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BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHE
Sepaéme ««rie
TOME XI
LISTE
DES PRÉSIDENTS HONORAIRES DE LA SOCIÉTÉ ^
MM.
* Marquis DE LAPLACE.
♦Marquis de Pastûret.
* V'o DE Chateaubriand.
*C'">CHABB0L0E YOLVIC.
* Becouev.
*C<» Chadrol de Chûu-
50]..
•Baron Cenrges Cuvier.
* B" Bvi)E DE Neuville
* Duc UE DOUDEAUVILLE
* Comte d'Argout.
* J.-B. EïBIÈS.
* Vice-amiral DE RlCNT.
*Contre-aiii. d'Ijkville.
*Duc Decazes.
•CoiuU OE MOSTALIVET.
* Baron de Barabte.
* Gcniiral Isaroti Pelet,
"CUIZOT.
*De Salvakdy.
* Baron TUPIMIER,
MM.
• Comte, Jaubert.
• Baron de Las Casss.
* VtLLEMAIN.
* CUNIN-CRIDAfflE.
• Amiral baron Roussik.
*Ani. baron deMackau.
* B°" Alex, DE Hl'iiboldt.
• Vice-amiral Halcan.
* Baron Walckenaer.
• Cointe MuLÉ.
• De la Roûuette.
*JoiaARD.
•DtIHAS.
*Contre-am. MATHIEU.
* Vice-amir. La Place.
• Hippolyte FoKTOix.
♦ LEFEltVRE-DUBUFLÉ.
*GutCNIAUT.
* Dausst.
•Général Daumas.
MM.
* DDC DE BEAL'KOKT,
* nocLAND.
* Ariiir. DesfossÈs.
C. deCrossolles-Fla-
uarens.
* Duc DE Persignv.
* Vice-aiiiiral de la RoH'
CIÈRE le NotfRY.
•Coinle Wai.ewski.
De Quathefages.
* MrCHEL CttEVALlER.
ALFREU MaL'RY.
Vivien de St-Mariik.
♦Mis DE CUASSELOUP-
Laudat.
Heurakd.
Contre-am. Mouchez.
Ferdinand Ije Lesseps.
Aljih. Milne-Edwaiids.
Alfreil Graxuidieb.
Auguste Daudrëe.
COMPOSITION DU BUREAU DE LA SOCIETE
POUR L'ANNÉE 1890-1891
Président M. de Quatrefawes de Biiéau, membre de l'Inslilut.
Vice-vrésidentt ^ *'' Alp''- Milne-Edwards, membre de l'IusUlut.
*) M. TIj. Parhentieh, g-ciiéral do divisiun.
Scrutateur».... \ M. Edouard Blakc.
( >l. Marcel Monnier.
Secrétaire M. Louis-Gustave Bincer, capitaine d'infanlerie de
marine.
TRÉSOftIER DE LA SOCIÉTÉ
M. Meicnen, tiuLaire honoraire.
ARCHITECTE DE LA SOCIÉTÉ
M. Edouard Leudiëre.
AGENCE
M. Charles AUBRT, agent,
HAtel de la Sociélé, boulevard SalatrCermala, 181.
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
BÉDIGÉ
AVEC LE GOaCODBS DE LA SECTION DE PDBLIGATION
PAIt
LBS SECRÉTAIRES DE LA COMMISSION CENTRALE
SEPTIÈME SÉRIE. — TOME ONZIÈME
AHNÉ8 1890
» ijonçin M
PABIS
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
184, Boulevard Saint-Germain, 184
1890
DONS ET LE&S
rXITS A LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
1869. — Impératrice Eugénie.
1870. — M. Ferdinand de Lesseps.
1881. — M. Alexandre Renouard.
1881. — M. Jean-Baptiste-Athanase Desrosiers.
1883. — M. Léon Poirier.
1884. — M. Edmond Raquet.
1885. — M. Louis-Gustave- Alphonse Pichard.
1886. — M. Arthur Jean Philibert Grasset.
1888. — M. Alphonse de Montherot.
FONDATION DE PRIX
1870. — M. Alexandre de La Roquette.
1878. — M. Auguste Locerot.
1881. — MM. Geoi^es, Henri et Eugène ërharo.
1884. — M. Pierre-Féli.x Foornier.,
1884. — M. Jean Baptiste Morot.
1889. — M. Victor-Adolphe Malte-Brun (Prix Conrad
Malte-Bran).
RAPPORT
SUR
LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
ET SUR
LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES
PKNDANT l'année 1889
PAR CH. MAUNOIR
SeeréUir« générti de la CamniUsion c:«atraJe
Le titre de ce rapport implique deux parties distinctes et
d'illégale importance, comme aurait dit le maître de philo-
sophie du Bourgeois gentilhomme. L'une a trait aux travaux
de la Société ; celle-li sera brève, non que le sujet ne prête
à certains développements, mais par égard pour les conve-
nances qui veulent qu'une Sociétf^, pas plus qii'im individu,
ne s'étende avec trop de compbiisance sur ses propres
actes. D'ailleurs, ceux qui font de beaux voyages ou écrivent
de beaux ouvrages, comme ceux qui les admirent, ne
seraient-ils pas fondés à se plaindre que la divinité est sa-
crifiée à l'autel, si la Société de Géographie prélevait trop
du temps destiné à la géographie?
La seconde partie du rapport l'emportera donc, et de
beaucoup, sur la première. Le rapporteur, appelé en pré-
parant sa tâche de chaque année, à. jetor un coup d'œil sur
l'ensemble des progrès accomplis par notre science, a
éprouvé, celte fois encore, des regrets sincères à la pensée
de tout ce qu'il lui fallait laisser dans l'ombre.
Avant les quelques indications indispensables au sujet de
la Société, nous avons le devoir d'énumérer les vides que la
mort a creusés autour de nous. Cette liste ne contient pas
moÎDS de quarante- deux collègues, dont quelques-uns
ià_
6
UAPPOUT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
illustres ou particulièrement dévoués ii notre association.
Elle comprend aussi le nom d'un membre correspondant
étranger. Il ne saurait être ici question de leur consacrer
plus que l'hommage d'un souvenir reconnaissant.
En commençant par te plus anciennement admis parmi
nous, voici d'abord le général Cailler, qui était membre de
la Société depuis 1830. Il avait fait, comme capitaine d'état-
major, des voyages en Orient qui lui valurent, en -1836,
notre grande médaille d'or. Ses papiers scientifiques ont
été, selon ses instructions, livrés à la Société de Géographie
qui les conservera précieusement. Peut-être y trouverait-on
encore quelque chapitre qui mériterait d'être publié.
La mort de V.-A, Malte-Brun a privé la Société de l'un
des hommes qui lui furent le plus profondément, le plus
sincèrement attachés. Admis dans son sein en 1851, il a été-
sept fois de suite, de 1860 à 1867, élu secrétaire général de
la Commission centrale. Le titre de secrétaire général ho-
noraire lui fut donné, par exception, quanti il eut décliné
l'honneur d'une nouvelle réélection. Ceux d'entre nous qui
ont été en relation avec lui comprennent la perle que sa
mort inflige à notre compagnie. Nul ne pourrait mieux que
son successeur au secrétariat général, vous dire avec quelle
sollicitude Y.-A. Malte-Brun a toujours pris et défendu les
intérêts de notre association dont son illustre père avait été
l'an des fondateurs. Victor-Adolphe Malte-Brun a légué à la
Société le capital nécessaire pour la fondation du « prix
Conrad Malte-Brun a ; il semble qu'il ait voulu, en s'efTaçant
ainsi devant la mémoire de son père, s'acquitter d'un der-
nier devoir filial.
A l'époque où la Société avait son siège rue Christine, les
assistants, moins nombreux qu'ils ne le sont aujourd'hui à
nos séances, voyaient assez régulièrement s'asseoir au mi-
lieu d'eux, silencieux et attentif, un collègue à. la figure
grave. C'était le colonel Faidherbe, qui, dans l'intervalle
de deux périodes de gouvememeul du Sénégal, venait en-
I
I
I
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOCRAPBIQUES. 7
tendre parler des contrées de la Terre et surtout de celle
oii son influence a laissé des traces aussi profondes au point
de vae de la géographie qu'au point de vue de la colonisa-
lion. Le nom de Faidherbe dans lequel se résume toute
une vie de brillants services rendus à la science et au pays,
est de ceux dont la disparition laisse un vide que rien ne
comble.
Paul-Edouard-Didier Riant était un laborieux érudît dont
les recherches se sont portées sur des sujets voisins de la
géographie; il a, par exemple, et ce fut Tune de ses pre-
mières œuvres, consacré aux expéditions et pèlerinages des
Scandinaves eu Terre Sainte au temps des Croisades, un vo-
lame remarquablement riche en informations sur des voyages
qui ont répandu dans le nord de l'Europe les notions rela-
tives à rOrienl et à la Palestine. Dans k's publications de la
Société de l'Orient latin, dont il fut le fondateur, on trou-
verait aussi un grand nombre de documents intéressants
pour l'histoire de la géographie au moyen âge.
Le roi dora Louis de Portugal élt\il membre de la Société
de géographie de Paris depuis 1864, Souverain d'une na-
tion glorieuse entre toutes par son passé géographique, il
s'est souvenu de ces traditions. Sous son règne a été fondée
la Société de géographie de Lisbonne, l'une des plus actives,
des plus brillantes de cette phalange de Sociétés dont celle
de Paris est la doyenne. Ati règne de dom Louis, égale-
ment, appartiennent de reraarqiiiibles voyages en Afrique,
tels que ceux de M. Serpa Piulo et de MM. Brito Capello et
Ivens, pour ne citer que ceux-là.
Le docteur Broch, correspondant de i'instilut de France,
était un savant de haut mérite en même temps que de grande
simplicité. Inscrit parmi nous en 1867, il manquait rare-
ment d'assister à nos séances et ce n'est jamais en vain que
la Société s'est adressée à lui pour obtenir soit des rensei-
gnements, soit des ouvrages relatifs à la Norvège, sa patrie,
où il avait occupé de hautes dignités. Ceux de nos collègues
8
riAPPORT STJR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
qui ont eu à recourir à son savoir si large, si sûr, ont
toujours trouvé auprès de lui l'accueil le plus alTable.
Lors du premier congrès international de géographie teou
à Anvers en 1871, s'éJait inscrit parmi nous un coii&cien-
cieux érudil belge, M. E. Dcigeur. Orienté vers les rechercties
de l'égyplologie, il n'avait pas négligé, cependant, d'autres
études parmi celles où la géographie entre pour une large
part. Le recueil de la Société de géographie d'Anvers
atteste, dans une série d'articles, l'activité, le zèle, en même
temps que l'élendiie et ta solidité du savoir de M. Delgeur.
En 1873 entrait dans la Société un jeune officier de
marine, Gaston Baudens, qui depuis lors lui est toujours
demeuré dévoué et n'a pas cessé de suivre ses travaux. De
temps h autre nous le voyions apparaître à nos séances : il
revenait de quelque navigation lointaine. Absent, il ne se
laissait pas oublier, ou pour parler plus exactement, il
n'oubliait pas, cwr nous recevions souvent de lui des inTor-
mations scientifiques, des notes, des documents sur la
contrée du globe où l'avait appelé son service. Ceux-là,
parmi nous, qui l'ont connu savent que la mort nous a
privés en G. Baiidens d'un collègue avec lequel les rela-
tions avaient à la fois de l'intérêt et du charme.
M. Aimé Pissis qui fut, en 1873, l'un de nos lauréats,
faisait honorera l'étranger la science française. Il avait fait
de la géographie physique du Cbili le sujet de ses éludes ;
le champ est vaste el les travaux de noire collègue en ont
fécondé une grande partie. M. Pissis s'était fiiil inscrire
parmi nous l'année même où la Société lui décerna une
inédaille d'or.
Il y a quelques mois, M. Edmond Fuchs, iagénieur en
chef des mines, nous a été subitement enlevé, en pleine
vigueur, par un mal dont il avait contracté le germe au
.cours de ses longs voyages. Il s'était plus particulièrement
voué à l'élude des gUes minéraux, de leur formation, des
indices qui les révèlent, des ressources qu'ils promettent.
I
i
ET Sl'R LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGIIAPHIOIES. 9
et dans presque toutes les parties du monde il avait en
l'occasion d'appliquer, en les développant, ses connaissances
spéciales doublées de remarquables aptitudes. Il fut aussi
l'uu des artisans les plus actifs, les plus dislin;iués et les plus
utiles de l'adraii'able œuvre rie la carte géologique de notre
pays. Inieiligence curieuse, pénétrante, ingénieuse à saisir
des relations impréviics entre les éléments les plus divers
des sujets, E. Fufihs ne se laissa cependant jamais entraîner,
en naatière scientifique, aux suggestions de son penchant
prononcé pour les fantaisies de la litlérature ou de la poés-ie.
Deux hommes était en lui, dont l'un goûtait les salisfitctions
que donnent les résultais exacts, les solutions rigoureuses,
tandis que l'antre se complaisitit à poursuivre le rêve irisé
dans le domaine sans limite de l'imagination. Celte dualité
fut l'un des bonheurs de sa vie intense, sans ménHf^'emeiit
pour elle-même, et dont la fin est une perte pour la science
en même temps qu'un grand deuil pour les alTeclions dont
Edmond Fuchs était le foyer.
A la fin de l'an dernier nous a été enlevé Charles Férand,
ministre de France au Maroc, notre collègue depuis 1879.
Cr>mme interprète de l'armée, il avait pénétré, dès sa jeu-
nesse, aux confina de notre zone d'occu[)ation d'alors, c'est-
à-dire aux portes de l'inconnu. Sa carrière s'est faite dans
dfspays de langue arabe; à Tripoli comme à Tanger il a su
dutniner lotijours des situations parfois très diflîciles. Au
point de vueqai intéresse la géographie, Gb. Féraud a fait,
en diverses parties de l'Algérie, des éludes sur les ruines
romaines; il a découvert près de Wargla des silex taillés,
vestiges des premières populations du Sahara ; enfin il a
consacré d'importantes monographies historiques à des
villes et à des groupes de tribus de l'Algérie. Ses tra-
vaux plutôt historiques que géographiques, se rappor-
Uîent lous à des contrées où l'histoire est inséparable de la
géographie.
L'un des fonctionnaires les plus actifs du Gabon -Congo,
10
RAPPOUT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
Paul Dufourcq, ancien capitaine au long-cours, est mort
récemment, emporté par un mal qu'avaient cerlainement
développé plusieurs séjours sous des climats insalubres.
Zélé pour les "progrès de la géographie, désireux de voir
s'accroître et se répandre la connaissance de notre colonie
de l'Ouest Africain au développement de laquelle il s'était
dévoué, P. Dufourcq n'a négligé aucune occasion d'inciler
ses jeunes collaborateurs à recueillir des informations
d'ordre géographique, h faire des observations, à dessiner
des cartes. Les lettres qu'il écrivait en Europe renfermaient
fréquemment desdonnéesintéressantes pournoscomraunes
éludes. Paul Dufourcq avait été admis en I88ià faire partie
de la Société.
Un collègue admis depuis peu d'années parmi nous, le
lieutenant de vaisseau Davoust, a succombé aux fatigues et
aux effets du climat sur le terrain même à l'étude duquel il
s'était voué, dans la région du Nigf>r. Il avait préparé le
voyage du commandant Caron en reconnaissant, sur une
assez grande étendue, le cours du Niger qu'allait parcouiir
la canonnière française en marche vers Tombouctou.
M. Caron lui-môme a consacré, dans les comptes rendus de
nos séances, quelques pages de cordial souvenir à la mé-
moire de son camarade et ami.
M. Duveyrier nous a retracé récemment, d'après le peu de
données qu'on en ait, le voyage ûe Camille Douls et le
drame par lequel il s'est terminé. Le malheureux Douls est
une nouvelle victime de ce Snhara qui nous devra beaucoup
parce qu'il nous a beaucoup pris.
La liste de nos collègues correspondants étrangers a
perdu un nom desplushonorablementconnus en géographie,
celui du président si distingué de la Société de Buda-Peslh,
Jean Hunfalvy qui, au Congrès international des sciences
géographiques tenu à Paris en 1875, avait représenté parmi
nous les géographes hongrois.
> La Société a perdu encore : MM. Petrici (Constantin D.)
i
ET SUR LES PnOGRÈS DES SCrENCKS GÉOGRAPHIQUES, it
(l«63)* ; — Schroeder (Karl) (tSfô) ; — Silva Coiilinlio{J. M.
da) ( 1 867) ; — Barlalier de Mas (Frani;ois-Ed mund-Eugène),
capî lai ne de frégate en retraite (1868) ; — Masson (Emile),
ancien négociant (1872); — Daniel (Paul-Ernesl), inspecteur
général honoraire des ponts et chaussées (1874); — Armin-
gaud (Jean-Jacques-Marc), professeur au lycée Henri IV
(1875); — de Carcy (André), ancien chef d'escudron d'étal-
major (1875); — Lefebvre (Louis-Jules), contre-amiral
( 1 875) ; — Loysel (Charles-Joseph-Mari e), gén é rai d e di vi sion
(1875) ; — MuretdePagnac(François),conlre-amiral(1875);^
— Paillard (Edme-Achille) (1875);— Meyer (Gharles-Eu-
gène-Alfred), contre-amiral (1875); — Gotendorr(5ytvanus-
Nalha[i)(1876); — Bizemont (le marquis de) (1879) ; — Cler-
monl-Tonnerre (le duc de) (1879); — Berlhier de Grandy
(Marie-Philibert-Fernand), général de brigade (1880); — Bo-
nabeau (James) (1880); —Saint-Michel (Paul de) (1880); —
Boulot (Louis), avocat à la cour d'appel (1881); — Lavech
(Frédéric) (1881); — Van derEIst (Jean), consul dcBelf^ique
(18«1); — Feist (Michel) (1882); — Ilarth (Théodore), né-
gociant (1882); — Colin (Louis) (1883); — Husson (Justin)
(1884);— Lair (René) (1886); —Marché (Maurice du), lieu-
tenant-colonel d'artillerie (188G).
Coname compensation, s'il en peut être à tant de pertes,
notre Société enregistrera, pour cette année, deux faits heu-
reux.
Sa participation à l'Exposition universelle de 1889 lai a
valu un grand prix, la plus haute des récompenses qu'elle
pût obtenir. A chacun de vous revient une part de l'hon-
oearde celte distinction, puisque c'est à votre concours que
la Société de Géographie doit de pouvoir livrer aux hommes
de science les publications on ils vont chercher les éléments
I. Les millésimes entre parenthr-ses iadiqiieiit les années d'admission
«laos la Sociélé.
RAPPORT suit LES TRAVAUX DE LA SOCl
de leurs éludes sur la terre, ces relations de voyages iné-
diles, ces caries qui ineLlent en liimiÈre les elforls, les
mériles et les succès de nos explorateurs.
Croyez bien que ceux-là qui consacrent leurs labeurs au
progrès de la géographie, ceux-là^quiexposenl leur vie aux
dangers des voyages en pays nuuveimx, vous sont re-,j
connaissants des sympathies dont vous les entoures, dé^
l'appui éclairé que vous prêtez à leurs efforts pour l'aviin-
cemeiit de la science au profit de laquelle nous sommes
groupés.
Le Congrès inlernalional des sciences géographiques,
réuni ici me^me par riniliative delà Société, a pleinement
réussi. Plus de cinq cents adhésions venues de tous les pays
avaient répondu à l'appel du comité d'organisation consti-
tué par voire Commission centrale. Grâce au dévouemetit
actif du commissairiî eldu commissaire adjoint du Congrès,
MM. de Biïeinont et Gauthiot, secondés par MM. de Mar-
gerje, Hulotet ri'Estampes, ce congrès a été aussi animé que
les précétJents, et la Société a fait à ses visiteurs la cordiale
réception à laquelle ils avaient droit.
Des mesures sont prises pour que la publication des actes
du Congrès ne se fasse pas trop allendre.
Notre Société se préoccupera également, selon le vœu
exprimé par les membres non français du Congrès, de fixer,
d'accord avec les .autres associations géographiques, le siège
du Congrès prochain.
Tels sont les deux faits principaux à signaler en ce qui
touche aux manifestations de la Société. Il y faut ajiiuter
qu'en raison de l'importance hors ligne de son voyage, le
capitaine Binger a élé reçu en séance extraordinaire à la
Sorbonne, où il a trouvé l'accueil qu'il pouvait alfendre
d'une Société dont le devoir, auquel elle ne faillit pas, eslde
reconnaîlre tous les s-ervices rendus à la science, mais dont
le droit est d'applaudir, avec une chaleur particulière, les
résultats dus à des voyageurs ou à des savants français.
ET Sun LES PnOGRÈS DES SCIENCES UÉOGnAPIlIQCES, 13
A nos séances de 'quinzaine toujours très suivies, nous
avons entendu, cette année, des rommunicalinns aussi
variées qu'inléressîinLes dont il est justt; que les auteurs
reçoivent ici les remerciements de (a Société.
La compéleuce toute particuîière du docteur Hamy nous
a montré les phases successives par lesquelles, depuis trois
siècles, la cartographie a fait passer le figuré des contours
de l'Europe.
L'an dernier, nous avions entendu avec beaucoup d'intérêt
une communication de l'abbé Tor.ditii de Qiiarenghi, rela-
tive à l'adoption d'un calendrier uriique. M. Ton di ni de
Quarenghi nous a exposé récemment ses idées sur le pre-
mier méridien universel que, d'accord avec l'Académie des
sciences de Bologne, il voudrait voir passer par Jéru-
saltrfll.
Les mers, la composition, le régime, les mouvements de
leurs eaux, la forme et la nature des fonds qu'elles re-
couvrent, la vie intense qui les anime, sont aujourd'hui en
divers pays l'objet de refherches mélhodiquement poursui-
vies par les >oins de services spéciaux. M. Thoulet nous a
rendu compte de l'enquête dont le Ministère de l'Inslruc-
lioii publique l'avait chargé, au sujet de l'organisation de
ces éludes auxquelles notre pays doit désormais prendre
une part active.
Sous les grandes Causses françaises content des rivières,
s'étalent de sombres lacs et se creusent d'immenses et pro-
fondes excavations que M. Martel a vi-ités à deux reprises.
IJ nous a vivement intéressés par la relation de ses voyages
de découverte, avec leurs difticullés, leurs imprévus, leurs
péril*; c'esten quelque sorte unecontre-parlie des ascensions
auxquelles les membres des Clubs alpins melletit leur
audace, leur honneur et risquent souvent leur vie.
Le docleur Chervin nous a montré, en les expliquant au-
tant que Taire se peut, les oscillations du cbilTre de !a popu-
lation dans les diverses régions de la France et pendant une
\ RAPeOBT Sun L£S TOAVADX DE LA SOCIÉTÉ
s^rie d'années. lia coaslaté, une fois de plus, TinguiéUinte
faiblesse d'accroissement de celle populatioo,
Cooduil aox Baléares par des recherches archéologiques,
M. Carlailhac nous a présenté un tableau élégant de divers
sites de cet archipel où se continue la terre d'Espagne, où
soal confondus les souvenirs, les vesliges de tant de races,
apports successifs des événements.
Le chemin de fer ceniral asiatique et les contrées ingrates
qu'il traverse pour arriver aux vieilles cilés désormais rap-
prochées de notre civilisation, ont fourni à M. Leclercq le
thène d'un exposé animé de son voyage à Samarcande,
D'une mission d'étude des voies de communication entre
la Chine el le Tonkin, M. de Mores a rapporté des infor-
QUàtioDS dont il nous a préseolé un intéressant résunaé. Elles
autorisent l'espoir d'un bei avenir commercial pour notre
aouv«lle possession asiatique.
M. C. Paris, chargé d'établir une ligne télégraphique entre
Hué et la Cochinchitie, a profité de celte opération pour
réunir, sur le littoral de l'Annam el sur ses habitants, des
infornialioas détaillées qui prendront utilement place dans
la littérature géographique de la soae littorale longée par la
rout« mandarine.
M. Henri Kinder, qui naguère nous avait entretenus de ses
voyages dans le Kurdistan, nous a paHé du Mzab et de sa
curieus« populalion qu'il a été étudier surplace.
M. Edouard Blanc a présenté les résultats de quatre ans de
recherches sur la région des oasis sahariennes, son régime,
son avenir. Il a Irailé, dans une autre communication, de la
question si imporlaule des roules entre l'Afrique septentrio-
nale et le Soudan.
Dans une excursion pleine d'intérêt faite en compagnie
du docteur L. Vincent, médecin principal de la marine,
nous avons parcouru ce Canada dont nous aimons toujours à
■«abeodre parler, car ses ti(res d'oiigine sont quelques-unes
des plus belles pages de notre histoire.
ET SOR LES l'ROenÉS DES SCIE^NCES CÉOGKAPHIQUES. 15
Xvec M. de Bretles, nous avons abordé le redoulable
Chac«, dans lequel il a pénétré non sans peine.
La région à peine entrevue des Tumuc-Humac ella haute
Gitrane ont fait le sujet d'une relation de voyage par
.V. H- Coudreau qui s'est voué courageusemenl, obstiné-
meni à l'étude de cette région dont la carte malaisée à
dresser lui devra ses premières lignes précises.
Quant aux détails do la vie intérieure de la Société, vous
D'en voudrez pas au rapporteur de les passer sous silence. Il
ne saurai t trop répéter, d'ailleurs, que la Commission cen-
trale dont les séances administratives ne sont pas des
réunions secrètes pour les membres de la Sociélé, accueil-
lera toujours les propositions, les idées, les projets qui
poarraient lui être soumis, à la condiiion toutefois qu'ils
auront été étudiés au point de vue de la réalisation pra-
tique.
Le rapporteur ne laissera pas passer l'occasion qui lui est
oflierte de reconnaître une fois de plus devant vous les services
rendus à la Société par son agent, M. Charles Aubrj', qui
aç\Artc k des fonctions toujours très chargées un dévoue-
meiil, un zèle dont nous ne saurions trop le louer et nous
louer tous.
Ici commencera la seconde partie du rapport, l'exposé
4es progrès de la géographie pendant l'année. Ces progrès
résultent de faits nombreux, d'éléments variés et délicats
dontrénuméralion complète remplirait un volume, impose-
rait à votre attention un elTorl de plusieurs heures. Cepen-
dant quelques pages, quelques quarts d'heure seulement,
y doivent être consacrés.
Les sciences géographiques ont eu leur place dans la belle
nanifesiatinn industrielle, scientifique et artistique de
(^9. L'Exposition de l'esplanade des Invalides, spécimen
des races et des architectures de la France exotique, a pro-
curé aux savants sédentaires des illustrations vivantes pour
nAPPOUT SUK LES TIIAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
leurs études; aux Français en général un aperçu, comme
uno vision reslreinte, de ce monde colonial pour ou contre
lequel li's politiciens s'agilenl ardemment et qui n'a mérité M
« ni cet excès d'honneur ni celle indignité ». Savaniset ■
simples coniribuablesont pu contempler iessveltes pagodes,
passer de la tenlede l'Arabe nomade ù la masure du Kabyle,
circuler entre les huttes desCmaques et celicsdes noirs du
Congo, converser tant bien que mal avec le marchand tuni-
sie'n retors. l'Annamite moqueur el le Sénégalais de bronze. ■
par-dessuH le miirclié, ils ont eu des Chinois, des Malais et
môme quelques-uns de ces Indiens imposants dont la race _
ne tardera pas à mourir éloufîée sous la civilisation des I
Él;it,s-IJnis.
Pres(|ue partout, dans les galeries du Cbamp de Mars,
les géographes ont pu trouver leur science représentée par
des ({lobes terrestres de toutes les grosseurs, des cartes de
tout genre, de tout modèle, de tout aspect : cartes d'ensei-
gnement elonuMvtairc, immenses caries murâtes, cartes topo-
grApbiqiies chargées de détails finement gravés, cartes géo-
logiques et caries statistiques diaprées de vives cou-
leurs, sans compter les plans et les cartes-relief en grand
nombre.
L'jibslenliou de plusieurs gouvernements a malheureuse-
ment privé l'Kxposition de 1889 d'une quantité considérable
d'éléuienls dus à la cartographie ofiicielle qui avait été lar-
gement roprésenlt^e aux Expositions antérieures.
Il faut rcoonniiilrv que si les cartes se sont complétées
par le lait des explorations, elles n'ont pas, depuis dix ans,
réalisé, au point de vue de rexéeutiou, des progrès très
marqu»^. Toutefois, la gravure et l'impression typogra-
phiques, eu M) pcrf^oliouu«u(, ont valu à la production des
caries courantes le lién^fiiv d'un bon marché dont profite
largement la diltXision de Ia science, et ce n'est pas là un
avantage & dt^daigne^.
Non lut» de« »atle» o«cup0«$ p«r U géographie frauciise,
il
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGBAPHIQL'ES. 17
les visiteurs ont pu admirer le globe à 1/1,000,000* construit
çtt l'initiative de deux de nos collègues, MM. T. Viliard
eX t. Cotard. Les difficultés d'exécution de cette repré-
icglitlion imposante de notre planète avaient été résolues
pie talent d'un ingénieur, M. Seyrig, avec le concours
ftn comité d'hommes de science chargés spécialement de
i partie géographique de l'fpuvre. Les parois intérieures
ilu pavillon qui abritait le globe terrestre à 1/1,000,000"
claient couvertes d'indications d'ordre physique et écono-
mique heureusement choisies. La Société de Géographie ne
saurait trop regretter l'insuccès de ses démarches pour
obtenir que le globe terrestre de MM. T. Viliard et C. Cotard
fût conservé dans l'un des squares de Paris.
Le précédent exposé des progrès de la géographie annon-
çait la publication prochaine d'un premier Rapport sur les
travaux exécutés en 1888 par le Service géographique de
Tarmée. Ce document a paru en 1889 et l'apparition en doit
être signalée h tous ceux qu'intjîressenl les progrès de la
cartographie, auxquels a si largement contribué l'ancien
Dépôt de la Guerre, dont le Service géographique continue
les belles traditions.
Il n'est pas assez connu, partant, pas assez apprécié de la
généralité du public, ce Service auquel sont dues tant
d'œuvres remarquables par leur ampleur aussi bien que par
leur solidité scientinque.
Si la nouvelle publication due à l'initiative du général
Derrécagaix, directeur du Service géographique, se pour-
suit d'année en année, si elle reçoit surtout la publicité
désirable, elle contribuera à faire comprendre le caractère,
les dilflcultés, l'utilité de travaux exécutés par ce bel éta-
blissement, pour développer la prospérité comme pour
assurer la défense de notre pays.
En attendant que les Services hydrographiques de la ma-
SOC. DE SÉOOU. — 1" TUiaESIRK 1890. XI. — 2
18 UAl'l'linT Still LKS TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
rine entreprennent une pulilicalion analogue à cëIIl
vice géographique de l'armée, voici le résunaé, pour celte
année, des travaux exécutés par les ingénieurs liydrographes
el les offlciers de uoire marine natiouale, sous la direction
do M. Bouquet de la Giye, de l'InsLilul, ingénieur hydro-
graphe en chef.
Comme toujours les côtes de France dont les caries doivent
être perpéUiellemeiil remaniées, revisées, tenues àjour, oot
eu leur part dans ces tiavaux. C'est ainsi que M. Hanusse,
ingénieur hydrographe, assisté de MM. La Porta et RoUet
de risie, a terminé la reconnaissance hydrographique du
plateau des Minquiers, commencée en i888 par M. Cas-
pari. Il a procédé également à une revision des côtes nord
de la Bretagne.
Deux autres ingénieurs hydrographes, MM. Maneu et
Renaud, oui fait une reconnaissance des passes de la Gironde
et du mouillage de !a Gironde.
M. llatt a terminé la triaaguiation de la Corse, et, avec
l'aide de M. Perrolin, directeur de l'Observatoire de Nice,
et de M. Driancourt, ingénieur hydrographe, il a déterminé
les dillerinces do longitudes entre Nice, l'île Rousse et
Âjaccio; il a déterminé aussi les latitudes exactes des deux
points.
A Madagascar, MM. Mion et Tichot, ingénieurs hydro-
graphes, continuent l'hydrographie de cette île; ils ont exé-
cuté le levé de la partie de la côte occidentale comprise
entre Nossi-bé et Nossi-vé, dans le but d'éclairer la route
des paquebots dans ces parages. La zone comprise entre la
terre el le grand récif Tulear, l'embouchure de la rivière
Saint-Augustin, sont achevées; au sud, les mouillages de
Raooubé,ducap Saint-Vincent, de Morombe, de Campasi-
lava, de Belo, de Mourouiidava, Mainlérano et Saini-Jean
de Nova sont déterminés, el le tout a été réuni par un levé
sous vapeur de 250 milles de longueur.
MM. Thomas el Caubel, enseignes de vaisseau, ont levé
ET SDR LES PROGRÉS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 19
et dressé le plan de ia baie San Antonio, dans l'ileaux Prin-
ces (îles du cap Vert).
M. Martin, lieutenant de vaisseau, a exécuté différents
levés à Terre-Neuve, principalemenl dans la baie aux Liè-
vres.
M. Martel, lieutenant de vaisseau, a fait des sondages dans
la baie de Tourane et des sondages d'atterrage dans l'est des
îles Norway.
Les officiers de la station navale du Gabon et du Sané ont
reconnu l'estuaire du Gabon. Ce travail sera rédigé prochai-
nement.
Les officiers du Fabert ont exécuté différents levés dans
le Pacifique, notamment aux îles Gilbert, Santa-Cruz et aux
Nouvelles-Hébrides,
Enfin le plan de Djibulil, dans la baie deTadjurah, aélé
levé par M. de Saint-Sauveur de Bougainville, lieutenant
de vaisseau.
Le catalogue des caries publiées par nos services hydro-
graphiques s'est augmenté de soixante et un numéros, dont
trois consacrés aux cartes générales ou à la météorologie
maritinie, treize à l'Europe, deux aux mers boréales, dixH
sept à l'Asie (dont onze pour le Tonkin), onze à l'Afrique
(dont six pour la Tunisie), neuf à l'Amérique et six aux autres
mers australes.
Les voyages, avec leurs éléments dramatiques pu pitto-
resques, leurs émotions et leur poésie, avec les additions
qu'ils apportent à la carte du monde, détournent tout natu-
rellement l'attention des problèmes et des éludes de la géo-
graphie générale. Ces éludes, cependant, s'imposent comme
l'an des buts les plus hauts de la science.
Il convient donc de les signaler dans un rapport sur les
progrès de la géographie quand elles modifient, en donnant
des résultats plus précis, les conclusions antérieurement
admises.
HAPPORT son LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
L'altitude moyenne des continents el les profondeurs des
mers, dans leurs relations avec les aires émergées ou immer-
gées, ont fait souvent l'objet d'évaluations et de calculs
Les récentes recherches de MM. le général de Tillo. le doc-
leur A. Supan,directeurdesMfÎPt/Mn3^M de Golha, Mnrray,
Ponck, ont conduit, combinées avec celles de notre coltègue
M. de Lapparent, à des tableaux d'un véritable intérêt pour
les géographes qui les trouveront dans le précieux recueil
géographique de Gotha.
Ce sera maintenant aux voyages, la manifestation la plus
claire, la plus apparente du mouvement géographique, que
le rapporteur consacrera la suite de cet exposé. Comme
d'habitude, il effleurera seulement les sujets, eu laissant
presque coraplètemenl de côté les aventures et les épisodes
émouvants. Son but est de faire entrevoir dans quelle me-
sure chaque voyageur a contribué à accroître la richesse
commune.
Pour le rapide trajet que nous allons entreprendre autour
du monde sur les pas des explorateurs, le choix de l'itiné-
rairo nous apparlicnt. Les froids polaires, les déserts tor-
rides, les Océans comme les plus énormes massifs, les
peuples les plus redoutables, ne nous imposeront ni retard
dans l<i marche, ni obligation de faire de longs détours.
Sans autre préambule, transportons-nous au cceur de
l'Australie, dans la partie la moins favorisée du plus mé-
diocre des continents.
.\u nord-ouest du lac Eyre est la station Dalhousie d'où
partait, eu 1886, M. David Lindsay dont le voyage ne nous
a été bien connu que cette année; il venait se terminera
l'Arthur River, alïluent de golfe de Carpentarie, en face des
lies Kdward FtUew ; c'était lat traversée de plus d'une moitié
de la largeur de l'.Vustralie, du sud au nord.
A sa droite^ le Toya^aur e«t tout d'abord l'implacable ^
désert .111*1 lalîf 11 avee ses «space$ ioimenses, accidentés de
ET SUR LES PnOURÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 21
rides de sable recouvertes de spinifex. Il ne faHail piis
peaser à s'engager dans celte direcUoa; l'expédition, avec
ses douze chameaux de transport, suivit donc les bords de
)a rivière Finck jusqu'au puits Alice (Alice Spring). A partir
de ià la traversée du pays fut rendue pénible par l'élévation
de la température: le thermomètre se maintenait toute la
nuit entre 16° et 20", taudis que, pendant le jour, il mar-
quait 40° à l'ombre.
La partie occidentale des chaînes Macdonnell et Ilart que
franchit l'expédition, lui réservait des surprises. Les ver-
sants méridionaux du massif, formés de quartz et de grès
métamorphiques, n'avaient retenu que quelques Dlets
d'eau; il f.tisait trop chaud, disaient les rares indigènes
avec lesquels on put se mettre en relation, et « l'eau avait
ilé &e mettre à l'ombre >.
Le centre du massif recelait, heureusement, entre deux
falaises granitiques et à quelques centimètres au-dessous du
toi, une belle nappe d'eau dans le voisinage de laquelle se
trouvent des grenats et des rubis.
Au nord sont les rivières Plcnty et MarshalS. M. D. Lind-
saj et son escorte faillirent mourir de soif non loin de !a
rivière Pienly dont lo lit était absolument à sec, ainsi que
les sources signalées dans ces parages par des voyageurs
précédents. En d'autres saisons, les rivières doivent débor-
der comme Tindiquaient des tiots d'abondants pâturages,
I des bouquets d'acacias, de gommiers et d'eucalyptus.
En fait dépopulation, M. D.Lindsay ne rencontra, sur ce
|oinl, que quelques malheureux Australiens en quête d'un
I peu d'eau et de nourriture. Leur chef, après avoir offert un
felit garçon en échange du chien de M. Lindsay, conQa l'un
fcses fils aux blancs pour les diriger entre la rivière Mar-
Lliail et la station du lac Nash, située dans le nord-est. Mais
k jeune guide une fois vêtu et rassasié se bâta de dispa-
.■ Jusqu'au lac Nash, le terrain, relativement fertile,
t pas de difticultés à la colonne. Vers la station du lac
22
RAPPORT SDR LES TUAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
Nash commence une région particulière, les downs ou
plaines, que rev6l un lapis d'excellents pâturages arrosés
par des rivitres dont les eaux vont ?e perdre dans les l;ics
ou les sables de l'inlérieur. La zone ries downs, entourée par
les mauvaises terres couvertes de brousse, s'étend vers le
nord jusqu'à la chaîne côlière du golfe de Carpentarie.
Dans l'ouest, elle gagne par une étroite lisière la station
télégraphique de Powell Creek. M. D. Lindsay, après avoir
exécuté sans difficulté le levé de son parcours à travers
la région des dotcus, termina le voyage par une recon-
naissance du fleuve Arthur, quij naissant au Banc septen-
trional de la chaîne côlière, va se jeter dans le golfe de
Carpentarie, après un trajet de quelques 200 kilomètres.
Les voyages sont dépourvus d'attrait dans le cenire aus-
tralien dont le sol, peu varié, ne présente que de faibles
accidents de terrain. A quelques détails près, on sait que
le voy.igeur risquera de mourir de soif en traversant des
espaces sahariens sillonnés de rivières sans eau, ou de
s'embourber dans des plaines brusquement submergées.
Entre ces deux alternatives, il a celle de traverser
d'interminables étendues de dunes revêtues d'une épaisse
fourrure de mimosas aux épines acérées. Ils sont d'un carac-
tère également triste, les éléments d'intérêt oITerts par la
maigre et famélique population qui parcourt cette région
avant de disparaître à toujours.
Traversons maintenant le détroit de Torrds pour nous
transporter à la Nouvelle-Guinée; de toutes les parties du
globe elle reste, en proportion de son étendue, l'une de
celles dont la carte est le plus arriérée, préseule les plus
vastes lacunes. Elle prend place, dans le présent rapport,
par deux voyages importants, l'un sur la terre ferme de
l'Ile, l'autre aux archipels qui lui font escorte du côté de
l'est.
Des notes dues à l'obligeance du prince Roland Bonaparte
ET SFH LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 23
î est si versé dans la connaissanct: de ces contrées et des
yagesdont elles sont l'objet, ont fourni à votre rapporteur
s éléments de celte partie du résumé.
La côte sud-csl de la Nouvelle-Guinée est longée, h
tonce, par une série de chaînes de montagnes et, en
particulier par les raonts Owen Stanley, situés au nord de
Port Moresby. Personne jusqu'ici n'était parvenu jusqu'à
CP massif, dont le soniniel principal paraissait dépasser
4,000 mètres.
Le 20 avril de cette année, Sir William Mac-Gregor,
ministrateur de la Nouvelle-Guinée britannique, quittait
Port Moresby à bord d'une embarcation construite pour
nariguer sur les cours d'eau. C'est, en effet, par le fleuve
Vanapa qu'il devait pénétrer à l'intérieur des terres; mais
l«s rapides et les rochers se multiplièrent à un tel point,
qa'il fut impossible de continuer à suivre cette voie. L'un
des membres de l'expédition s'étant rendu h Port Moresby
dans Le but d'y prendre ries approvisionnements, Texpédi-
lion se mettait en marche le 17 mai; la marche fut pénible,
car au bout de la première journée on n'avait gagné
EM'une dillérence de niveau de moins de 100 miitres.
fCe ne fut que sept jours aptes le départ qu'une éclaircie
dans la forêt permit d'apercevoir les raonts Owen Stanley,
Br lesquels se dirigea la petite colonne, en suivant la crête
■ un massif avancé, le nnont Musgrave. Pour la première
fois des relations s'établirent alors entre les voyageurs et les
indigènes dont les habitations s'élèvent jusqu'à 1,200 mètres
snr les flancs des montagnes: leurs chasses cependant les
conduisent jusqu'à 2,000 mètres.
C'est ayec M. Dedfordjl'un de ses compagnons européens,
deux Polynésiens et six Papouas, que sir W. Mac-Grcgor
abordait le massif même de l'Owen Stanley, défendu par
de gros contreforts. L'ascension du premier, le mont
«ilsford, haut de 3,000 mètres, fut rendue très ditflcile
une épaisse forêt de bambous qui recouvre presque
2i RAPPORT son LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
jusqu'au sommet les flancs de la montagne. Le second con-
Ireforl, le monl Douglas, atteint 3,000 mètres.
Le M juin, sir W. Mac-Gregor pouvait eiiflo gravir le pic
nord-ouest de l'ûwen-SUnley» Les arbres s'arrêtent à
3,300 mètres, c'est-à-dire à 500 mètres du point culminant.
Avant le lever du soleil, l'herbe y est couverte de gelée
blanche; on rencontre même de pelils stalactites de glace.
La dernière partie de l'ascension se Ut à grand'peine sur
des rochers, et le 12 juin voyait s'inscrire sur la carte du
monde un nouveau mont Victoria.
De cet observatoire, qui domine de 4,000 mètres le
niveau des mers. Sir W. Mac-Gregor put apercevoir, au
loin dans la brume, la côte nord de la Nouvelle-Guinée.
Faute de noms indigènes, les sommets de la chaîne furent
baptisés du nom des premiers explorateurs; la chaîne même
continuera d'ailleurs de s'appeler chaîne Owen Stanley,
du nom du commandant du Rattiesnake, qui explorait ces
côtes de 18it3 à 1850, ayant à bord comme aide chirurgien
le professeur Huxley.
La Nouvelle-Guiuée se termine du côté de l'est par une
pointe que semble prolonger un semis d'îles, d'îlots, de
récifs et d'écueils uu milieu desquels la navigation est péril-
leuse.
Il y a là des terres et des populations fort peu connues.
Dans toute cette région du globe, les cartes, encore bien
incomplètes, portent une quantité de noms français, no-
tamment ceux des archipels de la Louisiade et d'Enlrecas-
teaux.
LaLouisiade, découverte en 1606 par Torrès, fut revue de
nouveau en 1708 par Bougainville, qui, avec la Boudeuse ei
l'Étoile dont les équipages souffraient de la famine, longea
la partie sud de cet archipel, auquel il donna le nom de
Louisiade.
A la iiu du siècle dernier, d'Entrecasleaux, sur la Re-
cherche et i'Espèrance vil, du haut des hunes, la mer
ET 30B LES PROGRÈS BES SCIENCES GÉOGRAPH[QUES. 25
téferier sur les côtes inhospitalières de la Louisiade.
Mais son objectif, la recherche de Lapérouse, l'empêcha
de ''attarder dans ces parages. L'intrépide Fluault-Coutance
^ul, en 1804, le premier Français qui ait conduit un navire
travers le détroit de Torrès. L'Adèle qii'W commandait a
laiwé son nora à l'îlot extrême contre lequel viennent battre
grandes vagues du Pacifique,
Plus tard ces eanx furent vues par Dumonl d'Urville dont
lesvoyages sont trop connus pour qu'il en faille parler. Nous
retrouverons là une glorieuse famille d'ancêtres qui jouèrent
Qo rôle considérable dans les progrès de la géographie et
en l'honneur desquels vous pardonnerez à votre secrétaire
généra) cette courte digression historique.
Une exploration importante a été récemment exécutée
dans l'archipel d'Entrecasteaux et de ia Louisiade par
M. Basil Thomson.
Le protectorat britannique sur ia Nouvelle-Guinée ayant
été supprimé, la partie anglaise de celte terre devint, en
188>f, colonie de la couronne. Il était, dès lors, nécessaire
de connaître les parties excentriques du nouveau domaine,
d'en L'iudier les ressources, de faire comprendre aux indi-
gènes leurs devoirs envers la métropole. Tel a été le motif
da voyage de M. Basil Thomson qui, parlant de Port Mo-
resby, arrivait le A octobre 1888 devant l'île sud-est ou Ta-
guJa. Elle est dominée par le mont Ralllesnake aux versants
couverts de forêts dont la teinte sombre contraste avec la
che ■verdure des coteaux gazonnés qui descendent vers
mer. La population est très clairsemée car elle a été
détruite en partie par les incursions des insulaires cou-
peurs de tête de l'Ile Brooker.
L'île Rossel, deuxième escale de M. Basil Thomson, doit
quelque célébrité au naufrage du Saint-Paul. Les passagers
d« ce navire, des Chinois pour la plupart, se sauvèrent à la
e<He, où, à raison de trois chaque jour, ils furent dévorés
par les indigènes. Les habitants de l'île Rossel senablent
■26 HAPPORT SUn LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
■êJre le produit d'un croisement entre des Papouas el des
naturels des lies Salomoii. Ils ne portent pas de tatouages
€l récemment ils ont passé rie l'âge de la pierre à l'âge du
fer. Leurs demeures ont l'aspect d'emhaications renversées,
supportées par des piliers. Le nombre des armes et des os-
sements humains répandus dans les villages révèle des
babiludos belliquenses queue stimule pas le seul amour de
la gloire.
M. Thomson avait eu quelque peine, on le comprt^nd, à
trouver des guides el des porteurs; mais ses relations avec
les habitants ne I'erpos^rent, paraît-il, à iuicun danger.
Après l'île Russel et l'îlot Joannet dont l'unique centre de
population est un village situé au bord d'un marais, ce fui
le tour de l'île inexplorée de Saint-.'iijjman ou Misima; elle
est bordée, sur la eùle orientale, d'une sorte de muraille de
coraux à travers laquelle les torrents des parties hautes de
l'île se sont (aillé un passage. Les natifs de Saint-Aignan,
très nombreux, présentent le type du Papoua et celui du
Malais- bien que coupeurs de têtes ils sont gais, se mon-
trèrent bienveillants et très désireux de trafiquer; malbeu-
reusemenl ils sont dépourvus de tout article d'échange.
A l'île Normanby, la première de l'archipel d'Entrecas-
teaux, les indigènes, de véritables Papouas, sont également
actifs et industrieux. Ils établissent leurs cultures sur des
pentes fort raides dont les terres sont maintenues par des
palissade». Leurs villages sont remarquablement propres.
Tout à côté de l'Ile Normanby est lavasle île Fergusson,
signalée au loin par un sommet de 1,800 mètres, le mont
Kilkerran. Ici, plus encore que dans les îles précédentes, les
habitanls se montrèrent ardents à trafiquer; leurs allures
furent môme si familières, si indiscrèles, que le voyageur
anglais ne put séjourner longtemps au milieu d'eux.
Sur un autre poiul de l'île, au contraire, ils se monlrèreat
hostiles, et il fallut tirer un coup de fusil pour les tenir en
respect. Ailleurs eucore se produisit la même difûculté.
ET Sm LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 27
Good«nough fui la dernière des îl«s visitées par M. Thom-
son. Il y trouva une population dont l'allitude paciGque
în^sil contraste avec l'étal d'excitation des habitants de
l'ile Fergusson.
Cette navigation, donl il ne pouvait être donné ici qu'un
pAle aperçu, vaudra à la géographie aussi bien qu'à l'ethno-
graphie, une foule de renseignements du plus haut intérêt
sur des archipels peu visités, sur des populations dont
rélude détaillée est encore à faire.
La contribution des deux Amériques au progrès de la
géographie est généralement inférieure à celle des autres
terres, et celte année encore le rapport ne peut enregistrer
que quelque;: explorations dans les vastes champs d'inconnu
de cette partie du monde.
Le colonel Fontana, gouverneur du territoire argentin
du ChuLut, a exécuté, de 1886 à iSliS, des explorations
donl l'exposé général a été consigné dans le Boh'tin de
rinstituto geograflco argentino.
M. Fontana a déterminé, depuis les plus lointaines sources
dans le nord jusqu'à l'océan, le trajet du rio Chubul, ce
loog fleuve qui, né aux flancs des Ande.s, traverse en trois
inflexions la largeur du continent. M. Fcnlana a, de plus,
pénétré au cœur des Andes sur cinq points situés entre
41' et 46" de latitude méridionale.
Pendant sa dernière campagne, en 18!i8, il s'est attaché
surtout à l'étude des cours d'eau qui pourraient lar.iliter les
commurrications entre les régions andines de la République
Argentine et l'océan Pacifique.
Le Garren-Léoufou, rivière importante, qui sort d'un
joli lac situé par 44" iO' de latitude sud el li' 30' de longi-
tude ouest de Paris, court au nord pendunt une cinquan-
taine de kilomètres, jusque par 43° 40' de latitude sud ;
pais il incline au nord-ouest el pénètre dans la Cordil-
lère au nord du mont Yanieles, par 43° 3T de latitude sud
28 RAPPORT SUn LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
et 75° 7' 30" de longitude ouest de Paris. On ne sait pas
encore ce que devient alors le Carren-Léourou.
Les Indiens et la commission chilienne l'envoient à
l'océan Pacifique. Ce serait, dans cette hypothèse, le
rio Corcovado dont la carte de Fitzroy marque l'embou-
chure sur la côte du Chili, par 43° de latitude sud.
M, Fontana pense qu'il faut voir le rio Corcovado non
dans ce Carren-Léoufou dont le cours impétueux entraîne
des blocs de rochersj mais bien dans le Sla-Léoufou, rivière
beaucoup plus importante qui coule doucement sur un lit
de sable, entre des rives couvertes de magnifiques forêts de
hêtres et de pins.
Celte rivière est formée par la réunion de six cours d'eau
auxquels les Indiens n'ont pas donné de nom, si ce n'est au
plus volumineux, qu'ils appellent Uncaparia. Ce dernier
qui sort du petit lac de Rosario, finit par se jeter dans le
Sta-Léoufou donl il constitue te principal aniuent.
Le colonel Fontana a reconnu le cours du Sla-Léourou,
jusque par 43» 16' de latitude sud et 74° 47' de longitude
ouest de Paris, sans avoir rencontré de confluent. C'est
précisément dans le but d'éclaircir les doutes qu'il fit met-
tre à l'eau la chaloupe démontable dont il s'était muni, et
qu'il descendit le Sta-Léoufou au gré du courant. Parfois
une éclaircie de la forêt laisse entrevoir des clairières her-
beuses où paissent des taureaux el des vaches sauvages.
En arrière des forêts se dressent les pentes rie monta-
gnes aux cimes toujours couvertes de neige. Au bout du
deu.\iènje jour, la chaloupe arriva près d'un rapide qui
l'arrêta; mais, jusque-là du moins, la navigation est possi-
ble et abrège la dislance entre le territoire argentin et la
côle cbiiienne. Il est probable, du reste, que le cours ulté-
rieur de la rivière est semé de fortes chutes, car le point
extrême reconnu par le colonel Fontana se trouvant à
400 mètres au-dessus de l'Océan voisin, la pente ne pourrait
Être diminuée que si la rivière faisait d'immenses circuits.
ET SUR 1-ES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 29
A l'endroit où le no Uncaparia se jclte dans le Sta-
Léoufou, entre 43° 50' el 4-4' de latitude sud, fut fondée le
1" fétTier 1888, la Colonie du 16 Oclobre, en coramémo-
ration du iù oclobre 1884, date de la promulgation de
la Joi qui créa les gouvernements des territoires nalio-
naujt. Celle colonie, située sur les deux rives de l'Unca-
paria, se compose de lots de 25 kilomètres carrés chacun,
très bien disposés pour l'élève du bétail, en attendant que
des communications plus faciles permettent de cultiver
des céréales pour l'exportation.
M. Fontana s'est ainsi pleinement acquitté de la mission
qui lui avait été confiée de fonder sur le territoire du
Chubut une colonie pastorale dans les vallées des Andes,
de tracer le plan des villes de Rawson et de Gaiman et de
procéder à la division de 3,000 lieues de terrains. Lu géo-
graphie y aura sa part, puisque M. Fonlana a résumé sur
une carie les résultats de ses intéressantes explorations.
Un document d'une réelle importance pour la géographie
encore indécise du Chaco a été publié par tes Proceedings
de la Société de géographie de Londres. C'est la relation
d'un voyage accompli sur le rio Verraejo, dans la seconde
moitié de 1885, par le capitaine John Page, de la marine
argentine. Nous y trouvons une intéressante comparaison
entre le caractère du Pilcomayo et celui du Verméjo, des
voes générales sur la nature du sous-sol du Gbaco et l'ex-
plicalion des déplacements si capricieux, si imprévus da
cours de ces deux rivières. Le Vermejo, par exemple, a brus-
quement adopté en 1870 un lit situé i une quinzaine de
milles dans l'est de celui qu'il suivi^it primitivement. Les
richesses forestières qui bordent le Vermejo sont considé-
rables, soil comme quantité, soit comme variété et qualité
d'essences. D'après M. J. Page, la rivière est navigable;
loulefois les difficultés qu'il a éprouvées pendant son
voyage, les peines, les fatigues, les dangers que son équi-
30
RAPPORT
LES TRAVAUX DE LA SOCIETE
page a (iû siipporlcr, soil en reinontanl, soit en descen-
dant, semblent indiquer simplement que le Vermejo,
comme le Pilcomayo, n'est pas innavigable.
Quoi qu'il en soit, la géogrnphie devra de Irt reconnais-
sance à M. J. Page pour Jes indications si nettes et les
détails nouveaux qu'il lui a foornis au sujet de la partie
du Cbaco arrosée par le rio Vermejo, entre son confluent
dans le Paraguay et la colonie de Rivadavia.
L'une de nos séances de quinzaine a été consacrée ii la
communication de M. Coudreau sur les résultats de la
mission qu'il a remplie pour le Ministère de rinstniction
publique, aux monts Tumuc-Humae, dans l'extrême sud de
la Guyane française; il est opportun de dégager de ce docu-
ment certaines indications qui disparaissaient un peu sous
l'abondance des incidents et des accidents du voyage.
Le figuré des Turauc-Humac a été, jusqu'à la mission de
M- Coudreau, fort rudimentaire sur les caries; en effet, les
voyageurs précédents avaient abordé, sans y pénélrerj cette
chaîne au nom étrange et encore inexpliqué.
Le docteur Crevaux l'avait franchie, mais préoccupé sur-
tout des fleuves, il n'avait décrit que très sommairement les
montagnes.
Après un mois et demi de canotage pour remonter le
Maroni, M. Coudreau atteignait, à Apoiké, petit village des
ttoucouyennes, te pied des Titmiic-Humac occidentales. Il
avaU alors devant lui un ensemble long de 300 kilomètres,
du Maroni à rOyapoclt, large de iOO kilomètres, des tribu-
taires de l'Océan à ceux de l'Amazone. C'était là une terre
absolument inconnue, puisque personne avant lui n'avait
démêlé le réseau des vallées, déterminé les sommets, les
chaînons et les lignes de partage des eaux.
La première reconnaissance des Tumuc-Humac est au-
jourd'hui faite aussi complètement qu'il était possible de la
faire au cours d'un seul voyage. C'est d'abord la moitié
ET SCR LES PROCnÈS DBS SCIENCES CÉOCBAPHIQUES. 3t
uccideiitale des Tumuc-Ilumac qu'a explorée M. Coudreaa:
il commençait par la partie la plus ardue de sa lâche.
Entre les villages d'Apnïké, sur le haut Ilany, affluent de
"^9 du Maroni, et de Pililipou, sur les eaux naissantes du
i, M. Coudreau a sillonné le pays de longues e^■cur-
«ions. Un mois fut consacré à l'exploration de la contrée aux
rds (i'Apoïké, puis quatre mois furent employés à par-
urir la montagne qui entoure le village de Pililipou. L'une
de ces courses eut pour terme, au sud, le moQt,Mitaraca;uiie
deuxième conduisit M. Coudreau dans l'est, jusqu'au mont
.\inana; une troisième enfin, dans l'ouest, aboutit .iu mont
Pnlourouïmenepeu. Ces divers points circonscrivent une
région déserte; la TÏeindigène s'est concentrée sur les bords
des gr.iods cours d'eau. Ailleurs, pas de villages, pas de
sentiers; il fc»ut marclier en faisant perpétuellement brèche
dans la forôt, vivre de chasse et de pêche.
Deux tribus cannibales, les Eielianas et les Toussari qui
Taguent dans ces solitudes, inspiraient une indicible terreur
tui Roucuuyennes de l'escorte, hantés d'ailleurs, en pays
inconnu pour eux, de toutes sortes de terribles visions.
Les conditions telluriques, sinon climatériques, sont
ouuvaises. On vitsous une forCt humide de pluie et de rosée,
00 traverse des marais inondés ou détrompés. M. Coudreau
ré34»ta relativement bien aux influences de ce milieu redou-
Lihle; M. Laveau subit un assaut de fièvre des bois qui le
{»longea dans un état comateux dont il ne sortit qu'au bout
sept jours. Apatou lui-même, l'ancien compagnon noir
docteur Crevauîk, fut gravement atteint.
Trois canots construits sur place ramenèrent l'expédition,
parle Marouini et ses innombrables rapides, au Maroni non
moins accidenté, et de là à Gayenne, où tous, y compris
M. Coudreau tombé malade vers la fin dn voyage, rentraient
1 bout de Toices,
Cependant, en septembre 1888, l'infatigable explorateur
re|>renail la campagne et remontant l'Oyapock, il abor-
32
RAPPORT SUR LES THAVAPX DE LA SOCIÉTÉ
dail cette fois-ci le sj'stèrae orographique par sa seciion
orientale. Elle est d'un parcours un peu moins difficile que
la section occidentale ; M-Courireau y put relever 1,2M kilo-
mètres d'itinéraires, tandis qu'il n'en avait relevé que 200
dans lesTumuc-Humac de l'ouest. Cette fois-ci, en revanche,
une famine vint ajouter aux difficultés du voyage, en rendant
délicates les relations avec les indigènes et en obligeant
l'expédition à vivre d'une manière très chétive, très précaire.
A force de patience, de marches, de contremarches,
M. Coudreau réussit à atteindre l'un des points de son pré-
cédent itinéraire. Il avait donc, le premier, traversé les
Tumuc-Humac de l'ouest à l'est, du Maroni k l'Oyapock ;
« la circumpérégrination de la Guyane française par les
Tumuc-Humac était accomplie pour la première fois », dit
le voyageur dans un rapport au Ministre de l'Instruction
publique.
Ce voyage occupera une large place dans l'histoire, si
honorable pour les Français, des explorations de l'Amérique
du Sud. Il nous donnera, au sujet des Tumuc-Humac, des
notions déjà nettes, très fermes, qui ne sont, à la vérité,
pas de nature à tenter beaucoup les touristes. Les vues d'en-
semble en sont monotones. Dç sommets de peu de relief
liés entre eux par des croupes molles, on aperçoit au loin
un horizon de collines en masses bleuâtres, parfois em-
brumées pendant plusieurs jours.
Les points culminants ne s'élèvent guère i'i plu$ de
600 mètres. Du Mitaraca haut de 580 mètres, et du
Tayaouaou haut de 450 mètres, M. Coudreau a pu faire
des tours d'horizon et viser un certain nombre d'au 1res
sommets. L'ensemble de la chaîne est à peu près parallèle
à la côte. Il n'existe pas, à proprement parler, de chaîne de
séparation des eaux; les Tumuc-Humac se con]posent « de
chaînons brisés, jetés sur le plateau comme au hasard et
sans logique apparente. »
• La mission de M. Coudreau dans les Tumuc-Humac a pro-
I
\
ET SUn LES l'ROGUÈS DES SCIEXCES GÉOORAI'UJOUES. 33
duit des résultats géographiques, historiques, ethnogra-
phiques et linguistiques d'un véritable intérôt, sans parler
des collections rapportées par le missionnaire.
Elle aura valu à la géographie 4,000 kilomètres d'itinéraire
relevés à la boussole, à l'échelle de 1/100,000% dont 2,600 en
rivière et 1,400 dans la montagne. EUeaura donné un levé
complet de l'ensemble du Maroni, de l'Oyapock, du Ma-
rouini. Ce dernier cours d'eau aura été parcouru pour la
première fois, et le voyageur a constaté l'existence de
300 rapides. Il a, de plus, découvertles sources de l'Oyapoek,
auprès desquelles avait passé Crevaux.
Dans les Tumuc-Humac mêmes, M. Coudreau a relevé
150 sommets et fait connaître toute la région des têtes du
Maroni, du Gachipour, de l'Araguari et de grands affluents
du Yari. Quelques observations astronomiques ont été
Taites, niais le voyageur lui-même ne les présente point
comme suffisantes. Les distances parcourues sur terre ont
été mesurées au podomètre.
En résumé, il surfil d'étudier les seize feuilles de la carte
rapportée par M. Coudreau pour se rendre compte de la
réelle importance géographique de ses voyages. On peut
dire qu'il a révélé à la géographie toutes les Tumuc-Humac
au moins dans leurs traits généraux. C'est là une œuvre
dont l'intérêt n'échappera pas aux géographes.
M. Coudreau a recueilli, de plus, 2,000 observations
météorologiques prises de jour et de nuit, et des notes
importantes pour la connaissance du climat de cette
contrée.
Il a étudié aussi les populations de la haute Guyane, dont
il s'est efforcé de rechercher le passé. Il rapporte de volu-
mineux documents sur les Roucouyennes, les Oyampis et
d'autres tribus, dont il a pris de nombreuses mensurations
anlbropométriques.
Comme résultats linguistiques, il a réuni les éléments
d'une étude complète de deux importants dîâtecles, le tupi
soc. ut GiOGR. — 1" TRIMBSTIiK 1890. M. — 3
34 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
et le caraïbe, le dialecle des Oyampis eL le dialecte des
Roucouyennes.
Enfin, oiilre les données qu'il a réunies sur la faunp et la
flore de la région, il a rapporté onze caisses de collections
de tout genre destinées à nos musées.
Le côté pratique des questions qui intéressent notre
colonie rie ia Guyane n'a pas échappé h M. Cfudrcau; il
s'est appliqué à constater la valeur non seulement des
ressources du pays, mais encore des populations; il est
arrivé à conclure que la formation d'une race métissée de
blancs et d'Indiens donnerait à la Guyane un sérieux foyer
d'activité, de richesse et de développement.
Mais c'est là un point de vue qui concerne plus spécia-
lement les économistes.
« Quelque étrange que le fait puisse paraître pour une co-
loniesi vieille et située à dix-huit jours derAn^leterre,rinté-
rieurenestmoins connuque l'Afrique centrale ))Ainsis'ex-
prime M. J. Bellamy en parlant d'une partie du Honduras
anglais située entre le golfe de Honduras et la poinle de Be-
lize. M. J. Bellamy a fait partie d'une raissiim conduite par
le gouvenieur du Honduras anglais pour l'exploralion d'un
curieux massif de montagnes, les Cokscomb, situé h 35 ki-
lomètres environ de la côte. Supportés par une sorte de
socle monlHgneux dirigé de Testa l'ouest, se dressent, jux-
taposés sur uue vingtaine de kilomètres, plusieurs pics très
abruptes aux formes bizarres et dont le plus élevé, le mont
Victoria, a 1,128 mètres d'akitude. M. J. Bellamy en a fait la
périlleuse ascension.
Il constate que l'établissement d'une roule pour se
rendre de la côte aux monts Cokscomb doterait la cofonie
d'un sanatorium situé à trois jours seulement de Belize.
D'après une supposition que ta rapidité de la marche l'a
empêché de vérifier, l'or doit se rencontrer sur les ver-
sants méridionaux des Cokscomb. Le pays est d'ailleurs
ET SCR LES PROGRÈS DES SCIENCES CÉOGHAPHIQL'ES. 35
1res riche et mériterait d'attirer un courant d'éinigra-
4ion.
La. côte occidentale de la mer des Caraïbes est entaillée
par un golfe prol'ond et découpé, le golfe Chetuma], dont
les rives appartiennent eu partie au Honduras anglais, en
partie au Yucatao, ou pour être plus exact, à des Indiens
du Yucalan. M. W. Miller, attaché aux levés du Honduras
.Bjiglais, a visité le territoire de ces Indiens, situé au nord du
golfe Chetumal. Des restes épars indiquent que le pays dut
êlre Qori8âanl avant que les occupants d'origine espagnole
■en eussent été expulsés, il y a quelque cinquante ans, par
les Indiens; ceux-ci sont restés hoslites aux visiteurs blancs,
«l M. W. Miller a été l'un des premiers à s'avancer au milieu
d'eux jusqu'à Santa-Gruz, située à une soixante de kilo-
mètres de Carazal, localité du Honduras, sur le golfe Che-
turnaL
En territoire indien, le point de départ de M. W. Miller
fut Bacalar, ville morte dont les mes et les constructions
indiquent un brillant passé. L'église renferme un ossuaire
composé des restes des Mexicains qui vinrent y chercher un
refuge au moment où les Indiens, dans leur soulèvement,
massacrèrent les étrangers. Les indigènes n'habitent pas les
maisons abandonnées ; ils préfèrent vivre dans des huttes
construites par eux-mèraes.
Pendant la roule qu'il parcourut avec une escorte de
quatre soldats indiens, M. W. Miller a constaté un certain
nombre de corrections à apporter à la carte la plus complète
du Yucatan, celle de J. Hubbe cl Â.-A. Perez, revue par
C. H. Bereodt.
La roule de liacalar à Santa-Cruz, assez convenablement
entretenue, traverse des plaines sèches, rocailleuses, cou-
vertes d'une végétation de hautes broussailles. Six jours
furent nécessaires pour parvenir à Santa-Cruz, la capitale
du pays. Personnellement, le chef actuel des Ind iens, Auicelo
30 nAI>POilT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
Sul OU Dua Aot», réside à San-Pedro, à quelques milles au
>ud de Santa-Cruz.
Les Indiens vigiles par M. W. Miller sont généralement
pclitx el «le structure légère. Leur peau est d'un noirbrun;
uno chevelure épaisse, noire comme d u jaiset toute hérissée,
leur donne l'air d'être coilfé du traditionnel bonneLà poils des
grenadiers. Ils se vêtissent d'un pîintalon large, d'une che-
mise et d'un chapeau de paille. Les soldais ont deux bau-
driers croisés sur la poitrine, donll'un supporte la machete,
l'autre la cartouchière.
lis ne lisent ni n'écrivent, et leur religion, sans clergé,
est nu reste informe du christianisme introduit autre-
fois pur les Mexicains- Chaque village a son église pourvue
de dix ou douze croix. Dans le village de Tulum où
M. \V. Millrr no réussit pasàse faire conduire, est une croix
célèbre d'où Dieu lui-niérne adresse la parole aux hommes.
l.h liil uuiHHiicri! un ccclésiaslique du YucaLan qui s'était
riHcpié il venir évanfçéliser les populations de la côte.
Le» Indiens n'aiment pas lï être interrogés, et c'est à grand'-
pcine qnii ^L W. Millw obtint d'eux quelques reuseigne-
auMits sur la eoiitrée.
Au villuKO de Clnntculche, dans le sud de Santa-Cruz, vit
\l\\v <'olunie de bhuud, dvscoudanls de quelques Espagnols
é|wn>;iiés par les Indiens.
l'uur Irt (ieonrapluo ilos terifs circumpolaires, l'an der-
nier inscrivait U» vii)*^{vi e\tr.iordinairtf de .M. Nansen à tra-
verii tottio In iMi-^vur du Cu-oi>ubnd. L'énergique Norvégien
avtùl ou t|Utf lqu« »ort«i mmpu un charma ; il avait vu, coupé
d'un iliiuSirtiiisriuléricur do |« tcnt» mystérieuse à lapéné-
Irnliou d»» lnqutUe »VUuvjat «u vaiu ]k|>ptkqué$ deprécédeots
e.vpUtrttlt»ui-» el ukO) |hm v)«i moins eap«lri«s #• réossùr.
M, N«n>eu, dt"^ v»u nMiMUr «tt Eucoim»» a pré8««tiê «M
latiuu k>r(U-t«>ll« d« »i.4t ««y«|i»; «IW ii>^>atoqiie èm
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGHAPHIQUES. 37
communications faites depuis lors par le voyageur, à di-
verses Sociétés géographiques, n'augmentent pas sensible-
ment les informations relatives aux résultats de cette expé-
dition. Les notes et observations recueillies par M. Nansen
ont été livrées à des savants spéciaux qui n'ont point encore
fait connaître le résultat de leur examen.
M. Nansen n'avait pu constater, môme dans leurs grandes
lignes, les traits principaux du terrain que recouvre un
dôme de glaces.
Contrairement à l'opinion de quelques géologues qui
n'admettaient pas la formation de placiers sur toute la lar-
geur d'une contrée aussi vaste que le Groenland, on sait
aujourd'hui que ce continent, du moins dans sa partie
méridionale, est cuirassé de glace d'une mer ii l'autre, et il
faut se contenter de demander aux formes de l'enveloppe
des indications relatives à celles du terrain sous-jacent.
Sur les deux versants maritimes, la couche de glace qui
revêt le Groenland s'élève jusqu'à un plateau uniforme haut
de 2,700 h 3,000 mètres. Ce revêtement est-il le modelé
exact des lignes du sol groenlandais ? D'accord avec
le professeur A.-E, Nordenskjold, M. Nansen ne le pense
pas. Tous deux estiment que le sol peut être fort irrcgulier
et accidenté de montagnes dont les vallées sont remplies
d'une glace compacte soumise h la pression des couches
supérieures, sans cesse renouvelées en même temps que
nivelées par les agents atmosphériques.
Le lot spécial de cette année, pour les progrès de la
géographie des régions circumpolaires, est un voyage fruc-
tueux à l'archipel des Spitzbergen, accompli par un natura-
liste allemand, M. Kiikenltial, envoyé de la Société de géo-
graphie deBréme. Monté surla Berntine, il coniournàit, vers
Ifi milieu de mai l'île aux Ours (Biiren Kiland), et quelques
Joui'S plus tard il atteignait la baie Magdalena; les glaces de.
là côte rendaient impossible de gagner le détroit de Hinlo-
38 RAPPOnT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
pen par le nord; la Herntine se dirigea donc vers le sud,
doubla lapoiiileqiii (erniine l'île SpiLzberj,' et vint mouillera
la b;iie de Whule Point, Elle y demeura captive dans les
glaces pendant onzejours, consacrés par M. Kiikenlhal et son
adjoint M. Wailerà des excursions dans l'inlérieur du pays.
A peine libre, le navire assailli par une tempête vio-
lente, se réfugia sur l'un des nombreux îlots du Roi
Louis, semés à l"enti'ée de la baie Deevie, appelée parfois
Deicrow, profonde échancrure de l'île SLans Foreland ou
île Edge. Là, de nouveaux assauts donnés par des lames
énormes chargées de bloos de salace déterminèrent le nau-
frage dédnilif de !a Bevntiae. Les passa;jers purent se réfu-
gier sur un îlot entièrement couvert de ueige.
Un autre baleinier, Li Ci>cilic Malene, prit à son bord
M. Kukenlhal dont le voyage, si mal commencé, fut, dès ce
moment, particulièrement heureux. La côte sud-est du
Stans Foreland, les îles Ryk Ys, dans l'est de cette terre,
menèrent une première fois M. Kiikenthal à la côte orientale
de la Terre du floi Charles.
Revenant en arrière, il suivit la côte orientale de Stans
Foreland et de l'Ile Barents jusqu'aux îles Bastian, peuplées
d'ours blancs. La navigation suivante se (il au sud de la
terre nord-est^ dont la côte méridionale semble devoir être
reportée un peu au sud. T^ne deuxième fois, la Cecilie
Malene réussit à s'approcher, par le sud et le sud-est, de la
Terre du Roi Charles.
Lapasse de Ilinlopen fut ensuite parcourue jusqu'aux îles
For.ster, par 70° 31' de latitude nord. A son extrémité méri-
dionale la passe Hinlopen s'ouvre sur le large détroit Olga
dont M. Kukenthal fit plus particulièrement l'objet de ses
études; il pratiqua des sondages et put, en pénétrant pour
la troisième fois danslosparagesdelaTcrredu Roi Charles,
trouver au sud de cet archipel une profondeur maximum
de 266 mètres. La constatation d'un puissant courant
maritime qui sillonne du nord au sud le détroit d'Olga et
ET sua LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQCES. 39
de» observations sur les températures de l'eau furent les
résultats de celle p.trtie du voyage.
Les cartes ont, jusqu'ici, marqué à TesL du Stans Fore-
iand trois îles assez considérables : les Ryk Ys. M. Kiikin-
(hal les a réduites à trois îlots très petits, couverts d'une
▼égétalion chétive; en revanche, on y constate la présence
de rennes qui font des trajets considérables sur les glaces
prises.
La Terre de Barents n'est pas plus riche que les Ryk Ys
comme faune et comn^e flure. Le voyage de M. Kiikenthal
va obliger les gcogr.iphes à rnodilier le tracé de la cùte
orientale du Slans F(»reland; il a servi à constater, en effet,
que le glacier du Roi Jean s'étend au nord, au uord-ouest,
puis à l'ouest et l'ouest-sud-ouesl; il forme, en réalité, le re-
bord méridional d'une grande baie qui entaille la lene dans
une direction opposée à celle de la baieDeevieou Deicrow.
A la moitié d'août fui effecLuée une nouvelle navigation aux
abordsde laTerredu Roi Charles, pui& des masses déglace
compacte ayant commencé àal'lluer du nord et de l'est, la
lempéralure s'étant abaissée brusquement, d'épais brouil-
lards envahirent l'atmosphère et la Cecilie Malene prit ie
chemin du retour.
A plusieurs reprises vient d'être prononcé le nom de
Terre du Roi Charles. La pointe occidentale de cette terre,
le cap Suédois, avait été naguère aperçue pour la première
fois, d'une montagne située à fa pointe orientale de l'île
Spilzberg. Peu à peu les baleiniers, puis M. de Htuglin
vinrent ajouter de nouveaux éléments aux lignes du cap
Suédois, et la dernière ligure qui ail été donnée de cet
ensemble confus présente trois pointes^ dont l'une tournée
à l'ouest, les deux autres tournées à l'est. Plus tard, en
1884, s'ajoutèrent à cel ensemble, deux îles situées dans Test
d« la Terre du Roi Charles. A partir de maintenant il semble
que désormais ce nom doive ôlre changé en celui d'archipel
ou îles du Roi Charles. M. Kiikenthal, en eû'et, a pu s'ap-
^m
^^n
40 RAPPORT Sun LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
procher assez pour constater des parlicularilés qui l'ont
conduit à rempiacer la notion d'une terre unique par celle
de deux îles, vraisemblablement de Irois.
• Les observations faites à bord ont circonscrit d'un cadre
de méridiens et de parallèles les points extrêmes du nou-
veau groupe d'îles. D'après M. Kiikenthal, la pointe est de la
plus orientale des deux îles découvertes en 1881 ne serait
que l'extrémité sur laquelle, en \S~^, avait débarqué le ca-
pitaine Johnson. En réalité, l'étendue du groupe du Roi-
Charles devrait être diminuée de huit degrés rie longitude
dans la direction de l'est-nord-est. MM. Kiikenthal ptWaI ter
ont rapporté des collections et des données intéressantes
pour l'histoire naturelle, mais certainement aussi, au point
de vue géographique, leur voyage prendra honorablement
place dans l'histoire de la géographie circumpolaire.
Plus d'une fois, les rapports de vos secrétaires généraux
vous ont exposé les tentatives faites pour s'élever aux plus
hautes latitudes du globe, pour tenter l'accès du pôleNord.
Mais un dénouement sinistre avait rais fin, en 1881, à l'en-
treprise de ]AJfannelte.
Le capitaine de Long et les restes de son équipage dé-
cimé étaient venus mourir de froid, de fatigue et d'épuise-
ment sur le delta de la Lena, où ta temp5te avait jeté les
embarcations de leur navire broyé par les glaces, au nord
de la Nouvelle-Sibérie.
L'émotion causée par le drame de la Jeanvpttp était à
peine calmée, quand les derniers survivants de l'expédition
scientifique des États-Unis, envoyée à la baie Lady Franklin
sons les ordres du lieutenant Greely, furent recueillis
en 1884, sur les rivages de la terre Ellesmere, au moment
où commençait leur agonie.
Ces deux événements avaient éteint momentanément le
zèle pour les expéditions au pôle. Les savants avaient alors
sincèrement pensé, avec l'opinion publique, que les connais-
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 41
sances acquises au prix du tant de souiïrances, de tant
de vies étaient trop chèrement achetées. Le temps un pas-
sant sur ces scrupules les a notablement alTaibli»:, et Tan
dernier a vu naître en Australie et dans la Républiquo Ar-
gentine des projets d'exploration au.v abords du pôle
austral; elles n'ont pas rencontré, il est vrai, les dispositioas
et le concours qui leur auraient été indispensables.
Aujourd'hui M. Nansen, soutenu par le généreux M. 0.
Dickson, songerait, dit-on, à prendre la routedup<MeNord.
Elle a des attractions sigulièrement puissantes, cette région
qui se défend avec tant de brutale énergie contre les attaques
les mieux préparées; elle est cepeodant, par elle-même,
absolument répulsive; la nature y dort sous un suaire éternel
de brumes, de neige et de glace; parfois brusquement dé-
chiré, il laisse entrevoir des eaux sombres, à l'aspect hui-
leux et sinistre; le soleil effleure de pâles rayons les iminen-
■sités mornes de la banquise; l'ours blanc, le phoque, le
morse et quelques rares oiseaux fuyant vers de moins rudes
climats, animent seuls ce monde dont le silence n'est inter-
rompu que par les hurlements de la tempête ou les détona-
tions desglaces qui se fendent, se choquent ets'écrasen t. Dans
les nuits sans lin, l'aurore magnétique, cependant, vient de
tempsàaulre illuminer le paysage en inondant de ses lueurs
d'apothéose l'édifice colossal, bizarre et mobile de l'iceberg.
Tout suggère la pensée d'une autre planète où l'homme
ne saurait vivre; l'homme pourtant ne cesse d'y aspirer,
sollicité par la curiosité ardente, par les séductions de
l'inconnu, par le charme irrésistible du mystère.
La volonté humaine, avec son ingénieuse ténacité, son
■ardeur obstinée à ro(retisive,aura le dessus dans cet assaut
contrôles dernières elles plus redoutables forteresses de
l'inconnu géographique : les pùles. Ceux d'entre nous qui
commencent la vie assisteront peut-être à ce triomphe.
La part de l'Asie, sans être tout à fait aussi abondante
■42 nAPPonT sur les travaux de la socrÉTÉ
celle année que l'an dernier, n'en comple pas moins quel-
ques voyages fructueux. Comme d'habitude, nous consta-
terons que les Russes et les Anglais lu tient d'audaoe, de
vitesse et de vigueur, chacun voul.int être le premier à
explorer les grandes vallées, fi étudier les passes, à se
faire connaître el accepter par les populations de l'Asie
centrale. C'est toujours nus iiljords de l'Afghanistîm el du
Turkestan orienlal, dans cette l'égion où se rejoignent de
puissantes monla{;nes et les frontières de puissants em-
pires, que les voyageurs russes et anglais portent leur
enquête el s'efforcent de se devancer.
Dirigeons-nous vers l'Asie centrale en mentionnant d'abord
les récentes explorations dans les parties du continent les
plus voisines de notre Europe.
Un voyageur français, M. A. Dellers, bien préparé à la
tâche toujours difficile de visiter l'Arabie, a public réeem-
mentles résultats du voyage qu'il accomplissait en 1887 dans
IcYemen, l'ancienne Arabie Heureuse.
M. A. Dellers étant botaniste, c'est à la botanique qu'est
plus spécialement consacré son ouvrage: Voyage au Yemeni
joufrial tVune excursion botanique dans les montagnes de
FArabie Heureuse. Toutefois, la géographie trouve d'excel-
lents éléments dans l'œuvre de M. Dcflers, à laquelle mal-
heureusement fait défaut la carie établie p.irie voyageur.
L'itinéraire dn voyage part de Hodeidah pour s'élever
jusqu'à Çan'à par la route habiluelle. Autour de Çan'â,
M. A. Dellers a fait, à l'est, une excursion en terrain neuf,
au Djebel Nougonm; il a visité, au nord et à Touest, après
l'Anglais Miiliniren, les localités de Hamdân el Kaoukabàn.
Enlre Çan'â et Ta'ez il s'est écarté de la route suivie par
Niebuhr, pour loucher, dans l'ouest, le village de Maber,
ce qui prête de la nouveauté et par conséquent un surcroît
d'intérûl à ses observations sur un tiers environ du trajet
entre ces deux villes. Sa longue excursion à l'cstde Ta'ez par-
BT SUR LES PnOGnÈS DES SCIENCES GÉOGRAPIIIQCES.
court un terrain inexploré, et ses observations sur les pentes
du Djel>el Saber ajoutent quelque chose à celles de Botta
qui avait atteint le sommet de ce massif. De Ta'ez h Beït-el-
Fagih noire voyageur a repris l'ilinéraire de Niebuhr; mais
plus loin, de Beïl-el-Fiigîh à Hodeïilah, en passant par
Derheïnn, le terrain n'avait pas été levé.
M. Detlers a fait neuf tours d'iiorizon, ainsi que des ob-
servations suivies dti biiromèlre et du thermomètre; il
donne les cotes d'altitude oblenues par ses observations
doDl il a publié les éléments, ce qui permet de contrôler la
valt^ur de!!.on travflil. On n'a pas eu les mômes g.iran lies pour
les altitudes publiées par MM. Manzoni, Glaser et le colo-
nel Haig. Les résultais déduits des observations de M. Deflers
donnent des chiffres inférieurs à ceux de M. E. Glaser et
de M. R. Manzoni.
Avec le relief du sol M. Deflers précise les caractères de
la flore du Yemen dans un catalogue raisonné de 502 plan-
tes indigènes et de 91 plantes cultivées qu'il a récoltées ou
otïservées. Le Yemen possède beaucoup d'espèces végétales
qaî lui sont propres ou du moins qui n'avaient pas encore
élé trouvées ailleurs, et les espèces nouvelles sont nom-
breuses dans l'herbier rapporté par le voyageur français.
Une partie assez nolabJe de ia tlore de l'Arabie Heureuse
présente des analogies avec la flore de l*Elhiopie, la voisine
africaine du Yemen ; mais, ce qui paraîtra plus étrange, elle
a quelques points de contact botaniques avec les flores dtt
Sah<ara central et des îles Canaries.
M. E. Glaser, un voyageur allemand déjà connu par de
fructueuses explorations accomplies dans la péninsule ara-
bique en 1883, 1884, 1885 et 188G, a parcouru en 1888 le
chemin d'.\deu à Çan'à et visité l'ancienne Saba, Marib,
autour de laquelle il a fait une moisson admirable par la
quantité, comme par la valeur, d'inscriptions relatives à la
plus ancienne histoire des peuples d'Arabie, sans compter
44 RAPPORT STjn LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
les inforniiilioDs géographiques et ethnographiques recueil-
lies au cours de ce voyage elfectué dans des conditions ex-
trêmement périlleuses.
M. E. Glaser se faisait passer pour un musulman homme
de science, mû parl'inlenliond'aller reconstruire le fameux
réservoir dont la rupture fut la ruine de Marib.
Avec l'aide du gouverneur turc du Yemen, qui paraît
n'avoir pas ignoré la véritable qualité du voyageur, M. Glaser
a gagné sans diftlcullé Marib et à force de patience, de sang-
froid et d'audace, il a réussi à. copier, soit dans la ville, soit
dans des localités avoisinantes, la plus riche collection de
textes épigraphiques qui ait eacore été mise à la disposi-
tion des éludes sahéennes, La lecture de ces inscriptions
amènera, parail-il, une transformation dans l'histoire de
l'Arabie, dont elle reculera les limites bien au delà des temps
reconnus jusqu'à ce jour.
Les éléments géographiques dus à ce voyage perraellroat
à M. Glaser de dresser une carte à grande échelle du pays
qu'il a visité. Ce précieux document que les géographes
attendent avec impatience paraîtra dans un volume qui, sous
le titre de Saba, donnera les résultats du dernier voyage de
M. Glaser.
Depuis quelques années le gouvernement prussien a fait
entreprendre dans l'Asie Mineure des recherches dont l'ar-
chéologie et la géographie historique ont largement profité.
C'est ainsi qu'après les fouilles de Troie et d'Assur ont été
e.Tcécutées, de 1881- à 1885, cellfis de l'ergame dirigées par
M. M. Schuchardt et Humann, puis en 188G celles d'.^egse,
l'antique colonie étéenne, aujourd'hui Namroud-Kaleh.
Plus tard viendront l'cnquôte sur les ruines de Sardes, puis
l'étude des monts Tmolus et la recherche des restes de
Tmolus, cité enterrée par un tremblement de leire dans
les premières années de l'ère chrétienne.
Pour le présent voici un beau travail accompli sous les
M
ET SUn tES PROOnÈS DES SCIENCES OÉOCIUPHIQUES. 45
auspices de l'Académie des Sciences de Berlin, par le ca-
pitaine d'élal-nîajor W. von Diest, avec la collaboration du
Ueulenant Olfried de Karolath-Schùinatch.
Il consiste en une étude archéologique et lopographiquc
de la région dont Petgamos fut ta capitale, c'esl-à-dire
du territoire que baignent le Bakyr-ïschaï et l'IIermos,
CeUe élude s'est continuée, à travers la Phrygie et la Bithy-
Die, par un itinéraire jusqu'à Ainasia, l'ancienne Amasais,
>Qx rives de lu mer Noire. Sur la roule parcourue s'élève le
Dindymus, le Mourad-Dagh des Turcs, massif dont te point
culminaiiL se dresse à l'altitude de !2,500 mètres et dont
les eaux s'écoulent sur plusieurs points de l'horiKon.
L'étude do M. W. von Diest, consignée dans un supplé-
ment des Mitteiiiingi'n de Golba, n'est pas de celles qu'on
peut analyser, tant elle renferme d'éléments; mais il im-
porte de faire ressortir que, précieuse pour la géographie
ancienne, elle ne l'est pas moins pour la géographie physi-
que d'une contrée à laquellel'avenir réserve sans nul doute
une brillante résurrection.
Le Karoun, qui se jette au fond du golfe Persique, à l'est
des cours réunis de l'Euphrate et du Tigre, est l'unique fleuve
de la Perse qui soit navigable sur un parcours assez consi-
dérable. 11 a pris, en ces derniers temps, une importance
exceptionnelle par le fait que le shah de Perse a permis au
commerce étranger de pénétrer par cette voie dans ses Etals.
La \allce du Karounaété visitée, en 1888, parleD'Hodler,
chargé d'une mission géologique en Perse. De Sultanabad,
il traversa les districts de Djapelak et de Serabend, et at-
teignit le Chuturun Kuh, haut de 3,.^00 métrés, d'ott la vue
s'étend sur toute la parlie montagneuse du Lauristan. La
défection de ses guides l'ayant empoché de poursuivre sa
Dvarche au nord, il dut se rabattre sur Ispahan. Puis, sui-
vant les pentes orientales du Zehnde Kuh, il put franchir la
ligne de faite entre le bassin du Karoun et celui de Zaiende
46 HAPPORÏ SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
Kuii, el remontant sa branche supérieure il atteignit
Mahal d'où l'expédition regagna le Feridan et l'Irak. Ce
voyageur a conDrmé en tous points les descriptions l'our-
nies par M. LolLus.
Par les communications toujours nettes et pleines d'inlé-
Têlde t'unde nos collègues les plus éminents, M. Vtnioukof,
■qui fut lui-même un grand voyageur dans l'Asie centrale,
•la Société est tenue infornaée deraclivité des t'xploraleuis
russes. Nous avons su ainsi que le colonei Picvlzuir, déjà
connu par des travaux géogiaphiques en Mongolie, avait
hérité de la lourde maia honorable tâche de continuer les
explorations entreprises par le regretté Prjévalski; que
M. Scassy, compagnon de vûyaj;e de M. Potanine, a exécuté
des levés lopographiques et des observations astrono-
miques dans ies parties de l'empire chinois vois^ines des
sources du fleuve Jaune, du Koukou-Nor, des monts Khan-
ghaï; queMM.Koulberget Gedeonof avaient respectivement
exécuté des observations magnétiques et des observations
astronomiques sur les frontières de l'Afghanistan ; que
M. Iloudnef a levé de grandes étendues de terrains dans
la partie orientale du Bonkhara ; que M. Alexandrow a
également levé une partie de la région du TbianSlian;
que le capitaine lloburowski, attaché à la mission du
colonel Pievtzoïr, rapporte de précieux documents topo-
graphiques sur le pays entre l'issik Koul et Yarkand;
que M. Bogdanovitch, en rejoignant la mission Pievizofl",
avait parcouru tes montagnes qui séparent les plaines du
Turkeslan chinois des hauts platoaux du Pamir; que
M. Yadrintzof a parcouru, étudié au point de vue arcliéo-
logique, le nord de la Mongolie- La Société espère que les
relations de ces divers voyages viendront enrichir sa biblio-
thèque el apporteront aux travailleurs qui lu fréquentent de
nouveaux éléments pour la connaissance de l'Asie cen-
■trale.
i
ET SUn LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 47
Le Pamir, forteresse de Titans, est défendu de tcus côtés
par des bastions énormes, entassement de montagnes que
sillonnent des fossés profonds, lits d'impétueux cours
deau. L'accès de la place n'est possible que par des cols
perdus dans les nues. Depuis quelques années, cependant,
on sait que les explorateurs ont réussi à prendre possession
4e cette région si bien défendue.
La géographie disposera prochainement des résultats du
Tùyage accompli par le capitaine Grombchevski, de l'armée
russe, dans les massifs enchevôlrés qui bordent 5 l'est le
Toit du monde, l'âpre Pamir.
Ce voyage a en comme terme extrême au sud les vallées
du Kandjouteet du Raskem encaissées dans les contreforts
du Moustaj^h et de cette chaîne de Karakorum dont les
versants méridionaux regardent la vallée de l'Indus, les
possessions britanniques. Le voyageur russe a atteint, à
peu de dislance près, le terrain parcouru en 1887 par le
voyageur anglais Younghusband.
Le voyage de M. Grombchevski nous avait été signalé
comnae fort impnilant par nos collègues MkM. Venioitkof et
Capus. Nous savons aujourd'hui qu'il rapporte à !a science,
outre des collections variées, le levé d'un itinéraire de
1,500 kilomètres, des délGrininationsde latitude au nombre
de 44, les cotes d'altitude de iîJS points judicieusement
choisis, des observations raétéorologiqui's faites trois fois
par jour pendant tout le voyage qui a duré quatre mois.
En 1888, le célèbre explorateur russe Prjévalski mourait
à Karakul, au sud-est du lac Issik-Koul. De celle localité,
désormais appelée Prjévalsk, parlait le J3 mai 188'J le co-
lonel PievtzofT, chargé de continuer l'œuvre de l'éminenl
général Prjévulski. M. Pievlzotl" n'est pas un nouveau venu
daoâ l'Asie centrale; il a déjà exploré la Dzoungarie en 1876,
la Mongolie et pendant les deux années suivantes, les pro-
tiuce^ seplentrionalcs de la Chine. 11 a pris part aussi, en
48 RAPPOllT Sun LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
488:2-1883, à la délimitalion de la frontière russo-chinoise
du côté de Semipalatinsk. Il parle le chinois, et le général
l'rjévalski eut souvent recours aux conseils du chef actuel
de la mission.
Outre le colonel Pievtzoff, l'expédilion comprend trois
comiJii gnons du général Prjévalski (MM. lloborovski, lîozlov
et liogdanovilch), deux interprètes, un préparateur d'his-
toire naturelle et une escorte de douze hommes. L'explora-
tion qui durera deux ans, sera limitée à la partie nord-ouest
du Tihel, jusqu'au 33* degré de latitude nord.
Des rapports sommaires adressés par le lieutenant Rûbo-
rovski ont permis de suivre les premiers travaux de l'expé-
dition depuis son départ de Prjévalsk, jusqu'au 30 octobre
de l'année dernière; à celle date, les voyageurs étaient arri-
vés à Nia, localité située à l'entrée nord-ouest du Tibet et
à l'est du Kholan; c'est à Nia qu'ils devaient passer l'hiver.
Dans celte première partie de son trajet, la mission a tra-
versé uu espace d'environ GÛO kilomètres, à vol d'oiseau;
elle a exploré en partie les monts Terskey-taou, le Sirtj
haut plateau de plus de 3,000 mètres d'aitilude et d'une
étendue considérable de l'est à l'ouest; elle a pu étudier
aussi, en partie, divers cours d'eau, notamment la Touch-
kan-Daria au nord, la Yarkend-Daria au sud; les voyageurs
ont longé celte dernière rivière jusqu'à la ville de Yarkend.
Les bal les forcément prolongées à travers un pays inconnu
et par une température très élevée ont toujours été em-
ployées en excursions dans les alentours,
j Une des plus importantes de cesexcui-sionsa été faiteen
Kachgarie par M. Bogdanovilch, géologue de l'expédition.
Le but en était l'étude orographique de la partie occiden-
tale du Kuen-Lun. La caractéristique de ces montagnes est
la forme demi-circulaire des chaînes dont la direction, du
moins pour la région explorée, est, dans la partie orientale,
nord-ouest-sud-est. Ce double caractère de l'orographie se
retrouve aussi dans l'extrême division des chaînes séparées.
KT SOH LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGKAPIIIQCES. 49
On ne peut pas toujours évaluer l'élendue des chaînes, car
les montagnes présentent en divers endroits, comme celles
qoi s'élèvenl à l'est de Tiikht:i-koroum, des groupes de
pics et de sommets entre lesquels il est impossible de sai-
sir un lien orographique. C'est peiil-êlre une des raisons
pour lesquelles les massiTs ne portent pas de noms spéciaux
chez les indigènes. Ceux-ci les désignent d'après les noms
•les rivières ou des localités les plus voisines.
A l'est du Takbta-koroum, les vallées sont transversales
' se resserrent en étroits défilés. L'œil n'aperçoit que des
jiics dominant des groupes de snmmets neigeux; k neige
couvre rarement une chaîne loule entière. A l'ouest pour-
tant, avec le changement de direction en norfl-ouest-sud-
esl, l'aspftct général des montagnes change aussi. Les rivières
Tcboup et Kouliiiagal coulent à travers des vallées longitu-
dinales dominées par les chuines neigeuses de Kouloum-
bagla, TakhtH-koroura et Kokelan. C'est le Takhla-koroum
i\m Tornie le partage d'eau entre les bassins de la Ti^nab et
des affluents de la Yarkend-Daria, Au sud-est de ces mon-
laffiies, les chaînes détachées dispaiats^eat entièrement.
Ja&qu'à Yanghi-Davan la région affecte la forme d'un massif
neigeux élevé; il alimenlii les sources de la Tiiriab et les
affluents droitsde la Yarkend. La haute chaîne d'Arpavache-
i.eul être considérée comme le prolongement du soulè-
-lit du Kuen-Luen occidental. C'est à. travers cette
branche, par le col de Kilian, que passe la grande route de
l'Inde.
Dans une exploration dont l'itinéraire se confond parfois
avec celui du capitaine Grombchevski, M. Groum-Grshî-
.."îi» avait visité en 18K1 le lac Harig-Koul, avait franchi
: a.sh-Kouigan et continué sa roule le long du cours
supérieur du Yarkend-Daria, à travers le Moùslagh et les
lifiailions du Karakarum. Puis, par le col de Benkou il
*Uil revenu dans la vallée de l'Aksou. Obligé de renoncer
' soc. Df. GÉOGU, — 1" TBIMESTIIE 1890. ï(. — 4
50 UAri'OUT SDR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
à son projet de visiler le Wakhan, il avait pris, pour revenir
au nord, la route la plus directe.
Les lev6s lopogiap]iiques qu'il a exécutés couvrent une
irès grande étendue de pajs el seront, combinés avec ceux
de M- Grombchevski, d'un précieux secours pour la carto-
graphie de l'Asie centrale. Plusieurs chiffres d'altitude indi-
qués précédeniment ont pu ûlre reclifié.s, une vingtaine de
nouvelles déterminations sont venues s'ajouter aux données
antérieures. M. Groum-Grshimailo a découvert, en outre,
des glaciers à l'origine de l.i rivièreTagarma, el fi\é les prin-
cipaux traits de la partie occidentale de la chaîne du Kara-
korum.
Presque à la veille de ta lecture de ce rapport, la Société
a été informée du succès d'un important voyage accompli
par l'un de nos collègues, M. Dauvergne, un intrépide chas-
seur qui réside au Kashmir.
11 ne s'agissait de rien moins, dans le projet réalisé par
M. Dauvergne, que d'une sorte de périple embrassant les
frontières vaguement déterminées de l'Inde etdesTuikestan
chinois et afghan. M. Dauvergne sait que la vie d'un homme
compte pour fort peu parmi les peuples sauvages réfugiés
ou refoulés dans le massif colossal qui, bordé par les Hima-
laya et les Tsoung-Ling, s'appuie sur riIinilou-Koush, et dont
les immenses glaciers sëpareuL les aflluents septeulrionaux
de rindus, des sources de la rivière Yarkend et de celles de
rOxus.
Du Kashmir il se rend au Ladiik, d'où il marche droit vers
le nord, franchit le col de Karakoroum, traverse les sources
de la rivière de Yarkend et s'avauce dans le Turkestan chi-
nois jusqu'à Kilian ; lu, tourtiant brusquement à l'ouest, il
suit une ligne de marche tout à fait nouvelle sur le ver-
saiU nord des Tsoung-ling. A partir de Kilian, il n'a pas ■
franchi moins de douze cols d'une hauteur de 3,GÛ0
à 4,500 mètres avant d'atteindre la rivière Zerafchan,
ET son LES PROGBÉS DES SCIENCES GÉOGRAPUIQCES. 51
qu'il Imversa et remonta jusqu'à son coufluenl avec la
TouDg.
En parfaite connaissance de cause, M. Dauvergne recLifie
l'hypothèse qui faisait de celle rivière un al'iluerit du Tash
Kourgan ; il en a remonté la vallée jusipi'au pied du Kotli-
Eandar. Profondément encaissée entre les ûancs à pic des
monts Arpalalik et Kandar, la vallée delà Toung est dou-
blement remarquable et par son climat et par sa popu-
lation. La neige y est inconnue en hiver ut le climat y
permet les culUnes et les fruits des pays Lempérés. Mais qui
se serait attendu à rencontrer ici des purs Aryens? Très
blancs de peau, blonds, aux yeux bleus, d'une haute taille,
arec une belle et intelligente physionomie, les habitatils de
la •vallée de la Toung réalisent, écrit M. Dauvergne, un type
qui nous ferait honneur en Fratice.
Du col de KoUi-Kandar (5,030 mètres) M. Dauvergne
descendit chez les Sarikoli que surveille le fort de Tash-
Kourgan.
NoD moins nouveau que le précédent est l'itinéraire de
M. Dauvergne dans les Tagh-Uoumbach, entre Tasli-Kouigan
cl ia source de l'Oxus, par la rivière Karachmakar et le
campement de Kuklhrup, au pied des cols de Min-Teke et
Kilik, hauts de 4,250 mèlres.
Malgré la neige et un froid intense (on était le "le sep-
tembre et l'équinoxe se fait rudement sentir diins ces
régions), M. Dauvergne franchit le nœud des Tsoung-ling et
de l'Hindou-Koush par le col de Wakjdé, au sommet duquel
et à l'altitude de 4,725 mèties est un petit lac sans is.suc
dont les eaux doiveni, par iiilillration, former la rivière de
Korachimkar. Sur le versant sud-ouest s'étendent trois
énormes glaciers donnant naissance à une rivière que
M. Dauvergne suivit pendant environ cent kiïomèlres vers
l'ouest etquiy d'après lui, serait la principale source de la
rivière de Kila-pandja ou de Wakan à laquelle il restitue le
Qooi d'Oxus, comme étant beaucoup plus importante que
52 EAPPOHT Sun LES TBATArX DE LA SOCIÉTÉ
le Mourgab ou Aksou reconnu parlai lors de son précédent
voyage.
Ayant vainement attendu pendant cinq jours une réponse
à une demande faite par lui au gouyernemenl afgan de Kila-
panja, pour être autorisé à traverser t'Hindoii-Koush par
le col rie Daroghîl, il Torça le blocus le sixième jour; mais,
cerlain d'ôlre poursuivi sur la roule de Baroghil el de Mas-
toudj, il prit au sud-est la route d'ishkanian [jar le col, le
lac, les glaciers et la vallée de Karambar, pour aboutir à la
rivière de Gilgil.
Il cul bienlût devant lui une colossale muraille blanche,
haute de 6,000 à 7,000 mètres, l'Hindou-Koush dans le-
quel, malgré sou expérience, le guide égara fa caravane au
milieu des champs déneige où les chevaux enfonçaient jus-
qu'au ventre. Après deux jours d'une marche à laquelle
une tourmente de neige, un vent de tempête et un froid
sibérien opposèrent de terribles difficultés, il fîillui camper
près d'un glacier qui barr.iil la route. C'était là une dure
nécessité, mais du moins M. Dauvergne était-il hors de
l'atteinte des Afghans.
Le jour suivant commença la recherche d'un passage,
pour la caravane et les chevaux, à travers le glacier formé
d'une succfibsiou de pyramides de glaces rouvertes et reliées
par des amas de neige. Au loin le voyageur crut apercevoir
des habitations, mais, à la (in de la journée, il reconnut
qu'il était en présence d'un énorme rocher. Par bonheur,
non loin de là un bois de sapin abrita tant bien que mal
M. Dauvergne pour la nuit.
Le lendemain au soir il était rejoint par le reste de
l'escorte qui, laissé en arrière, avait dû faire des prodiges
d'énergie pour transporter bagages el chevaux à travers les
glaciers.
Enfin, après trois journées de marche également labo-
rieuses sur un terrain composé de rtjches arrondies et de
galets recouverts de neige, la caravane contournant un ciu-
ET son LES PROGRÈS DES SCIENCES GÊOGHAPHIQCES 53
quième glacier, arrivait sur le petit plateau de Boklit. On y
revoyait des troupeaux, deus petites huiles en pierres et
quelques champs cnltivés par deux familles de Chilralr.
C'était le retour à la civilisation, au bien-être, après un
vorage extraorrJinairement rude dont la réussite fait grand
honneur à noire compatriote et collègue.
La connaissance complète du voyage de M. Dauvergne
apportera à la géographie de l'Asie centrale un sérieux con-
tingent de faits nouveaux et utiles pour la géographie de
contrées tourmentées, difficiles à étudier, mais d'un grand
intérêt.
Me quittons pas le centre de l'Asie sans nous rappeler
que trois explorateurs français en visitent, à l'heure qu'il
est, dps régions d'un parcours pénible, dangereux même.
Aux premiers jours de cette année partait pour la Chine
M. Joseph Martin, avec le projet de se diriger de Pékin sur
Lan-Tchéou, à travers les plateaux encore peu connus du
Dord de la Chine. De Lan-Tchéou, il mjtrcherait diins la
direction du Koukou-Nor, puis prendrait la direction du
sud-ouest, avec l'intenlion de pénétrer au cœur du Tibet,
peut-être avec l'arrière-pensée de parvenir à L'Hassa. Le
proverbe de la coupe et des lèvres vient ici à la pensée de
tous ceux qui connaissent les obstacles dont est semée la
réalisation d'un tel projet. Mais M. Joseph Martin est doué
d'une rare énergie; aussi tenace que modeste, il sait
voyager dans les conditions îes moins favorables, et ce qu'il
a fait nous permet de bien augurer de ce qu'il fera.
Vers le Tibet également s'avance M. Bonvalot, en com-
pagnie du prince Henri d'Orléans. Aux dernières nouvelles,
ils avaient gagné Kourlaï; ils doivent maintenant avoir dé-
jjassé la région du Lop Nor et s'être engagés dans les séries
de montagnes d'où descendent les deux grands fleuves cbi-
■ois. Ils se proposaient de regagner la presqu'île iudo-
cbiaoise en suivant l'un des couloirs encaissés qui donnent
54
nAPPOnT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIETE
issue à la Saîouen, au Mékong et au Yang Tsé Kiang.
La Société de Géographie voudra envoyer d'ici aux trois
voyageurs l'expression de ses vœux de réussite et de ses
syrapalhies les plus cordiales.
Une letitalive relativement heureuse pour aborder le
Tibet a été faite, en 1888-1889, par M. Woodwiil Uockhill,
ancien premier secrétaire de la légaliou des États-Unis à
Pékin. Sa connaissance des langues chinoise et tibétaine
n'a pas peu contribué à rendre possible ce voyage. L'iti-
néraire de M. W. Rockhill a Pékin pour point de départ;
traverse le Shansi et le Shensi, gagne le Koukou-Nor, con-
tourné les rives septentrionales de ce lac, visite la Tsaïdara
et redescend sur le sud-sud-est pour gagner la Chine en
traversant, sur territoire tibétain, les hantes l'égions sil-
lonnées par les longs fleuves de la Chine et de l'Indo-
Chine. Il a dû parcourir avec beaucoup de rapidité et en se
dissimulant, cette dernière partie de sa route, car si la
population n'est généralement pas hostile aux étrangers,
en revanche les lamas leur interdisent rigoureusement
l'accès du pays.
11 n'est guère possible d'apprécier le voyage de M. Rockhill
avant de le connaître dans ses détails, mais il sén)ble diffi-
cile que la carte des pays dans lesquels il s'est accompli n'y
gagne pas des données précieuses pour établir l'accord entre
les documents chinois et les itinéraires des divers voyageurs
qui ont abordé le terrain parcouru par l'entreprenant voya-
geur américain.
L'Iraouady birman reçoit, sur sa rive droite, une rivière
plus longue que la Loire, la Kindwin, qui descend des monts
Palkoï.
Ce cours d'eau dont le tracé avait été établi tout d'abord
à l'aide de renseignements recueillis par le colonel Sir Henry
Yule, puis par des informations dues à la navigation com-
LES rnOGRÈS DES SCIENCES GÉOGR.VrHItjrKS. 55
tnercîalc^ devait être l'objet d'un levé d'ensemble quand
Ws Anglais occupèrent la haute Birmanie.
Le levé de la Kindwin a été exécuté par le colonel
B- fi. Woodthorpe dans la partie de la rivière située au sud
du parallèle de Manipour. Ca pays non pacifié, c'était une
mission dangereuse an succès de laquelle noas devons un
document de haute valeur pour la carte de la Birmanie.
Dans l'Extrême Orient, sur la longue presqu'île coréenne
encore mal connue, nous trouverons un voyageur fran-
çais, M. Charles Varat; chargé d'une mission du Ministère
de rinstruclion publique, il doit recueillir des rensei-
çnetnenls sur l'ethnographie des Coréens et rapporter des
collections pour le musée ethnographique du Trncadéro.
Cest en traversant l'Amérique Hu Nord par le Canadian
Pacific que M. Varal parvient au Japon où il commence, en
Téalilé, sa mission, « car, dil-il, pour bien étudier la Corée,
pour détacher d'une manière plus vive sa personnalité
ethnique, il faut avoir visité les pays voisins. » Yesso, avec
ses populations Alnos, est l'un des points que visite le voya-
geur; il parcourt ensuite le nord du Japon d'où il s'em-
barque pour la Chine. Tour à tour il voit Tchéfou, Tient-
aio, Pékin; il franchit ta grande muraille et met le pied
sur le territoire de la Mongolie. Finalement, il s'embarque
■à Tchéfou pour Chemoulpo, le port de Corée le plus voisin
de Ia côte chinoise.
De Chemoulpo, à cheval, avec une escorte de trois hommes
qu'il ne comprend pas etqui ne le comprennent pas, ilserend
à Séoul où l'obligeance éclairée de M. CoUin de Plancy, ré-
sident français, lui facilite les préparatifs du voyage à travers
la Corée. Ce voyage, il l'entreprend accompagné d'une
escorte pittoresque de douze hommes et de huit poneys.
De jour, le chef de la mission marche en arrière de la
colonne pour la surveiller; de nuit, il marche à l'avant-
farde, certain que tout le monde le suivra. Le pays dans
BAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
lequel M. Varat allait s'engager venait d'être en proie à la
faroiue et des bandes de pillards le parcouraient, rançon-
nant les voyageurs et brûlant les villages. Il eut la bonne
fortune d'échapper aux attaques, toujours faciles dans une
contrée montagneuse, dont les chemins sont constamment
bordés de précipices qu'il faut, la nuit, c&toyer à la lueur
des torches.
Gi&ce au soin de toujours leur envoyer une carte de
visite rouge, selon l'usage, M. Varat fut courtoisement
reçu par les mandarins. Lapopulation, d'ailleurs, se montra
bienveilliuile et ce fui sans encombre que, de Séouf, la ca-
pitale de la Corée, en passant par Taïkou, il parvenait au
port de Fusan, à l'extrémité sud-est de la presqu'île. Per-
sonne avant lui n'avait accompli ce trajet.
M. Varat ayant pu, au cours du voyage, s'assurer qu'il
n'existait pas de rapports anthropologiques entre les
Coréens, les Chinois et les Japonais, jugea nécessaire de
visiter la Sibérie pour constater s'il n'y trouverait pas les
pays d'origine des indigènes de la Corée. Ses conclusions
sont en faveur de cette hypothèse.
AvHut do regagner l'Europe, M. Varat a fait de nouvelles
et assez longues excursions en Chine, puis au Tonkin, en
Ânnam, au Cambodge, à Sium, aux Indes.
Les résultats de ce long voyage et noiamraent du trajet
accompli en Corée, sont d'ordre plus spécialement ethno-
graphique ; la géographie, cependant, y gagnera de bonnes
informations.
Une fois de plus a été constaté le fait qu'une haute
chaîne de montagnes, « sorte d'Apennin », comme le dit
M. E. Reclus, traverse toute la presqu'île, du nord au sud,
détachant à droite et à gauche des chaînons à peu près
parallèles. Ces montagnes sont pittoresques et la chaîne
centrale est couverte d'une riche végétation arborescente.
Les vallées qui séparent les chaînes latérales sont riantes;
fréquemment elles sont occupées par de belles nappes
ET SUR LES PROGnÈS DES SCIENCES GÉOCnAPUIQUES. 57
d'eau. En revanche, la chaîne médiane, avec ses précipices,
est d'un aspect un peu sombre.
M. Varat se di-pose à publier un livre qui ne saurait
manquer d'intérél et permettra de juger le caractère et
l'importance des informations recueillies par lui au cours
de sa mission. Dès maintenant on connaît la valeur des
collection? qu'il a rapportées pou rie musée ethnographique
du Trocadéro.
A l'Afrique appartiennent, cette fois encore, les honneurs
(te l'année géographique. Le hasard veut que quatre des
voyages les plus considérables à signaler aujourd'hui se
soient accomplis sur des terrains symétriquement placés
deux à deux à Test cl à l'ouest du continent, et sensiblement
sous les naèmes latitudes.
Tandis que la mission du capilaine Binger fail, du côté
de l'ouest, pendant aux voyages de M. Borelli, du côté de
l'est, une partie du théâtre des opérations de M. Stanley et
d'Emin-Pachase trouve, à l'orient, sous la latitude où, vers
h côte occidentale, M. Crarapel a exécuté une première
reconnaissance au cœur du pays des M'Fang. Celte parti-
cularité n'a guère d'inlérét qu'au point de vue de la mné-
monique, mais il en est une autre qui mérite d'attirer votre
attention. Sur les quatre explorations qui viennent d'être
mentionnées, trois ont été accomplies par des Français.
Si Je bon goût nous interdit, d'en triompher avec emiihase,
personne n'aura le droit de reprocher à notre patriotisme
de h'en réjouir sincèrement.
A côlé de ces quatre voyages, il va sans dire qu'une part
sera faite à d'autres entreprises d'un réel intérêt pour la
connaissance de l'Afrique.
C'est aux abondantes notes fournies par notre collègue
M. Henri Duveyrier que vous devrez d'êlre netlemt'nt ren-
»ignés sur les plus récents progrès de la géographie
africaine.
58 nApponr sur les thavaux tie la société
Pour suivre ces progrès, nous avons, désormais complète,
la carte dressée au Service géographique de l'Armée
par M. de Lannoy de Bissy, chef de bataillon du génie.
Ici m&mc, il y a dix ans, l'auleur soumeUail à la Société
de Géographie une partie déjà considérable de son travail
encore à l'état de dessin-minute. Les explications dont
lui accompagnée celte présentation décidèrent la Société
à faire auprès du Minisire de la Guerre une démarche en
vue d'assurer la continuation et la publication de la carte
d'Afrique entreprise par M. de Lannoy. Tels furent les
débuts d'une œuvre géographique dont actuellement les
géographes de tous les pays ont constaté la valeur et
l'utilité.
Des explorations dont vous allez maintenant entendre
l'exposé, quelques-unes avaient déjà pris date par une indi-
cation dans le précédent rapport; elles vont se représenter
actuellement avec l'indication plus complète de leur portée
géographique.
Vous ne trouverez, dans ce chapitre, aucune allusion
aux événements qui se passent soit à la côte orientale
•d'Afrique, soit dans l'Arrique australe. Ils échappent, en
efi'et, k la géographie proprement dite; ils sont du domaine
■de la pnlitique courante dont notre Société a le devoir
rigoureux de se tenir éloignée. Incontestablement, un nou-
veau champ est ouvert à la rivalité des intérêts qui se
heurtent en Europe; la lutte entre la civilisation chrétienne
el la civilisation musulmane, entre les faiseurs et les aJTran-
■chisseurs d'esclaves, n'est qu'une des faces, une des appa-
rences de la situation; une prise de possession s'opère avec
toutes ses conséquences. D'ores et déjà cependant, il est
permis de constater que le Soudan oriental, conquis à la
science par de longues années d'efforts et une pléiade
d'explorateurs, est actuellement interdit aux Européens; te
reflux des civilisations indigènes leur en ferme la route.
Dans l'est de l'Afrique, l'obstacle provient de la barrière
BT SDH LES PROCnÈS DES SCIEKCES GÉOURAPUIQUES. 59
tècemmenl élevée contre la civilisation européenne par le
(]èilerisme> autrement dit la confrérie de Sîdi 'Abd El-Qâder
El-rihilâ.nf, celle qui, naguère, a enlevé Kharloùra au khé-
dive et qui pénètre déjà dans la région des grands lacs.
Sur une terre privilégiée de l'Islamisme, le Maroc,
¥. Henri de La Martinière achève sa quaL^^me année d'explo-
rations archéologiques et géographiques. Cet actif travailleur
1 regagné le champ de ses premières recherches, qui empiète
^éjà sur l'inconnu au point de vue géographique. M. de
La Martinière, procédant partout la boussole k la main,
faisant môme, chaque fois qu'il le peut, une triangulation
(U théodolite, avec des observations astronomiques, ses
traraux se résumeront quelque jour en une carie telle
qu'on n'en possédera de semblable pour aucune autre partie
du Maroc. Une excursion au Djebel Moulai Boû Cheta,
dans le nord de la ville de Fus (Fez) et, par conséquent, dans
la direction du Hif, aura pour nous tout l'intérêt de ia
nouveauté. M. de I^ Martinière est encore le premier
Européen qui ail fait l'ascension du Djebel Zerhoûn et
i', du sommet, tout ce gros massif silué au nord de
ede Mekoàs(Mekinès). AOeÇarFara'oûn ou Volubilis,
oâ il a de nouveau fait un séjour et pratiqué des fouilles,
il a pris les estampages de sept inscriptions latines, décou-
vert des monuments et reconnu le cimetière de la ville
antique. Dans une boucle de l'Ouàd B«h't, afflueni du fleuve
Sebûû, sur l'ancienne route de Volubilis à Sala colonia,
ila découvert l'emplacement d'une cité romaine qu'il estime
«ix>irélé lAGontiaua mentionnée par Ptolémée, mais vaine-
ment cherchée jusqu'à ce jour.
[tevenu à Techcmmich, sur les ruines de Lixiis, M. de La
Martinière a fait tailler des sentiers à travers le fourré
uiipénélrable de lenlisques et d'oliviers sauvages entrelacés
df lianes, qui recouvre presque toute l'aire de la ville
antique. Il a fouillé l'acropole sur deux points, sondé le
60 RAPrORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTK
terrain en maints endroits et travaillé sans relâche à lever
un plan coté de ce site célèbre. Retourné enfin à Volubilis,
où il a complélé ses fouilles et notamment découvert
plusieurs inscriptions latines, notre méritant collègue a
terminé sa cnn pagne par un second voyage au Djebel
Zerhoûn elù Mekiiiès; il compte achever, en 1890 et 1891,
sur le cheraiu de Rabat à Merâkech (Maroc), son explo-
ration archéologique du Maroc, exj)loration qui n'aura pas
été sans périls, mais dont la géographie hit>torîque de la
Mauretanie tirera un large profit.
Un Anglais, M. Waller B. Harris qui, en 1888, comme
vous l'a dit le rapport précédent, avait dû fuir de la fana-
tique cité marocaine de CUichswMn, a parcouru en 1889 la
route lie Mekiiâs et de Fâsà Tanger, par Wazzàn. Les iiifor-
raalJons qu'il a recueillies pendant ce voyage lui ont pertnis-
de déplacer sur la carie quelques noms de tribus monta-
gnardes établies sur la pointe que le Maroc projetle à la
rencontre de l'Espagne.
La liste des tribus de cette partie du Maroc s'est accrue
de noms qui s'ajoutent ainsi à la liste des tribus établies
dans l'ouest de la ville sainte de Moûleï Tayyeb. Ce que
M. Wdlter B. Hrirtis dit des Zaoua, dts Benî Ysof, des Benî
MesSua, et des Ghroûné (sans doute l'auteur veut parler
des Er-h6né), njoute à notre connaissance de ces tribus
dont les deux dernières n'avaient pas encore été placées
sur la carte.
Tout près (le Wazzàn, dans ta direction de l'est, les
indigènes refusent de laisser pénétrer chez eux les explo-
rateurs dans lesquels ils voient Tavant-garde des con-
quérants. Le fanatisme ne joue ici qu'un rôle secondaire,
car, selon M. Waller B. Harris, les mœurs de ces populations
sont peu conformes aux prescriptions du prophète Mo-
hammed.
Deux points du travail de M. Wdlter B. Harris présentent
un cerlaiii irilérèl géographique. Chez les Ghroûné ou Er-
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGR.\PHIQUES. 61
hâné, il a vu des cavernes habitées par des IrogloHytes,
comrae celles que le docteur Hooker a\ait examinées à
'AloTarsil, dans le district de Mlouga^ au nord du grand
Allas. Il a, de plus, entendu parler du petit volcan jadis vu
et décrit par Léon l'Arricain, mnis sur lequel sont muets
tons les Toy:tgeurs modernes. D'après les renseignements
recueillis par M. Waller B. Harris, qui a observé lni-mfirae
des traces d'action volcanique à lest d'EI-Qeçar EI-KebUr,
chez les Ghroûné, et plus au sud chez les Estah, ce petit
Tolcan est situé dans le Djebel Zerhoiin, au nord de la
Tille de Meknàs.
Au prinlemos de 1888 M. Joseph Thomson, géologue
anglais, auquel la géographie est redevable d'un vnyage de
découvertes au Kdinia-N'djâro, au paj^s des Masaï et au
N'yanza de Victoria, parlait pour explorer !e grand Atlas
marorain.
C'est dans un triangle circonscrit par Demnâl, à l'est,
Asfi ou Safî et l'embouchure de l'Ouild Soùs, à l'ouest,
qoe M- Joseph Thomson, en compagnie d'un officier,
M. n. Crichlon-Browiie, a accompli une exploration de
i'Allas intinimenl plus étendue que celle d'aucun de ses
prédécesseurs. 11 a longé le versant nord de la chaîne snr
<leux degrés, de Deranat à fmi-n-Tànoùl : il en a reconnu,
& partir du littoral, tout le versant est; deux Fois il a coupé
le massif qu'il a sillonné d'itinéraires au sud-ouest de
Maroc et sur un demi-degré carré.
M- Joseph Thomson ne dit pas sur quelles bases repose
la carte- qui accompagne la relation de son voyage inti-
tulée Trnvels in the Allas and noulfiern Mor&cco, mais on
constate qu'elle abonde en cotes d'altitudes dont toutes ne
»OQt pas le résultat de mesures réelles. Le mont Tâmdjourt,
au suil de la ville de Maroc, y tigiire avec une aUilude
évaluée à environ 4,572 mètres. La Tâmdjourt serait donc
le point le plus élevé connu de l'Atlas, ce qui ne signifie pas
qu'il soit le point culminaut de la chaîne.
62 RAPPORT SCB LES TUAVAl'X DE LA SOCIÉTÉ
Grâce à M. Joseph Thomson, nous avons des raisons
pour penser que certains sommets de l'Atlas dépassent de
1,000 mètres, en chiffies ronds, les plus hautes cimes de la
Sierra Nevada d'Andalousie et de la chaîne des Pyrénées, et
de 750 mètres, au moin;:, le sommet du Teyde ou pic de
Ténériffe qui marque, dansTOcëan, le prolongement géolo-
gique ou préhistorique de l'Atlas. Plus tard les géodésiens
nou» apprendront les hauteurs exactes de l'Adràr-n-Deren,
du Mont des Monts, comme l'ont appelé ses habitants
berbères.
On remarquera que plusieurs des chiffres publiés par
M. Joseph Thomson sont de 130 à 150 mètres inférieurs à
ceux de M. le viconile rie Foucauld, dont les observations
et les calculs senihlenL présenter toutes les garanties
désirables.
La relation du voyage de M. Joseph Thomson renferme
des indications nombreuses sur la situation économique et
pohlique de» hommes qui occupent aujouril'hui l'Atlas. La
géologie, les traces de l'époque glaciaire et la richesse
minérale du sol sont autant de sujets que l'éminenl
voyageur a traités en spécialiste.
I
Un incident des guerres de races qui sévissent entre
Arabes et Touareg, sur la limite de leurs territoires res-
pectifs, an sud de l'Algérie, a amené la capture de six pri-
sonniers touareg appartenant les uns à ia tribu noble des
Tâïtôq, les autres à la tribu serve des Kôl Ahenet. Le
capitaine Dissuel, chef de bureau arabe, après avoir soumis
les prisoimiers à une lonj^e enquête géographique a
publié {les Touareg de l'ouest^ Alger, 1888) ime descrip-
tion de leur pays et de leurs tribus accompagnée de caries.
Cet ouvrage, bien que basé uniquement sur les dires
d'indigènes d'une contrée non encore explorée, a une
valeur géogniphiqae réelle. Jusqu'ici nos cartes du Sahara
avaient indiqué d'abord une montagne très longue et très
ET SCa LES PROGRÈS DES SCIE^CES GÉ0GRA.PU1(JUES. G'à
étroite au nord du plateau de Tàn-Ezroùfl (entre le Touât et
liiger), pais, sur la carte de M. Duveyrier, celte montagne
s'est transformée en un plateau aux coutouis irréguliers,
leBlten Ahenet, comme rappellent les Arabes. D'après les
deijcriptions des prisonnitTs d'Alger, l'Adrâr Aheiiel, pour
lai restituer son nom berbère, est un massif de montagnes,
diversement coupé de vallées, de ravins, et beaucoup
moins aride que ne le laissaient soupçonner les rensei-
^emenls antérieurs. Ce massif est le domaine d'un
croupe de tribus lotiareg, celui des Tàïlûq, qui forme
ictuellement et aurait môme formé depuis très longtemps
ao« confédération tout à fait distincte de celle des Âbaggar.
C'est cette donnée politique importante qui a juslilié le
litre choisi par le capitaine Bissuel: les Touàrcijds C ouest.
L'auteur y a donné sur chaque tribu des iadicatîttns plus
détaillées, plus complètes que celles que nous avions sur
d'autres tritus, vues par des voyageurs européens. Son livre
«l sa carte par renseignennents se rangent donc au nombre
des rares documents originaux que les géographes possè-
dent sur le pays des Touareg.
Le capitaine Brosselard-Faidherbe qui a déjà rendu plus
d'oû service à la géographie, avait été désigné en 188H
(le chef de la commission française de délimitation
les territoires français et portugais de la cûte de Guinée.
Secondé par le lieutenant Clerc, le docteur Noury, médecin
delà marine, et M. Galibert, M. Brosselard-Faidherbe a
commencé a l'ileBoulani des travaux auxquels nous devrons
Ucarledu pays entre le Ilio Nunez elle lUo Geba; le tracé
(les neuves Kogoa ou Rio Compony, de la partie supérieure
lie la rivière Cassini, bras de mer où se jette un ruisseau *
U reconnaissance du cours du Kroubal ou Koli-Ba qui
débouche dans l'estuaire du Geba. Nous lui devrons enlln
■ • norlantes rectifications dans le tracé du Geba dont on.
^^4t exagéré la largeur.
64 RAPPORT Sun LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
Il a été fait de véritables découverles le long de ces
cours d'eau dont les bassins ne pénMrent guère h plus de
200 kilomètres de la côle. Les géographes ne s'en éton-
neront pas, car ils savent que le littoral africain de la
Méditerranée renferme encore des espaces où n'a pénétié
aucun voyageur.
A la suite de la mission du capitaine Brosselard-Faidherbe,
le poste de Zighincbor, sur la Gazainance, est devenu fran-
çais. Au sud de la Guinée portugaise, le bassin du Rio Com-
pony, est aussi entièremenl français. M. Brosselurd a publié
dans le BuUelin de la Société Gi'ographique de Lille une
monographie détaillée de la « Guinée portugaise, et posses-
sions françaises voisines » accompagnée d'une carte générale
à l'échelle du 1/1,000,000° oîi sont portés les levés de la
mission exécutés à l'échelle du 1/200,000'.
Notre collection de cartes s'est enrichie d'un document
de premier ordre ; l'atlas photographié des caries du haut
Dhiôli-Ba ou Niger levées à l'échelle du 1/50,000' par le
commandant Caron, M. Lefort, lieutenant d'ioranlerie de
marine et le docteur Jouenne. Gel atlas de 21 fi-uilles
n'a été tiré qu'à sept exemplaires. Il renferme les 2,000 kilo-
mètres du cours du Dhiôli-Ba compris entre Manambougou
et Korîoumé, port de Timboukiou.
Exécutés dans des conditions particulièrement difficiles
les levés du commandant Caron sont, sans contestation
possible, les plus détaillés et peut-être aussi les plus précis
qui aient été encore laits sur une partie quelconque du
Niger. En longueur, ils dépassent de plus d'un quart les levés
réunis des quatre expéditions anglaises chargées de lever le
Kwâra ou Bas-Niger avec son al'Ouent la Bénoufi, et dont
une seule acculé 49 officiers ou raateloLs et deu.K millions
du francs.
Dans une Notice sur le cours du Niger entre Manam-
bugu et Tinit/uJctu, insérée dans la Revue maritime et
I
/>
ET SVR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 65
nloniatej Je commandant Caron a rendu un compte
détaillé des travaux hydrographiques auxquels il s'est livré,
dans des conditions particulièrement dirficil&s et pénibles.
Arec un simple sextant, un chronomètre, un comp-
teur et uoe boussole hydrographique, il a déterminé
la latitude de 1^ points, la longitude de 10 points et la
«îéclînaison de l'aiguille aimantée sur 12 points. Ces obser-
rations ont servi à contrôler l'itinéraire du fleuve, par
cheminement, avec sondages, ainsi que les levés exécutés à
terre entre le Dhiôli Ba et Ban-Diagara, capitaledu Masina.
Peut-être le modeste chef de la mission a-t-il été un juge
trop sévère de ses travaux astronomiques en admettant
des erreurs inaxima de 0' sur ses latitudes et de 3' sur ses
longitudes. En tout cas, ceux qui, mipiix montés et mieux
outillés, suivront ses traces, n'oublieront pas que les
circonstances politiques ne permettaient pas d'observer à
terre; que la hauteur du soleil à midi interdisait l'emploi
de l'horizon ariificiel, et que rarementà cause des sinuosités
du DhiOli-Ba l'observateur pouvait chercher l'horizon, dans le
pian du méridien, sur la nappe d'eau du Qeuve.
Cne deuxième fois — ce ne sera pas la dernière — nos
couleurs nationales ont flotté devant Korioumé, avant-port
de Kabara, et pour la première fois à Kabara raérae, c'est-
à-dire non loin de Timbouktou. Renouvelant avec la canon-
nière le Mage l'enlreprise hardie que le commandant Caron
availsi vaillamment réalisée en 1887, M. Jaime, lieutenantde
vaisseau, a réussi à franchir, en 10 jours seulement, la
iiislaoce entre Koulikoro, en aval de Bamakou, et Korioumé.
Les résultats géographiques du voyage ne sont pns encore
connus, mais il est proliable qu'ils ajouteront quelque chose
à la belle carte dressée par le commandant Caron. En
attendant, nous devons applaudir à ce nouveau succès,
nous devons désirer voir s'accomplir le plus fréquemment
(Nissible le trajet entre nos postes du haut Niger et
Tunbouktou.
»0C. DB OÉOGR. — i" IBIMEITIIE 1890. XI. — 5
6C
RAPPORT SUR LES TIIAVAIJX ItE LA. SOCIÉTÉ
Le Niger immense dont les premières undes naissent non ,
loin du Sénégal, s'achemine d'abord v«rs l'intérieur du'
continenl puis, à la hauteur de Tiinboukloii, au bord dU'
Sahara, il décrit une v.istP courbe pour reprendre la direc-
tion de l'Océan où, après un parcours de plusieurs milliers
de kilomètres, il vient déverser au fond du golfe de Guinée^
la masse étiorme de ses eaux. Les deux branches du Niger
forment avec la côte de Guinée, un triangle, double de la-
France en étendue, et qui renfermait, il y a quelques mois
encore, une terre vierj^e de toute exploration, une région
beaucoup plus inconnue que celle où l'énergique Stanley
vient d'accomplir ses plus récents voyages.
C'était, en réalité, l'un des derniers grands blancs de la
carte d'Afrique. Les éditeurs de cartes, pour donner satis-
faction au public qui a horreur du vide, avaient semé là,
d'après des traditions légendaires, lies informations indi-
gènes souvent difficiles à comprendre ou à interprKer, un
certain nombre de cours d'eau indéei^, de montagnes hypo-
thétiques, de noms d'ÉLats et de populations pâlus comme
des souvenirs de l'antiquité.
C'esl au cœur de cet inconnu que nous conduit M. G. Bin-
ger, capitaine d'infanterie de marine. Voyons d'ahnrd com-
ment les travaux de ses devanciers sont répartis aux abords
du chiimp qu'il nous a révélé.
En 1876, ic docteur Gouldsbury avait fait le voyage de
Koumassi à Saiaga, où notre compatriote Bonnat l'avait
précédé par une voie différente. En 188^, le capitaine Lons-
dide. Anglais comme M. Gouldsbuiy, relraçaiil jusqu'à
Saiaga la pisie de M. Bonnal, avait atteint Yendi, au nurd-
nord-est de Saiaga, puisa l'ouest, Demba et le Bonduukou.
Kinlanipo, à l'exlrémilé nord du canton de Koranza,
marque le terme du voyage de M. Lonsdale. Cet itinéraire
est resté inédit et le seul tnivail publié de M. Lonsdale est
son itinéraire, fait en conipîijiuie du capitaine BramJon-
Kirby, d'Anamabou et d'Akrâ à Kinlampo. Cette ville est
ET SOR LES PR0CBK5 DES SCIENCES GÉOGRAPHlOnES. 07
située à 65 kilomètres au nord-est de Koiimassi, dans le
nord du royaume d'Achanti acluel, l'ombre ou le noyau de
«lui rjuc les cartes inoDlraient il y ;i une quizaiiie d'années.
En 1886, M. Krause parlait de Salaga, poussait d'abord
sur Wagadougou, capitale des Môsi ; continuant au nord, à
Irarers les provinces du Tema et du Yadega, il touchait Ban
commence le royaume de Tidiani, puis visitait Douentsa
ts'av.inçaitnQÔmed'une quarantaine de kilomètres au delà,
dans la direction du nord-nord-est. M. Krause a regagné
la cô'e de Guinée par Sinsani, GasAri, Kinlinfo el Saiaga,
d'nù il s'avança dans Test, jusqu'à Soguédé etausnd, par
Atakpamé, pour alleindre les rivages de l'Océan à Pia ou
Grand -Popo. Cet itinéraire-là est ésalemenl inédit. Enlîn,
parti d'Anchoou Pelit-Popo en 1888, le capitaine von Fran-
çois a fait, eniiiémelempsque M.Binger, un voyage dans le
ba$sin supérieur du Firou qne nous appelons le fleuve
Volta ; il a pénétré à 330 kilomètres au nord de Salaga et à
6H0 au nord-nord-ouesl d'Aneho, à la frontière du pays des
M^i, sacs toutefois atteindre Wagadougou. L'itinéraire du
capitaine von François a" paru en 1888, dans les Mit-
teUungen con Forschuiujsreisendeii undGelehrten ausdeii
lifuLschen Schutzgebielen.
Dans la partie du triangle où le vieil itinéraire de Hené
Cailiié offrait, naguère encore, le seul document assez précis,
les travaux plus récents du capilaine Delanneau (1881), du
lieulenaDt de vaisseau Fourniec (188i>) et du capitaine Peroz
(1887), ont précisé le figuré du lerraiu au sud-ouest de Bama-
kou jusqu'à Kénieba-Koura, Reniera et Bissandougou.
En résumé, le grand espace était à peine entamé; la
géographie en était toujours aussi vague; car, tandis que
certaines caries accusaient encore une grande chaîne des
montagnes de Kong, se prolongeant à l'est jusqu'au nord
de l'Acbanti, un maître dans l'art de bien interpréter
le» renseignements des indigènes, Henri Barlh, avait nié
l'exietence de celte chaîne de Kong el afOrmé que le pays
68 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
qui porle ce nom présenlait la forme d'un plateau.
Où commençaient, au nord-ouest, les fleuves qui dé-
bouchent sur la côte de Guinée? Où commençaient, dans
le sud-est les affluents de la rive droite du haut Dhiôli-
Ba? C'étaient là des questions importantes posées aux
explorateurs. Chargé d'une mission qui consistait à dé-
couvrir la route du Dlii61i-B;i français au Grand-Bussam
français le capitaine Bingeraeu l'honneur de les résoudre.
Parti de Bamakou, il traversa le pays de Wosolébougou
qui fait parlie des Etats de Samori, et atteignit ainsi, en
terrain neuf, la ville de TÊnelou, à l'ouesl et près de la
Mayel Balével, dont RenéCaillié avait franchi les tPlcs dans
le Wiisoulou. Continuant sa roule au milieu d'une région
dévastée par la guerre, il traverse la Bagoé nu Bagoué,
affluent de la Mayel Balével et atteint, sur la Sikaso, les
Étals du roi Tiéba, peuplés par les Sienré dont il nous
apprend l'existence. A ce-moment là, Benokhobougon,
ville située sur la Sikaso, était assiégée par Samori. Le capi-
taine Binger dut, néanmoins, y faire une de ses haltes
d'étapes.
C'est ici que prend place une des principales découvertes
du voya{^eur. A une petite dislance du point où il quitte la
Sikaso, il coupe un massif montagneux qui sépare les bas-
sins des affluents de la Bajçoé, c'esl-à-dire le ba?sin du
Dbiôli-Ba, de ceux des rivières du Gvand-Bassam et du
Firou ou Vol ta. Il s'ensuit que cette partie du bassin du
Dhi61i-6a devra être diminuée de plusieurs degrés carrés
sur nos cartes.
Plus loin, dans le Kentilédougou, le capitaine Binger
touche la ville de Tengrela vue et signalée par Runé
Caillié. Passant Tiongui, il se voit arrêté à Fourou,
aux portes du pays inconnu de Foloua, où une fit'vre
bémaluriqne faillit ineltre un terme à son voyage. Comme
les rives de la Sikaso, le Folona est peuplé par des Sienré,
race nouvelle pour nous et qui vit sur un partage d'eaux.
ET SDll LES PBOGUÈS DES SCIENCES GÉOCnAPHlQUES. i\Q
isolée pour ainsi dire de ses voisines un peu nueux connues
des géographes. L'islam a commencé à faire des prosélytes
cUez les Sieoré du Folona, mais ses adeptes y sont encore
peu nombreux.
En sortant de Folona, M, Binger pénètre dans le pays
de Kong) qui s'étend fort loin du nord au sud et non de
de l'ouesl à l'est; il est peuplé par des Mandingues musul-
mans. Arrivant des Étals de Samori, le voyageur fut l'objet
de défiances fort naturelles de la part des gens du pays de
Kong, qui redoutent les armes du conquérant soi-disant
prophète; mais l'élude que M. Biiiger avait faite autrefois
dé la 'angue et des dialectes mandingues, lui fut d'un puis-
sant secours; bientôt les soupçons Greut place à des dispo-
sitions bienveillantes pour cet étranger qui parlait l'idiome
du pays.
Continuant dans l'est ses fructueuses explorations,
M. Binger aborde le pays des Môsi ou Moùchi dont l'Europe
avait entendu vaguement parler il y a quatre siècles, en 1488.
M. Krause l'a traversé, il est vrai, avant notre voyageur,
mais il n'a encore rien publié de sa relation. M. Bin<;er
arrive à la capitale, Wagadougou, dont la position sur les
caries devra être transportée d'un degré vers le nord et
corrigée de la même quantité en longitude. Dans cette
partie de son itinéraire, il entre en contact avec beaucoup
de peuplades, distinctes par l'origine et la langue, vivant
dans des pays sauvages et adonnées au pillage. Snr le chemin
de Walwalé, qui le mène vers Salaga, il subit les menaces de
bandes années.
De Salaga, M. Binger, se dirigeant vers l'ouest, traverse à
deux reprises le (leuve Volta; ses observations changent
les notions antérieures sur ce fleuve, dont elles per-
melleiit de dessiner pour la première fois le cours com-
plet. Au sud-ouesldu Voila, il remonte vers le pays de Gon-
dya dont le nom seul nous était connu. Il louche Kintampo,
première ville du royaume Achanli; Zaranou, chef-lieu de
70
nAPPORT SUR LKS TRAVAUX DE LA .SOCIETE
Bondoukou, pays qui porte aussi les noms de Gamon et
GoLtogo. Mais au lieu de continuer vers la côte, il gaj^ne de
nouveau le pays de Kong où il sait que M. Treiclt-La-
plène est allé à sa recherche. A partir du 5 janvier 1889,
jour de leur rencontre h Kong, les deux voyageursscdiri(^<jnt
ensemble vers le fleuve Komoï, connu sous le nom d'Akha
{du iiora d'un vilhige silné sur ses bords), et qui prend .sa
source i\ quinze marches seulement au sud-est de Bamakiiu.
Ils longent le Komoï, puis traversent le Djimini. L'Amo, où
commencent seulemiTit les cultures de la Sterculia acumi-
ntita (Kola, goùro), et signalé autrefois comme le pays de
production, n'est en réalité que Je marché, l'entrepôt de ce
précieux stimulant.
Rejoignant le Komoï à Attakou, ils s'embarquent sur des
pirogues et descendent le fleuve jusqu'à notre petit établis-
sement de Grand-Bassam sur la côte de Guinée, où ils
arrivent le 20 mars 1889, deux ans juste après le dépari de
M. Binger riu Sénégal.
Mais l'explorateur ne considère pas encore sa mission
comme terminée : avant de quitter l'Afrique, il t^mploie
son temps à relever la lagune à l'ouest de Grand-Bussam,
avec les rivièreà qui s'y jettent après un cours quatre fois
plus long qu'on ne supposait.
Tel est l'aperçu général du voyage en Afrique lepkisétendu
de beaucoup, et de beaucoup le plus méritant de ceux dont
le rapport de cette année eût à faire mention ; c'est l'événe-
ment saillant pour la géographie de l'Afrique.
Non content d'avoir levé soigneusement un itinéraire
détaillé sur 4,000 kilomètres, le capitaine Binger l'a contrôlé
au moyen de treize bonnes observations astronomiques.
L'itiuérairedeBamakou au Kong et au Môsi est neuf; du
Môbi à Salaga, il touche on partie la ligne relevée par le capi-
>-taine von François, ut de Salaga au Bondoukou, àla ligne de
marche relevée par le capilaineLonsdale; l'itinéraire du Bon-
doukou au Kong elà l'Océan, sillonne un pays jusqu'alors in-
I
\N
ET SCB LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉO&RAPHIOUES. 71
connti. Non seulement la carie y gagnera ce que nous venons
^'indiquer, mais la relation de M. Btnger nous renseignera
avissi d'une manière précise sur la géologie et la llore des
régious qu'il a parcourues; sur leur climat, sur les races hu-
ntoines qui y vivent et sur les langues qu'elles parlent. Elle
Dous donnera endn des révélations inattendues sur les pro-
irrè<> que l'isl&m, mais un islam assez tolérant, fait dans ces
<yntrées.
Le rapporteur n'avait pas à exposer plus longuement
' r e-Kploiulion dont le récit nous n été fait par le voya-
^ : lui-môme. Il nous a décrit sommai rement les contrées
nouvelles qu'il a visitées ; il a parlé du caractère et des
mœurs de populations qui vont apparaître pour la première
fois dans la géographie; il a donné des détails suc des villes
dont les noms seuls étaient parvenus à uolrc connaissance.
Il a assisté au siège et à la défense d'une place; il a vu des
champs de carnage comme en Europe; il a rencontré des
musulmans pieux, mais tolérants et assez éclairés pour
admettre d'autres religions que la leur; il a entendu, de la
bouche de personnages nègres, des paroles véritablement
élevées; il a traversé tantôt des tribus bienveillantes, tantôt
des tribus hostiles. Sa vie a été, pendant vingt-huit mois, la
▼ie dure, faite de fatigues, de privations, de contre-temps,
de dangers eldesoulI'rances,que mènent tous les voyageurs
en pays nouveau.
Pendant toute cette longue campagne, M. Binger, accom-
p.ignè d'une faible escorte, a réussi à ne point engager de
lulitiS, à ne pas laisser derrière lui des levains de haine
contre les voyageurs qui lui succéderont. Il a ouvert des
portes par lesquelles il ne dépendra que de ses successeurs
de passer librement en invoquant le souvenir et surtout en
imitant l'attitude du capitaine Binger, celle du calme, delà
pitience, du respect de ses hôtes.
Devançant la publication des travaux beaucoup pluséten*
72 RAPPORT Sun LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
dus et plus complels du capitaine Binger, le capitaine alle-
maod C. von François publiait dès l'année dernière dans le
recueil intitulé : Afitteilungen ans deutscken Schtttzge-
bieten, la carte au 1/2,225,000' de son voyage et le résumé
des observations qu'il a failes jusqu'au nord du pays des
Groûsi, sur la limite de celui des Môsi que M. Binger allait
bientôt visiter. Son itinéraire part du pelit protectorat
allemand de Togo, qui commence sur la côte des
Esclaves, à la limite ouest du pays de protectorat français, un
peu à l'ouest d'Agoué, pour fitiir 50 liilnmètres seulement
plus à l'ouest, entre Lomé et Aflahou, àlaliraite des posses-
sions anglaises. Aného ou Petit-Popo, et Baguida (ou
Bagrida)en sont les deux villes maritimes les plus considé-
rables; Bisraarkburg, à 250 kilomètres nord-nord-ouest
d'Aného, est la station allemande la plus avancée dans
l'intérieur.
Dans son voyage de i88S, M. von François a cheminé, à
l'aller comme au retour, à l'estetassezpi-ès dulleuve Firu ou
Volta (auquel i! donne l'orthographe incorrecte deWolla) que
les indigènes appellenl ici Anou. Il a relié le marché de
Salaga à la côte allemande par deux itinéraires touchant, l'un
Bismarkburgjà l'est, l'autre Kpandouj près du Firou,à l'ouest.
Au nord de Saiaga, il a atteint Kous^ogo, près de la rivière
Kloubing Dagbaya.à l'ouest, et le marché de Yendi, à l'est.
De Zandoua, dans le district de Gambaga, jusqu'à Surma,
au bord du pays des Môsi ou Moûchi, il a suivi à deux
reprises le mi^me chemin. C'est dans cette partie de son
voyage que, sortant du bassin du Firou, il a coupé le cours
supérieur d'un affluent sud-est du Dhiôli-Ba, le Barou Mou-
bébou.
M. von François n'a pu indiquer les longitudes de son
itinéraire que d'après les levés à la boussole; les latitude»
astronomiques observées, au nombre de vingt-trois, sont
entachées d'incertitudes dues à la défecluosilé du petil ins-
trument dont il s'est servi. Les hauteurs inscrites sur sa
ET strn LES pnocnès des sciknces Gi'joGnAPiiiijiiKs. 73
carte ont été calculées d'après des ubservaltoas du b.iro-
mètre anéroïde elderhypsomèlre.
Le travail de M. von François esl non pas une relation de
voyage mais un exposé mélhodirjue de ce qu'il appris sur
la région côlière, sur le massif montagneux d'Obossoum ou
peut-être mieux d'Akposso, qui la borde au nord, et sur les
plateaux qui font suite à ce massif, encore plus au nord.
fl y a joint des notes botaniques, zoologiques et anthropo-
logiques basées sur les constatations possibles à un obser-
vateur qui n'est pas spécialement versé dans les sciences
naturelles.
Au commencement de cette année (1889). le capitaine von
François a accompli, de la côte à Salaga et au Firou, en
repassant sur l'un de ses itinéraires^ un nouveau voyage
dont aucune relation n'a été encore publiée.
Après le voyage d'oxploralion dont partait le dernier rap-
port, le capitaine Kund a essayé do pénétrer une seconde
fois dans l'intérieur et, comme la première fois, il a trouvé
les populations du littoral nettement hostiles. Par la môme
roule que précédenimtnt, il a gagné le haut des rivières
Saonaga et N'djoog ou N'yong; au mois de février 1880, il
a fondé entre ces- deux cours d'eau, au village de Zonou,
par 3"48' de latitude nord et ÎMO' de longitude est de Paris,
une stJition allemandequ'il a laisséesousle commandement
da lieutenant Tnppenbeck.
En pays inconnu conjmc celui dont il s'agit, toutes les
observations des voyageurs ont de l'importance. Sur une
largeur de II» kilomètres, M. Kunri a trouvé la côte presque
déserte. Ici les habitants sont des Banôko on Bapouko,
immigrés du nord, et les Kasdjoua, qui paraissent être ori-
ginaires des contrées du sud. Puis commence une zone
de forêts vierges large de 220 kilomètres. Là vivent des
tribus variées : les M'vellé ou Bakoko, une des plus puis-
santes; les Mavoutnba, alliés de Kasdjoua et qui s'étendent.
ë
7-1 RAPPORT Sun LES TIUVAUX DK LA SOCIÉTÉ
au nord, jusqu'à laLokendjé et au suri jusqu'au territoire
des Bouliiï, parents de MTàn, ou M'fang, de l'Ogôcué ; ils
descendent à la côte en suivant le cours du Rio del Campo.
Au sein des mêmes forÊls vierges vivent aussi les Kod-
jaéli ou Boyaéli, dont les individus sooL de très petite tiiille
bien qu'ils ne méritent pas l'épithète de nains; ils ont
la peau jaune comme certaines races primilives du sud de
l'Afrique; extraordinairement habiles à se dirigera travers
forêts, ils sont aussi très audacieux pour attaquer l'élé-
phanl à la lance. D'après ces caractères on croirait recon-
naître en eux des fr&res des Sa'au ou Bosjesmans, les abo-
rigènes de l'Afrique australe.
De fa station allemande deBaroumbi ou Barombi, située
chez le peuple du môme nom, à l'ouest du (lenve Moungo,
dans l'intérieur du pays de protectorat allemand de Kame-
roûo, le docteur Zintgraff. accompagné du capitaine Zeuner,
entreprenait, le 17 décembre 188S, une exploration qui pro-
met et a déjà donné sans doute des résultats fort utiles
pour la géographie.
Le but de M. Zinlgraflf était d'explorer l'Adamawa, cette
province de l'empire oriental des Foûlfaé musulmans perdue
au sud de la Bénouè, en plein pays des idolâtres. Toute la
région qui sépare l'Adamawa du protectorat allemand de
Kameroûn et celle qui s'étend, un peu plus à l'ouest, entre
la côte de Guinée et la Bénouê est une terre inconnue.
Les deux explorateurs allemands paraissent s'être partagé
la lAche. En effet, dès le mois de janvier de cette année, le
capitaine Zeuner faisait, à l'ouest de Baroumbi, une excur-
sion à Bioko, sur le haut du fleuve Massaké : des dépêches
annoncent qu'il a dû renoncer à pénétrer, de là, dans le nord
et le nord-est, à cause du grand massif moiitueus et désert
qui se dressait sur sa route.
Quant au docteur ZinfgratI', il a accompli le trajet de Ka-
meroûn à la Bénoué, rivière qu'il a touchée au nord du
ET SUR LES PROGRÈS 1>ES SCIENCES GÉOGRAPHIODES. 75
•village d'Ibi, dans le pays de DJoukknu, un peu à l'est de
la ville de Grandiko. Ce n'était pas là la roule la plus courte
pour atteindre l'Adamawa qui commence à presque trois
de^és pitis loin dans l'est, et la ligne droite eût peut-être
permis au voyageur d'apporter à la carte d'Afrique des
ren«eignenaents orographiques et hydrographiques plus im-
pi-rlanls; mais la publication d'un voyage sur lequel nous
n'avons encore que des indications télégraphiques expliquera
saos doute la déviation, à l'ouest, de la marche du voyageur.
L'itinéraire du docteur ZintgraB' n'en est pas moins le pre-
mier qui sillonne ce pays.
Au nord de l'Ogôoué et du pays découvert par MM. de
Brazza et Ballay s'étend l'une de ces vastes terres incon-
nues, bornée vers l'est par les premiers gros affluents de
droite du Congo, terminée dans le nord par la contrée où se
cache le prohlématiqueet mystérieux lac Liba.
C'est à ce vaste blanc de la carte que s'est attaqué
M. Paul Grampel, chargé d'une double mission du Minis-
tère de l'Instruction publique et de M. de Brazza, Commis-
saire général du gouvernement français dans le Gabon-
Congo.
Nous sommes ici en présence d'un véritable voyage de
d<»couverte dont le rapporteur va lâcher d'exposer som-
mairement les résultats, de montrer la portée. « Je fions,
disait M. de Brazza dans ses instructions au voyageur, h. ce
que vous partiez deLastoursville, vous dirigeant vers le nord,
pour vous rabattre ensuite vers la côte, entre Benito et
Campo. > M. Grampel quillailLastoursvilIe, le l'2 août 1888,
sans Eurnpéen ni interprète, escortée de deux Sénégalais,
quelques Adouma et gens de Loango en qualité de por-
Aa delà de la ligne des villages riverains de l'Ogôoué, le
pays devient désert, car les indigènes fuient vers l'intérieur
ail lien de se rapprocher de nos établissements. Faute de
7G lUFPnriT sur les thavaux de lk société
roule, M. Crampel dut faire d'abord une longue courbe à
l'est, vers la rivière Sibé. Un mois et demi après son départ, il
était surJa rivière Ivindo^ affluent de rOffôoué, à 120 kilo-
mètres esl-nord-est de la station de Bûoué. Héunissanl les
chefs bakota de la rive gauche et les chefs osyeba de la
rive droite, il obtenait d'eux un premier traité favorable à la
France.
Deux voies s'offraient à lui pour remonter l'Ivindo : l'une
par la rive gauche, à travers les Bakota et les DjandJHm;
l'autre par la rive droite, à travers les Osyeba elles M'fanp;.
Désireux de préparer les populations à l'arrivée des Euro-
péens, il passa huit fois d'une rive à l'autre.
Une excursion vers l'oues't le conduisit aux sources de la
rivière N'iem, dans les montagnes N'koun. Le nom de
N'iem n'est pas tout à fait nouveau pour nous: il avaii figuré
naguère comme nom d'un lac, dans une série d'informa-
tions fournies par des indigènes au contre-amiral Fleuriol
de Langle, alors gouverneur du Gabon.
M. Crampel, cheminant toujoursfolre le 10* etle il" degré
de longitude est, s'éleva jusque par l^iS' de iatilude nord. A
partir de là, les deux rives de l'Ivindo sont occupées par les
M'fang; M. Crampel traita avec leurs principaux chefs qui,
tous, lui témoignèrent le désir de voir créer chez eux un
établissement français pour assurer un trafic par l'Ivindo
et protéger les communications avec la côte.
Les Bakota dont M. Crampel avaii traversé le terri-
toire, sont doux et relativement riches. Les M'fang, au
contraire, sont hostiles et misérables ; chez eux, le voyage
.est rendu pénible par l'insuffisance des vivres et celte diffi-
culté fut accrue encore par le manque d'interprète. Les
honinies de Loango de l'escorte, fatigués par la marche et
les privations refusèrent alors de suivre leur chef du côté
de l'est où il voulait aller à la recherche d'un grand lac,
signalé par les indigènes.
Laissant donc ses porteurs et ses bagages dans un village
ET SrB LES PnOGRÈS DES SCfENCES GÉOGRAPHIQUES. 77
m'fang, à la garderies Sénégalais, M. Crampel n'hésite pas;
il se met en roule avec les douze Adouma, plus soumis ou
plos résist^inls que les indigènes du Loango. Dès les pre-
miers pas, il rencontra des Okoa ou Akka, population d'une
taille très au-dessous de la moyenne. En continuant à
s'élever vers le nord, il atteint, par 2°10' de latitude
septentrionale, non pas le grand lac annoncé, mais une
rivière importanle, la Djah, dont un courant presque insen-
sible porte les eaux dans la direction du Lékoli, atOuent du
Congo.
Après avoir conclu un traité avec les chefs m'fang de la
rive droite de la Djah el des N'jima, habitants de la rive
^uche, M. Crampol rejoint le camp de ses porteurs
loangos.
Il ramenait avec lui des chefs du nord-est auxquels il
tonlait révéler l'Ivindo comme une route pour leur com-
merce futur.
<!^tle excursion terminée, la mission prend la direction
de l'ouest, touche lessources de l'Ivindo el parvienl à une
rivière nouvelle pour la géographie, la rivière Komm,
affluent de la rivière N'tem.
Une seconde fois les Loangos refusent de marcher; il
faitt faire construire des radeaux pour s'aventurer sur le
cours de la Komm, qui amène M. Crarapel non loin du
conQuent de cette rivière avec la N'tem.
Cependant se répandent des rumeurs de guerre venues
à la fois du nord-ouesl et du sud-ouest, de la direction
lies Kameroûn et de celle de la rivière Mouni. Les M'fang,
voyant alors en M. Crauipel un auxiliaire des blancs
de la côte, le cernent deux fois et tuent un Sénégalais
«Inn homme de Loango. A une troisième attaque, lors du
piasage d'un rapide, M. Grampel est atteint de deu.t coups
de feu, ses porteurs fuient et c'est à grand'peine qu'il réussit
i s'échapper en sauvant ses notes el ses clichés phologra-
hiques. La situation était des plus menaçantes: d'une
78 RAPPOHT SUH LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
pari, en effeU l'appât du pillage avait alliré uoe multitude
d'indigènes, d'autre pari, les blessures du chef de l'expé-
dition étaient uii grave obstacle à la rapidité de la retraite.
Les porteurs ralliés voulaient ou retourner en arrière oa
s'embanjuer sur la N'iem; mais M. Crauipel prit le parli de
gagner la forêt oh sa mardie serait mastjuée, à la condition
d'éviter les sentiers et de ne pas allumer de feu.
La Bduâ, la Labbo, la N'tem, sont successivement fran-
chies; on trompe ks M'fang en se glissant à travers des
marais réputés iiifnrncbissahles et, après quinze jours de
marches forcées, le voyageur épuisé entrait dans un village
des bords delaiN'tem ; mais l'allilude des habitants est peu
paccueiltante ; il faut repartir. Porté de temps à autre par
ses hommes, M. Crampel arrive aux abords de la côte où
les Bakalê et les Moulendié se montrent moins hostiles
que les M'fang el entin, la petite troupe atteignait Ualah^
sur la côte, à *[uelques 200 kilomètres an nord du Gabon.
Du ■!"■ février 1889, jour où il avait été attaqué, au 3 mars,
jour de l'arrivée à Batah.M. Crampel n'avait pas parcouru
moins de 350 kilomètres, menacé constamment d'une
attaque flonl Its conséquences ne pouvaient élrc douteuses.
N'eùL-il été qu'une pointe prrillense et stérile au cœur de
l'inconnu, la fantaisie d'un aventureux dilettanie, le
voyage dont vous venez d'entendre le résumé aurait reçu
ici la simple mention due à un fait curieux, singulier; mais
nous avons déjà vu que M. Crampel avait conclu des traités
avec plusieurs chefs noirs et qu'il s'était eflorcé d'attirer
du côté de l'Ivindo, tributaire de notre Ogôoué, une partie
du trafic dirigé actuellement sur le fleuve Mouni et sur Ba-
langa, dans le sud de la région des Kameroùn. La géogra-
phie lui devra le relevé d'une grande partie du cours de
rivinrio, avec la notion des afHuents principaux de cette
rivière : la Mouyniandji, la Kiboumbi, laN'jalah, tributiiires
de gauche; l'Ouah. la Poulab, la M'voubëb, la N'siab, la
Nounah, tribuiuires de droite. Tous ces noms-là font.
J
ET SUn LES PROCHES DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 79
pour nous, leur enlrée dans la géographie africaine.
M. Crampel a atteint les sources de l'Ivindo, situées beau-
coup plus loin vers l'ouest qu'on ne le pensait. La décou-
Teite de trois grands cmirs d'eau : Ja N'tem, la Djah, la
Koœm, l'élude de la ligne de faîte entre l'Ogûnué et le
Congo parriviudoet la Djah, le relevé des sentiers de com-
merce entre les deux bassins, sont d'importants résultats h
enregistrer. Le large blanc de cette partie de la carte
d'Afrique va être sillonné d'un itinéraire de 2,100 kilomètres
fait toujours à pied, levé à la boussole et qui se vérifie en se
coupant à plusieurs endroits. Nous avons un li^uré des
grandes lignes du terrain complété par de très nombreuses
Cotes barométriques.
A peine laut-ii ajouter que M. Crampel a réuni de cu-
rieuses informations sur le type physique, les moîurs, les
aptitudes, l'industrie des peuplades avec lesquelles il a été
en contact.
En parlant des travaux français dans l'Afrique équatoriale,
il faut signaler tout d'abord un petit mémoire qui est en
réalité un iiuporlanl travail : Observations magnétiques re-
cueillies à la côte occidentale d'Afrique, par M. Mizon, lieu-
tenant de vaisseau. Personne n'ignore la nécessité de con-
■p exactement la déclinaison magnétique, quand il s'agit
iriger un vaisseau ou de corriger un itinéraire levé à la
boussole. L'inclmaison magnétique, l'intensité et la com-
posante horizontale ne touchent qu'indirectement à la géo-
Craphie; mais ces données sont des éléments précieux pour
la physique du globe. Seul, d'abord, dans l'inléiieur de
l'Afrique, de 1880 à 1883, aidé ensuite par M. de Roujou, lieu-
tenant de vaisseau, en 1885 et 1886, M. Mizon a effectué sur
ia côleocciilenlale d'Afrique, de Sainl-Louis du Sénégal et de
La Praya (archipel du Cap Vert), au nord, à Mossamedes,
au sud, des observations destinées à trouver la déclinaison,
rinclinaison, l'intensité el la composante horizontale.
HU ivArroftT ivn ucs thavâux de la société
Il publK 4falM& »ji note les résultats de ces observalions
C<)ai|tax^ &UA ut»servations antérieures, en remonlanl jus-
qu'à Tiutu^^ 1874. L'examen des deux caries où sont tracées
!<.. li ..nv li'é^ale déclinaison montre la valeur scientiliquB
^. pratique du travail de M. Mizon; il est tel points
à l& h;»utuur du Sénégal, où la carie magnétique de Tami-
rakuté anglaise fait passer ta ligne de déclinaison de 19°
iK>rd-<)«Oï>t, rapportée à une môme date, à plus de 200 kilo-
luMrcs à l'est de sa course réelle déterminée par M. Mizon.
Di" tt'lies corrections, pour des points qui ne sont ni le
pMc sud, ni le Pamir de l'Asie centrale, ni le Borgou du
Saluira méridional, laissent entrevoir ce qui reste à faire pour
établir une carie exacte des lignes d'égale déclinaison sur
toute la surface du globe. Elles nous montrent bien l'intérôt
qui s'attache aux observalions comme au travail critique
de M. Mizon.
Depuis plusieurs années, la question du choix et de
raménagemenl d'une route qui relierait à Loango les
établissements français sur le cours navigable du Congo,
préoccupait M. de Bnizza, et c'est au Kouilou-Niadi
que le commissaire de ta République songeait comme pou-
vant offrir une longue voie navigable jusqu'à une distance
relativement faillie du Congo. On se rappelle la première
mission d'éludés malheureusement interrompue par la mort
du capitaine Pleigneur, englouti dans les rapides du Kouilou.
Un ingénieur, M. Léon Jacob, fut chargé de reprendre et
de poursuivre les travaux de reconnaissances el de nivel-
lement du lleuve. Yers la fin de l'année 1887, M.Jacob avait
déjà dressé, au moyen de ses premiers itinéraires, une carte
et un tracé généra! d'un chemin de fer qui partait du bas
Kouilou; depuis lors il a continué l'étude du terrain, levé de
nouveaux itinéraires qui portent à 3,000 kilomètres leur
longueur totale, étudié d'une manière précise et soumis k
un nivellement exécuté avec soin, la région des rapides du
ET SUn LES PROGRÈS DRS SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 81
Kouîlou. De ces divers travaux est résullée, pour M. Jacob, la
conviction qu'il sufûrait d'enlever du lit de ce fleuve ce r-
t;ktQs ob>lacles tels que des roches, pour faire du Kouilou-
Niaii une voie navigable. M. Jacob est rentré en France et
dresse actuellement la carte du Kouilou-Niadi. Ses études
apint été aussi consciencieuses qu'elles ont été laborieuses,
niMis sommes assurés d'avoir dans la carte et le mémoire
qpi se préparent, l'un des documents géographiques les
plus complets, les mieux établis qui aient encore été publiés
sur la région du Congo.
Prenant l'extrémité sud de l'Afrique en un seul bloc afin
de ne pas séparer les dilférenLes parties du groupe de trolo-
nies européenne», nous examinerons d'abord le résultat des
«xplorations dans le pays de protectorat allemand sous la
zooe tropicale à l'ouest. Les Mitleilungpn de Gotha ont
donné la carte des voyages du baron von Sieiniicker de la
baiv de la Baleine (WalQsch B^i) et de la pointe de Farilhas
xax montagnes d'Oukaniénié ou Okoiiiénié (pays de Kao-
kao), au nord, et à Okahandja, dans le pays des Herero, à
Twt; cette carte couvre ainsi deux degrés de longitude et
deux degrés de latitude. L;i Deutsche Kolotnalzeititng a
publié sur le chemin d'Angra Pequena à Okahandja, un tra-
vail de M. E. Hermann qui complète au sud le précédent.
Le travail dans lequel le baron von Steinàcker résume,
avec ses propres observations, celles de ses prédécesseurs et
de missionnaires et marchands vivant dans le pays, nous
apporte des données nouvelles; elle corrige la représen-
tation de la contrée entre la Kahn et le Swachaub qui, en
réalité, n'est pas aussi mon(a>^neux que les cartes le repré-
ventaient. De même, plus au nord, les ravins qui descendent
des monts Oukaaiénié font partie du bassin de l'Ougab au
lie« de dépasser sa latitude vers le nord. En résumé le sol,
posé de roches métamorphiques (serpentine, ophite,
.v>calcitej, s'élève, à partir de la côte, en terrasses que
soc DE GtoCB. — 1" TKIMKSTHB 1691). XI. — 6
82
RAPPORT SUR LES TRAVAtX DE LA. SOCIÉTÉ
dominent des montagnes entre lesquelles passent les cours
d'eau; mais ceux-ci, saiiT pendant la saison des pluies, ne sont
que des lils de torrents à surface sèche dans lesquels on
trouve pourtant de l'eau en creusant. La côte el le liUoral
sont tout à fait arides. Dans l'intérieur, l'Européen trouve
un climat sahibre qui lui permeltrail de se livrer, sur de rares
points il est vrai, aux rudes travaux de la culture et, dans le
nord et le nord-ouest, k l'élevage des bestiaux. Actuelle-
ment toute l'exportation de l'intérieur se réduit aux cuirs,
aux tburriires et aux cornes d'animaux, qui doivent forcé-
ment chercher un déboucbù au port anglais, la baie de la
Baleine. Sandwigs Hafen, sur le territoire allemand, serait
aussi un bon port; mais l'eau douce et aussi les coramuni-
cations avec l'intérieur y fout défaut. Eiilin les guerres qui
sévissent entre les Hotlenlots de la côte et les Herero in-
dépendants de rinlérieur enlèvent toute sécurité aux entre-
prises des Européens.
M. von Sleinacker nous apprend, sans l'expliquer, l'aban-
don du territoire d'Upinglonia par les Boers du Transvaal
qui avaient fondé cette république située au nord du
Herero-land.
Le jugement porté par M. Ilermann sur la région au sud
dufleuveSwachaubconQrme les conditions défavorables du
prolecloral allemand pour la colonisation. C'était à ce point
de vue spécial que M. Ilermann avait entrepris le voyage
d'AngraPequefSa à Bethanicn el Okahandja. Comme le baron
von Slcipiicker, il déclare que si le climat est bon puur des
Européens, en revanche les terres désertes situées entre les
régions fertiles de l'intérieur et le port d'enibarquenieut
des produits, sont un très grave obslacle au dévelo|ipenient
de la colonisation. Ces deux études auront un résultat géo-
graphique utile dans les indications nouvelles des cartes
itinéraires qui y sont jointes.
Sur Madagascar, la Bévue maritime a publié une descrip-
I
ET srR LES PROGnÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 83
lion détaillée du chemin de Tanmasine ou Tamalave à
AnUiD^ioarivo, par le capilaine Le Kournier, qui s'est servi
des levés et notes des officiers de l'escorte de notre rési-
dent général, en 1886. Ce travail est accompagné d'une
carte, dressée par le lieutenant Slaiip, intéressante surtout
■ > cules d'altitude qui difFèrenl de celles qui avaient
ijunées par les voyageurs précédents.
Mais le document le plus important que l'année ait
«pporté pour la connaissance de Madagascar est la Carte
4e Madagascar, h l'échelle de l/l,ÛO(J/)00', par le père
jésuite Désiré Roblel. Celte carlr, certciiuemenl la plus com-
plète qui ait été publiée jusqu'à ce jour, repose sur des
déments de plusieurs ordre*. Pour l'îieen géuiral, l'auteur
a puisé soit dans les cartes de M. Alfred Grandidier et de
H. Mullens, soit dans les renseignements fournis par seize
antres Eup. >péens ayant résidé ou voyagea Madagascar, soit
«nlln dans Ie<* indications orales des prisonniers malgaches.
Ouant aux provinces d'imerina et de Bulsileo, le ligure en
est assis sur If s résolUits des travaux personnels du P. Hoblet,
iiotam>uf nt sur une triangulation commencée en 1813, avec
des luslrurnenls rudimentaires, puis reprise et continuée
avec des instruments plus parfaits.
Parlant d'une, base de 5,000 mèlres de longueur, mesurée
par lui-môme et vériflée au moyen d'une base auxiliaire
par le capitaine Lavoii^ieret le lieutenant Martinie, il a fait,
çtr des tours d'horizon très soignés el de i rès nombreux cro-
■quis à l.i i>lanchelte, une trinni^ulatinn qui s'étend jusqu'au
pajTsdes Bara,c'esl-à-dire jusqu'à -iOO kilotuèlres au moins,
d'Anlaiiânarivo; au nord, elle porte jusqu'à 100 kilomètres
du ntiôitie point; à l'est jusqu'à la ceinture des forints du
Jitloral, et môme aux monts Fody et Ambohiirakoholahy,
de la côte. A l'ouest, elle s'arrête à une distance
ffinxima de 100 kilomètres d'Antanânarivn. Celle triangu-
lation est coujplétée par les altitudes des points déduites
d'observalious barométriques et thermométrtques. Comme
84 RAPPORT SUIl t.ES TBAVAl'X DE LA SOCIÉTÉ
M. Antoine d'Abbadie, en Ethiopie, le père Roblet a pris
des signaux iialiirels pour sommets de ses triangles. Les
levés du père Roblet sont assez détaillés pour que l'auteur
n'ait pu faire entrer dans sa carte tous les éléments qu'il a
dessinés sur !e terrain. Ce beau travail, fruit de l'initiative
et du dévouement d'un seul homme, mérite les éloges que
nous ne ménagerons pas au père Roblet. Le père Koblet
est un Français, comme le sont les officiers de lit mission
diplomatique de 1886, comme le sont aussi M. le doc-
leur Catat, et M. Foucart, ingénieur, qui nous ont quittés
celle année même pour e.\'ptorer l'intérieur inconnu de la
partie sud de Madagascar. li!n attendant l'ère des levés ré-
guliers, il est bon de rappeler que la géographie de la
grande île a surtout progressé par les travaux de Fraocjais,
au nombre desquels M Alfred Grandidier conserve la place
d'honneur.
Une publication de ia London Missionary Society, Anta-
nanarivo Annual and Madagascar Magazine de 1888, a
donné un premier aperçu du voyage accompli de juillet à
novembre 1887 par M. Nielsen-Lund, missionnaire nor-
végien.
M. Nielsen-Lund, après avoir traversé d'abord le pays des
Bara dans les directions du nord-ouest, a navigué jusqu'au
pays de Tanosy, sur TOnilaby, tributaire de la baie de
Saint-Augustin. Du pays deTanosyil atteignit, au sud, un
désert où l'eau est rare. L'existence d'un désert ou plutôt de
steppes dans le pays des Bara s'explique par les caractéris-
tiques du climat que donne M. Nielsen-Lund. Pendant la
saison sèche, non seulement la pluie fait défaut, mais
encore le ciel reste presque toujours sans nuages et la
chaleur est intense. Aussi les herbes sont-elles très rares;
seuls les arbres dont les racines plongent loin dans le sol
conservent leurs feuilles et leur verdure. Peut-être ce
désert de Madagascar est-il dû aux causes générales qui
ont déterminé, sous la même latitude, la formation du
ET SUR LES PnOGRÈS DES SCIENCES GÉOGRàPHIQOES. 85
iésert Kalahari en Afrique, du déserl d'Alacama en Amé-
rique. On supposait que celle région inconnuL! consistait
en plaines semées de simples collines; le voy-ige du mis-
stoanaire norvégien aura son importance, en ce qu'il ré-
Tèlp la présence d'une région monlagneuse dont quelques
sûCQfuels dépassent 1,200 mètres d'altitude. Forl-Dauphin
ei4 le point où s'arréle la partie nouvelle du voyage
it M. Nielsen-Lund.
Conamc le pays des Bara, au sud, la partie nord de
Madagascar offre aux explorateurs un champ de travaux
à peine entamé, oii leur seul devancier a été M. Alfred
Grandidier. Une compagnie anglaise ayant conçu le projet
d'exploiter les richesses forestières de ce pays presque
iiicoanu, chargea M. llansome de reconniiître le terrain
sur une superlicie de 4,100 kilomètres carrés, à partir de
rèslrémitô nord de la baie d'Anlongil, dans l'intérieur,
wrs le nord-ouest, et de concentrer son attention sur le
fleure Antanambalana.
Après avoir franchi l'étroite ligne de forfits qui borde la
<-'ôle, M. Ransorae pénétra dans une région de collines qui
atteignent une hauteur de GOO mètres. De ces hjuleurs
{ircsque entièrement couvertes de forôts vierges, descend
ters le sud-e^st, le fleuve Antanambalana qui se verse dans
U mer près du village de Aiuroantsetra, dans la partie nord
<le U baie qui offre un bon mouillage. Par un fait excep-
Uoaoei pourMadagascar,rAnlanambalanasurlequelM. Ran-
torao donne beaucoup de détails, ne forme pas de barre à
»oa embouchure, mais présente un cours très sinueux.
A une trentaine de kilomètres de son embouchure com-
ueocenl des rapides qui se multiplient à mesure qu'on
aj>proche des montagnes; à quelques cinquante lulomètres,
" - ''inlérieur, de vériUibles cascades empiîchent les grands
s de remonter plus loin. Le seul affluent notable du
fleuve est le Vohimaro, sur la rive droite; il est pareille-
ment barré par des rapides.
86 nAPPORT SUB LES TRAVAUX OE LA SOCIÉTÉ
M. Ransonie vante la beauté des paysages, la fertilité du
sol et la boulé du cliiiiiU au point da vue de la végétation.
Les forêts sont peuplées de bois durs inconnus dans le
commerce. Parmi les fruits et les légutties, l'auteur cite
l'ananHS, le coco, la goyave, la banane, la mangue, l'orange,
le citron, le gingembre, le manioc, Ir haricot et le piment.
Le caoutchouc abonde aussi et on exploite ce produit vé-
gétal. La faune est représentée, pour les mammifères, par
des lémuriens. Les oiseaux et les reptiles, assez nombreux,
ont été étudiés aussi par l'auleur.
ijuant aux habitants du iiassin de l'Antanambalana, ils
appartiennent j\ la rare des Betsimisaraka; leurs cheveux,
sont généralement crépus et leur teint est pins foncé que
celui des Ova. Parmi eux viennent s'établir, pour une saison,
des Sakalava de l'ouest, et des Bara du sud, sorles à'aoû-
terons qui rentrent dans leur pays après Fachèvemenl des
travau-v des champs.
L'année qui va finir a apporté quelques nouveaux faits
à la connaissance du fleuve Zambézi et de son bassin. C'est
d'abord l'indication d'un bras du delta, le Tchindé, que
M. Raukin, à la suite de huit mois d'études, croit introduire
pour la première fois sur la carte. Un marin anglais auquel
l'hydrographie de cette côle doit beaucoup, le comman-
dant Wharlon, n'admet pas cette découverte et pense qu'il
s'agit du bras d'Inhaombé. Mais ce qui appartient plus sù-
remenlà IM. Hankin, e'estd'avoir montré que des bâtiments
jaugeant de 400 à 500 tonneaux peuvent remonter le bras de
Tchindé ou Inhaombé. Jusqu'à ce jour, d'après une note
du commandant Wharton dans le Scottisk geographicat
Magazine de ISHT, la navigation prenait le bras de Quaqua
pour pénétrer dans le Zambézi, et seuls des bateaux d'un
faible tonnage parvenaient à le remonter, non sans être
forcés de rompre charge plusieurs fois en route.
Les données contenues dans une communication du
ET 8PR I.CS PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES.
dorleur Oscar Lenz sur le delta de Zambézi, imprimée aux
UiHeilungen, ne s'accordent pas avec celte dernière indi-
calioo du commandant Wharton. Selon M. Lenz qui ex-
plorait le delta en décembre 1886, le Quaqua serait un
petit fleuve côlier; né tout près du bras principal du
fleuve^ il en serait séparé par une muraille d'argile qui,
iaoefsamment minée par les eaux de ce dernier, cédera tût
ou tard; alors seulement le Zambézi se jettera dans la mer
par le Quaqua comme par les autres bras du delta.
La carie de la Gbiré et du lac Nyassa est née pour ainsi
dire sous Qos yeux; elle date de la publication du deuxième
foyage de Livingstone, en i865. Au bonc de vingt-quatre
»i)s seulement, nous arrivent des déterminations astrono-
miques sûres pour appuyer les levés détaillés de ce bassin.
Elles sont dues h M. O'Neill, consul d'Angleterre pour ie
tVyassa. Déjà une première fois, il y a quatre ans, M. O'Neill
lïail déterminé la longitude de Diantyre. Ses observations
plus récentes poussent ce point légèrement dans l'ouest, et
tout le rivage ouest du lac Nyassa se reporte à un huitième
de degré dans l'est, par rapport au tracé de l'ingénieur
anglais Stewart. La fi)rine allongée du Nyassa subira donc
une réduction en largeur qui changera d'une manière très
appréciable son aspect sur la carte.
Pour la région du haut Zambézi et des pays limitrophes
«u ofird et au sud, nous devons des indications géogra-
phiques nouvelles à deux voyageurs anglais : un ami des
missions protestantes, M. Arnot, et un célèbre chasseur,
M. Selous.
H. Arnot qui a consacré à sou voyage près de sept ans,
a effectué une traversée oblique de l'Afrique australe, de
Nalai à Renguela. Son chemin, levé à la boussole, se con-
fond sur plusieurs parties avec ceux du major Serpa Pinto,
d« MM- Capello et Ivens, de Livingstone, de M. Gameron,
de M- Uolub, etc.; il touche Potscliefstroom, dans le
Transvaal et Chochong, capitale du Bii-Mangwato; il Ira-
88 HAPrORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
verse la partie nord-osl du Kalah;iri et examine la Botléllé,
singulier cours d'eau qui, à lu saison des piuics, coule dans
l'est, vers la sebkha ou marais salant de Ntwelw^é, tandis
qu'au début de la saison sèche, il coule au lac N'gami, dans
l'ouest. M. Arnot a été ie premier à indiquer le lien, qui
rattache le marais salant de Nlwetwé au bassin de Kou-
bango; Livingslonc, M. Holub el le major Serpa Pinlo
l'avaient marqué sur leurs cartes comme une cuvette isolée.
Sur la rivière Mabali et sur le Tchobé ou Kwando, qu'il
remonte, M. Arnot trouve le pays éprouvé par une grande
sécheresse. H redescend un peu au sud, à Panda-ma-Tenka,
où il savait pouvoir se ravitailler, puis gagnant Lialoui, sur
la Liba, il demande au roi des Barotsé la permission de
voyager dans ses États; après cinq mois d'fibscnce, il re-
lourne à Penda-ma-Tenka, Une seconde fois il remonte le
Zambézi, et repassant par Lialoui, il gagne enfin la colonie
portugaise d'Angola, à Belmonle, dans le district d'Ovihé ou
Bihé. De Benguela, ou plutôt de Bihé, M. Arnot repart
pour l'est en cheminant au nord de son premier itinéraire
et de celui de M. Caraeroo.
A Test de la Loumesé, haut affluent du Zarabézi, il arrive
à un des points les plus intéressaiHs de louL son voyage, à
la grande plaine de Tchifouraadji ou Kifoumadji, dont
M. Gameron avait entendu parler et qu'il avait cru Être un
lac important. C'est en réalité une vaste plaine sablonneuse
dans laquelle se trouve le petit lac Dilolo; pendant la saison
des pluies seulement la plaine est recouverte d'une nappe
d'eau dont la profondeur varie de 60 centimètres à un
mètre.
Au delà de cette plaine, M. Arnot pénètre dans l'ancien
empire de Lounda qui, florissant encore en 187li, s'est
(ondu depuis lors; nous avons ainsi un nouvel exemple,
après celui du royaume des Rlakololo, sur le Zambézi, de
la facilité avec laquelle, dans l'inlérieur de l'Afrique aus-
trale, se font et se défont les empires.
ET SDR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOCUAPHIQUES. 89
Franchissant le LouaUlba, l'un des premiers aflluents de
gaoclie du Congo, il entre dans le Gareiiganzé, connu au-
trefois sous le nom de Katani^a, et dont le chef M'sidi ou
N'siri, réside à Moukourrou-oa-Ouiikeya, sur la Loulira.
C'fst là, dans le Garenganzé, que s'étaient déjà renconirces
le» routes de M. Reichard, venu du nord, et de MM. Capello
H Ivens, venus du sud. A une quinzaine d'années en arrière
de nous, Garenganzé faisait partie de l'enapire d'Ouroua et
obéissait par conséquent au kaxembé lie ce pays. L'empire
d'Ouroua aussi s'est dénienibré et d'ancien vassal du ka-
•'•, M'siri, est devenu roi indépendant du Garenganzé.
...... re d'un gynécée de [»(}Û fiimrnes, M'siri a su leur pro-
curer des occupations utiles, en les chargeant de repré-
senter auprès de lui les gouverneurs de districts, et d'être
aussi les banquiers des tributs que ces gouverneurs doivent
verser au souverain.
M. Arnot a employé un séjour de deux années dans le
Garenganzé, à préparer la venue de missionnaires proles-
lanls. envoyés d'Angleterre eu 1885. Il a pu constater que
les cooinierçants musulmans de l'est ont déjà porté jusque-
iileurs opérations.
M. Arnot regagna le Bihé à peu près par la môme roule
qu'il avait suivie au commencement du voyage.
Les itinéraires de M. Selaus courent dans le bassin du
Zambézi jusqu'à cinq degrés à l'est de Lialoui où vient
»|e nous conduire M. Arnot. M. Seîous a suivi le haut Zam-
bézi, l'a longé à une quarantaine de kilomètres vers l'est,
dan» Tempire Maroulsé-Mambounda; plus à l'est, il a
poassé des pointes dans le Baniangwato, au sud du Zam-
bézi, et chez les Macboukoulouuibwé, au nord du m€me
fleare, jusque près de son afUuent la Kaloukwé ou Loen-
gué. La carte de M. Selous, après la carte du docteur
Uotiib* complète celles des deux premiers ouvrages de
Livingslone, pour le cours du Zambézi cl de ses affluenls.
90 BAPPORT SUn LES TRAVADX DE LA SOCIÉTÉ
Partant du kraal de Waiiki, sur la rive nord du Zanibézi
et à une centaitie de kiloaièlres à l'est des chutes de Mosi-
oa-lounya (VicloriaFalls), il a tracé, dans le nord un itiné-
raire en terrain neuf, jusqu'au village de Minenga, chez les
Machoukouloumbwé, à peu de dislance de la rivière Ka-
foukwé. M. Selousét»ii en route pour le pays deGarenganzé,
quand allaqué et pillé au kraal de Minenga comme l'avait
été son prédécesseur le docteur Holub, il dut se résigner
à fuir et ce n'est pas sans peine qu'il regagna le kraal de
Séchéké sur le Zambézi. Déjà les Matabélé du sud ont
poussé leurs incursions en pays Balukii, sur la rive nord du
Zambézi etjusqu'à moitié de la route entre le fleuve el le
territoire des Maclioukoulourabwé; leurs courses dévasta-
Iriues préparent sans doute quelque nouveau changement
politique dans la région déjà si bouleversée du Zambézi
central.
Au mois de mai dernier M. Selous a entrepris un nouveau
voyage vers le pays de Machona, à l'est du royaume
Matabélé; son but est de recliercher des placers d'or et
d'étudier une région où pourraient, pense-t-il, s'établir des.
agriculieurs anglais. Ce n'est là que le prélude d'une grande
expédition projetée par M. Selous qui veut atteindre le
Garenganzé en partant du Zambézi, descendre ensuite le
Loualaba jusqu'à N'yangwé, puis le Congo jusqu'à l'océan
Atlantique.
Ceux qui ne sont pas familiarisés avec la géographie afri-
caine sourient à ses noms bizarres, barbares, décourageants.
Il leur semble entendre parler de pays ou <îe peuplades
visités par Gulliver, (jn'ils s'y habituent, cependant, car peu
à peu ils verront s'en introduire un certain nombre dans
leurs journaux où les événements qui se préparent en
Afrique exigeront une place de plus en plus considérable.
En nous éloignant de la région du Zambézi, enregistrons
le retour à Kilimané d'un Français, M- Trivier, capitaine
rr SUR tES PBOGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES, ftl
au long cours qui, parli de la région du Congo, a effectué
nne traversée de l'Afrique. Il est impossible, quant à
prwent, de rien dire de ce voyage dont les détails ne sont
connus que d'après quelques lettres adress<'es par le voya-
geur au journal la Gironds, aux frais duquel i! a accompli
son voyage. S'il en rapporte des notes ou observations d'un
caractère scientifique, c'est-à-dire qui ajoutent quelque
chose d'important aux notions acquises déjà sur lus pays
qu'il a visités, la Société de Géographie sera heureuse de le
constater et le prochain rapport ne manquera pas d'en
aire mention.
Aurapporlde 1888, vous avez trouvé l'exposé sommaire de
l'exploration du comte Teleki et deM. von Ilôhne!, officier
de la marine autrichienne, dans l'intérieur de l'Afrique
équatoriale. Jusqu'à ce jour les résultats complets du
voyage n'ont pas été publiés; mais une communication de
SL von Hôhnel lui-même à notre Congrès, et un article
donné par les Milteilungenf permettent de juger l'impor-
tance de ce voyage.
Partie de l'embouchure de la rivière Pangani en février
18S7, l'expédilion suit le fleuve Rovouma dont elle relève
"0 kilomètres encore inconnus ; elle s'achemine sur le
msA^if du mont Mérou dont elle détermine l'altitude à
4,W6 mètres; elle gagne de là l'énorniu Kiliiua N'djâro, non
loin duquel, au moment de se mettre en route dans la
di^eclio^ du Kénia, elle est obligée de soutenir de rudes
combats contre les MasaT du pays de Kikouyou. En
octobre 1887, l'expédition parvient au Kénia ou Doényo
Bguéré, le « mont tacheté b des Masaï; puis, continuant sa
roule dans le nord, elle découvre de nouveaux lacs à
ajouter à ceux qui se développent dans l'Afrique orientale,
des rives de l'océan Iiulieii, en face Madagascar, au
bassin du Nil, sous le méridien moyen de 33°40' à l'est de
Paris.
RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIETE
MM. Teleki et von Hohnel nous apporleul, sur les
Ihcs le pli
de la côte, eiilre le 6' degré nord et le
voisit
4° degré sud de l'équateur, des informations précises. Ces
lacs, les uns gnmds, les autres petits, n'ont pas d'écoule-
ment; ils constituent autant de bassins fermés. Si les uns,
comme le Basso-Narok (lac noir) ou lac Rodolphe, le Baringo
et le Naïwacha renferment de l'eau douce, l'eau estsaléedaus
d'autres, tels que le Bassu-lîbor (lac blanc), le Nakoura-
Sekelaï, le Maou et le Manyara; à Soukouta, entre le Basso-
Narok et le fiaringo, le sol se déprime en un marais couvert
d'efflorescences de sulfate de magnésie, qui représente
évidemment le fond d'un lac desséché.
Le plus grand des lacs découvert;: par les explorateurs
autrichiens, le Basso-Narok, occupe un véritable désert.
De temps à autre seulement des éléphants viennent cueillir
des algues dans ses eaux faiblement salées. Au nord du
lac vivent les Rechiàl qui appartiennent peut-être k la race
oromo ou \^Ma, puis des colonies de Bourkénédji et de
Randilé. Ces derniers sont nomades et se rattachent aux
Somâli. Plus loin vers le nord-ouest habitent d'autres tribus
à peu près nouvelles pour ia gén^çruphie ; de ce nombre sont
lesTûurkana, dont avait entendu parler M. Joseph Thomson.
Dans leur p;iys s'élève un volcan cti aciivité. Ce serait le
second volcan de l'Afrique, car au Djebel Zer-hoùn, dans le
Maroc, M. Duveyrier, après Léon l'Africain el sur le dire
des indigènes, nous en a siynalé un dont M. Wulter B. Harris
a entendu parler récemment.
Le terriloire des lacs sans écoulement découverts par
MM. Teleki et von HiJhnel est bordé d'une chaîne de mon-
tagnes qui l'isole du bassin du Nil ; dans l'est une autre
chaîne dominée par te Kénia et le Kilima-N'djâro^ sépare
de l'océan Indien le bassin des lacs fermés de l'Afrique
oricnlale.
4
A une quarantaine d'années en arrière de nous, un Fran-
ET &DR LKS PnOCnivS DES SUIK>'CES CÉOCRAPEIQLES. ?3
çais, M. Antoine d'Abbadic, découvrait, an sud de l'Ethiopie,
la rivière Omo qu'il pouvait alors prendre pour l'uae des
ïorces du Nil. Le voyage de M. Borelli, s'ajoulant ;\ celui
MM.Teleki et vouHôhnel, a donné une solution presque
cotnplèle de la question de ]'0mo.
!\f. Borelli a consacré trois ans h explorer la haute
Elhiopic, et ses relevés, très exacts, viendront compléter h
l'est reiix de M. d'Abbadie. Ils se sont étendus, en effet, sur
cinq degrés de latitude, de Tatijuùra, sur le golfe d'Aden,
au mont Bobbé, dans le pays de Koullo, à 160 kilomètres
esl-sud-est de Bonga, en Kafl'a, et sur sept degrés de longi-
tude, entre Zêla, et les environs de Bongn.
En butte aux méfiances de Méiiélik II, roi de Chawâ,
M. Borelli dut se contenter d'abord défaire quelques excur-
sioas dans les Klals de ce souverain. Son début le
mena d'Anloto à Harar, dont Ménélik venait de s'emparer.
Il fut le premier Européen à profiler de la percée militaire
UD&i faite par le souverain du Chawà,
Dans une deuxième campagne, M. Borelli explora le petit
rovautne de Djimma, déjà visité par M. d'AbbarJie; il fit
l'ascension du mont Dendi et du mont llarro, anciens
volcans dont les cratères se sont transformés en lacs. Le
mont Harro.avec ses 3, 100 métrés d'altitude, forme le point
culminant du massif. De l'antre côlé de la Guibé, une des
télés de l'Omo, il gravit le taont Otché, traversa le royaume
de Limmou et fit l'ascension du mont Maï Gôudo, haut de
3,300 mètres et situé au confluent de la Godjeb dans l'Omo.
Plus loin dans le sud, il arriva, à travers une forêt de bara-
bou$y an pic de Kalfarsa, du sommet duquel il put faire des
relèvements dans les t«rres inconnues du sud. Sur sa route
vers le petit royaume de Zinguéro, dont les habitants
l'expulsèrent à coups de lance, il découvrit le confluent de
la Guibé dans l'Omo.
Revenant à Djiren, capitale du Djimma, il repartit vers
l'est, traversa l'Omo et arriva sur les confins du royaume
■Ql «APPORT SDH LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
de Kambatta où, du haut da moni Kobidja, il aperçut le lac
Abbala dont l'existence avait été signalée autrefois par
M. d'Abbadio d'après les dires des indigènes. C'est encore
de Djiren où il était rentré en Itaversant le pays de Wol-
lamo, que M. Borelii poussa une reconnaissance dans le
Koulio; il atteignit dans ce pays, par 6» 30' de latitude nord,
le point le plus méridional de son voyage, le inotil Bobbé,
d'où il put voir l'Omo s'enfoncer en serpentant dans la di-
rection du sud.
Les indigènes affirmèrent, à M. Borelii que ce cours d'eau
rOraOjSeperdaildaiis un lacappeléCharnbara.Cerenseigne-
menl concordait avec ceux d'après lesquels le voyageur alle-
mand Krapf, le missionnaire français Léon des Avanchers et
les voyageurs anglais Wakefleld et Joseph Thomson avaient
placé sur leurs cartes, approximaliveraent dans ces parages,
un lac Zambourou, Sambourou ou Bôo. A vrai dire le nom
de Sambourou qui ressemble fort à Chambara, est non pas
le nom du lac, mais, comme l'ont constaté MM. Teleki
et von Hohncl, celui d'une peuplade qui habile sa rive
orientale.
En apprenant, au Caire, les résultats de cette expédition,
M. Borelii fut amené, fort naturellement ce semble, à con-
sidérer le lac Basse Narok qui confine aux Sambourou,
•comme identique avec le lac de Chambara de ses infor-
mateurs indigènes.
Les considérations échangées entre MM. Borelii et von
HChnel pour éclaircir ce point, permettent de cuni^i-
dérer comme acquis un fait géographique que tous deux
acceptent; c'est qu'au lieu d'être un affluent do ^iil, la
rivière Omo appartient au bassin fermé du lac Basso Narok.
Il semble également presque démontré que les gens du
nord appellent Chambara le lac Basso I^arok, parce qu'il
borde le pays de Sambourou.
D'auires excursions faites par M. Borelii sur le chemin
du retour, au nord du Djimma, lui permirent de gravir le
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 95
mont Soumet, qui domine les vallées du Djimma et de
X.iaimou Enarya,; de visiter le pays de Hereto et d'aborder
le pays de Zinguéro que peuple une race spéciale, adonnée
aax sacrifices humains. M. Borelli put expérimenter la
férocité des gens de Zinguéro, car le chef, sous la conduite
et la protection duquel il était arrivé, fut tué dans un
conabat.
Rentré enfin à Antoto notre méritant compatriote s'éloi-
gnait de l'Ethiopie par la voie de Harar et de Zêla'.
En dehors des observations purement géographiques ce
voyage nous vaudra, pour ne toucher que les points les
plus saillants, deux années d'observaiions météorologiques
dans la haute Ethiopie, huit cents photographies des types
des races humaines, et des études ethnographiques et lin-
guistiques fort précieuses. La population de la région par-
courue appartient aux (rois races amara, oromoet sidama
qui sont étrangères à la famille nègre. Il n'existe plus
d' Amara pur sang; ce peuple est maintenant très métissé
par suite de nombreuses alliances avec des esclaves.
Les Oromo sont ce que nous connaissions autrefois sous le
nona de G;illa. Quant aux Sidama, il s'agit d'une famille,
dislincle des Amara et des Oromo ou Galla, et comprenant
les habitants d'une tr«'ntaine de pays, y compris le Kaffa,
semés dans le bassin de l'Omo.
M. Borelli, a rapporté aussi des vocabulaires kouUo,
tamb'«ro et hadia qui permettront de classer la race et les
langues sidama. Enfin le musée du Troradéro s'est enrichi,
grice à M. Borelli, d'une très belle collection ethnogra-
phique.
Au total, solidité et abondance des éléments ajoutés
à une partie, fort pauvre jusqu'ici, de la carte du sud de
l'Élbiupie, richesse des informations de toute nature
recueillies dans les pays visités, font de la mission conQée
à M. Borelli par le Ministère de l'Instruction publique l'une
des plus fécondes qui se soient accomplies. L'ouvrage dont
96 RAPPORT suit LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
la publication se prépare en ce moment établira les titres
iiiconlcstables de M. Borelli à la reconnaissance de la géo-
graphie.
La contrée droit au sud de Berbera^ port assez fréquenté
du j^'olfe d'Adeii, n'avait été visitée jusqu'à ce jour qu'à
une distance de "IW kilomètres sud-sud-ouest de Berbera,
où le vaillant Hagfçenmacher avait touché le point de
Libahéli. Les autres voyageui's, sur ce m&me terrain,
n'avaient pas dépassé le pied du Gan Libab, sommet de
2,895 mètres, qui couronne le versant du plateau intérieur,
à 90 kilomètre? seulement de Berbera.
Du mois de décembre 1884 au mois d'avril 1885, MM. P. -L.
et \V-D. James, accompagnés par MM. Aylmer, Loit-Phillips
et Thrupp ont accompli dans le nord des pays Somàli, un
voyage d'e.xploration plus étendu que tous ceux de leurs
prédécesseurs.
L'itinéraire de MM. James relie pour la première fois la
cûte africaine du golfe d'.^den au cours du fleuve inté-
rieur Wobi ou Webbé Chebejli, qui se perd dans un lac
près delà côte, au sud-ouest de Barawa. Le point le plus
méridional qu'ils aient atteint, près de Barri, sur le Ueuve
Wobi, est à 545 kilomètres dans le sud de Berbera et à
468 kilomètres seulement dans le nord de Barawa. Ils ont
rattaché Barri à Berbera par deux itinéraires dont l'écart
maximum dépasse 100 kilomètres et qui courent l'un à l'est
et l'autre à l'ouest du mont Gan Libah.
Sous le titre de The unknown horn of Africa, M. F.-L.
James a publié l'an dernier (1888) la relation de cet
important voyage, avec une carte dressée par MM. W.-D.
James et Aylmer. En dehors de son intérêt pour le public
en général, le livre est un document précieux pour la
géographie, et les sciences naturelles y trouveront des
appendices zoologiques et botaniques. Quanta la carte qui
est à grande échelle, et représente un pays jusqu'alors
ET Sfll LES PROCHES DES SCIENCES GÉOCUAPHIQUES. 07
inconnu, il ne parait pas qu'elle s'appuie sur des observa-
tions astronomiques. Cette partie du travail de MM. James,
malgré des divergences notables avecle tracé dcM. Haggen-
macber, inspire néanmoins toute la confiance qu'on doit
avoir dans un itinéraire soigneusement levé.
Dans la chaîne côtière, au sud-sud-est do Berbeia, naît
an cours d'eau important, le Toug Daïr, affluent de l'Oiiâdi
Nogûl qui coule au sud-est pour aller porter ses eaux
à l'océan Indien au nord du cap ItdsEl-Kheïl.
Au sud de la chaîne côtière dont fait partie le moni Gan
Libab, et qui n'est à vrai dire que le versant nord du pla-
teau intérieur, le sol, garni de touffes d'herbes serrées, est
^rsemé d'une espèce de mimosa ou d'acacia formant
parasol. Comme les plateaux du sud de la province d'Alger,
celui-ci paraît être un lieu de prédilection pour les graminées.
Vw autre région, plus au sud, est le Haoï^d, dont le nom
arabe veut dire « bassin », terres rougeâlres où les buissons
te montrent plus forts, plus hauts, et où les voyageurs ont
observé un minimum de température de 5* 7 le M dé-
cembre 1884. Ces conditions n'empCcheni pas le rhinocéros
cl plusieurs antilopes de vivre dans te Ilaoûd.
.\u delà commence le pays d'Ogadèn, que MM. James
ont parcouru les premiers. Jadis rOgadôn comme d'autres
contrées plus au nord, était habité par les Oromo ou Galla,
qui l'évacuèrent pour l'abandonner à des Somâ.liMedjourtîa
et ans Midgân. Un cours d'eau appelé Toug Fafan, qui
va se perdre au sud-est, dans les marais de Hîran, paraît
former la limite sud de ce canton qui avait été le but du
voyage incomplet de M. Ilaggen mâcher.
Le Wobi, Webbé ou Webbé Chebeyli, coule parallè-
lement à la Toug Fafan, et à peu de dislance dans le sud de
cette dernière rivière. Ici déjà, h 800 kilomètre de sa
perle, le Wobi est un cours d'eau large de plus de cinquante
nètreset profond à proportion. k\ï nord et au sud du fleuve
rirent des tribus de Somàli, telles que les braves et bons Rèr
soc. »K GÉOGR. — l" TRIHESTRC 1890. XI. — 7
98 nAPPORT SUR LES TKAVADX DU h\ SOCIÉTÉ
Hammer, les Hawija et les Aoulehan; une Iribu, celle des-
Âdoné ou AdoQÎ, est issue des esclaves amenés de la côte
par les Hawija ou par les Kounli, les Badbadan, les Badjimal
et les Dadji, qui vivent plus loin de cette parti du Wobi.
C'est par 5"29' environ de latitude nord que MM. James
ont touché le Wobi à Barri. Déjà, plus au nord, les Ougâs
Elmi et les RerDollol les avaient menacés d'une altaque et
les prêtres musulmans de Faf avaient essayé de soulever la
population contre eux. En reprenant le chenoiin de Borbera^
MM. James assistent à des combats entre les Adoné et les
Soraidi ûollûl. C'est là une confirmation nouvelle du carac-
tère querelleur, sanguinaire et cruel de la race somàli.
La saison des pluies avait commencé; la Toug Fafan qui
coule seulement pendant quatre mois de l'année, était
métamorphosée d'ouâdi en vérilable rivière, et les habitants
avaient transporté leurs villages de la plaine sur lescollines.
Le nouvel itinéraire, à l'ouest du premier, touche aux
anciens puits de llahi, forés parles Oromoj il passe auprès
delà mare de Darrorqui n'a que le nom de commun avec
la vallée découverte par M. llcvoil; enfin il atteint Berbera
après avoir coupé la chaîne côtière par les vallées de la
Toug Mandeira el du Toug Baba.
Le voyage de MM. James est incontestablement le plus
considérable comme étendue et le plus utile pour la géo-
graphie de tous ceux qui ont été accomplis jusqu'à ce jour
dans les pays des Somàli.
Avant d'en venir aux résultats des voyages de M. Stanley,
le rapport doit signaler les dernières acquisitions géogra-
phiques relatives au cours du majestueux Congo. C'est vers
lemilieu de son développement, entre les chutes de Wenya
(Stanley-Falls) el l'étang de Stanley (Stanley-Pool) que se
présentent, ceAte année-ci, les premiers travaux sur le
fleuve même en parlant de ses sources. Pendant la niission
du docteur Leox, de 1885 à 1887, le D' 0. Baumaan avait
ET SUR IJ:S PROGKKS des sciences GÉOGnAl'HIQl'ES. 99
fait un levé à la boussole du cours du Congo, en le remontant
de Stanley Pool aux Stanley Falls, c'est-à-dire sur une
distance de {,350 kilomètres.
Ce travail exécuté soigneusement s'accorde avec les
levés du commandant Rouvier aussi loin que soiL possible
1& comparaison des deux documents. M. Langhans, pour
la miseau net des levés de M. Baumann, a adopé les déler-
ininalions astronomiques de M. Ilouvier.
En 1888, un envoyé de la <«: Société du Congo pour te
commerce et l'industrie j, M. Delcommune, a accompli sur
im vapeur la reconnaissance de plusieurs afUuenls de la
Kasaï, y compris l'OvaboumaeL le lac Léopold II qui lui sert
de réservoir. H a remonté pendant 500 kilomètres laLokenyé
ou Ikatta, qui se jette danslextrémilé sud de ce lac; puis
d'autres tributaires du Congo, comme la Louloua, sur la-
quelle se Irouvc la station de Louebo. Ma remonté également
la Satikourou, aflluent sud; la Lomaai, tributaire de la
même rive, sur laquelle it a dépassé le point atteint deux
ans auparavant par le D' Wolf, et enlln la Kwango et ses
affluents laDjoumaet la Kwilou.
Dans l'étal de nos connaissances, les travaux de M. Del-
commune sur la Lomani ont une importance qu'il n'est
pas inutile de signaler ici. La Lomani, afHuenL de la San-
kourou, n'a rjende commun avec la grande Lomani, tri-
butaire direct du Congo, sur laquelle M. Delcommune avait
elTectué un trajet de 930 kilomètres, c'esl-à-dire vraisembla-
blemeat jusqu'aux environs du point ou M. V. Lovelt Ca-
ineron l'avait coupé.
Quand auront paru les certes du méritant voyageur belge
et de M. BaumauQ, le tracé du Congo et de ses tributaires
ttd prendra une pbysionomie toute nouvelle.
Nous devons à un autre explorateur, M. le D' Meuse,
ne carte de la dernière partie, fort longue, du cours du
Kwango, comprise entre les rapides ou plutôt la barrière
de locbers de Kigoundji, où s'était arrêté le commandant
100 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
von Mechow, et l'embouchure de ccUb rivière dans le
Congo. M. Mense accompagnait le missionnaire anglais
Grenfell, en \SS&. A ce propos, M.Wichmann fait observer
que les nouveaux calculs de M. von Danckelmann, pour la
hauteur du Slanlej-Pool, ayant donné 280 mètres, il faudra
augmenter de 40 mètres les altitudes publiiies par M. Grenfell
qui avait pour point de départ le Slanley-Pool avec l'ancienne
altitude de 240 mètres.
Depuis une dizaine d'années, les missionnaires baplistes
établis dans le bassin du Congo cherchaient la voie la plus
facile pour relier la ville de San-Salvador, dans le Congo
portugais, à la partie navigable du cours du grand Heure.
Vers la fin del'année 1888, M, Bentley aurait réussi à trouver
que c'est à Manyenga que cette voie nboutit sur le Congo.
La (. Compagnie du Congo » a fait étudier par des ingé-
nieurs, sur le terrain longeant le Congo au sud, le tracé d'un
chemin de fer destiné à remplacer lavoie d'eau, coupée par
des obstacles entre la station de Matadt, un peu en aval de
Yivi, etN'dolo prèsKinchacha(ou Rinchassa) sur le Slanley-
PooL La longueur de ce tracé, mesurée par les ingénieurs,
serait de 439 kilomètres et l'exécution de la ligne rencon-
trerait de grandes difficultés de terrain.
Jusqu'ici nous n'avons envisagé que le Congo même et
ses affluents du sud. Parmi ceux du nord, et en aval des
chutes de Stanley, il en est trois aussi, l'Arouwimi, la
N'gala et l'Oubangui, dont la counaissnnce aura progressé
cette année. Les Proceedings de la Société géographique
de Londres nous ont présenté ces progrès sur une carie du
Congo central dressée par M. Turner. C'est à MM. Werner
et Baerl, employés de TEIat du Congo que nous devons
ceux qui concernent FArouwinii et ia N'gala, En remontant
l'Arouwimi jusqu'à Yamhouya, station jadis occupée par le
commandant Barttelot, M, Werner a rencontré des bancs
de sable entre lesquels il avait à chercher un canal suffi-
ET SUR LES PnOOnÉS DES SCIENCES GÉOCRAPHIQUES. 101
saïunaent profond pour sa barque à vapeur. Sur les points
oî» M. Stanley avait vu des groupes de population, il n'existe
plus maintenant que forêt et clairières; les musulmans escla-
vagistes de Tippou-Tib qui ont ruiné le pays, s'opposent,
dit-on, à la reconstruction des villages. Ils espèrent ainsi
trouver les habitants de la contrée toujours disposés à se
joindre à eux dans leurs chasses à l'esclave.
L'exploration de la rivière N'gala ou Mongalla, par
M. Werner, est toute nouvelle. Elle noua révèle un cours
d'eau formant d'innombrables méandres, au milieu d'une
forêt marécageuse habitée par des être pauvres, qui pra-
tiquent l'anthropophagie. Ils paraissent appartenir à la
tnba des Basoko, de l'Arouwini. Quelques-uns de leurs
•villages sont bâlis sur pilotis.
Un coup d'oeil sur la carte nous montre cette rivière, la
X'gala, appelée à tort Bangala par M. Stanley, lors de son
premier voyage, coulant à un degré à peu près à l'est du
grand Oubangui ; nous voyons aussi l'Oubangui inférieur
coulant, sur une distance d'environ 200 kilomètres, si près
da Congo, oîi il débouche, qu'en un point, à 120 kilomètres
de son confluent, il est sfiparé du fleuve par un véritable
iàlbme large de 10 kilomètres.
Néanmoins, un afduent de l'Oubangui, la Loï, que
M. Werner a cru devoir appeler du nom de N'guiri, s'est
frarê un passage en longueur dans la largeur de l'isthme.
Peut-être celte singulière disposition a-l-elle fait naître
rhypolhèse admise par les Européens de ces parages, que
l'Oubangui aurait plusieurs confluents, dont l'un par la
Loi, avec le Congo.
Ses observations ont conduit M. Werner à une conclusion
•nie. Il a vu, entre les confluents de la N'gala ol de
. ....^(angui, des canaux dérivés du Congo couler pendant la
fJus grande partie do l'année, selon les indigènes, vers la
Loi, affluent de l'Oubangui. Quand les eaux du Congo
comniencent à baisser ces raOmes canaux coulent dans le
102 EAPPOUT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
Congo et M. Werner en infère que l'Oubangui baisse moins
vite que 1« Congo. A quelques kilomètres en remontanl la
N'gala, il a vu, sur la rive ouest, un canal qui conduirait,
directement dans la Loi. Il y a donc ici, sur les affluents
Dords du Congo, comme sur les afQucnls nord du Gange,
sous le méridien de Mourchidabâd, tout un vaste réseau
d'anastomoses reliant entre eux les tributaires d'un grand
fleuve.
L'an dernier, ft pareille époque, les nouvelles de M. Stanley
remontaient au mois de juillet 1887 ; c'est donc plus
de deux ans de travaux qu'il faut résumer aujourd'hui
en s'appuyant sur des lettres arrivées en Europe jusqu'à ce
jour.
Le 22 juin 1887, M. Stanley paitait de la station de
Yamhouya, sur l'Arouwimi , avec une troupe de 394 hommes,
dont cinq Européens. Uemonlant la rivière, il entrait dans
la forêt vierge qui est le Irait caractéristique du coïur de
l'Alrique équaloriale. L'Arouwimi, contrairement à ce qu'on
avait supposé lors de sa découverte, coule de l'est à l'ouest
et non du nord au sud ; elle reçoit, du nord, la Nepoko,
rivière dont la découverte appartient h M. Junker, qui
l'avait vue chez les Mabodé. Ainsi l'exploration a relié les
résultats des explorations de M. Junker parti du bassin du
Nil, aux découvertes faites dans le bassin du Congo. A
Ougarrowwa oii î'Arouwimi prend le nouveau nom de
Nownllé, h Kilonga-Longa où elle prend celui d'Itiri ou
Itouri, M. Slanley trouve des établissements de musulmans
de la côte orientale; il laisse à leur garde ceux de ses
hommes qui sont malades ; c'est une preuve que, Ik du
moins, n'a pas agi la recrudescence de fanatisme qui se
manifeste parmi les musulmans.
La géographie connaît depuis plus de deux siècles un
pays de Kakongo, au nord du Congo et non loin de l'em-
bouchure de ce lleuve. Au sortir de la zone des forêts
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 103
■vierges, à l'extrémité orientale du bassin de l'Arouwimi,
M- Stanley trouve un peup2e de Kakongo qui peul-Ôtre
est la souche des habitanl« du vieux pays do Kakongo,
L'explorateur est obligé de lui livrer des combals pour
atteindre des hauleurs de 1,080 mètres, d'où la vue plonge
sur la nappe d'eau du M'woulan, du Loùla-NV.Îgué, ou lac
Albert. Mais, harcelé par les habitants et ne recevant pas de
nouvelles du D'' Schnilzer, autrement dit d'Euiîn-Pacha, ii
revient sur ses pas jusqu'à Ibwirri, une de ses stations au
nord de l'Itiri ou Arouwimi. Là, il établit le camp de Bodo.
Le 2 avril 1H88, neuf mois après son départ de Yambouya
qui n'est pourtant qu'à 500 kilomètres environ de Bodo, il
part pour la pointe sud du lac Albert; il y arrive, le 23 avril,
à Kavalli et sept jours plus tard, ii se rencontre avec Eraîn-
Pacha qu'il a mission de secourir. Sans perdre i!e temps,
M. Stanley regagne son camp de Bodo; de là, par un itiné-
raire nouveau, il atteint Ougarrowwa puis, par l'Arouwimi,
le dép6t qu'il avait laissé àBanalyaen amontde Yambouya.
Il apprend là l'assassinat du commandant Bartlelot.
L'arrière-garde de l'expédition laissée sous les ordres de
cet olUcier supérieur, a été réduite par des désertions qui
avaient suivi l'événement-, mais le ravitaillement étant encore
suffisant, M. Stanley repart pour rejoindre Emîn- Pacha avec
les provisions et du renfort.
En 1 iO marches seulement, il arrive, le 18 janvier 1889,
sur le lac Albert oh l'attendaient de graves nouvelles. Les
partisans du mahdî qaderite ont envahi le pays; les troupes
d'Emîn-Pacha se sont révoltées et, depuis le 18 août 1888,
Emîn-Pacha lui-môme est prisonnier de l'insurrection.
Un grand nombre de postes militaires placés sous les
ordres du gouverneur du Snud.m égyptien, se sont rendus
aux envahisseurs qui n'ont subi qu'un seul échec, devant le
poste égyptien de Douûi. Du 14 février au 8 mat 1889,
M. Stanley reste dans !a position qu'il a choisie, attendant
£iutn-Pachaï il espère que la nouvelle du renversement du
i04 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
gouverneur est un bruit mensonger, mais, elle n'était
que trop exacte; louteTois M. Stanley fit bien d'attendre
car, le 17 février 1889, il vit arriver au camp, près
Kavalli, deux vapeurs montés par Emîn-Pacha avec une
partie de son inonde. Néanmoins, EmÎQ-Pacha n'était
pas encore sauvé et M. Stanley dut parlemenlcr près d'un
mois pour décider le gouverneur et le capitaine Casati à
l'accompagner. II s'agissait de les convaincre qu'en quit-
tant l'ancienne province équatoriale d'Egypte ils n'aban-
donnaient pas leur poste puisque leurs soldais, au nombre
de 10,000, s'étaient ouvertement révoltés contre eux, leur
avaient refusé l'obéissance et les avaient même emprisonnés.
Les quelques soldats égyptiens qui avaient suivi Eraîn-Pacha
essayaient déjà de pousser à la révolte les hommes
de M. Stanley, auxquels ils volaient leurs carabines toutes
les fois qu'ils en avaient l'occasion.
Enfin, le 10 avril, l'expédition partit du camp près
Kavalli. Elle comptait 1,500 individus, y compris350 porteurs
indigènes, avec une troupe de femmes eld'enfants, les familles
des soldats égyptiens. Après avoirlongé d'abord la chiine des
monts Ballega, parallèle au lac Albert, à 75 Kilomètres dans
l'ouest, la colonne atteignit la cbaîne des Rouwenzori,
jusqu'alors inconnue. Les sommets des Rouwenzori sont
couverts de neiges perpétuelles, à un degré au nord de
l'équaleur et à un millier de kilomètres de la raer la plus
voisine, l'océan Indien.
M. Stairs, officier de la marine anglaise, tenta de suite
l'ascension des Rouwenzori, mais il dut s'arrôter à
3,250 mètres, c'est-à-dire passablement au-dessous des
premiers champs de neige.
Si l'évaluation de M. Stairs est exacte, le pic gravi en
partie atteindrait l'altitude de 5,059 mètres, sûil635 mètres
seulement de moins que celle du Kilima N'djaro. Le sommet
auquel s'était attaqué le voyageur n'est d'ailleurs pas le
point culminaût des Rouwenzori. De ces monts descendent
4
ET SUR LES PnOGIlKS DES SCIENCES GÉOGRAPHIOUES. 105
une cinquantaine de cours d'eau qui vont, au nord, se
perdre dans le lac Albert. Ne semble-t-il pas voir se véritier,
à peine inudiGée en latitude et longitude, la vieille tradition
grecque des sources du NilV
Uemonlanl, à l'est du Rouwenzori, la vallée de la Sem-
liki ou Kakibbi, afiluent sud du lac Albert, M. Staaley tra-
verse, au sud, l'Awamha, pays inconnu; l'Ousongora, large
presqu'île sur le lac Mwouta N'zigué auquel il donne le nom
d'Albert-Edouard; le Toro ou Torou, au sud du Gambara-
gara; leNhaizana, jusque-là inconnu etiecanlon d'Ounyam-
paka, sur ce golTe Béatrice oîi lui-môme, jadis, avait décou-
vert le lac Albert-Edouard.
Par iaSemliki, le lac envoie ses eaux dans celles du lac
Albert, qu'il domine de 300 mètres.
D'Ûunyampaka, M. Stanley prend au sud-est, traverse le
pays inconnu d'Ankori ou Ousagara; leKaragwé, vu d'abord
par le capitaine Speke, à l'ouest du lac Victoria; l'Onzinza,
plus au sud. Il touche enlin la partie sud du lac Victoria ù
l'un des établissements des missionnaires anglais de la
c Church Missionary Society > De ce point qui fait face à
Zanzibar, on n'a, en temps ordinaire, que l'embarras du
choix entre les chemins. Mais ie moment du passage de
M. Stanley avec sa petite armée était exceptionnel. En efiet
leuiouveraent qu'on est convenu d'appeler mabdistc, et qui
avait enlevé à Emîu-Pacha la province des lacs nilotiqucs,
des réservoirs du Nil, semble s'être propagé jusque dans
l'Afrique orientale allemande. Ainsi s'expliquerait une expé-
dition militaire conduite par le capitaine Wissmann dans
rOuségoura, au nord-ouest de Bagamoyo. Le succès n'a pas
déserté la cause de M. Stanley et, le 4 décembre, lui et Eraîn-
Pacha touchaient enfin la côte, à Bagamoyo.
Il y a cinquante ans, nous n'aurions pas pu parler,
comme anjouid'hui, d'un J:iit qui s'accomplissait le 4 dé-
cembre dans l'intérieur de l'Afrique. Nous n'aurions pas
pu ajoutera la mention du ce l'ail l'exposé des acquisitions
106 nAPPonr scn les thavaux de la société
les plus marquantes dont la dernière campagne de M. Stan-
ley a enrichi la géographie.
Le chemîn'qu'il a parcouru est trop longjles résultats obte-
nus sont trop importants, les lettres de l'explorateur ont
été trop rares, trop sommaires, et !e temps attribué à la lec-
ture df! ce rapport est trop limité pourpermettre l'exposé des
aventures qui seront, aux yeux de beaucoup de lecteurs,
ratlraction principale delà relation du voyage. Ces pages
doivent d'ailleurs être consacrées à la géographie, non
aux épisodes d'une (épopée d'ailleurs très extraordinaire.
Voici donc ce que la géographie a gagné à un voyage de
deux ans et neuf mois, accompli par l'homme qui était le
mieux préparé à l'entreprendre, M. Stîinley a découvert
jusqu'à ses sources le cours supérieur d'un grand affluent
du Congo dont lui-môine et des voyageurs français el belges
avaient fixé le cours inférieur. En remontant cette rivière,
il a découvert une forêt vierge impénétrable, vérilahle rati-
raille d'arbres séculaires et de lianes gigantesques, qui
s'étend sans interruption sur une profondeur de quatre
degrés, soit 440 kilomètres, et qui parait se prolonger de la
haute Itouri, à quelques cent kilomètres dans le sud-est.
L'existence d'une véritable forêt vierge en Afrique est
un fait digne d'attention car, à latitudes égales, ce conti-
nent avait passé jusqu'ici pour plus pauvre en bois épais
que les autres continents, l'Amérique par exemple.
Nous savions que des nains ou pour parler plus exacte-
ment, des hommes de fort petite taille, au type, aux mœurs,
au langage tout il fait particuliers vivaient, disséminés en
groupes peu nombreux, dans les bassins de la Wéllé et de
rOgôoué. M. Stanley paraît avoir trouvé dans la grande
forôt vierge la véritable pairie de cette race humaine, dont
les anciens, qui en avaient entendu parler, plaçaient
l'habitat vers les sources du Nil.
Les anciens n'avaient donc pas été trop mal renseignés.
€euxdes hommes d'Afrique que nous pouvons tenir pour
ET Sm LES PROGRftS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQCES. 107
les plus primitifs sont restés, comme peuple, cantomaés
dans les bois impénétrables, dans les fourrés éternels qui
les ont abrités contre les races pins fortes, tout en leur
assurant, pour leur alimentation, le gibier qu'ils savent
tuer avec des (lèches enduites d'un poison subtil, ou faire
tomber dans des fosses recouvertes de branchages, quand il
s'agit de gros animaux.
Tout faisait penser qu'à l'ouest du Nil, le lac Albert
était le dernier réservoir où s'emmagasinent les eaux du
grand fleuve. M. Stanley a découvert un autre réservoir, le
lac Edouard-Albert, situé plus au sud, h la hauteur du der-
nier tiers du lac Vicloria. Il a découvert aussi, dans le
Senniiki, un cours d'eau important qui relie ce lac. à l'an-
den lac Albert.
Depuis la découverte des premiers monts neigeus de
l'Afrique équaloriale — il y a de cela quarante ans — leur
nombre s'était accru jusqu'à onze, en coraptaal ceux où la
neige fond pendant une saison. Toutes ces montagnes
étaient groupées dans la partie orientale du continent, sur
l'espace assez resserré de quatre degrés de latitude et de
deux degrés de longitude.
M. Stanley a découvert une chaîne do montagnes cou-
rant à l'est du lac Albert, de la vallée delà Semliki et du
lac Edouard-Albert, Elle regarde à l'ouest une autre chaîne
plus basse, celle des monls Malcgga qui courent p-irallèlc-
cnent, bordant de ce côté la dépression qui contient les
deux lacs. La chaîne orientale s'éltve sur une plaine dont
le niveau qui est de 840 à 8ôO mètres dépasse peu celui du
lac Albert. Celte chaîne se divise en trois parties : au nord,
en Ounyoro, sur un développement de 170 kilomètres, ses
altitudes varient de 1,150 à 1,750 mètres; sa partie centrale,
située sous les mêmes parallèles que la vallée de la Semliki,
s'élève de 2,050 à 5,434 mètres. C'est là qu'elle atteint, dans
le Hou"wenzori, son point de culminalion. La partie sud en
Oobaiyana, en Ounyampaka et en Ankori, s'abaisse et n'a
108 n,\i'Pi>iiT sua les travaux dr la société
plus que. 1,400 ù 1,800 mèlres d'altitude. Longue à peu près
comme la chaîne des Pyrénées, elle dépasserait donc, au
centre, non scnieraenl la hauteur du pic deNéthou, mais,
de quelques 600 raèlres, celle du géant des Alpes, du
Mont-Blanc. M. Stanley a fait remarquer que la chaîne
découverte par lui à l'est des lacs Albert et Albert-Edouard,
et à l'ouest du lac Victoria et du Nil Blanc, présente ses
deux niiniraa d'élévation à la hauteur des deux lacs Albert
et Edouard-Albert.
Selon lui aussi le Rouwenzori ou Rouwendjoura sérail le
massif auquel les géographes anciens qui ne le connaissaient
que par ouï-dire, avaient donné le nom de t monts de la
Lune » .
C'est au lieutenant Slairs, compagnon de voyage de
M. Stanley, que la Fcience doit la première tentative d'tixplo-
ration du Rouwenzori. Entreprise avec des porteurs nalifs
du Zanzibar, vôLus à la mode de la zone équaloriaie et mu-
nis d'une provision insuffisante de vivres, cette tentative ne
pouvait Être couronnée de succès. Sortant des forêts de la
plainp M. Stairs commença l'ascension au milieu des der-
niers établissements indigènes, où déjà le bananier a dis-
paru. A mesure qu'il s'élève il rencontre successivement
une forêt de bambous, des herbages, puis des fourrés de
bruyères arborescentes hautes de 6 mètres, parmi les-
quelles poussent encore des bambous nains, des violettes et
des lichens. Le sol est couvert d'une mousse spongieuse et
humide; un brouillard froid obscurcit l'air.
A 3,254- mètres d'aMitude, M. Stairs est forcé de renoncer
à s'élever jusqu'aux premiers champs do neige, dont il
n'était qu'à une distancu d'environ 4 kilomètres et demi. I^
sommet à 300 ou 370 mètres au-dessous duquel il les aper-
cevait, doit avoir, d'après l'estime de M. Stairs, 5,095 mètres
d'altitude absolue soit, si l'évaluation est juste, 635 mètres
seulement de moins que le Kilima-N'djûro. Le pic auquel
M. Slairs s'était attaqué et qui lui paraissait terminé par un
ET SCR LES PROGBÈS DES SCIENCES GÉOCRAPHIQiES. 109
cratère, n'est pas le plus haut du massif du Iloowenzori ; les
nuages ou le brouillard lui cachaient le point culminant du
massif, celui qu'on aperçoit de Kavalli, c'est-ù-dire du lac
Aibcrt.
Ainsi, à 2 degrés de latitude plus au nord que le Kénia,
à un degré seulement de l'équaleur, et un à peu plus du tiers
de la distance entre l'océan Indien et l'océan Atlantique, la
mystérieuse Afrique nous cachait un massif alpestre, avec
des sommets neigeux plus haut que l'Elbrouz, et rivaux du
fameux pic d'Orizaba, Est-ce à dire que PLolémée ait été
assez bien renseigné sur la géographie de celle partie fermée
de l'Afrique pour avoir entendit parler du Rouwenzori? Il
n'est pas permis de l'admettre. T^es monts de la Lune sont,
ou bien un massif beaucoup plus près de l'Egypte, ou
même une conception du géographe ancien pour expliquer
les crues du Nil, tout en faisant rentrer le Nil dans la règle
rraphique à laquelle étsient soumis les autres grands
.i^;^ves de !a mappemonde antique. La carte d'Afrique de
Ptolémée est une carte dressée sur les renseignements des
indigènes et non d'après des mesures réelles; ces renseigne-
ments (qui augmentent toujours les distances véritables)
pnrtaient du nord; ils ont été combinés et portés par Pto-
lémée sur une projection où le degré était trop petit d'un
sixième, comme on peut s'en rendre compte en comparant,
par exemple, la haute Egypte de Ptolémée à celle des
cartes modernes. Par conséquent ce que le géographe grec
place sous l'équalear, en Afrique, est à plusieurs degrés plus
«u nord. La nature confirme, il est vrai, le rêve et
l'erreur du vieux géographe ; la joie des érudits champions
des classiques se comprend; mais la justice obligea resli-
luer à l'expédition de M. Stanley l'honneur de la décou-
verte et l'exploration du llouwenzori, du massif neigeux qui
alimente les deux réservoirs occidentaux du Nil.
Après les voyages des capitaines Speke et Grant, après
le périple du lac Victoria par M. Stanley, après les nombreux
no RAPPORT SCR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ, ETC.
voyages qu'y ont fait, plus tard, les missionnaires anglais,
on pouvait croire fixée la forme du lac Victoria. Il n'en était
riea; ua archipel raontueux avait fait illusion eu masquant
aux navigateurs un élargissement inconnu de cette grande
nappe d'eau dans le sud-ouesl, entre les pays d'Ouzinza et
d'Ouhaïya. M. Stanley a eu la satisfaction de corriger lui-
même son œuvre. Il nous apprend que la superlicie du iac
Victoria serait de 20,900 milles carrés, c'est-à-dire qu'elle
excéderait de 1,900 milles carrés l'estimalion faite na-
guère par le capitaine Speke.
Certes, la dernière expédition de M. Stanley n'avait pas
été entreprise dans un but de pure science, mais il faut
reconnaître qu'elle a été l'occasion de découvertes impor-
tantes au point de vue de la géographie.
Tel est, dans la limite imposée à une lecture en séance,.
l'exposé des principaux voyages par lesquels l'année 188&
aura contribué aux progrès de la géographie.
S'il était reçu qu'un rapporteur se mette lui-même en
cause et qu'un rapport ait une épigraphe, le résumé que
vous venez d'entendre devrait Être précédé de la phrase de
Montaigne: < J'ay seulement fait ici un amas de fleurs
estrangières, n'y ayant fourni du mien que le filet à les
lier. »
L'UNIFICATION DES HEURES
M. 1«. DE IH*RDI,i:VKl
1. — • HtSTORlQUE ET KOTATION DES HEUHES.
Dans l'anliquité ot pendant les prenaiers dix ou douze
siècles de notre ère, le lever el le coucher du soleil étaient
les grands régulateurs de l'activité journalière des hommes.
Il n'y avait pas d'autre repère certain pour les deux divisions
naturelles : le jour et la nuit. Le jour était subdivisé en
douze heures, comptées à partir ^u lever du soleil. A midi,
OD disait qu'il était six heures, et au coucher du soleil
douze heures. Les indications horaires de l'Ancien et du
Nouveau Testament sont conçues dans ce sens, La nuit
était, à son tour, subdivisée en douze heures, comptées à
partir du coucher du soleil. La durée d'une heure de jour
n'était donc que par exception égale à celle d'une heure de
Duil et variait, sous noire latitude, du simple au double.
EL de même pour les heures de nuit.
Vers l'an 1300, on commençait à avoir des horloges, et
l'oD peut dire que cette invention marque le commence-
ment d'une guerre de cinq cenls ans entre le pendule et la
routine. Les contemporains du Dante entendaient que les
1. La question de rUaificalion des henres • été traitée par M. d»
Korrflioir, une premièra fois, dans la Revue générale des chemins de
fer, n* d'a»ril 1888. En venant l'exposer dovanl la Société de Céogra-
flue danilaaéance du 91 février 1890, il n'a fait que répondre à un
ajipet gracieux que celle-ci iui'avait adressé.
112 l'unification des heuhes.
pendules marchassent avec des vitesses différentes le jour
et la nuit, de façon à toujours marquer douze heures au
lever et au coucher du soleil. On se fatigua cependant de ces
vains efforts et on finit par laisser les pendules marcher de
la mêmevilesse pendant vingt-quatre heures. Kn divers pays,
notamment en Italie, on compta alors les heures de zéro k
vingt-quatre, à partir du coucher du soleil. Mais — nou-
velle difticullé ! — comme l'heure du coucher du soleil va-
rie chaque jour, et parfois de deux minutes, il fallait encore
donner de fréquents coups de pouce pour « faire sauter
l'heure ».
On s'avisa enfîn de régler les horloges non plus sur le cou-
cher du soleil, mais sur le midi vrai, c'est-à-dire l'instant où
le soleil passe au méridien de chaque localité. C'est apparem-
ment de ce ril-glement des horloges à midi, combiné avec le
changement de date à minuit, que provient notre division
actuelle du jour en deux fois douze heures, division passa-
blement bizarre, puisqu'elle recommence à mi-chemin, et
passablement incommode, puisqu'elle nous oblige ii. distin-
guer sans cesse huit heures du matin de huit heures du
soir, etc.
Pour faire cesser cette incommodité, on propose une ré-
forme bien simple, on propose de dire treize heures au lieu
de une heure du soir, quatorze heures pour deux heures,
dix-huit pour six heures du soir et ainsi de suite jusqu'à
vingt-quatre heures pour minuit. Les Américains, toujours
avides de progrès, ont déji réalisé cette réforme sur une
vaste échelle. Dès 1887, « ïAc24 hùur system » était appli-
qué sur 4,500 kilomètres de chemins de fer, et à la fin de
188811 s'étendait sur près de 11,000 kilomètres. La Société
des ingénieurs civils américains publie périodiquement des
listes nominatives des partisans du nouveau système. Au
dire de M. Sandford Fleming*, les directeurs de 220,000
1. Lellr« particulière du 31 janvier 1890.
L^'NIFICATJON DES IIEURKS- 113
très de chemins de fer sur un total de 200,000 se-
raient, à l'heure qu'il est, gagnés à la réforme.
Pour la réaliser pratiquement, les Américains n'ont pas
attendu la confection de nouvelles montres; ils se sont bor-
nés à coller sur les anciens cadrans des feuilles de papier
portant un second anneau, intérieur, de chilFres. Il parait
qo'on s'y habitue extrêmement vite, que le public se mon-
tre sympathique et que le personnel des chemins de fer s'en
applaudit hautement. Il est certain que les indicateurs des
chemins de fer gagnent beaucoup en clarté.
Pour ma part, je considère la réforme en question comme
un progrès incontestable, et je crois qu'elle nous arrivera
an jour. L'administration des télégraphes italiens l'a, dit-
on, déjà introduite dans son service intérieur. Malgré cela,
i~ d'avis de ne pas nous presser, de voir venir. Nos po-
, uns européennes sont plus routinières que les améri-
caines. Il y a d'ailleurs une question dont je ne vois pas en'
core la solution, celle des sonneries des pendules et des
horloges. En Amérique, elles continuent à sonner deux fois
douze heures, tandis que les cadrans et les indicateurs
ouvquent une fois vingt-quatre heures. Gela ne pourra pas
indéfioimeut. Tôt ou lard on voudra modifier les son-
. Cela coûtera cher. El dans quel sens les raodiliera-
V-onî Fera-l-on sonner jusqu'à vingt-quatre coups? Je ne
le coascilleraispas en France, car personne n'aurait le temps
ni lu patience de les compter.
Je vous ai entretenus de cette question de notation parce
que je l'ai pour ainsi dire rencontrée sur mon chemin,
' ille n'a rien de commun avec l'unification des heures,
iquelle oiiridentifie trop souvent.
IL — L'unification intérieure des heures.
Eu réglant les horloges à midi, on n'était pas au bout des
difficultés. Elles obéissaient mieux au soleil; mais — qui
SOC- 1>E OÉOGH. — 1" TBIJIKSTBE 1890. XI, — ^
L UNIFICATION DES HEURES.
l'aurait cru? — il y avait encor dos différences alleignant
parfois quinze à vinj^t secondes par jour, et il fallail toujours
de petits coups de poucel C'est que notre astre du jour n'a
pas la marche égale d'une pendule. Selon tes saisons, il met
quelquefois plus de vingt-quatre heures, quelquefois naoins
de vingt-quatre heures à revenir au méridien. Le cadran
solaire, qui indique le passag^e du soleil au méridien et qui
marque pour nous le Icmps vrai, n'est d'accord avec un
bon chronomètre, marchant d'un pas égal et donnant la
temps moyen, que quatre fois par an, inégalement espacéesi
Les plus grands écarts se produisent vers la mi-février et la
Toussaint, sans dépasser quinze à seize minutes. Malgré
cela, on s'ohstinait, encore à la fin du siècle dernier, à œ tenir
les horloges sur le soleil ». En 1780, le célèbre Lepauta
construisit, ii celefiet, une « horloge automatique » pour la
ville de Paris, el, en 1806, une autre « horloge à équation t
fut couronnée à une esposition au Champ-do-Mars.
Cependant les hommes de bon sens se demandaient si ces
moyens n'étaient pas hors de proportion avec le but, si pour
un écart de si\ à sept minutes en moyenne il était raison
nable de renchérir le prix des pendules, de les compliquer
et de les rendre plus sujettes à se déranger. Mais les cheva
liers de la routine ripostaient : « Si te midi du soleil ne
tombe plus sur douze heures de l'horloge, les hommes de
métier seront déroutés dans leurs travaux. Les boulangers,
trompés par les horloges, ne seront plus prùts à l'heure elle
peuple manquera de pain ! ' »
C'est à la ville de Genève qu'appartient l'honneur d'avoir
rompu avec la superstitioa du soleil. A partir du l""^ janvier
1780, les horloges de Genève ne furent plus contrariées par
la main de l'homme et marquèrent le temps moyen.
Londres suivit l'exemple en i79i!, Berlin en 1810, Paris
■1. Histoire de l'heure. Conférence donnéo à la Sociiité royale bclga
do Géographie le 30 mm-s iHUiS, par M. Houzg»u.
L'DNIFICATION DES HEPRES. 115
1816. Et encore à cette époque, M. de Chabrol, alors préfet
de la Seine, redoutait à ce point un raouvement insurrec-
tionnel dans la population ouvrière, qu'il ne signa l'ordon-
nance qu'après avoir demaudé un rapport spécial au Bureau
des loni^itudes '.
Depuis lors et jusqu'à l'apparition des chemins de fer,
tous nos cadrans marquaient le temps moyen, et, bien
entendu, le temps moyen local, les horloges des dillërentes
localités avançant les unes sur les autres à raison de quatre
minutes par degré de longitude est. Celles de Paris avan-
çaient de vingt-sept minutes sur Brest, relies de Nice avan-
çaient de vingt minutes sur Paris. Le public ne s'apercevait
goère de ces différences. Ce sont les chemins de fer qui les
out mises en relief. Le mécanicien, le chef de train qui
tttrtait de Paris avec son chronomètre réglé, ne devait pas,
oe pouvait pas y toucher en roule, pour le mettre en accord
avec les heures locales qu'il rencontrait sur son parcours.
Pour éviter la confusion, il fallait, au contraire, régler les
cadrans des stations sur la même heure que les chrono-
mètres portatifs. C'est ainsi que les chemins de fer ont suc-
ce«jveinent apporté l'heure de Paris dans toutes les loca-
lités desservies et que celles-ci ont appris à compter d'après
dcQï heures différentes, ï'heure locale et l'heure de Paris.
J'oublie une troisième heure, l'heure du méridien de Rouen,
es retard de cinq minuies sur celle de Paris, Voici comment.
A l'origine des chemins de fer, on craignait que le voya-
geur en partance ne se mît en retard, et l'on crut hahiie de
tenir les horloges intérieures des gares en retard de cinq mi-
nutes. Cette mesure, qui partait d'une excellente intention,
n'était peut-Êlre pas absolument justiflée par les habitudes
d'alors (car autant qu'il m'en souvient le public affluait
aux messageries bien avant l'heure) ; mais en tout cas elle
i '.e"-'!»! sa raison d'être depuis que les voyageurs ont appris
f. krixgo, Ailromniie iiopulaive, t. I", page i'M.
MO l'unification des hedres.
h connaître ces cinq minutes et h en tenir compte. Uion de
pareil n'existe d'ailleurs dans les autres pays.
Celte coexistence de trois heures diU'érentes n'est pas sans
inconvénienl. Les voyageurs partant de Brest qui n'auraient
pas appris que l'heure du chemin de l'er est en avance sur
la ville arriveront à îa gare en retard de vingt-deux minutes.
Et le voyageur qui se rend à Nice et qui, d'après l'indicateur,
doity arriver à neuf heures, ce voyageur, qui, lui, trèspro-
blement, ignorera la diirérence do l'heure locale, s'apercevra
au premier cadran urbain qu'il est en retard de vingt-cinq
minutes quand bien mûme son train est arrivé exactement.
C'est se priver volontairement d'une partie des bienfaits de
l'invention des horloges que de les faire fonctionner dans
de pareilles conditions. Faire disparaître, en France, ces
heures simultanées doubles ettriples, c'est lebut d'une pre-
mière unification, de rUniûcalion intérieure ou nationale.
En Angleterre, l'unification intérieure est faite depuis
quaranle-deux ans, en Suède depuis le 1" janvier 1879, au
Japon, aux Étals-Unis depuis plusieurs années. Le Wur-
temberg est dans le même cas et, à ce qu'il parait, plusieurs
autres États de l'Europe centrale. Dans tous ces pays, l'heure
des chemins de fer et des télégraphes est en même temps
l'heure de la vie civile toute entière, et les résultais de
l'expérience sont si favorables et si décisifs qu'il n'y a
aucune témérité h prédire que peu à peu cette unification
deviendra la règle du monde entier, que l'Jieure temps
moyen local sera remplacée partout par l'heure temps moyen
normal. Quel écart maximum peut-on admettre entre
l'heure normale et l'heure locale? La pratique seule pourra
résoudre cette question*.
t. Voici quoiques exemples empruntes à l'Amérique conlemponiino :
l'heure normale retarde iIg 'ii iniuiitos pour Zanesvtlle (Oliia): avança
de iil minules pour lirandon (Manilotia), de tl minute» pour Dadge-Cily
(Kaneag), de ii miaules pour Kortli-HaUe (Nebrasiva), do 46 minules
pour WnlUce (Kauaas), de t>6 miaules pour El-Paao (Texas).
l'unification des heures. h 7
En FraDce, les pouvoirs publics sont saisis de celte
réforme par un projet de loi présenté à la Chambre des
députés le âO novembre 1888', il y a quinze mois. Depuis,
—je n'en ai pas entendu parler.
III. — UNIFICATION INTBUNATIONALE.
Mais à côté de l'unification intérieure, qui est facile, il y
a l'unification extérieure ou internationale, qui est difficile.
La plupart des États ayant adopté des heures normales
différentes, au gré de leurs convenances individuelles, il
bmt changer d'heure presque à chaque frontière. Allons, par
exemple , de Paris à Gonstantinople : il faut avancer sa montra
dix fois, savoir:
STATIONS ET FRONTIÈBES.
Paris
Anieourt
Dans la traversée de l'Alsace
Kehl (frontière badoise)
Mûhlacker ^firontiëre wurternborgeoise).
Om (frontière bavaroise)
Simbach (frontière autrichienne)
Bmck (frontière hongroise)
Belgrade (frontière serbe)
Tzaribrod (frontière bulgare)
Slnstapha-Pacba (frontière turque)
HEURE
régulatrice.
Rouen
locale
id
Carlsruhe
Stuttgart
Munich
Prague
Pesth
Belgrade
SoAa
Gonstantinople.
Avance totale entre Paris et Gonstantinople.
AVANCE
de
minutes
â3
4
3
10
11
19
6
11
33
l'-sa»
La Bulgarie, voulant encore délicatement rendre hommage
à son suzerain, en réglant ses chemins de fer sur Gonstan-
tinople, les deux dernières étapes n'en font pour le mo-
ment qu'une seule. A Tzaribrod on pousse l'aiguille à la fois
de 11 + 23 = 34 minutes.
1. Journal officiel du 8 août 1889.
us l'pnification des HECIRES.
Pour remédier à cette situation confuse, trois moyens
sont proposés :
1» L'heure locale abaoluc — On nous dit : « Si en arrivant
à Avricourt vous trouvez un écart de vingt-trois minutes,
c'est votre faute 1 C'est uniquement parce que vous y avez
artiflcieilement transporté l'heure de Rouen (Paris), heure
que le soleil entendait réserver à cette ville. En le faisant,
vous avez violé les lois de la nature, Revenez aux heures
locales pures et simples, en supprimant votre soi-disant
heure normale, et tout rentrera dans l'ordre.»
Fort bien ! — direz-vous — mais comment, avec ce
système, les chemins de fer pourront-iis marcher?... Ne
vous pressez pas trop de répondre. Dans toute l'Allemagne
du Nord et même en Alsace-Lorraine, c'est sur l'heure
locale que les horaires ou indicateurs sont réglés. Les méca-
niciens, il est vrai, ont leurs chronomètres réglés sur l'heure
de Berlin et ils ont dans leur poche des itinéraires rédigés
en conséquence, mais c'est leur secret professionnel. Le»
horloges des chemins de fer, les intérieures et les exté-
rieures, ne montrent partout, comme lesclochers des villes,
que l'heure locale, rien que l'heure locale. Le peuple de
de l'Allemagne du Nord ne se doute pas qu'il puisse y avoir
une heure de chemin de fer diQérenle de l'heure vulgaire.
L'Autriche, qui depuis 1870 ne croyait pas pouvoir trop
imiter la Prusse, s'était laissée entraîner, au printemps
1874, à mettre ses chemins de fer aussi au régime de l'heure
locale. Mais il souleva tant de réclamations que, au prin-
temps i87G, l'heure locale fit place aux heures normales de
Prague et de Pesth, encore en vigueur aujourd'hui. Les
Compagnies avaient déclaré la sécurité compromise, et une
auguste personne avait fait la remarque topique : que dans
ses voyages elle ne savait plus jamais l'heure qu'il était.
C'est qu'en effet une fois embarqué votre montre ne peut
plus vous servir, puisque à chaque station vous rencontrez
une autre heure locale.
l'unification des hedres. 119
Mais je n'insiste pas, le système de l'heure locale étant de
plus en plus combattu dans les paj's où il subsiste encore,
et De trouvant aucun défenseur en France. J'ajoute seule-
ment cette réflexion; que ce n'est pas tant la rapidité de la
vapeur et de l'électricité, que le nombre croissant des
(oyarjeurs en mouvement qui a tué et qui lue l'heure locale.
^L'heure nnivenieiie. — Dececôlé,ûn nousdil: << Si Cela
TOUS contrarie de toucher à vos montres à chaque fron-
tière, eh bien ! n'y louchez pas ! Que le mécanicien arrivé à
Avricourt passe son chronomètre à son collègue allemand
et que ce même chronomètre continue à faire ainsi le tour
da monde, répandant partout l'heure de son point de
départ. Il y aura ainsi une seule et môme heure sur le globe
entier — l'heure universelle — et, qui plus est, il y aura
ime seule et môme date, s
La mêoie date ! Vous doutiez-vous qu'à côté de la ques-
tion de l'uniflcation des heures il y eilt encore une ques-
tioQ d'unification de dates? On ne saurait le nier, et il y
inrait des choses curieuses et inattendues à dire sur ce
point, inattendues pour ceux qui, comme moi, ne les ont
jamais entendu professer. Mais je craindrais de sortir de
mon cadre et me borne à vous signaler quelques-unes des
anomalies qu'on se plaît à répéter et à grossir.
Ainsi, vous pouvez recevoir aujourd'liui un télégramme
régulièrement expédié demain. — Un Anglais, recevant le
3 mal, à Londres, un télégramme lui annonçant la mort de
son oncle, se jette dans le premier bateau, pour recueillir
un riche héritage. A son arrivée à Hong-Kong il se voit
déshérité par un testament daté du 4 mai. Ce testament doit
nécessairement être faux ! Procès. — Procès perdu I
Par bonheur, ces sortes de surprises n'arrivent pas tous
les jours, ni h tout le monde, pas plus que les surprises du
divorce. Plus elles se produiront, d'ailleurs, plus elles
deviendront inoffensives, parce qu'on se sera familiarisé avec
ane situation qui, aujourd'hui, n'est bien connue que d'un
120 l'unification des heures.
petit nombre. Que les esprits géométriques s'ingénient, rien
de mieux. Mais la solution qu'ils nous offrent jusqu'à pré-
sent, solution consistant à considérei' le soleil comme une
quantité négligeable, ne saurait convenir à tout le monde.
L'heure universelle nous réserverait d'autres surprises,
d'autres incommodités'. Je me borne à l'objection princi-
pale. Actuellement, !es peuples civilisés changent de date
à minuit, chacun selon son méridien. Avec l'heure univer-
selle, le changement de date s'opérerait simultanément sur
le globe entier, au moment où l'horloge de Paris ou de
Greenwich sonnerait minuit, c'est-à-dire :
Ao Tonkin à 7 heures du malin (heure locale nctuollc).
A Sydney à 10 — —
A 1.1 Nouvelle-Zélande ver» midi. —
A San-Krancisco à... 4 heures du soir. —
Comment la procédure civile et le commerce s'arrange-
raient-ils de cela? Los mots hier, aujourd'hui et demain
perdraient leur sens. Ce serait une confusion sans nom.
Ne nous arrêtons pas plus longtemps à ce second remède,
qui serait pire que le mal. On pourra en reparler quand,
dans le cours des siÈcles, la civilisation aura changé de
place, quand la circulation entre l'Auslrrilie et l'Amérique
sera devenue l'équivalent du Paris-Versailles d'aujour-
d'hui.
3" li«ii raaeniix hornirea. — Heureusement qu'entre le
système de l'heure locale absolue et celui de Theure univer-
selle il y a une transaction acceptable et pour ainsi dire
naturelle. Reprenons l'itinéraire de Constantinople. En
nombre rond, la différence de temps est de deux heures, qui
nous sont administrées, aujourd'hui, par petites gorgées de
deux h vingt-trois minutes, en neuTou dix étapes. Servez-
1. Voir entre .-lulro» un Iravail do M. Wci«s, succeiscur de M. Qppcil-
zor à l'observatoiro do Vienne : Zur Frage der Weideil, Vienne, Cari
Gcrold. 1886.
122 ' l'unification des hecres.
nous-les en deux fois, en doses deune heure juste, à la fron-
tière allemande et à la frontière ollomane.
Voilà le système des fuseaux horaires! Il serait difficile
de dire qui en a eu la première idée, tant elle est naturelle,
mais il est certain que ce sont les Américains qui, les pre-
miers, l'ont appliqué en grand sur l'immense territoire qui
les y conviait. C'est pour cela que le système des fuseaux
horaires est désigné aussi sous le nom de système américain.
Les Américains ont divisé la terre en 24 fuseaux ("Voir la
carte ci-contre), ayant chacun son heure normale, différ.int
d'une heure juste de l'heure normale du fuseau précédent.
Ce n'esl pas précisément l'unification des heures, mais c'est
l'unification absolue des minutes et des secondes, marquées
uniformément par tous les cadrans du globe. Pour méridien
initial les Américains ont pris celui de Greenwich. Les
heures normales des autres vingt-trois fussaux se trouvent
ainsi être les heures locales des 15% 30°, 45», 60% etc.,
degrés de longitude ouest et est de Greenwich.
Dans la pensée de l'aulear principal du système, M. Sand-
ford Fleming, alors ingénieur en chef du chemin de fer
transcontinental du Canada, les vingt-qualre fuseaux et
leurs heures normales devaient être désignés par les lettres
de l'alphabet, M. W. F, Allen, un autrti homme de chemins
de fer, proposa de remplacer les lettres par des noms
propres, tels que
Heure universelle pour le fuseau an glo- français,
— continentale — auiitro-ancniand.
Paciflc-Time pniir le JïïfP, de 8 heure! en returd «ur Greenwich.
Mountain-Tlme — 11(0% 7 — —
Centrat-Time — 90", 6 — —
EaBlern-Tirae — 75", 5 — ~
Intereulonial-T. — W", 4- — —
Ces cinq derniers noms sont aujourd'hui universellement
employés dans la vie publique et privée de l'Amérique du
Nord.
L'UMIFICATION des HEUnES.
123
Les Américains ne se sont pas astreJDls à délimiler leurs
Tuseaux d'après les méridiens intermédiaires (67' Vtj82" '/,,
97' Vï» il2"' 'j) qui sont figurés sur la carte et. qui auraient
pour effet de iimiler rigoureusement à trente minutes
l'écart entre chacune des heures noriualeset l'heure locale.
Ils ont tenu comptedel'étenduedes concessions de chemins
de fer, des frontièrus des Étals et d'autres circonstances
locales. Les chemins de fer, en particulier, semblent s'être
beaucoup inspirés, à mon gré même trop inspirés, de leurs
convenances spéciales. C'est ainsi que sur la ligne de Porl-
Artbur, sur le lac Supérieur, à l'île du cap BreLon, longue
de près dé :2,50O kilomètres, ils font usage de l'heure unique
Easlern-Time, en avance de cinquante-sept minutes sur
l'heure vraie de Port-Arthur, et en retard de quarante-six
minutes sur l'heure vraie de Halifax. Aussi la municipalité de
Halirax a-t-elle adopté l'InlercoIonial-Tîme, en avance de
quatorze minutes seulement sur l'heure vraie etde une heure
juste sur l'heure du chemin de fer. De son côté, la ville de
Savannah a conservé son heure locale, en avance de trente-
six minutes sur l'heure normale. Je pourrais vous signaler
d'autres exceptions, grâce à une obligeante coraniunicalion
de M. Allen, mais le nombre de ces exceptions diminue,
paratt-il, de jour en jour', et il y a en ce moment mi^me
un mouvement de pétitions pour que le Parlement cana-
dien et le Congrès des États-Unis régularisent le nouvel état
de choses *.
Dans notre ancien monde, les fuseaux américains con-
duisent aux groupements suivants (Voir la carte ci-contre),'
1. LeUresde M. AUeti dos 29 et 31 Janvier et 7 mars 1890. — Co aoat
iortoul les villes ilc l'Oliio qui â'âtaieiit refusées à l'adoption do l'heure
BurrnMle de Jours clicmius de for, en retard do 2i à 27 miitules sur les
huurcs locales. Maia le 22 iï^vrior 1800, jour itiiiiiversairc do la ûaissance
de Wasliingtûii, Ijl ville de Cinciiniati, de 350,000 habilaiiU, pour célébrer
'enr: féto niilionalc, adopta l'Iioure iioniKilc, et, dupuis, |dusiours autres
i.-T. ont déjri suivi son cxcinj)le.
;. Lettre de M. Saudford-FletTiinj du 31 janvier 1890.
■124 l'UKIFICATION des nEURES.
Le fuseau A comprend : les Iles-Britanniques, les Pays-
Bas, la Belgique, la France, l'Espagne, le Portugal, le Ma-
roc, l'Algérie, la Tunisie. — L'heure A n'est en retard que
de 4 minutes sur celle des chemins de fer français.
Le fuseau B : la Suède et Norvège, l'Allemagne, la Suisse,
l'Italie, l'Autriche-Hongrie, la Serbie. — L'heure B est en
15 IV, 0 -V, -iS 2gVz 30 37/1!
7^i
îi^t
15
l'I'H
avance de 7 minutes sur Berlin, de 3 minutes seuleraentsur
Vheure de Prague (régulatrice des chemins autrichiens), et
en retard de 5 minutes sur Vienne, Celte dernière capitale,
soit dit en passant, n'a jamais mis son araour-proprc à im-
poser son heure locale à ses chemins de fer.
Le fuseau C : la Pologne et la Russie jusqu'à Moscou, la
Roumanie, la Bulgarie, laTurquie d'Europe, la Grèce, l'Asie
Mineure, la Syrie, l'Egypte, — L'heure C est en avance de
4 minutes sur Constantinople, et en retard de i minute
L'UNinCATlON DES UEURES. 125
sealement sur l'heure de Pélersbourg, qui règle les chemins
de fer russes.
Je me sers des lettres pour désigner les fuseaux, mais je
reconnais que de simples lettres peuvent facilement se con-
fondre. D'an autre côté, tes noms adoptésou proposés par les
Américains ne sont pas non plus faciles à retenir et, d'ail-
leurs, en partie ambigus. Un astronome autrichien, le
D' Schrano, eut l'ingénieuse idée de combiner ces deux
systèmes en choisissant des noms géographiques dans
l'ordre de l'alphabet : Adria, Bosphore, Caucase, etc.'. Ce
serait, parfait, à mon avis, si, dans l'application de son idée,
le D' Schraro ne s'était laissé séduire par une subtilité.
Il voudrait considérer le fuseau anglo-français, le fu-
seau de Greenwicb, comme le zéro d'un système d'abscisses
et n'attribuer la lettre A qu'au fuseau austro-allemand. Les
mathématiciens sont d'accord que le méridien initial ou
— comme on l'appelle quelquefois moins correctement —
le '< premier méridien 6 doit porter ie numéro zéro; mais
vouloir étendre cette qualification à un fuseau d'une tipais-
seur de 15 degrés, c'est méconnaître les priucipes. C'est
comme si l'on prétendait que le mois de janvier est le mois
zéro et février le premier mois de l'année. Et pourquoi cette
bizarrerie? Parce que pour le D' Schrara, chaque lettre
a une valeur numérique (Zahlenwerlh) : la lettre D, comme
quatrième lettre de l'alphabet, est, pour lui, synonyme de
quatre; E= 5; etc. Gela étant, M. Schram fait observer
que, étant donnée, par exemple, un^ heure E, il suffit d'en
retrancher la valeur numérique deE pour avoir immédiate-
ment l'heure correspondante de Greenwicb, pour lui
B rtieure universelle ». Ainsi
Si dans le fuseau E il est 10 h. 25 du matin,
Comme Ë ^^ 5
Il seraù Greenwicli 5 li. 2Ô du malin.
I . Vuir la carlt: iuséiée à in |jage 91 du procùs-vcrbal de la séance du
il février 1890.
l'ukifigation des heures.
Mais combien de personnes savent p;ir cœur que E est la
cinquitme, P la quinzième lettre de l'alpliabet? Il faudra
compter surses doigts, eî, en cecas, il sera tout aussi facile
décompter le nombre des inlervatles entre les lettres que
les lettres elles-mêmes. L'opération pratique sera donc abso-
lument la môme, que le fuseau initiai s'appelle A ou zéro*.
Le fuseau de Paris-Londres conservant sa lettre A, quel
nom lui donner? Le nom i anglais » ou « anglo-français »
se trouve exclu parce que ni en anglais, ni en allemand, ni
en italien le mot « anglais $ ne commence par un a. On
pourrait dire heure d'Alençon ou de l'Atlas, Mais le nom le
plus neutre et le plus conforme aux résolutions IV-Vl de la
Conférence de Washington serait peut-être heure astrono-
mique.
Le fuseau B pourrait s'pppelerle fuseau baUique. Ce serait
un hommage rendu à la Suède, qui, comme nous allons le
voir, a devancé rAraérique de quatre ans dans l'umOcation
pratique des heures.
Je ne cite ces différents noms qu'à titre d'exemples,
propres à vous faire saisir les avantages mnémoniques du
système, car il est clair que pour arriver à un résultat satis-
faisant et universelliiment accepté, les dénominations et les
délimitations des fuseaus devraientêtre l'objet d'une enlenle
internationale.
L Je suis heureux de consUter (page Iti du procès-verbal de la séance
du 21 février) que le frère Alexis ne semble pa$ goCUer non plus la série
proposée par le D' Scliram :
Allontiquc. ||Eiii'o|.e.
S.T.V. X. Y. Z.llu.A.B.
et qu'il cherche à l'améliorer, en remettant l'U à sa place :
S.T.l'.V.X, Y.IIZ.A. B.
et en donnant Z comme l'ubrcvialion as '/.éto. Mais cplln abréviation,
comme telle, serait inintelligible p>uiir Irs nalioDs gerai.iniques et slaves
et lai^iserait snbsistct' l'espace de fïiille V-A ou Z-A qui, coupanl l'Europe
en deux, embarrasserait 8ùrctn<;nt les prufesseurs de géograpliie.
Que cliacua veuille avoir la lettre A, on le comprend à la rigueur;
mais que la Franccs'en l.iisse dépouiller, un ne le cumiuTUdiail pas'
I. ONIPICATION DES HECRES.
slèmc des fuseaux ho-
^to;
'ônstatons que, en Ihéorie, le
nires facilite singulièrement runificulion intérieure sur le
globe entier, qu'il simpliâc égnlcment la coordination des
dates et, en(in,que le saut de l'heure qu'il impose au contact
des fuseaux entrera aisément dans les habitudes, si on le
fait coïncider avec les frontières politiques.
Et au point de vue de la réalisation pratique du système,
nslatons que, sur les 24 fuseaux, 5 tombent dans l'océan
Pacifique, 2 dans l'Atlantique, et qiie, parmi les 17 fuseaux
restants, il en est 9 oil les nouvelles heures normales sont
déjà plus ou moins en vigueur, savoir :
L'heure A en Grande-Bretagne, deimis !o l;{ janvier !M18;
— • B en Suède, depuis le !"■ janvier 1879;
— C en Russie, depuis le l'7l3 janvier 1888 (à 1 minute prè.i);
— K au Japon, depuis le [■"'janvier 188^;
— R, 8, T, U, V, en AiniSrique, depuis le 18 novembre 1883.
IV. — La solution probable
J'ai cherché à vous démontrer les avantages des fuseaux
horaires, mais ces avantages ne sont pas absolument liés
au choix rie tel ou tel méridien initial, Il me resterait donc à
délercniner avec vous le méridien remplissant le mieux les
conditions scientiliques. Mais je n'ai garde de le faire. Il y a
des faits accomplis qui dominent les théories, et il s'y mêle
des aspirations nationales, espèce de forces de la nature,
gvant lesquelles oa est réduit au rôle impuissant et ingrat
simple météorologue.
Voici donc mon pronostic. Le système américain, tel
}b1^ me semble aujourd'hui arrivé au même point oti était
système métrique sous le second Empire. Et à cet égard,
»rmetlez-moi une explication personnelle,
En 1844, à peine sorti de l'Ecole des ponts et chaussées,
j'ai comoaencé un apostolat en faveur du système métrique
138 l'unification des UEUnES.
à l'élranger. J'ai publié des brochures, donné des confé-
rences. Un journal allemand me signala comme un homme
dangereux, soudoyé par l'empereur Napoléon, qui, au
moyen du syslème métrique, voulait mettre l'Allemagne à
ses pieds. En 1858, je terminais une brochure par ces mots:
« Je ne sais si l'Europe sera républicaine ou cosaque, mais
je suis certain qu'elle sera métrique. Ce n'est qu'une ques-
tion de temps! > Je ne me trompais pas. Dès 18C8, l'Alle-
magnc du Nord adopta le système métrique et, en 1872,
l'Autriche suivit son exemple. J'eus l'honneur de faire par-
tie de la commission qui élabora ta loi autrichienne.
Si je me permets de relater ici ces détails, c'est unique-
ment pour montrer que j'ai assisté de près au triomphe du
système métrique à l'étranger et que j'ai pu me former une
opinion sur les qualités de ce système qui lui ont valu son
triomphe au dehors.
C'était d'abord sa clarté, — On était sûr que les mesures
métriques ne seraient jamais confondues avec aucun pied,
avec aucune des anciennes mesures, dont la multiplicité
désolait le monde.
C'était sa décimalité. — Les avantages de ta division déci-
male étaient tellement appréciés qu'on l'avait appliquée à
quelques-unes des mesures anciennes.
C'était la finesse de ses divisions. — Les savants et les
mécaniciens rivalisaient d'amour pour le millimètre.
C'élail enfin la contagion de l'exeraple. — Plus on voyait
le système métrique se répandre, plus on pouvait espérer
son triomphe final et exclusif, et plus cet espoir, répondant
au besoin d'unification, devenait un nouveau stimulant.
N'était-ce pas aussi sa nomenclature? — Sa nomencla-
ture systématique était, à part quelques théoriciens, coasi-
dérée comme encombranle et comme terrible pour le peu-
ple, qui d'ailleurs ne s'est fait faute nulle part de l'estropier.
Et sa neutralité? La dix-miîlionième partie du quadrant?
— J'ai raoi-mûrae, aussi souvent que possible, rais en avant
l'dsification des heures. 429
f€tte feuille de vigne; mais, au fond, elle ne trompait aucun
homme sérieux. On savait très bien que, pour se procurer
UD mètre-étalon, on ne pouvait pas remesurer la terre, mais
qu'il fallait écrire à Paris, tout comme si le mètre avait été
la centième partie de la colonne Veud6me. Prenez la loi
autrichienne; elle mentionne en toutes lettres le « mètre
prololype déposé aux archives de Paris, s Et la convention
du mètre, de 1875, n'a-t-elie pas donné la sanction inter-
nationale à un atelier qui, sons le contrôle de délégués
étrangers, confectionne, à Paris, les copies des étalons mé-
triques destinés aux nations étrangères? Or, si à Paris il
peut y avoir un atelier international neutre, je ne vois pas,
pour ma part, pourquoi le méridien de Paris n'aurait pas
pu, à fortiori, être accepté comme neutre; car l'atelier
exige la présence permanente de délégués étrangers, tandis
que le méridien, une fois adopté, n'exigeait aucune surveil-
lance. La meilleure preuve que les autres ualions ne tenaient
pasbeaucoupà la prétendue neutralité, c'est qu'àWashington,
comme à Rome, elles ont, à la presque unanimité, adopté
le méridien de Greenwich. Je suis convaincu que c'est en
%'atlardant à la vertu séductrice d'un méridien « neutre »
qu'on a laissé le temps au méridien de Greenwich de sup-
planter celui de Paris et d'envahir les fuseaux horaires.
Ce qu'il y a de surprenant, c'est que ce ne sont pas du
loot les Anglais qui ont prôné leur méridien de Greenwich.
Au contraire !
Les fuseaux horaires ont été proposés dès 1869 par le
professeur Ch. Dowd, principal d'un lycée de demoiselles à
Saratoga, en les basant sur le méridien national de Washing-
lOD<.
Le véritable auteur de la réforme, le Canadien Sandford
Fleming, ne songeait pas davantage au méridien de Green-
wich; il proposait, comme méridien initial, le méridien du
I. Proceedings of the Canadtan Institute, Toronto, July 1885. Univ. or
ttmic Time, p. 13.
soc. DEGÉOGR. — 1" THIMESTBE 1890. XI. — 0
130 L'DNtFICATION BES HEPRES,
détroit de Bering. El ses compatriotes anglais, offlcielle-
Taeal consultés sur son projet, écoulez ce qu'ils en dirent.
Sir G.-B. Airy, directeur de l'observatoire de Greenwich,
s'exprime ainsi, à la date du 18 juin 187'J :
a Jo n'attaclje pas la plus légère valeur à la première partie dos iilées
de M. FlemtKg y> (considéralioiis relatives à une hoiire internationalo).
« Setondemeiit, en ce qui concerne un mdriilien initial, aucun pratinien
c'a jamais besoin d'une pareille chose. Si un méridien initial devait ^Ire
doplé, il faudrait que co fût celui de Greenwich, car la nnvigalion du
monde presque entier dépend de calculs basés sur Grcemvich. Mais moi,
comme directeur de l'obscrvaloiru do r.reoiiwich,je repousse absolument
l'idée do {'oiidcr là-dessus une prétention^, v
C'est te mot déjà cilé par M. Tondini de Quarenghi. Le
dire du directeur de Tobservatoire d'Edimbourg, M. Piazzi-
Smyth, est encore plus extraordinaire. Ecoutez bien! C'est
son rapport officiel, daté du 30 août 1879* :
ir Qui a créé les nations, Dieu ou Satan"? On devrait vraiment croire
que c'est Satan, quand on voit avec quel ^Me on s'attache à détniire les
distincliiins qui stjparent le» nations et qui les caractériiseiit... Malheur h
ceux qui cherchent à les elTucer! Qui sont-ils d'aillmira'' Des iiieiiibres
de l'Internationale, des athées, des liis de la Révolution frauçaise...
Jamais la nation britannique ne portera une atteinte ni à sa famille
TOjrale, ni à ses poids et mesures, héritage divin, remontant à l'origine de
sa race. t>
Cependant le méridien passant par l'observatoire de
Grecn'vvich, création relativement récente d'un Français, ne
partage pas la prédilection de l'astronome écossais. Celui-ci
verrait avec faveur transporter le méridien national des
Anglais en Egj'pte, de façon — je cite mot à mot —
« De façon a pass«^r exactement sur le monument cité par Isaïc, c'est-à-
dire la grande pyra ru idc. f.ar c'estclle quicst le pilier tiiit/^ë6e/i, annoncé
par le prophète messianique cumine devant, au jour dernier, servir de
«igné su Dieu des armées. »
1. Univ. or Cotmic Time, p. 33.
2. Ibid, pp. 30, 37.
L'UtfIFICATION DES^HEtrnES. 131
Vous voyez qae le méridien de 'Jérusalem trouée un rival
inatléndu dans le livre du prophète Isaïe*.
Le méridien de Greenw ich, comme méridien initial, paraît
avoir été proposé pour la première fois, en 1881, par le
D'Barnard, président de Col umbia Collège, New-York*.
Deux ans après, au printemps 1883, les directeurs des
«hemins de fer américains, ne se reconnaissant plus au
milieu des H heures régulatrices qui se partageaient alors
leurs réseaux, se réunirent en conférence et s'approprièrent
le système des fuseaux horaires, en le basant non sur le
méridien problématique du détroit de Bering, mais sur le
méridien marqué sur leurs caries, le méridien palpable et
tangible de Greenwich. Ces directeurs étaient pressés. Jo
suis heureux de pouvoir vous montrer une copieaulhentique
de la carte qui leur a été soumise par leur secrétaire,
M. Allen. On y voit indiqué en couleurs le domaine de
«haque heure normale d'après la répartition adoptée. Avec
-quelques légères modiflcaiions, cette mfirae répartition a été
mise à exécution le 18 novembre 1883, date à jamais
tnémorable.
Aussi, l'année suivante, la Conférence internationale offi-
ciellement chargée de déterminer un méridien initial
comnoun à toutes Ica nations était-elle à peine réunie à
"'" -liington, le l" octobre 1884, qu'elle reçut une lettre de
- ji ùjômes directeurs de chemins de fer insinuant A la Gorv-
férence qu'elle pouvait bien délibérer sur les intérêts de la
science, mais que, sur les chemins de fer, la réforme de
l'heure était faite et que tout changement serait inutile et
inopportun.
Vous savez ce qui s'est passé ensuite à celte conférence
de Washington. La France demandait un méridien enlière-
mcnt neutre, sans préciser celui qui lui semblait le mieux
remplir celte condition, et en sacrifiant de sa propre main,
I. C. XIX, WTMU tô, 20.
s. Univ. ur Cosmic Time, p. Ui,
132 l'unification des heures.
ur l'aulel de la neutralité internationale, non seulement le
méridien de Paris, mais encore le méridien tradilionnol de
nie de Fer. Pourlanl, ces deux méridiens avaient et ont
encore des amis en Europe. Voici par exemple une leltrp
du professeur Kiepert, votre membre correspondant, qui
adhère toujours aux arguments qu'il avait si chaleureu-
sement développés en 1871, au Congrès d'Anvers, en faveur
des deux méridiens en question '.
Mais dans les conditions données, la conférence de
Washington se borna à ratifier le vote de la conférence
géodésique de Rome (1881]) et l'œuvre conforme des direc-
teurs decbemins de fer américains. Le méridien de Green-
wicli réunit 2â voix conlre une (Saint-Domingue) et contre
2 abstentions (France et Brésil). C'est bien maigre. Et qui
oserait affirmer qu'aujourd'hui le Brésil ne volerait pas
avec les autres 22 États, parmi les quels je cite seulement :
l'Allemagne, l'Autriclie-lïongrie, l'Espagne, les États-Unis,
la Grande-Bretagne, l'iUilie, les Pays-Bas, la Russie, lu
Suède, la Suisse, la Turquie.
On cherche à nous consoler, en nous rappelant que les
votes des délégués n'ont encore été ratifiés par aucun acte
diplomatique. C'est une consolation bien illusoire, car si les
dillérents gouvernements ne se sont pas engagés à exécuter
les votes de la Conférence de "Washington, ils ne se le sont
pas interdit non plus, et voua allez voir dans quel sens
agissent les forces de la nature.
Ecoutez d'abord ce qu'a dit de la conférence de Washing-
ton, dès 1885, le délégué russe, M. Otto Struve, directeur
de l'observatoire de Pulkova- ;
( l'cndant ta discussion sur le cliuix du méridien initial, los d<^légué»
français fireiil lu proposition de fixer ce choix sur quoique miVidien n en-
tièrement neutre • et non sur l'un des ohservatoires existiints. iiueli{ue
plausible que parût celle praposiliun au premici- aburd, alin d'écartor
1. LeUre particulière eu date de fierlia le 20 janvier 1890.
2. Univ. or Cotmie Time, pp. 93, 97.
L UNIFICATION DES HEURES.
135
Idute jalousie uutionalo, l'essai in(>mc du dcfinir co qu'il rulliiil entendre
lutr uu inériilJcu utsiiluiixïiit neutre reni'.Diitra do sérieuses difltcultés.
El plus on envisageait les différentes ciiriditions fi remplir, pItiB lu propo-
sition apparaissait dans un jour défnvoraldc. Car pour inr^riter le nnm de
premier méridien au milieu des autres et pour exclure toute ambiguïté, il
blLitt bien se départir du principe de la iieulralitc', ou précisant sa pusi-
ùon par rapport à l'un des ubscrvatoires voisins, clioisi d'autorité à cet
«ffel...
» On peut ron sidérer comme certain que l'emploi du méridien de Grcen-
«icli dans la carto^çraphic et dans le comptage des lon|;itudes sera à
bref délai et sans difficultc' introduit dans tous [os pa^vs. Daus celle ma-
tiisre. le» organes des gnuveriiemeiils des trois pays les plus vastes du
monde, de la Russie, de la Orande-Gretagnc et des Ëtats-Unis, sont
irrivés à une entente, et dans d'autres pays, rAliomagno et l'itulia par
exemple, on peut prévoir le rnchni? rwiiltat, allcudu que l'emploi du
tniïriJien de Greenwich y est déjà oflkiollcment adopté pour la confec-
tion des cartes hydrographiques. Peul-<^tre la France, par suite du sen-
(imeol national, restera-t-elU queiijue temps en arriére. Ùu peut prévoir
né^ininoins que les égards dus aux iutéréls généraux de l'bum;(nilé et
lux intérêts particuliers de la muriiic rrani.'aiseimluiroiit le gouvernement
4e 06 pays à rendra l'unification complète. Nous pouvons donc considérer
^ue l'objet principal de la conrércuce de Washington, l'établissement
d'un méridien initial, est aittini d'une manièro satisfaisante. »
Cn professeur de l'université de Louvain, dans une bro-
churedu mois d'avril 1889', exprimé une opinion semblable:
< Dans le cas où la Franco ne se résignerait pas de siloti abandonner
son méridien national pour en aduptcr un autre qui ne serait pas neutre,
il y aurait encore pour la Belgique de jirands avantages à introduire le
temp» de Creeuwicli daus tous les usaj^rcs de la via pulilique et privée. »
Ce ne sont là, il est vrai, que des appréciations person-
nelles, plus ou moins discutables, mais dillérents faits
tendent à les corroborer. Autrefois, le méridien de Paris-
Ferro régnait sans partage dans les caries allemandes,
autrichiennes et russes. Aujourd'hui, le méridien de Green-
uich s'y infiltre. Voici une lettre toute récente de M. Justus
Perl lies-, le chef du grand établissement cartographique
I. M. Pasquicr, De Vunilicadon des heures. Extrait des Mémoires de
niaion des ingénieurs de Louvain.
t En date de Collia, le 20 janvier i8!>0.
434 l'unification des hedres.
deGolha,[qul déclare que, maintenant, en règle générale,
il ne se sert plus que du méridien de Greenwich. M. Kic-
pet't, t\ Berlin, dont j'ai d6jà cité la lellre, toul en restant
attaché do cœur aux anciens méridiens, n'en ajoute pas
moins, à présent, le méridien de Greenwich sur les cartes
fort recherchées qu'il publie. Croyez-vous que dans ces
conditions les maîtres d'école d'entre Rhin et Oural conti-
nueront encore longtemps à baser leur enseignement géo-
graphique sur un méridien officiellement abandonné à
Washington ?
Peul-ôtre fces maîtres d'école ne sont-ils pas pressés.
Mais il y a toujours des directeurs de chemins de fer qui
le sont. Je vous ai dépeint la situation confuse qui, sous te
rapport des heures régulatrices, règne sur les chemins de
fer de l'Europe centrale. Or, à l'instigation des chemins de
l'État hongrois, autrefois si jaloux de son heure nationale
de Budapest, les directeurs de tous les chemins de fer aus-
tro-hongrois demandèrent à leurs gouvernements jumeaux,
à la date du 1" mars 1889, l'autorisation d'adopter l'heure
du second fuseau horaire, l'heure « ballique ». J'ai devant
moi la] réponse que fit, à la date du 7 septembre 1889, le
ministre autrichien, non seulement en son nom, mais
d'accord avec son collègue hongrois et avec le ministre de
la guerre de la monarchie. Cette réponse est tout à fait favo-
rable. Elle charge les directeurs austro-hongrois de poser la
question au sein do la vaste union de chemins de fer qui
embrasse les 73,000 kilomètres de rAllemagne, de l' Au-
triche-Hongrie et de quelques territoires limitrophes, et en
cas d'adoption de l'heure haltique par le Verein, le gouver-
nement autrichien promet des négociations diplomatiques
avec les autres pays compris dans le fuseau balliijue (la
Suisse, l'Italie et la Serbie). Depuis lors, l'opinion publique
s'est de plus en plus prononcée en faveur de la réforme en
question, notamment par l'organe de la Société des ingé-
nieurs de chemiEs do fer à Berlin et do la Société des ingé-
l'unification dks heures. 135
iiîeurs-mécaniciens allemands*. 11 en a môme déjà été ques-
tion au sein du Reichslag (séance du 5 décembre 1889).
Aussi, à la date du 8 janvier 1890, la Commission spéciale
nommée par le Verein adopla-t-clle à son tour la proposi-
tion. Pour devenir exécutoire, elle devra ûtre volée encore
par l'assemblée générale du Verein, assemblée qui se réunira
à Dresde, dans le courant de l'été. Mais la ralification en
question ne saurait faire doute et, dès l'hiver prochain peut-
être, les trains du vaste réseau austro-allemand seront
réglés, comme ceux de Snède, sur l'heure ballique, autre-
ment dit sur Greenwich.
Si vous voulez bien vous souvenir maintenant que l'heure
de Saint-Pétersbourg, régulatrice actuelle des chemins
russes, ne diflîre que de 1 minute de l'heure C, vous
penserez peut-être comme moi que, quand l'AIienjfigne et
l'Autriche auron l adopté l'heure B, déjà en vigueur en Suède,
le trionnphe complet du système américain en Europe ne sera
plus qu'une question de temps.
V. — Attitude de la fuance.
Que ferez-vous en face de cette éventualité? Reslerez-
voos indéfiniment dans la statu qtio? Et le pourrez-vous?
Au dedans, assurément, cela vous sera facile; mais quand
au dehors tout aura changé, le slatu quo sera-t-il sauvé?
Vous laisscrez-vous cerner lentement, comptant sur nos
alliés naturels pour assurer vos derrières? Ne vous y liez pas!
Le Portugal (voir la Cfirte page 14) ne peut être porté
vers vous. Entre Lisbonne et Greenwich la différence est déjà
de trente-sept minutes, entre Lisbonne et Paris elle serait
de quarante-six minutes. C'est tout au plus si le Portugal
peut s'arranger de l'heure de Greenwich. — L'Espagne aura
i. Depuis, lo3 Sociélés des iiigéniours ot architectes du royaume île
&tie, cl des provinces prussiouncs du Rhin ni ilc Westphalio oui volé
4et résolutions couformes.
186 l'unification des heures,
également avantage à prendre l'heure de Greenwich, car
celle-ci n'est en avance que de quinze minuLes sur Madrid, de
trente-trois sur la Corogne; avec l'heure de Paris ces diffé-
rences seraient de vingl-quaLre etde quarante-deux minutes.
— Aurez-vûus au moins la Hollande et ta Belgique?
La Hollande a son plus grand contact avec l'Allemagne et,
placée entre l'Anglelerre et l'Allemagne, préférera probla-
bleraent l'heure A à celle de Paris, une fois que l'Allemagne
aura adopté l'heure B. — ■ Quant à la Belgique, je vous
ai lu tout à l'heure l'appréciation d'un auteur belge. — Reste
la Suisse. Mais la Suisse est tellement enchevêtrée entre
l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie que l'heure unique adop-
tée par ces trois États s'imposera également à la Suisse.
Ne nous laissons doue pas cerner! 11 est déjà assez fâ-
cheux d'êlre isolés. Et nous le sommes. Notre clientèle
ordinaire se tient à l'écart, et vous-mêmes, vous n'osez pas
la rappeler. Pendant l'Exposition de l'été dernier on a tenu
une centaine de Congrès internationaux, sur les sujets les
plus variés. L'unincation des heures semblait un sujet tout
indiqué et qui s'imposait en quelque sorte. Il devait, effec-
tivement, Être traité dans un congrès spécial, — dont le gou-
vernement avait même nommé le comité d'organisation. Je
voulus m'inscrire, mais le secrétaire me prévint que le con-
grès n'aurait à s'occuper que de l'unification intérieure de
la France. Ainsi limité dans son objet, un congrès interna-
tional n'avait plus de sens, et une seule séance du Comité
suffit pour en faire abandonner l'idée.
Un autre congrès international semblait appelé à s'occu-
per de la question : le congrès des chemins de fer. Mais, là
aussi, te silence ne fut pas rompu. Les membres français ne
désiraient que le statu qm, et les étrangers sentaient le
terrain glissant. « Il n'y a rien h faire avec vous dans cette
question j», me dit l'un d'eux.
Je vous le demande: celte situation répond-elle au passé de
la France, qu'on est habitué à voir marcheràlalÈLe du progrès?
I
l'dnification des heures. 137
Pour sorlif de l'impasse, pour ramenernoire ancienne clien-
l&le, il suffi rade modifier un peu notre fabricalion. Le sacri-
ûce matériel ne sera vrainfient pas grand. Que faul-il, en effet,
pour nous rattacher au sysliime américain?
Il suffira de dire à nos chemins de fer de retarder leurs
horloges encore de quatre minutes, c'est-à-dire de les régler
sur le méridien du Havre au lieu de celui de Rouen, et d'o-
pérer ensuite l'unificalion intérieure. Certainement, cette
réforoie passerait presque inaperijue.
Cela étant, quel intérêt la France pourrait-elle avoir à se
tenir à l'écart d'une institution qui possède les préférences
manifestes de l'immense mnjorilé des nations? Ne voyons-
nous pas, tous les jours, les plus grands hommes d'État, comme
les politiciens les plus inùmes sacrifier quelque chose de
leurs préférences intimes'/ Happelons-nous, dans cet ordre
d'idées, le mot bien connu : « Il me fallait bien les suivre,
puisque j'étais leur chef. »
Il y a deux ans, étant donnée la situation créée par la Con-
férence de Washington, je disais moi-même, dans la Revue
générale des chemins de fer : « Le groupe A sera l'un des
plus lents à se former, La France, en particulier, n'y trouve-
rait aucun avantage immédiat. A son point de vue indivi-
duel, la France, qui se trouve très bien du sttitii quo, n'a
aucun motif de se presser, j Mais depuis deux ans les événe-
ments et les esprits ont marché autour de nous. Le système
des fuseaux horaires l'emporie décidément !
Le fuseau B étant en voie de formation, je crois que la
Francene devrait pas tarder à entreprendre celle dufuseau A.
Je suis convaincu que, au premier signal donné dans ce
scos, les représentants du monde entier accourraient à Paris,
heureux d'invoquer l'arbitrage de la France dans toutes lus
questions qui sont encore h résoudre pour la dénomination
et la délimitation des dilférenls fuseaux.
LA CAMPAGNE SG1ENT1F!(3UE
an
SCHOONEft DES ÉTATS-UNIS « GRAMPUS )>
EN 1889
Par M. J. THOn.ET
ProfcMeur à U Faculté dos scicncei do Nancy.
L'océanographie ou science de TOcéasi accomplit chaque
année de nouveaux progrès; presque toutes les nations s'en
occupent d'unefaçon sérieuse et continue, mfime celles aux-
quelles le faible développement de leurs côtes ne permet
qu'une importauce maritime secondaire. C'est ainsi que
l'Autriche dont le pavillon flottait à bord de la Novara, de
Vhbjorn et du Tegeltitof, prépare en ce moment l'expédition
du Pola qui, pendant Tété de 1890, doit explorer les grands
fondis de la mer Adriatique. Le prince Albert de Monaco
éludiesur VHirondette les environs des Açores; la Norvège
a fait l'expédion du Vôringen; îa Suède, celle de la Vèga;
l'Ecosse avec la Mediisaei \'Ark poursuit, grâce au dévoue-
ment éclairé et infatigahle de M, John Murray, l'esamen
détaillé de ses rivages et doses estuaires; les Ilalieas ont à
leur actif les campagnes du Washington, du Magenta et du
Veltore-Pisani; la France a exécuté les belles campagnes
scientifiques du Travailleur et du Talisman particulière-
ment fertiles en découvertes zoologiques.
Les Etats-Unis où Maury a créé rocéanographie n'ont
cessé de se livrer à l'étude de la mer. Ces travaux ont un
double but, l'un de science pure, l'autre d'application.
L'Océan doit donner la solution des problèmes delà météo-
rologie, de la géographie et de la géologie straligraphique
considérée dans la haute acception de son nom; le but
pratique est le perfectionnement méthodique de la naviga-
tion et de l'aquiculLure. Tout progrès accompli dans l'art de
conduire un navire est une nouvelle chance de sécurité pour
CAMPAGNE DU SCHOONER DES ÉTATS-UNIS « CRAMPES >. 139'
les tuarins et ea même temps, l'augmenLalion de rapidité
des traversées, la diminulioD des dangers de perte pour les
cargaisons se traduisent par des avantages commerciaux
considérables. D'autre part, la pôche raisonnée, t'aquicul-
ture, est l'art de faire rendre à !a mer le plus grand total de
bénéQces qu'elle puisse fournir, comme l'agriculture est l'art
d'obliger le sol à donner son produit maximum. L'agricul-
lore et l'aquiculture ont cessé l'une et i'aulre d'ùtre livrées
à la routine; elles s'appuient maintenant sur des méthodes
rationnelles el scientifiques. Celuiqui trouve le moyen de faire
croître deux épis de bl/; là où il n'en poussait auparavant
qu'un seul a mieux méritéque les plus célèbres conquérants;
les Américains ont appliqué à la mer le mol de Sully et leur
activité cherche à exploiter de plus en plus méthodiquement
l'Océan. Voilà les véritables conquêtes et la gloire la plus
solide que puisse ambitionner une nation.
Deux administrations américaines correspondent àce dou-
ble but scientiflque elindustriel.Le Coast and GeodeticSur-
vey s'occupe de science el de navigation sur les côtes atlan-
tiques de la Confédération. Chaque annéeun navire de l'Etat,
le Btake^ spécialement allecté à ce service, se rend en croi-
sière dans le golfe du Mexique ou le long du Gulf-Slream.
A cette administration ont appartenu des marins et des sa-
vants éminents, Blake, Pierce, Barttletl, Hilgard, Sigsbee, et
des naturalistes comme Louis et Alexandre Agassiz el M. de
Pourtalèsont souvent accompagné les campagnes d'été. Oa
examine le régime des couranls, on sonde, on mesure des
températures profondes et de surface ou des densités, on
reciieille des échantillons d'eaux, on exécute des dragages.
LT» S. Fish Commission concentre dans ses attributions
tout ce qui concerne les pêcheries, mais pour cela ses pro-
cédés d'investigation n'en restent pas moins scietililiques.
U est admis aujourd'hui que la plante on l'animal sont
des instruments de physique. Leurs conditions d'existence
ans diverses époques de leur vie sont intimement reliées
i UD ensemble de conditions physiques et chimiques du
14-OcAMI'AGNE DCr SCHOONEIl DES ÉTATS-UNIS « GUAMPUS ».
milieu ambiant. Si celles-ci se modiflent loules à la fois ou
même s'il ne se produit qu'un changement dépassant, une
certaine limite dans une seule d'entre elles, l'être vivant
l'indique aussilôt par des changements correspondants ou
par sa disparilion.
Sa présence est la mesure d'un état d'équilibre déler-
miné, car l'animal, doué du pouvoir de locomotion, dispa-
raît en cas de modification suffisante et la ptautca toujours
Ja liberté de mourir. I!s sont par conséquent de véritables
instruments indiquant et mesurant des conditionsde milieu.
Néanmoins, ies indications fournies par eux sont très com-
plexes parce qu'elles se rapportent à tout un ensemble : le
thermomètre se borne à mesurer des températures, l'aréo-
mètre des densités, tandis que la plante ou l'animal don-
nent l'indication générale et totalisée de la température, de
la densité, de ta salinité, de la nature du fond, de la vitesse
et delà profondeurdes courants et d'autres variablesencore.
Si donc on veut résoudre logiquement le problème des rap-
ports de la plante ou de l'animal avec le milieu ambiant,
loin d'essayer de procéder de cet animal au milieu, il sera
plus simple de suivre la marche inverse et de passer de la
connaissance préalable du milieu à celle de l'Être vivant.
Nous ne citerons que deux exemples. C'est seulement
après une élude complète de telle baie ou de tel estuaire
d'Ecosse avec la Médusa et VArk que le terrain est livré
aux zoologistes chargés d'achever l'œuvre. En Norvège,
l'érainent directeur de l'Institut météorologique de Chris-
tiania, le chef de l'expédition du Vôringerit M. H. Mohn,
reconnaît que la morue des îles Lolfolen, pendant ta sai-
son de la pêche, se tient toujours dans des couches à tem-
pérature fixe, et il projtose qu'un navire de l'État muni de
thormomètres précis, suive désormais celte couche au sein
de l'Océan et indique jour par jour sa profondeur aux pé-
cheurs travaillant alors en quelque sorte à coup sûr. Indé-
pendamment du Jilake, les Etats-Unis avaient deux navires
chargés du service des p&cheries, le Fisli-Hawk et VAlba-
CAUPAGNE DU SCHOOKElt DES ÉTATS-LMS « GRAMPUS >. l-ll
tross; ce dernier depuis cinq ans l'ait campagne chaque
année ; il a étudié d'abord rAUantique el se trouve mainte-
nant dans le Pacifique. On a ju^é que ce n'était point assez
el l'été dernier le schooner triVimpuA', monté par un étal-
major de marins et d'hommes de science, a accompli dans
l'Atlantique une très intéressante mission scientifique.
Le Grampus, schoontr à voiles de 83 tonneaux, était
lûiini d'une petite machine destinée à faire tourner le
tambour sur lequel s'enroule le câble des sondages. Ce
cûble, long de 1000 brasses (1829 mètres) est en acier; son
diamètre mesure un 1/8 de pouce (3,17 millimètres); il est
formé de 19 brins de corde à piano n" 54 et possède une ré-
sistance à la rupture de 1500 pounds (G80 kilogrammes).
Pour les profondeurs moindres de 100brasses,on y attache
un plomb de 25 pounds (11,3 kilograturaes) mais pour des
profondeurs plus grandes on augmente le poids jusqu'à
-40 pounds (18,1 kilogrammes). Le tambour est relié h un
compteur donnant le nombre de tours déroulés ou enrou-
lé% et par conséquent la profondeur atteinte; le câble est
maintenu au-dessus de l'eau à la façon ordinaire et supporté
par un accumulateur à deux ressorts d'acier. Le navire
était commandé par le capitaine A. C. Adams, avec
MM. Uand el Cionnelly comme second et lieutenant; son
état-major scientifique se couj posait des professeurs William
Libbey Jr. de Princeton Collège, Roekwood, Magie et Mac
Neill. Tous les préparatifs de l'expédition avaient été faits
parle colonel M.Mac Donald, de la Commission des Pêche-
ries, qui y avait consacré ses soins les plus vigilants.
L'expédition avait pour mission de contribuer à établir
les rapports existant entre la température et la densité des
eaux et les migrations des poissons. On suppose que les
variations qui s'accomplissent à chaque saison dans la po-
lition des couches isothermes sous-marines expliqueront ces
migrations et la distribution géographique des espèces vi-
vantes aussi bien des poissons comestibles, elen particulier
du maquereau et du hareng, que des animaux inférieurs
4-42 CAMPAGHE nn SCHOON'ER des ÉTATS-INIS « GHAMPUS ».
dont ceux-ci se noiirrissenl. Comme les variations des iso-
thermes sous-marines sont en retalion avec celles des iso-
thermes aériennes, on comprend la relation étroite qui s'é-
tablit entre l'océanograpliieet la météorologie.
Le Grampus avait donc ;ï mesurer des températures et des
densités, à recueillir des échantillons d'eaux, à exécuter des
dragages et des pik'hes; il devait en outre tenir note de tous
les phénomènes météorologiques de jour et de nuit et exé-
cuter certaines expériences sur l'électricité atmosphérique.
On avait embarqué vingt-cinq thermomètres Negretti et
Zambra montés d'après le système Magnaghi, c'est-à-dire
en relation avec une hélice inactive à la descente et qui,
lorsqu'on la remonte, tourne en sens inverse, détache un
ressort en verrou et permet le retournement de l'instrument.
Les bouteilles à ramener l'eau étaient probablement du
«ystème Sigsbee basé sur le m&me principe.
Le terrain à explorer s'étendait de la pointe orientale de
l'île Nantucket à Montauk I*oint, à l'extrémité nord de
Longhland, en lalitude, jusqu'à la limite du Gulf-Streara
â l'est. On devait le couper par on nombre aussi considé-
rable que possible de sondages en lignes parallèles. Il ira-
porte de remarquer un fait sur lequel nous avons déjà nous-
même attiré l'attention à plusieurs reprises : les Américains
semblent convaincus que le temps des grandes expéditions
océanograpbiqties est passé et qu'au point où eu est aujour-
<i'hui arrivée la science de la mer, connue dans ses traits
généraux, il est préférable de s'en tenir à une aire res-
treinte dont tous les détails devront être élucidés de raa-
iùère k ce qu'il n'y ait plus à y revenir.
Le Grampus quittait Wood's Holl, quartier général de
l'U. S. Fish Co»»mt.s-s*ow, le 33 juillet 1889. Après quelques
essais préliminaires, il descendît vers le sud jusque par
39*^2' lat. environ, naais des réparations indispensables
l'obligèrent à rentrer à Wood's Holl le 27 juillet au matin.
Une série de mauvais temps l'y retint jusqu'au 31 juillet
aa soir; il sortiitde nouveau. Le mauvais temps continuant
CAMPAGNE DU SCHOONER DES ÉTATS-UNIS « GRAMPUS ». 143
il dut, le 3 août, se réfugier à Block Island, d'où après une
seconde tentative infructueuse, il repartit le 5 aoùl.
La mer devint alors lelleraent calme que le navire fut
presque incapable d'avancer. Les journées des 6, 7 et 8 se
passèrent ainsi; le 9 un coup de vent violent força encore
de rentrer à Wood's HoU.On y demeura Jusqu'au 15 août;
entre le 16 et le 22, on sortit deux fois ; le 23 août, la cam-
pagne se terminait définitivement.
L'expédition contrariée d'une façon très fâcheuse n'a sans
doute pas satisfait toutes les espérances qu'on en availconçues.
Toutefois, elle a démontré l'impossibiHléde faire des obser-
vations suivies et régulières, surtout dans des parages aussi
battus que les côtes des Etats-Unis, avec des bâtiments à
voiles et d'aussi faible tonnage que le Grampus qui a été
arrêté aussi bien parlebeau tempsqueparlemauvais temps.
Des bâtiments à vapeur sont indispensables. Telle est aussi
l'opinion de M. John Murray. L'Hirondelle du prince de
Monaco, quoique opérant aux Açores dans des régions beau-
coup plus tranquilles, n'a pas été sans éprouver bien des
difficultés dont elle est, il est vrai, sortie à force d'habileté
et d'énergie, mais qui auraient été fort simplement évitées
avec la vapeur.
Le Grampus a donné 101 coups de sonde dont 37 dépas-
sa ni iOO brasses et à plus de 100 milles de terre; les stations
éiiiientà environ 10 railles les unes des autres sur des lignes
transversales à la côte et au Gulf-Streara et espacées entre
elles de 10 milles. Jusqu'à 50O brasses, on touchait le fond;
au delà on ne cherchait plus à l'atteindre; on se contentattdes
50Û brasses du câble auquel ou attachait 17 thermomètres
et 2 bouteilles à eau; 8 thermomètres étaient placés daos
les 50 premières brasses et 2 dans les 50 brasses suivantes.
A 35 railles delà côte apparaît le Gulf-Stream sous forme
d'une mince couche d'eau chaude d'épaisseur variant entre
2aou30brasses et sa séparation avec lescouches sur fesquel les
elle repose et qui lui servent de lit est nettement accusée
par le thermomètre descendant brusquement de 1(5 ou
CAMPAGNE DU SCHOONEB DES ÉTATS-UNIS « GRAMPOS >.
18 degrés Fahrenheit (9 à 10° G.) sur une épaisseur verticale
de 5 brasses. Il paraîtrait en outre qu'en approchant davan-
tage encore du centre du Gulf-Stream, on rencontre au-
dessous de l'eau froide une autre couche chaude dont la
température entre 50 et 100 brasses, dépasse souvent de
5 àiO" F (2°8 — 5"5 C) celle qu'on trouve au-dessus à des
profondeurs de 30 à 40 tirasses. A 500 brasses, la lerapéra-
tare était ordinairement de 40" F (4°44 C). Cette seconde
nappe chaude est un fait très important. Si les travaux
postérieursconOrment son existence, il faudra exaraineravec
soin comment l'eau froide intercalée se raccorde avec les
eaux qui l'entourent. Deux hypothèses me semblent per-
mises :ou bien la couche froide intercalée offre en coupe une
forme analogue à celle d'un champi}»non renversé et elle
serait alors un élargissement inférieur d'un des multiples
fllcts froids qui coulent parallèlement à des filets chauds
en suivant l'a.ve du Gulf-Stream; ou bien — et cette suppo-
sition serait d'accord avec une théorie que j'avais déjà
émise à la suite de mon voyage aux bancs de Terre-Neuve,
— la couche froide serait le passage que suivrait, pour se
déverser dans la m::sse des eaux atlantiques, le courant froid
du Labrador longeant immédiatement la côte des États-
Unis du nord au sud à contre-sens du Gulf-Stream, et qui
en surface est acculé, après le cap Hatteras. entre la côte
et le Gulf-Stream sortant du canal de Bahama, L'écoulement
du courant du Labrador serait latéral et en profondeur et,
s'il en était ainsi, la nappe froide serait disposée comme un
coin et moins nette du côté de l'est que du côté de l'ouest.
Pour être renseigné exactement sur le phénomène, il fau-
drait posséder une coupe thermique assez serrée de l'Océan
sur le parcours du courant du Labrador.
Le Gérant responsable,
Ch. Maunoih,
Secrétaire général de la ComiDission centrale.
397i. — Lik.-inip. réunies, B, rua Mignon, 3. — U\\ ot UoTTEBOZ, diracteuri.
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL
FAIT
A LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
Dans ■■ tc'noce générale ilii 25 avril 181N)
AU NKM d'une CûMMISSin» rOlIPilSKi; DE
MM. Henri Duvejripr, Alfred Gr;mdklii;i', U' llumy, de Quatrofagos
et William Huber, rapporteur.
Avant d'exposer les titres des lauréats aux récompenses
de la Société de Géographie, la Commission des prix ne peut
se défendre de constater, avec un sentiment de salisfaclion,
que celte assemblée générale de 1890 est la troisième d'une
série au cours de laquelle toutes vos médailles ont été
décernées k des Français.
Ce n'est pas que votre Commission ait été partiale ou
qu'elle ail cédé au désir bien naturel de mettre en lumière
les travaux de nos nationaux; c'estque lenomlire des explo-
rateurs français augmente chaque année; c'est que chaque
année plus nombreux, nos voyageurs portent à l'envi d»ns
des régions inconnues le nom et les couleurs de noire pays.
En couronnant des voyageurs français, 1» Commission des
prix n'oublie pas que la Société de géographie de Paris
est la seule dont tes statuts ne fassent aucune différence
entre lesétrarige4's elles Français. La science, en effel, util«
à tous et cultivée dans tous les Etats civilisés, ne peut avoir
(le nationalité. Celle courtoisie doit rester une de nos Ira-
ditioas : elle rehausse la valeur des récompenses que vous
décernez dans un concours qui, par le fait mùme, devient
international.
L'heureux accroissement du nombre des voyageurs fran-
çais, est dû, en partie, aux encourrigaments que les voyages
>(i(;. DE C.liOGIl. — i' rilDlESTHK IWM). XI. — 10
140
HAPPOUT sur le CONCOUHS au MIX AWSltEL.
et missions scienliliqiies reçoivent des ministères; en partie
aussi, nous aimons h le croire, h l'appui que leur a prêté
la Société en leur fournissant des renseignements et des
instructions au départ, en faisant connaître, an retour, le
mérite elles résultats de leurs efforts. Combien plus grands
seront son influence et les services qu'elle pourra- rendre
quand elle aura réussi à créer ce fonds des voyages dont la
constitution est si hautement désirable.
Nous avions à décerner celle annéCj pour la première
fois, un prix nouveau institué par la Commission centrale
pour perpétuer le souvenir de notre collègue M. Alphonse
de Montherot, lequel a légué à la Société de Géographie une
somme de 5,000 francs sans affectation spéciale. — Elle a
décidé en principe que toutes les fois qu'un lej^s serait fait
dans ces conditions généreuses, tout ou partie do l'intérêt
de la somme léguée serait affectée à un prix portant le nom
du donateur. Elle a pensé que ce rappel annuel d'un nom
regrellé serait le rappel aussi de la reconnaissance de la
Société.
M. Alphonse de MontheroL, membre de noire Société
depuis 1882, n'était pas un voyageur explorateur dans la
portée scienlifique du terme; mais, aimant les voyages, il
en avait toujours profité pour rapporter des collections de
photographies exéculées par lui-même avec un réel succès.
D'un espi'it éclairé, généreux, il était sans cesse préoccupé
de rendre sa vie utile et de prûlcr son concours aux œuvres
méritantes. Son nom restera attaché à la Société de Géo-
graphie par ic prix Alphonse de Montherot,
La Commission des prix a décerné les médailles suivantes
pour Tannée 1889.
1" Grande médaille d'or à M. le capitaine Louis-Gustave
BtSGEn pour son voyage du Niger au golfe de Guinée par
Kong.
Rapporteur M. Henri Duveyrier.
i" Médaille d'or h M. le commandant RnniARn de Lannoy
RAPPOni son LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
DE BissY, pour la carte d'Afrique dressée sous les auspices
du Service géographique de l'armée.
Ilapporteur M. Charles Maunoir.
3° Médaille d'or à M. Jules Bohelli pour son voyage au
Choa.
Rapporteur M. Alfred Grandidier, membre de l'Inslitut.
4* Médaille d'or h M. Léon Jacob, ingénieur des mines,
pour ses explorations de la région comprise enlrc IWllan-
tique et Stanley-Pool par le Kuillou-Niari.
Rapporteur M. William Huber.
5* Afédaille d'or, prix Logerai, h M. Pavl Crampel pour
ses explorations au nord de l'Ugôoué.
Rapporteur M. Charles Maunoir.
6" Médaille d'arfifiit h M. Camille Paiuî?, pour sou'
Toyage en Annam.
Rapporteur M, Jules Garnier.
7° Médaille d'argent, prix Alphonse de Montherot, à
Bl. Alfrkd Martel pour ses explorations des Causses des
Cévennes.
Rapporteur M. AVilliam Huber,
8° Prix JoHifffï/ à MM. Charles et PACLBRÉAno, pour leur
ouvrage : Histoire de la marine marchande, au xvi* siMe.
Rappprleur M, le Dt Ernest Hamy, membre de l'instilut,
M. LOUIS-GUSTAVE BINGEH,
CAPITAINE d'infanterie DE MARIKE
Crandc mcilallU' d'or.
M, Henri Duvcyiier, rupporkur.
Choisissantdansle nombre des voyages de découverte et des
iravau.T d'érudition qui ont augmenté ou précisé notre con-
naissance de la terre, et qui s'olFraient à elle dans les limites
de temps requises pour concourir celte année, votre Com-
mission des prix a décidé d'accorder la grande médaille d'or
148 HAPPORT Sun LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
de la Société de Géographie au capitaine L.-G. Binger,
comme récompense de son exploralion des pays inconnus
au sud-est du Dhiôli-Ba, ou Haut-Niger.
Par sa durée de deux ans complets, par les 4-,000 kilo-
mètres du dëveloppemenl des chemins csaclement et minu-
tieusement levés et) pays iDconnu, itinéraires appuyés sur
treize déterminations astronomiques, ce voyage de décou-
verte, qui fait honneur à la science, au caractère et au
laleni de M. Binger, a été, à l'unanimité, jugé digne de la
plus haute récompense de notre Société.
En 18K7, quand le capitaine Tîinger i^oramença son
voyage, achevé deux ans plus tard, en 1889, rintérieur du
grand triangle dont le cours du Dhiôli-Ba arrête les deux
eûtes est et ouest el la pointe nord n'avait guère été en-
tamé, à l'ouest du méridien de Lagos, que par le Français
René Caillié, dont l'itinéraire, courant un peu à l'est du
Dhiôli-Ba, ne sort en aucun point du bassin de ce (teuvc ;
— par l'Allemand Henri Barlh, qui avait coupé de Siiï i^
Kahara le sommet du triangle; — par le Français Bonnal,
qui avait pénétré de la Côte de l'Or jusqu'à Salaga en rele-
vant une partie du ilcuve Firou, notre Volta; — enfin par
le capitaine anglais Lonsdale, qui, d'Elmina etde Koumassi,
avait visité ie Londoukou. Nous passons sous, silence les
voyages assez nombreux d;i!is le littoral jusqu'à Abômé,
capitale du Dahômé, Koumassi, capitale de TAchanti, et
Alousardou, près des sources du Mayel lîalével.
Malgré le nombre des voyageurs dont on vient de rappeler
les travaux à l'est des deux grands bras supérieurs du
Dhiôli-Ba et à l'ouest du méridien de Lagos, ta géographie
physique de cette partie de l'Arrique, qui mesure au moins
un million de kilomètres carrés, était à vrai dire ignorée.
Tout récemment encore les géographes traçaient là une
chaîne continue de montagnes, la chaîne de Kong, courant
de l'ouei;! à l'est, qui leur paraissait une nécessité plastique
pour séparer les bassins tels que Icursspéculatioos tes avaient
»ponT SUR LE coNcouns w pnix annuel.
149
créés, el, sous leur crayon, les cours J'eau dont l'embou-
cbare était connue avaient pris des formes arrêtées en
conséquence de celle première notion fausse.
Les quatre mille kilomètres de l'ilinéraire du capit;iine
Oinger Iraver/ent ce pays inconnu de Baminako, poste
français sur le Dhiôli-Ba, à Grand-Bassam, poste français
sur le golfe de Guinée; ils forment, en outre, une vaste
boucle dans l'es!, jusqu'à Wagadougou, capitale des Môsi,
et au cours supérieur de la Balivirt, la branche orientale du
Firou. Ils apportent une première base, et une base large et
sûre, au dessin delà carte de cette région. Ces levés raonlrenl
d'abord qu'elle n'est pas traversée par une chaîne de mon-
tagnes dans le sens des parallèles, et ils donnent un cours
bien autrement long qu'on n'avait supposé jusqu'ici aux
Oeuves qui débouchenl, sur lîi Côte de l'Ivoire et sur la Côte
de l'Or.
Les résultats de ces travaux géographiques assignent
désormais au capitaine Bingpr une place des plus honora-
bles dans l'histoire de l'exploration de l'Afrique. Pour le
démontrer il suffira de citer ses principales découvertes.
C'est d'abord la découverte, près de Sikasso, par 11°7' de
latitude nord el 1"'M)' de longitude ouest, d'ua très petit
massif, culminant par 780 mètres d'altitude seulement, qui
sépare les bassins des affluents de la Maye! Balével, et par
conséquent du Dhiôli-Ba ou Niger, de ceax du Koraoï, ou
tleuve du Grand-Bassam, el du Firou ou Volta; c'est ensuite
la fixation des limites et des traits principaux du ba.«sin
supérieur presque tout entier du Firoii, qui, inconnu
jusqu'alors, dépasse au nord lo 12° degré de latitude sep-
ipnlrionale et se prolonge, dans le nord-ouest, jusqu'à
OOO kilomètres de l'embouchure. Le bassin de ce fleuve
eist plus étendu que ceux de la Loire ou du Rhône. Cou-
pant et recoupant ses deux bras nord-ouest et nord-est,
M. Binger a assis le tracé du premier jusqu'à la source.
Enfin, un autre litre de votre lauréat c'est la reconnais-
I.tO niPPOUT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
sance et le levé presque complets qu'il a faits du cours du
fleuve de Grand-Bassam> du Komoi, qui ne te cède que de
très peu en longueur au cours de la Loire.
Par le capitaine Binger, qui a visité à deux reprises le
pays de Kong et l'a parcouru dans diverses directions, nous
savons maintenant que ce pays s'étend, du nord au sud,
entre la région des sources du bras ouest du Firou et la
partie moyenne du cours du Komoi. Les pics granitiques
qu'on y trouve, el dont le plus haiit atteint 1,450 mètres
d'altitude absolue, ne forment pas de chaîne; ils sont
isolés, tandis que plus à l'est, laBaliviri ou branche orien-
tale du Voila, paraît sortir d'un plateau au rebord ac-
cusé d'une manière continue, qui atteint 1,800 mètres au
picNaouri et qui va se perdant, au nord, du côté du pays
des Môsi.
Aucun Européen, avant M. Binger, n'avait visité Pon,ou
Kong, la capitale du pays de ce nom, et dont la position,
sur nos cartes, s'est trouvée être en erreur de 1*24' en
longitude (154 kilomètres), de même qu'à Wagadougou,
capitale du pays hier inconnu des Môsi, nos caries présen-
taient des erreurs de I"5' (121 kilomètres) en latitude et de
48' (88kilomèlres) en longitude.
B a clos ses explorations en faisant le premier levé com-
plet de la Ingune d'Ebrié, ou de Grand-Bassam, qui s'étend
parallèlement à la côte, sur une longueur de cent vingt-
quatre kilomètres. Voilà pour la géographie positive ! — A
ces levés personnels vient s'ajouter une vaste enquête géo-
graphique, conduite auprès des indigènes, et qui a donné
pour résultats cinq mille kilomètres d'itinéraires par rensei-
gnements.
Ki la géologie, ni la météorologie, ni la botanique n'ont
été négligées par ce jeune et grand voyageur. Son herbier
et ses notes lui permettent de tracer sur sa carte les zones
de végétation des arbres el plantes les plus remarquables
et les plus utiles, entre autres la zone, malheureusement
RAPPOni SUH LE CONC0CR3 UI PHIX ANNfKL. Inl
assez restreinte, des Stercnlia qui donnent, dans la Nigritie
occidentale, un succédané du café.
De l'homme, vivant en société, ii a Fait une étude appro-
fondie. Outre la famille m;indé, ou mandingue, qu'il con-
Bai&sait de longue date, il a recueilli des observaLious sur
six autres groupes importants, tels celui des Sienré, qu'il a
découvert, celui des Môsi, qu'il a le premier étudié chez
lui, et sur une soixantaine de petits îlots ethnographiques.
Ses recberches ont porté à la fois sur le type, la langue, le
caractère, les aptitudes et l'industrie de ces rameaux du
genre humain, les uns à peine connus de nom, les autres
jusqu'alors ignorés de l'Europe.
Tels sont les titres géographiques, — car nous n'avons
pas eu à îipprécier, en commission, le c6té poli lif|ue, l'essor
de Tinfluence française, qui, grâce au dévouement et au
patriotisme du capitaine Binger, vient de faire entrer dans
la sphère de la France des territoires aussi vastes et des
peuples aussi nombreux que ceux qui formaient l'aiicienne
colonie du Sénégal, — tels sont les litres géographiques qui
justifient pleinement la décision de votre commission en
ce qui touche la grande médnillc d'or décernée au capitaine
Binger.
M. Di; LANNOV DK BISSY, fJUEF HK BATAILLON bU OKMK.
Médaille d'or.
M. Clisrle* Maunoir, lappoiteur.
Une carte géographique a pour but de rendre sensibles
au regard les rapports de position des localités, les rapports
de direction des vallées, des cours d'eau, des chaînes de
montagnes.
Tel est le problème dans ses termes les plus généraux,
les plus simples. Mfis l'idéal et la pratique onl, en ce
l'52 nAPPORT snn le concours au prix annuel.
domaine comme en quelques autres, de la peine à s'en-
tendre; la conception théorique et l'exécution sont séparées
par des dirflcullés dont ne se font aucune idée ceux qui
n'ont pas été à Tceuvrc.
Elles sont particulièrement ardues pour qui veut con-
struire, sur des proportions un peu larges, la carte d'an
continent immense à l'aide d'éléments disparates et de
valeur très inégale comme richesse ou comme exactitude.
L'établissement d'une carte d'Afrique présente des con-
ditions bien faites pour tenter, parfois ni&me pour décou-
rager, la patience et la sagacité d'un géographe, pour stimuler
les esprits enclins h poursuivre la vérité au milieu de
données qui s'en rapprochent plus ou moins, en les com-
parant, en les interprétant, en y pratiquant deséllminations.
C'est un capîivant exercice de savoir et rie discernement,
qui exige à ia fois labeur et pénétration.
L'Afrique, depuis le milieu de notre siècle, a été parcourue
par quelques cenlaines de voyageurs dont les lignes de
marche et les délerminalîons agronomiques concordent
rarement.
Le capitaine du génie Richard de Lannoy de Bissy, aujour-
d'hui chef de bataillon, s'est donné la lilolie de les étudier
minutieusement et de les combiner en se rapprochant le plus
possible de la réalité. 11 a entrepris, pour l'Afrique entière,
ce que M, Ravenstcin avait heureusement réalisé pour
l'Afrique équatoriale orientale dans sa carte dressée par
l'initiative de la Royal geographical Society.
II faut ici rappeler que M. de Lannoy avait foulé la terre
africaine, car il faisait partie de la colonne que le général
de Gallifet conduisit sans coup férir jusqu'à. El-Goleah,
en 1872.
A ce 1,'oyagi;, pendant lequel iM. de Lannoy fut chargé de
recueillir des informations d'ordre scientifique, est due
l'exécution de la carte d'Afrique à 1 2,000,000 que les
visiteurs de l'Exposition universelle rie 1889 ont pu voir
nAPPORT SCn LE CONCOUnS AU PRIX ANMTEL. 153
lUèrement achevée dans l'exposilion du Ministère de la
Guerre, à l'Esplanade des Invalides.
Vous soumelire un rappoi't déluillé sur celte œuvre, les
soins dont en a été entourée fexécutinn, les mérites qui la
recommandent à l'atlenlion des hommes de science,
entraînerait des longueurs incompatibles avec les exigences
de notre ordre du jour.
Ceux d'entre vous qui assistaient h la séance du "î décem-
bre 1880 ont pu voir ici même, à l'état de dcssin-minule,
une partie déjà considérable de celle carte entreprise
en 1875. L'accueil dont elle fut l'objet de la pari de la
Société attira l'attention éclairée du général Farre, alors
Ministre delà Guerre, qui, pour mellre M. de Lannoy à
même d'achever son œuvre, l'attacha en 1881 au Dépôt de
la Guerre, devenu plus tard Service géographique de
l'Armée. Depuis lors les chefs successifs de ce vaste établis-
sement, le colonel Bugnot, puis le général Perrier et enfin
le général Derrécagai.x, ont répondu dans la mesure la plus
large, la plus libérale, aux vues du Ministre.
Près de quinze ans ont été nécessaires pour parachever
celle en! reprise. Ici le temps a son importance, car il a été
laboriensement, consciencieusement rempli par les recher-
ches, par les études accessoires indispensables à la solidité
d'une carie. Telle feuille, comme celle de l'Klbiopie, comme
celle du Maroc, n'a pas demandé moins de cinq mois de
travail.
C'est exclusivement aux matériaux de première main que
M. de Lannoy a eu recours; ils ne lui ont pas fait défaut, et
la valeur de sa carie s'étant révélée dès l'apparition des
premières feuilles, des documents rares ou inédits lui
pjrvinrenl de divers côtés, môme de l'étranger. L'auteur
\ i\ù maintes fois, en présence de nouvelles et plus silres
iodicatious, recommencer tout une partie de sa Hche. En
lelques cas, il a lui-mËme reconstitué, par une minuLieuse
lyse des journaux de rouler certains itinéraires que
ii>4 lUPPOUT SCn LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
n'avaienl pas dessinés les voyageurs; ce n'a été là ni le plus
facile ni le moins intéressaiil du travail. Seuls les carlo-
graphes savent et M. de Lannoy nous le dirail, ce que peut
exiger d'efforts, de réflexions, de combinaisons et de recoin-
raencements la mise en leur place la plus probable, de
points que l'incerlitude fait errer sur des espaces parfois
très étendus. Il faut, s'appujant sur des indices délicats,
tantôt prendre des moyennes, tantôt adopter une version à
l'exclusion des au Ires; c'estlajustesse de ce choix, démontrée
pardes explorations subsétiuentes, qui atteste la perspicacité
critique de l'auleur. II est arrivé déjà que les décisions
adoptées par M. de Lannoj ont reçu celte sanction.
Chacune des 63 feuilles de la carie d'Afrique du Service
géographique de l'Armée doilêtre accompagnée d'une notice,
complément précieux où sont consignées, avec des vues
sur les pays compris dans le champ de la feuille, des indt-
calions sur les sources consullées, sur les solutions admises
dans les cas où les données n'étaient pas en concordance.
Les nolices n'ont pas encore toutes paru, mais il est hors
de doute que l'achèvement en est assuré.
Votre Commission des prix se trouvait en présence d'une
œuvre vraiment scientifique dont la valeur et l'utilité ont
été reconnues non seulement en France, mais encore dans
tous les pays où la Géographie est un honneur, par des
juges dont le verdict fait auLorilé.
Elle a donc élé unanime à décider que la carte d'Afrique
dressée par le commandant de Lannoy de Bissy, sous les aus-
pices et avec le concours du Service géographique de l'Armée,
méritait une médaille d'or de la Sociélé de Géographie.
M. JULES BORELLI
Médaille d'or.
yi. Alfred Graudîdîer, de l'Inslilul, rapporteur.
M. Julos Borelli a exploré pendant trois années, de 1885
BAPHOnT SUR LECONCOIRS AU PUIX ANMJEL. 1Ô5
I 1888, le grand massif de montagnes situé au sud de
l'Abyssinie, dont le versant nord envoie ses eaux dans le
Nii Bleu et qui, dans le sud, donne naissance à une mulU-
lude de rivières se réunissant pour former le grand fleuve
Omo.
On ne possédait jusqu'à présent que très peu de rensei>
gnements sur cette contrée, habitée par des peuples de
races Oromo et Sidama.
M. Antoine d'Abbadie el, plus récemmenl^ M. Alphonse
Aubry avaient visité tes Oromo ouGalla, mais ils n'avaient pu
pénétrer dans la partie sud des pays Sidama. Quel était le
cours du neuve Omo, quels étaient ses affluents, où déver-
sait-il ses eaux? Autant de problèmes d'une grande impor-
tance que M. Borelli a résolus.
Les géographes s'accordaient pouren faire un des grands
affluents du Juba: noire hardi et zélé collègue a montré
qae, loin «ie courir vers l'est , comme on le croyait, il se
jetait dans le grand lac Shacnbara ou Basso-Narok récem-
ment signalé par le comte Telekt, au nord du Nyanza.
C'est là une découverte qui change complètement la carte
de toute une région dp. l'Afrique et qui fait grand honneur
à rexploraleur.
M. Borelli n'a pas fait son voyage en simple touriste,
avide de nouveautés, que le hasard favorise plus ou moins
ilans ses explorations; il l'a fait eu homme de science dési-
reyi d'étudier le pays au point de vue lopographique. Il a
parfaitement réussi, ne se laissant arrêter par aucune diffi-
cullé, par aucun danger, au prix de dépenses considérables
f»iles avec une générosité dont nous devons le louer sans
é&erves.
Mani des instruments de précision nécessaires, i! s'est
ippUqué h suivre l'exemple donné jadis par notre collègue
M. d'Abbadie et a couvert d'un vaste réseau de triangles
tout le bassin du Haul-Omo, réseau qui se relie à celui de
M. d'Abbadie par un tour d'horizon pris du sommet du
ir>(3
RAPPOnT SUR LTi C0NC0UH3 AU PfilX ANNUEL.
mont Garruque, quaranle-quatre ans apiès les travaux de
son prédécesseur.
M. Borelli a multiplié ses tours d'horizon au théodolite,
(in Q3 stations, fixant ainsi la position exacte de milliers de
points; il a délerminé celles de 55 localités en latitude et
d'une dizaine en longitude ; toutes ces observations sont
faites avec le soin et la précision qu'on pourrait attendre
d'un topographe de profession.
Grâce aux travaux persévérants de M. Jules Borelli, nous
possédons aujourd'hui nnc carte exacte d'une région de
!25,0O0 kilomèlres carrés environ, jusqu'à présent entière-
ment inconiuie. Le voyageur a, de plus, porté son attention
sur la délimitation des nombreuses peuplades désignées
par leurs voisins sous le nom général de Sidama, peuplades
qui habitent au sud des pays Oromo et qui ne parlent pas
moins de huit langues diirérenles, lia formé un vocabulaire
de chacune des trois langues tambara, koiillo et hadin,
jusqu'alors complètement inconnues.
Cet aperçu très rapide et forcément incomplet des prin-
cipaux résullats des voyages de M. Borelli, dont les itiné-
raires mesurent plus de 3,000 kilomètres, suffit cependant
pour donner une idée des découvertes dont la géographie
lui est redevable et de Timporlance de ses levés topogra-
phiques.
Voire rapporteur, en proclamant la décision de la Com-
mission des prix, ne peut que féliciter, au nom de la Société
et en son nom personnel, notre collègue d'avoir si bien
accompli sa mission et d'avoir fait preuve de col esprit
scientitique que nous aimons à constater et qui malheu-
reusement est trop rare encore chez la plupart des explora-
teurs.
La Société de Géographie décerne une médaille d'or à
M. Jules Borelli.
IIAI'PORT SIIK LE CONCODKS AU PRIX ANNUEL.
157
P
M. LÉON iACOn, I.NGÉMEUn CIVIL DES MI^ES
Médaille il'tir,
M. William Hub«r, rapporleur.
Lorsqu'au rolour de sa seconde campagne M . Savorgnan de
Draz'^a proposait la rotUe du IJuillou pour joindie le Congo
fraQ<^ais à la mer, les géographes cooirne les techniciens se
demandaient quelle était celle région à peine connue de
l'exploralRur et des Portugais établis à. LoanJa.
On savait que le cours du IJ>nIlou-I^''<i<'i était obstrué de
rapides qui en interdisaient li navigation; mais on ignorait
rimportance de ces obstacles, ce qu'on trouverait au delà,
le régime et la direction des affluents, l'étendue des
forêts qui couvrent le pays et les dispositions de ses habi-
tants.
La mission de M. liouvrer, capitaine de frégate, du doc-
leur Ballay et du capitaine Pleigneur, de l'infanterie de
marine, a poussé d'impartantes reconnaissances dans cette
région, relevé une fçrande partie du cours du Niari et appuyé
son iliaéraire sur des observations astronomiques, mais
l'intérieur du pays restait inconnu; là peul-ûtre trouverait-
on quelque dépression, quelque cours d'eau, quelque coupure
dans la montagne qui permettraient l'élablissernenl d'une
roule ou d'un chemin de fer, raccourcissant de près de
moitié le trajet imposé par la vallée môme du Niari, entre
Ngoloii, point extrf^me de la navigalion, ctLoudima.
C'est à M. Léon Jacob, ingénieur civil des mines, que
nous devons une connaissance beaucoup plus complète du
|»ays. Chargé par M. de Brazza de. trouver le meilleur
tracé possible, M. Jacob a parcouru cette contrée pendant
deux ans, relevant tous ses itinéraires, les appuyant sur
tes coordonnées déterminées parla mission ducoramandant
Rouvicr, marclianl le baromèlre en main çl se frayant un
15S
UAPPOUT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANKUKL.
passage là où l'indigène lui-même n'avait peu l-ôtre jamais
passé.
La mission de M. Jacob avait à l'origine pour but unique
l'étude, au point de vue des voies de communication par
terre, rie la région qui sépare la côte de Loango du Stanley-
Pool.
Par la suite, il a été entrainé à étudier et h relever en
détail, h deux reprises, la région de BU kilomfelres des
rapides du Niarl oti avait trouvé la mort le capitaine Plei-
gneur, qui avait d'abord entrepris ce iravail. Nous ne par-
lerons pas de l'avant-projel de M. Jacob pour rendre ce fleuve
navigable; il est absolument distinct des travaux géogra-
phiqueset lopographiques qui doivent nous occuper aujour-
d'hui.
La carte que nous a présentée M. .lacobaétù tout entière
levée par lui; il n'y entre aucun élément étranger; il s'est
borné, avons-nous dit, à se servir des positions de quatre
ou cinq points déterminés astronomiquement par son pré-
décesseur \L Rouvier.
Les itinéraires atteignent une longueur développée de
plus de 3,000 kilomètres. Ils ont été levés à la boussole et
au podomètre, en introduisant certaines corrections empi-
riques dictées par l'expérience selon la nature de la route.
Les cotes d'altitude ont été prises au baromètre anéroïde
à des dislances très rapprochées, alln que les variations jour-
nalières jouent le moindre rôle possible dans la différence
de niveau relative entre deux points voisins,
Tous les cours d'eau, jusqu'aux plus petits, ont été reb-
vés elflgurent en traits pleins sur la carte ; M. Jacob réserve
avec une entière franchise les poinlillés pour les portions
des rivières dont il n'a pas fait le levé direct. Les centres
d'habitation sont tous indiqués par leurs noms transcrits au
plus près de la consonnancc de la prononciation.
Enfin les mouveraiinls généraux du sol sont donnés par-
tout où le voyageur pouvait lesapprécicr, avec quelque exac-
RAPPOHT SUR LE COXCOURS AU PIUX ANMITEL.
15'J
Utudc. Ailleurs il a préféré laisser sa carLe en blanc plulôl
que de s'exposer à y introduire des erreurs. Celte sincérité
dans la représentation du travail est d'un bon exemple; trop
souvent le voyageur charge inutilement sa carie de données
ulileaues par renseignements, ou d'élémenls qu'il a cru voir
dans un lointain trompeur.
Les principaux efforts de M. Jacob se sont portés sur
deux points distincts : les montagnes boisées du Mayombé
comprises dans la grande boucle que décrit le Niari vers le
nord; puis la chaîne de hauteurs qui sépare le bassin du
Kiari de celui du Congo.
Dans la première partie l'ingénieur a reconnu de nom-
breuses rivières, grandes et petites, dont il identifiait aisé-
ment les noms avec ceux qu'elles portent à leur confluent
connu dans le Niari; telles que la Loukénéné, grand affluent
de la Loômé, les rivières Mangi,Loukamba, Ngoraa et bien
d'autres dont je me dispense de vous présenter ici l'aride
énuméralion.
Aucun de ces cours d'eau n'est navigabie, même pour des
pirogues. Ils présentent tous des fortes pentes, de nom-
breuses chutes et contiennent peu d'eau dans la saison
sèche. Les montagnes du pays Mayombé sont entièrement
boisées, plantées d'arbres souvent énormes que l'on trouvera
peut-être moyen d'utiliser un jour.
Les seuls sentiers indigènes, parfois à peine vii^ibles, sont
tivs escarpés, obstrués de brous^ailtes et ils empruntent en
»'y perdant sans cesse te lit des torrents.
Dan<î la seconde partie de son travail, entre le Niari et le
Congo, M. Jacob a franchi la ligne defaîte à ta cote G30 mètres,
alors que M. Rouvier l'avait traversée plus à l'est à 080 mclres
d'altitude. Cette concordance est intéressante. Là encore
1»?* rivières ont été relevées avec d'autant plus de soin
ju'elles sont plus importantes, comme la Liikouni, affluent
Niari, et la Nikengué ou Foulacari, affluent du Congo^
les deux entièrement inconnues jusqu'alors.
160 nAPPORT sun le concours au prix annuel.
Celte région est bien plus facile à parcourir que celle de
Majoinbé et l'élablissement d'une voie de coramunicalion
y ofFrirail moins de difflcuUés.
M. Jacob a, de plus, fait !i travers tes plateaux Bayaka
dans le nord du Niari, un voyage très intéressant qui lui a
permis de retrouver et de déterminer un point du cours de
laBouenza, artliienL du Niari presque aussi important que
ce fleuve lui-mônie-
En résumé, M. Jacob estime que la voie de communication
entre la mer et Slanley-Pool doit être cherchée le long du
Niari jusqu'aux environs de M'Soussou, puis suivre un des
itinéraires par iM'Boukouzengi et ie coi de Boundou, pour
rejoindre le Niari àLoudima,remonlei' celte rivière jusqu'aux
environs du poste de Comba, enflri se diriger sur Brazzaville,
soit parles vallées, soit par le sentier indigène qui traverse
direcLemenl le plateau de Bacougo.
Ce travail persévérant des deux années 1887 et 1888 nous
a donc rapporté des éléments précis, nouve:ius et nombreux
sur une contrée française par laquelle la colonie du Congo
aura sans doule un jour ses débouchés sur la mer et ses
relations avec la patrie.
La Commission des prix a décerné une médaille d'or à
M. Léon Jacob.
M. P.MIL CRAMPKr-
I
.Wf^ilaillc il'cir (PriK l.OKPrnl)
M. Chailos Maijiioir, rapporteur.
L'attention rie votre Commission des prix a été attirée
sur l'exploration accomplie par M. Paul Crampe! au milieu
du blanc de la carte d'Afrique situé juste au nord de
l'Ogûoué, ce ûeuvequi a désormais sa pince dans l'histoire
de la géographie africnine. L'espace dans lequel M. Crampel
ÎIAITORT SUR LE COSCOUnS AU PRIX ANNUEL. 101
a fait un véritable voyage de découverte s'étend sur deux
degrés en iatilude el près de trois en longitude. Le voya-
geur, parti de Madiville sur le haut Ogôoué, marche vers
If nord auf si directement que le lui permeLlenUes accidents
de terrain; il coupe d'abord les rivières Mianza et Moui-
nandji, tributaires de gauche de l'Ivindo, puis l'Ivindo lui-
même dont il constate que le cours, avant d'atteindre
rOgôoué, est sensiblement plus dans l'est que ne l'indi-
quaient les informations antérieures. L'Ivindo franchi,
M. Crampel découvre et traverse plusieurs de ses affluents
de droite. S'élevant toujours vers le nord, il apprend que
«ur sa gauche naît un fleuve, le Ntem. Enfin, au sommet
de sa course il atteint un autre courant, celui du Djah,
large de 150 mètres au point où s'arrôte le voyageur qui
est là sur la ligne où les eaux se partagent entre le Congo
el l'océan Atlantique; il est arrivé également à la ligne
frontière du protectorat allemand des Gameroons.
Tournant à l'ouest pour se diriger sur la côle, il est su-
hilennent attaqué le i' février 1889, à la traversée de ce
Beove Ntem dont les sources lui avaient été signalées. A
lir de ce moment, les observations qu'il avait soigneusc-
nt faites jusqu'alors lui deviennent impossibles. Atteint
deux coups de feu, poursuivi avec acharnement par les
rs, il est obligé de s'enfuir à travers d'épaisses forCts qui
robent sa marche el c'est il grand'peine qu'il atteint le
loral entre les rivières Campo et Benito.
Les résultats de ce voyage sont, à côté de la découverte
'it- plusieurs grands cours d'eau, le relevé soigneusement
idii d'un long itinéraire du nord au sud (de l'Ogûoué au
f degré de latitude septentrionale), à travers un pays
-ement neuf pour la géographie. Cet itinéraire, dont la
- - est couverte de noms nouveaux, a été remis à la So-
itlj^qui en préparait la publication quand M. Crampel est
l^artipour l'Afrique. Les populations qui habitent la ré-
pon parcourue par lui, les M'fangs,lcsBakatas, lesT^'jimas,
Si«C. VC GKOCII. — 2° THIMESTME 189lJ. XI. — tl
lui RAPrORT SDR LE CO^COURS AC l'RIX ANNUEL.
et les nains Bagayas, n'étaient connues que par information j
ou n'étaient pas connues du tout.
C'est par l'initiative et avec les iiislructions de M. de
Brazza, notre résident à l'Ogôoué-Congo, que M. Crarapel,
a accompli ce voyage difficite, dangereux comme l'ont
prouvé les événements, et dont la relation sera impatiemment
attendue. Elle constituera, pour la région au nord du Gabon,
un chapitre important qui ne lardera pas à être élargi par
les explorations d'autres membres de la mission de l'Ouest-
Africain.
Mue par un sentiment que vous partagerez sans doute,
voire Commission des prix pense que les voyages fructueux
pour la science doivent être (oui parliculièremenl encou-
ragés par la Société de Géographie lorsqu'ils ont pour champ
des contrées voisines de celles où noire pays s'ellorce de
faire prévaloir son influence.
Prenant donc en considération les résultats du voyage ac-
compli par M. Paul Crampel entre rOgôoué, le 2" degré,
de latitude nord et la côte occidentale d'Afrique, elle a at-
tribué à cet entreprenant voyageur la médaille d'or du prixj
Logerot.
M. CAMILLE l'ARlS
.Wédnillo cl'arKcnl.
M. Jules Gitniicr, rapparleiir.
Entre Hué et la frontière de la Cochincliine, le litloral de
la presqu'île indo-chinoise décrit, sur 700 ou 800 kilomètres j
(la distance en chemin de fer de Paris à Marseille), une
courbe tournée vers l'est, parallèlement à la courbe inverse^
formée par Bornéo, Palauan, Mindoro et Luzon,
Ce littoral esl longé par la route nwndarine, sur laquelle'
les relais de poste sont marqués par des tram, sortes de
RAPPOUT SUR LE CONCOURS AU PKIX ANNUEL. 103
caravansérails d'où partent et où s'arrèlent les coolies por-
teurs des dépôches.
M. Camille Paris, attaché à radniinislralioti des télé-
graphes, avait reçu en 188f> la mission d'établir une ligne
l^légraphiqiie de Hué à la frontière de noire colonie cochin-
chinoise. Celait là une lâche assez difllcile, au milieu de
populations dont le oncours nécessaire était subordonné
aux caprices de mandarins puissants, mais assez mal dis-
posés.
M. Pîiris, tout en s'acquitlanl de son devoir prolessionnel,
s'est etrorcé de recueillir des données qui prendront fort
nlilement place dans la géographie et l'ethnographie de
rindo-Chine.
Pendant de longues semaines de vie parmi les indigènes,
il a pu et su les éludicr; ses courses lui ont fourni l'acca-
Mon de relever plus d'un détail nouveau sur la topographie
de la zone littorale de l'Annam,
Il a dressé, à l'aide des données antérieures et des siennes,
sur l'emplacement et les noms fies localités, sur les formes
da terrain, sur les cours d'eau et sur les routes secondaires,
«le petites cartes an nombre rie six, qui seront oonstillées
avec profit en attendant les levés définitifs de la contrée.
La nrjission de M. Paris s'élanl arrêtée au Binh-Thuan,
I c'est au savant travail du commandant Aymonier que le
compte rendu de celle missiim a emprunté les détails re-
latifs h la province de l'Annam la plus voisine de notre co-
lonie.
Les pages dans lesquelles M, Paris a consigné ses ohser-
lalions sont animées et d'une leclure attrayante. Klles sont
instructives aussi; et bien que plusieurs des détails qu'elles
renferment ne soient pas toul à fait nouveaux, elles en con-
tiennent un bon nombre qui ajouteront au fonds commun
(te nos conn^iissarices.
L'.iuteur mot d'ailleurs la science k l'aise par la phrase
Rnrtie de son inlroilnclion : « Je n'ai eu qu'un but en élabo-'
104 ItAI'POnT SUR LK CONCOURS AU PKIX AKSUEL.
rant ce livre, qui représente deux années d'emploi liévreax
des loisirs que me laissail mon service: être utile à la géo-
graphie; et je n'ai qu'un désir en le livrant h la publicité :
être bientôt complété et dépassé. »
Voire Commission des prix a pensé qu'il y avait lieu d'en-
courager, de récompenser, en décernant à M. Paris une
médaille d'argent, le zèle des fonctionnaires qui s'ap-
pliquent k conquérir à la géographie quelques données
nouvelles.
M. EDOnAnD-ALFTlED MARTEL
Mrdnille d'nricvnt (Prix AtphoiiMC de Montlicrot)
UappurteUr, M. William lluber.
Nagnère encore, les géographes et les géologues ignoraient
l'existence en France d'une région incomplètement étudiée
au poini de vue topographique et géologique, tout h fait
méconnue des touristes, quant il la beauté de ses paysages
et aux curiosités naturelles qu'elle renferme. Cette région
est celle des Causses du Languedoc, plateaux calcaires dont
l'étendue couvre 5 à 600,000 hectares dans les départements
du Lot, de la Lozère, de l'Aveyroo, du Gard et de l'Hérault.
En 1879, un membre du Club alpin Français, M. A. I^e-
queutre, fut !e premier à attirer l'atleiition sur cette contrée,
particulièrement sur les gorges du Tarn. — En 1883,
M. L. de Malafosse, savant naturaliste de Toulouse, y fil une
véritable découverte géographique, celle de Montpellier-Ie-
Vieux, dont le nom semble rappeler une ville ruinée, mais
qui en réalité ne s'applique qu'à un chaos rocheux occu-
pant environ 1 ,000 hectares h la surface du Causse Noir, par
800 mètres d'altitude.
C'est h cette époque que notre collègue M. Alfred Martel
résolut d'entreprendre l'exploration complète de ce pays de
France où il restait encore tant à trouver.
RAPPORT SUR LE CONCODRS AU PRIX ANNUEL. 16
Les années 1883, 1884 et 1885 furent consacrées à l'ex-
ploration de la surface et à dresser Iti plan (ieMonlpeJlier-le-
Vieux au 1/10,000, Celmvail permit au regreLlé^i'néral Per-
rier de corriger une surface de iO cenLimètres carrés de la
feuille 208 de la carte d'état-major. — Mais d'autres pro-
blèmes excitaient la curiosité de M. Martel.
Quel était le parcours souterrain de ces torrents qui dis-
paraissent dans les crevasses du rocher? B'oîi venait Teau
des sources jaillissantes et dans quel sombre réservoir pui-
saient-elles leur cristal? C'<!St la genèse de ces sources que
M. Martel résolut d'étudier, c'est le mystère de l'origine sous-
sol des cours d'eau qu'il est allé cherclier au sein même de
la terre.
Ces expéditions n'étaient pas sans périls: étroits couloirs
où l'homme ne passe qu'en rampant, abîmes profonds, lacs
silencieux dont te vent ne ride jamais le calme séculaire,
cascades grondant dans l'ombre, vastes salles dont les sta-
lagmites semblent supporter les ogives, obstacles do toutes
sortes qu'il s'agissait de franchir ou de sonder en confiant
son existence tantôt à un frêle esquif de toile, tantôt à une
longue corde à laquelle le touriste se suspendait en éclairant
de sa torche ces abîmes. Partout l'inconnu, souvent le si-
lence imposant des profondeurs sans lumière et sans vie.
Au point de vue scien[ifique,M. Martel, àcrtié de la géolo-
gie et de la paléontologie, poursuit le problème de la trans-
formation des pluies en sources, impliquant l'étude du
régime bydrologique interne des plaleaox calcaires juras-
■>, de la formation des cavernes par érosion, et de
gi ne des fractures du sol.
Dans le domaine de lu pratique, l'explorateur de ces
méandres souterrains espère pouvoir, un jour, l'aire servir
»<f5 recherches à la réglementalion des fontaines eldes crues,
à la captation des eaux trop souvent perdues, h leur éléva-
•tificielleau plus grand profit de l'agriculture, du rc-
isement et de l'alimentation.
irifi nAppoai sun le concoirs au pkix annuel.
De longues années seront nécessaires encore pour obtenir
ces résultats, puisqu'en deux saisons M. Martel et ses com-
pagnons MM. Gaupilliil n'ont réussi à lever que dix kilo-
mètres de grottes et do rivières soulerraines. L'œuvre de
M. Martel se résume aujourd'hui dans une série de bro-
chures, de communications aux sociétés savantes et dans
son livre récent i?s Cévennes, d'une lecture attachante et
instructive-
Mais quel vaste champ d'étude n'offre pas cette science
nouvelle à laquelle l'auteur donne le nom de groUologie, par
traduction de l'allemand IIMenhûndef
Après les Causses des Cévennes viendra le tour du sous-
sol des Gharentes, de quelques points des Alpes françaises,
du Jura surtout avec ses entonnoirs oii disparaissent les
eaux de ses lacs, ses glacières naturelles et ses sources qui
alimentent à la fois le Rhône et le Rhin.
Devant tant de ténacité et, disons-le, de courage dans la
recherche de l'inconnu, la Commission des prix n'a pas hésité
à décernera M. Alfred Martel la médaille d'argent du prix
Alphonse deMontherot.
MM. Charles et Paul BnÉAno
Vrl\ Jnniurd.
>1, le l>' Eniral Hiiiiiv, de l'Inslitui, rappurlpiir.
M. Charles Hréard, de Hondtur, s'occupait activeuieif
depuis plusieurs années de l'histoire de sa ville natale, et
en 188& il av.iit publié, aux frais delà municipalité, un beau
volume intitulé les Ardiives de In vilie du ilon(lettt\ twtes
historiqni's i-t analyses du documents, extraites des archives
commuiKilcfi. Il signalait dès lors dans les 275 registres ou
liasses de l'amirauté de celte ville qui nous ont été conservés,
nombre de pièces intéressantes pour les navigations des
RAPPORT sua LE CONCOURS AU PnJX ANNUEL. 107
Normands sous les rèjjnes rie Louis XIII, de Louis XIV et
de Louis XV. De 153G à 1015, par exemple, il n'avait pas
îlevé moins de 236 armements pour le Canada, Terre-
Heure, les Antilles, le Brésil et les Indes; ce qui représen-
lit une moyenne de 24 navires par an, 2 par mois, quitlant
Jors Ilondeur pour les terres lointaines. Entre IGBSet 4B7U,
tgrelTe avait transcrit 410 rapports de mer, dontSO avaient
^ait à des voyages au Canada ou aux Antilles. Le mouve-
enl des entrées du porl en 1G81 s'élevait au chill're, considé-
rable pour l'époque, de 405 bâtiments.
Un heureux hasard étant venu raellre en la possession de
M. Paul Bréard, notaire h Ronfleur, une énorme colleclion
de 2'24 registres de labetlionage des vicomtes deRoncheville,
d'Aoge et de Pimt-Audenier, il fut possible aux deux frères,
associant leurs elForls, de faire paraître, l'année dernière,
sous les auspices de la Société de l'histoire de la Normandie,
tin nouveau volume' bien autrement important pour le
passé de la marine normande. Ce bel ouvrage, auquel votre
Commission a décerné le prix Joraard, permet de faire
remonter, à l'aide de documents notariés, l'histoire détaillée
des voyages desHonlleuiaîs jusqu'à l'année 1514 et par plu-
sieurs des pièces qu'il renferme, vient jeter quelque lumière
sur divers personnages plus anciens, dont les noms sont
fs h des travaux ou à des découvertes d'un haut intérêt.
Les Documents sur la marine normande de MM. Bréard
nous renseignent d'abord sur la construction des navires,
les contrats d'affrètement, d'association et de botnerie, les
loyers ou gages des pilotes, la course et les lettres de mar-
que, le rachat des captifs chez les Barbaresques. Puis, dans
une suite de chapitres, plus curieux les uns que les autres,
les auteurs analysent des centaines de contrats d'armement
[Hjur Terre-Neuve et le Canada, la côte d'Afrique et les
i. DocamenU relatifs à ia marine normande et à nés arguments au
iw et iiii \vu' siècle, par Charlim et Paul Bréxrd.
168 nAPPORT SUR LE CONCOURS AD PRIX ANNUEL.
Antilles, le Brésil et les Indes orientales. On trouve notam-
ment dans cette partie de leur ouvrage, des détails tout
nouveaux sur Dupont-Gravé, l'associé de Champlain, qui
mène au Canada en 1603 l'illustre voyageur; sur l'expédi-
tion, si mal connue jusqu'alors, des Français aux îles
Açores en 1582; sur Raulin Tallois, dit Secalart, le conli-
nuateur de l'œuvre hydrographique de Jean Alfonce le Sain-
tongeois; sur Jean Denys, enfin, ce hardi capilaine de
Ronfleur, qu'on trouve en 1506 au Saint-Laurent, et au
Brésil avant 1519.
Ces quelques citations vous permettront d'apprécier l'in-
térêt des recherches de MM. Charles et Paul Bréard, et
justifieront amplement à vos yeux la récompense que nous
sommes heureux de leur décerner.
LES ROUTES
DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE
/VU SOUDAN
Par EDOUARD BLANC
I
Dans une précédente communication ', en exposanï à la
Société le rôle que les forages arLésieos paraissent appelés
àjûuer pour jalonner par des points d'eau, par des puits,
fl, dans certains cas, par des oasis artificielles, les grandes
rr»oles sahariennes, je signalais la nécessité de déterminer
préalablement le tracé général de ces grandes roules na-
turelles, c'est-à-dire le (racé des lignes vers lesquelles
doivent se porter nos efforts pour chercher à établir, h
travers le Sahara, des voies de communicatinn reliant entre
es nos possessions africaines, Algérie et Sénégal, ou plus
clenaent, à un point de vue plus large, reliant le littoral
diterranéen et le Soudan.
L'utilité de la pénétration de notre commerce dans
l'Afrique centrale n'a pas Ijesoin d'être démontrée, et il
serait superflu d'insister ici sur les avantages que présen-
terait pour notre pays el pour la civilisation européenne
«vénérai l'ouverture d'une ligne de communication per-
II le entre le littoral méditerranéen et le Soudan, à
jters le Sahara. La question a été étudiée et discutée
'iimunication adressée à la Sdciétù de Cént;raptiio ilans sa séance
..li ISIS'J. — Voir la carte jointe à ce numéro.
H- Vuir Comptes rendus de» séaneeH lie la Société de Géographie,
«e du f mars 1889.
170 LES ROUTES DE L'aFBIQI'E SEPTENTRIONALE
très longuement, et d'une façon aussi complète que le com-
portait l'état des connaissances d'alors, il y a une douzaine
d'années, par des commissions spéciales, an moment où il
s'est agi d'établir un chemin de fer Iranssabarien. On sait
comment les projets élaborés à celle époque, peut-être
d'une façon prématurée, ont été abandonnés, peut-être
aussi d'une façon trop radicale, à la suite du massacre de
la mission Flallers, en 1881. Je n'ai pas à revenir pour le
moment sur cette douloureuse catastrophe, qui a rappelé
durement à la réalité les auteurs de projets conçus à distance,
projets dans lesquels il avait été fuit par trop abstraction
des grandes difDculléi naturelles que présente ta traversée
des pays dont il s'agit. Ces difflcullés sont, les unes d'ordre
physique, les autres d'ordre économique, d'autres enfin
d'ordre politique : ces dernières sont les moindres, et
cependant nous avons vu qu'elles sont loin d'être négli-
geables; toutes cûustilueiiL de sérieux obstacles non seule-
ment pour l'établissement et le fauclionnemL'nil d'un chemin
de fer, mais même pour le simple passage de voyageurs.
Il faut reconnaître cependant que les missions françaises
organisées à l'époque dont nous parlons, si elles n'ont pas
abouti à la création immédiate du chemin de fer projeté,
ont cependant apporté un appoint considérable à nos con- I
naissances louchant la géographie physique et la géologie
du Sahara : on peut dire qu'elles ont inauguré l'applicatiou
des méthodes précises et de la cartographie rigoureuse
dans un pays qui jusque-lù éUiit resté fermé à ce genre
d'études, ou qui du moins n'avait livré que des documents
épars recueillis par des voy.igeurs isolés.
Sans entreprendre de faire aujourd'hui un exposé com-
plet et ab initia de la question des lignes Iranssahariennes,
question qui a déjà été développée à plusieurs repiiscs par
les gens les plus compétents, à l'époque précitée, et qui en
outre sortirait absolument des limites matérielles du cadre
de cette communication, nous dirons que, depuis IST'j,
AD SOUDAN. 17i
momeut où a cU: posé et disculô le [irohième ciu cliemiQ
de fer Iranssaharien, des modifieaLions très importantes
sont intervenues dans les données mêmes de ce problème.
Ces modifications sont de trois sortes :
I» Nos bases d'opérations dans le nord de l'Afjique, aussi
bien qu'au Sénégal," ont été morlifiées par suite de l'exten-
sion naturelle de nos possessions;
2" Notre connaissance des conlréiis à travericr, et des
régions sahariennes en général, a fait des progrès considé-
rables, par suite des découvertes des grands voyageurs qui,
durant ces dernières années, ont eireclué dans ces contrées
des travaux de premier ordre ;
3» L'état moral des popiilalions à traverser a subi, pen-
dant la même période, des changements profonds, dus à
des circonstances politiques et religieuses, dont il importe
de tenir également compte.
Ce sont ces modifications, ou du moins les résultats de
ces modifications nouvelles, survenues depuis les travaux
de la commission, que je voudrais résumer ici et exposer à
la Société.
En ce qui concerne la première caLégorie de change-
ments, nous avons, d'une part, occupé la Tunisie et conso-
lidé notre établissement dans le sud de l'Algérie. Celle
région du Sud-Algérien esl même sortie de la phase d'occu-
pation purement militaire pour entrer dans la phase de la
colonisation véritable. L'ouverture du chemin de fer de
Biskra, dans la province de Constanline, et de celui d'Aïn-
Sefra, dans la province d'Oran, ainsi que les exploitations
artésiennes de l'Oued llîrh sont les exemples les plus frap-
pants, et non les seuls, de cet ordre de failsj ce sont en
même temps des moyens d'extension future el des gages
sérieux de la continuation du mftme mouveraeut dans
l'avenir.
D'autre part, au Sénégal, les expéditions si savamment
et si brillamment conduites, dans ces dernières années, par
172 LES ROUTES DE l'aFRIQUE SEPTENTRIONALE
les colonels Borgnis-Desbordes, Frey, Gallieni^ et par leurs
collaborateurs, continuant l'œuvre préparée laborieusement
par leurs devanciers, nous ont donné un vaste empire
colonial et nous ont assuré là possession du cours du
Haut-Niger.
Au second point de vue, en ce qui concerne le progrès
des connaissances géographiques relatives aux déserts qu'il
s'agit de traverser, des découvertes très importantes ont été
faites. Sans parier des études spéciales et approfondies qui
ont été pifectuées dans diverses parties du snd de l'Algérie,
par nos ingénieurs et par nos officiers, la période de dix ans
qui vient de s'écouler a vu résoudre plusieurs problèmes
qui ont fait faire un pas considérable à la question. D'un
côté le D' Lenz, parti du Maroc, est arrivé à atteindre
Tirabouklou*, exécutant, le premier depuis Caillié, c'esl-
à-dire depuis 1827, la traversée du Sahara entre cette ville
et l'Afrique du nord. D'un autre côté, les expéditions de
Hohlfs et de Nachtigal résolvaient, plus à l'est, le même
problème, celui de la traversée complète du Sahara, etelles
faisaient faire à nos connaissances un progrès immense en
ce qui concerne la région comprise entre la TripoJitaine et
le bassin du lac Tsad. Entin, dans le Soudan oriental, les
travaux de Schweinfurth, d'Ensor, de Matteucci, et en
première ligne encore ceux de Nachtigal, nous faisaient con-
naître les régions par lesquelles le Soudan se relie à la vallée
du Nil.
De toutes ces études menées à bien au prix de si grands
efforls, il est résulté une connaissance de la géographie
physique du Sahara en général, que nous étions loin d'avoir
à l'époque où l'on aconc-u le projet préliminaire du chemin
de fer Iranssaharicn, et où la commission spéciale qui s'en
est occupée a groupé les données d'ensemble que l'on pos-
i. ce. Len?., Timbou h Idu. — Voijat/e an MuioCf uuSitliara ei auSouilan,
irttil. pnr P. I.cliautcaiivt, 2 vol., llaclielte, 18S«. — Cf. nulletin df la So-
ciété lie OéOQrai>hit, W%i, ji, 2X6 et suiv.
AU SOUUAK. 173
sédait alors sui' la malière. La plupart des voyages qui vien-
nent d'être énumérés ont été effectués pendant la période
de 1870 à 1880. Mais les résultats n'en ont été connus et
publiés en Europe que postérieurement aux travaux de la
commission.
II
.\vant d'examiner le troisième groupe de raodiûcations
survenues dans les bases du problème, à savoir celles qui
résultent de l'état politique et religieux des populations,
nous allons exposer d'abord quelles sont les grandes routes
oaturclles qui traversent le Sahara, et qui mettent ou peuvent
mettre l'Afrique du nord en communication avecle Soudan,
le pays qui alimente toutes les cara%'anes. Ces grandes routes
Daturelles sont aujourd'hui beaucoup mieux connues qu'il y
a dixans, et on peut les indiquer d'une Façon beaucoup plus
précise, grâce aux découvertes des voyageurs nommés
ci-dessus et grâce aux progrès qu'a faits en môme temps la
connaissance générale de la physique du Sahara.
.Indépendamment de la plus ou moins grande largeur de
l'Kone désertique à traverser, cequi détermine la situation
de ces routes, c'est la conDguration et la nature des
obstacles topographiques que l'on rencontre. Ces obstacles
!onl habituellement de deux; sortes.
Les premiers consistent dans les grandes masses de sable,
formant des bandes qui s'étendent en général de l'est h
l'ouest, et qu'il n'est pas possible de traverser indifférem-
ment suivant des itinéraires quelconques, tant à cause du
manque d'eau et de la chaleur excessive qu'à cause de la
difDcullé que les dunes opposent à la marche.
Un deuxième genre d'obstacles, plus insurmonlable
encore que le précédent, consiste dans l'existence des pla-
Uaui que Ton appelle hamadas. Us sont considérés par les
caravanes comme formant une barrière à peu près infran-
I7i LES nOUTES DE L'AKllIgtE SKE'TENTIirONALE
chissable dès que leur traversée dépasse une certaine lon-j
gueur, et ceci à cause du manque presque absolu d'eau. Dans^
les régions de dunes, mi^me les plus arides, il existe en effet,
lie loin en loin, des points d'eau, des puils ou des oasis, ce
qui est naturel, puisque ces sables, apportés par le veni, se
sont accumulés principalement dans les parties basses du
Sahara, qui devaient primitivement être les plus riches en
eau. Au coniraire, îes linmndas sont les parties hautes, qui
ont été incessamment balayées par le vent, et qui ont fourni I
des matériaux pour l'ensablement des dépressions infé-
rieures : ce sont donc en général les parties les plus.|
sèches.
L'aspect de ces plateaux est très particulier et nous
n'avons rien en Europe qui les rappelle. Ils sont à peu près
horizontaux et leur surface est entièrement couverte de
pierres dures el anguleuses, dont la composition minérale
est très variée, mais qui ne sont pas des cailloux roulés et
qui n'ont évidemment pas été apportées par les eaux : leur
forme, en effet, n'est pas arrondie, ou ne l'est que très
rarement. Sous cette couche de pierres, qui, fait très
remarquable, n'a en général qu'une épaisseur égale au
diamètre d'un seul de ses éléments, on trouve un terrain de
nature variable, formé le plus souvent, tantôt de grès
tendres, tantôt de gypse et de marnes gypseuses. Dans ce
sous-so! on retrouve habituellement, à l'éfal disséminé, des
fragments ou des blocs de pierre semblables à ceux qui
couvrent la surface de la hamada.
Cette singulière formation géologique paraîf, ii première
vue, assez difficile à expliquer. On la comprend pourlaiil
aisément, si l'on remarque que, dans le Sahara, l'rxlréme
sécheresse qui rend le sol friable, et en même temps
l'absence d'un revêtement végéta! superliciel, permettent à
l'action du vent de prendre une importrunce dont nous
n'avons aucun exemple dans nospajv*. On peut ilire qu'ici, au
point de vue des formations gcolngiqiic* modems*, r.icliou
AU SOUDAS.
173
des eaux supeiTicielies, telle que nous la concevons dans la
géogénie européenne, est remplacée par faclion des phéno-
mènes atmospbéi'iqucs agissant à sec. Dans nos climats, les
agents d'érosion et de transport des terrains sont, sur les
conlinenls, l'eau pluviale et t'eau des rivières : ici c'est le
%enl qui remplace ces deux causes. Certaines régions monta-
gneuses ou certains plateaux du Saliara sont, depuis un très
grand nombre d'années, balayés par les couranlsd'airijuien
ont érodé la surface. Ces vents ont emporté tous les maté-
riaux provenant de cette érosion, et dont les éléments ne
dépassaient pas une certaine grosseur limite, leur permet-
tant d'être soulevés. Mais tes pierres plus grosses, qui exis-
taient soit à rétat de blocs, de veines ou de noyaux durs, soit
àl'état de rognons disséminés dans les terrains dont il s'agit,
sont restées sur place, et peu à peu la surface du sol s'est usée
jusqu'au moment où ces pierres ont formé un manteau
complet protégeant le sol sous-jacent contre l'aclion ullé-
n'pure du vent. A ce moment, l'érosion a cessé de se pro-
duire, et le terrain s'est trouvé avoir une surface à peu près
borizonlale, ou, dans certains cas, une surface qui repro-
duit, en les atlénuanl beaucoup, les reliefs du terrain pri-
mitif. C'est ce qui explique que ce lit de pierres n'ait
qu'une épaisseur à peu près uniforme, partout égale au dia~
métré d'un de ses éléments, en d'autres termes qu'il soit
formé partout d'une couche simple, ce qui n'aurait certai-
nement pas lieu si ces pierres avaient été transportées là par
les eaux ou par toute autre action naturelle.
On peut d'ailleurs avoir une confirmation directe et
pratique de cettu théorie. Si, avec un râteau ou autrement,
on enlève les pierres de la hamada sur une certaine surface
ussez étendue, le sol s'entame de nouveau sous l'érosion
(lu vent, et l'aclion géologique, cjiii se trouvait suspendue
oar suite de la présence de cette carapace de pierres, recom.
CDence. Ceci est une expérience que j'ai faile directement
& plusieurs reprises, et dont j".ii pu suivre les ellVts pendant
Éi
176 Li;S IlOUTES IIE L'aFIUQIE SEI'TliNTHIUNALK
plusieurs années consécutives, sur des places spécialement
choisies.
Les matériaux ténus ainsi enlevés par le vent sont allés
former les massifs de dunes, ou divers atlerrissements con-
temportiins. Ces matériaux ne sont pfis tous siliceux,
comme on est porté à le croire généralement : ils sont
très souvent gypscux ou argileuv. Dans ce dernier cas,
s'ils sont transportés dans des endroits où il pleuve quel-
quefois, ils peuvent être agglutinés et former des terrains
nouveaux en apparence compacts : tels sont ceux que l'on
voit dans la plaine de PAarad, ou ceux qui ont comblé les
anciens ports romains de la côte tunisienne.
Les grès ou les poudingues siliceux sont des terrains qui
s'entament facilement sous l'action du vent, et, comme
ils renferment souvent des nodules ou des fragments
roulés de roches ferrugineuses dures, il en résulte que
les hamadas sont rréquemment couvertes de cailloux noi-
râtres de celte nature. Ceux-là sont moins anguleux que les
autres, parce que, à une époque géologique antérieure à la
nôtre, avant l'agglutinalion des dépôts sédimenlaires qui ont
formé ces grès ou ces poudingues, ils avaient déjà été roulés;
mais leur forme arrondie est indépendante de la formation
moderne de la hamada. Quand le sous-sol est argileux ou
gypseux, ce sont en général des morceaux de calcaire dur
ou de gypse dur plus ou moins anguleux qui couvrent la
surface de la hamada. Quelquefois aussi ce sont des blocs
de roches silicifiées, car on sait avec quelle énergie se sont
exercés les phénomènes de silicificalion dans les contrées
qui nous occupent. Il faut donc examiner la situation
géographique de ces zones de dunes et de ces kainadas,
pour se rendre compte du tracé souvent très sinueux et
compliqué des ftrandes routes sahariennes.
Une Iroisjôme catégorie d'obstacles consiste dans les
chaînes de montagnes ou dans les massifs montagneux qui
existent en certaines parties du Sahara. Mais les obstacles
i
I
AU SOUDAtT.
177
de ce dernier genre sont secondaires et ne coraportent pas
toujours la déviation des roules, attendu qu'il s'y trouve
fréquemment des passages praticables, et que souvent ces
régions montagneuses sont précisément les plus riches en
eau, du moins dans leurs vallées. On ne doit donc pas
s'en écarter syslématiquement.
Ces obstacles physiques étant donnés, il en résulte un
réseau de grandes routes naturelles que nous allons in-
diquer. Dans cette énumération nous comprendrons, non
seulement les routes aujourd'hui pratiquées par le com-
merce, mais aussi les grandes voies naturelles pouvant
donner accès au Soudan, et qui, par suite de circonstances
momentanées , d'ordre politique ou économique, sont
actuellement abandonnées ou barrées.
III
En commençant par l'ouest, nous voyons que plusieurs
roules partent du sud de Maroc pour aboutir k Timbouktou,
e'esl-à-dire au sommet du grand coude du Niger. Une pre-
mière route, ayant pour tête de ligne la ville de Maroc
(Merrakech), ou, si l'on veut, l'un des ports de Mogador ou
d'Agadir, qu'elle dessert également, longe d'abord le littoral
ttlanlique de manière h contourner I» chaîne de l'Atlas par
ion extrémité occidentale; "puis elle passe à Tendouf, et
traverse les sables d'Iguidi par le tracé le plus court. Cette
fome contourne ensuite ou coupe dans une parlie éloignée
de leur centre les massifs de dunes du Chech et du Djouf,
«t elle gagne Timbouktou par Araouan : c'est l'iLinéraire
qui a été suivi en 1880 par le D"" Lenz*, et qui avait été
LCf. Lenz, Timbukiu. — Reite durek Marohkû, die Sahara und den
en Leipzig iS&i.
soc. DE OiOGR. — â* TBIMESTRË IK'JO. XI. — 1%
178 I.E8 ROUTES DE L'AFfirQUE SKPTEXTniONAlE
précédemment parcouru par le r«ibbin Mardochée (Mardo-
chaï-Abj'-Serour*).
Aujourd'hui celle route n*est pas pratiquée habituel-
lement par les caravanes soudaiiiennes jusqu'à Merrakech
ni m&ine jusqu'aux ports de la côle que nous avons in-
diqués comme en étant la terminaison naturelle; les ca-
ravanes se forment ou se disloquent le plus souvent à
Goiiliniim, qui parait être maintenant leur principal en-
trepôt.
Une deuxième voie naturelle part de l<'ez ou de Meknës
et de là se dirige à peu près droit au sud en traversant les
déflIcs de l'Atlas, Elle se partage ensuite en deux routes.
L'une, celle de l'ouest, suit la chaîne des oasis du Tafllelt,
et, après avoir passé à Abou-Aam, principale ville do ce pays,
elle varejoindrelaroutedeLeuzentraversantdunordau sud
les sables d'Iguidi. C'est cette route qu'a suivie Cnitlié dans
son voyage de retour ; la traversée des sables est beaucoup
plus longue que par le tracé précédent, et ce chemin est
peu fréquenté par les caravanes.
La route de l'est, parlant également de Fez, se sépare de
la précédente après la traversée de la ligne de partage des
eaux entre les deux versants méditerranéen et saliarien.
Elle suit la vallée de l'Oued Guir ot celle de l'Oued Oura-
es-Saoura, qui en est ta continuation, jusqu'au Touat, et
elle se confond à partir d'igli avec la rouie qui vient de
Fignig, et dont il sera question à propos do l'Algérie.
Entre ces deux tracés partant tous deux de Fez, il existe
une jonction transversale qui va d'Abou-Aami» Oum-ed-Dri-
bina, et qui permet aux caravanes qui ont suivi la ligne du
Taftlell de rejoindre ensuite la vallée de l'Oued Guir ;
c'est cet itinéraire que Hohlfs a reconnu en 1864. C'est
également ce point d'Ouni-ed-Dribirui qui a élé la limite
1. Cf, evU. Soc. Giogr., 1870, lome |«. p. 345. - Prtmitr Etah^»t-
men( de» Israilitei a Timboukiov, pir Auguite Beaumi«r.
AU SOIIDAX. 17§
extrême atteinte par la colonne du général de WimpfTen
eo i870.
Il existe encore une autre roule qui, partant de Mer-
rakech, traverse les montagnes situées au surf de celte
rtUe, suit le cours de l'Oued Uraa jusqu'à Tamagrout et de
là S6 rend directement au Touat par un tracé qui ne ren-
contre pas de grandes dunes et qui est jalonné par une
chaîne de petites oasis ou de points d'eau (Mimginna,
Saoudjel-Tebalbalet, El Messiter, Tamessinot, El Maa-es-
SiO.
Du Touat, une route directe et relativement TaciEe conduit
àTitnbouktou : nous en parlerons tout à l'beure, à propos
de l'Algérie. On sait qu'elle a été suivie en 1825 et 1826
par le major Laing, dont les notes nous sont malheureuse-
ment restées inconnues, par suite de l'assassinat dont cet
illustre voyageur a été victime '.
Le Maroc possède donc tout un faisceau de roules qui
le mettent en communication avec le Soudan occidental.
La province d'Oran possède aussi une route naturelle
qui est actuellement amorcée en tant que route commer-
ciale européetme. C'est celle qui, partant d'Oran ou mieux
d'^zeu, passe par le Kreider, Mocheria et Âïn-Sefra, où se
termine actuellement le chemin de fer. Mais le prolonge-
ment de cette route n'est pas entre nos mains : en elTet^
d'Ain-Sefra, la voie naturelle passe par Figuig, qui appar-
tient au Maroc ; là elle prend la vallée de l'Oued Zousfana
et elle la suit jusqu'à Igli, point où cette rivière se réunit à
rOued Guir pour former l'Oued Oura-es-Saoura. La route
&e confond alors avec celle qui part de Fez et dont il a été
question ci-dessus ; c'est-à-dire qu'elle suit l'Oued Oura-es-
Saoura jusqij'à la limite méridionale du Touat.
Daas la pratique, les caravanes s'écartent actuellement
Cf. Dttveyrier, l'Afrique nécrologique. — Bull. Soe. Giogr., 1874,
11. f. 590.
180 LES ROUTES DE l'AFRIQUE SEPTENTRIONALE
de celle grande ] igné tnpographique pour se rapprocher]
d'Insalah, l;i ville la plus imporlaiile de toute cette région,
qui est située dans le groupe des oasis du Tidikelt, à l'est]
de lu vallée de l'Oued Oum-es-Saouni.
Du Sud-Orauais part un autre itinéraire qui aboutit]
au Touat sans passer par Fi gui g : c'est celui qu'a suivi |
rexpériition du commandant Golonieu, en 1800; il va direc-
tement du nord au sud. li partir d'El Abiod ou d'un autre]
point analogue, et il rejoint le Touat en passant par le'
groupe compact d'oasis importantes que l'on appelle le
Gourara. Mais cette route, qui traverse en partie les sables
de l'Erg occidental, est plus difficile et moins naturelle que,
la précédente, quoiqu'elle soit plus courte.
La province d'Alijer possède une route qui, partant
d'Alger, passe par Blidah et Laghouat, point qui est la
terminaison d'un chemin de fer non encore exécuté, mais
projeté. De là celui-ci pourrait se prolonger par Ghardala,
c'esl-à-dirc par le Mzab, jusqu'à El Goléah,d'où deux routes
naturelles, c'est-à-dire deux vallées, aboulissetit au Touat,
l'une par le Gourara, l'autre par le Tidikelt et Insalah. Ces
routes rejoignent donc forcément celles qui partent du
sud de la province d'Oran.
La province de Constanline a aussi sa grande roule du
sud, déjà marquée par un chemin de fer récemment inau-
guré quant à sa partie méridionale, et qui, ayant pour port
Philippeviile, passe à Gonstantine, à Batna, et se termine
actuellement à Biskra. La continuation naturelle de cette
ligne est tout indiquée jusqu'à Touggourt, et mfrmo jus-
qu'à Ouargla, d'où plusieurs tracés sont possibles, selon
que l'on vise telle ou Itlle partie du Soudan. Celui qui irait
à Timbouklou remonterait l'Oued Mia jusqu'à Insalah.
L'autre, celui qui irait au Soudan central, remonterait
rOued Igharghar jusqu'à El Biudii, point à partir duquel
se présentent plusieurs variantes motivées par la traversée
du plateau d'Ahaggar, et dont l'étude a fait l'objet des
AD SOUDAN. 184
deui missions du colonel Flallers. Celle voie n'est pas
pratiquée actueHement, et cela pour des motifs d'ordre
purement politique. Mais nous la citons cependant parce
que c'est inconteslabiement une grande roule naturelle.
Par contre, nous ne regarderons pas comme telle une route
qui actuellement existe au contraire, en tant que cliemin
commercial, mais qui est établie d'une façon précaire et
en dépit de toutes les lois de la géographie physique :
c'est celle qui, de Biskra, se rend à Rhadamës et au Sou-
dan par le Souf. Cette route est aujourd'hui la seule qui
établisse ua semblant de relations entre le plateau d'Air
et l'Algérie : c'est par là que nous arrivent les quelques
objets de fabricalioQ soudanienne que l'on peut acheter
dans le sud de la province de Constantinc, Mais eile n'est
appelée à aucun avenir, attendu qu'elle traverse le désert
de l'Erg oriental dans sa partie hi plus difficile et la plus
inabordable. Il a fallu tout un concours de eirconslances
politiques qui ont fermé les autres routes, et il a fallu
également l'esprit industrieux et comnierçant de la nom-
breuse population du Souf, installée dans les sables sur
l'itinéraire dont il s'agit, pour qu'une pareille roule ait pu
s'établir. Mais elle n'est pas susceptible iramélioraLioii; au
contraire, les dunes qui la barrent paraissent progresser et
grossir chaque jour, et il serait insensé de l'adopter comme
tracé pour une ligne de chemin de fer, ou môme pour
VDe simple route afTectée au commerce européen.
On voit que, en ce qui concerne l'Algérie, l'existence, au
sad de notre colonie, du désert sablonneux de l'Erg, et
celle des diverses régions montagneuses occupées par les
Touareg (Mouïdîr, Tasili des Azdjer, Ahaggar), restreignent
lîièremenl le nombre des solutions possibles du pro-
;;e des routes transsahariennes.
Kn continuant la revue des contrées qui bordent la Médi-
terranée, nous voyons que la Tunisie devntit avoir, comme
les pays précédents, sa lifçne de pénétration vers le Sud.
k
LKS ROL'TES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE
Actaelleœeat elle n'en a pas; nous examinerons tout à
l'heure par suite de quelles circonstances; celles-ci sont!
d'un ordre entièrement artificiel, c'est-à-dire politique.
La Tripolilaine est la région côtière la mieux partagée
au point de vue des lignes de pénétration vers le Soudan. De
Tripoli part un© route directe, aujourd'hui très fréquentée
des oai'avanes, et qui se rend par Mourxouk, !e déflîé de
Toummo (El Biban), el les oasis du Kaouar, dont Bilma est
lô centre principal, aux riches contrées qui entourent le
lac ïsad, c'est-à-dire au Bornou et au Kanem. C'est la]
route qu'ont successivement recounue Vogel en 1854, Barth
dans son voyage de retour, en 1855, von Beurraann en i862,
Mohlfs en 18G(), et enfln Nachtigal en 1870. Cette roule
présente deux variantes entre Tripoli et Mourzouk : l'une,
la plus directe, qui traverse les montagnes au sud de Tri-
poli, el qui passe par Misda (reconnue par Barth en 1850 et
par von Bary en 187fi); l'autre, un peu plus longue, mais
aussi plus facile, qui passe plus à l'es!, par Sokna. (Celte
derni{>re a été suivie et étudiée par Vogel, en 1854, puis
pjir Duveyrier en 1861, ensuite par Nachtigal en 1860, et
par Hohir»«Mi 1879.)
La tlyréiiai(iue, avec deux têtes de lignes, Derna et Ben-
Hhazi, possède une grande route naturelle, parallèle à la
précédente, c'est-à-dire nord-sud, et qui se rend au
Ouad&I par le groupe des oasis de Roufra * et par le
()u:uiyauga. De ce dernier pnys part un embranchement,
moins fréquenté, qui oblique au sud-ouest et qui relie la \
CyréuaVque au Bornou, De même les caravanes de Tripoli
peuvent passer aussi par un embranchement, symé-
trique du précédent, qui se sépare de la route de
Mourzouk au Bornou après la traversée du défllé de
Toummo, et qui se rend au Ouadaï en traversant le pays
t. Houl« reconnue depuis Bea-IUiazi jusqu'à KoulVa par Rohirs, en
ttW. — or, C, Rohifs, Kufrti, UH\.
KV SOUDAN. iS'i
montagneux du Tibesti. Celle route a été reconnue et
étudiée en 1869 par Nachligal, à qui nous devons la con-
naissance du Tibesli. Ces deux roules diagonales se croisent
iïen.
Plus à l'est encore, la région côtière appelée Marma-
riqae» qui est une dépendance de V'Égyple, possède des
routes permettant aux caravanes de se rendre dans les
parties orientales du Soudan. Mais ces routes sont forcées
de dévier et de se rapprocher de la vallée du Nil, par suite
de la présence des sables du désert de Libye> la partie la
plus difOcile et la plus aride de tout le Sahara. Les pistes
venant soit de Ben-Rhazi, soit de Dcrna, soit du port de
Tobrouk , le raei Heur de cette côte^^ soit de Kasr Djedid, se réu-
nissent dans l'oasis de Sioua, d'où une voie naturelle (suivie
par Hohlfs en 1874') va rejoindre l'oasis de Farafrnh et
la grande Oasis, où elle se relie aux routes égyptiennes.
Knfln, tout à fait à l'est, le Soudan oriental est desser\i
par des routes annexes de la vallée du Nil. Plusieurs d'entre
elles se rendent au Darfour : ce sont notamment celle qui
pari de Siout (reconnue pour ta première fois par BroVi ne
en 1793*, et, plus récemment, étudiée en 1858 par le voya-
geur français Cuny') et quiabriulità EUFachr, capiUilo du
Darfour, par trajet de quarante jours; en second lieu celle
^ui part de Bongola et qui aboutit aussi à El-Fachr (étudiée
par Masonen 187G-77)*; celle qui se détache du grand coude
du Nil au Vieuv-Dongola, et qui remonte le lit desséché de
rOued-Malik'- (itinéraire d'Ensor en i875-7fi)''; enfin les
i. Cf. KoUlh, E.riiediiion :'iii' Erforsehuny litr Libyxchen. Vl'U^le, iSTti.
t. Cf. W.-O. browne, TravéU in Àfrilia, 1709.
3. cr. Cud;. Journal de voijaije Ue Sioul li El Obéid, 1858.
i. Cf. Petermann.» Miltheilungen, lNS(i.
&. Le lit de l'Oundi Malik ou Oued Nelek «M le tracé suivant lequel
il a élé question, en 1875, d'établir un eliumin de fer pour aller au
Otrfaur.i l'époque du maxiintitn d'expansion de ladominallua égvplienni:.
6. Cf. Sidney Ënsor, Jourutij tkrouyk Subia io Darfour. — Cf. Colslon,
Biteoftnaiuanee uf tlie Wadi Ma^soul.
184 LES ROUTES DF L'aFHIQUE SEPTENTRIONALE
routes qui, des mômes contrées du Soudan, aboutissent di-
rectement au Nil en suivant un parallèle et en traversant le
Kordofan : ces dernières sont les routes étudiées en 1875-76
par l'Américain Proul, officier dans l'armée égyptienne "^t
par Nachttgal en 1874 °, et par Massari en i880"\
Toutes ces routes sont mises en communication avec le
littoral, soit par la vallée du Nil, soit, plus direclement, par
la roule de Berber à Souakin, que nous raenlinnnons ici,
bien qu'elle soit fermée depuis ces dernières années par
suile d'événements d'ordre politique et que tout le monde
connaît. Mais elle est destinée h être forcément rouverte
un jour*.
On voit en résumé que, d'une façon générale, abstrac-
tion faile des roules situées aux deux extrémités du Sou-
dan et qui sont dirigées, les unes vers l'ouest, pour gagner
1. cr. H-i'i. Hrout, General fteporl on llie province of Kordofan.
S. Cf. l'eteriiiann'i MMIteitunijen, 1S75,
3. cr. Maltcucni cl Moasari, La spediiiune Borghesi. — Boilelinù délia
Societa ijeityrapca ilaliatM, tlec. IKSl.
■l. jiit sujet lie la cummiinicatiun veibaledeiapréseote étuile, comniuoic^i-
tion qui a élé faite ù la SociélédeGéo;;raphie dans saséanoe du 10 mai
1K89, M. Sevin-Dosplaces b, duns la séance du il juin suivanl, fait re-
inari|uer r^ue nous n'aviuas pas purlé de ia route ijui joindrait Ttmbouktou
à la baie d'Arguin, en passant par l'nasis d'Âlar. î4otre collègue signale
ce fiiit comme une omission ot il fait observer que nous n'avons pas com-
prii dana l'éauinéralioii qui précÈiIo los travaux de M. Charles Sollcr,
qui a préconisé la rociinstilutioii du celle roule commerciale, aujour'dhui
abandonnée depuis plus d'uit demi-siècle.
La routD dont il »'agit proLungerait jusqu'à l'océan Atlantique la ligne
qui, pai' Uualala et Tiubiit, relie eucore actuellement Tiinbouktau à l'im-
portant {^l'oupt; ili;i oaKts de l'Adrliarlt-ot-Tmar.
As^urûiiieut nuus cuniuitHoa» l'existence dei courants commerciaux de
la ri'ii^ioii aatmiiennu viiisiiio de In ciMe et comprise entre le Sous et le
Sénégal. Nous n'ii^norotia pax uon plus los importants travaux de
M. Cliarics SoUer sur eus i|uo»tiuns, non plu» qno le' vues formulées
par lui «li|ul ont liiit l'objet de sa l'omnrnuicatiun du 17 janvier lS8ti à
lu Société de iléngnipliii- cumineroial». Nous litiuuB d'autant mains dis-
posé à los oublier, lors du la s(^anro du 1IJ mai ileruier, que, le 34 mars
précèdnnt, très peu dr Itmips nnp:tr«vanl, le syslËiiie des routes entre
TinibouLtou et la n'gloii du un|> ttlane avait fait In matière d'une inté-
AP SOUDAN.
185
Tocéan Atlantique, les autres vers l'est pour alteindre le
haut Nil et la mer Rouge, loules ces grandes roules com-
merciales du Sahara sont tracées du nord au sud, perpen-
diculairement au littoral méditerranéen. Indépendamment
delà question de moindre longueur dans la traversée du
désert , il y a là une nécessité économique. En ellet, on sait
que la partie nord de l'Afrique est formée de bandes pa-
I rallèles très étroites, qui, au point de vue des ressources
^^^Hfte discussion, à laquelle avaient pris part M. le baron d'Avril et
^ffi^B* Colia, dans une réunioD de la Société de l'é^gnipiiie commer-
tlale de Paria (3* sectioa).
Si nous n'en avous pas parlé à la Société de riéojraphie et si nuus ne
fiuoDs pas figurer cette roiiln ijans Pi^numi^rulion (]uj jirécède, c'est que
le présent mémoire « pour Imt l'étude des \oics reliant la côte médiCer-
'aiiéenneet leijuudiiu.c'ost-à-rlircile^ rolltI;i^t^atlssalla^ionaB!s, dans le sens
«il ce mol s'entend généraleiiicrvt, relativement à l'Europe. Or la roule pro-
jetée par M. Soller, qui, partant de Tinibnuktou, irELit aboutir, à la bais
d'irguiD, sur lu cAte de l'ijcéan Atlantique, par '20° de .latitude Nord,
■ est pas une route du Soudan à la Méditerranée; ce n'est même pas,
i proprement parler, une roiitii transsatiarienne. Elle appartient à un
Brtre système de voies de communicaliou, ceHes qui ont pour objet de
^indre lu Soudan occidental au littoral Atlanliquc. Ce ne sont plus là,
comme l'indique le litre du présent Iravai!, des routes iIp l'Afrique septen-
tnooale au Soudan, ce sont des routes de l'Arrlijiie occidentale au Soudan.
Elles répondent à un autre problème.
Cette route de la Liaie d'Arguin est intermédiaire entra les voies pro-
jetées qui auraient pour tâte de. ligne les établiâsementa anglais tels qne
Tictoria-Port (cap Juby), ou les étaliliesemunls espagnols du Hio-de-Orr>,
Mies routes, plus méridionales et aujourd'hui i peu près ouvertes, qui
parlent du Sénégal et ilcs rivières du Su<l. Tout ce système de voies de
p«Délration est très intéressant et il parait appelé à un grand avenir.
Mais il présente assex d'importance pour être traité séparément du pro-
lltnie qui nous occupe ici, et il nous sciiibir. demander à être discuté
^r les spécialistes qui onl choisi comme cuuttB de leur champ d'éludés
le Sénégal.
C'en pourquoi nous n'erabrassnns pas celte question dans le cadre de
U préteale étude, déjà bien assez vaste par ulle-niémo. Mais on trouvera
;ourtaot, sur la carte d'ensemble ci-iinnoxée, l'indication des principaux
itinéraires que suivent le plus habitiniileiuent les caravanes qui circulent
«Titnliouktou, rAdrliarh-el-Tniar et le Sous,c"esl-i-dire qui parcourent
partie littorale du Sahara, itinéraires sur lesquels aous devons i.
■ Soller de si précieux renseii^aeinents {Note de l'auleur).
186 LES ROUTES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALF.
et des productions naturelles, se complèlenl les unes par
les autres. Tous ces pays sont très pauvres, et les habitants
de l'une des zones, n'ayant à leur disposition que des pro-
duits insufllsamment variés, ont besoin, pour vivre, de
faire ries échanges avec les habitants des autres zones,
Ainsi les indigènes de la région des hauts plateaux du
système de l'Atlas, par exemple, dont le genre de vie est
exclusivement pastoral, ont besoin d'échanger la laine de
leurs troupeaux, d'une part contre le blé ou l'orge que
produit la zone méditerranéenne, d'autre part contre des
dattes que produit la région des oasis barbaresques. Les
habitants de celle dernière zone, qui cultivent des palmiers
et exercent des industries textiles, sans avoir de troupeaux
fautede pâturages, sont de mêmedans la nécessité d'échanger
les produits de leurs cultures et leurs étoffes contre les
objets qui leur sont fournis par leurs voisins du nord ou
du sud. Les habitants des parties tout il fait stériles du
Sahara central sont eux-mêmes en relations forcées avec
les populations limitrophes, dont ils acquièrent les pro-
duits en leur servant de convoyeurs pour leurs transits. De
là un mouvement général de relations et d'échanges dirigé
du nord au sud ou réciproquement.
Ce phénomène économique, qui se produit en petit entre
les diverses zones de la région barbaresque, et qui y a été
souvent analysé, se reproduit sur une plus grande échelle
pour tout l'ensemble des pays constituant l'Afrique du Inord
jusqu'au Soudan.
A ces considérations d'ordre économique s'en joignent
d'autres résultant de la configuration physique du Sahara,
où les chaînes de montagnes, les zones de dunes et tous les
obstacles en général présentent une disposition qui, dans
son ensemble, concourt au raÈme résultat au point de vue
du transit Les routes commerciales se sont donc forcément
établies suivant la direction nord-sud, perpendiculaire aux
zones dont il s'agit.
AD SOUDAS. 187
Comme ces zones sont très élroiles par rapport à leur
longueur, elles se sont nécessairement, au point de vue
poIiUque, fractionnées en plusieurs tronçons ; c'est ce qui
explique que jamais l'Afrique du nord n'a pu filte réunie
tool entière d'une façon durable sous unedomtnation unique.
Par contre» chaque État limitrophe de la Méditerranée et
résultant de ce fractionnement, a englobé tout naturelle-
ment la série complète des segments de zones intérieures
compris entre les mêmes longitudes, les populations de
Iksque zone ne pouvant pas avoir une vie politique indépen-
mle.
IV
De la multiplicité et du parallélisme des intérêts écono-
miques et politiques qui ont pour siège le littoral africain
de la Méditerranée, il doit résulter forcément l'existence et
le maintien de plusieurs routes parallèles et indépendantes
les unes des autres, se rendant au Soudan.
Seulement, dans la situation .ictuellc des choses, tous
sys riverains de la côte ne sont pas également bien
;és sous ce rapport. Les moins favorisés sont nos
possessions d'Algérie et de Tunisie. Nous avons vu que
toutes les routes qui parlent d'Algérie, sauf une seule, se
réunissent aujourd'hui h Insalah, point qui ne nous appar-
tienlpas, et qui est même le siège d'une opposition très
énergique à notre influence. Les routes d'Algérie, avec des
tWes de lignes nombreuses, forment donc un faisceau conver-
gent, ce qui est désavantageux pour les intérêts français. Au
contraire, les routes partantde Tripoli, tête de ligne unique,
forment un faisceau divergent, c'est-à-dire qu'elles se rendent
dans toutes les parties du Soudan. Indépendamment des deux
roules du Bornou et du Ouadaï, dont il a été question tout
à l'heure, il en existe en effet une troisième que nous avons
lolontairement passée sous silence, dansTénumération pré'
188 LES ROUTES DE U'AFRIQUE SEPTENTBIONALE
cédenle, pour y revenir plus tard d'une façon spéciale, c'est
celle qui, par Hhat, se rend au plateau d'Air, au Damergou
et au Sokolo. Il existe même une quatrième roule qui, de
Tripoli, se rend au Soudan occidental, c'est-à-dire à Tim-
bouktou, par Rhadamès, Temassinin etlnsalah. Cette route
est tout à fail artificielle. Elle barre au Sud les possessions
françaises de l'Afrique seplenlrionale, et son existence est
due exciusivemeni, d'une part à l'annexion de Rhadamès
par laTripolilaine, et d'autre part à l'influence prépondé-
rante que le principal chef d'insalah, Abd-el-Kader-Ould-
Badjoudah', a su prendre dans le commerce du Sahara
occidental.
Ainsi, parmi les caravanes qui viennent de Timbouklou,
toutes celles qui ne vont pas au Maroc arrivent à Insalah,
longent la frontière sud de nos possessions algériennes sans
y pénétrer, et, par Rhadamès, se rendent à Tripoli. Les
caravanes qui viennent du Gando et du Sokoto, c'est-à-dire
du bassin moyen et inférieur du Niger, la partie la plus riche
des contrées avoisinant ce Jleuve, passent habituellement
par le plateau d'Aîr, au nord duquel le régime des pluies
équatoriales atteint son maximum de latitude; elles vont à
Hhat, puis de là elles gagnent Tripoli, soit par Mourzuuk,
soit, plus fréquemment, par Rhadamès.
Si Ton admet comme une loi naturelle que chaque tranche
du littoral barbarei^que, comprise entre deux méridiens,
doit emporter avec elle toute la tranche des diverses zones
désertiques qui est comprise entre les mêmes méridiens,
l'occupation de Hhadamès et de Khat par les Turcs de Tri-
poli a constitué, au point de vue géographique, un véritable
empiétement sur le domaine tunisien. Nous disons au point
i. Dcfiuis l'époque un le préscnl mémoire a été rédigé, c'esl-à-diro
depuis le printemps île IKHtl, la mort il'Al)d-cl-Kader-Uu1d-Badjouda1i
est, ]iaratl-il, survenue. Cette inorl aurait suivi de trét près celle de outre
cumputiiole, M. Caniillo Kaiils, <|ui, selon toute apparence, a été la victime
lies iiilrijîucs (]ii iiiaraliuut d'Iiisalali, cuniitis l'avait été déjà auparavant
le lieutenant Paliit (.Vnti* df l'avleiif).
A0 SOODAN.
189
de viie (féogrnphique et non pas au point de me politique,
attendu que nous n'avons pas à nous occuper ici de ce der-
nier côté des questions. D'aulre part nous n'avons en au-
cune façon le droildenous en plaindre, attendu que l'occu-
pa lion eETectivedeRhadamèsreraonteà 1869 et celle de Ilhal à
JS'i. Ces deux événements sont donc antérieurs à l'occupa-
lion française en Tunisie. Mais il n'en est pas moins vrai que
la Tunisie est acluellement privée de sa route commerciale
naturelle et que Tripoli en délient plusieurs, par suite de
combinaisons politiques factices.
A la suite de l'occupation de ces deux points par les Turcs,
cl à la suite de la propagation du mouvement religieux se-
Doussya dans ces contrées, qui remonte à la môme époque,
toute la région qui avoisine tlhadamès el Rhal, jusque-là
relativement accessible aux Européens, est devenue tout à
fait inabordable pour eux.
C'est en 1874 que les Turcs ont occupé Rhat, et en 1876
que la première zaouia senoussya s'est installée à Rhada-
iDès. Nous en avons vu la conséquencedansie massacredes
Toyageurs Dournaux-Duperré el Joubert, en 1874, près
d'In-Azhâr, et dans celui des PP. Richard, Pouplard et
Morat, de lamission de Rhadamès, eni88i. DucôtédTnsa-
lâh, sous l'influence de la même recrudescence de fana-
tisme, ont eu lieu le meurtre des PP. Bouchard, Ménoret
el Paulmîer, en 1876, et, plus récemment, en 1886, l'assas-
sinat du lieutenant PalaL 11 faut, depuis cette année, ajou-
ter encore à cette liste le nom de Camille Douls, le coura-
geux explorateur tué dans les mêmes parages et presque
dans les mêmes conditions que le lieutenant Palat.
Si maintenant, après avoir considéré les points de départ
des routes transsabariennes, nous considérons les points
190 LES ROUTES DE L'AFniQrE SEPTENTKIONALE
d'arrivée, c'esL-à-dire les marchés d'échange des caravanes,
nous voyons qu'ils sont au nombre de trois principaux :
fTimbouklou, ou plutôt d'une façon générale le coude
septentrional du Kiger, car Timbouktou n'est actuellement
par lui-même qu'un point d'une importance très secon»
daire ;
2» Le Soudan central, c'est-à-dire le lac Tsad et les ré-
gions qui l'entourent, ou celles qui s'étendent entre lui et
le bas Niger, à savoir le Bornou, le Baghirmi, le Sokoto et
même le Ouadaï;
3* Enfin le Soudan oriental, comprenant le Darfour, lo
Kordofanel les pays voisins.
Depuis que nous avons pris pied en Algérie, et même
auparavant, depuis que les voyageurs des premiers temps
de ce siècle ont commencé à pénétrer dans le Sahara et à
découvrir successivement les diverses parties du mystérieux
bassin du Niger, on a admis, par une sorte de convention
tacite, que Timbouktou était le point principal à attein-
dre, que le grand coude du Niger était l'objectif que l'on
devait viser, et jusqu'à ces dernières années presque tous
les projets de pénétration ont été établis sur cette base.
Celle opinion est peut-Cire trop absolue. La partie supé-
rieure et moyenne du Niger n'arrose pas des pays aussi
riches qu'on se l'était figuré d'abord. Timbouktou a perdu
beaucoup de son importance politique et commerciale.
Celle ville n'est plus, comme on prétend qu'elle l'a été
autrefois, un grand centre intellectuel renferxnant même
de riches bibliothèques. Ce n'est plus qu'une grande bour-
gade, En outre, le Soudan occidental, c'est-à-dire le bassin
du Niger, est atteint aujourd'hui, et les débouchés de son
commerce sont assurés, d'un côté par nos possessions du
Sénégal, de l'autre par les établissements européens du bas
Niger, que nous avons eu le tort de laisser récemment
passer aux mains des Anglais, mais qui néanmoins appar-
tiennent maintenant, en somme, à une natron européenne.
Atl SOUDAN. 191
Les transports par mer ont trop d'avantage, sous le rapport
économique, sur les transports par lerre, pour que le com-
merce du Niger puisse dorénavant prendre le chemin de
l'Afrique du nord : la ligne réunissant Timbouktou à l'Al-
gérie pourra 6tre une ligne d'inlérfil politique ou stralé»
gii|ue, au point de vue français : elle ne sera jamais une
ligne commerciale, sauT d'une façon loul à fait acnessoire.
D'autre part, le Soudan oriental, comprenant le Darfour,
le Kordofan et les paysvoisins, estunedépendanue naturelle
dâ la voilée du Nil, et il est destiné à èlre mis en relation
avec le monde européen, soit par le Nil ]ui-m(yme, soit par
les routes venant de la mer Rouge, telles que celle de
Souakin à Berber. Ces routes sont aujourd'hui formées,
iniis celto interruption n'est que momentanée : elles se
rouvriront le jouroù l'empire du Mahdi s'écroulera, ou bien
peut-être le jour où il se civilisera, ce qui est moins pro-
bable.
Il reste donc, comme domaine commercial essentiel de
l'Afrique du nord, le bassin du lac Tsad, et la contrée qui
i'étend entre ce lac et le Niger : c'est la partie incontesta-
ment la plus riche de tout le Soudan. C'est là, à mon
9, le point de mire que doivent viser les routes transsaha-
riennes à ouvrir. Les explorateurs ont essayé de l'atteindra
etc'estce but que poursuivait la deuxième mission Flalters.
En jetant les yeux sur la carte, on voit que l'ilinéritirede
cette mission, parlant d'Ouargln, a remonté l'oued Ighar-
gbar jusqu'à El-Biodh, et ensuite la branche occidentale
de cet oued jusqu'à Amguid. De là, elle a entrepris la tra-
versée du plateau d'Ahaggar, en passwnt par Inselman
Tichsin, Temassinl, et enfin, lorsqu'elle a été massacrée, le
16 février 1881, près de Bir-EI-Garma, elle se dirigeait
droit au Sud et n'était pas éloignée d'atteindre le puit^
d'.\ssiou, où elle aurait rejoint l'itinéraire de Barih (1850)
peu éloigné lui-même de la route habituelle des caravanes
qui se rendent au pays d'Air. (Cette voie des grandes cara*
192 LES BOUTES DE L'AFUrQTE SEPTElNTRlONALE
Tanes a été suivie, eu 1877, par M. de Bary, dont la mon,
survenue à Rhat, a été une si grande perle pour la science.)
Cet itinéraire suivi par la deuxième mission Flattera
coïnciderait avec le tracé de la ligne de chemin de fer dont
le plan a été si clairement exposé par M. Rolland i.
Ce tracé, qui traverserait par le milieu le plateau d'Ahag'
gar^ ne rencontrerait pas, parait-il, de rampes insurmon-
tables, bien qu'il parvienne à des altitudes assez élevées.
Mais on peut dire toutefois que c'est un tracé artificiel au
point de vue de la géographie physique : le tracé naturel
consisterait à contourner le plateau d'Ahaggar par l'est, de
même que la route dinsaiah le contourne par l'ouest. C'est
ce qu'avait commencé à Taire la première mission Flatters,
lorsqu'on 1880 elle remonta la branche orientale de l'Ighar-
ghar. Mais elle abandonna cet itinéraire en constatant qu'il
la ramenait sur Hhat. Ceci démontre, non pas que le tracé
oriental soit mauvais, mais simplement que Rhat est un
point de passage naturel et pour ainsi dire obligatoire.
Toutefois îa mission Flatters eut parfaitement raison d'aban-
donner cet itinéraire dans les conditions où l'on était alors^
et cela pour deux motifs : le premier c'estque Rhat appar-
tenait à une puissance étrangère, et que nous ne pouvions
pas espérer, à celte époque, rattacher cette ville à noire
domination; et le second c'est que ce point était beaucoup
trop h l'est pour un tracé a,vant comme télé de ligne Ouargla
et se proposant d'atleindre le plateau d'Air. Cet inconvé-
nient ne subsisterait pas avec une léte de ligne située plus i
l'est. Nous reviendrons lout àHieure sur ce sujet.
VI
"De lout ce qui précède il résulte que Tripoli est acluelle-
nientla t&lede ligne de toutes les routes transsahariennes en
1. ConWi>cn<îe hilfl i\ l'Asaoci«lj»a ft-iioçaise pour t'avaneement dei
Kieacesje 3 mnri 1888.
Ai: soi;da.\.
103
iclivilé et le grand marché du Soudan. Ce résullal lient en
partie à des conditions géographiques, que nous venons de
résumer, en partie à des conditions politiques. La Tripoli-
laine est en eO'et, avec le Maroc, la seule contrée de l'Afrique
du nord où puisse se faire librement le commerce des
esclaves. Or on sait que (n'en déplaise aux économistes
philanthropes) l'objet principal et presque unique du trafic
du Soudan est constitué par les esclaves. Les autres mar-
chandises, telles que la poudre d'or, l'ivoire, les plumes
d'autruche et les cuirs, ne sont que l'accessoire et ne suf-
firaient pas à alimenter le transit de hi moindre ligne de
chemin de fer. Ofliciellement, îa Turquie a adhéré aux con-
Tentions internationales relatives à l'abolition de la traite;
mais, en l'ait, comme le Koran autorise l'esclavage, cette
pratique continue à ôlre tolérée. L'exportation des esclaves
dans les pays étrangers est seule empêchée, D'ailleurs il n'y n
pas lieu de s'apitoyer outre mesure sur le sort des esclaves
nègres en pays musulmans : ils y sont souvent beaucoup
mieux traités que dans leurs pays d'origine, où ils ne re-
tournent guère quand ils sont libérés, ce qui leur arrive
très fréquemment. Ils travaillent peu et ne sont pas l'objet
de mauvais traitements. Mais nous n'aborderons pas ici le
développement de cette question qui nous entraînerait trop
bin et s'écarte de notre sujet principal.
Ce sont les avantages matériels résultant de la silualion
géographique de Tripoli qui ont conduit nn voyageur alle-
mand «le grand mérite, l'homme qui aujourd'hui connaît le
mieux le Sahara et qui y a fait les plus merveilleux voyages,
Gerhard Rohlfs, à dire ; « A celui qui possédera Tripoli
appartiendra le Soudan, u Cette conclusion n'est peul-âtre
pas obligatoire. Si nous savons nous hâter et proOter de
notre situation actuelle en Tunisie, malgré les avantage^
incontestables que Tripoli doit à sa latitude et aux roules
qui y aboutissent, il faut espérer que nous pourrons com-
penser le désavantage rcsultanl de la position moins favo-
soc. HE Gtoun. — 2° thi.mustre IS90. xi. — 13
Î94 LES RODTES DE L' AFRIQUE SEI'TEMitlONALK
rablode nos I6tes de lignes algériennes et tunisiennes, par
la supérioriLé que nous donnent notre civilisation et les
moyens matériels et intellectuels dont nous disposons,
VII
Ceci nous conduit à parler de Tripoli et de la Tripoli-
laine. Qr, parler de la Tripolilaine, c'est loucher à un sujet
brûlant, qui demande à tire traité avec un extrême ména-
gemenl. La Turquie a fuit, pendant ces dernières années,
de très grands progrès dans cette région de TAfrique,
et elle lient à celle partie de son empire d'une façon qui
peut sembler exagérée au premier abord, mais qui cepen-
dant est bicH motivée. Ses possessions européennes lui
échappent et elle paraît depuis longtemps se rendre compte
que ses provinces d'Europe sont destinées à lui élre succes-
sivement arrachées, dans un avenir plus ou moins pro-
chain. Aussi l'avons-nous vue, depuis la guerre turco-russe,
les abandonner avec une grande résignation, au fur el à
mesure que les circonstances l'ont exigé. Mais, en môme
temps, elle a cherché une compensation territoriale en Asie
et en Afrique, où elle comprend qu'est son avenir, et où
elle trouve un milieu plus favorable à la nature de son
génie et à l'utilisalion de ses moyens d'action. Dans le nord
de l'Afrique, elle a transformé, depuis quelques années, en
une possession solide et réelle, l'autorité plus ou moins
théorique qu'elle avait sur la Tripolitaine; en même temps
elle en a considérablement reculé les limites el elle nous a
devancés de beaucoup sur les roules du Sud, en occupant
d'une façon effective, par des garnisons régulières, les villes
de ilhat et de Hhadamès, ainsi que tout le Fezzan. Sa sou-
vcrainelé directe s'étend aujourd'hui jusqu'aux montagnes
de Toummo, c'est-à-dire presque jusqu'au 22° degré de lati-
tude Nord, et son influence s'étend beaucoup plus loin.
At SOUtiA.V.
La Tripolilaine présente un double intérêt non seole-
nenl par celle transformation récente de la domination
torque, mais aussi par le mouvement religieux dont le pays
I été le siège. C'est là que la confrérie des Senoussya, qui a
entrepris de régénérer l'Islam, a, comme on le sait, établi
son centre. C'est à celte secte que Ton doit le prodigieux
mouTement de prosélytisme musulman qui s'est étendu,
depuis longtemps déjà, à tout le Soudan, et qui a gagné de
tilesse rnction des missionnaires chrétiens, pour la conver-
sion des populations fétichistes de l'Afrique centrale. En
les convertissant h l'Islam, elle a rendu ces populations
absolument réfractaires au christianisme, et en même temps
à notre inûuence.
On sait que le programme qui paraît être celui du suîtan
actuel, et qui consiste à étendre la puissance territoriale de
ta Turquie en Asie et en Afrique, en se considérant person-
nellemcnt comme l'héritier légitime des califes, tant au
point de vue spirituel qu'au point de vue temporel, s'est
trouvé à un moment donné en, compétition avec le mouve-
ment religieux du Senoussysme.
M. Duveyrier a donné, dans le Bulletin de la Sociclé de
IJéoijraphie, une étude aussi complète que possible du dé-
veloppement de celte secte si intéressante' : je n'ai donc rien
à y ajouter. Je dirai seulement que la Porte, ne pouvant
briser la puissance du Senoussysme, a pactisé avec elfe et
a cherché à l'utiliser à son profit, moyennant des concessions
considérables d'ordre administratif et financier. Les privi-
lèges les plus larges ont été accord es à la secteen Cyrénai'que et
(hnsla Marmarique, où elleconstilue maintenant une puis-
tance administrative et judiciaire, en même temps que reli-
gieuse,el même une puissance militaire. Moyennant ce s sacri-
fices, la Turquie a conservé l'autorité gouvernementale, et a
1, Cf. Duvejrier, La coiifréfU mmuimatie de Sidi-Muha.iMned-bcn'
iti-n-Senouiti. — BulUlin de ta Soc. de Geogr., 1884, p. H5-Ï'2fi.
190 LE* nOtlTES DE l'aFRIQUE SET'TEKTRIONALE
intime su employer le mouvement duSenoussysme pourl'a-
granttissetnenl géographique de son empire, malgré l'exis-,
tence d'un important parti hostile aux Turcs, dans la secte'
même. C'est ainsi que l'on peut dire, par exemple, que le
groupe des oasis de Koufra a été conquis par la Turquie,
puisqu'il appartient aux Senoussya, et que Jes soldais turcs]
sont les seuls qui, au point de vue international, aient le j
droit d'y pénétrer.
Il ne m'appartient pas d'examiner par quels moyens ce]
but a été atteint. Je n'examinerai pas quel a été, à Constan-
tinople et à Tripoli, le rôle du personnage important appelé!
Si-Hamza, ni celui de son frère Mohammed-ben-Dhaler,
qui passe pour être le directeur religieux du sultan. Je dirai I
seulement que le mouveraentSenoussya s'est propagé chez les
Touareg, et qu'une grande partie de ces peuplades, autre-
Tois en dehors du rayon d'influence de Tenipire turc, lui
sonl aujourd'hui rattachées par des liens nombreux.
A la suite du massacre de la mission Flallers, les Touareg
Ahaggar, craignant des représailles de notre part, ont cher-
ché tout naturellement une sauvegarde dans la protection
turque.
A l'appui de cette assertion, nous citerons notamment
les deux lettres dont le texte est ci-dessous'.
I, Lellre n" l. — Arhilaihgn, chef dex lloggnr, à El-llailj-T<thar-Bo-
nidi. Il Itliadamés.
Au nom de Dieu clément el mlsiîricorJieux f
De la part du ctieikii Yautiùs, surnommé ArliiUrhen-bcn-Biska, che(
dos Ho^gur.
A nutrc ami El-liadj-Tahiii'rïastdi. Salutations.
Ce que j(i l'écris a priiir but de ré|>oiiilre aux divepsos lettros que tu
m'as adri-ssées au stijut ili; Ion aiui le Kramais. Tu me disais (Je liiister
ces r.lircliens traverser iium pays |iuur se rendre au SouiKm.
Pourquoi donc n'iitais-tu [tas eti porsoiiiio avec eux? Us D'avaicut pa.s
cummencd par uractjuitter le droit de piiage *. En outre, je n'avais reçu à
leur suji-t aucune instruction du sultan de l'onstitulinopic |)as plus que
1. Droit nae perçoivent lus tribus de Tanarej tar lea caraviiioi cl ^oytgaan
(raTtinaat litnr (ni)*.
AD SOUDAN. 197
La première est adressée par Arhilarhen, chef suprême des
Touareg Ahaggar, à un négociant de R-hadamès, Ei-Hadj-
Tabar-Basidi, qui avait fait auprès de lui des démarches
ayant pour but de le rendre favorable à la mission. La se-
conde est écrite parle même Arhitarhen au gouverneur de
Rbadamès^
Ces lettres non seulement démontrent la culpabililé di-
rectedu chef des Touareg Ahagi^ar.déjA. établie surabondam-
ment par d'autres preuves, mais elles montrent aussi son
extrême duplicité. Il est impossible de ne pas ^tre indigm*
de la fourberie et de la déloyauté dont les Touareg ont fait
du piiclia de Tripoli. Pourquoi dnnc een (ihrétiens venaienl-ib vo>;iger
dans notre pays? Jamais de aolre vii; nous les nvioiis vus liaverser
noire territoire. C'est chose impossible : ils ne sont paial iiii Diimbre de
ceux qui jouissent de la protection musulmane; ils i>taicnt chrétiens,
de ceux qui font ta guerre sainte c-untre les Musulmans, et tu préteads
dans les lettres que tu nous écris à leur sujet, que i^es {^ens-là ne nous
causeront aucun préjudice? Aujourd'hui tout est (îni : ils sont venaf, ils
wnl morts.
Des gens que je connaissiiis sont venus chez nous rréqucniiuent ; ton
fils, par exemple, n'a-t-il pas vendu ni auliaté librement et ne s'en est-il
pas retoarné sain et sauf avec les bénéfices i|u'il avait pu Filialiser?
Au surplus ceux qui ont lue ces chrétiens «ont les Amrliari d'.\ïr
et les jtens des Aidjer. Ils sont morts sur le territoire d'Aïr. Ce «ont
les Amrhad susnommés qui les nat massacrés; les Hoggar sont étran-
gers à cette allaire. Ceux qui «ont les auteurs du meurtre ont pour
chefs ■Nalali-ben-Haï, Bou-Kekheïr-ben-rKor.sk.i, Teguten, Nefi», Cuon-
tali: Kennin et Foug-as, de l'Adrharh, étaient nnssi avec eux.
Au naomcnt où ces chrétiens ont été tuéa, le.4 tlog^ar étaient en incur-
«ion contre les gens de TAdrliarb et n'étaient pas encore de rclaurches eux.
Donc les chrétiens n'ont été massacrés que par les gens plus haut dési-
gnés: à ces chréliftns, moi j'avais donné un guide qui avait pour mission
de les conduire chez les Air. l'ai perdu dans celte aflaire les meilleurs
de mes hommes qui ont égak;ment lité tués ; deux autres ont élô blessés
a coups de lance.
C'est (Ini et je t'ai Informé de tout ce qui est arrivé. J'ai reçu le cachet
ift la cire. Salut.
Le C* jour du mois île Rebbia de l'an 1:^*,I8 (dimanche C février
1M81).
1. Lettre n" 9, — Arhiturhen, chef des ttognar, A Bou-Aïcha, émir de
la ville de lihaitaméx.
Au Dom de Dieu clément et miséricordieux 1 De la part du cheikh Yuu-
198 LES nODTES IiK l'aFRIQUE SEPTENTRIflNALE
preuve vis-à-vis de la mission. Ce qui esl fait pour nous ré-
volter surtout, c'est non pas tant leur attaque, qui e!^t en
somme un fait de guerre, admissible dans une certaine me-
sure, que les circonstances particulièrement odieuses dans
lesquelles a eu lieu le massacre.
On sait qu'après l'assassinat des chefs délit mission, atti-
rés dans une embuscade, le gros de la troupe, qui n'avait pu
n-!i (urnuiiiiné ArhiUrlien-ben-ilbkn, cbeT des Hoggnr, i »a teigoeurie
lloU'Aictia, l'-mir de la ville <lc Hliadumès. Salutations.
Si vous èlea a»Rez bnn pour voua intéresser à noui, «achez que nous
nous parlons bien et qtic nous jouissons de ta (itiix. Nnus faisons des
Vii'Ui pimr qu'il en soit de mAnie da volie cùté, s'il pluft â Dieu ; nous
n'avons Rucuiie nouvelle i vous annoncer; rieo absotituicnl n'est sur-
venu sur niitre lorritoim.
MaiQlentnt, 6 ohog- ami, vous noua aviez recommandé dv surveiller les
roules et de les préserver contre los gens huslilos; r.'est ce que nous
«vous lait. Nous nous appliquons à garantir les ruute.'j contre les iucur-
siont d'cnncmit iimBuliiiims et rien en elTct ne s'ohI produit; mais
aujourd'hui ue vi)ilà-t-il pas que les cbréliens veulent suivrt; uos routes!
Je vous informe de ce ijui esl .irrivâ à ces chrétiens, c'est-à-dire au
rolonel Fiatteri, qui ejt vcuu che^t nous avec des lniinmes armés de
mille cinq cent cinquante cannas ihms l'inlcntioA de traverser le pays
des lloggur; mais les gens de cette contrée les ont conit>ttlug pour la
guerre sainte de la muaièro l« plus énertcii|uF, ios ont mussacrâs et c'en
est fini. iMainteuant il l'aut. il faut uhsotunienl, ù ctier ami, que la nou-
velle de nos actes parvienne à Constantinople. Annonce?, là -bas ce i{U)
esl arrivé, à savoir f\»f: lc!> Ttuirireg ont «nuteau contre les cliri'lieri.s une
guerre suinte onuiiiplitire, et que l>ieu les a secourus contre ceui-ci
pour les détruire. Mais aujourd'hui li, par ordre de l'autorité, les chré-
tiens ont la Taculté de voyager chez |ca Touareg, cela sera d'un très mau-
vais efTotpour nous chez les chrétiens, pour nous qui les avons comhallus
p«ur la guerre sainlc.
On ilit «]ue ces chrétiens sont énergiques elbatiiilleurs: donc, 0 cher
ami, r^is parvenir met paroles à Ciiiistanlinople et dis en hauts lieux que
je demande à ce que les Musulmans, par vos ordres, vienneot à notre
aide, pour soutenir la guerre sainte dans l,i voie qiie Ltieu nous a
tracée.
S'il [ilall â Dieu, nous testerons les champions pour la guerre saiple
comme Dieu le veut. Salut.
LeîGdumnis de llelibia i\t l'an I2il8 duProphètetsamedi ^février IKHl).
1. Cf. LieuleDuat-coSoDol Derrécaitaix, Exptoiatiun» du Suhaia el
le* deM.r mhnirtn» ilu lieutenaHt-colimfl Flallfr*. — H»ll. Soc. Céogr.,
IWI.
I
AU SOUDAN. 199
être entamé, et qui se composait encore d'une soixantaine
d'hommes, privés de la plupart de Jeurs moyens de trans-
port, commença une retraite, sous la direction de M, le
lieutenant de Dianous, de l'ingénieur Santin, et d'un sous-
ofBcier français. Je n'ai pas à rappeler les circonstances de
celle retraite désastreuse : elles sont dans toutes les mé-
moires*. On sait comment les Touareg empoisonnèrent les
survivants en leur offrant des dattes que ceux-ci curent
l'imprudence d'accepter. On sait comment, cet attentai
n'ayant qu'à demi réussi, eu ce sens que les accidents ne
furent généralement pas mortels, les Touareg, après plu-
sieurs assassinats isolés, commis sur la personne des parle*-
raenlairesdont ils demandèrent l'envoi à plusieurs riiprises,
eurent raison de leurs adversaires alTaiblis^au combat d'Am-
guid, où furent tués MM. de Dianous, Santin, et les deui
soldats français survivants, Brame et Marjolet. On sait que
les derniers restes de la mission, parmi lesquels ne se trou-
vait plus qu'un seul Français, le mardchal-des-logis Pobé-
guin, eurent à supporter des privations inouïes, qui rédui-
sirent les survivants à se manger les uns les autres. On sait
que le sous-orflcier français auquel appartenait alors le com-
mandement fut l'une des victimes de ces scènes déplorables,
sur lesquelles il est superllu d'insister'.
Mais indépendamment de toute considération relative aux
désirs de vengeance ou aux regrets personnels que peut
motiver la mort de nos malheureux compatriotes, ce qui
est infiniment regrettable et ce qu'il aurait fallu chercher à
neutraliser, c'est le désastreux effet moral produit sur les
populations sahariennes par l'impunité des meurtriers, c'est
le coup porté à notre prestige en Afrique, atteinte dont les
conséquences ont été considérables. Enlln, on peut dire en
uutre, au point de vue purement géographique et scienti-
1. Ù'. Diiveyrier, Bull. Soc. Gi'iigr.
f>fH.r .Mmjikiiia Flattera, IK8'.».
Cf, le capitaine RrossRlard, ks
200 LES nOUTES ItE L'AFRIQUE SEPTKNTn.IONA!,E
fii]ue, en laissant de côlc le point de vue spécialement
français et abstraction l'aiLe de toute idée de conquête ou
de rivalité vis-à-vis d'autres nations, que l'atteinte portée à
la sécurité des voyageurs dans le Sahara a été profonde, et
que la possibilité inOmâ des voyages futurs s'en trouve gra-
vement compromise. Cet acte a eu pour conséquence la
fermeture d'un pays qui jusque-là avait été sinon onvert, du
moins entr'onvert, grâce aux persévérants efl'orts d'explora-
teurs érainents et dévoués, efforts dont les résultats sont
aujourd'hui remis en question.
Plus la France a tardé à frapper les coupables comme
ils l'ont mérité, plus il sera difficile d'arriver à un résultat
efficace. Actuellement nous ne pouvons guère songer à
rétablir notre prestige dans ces régions à moins de nous
emparer préalablement deHhadamèsetdeEhat. C'est par là
seulement que nous pourrions atteindre les Hoggar et leur
infliger le châtiment que nous n'avons pu leur faire subir
en prenant pour base d'opérations l'Algérie, car il aurait
fallu organiser une expédition devant laquelle on a reculé,
et peut-être avec raison : elle aurait coûté des sommes
énormes, elle aurait été selon toute apparence sans résul-
tats, et elle n'aurait abouti peut-être qu'à un nouveau
désastre. En prenant pour base d'opérations ta Tunisie
méridionale, le succès pourra être différent, surtout si nous
parvenons à occuper un jour d'une façou solide llhadamès
et Rhal.
Personne, parmi ceux qui ont l'expérience de l'Afrique et
des Arabes, ne me contredira lorsque j'affirmerai qu'il eût
été urgent d'infliger une punition exemplaire aux auteurs
du guct-apens, punition qui aurait dû consister dans lacap:
ture et dans l'exécution non seulement des principaux cou-
pables, mais aussi d'un certain nombre d'individus, cou-
pables ou non, appartenant à la même tribu. Il n'y a rien de
hasardé ni d'étrange ;\ dire que l'exposition d'une centaine
de tètes de Touareg Hoggar dans quelques-uns des princi-
AU SOUDAN.
-iOI
pinx centres conimerciaux du Sahara aurait produil un effet
moral excellent pour nos inlérCls, nous aurait ouvert les
roules, et aurait élé indispensable pour compenser l'effet
contraire à noire prestige qu'a produil l'iiffluence, sur le
marché de Rhadamès, des pièces d'or françaises provenant
du pillage de la caisse de la mission*.
II aurait élé nécessaire en parlieulier de faire subir un
châtiment personnel à Arhitarhen, dont la duplicité et la
fourberie ont été si manifestes, ain«i qu'à son auxiliaire le
cheikh Tissi, auteur direct du massacre. Malheureusement
nous devons y renoncer, car le chef souverain des Touareg
Hoggar est mort, paraît-il, ainsi que son principal complice,
il y a maialenanl plus de deu.t ans, h. l'époque de la prise de
Hhal.
Je rappellerai en effel qu'au commencement de l'hiver
188G-1887, la ville de Rhat, occupée par une petite garnison
turque, a été enlevée par les Touareg : ce coup de main a été
amené par le refus de la Turquie de remettre en liberté des
Touareg détenus à Tripoli comme prisonniers ou otages. Il
est extrêmement difficile pour nous d'avoir des renseigne-
ments exacts et précis sur les événements qui se passent
dans ces régions; toutefois nous savons que Rhat a élé pris
par les Touareg à la fin de l'année 1886, et que la
garnison turque, composée d'une quarantaine de soldats,
a été en partie massacrée, en partie faite prisonnière pour
tire éc'.Jangée contre les Touareg détenus à Tripoli. Gel
éténemenl a eu pour conséquence l'interruption pendant
dix mois du commerce avec le Soudan qui se fail par celte
roule. Depuis lors les Turcs ont, au mois d'octobre 1887,
réoccupé Rhat sans coup férir.
Dans le combat auquel donna lieu la prise de la vide par
les Touareg, on prétend qu'Arhitarhcn fut tué. Il n'est pas
Kl. Cclt<! bflIueDC<'. :i éLiicaracliTisée, peuplant un certain leiu{i9,|iar une
<épn>cialioo très notalile du cour» tlo l^i pitco ilu vingt francs l'rançiiiso
m le marché de Rliadaniès.
[
202 LES RODTES DE L'APUrQUE SEPTENTRIONALE
prouvé que sa mort ait eu lieu dans ces circonstances; il
semble au contraire qu'elle a été antérieure, et celte dernière
version paraît k mieux établie. D'après les renseignements
qui m'ont élé donnés par divers indigènes, il paraîtrait que
deux des principaux chefs touareg ont trouvé la mort dans
cet engagement. On n'est pas d'accord sur leurs noms : on
me les a nommés Cheikh Sassi et Cheikh Yahia. Ces noms
sontceuiqueleurdonnaientles Arabes elnon pas ceux qu'ils
portaient parmi leurs compatriotes; car ou E^ait que chaque
Targui a généralement deux noms ; ainsi l'on voit, par
exemple, dans l'une des lettres ciléesci-dessus, qu'Arhitarhen
s'intitulait lui-mémeen arabe Cheikh Youiiès. Il est probable
que celui qui m'a élé désigné sous le nom de Sassi n'est
autre que le Cheikh Tissi, qui commanda personnellement
l'altaquecontre te colonel FLaLlers et ses compagnons. Quant
à Arbitarhen, il est difficile d'être Gxé. Toutefois les coni-
pétitions auxquelles a donné lieu, pendant ces deux der-
nières années, la possession du pouvoir suprême chez les
Abaggar, semblent démontrer sa mort. On sait qu'il s'agit
là d'une souveraineté considérable, du moins au point de
vue de l'étendue territoriale, car les Touareg occupent une
surface de pays grande cinq fois comme la France; on
saitqu'ilsformentquatregrandesfpactions^etquelesHoggar
ou Ahapgarensonlla iirincipate. On voitdoncquele chef du
pays d'Ahaggar, l'auteur direct, sinon l'instigateur du mas-
sacre de la mission Klatlers, était un soiiveraia puissant i sa
manière, et on voit aussi qu'il nous faut renoncer !\ le prendre
comme objectif de noire vengeance. Je dis qu'il a élé simple-
ment l'auteur direct vl lum l'instigateur, parce que nous
savons aujourd'hui que c'«bI h des intrigues ourdies en ma-
1. Ces quatrn grniiilM fraolioilK Hunt, cDiniiii: un le mit, les Alvjtg^r
ou Hoggar, les Azitjur, Ish Ki>1 Oui, ttt In» Aouelitncnideii. On y ajnutfi
i|U6l(jtierois. une cint|uii<it)n |i[i°niiile «livision, un i-aiii[il:int Ainsi les
Touareg Ae l'Adrliaih Alunit, a|i|K'li!K «usai Tnïlok (\'nir pnur cp ileniier
point, le* Ti)unn-<i </r VlUii-nt, [i:ir II. llifisiKil, ] vol. Alger, t88S).
AD SOUDAN. 903
KjMtre partie h Insalah et à Rhadamès qu'est due l'origine du
^HHacre de la mission.
^^^Tenant avant tout à n'entrer dans aucune considération
■ de politique pure ni de diplomatie et à rester dam te do-
aiaioe de li géographie, je ne puis parier ici de Tripoli
qu'avec une extrême réserve. Un incident diplomatique
très regrettable dans ses suites a été soulevé, au mois de
janvier 1888, par une communication ttiite à la Société
de Géographie relativement à la frontière méridionale de
la Tunisie. Pour éviter de donner lieu à aucun incident du
même genre à propos de la Tripoiitaine, je n'en dirai pas
un mot, me bornant, en ce qui concerne la description de
ce pays, aux photographies dont j'ai eu l'honneur de mon-
trer les projections à la Société de Géographie*.
La ville de Tripoli est actuellement, avons-nous dit, la
télé de ligne du grand commerce du Soudan et le point
d'alUche des caravanes. Les principales sont au nombre
de trois ou quatre par an : elles comprennent souvent 1,2:00,
et parfois même jusqu'à '^,000 personnes. Elles rentrent h.
Tripoli habituellement vers lecommencement de mars. En
outre il arrive dans cette ville, à peu près tous les quinze
jours, de pelits convois formés à Hbadamès et comprenant,
proportion variable, des éléments venus du Soudan
N'ayant pas à parler politique, je ne dirai rien des convoi-
tises étrangères qui peuvent s'agiter autour de Tripoli : je
dirai seulement, et je répéterai bien haut, qu'en ce qui nous
concerne, malgré toute l'importance de Tripoli au point de
?ue du commerce soudanien, nous n'avons en aucune façon
a en convoiter l'occupation. L'Algérie et ta Tunisie forment
DR tout homogène qui a une mauvaise frontière du côté de
l'ivuest, avec le Maroc, mais qui, du côté de l'est, touchant
4 la Tripoiitaine, a une excellente frontière naturelle. Malgré
nombreuses oasis, la Tripoiitaine est un désert dont le
\. Séanec du 10 mai 11189.
il
204 LES nOUTES OE l/AFItlQL'E SEPTENTHIOMALE
climat est brûlant et intoiérabje pour les Européens; nous
occupons déjà une bien assez grande étendue de déserts
inhabitables et improductifs dans le sud de l'Algérie et de la
Tunisie, sans chercher à en acquérir d'autres qui ne nous in-
téressent pas direclemenl. Nos possessions aclueUes d'A-
frique nous donnent une base d'opérations assez vaste et
assez solide, en ce qui concerne le commerce soudanien,
pourque nous n'ayons pas besoin de cherchera leur adjoindre
laTripolJtaine- C'est uniquement par la supériorité que nous
donnent notre outillage et notre civilisation que nous devons
cherchera compenser les avantages de position de ce der-
nier pays, sans que nous ayons besoin de nous en emparer.
VllI
De tout ce qui vient d'être d'exposé, il résulte que pour
ouvrir, en partant de nos possessions françaises de l'Afrique
du nord, une roule commerciale aboutissant au Soudan
central el pouvant faire concurrence à celles de Tripoli, ta
solution la meilleure et peut-être même la seule possible,
tant que nous n'avons possédé que l'Algérie, était la ligne
préconisée et étudiée par M. Rolland, celle que suivait la
deuxième mission Flalters, à savoir la route deConstantlne,
Biskra, Touggourt, Ouargla, El Biodh, Amguid. C'était une
solution à la fois pratique et ingénieuse d'une question très
difficile en soi. Mais aujourd'hui que nous possédons la Tu-
nisie, il n'en est plus de même : nous pouvons choisir dans
le sud de cette région une lèLe de ligne située par la même
latitude que Touggourt et ayant sur ce point les deux
immenses avantages d'un climat beaucoup plus tempéré,
supportable toute l'année pour les Européens, el d'une situa-
tion au bord de la mer, c'est-à-dire accessible aux navires et
en relation directe, rapide, et peu coûleuse avec la France
au lieu d'exiger un trajet préalable de 600 kilomètres par
W sot; DAN.
20.1
cbemio de fer. Parlant de ce poiol dont la position sera
disculée loul à l'heure, il faulchercherà nous rendre naaitres
de la grande route commerciale qui passe par Rhadamèset
par Ilhat, route qui apparlient de droil à la Tunisie et qui
présente une telle supériorité sur les autres voies transsa-
bariennes, que, comme nous l'avons vu, les caravanes partant
de Tripoli vont pour la plupart la rejoindre au lieu de pren-
dre la roule beaucoup plus directe de Mourzouk*. Celte
revendication est formulée ici sans aucune arrière-pensée
politique et ne doit pas être interprétée comme un propos
hostile vis-à-vis d'un pays voisin et qui est notre allié. Il
faut espérer que celte conquête se fera d'une façon toute
amiable et pacifique; mais elle se fera, ctltendu que les exi-
gences de la géographie physique le veulent absolument. Il
est à noter aussi que quand nous posséderons Rhadamès nous
isolerons Insalah, ce foyer d'hostilités et de résistance à notre
ioâuence, et nous empêcherons les vassaux du Maroc de
donner la main aux vassaux de la Turquie au sud de nos
possessions de manière à nous barrer les routes du Sahara.
Pour atteindre Rhadamès nous ne prendrons pas la route
qai vient de Biskra et du Souf, celle qu'ont étudiée notre
collègue M. Duveyrier- et, plus récemment, M. Largeau";
elle présente des obstacles naturels presque insurmontables
dus h la traversée des sahles de TErg. Nous ne prendrons
pas davantage la route qui vient de Ouargla, étudiée égale-
ment par M. Largeau et par Bou-Derba, et qui comporte dix
jours de marche sans eau, avec la traversée de dunes très
t. Cette route de Hhadarnès-I1hat, comme il a «lé dit plus huot, gagne
l« platcuu d'Aïr, et de là. le Sokolo et le Gundo. Mais elle peut servir
aussi à atteindre dîrecteiiient le Bdihou, moyennant la réouverture de
reiiilirancliejnent. aujuurd'liui pou pratiqué et surtnut pou uonriu, gui va
«le Rltat ;i Bilma, c'est-à-dire qui va rejoindre au Kaouar la ;;raiide |>isto
menant de Mourzmik, OeUe traverse a été figurée sur un croi|ui& inédit
Ue M. le générai Pliiieliert.
ï. Cf. Duvejrier, tes Tnitamt du Xord, I8f4.
'J. Cf. V. Lurgeau, l'oijuije a HUadames, 1879.
20G LES ROUTE:? I)E L'aFRIOLE SEPTENTRIONALE
élevées. Nous partirons d'un porl situé sur la côte méridio*
nale de Tunisie, ce qui nous permettra de çagner Hharlamès
sans avoir à traverser le massif sablonneux de l'Erg que
nous contournerons par l'est.
IX
Cbargé par le gouvernement tunisien de !a recherche et
de l'étude des points les plus favorables pour servir de port
d'attache aux futures lignes ferrées du sud de la Régence,
j'ai, au mois de décembre 1888, dans un rapport officiel,
présenté mes conclusions, lesquelles, sur le point géogra-
phique qui nous occupe en ce moment, se résument à ceci.
La côte de la Tunisie méridionale se prÔle assez mal à
l'établissement d'un port, car elle est plate et basse ainsi
que tout le rivage oriental de la Régence. Les points où il
serait possible d'élablii* le port dont il s'agit se réduisent
à cinq, à savoir Gabès, Gourine, BouGrara, Zarzis, Kl Bi-
ban. Gabès, le plus connu de tous ces points, celui qui est le |
siège' d'un commandement militaire important el celui qui a
été choisi depuis le commencement de l'occupation comme
centre de ravitaillement de tous les postes du sud de la
Tunisie, semble, à première vue, être tout indiqué; mais
la côte y est tellement plate, tellement basse et tellement
dépourvue d'abri que l'on ne peut espérer y pouvoir jamais
faire un port passable. Nous le garderons forcément comme
entrepôl et comme magasin militaire à cause des dépenses
cotisidénibles qu'on y a faites, et qui ne permettent plus de
l'abandonner, mais ce ne sera jamais la tête de ligne de la
route de pénétration saharienne, pas plus que le point ter-
minus des chemins de fer tunisiens du centre et du sud.
Quand aux diverses localités qui sont situées au nord de Gabés
et qui ont été proposées pour devenir le port du sud de la
Tunisie, elles présentent également desinconvénients consi-
À
AU SOUDAN.
207
derables qui doivent les faire rtijeler absolument, et dans le
détail desquels nous n'entrerons pas ici. Pour Sfax, qui, mal-
|ré l'absence de pari nature!, serait le seul point à discuter
sérieusement, à cause de sa nombreuse population et du port
dragué qu'on y crée en ce moment, it faut mentionner,
comme un défaut essentiel, sa situation beaucoup trop
Bpt^nlrionale. Elle obligerait !e chemin de fer futur à lon-
■^r la côte pendant 200 kilomètres d'un parcours inutile,
dont 1(50 dans un pays sans eau et sans hfibitants, où aucun
trafic local ne compenserait l'allongement du trajet.
La grande lagune d'EI Biban, qui constitue un vaste
bassin fermé ne coramuniquaut avec la mer que par un
goulet très étroit bouché lui-même par un petit ilôt, pour-
rail, au moyen de dragages convenables, être aménagée de
manière ii permettre l'établissement d'un port dans une de
iesparties. Mais elle manque de profondeur; elle est en outre
îp près de la frontière tripolitaine, et comme il faut que le
^orl à créer soit à la fois la tète des ligues de pénétration
dans le sud et le lieu d'approvisionnement des centres de
population de la Tunisie méridionale, El Biban serait trop à
l'est et ne remplirait pus à ta fois les deux buts proposés.
Gourine est un point qui a sur celui-ci, ainsi que sur les
deux suivants, l'avantage d'être plus à l'ouest et plus
rapproché de Gabès. On n'y trouve aucun centre de popu-
lation ; il n'y a là qu'une baraque dans laquelle habite un
juif qui achète de l'alfa aux indigènes. En ce lieu la mer
communique avec une sebkhra, c'est-à-dire avec une grande
bgune, qui n'est que partiellement inondée. Mais dans la
partie de cette sebkhra la plus voisine de la mer, il existe un
petit golfe qui a de l'eau d'une façon permanente et qui
constitue un port naturel bien abrité. Son entrée a un kilo-
mètre de largeur à marée haute, avec une faible profondeur
sur sa rive orientale; mais dans le voisinage de sa rive occi-
dentale, celte entrée présente, sur une largeur de 100 mètres,
un chenal profond conduisant à un petit bassin naturel qu'il
: TES UE L AFRIQUE SEPTENTRIONALE
piMifc p0esillle d'aménager. Ce point ne serait donc pas!
ilANiviiuUgttUx, à défaut d'un autre plus favorable.
l,e«> deui points qui restent sont Zarzis el Bou-Grara.
r»' '^' ter des deux, situé sur le rivage est de la]
(.. du même nom, présente l'avantage d'être un'
OttUlr« de population assez important et le chef-lieu d'une
. ' Ms. Cette oasis est, sinon très riche, du moins
lie. Mais la côte, qui présente un abri naturel suf-
libuut pour les très petites bnrques, n'en offre qu'un tout à.|
fait iiiaulibanl pour les navires, car on ne trouve dans cette]
rade 4ue0"'50 d'eau au moment des plus basses mers.
L'eudroit qui parait incontestablement le plus avantageux]
Mlle golfe de Bou-Grara, qui réunit des conditions excep-
" lient favorables. C'est ce grand bassin, d'environ
ires de diamètre, qui se trouve au sud Hc l'île de
bjcrba» entre cetle île el la côte; il est entièrement fermé et|
1)0 couiunuiique avec la mer que par deux détroits, celui
d'Adjim au uoid-ouest et celui d'El Kantarn au uord-esl.
11 avait tité rtïgardé jusqu'à ces dernières araiées comme une
simple lagune sans profondeur, et toutes les apparences
svniblHiunl ootitirmer celte hypothèse : en effet, toute la
région est ctmverte d'une série de sebkhras ou cuvettes
Imcuikires à fond très plat, et dont les unes se sont vidées
eutièremcut par ôvaporatioii, tandis que quelques autres,
cvlleii qui sont un cumumnicalion avec la mer, ont conserve
un pitu d'eau, mais tans en avoir jamais une hauteur les
reuduitt navigables, .\ussi la mission hydrographique fran-
^;aise envoyée i:n I88L)-8tJ, sous la savante direction de
M. l'ingéuieur Héraud, lit-elle une découverte inattendue
lorsqu'elle trouva dans cette lagune de très notables profon-
deurs, suflisanlcs pour la navigation des grands bâtiments.
La passe d'Adjim tist la plus profonde des deux; elle a pu
donner pa^isa^o ù l'aviso le Linois, et tes travaux néces-
Hi\'nxn pour la rendre accessible à tous les navires seraient
rclalivcmout faibles. La passe d'Hl Kautara, obstruée par
AU SOUDAN.
209
des bancs de sable, manque absolument de profondeur et
ne peut être pratiquée que par des barques de pêcheurs. Un
» môme prélendn qu'au Irt-lois il existait d'un bord à l'auLre
uoe comtnunicaLioii terrestre entre l'île de Djerba et la r,ùlo
(Trik-el-Djerael). Je ne crois pas que celle communit-ation
ail existé, ou, si elle a existé, il paraît s'être produit en co
point un affaissement géologique. La barre rocheuse, quo
Ton considère, d'après lus traditions locales, comme étant
l'ancienne chaussée romaine, n'est, selon tuute apparence,
qa'un sinnpie banc naturel et jamais, même lors des
marées les plus basses, elle n'affleure au niveau de l'eau. La
profondeur générale du détroit est d'environ 2 mètres. La
longueur à draguer pour y faire un chenal serait (rès con-
sidérable, plusieurs kilomètres, et ce chenal devrait ?tre
prolongé au large assez, loin au-delà de l'enlrf'je du déiroil.
Cependant la lâche ne serait pas impossible, car nous savons
qu'en ITiGO, l'ilmiral ottoman Dragut, bloqué dans le golfe
de Bou-Grara par André Doria,qui gardait la passe d'Adjim
avec des forces supérieures, réussit à s'échapper avec toute
sa flotte, en se creusant un passage à travers les bancs de
sable du détroit d'El Kantara. Mais il ne reste plus aujour-
d'hui de trace de ce 4:henal qui a été entièreincnl eliacc par
la mer. Au contraire la passe d'Adjim, acluellemenl prati-
cable pour les navires d'un tonnage moyen, pûurrnit fttre
rendue accessible à. tous les bâtiments au moyeu de peu
4ê travaux. Le port d'Adjim, situé à rentrée de la passe,
dans l'île de Djerba, est l'entrepôt nalnrcl du commerce
de l'île; il est bien préférable k Ilourat-Souk, capitale
ar.tuclle, d'où les navires ne peuvent approcher à uiùius,
de t> kilomètres. Adjim est d'ailleurs dès maintenant beau-
coup plus important comme cabotage que la capitale ofii-
eidJe de l'île.
Le golfe de Bou-Grara réunit, comme on le voit, des con-
ditions exceptionnelles pour l'installation d'un port de
commerce, et on pouriait même, si on le voulait, y faire un
soc. UE OÉOCK. —i' IHIMKSTriK ÎMIIO. XI. — Il
tM LES RtKTKS DE l'aFUIQUE SEPTENTRIONALE
port «le guerre. Eo même temps qu'il servirait de point de
départ à la route commerciale du sud, il serait le port de la
Tuai:»ie méridionale et il desservirait IMle de Djerba, qui est
importante par sa population et son industrie'.
Parmi les divers points du littoral du golfe deBou-Grara,
plusieurs se prêtent à l'établissement du port projeté. Nou»
sigualerons notamment le point même appelé Djorf-bou-
Grura, qui aujourd'hui n'est plus un centre de population»
mais qui à l'époque romaine a été une ville dont on voit
oocore les ruines. MM. Salomon Reinach et Babelon ont
visité ces ruines, où ils ont trouvé plusieurs statues intéres
1. Cette lie, Ur^ù ûo. "iH- kituini-trcs nur 30 <]e longueur, eiilu'ramBiil
cvuvoite liv culture* et pciiplû^ de plus do Sd.ÛOO habitants comnier-
(anlt el aUonnés à diverses iudustrics, peut devenir un centre important
pour iiutre coluni«ation et nutre roinnierce, et allé juitilierail presque,
k oUo seule, la créiitioa d'un port. Les haliltants, gui tipparlieniient ù la
s^cle Ibâilite, (Icucendcnl, dit la tradition, d*tiJi<ï immigration de Mzabites,
qui aui'iiit et) lieu uu xiu* siècle. Ceux-ci ont apporté dans \e. pays et
l*wi's duàieudiiiils nnt conservé cet esprit laborieux el t'utte aptitude au
ii^K^i'e <|ui le« earaclériitent en AlgOrie. Aussi | Iiisicurg industries sunt
ftkgourU'hiii floriâanntes à Djerlia. fudiipeiidaniinent île la culture <lc.s
pAlniiuri et ilea ulivien, qui roiivrenl l'ile, et  l'abri desquels se font
J'autros uultureH aceessuircs, l'industrie des lissua de laine, la penche deg
ttpuugoit, et la fabrication des poteries ont ù Iijorba un grand dévelop-
pomoul. Il existe dans l'ilo quntro villes, llauml-Souk, qui est la cupi-
l«lo, Adjim, Uualalla, lieu de fabrication des poteries qui se vendent
d«B» luule la Tunisie, «t El Kanturii. l'uiicieirne Me.nin.r, d'où ont déjà
é\,6 extriiils un ^Tund iiuitibro de précieux rnonunionts de l'art antique,
(.luire cet viliui principales il y a dnns Tlle plusieurs bourg^ades impor-
liiittet tiilleii (|ue Cedrieii, Huunnit-tîedouikcli, Kl llaharât-el-Kebirt et
Kl llu))aral-ea-S»rbira; te dernier village est entièrement peuplé par le)
Juii's, qui sont nuiiibreux rV Djc-rbn. Cette tlo n'est en somme qu'une
(grande oasis entuun-f? pur lu mer. Uien qu'il n'y existe ni sources, ni
cours d'eau, ni puiCa ariéiieus, et gu'un ou eoit réduit uniquement, pour
l'irrigatiou, aux puil» unliriaires et aux citeines, tes babitunts sont a^sex
laborieux pour entnrtentr |i;s cultures avec ces seuls moyens. Les pal-
miers ne donnent que des fruits sans valeur, le rlinmt étant trop tem-
péra pour permettre aux dattes d'arriver au degré de maturité ou, pour
parler plus exactemeul, de cuisson, qui lus rend comestibles-, mai« lei
oliviers ont une végétaliou miigiiitlque. Ou en couipte officielieiuent
din« l'Ile 35t}0'Ki, et m rlillTre est probablement iuférieur A la réalité.
Parmi eux se Ironvent le» iiln* l>caux olivieri de toute l;i Tunisie et peut-
Ar SOUDAN.
211
notes, et ils regardent cette localité comme étant l'ancienne
Du port ainsi déterminé partirait, suivant noire projet,
ane ligne de chemin de fer desservant la plaine de l'Aarad
dans toute sa longueur jusqu'au nord de Gabès, c'est-à-dire
jusqu'à Oudref, et allant, de là parGafsa et Feriana, se rac-
corder avec le Ironçon algérien, déjà exécuté, de Tébessa à
Soukabras el Bûne; celte ligne pourrait émettre des era-
branchements desservant, l'nu le Nefzaoua (ligue de Gabès
aa Nefzaoua), et l'autre le Djérië (ligne de Gafsa à Tozeur).
Mais en outre ce mCme port serait le point de départ de la
ïûie de pénétration dans le sud, passant par Rhadaniès et
Rhal, dont nous avons indiqué le tracé général.
il serait intéressant d'exposer ici en détail le tracé du
premier tronçon, celui qui joindra la côte h ilhadamès.
Cette partie de la ligne est la plus délicate et en même temps
celle dont l'inléréf est le plus immédiat. C'est la seule sec-
lion de cette grande route saliaricnne, qui à mon avis,
pourrait raisonnabiement, dans un avenir prochain, être
établie à l'état de voie ferrée.
I.a traversée de la plaine de la Djefara, celle du massif
montagneux des Oudernas, dont les pentes sont escarpées,
*lre de loule l'Afrique. l'rùs du village li'ïA Uahnrat-es-SerhirM, la mule
d'Houmt-Soult à Uouinl-Cedouikcli passe au milieu J'un g:i'i)upe nom-
breux d'oliviers tous à iieii pifcs ilu même iige. el dont l'un mesure
tfi mètre» de tour (diinension prisu sur le it<tac, :i hauteur U'Iiomine). Phi-
ticurâ arljru voisins, ég^ilernent sains, ;ont des troncs i|ui mesurent de
J4 k 15 mètres dejcircoufàronce. La proiJuctii'ii do ces arbres est ronsi-
4^riible, et il y a là tous los éléiiients d'une itulusirie importante, la fa-
kricalionde l'huile, lyai jusiiuVi présent estcncnre à l'état rudlmenlaire,
taûi que l;i'créatitin d'un poi't coDlribuerait à duvflapper.
t. Cf. S. Reinach et K. Bahelitn, Fteclierchr.s o'-chêolngiqiies en Tunisie
(JJ(S3-tilj, Pari", l«*li (V.KiraUûM flutlelin arcliévluyiijue liu Comité des
Tnvaux hiitoriquti el ncienlifiques, lS86).
212 LES ROItTKS DK L'AF^QIE SEPTENTHIONALE
mais qui présente des trouées singulières, dues à des éro-
sions et dont il est possible de profiler pour le passage de
la ligne, enfin la descente vers Rhadamùs, sur le revers mé-
ridional de ces montagnes, sont des problèmes qui pré-
sentent plusieurs solutions et que j'ai eu l'occasion d'étu-
dier pendant ces dernières années. Mais un exposé des tracés
possibles serait ici prématuré, pour plusieurs molifs, dont
le principal est <iue ces éludes seront, il faut l'espérer, conti-
nuées, et qu'il est inutile de les entraver en donnant l'éveil
à des susceptibitilés politiques qui, pour être mal fondées,
puisqu'un chemin de fer ne peut être qu'utile à la prospérité
matérielle des pays traversés, n'en sont pas moins vives.
Hhadamès est en effet un point près duquel passe, théo-
riqueraenl, la frontière commune de l'Algérie et delaTri-
politaine. On sait que ces deux contrées sont supposées
devenir limitrophes, au sud de la Tunisie, qui, toujours
ttif'oiiquemenl, s'avance beaucoup moins loin qu'elles vers
le sud.
Or, pour atteindre Rhadamès par l'un ou l'autre des
tracés dont il vient d'ûtre question, la ligne présente un
inconvénient, c'est de passer sur des territoires qui ne sont
pas soumis à la domination française cl qui sont, comme Itha-
damcs môme, officiellement subordonnés ii l'autorité turque.
Cet inconvénient est sérieux, et c'est ce qui m'a conduit
à chercber, en 1H8G, IH87 et 1H88, s'ii n'existerait pas, au
sud du choit Djérid et plus à l'ouest que les parages dont il
s'agit, un thalweg affluent de ce grand cliolt, parallèle h
righargliar, et pouvant servir de voie de pénétration vers
le sud, c'est-à-dire vers Uhadamés. En efiel, quoique la di-
rection initiale suivie pur les caravanes qui autrefois allaient
à Rhadamès, soi!, au début, par rapport A la Tunisie, celle
du sud-est, celle direction apparente est due au détour fait
pour éviter le désert de l'Erg et les montagnes qui limitent
TAarad. En réalité Rhadamès est situé directement au sud
de la Tunisie, par 0* 13' de longitude est, c'est-à-dire que
Ai; soi: DAM.
213
son méridien est à peu près le même que celui d'E! Guettar
ri passe à l'ouest de Béja.
Dans ces conditions, si la pointe méridionale du choit
Djérid avait été l'embouchure d'une vallée coulant du sud
au nord, et permettant de traverser les sables deFErgorten-
lal, il aurait pu être avantageux de la suivre, pour éviter
toute difficulté relative à des questions de frontière.
A première vue cette hypotbèse paraissait très probable.
Si en eflel les cholLs ont été à une certaine époque des bas-
iios d'évaporation pour les earix de fleuves venus de l'int*^.-
rieur et aujourd'hui taris, comme paraît le prouver la croûte
saline qui n'est qu'un résidu de celle évaporation dans des
bassins fermés, il est naturel de supposer que chacun de
ces bassins a dû être alimenté par des aftîuents d'une im-
portance proportionnée à sa propre surface. C'est ainsi que
le choit Hharsa recevait et reçoit encore l'oued Baiech, et
que le chott Melrhirh reçoit ou recevait i'oued DJeddi et
l'oued Igharghar grossi de l'oued Mia. Le chott Djérid, qui
esl le plus grand de tous, ne recevait aucun afiluentdu côlé
du nord ni de l'est; il n'en pouvait donc recevoir que du
rôle du sud. Sa forme actuelle, lerminée en pointe vers le
sud et présentant de ce côté des golfes el des déchiquetures
en grand nombre, semblait l'indiquer.
Tous les oueds parallèles, coulant vers l'ouest, et descen-
dant du revers occidental du massifdes Troglodytes, allaient-
ils, avant d'être ensevelis sous les sables, jusqu'à la vallée
de righarghar, ou bien étaient-ils drainés par une grande
artère parallèle à celle-ci et aboutissant au chott Djérid
actuel ?
Malheureusement les recherches attentives et suivies que
j'ai faites, pendant trois années consécutives, dans celte
contrée jusque-là si peu explorée, m'ont donné la preuve
qu'un pareil Ihalvi'eg n'existe pas. S'iia existé, il a été barré
par les dunes modernes qui ne permettent pas d'en recon-
n:iitre la trace et qui, dans tous les cas, ont modifié le relief
244 LES nOlfTKS de l'aFRIQ! K SEPTKNTitlONALE
du terrain de telle sorte qu'il ne reste plus de vallée que
puisse suivre une route et que l'ou puisse jalonner par des
puits.
Les ouvertures qui subsisLent enire les dunes ou plutôt
entre les petits monticules de sable riverains du chotl Djérid,
et qui présentent un faux aspect d'embouchures d'anciens
affluents, ne sont que des apparences accidcnlelles. Ce sonl
desimpies intervalles où la croûte saline du chotl reste à
découvert entre les dépôts sablonneux apportés par le vent
à une époque moderne. Ces dunes se sont formées récem-
nienl à la surface du chotl qui, à une date peu reculée,
s'étendait au sud et surtout au sud-ouest beaucoup plus
loin qu'il ne le fait aujourd'hui. Il devait comprendre toute la
grande plaine du Rogaa et s'étendre même bien au delà des
limites decettepîaine, sous les dunes modernes du Kreb. Les
recherches que j'ai lai tes dans les pnils de cette région m'ont
permis de constater l'existence d'une croûte saline continue,
formée de fçypse et d'autres sels agglomérés, et qui n'est
autre chose qu'une ancienne croûte de choit, recouverte
par des dépôts récents.
Quant à ia manière dont le chott Djérid était alimenté,
c'était, à n'en pas douter, par une communication avec le
chott Melrhirh;celie-ci devait se faire au moyen d'un large
passage, à travers le pays occupé aujourd'hui par des sables
dont le dépôt est moderne. La communication avec ie chott
Rharsaest beaucoup malus probable, car l'isthme séparatif,
composé de bancs de grèsj de sables et de bancs de gypse,
parait de formation ancienne, et son altitude est assez consi-
dérable. Le point le plus bas de l'arèle séparative des deux
bassins, ie col de Mouï Sollhan, est encore à une hauteur de
iO mètres au-dessus du niveau de la mer, soit prés de
60 mètres au-dessus du niveau actuel du choit Rharsa.
I
i
4
A« SOBDAN.
2i5
XI
résumé, au point de vue spécial qui fait l'objet pria-
cipal de cette élude, mes conclusions sont ccties^ci :
Sans renoncer à établir des communications entre l'Al-
gérie et le Sénégal par te Tonal et Timbouktou, nous
cesserons de chercher dans nos postes avancés du Sud algé-
rien» les tôles do ligne pouvant servir à atteindre le Soudan
rentrai et le bassin du lac Tsad.
Ceci ne signifie pas que nous devions cesser de viser In-
salah, dont la possession nous donnera la route de Tim-
bouktou» et reliera noire colonie du Sénégal à l'Algérie : je
dis seulement que cette ligne rie jonction, qui pourra avoir
un grand intérêt politique, pourraétre une ligne stratégique,
utile à notre influence, mais ne sera jamais une grande voie
commerciale.
Nous abandonnerons la route de Tnuggourt i El liiodh
elAmguid, qui constituait une solution très suffisante et
ême la solution unique de la question de pénétration au
oudan central, lorsque dans le nord de TAfrique nous ne
possédions que l'Algérie. Nous profiterons de ce que nous
possédons aujourd'hui la Tunisie pour ouvrir plus à l'est
une ligne de pénétration, évitant la traversée des sables
de l'Erg et ayant pour tête un point accessible par mer.
CI Nous créerons, entre Gabès et la frontière tripolilaine,
un port, en l'un des points énuraérés ci-dessus (Gourme,
Bou-Grara, Zarzis, El Biban). Le golfe de Bou-Grara paraît
être le plus avantageux.
L Partant de ce point et suivant l'une des grandes trouées
naturelles qui permettent de traverser le massif montagneux
qui limile à l'ouest et au sud-ouest la plaine de la Djefara,
nous établirons une ligne de communication permanente
avec Rhadamès.
216 LES ROUTES DE L'AFRIOOE SEPTENTRIONALE AU SOUDAN.
Nous reprendrons, par des moyens autant que possible
pacifiques, mais avec la ténacité que doit justifier notre
droit naturel, cette route du 7* degré de longitude est,
qui passe par Rhadamès et par Rbat. Nous occuperons un
jour Rhadamès, nous occuperons Rbat, et, à l'abri de notre
drapeau, les caravanes pourront aller librement de la Médi-
terranée au Soudan.
-»CJ9^a^3*-»—
DE LIMA A IQUITOS PAR LE PALGAZU
LK CORDILLÈHE DE ni.VCHON, LES CERHOS DU YVSACHAGA
LK niO PACHITEA, LE l'AJONAL
NOTES C;Éni,HAPinQl'ES
Par OLIVIER ORDINAIRE
Aperçu général. — Les vnyagienrs qui nul h se. rendre do
Lima à Iqiiilos, capitale de l'Amazonie pcrtivienne, passent
encore par Moyobaniba, c'est-à-dire par le chemin primitif
que les canquénvnls espagnols ouvrirent sans autre but ou
vue d'ensemble que d'aller à ta recherche de l'El-Dorado.
La voie que j'ai suivie, dans mon récent voyage à travers
l'Anaérique du Sud, par les rios Palcazu et Pachitea, est,
de Lima à Iqiiitos, d'environ 80 lieues plus courte.
La question des moyens de communication entre la côte
lu Pacifique et l'Amazonie est de première importance
pour le Pérou, qui peut trouver dans ses territoires de la
>lonlaila si puissamment fertiles, si féconds en produits
naturels de grande valeur, la compensation de ses guanos
épuisés et de ses salpêtres cédés au Chili.
Or, de l'élude comparative des explorations qui ont eu
lieu depuis deux siècles et de mes propres recherches, je tire
les conclusions suivantes :
V Le port fluvial le plus rapproché de Lima oh puissent
nbotitir, <:n toutes saisons, des canots venant de l'Amazone
est sur le rio Palcazu, près du confluent de celte rivière avec
le rioChuchurras;
'2" Le port fluvial le plus rapproché de Lima où puissent
tibiiutircn toutes saùons des rapeurs venant de l'Amazone
218 DE LIMA A IQLITOS PAR LE PALCAZU.
estsurlerio Ucayali, soas le dixième degré de latitude
sud.
C'est à rUcayali môme que doit aboutir la grande route
commerciale reliant la capitale du Pérou à l'Amazooie, et
celle route devra, comme je l'ai exposé dans une étude pu-
bliée par la Société de Géographie commerciale au mois de
mai 1884, traverser le grand Pajonal.
Le Palcaîîu et le Pachilea n'étanl généralementnavigables
que pour des canots, la roulfs indiquée par le bassin de ces
rivières ne sera qu'une voie secondaire, une sorte decliemin
de traverse.
Mais, à ce point de vue même, elle présente sur celle de
Moyobamba de tels avantages et coûterait si peu à établir,
qu'il esl vraiment surprenant qu'elle ne soit pas pratiquée
depuis longtemps. La longueur du chemin k ouvrir étant
de 13 lieues seulement, ia dépense serait vraisemblablement
inférieure à celle qu'il faudrait pour mettre en état de via-
bilité les parties du sentier de Moyobamba comprises entre
Chacbapoyas et Balsapuerto, où l'on ne peut actuellement
voyager qu'à pied, et non sans danger.
J'ai dit que la voie du Palcazu, corapaiceà cellequi passe
par Pacasmayo, La Viiia, Chacbapoyas, Moyobamba et
Balsapuerto raccourcit de 80 lieues la distance totale de
Lima à Iquitos. Or, cette difJ'érence en moins porte pour
72 lieues sur les dislances à parcourir à dos de mule ou de
cheval.
En effet, de La Vifia, où aboutit le chemin de fer de Pa-
casmayo jusqu'à Balsapuerto, où l'on peut s'embarquer en
canot, on compte 125 lieues, tandis que par la voie que
j'indique, de Chicla, oîi aboutissait, lors de mon départ du
Pérou, le chemin de fer irwsrtHdiHo, jusqu'au port du Pal-
cazu, il n'y a que 53 lieues.
Cet aperçu esl suffisant pour faire ressortir les raisons
qui m'ont fail adopter, dans mon itinéraire, la voie du Pal-
cazu, l'une des moins connues de l'Amérique méridionale.
I
DE LIMA A IQDITOS PAR LE PALCAZU. 219
Sans faire entrer en ligne de compte mes explorations
accessoires, j'ai parcouru les distances suivantes qui sont
celles de la ligne directe :
En chemin de fer.
licucsl.
Du Callao à Lima 2.60
De Lima à Ghicla 25.40
Total 28.00
A cheval.
De Chicla à Garahuaro H
De Garahuaro à Ninacaca 12
De Ninacaca à Chipa 6
De Chipa à Tambo del Arroyo 6
De Tambo del Arroyo à Huancabamba 5
Total iO
A pied.
De Huancabamba au confluent des rios Chu-
churras et Palcaza, lieu dit Port Gonzales. . t3
En canot.
De Port-Gonzales àrembouchure durio Mayro
sur le Palcazu, lieu dit Port Mayro 6.67
De Port Mayro au confluent des rios Palcazu
et Pichis (naissance du Pachitea) tl.H
De l'embouchure du Pichis au confluent du
Pachilea et de l'Ucayali A7.77
Total 65.55
En bateau à vapeur.
De l'embouchure du Pachitea au confluent
des rios Ucayali et Maranon (origine de
l'Amazone) 207.71
De l'embouchure de l'Ucalayi à Iquitos. . . . 24.13
De Iquitos à Tabatinga (frontière du Brésil). 98.46
De Tabatinga au Para (embouchure de l'Ama-
zone) 632.89
Total 963.49
1. La lieue dont il est ici question est d'un vingtième de degré ou
cinq kilomètres.
'^IS» DE LIMA A IIJUITOS PAK LE i'ALCAZU.
RécapUulatiOH.
Ii«ucs.
ËQ chemin de fer 28
Aciieval 40
A pied 13
Eu canot (mJm
En bateau à vapeur 963. 4!J
Total général rcprésenlant la distance du
Callao à l'embouchure de l'Ainazone par
le rio l*alcazu I . I ILVÙI
De Niuacacti à Hïtancabanibu. — Ninacaca est un village
du plateau de Junin, à 7 lieues au sud-est du Cerro de
Pascoetàralliliide de 4,014 mètres. Entre Lima el ce vil-
lage, le chetnin de lluancabaniba se confondant avec celui
du Cerro de Pasco, i'un des plus fréquentés et par consé-
quent des plus connus du Pérou central, je ne parlerai pas
do celte première partie de son parcours.
Le mol Ninacaca signifie en langue quichua Roche de feu.
Bien que la plaine de Junin soit entourée d'un cordon de
montagnes, la foudre y tombe plus fréquemment peut-être
(|ii'cn aucun autre lieu du monde. On assure qu'elle y fait
en moyenne une victime humaine par an. Les orages, qui
couvrent souvent le sol d'une épaisse couche de grêle,
éclatent du mois d'octobre k la fln de mars et de trois à
dix heures du soir. Il estextrèmementrareque l'on entende
sur ce plateau le tonnerre gronder avant midi.
La pampa de Junin est couverte de pâturages naturels.
Le seul végétal que l'on y cultive pour ralimenlation de
l'homme est !(t niaca, plante .'i racine tuberculeuse, d'une
saveur sucrée agréable. L'orge ne peut mûrir à cette hau-
teur, mais on l'y sème encore comme fourrage. La maca
tient du navet par sa forme, de la poranie de terre et de la
camote ou patate douce par son goût. Sa culture donne les
meilleurs résultats sur le pourtour du grand lac de Junin
ou Chinchaïcocha, d'où elle est vraisemblablement origi-
DE LIMA A IQUITOS PAR LE l'ALCAZU. 221
Daire. Etant donnée la température relalivement froide qui
lui convient, il semble que la maca pourrait ôlre acclimatée
sur cerlaines monltignes de France, où elle serait précieuse.
De Ninacaca à Htiaiicabambii existe un sentier passable-
menl entretenu par les liabitants des hameaux et des
haciendas situés sur son parcours etqui n'ont pas d'autre voie
de communication avec le Cerro de Fasco, où ils expédient
leurs produits à dos de mule ou de lama. Ce sentier sort de
la pampa de Junin en traversant son bourrelet de e^rros,
au nord-est de Ninacaca, ù. l'altitude de 4,350 mètres. Puis
il s'engage dans le val du Quiparacra, qu'il suit depuis son
origine jusqu'au hameau de Chipa, qui n'est plus qu'à
3,442 mètres.
Dans ce trajet de (i lieues, le voyageur passe de la région
de Vichu ou des plantes à tiges naines dans celle des arbris-
seaux, dont les branches lleiiries, aux vives couleurs, font
un heureux contraste avec la monotonie grisedes pâturages.
A Chipa, le (juiparacrn, qui n'est encore qu'un ruisseau cou-
bnl dans un ravin pittoresque, change sa direction primi-
1* tîve qui était celle du nord-nord-est et tourne à l'est-sud-
esl pour aller se jeler dans le Paucartainbo. Le sentier le
quitte alors et entre par une peute raide dans le val d'Aûil-
Cocha, autrement dit val du lac Bleu, où il reprend sa
direction vers le nord-est jusqu'à la cordillère orientale
connue sous le nom de sierra de Huachon. Le lac est au
pied même de cette barritVc, dont il réfléchit dans son mi-
roir d'une admirable limpidité, les lianes escarpés et les
cimes blanches. La sierra do Huachon est l'une des plus
hautes du Pérou central.
Au bord du lac je relevai îî,830 mètres d'altitude, et
iur le col 4,428. De cette hauteur s'élancent encore des
pics d'une élévation considérable.
Si mon baromètre m'a fait commettre une erreur, elle
|doilètre plutôt en moins qu'en plus, car le col est sur la
limite des neiges éternelles, qui, dans celle région du Pérou,
i22 BE LIMA A lOllITOS PAIl IK PALCAZC.
ne descend guôre au-dessous de 4,500 ixiùlres. Le sentier
est dominé de très près par ces neiges dont les masses sur-
plombantes ont une couleur bleuâtre qui indique un com-
mencement de formalioii glaciaire.
Malgré les escarpeturnls de celle cbaine, on peut la fran-
ciiir h cheval sans mettre une seule fois pied à terre.
Au milieu des roches abruptes du versant oriental dor-
ment plusieurs peLils lacs. C'est de là que part le rio de
Huancabamha, qui descend vers l'esl-nord-est et que le sen-
tier côtoie ou domine jusqu'au pied du cerro de Yana-
chaga. De Tumbo del Arroyo, oii commence la forêt, au
hameau du Lucuma, où .^'élargit la vallée, il descend à Uanc
de coteau sous l'ombre des heliconias, des palmiers, des
cecropias, des ficus et autres essences caracLéristiques de
la Montaûa.
La tûtigueur moyenne de la vallée de Huaucabaraba,
dans sa partie basse el piate, est d'environ 3 kilomètres; son
altitude au hameau de Tiago, c'est-à-dire au coulluent des
rios Huancabamba et Chorobamba, est de i,a88 mètres.
Son climat, rafraîchi par des brises régulières, est aussi
agréable que saluhre. Ses deux versants sont moitié boisés,
moitié couverts de hautes herbes, comme le Pajoual, dont
je parlerai tout k l'heure. Klle est beaucoup moins fertile
que la vallée du Ghanchamayo, particulièrement dans les
espaces que n'a pas occupés la forôt. La canne à sucre y
donne des résultats relativement médiocres.
Ses principaux produits sont : 1" le maïs, base de l'ali-
mentation des Indiens de la sierra; 2" la canne k sucre; 3" le
café, mais en quanlilé beaucoup muindre.
Les indigènes cultivent encore pour fttre consommés sur
place, outre quelques-uns de nos légumes, les yuccas et les
arracaclias, racines farineuses. Làt'st précisément la limite
entre le climalqui convient au manioc ou yucca et celui qui
permet la culture de la pomme de terre. Excellente dans
toutes les vallées de la Cordillère occidentale et sur le ver-
%
DE LIMA A lOUlTOS PAU LE PALCAZU. 223
tant oriental, entre les altitudes de 2,000 à 3,100 mètres, la
précieuse solanée, originaire du Pérou, ne donne plus à
Huancabamba qu'un très médiocre alitnent*.
Si le sol de Huancabamba, comparé à celui des autres
kisiins de celle région, doit être, sous le rapport de la puis-
sance productive, classé dans un rang inférieur, ses pâtu-
rages naturels, permettant l'élevage de la race bovine, sont
pour le colon une compensation sérieuse. Tandis que les
lamas ne peuvent descendre dans la vallée du Ghancha-
mavo que jusqu'au village de Palca, sur la limite des forêts
cl à l'altitude de 2,700 mètres, il vont chercher leurs charges
i 1,100 mètres plus bas dans la vallée do lluancahamba, où
ils trouvent toujours une pâture suffisante.
La colonie de lluancahamba, beaucoup moins imporlanle
que celle du Clianchamayo, se compose des deux hameaux
deLucuma et du Tingo et de quinze haciendas ou fermes y
compris celles de la vallée adjacente de Chorob;imha. Sa
population, en majeure partie de race quichua,peuts'élever
Ji un millier d'habitants. Par ses relations avec le Cerro de
Pasco, où elle fait tous ses échanges, la vallée de Huanca-
bamba appartient encore au Pérou du Pacifique. Elle est
léparée du Pérou de l'Amazone par le Yanachagu, chaîne
iacerros qui s'élèvent entre le bassin du Pozuzo, dont lerio
Huancabamba est Iribulaire, et la pampa du Palcazu.
De Huancnbamba au Palcazti. — Pour aller de Huanca-
liamba au rio Palcazu, deux voies peuvent Stre suivies :
!• celle qui passe par la colonie allemande du Pozuzo et
t. Le nom pri;iiitil dfi la ponitiio de tnireesUe mol.qiiichiiapff/iff, qui
» prévalu au Pùruu, même parniL les population» l'uropéeanes, sur cnlui
lie patata qui sert pluliM il dési^uer lo tubercule de eaveui' aucréo
(uDaii aus.«i sons le nom dis camote. Dans \e dépdrtoineitt âa Juntn, les
Indien* cultivent trente variâlt^s de pumines du terre : la plus estimée
in» Européens est la jittpa amarilia, hvoïiIp et d'un jaune d'or, IjC» iiiiii-
{iine» préfèreal la itiiiutin et la Mri, très-riche» eu fécule et qu'ils
ontr.miiicnl de préréreiii^e suus forme de chuno, c'est-à-tliro apt'ès les
ttoir fait bouillir, puis geler au jcrand nir.
224 DE LIMA. A IQUITOS PAU LE l'ALCàZC.
aboulit au Palcazu, à l'embouchure du Mayro; 2° celle qui
franchit directement la Yanachaga, traverse le petit rio
San José et aboulit au Palcazu, à l'embouchure du Chu-
cliurras.
Cette seconde voie a sur la première l'avantage de réduire
de 6 lieues environ le trajet à faire dans la montagne, ou la
longueur du chemin dp tierradura qui reste à établir.
Pour aller deHuancabarabaauPalcuzu pai' le chemin ii°l ,
il faut d'abord atteindre le confluent des rios Huancabamha
et Pozuzo, où se trouve la colonie allemande. Et pour cela
on est obligé de gravir une première fois le Yanachaga eldo
redescendre sur le même versant, le rio Huancabamba étant
1res encaissé dans celte partie de son cours. De Pozuzo à
Port Mayro, il faut gravir une seconde fois et escalader le
Yanachaga en passant pas le Mirador, Tuo de ses cerros les
plus élevés. Du hameau de Tingo à Pozuzo l'on compte
9 lieues qui exigent de trois à quatre jours de marche, et do
Pùzuzo i Port Mayro 10 lieues.
La colonie de quarante-cinq familles allemandes qui
s'est établie, il y a vingl-ueufans, au bord du Pozuzo, est très
réduite et diminue chaque année. Quant aux Indiens Amages
qu'on y découvrit en 171:2 et aux colons espagnols et
quichuas qui s'y installèrent à cette époque, ils ont disparu
sans laisser aucune descendance. La dépopulation actuelle
du Pozuzo et le complet anéantissement de ses premiers habi-
tants connus s'expliquent pas ce fait que les neuf dixièmes
des enfants engendrés dans cette étroite québrada, quelle
quesoil leur race, naissent goitreux et crétins. Le sentier qui
fut ouvert k plusieurs reprises de Pozuzo i^ la ville de
Huanuco, dans la sierra, a toujours été en très peu de temps
envahi et complètement elfacé par la forôt, comme si la
nature voulait interdire ii l'homme l'enlrée de cette funeste
vallée.
De mCme que le chemin n° 1, la ligne n°2 que j'ai suivie
quille le rio Huancabamba, pour gravirles pentes du \ana-
DK LIMA A tnttTOS TAIt IK TAIXA/T. 225
ri);ig<l, au coude que failla rivit-re [irèsdu hameau deTingo.
Sur l.'i crêle de la montagne, au col de Cajon Pat;i, elle
iifurque avec le chemin duPozuxo pour se diriger à l'est et
descendre dans la pampa du Palcazii, nfi elle traverse,
avant d'arriver à Porl Gnnzal*?s, plusieurs petits affluents du
rio Chuchurras, entre autres le ruisseau auquel on a donné
le nom de San José et qtii coule au pied même dd Yanachaga.
Pour trouver une voie plus facile ou plus courte, ce n'est
pis au nord de Gajon Pata qu'il faut cberclier, mais à deux
ou trois kilomètres au sud, où existe dans la montagne une
dépression que les habitants du pays nomment !u abra del
Yanachaffn. Celte dépression est l'origine du vallon de
Santa Bosa qui ahoulit dans la vallée do Chorobamba. Je
ne fais qu'indiquer ce passage comme pouvant être l'objet
(l'une élude utile.
A vol d'oiseau, la longueur du trajet que j'ai parcouru de
Tingo au Palcazu est de 9 lieues. En tenant compte des
détours et lacets obligés dans les parties les pins abruptes de
la montagne, la longueur réelle est de 13 lieues.
D'après mes observations, les altitudes sont les suivantes :
niàlret.
Tingo 1588
r.ol de Cajou l'ata.. ï!l)-2G
Uto Sun José à rcntivcroiscmcul de la ligue suivie. i.*.Hl
Port (jonzales 347
l'urt Mavro ^'M
Le massif du Yannchaga est couvert de forôts partout oii
l'inclinaison des roches permet ;\ l;i végétation fie prendre
racine. Son versant occidental est sillonné de ravins où
croissent de superbes fougères arborescentes qu'on ne
retrouve plus sur la pente opposée. En revanche, sur le
rt'vers orienlal, à partir de l'altitude de 1,100 mètres jusqu'au
b;is des uerros, apjiaraît (e .w/j//0(r«w/»!;fî<v ffï?tc/(o, arbre h.
caoutchouc proprement dit, et le pus seringue qui donne la
soc. BE CKOCB. — i' ItUME.-^IKt 1890. XI, — l.i
226 DK LIMA A IQUITOS PAR LE PALCAZO.
gomme f5ne du Para. Il rae fallut huit jours pour aller de ,
Huancabamba au Palcazu, y compris un jour entier consacré
à franchir, dans la pampa, le courl espace de 'S kilomètres
entre le rio San José et le rio Victoria où la forêt avait été
transformée par un orage en un indescriptible chaos. Tarti
du Tingo le i novembre 1SS5 dans la matinée, j'atteignis
CajoQ PaLa, le 0 au soir. Le col, de même que les cimes les
plusvoisines, est presque toujours enveloppé de nuages ou
voilé par la pluie. Il pleuvait lorsque j'y arrivai; l'eau
ruisselait de tous côtés, même sous l'nbri de branches où je
passai la nuit, et mes Indiens eurent toutes les peines du
monde à allumer du feu, le bois mort qu'ils purent trouver
étant imbibé jusqu'à ta moelle. Mais, te lendemain, au lever
du soleil, j'eus la bonne fortune de contempler le panorama
par un ciel clair. Les Andes forment, dans celte partie du
Pérou, une série d'ondulations avec des plissements ana-
logues à ceux des vagues de l'Océan dans la tempête. Les
grandes vagues du système, sortes de prororocas arrêtées
dans leur course et dont les hauteurs vont en décroissant de
l'ouest à l'est, sont, à partir delà grande chaîne des Andes :
a sierra de Huachon, tes monts Yanachaga, les cerros de
SanMatias, qui séparent le Palcazu du Pichis, et plus loin,
invisibles de mon observatoire, les collines de San Carlos,
qui dominent l'Ucayali. Entre le Yanachaga et les cerros de
San Matias s'ouvrait devant moi la pampa du Palcaxu, formée
elle-même d'une suite d'ondulations secondaires dont
l'ensemble, vu de haut, est d'une régularité frappante. Ces
immensités couvertes de forêts confondaient à l'horizon
leurs teintes bleuâtres avec l'azur pâle du ciel.
Si Cajon Pata n'est qu'à 400 mètres environ au-dessus
du Tingo, il est à plus de l,tiOO mètres au-dessus du rio
San José, et sur le versant oriental, heureusement coupé
par quelques plates-formes ou gradins, les pentes sont
généralement plus raides que sur l'autre. En descendant
j'étais obligé de me retenir à tout instant aux branches et
1
DE LIMA A HiUITOS l'AU LE PAf.CAZL', 227
.tiiï racines des arbres et j'arrivai au bas de la moDlagne, les
tùns ensanglantées.
J'ai dit que la Pampa n'est pas une plaine, comme son
nom semblerait l'indiquer. Du ruisseau San José au rio
Paicazu les moulées alternent régulièrement .ivec les des-
centes, el dans les sinus de toutes ces ondulations coulent
des ruisseaux ou des rivières. Les plus importantes sont le
no Victoria et le rio Lorenzo, que je pus racilemenl traverser
à gué. Cette large vallée du Patcazu, où l'ouragan boule-
verse parfois la forêt, comme la grôle un ciiamp de blé, est
généralement dans un calme absolu. Les brises qui passent
sur rUcayali n'arrivent pas aux cubeceras duPalcazu, oii le
vent ne souffle qu'aux approches de la pluie.
Les Indiens Quichuas d'abord, les sauvages Campas en-
suite, m'accoutumèrenl àla coca. J'avais constamment dans
la bouche ma pelote de feuilles uù j'introduisais de temps
à autre, au bout d'une baguolle, un soupçon de chaux ou de
cendre alcaline. Je recommande à mon tour aux alpi-
nistes cet usage dont je n'ai eu qu'à me louer, particuliè-
rement pendant la traversée du Yanachaga. On sait que la
coca atténue ou endort les sensations de la taim et de la
soif. Or, l'extrême fatigue peut faire oublier la faim, mais
non la soif. Et ce n'est pas un mince avantage que d'êlre
prémuni dans une ascension, surtout en pays chaud, contre
la perpétuelle tentation des sources Jraîcbes et des casca-
telles cristal lines.
Les Campas me firent connaître un végétal de la Pampa
du Palcazu qu'ils considèrent comme plus précieux encore
tjue la coca, dans tous les cas où l'homme est obligé de
lutter contre la Fatigue. Ce réconfortant se nomme le
chumayro. C'est une liane qu'on trouve habituellement
dans les fourrés tt dans les coins sombres de la forêt, où elle
.iUeiat la grosseur du bras. Les sauvages la coupent lorsqu'elle
l'épaisseur du doigt et aussitôt ils en détachent l'écorce,
t la seule partie utilisée. Ils font sécher cette écorce au
228 DE LtWA A H.1UIT0S PAU LE PALCAZU.
soleil pendant Irnis ou (jualre jours, puis ils la lient en
pclils ragots. Il ne leur reste plus, avant de la consommer,
qu'à enlever avec l'ongle ou au couteau les rugosités d'appa-
rence calcaire qm la couvrent plus ou moins.
Les Campas mâchent l'écorce de chumayro avec la coca,
ou, s'ils n'ont pas de coca, avec la feuille du premier arbre
fruilier venu, du bananier par exemple. Ils supportent plu»
dilticilcment la privation de coca que celle de chumayro.
J'ai rapporté en France quelques échantillons de cette
plante- dont il sera très intéressant et utile de faire l'analyse
et d'édidier les propriétés médicales. Elle ne se trouve pas
dans toutes les forfils de la Monta ùa, et les Campas de
Quillasu et du Ghanchamayo font plusieurs jours de marche
pour aller s'approvisionner dans les fonMs du Palcazu et dti
Pichis.
Lorsque j'arrivai, le 1i novembre, au conlluenl des rios
Paleazu et Chnchurras, j'étais bien cetle fois dans le Pérou
de l'Amazone. La preuve en est que je n'eus plus qu'à me
laisser porter pour ainsi dire, d'abord en canot jiisqu'i\
l'embouchure du Pacbitea sur lUcayali, puis en Ivateau h
vapeur de ce point jusqu'à l'Atlanliquc.
Li vallée de Huancabamba fut découverte en 1057 par
les moines franciscains, qui ouvrirent à peu près tous les
sentiers allant de la sierra ;\ la Montana sauvage. Dans ce
temps-là ils descendirent du cerro de la Sal à Huanca-
bamba parla vallée de Cborobfimbn, puis de Huancabamba
à rUcayali. Aucun document no dit quelle roule ils sui-
vire^ntdans c<ilte seconde partie du voyage, mais on doit
admettre h peu près forcément que ce fut celle du Palcazti
et du PachiJea. On ne suivit leurs traces, en passant par
Huancabamba, (jue dcuv siècles plus lard. Kn iSôy et 1800
les liabitanJs du Cerro de Pasco, entraînés par leur prôlel
don Bernardo liermudez, (Jrent quelques sacrifices pour étu-
dier cette lif^ne. Ils ouvrireoL alors le sentier dont j'ai parlé
de Tinter) h Poziizu. Kl l'un d'eux, dou Esteban Bravo, (It
DE LUIA A IQriTOS l'AH \.E l»Al,CA/U.
!-0
«leiis expéditions — la seconde en compagnie du célèbre
père Calvo — pour chtrcher uo passage aboulissanl direc-
itQient au Palcazu. Les exploi-iileiirs descendirent, non pas
au Palcazu même, mais à sou afOuenl, \e Chuclviirrus. Enlin
«1 1880, le père Gonzaiès, prieur du convent d'Ocopa,
réussit à ouvrir une tranchée allant de Cajon Pata au con-
fluent des deux rivières. C'osl cette ligne que j'ai suivie
autant que possible, passant parfois sur la friïo étroile de
roches verticales. Très visible encore dans tout le massif
(lu Yanachaga, le sentier du père Gonzalès a été cornplite-
ment elïacé dans !a Pampa paria végétation et par les bou-
leversements de la forÈl. Mais dans celte jiartie du Lrajcl il
est avantageusement remplacé par les pistes qui unissent
entre elles diverses cabanes de sauvages.
Les religieux qui, de leur couvent d'Ocopa ou de leur
mission de Ùui'lîisu, nom d'un petit aflluenl du rio Choro-
bamba, "vont une fois par an à l'Ucayali, n'ont pas, depuis
I8SU, suivi d'autre voie. Divers habitants dtn^Huancabamha
ont aussi traversé le Yanachaga, attirés vers le Palcaxu par
la présence d'un cahuchero qui s'est établi à Port Gonzalès
ménie, au milieu des Campas, Enfin les Campas de Quil-
lasu et d'0.\apampa passent de temps à aulre par Cajon Pata,
allant visiter leurs frères duChuchurras et p&cher dans les
petites rivières de bi Pampa ou récolter le chumayro.
Du rio Cliuchurras <) t'Uaufali et à Iquilos. — April^s
(luelques jours de repos .\ Port Gonzalès, je m'embarquai
«lans une pirogue dont l'équipage se composait de cinq
Campas. Parti à buit betnes du malin, je passai, à une
heure tic relevée, devant l'embouciuire du rio Muyro ef,
presque aussitôt après, devant celle du Poiîuzo, dont le cou-
rant furieix et de couleur boueuse refoulait les eaux vertes
et calmes du Palcazu. De Port Mayro je descendis eu buit
heures à l'euTbouchure du Picbis, où je trouvai un autre
élablissenaenlde cabuchero. Ut jedus prendre congé de mes
rameurs Campas et me pourvoir d'une nouvelle embarca-
230
DE LIMA A IQUITÛS PAR LE l'ALCAZU.
tion. On peut aller du Pichis à l'Ucayali, c'est-à-dire de
l'origine du Pachilea k son embouchure, en deux jours et
deux nuits, quand la lune permet de naviguer la nuit. Pour
descendre, on garde géni5ralement le milieu de la rivière et
l'on se sert de la rame. Pour remonter, au contraire, on suit
tes bords, où le courant est moins rapide, et on emploie
la perche, nommée au Pérou botador. A la montée les
canote ne font guère que trois lieues par jour en moyenne.
Le chemin de traverse du Pachilea sera donc plus utile aux
voyageurs qui auront à se rendre de Lima à Iquitosqu'i ceux
qui seront obligés de l'aire le voyage en sens inverse.
pi>r lu'iiri;.
La vitessemoyenneduPachiteaesidc, 44i4 métros.
Celle du f^alcazu, du Chuchurras au
Miiyro, df 3704 —
El du Mayro au Pichis, de. 5"2tîî —
De Port GOQzaies au Mayro, le Palcazu forme une série
de nappes qui semblent dormir et que relient des courants
peu rapides.
Dans cette partie, la navigation en baise ou en pirogue ne
présente pas plus de difficultés que du Mayro au Paehite*.
Pendant les eaux basses, les embarcations chargées, même
les canots, sont obligées, dans certains passages, soit en
amonl, soit en aval de Port Mayro, de chercher le canal.
Si les petits vapeurs Ntipo et Putuniayo purent arriver
jusqu'au Mayro le 1" janvier 1867, il ne faut pas oublier
que cette époque de l'année est précisément celle des
grandes crues. Encore le Putumayo s'échoua en redes-
cendant, et pour se remettre à flot, il fut obligé d'attendre
pendant un an la crue nouvelle. Lorsqu'en 1873, l'amiral
Tucker voulut explorer le Pichis, il laissa ses vapeurs à
l'embouchure du Pachitea et partit en canot. Quant à
moi, je dois déclarer que ma pirogue s'engrava deux
fois, la première au même endroit que le Pntumayn, près
Echelltt I: 1.606^00 •
f« i« t« fa f9 *a M
Gfirbal fil en 179-4 du rio Pachitea, qui couîe, comme tous
les fleuves amazoniens, entre un double décor de forêts
géantes, et je reconnus les qualres séries de courants sam
riolence et sans danger que signale le moine explorateur.
Po«r les canots, le danger est moins d'échouer que de cha-
wgr en buttant contre les palizadas ou troncs d'arbres
932 DE LIMA A IQUITIIS PAR LE PALCAZl'.
engravés, souvent invisibles dansTeau trouble. Les collines
qui abouti^sentau rio, formanl entre elles de petits vallons,
ra'apparurenl comme le développement dusyslèmed'ondu-
lations que j'avais observé des cimes du Yanachaga. On n'a
plus à craindre aujourd'hui sur les rives du Padiitea la ren-
contre des Carapachos, <|ui tuèrent par surprise un des
compagnons du père Girbal, ni celle des anthropophages
Cashibos qui dévoièrent, en 17fi3, le père Frances et, en
18fJ6, les deux officiers de marine péniviuns Westet Tavara.
Les Carapachos ont complètement disparu, et le» Casliibos,
refoulés par les cahucheros, se sont retirés dans les vallées
de l'Aguaïlia et du Pisqui. Huit cents travailleurs environ,
Indiens et blancs, sont aclueïlement disséminés dans le
bassin du Pachitea, l'un des plus riches eu caoutchouc de
toute la Montafia. Si j'avais pu conserver des doutes au
sujet àei'innavigahilUé de ce fleuve pour den vapeurs, leur
fixpériencti m'aurait suffisamment éclairé. Ils m'apprirent en
elfel que his pUts petites laminas à vapettr qui viennent de
Iquilos chercher le caoulchouc, et dont les patrons ont inté-
rêt à reraouler les rlos second aires, où ils font des échanges
lucratifs, ne peuvent en temps ordinaire remonter le Pa-
cliilca au delà de Chonta-Isia, c'est-à-dire à huit lieues en-
viron de son embouchure. C'est par exception seulement,
du mois de décembre au mois de mars, qu'en profilant des
crues, elles s'aventurent plus haut et arrivent au Piehis. En
1806 apparut le premier pyroscaphe sur l'Ucayali, que des
steamers sillonnent maintenant deux fois par mois. Après
mes longues pérégrinations en pays sauvages, j'éprouvai une
vive émotion lorsque j'entendis sur ce fleuve, dans la soli-
tude immense des forêts, Tlialeine retentissante d'un bilteau
à vapeur. L'Ucayali donc étant connu, au moins dans sa
partie basse, je ne m'étendrai pas .sur le trajet compris entre
le Pachitea et Iquitos, me bornant à dire qu'à bord d'un
vaporciio l'on peut se rendre de l'un à l'autre de ces points
en quatre jours.
DE LIMA A igUITOS i'A.R LE PALCAZU. 233
En résumé, lorsque le sentier du Yanachaga sera prali-
ohle pour les bêtes de selle, on pourra faire l6 voyage de
Lima à Iquilos dans les conditions suivantes :
Jours.
De l^ima à Cliicla ('28 lieues en chemin de fer). 1
De Chicla à PartGonzales (.>t iiuues à chpval).. 5
De Porl Goiizales à TUcayali (en canol66 lieues,
chiffre rood) 3
De l'achilca A Iqnitos (en hatcau à vapeur,
232 lieues) 4
Total 13
Pour aller de Lima à Iqiiîlos en pass.int. par Moyobamba,
on n'enaploie pas moins, dans l'État actuel des sentiers, de
quarante à quarante-cinq jours. On voit par là de quelle
utilité serait lo chemin du Pachilea, particulièrement pour
le gouvernement péruvien, dont l'action ne s'est fait sentir
jusqu'ici que d'une façon très indirecte sur ses vastes torri-
loires de l'Amazone.
I.e Pajnnal. — Pour aboutir à un vi^ri table port, acces-
sible aux vapeurs pendant toute l'année, la roule solide,
chemin dfi fer ou chemin de herraduru (bon pour bittes
ferrées), doit aller directement de Lima à l'Ucayali en tra-
tersant le Grand Pajonal. En 18S4, sur la foi des explora-
teurs et des géographes, je croyais l'IJcayali navigable sur
toute sa longueur. Or, il est aujourd'hui prouvé par l'expé-
rience que ce fleuve n'est réellement navigable pour les
vapeurs qu'à partir de seize lieues environ en aval de l'em-
bouchure de l'Dnini, au sortir du dédale de petites îles qui
divisent son lit eu une infinité de caiiatix. Ce n'est donc pas
sur rUnini, comme je le proposais en 188i, que doit filre
l'embarcadère, mais à seize lieues plus bas, entre les lieux
dits Sbebuya et Cumaria, à peu près exactement sous le
dixième degré de latitude sud. Celle modification à mon
234 DE LIMA A IQIIITOS PAR LE PALCAZU.
projet primitif admise, les distances de la grande voie
commerciale de Lima h Iquitos seront les suivantes :
Jiiurs.
De Lima à Chicla (28 licuDS eu chemin Je Fit). [
De r.lùrla au l'io Paucartamho par la vallée du
Chanchamnyo (chemin ouvert, ligne de clie-
iiiiii de fer projetée, !1(J lieues à cheval)..., i
Du Paucarlnmljo au porl proposé sur TUcayali,
(chemin à établir, 35 lieues) 4
Du port à reinbouchure du Pachitea (59 lieues
en vapeur) 1
flu Pachilea à Iquitos (en bateau à vapeur :
232 lieues) 4
Total U
La route à parcourir à cheval, en attendant qaelecbpinin
de fer trasandino traverse les Andes, sera plus longue que
par la voie du Palcazn, mais elle aura l'avantage d'être pra-
ticable en tous temps et accessible à ses deux bouts, condi-
tions hors desquelles on peut dire qu'il n'y a pas de route.
Lorsqu'en 188-4 je publiai ma première étude sur la Mon-
taila, j'exprimai l'idée, contraire à l'opinion généralement
rei,:ue, que le Pujoual est un plateau. Je me basais alors
sur ce fait, entre autres, que le rio Péréné, dont M. Werthe-
man a dressé la carie, ne reçoit sur sa rive gauche que de
courts ruisseaux, fait incompréhensible si le Pajonaleût été
coupé par une série de quebiadas, où, sous un climat aussi
pluvieux, se fussent formées des rivières d'un débit plus ou
moins proportionnel à leur longueur. J'ai rapporté de mon
voyage la confirmation de mon hypothèse.
La Montafta péruvienne a été très visitée depuis quelques
années, grilceau caoutchouc.
Au Bré.sil, on récolte hxserintja ou gomme fine du Para
en exploitant les mêmes arbres pendant vingt ans.
Au Pérou, pour extraire le cahucho, Ton commence par
couper l'arbre, dont la souche donnera un rejet exploitable
DE LIMA A lOriTOS l'AR LE PALCAZ0. 235
Imq lour au bout de quinze ans. Il suit de là que le cahu-
cècro péruvien estesseiiliellemenl nomade et lend à s'élol-
(jursans cesse des régions habitées pour scruter de nou-
itlles forêts. C'est ainsi que !e Pajonul, qui est encore
usidéré à Lima comme le domaine exclusif de sauvages
Bgereux, a été dans ces derniers temps parcouru en divers
lens.
Au mois d'août 1885, don Presentacion G uerra, Péruvien,
lubitant actuellement au confluent du Pachitea et de
pUcayalî, remonta en canot le rio Ilnini, dont le lit est pro-
fond, mais semé de roches, jusqn'aa lieu désigné par les
rampas sous le nom de Toso, oii il y a de nombreuses habi-
tations sauvages. De là il gagna la cime du Pajonal en une
journée et demie, par un sentier bien frayé et de pente douce.
Ad sommet il trouva une plaine, en partie couverte de forêts,
en partie de pâturages, où apparaissent des troupeaux de
kœafs et de nombreuses cases de Campas. Elle est traversée
divers sentiers au bord desquels les sauvages entre-
lieonent des tambos, abris en feuilles de palmier, leur servant
lie haltes pour la nuit dans leurs continuelles excursions.
JAjant suivi avec ses guides Campas l'un de ces sentiers, don
?resentacion Guerra, après deux nouvelles journées de
rche, arriva à l'entrée du val dePiirkeae, qui aboutit dans
^!a vallée duPichis. Et pendant ces deux jours, par un beau
lemps, il ne vit à l'ouest aucune montagne s'élever entre lui
elles hauteurs qu'il connaissait du Chanchamayo, du cerro
delaSal et du Paucartambo. Le caoutchouc étant l'un de
ses produits naturels, le Pajonal ne doit pas dépasser l'alti-
lude de 1,000 à 1,100 mètres, et j'ai quelques raisons
le croire qu'il ne l'atteint pas. Je n'ai pas besoin d'insister
ter les avantages que présente cet immense plateau pour
roaverture d'une roule.
Outre sa maison du Pachitea, Don Presentacion Guerra
potsède un établissement à l'embouchure de l'Unini oii il
bit de constants échanges avec les Campas qui récoltent le
236 DE LIMA A IQUITOS PAR I.K WIXAZU.
caoutchouc à son intention. Avant de chercher lorlune au
milieu des sauvages, il avait accompagné Wertheman dans
plusieurs de ses voyages d'exploration.
Il y a peu d'hommesqui connaissentaussibien la Montana.
C'est un Français qui découvriL au siècle dernier le Grand
PajonaL Son notn est Jean de la Marque. Dans son Compendio
tiistorko, le père Amich lui consacre une notice spéciale,
Jean de la Marque vint d'Espagne au Pérou avec l'ingé-
nieur Albert de Mioson, entra en 1722 dans l'ordre des
Franciscains, et fut pendant dix ans l'un de ses plus infalU
gables et intrépides missionnaires.
« Il apprit avec perfection, dit Amich, l'idiome ande ou
langue desCampas, elen composa la granimaireet le dictiou-
iiaire. 11 fonda le pueblo de San Antonio de CaLalipango.
Il découvrit le Grand Pajonal et ses nombreux habilanls
(la mucha tjente que enel liabia) eL fonda avec eux plusieurs
villages, AyauL quitté iaMoutatia en 1735 par ordre du vice-
roi pour aller reconnaître Iti pont de pierre de Jauja, il tomba
maiaile en roule et mourut dans ta vallée de ce nom, »
Les Campas qu'il avait groupés en puebloR et catéchisés
retournèrent à leur vie et à leur religion primitives, quelques
années plus lard, en I7t2, lors île la fameuse insurrection
de Juan Suntos Atahualpa. Depuis cette époque jus-
qu'à l'arrivée des cahncheros dans ces derniers temps,
aucun homme de race blanche n'avait eu accès parmi eux,
et le Pajonal, cette ciladclle de leur indépendance, était
comme enveloppé de mystère. ■
Le chemin qui traversera ce plateau découvert par un
Français sera un élément de pruspérilé essenUei pour la Cùlo-
niecn majorité française du Chanchamayo, la plus florissante f
des vallées hautes de la Montana. Indispensable Irait d'union
entre la capitale du Pérou el l'Amazone, la route du Pajonal
deviendra l'une des plus importantes arlères commerciales
de l'Amérique du Sud.
\iU RESSOURCES 8111 L'ASIE
AIE
IMPUKItAir O KHI lit
A LA COLONISATION HUSSK
Le Lleiileiiaul-(|;éiléral A iV \' l'^iV KO T
Conslructeiir ilii Cliemiji Jo fer Transcaspioii '
A iVpoque où le maréchal Munich ni sa campagne de
Crimée, en 1730, il érrivait qu'il était bien difficile d'y
effectuer des opérations militaires, car on manquait de
fourra pe, les roules étaient impraticables, et les Talares
délniisaient le peu de villages de la contrée, en cJiassant
les habitants, si bien qu'on ne savait littéralement oii
trouver de l'eau, comment nourrir les chevaux et de quelle
manière éviter les défdés dangereux.
Un siècle et demi a suI'H à métamorphoser, en même
temps que la Crimée, tout le midi de la Russie; en des
villes florissantes, telles qu'Odessa, Rostow, Taganrog,
Kherson et Cathérinoslaw, y ont surgi; et, sur ces mômes
steppes qu'on avait cru propres tout au plus à ta vie
Domade, on trouve une population permanente d'environ
dix raillions d'hommes, avec une densité d'enviiron
1,300 individus par raille carré. Cette contrée, qui produit
jusqu'il trois millions de tcketrerts- de diitérenls Liés,
cultivés dans les provinces de Tatiridc, de Kherson, de
Cathérinoslaw, de Varonèje cl du Do», fournirail une
récolte encore bien ])lus abondante, si l'on y prjtliqiiail des
1. néFiiiiné lie ta cunféreare Tuile pui'lc gùiièrul k laSucîélé impériale
ili> géograpliie de Saiiil-PiJlersboui'y, dans la séance du >l-20 mars 1889.
i. Mesure russe de ciijpacité, val;tuJ environ •àll) litres.
238
DES RESSOURCES QUE L ASIE CENTRALE
travaux d'irrigation, car ia stérilité n'y provient jamais que
de sécheresse. D'ailleurs on n'a guère fait davantage pour
favoriser le boisement, si utile comme moyen de procurer
de l'humidilé aux steppes en partie privés d'eau.
On peut donc envisager la Nouvelle-Hussie comme une
brillante colonie que la Russie elle-même a constituée, et,
tandis que l'Allemagne perd chaque année jusqu'à deux
cent raille de ses meilleurs travailleurs, qui éraigrent en
Amérique, notre pays jouit du précieux privilège de colo-
niser ses confins, élargissant en même temps ses frontières
et faisant pour ainsi dire fondre au sein de la population
russe le peu de nomades qui se trouvent encore dans le
pays.
Telle est également la situation du pays d'Orenbourg et
delà Sibérie; telle sera certes aussi celle de l'Asie centrale
en général et de ta Transcaspienne en particulier.
Mais encore imporle-t-il d'examiner si cette partie de la
Russie se trouve dans des conditions propices à la coloni-
sation.
C'est peu après la guerre de Grimée en 1855 qu'a com-
mencé le mouvement en avant des Russes dans l'Asie cen-
trale. Des territoires ont été annexés à la Hussie, l'un après
l'autre et finalement, en 1881, le mouvement s'est terminé
par la prise de Gheok-Tépé et par l'annexion définitive de la
contrée transcaspienne.
Presque simultanément avec ces conquêtes la Société de
Géographie poursuivait ses travaux pour l'élude de la contrée
où des expéditions ont été envoyées à plusieurs reprises.
Quand on lit le premier volume de l'ouvrage du professeur
Mouschkétow intitulé le Turkestau, il est impossible de
n'être pas étonné de la quantité des travaux d'investigalinn
auxquels on s'est livré dans ces parages. Ces travaux ont
permis àM. Elisée Reclus de publier son volume si important
sur l'Asie centrale; rédigé avec le concours de beaucoup de
Husses, ce volume constitue un phénomène remarquable par
\
POURRAIT OFFRin A L\ COLOMSATION RUSSE. 239
la masse de données qu'il contient sur un pays connu
depuis si peu de temps.
Si l'on jette un regard sur la carte de l'Asie centrale, ce
quifrappe tout d'abord, c'est le Pamir, ce ToUdu monde, qm
comprend unepartie assezconsidérable (environ 70,000vers-
tes carrées) de toutes les montagnes occupant le centre de
l'Asie. Le Pamir est comme un nœud qui relie, d'un côté,
la chaîne de Tiaa-Schan ou monts Célestes, dirigés du Pa-
mir vers le nord-est, et, de l'autre côté, leHiundou-Kousch
et l'Himalaya, allant vers le sud-est.
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'*~"''*A\ ' ^ 'vi^t/ 7 wo^wjNfe^
L'espace qui s'étend entre les cbaùies de monlagnes de
Tian-Schan et de l'Himalaya est occupé par toute une
rangée d'autres chaînes se déroulant de l'ouest à l'est et dont
les principales sont, au nord, le Kouen-Loun; plus loin le
Tchécnen-Tag,le Kouka-Schili et les montagnes du Thibet.
Le lien qui existe entre les chaînes séparées dont elle se
compose, donne à toute celle masse montiigneuse un carac-
tère d'unité et ses parties diverses se ressemblent sous bien
des rapports.
De la sorte, Wood a pu dire fort justement que le Pamir
est un plateau élevé reliant l'Inde, la Chine et le Turkestan,
et qu'on peut regarder comme le centre d'où partent les
240 rKS RES.souiicEs t'UK l'asik centra LK, Etr:.
puissantes chaînes et les immenses lleuves de l'Asie cen-
trale.
Du haut de celle masse montagneuse sortent, d'un côLé,
les fleuves Jaune (HoRng-Ho) et Bleu (Yantse-Ktang), qui
se jettent k l'est dans l'océan PaciDque, el de l'autre côté,
l'Amou-Daria et le Syr-Daria, qui se jettent à l'ouest dans
la mer d'Aral, le Saravschan, qui paraît avoir été jadis un
affluent de l'Amou-Daria et qui se perd maintenant dans les
sables, ainsi que le Tedjen et le Mourgab, qui coulent
parallèlement à ces fleuves ei se perdent également dans
les sables de Kara-Kouscb.
Ici le conférencier s'est appliqué à définir certaines parli-
cularilés exclusivement propres à ces fleuves.
Le fleuve Jaune, par exemple, ofl're te rem;irqiiable phéno-
mène d'un déplacement continuel dcson embouchure. « La
plaine, dit Reclus (chapitre vu, p. 293), où s'étendent ses
eaux embrasse une immense étendue depuis les bouches du
Pcï-Ho jusqu'à celles du Hian-Tsé-Kiang, de manière que le
fleuve se balance comme un pendule de droite à gauche
sur une longueur de i)00 kilomètres du nord vers le sud.
On ne trouve dans aucune autre partie du globe terrestre
d'aussi considérables revirements dans l'histoire contem-
poraine des fleuves ; el pour se faire une idée de ces dépla-
cements de cours, il faudmit, pas exemple, imaginer que
le llhiu, ayant cessé de couler en Hollande, au-dessous de
Cologne, se dirigerait à travers les plaines de l'Allemagne
du nord jusqu'aux bouches de la Vislule.
« Dans l'espace des vingt-cinq derniers si^cb-sà partir de
la tiOO" année de la vieille ère, la partie inférieure du cours
du Hoang-Ho s'est complètement déplacée neuf fois. »
D'une autre citation de M. E. Reclus qu'a faite ensuite te
général Annenkof, il ressort que la quantité d'eau coulant
dans ce fleuve doit être en moyenne bien plus c(insidéral)U'
que. celle du Nil et que Ietier> de celle du Danube, en tout
ca*, que cette niasse d'eau contenant une grande qiiaulilé
i
242 DES RESSOURCE s QUE L ASIE CENTRALE
de parcelles terreuses suffit pour favoriser chaque annéa
d'une manière sensible la réduction de la surface d'eau du
golfe du l'et-ché-li et de la mer Jaune. Ainsi, pendant les
trente années de sou nouveau cours vers le nord, le Hoang-
Ho a fait avancer assez profondémenl la ligne des rivages,
qui a envahi toute une bande du golfe.
D'après les calculs de Stauton et de Barrow, les alluvions
du fleuve Jaune suffisent pour former, dans l'espace de
vingt-cinq jours, une île d'un kilomètre carré d'étendue et
de 36 mètres d'épaisseur.
Le ileuve Bleu porte dans ses eaux moins de parcelles
terreuses que le fleuve Jaune, et suivant les observations de
Happy, ces parcelles ne constituent que la 2,200* partie de
toute 1,1 masse liquide qui y coule, l^s alluvions apportées à
son embouchure rcprésentenl une masse solide d'environ
6 mètres cubes par seconde ; par conséquent, la sépa-
ration du limon augmente annuellement de 180 millions de
mètres cubes, ce qui modifie d'année en année la posi-
tion des issues et fait surgir de petites îles qui vont toujours
grandissant. On raconte queîi'îled'Tsung-Ming (qui mesure
environ 1,0(JO kilomètres carrésd'étendue) atteignaità peine
la surfaite de l'eau à l'époque de la domination mongole.
Le cours inférieur du fleuve Bleu a subi des changements
moins considérables que ceux du fleuve Jaune, mais assez
sensibles pourtant ; outre son embouchure actuelle, il en
avait jadis deux autres qui s'ouvraient plus au sud. Le
principal de ces lits primitifs, maintenant engorgé mais
qu'on peut encore reconnaître sur la plus grande partie de
son étendue, se séparait du bras de Ileuve seplcnlrionat à
l'endroit où se trouve aujourd'hui la ville de Vougou,
au-dessus de Nankin, et suivait une ligne sinueuse dans la
direction du sud-est, portant ses eaux vers le golfe de Han-
tcheou.
Les lacs abandonnés par le Ileuve iSleu daus la péninsule
de Shanghaï ont conservé les contours tortueux du fleuve
I
POURRAIT OFFRIR A lA COLONISATION BU^JSE. 213
primitir, et les hautes rives qui les bordent ofl'ienl un aspect
tel qu'on les croirait encore baignées par ce fleuve; toute
la contrée avoisinante rappelle, en généra!, les Pays-Bas,
découpés par des canaux dans maintes directions.
C'est encore à M. K. Reclus, et notamment à son remar-
quable ouvrage ialitulé: la Terreet les Hommes, qnelecon-
férencieraeu recours pour établir les particularités propres à
l'Amou-Daria (Oxus), qui, s'il n'a poinljusqu'àprésent formé
an véritable delta à son embouchure et ne s'y est pas creusé
de lits réguliers, n'a apparemment encore pu y parvenir
faute de temps, puisqu'il ne coule à. l'endroit actuel que
depuis environ 350 ans. De fait, pendant la première moi-
tié du xvi" siècle, l'Amou-Daria était un affluent de la mer
Caspienne, phénomène d'ailleurs purement temporaire,
car depuis l'époque des historiens grecs ce fleuve a déjà
passé deux fois de la mer Caspienne à la mer d'Aral, et cice
vcrsd.
Le général Annenkof a conclu ensuite d'explications
scientifiques empruntées àHumboldt et d'informations pui'
sées chez Klaproth qu'indubitablement l'Amou-Daria a
plusieiu-s fois modifié ta direction de la partie inférieure de
son cours, et si l'élendue sur laquelle ont eu lieu ces dépla-
cements d'embouchure était primilivement moins vaste
peut-être que pour le lleuve Jaune, elle a cependant été en
tout cas très considérable.
L'Amou-Daria produit d'ailleurs le même elfet que les
fleuves chinois, en ce qui concerne la diminution de l'espace
servant de bassin aux eaux fluviales, particularité qui établit
entre eux une analogie essentielle.
Celte analogie, ainsi que le coup d'œil généra! jeté sur
l'Asie centrale parM. de Richlhnfen et les conclusions qu'il
en a tirées par rapport à la Chine, établissent un étroit rap-
prochement entre les conditions respectives des deux con-
trées.
M. de Richlhofen examine les parties centrales et extrêmes
2-ii DES HESSOUJVCES QUE l'ASIE CENTRALK
du cûiUinent asiatique, qui se disLinguenl enire elles aussi
bien par leur origine géologique que par leur caractère phy-
sique, la répîtrtilion des plantes et des animaux, les migra-
tions des peuples, leur histoire politique et leur développe-
raenl intellectuel.
Dans les parties centrales, tous les produits de l'évenle-
ment des parties rocheuses restent au sein de la conirée, et
ne Tonique se transporter d'un endroit à l'autre, formant des
séparations massives dans les profondeurs du sol; ils déter-
minent 1b nivellement de sa surface en tendant à lui don-
ner un aspect plus ou moins uniforme.
Dans les parties extrAmes, au contraire, les produits des
bouleversemenls terrestres sont emportés par les fleuvesj
vers la mer et servent, d'une part, à former tes amoncelle-
ments riverains, d'autre part, à fournir aux eaux de mer le
complément de sels nécessaire à leur organisme.
En sorte que li'apriàs M. de Richlhofen et M. E. Reclus,
dans l'Asie centrale prédomine le mouvement centripète et
dans les confins asiatiques le mouvement centrifuge.
Il en résulte qu'on trouve dans l'Asie centrale des endroits,
souvent de nature saline, couverts d'une végétation uni-
forme, ce qui inQue certainement sur la faune et aussi sur
la civilisation l'homme ne trouve pas d'emplacements
favorables à la vie sédentaire, sauf d'insignifiantes oasis;
dans les confins asiatiques, au contraire, il y a des reliefs
au lieu de plaines, il y a de nombreuses rivières, des
vallées, etc., tous clcmenls propices à une grande variété
dans la vie organique et qui conséquemment placent l'homme
dans des condition!:- plus favorables à son existence scden-
laire. h son développement civil et intellectuel.
Après avoir, en s'appuyant sur des citations de Humholdt,
rendu hommage aux progrès déjà fort nncicns du peuple
chinois sous le rapport scientillque, iiM-unférencior cons-
late qu'au même point de vue, le versant occidental du]
Pamir se trouve malheureusement dans de tout autres con-
POTRBAIT OFFRIII A LA COLO.MSATIOS RUSSE. UTi
ditions. La civilisation qui y a existé il n'y a pas bien long-
temps, n'a presque point laissé de traces. Les peuplades à
demi-sauvages qui errent actueliement entre la mer Cas-
pienne et la mer d'Aral savent très peu de chose concernant
les conditions physiques et la nature du sol, à l'égard dos-
quelles on possède en Chine tant de données.
En outre, celte contrée a presque toujours été le tbéftlre
de luttes entre les nomades qui la pL'uptent, cl si quelque
germe de civilisation y surgissait de temps à autre, il devait
naturellement ûtre aussitôt anéanti.
Voulant tirer des conclusions de ce qui précède, l'orateur
a cru devoir auparavant, pour leur donner plus de force, tra-
cer un court aperçu des renseignements recueillis de fraîche
date sur l'Amou-Daria ; comme preuve incontestable de ce
que ce Ueuve a eu j;idis d'autres lits que celui où il coule
acluellemenl, il invoque l'esistence de ce qu'on nomme les
schors et les tchinkis, étudiés seulement depuis peu.
hesschors représentent des rangées de cavités successives
ou dévalions encaissés, séparés les uns des autres par des
amas de sable. Ils sont tantôt secs, tantôt remplis d'eau,
mais à une profondeur qui ne dépasse pas un pied et demi et
deux pieds. (Ju'on se ijgure dts alignements entiers de ces
tchors, CD aura le tableau d'un Ut de fleuve desséché et
comblé en plusieurs endroits par les sables, elleur présence
dans la contrée en question y conslituo la trace indubitable
de cours primitif de l'Amou-Daria.
On a, en outre, remarqué que toute la localité avoisinant
le Kopet-Dag penche dans une direction concordant avec
celle des rangées ûesckors, ce qui prouve également l'exis-
tence autrefois en cet endroit du cour^ de l'Amou-Daria,
qui avait de nombieuses ramifications. Ainsi, dans son
ouvrage intitulé: les l'ius Anciens Lils de l'Aimu-Daria,
M. Kaulburs dit que, d'après les récits de voyageurs, il y
avait entre Merw et l'Amou-Daria actuel jusqu'à six cavités
rappelant ces anciens lils.
246 nEs nESsouncES que l'aste centrale
Ed admettant que ce fût efTectivement des lits de fleuve et
que le bord de la mer se soit trouvé, dans l'antiquité, à cet
endroit, nous serons fondé à condure à l'existence primi-
tive ici d'un vaste delta qui comprenait, outre les six cours
du lit actuel de Tchardjoui, peut-être aussi la plaine de
Karakoul; mais comme il n'est guère possible de douter que
la mer n'ait baigné jadis celte localité et que le fleuve ne
s'j' soit jelé en formant un delta, notre supposition que ces
cavités constituent des vestiges de lits se trouvei confir-
mée.
Ce n'est qu'avec le Lemps, au fureta mesure du recul
de la mer vers l'ouesl, ainsi que suus l'influence de diffé-
rentes causes, qu'a commencé icil'activité des eaux fluviales
et que se sont ensuite établis deux principauxcourants, l'un
situé le long duKopel-Dag et l'autre près de l'ûuzhoï et du
Sary-Kamouisch, Puis le courant septentrional a augmenté
audétrimentde celui do l'ouest, de plus en plus engorgé par
les aliuvionsel finalement transformé en une série de sckors
presque dépourvus d'eau, s'est encore plus détourné dans
lu direction de la mer d'Aral.
Les kitinkis représentent de longues rangées de hauteurs
abruptes s'élevant sur la surface du sol, ce qui ne peut cer-
tainement être attribué qu'à une force quelconque ayant
arraché sur la pente générale des montagnes, du cAlé de la
mer, d'énormes masses de terre qu'elle a ensuite entraînées
au bas de ces montagnes.
Le plus remarquable de ces tchinkis est celui d'Ûungouz,
mesurant environ 500 verstes de longueur; mais on en ren-
contre encore auprès du golfe du Césarévitch, entre les
grandes Balkhans et Krasnovodsk, dans l'oasis de Khiva et
en d'autres endroits du bassin de la mer Caspienne et de
celui de la mer d'Aral.
Les explorations des derniers temps ont démontré qu'il
existe un lien rigoureusement déterminé entre la pente
générale des localités et la position des tchinkis qu'on y
POCRRAIT OFFRIR A LA COLONISATION RUSSE. 247
rencontre, et qu'autrefois Teau a certainement coulé au
pied de toutes ces hauteurs. Cette notion se trouve confir-
mée par la circonstance que les (f/<fHA"»sexistentseulemeut
là où il y a eu, où il y a encore des courants, et, effective-
ment, nous ne les rencontrons qu'au milieu des ramifica-
tions des anciens lits de l'Amou et de la Sara, ainsi que
sur les bords des principaux fleuves.
L'existence des schors et des Ichinkis conQroie donc indu-
bitablement l'hypothèse qu'une partie considérable de nos
possessions nouvelles de l'Asie centrale était jadis découpée
par toute une série de lits de l'Amou-Daria, qui se sont
«ans doute modifiés de la même manière que ceux des
fleuves Jaune et lileu.
Cette conclusion est d'une très grande importance lors-
qu'il s'agit de décider si l'Asie centrale est propre à la colo-
nisation ceneCetle long de ces iits se trouvent disposées
ce qu'on appelle des étendues de lœss^ {lœsse pur et
glaise de lœss) qui n'ont pas été suffisamment explorées
jusqu'à présent.
Dans son ouvrage sur la Chine, le professeur de Richthofea
jette un coup d'œil sommaire sur l'Asie centrale, au point
de vue géologique, et passe ensuite à l'étude détaillée et
minutieuse du sol, du climat et en général des conditions
d'existence de cet empire. En même temps, il donne une
idée du sol de l'Asie centrale et parle de ce qu'on nomme
le lœss.
Le sol de lœss constitue la plus récente formation qui
se soit faite sur le globe ; il est apparu bien après la forma-
tion générale de la surface terrestre et la répartition primi-
tive des matériaux qui la composent.
Le lœss peut être envisagé comme le résultat d'une opé-
ration atmosphérique, aérienne.
Cette hypothèse se trouve confirmée:
1. Le Icut est une t«rre glaiseuse des plus fertiles.
2-48 HF.s RESsnuRnES que 1,'asie centrale
1" Par le fait qu'on rencontre dans lo sol de lœss des dé-
Iritus de roquiilages dn fimnips, avec absence Lotiile rie
coquillages d'eau douce;
2* (Ju'on y consLale la présence d'os de quadrupèdes
mammifères vivant sur terre ferme ;
3> Qu'on y voit des traces de végéLatiou.
Bien que le hi-sx ne renferme point de détritus de
plantes, un grand nombre des canaux lubulaires qui s'y
trouvent, répondent à la forme el à la ramification de ra-
cines végétales.
On doit considérer comme ayant servi de facteurs pour
la formation du kvss :
a. Les eaux de pluie, qui ont entraîné avec elles des
parcelles de terre des montagnes, sous l'action, de l'air et
de la décomposition des couches;
b. Les vents, qui ont semé ces parcelles sous forme de
poussière en les envoyant dans certaines directions, phé-
nomène qu'on continue d'observer actuellement ;
c. Les plantes, mais eavisagées comme facteurs el non
comme matériaux de formation. Chaque couche du sol de
lœtt s'était couverte d'une végétation qui l'avait préservée
de la dispersion par les vents, tirant de son sein des sub-
stances minérales et périssant ensuite à sa surface, de ma-
nière à y former ainsi de nouvelles couches.
I.a carte géologique dressée sous la direction du profes-
seur Mouschkétow el des ingénieurs des mines Bogdano-
vitch el Obroutchew, montre que toute l'étendue du terri-
toire depuis Kizil-Arvat jusqu'à .\skliabad et au delà, par
toutrAtek, oll're un sol de /«'ss compact, interrompu seu-
lement en quelques endroits par les sables; si Ton y ajoute
tous les lieux oîi se sont entremôlés les nombreux lits de
r.\niou-Daria, avec leurs vallées ayant également un sol de
iœss, la surface de territoire de celte nature se présente
encore plus vnsle.
Le lœss pénètre à une profondeur très considérable.
d
POl'KRAIT OFFItlR A LK COLONISATION RUSSE. 249
En perforant le sol en plusieurs endroits, aussi bien pour y
creuser des pulls artésiens que pour se rendre compte de la
aature du terrain où l'on voulait construire des ponts sur
ia ligne du chemin de fer transcfispien, il arriva parfois de
ne trouver que du liess à la profondeur de plusieurs dizaines
de toises, etcela sans qu'il y eût même de légères coiicbes
interinédiaires. |] estenm&me temps indispensable de faire
observer que l'analyse chimique a démontré l'identité de
composition du sol àalaiss en Chine et dans l'Asie centrale,
avec celle des eaux des lleuvcs chinois dont il a été parlé,
de l'Amou-Daria et du Nil.
Ainsi s'expliquent les surprenantes récolles qu'on ob-
tient dans la province transcaspienne sur le sol de lœss, dès
qu'il reçoit l'irrigation voulue; en même temps il faut obser-
ver que lelabour est très peu satisfaisant chez lesTurcmènes
et ne saurait d'aucune manière se comparer à celui qu'on
pratique en Boukharie; néanmoins, il y a eu, l'année der-
nière, dans l'oasis de Mcrw, des récoltes qui ont donné 170
pour un.
Or, la densité de la population en Chine s'explique pré-
cisément par l'extraordinaire fertilité du sol de lœss, qui
permet de lui faire produire une énorme quantité des sub-
stances nutritives les plus variées.
Contre l'opinion que l'Asie centrale est propre à la vie
sédentaire du Russe, on peut cerlainemenl invoquer l'exis-
tence dans ces parages d'étendues sablonneuses considéra-
bles ; mais, outre que les terrains favorables à la colonisation
ne sont pas moins vastes, il faut encore ajouter que si, dans
certains endroits, les sables mouvants paraissent menacer la
culture, c'est l'homme lui-mèmequi en est responsable, car il
créeimpiudemment des conditions susceptibles d'amener ce
mouvement des sables, qu'on remarque seulement dans les
localités 011, pour se procurer du combustible, il a anéanti la
végétation, et particulièrement dans les endroits ou elle
était nécessaire pour les besoins quotidiens des indigènes.
250 UKs itEssorncES que l'asie centuale
Au contraire, le sable se trouve plus éloigné des lieux
d'habitalion, sur les points où on lui oppose une plantation
assez épaisse de tamaris, de saksaoul et autres plantes du
raéme genre, ou bien l'eriseinencement d'herbes, quiraffer-
mi.ssenL encore davantage, le terrain.
La meilleure preuve que le sol sablonneux est propre à la
croissance de ces végéLaux, c'est que, depuis l'inlerdiclion
d'abattre le salisaonl et le tamaris sur les terrains situés à
moins de cinq versles de chaque côté du chemin de fer, la
végétation y a reparu dans tous les endroits où elle avait
clé préccdemmentanéantie. Celle circonstance a obligél'ad-
minislralion de la ligne, surtout à cause du peu de
succès des plantations de végétaux importés, h fixer soaal-
tention sur les espèces locales et à organiser des pépinières
spéciales pour ces espèces, dans le but d'en planter le long
des remblais traversant les localités sablonneuses.
Pour mieux démontrer que les lieux cultivés peuvent
être garantis contre l'envahissement des sables, mention-
nons encore la circonstance que voici.
La formcla plus commune des hauteurs sablonneuses sem-
ble indiquer positivement là-bas le rôle prédominant du vent
nord-ouest dans leur création; et s'il en est ainsi, les sables
pourront difficilement pénétrer à l'intérieur du pays, mais
devront plutôt se diriger vers la mer et envahir celte d'Aral,
au lieu de venir augmenter les amas qui en existent àKara-
Koum, du côté de l'Orient. A l'appui de celte hypothèse
le professeur Mouschkétovv constate une diminution effective
de l'étendue du désert de Kara-Koum, ou, ce qui revient
aumême, une extension sensible du tapis de végétation dans
celle contrée, dans la direction de l'Orient.
Après avoir exprimé la conviclion que les nombreux
essais de plantation récemment effectués dans la province
Iranscaspieuiie le long du chemin de fer, près des proprié-
lés impériales et près de Samarcande, prouveront bientôt la
possibilité de lutter avec les sables ; le général Annenkof a
pornnAiT offhir \ u colonisation russe. 251
ajouté que peul-ôtre aussi parviendra-l-on à réaliser le pro-
jet, depuis longtemps ffjrnn5 en Boukhaiie, de percer un
eiinal qui amènerait au Karakoul l'eau de l'Amou-Daria.
Lorsqu'on voit, dit-il, couler, dans le tit de ce fleuve, à
Tchardjoui, une bande d'eau de quatre versles, avecla rapi-
dité de onze versles à l'heure, on ne peut mettre en doute
la possibilité de réaliser pleinemetit le projet en question.
L'émir de Boukharie n'aura même pas besoin d'argent pour
cette entreprise, car ses sujets, habitués ii accomplir les Ira-
?aux publics par voie de corvée, se présenteront avec leurs
outils et provisions, préparant ainsi la rellorcscence du terri-
toire de Karakoul, dont le sol de tii'ss est considéré comme
le plus productif de toute la vallée de Zaravschan.
Il est vrai que, si la province trancaspienne se trouve
sous le rapport du sol cultivable dans les mêmes condi-
tions que la Chine, celle-ci est plus propice à la végétation
par suite du voisinage de l'océan Pacifique et d'une plus
forte dose d'humidité; mais encore y a-l-il, même en Chine,
des graminées qui, comme le riz, ne poussent que grâce à
l'irrigation artificielle.
La quantité absolue de pluie qui tombe dans l'Asie cen-
trale en général et dans la province transcaspienne en par-
ticulier, est beaucoup plus considérable que bien des gens
ne le supposent; il ressort, par exemple, des observations de
la station météorologique de Merw, qu'il est tombé plus de
1,654 millimètres de dépôts atmosphériques pendHnt trois
mois de l'année 1885 et quatre mois do 18HG.
Or, en Allemagne, la hauteur annuelle des pluies ne
dépasse pas <»80 millimMres, en Angleterre et en Irlande
862 (fait démontré par dix-neuf ans d'observations), dans la
H ussie centrale et septentrionale de -tOO à "00, et dans la Nou-
velle Russie 300 seulement.
Du reste, la quantité absolue d'humidité ne saurait avoir
uoe importance particulière, vu que celle-ci se répartit par
mois, dans la contrée, d'une manière très irrégulière, et
252 RES30TRf.ES QrE L'aSIE CENTRALE
que, grâce à l'élévation extrême de la température, elle
s'évapore sans avoir eu le lenaps de remplir son office.
Semblable phénomène se produit également sur les rives
caucasiennes de la mer Noire, près dn port de Redoute-
Kalé, où malgré la cbulede i ,700 millimètres de dépôts atmo-
sphériques, la sécheresse est très fréquente par suite des
circonstances mentionnées plus haut.
Si donc les conditions atmosphériques ne permettent pas
de tirer tout le prolit que le sol de Iwns est susceptible de
donner en Asie centrale, on peut aisément remédier à cet
état de choses en recourant h l'irrigation artificielle des
territoires improductifs au moyen des eaux de l'Amou-
Daria, du Syr-Daria, du Tedjen et du Mourgab ; ces deux
derniers fleuves, par ejtemple, qui se perdent dans les
sables sans profiter à personne, favoriseraient beaucoup la
culture en allant jusqu'à la mer ; d'autres ont Tinconvé-
nienl de dissiper une énorme quantité d'eau dans les deltas
et marais de leur embouchure; par-ci, par-là l'on s'avise
d'améliorations, c'est sous une forme et avec des procédés
tellement primitifs qu'elles ne sauraient produire de résul-
tats sérieux.
Cependant l'histoire nous prouve que les contrées en
question sont indubitablement propres à la culture, puisque
làoti s'étend aujourd'hui le désert, il y avait jadis des plaines
Jlorissanles et une population qui, à l'époque d'Alexandre
le Grand, s'élevait au chiffre de vingt à trente millions
d'habitants (page 74 de la Description des campagnes
d' Alexandre y par M. Grjgoriff).
M. E. Reclus lui-mlime déclare dans son ouvrage que, sans
qu'il soit besoin de recourirà des mesures spéciales, le sol de
l'Asie centrale pourrait nourrir cinq fois plus de gens qu'il
n'y en a dans la contrée, si l'on se bornait simplement à pro-
filer du iœ&s et à organiser une irrigation normale au moyen
des fleuves actuellement inutilisés.
D'autre part, l'exemple de l'Amérique, oîi les chemins de
POUR n AIT OFfRin A LA COLOMSAFION RUSSE.
253
fer produisent de merveilleux résullats, bien que le sol y
soit moins fertile que dans l'Asie centrale, montre que la
ligne Iranscaspien ne pourtail rendre ici d'immenses services,
d'autant plus que les richesses minérales de cetle contrée
restent encore à esploiler. On peut s'en convaincre en lisant
les détails que M. A, Vambery a publiés dans ses extraits
concernant les gisements de minerais, lapis-lazuli,etc.,du Ba-
daks-chan,et les mines d'argent des monts Scheikh-Djély.
S'en rapportantau récit d'un entrelien du voyageur Bruce
avec Pierre le Grand, l'orateur a rappelé que la colonisation
du pays de l'Amou-Daria était déjà le rôvede l'illustre em-
pereur, que ce rêve est actuellement réalisé, et que si l'on y
orpanise un système rationnel d'irrigation, l'Asie centrale
donnera certainement, dit-il, des résultats aussi satisfai-
sants que ceux qu'on a obtenus dans la Nouvelie-Flussie,
dans le pays d'Orenbourg et en Sibérie.
De tout cela il résulte, a conclu M. Anneiikof, qu'il est
nécessaire de prendre des mesures pour diriger autant que
possible la colonisation russe de la Russie d'Europe vers
l'Asie centrale, car son expansion naturelle sans immixtion
ni concours adminislrrilifs a eu souvent pour conséquence
de réduire des masses d'émigrants, par suite d'ignorance,
à errer des mois entiers et même des années avant de par-
venir h trouver où s'établir convenablement, épuisant ainsi
leurs ressources el leurs forces ph y siqups.
L'orateur ne doute pas qu'il n'y ait beaucoup de gens dé-
sireux d'émigrcr vers l'Asie centrale; déjà un certain
nombre d'entre eux y ont apparu; mais ils arrivent sans
savoir où se diriger, comment distinguer les terres culti-
vables des terrains réellement arides, ne connaissant ni les
procédés locaux do culture, ni les oulils à y employer, igno-
rant en un mol les conditions vitales du paj's el du mode
rationnel de s'y livrer au IravaiL Aussi le concours gouver-
nemental serait-il infiniment utile aux émigrants en se tra-
duisant par les mesures que voici :
25i DES RESSOURCES QUE L'ASIE CENTRALE, ETC.
1* Dresser des plans topographiques bien précis, pour la
détermination deâ terrains pouvant être affectés à la colo-
nisation ;
2° Etudier les meilleurs systèmes d'irrigation, réaliser
les projets qui sont dès à présent praticables sous ce rap-
port;
3° Organiser, sur les points les plus importants, des écoles
d'agriculture, d'après le type élaboré actuellement par le
Ministère des Domaines, en y annexant des fermes^modèles,
dans lesquelles il faudrait surtout prendre en considéra-
tion l'opportunité de familiariser les émigrants avec la cul-
ture des articles qui offrent le plus de chances de réussite,
tels que le coton, la soie, le raisin, etc., et qui sont le plus
capables par conséquent de favoriser leur bien-être.
ISrOTES 8XJI?, LE THIBET
M. l'abbé DESOODIWS'
Montés dans les vagons de rEastern-Bengal-Railway, nous
traversons pendant la nuit les immenses et fertiles plaines
du Bengale, en allant toujours du sud au nord. Le matin,
en sortant du train à Siligurie, nous apercevons devant
nous l'énorme soulèvement géologique du Thibet, environné
des plus hautes montagnes du globe. Un triple rempart,
avec ses forts avancés, le mont Everest, le Kong-tchin-djé-
nga et le Davanagiri, élevés de plus de 8000 mètres
(presque deux fois la hauteur du Mont Blanc), défendent le
Thibet vers le sud. Au nord-ouest le Karakorum, au nord le
Tien-chan puis le Kuen-Ien, à l'est sept ou huit chaînes de
montagnes, véritables Grandes Murailles élevées par la
nature entre la Chine et le Thibet. Au centre, les plateaux
très accidentés du Thibet, dont l'altitude varie entre 3,500
et 4,000 mètres. Tous ces sommets et ces plateaux, la com-
raime imagination les revêt de glaciers et de neiges perpétu-
elles, et en lire a priori la conclusion que le Thibet est maté-
riellement inaccessible; c'est un préjugé. Il y a une multi-
tude de glaciers il est vrai, mais leur aspect charme de loin
le regard en embellissant le paysage; on passe à côté d'eux,
dans les vallées, sans en être autrement gêné. Quant aux
neiges annuelles, elles sont très rares au Thibet à cause de la
grande sécheresse du climat et de la latitude peu élevée
1. Communication adressée à la Société dans sa séance du 21 mars
1890.
256 SOTKS Sun le tihcet.
(du 28° au 36° lat. nord). On ne rencontre guère la nei|;e,
môme sur les hauls plateaux, que de la fin de février à la fin
d'avril.
Quant aux roules, elles ne manquent pas non pins. Voici
d'abord la prantle route anglaise qui de Sirala, remontant
Je SuUeje, conduit à la frontière occidentale du Thibct,
province de Mgari. riche en pâturages et eu mines d'or, et
au Ladak ou Petit Thibel; mCme quand elle est accrochée
aux flancs de roches verticales par de fortes poutres en fer,
on peut y passer à oheval ou en dandi. Voici, en second
lieu, une route très frcquenti^e par le commerce lliibélain à
l'ouest du Népal et qui aboutit aux sources de l'indus, du
Sulleje et du Yarkioulsang-po ou Bramapoulre, près des
lacs Tso-ma-pang, dans les plus hauts pâturages du ïhibet.
De plus, deux routes qui traversent te Népal où l'on ne peut
pénétrer sans autorisation préalable des deux gouverne-
ments anglais et nepalien. Plus h l'est, s'ouvrent encore
trois roules qui traversent les llimalayas par la vallée
tbibétaine de To wang et Boutang dans sa partie orienJale
et sa partie occidentale.
En résumé nous avons là sept roules (dont une euro-
péenne) très praticables et très pratiquées par lesThibétains
et autres indigènes. Si elles restent fermées aux Européens,
et aux Européens seuls, si elles ne sont pas déjii transfor-
mées par la science des ingénieurs européens en 1res bonnes
routes, comme celle du Sutlcje, !a faute en est, non h la
nature, mais à la mauvaise volonté des hommes.
A Siliguric, terminus de l'Eastcrn-Bcngal-Railway,
embarquons-nous dans le train qui, In veille, est parti de
Calcutta à 4 heures du soir et qui, en quatorze heures A
parcouru pins de IlOO milles du sud au nord. Siliginic est
non seulement un terminus, mais encore un embarcadère
pour le Darjceling-Ilitnalayan-ltnilway (système Deranville,
je crois), qui par des courbes très fortes el des zigzags très
prolongés dans deux ou trois vallées, s'élève jusqu'à ,
NOTES SUR LE TIIIBICT, 257
lûO mèlres en 60 kilom. de parcours; en huit heures, il
[>ose le voyageur à Darjeeling. Depuis neuf ans qu'il
fbnctionne, il n'y a pas encore eu d'accidenl sur la ligne.
Le grand promoteur de celle entreprise est Sir Ashiey
Eden, lieutenanl-gouvemeur du Bengale; les travaux ont
élé exécutés surtout sous la direction de l'honorable
M. Preslage. J'ai entendu plusieurs voyageurs s'extasier
devant celle merveille de la science et de l'art, autant que
devant les points de vue si variés qui passent sous leurs
yeux, et dire, ce qui me paraît exagéré, que leur voyage
d'Europe était bien payé par le seul plaisir de faire un tel
trajet.
Darjeeling bâti en ampbilbéàlre sur le Qanc de la mon»
tagoe, est une ville de plaisance cl un sanatorium où les
anémiques du Bengale viennent pour recouvrer la santé. On
y jouit d'avril à novembre d'un air frais et du plus beau
spectacle de la nature au milieu des innombrables points
de vue des Himalayas.
Au pied du Kong-lchin-djé'figa, entre ses deux puissants
contreforts, le Singgalea à l'ouest et le Chola h l'est, ce
fouillis de ravins escarpés et de montagnes, noires parce
qu'elles sont très boisées, forme le petit royaume de Siivim,
autrefois tbîbétain, maintenant anglais pour son très grand
avantage et bonheur. Malgré sou exiguïté, il est peuplé par
quatre races d'hommes ; les Rong ou Lepchas aborigènes,
les Tbibétains conquérants, les Limbous venus du Népal,
et les Newais ou Népaliens émigrés depuis peu d'années et
qui forment déjà la grande majorité dans la population
totale de 30,000 iinus environ. Il y a vingt ans, elle n'était
que de 12 à 13,000.
Le Sikim est arrosé par deux rivières principales : la
Tista, qui coule du nord au sud dans la partie orientale vers
les plaines, et son al'ûuent droit, te Bouri Ranjit qui arrose
la partie occidenlale de cet État. En remontant la Tista une
route, qui d'ici à peu d'années sera très bonne, se bifurque
&0C. DECÉOGB. — â' THiaiESIHE IBIKf. XI. — 17
258 HOTES sm le thiurt,
daus la partie supérieure et vient aboutir à quatre cols
donnant entrée au ThibeL. Pour le nnoment, une autre route
partant aussi de Darjeeling ou de Siligurie, traverse la
pointe sud-est du Sikim et vient aboutir au col de Jetep.
Quoique très accidentée, puisqu'elle passe successivement
par lesaltitudes de 2,100, :2 ,220, 1,315, 1,835, et4,495 mètres
d'altitude, cette roule est meilleure que celle du SuLlege;
elle est même carrussable dans la première moitié de son
étendue de 100 kilomètres.
A la première halle, onrencontrelafaclorcriedeM. Munro,
l'un des principaux planteurs de thé de la région; il est
heureux de pouvoir oirrir aux voyageurs un ff/^H, c'est-à-
dire un copieux goûter et de nombreux rarraîchissemenLs.
A -l milles plus bas, on traverse la Tîsla sur un beau
pont suspendu en tilde fer, de lûû mètres de long. Au sommet
du mamelon, à Kalimpong, on peut visiter les écoles des
révérends ministres écossais^ t'hôtei des voyageurs, celui
de l'inspecteur des Ibrèls, la maison de Teim-djrou, magistrat
indigène, la résidence et les magasins de la Compai;nie des
transports par voitures à boeufs. Tout le vallon sur les
deux rives de la llillie est admirablement cultivé par les
Newars ou Népaliens émigrés. Plus loin, à 12 milles au nord-
est, à Padong, on aperçoit le camp anglais, les magasins de
l'inlendance, le télégraphe, le bureau de poste, le bazar
indigène, le tout construit en bambous. Une modeste maison
carrée ù un étage, au toit pointu et surmonté d'une grande
croix, est la mienne et celle de mes trois confrères. Kn
fait de curiosités, nous n'avons à montrer que noire jardi-
net, une école et un orphelinal, œuvres encore au ber-
ceau .
Voici neuf ans bicnlût que nos regards, passant par-
dessus le mamelou de Ré-nock, contemplent au nord-est
ce pic de Lingtou qui nous caclie la frontière du Tbibel.
Quand pourrons-nous la franchir? Si la route, toujours
excellente, continue à rester fermée, c'est, comme nous
i
WOTES SUR LE THIBET.
259
l'avons déjà fait remarquer, la faute non delà nature mais
des hommes.
Trois ou quatre milles après avoir dépassé le sommet de
Lingtou,nousdébouchonsdansle vallon alpestre deNatong,
où -400 braves soldais irlandais nous accueillent par de
vigoureux hourras et nous offrent une gracieuse hospitalité
pour la nuit dans leur camp forliflé. Un peu plus loin dans
le vallon de Kou-pup, orné de deux petits lacs, la route se
bifurque et vient aboutir à trois cols.
Nous prenons celle du milieu et, après 4 milles d'une
montée relativement douce, nous arrivons enfin au Jelep-
pass, élevé de 4,495 mètres au-dessus de la mer, 315 mètres
seulement moins que le sommet du Mont-Blanc. Quel spec-
tacle splendidel De tous côtés et à perte de vue, des som-
mets de montagnes au-dessus desquels se détachent comme
d'énormes diamants des glaciers et des neiges perpétuelles ;
au-dessous de nous, des ravins et encore des ravins, con-
tournés dans tous les sens et dont les précipices sont cachés
par d'épaisses et verdoyantes forêts. Le pied gauche est
encore sur le Sikim, que le pied droit est déjà sur le
Thibel,
A partir du Jelep-pass, on dit adieu à la bonne route
anglaise; il faut se contenter de la route thibélaine. Une
descente rapide de 18 kilomètres amène au village de Rin-
Ichin-gong, sur les bords do la rivière A-mo-tchou, à une
altitude de 2,850 mètres seulement. De Rin-tchin-gong au
passage des grands Uimalayas, entre le pic Dong-kia à la
pointe nord-est du Sikira, et le Tcho-mo-Lha-ri « montagne
de la noble déesse » à la pointe nord -ouest du Boutang,
cinq ou six jours de marche facile et d'une douce montée.
Rien de remarquable, si ce n'est Chumbi, l'ancienne maison
d'été du roi du Sikim dont il peut faire son deuil; puis Pa-ri-
dzong, le chef-iieu du district. En Ihibétatn, dzong signifie
bien forteresse, mais actuellement les forteresses étant
presque partout tombées en ruine, dzong ne signifie plus
-260
NOTES sua LE TOIDET.
que la résidence d'un employé du gouvernement, grand ou
petit, peu importe.
Aussitôt après avoir dépassé la ligue de faîte des grands
HimalayEis ueigeux, nous entrons dans la lone de pâturages,
qui s'étend entre toute la chaîne méridionale et la chaîne
centrale des Hiraalayas. Il existe aussi d'autres grands pâtu-
rages sur une partie de la province de Kgari et sur le cours
supérieur du Yarkiou-tsang-po, mais les plus vastfis occupent
loutela partie nord du ïhibet connue sous ie nom générique
de Tchang-tong « plaines du nord s ut peuplée parles tribus
lleur.
Ces plaines du nord, dont l'uititude est de plus de
4,000 mètres, couvrent les deux tiers des deux provinces cen-
trales et sont arrosées par de nombreux lacs sans écoulement
vers aucune mer cl par de petites rivières qui alimentent ces
lacs. En outre, tous les sommets de montagnes qui dominent
les vallées habitées sont consacrés au pilurage dès qu'ils
altcifîuenl ['altitude de 3,300 mètres, où toute agriculture
devient impossible. De la superlicie du sol iuférieure
à 3,300 mètres, retranchez encore les pentes de ravins
ahrnples, dénudées ou parfois couvertes do forêts, et vous
conclurez sans doute que lu nature s'est montrée excessi-
vement libérale envers la population pastorale et excessive-
ment parcimonieuse envers la population agricole. Celte
seule considération (et il y en a bien d'autres) sufûriiit à
rendre raison du peu de densité de la population thibétaine;
le chifl're en est probablement dcO à 7 millions d'habitants
pour un pays dont la surface est presque deux fois celle de
la France, et trois fois au moins, si l'on tient compte des irré-
gularités du sol. C'est que pour chaquegroupe de tentes noirea
(une douzaine, une vingtaine) il faut un territoire grand
comme deux ou trois de nos déparlcments, capable de
nourrir, non des centaines, mais des milliers de vaches, non
dos milliers, mais des myriades de moutons, sans compter
les yaks mâles, les chevaux et les mulets quand ils ne sont
NOTES sun LE TniBËT. 261
pas en route pour le commerce; cependant, pour gouverner
et soigner tout ce monde animal, im très petit nombre de
familles suffisent.
Les pasteurs thibétains sont souvent obligés de changer
leurs campements; onne peut pourtant les appeler nomades,
car, à chaque groupe de tentes noires sont assignées telles
montagnes et telles vallées. Malheur.'» peux qui dépasseraient
les limites fixées! ce serait la guerre entre voisins éloignés de
trois à quatre jours rie marche. Ils naissent, vivent el meu-
rent sous la tente à des altitudes et soumis h un climat qui
f nous épouvantent; malgré cela, les plus beaux, les plus
.grands, les plus forts lypes de Thibétains se rencontrent dans
Lies pâturages des hauts plateaux. Rarement ils quittent
leurs rudes montagnes, si ce n'est pour aller faire le com-
merce avec les vallées voisines ou transporter les grandes
caravanes. Les animaux vivanls, les laines brutes, les étoffes
de laine, les peaux et fourrures, le beurre, le borax, sont les
principaux objets de commerce des pasleurs.
Après les pâturages qui occupent les quatre-vingt-dix-
neuf centièmes du Thibel, viennent les vallées qui forment
le dernier cetUif>itie, vallées peuplées et agricoles; mais pour
aller d'une vallée à l'autre il faut franchir encore bien des
monlagnes.
La rivière qui, après s'être promenée nonchalamment en
nombreux méandres dans les luiuts plateaux, prend enfin
sa course vers lo nord-est, c'est le Guiong-tchou -, du moins
elle prend ce nom iï moitié de son cours; ce nom lui vient de
la bourgade fiuicmg-tsé, où se trouvent une garnison i'hi-
noisc el une lamaserie. Au-dessous de duiong-lsé une belle
forôt, puis des villages entouras de quelques champs où
l'orge, le blé et les raves poussent comme à regret au
milieu de mauvaises herbes; car, autantie Thibékiin excelle
comme berger et brocanteur, autant il est pauvre agricul-
teur.
UnpeuavanldesejelerdansleYarkioM-tsang-pOjlelTuiong-
262 NOTES scn le thibet.
tchou passe au pied de Cliiga-tse, capitale de la province de
Tsang. Là encore on se heurte i une garnison chinoise et
au très important monastère de Trachi lumbo « le coaible du
bonheur t>. Le supérieur de celte lamaserie a ceci de particu-
lier qu'il est presque l'égal du Daiaï-lama de Lhassa, parce
qu'il est censé l'incarnation du cfflur du même Bouddha,
dont l'esprit est enfermé dans la personne du Dalaï-lama.
Cette distinction un peu subtile fut inventée par la politique
pour prévenir un schisme dans la secte officielle des Gné-
louk-pa ou lamas jaunes; mais je doute fort qu'elle puisse
maintenir longtemps l'unité entre l'esprit et le cœur de
Bouddha.
Administrative ment, la province de Tsang est divisée en
plusieurs préfectures dont les titulaires portent le titre de
déba. Ceux-ci ont sous leurs ordres des dzonq-pun (dans
l'est, chel-ngo) ou sous-préfets. Chaque vallon un peu consi-
dérable a un ditig-peun, chargé de faire exécuter les ordres
supérieurs par les maires de villages ou guen-pa ir les an-
ciens ». Pour obtenir les places de préfets el de sous-préfets,
deux conditions seulement sont requises : appartenir à l'aris-
tocratie qui est peu nombreuse, et surtout bien payer. Pen-
dant le temps de leur gestion, qui estde trois à cinq ans, ces
fonctionnaires cumulent tous les pouvoirs. Quant à leurs
devoirs, ils semblent ne connaître que la maxime formulée
dans ce vers de fioileau :
L'argent, l'argent, sans lui tout est stérile.
qu'ils traduisent ainsi : «manger le peuple j), dont ils sedisen
pourtant les père et mère. Ce genre d'administration et cette
hiérarchie, on les trouve partout au Thibet, pour le mal-
heur du peuple.
De tous les noms géographiques de celte province je n'en
citerai qu'un; c'est celui de Sa-kia-gun, c'est-à-dire le
monastère de Sakia, situé à -W kilomètres en lignedroite au
sud-ouest de Chiga-^sé. Je le cite, parce que Sa-kia-gun est
n™
NOTES son I.E TRIDET. 269
le chef-lieu d'une principauté Ibibétaine de race et ecclé-
uasUque de religion, c'est vrai, mais parfailement indépen-
dante de Lhassa au civil comme au spirituel. Au civil, elle
relève directement de la (Ihine; au spirituel, le supérieur
de Sa-kia-gun éLanl le chef de la secte des Sakia-pa, ne
relève que de lui-mâme, et tous les monastères et peuples
de cette secte, n'importe où ils soient établis auThibet, ne
reconnaissent que lui, et nullement le Dalai-lama, pour chef
spirituel. Il en est de môme des sept ou huit autres chefs de
sectes bouddhiques disséminées au Thibet. Même quand ils
n'ont pas do principauté territoriale, tous leurs adhérents
ne reconnaissent pour supérieur queleur propre chef, et noa
le Dalaï-lama. Celui-ci n'est le chef spirituel qnede la seule
secteoffîcienedesGué-louk-pa ou deslamasjaunes. Parcon-
s^quent, sa situation religieuse ressemble assez bienA celle de
l'évoque protestant de Canforbery, mais pas du tout à celle
du pape, puisqu'il n'est pas le moins du monde le chef de
tous les bouddhistes même au Tbibel, à plus forte raison de
tous les bouddhistes du nord, comme on le croileton le dit
généralement en Europe.
A Chiga-lsé se termine la route impériale de Chine au
Thibet; elle ne fait pas hooneur à son illustre seigneur.
Reprenons-la jusqu'à Gujong-tse-dzong. LA elle tourne
vers l'ouest et conduit au Ilaro-la, d'une altitude de
0,060 mL'lrcs. Ce nom de Itaro signifiant « imbécile », ferait
supposer qu'en passant ce col, les voyageurs éprouvent des
vertiges; ils sont dus h la raréfaction de l'air et non k des
émanations pestilentielles, comme on l'a supposé. H;\tons-
nous donc de descendre le versant oriental: nous sommes
dans la province de Eu «t centrale », et un voyage de
quelques jours à une altitude de 4,300 métrés, conduit
ao bord du lac Peraatso, ainsi nommé p;ir les Thihétains
parce que sa forme annulaire lui donne une certaine
ressemblance avec une fleur de lotus, la presqu'île centrale
formant le bouton de la ûeur. Bogie et Turoer, qui l'ont-
ifeiÉHi
264 NOTES srii le thibet.
visité à la fin du siècle dernier, racontent que la supérieure
du couvent de religieuses bouddhistes bâti sur la presqu'île
porte le litre de Phag-mo-kio-mo, « madame la truie ».
Pour moi, j'incline à croire qu'ici le nom de Phag doit ôtre
pris dans le sens de ati, delà et non de truie, parce qu'il
sert à désigner plusieurs autres localités de la même région
située au deli des montagnes, relativement à Lhassa.
De la courbe septentrionale du lac la route fait l'ascension
du Kamba-!a, élevé de 4,557 mètres, puis par une descente
continue de 1,400 mètres vient aboutir au pont de chaînes
de fer qui traverse le Yarkiou-tsang-po. Ce pont, comme
tous les autres ponts de fer duTliibet,est, bien entendu, de
construction chinoise. Âudelàdupont, nous remontons vers
le nord-est pendant 55 kilomètres à vol d'oiseau, la petiie
« rivière du Bonheur », le Ki-tchou, au confluent de deux
torrents, dans une plaine bien ouverte aux rayons du soleil,
élevée de 3,5iî5 mètres, par 88° 45' de long, est et 200 40'
de latitude nord.
Nous arrivons à Lhassa, capitale de la province et
de tout le royaume thibélain. Le P. Hue a donné
de visu une description typique de cette mysli^rieuse capi-
tale dans ses Souvenirs de voyage que tous les amis de la
géographie et des aventures de voyage ont lus avec curio-
sité. Inutile de la recommencer. Je me contenterai d'y ajou-
ter quelques renseignements.
D'après ceux qui me semblent dignes de conflance, cette
capitale si renommée aurait une population civile d'environ
"15,000 âmes (comme une de nos petites villes de province),
y compris les employés du gouvernement, la garnison et les
marchands chinois, y compris également une colonie de
200 Cachemiriens et une autre de 400 Nepaliens établis à
Lhassa comme commerçants et entremetteurs die com-
merce. Les aiilres civils que l'on y rencontre en grand nombre
sont des voyageurs de commerce ou des pèlerins venus de
tous les coins du Tbibet et de la Mongolie.
NOTES SUR LE THIBET. "w
En compensation , la population monacale de Lhassa
JÏIèverail à 32,^00 individus dont : 200 Tse-djrons ou
s gardes-du- corps du Dalaï-lania, vivant avec lui sur la
Une sainte de Po-ta-la; un millier divisés en trois ou
lire petites lamaseries vivent dans divers quartiers de la
pour recueillir plus facilement les dons des dévots
fins. Ces petites lanaaserîes ne sont que les annexes des
is grands monastères : Djrepong '.>,000, Gaden 7,000 et
Serra 5,000 religieux, qui sont un peu plus éloignés dans la
campagne ou sur les mamelons voisins. Ici se pose une
qnestion fort importante : comment :2"i,'20O religieux peu-
fenl-ils trouvera vivre dans une petite ville de 15,000 âmes?
ïa France ce serait impossible ; au Thibet, c'est bien simple.
Voici l'explication de ce fait. A trois époques de l'année
conaprenant ensemble vingt-trois jours, Ions les religieux
sont obligés d'être présenis au monastère pour les grandes
et solennelles cérémonies. Ils se gardent bien de manquer
au rendez-vous, parce qu'alors les pèlerins affluant et ne se
présentant jamais les mains vides, les religieux peuvenlêtre
nourris facilement aux frais du public. En dehors de ces
vingt-trois jours, les religieux bouddhistes sont, pendant
tout le reste de l'année, parfaitement libres de leur temps, de
leurs mouvements, de leurs industriesel deleur commerce,
en dehors du monastère, sans que les supérieurs sachent
ce qu'ils sont devenus ni ce qu'ils font. Quant à ceux qui
préféreraient rester au monastère pendant l'année, ils sont
aussi parfaitement libres de disposer deleur temps, de leurs
mouvements et surtout de prôter à usure. Il n'y a point
d'exercices religieux, d'études, de repas en commun, point
dérèglement qui les gânent. Chacun vit dans sa maison ou
danssonapparlementQe ne dis pas sa cellule) comme il peut
et comme il veut. Bref, à eu juger parles cinq grands et les
sept ou huit petits que j'ai visités en détail dans l'est, un
monastère bouddhique ne ressemble en rien à un monastère
chrétien. C'est une agglomération d'hommes, un village; ce
266 NOTES SUR LE TIIIDET,
n'est aucunement une communnuté. J'aurais encore bien
des rfélails à donner sur les lamaseries, mais, comme dit
Boileaii,
... Le lecteur fraaçais veut filrc rospcclé.
Avant de quilter Lhassa, je relèverai une autre erreur
européenne très répandue, d'après laquelle le gouverne-
ment du Thibel serait théocratique et ecclésiastique. Rien
de plus faus. A partie Dalaï-lama, qui est seul propriétaire
du Thibe!, de par la donation que le premier empereur de
k dynastie mandchoue lui en a faite ; h part le roi ou régent,
qui, depuis une soixantaine d'années seulement est, aussi un
laraa, tout le reste du gouvernement centra! thibélain est
laïque. Les quatre Kalnns ou ministres d'Élat et leurs
seize secrétaires sont laïques. II n'est pas inutile d'ajouter
que le Dalaï-lama lui-même, le roi, les ministres et les
secrélaires, en un mot les vingt-deu.v membres du gou-
vernement central lbib6tain,()nt, touset chacun, besoin d'un
diplôme de l'empereur de Chine avant de pouvoir exercer
leurs fonction?. Dans les provinces, les gouverneurs, les pré-
fetsetles sous-préfels sont laïques; et si parfoison rencontre
parmi eux des lamas, ce n'est pas parce qu'ils sont lamas
qu'ils ont obtenu ces places, c'est uniquement parce qu'ils
ont ofTerl un pot-de-vin plus considérable qu'ils sauront bien
faire restituer au centuple par leurs administrés.
11 y a encore à Lhassa le gouvernement chinois, représenté
par trois ambassadeurs mandchous, venus de Péking et
chargés de diriger, de contrôler et de surveiller le gouver-
nement Ihibétain surtout dans ses relations extérieures;
Dalaï-lama, roi, ministres, personne ne peut écrire directe-
ment à l'Empereur sans laire apostiller et envoyer les lettres
par les ambassadeurs chinois, qui, déplus, s'espionnent mu-
tuellement. Ils sont appuyés dans leur mission par une
armée d'occupation de 4,0OO hommes, échelonnés à travers
le Thibet depuis Ta-tsien-lou h l'est jusqu'à Ting-ré sur les
NOTES SUn LE THIBET.
267
frontières du NepaL Le commandant en chef de celle pelile
innée réside à Lhassa avec 500 hora mes. S)e]it leang-taij ou
rvi-urs des troupes el des lamais reconnus ofliciellement
i,l leur offire dans les principaux centres de la grande
roule; ils sont aussi, au besoin, juges principaux.
Ouant à l'armée tliibélaine, elle n'existe mémo pas sur le
papier. S'il faut des soldais, on lève des gens de corvée
pour la guerre comme pour tout autre service corvéable, et
lout est dit; orQciers et soldats en savent autant les uns que
les autres.
De Lhassa, deux routes peuvent conduire en Chine-
."une, au sud-est, traverse le grand district de Tak-po en
fuivant la rive droite du Yarkiou-tsang-po jusqu'au mo-
aient où, tournant au sud-est, ce fleuve disparaît dans
lés Himalayaspour devenir le Diong, puis le Brahmapoutre.
Celte route tournait ensuite au sud et allait au Tun-nan,
mais elle est abandonnée depuis longtemps à cause des bri-
gandages de la tribu thibétaine de Po-mî, nominalenrent
soumise à la Chine et complètement indépendante de
ssa. Le Tak-po, situé au nord duBoulang, estundespays
plus peuplés du Thibet. La route que nous devons suivre,
route impériale, se dirige à l'est-nord-esl à travers le
^rand district de Kong-pou dont Guiamda est le chef-lieu.
La tenapérature relativement douce de Gniamcla l'a l'ail choi-
iir pour résidence ordinaire par les mandarins chinois qui,
officiellement, devraient résider à Lha-ri, situé à environ
100 kilomètres au nord-esL, à une attitude de 4,173 mètres.
En soi Lha-ri n'a rien de remarquable. Nous entrons ici
dans une région dont le système orographique et hydrogra-
phique est diamétralement opposé et perpendiculaire
à celui des pays que nous avons parcourus. .Jusqu'à présent
la direction générale des montagnes et du Yarkiou-tsang-
po était franchement celle de l'ouest à l'est; maintenant
loules les montagneset tous les fleuves que nous allonsren-
contrer courent du nord-est au sud-est dans la partie sep-
â6â
NOTES SUR LE TIIIBET.
tentrionale de leur cours, puis du nord au sud, du 29. a
27° latitude, pour diverger ensuite dans tous les sens au-
dessous du 27°. De sorte que ces chaînes de montagnes et
ces neuves sont perpendiculaires aux Hîmalayas et au Bra-
mapoutre. De plus, autant du moins que j'ai pu l'observer,
la composition géologique des deux systèmes est différente.
DanslesHiraalayaSjla roche dominante est un mauvais mica-
schiste injecté de silex blanc. Rarement on y rencontre les
traces de roches ignées, de grès, de calcaires, d'ardoises,
tandis que ces roches abondent dans le système oriental on
nous allons pénétrer. Cela dit, revenons àLha-ri.
D'après les savantes recherches de M. Dutreuil de Rhins,
la rivière qui passe i Lha-ri sous le nom de Song-lchou se
nomme plus au sud le Ken-pou ou Gak-po-dzang-bo, et de-
viendrait leMali-ka des Kamtis, Sing pho et autres tribus
Cban, et enDn l'Irraouadi de Birmantf . S'il en est ainsi,
honneur à Lha-ri et surtout à M. Dutreuil de Rhins, auquel
je souhaite de tout cœur la bonne fortune de pouvoir aller
constater de visu l'exactitude du résultat de ses inlerpréta-
tions géographiques,
A l'est de Lha-ri, au col de Charling(Ch;ir-gang-la), élevé
de 5,500 mètres, oti quitte la province de Eu pour entrer
dans ceîle du Kham. Autrefois, c'est-i-dire il y adeux cents
ans, cette province s'étendait du 03' au 101" de longitude.
Depuis 1703, elle est divisée en deux parties bien distinctes:
leKhamthibétain, du 03' au 07' et le Kham chinois, du 97'
au 101*. Je le nomme Kham ou, comme disent les Anglais,
Thibet chinois, non que la population soil plus chinoise,
mais parce qu'à lasui Le d'unerévolle infructueuse du Thibot
contre la Chine, toute la partie orientale de la province com-
posée de dix-huit principautés thibéLaines, fut soustraite au
gouvernement de Lhassa etannexée iiu gouvernement direct
des deux provinces chinoises les plus voisines, le Sé-tchueà
elle Yun-nan.
A partir du col de Cliarling en descendant vers lé
NOTES SUR LE THIBET.
269
Nguen-kio, Lou-tse-kiaiig ou Salouenne, on traverse les
deux postes importants deChoupa-do et Lorong dzong. A
25 kilomètres de ce dernier poste nous traversons le lleuve
sur le pont nommé Jel-yâ-Sam par les Thibétains el Kia-
yu-kiao par les Chinois; c'est là que vient aboutir
mainlenantla route du Yun-nan que nous avons signalée plus
haut. Le Lou-tsc-kiang prend ses sources à 5° aanord-esl du
pont où nous sommes, coupe le Thibet du sud-est jusqu'au
28° pour entrer dans les tribus des Lou-lse el des Lyssous,
traverse la partie occidentale du Yun-nan et va se jeter dans
le golfe du Bengale, à Martabang, sous le nom de Salouenne.
Ausommetde la montagnequi sépare le Lou-lse-kiang du
Lant-sang-kiang ou Mékong, au milieu d'immenses pâtu-
rages, selrouvele tout pclil village de Lha-gongoùM. Renou
cl moi fûmes arrêtés en 1862 par les envoyés de Lhassa,
quand nous tentâmes de pénétrer jusqu'à celle capitale.
Tout ce terrain est du minerai de fer très riche, mais on n«
se nourrit pas de celte substance. Quand il ne nous resta
plus, ni une poignécde farine, ni un grainde ri?., il fallut bien
capituler, puisqu'il y avait défense absolue de nous vendre
quoi que ce fût. M. Renou dicta lui-même les conditions
du retour, qui furentacceptées avecempressement. Ces con-
ditions élaieiif que nous serions conduits, aux frais de nos
expulseurs, de Lha-gongà Bonga, le berceau de la mission^
en suivanlle cours du Ou-kioet en passant par les petites
villes de Pomda, Dzo-gong, Tchrayul et la lamaserie de
Pe-tou. Gel itinéraire fut suivi Gdëlemenl. Seulement la ca-
ravane dut passer parTsiam-do pour y prendre les animaux
de corvée. Bonga fut incendié le 7 octobre 1805.
DeLha-gong àTsiam-do,on compledeuxjours de marche.
Cette ville, comme plusieurs autres au Thibet, est riche en
noms géographiques. Les Chinois l'appellent Tcbang-lou el
ïchamou-to; les Thibétains, Kiob-do el Kiam-do : c'est ce
derniernam un peu eslropié qui a donné lien au nom européen
deTsiara-do. Tsiara-do est encore enrichi d'une lamaserie de
270 NOTKS SUR LE THIBET.
3,000 lamas, d'une garnison chinoise de JJOO hommes, de deux
rues, de boutiques et de quelques jardins potagers. Les trois
quartiers de la ville sont bâtis siirdeux terrasses superposées
et creusées dans l'angle d'un contrefort qui se termine au
confluent de deux petites rivières, le Gomkio h l'ouest et le
Dza-kio à l'est. Leur réunion forme le Lan-tsang-kiang ou
Mékong, qu'on passe en hiver sur la glace, en été sur des
ponts à piles de pierre et à tabliers de bois construits sur
les deux affluents. L'eau qui passe sous ces ponts par 31° de
latitude nord devient française dès le 20», puisque ce sont naes
confrères qui évangélisent ces régions, et elle le devient tout
à fait dès le l-t", au tlarabodge et en Cochinchine.
Tsiam-dû ne fait plus partie du royaume de Lhassa, mais
elle est le chef-lieu de l'une de ces dix-huit principautés
réunies à la Chine dont j'ai parlé. C'est le supérieur «(i tein-
pus du monastère qui est le chef civil du pays sous l'auto-
rité chinoise.
De Tsiani-do trois routes se dirigent vers la Chine.
La première, au nord, rejoint la grande route qui,
des provinces septentrionales de l'Empire, passe près du
Koukounor et se rend à Lhassa. La deuxième se dirige
d'abord au nord-esl, passe à gué le fleuve Bleu, redescend
au sud-est par le cours supérieur du Yalongkiang, qui ar-
rose les principautés de Dégut et de Mégnia et va aboutira
Ta-lsien-Iûu. La troisième, la route impériaîe, prend la direc-
tion du sud-sud-esten suivant àmi-cûle le Hanc ouest delà
chaîne de montagnes qui sépare le Môkong du fleuve Bleu.
Le sixième on seplièrae jour de marche après avoir quitté
Tsiam-do,nousarrivonsàTchra-ya, « le parasol de rocher »,
ainsi nommé parce qu'immédialemenl au sud de la ville,
d'énormes roches semblent l'abriter contre les rayons du
soleil. Comme Tsiam-do et aux mômes conditions, Tchra-ya
est le chef-lieu d'une principauté indépendante de Lhassa
et soumise à la Chine. A Tchra-ya, encore un monastère de
2,500 k 3,U<3(J religieux et une garnison chinoise. Ce Tchra-ya
NOTES SUR LE TIIIBET.
271
est appelé le nouveau Tchra-ya par opposition au vieux
Tchra-ya, qui se trouve sur les rives mômes du Mfikong.
Le troisième jour après avoir tjuiLlé Tchra-ya, nous
passons une pelilc rivière à gué et rentrons sur le Kham
Ihibétain. Au sommet, de la montagne, dans les pâturages
près du village de Che-pan-keou où l'épizoolie sévissait
leprililement lors de noire passage en iHG'i, se trouve un
couvent de religieuses bouddhistes, le seul que j'aie rencontré
dans mes longs voyages au Tbibet oriental. Je n'allai pas
le visiter, tandis que nous visitions alors toutes les lamase-
ries que nous rencontrions. Ce ne serait plus possible
aujourd'hui. Les religieuses bouddhistes ne manquent
pourtant pas au Thibet, mais elles* demeurent dans leurs
familles. On les distingue à leur tf-tc rasécetàleurvôtemenl
sans manches, seuls signes dislinctiCs qui les ditl'érencient
des autres femmes.
A deux jours de marche au sud-est de Chepan-Kcou,
nous arrivons à Gartoou Merlcham, leKiangkha des Chinois.
C'est une mauvaise bourgade mi-tliibétaine, mi-chinoise qui
n'a de remarquable que le Dzong ou résidence du gouver-
neur de la province, un petit mandarinat chinois et une
petite lamaserie. Le pays est si élevé que les récoltes y
réussissent à peine tons les cinq ou six ans; frappées de la
gelée elles servent de fourrage.
A deux pas dans un petit vallon solitaire, se (rouve un
pieux monument bien cher ;\ mon cœur, c'est la tombe du
lion et savant P. Renou, le fondateur de la mission du
Thibet, mort en 18(j3'.
Plus au sud, à cinq jours de marche, sur les deux rives
du Mékong, au district de Tsa-kha, dépendant de B&tang,
sont des sources d'eau salée; cette eau, portée à dos cl éva-
porée au vent et au soleil sur des terrasses bâties sur pilo-
1. Oû nous a dit que la tombe de ce grand raisiionnaire et de ce
bon Français avait été violée.
V RE
2' TRIMESTRE 1890
NOTES SUn LE THIDET.
279
reçut douze coups de couteau ni euL la tôle brisée sous uoe
grêle de pierres. Du haut d'un petit mameloa qui est proche,
nous apercevons Ir dôme doré de la lamaserie de Batang,
peuplée de 1,500 religieux, mais peudant viiigt-lrois jours
seulement, comme les autres. Le marché, qui compte envi-
ron 350 maisons, y compris les dzongdes deux chefs indi-
gènes, les préloires et les pagodes chinoises, est, de l'autre
côté de la plaine, à environ 10 minutes de promenade de la
lamaserie. D'après l'itinéraire chinois, la plaine de Ba-
tang a 1,000 lys de long; en rivalité elle a 8 kilomètres de
long sur 1 kilomètre et demi de large. On la représente
presque comme un paradis terrestre; il faut avouer alors
que tout est relatif en ce bas monde. Si je ue partage pas
l'enthousiasme chinois pour Balatig, c'est peut-ûtre, hélas!
parce que j'y vois les ruines de notre établissement chrétien
et que mes confrères ne sont plus là pour nous souhaiter
la bienvenue. C'est, bien aussi parce que le peuple de ce
gros marché est un des plus dégradés du Thibet; lesCbinois
ne faisant pase.\ceplion. J'ai calculé que la population de la
principauté entière, qui occupe environ 2 kilomètres carrés,
se monte à ;{0 ou 35,000 àraes, dont i,Q()Ù lamas et plus.
Le trajet de Batang à. Lylang exige sept jours de marche,
pendant lesqu&ls on ne voit aucune agriculture; mais, en
compensation,]! faut franchir quatre chaînes de montagnes
dont un passage se trouve à i,"7Û mètres d'altitude (40 mètres
au-dessous de la cime du Mont-Blanc); les autres ne sont
que de peu inférieurs comme altitude. De môme que Batang,
Lytang est le chef-lieu d'une principauté gouvernée par
deu.\ chefs indigènes; elle a un mandarin chinois et une
garnison. La lamaserie compte environ 3,000 relJgieu.v.
Tout le pays au nord et aux environs de la ville qui est
composée d'une seule rue, est couvert de pâturages; les
villages agricoles sont plus au sud, sur les bords de petites
rivières qui vont se jeter dans le Kinchakiang près de Ly-
kyang-iou, au Yun-nan. On m'a assuré que les lamaseries
soc. DE CÉOCR. — S' TRIMESTRE 1890. XI. — 18
m NOTES Sun LE TIIIDET.
sont encore plus nombreuses que dans la principauté de
Badmg, mais il ne m'a pas été donné de pouvoirvérifier le fait.
En parlant de Ly-lang vers Test, nous avons encore deux
hautes montagnes à franchir avant de pouvoir nous reposer _
un peu dans la jolie pl:iine de Si-golo, bien peuplée et hiena
cultivée. Quel bonheur de rencontrer ries champs et des
moissons, après huit jours de marche! Les habitants sem-
blentOtre assez riches, bien logés, mais fort indépendants de
caractère, surtout les dames et les demoiselles, qui se cou- ■
vrent d'ornements d'argent; leur chevelure, divisée en une
multitude de petiles tresses, s'étale sur leurs épaules; elle
est un peu relevée par une large bande d'étoffe surchargée
d'ornements d'argent et de pierreries; leur tête est couverte
de deux espèces d'assiettes en argent ciselé ou bosselé et
qui se réunissent par un bord nu sommet de la tûte.
A Test de Si-golo, une très haute mcmtagne nous sépare
encore du Ya-lon-kiang ou Quia-kio. Mais avant de passer
cette rivière, remarquons que nous avons laissé au nord la
grande principauté de Dégui et celle deMé-gnia, et au sud,
celles de Tchong-tien ou Guié-dam et celle de Méli ou
Houang-lama, ces deux dernières appartenantau Yun-nan.
Le Ya-long-kiang, gros affluent du fleuve Bleu, se passe en
été dans des bacs, en hiver sur un pont de bateaux.
Sur sa rive gauche nous foulons le sol de la principauté
de Kiala, en chinois Ta-lsicci-lou ; mais avant d'arriver au
terme du voyage, nous avons encore à passer deux grandes ■
montagnes entre lesquelles s'étalent les plaines assez bien
peuplées et cultivées de ïong-golo et Agniampa. Ce petit
peuple a dû être autrefois assez guerrier, car presque toutes ■
les maisons sont crénelées et Ton aperçoit les ruines de
plusieurs tours octogones à angles rentrants destinées sans
doute à la défense du pays. C'fist à Tong-golo que les P. Gi-
raudeau et Courons attendent, dans un triste et studieux
exilj qu'il leur soit permis de retourner à Balang et à Yer-
kalo.
1
NOTES SDR LE TIIIBKT.
275
EoBn nous voilà arrivés à la ville de Tar-tsé-do, appelée
T.i-lsien-lou par les Chinois. C'est Tenirepôt du commerce,
surtout, du commerce de Ihé en briques, entre la Chine et
leTliibet; c'est le rendez-vous de toutes les caravanes llii-
bélaines. Le marché se compose de deux ou trois rues
tlroiles et de maisons basses, sur le bord de trois torrents
impétueux. C'est la résidence d'un grand mandarin civil,
(l'uQ général de brigade chinois, d'une garnison, d'une
liouane pour le thé, du roitelet tbibétain ; on y trouve deux
lamaseries. Cependant toute cette agglomération ne forme
qu'une population de 12,000 âmes en hiver et de 20,OiJO en
è\é. Quant au paysage, quelle déception! quelle sauvagerie!
Fi^'urez-vous trois énormes montagnes pressant, écrasant de
leurs pieds cet amas de maisons au fond d'un ravin oîi les
rayons de soleil ne pénètrent que rarement : voilà Ta-lsien-
lou. Les autorités civile?, militaires et lamuïqnes nous
tiennent rigueur pour nous punir d'avoir osé profaner le
sol sacré du Thibet. Qu'importe ! Mgr Biet, lui, nous donne
l'accolade fraternelle et nous bénit. Le P. Dcjan nous pré-
Mnle les élèves de son séminaire et ses cent quatre parois-
siens. Les sœurs chinoises nous font faire le ko-teou par
leurs orphelines et, pendant que nous prenons un rafraîchis-
sement, tout ce petit monde crie h tue-téte : Vivent les
Toyageurs français ! S'ils ont déjà vu des Européens, ce sont
les premiers touristes français qu'ils voient.
Au nord et au nord-est de Ta-tsien-lou, il y a encore plu-
sieurs principautés thibétaines, surtout te Kin-tchouan ou
Se-lchouan d'Or qui porte bien son nom. I! serait intéres-
sant d'aller explorer ces mines et toutes celles qui abondent
dans le pays que nous venons de parcourir depuis Tsiam-do.
A l'est de Ta-tsien-lou, l'on ne rencontre plus que des pays
exclusivement peuplés as Chinois. Ici finit notre vopge au
Tbibet. A deux journées de ce vilain trou de Ta-tsien-lou,
je serre encore la main à trois àe mes confrères, qui ont
réuni leurs trois cent cinquante chrûtiens pour nous saluer.
ISib NOTES suit LE TtllUEr.
Nous passons le pont de fsr deLou-tin-kiao. Six jours après
avoir voyagé par terre nous sommes à Ya-tcheou; nous
monlons sur des radeaux ou de petites barques et descen-
dons rapidement le Min jusqu'à Souïlbu. De graudes
liarques chinoises nous emportent sur le Yang-tsé-kiang,
bordé de grandes villes et de gros marchés. Nous descen-
doDs saos encombre tes rapides entre Kouïfou et Y-lchang;
là, un bateau à vapeur nous reçoit et nous conduit en quatre
jours à Shang-haï. Nous avons traversé toute la Chine del
l'ouest à l'est. A Stiang-haï, nous prenons passage sur les
Messageries maritimes françaises, et après trente-cinq jours
d'une navigation confortable et agréable, nous rentrons
enfin sur Je sol de noire chère patrie.
ntoie wur l«M Etlrop6pBa à mitt connus qui
ont vénétrc an Tbkbct
Il est très probable, presque certain que la religion chré-
tienne l'ut prêchée et m6me florissanle au Thihet du x- au
Tîiir siècle. Mais il est probable que cette première évangé- _
lisalion fut faite par les Nestoriens. Je n'ai pu encore appro- \
fondir cette intéressante question historique. Je me borne
donc à citer les noms et dates connus :
I. — Missionnaires catholiques.
1° Au xiif siècle. Saint HiacinLho, Polonais, l'un des
premiers compagnons de saint Dominique, va évangéliser
l'Inde et pénètre jusqu'au Thibet.
2" Au xiv sièlce. Le B. Odoric de Pordenone, francis-
cain, venant de l'Inde, traverse le Thibel de l'ouest à l'est,
passe de là en Chine, et revient dans l'Inde en relraversant
le Thibet de l'est à l'ouest, évangélisant partout.
3" Au XVII" siècle, vers la fin. Les P. P. Grueber et Dorville,
jésuites, évangélisent les provinces centrales. Le premier a
laissé quelques mémoires.
i
NOTES Sun LE THIDBT. 277
4' Au xyiii" siècle, au commencemenl, les P. P. Disdeii
et Freire, jésuites, prêchent aussi dans les provinces cen-
trales. Le premier a laissé des mémoires allant jusqu'en 172*.).
5" De IT'29 à 1760, vingt-fjualre capucins italiens évaugé-
Jisent le Thibel central. Ils avaient bâti à Lhassa même, avec
raatorisation du Dalaï-lama, un couvent et un autre dans le
district deTak po, an nord du Boutang. Chassés vers 17fjl},
parce que les chrétiens commençaient à se multiplier, ils
aliandonnèrent la mission. Les deux supérieurs, Horace
délia Penna et d'Andrada, ont laissé des mémoires assez con-
siJérables.
G' De 1844 à 1846. MM. Hue etGabet, missionnaires laza-
ristes français, font leur grand voyage de Mongolie à Lhassa,
sunt chassés de Lhassa el expulsés par la Chine. M. Hue a
crildes Souvenirs de voyage en Mongolie et au Thibel.
7' De 1846 à 1890. La Société des Missions étrangères de
Paris (128, rue du 'Bac) a déjà envoyé vingt-huit de ses
membres pour évangéliser le Thibet. De 1854 à i8tJ5, la
mission était établie au Thibet proprement dit, royaume de
Lhassa, à Bonga et Kiang-kha et environs. Chassés du Thi-
bet en 18(i.ô, ils se sont maintenus jusqu'à ce jour, malgré
plusieurs persécutions, dans le Thibet oriental chinois.
Les travaux scientifiques dus à ces missionnaires sont :
le manuscrit d'un grand dictionnaire Ihibclaia-latin-fran-
çais-anglais auquel tous ont contribué. — MgrThomine des
Hazures a publié quelques lettres sur la géographie;
Mgr Ghauveau, quelques lettres sur l'état social et une sur
les mines; M. Renou, un mémoire sur ses voyages, sur les
yaks, et sur plusieurs autres sujets; M, Krick, son voyage
chez les Abords et au Dzayul thibétain à travers les Miche-
mis; M. Desgodins, de nombreux renseignements sur la
géographie et sur toutes sortes de sujets, à l'aide desquels
son Trère a composé la Missioti du Thibet (1" édition) et le
Thibet (2* édition); M. Alexandre Biet : Vocabulaire du
laiecte des Lyssou ; M. Dubernard : des notes sur son
278 NOTES SUR LE THIBET.
voyage chez les Lou-lse el les Lyssous de la Salouenne;
M. Saleur, plusieurs notices sur le Sikim et le Népal
(Voy. Missions catholiques). Sont en préparation : un
dictionnaire lalin-thibétain du langage usuel, par Ici'. Giraii-
deau ; un dictionnaire polyglotte, cbinois-thibélain-mosso-
lyssou-loulse, etc., par le P. Leard.
II. — Voyageurs laïques.
1736. Le Hollandais Vnn den Pute explore le Thibe?
maiis fait brûler ses mémoires avant sa mort.
1782. Bogie el son médecin, et quelques années plus
tard le capitaine Turner a\ec son secrétaire et son médecin,
tous envoyés en ambassade officielle au grand lama de Tra-
chilnmbo par Warren Haslings, premier gouverneur général
des Indes (Voy. les Mémoires relatifs à ces missions dans
Bogie and Manning, par (élément Markam).
1811. Le docteur Manning pénètre jusqu'à Lhassa à la
suite d'un mandarin chinois. N'a laissé que des notes insi-
gnifiantes.
Vers 1857. Un Anglais, M. "Wilson, visita plusieurs fois le
Ladak et la province de Ngari, A publié de savants articles
dans les revues de l'Inde.
18fiG. M. T.-T. Cooper, venant de Chine, pénètre jusqu'à
Batangetjusqu'àOuïsiau Yun-nan; il estarrôlé elrelourne
par la même route. Il publie : Tracels of a pionneer of
commerce.
De 1870 à 1885, le général russe Prjévalsky a exploré
le nord-esl, el a pénétré une fois dans les hauts plateaux du
Thibel jusqu'à '250 milles de Lhassa. Voir les savantes publi-
cations de ses voyage*.
1875. Le capitaine Gill f tM. Mesny, venant aussi de Chine,
arrivent jusqu'à Balang et sont éconduits par le Yun-nan
et la Birmanie. Le premier publie : The River of golden
Sand.
(
NOTES SUH LE THIBET. 279
1877. Un minisire protestant anglais, M. Cameron, suit
la même route que les précédents. J'ignore s'il a publié son
voyage.
1879. Le comle hongrois Szecheny et ses deux compa-
gnons, MM. Kreitner, géographe, et de Loizy, géologue,
suivent la même route. Le comte a publié ses voyages en
allemand.
1889. M. Rockhiil, 1" secrétaire de l'ambassade des États-
Unis, pénètre par le nord au Koukounor, est arrêté, et revient
en Chine par ta vallée supérieure du Ya-long-kiang ou Gnia-
kio qu'il explore.
1889. Une petite armée anglaise de 1,500 hommes
pénètre avec canons et bagiges jusque dans la vallée de
Ghumbi, qui appartient au Thibet sur le versant sud des
Uimalayas.
Vers 1874, M. Ryan, du Trigonometrical Survey et
India, passant à l'ouest du Népal, pénètre jusque sur les
hauts plateaux du Thibet et y relève une quarantaine de pics
dans l'intérieur.
Vers 1888, cinq jeunes officiers anglais, traversant aussi
les Himalayas à l'ouest du Népal, vont faire une partie de
chasse de vingt jours près du grand lac Tso-ma-pam et
jusque sur les bords du Sutleje. J'ignore s'ils ont publié le
récit de leur excursion.
Tels sont, à ma connaissance, les Européens qui ont
pénétré au Thibet, soit pour l'évangéliser, soit pour l'explo-
rer. Je ue parle pas ici des voyages des Pandits hindous
qui ont rendu de si grands services à la géographie du
Thibet.
LE VŒU
CONFÉRENCE TÉLÉGRAPHIQUE DE PARIS
AU SUJET DE l'hEURK UNIVERSELLE
m. To^niKi do QrAREnraHi
Rrpra'Hi'nliiiit tli' rAcruli'iiiir di'K sfioncc'» ilu Kiilogitf,
pour l'miUicaUon dsn* Il nn'siire du leiiip*.
Le n juin dernier, la Conlérence télégraphique inleriia-
llonale était invitée à se prononcer sur les propositions fai-
sant l'objet d'un mémoire distribué précédemment à tons
fes membres de la Conférence et ayant pour titre : Exposé
des raisons appuyant la tiansuctmi proposée par l'Aca-
ddmie des sciences de Holoffne au sujet du méridien initial
et de l'heure unirerselle. Puisqu'il s'agit d'une question où
sont engagés de graves et nombreuxintérCts internationaux,
et que la transaction de Bologne est basée sur les proposi-
tion mômes delà France en 18SJ4, telles qu'ellessont expo-
sées dans le « Rapport fait au nom de la Commission des
longitudes et des heures, par M. Caspari, ingénieur hydro-
graphe de la marine jd, voici d'abord le texte même de la
IransacLion, J*ai placé, en face de chaque article, les pas-
sages dudil Rapport qui y correspondent et qui sont cités
ou examinés dans VExposé.
PASSAGES DU HA^l'MIKT ul l
TEXTE »E I.* TIUKS.VCTIOX C(>FIIIES1>(>XIIEKT A I^HAUdE AATICLE
L'Acadâiiiie de» sciences de Bo-
logne suggère d'abnrd (ju'on «*cn
Uciiiie, en ce qui regarde leilimiles '
de l'uiiiftcation soit des heures, .toit
des loiigittiiie», aux propositions
mimes de la l''raDceeii 1894,à savoir:
1" Stalu quQ, c'est-à-dire Uhre ( Pour la marine, h question est.
uiiige du Diériilien miioital, Jatis des jUiis simples : elle ne trouve
lETŒU DE LA CONFÉnENCE TÉLÉGRAPHIQUE DE PARFS. 2S1
jJjiMriiie, l'asirunotnic, la topogra-
^ii« cl la cartographie locale.
^Double (traduation — d'aprùsle
'nrridieii natiunal et l'inlernalianal
-<)«n«la c.irtojçrapliie géograpliuiiKi
1,'àiiTnle, |)our faire, ainsi, scrv r
l'eoieijjaemtnl ménie de J.i gc'iognt-
pliii' à rappeler et à nourrir, noii-
julnlemcot, l'amour de lu patrie et
nliiideriiumanitu.
3* Application de l'heure du mt!'-
ridion initial — conjoinlcmenl avec
l'ieure locale — à la Léléj^rapliie,
nu profit non moins du commerce et
(les relaliuas internai ioaulcs que
lit! observations svienliriques.
*' Ensuite, et \touv ce «[ui est du
«hoix du méridien initi.d, l'Acadé-
mie d«8 acieaccs do Bolugno dc-
nwndfi qu'on veuille bien prendre
en considération l«s raisons allé-
(îuéM dans le Riipport ci-aprl-s en
faveur du méridien de .Icruaaloin,
pas lo moindre iiKunvéaicnl «iii
stalu qun, elle en verrait de très
grnvea à lo changer... D'une foçon
générale, lernéridicn initial vjnique
CM repoussé par les astrnnumes, les
géodésiens, les navigateurs, c'est-à-
dire pur tous ceux pour qui l'origine
de« luiigituiJes a hesoin d'être dé-
llnic avec une grande précision. »
{({app. pp. 5-(j.)
« Par ooiilre, le méridien initial
unique parait désiré pourlu carto-
graphie générale, qui, en raison
des échelles possibles, ne recherche
pas une précision du même ordre...
Pour la cartographie géographique
générale, et surtout pour l'ensei-
gnement, il n'y aura que de.s avan-
tages h tendre vers un méridien
initial commun, en respectant par
nne transition bien ménagée les
inlérèta commerciaux ei autres, u
Khapp- P!'- '> e' '"■)
• Nous avons fait valoir plus,
haut SOS considénitions, ainsi que
celle relative à l'heure universelle,
pour les mélcorologisLcs, les phy-
ïicieas et les géologoe». Pour le
service lélégritpttiquc aussi, s'il
e«t bien entendu que l'heure lo-
cale sera conservée et si Ton ob-
tient la lransniiss.ic)n d'office de
l'beure universelle, s.ins préjudice
de l'heure Incalc, les iiicunvénïcnts
signalés disparaîtront, et il restera
l'avantage de faciliter le calcul de
la durée des transmissions. >
[Usjtp. p. 17, suite.)
« Le premier méridien univer-
lel doit Être océanique, alin que
le changement de date du temps
universel, auquel correspond le
saut de date, ne se produise pas
sur un continent et, aussi, aOn de
mieux marquer «on caraclilre à la
282 LE VŒU DE LA CONFÉRENCE TÉLÉGRAPHIQUE DE PAIVIS.
celle iurlout tirée de la cotncidenco
Itigiijue dos longiludca employées
comme mesure «lu Lenips, avec l'en-
semble do l;i chi'onnloi^ic en ii9a(;('.
chez tous IfiB peuples civilisés. Qiimit
à la double grailiiatinn — l'une
en lignes noires, l'aittifi en lignes
rouges ou en pointillé — suggérée
pour la ciit'tograpbiu géograptiiqun
générale, c'est Jù, évideinineol, une
mesure à introduire peu ù peu, au
fur et à mesure qu'on 4^ditcra de
nouvelles cartes (F-rpoîd, pp. U-10).
fois international, c'est-à-dire
neutre, el conventiaQuel, c'est-à-
dire dépendant de tous les obscr-
vatoifcj. D {Itapp. p. 14.)
La Conférence télégraphique émetlait, sur l'avis unanime
de ta commission chargée d'en référer et sur la proposition
du président, le vœu suivant, formulé par M. le comman-
deur Ponzio-Vaglia, délégué d'Italie :
« La Conférence téiégraphique internationale, tout en ne
se reconnaissant pas compétente pour trancher la question
du méridien initial devant fixer l'heure universelle, applau-
dit aux efforts de l'Académie royale des sciences de l'Institut ■
de Bologne pour trouver une solution qui concilie tous les
intérêts, et émet le vœu que ce projet trouve Lientôt sa réa-
lisation et qu'on arrive, enfin, à l'unifi^alion dans la me-
sure. >
Ainsi, donc, les i-epiéscntanls de 43 Etats el de 24 Compa-
gnies télégraphiques viennent d'applaudir aux efforts d«
l'Académie des sciences de Bologne pour faire reprendre en
considération les propositions de la France en 1884, avec
l'unique substitution du méridien continental de Jérusalem
à la place d'un méridien océanique,
Quelques mots, maintenan(,surcclle unique substitution.
J'observe d'abord qu'en faisant coïacider, ainsi qu'il a
été convenu à Washington, le jour universel avecle jour
civil du méridien initial, c'est-à-dire en faisant commencer,
dans le cas actuel, le jour universel à minuit de Jérusalem,
LE VŒU DE LA COXFÉnENCE TÉLÉGBArUIQUE DE PAIIIS 283
le changement de date et le saut de date se trouvent, parla
même, relégués en mer. De plus, ta seule portion du con-
linenl coupée par J'anliméridien de Jérusaleoi est précisé-
ment l'Alaska, où le suut de date est déjà en usage.
Cela observé, je distinguerai dans la proposition de la
Commission française de i884, au sujet du méridien initial,
l'essentiel de l'accidentel. Le sauL de date en mer ne pou-
vant plus ôlro invoqué en sa faveur, ['essentiel dans celle
proposition c'est que le méridien initiai, au lieu d'6Lre ii\é
par un observatoire national existant, soit, comme s'exprime
le Rapport de la Commission, <r dépendant de tous les obser-
Titoires ». Pour atteindre ce but, le mOmc Rapport suggère
qu'on procède de la manière suivante :
t La manière de fixer ce méridien sera fort simple. Après
l'avoir défini par sa dislance horaire à un observatoire choisi
arbitrairement, on déduira, à l'aide des chiffres connus des
longitudes, sa position par rapport à tous les autres obser-
Taluires, et on définira le méridien initial par celte liste. »
{Rapp. pp. 13-11.)
Les choses ainsi étant, et en présence du fait que 22 États
sur !25, plutôt que d'accepter un méridien océanique, se
sont prononcés, à Washington, en faveur de Greenwich,
l'Académie des sciences de Bologne s'emploie précisément
à faire accepter tout ce qu'il y a d'essentiel dans lu propo-
sition de la France, k savoir un méridien neutre et fixé
tXQCleinenl de iu manière surjgérée dans k Rapport de la
Commission de 1884.
Pour ce qui est, en effet, de la neutralité du méridien de
Jérusalem, il me suffit de rappeler qu'il est mCme recom-
mandé par r « Union méditerranéenne», doatleâ adhérents
représentent, on peut bien le dire, presque toutes les natio-
nalités et tous ks cultes de l'Europe, de l'Afrique et de
l'Asie. On avait prédit que ce choix soulèverait « de ter-
ribles haines de race et de religion t>. J'ai voulu interroger
là-dessus la Sublime-Porte, et la réponse, publiéeavec l'au-
484 LE VŒD DE LA CONFÉRENCE TÉLÉCRAPiriQUE DE PAIIIS.
lorisalion de l'ambassade olloman« ii Paris, nous infûrnae
au contraire que « ce choix flatterait l'amour-propre na-
tional ottoman, le méridien unique f<e trouvant flxé en
Turquie! ». Enfln, puisqu'on a objecté l'idée religieuse, j'ob-
serverai que celle idée se trouve aussi, et dans la môme
mesure, dans cette expression; î Exposition universelle de
1889. » Pour y échapper entièrement, remarquait un des
savants les plus distingués de la Friince, il faudrait effacer
oiëmc le souvenir de notre chronologie, que lous, quoi qu'il
en Poil de l'année, s'accordent à faire commencer, ne lût-
ce que par convention, de la naissance de Jésus-Christ ar-
rivée à minuil du méridien de lieihléem, dont l'heure se
confond, à quelques secondes de minute près, avec celle de
Jérusalem.
Pour ce qui est maintenant de la manière de fixer le mé-
ridien initial, l'Académie des sciences de Bologne s'est con-
formée, de tous points, aux indications de la Commission
française de 188-1. On l'a défini, d'abord, par sa distance
horaire de Paris, trouvée en 186T par l'amiral Vignes; en-
suite on l'a repéré par rapport à tous les observatoires
indiqués dans r Annuaire du Bureau des longitudes. Voici la
liste demandée dans le Rapport de ladite Commission.
Liste de 50 fihseri'uloiief
auxiiueU on a repéri le niéridien de Jérusalem.
Distance do Parij, Dialanco do Jdrujilcni.
P.iri«0 o , ., h m . 3Î.52.M —2.11.32
Itenan'-s E 80.3^.2H —5.22.43 47.42,36 —3.10.50
Kerlin 0 11.03.30 -0.44.14 21.4a.2* —1.37.18
Berne 0 5.06.11.6 — 0.40.21.7 27.46.40.4 — 1.51.07,3
Bologne 0 9.00. M -0.36.04 23.5J.r.3 —1.35.28
Bombay E 70.28.43 — 4.1I.54.K 37.35.51 —2,30.22,8
Bonne- Espérance 0. ie.0«.26 —1. 04.34 16,44.45 —1.06.57
Breslau 0 14.12.21 - 0.5B,49 18.1031 —1.22.43
Bruxelles 0 2.01.57 — «.O8.07.H 30.5«.â% —2.03.24.2
Biide ou Ofen 0.... 16.43.01 -1.06.52 16.0'.>.54 —1.04.40
1. Voir ce document dans la XomeiU Revue, du 15 novembre 1888
et diDi VAttronomie du mois de février 1889.
LE vœu DE LA CONFÉRENCE TÉLÉGRAPHIQUE DE PARIS. 285
Distance do Paris. Distance de Jérusalem.
o I n h m • o / ». Il m S
Cadix 0 8.32.34.5 — O.SiiiO.B 41.25.26.5 — 2.45.42.3
Cirkruhe 0 6.03.54 —0.24.15.5 26.48.S8 —1.47.16.5
Christiania 0 8.23.11 —0.33.32.8 24.29.41 —1.37.59.2
Copenhague 0 10.14.28 —0.40.57.9 22.38.24 —1.30.34.1
Cracovie G 17.37.26 —1.10.30 15.15.26 —1.01.02
Edimbourg 0 5.31.08 —0.22.04.5 38.24.00 —2.33.36.5
Florence 0 8.55.08 —0.36.40.6 23.57.44 -1.35.51.4
Glasgow 0 6.37.53 —0.26.31.5 39.30.45 —2.38.03.5
Greenwich 0 2.20.14.4 — 0.09.21 35.13.06.4 — 2.20.53
Hambourg 0 7.38.11 — 0.30.32.7 25.14.41 — 1.40.59.3
HeUingfors 0 22.37.01.5 — 1.30.28 10.15.50.5—1.41.04
Kazan E 46.47.04 —3 07.08 13.54.12 —0.55.36
Kônigsberg 0 18.09.30 —1.12.38 14.4.S.22 —0.58.54
Leipzig 0 10.03.16 — 0.40.13 22.49.36 — 1.31.19
Lisbonne 0 11.28.37.5 —0.45.54.6 44.21.2i).5 — 2.57.26.6
Madras E 77.54.35 —5.11.38 45.01.43 —0.03.06
Madrid 0 6.01.31 — 0.24.06 38.54.23 - 2.35.38
Mannheim 0 6.07.22 —0.24.29.5 26.45.30 —1.47.02.5
Mexico 0 101.26.53 —6.45.47.6 134.19.45 —8.57.19.6
Moscou E 35.14.04 —2.20.56 2.21.12 —0.09.24
MunicliO 9.16.16 —0.37.05.1 23.36.36 —1.34.26.9
NaplesO 11.54.52.2-0.47.39.5 20.57.59.8—1.23.52.5
Odessa 0 28.25.20 —1.53.41.4 4.27.32 —0.17.50.6
PékinE 114.07.58 —7.36.31.9 81.15.06 —5.24.59.9
Prague 0 12.05.19 -0.48.21 20.47.33 —1.23.11
Québec 0 72.32.25 -4.54.10 108.25.17 —7.05.42
ReykiavikO 24.15.14 —1.37.01 57.08.06 —3.48.33
Rio-Janeiro 0 45.30.35 —3.02.02.03 78.23.27 —5.13.35.3
Rome 0.08.52 — 0.40.35.5 22.44 — 1 .30.56..'->
Saint-Pétersbourg 0. 27.59.08 —1.51.56.5 4.53.44 —0.19.35.5
Sainte-Hélène 0... 8.04.14 —0.32.17 40.57.06 —2.43.49
Santiago 0 73.00.45 —4.52.03 105.53.37 —7.03.35
Stockholm 0 15.43.16 —1.02.53 17.09.36 —1.08.39
Sydney E 148.52.08 —9.55.28.5 115.69.16 —7.43.56.5
Tiflis E 42.29.03 — 2.49.56 9.36.11 — 0.38.24
TriesteO 11.25.40 —0.45.42 21.27.06 —1.25.50
Tarin 0 5.20.13 —0.21.21 27.32.39 —1.50.11
Varsovie 0 18.41.42 —1.14.47 14.11.10 —0.56.45
Vérone 0 8.38.50 —0.34.35 24.14.12 —1.36.57
Vienne 0 14.00.03.1 — 0.56.00.2 18.52.48.9 — 1.15.31.8*
Ce n'est pas encore tout. Dans ma brochure : Cadran de
l'heure universelle, etc., publiée dès 1888 (Paris, Gauthier-
' Cette liste a été contrdice avec la ConnaUsance des Temps de 1890.
286 LE VŒU DE LA CONFÉnENCK TÉLÉGIUPUIQOE DE PARIS.
Villars), on trouvera le méridien de Jérusalem déjà repéré
par rapport non seulement aux observatoires, européens et
autres, mais à toutes les localités, plus de deux cent soixante
en nombre, dont VAnnuaire de l'année 1888 donne la
position géograpliiijue. C'est plus qu'il n'en faut, me pa-
rait-il, pour réaliser, si on s'y décidait, cette année mômr,
centenaire de l'unilicalion des poids et mesures, l'unifica-
tion dans la mesure du temps.
Le méridien de Jérusalem est indiqué, en quelque sorle^
par la nature elle-mt'me, étant celui qui marque, à quelques
secondes près^ le commencement de chaque jour de notre
chronologie, qu'on ferait ainsi coïncider avec le jour ^ uni-
versel ». — Ce méridien a, de plus, pour lui une sorte de
droit historique) \ii qu'au mo3en ûge il était considéré,
aimi que le rappelle Danle, comme méridien central, ori-
gine, par conséquent, des longitudes est et ouest. — Il
marque aussi le commencement de la chronologie et des
lunaisons des Israélites. — Sa longitude est d(?j à connue
(32% 52' 52" E. Paris, 35=, 13' 6" 4 Greenwich) et n'a besoin,
pour être conlrûlée, d'aucun observatoire national, Jérusa-
lem possédant déjà un bureau télégraphique. — Pris dans sa
tolalilé, ce méridien touche à toutes les parties du monde et
traverse des terres appartenant aux principales puissances
ou placées sous leur prolectorat, o(l"rant,à ce titre aussi, un
caractère réel d'internationalité. — L'antiméridien de Jéru-
salem coupe l'île française de Tahanéa, dans les Tuamotu,
où un observatoire, au beau milieu du Pacifique et dans les
mains de la France, rendrait de grands services surtout à la
météorologie nautique. — EnDn, j'observe que la confor-
mité/og'igue des longitudes, employées comme mesure du
temps, avec l'ensemble de notre chronologie a été déjà
demandée par trois membres delà Société géographique de
Genève au Congrès géographique international de Paris en
1875, et à la Conférence de Washington, par le délégué de
l'Espagne, M. Uuiz el Arbol.
LE TŒD DE LA CONFÉRKNCI? TÉLÉCHAIMnQUb: DH PARIS. 287
Quanta la probable altitude de rAnglelerre, j'observe que
fkitatii quo dans la marine, en môme temps qu'il garantit
lia France le pacifique usage de son mériclien national sur
doutes les mers, garantit aussi à l'Angleterre le pacifique
fustige du sien, égateuient sur tontes les mers. Statu quo
'sii![iiiûc : maintien de l'état actuel; or, l'étal actuel c'est la
likrlé pour chaque nation d'employer, dans la navigation^
le méridien qui lui convient davantage, sans qu'elle puisse
l'imposer aux autres. Cette liberté devrait être une condi-
tion sine (/Mrt no« de tout arrangement ultérieur.
Rassurée sur ce point, l'Angleterre s'opposera d'autant
Dioins, rae paraît-il, i la transaction proposée, que nul n'a
plus ériergiqiiement protesté contre le choix du méridien
rde Greenwich pour fixer l'heure universelle, i cause des ser-.
Tices qu'il rend à la marine, que l'ex-directeur lui-même
dcson observatoire, sir G. B. Airy. « Presque loule la navi-
gation, écrivait-il le 18 juin 1S79 au secrétaire d'Etat pour
les colonies, est basée sur le Nauiical Almaiiac, di>nl les
données se rapportent au méridien de Greenwich... Moi,
l'ependant, comme directeur de son observatoire, je re-
pousse entièrement toute idée de fonder là-dessus un titre
iinclconque pour le choix de ce méridien. *
En présence de toutes ces considérations, j'exprime lacon-
unce que tous les gouvernements, appréciant la légitimité
'desifemandes de la France en ce qui concerne soit les limites
(\p r«niflcation des longitudes et des heures, soit la maniùre
de fixer le méridicit initial, sanctionneront une transaction
qui, j'ose l'affirmer, « concilie tous les intérêts ». Le général
deiiabrea, ambassadeur d'Italie et membre correspondant
l'Institut, en a communiqué le texte, conjointement au
ou de la Conférence télégraphique internationale, à l'Aca-
3craie des sciences de Paris, dans la séance du 15 juillet
^Voy. Comptes rendus, pp. 96-97).
La France, il est vrai, ne s'est pas encore prononcée;
288 LE VlEt' IiE LA CONFÉRENCE TÉLÉCnAPHlQUE DE PARIS.
qu'il me soit permis, cependant, d'esptiraer ta conBance
qu'elle tiendra à raoïilrer de savoir gré à l'Acailémie des
sciences de lîologiie pour tout ce qu'elle a fait afin d'ob-
tenir de tous les Étals la reprise en considération des pro-
positions de ia France à Washington.
Enfin, j'observerai en terminant que le système amé-
ricain des fuseaux horaires, exposé ici niôme et avec une
clarté si remarquable par M, de Nordling, peut s'appliquer
à n'imporit' quel méridien. J'en fais la remarque, tout eii
lui préférant le système des heures nalionules ù multiples
simples, préconisé par la lievue scientifique. Ce dernier
système possède, me paraît-il, tous te& avantages du iire-
mier sans en partager les inconvénients.
Posl-lcriptum . — Lespngei cjiii préctileitl étiili:ntilL-jù<''i:ril<;si|u3nitjni'(!>;u«coii]-
iniiiiicalioii du vœu suivnul, émis [lar la secliun ilo p'ograptilt: liiiis li' XI \« coii-
l'i'èa de rAssncinlitin triiiivni»e {lour l'avani^cRienldus «cirucct tiMiu i Limoges du
7 au 14 aoai 181311 :
■ Ccin^iddrnnt que runjflcitivn lltlll^^ la mesuri; ilii teiik|i) csl un ri'cl )iro;ri«
s<;lijntiljqiia qui, not:iriiii|[;ilL, faeililtni Tclucle <^t lu caiiipantiHan dus oliierralioni
iiiélcoroloKÎqiU'S, [ilivsiqiics cl asIrDiiomiqtics, Faitu «iir InulL'Iti »ui*raci" du globa
cl li'.iiisiHUej par le Idlot'rnplie ;
I Persuadée lii- r<>p|iorlvinUi! 'le resirpindro runiflcalinu dcn heure» el dus loni;i-
tudej aii< liiniit'S poKitt par l'Acaddiuic des »cîcrii:c9 ik' Dolo^'no, qui joiit les
mi^nics que celle* propoiiaut pir la Franco à ta Cunfi^reiim ïnlernalionalc de Wat-
Lingiou;
• l'crsuadén, d'autre pari, de la convenance jr!'viilifii|inï do fallu coïncider lof
lanifiludo*, emphnoci cuniuio uieiuio du Icinpf, uvee l'ciiacnilile de noire cUiouf,-
lopie;
■ IJUBilfèa, enfin, par la pnrloo ou vuiu tmi» ù l'niianiinUé par la Coiifôrt'iitc
téldgraphlquo de l'arls. sur la p rupoailiun niAmi; du l>lreclcur gi^néral dm poste»
et téli^rïpliei Imn^ai)*;
( Itemcrclc l'Acadêriiie de» (cienci!< de Unlugnc de nea lonus et porfovùranl»
eflurla pour trouver une tulnlion de la i|ucsli<iii de l'Iieiiri' uiiivarsclle qui conrillc
tou« Ion Intérêt, cl lirncl k v<r>u que la Iranaoclion propoic'e par celle Aiadéntie
lioit hienlilt adoploc par tonles li-t (>uJBsance:i civilUéei» et qu'on arrive, enlin,
a l'unilîcation dan^ la lueiiiire du leiups. >
Ce vœu, idopléù riinaniiuitij par la auction, :i la suite d'un rapperl de M. Fr<^-
déric Honianct du Caillaiid, dcléjruè de la Sociélé do féoifrapJiie de Parla bu Couvre»
do l,imui.'es, u élé, l'nselu- a|iprtniv^, cdiiimo vo'u de la Fcclion de féi)'„'ra[i|iic,
par le censcil de l'Asaorinlion Ti aniaise, pour lîlro transjni* aux aiiloritci coin-
péleulen. La souliail i|ue je me pcrnieiluîs d'usprinier a élé rempli et au dclk de
mua iiltenic. Je ttcn» a exprimer icliouic ina rccuniiaisaaiir.e à la SAclion de g(a-
grapliie de VAisuiiialioa (ram.aise poiii- l'avnncemenl dcf ideiiees «t a tun cou-
Mil.
l'arii, 17 aoill 1890.
*. Procit-verbaux de la Cmf^enc« lélégraphiiue, (î* (éanee pléniorc. 17 inJn
1800.
Le Gérant responsable,
Ch. Mauxoiii,
SccréLtire punùral ile la cuuiiiiissiHjo eciitriile.
4039. — Inipiiiiieries véiiiiie*, B, nie iliuiioii, i. — JIw .a MoTTEnoz, diroekiurm
LE
CONTESTÉ FRANCO-BRÉSILIEN'
HENRI GOUDREAU
Le territoire eonte«té d'après les dernières nég^octa-
«lon« orncleiies, en 1856* — Les dernières négociations
officielles entre la France et le Brésil, pour la délimitation
des Guyanes française et brésilienne, ont eu lieu en 1856 au
ministère des Affaires étrangères, à Paris. Le plénipoten-
tiaire de la France était le baron de Butenval, et le plénipo-
tentiaire du Brésil le vicomte d'Uruguay.
Premières propositions. — La France revendiqua d'abord :
1° à la côte, la limite dubras nord, obstrué ou non, de VAra-
guary, puisse fleuve Araguary; 2° dans l'intérieur, de l'est
à l'ouest, une ligne partant de la source deV Araguary puis
se prolongeant à égale distance de la rive de V Amazone
jusqu'à ce qu'elle rencontrât la limite ouest du rio Branco.
— Le Brésil Vi'offrit tout d'abord que la limite de l'Oya~
pock et la chaîne de partage à l'ouest de la source de l'Oya-
pock.
Dernières propositions. — C'est dans le procès-verbal de
1. Cette question a été lon$;uemcnt traitée devant la Société de Géogra-
plïic en 1857 et 1858, par MM. d'Avezac, F. -A. de Yarohagen et J.-C. da
Silva. Voirfîui/eWn de la Société de Géographie, 1857 : août-soptembre-
octobre, p. 89; 1858; mars, p. 145, avril, p. 213 et 353, mai et juin,
p. 351. septembre et octobre, p.' 129. — Voir la carte jointe à ce numéro.
— Voir, sur le même sujet, la France équinoxiale, par M. A. Coudreau,
Paris, Challamel aîné, 1887.
soc. DK GÉOGR. — 3' TRIMESTRE 1890. XI. — 19
29Ô LE CONTESTÉ FUA>C0-BHKS1L1EN.
la séaace du 1" juillet 1856, 15"" et dernière séance des né-
gociations, que nous trouvons formulées les dernières pro-
positions de la France. Le gouvernement de l'empereur
consent à ce que la future limt le soit ainsi indiquée dans le
traité à intervenir :
« Le canal de Carapaporis, séparant I'Up de Maracades
« terres adjacenlex du Cap de Nord, puis la branche nord
<i du fleure Arouari, si cette hr anche est libre, on, dans le
« cas où cette braucke serait aujourd'hui obstruée, le pre-
« mier cours d'eau ensuivant, en remontant rem le nord,
« et se jetant soiis le nom de Mannaie ou de Carapaporis
« dans te canal de Carapaporis à un degré quarante-cinq
« minutes environ de latitude. nord.
« La limite, partant de la côle, suivrait le cours du fleuve
« sus-in.di(jué jusqu'à sa source, puis se prolongerait à
a égale dislance de la rivière de l'Amazone jusqu'à ce
« quelle rencontrât la limite ouest du rio Branco. » (Pro-
tocole de la conférence sur la délimitation des Guyanes
française et brésilienne, 1857, Rio de Janeiro, page 174.)
« Le plénipotentiaire français (Protocole, p. 17i), s'es-
« time heureux d'être, auprès de son honorable collègue,
« Pintermédiaire d'une proposition qui semble de nature à
« clore équitablement et heureusement la négociation
« poursuivie depuis plus d'une année. Si la bouche nord de
« l'Arouari ou Vincent Pinçon est libre, en l'adoptant déft-
« nitivement comme frontière, les hautes parties contrac-
« tantes ne feront qu'exécuter le traité d'Utrecbt. Si, au
(' contraire, elle estobslruée, loin de se prévaloir de ce que la
V limite d'Utrecbt aura, en quelque sorte, été abolie par
« les éléments, la France consent à reculer jusqu'au cours
« d'eau le plus voisin on remontant vers le nord. Cette con-
« cession est le témoignage des sentiments qui inspirent le
« gouvernement de l'empereur, mais c'est le dernier effort
« qu'il soit permis de faire vers l'accord définitif qu'il a tant
« à coeur de voir s'établir. »
LE CO«TE!>TÉ FIIANCO-nnÉSIUEN. 291
t Le plénipotentiaire brésilien (Protocole, p. 174) répond
< à son honorable collègue, qiCil a épuisé toutes les con-
« tensions qu'il pouvait faire afin de terminer la question
« par une transaction, mettant le droit de côté, en jiropo-
« sant pour limite le (]alsohu\ à deux deijrés trente mi-
« nutes environ. » (Proposition faite dans la l-t"" confé-
* rence, p. 170.)
« Le plénipotentiaire brésilien ajoute que ce qu'il vienlde
< dire se réfère à /« limite de la cèle, car, quant à celle de
« l'est et de l'ouest, il s'alisiiendra de la discuter et
« d'émettre sur elle tme opinion, non seulement parce
« qu'elle est indiquée très vaguement, et comme une con-
« séquence d'une lignedecôle qui n'est pas encore acceptée
« et fixée, mais aussi parce <ju'il a été convenu, dans le pro-
c locole de la 12""* conférence, qu'il n'était pas possible de
€ s'occuper de la limite intérieure avant d'avoir arrêté la
« limite de la côte. » (Protocole, p. 174.)
En effet, dans le protocole de la 1"2 '" conférence, du
22 janvier i85t), on lit (Protocole, pp. loi, 152) :
< M. le vicomte d'Uruguay, plénipotentiaire du Brésil,
« manifeste le désir de savoir quelles sont les inlenlions et
€ l'opinion de son ancien collègue sur la seconde partie de
« son Mémoire, c'esl-à-dii'e la ligne divisoire qui doit sépa-
<t rer, allant de l'est à rouesl,les territoires des .leux pays.
« Le plénipotentiaire français répond qu'à son avis, le
« point de départ de toute limite étant la limite maritime,
« celle du point de la côte où débouche le cours d'eau com-
« mun aux deux États, il lui semble impossible de s'occuper
« de la limite intérieure avant d'avoir arrêté ce point de
« départ, c'est-à-dire d'avoir résolu la difficulté créée par
« la diversité d'interprétation du traité d'Utrecht par la
« France et par le Brésil.
t Le plénipotentiaire du Brésil déclare partager cette opi-
• nion. »
Cette question de la limite de l'est à l'ouest est étudiée
LE CONTESTÉ FUiNCO-HUÉSILlEN.
les mémoires préalables des deux plénipotentiaires.
Le plénipoLenUaire du lîrésil, dans son Mémoire offlciel
surlo délimitîition des Guyanes française et brésilienne, du
15 juin 1855, concluail, pour la frontière de l'est à l'ouest,
qu'« il serait convenable de stipuler que la limite entre le
(( Drésii et la Guyane française, de l'est à l'ouest, conlinue-
« rail de la source de l'affluent ou embranchement de
« rOyapock dont il est parlé dans la première partie de
û son Mémoire (le Brésil, avant de consentir la limite de
« Calsoène, n'offrait que celle de rOyapock), continue-
« rail par les Cordillères, chaînes de montagnes ou ter-
« rains plus élevés qui forment le partage entre les eaux
« qui vont à la rivière des Amazones et celles qui vont à la
« liuyane française et à l'Océan. « (Protocole, p. lô.)
A quoi le baron de Uulenval répliquHit, dans sa réponse
préliminaire du 28 juiti 1855 au Mémoire de M. le vicomte
d'Uruguay ; <* Le Mémoire de M, le vicomte d'Uruguay
« touche aussi, mais très sommairement, à la question des
limites dans la direction de l'ouest. Cette question est
intacte, et peut-être n'a-t-on pas encore, de partetd'aiitre,
toutes les données positives qui seraient nécessaires pour
la bien régler. La pensée du cabinet brésilien paraît ôtre
de chercher une ligne naturelle, comme celle d'un par-
tage d'eau, de préférence à une ligne artificielle qui con-
stituerait plutôt une séparation idéale surle papier qu'une
frontière d'un relief bien accusé sur le terrain. Nous re-
connaissons sans peine qu'une frontière ainsi constituée
«st préférable. Cependant, on ne pourrait, de notre côté,
prendre aucun engagement de ce genre d'après des
données aussi peu précises que celles que nous possédons
sur l'intérieur delà Guyane dans la direction de l'ouest,
ni renoncer, en principe, au bénéHce d'une ligne astro-
nomique plus ou moins parallèle à l'Amazone, qui cou-
perait quelques-uns des cours d'eau, afiluents directs ou
indirects de la rive gauche de ce fleuve. «
LE CONTESTÉ FRANCO-BRÉSILIEN. 293
Les négociations de 1856 n'ont pas abouti, bien qu'elles
aient été les plus sérieuses qui aient été engagées depuis
l'origine du différend. «. Jamais, jusqu'à ce jour, cette ques-
( tion des limites n'a été sérieusement examinée, instruite
( ni discutée, dit le plénipotentiaire brésilien, elle a tou-
« jours été écartée ou esquivée à la hâte, sous l'influence
( d'événements plus considérables qui la dominaient et qui
€ l'étouffaient. » (Protocole, p. i44.) « La France, pour la
€ première fois, dit le plénipotentiaire français, vient de
c produire l'ensemble de ses preuves et d'en développer les
€ détails, » (Protocole, p. t44.)
Délimitation officielle du contesté. — Ces négociations
eurent au moins pour résultat de donner des frontières of-
ficielles au territoire contesté franco-brésilien.
Nous référant aux propositions faites, au nom de son gou-
vernement, par le plénipotentiaire français, la France re-
vendiquait sa frontière historique, sa frontière du
XVIII* siècle ; elle réclamait en 1856 :
1» A la côte : Le bras nord de l'Araguary (représenté
aujourd'hui, en 1887, parla rivière Jourdon, le lac Macari,
la rivière du Coraprido, le lac Novo et le déversoir du lac
Novo dans l'Araguary) et le fleuve Araguary.
2* Dans l'intérieur, de l'est à l'ouest : Une ligne partant de
la source de l'Araguary puis se prolongeant à égale dis-
tance de la rive de V Amazone jusqu'à la limite ouest du
rio Branco.
Cette limite dans l'intérieur, la limite de l'est à l'ouest,
comme les diplomates l'ont appelée, n'a pas été, en 1856, et
n'aurait pu être déterminée avec précision.
Au xviii' siècle c'était « une ligne s'écartant le moins
possible de l'équateur et de la ligne parallèle au cours de
l'Amazone (Bessner, mission Mentelle, 1782), se rendant
jusqu'au rio Branco, et essayant de trouver à nos ter-
ritoires de l'intérieur une frontière sensible, scienti-
fique.
294 LE liONTESTÉ FKANClt-JlUÉSlLlEN.
Ea 1850, c'est « une ligue partant de la source de l'ArU'
guary et se prolonijcaul à égale distance de la rive de
l'Amazone jusqu'à la limite ouest du rio Branco ». La
source de l'Araguary, qui n'esl pas encore exactement
Cûimue, n'était pus alors connue même conjecturalement.
La source, égalenieul inconnue, du Carapaporis ou Man-
naie offerl iransaclionnellemicnt comme frontière, eût pu
nous donner une limite plus méridionale que celle de la
source de l'Araguary. Ce n'est donc pas naême interpréter,
c'est seulement traduire la pensée du gouvernement fran-
çais en tabù que de qualifier la frontière intérieure qu'il
proposait i'i partir de la source du lleuve limité à. la côte :
uti équateur lisible, sensiblement parallèle à l'Amazone
jtisqu'au rio Branro. Ce qui {pour plus de précision),
place la parallèle \oulue à l'Amazone, en 1856, à environ
300 kilomètres au nord du (leuve. Mous pouvons donc
préciser nettement ainsi, pour Tavenlr, notre frontière :
L'aticien bras nord de rAraffuartf : l'Araguary ; une ligne
à '200 kilomètres environ de l' Amazone jusqu'au n'a
Branco, limite occidentale.
HiHtoriqae de la «ineaiiuu. — Avant le traité d'Utrecht.
— .\u xvu' siècle, la France avait nominalement la posses-
sion delà totalité de l'île de Guyane entre lOrénonue et
l'Amazone, mais nous ne cherchâmes point à occuper
toute la contrée. Bientôt les Hollandais s'établirent entre le
Maroni eU'Orcnoque. Nous testâmes avec le pays compris
entre le Maroni et l'Amazone, et, malgré toute l'impor-
tance de ce dernier fleuve, nous nous bornâmes à y faire
quelque commerce avec les Indiens au lieu d'y construire
des forts.
C'est alors que les Portugais, voyant l'état d'abandon
dans lequel nous laissions cette partie de notre colonie,
songèrent sérieusement h nous évincer de la rive septen-
trionale de l'Amazone. En l(J8S ils avaient déjà, sur la rive
LECONTESTÉ Fn\NCO-BRÉSIUEN.
295
nord du bas Amazone, quatre petits postes forLiliés : Deslerro
à l'embouchure du Parou, Toh6ré près de celle du Jary,
et, un peu plus bas, Sào Antonio de Macapâ et Araiiari.
Le fort du Desterro avait été élevé pirles Portugais dès le
commencement du xvir siècle. En 163'J, le P. d'Acurta en
parle comme d'un fort garni de soldats et de canons.
Le fort de Sào Antonio do Macapà avait éié baii par les
Portugais sur l'emplacement du fort de Cainau, que Féli-
ciano Coeilio de Carvalho prit h l'Anglais Roger Frey en
t632.
Louis XIV lit alors affirmer par M. de FéroUes, gouver-
neur de Cayenne, les droits de ta monarchie française sur
toutes les terres du bassin guyanais du fieuve. Le gouverne-
ment portugais ayant refusé de reconnaître le bien fondé
des prétentions du gouvernemetil français, M. de Férolles,
sur l'ordre de Louis XIV, en mai 1(3U7, en pleine paix,
enleva et occupa Sào Antonio de Macap;i et détruisit Des-
terro et Tohéré. Le fort d'Arauari avait été précédemment
enlevé par la pororoca. Le lait d'armes de M. de Férolles
fut inutile : la petite garnison française ne put se maintenir
i|u'un mois à Sào Antonio de Macapà, et les Portugais réoc-
^cupèrent le poste après nous en avoir chassés.
La première convention diplomatique qui ait essayé de
'régler le différend est du 4 mars 1700. Des négociations
eurent lieu à la suite de TaHaire de Macapà, et furent
suivies d'un Irailé provisionnel. Le roi de France s'engageait
à s'abstenir provisoirement de faire aucun élablissement
sur la rive nord, mais le roi de Portugal ferait détruire
Macapà et ne prendrait aucune position sur la rive litigieuse,
provisoirement neutre. Conformément au traité, le Portu-
gal détruisit Macapà.
En 1701 fut conclu un second traité. C'était à l'époque
de la guerre de la succession d'Espagne, Louis XIY recher-
chait l'alliance du PortuguL Pour obtenir celte alliance, il
rjrenonça au.'; prétentions que la monarchie française avait
a
i96 LE CONTESTÉ FBANCO-BnÉ?IUEN,
jusqu'alors maintenues sur la proviuce de Maragnon, au
sud de l'Amazone. Pour ce qui était de la rive gauche de
l'Amazone, le statu q^o du traité provisionnel ilu i mars
1700 était maintenu.
Le traité iTUlrecht. — C'estle traité d'Ulrecht, du 1 1 avril
1713, qui est censé terminer le différend. En réalité il n*a
servi qu'à le prolonger jusqu'à nos jours.
Ce traité, au lieu d'en unir avec ua conflit qui durait depuis
vingt-cinq ans, le rendit, pour l'avenir, dîplomaliquemenl
presque insoluble.
Le traité d'Utrecht dit, en substance (articles 7 et 8),
que la France renonce aux terres du Cap de Nord, situées
entre la rivière des Amazones et celle de Japoc ou Vincent
Pinçon; (fue la navîgation de l' Amazone, ainsi (jue les deux
rives du fleuve, apparlieiidrout axi Portugal; et que la
rivière de Japoc ou Vincent Pinçon servira de limite aux
deux colonies.
Cette rivière de Japoc ou Vincent Pin(;.on, i'rontière des
deux colonies, n'est indiquée ni en latitude ni en longi-
tude; de plus, le traité n'indique que le point de départ, à
la côte, de celte frontière, et n'indique pasl'aLlribution des
terres de l'intérieur, il dit seulement que les deux rives de
l'Amazone appartiennent au Portugal.
De là double difficulté,
1" Quelle est la rivière Japoc ou Vincent Pinçon::' Pour
les Portugais c'est l'Oyapock; pour les Français, un bras
nord de i'Araguary se déversant au sud de l'île Maraca.
Voilà pour la limite de la côte.
2' Pour ce qui est de l'intérieur, de la limite de l'est à
l'ouest, les Portugais disent que la rive nord de l'Amazone
signifie tout le bassin nord de ce fleuve, les Français disent
que la rive seule est portugaise et que l'intérieur est fran-
çais.
Du traité d'Utrecht à la Révolution. — Presque aussitôt
après la signature ilu traité d'Utrecht on commença à dis-
I
I
LE CONTESTÉ FRA^XO-BRÉSILIEN. 297
cuter officiellement sur la position exacte de la rivière de
Japoc ou Vincent Pinçon.
Les Portugais écrasèrent quelques peuplades indiennes
de la côte au nord de l'Amazone, qui s'obstinaient à faire
des échanges avec Cayenne, et ils envoyèrent dans l'inté-
rieur des missionnaires jusqu'à l'Oyapock. De notre côté,
en 1722 nous dépéchâmes un détachement pour s'emparer
de Moribira, dans l'île des Guarlbas, aux portes de Para, et
ce détachement se maintint un an dans le poste conquis.
Le tout, en interprétation du traité d'Utrecbt.
En 1723, toujours en interprétation du traité d'Utrecht,
Gama, gouverneur du Para, ût rechercher par Paes do
Amaral les anciennes bornes de marbre élevées par ordre
de Charles-Quint, en 1 543, entre les possessions de l'Espagne
et celles du Portugal. Ces bornes antiques, en elles-mêmes,
ne signifiaient pas grand'chose. Mais la recherche qu'on en
fit sert à nous prouver que, quelques années seulement
après avoir été signé, le traité d'Utrechtfut réputé, pour ce
qui concerne la délimitation de la frontière entre la
Guyane française et portugaise, officiellement inintelli-
gible, du moins pour le Portugal. Paes do Amaral, qui ne
saurait être suspect de partialité en faveur de la France,
découvrit les bornes par 1°30' de latitude nord, à l'embou-
chure d'une rivière qu'il appelle Wiapoc ou Vincent Pinçon,
et que sa détermination astronomique nous indique claire-
ment être un bras de l'Araguary.
Aussitôt après, le gouvernement français ayant été
informé de la découverte de Paes do Amaral, d'Orvillon,
gouverneur de Cayenne, reçut l'ordre d'agir en consé-
quence; et toute la côte, de l'Oyapock au bras nord de
l'Araguary, fut effectivement annexée à la colonie de
Cayenne.
De leur côté, les Portugais, fort irrités, affirmèrent offi-
ciellement, pour la première fois, leurs prétentions à la
possession de la rive droite de l'Oyapock, et pour justifier
298
I.E CONTESTÉ FnANCO-FinKSILIEN.
leurs revendicalions ils firent rechercher, à l'embouchure
de ce fleuve, à la montagne d'Argent, les fameuses bornes
de Charles-Quint, lesquelles, ayant déjà été trouvées par
Paes do Amaral au hras nord de TAraguary, ne purent, malgré
loule la bonne volonté du nouveau commissaire portugais,
se redécouvrir àl'Oyapock.
L'interprétalion du Irailé d'Utrecht continuait d'ailleurs
de part et d'autre : les Portugais faisaient, dans l'inlérieur.
de grandes razzias d'Indiens jusqu'à l'Oyapock, et nous,
nous confisquions les barques portugaises jusqu'à l'île de
Marajo.
Sur ces entrefaites, en 1732, des négociations furent
entamées entre le gouverneur de Para et celui de Cayenne.
Ces négocialions avaient pour but d'arriver à délimiter
la frontière des territoires litigieux. Elles aboutirent à
l'accord de 1736, qui nous laissa, en fait, libre pratique
des terres au nord du bras septentrional de l'Araguary.
C'était une espèce de désistement tacite de la part du
Portugal. Et pendant près de soixante années, de 1736 à
1794, nous usâmes si largement de ce désistement et pra-
tiquâmes si librement les eûtes au nord de l'embouchure de
l'Amazone, que, plusieurs fois, les autorités portugaises
purent faire saisir des barques françaises péchant dans les ■]
parages de Para. Aussi, en 17fii, le Portugal, pour protéger
sa rive nord de l'Amazone, de moins en moins respectée par
nous. lit-il construire le fort de Silo José de Macapa, non
loin de l'emplacement de l'ancien fort de Sâo Antonio.
A celle époque, le gouvernement français était bien pos-
sesseur, de fait, comme il l'a toujours été de droit depuis
le traité d'Utrecht,de toute la côte entre l'Ûyapock et le bras
nord du delta de l'Araguary, bras appelé alors Carapaporis.
En 1766, Malouet, gouverneur de Cayenne, envoyait au
ministre deux Mémoires pour établir définitivement et irré-
vocablement et nos droits et le fait accompli. En 1 774, Fied-
mond, successeur de Malouet, faisait faire, par le sieur
I
LE CONTESTE FRANCO-UflESlLlEN.
299
Dessingy, ingénieur-géographe, un relevé de la côle entre
rOyapock et le Carapaporis. Trois ans plus tard, en 1777,16
raêmeFiedmond faisait prendre, "sans réclamation delà part
du Portugal, possession elTecLive^ adrainislrative, de la baie
qu'on appelait alors Vincent Pinçon, entre l'île Macara et
la côte, baie dans laquelle dcbouciiail le Carapaporis, par
rétablissement, sur la rive gauche du Carapaporis d'un
poste dénommé Carapaporis ou Vincent Pinçon, el un peu
au nord-ouest, en suivant la càtu vers le nord, d'un village-
mission appelé Macari sur la rive droite du petit fleuve
Macari. Un ingénieur-géographe, avec le Ulre de Gardien
des limites, fut installé au village-mission de Macari. Ce
fut d'abord le sieur Labbé, ingénieur-géographe, qui rem-
plit ces fonctions; puis ce fut le sieur llonlct, autre ingé-
nieur-géographe.
La frontière ofUcielle de la Guyane française, de 1736 à
1794, en interprétation du traité d'Utrecht, sans réclama-
tion de la part du Portugal, fut, à la cftte, le Carapaporis,
canal naturel alors important qui devenait l'Araguary au
sud de Maraca, et pour rinlérieur de l'est à l'ouest, une
ligne vague, non tracée, qui du Carapaporis allait au
Erio Branco, entre l'Amazone et la ligne équatoriale, se
rapprochant le plus possible de celle-ci, et le plus possible
parallèle à celui-là.
C'est ce bras du Carapaporis que Humboldt déclarait plus
ttrd être le vrai Vincent Pinçon. Ce bras, jadis considé-
rable, est obstrué aujourd'hui.
On se préoccupait alors aussi de la limite dans Tintérieur,
de la limite de l'est à l'ouest.
En 1782, M. de Bessner, gouverneur de Gayenne, donnait
à Simon Mentelle, géographe, la mission de reconnaître
quelle ligne sensible de déraarcaiion pourrait être établie
entre la Guyane française et les possessions portugaises, en
partant du point où le canal de Vincent Pinçon ou Carapa-
poris, puis l'Araguary, cesse de séparer les deux colonies.
300
LE CONTESTÉ FllANCÛ-OnÉSlLIEN.
Poursuivant vers l'ouest, Mentelle devail, « s'écarlant le
moins possible de l'équaLcur et de la ligne parallèle au cours
de PAmazooe (afin, disaient ses instructions, de remplir
exactement l'esprit du traité d'Ulrecht), se rendre jusqu'au
rio Branco, essayant de trouver, à nos territoires de l'inté-
rieur une frontière sensible, scientifique. »
Malade, Mentelle ne put dépasser l'Araguary.
Les choses en étaient là, après l'échec de Mentelle,
quand, en 1792, en présence du danger imminent de guerre
universelle, pour concentrer à Gayenne toutes nos forces de
la Guyane, nous évacuilmes le poste de Garapaporis ou
Vincent Piuçon.
Les traités de la Révolution. — Eu 1794, l'émancipalion
des esclaves dans la Guyane française ayant fait craindre
aux Portugais un soulèvement de leurs esclaves du Paià,
les Portugais armèrent cinq petits bâtiments, et, en atten-
dant une déclaration de gueri-e officielle, commencèrent
par venir piller, dans le Ouassa, une grande ferme à bétail
dont le propriétaire, le citoyen Pomme, était alors député
de Cîiyenne fl la Convention.
Sortie du Ouessa, la lloltille portugaise entra dans l'Oya-
pok. Les Portugais, reprenant après cinquante-huit ans, et
à la faveur de la guerre générale, leurs anciennes préten-
tions, adressèrent au commandant du fort, qu'ils qualifièrent
de commandant des limites, sommation d'avoir à livrer les
esclaves portugais fugitifs. Le poste d'Oyapock avait été
évacué, et le commandant provisoire se trouvait être le
maire. Ce brave homme réunit son conseil municipal, qui,
après délibération, déclara aux Portugais que la frontière
était iiu Carapaporis et que la Ilévolution avait libéré les
esclaves. Les Portugais, en se retirant, plantèrent avec so-
lennité un poteau sur la rive droite de l'Oyapock, et ils ap-
peièreul ce poteau Notre-Dame de la Conception. Les enva-
hisseurs avaient à peine mis à la voile, que l'héroïque
conseil municipal passait le lleuve et brûlait le poteau.
CONTESTÉ FRAXCO-BRÉSIUF-X. 301
celte expédition, la flottille portugaise
mouilla à l'embouchure de divers fleuves d'entre rOyapock
elleCarapaporis, où se trouvaient de petits villages indiens
vivant sous notre proLaction, et notamment à Counani, où
nous avions depuis 1780 un village-mission de 300 âmes,
et au village-mission deMacari à peu près aussi important.
Les Portugais emmenèrent en musse toute cette population
indienne au Brésil. De HOià 1708 la côte d'entre Carapa-
poris et Oyapock fut systématiquement dépeuplée par les
Portugais, 11 importait d'agrandir le désert entre Para et
Cayentie, car, au contact des Fran*;ais qui donnaient la li-
berté aux Indiens et aux esclaves, Para se serait bientôt
trouvé sans esclaves et sans Indiens. Cependant nos indiens
îus regrettèrent. Quelques-uns d'entre eux, déportés au
in, trompant une surveillance active, se riant de puni-
Dns sévères et bravant tous les dangers, revinrent dans nos
îlages dans de frêles pirogues, par cinquante et même
^ni lieues de haute mer.
'La Révolution n'élail pas liée par le traité d'Ulrecht et
3e pouvait, en imposant la paix au Portugal, se choisir une
i>nne frontière. Au premier traité (signé le 10 août 1797)
de Talleyrand n'eut pas \a main lieureuse. La limite
ait fixée au Vincent Pinçon ou Carsevenne. Or, jamais le
3arsevenne n'avait été pris pour le Vincent Pinçon. Déplus
accepter cette frontière était pour nous une reculade
après la victoire. Le 2fi octobre de la même année le Direc-
Nre déclarait ce traité non avenu.
Le 6 juin 1801, un nouveau traité fut signé à D idajoz. La
Jrontière devait suivra l'Araguary, mais non plus la bouche
M de l'Araguary, noire limite historique, mais la bouche
"stid, la grande bouche. La frontière suivait tout le cours du
flûuve Jusqu'à la source, et de la source gagnait le rio
firanco en ligne droite, sans préciser le point où elle l'at-
teignait.
Le traité de Badajoz fut ratiûé le 16 juin, mais ce traité
:{()2 l-E CONTESTÉ FRANCO-DRÉSILIEN.
ne plaisant pas à Bonaparte, un nouveau traité fut signé à
Madrid le ÎO septembre 1801. Cette fois Bonaparte, qui
moins que tout autre, évidemment, était disposé à se consi-
dérer comme lié par le vieux traité de l'ancienne monarchie,
déchirait ouvertement le iraité d'Ulrecht. La limite est re-
portée au Garapanatuba, petite rivière qui se jette dans
l'Amaxone un peu au-dessous de Maeapd, par un tiers do
degré de latitude nord. La frontière devait suivre le Garapa-
natuba jusqu'à sa ^ource, d'oii elle se portait vers le rio
Branco, sans détermination autrement précise. Ce traité ne
fut pas ratifié.
C'est le traité d'Amiens, du 25 mars 1802, qui est, pour
la matière, le traité défmitif de l'époque révolutionnaire.
Ce Iraité n'a pas été fait, sans doute, en interprétation du
traité d'Ulrecht; il nous indique seulement comment on
comprenait, à cette époque, la frontière historique et natu-
relle de Guyane. La limite était fixée à la grande bouche (la
bouche sud)derAraguarj', par 1° HO' de latitude nord, elle
suivait l'Araguary jusqu'à sa source, puis de la source de
l'Araguary se continuait par une ligne droite tirée sur le rio
Branco à un point non déterminé dans le traité. C'était la
confirmation du Iraité deBadajoz.
Les traités de la période révolutionnaire (Badajoz, Ma- «
drid, Amiens) si, à la côte, ils dépassent le bras nord de
l'Araguary, nous donnentpour l'intérieur — le point de rio
Branco dont il est parlé fùt-il l'embouchure de cette rivière,
ce qui d'ailleurs, paraît probable — une frontière ne se rap-
prochant assurément pas plus de l'Amazone que ne le veut
l'esprit du traité d'Ulrecht, et que ne le comprenaient les
diplomates de l'ancien régime.
Des trailés de la Rétoiittion mix négociations de lSb6. —
En 180'.) une expédition venue de Para s'empara deCayenne
qui resta jusqu'à la Restauration aux mains des Portugais.
Le 30 mars 1814 le traité de Paris stipule que la Guyane .
sera restituée à la France telle qu'elle était au 1" jan-
LE CONTESTÉ FRANCO-nRÉSIUEN. 303
Ti'er 179â. Les anciennes conteslations au sujet des limites
seront réglées à l'amiable. La France et le Portugal nomme-
ront des commissaires qui se réuniront sur les lieux pour
trancher le dilTérend. La France nomma son commissaire,
qui partit aussitôt pour C;iyenne. Le Portugal ne nomma
personne. Ainsi échoua la première tentative de solution à
l'amiable par le moyen d'une commission scientifique mixte.
Non seulement le Portugal ne voulait pas nommer de
commissaires, mais il ne voulait même pas rendre la colonie.
Les traités de Vienne (articles 106 et 107), eurent beau
stipuler que le Portugal rendrait à la France « la Guyane
J'entre le Maroni et rOyapock, en attendant la fixation défi-
nitive à l'amiable de la limite entre les Guyanes française
et portugaise, conformément au sens précis de l'arlicle
huitième du traité d'Ulrecht >, les Portugais restaient
toujours à Cayenne. Le Portugal ne nous restitua la Guyane,
en avril 1817, que sur la menace riiile par le gouvernement
fran-jais de s'emparer par la force des territoires situés entre
le Maroni et l'Oyapock et à la nouvelle que l'expédition,
déjà organisée, allait partir.
La conveniion de remise eut lieu le 28 août 1817. Le
Portugal nous restituait la Guyane « depuis l'Oyapock
(est-il dit en substance) jusqu'au 58° deg:ré de longitude
à l'ouest de Paris et jusqu'au 2° 24' de latitude nord ».
Cne commission scientifique IVanco-portuf^aise fut, pour
la seconde fois, chargée de vider à l'amiable le diffé-,
rend louchant les limites définitives à la côte et dans l'inlé-
rieur de l'est à l'ouest. Les deux nations devaient nommer
des commissaires qu'exploreraient les territoires litigieux
et auraient un an pour s'entendre. Si au bout d'un an ils
ne s'entendaient pas, le Portugal et la France prendraient
l'Angleterre comme médiatrice. II n'y eut ni commission ni
médiation, et on ne s'occupa plus du contesté.
Peu après, en 1822, le Brésil se rendait indépendant. De
1834 à 1838, une grande guerre civile, le cabanageiii,
ï{04 LE CONTESTÉ FRANCO-DRÉSIUEN.
ensanglantait les provinces du Nord. Dès le début de celle
espèce de Jacquerie brésilienne le gouvernement français
donnait ordre au gouverneur de Cuiyennc d'occuper loulc
la coteau nord du Car.ipaporis.Cependaulies soldais déser-
teurs elles esclaves fugitifs du Para se réfugièrent en grand
nombre dans les lerriloires litigieux. Jt importait de ne pas
laisser se masser sans surveillance, sur la côle contestée,
une telle population. M. de Choisy dut élaldir. en 1836,
par ordre du gouvernemont central et de concert avec
l'aniirat Buperré, un poste français sur l'îlot qui séparait
le lac deM;ipa de celui de Macari. On rail cinquante hom-
mes dans ce poste, qui fut appelé poste de Mapa.
L'insurrection de Farâ étouffée, de longues négociations
eurent lieu entre la France et le Brésil au sujet de Mapa.
Pour la troisième fois, des commissaires démart'ateurs des
deux nations durent être nommés. Devant l'imminence
d'une solution à l'amiable, sur les instances du Brésil,
M. Giiiïot fit évacuer notre poste de Mapa. La commission
de démarcation ne se réunit pas. El presque aussitôt après
avoir obtenu de nous l'évacuation de notre poste de Mapa en
1840. le gouvernement brésilien établissait dans la région
litigieuse, sur la rive gauche de ri\ragunry, en mai 1840,
la colonie militaire deDom Pedro II.
Toutefois, une note du 5 juillet i8ll, de M. Guizot au
baron Rouen, notre ministrcà Rio, constate que nous main-
tenons nos droits tels qu'ils résultent du traité d'Utrechl.
L'évacualioo de notre posle de Mapa aussitôt suivie de
rinstallation de son posle deDom Pedro II, était un encou-
ragement pour le gouvernement de Rio. En 1849, puis en
1850, une expédition brésilienne organisée à Para devait
partir pour occuper Mapa. Il s'agit, disait, le 19 avril 1850,
à ia Chambre des députés de Rio-de-Janeiro M. Tosta,
ministre de la marine, « il s'agit de fonder dans cette
tf contrée une solide colonie, afin que nous puissions y
« assurer d'une manière eifective notre possession j. L'expé-
LE CONTESTÉ FRANCO-BRÉSILIEN. 305
dition brésilienne ayant rencontré dans les eaux de Mapa
an aviso français en surveillance, le gouvernement de Rio
oepat installer sa colonie.
Les choses en étaient là quand le gouvernement de
Napoléon III reprit, en 1855-1856, les négociations avec le
Brésil.
Pour la limite à la côte, le Brésil offrit successivement
rOyapock, le Gachipoar, le Gounani et, en dernier lieu,
le Garsevenne. La France revendiqua jusqu'au dernier
moment l'ancienne limite historique du bras nord de l'Ara-
guary et du cours de l'Âraguary ; puis, au dernier moment,
elle consentit, pour le cas où le bras nord de l'Araguary
serait obstrué, à accepter comme frontière le cours d'eau
qui se jette dans le détroit de Maraca par 1°45' de latitude
nord. Ce cours d'eau, ainsi déterminé par sa latitude, est
dénommé par le plénipotentiaire français Carapaporis ou
Mannaie. On trouve, à la côte, vers 1°45', les criques
Macari et Jourdon, et, dans l'intérieur, le Tartarougal,
qui les prolonge.
Pour la limite à l'intérieur, de l'est à l'ouest, après avoir
■d'abord proposé la cbaîne de partage quand il n'ofifrait que
rOyapock, le Brésil s'est abstenu de faire une proposition
nouvelle ni quelque proposition que ce fût quand il a vu
son offre du Garsevenne rejetée. La France, après l'offre
de sa concession dernière du cours d'eau du 1°45' de lati-
tude nord, offrit « le cours du fleuve sus-indiqué jusqu'à
sa source, puis une ligne se prolongeant à égale distance
de la rive de l'Amazone jusqu'à ce qu'elle rencontre la
limité ouest du rio Branco. «
Depuis les négociations de 1856. — Les négociations de
1856 n'ayant pas abouti et n'ayant pas été reprises depuis,
les choses sont restées dans le statu quo.
Toutefois, vers 1860, le Brésil a annexé le district de
l'Âpurema entre l'Araguary et le Tartarougal. Le Tarta-
rougal étant visiblement le cours d'eau indiqué sous le
soc. SE GÉ06R. — 3<> TRIMESTRE 1890. XI. — 20
306 LE CONTESTÉ FHANCO-BRÉSILIEN.
nom de Mannaie ou Carapaporis daos les négociations
de 1850, et ce cours d'eau, ayant été, comme concession
dernière, offert comme limile par le plénipotentiaire fran-
çais, le Brésiî s'est cru autorisé à considérer comme
n'étant plus contesté le pays entre Araguary et Tarta-
rougal. Depuis vingt-cinq ans les Brésiliens administrent
le district d'Apurema, ils y perçoivent des impôts, ils y
ont des électeurs, ils y ont des Conctionnaires, et quand
j'y passai en 18813 on y alletidait rinstallation d'un poste
militaire envoyé de Para.
importnaee du Coaicmiè. — Superficie. — La Guyam
fraiic;aise proprement dite, entre l'Oyapock, la chaîne de
partage et l'Itany-Maroni, mesure environ 80,000 kilo-
mètres carrés. Le territoire protégé par la France, d'entre
Itaiiy et Tapanaiioni (Tté publiques de nègres marrons),
mesure 25,000 kilomètres carrés. Soit 105,000 kilomètres
carrés pour cette partie de la Guyane française.
La partie que nous conteste !e Brésil compte 00,000 kilo-
mètres carrés seulement pour ia partie littorale d'entre
Araguary et Oyapock. Les territoires de.l'iotérieur, de l'Ara-
guary au rio Branco, mesurent environ 200,000 kilomètres
carrés. Soit 260,000 kilomèlres carrés pour les territoires
que nous conteste le Brésil.
Le lerriloire contesté est donc, en superficie, deux fois
et demie plus important que la Guyane française actuelle.
La Guyane française totale, Contesté compris, mesure
donc une superficie de 305,000 kilomètres carrés.
La Côte. — Le Contesté nous donne plus de iOO kilomètres
de côtes, contre 350 que nous possédons dans la Guyaue
actuelle. De plus, ia limite du bras nord de l'Araguary
nous met à 50 kilomètres de l'embouchure de t'.lmazoneau
lieu de 450. Enfin l'ile de Maraca commande, dans une
certaine mesure, l'entrée du grand llcuve.
4
inè I
[
I
I
/
LE CONTESTÉ FRANCO-BRÉSILIEN. 307
Les prairies : territoires de colonisation européenne. —
Sur ses 260,000 kilomèlres carrés de superficie, le territoire
que nous conteste le Brésil possède environ 100,000 kilo-
mètres carrés de prairies, dont environ 40,000 à la côte,
40,000 sur la rive gauche du rio Branco et 20,000 dans la
région intermédiaire.
En premier lieu, la prairie sourit au colon européen. Elle
lui plait parce qu'elle est belle. La prairie est une des séduc-
tions de l'Amérique chaude.
Ensuite il n'existe dans la prairie aucune âèvre de quelque
gravité. La prairie est saine. Son climat, médiocrement
chaud, est sec. Pour le dépeindre d'un mot : c'est le climat
de l'Algérie.
En troisième lieu, le colon n'a pas à s'y préoccuper de
travaux de dessèchement ni de drainage. Ce n'est plus,
comme tant de terres en Guyane, une région en formation,
moitié terre et moitié eau, un marais en croissance, non; la
prairie est une zone achevée où tout est terre ferme,
rivières courantes et lacs d'eau vive. Les dessèchements et
défrichements, qui dans la forêt vierge coûteraient tant
d'existences et tant d'argent, n'existeront à peu près pas
dans la prairie, où, par suite, le colon pourra s'installer
avec un très petit capital et sans s'exposer à des maladies
Les défrichements, enfin, s'y font dans des conditions
bien différentes. D'abord, le colon des prairies sera avant
tout un éleveur, 'ce qui le dispensera de remuer la terre.
Ensuite, la plupart de ses cultures industrielles, café, cacao,
tabac, se contentant des terres légères du pays, pourront
être faites en pleine savane, sur le versan t herbeux de quelque
coteau bien arrosé. Le colon n'aura donc à faire de défri-
chements que pour quelques cultures qui exigent des terres
un peu fortes, telles que le mais, le manioc, les légumes.
Encore, pour cela, n'aura-t-il qu'à arracher quelques bec-
lares de ces arbustes qui poussent dans la prairie sur le bord
LE CONEESTE FRANCO-BRÉSILIEN.
des peliles rivières. Le défrichement en prairie consistl
arracher une garenne faiblement enracinée dans la terre
sèche, le défrichement en forÈt, au contraire, c'est la lu lie
de l'homme contre de puissanles végétations toujours hu-
mides et contre tous les miasmes délét&res qu'elles ont
économisés pendant des siècles.
Les tribus indiennes. — C'est dans le territoire contesté,
au pied des oionlagnes centrales, entre les sources de l'Oya-
pock et cellfts du rio Branco, que se sont réfugiées les tribus
de l'Amazone, fuyant, au temps de la conquête et depuis,
les cruautés des Portugais.
L'éuumération d'une trentaine des tribus les plus connues
sufQra pour montrer l'importance de ce grand groupe
indien.
Ue l'ijuestà l'est on connaît, d'une manière positive : les
MacoHchis, les Ouapichiaues, les AlorradiSf les Chiri-
coumes, les Concoichis, les Couitias, les Kirichamans, les
Assahys, les Toucanes, tes Japiis, les Ouaijeoués, les
Tur'Hiï, les Car«A', les Ou«fcA««, les Pa?tco(<;s, les Coudottts,
les Néres, les Piannocotes, les Tounaijanes, les Trios, les
Roucouyeuncs, les Apatnis, les Oyampis, les Coussaris, les
Taniocomes, les Couciachis, les Arenaibous.
(Juelques-unes de ces tribus, comme les Ouayeoués, les
Piannocotes, les Rom-ouyennes, les Oyampis, les Apalaïs,
les Coussaris, comptent chacune plusieurs milliers d'indi-
vidus. Le haut Trombelas et le haut Jamundâ passent pour
avoir une dense population indigène.
Je ne crois pas que l'on puisse évaluer à moins de
lOOjOÛÛ individus le nombre total des indigènes du terri-
toire contesté.
Ces tribus sont vierges encore. Ni les colons français ni
les colons brésiliens ne les ont pénétrées.
Ceux qui savent tout le parti qu'il y a à tirer, dans l'Amé-
rique chaude, delà raceindigène, — etpourracclimalement,
parle métissage, de la race européenne, et pour le dévelop-
LE CONTESTÉ FRANCO-BRÉSILIEN. 309
pement général de la prospérité de la contrée, — ne consi-
déreront pas comme la moindre attraction de ce territoire au
sad des montagnes, territoire qui commande l'Amazonie
comme le Piémont commande l'Italie, la présence de ces
100,000 Indiens de ces 100 tribus vierges.
ETUDE
LE ROYAUME D'ASSINIE
PAR
J. C. REICBEMBAVB
£x-Résidcnt de France, délégué*
Origine et historique du royaume d'Assinie. — Le
royaume d'Assinie ou d'Amatifou fait actuellement partie
de nos possessions du Sénégal et dépendances, lieutenance
des Rivières du Sud.
Dès le début de notre protectorat, il fut placé sous la dé-
pendance du Sénégal, puis, quelques années après, rattaché
au Gabon et enfin fit retour au Sénégal.
Il s'étend de l'ouest à l'est, sur une largeur d'environ
55 milles et du sud au nord, sur une longueur de 175 à
200 railles, en comprenant les deux royaumes de Bétié et
d'Indénié au nord et le territoire d'Akapless à l'ouest, tous
trois tributaires du royaume d'Assinie,
Ce royaume n'a guère que cent vingt cinq à cent cinquante
ans d'existence. Il a été formé par une invasion de Sahués
(peuplade faisant partie du grand royaume des Achantis), qui,
conduits par deux chefs dont le principal s'appelait A mana,
vinrents*élablirsursonterritoireenrefoulantàrouesllesAka-
pless, qui en étaient les légitimes propriétaires. Ce souvenir,
qui, chez ces derniers, s'esttransmis de père en fils, a toujours
été un obstacle aux bons rapports entre les vainqueurs elles
vaincus. Aujourd'hui encore les Akapless, qui sont d'unca-
1. Voir la carte jointe à ce numéro.
ÉTUDE SUR LE ROYAUME D'ASSINIE. 311
raclère très fier, prétendent traiter d'égal à égal avec les
Assiniens.
Araana s'installa donc dans le pays, tandis que son lieu-
tenant, prenant la direction riunord-norii-ouesl, vint se fixer
dans les pays de Bettié, d'Indénié et de Potou sur la rivière
Ackba. Ces trois derniers formèrent une confédération re-
connaissant comme chef suprême le roi d'Assinie. A la
mort d'Amana, un de ses neveux lui succéda, en vertu de la
coutume des Achanlis, qui encore aujourd'hui réservent
rbéi'itage du trône au premier neveu du roi, fils de sa sœur
ainée de même père et de même mère; les fils du roi n"hé-
rilent par conséquent jamais du titre paternel.
Ce neveu du roi défunt était AmaLifou, qui monta sur
le trône à un âge peu avancé, mais qu'on ne peut préciser,
les noirs do cette contrée, ainsi du reste que ceux de toute
la cùle occidentale d'Afrique que j'ai parcourue, n'ayant
jamais la moindre notion de leur âge. Il mourut en 1886,
laissant pour successeur son neveu .\ka Saraadou, le roi
scluel. J'estime, d'après les renseignements que j'ai pu me
procurer, qu'Amatifou est mort à l'ûge de quatre-vingt-
<!ini| ans environ, après un règne qui avait duré à peu
près soixante ans. Dans les dernières années de sa vie il
s'était adonné à l'ivrognerie.
Le 4 juillet 1843, un premier traité plaçant le royaume
'ous le protectorat français, fut conclu entre A ma ti fou et
le gouverneur du Sénégal. Le 26 mars de l'année suivante,
une seconde convention vint confirmer la première et céder
i la France la propriété et la souveraineté du territoire. En
felour, le souverain noir, moins exigeant que ses collègues
civilisés, se contenta d'une pension annuelle de six mille
francs, payable en pièces de cinq francs en argent; cette
condition élait une clause expresse du traité. Enfin, une
rente annuelle de cinquante francs fut également accordée
à chacun des deux principaux chefs du village de Mafla,
Kakou liled et Nouba, qui avaient facilité les relations
312
ETUDE SUn LE ROYAUME D AS3INIE.
entre le représentant de la France et le roi Amatifou.
Aka Samadou a été, au nom de la France, reconnu roi
d'Assinie, le 14 janvier 188G, par procès-verbal signé :
G. Pradier, gouverneur du Gabon, elCh. Dour, commandant
particulier à Assinie. Quoique reconnu roi par la France,
Aka Samadou n'était pour tousses chefs et ses sujets qu'un
roi provisoire, et son titre ne devenait pour eux délinitif
qu'après les fêles coraraémoralives de la mort d'Amalifou.
Or, ces fêtes, auxquelles je me proposais d'assister, du
moins pour la partie à laquelle les blancs peuvent être ad-
mis, n'étaient pas encore commencées en février 1888,
époque de mon départ. La seconde partie de ces fêles se
compose de sacrifices humains, et la surveillance est telle,
qu'il est impossible à un Earopéen de pouvoir approcher
de l'endroit où ils ont lieu. Assistants, bourreaux et vic-
times, tout a disparu dans la profondeur de la brousse au
moment où l'on arrive et l'on ne trouve plus qiie de la terre
foulée et ries ilaques de sang pouvant aussi bien provenir
d'animaux égorgés que de victimes humaines ; bref, impos-
sible défaire la preuve.
Population. — La population du royaume d'Assinie pro-
prement dit se compose de sept tribus bien distinctes;
quatre habitent îe sud du pays entre la mer et la capitale
Krinjaboo, résidence du roi : les Mafia, les Bielry, les Aby
et enfin les Krinjaboo; les trois autres sont dans l'intérieur
au nord de la capitale. J'estime que la population de ce
royaume s'élève à environ IIO.TOO individus. Le roi peut
mettre sur pied une armée de ;i,000 guerriers armés de
fusils. Le pays tout entier est la propriété du souverain, qui
dispose des terres et des individus selon son bon plaisir.
Krinjaboo est une ville d'environ 3,500 babitauls. H est
difficile d'évaluer la population des villes et villages de ces
contrées, les indigènes, outre leur habitation dans le chef-
lieu de leur tribu, possédant une seconde demeure dans l'un
des villages environnants. Krinjaboo est située sur un pla-
I
ÉTDDE SUR Li: ROYAUME d'aSSINIE. 313
(eau d'environ 40 mètres d'allilude eL à 52 kilomètres d'As-
sJaJe, non loin de4a rivière Biaou il'Assinie(Sueiro da Costa
jdes anciennes cartes), qui,apn''s avoir traversé la magnifique
tigtine Aby, vient se jeter dans la mer près du village de
Dadiekoulou, formant la frontière entre Assinie et Akapless.
Jl faut presque une demi-heure de marche pourse rendre,
pied, de l'embarcadère à la ville.
Cellf-ci se compose (comme on peut le voir par le plan
annexé à ma carte du royaume d'Assinie) de cinq rues,
larges de 4 à 5 mètres, bordées de cases en terre battue sans
aucun alignement; l'herbe drue et folle les envahit en les
réduisant, sur presque toute leur longueur, aux dimensions
modestes sentiers. La voie la plus longue est celle d'As-
ikotua; viennent ensuite les rues Abouraki (d'Europe ou
plutôt de France), Aboro, Koumassie et Yakassi; toutes
aboutissent, sauf celle d'Aboro, qui finit rue Assakotua, à
à une place sur laquelle on remarque la case des palabres
et un arbre à caoutchouc dont le tronc mesure au moins
deux mètres de diamètre. Cet arbre fut planté par Amalifou,
lors de son avènement au trône ; sa position à l'une des ex-
trémités de la place en avait fait un endroit tout désigné
pour les sacrifices humains, qui, depuis l'arrivée des pre-
miers blancs à Krinjaboo, ont lieu dans la brousse, non
loin de la rue Yakassi, sur un emplacement désigné par Araa-
Jifou et où j'ai des raisons de croire que ce roi a été enterré.
(Le quartier du roi forme l'angle des rues de Koumassi»
Tl d' Abouraki ; quant au quartier d'Elua, princesse dont
j[aurai occasion de parler plus loin, il est compris entre les
sux rues parallèles de Koumassie et d'Aboro.
Mœttrs, coutumes, relifiion. — Comme chez presque tous
peuples de la côte occidentale d'Afrique, les mu'urs des
ssiniens sont des plus libres.
La femme, du jour où elle est nubile jusqu'à celui où
Hase marie, dispose absolument d'elle-même et personne
ra le droit de l'empêcher de se donner à qui bon lui semble;
314
ÉTUDE SUn LE ItOÏAUME D'ASSIKIE.
mais, une fois mariée, elle devient la propriété de son
époux, qui l'a achetée à ses parents, comme on le verra plus
bas, qui en dispose à son gré et qui va parfois jusqu'à s'en
faire une source de bénéfices, el cela sans qu'elle ail à
objecter quoi que ce soiL.
La polygamie existe ouvertemenl. Un homme a le droit
de posséder autant de femmes qu'il en peut entretenir. Le
noir achète sa ou ses femmes. Le roi seul, qui en possède un
nombre fort respectable, ne les achète pas ; quand une
femme lui plaît, mariée ou non, il a le droit de l'envoyer
chercher, et tout est dit.
Le prix d'achat d'une femme varie entre 2"* (192 francs)
et 8 arkés (48 francs) que le futur paye à la famille de la
femme. La valeur d'une femme docteur est plus élevée; le
prix peut aller jusqu'à 5 ou 6°", auxquels il faut ajouter
plusieurs moutons, de? poules, des pagnes en étoffe blanche.
Celte catégorie de femmes conserve, dans le mariage, une
liberté beaucoup plus grande que celle de la femme ordi-
naire, ce qui est assez naturel, puisque le rôle de cette
femme est de présider aux tams-lams, cérémonie à laquelle
assiste rarement le ronri, qui parfois deviendrait gûnanl.
A partir du jour où il emmène sa femme, l'époux doit
pourvoira tous ses besoins, c'est-à-dire la nourrir et l'ha-
biller. La nourriture se compose de poisson ou de viande
fumée et de bananes; Thabillement, fort simple, est un
pagne en étoffe de coton d'une brasse de longueur que son
seigneur el maître lui accorde généreusement de temps en
temps. En échange, elle doit lui préparer sa nourriture, qui,
d'un bout de l'année à 'autre ne varie jamais : le fotitou
et toujours le foutou.
Dans le cas où ce genre de vie ne serait pas celui que la
jeune épouse avait r6vé, ou si son mari la laissait manquer
t. Onces "l'or. l/onc« <l'or, cniiime on le verra plus loin, vaut en
valeur du pays, 16 ackës, l'acké : là takous, etc.
ÉTUDE SUR LE ROYAUME D'ASSINIE. 315
du nécessaire, ou bien encore si ses procédés n'étaient
pas ceux que tout homme d'une éducation distinguée doit
employer à l'égard du sexe faible, elle quitterait le plus
simplement du monde la case commune, sans avertissement
aucun et se retirerait chez ses parents; de leur côté, ceux-ci
devraient rembourser au mari la somme qu'il leur a remise
lors du mariage, sauf 4 ackés (24 fr.) à titre d'indemnité.
Cette somme est invariable. Une fois ce compte soldé, tout
est fini entre les ex-époux.
Aussi longtemps que leremboursement n'est pas effectué et
bien que la femme se soit éloignée delà case commune, elle
n'a le droit, ni de se remarier ni de donner un remplaçant
à son mari, car dans ce dernier cas, le mari ferait un
palabre à son successeur et celui-ci pourrait être condamné
par le ou les chefs à rembourser, aux lieu et place des
parents, le prix de la femme, mais toutefois sans la retenue
de 4 ackés. Dans ces conditions la femme devient naturelle-
ment la propriété du dernier occupant ; en tout cas, en suppo-
sant qu'il ait le chef pour lui, il ne pourrait éviter d'être
condamné en faveur du mari à une amende s'élevant de
3 à 8 ackés qui viendraient alors en diminution de ce que les
parents de la femme avaient à rembourser.
La condamnation pour crime d'adultère se règle sur les
mêmes bases, mais avec cette différence que, sans avoir
recours au chef, le mari condamne lui-même le coupable. Le
chef n'est appelé à se prononcer que lorsqu'il y a récla-
mation sur le chiffre de la somme; ce dernier cas est fort
rare, étant donné que le chef confirme toujours la demande
du mari trompé. L'amende dans ce cas peut s'élever de
une '• (96 fr.) à 1 acké (6 fr.); elle varie suivant les circon-
stances. Bien des maris se sont enrichis à ce genre de com-
merce d'une moralité douteuse.
Les enfants, naturels ou légitimés par le mariage, appar-
tiennent toujours à la mère; le père n'a aucun droit sur
eox. En cas de séparation, ils suivent leur mère et sont
31fi
ÉTUDE Srn LE ROYAUME d'ASSINIB.
élevés par la famille de celle dernière. L'élevage de l'enfant
esl poussé à ses extrêmes limites: la mère lui donne le
sein aussi longtemps qu'il veut le prendre. J'ai vu des
enfants de trois ans qui ne dédaignaient pas ce système
d'alsraentalion toléré par la mère; du reste, peu importe
aux petils nègres le changement de sein deux ou trois fois
par jour.
Le dixième enfant d'une femme est irrévocablement mis à
mort dès sa naissance et j'ai dû intervenir d'une ftn^on très
sévère dans une affaire de ce genre pour arracher l'enfant
des mains de ses bourreaux.
La mère de l'un de mes caporaux de tirailleurs, nommé
Anno, venait d'avoir son dixième enfant. Comme j'étais
au courant des coutumes du pays, j'avais fait la leçon à
Anno, qui par principe répudiait cette coutume, pour qu'il
me prévînt, aussitôt que sa mère serait accouchée. Une
nuit, il arrive vers les trois heures, couvert de sueur et trem-
blant d'émotion, à la plaiilaliond'Elima, où je résidais alors;
il m'annonce que les parents assemblés dans la case de son
père voulaient qu'on leur livrât l'enfant nouveau-né, que
lui-même était intervenu et avait oblenu qu'on attendit mon
arrivée pour prendre une décision. Je me rends à la hâte au
village. En entrant dans la case, j'assiste à une violente dis-
cussion entre l'oncle et la mère d'Anno;je me fais expliquer
de quoi il s'agit; l'homme insistait pour que l'enfant lui fût
livré avant que les premières vingt-quatre heures fussent
écoulées. Je fais arrêter l'oncle et conduire sous bonne
escorte à Eli ma; il y resta détenu pendant trois jours, alin
de laisser périmer le temps durant lequel la coutume lui
donnait droit de possession sur t'enfantde sa sauir. De cette
manière ce dernier fut sauvé, ce qui établit un précédent
qu'on pourra invoquer par la suite.
L'enfant qui naît avec six doigts à l'une ou à chaque
main esl aussi condamné à mourir. J'en ai également sauvé
un dont le père, nommé Ahinadi-Kakou, travailleur de la
ÉTUDE SUR LE ROYAUME D'ASSINIE. 317
plantation d'Elima, était Qls d'an tirailleur sénégalais
envoyé pour l'occupation militaire d'Assinie en 1863.
Dans les deux cas ci-dessus, l'enfant est sur-le-champ
enlevé à la mère, enduit de peinture rouge, et emporté dans
la forêt par les parents de la femme, qui l'enterrent vivant.
La religion et la médecine jouent un rôle très important
chez les Âssiniens; l'une est liée à l'autre, le prêtre étant
toujours docteur en médecine, ou la doctoresse prêtresse.
Les maladies sont conjurées ou guéries par ces docteurs
ou doctoresses indigènes qui se servent de plantes, d'écorces
ou de racines pilées et réduites en pâte et dont on en-
duit entièrement le corps du malade; suivant la maladie
supposée, le docteur lui dessine sur la partie malade des
signes cabalistiques et le soir, on donne un tam-tam pour
cba^er le méchant esprit, cause de la maladie.
Le principal rôle dans cette cérémonie appartient naturel-
lement au docteur, quel qu'en soit le sexe. Vêtu de blanc,
couvert d'une couche de craie ou de quelque substance ana-
logue réduite en poudre et répandue sur toutes les parties
de son corps que ne cache pas son pagne blanc (c'est-à-dire
la Ûgure, les bras, le torse jusqu'à la ceinture, les jambes et
les pieds); orné de toutes ses amulettes, colliers, bracelets,
entouré de tous les objets consacrés au culte, le tout enduit
également d'une couche de blanc, le docteur masculin ou
féminin pontifie, adressant des invocations au bon fétiche. Il
le conjure de chasser la maladie en faisant sortir du corps du
patient le mauvais esprit qui y a élu domicile.
Pendant tout le temps que durent ces invocations et afin
d'effrayer l'esprit malin, les assistants sans exception font un
vacarme infernal, et c'est miracle que le plus souvent ils ne
parviennent pas à faire trépasser de frayeur ou de fatigue le
pauvre diable soumis à cette cure tonitruante. Ce manège
dure jusqu'à la pointe du jour. Le docteur danse sans
presque discontinuer et ne s'arrête que de loin en loin, pour
prendre quelques minutes de repos pendant lesquelles les
318 ÉTUDE SirK LE UOVAUME D'aSSINIE.
assistants conlinuenl un chant dont le docteur a entonné la
première strophe.
Puis, comme intermède, uo vacarme assourdissant com-
mence : les uns frappent sur des lams-lams de tiifférenies
dimensions; les autres sur des caisses en fer-blanc, en bois,
ou sur une planche de bois dur supportée à chaque extré-
mité par une traverse l'empêchant de reposer sur le sol et lui
permettant par eonséquentdercndre tout le son possible, sur
une espèce de gros bourdon (sonnette en fer de fabrication
indigène), avec des douves de barils à poudre ou des mor-
ceaux d'écaillés de tortue frappés l'un contre l'autre. Ces trois
derniers instruments sont spécialement réservés aux
femmes.
Si, malgré tant de soins, le malade vient à succomber, les
femmes s'assoient par terre autour du défunt et alternati-
vement pleurent ou bien chantent ses vertus. Ensuite,
et avant que le corps ait contracté la rigidité cadavérique,
on le lave à grande eau; on l'habille de ses plus beaux
pagnes et on le laisse exposé d;ins la case pendant deux
jours, durant lesquels îes pleurs et les chants des femmes ne
cessent de se faire entendre, même pendant la nuit.
Si le défunt fait partie de la classe des guerriers, tous les
hommesdu village ayant droit de porter un fusil, se mettent
à tirer sans relâche pendant tout le temps que le cadavre
reste exposé.
Les femmes du mort se font raser les cheveux et couchent
toutes nues pendant un et môme deux mois sur la terre de
leur case; elles ne peuvept se remarier qu'avec la permis-
sion du roi, qui la leur accorde habituellement au bout de
sixà sept mois. Pendant tout le temps de leur veuvage elles
portent les cheveux courts et s'habillent de leurs plus mau-
vais pagnes, l'envers en dehors; c'est là leur faconde porter
le deuil.
Je reviens au cérémonial des obsèques. On fait un cer-
cueil en bois du pays; avant d'y déposer le corps, chaque
ÉTCltE SUn LE ROVADME D'aSSINIK.
:î19
babilanl du village apporte, suivant $ùs moyens, une ou
deux brasses d'étoffe à pagne, qu'on arrange dans le fond et
sur lesquelles on couche le cadavre; puis le cercueil (son
couvercle non fermé) est sor)i dans la cour; on répand dessus
le sang d'un mouton qu'on égorge, et dont la chair servira
pour un festin ; le corlège, précédé parla veuve qui ouvre la
marche en portant le foutou sur sa Léle, se met en route
pour le cimetière qui est toujours dans la forêt, mais
à peu de distance du village. Pour s'y rendre, on suit
toujours les chemins en dehors de ce village, tandis que
pour sortir de l'habitation on passe par la porte sur les
jardins de bananiers; un convoi ne suit jamais les rues
principales.
Une fosse d'environ 80 centimètres de profondeur a été
creusée d'avance; avant d'y descendre le cercueil, on le
pose sur deux bâtons en travers du trou, puis un proche
parent du mort s'avance et appelle par trois fois le défunt :
t Reviens » ; < Reviens, nous te le demandons j; « Reviens,
ou nous nous en allons t. Comme l'appel reste sans effet, il
ramasse une poignée de terre, la jette d'un air courroucé
contre le cercutùl et s'en va, suivi des assistants.
Le cercueil est ensuite descendu dans la fosse, après que
le couvercle en a été cloué solidement, puis on le recouvre
de fortes pierres afin d'empôcber les animaux delà forêt de
venir déterrer le cadavre, lo lout est recouverlde terre : la
cérémùnie est terminée.
Le culte des morts est chose sacrée chez les Achantis et
les Assiniens ; aussi, pendant une période de Irois années, à
l'époque du décès d'un parent, ont-ils l'habitude d'en célé-
brer l'anniversaire. On organise pour cela un grand lam-
lani oîi il est tiré de nombreux coups de fusil et consommé
une quantité prodigieuse de bouteilles de gin avec d'innom-
brables touques de vin de palme et de bambou.
Le fétichisme est la religion des indigènes. Le grand
esprit fétiche du bien se nomme Tano;i\ habite, disent-ils,
320
ETUDE sril hB UOYAUMK U ASSINIE.
la rivière Tano6(qui se jede dans la lagune Tendo, à l'est du
royaume d'Assinie et qui a été proposée pour servir de fron-
tière entre les possessions françaises et les possessions an-
glaises de la côte de Guinée.) De nombreux lams-tams sont
donnés eu son honneur. L'époque de ces fûtes est Qxée de
préférence au moment où la lune est dans son plein et prin-
cipalement la nuit du s:iniedi au dimanche. Dès les trois
heures après midi, le docteur ou la doctoresse (prêtre ou
prêtresse de Tano) commence à invoquer le féliche pour
l'inviter à assistera la fûle qui aura lieu, la nuit suivante, en
son honneur. Cotte cérémonie préliminaire n'est que de
courte durée, puislout rentre dans le silence.
Vers liuit heures du soir, tout le monde se réunit sur
l'emplacement choisi par l'officrant et le tam-tam cora-
mence. Jusqu'à dix heures les chants et les danses ont un
caractère assez tranquille. A ce moment le fétiche est censé ■
arrivé sur les lieux pour présider à la fôte. Les danses et
les chants deviennent alors plus bruyants et se prolongent
ainsi jusqu'au point du jour, puis chaque assistant se rend
au bord de la rivière ou do la lagune pour se baigner et
rentre dans sa case prendre une ou deu.v heures de repos.
Comme exemple de ce que j'ai dit plus haut relativement
à la couleur blanche adoptée par le fétichisme, je vais ra-
conter ce qui m'est arrivé à M'boing, village situé sur la la-
gune Aby, en contre-bas de la plantation de café d'Elima et
habité par des travailleurs de l'exploitation.
J'avais été invité par la doctoresse du village' à assister
au lam-taniqui devait avoir lieu quelques jours après, dans
la nuit du samedi au dimanche, en l'honneur de Tano. Au
moment de l'invitation j'étais habillé lout en blanc ; mais, à.
I . Celle femme était une ApollniiJciinu nuu l'uuleur avait remarquée
au Gabon en 188C et qui n chassée, paraît-il, de iiolru colonie, était ve-
nue s'échouer avec son llls, un mulâtre, ca Aasinic, où cUe •'élait don-
née conimo doctoresse, pctiiJaiU que son fils élait malhcurDuscment ad-
mis coraine surveillant à la plnntation «.
/
ETUDE SU» LE ROYAUME D ASSIME.
:m
la tombée de la nuit, avant le départ, ayant trouvé que la
température s'était un peu rafraîchie, je changeai mon vê-
tement blanc contre un autre en laine bleue. Dès le pre-
mier moment, je remarquai chez celui de mes interprètes,
Asampbo, dévot fétichiste, dont je me fis accompagner,
un sentiment de gêne dont je ne rae rendis pas bien compte;
je lui en fis l'observation, attribuant son attitude à l'ennui
qu'il éprouvait peut-être d'Être obligé de m'accompagner
au tam-tam; mais il me répondit qu'il était tout disposé à
rae suivre. J'arrivai ainsi sur l'emplacement où avait lieu
la fêle.
On imaginerait difilcilement l'elTet produit par ma pré-
sence. Je vis aussitôt des regards inquiets se diriger vers
moi; assistants et assistantes se levèrent l'un après l'autre
et disparurent, suivant en cela l'exemple de la fétitheust*.
Je leur avais produit l'effet d'un pestiféré. « Eh bien, dis-je
tout surpris à mon interprèle, le tam-tam est donc Uni?
— Oui, commandant,» me répondit-il sans autre expli-
cation.
Il n'y avait pas dix minutes que je m'étais éloigné que
j'entendis le tam-tam recommencer de plus belle. J'appe-
lai Asampbo, qui s'était empressé de me quitter, mais il se
garda bien de me donner une explication. J'eus alors re-
cours à Cadia, mon autre interprète, qui, lui, ne croyait ni
à fétiche ni à aucun autre esprit, mais qui, malgré cela,
était parfaitement au courant des coutumes et croyances du
pays.
Il m'expliqua qu'ayant mis des habits noirs pour aller
au tam-tam (les indigènes ne font aucune différence entre
le bleu, le noir et le violet, qu'ils confondent sous le seul
nom de noir), j'étais devenu mauvais fétiche; c'est pour cela
que la féticheuse avait arrêté la danse jusqu'à mon départ et
qu'elle avait recommencé aussitôt après. « Remets tes ha-
bits blancs, me dit-il; redescends au village et la danse con-
tinuera. »
«oc, De cÉocn. — 3- TiuMESTnE 1890. xi. — 21
3âi ÉTDDE SDR JLE ROVAl'Mlî d'asSJME.
Je suivis son conseii, et je redescendis avec lui; il portait
un pagne violet, iuais.il le changea aussitôt contre un blanc.
Hamon Mounzoua, la féticheuse, vint à moi, me serra la
main, me souhaita la bienvenue, et le tam-tam continua
jusqu'aux premières lueurs du malin.
Certains lieux sont, fétiches. Par exemple, à une centaine
de mètres de la pointe Blidiane, sur la lagune Aby, on ren-
contre un rocher d'environ un mètre de circonférence sur-
monté d'un petit bouquet de buissons. Ce rocher est fétiche ;
il se trouve presque sur le passage des embarcations, pi-
rogues ou baleinières qui vont d'Assinie à Eltma, Tancrou,
Aby, Adjouan ou Boue. Chaque lois qu'une embarcation
montée par des indigènes passe dans le voisinage de cette
roche, hommes et femmes ont l'habitude de jeter dans sa
direction une banane, une igname ou tout autre comes-
tible du pays. C'est l'offrande au fétiche du lac pour qu'il
éloigne tout danger dans le cours du voyage commencé,
ou pour le remercier d'avoir accordé sa protection pendant
le voyage qu'on vient de faire.
Dans la lagune Tendo, en face du village bietry d'Agrobo-
sika, à l'embouchure de la rivière Angon, l'on trouve encore
une île fétiche d'environ six à sept hectares. Cette ile, cou-
verte d'une brousse impénétrable et où jamais indigène n'a
mis le pied, n'est fréquentée que par d'innombrables et
énormes chauves-souris, qui au crépuscule quittent cet
endroit par centaines de mille et prennent généralement la
direction du Tanoë. Aussi les indigènes prétendent que ces
chauves-souris sont les âmes des morts, qui se retirent dans
l'Ile fétiche pendant le jour et qui chaque nuit doivent faire
acte de présence à l'endroit où réside Tano.
Ayant voulu tirer un de ces mammifères, un soir que
passant à. quelque distance de l'île, je me dirigeais sur le
village aby de Mooua, mes pagayeurs me supplièrent de n'eu
rien faire, craignant queje ne vinsseà tuer l'âme de quelqu'un
de leurs parents. Or, étant désireux d'éviter tout froissement.
ETODE SUR LE nOVAUME D ASSIME.
323
j'accédai à leur prière. Quand les indigènes passent eu
pirogue dans le voisinage de l'ile, ils détournent la lète et
pour rien au monde iis ne la regarderaient. En pagayant ils
ont l'habilude de chanter, mais là ils cessent leurs chants,
et manœuvrent aussi rapidement que possible afin de
dépasser au plus vite ce lieu maudit.
L'islamisme, cette tache d'huile qui s'étend petit à petit
sur le continent africain, a pénétré dans le royaume d'As-
siûie, et dans la famille même du roi on en rencontre déjà
des adeptes. De nombreuses caravanes qui descendent du
Soudan arrivent jusqu'à Krinjabuo, accompagnées chacune
de plusieurs imans et marabouts qui chaque jour font leurs
invocations et récitent leurs prières. L'indif^ène vient les
voir, d'abord par curiosité; puis, son esprit étant facilement
impressionnable, il suit plus régulièrement les pratiques
du Coran et finit par devenir un fervent serviteur de l'isla-
misme, dont il accepte toutes les obligations. Comme je l'ai
dit plus haut, le mal existait déjà dans la famille d'Âka 5a-
tnadou lors de mon séjour en 1887 ; aujourd'hui le mal
s'étend peu à peu, sans qu'on ait songé jusqu'à présent à
opposer aucune barrière à son envahissement. Mais il n'est
pas nécessaire d'être un observateur bien profond pour
juger des résultais produits; on s'en rend compte sur les
lieux mômes, ot l'on revient effrayé de l'avenir.
La population de ces contrées se divise en quatre classes
bien distinctes : 1° les chefs; 2" les hommes libres; 3* les
boys; i" les esclaves.
Le chef, comme généralement partout ailleurs, doit sou
titre, soit à sa naissance, soit à sa fortune. Dès qu'un homme
libre arrive à avoir une situation très indépendante, le roi
le fait chef; à partir de ce moment il ne peut redevenir boy.
L'homme libre est un individu ayant une position qui lui
permet de vivre par ses propres ressources; mais, s'il lui
arrive un revers de fortune qui l'empêche de faire face à
u engagement pris, il s'adresse alors à un chef duquel
324 ÉTUBE Sl'n LE nOVACME b'assinie.
il pense pouvoir obtenir aide en cette circonstance.
Ce chef lui prêle la somme dont il a besoin, et à partir
de ce moment, il devient le boy de ce chef, ou sondébileur.
Le chef peut lui imposer diverses corvées; i! peut, par
exemple, l'envoyer travailler dans une exploitation. Chaque
mois le créancier viendra toucher la somme gagnée, donnera
i acké (6 francs) an débiteur pour sa nourriture du mois
suivant et s'appropriera le reste, qui ne viendra nullement
enaraorlissement de la dette.
Il faul, pour que le boy puisse recouvrir sa liberté, qu'il
s'acquitte de sa dette en une seule fois. Supposons qu'un
boy doive à un chef une somme de 5°' (480 francs). Le
créancier l'a placé dans une exploitation où le débiteur
gagne par son travail 5 ackés (30 francs) par mois; ce der-
nier pourra travailler de longues années sans s'être acquitté,
tandis que, chez nous, en dix-huit mois la dette se trouverait
éteinfe.
On pourrait croire qu'après une vie de travail incessant,
;iu cours de laquelle moralement et malérielleraent la
dette a été éteinte plusieurs fois, la mort du débiteur serait
une cause de prescriplion ; il n'en est rien. Si le débiteur a
un fils, et bien que ce fils ne relève que de la mère, la cou-
tume veut que l'enfant hérite de la dette et devienne boy du
créancier de son père.
La condition des esclave» est moins dure que dans bien
d'autres pays. Ils sont considérés presque k l'égal des boys
do la seconde génération. La seule différence qui existe
entre ces deux situations, c'est que le boy, comme je l'ai dit,
peut redevenir libre, tandis que resclave et ses descendants
seront toujours esclaves, à moins qu'une fantaisie, comme
les rois en ont quelquefois, vienne à changer l'état de ces
malheureux.
Où l'Assinien devient intraitable, c'est lorsqu'un indi-
vidu d'une autre nation est son débiteur, mais un mauvais
débiteur, enlendons-nous, et chez qui l'intention de ne pas
ÉTUDE SUR LE R0Y4UME d'ASSIME. 325
s'acquitter est bien établie. Dans ce cas. l'AssinieD emploie
tous les moyens qu'une cervelle de noir peut imaginer, à
seule fin de s'emparer de la personne de son débiteur; s'il
y parvient, son premier soin est de Tentrainer cbez lui et
d'en faire son prisonnier. Pour mettre ce prisonnier dans
l'impossibilité de fuir, il s'assure de sa personne en le fixant
à quelque énorme tronc d'arbre transporté à cet effet dans
un emplacement couvert et après lequel il est retenu par
le poignet droit au moyen d'un crampon à deux pointes en-
foncé dans le bois à coup de masse. Cette opération préli-
minaire terminée, les parents du prisonnier sont prévenus
qu'il demeurera dans cette position jusqu'à ce que la dette
soit acquittée.
Dans le cas où le créancier ne pourrait pas s'emparer de
la personne de son débiteur, il ne se fera aucun scrupule de
prendre en son lieu et place un parent de celui-ci et de le
garder dans des conditions pareilles jusqu'à complet rem-
boursement.
Cette sévérité excessive des Âssiniens s'applique surtout
à leurs voisins de l'est, les Appolloniens ; mais il convient,
quand on connaît l'insigne mauvaise foi de ces derniers, de
reconnaître qu'ils méritent à tous égards les procédés em
ployés contre eux.
Dans les palabres (discussions pour motifs d'intérêts,
d'adultère, etc.), lorsque les deux parties ne peuventfmir par
tomber d'accord, le chef, juge du palabre, propose alors à
la partie qui croit avoir raison de prendre fétiche, afin de
savoir si l'esprit qui préside à la justice est de la même opi-
nion que lui. L'opération de prendre fétiche consiste à
sbsorber, soit un breuvage, soit une matière comestible
ayant subi une certaine préparation et présentée par celui
qui a qualité pour donner fétiche. Gela revient exactement
à notre jugement de Dieu des siècles passés.
Si l'individu qui a pris fétiche a raison, l'esprit de la
justice le protège et ce qu'il a consommé ne lui fera aucun
356
ETUDE SCn LE nOTAl'ME D ASSINIE.
mal. Le refus de prendre féLiche entraîne condamnation
immédiate. Le féliche est généralement composé d'un œuf,
mais il est indispensable que cet œuf ait été pondu parune
poule blanche.
Le roi, quelques grands chefs, les docteurs et les docto-
resses (ces derniers, ainsi que je l'ai dit, sont prêtres et
prêtresses de Tano) ont seuls le droit de donner fétiche,
mais le fétiche donné par le roi est sans appel.
Le règlement de tout palabre par le roi est soumis à une
rétribution en or; celle des chefs est payable en un nombre
variable de caisses de gin, suivant la yravité du cas; celte
des docteurs ou doctoresses se compose d'un nombre plus
ou moins grand de bouteilles de cette même liqueur.
Aûn d'ôlre certains de ne rien perdre, chefs et pr&lres,bien
avisés, ont l'habitude d'exiger la rétribution de chacune des
parties. Le roi fait exception à cette coutume.
Pour les Ashantis en général etsurtoul pour les Assiniens,
rien au monde n'est, après Tano, plus sacré que 1 enora du
roi, et tout serment au cours duquel son nom est prononcé,
entraîne lerèglemcntdu palabre pardevant lui, à Krinjîiboo.
Comme je l'ai dit ci-dessus, le roi Aka Saraadou, homme
très bon et surtout très juste, n'applique l'amende qu'à celle
des parties qu'il juge avoir tort; suivant le cas et surtout,
suivant les termes du serment, cette amende peut atteindre
un chiffre assez élevé.
Le roi n'achète rien ; il réquisitionne. Quand, par exemple,
il a besoin de poisson sec pour la nourriture de ses femmes
et de ses gens, il charge deux ses boys d'aller lui en cher-
cher. A cet effet il remet au plus âgé une queue d'éléphant
ornée de verroteries; porteurs de ce signe conventionnel
connu dans tout le royaume, les deux boys partent sur une
légère pirogue et descendent la rivière Bia; arrivés dans la
lagune, ilsse dirigent sur le premier village biétry qu'ils ren-
contrent et, présentant au chef du village la queue d'éléphant,
ils lui disent que le roi a besoin de poisson.
I
I
y
m
ÉTUDE SUR LE ROYAUME d'ASSINIE.
327
Le chef réunit les hommes dn village (les Tliétry sont es-
sentieliemertt pécheurs), et leur communique l'ordre dti roi;
immédiatement on réunit tout le poisson sec disponible; on
le charge sur une immense pirogue qu'une escouade de
pagayeurs est chargée de conduire à Krinjaboo. 11 en est de
même pour les bananes, qui sont fournies par les Aby,
tribu de cultivateurs.
Aka Samadou entretient pour son service personnel une
petite bande de chasseurs d'éléphants, au nombre de douze
hommes, douze colosses. Leur chef N'Galta, musulman
comme eux, et originaire du Boundoukou, est le plus petit
(le la troupe, car il ne mesure pas plus de i"50;il a le visage
ovale, les yeux perçants, le nez aquilin, les lèvres minces
comme celles de l'Arabe, les membres fins.les mains et les
pieds d'une femme ; mais, sous celle apparence frêle et déli-
cate, on sent des muscles d'acier, comme aussi un sang-froid
el une force de volonté peu communs.
Quoique passant presqueloutesavieau milieu de la forêt,
N'Gatta qui doit avoir trente-six ans, est d'un caractère très
doux, très aimable, presque gai el qui contraste avec le ca-
ractère généralement sérieux du noir. On serait tenté de
croire qu'il a vécu, pendant quelque temps du moins, au
milieu de gens civilisés, idée que j'ai dû abandonner, après
avoir questionné Aka, qui m'a affirmé que j'étais le seul
blanc que N'Gatta eiit jamais vu.
Vêtu avec beaucoup de goût, de coquetterie même, ses
pagnes aux couleurs voyantes le font ressortir au milieu de
ses douze hercules, dont il sait se faire obéir avec une mer-
veilleuse promptitude au moyen d'ordres très brefs.
Une seule femme, après le roi, partage avec celui-ci une
partie de la toute-puissance; c'est la princesse Êlua, sœur
cadette du feu roi Amalifou et par conséquent tante
du roi actuel Aka Samadou. Elle est sensiblement plus jeune
que ce dernier, J'eslime qu'Aka Samadou a environ cin-
quante ans, tandis qu'Elua n'en a guère plus de Irenle-oinq.
328
ÊTunE svn LE novAi'ME d'assinie.
Après le roi, autocrate qui commande à tous ses sujets
des deux sexes, vient Elua, qui seule a le droit d'imposer
ses volontés à toutes les femmes du royaume, et ses ordres
sont exécutés par toutes à l'égal de ceux du roi.
Elle possède, ainsi que je t'ai dit, un vaste quartier
à Knnjaboooù elle habile et garde près d'elle une cinquan-
taine de jeunes filles ou de jeunes femmes divorcées.
Toutes les suivantes d'Élua portent comme signe distinclif
un collier composé de quatre grains plais, de forme hexa-
gonalcj de 3 centimètres de long sur 2 de large; deux de
ces grains sont couleur vert-pré mat, les deux autres blanc
mat. L'entretien de toutes ces femmes est à la charge d'Elua.
De leurcùté, elles se rendent utiles dans la maison jusqu'au
jour où un chef ou quelque indigène possédant la somme
nécessaire à l'achat d'une femme, vient faire son choix.
11 paye, Elua encaisse; la femme pari avec son nouveau
maître, l'affaire est conclue; c'est maintenant au tour d'une
autre !
Pendant mon séjour, je n'ai jamais vu Elua autrement que
la figure et le torse barbouillés de noir, de rouge et de blanc
et couverts de vieux pagnes tombant en loques; c'était pour
obéir aux coutumes du pays, qui exigent qu'elle porte le
deuil d'Amîilifou jusqu'aux fêles commémoratives de la
mort de ce dernier.
Lorsque vient à mourir une femme enceinte, toutes les
femmes du village qui sont dans la même position se réunis-
sent, sa teignent mutuellement la figure et le cou en se
remplissant la bouche d'un liquide vert clair que chacune,
faisant l'office de pulvérisateur, envoie contre la figure de
sa voisine. Elles se tracent des dessins cabalistiques blancs
sur les autres parties du corps qui ne sont pas recouvertes
par le pagne, mettent ce dernier à l'envers en signe dedeuil
et, armées chacune d'une baguette dont le boutcassé forme
un crochet, se mettent en route par les rues du village en
chantant des chansons en chœur contre les hommes. 11 est
STUDE srti tE noYAtJME d'assime. 329
prudent pour ces derniers de se garer de cette procession,
car chaque homme qu'elles peuvent apercevoir est pour-
saivt & outrance par ces furies et Trappe à coupi> de baguette
jusqu'à ce qu'il soit parvenu à se réfugier dans quelque case,
La jeune femme qui conçoit avant sa troisième menslrua-
tioD voit invariablement son enfant lui être retiré parles pa-
rents dans l'intention de le mettre à mort.
L'enfant, dès sa naissance, prend deux noms: celui d'un
de ses ancêtres, et celui du jour où il est né.
Le tatouage est en honneur dans ces pays. Hommes et
femmes sont tatoués; mais comme tous ne portent pas les
mêmes dessins, je serais porté à croire que c'est là une ma-
nière de reconnaître entre eux à quelle tribu un tel ou une
telle appartient.
Pour les deux sexes, la figure porte invariablement cinq
m?rques : une entre chaque œil et la tempe; une à la nais-
sance du nezentre les sourcils ; et une surchaque pommette.
En outrej certains indigènes des deux sexes portent sur
le côté gauche du cou une longue ligne de petites incisions
horizontales. Celte ligne commence derrière l'oreille et
descend jusqu'à la naissance du cou. Je crois que c'est une
marque de tribu. Sur les poignets et les avant-bras on dis-
tingue une figure carrée composée d'un nombre irrégulier
de lignes horizontales formées de petites incisions vsrticales
serrées les unes contre les autres.
Chez la femme, le tatouage est beaucoup plus compliqué.
Sur la poitrine, trois fortes incisions borixontales de 3 cen-
timètres de long chacune, placées à côlé Tune de l'autre
à environ 3 centimètres de distance; entre les seins
trois incisions verticales de 2 centimètres de long, placées
l'une à côlé de l'autre; 2 centimètres au-dessous, une
ligne d'une vingtaine d'incisions verticales placées les unes à
côlé des autres et formant une ligne horizontale.
De là jusqu'au nombril, une ligne d'incisions verticales
placées les unes au-dessous desaulresel traversées au-dessus
IVAQ ÉTUDE SUR LE IlOYAtlME d'aSSISIE.
du nombril par deux lignes horizontales de petites incisions
verticales; de chaque c6té du nombril, une ligne horizontale
formée de 5 incisions verticales partant du nombril; et de
chaque côté, en s'infléchissant vers l'aine, une ligne de cinq
incisions semblables aux précédentes. Un peu au-dessous,
horizontalement, une ligne de six incisions verticales ; enfla]
sur le bas-ventre, deux incisions verticales à 5 centinnô-^
très l'une de l'autre.
Beaucoup de femmes portent au cou et sur les poignets|
les mêmes marques que les hommes, mais elles ont en plus
sur l'avant-bras droit trois lignes horizontales superposées
formées de petites incisions verticales; les deux lignes exté-
rieures sont droites, celle du milieu a la forme d*un arc dont'J
les extrémités seraient légèrement relevées; i la naissance
du pouce, trois lignes formant un carré ouvert d'un côté;
sur la partie interne et au milieu delà cuisse droite, une ligne
horizontale d'une vingtaine d'incisions; au mollet, la môme-;
marque.
Ces femmes supportent avec un calme extraordinaire la]
souffrance occasionnée par cette mullilude de petites cou-
pures d'où le sang jaillit. J'ai eu occasion de voir un jour,
à Ahy, une opéralion de ce genre; il y avait là trois jeunes
femmes de quinze à dix-sept ans opérant chacune à son
tour à l'aide d'un morceau de bouteille cassée; elles
riaient et chantaient comme si la douleur eût été inconnue
pour elles.
Les indigènes, sans exception, sont d'une très grande
propreté; ils se baignent jusqu'à trois et quatre fois dans
la môme journée, cl chaque fois ils se frottent avec une
espèce d'épongé faite de la tige d'un régime de bananes
et une sorte de savon composé de terre glaise, d'huile de
palme et de cendres d'épi uchures de bananes; ils préparent
cesavon au furetàmesurede leursbesoins.Aprèss'êlre bien',
savonnés et lavés, ils attendent à'Hre bien essuyés, et alors
des pieds à la t«*te ils s'enduisent de suif ou mieux encore
ÉTUDE SUR LE ROYAUME d/ASSINIE. 331
de pommade achetée dans les factoreries, et quelle
pommade t
D'une frugalité el d'une sobriété extrêmes, ils se suffisent
toute l'année avec un seul mets, celui dont nous avons
déjà prononcé le nom plus haut : le foutOu. Tout est bon
pour faire un fontou : poisson, caïman, singe, antilope,
gazelle, poule, varan (espèce d'iguane), etc., etc., pourvu
que ce soit une cbair qui ait été exposée à la fumée. Ce
plat se prépare de la façon suivante : on prend d'abord des
graines de palmier qu'on pile dans un mortier en bois pour
en extraire une huile jaune, puis, retirant les noyaux et la
bonrre de ces grainesj on ajoute petit à petit de l'eau qui
se mélange très bien avec l'huile et finit par former une
saoce claire qu'on verse dans une marmite en terre de
fabrication indigène. Au bout de deux heures de cuisson,
l'on ajoute le poisson, caïman ou autre, faisant la partie
résistante, une, petite poignée de piment rouge très fort,
bien broyé entre deux pierres, et on laisse cuire encore pen-
dant deux heures. Une fois le foutou cuit, on le sert sur la
table dans la marmite même ; on sert en même temps du
pain de bananes, autre préparation composée de bananes
pilées et réduites en une sorte de pâte épaisse et dont le goût
a été rehaussé par du piment.
Il est absolument impossible à un Européen qui débarque
de goûter à cette abominable cuisine, sous peine d'avoir le
palais en feu par le contact du piment. Ce n'est qu'à la
longue qu'on finit par s'y accoutumer, et je suis presque
tenté de croire que cette habitude diminue le nombre des
accès de fièvre. Je pense du reste qu'il est excellent de
s'habituer à l'alimentation des indigènes quand on est
appelé à vivre au milieu d'eux.
La boisson indigène se compose de vin de palme et
devin de bambou, mais surtout d'eau prise en mangeant.
Commerce et productions. — Le principal commerce
consiste dans l'échange de marchandises européennes
!Wi ÉTDDE Sun LK ROYAUME Il'ASSINfE.
»
contre delà poudre et des pépiles d'or, de l'huile de palme,
un peu d'ivoire et, depuis quelques années seuleraenl, de
caoutchouc de liane.
Le précieux métal, qui se trouve dans l'inlérieur en plus
grande quantité que sur lo littoral, est généralement apporté
parles caravanes musulmanesquidescendentdu Nord, venant
même de Tombouctou à travers le Soudan, mais principale-
ment par celles qui viennent des conlrées voisines de Kong
et qui, traversant le Boundoukou, arrivent à Aboisso, Krin- Il
jaboo et Aby, mats descendent assez rarement à Assinie.
Les indigènes s'occupent très peu de l'extraction de l'or,
quoique sur certains points peu distants du littoral où j'ai
extrait du minerai, j'aie obtenu des résultats peu ordinaires.
Ainsi, sept essais ont donné les chiffres suivants par tonne
de rainerai :
1" essai t'. n. 5
â» — 2 . 0. 6
3» — 1 . 7. ".t
i« — i... 2 . 1. (J
5" — 1 .«.10
6« — 2 . U. 3
7- — 1 .10. 2
(L'oiico il'ur = 'J(î fr. = 10 ackés.
1 acké = G fr. =12 taltous.
1 takou = I) fr. 5fi)
Ces mêmes échantillons réunis ont donné à l'essai par un'
essayeur juré de Paris :
Or 929
Argnnt G5
Condres (i
nm
Je puis encore aujourd'hui présenter le bordereau
d'essai.
Les placera de la Côte d'Or sont plus étendus qu'on ne le
/
ÉTUDE Srn LE nOYAUMK 1» Aî^SiNlE,
333
croit généralement, grâce à de faux rapports publiés à ce
sujet, et l'est de la Côte d'Ivoire fouroirait même des quan-
tités d'or très appréciables.
Je puis affirmer qu'avant d'arriver au 7" long., on trouve
non seulement des endroits où des fouilles ont été commen-
cée?, mais encore des terrains aurifères non exploités oîj les
terres ont donné des résultats qui ne sont nullement à
dédaigner. EnBn, en se'jdirigeant vers l'est, les placers devien-
nent plus riches et plus nombreux.
Une maison de Londres, rjui possède une mine en expio"-
tâlion à environ 3" milles nord-nord-ouesl d'Axim, a reçu
jusqu'à 700°» dans un mois, poudre et pépites provenant de
quartz aurifères.
Lor.s de la perte du vapeur Senegut, de la Britîsh and Afri-
canC" de Liverpool, naufrage qui eut lieu en vue de Tabou
(République de Libéria) en 1887, la Compagnie qui avait
assuré l'envoi d'or de cette maison a dû lui rembourser
ia somme de 2,918 l. st. 8 pour or perdu par suite du nau-
frage, soit 72,970 francs, représentant simplement le rende-
ment de leur mine pendant un mois. Je tiens ce chiffre d'une
source absolument indiscutable.
ûans des conditions pareilles, il me parait fort regrettable
que la France laisse aux Anglais le monopole de l'extraction
de l'or dans ces contrées, car avec une mise de fonds rela-
tivement peu considérable, une société française pourrait
se former et exploiter des richesses abandonnées actuelle-
ment par nous.
Les travaux d'exploitation peuvent être confiés aux indi-
gènes sous la surveillance de deux ou trois Européens.
Moyennant un salaire de 1 franc par jour payable en
marchandises telles que gin, lafla, tabac, poudre de traite,
fusils de traite, étoffes, etc., ils s'en acquitteraient à notre
entière satisfaction.
Il faudrait donc, pour tirer tout îc parti possible, avoir au
littoral une maison chargée : 1" de recevoir les marchan-
;I34 KriDK sua lk koyaumk d'assime.
dises venant d'Europe; t" d'expédier l'or à destination
d'Europe.
Cette maison pourrait égaleraenl, en échange de l'or
apporté direclement par les indigènes, céder à ces derniers
une partie desdiies marchandises restées comme supplément
de !;i paye de la main-d'œuvre de la raiae, en se basant sur
un bénéfice \ari'ablo suivant les articles, tous frais ajoutés au ma
prix d'uehat en Europe. f
Tant pour l'or provenant de la mine que pour celui qui
provient des achats ci-dessus, il serait indispensable qu'un
indtjjèue, habile nettoyeur d'or, fût adjoint à la maison du
littoral. Cette nécessité se ferait surtout sentir dans le der-
nier cas, CCS acheteurs au comptant ne se faisant aucun
scrupule de mélanger i la poudre d'or qu'ils donnent en
payement des résidus, rebutés déjà par d'autres maisons et
contenant de fortes traces de cuivre. Le talent du trieur d'or
consiste à reconnaître ces rebuts et à les éliminer; ils sont
rendus à l'acheteur, qui donne en échange un poids égal
d'or pur. On pourrait par cette méthode obtenir mensuelle-
ment environ 150 à 200"' d'or au comptant avec des mar-
chandises convenables et à condition qu'on en fit venir au
fur et à mesure le strict nécessaire. II faudrait qu'à chaque
vapeur arrivant d'Europe, il y eût une réception de mar-
chandises fraîches; car le noir est très observateur. Voyant
les marchandises souvent renouvelées, il viendrait de préfé-
rence, sachant qu'il serait certain de pouvoir toujours faire
son choix parmi des articles nouvellement arrivés.
Si le sous-sol est prodigieusement riche, comme nous
venons de le voir, sa surface ne laisse rien non plus k
désirer.
Pour s'en convaincre il suflit de jeter un coup d'oeil sur
la végétation, qui, soit en forél, soit en plaine, atteint des
proportions tellement surprenantes pour un Européen que, M
lors(iue le voyageur eu parle à son retour devant des per-
sonnes qui n'ont pas visité ces parages, celles-ci ne peu-
I
I
ETfl»E sua LE IlOYAUME t> ASSIME.
335
venl qu'avec peine dissimuler le sentiaaenl d'incrédulité
provoqué pur ces invraisemblances.
Actuellement il n'existe sur toute l'étendue de ce beau
royaume d'Assinie qu'une seule exploitation agricole; c'est
une plantation de calé appartenant à la Compagnie des
cafés d'Assinie, fort peu connue, sinon par les dividendes
qu'elle a omis de distribuer depuis 1880 à ses actionnaires.
Cette plantation, connue dans le pays sous le nom de
plantation d'Elima, est située sur le plateau qui domine les
villages de M'boing, Eliraa etTancrou. Elle a été établie
sur une concession gratuite accordée par Amalifou eu 1880
el créée avec des plants provenant de Cap Palmas (Répu-
blique de Libéria).
A une certaine époque le gouvernement libérien, fort
gêné et désireux d'accroître ses revenus, frappa l'exporta-
tion des plants de café d'un droit énorme de deux dollars
par plant. Ct! droit subsiste encore acLuellement, ainsi que
l'affirme le capitaine Brosselard, commissaire du gouverne-
ment de la République frauçaise pour la délimitalioa de
nos frontières sur la Guinée portuguise.
La direction de l'exploitation, grevée déjà de dépenses
exagérées, essaya de se soustraire à ce surcroît de dépenses
et créa des pépinières en utilisant les graines de sa récolte.
Ces essais réussirent assez bien, étant donné le manque
d'expérience de ceux qui les tentèrent, et depuis cette époque
les iransplalalions n'ont été faites qu'avec des plants pro-
venant de l'exploitation. Malheureusement, faute de soins
expérimentés dans le passé et à cause des fourrais rouges
et noires qui ont infesté certains quartiers, les récoltes sont
1res difficiles en ce moment.
11 faut Joindre ù cela une maladie nouvelle qui atteint
certains plants et les fait sécher en quinze jours. J'avais
entrepris le traitement do cette maladie et avais trouvé un
smède fort simple, au moment où j'ai dû quitter Assinie.
jlgré tous ces inconvénients, j'estime que la récolte 1887-
:«6
ETlîDE SliJl LE UOYAUSIK I) ASSIKIE.
I
1888, commencée par mes soins en novembre 1887, a du,
si elle a été bien conduite jusqu'à la fin, donner environ
■ii tonnes de café en parrhemin.
Ce n'est certes pas un brillant résultat, mais il est pas-
sable, si l'on considère que celte plantation d'environ no hcc-
tares,coramencée en 1880, est divisée en quatre quartiers dont fl
chacun correspond aux années 1881,188*2, 1883, 1885-1887. "
Encore devrail-on tenir peu compte de ce dernier qui n'est
■en partie qu'à sa premièreannée de rendement; et d'unautre ■
coté, le quartier de 1881 a été, il y a deux ans environ, fort
maltraité par les grandes pluies qui ont, faute de prévoyance,
raviné toutes les terres et laissé à nu, dans le sable, les
racines chevelues. De sérieuses modifications d'entretien
ont dû ôlre apportées depuis mon départ, car j'apprends
par une personne de la parole de qui je ne puis douter,
que la récolte de 1888-1880 a rendu 64 tonnes de café.
Indépendamment du café, on pourrait encore cultiver
avec succès, je crois, le cacao. Le coton, le ricin, l'indigo
et l'arachide, qui sont des plantes indigènes, donneraient
certainement, avec une culture intelligente, des résultats
auxquels on est encore loin de s'attendre dans ces contrées
où la richesse du sol est surprenante.
Un jour viendra sans doute où nos enfants, peut-être
seulement, hélas! nos petits-enfants en France, instruits par
les leçons du passé et rompant enfin avec la routine, se
décideront à suivre l'exemple de nos voisins les Anglais et
les .allemands. Ceux-ci auront, il est vrai, prélevé déjà le
plus facile et le meilieur tribut; cependant nos descendants
pourront encore profiter de ce dont nos rivaux, qui ne
craignent pas d'engager leur argent dans tes entreprises
coloniales, n'auront pas eu, espérons-le, le temps de s'em-
parer.
Au nombre des produits à exploiter se trouve le caout-
chouc; malheureusement rindigène, cédant à sa paresse
habituelle et à son insouciance pour l'avenir, prépare fort
I
{
i
ÉTODE SUR LE ROYAUME D'ASSINIE. 337
mal cette substance el en trop petite quantité. La liane à
caoutchouc croit en abondance dans les forêts, el je suis
persuadé qu'avec quelques équipes de Pahoulbs, les seuls
indigènes de la côte occidentale chez lesquels le caoutchouc
est réellement bien traité, on obtiendrait une matière pre-
mière de qualité supérieure à celle qu'ils viennent vendre
au Gabon.
Aperçu de la faune et de la flore. — La faune du royaume
d'Assinie est fort riche ; malheureusement elle a été peu
étudiée, et j'attribue cela à la mauvaise réputation, justifiée
du reste, de son climat, plus inclément encore que celui du
Gabon.
Les rares observations qui ont été faites jusqu'à ce jour
n'ont pas permis d'en obtenir une description précise et
détaillée. Un seul naturaliste possédant des connaissances
sérieuses (M. Gh. Âlluaud)a failun séjour malheureusement
trop court pour lui permettre des observations suivies. Il a
visité une partie de la contrée et en a rapporté une collec-
tion d'insectes assez complète, mais le temps lui a manqué
pour qu'il put s'occuper d'une façon suivie des mammifères,
des oiseaux, des reptiles et des poissons. II est regrettable
pour la science qu'un observateur aussi consciencieux ait
dû s'arrêter en route.
Les nombreuses sorties que j'ai été appelé à faire dans
l'intérêt de mon service m'ont permis de voir une petite
partie des animaux qui habitent ou passent en Assinie. Les
animaux domestiques sont :
Un mouton de petite espèce, couvert de poils et non de
laine comme le mouton d'Europe ; — la chèvre naine qu'on
rencontre communément sur toute la côte occidentale
à partir du Sénégal jusqu'à Saint-Paul-de-Loanda ; je l'ai
trouvée également aux sources du Como et du Bokoué; —
le chat domestique, descendant de notre chat européen
acclimaté : le manteau en est varié comme celui de ce
dernier, mais la forme de la tête semble s'être modiûée dans
soc. DE CÉqGR. — 3* TRIMESTRE 1890. XI. — 22
338
ÉTUDE StlU LE ROYAUME d'aSSINIE.
le sens de la longueur; la largeur de la lôte aux tempes
paraM ne pas avoir subi de mociiFicalion, mais la partie
inférieure sefnble s'être rétrécie, ce qui lui donne une forme
plus anguleuse; — enfin, pour clore la liste des quadru-
pèdes, le chien indigène, che/, lequel j'a'i retrouvé exacte-
ment le type du chien pahouin.
Ce précieux petit auxiliaire du chasseur ressemble beau-
coup, sous le rapport de la taille, au fox terrier anglais,
avec celte différence que les membres du premier sont
plus fins el qu'il porte les oreilles droites. C'est un
régal pour les indigènes; les gens d'Adjouaet des environs
en font des foutous renommés. J'ai possédé plusieurs de
ces chiens et, me rappelant les observations que mon séjour
chez les Pahouins m'avait permis de faire sur leurs congé-
nères, je me suis donné la peine de les dresser à la chasse.
J'ai remarqué qu'ils possèdent une finesse d'odorat éton-
nante. Ni la rosée ni la chaleur ne les empêchent de
mener pendant des heures entières l'anlilope, la gazelle, la
biche ou le porc-épic lancés par eux. Ils sont en outre
d'un courage vraiment extraordinaire, très tenaces à la
menée el très mordanls au ferme.
Comme je Tai dit plus haut, j'ai retrouvé dans le chien
assinien le type du chien pahouin; grosseur, manteau,
habitudes, qualités pour la chasse, tout en un mot est iden-
tique à ce que j'ai rencontré dans mon précédent voyage au
Gabon et chez les Pabuuins, qui, en général, se servent
de cet animal pour la chasse. Ce sont surtout ceux du
haut Bokoué qui l'emploient à cet usage. Ce chien attaque
indifféremment le porc-épic ou la panthère, mais je dois
avouer par expérience que cette dernière chasse ne réussit
pas toujours à l'entière satisfaction du propriétaire des
animaux.
Les chiens amenés d'Europe dégénèrent dans ces pays,
perdent le nez et sont fort difficiles à conserver, à moins:
qu'on ne puisse les habituer à manger du foutou.
I
ÉTUDE SUR LE ROYAIME d'aSSINIE. 330
À Assinie on trouve également à l'état domestique une
poule et un coq semblables à ceux que nous avons en
Europe, mais de taille bien inférieure, la poule nègre, un
gros canard noir à reflets bronzés, lâches blanchos chez
quelque» sujets, mats ayant invariablement des papilles
rouges autour du bec et des yeux; je crois que c'est un
canard de Barbarie.
De fréquents essais ont été tentés pour acclimater la
poule d'Europe, l'oie et le coq d'Inde. Ce dernier seul a
parfaitement réussi. J'en ai vu de nombreux individus à
Krinjaboo, provenant sans aucun doute de délouroemenls
d'œufs opérés à la plantation d'Elinia où un couple de coqs
d'Inde avait été envoyé d'Europe. J'attribue à la chaleur
du climat la mauvaise réussite des tentatives faites avec les
poules d'Europe et les oies.
Ce qui augmente beaucoup la difficulté de conserver des
poulaillers, môme formés avec des poules indigènes, ce sont
les migrations de fourmis noires et rouges devant lesquelles
Européens et indigènes sont parfois obligés de battre en
retraite en abandonnant à l'envabisseur bàlimenl, mobilier
et provisions. On retrouve toujours le bîltimenl et le mobi-
lier, mais les provisions subissent une telle attaque que de
tout ce qui n'est pas hermétiquement fermé, il ne reste que
le contenant. Il me souvient qu'une nuit, à Elima, j'ai dû me
lever en toute hâte et me sauver dehors pour échapper k la
perspective d'être dévoré vivant sur mou lit par des milliers
de ces insectes. D'un superbe jambon entamé le soir nv&rae,
je ne retrouvai le lendemain qu'un os parfaitement nettoyé!
On comprendra donc, sans le moindre effort, comment
après avoir enfermé la veille au soir avec le plus grand soin
une cinquantaine de poules, on n'en retrouve le lenderaui«
matin que quatre ou cinq, quand encore on les retrouve!
Un autre fléau des poulaillers, c'est une espèce de petite
martre rougeitre, ayant l'extrémité des poils du dos et des
côtés d'une teinte grisâtre assez semblable à celle du petit
'.m
ÉTCDE siUK LE nOYAlME d'aSS1N[E.
gris. Ce maraudeur est de la tailled'un écureuil, avec lequel
il a une grande ressemblance ; les indigènes le Bomnaent
kokofio; il se retire pendant la journée dans des troncs
d'arbres creux.
En fait de mammifères dangereux je ne connais en Assi-
nie que la panthère, qui, parfois, fait des apparitions noc-
lurnes dans les villages; sous le coup de cette perspective
menaçante, les indigènes sont obligés chaque soir de ren-
fermer leurs moulons.
On rencontre en for^t le grand cfiat-tigre, le paradoxure
lactielé, espèce de petit chat-tigre beaucoup plus féroce et
plus courageux que le précédent; la civette, qui porte à
l'arrière- train une poche renfermant une sécrétion graisseuse,
de couleur gris foncé, insoluble dans l'alcool et dégageant
une très forte odeur analogue à cello du musc. Quand cette
poche est pleine de matière odorante, l'animal, se trouvant
gôné, la vide en se frottant contre un arbre bu contre un
piquet. Les femmes indigènes recherchent celte matière,
dont elles se servent comme de parfum. Elles la mettent
dans une petite corne de biche percée d'un trou qu'elles
suspendent à leur noilier à l'aide d'un fil.
Les palabres que j'ai eus à ce sujet avec les femmes des
villages de M'boing, Elima et Tancrou, voisins de la plan-
tation de café d'Ëlima, sont innombrables. Ces femmes
venaient au milieu des caféiers chercher le musc dont les
civettes s'étaient débarrassées pendant la nuit en se
IVotlant contre les arbustes. Pour enlever cette matière qui,
ainsi que je l'ai dit plus haut, est grasse et très adhérente,
elles arrachaient l'écorce des pieds de café ou cassaient des
branches, opérations qui entraînaient fréquemment la perle
des caféiers.
Le porc-épic abonde dans le pays; il atteint souvent un
poids de ir> et iO kilogrammes. Sa chair est excellente à
manger; rôtie, elle ressemble au porc frais, mais le goût
en est plus Un.
ÉTUDE SDR l.E ROYAUME BASSIiNIK,
341
Ou trouve aussi plusieurs espèces d'antilopes. La veille
démon retour en Europe, j'ai eu l'occasion de tuer un de
ces animaux que j'avais surpris à un détonr de la rivière
d'Assinie, essayant de gagner k la nage la rive opposée. Il
naesuraiti^SOau garot, La chair de ranlilope est peu estimée
parles Européens à cause de son goût de musc très prononcé.
Les gazelles sont nombreuses. J'en ai rencontré trois
espèces : la première et la plus grande à pelage roux,
mesure au garot environ O^IO; c'est, je crois, la gazelle à
groin de cochon, très commune chez les Paliouins. La
seconde est grise, mesurant environ 0"'5O à 0°55. Enfin la
troisième, grise également, ne mesure pas plus de 0'"35 à
OMO; c'est celle que les Européens appellenl la petite
biche (Cephaloi)UH Maxwelti). Ces trois espèces sont très
bonnes à manger, la dernière surtout-
Du crépuscule à l'aurore les échos de la forêt ne cessent
de retentir du cri du paresseux, très nombreux en forêt.
Les indigènes m'ont aflirmé qu'il ne crie que lorsqu'il
monte après un arbre; il fait alors entendre comme une
sorte de miaulement dechaL Faible d'abord, au bout d'une
dizaine de minutes et au fur et à mesure qu'il se répète, le
cri augmente de force et finit par être déchirant; quand on
l'entend pour la première fois, si l'on esta l'alFùt, seul sur
la bordure de la forôl, instinclivemeiil on redouble de vigi-
lance ; l'impression est d'abord pénible, m.iis après quelques
eoEpériences du môme genre, on Unit par s'y babiluer.
Le lamantin (bœuf marin) est assez commun sur les
bords des différents bras de l'embouchure de la rivière
d'Âssinte dans la lagune Aby. Telle est du moins l'affir-
mation des indigènes; cependant, malgré de fréquents
déplacements qui m'obligeaient à passer chaque fois dans
les endroits où l'on prétend qu'il y en a en si grand nombre,
je n'ai jamais eu qu'une fois l'occasion d'en tirer un. Encore
n'ai-je pu le poursuivre pour essayer de m'en emparer,
l'animaJ s'élanl jeté dans un fourré impénétrable de carex
842 ÉTlllE SI 11 LE liCVAtME h'asSINIE.
au travers duquel ma pirogue n'aurait jamais pu passer.
J'ajoute que la crainte des serpents, fort nombreux dans
ces endroits herbeux, paralysait singnlièremenL les efforts
que mes pagayeurs n'auraient pas manqué de déployer en
toute autre circonstance.
11 est rare desuivreun sentier dans la forêt sans apercevoir
quelque singe se balançant aprè»une liane ou sautant d'un
arbre à un autre. J'en ai remarqué sept espèces, parmi les-
quelles se trouve le chimpanzé, susceptible de recevoir
une certaine éducation. La factorerie française d'Assinie en
a possédé un d'une intelli§i;ence rare, Le commerce des
peaux de ces animaux donne lieu à des échanges assez im-
porta;! ts; les plus estimées sont celles d'un beau noir luisant.
Les rivières contiennent de nombreuses loutres que les
indigènes appellent o chien d'eau » ; beaucoup de tortues à
carapuce dure et h carapace molle. On trouve aussi une
espèce particulière de caïman qui ne se rencontre que dans
les rivières elles lagunes d'Assinie et d'Appolionie; c'est je
crois une espèce du genre gavial. Le bout de son museau
est percé de deux trous à sa partie supérieure, laissant
passer les deux canines de la mâchoire inférieure. Cet ani-
mal atteint parfois i mètres du bout du museau à Textré-
milé delà queue. Pendant mon séjour, l'un d'eux ayant au
moins la dimension ci-dessus avait élu domicile à la pointe
sud de l'île des Caïmans, snr la rivière d'Assinie, entre la
lagune Aby et la résidenceises forfaits devenaient par trop
fréquents et sa hardiesse Unissait par dépasser les bornes.
Il avait déjà fait plusieurs victimes en attaquant des
pirogues montées par un seul homme; voici de quelle
manière il s'y prenait : l'homme, afin de diriger sa frôle
embarcation, est assis à l'arrière qui, très étroit et par con-
séquent peu porteur, glisse à Heur d'eau. Le caïman suivait
pendant quelques instants la pirogue entre deux eaux, puis,
prenant un élan formidable, venait saisir d'un coup de
gueule îe malheureux nègre par le milieu du corps et, grâce
ETUUK SUIl LE ItOYAUME U AS.SIMK.
343
aumouvement d'arrachement familier au crocoiîile, enlevait
sa proie de dessus rcmbarcali on, qui s'en allait à ta dérive
tandis qu'il entraînuit en le noyant le pauvre diable qui
avait eu le malheur de le trouver sur sa route.
La frayeur était à son comble parmi les noirs et on ne trou-
vait plus personne qui voulût, partant d'Assinie, remonter la
rivière dans les pirogues h un seul homme. Je me décidai
(loiicà lui donner lâchasse afin, ou de le tuer, ou de lui faire
abandonner le pays. A cet effet, et pendant quatre mois, je l'ai
chassé tous les jours durant quatre ou cinq heures, sans
jamais réussir à l'exterminer. Les premières l'ois que je
l'aperçus, je m'en approchai suffisamment pour pouvoir le
tirer, mais, dès ma troisième rencontre il reconnut très bien
ma pirogue, armée deniesvingtpagayeursjetparlasuilejdès
qu'il m'éventaità cent ou cent cinquante mètres, il se laissait
Inraquillement glisser du tronc d'arbre sur lequel il prenait
son bain de soleil et, filantentre deux eaux, disparaissait sans
qcie, bien souvent, mes hommes pour lesquels cet exercice
était un plaisir, aient pu juger de la direction qu'il avait
prise, ce que l'on devine en certains cas au moyen de la
petite vague qui le suit, formée par le déplacement de
l'eau; il faut pour cela que la rivière soit calme et que l'eau
ne soit pas trop profonde.
Quand on veut faire une vraie chasse au caïman, il ne faut
pas la faire au fusil. J'en ai tiré bon nombre et je n'ai jamais
pu en retrouver un seul. Le caïman blessé d'un coup de feu
■ie laisse tomber à l'eau, coule à fond si la blessure est
mortelle, se noie et est emporte par le courant, ce n'est
qu'après deu.\ ou trois jours qu'il flotte. J'en ai même tiré
qui étaient endormis sur des touffes d'herbes : d'un coup
de queue prodigieux ils disparaissaient sans qu'on pilt les
suivre et allaient rendre leur âme noire dans quelque fourré
d*herbes impénétrable.
Le seul moyen qui m'ait bien réussi, c'est de le chasser
au harpon.
su
ETUDE SUn ht: UOVAUME UA3SIN1E.
Cet instrument se compose d'un fer à douille d'environ
0"30 de tige, terminé par une pointe semblable à celle
d'un hameçon. Ce l'en est fixé à un manche en bois de
"2 mètres de long au moyen d'une bonne corde d'environ
10 mètres, dont l'une des extrémités est solidement
amarrée à la douille du huipon et vient ensuite se fixer sur
le manche au moyen d'uue double clé; le reste de la corde
est amarré au poignet du chasseur. Cette disposition de la
corde est destinée à retenir le 1er du harpon et son manche
(dans ie cas où cet instrument viendrait à se diviser) et à
empûciier le ealmau blessé de pouvoir s'enfuir.
Au nombre de mes tirailleurs indigènes, j'en avais trois
qui excellaient dans ce genre de chasse. Entièrement nus,
ils se mettaient à l'eau et, armés chacun d'un harpon sem-
blable à celui que nous venons de décrire, se metlaicnt à la
recherche de quelque caïman au milieu des racines de pa-
létuviers, opération qui s'eilectuait avec la tranquillité qu'ils
auraient mise à chercher un poisson. Pendant ce temps,
sur la pirogue resiée en dehors de la ligne des palétuviers,
les hommes avaient liberté entière de causer, de riie, de
fumer, le bruit qui se faisait de ce côté empêchait les
caïmans qui auraient pu se trouver dans la zone comprise
entre la pirogue et les chasseurs de reprendre le large.
Aussitôt que les trois chasseurs avaientaperçu un caïman,
ils avançaient doucement sur une seule ligne, marchant vers
la berge et poussant petit à petit l'animal contre la terre.
Quand ce dernier s'apercevait qu'il allait &tro obligé de
prendre pied, il cherchait à forcer le passage pour s'os-
quiver, mais , alors les nombreuses racines de palé-
tuviers le gênaient pour foncer vigoureusement et passer
entre les chasseurs. C'est ce moment que mettait à profit
celui qui serrait le plus près l'animal pour lui lancer son
coup de harpon j puis rapidement il enroulait autour d'une
racine on d'un petit arbre la corde assujettie au fer et au
manche du harpon.
■MMlta
1
ÉTUDE Sl'll LK UOVALME u'aSSINIE.
345
Ensuite tous trois, munis de lianes préparées à l'avance,
manœuvraient de façon que fun d^entre eux, lui sautant
sur le dos ,pùl lui prendre le museau dans un nœud coulanl.
Cette opération n'est pas la plus dangereuse ; une fois ter-
miuée, il ne reste plus qu'à se t;arer des coups de queue de
l'animal. On lui ramène alors les quatre pattes sur le dos et
on les lui attache solidement, puis on lâche de saisir sa
queue et de Un faire rejoindre le museau. Le harpon est
alors arraché delà blessure, et ainsi licelé l'animal est porté
dans la pirogue, qui de son côté s'est approchée le plus près
possible du lieu de l'opération. Ces hommes considèrent
l'amarrage de la queue comme te moment le pins critique
delà prise du catman, et je puis affirmer qu'ils n'ont pas
tort. Ainsi, j'ai rapporté en France la peau d'un gavial me-
surant 3°'50, pris dans les conditions indiquées ci-dessus.
Tout s'était très bien passé, mais comme il était déjà un peu
lard pour tuer et dépouiller l'animal, j'avais remis au len-
demain cette opération. Eu attendant, je l'avais fait déposer,
soigneusement tigolté, dans le sous-sol de la résidence,
lequel servait de magasin aux vivres; je m'étais couché
tranquillement, ne pensant plus à mon terrible prisonnier.
Tout à coup, sur les deux heures du matin, je fus réveillé
en sursaut par un vacarme épouvantable au-dessous de ma
chambre. Je me souvins alors de ma prise de la journée et
descendis voir ce qui était arrivé.
Le redoutable saurien avait réussi à dégager sa queue des
liens qui la retenaient (j"ai toujours supposé qu'un rai,
animal qui pullulait chez moi, avait dû ronger une liane),
et c'était avec sou appendice caudal qu'il avait fait tout ce
tapage, culbutant les l'ùts de farine, de lard, de biscuit et
autres denrîes qui se trouvaient là. On amarra de nouveau
l'animal eu ayant soin de le tixer plus solidement. Le len-
demain, au jour, eut lieu son esécution, et sa chair servit à
l'aire de nombreux loutous.
Eu forêt, sur le bord des lagunes et des rivières, on trouve
346 ÉTUDE Sl'll I.E llOVAlUtE d'aSSINIE,
le varan, espèce d'énorme lézard ressemblant à l'iguane.
J'en ai lue un non ioiix de la résidence ; il mesurait 2"27
du bout du museau à l'exlrémilé de la queoe. Sa chair est
un régal pour les indigènes; ce qui fait que je n'ai pu rap-
porU'r la peau de celui dont je parle, mes Urailleurs s'étant
fort peu préoccupés, lors du partage de l'animal, de ce qui
m'intôressait le plus. J'ai rapporté néanmoins une peau de
varan mesurant l'"40.
On rencontre des serpents en grand nombre et de toutes
les dimensions, depuis les pylhons Sebae et Itegius jusqu'à
une espèce d'orvet mesurant au plus CC'^O. Ix plus dan-
gereux de ces reptiles est sans contredit la viptre cornue,
qui atteint jusqu'à i mètre de longueur. Les crochets d'une
"Vipère de cette taille sont longs de 0"030 environ.
Tous les serpents fuient l'homme quand ils ne sont pas
attaqués ; mais la vipère cornue, ne pouvant, en raison de sa
grosseur disproportionnée (une vipère de 1 nièlre de lon-
gueur mesurant environ O'"30 de circonférence au milieu
du corps), se mouvoir facilement, devient précisémenl dan-
gereuse parce fait. Comme celle du Gabon, elle porte quatre
cornes sur le nez et deux an-dessus de chaque œil, comme
celle du Sénégal. Yi vante, elle est assurément le serpent
ayant la plus splendide livrée comme dessins et comme cou-
leurs. En séchant, les dessins de sa dépouille subsistent, il
est vrai; mais les brillantes couleurs de la vie s'éteignent
pour faire place à une teinte grise, et une fois la peau des-
séchée entièrement, on ne voit plus que du gris, du noir et
du blanc sale, — le rouge, le bleu, le violet irisé et lie de
vin ayant complètement disparu.
Les indigènes m'ont affirmé qu'elle se nourrit exclusive-
ment d'ananas ; je ne serais pas éloigné de croire que celte
affirmation est vraie, car j'en ai trouvé plusieurs dans la
petite plantation d'ananas que j'avais établie lors des pre-
miers jours de mon arrivée.
Les crustacés que j'ai observés se bornent à deux es-
ËTrDE suit LE KOYAUME D ASSINIR.
34'i
pèces. Sur le bord de la mer, le crabe. Les indigènes le
chassent d'une manière fort singulière : doué d'une vue
extraordinaire, le noir, évitant loulmouviimenl brusque, suit
le rivage on examinant avec soin s'il aperçoit un crabe hors
de son trou; dés qu'il en a vu un disparaître dans le sable,
il s'élance en courantdans celte direction et à 4 ou 5 mètres,
prenant son élan, il fait un saut en ayant soin qu'en retom-
bant à terre ses talons portent les premiers et s'enfoncent
dans le sable h l'endroit où l'expérience lui laisse supposer
que doit se trouver le conduit de retraite de l'animal, puis,
avec ses mains creusant le sable très vivenienL, il est bien
rare qu'il ne ramène pas triouiphaleracnt l'animal qui par
cette oxanœuvre a eu la retraite coupée.
La seconde espèce est la crevette, qu'on rencontre daus
les lagunes, rivières et marigots. J'ai remarqué cette môme
crevette dans le Bokoué et le Como. Aux Pahouines des deux
rivières ci-dessus j'en ai souvent acheté qui mesuraient
25 et môme 27 centimètres de longueur; ces dimensions se
rencontrent également à Assinie.
Je n'ose entreprendre l'examen des insectes, les observa-
tions de M. Cb. Alhiaud ne me le permettant pas. Je ne
signalerai en passant qu'un énorme ooléoplère, ressemblant
un hanneton argenté, que les indigènes nommeal Kakaba
Tano; c'est une des nombreuses variétés du goiiath qu'on
rencontre fréquemment sur toute la côte occidentale
d^Afrique et dont M. Alluaud possède une collection fort
rare. Son apparition a lieu en décembre et en janvier.
Le plus beau que j'aie rapporté à M. Alluaud de la part de
mon successeur à la résidence d'Assinie, M. Treich-Laplèno,
a été pris dans des conditions très singulières. M. Treich
en avait un certain nombre qu'il faisait dessécher pour les
eraballer; parmi ces coléoptères se trouvait une très belle
femelle. Un soir, à la tombée de la nuit, nos boys qui flânaient
sur la véranda se meltent à pousser des cris assourdissants
en apercevant un goiiath colossal qui voltigeait autour
'■iiS ÉTUDE Si;il LE nOYAUME d'aSSINIE.
de la raaison et affectait de venir papillonner près de la
planche sar laquelle était posée la femelle morte; poursuivi
par les petits domestiques, il disparut; le lendemain, même
apparition, même chasse et même disparition; le surlende-
main je signifiai aux domesliques d'avoir à rester tranquilles,
dès qu'apparaîtrait te golialh. A la tombée de la nuit, comme
les deux jours précédents, il arrive, fait deux ou trois fois
le tour de la maison et finit par venir se poser h côté de la
femelle morte. L'un des boys s'avança avec prudence et
s'empara de l'insecte, qui paya de la vie sa tendresse pour le
beau sexe.
Le genre arachnide est représenté par de nombreuses
espèces dont la plus grosse est une araignée noire à bandes
transversales jaunes. Elle file une soie capable d'arrôte^
dans son vol un colibri. Il en existe une autre espèce à
carapace dure à la surface supérieure du corps et portant
sur le bourrelet postérieur quatre pointes ou cornes; elle a
l'aspect d'un petit crabe. C'est principalement enlre deux
pieds de café qu'elle établit sa toile.
Les oiseaux varient à l'infini. Sur les rivières on rencontre
un aigle pôcheur n^ir h tête et queue blanches; le cormo-
ran />/o(Ms, l'ibis fakinelle; un genre d'ibis blanc à tête et
cou noirs, qui, je crois, doit être une variété de l'ibis sacré;
un très grand ibis à plumage vert bronze foncé; la spatule;
de nombreux hérons de diilôrenles grosseurs et à plumages
variés; le courlis; différentes espèces de bécassines; le court-
viteàcollier; le chevalier; le vanneau ; le pluvier; l'oedicnème
criard ; l'outarde; en forôt, une espèce de pintade à croie
inclinée en arrière avec le cou bleu et rouge; une grosse
perdrix que les indigènes nomment poule des bois; des
colombes et louiterelles de différenles grosseurs à. plu-
mage brun sur le dos et couleur lie de vin sur la poitrine
el sur le ventre; le pigeon vert à bec et pattes rouge ver-
millon.
A certaines époques apparaît le martinet. On rencontre
I
I
ÉTBDE SUR LE ROYAUME d'ASSINIE. 349
aussi une petite hirondelle entièrement noire à reflets bleus.
Le poisson qui sert communément de nourriture aux
indigènes est le machoiron (clarias leviceps), poisson à
grosse lète portant autour de la bouche des papilles comme
le barbillon. Ses nageoires pectorales sont armées d'un os
très pointu et garni sur le côté de barbelures qui le font
ressembler à une scie.
On rencontre aussi un poisson torpille (semblable à l'ag-
nie des Pahouins, Yininda des Gabonais). Ce poisson est
consommé par les femmes seulement.
La partie végétale de la nourriture des indigènes se com-
pose de la banane, du manioc et de l'igname. Ce dernier
tubercule donne lieu à la plus grande fête du pays. Le roi
seul a le droit de manger le premier de l'igname de l'année,
et cette coutume est observée strictement. Il n'est permis à
ses sujets d'en manger que huit jours pleins après que le
roi y a goûté. A l'occasion de cette fête des ignames, le roi
en envoie, comme cadeau, un certain nombre au résident
et quelques-unes à chaque Européen présent dans la colo-
nie au moment de la fête.
DE ZANZIBAR
A LA STATION DE KONDOA'
-A.. B Ij O "5r E T
Chargé par le Comité Trançais de l'Association internatio-
nale alricriine de fonder une station scientiOque et hospita-
lière dans rOussagant, aux environs de Kilassa ou Kiora
(côle occidentale d'Afrique, suUanat de Zanzibar), je partis
de Marseille le 2 mai 1880 ; le 29 du même mots j'arrivais à
Zanzibar. Après avoir organisé une petite caravane, je
partais le lljuin de Bagamoyo à la recherche de remplace-
ment de la future station. Le 2 juillet j'arrivais à Kondoà,
lieu que j'avais choisi pour l'édiGcalion des bâtiments
de la nouvelle station. Le mauvais vouloir des chefs,
excités contre moi par les Ariibcs qui résidaient dans le
pays, et surtout les fièvres pernicieuses qui me tinrent pen-
dant cinq longs mois, m'empêchèrent de travailler aux con- ■
slructions comme je l'aurais voulu. Cependant le 13 février
1881 la station était fondée. Elle se composait d'un grand
corps de logis pour le missionnaire, avec magasin pour
I
I. Uien nue de dale un peu »nc<coitc, celle noticfl renferme des iudi-
catiotis qui pourrnnl i^tre utiles aux voyageur» et :iux géotçra plies.
M. BInyel, capit.:iitR< au long cours, avait été chargé, va 1880, pur le
« Coiiiitù TraDcuis de l'Association litternaliunale arricaiiio », d'aller fon-
der dans rOuiisagara une station icientillque et hospitalière. Pendant un
séjour de cinq ans clans cette contrée, i] s'est nppliciué à l'étudier avec
plus de détail que ne l'avaient fait jiisqu'alor-i les voyageurs dont les
rapides trajets ne comportent pas det recherches complètes. C'est ainai
I
DE ZANZIBAR A LA STATION DE KONOOA. ^fôl
marchandises d^échanges, et des huttes des serviteurs el
hommes d'escorte. Je dus revenir à la côLe le 30 mai
de la même année; ma santé avait été trop fortement
ébranlée el un repos de quelques mois à Zanzibar était
nécessaire.
M"" Bloyet vint me rejoindre à Zanzibar le 18 septembre,
puis, partis pour Bagaraoyo, nous nous mîmes, le 18 oc-
tobre, en roule pour laslalion de Kondoâ où nous arrivions
le 5 novembre.
Les travaux qui restaient à faire à la station m'empo-
chèrent de donner suite à mes projets d'explorer les alen-
tours; mais malgré cela, tout en surveillant les Iravaux^, ju
pus recueillir quelques collections qui furent oll'ertes par
le Comité français au Muséum d'histoire naturelle de
Paris.
Le 15 juin 1882, ma femme et moi nous parlions pour la
côte, d'où après avoir renouvelé nos approvisionnements,
nous étions de retour à la station le 22 août. Je pus relever
Irfes exactement l'itinéraire de Kondoâ à Bagamoyo el lis de
nombreuses observations barométriques ethypsomélriques.
Au mois de décembre de la même année, je fîs un petit
voyage d'excursion aux alentours, passant parKouà-Toupa,
Kiloga, Kiora, Mounié-Sagara, Kilàssa elMadélé. j'eus Toc-
caiion d'observer plusieurs lours d'horizon et principale-
ment sur le pic Louemba, haut de 1,700 mèties. Des obser*
valions hypsométriques furent faites à toutes les stations de
Ce voyage.
le 10 février 1883, laissant la station à la garde de ma
I'''îl»cxéciité des observations iinîtéorologiques puiviea, el délcriiiiné les
'^liliides de vingt-cinc] points, les longiludes de deux points (Kondoi et
Vriignro), Ces observations doot tes cahiers sont déposée dans les
«Hiiives de l.i Société do Géograptiie, ont été caluulces par les soins île
"• A, Orandidier. — Au sujet desobsorviilions do M. Bloyelet de ta carte
finie au présent travail, cotisiiUer le rapport do M. A. Graiidiilter à la
'^iHinission des Prix delà Société [Bulletin de. la Société de Géographie,
"'iTiwesire 1886, p. 338).
I
352 DE ZANZIBAR A LA STATION DE KONDOA.
femme, je partis pour un peliL voyage à Memboya, au nord
de la station. Je ne pus faire aucune bonne observation, la
saison des pluies étant trop avancée ; mais, par contre, je
relevai soigneusement la route suivie à l'aller et au retour.
Le 1" juillet dfi la même année, ayant pu rnc procurer
les porteurs nécessaires, nous nous mîmes en roule, dans
le biu de nous rendre à la côte en faisant un grand
coude à l'ouest, passant parMpouapoua et revenant à Baga-
moyo par la route du nord. Notre première étape nefl]
fut qne de 5 kilomètres car nous n'avions pu nous mettre
en route qu'à une heure fort avancée de laprès-midi.
A 5 heures du soir nous canipimes sur les bords de la
Mkondoâ après avoir fait environ 5 kilomètres à l'ouest.
Le lendem;iin nous campions k Kitadaraave, petit village
bâti sur une colline qui domine le Mkondoâ de 100 mètres;
nous avions fait 13 kilomètres au nord-ouesH/4 ouest. J'ob-
servai, en cotte station, un tour^d'horizon el des circummé-
ridiennes. Le fi juillet nous arrivions au village de Kimouaga
après avoir fait 8 kilomètres ii l'ouest 1/4 nord-ouest et
avoir passé 2 kilomètres auparavant vis-à-vis le village de
Mounié-Sagaro. Le lendemain (7 juillet) nous arrivions à
Kilassa, l'ancienne mission anglaise, ayant parcouru 10 ki-
lomètres à l'ouest-uord-ouesL Je pus observer un tour
d'horizon et des circumméridiennes. Le 8, après une étape
de 12 kilomètres l/2au nord-ouest, nous campions àMadélé
(lour d'horizon), C'est ici que la Uoumouma, qui sort des
montagnes del'Ouhéhéet forme véritablement le prolonge-
ment de la Mkondoâ, sejette dans cette dernière rivière. Une
étape de 7 kilomètres au nord-ouest nous conduisit sur les
bords du lac Ougombo, où nous dressâmes notre tente.
L'eau de ce lac est fortement saumàlre. Les crocodiles et
les hippopotames j pullulent (tour d'horizon et circummé-
ridiennes). Le 10, une étape de 10 kilomètres au nord 1/4
nord-ouest nous conduisit à Godégodé. Nous campâmes
sur les bordi d'un ruisseau d'eau sauraâlre mais très claire
DE ZA>ZI(IAR A LA STATION DE KONHOA, 353
(tour d'horizon, circumméridiennes). Lcit, ayant parcouru
i'3 kilomètres au nord-nord -ouest, nous arrivions à Simbo
ou Matoumombo (tour d'horizon el circumméridiennes).
Nous étant remis en roule dans l'après-midi, nous cam-
pâmes dans le porri, après avoir parcouru 10 kilomètres à
l'ouest-nord-ouest 1/2 nord. Le 12 juillet, une étape de
IG kilomtlres nous conduisit à Mpouapoua; la route suivie
tut nord-nord-ouest. Nous séjournâmes quatre jours à
Mpouapoua où je pus observer quatre tours d'horizon et des
cirenraraéridiennes.
De la station de Madété nous avions suivi la vallée de la
Mkondoâ, contrée splendide el relativement bien cultivée.
De Madélé à Mpouapoua, la contrée est déserte, et le porrî
qui s'étend entre ces deux localités a une mauvaise
réputation parmi les caravanes, à cause des nombreux vols
dont celles-ci sont victimes de la part des pillards (Wahéhés
et Wagogos) qui infestent cette partie de la roule. L'aspect
général du paysage est triste. Le sol est composé de col-
ines rocailleuses (débris de grès et de quart!;) recouvertes
li'une végétation d'arbres rabougris et épineux formant par
places des fourrés impénétrables. Entre ces collines s'éten-
dent de petites plaines recouvertes d'efllorescetices salines
ipiileur donnent l'air d'avoir été blanchies au lait de chaux.
Le gibier abonde, principalement le gros gibier, comme les
rhinocéros, les bufiles, les élans du Cap, etc., etc. J'ai rcn-
Mntré souvent des traces d'éléphants.
Pendant les mois de mai, juin, juillet el août, les ntiils
sont très fraîches à Mpouapoua, el il y soufllp un vent du
îiud-est extrêmement violent.
beraardi i 7 juillet, nous quittâmes Mpouapoua à six heures
•lu matin. Une étape de 22 kilomètres à l'est i/4 sud-esl,
"ûus conduisit AToubougué, apiès avoir descendu une mon-
''gnedonlle sommet atteinll ,260 mètres, etquisépareTou-
iiougué de Mpouapoua (tour d'horizon el circumméri-
•fiennes).
80C. BE GÉOCR. — 3* THIMESTHE 1890. XI. — 2'J
364 DE ZilNZtBAR A LA STATJON U£ KQISAOA.
Le 10 juillet, nous allilmes établir notre camp de
l'autre côte de la rivière de Toubougué, à 4 kilomètres cn-
viroa au nord (circumméridiennes, tours d'horizon).
Le 20, je gravis le Kangadich et pus observer un tour
d'horizon et des circumméridiennes sur un des sommets
(altitude l,7(>0 mètres). Le soir j'étais de retour au carap
à six heures.
Le 21, ayant parcouru 9 kilomètres au nord-est, puis
12 kilomètres à l'est, nous arrivâmes à Miali après avoir
contourné le .Mluici. J'ai fait des tours d'horizon à Mlali.
Le 24-, après avoir pnrcoaru 21 kilomètres au nord-est, nous
dressâmes notre lente au pied du mont Loubého, dont le
sommet atteint 2,000 mètres. C'est du reste entre Loubého
et MIali, à environ 1 kilomètre 1,2 au sud-out^t de notre
camp (1,500 mètres), que se trouve le point culminant de la
roule, de Saadani et Mpouapoua (tours d'horizon et circu-
cumracridiennes).
Le 2r», nous arrivions à liitangué après avoir fait iO kilo-
mètres au nord-est 1/4 est; pendant notre halte je ,pus ob-
server un tour d'horizon et avoir des circumméridiennes.
Nous étant rerais en route i deux heures, nous eanipàmes
pour la nuit dans la forêt, après avoir parcouru 10 kilo-
mètres ausud-esl l'iest.
Le 27, après un trajet de 8 kilomètres au sud-est de
notre point de départ, nous arrivons à Memboya, siège
de la mission anglaise que dirige M. Last. Nous y ftimes
bien reçus. L'altitude de la mission est de 1,2130 mètres.
Nous y séjournâmes quatre jours et je pus y observer des
tours d'horizon et des circumméridiennes. De Mpouapoua ù
Memboya on se trouve dans l'Oukiigourou, pays mon-
tagneux. Le sentier suit le tl.tnc de la montagne et en allant
de Mpouapoua à Memboya on a au-dessous de soi, sur la
gauche, une vaste plaine coupée par plusieurs petites
chaînes de collines où habitent les Massai et les Waboum-
bas, tribus uomades qui sont sans cesse à la recherche de
I
DE ZANUBAR A L\ STATION DE KOMtOA- 355
nouveaux p&turages pour leurs nombreux troupeaux. Une
«{oantité de petits ruisseaux coulent des lianes des mon-
tagnes de l'OukayoiJrou vers la plains, mais ils n'y forment
aucun cours d'eau. LesoL de la plaine en partie sablonneux
abborlie tout. Dans la saison où nous nous trouvions le»
nnits étaient fraîches, et le matin une brume intense empê-
chait de voir à six pas devant soi.
Le 1" août nous limes nos adieux à M. Last en le remer-
ciant de son bospitJilittt. Ayant parcouru 18 kilomètres au
eud-Kud-est, nous campâmes non loin du pied du mouL
Nyangara, dont le sommet s'élève à i,i(M mèlres. Nous
séjournâmes là le i et le 3, une blessure à la jambe m'em-
pôcbiratde marcher; je pus observer un tour d'horizon.
'Le 4, après avoir suivi un sentier excessivement sinueux
et avoir fait à peu près 10 kilumètres au sud-est, nous
arrivâmes au pays de KilTé; je pus observer un tour d'ho-
rison l'après-midi.
Le ô, une étape de i5 kilomèlres à l'est nous condui-
sit au district de Kidélé. Nous dressilmes notre tente à
•200 mètres d'un viMagc du nom de Kiendiéni, habité pardes
Maquois (tour d'horizon). Le ti, après une étape de 18 kilo-
mèlres à l'est-nord-est nous étions à Mangoubougoubou. Un
peu avant d'arriver au camp, I kilomètre 1/2 environ, nous
eûmes à traverser un marais infect, parmi un fouillis inex-
tricable de roseaux et de grandes herbes; nous avions de la
-vase noire et fétide jusqu'à la hauteur des hanches. Malgré
la mauvaise position de Mangoubougoubou, qui se trouve
dans un bas-fond, je pus observer un tour d'horizon et re-
lever quelques sommités de Ngourou.
Le 7 nous arrivions à Mvoméro après une marche de
t8 kilomèlres an nord-esl. Comme la veillenous avons pa-
taugé dans un marais qui ne le cède eu ricii au précédent.
Un tour d'horizon fut observé d.ms l'après-midi.
Le 8, après avoir parcouru 28 kilomètres au nord-est
et avoir passé à Kouà-Mchoropa, traversé le Mtoamawé,
356
DE ZA^ZJUAH A LA STATION DE KOKDOA,
la Lukindo, le Mkindo el quantité de petits ruisseaux,
nous campâmes dans les champs au-dessous de la montagne
Mkoboué.
Le 9 août, ayant traversé encore une quantité de petits
ruisseaux qui sortent de Mkoboué, gravi plusieurs collines
el parcouru ii kilomètres environ au nord, nous arrivâmes
à la mission catholique française de M'honda, dont le révé-
rend père Machon est supérieur. Nous fûmes forcés de
séjourner quinze jours k M'honda pour permettre à la bles-
sure de ma jambe de se cicatriser. J'observai pendant ce
temps-là des tours d'horizon et des circumraéridiennes.
Ij3 23, prenant congé de nos hôtes, nous allâmes camper à
Bouâ-M'honga,à 9 kilomètres au sud-est 1/4 estdeM'bonda,
Le lendemain 24, 10 kilomètres à travers la jungle nous
amenèrent à Kidoudoué; route suivie sud-est 1/4 est. Tour
d'horizon.
Le 25, après avoir parcouru 16 kilomètres au sud-est,
nous avons campé à Kilinia-Magnani, dans le porri. Tour
d'horizon.
Le 26, arrivé à Matoungou après imf marche de li'i ki-
lomètres à l'est. Tour d'horizon.
Le 27, traversé la rivière Kouloulaà l'endroit appelé Bou-
7ini, à 10 kilomètres au nord-est de notre point de départ; à
4 kilomètres à l'est, arrêt au village de Koua-Mlélé. J'ai fait
quelques relèvements à la boussote, un tour d'horizon avec
le théodolite étant rendu impossible, par l'abondance des
arbres et le manque d'horizon. A 14 kilomètres plus loin
dans le nord-est 1/4 est, nous campons près du village de
Koua-Digouaraé. Impossible encore d'observer, faute d'ho-
rizon.
Le lendemain 28, quittant la route de Saadani nous
nous dirigeons vers Mandera, et un parcours de 10 kilo-
mètres à l'est-sud-est nous amène près du village à& Ki-
rongo, où nous campons. Comme la veille, l'horizon est
trop borné et je ne puis faire aucune observation.
DE ZANZmAU A LA 3TATI0Î! DE KONDOA. 357
Le 29 août une marche de 19 kilomètres à l'esl-sud-est
i/â sud uous fit arriver au village de Mahinbou. Pas plus
qae les jours précédents, l'horizon borné que j'avais autour
de moi ne me permit d'observer un tour d'horizon.
Le 30, ayant parcouru 10 kilomètres au sud-est, nous
arrivâmes à la mission catholique de Mandera dont le père
Picardat est le supérieur. Nous i'ûmes reçus, ma femme et
moi, avec cette cordialité qui est l'apanage des boas pères
de la cûngrcgalion du Saint-Esprit. Je pus faire un tour
d'horizon et observer des circumméridiennes. A Mandera,
une partie de nos porteurs déserta, sous prétexte que nous
devions traverser l'Oudoé pour nous rendre à Bagamoyo. Il
est vrai que les Vadoés sont quelque peu anthropophages.
Je fus donc obligé d'engager d'autres porteurs.
Le 1" septembre nous nous mîmes en route et après
avoir parcouru 12 kilomètres au sud-est 1/4 sud, nous cam-
pâmes à Kouâ-MacluDJa. Nous avions traversé le Warné à
3 kilomètres de notre point de départ, Mandera. Le 2,
une marche de 20 kilomètres au sud-est nous conduisit ;\
Simba-Mbili; le 3, après avoir parcouru- 20 kilomètres au
sud-est nous arrivâmes à Karabaka,
Le i, nous traversâmes le Kiiigani, à 6 kilomètres au sud-
esl de Karabaka et 8 kilomètres au sud nous arrivâmes â
Bagamoyo.
Be Memboya au pays de KiH'é la roule suit en descendant
un terrain accidenté. Les collines sont très boisées d'une
espèce d'arbre appelé mihoumbos, dont l'écorce sert à
fairedes cordes et des liiidos (espèces de paniers) ; les vallées
sont encombrées par une forte végétation de bambous et de
roseaux. Le terrain a une couleur rouge d'ocre, et le quartz
îiomine avec des grès dans !a formation des collines; de
•vitré à Kidélé, la route descend encore et le terrain renferme
<Javantage d'argile et de sable. De Kidété à Mvoméro le
''finlier chemine en plaine. A part quelques endroits cultivés
3UX alentours des villages, la plaine est inculte. De Mvoméro
358 DE 7A^f^IM.\R a la STAiroN DE ROWrOA.
iV M'honda la roule passe ;\ travers les contrefort» ùa Ngou-
rou; le sol, arerdenlé, est fait d'une lerre rouge, avec du
quartz et du granit. De M'honda à Matoungoii la plaine
présente la même aspect que de Kidélé à Mvoméro. De Ma-
toiingou à Simba-Nbili le sentier serpente à travers une
quantité de collines boisées, dont le sol rocailleux, se cono^
pose de quartz et de grès. Do Simbo-Mbili à Bagamoyo
les collines ne représentent pins que de simples ondulations
d« terraÏD^ L» sol, sablonneux en majeure partie, est
argileux dans les bas-fonds.
Après nous fttre ravitaillés h Bagamoyo, nous en partîmes
le 1-4 septembre. Le -4 octobre nous étions de retour à la
station après avoir fait les étapes suivantes : de Bagamoyo
h Mounié-Kondo, IX kilomètres, route h l'ouesl-sud-onest;
de Monnié-Kondo à Bikiro, 3 kilomètres, au snd-ouesl 1/4
ouest; de Bikiro à Kingueni, 15 kilomètres, au sud-ouest
1 '4 ouest (le Kingueni à Mbouyouni, i5 kilomètres au sud-
ouest 1/4 ouest; de Mbouyouni à Mbiki, i kilomètres, à l'ejl-
sud-ouest; de Mbiki à Sagali, 1 i kilomètres, au sud-ouest
i/4 ou«3t; de Sagali à Msouitb, 16 ktlomi:;lres, an sud-ouest
1/4 ooest; de Msouùh à Kissérao, \(t kilomètres, au sud-
ouest 1/4 ouest; de Kissémo à Guéringuerré, 18 kilomètres,
àl'ouesl'^sud-ouestl/â sud; de GuéringuerréàYanguéangué^
16 kilomètres, à l'ouesl-sud-ouesl 1 'isud; de Yangiiéangué
h Koù, 4 kilomètres au sud -ouest: de Koô àMike^si, lâkilo-
raèlresà l'ouesl-sud-ouest 1/:2 sud ; de Mikessi à Kouft-Gouzo,
2(1 kilomètres, à l'ouest 1/4 sud-oucsl ; de Kouâ-Gouzo & la
mission de Mrogoro, 5 kilomètres, au sud-sud-ouest; de la
mission au village de Mrogoro, .1 kilomètres à l'ouest 1/4
nord-ouest, de Mrogoro à Guéringuerrc-Mdogo, 8 kilo-
mètres, au nord-ouest; de Guéringuerré-Mdosjo à Myanzi,
16 kilonièires au nord-ouest, de Mian/.i à Kooà-Kigongo ou
Mkala, 21 kilomètres, à l'ouest i/'i sud; do KouA-Kigongoà
Mkobéringa, i7t kilomètres à l'ouest; do Mkobéringa h la
station française de Kondoil, 'i7i kilomètres au sud-oueal.
I
I
(
DE ZANZIBA.U A LA S^TATION IHE KOXDOA. ÎJiiU
Les travanx de la sUUion et los collections à recueillir
aux alentours nous occupèrent jusqu'au l"juin 1884.
Nous partîmes de fa slallnn le t"juin. Notre intention
était d'aller passer quelque temps à Mrogoro auprès des
pères de la mission. Nous carupiinies près du villag» de
Kofarbanî, après avoir parcourn 7 kilomètres au nord. Le
lendemain, après unr- marche de 10 kilomèlres à l'est, nous
arrivâmes à Kotiâ-Kingo.
Le 4 juin, no\n fûmes camper dans la- plaine de la
IMkata après avoir l'ait 10 kilomètres au nord-est jusqu'à
Mkobéringa et 10 kilomètres à l'est jusqu'à l'endroit où nous
avons campé. Je pus faire deux tours d'horizon dans la
jooméedu lendemain.
Le6 juin, lOkilomètres h l'est, nou? traversûnies la Mkata
à l'endroit appelé Kouà-Kij;ongo, el 3 kilomètres plus loin
au nord-est 1/4 est nous campions dans le porri (tours
d'horizon). Le 0 juin nous arrivâmes à Mianzi après avoir
fait 17 kilomètres â l'est. Nous ne nous aiTélàines qu'un
tnoroenl, et à 16 kilomètres au sud-est nous arrivions à Gué-
ringiicrré-Mdogo . Là je Fis encore u n tour d'horizon. Le 10 une
marche de 10 kilomètres au sud-est nous amenai la mission
<ie Mrogoi'o. Nous y séjoumAmes vinj^t-cinq jours peruianl
lesquels je m'occupai d'observations et de collections. Le
-juillet nous étions de retour à la station.
Les soins de la station et divers ouvrages me retinrent à
Kondoâ jusqu'au 8' octobre 1884. Nous partîmes ce jour-là
"" la station-, mais comme nous n'avions pt\ réunir les por-
'Curs que fort tard dans la soirée nous ne fîmes que 3 kilo-
'"èlresau sud-est et campimes dans les champs pour passer
'* nuit. Le 9 une marche de 6 kilomètres au sud-stid-est
'lous conduisit i\ Kouà-Kirntou. Nous sommes obligés
'' attendre toute la journée pour nous procurer des guides,
Purce que personne de nos hommes ne connaît la route
lue nous devons suivTO. Tour d'horizt>n. Le 10, par une
f^arehe Je IT» ktlomètres nous arrivions ii un endroit appelé
360 DE ZANZIIIAR A LA STATION DE KONDOA.
Tendiga où nous carapâmes et où je pus faire un tour
d'horizon. Nous ne partîmes de Tendiga que le 13, et après
tj kilomètres à l'est-snd-est nous carapâmes sur les bords de
la rivière Mkata.
Le 15 nous campions dans le porri après avoir parcouru
16 kilomèlres au sud-est. A cet endroit, nous sommes à la
limite sud-est de la plaine de la Mkata que l'eau couvre
entièrement pendant la saison des pluies.Legibier y abonde.
Le lendemain 16, nous arrivJimes à Msongoci après une
marche de 11 kilomètres au milieu des collines qui forment,
de ce côté, les premiers contreforts des montagnes de
rOurougourou. L'après-midi, ayant effectué une marche de
10 kilomèlres au nord-est 1/4 est dans la montagne, nous
carapîlmes à Magari (tour d'horizon).
Le 18, après avoir parcouru une distance de 18 kilo-
mètres au nord-esi 1/4 est dans la montagne, nous arrivÂnte.*;
à Mréré (tour d'horixon).
Le t'J, après avoir parcouru 11 kilomètres au nord-
est, nous arrivâmes près du Kouâ-Gondo. Tour ii'horizon.
Le "20, nous passâmes à Mrogoro après avoir parcouru
15 kilomètres au nord- est, puis t kilomètres plusà l'estnous
arrivâmes à la mission des pères du Saint-Esprit, où nous
séjournâmes jusqu'au 23 octobre. Le ^3, nous nous mîmes
en route et, ayant parcouru Itl kilomètres au sud-est, nous
campâmes près du Kiroka. Le 24, notre camp élait à
Tomondo, 13 kilomèlres au sud-est du Kiroka. Le 25, après
avoir parcouru péniblement 10 kilomètres parmi les collines,
nous arrivâmes à Mféno; la route suivie avait été au sud-
sud-est.
Le 26, une course de 8 kilomèlres au sud-est nous fit arri-
ver à Kilimbouici où le sentier débouche en plaine, lïaprès-
midi, après avoir parcouru 4 kilomètres à l'est nous campions
près de Kouà-Mamba. Le mauvais temps nous força de
rester la journée du 27 h Kouà-Mamba.
Le 28, après avoir parcouru 22 kilomèlres à l'est-sud-esl,
I
DE ZANZIBAR A LA STATION DE KONDOA. 361
nous campâmes près du village de Korongo. Le 20, nous
arrivâmes à Kouâ-Mounié-lIodi après avoir fait 13 kilomètres
à l'est-sud-est ; l'après-midi, une élape de 12 kilomètres à
l'est nous conduisit près du village de Foimdi-Banda, où
nous établîmes notre camp pour la nuit. Le 30, ayant par-
couru 16 kilomètres à l'est, nous nous reposâmes au village
de Kour-Kirouà ; l'après-midi, au départ, nous traversâmes
le Guéringuerré, qui est complètement à sec, et après avoir
parcouru une distance de 13 kilomètres au nord-nord-est
nous dressâmes notre tente près d'un village en pays
Mihoumbo. Une pluie diluvienne nous retint au camp toute
la journée du 31. Le l""* novembre, une marche de 19 kilo-
mètres vers le nord-nord-est, sous une pluie battante et par
des sentiers défoncés nous fil arriver au village de Mapan-
guiré. Le 2 novembre fut une journée particulièrement
pénible à cause de notre manque de guides et du mauvais
état du sentier ; 20 kilomètres au nord-nord-est de notre
point de dépari, nous arrivions sur les bords du Itouvou.
Ayant traversé celte rivière avec de grandes difficultés,
nous fîmes 5 kilomètres au nord-est et passâmes la nuil
i Issimiar». Le 3 novembre nous arrivâmes à Dounda
après avoir parcouru 25 kilomètres au nord 1/2 est. Après
un peu de repos nous nous remîmes en roule, et après avoir
parcouru 32 kilomètres au uord-esl nous arrivâmes exté-
nués à Bagamoyo. A partir de Kouâ-Maraba nous avons tra-
versé une contrée désolée depuis deux ans par la famine.
Nous n'y pouvions rien trouver en fait de nourriture, ni pour
nous ni pour nos hommes.
Après avoir séjourné quelque temps à Bagamoyo et avoir
été à Zanzibar nous ravitailler, nous partîmes le 24 novem-
bre. Notre itinéraire de retour ne présente aucune particu-
larité parce que c'est le môme que nous avons maintes fois
suivi. Le 12 décembre nous arrivions à la station après une
absence de deux mois et quatre jours. Les travaux de la
station nons retinrent à Kondoà jusqu'au jour où une
3e2
DE ZANZIBAR A LA STATION 1>E KOHDOA.
dépêche de M. Ferdinand de Lesseps, transmise par le
consul de France à Zanxibar, m'ardonnait de laisser ta
station entre les mains des frères du Saint-Esprit et de
revenir en France. Après avoir remis la slation entre les
mains du père Rion, qui était venu, sur ma demande, de
Mrogoro, ma femme et moi nous partîmes é& la slation le
31 mai 188.">. Nous arrivions le 15 juin à Bagamoyo, dix
jours plus lard nous étions à Zannbar. Partis de Zanzibar
le 7 juillet, nous arrivions le 1-i août à Marseille.
Le maictama, le riz, le manioc, le maïs, la patate douée,
plusieurs espèces de haricots, une grande variété de courges,
forment la base de la nourriture des diverses peuplades que
nous avons visitées. On recolle aossi, mais en petite quan-
tité, les arachides, le sésame et le tabac. La canne à sucre
et le colon existent presque partout. On trouve la liane -k
caoutchouc dans toutes les forêts vierges qui avoisinenl les
cours d'eau. Les troupeaux de chèvres et de moulons sont
assez nombreux et forment la richesse des chefs. La volaille
se rencontre dans tous les villages. Les Wahéhés, les Massai
et les Wahoumbas possèdent de nombreux tronp«aus: de
bœufs, ces peuplades sont nomades et continuellement en
guerre entres elles pour se voler leurs troupeaux.
Les sorciers jouissent d'une grande iniluence dans toute
cette parlie du Zanguebar et sont chiirgés de ta confection
des dnonàs.Ca mol daoud est un nom j^'énérique qui sisnifie
médecine, charme, sortilège, lalisraan. Il existe des daouâs
pour toutes choses, pour protéger les villages de la guerre,
pour chasser les mauvais esprits, pour faire tomber la pluie,
etc., etc. La poudre est un daonà aussi. Ces peuples voient
le surnaturel en tout et pour tout.
Un homme, par exemple, ne peut pas mourir de maladie
ou d'accident ; c'est un sort qui lui a été jeté. Le sorcier est
chargé de faire le dnouà pour savoir celui qui a lancé le
sort, n y a plusieurs genres d'épreuves pour connaître le
coupable ; les épreuves le plus souvent employées scwit celle»
DE ZANZIBAR A LA STATION l>K KONDOA. 363
de l'eau, du feu et du poison. L'individu présumé coupable
esl saisi et brûlé vif. Ce genre àa supplice est l'occasion
d'une fête. Oa boit du pombé (bière obteuue par la fiirmea-
tation du maïs ou du moutania), on chante el ou danse.
b^rsqu'uD chef inllut-nt meurt, lé nombre des victimes
augmente et une de ses femni«s es4 ealecrée vive avec son
raari.
L'infanticide est pratiqué sur une vaste échelle. Une foule
de circonstances font rejeter le nouveau-né de la vie. Les
principales causes sont colles-ci : un enfant venu au monde
avec des défauts physique*», lorsque l'accouchement a été
laborieux (cas rare), lorsque l'enfant naît avec des dents,
lorsqu'il naît un jour répulé néfaste, comme à la nouvelle
lune, lorsqu'il naît le jour d'une éclipse de lune ou de
soleil. Tous les enfants nés pendant que la comète de 1882
se trouvait sur rhorïz4>n ont été tués. En les laissant vivre,
d'après les sorciers, ils auraient été cause des plus grands
malheurs pour leurs famillesou leurs Iribus. Cette pratique
barbare explique le manque de population.
lis possèdent un culte particulier pour les esprits. 11 j en
a de bons et de mauvais, c'est surtout ces derniers qu'ils cher-
chent à se rendre favorables parde» sacrifices.
Quantité de choses sont mouikos ou défendues. Ainsi la
viande de poule est mouiko pour quelqu'un, et ce quelqu'un
n'en peut manger sans courir le risque dà malheurs. Cer-
taines montagnes sont mouikos. Ceux qui tenteraient d'y
aller seraient silrs de mourir sons peu; des champs, des
arbres, des maisons sont mouikos. On ne doit pas toucher à
ce qui est mouiko.
La femme s'achète au père, leschefs peuvent en posséder
plosieurs, ce qui est un signe de richesse. L'adultère du
côté de la femme est puni de mort.
Lanaissance nednnne lieuiaucunecérémonie;parconlre,
les funérailles sont accompagnées de grands deuils appelés
kalamou. Ces cérémonies qui durent plusieurs jours, suivant
364
DE ZANZIBAR A I,A STATION DE KOKIJOA.
la richesse du défunt, sont une occasion de manger et boire. J
Les armes sont i'arc, la (lèche, la lance, le bouclier, le]
casse-têle, le fusil. Une espèce de houe appelée dieuibi\
sert seule pour les labours. Les ustensiles de ménage etdej
cuisine sont une petite espèce de hache nommée chokiifl
une espèce de serpe nonamée moundou, le mortier pour!
piler le grain appelé kino, les vases appelés houmjous, des]
espèces d'assiettes en écorce tressée appelées kitoungas, des]
paniers en fibres de palmiers appelés kikapoSf des vases ea]
terre pour faire cuire ta bouillie de moutama ou de maïs,]
appelés tchoungous, les vases servant à mettre l'eau et à la]
fabrication du pombè^ appelés mtounguis.
Les femmes se percent le lobe des oreilles, le font
distendre et y introduisent des morceaux de bois ou de
cuivre; leurs colliers sont en cuivre ou en perles. Pour les
jambes et les bras, elles ont des bracelets en fort 111 de fer oui
de cuivre qui partent du poignet en s'enroulant sur le brasi
jusqu'au coude, et de la cheville en s'enroulant autour de laj
jambe jusqu'à mi-mollet. Elles ont aussi un grand soin de
leur coiffure; leurs cheveux, tressés en pclites nattes, sont]
enduits d'un mélange de terre rouge et d'huile de ricin.
Les hommes se percent quelquefois le lobe de t'oreilie ctl
y mettent un morceau de bois rond, quelques-uns portenlj
aussi au cou des colliers en chaînettes de fer.
Ces populations sont misérables au point de vue moral etJ
intellectuel. Le mensonge ne leur coûte guère, la franchise
est inconnue chez eux, le vol n'est pas considéré comme un i
crime.
NOTE &TJlEt TOBROXJQ
DUVETRIER
Sèvres, 11 août 1886.
Les cartes placent Tobrouq ou Mersâ Tobrouq (Anti-
f^rgoides Grecs, ancienne station romaine etancien évèché),
dans le vilàyet de Ben-Gbàzi, et par conséquent en Turquie.
En 1817, Délia Cella, qui accompagnait une expédition du
bey de Tripoli, poursuivant des tribus rebelles, relate
qu'arrivé au golfe de Bomba (à l'ouest de Tobrouq) le bey
de Tripoli n'osa pas s'aventurer plus loin vers l'est parce
qu'il aurait fallu pénétrer sur le territoire égyptien pour
atteindre les rebelles. Il serait intéressant aujourd'hui de
rechercher sur quelles données s'appuient le gouvernement
turc et nos cartes qui placent la frontière de la Tripolitaine
et de l'Egypte dans l'est de Tobrouq. En 1817 la frontière
passait par le golfe de Bomba; à cette même date, il est
peut-être utile de se le rappeler, l'Egypte comme la Tri-
politaine étaient non pas des provinces turques, mais des
États tributaires de la Turquie.
Quoi qu'il en soit, aux mois de juin et juillet 1869
'Ali Rizha Pacha, gouverneur de la Tripolitaine, se rendit
en personne à Tobrouq pour y procédera la fondation d'une
ville, et il fit élever sous ses yeux des murailles en bois
destinées à former l'enceinte de cet établissement turc.
Peut-être le gouverneur aurait-il travaillé d'une façon plus
durable s'il s'était appliqué à faire simplement réparer la
:jOG note svk tobkouq.
vieille muraille d'enceinte de pierre que Barlb a vue il y a^
trente-neuf ans. Uti colonel qui «■vailfait partie de l'expédi-
tion de 'Ali Rizha Pacha élail furieux de celle mesure,
parce qu' « on n'avait pas trouvé une goutte d'eau à To-
bronq ». On n'en avait pas trouvé parce que, pas plus que
les habilanls, le gouvernement ne sait entretenir les con-
sLruclions d'utilité publique.
En 1873, l'archiduc Louis Salvator a visité Tobrou
(Voy. Eine Yachtreisein tien Syrien, p. H). Il a imprimé dan
sa relation : « Les navires trouvent là, par quatre brasses',
un mouillage sûr par tous les venls, sauf le vent d'est.
Mais le port estdifScile à reconnaître sans pilote ef, par les
vents du nord et du nord-ouesl. les navires menacés devront
se réfugier de préférence dans le golfe de Bomba. »
En iSHi, M. Mamoli dit qu'on allait à Tobronq charger
de l'orge à destination de Lerna, port où il résidai t. Un an
plus tard il fit hn-même l'excursion de Tobrouq, pour le
compte de la Société d'explorations commerciales, de Milan.
II déclare qu'il n'a trouvé à Tobrouq ni un q;Vid ni uu
soldat turc, et qu'il a élé assez mal reçu par les habi-
tants.
En 1883, le capitaine Kelch, de la marine aHemande,
choisit le port de Tobrouq pour faire faire aux marins de
la canonnière Cyclop les exercices de tir au canon, et
peu L-étre trouverai l-ori dans le Marineverordtiungsblatt àe
1883 un rapport du capitaine Kelch. 11 avait pris àsonbord
le docteur Schweinfurth, qui désirait explorer au point de vue
bolaiiique les environs du port, et c'est ce savant voyageur
qui a donné les détails actuels les plus complets que je con-
naisse sur Tobrouq.
H ne signale ni puits ni source. 11 décrit pourlant deux
citernes, vides, il est vrai, du 3 au U avril 1883, mais il
i
), l)'après les données lic .M. Sclivvcinrurlli, ou ptuliH iki capilaiiie
Kelcli, qtie j'indiquerai plus loin, cetlo prufondeur sérail trop Aiible.
NOtfi SOB ToonotiQ. 3G7
ajoute que l'humidité MiinUit le long des murs d'une de ces
cilernes. Or, comme M. Schweinfurlh ne mealionDe pas
qn'ii ait plu, et coiQtnc îl déclare que la conliguralion du
terrain empêcherait d'amener dans celte citerne l'eau de la
chaîne de collines^ on est tenté d'admellre avec lui que les
denx citernes étaient autrefois alimentées par des sources,
etq^oe lune de ces deux cilcroes l'est encore. D'après les
raclures de Barth un des deux réservoirs mrsure soixante
dix-huit pas de long sur cinquante-sept pas de large. Les
vieilles digues en pierre barrant les ravins monlrenl toute-
fois qu'anciennement ouinme aujourd'hui, l'eau était rare à
Tobrouq, puisqu'on avait tant travaillé pour s'en procurer;
niais la présence de ces monuments permel d'espérer qu'en
le? réparant et en les multipliant on arriverait â recueillir
9ir ie port une quantité d'eau de pluie sufûsanlo pour les
besoins d'une ville, mômesiles sourcesfùul réellement dé-
(mL J'ajouterai cette remarque que, d'après la composiUon
générale de la llore, les environs de Tobrouq ne seraient
pas plus urides que la Grèce et que des prairies de reQOQ-
cules, d'une part, des Ibujjjères et Jes mousses dans les cre-
vas&es des ruchers, d'autre pari, Impliquent forcé ment qu'il
pleut à Tobrouq ou qu'il s'y dépose des rosées très abon-
éadkes. Les rosées étant rares dans le bassin de la Méditer-
naée, il faut s'arrêter à la première supposition '.
11. Schwelnfarlh se prononce très catégoriquement sur
iSs avantages offerts par Tobrouq, dont le port proroml de
6 à ',) brasses, ayant les mêmes dimensions que ceux
d'Aileicandrie et de Syracuse, est sinon le meilleur, du moins
Ton des meilleurs de toute laoôte nord d'Afrique. Il a luoe
entrée iwane et large qui s'ouvre du o6té de l'borjzou d'où
I. Tmil fiOBla à penser que le rcboiseuiniil de la Marmarique ul de la
r.yrénaïque aurait de boas résulluU. Daaf- l'autiqiiilé la l'utiurus amlnit
4aoi lies forêts. Aujourd'hui ces forôts «al disparu, el l'Ouàdi Teiiiiiùni,
qni «iiL lu mOmQ fleuve ■{ue lu Puliiirus, ne contient plus dans bqu lit
«juo de rare» iliiques d'euu btiigimote.
3<*iS NOTE sun TOimOl'Q.
les Tcnls violents sont les plus rares dans cette partie de la
Méditerranée.
L'auteur allennand s'étonne qu'une puissance européenne
n'ait pus encore créé un établissement à Tobrouq cotntne
l'Angleterre en a créé unà 'Aden. I
Pendant la visite du Cyrlop 5. Tobrouq, El-Ilâdj Mançoûr
Piclia, gouverneur du vilâyel de Barga, arriva par liasard
à Tobrouq, et il parut très contrarié d'y trouver la canon-
nière allemande. Peut-être venait-il pour surveiller des»
réfugiés égyptiens, anciens partisans de Wrabi Picha,
qui vivaient autour du château. Ce vieux fort garde par une
poignée de gendarmes turcs ne protégerait pas sa garnison ■
contre du canon. Il n'y a pas de ville ni de village à
Tobrouq; toute la population se réduit à quarante ou cin-
quante individus de la fraction ou tribu des Oulâd Harabi ,
(groupe de tribus du Dàr Fayal). M
On peut Glre sûr que l'inslallatian de quelques gendarmes
dans le fort de Tobrouq a été la conséquence du voyage de
M. Mamoli, en 1882. Les autorités turques craignaient de ■
voir soit l'Italie, soit l'Angleterre, prendre pied h Tobrouq.
Mais il y a de cela trois ans déjà et les gendarmes sont-ils
restés à Tobrouq? C'est fort douteux.
Enfin, revenant sur la question de l'eau douce, dont laj
présence à Tobrouq était niée ou ignorée par le colonel
turc en 1869 et par M. Schweinfiirtli en 1883, il est clair
que l'eau se trouve tout près du port, puisque, préciséraenl ;
au moment du passage de ce dernier informateur, une
centaine d'hommes et une cinquantaine de chevaux (les
Uiilàd Harabi, les gendarmes et la suite, l'escorte et lesl
animaux de transport du gouverneur de Ben-Ghizi) yj
trouvaient de quoi s'abreuver. Cette observation aurait dù.|
venir à l'esprit du voyageur allemand. La citerne où il a vaij
Teau suinter venait-elle d'être vidée pour les besoins du^
gouverneur et de sa suite"? ou bien, ce qui est fort possible,
les habitants croient-ils devoir tenir cachées leurs ressources
NOTE SDR TOBROUQ. 360
en eau? C'est ce qu'on ne saura qu'en examinant à nouveau
Tobrdbq et ses environs. Mais l'eau existe à Tobrouq, car
indépendamment de la preuve que je viens de donner, il est
encore impossible d'admettre que l'on exporte des grains
d'an port où les convoyeurs de ces grains, qui doivent
arriver longtemps d'avance, puisqu'il n'y a pas de bâti-
ments faisant escale à dates fixes, devraient apporter avec
eux des outres pleines en nombre suffisant pour se désal-
térer et pour abreuver leurs bêtes de bât jusqu'au moment
où leurs marchandises seraient embarquées. Pour qui
connaît la mobilité du caractère des Arabes, cette difficulté
les éloignerait d'un port tel qu'on a dépeint Tobrouq.
Ce port, si négligé par le commerce européen, joue dans
la vie des populations du sud-est du bassin méditerranéen
un autre rôle qui mérite une mention. C'est par Tobrouq
que le grand maître de la confrérie musulmane de Sidi
Mohammed Ben *Alî Es-Senoûsi reçoit à Jerhboût, sur le
territoire égyptien, les approvisionnements d'armes et de
munitions de guerre qu'il tient en réserve pour faire triom-
pher un jour l'islam, réformé suivant ses vues religieuses
«t politiques. Par une conséquence naturelle de ce qui pré-
cède, au mois d'avril 1883, les explorateurs al emands que
nous avons nommés trouvaient, réfugiés à Tobrouq, des
vaincus d'une insurrection musulmane.
Docamentfi imprimés A consalter sur Tobrouii.
(On ne citera pas les cartes et plans de ce port levés par
le capitaine Smith (1821) et par le capitaine Millard (1861),
de la marine anglaise. Ces cartes et plans sont indiqués
dans le catalogue des cartes de l'amirauté anglaise. Ils ont
été utilisés et corrigés sur la feuille n° 2251 de l'hydrogra-
phie française.)
Pseh». — Relation d'un voyage dans la Cyrénaïque et la Marma-
rique. Paris, 1827-1829.
soc. DB fiÉGGR. — 3° TRIMESTRE 1890. XI. — H
370 NOTS StJR TOBROtQ.
SMfiii. — The Mediterranean. Lottéret, 1844.
■•rtii. — Wanderungen durch die Kûstenlâudcr des MiUdnIeeres»
Berlin, 1849.
Mamoii. — Lettre de Tobrouq, 1" février 1883 (Esploratore di
Milano, n° de mai 1883, p. 163 à 169).
«chwefnnirui. -~ Ein Besuch in Tobrak an der Kâste von Mar
marie* (Beiheft zum Mariti«v»«»imi»g!sblatt, n" 47. B«rKn,
30 >ep4embre 1883, p. 14 à S^.
sehweiararth. — Una visita al porto di Tobrac {Esphratore, n° de
jain 1883), traduction du travail précédent avec additions, plan
et vues.
•ttveyrier. — La cottfirérte musulmane de Sidi Mobammed Ben.
'AU Es-Senoûsi. Paris, 1884, p. 2i et carte.
(On consulterait encore avec utilité les Hydrographie Notices-
de l'amirauté anglaise aux années 18'ât et 1861-1862.)
EXPLORATIONS
SAHS
au presqu'île de kola
(1884-1885)
PAR
Charge d'uBa miasioa sei*nt)ffqil»
par le Ministre de l'Instruelion publique et des Beaux-Arls
(a» n M)
ETHNOGRAPBIE
Les régions dont nous venons de décrire l'aspect, c'est"
à-dire en Norvège le Sydvaranger, en Russie la Laponie
finlandaise et la presqu'île de Kola, sont habitées par des
populations appartenant à qualre. races dilTéreates, On y
rencontre des Norvégiens, des Russes, des Lapons et d«S:
Finnois. Ces divers éléments ethniques ne sont point can->
tonnés dans des zones distinctes, mais vivent confoindas
et entremêlés. Souvent un hameau occupé seaiem«nt par
quelques familles compte des représentants de trois races
différentes. Toute cette région de l'Extrême Nord constitue
une mosaïque de peuples.
Les Scandinaves, les Russes et les Finnois se sont établis
dans ces pays comme colons aux dépens des Lapons. Le
texte le plus ancien rekitif à la presqu'île de Kola, le récit
do voyage d'Otbère écrit par le roi Alfred (871-901), nous
la montre habitée par des Lapons vivant à cette époque
372 EXPLORATIONS DANS LA I.AfOME ttCSSE.
comme encore aujourd'hui des produits de la chasse et de
la pèche.
Faute de documents, il est impossible de fiser la date de
l'arrivée des Lapons dans les rûpions voisines de l'océan
Glacial dont nous nous occupons ici ; sur ce point l'historien
ne peut émettre que des conjectures. Il estcftpendant permis
de supposer que le bassin de l'Enara a été peuplé par ce
peuple à une époque très reculée, peut-être môme aux
temps géologiques*. Venant de l'Est et se dirigeant vers le
Nord, les Lapons ont dû suivre au cours de leur grande
migration les routes naturelles conduisant des pays
riverains rie la Baltique à l'océan Glacial, comme celle
de rounasjoki et du Pasvig qui traverse l'Enara. Les
mt^aifs voies parcourues aujourd'hui par les Finnois dans
leur marche vers l'océan Arctique ont selon toute vrai-
semblance servi antérieurement aux Lapons.
Df! nomlirenses traces de populations archaïques se trou-
vent du reste dans le Sydvarangcr et dans la Laponie finlan-
daise. A l'embouchure du Pasvig, sur la rive gauche, à 3
mMros au-dessus de la rivière, est située une grotte, ouverte
dans lu pegmalite graphique. Cette roche se délite, comme
on sait, facilement, et il n'a pas fallu grand travail pour
transformer en abri la caverne formée sous l'action des
agents atmosphériques. Cette grolle ayant été habitée
par Trifon, l'apôtre des Lapons russes au xv* siècle, est
regardée par les indigènes comme un lieu sacré. Auparavant
elle a dû servir d'abri aux premiers habitants de la vallée*.
1.' Lns La|i(.iiis iluunuat le nam de Suolotsjilgi (dos <1e l'ilc) à la
Maanielkn, In ligne ilt^s linntcurs !^i^pariint le bassin de l'Enara de celui
du KriiiielC. MM, Qvijfslacl et Sandlcr^; {Lappiske ei'enlyr of folkesagn.
Kristiaiiiii. 1887, |>. 'Si) pensent que celte dcnoniiaattoQ rappelle le
suuv<'iiir lie traditions gc rapportant à rcnvaluKgenicnl de celte régloD par
los eaux di> la im-r à la Un du quaternaire. Ils senihlenL croire par suite
i|Ue les l.apoiisoecupiiient le bassin de l'Enara déjà à celle époqut lointaine.
i. U'aprùs MM. Uvigtlad et Sandlicrg {Inc. cit., p. 7, ii* i), on trouve
un grand nombre de grottes Bcniblubles dans le Sydvaraiiger, i Kir-
y*
EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE. 373
Et) amont, à 4 kilomètres du village de Boris Gleb,
en dessous du Harefoss, on remarque au milieu des bois
une excavation presque carrée, large de 8 mètres, profonde
de4B50, et à côté un second trou entouré d'un cercle
de pierres. A notre avis, il faut voir là une chausse-trappe
pour capturer les rennes comme en creusent encore aujour-
d'hui les Lapons russes et un abri pour permettre au chas-
seur de s'embusquer et de &e rendre maître du gibier après
sachutedans le trou. Le renne sauvage ayant disparu depuis
longtemps de ces parages, ce travail doit être très ancien.
ËnSn dans la vallée du Pasvig, les fouilles mettent souvent
à jour des objets en pierre. Sur les bords du Tschalmijauri
nous avons acheté une Ûèche en schiste argileux pro-
venant d'une tourbière voisine. Dans le bassin de l'Enara,
ootaniment dans une île du Maddusjârvi, de semblables
trouvailles ont été faites. Tous ces objets sont en schiste
poli et datent par conséquent de l'âge de la pierre arctique.
l'entes, sur les rives du Jarfjord et du Jakobselv notamment, ainsi
pe sur la côte mourmane. « Toutes ces cavernes affectent une forme
ronde ou carrée; généralement elles sont profondes de â mètres et hautes
'fi 4. Les murs et le sol étaient recouverts d'écorce. Les fouilles
opérées ont mis à jour des ossements d'animaux et des arêtes de poissons,
preuve qu'elles ont servi d'habitation à un peuple de chasseurs et de
pêcheurs. » Â l'occasion du voyage d'un prince de la famille impériale
de Russie, la caverne de Trifon ayant été nettoyée, il ne nous a pas été
possible d'y découvrir des vestiges de ses anciens habitants. Dans le pre-
mier morceau du recueil de traditions auquel nous empruntons ces ren-
seignements, Du temps des Tchoudes (Tsjudetiden), il est fait allusion à
ces grottes habitées parles Lapons. D'après M. Svenonius (r»ier.,1885, 1,
Stockholm. Résumé de la séance du 16 janvier 1885 de la Société de
géographie de Suède), le vocable Lap dériverait du mot lapon lappa
•ignifiant grotte; les Lapons seraient par suite les gens des cavernes.
Encore aujourd'hui en Suède ces indigènes utilisent tous les abris de ce
genre qu'ils connaissent. Certaines excavations placées, par exemple,
sur leurs routes de migration servent de père en fils de gites d'étape.
Avant que les Lapons eussent appris à domestiquer le renne, alors qu'ils
liraient leurs ressources de la chasse et de la pêche, M. Svenonius pense
.qu'ils vivaient toujours dans ces lappas, d'où leur serait venu le nom
qu'ils portent.
371 EXPLOHATIONS BANS LA LAPONIE nC5SE.
Cetle époque ne remonte pas à une 1res haute antiquité ;
elle coïncide, croU-on, avec le début de la périodehistorique
dans nos pays et a persisté presque jusqu'à nos joors. A la
tin du siècle dernier, les indigènes de la paroisse d'Enara
garnissaient encore de lances A pointes en pierre les trappes
qu'ils creusaient pour capturer des rennes sauvages'.
Les Norvégiens [et les Russes ne sont arrivés que long-
temps après les Lapons dans le Sydvaranger et dans la pres-
qu'île de Kola. A la suite du voyage d'Olhère de nombreux
Scandinaves visitèrent la c6te de l'océan Glacial ju5f]u'à la
mer Blanche, cototne nous l'avons raconté dans un chapitre
recèdent, p. 35; au xin* siècle seulement ils s'établirent
définitivement en Pinmark. Deux cents ans auparavant
les Novgorodiens avaient déjà pris pied dans la presqu'île
de Kola, mais ce ne Tut que deux siècles plus tard qu'ils
atteignirent le littoral de foccan Glacial.
Les Scandinaves et les Novgorodiens ont été précédés
par les Finnois de Finlande dans ces régions occupées
par les Lapons- Le Kalevala, la grande épopée linnoise,
qui aurait él^ composée du v au vm' siècle, d'après
Retzius, ou vers le ui' siècle, d'après M. de Qualiefages,
nous montre cetle race en relations avec les Lapons -.
D'autre part, à une date qu'il est difficile de fixer, mais en
tout cas antérieure à. l'arrivée des Russes dans la presqu'île
1. Monteliii».
2. iJc nombreux auteurs pensent que les indigènes de Pohja ou de
Pohjula, dont la lude avec cou\ <le Kalevala furme un des kujels du
poème, sont les Lapuns et une. ]a nom de rohjola désigne la LaponÎA.
M. Ilet/iiis, diint l'autorité en niiiLiÎTe d'eCliiuigiapliic finiiDisc est univcr-
■selliïmenlreoonnup, ncpartape pnscetto opininfl (Fiimlia Kranier, Slock-
lioliD.p.l tôV Hansle cliant XIII du htilrvulu, parexemplc, le mol Laponie
est employé à cAlnde celui de Pohjoln pour dcsipner une région distincte
«t plus éloignée. Hiiti s'adressaot à l'élan que doit povirsuivrc Lemnii-
karnen s'écrie : « Pars, maintenant, (^ élan de Hiisi ; vulc, clan rapide.
n vars les lletix où s'accouplent les rennes, vers les champs des Tils de
• Lapuoie. . . » Et l'ëlan do Hiisi s'clanrîi, 1p rapide animal prit son
essor vers les régions de Polija, vers les rlinnips de Laponie. i {Le Kale-
vala, traduit par L, Léouzon Le Duc, p. ItO, Paris, \%l'i.)
I
I
KXI'LOIIATIONS IJAKs LA LAI-O-MK RUS.SK. 375
de Kola, des Carélieas ont pénétré dans ce dernier pays et
plus Urd onL fait de rréquaalcs invasions dans la Finlande
-seplentrionale, Les lapons d'Knara oiit consené encore
aujourd'hui le souvenir de ces luttes. Les légendes re-
cueillies parmi eux par MM. QvigsUtd el Sandberg racontent
la guerre acharnée, sans pitié, soutenue par ces pauvres in-
digènes contre les Tchoudes' une puis$anlâ raice finnoise
établie à l'est de leur pays, proLablenienl ks Carélieus-.
( Des troupes de ces pillards, rapporte une tradition, arri-
vaient à chaque instant. A peine une bande av;iit-el)e tra-
versé le pays qu'une autre survenait; l'intervalle de leur
passage était trop court pour que la marmite pût refroidir, v
De DOS jours encore les Lapons vous parleot d'une incursion
des Tclioudes comme d'une cventualilé iiu'ils redoutent. Il
arrive même que ceux de ces indigcues qui vivent h l'écart
dans la région montuemie de la Scandinavie prennent de
paisibles voyageurs pour des Tchoudes et qu'ils leur fout
subir le sort que leurs ancùtres réservaient à leurs euuemis
quand ils en avaient l'occasion '.
1. Le nom de Ti;lioud« a ua sens très vaguo. Saus cotte déaoïnina-
lioti certains elhaai;i'aplie8 i!n;;]obuat luus les Finnois de la ttussic,
tandis i|ue d'autres la réaerveat pour les populalii>ui de race rittooise
babltial au sud du ^>alfe dL-, Finlanilo. Dan^ la bauctio da loin les indi-
gènes do lu Etussi<< et niénia itelaSibêi-iâocciilenlale, il désiguu les pupu-
lations prÉtiistorii]iies dont tes ItSgenJiis ont conservé le souvenir
«ajjue ou dont le soi garde d«» vestiges muets. Comme l'inilique trè&
justement M. Sommier [Un EsUHe in .Vtbi^rïa, p. 13), ce nom, eomne
celui des anciens Scythe», s'appliiiuc à de.i peiiptca d'orit^ine diverse. Ici
il désigne évidemment des rinaois. Au milieu de xiii* siÈcle, il était
enooie donné aux Carélieus des liords du lui; Uiiej^a. Le testLinient de
Lazare, fundaleur Ju cliiilro Moorinnska, porto on termes esprAs que la
région voisine de cette grauile unp|ic d'eau éluit liabilée par des Lapons
et par des Tchoudes (Diiheii, thu Lnpiilmu! ncli Lapimnie foret radetvi.i
lie Si'eiiitke, p. 302).
i. la légeudc « tes Tchoudes et le ^uide sur la ^:lacc n (n° li, p. 13
ioc ciL) iiuiitient ua détuil elhiiogrupUiiiuo probant l'i eet éj,'ard. Le
«.'tief des pilliirds, racoiitc-t-elli.;, i-tait chaussé de mocassins finnois qui
Vcmpi'^chalent de luurcher rapidamuul sur la jjçlace.
3. £n 1881, du Lapons de la paroisse du Jukkttjurvi, près d^asource»
376
EXI'LORATrONS DANS LA LArONIK RUSSE.
Pendant la période historique, les Finnois se sont établis
î\ demeure dans le Sydvaranger et dans la Laponie finlan-
daise. En 12fj4, des Bjarraes, probablement les descendants
ries anciens ïcboudes, chassés des bords de la Dvina par
une invasion de Tatares, vinrent chercher un refuge sur la
rive méridionale du Varangerfjord. Le nom de Karleboltnen
(Golfe des Cari-lienu) donné à une baie de ce fjord rappel-
lerait le souvenir de ces anciens occupants du pays*. Plus
lard, à la suite des guerres sanglantes dont la Finlande fut
le théâtre, au xvrii' siècle, les Finnois commencèrent à
émigrer vers la côte de l'océan Glacial. Tous ceux qui
purent partir quittèrent alors leur patrie, les uns se diri-
geant vers la Suède, les autres vers le Finmark norvégien.
Depuis, ce mouvement de migration ne s'est point arrêté,
et aujourd'hui on peut évaluer à une dizaine de mille^ le
nombre des Finnois établis actuellement dans les trois
départements de la Norvège septentrionale : Finmark,
Tromsô et Nordtand. Vers le sud, l'Ofotenfjord marque la
limite de leur colonisation; au delà on ne trouve plus que
quelques familles isolées. Le plus grand nombre de ces
Finnois habitent le Finmark, notamment le district oriental
de ce déparlement, où en plusieurs endroits ils forment la
majorité de la population. A l'ouest du cap Nord, leurs
centres principaux se trouvent sur les rives de rAltcnfjord,
et dans la partie orientale du département de Tromsô, à
Skjervô et à Lyngen. Ces immigrés ne se fondent pas avec
les Scandinaves; au contraire ils absorbent les Norvégiens,
dans certaines localités, et partout les Lapons. Le résultat
de ces unions entre ces différentes races sera la formation
d'une population mélisse composée de Norvégiens, Lapons
(lu Kalixcir (Laponie Buédoise), asMSsinbienl deux voyageurs Ilnnais qu'ils
avaîenl pris pour des pillards tchoudes (Qvigstad et Sandberg, loc. cit.,
p. 3.)
1. Kcilhaii, licite i f)it-og Vest-I'inmarken, etc., p. 24.
2. En 1880, 7,637 plus 2,822 méliu
EXPLOHATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE. 377
et Finnois dans laquelle dominera l'élément ânlandais. Les
FioDois de Norvège conservent l'usage de leur langue, ils
l'imposent même aux Scandinaves et aux Lapons, si bien
que, dans certaines parties du Finmark,le norvégien devient
noe langue étrangère. Robustes, endurants, persévérants,
s'assimilant aux différents milieux avec une merveilleuse
facilité, les Finnois ont colonisé le Finmark, et c'est à eux
que celte province doit sa prospérité actuelle.
Les Norvégiens donnent aux.Finnois le nom de Kvœn ou
QBwn, réservant celui de Fin (Finner au plur.) pour désigner
les Lapons. Longtemps on a cru que ces Kvscns constituaient
nn groupe ethnique de la race finnoise, au même titre que les
Caréliens et les Tavastlandais. Retzius {Fivska Kramier)
a même partagé cette opinion. Tout récemment M. Sommier
a reconnu au contraire que cette population ne présente
aucune différence avec l'ensemble de celle du Grand-
Duché*, et que l'on devait cesser de la considérer comme
une entité ethnique. Le nom de Kvsen est une ancienne
dénomination géographique très vague, à laquelle on a eu
tort d'attacher un sens précis. Dans la relation du voyage
d'Othère*, le roi Alfred appelle Cwenland le pays situé au
nord de la Baltique, probablement le Norbottenslan dont
les Finnois forment la majorité de la population et la partie
adjacente de la Finlande. La Saga d'Eigil, dont la date de
la composition peut être placée entre 850 et l'an 1000, con-
sent également le nom de Quânland pour désigner la même
!■ Stepben Sommier, Due Comunicaiionî fatte alla Societa d'Antro-
fologia m Lapponi e mi Finlandesi iettentnonali. Extrait de VArchivio
Ptr l'Antropologia e l'Etnologia. vol. XVI, f. 1, 1886.
2- 117. A^l'extrémité méridionale de la Norvège, au delà des montagnes,
** trouve la Suède qui s'étend vers le nord ; au nord de ce pays est
»lné le Cwenland. De temps à autre les Cwenes traversent les monta-
gaes pour aller piller les Norvégiens, et vice versa. A la base des monta-
goei s'étendent de grands lacs. Les Cwenes portent leurs canots à
travers les terres jusqu'à ces nappes d'eau et de là partent en incursions
'l)ei les Norvégiens. Ils possèdent un grand nombre de petits bateaux
Irts légers (cité par Dubeo, loc. cit., p. 352).
I
I
;]78 EXPLimATIONS DANS LA l.AI>OMK RUSSE.
région*. Au moyen âge les Kmens élaient donc les Finnois
hitbitant au nord de la Baltique; ce nom, plus lard oublié
de tous, a élé conservé seulement par les Norvégiens, avec
d'autant plus de raisons que les Finnois immigrés en Nor-
vège viennent de la partie de la Fiulande appelée Cwenland
dans les anciens documents.
Ces considérations générales exposées, éludions mainte-
nant les diverses populations établies dans le Sydvaranger,
la Laponie finlandaise et la piresqu'ile de Kola.
1
La rife méridionale du Varangerfjord qui forme le district
de Sydvaranger est une colonie ûnnoise en territoire nor-
végien, comme d'ailleurs la côte septentrionale de cette
baie*. Sur une population de i,000 âmes, cette circon-
scription ne compte pas moins de 852 Finnois et de 185 mé-
tis finno-lapons. Un de leurs principaux centres est Neiden. M
Tous vivent de la pâche de la morue, en ajoutant aux pro-^
duits de celle industrie ceux de la culture de quelques
carrés de pommes de terre et de l'élevage de botes à cornes.
La plupart des Lapons établis dans ce district sont égale'
ment pêcheurs; presque tous habitent des maisons en
bois. A Neiden se trouve une petite colonie de quelques
Lapons russes.
L'élément ethnique dominant dans la partie delà Finlande
^
1. A l'est «du Naiiraadal », portece dncumenl.ie irouvont le Jacntlaad
pois le Quaaiaiid, au delà la • Kiiinland ", la Carélie, ealui, au dtlkia
i«a» ces pays, le « Fînmurk » (Diibeo. Itic. cit.. p. 363).
i. Sur une population de i,i)0(} âin«s, Vadsii compte 1.3(J0 FtnDoU et
seulement 7U0 Êcaiidiaavet. Cliai^ue race eit canlonnée dkns unâ partie
distincte de la Tille. Au fond ie la baie et au centre da Vadso &e trouve
tu Tille norvégMinei.', un groupe de maison* appelé Midtre Vadso.
A l'ouL'tt une longue rangée de inaiioiu eonstruiLc* sur la riva forme la
ville nnnoiae, la Â'iwaty. A l'e^t, Yidfto ee prol«ii;fe éj^eiMol par uo
second làuboiirg (Innois.
I
OXS DANS LA LAPONIE IIDSSE. 379
Maanselk.1 est la race lapone. Les sta-
tiitiqiies officielles fixent à 927' le nombre des Lapons
établis dans le Grand-Duché. Ce chiffre est évidemnient
trop Faible, comme du reste tous ceux relatifs à celte race
jwbiiés dans les documents officiels. Les Lapons n'avouent
pss volontiers leur narionalité et pour celte raison les
dénombrements qui en ont été faits sont pîus ou moins
entachés d'erreurs. En Finlande, par exemple, un certain
Aotnbre de ces indigènes devenus sédentaires se disent Fin-
nois, de même qu'en Norvège beaucoup d'entre eux se font
passer pour Scandinaves parce qu'ils habitent des maisons
due portent plus îe vêlement spécial à leur race. Dans la
région de l'Enara, nous axons rencontré plusieurs exemples
de ce fait. Ces soi-disant Finnois avaient les cheveu.t noirs,
«l seulement en les pressant de questions ils avouaient
leur véritable origine. D'autre part, une partie des descea-
(laols des premiers colons finnois venus dans le pays ont
également dans les veines du sang lapon"-. Plus au sud,
dans la paroisse de Sodenkylii. sur les bords du Muonio et
Mirceux du Kemilrask,une partie des habilauts descendent
également de Lapons feunisés'. En résumé, dans tout le
QOrd de la Finlande le fonds de la population est formé de
bpons plus ou moins mélangés d'éléments finnois, mais
aujourd'hui les paroisses les plus septentrionales du Grand-
Duché renferment seules des individus de race relativement
pttre. Sur une popwl;«lion <lc 1,000a 1. 100 habitants, la
paroisse d'Enara compte environ OlM) Lapons' et celte
I. Ignatins, ler Psuple-i jintio-oiiijrieiix Uûuinnl de lu Société de
Stalitlique de l'aris. d'vr. \SSG).
i, Sor noB iivpulation de 1,Ù57 Aines i<i st*lislii|iio ofliciellfl ne
ompte pas moins 179 métis Lapons Hniiois iBovkhnrov, l'uifulka po
Uj)t«HHu, t9ain(-l'cter»bourg, 16S5, fi. liH); très cerlaineineiil leur
••Klif Cil iiloi flev<'-.
a 0
II. M. A. Oiislnsn, Htseminnen fivn aren, IS8K-18i4, pp. 7 et 70.
l. ChifTrcs (loniiës par le pnsicur dT.n.ira, U'aprè.s hoiikharor lioCt
cit., p. 12))), IGO Lapons, phis les 17.1 métifi.
380 EXPLORATIONS BANS LA. LAPOME RUSSE.
d'Utsjok, 377'. Dans ce nombre se trouvent seulement une
vingtaine de familles vivant principalement de l'élevage du
renne*.
Ces familles appartiennent k la catégorie des Lapons fores-
tiers. Toute l'année elles habitent sous la tente dans les bois,
changeant seulement de temps en temps de campement pour
procurer de nouveaux pâturages à leurs troupeaux. L'été,
elles s'établissent sur les bords d'un lac ou d'une rivière pour
ajouter les ressources de tapôche àcelles que leur procurent
leurs rennes. Une famille posséderait, nous a-l-on dit, un
troupeau de 2,0Û0 têtes. D'après lepasteur d'Enara, lesLapons
de ce district seraient propriétaires d'environ onze mille
rennes. La statistique insérée par Boukharov indique seule-
ment la présence de 8,000 de ces animaux dans tout le dis-
trict; 6,000 appartiendraient aux forestiers, les autres aux
colons linnois et aux Lapons pêcheurs. En moyenne, ces
derniers possèdent une cinquantaine de rennes par famille
La majorité des I^apons d'Enara sont pécbeurs. Les néces-
sités de leur industrie obligent ces indigènes à de fréquents
déplacements. L'hiver ils séjournent dans les forêts et au
printemps vont s'installer sur le bord des lacs pour changer
ensuite de résidence eri été, puis en automne. Chaque
famille possède sa station pour les différentes saisons et
tous les ans vient y passer quelque temps. Ces stations se
composent de plusieurs constructions. Celle de Svarvanjargi,
sur l'Enara par exemple, comprenait une maison, une
fiame^, trois magasins et un abri pour les canots. Quelques-
unes de ces habitations sont très propres et contiennent
I
i
i
I
1. lioukliarov., loc. cit., p. 178.
a. D'après le pasteur d'Ënara, on compterait dans sa paroisse dix-sept ,
l'aiiiilles menant ce genre de v'\f, suivant Boukliarov^ seuleiacnl stMxi*.
Ce dernier nombre comprend dix familles originaires d'Enara avec
2'J personnes, et six éniigrées d'dtsjok avec un efleclif de ^5 indi-
vidus. Dans cette dernière paroisse il y aurait en outre 5 Taniilles de
nomadei.
3. Voir la description de cotlc biilt*.', p. lH.
EXPLORATIONS DANS LA LAPONIK RUSSE. 381
un mobilier assez convenable, des lits, des chaises, voire
même des suspensions en porcelaine; une renfermait même
une chambre tapissée de papier.
Outre les ressources de la pêche ces Lapons ont celles
de la culture de quelques carrés de pommes de terre et de
l'élevage de brebis et de bêtes à cornes. Un indigène, du nom
de Kowa, est propriétaire de sept vaches; il est vrai qu'il
appartient à l'aristocratie du pays. En 1672, dans les luttes
contre les envahisseurs caréliens ses ancêtres déjà établis
sur les bords de l'Enara ont joué un rôle héroïque dont les
traditions ont conservé le souvenir*. Une fois les lacs re-
couverts de glace, tous ces Lapons deviennent chasseurs.
L'écureuil, dont la peau était si recherbhée par les anciens
Finnois, est poursuivi par eux avec acharnement. Durant
l'hiver 1883-1884 un seul indigène de ce district a abattu
plus de six cents de ces petits rongeurs. Le grand tétras
{Tetrao urogallus L.) et le tétras des saules (Lagopus
subalpinus L.) sont également l'objet d'une chasse sans
merci. Pour capturer les lagopèdes, les Lapons n'emploient
guère que le lacet, réservant leurs munitions pour le coq
de bruyère et l'écureuil. Leurs armes à feu sont d'un
modèle très primitif; un des Lapons que nous avons ren-
contrés était armé d'une sorte de pierrier datant certai-
nement de plusieurs siècles. POur atteindre l'écureuil et le
grand tétras, les Lapons emploient des chiens spécialement
dressés à cette chasse. Ces animaux battent la forêt, et
dès qu'ils aperçoivent un coq perché sur un arbre, donnent
immédiatement de la voix en regardant l'oiseau. Le tétras,
au lieu de s'envoler, fixe alors le chien comme s'il voulait se
jeter sur lui; le chasseur a ainsi toute facilité pour l'abattre.
Quand le chien découvre un écureuil sur les branches d'un
pin, il -jappe en mordant le pied de l'arbre'. Les Lapons
1. Castren, ioc. cit., p. li.
2. Cette chasse était pratiquée de la même manière par les anciens
Finnois. Dans sa lutte d'évocations magiques avec son hôte de Polijola,
KXPLOnATIONS D\^'S LA LAPOMK RUSSE
d'Enara paraissent peu se saucier des palmipèdes, Irès
abundants sur lous les lacs et toules les rivières de la
région, mais ils sont très friands de leurs fcnfs. Afin de
s'en procurer facilemenl ils placent sur les arbres rive-
rains des nappes d'eau des nids artincicls dans lesquels
ces volatiles viennent déposer leurs œiils. Ces nids sont
formés d'une boîle carrée percée d'un Irou par lequel l'oi-
seau peut entrer.
Les Lapons d'Enara ayant des relations assez fréquentes J
avec des marchands ont un costume moins sommaire que
leurs congénères vivant au milieu des montagnes de la
Suède. La plupart ont des chemises et mfme des gilets.
Par-dessus lous revêtent l'hiver un pnsk\ et en été un
kofta (tunique en vadmel). (Juelques indigènes ont ce vê-
lement garni d'une ornementalion que nous n'avons ob-
servée nulle part ailleurs. Le col du kofta est couvert de
bandes d'étoffe bleue el rouge juxtaposées, dont l'une est
semée de croix en drap jaune; les épanleltes et les entour-
nures des manches portent également des lisérés jaunes
et rouges, et, jusqu'au milieu du dos descend une ligne de
losjinges rouges; tout cela formant une bigarrure très
agréable à l'œil.
Les Lapons pêcheurs d'Enara se nourrissent principale-
ment de poisson et de gibier; à cet ordinaire, ils ajoutent du
lait, des pommes de terre, des baies sauvages- et quelque-
fois en hiver de la viande de renne lorsqu'ils abattent
une t^te de leur troupeau. Éloignés de toute réj^ion agri-
cole, séparés pour ainsi dire du monde par des déserts sans
route, ils peuvent rarement se procurer de la farine, et
bien souvent ils sont réduits à manger une sorte de pitte
LemmiiaiDcii (uil enlrcr en scène im écureuil pour »iiutiller mir lec
poutres de la maiinn et pruvoquer le c!ii<M! k .ilioyer {kaleiiala. 2" ruiiu>.
1 . Tuitiqiie en peau de renne dont la rdiuTiin? oal Uxirnùo vcra l'ex-
térieur.
i. Hniiui ilhammmoru» L.: /{mZ/kh trelicui L., etc.
EXnX>RATIONS DàNS LA LAPONIE ROSSE. 383
fiute en grande partie d'écorce de jeones pins sylvestres
ou, à défaut, d'écorce de bouleau. Voici, d'après les auto-
rités culinaires du pays les plus compétentes, la recette de
la préparation de ce pain : on pulvérise d'j^rd l'écorce,
puis on la jette dans une jatte d'eau contenant de la farine
FiCUHE 4.
finttoiron og serrant à délacher les
ttiras fikprem des Innés des pias' .
(Birara) (Mu*. d'Ethnographie du
Tncadi^o, coll. Rabot).
Figure 5.
Pilon servant à proparer le pain d'é-
corce (Boara) (Hus. d'Ethnographie
du Trocadéro, coll. Rabot).
de seigle 'dans la proportion d'un tiers, après quoi on cuit.
QueUqoefois la farine d'écorce est remplacée par des graines
de fiumex ocotosa dans la proportion d'un tiers contre deux
de seigiie, ou bien encore par des racines de CoUa palustris,
de la pailte en du lichen de penne {flladonia rangiferina).
Enfin dans les années de disette le pain est fait seuleosent
d'écorce et de Cerastium vulgatum^. Pour préparer le
1. Les Agures t, 6, 8, 9, lé, empruntées à la Revue d'Ethnographie, nous
ent-été «bKgeanment prêtées pnr M. E. Leroui, éditeur de ce périodique.
3 Castren, loc. cit., p. 64.
•M\
EXl'l.nilATION"â DANS I.A I.APaXlE UDSSE.
pain d'écorce, les Lapons se servent de deux instruments
(rès inléressanLs, A l'aide d'un grattoir en os (fig, 4) ils
détachent rie l'arbre les tissus comestibles et les pulvérisent
ensuite en tes frappant avec un pilon. Ce pilon, garni à la
partie inférieure de deux tranchants, est généralement en
bois. Sur les bords de l'Enara, nous en avons acquis un
dont les tranchants étaient forinés de deux larges plaques
de bois de renne (fig. 5).
Fjguhe 6.
Flolli'iir cm buis )»)rl;int la itianiUL' du firnpriolair« (Raara) (.1/uj. li'Elhiiograitliie \
i/u Trocadéro, coll. llabot}.
Parmi les autres objets intéressants que nous avons
observés chez les Lapons d'Enara, signalons leurs Qlets.
Au lieu de flotteurs en liège ces engins portent des
lamelles de bois' sur lesquelles est inscrite la marque du
propriétaire (flg. (l), elau lieu de plombs, des pierres entou-
rées d'un morceau d'écorce de bouleau cousu au moyen
d'ane racine de bouleau nain. Un agencement à peu près
identique de filets se retrouve chez les Finnois, chez les
lapons russes, et môme chez les Scandinaves de certaines
I . L'aunt;e Uerniùre, le pèclieurdu l'iUaniB' ilo Marli;;ii('-i''erchaud (lUe-
• 't-Vilaiiio se servait d'un lîlet garni en t^uise de plombs de lamelles
d'ardoise piùsenUot la même forme que les lludeun en bois employés
par les Lajions d'Enara.
EXPLORATIONS DANS LA LAPOME RUSSE. 385
régions. Le mode d'attache de la pierre servant de plomb
est seulement différent suivant les localités. Quelques Nor-
Tégiens se servent par exemple de filets lestés de pierres
rondes percées au milieu d'un trou. Ailleurs le caillou est
inséré entre deux bandelettes doubles d'écorce de bouleau
entrecroisées sur un cercle fait d'une mince branche de
cet arbre. M. Sommier a trouvé ce poids eu usage sur les
bords de i'Ounasjoki, dans la Finlande septentrionale, et
nous-même nous l'avons vu chez des Norvégiens du Vef<
senfjord (département de Nordland).
Les Lapons de Finlande, comme ceux de Suède et de
Norvège, possèdent des notions assez complètes d'instruc-
tion primaire; presque tous savent lire et écrire. Leur con-
version au protestantisme a été le point de départ de la
diffusion de l'instruction parmi eux. Depuis deux siècles ils
ont été convertis au luthéranisme; néanmoins, la tradition
a conservé dans leur mémoire le souvenir des pratiques
païennes de leurs ancêtres. Autour de l'Enara comme par-
tout, en Laponie, on retrouve des légendes concernant les
Seida. Les Seida étaient généralement des rochers isolés,
de forme bizarre, dans lesquels l'imagination reconnaissait
une forme humaine, ou des escarpements de montagne
présentant quelque accident singulier. Sur une île de
l'Ënara, Castren a vu une de ces idoles faite de petites pierres
agencées par les indigènes de manière à présenter une
figure humaine. Dans cette même région, le rocher d'Ukon,
gros bloc pointu visible de loin au milieu du lac, a été
longtemps révéré par les Lapons*. A ces Seida les Lapons
faisaient des offrandes, consistant en bois et os de renne;
les nomades les barbouillaient en outre du sang de cet
animal, et les pêcheurs d'huile de poisson^ En 1881,
1. Dans la haute vallée duTarrejok (Pitea Lapprnark, Suède), une ca-
vité ronde située sur le flanc d'une montagne a eu longtemps également
on caractère sacré. La même superstition était attachée à une sorte d'abri
sous roche voisin d'Aktsisk dans la vallée de Rapaâdno (Pitea Lapprnark).
2. Hfigstrôm.
SOC. DE GÉOGR. — 3< TRIMESTRE 1890. XI. — â5
3i!(i EXPLOIIATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE.
devant le rocher sacré d'Aktsisk, nous avons trouvé des
ossements en assez grand nombre; quoique convertis, les
Lapons ont con.«ervé jusque dans ces dernières années les
pratiques païennes de l'ancien temps.
Quelques-unes de ces divinités étaient entourées à une
certaine distance d'un abatis d'arbres, qui formait une
sorte d'enceinte sacrée. Le chasseur olFrait à la divinité la
tète et les pattes de tout animal abattu dans cet enclos, et
de plus les ailes si cV'tail un oiseau. J
Il est permis de croire que jadis les Lapons ont également'
adoré des grossiers morceaux de bois sur lesquels des en-
tailles informes dessinaient une figure humaine, comme en
vénèrent encore aujourd'hui les Samoyèdes et les Ostiaques.
llogstrôm mentionne cette supersiilion. En 1841, Castren a
encore vu dans les districts de la Finlande septentrionale,
sur des troncs d'arbres, des sculptures de ce genre. A So-
dankyla on les gravait lorsqu'une personne venait pour la,
première fois dans le pays. Dans le district de Kajana, eivl
pareille occasion, on abattait toutes les branches de l'arbrej
à l'exception d'une seule, orientée dans la direction où le]
visiteur avait son domicile*.
Les Finnois établis dans la paroisse d'Enara, mènent à peu
près la mfimevie que les Lapons. Comme eux ils vivent prin- ,
cipalementdes produits de la pèche, mais ils possèdent pour|
la plupart un plusgrand nombre de bestiaux que leurs voisins.
Ces indigènes habitent des maisons en bois; nulle part
^ans cette région nous n'avons vu de pi)rte-;]es Kota*\
y sont également rares.
Parmi les produits de leur industrie nous devons si-
1, Castren, loc. cil., p. t'i8.
t. Le Porte, conatruclion particulière aux Finnois, e;t une chaumièraJ
en bois renfermant seulement une pièce et ne prenant jour que parla
porte et par un trou ménagé itaiis le tuit puur laisser passer la fumée du
poêle en piurrei établi dans un des angles de la chambre.
3. Uutte formée Je perches dressées eu furnie de uâno autour d'ua
EXPLORATIONS OA.NS LA LAPONIE BQSSE. 387
goaler les embarcations. Certains canots construits par
les Finnois resserableni à des pirogues par leurs formes
effllées à l'arrière comme h l'avant et par leur longueur
considérable comparée à leur largeur. De Tétrave à l'étam-
bot quelques-uns mesurent 7"^70, tandis qu'entre les bor-
dages la distance n'est que de 1"M>7. Ces embarcations sont
mues par des rames ; pour faciliter la marche^ les bateliers
placent parfois à l'avant une brancbe de bouleau feuillue en
guise de voile. Sur l'Enara naviguent des chaloupes jau-
geant quatre à cinq tonnes, qui se manti'uvrent à la voile
comme à l'aviron. Certaines pièces du gréeraent sont très
curieuses, comme par exemple des rocambeaux en corne
de renne. Dans cette région le fer est encore très rare,
et dans la mesure du possible les Indigènes le rempla-
cent par l'os et le bols comme le faisaient les hommes
préhistoriques.
II
Dans la presqu'île de Kola on rencontre des Norvégiens,
des Finnois, des Russes et des Lapons. Les représentants
des trois premiers groupes ethniques restent cantonnés sur
les côtes, laissant aux Lapons la jouissance entière des
immenses solitudes de l'intérieur du pays. Sur la côle
raourmane jusqu'à Klldin, tous les habitants permanents
sont des immigrés' soit norvégiens soit finnois, sauf à Kola,
OÙ se trouvent 685 Russes ou se disant tels-. Au delà de
Kildin, la côte est occupée par des Russes, des Caréliens
orlre ou les unes contre les autres, qui a clé l'habitation priuiilivn des
Finnois.
1. Eo 188t, la statistique liu district liu Kola tenue par Visiirrinnik
aeeasait la présence dam r.eUe rcgion de &.K individus apparfennntà la
reli^ioQ réformé». Dôduciiuo faite de quelques famille* de Lapons luthé-
riens établis dans l'ÛurafjorJ, ce cliiffre doit représenter celui de» colons
norvégiens et liiinois.
2. Ea ïbU, il n'y avait à Kolu que trois Finnuit.
388 EXPLORATIOKS DANS LA I.APOME RUSSE.
russifiés* et quelques Finnois*. Dans certaines localités,
on trouve également des Lapons. ■
Les Lapons russes forment un groupe «lislinct des autres
Saraes^ La religion grecque les a isolés complètement de
leurs frères luthériens de Finlande et de Scandinavie. Lai
différence de croyances empêche loule union entre ces]
deux branches de la mCme race. Les Lapons norvégiens duj
Sydvaranger, par exemple, ne s'allient jamais à leurs voisins
de Boris-Gleb. Aux yeux de ces rationalistes vêtus de peau]
de renne les pratiques du catholicisme orthodoxe sont desj
superstitions enfantines et ses sectateurs des sauvages.
Pensez donc! eux, sujets norvégiens savent lire, invoquent]
le libre arbitre, discutent politique, tandis que leurs pauvres
frères de Russie sont illettrés et n'ont d'autres préoccupa-
lions que la pêche et la chasse. De plus, Lapons russes et
Lapons norvégiens sont séparés par la langue. L'idiome A
des Sames de la presqu'île de Kola, mêlé de mots slaves i
et flnnois, est difficilement compris par les autres Lapons*.
D'après le prôtre de Boris-Gleb, les dialectes de cet idiome
sont si différents, qu'un habitant de Ponoi ne peut con-
verser avec un naturel des bords du Notoxero. Dans la
langue des Lapons russes, Castren reconnaît l'existence de
trois dialectes, l'un parlé par les indigènes de Petschenga,
de Muoikii, de Boris-Gleb, de Sundegjcld (Songela), du No-
tozero, d'Iokostrov et du Babinski Iniandra;le second par
ceux de Semi-Ostrov, du Lovozero, de Woronesk, de Kildin
et de Masesid ; le troisième enfin par les habitants de la côte
de Ter (littoral Sud-Est de la presqu'île) '. Vivant isolés les
uns des autres, séparés par d'immenses espaces les Sames
1. D'après Ogorodoikov, les indigènes de la presqu'île de Kola qui
passent anjoard'liiii pour Russes sernlenl de race caréticnne.
i. D'après Daa, des Finnois seruient étaltlis jusHju'n L'mbasur les bords
de la mer Blanche (Daa, Skigner fra Lapland, Karelstranden og Finland),
3. Nom des Lapons en l.tD^'ue lupone.
A. Daa, loc. cit.
S. Ca>lren, loc. cit., p. 167.
EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE BUSSE.
389
n'ont pu nulle part maintenir l'unité dans leur langue.
Les Lapons russes se donnent à eux-mêmes le nom de
Huorteladsjak^ (d'habitants de l'Est). Ils sont généralement
innus sous le sobriquet de Skolle (Chauves) par lequel les
lôrvégiens les désignent. Au commencement du siècle, la
plupart de ces indigènes étaient affligés d'une calvitie com-
plète. Aujourd'hui les inilividus chauves sont assez rares;
durant nos deux voyages dans la presqu'île dâ Kola, nous
en avons rencontré seulement trois. D'après Friis, la cause
de cette calvitie aurait été une espèce de teigne dont
souffraient autrefois ces indigènes. Suivant Keilhau, au
contraire, ils se seraient fait tomber volontairement les
cheveux, en se couvrant la tèlc d'une couche de sel dans
le dessein d'échapper par ce moyen au service militaire.
A une époque dont il est difJiciie de préciser ladale, mais
en tout cas très éloignée^ les Lapons russes ont été modifiés
parleurcontactaveclesCaréliens. Keilhau place au xm' siècle
ce croisement des deux races, sans donner la source à
laquelle il emprunte ce renseignement. Des documents du
commeacement du xv* siècle signalent les ruines d'établis-
sements de Caréliens dans la presqu'île de Kola. En 1419
on voyait à Varsouga les vestiges d'un pogoslc de ces
Finnois, qui avait été détruit par les Normands*. D'après
Sjôgren les Caréliens auraient occupé toute la presqu'île de
Kola jusqu'à la cùle de l'océan Glacial. Castren pense, au
contraire, qu'ils sont restés cantonnés dans la partie méri-
dionale du pays, sur le littoral de la mer Blanche. Cette
dernière opinion parait la plus plausible. Si en elTct les
Caréliens s'étaient établis dans la péninsule de Kola eu aussi
srand nombre que le pense Sjogren, ils auraient absorbé
les Lapons, comme ils t'ont fait sur la rive méridionale de
1. Qig^tad et Stndbcrg, loc, cit.
i. Ogorodoikov. ilarmanskii i tenkuberegn pu knigii' bolnhmjox cher-
eja (Zaïtitki imperaUinlmijn rttuHxkiigo geogralitchenytigo obtchesua. Po
obdieltu) etnografi, t. II, S»int-PélersbourK)-
EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE.
la mer Blanche. Les Lapons s'étant assimilé les îffi™
migrants, il est permis de supposer que leur effectif n'a
pas dû être considérable. C'est là un des rares exemples
que l'on puisse citer d'une population finnoise absorbée
par les Lapons*.
La présence de Carétieos à une époque ancienne sur la
côle méridionale de la presqu'île de Kola est attestée par
les nombreux noms de lieu d'origine carélienne que l'on
trouve dans celle région. Le nom de Porja (village de la
cûte nord de la baie de Kandalaks) dérive par exemple de
poro (renne domestiqué). Kandalachka (nom russe de Kan-
dalaks) est une déformation des deux mots Imnois : KanUf
(pointe) et lahti (baie). Dans le même ordre d'idées, on pour-
rait citer sept ou huit autres exemples. Maanselka ou Ma-
sesid (iocidité située sur les bords du Kolo/.ero près du
point de partage des eaux entre l'océan Glacial el la
mer Blanche) est le seul nom finnois que l'on trouve dans
l'intérieur des terres, ce qui semble indiquer que les Caré-
liens ne sont guère venus dans celle région. Le mol Kola
ne fournit aucun renseignement sur cette question de l'an-
cienne extension des Finnois dans la Laponie russe. Les
linguistes ne sonl pas d'accord sur son origine et suivant
qu'il adoptent l'opinion de Sjogren ou celle de Castren, ils
le font dériver du vocable rinnois kala (poisson) on du
mol lapon guoUe qui signifie également poisson.
Ij'inlluence exercée par les Caréliens sur tes Lapons
russes est encore actuellement manifeste dans les construc-
tions élevées par ces indigènes el dans certains détails
d'ethnographie. Aujourd'hui qu'ils n'ont plus que de très
rares relations avec les Finlandais ou les Caréliens% et qu'ils
1. A Karisjok lo petite culonio llnlandaise u été alisorbéo par les La-
pons (Soiiiiuier. Due riiiiiutncminni xui Lnppimi e nui Finlandeii selten-
triiinuli).
'i. Au moment Hc la pôchc sur la c<Me iiiouriii;iiiR, des Lapons »e reù-
contreiit parfois avec des KioBuis, Au printemps et en août, le.t Cari^licns»
oriqu'ils «e dirigent vers Itr lillumi de l'océuri r.lacinl ou qii'ili en re-
EXPLORilTIONS DANS LA LAPONIE RUSSE. 391
ne peuvent par suite apprendre de leurs voisins l'art d'élever
des abris, les Sames russes continuent à édifier des habi-
tations sur le modèle de celles des Finnois. Au bord du
Njammeljauri, nous avons rencontré une kota et sur les
rives du Peringo ozero un porte, tous deux construits par
des Lapons. Du temps de Castren, les indigènes de Hasesid
habitaient également des porte. Dans la parure des femmes
Figure 7.
Boucle d'oreille do Laponne russe (MascUkaia. Presqu'île de Kola).
l'influence finnoise a également persisté. Une jeune Laponne
russe qui nous a servi de batelière portait une paire de
boucles d'oreilles faites d'une touffe de duvet de palmipède
ornée de perles de Margarita margaritifera. Ce bijou
primitif est identique à ceux dont se parent les Finnoises
des bords du Yolga, et un ethnographe qui ne serait
pas prévenu prendrait certainement ces boucles d'oreilles
Tieanent, passent dans les stations de poste échelonnées entre Kandalaks
et Kola qui sont occupées par des Lapons, mais sans y faire de séjour.
Ils ne peuvent donc enseigner à ces indigènes^l'art d'élever de la con-
stnietioa.
392 EXH.ORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE.
pour un travail tcheremisse'. Enfin la physionomie des La-
pons russes décèle leur métissage avec les Finnois. La plu-
part de ceux que nous avons rencontrés avaient une che-
velure blonde ou châtain clair, souvent frisée, des yeux
bleus, une taille élevée et un (eint blanc; quelques-uns
portaient raôrae une barbe très fournie.
Le nombre des Lapons russes est assez difficile à établir;
suivant les auteurs, il varie du simple au triple, de ^,207* à
6,00tF- Après avoir consul té les livres des paroisses et reconnu
leur concordance avec ceux des fonctionnaires ci%'ils*, M. de
Seraenov fixait, en 18îjl), l'edectif de ces indigènes à 2,183^.
Avec le voyageur russe Elysseiell" nous avions, dans une
publication précédente, adopté le chiffre de 3,000 \ Depuis
nous avons été conduit à penser qu'il était peul-ôtre trop
élevé : à notre avis, le nonnbre des Lapons russes doit être
de 2,500 environ. Kn 1884, on en comptait dans le district de
Kola 1,448, d'après le dénombrement fait par Vispravnik;
l'autre partie de la presqu'île doit certainement en contenir
au moins un millier. A titre de renseignements nous publions
la statistique de ces indigènes par pogoste*, d'après des do-
cuments russes que nous a obligeamment communiqués
M. Bodura, ancien consul général de Suède et Norvège à
Arkhangel. Ces statistiques, comme toutes celles relatives
1. Dana dilVérenU passage!^ du Kiilerirln un voil que les ancien s Finnois
employaient lea perles cnmriiB ortienieiil. Il en est pluticurs fois quos-
tion dans la description du costumn dea femmes et le futiet du louka—
hainen était garni de perles.
2. Friis, En Sommer i Finmarken, elc, p. 165.
3. Ign;itiu8, loc. cit., iii Journal de la ttatisttijue de Pari», févr. 1886.
•l. Daa, loc. cil.
5. Seinenov, Geographitcheikn-statittitcltenku iloear Rouiiikoi Im-
perii, t. III, art. Loi'Aiii.
6. Complex rendus de la Société de géo^mphie de Parti, 1883, n" I,
p. 15. Gointniinicalion de M. Veninkov.
7. Cil. RaUot, A'ole» ellmograpliii/uet recueiUiet en Laponie. llevue
d'ethnographie, t. V, p. 1 .
8. Village d'hiver.
m
EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE. 393
aux populations plus ou moins nomades, ne doivent être
acceptées que sous toutes réserves. Le chiffre qu'elles
donnent pour les femmes est, par exemple, inrérieur à celui
des hommes, proportion qui n'a point été observée chez les
Lapons en général. D'antre part, dans plusieurs localités,
nous avons constaté un nombre d'indigènes supérieur à
celui porté sur ces documents, et une de ces statistiques,
celle empruntée à l'ouvrage intitulé, la Laponie russe, n'in-
dique pas toutes les localités occupées par les Lapons, Po-
noi, entre autres.
StitUtisque
empruntée à l'ourrage publié k Slatiitique fournie par
Arkhangel en 1877 sous le titre de l'adminiatratioa dea
Laponie ruttei. affaires des paysans.
Sexe masculin. Sexe féminin. Total. Sexe masculin.
lokostrov 54 47 101 55
Nolozero 110 121 331 110
Masesid 35 34 69 33
Sundgjeld . . . . 65 60 125 66
Babinski Iman-
dra 48 57 105 45
Rjikotaibal.... 52 39 91 InhabittS.
KiUa (station
de poste)... 4 15»
Voronveruts-
che (station
de poste). . . 3 6 9 »
Rasnavalok
(station de
poste) 3 7 10 »
Voronjeozero
(station de
poste) 4 7 11 »
lokostrov (sla-
tiondeposte) 3 » ."i »
Zatcheïka (sta-
tion de poste) 2 2 4 »
VisselokTchel-
mozero « i> » 5
Voroneschskiy. 56 55 111 58
1. La date à laquelle cette statistique a été dressée n'est pas indiquée.
3U4 EXPLORATIONS DANS LA. LAPONIE RUSSE.
Sexe mn^culin. Sexe témiuia. total. Soxii lunsculiii.
Seini Oslrov . I2i 113 2:J7 122
LoToïcro 65 64) 125 64
Kildin ";i 60 133 87
l'elscheDga... iV< 43 «Qi 51
MiilU r.O 46 %^ 02
Pasvis;:! 4K 40 91 55
Visselok Sred-
nii 7 7 14 »
Ekaosk 107 81 188 ir4
Lumbov 56 57 113 45
Susnovetz 33 28 til 38
l*urna i 10 14 »
Luniiuiî Il) 16 2(i »
knmeuu 35 30 65 »
Vjnlosepâk. .. 24 28 52 »
Knïkig Vissc-
luk « >> " 5
Ponoi' « )» « 84
1131 1&61 2182 1131
Ces deux mille et quelques cents Lapons sont disséminés
sur un territoire égal au tiers de la France. Leur habi-
tat s'étend depuis le Pasvig à l'ouest jusqu'à Ponoi à l'est,
et dans le sens de la latitude de la côte de l'océan Glacial à
Zatcheikaau sud. Même en faisant entrer en ligne de compte
les Russes et les Caréliens établis sur le littoral, la densité
de la population dans la presqu'île de Ivola reste très faible;
par ;iO ou 40 kilomètres carrés on ne compte guère qu'un
habitant. En réalité, les côtes seules sont peuplées, et
l'intérieur est un désert. Sur les bords de l'Imandra, sur
une distance en ligne droite de 150 kilomètres, on ne trouve
1. It'après le recensemonl ila 1HS3 ce pn/joste n'était plus liabité que
par 73 Lapons (32 hommes cl 41 fciuiims) (Boukharov, Poieiiika po
Laplandii, p. 8j.
2. Kn IHNll, -U habitant» seulement fltoukliarov, toc. cit., p. H}.
3. Kn 1884 la (>opijlaiinn de ltorls-Cle6 où se trouvent réunis l'été tous
les Lapon.-^ russe» du l'^isvig &'<''l«vail à 121' individu» {tjl hommes el-
63 feinoies).
t. Kn IHùl, 173 Lapons liabiUiieiit t'cMuii (Duben, loc. Ht., p. 55.
EXPLORATIONS 1»AKS LA. LAPOXIB IIUSSE. 395
en été que soixante-dix habîtanls environ'. Dans la vallée
du Jiinijok, longue de 120 kilomètpes, quatre familles seu-
lement sont établies. Les ressources du pays en pêcheries,
pâturages et forêts permettraient facilement l'existence
d'une population beaucoup plus considérable.
Les Lapons russes augmenLenl-its ou diminuent-ils, telle
est la question qui se pose naturellement en étudiant leur
statistique. Friis pense que leur nombre décroîl. A l'appui
de cette opinion, Daa signale une diminution notable surve-
nue de 1859 à 1&67 dans le chiffre des Lapons établis aux
environs de Kandalaks. En huit ans il se sérail abaissé de^75
à '206. En comparant la slalislîque donnée dans l'ouvrage
intitulé la Laponie rxisse et celle fournie par M. Boukbarov,
pour les pogoêtes de Petschenga et rie Motka, on constate
également une décroissance dépopulation. Dans le district
de Kola, reffectif des Lapons aurait également diminué de
1859 à 1867. Pour cette dernière région ce mouvement n'a
pas persisté; en 1881, le nombre de ces indigènes dépassait
de près de 200 celui indiqué en 18(17 au professeur Daa.
A notre avis, la décrois&anee de la population taponnen'est
qu'apparente. Nulle pari chez ces indigènes le chitt're de la
mortalité n'est, croyons-nous, supérieur à celui delà nata-
lité, partout le nombre des naissances est plus élevé que celui
des décès; l'excédent est faible, mais il existe. D'après les
registres de l'église de Boris-Gleb, la population de ce
1. A Kourinka, à l'embouchure de l'émissairts dii HelesmoîDro dans
lliuandra, une vieilJe rciiiiue; à R:isnBvaluk, un lioiirmo et truia t'emmes;
ilans la Piebcliùgouba. mm ramilla coin|)oiéi! do truis pcrsoDnes; dans Ln
MoQlËhégouba, trois ramilles cumulant jo?.e membres; diin» Je lélvuon
igolfe titu^ au sud do la iMoolcIiéirouba), une famille de citiq individus;
dans la tlielagouba, deux l'iimillcs de quatre personnes cliacune; <luDa la
Tikigoubn, udu rainillc égalcmorU de qualro personnes, dans l'Hokta-
ganda, uno fiimille de Iroit personnes, trois indigènes sur le» bords du ta
Vuotclié Lambeua (rive orientale à 7 kilciniélre<< d'Iukoslrov, dam la Kli-
poi^aiida (rive orienlnle ù U kilomètres do Zutcheika) une faniille cie quatre
{lersounes, à Zatcbcïka deux ramilles, cinq iadigcnes à lokosti'ov, enfin
«ept riinilles à Akkula.
396
EXPLORATtONS DANS LA LAPONIE RUSSE.
village aurait augmenté de 11 individus en huit ans'. D'autre
part, toutes les familles que nous avons rencontrées cona-
ptaient plusieurs enfants, quelques-unes même trois ou
quatre. Dans la presqu'île de Kola, comme du reste partout
ailleurs, la race laponne ne disparaît pas, ne meurt pas, mais
se fond avec les populations en présence desquelles elle se
trouve, d'autant plus facilement qu'ici elle ne se distingue
pas des autres indigènes par des signes extérieurs comme
en Norvège, en Suède ou en Finlande, Les Lapons de la
presqu'île portent à peu près le même costume que les
pécheurs russes ou caréliens; les traits de leur physionomie,
la taille, ne les différencient pas beaucoup non ptusdesaulres
habitants. Que ces indigènes s'établissent sur les côtes au mi-
lieu des Russes, après un séjour de quelque temps personne
n'aura gardé le souvenir de leur véritable origine; eux-
mêmes l'auront oubliée ou ne voudront pas l'avouer. Suivant
les circonstances, ils se diront Russes ou Caréliens, et les sta-
tistiques compteront autant de Lapons en moins, bien qu'en
réalité leur nombre n'ait pas varié. C'est à cette fusion de
la race laponne au milieu d'éléments étrangers qu'il faut
attribuer, croyons-nous, la diminution constatée dans les
recensements- Cette opinion nous sommes heureux de la
voir confirmée par M. Ostrovskiy.
1. Mouvement' iW la populalîua de Boris-fileb :
(S7I i fitlcB. l reiunic!.
j a garçons. i homme».
^''" i î nilo». i femme».
àa-a I ^ irirtons. 1 femme.
"'" i a llllcs.
,,_. , i 2 liomin»».
r . 18" ÏBorcon.. , j j^„„„^
àVia i ^ çtTçoni. i romnaet.
'"" î 3 lillc».
I 5 i;iiri,oiti. \ liouiniGt.
•*'" 1 1 nilc. 1 fetnme.
^^^ \ a girçoiu 2 feranic».
.__ ,.. 1 i humilie.
«88» ^«"'"- ! «femme.
EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE. 397
Jadis une partie des Lapons russes vivaient de l'élevage
du renne et menaient la vie nomade comme ceux de
leurs frères encore aujourd'hui pasteurs en Suède et
en Norvège. La relation du voyage d'Othère mentionne
la présence dans ce pays de deux catégories diflérentes
d'indigènes qu'elle désigne sous les noms de Finnois et de
Terfinnois. La ressemblance du préfixe 1er avec le vocable
Ire de l'ancien Scandinave a induit I^ehrberg à penser que
les Terfinnois él^lcnl des Lapons forestiers. Dans les anciens
textes, ou trouve en effet cette flcnomination opposée à celle
de Skrith ou de Cre-Finnois^ qui désignerait les Lapons
pasteurs. Au nom de la linguistique, Ilunfalvy a repoussé
cette identification'; à son avis, il n'est pas du tout dé-
montré que Irt! ail la signification d'arbre. Quoi qu'il en
iûil de cette discussion* des documents plus récents, mais
qui remontent néanmoins assez loin, établissent avec certi-
tude qu'autrefois uu certain nombre de Lapons russes
étaient pasteurs de rennes. La relation du voyage ac-
itompli en U9(j par Istoraa de la mer Blanche à Thron-
dhjem, que nous a conservée IterLerstein, mentionne les
t Finnois Lapons », qui vivent au bord de la mer dans des
huttes et les u Lapons sauvages i). Sur ce point le testament
d'Ivan 111 (1504) est également particulièrement précis. « A
mon nis Ivan, porte ce document, je donne la terre et la ville
des Caréliens avec tous leurs revenus et impftts ; de plus, les
Lapons des forêts et les Lapons sauvages ou de troupeaux^. >
Le testament d'Ivan le Terrible [1j78) mentionne aussi les
mêmes catégories de Lapons*. Aujouid'hui aucun Skolte
1. Paul Huiifalvy. Die Vûlker des Vrai untl ihre Sprachen (Unga-
riMhr Renie, VI. \, ISKIS, p. 17).
t Sam eiilrer daua )u discussion, nom ferons observer qu'eu décrivuiit
la vie des <t I-'iunois >> c'est-à-dire des Lapons pasteurs dans la peasée
lieLetirtierg, Uilïère ne relate pns qu'ils possèdent des rennes.
<(. Ugorodiiikov, loc. cit.
4. Ogorodnikov, loc. cil.
398
EXPLOnATIONS DANS LA. LAPONIE nu.SSR.
n'est pasteur. Les seuls indigènes de la presqu'île de
Kola qui vivent de l'élevage du renne sont une dizaine
de familles, originaires du Finmark, établies avant 18:2(>
dans le district indivis entre la Norvège et la Russie et
restées sur le territoire russe après le partage de la zone a
neutre. Ces pasleurs forment une petite tribu complètement
distincte des autres Lapons par la religion et parla langue;
ces indigènes sont luthériens et parlent le dialecte de
Sydvaranger'.
Tous les Lapons russes proprement dits tirent leurs
ressources de la chasse, de la poche et de l'élevage de
quelques brebis et d'un petit troupeau de renues. Dans la
vallée du Junijok, quade familles vivraient de l'élève du gros
bétail, nous a raconté un guide; l'une d'elles posséderait
vingt-cinq vaches. En général, les Lapons cantonnés dans ■
la presqu'île de Kola n'ont qu'un très petit nombre de
rennes. Les deux troupeaux les plus considérables compte-
raient mille têtes chacun et upparliendraient à deux frères
établis aux environs de Rasnavalok. Un indigène établi sur
les bords du Kopesozero, homme fort à son aise, ne pos-
sédait qu'une trentaine de bètes. Quelques l'amilles, nous
a-t-on affirmé, en ont une dizaine à peine. La statistique
que nous a obligeamment communiquée l'Ispraniik de
Kola en ISSiaccusaitseuiementl'existence de 15, 000 rennes*
dans toute la presqu'île, et dans ce nombre une bonne
partie appartiendrait aux Russes.
Durant l'été les Skolte laissent leurs rennes errer en toute
liberté. Pour être ù l'abri des moustiques, la plupart de ces
animaux séjournent alors sur les montagnes d'où la brise
toujours fraîche des hauteurs éloigne les insectes ; quelques-
I. Friis, En Sommer i h'ininarken etc.
a. 8,01IK daiii le dfstricl de Kola et 7,:)S« ij.ins celui île Kousamcn. En
1861, les statjslique» uflicielle» oe coroj>taient que l;t.3S(l rennes ilani ta
presqu'ilo de Kola, dont 4,1HI seulemcnl apparleoaieiil aux Lapons
(Friis, ioc. cit., p. 192).
EXPLORATIONS DANS I.A I.AP0N1E ROSSE. 399
uns cependant restent dans les forêts, où ils sont sans cesse
harcelés par ces diptères. Sur les bords de la Kola reka,nous
avons rencontré de malheureux rennes haletant des piqûres
des innombrables moustiques acharnés contre eux. De plus,
ceux de ces ariimaux restés dans la région forestière ont à
souffrir de températures particulièrement élevées qui s'y
font parfois sentir et auxquelles leurs congénères de Nor-
vège ne pourraient guère résister'. A ta [In de l'automne,
les Lapons russes réunissent leurs rennes. Sur les bords de
rimandra, ils les rassemblent, en les chassant vers une
langue de terre faisant saillie au milieu du lac, qu'ils ferment
du côté de terre par une barricade en bois. Les indigènes
laissent leurs troupeaux pendant quelque temps dans cet
enclos, puis les emmènent avec eux lorsqu'ils vont habiter
les pogostes d'hiver. Quoiqu'ils vivent presque toujours
dans un état de liberté complète, les rennes russes ne sont
point farouches; ainsi le Itruitde coups de feu tirés près de
leurs oreilles n'elfrayail pas les animaux de notre convoi;
leur domestication est aussi complète que celle des rennes
de Suède et de Norvège. L'hiver, on les attelle à des traî-
neaux, et l'été ils servent de bétes de somme.
Comme les Lapons pêcheurs d'Iînara ceux de la pres-
qu'île de Kola se déplacent fréquemment. Au printemps,
ils s'établissent à un endroit, l'été ils le passent dans un
autre, et en automne ils changent de nouveau de résidence.
Dans ces différentes localités chaque famille a sa station de
pèche, où de père en fils elle vient séjourner quelque temps
et dont elle est considérée comme propriétairt;. Les di-
verses stations appartenant à une même famille, parfois
très éloignées les unes des autres, de 30 et même 40 kilo-
I. Sur les montagnes riveraines de l'océan Glacial, en Finmark, nous
•"«ns vu, un jour d'automne, un troupeau de reunea ini-oiiiiiiodé par un
'etnni lourd, alors que le thermomètre ne dépassait ima + 10°; ces ani-
maux à bout de forces se couchaient sur la neige, et les rennes rnsses
WQt exposés à des températures de -f- 25° 1
400 EXPLORATIONS DANS LA LAPOSIE RUSSE.
mètres, sont généralement établies sur le môme cours
d'eau ou dans le môme réseau de lacs. Les déménage-
ments sont par suite faciles; la famille s'entasse dans un
canot avec les animau.\ domestiques et le mubilier composé
de quelques hardes, ustensiles de ménage et engins de
pèche, el elle n'a qu'à suivre la rivière. Les Lapons cantonnés
dans un même bassin fluvial sont regardés comme proprié-
taires de toutes les eaux de la région, et un indigène d'une
autre vallée ne peut y p&cher, qu'à condition de leur payer
une redevance. Les stations de pÊche se composent généra-
lement d'une hutte, de séchoirs pour le poisson, et d'abris
pour le mobilier el les brebis. Pendant neuf mois les Lapons
vivent ainsi dispersés le long des rivières ou des lacs; l'hiver
seulement ils vivent réunis par groupes de 50à 100' dans les
pogastes , réunions de quelques cabanes situées au milieu de
la forôt. Tous ne se réunissent pas à la mûme date dans leurs
« villes d'hiver)). Les indigènes de Uasnavalok, par exemple,
s'y rendent à l'époque oii le lac se couvre de glace, c'est-à-
dire au milieu d'octobre, tandis que les habitants de Boris
Gleb, comme du reste la plupart des Lapons russes, ne
gagnent leurs /jo^ostw que vers la Notil, pour y rester trois
ou quatre mois.
L'hiver, les Lapons russes habitent des maisonnettes en
bois à toit plal, ressemblant à des blockhaus, appelées par
eux toupa*. Les gens de Boris-Gleb sontles seuls indigènes
que nous ayons trouvés établis l'été dans des maisons.
(Quelques-unes de ces cabanes ont deux chambres, les autres
une seule (fig. 8 et 9). Dans les preraiÈres, la pièce d'entrée,
la moins spacieuse, sert de cuisine, l'autre de chambre à
coucher. Toutes sont garnies d'un mobilier très primitif. Les
I.Vuir plus haul la gUlistique îles Lapons russes p&v pogoiU.
3. Ostrovskiy, Lopari i ich predania. hvieslia hnperatorskago rotu-
sliagct geoyfafitcheskago oblchetva, t. XXV, 1889, l. Ce mut est emprunté
dt la langue finnoise et désigne dans cet idiainc la c-lmmbrc de famille
(Voir Léouîoii-Leduc, loc. cit., p. 37, n" 2).
EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE.
401
lits y sont remplacés par un banc fixé au mur, sur lequel on
étend des peaux; en face sur toute la longueur de la
chambre se trouve entre le mur et le plancher une large rai-
nure dans laquelle on dépose sur un tapis de branches de
pio le poisson destiné à l'alimentation de la famille. Durant
l'été, la plupart des Lapons russes vivent dans des games.
Ces battes, qui dérivent de la kota finnoise sont formées
de troncs d'arbres dressés sur un appareil composé de deux
paires de montants s'appuyant l'un contre l'autre au som-
FlGURE 8.
Plin d'habitation de Lapons russes de Boris-Gleb.
met et réunis deux à deux par une poutre transversale ; le
tout est recouvert de mottes de gazon ou de tourbe et par
places d'écorce de pin. Ces abris n'ont que deux ouvertures :
"oeporteet un trou qui sert tout à la fois de fenêtre et de
cheminée pour le foyer placé au milieu de la hutte dans un
cercle de gros cailloux. Dans certaines constructions, cette
«ernière ouverture peut être fermée par une trappe adaptée
^^ toit. A côté de ces games primitives on en trouve d'autres
piQs perfectionnées, formant le passage entre la hutte et la
■saison. Elles sont par exemple éclairées par de petites
soc. DE GÉOGR. — 3* TRIMESTRE 1890. XI. — â6
402 EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE.
fenêtres, et munies d'une cheminée placée conlre une de^
parois de la cabane. Comme nous l'avons signalé plus haut,
outrelesconslructionsde ce genre les Lapons russes édifient
des kota et des porte dont ils ont emprunté le modèle aux
Finnois. A Pakajanoki, sur la fronlière de Finlande et de
Norvège, au milieu d'un /jo/^ostc abandonné depuis longtemps
et aujourd'hui détruit, notre attention a été attirée par deux
excavations circulaires, profondes dcO'"75, mesurant la pre-
mière un diamètre de l"'2o, la seconde large de â'"15, et
réunies par un boyau long de 0"'60. Ces excavations pour-
j "»j-j
i^'.S
Fif.niE 'J.
T'Iaii J li.iliilalinii ili; Lnpoiis rii-^es ilu Boii-=-(;ieb.
raient être les restes d'un abri analogue à la sauna des
aociens Finnois, qui était formée d'un trou creusé dans le
sol et recouvert d'un toit. Peut-être à une époque anté-
rieure les Lapons russes ont-ils construit des huttes de ce
genre comme ils élèvent encore aujourd'hui des kota et des
porte. Ces indigènes ne possèdent [toint de tente semblable
à celle des pasteurs de rennes de la Scandinavie. L'été,
lorsqu'ils voyagent à travers les forôls, ils improvisent un
abri avec quatre ou cinq*Jeunes troncs li'arbres entrecroisés
au sommet, qu'ils recouvreut de toile '. D'autres fois, afin de
t. D'npr^s M. Oslrovskiy ces lentes pi.irtcraiciil le nom de n kouvo-
kasse *.
EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE'. 403
se protéger contre les moustiques, ils forment une tente
minuscule avec une pièce de linge étendue sur des baguettes
de bouleau et ramenée sur le sol. Pour mettre hors de
l'atteinte des rongeurs les provisions qu'ils n'emportent pas
dans leurs différents déplacements, les Lapons élèvent des
atfaS cabanons perchés sur un tronc de pin à quelques
mètres au-dessus du sol. Une aïta que nous avons vue sur
les bords du Notozero était élevée d'environ deux mètres
au-dessus de terre. On y accédait à l'aide d'un tronc d'arbre
Figure 10.
Hangar couvert d'écorcc de bouleau. Kopesozero. Laponie russe.
portant de grossières encoches en guise d'échelons. Pour
terminer le chapitre des constructions, signalons un hangar
bas, formé d'un échafaudage de quelques troncs d'arbres et
recouvert d'écorce de bouleau (fig. 10).
Les Lapons de la presqu'île de Kola ont adopté presque
entièrement le costume russe. La plupart sont vêtus de
blouses en toile serrées à la ceinture, d'autres de longues
redingotes appelées en russe kaftan, enfin, presque tous
!• Mot emprunté à la langue finnoite. Les Lapons de Suède et de Fin-
unde élèvent également des constructions de ce genre. Dans les dia-
'^<!te3 lapons de la Suède elles portent le nom de njalla.
•404 EXPLOKATIONS DANS LA LAPONJE BCSSE.
de pantalons d'étolTe. M. Ostrovskiy a rencontré à Kitovka
(côte Mourmane) des Lapons de Kildin qui avaient fort bon
air. Tous portaient des vêtements et des pantalons en drap
noir, des chapeaux de feutre, des souliers j quelques-uns
possédaient même des montres en argent. Du vêtement
lapon, la plupart des Indigènes de celte région n'ont guère
conservé que les mocassins en peau de renne (komager en
norvégien) dans lesquels les pieds sont enveloppés de touffes
de carex^ séché. L'été, quelques-uns seulement onldespusfc
en peau de renne; l'hiver, probableraenl, le froid rend ce
vêtement indispensable ù tous. Leur coiffure est en général
un bonnet pointu, de laine grossière, blanc quand il est
neuf, et rayé de bandes circulaires verdâlres. Les femmes
sont toutes vêtues du xra>'c/<i(H*! des paysannes russes; comme
les Laponnes des autres régions, elles portent la chevelure
divisée par derrière en deux longues tresses.
Les Lapons russes se nourrissent principalement de pois-
son soit salé ou séché, soit frais, qu'ils font bouillir avec
des touffes d'AUium schienoprasiiiti en guise de coiidi-.
ment. L'eau ayant servi à la cuisson sert de boisson pen-
dant le repas. Souvent, notamment en voyage, ils se réga-
lent d'un pâté de saumon ou de truite, le kalebakiif dont
ils ont emprunté la recette aux Russes. De même que leurs
frères de Finlande, les Lapons de la presqu'île de Kola
recherchent les œufs de palmipèdes, et comme eux, pour
s'en procurer facilement, établissent des nids artificiels sur
le bord des cours d'eau. En hiver seulement ces indigènes
consomment de la viande de renne; tes règles de l'Église
orthodoxe leur interdisent d'ailleurs l'usage des aliments
gras pendant une bonne partie de l'année. Néanmoins,
même en temps d'abstinence, ils ne se font pas faute de
manger des lagopèdes ; les oiseaux sont, disent-ils, les pois-
1. D'après biilien les plantes employées par les Lapons à cet usage
sonl : le Carex aijuttuilis, le <j. aciit<i, le C. ampullitcea,\e C- vesicaria,
VAvena plexuota.
EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE UUSSE, 405
sons de l'air^ et cette subtilité paradoxale fait taire leurs
scrnpales religieux. Lorsqu'ils ont l'occasion et les moyens
d'acheter de la farine, ils en absorbent volontiers une cer-
FlCURE H.
Racloir en os pour préparer les peaux. Kopesoîero. Laponie russe.
{Mm. d'Ethnographie du Trocadéro, coll. Rabot).
taine quantité "sous diverses formes. Les habitants de Boris-
Gleb, qui nous ont servi de bateliers sur le Pasvig, man-
geaient à chacun de leurs repas du pain qu'ils avaient
FlGUHE 12.
Fermoir en os de renne faisant par'.ie d'un sac on peau de plioquc (Enara).
Laponie Qnlandaise et Kopesozero, Laponie russe {Mut. d'Ethnographie du Tro-
cadéro, coll. Rabot).
boulangé avant de partir, et, à Zatcheïka, nous avons vu les
naturels se délecter d'une bouillie de farine de seigle et de
baies de marais {Rubus chamœmorus L.). En fait de végé-
taux, les Lapons russes mangent comme tous les peuples
1. Friis.
EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE BUSSE. 407
peaux (fig. 11). Dans les nombreuses cabanes où nous
sommes entré, nous n'avons trouvé qu'un seul objet en bois
de renne orné de dessins géométriques comme en gravent
les autres Lapons sur leurs cuillers ou sur les mancbes de
leurs couteaux. C'était le fermoir d'un sac en peau de
phoque^ (flg. 12). L'œuvre d'art la plus remarquable que
nous ayons vue chez les Lapons russes est une peinture or-
nant le dossier d'un traîneau (Og. 13)3. Sur un fond rouge
sedétachaientenjaune des arabesques et des figures, tracées
■et disposées assez régulièrement. Gomment l'artiste, qui
Figure 15.
Sceau en écorcc de bouleau. Kopesozero. Laponie russe (SIus, d' Ethnographie
du Troeadéro, coll. Rabot).
)iabite sur les bords du Kopesozero au milieu d'un désert,
■avait-il pu se procurer la peinture nécessaire à l'exécution
de cette ornementation polychrome? Le bois de pin et
l'écorce de bouleau sont les matières premières de presque
tout le mobilier des Lapons russes. Leurs assiettes (11g. 14)
1. Ce sac était complètement identique à celui représenté par la
4gnre 1â que nous avons acquis d'un Lapon finlandais.
2. Le traîneau sur lequel se trouvait cette ornementation était une
Kjr»ri» semblable à celles en usage dans les autres parties de la Laponie.
■Quelques L^ons russes ont un véhicule d'un autre type qui présente une
singulière analogue avec le traîneau samoyède. Il se compose d'une
■caisse dans laquelle plusieurs personnes peuvent prendre place, montée
sur des patins enybois. Un traîneau de ce genre figure dans la photo-
graphie d'un campement de Lapons russes pris sur la côte mourmanepar
M. Leizinger {Coll. de la Société de géographie de Paris),
408 EXPI.OBATIONS DANS r,A LAPONIE RUSSE-
et leurs grossières cuillers sont en bois; avec l'écorce du
bouleau tout à la Tois flexible, résistante et imperméable,
ils confectionnent des sacs, des cordes, des boîtes, des
écopes, des seaux (lig, 15), môme des chaussures et des vê-
tements. Cette précieuse substance leur fournit les moyens
de transporter l'eau, et un morceau suffit à faire flamber
les branches mouillées, elle procure ainsi l'eau et le feu, les
deux choses essentielles dans les déserts*. Dans le voisinage
des habitations, sur le bord des pistes qui traversent la fo-
rêt, tous les bouleaux présentent des cicatrices noires pro-
duites par la perte de leur écorce, aussi avec quelle joie le
voyageur les aperçoit lorsqu'il erre perdu dans la forêt!
Elles lui indiquent l'approche d'une hutte et le bon chemin.
Le bouleau nain [Betuia nana, L.) est également utilisé par
les Lapons. Ses longues racines flexibles leur servent à fa-
briquer de petits paniers.
Comme l'a appelé emphatiquement Acerbi, le bouleau
est le cocotier des pays du nord et les runoia anonymes du
Kalevata ont célébré son utilité en strophes d'une poésie
naïve. « Traversant une forêt, Wiiinâmôinen, entendit tout
n à coup un bouleau pleurer, de suite il s'approche et lui
« demande la raison de ses larmes.
c Les heureux n'ont qu'un seul désir, répond l'arbre; ils
« appellent les beaux jours, les jours ardents de l'été. 11 en
« est autrementde moi, pauvre malheureux! Je ne m'attends
« qu'avoir mon écorce déchirée, mon feuillage ravagé.
« Souvent dans le cours du printemps, les enfants s'ap-
t( prochent demoi, le désolé, de moi, l'opprimé et ils m'en-
« taillent avec cinq couteaux, ils éventreniraon tronc riche
« en sève*, et quand vient l'été, les bergers me dépouillent
I. Voir le^ difTérenlcsulilisaliona de l'écorce do bnuleau imaginées par
1e« Finnois dans les Firuika kranier de Rclzius (p. 96). Ce chapitre a
élé reproduit dan» la Revit)" d'ethnographie, 188Î, n" 2. Au musée d'Ar-
kliangel Tigure un vêtement cutiiplet en écorce de bouleau.
i. lA sève qui découle ilu bouleau i l'époque do printemps forme une
boluon agréable.
EXPLORATIONS DANS l-A LAPONIE RUSSE.
400
t sans pitié de ma blanche ceinture^ pour s'en faire, ceux-ci
(( des cuillers, ceux-là des fourreaux, d'autres des corbeilles
« à myrtilles'. »
Les anciens Lapons enveloppaient leurs morts d'un lin-
ceul d'écorce de bouleau et déposaient à côté d'eux dans
la tombe les armes et les ustensiles dont les survivants
pensaient que le défunt devait avoir besoin dans l'autre
monde pour pourvoir à son existence comme ici-bas^.
D'après les anciens auteurs, cette coutume a été générale
chez les Lapons et semble avoir persisté jusqu'au xvi' et
même au xvii' siècle '. Le souvenir s'en est même conservé
chez les populations actuelles de la Laponie suédoise/. Au-
jourd'hui ces anciens rites funéraires ont été seulement con-
servés par les Lapons russes. Dans un cimetière de ces indi-
gènes situé à Pakajanoki et abandonné seulement depuis une
trentaine d'années, chaque tombe contenait un plat en bois,
une cuiller, une hache, un fitet et une pelle également en
bois, servant en hiver à débarrasser de neige l'entrée des
1. Lp kalecatti (Irad. LéuuKon-Leiiuc, p. 4'i9).
i. Nordvi, t'ndersôyeisfy ttf itidre. Iieiienske gmue i ihilhimarlien
{Over. orer haniht Yidenk. Selskabx lù'irliatullinijer, 1853 et I8ht>).
3. Hôgslrùm {Heschreibung den der Krnne Swedenu gehnrrnden Lap-
f landes, C.openhagiio ul Leipzig, ITIH ]i. iï!)) raiiporte que les Lapons
eosevclissaienl à celé des morts une liaclie, quelques brunlillca de bois
sec, un briquet et du tal)&c.
4. Un Suddoii tiiibilaat les bords du Uoro Afran (Pitea Lapmnrk) aous
a raconté à ce propos \% tradition siiiv.inla : n Jadis los Lapons conduisaient
leurs morts revêtus de leurs vâtomcnts au ciaieliùre dans un traîneau
attelé d'un reanc. Le cor^is était cnsËveli nvec le véhicule, dans lequel
on plaçait une pipe, un peu de tabac et un Troma^e de lait de renne
pour servir de aourriture au défunt pendant le grand voyage; après quoi
on abattiiit le renne. » Les détail» de ce récit sont coiiliriués par les anciens
auteurs, llâgstrôni, lU-lia, etc. Le fossoyeur de Jokkmok a afTirmé, au
professeur Dijben, avoir souvent trouvé, en creusant des fosses dans le
cimetière, des pipe* eu (erre de tabrication récenlp. Les Lapons suédois,
quoique boas luthériens, ont donc coDservé en partie losritei funéraires
de leurs ancêtres païens. D'après M. Ustruvskiy les Laponi russes donne-
raient lin renne au praire lorsqu'il enterre un indigène. Cette coutume
dériverait de l'ancien usai^e da saBrifice.
410 EXPLORATIONS ItANS LA LAPONIE linSSE.
huiles. Sur la sépuUure d'un prêtre russe, à Ri^tiket (Nolo-
zero) les habitants avaient déposé une hache. Les corps sont
placés dans des cercueils en pin et en guise de pierre tonn-
bale la fosse est surnionLée d'un appentis en bois, à deux i
pans comme un toit de maison, haut seulement de quelqueafl
centimètres au-dessus du sol. Sur le devant est peicée une
petite ouverture carrée, sans doute pour que le mort puisse
respirer. Du côlé opposé se trouve une croix grecque dont
un des bras est orné d'une tète de mort d'une exécution
très grossière (fig. 16). Sur quelques-unes des tombes du
cimetière de Mogylni-Oslrov (Imandra) la construction est
plus importante. Elle a l'aspect et la forme d'une longue
FintiiiE IG.
titc 'le mort gravée «iir In lirnnclie inrérieiii-i' de la croix ^'cqne
placvp sur un lomlmaii de Lapon russe.
maisonnette coupée à la cirae pour porter une autre mai-
sonnette plus petite. Figurez-vous une réduction d'unebasi-
lique romaine. L'arête du toit, très proéminente, est dé-
coupée d'encoches à la hache figurant une sculpture presque
inrorme. Ces monuments funéraires mesurent en moyenne
une longueur de l"'t5 et une largeur de 0"'45.
Les Lapons russes sont convertis au catholicisme grecJ
mais, pour la plupart vivant dans les forêts de rinlérieurj
de ta presqu'île, loin des églises, ils n'ont que rarement
l'occasion d'assister à la céléliration du culte. Presque tous
sont illettrés; nous n'avons cutinu qu'un seul de ces indi-
gènes sachant lire. Pareille science lui valait dans tout le
pays la réputation d'un savant. Les Lapons de Kola sup-
pléent à l'écriture par des signes qui sont de véritables hié-
EXPr.OIlATIONS DANS l,A LAPOME KUSSE.
roglj'pbes et qui présentent une certaine ressemblance avec
ceux figurés sur les tambours magiques. Chaque famille a
son signe particulier qu'elle se transmet par hérédité. Elle
l'appose en place de signature sur les registres de l'auto-
rité et le grave sur ses ustensiles de ménage et engins de
pêche pour marquer sa propriété'. Ces caractères informes
sont très anciens, et les indigènes en ignorent l'origine'.
De tout temps les Lapons russes ont passé pour d'habiles
sorciers auprès des populations an milieu desquelles ils vi-
vent, llyacinquanleans, les indigènes d'Akkala étaient regar-
dés dans tout le pays, jusque même en Finlande, comme les
plus habiles magiciens. Aujourd'hui encore les Lapons de la
presqu'île de Kola ont cette réputation, et un Finnois établi
dans le Bogfjord nous a conlé maints sortilèges dont, dans
sa pensée, les habitants de Borïs-Gleb étaient capables.
Au témoignage de tous les voyaj^eurs, ces indigènes, notam-
ment les femmes, sont d'une très grande sensibilité ner-
veuse. Un bruit subit, ou la vue d'un étranger, sufQt à les
effrayer, à leur faire perdre pour ainsi dire la raison, ou
tomber dans une sçrte d'état catiileptique. Un pêcheur caré-
lien raconta à Castren, que la vue de son costume, dif-
férenlde celui des indigènes, eO'raya tellement une Laponne
qni passait dans un canot à cûté de son embarcation,
qu'elle jeta à la mer l'enfant qu'elle avait dans les bras,
autre Carélien rapporta au savant linguiste finlandais
a^oirvu une troupe de Lapons tomber comme inanimés,
pour avoir entendu à l'improvisLe derrière te rnur de
Wcabaneun bruit analogue àceluidu choc d'un marteau,
'o jour, Castren vit une Laponne, effrayée par le bruit d'un
'vilement de main produit derrière elle, se jeter comme une
'trie sur les personnes présentes. Si vous surprenez les
■• Cei signes sont stimblnblcs à ceux ligurég sur Je fermoir rupré-
'""W (1(5. ti.
• frii», /oc. cil., p. i29.
i\^
EXPLORATIONS DANS I,A LAPONIE RUSSE.
Lapons de Boris-Gleb par un cri, ils se précipitent sur
TOUS et fissajent de tous faire un mauvais parti, nous a
conté un Finnois du Bogfjord'. C'est sans doute pour
nous mettre h. l'abri de pareils Irailements que, dans la ré-
gion comprise entre la Peringa reka et la Tulom dont les
rares habitants n'ont jamais vu d'étrangers, notre guide
prit de grandes précautions, chaque fois que nous rencon-
trâmes des in<Jigènes. En arrivant à une game sur les bords
du Roumiozero, il m'invita ainsi que l'interprète à n'échan-
ger aucune parole, à ne faire aucun mouvement brusque et
à ne pas approcher de la hutte. Les Lapons sont des sau-
vages, racontait-il, ils pourraient vous assassiner. Plus loin,
lorsqu'il fallultraverser te N}ammeljaori, noire homme nous
fitcacherdans les taillis pour ne pas elfraj'erles indigènes,
disait-il, et seul avança sur ta rive pour héler les Lapons.
Il nous invita même à apprêter nos armes; puis, lorsqu'il
eut aperçu une femme venir au-devant de nous en canot, il
nous recommanda de nouveau le silence et l'immobilité, et
ne nous laissa approcher qu'après avoir embrassé h trois re-
prises la batelière. Notre guide avaitl'esprithanté d'histoires
d'assassinat; à chaque instant il parlait de deux Finnois qui
avaient été massacrés par les Lapons sur les bords du Noto-
zero, sans doute quelque vieille tradition remontant au
temps desTchoudes,
D'après M. Ostrovskiy, les Lapons russes auraient un ca-
lendrier spécial dont les divisions correspondent à, leurs
diverses occupations. L'année laponne (Ihé) commence à la
mi-septembre et est partagée en dix périodes dont voici les
noms. La première s'appelle V'towr et corresponde la pêche
d'automne; la seconde, Golgok, est l'époque de l'accou-
plement des rennes; après vient le Basse, du 15 décem-
bre au 15 janvier, puis le Faitm, qui dure jusqu'au retour
1. M. Klerk nous a amrmé, d'autre part, n'avoir jamaii été témoin
pareils fait».
V
EXPLORUTIOMS DANS LA LAPONIE RUSSE. <413
des cygnes {Niouktché). Au Niouktché fait suite le Vizi,
époque à laquelle les rennes mettent bas, puis au Vixi le
Giida, période où, après avoir tenu pendant tout l'hiver les
rennes du pogoste réunis en troupeau, chacun reprend ses
animaux. Viennent ensuite le Guolgga (les rennes perdent
lears poils), le Gœsse (l'été) et le Pourgi, époque à laquelle
les rennes se couvrent de nouveaux poils.
Isolés au milieu des forêts, dispersés sur un territoire
immense, presque sans aucune relation avec les Russes, les
Lapons établi» dans l'intérieur de la presqu'île de Kola nous
donnent la leçon vivante du passé le plus lointain de
rhomme. Placés dans les mêmes conditions que les tribus
primitives de chasseurs et de pêcheurs dont nous sommes
les descendants, ils nous offrent le spectacle de leur vie et
de leur industrie. Pour vous en convaincre, lisez le récit du
voyage d'Othère, la description qu'elle contient des mœurs
des Lapons russes est encore aujourd'hui exacte. Depuis
dix siècles la plupart de ces indigènes ne se sont guère élevés
en civilisation.
CLIMAT
La Laponie finlandaise et la Laponie russe sont une des
légions les plus froides de l'Europe. Tout ce pays est
enveloppé par l'isotherme 0°, à l'intérieur duquel les iso-
(liennes de — 1* et — 2» décrivent des courbes concen-
triques^
A Kola, pendant trois mois seulement, le thermo-
mètre se maintient au-dessus de 0°. En général, l'hiver
commence dès le 15 septembre. Là, à 60 kilomètres seule-
ment de la mer, il se produit parfois à cette époque, des
froids de — 6'9; dans l'intérieur du pays, le thermomètre
descend encore plus bas en cette saison. En moyenne, les
1. Mohn, Jahre» Uothermen der Luft-^\drme (1872) in Sohiibeler,
Me Ppamenivelt Norwegens, Christiania, 1873.
41 i
EXPLOrtATIOSS DANS LA LAPONIE RUSSE.
aflluents de l'Enara, l'Ivaiojoki et le Kamasjoki sont geléî^
dès la fin de septembre, le Pasvig vers le 15 octobre. Deux
semaines plus tard, l'Imandra est généralement couvert de
glaces'. A Kandalaks, la mer Blanche gfcle dès la fin d'oc-
tobre. Suivant les affirmations des indi{;ènes, l'Enara ne
serait pris qu'en novembre.
A Kola-, dans ces dix dernières .innées, la moyenne du
mois le plus froid a varié entre — 8"^' et — 31°i*. La
plus basse température observée dans celte station a été de
— 38"4''. Au lac de l'Enara des froids de — 50" sont
fréquents. L'hiver se prolonge jusqu'en mai et en juin.
A Kandalaks la débâcle de la mer Blanche se produit en
mai, celle de l'Imandra commence généralement vers le
15 de ce mois. En 1867, les dernières glaces ne disparurent
de ce lac qu'à la fin de juin''. Le 1" juillet 1884, des gla-
çons flottaient encore sur l'Enara, et celle année-là la
débâcle du Kaamasjoki n'eut lieu à Thulé que le 24 mai.
Les lacs du Pasvig ne sont généralement libres qu'en juin,
mais dès le mois de mai, ou même d'avril, lorsque lej
temps est chaud, la rivière est débarrassée de glacesj
A Kola, chaque année en mai, le thermomètre descend'
au-dessous de zéro; en 188(3 on a même observé pendant
ce mois un froid de — 10",4, et, en juin 1881 — 2%3. Eal
moyenne le thermomètre de celte slalioti reste pendant
âlO jours au-dessous de zéro.
A ce long hiver fait suite un printemps d'une quinzaine
de jours. L'été commence dans la première semaine dei
t. Daa. loc. cit.
'î. Les cliilTres des températures iikliquéca ici pour la presqu'île de
Kola sont empruntas aux Tascicules du /{eperlorium fiir Metenrolûfji,
publié par M. H. Wild sou» les auapices de l'Académie Impériale des
Ktence» de Saiiit-l>éU!r8bourg.
3. En j:in\icr 1883.
1. En novembre 187'J.
5. En décembre 1887.
0. Daa, loc. cit.
EXPIiORJiTIONS DANS LA LAPONIE RUSSE. 415
juillet et dure six à sept semaines. A cette époque la tem-
pérature est parfois très élevée. A Kola on a observé
-j- 32<'5*. Dans cette localité, le mois le plus chaud est
généralement juillet avec une moyenne variant de -\- H»!^
à -f- iB'S^. Mais quelquefois en cette saison le thermo-
mètre s'abaisse à + S» et + 4°1 ; il est même descendu à
— 3°3 au mois d'août (1880). Dans l'inlérieur du pays des
gelées se produisent souvent en août. En 1884, le 13 de ce
mois, le thermomètre tomba à — 2° à Kultala dans la haute
Observations météorologiques exécutées en 1885 à léréliki.
Mus..
inil
lii..
Jaia.
Juilet .
Août
Septembre .
TSaPK-
DATE
DATE
aATURC
■AXIXA.
du
HINIXA.
du
mayenae.
ma.viaia.
miiiima.
— 3*.22
+ 0.05
+ 1.31
0
+ *
+ 8
+11
28
25
16
— 10°.5
- 8
— 7
8
22
5
+ 5,72
+15
30
— 1
13
+11.32
+22
15
+ 2
2
+10.09
+ 6.56
+21.5
+16
15
4
+ *
+ 1
'8,29,30
■ 19
OBSERVATIONS
du 8 au 31.
Neige le 29.
fTempéte, gibou-
< Mes de neige le
( ii ; neige le 17.
'Orage le 15. Kn
15 min. la tem-
Sérature baisse
e l*". Orage
le 18.
Neige dans lanuit.
vallée de l'Ivalojoki; àEIvenies, il s'abaissa à -i- 3 dans la
nuit du 5 au 6. Durant l'été les variations atmosphériques
sont très brusques. Le 19 août 1884, sur l'Enara, le ther-
momètre s'élevait à -|- 17° ; à 9 heures du soir, il ne marquait
plus que -}- 1*.
Le climat de la côte mourmane est beaucoup moins
rigoureux que celui de l'intérieur des terres. Grâce à l'obli-
geance du capitaine Horn, directeur de l'établissement de
chasse à la baleine de lérétiki, nous pouvons donner ici le
1. Juillet 1882.
«. — 1884.
3. — 1886.
41G EXPLOflATlONS DANS LA LA.PONIE RUSSE,
résumé des observations faites à 8 heures du matia, cl
H heures du soir dans celte localité pendant le printemps et
l'été de 1885.
Le olimat de la Laponie russe est très sec. A Kola,
d'après la nioyenne de cinq années d'observation, il ne
tombe que 300 millimètres de pluie*. M
Pour coinpiéter cet aperfu sur le climat de la Laponie
finlandaise et de la Laponie russe, nous y joignons l'indi-
cation de l'époque de la floraison pour plusieurs plantes
dans la région de l'Enara d'après les recherches de
M. Kihlman*.
lUnmnailus ncrîs, 28 juin, vallée del'Ivalojokki.
Cerastimu alpestre, 3 juillet, vallée du Kamasjokki.
Geraiiiumpratense, 12 juillet, id.
Rufms Chamcmorus, 26juillet, Hammastuntaril (357 mè^
1res).
A:alen procambens, 2(5 juin, Kultala.
Linnœa borealis, 20 juillet, vallée du Kamasjokki.
Pinguicula i-îtigtiris, 2 juillet, id.
Les épis du seigle d'hiver apparaissent à Toivoniemi,
vallée du Kamasjokki, le 5 juillet.
I. Supaii. bie NiederHchlaijU'erhiUlnme lies Hunsixchei Reicht{Pekr-
mannH Mitlh., 188«).
i. KiliJiUtiD, toc. cil.
/
ÉTUDES DE GÉOGRAPHIE HISTORIQUE
SBR
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR
PTOLÉMÉE, HIOUEN'-THSANG, SONG-YOEN, MARCO-POLO
PAR
Le»' NICOLAS SETEKTKOWl
Ce n'est pas sans hésitation que j'aborde ce sujet déjà
traité par tant de savants illustres; mais ce qui me décide,
c'est qu'à défaut d'érudition, je suis en mesure d'éclaircir
les renseignements des anciens itinéraires, à l'aide des
données topograpbiques détaillées et précises, fournies par
1. La publication de cet important travail du D' Nicolas Sévertzow est
malheureusement posthume. Le savant voyageur et le doyen des explo-
rateurs du Turkestan est mort, dans la nuit du 9 au 10 février 1885, à
la suite d'un accident de voiture dans la rivière Ironetz, affluent du Don.
La couche de glace ayant cédé sous le poids de la voiture, N. Sévertzow
put être retiré vivant, mais il était mort gelé avant d'arriver au prochain
village (Lettre de M. Grigoriev à la Société de géographie de Paris,
24 février 1885). < Non seulement Sévertzow occupait une place distinguée
parmi les naturalistes, mais encore il était l'un des plus actifs, des plus
infatigables soldats de cette phalange de voyageurs russes qui ont tant
fait pour la géographie de l'Asie centrale. • (M. Milne-Edwards, prési-
dant la séance du 20 février 1885.)
Dès 1850 Sévertzow explore la contrée riveraine de l'Aral, puis la
«teppe kirghize ; vers 1864 la Société de géographie russe l'envoie dans
les pays transiliens.
En 1867, il entreprend l'étude du Thiàn-chàn du côté de l'Issyk-Koul
et du Naryn. En 187i, il fait partie, comme zoologue, de la mission
seientiflque qui explore le khanat de Khiva. Deux fois il visite le Pamir :
une première fois eu 1877, en même temps que M. Mouchkétoff; une
seconde fois l'année suivante, en compagnie de HM. Schwarz, direc-
SOC. DE CÉOGR. — 3* TRIMESTRE 1890. XI. — 27
418 LES ANCIKNS JTINÉIUIEIES A THAVEKS LE PAMIR.
les récentes explorations russes de la région du Pamir, y
compris les miennes.
Je ne crois pas ces éléments nouveaux inutiles pour la
leur Uc l'obiervalnire de THchkeiit, KouchakiéviLch, botanisto, Skassi et
Rouilrieiï, lofio^tmplioB, cL SkoroiakofT, "préparuleur.
Ces e\]ic<liliiiii>i, eiivuyi>e> pur le i^'énéi'al KiiulTinafin, gouverneur général
ilu TurkesUn, Curent îles plus t'ruclueuses. La pr&i[)iÈre (]ullle Tachkent
le 30 Bcplnnibi'c 1^77 <■[, pcir Kokanc eLfioullciia, alteiat l'Alailcâti octobre
;iprfes avoir Iravcrsu lu passe ilu tlimrt, litvx jours plus tard, elle campe
sur4o Puniir qu'elle abonle par Ut piiSEioïki Ki»il-a.rU Sans pousser au delà
de 1.1 VïllÙK du Kok-saï, elle rtituuruâ sur tes pus là 1"' novembre après
>Iuo Sévertza\\ eut rassemblé d'impurtantes cnllecliuns zoologiques,
SkasBi mesuré 15 pics et Sctiwarz recueilli, eutre autres, des observa-
tioni miigoétiques.
Le 17 juillet I8T8, après avoir exploré une partie du Fcrghanab et la
l'igiori pré-ftlaïeniie, Si'verlzow avec Koucbakiévilcli et lUmdrif!^ partent
pour l'Alnï qu'ils atleigticul le ^7 par la p»sse it'Arlrhat. Puis les
membres de l'expédition se sépareut en se domiaiLl rennci-vous géiiérnl
sur le Kara-Koul. Séverlatuw, de puu t.Mé, explore le Taou-raouroune et
la gorv;e d'IiUt-'i'litam. Le là aodt la inissiou est réunie au lieu du
rend<'z-vous et l« 16 elle remonte vers le sud la vallée de l'Ak-baïlal
septeatrioiial, traverse le roi de Toui'inksou et rcdesccud par l'Ak-baïtal
du Sud vcr« l'Ak-sou ou Mourguàb ^itiie des branches |ianiiricnncs de
l'Oxus). Après avoir exploré le Uan),'-Koul et la ré^iiou du petit Kara-
Koul, elle pa'^se le Mourguâb, remonte le Kara-a<pu et son affluent le
Nosjii-lach pour atlcindro, p;ir la paste du même nom, le Pamtr Alitchour.
Malheureusement les cinissaîrcs envoyés pour rapporter de» vivres sont
pillés en ruute par les Kirgliiies, ce qui force Séveriïow au rctO'Ur. II
revient sur le Kara-Koul et rentre le Sti septembre dans le Fergbaaali.
Les résultats obtenus sont considérables, la récolle d'bisloire naturelle
est importante : SO.tHK) exemplaires de planiesi rcpréseolnnt environ
1,000 espèces (y compris la région pré-pamiiiemie), CO espèces de
mammifères, 35U d'oiseaux et 2U de poi&soits, dont beaucoup sont nou-
velles. Les levers do Skassi sont allés se relier à ceux du capitaine
au(;lais Trotter de la luiDsioti Forsyth. L'orographie, l'Iiydrographie et la
géologie du l'émir sont assises sur de nonvellet bases et la conception du
Pamir, en tant que [ilateau, est complètement changée. Séverlsow intro-
duit la théorie du type orugrapliitjue double du Pamir, dont lo tyttètne
comprend, d'après lui, lus m0Qta|,rae» du Fert^banah (c'est-à-dire une
partie du Tbiàu-chàn) au nord, jusqu'il ia rivière Caboul et à l'Indus au
sud (c'csi-à-dire une partie de l'Ilindou-Kouch].
En deliors des notes insérées dans difîérents recueils scienlifiquei
(parmi ces noies nous citerons surtout les neinarquet tur la /aune
ilet verUbréi du Pamir, in ZapisJii, Tourliesl.-otdiela, 1, obch., etc..
I
I
I
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 419
-géographie historique. Ainsi je démontrerai que l'itinéraire
-des caravanes entre Bacires et la Sérique, donné par Pto-
lémée,élait impossible à déterminer avant l'exploration des
Taobkent, 1879, t. I), Sévertzow a publié en 1880 une carte du Pamir
d'après les travaux de M. Slossi et les siens (Karta Pamira i soprediel- '
nikh stran. — Ins. cartogr. de la section topogr. de l'état-major); mais
les résultats géo-physiques de ses explorations da Pamir ont été consi-
gnés in extento dans le travail auquel il fait allusion dans la présente
étode, travail également posthume, paru dans les Zapiski de la Soc. imp.
rosse de géographie, Saint-Pétersbourg, 1886. Cet ouvrage n'utilise pas
eaeora les résultats de Texpédition scientifique de MM. Poutiata, Ivanoif
et Benderskiy.
Sévertzpw, qui fut un savant explorateur, fut également un grand éru-
dit : la preuve en est dans les Éludes de géographie historique sur les
anciens itinéraires à travers le Pamir, qu'il a destinées au Bulletin de
-la Société de géographie de Paris et dont, ne faisant qu'œu\Te de correc-
teur d^mprimerie, nous avons tenu à respecter le style et l'enchaînement
des arguments.
L'identification des itinéraires des anciens voyageurs à travers le Pamir
a donné lieu déjà à do numbreusesctsavantcsdiscussions auxquelles ont
pris part entre autres, MM. Vivien de Saint-Martin, Abel K emusat, Klaproth,
Pauthier, Barthélémy Saint-Hilaire, le migor Ciinningham, Sir H. Itaw-
tlinson, etc. Le colonel Yule en a fait une étude assidue (Notes on
Hiouen-Thsangs account of the princip. of Tokharistan. — Essai on
-Me Geogr, of the upper Oxus. — Paper cormected with the upper Oxus.
— The book of Marco Polo. — L'introduction à la 2"* édition du voyage
de Wood aux sources de l'Oxus. — Cathaij and the way thither.)
M. Paquier (ie Pamir, 1876) a traité le sujet dans une savante mono-
graphie. — Des découvertes récemment faites ont augmenté nos
•eoBoaissances sur le Pamir et ravivé ces questions de géographie his-
torique. A citer les ouvrages de van den Ghein (le Plateau du Pamir
d'après les récentes explorations, Bruxelles, 1883); une monographie de
M. W. Ceiger (Ote Pamtr-Ce&tete, Wien, 1887); une étude de M. A. Tim-
niernian {De Ontwikkeling orner Kennis van het Pamir-Gebied, Leiden,
1889); enfin un article de Sir H. Rawlinson (r/te Dragon Lake of Pamir.
P. R. C. S., février 1887) dans lequel, d'après les données de M. Ney
Elias, lé lae des Dragons de Hiouen-Thsang est identifié avec le lac
Ran'g-Koul, sur la foi d'une légende ayant cours parmi les indigènes. On
trouvera dans les ouvrages cités une bibliographie plus complète que
celle que nous pouvons donner ici.
On ne saurait trop regretter que la carte et les figures dont ce
mémoire était accompagné se soient perdues, avant la gravure, entre
Paris et Saint-Pétersbourg.
Guillaume Capus.
420 LES ANCIENS ITINÉR-lIKES A TKAVERS LE PAMIR.
vallées de Hissar et du Karaté^;hinc, faite par MM. Mayew
et Ochanine, en 1875 et 1878; de m<^me les ilinéraires de
Hiouen-Thsang et de Marco Polo sont restés incompris
par les plus savants conimentatRurs, pane que la plupart
des grandes vallées du Pamir central étaient inconnues
avant mon exploration de 1878, pendant laquelle je lisais
assidûment, sur le Pamir m&me, les éludes à son sujet de
Ritter, du colonel Yule, et de M. Paquier. C'està l'excellent
livre* de ce dernier que je rattache mon étude actuelle,
remerciant ainsi] l'auteur (quoique bien tard) de m'avoir
envoyé son ouvrage au moment où j'entreprenais mon
exploration.
I. — Anciense route commerciale de Bactres a Sera
Metkopoi.is, n'APRÈS Ptolêmêe.
Outre les renseignements de Ptolémée, empruntés
comme on sait, à Marin de Tyr, qui les tenait d'un marchand
macédonien, Maos Titianus, M. Paquier a recueilli sur cette
route les lémoignagtîs de Pline, Slrabon et Ammien Mar-
ccllin', tous très brefs et très vagues, et qu'on peut résumer
comme suit.
Cette route passe à travers la Sogdiarie et s'engage entre les
montagnes parla \'aUisCoinedarum (l'2Eî"i.V à l'est, d'après
Marin de Tyr, comme les positions géographiques suivantes).
Remontant cette vallée, on arrive, par le pays des Saces, à
un lieu nommé la Tour dit pierre' (135" longitude est,
13° 5' latitude nord); passé cette tour, la roule franchit les
monts Imaiis, à l'est desquels elle traverse une Station de
marchands {Statio Mercatorum), pour arriver, par la plaine
I. Paiiiiier, Le Pamir, Étudo de géogrnphit phijiiqvie et hiitorique
sur rAsie centrale, Paris, 1876, in-8, pages l'J et 2Î-23.
i. Ibid.
3. X(9ivo; mpyo;, Tarris lapidea.
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TAVERS LE PAMIR. 421
déserle de la Scythie,à Sera Metropolis (125* 40' longitude
est).
Ainsi décrite, la route en question serait facile à détermi-
nersi les positions géographiques ci -dessus étaient exactes ;
mais, malheureusement, elles ne le sont pas. La latitude de
43*5' donnée à la Tour de pierre est à peu près celle d'Aou-
lié-Âta, dans les steppes au pied du versant nord du Thian-
Schan occidental ; plus à l'est nous trouvons, sous cette lati-
tude, les chaînes parallèles du système des, Thian-Schan,
mais rien qui puisse correspondre à n'importe quelle route
traversant l'Imaiis, lequel est bien évidemment l'ensemble
des montagnes neigeuses situées entre les plaines de l'Oxus
et celles du Tarim, c'est-à-dire le massif du Pamir.
Reste l'indication des localités, mais elle est bien vague ;
évidemment, une fois les positions géographiques de Marin
de Tyr et de Ptolémée reconnues fausses, leur Tour de
pierre et leur Station des marchands ne peuvent être
identifiées autrement que par la détermination de la Vallis
Comedarumj mais cette vallée a changé bien des fois de
place sur la carte, selon les commentateurs.
Pour Humboldt, la Vallis Comedarum n'est autre que
la vallée du Ferghàna, dans laquelle se termine le cours su-
périeur du Syr-Darya oulaxarte; il place la Turris lapidea
sur le rocher de Takht-i-Souleyman, à Osch, où la route
commerciale actuelle de Boukhara et Khokand à Kaschgar
s'engage dans les montagnes qui séparent le Ferghàna
du Turkestan chinois, pour traverser, par le col du Terek-
davahn, une chaîne méridienne qui correspond réellement
à la partie nord de l'ancien Imaus. Alors la Statio Merca-
torum serait quelque part près de Kaschgar, sinon à
Kaschgar même, dont la fondation, qui parait un peu posté-
rieure au temps de Ptolémée, a bien pu être précédée et
même motivée par cette station permanente de marchands.
Il y a des raisons assez plausibles pour cette identifi-
cation de la vallée des Comèdes avec celle de Ferghàna. Les
422 LES ANCIENS ITENÉRAIIŒS A TItAVERS LE PAMIR.
Comédie, d'après Pline', étaient des Saces, et Plolémée'
borne le pays des Saces h l'ouest pîir la Sogdiane, au nord
et à l'estparlaScythie,mi midi parrimaiis; dans ce passage,
le nom d'Imaiiss'applîqueévidcmmentnon pasjliine chaîne
méridienne (nord-sud) quelconque, mais bien h l'ensemble
entier du système de montagnes du Pamir, formant juste la
limite méridionale du Ferghâna qui serait ainsi à l'extrême
sud do pays des Saces. De plus, la seule grande route com-
merciale actuelle qui relie le Turkestan occidental, Boukliara
et Khoksnd avec la Chine passe par la vallée du Ferghâna et
la ville d'Oscb; or les roules commerciales des caravanes
ne changent généralement pas en Asie centrale; depuis
l'antiquité la plus reculée, elles y ont été déterminées par la
nature invariable des localités. Enlin les annales chinoises,
citées par Ritter, mentionnent cette route de Ferghâna
comme celle du commerce de la CSiine avec l'occident, dés
le temps de la première dynastie dos Han, vers la fin du
second siècle avant J.-C. Néanmoins le général Cunningham
el le colonel Tule, cités par M. Paquier qui se range à leur
avis, pensent que la VdUis Coiuedamm n'est pas le Fer-
ghâna, arrosé par le laxarte, mais bien une grande vallée
du système (luvial de l'Oxus, car telle est la position du Kiou-
mi-tho de Hiouen-Thsang, qu'ils identifient avec la Vattis
Comedannii.
L'identité du pays des Comedtr avec le Kiou-mi-tho, que
Hionen-Thsang décrit comme un district montagneux placé
h l'est du Tokbaristan, est évidente; M. Cunningham l'a
prouvé. La description géographique que les Chinois don-
nent de la région enlève toute espèce de doute à cet égard.
Située à. l'est du Khotl, elle est entourée par les monts
Tsoung-ling ou montagnes du Pamir; elle a l'Oxus au sud-
ouest et le Chighnan au sud^.
\-i. Cit(5» par M. Pinjuier, le Pamir, p. l'J.
'd. Paquier, le Pamir, p, 555.
LES ANCIENS ITINÉRAIRES K T|[IAVERS LE PAMIR. 423
M. Paqaier, immédiatement après cette citation, dit :
«C'est l'État actuel duRoshan qui serait ainsi la VallisCo
meiarum » ; mais cette interprétation me parait complète-
ment inadmissible, la vallée de Roshan, qui est celle de
l'Âksou inférieur, étant tout à fait impraticable pour les
caravanes ^ Cette vallée se compose de parties élargies, habi-
tées et cultivées, mais séparées entre elles par des gorges
étroites dans quelques-unes desquelles l'Aksou se fraye avec
peine un passage au milieu de rochers infranchissables.
Âossi les parties cultivées communiquent-elles les unes avec
les autres, soit principalement, soit uniquement par des
routes de montagnes qui tournent ces gorges, en passant
par le Gbighnan dont, pour celte raison, le Roshan a tou<
joors été une dépendance naturelle. De plus l'Oxus ne coule
pas au sud-ouest du Roshan, qu'on entende par Oxus seu-
lement les cours réunis de l'Aksou et du Piandj, ou qu'on
étende le nom d'Oxus aussi au dernier de ces fleuves.
L'Oxus coule bien au sud-ouest du Derwaz, mais ce
n'est pas non plus dans ce dernier pays qu'on peut cher-
cher la ValHs Comedarum, aucune route vers la Sérique
(Chine) ne pouvant passer par les vallées des affluents de
rOxus qui coulent à travers le Derwaz. Toutes ces vallées
dn Derwaz sont des impasses, fermées vers l'orient par des
Montagnes infranchissables.
En général, dans le système fluvial de l'Oxus au nord du
Chigbnan, il n'y a qu'une seule route possible de Bactres en
Sérique : c'est celle qui passe par le Karatéghine ; ce pays,
situé entre le Derwaz et le Ferghâna, est traversé par un
pand affluent de l'Oxus, le Sourkhab ou Wakhsh; il a
l'Oxus au sud-ouest et se trouve, par conséquent, juste
1. Plus loin, au reste, M. Paquier (loc. cit., p. 2t5, et carte no 1) trace
*•"« route par le Chighnan et Tash-kourghane ; mais alors la Vallis
ûwMdon»»», identifiée avec celle du fleuve Soutschan dans le Chighnan,
n'est plus le Kiou-mi-tho de Hiouen-Thsang, au nord et en dehors de
**piys; nous y reviendrons encore plus loin.
42i- LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TUAVEHS 1,E PAMIR.
dans Ja posilion géographique assignée par MM. Gunnin-
gfaam el Yule au Kiou-rai-lho de Hiouen-Thsang. De plus,
encore an x* siècle après J.-C, trois cenls ans après le
célèbre voyageur chinois, le Karuléghine est indiqué d'une
manière parfaileraent recontiaissable par le géographe arabe
Ibn-Dascht, sous le nom de Khoumid, dont le nom de
Coniedtp csl bien cvidcmaieiit une simple latiiiisalion.
Je reviendr;ii bientôt h ce témoignage d'Ibn-Das^chl, mais
d'atord il faut indiquer la topographie si peu connue du
Karaléghine ou du moins de sa vallée principale. Celle-ci
fait partie de toule une série de vall(5es, el commeiit^-ant au
nord-osl, près de Kaschgar, elle aboutit au sud-ouest à
rOxus, tout près de Bolkh, l'aiicieniie BacLrcs; cile offre
donc, de Baclres à Sera Metropolis, une route toute frayée
par la nature, et si facile mO'me, que l'élablissement d'un
chemin de fer n'y exigerait qu'un petit nombre de tunnels,
de dimensions assez ordinaires en France et en Allemagne;
aucune ne comporterait les proportions de ceux du mont
Cenis ou du Sainl-Golhard.
Parlant de Ka'chgar (1 ,'200 mètres), la route remonte,
versl'ouest-sud-ouest, le fleuve de celle ville (le Kaschgar-
Darya qui appartient au système lluvial du Tarim) jusqu'au
col de Taou-Mouroune (3,iOO mètres), sur la ligne de faîle
qui sépare ks syslèmes fluviaux de l'Oxus et du Tarjm
(Oschardes) et qui est l'ancien Imsiîjs, sensu stricto. Celle
montée de 2,200 mètres, répartie sur une étendue de
250 kilomètres, est presque insensible vers le sommet du
col, un des plus bas de l'ancien Iinaiis qui, immédiaLe-
menl au sud, se relève jusqu'à 6,200 mètres dans le massif
de Gouruumdy, pour se perdre ensuite parmi les nombreux
soulèvements du Pamir central.
La descente du Taou-mouroune vers l'Alaï est aussi facile
que la montée; ensuile l'Alaï est une plaine unie entre deux
chaînes de monlagucs neigeuses, arrosées par le Kysil-sou
ou Sûurkhab supérieur. Le long de celle rivière el sur une
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 425
étendue de 125 kilomètres, la route descend ioscnsiblement
de l'allilude de 3,000 mètres au pied du Taou-Mouroune,
à environ 2,400 mètres à la limite est du Karatéghine, où
l'Âlaï se termine par une gorge étroite encaissant le Sour-
kbab; la route qui suit le fleuve le long de cette gorge n'est,
du reste, nullement difûcile.
La vallée du Karatéghine, qui continue celle de l'Alaï sur
une étendue de 220 kilomètres, est généralement cultivée,
assez large et unie; de loin en loin seulement, elle est
resserrée par quelques contreforts avancés de ces chaînes
de montagnes latérales, contreforts d'ailleurs tous plus ou
moins faciles à franchir pour les bêtes de somme des cara-
vanes, au lieu d'être inabordables comme ceux qui inter-
rompent la vallée du Roshan.
A 600 kilomètres ouest-sud-ouest de Kaschgar et à
330 kilomètres du Taou-Mouroune, le Sourkhab tourne au
sud, pour aller se précipiter dans une gorge latérale, fente
transversale de la haute chaîne de montagnes qui borde au
sud la vallée principale du Karatéghine ; mais cette vallée
(tontiaue sans interruption, et toujours assez large (0 à
10 kilomètres), dans la même direction ouest-sud-ouesl ;
elle remonte par une penle insensible la rivière Ob-Gharin,
iffluent du Sourkhab, et descend par une pente également
insensible le long de la rivière Fayzabad-Darya, affluent du
Kafirnigban qui se jette lui-même dans l'Oxus. Ces deux
pentes opposées de la même vallée sont séparées par la
plaine parfaitement horizontale de Dasht-i-bidana qui,
située, comme toute la vallée, entre deux chaînes de mou-
lues parallèles, est traversée à angle presque droit, nord-
SQd, par la ligne de partage des eaux dn Sourkhab et du
ïaflrnighan.
Elevée d'environ 1 ,500 mètres au Dasht-i-bidana, la grande
wllée que nous suivons descend à 1,000 mètres à Fayzabad,
et à environ 700 mètres à Hissar, sur le Kafirnighan. De là,
elle remonte encore à environ 900 mètres entre le Kaûrnighan
lâli LES ANCIENS ITINÉRAIHES A TRAVERS LE PAMin.
et leSoiirkhan, autre grand affluent de l'Oxus, le longduqu<
elle tourne droit au sud et descend vers l'Oxus conservan
d'abord la mf^me largeur de 12 à 15 kilomètres et s'élargis
sant ensuite jusqu'à plus de 30 kilomMres. La dislance di
Dashl-i-bidana au Kafirnighan est de 100 kilomètres. De I<
au Sourklian la dislance est de 3"i kilomètres; on compt
170 kilomèlres le long de ce dernier fleuve jusqu'à soi
embouchure dans l'Oxus qui termine celte longue vallé<
ou série ininterrompue rie vallées, dans laquelle le Sout
khan entre à une hauteur de 700 mf'li'es, pour tomber dan
l'Oxus, à une hauteur de ^50 mC'tres. Les parties inférieure
de la grande vallée présentent beaucoup de localités niaré
cageuses, dont la plupart sont ulilisi^es pour la culture di
riz, excepté vers l'embouchure du Sourkhan. La longueui
totale de celte série de vallées, de Kaschgar à l'Oxus, est di
Ù30 kilomètres.
L'itperçu topo^raphique que je viens de donner suTAt
déjà pour montrer que la roule la plus facile, donc la plus
naturelle, de Bactres en Sérique, a dû de tout temps pas-*
ser parles localités de llissar, du Karaléghinc, de l'Alaï et
de Kaschgar; c'est donc là que passait aussi la roule indi»-
quée par Ptoléraée, la Vallis Comednrum, le Kiou-mi-lho da
Hiouen-Thsang étant le Karatéghine. Mais, outre les donnée»
lopographiques, d'anciens témoignages très positifs viennent
aussi à l'appui de mon interprétation.
D'abord, celui d'Ammien Marcelîin postérieur d'environ
un siècle à Piolémée, mais de près de trois siècles antérieur
à Hiouen-Thsang; cet auteur est cité, mais très incomplè-
tement compris par M. Paquier, qui, en 1877, ne pouvait
évidemment pas profiter des renseignements géographiques
sur le Karatéghine fournis seulement l'année suivante, par
M. Ochanine et par te relevé lopographique de M. Ilodionow,
son compagnon de voyage dans ce pays.
Voici ce que dit Ammicn Marcellin :
« Immédiatemeal après les fiactriens sont les Saces, na-
[LES ANCIKHS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 427
tioofaroacbe qui habite des lieux marécageux, propres
leulement à l'élève du bétail. Le canton est dominé par les
monts Ascanimium et Comedus. Au pied de ces montagnes
est uo lieu nommé XtOtvo; ittpyot {Turris lapidea, Tour de
pierre) où l'ontrouveun chemin fréquenté parles marchands,
qui, après un long voyage, se rendent chez les Sères. >
M. Paquier remarque à ce sujet que « ce n'est que
l'itinéraire de Marin de Tjr et de Ptoiémée, sauf une erreur
qu'on ne peut comprendre : Âmmien place en effet la Tour
depierre avant le pays des Saces proprement dit, au lieu de
la rapporter à l'extrémité orientale, au pied de l'Imaiis,
qu'il ne nommejpas ».
Pour ma part, je ne vois pas cette erreur. Dans le passage
Blême traduit par M. Paquier, Ammien dit seulement que
cette tour est au pied des deux monts Ascanimium et Co-
medus, indication vague qu'on peut rapporter à tel point
qa'on voudra de la position. Nous reviendrons encore à
cette Tour de pierre; pour le moment, notons seulement
l'indication que donne cette tour, d'après Ammien, sur la
PMition de la route commerciale en Sérique : entre les
monts Ascanimium et Comedus, dans le pays des Saces, li-
9itrophe à la Bactriane.
L'étendue du pays des Saces n'est pas non plus indiquée
pir Anamien, mais au moins la partie occidentale de ce pays
«st bien certainement la province actuelle de Hissar, avec
Jcs rivières Sourkhan et Kafirnighan, cette province étant à
la fois : 1" limitrophe de l'ancienne Bactriane, dont elle est
séparée par l'Oxus; 2» jusqu'à présent abondante en maré-
''ages, très propre (quoique pas exclusivement) à l'élève
^1 bétail, et habitée par de nombreux nomades; 3° domi-
"^ par deux grands massifs de montagnes, séparés par la
**rie de vallées indiquée ci-dessus.
Ainsi nous voyons que, d'après Ammien :
l'La route de Bactres en Sérique passait par le pays ac-
tuel de Hissar ;
428 LES ANCIKNS ITINÉRAIRES A TRAVKRS LK PAMIR.
2" Cette route passait près la Tour de pierre, quelque
part dans [a série dfts vallées de Hissar, Fayzabad, Karaté-
yhine, Alaï, etc.;
3 DoRc, une vallée quelconque de cette série, oîais de i
cette série seulement, était la Valiis Comedarum.
Mais laquelle?
C'est ce que rohs dira le «géographe arabe Ibn-Daîchl,
dont les renseiguemeHls sur les provinces de Hissar et rie
Kouliab ont été commentés et vérifiés sur les lieux par
M, Mayew, d'après lequel je citerai ici les extraits nécessaires
d'Ibn-Daschl qui inentionne un pays des Kbomed, évideui-
meul les Comedœ des anciens, les Kiou-mi-tho de Hiouen-
Thsang,
Voici ce que dit le mémoire deM.Mayew ', d'après Ibn-
Dasclil, sur la position decepaysde Khoumid, relativement
à la province de Kouliab :
(( Le Djeilioun re(,'oil beaucoup rie livifcres, dont une
grande, nommée \Vakhii<'ha(i,f.\m coule d'un pays situé au-
dessus de celui des Turcs Kharloukhs'; ensuite duns le
pays de Faniir (oti Qamir'), ensuite dans celui de Hast (ou
Rasb), ensuite dans le pays de Khumed, passé lequel ce fleuve
(le Wakhsch) coule entre les montagnes qui séparent du
pays de Wasclidsehird un district du pays de Khottel,
nommé Tenlial. Etans cette localité, c'est-à-dire là uù le
Wakhscti coule entre les nionljignes, se trouve un pont
nommé le Pont de pierre'. Par en pont liasse la route du
i. Bulletin de iti Soc. Impér. géoyr. rvsse, 1879, n» ), «cet. Il, p. Il,
d'aiirèj li?s exlrails it'Ibii-Daachl (x" siècle) U-aduits par Rawlinson (Journ.
oflht' ftotj. Geogr. Soc., v..l. XLII, p. 119).
a. Kli.irinukti, pays do neige, du mot lurc khàr, neige. Ces Kliarloitlchs
sont lus Krtra-Kirfthiz ;icliiel», au sml-csl du Ffrgliàna.
3. Le manuscrit arabe du liriiisii Afiineum, à'oh Rcuvlinson a extrait
cns notic<>s géograpliii|ui!s (l'jbii-Dasrhl, p^MÎt contenir un Sïscx grand
nombre de k'ilres iudétlHlTraliJcs (mal ûcriles ou à ilemi effncéns), dont
la priinoncialion reste incertaine : ainsi d.ins les noms de Famir, /îa«/, elo.
i, <> puni i.'t cutto roule existent encore, et le pont se nuuiuie loi
LES ANCIENS ITINÉIIAIRES A TRAVKRS l,E PAMIB. 429
W'aschdschird au Kholtel, celui-ci à droite, celui-là à gauche
dti fleuve qui coule ensuite plus loin, jusqu'aux dernières
Iinii(es (sud) du pays de Kholtel, et tombe dans le Djeihoun
prés du bourg de Mile, aLi-de«sus de la ville de Teniied,
Le nom delà Vallis Comedarum de Plolémée se retrouve
sans altération huit siëctes plus tard, dans le pays de Kho-
oned, d'Ibn-Dascht qui dit que ce pays (donc la Vallis Co-
medarnm) se trouve sur le fleuve Wakhsch et pas ailleurs^
V.e géographe arabe confirme et complète ainsi l'indication
paiisablemenL vague d'Auimicn Marcellin sur la route de
Bjcires en Sérique. Les noms des piiys arrosés par le
^Vakbsch ont maintenant changé, mais celui du (leuve est
resté, au moins pour la partie inférieure de son cours, dont
i partie moyenne se nomme actuellement Sourkhab, et la
irlie supérieure, Kysil-sou'. La localité du l'oul de pierre,
Dmervéo jusqu'à présent, se retrouve sur ce fleuve avec la
"jilas parfaite certitude-, ce qui fait que tous les pays nommés
par Ibu-Dascht, au-dessus et au-dessous du pont, se retrou-
venl aussi, d'après leurs positions relalives indiquées par
• géographe arabe.
^D'après M. Mayew {foc. cit., p. Iii-i3), le Pamir d'ibn-
cht, traversé par le Wakhsch, est le haut plateau nommé
pluellement Alaïj celte interprétation me paraît en effet la
nie possible. (Juant aux pays de Rasl et de Khomed,
^ew suppose que l'un des deux doit ôtre le Karaté-
isliine actuel^ qui, en réalité, correspond à tous les deux,
i«WsPonl de pierru, Tii.tcli-kepii en lurt, Poul-i-sfiujiit mi LnJjik((Jin-
Itetf persan).
^' Surkli-/iti en ladjik, Kijsil-sou en Ixtrc, ont Iti même si^'nidcalion :
•■ La mule pur le i'ont de pierre, ïniili([Ln;p par Ibii-Dastlii, esl cer-
'iiiieniimt Idi-ntiijue avec la route actiielli-, celti'^ dernière étant la seule
•"'Mible à travers la gnrge iiii|nalicabl;c où ge trouve eu pont.
il' Commentant Ibu-Uast-hl en automne 1878, encore pendant l'expé-
•"'ioii (le MM. Ochaiiino cL tiodiunow au Karatéghine. M. Majew ne pou-
••it pu encore c<>nn»tlri; la tapographie de ce pays, que celte expédition
lui Is première à détunniner.
4.30 LES ANCIENS ITINÉRAHIES A TUAVEHS LE PAMIR.
comprenante/ le Khomed et la plus grande partie du Rast '
du géographe arabe. Celui-ci indique la position du Kho-
med avec une extrême précision : sur le Wakhsch, immé-
diatement au-dessus de la gorge dans laquelle est bâti lo
Ponl de pierre; or celle gorge commence près du fort
d'Obi-Gharm, sur les conllns sud-ouest de Karatéghine, a
dans lequel le Khomed d'Ibn-Ilasohl correspond à la vallée •
dti Sourkhab ou Wakhsch moyen, mais [las sur toute l'éten-
due de cette dernière. Enetfet, le Karatéghine actuel s'étend
le long du Soufkh.'ib, depuis Obi-Gharm jusqu'au plateau
d'Alaï ou Famir d'Ibu-Dascht tandis que, d'après ce géo-
graphe, le Khomed est séparé du Famir par le pays de Rast,
également arrosé par le Wakhsch, dont le cours, dans cet
ancien pays de Uast, appartient donc aussi au Karatéghine
actuel, formant sa partie orientale ou supérieure. Les ren-
seignements donnés par Ibn-Dascht sur son pays de Hastdé-fl
terminent aussi la frontière nord du Khomed : il dit que la
rivière Ramid (actuellement Raoumit-DaryaquKatirnighan), '
a ses sources aussi dans le pays de Rast. Or ces sources se ■
trouvent au nord et au nord-ouest d'Ohi-rîharra, limite oc-
cidentale du Khomed. Donc le pays de Rast, à la fois sépa-
rant le Khomed de TAlaï et s'étendanl aussi au nord-ouest du
Khomed, devait longer toute la frontière nord de ce dernier,
ainsi strictement limité à une partie de ta vallée de Wakhsch
4
1. M. Mayew r«fut(j ici avec raison l'upinion de M. Fcdtôdiciiko (Noies
sur l'essai ilii colonel Yuif, Geographical Magaiine, 187-i), d'après
Uquelle en piiys du Ita^l est le Koscliuii; cetlc inlerpi'ûtalioti étant ex-
pressément (lûmcnlie par la |>osiUiin qu'lliii-DusalU assi^iK; au Riist rela-
livemei^t à deuu: lleiives, le. Warkhscti el le Itutiiid. Ominaissant cela,
d'itilleurs, M. Ferftschenku liii-iii(?me a clieri'hc à se tirer (î'ftff.itrc en sup-
posant, très grtituHfmeHl, ou l)ieu qu'Ibu-Oiistlit »'est Uompé sur la posi-
tion qu'il assigne au Rast, ou bien que Kawlinson a nuil ilécliiflrc, dans le
texte arubu, losnomsdf: Riat et dâ Kbomod ; ces supposiliniis soat inail-
misiibks maintenant, l'exaclilud» d'Ibii-Daschl étant vérilién et confii-
inéo quant nu Wakhsch et à ses pays riverains, par les explorations
récentes.
i
LÇS ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAUIR. 431
(Sourkhab), sans s'étendre au delà des montagnes qui bor-
dent cette vallée.
Ainsi limité, le Khomed d'Ibn-Dascht correspond bien
exactement à la Yallis Comedarum des anciens, Ptolémée
Pline, etc.^ Cette identification incontestable de la Vallis
Comedarum k\tL vallée de Sourkhab, dans le Karatéghine,
détermine aussi la direction probable de toute l'ancienne
route bactrosérique, comme traversant le massif du Pamir
pair la série ci-dessus décrite des vallées du Sourkhan, de
Hissar, du Karatéghine, de l'Alaï et du Kaschgar-Darya, jus-
qu'à Kaschgar; de là vraisemblablement jusqu'au pied du
X'ïiiaasclian vers l'emplacement de la ville actuelle de Hami,
et, à travers la. partie la plus étroite de Gobi, vers Sera
JS^stropolis*, l'ancienne capitale de la dynastie de Han, qui
s^ trouvait au nord-ouest de la Chine, dans la province
&<:tuelle de Schensi^.
Les annales chinoises mentionnent aussi d'autres anciennes
routes, maintenant presque abandonnées, qui, passant au
sud du lac Lop, allaient par Kéria et Kholan à Yarkend, de
lÀ,àtraverslePamir méridional, au Badakhschan et à Balkh
(l'ancienne Bactres) ; mais ces routes du Pamir méridional
paraissent avoir été inconnues des auteurs classiques,
quoiqu'on ait cherché sur l'une d'elles (du Schighnan à Yar-
' i. Les pays des Kharlouks, du Famir, de Rast (ou Rasb) et de Komc<l
ùnsi déterminés, restent encore, dans le passage cité d'Ibn-Dascht, le
Kottel, leTemliat et le Waschdschird, pour lesquels j'admets sans réserve
*•• déterminations de M. Mayew, qui prouve (loc. cit.) : 1° que le Khot-
id correspond aux districts actuels de Fayzabad, de Kourgani-tubé et de
"obadian, dans la province de Hissar ; 2° que le Temliat est le district
<h Fayzabad; 3° que le Waschdschird est la province actuelle de Kouliab.
'omets ici les preuves de M. Mayew, qui feraient une trop longue di-
(tMiOQ.
2> C'est la détermination la plus probable de ritinéraire de Ptolémée;
""iii Don la seule possible, comme nous le verrous plus tard.
' 3- C'est vraisemblablement la capitale actuelle de la province de Schensi,
Sio-gan-fou, la Ken-chan-fou de Marco Polo (Yule, le Livre de Marco
^«lo, 2- éd., Il, p. 21, note 29).
iSi LES ANCIENS JTISÉRAIRES A TnAVERS LE PAMIR.
kend par le Pamir Alitschour et Tasch-Kourgane) l'iliné-
raire de Plolémée', ce qui est réfuté par la détermination
ci-dessus de la Vtillis Comednrum. Mais aussi cette vallée
est la seule partie de son ilinéiiiire qui puisse fitre déter-
minée aveccertitude,grâceauxrenseig;nementsd'lbn-Dascht.
Les deux autres localités menliontiées par Ptoléraée, Turris
lapidm et Statio wffrrrtforuw, sont encore problématiques
leur détermination probable dépend de la direction qu'on
adoptera pour la route entre la Vatlis Comedarum et la
Sérique, au lieu de fixer celle direction.
Sir Henry Rawlinson est tout disposé à croire que la
Turris liipidea occupait l'emplacement actuel de Tasch-
Kourgane dans le Sar-i-Kol- et dit de plus : « J'examinerai
plus tard s'il n'y a pas, dans l'antiquité, une route plus di-
recte, conduisant de Sam;ircande au haut de la vallée du
Zarflfsclian, jusqu'à la source de ce fleuve, et qui, croisant
le Pamir par le lac Kara-koul, conduit dans la plaine de
Kaschgarie. Plusieurs écrits orientaux indiquent une telle
voie'. »
Samarcande n'est plus en relation directe avec Yarkend,
par Tasch-Kourgane, mais la route indiquée par Rawlinson
existe encore et continue à &tre fréquentée dans toutes ses
parties.
Remontant en elfel le Zarafschan, celte roule tourne au
sud près de sa source, friincbit le col de Pakscliil* (assez
dil'licile, mais praticable pour les bêles de .somme) et des-
cend dans le Karatéghine juste dans la partie correspondant
î\ l'ancienne vallée des Comèdes. Ensuite cette roule va le
1. Paquier, le Pamir, |>. 26.
'î. Rawlinson, /ourn. »/■ the Roy. Geogr. Soc, 1872.
3. Rawlinson, Afonojr. o/ the Orus (Joiirn. of the Lond. Geogr. Sot-,
1872); ces <leiix passagKs citéa par .M. l'a^uier, le Pamir, p. 25-26.
i. C'est le cul le plu» fréiiiienté. Il e«t situé à environ 60 kilomètres
de la source du Zararschno, qu'une autre route au Karatéghine, plus di(-
ikilc, par le col de Varhitscb, quitte à un kilomètre seulement du glacier
dont il découle.
ANCIENS ITlWÉffAlHES A TRAVERS LE PAMin. 433
du Sourkbab dans l'Alaï, où elle se bifurque; de la
roule directe à Kaschgarpar le Taou-Mouroune, se délache
à droite, au sud-est, une roule qui franchit les monts Trans-
Alalpar ta profonde dépression du col très facile de Kysil-
ait Longeant ensuite le lac Grand Kara-koul, les rivières
jBchon-sou et Ak-bailal et les deux lacs Rang-koul, cette
foule, par la vallée deTagharma, abouti! à Tasch-Kourgane'
el de là à Yarkend. Entre le Kjsil-arl et Tasch-Kourgane,
«llea détaché encore plusieurs routes à gauche, descendant
ules dans les plaines de Kaschgarie, par les gorges des
nontagnes (l'iniaûs de Plolémée) qui séparent ces plaines
Jes hautes vallées du Pamir central. Avec celle raullipli-
litéde routes conduisant de l'iincienne vallée des Coraèdes
'"Saos les plaines de la Kaschgarie, une détermination à peu
fès certaine de la Turris lapidea et de la Statio Mercato-
Km devient embarrassante, mais non impossible. D'abord,
int à la longHude de ces deux localités, il est évident,
ï'ap'ès le texte de Plolémée, que la Turris lapidea devait
se trouver sur l'une de ces roules (provisoirement, n'im-
ûrte laquelle), à retttrée de cette roule dans les gorges de
Pmaiis-, et la Sîutio Mercatorum au débouché de cette
Dême route dans les plaines de Kaschgarie. Ensuite, pour
iCboix de la route nous avons le texte formel de PLolémée
B'ii dil que la Vallis CûUifdarum, ta Turris lapidea, et ta
îtafio Mercatorum sont toutes iroia sous la mt^rae latitude,
celle de Uyzance (AS" nord). Nous savons bien que la lati-
ttde de la Vallis Cotnedarum (Karatéghine, vers 39° nord)
['V J'ai siiiri nioi-même, jusqu'aux lacs Rang-koul inctustvemcnl, cette
"te (le l'Alaï 4 Tascli-Kourgane, et des Kirghiz du Pamir m'ont doQiié
I reuseigneuienls sur le retic île son parcours.
La position à l'eiilrtiu d'une gorgo est la plus naturelle pour wtie
", fusant oflice J'uii poslr! forlilîé sur cette roule de commerce. Âinti
l'tW, celte tour pouvait à U fois servir pour prélever ua trihiit sur les
*r»v&nei marchandeâ, qui ne pouvaient l'éviter, et aussi pour protéger
csravanus dans une localité parliculicremoat favorable aux enibus-
Mcs des pillards.
sot. 1>E liÉOGK. — 3' THIMESTRE 1890. XI. — 28
434 LES ANCIENS ITlNÉIlAinES A TRAVEHS LE PAHIR.
est fort au sud du parallèle de Byzance, mais ce n'est pas
une raison pour déplacer la Turris iapidea et la Statio Mer-
catofum de la latitude approximative de la Vallis Come-
dartm qui est également celle del'Alaï et deKaschgar. Mais,
d'autre part, il y a aussi des roules au sud de Kysil-art qui
rangeât de près ce 39° nord.
La latitude de Gharme, ville principale du Karaléghine
(dans la Vallis Comedarum) est '39'"-2' ; celle de KascUgar en-
viron SQ^SS'; la route entre ces deux localités monte jus-
qu'à SQ'iû', dans l'Alaï. La latitude moyenne du lac Karakoul
est 39°5'-, du Kysil-art, 39020', de Tasch-Koiirgane 37°45',
cette dernière localité n'est donc pas celle de Turris Iapidea.
Enfin, pour la détermination de cette tour, nous avons
encore îe témoignage (déjà <'ité) d'Aramien Marcellin, qui
la plaça quelque part entre les monts Ascanimiura et Co-
niedus, c'est-à-dire, comme noiis l'avons vu, dans lasérie des
vallées Hissar, Karatéghine, Alaï, KaschgarDarya ; tandis que
d'après Plolémée, elle ne se trouvait pas immédiatement
au débouché oriental de la Vallis Comedarum^ mais à une
certaine distance au delà, près de rimaûs.
Donc, iiidépeiidammeul de ses inexactes positions astro-
nomiques, Plolémée nous donne une ligne à peu prés nord-
sud, quoique irrégulière : la ligne des débouchés occidmlaux
des gorges de l'Imaiis, et Ammicn une ligne également irré-
gulière, mais à peu près d'occident en orient et ne sortant
pa!& de la série des vallées ci-dessus. Le point d'intersection
de ces deux lignes est l'emplacement de la Tunis Iapidea,
et ce point est la gonje d'Itkestam, extrémité orientale de
la large vallée de l'Alaï'.
1 D'a[>ri!-s mes explorations et ruesures barométriiiues (l'altitude, c'est
cette gorpe, et non le col de Tiiuu-mouroiine, qui termine l'Alaï, dont
celui-ci est un« partie iolégrante. Quoique li|çnc <le laltu et de paitat^e
des eaux, le Taou-muuroune ne lonne dans la vallée qu'un rondeinent
Iransverse à peine sensible. Cus tallées à double pente divergente, entre
deux maisits de montagnes, sont communes dans le système du Pamir,
et se iclrouvent aussi dans ceux du Thiaa-scliau cl du Tibet.
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PABfIR. 435
Je n'ai pas va à Irkestam de ruines antiques * : mais les
pierres de la Turris /t/ptd^a pouvaient bien être de gros ga-
lets cimentés d'arç;ile, matériaux qui ne donnent pas de con-
struction durable, et qui ont servi à Irkestam, dans le siècle
présent, pour un poste fortifié alternativement occupé par
des troupes du Khokand et de Kaschgar, et maintenant
abandonné. Qui sait si ces mêmes galets, de roches très ré-
sistantes (granité et pétrosilex schisteux) ne servaient pas
dans cette gorge, dès avant Ptolémée, à des constructions
pareilles, incessamment rebâties de diverses manières et
presque sans frais, à mesure qu'elles tombaient en ruines.
La vallée des Comèdes et la Tour de pierre ainsi déter-
minées, le troisième point de repère de notre itinéraire, la
Stalio Mèrcatorum, se place tout naturellement près de
Kaschgar, sinon sur l'emplacement même de celte ville,
dont cette ancienne station de marchands fut peut-être l'o-
rigine.
Entre la Statio Mèrcatorum et Sera Metropolis, l'itinéraire
deMaës Titianus, noté par Ptolémée d'après Marin de Tyr,
lie donne aucun point de repère. Nous savons seulement
qu'entre Kaschgar et le Schensi il y avait à cette époque
(selon les Annales chinoises, citées par Kitter, d'après
Klaproth, Abel Rémusat et le P. Hyacinthe Bitschourine)
deux routes différentes presque également fréquentées : l'une
au nord du Lop-Nor, par Hami; l'autre, par Khotan, au
sod de ce lac ; et ce fut cette dernière, maintenant aban-
donnée à partir du Lob-Nor, que suivit encore Marco Polo^
plus de dix siècles après Maës Titianus.
Revenons maintenant à la partie occidentale de noire iti-
néraire entre Bactres et la vallée des Comèdes.
Il y a lieu de croire que cet itinéraire n'y suivait pas la
i- Cette détermination de la Tour de pierre, qui me parait la plus pro-
''ïble, n'arrive cependant pas encore à la certitude : l'identité de la tour
d'Ammien qvec celle de Ptolémée étant seulement vraisemblable, mais
"«Il certaine .
•136 f-ES ANCIENS ITINÉItAIRKS A TH.VVERS LE PAMIll.
route uatuffUe, par les vallées du Somkhan et de Hissar;
car ces deux vallées, comme toute leur série entre les monts
Ascaniraium elComedus, appartenaient, d'après Ammien,
au pays des Saces;elle n'appartenait donc pas à la Sogdiane
qui comprenait tes provinces actuelles de Samarcande,
Boukhara, Karschiet Schahr-i-Zabs, en dehors et au nord-
ouest des deux massifs monlagneux nommés par Ammien,
dont l'un (on ne peut dire lequel) séparait la Sogdiane du
pays des Saces, tandis que l'autre s'élevait entre ce dernier
et le Pamir intérieur, tous deux aboutissant à l'Imaiis.
Or, c'est juste par la Sogdiaiie dont le centre commercial
élail jadis Samarcande (ancienne Maracanda, ville anté-
rieure aux conquôles d'Alexandre), que Ptolémée trace son
itinéraire entre Bactres et la Vallis Comedaruiti; et celle
route par la Sogdiane dut 6tre un puissant molir(omis ci-
dessus) pour l'identification de la Vallis Comedarum avec
le Ferghâna, par des autorités telles que Humboldt et Kil-
ler.
Ils ne connaissaient pas encore le Karatéyliine et mainte-
nant que nous le connaissons, un itinéraire de Bactres àr
la vallée Coraéde, par Samarcande, n'en paraît pas moins
étrange. Même s'il suivait la route la plus directe de Bactres
(Baikh) à Samarcande, par Karschi, laissant do côté Bou-
khara, cet itinéraire n'en présentait pas moins un grand et
inutile détour, comparativement à la route naturelle, par
Ilissar (vallées occidentales des Saces). De plus, cette der-
nière évite plusieurs gorges difficiles sur le iiaut Zarafschan
et les escarpements du col dePakschif, obstacles inévitables
sur la roule de Samarcande au Karatéghine {Vallis Come-
darum).
Pourquoi donc l'itinéraire de MaGs Titianus indique-l-il
cette route longue et difûcite, au lieu de la roule naturelle,
plus facile et plus courte?
D'abord, un fait analogue s'est reproduit pendant les ré-
centes explorations russes du 'J'hian-schan. Nos guides Kara-
\
\
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 437
kirghiz ne manquaient jamais d'indiquer d'abord les routes
les plus difficiles et de tenir secrètes les routes plus faciles.
Les anciens marchands qui conduisaient ou envoyaient des
caravanes en Sérique pouvaient bien en faire autant pour
écarter la concurrence; c'a été le cas pour Maës Tilianus*,
donnant à Marin de Tyr des renseignements que celui-ci
recueillit pour la géographie publiée par Ptolémée.
Indépendamment de la jalousie commerciale, cet itiné-
raire par une mauvaise route au lieu de la bonne, s'ex-
plique encore par les renseignements chinois que cite Rit-
ter', sur les anciennes relations de la Chine avec l'Occi-
dent.
Ces relations commencèrent par le nord-ouest, par le
pays des Ousoun, sur l'Issyk-koul et l'IIi, et le Ferghâna.
C'est indirectement, de ce dernier pays, par Samarcande
et Bactres, que parvinrent en Syrie, en Grèce et à Rome,
les premières soieries de la Sérique dès les dernières années
de la République romaine et ce ne fut que plus tard que
commencèrent les relations commerciales de ce pays avec
la Sogdiane et la Bactriane.
Il est bien connu que ces produits de la Sérique, surtout
-ses étoffes do soies, étaient extrêmement recherchés dans
l'empire romain et aussi dans les pays entre ce dernier et
Bactres, et payés très cher. Par conséquent il est plus que
vraisembable que les marchands de Samarcande, d'abord
intermédiaires pour ce commerce entre le Ferghâna et
Bactres. durent chercher à établir des relations commer-
ciales directes avec la Sérique. C'était d'autant plus néces-
saire que l'exportation des soieries chinoises par le Fer-
1- Qui montre bien celte tendance au secret du commerce sérique et
*e «es routes par l'évidente insuffisance pratique de ses rensei(;nements,
'ortout entre, Bactres et la Vallis Comedarum, par la Sogdiane.
^' Une compilation plus complète de ces renseignements, d'après les
tonales officielles, a été faite par le défunt sinologue russe, le P. Hya-
cinthe Bitschourine.
.t38 LES ANCIENS ITINÉBAlnES A TRAVERS LE PAMIR.
ghûna, d'après les Annales chinoises, élail insignifiante et
se réduisail presque à des éehanlillons : car ces Anriales
(Jisctilqiic le FerghAna expédiait en Chine, sous forme de
tribut, 1111 polit nombre de chevaux de race pour les écuries
impériales chinoises, et recevait en échange, comme pré-
sents pour son souverain, des produits chinois, cnfre autres
des soieries.
Avec des relations pareilles, il est bien évident qu'une
grande partie de ces présents chinois restait dans le Fer-
ghAna, qui n'en pouvait vendre (jue peu d6cliose,et qu'elle
devait exciter la demande romaine sans lu satisfaire.
Samarcande étant la ville de commerce la plus proche de
FerghAna, c'étaient les marchands de celte ville qui, dans
des circonstances pareilles, devaient songer les premiers à
ouvrir une route commerciale en Sérique.
C'est ce qui est confirmé, quoique indirectement, par
rilinérairc de Maës Titianus.
Cet itinéraire, avec son délour par la Sogdiane, donne
une route absurde pour le commerce direct de Bacires
avec la Sérique. Mais ce délour s'explique en admettant
que, du temps de l'itinéraire, c'était Samarcande et non
Bactres, qui envoyait des caravanes en Chine, dont Bactres
recevait les produits seulement de Samarcande.
Cette explication me ]>araîl même la seule possible. La
route par le haut Zaralschaci, le Karaléghine et l'Alaï étant
la plus naturelle et la plus directe pour aller de Samar-
cande, à Kascligar, en tU-ilanl h Fertjhàtut au<|uel les mar-
chands de Samarcandi; enlevaient 1« monopole des produits
chinois, et qu'ils devaient par conséquent éviter, quoique
les transports par le Ferghàna fussent de tout temps plus
faciles entre Kaschgar et Samarcande que ceux par le haut
Zarafschan et le Karaléghine, où la roule ne devient facile
qu'à partir de ce dernier Etat. Mais il ne faut pas oublier
qu'alors les soieries chinoises se vendaient à Rome au poids
de l'or, et les difficultés de transport se payaient triple
li& ANCIENS ITI>'ÉR.\inES X THAVERS LE PAMIR. 439
par leur achat à meilleur compte à la !^tatio Mercalornm
qu'au Ferghâna.
Car d'après les sources cliinoi?es, c'était à une ntatio
imcatorum que les Sngiliens, plus tard vraisemblablement
aussi les Bactriens, achetaient la majorité des produits
sériqucs qu'ils importaient dans leurs pays, pour les revendre
dans l'empire romain. Les Antialts chinoises de la deuxième
djTiasIie des Han, contemporaine de Ptolémée, mentionnent
bien, mais comme rares et exceptionnelles, des relations de
la Chine avec la Sogdiane, la Bactriane, et môme l'empire
romain*. Le gros du commerce occidental de la Chine devait
se faire autrement, en partie par des marchands chinois
(Sferes), en partie par l'intermédiaire du ]iays tributaire de
Kliotan-: celuirci expédiait abondamment en Chine ses
pierres dej/u (jad«i, néphrite) et recevait en retour des pro-
duits chinois, surtout des soieries, qu'il exportait en Occi-
deni. Un peut considérer la Slatio Mercatorum de Pline et
de Ptolémée comme un lieu convenu de rendez-vous des
marchands de la Sogdiane avec ceux de la Chine et de ses
paysiribuiaires, pour leurs transactions commerciales; et ce
r^ommerce à la Statio Mercatorum expliquerait, à son lour,
l'absence de renseignements, dans l'itinéraire donné par
Iflolémée, sur toute l'imincnseétendue de route entre cette
Lilation et Sera MelropoUs.
Je crois avoir suffisamment motivé ci-dessus mon inter-
prétation de l'ancien itinéraire conservé par Ptolémée —
aterprétation d'ailleurs en partie indiquée, mais non dé-
_inontr6e par sir Henry liawlinson, dans le passage cité
jessus sur la route de Samarcande en Kaschgario. Cette
"interprétation s'accorde avec celle de Gunningham.de Yule
_et de M. Paquicr, en ce que je place aussi les trois jalons de
1. J'unalyserai les léinoigiiages cliinuis à ce sujet, Iradnits en russe par
Je J'. Uyacintlie, dinis des iioLes coin|»ltiiMenLaires à ce Mémoire. Cos
iuiiioignages ooiilîrtiitint mju inlurjirélalicHi du Ptoliiiiioc.
2. De» renscigacDienlâ doaués par lliUcr, Asien, livre III, t. V.
4iO LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRA\'%R5 LE Pi.MIR.
cel itinéraire dans le système fluvial de l'Oxus, et non dans
celui du Yaxarte — mais là s'arrête notre concordance.
Yoici la conclusion de M. Paquier :
t Tout concourt à faire rejeter la roule du Yaxarte, que
les traditions arabes chinoises ont seules conlribiié à faire
accepter, pour lui substituer la vallée de l'Oxus, et un che-
min mal défini, il est vrai, mais que nous pouvons nous figu-
rer dans sa direction générale, par le Chihgnan (plus exac-
tement Schighnan) actuel, le centre du Pamir et la vallée
de Tasch-kurgan (Tascb-kourgane). Nous restons ainsi dans
les probabilités, qui approchent bien près de la vérité, sur-
tout quand elles sont défendues par le colonel Yule, auquel
Fedlchenko est venu apporter l'autorité de son nom et de
ses grandes connaissances, o
Je suisconvaincu moi-même que cette route par le Schigh-
nan dût t'n/in servir au commerce de Bactres avec la Sérique
car elle est la plus directe, et part'aitemenl praticable. Mais
quand commença-t-elle à être fréquentée par les Bactriens?
VoiJii ce qui est inconnu.
Ce qui est bien certain, selon les textes latins cités par
M. Paquier, et analysés ci-dessus d'après son livre, c'est que
cette route directe est restée inconnue aux auteurs de ces
textes jusqu'au temps d'Ammien, bien postérieur cepen-
dant â Pline et à Ptoléraée, car :
l'La Vallis Comedarum faisait bien certainement partie
du Karatéghine actuel, considérablement au nord du
Schigbnan;
2° D'après le livre de M. P,iquier(ft' Pamir, p.23)ritiné-
ratrcde Ptoléniée, passant par la Sogdiane', s'écartait beau-
t. îi'y a-t-U pa«, dans les ilivcrsns c^dilions île Ptoléméo, d'.iprès dif-
férents innnuscrils, fiii«li|uc variniitc qui diiipUi! ip délour par la Sojt—
iJiane, iiêpligé diins l'inter|prétalion lîo Yule? Je dois avouer nue je
n'ai pas l'éruditir»n nécessaire pour résoudre ci-tlo question. Mai» même
l'existence d'utin pareille variante ne ctianijc rien à l'inlerprêtatioD ci-
dcMU» de la Valli» Comedarum.
LKS ANCIENS ITINÉRAIRRS A TRAVEnS I.E PAMIU. 441
coup de ia route directe indiquée à la page ^6 de ce mdme
Jifre;
3'Aminien, comme nous l'avons vu, conduit encore la
3nle de Baclres en Sérique par la série de vallées allant de
lissar à Kaschgnr.
Si je me permets de contredire Yule, c'est uniquement
jrce que je suis à môme de profiler de l'augmentation de
jos renseignements sur la lopographie du Pamir et des pays
voisins, surtout par nos explorations russes, non seulement
depuis 1870, quand cet illustre orientaliste écrivait Essay
on the Geographij of the upper (fxns, mais môme depuis
1876, date de la belle élude de M. Paquier.
Quant à l'autorité de M. Fedtschenko, son voyage fait
!)ien époque dans l'exploralion de l'Asie centrale, mais
l'est par ses résultats zoologiques. Le premier, il acquit
la science la faune à peu près complète des invertébrés
lit Tiirkcstan, autres que les insectes coléoptères et lépi-
ioplères, déjà étudiés par ses prédécesseurs. Tout autre
bose est cependant son iiuLorité géographique, sur laquelle
(.Paquier me permettra une dill'érence d'opinion. Ayant
iérillé sur les lieu.x, de visit, ses renseignements sur le Pa-
niir (qu'il n'a pas exploré lui-même, sauf une partie des
Dontagnes qui le bordent au nord et au nord-ouest) j'y ai
ïouvé la plus grande source d'erreurs géographiques
^ue je connaisse. C'est le cas, au point do vue de la
Éographie physique, pour son prétendu parallélisme de
Dules les chîiînes et grandes vallées du Pamir et du Thiau-
în, entre elles et avec l'Aluï; il y a là généralisation
Wlraire et erronée d'une particularilé orographique locale,
çue Fedtschenko observa sur le haut Zarafschan cl au sud-
Buest du Ferghiua. D'après cette idée préconçue, il a même
fu roir de loin le col de Terek-davan sur une chaîne est-
Ouest, ce col se trouvant en réalilé sur une chaîne nord-sud.
11 en est de môme au point de vue de la géographie histo-
rique, de l'idenlificalion du Rasl (Rasb) avec le Roshan,
442 LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR.
citée el réfutée ci-dessus. M. Fedtschenko, en dépit du
texte d'Ibn-Daschl f[u'il connaît et mentionne, s'obstine
sans cause à répéter l'interprétation hypothétique de Yule,
antérieure à la publication de ce texte... Ht puisque ce
nom de Rasb revient sous ma plume, je ferai observer qu'il
est conservé en toutes lettres dans le nom du village Uas-
baï, sur la rivière llliak, près de la froiiticrc du Karaté-
gbine et du llissar. Seulement, entouré actuellement de
nomades Ouzbeks (de race turque) ce village a eu son an-
cien nom de Rasb augmenté d'une désinence qui lui donne
une signiticalion turque : Has-baï Bigoiflant, en turc (dia-
lecte djagalaï), Ras « le riche ».
II.
Voyages he Hioien-Thsang et Song-Yuen.
Avant d'analyser la traversée du Pamir par le célèbre
voyageur chinois Hiouen-Thsang, je crois nécessaire de rap-
peler aux lecteurs une condition indispensable pour faire un
commentaire vraiment exact sur son livre ' : c'est de se sou-
venir constamment de sa manière de voyager, prescrite par
le but de son voyage, qui fut un long pèlerinage bouddhiste.
Hiouen-Thsang avait pour but non seulement de visiter
l'Inde, berceau du bouddhisme, mais aussi de parcourir,
autant que possible, tous les pays bouddhistes situés hors des
limites de la Chine, au vir siècle de notre ère; son but
l'obligeait à suivre un itinéraire des plus compliqués,
surchargé de d»''tours et d'excursions latérales, pour visiter
les lieux de pèlerinage de chaque pays, y rechercher et
jitudier les livres saints du bouddhisme el leurs cômmen-
1. Piiiir CCS voyages, il y a deux ouvrages, tous deux Uaduils par,
M. SLiinislas Julien : 1° Le Ta-lhang-iii-yu-ki , Mémoires sur les Toijaumei'
de rOcci(ifn\, (Scrit par llioiifiii-TKsang lui-iiit^riie, el 2" VHisloire de la
vie de Hiouen-Tlinang et de tex ooijugi^ii danx i'hule, \>ar l)oei-li et Yen-
TIhdii^', (|Uc m. Slanisla^ Ini'mn Irarliiisit (t'abunJ, en y ajoutant, eoriimc
(locurncnU géugraphiquei, de» extraits des Mêmoiret. Je n'ai eu en mftia
4|ue cette biographie.
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TBAVERS LE PAMIR. 443
taires, y étudier aossi l'état da clergé bouddhiste, son
effectif, ses institations, ses pratiques ascétiques, son in-
fluence, les différences locales de doctrine...
Voyageant ainsi, il ne donne pas son itinéraire complet;
il n'en mentionne que les parties les plus remarquables,
«Drtoat les routes à travers les montagnes; la majeure
partie de son :livre se compose de notices purement des-
criptiTes des pays qu'il visita, notices dans lesquelles il omet
les routes qu'il suivit parce qu'autrement l'énumération de
ces routes serait interminable. Pendant les seize années de
son voyage, il ne se contente pas de traverser les pays qu'il
mentionne, mais il parcourt chaque pays, dans diverses
directions.
Déjà les directions principales de son itinéraire, sur les-
quelles les commentateurs sont unanimes, excluent toute
idée d'une route directe.
Son objectif principal était l'Inde, au sud-ouest de la
Cbine, mais comment y parvient-il ?
Il s'en va d'abord au nord-ouest, atteint le Thian-schan
oriental et suit son versant sud en se dirigeant vers l'ouest.
Ensuite il tourne droit au nord, traverse le Thian-schan dans
le voisinage du lac Issyk-koul, se dirige de nouveau vers
Fouest, traverse la localité de Ming-boulak, au pied du ver-
sant, nord du Thian-schan occidental, puis tourne droit au
sod, contournant les extrémités occidentales des systèmes
du Thian-schan et du Pamir. Ensuite, tournant vers l'est,
il franchit les montagnes les plus occidentales de ce dernier
système par le défilé delà Porte de Fer, et remonte le To-
ho-lo septentrional (vallée de Hissar) jusqu'au Karatéghine
(Kiou-mi-tho); delà de nouveau au sud-ouest, vers Bamyan ;
de là encore au sud-est, par Kaboul et Pechawer dans l'Inde.
Un tel itinéraire ne peut s'expliquer que par le projet du
voyageur de visiter en détail les pays bouddhistes à l'ouest
de la Chine, dont Hiouen-Thsang complète l'exploration en
revenant de l'Inde. Sortant de l'Afghanistan actuel par une
444 LES ANCIENS ITINKBAIBES A TtlAVEIlS LE PAMIR.
roule plus orientale que celle de Bamyan, il parcouri leTo-
ho-lo méridional, sur la rive gauche de l'Oxus, traverse le
Pamir, et, avant de rentrer en Ctiine, il parcouri encore les
pays de Kaschgar, Varkend et Khotan,
Généralement, les comnoen la leurs cherchent à ramener
celle partie de son voyagea la route directe d'Anderab{An-
lo-lo-po, actuellement Inderab) à Yarkend : je comprends
dilfidlemenl celle version, car elle est inconciliable avec le
plan général du voyageur, qui consistait, nous l'avons vu,
à visiter et à parcourir le plus possible de pays boud-
dhistes.
Nous verrons, par les détails topographiques qu'il donne
sur sa route à travers le Pamir, qu'il le traversa non pas par
la rouledirecle indiquée ci-dessus, mais dans une direction
nord-est, du Badakhschan à Kaschgar, d'où il se dirigea au
Eud-est, sur Yarkend.
Suivons maintenant plus en détail Hioiien-Thsang dansia
région du Pamir, d'après les extraits de iM. Paquier {le Pa-
mir, p. 35 et suiv.), qui dit :
« C'est à Sara;ircande que nous prenons lliouen-Thsang,
quand il quitte cette ville, pour s'avancer au cœur du To-
kharistan... après avoir laissé Kaskana, Shahr-i-Sabz ac-
tuel ; c'est après huit journées de naarche qu'il atteint la
Porte de Fern... donl Ja mission russe de M. Mayew, en
4875, reconnut remplacement dans le er défilé non loin de
la ville de Derbend, à la source même de la rivière doKtschi-
Ourou, affluent de l'Ûbi-Shabr-i-Sabz, au lieu raôrae où
Hiouen-Tlisang le rencontra, »
Par ce défilé, Hiouen-Thsang pénétra dans le Tokhares-
tan, sur lequel M. Paquier, sans suivre en détail l'itinérairo
du voyageur cliinois, donne seulemenL quelques notions
générales, disant : «Heprésentons-nous en effet le Tokha-
reslan tel qu'il pouvait Hre : il occupait les bords et le fond
d'une immense cuvette que doraiiiaieiit au nord les contre-
forts du Kuh-i-tan (plus exactement Kobislan), au sud des
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 445
massifs du Koh-i-baba,àrest les pentes abruptes des Tsoung-
ling. C'était un territoire parfaitement délimité et qui ne
s'ouvrait que dans la direction de l'ouest, sur le désert du
Kharizm... » En regardant la carte du Pamir, de M. Paquier,
on verra qu'il restreint le fond de cette « cuvette » du Tokha-
restan h une partie de la vallée de l'Oxus, dans laquelle ce
fleuve coule dans une direction générale est-ouest, de l'em-
bouchure du Kokscha jusqu'à Kelif. L'image d'ensemble
qu'il donne du Tokbarestan n'est pas conforme à la
réalité.
M. Paquier ne connaît encore qu'une grande vallée cen-
trale dans le Tokbarestan, celle de l'Oxus. En réalité, il y a
là deux vallées principales, quoique d'inégale largeur : celle
de rOxus et celle de Hissar, cette dernière, arrosée, dans
sa partie inférieure, par le Sourkhan et traversée, dans sa
partie supérieure, par le Kafernighan. Entre ces deux val-
lées confluentes, s'élève le massif central de l'ancien Tokba-
ristan, massif séparé du Kobistan par la vallée du Hissar, se
rattachant vers l'est au Tbsoung-ling, mais n'atteignant pas,
de beaucoup, la hauteur des neiges éternelles qui couron-
nent les cimes de ce dernier, du Kobistan, du Kob-i-baba et
de l'Hindou-Kouscb.
Je ferai observer encore que, dans sa délimitation du
Tokbarestan, M. Paquier* restreint assez arbitrairement
l'étendue du Tbsoung-ling, dont il distingue le Kobistan
{montagnes entre l'Oxus et l'Yaxarte) et qu'il identifie avec
le massif central de Pamir. Les limites du Tbsoung-ling tel
que l'entendent les Chinois, sont très clairement et tout
autrement indiqués par Hiouen-Thsang : le Ming-Boulak et
le lacIssyk-Koul au nord, les grandes Montagnes Neigeuses
(Hindou-Kousch) ausud. Donc, non seulement le Kobistan,
qui appartient bien réellement au système orographique
du Pamir, mais aussi le Thian-schan occidental, qui en est
1. Dont j'ai suivi ci-dessus la nomenclature géographique.
446 LES ANCIENS ITINÉHAHU'.S A TRAVERS LE PAMIR.
bien distinct, font partie du Tàsoung-ling, ainsi délimité
par Hioiien-Thsang'.
M. Paquiei" ne commente pas tous les 27 royaumes du
Tokharislan (To-ho-Io du Icxlo chinois) énumércs par
Hioueii-Thsang ; je ferai tie mCme, et ne m'arrêterai qu'aux
parties de son itinéraire analysées par M. Paquier {le Pa-
mir, p. 37-45), qui continue ainsi (p. 37) :
«De ces dilférents Etats que renferme le Tokharistan, il
en est un qui doit nous intéresser. — C'est celui de KiV'tni-
tfto,appelé aussi Kumida-. — Il avait \ingt jours de marche
de l'est ii l'ouest, et deux du sud au nord ; il s'étendait le
long des monts Thsoung-liiig, confinant au sud-ouest au
HeuveOxus, — au sud au royaume de Chik-ni ou Chigbnan, k
Ici je ferai remarquer que la traduction n'est évidemment
pas littérale. Au lieu de « confimatl à l'Oxus et au Chighnan »
it faudrait dire : ayant l'Oxus au sud-ouest, et le Chigbnan
au sud. La direction de l'Oxus et des vallées de ses affluents
dans le voisinage du Chighnan est telle qu'aucune vallée
confinant au Chighnan proprenieuL dit (non compris le
Roschan) ne l'a au sud-otiesl, mais bien à l'ouest et au
nord-ouest. La première vallée qui a l'Oxus au sud-ouest est
celle du Yas-goulani, ne confinant pas au Chighnan, dont
elle est séparée par le Roschan (vallée de l'Aksou).
«Le major Cunningham a, lepremîer, heureuiemenl iden-
tifié cette longue et étroite vallée rie Kiou-mi-îho avec la
Vailis Comedarum de Plolém^ée, et celte position corres-
pond aujourd'hui à celle du Roschan-'. Les géographes
arabes nous disent, en elfet, qu'à quatre jours de marche au
delà du Washjird, existait une place nommée Rasht, ou
Porte*, qui formait l'exlrôrae frontière du Khorassan dns
I . Dûlimil^itioii qu<>. M. Paquier cite lui-iii<)ine litléralemcDt, quelques
pages plus loin {le Pamir, p. 40).
3. l'iuscxaetëuient A'(âu-mi-(/iO, AViou m ù/u ; Konicd, d'après Ibn-Daschl.
3. Le colonel Ynle ajoule : « el Ju Darwaz », à tort, selon M. Paquier
(/« Pamir, p. 37, noie 1).
4. Ce nom du Raslil se traduit en turc par Darwaz, qui signifie égale-
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 447
cette direction ; elle est située au milieu d'une vallée res-
serrée entre des montagnes et que suivaient les Tares pour
leur guerre de pillage. Un Barmécide, Fadhl, fils de Yahia
(Ibn-Yahia), au ii* siècle de l'Islam, fit construire une bar-
rière dans ce passage et pendant longtemps y maintint une
garnison. Ce fort s'appelait Ab-bad et datait de 794. Je
soupçonne fort, dit le colonel Yule, que cette ville de Rashl
ou de Rasik donna son nom à la vallée du Roschan actuel*. »
J'ai transcrit ce passage, parce qu'il contient une confir-
mation de plus pour ma détermination de la Vallis Corne'
iarum (Komed, Khoumida, Kiou-mi-tho), donnée plus
haut.
Nous avons vu qu'il ne fallait pas songer au Roschan,
cette vallée n'ayant pas, et ne pouvant avoir (à moins de
coûteux travaux d'art, qu'il n'y a jamais eu de raison d'en-
treprendre) de route longitudinale, ni pour le commerce,
ni même pour des incursions de pillards. Les parties habi-
tées du Roschan sont seulement traversées par des routes
partant de Scbighnan, pour aboutir à diverses localités du
Pamir septentrional ; l'une de ces routestransversales du Ros-
chan fut suivie, comme nous le verrons bientôt, par Hiouen-
Thsang, pour aller du Scbighnan au lac du Dragon, mais
cette route n'a rien de commun avec le Kiou-mi-tho ; la
consonnance même (d'ailleurs éloignée) de Roschan avec
Rasht perd toute espèce de signification, si le nom et l'em-
placement de celui-ci se retrouvent exactement ailleurs
qu'au Roschan.
Or, dans le passage cité de M. Paquier, le nom de Rasht
s'applique non plus à toute l'étendue du pays ainsi nommé
ment Porte. Voilà pourquoi ridentification du Khoumida avec le Roschan
devait conduire Yule à identifier le Rasht avec le Darwaz, qui est bien.
la porte pour sortir du Roschan dans la plaine de Tokharistan.
1. Paquier, Pamir, p. 37. Ce passage est rédigé d'après Reinaud, /n~
trod. à la traduct. d'Aboulféda. Mém. sur l'Inde, p. 161, et d'après Yule,
Notet on Hiouen-Thsang's account, etc., que M. Paquier cite au bas d&
la page.
4i8
LES ANCIKNS lTI.>Kn.UHt:S A TRAVERS LE PAMIR.
par Ibn-Daschl el délermiaé ci-dessus d'après ses indications,
mais à une localité précise dans la partie occidentale de ce
même pays, localité où, 200 ans avant Ibn-Dasht, Fadhl-
Ibn-Yahia bâtit son fort d'Ab-bad, et qui plus lard donna
son nom au pays entier de Rasbt.
Ce fort de FadhI-Ibn-Yahia est maintenant remplacé par
le village de lias-bai, déjà mentionné plus haut, car :
I' Il est bien évident que le nom de Ras-bai (pius exacte-
ment peut-être Bas-bail') ressemble infiniment plus à une
contraction- de R<iHkt-Abbad'\ nom du fort de Fadlil-Ibn-
YaLia, que le nom de lloschan.
i" A la conservation presque complète du nom se joint
l'idenlilé de position : d'après le levé topographique de
M. Rodionow, Ras-bai se trouve sur la r*jule de Kouliab au
Karaléghine et à l'Alai, par le pont de pierre et Fayzabad,
exactement à quatre journées de marclie de la frontière du
Wasbjerd (Konliab); ce qui est juste la position donnée au
fort de Rasbt-Abbad par M. lleinaud, d'après les sources
arabes, dans le passage de M. Paquier que je viens de citer.
3° Cette position de Uas-bai (ou Ras-bad), sur le haut
llliak, entre Fayzabad et le plateau de Dasht-i-bidana (plus
près de ce dernier), dans la série des vallées llissar-Karalé-
ghine-Alaï, convient parfaitement pour l'établissement d'une
barrière desJinée à protéger la grande et riche vallée de
llissar contre les incursions des montagnards nomad <s.
Ceux-ci se coneeutrent, acluellemenl (dans le système flu-
1. Je uc garanti!! nuliement que le imm i)i; ll:is-h:iï, malgré sa aigni-
licalion tlirqiif; (lUs-lc-llichc), soil currcclcniciil érril sur le levé topo-
yrapliique de M. Rudioiiow.
i. Ces L'onlra<:[ions df. noms arabes ou |in-saii4 smit fofl usitées dans
le raiiiea\t djagalaï de la race turqte : piir cxt-iiiplc, Mad-Ali (Khan du
KtiokaHd) au lieu de Mohammed- Ali.
3. Tel, et non Abbad tout court, devruit être le vrai nom du fort bâti
piir FadhI, d'aprùs l'aiialoitic d'ibbas-abbad, Ma^affar-abbad, Secunder-
Hbbad (Sicanderabbad), etc. Au reste, en arabe, porte se traduit par bab,
el j'ai iruiiTé dans Yule, pour le fort de Fadhl-lbn-Yahia, le nom de Al-
ISub (,1a Porifj, et non Abbad.
I
I
I
I
LES ANCIENS ITINÉRAIRES .A TRAVERS LE PAMIR. 451
x^oms actuels, qui, comme ceux d'Andérab, de Badakschan,
<ie Bamyan, datent d'une antiquité reculée, c'est une petite
xminorité ; la plupart des noms locaux de son temps étaient
X'cmplacés par d'autres qui ne ressemblent en rien à ceux
<lue donne le voyageur chinois. Restent le^ particularités
Caractéristiques de géographie physique, pour lesquelles
Uiouen-Thsang a souvent été un excellent observateur ; mais
souvent aussi il les omet, et alors il y a nécessairement plus
ou moins d'arbitraire dans les corrections d'orientation et
de distance sans lesquelles, cependant, les localités qu'il
mentionne recevraient sur la carte des positions physique-
ment impossibles.
J'ai aussi essayé de déterminer ces localités encore incer-
taines, mais je suis encore loin d'avoir éclairci tous les
doutes, que j'indiquerai, de même que les déterminations
qui me paraissent positives.
Parti d'Andérab, Hiouen-Thsang se dirigea au nord~ouest,
vers Kouo-si-to, à 400 li d'Andérab, de là à Houo, 300 li
plus loin dans la même direction. M. Vivien de Saint-Martin
estime 15 li = 6 kilomètres, et diminue les distances de un .
tiers pour les détours, montées et descentes; on peut
admettre pour les distances de Hiouen-Thsang 3 li par kilo-
mètre, avec la réduction pour les détours, etc. Fomo seraità
environ 190 kilomètres d'Andérab. Hiouen-Thsang dit de
cette localité qu'elle se trouve dans une plaine, avec un climat
doux, et que tout près de là, vers l'est, commence déjà la
région montagneuse du Thsoung-ling. C'est, comme le
remarque justement le défunt professeur Grigoriew*, à peu
près la position de Kotindouz, ou môme un peu au nord de
cett« ville, plus près de l'Oxus, et non Gour (Gori) comme
1. Un de nos orientalistes les plus distingués, dans sa traduction russe
de Ritler, turkestan oriental, note du traducteur, note coxxx, pages
49i-495. C'est d'après les extraits de M. Grigoriew, loc. cit., p. i88-i89,
que je donne ici cette partie du voys^c de Hiouen-Thsang, mais en in-
terprétant autrement (sauf Houo) les localités qu'il mentionne.
430 LES ANCIENS ITENÉRAItiES X TRAV£I\^ LE PAMIR.
Komed, celle barriilîre devenait trop facile à tourner par le
nord el, plus à l'ouest, elle laissait sans protection une partie
du district de Fayzfibaii. Quant aux habitants nomades des
montagnes immédiatement au nord de Fayzabad et de
Hissar, le nom de Rafiniighan, conservé dans celle localité
pour son Ileuve principal, montre bien qu'ils tardèrent à ■
adopter l'Islam (pifir signifie inCdèle) ; mais ils n'étaient
pas à craindre pour les musulmans de la vallée, dont ils
dépendaient pour leurs pâturages d'hiver.
Cescclaircissemenls sur la position de Kashl-abbad con-
firment surabondaramcnl ma détermination du ilashl el du
Komed, faite plus baul d'après Ibn-Dasbl. Je dirai seu-
lement que le vrai nom indigène des Coraêdes, habitant la ■
VaUis Comedarum, devait être Khonmlif, en iransci'iplion i
chiiioise KioH-mi-tlio. (Juanlà la lorme de h'oriied, employée
par Ibn-Dasht, elle me paraît être une réminiscence classique,
Ptolémée ayant été bien connu des géographes arabes du
X' siècle. C'est donc îl Ibn-Dasht, dès le x" siècle, et non à
moi qu'appartient ma détermination de la Vallis Comcda-\
rujw ; je n'ai fait que la reconnaître dans les extraits tra-
duits que j'ai las de cet auteur.
Venons mainlenant à. la traversée du Pamir par l'illustre
voyageur chinois, à son retour de l'Inde, de nouveau par le
Kaboulistan. De là au Pamir, il passa par le col de Kbawak,
Andérab et le Badakhschan.
Les comraenlaleurs sont unanimes pour ces trois jalons
de sa roule, mais ils varient beaucoup quant à la délermi-
nalion des pays qu'il mentionne entre son An-to-lo-po^^-Aii-
dérah,el son Po-lo-cktvang-nn^Hadakhschan : ce qui tient
aux difficullés de cette délerniination.
Lesdistances données par Iliouen-Tlisangsonl des dislances
d'estimation, non mesunies; elles sont généralement exagé-
rées, el cette exagération n'est nulli'uient unifurme. De plus,
son orien lalion est souvent inexacte, et si quelques-uns de ses
noms de localité sont encore reconnaissablcs dans les^
LES ANCIEMS ITINÉRAIRES .A TRAVERS LE l'AMlR. 451
noms actuels, qui, comme ceux <rAiulérab, de Badakschan,
de Bamyan, datent d'une anlic}iiit<i reculée, c'est une petite
minorité; la plupart des noms locaux de son temps étaient
remplacés par d'autres qui ne ressemblent en rien à ceux
que donne le voyageur chinois. Restent le;^ p;irlicularilés
caractéristiques de géographie physique, pour lesquelles
Hiouen-Thsang a souvent été un excellent observateur; mais
souvent aussi il les omet, et alors il y a nécessairement plus
ou moins d'arbitraire dans les corrections d'orieiilatiou et
de distance sans lesquelles, cependant, les localités qu'il
mentionne recevraient sur ta carte des positions physique-
ment impossibles.
J'ai aussi essaye de déterminer ces localités encore incer-
taines, mais je suis encore loin d'avoir éclairci tous les
doutes, que j'indiquerai, de mèrae que les déterminations
qui me paraissent positives.
Parti d'Andérab, Hiouen-Thsang se dirigea au nord-ouest,
vers Kouo-si-to, à iOO li d'Andérab, de là à Houo, 300 li
plus loin dans la même direction. M. Vivien de Saint-Martin
estime 15 li = G kilomètres, cl diminue les distances de un ■
tiers pour les détours, montées et descentes; on peut
admettre potu' les dislances de lliouen-Thsang 3 li par kilo-
mètre, avec la réduction pour les détours, etc. /foKoserailà
environ 1^0 kilomètres d'Andérab. Hiouen-Thsang dit de
cette localité qu'elle se trouve dans une plaine, avec un climat
doux, et que tout prés de là, vers l'est, commence déjà la
région tnontagneuMO du Thsoung-ling, (Tesl, comme le
remarque justement le défunt professeur Grigoriew', à peu
près la position de Koundouz, ou même un peu au nord de
cette ville, plus près de l'Oxus, et non Gour (Gori) comme
1. Un de uiM orientalistes les plus distingiiés, dans sa traduction russe
fle RîUer, turkeslannrienlal, noie, du traducteur, note r.DXXx, pages
Wl-i95. O'es-l d'après Inn PXlTaits lii' M. i'.i'mov'u-.w, Inc. cil., p. 4XS-189,
que je duiine ici «t^Ut! partit! du vnjugi! di; lUuuen-Tlisant;, mais en iu-
terprëtaul aulremerit (sauf llouo) le* localités qu'il mentioniK-.
fôZ LES ANCIENS JTINËRAIKKS. A. TRAVERS LE PAMIR.
l'inlerprôU; M. Vivien de Saiul-Marlin, d'après une cerlaioÉ
coiisoaaacc de Houo avec. Gkonr (prononcez (ihuour).
Pour ma pari, d'accord avec M. Grigoriew pour l'emplrt-
cemenl de Uouo, j'inler[>rétr<Ti Kouo-si-to par celte ville
acluelle de Gori, bîilie au nord-ouest d'Andérah, près du
confluenl des rivières d'Andérab et de Bamian, dont lu
réunioa forme l'Ak-Séraï, arUucnl considérable de l'Oxus,
passant près de Kuuntlouz. La roule acluelle d'Andérab au
Badakbschaii passe parKuundoiiï:, mais sans traverser Gori
qui se trouve sur la roule d'Andérab à Balkh. Ma délermi-
naliori de Koun-si-Lho ne me parait donc pas aussi positive
que l'eniplacenient de Houo dans le voi>inage immédiat de
Koundoux.
De WoMo,Hiouen-Tlisang se dirigeant wers l'est, fit 100 li
ii AMoung-kien; de là, par de haules montagnes et des
vallées profondes, en traversant plusieurs dislricts avec
leurs villes, aoO li à Ki-li-se-mo.
D'après la posilion de Houo, telle que je viens de l'indi-
quer, Mouny-kienne peutîilre cliercbé qu'entre Khan-abad
elTalikhan.à environ 25 ou 30 kilomètres esl de Koundouz.
Quanta Ki-li-se-mo, ceile localité, d'après une ancienne
carie japonaise ' se trouve au sud de Moung-kieii : ce qui
correspondrait à l'eaiplacemenl de la ville il'hch-Kamysch
au sud de Khan-abad et Talîkhati, au nord d'Andérab.
D'autre pari, Hioueii Tlisang mentionne une roule allant
de Ki-li-se-uio au nord- est, pour aboutir à Po-li-ho. Elle
me paraît être la roule atîtuelle de Rouslak à Baltsch-
jouan, dans le Kouliab, dont la direction, entre Roustak et
rOxus, est vers le nord-nord-est. Aussi, pour Ki-li-se-rao,
ai-je hésité entre Roustak et Iscb-Kamyscb ; mais, en défi-
à. Celte carie, qui ae Irouve diin:» uiik cmijclopédii! ja|niiinisc du der-
nier siècle, a élé d'abord (tuUlkée par KlaproUi [Méinoirei retalifs à l'Atie,
L II, p. .ItO), La meilleure éditinn en a élé laite par Stanislas Julien, qui
l*a jointe au Inint; Il de la liaduction de HJouen-Thsang, Mémoire* »ur
lescoulrées ociMit-ntates (Si-yu-ki).
LES AMCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 453
nitive, cette dernière localité me" paraît plus probable. La
route entre Ki-li-se-rao et Po-li-ho pourrait bien être une
route d'Anderab à Baltscbjouan, passant et par Isch-Ramyseh
et par Roustak; seulement, sur cette route, l'intervalle,
entre Isch-Kamysch et Talikban est encore inexploré, car
c'est de Koundouz que divergent les routes les plus fré-
quentées allant et par Roustak au Kouliab, et par Isch-
Kamysch à Andérab.
En tous cas, c'est Baltschjouan qui me paraît être l'em-
placement le plus vraisemblable pour Po-h'-Ao, localité qui,
du reste, ne paraît pas avoir été visitée par Hiouen-Thsang.
De Ki-li-se-mo, 300 li à travers des montagnes et des val-
lées le conduisent à ffî-TOo-^a-io, de là à Po-to-tschouang-na^
Pour déterminer la position de Hi-mo-ta-lo, que ne dé-
lerminentniM. Vivien de Saint-Martin, ni M. Paquier (d'après
Yule), ni M. Grigoriew, nous avons outre les Mémoires* de
Hiouen-Thsang, le témoignage de sa biographie ^ qui dit
que cette localité est à 300 li de distance directe à l'est
de Mong-kien. Nous avons vu que, par Ki-li-se-mo,
cette distance est double, 600 li, ce qui fait un triangle
éqnilatéral avec Mong-kien, Ki-li-se-mo et Hi-mo-ta-lo aux
trois angles.
Les localités actuelles dans le voisinage de la route Koun-
douz-Badakschan qui correspondent le mieux aux angles
de ce triangle avec les distances données par Hiouen-
Thsang, sont Roustak, Kischm et une localité intermédiaire
entre Khan-abadetTalikhan, correspondante à Mong-kien.
1. Telle est la vraie transcription française du nom chinois du Bada-
khschan, d'après Stanislas Julien. La transcription Po-to-chwang-na, em-
ployée par M. Paquier, d'après Yule, est anglaise exprimant, d'aprf's
l'orthographe anglaise, les mémei sons que celle de Stanislas Julien :
ehwang, en anglais, se prononce Ischouàng.
1. Mémoires tur les contrées occidentales, par Hiouen-Thsang, traduits
en français par Stanislas Julien, 2 vol.
3. Histoire de la vie de Hiouen-Thsang et de ses voyages dans l'Inde,
traduit du chinois par Stanislas Julien, p. 269, .179.
454 LES AKCIKNS ITINÉRAIRKS A TRAVERS LK PAMIR.
Alors la position de Ki-li-se-mo serait ilans les environs
de RoiiBiak, et celle de Ui-mo-tn-lo près de KischmoM un
peu au nord (12-15 kilomèlres), mais loul près du méridien
de Kischm, sur la route directe deRoundouz à Fayzabad. En
plaçant au contraire Kt-li-se-mo près de la ville actuelle
d'Jsch-Karaj'sch, selon la carte japonaise citée ci-dessus,
nous obtenons un triangle, mais non équilaléral, et dont les
côtés ne corn''spontlenl pas aux distances données par
Hiouen-Thsang, cequi diminue la valeur des considérations
présentées plus haut eu favour d'lsch-Kamysch,conirae em-
placement probable de Ki-li-se-mo, la plus incertaine, par
conséquent, des localités domje viens d'essaj'er la déter-
mination. Mais que Ki-li-se-mo soit au nord ou au sud de
la grande route Koundouz-Vayzabad, dans les deux cas
la position du district de Hi-mo-ta-lo reste la même, cor-
respondant au district actuel de Kisckm.
Au reste, il ne faut pas oublier que toutes les détermina-
lions des localités ci-dessus, mf me les plus positives, comme
celle deHouo, ne sont encore que grossièrement approxima-
tives. Ce sont des déterminations de districts, non de villes.
Des déterrainalions plus précises des villes principales vi-
sitées par Hiouen-Tlisang me paraissent impossibles sans
une exploration archéologique de l'ancien Tokbaristan.
Vérifions maintenant tes détermiuations ci-dessus par les
distances des localités d'Hiouen-Thsang en li et des localités
correspondantes actuelles en kitonièlres.
1° La roule de lîouo par Moung-kiang, Ki-li-se-mo, Hi-
mo-la-lo, à Po-to-tschounng-na est de 100 -f- 300 -f- UOO
-}-200 =^ 000 lij la route actuelle de Koundouz à Fayzabad
dans le Badakscbao, par Khan-abad, Talikhan, Rouatak,
ou Isch-Kamysch, et Kischm est d'un peu plus de 200 kilo-
mètres (sur la carte).
2' La route directe par Moung-Kiang elHi-rao-la-lo, lais-
sant de c6lé Kiliscmo, est de IW -[- 300 -|- 200 = fiOO li ; la
route directe de Kinradoii/. à Fayzabad suivie par Woodjesl
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 455
de 150 kilomètres environ (sur la carie). La dislance di-
recte de Houo à, Hi-mo-ta-lo est de 400 li, de là à Po-to-
Tschouang-na 300 11 : de Koundouz àKischm environ 100,
de là à Fayzabad environ 50 kilomètres, ce qui donne une
proportion exacte : 400 : 200 = 100 : 50, et montre que
la différence des proportions des distances totales, 900
à 600, et 200 à 150, dépend de l'incertitude de la détermi-
nation de Ki-li-se-mo.
Ce qui est certain, c'est que les localités ci-dessus de
Hiouen-Thsang peuvent être cherchées seulement sur la
route d'Andérab au Badakhschan, par Koundouz, et des
deux c6tés de cette route, mais pas plus loin que 40 kilo-
mètres de chaque côté.
Qnxai an Poto-tschouang-na de Hiouen-Thsang, il est
bien certain que cette localité se trouve dans le Badakh-
schan actuel; mais celui-ci est un pays assez étendu, com-
posé encore de plusieurs des royaumes ou principautés que
Hiouen-Thsang mentionne à part. Je viens d'identifier Po-
to-tschouang-na avec les environs de Fayzabad, capitale
actuelle du Badakhschan, mais c'est déjà moins certain.
Au reste, l'ensemble de l'itinéraire d'Àndérab au Pamir,
dont nous venons d'analyser la moitié occidentale, ne laisse
pas de doute sur la position centrale de cette localité dans
le Badakhschan actuel ; nous n'avons donc, pour Po-to-
tschouang-na, que le choix entre Fayzabad et la petite
plaine centrale du Badakhschan, au confluent des rivières
de Djerm et de Vardodj, formant le Kokscha, fleuve prin-
cipal du Badakhschan et un des grands affluents del'Oxus.
Nous verrons qu'il vaut mieux choisir Fayzabad.
Avant de poursuivre notre itinéraire, arrêtons-nous un
instant, d'aprèsYule, cité par M. Jaquier {le Pamir, p. 40), au
royaume d'0-li-ni, dans le Thsoung-Iing que Cunningham
et Yule identifient avec Ariniou Ami, un des centres les
plus anciens de la domination aryenne. D'après mes déter-
minations des localités du Tokharistan et du Pamir qui se
15t) LES ANCIENS TTINÉKAIHES A TRAVERS LE P.
trouvaient sur larouted'Hiouen-Thsang', ce pays d'Olini nu
Arni, qu'il ne paraît pas avoir visiti;, pourrait bien être cher
ché dans le Darwaz actueK Revenons cependant k l'itiné-
raire.
De Po-to-tschouang-na Hiouen-Thsang fait 200 li au
sud-est par un pays montagneux el arrive k In-po-kien,
d'après la Biographie : Kie-po-kien; de là, après 30011
de roule toujours au sud-est, |>ar «ies sentiers de monlajïnes
étroits et dangereux, à Khiou-lang-na ; de- là, faisait ôOO U
vers le nord-est, par des ctiemins difficiles el dangereux, à.
travers des nioiilagnes et des vallées, i! arrive dans le Ta-
7no-sitie-ti, contigu à i'Oxus (Pot-tsou) et s'étcndant entre
deux chaînes de montagnes dont la principale se nomme
Huen-tho-to. Au nord de ce dernier pays se trouve le Chi-
A7it-«i, au sud le Chfingmi, à 700 li au nord-est de Ta-
mo-sie-li commence la haute vallée de Po-mi-lo '.
Nous avons ici, comme jalon principal, le pays de Chi-
khi-ni que tous les commentateurs reconnaissent unani-
mement pour le Ch'Kjhnan actuel, ce qui, comme nous
verrons tout de suite, est parfaitement confirmé par les dé-
tails que donne Iliouen-Thsang, et sur ce pays, et sur le Po-
mi-lo avec son lac du Dragon, Les autres pays sont aussi
reconnaissablcs d'après leurs positions relatives el les pro-
portions des distances données par le voyageur chinois*.
1. Cet itinéraire nst reproduit ici de nouveau d'uiiros les Kxtcails dn
M. Grigiiricw, Irail. de RiUor. Turkentan anenlal nu chinolt, ao\t CDXXX,
p. i89-49U.
i. Toutes mes détcrmin.itions Ac. ces localités etilrc le Bmlaklischaii <<i
le Chighiian dilfërent nsseiilicllement Ap celle» que j'ai lue;:, mais, pour
ne pas trop allonger ce Mémoire, je ne mentiaonerai ni ne rérulerai \i
quelque» cxccpliotis près) les déterminations ilitTi-rpules des luiennes,
ni celles lie M. ViMendeSaiiit-Marliii.cîiées par M. Grigoriew. ni celles de
M. Grigoriew liii-inAmc ^18()tl), ni celles de Yule (IKTii;, générnlemefil
suivies cl on partie leproduitcs par M. Paquier. Je ferai oliserver «eiile-
mentquc louslo», ••ominenliiires que je vicnsd'éniiinérer soiil nnlèrieu.rt n\ix
dernières vxplur.iliiins angUiaes el russe», du Pamir et de l'ancien
Tnknrestan; surlaut de 1873 à 1978 inclusivement, elles ont changé de Tond
I
ÎnCIKHS itinéraires a THAVERS LK, PAMIR. 457
D'après ces données, In-pokien^, h 200 li sud-est de Po-
to-tschouang-na, se place pr&s de Djerm, à 45 kilomfiires
sud-est de Payzabad, ce qui confirme l'ideiitiflciiLion ci-
dessus de Po-lo-lschouang-na avec Payzabad, et non avec
le confluent des rivières de Djerm et de Vardodj, situé fi
20 kilomètres seulement, droit au nord deDjerm. De même
Khiou-lang-na^, à 300 li sud-esL de la localité précédente, se
retrouve dans Zehak, îi 70 kilomètres environ deDjerm. Les
dislances proporlionnelles 45 : 70=^200 : 300, sont presque
exactes, mais, remarquons que la valeur métrique des li
de îliuuen-Thsang diminue, à mesure qu'il s'engage dans les
montagnes.
Zébak se trouve sur la route du Badakhschan au Wakhan
et. c'est dans la partie supérieure de ce dernier pays, immé-
diatement au-dessous du confluent du Hiandj (rivière ex-
plorée par Wood) et du Sath;idd, que M. Vivien de Saint-
Martin place le ra-mo-st-Itc-t<, d'après la consonance du
nom de sa rapilale Houeu-to-to, a\ec A'(m(/<i/'/<, village du
Waklian, situé à environ HO kilomètres au-dessous du con-
fluent du Piandj et du Sarhadd.
Mais cette consonance est assez éloignée, cl la position
^du Ta-mo-si-tié-ti, telle que la donne Iliouen-Thsang, est
ion pas celle du Wakhan, maïs bien celle duGfaaran,actueî-
ïinent et depuis longlemps province du Badakschan, dans
laquelle se trouvent les célèbres mines de rubis de ce pays,
(maintenant presque épuisées), car la frontière nord du Gba-
jran, dans toute sa longueur, est formée parle Chighnan, et
et c'est ce <i«ie dit lliuuen-Thsang de son Ta-mo-si-lié-ti. De
plus, il dit que ce pays est conligu à l'Oxus (Pol-sou); celte
parltculari Lé s'applique aussi au nharan,tbrmé par la vallée du
en coiiililo la carie «le ci*s rontrrcs, elles cnittiniiviit encore etrenrtent ma
lâche, dans ce iUilniirf, inllnimeiU [iliis farilc (|u<; ccll" rte mes savants
prédécesseurs.
1. Biogr., Irail. SUnisliis fuli^Mi. p. 270 et :W7.
2. Biogr., trad. Slaiiisliis Julien, p. iH), W, 106.
458 LES ANCIENS ITINÉRAIRES X THAVERS LE PAMIR.
Bogouz, aftluent de l'Oxus, et une partie de la rive gauche de ce
fleuve,de8 deux côtés de l'enibouduire du Bogouz; mais elle
ne s'applique pas au^Vakhan, qui est une partie de la vallée
môme de l'Oxus, sur les deux bords du fleuve, et forme la
frontière sud du Gharan, dont il est séparé par une chaîne
de montagnes neigeuses, situées entre rO\us cl leBougouz.
Le Wakhan, séparé du Chighan par le Gharan, est donc le
Chany-mi de Hiouen-Tbsang, séparé de Ghi-khi-nipar le
Ta-mo-si-tie-ti.
Voici, du reste, ce que dit encore Iliouen-Thsang de ce
dernier pays ;
u II est situé entre deux chaînes de montagnes, dans le
voisinage du tleuve de Pot sou, et s'étend sur une longueur
de cinq à six journées de marche de l'est à Fouest, de quatre
à cinq du nord au sud; mais sa partie la plus étroite n'a
pas une li de large, U s'étend le long du fleuve, suivant
toutes ses sinuosités ; il est entrecoupé de collines d'ondu-
lations variées en hauteur, de petits plateaux couverts de
sable et de pierres. « (Paquier, te Pamir, p. il.)
Le fleuve que la vallée « suit dans toutes ses sinuosités »
est bien évidemment le Boiigouz, l'Oxus (Pol-sou) étant
seulement voisin de cette vallée encore inexplorée, ce qui
fait que les renseignements de Hiouen-Thsang sont les seuls
que je connaisse sur la nature du pays. La largeur de 400
li (quatre journées), paraît exagérée; la roule par le Gha-
ran le long de l'Oxus, étant de 60 kilomètres; mais une
route Iransverse par la vallée du Bougouz, d'une crôte de
montagne à l'autre, peut bien être de 80 kilomètres, avec
les montées, descentes, détours elc, de même que la lon-
gueur du Bougouz (encore inconnue) peut atteindre 100
kilomètres ou plus de route, avec les siimosilésde la vallée.
Voici maintenant ce que Hiouen-Thsang dit du Ghi-khi-ni:
« Au nord de ce rovaumo (de Ta-mo-si-tie-ti), et par
delà de hautes montagnes, se trouve le Chi-khi-ni qui a un
circuit de vingt journées de marche. 11 consiste en une suc-
LES AKCISNS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 459
ceMÏOD de collines et de vallées, de plateaux et de déserts
couverts de sable et de pierres ; cependant on y voit du
blé .»
Entre ia vallée du Bogbouz et celle du Schah-dara, dans le
Chighnan s'élève en effet une chiUne neigeuse qui* continue
dans le Badakschan, à l'ouest de l'Ozus ; ce fleuve la tra-
verse par une fente transversale, la gorge de Koughouz-
Parin, tellement impraticable, qu'il y a fallu tailler un tun-
neldans le roc pour la route qui suit la rive de l'Oxus. Ce
tQimel est considérablement postérieur à Iliouen-Tbsang,
qui dut passer du Gbaran au Cbigbnan par quelque col au
nord du BogouK, col encore inconnu, le Cbigbnan intérieur
étant aussi inexploré que ia vallée du Bogouz.
De plus, la notice de Hiouen-Thsang nous montre que
toa Chi-kbi-ni n'est pas une seule grande vallée, comme
celle de Bogbouz; c'est un composé complexe de vallées et
de montagnes. Tel est en effet le Cbigbnan, d'après les ren-
seigoements locaux recueillis par Abdul-soubban, topo-
graphe musulman de la mission Forsytb, que le colonel
Gordon envoya, en avril 1874, reconnaître la vallée de l'Oxus
«tre le Wakban et le Derwaz. Il apprit que le Cbigb-
nan se compose de deux vallées principales, celles de
Giound et celle du Sehah-darah, rivières dont la réunion
forme le Soutschan, affluent considérable de l'Oxus et de
iKiQcoup de vallées secondaires. Hiouen-Tbsang nous
ipprend, de plus, que les montagnes intérieures du Cbi-
II^Qan, celles qui s'élèvent entre le Gbound et le Scbah-
iuah, sont bien moins élevées que les cbatnes neigeuses qui
•Dtourent ce pays de tous les côtés, chaînes dont j'ai vu
trois, des bopds du Yaschil-koul : celle de l'est, celle du
oord, le long de l'Aksou, et l'énorme massif occidental qui
t'^lère sur le bord droit de l'Oxus, portant des pics de
l'Paquier,iePam»r,p. 41. —Biogr., trad. Stanislas Julien, p. 270, 365.
J'KTiendrai encore au Chi-khi-ni et au Chang-mi, dans une note com-
Pl^iWDtaire.
4^0 LES A.XCIKNS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR.
plus de 6,000 mètres, dont j'ai nommé le plus haut pici
Tcherniayew, en l'honoeur de l'illustre général qui ouvritj
l'Asie centrale h nos explorations scientiflques.
C'est par le Chighnan que passa Hioucn-ThsanR pour
atteindre la vallée de Po-nii-lo et le Lac du Orrigon, dont .
il donne la description suivante : ■
« La vallée de Pa-mi-lo a 1,000 li de long, de l'est à
l'ouest, et 100 ti de large, du nord au sud; mais sa par
tie la plus étroite n'a que 10 11 de large. Elle s'étend
entre deux chnînes neigeuses, elle e«t très froide, et le vent
y souffle par violentes rafales. La neige y tombe même au
printemps et en été; le vent y souffle jour et nuit, sans sej
calmer. Le sol est saturé do sel et couvert de petits galets
Il ne peut y croître ni blé, ni fruits; les arbres et autres
plantes sont rares; partout un désert sauvage, sans trace
d'habitation tiumaine. Au milieu de cette vallée se trouve le
grand lac du l>ragon ; son étendue est de 300 li de l'est
à l'ouest et de .'>0n li du nord au sud. Ce lac est situé
à une hauteur incommensurable, dans l'inlérieur du Ta-
Tbsoung-ling, au milieu du Tchen-pou-lcheou (tran-
scription chinoise de Djambou-Dvvipa). Si on le regarde
de loin, il s'étend comme une mer immense dont l'eBil ne
peut découvrir les bornes; à entendre le bruit de ses vagues
on dirait les clameurs d'un vaste marché où s'agite une
multitude sans no'nbro. Ses eaux sont pures et transpa-
rentes; leur profondeur est incommensurable. La couleur
deseaux est un bleu foncé; leur goût est «loux et agréable...
De la partie occidentale du lac sort un large torrent, qui!
se réunit au Pot-sou dans les contins orientaux du Ta-mo-
si-lie-li et continue à couler toujours vers l'ouest. Toutes-
les eaux à droile du lac coulent également vers l'ouest. De
la partie orientale du lac sort aussi une large rivière, qui se
dirige vers le nord-est, se joint au Si-to^ dans les conlins,
occidentaux du Kié-cha, et continue à couler vers l'est.
Je connais trois déterminations diiFérentes du Po-rai-lo
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 461
de Hiouen-Thsang, qui est bien évidemment une Iranscrip-
lion chinoise du nom de Pamir.
1" La tradition constante des géographes chinois, qui
citaient Hiouen-Thsang, en décrivant les contrées occiden-
tales (Si-yu), interprète son lac Loun-tchi (lac du Dragon)
par le lac Kara-koul. Cette détermination chinoise fut
adoptée par Klaproth que suivit aussi Ritter. Tous d'ailleurs
identifient la rivière qui découle du lac du Dragon vers l'est
asec leYaman-yar, maintenant complètement absorbé par
des canaux d'irrigation, mais jadis affluent du Kaschgar-
Darya. Or le Yaman-yar, que les Chinois croient découlant
d'un grand lac nommé Kara-koul par les Kara-Kirghiz, est
en réalité séparé par plusieurs chaînes de montagnes du
grand lac de ce nom ; il ne traverse qu'un petit lac insigni-
fiant, qui ne répond nullement à la grandiose description de
Hiouen-Tsang ; ce lac du Yaman-yar est nommé par les Kir-
ghiz Ktchi-kara-koul (petit Karakoul), que les Chinois ont
toujours cofondu avec le grand*, n'ayant qu'une connais-
sance très vague de cette partie du Pamir. Quant à l'affluent
de rOxus, sortant du lac du Dragon et coulant par le Po-
tni'lo*, les auteurs chinois ne le déterminent pas plus que
Klaproth et Ritter.
2° La plupart des commentateurs européens, interprétant
le TLa-mo-si-tie-ti par le Wakhan, identifient la vallée de
Po-mi-lo ou avec celle du Piandj supérieur (grand Pamir
de Yule) ou avec celle du Sarhadd (petit Pamir). La pre-
1. Cette confusion fut d'abord soupçonnée par Shaw qui recueillit, eu
1872, les premiers renseignements kirghiz sur la vraie position du
petit Kara-koul ; néanmoins, elle resta encore incertaine pour Yule, en
1872 {Essay on the Geogrzphy of Upper Oxu%, p. ciir) et ne fut défini-
tivement établie que par les renseignements de Gordon et Trotter, en
1873-1874. Mes renseignements sur le petit Kara-koul s'accordent avec
ceux de Shaw, Gordon et Trotter; quant au grand Kara-koul, je l'ai
exploré en détail.
2 Hiouen-Thsang ne le dit pas expressément, mais cela découle de
toute sa description.
454 LEd ANCIENS ITINKHAIRKS A TRAVERS L£ PAMIR.
Alors la position do Ki-U'Se-mo serait dans les environs
do Rouslak, et celle de Ui-mo-tii-lo près de Kischmon un
peu aunofd (12-15 kilomètres), mais tout près du méridien
de Kischnn, sur la route direcLe deRoundouz à Fayzabad. En
plaçant au contraire Ki-li-se-mo près de la ville acluelle
d'Iscb-Kamysch, selon la carte japonaise citée ci-dessus,
nous obtenons un tiiangle, mais non équilatéral, et dont les
côtés ne correspondent pas aux distances données par
Hiouen-Tlisang, ceqiii diminue la valeurdes considérations
présentées plus liant on faveur d'Jsch-Kamysch, comme em-
placement probable de Ki-li-se-mo, la plus incertaine, par
conséquent, des localités dont je viens d'essaj'er la déter-
mination. Mais que Ki-li-se-mo soit au nord ou au sud de
la grande route KoundouK-Fayxabadj dans les deux cas
la position du district de Hi-mo-ta-to reste ia même, cor-
respondant au district actuel de Kischm,
Au reste, il ne faut pas oublier que toutes les détermina-
lions des localités ci-dessus, môme les plus positives, comme
celle deHouo, ne sont encore que grossièrement approxima-
tives. Ce sont des déterminations de i{islricts,r\oii de villes.
Des déterminations phis précises des villes principales vi-
sitées par Hiouen-Tbsang nie paraissent impossibles sans
une exploration archéologique de l'ancien Tokharistan.
Vérifions niainlcnant les déterminations ci-dessus par les
distances des localités d'IIiouen-Tbsang en lietdes localités
correspondantes actuelles en kilomfelres.
1° La route de îJotw par Moung-kiang, Ki-ii-se-mo, Hi-
mo-la-lo, a Po-to-lschouang-na est de 100 -|- 31.10 -f 300
4-200= 000 li; la route actuelle de Koundouz à Fayzabad
dans le Badakschan, par Khan-abad, Talikhan, Boustak,
ou Isch-Kamysch, et Kischm est d'un peu plus de 200 kilo-
mètres (sur la carte).
2° La roule directe par Moung-Kiang etHi-mo-la-lo, lais-
sant de côté Kiliserao, est de 100 + 300 + 20<) — 000 li ; la
route directe de Koundouz à Fayzabad suivie par Wood,esl
LSS AXrjEXS ITINËIIAIIteK A IIUVKM LII MMIIt. t^
de lôO kilomètres environ (»ur l« f-MUf. Tw lUiUh^ti;
recte de Houo à lli-mo-U'Io e»( 4« l/Jif/
Tschouang-na 200 li : de R(jiiu/U/';/
de là h Fayzabad environ fiO kikr^
proportion exacte : 400 : 2fX) :v
la ditrérence des proportions ûê» 4lMi»«<
à 600, et ^200 à 150. dépend de l'iMWAAMb^ •
nation de Ki-li-se-mo.
Ce qui est certain, c'est que le* i«M«llA4lAv
Hiouen-Thsang peuvent Ctre c\\etc.\iéf*
route d'Andérab au Hadakhschau, p>ir à
deux côtés de cette route, mais pas ph«
mètres de chaque côté.
Quant au Polo-tscfiou(tHff-na de lli<iii*rri 7» •** /
bien certain que cette localité se Irouvn linin - ♦'•
schan actuel; mais celui-ci est un paysastc/. ^1>« '"■
posé encore de plusieurs des royaumes ou prtrt^;*^*'^/ *i*^
Hiouen-Thsang mentionne à part. Je viens d'ii<«iiU<4*' ' ^
to-tschouang-na avec les environs de Fay/.atr«4/ <««
actuelle du Badakhschan, mais c'est déjà moint tf^t^^oi^ j
Au reste, l'ensemble de l'itinéraire d'Andi'irab »<i kt
dont nous venons d'analyser la moitié occidt'ntttl<',f»*
pas de doute .sur la position centrale de c&(li>- locuItU <(U%iU
le Badakhschan actuel; nous n'avons donc, pour f'. ■/.-]
Ischouang-na, que le choix entre Fayzabad et lii j^'» w
plaine centrale du Badaklisclian, au con/luptit don r(»»>i«*-«
de Djerm et de Vardodj, formant le h'okicha, fl«nv« i^v-Ci
cipal du Badakhschan et un des grands affluents Ati\'(Htéfè»
Nous verrons qu'il vaut mieux choisir Fayzabad.
Avant de poursuivre notre itinéraire, arrêtons-non*
instant, d'après Yule, cité par M. Vaquiev {ie i^amir, p.Uf/.tHii
royaume â'0-tt-ni, dans le Thsoung-ling que CunninghA'W
et Yule ideuliûent avec .-h7w/ou Ami, un des centre» W«
plus anciens delà domination aryenne. D'après mes détcrvl
minalions des localités du Tokharist«n el ilu Pamir qui s«4
LES AlfCTENS tTINÉItAIRES A TRAVERS LE PAMIR.
rniére opinion est celle de Stanislas Julien et de M. Vivien
de Sainl-Martin, soutenue plus lard aussi par MM. Paquier
et Grigoriew; la seconde est celle de Rawlinson et Yule.
Ces derniers se fondent vraisemblablement sur le témoi-'
gnage de Mirza*, qui dit que deux rivières découlent du lac
ceniral du petit Pamir (lac Pamir-Koul, Ghaz-koul ou Oï-
koul) : le Sarhadd vers Toucsl, la rivière de Tasch-kourgane
affluent du Yarkend-daria vers l'est; mais on sait à présent
que celle indicalion est une erreur de Mirza, qui passa le
Pamir-Khourd (petit Pamir) au cœur de l'hiver, par une
neige profonde. MM. Gordon et Trotter, en 1874, reconnu-
rent que la source du Sarliadd est complètement séparée du
lac Pamir-koul qui n'a qu'un seul écoulement, l'Aksou, tribu-
taire de rOxus et non du Yarkend-Darya. De plus, le Pa-
mir-Koul est un lac de fini petites dimensions; si même
il a jadis été plus grand, comme le suppose Yule, il n'a
jamais pu être quelque chose d'approchant du tableau
grandiose que Iliouon-lsang trace de son lac du Dragon.
Quant au lac du grand Pamir, personne ne s'est rafimo
trompé en lui supposant un double écoulement, et, s'il est
considérablement plus grand que le Pamir-koul, il est ce-
pendant loin d'approcher <le la description de Hiouen-
Thsang, puisqu'il n'a que 2 tiloraèlres de largeur, sur envi-
ron 20 de longueur. Au reste, les auteurs chinois qui citent
ou copient Hiouen-Thsang, ont depuis longtemps changé les
dimensions de son lac Lountchi et remplacé les cinq cents
li nord-sud du texte original (traduit par Stanislas Julien)
par cinquante li pour accommoder la largeur du lac à
celle de la vallée. Ainsi transformé, le lac Loun-Lschi res-
semble déjà plus à celui du grand Pamir, au moins pour
les dimensions iwoporticnoelles : seulement cette prétendue j
correction est parfaitement arbitraire, cl tout à fait inconci-
l. KvpKiraleur iiiusuluian envoyé en 1870, |iar le itiajiir Moiitgdmpryi
lie rescliawer il Yaiketid, qui passa par Kaboul, Kounilniiz. Fn.rznbad (daiii:
le Badakhsclian), le Wakhaii et le l'élit Pamir.
J
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 463
liabieavec les détails descriptifs donnés par Hiouen-Thsang.
Or ces détails ne sont pas de ceux qu'on puisse rejeter; on y
reconnaît trop infailliblement un observateur profondément
inapressionné par le grand spectacle qu'il a vu de ses yeux
et notant son impression avec une vérité frappante, ce à
quoi nous reviendrons encore.
De plus, pour identiPier le Po-mi-Io, soit avec le grand
Pamir, soit avec le petit, il faut nécessairement identifier
aussi le Ta-mo-si-t'ié-ti avec le Wakhan, et admettre que
Hiouen-Thsang retourne dans ce dernier pays, après sa visite
au Ghigfanaii qu'il a bien certainement visité, d'après les dé-
tails qu'il en donne.
Mais nous avons déjà vu que le Ta-mo-si-t'ié-ti est le
Gharan, vallée du Bogouz, et non le Wakhan : ce dernier
pays n'est mentionné qu'incidemment, sous le nom de
Ghang<mi, et U y a tout lieu de croire que Hiouen-Thsang
ne le visita pas, ce pays n'ayant jamais été bouddhiste.
D'après les traditions locales, recueillies et par Wood, et
par le colonel Gordon *, toutes les ruines y sont attribuées
aux adorateurs du feu et Wood y a trouvé, dans les supers-
titions des musulmans actuels, des traces du mazdéisme
qui fut la seule religion antérieure à l'Islam dont se sou-
vienne le peuple du Wakhan ; sa conversion à cette dernière
religion paraît avoir été tardive, les ruines anté-musulmanes
n'étant pas bien anciennes.
Quant au Chighnan, Hiouen-Thsang a décrit l'état du
bouddhisme de son temps*, et c'est immédiatement après
ïe Chi-khi-ni qu'il décrit la vallée de Po-mi-lo.
1. Wood, Joumey to the source ofthe Oxux, î» éd* p^ 218. — Gordon,
Roofofthe World, p. U).
2. Ritter, Asien, tome V, livre III, p. 494; Berlin, 1837, antérieure-
meirt k la découverte du texte original de Hiouen-Tlisang, traduit par
Stanislas Julien. Ritter s'est servi d'extraits passablement altérés, tra-
duits par Jacquet, d'après «n recueil bouddhiste. Le Chighnan dont la
description est très reconnaissable, y est nommé Chang-mi, au lieu de
Ghi-khi-ni.
46-t LES ANCIENS rTJNKUAJRES A TttAVEllS LE PAMIR.
C'est donc au nord-est du Chighnan «t à 700 li nord
est du Bogouï, qu'il faut chercher le Po-rai-lo el le lac
Loiin-tcht, dans une région du Pamir, qui était complète
ment inconnue à mes savants prédécesseurs, quant à ce
commentaire de Hioueii-Thsang; en effet, la plus grande
partie de cette région n'a été découverte que par mon expé-
dition en -IS'S.
Au nord-esl du Chighnan nous trouvons la vallée de
l'Aksou, dont la partie ayant une direction générale vers
l'est n'a pas de lac, et à laquelle la description de Hiouen-
Thsang est doue inapplicable ; puis la vallée de Koudara, avec
un ailîuent de l'Aksou, vallée que j'ai vu le premier, à la-
quelle la description de Hiouen-Thsang s'applique parfaite-
inenl, et qui conduit au lac Grand Kara-koul, que j'ai éga-
lement exploré. C'est par la comparaison du Kara-koul tel
que je l'ai étudié sur place, avec la description du lac Louii-
Iscbi que je commencerai ma déli'îrminalion du Po-mi-lo.
LelHcLoun-lschi doit être le plus grand du Pamir, et tel est
le Grand Kara-koul; mais la question principale est celle de
son déversement. D'après les renseignements des Kirgbiz,
recueillis par les explorateurs anglais en Kasehgarie (Shaw,
Gordon, Trotter), legrand Kara-koulse déverse dans l'Aksou,
aflhienl de l'Oxus. Ensuite, en 1875 ce lac fut, pour la pre-
mière fois, visité par des Européens, par des topographes
russes qui relevèrent à la hâte, très imparfaitement, le lac
et une des vallées qui s'ouvrent dans son bassin, puis par le
colonel Kostenko qui décrivit cette localité; il décida que
le Rara-koul n'a d'écoulement nulle part et se trouve dans un
bassin complètement fermé, entouré de tous côtés par de
hautes montagnes. Néanmoins il mentionne que ces mon-
tagnes sont interrompues par un intervalle ouvert, vers
l'angle sud-ouest du lac; mais Finlcrvalle resta inexploré,
ce qui n'cmpècha pas M. Kostenko de décider tout à fait
arbitrairement que cet intervalle doit être la vallée de
quelque affluent du Kara-koul.
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 465
Ea 1878, une exploration plus complète me montra autre
chose, savoir que le bassin duKara-koul, loin d'être complè-
tement fermé, n'est que l'élargissement d'une très grande
vallée qui s'ouvre au sud-ouest dans celle de l'Aksou, du
système fluvial de l'Oxus, au nord-est dans celle du Markan-
soii, affluent du Kaschgar-Darya, apparten antdonc au
système fluvial du Tariin. Quant au lac Kara-koul, il n'a, à
présent, aucun écoulement dans les années ordinaires;
mais après un hiver particulièrement neigeux, les crues
exceptionnelles du Kara-koul se déversent vers l'Oxus, par
la vallée de Koudara. J'ai aussi trouvé, par des lignes hori-
zontales d'érosion sur certains escarpements autour du
Kara-koul (lignes déjà notées par M. Rostenko), que le
niveau du lac était jadis de 30 mètres plus élevé, et son
étendue beaucoup plus grande; j'ai aussi réussi à restaurer
cette ancienne étendue du lac d'après les traces de l'ancien
niveau des eaux ; enfin j'ai aussi trouvé les traces d'un ancien
écoulement du Kara-koul dans le Markan-sou. Ces traces,
combinées avec les données hypsométriques d'un nivelle-
ment entre le Ferghâna et le Kara-koul, exécuté pendant
mon expédition au Pamir par mon compagnon de voyage,
M. Scassi, prouvent qu'il y a eu immédiatement au nord du
Kara-koul un soulèvement post-glaciaire, donc géologique-
ment très récent et même continuant jusqu'à présent. Ce
fait est d'ailleurs confirmé par mes observations sur la
distribution des anciennes moraines et autres traces de la
période glaciaire dans les systèmes de montagnes du Thian-
Schan et du Pamir. Mais je m'arrête : l'exposé de ces
observations ainsi que la topographie détaillée du Kara-
koul et ses environs, nous conduirait ici trop loin*; je me
1 . Tout cela sera décrit en détail dans un ouvrage plus considérable
auquel je travaille maintenant, et qui doit contenir la relation, ainsi que
les résultats scientifiques de l'expédition que j'ai dernièrement dirigée
au Ferghâna et sur le Pamir, en 1877-1878. Le Mémoire actuel est un
chapitre de cet ouvrage, dont une partie, contenant la description orogra-
SOC. DE GÉOGR. — 3' TKIMESTRE 1890. XI. — 30
4-66 LES ANCIENS ITINÉHAIUFS A THAVEllS LE TAJUn.
contente de faire observer que ce soulèvement a beaucoup
modifié l'étendue et la forme du Kara-koul, même depuis
le voyage d'Hiouen-Thsang; de plus ce lac, comme tanl
d'autres de l'Asie centrale, diminue aussi par suite de la
sécberesse croissante du climat. L'ancienne étendue du
Kara-koul était d'environ 50 kilomÈli-es nord-sud et 30 kilo-
mètres est-ouest, chiiîres exactement proportionnels a ceux
que donne Hiouen-Thsang, soit cinq cents li nord-sud el
trois cents li est-ouesL Quant aux dimensions actuelles du
K.ara-koul, elles sont moindres, soit environ 30 kilomètres
de longueur nord-sud, sur 20 de largeur est-ouest; de
plus, les anciennes îles du lac sont devenues deux pres-
qu'îles qui le divisent en deux bassins réunis par un détroit,
tandis que jadis, avec un niveau des eaux plus élevé de 25
à 30 mètres, les nombreuses collines rocheuses mais bassei$
de la presqu'île nord, devaient présenter un archipel de
petits écueils, non une île compacte.
Comparée avec la restauration de l'ancienne étendue du
Kara-koul du temps de son double écoulement, la descrip-
tion du lac du Dragon (lac de Loun-lchi) par Hiouen-Thsang
est d'une exactitude frappante, malgré une exagération
considérable des dimensions absolues. Même tel qu'il est à
présent le grand Kara-koul reste leseul lac du P«»itrauquel
on puisse rapporter cette description, car il est le plus
grand de tous, et le seul (sauf peut-être le petit Kara-koul
encore inexploré, et hors de question par sa petitesse) dont
la plus grande étendue soit dans une direction nord-sud.
De plus, c'est le seul lac du Pamir qui présente au moins des
traces d'un ancien double écoulement. Au resie, du temps
de Hiouen-Thsang, l'écoulement nord-est du lac vers le
Markan-sou, était déjà remplacé, peul-Stre, par une bifur-
phiquc ilii système ile« montagne» Jti Pamir, comparativement au
Thian-sclian, est déjà sous preun (en russe), et donne, d« la structure
orogrnpliî<iue du Pamir, une idée très dilfëreiite de celle (|u*on en avait
jusqu'à jtréscnt.
LES ANCIENS ITINÉUAIUES A TRAVERS LE PAMIlt. 4fi7
cation duKara-soii, aftluenl nord du lac. De cette bifurcation
j'ai aussi tu des traces sous forme de trois anciens lits
desséchés de rivières : dirigés du Kara-sou vers l'est, et
creusés dans un amas d'alluvions limoneuses, amoncelées
par le Kara-sou à son ancienne embouchure dans le lac
Loun-tchi; ces alluvions séparent maintenant cette rivière
du petit lac Kalyr-koul, jadis une baie, formant l'extrémité
nord-est du Kara-koul.
(À suivre.)
Le Gérant responsable,
Ch. Maunoir,
Secrétaire irénéral de la Commissioo centrale.
■MOi. — Imprimeries réuDiet, B, rue Mignon, 2. — May et MOTTBROZ, directeura.
.î» rrimt-j^n- IS90
DE
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A
I
VOYAGE DANS L'ASIE CENTRALE
ET AU PAMIR
CABmiEL BOirTAI.OT'
Permettez-moi de remercier d'abord la Société de Géogra-
phie, en la personne de son président, de l'insigne honneur
qa'elle nous fait en nous recevant avec solennité h l'amphi-
théâtre de la Sorbonne ; permettez-moi de vous remercier,
Mesdames et Messieurs, d'avoir répondu à l'appel de la
Société, et croyez que mes compagnons Gapus et Pépin sont
également touchés de ce bienveillant accueil. Laissez-nous
maintenant vous conter rapidement notre voyage.
En 1880-1881-1882, M. Gapus et moi avions parcouru
une partie de l'Asie centrale, mais nous nous étions tenu au
nord de l'Oxus, sauf au moment oiinous quittions le grand
fleuve près de Khiva pour gagner, en hiver, Krasnovodsk par
l'Oust Ourt, un désert désagréable comme vous le savez. Les
circonstances nous avaient alors permis de faire des collec-
tions d'histoire naturelle considérables et intéressantes, et
de reconnaître les grands chemins historiques parcourus
par les conquérants divers depuis Alexandre le Grand
jusqu'à TchemaïeiT et.KauiTmann.
Une fois rentrés en France, nous nous sommes guéris de
la flèvre et remis de nos . fatigues. En examinant ce que
nous avions fait, nous avons constaté des lacunes ; des docu-
ments nous ont paru incomplets, il nous a semblé que bien
des choses d'Asie centrale nous seraient plus claires, si nous
1. Cotnmunieation adressée à la Société ie Géognp\M.â&ns son
aisomblée générale extraordinaire tenue à la Sorbonne le 14 janvier 1888.
soc. DE GiOGB. — 4* TRIMESTRE 1890. XI. — 31
470 VOYAGE IIANS L'aSIE CENTRALE ET AU PAMIR.
en trouvions d'autres à leur comparer, et l'idée nous vint
bien vite de poursuivre au sud de i'Oxus l'œuvre coraraencée
au nord.
Comme il n'est pas dans les mœurs de notivî pays que les
particuliers riches prennent à leur charge les frais des mis-
sions d'expioration, nous nous sommes adressés au Ministère
de r Instruction publique. M. Xavier Charmes, Directeur des
missions, a bien voulu s'intéresser à notre projet : il l'a sou-
tenu et la commission des missions a voté les fonds avec
lesquels nous sommes partis. Nous devions explorer la
vallée du Haut Oxusel tâcher de pénétrer dans le Kafiristan.
M. Capus devait s'occuper d'histoire naturelle, M. Pépin,
mon ami d'enfance, devait dessiner ou croquer ce qu'on ne
pourrait photographier; j'avais à m'occuper d'histoire et
d'ethnographie.
Nous ne regrettons pas les fatigues et les ennuis de notre
long voyage, car nous en rapportons des renseignements de
divers genresquicontrihuerontà faire mieux connaîtreTAsie.
Nous avons rassemblé ce que nous avons pu d'objets ethno-
graphiques, costumes, ustensiles etc.; nous avons des cr:\nes
des différentes races, des mensurations anthropologiques,
une collection d'histoire naturelle que des notes complètent,
des observations météorologiques prises plusieurs fois par
jour ; directions des vents, état du ciel, etc., tout a été noté
autant que possible. Le thermomètre nous a permis de
constater que nous avions subi dans notre voyage un écart
de plus de 100 degrés (-)- 60* au soleil, — 44° h l'ombre);
après être descendu plus bas que la mer sur les bords de la
Caspienne, nous sommes montés à ti,0<X) mètres environ sur
le Pamir. Nous avons des notes sur la géologie, sur la culture,
lesirrigations, des itinéraires relevés avec soin. Nous avons
des renseignements tels que l'on peutafllrmer que l'histoire
d'Asie doit Hve envisagée à un nouveau point de vue. Nos
petites fouilles de Termiz ont donné quelques résultats inté-
pessants. Tous ces documents sont complétés par une col-
VOYAGE DANS l'aSIE CENTRALE ET AD PAMIU. 471
lection unique de croquis, de dessins, d'études de notre
ami Pépin. Enfin nous avons exploré le Paniir, traversé
l'Hindou Kouch, l'Hymalaja et étudié les tribus curieuses
qui peuplent oes montagnes.
Avant de vous dire notre voyage, laissez-moi réparer un
oubli impardonnable que j'allais commettre. J'allais oublier
de remercier des absents ; il ne faut pas qu'ils aient toujours
tort.
Disons donc merci et bien haut à nos amis russes du
Turkestan, au général Kamaroff, au général Anneiikoff, au
général Iranoff et enfin au général KaralkofTdont les con-
seils nous ont été précieux. Ajoutons à cette liste, qui na
saurait Être trop longue, le nom des capitaines Grombt-
chefski, Giouclianovski, qui nous ont tant aidés, et celui de
M. Muller, de Tachlcent, un Français, un ami d'un dévoue-
ment rare.
Nous remercions aussi lord Dufferin et M. Durand, qui
sont intervenus si efficacement, lors de notre arrestation à
Tchatral, et qui nous ont aimablement reçus à Simla.
Il me reste à dire que nous serons toujours sincèrement
reconnaissants h M. de Balachoiï de la générosité avec
laquelle il nous a aidés alors que nous étions dénués de tout.
C'est une générosité dont il est coulumier et qui ne nous
a pas surpris, car nous avions appris à connaître le bon
cneur de la nation russe, et c'est la sienne.
En décembre 1880 et en janvier 1887, nous faisons nos
préparatils, et en février nous nous embarquons à Marseille.
Nous touchons à Conslanfinople, h Samsoun, à Trébizonde,
et débarquons à lîatoum, le Bercy du napbte et du pélrole.
Le chemin de fernous emporte sur Tiflis, à travers des forêts
vierges, des paysages grandioses animés par des peuples aux
costumes pittoresques. A Tiflis nous attendons les papiers
qui doivent nous faciliter l'entrée de la Transcaspie, con-
quise récemment par les Russes. Grâce à la bienveillance d-u
gouverneur généralDondoukoff et à l'intermédiaire de notre
m
VOYAGE DANS F. ASIE CENTRALE ET AU PAMIR.
obligeant consul, M. Meyer, les « lettres auverles» nous ar-
rivent et nous poursuivons noire route, décidés à quitter le
chemin de fer à Hadji Caboul, pour gagner ta route postale
de Perse par le pays peu connu du Talych. Le gros de nos
bagages arriva par mer de Bakou à Enzeli, et de là à Téhéran
par caravane. M, de Balloy, notre Ministre plénipotentiaire
en Perse, qui regagne sa résidence avec sa jeune femme, a
bien voulu joindre nos bagages aux siens et les confiep à ses
serviteurs. Après nous fttre donné rendez-vous à Téhéran,
nous partons pour Lenkoran laissant h notre droite la steppe
de Karabagh, traversant la Koura à Saliane et gagnant Len-
koran par des boues épaisses, des marécages fiévreux et sous
une pluie battante. C'est que nous sommes près du Guilan
ou pays des boues. A Astara nous quittons le territoire russe,
dont la frontière est marquée par une rivière qu'on peut
traverser à gué s'il ne pleut pas et en pirogue si les eaux sont
hautes.
Nous sommes en Perse,dans ce pays d'impénétrables forCIs,
habitées par des peuplades clairsemées d'origine turque, qui
vivent à peu près indépendantes et ne reconnaissent guère
que l'autorité des khans autour desquels elles se groupent.
Nous avons de vingt-cinq à trente cours d'eau à franchir
pour arriver à Recht. Tantôt nous passons dans la mer et
les vagues viennentmourirentre les jambes de nos chevaux,
tantôt nous suivons d'étroits sentiers taillés dans les forêts
vierges et l'homme qui va devant élague les branches épi-
neuses qui pourraient nous déchirer la face; dans des clai-
rières marécageuses, nous apercevons des maisons en bois
couvertes de chaume, autour desquelles errent des hommes
armés de grandes serpes à manche très long. Ils vivent de
l'exploitation des forêts, de pftche, de chasse et de brigan-
dage. Nous ne faisons que toucher à Enzeli et par Recht, la
passe de Karzan, Kazvin, nous gagnons Téhéran. C'est là
que nous trouvons le gros de nos bagages chez M. de Ballojr,
qui nous offre la plus gracieuse hospitalité.
i
\
VOïACE DANS L'ASIE CENTRALE ET AU PAMIR. 473
Nous visitons liages, le vieux Yéramiac oîi se trouvent
des mosquées superbes vouées à une destructioa inévitable,
et dès que nous avons préparé notre caravane, obtenu les
papiers indispensables, nous partons pour Mesched. Nous
traversons Simuan, Ghahroud, Bostan, Sebzevar, Nicbapour,
souvent nous faisons roule avec des bandes de pèlerins al-
lant prier sur le tombeau de l'imam Hiza, à Mesched^ Dans
le nombre ou compte beaucoup d'Arabes que les Persans
exploitent de leur mieux. Nous assistons dans les caravan-
sérails à des prières inénarrables. Nous restons à Mesched
le temps de constater que nous ne pouvions pénétrer en
Afghanistan, ni visiter le pays des Hazarùs, pour gagner
Merv par le Kouchk etMourgab.
Nous nous en allons par la vallée du Kchef etla passe de
Mazraa à Sarakhs.
C'est là que nousfrancbissonsleTedjendaux flots de boue,
et que nous nous trouvons pour la seconde fois sur le ter-
ritoire de l'immense empire russe. La chaleur est torride;
c'est en compagnie d'une grande soif que nous avons fait le
chemin de Mesched h Sarakhs et que nous le poursuivons
jusqu'à Merv à travers un désert encore plus pénible que le
précédent. Nous visitons les vieux Merv, Askhabad, les
ruines de Bagrlm, et, après avoir assisté le 14 juillet à l'inau-
guration du chemin de fer à Merv, nous remercions le général
Kamaroff, le général AnnenkolT dont vous savez l'œuvre
étonnante, et nous parlons pour Tchardjoui, à travers un
désert dont M. Cotleau a pu apprécier la nudité et l'horreur
en le traversant eu chemin de 1er i'année suivante.
Notra iulenlion n'était pas de suivre cette direction, nous
voulions entrer eu Aighanistan, soit du côté de Penjdeb,
soit du côté de Maïmené, mais une mission scientifique
russe ayant échoué de ce côté pour des raisons diploma-
tiques, je crois, il nous fallut bien modifier nos plans et
traverser le désert. Au puits de Ilepetek, nous avons con-
staté 46" h lombri;, à 4- heures de l'après-midi 5 il est pro-
k^É
ii
474 VOYAGE DANS l'ASIE CENTRALE ET AU PAillH.
bable que durant notre sommeil le thermomètre a marqué
davantage, car vous pensez bien que sous un cie! pareil on
voyage surtout la nuit pour se reposer le jour. Depuis
Mesched c'était notre manière de faire.
De Tchardjoui, nous avons gagné rapidement Bokbara,
puis Samarcande. A Samarcande, nous avons pris un peu de
repos et en même temps préparé notre voyage du côté de
Balkh, enpays afghan. Nous avions pourprogrammo de visi-
ter le Kafiristan et nous vouliunsatteindre ce pays par laroute
la plus intéressante. Malheureusement la diplomatie euro-
péenne était en éveil, la commission de délimitation était
très occupée à délimiter, les populations de l'Amou Darya
étaient inquiètes, et les Afghans étaient sur pied^ mis en
défiance par les venues et les allées des Anglais et des Russes.
Le moment n'était donc pas très favorable à une exploration
de ce pays peu hospitalier en temps ordinaire. Mais nous
avions une tâche tracée, un devoir à remplir, e» nous réso-
lûmes de tenter l'aventure, malgré les avertissements de
nos amis de Samarcande. A part notre Racbmcd, qui avait
déjà parcouru avec nous une bonne partie de l'Asie cen-
trale durant notre premier voyage, nous ne pûmes trouver
un indigène qui voulût nous accompagner,el cependant nous
offrions des salaires très considérables. Mais la seule pensée
d'avoir à traverser l'Amou Darya décourageait les plus
braves, et ils s'en allaient immédiatement, disant qu'ils se
. souciaient peu d'avoir la ICte tranchée comme te! ou tel de
leurs camarades, qui n'avait jamais repassé le fleuve.
Nous partons donc pour l'Afghanistan n'ayantqucnos deux
fidèles Rachmed et Menas de Saraklis et des hommes loués
pour quelque» jours, que nous remplacerons au fur et à
mesure.
Nous traversons le Chahri'Sabz, Yakabag, et, par la passe
de Sanguirdak de 14,000 pieds qui est assez difficile, nous
tombons dans la vallée du Sourkhane, à Saridjoui. De Sarid-
joui nous allons à Hissar, dont la vaste et pittoresque for-
VOYAGE DANS LASIE CENTUALE ET AU PAMIR. 4i&
teresse vient d'être abandonnée par le frère de l'émir du
Bokhara. Elle était devenue le rendez-vous des raéconlenls
et des partis.ins des vieilles idées. Selon la loi le maître du
llissar étant l'aîné de la famille, avait droit au Irûne laissé
vacant par la mort de Mozaffer-Eddiu, son père, mais
celui-ci avait désigné pour successeur son second flls, d'une
intelligence assea remarquable, paraîl-il. L'aîné avait tenté
de fermenter un soulèvement : il avait cherché uu appui à
l'extérieur, et tant qu'il avait compté qu'on l'aiderait, il
avait fait ferme au\ envoyés de son frère qui l'engageaienl
à se soumettre, à transiger.
Puis, tout espoir de lutter avec succès s'étant évanoui
lors de l'éloigneraenl de la commission anglaise et certain
que les Russes soutenaient le nouvel émir, il rendit les
armes, dispersa ses partisans et s'enfuit à Baïssounne dans
une forteresse assez piètre, où il respire un air pur sous la
surveillance des hommes de son frère.
Voilà pourquoi nous avons pu visiter de fond en comble
la plusinléressante demeure féodale de l'Asie, parce qu'elle
est la plus coinpièle. Nous n'en ferons pas la description.
De Hissar nous atteignons la vallée du Kafirnagan,que nous
suivons jusqu'au point où la rivière se jette dans l'Aniou
[Darya. Nous n'avons pas trouvé dans cette région intéres-
sante les ruines importantes qu'on nous avait dit y exister.
Nous longeons ensuite le majestueux Amou, car il s'agit
pour nous de passer en Afghanistan. De l'embouchure du
Kafirnagan, nous apercevons au sud-est les cimes de l'Hin-
dou Kouch^ qui se dresse comme une muraille entre les
KâQrs et les gens de la plaine bactrienne.
Nous nous en éloijçuons à regret, mais il faut dépister les
Afghans, qui ont des espions très nombreux dans le Bokhara,
et qui savent bien que nous irons chez eux. Nous voudrions
pouvoir pénétrer inopinément dans le pays, de sorte qu'on
ne puisse nous arrÊlcr sur le seuil de la porte, et nous em-
pêcher de prendre langue et d'entamer des iiégocialioos
476 VOYAGE DANS l'aSIE CENTRALE ET AU PAMin.
avec les autorités, au cas où notre présence ne serait pas
trop déplaisante. Les Bokhares nous dissuadent d'y aller
sous couleur qu'il y va de noire vie, mais nous sommes
tous d'accord qu'il faut voir et ne s'en pas laisser imposer
par des récils terriQants. Nous allons donc donner quelques
coups de pioche dans l'immense ruine de Terraiz, puis lais-
. sanl la besogne commencée, après quelques rûsuUals signi-
flcatifs, nous maichoQS rapidement vers Tchoucbka Gouzar.
Nous contions nos bagages et nos collections à la garde
d'un homme sûr, et nous passons le fleuve avec ce qu'il faut
pour travailler, nous réservant défaire venir le reste de nos
impedimenta si la roule est belle. Si les affaires tournaient
mal, on devait faire parvenir notre avoir aux autorités russes
et de là en France.
Nous n'avons pas eu Taccasion d'assister à la triste sépa-
ration d'Urphée et d'Eurydice, nous doutons pourtant que eu
tendre époux ail eu une flgurc plus lamentable en voyant
s'éloigner la barque de Caron, que les Bokhares, qui, de la
rive, regardaient partir en leur disant adieu le mirza et les
deux muletiers qui nous accompagnaient malgré eus. On
eût dit que nous partions pour le royaume des ombres.
Nous étions accompagnés cependant par des gens, un peu
de sac et de corde, mais les Afghans causent un tel cQ'roi
aux indigènes de l'Asie, que la perspective de tomber dans
leurs mains tcriifiait positivement nos recrues de la dernière
heure.
Nous n'avons pas le temps de vous dire comment nous
sommes arrêtés à quelques lieues de la rive, comment on
nous garde à vue durant vingt-six jours, et comment fina-
lement nous sommes relâchés sans grand inconvénient, gr&ce
surtout à ce que l'on nous tienl pour des Russes.
Nous retournons alors à ïcrmis, nous faisons quelques
fouilles, et lorsque l'hiver menace, nous remontons la vallée
du Sourkhane et la quittons après avoir trouvé les traces d'un
aqueduc en ruines, qui amenait autrefois l'eau et la vie à la
VOÏACE DANS L'aSIE CENTRALE ET AD PAMIR . 477
grande ville de Termis, abandonnée depuis longtemps. Elle
se reforme à PatLa-Kissar, où n'existaient que quelques
bulles il y a six ans et qui compte maintenant deux milliers
d'habitants, peul-ÊLre plus.
Nous sommes rentrés à Sanaarcande par Baïssounne, le
délilé de Tchaklcbak, Gouzar et Djame. Le 16 décembre nous
étions à Samarcande. Nous nous reposions un peu de notre
excursion de trois mois, quatid nous apprîmes l'arrivée du
général Karalkoff, notre ancien hôte et notre ami. Nous lui
contâmes nos déboires, nous lui confiâmes notre désir
d'arriver aux Indes, et la conversation tomba iout naturelle-
ment sur le Pamir, cette sorte de pôle Nord des voyageurs
dans l'Asie centrale. On parla aussi de la route des Indes,
la grande route qui traverse le Ferghanah, le Terek Davan,
Kachgar, Yarkand, le Karakoroum Ladack ou Leh. C'est
par là que passent les caravanes venant de l'Indouslan;
elles ne rencontrent pas de bleu grandes difficullés; les
passes du Karakoroum sont libres, même en biver, et les
autorités chinoises ne tracassent point les marchands outre
mesure. Nous n'étions malheureusement pas assurés d'un
bon accueil : notre qualité de Français n'aurait pas été une
recommandation auprès du gouverneur de la Kachgarie.
L'administrateur chinois nous aurait certainement fait
bonne mine pour nous inviter à attendre patiemment les
instructions qu'il aurait demandées à Pékin. Comme on ne
fait encore usage, dans ce pays intéressant, ni du télé-
graphe ni du téléphone, la réponse eut été sans doute reçue
un peu tard,
Ajoutez à cela que la route de Kachgarie nous attirait
moins que celle du Pamir, et vous comprendrez que,
malgré les plus sinistres prédictions, nous ayions aban-
donné la première pour nons risquer à travers les neiges du
« Toit du monde ».
L«s personnes qui voulaient nous dissuader de tenter
l'aventure, nous objeclaienlqup, l'énorme quantité déneige,
478 VOYAGE DANS L'ASIE CENTRALE ET AD PAMIR.
la raréfaction de l'air, la faiblesse provenant de l'altitude,
le froid excessif étaient des obstacles insurmontables, que
nous courions à un échec certain, que si nous voulions
aller jusqu'au bout, quand môme, c'était la mort assurée.
El puis il y avait les Chinois, les Afghans, les tribus sau-
vages de l'Hindou Kouch, du Yaguistan. D'autres nous
conseillaient d'attendre l'été : les passes seraient alors libres
et lo Pamir nous fournirait de Therbe, du combustible, des
hommes. Deux personnes seulement pensaient qu'il fallait
essayer, que peut-être nous réussirions, car on leur avait
dit que le Kizil-Art n'était pas obstrué par la neige et que
les hautes vallées n'étaient jamais impraticables. Mais ce
n'était là que des on-dit, pas un renseignement n'était
sûr, et c'était précisément celte incerlilude qui contri-
buait à nous faire voir l'avenir sous des couleurs riantes.
En effet, si le bien qu'on nous prédisait n'était pas
certain, le mal ne l'élall pas non plus.
Grâce à l'hiver, nous étions assurés de ne pas rencontrer
grand monde là-haut : le froid polaire oblige à descendre
dans la plaine les Kara Kirghis que les copieux pâturages
attirent dansk vallée de l'Ak-Sou ou de l'Oxus, durant les
mois de juillet et d'aoftt. Pour la môme raison, les Afghans
n'auraient pas de poste à la frontière du Wakane, les lacs
seraient gelés et l'on ne serait pas obligé de les contourner;
les rivières pourraient, à l'occasion, nous ofl'rir une roule de
glace très facile aux endroits où les berges ne sont point
hautes el ne retiennent pas la neige en amas considérables.
Tels étaient les avantages qu'offrait une expédilion durant
l'hiver, sans compter Tintérôl scienlilique qu'il y avait à
savoir ce qu'était le Pamir en cette dure saison. Il s'agissait
de dévoiler un mystère géographique : n'y avail-il pas de
quoi nous tenter, de quoi nous faire fermer l'oreille aux dis-
cours de ceux qui nous taxaieuL de folie? Il s'agissait aussi
pour nous de la réalisation d'un rêve longuement caressé :
d'arriver aux Indes par terre. Avouez que c'étaient là des
VOYAGE DANS L'ASIE CENTHALE ET AI] PAMIU.
470
raisons nécessaires et suffisantes pour que nous fussions au
moins imprudents. Au reste, on n'est imprudent en voyage
que lorsqu'on ne réussit pas, que lorsqu'on succombe
comme Crevaux, comme Billel, comme tant d'autres. Or,
nous voici parmi vous tous les trois.
Une fois ]a décision prise, après avoir rassemblé tous les
renseignements susceptibles de nous éclairer, il nous restait
à organiser l'expédition, et à choisir entre les passes qui
devaient nous donner accès à la grande vallée de l'AIaï,
puis au Pamir.
Nous ne vous exposerons pas ici le détail des objets indis-
pensables à l'exéculiou de notre entreprise; ce serait une
énumération peut-être fastidieuse à la longue. Nous avions
à traverser un désert à la température du pôle, souvent
plus haut que la cime du Mont Blanc, où nous n'avions ni
combustible, ni fourrage, ni abri, rien, rien que la neige et
de fréquentes tempêtes en perspective, qu'on disait être
épouvantables. 11 fallait s'armer contre ces difficultés et
contre les quelques bandes de brigands kirghis, rebut des
tribus de la plaine, que les vendettas qui les menacent
obligent à se réfugier dans les vallées les mieux abrités,
ainsi que font les bêtes méchantes chassées de partout.
Notre première préoccupation était de nous procurer du
feu et nous avons rempli des bidons de pétrole, d'esprit de
vin; acheté de l'amadou ; une incalculable quantité déboîtes
d'allumelles; une plaque de tôle qui devait être l'àlre du
foyer improvisé chaque soir, et nous permettrait d'obtenir
plus vile que sur la neige, la llanimue brillante qui vous
réjouit le cœur et fait chanter la marmite. Puis <ies bêches,
d6s pioches, des haches^ du sucre, du thé, du mouton
fumé, du poisson fumé, qui devait être notre grande res-
source si la situation élant désespérée, il nous fallait tout
abandonner et fuir. Alors, on preud les notes sur sa poi-
trine, chacun fourre dans sa pelisse quelques livres de
poisson fumé, et, ayant des vivres pour quelques jours, on
480
VOYAGE I>ANS L ASIE CENTRALE ET kV PAHin.
s'en va là où on peut, avec une bonne provision de car-
touches, le fusil au poing. Nous renouvelons égalemenl la
pharmacie; on n'oublie pas les onguents utiles, en cas de
gel d'un membre ou d'une ejtlréraité. On fait provision de
clous et de t'ers pour les chevaux quand ils seront dans la
montagne caillouteuse, et tout ce qu'il faut pour ferrer, et ■
les piquets en fer pour la lente et la corde à laquelle on
attache les chevaux, etc. A de grandes altitudes l'homme
est sujet a des délaillances et nous avons acheté des abri-
cols séchés, du millet grillé h l'avance : pour se réconforter ■
on suce un abricot, on grignote une poignée de millet, et '
cela vous donne du jarret.
Nous devions rencontrer des êtres plus ou moins bienveil» V
lants : nous avons acheté peureux quelques menus objets,
des pièces d'étolTe de soie et de cotonnade et de ces riens
qui plaisent aux sauvages des deux sexes sans oublier pour
cela les arguments concluants, ceux dont usent les peuples
quand les diplomates reconnaissent leur impuissance, j'en-
tends de bons fusils de guerre, winchester berdane, des
revolvers, pour nos iidèles qui avaient en outre leurs sabres
et leurs couteaux.
Il importait d'être convenablement vêtu, c'esl-à-direl
chaudement. Voici en quoi consistait noire harnachement
qui nous faisait ressembler en mal à des mastodontes, h des
animaux bizarres, aux membres gontlés, au corps étrange-
ment boursouilé. C'était en bas, des valinki ou bottes en
feutre double, garnis de cuir sur les coutures et au pied,
là-dedans s'enfilait un bas de feutre souple de Kachgar
montant plus haut que le genou; puis une culotte ouatée,
et, par là-dessus, un vaste pantalon de cuir ayant un fond
fantastique dans lequel entrait une première pelisse col-
lante en mouton de Kachgar, à pans très longs, appelés
bechinct. Sur cette pelisse on en mettait une autre nommée
toidoup, très large, u. manches très amples et très longues
mais très étroites du côté de la main qui s'y abrite du
VOYAGE DANS L ASIE CENTRALE ET AU PAMIR.
481
froid et du vent. Sur la tête on avait d'abord un tépé,
bonnet conique en peau t/e mouton, s'enfonçant plus bas
que tes oreilles; puis une sorte de capuchon ajusté à la
tête, tombant sur le cou et les épaules cl taillé de telle sorte
par devant qu'on pouvait le croiser sur la figure de façon il
cacher la bouche et le nez auxquels on s'intéresse toujours
dans les climats froids. Les yeux étaient garantis par des
lunettes bombées et bleues. Le tout était serré par la cein-
ture oh 'pendait le revolver, et en bandoulière nous avions
un fusil. Vous comprenez facilement que nous n'avions pas
alors l'alldre pittoresque de nos preux chevaliers du temps
jadis, et que l'on pouvait surtout nous comparer aux plon-
geurs costumés du scaphandre élégant que vous avez sans
doute vu prenant l'air sur la berge de la Seine.
Nous pourrions vous donner bien d'autres détails, mais
nous n'avons pas un instant à perdre, car il nous arrive à
Marguilane, où nous faisons nos préparatifs, chez l'excellent
général Karaikoff, une dépêche d'Osch, annonçant que la
neige tombe sans interruption, que le chemin de Terek-
Davan est à peine praticable et que les passes de l'Alaï sont
fermées à partir d'Osch,
Pour arriver à !a haute vallée de l'Alaï, nous avions le
choix entre trois passes : celle de Tengiz-Baï, de Touyoun-
Mouroum à l'ouest d'Irkestame, et du Taldik, située à peu
près au sud d'Osch et la plus proche de la passe deKizil-Art,
la seule qui nous conduise aux hautes vallées du Pamir.
A Marguilane, on nous conseillait de passer par le Tengiz-
baï, mais il eût fallu huit jours de marche, au moins, dans
la vallée de l'Alaï pour arriver au pied du Kizjl-Art, par
Irkestame; c'était un détour et une perle de temps de
dix jours, de quinze peut-être, sans compter la perspective
de ti'ouver fermée la passe deTouyoun-Mouroum qui barre
l'Alaï. Aussi je partis immédiatement pour Osch, accom-
pagné du capitaine Grombtchefskî, afin de questionner les
indigènes sur place, et de savoir si, en employant un
4.82 VOYAGE DANS L'ASIE CENTRALE ET AU PAMIR.
nombre d'hommes assez considérable, on ne pourrait pas
nous transporter au delà du Taldik.
Après de nombreux conciliabules avec les khans kirghis,
nous tombâmes enfin d'accord. C'élail affaire entendue, les
khans rassembleraient des hommes, des chevaux à Ak Ba-
joga; on nous piétinerait la route et tant bien que mal on
porterait les bagages au bas du versant sud de la première
chaîne de raonlagiies. Je prévins de suite mes compagnons
de quitter Marguilane le plus vite possible, et d'achever les
achats qui devaient être faits en ville. Aussitôt je discutai
avec les khans et le capitaino Grombtchelski de ta durée
probable du voyage, de façon à fréter notre caravane en
conséquence. Je doublai le chiffre le plus élevé fixé par le
khan le plus pessimiste, et sur cette base fut établie la
quantité de vivres à emporter. Lorsque le poids de chaque
chose fut calculé approximativement, on additionna, et,
au moyen d'une division, on sut le nombre de chevaux in-
dispensable.
On fit cuire du biscuit pour huit personnes et pour deux
mois, on acheta de la graisse de mouton et de l'huile; on
prépara de la viande bouillie une fois qu'on sala; on acheta
vingt chevaux à Osch; seize furent munis de selles de bat
et tous eurent des pièces de feutre pour les couvrir. Les
chevaux prêts, nous partîmes le 6 mars pour Ak-Basoga,
où nous devions trouver notre provision de farine, d'orge,
quelques moutons et les gens qui allaient travailler à notre
passage des Alpes. Depuis près de quinze jours, la neige
tombait sans interruption, et ce fut avec une certaine
appréhension que nous nous dirigeAmessur le Taldik. Pour
mon compte, je me posais souvent cette question : Allons-
nous pouvoir passer? Les khans kirghis eux-mêmes étaient
devenus moins alOrmatifs. Chemin faisant, nous avions
appris qu'une caravane avait été anéantie par les avalanches
dans le Terek Davane. Nous n'avions pas atteint sans peine
Goultcha. et le jour de notre arrivée à Ak-Basnga, le
i
VOYAGî; dans KASIE centrale et au PAMIR.
483
i3 mars, le renl soufflait 1res fort, la neige tombait; si le
vent ne cessait pas, tout travail était impossible. Le froid
était déjà intense; il ne dégelait pas dans la journée à
l'ombre; au soleil, le 13 mars, nous constations -[- 37° à,
i heures de l'après-midi, — 18° à 9 heures du soir. Et je me
répétais fréquemment à moi-même : Pourrons-nous passer?
pourrons-nous franchir le Taldik? Il importait, en effet,
d'atteindre l'Alaï où la neige, disait-on, ne serait pas trop
profonde; de TÂlal on gagnerait le Pamir par la grande
passe de Kizil-Art qu'on nous assurait ne devoir pas f^tre
fermée par la neige. Une fois sur le Pamir, on irait de l'avant
du côté du Kandjout, du côté des Indes, aussd loin qu'on
pourrait, jusqu'à extinction de forces. Il fallait donc à tout
prix arriver là-haut, sauf à s'en tirer de son mieux. Une
fois à l'eau, on nage vers l'autre rive. Eh bien, notre crainte
était de ne pas pouvoir nous jeter à Fean, c'est-à-dire sur
le Toit du monde.
A Ak-Basoga, nous avait accompagnés le second du chef
du district d'Osch, le brave capitaine Glouchanofski; d'ac-
cord avec les khans, il rassembla environ deux cents indi-
gènes, cavaliers et piétons, qui travaillèrent durant trois
jours pour nous frayer un passage à travers la passe du
Taldik. Le vent était tombé; le 14 mars il y avait eu 20° de
froid, de sorte que le 15 mars au soir le khan Batir-Bey
nous annonça que de suite on allait expédier en avant trente
chevaux chargés de nos bagages, de nos provisions et de
bois pour six ou sept jours. Nous devions partir le lende-
main dès que la lune serait levée, avec vingt-quatre chevaux
«Je selle ou non chargés, que conduisaient nos trois Kir-
ghis : Sadik, le fameux Djigite, son aide Abdou-Raksoul,
et un certain Satli-Koul, bandit assez illustre, transfuge du
I*amir, où il avait habité autrefois et commis plus d'un mé-
fait. Il y avait en outre nos deux fidèles Menas et Rachmed.
Je me laisserais facilement entraîner à vous conter en détail
notre marche silencieuse au clair de lune, parce que nous
iSi VOYAGE DANS l'aSIE CENTRALE ET AU PAMIR.
voulions éviter des avalanches qui menaçaient, puis notre]
ascension, nos chûtes, celles des chevaux, les peines inouïes
que nous avons à repêcher les gens et les bêtes enfouies]
dans les neiges, puis notre joie de nous voir, sur les huîtl
heures du malin, en haut de la passe, ài,2f)0 mètres. Je me
contenterai de vous dire qu'à partir d'Ak-Basoga jusqu'au]
delà du Kizil-Art, nous allons supporter toutes les fatigues
que vous pouvez imaginer. Je suis convaincu que, si la
neige avait été aussi profonde sur le Pamir durant cinq jours!
seulement, l'expédition eût fini misérablement. Je vais essayer]
de vous dire l'emploi d'une ou deux de nos journées-
G'est le 17 mars; nous avons mis deux jours pour arriver]
au seuil de l'Alaï; nous sommes campés dans une gorge bien
abritée; le beau temps persiste: pas de vent. Hier, nous
avons envoyé des Kirghis en avant pour constater si l'Alaï
a aussi peu de neige qu'on nous l'avait annoncé et tous, 1
Sadik le premier, à mesure qu'ils reviennent, laissent!
tomber ce mot turc que je ne crois pas oublier jamais :
< Darabarf Barabar! » C'est la même chose, nous disent-ils,
et ils secouent la tôle. Ils nous regardent fixement pour
épier l'impression que nous fait la nouvelle et ils ont l'air
do nous demander : (Ju'allez-vous décider? Ils espèrent
sans doute que nous allons retourner sur nos pas. La nou-
velle en effet est grave, car nous n'avons personne pour
nous tracer plus loin la route, pour chercher ii tâtons les
bonnes places. Une partie des Kirghis qui ont travaillé dans
le Taîdik sont déjà retournés sur leurs pas; nous allons
renvoyer les autres, ils sont très fatigués. Nous faisons un
cadeau à leurs chefs, leur payons le complément de la
somme dont nous avions avancé la moitié avant le départ,
nous leur remettons un mot pour le géni^ralKaralkoET, et ils
s'éloignent après nous avoir souhaité bon voyage. Je monte
sur un rocher voisin de notre campement; d'en haut on
domine les collines qui nous abritent et on aperçoit la
chaîne de l'Alaï et du Transalaï. Je regarde, tout est blanc.
VOYAGE ltAi\S LASiE liKNTIlALK F.T AU l'AMIR.
485
êbloaissanl, on a la sensalioa d'êlre dans un autre monde,
d'être tombé dans uneplanèLe désolée. J'aperçois les collines
de la vallée de l'Alaï enchevêtrées comme des boucliers blancs
de guerriers, faisant la tortue au pied des cônes immenses
et impassibles du Transalaï, ce second rempart du Pamir.
De quelque côlé que l'œil se dirige, tout est blanc, un
linceul immaculé est développé sur celte nature sans vie,
au calme cadavérique; on dirait une terre abandouoéedeses
habitants partis pour un monde meilleur.
Demain nous nous enfoncerons dans cet inconnu^ dont
les paysages morues semblent nous narguer tranquillement.
Il nous reste une cinquantaine de chevaux avec une vingtaine
d'hommes qui doivent allerjusqu'auPHmir,oùi!s déposeront
nos bagages et nos provisions que nous chargerons sur tes
vingt chevaux que nous réservons et dont tes cinq hommes
qui constituent notre armée régulière s'occupent spéciale-
ment. Nous avons eu deux journées terribles, on prévoit
que celle de demain sera chaude —, c'est une manière de
s'exprimer peu exacte, — et chacun se dispose à la bataille.
Beaucoup ont déjà les lèvres gercées, les yeux malades, les
joues brûlées, ils se soignent à leur façon et prennent les
mesures de précautions suivantes : sur les lèvres ils appli-
quent une feuille d'une plante grasse qu'on recueille seule-
iienl dans l'Ahu en été; ils se fabriquent des lunettes
spéciales avec du crin emprunté à la crinière des chevaux;
ils en engagent, sous leur bonnet de peau de mouton,
Me touiïe qui retombe en broussaille devant leurs yeux,
qu'elle garantit comme le font nos lunettes bleues; quant
au2 joues, ils les barbouillent tout simplement de boue où
Is crottin entre pour une bonne part sans doute. Cette toi-
'*lle donne k nos Kirghis naturellement peu jolis l'aspect
•le diables ou de potiches à physionomie mogole, qu'on se
^rail ingénié à enlaidir.
Nous voudrions pouvoir quitter noire campement demain
int le lever du soleil, alinde prollter de la neige gelée qui
WC, DK CEOGH. — i' fHIMESTKE 189U, XI. — 32
18(j
VOYAGE DANS LASJE CKM'KALE KT AU PAMIR.
supportera alors facilement des bêtes peu chargées et des .
hommes. Ce départ est impossible, car dans la nuit il y aurafl
probablement comme hier environ 20 degrés de froid, les
cordes gèleront et ne pourront être tordues avant que le _
soleil les ait déraidies. Les chevaux seront chargés a^ïsexf
tard, nous atteindrons la vallée de l'Alaï quand il fera chaud
déjà, et les difficultés seront grandes, peut-être insumionla-
ble». Mais que faire?
Le 18 mai, nous parlons avec le vieux Sadik et deus|
Kirghis très vigoureux, qui connaissent bien l'Alaï; Menas
fait aussi partie de l'avant-garde. Abdou-Raskoul, llachmed
et Satti Koul suivent avec nos vingt chevaux non chargés ;
derrière viennent les trente chevaux de charge et le reste^
de la troupe.
Nous sortons assez facilement de la vallée du Taldik en'
suivant la direction de la rivière qui nous porte sur sa glace-
Nous voilà dans la vallée de l'Alaï, qui s'étend de l'ouest h
l'est, et dont nos yeux fatigués ne distinguent pas la fin.
Nous avons le plus grandiose ou tout au moins le pluS^Ï
éblouissant des spectacles. Au nord c'est la barrière dej
l'Alaï; au sud se dressent les picsKaull'mann (20,000 pieds)
et du Kizil Aguil, émergeant du Transalaï; la neige couvre]
tout à l'exception des rochers aux parois lisses qui ne lai
retiennent pas. Il fuit un beau soleil, et la plaine qui s'étale
ainsi qu'un tleuve entre deux berges colossales, est si écla-
tante, si brûlante par l'elfet de la réverbération, que nous
croyions marcher dans du soleil; et le ciel au-dessus de^
nos tôles était si terne en comparaison qu'on l'eût pris
pour cette terre prosaïque. A nos pieds le scintillement est]
tel, qu'on croirait voir couler de la lumière sablée d(
étoiles qui n'eussent plus été à leur place là-haut, aprèsl
avoir été réduites, je ne sais par quelle magie, en unej
poussière de diamants, impalpable, aux reflets d'une vibra-'
lion incessante et insupportable.
C'est dans ce rayonnemcnl de feu au soleil, de glace àj
VOYAGE DANS L'ASIE CENTRALE ET AU PAMIR. 487
l'ombre, qu'il nous faut avancer. Tant que nous longeons les
contreforts de l'Alaï, tout ne va pas trop mal.
Il n'y a guère plus d'un mètre de neige, mais le moment
acrive où il faut absolument aller du nord au sud à travers
la vallée où pas le moindre sentier n'est visible bien en-
tendu. Les Kirghis discutent un instant et nous décidons
de nous diriger droit par la rivière de Kizil-Art, qui débouche
dangl'Alaï, au pied delà passe menant au Pamir. On ira en
tâtonnant, en cherchant les places où la neige est le moins
profonde, de façon que les chevaux chargés puissent s'en
tirer.
Nous voilà dans la neige. Sadikva devant, se laissant gui-
der par soii flair d'homme sauvage. Durant une demi-heure
noQ8 avançons sans que les chevaux s'abattent. Puis, sou-
dain, celui de Sadik enfonce; malgré l'habileté du cavalier,
us efforts, ses coups de fouet, il ne peut se relever, ni se
d%iger. Sadik lui-même est pris sous la bête couchée
wr le flanc et haletante. On leur prête aide et les voilà
tons les deux sur pied. C'est le commencement de la
i^e de chutes et de culbutes des jours précédents. Sadik
rt ses deux Kirghis vont désormais se relayer, prendre la
tMe à tour de rôle. Le chef de file ôte la pelisse, la pose
^ son cheval qu'il tire par la bride et, de son long bâton,
ildterche, à la façon d'un aveugle, où il doit aller, et on
IcniL Nous traçons des zigzags à l'inflni, qui allongent
^ucouple chemin, et nous ne nous rapprochons qu'insen-
'iblMûent du Transalaï qui cependant nous paraissait tout
pfè!.Nous avançons tantôt de 20 mètres par minute, tantôt
de 10, parfois sur une crête, de 60 mètres. Souvent nous
'OQUnes contraints de faire halte ; personne n'en peut plus,
"018 sommes sans souffle, sans force, presque totalement
'Tïoglés, nous avons des maux de lête, des sufl'ocations :
West étendu sur le dos à côté de son cheval sur le flanc ;
|«n antre se repose debout, la tête appuyée sur la selle;
I '*ioi-ci en retard, frappe à coups de fouet son pauvre ani-
488
VOYAGE DAXS L ASIE CENTRALE ET AU PAMIR.
mal, à la queue duquel il se cramponne, comme un naufr; ^
à une amarre; on en voil qui saignent du nez, les chevaux
eux-mêmes perdent du sang par les naseaux; ils ont aussi
sur le corps des caillots rouges là. où de petites veines
éclatent. Un cheval a presque disparu dans un trou : on le
hisse, on le traîne comme s'il était mort avec des cordes
qu'on lui a glissé sous le ventre, et puis c'est une sangle qui
rompt et il faut lu réparer. Un cheval de bat est-il tombé,
on doit le décharger et ce n'est pas chose facile de desserrer
les cordes qui raainiiennent sa charge; elles sont couvertes
déglace et des mains placées sont inhabiles à résoudre uti
nœud. On coupe les cordes, on remet le cheval sur pied, ei
les coffres ou les ballots sont de nouveau mis en palan. Par-
fois, c'est sur une certaine longueur qu'il faut les porter à
dos d'homme, car, de quelque côté qu'on se tourne, la
neige est profonde de 2 mètres : on y plonge en entier les
bâtons plus hauts qu'un homme. Après avoir franchi c^H
passes ditflciles on se repose. On cherche dans quelle direc™
tion louvoyer, car rien n'engage à aller dans un sens ou
dans l'autre; la neige est sans vestiges, bien unie, nous
aga<;.ant de sa masse vierge, molle et comme indifférente.
Si, par hasard, un loup a laissé -sa (race, ou la suit aussï
longtemps qu'on peut, ainsi qu'un fil d'Ariane dans ce
labyrinthe, que nous dessinons nous-mêmes, comme u
noyé se raccroche à un copeau. Puis, cette piste mène à un
impasse, à un truu veux-je dire, et l'on patauge, on bal
en retraite, on cherche el Onaleraent on va du côté du Ki»il*;
Art; on se traîne; c'est une lutte sans trêve contre cetl*
blanche poudre sans consistance. La caravane est sem^,
sur la plaine comme les grains d'un chapelet dont le fil
été rompu; les grains noirs se rassemblent là où un che'
ou bien un homme ayant fait une chute, arrête la m
de ceux qui suivent, jusqu'à ce qu'on repêche les naufi
Cette lutte dure de 8 heures du matin à 4 heures 1/
du .'(oir, sans qu'on prenne de repos. Où faire halW
VOYAGE DANS L'ASIE CENTRALE ET AU PAMIR. 489
Nous allons jusqu'à extinction de force. En route, on
mange un peu de pain, un abricot séché, du millet grillé,
dont on prend une poignée qu'on grignotte, pour être
soutenu jusqu'à ce qu'on arrive enfin au monticule sur
lequel on campera. Avec les pelles on déblaye la neige, puis
on étend les feutres, on dresse la tente, et on allume le feu
avec l'esprit-de-vin pour préparer le thé de ceux qui sont là,
et la bouillie de millet pour les affamés qui arriveront
ensuite. Les chevaux sont mis à ban et les misérables
bètes s'exténuent encore à creuser du pied la neige, afin
d'atteindre la mauvaise herbe et les racines ensevelies plus
bas. A la nuit seulement la caravane entière est réunie.
Le disque d'or du soleil vient de glisser derrière les mon-
tagnes du côté de la France, et nous attendons encore deux
ou trois chevaux qui se traînent à portée de fusil. Vers sept
heures tout le monde a mangé sa bouillie, bu le thé, les
chevaux, qui ont dévoré leur musette d'orge, errent autour
des trois petits tertres où nous sommes campés, ou plutôt
ils nagent autour des lies où nous nous sommes réfugiés
pour échapper à l'inondation qui nous enveloppe. La brise
est du sud-sud-est, le Transalaî est nuageux au sommet,
les pics ont leurs panaches, le firmament resplendit sur nos
tètes, avec l'éclat d'un firmament qui n'aurait jamais servi,
W qu'il sortit du chaos. La neige s'est éteinte en même
temps que le soleil, et la voûte bleue paraît s'élancer plus
haut que le ciel au-dessus de ce désert polaire où nos trois
petits feux clignotent, dernières étincelles de l'embra-
sement de la journée. La terre me semble toute petite et
je nous trouve infiniment petits. Aussi vais-je me coucher
après avoir pris mes notes et constaté qu'à huit heures il
fait 20 degrés de froid.
Le lendemain matin à 6 heures 1/2 le thermomètre
ittarque 24 degrés. Nous nous contons les uns aux autres
que nous avons mal dormi, que nous avions de temps à autre
la sensation d'étouffer, que les couvertures nous pesaient,
4B0 voYAr.E DANS i/asie centrale et au pamu
que la tête nous fait mal, que les lèvres nous brûlent, que
les yeux et les lèvres nous cuisent, bref, que les temps
sont durs ; mais nous conlinuons.
Nous vous avons conté avec quelques détails la manière
dont nous enaployons la journée du 18 mars. La journée du ii
19 a été pire. Nous avons marché dix heures, nos bêtes defl
charge ne sont arrivées au campement que le 20 ait matin,
et nous avons dormi dans notre costume de marche à la
beUe étoile, à côté d'un troupeau de moutons et de chèvres
cerné par l'hiver et dont les deux propriétaires mangeaient J
chaque jour un peu, n'ayant pour tout ustensile qu'une café-
tière, pour tout combustible que la crotte de leur troupeau,
dont ils avaient fait un feu qu'ils entretenaient soigneuse-
ment. Ils faisaient bouillir la viande dans l'eau et ia déchi-
raient à belles dents, c'était leur seule nourriture; ils n'a- ^
valent ni sel, ni farine; le bouillon était leur boisson. fl
Ne vous étonnez donc pas que le soir de ce jour-là notre
armée régulière ait tenu des conciliabules secrets avec les
irréguliers et que Menas les ait entendus autour du feu dis-
cuter un projet de retour immédiat. Aussi, le lendemain, fl
au réveil, après que nous eûmes beaucoup ri de nos physio- «'
nomies devenues comiques par l'enflure du nez, des joues ^
et des paupières, notre premier soin fut-iî d'annoncer qu'on I
se reposerait ce jour-là, qu'on mangerait deux moutons du
Kirghis de rencontre, mais que le lendemain on irait au
Ki/.il-Art .sans manquer, sous peine de tètes cassées, h cora-<
mencer par la tête de celui que nous appelions père Sadik.
L'annonce du repos et du mouton à discrétion produisit un
excellent elfet, et l'autre décision en produisit un d'un autre
genre. Néanmoins, le 22 mars au soir, nous étions au sommet
de la passe du Kizik\rt, qui n'était pas du tout praticable,
aussi à mi-chemin le père Sadik me deraanda-l-il s'il
fallait continuer. La vérité est qu'il y avait de quoi décou-
rager ces pauvres diables ; ils ne saisissaient pas l'intérêt i
me entreprise qui leur paraissait purement insensée
icou-
ktérêt M
VOYAGE DANS L ASIE CEXTHALE ET AU PAMIR,
491
lorsque je dis à Sadik : « Va toujours a, il porta la main à
sa barbe avec 4a résignation d'un homme qui a fait abnéga-
tion de sa vie.
Pendant six heures ce fut une véritable ascension; en tout
nous avons marché dix heures et demie pour atteindre les
crêtes à 5,000 mètres dominant la passe et d'où nous aperce-
vons les cimes qui environnent le Kara-Koul perdu dans cet
océan infini dont les vagues sont do pierre.
La pensée que nous avions le pied sur le Pamir nous
eftt l'ait danser de joie si le poids de notre accoutrement
nous l'eut permis. C'était en effet le commencement de la
réalisation de notre rêve, mais ce n'en était que le commen-
cemeat. T^ous devions craindre que le Pamir, lui aussi, ne
Ml couvert d'une neige profonde, bien qu'on nous eût dit
le contraire. Ne nous avait-on pas affirmé que ia traversée
de l'Alal serait facile, que celle du Kizil-Art ne présentait
ïucune difficulté? Rien de tout cela n'était vrai; qu'arivien-
drait-il si, plus loin, nous constations encore qu'on nous
avait induits en erreur.
Ni les hommes ni les animaux n'étaient capables de four-
nir durant trois jours seulement une dépense de force aussi
tonsidérable qu'auparavant. M. Pépin lui-même, malgré ses
lunettes, ne voyait plus du tout, c'est vous dire dans quel
*Ut étaient les Kirghis. Plus de la moitié d'entre eux étaient
incapables de se diriger; quant aux chevaux, ils mettaient
'fi pied au hasard, ils n'avaient plus de vigueur. Ces sept
journées terribles les avaient réduits h une faiblesse très
grande. Les hommes malades étaient découragés, et le len-
ileraain la moitié s'enfuyait, abandonnant l'orge et quel-
ques bagages, à deux heures du lac Kara-Kuul où nous
élionsarrivés en huit heures et demie et sans trouver beaucoup
•le neige, sauf k la petite passe qui le précède. C'est du reste
*ttpied de celle petite passe quenousavonsretrouvénosba-
gîges et une partie de notre orge le surlendemain 24 mars.
Il nous en manquait mille livres environ, fait grave.
motion, V
4
,ASIK CEJtTHALi; KT AU PAMIH.
perle irréparable, l'orge étant à nos agents de locomotion
à nos chevaux, ce qu'est le charbon à une machine.
Du Kara-Koul nous renvoyons huit Kirghis restés fidèles
avec un mot pour le général KaralkofT, et nous poursuivons
notre roule. Nous sommes huit avec vingt chevaux.
Le peu de temps que vous pouvez nousconsacrerm'oblige
à abréger le récit des péripéties nombreuses qui retardèrent
l'accomplissement de notre voyage.
Après avoir longé !e Kara-Kout gelé, cela va sans dire,
noas avons traversé le lac de Mons-K.oul, puis suivi sur la
glace la rivière du môme nom. C'est là que le vent a com
mencé à nous gêner très fort et le 28 mars nous étion
assaillis dans les neiges de la passe du Kizil Djek, où notn
baromètre marq«aiL(>,000 mètres, par une tempête « étouf-
fante n. Selon le mot lrf>s juste de Racbmed, le vent nou^^
« prenait à la gorgeetnous faisait venir l'Ame à la bouche »
Il cberchait à exprimer les angoisses de la suffocation dontrV~
nous souffrions, et l'on ne saurait mieux dire.
Nous avons trouvé beaucoup de neigejusqu'au Rang-Koul,^.
où nous avons campé le 30 mars. Le 31 mars au matin 1
mercure était gelé, dans la nuit il y avait eu W de froid^^^
sans doute. Nous sommes restés deux jours près du lai
pour y faire paître nos bêtes. Nous avions trouvé un pe
d'herbe de l'année d'avant et des Kirghis chinois, don*^
nous apercevions les tentes au sud-esl du lac. C'étaient le:*^*
premières que nous rencontrions depuis quinze jours des:-
désert. Nous étions contents de revoir de nos semblables
et surtout de songer qu'ils pourraient nous louer quelques — -^
uns de leurs chameaux et de leurs yaks, et nous vendre^
un de leurs moutons. Nous leurs offrîmes de l'argent er^
lingots et ils nous vendirent un mouton, mais en cachette ^^
car le chef de poste ne voulait pas qu'on nous vînt er»
aide. Nous étions sur le territoire chinois. On voulut nou^
arrêter, on nous menaça, on fut insolent, et nous de-
vînmes rusés. Nous fîmes prisonniers les deux chefs et
VOYAGE DANS L'aSIE CENTRALE ET AU PAMIR. 493
quelques hommes de leur suite; les ayant invités à un
repas, nous les rossâmes, et le revolver au poing, nous nous
emparâmes des bétes de somme que nous fîmes filer, après les
avoir chargées, du côté de la vallée d'Ak-Sou. Nous ne relâ-
châmes les prisonniers que le plus tard possible, afin de les
empêcher de donner l'alarme. Nous voilà partis, réquisi-
tionnant chaque fois que nous trouvions des campemeuts
jusqu'à Ak-lach où nous arrivons en marchant sur i'Oxus
gelé à partir de Ak-Sou-Dala.
A Ak-tach, les Kirgbis sont en assez grand nombre pour
pouvoir nous tenir tête, et nous ne pouvons pas réquisi-
tionner. Va Afghan vient nous rendre visite, il est arrêté à
Ak-tach depuis cinq jours, il a voulu traverser la passe de
Tagharma en venant de Tach Kourgane. Il ignorait que la
route fût aussi difficile de ce côté. Il a perdu quarante-cinq
chevaux et il attend le beau temps pour continuer sa route
du côté du Wakhane et du Badakchane. Il vit au milieu de
ses ballots de toile et de haschich qu'il s'est procuré à
Kachgar. Il nous demande un peu de thé et du sucre, nous
lui en donnons ; il nous vend de la toile de Kachgar, qui
est la monnaie courante dans ces régions. Nous étant
reposés un jour, nous partons en suivant toujours la vallée
de l'Ak-Sou ou de l'Osus.
Dans la nuit du 9 avril, notre seul guide s'est sauvé avec
le meilleur cheval; il nous en reste douze. La neige est
profonde, toutes les passes an sud sont fermées ; il neige
fréquemment, nous avons souvent de la bourrasque, nous
avons traversé par place des espèces de fondrières, puis de
lacs sur la glace; la surface dégelant dans la journée, nous
patau^ons dans une bouillie de neige sur un plancher très
glissant. Dans la nuit il gelait. A cinq jours d'Ak-tach nous
avons trouvé les campements d'Andamane. D'abord on nous
a bien reçus, puis a eu lieu une réunion assez tumultueuse ;
mes métaphores n'ayant pas produit d'effet, nous avons eu
recours au revolver, et nous avons pu nous procurer des
49'i VOYAfiE DANS L'ASrE CEXTRAI.E ET Af PANIR.
bCtes de somme qui devaient aller jusqu'à la frontière
afghane; les passes vers le Tag Dumbach Pamir étaient
fermées en effet.
Nous avons quitté les sources de l'Oxus et la monotone
vallée blanche où le fleuve coulait sous la glace. La vallée
se ferme ensuite et il nous faut souvent prendre par des
hauteurs peu accessibles, suivre des sentiers tels qu'on doit
décharger les chevaux. En deux journées 1res pénibles, nous
sommes à Langar. Celte fois, il y a moins de neige, bien qu'il
en tombe presque chaque nuit. Pour la première fois, de-
puis un mois, nous apercevons une broussaille, et nous
sommes heureux de voir que la nature daigne encore nous
sourire.
Nos Kirghis veulent se sauver, nous les gardons à vue et
ils entrent en pourparler avec des Wakbis, qui gardent des
troupeaux de yaks. Nous en louons cinq qui porteront nos
bagages jusqu'au Ranjout, par le chemin deTach Kouprouk.
Une sorte de saint Julien l'hospitalier kirghis nous sert de
guide. .\près trois jours de marche sur des pentes escarpées,
dans la neige et sur la glace ou nous taillons des marches
h coups de pioche, les Wakhis s'enfuient avec leurs yaks
durant la nuit. Nous allons reconnaître la passe qui mène
an Kanjout. Malheureusement Rachmed, notre saint et moi,
sommessurpri» par une tempête épouvantable à 5,500 mètres;
nous pouvons seuloraent constater qu'un glacier nous barre
la route et que la neige est si profonde sur les flancs de la
gorge bifurquant à nos pieds qu'il y a impossibilité d'aller
plus loin. Nous voyons notre saint disparaître dans la neige;
ap&rs avoir attendu plusieurs heures nous nous en retour-
nons persuadés qu'il est perdu à jamais, mais cet homme
intrépide nous rejoint à la nuit tombante. Celte journée
a été très pénible. Nous abandonnons le peu de bagages qui
nous reste et retournons à pied à Langar, où nous sommes
décidés à arrêter les passants et à les détrousser, car les vivres
baissent; il ne nous reste que huit chevaux, nous n'avons
E DANS L'ASIE CENTRALE ET Al) PAMIR. -195
plus de sel et il faut tirer de peine le brave Menas qui est
resté près des bagages avec des vivres, c'est-à-dire du millet
et de la farine pour quelques jours.
Sur ce arrive, par la neige qui lourbillonne, une caravane.
On court, c'est l'Afghan d 'A k-tach qui s'est remis en marche.
Nous le recevons comme Noé a dû recevoir la colombe
apportant le rameau d'olivier. Il nous apprend que des Chi-
nois à grandequeue, venus de Tacli Kourgam, se sont misa
nos trousses avec des Kirghis pour nous arrêter, et qu'ils ont
renoncé à nous poursuivre qnand ils ont appris que nous
étions sur le territoire afghan et bien armés. Le Père, envoyé
en quftte de bi5te.s de somme et de vivres, revient avec deux
moutons dépecés, un morceau de sel et la nouvelle que les
Kirghis d'Andarnan qui nous ont bien reçus, sont en fuite et
que lui-même va retourner prestement vers les siens et qu'il
va se sauver du côLé du Pamir.
Disons à ce propos que les autochtones désignent sous
le nom de Pamir ou mieux de Pamcurre la région de l'Ali-
Ichour, pour eux tout le reste n'est pas le Pameurre. Mais
les Wakhis, les Kachgaris, toutes les peuplades environnant
le Toit du monde l'appelle Pamirre.
Nous louons à un prix exorbitant les cinq j'aks qui vont
chercher le peu de bagages laissé à la fronliÈre de Kanjoul.
En quatre jours ils vont et reviennent, la neige a fondu, la
route est meilleure. Nous allons en cinq jours à Sarhad,
par des sentiers comme un fil, mais que nous trouvons
charmants, car nous sommes plus bas et souvent il n'y a pas
de neige. Le 7 mai nous campons h Sarhad, dans un pré
humide, il y a de l'herbe fraîche ; la neige tombe peu drue,
c'est délicieux, on respire assez facilement; nous sommes à
1,100 pieds; mais, il y a toujours beaucoup de k mais » en
voyage, il nous arrive une espèce de brigadier de gendarmerie
afghan qui veut nous arrêter, après avoir défendu d'abord
aux habitants de nous vendre des vivres. En cachette nous
faisons acheter de la farine pour huit jours, et nous nous
496
VOYAGE DANS L ASIE CENTRALE ET AU PAMIR.
sauvons après trois jours de repos, car nous avons apprii
que du renfort arrive de Kila-Piindj. Les Afghans n'étaien i
que huit et nous étions cinq décidés et sûmes gardes, il
avaient demandé de i'aide.
J'ai oublié de dire que de Langar nous avions renvoyi
notre brave Sadiit el le non moins brave Aldourajsoul ; il
avaient autrefois pillé et même arr&té un chef wakhi, et ii^
auraient été mal reçus dans le pays où nous pénétrions-
Nous avons appris depuis qu'ils étaient arrivés dans 1^
Fer^hanah au mois de juillet. Les Chinois les avaient fait»
prisonniers, mais nos hommes s'étaient évadés et on les
avait recueillis dénués de tout, aux avant-postes russe»
de rAlaï.
Donc nous voilà partis sans ^nide pour le Tchitral par le
Barogui!. L'Afghan nous a conté la route qu'il connaissait-
Nous avons marché huitjours, toujours à pied, — depuis le»
sources de l'Oxus nous n'avons que ce mode de locomotion, A
— et après mille peines, presque déchaux, ne nous nour- i
rissantque de farine et dégraisse de mouton, nous sommes
arrivés dans le Tchitral par le versant sud de l'Hindou- ■]
Kouch. Il nous restait sept chevaux, nos instruments,
nos armes el quelques pelisses. Des hommes armés nous
entourent, nous menacent, nous disent qu'ils ne nous lais-
seront pas avancer, parce que nous sommes Russes, ce
que nous nions. Nous disons que nous sommes Faranguis.
Sommes-nous Faranguis-lnglis? Nous sommes Faranguis,
tel est le point sur lequel nous insistons. « Eh bien, dit le
chef aux longs cheveux si vous êtes Faranguis, c'est-à-dirc
Inglis, où sont les roupies que vous allez nous donner? t
Nous n'avions pas de roupies, et voilà pourquoi ils nous
flrent quinauds, un .\nglais n'étant pour eux authentique
que s'il distribue des roupies.
Nous parlementons, menaçons, discutons, nous nous fâ-
chons, mais nous avançons, ce qui est l'important. A Mas-
boud, halte le 24 mai, après quatre-vingts jours de marche
VOYAGE UANS L'âSIE CENTRALE ET AU PAMIR. 497
depuis Osch. C'est là qu'on nous garde, du moins Rachmed
et moi, qui passons quarante-neuf jours dans un marais
puant, entre quatre murailles de pierres hautes de quelques
milles pieds. Nous gardons les chevaux et les bagages, tandis
que MM. Gapus et Pépin avec Manas sont à Tchitral en
ambassade auprès du prince régnant Âmman-el-Moulk, qui
veille sur eux avec une trop grande sollicitude. Nous étions
pris pour la seconde fois. Nous faisons parvenir aux Indes
un mot qui établit notre identité. Je conte notre lamentable
situation : plus d'argent ni d'habits et peu de forces. Lord
DutTerin s'intéresse à nous, il intervient, on nous relâcha
le 6 juillet, après que nous étions restés presque deux mois
dans le Tchitral. Nous nous dirigeons vers le Kachmir à
marches forcées, car le gouvernement de l'Inde nous a fait
parvenir de l'argent. Nous avons fort à faire pour traverser
le Yaguistan, c'est-à-dire le Pounial et le Yassin. Là nous
devons nous procurer des porteurs; les eaux sont hautes,
les rivières ne sont plus guéables et il n'y a plus sur leurs
rives les sentiers pour les bêtes de somme qui existaient du
temps des eaux basses. Ce n'est pas sans batailler que je
recrute les porteurs parmi ces tribus sauvages et indépen-
dantes. J'arrive le 14 juillet à Gahgoucb, ainsi que Rach-
med, avec nos quelques bagages. MM. Gapus et Pépin m'y
rejoignent et nous marchons sur Kachmir sans regarder
derrière nous, faisant chaque jour deux étapes que nous
trouvons bien courtes. Enfin le 14 août nous étions à
Kachmir, il ne nous restait pas un cheval. En compagnie
de quatre compatriotes, MM. Dauvergne, Peychaud, BouUet,
Fabre, nous avons bu à la santé de la France l'excellent vin
de Bourgogne que M. Peychaud fabrique avec des plants
de Bordeaux.
Puis nous avons gagné Rawal Pindi, après avoir garni
notre garde-robe qui laissait à désirer. A Simla nous avons
acheté des souliers, rendu visite à Son Excellence lordDuffe-
rin, qui nous fit le plus bienveillant accueil ainsi que son en-
498 VOYAGE DANS L'ASIE CENTRALE ET AU PAMIR.
tourage, et le 1" septembre nous nous embarquions tous
les cinq à Kurrachee à l'embouchure de l'Indus.
Un mot pour finir. Â Simla nous nous sommes trouvés
en société d'officiers et de hauts fonctionnaires des Indes,
qui s'intéressaient fort à notre voyage. L'un d'eux nous dit
avant de nous quitter : « Je suis assuré que vos compatriotes
seront fiers de vous et qu'ils vous couvriront d'honneurs.
— Je ne sais pas ce qui adviendra, lui répondis-je, ni si l'on
sera très fier de nous. Quoi qu'il en soit, je puis assurer que
nous avons agi de notre mieux en pensant à faire, autant que
possible, honneur à notre pays, j»
PAMIR ET TCHITRAL
Giilllnliuic C.%PUS '
1
Parmi les pays qui entourent le Pamir, à l'ouesl et au
sud, d'un chapelet d'Etals plus ou moins indépendants, plus
ou moius petits, il en est dont nous ne savions même pas le
nom il y a une vingtaine d'années. Aujourd'hui presque
tousonl été entamés par l'itinéraire d'un voyageur d'Eu-
rope, russe ou anglais, et nous savons qu'ils appartiennent,
les uns à la c région > indienne, les autres à la bactrienne,
ou Turkestan. Les populations qui les habitent sont vieilles,
peu connues et méritent de l'être beaucoup. Ce sont de ces
épaves ethniques que l'invasion de la plaine fertile par les
conquérants forts, Mogols et Arabes, a repoussées dans les
gorges difficiles et ftpres de pi us en plus élevées, où la vie est
plus dure, la terre moins fertile, mais la sûreté plus grande.
Ces montagnards ; Wakhis, Kochis, Chouguis, Tchilralis,
Kandjoutis, Yagiiaous, etc., ont gardé, de la sorte, pour
nous un intérêt toul spécial, parce qu'ils ont conservé, avec
leur croyance religieuse ancienne (ils sont chiites, tandis
que ceux de la plaine sont sunnites) l'intégrité relative de
leurs mœurs primitives et quelque peu de leur type an-
thropologique.
Parmi ces pays, — et c'est de celui-là que je voudrais
vous entretenir plus spécialement ce soir, — un des plus cu-
I. Communication adressée fila Soctélé dans s.« séauce géniSrale du
25 avril 1890. — Voir la carte joiule à ce numéro.
500 PAMlll ET TCHITRAL.
deux csl le TchilraJ ou Tchatrar, qui gravite déjà dans la
sphère, d'action de l'Inde. Il esi situé sur une des routes qui
mèneat, de l'Imie, sur le Pamir, route dont sir Rawlinsoa
disait qu'elle était la grand'route vers le Turkcstan. Et le
Tchitral est si bien situé à cheval sur cette roule, — d'ail-
leurs Irùs difficile et peu fréquentée, — qu'il la commande,
en défend éuergiqueraent, ou permet, le passage et fait office
de sentinelle avancée vers le Pamir.
Ce pays n'est pas grand : c'est un boyau de vallée long
de 150 kilomèlres, avec quelques impasses; mais, quoique
petite, la guérite de la sentinelle est si bien placée qu'il est
très difficile de la contourner.
Au moment où, descendant peu à peu du Pamir, nous sui-
vions, sans peuscr à mal, les rigoles qui drainent l'iiindou-
kouch vers l'Indus, et lorsque nous crûmes le printemps
venu et la rancune des iiabilanls du (t Toit du monde »
apaisée, le roi du Tchitral nous retint prisonniers pen-
dant quarante-cinq jours. 11 pensait que des étrangers dont
il ne connaissait même pas le nom du pays, venus en hiver,
de par le ». Toit du monde » sans but plausible, du moins à la
portée de son eniendemenl, ne pouvaient être que des aven-
turiers politiques espionnant ses Etals pour faire du mai
aux Ingliz, ses amis. Nous n'étions pas assez riches pour
acheter ce roi montagnard, quoiqu'il n'eût fallu pour cela
que quelques mUliers de francs. Je ne regrette point, pour
ma part, d'avoir été son hôte involontaire pendant si long-
temps, puisque cela m'a permis de voir son pays et ses ad-
ministrés de près et de vous dire — rapidement — ce que
j'ai vu et vécu.
Mais avant de parcourir la vallée de Tchitral, je ne crois
pas sans intérêt d'esquisser la géo-physique de cette formi-
dable intumescence terrestre qu'on appelle improprement
le plateau du Pamir et à laquelle on pourrait appliquer la
majestueuse et pittoresque expression de Michelet parlant
de la Matadetla : « engendrée dans les tortures d'un titauique
PAMÎR ET TCHITHAL. 501
enfantement ». Je ne fais qu'ouvrir une parenthèse, car mon
Miupagnon de voyage, M. Bonvalot, vous a déjà entretenus
brillamment de notre traversée du Pamir, et ce que j'aurai à
en dire ne sera qu'un simple complément.
On sait que l'imagination plus ardente de ses voisins
d'origine arienne a donné au Pamir le nom de Bam-i-dou-
niah, c'est-à-dire « Toit du monde ». Pamir, Pâmer ou
Pdmel est un mot sans acception bien définie, employé par
lesKirghizes pour désigner d'une façon générale une région
inculte, difficile, déserte. Aussi le tout orographique que
nous connaissons sous le nom de Pamir, n'est-il point ainsi
désigné par les Kirghizes qui connaissent quelques Pamirs
distincts, surtout l'Alitchour, et désignent le restant par
des noms locaux empruntés aux particularités des terrain,
lac, rivière, montagne, etc.
Le Pamir, pour nous, est un noBud de montagnes d'une
largeur méridiennale de iOO kilomètres à vol d'oiseau d'où
semblent se détacher les chaînes les plus puissantes d©
l'Asie: le Tbian-chân, le Kouen- iouen, le Karakoroum, l'Hi-
malaya, l'Hindou-kouch. Car c'est ainsi raj'onnanles qu'ap-
paraissent, sur une carte de l'Asie, ces gigantesques contre-
forts du môte central pamirien qui a de tout temps opposé
une barrière infranchissable aux grandes migrations des
peuples, des conquérants, des idées et des civilisations.
Jusqu'au commencement de ce siècle le Pamir a été une
barrière, un obstacle résistant aux assauts des collectivités
d'hommes; ce n'est qu'avec les progrès rapides des sciences
géographiques et l'infiltration de plus en pins étendue de
l'élément et de l'esprit européens autour de sa base que le
Pamir a pu devenir un but, j'entends un but scientifique
d'étude désintéressée. Déjà Titianus, dans l'antiquité, en sa-
vait le chemin jalousement obscurci; Hiouen Thsang, le pé-
jerin bouddhiste, en 668, traversa les monts Tsoung-ling et
lePomilo pour aller chercher la loi du Bouddha dans l'Inde;
Marco Polo, l'Hérodote du moyen âge, croisa le Pamir en
soc. DE GÉOGR. — 4* TBIMESTRE 1890. XI. — 33
50^2
t'AMlR ET TCniTHAL.
1271 avec Nicolo et Mafleo, son père et son oncle, afin d
gagner la résidence du puissant et intelligenlKoublaïKaane;
puis Benoît Go&z, poussé, comme îliauenThsang, par un
zèle religieux fervent, lit, en 1603, un voyage mu! recOQ-_
stitué par la région qu'il appelle Sar-i-Panil. ■
Lorsqu'on 1838 le capitaine Wood escalada, premier
pionnier de la science positive des faits à enregistrer et à
comparer, les pentes difficiles du « Toit du monde », on
pouvait dire qu'il entreprit la découverte d*une terra in-iM
cof/nUa.LQ i^ février 1838, jour de l'avènement au Irône
de Sa gracieuse Majesté la reine d'Angleterre, il découvrit j
le lac Sar-i-KouI, auquel, en l'honneur de ce fait historique,^!
il donna le nom de lac Victoria. Uuedesprincipalessources
de rOxus était découverte.
Depuis lors les Anglais d'un côté, les Russes de l'autre,
sont montés victorieusement à l'assaut du Pamir mystérieux, fl
En ISîOHayward paya de sa vie une lenlative pour l'at-
teindre par le Yassine. Trois ans plus lard la mission de sir
Douglas Forsyth, avec MM. Biddulph, Gordon, Trotter, Sto-
liczka, Chapman et quelques Pundits savants de l'Inde, visita
toute la partie méridionale du Pamir. Cette expédition eut
un plein succès. Ensuite le Grec D' Potagos y vint du Badak-
chane pourallerenKachgarie, et plus récemment MM. Ney
plias, Carey, colonel Lockardt, Barrow, Woodhorpe, enont
parcouru difiërentes parties. Il y a quelques mois, un Fran-
çais, M. Dauvergne de Cacbemire, y fit un des plus beaux
et des plus hardis voyages qu'on puisse faire en Asie cen-
trale.
Du côté du Turkestan russe, nous voyons, dès 1871, Fed-
chenko et Mme Olga Fedchenko s'avancer jusque sur l'Alaï
et découvrir la belle chaîne du Trans-Alaï. Puis, en 1876,
Skobelelfy mena ses vaillantes troupes pendant que le co-
lonel Kastieuko poussa jusqu'au delà du lac Grand-Kara-
koul, MM. Mouchkétow et Ssévertzow, Kouchakiévitch,
§Qh^'aflz, .Sl^fli^ow, Scassi, étudièrent en 1877 et 1878
PAMin ET TCniTRAL. 503
la région alaïenne et transalaïenne avec beaucoup de succès
etl'expédilion de Ssévertzow pénélra jusqu'au petit Kara-
koul, d'un cùté, et à l'Alitchour, de l'autre. MM. Maïew,
Regel, Ochanine et Neviévskiy explorèrent en même lemps
les régions prépamiriennes occidentales. Peu à peu le mys-
lérieux Pamir sortit des nuages, et lorsqu'enl883 la grande
expédition de MM. Poutiata, Ivanmv et Benderskiy l'eut
parcouru dans presque tous les sens, multiplia les itiné-
raires et opéré la jonction des tracés russes et anglais, on
Jiuldire que pas un cours d'eau important, pas une chaîne
considérable ni un pic éminenl n'avaient échappé à. la vue
des explorateurs.
Le gros de l'œuvre géographique était fait, le cadre tracé;
l'étude détaillée avait des points de repère solides et pou-
vait dès lors devenir plus intensive. Tel était l'état de no-s
connaissances lorsqu'au commencement de 1887 nous ré-
solilroes d'aborder le grand massif en hiver.
Vous savez les beaux voyages que, depuis, le capitaine
Grombchevskiy et MM. Groum-Grjimaïlo ont l'ails jus-
qu'aux frontières les plus reculées du Pamir. Je rae plais à
ajouter à ceUe liste de voyageurs du Pamir les noms de
nos compatriotes MM. Hidgway, O'Connor et do Breleuil qui
ont traversé le Trans-Alal à deux reprises et rapporté de
leur expédition cynégétique de belles et raves colieclions.
Le Pamir n'a donc plus de grands secrets; et si je viens
vous en parler ici, ce n'osi pas pour mettre en relief quelque
grande découverte, mais pour résumer l'état actuel de nos
connaissances et esquisser une vue d'ensemble sur une de
ces contrées du globe qui méritent au plus haulpointnotre
altenlioQ.
On dit couramment le plateau du Pamir. Or, le « Toit du
monde » n'est pas un plateau dans le sens de montagne éle-
vée étendue en plaine. C'est plutôt, en allant du nord au sud
et à partir de la chaîne de l'Alaï jusqu'il celle de l'Hindou-
kouch, une succession de hautes vallées dont le thalweg
501
PAMm ET TCHITRAL.
I
atteint en moyenne 12,500 pieds d'altitude. Ces vallées sont
séparées par des chaînes, simples la plupart, dont les pics
les plus élevés tels que le Gouroumdi et le pie Raudmann
(Trans-Alaï) atteignent 23,000 et 23,000 pieds. La pointe la
plus élevée de ce formidable soulèvement pamirien, le Ta-
garma ou Moustag-ala, se dresse à 26,800 pieds d'altitude
au-dessus du niveau de la mer. Ce géant qui domine à la
fois l'immense dépression du Gobi et le Toit du monde dont
il est comme la flèche naturelle, n'est dépassé en hauteur
que par le Dapsang et le Gawrisankar de l'Himalaya.
Si on jette les yeux sur une carte du Pamir, on voit que
les chaînes les plus régulières et le^ plus élevées se trouvent
être des chaînes bordières du système orographique: l'Alaï
et le Trans-Alaïau nord et l*Hindou-kouch ausnd. On voit
également qu'entre ces deux lignes extrêmes les chaînes
intermédiaires suivent en général la même direction prédo-'l
rainante tt que les grandes lignes transversales viennent
s'interposer principalement dans la partie orientale, dans le
voisinage du Tagarma. Ce n'est que dans cette dernière
partie que les vallées longues suivent une direction plus ou-fl
moins méridiennale tandis que dans la partie occidentale,
elles se dirigent vers le sud-ouest, en se rétrécissant cousi-
dérablement avant de déboucher dans la grande plaine d&M
laBactrianc, leur aboutissant commun. La limite des eaax
est ainsi reportée beaucoup plus près de la dépression du
Gobi que de celle de la Baclriane, et cette limite est sensi
blement située sur une ligne idéale partant, dans une'
direction sud-est, du Bach-Alaï pour aboutir au petit
Pamir, près d'Ak-lach.
En résumé, le Pamir divise les eaux du Tarim et de
rOxus et ne paye point tribut h l'Indus : car aucun de ses
cours d'eau ne traverse la chaîne de l'Hindou-kouch. C'est
également sur le trajet de cette ligne de démarcation des
eaux qu'on trouve quelques petits bassins fermés, comme
celui du grand Kara-koul, bassins qui, autrefois, se déver-
1
I
PAMIR ET TClllTnAL. 505
saieiit daas les affluents du Tarim après avoir recueittt une
partie de ses eaux initiales.
L'Oxus ou Amou-datia à l'ouest et le Tarirn à l'esf re-
présentent ainsi les deux grandes gouttières qui drainent
les eaux du Toit du monde; mais c'est surtout le premier
de ces fleuves qui couvre du chevelu de ses anastomoses le
sol aîare des Pamirs, réservant ses trésors de fertilité à la
plaine, oii ses eaux, arrivées à maturilé, fécondent les allu-
vioQs descendus de la montague à l'époque où les grands
courants ravinèrent le Pamir et sculptèrent, à leur forme
actuelle, le fond des vallées.
La pente de ces vallées étant relativement très faible, la
limite des eaux est souvent très peu accusée et les cours
d'eau forment de nombreux lacs. Ces varices du système hy-
drographique pcuventn'ôlrcque temporaires, eommecelaso
ïoildansla vallée de l'Ak-sou, par exemple ;d'autresj comme
leSarikol etie Tchilâb, forment, on un grand lac régulateur,
ou un lac initial. Enfln quelques uappeti d'eau, comme celle du
grandKara-kouljSontles résidus d'anciens lacsbeaucoup plus
étendus et défluenls qu'un manque de compensation à l'éva
poration a réduits à leurs dimensions restreintes actuelles,
sans que, du reste, l'équilibre soit atteint. A l'inspection de
différentes dépressions et vallées tles Pamirs on arrive en-
coreà la conclusion qu'à une époque géologique précédente
et relativement rapprochée, ces dépressions et vallées for-
maient le fond de lacs très étendus, aujourd'hui vidés, mais
ayant laissé des traces de leur existence sous forme de ter-
rasses nellement accusées. Je ne puis songer ici à entrer
dans ledétaildeces questions, quelque intéressantes qu'elles
soient ou nie paraissent.
Rien n'est plus triste que l'aspect de ces paysages où la
nature semble morte dans la désolation finale et le vide. Ce
vide est tellement poignant, l'immobilité tellement pesante,
que la conception de « l'inéluctable > envahit l'esprit avec
une force de mysticisme incounu. Alors le mouvement d'une
506 PAMIR ET TCHITRAL.
herbe sèche ou le vol d'un oiseau, d'un nuage, la niélopée
de la bise soufflant dans le canon du fusil pendu au dos,
deviennent choses de l'humanité. M
Ecoutons Woodau bord du lac Sir-i-Kol qu'il vient de dé- ■
couvrir : <i Partout le regard ne rencontre qu'un lapis étin-
celant déneige, landisque le ciel apparaît comme une masse
noire et menaçante. Rien ne repose les yeux, pas môilae un
nuage. Pas un soufile ne se fait sentir à la surface du lac.
Aucun être vivant, pas même un oiseau, n'est visible. Le son ■
de la voix humaine aurait semblé une musique à l'oreille ;
mais dans cette saison inhospitalière personne ne pense
à s'aventurer dans celte contrée de glace. Le silence règne
aux alentours, un silence si profond qu'il opprime le cœur.
Et comme je contemplais les morues sommets de ces mon-
tagnes que jamais le pied d'un homme n'avait arpentées, où
se sont accumulées les neiges des temps passés, l'image de
ma chère patrie m'apparut comme une vision sereine. » Et
plus loin : « Les hommes, habitants des cités populeuses, ont
beau parler des délices de la solitude; qu'ils viennent passer
seulement vingt-quatre heures sur les bords du Sir-i-Kol, et
ce séjour fera plus pour les rendre contents de leur sort que
mille arguments. Le vrai milieu de l'homme est la société... »
Quelques-uns de ces lacs ont leurs légendes ; mais ce ne
sont point des légendes riantes ni sentimentales d'ondines, de
naïades ou de sirènes, car le Kirghize du Pamir n'a pas l'ima-
gination exubérante, et les Loreley et les Mélusine gèleraient
sur le Pamir ou mourraient d'ennui. Ce sont les lamenta- M
tiens des êtres humains et les plaintes des bêtes, agonisant,
qu'on entend souvent sur les bords du lac Yachii-koul de-
puis que les Kachgaris et les Khodjas, fuyant devant l'inva- ■
sion chinoise, ont préféré se noyer dans le lac avec leurs
femmes, leurs enfants et leurs chevaux, que de tomber aux
mains de leurs persécuteurs. Ce sont les dragons de Hiouen-
Thsang qui habitent les antres profonds du Itang ou du
Kara-koul et font mourir de malemorl l'audacieux mortel
PAMIR ET TCHITRAL. 507
qui tente de ravir le trésor qu'ils gardent d'un soin jaloux.
C'est Macfaref, le mauvais génie de l'Âlaï, qui renverse la
marmite et fait périr de faim le malheureux voyageur.
Ces antres où pourraient se loger des dragons n'existent
pas, géologiquement parlant, et j'en prends prétexte pour
dire que je ne connais aucune grotte naturelle sur les Pamirs.
Ce sont tout au plus des rochers surplombant qui donnent
on insufOsant abri temporaire à de misérables bergers kir-
ghizes. L'ossature géologique desPamirs est faite de roches
priinaires, schistes quartzitiques pour la plupart, avec des
afSeorements de schistes métamorphiques ou de roches
éraptives relativement rares. A ces couches primaires
s'adossent des terrains secondaires, représentés surtout pai
des grès rouges, et enfin des dépôts quaternaires très carac-
téristiques sous forme de conglomérats adossés aux flancs des
montagnes, et de ce terrain argilo-sablonneux si répandu en
Asie centrale qu'on appelle le loess. La répartition de ces con-
glomérats, terrains de transport violent, et la position des
couches de loess démontrent clairement que celui-ci est dû à
une action neptunienne; on peut même assister en quelque
sorte à la formation, actuelle encore, de ce dernier terrain sur
le modèle, sans doute, de ce qui s'est passé à l'époque plus
lointaine où la calotte glaciaire qui avait envahi les vallées
longues du Pamir fondait à la chaleur d'un soleil moins
éloigné. C'est dire en même temps que le& traces de mo-
raines anciennes existent sur les Pamirs, et il me parait même
très probable que les élévations de terrains formant aujour-
d'hui des limites d'eau si peu accusées sur le Petit Pamir
et sur l'Âlaï, ne sont que les restes d'anciennes moraines
ainsi que le soupçonnait déjà Gordon.
Mais si les vrais glaciers furent étendus et abondants au-
trefois, il n'en est plus de même aujourd'hui : les Pamirs
sont très pauvres en glaciers de transport proprement dits,
qui n'apparaissent qu'au contact de la chaîne de l'Hindou-
kouch dans la partie sud-ouest, sans, du reste, atteindre les
5(tS rAîHEl ET TCKITRAL.
dimensions grandioses de leurs voisins du bassin de l'Indus
Cependant la forme des contreforts et des vallées latérales
est très propice à leur formation et h leur marche, et leur
absence doit Être attribuée à la quantité moindre des mé-
téores aqueux et au régime climatérique particulier du
Pamir, qui est excessif et fait que la limite des neiges éter-
nelles est très élevée. Cette limite atteint en effet 15,000 pieds
sur les pentes exposées au nord et jusqu'à 18,000 pieds et
même 18,500 pieds sur celles qui regardent le sud. Aussi
presque toutes les passes, fermées ou difficiles en hiver,
sont-elles libres de neige en été. Ces passes sont relativement
faciles à traverser; beaucoup d'entre elles ne sont que des
ensellements en pente douce, ce que les Kirghizes désignent
du nom spécial de bel (Ûuz-bel, Béïk-bel, etc.), réservant le
noox de art (Kizil-art, Kara-art) à la passe rocailleuse et
plus pénible, et celui de davane (Taldyk-davane, Terck-
davane) à la grande passe traversant unecbaînede premier
ordre et demandant le plus souvent l'etfort d'une ou de
plusieurs journées. Il est un autre fait géologique intéres-
sant : c'est le transport éolien de fortes quantités de sable
provenant des dépôts de rivière ou de la décomposition des
roches. Ces sables, chassés par te veut régulier dans l'élroil
couloir de quelques vallées longues, s'accumulent en dunes
(baiichanes) de pins en plus élevées qui s'avancent d'une
marche lente et sîire sous la poussée incessante de la brise
ou de la tempôte ou, s'entassant les unes sur les autres,
s'accouplant ou se dédoublant, montent à l'assaut des
pentes et des flancs de montagnes à des centaines de mè-
tres de hauteur. Telles on les voit, dans les vallées de Chat-
pout et de Kocbaguil, donner un aspect fantastique au
paysage et reproduire, à l'origine de l'Oxus, les mêmes
phénomènes géologiques qu'on observe dans son cours infé-
rieur, à Tchardjoui et dans le Khiva.
Ou n'avait, avant notre voyage, que des données
précaires sur la météorologie du Pamir eu hiver, et ces d
PAMia ET TCHITRiVL.
509
nées reposaient eu majeure partie sur le dire des indigènes.
Les chiffres et les observations que nous pouvions récolter
nous semblèrent donc avoir une certaine valeur, non moins
que les autres documents d'ordre géo-physique à recueillir
à celte époque de l'année; car on ne s'aventure pas dans les
neiges du Pamir pour la peu fructueuse satisfaction person-
nelle de ne pas y être resté et de vous le raconter ensuite.
1^ caractéristique de ce climat est une forte amplitude des
températures à l'ombre et au soleil, du jour h la nuit et de
i'élé à l'hiver. En été, le thermomètre monte souvent jus-
qu'à 75" G. au soleil et descend en hiver, pendant la nuit,
jusqu'à 50" C. au-dessous du zéro, ce qui fait une différence
de 125 degrés.
Nous n'avons constaté de visu que 44" G. au-dessous
de zéro dans la nuit du 31 mars, aux bords du Rang-
koul, mais il est certain que ce chiffre n'est pas le minimum
de l'année. La température tombe très rapidement après le
coucher du soleil et se relève, de môme, très vite au soleil.
Dans la même journée, l'écart entre la température au
soleil et à l'ombre est géuératenient considérable. Souvent
nous l'avons vu atteindre 20° G., c'est-à-dire — 5° C. à
l'ombre et -{- ib" C. au soleil.
Un filet d'eau de neige, fondue au soleil et au contact d'un
objet de coloration foncée, regèle sans tarder à i'ombrede
ce même objet. Que de fois, étant à cheval, pour ne pas
geler de la moitié du corps à l'ombre, nous sommes-nous
retournés pour avoir une plus agréable répartition du calo-
rique céleste!
Les courbes thermomélriques sont donc 1res irrégulières,
el si on voulait juger du climat des Pamirs par des moyennes,
on arriverait à des idées fausses. Aussi la répartition des
saisons n'est-elle nullement comparable îi celle des pays
situés sous les mêmes latitudes. Sur le Pamir, l'hiver ne
dure pas moins de sept mois, et Télé sans gelées nocturnes, h
peine de deux ou trois semaines. C'est dire qu'il n'y pleut près-
i
510 PAMIR KT TCIIITRAL.
que jamais, mais que les précipités se font surtout sous forme
de neige ou de grSle; cependant ces quantités de météores
aqueux sont bien moins consif^érabies qu'on ne pourrait le
croire, et les Pamirs sont moins chargés de neiîJje que les
régions prépamiriennes, telles que l'Alaï par exemple. Cette
iuégale répartition ressort visiblement d'une carte spéciale ■
que j'ai dressée à cet effet, en y marquant les observations
recueillies journellement et sur lesquelles j'aurai l'occasion y
de revenir dans un travail spécial. fl
J'ajouterai seulement que le régime des vents est assez
régulier en certaines vallées longues, comme celle d'Ak-tach
par exemple, oii le vent du printemps, remontant la
gorge étroite du Wakhane, sous le nom de Bad-i-Wakbane
(Gordon), souffle avec une force et une régularité parfois
très gênantes. II en est de même sur l'Alaï. Ailleurs, les
impasses, les enchevêtrements de chaînes, les promontoires, M
déterminent un certain nombre de points critiques oîi le
régime des courants d'air devient local et très changeant,
suivant l'échaulfement irrégulier des couches d'air dans un
rayon de peu d'étendue.
On observe encore sur les Pamirs im fait constaté souvent
ailleurs, à savoir que les grands froids qui font congeler le
naercuresont accompagnés d'accalmies; el il est fort heu-
reux qu'il en soit ainsi, car on sait qu'un froid moyen de
20 C. au-dessous de zéro, avec une bise, est plus sensible
qu'un froid de 30" C. sans vent. On se demande alors com-
ment non seulement l'homme, mais encore les grands
mammifères, mieux hiibilléselacclimatés que lui, pourraient
résister à ces températures inférieures à celles du cercle
polaire et aggravées par les effets déprimants de l'altitude,
lorsque l'oxygène se fait plus rare et le coeflicient des mou-
vements musculaires plus élevé.
Je crois cependant que cette aggravation est mitigée dans
une certaine mesure par une réaction physiologique qui
s'opère dans la répartition du sang dans le corps. Cette
I
PAMin ET TCHITRAL,
511
répartition est troublée par les effets de l'altitude, sur-
tout la diminution de pression atmosphérique, elle trouble
se manifeste par des vertiges, bourdonnements dans les
oreilles, céphalalgie et hyperémie de la peau. Cet afflux de
sang vers la périphérie apparaissait surtout chez nos che-
[Taux, peinant sous leur charge dans la neige et à la montée
des passes. Tous avaient k robe marbrée de filets de sang
figé, échappé des veines superlicielles crevées sous l'elTort-
Or, le sang étant le grand réservoir de chaleur, la déperdition
du calorique à la surface du corps et dans les poumons
abaisse bien la température générale moyenne du corps,
taais arrive beaucoup moins rapidement aux effets funestes
«le l'algidité centripète. Nous avons géuéralement laissé au
soleil le soin de nous réchauffer, sans jamais avoir recours à
la ctidleur factice de l'alcool. J'attrape des rhumes àParisot
je n'en avais point sur le Pamir.
Les effets de l'altitude, sur lesquels on a déjà tant écrit,
jenousontpas présenté lesdifliijiultés auxquelles on s'alten-
il. Personne n'en a été incommodé au delà d'un malaise
ssager. Le nombre des pulsations et des mouvements
spiratoires était accru ; j'ai compté sur moi un maximum
de 180 pulsations et de 5t> mouvements respiraloiics par
minute à la montée très pénible de la passe de Kizil-Art; —
mais si les effets de Taltitude joints à la pénurie de nourri-
ture sont devenus néfastes à nos chevaux, les hommes ont
marqué une tendance à l'adaptation à. ces effets, et je partage
l'avis de Jacquemont, qui estime qu'en dehors de la prédis-
position individuelle et anormale, le mal de montagne
accuse comme première cause la fatigue musculaire*.
M. ViauU vient de trouver que le sang des montagnards
de grande altitude est plus riche en globules rouges.
Enfin, pour terminer celte rapide esquisse des conditions
géo-physiques que le voyageur rencontre sur les Pamirs,
I Voir pour plus de détails : C. Capus, Efl'ets de l'altitade sur lue
hauU plateaux (7)ev»e tcitnlifiiiut, n° 25, 1889).
i
\
512 PAMIR ET tchithal.
nous constatons que, rareonent, il lui est donné d'admirer
une atmosphère aussi cristallinement transparente que celle
du « Toit du monde », lorsque le ciel voilé ne couve pas la
tempête de la nuit ou que la brume opaline n'entoure la
lune d'un halo qui l'emprisonne dans un grand cercle lai-
teux. Alors tous les astres brillent d'un éclat inconnu et dar-
dent des rayons tellement longs, qu'ils paraissent jaillir de
l'œil du spectateur. La lune elle-jnÊme semble chauirer la
terre de son éclat d'emprunt et accuser à la surface de la
planète les ombres fortes de ses cratères éteints. Ce sont de
ces nuits vides de son et remplies de a pâle clarté y> que n'ou-
blie aucun de ceuxquiles ont contemplées. Au jour, le soleil
lance ses rayons à travers une atmosphère faiblement char-
gée de vapeur d'eau, allume, en glissant sur la neige, des
milliards de feux sur les crislaux de glace et vient, en fil-
trant à travers le poil des pelisses impuissantes et par le
bord des lunettes, irriter les yeux et crevasser la peau.
Dans ce climat excessif vivent, été comme hiver, mal-
gré les froids, les tempêtes et la raréfaction de l'air, des ani-
maux, des planLes, constituant une faune et une flore beau-
coup plus riches qu'on ne l'aurait supposé a prton*. Leplus
important représentant de cette fiiune, primus inter pares ,
est l'homme. DeTAlaï au Wakhane et au Kandjout, les Pa-
rairs se couvrent en été d'une savoureuse et ondoyante
couverture de pacages dont Marco Polo déjà nous vante les
qualités, en disant qu' « une maigre jumenty deviendrait bien
grasse en dix jours ». Alors de toutes parts affluent, des
vallées basses, au fur et à mesure que les neiges fondent sur
les hauteurs de phis en plus élevées, les Kirghizes avec leurs
troupeaux d'animaux domesliques.Ils plantent leurs tentes m
et leurs foyers et restent jusqu'à ce que les pâturages soient
épuisés ou que les neiges de l'hiver les forcent à la retraite.
Ceux qui le peuvent reprennent le chemin de leurs cam-
pements d'hiver des basses altitudes cl des vallées couvertes
et plus chaudes. Les autres^ soit habitude héréditaire, soil
PAMIR ET TCniTRAL. 513
force des circonstances, restent et forment la population
hivernale du Pamir. Car le « Toit du monde » constitue
pour beaucoup d'entre eux une sorte de refugium peccatù'
rum, de best' naturel où, poursuivis par la vengeance de
leurs semblables pour un crime tombant sous la loi de la
vendetta, insoumis aux lois de leur pays ou réfugiés poli-
tiques après avoir été révotlés malheureux, ils vivent une
vie raisérable ou font le métier d'écuraeur des Pamirs en
jouissant d'une liberté de fauves. Des Kachgariens, des Wa-
Ihis, des Kirghizesdu Fergana, mèine des Afghans sont ainsi
Tenus se réfugier sur les l*amirs, où les Chinois de Karhgar
ne les inquiètent pas pourvu qu'ils payent l'impôt et les
aident à empêcher les voyageurs scientiflques, par exemple,
Je poursuivre leur roule.
Quant aux réfugiés politiques, c'est Abdoullah qui, après
avoir mené une campagne malheureuse contre les troupes
<le Skobeleir marchant sur l'Alaï, vécut pendant quelque
temps sur le Pamir, puis s'en alla mourir ;\ Caboul où il
avait vainement demandé à Chir-Ali d'embrasser sa
cause. C'est encore Sadjk, c'est Sahib-Nazar, la terreur des
Kirghizes, quivit, vieux et couvert de blessures, dans la vallée
du Koudara où ses fils et ses petits-fils continuent à ren-
çonner leurs voisins de pâturages. Mais depuis que les
Russes ont reculé leur frontière jusqu'à l'entrée de son
repaire, il a mis une scuurdine h ses instincts de brigandage
et s'adonne, en apparence du moins, à la dévotion. En
dehors de ces out-laws qui sont l'exceplionj les Kirghizes
hivernant sur les Pamirs appartiennent à quatre tribus
Kara-Kirghizes, dont celle des Tdtts est la plus nombreuse.
Nous les avons trouvés au Rang-Koul, sur le Mourg-ib, à
Ak-tach et surtout le long de l'Ak-Sou sur le petit Pamir.
C'est qu'en effet ces endroits sont relativement peu char-
1. On appelle besl, en Perso, un endroit sacro-saint où le réfugient
les criminels et les coupitbIeB, saas que la justice des hommes y puisse
les atteindre.
514
PAMIR ET TCHITRAL.
gés de neige, et le bélail trouve bien encore, quoique pré-
caire, une nourriLure à paîlre : parfois sous la neige une
herbe sfcche et fanée de l'été passé. Ces Kara-Kirghizes ou
Bouroutes sont de même race que ceux de l'Alaiet des val-
lées du Thian-chan nu nord et à Test du Fergana, très
apparentés du reste, anthropologiquement, avec les Kirghizes
des steppes qu'on appelle Kazakn ou Kaisaks.
Au physique, les caractères saillants du Turco-Mogol.
D'aucuns cependant ont les pommettes moins saillantes, les
yeux moins bridés, la face moins aplatie et le système
pileux très développé : ce qui fait penser à un métissage
probable médiat ou immt^diat avec les tribus ariennes ou
tadjiques de Tach-Kourgane et du Wakhane. Aux oarac-i
tères mongols correspond une taille moyenne, aux autres
une taille plus élevée.
Ils ont l'ossature grossière, les muscles assez peu déve-,
loppés, secs, la cage thoracique ample. Ils paraissent, en.
somme, moins rabougris qu'on ne l'aurait attendu d'indi-
vidus vivant dans d'aussi mauvaises conditions de milieu.
Uneparticularité caractéristique est le mauvais état de leur-
dentition. Tandis que leurs fri^res ethniques de la plaine se
distinguent par des mftchoires modèles, ceux-ci ont, tous,
les dents plus ou moins cariées, ou tombées, ou branlantes.
Cela est sans doute un efTel de l'usage qu'il font de l'eau de
neige ou de glace et de l'absence du riz dans leur alimen-
tation journalière. L'usage de grain torréfié produit aussi
Chez eux l'usure horizontale des incisives et des canines
comme chex les herbivores, et on peut voir des individus
avec les dents usées de la sorte jusqu'au ras de la gencive,
ce qui les empêche de se gâter. Le fonds de leur nour-
riture est le laitage et ses produits, notamment, et souvent
exclusivement, le lait et le fromage de yack ou houtass.
IvanofI' rapporte une utilisation bizarre de la croûte de ce
fromage. Les Kirghizes lui ont affirmé qu'ils s'en servaient
fréquemment pour remplacer — les fers à cheval. Ils
PAMIR ET TCHITRiO,. 515
découperaient dans l'écorce, dure et coriace comme du
cair, des lanières à la forme du sabot, qui, appliquées en
gQÏse de fer, résisteraient durant plusieurs jours aux aspé-
rités et aux cailloux de la route. Peut-être qu'à elle seule
la mastication de ce fromage expliquerait l'usure de leurs
dents! Le pain est un luxe que la plupart ne peuvent que
rarement s'offrir.
Ils vont chercher le blé et le grain dans le Wakhane et le
Ghoagnane, pays limitrophes où ces céréales sont cultivées.
L'usage intermittent de la viande n'est permis qu'aux
f riches », car, les troupeaux étant leur seule richesse, les
épidémies fréquentes les condamnent moins à l'abstinence
qoe le hauvre hère qui voit périr ses bêtes, son capital, à
la porte de sa tente et sous ses yeux, sans que, de par la loi
religieuse, il lui soit permis de manger de la viande de
bètes mortes autrement que sous le couteau expérimenté
do croyant musulman. Ils sont en effet musulmans sun-
nites, mais combien est difficile pour eux l'exécution de
tous les préceptes que le prophète a édictés à l'usage d'un
peuple de pays chaud et de plaine! Inutile de dire que
l'hygiène est leur moindre souci, que le mot c lavage »
oe doit pas avoir de vocable dans leur dictionnaire et que
leurs pratiques religieuses se bornent à l'imitation d'un
roisin à qui la température bénigne permet d'enlever son
manteau pour l'étendre par terre et faire la prière du soir
60 face d'un beau coucher de soleil. On trouve parmi eux
quelques moullahs, cumulant leurs fonctions sacerdotales
avec celles de scribe du bi ou chef de certains aouls ; mais
ces personnages ont moins d'autorité que le pir, saint
personnage ambulant qui prêche d'exemple la morale et les
vertus et se laisse vivre par la charité mesurée à la foi du
croyant.
Cependant si les Kirghizes du Pamir sont moins prati-
quants que les musulmans de la plaine, s'ils exploitent et
volent le mousselmân aussi bien que le Jcâfir de passage
516 PAMIR ET TCniTRAL.
chaque fois qu'ils le peuvent, ils ont cependant le respect
des morts plus à cœur que ceux de plaine et leurs cimetières
font une impression beaucoup moins navrante. Presque
toutes les tombes sont ornées, soit de rangées de cailloux de
couleur ramassés dans la rivière, soit de rangées de baguettes
de bois, soit entourées d'un mur en pisé ou recouvertes ■
d'une bâtisse coupolée. Ces tombeaux, réunis en Gouristane,
sont les seules traces de leur passRge dans une région, car
ils habitent la tente en feutre comme tous les nomades de ■
l'Asie centrale. Il faut croire qu'ils s'y trouvent plus à leur
aise ou que le sentiment nomade est bien inné, car il leur
serait facile de construire des huttes pour l'hiver qui les
garantiraient mieux des intempéries que les morceaux*!
de feutre recouvrant les bâtons de leur oï. Mais l'amour do i
la maison portative du nomade résiste au climat. N'avons- j
nous pas vu le khan de Khiva, d'origine ouzbéque, préférer ■
une tente blanche, dressée dans une cour de son palais, à un
de ses appartements, et les Turcomans, les Ouzbegs et les
Kirghizes do la plaine dresser leur oï ou leur iourte en
dedans des quatre murs de leur cour ou de leur zimovkal M
Sous cette calotte de feutre que la tempÊle essaye vaine- i
ment d'emporter, le Kirghize pamirien vit pêle-mêle avec
ses femmes, sa progéniture et souvent celle de ses trou-
peaux : car, aux vagissements des enfants au berceau se
mêlent des bêlements d'agneaux, de chevreaux ou d'un
jeune koutass partageant la couche et la chaleur animale
de la jeune famille. Aux alentours, les troupeaux, rentrés le
soir, ont déposé leur tribut journalier de fumier qui sert
de combustible. Des carcasses à demi rongées de bêtes cre-
vées erapuantent l'atmosphère, des chiens sournois rôdent
en quête de bataille ou de distraction et, lamentablement,
nn cheval élique au premier plan complète la scène ordi-
naire d'un aoul d'hiver sur le Pamir.
Comment faire à ce Kirghize un reproche de son apathie
et de sa paresse? A quelle besogne noble et grande appli-
PAiim RT TCHITRAt. 7A1
querait-il son ioiLialive physique et inLelleclaelle, lorsque le
moindre ciTort musculaire le réduit k l'impuissauce o|.
filigoe son corps mal nourri et mal construit? Déoidémeut,;
lïvaleur des vertus se mesure aux latitudes et aux milieux,
Uu'est donc pas élomaaiit que l'avenir de ces Kirgliîzes
pamiriensctle rôle social et politique qu'ils pourraient jouer^
suieot à peu près nuls. Ils n'ont point d'unilô, à. peine celle ,
(l'origine, et ta solidarit^ise bgr^e .aux I^gos impaédiats^fie.
Icgoïsme du foyer. ,-,^j,,^i,.,u, ,, a,„„«rt., -,{ nn^unxi •( list'jel
Ils sont actuellement sujets deE^açhgHr, mais il leur serait
au moinsiiidifférent d'être sujets du Izarblauc, pourvu, qu'il?.,
soient protégés des brigandages et expursions.de leuf^vpjiff.,
sins pillards les Kanjoulis, de SaJiib-Nazar, et de Toppre^-,
sjon du colIeç.tç,ar d'impôts irréguliers et ruinenx. , , |,.
Car, nous.rajvons vu, les troupeaux de bétail et Içs ani,-
1UU.T: domestiques sont leur unique richesse. C'est, en prç;
mier, Jieu te yack ou keulass (lios ;irnnnien.t), bceuf Jf,,
qoeuede cheval qui préfère, les froids et l'air raréfié desUau;],,
tejijfS à la pifiine basse, quoique heibeuse, où il dépéritraf^j- ,
liemenL. Il leur donne non seulement du lait et de la viande,
ma^? il sert encore de bote de somme et dç monture.
Pu;a.le moulou de,la, rap^ stéatopyge, ^ilus petit,, moi|çi^^
chf^rgé de graisse que celui de la plaine. Il se reproduit fort,
bien, et nous avons vu souvent le berger, en rentrant le sojr
à l'aoul^apporter chaudement enveloppé dans, une loque (^e ,
feutre ou un morceau de son manteau, l'agneau di| jour, quç,|
la mère inquiète suit en bêlant. La chèvre aussi, petite de i
taille, couverte, ainsi que le mouton, d'une laine cgaiss^,
s'accUijate au Pamir ^içaucoup mieux qu^ Ip pUeYal.et.^^
chameau, qui se rapetissent, deviennent éliquesaveç ua^ros.
vealrt^enliiver: car il leur faut, par la quantité, suppléer à ^a
qualité du fourrage ainsi que ces géopliages de l'Amérique ,
du jSud qui n'ont que du ventre. Mpins heureux qi^e jc^;^^
rongeurs qui s'endorment sous terre en attendant le retour
du printerapSj, les herbivores domestiques sont forcés de
«oc DE OÉOCR. — i' THiaESTRE 1800. XI. — .ii
518
PAMIR ET TCHirnAL.
chercher sous la neige leur maigre pitance, car le Kirghize
ne fait pas de provision de foin. Les chevaux ont acquis l'ins-
tinct, j'allais dire l'intelligence, de faire, en piaffant, des
trous dans la neige ; la tète enfoncée jusqu'aux yeux, ils
savent cueillir de leur bouche affamée les brindilles d'herbe
morte de l'année dernière. Certains endroits du Pamir, et
c'est là que les Kirghizes s'établissent de préférence en hiver,
sont toujours à peu près libres de neige, et les troupeaux de
bétail y trouvent le chaume à meilleure portée. V
Tous ces animaux se couvrent en hiver d'une robe plus
fournie qu'ils échangent en été contre un poil plus léger. Le _
chien même présente cette mue à un degré tel, que son poil,'^!
se détachant en été à l'instar de celui du chameau, en larges
plaques, est utilisé pour la confection du feutre. Ce « chien
à laine b a des qualités de résistance au froid, à la fatigue^
qu'on chercherait vainement chez les nôtres. A 4,500 mètres
mètres d'altitude, ils poursuivent le gros gibier, mouton et
chèvre sauvage, et soutiennent sans fatigue apparente des
courses folles dans les rochers oh souvent ils forcent la béte
aux abois. M
Si, delà faune domestique, nous passons à la faune sau- '■
vage, nous trouvons tout d'abord une richesse inattendue en
représentants des classes supérieures: mammifères, oiseaux,
poissons. Les mammifères sont représentés par une ving-
taine d'espèces parmi lesquelles : la panthère. Tours, le Ijnx,
le loup, le renard, le porc-épic à museau hirsute, le lièvre,
la grande marmotte à queue, une espèce de chauve-souris,
puis les grands moutons sauvages et la chèvre sauvage. Le
plus beau et le plus étrange de ces animaux est, sans contre-
dit, le superbe mouton sauvage qui porte le nom scientifique
d'Ovis Poli et que les indigènes appellent arkar ou. katch-
kar. Il a la taille d'un gros veau; sa lèle porte deux for-
midables cornes noueuses, contournées en spirale élégante-
j'en ai mesuré qui avait plus de 2 mètres 20 de longueur,
d'une extrémité h. l'autre. Le poids seul du squelette de la
PAMIR ET TCHITRAL. 519
tête et des cornes atteint 35 kilos. L'animal entier, non vidé,
pèse souvent 300 kilogrammes. C'est le plus beau et le plus
élégant gibier du monde : c'est aussi le plus difficile à tuer. Il
n'est guère possible de le poursuivre autrement qu'à cheval, à
moins de l'attendre à l'affût comme font les indigènes. Très
défiant, le troupeau se fait garder par une sentinelle vigilante
qui, à l'approche du danger, dunne le signal de la fuite à
500 mètres au moins, et toute la bande, dans une course
légère et rapide, disparait dans les hauteurs rocailleuses, non
sans s'être à différentes reprises arrêtée pour juger de l'op-
portunité de la fuite. Nous les avons rencontrés, en bandes
nombreuses, de 10 à 25 individus, dans presque toutes les
vallées des Pamir que nous avons suivies ; mais en été ils
regagnent le voisinage de la limite des neiges éternelles,
fuyant l'homme au plus loin et se tenant entre 15,000 et
17,000 pieds d'altitude. Leurs dépouilles sont très rares
dans nos musées : grâce à MM. Ridgway et O'Gonnor, notre
Muséum d'histoire naturelle en possède maintenant plu-
sieurs magnifiques spécimens.
Szévertzow relève jusqu'à 119 espèces d'oiseaux des
Pamirs connus jusqu'alors. On y trouve le superbe vautour
de l'Himalaya, le gypaète barbu, des faucons, milans,
buses, trois espèces de corbeaux, des ramiers, des tour-
terelles, la bergeronnette, l'alouette, la perdrix des neiges du
Thibet et, même en hiver, plusieurs espèces de palmipèdes
et d'oiseaux aquatiques sur les cours d'eau qui ont crevé
leur tonnel de glace et leur permettent de pécher le poisson
on de se nourrir d'algues. Souvent, lorsque tout semblait
mort dans le paysage pamirien enseveli sous la neige, nous
vîmes au-dessus de notre tête un vautour décrire ses orbes
et fondre ensuite sur quelque malheureux lièvre sorti de son
halot; ou bien d'une crique défoncée de l'Ak-sou nous
arrivait le cancanement d'une bande de canards indiens, et
un corbeau de l'Âlal, au bec et aux pattes rouges, traversait
la gorge d'un vol effarouché. Au milieu de la tempête,
5-20
PAMin ET TCJIITIIAL.
lorsque les Ilocons de neige nous cachaient la vue à trois
pas, nous enlendimes souvent avec plaisir le gloussement
de la grande perdrix royale appelant de son nom, kahiick,
ses compagnes cachées, comme elle, dans les replis de la
penlc rocailleuse.
Rappelons enfin la présence sur le Pamir de quelques es-
pèces debratraciens; disons la pénurie de serpents, de tortues
et de lézards, tous animaux aimant les « bains de soleil »,
qu'ils ne trouveraient point à leur gré en supposant qu'ils y
trouvassentleur nourriUire et legîteasse/. chaud, et signalons,
dans les eaux courantes, la présence de nombreux poissons,
parmi lesquels des truites que dédaignent les Kirgbizes et,
d'après Szévertzow, une demi-douzaine d'espèces particu-
lières, dont le nombre connu a certainement augmenté
depuis.
La floredes Pamirs n'est pas très variée, mais très curieuse.
On y voit une plante des steppes par e.\:cellence, le stipepenné,
monter jusqu'à l'altitude de 11,000 pieds. Los arbres s'ar-
rêtent au seuil de l'Alaï, genévrier et bouleau, pour ne repa-
raître que dans le Wakhane; mais un arbuste, le tamnrix,
répandu à l'oison sur le sol salin des steppes du Turkestan,
mon tejusqu'à l'ai tiludeexlraordinairode plus de 13,000pieds.
Le Pamir garde de la sorte sou caractère floristique de
steppe par les plantes typiques qu'on y rencontre. Même le
l'osena {Lasiat/rostia splendcns) croît au bord des lacs dans
les vallées les moins élevées, et une espèce decarex couvre,
sur de grandes surfaces, le sol salin des dépressions. Des
festuca, des armoises, des labiées, quelques crucifères et
légumineuses hardies et passagères, affrontent les gelées
hâtives d'un été éphémère. Parmi ces plantes, utiles au
bétail, jusqu'au vulgaire roseau dont les jeunes pousses
servent de fourrage, l'homme utilise une labiée naine à
laquelle les indigènes donnent le nom de terskenne ou de
haviperruouich. il s'en sert, concurremment avec le fumier
des troupeaux, de combustible. On la trouve en assez grands
I
"I
I
I
i
PAMIR ET TCHITRAL. 521
quantité auRang-Koul, auKara-koul,dans la vallée de l'Ak-
sou, etc., et le voyageur sur le Pamir en hiver est très heu-
reux de la rencontrer pour qu'il puisse boire une tasse
de thé et faire cuire une poignée de riz.
Mais si les vallées du Pamir, dans leur sauvage nudité, ne
présentent pas cette glorieuse et exubérante richesse de flo-
raison printanière qu'on observe dans la steppe, elles ont
pourtant leur charme, et souvent la majestueuse grandeur
du paysage laisse dans le souvenir du voyageur l'image des
plus grandioses et des plus saisissants tableaux de la nature.
Rien n'est beau comme l'Alaï lorsqu'au printemps l'immense
vallée se couvre d'un tapis ondoyant, d'abord vert tendre,
puis argenté, de hautes graminées; quand, sous les caresses
ardentes d'un soleil pur, la terre saturée d'humidité fait
éclore en quelques jours des milliards de fleurs qui charment
la vue et embaument l'atmosphère. Les Kirghizes sont venus
planter leurs tentes en taupinières dans cette savoureuse
prairie. Des troupeaux de chevaux, de moutons, éparpillés,
animent le paysage baigné de chaude lumière. Au fond la
majestueuse chaîne du Trans-Âlaï, drapée d'ombres vio-
lâtres et couronnée de neiges étincelantes, découpe sa crête
dentelée dans un ciel émeraude et s'épointe en pyramides
gigantesques de plus de 22,000 pieds d'élévation. Â l'aspect
de ce merveilleux paysage, les cosaques de Skobelef poussent
un hourrah de joie et d'étonnement, et le Kirghize s'arrête,
regarde et dit : « Iakchi ! » (c'est beau). Puis il entonne une
chanson. Heureux nomades!
Bientôt, dans quelques années, quand le ruban de fer du
général Annenkoff aura atteint la ville d'Och, c'est-à-dire le
pied du Pamir, vous irez facilement, en vingt jours de
Paris, admirer les merveilles du « Toit du monde »; car,
quoique la science y ait encore un vaste champ à explorer,
le Pamir n'est déjà plus un « point d'interrogation », mais,
perraettez-moi l'expression, un < point d'exclamation ».
M9
PAMin ET TCHITRAL.
n
Si maintenant nous voulons gagner le Tchitral, nous
n'avons guère le choix des roules, puisque, du Pamir, il n'y
en a qu'une qui y mène directement : c'est la route du Baro-
ghil, une passe qui joint la vallée du Pandj-daria traversant
le Wakhaneau Masloudj (ou Kounar, ou Torkhoune"), par-
courant leTchitral. La première appartient au système de
rOxus, à la Bactriane; la seconde, à celui de l'Indus, à
l'Inde. Cette passe est très facile et la seule de cette partie
deTHindou-kouctî praticable en toutes saisons, car elle n'a
que 12,000 pieds d'altitude et n'est pas bloquée entièrement
par les neiges. Elle est si facile en été, qu'elle mérite son
nom de dacht, c'est-à-dire de plaine, et qu'en été les Wak-
his d'un côté, les Tchitralis de l'autre y mènent leurs trou-
peaux paitre d'excellents pâturages qui en font l'endroit le
plus recherché des deux vallées. Ces deux peuples vivent en
bonne harmonie, mais ne parlent pas la même langue. Lors-
qu'on automne les pâturages sont épuisés sur le dacht, ils
se séparent, les uns allant vers le sud, les autres vers le nord,
comme les eaux initiales de l'Osus et de l'Indus dont le
Baroghil forme la limite. N'est-ce pas là une image en petit
de celte antique migration des peuples que l'hypothèse des
linguistes admet pour les Aryens ! Car les Tchitralis repré-
sentent la branche indienne et les Wakhis la branche per-
sane. Mais dire que la région pamirienne ou prépamirienne
est le berceau du genre humain, c'est simplement vouloir
indiquer ce fait, constaté par la linguistique et corroboré par
l'étude anthropologique, qu'il existe une parenté diver-
gente dans les deux directions, Inde et Arie, sans vouloir
prélendre que ces Aryens eussent été les premiers auto-
chtones dusoL
C'est donc sur le Baroghil (visité en 1873 par le major
P.VMrn RT TCHITUAL. 523
^^iddulpb qui enQxa l'aUilude) que nous Ttmes pour la pre-
mière fois couler l'eau vers le sud, vers l'Indus, avec un
plaisir indicible. Oa avait la certitude qu'en suivantce mince
lilet d'eau on atteindrait llnde, la plaine; il y avait delà
joie à la sentir plus proche, après l'avoir souhaitée si sou-
vent, après avoir vécu durant des mois dans la montagne,
sans horizon lointain, toujours voyant surgir d'autres
barrières comme ci'tte coccinelle qui escalade à nouveau le
doigt qu'elle vient à peine de quitter.
En face du DHroghil, de grands et magnifiques glaciers
descendent en larges coulées des hauteurs du Darkot.
Quelques-uns, à l'instar de ceux du Karakoroum, rongés in-
cessamment parla rivière torrentueuse, dressentàleur extré-
mité de hautes falaises de glace, rainées, fissurées, gigantes-
ques cassures allant du blanc laiteux au vert turquoise et au
bleu. Nous suivonsversle sud-ouest une vallée étroite, sau-
vage, sillonnée parles nombreux méandres de. la rivière York-
houae. Tantôtle fond caillouteuxde la vallée, tantôtle litdela
rivière nous servent de chemin, car il n'est pointtracé ici .Dans
quelque temps, quand les neiges fondront davantage, la
rivière débordée aura pris tout le fond de la vallée et le
piéton sera forcé de grimper comme une chèvre le long du
flanc des montagnes si tant est qu'il a besoin de gagner le
Baroghil au printemps. Pendantcinqjours nous suivons de la
sorte le Yorkhoune sans rencontrer àmc qui vive. De ci de
là les parois nues de la vallée font place à uncôoe de déjec-
tion, une traînée d'éboutisou une moraine de glaciers. Ces
terrains sont couverts de bois clairsemés de genévrier, de
saule, de bouleau, etc., qui servent d'abri aux fauves. Le
17 mai nous atteignons le premier village Ichilrali, appelé
Topkhané-Siaheg.Mon compagnon de voyage vous aditavec
quelle défiance nous fûmes reçus, quelle peine nous eûmes
à avancer, enfin comment Lorzel-Khân, gouverneur de la
forteresse de Mastoudj, s'oppose à notre marche en avant
sur Cachemire.
r>'J4 riAln et tchitral.
Bonvalol restant à Mastoudj avec Ràkhmed, j'allai, avec
Pépin et notre (idèle Menas à Tchitral, capitale du pays,
situéeà quatre journées de marchecQ aval deMasloadj,dans
la direction de Pechaour.
Comme iis'agissaild'uncTisiteofficielleàson père Amman-
Oul-Moulk, roi de Tchitral, Lorïel-KhSn nous procure des
chevaux, les n&trcs étant trop malades pour faire un voyage
pareil. Nous n'emportons que nos selles, nos couvertures
et quelques médicaments dans ûïi sac, pensant que notre
absence ne durerait que dix jours.
Un Tehitrali, qui accompagna quelques mois auparavant
le colonel Lockhardt dans son voyage à Tchitral, nous sert
de guide. La première étape nous mfene à Drass ou Dras- ■
soune, dans la vallée du Tourikho. Comme l'eau y est abon-
dante et la température douce, cette vallée est une des plus
fertiles etdes plus verdoyantes qu'onpuisse voir, mais aassi ■
des plus malsaines, caries lièvres croupissent, fortes et fré- '
quentes, sur les rizières étendues. Le raisin y est bon et en
abondance {Drass signifie raisin en langue tchitralie) ainsi
que le grenadier, le groseillier, l'abricotier, le pommier, etc.;
puis, plus haut sur le flanc des montagnes, de grands peu-
Hliers s'élancent par touffes au milieu des taches vertes qui
marquent les villages en oasis et produisent un singulier '
efi'el de paysiige. Drassoune, avec un vieux caslel sauvage |
qu'on dirait d'un héros de eonte, est résidence d'été du gou-
verneur de Yassine, fils du mehtar de Tchitral. Lorsqu'en
été les passes ouvertes du Yaguistane pourraient livrer fl
passage à Moulk-i-Ammau, un sien pnrenl qui lui a promis
de l'exterminer avec sa famille, le maître de Yassine se rap-
proche de son père pour éviter autant que possible à. son ■
parent do tenir sa promesse. Une jolie famille que celle du '
roi de Tchitral ! Je ne regrette pas que l'heure avancée
m'empêche de vous la présenter.
En aval de Drassoune, la vallée se resserre, la rivière de- I
vient un torrent impétueux coulant le plus souvent entre
de hautes falaises de conglomérat. Des ponts de bois
élastiques, chancelants, très hardis, conduisent d'une rive à
l'autre quand la paroi de la montagne refuse l'espace au
sentier. Ce sentier n'a souvent que la largeur du pied ; des
balcons surplombant la rivière le conduisent le long des
parois à pic; des éboulis, des escaliers informes et naturels
ren(.recoijpenl,eldes pentes « terribles» l'élÈvent à des cen-
taines de mètres au-dessus de la vallée pour le ramener de
nouveau à la rivière, dont il emprunte plus loin !e lit en-
combré de rochers. Le cavalier fait forcément la moitié du
chemin à pied, et nous sommes étonnés de voir nos chevaux
franchir des obstacles qui ont failli arrêter les hommes.
Les villages se suivent nombreux. Tous sont établis sur le
cône de déjection des torrents latéraux qui les alimentent :
ce sont des oasis touffues, verdoyantes et fertiles en forme de
deltaqui contrastent agréablement avecl'aride nuditéde la
montagne. Le quatriômejour, la vallée s'élargit toutà coup;
le pic duTirakh-Mir (25,000 pieds) apparaît plus dégagé, la
campagne devient plus animée. Nous sommes h Tchitral.
Un pont remarquable en bois, solidement construit avec
des tours de défense à la tôto, nous mène sur la rive droite
du daria. Descavaliers armés, venus trop tard, comme dans
l'opéra d'Ofl'enbacb, nous rencontrent sur le chemin de la
ville, puis vont occuper les défenses du pont.
La capitale Tchitral n'est à vrai dire qu'un fort village de
maisons éparpillées, sans rues, sans alignements, fortement
défendu par la rivière torrentueuse d'un côté, la montagne,
et quelques tourelles de défense de l'autre. Aux premières
maisons nous sommes accostés par les hommes du mehtar,
piétons et cavaliers, armés de sabres, de lances et de bou-
cliers. Le premier ministre du roi ou divân-begui, un grand
gaillard enlurbané, avec une parfaite figure de coquin
sournois, nous invile à. le suivre sur la place ou djdi où on
est occupé à nous dresser une tente. On y voit deux cadres
en bois sanglés et quelques tapis parterre : c'est l'ameuble-
596 PAMIR ET TCniTRAI..
menl, auquel nous ajoutons nos selles. Quelques instants
après, au milieu du concours de loute la populalion» nous
recevons la Tisite de l'agent politique anglais, Rub Nawaz
Khan. C'est un officier indigène de l'armée des Indes,
« djemandar of Ihe 15'" Bengal Cavalry, on spécial duty at
Chilral », me dit-il, se présentant à l'européenne avec un
salut moitié militaire, moitié musulman. Il porte la main
au front en disant Gûod day sir! Uoiv ore yow .^ Indien de
naissance et de caractère, jeune, beau comme un person-
nage d'une miniature de rajah, Rub Nawa?, Khan parle
mal l'anglais et n'emploie pas àf. périphrases. II me demande
à brùle-pourpoinl : Are you spiosf Et quand, après ra'être
assuré qu'il ne dit pas « cipahis », je lui ris au nez, il est un
peu déconcerté et demande à voir des kagass (papiers). Nous
lui montrons nos passeports diplomatiques qu'il ne sait
point déchiffrerai dont je suis forcé de lui exposer la valeuret
la teneur. Il est du reste peu géographe, se rappelle avoir
lu dans un livre que la France est un « greal Kingdom (s»r)
in the West y>, et qu'il y a un consul de ce pays à Calcutta
et à Mounbay (Bombay). Il doit nous faire retenir, car nous
n'avons même pas sur notre grand papier le cachet « of my
governmenl s (le gouvernement de l'Inde). J'ai beau lui
expliquer que ces cachets ne se donnent que dans le pays
même que l'on doit visiter et en y étant, que tous les
cachets imprimés sur notre kagass ont été obtenus de
cette façon : la raison ne lui semble pas suffisante. Il a, dit-
il, une consigne et ne peut point nous laisser pariir sans
avoir reçu des ordres de l'Inde. Qu'au reste il est aux nôtres
et que nous n'avons qu'à demander. Et à ma première
demande de nous changer de l'or russe contre des roupies
indiennes ou afghanes, il se récuse en disant qu'on ne peut
s'en débarrasser ici.
Ce beau parleur parti, nous allons voir le roi ou mehtar qui
habile dans son château-fort en cailloux roulés à quelques
cents pas de notre tente. On lui présentera les cadeaux qu'on
PAMIR ET TCHITRAL. 527
loi destine : un beau winchester tout nickelé, un collier en
argent, des bagues en or et quelques articles de Paris. On
nous fait entrer, par une première cour remplie de solda-
tesque dans toutes les poses do désœuvrement et de la
paresse, dans une seconde petite cour, découverte et sale ah
nous trouvons le mebtar, assis sous on saule raboogri, dans
un vieux fauteuil râpé. Il est nu-pieds, babillé d'un panta-
lon et d'une cbemise de coton, autrefois blancs, et coiffé
d'une calotte crasseuse. C'est un homme au delà de la
soixantaine, à la figure toute velue, à l'œil de fauve au
repos. A côté de lui, un grand bassin en cuivre reçoit ses
crachats,, que l'usage du noss (tabac en poudre à chiquer)
rend abondants. Il nous rappelle ces rois nègres, sans chapeau
à haute forme cependant ni habit à queue de pie, qui s'om-
bragent comme lui d'un parasol, s'asseoient dans un vieux
fauteuil, s'entourent de griots et sont, comme lui, très
sales, rapaces et cruels.
Après un entretien d'une demi-heure. — Menas nous
servant d'interprète persan quand Rub Nawaz Kbân était
à bout de son anglais — le mehtar, nonobstant tous les
arguments que je fis valoir pour la nécessité d'un prompt
voyage à l'Inde, les responsabilités qu'il encourrait en le
^ retardant, les leçons de géographie que je lui donnai, etc.,
le mehtar, dis-je, avait son idée faite. Aussi ignorant en
géographie qu'en matière de droit international et de
passeport, ne comprenant aucunement le but d'un si
singulier voyage fait par des hommes aussi singuliers, qui
n'étaient ni ambassadeurs politiques lui proposant des
traités d'alliance en lui donnant beaucoup d'argent, ni com-
merçants, qui se disaient faranguis et n'étaient pas Anglais,
résuma son impression en disant :
c Vous êtes habillés comme des Ourouss, vous parlez
russe, vous avez de l'or russe, vous avez un domestique
russe, vous venez de la terre russe, vous êtes des espions
rosses! »
92» rin
Cect preaqoe lopqae;. dans on ptjs où l'h&bit en logc^^^
£ftil le (terridie, c'est-^-dirp k nxûiie de Feodroit. H
Et le mdlt«r accepta nos cadtduu.
Le même joar — nous le sûmes pins lard — i! fit écrî ^^
au gouTememeol de l'Inde qu'il venait de capturer d^^^
etpionc oarousses, en le priant de les loi acheter. Ri^ "
Nawaz Kh&n, sans doute pour masquer sa dupiiciC>^
évidente, vint nous dire que c'est grâce à lui, Ru ^
Nawaz, que le melitar ne nous a pas fait couper la tête -^
l'entrée de son pays, et que le mehtar est un a foolishmam ^
a h.ad m an ».
An reU)ij['de notre visite nous voyons que notre tente es &
ontuiiréo de postes de ijAajM (soldats tcbitralîs) qui c^mpen CS
on pliiin uir dans les champs et qui guettent tous nos mou— *
vements.
Nom en, avons au moins pour trois semaines avant que
lu r^|»onH« h notre lettre au gouverneur de l'Inde et à celles
ilii iiielitiii' n'îirrive et en supposant que le courrier envoyé
|>ar la route de Swat k l^echaour ne soit pas assassiné.
NoitH avon» tout le temps de faire connaissance avec la
li'fth ir»tAr(*HNiinto population indigène de passage à
Ti'.jiitral, h' remplis mon cahier de notes, Pépin le sien
de croquis. Tchitralis, KAlirs, Meahganes, Yaguistanis,
Aft^liiinK, Inditms, nucliemiris, Badakchis, Wakhis, etc.,
d^nionl sur lo djaï et s'iirrôtcnt volontiers pour satisfaire
k'iu- ninosili lui causant avec Ménîis et en satisfaisant la
nôtre, l* voyageur scientifique doit, à mon avis, toujours
chori;lier lu plus (^niiitl nombre de points de contact avec un
pays inléressiinl l'I sa population.
En iilli'iidnnt que la réponse, favorable nous l'espérons,
nous parvienne de l'Iridn, le mehtar nourrit fort mal ses
hôtes prisonnifrs, qu'il sonpcjonne être ses ennemis et qu'il
est mécontent de devoir nourrir de sa poche, car tout le
monde se refuse à nous vendre des provisions par peur de
se compromettre.
J'ai eu beau accabler le djamandar de reproches et de
ïnenaces continuelles et le ruebUir d'épithètes de lèse-
majesté, le menaçant de partir de force et de lui laisser la
responsabilité des suites de l'aventure, sans que tout cela
■ffiodiiiât sensiblement la qualité ni Ja quantité de la nour-
î"iture. Cette dernière menace au reste était platonique
puisque nous n'avions pas de chevaux, que l'issue de la
ViUe était gardée et qu'en cas de fuite par un prodige
d'adresse, on nous aurait rattrapes à quelques kilomètres
plus loin. Je finis cependant par trouver un remède à cette
' situation culinaire déplorable sous forme d'une drogue
pharmaceutique que j'administrai au roi. Le mehtar, en
I effet, était grand amateur et collectionneur de ces drogues
dont il no savait que faire, il est vrai, mais qu'il était heu-
reux de posséder; et. comme d'autres ont une collection de
curiosités, de tableaux ou d'antiquités, lui avait un musée de
drogues et de Bacons de pharmacie qu'il mendiait ou exi-
geait de chaque voyageur de l'Inde ou des pays limitrophes
qui pouvaient en avoir.
Un jour il me pria de lui donner un remède pour un
mal vague du corps et des membres dont il se plaignit h
tort ou à raison, car ce pouvait bien n'être qu'une feinte
pour augmenter sa collection. Je promis de lui en donner
et de le guérir, en lui disant qu'il fallait l'envoyer chercher
à Masloudj où se trouvait notre pharmacie de voyage
avec les coiTres. Le soir, un courrier fut expédié à cet effet
et j'en profitai pour faire parvenir de nos nouvelles à Bon-
vatot, qui semblait s'ennuyer plus que nous, et le prier de
remettre au porteur un flacon de salicylate de sQude et un
autre d'onguent mercuriel. Au troisième jour l'estafette à
pied était de retour, après avoir fait en deux jours et demi
le double du chemin pour lequel nous avions mis quatre
jours. Je ne connais point de meilleurs marcheurs que ces
montagnards. Je donnai donc au mehtar une petite dose de
salicylate, ce dont il fut si content qu'il me demanda
530 PAMia KT TCniTHAL,
loul le flacon. Il avait sans doute goûlé ou fait goûter de la
drogue, et lui ayant trouvé un goût sucré, il en avait
conclu qu'elle devait être excellente; car ils sont aussi
friands de sucre que de sel, deux substances rares dans le
pays. Je refusai d'en donner davantage, prétextant le
besoin personnel et la qualité supérieure de la drogue,
disant en outre que le roi n'avait pas assez d'égards pour
nous pour espérer un si grand sacrifice de notre amitié. Le
soir, au « dîner », il y eut un petit morceau de beurré et uu
peu plus de viande. Le mehlar, en revanche, eut une petite
dose de salicylate, et il en fut de mênne les jours suivants. Le
salicylate épuisé, j'entamai l'onguent mercuricl, en le priant
de ne pas le manger.
Et comme les abricots commençaient à mûrir, nous
vîmes ce jour-là un plateau d'abricots à notre « table ».
Finalement, après force prières et refus, le mehtar obtint
le flacou vide avec son couvercle vissé en verre, ce qui nous
valut une outre pleine de miel. Je ne crois pas que jamais
ces deux drogues aient produit meilleur et plus singulier
effet.
Et comme il est question de drogues et de médecine,
laissez-moi vous raconter, avant de finir, comment j'eus,
comme médecin, un grand succès et un sensible échec.
Voici le succès. Un jour, on m'amena un petit bambin de
5 à 6 ans, fils cadet du vieux et malheureux Mir-i-
Amman que le mehlar nourrit à sa cour après l'avoir
dépossédé de sa province. Le pauvre petit, s'étant endormi
sur le pré, avait reçu dans l'oreille la visite d'une petite
guêpe de la taille d'une mouche qui s'était logée profondé-
ment et à reculons dans le conduit auditif. Désespoir et
cris du petit et de ses parents, tellement craotionnés que
sa mère montra, sans voile, une mine désolée. Les cris et
les soubresauts du petit rendirent vains mes efforts pour
retirer la bêle avec des brusselles, quand j'eus l'idée de la
chasser de son refuge insolite par un moyen simple qui
PAMItl ET TCIlITRAr., 531
devait réussir. On sait qu'on peut tuer aisément les
animaux par le tabac, oiôme des serpents et des lézards,
qui ont la vie assez dure. Je pris donc du tabac en poudre
appelé noifs, j'en délayai une pincée dans de l'eau et
j'en instillai quelques gouttes dans l'oreille du bonhomme.
La guêpe ne tarda pas à sortir d'elle-même, et tout le
inonde fui vite consolé. Le lendemain le reconnaissant père
me fil apporter, par le pelil, trois pommes vertes — comme
honoraires.
L'échec, !e voici. Un soir, vers minuil, le djemandar en
toute hùte vint me réveiller. Il était accompat^né de
quelques porteurs de torches dont la clarté de mélodrame
rougissait tout à coup l'entrée de la lente, c Notre dernier
moment » n'était point encore venu, mais Rub Nawaz
Khàn me priait instamment de l'accompagner au caslel, où la
favorite du mebtar, en voulant sauter un bassin, s'était cassé
une jambe. J'espère assister à quelque scène originale et je
l'accompagne. Le mehtar me reçoit dans la première cour:
il est très affable, prévenant môme et m'explique le cas. Je
lui dis qu'il faut incontinent me mener auprès de la prin-
cesse pour lui appliquer le bandage et le traitement. Mais le
roi ne l'entend point ainsi.
Il est défendu à un homme de voir une femme qui
n'est pas la sienne, et a fortiori, à un farangui de voir
une princesse ichitralienne. Le mehtar refuse obstinément
l'accès du harem au médecin. Le djemandar insinue qu'on
pourrait peut-être cacher !a femme derrière un paravent
qui ne laisserait passer que la jambe malade; mais il
paraît que c'est précisément la jambe qu'il est défendu de
■voir. Le mehtar veut une poudre, une pilule, « quelque
chose pour manger » enfin et qui guérisse rapidemenl
la fracture. Voyant toute insistance inutile, je prescris
de l'eau froide sur la fracture, j'explique le bandage et je
rentre.
Deux jours après, le premier ministre vient me prier de
532 PAMIR ET TCHfTIUL.
repasser au chAteau. Je refuse. Jl revient, accompagné du
jeune Qls de la princesse malade, qui me prie si humble-
ment que je tente une deuxième entrée au harem. C'était du
reste un faux départ, car le mehtarn'a pas changé d'idée; il
m'apprend en outre qu'au lieu d'appliquer de l'eau froide, le
mouilah a dit une prière de circonstancesur la malade, mais
que, néanmoins, lajambeest enllée démesurément. Je renou-
velle l'ordonnance et j'ajoute un tait de poule. J'ai perdu
l'intéressante malade de vue, car deux jours après nous
étions libres.
Je crois que tout voyageur peut, à un moment donné, tirer
bénélice et inUuence salutaire de la distribution, jçraluite
bien entendu, de drogues eflicaces ou non. Il lui est si facile
défaire des heureux, car tous ces gens s'en vont contents et
la foi dans le cœur. Que de fois j'ai donné, à des rhumati-
sants, à des scrofuIeuXf à des incurables, de l'eau sucrée
rougie de carmin I J'en ai peut-fitre guéri... Que mes coUè-
£^ues d'Europe me pardonnent un exercice aussi révoltant
qu'illégal de la médecine!
Enfin nous voici libres. Ixird Dulferin nous ouvre les
portes de l'Inde et lemehlar celles deTchilral. Nous brûlons
les étapes. Bonvalot est parti de Masloudj, nous le rattra-
pons à Gakhoutch sur territoire cachemirien. Un mois après,
nous voyions du haut de la passe de Gourez, à travers un
déchirement de nuages, le lac Voullar s'étendre à nos pieds.
Le même jour nous sommes che% nos amis MM. Pey-
chaud, Dauvergne, Bouley, Fabre, etc., c'est-k-dire en
France dans le Cacbemire. La mission que le ministère de
l'instruction publique avait bien voulu nous confier était
terminée.
Note sur la carte.
La carte qui accompagne ce fascicule est une réduction de la
carie à l'échelle de 0™ 01 par versle que j'ai dressée de notre
traversée du Pamir elquele minislèredeJ'instruclioijpubliquuutla
PAMIR ET TCHITRAL. 533
Société de Géographie ont bien voulu faire reproduire à une plus
petite échelle. Cette carte s'appnie, au nord, au lac Grand Kara-
Koul en prenant pour base les levés antérieurs russes de Kas-
tienko et de Sévertzow. L'itinéraire quitte ensuite celui de
Sévertzow au lac de Glace, ou Mousse-Kol, et se dirige, par une
route nouvelle, de la passe Ouz-bel ou Kizil-djek vers le lac
Rang-Koul, où il recoupe ceux de Sévertzow et de l'expédition
cominandée en 1883 par le capitaine Poutiata. A Ak-tach, notre
route double celle des pundits prédécesseurs de Gordon et celle
de la mission Forsyth jusqu'à Langar, dans le Wakhane. De Lan-
gar, par la vallée de Itaïkarra ou Tuch-Koupriouk, à la passe
d'irchàl, le terrain était inconnu. A la passe de Baroghil nous
retrouvons l'itinéraire du Munshi Abdoul-Soubhân. ^ous suivons la
vallée du haut Kounar et nous recoupons, au pied de la passe de
Mochabour, le trajet de Mac-Nab, puis, à Mastoudj celui du capi-
taine Biddulph et, vers Guilguit d'un côté et Tchitral de l'autre,
l'itinéraire de l'expédition du colonel Lockardt, la plus récente.
Dans la construction de ma carte, je ne me suis servi d'aucune
des données établies par nos prédécesseurs, en dehors du dessin
du Grand Kara-Koul de Sévertzow. Je n'ai fait que reproduire et
mettre au net mes seuls levés et observations avec leurs défauts et
ce qu'ils peuvent avoir de qualités. Les levés embrassent un iti-
néraire d'environ 700 kilomètres de région pamirienne et pré-pami-
rienne. La mise au net a été faite par section, eu s'appuyant sur
les points de recoupement des itinéraires précédents. Je me suis
servi exclusivement de la boussole à visées, dont les observations
d'angle sont au nombre de 1800 environ.
Les hauteurs ont été mesurées au baromètre anéroïde ; mais,
à défaut d'observations comparatives simultanées, leur exactitude
ne peut être que relative. Les distances ont été évaluées au
pas du cheval ou du piéton, quelquefois estimées à vue. On a
tenu compte, bien entendu, des circonstances variables pouvant
ralentir ou accélérer la marche. Si les difficultés vaincues de la
marche par la neige profonde et un froid intense pouvaient rache-
ter les défauts de précision, notre carte serait très exacte. Néan-
moins, je pense qu'elle pourra rendre des services, notamment ma
carte à grande échelle, qui, je l'espère, sera publiée plus tard et
sur laquelle j'ai inscrit avec soin tous les accidents de terrain, les
particularités d'ordre géologique détaillant le relief des vallées et
la nature de la couverture du sol.
G. G.
soc. DG GÉOOR. — 4* TRIMESTRE 1890. XI. — 35
VOYAGE DE PAUL GRAMPEL
AU NORD DU CONGO FRANÇAIS
!.. MIKOW
l.iriiUnant tlv TilgsniD<.
M. Paul Crampel avait élé chargé, en novembre 188G, par
le Ministère de l'Inslniclion publique, d'une mission scien-
tifique dans le Congo. Il partit avec le commissaire général ^
du gouvernemenl, qui le choisit pour secrétaire particulier. B
Après avoir rempli pendant onze mois ces doubles fonctions,
M. de Brazza étant sur le point de rentrer en France,
M. Crampel demanda et obtint la direction d'une explora-
tion visant le nord du Congo français.
Les préparatifs de celle expédition furent assez longs.
Tous les concours sur lesquels le jeune explorateur comp-
tait lui manquèrent successivement. Le 14 août 1888,
cependant, il quittait Lastourville avec deux Sénégalais et
quelques Loango et Madouma, porteurs de memies mar-
chandises destinées aux cadeaux.
Suivant d'abord la rive sud de Tlvindo, affluent de
rOgôoué, il le traversa devant les villages Chaké de Sandja
et de Mouguendja. Son intention était de se diriger droit au
nord k la recherche du fleuve Liba des ancienne*: cartes.
Les renseignements recueillis par les explorateurs qui
l'avaient précédé dans ces contrées et dans le bassin de ta
BenouS étaient venus con6rmer l'existence de la Liba et
avaient permis de l'identifier avec l'un des grands affluents
du Gongo qui rejoignent ce fleuve presque au manie point:
Oubangui, Sanga ou Likouala.
1
I
1. Voir les carlM joiotes à ce numéro.
VOYAGE DE CRAMPEL AD NORD DD CONOO FRANÇAIS. 535
La mission ne trouva pas de route allant vers le nord et
dut se tourner vers l'est-nord-est. Les indigènes dirigent les
prodnils de ces contrées (ivoire, caoutchouc et quelquefois
esclaves) vers les points oh les Européens ont fondé des
factoreries et où ils peuvent échanger les deux premiers
produits contre des marchandises européennes. C'est aux
peuplades qui entourent ces factoreries, et qui à cause de
cela possèdent une quantité assez considérable d'objets
manufacturés, qu'ils vendent leurs esclaves.
Pour les peuplades situées au nord-est de Lastourville,
le point le plus proche est le coude que rOgôoué fait au
nord de Bôoué, à Lopé, au pays des Mikanda, qui achètent
leurs esclaves. C'est par ce point qu'ils doivent passer pour
porter leur ivoire et leur caoutchouc aux factoreries du
bas Ogôouéou des petites rivières du Gabon. C'est pourquoi
les routes frayées par le commerce sont toujours dirigées
vers l'ouest, c'est-à-dire vers la côte. L'ouverture an com-
merce de rOgôûué, fermé depuis 1883 par ordre du commis-
saire géttéral du gouvernement, modifierait la direction des
voies commerciales. De nombreuses factoreries échelonnées
sur ce fleuve créeraient un réseau de routes venant do nord
et du sud, qui mettraient en relations chaque tribu avec
l'établissement le plus proche.
La zone que la mission traversa d'abord était presque
entièrement dépeuplée. M. Crarapel et ses hommes eurent
beaucoup i souffrir du manque de vivres. Les porteurs
Loango ayant abandonné les vivres qu'en prévision de
la pauvreté du pays le chef de l'expédition leur avait fait
emporter, furent particulièrement éprouvés. Leur mauvaise
volonté ne fut vaincue que par la menace de M- Crampel de
les abandonnera leur sort au milieu des forêts inhabitées.
Il est assez singulier que la population croisse à mesure
que l'on s'éloigne des rivières occupées par les Européens.
M. Crampel donne de ce fait l'explication suivante :
« Le commerce s'est fait dés le début, dans l'OgÔoué, par
J3G
VOYAGE DE PAUL CRAMI'EL.
système dit d'avances. Les commerçants n'ayant généralec
ment pas le moyen d'aller faire prendre par caravanes, dans
l'intérieur, les produits du pays s'adressent à des indigènes
qui connaissent depuis longtemps les transactions entre
Européens et noirs ; ils leur distribuent des marchandises
d'avance, à charge par ceux-ci de les convertir en ivoire
caoutchouc, huile de palme, bois d'ébène, bois rouge, etc..
qu'ils viennent livrer à leurs patrons.
« On comprend les inconvénients de ce système. Les trai-
tants sont, d'ordinaire, des hommes ayant pris les vices des
agents européens sans avoir, pour cela, perdu ceux de leurs
compatriotes; ils sont débauchés, voleurs et ivrognes. D'où
perpétuels conflits entre traitants et indigènes, tous se plai-
gnant d'être à chaque instant vexés, frustrés et volés.
« Frappée de ces inconvénients incontestables, l'adminis-
tration imagina un autre mode de commerce. Au lieu de
permettre aux commerçants de monter ou de faire monter
leurs traitants dans l'intérieur, faisons descendre, pensa-
t-elle, les indigènes et leurs produits à la côte. D'où le sys-
tème suivant : le ravitaillement de nos stations du Haut-
Fleuve exige de nombreux convois de pirogues qui, chargées
à l'aller, redescendent naturellement à vide. Utilisons le
retour de ces convois. Payons nos pagayeurs non plus en
marchandises d'Europe, mais en produits indigènes qu'ils
descendront eux-mêmes vendre aux factoreries.
c En effet, à dater de ce temps, des traitants furent éta-
blis, non au compte des commerçants, mais au compte de
l'Etat, dans l'intérieur. Nos pagayeurs, montés à destination,
trouvèrent là des chefs de station qui, par l'inlerraédiaire
des commis voyageurs ofQciels, les payèrent en ivoire et
caoutchouc. En revenant prendre aux stations de la région
maritime le; ravitaillements denos convois, ils descendirent
ces marchandises, qu'ils purent vendre eux-mêmes aux fac-
toreries.
« Entre autres peproches adressés à ce système, on a fait
"AU NOBD DU CONGO FRANÇAIS. 537
observer que ie petit nombre des pirogues et l'innaviga-
Lilité du fleuve pendant la saison des. basses eaux ne per-
mettent que la descente d'une petite quantité de produits.
B'autre part, les indigènes se disent ; Si nous nous rappro-
chons des blancsj que va-t-il arriver? D'abord nous ne serons
plus libres de notre conamerce. Maintenant, une défense
que nous allons acheter et que nous revendons, par colpor-
tage, aux faclçreries de l'ouest (sur la rivière Mouny, oii les
Espagnols ont établi le port franc d'Etobey), une défense
achetée et revendue en quinze jours nous rapporte plus que
trois mois de pagayage. Ensuite, nos villages étant près de
la rivière, sans cesse les blancs et les hommes des blancs
(Sénégalais) viendront cheis nous. Ils nous prendront de
force pour leurs convois ; ils exigeront nos femmes ; ils en-
verront nos enfants dans les jardins des missionnaires. >
Le pays que traversa la mission pendant les premiers
jours était légèrement accidenté et couvert d'épaisses forêts.
De loin en loin elle revoyait le jour dans des clairières cou-
vertes d'herbes très hautes et situées sur les lignes de faite
séparant les petits ruisseaux dont la réunion va former les
rivières peu importantes de Likouka, de Ponengué et de
Moumba qui versent leurs eaux dans l'Ogôoné entre Lastour-
ville et Doumé. Dans la journée du 17 août l'expédition
parcourt le haut bassin de la rivière Mchiguidina, dont le
confluent avec l'Ogôcué n'a pas encore été reconnu et qui
arrose des forêts habitées par des troupeaux d'éléphants.
Le village Chaké de Diba, près duquel l'expédition établit
son campement du 17, est le dernier village appartenant au
bassin propre de l'Ogftoué; le village suivant, Youngom-
•bela, est situé dans le bassin de la Sébé, grand affluent de
rOgôoué: La ligne de faîte qui sépare les deux bassins n'est
élevée que de 392 mètres. De ce point, la vue s'étend vers
le sud-est sur une mer de verdure à peine ondulée au milieu
de laquelle doit couler la Sébé, dont rien, à cette distance,
ne révélait le cours.
538 VOYAGE DE PAUL CRAMPEL.
Au changement de bassin correspondait un changement
de race de la population. Youngombela est ie dernier vil-
lage cliaké. Au delà en se dirigeant vers le nordj'expédiiion
devait rencontrer les Bakota-M'biimba, qui s'étendent vers le
nord-est jusqu'au pays des Baléké. Ce peuple forme une
colonne dont la queue longe les contre-forts du plateau des
Batéké, où la Seîbé prend sa source, dont le corps est à cheval
sur i'Ogôoué, de Doumé à Franceville, tandis quelatèlepar
les vallées de la Libounibi et de la Lauète se Rapproche du
Kouilou, dont en 1883 elle n'était éloignée que de deux jour-
nées de marche.
Après quelques jours d'arrêt au village de Youngombela
l'expi^dition parcourt les grandes forôls, qui abondent en
éléphants, et suit tantôt la droite, tantôt la gauche du faible
relief qui sépare les bassins de l'Ogôoué el de la Sebé. Elle
traverse la rivière Yomi.qui se rend àlaSebé,la Mbéou, qui
se jette dans l'Ogôoué en un point inconnu et contourne la
source de la rivière Dilo, qui rejoint rOgôoué, à quelques
milles en amont de l'Ivindo el qui est opposée à la rivière
Abidi qui porte ses eaux à la Sebé après un cours très si-
nueux. Toute cette région, dont les eaux s'écoulent indiffé-
remment vers l'Ogôoué, la Sebé ou l'Ivindo dont la rivière
Mbéou est un affluent d'après les indigènes, n'est élevée que
de 350 à 400 mètres au-dessus du niveau de la mer, c'est-à-
dire à peine de 100 mètres au-dessus de l'Ogôoué. Le sol est
à peine mouvementé pour encadrer les nombreux ruisseaux
par lesquels s'écoulent les innombrables marais qui couvrent
sa surface. IhI végétation atteint son maximum de puissance,
les forêts sombres ne laissent voir le soleil que là où les
Chaké ou les Bakota ont jeté à bas les arbres géants pour ,
établir leurs villages, dont les maisons disposées sur deux
rangs forment des rues qui atteignent parfois plusieurs ki-
lomètres de longueur. Les sentiers que suit l'expédition
sont défoncés par les éléphants, dont les traces se croisent
en tous sens et qui semblent être les rois de ces forêts. Les
AU xonr DU CONGO français. ô39
Bakota ont de nombreux campements de chasse, et grâce à.
leur habileté et à l'ahondance du gibier ils vivent dans une
aisance relative. Aussi leurs mœurs sont-elles douces, et
l'expédition trouve-t-elle, dans les villages, une hospitalité
cordiale. Au delà du village de Yébé, elle coupe la Milongo,
petit ruisseau (jui concourt à former la rivière Diloet, redes-
cendant du plateau sur lequel on rencontre l'aticien et le
nouveau village chaké de Sandja, elle arrive au bord de la
Mouyniandji qui va se jeter dans l'Iviodo au delà, de cette
rivière, sur laquelle on trouve en amont de nombreux vil-
lages bakota, mbambaet raissangui. Le plateau recommence,
s'élevant en pente douce jusqu'au village Mpoumba, habité par
les Chaké et les Damboraa. Le chef de Mpoumba, nommé
Tsibo, fait le commerce avec des Bakota qui traversent
l'Ivindo et vendent leurs produits aux Moulendié, voisins de
la rivière Bénilo. Tsibo a entendu parler de la mission pro-
testante qui est à l'embouchure de celle rivière el des cha-
noinesses qui en font partie. Le village de Mpoumba, élevé
de 616 mètres au-dessus du niveaudelamer^estsituésurune
arête qui sépare le bassin de la Mouna, qui se rend à
l'Ivindo, de celui delaLiboueïa, qui selon toute prohabilité
se rend à la Sébé. Cette cote est à peu près la même que.
celle de la ligne de faîte qui sépare le bassin del'Ogôoué de
celui de la Sébé et que Crarapel avait parcouru près du vil-
lage de Mianza. Sur ce tableau se détachaient les monts
Goualé, formés d'énormes blocs de rochers granitiques dont
Crampel fit l'ascension, aprèsen avoir faille tour pour trouver
une fissure qui lui permît d'en atteindre le sommet élevé de
671 mètres au-dessus de l'Océan. En résumé, tout le pays
entre l'Ogôoué et la Liboumbi, affluent de l'Ivindo, est élevé
de 4 à 500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le point
le plus élevé n'atteint que 671 mètres. Le 27 septembre,
l'expédition rejoint la rivière Liboumbi au village akola de
Liboueïaqui possède sur celle-ci des pêcheries remarquables
qui en barrent toute la largeur. Suivant la rivière à travers
540 VOYAGi; DK PAUL CRAMPEL.
une savane de hautes herbes parsemées de petites futaies,
elle visite les villages bakota de Gombé et de Yombi et
franchit la Liboumbi à quelques milles de son confluent
avec rivindo. Sa largeur d'environ 420 mètres indique
qu'elle a un cours peu étendu, et dont l'importance a été
exagérée sur les cartes où ou l'avait placé par renseigne-B
ments. Kandjama, situé entre la Liboumbi el l'ivindo, et
presque au bord de cette dernière, est le dernier village
akola. De i'autre côté de l'Iviodo, queles indigènes nomment
Aïna, habitent les Ossyeba, qui s'avancent dans l'ouest jus-
qu'aux sources du Komo el à ta Ifile du delta de l'Ogôoué.
Du 1" au 0 octobre, la mission parcourt les environs du
conQuent de l'ivindo et de la Liboumbi^ recueillant de pré-M
cieux renseignements sur le haut Ivindo et sur les relations
des Ossyeba avec la côte.
L'ivindo à l'endroit où Crampel le traversa a une largeur
de 300 mètres qui se réduit h. moins de 200 mètres lors-
qu'elle reçoit la Liboumbi, large elle-mCme d'à peine
60 mètres. Un peu au-dessous du confluent, près du village
de Muyraatidgi, la rivière se répand en un large bassin cou-
vert de pêcheries.
Les indigènes donnèrent à M. Crampel les renseigne-
ments suivants, qu'il contrôla dansdifTérents villages et dont
la concordance peut-être regardée comme une garantie
d'exactitude. _
 trois jours de marche dans l'ouest, on rencontre la ri- ■
vièreboumou, au delà de laquelle le pays est absolument
plat. En aval de l'ivindo, à deux jours de pirogues, com-
mencent les grands rapides.
Lorsque, en 1881, nous voulûmes explorer l'ivindo, dont
on ne connaissait que l'embouchure, nous fûmes arrêtés
après deux railles de navigation par une chute de 1:2 à '
15 mètres de haut. A une heure de marche au delà, nous ■
atteignîmes un village ossyeba devant lequel la rivière,
quoique calme, était couverte de llocons d'écume prove-
AU NORD DU CONGO FRANÇAIS. 541
liant d'une chute peu éloignée que nous ne pûmes aller
reconnaître. Les Ossyeba me dirent qu'au-dessus de cette
seconde chute, il y en avait une troisième si haute, que
pour la regarder, étant à son pied, il fallait regarder le ciel.
D'ailleurs, si l'Ivindo, qui à son confluent avec la Liboumbi
est élevé de 484 mètres au-dessus de la mer, est navigable
pendant deux jours au-dessous de ce confluent, il lui reste
à racheter une différence de plus de 250 mètres sur une
longueur de 40 à 50 kilomètres pour atteindre l'Ogôoué, ce
qui suppose des chutes et des rapides infranchissables.
Dès le premier jour, on trouve les Ossyeba sur les deux
rives. En amont l'Ivindo reçoit à droite les deux rivières
Ouah et Nounah^ et à 40 kilomètres il reçoit à gauche la
riviàre Njadiéh-Bujelé, dont l'importance égale celle de la
Liboumbi.
Toute cette partie de l'Ivindo commerce avec le Gabon.
On y connaît de nom le Gomo, sur lequel naviguent de
grandes pirogues portant à l'arrière un pavillon comme
celui dont Grampel se fait précéder. Pour aller chez les
blancs, on fait route à l'ouest, on traverse les villages :
Engouragouné, Kalendjoco, Indoumèle, Nko, Bingmelé,
Âimoung, Ângonngo, Embimboung, Amouanana, à partir
duquel on marche en plaine ; puis Sangouaba, Ebito, Ma-
bahabinvoung, Santana ; on arrive alors à la rivière Manga-
Qène, où viennent quelquefois les blancs. Gette rivière reçoit
tm affluent, le Nkémoo.
Deux chemins s'offraient à Grampel pour remonter vers
le nord. L'un sur la rive gauche, par les pays des Bakota et
des Djandjamm, peuples de caractère doux qui sont arti-
sans, ont un certain souci de leur bien-être et possèdent
de nombreux animaux domestiques. L'autre sur la rive
droite, beaucoup moins facile, à travers les tribus M' Fans
chez lesquelles régnait la misère. Gette route semblait être
plus intéressante, et d'ailleurs les cartes hypothétiques de
ces régions, indiquant l'Ivindo venant de l'esl-nord-est,
r>i2 VOYAGE DE PAUL CRAMPEL.
Crampel craignait d'<5tre trop entraîné vers l'est
obligé de se rabattre sur te Congo, comme l'avait fait l'expé-
dition partie de Doumé en 1885.
Le 9 octobre l'expédition quille l'Ivindo, faisant route droit
au nord. Au confluent de la Ouah et de l'Ivindo elle aban-
donne définitivenient cette dernière, qui en ce point
semble venir du nord-est. Au-delà de la rivière Ouah que
les indigènes lui avaient précédemment signalée, la route,
courant au pied de la ligne de faîte qui sépare le bassin de
la Ouah de celui de l'Ivindo, coupe presque à leur tête les
petites rivières qui se rendent à celles-ci. Le pays est peu
accidenté, la cote du plateau varie entre 450 et 500 mètres.
Le pays fortement boisé n'est qu'une suite de marais séparés
par des terre-pleins qui portent de nombreux villages
ossyeba. A partir du village de Memba et quand Crampel
eut franchi la rivière Ekongouana, le sol devint plus ■
ferme, s'élevant jusqu'à la cote 678 au mont Katcmendouma,
qui marque te passage du bassin propre de l'Ivindo dans
celui de son afHuent la iVounâh. Le village d'Essemek
situé à deux milles de la Nounàb est élevé de 700 mètres M
au-dessus de la mer. Pendant les jours suivants l'expédition
suit à peu de distance la rivière Nounâb; de Bissoung à
Nkoud sur le flanc gauche de la vallée et à partir de Nkoud ■
dans la plaine qui arrose la Nounâh, qu'elle revoit un peu
au delà de Pfoulah.
Dans cette partie de la route, Crampel avait recueilli les
renseignements suivants :
D'EÎIoumfludzoco partent trois roulas ; une vers l'ouest,
par laquelle viennent les marchandises européennes; une
autre vers l'est qui traverse l'Ivindo et mène chez les fl
Djandjams. L'ivoire qui traverse Elloumendzoco vient de
l'est ou du nord. ^
Du village de Memba parlent quatre routes : la première-^
se dirige vers le sud-ouest, traverse les villages d'Ëngoum-
goum et d'Elaga au delà duquel on retrouve la riv' "
AU NORD DU CONGO FRANÇAIS. 543
La seconde vers le nord-ouest mène à un grand village
après une marche d'une journée.
La troisième vers l'est traverse l'Ivindo et va chez les
Djandjams.
Enfin celle du nord qu'allait suivre l'expédition.
Du village d'Ëssemek l'on se rend au Komo du Gabon en
passant par Engoumgoum, Andijaka (2 jours), Ebyllen
(3* jowr), Byna (4' jour) et Andjau (5* jour). Au village
Bindzoko, Grampel entend parler de la rivière N'Tem, vers
laqaelle se dirige le commerce de ces contrées, et d'une
riTJère Djah située très loin dans Test-nord-est et sur
laqaelle navigueraient les blancs. Le N'Tem, éloigné de
cinq jours de marche recevrait, d'après les indigènes, trois
affluents : Tia, Aïaet Romm et serait d'après certains indi-
gènes un affluent du Komo (ce qui est impossible), tandis
que d'autres affirment que le N'Tem après un cours souter-
rain de 15 kilomètres prend le nom de rivière Mouny. Le
chef de Bindzoko reparle du Djah, qui prenant sa source
dans le même massif montagneux que l'Ivindo, coulerait
Ters l'est-nord-est et ne tarderait pas à devenir plus consi-
dérable que cette rivière. Le commerce de cette contrée se
&it par deux routes, l'une qui mène à la côte par la vallée
du N'Tem ; l'autre rejoint l'Ogôoué par la rivière Akano.
Celle-ci est moins suivie que la première.
La haute vallée de la Nounàh et celle de son affluent le
Doaboubari sont très marécageuses et très étroites. Près du
village d'Agounah, Grampel gravit la montagne du même
aom qui s'élève à 820 mètres au-dessus de l'Océan et à plus
de 400 mètres au-dessus de la vallée de la Douboubari. De
l'autre côté de celle-ci, le mont Agounah a pour vis-à-vis
le mont Nkonn, qui, d'après les indigènes, donnerait nais-
sance au N'Tem. Jusqu'au village de Djamba l'expédition
traverse une contrée couverte de marais qui d'abord envoient
leurs eaux à la Douboubari, puis au delà d'Engoumgoum
coulent à des rivières qui se dirigent vers l'est. A la suite
VOÏAGE DE l'AUL CRAMPE L.
des dillicultés qu'il rencontre à Ollan, Crampel pari sans>
guide, se dirigeant vers le nord-est. Il ne trouve pas de sen-
tier frayé dans cette direction et, après une nuit passée en
plein marécage il arrive au village de Djamba, sur les bords
de la Sou dont la largeur ne dépasse pas -0 mètres.
Au delà de Djamba Crampel retrouve l'Ivindo, qui en cet
endroit forme le rapide deBêh, au milieu duquel se trouve
une île. Du village de Kogennyemm à celui de Benguya
l'expédition suit la vallée marécageuse d'une petite rivière,
affluent de l'Ivindo, nommée Meraba. Benguya, village
entouré de marais, est sur une colline élevée de 80 mètres au-
dessus de la plaine environnante. Après avoir traversé de
nouveaux marécages, Crampel arrive au sommet du mont
Kogafenn, élevé de 775mètres au-dessus de l'Océan, soit près
de 200 mètres au-dessus du niveau moyen du pays. Du
haut de cette élévation l'on domine le pays d'alentour.
Entre le nord et le nord-est Ton aperçoit de hautes mon-
tagnes. Au nord le mont Goumendjoko, à environ quatre
jours de marche, à sa droite le mont Bolobo, presque aussi
éloigné, le mont Ngouâ, qui n'est qu'à deux jours de marche^fl
le Kouravolo à une journée, et au nord-est le Djadzegueh,
éloigné de deux journées. Vers l'est le terrain est uni et vers
le sud est l'on découvre une série de collines allant en
s'abaissanl vers l'Ivindo. Au sud-ouest une masse rocheuse
appelée Bemjarâ émerge de la plaine. Les indigènes
indiquent l'ouest comme la direction de laquelle vient
l'Ivindo. La route après le mont Kogafenn coupe à leutffl
confluent les petites rivières de Malobon et de Bofo, qui
descendent du mont Roumvoto, dont l'autre ver?anl envoie,
ses eaux à la Ngoum.
Le 4 décembre l'expédition s'arrête au village m'fan d'A-
loum qu'elle devait revoir un peu plus lard en revenant à
côle. Le5, Crampel se dirige vers l'est, suivant la ligne de fait
qui sépare l'Ivindo de sou afilueni la Ngoum. Du village
d'Amvoung il revoit le Kogafenn et le Ngouâ. Les villages
J
ItoV
4
AU NORD DU CONGO FRANÇAIS. 545
d'Amvoong, d'Ellen, deToll, d'EgouUennam, de Mallann,
elc, qu'il traverse successivement, étaieut autrefois à l'ouest
du mont Kogafenn , ils s'avancent maintenant vers le nord-est
en sens contraire de la direction ordinaire des migrations
des M'Fans. A E^'oullennam IL revoit l'Ivindo large d'environ
100 mètres et l'abandonne pour toujours au raj)ide Madoun-
ghé, un peu en amont de l'embouchure de la Lélé, large de
50 mètres qui reçoit elle-même au delà du village Bayaga,
que traverse l'expédition, le Mosso-Mossogo. Pendant les
Journées du 15 et du 16 décembre, Crarapel parcourt les
marais au milieu desquels sont les campements des Bayaga.
Ayant trouvé le contact de ce peuple de nains, dont il
entendaitparlerdepuis plusieurs semaines, Crampcl reprend
la route générale vers le nord à la recherche de sette rivière
Djah que les indigènes lui ont indiquée. Laissant h sa gauche
le pays de N'jima, il fait trois journées de marche à Touest
coupant la rivière Okoumah, qui, large de 40 mètres, porte
ses eaux à l'Ivindo. Le 19 décembre, il suit à leur pied une
ligne de collines d'où sortent de nombreux ruisseaux qui
coulent à l'Ivindo et, après l'avoir franchi eu s'élevant à
630 mètres au-dessus du niveau de la mer, ce qui donnait à
ces collines une altitude absolue d'à peine 80 mètres, il
arrive le 20 décembre aux villages d'Ekand et de Saké, qui
.sont presque réunis, et à celui d'Aloh. Les eaux qui jusque-là
s'étaient dirigées au sud vers l'Ivindo prennent une nouvelle
direction. Le Moumm coule vers le nord-ouest , tandis que
les ruisseaux de Saké et d'Ekoud se dirigent vers le nord-
est. D'après les indigènes, toutes ces rivières portent leurs
eaux au Djah, qui est à peu de distance dans le nord. En
partant de Saké, Crampel fait route droit au nord, coupant
près de leurs sources les rivières et les ruisseaux qui sont
tributaires de la rivière Moumm.
Le plateau est un peu plus élevé que celui qu'arrose
l'Ivindo, les altitudes qui atteignent 680 mètres à Aviah et à
Jdisson-Missong ne descendent pas au-dessous de 605 mè-
546
VOYAGE UR PAUL CRAMPEL.
très. Au delà d'Akoum les marais disparaissent. Au village
de Ntunghedé, l'expédition coupe la rivière Nsaraesilo, qui
à peu de distance rejoint directement le Djah, puis le
Mbamo, qui rejoint la Noumm, etrAbodah, qui se jette dans
le Djah. Le 26 déoembreCrampel voyait ses efforts couronnés
de succès : une petite promenade à l'est du village de Djam-
bang l'amenait au bord d'une grande rivière large de 150 mè-
tres, dont la profondeur atteignait 4 mètres. Son cours
rapide se dirigeait vers Test d'après les indigènes. Son alti«l
titude, 54i mètres, était inférieure à celle deTIvindo, dont
le volume des eaux était d'ailleurs inférieur à celui des
eaux du Djah. — Crampel venait d'entrer dans le bassin du
Congo. ^
Après une longue étape dans la journée du 'â? décembre,
il revoit à midi le Djah près du village de Mlioul, dont le,
chef est Linvogo.
Le but que Crampel s'était proposé était pleinement rem-j
pli, il avait limité au nord le bassin do l'Ogôoué et découvert
un des affluents de la rivière Liba des anciennes cartes, dont
les eaux ne pouvaient se rendre qu'au Congo. j
Sa mission était terminée, mais au lieu de se rendre direc-
tement à la côte il résolut de parcourir le plateau qui se-,
pare les eaux de l'Ogôoué de celles du Djah, d'étudier 1é
peuplades qui l'habitent, leurs mœurs, leurs coutumes et
les routes commerciales qui traversent ces contrées. j
Le 6 janvier il arrivait au village m'fan de Binvolo. Son'
énergie, sa douceur alliée à la fermeté avaient fait une vive
impression sur les M'Fans. D'hostiles qu'ils étaient d'abord
à cet étranger qui, premier blanc, pénétrait dans leurs
forôls, ils étaient devenus amis. Eyégueh, chef de Binvolo, lui
confia pour l'emmener en Europe une de ses enfants appelée
Niarinzhe et âgée de l!j à 14 ans.
Elle accompagne aujourd'hui Crampel dans le nouveau
voyage d'exploration qu'il a entrepris. En quittant le village
de Dindoum, Crampel franchit de nouveau la ligne de sépa-j
AU NORD nu myc.o fhançais. 547
ration des bassins du Djah et de l'Ogôoué et, descendant la
■vallée du Ngoum supérieur, arriva au village d'Amvoung
d'où il était parti quatre jours auparavant i la recherche
du Djali. Il reprît son ancienne route, repassa près du Ko-
gafenn, longea de nouveau les bords naarécageux de la
Menaba, traversa pour la seconde fois l'Ivindo au rapide de
Bêh et vint s'établir pour quelques jours au village de
Djaraba, le 12 janvier 1880.
Le 15, il quittait Djaraba pour faire route à l'est et reve-
nir à la côte en longeant au sud la frontière franco-alle-
mande. Suivant le côté droit de la vallée du Haut-Ivindo,
Grampel traverse les villages m'fan de Mvomeko, d'Abo-
rometouma, Oualam, d'Angoun et de Maka, qui forment un
centre de population. La route an delà de ces villages est
inhabitée et traverse une région très marécageuse drainée
par de petites rivières qui vont se jeter au nord dans l'Ivindo
et dont la largeur ne dépasse iO mètres.
Après avoir traversé celte région de marais, l'expédition
arrive au village deMinbang, à partir duquel la route traverse
une série de villages très rapprochés les uns des autres. Le
régime des eaux est toujours le môme ; de petites rivières
servant d'écoulement aux marais et portant leurs eaux à
l'Ivindo. L'Ivindo lui-même à l'endroit où l'expédition le
franchit pour la dernière fois n'est pas encore ixne rivière
mais un marais sans courant et d'environ 25 mètres de largeur
sur 1 m. 50 de profondeur. Ce marais s'étend dans le sud-
ouest à environ une demi-journée de marche et borde la
ligne de faite qui sépare le bassin de l'Ivindo de celui du
N'Tem-Korara. Son altitude au-dessus du niveau de l'Océan
atteint 654 mètres.
Les premiers villages que rexpédition rencontre dans le
bassin du N'Tem forment un groupe compact au bord de la
rivière Goubi qu'elle franchit deux fois et qui draine un
immense marais lequel, d'après les indigènes, s'étendrait à
30 kilomètres au nord-est, jusqu'au pied d'une montagne
5i8 VOYAGE PE PADL CRAHPEL.
appelée Andoung qui doit faire partie du même massif que
le mont Doumendzoco et appartenir a» nœud orographique
de celte contrée qui donne naissance au Djah, qui se jette
dans le Congo après avoir fait route à l'est, à Tlvindo qui
va au sud rejoindre l'Ogôoué, au N'ïem qui se rend à la
mer à l'ouest, et probablement à la rivière Campos qui après
s'ôlre dirigée vers le nord-ouest s'infléchit pour se jeter dans
rOcéan.
L'altitude de la vallée du N'Tem est celle des plaines de
rivindoet du Djah et varie de 550 à 600 mètres. Après avoir
traversé les villages de Anghal, de Anguum et de Mboum,
Crampe! arrive au bord du Komm. ■
La largeur de cette rivière est d'environ 100 mètres, son
courant rapide a une profondeur de 3 à 4 mètres. Sa direc-
tion soutenue vers Touest-sud-ouest et l'élude de l'hydro-
graphie de ces contrées démontraient, que les eaux du m
Konm allaient se mêler à celles de l'Océan. L'expédition
était à bout de forces après plusieurs mois employés à pa-
tauger dans les marais. Les Loango surtout avaient souffert ■
de ces marches forcées, et d'ailleurs les populations, sans
èlvo hostiles i l'e.vpédition, ne témoignaient aucune joie de
la venue des blancs, elles semblaient inquiètes; Crampel
sentait qu'un mauvais vent soufflait dans ces contrées sans M
qu'il pût en connaître la cause. Cène fut qu'à son retour à la ,
côte qu'il put se rendre compte du changement qui s'était
opéré chC2 les M'Fans. Le bruit des combats soutenus par
ceux-ci à peu de dislance dans le nord contre l'expédition
du lieutenant allemand Kunt et dans la rivière Mouny
contve les Espagnols, venait d'arriver dans ces contrées, fl
Crampel était blanc et par conséquent solidaire des blancs
de la côte.
La rivière était bordée de corabo-combo, arbre qui a une
croissance prodigieuse et en deux ou trois années atteint là
à 45 mètres de hauteur avec im diamètre de 30 k 40. cent.
Il est vrai que son tronc n'est pas ligneux. Une éc
AU KOlIll m; COM.O KHAM^AI:?,
549
très mince enlourant uoe moelle analogue à^ celle du sureau
le compose. Aussi U densité de ce bois est-elle inférieure à
celle du liège. Crampel profita de l'abondance de cet arbre
pour construire huit radeaux sur lesquels il embarqua son
personnel et le peu de marchandises qui lui restaient. La
descente de la rivière commença. Le convoi de radeaux laissa
successivement derrière lui les embouchures des rivières
Boua et Lobo, qui viennent du nord, et arriva à un rapide.
Les indigènes en armes bordaient les deux rives et ouvrirent
le feu au moment où l'expédition s'engageait dans le rapide.
L'attaque avait été si brusque que l'un des Sénégalais et un
Loango avaient été tués. Emportés par le courant, les ra-
deaux arrivent à une série lie rapides entourant de nombreux
îlots. L'expédition est attaquée à la tète de ce rapide, défile
sous le feu des M'Fans qui la saluent d'une dernière
décharge à la Qn du rapide. Crampel, voit ses porteurs
s'enfuir et lui-même est obligé de se jeter à l'eau avec la
caisse contenant ses papiers et des clichés photographiques.
Il est grièvement blessé en essayant de les sauver. En-
touré de quelques hommes, il commence malgré les souf-
frances que lui font endurer ses blessures une course
le long du Komm, dont il traverse le confluent avec la
rivière N'Tem près de la source de laquelle il avait passé
deux mois auparavant. Les porteurs avaient rejoint Crampel
et voulaient construire de nouveaux radeaux pourdescendre
le N'Tem. Mais Crampel avait appris à se défier de la rivière,
sur laquelle il était difficile d'éviter les embuscades. Aussi
n'hésita-t-il pas à menacer les Loango. A la fin, ceux-ci,
n'ayant d'ailleurs plus de charges à porter, se décidèrent à le
suivre. La petite troupe entra dans la forêt, évitant les sen-
tiers battus, couchant sans feu, traversant à l'aide de lianes
hâtivement tendues les rivières Lobo et N'Tem, glissant à
travers des marais où les M'Fans qui lesépiaienl ne croyaient
pas le passage possible.
EnDii, après quinze jours de celte fuite lamentable,
soc. UE ctauR. — 4' thimëstre: 1890. xi. — .16
VOYAGE DE PAtIL CKAMI»Bt
Crampel, à bout de forces, pénétra dans un village riverain
du N'Tem. Il y fut reçu avec défiance, mais il put y passer
]a nuit à l'abri. Le lendemain, en proie à une fièvre vio-
lente, il repartit par un sentier frayé oti il pouvait se faire
porter de temps à autre par ses hommes. A mesure qu'on se
rapprochait de la côte, on rencontrait des populations moins
hoHliles, des Bakalais et des Moutendiés.
Du i" février au 3 mars, l'expédition avait fait ainsi en-
viron 350 kilomètres. Le 3 mars, Crampel arrivait à Bala,
ayant devancé par cette marche rapide toute nouvelle de
son retour.
Voici maintenant, sommairement résumés, les résultats
de cette exploration :
Au point de vue géographique : le relèvement d'une
grande partie du cours de l'ivindo, détruis de ses affluents
de gauche, de cinq de ses affluents de droite et de ses-
sources; la découverte delà rivière Djah, le relèvement
d'une partie du cours du Komm, de plusieurs de ses
affluents; l'étude de la ligne de faîte entre l'ivindo et leDjnli,
le relèvement des principaux sentiers de commerce parlés-
quels les Pahouins vont chercher l'ivoire; enûn l'étude de
la zone des marécages qui pourrait être la fameuse Lib£
des anciennes cartes*.
Les résultats politiques et économiques sont : quatorz*
traités signés avec les quarante-quatre chefs principaux vi
sites au cours du voyage.
Les palabres de Crampel ont eu surtout pour but de prfe=-'
parer le changement des deux grandes routes commerciak
actuelles qui vont de l'intérieur aboutir à des factoreri(^ s
non françaises.
Par l'une, les produits du moyen Ivindo s'écoulent vec^*
la Mouny ; par l'autre, vont à. Batenga les produits du hat_^»'
Ivindo ei des territoires situés entre les bassins de l'Ogôoi ^» ^-
I. La fui Oc eut exposé e»l un régumé dei notcs-iie M. Dmnipoi.
AU NORD DD CONOO FRANÇAIS. 551
et du Congo. Il serait facile de substituer à ces deux routes
une voie unique. Pour détourner la première, il ne s'agi-
rait que d'établir un poste assurant la sécurité des com-
munications sur le moyen et le bas Ivindo. Pour changer
la seconde, il fallait avant tout que les M'Fans, riverains
des affluents du Congo, seuls parages riches en ivoire,
connussent cet Ivindo qui peut les mettre en rapport direct
de commerce avec l'Ogôoué. En revenant de sa reconnais-
sance vers le Djah, Crampel est parvenu, comme nous
l'avons dit, à ramener avec lui plusieurs chefs. Ils ont vu la
nouvelle rivière, et ils ont promis de faire tous leurs efforts
pour favoriser l'installation d'un poste français dans la
région.
M. Crampel conclut donc qu'il faut d'abord placer une
station au confluent de l'Ogôoué et de l'Ivindo et laisser les
succursales des factoreries de la région maritime s'y installer
sous le couvert de ce poste. Il faudrait ensuite établir
d'autres agents sur le moyen Ivindo, à l'endroit où dé-
bouchent les grands affluents de gauche et où commence à
droite la route de Mouny ; — créer enfin une station par
10" de longitude est et l''30' de latitude nord, non loin de
l'endroit où passent les produits du Djah et d'oîi part la
route de Batenga. Il est inutile, pour le commerce, d'aller
à l'intérieur, à grand frais et à grand danger. Le climat est
malsain, les indigènes hostiles, le pays M'Fan incurable-
ment pauvre. Ce n'est pas, en effet, un stock d'ivoire em-
magasiné de génération en génération qui constitue une
richesse réelle, ni même le caoutchouc, dont la liane n'existe
pas partout. Le Pahouin a l'esprit tourné vers les voyages
de commerce, il est né revendeur et colporteur; il fait sans
peine d'assez longues marches, comptant pour bénéfice
suffisant la bonne nourriture qu'il trouve sur sa route et les
vols qu'il commet, et se souciant assez peu de la relation
entre son prix de vente et son prix d'achat.
Avec lui, il est beaucoup plus profitable aux factoreries
lAMPEL AC NORD Dt CONGO FRANÇAIS
de rOgôoué d'attendre les caravanes indigènes que d'i
chercher les produits. Qu'on laisse donc les commerçant _:*1j
dépasser la région maritime, mais qu'on leur conseille e* -^i\
même temps de ne pas aller plus loin que le confluent d ^Bc
rivindo. LesBakolas s'étendent jusqu'à ce point, à gauch^^Kie
de la rivière, et avec un peu de diplomatie on les décidg=^-
rail assez aisément h se grouper autour de nous.
Quant aux M'Fans, nous sommes aussi chez eux, sur flPa
rive droite. Si des stations sur le moyen et le haut Iviod o
assuraient seulement la sécurité relative des communicaK.-
tions, ils apprendraient natureltemenl le nouveau chemin. ;
ils renonceraient évidemment, aussitôt que possible, à er» -
voyer leurs produits par terre vers l'ouest, genre de conï -
raerce qui leur a coiilé, jusqu'à présent, de nombreuses
perles d'hommes et de marchandises. Ils apporteront eux-
mêmes tout cet ivoire, qu'on aurait si mince bénéticeàaller
cherch&r aux lieux de production. Ainsi pourrait être dé-
tournée vers rOgôoué la plus grande partie de l'ivoire de
Batenga et du caoutchouc de Moony.
ÉTUDES DE GÉOGRAPHIE HISTORIQUE
SUR
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR
PTOLÉMÉE, HIOUEN-THSANG, SONG-YCËN, MARCO-POLO
PAR
Le D' KICOLA.8 SEVERTZOW
( SUITE')
Examinons maintenant la route du Chighan au Kara-koul,
route encore fréquentée, et comparons-la à la description
que Hiouen-Thsang donne de son Po-mi-lo.
Partant du cours inférieur du Soutschan, cette route con
tourne la base sud-ouest du massif occidental du Ghighnan,'
passe par le col de Bogo, puis descend vers le nord, sur la
vallée de l'Aksou qu'elle remonte droit vers l'est, dans la
direction indiquée par Hiouen-Thsang pour son Po-mi-lo,
jusqu'au delà de l'embouchure de l'AIitsebour. Ce n'estque
très graduellement, d'une manière insensible, que la vallée
de l'Aksou, et, avec elle la route, tourne à l'esl-nord-est,
ensuite au nord-est; cette dernière direction est celle de la
vallée du Koudara, affluent de l'Aksou et jadis écoulement
sud-ouest du Kara-koul.
1. Voir Bulletin de la Société, de géographie, 3* trimestre 1890,
p. 417.
LES ANCIENS ITlNKIt.VinF.S A
LK l'AMIB.
J'ai VU de près la parlie supérieure de celte vallée de Kou-
dara, voisine du Kara-koiil, et de loin toute son étendue à
plus de 100 kilomètres de distance entre deux chaînes de
montagnes; d'après les renseignements recueillis, la rivière
deKoudara coule dans la partie supérieure de cette longue
vallée, sur une longueur d'environ 75 à 80 kilomètres en
ligne droite, et l'Aksou, dans la partie inférieure, sur une
longueur d'environ 35 kilomètres aussi en ligne droite.
La largeur de la vallée de Koudara est de 1 à 10 kilo-
mètres ; la longueur de la route, le long de cette rivière seu-
lement, doit être d'un peu moins de 100 kilomètres ; on voit
que ce sont des chiflres à peu près proportionnels aux 1000
li de long sur 10 à 100 de large de la vallée de Po-mi-lo
et reproduisant exactement la proportion des dimensions
du Loun-lchi, en li, à celles de l'ancienne étendue duKara-
koul, en kilomètres.
Il y a ici cependant quelques difficultés qui me font pen-
ser à une altération du texte par quelque malentendu, ou
par quelque omission, dans les exemplaires actuels môme
des ouvrages originaux, traduits par Stanislas Julien. Il est
parfaitement compréhensible queHiouen-Thsang, allant d'a-
bord droit vers l'est et ne tournant que peu à peu au nord-
est, note ta direction primitive de sa route comme une di«
rection générale, et que la vallée qu'il suivait le conduise à
un large bassin occupé par tm lac dont la plus grande lon-
gueur aune toute autre direction, celle du nord au sud. Mais
il estdiftlcile de placer ce lac au 7>iilieu d'une vallée dont la
■pins grande laigeur nord-sud est chuf fois moindre que la
longueur nord-sud du lac. Je crois donc que le texte primitif '
de Hiouen-Thsang devait placer le lac Loun-lchi à ^extrémité
supérieure du Po-mi-Io et au milieu du Djambou-dwipa
seulement, non au milieu des deux, c'est-à-dire du Djarabou-
dwipa et du Po-mi-lo. C'est le double écoulement du lac
qui dut induire quelque copiste à placer ce lac au milieu
de la vallée, ce qui lit qu'un copiste subséquent, comme
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 555
nous l'avons déjà vu, accommoda les dimensions du lac à
celles de la vallée, en donnant à celui-là cinquante li nord-
sud au lieu des cinq cents primitifs'.
Ce qui confirme ma correction hypothétique du texte de
Hiouen-Thsang, que je crois altéré, ce sont les arbres qu'il
dit croître, en petit nombre, dans la vallée du Po-mi-lo.
Dans les vallées attenantes au Eara-koul, il n'y a d'arbres
qae près du cours inférieur de la Koudara, à plus de 60 ki-
lomètres du lac, en ligne droite, ce qui, d'après les chiffres
donnés par Hiouen-Thsang pour la largeur de la vallée et
l'étendue du lac, fait plus de six cents li. Or il suffit d'un
coup d'œil jeté sur une carte du Pamir Khargoscb pour
voir que, des mille li de longueur totale du Po-mi-Io, le
lac Loun-tschi au milieu doit en occuper cinq cents, et non
trais cents, la vallée continuant au nord du lac, et non à l'est.
Restent pour le Po-mi-lo, sans lac, 4000 — 500 = 500 li,
soit 350 ou 255 kilomètres de chaque côté; on arrive de
la sorte à une distance du Kara-koul à laquelle les arbres
ne croissent pas.
Le grand froid du Po-mi-lo et la neige, même en été, se
rencontrent un peu partout dans les hautes vallées du Pamir,
de même que les vents ; mais pour ces derniers, j'ai trouvé
que les plus violents et les plus constants sont cependant
les vents du nord qui soufflent sur le Kara-koul et par la
vallée de Koudara. Ce sont les seules localités pour les-
quelles le témoignage de Hiouen-Thsang, quant aux vents
1. Les li de Uioaen-Thsang sont ici bien petits, dix par Jdlomtstre;
mais nous avons vu que leur diminution en longueur augmente gra-
duellement, à mesure qu'il monte de la plaine de Koundouz dans le
Thsoung^ling. D'abord c'est trois li par kilomètre, ensuite quatre, cinq,
sept, et enfin dix; ce qui est inévitable pour un voyageur qui compte les
li invariablement à cent par jour de marche, n'importe dans quelle loca-
lité. Or, la marche, sur le haut Pamir, est bien ralentie par la difficulté
de respirer, surtout ayant le vent en face, comme dut l'avoir Hiouen-
Thsang en allant du Chighnan au Kara-koul. Il faut compter de plus avec
la fatigue qui produit aussi un allongement imaginaire des distances.
550 LES ANCIENS ITIMOnAMlES A TnàVEIlS LE l'AMIR.
du Po-mi-lo, soit liltéraleraenl exact et dépourvu d'exagé-
ration.
J'en dirai autant de Faridilé du Po-tni-lo, sur laquelle
?Iioueq-Thsang insiste si fort. La partie supérieure de la
vallée de Koudara est (avec la vallée entre le Katyr-koul
etleMarkan-sou) la localité la plus désolée que j'aie rencon-
trée sur le Pamir où j'ai remarqué qui; la végétation
augmente vers le sud, par gradations insensibles entre le
col de Kisil-art et l'Aksou, et assez brusquement au delà
de cette rivière. D'après les renseignements kirghiz, re-
cueillis par Wood {loc. cit., chap. sxi, p. 239) les environs
du lac du grand Pamir sont, en été, un tapis continu d'ad-
mirables pâturages, surpassant, en conséquence, tout ce
que j'ai vu de mieux dans les autres parties du Pamir, plus
au nord, et juste le contraire de ce que Hiouen-Thsang dit
de son aride Po-mi-lo.
C'est sur les bords mfrme du Kara-koul, en revenant de
mon exploration du Pamir dont j'avais vu une grande par-
tie, y compris la vallée de Koudara, que j'ai comparé la
description du Po-mi-lo et du lac Loun-lscbi par Hiouen-
Thsang, telle qu'elle se trouve dans le livre de M. Paquier,
.ivec ce que j'avais sous les yeux, La conformité se trouva
complète ; ce n'est qu'au Koudara et au Kara-koul, à l'ex-
clusion de toute autre localité, qu'on peut rapporter l'en-
semble de cette description dans laquelle il y a cependant
une particularité — une seule — qui contredit ma déter-
mination du Po-mi-lo, et confirme indifréremmenl ou celle
de M. Vivien de Saint-Martin, ou celle de Yule.
C'est ce qui a trait à l'embouchure, dans l'Oxus, de l'é-
coulement occidental du lac Loun-tschi ; il est dit que cette
embouchure se trouve dans les confins orientaux du Ta-mo-
si-t'ié-ti.
On peut bien rapporter cette phrase à la réunion du Piandj
et du Sarhadd, dans la partie orientale du Wakhan, mais
alors il faut rejeter tout ce que dit lliuucn-Thsang du Ta-mo-
AKCIESS ITINÉrUIRES A TBAVEIIS LE PAMIR. 557
si-l'ié-ti, du Po-mi-lo et du lac Loun-tschi ; en effet tout ce
texte est inconciliable, nous l'avons prouvé, avec le passage
qui justifie les déterminations de M, Vivien Saint-Martin et
de Yiile. Mais ce qui est bien évident, c'est J'impossibilité de
rejeter du livre de Hiouen Thsang trois descriptions dont je
viens de prouver la parfaite exactitude : celle des vallées du
Bogouz et du Krmdara, et celle du grand Kara-koul. Il est
plus naturel de chercher une erreur dans le passage qui
nous occupe, et cette erreur une fois admise, est facile à
trouver.
D'abord une erreur de copiste, se reproduisant incessam-
ment dans les fautes d'impression de nos ouvrages géogra-
phiques : au lieu des contins orientaux du Ta-mo-si-t'ié-ti,
c'est dans les confins occidentaune qu'il faut placer Tembou-
chure, dans TOxus, do l'écoulement du lac Loun-tschi —
et, de plus, dans les confins occidentaux du Ghi-khi-ni*
(Chighnan) et non dans ceux du Ta-mo-si-t'ié-ti (Gharan).
— Cette dernière erreur peut bien appartenir k lliouen-
Tbsang lui-même, qui, nous l'avons vu, s'éloigna de TÛxus
après l'avoir traversé par un gué encore existant, à environ
20 kilomètres au-dessous de l'embouchure du Bogouz, et
put, ne connaissant pas bien les localités non visitées par
lui, attribuer au Ta-mo-si-t'ié-ti (Gharan) la rive droite de
rOxus jusqu'à l'embouchure de l'Aksou — ce qui monlre-
t. L'emboiichiiri^ de F^ksou dam l'Oxus sr trouve dans I» distncl <]<!
Roschai], qui appartient au GiiighnaD, et à prujios diiqucl je fais m une
rectiflcation uuLliée plus haut, quaiiJ je réfutais sou idenlillciiUou avec
1» Vallis Coniedorum. Le Roschan n'est milieiiieiit tyutft la |iiii'tin cul-
tiviSe lie la vallée <lc l'Aksuu; it s'utciid tiièmû pluâ If, loni; ilc l'Oxus —
40 kilomètres de Derboiid à la l'ronti'Te ilu Dcrwaz, dus deux cûlés di'
Kala Waina — que le long de l'Aksou où il liiiit par une gorge InfraiicliiR-
sable, uu pou au-dessus de Kala-Wamar. Au-dogsui du lluschati, il y «,
le long de l'Aksou, tiii espacu îuhabilé; ensuite lu province de Dartang,
qui appartient ausfii au Ch)(;l)uau, la'étend dan» la vallée du l'Aksou, jus-
qu'à la limite supérieure de toute culture vers le Pamir rentrai, «t com-
prend plusieurs districts ou groupes de village», syr l'Aksou n't l'AUtscIiiMir
inférieur, aussi séparés par de» espaces inhabités.
LES A.NCIËNS ITÎNÉIIAIBES^A TBAVKRS T,E PAMIR.
rait qu'il ignorait, sur les rives de l'Oxus, la frontière natu-
relle du Gharan — la gorge de Kougouz Parin, infran-
chissable de son temps.
Cependant une pareille extension du Gharan (Ta-mo-si-
t'ié-ti) ne s'accorde pas bien avec le témoignage d'Hiouen-
Thsang qui réduit ce pays à une seule vallée, confinant à
rOxus, et ne dépassant pas 600 lis (120 kilomètres) de
longueur. Iliouen-Thsang n'aurai l-il pas peut-être simple-
ment dit que l'écoulement occidentai du lac Loun-tschi
« coule vers l'ouest, se réunit au Pot-sou, et continue à
couler vers l'ouest » sans préciser le pays où se trouve ce
confluent? C'est ce qui me parait le plus probable : que la
mention (fautive) du Ta-mo-si-l'ié-ti, à' propos de cet
écoulement occidental du lac Loun-tschi, est en entier
une interpolation postérieure. Une autre source possible de
pareilles erreurs est celle-cî : que la relation originale de
Hiouen-Thsang fut verbale, écrite seulement par quelque
auditeur — comme le fut, d'après des témoignages Lien
certains, celle de Marco-Polo. Mais, pour Hiouen-Thsang, ce
n'est qu'une possibilité. La rédaction différente de sa rela-
tion dans les <c Mémoires » et la « Biographie » n'est pas
une véritable preuve en faveur de celte supposition : la re-
lation de la (( Biograjihie » a pu Cire écrite d'après des com-
munications verbales et incomplètes d'IIiouen-Thsang, qui
a bien pu aussi écrire lui-même et laisser un manuscrit
de ses « Mémoires », inconnu à l'auteur de la k Biogra-
phie ».
C'est aux sinologues à décider cette question ; mais ces
doutes au sujet de la rédaction du voyage de Hiouen-Thsang
sont fort à leur place, quant il s'agit d'examiner sa route
du lac Loun-Tschi à Kié-cha — roule qui n'est pas précisé-
ment facile à déterminer. Le Pamir oriental, qu'elle traverse,
est encore entièrement inexploré, excepté une roule, qui,
parlant de TascL Kourganne, se bifurque sur Yanghî-
Hissai' et Yarkend. De plus, les « Mémoires » de Uiouen-
*
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 559
Thsang ne s'accordent pas avec sa c Biographie » sur son
itinéraire dans le Pamir oriental.
Voici cet itinéraire^ d'après les « Mémoires >; les variantes
de la « Biographie » seront exposées ensuite ^
« Parti du milieu de cette vallée (du Po-mi-lo), Hiouen-
Thsaog, sur toute sa route au sud-est, ne rencontra pas un
seul village... Franchissant des montagnes, traversant des
précipices, ne voyant nulle part rien que des amas de neige
et de glace, il arriva, après environ 500 li de roule, dans
le royaume de Kié-pouan-tho...
< Derrière la capitale de ce pays, bâtie sur un rocher,
dans un grand défilé de montagnes, coule le Si-to*... On y
recueille peu de riz, mais le froment et les légumes y abon-
dent... De là, après 300 li de route au sud-est, il arriva à une
montagne, célèbre par le séjour de deux arhans {ourahans,
désignation de saints bouddhistes), en extase déjà depuis
sept cents ans. De là, après 200 li de route au nord-est,
par des montagnes et des précipices, il arriva à une maison
de bienfaisance, anciennement construite par un arhan,
dans un lieu dangereux pour les voyageurs. De cette maison,
après environ 800 li de route vers Vest, par des gorges
dangereuses, des vallées profondes, et des sentiers frayés en
corniche au-dessus de précipices, sous le vent et la neige, il
sortit du Thsoung-ling, et arriva au pays d'Ou-cha... Le pays
confine au sud avec leSi-to; son sol est gras et fertile, don-
i. Toujours, d'après les extraits de M. Grigortew, loo. cit., p. -490-94.
Ces extraits sont beaucoup plus complets que ceux de M. Paquier, Pamir,
p. 43, qui s*arrête au Kio-pan-tbo; et M. Grigoriew, dans ces extraits,
donne s«uvent une traduction russe littérale du texte français de Sta-
nislas Julien, que je n'ai pas sous la main.
S. Ce passage me paraît littéralement extrait du texte de Stanislas Ju-
lien, donc plus exact que ma traduction du russe, dans le livre de
M. Paquier, où on lit : « Kio-pan-tho... dont la capitale s'appuie sur le
flanc d'une haute montagne, en deçà du fleuve Ci-to > (Pamir, p. 43).
M. Paquier cite cependant, pour cet extrait, la « Biographie » (Pion-i-
thian) et nous les Mémoires (Si-yu-ki).
560 LKS ANCIENS ITI>ÉrUIIli:S A. TIîWEns LE PAMin,
nant d'abondantes moissons; il est riche en arbres forestiers
et produit beaucoup de fleurs et de fruits; on y exploite
aussi, en grande quantité, différentes sortes de pierres de yu
(jade) : de couleur blanche, noire et verte... De ce pays il
alla au nord, et, après environ 500 li de route par des mon-
tagnes pierreuses etdes plaines désertes, il arriva au royaume
de Kié-cha... De Kié-cha it se dirigea au sud-est, fit en-
viron 500 It de route, el, ayant traversé le Si-lo, il arriva au
royaume de Tscfio-keoti-kia... Ce royaume confine à deux
rivi&res, et vers le sud, aussi à de grandes montagnes, avec
d'innombrables pics qui s'élèvent l'un au-dessus de l'autre,
et des cols très élevés. »
En tout, pour arriver du lac Loun-lschi à Ou-cha,
500 -f- 300 -|- 200 -f- 800 = 1800 li i travers les mon-
tagnes.
Voici maintenant les variantes de la « Biographie » :
<i Partant du côté oriental du Po-mi-lo, il s'avance vers
l'est, par des chemins difficiles et couverts de neige, et,
après 500 li de roule, il arriva au Kié-pouan-tho*.., Il y de-
meura vingt jours et y obtint des renseignements sur les
deux arhans en extase sur une montagne (que, d'après la
te Biographie », il ne visita donc pas). De là, il alla au nord-
ouest, et, après cinq jours {soit 500 li) de route, il ren-
contra une bande de brigands. Ensuite, se dirigeant vers
Test, il descendit des hauteurs, et, après 800 li de route, il
sortit du Tsoung-ling, et entra dans le royaume d'Ou-cha. »
Les Mémoires et la Biographie nous donnent donc deux
itinéraires tout à fait ditlérenls, mais conduisant également
du Po-mi-lo à Ou-cha, après un parcours de 1800 li par
le Thsoung-ling. II est évident que nous avons là des textes
dans lesquels la relation originale est fort altérée — beau-
coup plus que pour la route d'Andérab au lac Loun-tscbi,
1. J'ai complété ici les extraits de M. Crigoricw, d'après M. Paquier
(Pamir, p. -13).
LKS ANCIKNS ITliNÉllAIRES A TRAVEKS LE PAMIR. 561
et celte altération porte surtout sur les directions de la
route — aussi sur les distances. On verra qu'arec une loca-
lité possible pour Kié-pouan-tho, Ou-cha se trouve trans-
porté des plaines du Tarim dans les montagnes du Thibet
occidental par l'itinéraire des Mémoires, et dans celles du
Thian-schan par celui de la Biographie.
Il ne reste donc, pour déterminer la route par laquelle
Hiouen-Thsang sortit du Pamir, que la détermination des
pays qu'il mentionne, à l'aide des particularités carac-
téristiques notées dans ses Mémoires, répétant d'abord
comme suspectes et les directions de la route, et les dis-
tances.
Parmi ces localités, la plus reconnaissable est celle de
Tscbo-kou-kia, très exactement déterminée par Vivien de
Saint-Martin comme province de Yarkend, Les deux rivières
auxquelles elle confine sont le Yarkend-darya et le Kara-
koul ; les montagnes au sud sont le Kuen-Iun. — De même
le Kié-cha est bien la province de Kaschgar, et VOucha
celle de Yang-Hissar entre Kaschgar et Yarkend, comme
les a aussi déterminés Vivien de Saint-Martin : même les
villes principales de ces provinces n'ont pas changé de place
depuis le temps d'Hiouen-Thsang, excepté Yang-Hissar, dont
le nom même indique une ville relativement récente, Yang
dans les dialectes turcs, signifiant nouveau. — Restent
Kié-pouan-tho et la rivière Si-to. *
Cette dernière est mentionnée trois fois : comme rece-
vant l'écoulement du lac Loun-tschi vers l'est, comme cou-
lant par le Kié-pouan-tho, et comme traversée par la route
de Kié-cha à Tcho-keou-kia, mais près de cette dernière
localité. Il est impossible de rapporter ces trois indications
à la même rivière, et il ne reste qu'à admettre que ce nom
de Si-to est un ancien nom chinois du Tarim, étendu aussi
aux grandes rivières qui le forment : car Hiouen-Thsang,
nomme Si-to et la Kaschgar-Darya, recevant, comme nous
. l'avons vu, l'écoulement oriental du lac Loun-tschi, et la
562 LES ANCIENS ITINÉnAmKS A TUAVEHS LE PAMIR.
Yarkend-Darya, traversée tout près de Tscho-keou-kia.
OnantauKié-pouan-tho,queM. Vivien deSainl-Martin croit
être le district actuel de Tasch-Kourgatie, Hiouen-Thsang
le détermine par les indications suivantes :
i" Une position, au moins de sa capitale, dansFinlérieur
du Thsoung-!ing, considérablement à l'ouest de Kaschgar,
et, en général, de la plaine du Tarira.
2° Pour capitale un fort, bâli sur un rocherj commandant
un passage entre des montagnes, et en deçà d'un des af-
fluents principaux du Tarim pour le voyageur qui vient du
Karakoul.
3o Ce pays doit contenir dans ses frontières la limite su-
périeure delà culture du riz; il doit donc Être en partie au-
dessous de 1,500 mètres.
Une localité pareille ne peut être cherchée que dans les
grandes vallées profondément creusées, qui descendent du
système du Pamir vers les plaines du Turkestan chinois.
Ces vallées sont au nombre de trois : celle de la Kaschgar-
Darya, du Yaman-yar et de la rivière de Tasch-Kourgane,
source occidentale delaTarkend-Darya. De ces trois vallées
il faut d'abord rejeter celle du Yaman-yar, qui n'est qu'une
série de gorges difficiles, ainsi que l'indique même son nom:
Yaman signifiant en djagataï turki mauvais^ et yar, préci-
pice. Les Kirghiz du Pamir m'ont appris que cette vallée
est inculte et inhabitée (sauf peut-être de rares k'staou,
campements d'hiver des nomades) jusqu'à sa sortie des
montagnes.
Restent les vallées de la Kaschgar-Darya et de la rivière
de Tasch-Kourgane qui, toutes deux, satisfont aux deux
premières indications d'Hiouea-Thsang.
Le fort de Tasch-Kourgane est en effet construit sur un
rocher, sur le bord occidental, c'est-à-dire en deçà de l.i
rivière, et adossé à un contrefort des montagnes qui séparent
ici les systèmes fluviaux de l'Oxus et du Tarim.
Quant au cours supérieur du Kaschgar-Darya, des posi-
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 561)
tioDs pareilles se trouvent sur sa rive droite, en deçà, donc,
tout près du fort moderne d'Oulotigtschat (lui-même bâti
dans un bas-fond) et vers l'embouchure du Markan-sou.
Quant à la culture du riz, elle est impossible dans les
larges vallées du Tasch-Kourgane et de Tagbarma qui for-
ment un district compact, nourrissant une population sé-
dentaire. On y cultive le froment, souvent frappé de gelées,
en mai et août, mais surtout l'orge et des légumes. Le point
le plus bas de ce district, où les rivières de Tasch-Kourgane
et de Tagbarma, à peine réunies, quittent leurs larges vallées
supérieures pour entrer dans une gorge difBcile, inondée et
impraticable en été, s'élève encore un peu au-dessus de trois
mille mètres. Pour trouver, sur la rivière de Tasch-Kourgane,
un climat indiquant la limite supérieure du riz, il faut des-
cendre jusqu'à Kousch-arab, à l'embouchure de Tscharling,
localité dont les communications sont plus faciles avec
Yarkend qu'avec Tasch-Kourgane. Encore est-il douteux
que le terrain des environs de Kousch-arab permette la cul-
ture du riz.
Quant à la vallée supérieure du Kaschgar-Darya, je ne
sais si on y cultive le riz dont la production, insignifiante du
temps de Hiouen-Thsang, y a pu être abandonnée depuis lors ;
mais les conditions locales sont plus favorables à cette cul-
ture, jusqu'à enviroïi 70 kilomètres au-dessus de Kascbgar,
dont la hauteur absolue est d'environ 1,200 mètres. Celle
d'Ouloug-tschat est d'environ 2,000 mètres. Au-dessous d'Ou-
loug-tschat, la vallée de la Kaschgar-Darya sépare le système
du Thian-schan aunord, deceluiduPamirau sud; entre elle
et les premières chaînes neigeuses des deux systèmes s'étend,
de chaque côté, une zone assez large de montagnes peu
élevées, tandis que la rivière de Tasch-Kourgane coule
par des gorges étroites, fentes transversales de plusieurs
chaînes neigeuses.
D'autre part, on peut cependant se demander si le peu
de riz que Hiouen-Thsang trouva dans le Kié-pouan-tho
564 LES ANCIENS ITINÉKAIIIKS A TIlAVKliS l,E PAMIR.
était encore bien indigène, s'il n'étail pas importé. Dans ce
paj's Hiouen-Thsang ne parait pas être descendu le long du
Si-lo, que ce soit le Kaschgar-Darya ou la rivière de Tasch-
Kourgane, jusqu'aux localités où la culture du riz est possible,
et elle ne l'est pas plus dans les environs immédiats d'Ou-
loug-tschat que dans ceux de Tasch-Kourgane. L'est-elle
dans le Kaschgar-Darya à l'embouchure du Markan-sou?
Cette localité a été vue seulement de loin, de la route d'Osch
à Kaschgar, par les membres de la mission du colonel Kou-
ropalkine envoyée vers Yakoub-Bey en 1876-1877.
La position de Kié-pouan-lho restedonc encore incertaine ;
on n'a de choix qu'entre deux localités, mais deux localités
éloignées l'une de l'autre. Cependant il est encore d'autres
indications pour déterminer ce choix d'une manière pro-
bable, sinon positive. Dans ce but, lâchons d'abord du
restaurer l'itinéraire de liiouen-Thsnng, tel qu'il devait être
selon la relation originale, ce qu'on peut faire de deux
raanièies.
Ou on peut supposer que des indications de directions
exactes subsistent à côté d'indications altérées en partie
dans les Mémoires, en partie dans la « Hiographie >, et com-
biner ces parties d'itinéraire de manière à former un tout
qui conduise à la position véritable d'Ou-cha.
On nepeut aussi s'occuper des directions et des distances,
ni dans les « Mémoires », ni dans la « Biographie », et res-
taurer l'itinéraire en combinant ce que ces deux textes
disent de la nature deslocalilés parcourues, et des incidents
du voyage.
Essayons d'abord du premier moyen. Il donne deux
itinéraires possibles, grâce à la position incertaine du Kié-
pouan-tho.
1° Si Kié-pouan-tho est le district de Tasch-Kourgane,
alors Hiouen-Thsang dut quitter le Po-mi-Io, dès qu'il ren-
contra une vallée et une route qui y débouche du sud-est,
en vue du lac Loun-lschi qu'il décrit en témoin oculaire.
LES ANCFENS ITINÉHAIHES A TRAVERS LE PAMIR. 565
Celte vallée est celle du Tschon-sou que j'ai parcourue;
de là à Tasch-Kourgane la route la pins directe va par la
vallée du Tschon-sou, le col de Toïn, la vallée d'Ak-baïtal,
celle del'Aksou, et traverse enûn les montagnes qui sépa-
rent l'Aksou supérieur de la vallée de Tasch-Kourgane.
Une autre roule, moins directe, remonte un affluent
oriental du Tschon-sou jusqu'au col d'Ouzbel, descend vers
le Rang-koul et s'y bifurque on deux branches, dont Tune,
plus orientale, aboutit à Tasch-Kourgane par Tagharraa,
tandis que l'autre, aboutissant également à Tasch-Kourgane,
laisse Tagharma à gauche. C'est la direction de route des
« Mémoires j.
La distance du Po-mi-lo (vallée supérieure de Koudara)
parle col d'Ouzbel et le Rang-Koul à Tasch-Kourgane est
de 210 kilomètres, non comptés les détours, montées et des-
centes; par le col de Toïn et l'Ak-baïtal, elle est de 200 kilo-
mètres.
De Tasch-Kourgane au district de Yanghi-Hissar(ouYang-
Hissar, Ou-cha), nous avons d'abord la route suivie pnr Gor-
don et Trotter, mais c'est une route d'hiver, inondée en été ;
alors ces parties inondées doivent être tournées par des cols
difRciles. Il est plus facile de remonter au nord-ouest, par
le Tagharma, jusque près du petit Kara-Koul et de tourner
de là à l'est, par une route qui descend le long de la rivière
Ghidjik et rejoint celle de Yanghi-Hissar à Tasch-Kourgane.
La jonction de ces routes, ainsi que le confluent du Ghidjik
avec le Ken-Kol, ont été relevés par M. Trotter, de la mis-
sion Forsyth. Ces deux routes, réunies en une seule,
sortent des montagnes un peu au-dessous de ce confluent,
à Khal-Karaoul et c'est là ta sortie des montagnes d'Hiouen-
Thsang, à quoi nous reviendrons.
Cette seconde partie de l'itinéraire, de Tasch-Kourgane à
Khat-Karaoul, est celle de la « Biographie », et la combinai-
son des deux parties donne une roule assez vraisemblable.
Cependant cetitinéraire soulève des objections assez graves:
soc. OK CÉOCR. — 4* TRIMESTRE 1890. XI. — 37
56«i LES ANClKNSi iTl.SÉn.URES A TRAVEns LE PAMIR.
d'abord, la rouLe que suivit Hiouen-ïhsang, du Chi-Khi-ni at
lacLounlschi, psl la route du Chighnan à Kaschgar, et c'esÉ
en effet à Kaschgar que va noire voyageur à peine sorti des
monlagnes. h
Alors pourquoi ce détour à Tasch-Kourgane, quand il yfl
a une route directe du Chighnan (par le Pamir Alitchour)
à Tasch-Kouri^ane, d'où il pouvait aussi aller à Kaschgar?
EnsuiLe, que devient son pèlerinage vers les àeuxrahans^^
que, dans les « Mémoires », il dit avoir vus*. Or des rahans et
extase surnalurellement séculaire sont bien un objet de
pèlerinage pour un pieux bouddhisLe tel que l'était Hioucn-
Thsang; car leur sainteté, quoique un milliard de fois infé-
rieure à celle d'un pratiéka-bouddha, dépasse cependant
dix raillions de fois celle des anagami, eux-mêmes saints dei^
troisième classe^, ayant déjà dépassé les deux premières. "
2° Si, au contraire, Kié-pouau-tho se trouvait sur la
Kaschgar-Darya supérieure, au lieu de correspondre à Tasch-
Kourgane, alors Hiouen-Thsang, après avoir plus ou moins
contourné l'ancien Lord oriental du Karakoul (alors, nous ,
l'avons vu, plus étendu qu'à présent), put ou franchir le colH
de Kalta-davan, vis-à-vis la moitié de la longueur nord-sud™
du Kara-koul, puis aller au nord-est, ou bien aller au nord
jusqu'à la vallée duMarkan-sou et suivre cette vallée vers
l'est; ces deux roules se joignent sur le Markan-sou et lafl
seconde se rapproche plus de la direction est, indiquée parla™
« Biographie » pour iaroulfe du lac Loun-lschi à Kié-pouan-_|,
tho. ■
Mais, avec cette position de Kié-ponan-lho, il faut, pour
arriver de là à Ou-cha, prendre d'abord la direction sud-est
indiquée parles«Mémoires»; aureste, cette partie du Pamir
i. ifèmoirai, irad. Stanislas Juliea, 11, p. i\i; il après Grigariew. loc.
cit., note CLXXix, p. 3.1S.
2. Crigoricw, loc. cit., noLe CXU, p. 344, d'après des notes nu ba« rlc(]
pages du Foe-koue-ti, doat il cUb les pages, «ans imlùjuer le tradiii-leurj
ni l'édilion.
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 567
oriental, entre les vallées du Markan-sou inférieur et de la
Kaschgar-Darya au nord, du Gjhidjik au sud, et de l'Oulou-
art (Yaman-yar supérieur) est tellement inexplorée qu'il est
impossible d'y déterminer la montagne des deux rahans
et la maison de bienfaisance du troisième.
Si maintenant, pour décider entre ces deux itinéraires,
nous faisons ^attention à ce que dit Hiouen-Thsang sur la
qualité de la route entre le lac Loun-tschi et le Kié-pouan-
tho, alors je puis affirmer, de visu, que la route de Karakôul à
Tasch-Kourgane franchit peu de montagnes, et présente en-
core moins de précipices. Elle va surtout par de larges
vallées, au sol bien uni, semblables au Po-mi-Io, et les mon-
tagnes qu'elle traverse sont des plus faciles à franchir, par
des vallées secondaires qui y montent en pente généralement
très douce. Telles sont, du reste, aussi les routes qui, du
grand et du petit Pamir et du Pamir-Alitschour conduisent
à Tasch-Kourgane; c'est, môme cette facilité de routes
nombreuses, qu'il faut quitter pour chercher (et trouver)
des gorges difficiles, des pentes ardues, des rochers à pic,
qui a fait supposer que tout le Pamir central est un vaste
plateau.
Autre chose sont les routes du Karakôul au Kaschgar-Darya
soit par le Kalta-Davan soitlelong du Markan-sou : celles-ci
répondent bien à ce que dit Hiouen-Thsang qui décrit
une difficile route par des montagnes neigeuses, et non les
belles routes unies du Pamir central.
La route la plus conforme à cette description est celle qui
monte du Kara-Koul au col de Kalta-davan, et qui, avant
d'arriver au Markan-sou, traverse plusieurs chaînes nei-
geuses et ardues. Entre ces chaînes coulent, profondément
encaissés, des torrents qui se jettent dans la rivière Kara-art
orientale, affluent du Markan-sou; un levé topographique
de ces montagnes a été exécuté en 1878, par M. Koz-
lowsky.
Si cette détermination du Kié-pouan-tho, comme se trou-
m
LES ANCIENS !TI>KHAIRES A Tn.WKllS LE l'AMt
vantfiansia vallée supérieure du Kaschgar-Darya — déli
nation décidée parce que dillliouen-Tlisang de la roule entre
le lac Loun-tschi et le Rié-pouan-tho — paraît encore insuf-
fisamment prouvée, on peut alors compléter la relation de
Hiouen-Thsang par celle d'un autre pèlerin bouddhiste, son
prédécesseur Song-yun. Celui-ct visita, cuire le Kié-pouan-
Iho, qu'il nomme Ko-pan-tho ou Han-pan-lho, un autre pays
bouddhiste dans le Pamir, pays qu'il nomme Po-meng, et
qui me pariill être le district actuel de Tasch-Kourgane, non
visilé par Hiouen-Thsang. Malheureusement je n'ai, pour
le voyage de Song-yun (51S après J.-C") que les extraits de
Hitler*, faits d'après Neumann*, qui, comme l'a démontré
Stanislas Julienr% a traduit un texte passablement corrompu
d'après une mauvaise édition chinoise.
La corruption de ce texte estvisible déjà dans l'extrait de.
nitter, où Song-yun, entrant de la plaine de Yatkend dan
le Thsoung-ling, arrive d'abord à Ko-pan-lho, do là à Po-
mong, de là, après un long tr;ijct, de nouveau à Ko-pan-lho,
sans rebrousser chemin et en allant invariablement vers
l'ouest. Dans la première mention du Ko-pan-lho, ce pays
est seulement nommé; dans la seconde, il est décrit, ce
qui m'a mis sur la voie pour trouver à ce texte altéré la cor-
rection suivante : « Song-yuji, entré dans le Thsoung-liog,
s'y dirigea vers Ko-pan-tho, en pass-ant par Ponieng. n
Je crois, en effet, que Ko-pan-tlio est mentionné pour
la premifre fois, avant Po-meug, non comme une station
intermédiaire entre celui-ci et la plaine — ce qui est con-
tredit par tous les détails descriptifs sur le Ko-pan-tho —
mais simplement pour désigner tout d'abord la direction
générale de la route du pèlerin à travers le Thsoung-ling.
u
I
1. Asicn, loc. cit., p. 4t»8-6U0.
2. NeumaDD, l'ilgerfahrUn budiihùtiicher Pilger, von China naeh
Indien. Leipeig, 1834, p. 11-4»; voijatje de Song-yun -tsé et Itiici-iseng.
3 SUnislag Julien. Journ. A»iat., ocl. 1847, p. i73; cikS pnr Crigo-
ricw. /«•• cit., noie cpxxxi, p. 500.
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 569
Une autre supposition qu'on peut faire, d'après la légende
du Dragon' dans ce texte embrouillé et corrompu — que
Po-meng est peut-être la ville principale du pays de Ko-
pan-lho — est réfutée par quelques particularités de la
route suivie par Song-yun entre Po-meng et Ko-pan-tho*,
comme nous le verrons tout de suite dans les détails de
son itinéraire restauré comme je viens jde l'indiquer.
Song-yun-tsé et Hoci-tseng partirent duKhotan, et pas-
sèrent par Tscho-kou-po (Yarkend, le Tcho-keou-kia de
Hiouen-Thsang), pour aller à Han-pan-tho (Ko-pan-thc
Kié>pouan-tho de Hiouen-Tbsang). Passé Tscho-kou-po, ils
franchirent le Ta-Thsoung-ling, et, après trois jours de
route vers l'ouest, ils arrivèrent à la ville de Po-meng. De
Po-meng, disent les pèlerins, on ne pourrait en trois
jours franchir la montagne (laquelle ?)^ ; elle est très
froide, et il y a là beaucoup de neige, été comme hiver.
Sur cette montagne* est un lac, habité par un Dragon
venimeux... »
Avec nos connaissances actuelles du Pamir, cet itinéraire
est parfaitement recoimaissable : c'est celui d'un pundit
envoyé par Gordon (en 4874) de Tascb-Koui^ane directe-
1. D'après cette légende, le Dragon vivait non loin de Po-mtng, et fnt
conjuré, à l'aide de formules magiques, par ordre du roi de Ko-pan-tho
(Ritter, loc. cit., p. 499).
2. 11 parait que telle était l'opinion de Ritter qui considère Ko-
pan-tho et Po-meng, comme équivalant peut-être au Tasch-balyk actuel ;
mais ce qu'il y a de plus clair dans ce texte de Ritter ({oc. cit.), c'est
qu'il hésite beaucoup pour cette détermination (qui est inexacte), comme
en général pour les localités de Song-yun.
3. Ritter ajoute entre parenthèses, à propos de cette montagne : col
plus à l'ouest (de Po-meng), ce qui est inexact.
4. Le texte allemand de Ritter (/oc. cit., p. 499), dit : dan« cette mon-
tagne; M. Grigoriew traduit en russe : sur cette montagne, vraisembla-
blement d'après quelqae correction d'Abel Rémusat, Joum. Atiat., loct,
cit. Cette correction n'eHpat faite par M. Grigoriew, pour identifier Po-
meng avec Tasch-kourgane; (comme je le fais), car il identilie Ko-pan-tho
avec Tasch-kourgane, et doute fort de rexist«nÈe même de Po-meng,
qu'il considère comm« un nom fictif, résultant d'une erreur de copiste.
570
LES ANXIENS ITiNEnAIUES A TRAVERS LE PAMIR.
ment à Yarkend, en avril. Allant de Yarkentl, Song-yun
dut faire celle route en sens inverse, franchir les cols peu
élevés deKysil-davan et de Kara-davan, remonter le Tschar-
ling, affluent de la rivière de Ïasch-Kourgane, arriver
aux chaînes neigeuses qui forment son Ta-Thsoung-ling, et
qu'il dut franchir par les cols de Toratel de Tschilschiklik.
Le sommet de ce dernier est un petit plateau assez large,
avec une dépression contenant un lac. Cette position du lac
de Tschilschiklik, sur le sommet du col, à une hauteur de
4,300 mètres, correspond bien exaclemenl h. la position dn
lac du Dragon indiqué par Song-yun — qui n'est nullement
le grand tac décrit sous ce même nom parHiouen-Thsang,
comme semble te croire Riller {loc. cit.). Le lac Loun-tschi
de Hiouen-Thsang est dans une vallée, entre d4ux chaînes
de montagnes et celui de Song-yun dans un bassin creusé
tout près de la ligne de faîte d'ît,ne chaîne. J'ajouterai que
le petit lac de Tschilschiklik, est, autant que je sache, le
seul ainsi situé dans tout le système de Pamir ; et il me
paraît difficile de croire que la mention par Song-yun de
cette rare particularité topographique qui caractérise sans
hésitation possible une seuie des nombreuses routes à tra-
vers le Pamir, soit une erreur de copiste, et non une notice
du pèlerin qui suivit cette route.
Le voisinage du col et du lac de Tschilschiklik détermi-
nent aussi la position de Po-meng : c'est certainement celle
du Tasch-kourgane actuel^ d'autant plus que les trois jours
de route entre le Ta-Thsoung-ling et Po-raeng se retrou-
vent le long des vallées entre le col de Tschilschiklik et
Tasch-kourgane, sur la route d'hiver, par Schindi. Cette
roule est possible encore au printemps, jusqu'à la grande
fonte des neiges en juin et juillet, et c'est avant juin que
gong-yun dut venir à Po-meng; il arriva dans le pays de
Po-ho vers la moitié du neuvième mois chinais — en oc-
tobre, six mois après son entrée dans le Thsoung-ling, qui
eut donc lieu en avril.
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 571
Suivons maintenant la roule de Hiouen-Thsang entre
Po-meng et Po-ho.
« Cette route, sur 1,000 li vers l'ouest, est très escarpée
et dangereuse, avec des précipices de tous les côtés.
— Mais le plus grand danger vient des brigands qui se
tiennent dans les défilés, les ravins et les cavernes, et s'y
comportent d'une manière barbare. On alla quatre jours au
milieu de ces dangers, pas à pas, franchissant les plus
hautes cimes du Thsoung-ling; c'était au milieu de l'été.
Le royaume de Han-pan-tho (Ko-pan-tho) est très élevé et
se trouve sur le sommet de ces montagnes : les eaux de sa
partie ouest coulent vers la mer occidentale. Les habitants
disent : ce Thsoung-ling se trouve entre le ciel et la terre,
au milieu. On y arrose la terre (par des canaux d'irriga-
tion) A l'est de la ville (laquelle?) il faut traverser une
grande rivière qui coule au nord-est et se perd dans le
sable. Il n'y a ni arbres, ni buissons sur les sommets du
Thsoung-ling. Il faisait déjà très froid pendant le huitième
mois (mois chinois, correspondant à septembre); le vent du
nord chassait devant soi les oies sauvages ; le chassé-neige
s'étendait bien sur un espace de 1,000 li. »
Dans le second tiers du neuvième mois (moitié d'octobre)
les voyageurs arrivèrent à Po-ho que Song-yun dit être un
pays montagneux.
Cet itinéraire est bien évidemment plus qu'incomplet :
il est fragmentaire ; mais il contient un détail qui, à lui seul,
suffit pour retrouver toute la route. C'est la grande rivière
à l'est de la ville, rivière qui coule au nord-est, se perd
dans les sables, et que Rilter identifie très justement avec
le Yaman-yar. La ville à l'ouest de cette rivière n'est ce-
pendant pas Po-meng, comme le suppose Ritter, car je
viens de prouver que cette dernière est Tasch-kourgane,
dont la rivière, d'ailleurs aussi à l'est de la ville, ne se perd
pas dans le sable, mais tombe dans la Yarkend-Darya.
Quelle est donc cette ville?
57'2 LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR.
Si elle n'est pas Po-meng, — elle ne peut être qu'une ville
du Ko-pan-lho et vraisemblablemenl la ville principale, si-
non la seule, beaucoup de ces petits Etals autour du Pamir
se composaul d'une seule ville avec les villages qui en dé-
pendent.
Donc, pour arriver du Po-meng au Ko-pan-tho, il faut
traverser le Yaman-yar, le traverser sans sortir du Thsoung-
ling, en se dirigeant sinon exactement vers, l'ouest, ce qui
est impossible, au moins dans une direction occidenlaji^
quelconque. Or il y a une route qui partant de Tasch-kour-
gaue vers le nord-ouesl, traverse en efl'el le Yaman-yar.
Mais pour expliquer cette route qui lraver.se une partie
à peu près inconnue du Pamir, il faut donner quelques in-
dications lopographiques sur le cours et la vallée supé-
rieure du Yaman-yar lui-même, telles que me les ont
données les Kirghiz habitant celle vallée, que j'ai rencon-
trés près du lac Eang-koul.
Le Yaman-yar se forme d'abord de deux rivières, le
Tschaikodé et le Sou-bar,hi qui descendent, à l'est nord-
est du Grand Karakoul, de la chaîne neigeuse bordant au
sud le bassin fluvial du Markan-sou; la rivière formée par
leur confluent prend le nom û'Oulou-art et coule dans une
direction sud-est vers le lac petit Kara-koul, qu'elle tra-
verse. Sortie du lac et aH'aiblie par son évaporation, elle
tourne au nord-est, reçoit un fort affluent descendant du
sud, des neiges du Mouslagb-ata (pic de Tagbarma, haut
de 8,000 mètres), et s'engage dans la gorge de Gbeuz, en-
suite dans celles de Yaman-yar, dont elle prend le nom
qui signifie mauvais précipice. — Il y avait jadis une
route par ces gorges, conduisant du Pamir à l'ancien fort
deTiischbalig si souvent mentionné par Klaproth et Rilter;
cette route, mainlenant éboulée et abandonnée, était frayée
en corniche au-dessus d'abîmes vertigineux dans lesquels
se précipite le Yaman-yar. Elle n'a jamais eu aucune impor-
tance, et c'est pour cela que le gouvernement chinois permit
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 573
de publier à son sujet des renseignements assez détaillés,
tandis que les vraies routes étaient, autant que possible,
tenues secrètes' depuis la conquête du Turkestan oriental
(Kaschgar, Yarkend, etc.) par les Chinois, en 1758-1759.
Le Yaman-yar sort des montagnes tout près de Tasch-
balyk et arrose le district d'Opal, entre Kaschgar et Yanghi-
Hissar.
Toute son eau est dépensée aux canaux d'irrigation. Dans
quelques ouvrages chinois il est décrit comme un affluent
de la Kaschgar-Darya' ; mais c'est inexact. — C'est tout au
plus si quelque canal d'irrigation, dérivé du Yaman-yar,
communiquait jadis avec le système d'irrigation de Kasch-
gar. Mais à présent il n'en est rien, et le réseau d'irri-
gation du Yaman-yar est complètement séparé par une
bande de désert de celui de la Kaschgar-Darya. En re-
vanche quelques canaux détournés du Yaman-yar arrosent
maintenant l'intervalle jadis désert entre les districts de
culture d'Opal et de Yanghi-Hissar.
Le cours supérieur de Yaman-yar, depuis la source du
Tschalkodé jusqu'au petit Kara-koul, est d'environ 100 kilo-
mètres vers le sud-est; de là environ 110 kilomètres vers
le nord-est, jusqu'au gros village d'Opal, en tout environ
210 kilomètres. — Sur toute cette étendue, la seule vallée du
Tschalkodé fait partie des relevés topographiques exécutés
par M. Kozlowsky à l'est du grand Kara-koul ; tout le reste
n'est connu que par des renseignements kirghiz.
La vallée du Yaman-yar supérieur est la prétendue plaine
1. Ritter, Asien, loc. cit., p. 455. Il y revient à la page 532, suppo-
sant même une falsification intentionnelle d'itinéraire par ordre du gou-
vernement chinois, supposition qui s'est confirmée. C'est d'après un
itinéraire ainsi falsifié par les Chinois, et se trouvant maintenant à Pé-
tersbourg, au dépdt cartographique de l'état-major général, que fut com-
posé le voyage apocryphe du prétendu Georg Ludwig von***.
2. Par exemple, dans le livre chinois Si-yu-chou-tao-tse, traduit en
russe par M. Ouspensky, dans les Mémoires delà Soc. impér. russe de
Géographie, section d'ethnographie, t. \I, p. 107-109.
Ô76 LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMin.
I
Toutes ces données ne peavent s'appliquer qu'à la vallée
de la Kasch(^ar-Darya, au-dessus de Kaschgar. Le sommet du
Thfouiig-linfj, dans le Ko-pan-lho, est l'intumescence de
Taou-niouroune (3,400 mètres) qui sépare les sources de la
Kaschgai-Darya de celles du Wakhch; ces dernières sont
0 les eaux qui coulent à l'ouest du Ko-pari-tho dans la mer
occideolale* ». — L'agriculture (maintenant bien réduile)
s'élève trfes haut ; j'ai vu des champs à i2,80O mètres, près d'Ir-
kestam, sur la Kasciigar-Darya supérieure dont la vallée, fl
avec les vallées secondaires, contient bien autant d'espaces
cultivables que par exemple le Chighnan ; mais il n'y reste que
des parcelles de culture, et les torrents qui fécondaientjadis ■
les petites plaines de celle vallée (comme celle de Ming-
you!) les ont stérilisées en les couvrant de galets, depuis
qu'on a cessé de les diriger, à leur sortie des montagnes,
par des canaux d'irrigation. Cet abandon de la baute vallée
de la Kaschgar-Darya s'explique tout naturellement par des
siècles lie dévastation; en effet, du vtn* siècle au xix*
inclusivement cette malheureuse vallée servit de grande
route d'invasion ù des bordes indisciplinées et pillardes, se Mt
ruant lanlât du Turkestao occidental sur la Kaschgarie, et H
tantôt en sens inverse; ainsi s'explique tout naturellement
la différence entre la fécondité de l'ancien Ko-pan-lbo et la
stérilité de son emplacement actuel, différence qui n'est
donc pas une objection valable contre ma détermination de
celiii-15. fl
Puis la traversée « à l'est de la ville, d'un lleuve coulant "
au nord-est » — que nous avons vu Être le Yaman-yar.Ici la
relation revient fort en arrière, jusqu'à mi-chemin entre la
haute Kaschgar-Darya (Ko-pan-tho) et Tasch-Kourgane{Po-j
moug). L'endroit le plus probable de cette traversée est, en]
1. Mer fjnifiicuine'/ l'omine lo su|}[)o*t! Riltcf {loe. cil.\oa mer d'Aral?
L'ciiibonfhuro île l'Oxus a varié, el je ii';ii pas de dniini'fs sur celle ern-
bmicliure, en 3J8. Lo nom ctiinuis a Mer occidcntaie ■ , paraît, du ro«ie,
avoir été r.uiniiiuu à ces deux mers, très peu cuniiyes des Cbiiiois.
LES ANCIENS ITJNÉRAinES A TRAVERS LE PAMIR. 577
effet, celui où le Yaman-yar tourne au nord-est, un peu au-
dessous du petit Kara-koul. Là se trouve le meilleur gué qui,
pendant la crue des eaux en été, est peut-être même le seul.
D'après le passage du Thsoung-ling au milieu de l'été, c'est
juste pendant celte crue que Song-yun dut traverser le
Yaman-yar.
Après cette tardive mais indubitable mention du Ya-
man-yar, la relation revient àKo-pan-tho pour en décrire le
climat d'automne, que nous examinerons, pour déterminer
Po-ho parle temps de voyage entre ce pays et leKo-pan-tho.
Le grand chasse-neige du huitième mois, d'après ce que
j'ai éprouvé du climat du Ferghâna et de l'Alaï pendant
deux années climatiquement très différentes, se répète inva-
riablement dans la seconde moitié de septembre, — vers la
mi-septembre en 4877, vers la fin en 1878; ces tempêtes
apportent de la pluie dans le bas Ferghâna, de la neige
sur les hauteurs au-dessus de 1,800 à 2,000 mètres, y com-
pris la haute Kaschgar-Darya, et, surtout, l'Alaï. — Song-yun
dut subir cette tempête de neige dans le Ko-pan-tho, car
il mentionne aussi, pour le huitième mois, le passage d'oies
sauvages. — En septembre, ce ne peut être que le passage
de VAnser indiens Siéph. , espèce qui niche dans les plus
hautes vallées du Pamir et du Thian-scban. Celles du Pamir
nichent au sud du Kaschgar-Darya; restent donc pour le
passage remarqué par Song-yun, celles du Tbian-schan (et
de l'Alaï mongolique). Or, ces oies ne passent ni par l'Alaï,
ni par le Ferghâna, où je n'ai jamais observé de passage
d'oies en septembre ; Song-yun dut donc les remarquer sur
la haute Kaschgar-Darya, dans le Ko-pan-tho, d'où il ne
dut partir que dans les derniers jours de septembre (calen-
drier grégorien), même si la bourrasque qu'il mentionne
fut précoce. Restent vingt à vingt-cinq jours pour arriver à
Po-ho.
Neumann, cité par Ritter (Asien, loc. cit.), croit que ce
Po-ho « pays montagneux», est Boukhara, — à quoi Ritter
tBS ANCimS ITINERAIRES A TRATERS LE PAMIR.
objecte la position de cette ville dans une plaine basse.
Mais celle objection n'est pas valable, la partie orientale du
khanat de Boukbara étant très montagneuse.
Une objection bien plus sérieuse est la longueur de la
i-oute entre la haute Kascbgar-Darya et Boukhara; route im-
poss^ible à. faire en vingt à vingt-cinq jours et qui en exige
au moins soixanle-dix, que M. Ochanine, en 1878, employa
à aller de Boukhara jusqu'au haut Alaï, seulement, par His-
sar et le Karatéghine.
Reste donc, pour Po-ho, le seul Ferghdna; nous trou-
vons, dans Ri Lier (d'après Abel Hémuiial) que ce pays,
d'abord nommé Tti-ictin par les Chinois, reçut d'eux, à
partir du vi» siècle après Jésus-Christ, les noms de Pa-han
et Pho-lo, ce qui se rapproche bien duPo-ho de Song-yun.
(Pour ces noms, voyez Hitler, Asien, loc. cit., p. 644.)
Je crois avoir suffisammenl prouvé, surtout par cette ana-
lyse deSong-yun , que son Ko-pan-Lho, qui eslle Kié-pouan-lho
deHioueii-Thsang, se trouvait bien décidément sur la Kas-
chgar-Darya snpéiieure, où elle coule entre de hautes mon-
lagaes. Mais je puis en donner encore une preuve décisive.
Nous lisons dans Ritter, (loc.C!'L,p. 49") : que le royaume
de Kié-pan-lho ou Ko-pan-tho, se trouve au milieu du
Thsounp;-ling, qui l'entoure de tous côtés. Quand les
(ibinois l'eurent soumis, ils y établirent, en 713 et 74*2, un
employé avec le Litre de « gardien duThsoung-ling i),pour
protéger l'extrême fronlière occidentale de l'empire*.
Ce qu'il y a de décisirdans ce passage, c'est d'abord l'im-
portance attachée par les Chinois au Kié-pan-lho, défense
occidentale de leur empire, et, surtouty les dates. C'est en
712* que pénétra dans la Kaschgarie Kouteyba-lbn-Mous-
1. Extrait du Tai-thsiitg-y-thoung-tschi, Pëkitig, 1790, géographie offl-
oielle de la Chine, |iar Klaproth, Magasin asiatique, Paris 1835. t, 1,
p. 95; ciULion de Hitter,
â.('eU>idate csl donnée parle colonel Kouropalkioe, dans le précis his-
lurique du chapitre IV de s« descripli»» du ta Kajchgarie, p. 78 (en ru8$e).
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 579
lim, conquérant arabe du Turkestan occidental (Tokhar-
hestan, Boukharie, Ferghâna).Kouteybavint en712 du Fer-
ghâna, par la vallée de la Kaschgar-Darya et dès l'année
suivante il fut établi « le gardien du Tbsoung-ling ».
Est-il vraisemblable qu'on l'ait placé ailleurs que sur la
route d'invasion, qui venait d'être indiquée par la recon-
naissance militaire de Kouteyba? Car, en 712, ce conquérant
ne fit encore que venir près de Kaschgar qui acheta par
une contribution son retour en Ferghâna, sans combat, et
resta soumise à la Chine. J'ai trouvé, dans divers auteurs,
des dates différentes pour cette, première incursion arabe*,
— de 712 à 715 : mais, en tout cas, pendant l'année 713, la
Kaschgarie était menacée par les Arabes, ainsi que plus
tard; le rétablissement du «; gardien du Tbsoung-ling » en
742 put suivre le rétablissement de l'autorité chinoise à Kas-
chgar, après une conquête arabe de cette ville, pas encore
définitive.
Ainsi donc, si les Chinois considéraient le Kié-pan-tho
comme la clef occidentale de l'empire, c'est que ce pays
se trouvait sur la route des invasions venant de l'Occident.
Et, de tout temps, commençant par Kouteyba pour terminer
par Yakoub-Beg (1864) ces invasions, sans exception aucune,
n'ont suivi qu'une seule route : celle de la Kaschgar-Darya
supérieure.
Cet argument est plus que suffisant pour trancher la
question, malgré quelques indications chinoises (assez mo-
dernes) pour placer ailleurs le Kié-pan-tho. Ainsi, dans le
passage cité ci-dessus, le Thsoung-Iiag entoure ce pays de
tous les cdtés, ce qui conviendrait au seul Tasch-Kourgane.
Mais c'est dit dans une édition de 1790, d'où Klaproth a
1. D'après Tabari, historien arabe, cité par M. Grigoriew (trad. de
Ritter, Turkestan chinois, notes cccxxv-vi, p. 313-15), Kouteyba, en 712
passa seulement l'Oxus. En 713, il fit sa première incursion dans le
Fergbàna; en 715, traversant tout le Ferghâna, il pénétra jusqu'auprès
de Kaschgar. D'après Yule, au contraire {Essay on the Upper Oxus, dans
Woods Joumey, i» éd.), Kouteyba entra dans la Transoxiane dès 706.
580 LES ANCIENS ITISÈRAIHES A TRAVEHS LE PAMIR.
peuL-être aussi tiré l'id en Lifi cation de Kié-pan-lho avec]
Tasch-balyk, adoptée par Ritter.
Toutes ces indications sont contemporaines des itinéraires
falâiQés, déjà mentionnés plus baut*.
Si les Chinois, connaissant le point faible de leur fron-
tière da Thsoung-ling, ont, pour cela, fait un secret d'État
de toute cette frontière', et falsifié un peu partout les iti-
néraires qui la traversent, à plus forte raison ont-ils pu
donner de fausses indications sur la position juste de ce ■
point faible, qui eslTancien Kié-pan-tho. Ce qui est bien
certain, c'est que « le gardien du Thsoung-ling s aurait été /
quelque chose d'absurde, si on le suppose placé à Tasch-I
Kourgane ou Tasch-balyk, — d'oïl n'est jamais descendue
aucune invasion, — dans le temps même oii le point &
garder était indiqué sur la Kaschgar-Darya, par l'incursion ,
de Kouteyba. m
Mais cette importante route militaire n'est pas la seule
dans la vallée delà Kaschgar-Darya supérieure. Celte vallée
— surtout la position d'Ouloug-tscbat — est le nœud le plus
important qui existe pour les roules traversant l'ancien i
Thsoung-ling, dans les limites assignées par Hiouen-Thsang, j
D'Ouloug-tschat (et au-dessus) divergent :
1" Une route dans le Thian-schan central, par le co! de!
Souok (nnrd-ouest d'Ouloug-tschat) et la vallée de l'Arpa,
011 elle se ramifie en tout sens.
2* Toutes les routes de Kaschgar au Ferghâna, par des]
cols nombreux, se concentrant, à Ouzghent, vers Andé-j
djane, et Osch.
S» La route principale du Turkestan chinois vers le To-j
1. La mauvaise rédaction dp Sonjç-yuii, «latis la compîlatiûû, tradnil«
par Neumann, diile pRUl-iMre aussi ilu (c[U|is il«?s itirxiraires faUilics, à
moins qu*dle ne soit simplement du fait de quelque bonze ignorant eni
géographie.
â. Celte rronlière terrète, du reste, rappelle quelque pru la nise légen-
daire de l'autruche cachant sa tête.
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 581
kharestan, Boukhara, Baik, Kaboul par l'Alaï, le Raraté-
ghine et Hissar.
4* La route au Ghighan et au Badakhschan, par la vallée
de Koudara.
Comparée à un pareil nœud de routes, l'importance, dans
ce sens, de Tasch-Kourgaue devient bien secondaire et celle
de Tasch-balyk tout à fait insignifiante.
Cette valeur d'Ouloug-tscbat comme nœud de routes,
combinée avec le site de la ville de Kié-pan-tho, indiqué par
Hiouen-Thsang, et les éclaircissements ci-dessus, me font
définitivement considérer, comme emplacement de cette
ville, quelque colline tout près d'Oulougtschat.
La position du Kié-pan-tho ainsi déterminée, il est fa-
cile d'établir tout l'itinéraire d'Hiouen-Thsang dans le Pa-
mir oriental, en combinant les circonstances racontées et
dans les Mémoires et dans la Biographie.
Nous avons vu qu'il partit du lac Loun-tsçhi (grand Kara-
koul) par le col de Kalta-davan et le long du Markan-sou :
c'était toujours la route du Schighnan à Eascbgar, qu'il
suivait vraisemblablement avec une caravane. Mais il s'en
détacha, à peine descendu du Pamir, pour se reposer
vingt jours de son fatigant voyage (d'après la Biographie) à
Kié-pouan-tho (Ouloug-tschat).
Là il apprit l'existence, dans le Tsoung-ling oriental, de
deux rahans — vers lesquels se dirigea l'infatigable pèlerin,
— vraisemblablement au sud-est (Mémoires). Une fois en-
gagé dans les montagnes il dut continuer sa route vers le
Po-meng de Song-yun (peut-être de nouveau avec une cara-
vane de Kié-pan-tho qui s'y dirigeait) ; mais il n'arriva
qu'au petit Kara-koul.
Là il apprit que les montagnes au sud de ce lac étaient
infestées par des brigands (dont parle la Biographie). Pour
les éviter, il tourna à l'est, et descendit du Thsoung-ling, à
Ou-cha, dans le district de Yanghi-Hissar. De toutes les di-
rections de sa route, données soit dans les ^Mémoires, soit
soc. DEGÉOGR. — 4* TRIMESTRE 1890. XI. — 38
582 LES ANCIENS ITINÊnAIRES A TRAVEBS LE PAMIIl.
dans la Biographie, je n'en conserve donc que deux, celles de^
Kié-pan-tho vers l'ermiliige des rabans, dont l'emplacement
précis est indéterminable, et celle du trajet droit à l'âstJ
vers Ou-cha; route à laquelle je reviendrai. Toutesles autres^
directions sont changées ; elles le sont non arbitraireoient,
mais d'après une soigneuse détermination des localités nom-4
raées par lui comme points de repos.
On peut encore faire observer que les fausses directions"'
de route, et les contradictions entre les Mémoires et la .
Biographie se concentrent surtout autour de Kié-pan-tho J
et cessent à partir d'Ou-cha. Ces altérations du texte de
Iliouen-Thsang ne seraient-elles pas contemporaines des
itinéraires falsiGés, mentionnés ci-dessus? ■
La localité d'Ou-cha, où arriva Hiouen-Thsang, se déter-
mine par les caractères suivants :
i' Elle est immédiatement au pied du Thsoung-ling,
dont la ville actuelle de Tangbi-flissar est assez loin, dans
la plaine.
â* Elle est au bout d'un chemin qui monte dans leTbsoung-
ling, droit vers l'ouest.
3° Elle est droit au sud di? Kaschgar, presque aussi loin de
cette ville que Yarkend. Hioiiea-Thsang estime les deux
distances à 500 li, ce qui est exagéré pour la distance
d'Ou-cha à Kaschgar.
4« La route d'Ou-cha à Kié-scha, suivie par Hiouen-Tbsang,
passe eu partie par des déserts, en partie par des montagnes,
ce qui fait exagérer cette distance.
La position présentant toutes ces particularités est vrai
semblablemeut celle de l'ancienne capitale d'Ou-cha, anté
rieure au Yanghi-kourgane actuel. Maintenant, c'est cell
de Khat-Karaoul, sur la rivière Ken-Kol, à sa sortie dei
montagnes. Un peu plus haut, le Ken-Kol reçoit un affluent
le Ghidjik; là se bifurque une route qui le remonte. Ut"»
embranchement de cette route remonte le Ken-Kol et abou —
titàTasch-Kourgane; c'est la route de Gordon et Trotter ^
LES ANCIKNS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAHIR. 583
suivie aussi, nous l'avons vu, par Song-yun vers Po-meng.
L'autre route se dirige droit vers Toues^, remonte le Gbidjik
et aboutit au petit Kara-koul ; c'est par cette route que
Hiouen-Tbsang arriva à Ou-cha, et d'après les Mémoires et
d'après la Biograpbie. Quant à sa route de là à Kié-cba,
(Kascbgar), c'est bien certainement la route par Tascb-balyk
« traversant des montagnes et des déserts » et non la route
en plaine par Yaoghi-Hissar.
Mais il traversa l'emplacement de cette dernière ville qui
n'existait pas encore de son temps, en allant de Kascbgar
(Kié-cba) à Yarkend (Tscho-koau-kia) par la route actuelle.
Gela semble contredit par la position de Yarkend à l'ouest
de la Yarkend-Darya, du côté de Kascbgar, tandis que
Hiouen-Tbsang traversa le Si-to ; mais cette contradiction
n'est qu'apparente. Yarkend était construite au milieu d'une
grande île, entourée de deux bras de la rivière, dont
l'oriental est seul qui coule à présent, tendis que l'occi-
dental, jadis traversé par Hiouen-Tbsang, est en grande
partie (pas totalement) dessécbé, — cependant encore re-
connaissable.
Nous ne suivrons pas plus loin Hiouen-Tbsang, qui alla de
Yarkend à Kbotan et de là retourna en Gbine.
UI. — Voyage de Marco Polo.
En commençant ce mémoire, je voulais analyser en dé-
tail la traversée du Pamir par Marco Polo, à partir de
Balascia ou Badascia, qui est le Badakscban actuel ; mais
ensuite je me suis décidé à abréger, n'ayant rien de nou-
veau à dire. Les commentateurs ont bien varié pour la dé-
termination de son itinéraire, et moi-même j'ai bésité entre
ladéternùnation du capitaine Trotter*, indiquant la route du
1. Petermann, MittheU. Erganwngihefl, 52, Ost. Turkettan, nach For-
syth, p. 14.
LES ANOENS ITINÉUAIHES A TRAVERS LE PAMIK.
Pamir Khourd, et celle de M. Paquier S indiquant celle du
Pamir Aliischour ; j'ai aussi cherché à combiner ces deux
itinéraires, en supposant que Marco Polo passa du Wakhan,]
qu'il dit avoir traversé, sur le Pamir Alitschour, par les.|
montagnes du Chighnan : mais, tout bien considéré,
j'ai reconnu que la détermination de M. Trotter est la
seuli3 qui puisse &lre adoptée définitivement, fl
Voyons d'abord le texte de Marco Polo* : ^
1° s C'iie si on se part de Balacie,si chevauche-tron douze
journées entre grec et levant par devers un ttum courant
par un pays qui est du frère du seigneur de Balade; là où il
y a cités et châteaux assez et habitations. j
3° c Et au chef de ces douze journées, se trouve-t-on en fl
une province non pas trop grande, car elle n'a pas trois
journées, ela nom Wokhan...
3° ff Quand on se part de ce petit pays, si chevauche-t-on
trois journées par grec et levant, toutefois par montagnes,
etmonte-t-on tellement que l'on dit c'est le plus haut lieu
du monde.
4° « Et quand on est monté, se trouve un plain où il
y a (un grand lac entre deux montagnes, duquel sort) un
flum grand et beau, et la meilleure pâture du monde, car
une maigre jument y deviendrait grasse en dix jours, avec
grande abondance de sauvagines et moutons sauvages qui
ont des cornes longues de six palmes (suivent quelques
détails sur ces moutons)... Or par le plain chevauche- t-on
bien douze journées, et s'appelle ie Pamier.Ei en toutes ces
douze journées n'a nulle habitation ne nul herbage fors
désert...
5° a Or nous continuons encore entre grec et levant. Et se
voit l'en bien quarante journées toutefois par montagnes,
par côtes, par vallées, par où passent maints tlums et maints
1. Paquier, Pamir.
â. D'uprès l'édilion il« Vulo (anglaise), t. I, cliap. xxii, p. 18I-l8!i, et
t'aquicr (lOf. fil.), uni (Imiiio Au» extrait» du texte original, éd. Pautbier.
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 585
déserts lieux... Cette contrée est appelée Beloro (Rolor)... »
Ces cinq passages contiennent tout ce que Marco Polo
dit, dans son chapitre xxxiii, de la route à travers le Pamir;
je n'ai omis que ses digressions. Le détail du lac au haut du
Pamir est extrait (par Yule) de l'édition Hamusio ; la mention
de Beloro (Bolor) est aussi d'après l'édition de Yule. Yule,
d'après Wood, identifie la route de Marco Polo à peu près
avec celle de Wood : de Faysabad à Zebak, Isch-kaschim,
remontant ensuite l'Oxus (Piandj) jusqu'à son confluent
avec le Sarhadd, de là au Grand Pamir; plus loin c'est avec
doute que Yule trace la route de Polo par le col de
Tschitschiklik et Yangbi Hissar, pour aboutir à Kaschgar.
Même incertitude, du reste, pour la route par le grand ou
le petit Pamir « nothing absolutely to décide whetber
M. Polo's route from Wakhan lay by Wood's Lake Victoria,
or by the more southerly source of the Oxus in Pamir Kul. »
Il remarque ensuite que les deux routes se joignent dans la
vallée de Tasch-kourgane, et présume («I apprehend »)
que Marco Polo suivit la route du Mirza, par le col de
Tschitschiklik et la vallée de Kin : roule suivie plus tard
par Gordon et Trotter. Mais les quarante jours dans les
montagnes de Bolor lui paraissent inexplicables, la route
du Mirza n'étant que de trente-quatre jours, de Fayzabad à
Kaschgar^.
M. Paquier, d'après une variante qu'il cite, met deux
jours au lieu de douze de Balacie au Wakhan, pour tracer
l'itinéraire sur une ligne presque droite « entre grec et
levant », c'est-à-dire, est-nord-est. De Balacie* il trace
l'itinéraire de Marco Polo vers un point indéterminé du
cours de l'Oxus vers le nord, entre Isch-kaschim et Kala
1. Yule, Marco Polo, 2*édit., 1. 1, p. 185, carte itinéraire III. Sur cette
carte, il trace la route de Polo par le grand Pamir.
2. H. Paquier {Pamir, p. 57) n'identifie pas Balacie avec Fayzabad,
« ville relativement moderne », mais il la place au confluent de l'Abi-
Djerm et de TAbi Vardodj, dans la plaine deDaacht-i-Baharak, élargisse-
ment de la vallée de la Kokscha.
586 LES ANCIENS ITIlrtnAinES A TRAVERS LE PAMIR.
Wamar t à un point indélerraîné entre le Wakhan supérieur
et le Chighnan » {Pamir, p. 55); de là, il le fail escalader
(( les hauteurs qui commandent le Chighan j» et descendre
dans la vallée du Shah-darah, on M. Paquier (Pamir, p. 57)
place le « plain avec la meilleure pâture du monde », poupH
arriver insensiblement, en remontant cette vallée, dans les
déserts du Pamir central, traverser les montagnes qui le,
bordent vers l'orient, sans passer par Tasch-kourgane eti
descendre vers Yarkend (Carcan), laissant Kaschgar auj
nord.
A cet itinéraire, il y a de fortes objections. Tout d'abord,'
il laisse, contrairement à l'opinion de M. Paquier, entiè-j
remenl de côté et au sud le Wakhan, que Marco Polo men-
tionne expressément, et passe par la plus grande longueur
du Chighnan, dont le grand voyageur vénitien ne souffle
pas un mot, dans les deux volumes publiés par Yule, elM
contenant la rédaction la plus complète de son texte. ■■
Cette partie deTitinéraire donnée par M. Paquier, de Bâ-
lacie jusqu'au Pamir, est donc inadmissible : mais, près du
Yaschil-koul, à l'extrémité occidentale du Pamir Alitschour,
mes guides Kirghiz m'apprirent qu<? le déversement de ce
lac n'est séparé que par un col peu élevé des sources du
Soutchan, sur le Bagroumal Pamir, où les pâturages sont
magnifiques; de ce cnl on voit et ces pâturages, et le
Yaschil-koul, encaissé entre deux chRînes de montagnes. Je
crus reconnaître, dans ces renseignements, le paysage que
Poto décrit à l'entrée du Pamir, d'autant plus que pour j
arriver du Whakhan, il faut franchir plusieurs chaînes de
montagnes; mais c'est un détour parfaitement inutile, et lefl
paysage du B;igroumal pl du Yaschil-koul n'est pas le seul
au Pamir qui ré|)ondc à la description de Polo. Ceux du
Sary-koul (découvert par Wood) et du Pamir-koul y ré-
pondent tout aussi bien.
Restent donc, comme roules montant du Wakhan au]
Pamir, seulement celles du grand et du petit Pamir : raaisj
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 587
la première est à rejeter car elle monte insensiblement, par
une vallée unie, sans franchir de montagnes, contraire-
ment au texte de Marco Polo.
Quant aux routes du Wakhan au petit Pamir, montant le
long du Sarhadd, il y en a trois : une d'hiver, une de prin-
temps, une d'été. La première est la glace de la rivière : les
deux autres ne fout que monter et descendre, franchissant
les massifs contreforts de la chaîne neigeuse qui longe le
bord droit du Sarhadd. On arrive ainsi à un élargissement de
la vallée, oti une intumescence à peine visible, tant elle est
aplatie, porte la ligne de fadte entre le Sarhadd et l'Aksou.
De cette ligne de faîte le voyageur voit vers l'ouest, à ses
pieds, les montagnes qu'il a franchies ; vers l'est, le Pamir-
koul et le fleuve qui en découle, l'Aksou. Les pâturages
autour du Pamir-koul et des sources du Sarhadd sont ma-
gnifiques : mais plus bas, la vallée de l'Aksou est aride,
seulement tachetée de pâturages peu étendus et assez clair-
semés. C'est bien la partie du Pamir décrite par Marco Polo :
plus que toute autre localité de cet ensemble de hautes
vallées, la ligne de partage des eaux du Sarhadd et de l'Ak-
sou a l'aspect d'un toit du monde (Bam-i-dunya, nom per-
san du Pamir).
Keste l'objection de M. Paquier, fondée sur la direction
est-nord-est de l'itinéraire de Polo, à partir de Balacie :
mais elle n'est pas valable. Analysons l'ensemble de cet iti-
néraire, en prenant, pour point de départ, la situation de
Balacie donnée (avec doute), par M. Paquier ; sur le Var-
dodj, un peu au-dessus de son confluent avec l'Abi-Djerm.
De là, outre la route par Zebak et Ischkaschim, il y a
encore une route vers rOzus, droit à l'est, aboutissant à un
gué de rOxus, à 20 kilomètres au-dessous d'Ischkaschim :
et si la Balacie de Polo correspond à Djerm, ce qui est
aussi possible, alors la route du Wakhan se dirige d'abord
au nord-est, vers le confluent de l'Abi-Djerm et du VardodJ,
ensuite un peu au sud-est, remontant celui-ci ; ensuite à
588 LES ANCIENS ITINÉHAIRES a travers I.F PAWR.
I
l'esl, vers le gué de Polo uniformément vers l'est-nord
esl « entre grec et levant », jusqu'au confluent, dans le
Wakhan, du Piandj et du Sarhadd; celte direction est
donc la direction dominante de toute la route, et aussi celle
de la ligne droite entre Djerm et Kala-Piandj, capitale du
Wakhan *.
Quant aux détours de la route Tcrs l'est et le sud-est, tous
courts, Marco Polo néglige uniformément d'indiquer des
détours pareils, dans totis les chapitres de son ouvrage.
De Kala-Piand] jusqu'au Pamir-koul, le premier tiers de
la route se dirige vers l'est, non vers le sud-est, * comme le
dit M. Paquier; les deux autres tiers vont vers resl-nord-est'.JM
Même direction le long du haut Aksou. De là à Kascli-
gar la direction générale de la route est nord-nord-est, mais
avec beaucoup de détours, surtout en été, à la fonte des
neiges alpestres, à quoi je reviendrai tout de suite, en expli-
quant les journées de marche, dont Marco Polo compte en
tout soixante et dix de Balacie à Kaschgar, pour une route
de 1,000 kilomètres au maximum (sur la carte, environ 700).
Mais ces jours de marche sont comme les // de Hiouen-
Thsang, qui, nous l'avons vu, se raccourcissaient rapide-
ment à mesure quil avançait sur le Pamir : ce qui tient
tout simplement à la fatigue des bètes de somme*.
Les pâturages du Pamir engraissent bien le bétail, mais à
I
I
1. De Ujerni à Kala-Piandj, douze jours; le trajet, d'après la carte
esl d'euviron âÛU kiloruèlrua; eu réalité il peut âtre de 350.
S. I>e Kala-Piandj ù Sarliadd, le plus haut village du Waklian, sur JitJ
rivière du même nom, trois jours, c'est 60 à 70 kilomètres, la traversée]
du Wakhan, par Marco Polo.
3. De Sartiadd au Pamir Khourd (Petit l'amtr), même distance, et ausri|
trois jours d'après Polo.
i. La longueur du Petit Pamir, d'après Trutler, est de 68 milles ou]
environ 110 kilomètres. Pour trouver les douze jours de marche en plaina
de Marco Palo, il faut admettre qu'il desccDiiil coasidérablement le ïoagi
du cours sud-uord de l'Aksoii, dans la vallée d'Aktaacli, et ne tournai
pas vers Tasch-kourgaiie, par le col de Neza-tasch, traversé par Gordon j
Qt Trotter. La descente de ce col vers Tasch-kourgane, se termine pur]
LKS ANCtKNS ITINÉRAIRES A TIIAVKHS LK TAMin. TiRO
condition qu'il y paisse libremenj, tandis que les marches
même assez courtes, mais avec une chargo, l'épuisent rapide-
ment dansl'air raréfié de ces hauteurs. De plus, Polo ne put
'pas suivre les routes explorées par ta mission Forsyth, qui
sont des routes d'hiver, passant par des gorges inondées et
inabordables pendant la fonte des neiges, en été. Les routes
d'été dans ces montagnes à l'est du Pamir font beaucoup
'de détours, évitant tantôt les gorges inondées, et tantôt des
escarpements inabordables. C'est ainsi que s'expliquent les
quarante jours de marche; mais au nord des routes relevées
par la mission Forsyth, les montagnes que Polo dut franchir
pour descendre du Pamir à Kaschgar sont encore inexplo-
rées : et même quand elles seront explorées, l'itinéraire de
Marco Polo, passé la vallée de l'Aksou, est trop vague pour
■qu'on puisse jamais le déterminer, par l'une des nombreuses
roules qui traversent ces montagnes pour aboutir à Kaschgar
ïlutôt que par une autre. De plus, le choix entre ces routes,
'en été, dépend de la crue plus ou moins forte ries eaux;
sans un bon guide indigène on est exposé à se tromper de
route, à rebrousser chemin devant un obstacle temporaire-
ment infranchissable, et à errer dans les montagnes, de
sentier en sentier. C'est ce qui a pu arriver aussi à la cara-
vane de Marco Polo, et ce qui explique les quarante jours de
rinarche pour cette partie de son itinéraire, conjoinlemenl
'avec les autres circonstances que je viens de mentionner.
Cette notice me paraît suffisante pour confirmer et com-
pléter la détermination que le capitaine Trotter a faite de
une gorge étroite ot dirficilu, rjui peut binn âtrp inrintlén à la Ainle gé-
iKÎrale des nei^^es, de Is un (b mai à la mi-juin, même à juillet.
Il dut donc quitter ia vallée de l'Aksou pour Tranchir le nul de Ta-
gharmi), otiviron 50 à 60 kiluniètres nord de celui de Ney.n-tash; de là
à Kaschgar, la distance, en ligne droite, est de 200 kilomistres environ,
at moin.s An ')()0 par la route la ;^)ln9 cuurte, qui va du ciil de Tagiiarina
au petit Kara-koiil, et descend de là veraYan|^h}-llK<isar, le long du Gliiiljik.
Et, Marco Polo assigne quarante jours pour ce trajet tandis nu'il n'en
met que trente poui- le trajet de! 500 kiloraiitres (au moins), depuis Djerrii
Jusqu'au pied Ju col de Tagfiarina.
590 LES ANCIEXS fTINÉRAIRES A TRAVERS I,E PAMIR,
l'iliûéraire de Marco Polo à travers le Pamir : détermination
déjà pressentie par Yule, qui a aussi parfailetîient déler-
minfi la route de Polo, de Kaschgnr au lac Lob : route
identique avec celle que Hiouerv-Thsang suivit à son retour,
ce que Yule dit expressément. Je ferai observer seulement
que les renseignements recueillis par le colonel Przevalsky,
près du lac Lob, au sujet de la ville de Tschertschen (que
Yule d'après la prononciation anglaise, écrit Charchan)
s'accordent parfaitement avec ceux que donne Yule, d'après
Johnson, dans son commentaire du chapitre xxxviii de
Marco Polo : cette ville existe encore, entre Kc-ria et le lac
Lob. De môme M. Przevalsky a trouvé les ruines d'une an-
cienne ville tout près de ce lac : ruines appartenant vrai-
semblablement à la ville de Lop, dont Marco Polo parle
dans ses chapitres xxxviii et xxxix, mais sans mentionner
le lac, que les renseignements et les caries des Chinois
pincent assez loin au nord-est, et dont la formation à sa
place actuelle, d'après M. de Richthofen, est assez récente et
due à un changement de direction du cours inférieur du
Tarim.
J'ai encore oublié de dire deux mots au sujet du Beloro de
Marco Polo, système compliqué de montagnes, séparant des
plaines du Tarim les hautes vallées du Pamir central, et iden-
tique avec le Po-lo-lo de Hiouen-Thsang : mais ne formant
pas, comme le croyait llumboldl, une grande chaîne continue
dans la direction nord-sud.
Je trouve dans les commentaires de Yule (Marco Polo,
t. l, p. 187 de la 2' éd.) que ce nom, maintenant inconnu
dans les montagnes ainsi nommées par Marco Polo, est
encore employé, et depuis des siècles, pour le pays de Balli,
sur rindus, au-dessous de Ladakh et aussi pour Chitral.
HumboldU'a appliqué à une chaîne de montagnes n'existant
pas en réalité, artificiellement composée de plusieurs sou-
lèvements nord-sud parfaitement séparés, et croisant les
soulèvements est-ouest du système du Pamir dont Tinter-
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 591
section avec ces soulèvements nord-sud est même un ca-
ractère orographique des plus essentiels, de ce système,
comme je l'expose en détail dans mon orographie du Pamir.
Je crois donc toujours que ce nom de Bolor est à rayer de
la nomenclature géographique, comme source de confusion
et d'erreur., Humboldt, par sa grande autorité, a trop for-
tement attaché ce nom à une construction orographique
erronée.
Il«tle« «applémentàlre aar les aaeleiia Itlnëraire*
A travers le Pamir.
Ce n'est qu'après avoir terminé mon mémoire à ce sujet
qne j'eus occasion de relire en entier la Biographie de
Hiouen-Thsang, trad. Stan. Julien', et un recueil très com-
plet d'anciens renseignements chinois sur les pays entou-
rant la Chine, traduit en russe par le défunt P. Hyacinthe
Bitschourine*, un de nos meilleurs sinologues. La lecture
complète de ces livres confirma ce que j'avais cru, en com-
mençant mon travail, savoir que les extraits des itinéraires
1. Histoire de la vie de Hiouen-Thsang et de ses voyages dans l'Inde,
par Hœi-ll et Yen-thsong; traduite du chinois par Stan. Julien; 1 vol.,
Paris, 1853. — Ce livre, comme on sait, contient aussi une section de
documents composée de nombreux extraits traduits in extenso du5<-yù-
ii (Mémoires sur les contrées occidentales) de Hiouen-Thsang, dont je
n'ai pas eu la traduction coAiplète, par M. Stan. Julien (2 vol., Paris,
1857-58).
S. Recueil de renseignements sur les peuples qui habitaient en Asie
centrale dans les temps anciens, en trois parties, par le moine Hia-
cynthe, Petersbourg, 1851 (traduction littérale du titre russe de l'ou-
vrage). La première partie contient les renseignements historiques et
géographiques sur les peuples de la Mongolie, en 3 volumes; la i» sur
les contrées orientales (Corée, Mandchourie, Japon), 1 vol. ; la 3* sur
les contrées occidentales, 1 vol. ; tous ces renseignement sont été traduits
in extenso, par le P. Hyacinthe, des annales officielles chinoises, à partir
de la compilation historique de la période Sse-ma-tsien jusqu'aux annales
des Thang (618-907) inclusivement. Les renseignements sur les contrées
occidentales comprennent la période de 1S1 av. J.-G. jusqu'à 307 après
J.-C.
592 LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR.
analysés, doanés par MM, Paquier et Grigoriew, étaient suf-
Qsants pour la détermiuaUou de ces iliaéraires; mais cette
lecture me montra aussi la nécessité d'éclaircissements sup-
plémentaires pour établir bien définitivement les détermina-
tions de localités, telles que je les ai données. Voici ces
éclaircissements :
i. Itinéraire de Ptolémée. Ici, d'abord deux mots au sujet
de ma supposition •- « Que la ville actuelle de Kasehgar,
dont la fondation paraît être postérieure à Ploléméo, a bien
pu être bâtie sur l'emplacement rie su Statio Mercatorutn.
On pourra m'objecter que le district actup] de Kasehgar cor- ,
respond exactement à rancien royaume de Sou-Ié <« limité ■
au nord par les montagnes Blanches, à l'ouest par le
Thsoung-ling* » et mentionné déjà dans les annales de la
première dynastie des Han, vers l'an 120 av. J.-C.*, mais le
nom de la ville de Kasehgar (Kie-cha-koué) est mentionné
pourla première fois par Hiouen-Thsangau vu" siècle et en-
suite lesannalesdEsThang,rédigées déjà au XI' siècle, disent
querancietine royaume de Sou-lé est aussi appelé Kié-cha^.
Je n'ai rien trouvé, dans le livre cité du P. Ilyacitithe
qui puisse indiquer que ce nom de Kié-cha-koué, postérieur
h Ptolémée, soit donné à l'anciennecapitaleduSou-lé, qui est
seulement jiienLionnée dans les annales de la deuxième
dynastie des Han (contemporaine de Plolémée), comme
assiégée sans succès par 500 Chinois et 30,000 auxiliaires',
en no après J.-C.
L'identification de ]a Statio Mercatorum de Plolémée avec
Isi \'û\e actuelle deKnsch[farn'cn reste pas moins une question
ouverte — vraisemblablement insoluble. Mais ce qui esta peu
près certain, c'est que cette Statio Mercatormn devait se
trouver au moins dans le voisinage du Kasehgar actuel, vers
1. Hyacinthe, /(«cuei/, etc., vol. IV, p. H'r2.
3. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. C3.
:!. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 224,
4. ilyaciuDie, loc. cit., IV, p. 130.
Il
I
I
LKS ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAHIR. 593
lequel, nous l'avons vu, devait aboutir la route indiquée par
Ptolémée, par la Sogdiane et la Vallis Comedarum.
La Statio Mercatorum, que Ptolémée (nous l'avons vu)
place au pied oriental de l'Imaus, devait donc nécessaire-
ment se trouver au moins dans les environs de la ville
actuelle.
Le nom des Comedœ de Ptolémée (en transcription chi-
noise Kiu-mi-tho ou Kivrmi) est mentionné déjà dans les
annales de la première dynastie des Han, avant J.-G.S
comme une des cinq principautés composant le royaume
de Ta-Yuétschi (grand Yuétschl), qui comprenait alors toute
la partie moyenne du bassin de l'Oxus; la capitale du Khiu-
mi s'appelait Ho-mo, nom qui se retrouve dans celui de
Gharm, capitale actuelle du Karatéghine; ce Khiu-mi était
la principauté la plus orientale du royaume Yué-tschi.
Elle est aussi mentionnée dans les annales de la deuxième
dynastie des Han, contemporaine de Ptolémée*, et dans
celles des Thang; cette dernière mention, d'après Hiouen-
Thsang, place le Chi-khi-ni à 500 li sud-est du Khiu-mi',
ce qui correspond bien aux positions relatives du Gbighnan
et du Karatéghine, et donne une confirmation de plus à mon
Identification de celui-ci avec la Vallis Comedarum.
La route indiquée par Ptolémée n'était pas de son temps
la seule pour le commerce de la Chine avec l'occident : il y
avait deux routes principales, toutes deux au sud du Thian-
schan, évitant les tribus nomades (mongoles et turques) au
nord de ces montagnes, surtout celles de l'Alaï méridional .
La route du nord allait par Hami, Tourfan, Koutscha et
1. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 55.
2. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 118.
3. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 258.
4. Ces tribus, jusqu'au xviii' siècle, restèrent toujours indépendantes et
hostiles à la Chine. Aussi la route nommée actuellement Pe-lou, route
du nord, par Barkul et Ouroumchi à Tchougoutschak et Kouldja, est-elle
récente; et l'ancienne route du nord s'appelle maintenant route du sud,
Man-lou. Les anciennes routes qui se détachaient de celle-ci vers le
594 LKS ANXIENS ITINftUAIHES A TUAVKRS LE PAMIR.
Ak-sou à Kaschgar; d'où elle venait au Ta-waa (Fergbana)
el au Kang-Kiu.
La route du sud passait au sud du Lop-Nor'', ensuite par
Khotan et Yarkend el se dirigealL vers les pays de Yué-tschi
et An-si, tous deux sur l'Oxus; de là des embranchements
se dirigeaient vers le Kaboul (Kipin des Chinois) et la Perse>.
Mais à partir du commencement des relations de la Chine
avecroccidetiten 120av. J. -C. jusqu'au temps de Ptoléméc,
ces deux routes principales se réunissaient à. Kaschgar,
pour se séparer de nouveau à l'ouest de cette ville en une
route du nor<i, allant au Furghana et une roule du sud,
allant au Yué-tschi.
Dans les annales de la première dynastie des Uan- nous
trouvons ;
« De Sou-lé (Kaschgar) vont des routes au Ta-wan (Ferji-
hana), au Kang-Kiu (khanat de montagnards nomades,
dans le Thian-schan occidental, nord du Ferghana) et au
grand Yuétschi (ancienne Bactrianc) '.
Dans les annales de la deuxième dynastie des Hau,
nous trouvons, à la date de 110-130 après J.-C, des rela-
tions intimes et fréquentes, d'alliance et de voisinage, entre
Kaschgar et le grand Yué-tschi '.
Quant à une route directe de Yarkend au Yué-tschi :
(( montant au Thsoung-ling immédiatement à l'ouest de
Yarkend », donc sans passer par Kaschgar — route que
M. Paquier idenliPie, nous l'avons vu, avec l'itinéraire donné
par Ptoléoiée — celte route, d'après les annales chinoises,
noril-ouQsl, t'.iilro TniiifaQ el Kascligar, se dirigeaient toutes dans les
bassins Ju (Ilhivu lli cl du lac Issyk-koiil, uu siiil t\a \;i chaîne neigeuse
d'Iiriii-Khatiirga. vers le pajs d'ûiisouii el de lik îiu Kiing-kiu.
ï. Celte roulR r»t maintenanl ;ib»ndoiiiiéc, nu iiioiiii< la piirtie onlre le
Lop-^or cl In Cliine.
2. RcaseigueiiiËnts de 7ià3t av. J.-C, HyaciMliu, toc. cit., IV, p. J7,
iiolc 1.
a. Hyaciullie, toc. cit., IV, p. (ùt,
i. Hyacliillie. loc. cil , IV, ji. li'.i
ém
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAHIR. 595
ne fut ouverte que par les relations de la Chine avec l'Oc-
cident sons la dynastie des Yuan-Wei ; ces relations com-
mencèrent en 425 après J.-G.S donc longtemps après le
temps de Ptolémée, môme après celui d'Ammien Mar-
cellin.
D'après la conformation du terrain entre Kaschgar et '
Balkh (Bactres) que j'ai exposée plus haut, la route de Kasch-
gar à Yaé-tscbi devait nécessairement remonter la Kasch-
gar-Darya, pour suivre ensuite la série de vallées Alaï,
Karatéghine, Hissar, Surkhan, aboutissant à l'Oxus tout
près de Balkh: cette route était non seulement la plus
facile, mais aussi la plus courte. — D'après les témoignages
chinois que je viens de citer, elle était fréquentée, non
seulement du temps de Ptolémée, mais des siècles avant
lui^ et, de Kaschgar au Karatéghine (Fa/2ts Comedaruin)
inclusivement, c'est bien certainement celle, qu'indique le
célèbre cosmographe alexandrin. Mais, à l'ouest du Kara-
t^hine, cette route laisse de côté le bassin fluvial du Zéraf-
schane, l'ancienne Sogdiane, que Ptolémée mentionne
expressément dans son itinéraire : ce qui m'a fait songer à.
la route de Samarkande à Kaschgar, par le Karatéghine et
l'Alaï. Mais il est très possible, même probable, que la
Sogdiane, telle que l'entendait Ptolémée, ne se bornait pas
an bassin fluvial du Zérafschan, mais comprenait l'ensemble
des pays tadjiks entre l'Oxus et le Syr, correspondant ainsi
exactement au Mawer-al-nahar des géographes arabes.
' En tout cas, les renseignements chinois que je viens de
citer confirment complètement ma détermination de l'iti-
néraire de Ptolémée et le complètent, en fixant définitive-
ment à Kaschgar le point d'arrivée de cette route au pied
oriental de l'Imaûs : ce que j'ai déjà deviné dans le présent
1. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 137 110 : où il est dit qu'à cette reprise
des relations avec l'Occident sous les Yuaawei, en 425, deux nouvelles
routes furent ajoutées aux deux anciennes, toutes quatre, du reste, indi-
quées vaguement.
5% LES ANCIENS ITIAÉIUIRES A THAVEHS LE PAMIll.
mémoire, mais ce qui était impossible à prouver d'après les
anciens témoignages recueillis par M. Paquier.
Rostft à mieux raolivcr ma supposition que la plupart des
caravanes bactriennes s'arrêtaient à la Slatio Mercatorum,ei
y achetaient ou éclianKeaient des produits chinois, sans péné-
trer jusqu'à Sera Metropolîs, — supposition que j'ai fondée
plus haut sur l'énorme lacune de l'itinéraire de Ptolémée
entre ces deux localités, et sur l'ensemble des renseigne-
ments donnés par Ritter à ce sujet. Mais elle est surtout
une impression générale du livre du P. Hyacinthe, que je
cite ici. Voici ce qu'en disent les annales chinoises :
Le bassin Uuvial du Tarim fut, sinon conquis, au moins
soumis à la suprématie chinoise sous la première dynastie des
Han vers 120 av. J.-G. *; ensuite vers 102, les Chinois sou-
mirent aussi le Ferghana(Ta-wan)*. Alors les relations de
la Chine avec l'occident devinrent très fréquentes; ce que
la Chine y recherchait, c'étaient des alliances et des con-
tingents militaires contre ses puissants et dangereux voisins
du nord, les Htong-nou de Mongolie'. — Ces alliés de la
Chine recevaient de riches présents, surtout en étofTes de
soie, qui étaient très recherchées*; ainsi le petit pays
de Koutscha eu reçut une fois pour 10,000 tatils ou
70,000 francs'- — En retour, ces pays envoyaient leurs pro-
duits, qualifiés en Chine de tribut". Après la soumission
du Ta-wan, l'empereur de la Chine envoya dix ambassades
à la fois dans divers pays à l'ouest du Thsoung-ling, avec
de riches présents''; ces produits chinois, surtout les
soieries, pénétrèrent jusqu'à Rome, et furent continuelle-
1. Hyacintlic, loc. cit., IV, p. 3ô,
t. Hyacinllic, loc. cit., IV, p. 28 (iO.
3. HjacinUie, loc. cit., IV, p. «3, nù il est dit ; • par l'alliance d'Ou-
souii avec la Chine , nous couperons la main droite .lux Uiong-nou ».
4. Hyaciutlie, loc. cit., IV. p. 78.
5. Hyacinthe, loc. cit., IV p. «i.
0. Hyacinthe, toc. cit.. IV, p. 98 et pnssini.
7. Ilyaciuthe, loc. cit., p. 31.
LES A>CIK>S ITINÉr;\IHES A TIIAVERS LE l'AJim. 507
ment demandés. Pour en obtenir, les habitants de la Bac-
triane, de la Sogdiane, du Kaboul, envoyèrent de fréquentes
ambassades en GhineS avec des raretés de leurs p.ays, de
la Perse et de l'Inde. Ces ambassades, sans objet politique,
étaient en réalité de simples caravanes de marchands,
recommandées à la cour chinoise par leurs souverains ; car
c'était cette cour qui était le principal, sinon l'unique
acquéreur des raretés des pays étrangers*... mais le mé-
canisme de ce commerce déguisé sous la forme d'un échange
d'ambassades nous entraînerait trop loin.
11 dura jusqu'à la fin des premiers Han, et cessa vers l'an
15 après J.-C, pendant les troubles qui aboutirent à l'usur-
pation de Wang-Mang^, pour ne recommencer qu'en
13 après J.-C* sous la 2' dynastie des Han, dont la su-
prématie ne s'étendit pas au delà dn bassin fluvial du
Tarim, et atteignit son apogée vers 97, quand le général
chinois Pan-tchao, ayant complètement soumis (mais sans
les détrôner) les rois indigènes de ce bassin, envoya en
Occident Kang-Ing, qui parvint jusqu'à la Méditerranée^.
— Mais dès l'an 105, le commandement de Pan-tchao,
terminé, les tributaires du Tarim s'insurgèrent, et ne furent
de nouveau soumis qu'en 122-27, par Pan-Yuw, fils de Pan-
1. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 98-9
2. Hyacinthe, loc. cit., lY, p. 98-9.
3. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 97.
4. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 102; cette interruption fut ainsi de
einqoante-huit ans ; mais l'annaliste des Ilan juniores en compte soisante-
«inq, à partir du commencement de l'insurrection des pays du Tarim.
5. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 103. Kang-ing parvient jusqu'à la mer
occidentale, que le P. Hyacinthe interprète par Méditerranée ; mais cette
interprétation est douteuse, car il dit, loc. cit., p. 115, que l'envoyé chi-
nois atteignit cette mer aux frontières des An-si (Parthes) et du Tiao-tschi,
soumis aux Ân-sl, très chaud, produisant des lions et des autruches, et
entouré par la mer, excepté au nord-ouest, loc. cit., p. lU : ce qui
ne s'applique à aucun pays sur la côte est de la Méditerranée, mais plu-
tôt à l'Arabie, et indique fia.<)sora comme point extrême atteint par Kang-
ing, près du golfe Persique. Au reste, tous les renseignements chinois
sur les pays du sud-ouest de l'Oxus sont excessivement vagues et confus.
BOC. DB 6É06R. — 4" TKIMESTnB 1890. XI. — 39
âU8
LES ASCIENS ITlKIiflAJUKS A TIlAVEnS LE l'AMlll
i
Ischao et auteur de la descripLion des contrées occidentales '
Ensuile la puissance cbinoi&e s'afTaiblil quelque peu de:
l'an 132, devint h peu près nominale- en 153, et ne fut pa
relevée par une expédition sans succès contre Kaschgar ',
en no, ni par une expédition mieux réussie pour délivrer
Ki-yumi (Kéria)* de la domination duKhutan, en 175. A cette
époque, qui est à peu prés ctlle de l'itinéraire de Maës
Titianus, les pays du Tarim étaient, de fait, indépendants et
hostiles à la Chine : ce qui n'était nulleoienl favorable à un
commerce direct de celle-ci avec la Baclriane et l'empire
romain. Mais cela ne devait pas empécherracbat « Kaschgar^
des produits chinois recherchés en occident : ce dont nousH
avons une preuve indirecte dans le témoignage de l'hisloricn
de la deuxième dynastie des Han sur les relations de la Chine
avec Ta-tsin (Rome) à celle époque, a qui disent des habi-
tants de Ta-tsin, qu'ils font par mer un commerce très avan"^
lageux avec la Perse (An-si) el l'Inde.... que leur souverain
cherchait depuis longtemps une occasion d'ouvrir des rela-
tions avec la Chine ; mais que les An-si, désirant fournir seuls
à Ta-tsin les étoffes de soie chinoises, ne laissaient pas passer
par leur pays en Chine les marchands de Ta-lsin '... » _
Ces renseignements, sur Ta-tsin, recueiltisà liassora, uà^
il y avait des marchands romains, datent de 9", et provien-
nent de Kang-ing. — Plus loin l'annaliste chinois contiime:
Il bans la neuvième année du règne Yan-si (an {W>) le
souverain de Ta-tsin, An-toun (Marc-Aurèle Antonin)
envoya un ambassadeur, qui entra en Chine par Ji-naii (par
mer). 11 apporta des dents d'éléphant', des cornes de
rhinocéros et de l'écaillé de tortue. Ce fut ta première ou-
1. Hyacinlhc, loc. cit., IV, ji. lUT.
2. Ilyiu-intlie. loc. cit., IV, p. 10«.
3. Hyaciuthc. lof. cit., IV, p. 130.
4. Hyacinthe, loc. cit., IV, Mi; itc [la* coinpreiidrc ce ki-yu-mi
Il E. lie Kliol;in, avec le Kàu-nii ilu 'Disuuii^'-lini:, qui e<l le Knral^>i;liiDC.J
'). Hyacîritho, loc. cit., IV, p. II*,
li. HyaciiiDie. loc. cit.. IV, |>. 117.
I
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 599
verture des communications (avec Rome) ». Notons d'abord,
dans ce témoignage chinois, le commerce de soieries chi-
noises entre Ân-si et Rome : les marchands d'Ân-si, qui
fournissaient Rome de soieries chinoises, étaient bactriens
«t persans, alors soumis aux Parthes, et le pays d' An-si, oiïi
les Romains faisaient un commerce, maritime, était évi-
demment la Perse, et non l'ensemble des pays soumis aux
Parthes. Quant à la jalousie commerciale de ceux-ci, men-
tionnée par l'annaliste chinois, elle est peu croyable, les
Parthes ayant été un peuple guerrier et pillard mais nulle-
ment commerçant. — Les empêchements aux Romains pour
traverser les pays soumis aux Parthes venaient plutôt de la
crainte qu'inspiraient les incursions de ces derniers, pen-
dant le faible règne de Domitien (81-96); incursions qui ne
furent punies et arrêtées que par Trajan.
Quanta l'ambassade d'An-toun, elle fut vraisemblable-
ment l'entreprise de quelque marchand alexandrin, com-
merçant avec l'Inde (par Suez) qui se procura des lettres de
créance officielles pour entrer en Chine. La date de cette
prétendue ambassade (166) la rapporte à l'époque de l'affai-
blissement de l'autorité chinoise sur le Tarim : et cet essai
de commerce maritime, qui paraît être resté isolé, indi-
querait une forte diminution du commerce des caravanes
d'An-si, comme conséquence des insurections sur le Tarim,
tandis que le voyage de Maês Titianus, mentionné parPtolé-
mée, montre que, vers la fin du deuxième siècle, les Parthes
ne faisaient plus d'obstacle. Mais à cette époque (150-200
avant J.-C.) les annales chinoises nous disent que le Sou-lé
(Kascbgar) était un État puissant, conquérant de Yarkend
et de Khotan* quoique ceux-ci conservassent leurs princes
particuliers, soumis à celui de Kagchgar. Tous ces pays du
Tarim, débarrassés de la suprématie chinoise, étaient alliés
(comme du temps de l'usurpateur Wang-Mang) avec les
1. Ilyaciiillie, Ivc. cit., IV, p. liJt.
(JOI) LE.S ANCIENS, ITIiVKHAUŒS A THAVKIIS LE l'AMlPi.
nomades au nord du Tliian-schan, parmi lesquels les Hiong-
nou, déjà en partie vassaux de la Chine, s'atlaiblissaienl el
faisaient place à d'autres tribus turques et mongoles : Ou-
hoang, Siflng-pij etc., — qui, du reste, reconnaissaient aussi
la suprématie nominale de la Chine, ce qui n'empêchait
pas toutes ces tribus, sans exception, d'y faire des incur-
sions continuelles, pour piller autant que possible, — sans
préjudice pour leurs hostilités entre elles, entretenues par la
politique chinoise. — Chaque traité de paix était, pour les
chefs tiomades, une occasion de présents chinois; de plus,
à leur avènement, ils ne manquaient jamais de faire hom-
mage à l'empereur de la Chine, pour s'en faire reconnaître
et recevoir de riches présents, entre autres des milliers de
pièces d'cloffe de soie: surtout les chefs Hiong-nou'. —
Les incursions des nomades furent surtout fréquentes en
tr)2-220: années entre lesquelles se place la date de l'iti-
néraire de Ptoléraée'; ces incursions, portant surtout sur
les provinces de Schan-si, Schen-si, et Kan-sou gênèrent
beaucoup el coupèrent môme les communications directes
delà Chine (Sérique) avec-l'Occident. — Mais il est plus que
probable qu'une bonne partie du butin, comme les présents
chinois, était vendue ou échangée par les nomades aux
marchands kaschgariens, leurs alliés.
Tel est l'ensemble des circonstances, mentionnées dans
les annales chinoises, qui, conjoinlement avec le silence
complet de PLolémée sur la roule de sa Slatio Mercaioiumk
Sera Metropolis me font penser que, de son temps, les cara-
vanes bactrienneselsogdiennes n'arrivaient qu'ej;c(?p<ioMM(f/-
tement en Chine, dont elles acquéraient les produits surtout
à la Statio Mercatontm, en Kaschgarie : ce qui semble
indiqué, d'ailleurs, par la désignation même de celte
localité audél:^ de riinaiis comme a station de marchands «.
I. Ily.icinllie, hc. cit., p. l'ii.
S. Iljilcisitll<>, lue. rit., I. p |). 115-0, \:>H-'.K I7<l-r..
LES ANCIENS ITIXÉRAIBES A TIIAVERS LE l'AMIU. (Wl
Ouanl:\S^rfl Metropolis — \si capitale des deuxièmes Hun,
où parvinrent les prétendus ambassadeurs de Marc-Aurèle
(arrivés par mer), — elle se trouvait dans le Sechouan.
ïl, Itiiu'-raires de Hiout'ti-Thsawi et Song-yun. Ici je dois
d'abord corriger ma supposition — peut-être erronée —
que Hiouen-Thsang visita son Kiu-mi-tho; d'après la Bio-
graphie, il n'y alla pas', et M. Stiin. Julien Irouvo aussi dans
le texte des Mémoires, qu'il mentionne ce pays comme un de
ceux sur lesquels il a seulement recueilli des renseigneraenls.
Ensuite le pays d'0-li-ni (Arni). Voici ce qu'en dit Hiouen-
Thsang; « ^-h'-Mïi (Alni-Arni?) Si-ju-ki (texte chin.) livre
XII, fol. i. — A-lirni est un ancien pays du royaume de
Tou-ho-lo. Il borde les deux rives de rOxus (Pol-Sou), Sa
circonférence est d'environ trois cents li. La capitale a de
quatorze à quinze li de tour. Sous le rapport des produits
sol et des mœurs des habitants, il ressemble, en grande
partie, au royaume de Houo. En partant de l'est on arrive
au royaume de Koti-b-hon (Ro-hou-roh?-). » — Et en par-
ut de Moung-kien, il dit : « En partant du nord, dti
Moung-kien, on arrive au royaume d'A-li-ni^. »
^_ J'ai idenlilié A-li-ni, sans connaître ces données el uni-
^Ktiement par les positions trouvées pour les pays voisins,
^Kvec le Derwaz actuel ; cette interpn^tation se confirme
^Complètement, quoique avec une restriction, A-ii-ni se
K trouvait bien dans le Derwaz, mais n'en occupait qu'un
Ibtrict, celui de Kala-khonmb, le plus occidental*, limi-
Irophe du Kouliab (Pu-li-ho) : ce qui est 1res nettement
j^JDdiqué par son contour de 300 li seulement, sur les deux
^Wves du fleuve. Quant à la position de cet A-li-oi dans la
^^F 1. Slan. Julien, IlixI. de. la rie itf Ilioue.n-Thmnr}, etc., p. -Hi-i, n" 25.
' i. Slan. hi\'wn. ioc. cil., Il."»8; la prononei.ilion de Koii-lo-hoii comme
Ro-tiou indiquée |iar l'illuili-o similoijui;.
Il 3. Staii. Julien, foc. ri(., |<. Hi.
t i. Le îtiifviai. a <'n loul trois dislricts nu rentres de culture, aux eni-
liiiuoliurus di!9 IriHs allltienls d(i roxiiç, m'i I;e \-M\i';e un celui-ci s'élargit :
islricls (l'ti remoiitanl le lleiive) (t<> Ki\Ja-klnimb, Waiidj, ut Yns-poulam.
cire
[ qua
^ar
(iOâ LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR.
partie occidentale du Berwaz actue!, elle est indiquée par
l'orientation, assez exacte, au nord de Moung-kien (ville
entre Talikhan et Khan-ahad) et, à l'ouest de Ro-hou, que
je crois être le Boschau actuel, pelil district conQuent du
Piandj avec l'Ak-sou. Quant à ma détertninalicn des loca-
lités du Pamir, traversées par Hiouen-ïhsang, on pourra
bien trouver que je ne me g6ne pas avec ses directions et
ses distances — surtout celles de la Biographie — mais que
faire? Le texte chinois actuel, si exactement traduit par
M. Stanislas Julien, fourmille, sous ce rapport, d'erreurs
évidentes, accumulées par une longue série de copistes et
d'éditeurs'. — Pour en prendre un exemple ailleurs qu'au
Pamir, je citerai la route de Tche-chi (Tschadj, Scbasch
des Arabes, sur remplacement du vieux Taschkend, environ
-iO kilom. sud-ouest du Taschkend actuel) aux Portes-de-
Fer, roule qui m'est bien connue.
0 Tsche-chi. A l'ouest, ce royaume est voisin du fleuve
Cba-che-bo (Sibonn, Syr). Mille li plus loin, à l'ouest, on
arrive au royaume de Sou-lou-li-se-na (Osrouchna, district
actuel d'Oura-tubé); plus loin au nord-ouest îîOO li, on
arrive au royaume de Sa-mo-kien (Samarkand)- ». — .\insi,
en ligne directe, Samarkand se trouverait à environ 1,300 li
(130 lieues) oueU-nord-ùnest du Vieux Taschkend — au lieu
des véritables 200 kilom. environ au sud-ouest. — Mais les
Mémoires disent : « En parlant de Tsche-chi, Hiouen-Thsang
Ht environ cinq cents li et arriva au royaume de Sa-mo-
kien •\ > — Ce qui est à peu près exact; mais revenons à la
Biograpliie, qui énumère, après Samarkand :
Kou-choang-ni-kia, 300 li ouest; Ifo-han 2(X) li, ouest;
Pou-kho (Boukhara), 400 li ouest* — ce qui de Samarkand
à Boukhara, esl à peu près exact.
1. Et les plus grosses erreurs, comme nous le, verrous & propos de
Chnng-mi et (Jfii-tAt-nr sonl jusle le» prélendiies corrcRtinns ciitnoises.
i. Stan. Julien, loc. cit., p. .VJ.
3. Stan. Julien, loc, cit., p. i-i8.
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 603
Mais ensuite, passé Pou-kho, nous trouvons : Ta-ti,
100 li à l'ouest; Ho-li-si-mi-kia, 500 li à l'ouest*; Kié-choang-
na, 300 lisud-unest; entrée dans les montagnes, 200 li sud-
ouest; Porte de Fer, 300 li; la distance totale de celle-ci à
Tsche-chi serait donc de 3,800 li ou 380 lieues. En mettant
sur la carte ces directions et ces dislances, et diminuant
celles-ci d'un quart pour les détours de la route, nous arri-
vons à placer la Porte de Fer'' dans la mer Caspienne, près
de sa côte orientale !
Les Mémoires (Si-yu-ki) remplacent du reste cette absur-
dité par un itinéraire assez exact : de Samarkand au sud-
ouest, 300 li à Kié-choang-na, de là. encore au sud-ouest,
200 li jusqu'aux montagnes, ensuite 300 li par les montagnes,
vers le sud-est jusqu'à la Porte de Fer. Les directions sont
ici assez exactes, de même que les distances : les unes et les
autres suffisantes à elles seules pour déterminer Kiéehoang-
na comme étant le district actuel de Schehr-i-sabz. Quant à
l'absurde itinéraire de la Biographie, il est formé par la réu-
nion de deux itinéraires distincts, et séparément assez exacts :
1" Route de Samarkand au Ho-li-si-mi-kia (Kharizm,
khanat actuel de Khiva), par Boukhara et Kara-koul (Ta-ti).
2° Roule de Samarkand à la Porte de Fer, transformée,
dans cette réunion, en une route du Kharizm à la Porte de
Fer — par les auteurs mêmes de la Biographie? ou par
quelque ignorant rédacteur subséquent? Mais dans les
Mémoires mômes, quoique plus exacts que la Biographie,
les distances sont assez rarement à peu près justes. Le plus
souvent, elles sont exagérées; d'autres fois, mais moins
souvent réduites (comme pour la route de l'Issyk-koul à
Tsche-chi). De même les directions. En route, les distances
des itinéraires ne s'accordent nullement avec les dimensions
des pays parcourus : celles-ci encore plus exagérées. —
1. Stan. Julien, loc. cit., p. 60-1.
2. Stan. Julien, loc. cit., p. Cl.
3. Stan. Julien, loc cit., p. 3'J7
VM
I.KS AMilKhS ITINKUAIHEi* A THAVEUS LK PAMIll.
<
I
I
Ainsi llîouen-Thsiing donne au pays de Hous (rots mille li
de lour*; au Moung-kien, quatre mille*: au Ki-li-sse-mo,
milli' li esL-ouest, et trois cents nord-sud''; au Hi-mo-lalo,
trois mille li de leur*. — El la dislance de Houo h Po-lo-
chouang-na, en traversant tous ces pays, sans en laisser
aucun de côté, n'est que de OM li en tnul; mais, si petite
qu'elle soit relativement aux prétendues dinnensions des
pays parcourus, celte dislance, nous l'avons vu, n'est pas
moins considérablement exagérée.
tjuant à la traversée du Parair, le texte complet des
Mémoires (Si-yu-ki) fournil contre ma détermination des
lûcaliléb des objections qui peuvent paraître inflniraent plus
sérieuses qu'elles ne le sont en effet, — ce qui exige quelques
éclaircissements supplémentaires sur les pays deChang-mi,
Ta-mo-sié-li, et Chi-khi-ni. — Voici d'abord leur description
complète, telle que la donnent les Mémoires (Si-yu-ki).
1. Ta-mo-sié-ti. Pour ce pays, il n'y a pas d'extrait du
Si-yu-ki dans les documents géographiques annexés par
M, Slan. Julien à sa traduction de la Biographie. Voici ■
loul ce qui en est difj h l'article Kiu-lcing-na : t En sortant de
ce pays, dans la direction du nord-est, Hiouen-Thsang gravit
des montagnes et entra dans des vallées» rencontrant par-
tout des chemins scabreux et hérissés de précipices. —
Après avoir fait ainsi cinq cents li, il arriva au royaume de
Ta-mo-sié-li'. » — Et dans le te.\lo de la Biographie, livre
V ; « royaume de Ta-mo-sié-li; qui est situé entre deux
montagnes, dans le voisinage du Pot-Sou (Oxus)- ».
2. <f Chi-khi-ni (Si-yu-ki, liv. XII, fol. 8) Ce royaume a
deux mille li de tour; rcnceiole de lu ville peut avoir de
i. Slan. Julien, loc. fil.,f>. 'Mb.
•î. SUii. Juiiun. loc. cit., p. iii.
:j. Slan. .liilicn, toc. cil., p. 3«K>
■i. Slao. Julien, loc. cit., p. 37'.t. — Ce* notices sur des pajs liniili-o-
plieB paraissent, ainsi ('•piirpillûes, dnnsleltvrctilé parce i|uc lag ustrailsdu
Si-yu-ki y sont rangés, nun ij'nprès j'ilinérair^, mais il'apr^ l'nrdra n\fh»
bétique ilcs nom» de pavs.
LES ANCIENS ITINÉRAinBS A TBAVEnS LE PAMIR. 605
cinq à six li. Il oiTrc une succession de montagnes et de
vallées, et des plaines désertes remplies de sable et de
pierres. Ce pays produit beaucoup de légumes, mais fort
peu de grains. — Les arbres de« forêts y sont rares et très
espacés. On y voit peu de fleurs et de fruits. Le climat est
froid et glacial, et les mœurs sont empreintes de violence
et de cruauté. — Les habitants, etc.... Ils portent des
vfitements de peaux et de laine... Après avoir franchi le
royaume de Ta-mo-sié-ti, au sud d'une grande montagne,
on arrive au royaume de Ghang-mi^. >
3. Chang-mi (Si-yu-ki, liv. XII, fol. 8). « Ce royaume a
deux mille cinq cents li de tour; il offre une succession de
montagnes et de vallées et une multitude de tertres et de
collines. Ce pays produit toutes sortes de grain j les légtimes
et te froment y sont d'une abondance remarquable. On
récolte beaucoup de raisins, et, en creusant les rochers à
l'aide du ciseau, on en tire du Tse-hoang (sulfure d'arsenic).
— Le climat est froid; les habitants sont d'un naturel
droit... La plupart portent des vêlements de laine feu-
trée... Au nord-est des frontières de ce royaume, Hiouen-
Thsang franchit des montagnes, traversa des vallées,
marcha à travers des précipices et, après avoir fait sept cents
li, il arriva à la vallée de Pomilo*. »
Ici nous voyons, d'après le nom de Ghi-kbi'ni et la posi-
tion relative de ces trois pays, que le Cki-khi-ni est bien le
Ghighnan actuel, le Ta-mo-sié-li — le Gharan, et le Gbang-
mi — le Wakhan. Quoique ce dernier nom se retrouve
plutôt dans In-po-kien, cette interprétation, que j'ai déjà
donnée dans le présent mémoire, est irréfutablement con-
firmée par la position de Ta-mo-sié-ti près de l'Oxus. Mais
alors, d'après ma propre interprétation de ces trois pays,
1. Stan. Julien, loc. cit., p. 407.
1 Stan. Julien, loc. cit., p. 370.
I. Stan. Julien, loc. cit., p. 365.
' 4. Stan. Julien, loc. cit., p. 363.
GOLi
LES ANCIENS ITINERAIRES A TIIAVERS l.fC PAMtR.
le Po-mi-lo doit être idenliilé, contrairement à mon opinon,
avec le grand Pamir de Yule; carie Si-yu-ki dit expres-
sément que la route \ers Po-mi-lo pari du Chang-rai et se
dirige au nord-est, ce qui caractérise très exactement la
route du Wakhan au grand Pamir-
Celte objection contre ma détermination de Po-mi-lo,
objection que je viens de présenter dans toute sa force, a
toute l'apparence d'une réfutation complète — mais, aussi,
rien que l'apparence. Elle s'évanouit toute seule dès qu'on
fait attention, dans les extraits ci-dessus du Si-yu-ki, aux
passages que j'ai mis en italiques, qui, dans la description
du Chi-kiti-ni ne peuvent s'appliquer qu'au H''aA:Artn actuel
— et dans celle du Chang-mi — qu'au Chighnan actuel :
ce qui n'est pas difficile à prouver.
D'abord, l'étendue des deux pays : le Chighnan est plus
grand que le Wakhan, et d'après le Si-yu-ki, c'est le
plus grand des deux pays. Et la proportion d'étendue,
2,500 et 2,000 ii de tour, montre que, du temps de Hiouen-
Thsang le Chighnan (2500 H) comprenait seulement le Chi-
ghnan proprement dit, les deux grandes vallées confluentes
du Schah-darah et du Sonlchan, avec leurs vallées secon-
daires et une petite partie de celle del'Oxus, des deux côtés
de Kala et Bar-Piandj; tandis que le Wakhan (2,000 li), alors
comme à présent, se composait des hautes vallées do l'Oxus
supérieur, et du Sarhadd, avec leurs vallées secondaires.
Ensuite, la nature du terrain, les productions, le climat.
La rédaction actuelle du Si-yu-ki mentionne, dans le Chi-
khi-ni, ( desplaiues désertes, remplies de sable, de pierres t
et Wood a trouvé entre Isch-kaschim et Kala-Piandj plu-
sieurs centres de population séparés par des espaces déserts '.
De même, la rareté des arbres dans le Chi-khi-ni, le peu
de blé, le climat c glacial p du Chi-khi-ni — tout cela ne
peut s'appliquer qu'au Wakhan, dont les villages s'élèvent
de 2,500 (Isch-kaschim) à 3,500 mètres, cl dont l'hiver,
éprouvé par Wood-, est en eflet très rude; môme le prin-
lES ANCIKNS ITlNÉnAlRES K TRAVERS LE PAMIR. G07
temps est tardif et froid, grâce aux venls du Pamir,
éprouvés par Gordon^.
Quant aux raisitis du Chimg-mi, la limite supérieure
de la vigne, sur l'Oxus, esljusle dans le Chighnnn, autour de
Bar-Piandj, à des hauteurs d'environ 1, 500 ;\ 2,000 mètres;
la fertilité du Chang-mi s'accorde aussi parfaitement avec
ce que viL et apprit, dans le Ghighnan , Abdoul-Soubhan, qui
y fut envoyé par le capitaine Troller, de la mission Forsyth*.
Enfin, ce que le Si-yu-ki dit de la route du Chatig-mi au
IPo-mi-lo se rapporte bien à la roule du Chighnnn au grand
iara-koul, qui franchit on eil'et des montagnes, traverse
les vallées, et côtoie des précipices — mais nullement à
îlle du Wakhan au grand Pamir, qui remonte, en pente
Ir&s douce, la seule vallée du Piandj, jusqu'au lac Yictoria
Je Wood, sans quitter le fond assez uni de celte vallée.
Que conclure de ces éclaircissements?
Je ne crois qu'une seule conclusion possible : c'est que,
>endant les douze cents années écoulées entre la composi-
ion du Si-yu-ki par Hiouen-Thsang et sa première traduc-
tion en Europe, la description originale (et fort exacte) du
^hi-klti-ni (Cliighnan) fut transportée in extenso à l'article
1han(j-mi (Wakhan) — et vice versa — du fait de quelque
rédacteur chinois, qui aura trouvé absurde que le froid
augmente du nord au sud, du Chi-khi-ui au Ghang-mi, et
attribué cette prétendue absurdité à l'inadvertance d'un
copiste antérieur.
Cette malencontreuse correction est peut-être ancienne,
cap des détails relatifs au Ghighnan dans l'article Hou-mi-
(Chang-mi), et au Wakhan dans l'article Chi-khi-ni, con-
formes à la rédaction actuelle du Si-yu-ki, se retrouvent aussi
1. Wood, Journey to the xource of tks Oxui, new. éd. 1872, chap.
XX, p. 211.
2. Wood, loc. cit., p p. -208, 511.
3. Gorilan. lioof of Ibe. WuiU, rlmp. v. p. Itl.'»; t<>ropâte<t de neîge
eu avril.
4. l'elerrnmn, Mitth^'ihinqen Erqiiniungnheft, 55, pp. 18, 1"J. __
tiOS I.K.S ANCIENS ITIXÈHvMHES A TnWKIlS I.K PAMIR.
dans les annales des Thnng, qui daLenl du xi' siècle, mais \i
chacune des deux descriplions coDfoad les particularités
des deux pays, et, de plus, le Ta-mo-sié-li (Gharati) esï
confondu avec le Wakhan'.
Pour ma pari, je nae suis trompé dans le présent mémoire^
en rapportant au Chtghnan la desctiption ci-dessus du Chi-
khi-ni, d'après les extraits de M. Paquier, qui mentionnent^
le Cbang-mi sans le décrire. Ce n'est que la comparaison
des deux descriptions qui m'a fait découvrir, dans le texie
actuel du Si-yu-ki, la confusion que je viens d'éclaircir et
qui consiste en une transposition des textes de deux para-
graphes : le texte relatif au Chang-mi (Waktian) étant
maintenant mis sous le titre de Gbi-khi-ni, et celui du Chi-
khi-ni (Chighnan) sous te litre de Chang-mi.
Le seule phrase qui, dans la description du Chi-khi-ni,'
se rapporte réellement au Chighnan est celle qui indique la
position relative des pays que nous examinons. — Quant à
la description da Chang-rai, e!le ne contient pas un uiot
qui puisse caractériser le Wakhan, que Hioucn-Thsang]
paraîfr ne pas avoir visité. Car ni à l'article Chang-mi, nij
à Tarticle Chi-khi-ni, le Si-yu-ki ne dit rien de l'Oxus cou- '
jant tout le long du pays, el, pour les deux royaume?, il ne
mentionne qu'une seule roule au Pamir; il la décrit, j
nous l'avons vu, de manière h it>» caractériser celle du
Chighnan au Grand Kara-koul, mais nullement celle du
1. Hy»clntlie, loc. cit., IV, p. 258 : Clii-ni ou Chi-khi-ni, âÛO li sml-
OLiG!>t ilu Kiii-iui: ui: i|ui se rapjiorU au €bi|;hiian, mais sarië ugricullnre,
de i,(KHJ li (fe toitr, iieupli' de briijands. Dcl;l, à UOO ti sud, le Hou-ini, aussi \
appelé Tn-niD-sié-ti et llo-lilian (W:tiili^iii); l.fiOOli de lang, 'i-5 do lar^çe,
rroid, couvert dfl sables al da pinrins, ciitrcciiiipu de collines, produisant |
des fèves et du froiiienl, avec un f-rcellent sol jujur les fruiU Celte pâr-
ticularilé du lIoTi-mi sa rapporte ru Cliigliniiii, [p, reMe au Wakliari oommal
aussi la stûrililô do Ctii-khi-ni. — Hue courte dcscriplîan du Chaiig-ini,|
abrùgée du Si-yu-ki, su trouve encore dans ces annales des Tliaii); à l'ar»
Licle Karis (^Kciu-kiu), H)':iciuLhi% lùc. cit., IV, p. S.'iO; dans cette de««
cripliun Inut se rapporte Jûjà au Cliiglman, ronime dnns le Si-yu-ki||
arlicle Ch<ing-mi.
LES ANCIENS ITINÉRAIRES A THAVERS LE I>AMIR. 609
Wakhan au grand Pamir, qu'Hiouen-Thsang parait avoir
ignorée. Cela s'accorde parfaitement avec ce que nous
avons vu : que le Kascbgar et, plus tard, le Kié-pouan-lho,
étaient le nœud unique des roules à travers l'Alal et le
Pamir, connues des anciens Chinois. Même la route de
Yarkend parTasch-kourganeconduisailalors(v' et vi* siècles)
par Tagharma, au Ko-pan-tho (Kié-pouan-tho), comme nous
l'avons vu en déterminant l'itinéraire de Song-yun.
A propos du Kié-pouan-tho et du Po-ho, aussi mentionné
dans le voyage de Song-yun, voici des renseignements offi-
ciels des annales chinoises, datant de la première moitié du
VI' siècle après J.-C, qui confirment ma détermination de
ces pays :
Kiu-pouan-tho^. — Le royaume de Kiu-pouan-tho se
trouve à l'est du Thsoung-ling. La rivière Tchou-kiu-po-si
coule à travers ce pays au nord-est. Il y a de hautes mon-
tagnes, où le givre et la neige tombent même en été. I^s
habitants sont bouddhistes, le pays dépend du Yé-ta.
Po-ho. Le pays de Po-ho* est à l'ouest du Kié-pouan-tho,
et encore plus froid que celui-ci. Les hommes et les bes-
tiaux vivent ensemble. Ils habitent des huttes creusées dans
la terre. Il y a encore de hautes montagnes neigeuses, dont
les cimes paraissent être d'argent. Les habitants mangent
du pain et de la bouillie, boivent du vin de grain^. — Ils
portent des habits de fourrures et de laine feutrée. Deux
routes sortent de ce pays : l'une à l'ouest vers Yé-ta, l'autre
au sud-ouest, à Ou-tchan, dépendant du Yé-la.
En combinant ces renseignements avec ceux de Song-
Yun et de Hiouen-Thsang, donnés ci-dessus, nous
voyons :
1. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 179.
2. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 180.
3. Ce « vin de grain », ne me parait pas avoir été de l'eau-dc-vie, mais
plutdt la bouza, encore actuellement bue au Ferghàna et dans tout le
Tourkestan, décoction fermentée de farine de millet ou de djougâra
(sorgho), acide au goût, à peu près aussi spiritueuse que la bière, sinon
tilO LES ANCIENS ITUiÉRAIHES A TIlAVEniî LK l'AMlR.
l" Que le Kié-pouan-tho, immédiaLeraent voisin du Po-
ho, moins froid que celui-ci, occupant (d'après Song-yun)
<in« partie du faîte tin Thsouiig-ling, et traversé par le
Tchou-kiu-po-si, couiant nord-est comprenait non seule-
ment la haute vallée de laKasehgar-Darya, mais aussi le dis-
trict d'irrigation du bas Yaman-yar, à l'est de Thsoung-
Hng, avec l'ancien fort dp Tasclibalyk et le gros village
actuel d'Opal-kyscliiak. C'était ce district d'irrigntion qui
produisait le peu de riz; du Kié-pouan-tho, mentionné
par Hiouen-Thsang. Tout ce pays de Kié-pouan-tho, non
mentionné par les annalistes des deux dynasties de Han, et
dont la frontière passait tout prùs à l'ouest de Kaschgar,
était un démembremrnl de ce dernier royaume, qui sub-
sistait toujours du temps dcSong-yuii et de Hiouen-Thsang,
mais diminué, tandis que du temps des deuxièmes Han,
la Kaschgaric (Sou-Ié) voisine du Yué-tschi possédait donc
la haute vallée de la Kaschgar-Darya.
'i' Quant au Po-ho, contigu à l'ouest au Kié-pouan-tho,
c'est bien le Ferghâna actuel, mais seulement une partie de
celui-ci : les montagnes du sud-est, avec la haute vallée de
l'Alaï. Les vingt jours de marche de Song-yun, du Kié-
pouan-lho au Po-ho, montrent cependant que ce dernier
pays devait occuper aussi le district actuel d'Osr.h. Quant au
reste du Fergbana, il appartenait, au temps de Song-yun,
aux nomades Yé-tai : mais Hiouen-Ths.ing, qui ne l'a pas
visité, le mentionne à l'article Tche-chi, sous le nom de Fel-
han-, ce qui est déjà la transcription chinoise de Fergh4na.
I
I
I
plus et j):u'laitoineiit ciipalile d'enivrer, y uaiil à l'can-de-vie indifrène, i)ut
surviicut il r Islam, elle ostjusi]u'à présent dhtilhie d'une iufusinn rorinen-
lée de raisins secs.
I. Hyucinthe, lac. cit., IV, p. 177.
t. SUd. Julien, loc. cit., p. 366.
Le Gérant responsable,
Ch. Mau.noiii,
Sccrcliiirc (;cii<-ral ilc lu Otinuiission cctilnilu
^
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE TOME XI DE LA Vil' SÉRIE (18<J0).
PREMIER TRIMESTRE ,
Ch. MàUNOIR. — Rapport sur les travaux de la Société de Géogra-
phie et sur les progrès des sciences géographiques pendant l'année
1889 5
W. SK NORbLiNG. — L'Unilication des heures, avec deux clichés
dans le texte 111
i. Thoulet. — La Campagne scientifique du schooner des Etats-
Unis GrampiM en 1889 138
f TRIMESTRE
Rapport sur le concours au prix annuel fait à la Société de Géogra-
phie dans sa séance générale du 15 avril 1890 1 15
Edouard Blanc. — Les Routes de l'Arrique septentrionale au
Soudan 169
Olivier Oruinaire. — De Lima à Iquitos par le Palcazu, la Cordil-
lère de Huachon, les Cerros du Yanacbaga, le rio Pachitea, le
Pajonal, avec carte dans le texte. 217
Le lieutenant-général Annenkuf. — Des ressources que l'Asie cen-
trale pourrait offrir à la colonisation russe, avec cartes dans le
texte 237
L'abbé Desgodins. — Notes sur le Thibet 255
ToNDiM DE Quarekgui. — Le Vœu de la Conrérence télégraphique
de Paris au sujet de l'heure universelle 280
3* TRIMESTRE
Henri Coddreao. — Le Contesté franco-brésilien 289
J.-C. Reiuhenbach. — Etude sar le royaume d'Assinie 310
A. Bloyet. — Oe Zanzibar à la station de Kondoa 330
Henri Ddveyrier. — Note sur Tobrouq 365
Cu. Rarot. — Explorations dans la Laponic russe. Ethnographie,
avec clichés dans le texte {suite) 371
\y Nicolas Severtzow. — Etudes de géographie historique sur les
anciens itinéraires à travers le Pamir 417
012 TAULE DES MATIÈIIES.
i' TRIMESTRE
Gabriel Bomvalot. — Voyage dans l'Asie centrale et aa Pamir... 469
tiuiLLADHE Gapos. — Pamir et Tchitral 499
L. MizoN. — Voyage de Paul Crampel au nord du Congo français. 534
W Nicolas Severtzow. — Eludes de géographie historique sur les
anciens itinéraires à travers le Pamir {tuite et fin) 553
CABTES
I Edouard Blanc. — Grandes routes commerciales 'du Sahara, 1889.
l/ia.OOO.OOO".
I Henri GoddreaD. — Territoires contestés de Guyane. 1/7,500,000*.
iJ.-C. Reicbenbach. — Lagunes d'Assinie et d'ApoUonie, 1887. 1/400,000*.
/ A. Bloyët. — Itinéraires dans le Zanguebar, 1880-1885. 1/1,000,000*.
, Guillaume Gapus. — Itinéraire par le Pamir du lac Monss-Kout à la val-
lée de Guezine, 36 mars-14 juillet 1887. 1/1,000,000*.
i Paul Crampel. — Itinéraires au nord de l'Ogdoué dans les bassins do
l'Ivindo, du Djah et du M'Tem, août 1888-révrier 1890. 1/200,000*.
FIN OE LA TAKLE DES MATIÈRES
4187. — Imprimeries rciinics, B. me Mipion. 2. — Mav H Motteruz, diivcteurs.
^^4 -s ^
-1 OUSTAG-ATA.
^niàoiio" o. I '/"Xf" TA GHAffMA
Légende
... tUnénurg de fa mààion
6Bpnva./»t CCaputttA-PJfiin
6 Camptmmni
.: AouKCampumentdMnomaiùu)
1 1 Yà,V Est du. miHdien. AeFarLs
J.Hojuen/
/mp.^fhardi Paris