandage 
et  s'adonne,  en  apparence  du  moins,  à  la  dévotion.  En 
dehors  de  ces  out-laws  qui  sont  l'exceplionj  les  Kirghizes 
hivernant  sur  les  Pamirs  appartiennent  à  quatre  tribus 
Kara-Kirghizes,  dont  celle  des  Tdtts  est  la  plus  nombreuse. 
Nous  les  avons  trouvés  au  Rang-Koul,  sur  le  Mourg-ib,  à 
Ak-tach  et  surtout  le  long  de  l'Ak-Sou  sur  le  petit  Pamir. 
C'est  qu'en  effet  ces  endroits  sont  relativement  peu  char- 

1.  On  appelle  besl,  en  Perso,  un  endroit  sacro-saint  où  le  réfugient 
les  criminels  et  les  coupitbIeB,  saas  que  la  justice  des  hommes  y  puisse 
les  atteindre. 


514 


PAMIR   ET  TCHITRAL. 


gés  de  neige,  et  le  bélail  trouve  bien  encore,  quoique  pré- 
caire, une  nourriLure  à  paîlre  :  parfois  sous  la  neige  une 
herbe  sfcche  et  fanée  de  l'été  passé.  Ces  Kara-Kirghizes  ou 
Bouroutes  sont  de  même  race  que  ceux  de  l'Alaiet  des  val- 
lées du  Thian-chan  nu  nord  et  à  Test  du  Fergana,  très 
apparentés  du  reste,  anthropologiquement,  avec  les  Kirghizes 
des  steppes  qu'on  appelle  Kazakn  ou  Kaisaks. 

Au  physique,  les  caractères  saillants  du  Turco-Mogol. 
D'aucuns  cependant  ont  les  pommettes  moins  saillantes,  les 
yeux  moins  bridés,  la  face  moins  aplatie  et  le  système 
pileux  très  développé  :  ce  qui  fait  penser  à  un  métissage 
probable  médiat  ou  immt^diat  avec  les  tribus  ariennes  ou 
tadjiques  de  Tach-Kourgane  et  du  Wakhane.  Aux  oarac-i 
tères  mongols  correspond  une  taille  moyenne,  aux  autres 
une  taille  plus  élevée. 

Ils  ont  l'ossature  grossière,  les  muscles  assez  peu  déve-, 
loppés,  secs,  la  cage  thoracique  ample.  Ils  paraissent,  en. 
somme,  moins  rabougris  qu'on  ne  l'aurait  attendu  d'indi- 
vidus vivant  dans  d'aussi  mauvaises  conditions  de  milieu. 
Uneparticularité  caractéristique  est  le  mauvais  état  de  leur- 
dentition.  Tandis  que  leurs  fri^res  ethniques  de  la  plaine  se 
distinguent  par  des  mftchoires  modèles,  ceux-ci  ont,  tous, 
les  dents  plus  ou  moins  cariées,  ou  tombées,  ou  branlantes. 
Cela  est  sans  doute  un  efTel  de  l'usage  qu'il  font  de  l'eau  de 
neige  ou  de  glace  et  de  l'absence  du  riz  dans  leur  alimen- 
tation journalière.  L'usage  de  grain  torréfié  produit  aussi 
Chez  eux  l'usure  horizontale  des  incisives  et  des  canines 
comme  chex  les  herbivores,  et  on  peut  voir  des  individus 
avec  les  dents  usées  de  la  sorte  jusqu'au  ras  de  la  gencive, 
ce  qui  les  empêche  de  se  gâter.  Le  fonds  de  leur  nour- 
riture est  le  laitage  et  ses  produits,  notamment,  et  souvent 
exclusivement,  le  lait  et  le  fromage  de  yack  ou  houtass. 
IvanofI' rapporte  une  utilisation  bizarre  de  la  croûte  de  ce 
fromage.  Les  Kirghizes  lui  ont  affirmé  qu'ils  s'en  servaient 
fréquemment  pour  remplacer  —   les  fers  à  cheval.  Ils 


PAMIR  ET  TCHITRiO,.  515 

découperaient  dans  l'écorce,  dure  et  coriace  comme  du 
cair,  des  lanières  à  la  forme  du  sabot,  qui,  appliquées  en 
gQÏse  de  fer,  résisteraient  durant  plusieurs  jours  aux  aspé- 
rités et  aux  cailloux  de  la  route.  Peut-être  qu'à  elle  seule 
la  mastication  de  ce  fromage  expliquerait  l'usure  de  leurs 
dents!  Le  pain  est  un  luxe  que  la  plupart  ne  peuvent  que 
rarement  s'offrir. 

Ils  vont  chercher  le  blé  et  le  grain  dans  le  Wakhane  et  le 
Ghoagnane,  pays  limitrophes  où  ces  céréales  sont  cultivées. 
L'usage  intermittent  de  la  viande  n'est   permis  qu'aux 
f  riches  »,  car,  les  troupeaux  étant  leur  seule  richesse,  les 
épidémies  fréquentes  les  condamnent  moins  à  l'abstinence 
qoe  le  hauvre  hère  qui  voit  périr  ses  bêtes,  son  capital,  à 
la  porte  de  sa  tente  et  sous  ses  yeux,  sans  que,  de  par  la  loi 
religieuse,  il  lui  soit  permis  de  manger  de  la  viande  de 
bètes  mortes  autrement  que  sous  le  couteau  expérimenté 
do  croyant  musulman.  Ils  sont  en  effet  musulmans  sun- 
nites, mais  combien  est  difficile  pour  eux  l'exécution  de 
tous  les  préceptes  que  le  prophète  a  édictés  à  l'usage  d'un 
peuple  de  pays  chaud  et  de  plaine!  Inutile  de  dire  que 
l'hygiène  est  leur  moindre  souci,  que  le  mot  c  lavage  » 
oe  doit  pas  avoir  de  vocable  dans  leur  dictionnaire  et  que 
leurs  pratiques  religieuses  se  bornent  à  l'imitation  d'un 
roisin  à  qui  la  température  bénigne  permet  d'enlever  son 
manteau  pour  l'étendre  par  terre  et  faire  la  prière  du  soir 
60  face  d'un  beau  coucher  de  soleil.  On  trouve  parmi  eux 
quelques  moullahs,  cumulant  leurs  fonctions  sacerdotales 
avec  celles  de  scribe  du  bi  ou  chef  de  certains  aouls  ;  mais 
ces  personnages  ont  moins  d'autorité  que  le  pir,  saint 
personnage  ambulant  qui  prêche  d'exemple  la  morale  et  les 
vertus  et  se  laisse  vivre  par  la  charité  mesurée  à  la  foi  du 
croyant. 

Cependant  si  les  Kirghizes  du  Pamir  sont  moins  prati- 
quants que  les  musulmans  de  la  plaine,  s'ils  exploitent  et 
volent  le  mousselmân  aussi  bien  que  le  Jcâfir  de  passage 


516  PAMIR    ET   TCniTRAL. 

chaque  fois  qu'ils  le  peuvent,  ils  ont  cependant  le  respect 
des  morts  plus  à  cœur  que  ceux  de  plaine  et  leurs  cimetières 
font  une  impression  beaucoup  moins  navrante.  Presque 
toutes  les  tombes  sont  ornées,  soit  de  rangées  de  cailloux  de 
couleur  ramassés  dans  la  rivière,  soit  de  rangées  de  baguettes 
de  bois,  soit  entourées  d'un  mur  en  pisé  ou  recouvertes  ■ 
d'une  bâtisse  coupolée.  Ces  tombeaux,  réunis  en  Gouristane, 
sont  les  seules  traces  de  leur  passRge  dans  une  région,  car 
ils  habitent  la  tente  en  feutre  comme  tous  les  nomades  de  ■ 
l'Asie  centrale.  Il  faut  croire  qu'ils  s'y  trouvent  plus  à  leur 
aise  ou  que  le  sentiment  nomade  est  bien  inné,  car  il  leur 
serait  facile  de  construire  des  huttes  pour  l'hiver  qui  les 
garantiraient   mieux  des   intempéries  que    les   morceaux*! 
de  feutre  recouvrant  les  bâtons  de  leur  oï.  Mais  l'amour  do     i 
la  maison  portative  du  nomade  résiste  au  climat.  N'avons-    j 
nous  pas  vu  le  khan  de  Khiva,  d'origine  ouzbéque,  préférer  ■ 
une  tente  blanche,  dressée  dans  une  cour  de  son  palais,  à  un 
de  ses  appartements,  et  les  Turcomans,  les  Ouzbegs  et  les 
Kirghizes  do  la  plaine  dresser  leur  oï  ou  leur  iourte  en 
dedans  des  quatre  murs  de  leur  cour  ou  de  leur  zimovkal    M 

Sous  cette  calotte  de  feutre  que  la  tempÊle  essaye  vaine-  i 
ment  d'emporter,  le  Kirghize  pamirien  vit  pêle-mêle  avec 
ses  femmes,  sa  progéniture  et  souvent  celle  de  ses  trou- 
peaux :  car,  aux  vagissements  des  enfants  au  berceau  se 
mêlent  des  bêlements  d'agneaux,  de  chevreaux  ou  d'un 
jeune  koutass  partageant  la  couche  et  la  chaleur  animale 
de  la  jeune  famille.  Aux  alentours,  les  troupeaux,  rentrés  le 
soir,  ont  déposé  leur  tribut  journalier  de  fumier  qui  sert 
de  combustible.  Des  carcasses  à  demi  rongées  de  bêtes  cre- 
vées erapuantent  l'atmosphère,  des  chiens  sournois  rôdent 
en  quête  de  bataille  ou  de  distraction  et,  lamentablement, 
nn  cheval  élique  au  premier  plan  complète  la  scène  ordi- 
naire d'un  aoul  d'hiver  sur  le  Pamir. 

Comment  faire  à  ce  Kirghize  un  reproche  de  son  apathie 
et  de  sa  paresse?  A  quelle  besogne  noble  et  grande  appli- 


PAiim  RT  TCHITRAt.  7A1 

querait-il  son  ioiLialive  physique  et  inLelleclaelle,  lorsque  le 
moindre  ciTort  musculaire  le  réduit  k  l'impuissauce  o|. 
filigoe  son  corps  mal  nourri  et  mal  construit?  Déoidémeut,; 
lïvaleur  des  vertus  se  mesure  aux  latitudes  et  aux  milieux, 
Uu'est  donc  pas  élomaaiit  que  l'avenir  de  ces  Kirgliîzes 
pamiriensctle  rôle  social  et  politique  qu'ils  pourraient  jouer^ 
suieot  à  peu  près  nuls.  Ils  n'ont  point  d'unilô,  à.  peine  celle  , 
(l'origine,  et  ta  solidarit^ise  bgr^e  .aux  I^gos  impaédiats^fie. 
Icgoïsme  du  foyer.     ,-,^j,,^i,.,u,  ,,  a,„„«rt.,  -,{ nn^unxi  •(  list'jel 
Ils  sont  actuellement  sujets  deE^açhgHr,  mais  il  leur  serait 
au  moinsiiidifférent  d'être  sujets  du  Izarblauc,  pourvu,  qu'il?., 
soient  protégés  des  brigandages  et  expursions.de  leuf^vpjiff., 
sins  pillards  les  Kanjoulis,  de  SaJiib-Nazar,  et  de  Toppre^-, 
sjon  du  colIeç.tç,ar  d'impôts  irréguliers  et  ruinenx.  ,   ,  |,. 

Car,  nous.rajvons  vu,  les  troupeaux  de  bétail  et  Içs  ani,- 
1UU.T:  domestiques  sont  leur  unique  richesse.  C'est,  en  prç; 
mier,  Jieu  te  yack   ou  keulass  (lios  ;irnnnien.t),  bceuf  Jf,, 
qoeuede  cheval  qui  préfère,  les  froids  et  l'air  raréfié  desUau;],, 
tejijfS  à  la  pifiine  basse,  quoique  heibeuse,  où  il  dépéritraf^j-  , 
liemenL.  Il  leur  donne  non  seulement  du  lait  et  de  la  viande, 
ma^?  il  sert  encore  de  bote  de  somme  et  dç  monture. 
Pu;a.le  moulou  de,la,  rap^  stéatopyge,  ^ilus  petit,,  moi|çi^^ 
chf^rgé  de  graisse  que  celui  de  la  plaine.  Il  se  reproduit  fort, 
bien,  et  nous  avons  vu  souvent  le  berger,  en  rentrant  le  sojr 
à  l'aoul^apporter chaudement  enveloppé  dans,  une  loque  (^e  , 
feutre  ou  un  morceau  de  son  manteau,  l'agneau  di|  jour,  quç,| 
la  mère  inquiète  suit  en  bêlant.  La  chèvre  aussi,  petite  de  i 
taille,  couverte,  ainsi  que  le  mouton,  d'une  laine  cgaiss^, 
s'accUijate  au  Pamir  ^içaucoup  mieux  qu^  Ip  pUeYal.et.^^ 
chameau,  qui  se  rapetissent,  deviennent  éliquesaveç  ua^ros. 
vealrt^enliiver:  car  il  leur  faut,  par  la  quantité,  suppléer  à  ^a 
qualité  du  fourrage  ainsi  que  ces  géopliages  de  l'Amérique , 
du  jSud  qui  n'ont  que  du  ventre.  Mpins  heureux  qi^e  jc^;^^ 
rongeurs  qui  s'endorment  sous  terre  en  attendant  le  retour 
du  printerapSj,  les  herbivores  domestiques  sont  forcés  de 

«oc  DE  OÉOCR.  —  i'  THiaESTRE  1800.  XI.  —  .ii 


518 


PAMIR   ET  TCHirnAL. 


chercher  sous  la  neige  leur  maigre  pitance,  car  le  Kirghize 
ne  fait  pas  de  provision  de  foin.  Les  chevaux  ont  acquis  l'ins- 
tinct, j'allais  dire  l'intelligence,  de  faire,  en  piaffant,  des 
trous  dans  la  neige  ;  la  tète  enfoncée  jusqu'aux  yeux,  ils 
savent  cueillir  de  leur  bouche  affamée  les  brindilles  d'herbe 
morte  de  l'année  dernière.  Certains  endroits  du  Pamir,  et 
c'est  là  que  les  Kirghizes  s'établissent  de  préférence  en  hiver, 
sont  toujours  à  peu  près  libres  de  neige,  et  les  troupeaux  de 
bétail  y  trouvent  le  chaume  à  meilleure  portée.  V 

Tous  ces  animaux  se  couvrent  en  hiver  d'une  robe  plus 
fournie  qu'ils  échangent  en  été  contre  un  poil  plus  léger.  Le  _ 
chien  même  présente  cette  mue  à  un  degré  tel,  que  son  poil,'^! 
se  détachant  en  été  à  l'instar  de  celui  du  chameau,  en  larges 
plaques,  est  utilisé  pour  la  confection  du  feutre.  Ce  «  chien 
à  laine  b  a  des  qualités  de  résistance  au  froid,  à  la  fatigue^ 
qu'on  chercherait  vainement  chez  les  nôtres.  A  4,500  mètres 
mètres  d'altitude,  ils  poursuivent  le  gros  gibier,  mouton  et 
chèvre  sauvage,  et  soutiennent  sans  fatigue  apparente  des 
courses  folles  dans  les  rochers  oh  souvent  ils  forcent  la  béte 
aux  abois.  M 

Si,  delà  faune  domestique,  nous  passons  à  la  faune  sau-  '■ 
vage,  nous  trouvons  tout  d'abord  une  richesse  inattendue  en 
représentants  des  classes  supérieures:  mammifères,  oiseaux, 
poissons.  Les  mammifères  sont  représentés  par  une  ving- 
taine d'espèces  parmi  lesquelles  :  la  panthère.  Tours,  le  Ijnx, 
le  loup,  le  renard,  le  porc-épic  à  museau  hirsute,  le  lièvre, 
la  grande  marmotte  à  queue,  une  espèce  de  chauve-souris, 
puis  les  grands  moutons  sauvages  et  la  chèvre  sauvage.  Le 
plus  beau  et  le  plus  étrange  de  ces  animaux  est,  sans  contre- 
dit, le  superbe  mouton  sauvage  qui  porte  le  nom  scientifique 
d'Ovis  Poli  et  que  les  indigènes  appellent  arkar  ou.  katch- 
kar.  Il  a  la  taille  d'un  gros  veau;  sa  lèle  porte  deux  for- 
midables cornes  noueuses,  contournées  en  spirale  élégante- 
j'en  ai  mesuré  qui  avait  plus  de  2  mètres  20  de  longueur, 
d'une  extrémité  h.  l'autre.  Le  poids  seul  du  squelette  de  la 


PAMIR  ET  TCHITRAL.  519 

tête  et  des  cornes  atteint  35  kilos.  L'animal  entier,  non  vidé, 
pèse  souvent  300  kilogrammes.  C'est  le  plus  beau  et  le  plus 
élégant  gibier  du  monde  :  c'est  aussi  le  plus  difficile  à  tuer.  Il 
n'est  guère  possible  de  le  poursuivre  autrement  qu'à  cheval,  à 
moins  de  l'attendre  à  l'affût  comme  font  les  indigènes.  Très 
défiant,  le  troupeau  se  fait  garder  par  une  sentinelle  vigilante 
qui,  à  l'approche  du  danger,  dunne  le  signal  de  la  fuite  à 
500  mètres  au  moins,  et  toute  la  bande,  dans  une  course 
légère  et  rapide,  disparait  dans  les  hauteurs  rocailleuses,  non 
sans  s'être  à  différentes  reprises  arrêtée  pour  juger  de  l'op- 
portunité de  la  fuite.  Nous  les  avons  rencontrés,  en  bandes 
nombreuses,  de  10  à  25  individus,  dans  presque  toutes  les 
vallées  des  Pamir  que  nous  avons  suivies  ;  mais  en  été  ils 
regagnent  le  voisinage  de  la  limite  des  neiges  éternelles, 
fuyant  l'homme  au  plus  loin  et  se  tenant  entre  15,000  et 
17,000  pieds  d'altitude.  Leurs  dépouilles  sont  très  rares 
dans  nos  musées  :  grâce  à  MM.  Ridgway  et  O'Gonnor,  notre 
Muséum  d'histoire  naturelle  en  possède  maintenant  plu- 
sieurs magnifiques  spécimens. 

Szévertzow  relève  jusqu'à  119  espèces  d'oiseaux  des 
Pamirs  connus  jusqu'alors.  On  y  trouve  le  superbe  vautour 
de  l'Himalaya,  le  gypaète  barbu,  des  faucons,  milans, 
buses,  trois  espèces  de  corbeaux,  des  ramiers,  des  tour- 
terelles, la  bergeronnette,  l'alouette,  la  perdrix  des  neiges  du 
Thibet  et,  même  en  hiver,  plusieurs  espèces  de  palmipèdes 
et  d'oiseaux  aquatiques  sur  les  cours  d'eau  qui  ont  crevé 
leur  tonnel  de  glace  et  leur  permettent  de  pécher  le  poisson 
on  de  se  nourrir  d'algues.  Souvent,  lorsque  tout  semblait 
mort  dans  le  paysage  pamirien  enseveli  sous  la  neige,  nous 
vîmes  au-dessus  de  notre  tête  un  vautour  décrire  ses  orbes 
et  fondre  ensuite  sur  quelque  malheureux  lièvre  sorti  de  son 
halot;  ou  bien  d'une  crique  défoncée  de  l'Ak-sou  nous 
arrivait  le  cancanement  d'une  bande  de  canards  indiens,  et 
un  corbeau  de  l'Âlal,  au  bec  et  aux  pattes  rouges,  traversait 
la  gorge  d'un  vol  effarouché.  Au  milieu  de  la  tempête, 


5-20 


PAMin    ET   TCJIITIIAL. 


lorsque  les  Ilocons  de  neige  nous  cachaient  la  vue  à  trois 
pas,  nous  enlendimes  souvent  avec  plaisir  le  gloussement 
de  la  grande  perdrix  royale  appelant  de  son  nom,  kahiick, 
ses  compagnes  cachées,  comme  elle,  dans  les  replis  de  la 
penlc  rocailleuse. 

Rappelons  enfin  la  présence  sur  le  Pamir  de  quelques  es- 
pèces debratraciens;  disons  la  pénurie  de  serpents,  de  tortues 
et  de  lézards,  tous  animaux  aimant  les  «  bains  de  soleil  », 
qu'ils  ne  trouveraient  point  à  leur  gré  en  supposant  qu'ils  y 
trouvassentleur  nourriUire  et  legîteasse/.  chaud,  et  signalons, 
dans  les  eaux  courantes,  la  présence  de  nombreux  poissons, 
parmi  lesquels  des  truites  que  dédaignent  les  Kirgbizes  et, 
d'après  Szévertzow,  une  demi-douzaine  d'espèces  particu- 
lières, dont  le  nombre  connu  a  certainement  augmenté 
depuis. 

La  floredes  Pamirs  n'est  pas  très  variée,  mais  très  curieuse. 
On  y  voit  une  plante  des  steppes  par  e.\:cellence,  le  stipepenné, 
monter  jusqu'à  l'altitude  de  11,000  pieds.  Los  arbres  s'ar- 
rêtent au  seuil  de  l'Alaï,  genévrier  et  bouleau,  pour  ne  repa- 
raître que  dans  le  Wakhane;  mais  un  arbuste,  le  tamnrix, 
répandu  à  l'oison  sur  le  sol  salin  des  steppes  du  Turkestan, 
mon  tejusqu'à  l'ai  tiludeexlraordinairode  plus  de  13,000pieds. 
Le  Pamir  garde  de  la  sorte  sou  caractère  floristique  de 
steppe  par  les  plantes  typiques  qu'on  y  rencontre.  Même  le 
l'osena  {Lasiat/rostia  splendcns)  croît  au  bord  des  lacs  dans 
les  vallées  les  moins  élevées,  et  une  espèce  decarex  couvre, 
sur  de  grandes  surfaces,  le  sol  salin  des  dépressions.  Des 
festuca,  des  armoises,  des  labiées,  quelques  crucifères  et 
légumineuses  hardies  et  passagères,  affrontent  les  gelées 
hâtives  d'un  été  éphémère.  Parmi  ces  plantes,  utiles  au 
bétail,  jusqu'au  vulgaire  roseau  dont  les  jeunes  pousses 
servent  de  fourrage,  l'homme  utilise  une  labiée  naine  à 
laquelle  les  indigènes  donnent  le  nom  de  terskenne  ou  de 
haviperruouich.  il  s'en  sert,  concurremment  avec  le  fumier 
des  troupeaux,  de  combustible.  On  la  trouve  en  assez  grands 


I 

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I 

I 

i 


PAMIR   ET  TCHITRAL.  521 

quantité  auRang-Koul,  auKara-koul,dans  la  vallée  de  l'Ak- 
sou,  etc.,  et  le  voyageur  sur  le  Pamir  en  hiver  est  très  heu- 
reux de  la  rencontrer  pour  qu'il  puisse  boire  une  tasse 
de  thé  et  faire  cuire  une  poignée  de  riz. 

Mais  si  les  vallées  du  Pamir,  dans  leur  sauvage  nudité,  ne 
présentent  pas  cette  glorieuse  et  exubérante  richesse  de  flo- 
raison printanière  qu'on  observe  dans  la  steppe,  elles  ont 
pourtant  leur  charme,  et  souvent  la  majestueuse  grandeur 
du  paysage  laisse  dans  le  souvenir  du  voyageur  l'image  des 
plus  grandioses  et  des  plus  saisissants  tableaux  de  la  nature. 
Rien  n'est  beau  comme  l'Alaï  lorsqu'au  printemps  l'immense 
vallée  se  couvre  d'un  tapis  ondoyant,  d'abord  vert  tendre, 
puis  argenté,  de  hautes  graminées;  quand,  sous  les  caresses 
ardentes  d'un  soleil  pur,  la  terre  saturée  d'humidité  fait 
éclore  en  quelques  jours  des  milliards  de  fleurs  qui  charment 
la  vue  et  embaument  l'atmosphère.  Les  Kirghizes  sont  venus 
planter  leurs  tentes  en  taupinières  dans  cette  savoureuse 
prairie.  Des  troupeaux  de  chevaux,  de  moutons,  éparpillés, 
animent  le  paysage  baigné  de  chaude  lumière.  Au  fond  la 
majestueuse  chaîne  du  Trans-Âlaï,  drapée  d'ombres  vio- 
lâtres  et  couronnée  de  neiges  étincelantes,  découpe  sa  crête 
dentelée  dans  un  ciel  émeraude  et  s'épointe  en  pyramides 
gigantesques  de  plus  de  22,000  pieds  d'élévation.  Â  l'aspect 
de  ce  merveilleux  paysage,  les  cosaques  de  Skobelef  poussent 
un  hourrah  de  joie  et  d'étonnement,  et  le  Kirghize  s'arrête, 
regarde  et  dit  :  «  Iakchi  !  »  (c'est  beau).  Puis  il  entonne  une 
chanson.  Heureux  nomades! 

Bientôt,  dans  quelques  années,  quand  le  ruban  de  fer  du 
général  Annenkoff  aura  atteint  la  ville  d'Och,  c'est-à-dire  le 
pied  du  Pamir,  vous  irez  facilement,  en  vingt  jours  de 
Paris,  admirer  les  merveilles  du  «  Toit  du  monde  »;  car, 
quoique  la  science  y  ait  encore  un  vaste  champ  à  explorer, 
le  Pamir  n'est  déjà  plus  un  «  point  d'interrogation  »,  mais, 
perraettez-moi  l'expression,  un  <  point  d'exclamation  ». 


M9 


PAMin    ET  TCHITRAL. 


n 


Si  maintenant  nous  voulons  gagner  le  Tchitral,  nous 
n'avons  guère  le  choix  des  roules,  puisque,  du  Pamir, il  n'y 
en  a  qu'une  qui  y  mène  directement  :  c'est  la  route  du  Baro- 
ghil,  une  passe  qui  joint  la  vallée  du  Pandj-daria  traversant 
le  Wakhaneau  Masloudj  (ou  Kounar,  ou  Torkhoune"),  par- 
courant leTchitral.  La  première  appartient  au  système  de 
rOxus,  à  la  Bactriane;  la  seconde,  à  celui  de  l'Indus,  à 
l'Inde.  Cette  passe  est  très  facile  et  la  seule  de  cette  partie 
deTHindou-kouctî  praticable  en  toutes  saisons,  car  elle  n'a 
que  12,000  pieds  d'altitude  et  n'est  pas  bloquée  entièrement 
par  les  neiges.  Elle  est  si  facile  en  été,  qu'elle  mérite  son 
nom  de  dacht,  c'est-à-dire  de  plaine,  et  qu'en  été  les  Wak- 
his  d'un  côté,  les  Tchitralis  de  l'autre  y  mènent  leurs  trou- 
peaux paitre  d'excellents  pâturages  qui  en  font  l'endroit  le 
plus  recherché  des  deux  vallées.  Ces  deux  peuples  vivent  en 
bonne  harmonie,  mais  ne  parlent  pas  la  même  langue.  Lors- 
qu'on automne  les  pâturages  sont  épuisés  sur  le  dacht,  ils 
se  séparent,  les  uns  allant  vers  le  sud,  les  autres  vers  le  nord, 
comme  les  eaux  initiales  de  l'Osus  et  de  l'Indus  dont  le 
Baroghil  forme  la  limite.  N'est-ce  pas  là  une  image  en  petit 
de  celte  antique  migration  des  peuples  que  l'hypothèse  des 
linguistes  admet  pour  les  Aryens  !  Car  les  Tchitralis  repré- 
sentent la  branche  indienne  et  les  Wakhis  la  branche  per- 
sane. Mais  dire  que  la  région  pamirienne  ou  prépamirienne 
est  le  berceau  du  genre  humain,  c'est  simplement  vouloir 
indiquer  ce  fait,  constaté  par  la  linguistique  et  corroboré  par 
l'étude  anthropologique,  qu'il  existe  une  parenté  diver- 
gente dans  les  deux  directions,  Inde  et  Arie,  sans  vouloir 
prélendre  que  ces  Aryens  eussent  été  les  premiers  auto- 
chtones dusoL 

C'est  donc  sur  le  Baroghil  (visité  en  1873  par  le  major 


P.VMrn   RT  TCHITUAL.  523 

^^iddulpb  qui  enQxa  l'aUilude)  que  nous  Ttmes  pour  la  pre- 
mière fois  couler  l'eau  vers  le  sud,  vers  l'Indus,  avec  un 
plaisir  indicible.  Oa  avait  la  certitude  qu'en  suivantce  mince 
lilet  d'eau  on  atteindrait  llnde,  la  plaine;  il  y  avait  delà 
joie  à  la  sentir  plus  proche,  après  l'avoir  souhaitée  si  sou- 
vent, après  avoir  vécu  durant  des  mois  dans  la  montagne, 
sans  horizon  lointain,  toujours  voyant  surgir  d'autres 
barrières  comme  ci'tte  coccinelle  qui  escalade  à  nouveau  le 
doigt  qu'elle  vient  à  peine  de  quitter. 

En  face  du  DHroghil,  de  grands  et  magnifiques  glaciers 
descendent  en  larges  coulées  des  hauteurs  du  Darkot. 
Quelques-uns,  à  l'instar  de  ceux  du  Karakoroum,  rongés  in- 
cessamment parla  rivière  torrentueuse,  dressentàleur  extré- 
mité de  hautes  falaises  de  glace,  rainées,  fissurées,  gigantes- 
ques cassures  allant  du  blanc  laiteux  au  vert  turquoise  et  au 
bleu. Nous  suivonsversle  sud-ouest  une  vallée  étroite,  sau- 
vage, sillonnée  parles  nombreux  méandres  de.  la  rivière  York- 
houae.  Tantôtle  fond  caillouteuxde  la  vallée,  tantôtle  litdela 
rivière  nous  servent  de  chemin,  car  il  n'est  pointtracé  ici  .Dans 
quelque  temps,  quand  les  neiges  fondront  davantage,  la 
rivière  débordée  aura  pris  tout  le  fond  de  la  vallée  et  le 
piéton  sera  forcé  de  grimper  comme  une  chèvre  le  long  du 
flanc  des  montagnes  si  tant  est  qu'il  a  besoin  de  gagner  le 
Baroghil  au  printemps.  Pendantcinqjours  nous  suivons  de  la 
sorte  le  Yorkhoune  sans  rencontrer  àmc  qui  vive.  De  ci  de 
là  les  parois  nues  de  la  vallée  font  place  à  uncôoe  de  déjec- 
tion, une  traînée  d'éboutisou  une  moraine  de  glaciers.  Ces 
terrains  sont  couverts  de  bois  clairsemés  de  genévrier,  de 
saule,  de  bouleau,  etc.,  qui  servent  d'abri  aux  fauves.  Le 
17  mai  nous  atteignons  le  premier  village  Ichilrali,  appelé 
Topkhané-Siaheg.Mon  compagnon  de  voyage  vous  aditavec 
quelle  défiance  nous  fûmes  reçus,  quelle  peine  nous  eûmes 
à  avancer,  enfin  comment  Lorzel-Khân,  gouverneur  de  la 
forteresse  de  Mastoudj,  s'oppose  à  notre  marche  en  avant 
sur  Cachemire. 


r>'J4  riAln  et  tchitral. 

Bonvalol  restant  à  Mastoudj  avec  Ràkhmed,  j'allai,  avec 
Pépin  et  notre  (idèle  Menas  à  Tchitral,  capitale  du  pays, 
situéeà  quatre  journées  de  marchecQ  aval  deMasloadj,dans 
la  direction  de  Pechaour. 

Comme  iis'agissaild'uncTisiteofficielleàson  père  Amman- 
Oul-Moulk,  roi  de  Tchitral,  Lorïel-KhSn  nous  procure  des 
chevaux,  les  n&trcs  étant  trop  malades  pour  faire  un  voyage 
pareil.  Nous  n'emportons  que  nos  selles,  nos  couvertures 
et  quelques  médicaments  dans  ûïi  sac,  pensant  que  notre 
absence  ne  durerait  que  dix  jours. 

Un  Tehitrali,  qui  accompagna  quelques  mois  auparavant 
le  colonel  Lockhardt  dans  son  voyage  à  Tchitral,   nous  sert 
de  guide.  La  première  étape  nous  mfene  à  Drass  ou  Dras-  ■ 
soune,  dans  la  vallée  du  Tourikho.  Comme  l'eau  y  est  abon- 
dante et  la  température  douce,  cette  vallée  est  une  des  plus 
fertiles  etdes  plus  verdoyantes  qu'onpuisse  voir,  mais  aassi  ■ 
des  plus  malsaines,  caries  lièvres  croupissent,  fortes  et  fré-     ' 
quentes,  sur  les  rizières  étendues.  Le  raisin  y  est  bon  et  en 
abondance  {Drass  signifie  raisin  en  langue  tchitralie)  ainsi 
que  le  grenadier,  le  groseillier,  l'abricotier,  le  pommier,  etc.; 
puis,  plus  haut  sur  le  flanc  des  montagnes,  de  grands  peu- 
Hliers  s'élancent  par  touffes  au  milieu  des  taches  vertes  qui 
marquent  les  villages  en  oasis  et  produisent  un  singulier  ' 
efi'el  de  paysiige.   Drassoune,  avec  un  vieux  caslel  sauvage | 
qu'on  dirait  d'un  héros  de  eonte,  est  résidence  d'été  du  gou- 
verneur de  Yassine,  fils  du  mehtar  de  Tchitral.  Lorsqu'en 
été  les  passes  ouvertes   du  Yaguistane   pourraient   livrer  fl 
passage  à  Moulk-i-Ammau,  un  sien  pnrenl  qui  lui  a  promis 
de  l'exterminer  avec  sa  famille,  le  maître  de  Yassine  se  rap- 
proche de   son  père  pour  éviter  autant  que  possible  à.  son  ■ 
parent  do  tenir  sa  promesse.  Une  jolie  famille  que  celle  du     ' 
roi  de  Tchitral  !  Je  ne  regrette  pas  que  l'heure  avancée 
m'empêche  de  vous  la  présenter. 

En  aval  de  Drassoune,  la  vallée  se  resserre,  la  rivière  de-  I 
vient  un  torrent  impétueux  coulant  le  plus   souvent  entre 


de  hautes  falaises  de  conglomérat.  Des  ponts  de  bois 
élastiques,  chancelants,  très  hardis,  conduisent  d'une  rive  à 
l'autre  quand  la  paroi  de  la  montagne  refuse  l'espace  au 
sentier.  Ce  sentier  n'a  souvent  que  la  largeur  du  pied  ;  des 
balcons  surplombant  la  rivière  le  conduisent  le  long  des 
parois  à  pic;  des  éboulis,  des  escaliers  informes  et  naturels 
ren(.recoijpenl,eldes  pentes  «  terribles»  l'élÈvent  à  des  cen- 
taines de  mètres  au-dessus  de  la  vallée  pour  le  ramener  de 
nouveau  à  la  rivière,  dont  il  emprunte  plus  loin  !e  lit  en- 
combré de  rochers.  Le  cavalier  fait  forcément  la  moitié  du 
chemin  à  pied,  et  nous  sommes  étonnés  de  voir  nos  chevaux 
franchir  des  obstacles  qui  ont  failli  arrêter  les  hommes. 

Les  villages  se  suivent  nombreux.  Tous  sont  établis  sur  le 
cône  de  déjection  des  torrents  latéraux  qui  les  alimentent  : 
ce  sont  des  oasis  touffues,  verdoyantes  et  fertiles  en  forme  de 
deltaqui  contrastent  agréablement  avecl'aride  nuditéde  la 
montagne.  Le  quatriômejour,  la  vallée  s'élargit  toutà  coup; 
le  pic  duTirakh-Mir  (25,000  pieds)  apparaît  plus  dégagé,  la 
campagne  devient  plus  animée.  Nous  sommes  h  Tchitral. 
Un  pont  remarquable  en  bois,  solidement  construit  avec 
des  tours  de  défense  à  la  tôto,  nous  mène  sur  la  rive  droite 
du  daria.  Descavaliers  armés,  venus  trop  tard,  comme  dans 
l'opéra  d'Ofl'enbacb,  nous  rencontrent  sur  le  chemin  de  la 
ville,  puis  vont  occuper  les  défenses  du  pont. 

La  capitale  Tchitral  n'est  à  vrai  dire  qu'un  fort  village  de 
maisons  éparpillées, sans  rues, sans  alignements,  fortement 
défendu  par  la  rivière  torrentueuse  d'un  côté,  la  montagne, 
et  quelques  tourelles  de  défense  de  l'autre.  Aux  premières 
maisons  nous  sommes  accostés  par  les  hommes  du  mehtar, 
piétons  et  cavaliers,  armés  de  sabres,  de  lances  et  de  bou- 
cliers. Le  premier  ministre  du  roi  ou  divân-begui,  un  grand 
gaillard  enlurbané,  avec  une  parfaite  figure  de  coquin 
sournois,  nous  invile  à.  le  suivre  sur  la  place  ou  djdi  où  on 
est  occupé  à  nous  dresser  une  tente.  On  y  voit  deux  cadres 
en  bois  sanglés  et  quelques  tapis  parterre  :  c'est  l'ameuble- 


596  PAMIR    ET  TCniTRAI.. 

menl,  auquel  nous  ajoutons  nos  selles.  Quelques  instants 
après,  au  milieu  du  concours  de  loute  la  populalion»  nous 
recevons  la  Tisite  de  l'agent  politique  anglais,  Rub  Nawaz 
Khan.  C'est  un  officier  indigène  de  l'armée  des  Indes, 
«  djemandar  of  Ihe  15'"  Bengal  Cavalry,  on  spécial  duty  at 
Chilral  »,  me  dit-il,  se  présentant  à  l'européenne  avec  un 
salut  moitié  militaire,  moitié  musulman.  Il  porte  la  main 
au  front  en  disant  Gûod  day  sir!  Uoiv  ore  yow  .^  Indien  de 
naissance  et  de  caractère,  jeune,  beau  comme  un  person- 
nage d'une  miniature  de  rajah,  Rub  Nawa?,  Khan  parle 
mal  l'anglais  et  n'emploie  pas  àf.  périphrases.  II  me  demande 
à  brùle-pourpoinl  :  Are  you  spiosf  Et  quand,  après  ra'être 
assuré  qu'il  ne  dit  pas  «  cipahis  »,  je  lui  ris  au  nez,  il  est  un 
peu  déconcerté  et  demande  à  voir  des  kagass  (papiers).  Nous 
lui  montrons  nos  passeports  diplomatiques  qu'il  ne  sait 
point  déchiffrerai  dont  je  suis  forcé  de  lui  exposer  la  valeuret 
la  teneur.  Il  est  du  reste  peu  géographe,  se  rappelle  avoir 
lu  dans  un  livre  que  la  France  est  un  «  greal  Kingdom  (s»r) 
in  the  West  y>,  et  qu'il  y  a  un  consul  de  ce  pays  à  Calcutta 
et  à  Mounbay  (Bombay).  Il  doit  nous  faire  retenir,  car  nous 
n'avons  même  pas  sur  notre  grand  papier  le  cachet  «  of  my 
governmenl  s  (le  gouvernement  de  l'Inde).  J'ai  beau  lui 
expliquer  que  ces  cachets  ne  se  donnent  que  dans  le  pays 
même  que  l'on  doit  visiter  et  en  y  étant,  que  tous  les 
cachets  imprimés  sur  notre  kagass  ont  été  obtenus  de 
cette  façon  :  la  raison  ne  lui  semble  pas  suffisante.  Il  a,  dit- 
il,  une  consigne  et  ne  peut  point  nous  laisser  pariir  sans 
avoir  reçu  des  ordres  de  l'Inde.  Qu'au  reste  il  est  aux  nôtres 
et  que  nous  n'avons  qu'à  demander.  Et  à  ma  première 
demande  de  nous  changer  de  l'or  russe  contre  des  roupies 
indiennes  ou  afghanes,  il  se  récuse  en  disant  qu'on  ne  peut 
s'en  débarrasser  ici. 

Ce  beau  parleur  parti,  nous  allons  voir  le  roi  ou  mehtar  qui 
habile  dans  son  château-fort  en  cailloux  roulés  à  quelques 
cents  pas  de  notre  tente.  On  lui  présentera  les  cadeaux  qu'on 


PAMIR  ET  TCHITRAL.  527 

loi  destine  :  un  beau  winchester  tout  nickelé,  un  collier  en 
argent,  des  bagues  en  or  et  quelques  articles  de  Paris.  On 
nous  fait  entrer,  par  une  première  cour  remplie  de  solda- 
tesque dans  toutes  les  poses  do  désœuvrement  et  de  la 
paresse,  dans  une  seconde  petite  cour,  découverte  et  sale  ah 
nous  trouvons  le  mebtar,  assis  sous  on  saule  raboogri,  dans 
un  vieux  fauteuil  râpé.  Il  est  nu-pieds,  babillé  d'un  panta- 
lon et  d'une  cbemise  de  coton,  autrefois  blancs,  et  coiffé 
d'une  calotte  crasseuse.  C'est  un  homme  au  delà  de  la 
soixantaine,  à  la  figure  toute  velue,  à  l'œil  de  fauve  au 
repos.  A  côté  de  lui,  un  grand  bassin  en  cuivre  reçoit  ses 
crachats,,  que  l'usage  du  noss  (tabac  en  poudre  à  chiquer) 
rend  abondants.  Il  nous  rappelle  ces  rois  nègres,  sans  chapeau 
à  haute  forme  cependant  ni  habit  à  queue  de  pie,  qui  s'om- 
bragent comme  lui  d'un  parasol,  s'asseoient  dans  un  vieux 
fauteuil,  s'entourent  de  griots  et  sont,  comme  lui,  très 
sales,  rapaces  et  cruels. 

Après  un  entretien  d'une  demi-heure.  —  Menas  nous 
servant  d'interprète  persan  quand  Rub  Nawaz  Kbân  était 
à  bout  de  son  anglais  —  le  mehtar,  nonobstant  tous  les 
arguments  que  je  fis  valoir  pour  la  nécessité  d'un  prompt 
voyage  à  l'Inde,  les  responsabilités  qu'il  encourrait  en  le 
^  retardant,  les  leçons  de  géographie  que  je  lui  donnai,  etc., 
le  mehtar,  dis-je,  avait  son  idée  faite.  Aussi  ignorant  en 
géographie  qu'en  matière  de  droit  international  et  de 
passeport,  ne  comprenant  aucunement  le  but  d'un  si 
singulier  voyage  fait  par  des  hommes  aussi  singuliers,  qui 
n'étaient  ni  ambassadeurs  politiques  lui  proposant  des 
traités  d'alliance  en  lui  donnant  beaucoup  d'argent,  ni  com- 
merçants, qui  se  disaient  faranguis  et  n'étaient  pas  Anglais, 
résuma  son  impression  en  disant  : 

c  Vous  êtes  habillés  comme  des  Ourouss,  vous  parlez 
russe,  vous  avez  de  l'or  russe,  vous  avez  un  domestique 
russe,  vous  venez  de  la  terre  russe,  vous  êtes  des  espions 
rosses!  » 


92»  rin 

Cect  preaqoe  lopqae;.  dans  on  ptjs  où  l'h&bit  en  logc^^^ 
£ftil  le  (terridie,  c'est-^-dirp  k  nxûiie  de  Feodroit.  H 

Et  le  mdlt«r  accepta  nos  cadtduu. 

Le  même  joar  —  nous  le  sûmes  pins  lard  —  i!  fit  écrî  ^^ 
au  gouTememeol  de  l'Inde  qu'il  venait  de  capturer  d^^^ 
etpionc  oarousses,  en  le  priant  de  les  loi  acheter.  Ri^  " 
Nawaz  Kh&n,  sans  doute  pour  masquer  sa  dupiiciC>^ 
évidente,  vint  nous  dire  que  c'est  grâce  à  lui,  Ru  ^ 
Nawaz,  que  le  melitar  ne  nous  a  pas  fait  couper  la  tête  -^ 
l'entrée  de  son  pays,  et  que  le  mehtar  est  un  a  foolishmam  ^ 
a  h.ad  m  an  ». 

An  reU)ij['de  notre  visite  nous  voyons  que  notre  tente  es  & 
ontuiiréo  de  postes  de  ijAajM  (soldats  tcbitralîs)  qui  c^mpen  CS 
on  pliiin  uir  dans  les  champs  et  qui  guettent  tous  nos  mou—     * 
vements. 

Nom  en, avons  au  moins  pour  trois  semaines  avant  que 
lu  r^|»onH«  h  notre  lettre  au  gouverneur  de  l'Inde  et  à  celles 
ilii  iiielitiii' n'îirrive  et  en  supposant  que  le  courrier  envoyé 
|>ar  la  route  de  Swat  k  l^echaour  ne  soit  pas  assassiné. 

NoitH  avon»  tout  le  temps  de  faire  connaissance  avec  la 
li'fth  ir»tAr(*HNiinto  population  indigène  de  passage  à 
Ti'.jiitral,  h'  remplis  mon  cahier  de  notes,  Pépin  le  sien 
de  croquis.  Tchitralis,  KAlirs,  Meahganes,  Yaguistanis, 
Aft^liiinK,  Inditms,  nucliemiris,  Badakchis,  Wakhis,  etc., 
d^nionl  sur  lo  djaï  et  s'iirrôtcnt  volontiers  pour  satisfaire 
k'iu-  ninosili  lui  causant  avec  Ménîis  et  en  satisfaisant  la 
nôtre,  l*  voyageur  scientifique  doit,  à  mon  avis,  toujours 
chori;lier  lu  plus  (^niiitl  nombre  de  points  de  contact  avec  un 
pays  inléressiinl  l'I  sa  population. 

En  iilli'iidnnt  que  la  réponse,  favorable  nous  l'espérons, 
nous  parvienne  de  l'Iridn,  le  mehtar  nourrit  fort  mal  ses 
hôtes  prisonnifrs,  qu'il  sonpcjonne  être  ses  ennemis  et  qu'il 
est  mécontent  de  devoir  nourrir  de  sa  poche,  car  tout  le 
monde  se  refuse  à  nous  vendre  des  provisions  par  peur  de 
se  compromettre. 


J'ai  eu  beau  accabler  le  djamandar  de  reproches  et  de 
ïnenaces  continuelles  et  le   ruebUir  d'épithètes  de  lèse- 
majesté,  le  menaçant  de  partir  de  force  et  de  lui  laisser  la 
responsabilité  des  suites  de  l'aventure,  sans  que  tout  cela 
■ffiodiiiât  sensiblement  la  qualité  ni  Ja  quantité  de  la  nour- 
î"iture.  Cette  dernière  menace  au  reste  était  platonique 
puisque  nous   n'avions  pas  de  chevaux,  que  l'issue  de  la 
ViUe   était  gardée  et  qu'en  cas  de  fuite  par  un  prodige 
d'adresse,  on  nous  aurait  rattrapes  à  quelques  kilomètres 
plus  loin.  Je  finis  cependant  par  trouver  un  remède  à  cette 
'      situation  culinaire  déplorable  sous  forme   d'une   drogue 
pharmaceutique  que  j'administrai  au  roi.  Le  mehtar,  en 

I  effet,  était  grand  amateur  et  collectionneur  de  ces  drogues 
dont  il  no  savait  que  faire,  il  est  vrai,  mais  qu'il  était  heu- 
reux de  posséder;  et.  comme  d'autres  ont  une  collection  de 
curiosités,  de  tableaux  ou  d'antiquités,  lui  avait  un  musée  de 
drogues  et  de  Bacons  de  pharmacie  qu'il  mendiait  ou  exi- 
geait de  chaque  voyageur  de  l'Inde  ou  des  pays  limitrophes 
qui  pouvaient  en  avoir. 

Un  jour  il  me  pria  de  lui  donner  un  remède  pour  un 
mal  vague  du  corps  et  des  membres  dont  il  se  plaignit  h 
tort  ou  à  raison,  car  ce  pouvait  bien  n'être  qu'une  feinte 
pour  augmenter  sa  collection.  Je  promis  de  lui  en  donner 
et  de  le  guérir,  en  lui  disant  qu'il  fallait  l'envoyer  chercher 
à  Masloudj  où  se  trouvait  notre  pharmacie  de  voyage 
avec  les  coiTres.  Le  soir,  un  courrier  fut  expédié  à  cet  effet 
et  j'en  profitai  pour  faire  parvenir  de  nos  nouvelles  à  Bon- 
vatot,  qui  semblait  s'ennuyer  plus  que  nous,  et  le  prier  de 
remettre  au  porteur  un  flacon  de  salicylate  de  sQude  et  un 
autre  d'onguent  mercuriel.  Au  troisième  jour  l'estafette  à 
pied  était  de  retour,  après  avoir  fait  en  deux  jours  et  demi 
le  double  du  chemin  pour  lequel  nous  avions  mis  quatre 
jours.  Je  ne  connais  point  de  meilleurs  marcheurs  que  ces 
montagnards.  Je  donnai  donc  au  mehtar  une  petite  dose  de 
salicylate,  ce  dont  il  fut   si   content  qu'il    me  demanda 


530  PAMia    KT  TCniTHAL, 

loul  le  flacon.  Il  avait  sans  doute  goûlé  ou  fait  goûter  de  la 
drogue,  et  lui  ayant  trouvé  un  goût  sucré,  il  en  avait 
conclu  qu'elle  devait  être  excellente;  car  ils  sont  aussi 
friands  de  sucre  que  de  sel,  deux  substances  rares  dans  le 
pays.  Je  refusai  d'en  donner  davantage,  prétextant  le 
besoin  personnel  et  la  qualité  supérieure  de  la  drogue, 
disant  en  outre  que  le  roi  n'avait  pas  assez  d'égards  pour 
nous  pour  espérer  un  si  grand  sacrifice  de  notre  amitié.  Le 
soir,  au  «  dîner  »,  il  y  eut  un  petit  morceau  de  beurré  et  uu 
peu  plus  de  viande.  Le  mehlar,  en  revanche,  eut  une  petite 
dose  de  salicylate,  et  il  en  fut  de  mênne  les  jours  suivants.  Le 
salicylate  épuisé,  j'entamai  l'onguent  mercuricl,  en  le  priant 
de  ne  pas  le  manger. 

Et  comme  les  abricots  commençaient  à  mûrir,  nous 
vîmes  ce  jour-là  un  plateau  d'abricots  à  notre  «  table  ». 
Finalement,  après  force  prières  et  refus,  le  mehtar  obtint 
le  flacou  vide  avec  son  couvercle  vissé  en  verre,  ce  qui  nous 
valut  une  outre  pleine  de  miel.  Je  ne  crois  pas  que  jamais 
ces  deux  drogues  aient  produit  meilleur  et  plus  singulier 
effet. 

Et  comme  il  est  question  de  drogues  et  de  médecine, 
laissez-moi  vous  raconter,  avant  de  finir,  comment  j'eus, 
comme  médecin,  un  grand  succès  et  un  sensible  échec. 
Voici  le  succès.  Un  jour,  on  m'amena  un  petit  bambin  de 
5  à  6  ans,  fils  cadet  du  vieux  et  malheureux  Mir-i- 
Amman  que  le  mehlar  nourrit  à  sa  cour  après  l'avoir 
dépossédé  de  sa  province.  Le  pauvre  petit,  s'étant  endormi 
sur  le  pré,  avait  reçu  dans  l'oreille  la  visite  d'une  petite 
guêpe  de  la  taille  d'une  mouche  qui  s'était  logée  profondé- 
ment et  à  reculons  dans  le  conduit  auditif.  Désespoir  et 
cris  du  petit  et  de  ses  parents,  tellement  craotionnés  que 
sa  mère  montra,  sans  voile,  une  mine  désolée.  Les  cris  et 
les  soubresauts  du  petit  rendirent  vains  mes  efforts  pour 
retirer  la  bêle  avec  des  brusselles,  quand  j'eus  l'idée  de  la 
chasser  de  son  refuge  insolite  par  un  moyen  simple  qui 


PAMItl    ET   TCIlITRAr.,  531 

devait  réussir.  On  sait  qu'on  peut  tuer  aisément  les 
animaux  par  le  tabac,  oiôme  des  serpents  et  des  lézards, 
qui  ont  la  vie  assez  dure.  Je  pris  donc  du  tabac  en  poudre 
appelé  noifs,  j'en  délayai  une  pincée  dans  de  l'eau  et 
j'en  instillai  quelques  gouttes  dans  l'oreille  du  bonhomme. 
La  guêpe  ne  tarda  pas  à  sortir  d'elle-même,  et  tout  le 
inonde  fui  vite  consolé.  Le  lendemain  le  reconnaissant  père 
me  fil  apporter,  par  le  pelil,  trois  pommes  vertes  —  comme 
honoraires. 

L'échec,  !e  voici.  Un  soir,  vers  minuil,  le  djemandar  en 
toute  hùte  vint  me  réveiller.  Il  était  accompat^né  de 
quelques  porteurs  de  torches  dont  la  clarté  de  mélodrame 
rougissait  tout  à  coup  l'entrée  de  la  lente,  c  Notre  dernier 
moment  »  n'était  point  encore  venu,  mais  Rub  Nawaz 
Khàn  me  priait  instamment  de  l'accompagner  au  caslel,  où  la 
favorite  du  mebtar,  en  voulant  sauter  un  bassin,  s'était  cassé 
une  jambe.  J'espère  assister  à  quelque  scène  originale  et  je 
l'accompagne.  Le  mehtar  me  reçoit  dans  la  première  cour: 
il  est  très  affable,  prévenant  môme  et  m'explique  le  cas.  Je 
lui  dis  qu'il  faut  incontinent  me  mener  auprès  de  la  prin- 
cesse pour  lui  appliquer  le  bandage  et  le  traitement.  Mais  le 
roi  ne  l'entend  point  ainsi. 

Il  est  défendu  à  un  homme  de  voir  une  femme  qui 
n'est  pas  la  sienne,  et  a  fortiori,  à  un  farangui  de  voir 
une  princesse  ichitralienne.  Le  mehtar  refuse  obstinément 
l'accès  du  harem  au  médecin.  Le  djemandar  insinue  qu'on 
pourrait  peut-être  cacher  !a  femme  derrière  un  paravent 
qui  ne  laisserait  passer  que  la  jambe  malade;  mais  il 
paraît  que  c'est  précisément  la  jambe  qu'il  est  défendu  de 
■voir.  Le  mehtar  veut  une  poudre,  une  pilule,  «  quelque 
chose  pour  manger  »  enfin  et  qui  guérisse  rapidemenl 
la  fracture.  Voyant  toute  insistance  inutile,  je  prescris 
de  l'eau  froide  sur  la  fracture,  j'explique  le  bandage  et  je 
rentre. 

Deux  jours  après,  le  premier  ministre  vient  me  prier  de 


532  PAMIR   ET  TCHfTIUL. 

repasser  au  chAteau.  Je  refuse.  Jl  revient,  accompagné  du 
jeune  Qls  de  la  princesse  malade,  qui  me  prie  si  humble- 
ment que  je  tente  une  deuxième  entrée  au  harem.  C'était  du 
reste  un  faux  départ,  car  le  mehtarn'a  pas  changé  d'idée;  il 
m'apprend  en  outre  qu'au  lieu  d'appliquer  de  l'eau  froide,  le 
mouilah  a  dit  une  prière  de  circonstancesur la  malade,  mais 
que,  néanmoins,  lajambeest  enllée  démesurément.  Je  renou- 
velle l'ordonnance  et  j'ajoute  un  tait  de  poule.  J'ai  perdu 
l'intéressante  malade  de  vue,  car  deux  jours  après  nous 
étions  libres. 

Je  crois  que  tout  voyageur  peut,  à  un  moment  donné,  tirer 
bénélice  et  inUuence  salutaire  de  la  distribution,  jçraluite 
bien  entendu,  de  drogues  eflicaces  ou  non.  Il  lui  est  si  facile 
défaire  des  heureux,  car  tous  ces  gens  s'en  vont  contents  et 
la  foi  dans  le  cœur.  Que  de  fois  j'ai  donné,  à  des  rhumati- 
sants, à  des  scrofuIeuXf  à  des  incurables,  de  l'eau  sucrée 
rougie  de  carmin  I  J'en  ai  peut-fitre  guéri...  Que  mes  coUè- 
£^ues  d'Europe  me  pardonnent  un  exercice  aussi  révoltant 
qu'illégal  de  la  médecine! 

Enfin  nous  voici  libres.  Ixird  Dulferin  nous  ouvre  les 
portes  de  l'Inde  et  lemehlar  celles  deTchilral.  Nous  brûlons 
les  étapes.  Bonvalot  est  parti  de  Masloudj,  nous  le  rattra- 
pons à  Gakhoutch  sur  territoire  cachemirien.  Un  mois  après, 
nous  voyions  du  haut  de  la  passe  de  Gourez,  à  travers  un 
déchirement  de  nuages,  le  lac  Voullar  s'étendre  à  nos  pieds. 

Le  même  jour  nous  sommes  che%  nos  amis  MM.  Pey- 
chaud,  Dauvergne,  Bouley,  Fabre,  etc.,  c'est-k-dire  en 
France  dans  le  Cacbemire.  La  mission  que  le  ministère  de 
l'instruction  publique  avait  bien  voulu  nous  confier  était 
terminée. 

Note  sur  la  carte. 


La  carte  qui  accompagne  ce  fascicule  est  une  réduction  de  la 
carie  à  l'échelle  de  0™  01  par  versle  que  j'ai  dressée  de  notre 
traversée  du  Pamir elquele  minislèredeJ'instruclioijpubliquuutla 


PAMIR  ET  TCHITRAL.  533 

Société  de  Géographie  ont  bien  voulu  faire  reproduire  à  une  plus 
petite  échelle.  Cette  carte  s'appnie,  au  nord,  au  lac  Grand  Kara- 
Koul  en  prenant  pour  base  les  levés  antérieurs  russes  de  Kas- 
tienko  et  de  Sévertzow.  L'itinéraire  quitte  ensuite  celui  de 
Sévertzow  au  lac  de  Glace,  ou  Mousse-Kol,  et  se  dirige,  par  une 
route  nouvelle,  de  la  passe  Ouz-bel  ou  Kizil-djek  vers  le  lac 
Rang-Koul,  où  il  recoupe  ceux  de  Sévertzow  et  de  l'expédition 
cominandée  en  1883  par  le  capitaine  Poutiata.  A  Ak-tach,  notre 
route  double  celle  des  pundits  prédécesseurs  de  Gordon  et  celle 
de  la  mission  Forsyth  jusqu'à  Langar,  dans  le  Wakhane.  De  Lan- 
gar,  par  la  vallée  de  Itaïkarra  ou  Tuch-Koupriouk,  à  la  passe 
d'irchàl,  le  terrain  était  inconnu.  A  la  passe  de  Baroghil  nous 
retrouvons  l'itinéraire  du  Munshi  Abdoul-Soubhân.  ^ous  suivons  la 
vallée  du  haut  Kounar  et  nous  recoupons,  au  pied  de  la  passe  de 
Mochabour,  le  trajet  de  Mac-Nab,  puis,  à  Mastoudj  celui  du  capi- 
taine Biddulph  et,  vers  Guilguit  d'un  côté  et  Tchitral  de  l'autre, 
l'itinéraire  de  l'expédition  du  colonel  Lockardt,  la  plus  récente. 

Dans  la  construction  de  ma  carte,  je  ne  me  suis  servi  d'aucune 
des  données  établies  par  nos  prédécesseurs,  en  dehors  du  dessin 
du  Grand  Kara-Koul  de  Sévertzow.  Je  n'ai  fait  que  reproduire  et 
mettre  au  net  mes  seuls  levés  et  observations  avec  leurs  défauts  et 
ce  qu'ils  peuvent  avoir  de  qualités.  Les  levés  embrassent  un  iti- 
néraire d'environ  700  kilomètres  de  région  pamirienne  et  pré-pami- 
rienne.  La  mise  au  net  a  été  faite  par  section,  eu  s'appuyant  sur 
les  points  de  recoupement  des  itinéraires  précédents.  Je  me  suis 
servi  exclusivement  de  la  boussole  à  visées,  dont  les  observations 
d'angle  sont  au  nombre  de  1800  environ. 

Les  hauteurs  ont  été  mesurées  au  baromètre  anéroïde  ;  mais, 
à  défaut  d'observations  comparatives  simultanées,  leur  exactitude 
ne  peut  être  que  relative.  Les  distances  ont  été  évaluées  au 
pas  du  cheval  ou  du  piéton,  quelquefois  estimées  à  vue.  On  a 
tenu  compte,  bien  entendu,  des  circonstances  variables  pouvant 
ralentir  ou  accélérer  la  marche.  Si  les  difficultés  vaincues  de  la 
marche  par  la  neige  profonde  et  un  froid  intense  pouvaient  rache- 
ter les  défauts  de  précision,  notre  carte  serait  très  exacte.  Néan- 
moins, je  pense  qu'elle  pourra  rendre  des  services,  notamment  ma 
carte  à  grande  échelle,  qui,  je  l'espère,  sera  publiée  plus  tard  et 
sur  laquelle  j'ai  inscrit  avec  soin  tous  les  accidents  de  terrain,  les 
particularités  d'ordre  géologique  détaillant  le  relief  des  vallées  et 
la  nature  de  la  couverture  du  sol. 

G.  G. 

soc.  DG   GÉOOR.  —  4*  TRIMESTRE  1890.  XI.  —  35 


VOYAGE  DE  PAUL  GRAMPEL 


AU  NORD  DU  CONGO  FRANÇAIS 


!..    MIKOW 

l.iriiUnant  tlv  TilgsniD<. 


M.  Paul  Crampel  avait  élé  chargé,  en  novembre  188G,  par 
le  Ministère  de  l'Inslniclion  publique,  d'une  mission  scien- 
tifique dans  le  Congo.  Il  partit  avec  le  commissaire  général  ^ 
du  gouvernemenl,  qui  le  choisit  pour  secrétaire  particulier.  B 
Après  avoir  rempli  pendant  onze  mois  ces  doubles  fonctions, 
M.  de  Brazza  étant  sur  le  point  de  rentrer  en  France, 
M.  Crampel  demanda  et  obtint  la  direction  d'une  explora- 
tion visant  le  nord  du  Congo  français. 

Les  préparatifs  de  celle  expédition  furent  assez  longs. 
Tous  les  concours  sur  lesquels  le  jeune  explorateur  comp- 
tait lui  manquèrent  successivement.  Le  14  août  1888, 
cependant,  il  quittait  Lastourville  avec  deux  Sénégalais  et 
quelques  Loango  et  Madouma,  porteurs  de  memies  mar- 
chandises destinées  aux  cadeaux. 

Suivant  d'abord  la  rive  sud  de  Tlvindo,  affluent  de 
rOgôoué,  il  le  traversa  devant  les  villages  Chaké  de  Sandja 
et  de  Mouguendja.  Son  intention  était  de  se  diriger  droit  au 
nord  k  la  recherche  du  fleuve  Liba  des  ancienne*:  cartes. 
Les  renseignements  recueillis  par  les  explorateurs  qui 
l'avaient  précédé  dans  ces  contrées  et  dans  le  bassin  de  ta 
BenouS  étaient  venus  con6rmer  l'existence  de  la  Liba  et 
avaient  permis  de  l'identifier  avec  l'un  des  grands  affluents 
du  Gongo  qui  rejoignent  ce  fleuve  presque  au  manie  point: 
Oubangui,  Sanga  ou  Likouala. 


1 
I 


1.  Voir  les  carlM  joiotes  à  ce  numéro. 


VOYAGE  DE  CRAMPEL  AD  NORD  DD  CONOO  FRANÇAIS.   535 

La  mission  ne  trouva  pas  de  route  allant  vers  le  nord  et 
dut  se  tourner  vers  l'est-nord-est.  Les  indigènes  dirigent  les 
prodnils  de  ces  contrées  (ivoire,  caoutchouc  et  quelquefois 
esclaves)  vers  les  points  oh  les  Européens  ont  fondé  des 
factoreries  et  où  ils  peuvent  échanger  les  deux  premiers 
produits  contre  des  marchandises  européennes.  C'est  aux 
peuplades  qui  entourent  ces  factoreries,  et  qui  à  cause  de 
cela  possèdent  une  quantité  assez  considérable  d'objets 
manufacturés,  qu'ils  vendent  leurs  esclaves. 

Pour  les  peuplades  situées  au  nord-est  de  Lastourville, 
le  point  le  plus  proche  est  le  coude  que  rOgôoué  fait  au 
nord  de  Bôoué,  à  Lopé,  au  pays  des  Mikanda,  qui  achètent 
leurs  esclaves.  C'est  par  ce  point  qu'ils  doivent  passer  pour 
porter  leur  ivoire  et  leur  caoutchouc  aux  factoreries  du 
bas  Ogôouéou  des  petites  rivières  du  Gabon.  C'est  pourquoi 
les  routes  frayées  par  le  commerce  sont  toujours  dirigées 
vers  l'ouest,  c'est-à-dire  vers  la  côte.  L'ouverture  an  com- 
merce de  rOgôûué,  fermé  depuis  1883  par  ordre  du  commis- 
saire géttéral  du  gouvernement,  modifierait  la  direction  des 
voies  commerciales.  De  nombreuses  factoreries  échelonnées 
sur  ce  fleuve  créeraient  un  réseau  de  routes  venant  do  nord 
et  du  sud,  qui  mettraient  en  relations  chaque  tribu  avec 
l'établissement  le  plus  proche. 

La  zone  que  la  mission  traversa  d'abord  était  presque 
entièrement  dépeuplée.  M.  Crarapel  et  ses  hommes  eurent 
beaucoup  i  souffrir  du  manque  de  vivres.  Les  porteurs 
Loango  ayant  abandonné  les  vivres  qu'en  prévision  de 
la  pauvreté  du  pays  le  chef  de  l'expédition  leur  avait  fait 
emporter,  furent  particulièrement  éprouvés.  Leur  mauvaise 
volonté  ne  fut  vaincue  que  par  la  menace  de  M-  Crampel  de 
les  abandonnera  leur  sort  au  milieu  des  forêts  inhabitées. 

Il  est  assez  singulier  que  la  population  croisse  à  mesure 
que  l'on  s'éloigne  des  rivières  occupées  par  les  Européens. 
M.  Crampel  donne  de  ce  fait  l'explication  suivante  : 

«  Le  commerce  s'est  fait  dés  le  début,  dans  l'OgÔoué,  par 


J3G 


VOYAGE  DE  PAUL  CRAMI'EL. 


système  dit  d'avances.  Les  commerçants  n'ayant  généralec 
ment  pas  le  moyen  d'aller  faire  prendre  par  caravanes,  dans 
l'intérieur,  les  produits  du  pays  s'adressent  à  des  indigènes 
qui  connaissent  depuis  longtemps  les  transactions  entre 
Européens  et  noirs  ;  ils  leur  distribuent  des  marchandises 
d'avance,  à  charge  par  ceux-ci  de  les  convertir  en  ivoire 
caoutchouc,  huile  de  palme,  bois  d'ébène,  bois  rouge,  etc.. 
qu'ils  viennent  livrer  à  leurs  patrons. 

«  On  comprend  les  inconvénients  de  ce  système.  Les  trai- 
tants sont,  d'ordinaire,  des  hommes  ayant  pris  les  vices  des 
agents  européens  sans  avoir,  pour  cela,  perdu  ceux  de  leurs 
compatriotes;  ils  sont  débauchés,  voleurs  et  ivrognes.  D'où 
perpétuels  conflits  entre  traitants  et  indigènes,  tous  se  plai- 
gnant d'être  à  chaque  instant  vexés,  frustrés  et  volés. 

«  Frappée  de  ces  inconvénients  incontestables,  l'adminis- 
tration imagina  un  autre  mode  de  commerce.  Au  lieu  de 
permettre  aux  commerçants  de  monter  ou  de  faire  monter 
leurs  traitants  dans  l'intérieur,  faisons  descendre,  pensa- 
t-elle,  les  indigènes  et  leurs  produits  à  la  côte.  D'où  le  sys- 
tème suivant  :  le  ravitaillement  de  nos  stations  du  Haut- 
Fleuve  exige  de  nombreux  convois  de  pirogues  qui,  chargées 
à  l'aller,  redescendent  naturellement  à  vide.  Utilisons  le 
retour  de  ces  convois.  Payons  nos  pagayeurs  non  plus  en 
marchandises  d'Europe,  mais  en  produits  indigènes  qu'ils 
descendront  eux-mêmes  vendre  aux  factoreries. 

c  En  effet,  à  dater  de  ce  temps,  des  traitants  furent  éta- 
blis, non  au  compte  des  commerçants,  mais  au  compte  de 
l'Etat,  dans  l'intérieur.  Nos  pagayeurs,  montés  à  destination, 
trouvèrent  là  des  chefs  de  station  qui,  par  l'inlerraédiaire 
des  commis  voyageurs  ofQciels,  les  payèrent  en  ivoire  et 
caoutchouc.  En  revenant  prendre  aux  stations  de  la  région 
maritime  le;  ravitaillements  denos  convois,  ils  descendirent 
ces  marchandises,  qu'ils  purent  vendre  eux-mêmes  aux  fac- 
toreries. 

«  Entre  autres  peproches  adressés  à  ce  système,  on  a  fait 


"AU   NOBD   DU   CONGO   FRANÇAIS.  537 

observer  que  ie  petit  nombre  des  pirogues  et  l'innaviga- 
Lilité  du  fleuve  pendant  la  saison  des.  basses  eaux  ne  per- 
mettent que  la  descente  d'une  petite  quantité  de  produits. 
B'autre  part,  les  indigènes  se  disent  ;  Si  nous  nous  rappro- 
chons des  blancsj  que  va-t-il arriver?  D'abord  nous  ne  serons 
plus  libres  de  notre  conamerce.  Maintenant,  une  défense 
que  nous  allons  acheter  et  que  nous  revendons,  par  colpor- 
tage, aux  faclçreries  de  l'ouest  (sur  la  rivière  Mouny,  oii  les 
Espagnols  ont  établi  le  port  franc  d'Etobey),  une  défense 
achetée  et  revendue  en  quinze  jours  nous  rapporte  plus  que 
trois  mois  de  pagayage.  Ensuite,  nos  villages  étant  près  de 
la  rivière,  sans  cesse  les  blancs  et  les  hommes  des  blancs 
(Sénégalais)  viendront  cheis  nous.  Ils  nous  prendront  de 
force  pour  leurs  convois  ;  ils  exigeront  nos  femmes  ;  ils  en- 
verront nos  enfants  dans  les  jardins  des  missionnaires.  > 

Le  pays  que  traversa  la  mission  pendant  les  premiers 
jours  était  légèrement  accidenté  et  couvert  d'épaisses  forêts. 
De  loin  en  loin  elle  revoyait  le  jour  dans  des  clairières  cou- 
vertes d'herbes  très  hautes  et  situées  sur  les  lignes  de  faite 
séparant  les  petits  ruisseaux  dont  la  réunion  va  former  les 
rivières  peu  importantes  de  Likouka,  de  Ponengué  et  de 
Moumba  qui  versent  leurs  eaux  dans  l'Ogôoné  entre  Lastour- 
ville  et  Doumé.  Dans  la  journée  du  17  août  l'expédition 
parcourt  le  haut  bassin  de  la  rivière  Mchiguidina,  dont  le 
confluent  avec  l'Ogôcué  n'a  pas  encore  été  reconnu  et  qui 
arrose  des  forêts  habitées  par  des  troupeaux  d'éléphants. 

Le  village  Chaké  de  Diba,  près  duquel  l'expédition  établit 
son  campement  du  17,  est  le  dernier  village  appartenant  au 
bassin  propre  de  l'Ogftoué;  le  village  suivant,  Youngom- 
•bela,  est  situé  dans  le  bassin  de  la  Sébé,  grand  affluent  de 
rOgôoué:  La  ligne  de  faîte  qui  sépare  les  deux  bassins  n'est 
élevée  que  de  392  mètres.  De  ce  point,  la  vue  s'étend  vers 
le  sud-est  sur  une  mer  de  verdure  à  peine  ondulée  au  milieu 
de  laquelle  doit  couler  la  Sébé,  dont  rien,  à  cette  distance, 
ne  révélait  le  cours. 


538  VOYAGE  DE  PAUL  CRAMPEL. 

Au  changement  de  bassin  correspondait  un  changement 
de  race  de  la  population.  Youngombela  est  ie  dernier  vil- 
lage cliaké.  Au  delà  en  se  dirigeant  vers  le  nordj'expédiiion 
devait  rencontrer  les  Bakota-M'biimba,  qui  s'étendent  vers  le 
nord-est  jusqu'au  pays  des  Baléké.  Ce  peuple  forme  une 
colonne  dont  la  queue  longe  les  contre-forts  du  plateau  des 
Batéké,  où  la  Seîbé  prend  sa  source,  dont  le  corps  est  à  cheval 
sur  i'Ogôoué,  de  Doumé  à  Franceville,  tandis  quelatèlepar 
les  vallées  de  la  Libounibi  et  de  la  Lauète  se  Rapproche  du 
Kouilou,  dont  en  1883  elle  n'était  éloignée  que  de  deux  jour- 
nées de  marche. 

Après  quelques  jours  d'arrêt  au  village  de  Youngombela 
l'expi^dition  parcourt  les  grandes  forôls,  qui  abondent  en 
éléphants,  et  suit  tantôt  la  droite,  tantôt  la  gauche  du  faible 
relief  qui  sépare  les  bassins  de  l'Ogôoué  el  de  la  Sebé.  Elle 
traverse  la  rivière  Yomi.qui  se  rend  àlaSebé,la  Mbéou,  qui 
se  jette  dans  l'Ogôoué  en  un  point  inconnu  et  contourne  la 
source  de  la  rivière  Dilo,  qui  rejoint  rOgôoué,  à  quelques 
milles  en  amont  de  l'Ivindo  el  qui  est  opposée  à  la  rivière 
Abidi  qui  porte  ses  eaux  à  la  Sebé  après  un  cours  très  si- 
nueux. Toute  cette  région,  dont  les  eaux  s'écoulent  indiffé- 
remment vers  l'Ogôoué,  la  Sebé  ou  l'Ivindo  dont  la  rivière 
Mbéou  est  un  affluent  d'après  les  indigènes,  n'est  élevée  que 
de  350  à  400  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  c'est-à- 
dire  à  peine  de  100  mètres  au-dessus  de  l'Ogôoué.  Le  sol  est 
à  peine  mouvementé  pour  encadrer  les  nombreux  ruisseaux 
par  lesquels  s'écoulent  les  innombrables  marais  qui  couvrent 
sa  surface.  IhI  végétation  atteint  son  maximum  de  puissance, 
les  forêts  sombres  ne  laissent  voir  le  soleil  que  là  où  les 
Chaké  ou  les  Bakota  ont  jeté  à  bas  les  arbres  géants  pour  , 
établir  leurs  villages,  dont  les  maisons  disposées  sur  deux 
rangs  forment  des  rues  qui  atteignent  parfois  plusieurs  ki- 
lomètres de  longueur.  Les  sentiers  que  suit  l'expédition 
sont  défoncés  par  les  éléphants,  dont  les  traces  se  croisent 
en  tous  sens  et  qui  semblent  être  les  rois  de  ces  forêts.  Les 


AU  xonr  DU  CONGO  français.  ô39 

Bakota  ont  de  nombreux  campements  de  chasse,  et  grâce  à. 
leur  habileté  et  à  l'ahondance  du  gibier  ils  vivent  dans  une 
aisance  relative.  Aussi  leurs  mœurs  sont-elles  douces,  et 
l'expédition  trouve-t-elle,  dans  les  villages,  une  hospitalité 
cordiale.  Au  delà  du  village  de  Yébé,  elle  coupe  la  Milongo, 
petit  ruisseau  (jui  concourt  à  former  la  rivière  Diloet,  redes- 
cendant du  plateau  sur  lequel  on  rencontre  l'aticien  et  le 
nouveau  village  chaké  de  Sandja,  elle  arrive  au  bord  de  la 
Mouyniandji  qui  va  se  jeter  dans  l'Iviodo  au  delà,  de  cette 
rivière,  sur  laquelle  on  trouve  en  amont  de  nombreux  vil- 
lages bakota,  mbambaet  raissangui.  Le  plateau  recommence, 
s'élevant  en  pente  douce  jusqu'au  village  Mpoumba,  habité  par 
les  Chaké  et  les  Damboraa.  Le  chef  de  Mpoumba,  nommé 
Tsibo,  fait  le  commerce  avec  des  Bakota  qui  traversent 
l'Ivindo  et  vendent  leurs  produits  aux  Moulendié,  voisins  de 
la  rivière  Bénilo.  Tsibo  a  entendu  parler  de  la  mission  pro- 
testante qui  est  à  l'embouchure  de  celle  rivière  el  des  cha- 
noinesses  qui  en  font  partie.  Le  village  de  Mpoumba,  élevé 
de 616  mètres  au-dessus  du  niveaudelamer^estsituésurune 
arête   qui  sépare  le  bassin  de  la  Mouna,   qui  se  rend  à 
l'Ivindo,  de  celui  delaLiboueïa,  qui  selon  toute  prohabilité 
se  rend  à  la  Sébé.  Cette  cote  est  à  peu  près  la  même  que. 
celle  de  la  ligne  de  faîte  qui  sépare  le  bassin  del'Ogôoué  de 
celui  de  la  Sébé  et  que  Crarapel  avait  parcouru  près  du  vil- 
lage de  Mianza.  Sur  ce  tableau  se  détachaient  les  monts 
Goualé,  formés  d'énormes  blocs  de  rochers  granitiques  dont 
Crampel  fit  l'ascension,  aprèsen  avoir  faille  tour  pour  trouver 
une  fissure  qui  lui  permît  d'en  atteindre  le  sommet  élevé  de 
671  mètres  au-dessus  de  l'Océan.  En  résumé,  tout  le  pays 
entre  l'Ogôoué  et  la  Liboumbi,  affluent  de  l'Ivindo,  est  élevé 
de  4  à  500  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Le  point 
le  plus  élevé  n'atteint  que   671  mètres.    Le  27   septembre, 
l'expédition  rejoint  la  rivière  Liboumbi  au  village  akola   de 
Liboueïaqui  possède  sur  celle-ci  des  pêcheries  remarquables 
qui  en  barrent  toute  la  largeur.  Suivant  la  rivière  à  travers 


540  VOYAGi;   DK   PAUL  CRAMPEL. 

une  savane  de  hautes  herbes  parsemées  de  petites  futaies, 
elle  visite  les  villages  bakota  de  Gombé  et  de  Yombi  et 
franchit  la  Liboumbi  à  quelques  milles  de  son  confluent 
avec  rivindo.  Sa  largeur  d'environ  420  mètres  indique 
qu'elle  a  un  cours  peu  étendu,  et  dont  l'importance  a  été 
exagérée  sur  les  cartes  où  ou  l'avait  placé  par  renseigne-B 
ments.  Kandjama,  situé  entre  la  Liboumbi  el  l'ivindo,  et 
presque  au  bord  de  cette  dernière,  est  le  dernier  village 
akola.  De  i'autre  côté  de  l'Iviodo,  queles  indigènes  nomment 
Aïna,  habitent  les  Ossyeba,  qui  s'avancent  dans  l'ouest  jus- 
qu'aux sources  du  Komo  el  à  ta  Ifile  du  delta  de  l'Ogôoué. 

Du  1"  au  0  octobre,  la  mission  parcourt  les  environs  du 
conQuent  de  l'ivindo  et  de  la  Liboumbi^  recueillant  de  pré-M 
cieux  renseignements  sur  le  haut  Ivindo  et  sur  les  relations 
des  Ossyeba  avec  la  côte. 

L'ivindo  à  l'endroit  où  Crampel  le  traversa  a  une  largeur 
de  300  mètres  qui  se  réduit  h.  moins  de  200  mètres  lors- 
qu'elle reçoit  la  Liboumbi,  large  elle-mCme  d'à  peine 
60  mètres.  Un  peu  au-dessous  du  confluent,  près  du  village 
de  Muyraatidgi,  la  rivière  se  répand  en  un  large  bassin  cou- 
vert de  pêcheries. 

Les  indigènes  donnèrent  à  M.  Crampel  les  renseigne- 
ments suivants,  qu'il  contrôla  dansdifTérents  villages  et  dont 
la  concordance  peut-être  regardée  comme  une  garantie 
d'exactitude.  _ 

  trois  jours  de  marche  dans  l'ouest,  on  rencontre  la  ri-  ■ 
vièreboumou,  au  delà  de  laquelle  le  pays  est  absolument 
plat.  En  aval  de  l'ivindo,  à  deux  jours  de  pirogues,  com- 
mencent les  grands  rapides. 

Lorsque,  en  1881,  nous  voulûmes  explorer  l'ivindo,  dont 
on  ne   connaissait  que  l'embouchure,  nous  fûmes  arrêtés 
après  deux  railles  de  navigation  par  une  chute  de  1:2  à     ' 
15  mètres  de  haut.  A  une  heure  de  marche  au  delà,  nous  ■ 
atteignîmes  un  village  ossyeba  devant  lequel  la  rivière, 
quoique  calme,  était  couverte  de  llocons  d'écume  prove- 


AU  NORD  DU  CONGO  FRANÇAIS.  541 

liant  d'une  chute  peu  éloignée  que  nous  ne  pûmes  aller 
reconnaître.  Les  Ossyeba  me  dirent  qu'au-dessus  de  cette 
seconde  chute,  il  y  en  avait  une  troisième  si  haute,  que 
pour  la  regarder,  étant  à  son  pied,  il  fallait  regarder  le  ciel. 
D'ailleurs,  si  l'Ivindo,  qui  à  son  confluent  avec  la  Liboumbi 
est  élevé  de  484  mètres  au-dessus  de  la  mer,  est  navigable 
pendant  deux  jours  au-dessous  de  ce  confluent,  il  lui  reste 
à  racheter  une  différence  de  plus  de  250  mètres  sur  une 
longueur  de  40  à  50  kilomètres  pour  atteindre  l'Ogôoué,  ce 
qui  suppose  des  chutes  et  des  rapides  infranchissables. 

Dès  le  premier  jour,  on  trouve  les  Ossyeba  sur  les  deux 
rives.  En  amont  l'Ivindo  reçoit  à  droite  les  deux  rivières 
Ouah  et  Nounah^  et  à  40  kilomètres  il  reçoit  à  gauche  la 
riviàre  Njadiéh-Bujelé,  dont  l'importance  égale  celle  de  la 
Liboumbi. 

Toute  cette  partie  de  l'Ivindo  commerce  avec  le  Gabon. 
On  y  connaît  de  nom  le  Gomo,  sur  lequel  naviguent  de 
grandes  pirogues  portant  à  l'arrière  un  pavillon  comme 
celui  dont  Grampel  se  fait  précéder.  Pour  aller  chez  les 
blancs,  on  fait  route  à  l'ouest,  on  traverse  les  villages  : 
Engouragouné,  Kalendjoco,  Indoumèle,  Nko,  Bingmelé, 
Âimoung,  Ângonngo,  Embimboung,  Amouanana,  à  partir 
duquel  on  marche  en  plaine  ;  puis  Sangouaba,  Ebito,  Ma- 
bahabinvoung,  Santana  ;  on  arrive  alors  à  la  rivière  Manga- 
Qène,  où  viennent  quelquefois  les  blancs.  Gette  rivière  reçoit 
tm  affluent,  le  Nkémoo. 

Deux  chemins  s'offraient  à  Grampel  pour  remonter  vers 
le  nord.  L'un  sur  la  rive  gauche,  par  les  pays  des  Bakota  et 
des  Djandjamm,  peuples  de  caractère  doux  qui  sont  arti- 
sans, ont  un  certain  souci  de  leur  bien-être  et  possèdent 
de  nombreux  animaux  domestiques.  L'autre  sur  la  rive 
droite,  beaucoup  moins  facile,  à  travers  les  tribus  M'  Fans 
chez  lesquelles  régnait  la  misère.  Gette  route  semblait  être 
plus  intéressante,  et  d'ailleurs  les  cartes  hypothétiques  de 
ces  régions,  indiquant  l'Ivindo  venant  de  l'esl-nord-est, 


r>i2  VOYAGE   DE   PAUL  CRAMPEL. 

Crampel  craignait  d'<5tre  trop  entraîné  vers  l'est 
obligé  de  se  rabattre  sur  te  Congo,  comme  l'avait  fait  l'expé- 
dition partie  de  Doumé  en  1885. 

Le  9  octobre  l'expédition  quille  l'Ivindo,  faisant  route  droit 
au  nord.  Au  confluent  de  la  Ouah  et  de  l'Ivindo  elle  aban- 
donne définitivenient  cette  dernière,  qui  en  ce  point 
semble  venir  du  nord-est.  Au-delà  de  la  rivière  Ouah  que 
les  indigènes  lui  avaient  précédemment  signalée,  la  route, 
courant  au  pied  de  la  ligne  de  faîte  qui  sépare  le  bassin  de 
la  Ouah  de  celui  de  l'Ivindo,  coupe  presque  à  leur  tête  les 
petites  rivières  qui  se  rendent  à  celles-ci.  Le  pays  est  peu 
accidenté,  la  cote  du  plateau  varie  entre  450  et  500  mètres. 
Le  pays  fortement  boisé  n'est  qu'une  suite  de  marais  séparés 
par  des  terre-pleins  qui  portent  de  nombreux  villages 
ossyeba.  A  partir  du  village  de  Memba  et  quand  Crampel 
eut  franchi  la  rivière  Ekongouana,  le  sol  devint  plus  ■ 
ferme,  s'élevant jusqu'à  la  cote  678  au  mont  Katcmendouma, 
qui  marque  te  passage  du  bassin  propre  de  l'Ivindo  dans 
celui  de  son  afHuent  la  iVounâh.  Le  village  d'Essemek 
situé  à  deux  milles  de  la  Nounàb  est  élevé  de  700  mètres  M 
au-dessus  de  la  mer.  Pendant  les  jours  suivants  l'expédition 
suit  à  peu  de  distance  la  rivière  Nounâb;  de  Bissoung  à 
Nkoud  sur  le  flanc  gauche  de  la  vallée  et  à  partir  de  Nkoud  ■ 
dans  la  plaine  qui  arrose  la  Nounâh,  qu'elle  revoit  un  peu 
au  delà  de  Pfoulah. 

Dans  cette  partie  de  la  route,  Crampel  avait  recueilli  les 
renseignements  suivants  : 

D'EÎIoumfludzoco  partent  trois  roulas  ;  une  vers  l'ouest, 
par  laquelle  viennent  les  marchandises  européennes;  une 
autre  vers  l'est  qui  traverse  l'Ivindo  et  mène   chez  les  fl 
Djandjams.  L'ivoire  qui  traverse  Elloumendzoco  vient  de 
l'est  ou  du  nord.  ^ 

Du  village  de  Memba  parlent  quatre  routes  :  la  première-^ 
se  dirige  vers  le  sud-ouest,  traverse  les  villages  d'Ëngoum- 
goum  et  d'Elaga  au  delà  duquel  on  retrouve  la  riv'  " 


AU  NORD  DU  CONGO  FRANÇAIS.  543 

La  seconde  vers  le  nord-ouest  mène  à  un  grand  village 
après  une  marche  d'une  journée. 

La  troisième  vers  l'est  traverse  l'Ivindo  et  va  chez  les 
Djandjams. 

Enfin  celle  du  nord  qu'allait  suivre  l'expédition. 

Du  village  d'Ëssemek  l'on  se  rend  au  Komo  du  Gabon  en 
passant  par  Engoumgoum,  Andijaka  (2  jours),  Ebyllen 
(3*  jowr),  Byna  (4'  jour)  et  Andjau  (5*  jour).  Au  village 
Bindzoko,  Grampel  entend  parler  de  la  rivière  N'Tem,  vers 
laqaelle  se  dirige  le  commerce  de  ces  contrées,  et  d'une 
riTJère  Djah  située  très  loin  dans  Test-nord-est  et  sur 
laqaelle  navigueraient  les  blancs.  Le  N'Tem,  éloigné  de 
cinq  jours  de  marche  recevrait,  d'après  les  indigènes,  trois 
affluents  :  Tia,  Aïaet  Romm  et  serait  d'après  certains  indi- 
gènes un  affluent  du  Komo  (ce  qui  est  impossible),  tandis 
que  d'autres  affirment  que  le  N'Tem  après  un  cours  souter- 
rain de  15  kilomètres  prend  le  nom  de  rivière  Mouny.  Le 
chef  de  Bindzoko  reparle  du  Djah,  qui  prenant  sa  source 
dans  le  même  massif  montagneux  que  l'Ivindo,  coulerait 
Ters  l'est-nord-est  et  ne  tarderait  pas  à  devenir  plus  consi- 
dérable que  cette  rivière.  Le  commerce  de  cette  contrée  se 
&it  par  deux  routes,  l'une  qui  mène  à  la  côte  par  la  vallée 
du  N'Tem  ;  l'autre  rejoint  l'Ogôoué  par  la  rivière  Akano. 
Celle-ci  est  moins  suivie  que  la  première. 

La  haute  vallée  de  la  Nounàh  et  celle  de  son  affluent  le 
Doaboubari  sont  très  marécageuses  et  très  étroites.  Près  du 
village  d'Agounah,  Grampel  gravit  la  montagne  du  même 
aom  qui  s'élève  à  820  mètres  au-dessus  de  l'Océan  et  à  plus 
de  400  mètres  au-dessus  de  la  vallée  de  la  Douboubari.  De 
l'autre  côté  de  celle-ci,  le  mont  Agounah  a  pour  vis-à-vis 
le  mont  Nkonn,  qui,  d'après  les  indigènes,  donnerait  nais- 
sance au  N'Tem.  Jusqu'au  village  de  Djamba  l'expédition 
traverse  une  contrée  couverte  de  marais  qui  d'abord  envoient 
leurs  eaux  à  la  Douboubari,  puis  au  delà  d'Engoumgoum 
coulent  à  des  rivières  qui  se  dirigent  vers  l'est.  A  la  suite 


VOÏAGE    DE   l'AUL  CRAMPE L. 

des  dillicultés  qu'il  rencontre  à  Ollan,  Crampel  pari  sans> 
guide,  se  dirigeant  vers  le  nord-est.  Il  ne  trouve  pas  de  sen- 
tier frayé  dans  cette  direction  et,  après  une  nuit  passée  en 
plein  marécage  il  arrive  au  village  de  Djamba,  sur  les  bords 
de  la  Sou  dont  la  largeur  ne  dépasse  pas  -0  mètres. 

Au  delà  de  Djamba  Crampel  retrouve  l'Ivindo,  qui  en  cet 
endroit  forme  le  rapide  deBêh,  au  milieu  duquel  se  trouve 
une  île.  Du  village  de  Kogennyemm  à  celui  de  Benguya 
l'expédition  suit  la  vallée  marécageuse  d'une  petite  rivière, 
affluent  de  l'Ivindo,  nommée  Meraba.  Benguya,  village 
entouré  de  marais,  est  sur  une  colline  élevée  de  80  mètres  au- 
dessus  de  la  plaine  environnante.  Après  avoir  traversé  de 
nouveaux  marécages,  Crampel  arrive  au  sommet  du  mont 
Kogafenn,  élevé  de  775mètres  au-dessus  de  l'Océan,  soit  près 
de  200  mètres  au-dessus  du  niveau  moyen  du  pays.  Du 
haut  de  cette  élévation  l'on  domine  le  pays  d'alentour. 
Entre  le  nord  et  le  nord-est  Ton  aperçoit  de  hautes  mon- 
tagnes. Au  nord  le  mont  Goumendjoko,  à  environ  quatre 
jours  de  marche,  à  sa  droite  le  mont  Bolobo,  presque  aussi 
éloigné,  le  mont  Ngouâ,  qui  n'est  qu'à  deux  jours  de  marche^fl 
le  Kouravolo  à  une  journée,  et  au  nord-est  le  Djadzegueh, 
éloigné  de  deux  journées.  Vers  l'est  le  terrain  est  uni  et  vers 
le  sud  est  l'on  découvre  une  série  de  collines  allant  en 
s'abaissanl  vers  l'Ivindo.  Au  sud-ouest  une  masse  rocheuse 
appelée  Bemjarâ  émerge  de  la  plaine.  Les  indigènes 
indiquent  l'ouest  comme  la  direction  de  laquelle  vient 
l'Ivindo.  La  route  après  le  mont  Kogafenn  coupe  à  leutffl 
confluent  les  petites  rivières  de  Malobon  et  de  Bofo,  qui 
descendent  du  mont  Roumvoto,  dont  l'autre  ver?anl  envoie, 
ses  eaux  à  la  Ngoum. 

Le  4  décembre  l'expédition  s'arrête  au  village  m'fan  d'A- 
loum  qu'elle  devait  revoir  un  peu  plus  lard  en  revenant  à 
côle.  Le5,  Crampel  se  dirige  vers  l'est,  suivant  la  ligne  de  fait 
qui  sépare  l'Ivindo  de  sou  afilueni  la  Ngoum.  Du  village 
d'Amvoung  il  revoit  le  Kogafenn  et  le  Ngouâ.  Les  villages 


J 

ItoV 


4 


AU  NORD  DU  CONGO  FRANÇAIS.  545 

d'Amvoong,  d'Ellen,  deToll,  d'EgouUennam,  de  Mallann, 
elc,  qu'il  traverse  successivement,  étaieut  autrefois  à  l'ouest 
du  mont  Kogafenn ,  ils  s'avancent  maintenant  vers  le  nord-est 
en  sens  contraire  de  la  direction  ordinaire  des  migrations 
des  M'Fans.  A  E^'oullennam  IL  revoit  l'Ivindo  large  d'environ 
100  mètres  et  l'abandonne  pour  toujours  au  raj)ide  Madoun- 
ghé,  un  peu  en  amont  de  l'embouchure  de  la  Lélé,  large  de 
50  mètres  qui  reçoit  elle-même  au  delà  du  village  Bayaga, 
que   traverse  l'expédition,  le  Mosso-Mossogo.  Pendant  les 
Journées  du  15  et  du  16  décembre,  Crarapel  parcourt  les 
marais  au  milieu  desquels  sont  les  campements  des  Bayaga. 
Ayant  trouvé  le  contact  de  ce  peuple  de  nains,  dont  il 
entendaitparlerdepuis  plusieurs  semaines,  Crampcl  reprend 
la  route  générale  vers  le  nord  à  la  recherche  de  sette  rivière 
Djah  que  les  indigènes  lui  ont  indiquée.  Laissant  h  sa  gauche 
le  pays  de  N'jima,  il  fait  trois  journées  de  marche  à  Touest 
coupant  la  rivière  Okoumah,  qui,  large  de  40  mètres,  porte 
ses  eaux  à  l'Ivindo.  Le  19  décembre,  il  suit  à  leur  pied  une 
ligne  de  collines  d'où  sortent  de  nombreux  ruisseaux  qui 
coulent  à  l'Ivindo  et,  après  l'avoir  franchi  eu  s'élevant  à 
630  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  ce  qui  donnait  à 
ces  collines  une  altitude  absolue  d'à  peine  80  mètres,  il 
arrive  le  20  décembre  aux  villages  d'Ekand  et  de  Saké,  qui 
.sont  presque  réunis,  et  à  celui  d'Aloh.  Les  eaux  qui  jusque-là 
s'étaient  dirigées  au  sud  vers  l'Ivindo  prennent  une  nouvelle 
direction.  Le  Moumm  coule  vers  le  nord-ouest , tandis  que 
les  ruisseaux  de  Saké  et  d'Ekoud  se  dirigent  vers  le  nord- 
est.  D'après  les  indigènes,  toutes  ces  rivières  portent  leurs 
eaux  au  Djah,  qui  est  à  peu  de  distance  dans  le  nord.  En 
partant  de  Saké,  Crampel  fait  route  droit  au  nord,  coupant 
près  de  leurs  sources  les  rivières  et  les  ruisseaux  qui  sont 
tributaires  de  la  rivière  Moumm. 

Le  plateau  est  un  peu  plus  élevé  que  celui  qu'arrose 
l'Ivindo,  les  altitudes  qui  atteignent  680  mètres  à  Aviah  et  à 
Jdisson-Missong  ne  descendent  pas  au-dessous  de  605  mè- 


546 


VOYAGE    UR   PAUL    CRAMPEL. 


très.  Au  delà  d'Akoum  les  marais  disparaissent.  Au  village 
de  Ntunghedé,  l'expédition  coupe  la  rivière  Nsaraesilo,  qui 
à  peu  de  distance  rejoint  directement  le  Djah,  puis  le 
Mbamo,  qui  rejoint  la  Noumm,  etrAbodah,  qui  se  jette  dans 
le  Djah.  Le  26  déoembreCrampel  voyait  ses  efforts  couronnés 
de  succès  :  une  petite  promenade  à  l'est  du  village  de  Djam- 
bang  l'amenait  au  bord  d'une  grande  rivière  large  de  150  mè- 
tres, dont  la  profondeur  atteignait  4  mètres.  Son  cours 
rapide  se  dirigeait  vers  Test  d'après  les  indigènes.  Son  alti«l 
titude,  54i  mètres,  était  inférieure  à  celle  deTIvindo,  dont 
le  volume  des  eaux  était  d'ailleurs  inférieur  à  celui  des 
eaux  du  Djah.  —  Crampel  venait  d'entrer  dans  le  bassin  du 
Congo.  ^ 

Après  une  longue  étape  dans  la  journée  du  'â?  décembre, 
il  revoit  à  midi  le  Djah  près  du  village  de  Mlioul,  dont  le, 
chef  est  Linvogo. 

Le  but  que  Crampel  s'était  proposé  était  pleinement  rem-j 
pli,  il  avait  limité  au  nord  le  bassin  do  l'Ogôoué  et  découvert 
un  des  affluents  de  la  rivière  Liba  des  anciennes  cartes,  dont 
les  eaux  ne  pouvaient  se  rendre  qu'au  Congo.  j 

Sa  mission  était  terminée,  mais  au  lieu  de  se  rendre  direc- 
tement à  la  côte  il  résolut  de  parcourir  le  plateau  qui  se-, 
pare  les  eaux  de  l'Ogôoué  de  celles  du  Djah,  d'étudier  1é 
peuplades  qui  l'habitent,  leurs  mœurs,  leurs  coutumes  et 
les  routes  commerciales  qui  traversent  ces  contrées.  j 

Le  6  janvier  il  arrivait  au  village  m'fan  de  Binvolo.  Son' 
énergie,  sa  douceur  alliée  à  la  fermeté  avaient  fait  une  vive 
impression  sur  les  M'Fans.  D'hostiles  qu'ils  étaient  d'abord 
à  cet  étranger  qui,  premier  blanc,  pénétrait  dans  leurs 
forôls,  ils  étaient  devenus  amis.  Eyégueh,  chef  de  Binvolo,  lui 
confia  pour  l'emmener  en  Europe  une  de  ses  enfants  appelée 
Niarinzhe  et  âgée  de  l!j  à  14  ans. 

Elle  accompagne  aujourd'hui  Crampel  dans  le  nouveau 
voyage  d'exploration  qu'il  a  entrepris.  En  quittant  le  village 
de  Dindoum,  Crampel  franchit  de  nouveau  la  ligne  de  sépa-j 


AU  NORD  nu  myc.o  fhançais.  547 

ration  des  bassins  du  Djah  et  de  l'Ogôoué  et,  descendant  la 
■vallée  du  Ngoum  supérieur,  arriva  au  village  d'Amvoung 
d'où  il  était  parti  quatre  jours  auparavant  i  la  recherche 
du  Djali.  Il  reprît  son  ancienne  route,  repassa  près  du  Ko- 
gafenn,  longea  de  nouveau  les  bords  naarécageux  de  la 
Menaba,  traversa  pour  la  seconde  fois  l'Ivindo  au  rapide  de 
Bêh  et  vint  s'établir  pour  quelques  jours  au  village  de 
Djaraba,  le  12  janvier  1880. 

Le  15,  il  quittait  Djaraba  pour  faire  route  à  l'est  et  reve- 
nir à  la  côte  en  longeant  au  sud  la  frontière  franco-alle- 
mande. Suivant  le  côté  droit  de  la  vallée  du  Haut-Ivindo, 
Grampel  traverse  les  villages  m'fan  de  Mvomeko,  d'Abo- 
rometouma,  Oualam,  d'Angoun  et  de  Maka,  qui  forment  un 
centre  de  population.  La  route  an  delà  de  ces  villages  est 
inhabitée  et  traverse  une  région  très  marécageuse  drainée 
par  de  petites  rivières  qui  vont  se  jeter  au  nord  dans  l'Ivindo 
et  dont  la  largeur  ne  dépasse  iO  mètres. 

Après  avoir  traversé  celte  région  de  marais,  l'expédition 
arrive  au  village  deMinbang,  à  partir  duquel  la  route  traverse 
une  série  de  villages  très  rapprochés  les  uns  des  autres.  Le 
régime  des  eaux  est  toujours  le  môme  ;  de  petites  rivières 
servant  d'écoulement  aux  marais  et  portant  leurs  eaux  à 
l'Ivindo.  L'Ivindo  lui-même  à  l'endroit  où  l'expédition  le 
franchit  pour  la  dernière  fois  n'est  pas  encore  ixne  rivière 
mais  un  marais  sans  courant  et  d'environ  25  mètres  de  largeur 
sur  1  m.  50  de  profondeur.  Ce  marais  s'étend  dans  le  sud- 
ouest  à  environ  une  demi-journée  de  marche  et  borde  la 
ligne  de  faite  qui  sépare  le  bassin  de  l'Ivindo  de  celui  du 
N'Tem-Korara.  Son  altitude  au-dessus  du  niveau  de  l'Océan 
atteint  654  mètres. 

Les  premiers  villages  que  rexpédition  rencontre  dans  le 
bassin  du  N'Tem  forment  un  groupe  compact  au  bord  de  la 
rivière  Goubi  qu'elle  franchit  deux  fois  et  qui  draine  un 
immense  marais  lequel,  d'après  les  indigènes,  s'étendrait  à 
30  kilomètres  au  nord-est,  jusqu'au  pied  d'une  montagne 


5i8  VOYAGE  PE  PADL  CRAHPEL. 

appelée  Andoung  qui  doit  faire  partie  du  même  massif  que 
le  mont  Doumendzoco  et  appartenir  a»  nœud  orographique 
de  celte  contrée  qui  donne  naissance  au  Djah,  qui  se  jette 
dans  le  Congo  après  avoir  fait  route  à  l'est,  à  Tlvindo  qui 
va  au  sud  rejoindre  l'Ogôoué,  au  N'ïem  qui  se  rend  à  la 
mer  à  l'ouest,  et  probablement  à  la  rivière  Campos  qui  après 
s'ôlre  dirigée  vers  le  nord-ouest  s'infléchit  pour  se  jeter  dans 
rOcéan. 

L'altitude  de  la  vallée  du  N'Tem  est  celle  des  plaines  de 
rivindoet  du  Djah  et  varie  de  550  à  600  mètres.  Après  avoir 
traversé  les  villages  de  Anghal,  de  Anguum  et  de  Mboum, 
Crampe!  arrive  au  bord  du  Komm.  ■ 

La  largeur  de  cette  rivière  est  d'environ  100  mètres,  son 
courant  rapide  a  une  profondeur  de  3  à  4  mètres.  Sa  direc- 
tion soutenue  vers  Touest-sud-ouest  et  l'élude  de  l'hydro- 
graphie de  ces  contrées  démontraient,  que  les  eaux  du  m 
Konm  allaient  se  mêler  à  celles  de  l'Océan.  L'expédition 
était  à  bout  de  forces  après  plusieurs  mois  employés  à  pa- 
tauger dans  les  marais.  Les  Loango  surtout  avaient  souffert  ■ 
de  ces  marches  forcées,  et  d'ailleurs  les  populations,  sans 
èlvo  hostiles  i  l'e.vpédition,  ne  témoignaient  aucune  joie  de 
la  venue  des  blancs,  elles  semblaient  inquiètes;  Crampel 
sentait  qu'un  mauvais  vent  soufflait  dans  ces  contrées  sans  M 
qu'il  pût  en  connaître  la  cause.  Cène  fut  qu'à  son  retour  à  la     , 
côte  qu'il  put  se  rendre  compte  du  changement  qui  s'était 
opéré  chC2  les  M'Fans.  Le  bruit  des  combats  soutenus  par 
ceux-ci  à  peu  de  dislance  dans  le  nord  contre  l'expédition 
du   lieutenant  allemand    Kunt  et  dans  la  rivière  Mouny 
contve  les  Espagnols,  venait  d'arriver  dans  ces  contrées,  fl 
Crampel  était  blanc  et  par  conséquent  solidaire  des  blancs 
de  la  côte. 

La  rivière  était  bordée  de  corabo-combo,  arbre  qui  a  une 
croissance  prodigieuse  et  en  deux  ou  trois  années  atteint  là 
à  45  mètres  de  hauteur  avec  im  diamètre  de  30  k  40.  cent. 

Il  est  vrai  que  son  tronc  n'est  pas  ligneux.  Une  éc 


AU    KOlIll    m;   COM.O    KHAM^AI:?, 


549 


très  mince  enlourant  uoe  moelle  analogue  à^  celle  du  sureau 
le  compose.  Aussi  U  densité  de  ce  bois  est-elle  inférieure  à 
celle  du  liège.  Crampel  profita  de  l'abondance  de  cet  arbre 
pour  construire  huit  radeaux  sur  lesquels  il  embarqua  son 
personnel  et  le  peu  de  marchandises  qui  lui  restaient.  La 
descente  de  la  rivière  commença.  Le  convoi  de  radeaux  laissa 
successivement  derrière  lui  les  embouchures  des  rivières 
Boua  et  Lobo,  qui  viennent  du  nord,  et  arriva  à  un  rapide. 
Les  indigènes  en  armes  bordaient  les  deux  rives  et  ouvrirent 
le  feu  au  moment  où  l'expédition  s'engageait  dans  le  rapide. 
L'attaque  avait  été  si  brusque  que  l'un  des  Sénégalais  et  un 
Loango  avaient  été  tués.  Emportés  par  le  courant,  les  ra- 
deaux arrivent  à  une  série  lie  rapides  entourant  de  nombreux 
îlots.  L'expédition  est  attaquée  à  la  tète  de  ce  rapide,  défile 
sous  le    feu  des    M'Fans  qui  la  saluent   d'une   dernière 
décharge  à  la  Qn  du  rapide.  Crampel,  voit  ses  porteurs 
s'enfuir  et  lui-même  est  obligé  de  se  jeter  à  l'eau  avec  la 
caisse  contenant  ses  papiers  et  des  clichés  photographiques. 
Il  est  grièvement  blessé  en  essayant  de  les  sauver.   En- 
touré de  quelques  hommes,  il  commence  malgré  les  souf- 
frances  que   lui  font    endurer  ses   blessures  une  course 
le  long   du  Komm,  dont  il  traverse  le  confluent  avec  la 
rivière  N'Tem  près  de  la  source  de  laquelle  il  avait  passé 
deux  mois  auparavant.  Les  porteurs  avaient  rejoint  Crampel 
et  voulaient  construire  de  nouveaux  radeaux  pourdescendre 
le  N'Tem.  Mais  Crampel  avait  appris  à  se  défier  de  la  rivière, 
sur  laquelle  il  était  difficile  d'éviter  les  embuscades.  Aussi 
n'hésita-t-il  pas  à  menacer  les  Loango.  A  la  fin,  ceux-ci, 
n'ayant  d'ailleurs  plus  de  charges  à  porter,  se  décidèrent  à  le 
suivre.  La  petite  troupe  entra  dans  la  forêt,  évitant  les  sen- 
tiers battus,  couchant  sans  feu,  traversant  à  l'aide  de  lianes 
hâtivement  tendues  les  rivières  Lobo  et  N'Tem,  glissant  à 
travers  des  marais  où  les  M'Fans  qui  lesépiaienl  ne  croyaient 
pas  le  passage  possible. 
EnDii,  après  quinze  jours  de  celte  fuite  lamentable, 
soc.  UE  ctauR.  —  4'  thimëstre:  1890.  xi.  —  .16 


VOYAGE   DE  PAtIL  CKAMI»Bt 

Crampel,  à  bout  de  forces,  pénétra  dans  un  village  riverain 
du  N'Tem.  Il  y  fut  reçu  avec  défiance,  mais  il  put  y  passer 
]a  nuit  à  l'abri.  Le  lendemain,  en  proie  à  une  fièvre  vio- 
lente, il  repartit  par  un  sentier  frayé  oti  il  pouvait  se  faire 
porter  de  temps  à  autre  par  ses  hommes.  A  mesure  qu'on  se 
rapprochait  de  la  côte,  on  rencontrait  des  populations  moins 
hoHliles,  des  Bakalais  et  des  Moutendiés. 

Du  i"  février  au  3  mars,  l'expédition  avait  fait  ainsi  en- 
viron 350  kilomètres.  Le  3  mars,  Crampel  arrivait  à  Bala, 
ayant  devancé  par  cette  marche  rapide  toute  nouvelle  de 
son  retour. 

Voici  maintenant,  sommairement  résumés,  les  résultats 
de  cette  exploration  : 

Au  point  de  vue  géographique  :  le  relèvement  d'une 
grande  partie  du  cours  de  l'ivindo,  détruis  de  ses  affluents 
de  gauche,  de  cinq  de  ses  affluents  de  droite  et  de  ses- 
sources;  la  découverte  delà  rivière  Djah,  le  relèvement 
d'une  partie  du  cours  du  Komm,  de  plusieurs  de  ses 
affluents;  l'étude  de  la  ligne  de  faîte  entre  l'ivindo  et  leDjnli, 
le  relèvement  des  principaux  sentiers  de  commerce  parlés- 
quels  les  Pahouins  vont  chercher  l'ivoire;  enûn  l'étude  de 
la  zone  des  marécages  qui  pourrait  être  la  fameuse  Lib£ 
des  anciennes  cartes*. 

Les  résultats  politiques  et  économiques  sont  :  quatorz* 
traités  signés  avec  les  quarante-quatre  chefs  principaux  vi 
sites  au  cours  du  voyage. 

Les  palabres  de  Crampel  ont  eu  surtout  pour  but  de  prfe=-' 
parer  le  changement  des  deux  grandes  routes  commerciak 
actuelles  qui  vont  de  l'intérieur  aboutir  à  des  factoreri(^  s 
non  françaises. 

Par  l'une,  les  produits  du  moyen  Ivindo  s'écoulent  vec^* 
la  Mouny  ;  par  l'autre,  vont  à.  Batenga  les  produits  du  hat_^»' 
Ivindo  ei  des  territoires  situés  entre  les  bassins  de  l'Ogôoi  ^»  ^- 


I.  La  fui  Oc  eut  exposé  e»l  un  régumé  dei  notcs-iie  M.  Dmnipoi. 


AU  NORD  DD  CONOO  FRANÇAIS.  551 

et  du  Congo.  Il  serait  facile  de  substituer  à  ces  deux  routes 
une  voie  unique.  Pour  détourner  la  première,  il  ne  s'agi- 
rait que  d'établir  un  poste  assurant  la  sécurité  des  com- 
munications sur  le  moyen  et  le  bas  Ivindo.  Pour  changer 
la  seconde,  il  fallait  avant  tout  que  les  M'Fans,  riverains 
des  affluents  du  Congo,  seuls  parages  riches  en  ivoire, 
connussent  cet  Ivindo  qui  peut  les  mettre  en  rapport  direct 
de  commerce  avec  l'Ogôoué.  En  revenant  de  sa  reconnais- 
sance vers  le  Djah,  Crampel  est  parvenu,  comme  nous 
l'avons  dit,  à  ramener  avec  lui  plusieurs  chefs.  Ils  ont  vu  la 
nouvelle  rivière,  et  ils  ont  promis  de  faire  tous  leurs  efforts 
pour  favoriser  l'installation  d'un  poste  français  dans  la 
région. 

M.  Crampel  conclut  donc  qu'il  faut  d'abord  placer  une 
station  au  confluent  de  l'Ogôoué  et  de  l'Ivindo  et  laisser  les 
succursales  des  factoreries  de  la  région  maritime  s'y  installer 
sous  le  couvert  de  ce  poste.  Il  faudrait  ensuite  établir 
d'autres  agents  sur  le  moyen  Ivindo,  à  l'endroit  où  dé- 
bouchent les  grands  affluents  de  gauche  et  où  commence  à 
droite  la  route  de  Mouny  ;  —  créer  enfin  une  station  par 
10"  de  longitude  est  et  l''30'  de  latitude  nord,  non  loin  de 
l'endroit  où  passent  les  produits  du  Djah  et  d'oîi  part  la 
route  de  Batenga.  Il  est  inutile,  pour  le  commerce,  d'aller 
à  l'intérieur,  à  grand  frais  et  à  grand  danger.  Le  climat  est 
malsain,  les  indigènes  hostiles,  le  pays  M'Fan  incurable- 
ment  pauvre.  Ce  n'est  pas,  en  effet,  un  stock  d'ivoire  em- 
magasiné de  génération  en  génération  qui  constitue  une 
richesse  réelle,  ni  même  le  caoutchouc,  dont  la  liane  n'existe 
pas  partout.  Le  Pahouin  a  l'esprit  tourné  vers  les  voyages 
de  commerce,  il  est  né  revendeur  et  colporteur;  il  fait  sans 
peine  d'assez  longues  marches,  comptant  pour  bénéfice 
suffisant  la  bonne  nourriture  qu'il  trouve  sur  sa  route  et  les 
vols  qu'il  commet,  et  se  souciant  assez  peu  de  la  relation 
entre  son  prix  de  vente  et  son  prix  d'achat. 
Avec  lui,  il  est  beaucoup  plus  profitable  aux  factoreries 


lAMPEL   AC  NORD  Dt   CONGO   FRANÇAIS 

de  rOgôoué  d'attendre  les  caravanes  indigènes  que  d'i 
chercher  les  produits.  Qu'on  laisse  donc  les  commerçant  _:*1j 
dépasser  la  région  maritime,  mais  qu'on  leur  conseille  e*  -^i\ 
même  temps  de  ne  pas  aller  plus  loin  que  le  confluent  d  ^Bc 
rivindo.  LesBakolas  s'étendent  jusqu'à  ce  point,  à  gauch^^Kie 
de  la  rivière,  et  avec  un  peu  de  diplomatie  on  les  décidg=^- 
rail  assez  aisément  h  se  grouper  autour  de  nous. 

Quant  aux  M'Fans,  nous  sommes  aussi  chez  eux,  sur  flPa 

rive  droite.  Si  des  stations  sur  le  moyen  et  le  haut  Iviod o 

assuraient  seulement  la  sécurité  relative  des  communicaK.- 
tions,  ils  apprendraient  natureltemenl  le  nouveau  chemin.  ; 
ils  renonceraient  évidemment,  aussitôt  que  possible,  à  er»  - 
voyer  leurs  produits  par  terre  vers  l'ouest,  genre  de  conï  - 
raerce  qui  leur  a  coiilé,  jusqu'à  présent,  de  nombreuses 
perles  d'hommes  et  de  marchandises.  Ils  apporteront  eux- 
mêmes  tout  cet  ivoire,  qu'on  aurait  si  mince  bénéticeàaller 
cherch&r  aux  lieux  de  production.  Ainsi  pourrait  être  dé- 
tournée vers  rOgôoué  la  plus  grande  partie  de  l'ivoire  de 
Batenga  et  du  caoutchouc  de  Moony. 


ÉTUDES  DE  GÉOGRAPHIE  HISTORIQUE 

SUR 

LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR 

PTOLÉMÉE,  HIOUEN-THSANG,  SONG-YCËN,  MARCO-POLO 

PAR 
Le  D'  KICOLA.8    SEVERTZOW 

(  SUITE') 


Examinons  maintenant  la  route  du  Chighan  au  Kara-koul, 
route  encore  fréquentée,  et  comparons-la  à  la  description 
que  Hiouen-Thsang  donne  de  son  Po-mi-lo. 

Partant  du  cours  inférieur  du  Soutschan,  cette  route  con 
tourne  la  base  sud-ouest  du  massif  occidental  du  Ghighnan,' 
passe  par  le  col  de  Bogo,  puis  descend  vers  le  nord,  sur  la 
vallée  de  l'Aksou  qu'elle  remonte  droit  vers  l'est,  dans  la 
direction  indiquée  par  Hiouen-Thsang  pour  son  Po-mi-lo, 
jusqu'au  delà  de  l'embouchure  de  l'AIitsebour.  Ce  n'estque 
très  graduellement,  d'une  manière  insensible,  que  la  vallée 
de  l'Aksou,  et,  avec  elle  la  route,  tourne  à  l'esl-nord-est, 
ensuite  au  nord-est;  cette  dernière  direction  est  celle  de  la 
vallée  du  Koudara,  affluent  de  l'Aksou  et  jadis  écoulement 
sud-ouest  du  Kara-koul. 


1.   Voir    Bulletin    de  la  Société,  de  géographie,  3*  trimestre  1890, 
p.  417. 


LES   ANCIENS   ITlNKIt.VinF.S   A 


LK   l'AMIB. 


J'ai  VU  de  près  la  parlie  supérieure  de  celte  vallée  de  Kou- 
dara,  voisine  du  Kara-koiil,  et  de  loin  toute  son  étendue  à 
plus  de  100  kilomètres  de  distance  entre  deux  chaînes  de 
montagnes;  d'après  les  renseignements  recueillis,  la  rivière 
deKoudara  coule  dans  la  partie  supérieure  de  cette  longue 
vallée,  sur  une  longueur  d'environ  75  à  80  kilomètres  en 
ligne  droite,  et  l'Aksou,  dans  la  partie  inférieure,  sur  une 
longueur  d'environ  35  kilomètres  aussi  en  ligne  droite. 

La  largeur  de  la  vallée  de  Koudara  est  de  1  à  10  kilo- 
mètres ;  la  longueur  de  la  route,  le  long  de  cette  rivière  seu- 
lement, doit  être  d'un  peu  moins  de  100  kilomètres  ;  on  voit 
que  ce  sont  des  chiflres  à  peu  près  proportionnels  aux  1000 
li  de  long  sur  10  à  100  de  large  de  la  vallée  de  Po-mi-lo 
et  reproduisant  exactement  la  proportion  des  dimensions 
du  Loun-lchi,  en  li,  à  celles  de  l'ancienne  étendue  duKara- 
koul,  en  kilomètres. 

Il  y  a  ici  cependant  quelques  difficultés  qui  me  font  pen- 
ser à  une  altération  du  texte  par  quelque  malentendu,  ou 
par  quelque  omission,  dans  les  exemplaires  actuels  môme 
des  ouvrages  originaux,  traduits  par  Stanislas  Julien.  Il  est 
parfaitement  compréhensible  queHiouen-Thsang,  allant  d'a- 
bord droit  vers  l'est  et  ne  tournant  que  peu  à  peu  au  nord- 
est,  note  ta  direction  primitive  de  sa  route  comme  une  di« 
rection  générale,  et  que  la  vallée  qu'il  suivait  le  conduise  à 
un  large  bassin  occupé  par  tm  lac  dont  la  plus  grande  lon- 
gueur aune  toute  autre  direction,  celle  du  nord  au  sud.  Mais 
il  estdiftlcile  de  placer  ce  lac  au  7>iilieu  d'une  vallée  dont  la 
■pins  grande  laigeur  nord-sud  est  chuf  fois  moindre  que  la 
longueur  nord-sud  du  lac.  Je  crois  donc  que  le  texte  primitif  ' 
de  Hiouen-Thsang  devait  placer  le  lac  Loun-lchi  à  ^extrémité 
supérieure  du  Po-mi-Io  et  au  milieu  du  Djambou-dwipa 
seulement,  non  au  milieu  des  deux,  c'est-à-dire  du  Djarabou- 
dwipa  et  du  Po-mi-lo.  C'est  le  double  écoulement  du  lac 
qui  dut  induire  quelque  copiste  à  placer  ce  lac  au  milieu 
de  la  vallée,  ce  qui  lit  qu'un  copiste  subséquent,  comme 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.        555 

nous  l'avons  déjà  vu,  accommoda  les  dimensions  du  lac  à 
celles  de  la  vallée,  en  donnant  à  celui-là  cinquante  li  nord- 
sud  au  lieu  des  cinq  cents  primitifs'. 

Ce  qui  confirme  ma  correction  hypothétique  du  texte  de 
Hiouen-Thsang,  que  je  crois  altéré,  ce  sont  les  arbres  qu'il 
dit  croître,  en  petit  nombre,  dans  la  vallée  du  Po-mi-lo. 
Dans  les  vallées  attenantes  au  Eara-koul,  il  n'y  a  d'arbres 
qae  près  du  cours  inférieur  de  la  Koudara,  à  plus  de  60  ki- 
lomètres du  lac,  en  ligne  droite,  ce  qui,  d'après  les  chiffres 
donnés  par  Hiouen-Thsang  pour  la  largeur  de  la  vallée  et 
l'étendue  du  lac,  fait  plus  de  six  cents  li.  Or  il  suffit  d'un 
coup  d'œil  jeté  sur  une  carte  du  Pamir  Khargoscb  pour 
voir  que,  des  mille  li  de  longueur  totale  du  Po-mi-Io,  le 
lac  Loun-tschi  au  milieu  doit  en  occuper  cinq  cents,  et  non 
trais  cents,  la  vallée  continuant  au  nord  du  lac,  et  non  à  l'est. 
Restent  pour  le  Po-mi-lo,  sans  lac,  4000  —  500  =  500  li, 
soit  350  ou  255  kilomètres  de  chaque  côté;  on  arrive  de 
la  sorte  à  une  distance  du  Kara-koul  à  laquelle  les  arbres 
ne  croissent  pas. 

Le  grand  froid  du  Po-mi-lo  et  la  neige,  même  en  été,  se 
rencontrent  un  peu  partout  dans  les  hautes  vallées  du  Pamir, 
de  même  que  les  vents  ;  mais  pour  ces  derniers,  j'ai  trouvé 
que  les  plus  violents  et  les  plus  constants  sont  cependant 
les  vents  du  nord  qui  soufflent  sur  le  Kara-koul  et  par  la 
vallée  de  Koudara.  Ce  sont  les  seules  localités  pour  les- 
quelles le  témoignage  de  Hiouen-Thsang,  quant  aux  vents 


1.  Les  li  de  Uioaen-Thsang  sont  ici  bien  petits,  dix  par  Jdlomtstre; 
mais  nous  avons  vu  que  leur  diminution  en  longueur  augmente  gra- 
duellement, à  mesure  qu'il  monte  de  la  plaine  de  Koundouz  dans  le 
Thsoung^ling.  D'abord  c'est  trois  li  par  kilomètre,  ensuite  quatre,  cinq, 
sept,  et  enfin  dix;  ce  qui  est  inévitable  pour  un  voyageur  qui  compte  les 
li  invariablement  à  cent  par  jour  de  marche,  n'importe  dans  quelle  loca- 
lité. Or,  la  marche,  sur  le  haut  Pamir,  est  bien  ralentie  par  la  difficulté 
de  respirer,  surtout  ayant  le  vent  en  face,  comme  dut  l'avoir  Hiouen- 
Thsang  en  allant  du  Chighnan  au  Kara-koul.  Il  faut  compter  de  plus  avec 
la  fatigue  qui  produit  aussi  un  allongement  imaginaire  des  distances. 


550        LES   ANCIENS    ITIMOnAMlES   A   TnàVEIlS    LE   l'AMIR. 

du  Po-mi-lo,  soit  liltéraleraenl  exact  et  dépourvu  d'exagé- 
ration. 

J'en  dirai  autant  de  Faridilé  du  Po-tni-lo,  sur  laquelle 
?Iioueq-Thsang  insiste  si  fort.  La  partie  supérieure  de  la 
vallée  de  Koudara  est  (avec  la  vallée  entre  le  Katyr-koul 
etleMarkan-sou)  la  localité  la  plus  désolée  que  j'aie  rencon- 
trée sur  le  Pamir  où  j'ai  remarqué  qui;  la  végétation 
augmente  vers  le  sud,  par  gradations  insensibles  entre  le 
col  de  Kisil-art  et  l'Aksou,  et  assez  brusquement  au  delà 
de  cette  rivière.  D'après  les  renseignements  kirghiz,  re- 
cueillis par  Wood  {loc.  cit.,  chap.  sxi,  p.  239)  les  environs 
du  lac  du  grand  Pamir  sont,  en  été,  un  tapis  continu  d'ad- 
mirables pâturages,  surpassant,  en  conséquence,  tout  ce 
que  j'ai  vu  de  mieux  dans  les  autres  parties  du  Pamir,  plus 
au  nord,  et  juste  le  contraire  de  ce  que  Hiouen-Thsang  dit 
de  son  aride  Po-mi-lo. 

C'est  sur  les  bords  mfrme  du  Kara-koul,  en  revenant  de 
mon  exploration  du  Pamir  dont  j'avais  vu  une  grande  par- 
tie, y  compris  la  vallée  de  Koudara,  que  j'ai  comparé  la 
description  du  Po-mi-lo  et  du  lac  Loun-lscbi  par  Hiouen- 
Thsang,  telle  qu'elle  se  trouve  dans  le  livre  de  M.  Paquier, 
.ivec  ce  que  j'avais  sous  les  yeux,  La  conformité  se  trouva 
complète  ;  ce  n'est  qu'au  Koudara  et  au  Kara-koul,  à  l'ex- 
clusion de  toute  autre  localité,  qu'on  peut  rapporter  l'en- 
semble de  cette  description  dans  laquelle  il  y  a  cependant 
une  particularité  —  une  seule  —  qui  contredit  ma  déter- 
mination du  Po-mi-lo,  et  confirme  indifréremmenl  ou  celle 
de  M.  Vivien  de  Saint-Martin,  ou  celle  de  Yule. 

C'est  ce  qui  a  trait  à  l'embouchure,  dans  l'Oxus,  de  l'é- 
coulement occidental  du  lac  Loun-tschi  ;  il  est  dit  que  cette 
embouchure  se  trouve  dans  les  confins  orientaux  du  Ta-mo- 
si-t'ié-ti. 

On  peut  bien  rapporter  cette  phrase  à  la  réunion  du  Piandj 
et  du  Sarhadd,  dans  la  partie  orientale  du  Wakhan,  mais 
alors  il  faut  rejeter  tout  ce  que  dit  lliuucn-Thsang  du  Ta-mo- 


AKCIESS   ITINÉrUIRES   A  TBAVEIIS   LE   PAMIR.       557 

si-l'ié-ti,  du  Po-mi-lo  et  du  lac  Loun-tschi  ;  en  effet  tout  ce 
texte  est  inconciliable,  nous  l'avons  prouvé,  avec  le  passage 
qui  justifie  les  déterminations  de  M,  Vivien  Saint-Martin  et 
de  Yiile.  Mais  ce  qui  est  bien  évident,  c'est  J'impossibilité  de 
rejeter  du  livre  de  Hiouen  Thsang  trois  descriptions  dont  je 
viens  de  prouver  la  parfaite  exactitude  :  celle  des  vallées  du 
Bogouz  et  du  Krmdara,  et  celle  du  grand  Kara-koul.  Il  est 
plus  naturel  de  chercher  une  erreur  dans  le  passage  qui 
nous  occupe,  et  cette  erreur  une  fois  admise,  est  facile  à 
trouver. 

D'abord  une  erreur  de  copiste,  se  reproduisant  incessam- 
ment dans  les  fautes  d'impression  de  nos  ouvrages  géogra- 
phiques :  au  lieu  des  contins  orientaux  du  Ta-mo-si-t'ié-ti, 
c'est  dans  les  confins  occidentaune  qu'il  faut  placer  Tembou- 
chure,  dans  TOxus,  do  l'écoulement  du  lac  Loun-tschi  — 
et,  de  plus,  dans  les  confins  occidentaux  du  Ghi-khi-ni* 
(Chighnan)  et  non  dans  ceux  du  Ta-mo-si-t'ié-ti  (Gharan). 
—  Cette  dernière  erreur  peut  bien  appartenir  k  lliouen- 
Tbsang  lui-même,  qui,  nous  l'avons  vu,  s'éloigna  de  TÛxus 
après  l'avoir  traversé  par  un  gué  encore  existant,  à  environ 
20  kilomètres  au-dessous  de  l'embouchure  du  Bogouz,  et 
put,  ne  connaissant  pas  bien  les  localités  non  visitées  par 
lui,  attribuer  au  Ta-mo-si-t'ié-ti  (Gharan)  la  rive  droite  de 
rOxus  jusqu'à  l'embouchure  de  l'Aksou  —  ce  qui  monlre- 


t.  L'emboiichiiri^  de  F^ksou  dam  l'Oxus  sr  trouve  dans  I»  distncl  <]<! 
Roschai],  qui  appartient  au  GiiighnaD,  et  à  prujios  diiqucl  je  fais  m  une 
rectiflcation  uuLliée  plus  haut,  quaiiJ  je  réfutais  sou  idenlillciiUou  avec 
1»  Vallis  Coniedorum.  Le  Roschan  n'est  milieiiieiit  tyutft  la  |iiii'tin  cul- 
tiviSe  lie  la  vallée  <lc  l'Aksuu;  it  s'utciid  tiièmû  pluâ  If,  loni;  ilc  l'Oxus  — 
40  kilomètres  de  Derboiid  à  la  l'ronti'Te  ilu  Dcrwaz,  dus  deux  cûlés  di' 
Kala  Waina  —  que  le  long  de  l'Aksou  où  il  liiiit  par  une  gorge  InfraiicliiR- 
sable,  uu  pou  au-dessus  de  Kala-Wamar.  Au-dogsui  du  lluschati,  il  y  «, 
le  long  de  l'Aksou,  tiii  espacu  îuhabilé;  ensuite  lu  province  de  Dartang, 
qui  appartient  ausfii  au  Ch)(;l)uau,  la'étend  dan»  la  vallée  du  l'Aksou,  jus- 
qu'à la  limite  supérieure  de  toute  culture  vers  le  Pamir  rentrai,  «t  com- 
prend plusieurs  districts  ou  groupes  de  village»,  syr  l'Aksou  n't  l'AUtscIiiMir 
inférieur,  aussi  séparés  par  de»  espaces  inhabités. 


LES  A.NCIËNS  ITÎNÉIIAIBES^A   TBAVKRS  T,E  PAMIR. 

rait  qu'il  ignorait,  sur  les  rives  de  l'Oxus,  la  frontière  natu- 
relle du  Gharan  —  la  gorge  de  Kougouz  Parin,  infran- 
chissable  de  son  temps. 

Cependant  une  pareille  extension  du  Gharan  (Ta-mo-si- 
t'ié-ti)  ne  s'accorde  pas  bien  avec  le  témoignage  d'Hiouen- 
Thsang  qui  réduit  ce  pays  à  une  seule  vallée,  confinant  à 
rOxus,  et  ne  dépassant  pas  600  lis  (120  kilomètres)  de 
longueur.  Iliouen-Thsang  n'aurai l-il  pas  peut-être  simple- 
ment dit  que  l'écoulement  occidentai  du  lac  Loun-tschi 
«  coule  vers  l'ouest,  se  réunit  au  Pot-sou,  et  continue  à 
couler  vers  l'ouest  »  sans  préciser  le  pays  où  se  trouve  ce 
confluent?  C'est  ce  qui  me  parait  le  plus  probable  :  que  la 
mention  (fautive)  du  Ta-mo-si-l'ié-ti,  à'  propos  de  cet 
écoulement  occidental  du  lac  Loun-tschi,  est  en  entier 
une  interpolation  postérieure.  Une  autre  source  possible  de 
pareilles  erreurs  est  celle-cî  :  que  la  relation  originale  de 
Hiouen-Thsang  fut  verbale,  écrite  seulement  par  quelque 
auditeur  —  comme  le  fut,  d'après  des  témoignages  Lien 
certains,  celle  de  Marco-Polo.  Mais,  pour  Hiouen-Thsang,  ce 
n'est  qu'une  possibilité.  La  rédaction  différente  de  sa  rela- 
tion dans  les  <c  Mémoires  »  et  la  «  Biographie  »  n'est  pas 
une  véritable  preuve  en  faveur  de  celte  supposition  :  la  re- 
lation de  la  ((  Biograjihie  »  a  pu  Cire  écrite  d'après  des  com- 
munications verbales  et  incomplètes  d'IIiouen-Thsang,  qui 
a  bien  pu  aussi  écrire  lui-même  et  laisser  un  manuscrit 
de  ses  «  Mémoires  »,  inconnu  à  l'auteur  de  la  k  Biogra- 
phie ». 

C'est  aux  sinologues  à  décider  cette  question  ;  mais  ces 
doutes  au  sujet  de  la  rédaction  du  voyage  de  Hiouen-Thsang 
sont  fort  à  leur  place,  quant  il  s'agit  d'examiner  sa  route 
du  lac  Loun-Tschi  à  Kié-cha  —  roule  qui  n'est  pas  précisé- 
ment facile  à  déterminer.  Le  Pamir  oriental,  qu'elle  traverse, 
est  encore  entièrement  inexploré,  excepté  une  roule,  qui, 
parlant  de  TascL  Kourganne,  se  bifurque  sur  Yanghî- 
Hissai'  et  Yarkend.  De  plus,  les  «  Mémoires  »  de  Uiouen- 


* 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.      559 

Thsang  ne  s'accordent  pas  avec  sa  c  Biographie  »  sur  son 
itinéraire  dans  le  Pamir  oriental. 

Voici  cet  itinéraire^  d'après  les  «  Mémoires  >;  les  variantes 
de  la  «  Biographie  »  seront  exposées  ensuite  ^ 

«  Parti  du  milieu  de  cette  vallée  (du  Po-mi-lo),  Hiouen- 
Thsaog,  sur  toute  sa  route  au  sud-est,  ne  rencontra  pas  un 
seul  village...  Franchissant  des  montagnes,  traversant  des 
précipices,  ne  voyant  nulle  part  rien  que  des  amas  de  neige 
et  de  glace,  il  arriva,  après  environ  500  li  de  roule,  dans 
le  royaume  de  Kié-pouan-tho... 

<  Derrière  la  capitale  de  ce  pays,  bâtie  sur  un  rocher, 
dans  un  grand  défilé  de  montagnes,  coule  le  Si-to*...  On  y 
recueille  peu  de  riz,  mais  le  froment  et  les  légumes  y  abon- 
dent... De  là,  après  300  li  de  route  au  sud-est,  il  arriva  à  une 
montagne,  célèbre  par  le  séjour  de  deux  arhans  {ourahans, 
désignation  de  saints  bouddhistes),  en  extase  déjà  depuis 
sept  cents  ans.  De  là,  après  200  li  de  route  au  nord-est, 
par  des  montagnes  et  des  précipices,  il  arriva  à  une  maison 
de  bienfaisance,  anciennement  construite  par  un  arhan, 
dans  un  lieu  dangereux  pour  les  voyageurs.  De  cette  maison, 
après  environ  800  li  de  route  vers  Vest,  par  des  gorges 
dangereuses,  des  vallées  profondes,  et  des  sentiers  frayés  en 
corniche  au-dessus  de  précipices,  sous  le  vent  et  la  neige,  il 
sortit  du  Thsoung-ling,  et  arriva  au  pays  d'Ou-cha...  Le  pays 
confine  au  sud  avec  leSi-to;  son  sol  est  gras  et  fertile,  don- 


i.  Toujours,  d'après  les  extraits  de  M.  Grigortew,  loo.  cit.,  p.  -490-94. 
Ces  extraits  sont  beaucoup  plus  complets  que  ceux  de  M.  Paquier,  Pamir, 
p.  43,  qui  s*arrête  au  Kio-pan-tbo;  et  M.  Grigoriew,  dans  ces  extraits, 
donne  s«uvent  une  traduction  russe  littérale  du  texte  français  de  Sta- 
nislas Julien,  que  je  n'ai  pas  sous  la  main. 

S.  Ce  passage  me  paraît  littéralement  extrait  du  texte  de  Stanislas  Ju- 
lien, donc  plus  exact  que  ma  traduction  du  russe,  dans  le  livre  de 
M.  Paquier,  où  on  lit  :  «  Kio-pan-tho...  dont  la  capitale  s'appuie  sur  le 
flanc  d'une  haute  montagne,  en  deçà  du  fleuve  Ci-to  >  (Pamir,  p.  43). 
M.  Paquier  cite  cependant,  pour  cet  extrait,  la  «  Biographie  »  (Pion-i- 
thian)  et  nous  les  Mémoires  (Si-yu-ki). 


560       LKS   ANCIENS    ITI>ÉrUIIli:S   A.  TIîWEns   LE   PAMin, 

nant  d'abondantes  moissons;  il  est  riche  en  arbres  forestiers 
et  produit  beaucoup  de  fleurs  et  de  fruits;  on  y  exploite 
aussi,  en  grande  quantité,  différentes  sortes  de  pierres  de  yu 
(jade)  :  de  couleur  blanche,  noire  et  verte...  De  ce  pays  il 
alla  au  nord,  et,  après  environ  500  li  de  route  par  des  mon- 
tagnes pierreuses  etdes  plaines  désertes,  il  arriva  au  royaume 
de  Kié-cha...  De  Kié-cha  it  se  dirigea  au  sud-est,  fit  en- 
viron 500  It  de  route,  el,  ayant  traversé  le  Si-lo,  il  arriva  au 
royaume  de  Tscfio-keoti-kia...  Ce  royaume  confine  à  deux 
rivi&res,  et  vers  le  sud,  aussi  à  de  grandes  montagnes,  avec 
d'innombrables  pics  qui  s'élèvent  l'un  au-dessus  de  l'autre, 
et  des  cols  très  élevés.  » 

En  tout,  pour  arriver  du  lac  Loun-lschi  à  Ou-cha, 
500  -f-  300  -|-  200  -f-  800  =  1800  li  i  travers  les  mon- 
tagnes. 

Voici  maintenant  les  variantes  de  la  «  Biographie  »  : 

<i  Partant  du  côté  oriental  du  Po-mi-lo,  il  s'avance  vers 
l'est,  par  des  chemins  difficiles  et  couverts  de  neige,  et, 
après  500  li  de  roule,  il  arriva  au  Kié-pouan-tho*..,  Il  y  de- 
meura vingt  jours  et  y  obtint  des  renseignements  sur  les 
deux  arhans  en  extase  sur  une  montagne  (que,  d'après  la 
te  Biographie  »,  il  ne  visita  donc  pas).  De  là,  il  alla  au  nord- 
ouest,  et,  après  cinq  jours  {soit  500  li)  de  route,  il  ren- 
contra une  bande  de  brigands.  Ensuite,  se  dirigeant  vers 
Test,  il  descendit  des  hauteurs,  et,  après  800  li  de  route,  il 
sortit  du  Tsoung-ling,  et  entra  dans  le  royaume  d'Ou-cha.  » 

Les  Mémoires  et  la  Biographie  nous  donnent  donc  deux 
itinéraires  tout  à  fait  ditlérenls,  mais  conduisant  également 
du  Po-mi-lo  à  Ou-cha,  après  un  parcours  de  1800  li  par 
le  Thsoung-ling.  II  est  évident  que  nous  avons  là  des  textes 
dans  lesquels  la  relation  originale  est  fort  altérée  —  beau- 
coup plus  que  pour  la  route  d'Andérab  au  lac  Loun-tscbi, 


1.  J'ai  complété   ici  les  extraits  de  M.  Crigoricw,  d'après  M.  Paquier 
(Pamir,  p.  -13). 


LKS  ANCIKNS   ITliNÉllAIRES  A  TRAVEKS   LE   PAMIR.      561 

et  celte  altération  porte  surtout  sur  les  directions  de  la 
route  —  aussi  sur  les  distances.  On  verra  qu'arec  une  loca- 
lité possible  pour  Kié-pouan-tho,  Ou-cha  se  trouve  trans- 
porté des  plaines  du  Tarim  dans  les  montagnes  du  Thibet 
occidental  par  l'itinéraire  des  Mémoires,  et  dans  celles  du 
Thian-schan  par  celui  de  la  Biographie. 

Il  ne  reste  donc,  pour  déterminer  la  route  par  laquelle 
Hiouen-Thsang  sortit  du  Pamir,  que  la  détermination  des 
pays  qu'il  mentionne,  à  l'aide  des  particularités  carac- 
téristiques notées  dans  ses  Mémoires,  répétant  d'abord 
comme  suspectes  et  les  directions  de  la  route,  et  les  dis- 
tances. 

Parmi  ces  localités,  la  plus  reconnaissable  est  celle  de 
Tscbo-kou-kia,  très  exactement  déterminée  par  Vivien  de 
Saint-Martin  comme  province  de  Yarkend,  Les  deux  rivières 
auxquelles  elle  confine  sont  le  Yarkend-darya  et  le  Kara- 
koul  ;  les  montagnes  au  sud  sont  le  Kuen-Iun.  —  De  même 
le  Kié-cha  est  bien  la  province  de  Kaschgar,  et  VOucha 
celle  de  Yang-Hissar  entre  Kaschgar  et  Yarkend,  comme 
les  a  aussi  déterminés  Vivien  de  Saint-Martin  :  même  les 
villes  principales  de  ces  provinces  n'ont  pas  changé  de  place 
depuis  le  temps  d'Hiouen-Thsang,  excepté  Yang-Hissar,  dont 
le  nom  même  indique  une  ville  relativement  récente,  Yang 
dans  les  dialectes  turcs,  signifiant  nouveau.  —  Restent 
Kié-pouan-tho  et  la  rivière  Si-to.  * 

Cette  dernière  est  mentionnée  trois  fois  :  comme  rece- 
vant l'écoulement  du  lac  Loun-tschi  vers  l'est,  comme  cou- 
lant par  le  Kié-pouan-tho,  et  comme  traversée  par  la  route 
de  Kié-cha  à  Tcho-keou-kia,  mais  près  de  cette  dernière 
localité.  Il  est  impossible  de  rapporter  ces  trois  indications 
à  la  même  rivière,  et  il  ne  reste  qu'à  admettre  que  ce  nom 
de  Si-to  est  un  ancien  nom  chinois  du  Tarim,  étendu  aussi 
aux  grandes  rivières  qui  le  forment  :  car  Hiouen-Thsang, 
nomme  Si-to  et  la  Kaschgar-Darya,  recevant,  comme  nous 
.  l'avons  vu,  l'écoulement  oriental  du  lac  Loun-tschi,  et  la 


562        LES   ANCIENS  ITINÉnAmKS   A  TUAVEHS   LE  PAMIR. 

Yarkend-Darya,  traversée   tout  près  de  Tscho-keou-kia. 

OnantauKié-pouan-tho,queM.  Vivien  deSainl-Martin  croit 
être  le  district  actuel  de  Tasch-Kourgatie,  Hiouen-Thsang 
le  détermine  par  les  indications  suivantes  : 

i"  Une  position,  au  moins  de  sa  capitale,  dansFinlérieur 
du  Thsoung-!ing,  considérablement  à  l'ouest  de  Kaschgar, 
et,  en  général,  de  la  plaine  du  Tarira. 

2°  Pour  capitale  un  fort,  bâli  sur  un  rocherj  commandant 
un  passage  entre  des  montagnes,  et  en  deçà  d'un  des  af- 
fluents principaux  du  Tarim  pour  le  voyageur  qui  vient  du 
Karakoul. 

3o  Ce  pays  doit  contenir  dans  ses  frontières  la  limite  su- 
périeure delà  culture  du  riz;  il  doit  donc  Être  en  partie  au- 
dessous  de  1,500  mètres. 

Une  localité  pareille  ne  peut  être  cherchée  que  dans  les 
grandes  vallées  profondément  creusées,  qui  descendent  du 
système  du  Pamir  vers  les  plaines  du  Turkestan  chinois. 
Ces  vallées  sont  au  nombre  de  trois  :  celle  de  la  Kaschgar- 
Darya,  du  Yaman-yar  et  de  la  rivière  de  Tasch-Kourgane, 
source  occidentale  delaTarkend-Darya.  De  ces  trois  vallées 
il  faut  d'abord  rejeter  celle  du  Yaman-yar,  qui  n'est  qu'une 
série  de  gorges  difficiles,  ainsi  que  l'indique  même  son  nom: 
Yaman  signifiant  en  djagataï  turki  mauvais^  et  yar,  préci- 
pice. Les  Kirghiz  du  Pamir  m'ont  appris  que  cette  vallée 
est  inculte  et  inhabitée  (sauf  peut-être  de  rares  k'staou, 
campements  d'hiver  des  nomades)  jusqu'à  sa  sortie  des 
montagnes. 

Restent  les  vallées  de  la  Kaschgar-Darya  et  de  la  rivière 
de  Tasch-Kourgane  qui,  toutes  deux,  satisfont  aux  deux 
premières  indications  d'Hiouea-Thsang. 

Le  fort  de  Tasch-Kourgane  est  en  effet  construit  sur  un 
rocher,  sur  le  bord  occidental,  c'est-à-dire  en  deçà  de  l.i 
rivière,  et  adossé  à  un  contrefort  des  montagnes  qui  séparent 
ici  les  systèmes  fluviaux  de  l'Oxus  et  du  Tarim. 

Quant  au  cours  supérieur  du  Kaschgar-Darya,  des  posi- 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.        561) 

tioDs  pareilles  se  trouvent  sur  sa  rive  droite,  en  deçà,  donc, 
tout  près  du  fort  moderne  d'Oulotigtschat  (lui-même  bâti 
dans  un  bas-fond)  et  vers  l'embouchure  du  Markan-sou. 

Quant  à  la  culture  du  riz,  elle  est  impossible  dans  les 
larges  vallées  du  Tasch-Kourgane  et  de  Tagbarma  qui  for- 
ment un  district  compact,  nourrissant  une  population  sé- 
dentaire. On  y  cultive  le  froment,  souvent  frappé  de  gelées, 
en  mai  et  août,  mais  surtout  l'orge  et  des  légumes.  Le  point 
le  plus  bas  de  ce  district,  où  les  rivières  de  Tasch-Kourgane 
et  de  Tagbarma,  à  peine  réunies,  quittent  leurs  larges  vallées 
supérieures  pour  entrer  dans  une  gorge  difBcile,  inondée  et 
impraticable  en  été,  s'élève  encore  un  peu  au-dessus  de  trois 
mille  mètres.  Pour  trouver,  sur  la  rivière  de  Tasch-Kourgane, 
un  climat  indiquant  la  limite  supérieure  du  riz,  il  faut  des- 
cendre jusqu'à  Kousch-arab,  à  l'embouchure  de  Tscharling, 
localité  dont  les  communications  sont  plus  faciles  avec 
Yarkend  qu'avec  Tasch-Kourgane.  Encore  est-il  douteux 
que  le  terrain  des  environs  de  Kousch-arab  permette  la  cul- 
ture du  riz. 

Quant  à  la  vallée  supérieure  du  Kaschgar-Darya,  je  ne 
sais  si  on  y  cultive  le  riz  dont  la  production,  insignifiante  du 
temps  de  Hiouen-Thsang,  y  a  pu  être  abandonnée  depuis  lors  ; 
mais  les  conditions  locales  sont  plus  favorables  à  cette  cul- 
ture, jusqu'à  enviroïi  70  kilomètres  au-dessus  de  Kascbgar, 
dont  la  hauteur  absolue  est  d'environ  1,200  mètres.  Celle 
d'Ouloug-tschat  est  d'environ  2,000  mètres.  Au-dessous  d'Ou- 
loug-tschat,  la  vallée  de  la  Kaschgar-Darya  sépare  le  système 
du  Thian-schan aunord,  deceluiduPamirau  sud;  entre  elle 
et  les  premières  chaînes  neigeuses  des  deux  systèmes  s'étend, 
de  chaque  côté,  une  zone  assez  large  de  montagnes  peu 
élevées,  tandis  que  la  rivière  de  Tasch-Kourgane  coule 
par  des  gorges  étroites,  fentes  transversales  de  plusieurs 
chaînes  neigeuses. 

D'autre  part,  on  peut  cependant  se  demander  si  le  peu 
de  riz  que  Hiouen-Thsang  trouva  dans  le  Kié-pouan-tho 


564        LES  ANCIENS   ITINÉKAIIIKS  A   TIlAVKliS  l,E  PAMIR. 

était  encore  bien  indigène,  s'il  n'étail  pas  importé.  Dans  ce 
paj's  Hiouen-Thsang  ne  parait  pas  être  descendu  le  long  du 
Si-lo,  que  ce  soit  le  Kaschgar-Darya  ou  la  rivière  de  Tasch- 
Kourgane,  jusqu'aux  localités  où  la  culture  du  riz  est  possible, 
et  elle  ne  l'est  pas  plus  dans  les  environs  immédiats  d'Ou- 
loug-tschat  que  dans  ceux  de  Tasch-Kourgane.  L'est-elle 
dans  le  Kaschgar-Darya  à  l'embouchure  du  Markan-sou? 
Cette  localité  a  été  vue  seulement  de  loin,  de  la  route  d'Osch 
à  Kaschgar,  par  les  membres  de  la  mission  du  colonel  Kou- 
ropalkine  envoyée  vers  Yakoub-Bey  en  1876-1877. 

La  position  de  Kié-pouan-lho  restedonc  encore  incertaine  ; 
on  n'a  de  choix  qu'entre  deux  localités,  mais  deux  localités 
éloignées  l'une  de  l'autre.  Cependant  il  est  encore  d'autres 
indications  pour  déterminer  ce  choix  d'une  manière  pro- 
bable, sinon  positive.  Dans  ce  but,  lâchons  d'abord  du 
restaurer  l'itinéraire  de  liiouen-Thsnng,  tel  qu'il  devait  être 
selon  la  relation  originale,  ce  qu'on  peut  faire  de  deux 
raanièies. 

Ou  on  peut  supposer  que  des  indications  de  directions 
exactes  subsistent  à  côté  d'indications  altérées  en  partie 
dans  les  Mémoires,  en  partie  dans  la  «  Hiographie  >,  et  com- 
biner ces  parties  d'itinéraire  de  manière  à  former  un  tout 
qui  conduise  à  la  position  véritable  d'Ou-cha. 

On  nepeut  aussi  s'occuper  des  directions  et  des  distances, 
ni  dans  les  «  Mémoires  »,  ni  dans  la  «  Biographie  »,  et  res- 
taurer l'itinéraire  en  combinant  ce  que  ces  deux  textes 
disent  de  la  nature  deslocalilés  parcourues,  et  des  incidents 
du  voyage. 

Essayons  d'abord  du  premier  moyen.  Il  donne  deux 
itinéraires  possibles,  grâce  à  la  position  incertaine  du  Kié- 
pouan-tho. 

1°  Si  Kié-pouan-tho  est  le  district  de  Tasch-Kourgane, 
alors  Hiouen-Thsang  dut  quitter  le  Po-mi-Io,  dès  qu'il  ren- 
contra une  vallée  et  une  route  qui  y  débouche  du  sud-est, 
en  vue  du  lac  Loun-lschi  qu'il  décrit  en  témoin  oculaire. 


LES  ANCFENS   ITINÉHAIHES  A   TRAVERS  LE    PAMIR.         565 

Celte  vallée  est  celle  du  Tschon-sou  que  j'ai  parcourue; 
de  là  à  Tasch-Kourgane  la  route  la  pins  directe  va  par  la 
vallée  du  Tschon-sou,  le  col  de  Toïn,  la  vallée  d'Ak-baïtal, 
celle  del'Aksou,  et  traverse  enûn  les  montagnes  qui  sépa- 
rent l'Aksou  supérieur  de  la  vallée  de  Tasch-Kourgane. 

Une  autre  roule,  moins  directe,  remonte  un  affluent 
oriental  du  Tschon-sou  jusqu'au  col  d'Ouzbel,  descend  vers 
le  Rang-koul  et  s'y  bifurque  on  deux  branches,  dont  Tune, 
plus  orientale,  aboutit  à  Tasch-Kourgane  par  Tagharraa, 
tandis  que  l'autre,  aboutissant  également  à  Tasch-Kourgane, 
laisse  Tagharma  à  gauche.  C'est  la  direction  de  route  des 
«  Mémoires  j. 

La  distance  du  Po-mi-lo  (vallée  supérieure  de  Koudara) 
parle  col  d'Ouzbel  et  le  Rang-Koul  à  Tasch-Kourgane  est 
de  210  kilomètres,  non  comptés  les  détours,  montées  et  des- 
centes; par  le  col  de  Toïn  et  l'Ak-baïtal,  elle  est  de  200  kilo- 
mètres. 

De  Tasch-Kourgane  au  district  de  Yanghi-Hissar(ouYang- 
Hissar,  Ou-cha),  nous  avons  d'abord  la  route  suivie  pnr  Gor- 
don et  Trotter,  mais  c'est  une  route  d'hiver,  inondée  en  été  ; 
alors  ces  parties  inondées  doivent  être  tournées  par  des  cols 
difRciles.  Il  est  plus  facile  de  remonter  au  nord-ouest,  par 
le  Tagharma,  jusque  près  du  petit  Kara-Koul  et  de  tourner 
de  là  à  l'est,  par  une  route  qui  descend  le  long  de  la  rivière 
Ghidjik  et  rejoint  celle  de  Yanghi-Hissar  à  Tasch-Kourgane. 
La  jonction  de  ces  routes,  ainsi  que  le  confluent  du  Ghidjik 
avec  le  Ken-Kol,  ont  été  relevés  par  M.  Trotter,  de  la  mis- 
sion Forsyth.  Ces  deux  routes,  réunies  en  une  seule, 
sortent  des  montagnes  un  peu  au-dessous  de  ce  confluent, 
à  Khal-Karaoul  et  c'est  là  ta  sortie  des  montagnes  d'Hiouen- 
Thsang,  à  quoi  nous  reviendrons. 

Cette  seconde  partie  de  l'itinéraire,  de  Tasch-Kourgane  à 
Khat-Karaoul,  est  celle  de  la  «  Biographie  »,  et  la  combinai- 
son des  deux  parties  donne  une  roule  assez  vraisemblable. 
Cependant  cetitinéraire  soulève  des  objections  assez  graves: 

soc.  OK  CÉOCR.  —  4*  TRIMESTRE  1890.  XI.  —  37 


56«i        LES  ANClKNSi   iTl.SÉn.URES  A  TRAVEns  LE   PAMIR. 

d'abord,  la  rouLe  que  suivit  Hiouen-ïhsang,  du  Chi-Khi-ni  at 
lacLounlschi,  psl  la  route  du  Chighnan  à  Kaschgar,  et  c'esÉ 
en  effet  à  Kaschgar  que  va  noire  voyageur  à  peine  sorti  des 
monlagnes.  h 

Alors  pourquoi  ce  détour  à  Tasch-Kourgane,  quand  il  yfl 
a  une  route  directe  du  Chighnan  (par  le  Pamir  Alitchour) 
à  Tasch-Kouri^ane,  d'où  il  pouvait  aussi  aller  à  Kaschgar? 

EnsuiLe,  que  devient  son  pèlerinage  vers  les  àeuxrahans^^ 
que,  dans  les  «  Mémoires  »,  il  dit  avoir  vus*.  Or  des  rahans  et 
extase  surnalurellement  séculaire  sont  bien  un  objet  de 
pèlerinage  pour  un  pieux  bouddhisLe  tel  que  l'était  Hioucn- 
Thsang;  car  leur  sainteté,  quoique  un  milliard  de  fois  infé- 
rieure à  celle  d'un  pratiéka-bouddha,  dépasse  cependant 
dix  raillions  de  fois  celle  des  anagami,  eux-mêmes  saints  dei^ 
troisième  classe^,  ayant  déjà  dépassé  les  deux  premières.     " 

2°  Si,  au  contraire,  Kié-pouau-tho  se  trouvait  sur  la 
Kaschgar-Darya  supérieure,  au  lieu  de  correspondre  à  Tasch- 
Kourgane,  alors  Hiouen-Thsang,  après  avoir  plus  ou  moins 
contourné  l'ancien  Lord  oriental  du  Karakoul  (alors,  nous     , 
l'avons  vu,  plus  étendu  qu'à  présent),  put  ou  franchir  le  colH 
de  Kalta-davan,  vis-à-vis  la  moitié  de  la  longueur  nord-sud™ 
du  Kara-koul,  puis  aller  au  nord-est,  ou  bien  aller  au  nord 
jusqu'à  la  vallée  duMarkan-sou  et  suivre  cette  vallée  vers 
l'est;  ces  deux  roules  se  joignent  sur  le  Markan-sou  et  lafl 
seconde  se  rapproche  plus  de  la  direction  est,  indiquée  parla™ 
«  Biographie  »  pour  iaroulfe  du  lac  Loun-lschi  à  Kié-pouan-_|, 
tho.  ■ 

Mais,  avec  cette  position  de  Kié-ponan-lho,  il  faut,  pour 
arriver  de  là  à  Ou-cha,  prendre  d'abord  la  direction  sud-est 
indiquée  parles«Mémoires»;  aureste,  cette  partie  du  Pamir 


i.  ifèmoirai,  irad.  Stanislas  Juliea,  11,  p.  i\i;  il  après  Grigariew.  loc. 
cit.,  note  CLXXix,  p.  3.1S. 

2.  Crigoricw,  loc.  cit.,  noLe  CXU,  p.  344,  d'après  des  notes  nu  ba«  rlc(] 
pages  du  Foe-koue-ti,  doat  il  cUb  les  pages,  «ans  imlùjuer  le  tradiii-leurj 
ni  l'édilion. 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.         567 

oriental,  entre  les  vallées  du  Markan-sou  inférieur  et  de  la 
Kaschgar-Darya  au  nord,  du  Gjhidjik  au  sud,  et  de  l'Oulou- 
art  (Yaman-yar  supérieur)  est  tellement  inexplorée  qu'il  est 
impossible  d'y  déterminer  la  montagne  des  deux  rahans 
et  la  maison  de  bienfaisance  du  troisième. 

Si  maintenant,  pour  décider  entre  ces  deux  itinéraires, 
nous  faisons  ^attention  à  ce  que  dit  Hiouen-Thsang  sur  la 
qualité  de  la  route  entre  le  lac  Loun-tschi  et  le  Kié-pouan- 
tho,  alors  je  puis  affirmer,  de  visu,  que  la  route  de  Karakôul  à 
Tasch-Kourgane  franchit  peu  de  montagnes,  et  présente  en- 
core moins  de  précipices.  Elle  va  surtout  par  de  larges 
vallées,  au  sol  bien  uni,  semblables  au  Po-mi-Io,  et  les  mon- 
tagnes qu'elle  traverse  sont  des  plus  faciles  à  franchir,  par 
des  vallées  secondaires  qui  y  montent  en  pente  généralement 
très  douce.  Telles  sont,  du  reste,  aussi  les  routes  qui,  du 
grand  et  du  petit  Pamir  et  du  Pamir-Alitschour  conduisent 
à  Tasch-Kourgane;  c'est,  môme  cette  facilité  de  routes 
nombreuses,  qu'il  faut  quitter  pour  chercher  (et  trouver) 
des  gorges  difficiles,  des  pentes  ardues,  des  rochers  à  pic, 
qui  a  fait  supposer  que  tout  le  Pamir  central  est  un  vaste 
plateau. 

Autre  chose  sont  les  routes  du  Karakôul  au  Kaschgar-Darya 
soit  par  le  Kalta-Davan  soitlelong  du  Markan-sou  :  celles-ci 
répondent  bien  à  ce  que  dit  Hiouen-Thsang  qui  décrit 
une  difficile  route  par  des  montagnes  neigeuses,  et  non  les 
belles  routes  unies  du  Pamir  central. 

La  route  la  plus  conforme  à  cette  description  est  celle  qui 
monte  du  Kara-Koul  au  col  de  Kalta-davan,  et  qui,  avant 
d'arriver  au  Markan-sou,  traverse  plusieurs  chaînes  nei- 
geuses et  ardues.  Entre  ces  chaînes  coulent,  profondément 
encaissés,  des  torrents  qui  se  jettent  dans  la  rivière  Kara-art 
orientale,  affluent  du  Markan-sou;  un  levé  topographique 
de  ces  montagnes  a  été  exécuté  en  1878,  par  M.  Koz- 
lowsky. 

Si  cette  détermination  du  Kié-pouan-tho,  comme  se  trou- 


m 


LES  ANCIENS   !TI>KHAIRES  A  Tn.WKllS  LE   l'AMt 


vantfiansia  vallée  supérieure  du  Kaschgar-Darya  — déli 
nation  décidée  parce  que  dillliouen-Tlisang  de  la  roule  entre 
le  lac  Loun-tschi  et  le  Rié-pouan-tho  —  paraît  encore  insuf- 
fisamment prouvée,  on  peut  alors  compléter  la  relation  de 
Hiouen-Thsang  par  celle  d'un  autre  pèlerin  bouddhiste,  son 
prédécesseur  Song-yun.  Celui-ct  visita,  cuire  le  Kié-pouan- 
Iho,  qu'il  nomme  Ko-pan-tho  ou  Han-pan-lho,  un  autre  pays 
bouddhiste  dans  le  Pamir,  pays  qu'il  nomme  Po-meng,  et 
qui  me  pariill  être  le  district  actuel  de  Tasch-Kourgane,  non 
visilé  par  Hiouen-Thsang.  Malheureusement  je  n'ai,  pour 
le  voyage  de  Song-yun  (51S  après  J.-C")  que  les  extraits  de 
Hitler*,  faits  d'après  Neumann*,  qui,  comme  l'a  démontré 
Stanislas  Julienr%  a  traduit  un  texte  passablement  corrompu 
d'après  une  mauvaise  édition  chinoise. 

La  corruption  de  ce  texte  estvisible  déjà  dans  l'extrait  de. 
nitter,  où  Song-yun,  entrant  de  la  plaine  de  Yatkend  dan 
le  Thsoung-ling,  arrive  d'abord  à  Ko-pan-lho,  do  là  à  Po- 
mong,  de  là,  après  un  long  tr;ijct,  de  nouveau  à  Ko-pan-lho, 
sans  rebrousser  chemin  et  en  allant  invariablement  vers 
l'ouest.  Dans  la  première  mention  du  Ko-pan-lho,  ce  pays 
est  seulement  nommé;  dans  la  seconde,  il  est  décrit,  ce 
qui  m'a  mis  sur  la  voie  pour  trouver  à  ce  texte  altéré  la  cor- 
rection suivante  :  «  Song-yuji,  entré  dans  le  Thsoung-liog, 
s'y  dirigea  vers  Ko-pan-tho,  en  pass-ant  par  Ponieng.  n 

Je  crois,  en  effet,  que  Ko-pan-tlio  est  mentionné  pour 
la  premifre  fois,  avant  Po-meug,  non  comme  une  station 
intermédiaire  entre  celui-ci  et  la  plaine  —  ce  qui  est  con- 
tredit par  tous  les  détails  descriptifs  sur  le  Ko-pan-tho  — 
mais  simplement  pour  désigner  tout  d'abord  la  direction 
générale  de  la  route  du  pèlerin  à  travers  le  Thsoung-ling. 


u 

I 


1.  Asicn,  loc.  cit.,  p.  4t»8-6U0. 

2.  NeumaDD,   l'ilgerfahrUn   budiihùtiicher  Pilger,  von  China  naeh 
Indien.  Leipeig,  1834,  p.  11-4»;  voijatje  de  Song-yun -tsé  et  Itiici-iseng. 

3    SUnislag  Julien.  Journ.   A»iat.,  ocl.  1847,  p.  i73;  cikS  pnr  Crigo- 
ricw. /«••  cit.,  noie  cpxxxi,  p.  500. 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.        569 

Une  autre  supposition  qu'on  peut  faire,  d'après  la  légende 
du  Dragon'  dans  ce  texte  embrouillé  et  corrompu  —  que 
Po-meng  est  peut-être  la  ville  principale  du  pays  de  Ko- 
pan-lho  —  est  réfutée  par  quelques  particularités  de  la 
route  suivie  par  Song-yun  entre  Po-meng  et  Ko-pan-tho*, 
comme  nous  le  verrons  tout  de  suite  dans  les  détails  de 
son  itinéraire  restauré  comme  je  viens  jde  l'indiquer. 

Song-yun-tsé  et  Hoci-tseng  partirent  duKhotan,  et  pas- 
sèrent par  Tscho-kou-po  (Yarkend,  le  Tcho-keou-kia  de 
Hiouen-Thsang),  pour  aller  à  Han-pan-tho  (Ko-pan-thc 
Kié>pouan-tho  de  Hiouen-Tbsang).  Passé  Tscho-kou-po,  ils 
franchirent  le  Ta-Thsoung-ling,  et,  après  trois  jours  de 
route  vers  l'ouest,  ils  arrivèrent  à  la  ville  de  Po-meng.  De 
Po-meng,  disent  les  pèlerins,  on  ne  pourrait  en  trois 
jours  franchir  la  montagne  (laquelle  ?)^  ;  elle  est  très 
froide,  et  il  y  a  là  beaucoup  de  neige,  été  comme  hiver. 
Sur  cette  montagne*  est  un  lac,  habité  par  un  Dragon 
venimeux...  » 

Avec  nos  connaissances  actuelles  du  Pamir,  cet  itinéraire 
est  parfaitement  recoimaissable  :  c'est  celui  d'un  pundit 
envoyé  par  Gordon  (en  4874)  de  Tascb-Koui^ane  directe- 


1.  D'après  cette  légende,  le  Dragon  vivait  non  loin  de  Po-mtng,  et  fnt 
conjuré,  à  l'aide  de  formules  magiques,  par  ordre  du  roi  de  Ko-pan-tho 
(Ritter,  loc.  cit.,  p.  499). 

2.  11  parait  que  telle  était  l'opinion  de  Ritter  qui  considère  Ko- 
pan-tho  et  Po-meng,  comme  équivalant  peut-être  au  Tasch-balyk  actuel  ; 
mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  clair  dans  ce  texte  de  Ritter  ({oc.  cit.),  c'est 
qu'il  hésite  beaucoup  pour  cette  détermination  (qui  est  inexacte),  comme 
en  général  pour  les  localités  de  Song-yun. 

3.  Ritter  ajoute  entre  parenthèses,  à  propos  de  cette  montagne  :  col 
plus  à  l'ouest  (de  Po-meng),  ce  qui  est  inexact. 

4.  Le  texte  allemand  de  Ritter  (/oc.  cit.,  p.  499),  dit  :  dan«  cette  mon- 
tagne; M.  Grigoriew  traduit  en  russe  :  sur  cette  montagne,  vraisembla- 
blement d'après  quelqae  correction  d'Abel  Rémusat,  Joum.  Atiat.,  loct, 
cit.  Cette  correction  n'eHpat  faite  par  M.  Grigoriew,  pour  identifier  Po- 
meng  avec  Tasch-kourgane;  (comme  je  le  fais),  car  il  identilie  Ko-pan-tho 
avec  Tasch-kourgane,  et  doute  fort  de  rexist«nÈe  même  de  Po-meng, 
qu'il  considère  comm«  un  nom  fictif,  résultant  d'une  erreur  de  copiste. 


570 


LES  ANXIENS   ITiNEnAIUES   A   TRAVERS  LE  PAMIR. 


ment  à  Yarkend,  en  avril.  Allant  de  Yarkentl,  Song-yun 
dut  faire  celle  route  en  sens  inverse,  franchir  les  cols  peu 
élevés  deKysil-davan  et  de  Kara-davan,  remonter  le  Tschar- 
ling,  affluent  de  la  rivière  de  Ïasch-Kourgane,  arriver 
aux  chaînes  neigeuses  qui  forment  son  Ta-Thsoung-ling,  et 
qu'il  dut  franchir  par  les  cols  de  Toratel  de  Tschilschiklik. 
Le  sommet  de  ce  dernier  est  un  petit  plateau  assez  large, 
avec  une  dépression  contenant  un  lac.  Cette  position  du  lac 
de  Tschilschiklik,  sur  le  sommet  du  col,  à  une  hauteur  de 
4,300  mètres,  correspond  bien  exaclemenl  h.  la  position  dn 
lac  du  Dragon  indiqué  par  Song-yun  —  qui  n'est  nullement 
le  grand  tac  décrit  sous  ce  même  nom  parHiouen-Thsang, 
comme  semble  te  croire  Riller  {loc.  cit.).  Le  lac  Loun-tschi 
de  Hiouen-Thsang  est  dans  une  vallée,  entre  d4ux  chaînes 
de  montagnes  et  celui  de  Song-yun  dans  un  bassin  creusé 
tout  près  de  la  ligne  de  faîte  d'ît,ne  chaîne.  J'ajouterai  que 
le  petit  lac  de  Tschilschiklik,  est,  autant  que  je  sache,  le 
seul  ainsi  situé  dans  tout  le  système  de  Pamir  ;  et  il  me 
paraît  difficile  de  croire  que  la  mention  par  Song-yun  de 
cette  rare  particularité  topographique  qui  caractérise  sans 
hésitation  possible  une  seuie  des  nombreuses  routes  à  tra- 
vers le  Pamir,  soit  une  erreur  de  copiste,  et  non  une  notice 
du  pèlerin  qui  suivit  cette  route. 

Le  voisinage  du  col  et  du  lac  de  Tschilschiklik  détermi- 
nent aussi  la  position  de  Po-meng  :  c'est  certainement  celle 
du  Tasch-kourgane  actuel^  d'autant  plus  que  les  trois  jours 
de  route  entre  le  Ta-Thsoung-ling  et  Po-raeng  se  retrou- 
vent le  long  des  vallées  entre  le  col  de  Tschilschiklik  et 
Tasch-kourgane,  sur  la  route  d'hiver,  par  Schindi.  Cette 
roule  est  possible  encore  au  printemps,  jusqu'à  la  grande 
fonte  des  neiges  en  juin  et  juillet,  et  c'est  avant  juin  que 
gong-yun  dut  venir  à  Po-meng;  il  arriva  dans  le  pays  de 
Po-ho  vers  la  moitié  du  neuvième  mois  chinais  — en  oc- 
tobre, six  mois  après  son  entrée  dans  le  Thsoung-ling,  qui 
eut  donc  lieu  en  avril. 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES   A  TRAVERS   LE  PAMIR.        571 

Suivons  maintenant  la  roule  de  Hiouen-Thsang  entre 
Po-meng  et  Po-ho. 

«  Cette  route,  sur  1,000  li  vers  l'ouest,  est  très  escarpée 
et  dangereuse,  avec  des  précipices  de  tous  les  côtés. 
—  Mais  le  plus  grand  danger  vient  des  brigands  qui  se 
tiennent  dans  les  défilés,  les  ravins  et  les  cavernes,  et  s'y 
comportent  d'une  manière  barbare.  On  alla  quatre  jours  au 
milieu  de  ces  dangers,  pas  à  pas,  franchissant  les  plus 
hautes  cimes  du  Thsoung-ling;  c'était  au  milieu  de  l'été. 
Le  royaume  de  Han-pan-tho  (Ko-pan-tho)  est  très  élevé  et 
se  trouve  sur  le  sommet  de  ces  montagnes  :  les  eaux  de  sa 
partie  ouest  coulent  vers  la  mer  occidentale.  Les  habitants 
disent  :  ce  Thsoung-ling  se  trouve  entre  le  ciel  et  la  terre, 
au  milieu.  On  y  arrose  la  terre  (par  des  canaux  d'irriga- 
tion)  A  l'est  de  la  ville  (laquelle?)  il  faut  traverser  une 

grande  rivière  qui  coule  au  nord-est  et  se  perd  dans  le 
sable.  Il  n'y  a  ni  arbres,  ni  buissons  sur  les  sommets  du 
Thsoung-ling.  Il  faisait  déjà  très  froid  pendant  le  huitième 
mois  (mois  chinois,  correspondant  à  septembre);  le  vent  du 
nord  chassait  devant  soi  les  oies  sauvages  ;  le  chassé-neige 
s'étendait  bien  sur  un  espace  de  1,000  li.  » 

Dans  le  second  tiers  du  neuvième  mois  (moitié  d'octobre) 
les  voyageurs  arrivèrent  à  Po-ho  que  Song-yun  dit  être  un 
pays  montagneux. 

Cet  itinéraire  est  bien  évidemment  plus  qu'incomplet  : 
il  est  fragmentaire  ;  mais  il  contient  un  détail  qui,  à  lui  seul, 
suffit  pour  retrouver  toute  la  route.  C'est  la  grande  rivière 
à  l'est  de  la  ville,  rivière  qui  coule  au  nord-est,  se  perd 
dans  les  sables,  et  que  Rilter  identifie  très  justement  avec 
le  Yaman-yar.  La  ville  à  l'ouest  de  cette  rivière  n'est  ce- 
pendant pas  Po-meng,  comme  le  suppose  Ritter,  car  je 
viens  de  prouver  que  cette  dernière  est  Tasch-kourgane, 
dont  la  rivière,  d'ailleurs  aussi  à  l'est  de  la  ville,  ne  se  perd 
pas  dans  le  sable,  mais  tombe  dans  la  Yarkend-Darya. 
Quelle  est  donc  cette  ville? 


57'2        LES   ANCIENS  ITINÉRAIRES  A   TRAVERS  LE  PAMIR. 

Si  elle  n'est  pas  Po-meng,  —  elle  ne  peut  être  qu'une  ville 
du  Ko-pan-lho  et  vraisemblablemenl  la  ville  principale,  si- 
non la  seule,  beaucoup  de  ces  petits  Etals  autour  du  Pamir 
se  composaul  d'une  seule  ville  avec  les  villages  qui  en  dé- 
pendent. 

Donc,  pour  arriver  du  Po-meng  au  Ko-pan-tho,  il  faut 
traverser  le  Yaman-yar,  le  traverser  sans  sortir  du  Thsoung- 
ling,  en  se  dirigeant  sinon  exactement  vers,  l'ouest,  ce  qui 
est  impossible,  au  moins  dans  une  direction  occidenlaji^ 
quelconque.  Or  il  y  a  une  route  qui  partant  de  Tasch-kour- 
gaue  vers  le  nord-ouesl,  traverse  en  efl'el  le  Yaman-yar. 

Mais  pour  expliquer  cette  route  qui  lraver.se  une  partie 
à  peu  près  inconnue  du  Pamir,  il  faut  donner  quelques  in- 
dications lopographiques  sur  le  cours  et  la  vallée  supé- 
rieure du  Yaman-yar  lui-même,  telles  que  me  les  ont 
données  les  Kirghiz  habitant  celle  vallée,  que  j'ai  rencon- 
trés près  du  lac  Eang-koul. 

Le  Yaman-yar  se  forme  d'abord  de  deux  rivières,  le 
Tschaikodé  et  le  Sou-bar,hi  qui  descendent,  à  l'est  nord- 
est  du  Grand  Karakoul,  de  la  chaîne  neigeuse  bordant  au 
sud  le  bassin  fluvial  du  Markan-sou;  la  rivière  formée  par 
leur  confluent  prend  le  nom  û'Oulou-art  et  coule  dans  une 
direction  sud-est  vers  le  lac  petit  Kara-koul,  qu'elle  tra- 
verse. Sortie  du  lac  et  aH'aiblie  par  son  évaporation,  elle 
tourne  au  nord-est,  reçoit  un  fort  affluent  descendant  du 
sud,  des  neiges  du  Mouslagb-ata  (pic  de  Tagbarma,  haut 
de  8,000  mètres),  et  s'engage  dans  la  gorge  de  Gbeuz,  en- 
suite dans  celles  de  Yaman-yar,  dont  elle  prend  le  nom 
qui  signifie  mauvais  précipice.  —  Il  y  avait  jadis  une 
route  par  ces  gorges,  conduisant  du  Pamir  à  l'ancien  fort 
deTiischbalig  si  souvent  mentionné  par  Klaproth  et  Rilter; 
cette  route,  mainlenant  éboulée  et  abandonnée,  était  frayée 
en  corniche  au-dessus  d'abîmes  vertigineux  dans  lesquels 
se  précipite  le  Yaman-yar.  Elle  n'a  jamais  eu  aucune  impor- 
tance, et  c'est  pour  cela  que  le  gouvernement  chinois  permit 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE   PAMIR.        573 

de  publier  à  son  sujet  des  renseignements  assez  détaillés, 
tandis  que  les  vraies  routes  étaient,  autant  que  possible, 
tenues  secrètes'  depuis  la  conquête  du  Turkestan  oriental 
(Kaschgar,  Yarkend,  etc.)  par  les  Chinois,  en  1758-1759. 

Le  Yaman-yar  sort  des  montagnes  tout  près  de  Tasch- 
balyk  et  arrose  le  district  d'Opal,  entre  Kaschgar  et  Yanghi- 
Hissar. 

Toute  son  eau  est  dépensée  aux  canaux  d'irrigation.  Dans 
quelques  ouvrages  chinois  il  est  décrit  comme  un  affluent 
de  la  Kaschgar-Darya'  ;  mais  c'est  inexact.  —  C'est  tout  au 
plus  si  quelque  canal  d'irrigation,  dérivé  du  Yaman-yar, 
communiquait  jadis  avec  le  système  d'irrigation  de  Kasch- 
gar. Mais  à  présent  il  n'en  est  rien,  et  le  réseau  d'irri- 
gation du  Yaman-yar  est  complètement  séparé  par  une 
bande  de  désert  de  celui  de  la  Kaschgar-Darya.  En  re- 
vanche quelques  canaux  détournés  du  Yaman-yar  arrosent 
maintenant  l'intervalle  jadis  désert  entre  les  districts  de 
culture  d'Opal  et  de  Yanghi-Hissar. 

Le  cours  supérieur  de  Yaman-yar,  depuis  la  source  du 
Tschalkodé  jusqu'au  petit  Kara-koul,  est  d'environ  100  kilo- 
mètres vers  le  sud-est;  de  là  environ  110  kilomètres  vers 
le  nord-est,  jusqu'au  gros  village  d'Opal,  en  tout  environ 
210  kilomètres.  — Sur  toute  cette  étendue,  la  seule  vallée  du 
Tschalkodé  fait  partie  des  relevés  topographiques  exécutés 
par  M.  Kozlowsky  à  l'est  du  grand  Kara-koul  ;  tout  le  reste 
n'est  connu  que  par  des  renseignements  kirghiz. 

La  vallée  du  Yaman-yar  supérieur  est  la  prétendue  plaine 

1.  Ritter,  Asien,  loc.  cit.,  p.  455.  Il  y  revient  à  la  page  532,  suppo- 
sant même  une  falsification  intentionnelle  d'itinéraire  par  ordre  du  gou- 
vernement chinois,  supposition  qui  s'est  confirmée.  C'est  d'après  un 
itinéraire  ainsi  falsifié  par  les  Chinois,  et  se  trouvant  maintenant  à  Pé- 
tersbourg,  au  dépdt  cartographique  de  l'état-major  général,  que  fut  com- 
posé le  voyage  apocryphe  du  prétendu  Georg  Ludwig  von***. 

2.  Par  exemple,  dans  le  livre  chinois  Si-yu-chou-tao-tse,  traduit  en 
russe  par  M.  Ouspensky,  dans  les  Mémoires  delà  Soc.  impér.  russe  de 
Géographie,  section  d'ethnographie,  t.  \I,  p.  107-109. 


Ô76        LES  ANCIENS    ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE    PAMin. 


I 


Toutes  ces  données  ne  peavent  s'appliquer  qu'à  la  vallée 
de  la  Kasch(^ar-Darya,  au-dessus  de  Kaschgar.  Le  sommet  du 
Thfouiig-linfj,  dans  le  Ko-pan-lho,  est  l'intumescence  de 
Taou-niouroune  (3,400  mètres)  qui  sépare  les  sources  de  la 
Kaschgai-Darya  de  celles  du  Wakhch;  ces  dernières  sont 
0  les  eaux  qui  coulent  à  l'ouest  du  Ko-pari-tho  dans  la  mer 
occideolale*  ».  —  L'agriculture  (maintenant  bien  réduile) 
s'élève  trfes  haut  ;  j'ai  vu  des  champs  à  i2,80O  mètres,  près  d'Ir- 
kestam,  sur  la  Kasciigar-Darya  supérieure  dont  la  vallée,  fl 
avec  les  vallées  secondaires,  contient  bien  autant  d'espaces 
cultivables  que  par  exemple  le  Chighnan  ;  mais  il  n'y  reste  que 
des  parcelles  de  culture,  et  les  torrents  qui  fécondaientjadis  ■ 
les  petites  plaines  de  celle  vallée  (comme  celle  de  Ming- 
you!)  les  ont  stérilisées  en  les  couvrant  de  galets,  depuis 
qu'on  a  cessé  de  les  diriger,  à  leur  sortie  des  montagnes, 
par  des  canaux  d'irrigation.  Cet  abandon  de  la  baute  vallée 
de  la  Kaschgar-Darya  s'explique  tout  naturellement  par  des 
siècles  lie  dévastation;  en  effet,  du  vtn*  siècle  au  xix* 
inclusivement  cette  malheureuse  vallée  servit  de  grande 
route  d'invasion  ù  des  bordes  indisciplinées  et  pillardes,  se  Mt 
ruant  lanlât  du  Turkestao  occidental  sur  la  Kaschgarie,  et  H 
tantôt  en  sens  inverse;  ainsi  s'explique  tout  naturellement 
la  différence  entre  la  fécondité  de  l'ancien  Ko-pan-lbo  et  la 
stérilité  de  son  emplacement  actuel,  différence  qui  n'est 
donc  pas  une  objection  valable  contre  ma  détermination  de 
celiii-15.  fl 

Puis  la  traversée  «  à  l'est  de  la  ville,  d'un  lleuve  coulant  " 
au  nord-est  »  — que  nous  avons  vu  Être  le  Yaman-yar.Ici  la 
relation  revient  fort  en  arrière,  jusqu'à  mi-chemin  entre  la 
haute  Kaschgar-Darya  (Ko-pan-tho)  et  Tasch-Kourgane{Po-j 
moug).  L'endroit  le  plus  probable  de  cette  traversée  est,  en] 


1.  Mer  fjnifiicuine'/ l'omine  lo  su|}[)o*t!  Riltcf  {loe.  cil.\oa  mer  d'Aral? 
L'ciiibonfhuro  île  l'Oxus  a  varié,  el  je  ii';ii  pas  de  dniini'fs  sur  celle  ern- 
bmicliure,  en  3J8.  Lo  nom  ctiinuis  a  Mer  occidcntaie  ■ ,  paraît,  du  ro«ie, 
avoir  été  r.uiniiiuu  à  ces  deux  mers,  très  peu  cuniiyes  des  Cbiiiois. 


LES  ANCIENS  ITJNÉRAinES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.        577 

effet,  celui  où  le  Yaman-yar  tourne  au  nord-est,  un  peu  au- 
dessous  du  petit  Kara-koul.  Là  se  trouve  le  meilleur  gué  qui, 
pendant  la  crue  des  eaux  en  été,  est  peut-être  même  le  seul. 
D'après  le  passage  du  Thsoung-ling  au  milieu  de  l'été,  c'est 
juste  pendant  celte  crue  que  Song-yun  dut  traverser  le 
Yaman-yar. 

Après  cette  tardive  mais  indubitable  mention  du  Ya- 
man-yar, la  relation  revient  àKo-pan-tho  pour  en  décrire  le 
climat  d'automne,  que  nous  examinerons,  pour  déterminer 
Po-ho  parle  temps  de  voyage  entre  ce  pays  et  leKo-pan-tho. 

Le  grand  chasse-neige  du  huitième  mois,  d'après  ce  que 
j'ai  éprouvé  du  climat  du  Ferghâna  et  de  l'Alaï  pendant 
deux  années  climatiquement  très  différentes,  se  répète  inva- 
riablement dans  la  seconde  moitié  de  septembre, — vers  la 
mi-septembre  en  4877,  vers  la  fin  en  1878;  ces  tempêtes 
apportent  de  la  pluie  dans  le  bas  Ferghâna,  de  la  neige 
sur  les  hauteurs  au-dessus  de  1,800  à  2,000  mètres,  y  com- 
pris la  haute  Kaschgar-Darya,  et,  surtout,  l'Alaï.  — Song-yun 
dut  subir  cette  tempête  de  neige  dans  le  Ko-pan-tho,  car 
il  mentionne  aussi,  pour  le  huitième  mois,  le  passage  d'oies 
sauvages. — En  septembre,  ce  ne  peut  être  que  le  passage 
de  VAnser  indiens  Siéph. ,  espèce  qui  niche  dans  les  plus 
hautes  vallées  du  Pamir  et  du  Thian-scban.  Celles  du  Pamir 
nichent  au  sud  du  Kaschgar-Darya;  restent  donc  pour  le 
passage  remarqué  par  Song-yun,  celles  du  Tbian-schan  (et 
de  l'Alaï  mongolique).  Or,  ces  oies  ne  passent  ni  par  l'Alaï, 
ni  par  le  Ferghâna,  où  je  n'ai  jamais  observé  de  passage 
d'oies  en  septembre  ;  Song-yun  dut  donc  les  remarquer  sur 
la  haute  Kaschgar-Darya,  dans  le  Ko-pan-tho,  d'où  il  ne 
dut  partir  que  dans  les  derniers  jours  de  septembre  (calen- 
drier grégorien),  même  si  la  bourrasque  qu'il  mentionne 
fut  précoce.  Restent  vingt  à  vingt-cinq  jours  pour  arriver  à 
Po-ho. 

Neumann,  cité  par  Ritter  (Asien,  loc.  cit.),  croit  que  ce 
Po-ho  «  pays  montagneux»,  est  Boukhara,  — à  quoi  Ritter 


tBS  ANCimS  ITINERAIRES  A  TRATERS  LE   PAMIR. 

objecte  la  position  de  cette  ville  dans  une  plaine  basse. 
Mais  celle  objection  n'est  pas  valable,  la  partie  orientale  du 
khanat  de  Boukbara  étant  très  montagneuse. 

Une  objection  bien  plus  sérieuse  est  la  longueur  de  la 
i-oute  entre  la  haute  Kascbgar-Darya  et  Boukhara;  route  im- 
poss^ible  à.  faire  en  vingt  à  vingt-cinq  jours  et  qui  en  exige 
au  moins  soixanle-dix,  que  M.  Ochanine,  en  1878,  employa 
à  aller  de  Boukhara  jusqu'au  haut  Alaï,  seulement,  par  His- 
sar  et  le  Karatéghine. 

Reste  donc,  pour  Po-ho,  le  seul  Ferghdna;  nous  trou- 
vons, dans  Ri  Lier  (d'après  Abel  Hémuiial)  que  ce  pays, 
d'abord  nommé  Tti-ictin  par  les  Chinois,  reçut  d'eux,  à 
partir  du  vi»  siècle  après  Jésus-Christ,  les  noms  de  Pa-han 
et  Pho-lo,  ce  qui  se  rapproche  bien  duPo-ho  de  Song-yun. 
(Pour  ces  noms,  voyez  Hitler,  Asien,  loc.  cit.,  p.  644.) 

Je  crois  avoir  suffisammenl  prouvé,  surtout  par  cette  ana- 
lyse deSong-yun ,  que  son  Ko-pan-Lho,  qui  eslle  Kié-pouan-lho 
deHioueii-Thsang,  se  trouvait  bien  décidément  sur  la  Kas- 
chgar-Darya  snpéiieure,  où  elle  coule  entre  de  hautes  mon- 
lagaes.  Mais  je  puis  en  donner  encore  une  preuve  décisive. 

Nous  lisons  dans  Ritter,  (loc.C!'L,p.  49")  :  que  le  royaume 
de  Kié-pan-lho  ou  Ko-pan-tho,  se  trouve  au  milieu  du 
Thsounp;-ling,  qui  l'entoure  de  tous  côtés.  Quand  les 
(ibinois  l'eurent  soumis,  ils  y  établirent,  en  713  et  74*2,  un 
employé  avec  le  Litre  de  «  gardien  duThsoung-ling  i),pour 
protéger  l'extrême  fronlière  occidentale  de  l'empire*. 

Ce  qu'il  y  a  de  décisirdans  ce  passage,  c'est  d'abord  l'im- 
portance attachée  par  les  Chinois  au  Kié-pan-lho,  défense 
occidentale  de  leur  empire,  et,  surtouty  les  dates.  C'est  en 
712*  que  pénétra  dans  la  Kaschgarie  Kouteyba-lbn-Mous- 


1.  Extrait  du  Tai-thsiitg-y-thoung-tschi,  Pëkitig,  1790,  géographie  offl- 
oielle  de  la  Chine,  |iar  Klaproth,  Magasin  asiatique,  Paris  1835.  t,  1, 
p.  95;  ciULion  de  Hitter, 

â.('eU>idate  csl  donnée  parle  colonel  Kouropalkioe,  dans  le  précis  his- 
lurique  du  chapitre  IV  de  s«  descripli»»  du  ta  Kajchgarie,  p.  78  (en  ru8$e). 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.        579 

lim,  conquérant  arabe  du  Turkestan  occidental  (Tokhar- 
hestan, Boukharie,  Ferghâna).Kouteybavint  en712  du  Fer- 
ghâna,  par  la  vallée  de  la  Kaschgar-Darya  et  dès  l'année 
suivante  il  fut  établi  «  le  gardien  du  Tbsoung-ling  ». 

Est-il  vraisemblable  qu'on  l'ait  placé  ailleurs  que  sur  la 
route  d'invasion,  qui  venait  d'être  indiquée  par  la  recon- 
naissance militaire  de  Kouteyba?  Car,  en  712,  ce  conquérant 
ne  fit  encore  que  venir  près  de  Kaschgar  qui  acheta  par 
une  contribution  son  retour  en  Ferghâna,  sans  combat,  et 
resta  soumise  à  la  Chine.  J'ai  trouvé,  dans  divers  auteurs, 
des  dates  différentes  pour  cette, première  incursion  arabe*, 
—  de  712  à  715  :  mais,  en  tout  cas,  pendant  l'année  713,  la 
Kaschgarie  était  menacée  par  les  Arabes,  ainsi  que  plus 
tard;  le  rétablissement  du  «;  gardien  du  Tbsoung-ling  »  en 
742  put  suivre  le  rétablissement  de  l'autorité  chinoise  à  Kas- 
chgar, après  une  conquête  arabe  de  cette  ville,  pas  encore 
définitive. 

Ainsi  donc,  si  les  Chinois  considéraient  le  Kié-pan-tho 
comme  la  clef  occidentale  de  l'empire,  c'est  que  ce  pays 
se  trouvait  sur  la  route  des  invasions  venant  de  l'Occident. 
Et,  de  tout  temps,  commençant  par  Kouteyba  pour  terminer 
par  Yakoub-Beg  (1864)  ces  invasions,  sans  exception  aucune, 
n'ont  suivi  qu'une  seule  route  :  celle  de  la  Kaschgar-Darya 
supérieure. 

Cet  argument  est  plus  que  suffisant  pour  trancher  la 
question,  malgré  quelques  indications  chinoises  (assez  mo- 
dernes) pour  placer  ailleurs  le  Kié-pan-tho.  Ainsi,  dans  le 
passage  cité  ci-dessus,  le  Thsoung-Iiag  entoure  ce  pays  de 
tous  les  cdtés,  ce  qui  conviendrait  au  seul  Tasch-Kourgane. 
Mais  c'est  dit  dans  une  édition  de  1790,  d'où  Klaproth  a 

1.  D'après  Tabari,  historien  arabe,  cité  par  M.  Grigoriew  (trad.  de 
Ritter,  Turkestan  chinois,  notes  cccxxv-vi,  p.  313-15),  Kouteyba,  en  712 
passa  seulement  l'Oxus.  En  713,  il  fit  sa  première  incursion  dans  le 
Fergbàna;  en  715,  traversant  tout  le  Ferghâna,  il  pénétra  jusqu'auprès 
de  Kaschgar.  D'après  Yule,  au  contraire  {Essay  on  the  Upper  Oxus,  dans 
Woods  Joumey,  i»  éd.),  Kouteyba  entra  dans  la  Transoxiane  dès  706. 


580        LES   ANCIENS  ITISÈRAIHES   A  TRAVEHS   LE   PAMIR. 

peuL-être   aussi  tiré   l'id en Lifi cation  de   Kié-pan-lho   avec] 
Tasch-balyk,  adoptée  par  Ritter. 

Toutes  ces  indications  sont  contemporaines  des  itinéraires 
falâiQés,  déjà  mentionnés  plus  baut*. 

Si  les  Chinois,  connaissant  le  point  faible  de  leur  fron- 
tière da  Thsoung-ling,  ont,  pour  cela,  fait  un  secret  d'État 
de  toute  cette  frontière',  et  falsifié  un  peu  partout  les  iti- 
néraires qui  la  traversent,  à  plus  forte  raison   ont-ils  pu 
donner  de  fausses  indications  sur  la  position  juste  de  ce  ■ 
point  faible,  qui  eslTancien  Kié-pan-tho.  Ce  qui  est  bien 
certain,  c'est  que  «  le  gardien  du  Thsoung-ling  s  aurait  été    / 
quelque  chose  d'absurde,  si  on  le  suppose  placé  à  Tasch-I 
Kourgane  ou  Tasch-balyk, — d'oïl  n'est  jamais  descendue 
aucune  invasion,  —  dans  le  temps  même  oii   le  point  & 
garder  était  indiqué  sur  la  Kaschgar-Darya,  par  l'incursion    , 
de  Kouteyba.  m 

Mais  cette  importante  route  militaire  n'est  pas  la  seule 
dans  la  vallée  delà  Kaschgar-Darya  supérieure. Celte  vallée 
—  surtout  la  position  d'Ouloug-tscbat — est  le  nœud  le  plus 
important  qui  existe   pour  les  roules  traversant  l'ancien  i 
Thsoung-ling, dans  les  limites  assignées  par  Hiouen-Thsang,  j 
D'Ouloug-tschat  (et  au-dessus)  divergent  : 

1"  Une  route  dans  le  Thian-schan  central,  par  le  co!  de! 
Souok  (nnrd-ouest  d'Ouloug-tschat)  et  la  vallée  de  l'Arpa, 
011  elle  se  ramifie  en  tout  sens. 

2*  Toutes  les  routes  de  Kaschgar  au  Ferghâna,  par  des] 
cols  nombreux,  se  concentrant,  à  Ouzghent,  vers  Andé-j 
djane,  et  Osch. 

S»  La  route  principale  du  Turkestan  chinois  vers  le  To-j 


1.   La  mauvaise  rédaction  dp  Sonjç-yuii,  «latis  la  compîlatiûû,  tradnil« 
par  Neumann,  diile  pRUl-iMre  aussi   ilu    (c[U|is   il«?s  itirxiraires  faUilics,  à 
moins    qu*dle  ne  soit  simplement  du  fait  de  quelque  bonze  ignorant  eni 
géographie. 

â.  Celte  rronlière  terrète,  du  reste,  rappelle  quelque  pru  la  nise  légen- 
daire de  l'autruche  cachant  sa  tête. 


LES  ANCIENS   ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.        581 

kharestan,  Boukhara,  Baik,  Kaboul  par  l'Alaï,  le  Raraté- 
ghine  et  Hissar. 

4*  La  route  au  Ghighan  et  au  Badakhschan,  par  la  vallée 
de  Koudara. 

Comparée  à  un  pareil  nœud  de  routes,  l'importance,  dans 
ce  sens,  de  Tasch-Kourgaue  devient  bien  secondaire  et  celle 
de  Tasch-balyk  tout  à  fait  insignifiante. 

Cette  valeur  d'Ouloug-tscbat  comme  nœud  de  routes, 
combinée  avec  le  site  de  la  ville  de  Kié-pan-tho,  indiqué  par 
Hiouen-Thsang,  et  les  éclaircissements  ci-dessus,  me  font 
définitivement  considérer,  comme  emplacement  de  cette 
ville,  quelque  colline  tout  près  d'Oulougtschat. 

La  position  du  Kié-pan-tho  ainsi  déterminée,  il  est  fa- 
cile d'établir  tout  l'itinéraire  d'Hiouen-Thsang  dans  le  Pa- 
mir oriental,  en  combinant  les  circonstances  racontées  et 
dans  les  Mémoires  et  dans  la  Biographie. 

Nous  avons  vu  qu'il  partit  du  lac  Loun-tsçhi  (grand  Kara- 
koul)  par  le  col  de  Kalta-davan  et  le  long  du  Markan-sou  : 
c'était  toujours  la  route  du  Schighnan  à  Eascbgar,  qu'il 
suivait  vraisemblablement  avec  une  caravane.  Mais  il  s'en 
détacha,  à  peine  descendu  du  Pamir,  pour  se  reposer 
vingt  jours  de  son  fatigant  voyage  (d'après  la  Biographie)  à 
Kié-pouan-tho  (Ouloug-tschat). 

Là  il  apprit  l'existence,  dans  le  Tsoung-ling  oriental,  de 
deux  rahans  — vers  lesquels  se  dirigea  l'infatigable  pèlerin, 
—  vraisemblablement  au  sud-est  (Mémoires).  Une  fois  en- 
gagé dans  les  montagnes  il  dut  continuer  sa  route  vers  le 
Po-meng  de  Song-yun  (peut-être  de  nouveau  avec  une  cara- 
vane de  Kié-pan-tho  qui  s'y  dirigeait)  ;  mais  il  n'arriva 
qu'au  petit  Kara-koul. 

Là  il  apprit  que  les  montagnes  au  sud  de  ce  lac  étaient 
infestées  par  des  brigands  (dont  parle  la  Biographie).  Pour 
les  éviter,  il  tourna  à  l'est,  et  descendit  du  Thsoung-ling,  à 
Ou-cha,  dans  le  district  de  Yanghi-Hissar.  De  toutes  les  di- 
rections de  sa  route,  données  soit  dans  les  ^Mémoires,  soit 

soc.  DEGÉOGR.  —  4*  TRIMESTRE  1890.  XI.  —  38 


582        LES   ANCIENS    ITINÊnAIRES  A   TRAVEBS  LE  PAMIIl. 

dans  la  Biographie,  je  n'en  conserve  donc  que  deux,  celles  de^ 
Kié-pan-tho  vers  l'ermiliige  des  rabans,  dont  l'emplacement 
précis  est  indéterminable,  et  celle  du  trajet  droit  à  l'âstJ 
vers  Ou-cha; route  à  laquelle  je  reviendrai.  Toutesles  autres^ 
directions  sont  changées  ;  elles  le  sont  non  arbitraireoient, 
mais  d'après  une  soigneuse  détermination  des  localités  nom-4 
raées  par  lui  comme  points  de  repos. 

On  peut  encore  faire  observer  que  les  fausses  directions"' 
de  route,  et  les  contradictions  entre  les  Mémoires  et  la    . 
Biographie  se  concentrent  surtout  autour  de  Kié-pan-tho  J 
et  cessent  à  partir  d'Ou-cha.  Ces  altérations  du  texte  de 
Iliouen-Thsang  ne  seraient-elles  pas  contemporaines  des 
itinéraires  falsiGés,  mentionnés  ci-dessus?  ■ 

La  localité  d'Ou-cha,  où  arriva  Hiouen-Thsang,  se  déter- 
mine par  les  caractères  suivants  : 

i'  Elle  est  immédiatement  au  pied  du  Thsoung-ling, 
dont  la  ville  actuelle  de  Tangbi-flissar  est  assez  loin,  dans 
la  plaine. 

â*  Elle  est  au  bout  d'un  chemin  qui  monte  dans  leTbsoung- 
ling,  droit  vers  l'ouest. 

3°  Elle  est  droit  au  sud  di?  Kaschgar,  presque  aussi  loin  de 
cette  ville  que  Yarkend.  Hioiiea-Thsang  estime  les  deux 
distances  à  500  li,  ce  qui  est  exagéré  pour  la  distance 
d'Ou-cha  à  Kaschgar. 

4« La  route  d'Ou-cha  à  Kié-scha,  suivie  par  Hiouen-Tbsang, 
passe  eu  partie  par  des  déserts,  en  partie  par  des  montagnes, 
ce  qui  fait  exagérer  cette  distance. 

La  position  présentant  toutes  ces  particularités  est  vrai 
semblablemeut  celle  de  l'ancienne  capitale  d'Ou-cha,  anté 
rieure  au  Yanghi-kourgane  actuel.  Maintenant,  c'est  cell 
de  Khat-Karaoul,  sur  la  rivière  Ken-Kol,  à  sa  sortie  dei 
montagnes.  Un  peu  plus  haut,  le  Ken-Kol  reçoit  un  affluent 
le  Ghidjik;  là  se  bifurque  une  route  qui  le  remonte.  Ut"» 
embranchement  de  cette  route  remonte  le  Ken-Kol  et  abou — 
titàTasch-Kourgane;  c'est  la  route  de  Gordon  et  Trotter  ^ 


LES  ANCIKNS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS   LE   PAHIR.         583 

suivie  aussi,  nous  l'avons  vu,  par  Song-yun  vers  Po-meng. 
L'autre  route  se  dirige  droit  vers  Toues^,  remonte  le  Gbidjik 
et  aboutit  au  petit  Kara-koul  ;  c'est  par  cette  route  que 
Hiouen-Tbsang  arriva  à  Ou-cha,  et  d'après  les  Mémoires  et 
d'après  la  Biograpbie.  Quant  à  sa  route  de  là  à  Kié-cba, 
(Kascbgar),  c'est  bien  certainement  la  route  par  Tascb-balyk 
«  traversant  des  montagnes  et  des  déserts  »  et  non  la  route 
en  plaine  par  Yaoghi-Hissar. 

Mais  il  traversa  l'emplacement  de  cette  dernière  ville  qui 
n'existait  pas  encore  de  son  temps,  en  allant  de  Kascbgar 
(Kié-cba)  à  Yarkend  (Tscho-koau-kia)  par  la  route  actuelle. 
Gela  semble  contredit  par  la  position  de  Yarkend  à  l'ouest 
de  la  Yarkend-Darya,  du  côté  de  Kascbgar,  tandis  que 
Hiouen-Tbsang  traversa  le  Si-to  ;  mais  cette  contradiction 
n'est  qu'apparente.  Yarkend  était  construite  au  milieu  d'une 
grande  île,  entourée  de  deux  bras  de  la  rivière,  dont 
l'oriental  est  seul  qui  coule  à  présent,  tendis  que  l'occi- 
dental, jadis  traversé  par  Hiouen-Tbsang,  est  en  grande 
partie  (pas  totalement)  dessécbé,  —  cependant  encore  re- 
connaissable. 

Nous  ne  suivrons  pas  plus  loin  Hiouen-Tbsang,  qui  alla  de 
Yarkend  à  Kbotan  et  de  là  retourna  en  Gbine. 


UI.  —  Voyage  de  Marco  Polo. 

En  commençant  ce  mémoire,  je  voulais  analyser  en  dé- 
tail la  traversée  du  Pamir  par  Marco  Polo,  à  partir  de 
Balascia  ou  Badascia,  qui  est  le  Badakscban  actuel  ;  mais 
ensuite  je  me  suis  décidé  à  abréger,  n'ayant  rien  de  nou- 
veau à  dire.  Les  commentateurs  ont  bien  varié  pour  la  dé- 
termination de  son  itinéraire,  et  moi-même  j'ai  bésité  entre 
ladéternùnation  du  capitaine  Trotter*,  indiquant  la  route  du 

1.  Petermann,  MittheU.  Erganwngihefl,  52,  Ost.  Turkettan,  nach  For- 
syth, p.  14. 


LES  ANOENS   ITINÉUAIHES  A  TRAVERS   LE  PAMIK. 

Pamir  Khourd,  et  celle  de  M.  Paquier  S  indiquant  celle  du 
Pamir  Aliischour  ;  j'ai  aussi  cherché  à  combiner  ces  deux 
itinéraires,  en  supposant  que  Marco  Polo  passa  du  Wakhan,] 
qu'il  dit  avoir  traversé,  sur  le  Pamir  Alitschour,  par  les.| 
montagnes  du  Chighnan  :  mais,  tout  bien  considéré, 
j'ai  reconnu  que  la  détermination  de  M.  Trotter  est  la 
seuli3  qui  puisse  &lre  adoptée  définitivement,  fl 

Voyons  d'abord  le  texte  de  Marco  Polo*  :  ^ 

1°  s  C'iie  si  on  se  part  de  Balacie,si  chevauche-tron  douze 
journées  entre  grec  et  levant  par  devers  un  ttum  courant 
par  un  pays  qui  est  du  frère  du  seigneur  de  Balade;  là  où  il 
y  a  cités  et  châteaux  assez  et  habitations.  j 

3°  c  Et  au  chef  de  ces  douze  journées,  se  trouve-t-on  en  fl 
une  province  non  pas  trop  grande,  car  elle  n'a  pas  trois 
journées,  ela  nom  Wokhan... 

3°  ff  Quand  on  se  part  de  ce  petit  pays,  si  chevauche-t-on 
trois  journées  par  grec  et  levant,  toutefois  par  montagnes, 
etmonte-t-on  tellement  que  l'on  dit  c'est  le  plus  haut  lieu 
du  monde. 

4°  «  Et  quand  on  est  monté,  se  trouve  un  plain  où  il 
y  a  (un  grand  lac  entre  deux  montagnes,  duquel  sort)  un 
flum  grand  et  beau,  et  la  meilleure  pâture  du  monde,  car 
une  maigre  jument  y  deviendrait  grasse  en  dix  jours,  avec 
grande  abondance  de  sauvagines  et  moutons  sauvages  qui 
ont  des  cornes  longues  de  six  palmes  (suivent  quelques 
détails  sur  ces  moutons)...  Or  par  le  plain  chevauche- t-on 
bien  douze  journées,  et  s'appelle  ie  Pamier.Ei  en  toutes  ces 
douze  journées  n'a  nulle  habitation  ne  nul  herbage  fors 
désert... 

5°  a  Or  nous  continuons  encore  entre  grec  et  levant.  Et  se 
voit  l'en  bien  quarante  journées  toutefois  par  montagnes, 
par  côtes, par  vallées, par  où  passent  maints  tlums  et  maints 


1.  Paquier,  Pamir. 

â.  D'uprès  l'édilion  il«  Vulo  (anglaise),  t.  I,  cliap.  xxii,  p.  18I-l8!i,  et 
t'aquicr  (lOf.  fil.),  uni  (Imiiio  Au»  extrait»  du  texte  original,  éd.  Pautbier. 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS   LE   PAMIR.        585 

déserts  lieux...  Cette  contrée  est  appelée Beloro  (Rolor)...  » 

Ces  cinq  passages  contiennent  tout  ce  que  Marco  Polo 

dit,  dans  son  chapitre  xxxiii,  de  la  route  à  travers  le  Pamir; 

je  n'ai  omis  que  ses  digressions.  Le  détail  du  lac  au  haut  du 

Pamir  est  extrait  (par  Yule)  de  l'édition  Hamusio  ;  la  mention 

de  Beloro  (Bolor)  est  aussi  d'après  l'édition  de  Yule.  Yule, 

d'après  Wood,  identifie  la  route  de  Marco  Polo  à  peu  près 

avec  celle  de  Wood  :  de  Faysabad  à  Zebak,  Isch-kaschim, 

remontant  ensuite  l'Oxus  (Piandj)  jusqu'à  son  confluent 

avec  le  Sarhadd,  de  là  au  Grand  Pamir;  plus  loin  c'est  avec 

doute  que  Yule  trace  la  route  de  Polo  par  le  col   de 

Tschitschiklik  et  Yangbi  Hissar,  pour  aboutir  à  Kaschgar. 

Même  incertitude,  du  reste,  pour  la  route  par  le  grand  ou 

le  petit  Pamir  «  nothing  absolutely  to  décide  whetber 

M.  Polo's  route  from  Wakhan  lay  by  Wood's  Lake  Victoria, 

or  by  the  more  southerly  source  of  the  Oxus  in  Pamir  Kul.  » 

Il  remarque  ensuite  que  les  deux  routes  se  joignent  dans  la 

vallée  de  Tasch-kourgane,  et  présume  («I  apprehend  ») 

que  Marco  Polo  suivit  la  route  du  Mirza,  par  le  col  de 

Tschitschiklik  et  la  vallée  de  Kin  :  roule  suivie  plus  tard 

par  Gordon  et  Trotter.  Mais  les  quarante  jours  dans  les 

montagnes  de  Bolor  lui  paraissent  inexplicables,  la  route 

du  Mirza  n'étant  que  de  trente-quatre  jours,  de  Fayzabad  à 

Kaschgar^. 

M.  Paquier,  d'après  une  variante  qu'il  cite,  met  deux 
jours  au  lieu  de  douze  de  Balacie  au  Wakhan,  pour  tracer 
l'itinéraire  sur  une  ligne  presque  droite  «  entre  grec  et 
levant  »,  c'est-à-dire,  est-nord-est.  De  Balacie*  il  trace 
l'itinéraire  de  Marco  Polo  vers  un  point  indéterminé  du 
cours  de  l'Oxus  vers  le  nord,  entre  Isch-kaschim  et  Kala 

1.  Yule,  Marco  Polo,  2*édit.,  1. 1,  p.  185,  carte  itinéraire  III.  Sur  cette 
carte,  il  trace  la  route  de  Polo  par  le  grand  Pamir. 

2.  H.  Paquier  {Pamir,  p.  57)  n'identifie  pas  Balacie  avec  Fayzabad, 
«  ville  relativement  moderne  »,  mais  il  la  place  au  confluent  de  l'Abi- 
Djerm  et  de  TAbi  Vardodj,  dans  la  plaine  deDaacht-i-Baharak,  élargisse- 
ment de  la  vallée  de  la  Kokscha. 


586        LES  ANCIENS   ITIlrtnAinES   A   TRAVERS   LE   PAMIR. 

Wamar  t  à  un  point  indélerraîné  entre  le  Wakhan  supérieur 
et  le  Chighnan  »  {Pamir,  p.  55);  de  là,  il  le  fail  escalader 
((  les  hauteurs  qui  commandent  le  Chighan  j»  et  descendre 
dans  la  vallée  du  Shah-darah,  on  M.  Paquier  (Pamir,  p.  57) 
place  le  «  plain  avec  la  meilleure  pâture  du  monde  »,  poupH 
arriver  insensiblement,  en  remontant  cette  vallée,  dans  les 
déserts  du  Pamir  central,  traverser  les  montagnes  qui  le, 
bordent  vers  l'orient,  sans  passer  par  Tasch-kourgane  eti 
descendre  vers  Yarkend  (Carcan),  laissant  Kaschgar  auj 
nord. 

A  cet  itinéraire,  il  y  a  de  fortes  objections.  Tout  d'abord,' 
il  laisse,  contrairement  à  l'opinion   de  M.  Paquier,  entiè-j 
remenl  de  côté  et  au  sud  le  Wakhan,  que  Marco  Polo  men- 
tionne expressément,  et  passe  par  la  plus  grande  longueur 
du  Chighnan,  dont  le  grand  voyageur  vénitien  ne  souffle 
pas  un  mot,  dans  les  deux  volumes  publiés  par  Yule,  elM 
contenant  la  rédaction  la  plus  complète  de  son  texte.  ■■ 

Cette  partie  deTitinéraire  donnée  par  M.  Paquier,  de  Bâ- 
lacie  jusqu'au  Pamir,  est  donc  inadmissible  :  mais,  près  du 
Yaschil-koul,  à  l'extrémité  occidentale  du  Pamir  Alitschour, 
mes  guides  Kirghiz  m'apprirent  qu<?  le  déversement  de  ce 
lac  n'est  séparé  que  par  un  col  peu  élevé  des  sources  du 
Soutchan,  sur  le  Bagroumal  Pamir,  où  les  pâturages  sont 
magnifiques;  de  ce  cnl  on  voit  et  ces  pâturages,  et  le 
Yaschil-koul,  encaissé  entre  deux  chRînes  de  montagnes.  Je 
crus  reconnaître,  dans  ces  renseignements,  le  paysage  que 
Poto  décrit  à  l'entrée  du  Pamir,  d'autant  plus  que  pour  j 
arriver  du  Whakhan,  il  faut  franchir  plusieurs  chaînes  de 
montagnes;  mais  c'est  un  détour  parfaitement  inutile,  et  lefl 
paysage  du  B;igroumal  pl  du  Yaschil-koul  n'est  pas  le  seul 
au  Pamir  qui  ré|)ondc  à  la  description  de  Polo.  Ceux  du 
Sary-koul  (découvert  par  Wood)  et  du  Pamir-koul  y  ré- 
pondent tout  aussi  bien. 

Restent  donc,  comme  roules  montant  du  Wakhan  au] 
Pamir,  seulement  celles  du  grand  et  du  petit  Pamir  :  raaisj 


LES  ANCIENS    ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.        587 

la  première  est  à  rejeter  car  elle  monte  insensiblement,  par 
une  vallée  unie,  sans  franchir  de  montagnes,  contraire- 
ment au  texte  de  Marco  Polo. 

Quant  aux  routes  du  Wakhan  au  petit  Pamir,  montant  le 
long  du  Sarhadd,  il  y  en  a  trois  :  une  d'hiver,  une  de  prin- 
temps, une  d'été.  La  première  est  la  glace  de  la  rivière  :  les 
deux  autres  ne  fout  que  monter  et  descendre,  franchissant 
les  massifs  contreforts  de  la  chaîne  neigeuse  qui  longe  le 
bord  droit  du  Sarhadd.  On  arrive  ainsi  à  un  élargissement  de 
la  vallée,  oti  une  intumescence  à  peine  visible,  tant  elle  est 
aplatie,  porte  la  ligne  de  fadte  entre  le  Sarhadd  et  l'Aksou. 
De  cette  ligne  de  faîte  le  voyageur  voit  vers  l'ouest,  à  ses 
pieds,  les  montagnes  qu'il  a  franchies  ;  vers  l'est,  le  Pamir- 
koul  et  le  fleuve  qui  en  découle,  l'Aksou.  Les  pâturages 
autour  du  Pamir-koul  et  des  sources  du  Sarhadd  sont  ma- 
gnifiques :  mais  plus  bas,  la  vallée  de  l'Aksou  est  aride, 
seulement  tachetée  de  pâturages  peu  étendus  et  assez  clair- 
semés. C'est  bien  la  partie  du  Pamir  décrite  par  Marco  Polo  : 
plus  que  toute  autre  localité  de  cet  ensemble  de  hautes 
vallées,  la  ligne  de  partage  des  eaux  du  Sarhadd  et  de  l'Ak- 
sou a  l'aspect  d'un  toit  du  monde  (Bam-i-dunya,  nom  per- 
san du  Pamir). 

Keste  l'objection  de  M.  Paquier,  fondée  sur  la  direction 
est-nord-est  de  l'itinéraire  de  Polo,  à  partir  de  Balacie  : 
mais  elle  n'est  pas  valable.  Analysons  l'ensemble  de  cet  iti- 
néraire, en  prenant,  pour  point  de  départ,  la  situation  de 
Balacie  donnée  (avec  doute),  par  M.  Paquier  ;  sur  le  Var- 
dodj,  un  peu  au-dessus  de  son  confluent  avec  l'Abi-Djerm. 

De  là,  outre  la  route  par  Zebak  et  Ischkaschim,  il  y  a 
encore  une  route  vers  rOzus,  droit  à  l'est,  aboutissant  à  un 
gué  de  rOxus,  à  20  kilomètres  au-dessous  d'Ischkaschim  : 
et  si  la  Balacie  de  Polo  correspond  à  Djerm,  ce  qui  est 
aussi  possible,  alors  la  route  du  Wakhan  se  dirige  d'abord 
au  nord-est,  vers  le  confluent  de  l'Abi-Djerm  et  du  VardodJ, 
ensuite  un  peu  au  sud-est,  remontant  celui-ci  ;  ensuite  à 


588         LES   ANCIENS    ITINÉHAIRES  a   travers  I.F  PAWR. 


I 


l'esl,  vers  le  gué  de  Polo  uniformément  vers  l'est-nord 
esl  «  entre  grec  et  levant  »,  jusqu'au  confluent,  dans  le 
Wakhan,  du  Piandj  et  du  Sarhadd;  celte  direction  est 
donc  la  direction  dominante  de  toute  la  route,  et  aussi  celle 
de  la  ligne  droite  entre  Djerm  et  Kala-Piandj,  capitale  du 
Wakhan  *. 

Quant  aux  détours  de  la  route  Tcrs  l'est  et  le  sud-est,  tous 
courts,  Marco  Polo  néglige  uniformément  d'indiquer  des 
détours  pareils,  dans  totis  les  chapitres  de  son  ouvrage. 

De  Kala-Piand]  jusqu'au  Pamir-koul,  le  premier  tiers  de 
la  route  se  dirige  vers  l'est,  non  vers  le  sud-est,  *  comme  le 
dit  M.  Paquier;  les  deux  autres  tiers  vont  vers  resl-nord-est'.JM 

Même  direction  le  long  du  haut  Aksou.  De  là  à  Kascli- 
gar  la  direction  générale  de  la  route  est  nord-nord-est,  mais 
avec  beaucoup  de  détours,  surtout  en  été,  à  la  fonte  des 
neiges  alpestres,  à  quoi  je  reviendrai  tout  de  suite,  en  expli- 
quant les  journées  de  marche,  dont  Marco  Polo  compte  en 
tout  soixante  et  dix  de  Balacie  à  Kaschgar,  pour  une  route 
de  1,000 kilomètres  au  maximum  (sur  la  carte,  environ  700). 
Mais  ces  jours  de  marche  sont  comme  les  //  de  Hiouen- 
Thsang,  qui,  nous  l'avons  vu,  se  raccourcissaient  rapide- 
ment à  mesure  quil  avançait  sur  le  Pamir  :  ce  qui  tient 
tout  simplement  à  la  fatigue  des  bètes  de  somme*. 

Les  pâturages  du  Pamir  engraissent  bien  le  bétail,  mais  à 


I 
I 


1.  De    Ujerni  à   Kala-Piandj,  douze  jours;  le    trajet,  d'après  la  carte 
esl  d'euviron  âÛU  kiloruèlrua;  eu  réalité  il  peut  âtre  de  350. 

S.  I>e  Kala-Piandj  ù  Sarliadd,  le  plus  haut  village  du  Waklian,  sur  JitJ 
rivière  du  même  nom,  trois  jours,  c'est  60  à  70  kilomètres,  la  traversée] 
du  Wakhan,  par  Marco  Polo. 

3.  De  Sartiadd  au  Pamir  Khourd  (Petit  l'amtr),  même  distance,  et  ausri| 
trois  jours  d'après  Polo. 

i.  La  longueur  du  Petit  Pamir,  d'après  Trutler,  est  de  68  milles  ou] 
environ  110  kilomètres.  Pour  trouver  les  douze  jours  de  marche  en  plaina 
de  Marco  Palo,  il  faut  admettre  qu'il  desccDiiil  coasidérablement  le  ïoagi 
du  cours  sud-uord  de  l'Aksoii,  dans  la  vallée  d'Aktaacli,  et  ne  tournai 
pas  vers  Tasch-kourgaiie,  par  le  col  de  Neza-tasch,  traversé  par  Gordon  j 
Qt  Trotter.  La  descente  de  ce   col  vers  Tasch-kourgane,  se  termine  pur] 


LKS    ANCtKNS   ITINÉRAIRES   A  TIIAVKHS   LK    TAMin.         TiRO 

condition  qu'il  y  paisse  libremenj,  tandis  que  les  marches 
même  assez  courtes,  mais  avec  une  chargo,  l'épuisent  rapide- 
ment dansl'air  raréfié  de  ces  hauteurs.  De  plus,  Polo  ne  put 
'pas  suivre  les  routes  explorées  par  ta  mission  Forsyth,  qui 
sont  des  routes  d'hiver,  passant  par  des  gorges  inondées  et 
inabordables  pendant  la  fonte  des  neiges,  en  été.  Les  routes 
d'été  dans  ces  montagnes  à  l'est  du  Pamir  font  beaucoup 
'de  détours,  évitant  tantôt  les  gorges  inondées,  et  tantôt  des 
escarpements  inabordables.  C'est  ainsi  que  s'expliquent  les 
quarante  jours  de  marche;  mais  au  nord  des  routes  relevées 
par  la  mission  Forsyth,  les  montagnes  que  Polo  dut  franchir 
pour  descendre  du  Pamir  à  Kaschgar  sont  encore  inexplo- 
rées :  et  même  quand  elles  seront  explorées,  l'itinéraire  de 
Marco  Polo,  passé  la  vallée  de  l'Aksou,  est  trop  vague  pour 
■qu'on  puisse  jamais  le  déterminer,  par  l'une  des  nombreuses 
roules  qui  traversent  ces  montagnes  pour  aboutir  à  Kaschgar 
ïlutôt  que  par  une  autre.  De  plus,  le  choix  entre  ces  routes, 
'en  été,  dépend  de  la  crue  plus  ou  moins  forte  ries  eaux; 
sans  un  bon  guide  indigène  on  est  exposé  à  se  tromper  de 
route,  à  rebrousser  chemin  devant  un  obstacle  temporaire- 
ment infranchissable,  et  à  errer  dans  les  montagnes,  de 
sentier  en  sentier.  C'est  ce  qui  a  pu  arriver  aussi  à  la  cara- 
vane de  Marco  Polo,  et  ce  qui  explique  les  quarante  jours  de 
rinarche  pour  cette  partie  de  son  itinéraire,  conjoinlemenl 
'avec  les  autres  circonstances  que  je  viens  de  mentionner. 

Cette  notice  me  paraît  suffisante  pour  confirmer  et  com- 
pléter la  détermination  que  le  capitaine  Trotter  a  faite  de 

une  gorge  étroite  ot  dirficilu,  rjui  peut  binn  âtrp  inrintlén  à   la  Ainle  gé- 
iKÎrale  des  nei^^es,  de  Is  un  (b  mai  à  la  mi-juin,  même  à  juillet. 

Il  dut  donc  quitter  ia  vallée  de  l'Aksou  pour  Tranchir  le  nul  de  Ta- 
gharmi),  otiviron  50  à  60  kiluniètres  nord  de  celui  de  Ney.n-tash;  de  là 
à  Kaschgar,  la  distance,  en  ligne  droite,  est  de  200  kilomistres  environ, 
at  moin.s  An  ')()0  par  la  route  la  ;^)ln9  cuurte,  qui  va  du  ciil  de  Tagiiarina 
au  petit  Kara-koiil,  et  descend  de  là  veraYan|^h}-llK<isar,  le  long  du  Gliiiljik. 
Et,  Marco  Polo  assigne  quarante  jours  pour  ce  trajet  tandis  nu'il  n'en 
met  que  trente  poui-  le  trajet  de!  500  kiloraiitres  (au  moins),  depuis  Djerrii 
Jusqu'au  pied  Ju  col  de  Tagfiarina. 


590         LES   ANCIEXS    fTINÉRAIRES   A   TRAVERS   I,E   PAMIR, 

l'iliûéraire  de  Marco  Polo  à  travers  le  Pamir  :  détermination 
déjà  pressentie  par  Yule,  qui  a  aussi  parfailetîient  déler- 
minfi  la  route  de  Polo,  de  Kaschgnr  au  lac  Lob  :  route 
identique  avec  celle  que  Hiouerv-Thsang  suivit  à  son  retour, 
ce  que  Yule  dit  expressément.  Je  ferai  observer  seulement 
que  les  renseignements  recueillis  par  le  colonel  Przevalsky, 
près  du  lac  Lob,  au  sujet  de  la  ville  de  Tschertschen  (que 
Yule  d'après  la  prononciation  anglaise,  écrit  Charchan) 
s'accordent  parfaitement  avec  ceux  que  donne  Yule,  d'après 
Johnson,  dans  son  commentaire  du  chapitre  xxxviii  de 
Marco  Polo  :  cette  ville  existe  encore,  entre  Kc-ria  et  le  lac 
Lob.  De  môme  M.  Przevalsky  a  trouvé  les  ruines  d'une  an- 
cienne ville  tout  près  de  ce  lac  :  ruines  appartenant  vrai- 
semblablement à  la  ville  de  Lop,  dont  Marco  Polo  parle 
dans  ses  chapitres  xxxviii  et  xxxix,  mais  sans  mentionner 
le  lac,  que  les  renseignements  et  les  caries  des  Chinois 
pincent  assez  loin  au  nord-est,  et  dont  la  formation  à  sa 
place  actuelle,  d'après  M.  de  Richthofen,  est  assez  récente  et 
due  à  un  changement  de  direction  du  cours  inférieur  du 
Tarim. 

J'ai  encore  oublié  de  dire  deux  mots  au  sujet  du  Beloro  de 
Marco  Polo, système  compliqué  de  montagnes,  séparant  des 
plaines  du  Tarim  les  hautes  vallées  du  Pamir  central,  et  iden- 
tique avec  le  Po-lo-lo  de  Hiouen-Thsang  :  mais  ne  formant 
pas,  comme  le  croyait  llumboldl,  une  grande  chaîne  continue 
dans  la  direction  nord-sud. 

Je  trouve  dans  les  commentaires  de  Yule  (Marco  Polo, 
t.  l,  p.  187  de  la  2'  éd.)  que  ce  nom,  maintenant  inconnu 
dans  les  montagnes  ainsi  nommées  par  Marco  Polo,  est 
encore  employé,  et  depuis  des  siècles,  pour  le  pays  de  Balli, 
sur  rindus,  au-dessous  de  Ladakh  et  aussi  pour  Chitral. 
HumboldU'a  appliqué  à  une  chaîne  de  montagnes  n'existant 
pas  en  réalité,  artificiellement  composée  de  plusieurs  sou- 
lèvements nord-sud  parfaitement  séparés,  et  croisant  les 
soulèvements  est-ouest  du  système  du  Pamir  dont  Tinter- 


LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES  A  TRAVERS  LE  PAMIR.        591 

section  avec  ces  soulèvements  nord-sud  est  même  un  ca- 
ractère orographique  des  plus  essentiels,  de  ce  système, 
comme  je  l'expose  en  détail  dans  mon  orographie  du  Pamir. 
Je  crois  donc  toujours  que  ce  nom  de  Bolor  est  à  rayer  de 
la  nomenclature  géographique,  comme  source  de  confusion 
et  d'erreur.,  Humboldt,  par  sa  grande  autorité,  a  trop  for- 
tement attaché  ce  nom  à  une  construction  orographique 
erronée. 


Il«tle«  «applémentàlre  aar  les  aaeleiia  Itlnëraire* 
A  travers  le  Pamir. 

Ce  n'est  qu'après  avoir  terminé  mon  mémoire  à  ce  sujet 
qne  j'eus  occasion  de  relire  en  entier  la  Biographie  de 
Hiouen-Thsang,  trad.  Stan.  Julien',  et  un  recueil  très  com- 
plet d'anciens  renseignements  chinois  sur  les  pays  entou- 
rant la  Chine,  traduit  en  russe  par  le  défunt  P.  Hyacinthe 
Bitschourine*,  un  de  nos  meilleurs  sinologues.  La  lecture 
complète  de  ces  livres  confirma  ce  que  j'avais  cru,  en  com- 
mençant mon  travail,  savoir  que  les  extraits  des  itinéraires 

1.  Histoire  de  la  vie  de  Hiouen-Thsang  et  de  ses  voyages  dans  l'Inde, 
par  Hœi-ll  et  Yen-thsong;  traduite  du  chinois  par  Stan.  Julien;  1  vol., 
Paris,  1853.  —  Ce  livre,  comme  on  sait,  contient  aussi  une  section  de 
documents  composée  de  nombreux  extraits  traduits  in  extenso  du5<-yù- 
ii  (Mémoires  sur  les  contrées  occidentales)  de  Hiouen-Thsang,  dont  je 
n'ai  pas  eu  la  traduction  coAiplète,  par  M.  Stan.  Julien  (2  vol.,  Paris, 
1857-58). 

S.  Recueil  de  renseignements  sur  les  peuples  qui  habitaient  en  Asie 
centrale  dans  les  temps  anciens,  en  trois  parties,  par  le  moine  Hia- 
cynthe,  Petersbourg,  1851  (traduction  littérale  du  titre  russe  de  l'ou- 
vrage). La  première  partie  contient  les  renseignements  historiques  et 
géographiques  sur  les  peuples  de  la  Mongolie,  en  3  volumes;  la  i»  sur 
les  contrées  orientales  (Corée,  Mandchourie,  Japon),  1  vol.  ;  la  3*  sur 
les  contrées  occidentales,  1  vol.  ;  tous  ces  renseignement  sont  été  traduits 
in  extenso,  par  le  P.  Hyacinthe,  des  annales  officielles  chinoises,  à  partir 
de  la  compilation  historique  de  la  période  Sse-ma-tsien  jusqu'aux  annales 
des  Thang  (618-907)  inclusivement.  Les  renseignements  sur  les  contrées 
occidentales  comprennent  la  période  de  1S1  av.  J.-G.  jusqu'à  307  après 
J.-C. 


592        LES   ANCIENS    ITINÉRAIRES  A  TRAVERS    LE  PAMIR. 

analysés,  doanés  par  MM,  Paquier  et  Grigoriew,  étaient  suf- 
Qsants  pour  la  détermiuaUou  de  ces  iliaéraires;  mais  cette 
lecture  me  montra  aussi  la  nécessité  d'éclaircissements  sup- 
plémentaires pour  établir  bien  définitivement  les  détermina- 
tions de  localités,  telles  que  je  les  ai  données.  Voici  ces 
éclaircissements  : 

i.  Itinéraire  de  Ptolémée.  Ici,  d'abord  deux  mots  au  sujet 
de  ma  supposition  •-  «  Que  la  ville  actuelle  de  Kasehgar, 
dont  la  fondation  paraît  être  postérieure  à  Ploléméo,  a  bien 
pu  être  bâtie  sur  l'emplacement  rie  su  Statio  Mercatorutn. 
On  pourra  m'objecter  que  le  district  actup]  de  Kasehgar  cor-  , 
respond  exactement  à  rancien  royaume  de  Sou-Ié  <«  limité  ■ 
au  nord  par  les  montagnes  Blanches,  à  l'ouest  par  le 
Thsoung-ling*  »  et  mentionné  déjà  dans  les  annales  de  la 
première  dynastie  des  Han,  vers  l'an  120  av.  J.-C.*,  mais  le 
nom  de  la  ville  de  Kasehgar  (Kie-cha-koué)  est  mentionné 
pourla  première  fois  par  Hiouen-Thsangau  vu"  siècle  et  en- 
suite lesannalesdEsThang,rédigées  déjà  au  XI' siècle,  disent 
querancietine  royaume  de  Sou-lé  est  aussi  appelé  Kié-cha^. 
Je  n'ai  rien  trouvé,  dans  le  livre  cité  du  P.  Ilyacitithe 
qui  puisse  indiquer  que  ce  nom  de  Kié-cha-koué,  postérieur 
h  Ptolémée,  soit  donné  à  l'anciennecapitaleduSou-lé, qui  est 
seulement  jiienLionnée  dans  les  annales  de  la  deuxième 
dynastie  des  Han  (contemporaine  de  Plolémée),  comme 
assiégée  sans  succès  par  500  Chinois  et  30,000  auxiliaires', 
en  no  après  J.-C. 

L'identification  de  ]a  Statio Mercatorum  de  Plolémée  avec 
Isi  \'û\e  actuelle  deKnsch[farn'cn  reste  pas  moins  une  question 
ouverte  —  vraisemblablement  insoluble.  Mais  ce  qui  esta  peu 
près  certain,  c'est  que  cette  Statio  Mercatormn  devait  se 
trouver  au  moins  dans  le  voisinage  du  Kasehgar  actuel,  vers 

1.  Hyacinthe, /(«cuei/,  etc.,  vol.  IV,  p.  H'r2. 

3.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV,  p.  C3. 
:!.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV,  p.  224, 

4.  ilyaciuDie,  loc.  cit.,  IV,  p.  130. 


Il 

I 

I 


LKS   ANCIENS   ITINÉRAIRES   A  TRAVERS  LE  PAHIR.        593 

lequel,  nous  l'avons  vu,  devait  aboutir  la  route  indiquée  par 
Ptolémée,  par  la  Sogdiane  et  la  Vallis  Comedarum. 

La  Statio  Mercatorum,  que  Ptolémée  (nous  l'avons  vu) 
place  au  pied  oriental  de  l'Imaus,  devait  donc  nécessaire- 
ment se  trouver  au  moins  dans  les  environs  de  la  ville 
actuelle. 

Le  nom  des  Comedœ  de  Ptolémée  (en  transcription  chi- 
noise Kiu-mi-tho  ou  Kivrmi)  est  mentionné  déjà  dans  les 
annales  de  la  première  dynastie  des  Han,  avant  J.-G.S 
comme  une  des  cinq  principautés  composant  le  royaume 
de  Ta-Yuétschi  (grand  Yuétschl),  qui  comprenait  alors  toute 
la  partie  moyenne  du  bassin  de  l'Oxus;  la  capitale  du  Khiu- 
mi  s'appelait  Ho-mo,  nom  qui  se  retrouve  dans  celui  de 
Gharm,  capitale  actuelle  du  Karatéghine;  ce  Khiu-mi  était 
la  principauté  la  plus  orientale  du  royaume  Yué-tschi. 
Elle  est  aussi  mentionnée  dans  les  annales  de  la  deuxième 
dynastie  des  Han,  contemporaine  de  Ptolémée*,  et  dans 
celles  des  Thang;  cette  dernière  mention,  d'après  Hiouen- 
Thsang,  place  le  Chi-khi-ni  à  500  li  sud-est  du  Khiu-mi', 
ce  qui  correspond  bien  aux  positions  relatives  du  Gbighnan 
et  du  Karatéghine,  et  donne  une  confirmation  de  plus  à  mon 
Identification  de  celui-ci  avec  la  Vallis  Comedarum. 

La  route  indiquée  par  Ptolémée  n'était  pas  de  son  temps 
la  seule  pour  le  commerce  de  la  Chine  avec  l'occident  :  il  y 
avait  deux  routes  principales,  toutes  deux  au  sud  du  Thian- 
schan,  évitant  les  tribus  nomades  (mongoles  et  turques)  au 
nord  de  ces  montagnes,  surtout  celles  de  l'Alaï  méridional . 

La  route  du  nord  allait  par  Hami,  Tourfan,  Koutscha  et 

1.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV,  p.  55. 

2.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV,  p.  118. 

3.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV,  p.  258. 

4.  Ces  tribus,  jusqu'au  xviii'  siècle,  restèrent  toujours  indépendantes  et 
hostiles  à  la  Chine.  Aussi  la  route  nommée  actuellement  Pe-lou,  route 
du  nord,  par  Barkul  et  Ouroumchi  à  Tchougoutschak  et  Kouldja,  est-elle 
récente;  et  l'ancienne  route  du  nord  s'appelle  maintenant  route  du  sud, 
Man-lou.  Les  anciennes  routes  qui  se  détachaient  de  celle-ci   vers   le 


594        LKS    ANXIENS   ITINftUAIHES   A  TUAVKRS  LE  PAMIR. 

Ak-sou  à  Kaschgar;  d'où  elle  venait  au  Ta-waa  (Fergbana) 
el  au  Kang-Kiu. 

La  route  du  sud  passait  au  sud  du  Lop-Nor'',  ensuite  par 
Khotan  et  Yarkend  el  se  dirigealL  vers  les  pays  de  Yué-tschi 
et  An-si,  tous  deux  sur  l'Oxus;  de  là  des  embranchements 
se  dirigeaient  vers  le  Kaboul  (Kipin  des  Chinois)  et  la  Perse>. 

Mais  à  partir  du  commencement  des  relations  de  la  Chine 
avecroccidetiten  120av.  J. -C.  jusqu'au  temps  de Ptoléméc, 
ces  deux  routes  principales  se  réunissaient  à.  Kaschgar, 
pour  se  séparer  de  nouveau  à  l'ouest  de  cette  ville  en  une 
route  du  nor<i,  allant  au  Furghana  et  une  roule  du  sud, 
allant  au  Yué-tschi. 

Dans  les  annales  de  la  première  dynastie  des  Uan-  nous 
trouvons  ; 

«  De  Sou-lé  (Kaschgar)  vont  des  routes  au  Ta-wan  (Ferji- 
hana),  au  Kang-Kiu  (khanat  de  montagnards  nomades, 
dans  le  Thian-schan  occidental,  nord  du  Ferghana)  et  au 
grand  Yuétschi  (ancienne  Bactrianc) '. 

Dans  les  annales  de  la  deuxième  dynastie  des  Hau, 
nous  trouvons,  à  la  date  de  110-130  après  J.-C,  des  rela- 
tions intimes  et  fréquentes,  d'alliance  et  de  voisinage,  entre 
Kaschgar  et  le  grand  Yué-tschi  '. 

Quant  à  une  route  directe  de  Yarkend  au  Yué-tschi  : 
((  montant  au  Thsoung-ling  immédiatement  à  l'ouest  de 
Yarkend  »,  donc  sans  passer  par  Kaschgar  —  route  que 
M.  Paquier  idenliPie,  nous  l'avons  vu,  avec  l'itinéraire  donné 
par  Ptoléoiée  —  celte  route,  d'après  les  annales  chinoises, 

noril-ouQsl,  t'.iilro  TniiifaQ  el  Kascligar,  se  dirigeaient  toutes  dans  les 
bassins  Ju  (Ilhivu  lli  cl  du  lac  Issyk-koiil,  uu  siiil  t\a  \;i  chaîne  neigeuse 
d'Iiriii-Khatiirga.  vers  le  pajs  d'ûiisouii  el  de  lik  îiu  Kiing-kiu. 

ï.  Celte  roulR  r»t  maintenanl  ;ib»ndoiiiiéc,  nu  iiioiiii<  la  piirtie  onlre  le 
Lop-^or  cl  In  Cliine. 

2.  RcaseigueiiiËnts  de  7ià3t  av.  J.-C,  HyaciMliu,  toc.  cit.,  IV,  p.  J7, 
iiolc  1. 

a.  Hyaciullie,  toc.  cit.,  IV,  p.  (ùt, 

i.  Hyacliillie.  loc.  cil  ,  IV,  ji.  li'.i 


ém 


LES   ANCIENS   ITINÉRAIRES   A  TRAVERS  LE  PAHIR.        595 

ne  fut  ouverte  que  par  les  relations  de  la  Chine  avec  l'Oc- 
cident sons  la  dynastie  des  Yuan-Wei  ;  ces  relations  com- 
mencèrent en  425  après  J.-G.S  donc  longtemps  après  le 
temps  de  Ptolémée,  môme  après  celui  d'Ammien  Mar- 
cellin. 

D'après  la  conformation  du  terrain  entre  Kaschgar  et  ' 
Balkh  (Bactres)  que  j'ai  exposée  plus  haut,  la  route  de  Kasch- 
gar à  Yaé-tscbi  devait  nécessairement  remonter  la  Kasch- 
gar-Darya,  pour  suivre  ensuite  la  série  de  vallées  Alaï, 
Karatéghine,  Hissar,  Surkhan,  aboutissant  à  l'Oxus  tout 
près  de  Balkh:  cette  route  était  non  seulement  la  plus 
facile,  mais  aussi  la  plus  courte.  —  D'après  les  témoignages 
chinois  que  je  viens  de  citer,  elle  était  fréquentée,  non 
seulement  du  temps  de  Ptolémée,  mais  des  siècles  avant 
lui^  et,  de  Kaschgar  au  Karatéghine  (Fa/2ts  Comedaruin) 
inclusivement,  c'est  bien  certainement  celle,  qu'indique  le 
célèbre  cosmographe  alexandrin.  Mais,  à  l'ouest  du  Kara- 
t^hine,  cette  route  laisse  de  côté  le  bassin  fluvial  du  Zéraf- 
schane,  l'ancienne  Sogdiane,  que  Ptolémée  mentionne 
expressément  dans  son  itinéraire  :  ce  qui  m'a  fait  songer  à. 
la  route  de  Samarkande  à  Kaschgar,  par  le  Karatéghine  et 
l'Alaï.  Mais  il  est  très  possible,  même  probable,  que  la 
Sogdiane,  telle  que  l'entendait  Ptolémée,  ne  se  bornait  pas 
an  bassin  fluvial  du  Zérafschan,  mais  comprenait  l'ensemble 
des  pays  tadjiks  entre  l'Oxus  et  le  Syr,  correspondant  ainsi 
exactement  au  Mawer-al-nahar  des  géographes  arabes. 
'  En  tout  cas,  les  renseignements  chinois  que  je  viens  de 
citer  confirment  complètement  ma  détermination  de  l'iti- 
néraire de  Ptolémée  et  le  complètent,  en  fixant  définitive- 
ment à  Kaschgar  le  point  d'arrivée  de  cette  route  au  pied 
oriental  de  l'Imaûs  :  ce  que  j'ai  déjà  deviné  dans  le  présent 

1.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV,  p.  137  110  :  où  il  est  dit  qu'à  cette  reprise 
des  relations  avec  l'Occident  sous  les  Yuaawei,  en  425,  deux  nouvelles 
routes  furent  ajoutées  aux  deux  anciennes,  toutes  quatre,  du  reste,  indi- 
quées vaguement. 


5%         LES    ANCIENS    ITIAÉIUIRES  A  THAVEHS  LE  PAMIll. 

mémoire,  mais  ce  qui  était  impossible  à  prouver  d'après  les 
anciens  témoignages  recueillis  par  M.  Paquier. 

Rostft  à  mieux  raolivcr  ma  supposition  que  la  plupart  des 
caravanes  bactriennes  s'arrêtaient  à  la  Slatio  Mercatorum,ei 
y  achetaient  ou  éclianKeaient  des  produits  chinois,  sans  péné- 
trer jusqu'à  Sera  Metropolîs,  —  supposition  que  j'ai  fondée 
plus  haut  sur  l'énorme  lacune  de  l'itinéraire  de  Ptolémée 
entre  ces  deux  localités,  et  sur  l'ensemble  des  renseigne- 
ments donnés  par  Ritter  à  ce  sujet.  Mais  elle  est  surtout 
une  impression  générale  du  livre  du  P.  Hyacinthe,  que  je 
cite  ici.  Voici  ce  qu'en  disent  les  annales  chinoises  : 

Le  bassin  Uuvial  du  Tarim  fut,  sinon  conquis,  au  moins 
soumis  à  la  suprématie  chinoise  sous  la  première  dynastie  des 
Han  vers  120  av.  J.-G. *;  ensuite  vers  102,  les  Chinois  sou- 
mirent aussi  le  Ferghana(Ta-wan)*.  Alors  les  relations  de 
la  Chine  avec  l'occident  devinrent  très  fréquentes;  ce  que 
la  Chine  y  recherchait,  c'étaient  des  alliances  et  des  con- 
tingents militaires  contre  ses  puissants  et  dangereux  voisins 
du  nord,  les  Htong-nou  de  Mongolie'.  —  Ces  alliés  de  la 
Chine  recevaient  de  riches  présents,  surtout  en  étofTes  de 
soie,  qui  étaient  très  recherchées*;  ainsi  le  petit  pays 
de  Koutscha  eu  reçut  une  fois  pour  10,000  tatils  ou 
70,000  francs'-  —  En  retour, ces  pays  envoyaient  leurs  pro- 
duits, qualifiés  en  Chine  de  tribut".  Après  la  soumission 
du  Ta-wan,  l'empereur  de  la  Chine  envoya  dix  ambassades 
à  la  fois  dans  divers  pays  à  l'ouest  du  Thsoung-ling,  avec 
de  riches  présents'';  ces  produits  chinois,  surtout  les 
soieries,  pénétrèrent  jusqu'à  Rome,  et  furent  continuelle- 


1.  Hyacintlic,  loc.  cit.,  IV,  p.  3ô, 
t.  Hyacinllic,  loc.  cit.,  IV,  p.  28  (iO. 

3.  HjacinUie,  loc.  cit.,  IV,  p.  «3,  nù  il  est  dit  ;  •  par  l'alliance  d'Ou- 
souii  avec  la  Chine ,  nous  couperons  la  main  droite  .lux  Uiong-nou  ». 

4.  Hyaciutlie,  loc.  cit.,  IV.  p.  78. 

5.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV  p.  «i. 

0.  Hyacinthe,  toc.  cit..  IV,  p.  98  et  pnssini. 
7.  Ilyaciuthe,  loc.  cit.,  p.  31. 


LES  A>CIK>S  ITINÉr;\IHES   A   TIIAVERS   LE    l'AJim.        507 

ment  demandés.  Pour  en  obtenir,  les  habitants  de  la  Bac- 
triane,  de  la  Sogdiane,  du  Kaboul,  envoyèrent  de  fréquentes 
ambassades  en  GhineS  avec  des  raretés  de  leurs  p.ays,  de 
la  Perse  et  de  l'Inde.  Ces  ambassades,  sans  objet  politique, 
étaient  en  réalité  de  simples  caravanes  de  marchands, 
recommandées  à  la  cour  chinoise  par  leurs  souverains  ;  car 
c'était  cette  cour  qui  était  le  principal,  sinon  l'unique 
acquéreur  des  raretés  des  pays  étrangers*...  mais  le  mé- 
canisme de  ce  commerce  déguisé  sous  la  forme  d'un  échange 
d'ambassades  nous  entraînerait  trop  loin. 

11  dura  jusqu'à  la  fin  des  premiers  Han,  et  cessa  vers  l'an 
15  après  J.-C,  pendant  les  troubles  qui  aboutirent  à  l'usur- 
pation de  Wang-Mang^,  pour  ne  recommencer  qu'en 
13  après  J.-C*  sous  la  2'  dynastie  des  Han,  dont  la  su- 
prématie ne  s'étendit  pas  au  delà  dn  bassin  fluvial  du 
Tarim,  et  atteignit  son  apogée  vers  97,  quand  le  général 
chinois  Pan-tchao,  ayant  complètement  soumis  (mais  sans 
les  détrôner)  les  rois  indigènes  de  ce  bassin,  envoya  en 
Occident  Kang-Ing,  qui  parvint  jusqu'à  la  Méditerranée^. 
—  Mais  dès  l'an  105,  le  commandement  de  Pan-tchao, 
terminé,  les  tributaires  du  Tarim  s'insurgèrent,  et  ne  furent 
de  nouveau  soumis  qu'en  122-27,  par  Pan-Yuw,  fils  de  Pan- 

1.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV,  p.  98-9 

2.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  lY,  p.  98-9. 

3.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV,  p.  97. 

4.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV,  p.  102;  cette  interruption  fut  ainsi  de 
einqoante-huit  ans  ;  mais  l'annaliste  des  Ilan  juniores  en  compte  soisante- 
«inq,  à  partir  du  commencement  de  l'insurrection  des  pays  du  Tarim. 

5.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV,  p.  103.  Kang-ing  parvient  jusqu'à  la  mer 
occidentale,  que  le  P.  Hyacinthe  interprète  par  Méditerranée  ;  mais  cette 
interprétation  est  douteuse,  car  il  dit,  loc.  cit.,  p.  115,  que  l'envoyé  chi- 
nois atteignit  cette  mer  aux  frontières  des  An-si  (Parthes)  et  du  Tiao-tschi, 
soumis  aux  Ân-sl,  très  chaud,  produisant  des  lions  et  des  autruches,  et 
entouré  par  la  mer,  excepté  au  nord-ouest,  loc.  cit.,  p.  lU  :  ce  qui 
ne  s'applique  à  aucun  pays  sur  la  côte  est  de  la  Méditerranée,  mais  plu- 
tôt à  l'Arabie,  et  indique  fia.<)sora  comme  point  extrême  atteint  par  Kang- 
ing,  près  du  golfe  Persique.  Au  reste,  tous  les  renseignements  chinois 
sur  les  pays  du  sud-ouest  de  l'Oxus  sont  excessivement  vagues  et  confus. 

BOC.  DB  6É06R.  —  4"  TKIMESTnB  1890.  XI.  —  39 


âU8 


LES    ASCIENS    ITlKIiflAJUKS   A  TIlAVEnS  LE    l'AMlll 


i 


Ischao  et  auteur  de  la  descripLion  des  contrées  occidentales  ' 
Ensuile  la  puissance  cbinoi&e  s'afTaiblil  quelque  peu  de: 
l'an  132,  devint  h  peu  près  nominale-  en  153,  et  ne  fut  pa 
relevée  par  une  expédition  sans  succès  contre  Kaschgar ', 
en  no,  ni  par  une  expédition  mieux  réussie  pour  délivrer 
Ki-yumi  (Kéria)*  de  la  domination  duKhutan,  en  175. A  cette 
époque,  qui  est  à  peu  prés  ctlle  de  l'itinéraire  de  Maës 
Titianus,  les  pays  du  Tarim  étaient,  de  fait,  indépendants  et 
hostiles  à  la  Chine  :  ce  qui  n'était  nulleoienl  favorable  à  un 
commerce  direct  de  celle-ci  avec  la  Baclriane  et  l'empire 
romain.  Mais  cela  ne  devait  pas  empécherracbat  «  Kaschgar^ 
des  produits  chinois  recherchés  en  occident  :  ce  dont  nousH 
avons  une  preuve  indirecte  dans  le  témoignage  de  l'hisloricn 
de  la  deuxième  dynastie  des  Han  sur  les  relations  de  la  Chine 
avec  Ta-tsin  (Rome)  à  celle  époque,  a  qui  disent  des  habi- 
tants de  Ta-tsin,  qu'ils  font  par  mer  un  commerce  très  avan"^ 
lageux  avec  la  Perse  (An-si)  el  l'Inde....  que  leur  souverain 
cherchait  depuis  longtemps  une  occasion  d'ouvrir  des  rela- 
tions avec  la  Chine  ;  mais  que  les  An-si,  désirant  fournir  seuls 
à  Ta-tsin  les  étoffes  de  soie  chinoises,  ne  laissaient  pas  passer 
par  leur  pays  en  Chine  les  marchands  de  Ta-lsin  '...  »  _ 

Ces  renseignements,  sur  Ta-tsin,  recueiltisà  liassora,  uà^ 
il  y  avait  des  marchands  romains,  datent  de  9",  et  provien- 
nent de  Kang-ing. —  Plus  loin  l'annaliste  chinois  contiime: 

Il  bans  la  neuvième  année  du  règne  Yan-si  (an  {W>)  le 
souverain  de  Ta-tsin,  An-toun  (Marc-Aurèle  Antonin) 
envoya  un  ambassadeur,  qui  entra  en  Chine  par  Ji-naii  (par 
mer).  11  apporta  des  dents  d'éléphant',  des  cornes  de 
rhinocéros  et  de  l'écaillé  de  tortue.  Ce  fut  ta  première  ou- 

1.  Hyacinlhc,  loc.  cit.,  IV,  ji.  lUT. 

2.  Ilyiu-intlie.  loc.  cit.,  IV,  p.  10«. 

3.  Hyaciuthc.  lof.  cit.,  IV,  p.  130. 

4.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV,  Mi;  itc  [la*  coinpreiidrc  ce  ki-yu-mi 
Il  E.  lie  Kliol;in,  avec  le  Kàu-nii  ilu  'Disuuii^'-lini:,  qui  e<l  le  Knral^>i;liiDC.J 

').  Hyacîritho,  loc.  cit.,  IV,  p.  II*, 
li.  HyaciiiDie.  loc.  cit..  IV,  |>.   117. 


I 


LES   ANCIENS   ITINÉRAIRES   A  TRAVERS  LE  PAMIR.        599 

verture  des  communications  (avec  Rome)  ».  Notons  d'abord, 
dans  ce  témoignage  chinois,  le  commerce  de  soieries  chi- 
noises entre  Ân-si  et  Rome  :  les  marchands  d'Ân-si,  qui 
fournissaient  Rome  de  soieries  chinoises,  étaient  bactriens 
«t  persans,  alors  soumis  aux  Parthes,  et  le  pays  d' An-si,  oiïi 
les  Romains  faisaient  un  commerce,  maritime,  était  évi- 
demment la  Perse,  et  non  l'ensemble  des  pays  soumis  aux 
Parthes.  Quant  à  la  jalousie  commerciale  de  ceux-ci,  men- 
tionnée par  l'annaliste  chinois,  elle  est  peu  croyable,  les 
Parthes  ayant  été  un  peuple  guerrier  et  pillard  mais  nulle- 
ment commerçant.  —  Les  empêchements  aux  Romains  pour 
traverser  les  pays  soumis  aux  Parthes  venaient  plutôt  de  la 
crainte  qu'inspiraient  les  incursions  de  ces  derniers,  pen- 
dant le  faible  règne  de  Domitien  (81-96);  incursions  qui  ne 
furent  punies  et  arrêtées  que  par  Trajan. 

Quanta  l'ambassade  d'An-toun,  elle  fut  vraisemblable- 
ment l'entreprise  de  quelque  marchand  alexandrin,  com- 
merçant avec  l'Inde  (par  Suez)  qui  se  procura  des  lettres  de 
créance  officielles  pour  entrer  en  Chine.  La  date  de  cette 
prétendue  ambassade  (166)  la  rapporte  à  l'époque  de  l'affai- 
blissement de  l'autorité  chinoise  sur  le  Tarim  :  et  cet  essai 
de  commerce  maritime,  qui  paraît  être  resté  isolé,  indi- 
querait une  forte  diminution  du  commerce  des  caravanes 
d'An-si,  comme  conséquence  des  insurections  sur  le  Tarim, 
tandis  que  le  voyage  de  Maês  Titianus,  mentionné  parPtolé- 
mée,  montre  que,  vers  la  fin  du  deuxième  siècle,  les  Parthes 
ne  faisaient  plus  d'obstacle.  Mais  à  cette  époque  (150-200 
avant  J.-C.)  les  annales  chinoises  nous  disent  que  le  Sou-lé 
(Kascbgar)  était  un  État  puissant,  conquérant  de  Yarkend 
et  de  Khotan*  quoique  ceux-ci  conservassent  leurs  princes 
particuliers,  soumis  à  celui  de  Kagchgar.  Tous  ces  pays  du 
Tarim,  débarrassés  de  la  suprématie  chinoise,  étaient  alliés 
(comme  du  temps  de  l'usurpateur  Wang-Mang)  avec  les 

1.  Ilyaciiillie,  Ivc.  cit.,  IV,  p.  liJt. 


(JOI)         LE.S    ANCIENS,   ITIiVKHAUŒS   A    THAVKIIS   LE    l'AMlPi. 

nomades  au  nord  du  Tliian-schan,  parmi  lesquels  les  Hiong- 
nou,  déjà  en  partie  vassaux  de  la  Chine,  s'atlaiblissaienl  el 
faisaient  place  à  d'autres  tribus  turques  et  mongoles  :  Ou- 
hoang,  Siflng-pij  etc., —  qui,  du  reste,  reconnaissaient  aussi 
la  suprématie  nominale  de  la  Chine,  ce  qui  n'empêchait 
pas  toutes  ces  tribus,  sans  exception,  d'y  faire  des  incur- 
sions continuelles,  pour  piller  autant  que  possible,  —  sans 
préjudice  pour  leurs  hostilités  entre  elles,  entretenues  par  la 
politique  chinoise.  —  Chaque  traité  de  paix  était,  pour  les 
chefs  tiomades,  une  occasion  de  présents  chinois;  de  plus, 
à  leur  avènement,  ils  ne  manquaient  jamais  de  faire  hom- 
mage à  l'empereur  de  la  Chine,  pour  s'en  faire  reconnaître 
et  recevoir  de  riches  présents,  entre  autres  des  milliers  de 
pièces  d'cloffe  de  soie:  surtout  les  chefs  Hiong-nou'.  — 
Les  incursions  des  nomades  furent  surtout  fréquentes  en 
tr)2-220:  années  entre  lesquelles  se  place  la  date  de  l'iti- 
néraire de  Ptoléraée';  ces  incursions,  portant  surtout  sur 
les  provinces  de  Schan-si,  Schen-si,  et  Kan-sou  gênèrent 
beaucoup  el  coupèrent  môme  les  communications  directes 
delà  Chine  (Sérique)  avec-l'Occident.  —  Mais  il  est  plus  que 
probable  qu'une  bonne  partie  du  butin,  comme  les  présents 
chinois,  était  vendue  ou  échangée  par  les  nomades  aux 
marchands  kaschgariens,  leurs  alliés. 

Tel  est  l'ensemble  des  circonstances,  mentionnées  dans 
les  annales  chinoises,  qui,  conjoinlement  avec  le  silence 
complet  de  PLolémée  sur  la  roule  de  sa  Slatio  Mercaioiumk 
Sera  Metropolis  me  font  penser  que,  de  son  temps,  les  cara- 
vanes bactrienneselsogdiennes  n'arrivaient  qu'ej;c(?p<ioMM(f/- 
tement  en  Chine,  dont  elles  acquéraient  les  produits  surtout 
à  la  Statio  Mercatontm,  en  Kaschgarie  :  ce  qui  semble 
indiqué,  d'ailleurs,  par  la  désignation  même  de  celte 
localité  audél:^  de  riinaiis  comme  a  station  de  marchands  «. 


I.  Ily.icinllie,  hc.  cit.,  p.  l'ii. 

S.  Iljilcisitll<>,  lue.  rit.,  I.  p  |).   115-0,  \:>H-'.K  I7<l-r.. 


LES   ANCIENS    ITIXÉRAIBES  A  TIIAVERS  LE    l'AMIU.        (Wl 

Ouanl:\S^rfl  Metropolis  —  \si  capitale  des  deuxièmes  Hun, 
où  parvinrent  les  prétendus  ambassadeurs  de  Marc-Aurèle 
(arrivés  par  mer),  —  elle  se  trouvait  dans  le  Sechouan. 
ïl,  Itiiu'-raires  de  Hiout'ti-Thsawi  et  Song-yun.  Ici  je  dois 
d'abord  corriger  ma  supposition  —  peut-être  erronée  — 
que  Hiouen-Thsang  visita  son  Kiu-mi-tho;  d'après  la  Bio- 
graphie, il  n'y  alla  pas',  et  M.  Stiin.  Julien  Irouvo  aussi  dans 
le  texte  des  Mémoires,  qu'il  mentionne  ce  pays  comme  un  de 
ceux  sur  lesquels  il  a  seulement  recueilli  des  renseigneraenls. 
Ensuite  le  pays  d'0-li-ni  (Arni).  Voici  ce  qu'en  dit  Hiouen- 
Thsang;  «  ^-h'-Mïi  (Alni-Arni?)  Si-ju-ki  (texte  chin.)  livre 
XII,  fol.  i.  —  A-lirni  est  un  ancien  pays  du  royaume  de 
Tou-ho-lo.  Il  borde  les  deux  rives  de  rOxus  (Pol-Sou),  Sa 
circonférence  est  d'environ  trois  cents  li.  La  capitale  a  de 
quatorze  à  quinze  li  de  tour.  Sous  le  rapport  des  produits 
sol  et  des  mœurs  des  habitants,  il  ressemble,  en  grande 
partie,  au  royaume  de  Houo.  En  partant  de  l'est  on  arrive 
au  royaume  de  Koti-b-hon  (Ro-hou-roh?-).  »  —  Et  en  par- 
ut de  Moung-kien,  il  dit  :  «  En  partant  du  nord,  dti 
Moung-kien,  on  arrive  au  royaume  d'A-li-ni^.  » 
^_  J'ai  idenlilié  A-li-ni,  sans  connaître  ces  données  el  uni- 
^Ktiement  par  les  positions  trouvées  pour  les  pays  voisins, 
^Kvec  le  Derwaz  actuel  ;  cette  interpn^tation  se  confirme 
^Complètement,    quoique  avec  une  restriction,  A-ii-ni  se 

K trouvait  bien  dans  le  Derwaz,  mais  n'en  occupait  qu'un 
Ibtrict,  celui  de  Kala-khonmb,  le  plus  occidental*,  limi- 
Irophe  du  Kouliab  (Pu-li-ho)  :  ce  qui  est  1res  nettement 
j^JDdiqué  par  son  contour  de  300  li  seulement,  sur  les  deux 
^Wves  du  fleuve.  Quant  à  la  position  de  cet  A-li-oi  dans  la 

^^F  1.  Slan.  Julien,  IlixI.  de.  la  rie  itf  Ilioue.n-Thmnr},  etc.,  p.  -Hi-i,  n"  25. 
'  i.  Slan.  hi\'wn.  ioc.  cil.,  Il."»8;  la  prononei.ilion  de  Koii-lo-hoii  comme 

Ro-tiou  indiquée  |iar  l'illuili-o  similoijui;. 
Il  3.  Staii.  Julien,  foc.  ri(.,  |<.   Hi. 

t  i.  Le  îtiifviai.  a  <'n  loul  trois  dislricts  nu  rentres  de  culture,  aux  eni- 

liiiuoliurus  di!9  IriHs  allltienls  d(i  roxiiç,  m'i  I;e  \-M\i';e  un  celui-ci  s'élargit  : 
islricls  (l'ti  remoiitanl  le  lleiive)  (t<>  Ki\Ja-klnimb,  Waiidj,  ut  Yns-poulam. 


cire 
[     qua 

^ar 


(iOâ        LES  ANCIENS  ITINÉRAIRES   A   TRAVERS  LE  PAMIR. 

partie  occidentale  du  Berwaz  actue!,  elle  est  indiquée  par 
l'orientation,  assez  exacte,  au  nord  de  Moung-kien  (ville 
entre  Talikhan  et  Khan-ahad)  et,  à  l'ouest  de  Ro-hou,  que 
je  crois  être  le  Boschau  actuel,  pelil  district  conQuent  du 
Piandj  avec  l'Ak-sou.  Quant  à  ma  détertninalicn  des  loca- 
lités du  Pamir,  traversées  par  Hiouen-ïhsang,  on  pourra 
bien  trouver  que  je  ne  me  g6ne  pas  avec  ses  directions  et 
ses  distances  —  surtout  celles  de  la  Biographie  —  mais  que 
faire?  Le  texte  chinois  actuel,  si  exactement  traduit  par 
M.  Stanislas  Julien,  fourmille,  sous  ce  rapport,  d'erreurs 
évidentes,  accumulées  par  une  longue  série  de  copistes  et 
d'éditeurs'.  —  Pour  en  prendre  un  exemple  ailleurs  qu'au 
Pamir,  je  citerai  la  route  de  Tche-chi  (Tschadj,  Scbasch 
des  Arabes,  sur  remplacement  du  vieux  Taschkend,  environ 
-iO  kilom.  sud-ouest  du  Taschkend  actuel)  aux  Portes-de- 
Fer,  roule  qui  m'est  bien  connue. 

0 Tsche-chi.  A  l'ouest,  ce  royaume  est  voisin  du  fleuve 

Cba-che-bo  (Sibonn,  Syr).  Mille  li  plus  loin,  à  l'ouest,  on 
arrive  au  royaume  de  Sou-lou-li-se-na  (Osrouchna,  district 

actuel  d'Oura-tubé);  plus  loin  au  nord-ouest îîOO  li,  on 

arrive  au  royaume  de  Sa-mo-kien  (Samarkand)-  ».  —  .\insi, 
en  ligne  directe,  Samarkand  se  trouverait  à  environ  1,300  li 
(130  lieues)  oueU-nord-ùnest  du  Vieux  Taschkend  —  au  lieu 
des  véritables  200  kilom.  environ  au  sud-ouest.  —  Mais  les 
Mémoires  disent  :  «  En  parlant  de  Tsche-chi,  Hiouen-Thsang 
Ht  environ  cinq  cents  li  et  arriva  au  royaume  de  Sa-mo- 
kien  •\  >  —  Ce  qui  est  à  peu  près  exact;  mais  revenons  à  la 
Biograpliie,  qui  énumère,  après  Samarkand  : 

Kou-choang-ni-kia,  300  li  ouest;  Ifo-han  2(X)  li,  ouest; 
Pou-kho  (Boukhara),  400  li  ouest*  — ce  qui  de  Samarkand 
à  Boukhara,  esl  à  peu  près  exact. 


1.   Et  les  plus  grosses  erreurs,  comme  nous  le,  verrous  &  propos  de 
Chnng-mi  et  (Jfii-tAt-nr  sonl  jusle  le»  prélendiies  corrcRtinns   ciitnoises. 
i.  Stan.  Julien,  loc.  cit.,  p.  .VJ. 
3.  Stan.  Julien,  loc,  cit.,  p.  i-i8. 


LES  ANCIENS   ITINÉRAIRES    A  TRAVERS  LE  PAMIR.        603 

Mais  ensuite,  passé  Pou-kho,  nous  trouvons  :  Ta-ti, 
100  li  à  l'ouest;  Ho-li-si-mi-kia,  500  li  à  l'ouest*;  Kié-choang- 
na,  300  lisud-unest;  entrée  dans  les  montagnes,  200  li  sud- 
ouest;  Porte  de  Fer,  300  li;  la  distance  totale  de  celle-ci  à 
Tsche-chi  serait  donc  de  3,800  li  ou  380  lieues.  En  mettant 
sur  la  carte  ces  directions  et  ces  dislances,  et  diminuant 
celles-ci  d'un  quart  pour  les  détours  de  la  route,  nous  arri- 
vons à  placer  la  Porte  de  Fer''  dans  la  mer  Caspienne,  près 
de  sa  côte  orientale  ! 

Les  Mémoires  (Si-yu-ki)  remplacent  du  reste  cette  absur- 
dité par  un  itinéraire  assez  exact  :  de  Samarkand  au  sud- 
ouest,  300  li  à  Kié-choang-na,  de  là.  encore  au  sud-ouest, 
200  li  jusqu'aux  montagnes,  ensuite  300  li  par  les  montagnes, 
vers  le  sud-est  jusqu'à  la  Porte  de  Fer.  Les  directions  sont 
ici  assez  exactes,  de  même  que  les  distances  :  les  unes  et  les 
autres  suffisantes  à  elles  seules  pour  déterminer  Kiéehoang- 
na  comme  étant  le  district  actuel  de  Schehr-i-sabz.  Quant  à 
l'absurde  itinéraire  de  la  Biographie,  il  est  formé  par  la  réu- 
nion de  deux  itinéraires  distincts,  et  séparément  assez  exacts  : 

1"  Route  de  Samarkand  au  Ho-li-si-mi-kia  (Kharizm, 
khanat  actuel  de  Khiva),  par  Boukhara  et  Kara-koul  (Ta-ti). 

2°  Roule  de  Samarkand  à  la  Porte  de  Fer,  transformée, 
dans  cette  réunion,  en  une  route  du  Kharizm  à  la  Porte  de 
Fer  —  par  les  auteurs  mêmes  de  la  Biographie?  ou  par 
quelque  ignorant  rédacteur  subséquent?  Mais  dans  les 
Mémoires  mômes,  quoique  plus  exacts  que  la  Biographie, 
les  distances  sont  assez  rarement  à  peu  près  justes.  Le  plus 
souvent,  elles  sont  exagérées;  d'autres  fois,  mais  moins 
souvent  réduites  (comme  pour  la  route  de  l'Issyk-koul  à 
Tsche-chi).  De  même  les  directions.  En  route,  les  distances 
des  itinéraires  ne  s'accordent  nullement  avec  les  dimensions 
des  pays  parcourus  :  celles-ci  encore  plus  exagérées.    — 

1.  Stan.  Julien,  loc.  cit.,  p.  60-1. 

2.  Stan.  Julien,  loc.  cit.,  p.  Cl. 

3.  Stan.  Julien,  loc  cit.,  p.  3'J7 


VM 


I.KS   AMilKhS    ITINKUAIHEi*   A  THAVEUS    LK    PAMIll. 


< 


I 


I 


Ainsi  llîouen-Thsiing  donne  au  pays  de  Hous  (rots  mille  li 
de  lour*;  au  Moung-kien,  quatre  mille*:  au  Ki-li-sse-mo, 
milli'  li  esL-ouest,  et  trois  cents  nord-sud'';  au  Hi-mo-lalo, 
trois  mille  li  de  leur*.  —  El  la  dislance  de  Houo  h  Po-lo- 
chouang-na,  en  traversant  tous  ces  pays,  sans  en  laisser 
aucun  de  côté,  n'est  que  de  OM  li  en  tnul;  mais,  si  petite 
qu'elle  soit  relativement  aux  prétendues  dinnensions  des 
pays  parcourus,  celte  dislance,  nous  l'avons  vu,  n'est  pas 
moins  considérablement  exagérée. 

tjuant  à  la  traversée  du  Parair,  le  texte  complet  des 
Mémoires  (Si-yu-ki)  fournil  contre  ma  détermination  des 
lûcaliléb  des  objections  qui  peuvent  paraître  inflniraent  plus 
sérieuses  qu'elles  ne  le  sont  en  effet,  —  ce  qui  exige  quelques 
éclaircissements  supplémentaires  sur  les  pays  deChang-mi, 
Ta-mo-sié-li,  et  Chi-khi-ni.  — Voici  d'abord  leur  description 
complète,  telle  que  la  donnent  les  Mémoires  (Si-yu-ki). 

1.  Ta-mo-sié-ti.  Pour  ce  pays,  il  n'y  a  pas  d'extrait  du 
Si-yu-ki    dans  les  documents  géographiques  annexés  par 
M,  Slan.  Julien  à  sa  traduction  de   la  Biographie.    Voici  ■ 
loul  ce  qui  en  est  difj  h  l'article  Kiu-lcing-na  :  t  En  sortant  de 

ce  pays,  dans  la  direction  du  nord-est,  Hiouen-Thsang  gravit 
des  montagnes  et  entra  dans  des  vallées»  rencontrant  par- 
tout des  chemins  scabreux  et  hérissés  de  précipices.  — 
Après  avoir  fait  ainsi  cinq  cents  li,  il  arriva  au  royaume  de 
Ta-mo-sié-li'.  »  —  Et  dans  le  te.\lo  de  la  Biographie,  livre 
V  ;  «  royaume  de  Ta-mo-sié-li;  qui  est  situé  entre  deux 
montagnes,  dans  le  voisinage  du  Pot-Sou  (Oxus)-  ». 

2.  <f  Chi-khi-ni  (Si-yu-ki,  liv.  XII,  fol.  8)  Ce  royaume  a 
deux  mille  li  de  tour;  rcnceiole  de  lu  ville  peut  avoir  de 

i.  Slan.  Julien,  loc.  fil.,f>.  'Mb. 

•î.  SUii.  Juiiun.  loc.  cit.,  p.  iii. 

:j.  Slan.  .liilicn,  toc.  cil.,  p.  3«K> 

■i.  Slao.  Julien,  loc.  cit.,  p.  37'.t.  —  Ce*  notices  sur  des  pajs  liniili-o- 
plieB  paraissent, ainsi  ('•piirpillûes,  dnnsleltvrctilé  parce  i|uc  lag  ustrailsdu 
Si-yu-ki  y  sont  rangés,  nun  ij'nprès  j'ilinérair^,  mais  il'apr^  l'nrdra  n\fh» 
bétique  ilcs  nom»  de  pavs. 


LES   ANCIENS   ITINÉRAinBS  A  TBAVEnS   LE    PAMIR.        605 

cinq  à  six  li.  Il  oiTrc  une  succession  de  montagnes  et  de 
vallées,  et  des  plaines  désertes  remplies  de  sable  et  de 
pierres.  Ce  pays  produit  beaucoup  de  légumes,  mais  fort 
peu  de  grains.  —  Les  arbres  de«  forêts  y  sont  rares  et  très 
espacés.  On  y  voit  peu  de  fleurs  et  de  fruits.  Le  climat  est 
froid  et  glacial,  et  les  mœurs  sont  empreintes  de  violence 
et  de  cruauté.  —  Les  habitants,  etc....  Ils  portent  des 
vfitements  de  peaux  et  de  laine...  Après  avoir  franchi  le 
royaume  de  Ta-mo-sié-ti,  au  sud  d'une  grande  montagne, 
on  arrive  au  royaume  de  Ghang-mi^.  > 

3.  Chang-mi  (Si-yu-ki,  liv.  XII,  fol.  8).  «  Ce  royaume  a 
deux  mille  cinq  cents  li  de  tour;  il  offre  une  succession  de 
montagnes  et  de  vallées  et  une  multitude  de  tertres  et  de 
collines.  Ce  pays  produit  toutes  sortes  de  grain  j  les  légtimes 
et  te  froment  y  sont  d'une  abondance  remarquable.  On 
récolte  beaucoup  de  raisins,  et,  en  creusant  les  rochers  à 
l'aide  du  ciseau,  on  en  tire  du  Tse-hoang  (sulfure  d'arsenic). 
—  Le  climat  est  froid;  les  habitants  sont  d'un  naturel 
droit...  La  plupart  portent  des  vêlements  de  laine  feu- 
trée... Au  nord-est  des  frontières  de  ce  royaume,  Hiouen- 
Thsang  franchit  des  montagnes,  traversa  des  vallées, 
marcha  à  travers  des  précipices  et,  après  avoir  fait  sept  cents 
li,  il  arriva  à  la  vallée  de  Pomilo*.  » 

Ici  nous  voyons,  d'après  le  nom  de  Ghi-kbi'ni  et  la  posi- 
tion relative  de  ces  trois  pays,  que  le  Cki-khi-ni  est  bien  le 
Ghighnan  actuel,  le  Ta-mo-sié-li  —  le  Gharan,  et  le  Gbang- 
mi  —  le  Wakhan.  Quoique  ce  dernier  nom  se  retrouve 
plutôt  dans  In-po-kien,  cette  interprétation,  que  j'ai  déjà 
donnée  dans  le  présent  mémoire,  est  irréfutablement  con- 
firmée par  la  position  de  Ta-mo-sié-ti  près  de  l'Oxus.  Mais 
alors,  d'après  ma  propre  interprétation  de  ces  trois  pays, 

1.  Stan.  Julien,  loc.  cit.,  p.  407. 

1  Stan.  Julien,  loc.  cit.,  p.  370. 

I.  Stan.  Julien,  loc.  cit.,  p.  365. 

'     4.  Stan.  Julien,  loc.  cit.,  p.  363. 


GOLi 


LES  ANCIENS   ITINERAIRES   A    TIIAVERS   l.fC    PAMtR. 


le  Po-mi-lo  doit  être  idenliilé,  contrairement  à  mon  opinon, 
avec  le  grand  Pamir  de  Yule;  carie  Si-yu-ki  dit  expres- 
sément que  la  route  \ers  Po-mi-lo  pari  du  Chang-rai  et  se 
dirige  au  nord-est,  ce  qui  caractérise  très  exactement  la 
route  du  Wakhan  au  grand  Pamir- 
Celte  objection  contre  ma  détermination  de  Po-mi-lo, 
objection  que  je  viens  de  présenter  dans  toute  sa  force,  a 
toute  l'apparence  d'une  réfutation  complète  —  mais,  aussi, 
rien  que  l'apparence.  Elle  s'évanouit  toute  seule  dès  qu'on 
fait  attention,  dans  les  extraits  ci-dessus  du  Si-yu-ki,  aux 
passages  que  j'ai  mis  en  italiques,  qui,  dans  la  description 
du  Chi-kiti-ni  ne  peuvent  s'appliquer  qu'au  H''aA:Artn actuel 
—  et  dans  celle  du  Chang-mi  —  qu'au  Chighnan  actuel  : 
ce  qui  n'est  pas  difficile  à  prouver. 

D'abord,  l'étendue  des  deux  pays  :  le  Chighnan  est  plus 
grand  que  le  Wakhan,  et  d'après  le  Si-yu-ki,  c'est  le 
plus  grand  des  deux  pays.  Et  la  proportion  d'étendue, 
2,500  et  2,000  ii  de  tour,  montre  que,  du  temps  de  Hiouen- 
Thsang  le  Chighnan  (2500  H)  comprenait  seulement  le  Chi- 
ghnan proprement  dit,  les  deux  grandes  vallées  confluentes 
du  Schah-darah  et  du  Sonlchan,  avec  leurs  vallées  secon- 
daires et  une  petite  partie  de  celle  del'Oxus,  des  deux  côtés 
de  Kala  et  Bar-Piandj;  tandis  que  le  Wakhan  (2,000  li),  alors 
comme  à  présent,  se  composait  des  hautes  vallées  do  l'Oxus 
supérieur,  et  du  Sarhadd,  avec  leurs  vallées  secondaires. 

Ensuite,  la  nature  du  terrain,  les  productions,  le  climat. 
La  rédaction  actuelle  du  Si-yu-ki  mentionne,  dans  le  Chi- 
khi-ni,  (  desplaiues  désertes,  remplies  de  sable,  de  pierres  t 
et  Wood  a  trouvé  entre  Isch-kaschim  et  Kala-Piandj  plu- 
sieurs centres  de  population  séparés  par  des  espaces  déserts  '. 
De  même,  la  rareté  des  arbres  dans  le  Chi-khi-ni,  le  peu 
de  blé,  le  climat  c  glacial  p  du  Chi-khi-ni  —  tout  cela  ne 
peut  s'appliquer  qu'au  Wakhan,  dont  les  villages  s'élèvent 
de  2,500  (Isch-kaschim)  à  3,500  mètres,  cl  dont  l'hiver, 
éprouvé  par  Wood-,  est  en  eflet  très  rude;  môme  le  prin- 


lES  ANCIKNS   ITlNÉnAlRES  K   TRAVERS  LE   PAMIR.        G07 

temps  est   tardif  et  froid,    grâce   aux  venls   du  Pamir, 
éprouvés  par  Gordon^. 

Quant  aux  raisitis  du  Chimg-mi,  la  limite  supérieure 
de  la  vigne,  sur  l'Oxus,  esljusle  dans  le  Chighnnn,  autour  de 
Bar-Piandj,  à  des  hauteurs  d'environ  1, 500 ;\ 2,000  mètres; 
la  fertilité  du  Chang-mi  s'accorde  aussi  parfaitement  avec 
ce  que  viL  et  apprit,  dans  le  Ghighnan ,  Abdoul-Soubhan,  qui 
y  fut  envoyé  par  le  capitaine  Troller,  de  la  mission  Forsyth*. 
Enfin,  ce  que  le  Si-yu-ki  dit  de  la  route  du  Chatig-mi  au 
IPo-mi-lo  se  rapporte  bien  à  la  roule  du  Chighnnn  au  grand 
iara-koul,  qui  franchit  on  eil'et  des  montagnes,  traverse 
les  vallées,  et  côtoie  des  précipices  —  mais  nullement  à 
îlle  du  Wakhan  au  grand  Pamir,  qui  remonte,  en  pente 
Ir&s  douce,  la  seule  vallée  du  Piandj,  jusqu'au  lac  Yictoria 
Je  Wood,  sans  quitter  le  fond  assez  uni  de  celte  vallée. 
Que  conclure  de  ces  éclaircissements? 
Je  ne  crois  qu'une  seule  conclusion  possible  :  c'est  que, 
>endant  les  douze  cents  années  écoulées  entre  la  composi- 
ion  du  Si-yu-ki  par  Hiouen-Thsang  et  sa  première  traduc- 
tion en  Europe,  la  description  originale  (et  fort  exacte)  du 
^hi-klti-ni  (Cliighnan)  fut  transportée  in  extenso  à  l'article 
1han(j-mi  (Wakhan)  —  et  vice  versa  —  du  fait  de  quelque 
rédacteur  chinois,  qui  aura  trouvé  absurde  que   le  froid 
augmente  du  nord  au  sud,  du  Chi-khi-ui  au  Ghang-mi,  et 
attribué  cette   prétendue  absurdité  à  l'inadvertance    d'un 
copiste  antérieur. 

Cette  malencontreuse  correction  est  peut-être  ancienne, 
cap  des  détails  relatifs  au  Ghighnan  dans  l'article  Hou-mi- 
(Chang-mi),  et  au  Wakhan  dans  l'article  Chi-khi-ni,  con- 
formes à  la  rédaction  actuelle  du  Si-yu-ki,  se  retrouvent  aussi 


1.  Wood,  Journey   to  the  xource  of  tks  Oxui,  new.  éd.  1872,  chap. 
XX,  p.  211. 

2.  Wood,  loc.  cit.,  p  p.  -208,  511. 

3.  Gorilan.   lioof  of  Ibe.  WuiU,  rlmp.   v.   p.   Itl.'»;   t<>ropâte<t  de  neîge 
eu  avril. 

4.  l'elerrnmn,  Mitth^'ihinqen  Erqiiniungnheft,  55,  pp.  18,  1"J.  __ 


tiOS        I.K.S  ANCIENS  ITIXÈHvMHES    A    TnWKIlS    I.K    PAMIR. 

dans  les  annales  des  Thnng,  qui  daLenl  du  xi'  siècle,  mais  \i 
chacune  des  deux  descriplions  coDfoad  les  particularités 
des  deux  pays,  et,  de  plus,  le  Ta-mo-sié-li  (Gharati)  esï 
confondu  avec  le  Wakhan'. 

Pour  ma  pari,  je  nae  suis  trompé  dans  le  présent  mémoire^ 
en  rapportant  au  Chtghnan  la  desctiption  ci-dessus  du  Chi- 
khi-ni,  d'après  les  extraits  de  M.  Paquier,  qui  mentionnent^ 
le  Cbang-mi  sans  le  décrire.  Ce  n'est  que  la  comparaison 
des  deux  descriptions  qui  m'a  fait  découvrir,  dans  le  texie 
actuel  du  Si-yu-ki,  la  confusion  que  je  viens  d'éclaircir  et 
qui  consiste  en  une  transposition  des  textes  de  deux  para- 
graphes :  le  texte  relatif  au  Chang-mi  (Waktian)  étant 
maintenant  mis  sous  le  titre  de  Gbi-khi-ni,  et  celui  du  Chi- 
khi-ni  (Chighnan)  sous  te  litre  de  Chang-mi. 

Le  seule  phrase  qui,  dans  la  description  du  Chi-khi-ni,' 
se  rapporte  réellement  au  Chighnan  est  celle  qui  indique  la 
position  relative  des  pays  que  nous  examinons.  —  Quant  à 
la  description  da  Chang-rai,  e!le  ne  contient  pas  un  uiot 
qui   puisse   caractériser  le  Wakhan,  que   Hioucn-Thsang] 
paraîfr  ne  pas  avoir  visité.  Car  ni  à  l'article  Chang-mi,  nij 
à  Tarticle  Chi-khi-ni,  le  Si-yu-ki  ne  dit  rien  de  l'Oxus  cou- ' 
jant  tout  le  long  du  pays,  el,  pour  les  deux  royaume?,  il  ne 
mentionne  qu'une  seule  roule    au    Pamir;  il   la  décrit, j 
nous  l'avons  vu,  de  manière  h  it>»  caractériser  celle  du 
Chighnan  au  Grand  Kara-koul,    mais  nullement  celle  du 


1.  Hy»clntlie,  loc.  cit.,  IV,  p.  258  :  Clii-ni  ou  Chi-khi-ni,  âÛO  li  sml- 
OLiG!>t  ilu  Kiii-iui:  ui:  i|ui  se  rapjiorU  au  €bi|;hiian,  mais  sarië  ugricullnre, 
de  i,(KHJ  li  (fe  toitr,  iieupli'  de  briijands.  Dcl;l,  à  UOO  ti  sud,  le  Hou-ini,  aussi  \ 
appelé  Tn-niD-sié-ti  et  llo-lilian  (W:tiili^iii);  l.fiOOli  de  lang,  'i-5  do  lar^çe, 
rroid,  couvert  dfl  sables  al  da  pinrins,  ciitrcciiiipu  de  collines,  produisant  | 
des  fèves  et  du  froiiienl,  avec  un  f-rcellent  sol  jujur  les  fruiU  Celte  pâr- 
ticularilé  du  lIoTi-mi  sa  rapporte  ru  Cliigliniiii,  [p,  reMe  au  Wakliari  oommal 
aussi  la  stûrililô  do  Ctii-khi-ni.  —  Hue  courte  dcscriplîan  du  Chaiig-ini,| 
abrùgée  du  Si-yu-ki,  su  trouve  encore  dans  ces  annales  des  Tliaii);  à  l'ar» 
Licle   Karis  (^Kciu-kiu),  H)':iciuLhi%  lùc.  cit.,  IV,  p.  S.'iO;  dans  cette  de«« 
cripliun  Inut  se   rapporte  Jûjà  au  Cliiglman,  ronime  dnns  le  Si-yu-ki|| 
arlicle  Ch<ing-mi. 


LES  ANCIENS   ITINÉRAIRES  A  THAVERS  LE    I>AMIR.        609 

Wakhan  au  grand  Pamir,  qu'Hiouen-Thsang  parait  avoir 
ignorée.  Cela  s'accorde  parfaitement  avec  ce  que  nous 
avons  vu  :  que  le  Kascbgar  et,  plus  tard,  le  Kié-pouan-lho, 
étaient  le  nœud  unique  des  roules  à  travers  l'Alal  et  le 
Pamir,  connues  des  anciens  Chinois.  Même  la  route  de 
Yarkend  parTasch-kourganeconduisailalors(v'  et  vi*  siècles) 
par  Tagharma,  au  Ko-pan-tho  (Kié-pouan-tho),  comme  nous 
l'avons  vu  en  déterminant  l'itinéraire  de  Song-yun. 

A  propos  du  Kié-pouan-tho  et  du  Po-ho,  aussi  mentionné 
dans  le  voyage  de  Song-yun,  voici  des  renseignements  offi- 
ciels des  annales  chinoises,  datant  de  la  première  moitié  du 
VI'  siècle  après  J.-C,  qui  confirment  ma  détermination  de 
ces  pays  : 

Kiu-pouan-tho^.  —  Le  royaume  de  Kiu-pouan-tho  se 
trouve  à  l'est  du  Thsoung-ling.  La  rivière  Tchou-kiu-po-si 
coule  à  travers  ce  pays  au  nord-est.  Il  y  a  de  hautes  mon- 
tagnes, où  le  givre  et  la  neige  tombent  même  en  été.  I^s 
habitants  sont  bouddhistes,  le  pays  dépend  du  Yé-ta. 

Po-ho.  Le  pays  de  Po-ho*  est  à  l'ouest  du  Kié-pouan-tho, 
et  encore  plus  froid  que  celui-ci.  Les  hommes  et  les  bes- 
tiaux vivent  ensemble.  Ils  habitent  des  huttes  creusées  dans 
la  terre.  Il  y  a  encore  de  hautes  montagnes  neigeuses,  dont 
les  cimes  paraissent  être  d'argent.  Les  habitants  mangent 
du  pain  et  de  la  bouillie,  boivent  du  vin  de  grain^.  —  Ils 
portent  des  habits  de  fourrures  et  de  laine  feutrée.  Deux 
routes  sortent  de  ce  pays  :  l'une  à  l'ouest  vers  Yé-ta,  l'autre 
au  sud-ouest,  à  Ou-tchan,  dépendant  du  Yé-la. 

En  combinant  ces  renseignements  avec  ceux  de  Song- 
Yun  et  de  Hiouen-Thsang,  donnés  ci-dessus,  nous 
voyons  : 

1.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV,  p.  179. 

2.  Hyacinthe,  loc.  cit.,  IV,  p.  180. 

3.  Ce  «  vin  de  grain  »,  ne  me  parait  pas  avoir  été  de  l'eau-dc-vie,  mais 
plutdt  la  bouza,  encore  actuellement  bue  au  Ferghàna  et  dans  tout  le 
Tourkestan,  décoction  fermentée  de  farine  de  millet  ou  de  djougâra 
(sorgho),  acide  au  goût,  à  peu  près  aussi  spiritueuse  que  la  bière,  sinon 


tilO         LES   ANCIENS    ITUiÉRAIHES    A    TIlAVEniî    LK    l'AMlR. 

l"  Que  le  Kié-pouan-tho,  immédiaLeraent  voisin  du  Po- 
ho,  moins  froid  que  celui-ci,  occupant  (d'après  Song-yun) 
<in«  partie  du  faîte  tin  Thsouiig-ling,  et  traversé  par  le 
Tchou-kiu-po-si,  couiant  nord-est  comprenait  non  seule- 
ment la  haute  vallée  de  laKasehgar-Darya,  mais  aussi  le  dis- 
trict d'irrigation  du  bas  Yaman-yar,  à  l'est  de  Thsoung- 
Hng,  avec  l'ancien  fort  dp  Tasclibalyk  et  le  gros  village 
actuel  d'Opal-kyscliiak.  C'était  ce  district  d'irrigntion  qui 
produisait  le  peu  de  riz;  du  Kié-pouan-tho,  mentionné 
par  Hiouen-Thsang.  Tout  ce  pays  de  Kié-pouan-tho,  non 
mentionné  par  les  annalistes  des  deux  dynasties  de  Han,  et 
dont  la  frontière  passait  tout  prùs  à  l'ouest  de  Kaschgar, 
était  un  démembremrnl  de  ce  dernier  royaume,  qui  sub- 
sistait toujours  du  temps  dcSong-yuii  et  de  Hiouen-Thsang, 
mais  diminué,  tandis  que  du  temps  des  deuxièmes  Han, 
la  Kaschgaric  (Sou-Ié)  voisine  du  Yué-tschi  possédait  donc 
la  haute  vallée  de  la  Kaschgar-Darya. 

'i'  Quant  au  Po-ho,  contigu  à  l'ouest  au  Kié-pouan-tho, 
c'est  bien  le  Ferghâna  actuel,  mais  seulement  une  partie  de 
celui-ci  :  les  montagnes  du  sud-est,  avec  la  haute  vallée  de 
l'Alaï.  Les  vingt  jours  de  marche  de  Song-yun,  du  Kié- 
pouan-lho  au  Po-ho,  montrent  cependant  que  ce  dernier 
pays  devait  occuper  aussi  le  district  actuel  d'Osr.h.  Quant  au 
reste  du  Fergbana,  il  appartenait,  au  temps  de  Song-yun, 
aux  nomades  Yé-tai  :  mais  Hiouen-Ths.ing,  qui  ne  l'a  pas 
visité,  le  mentionne  à  l'article  Tche-chi,  sous  le  nom  de  Fel- 
han-,  ce  qui  est  déjà  la  transcription  chinoise  de  Fergh4na. 


I 
I 

I 


plus  et  j):u'laitoineiit  ciipalile  d'enivrer,  y uaiil  à  l'can-de-vie  indifrène,  i)ut 
surviicut  il  r Islam,  elle  ostjusi]u'à  présent  dhtilhie  d'une  iufusinn  rorinen- 
lée  de  raisins  secs. 

I.  Hyucinthe,  lac.  cit.,  IV,  p.  177. 

t.  SUd.  Julien,  loc.  cit.,  p.  366. 


Le  Gérant  responsable, 

Ch.  Mau.noiii, 

Sccrcliiirc  (;cii<-ral  ilc  lu  Otinuiission  cctilnilu 


^ 


TABLE  DES  MATIÈRES 

CONTENUES  DANS  LE  TOME  XI  DE  LA  Vil'  SÉRIE  (18<J0). 


PREMIER  TRIMESTRE  , 

Ch.  MàUNOIR.  —  Rapport  sur  les  travaux  de  la  Société  de  Géogra- 
phie et  sur  les  progrès  des  sciences  géographiques  pendant  l'année 
1889 5 

W.  SK  NORbLiNG.  —  L'Unilication  des  heures,  avec  deux  clichés 
dans  le  texte 111 

i.  Thoulet.  —  La  Campagne  scientifique  du  schooner  des  Etats- 
Unis  GrampiM  en  1889 138 

f  TRIMESTRE 

Rapport  sur  le  concours  au  prix  annuel  fait  à  la  Société  de  Géogra- 
phie dans  sa  séance  générale  du  15  avril  1890 1 15 

Edouard  Blanc.  —  Les  Routes  de  l'Arrique  septentrionale  au 
Soudan 169 

Olivier  Oruinaire.  —  De  Lima  à  Iquitos  par  le  Palcazu,  la  Cordil- 
lère de  Huachon,  les  Cerros  du  Yanacbaga,  le  rio  Pachitea,  le 
Pajonal,  avec  carte  dans  le  texte. 217 

Le  lieutenant-général  Annenkuf.  —  Des  ressources  que  l'Asie  cen- 
trale pourrait  offrir  à  la  colonisation  russe,  avec  cartes  dans  le 
texte 237 

L'abbé  Desgodins.  —  Notes  sur  le  Thibet 255 

ToNDiM  DE  Quarekgui.  —  Le  Vœu  de  la  Conrérence  télégraphique 
de  Paris  au  sujet  de  l'heure  universelle 280 

3*  TRIMESTRE 

Henri  Coddreao.  —  Le  Contesté  franco-brésilien 289 

J.-C.  Reiuhenbach.  —  Etude  sar  le  royaume  d'Assinie 310 

A.  Bloyet.  —  Oe  Zanzibar  à  la  station  de  Kondoa 330 

Henri  Ddveyrier.  —  Note  sur  Tobrouq 365 

Cu.  Rarot.  —  Explorations  dans  la  Laponic  russe.  Ethnographie, 

avec  clichés  dans  le  texte  {suite) 371 

\y  Nicolas  Severtzow.  —  Etudes  de  géographie  historique  sur  les 

anciens  itinéraires  à  travers  le  Pamir 417 


012  TAULE   DES  MATIÈIIES. 

i'  TRIMESTRE 

Gabriel  Bomvalot.  —  Voyage  dans  l'Asie  centrale  et  aa  Pamir...  469 

tiuiLLADHE  Gapos.  —  Pamir  et  Tchitral 499 

L.  MizoN.  —  Voyage  de  Paul  Crampel  au  nord  du  Congo  français.  534 
W  Nicolas  Severtzow.  —  Eludes  de  géographie  historique  sur  les 

anciens  itinéraires  à  travers  le  Pamir  {tuite  et  fin) 553 

CABTES 

I  Edouard  Blanc.  —  Grandes  routes  commerciales  'du  Sahara,  1889. 
l/ia.OOO.OOO". 

I Henri  GoddreaD.  —  Territoires  contestés  de  Guyane.  1/7,500,000*. 

iJ.-C.  Reicbenbach.  —  Lagunes  d'Assinie  et  d'ApoUonie,  1887.  1/400,000*. 

/  A.  Bloyët.  —  Itinéraires  dans  le  Zanguebar,  1880-1885.  1/1,000,000*. 

,  Guillaume  Gapus.  —  Itinéraire  par  le  Pamir  du  lac  Monss-Kout  à  la  val- 
lée de  Guezine,  36  mars-14  juillet  1887.  1/1,000,000*. 

i  Paul  Crampel.  —  Itinéraires  au  nord  de  l'Ogdoué  dans  les  bassins  do 
l'Ivindo,  du  Djah  et  du  M'Tem,  août  1888-révrier  1890. 1/200,000*. 


FIN  OE  LA  TAKLE  DES  MATIÈRES 


4187.  —  Imprimeries  rciinics,  B.  me  Mipion.  2.  —  Mav  H  Motteruz,  diivcteurs. 


^^4  -s  ^ 


-1  OUSTAG-ATA. 

^niàoiio"  o.  I  '/"Xf"    TA  GHAffMA 


Légende 

...  tUnénurg  de  fa  mààion 

6Bpnva./»t  CCaputttA-PJfiin 

6  Camptmmni 

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