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Full text of "Bulletin de la Société de géographie"

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La  Société  ne  prend  sous  sa  responsabilité 
aucune  des  opinions  émises  par  les  auteurs  des  articles  insérés  dans  son  Bulletin 


BULLETIN 


/Ù~^ 


DE   LA 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

Aitiat 
AVEC    LE  CONCOURS   DE  LA    SECTION  DE  PUBLICATION 

PAR 

LES  SECRÉTAIRES  DB  LA  COMMISSION  CENTRALE 


SOMMAIRE  /,^î  V-^^QJ, P7y 


De  Maiixy-Chalon.  —  Un  voyage  en  Mandchourie /. »./.^^. f-î,j..-.V.v.rfé,;. .  • 


Baron  Benoist-Méchin.  — Voyage  à  travers  le  Turkesta^.A:;^'.'.V/.'.'.'.l.'V..'7..^{  ^5 
Charles    Rabot.  —  L'expédition  du  professeur   NorderHl^3fd--au_  Groenland/;^ 

avec  cliché  dans  le  texte />>^:4^j^.  À.  '.^.:.li<C\      56 

Ghahles  Hubeb.  —  Voyage  dans  l'Arabie  centrale  (1878-1882)  Uamàd,  Sammar, 

Qaçîm,  Nedjâz  (suite  et  fin) 92 


cartes 


Itmérairesen  Asie  par  MM.  Benoist-Méchin  et  de  Mailly-Chalon,  1883.   1/6000000*'. 
Itinéraire  à  rintérieur  du  Groenland  d'après  la  cai'te  provisoire  par  A.  £.  Nordenskiôld 
du  !•'  au  29  juillçt  1883.  1/300000». 


1»  TRIMESTRE  ISaô 

Sec  .       V':-'  ^    .        ■  ' 

PARIS 

SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

BOULEVARD  SAINT-GERMAIN,    184 
1885 


PUBLICATIONS  DE  LA  SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 


RECUEIL  DE  VOYAGES  ET  DE  MÉMOIRES,  ia-4o. 

Tome  1*%  contenant  les  voyages  de  Marco  Polo.  1  vol.  in-4°,  1824  {épuisé).  Première 
édition  française,  d*après  le  manuscrit  le  plus  ancien  et  le  plus  complet  connu, 
suivie  d'un  texte  latin  inédit.  Ce  volume  est  composé  comme  suit  ;  Avant-propos , 
par  M.  Malte-Brun,  secrétaire  général  de  la  Société  de  Géographie;  — !ntrodw> 
tion  aux  voyages  de  Marco  Polo,  par  M.  Roux  de  Rochelle;  —  Voyage  de  Marco 
Polo,  le  texte  français  de  Rusticien  de  Pise,  d'après  le  n^  10270  de  la  Biblio- 
thèque royale;  —  Peregrinatio  Marci PauU,  texte  latin,  d'après  le  n*  3195  de 
la  Bibliothèque  royale;  —  Glossaire  des  mots  aujourd'hui  hors  d'usage:  — 
Variantes  pour  les  noms  propres  d'hommes  et  de  lieux,  d'après  onze  manus- 
crits. 

Tome  II,  avec  18  planches.  Prix  :  18  francs* 

Il  contient  :  Une  Relation  de  Ghanat  et  des  coutumes  de  ses  habitants.  —  Des 
relations  inédites  de  la  Gyrénaïque.  —  Une  notice  sur  la  mesure  géométrique 
de  quelques  sommités  des  Alpes.  —  Résultats  des  questions  adressées  à  un 
Maure  de  Tischit  et  à  un  nègre  de  Wallet.  —  Réponses  aux  questions  de  la 
Société  sur  l'Afrique  septentrionale.  —  Unitméraire  de  Gonstantinople  à  la 
Mecque.  —  Une  Description  des  ruines  découvertes  près  de  Palenqué,  suivie 
de  Recherches  sur  l'ancienne  population  de  l'Amérique.  — ^Une  notice  sur  la 
carte  générale  des  pachalicks  de  Hhaleb,  Orfa  et  Bagdad.  —  Un  mémoire  sur 
la  géographie  de  la  Perse.  —  Des  recherches  sur  les  antiquités  des  États-Unis 
de  l'Amérique  septentrionale. 

ToMp  III)  contenant  l'Orographie  de  l'Europe,  par  M.  L.  Bruguière,  ouvrage  cou- 
ronné par  la  Société  dans  sa  séance  générale  du  31  mars  1826  ;  avec  une  carte 
oroçraphique,  12  tableaux  synoptiques  et  trois  vues  et  coupes  des  chaînes  de 
montagnes  (épuise). 

Tome  IV,  avec  une  carte  et  plusieurs  fac-similés.  Prix  :  30  francs. 

Il  contient  :  Description  des  merveilles  d'une  partie  de  l'Asie,  par  le  P.  Jordan  de 
Séverac.  —  Relacion  del  Yiage  hecho  à  la  isla  de  Amat,  etc.  (Relation  d'un 
Voyage  à  l'île  d'Amat),  d'après  les  manuscrits  communiqués  par  M.  Henri  Ter- 
naux.  — Vocabulaires  de  plusieurs  conti'ées  de  l'Afrique,  recueillis  par  M.  Kœnig, 
avec  des  observations  préliminaires.  —  Voyages  en  Orient  :  Relation  de  Guil- 
laume de  Rubruck.  —  Notice  sur  les  anciens  voyages  de  Tartarie  en  général, 
et  sur  celui  de  Jean  du  Plan  de  Garpin  en  particulier;  avec  une  carte,  par 
M.  d'Avezac.  —  Relation  de  la  Tartarie,  de  Jean  du  Plan  de  Garpin;  Voyage  de 
Bernard  et  de  ses  compagnons  en  Egypte  et  en  Terre-Sainte.  —  Relation  di's 
voyages  de  SsBvulf  à  Jérusalem  et  en  Terre-Sainte. 

Tomes  Y  et  VI,  contenant  la  Géographie  d'Ëdrisi,  traduite  de  l'arabe  en  français, 
d'après  deux  manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  roi,  et  accompagnée  de  notes, 
par  P.  Amédée  Jaubert,  membre  de  l'Institut,  etc.,  avec  3  cartes.  Prix  : 
24  francs  chaque  volume. 

Tome  VII,  contenant  la  Grammaire  et  le  Dictionnaire  de  la  langue  berbère,  en  ca- 
ractères arabes,  composés  par  feu  Venture  de  Paradis,  revus  par  P.  Amédée 
Jaubert,  membre  de  l'Institut;  suivis  de  plusieurs  itinéraires  de  l'Afrique  sep- 
tentrionale recueillis  par  l'auteur,  et  précédés  d'une  Notice  biographique  sur  la 
partie  méridionale  de  l'Asie  centrale,  avec  une  carte  et  deux  plans,  par  M.  Nicolas 
de  Khanikof.  —  Recherches  sur  Tyr  et  Palœtyr,  et  essais  de  restitution  et 
d'interprétation  d'un  passage  de  Scyl.ax,  avec  deux  cartes,  par  M.  Poulain  de 
bossay.  Prix  :  24  francs. 

oire  sur  rEthnograpIue  de  la  P?rse,  par  M.  Nicolas  de  Khanikof.  Prix  :  6  francs. 


BULLETIN 


DE    LA 


r    r 


SOCIETE  LE  GEOGRAPHIE 


fiieptlème    «érle 


TOME  VI 


LISTE 

DES  PRÉSIDENTS  HONORAIRES  DE   LA  SOCIÉTÉ* 


MM. 

*  Marquis  de  Laplage. 

**  Marquis  DE  Pastoret. 

*  yte  DE  Chateaubriand. 
*Ct«  Chabrol  de  Volyic. 

*  Begquet. 

*  Ct«  Chabrol  de  Crou- 

SOL. 

*  Baron  Georges  Cdvier. 

*  B°"  Hyde  de  Neoville. 

*  Duc  DE  DOUDEAUYILLE. 

♦Comte  d*Argout. 

*  J.-B.  Eyriês. 

*  Vice-amiral  de  Rignt. 

*  Contre-am.  d*Urville. 
*Duc  Decazes. 

*  Comte  DE  MONTALIVET. 

*  Baron  de  Barante. 

*  Général  baron  Pelet. 

*  GOIZOT. 

*  De  Salvandy. 

*  Baron  Tdpinier. 


MM. 

*  Comte  Jaubert. 

*  Baron  de  Las  Cases. 

*  ViLLEMAlN. 

*  Cunin-Gridadce. 

*  Amiral  baron  RonssiN. 

*  Am.  baron  de  Mackau. 

*  B""  Alex,  de  Huhboldt. 

*  Vice-amiral  Halgan. 

*  Baron  Walgkenaer. 

*  Comte  MoLÉ. 

*  De  la  Roquette. 

♦JOHARD. 

*  Dumas. 

*  Contre-am.  Mathieu. 
♦Vice-amir.  La  Place. 
♦Hippolyte  Fortoul. 

*  Lefebvre-Duruflë. 

*  guigniaut. 

*  Daussy. 

*  Général  Daumas. 


MM 

*ËLIE  DE  BEAUMONT. 
♦-ROULAND. 

*Am.  Desfossés. 

*  C.DE  Grossolles-Fla- 
marens. 

*  Duc  DE  PERSIGNY. 

*  Vice-amiral  de  laRon- 

gière  le  Noury. 

*  Comte  Walewski. 
De  Quatrefages. 

*  Michel  Chevalier. 
Alfred  Maury. 
Vivien  de  St-Martin. 

*Mis   DE      ChASSELOUP- 

Laubat. 
Meurand. 

Ctre.amiral  Mouchez. 
Ferdinand  de  Lesseps. 
A.  Milne-Edwards. 
Alfred  Grandidier. 


COMPOSITION  DU  BUREAU  DE  LA  SOCIÉTÉ 

POUR  l'année  1884-1885 

Présidents. 0^,,*    M.  Ferdinand  de  Lesseps,  membre  de  Tlnstitut. 

î  M.  L.  Vignes,  contre-amiral. 
Vice' présidents  A  M.  E.  Mascart,  directeur  du  Bureau  central  météoro- 

\      logique. 

/  M.  le  lieutenant-colonel  G.  Niox,  professeur  de  géogra- 
Scrutateurs*,».}     phîe  à  TÉcole  supérieure  de  guerre. 

(  M.  E.  Bureau,  professeur  au  Muséum  d'histoire  naturelle. 
Secrétaire M.  C.  Velain,  maître  de  conférences  à  la  Sorbonne. 

TRÉSORIER  DE  LA  SOCIÉTÉ  • 
M.  Meignen,  ancien  notaire,  boulevard  Malesherbes,  20, 

ARCHITECTE  DE  LA  SOCIÉTÉ  * 

M.  Edouard  Leudière. 

AGENCE  : 

A  rhdtel^.de  la  Société,  boulevard  Saint-Germain,  184. 

M.  Charles  Aubry,  agent. 


i.  La  Sociëtë  a  perdu  tous  les  Présidents  dont  les  noms  sont  précédés  d*un  -k. 


BULLETIN 


DE   LA 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

RÉBIGÂ 

AVEC  LE  COMOIM  Dl  LA  SECTION  DE  PUBLICATION 

PAR 

LES  SECRÉTAIRES  DE  LA  COMMISSION  CENTRALE 


SEPTIÈME  SÉRIE.  —  TOME   SIXIÈME 

ANNÉE  1885 


-^ 


PARIS 

SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

Boulevard  Saiat-Gennain,  I8i 
1885 


COMPOSITION    DU   BUREAU 

ET   DES    SECTIONS   DE   LA   COMMISSION  CENTRALE 

POUR  1885 


Président 

Vice'préiidenU 

Secrétaire  général. ...  * 
Secrétaire  adjoint.,. 


BUREAU 

M.  A.  M11.NE  ËDWÀBDS,  de  rinstitut. 
M.  Adrien  Germain,  ing.  hydrographe. 
M.  Guillaume  Rey. 
M.  Charles  Maunoir. 

M.  Jules  Girard. 


Secrétaire  général  honoraire.    M.  Y.  A.  Malte-Brun. 
Archiviste-bibliothécaire M.  James  Jackson. 


Section  de  Correspondance. 


MM.  A.  d'Abbadie,  de  rinstitut. 
£.  Cheysson. 
A.  Daubrée,  de  Tinstitut. 
Charles  Gauthiot. 
Victor  Guérin. 
le  D'  £.  T.  Hamy. 


MM.   William  Huber. 

Le  comte  de  Marsy. 
Georges  Perin,  député. 
Colonel  Perrier,  de  l'Institut. 
Franz  Schi'ader. 
Louis  Vignes,   contre-amiral. 


Section  de  Publicalion. 


MM.   Barbie  du  Bocage. 

le  vicomte  Henri  de  Bizemont. 
Henri  Duveyrier. 
P.  Foncin. 
Jules  Garnier. 
James  Jackson. 


MM.  Janssen,  de  l'Institut. 

Emile  Levasseur,  de  l'Institut. 

V.  A.  Malte-Brun. 

J.  B.  Paquier. 

De  Quatrefages,  de  l'Institut. 

Vidal  de  La  Blache. 


Section  de  Comptabilité. 


MM.   Bouquet  de  la  Grye,  de  l'Inst. 
Casimir  Delamarre. 
Alfred  Grandidier. 


MM.  WUliam  Martin. 

Meignen,notaiTehonoiaiie,trésorier. 
Paul  Mirabaud. 


Membres  honoraires  de  la  Commission  centrale. 

MM.  Edouard  Charton,  de  l'Institut,  sénateur.  —  Jules  Codine.  —  Le 
D' Alfred  Demersay.  — Alfred  Maury,  de  l'institut.  —  Le  vice-amiral  Paris, 
de  l'Institut.  — Vivien  de  Saint-Martin. 


UN 

VOYAGE  EN  MAND.CHOURIE 

pAn 
M.    DE    MAIIiLY-CHAIiOMO) 


Il  y  a  cinq  ans,  en  décembre  1878,  je  quittais  la  France,  et 
j'étais  loin  de  supposer  que  ce  serait  pour  une  aussi  longue 
absence  ;  une  fois  en  route,  le  désir  de  connaître  et  d'étu- 
dier de  nouveaux  pays,  de  voir  ce  que  tout  le  monde  n'avait 
pas  vu^  m'ont  chaque  jour  entraîné  plus  loin. 

Je  rejoignis,  à  Geylan,  mes  amis  le  duc  de  Blacas  et  le 
baron  Benoist-Méchin;  pendant  deux  mois,  nous  chassâmes 
ensemble  dans  les  jungles,  mais  chacun  de  vous  connaît, 
comme  s'il  y  était  allé,  Geylan,  la  Cochinchine,  Canton,  etc. 

Deux  ans  de  séjour  au  Japon  ont  fait  de  nous  presque  des 
indigènes;  à  pied,  à  cheval,  nous  avons  parcouru  toutes  les 
parties  de  ce  ravissant  pays  où  tout  est  petit,  et  rappelle  la 
France  en  miniature.  Le  Japon  n'était  qu'une  étape,  et  c'est 
là  que  nous  avons  pu  mûrir  et  étudier  le  long  et  difficile 
voyage  que  nous  voulions  accomplir. 

La  Mandchourie,  dans  sa  plus  grande  partie,  n'avait  été 
visitée  par  aucun  Européen;  nos  missionnaires  eux-mêmes 
n'ont  pas  pénétré  au  delà  du  Soungari.  Chacun  des  points  de 
la  frontière  russe  près  de  la  Chine  est  connu,  mais  un  voyage 
d'ensemble  sur  cette  longue  frontière  de  plus  de  10,000  ki- 
lomètres n'avait  pas  encore  été  fait  :  les  Russes  seuls  con- 
naissent les  monts  Célestes  ou  Tiân-Shân;  Merv  n'avait  vu 
que  peu  d'Européens  un  Anglais  et  un  Russe  n'ont  fait  qu'y 
passer,  et  sr  un  Français,  M.  de  Blocqueville,  au  service  de 

(1)  Communication  adressée  à  la  Commission  centrale  dans  sa  séance 
du  21  mars  1884.  —  Voir  la  carte  jointe  à  ce  numéro. 


6  UN  VOYAGE   EN  MANDGHOURIE. 

la  Perse,  y  a  séjourné  quelque  temps,  c'est  en  qualité  de  pri- 
sonnier de  guerre.  La  pensée  de  parcourir  ces  immenses 
contrées  m'avait  séduit,  comme  mon  ami  M.  Méchin;  aussi, 
laissions-nous  revenir  seul  en  France  M.  de  Blacas,  et  nous 
restions  au  Japon,  attendant  le  moment  de  nous  mettre  en 
route. 

C'est  de  la  Mandchourie  seule,  que  je  vous  parlerai  ;  j'ajou- 
terai quelques  mots  seulement  pour  vous  conduire  jusqu'à 
Samarkand,  où.  commencera  le  récit  de  M.  Benoist-Méchin. 

Je  vous  demande  toute  votre  indulgence,  car  je  ne  suis  ni 
orateur,  ni  écrivain  et  tout  ce  que  je  vous  raconterai  n'aura 
que  le  mérite  d'une  très  grande  vérité. 

Traverser  la  Mandchourie  n'était  possible  qu^avec  la  pro* 
tection  du  gouvernement  chinois  ;  il  fallait  avoir  en  quel- 
que sorte  une  position  officielle,  et  nous  devions  l'obtenir  à 
tout  prix  ou  renoncer  à  notre  voyage. 

Arrivés  à  Pékin  en  août  1881,  notre  premier  soin  fut 
d'aller  trouver  M.  Baurée,  alors  Ministre  de  France.  M.Bou- 
rée  voulut  bien  faire  de  notre  voyage  sa  propre  affaire;  il  s'y 
intéressait  comme  s'il  avait  dû  nous  accompagner.  C'est 
grâce  à  la  position  exceptionnelle  que  notre  Ministre  avait 
su  prendre  auprès  du  gouvernement  chinois,  qu'il  lui  fut 
possible  de  demander  pour  nous  des  passeports  exception- 
nels aussi,  et  tels  qu'aucun  étranger  n'en  avait  eu  encore. 
Il  obtenait,  en  même  temps  que  notre  passage  fut  partout 
annoncé  aux  autorités  chinoises,  ordre  de  nous  traiter  avec' 
les  plus  grands  égards  ;  mais  le  plus  extraordinaire  est  que 
cet  ordre  ait  été  exécuté.  La  mesure  du  gouvernement  chi- 
nois ne  fut  pas  vaine,  et  partout  nous  en  ressentîmes  les 
heureux  effets. 

Partis  de  Pékin  vers  le  15  septembre,  c'est  par  mer  que 
nous  gagnâmes  Niou-tchouang  ou  plutôt  Ying-tzé  son  port 
Là,  avec  l'aide  de  nos  missionnaires,  nous  complétâmes 
tous  les  préparatifs  de  notre  expédition.  Le  0  octobre,  tout 
était  prêt)  notre  caravane  était  organisée,   et   le  temps 


UN  VOYAGE  EN  MANDCHOURIE.  7 

s'étanl  établi  au  sec  depuis  plusieurs  jours,  nous  pûmes 
nous  mettre  en  route.  Notre  caravane  se  composait  de  vingt 
personnes. 

M.Benolst-Méchin  et  moi,  nous  avions  chacun  avec  nous 
un  serviteur  français,  MM.  Gausit  et  Yvon,  seize  domes- 
tiques chinois,  douze  chevaux  de  selle  et  neuf  charrettes 
attelées  chacune  de  trois  vigoureux  mulets.  Nous  partions 
accompagnés  des  vœux  de  monseigneur  Dubail,  vicaire 
apostolique  de  Mandchourie,  qui,  pendant  quinze  jours, 
nous  avait  offert  asile.  Tout  en  nous  souhaitant  un  plein 
succès,  il  ne  nous  avait  pas  caché  que,  malgré  nos  passe- 
prorts,  il  ne  pouvait  y  croire. 

Deux  jours  de  route  nous  conduisirent  à  Niou-tchouang,- 
où  nos  relations  avec  les  autorités  chinoises  se  bornèrent  àun 
échange  de  cartes  de  visites  avec  le  préfet.  Entre  ces  deux 
villes,  nous  avons  traversé  un  camp  chinois.  Celui  de  Niou- 
tchouang  contenait,  nous  a-t-on  dit,  25,000  hommes;  il 
occupe  une  grande  plaine,  et  se  compose  d'une  réunion  de 
petits  forts  en  terre,  placés  de  300  à  500  mètres  les  uns  des 
autres.  Chaque  fort  peut  contenir  de  1000  à  1500  hommes. 

Moukden  la  sainte  est  à  120  kilomètres  de  Niou-tchouang. 
Les  populations  l'entourent  de  respect  comme  étant  le  lieu 
de  sépulture  des  empereurs  de  la  dynastie  actuelle,  et  le 
vice-roi  qui  commande  en  Mandchourie,  c'est-à-dire  à  plus 
de  vingt-cinq  millions  de  chinois,  y  a  sa  résidence.  Trois 
jours  nous  suffirent  pour  faire  ce  trajet. 

Sachant  qu'avec  les  Chinois,  tout  dépend  de  l'attitude 
prise  au  début,  nous  envoyâmes,  aussitôt  après  notre  instal- 
lation, nos  cartes  de  visite  en  grande  cérémonie  au  vice-roi. 
Ces  cartes  étaient  accompagnées  de  quelques  cadeaux  des- 
tinés à  lui  prouver  notre  respect  des  usages.  L'interprète 
avait  l'ordre  de  se  conformer  strictement  au  cérémonial  des 
rites  et  politesses  chinoises.  Dès  que  notre  envoyé  fut  revenu 
nous  montâmes  à  cheval  et  nous  nous  rendîmes  au  palais, 
entourés  d'une  escorte  d'honneur. 


8  UN  VOYAGE  EN  MANDGHOURIE. 

Le  vice-roi  était  uii  vieillard  de  soixante-dix  ans  environ^ 
d'un  aspect  très  digne  et  en  même  temps  très  cordial  ;  ses 
gardes  du  corps^  en  tenue  de  gala,  formaient  la  haie  à  droite 
et  à  gauche  de  la  première  cour,  et  dans  la  deuxième, 
rangés  de  même,  se  trouvaient  nombre  de  mandarins  d'ordre 
inférieur,  placés  là  pour  nous  faire  honneur.  Le  vice-roi 
s'était  avancé  au-devant  de  nous  et  nous  attendait  à  l'entrée 
de  la  salle  de  réception. 

Les  salutations  d'usage  échangées,  Ngan-fou  (c'était  son 
nom)  nous  At  passer  devant  lui  et  asseoir  sur  des  sièges 
d'honneur  placés  sur  une  estrade  au  pied  de  laquelle  il  s'as- 
sit lui-même.  Après  quelques  instants  de  conversation,  et 
après  avoir  épuisé  le  formulaire  des  phrases  de  politesse, 
nous  descendions  de  nos  sièges  élevés,  pour  aller  prendre 
place  autour  d'une  table  chargée  de  friandises,  mandarines 
glacées,  confitures  de  gingembre,  pâtisseries,  etc.,  et  comme 
boisson,  ce  thé  de  fleurs  si  merveilleusement  bon. 

Le  vice-roi  paraissait  mettre  un  certain  amour-propre  à 
nous  faire  apprécier  l'étendue  de  ses  connaissances  en  lit- 
térature, en  histoire,  etc.,  et  à  nous  montrer  que,  surtout, 
il  n'était  étranger  ni  aux  mœurs  de  l'Europe,  ni  à  toutes  les 
découvertes  de  la  science.  Il  nous  posait  de  nombreuses 
questions  et  paraissait  fort  bien  comprendre  nos  explica- 
tions. Cette  visite  dura  près  d'une  heure;  nous  regagnâmes 
notre  auberge  entourés  du  même  cérémonial  et  avec  une 
escorte  comme  à  notre  arrivée. 

Le  lendemain,  nous  obtenions  un  grand  résultat  qui  ne 
pouvait  être  attribué  qu'aux  ordres  envoyés  de  Pékin;  le 
vice-roi  venait  nous  rendre  notre  visite.  Selon  Tétiquette 
chinoise  qui  est  très  minutieuse,  nous  étions  allés  l'attendre 
à  la  porte  de  l'auberge,  où  se  répéta  la  scène  de  la  veille. 

Ngan-fou,  s'était  fait  précéder  de  fort  beaux  cadeaux  : 
quatre  peaux  de  tigre,  vingt  martres  zibelines,  des  étoffes 
de  soie  brochées,  etc.,  etc.  Aussi  aimable  que  la  veille,  le 
vice-roi  nous  offrit  une  escorte,  que  nous  acceptâmes  avec 


UN  VOYAGE  EN  MANDGHOURIE.  9 

beaucoup  d'empressement,  car  elle  était  la  consécration  de 
notre  position  officielle.  Gomme  défense,  cette  escorte  était 
absolument  illusoire  ;  nos  soldats  et  la  conversation  de  leur 
mandarin  ne  nous  en  laissèrent  pas  douter  longtemps;  le 
mandarin  nous  déclara,  sans  vergogne,  qu'il  valait  bien 
mieux  livrer  armes,  chevaux,  tout  enfin,  plutôt  que  de  ris- 
quer sa  peau  à  se  défendre.  Il  y  a  toujours  en  Chine  et 
surtout  en  Mandchourie,  province  frontière,  des  brigands, 
ou,  pour  mieux  dire,  des  voleurs  de  grand  chemin,  môme 
dans  les  parties  les  plus  riches  et  les  plus  peuplées.  Si  la 
récolte  a  été  médiocre,  ou  môme  s'ils  voient  un  bon  coup  à 
faire,  les  paisibles  agriculteurs  s'entendent  à  merveille  pour 
organiser  une  bande  de  pillards. 

Moukden  ou,  en  chinois,  Shin-Yang,  présente  peu  d'in- 
térêt. D'une  importance  toute  politique,  elle  n'a  que  peu  de 
commerce  et  sa  population  ne  dépasse  pas  30000  âmes. 
Les  rues  sont  peu  fréquentées,  à  part  un  seul  quartier.  On 
ne  peut  mieux  la  comparer  qu'à  la  ville  tartare  de  Pékin, 
mais  sans  les  belles  boutiques  dorées  de  celles-ci .  Le  Yamen 
ou  palais  du  gouvernement  est,  comme  partout,  entouré 
de  hautes  murailles. 

A  cinq  ou  six  kilomètres,  au  nord  de  Moukden  se  trouve 
la  sépulture  des  empereurs  mandchoux.  Trois  enceintes 
successives  en  défendent  l'entrée  aux  profanes.  Dans  la 
première  se  trouve  un  grand  parc  très  sauvage,  avec  des 
arbres  magnifiques;  la  deuxième  enceinte,  également  boisée, 
contient  la  demeure  des  serviteurs  de  second  ordre,  atta- 
chés au  service  du  temple.  De  grandes  avenues  se  dirigent 
vers  celui-ci  ;  elles  sont  bordées  d'immenses  animaux  en 
pierre,  qui  ne  sont  qu'une  faible  imitation  de  ceux  qu'on 
voit  près  de  Pékin,  aux  tombeaux  des  empereurs  Ming.  Nous 
ne  pûmes  pénétrer  que  dans  les  deux  premières  enceintes. 
C'eût  été  profaner  la  sépulture  des  fils  du  Ciel,  que  de  per- 
mettre à  des  barbares  occidentaux  de  pénétrer  dans  l'en-^ 
ceinte  môme  des  tombeaux. 


iO  uai  TOTAfiB  ES  MAincaoïnuE. 

De  Monkden  à  Kiiin,  œ  lîit  me  Tiaie  promenade.  Tons 
les  jours  nous  faisions  à  dieral  tiente  OQ  quarante  kilcMDèlres, 
chassant  chaqœ  fois  qoe  Toccasion  s'en  présentait  et,  le  soir, 
troorant  tonjoors  notre  logement  préparé  par  les  soins  dn 
petit  mandarin  cha^  de  cet  ofllee.  Sor  une  taUe  bien 
dressée,  nons  faisions  honneur  au  dîner  que  nous  aTait 
préparé  notre  cuisinier  chinois.  Nous  avîmis  alors  tout  le 
confortable  possible;  combien  il  a  laDu  en  rabattre  plus 
tard! 

La  route  entre  Monkden  et  Kirin  est  très  praticable,  très 
large,  iiès  fréquentée.  Elle  relie  entre  eux  de  nombreuses 
petites  TÎlles  et  de  gros  bourgs,  Tiè-Xing,  Ki-yuen,  Kah-li- 
tcfaoung,  Shian-ka-Sang,  etc.,  etc.,  tous  entourés  de  terres 
cultivées  à  merveille  et  dont  les  Chinois,  ces  maîtres  en 
agriculture,  savent  très  bien  tirer  parti.  Pas  un  pouce  de 
terrain  n'est  perdu,  et  aucun  arbre  n'est  souffiNi  dans  les 
champs.  Les  principaux  produits  dn  pays  sont  le  coton,  le 
soi^ho,  le  riz  sec,  des  pois  qui  sont  Tobjet  d'un  commerce 
considérable  avec  le  Shân-tung.  Il  y  a  environ  450  kilo- 
mètres entre  Mookdon  et  Kirin.  La  première  partie  est  un 
pays  absolument  découvert  et  présente  l'aspect  que  je  viens 
de  décrire.  On  aperçoit,  à  l'horizon,  des  montagnes  peu 
élevées  qui  renferment  quelques  mines  de  cuivre  et  de  fer 
exploitées  par  les  Chinois. 

Près  de  Ki-jraen,  passe  la  fameuse  barrière  de  pieux,  qui 
longe  dn  sud  au  ncM^  toute  la  frontière  de  Corée;  elle  va 
rejoindre  celle  qui,  prenant  naissance  au  défilé  de  Kou-pei- 
Ko,  au  nord  de  Példn,  sépare  la  Mandchourie  de  la  Mongolie, 
du  sud-ouest  au  nord-ouest.  A  moitié  chemin,  vers Ki-yuèn, 
la  route  quitte  la  plaine  pour  s'enfoncer  dans  de  petites 
montagnes,  peu  boisées,  mais  qu'on  appelle  encore,  par 
soBveoir,  les  forêts  de  l'empereur.  Ces  montagnes  sont  les 
derniers  contreforts  de  la  ch^ne  qni  commence  dans  la 
4>resqu'île  du  Liao-tong  et  se  dirige  généralement  du  sud 
au  nord,  parallèlement  aux  chaînes  beaucoup  plus  consi- 


UN  VOYAGE  EN  MANDGHOUfilE.  11 

dérables  qui  sillonnent  le  territoire  coréen.  Selon  les  Chi- 
nois que  nous  avons  interrogés  à  cet  égard,  ces  montagnes 
sont  très  riches  en  mines  de  charbon,  de  cuivre,  de  fer, 
d'étain,  d'or  et  d'argent,  exploitées  par  les  Chinois  avec 
leurs  moyens  très  primitifs.  Un  missionnaire  protestant,  le 
Révérend  Williamson,  qui  a  fait  un  voyage  remarquable  dans 
cette  partie  de  la  Mandchourie,  nous  a  confirmé-  tous  ces 
dires. 

Kirin  est  le  grand  centre  commercial  de  la  Mandchourie. 
Nous  y  arrivons  le  28  octobre,  environ  vingt  jours  après 
notre  départ. 

Kirin  ou  mieux  Tîh-ling,  comme  disent  les  Chinois,  est 
une  grande  ville  peuplée  d'une  centaine  de  mille  âmes.  Elle 
présente  un  cachet  très  particulier.  N'ayant  pas  d'enceinte 
fortifiée  comme  Moukden,  elle  déployé  dévastes  faubourgs, 
remplis  de  jardins,  de  maisons  de  plaisance,  appartenant 
soit  à  de  riches  fonctionnaires,  soit  à  de  très  grands  com* 
merçants.  Les  rues,  suffisamment  grandes,  sont  pavées  de 
poutres  en  bois,  placées  transversalement.  Sa  situation  au 
bord  du  grand  fleuve  Soungari  lui  donne  beaucoup  d'impor- 
tance. Le  fleuve,  du  côté  de  la  ville,  est  bordé  de  quais  très 
élevés,  construits  en  bois.  Ce  port  a  un  aspect  de  vie  qui 
nous  a  vivement  frappés  ;  la  saison  était  déjà  avancée  et 
d'un  jour  à  l'autre  on  s'attendait  à  voir  le  fleuve  gelé.  Quels 
doivent  être  le  commerce  et  le  mouvement  du  port  dans 
une  autre  saison,  lorsque  les  eaux  sont  hautes  !  Le  fleuve' 
était  couvert  de  longs  trains  de  bois,  composés  d'arbres  gi-' 
gantesques,  qui  descendent  des  montagnes  de  Corée  pour 
s'arrêter  à  Kirin  et  à  Petuna,  où  manquent  les  bois  de 
construction. 

Notre  arrivée  à  Kirin  cause  une  émotion  considérable. 
Plus  de  3  000  Chinois  se  bousculent  dans  les  rues  pour  nous 
voir;  bien  nous  en  prend  d'être  à  cheval  et  accompagnés, 
d'une  escorte^  car,  autrement,  nous  eussions  été  infailli- 
blement écrasés. 


12  UN  VOYAGE  EN  MANDCHOURIE. 

.  Tout  en  nous  leur  semble  extraordinaire;  comme  ils  n'ont 
jamais  vu  d'Européens,  nos  personnes,  nos  selles  et  nos 
chiens  de  chasse  les  plongent  dans  un  étonnement  profond. 
Notre  escorte  a  fort  à  faire  pour  écarter  le  peuple,  qui  n'a  du 
reste,  aucune  mauvaise  intention.  Notre  réception  chez  le 
gouverneur  de  Kirin  fut  à  peu  près  la  j'épétition  de  celle  de 
Moukden.  En  échange  de  nos  cadeaux,  il  nous  en  envoya 
du  même  genre  et  d'aussi  beaux  que  ceux  du  vice-roi.  Quel- 
ques verres  de  Champagne,  offerts  quand  il  nous  rendit 
notre  visite,  parurent  lui  causer  un  sensible  plaisir.  Ming* 
hân  paraissait  avoir  quarante-cinq  ans  à  peine  ;  il  ne  nous 
fit  aucune  question  sur  l'Europe;  ce  qu'il  voyait  autour  de 
lui,  lui  suffisait.  Sans  manquer  d'un  certain^  mérite,  il  ne 
me  semble  pas  pouvoir  être  comparé  au  vice-roi. 

Afin  de  nous  garer  de  la  curiosité  insupportable^es  ha- 
bitants, le  chef  des  troupes  mit  à  notre  disposition  une  cen- 
taine de  soldats,  tant  à  pied  qu'à  cheval,  qui  nous* accom- 
pagnèrent dans  toutes  nos  promenades.  Le  grand  commerce 
du  moment  était  les  fourrures  dont  il  se  vendait  d'énormes 
quantités. 

Cinq  journées  sufiUrent  amplement  pour  reposer  nos 
bêtes,  et  faire  toutes  les  petites  réparations  nécessaires 
à  notre  équipement.  Le  lundi  31  octobre  nous  passions 
leSoungari  et  notre  route  montait  droit  au  nord-est  jusqu'à 
Ningutah.  A  partir  du  fleuve  le  pays  change  totalement 
d'aspect.  Nous  cheminons  dans  de  jolies  vallées,  encaissées 
entre  de  petites  montagnes  couvertes  de  taillis.  La  route, 
peu  suivie,  n'est  marquée,  dans  bien  des  endroits  que  par 
un  sentier.  A  mesure  qu'on  s'éloigne  du  fleuve,  les  mon- 
tagnes deviennent  de  plus  en  plus  hautes  et  les  passes 
assez  difficiles.  En  continuant  notre  chemin,  nous  arrivons 
au  pied  d'un  grand  pic  qui  peut  avoir  de  15  à  1800  mètres 
de  haut  et  s'élève  seul  au  milieu  d'une  vallée  très  large.  Les 
Chinois  lui  ont  donné  le  nom  de  La-pa-la-tze,  ce  qui  veut 
dire  <  montagne  du  feu  éteint.  »  Il  a  toutes  les  apparences 


V^  VOYAGE   EN  MANDCHOURIE.  13 

d'un  ancien  volcan,  ce  qui  nous  explique  le  nom  chinois. 
De  nombreux  postes  de  soldats,  de  cinquante  à  cent  hommes 
chacun,  se  trouvaient  sur  la  route  avec  la  mission  de  la 
réparer  et  de  faire  la  chasse  aux  brigands  qui  désolent  le 
pays.  Nous  voyons  en  effet  un  rudiment  de  route  et  quelques 
rondins  dans  les  fondrières.  Ces  soldats  font  partie  de  ceux 
qui  ont  été  sur  la  frontière  pour  combattre  les  Russes.  Ils 
nous  disent  tous,  avec  la  plus  entière  bonne  foi,  qu'ils  ont 
battu  leurs  ennemis  et  que  ceux-ci  ont  lentement  fui 
devant  eux.  Le  pays  est  peu  habité.  De  loin  en  loin,  on 
rencontre  une  misérable  ferme  ou  une  auberge  dontTap- 
parence  sordide  indique  qu'elle  ne  compte  guère  sur  les 
voyageurs.  La  température,  toujours  très  bonne,  se  maintient 
aux  environs  de  0*.  Le  terrain  continue  à  être  extrêmement 
accidenté. 

A  notre  cinquième  jour  dl^  marche,  nous  rencontrons 
une  assez  haute  montagne,  le  Tchang-Sai-Ling,  au  sommet 
de  laquelle  nous  arrivons  par  une  pente  presque  douce. 
Là,  nous  trouvons  un  fortin  occupé  par  j^n  poste  d'environ 
500  hommes.  Le  brave  mandarin  à  globule  bleu  —  c'était 
au  moins  un  colonel  —  qui  les  commande,  se  montre  plein 
d'empressement  à  notre  égard;  il  fait  sortir  la  gaMe  et  l'air 
de  «  la  casquette  du  père  Bugeaud  i  va  réveiller  les  échos 
de  la  forêt.  Il  nous  reçoit  chez  lui  et  nous  offre  à  déjeuner, 
mais  nous  acceptons  seulement  une  ou  deux  tasses  de  thé; 
dans  le  réduit  sale  et  puant  où  il  nous  introduit,  nous  voyons 
un  appareil  complet  pour  fumer  l'opium. 

Le  versant  opposé  de  la  montagne  est  fort  escarpé;  nous 
descendons  à  travers  la  forêt  par  des  chemins  abrupts,  très 
dangereux  pour  nos  charrettes.  Tout  autour  s'élèvent  de 
grands  bois  dont  les  essences  sont  les  mêmes  que  celles 
de  nos  forêts  :  hêtres,  charmes,  chênes,  etc. 

Le  lendemain  6  novembre,  nous  arrivons  à  un  fort  village 
appelé  Oh-mô-Sou,  situé  dans  une  très  belle  vallée  où  coulé 
la  Moot*wan,  qui  passe  à  Ningutah,  et  se  jette  dans  le 


i4  UN  VOYAGE  £N  ITANDGHOURIE. 

Soungari.  Oh-mô-Sott  est  habité  par  des  cultivateurs  mand- 
chous, gens  très  calmes  et  très  hospitaliers.  C'est  le  premier 
village  mandchou  que  nous  ayons  rencontré  car  jusque  .là 
les  Chinois  dominaient  partout.  La  route  se  continue  à  tra- 
vers des  collines  peu  élevées  et  des  vallées  herbeuses.  On 
aperçoit  peu  de  cultures^  mais  en  revanche  des  quantités 
de  tourbières  qui  rendent,  en  dehors  de  l'hiver,  le  passage 
impra^cable  pour  les  voitures.  Ces  tourbières  existent 
sur  le  4anc  et  jusque  sur  le  sommet  des  montagnes,  et, 
malgré  le  froid,  souvent  les  chevaux  y  enfoncent  profondé- 
ment. 

Le  jeudi  6  nous  rencontrons  un  petit  mandarin  et  six 
soldats,  qui,  envoyés  au-devant  de  nous  par  le  gouverneur 
de  Ningutah,  viennent  se  joindre  à  notre  escorte.  Ils  portent 
les  uns  des  fusils  à  mèche,  d'autres  de  vieux  fusils  à  pierre 
transformés.  Ils  s'alignent  sur  la  route  et  nous  présentent 
les  armes.  Nous  marchons  toujours  vers  le  nord  et  la  tem- 
pérature baisse.  Le  thermomètre  indique  10  degrés  au- 
dessous  de  zéro.  Nous  en  sommes  heureux,  car  les  chemins 
en  seront  meilleurs.  Ce  pays  continue  à  être  des  plus  jolis  et 
des  plus  variés  d'aspect;  nous  cheminons  dans  de  char- 
mantes vallées  entourées  de  collines  boisées,  au  milieu  des- 
quelles nous  oublions  que  nous  sommes  si  loin  de  la  France, 
pour  admirer  les  paysages  qui  se  déroulent  devant  nous, 

r 

et  nous  rappellent  notre  patrie.  Le  gros  gibier  abonde; 
chaque  jour,  nous  levons  de  nombreuses  bardes  de  cerfs 
et  de  chevreuils  qui  paraissent  plutôt  étonnés  qu'effrayés  à 
notre  approche. 

Le  lundi  14,  au  lieu  des  tourbières  et  des  fondrières  accou- 
tumées, nous  trouvons  un  sol  couvert  de  roches  plates, 
polies,  d'aspect'  noirâtre  et  d'origine  volcanique.  Elles  sont 
percées  régulièrement  d'une  infinité  de  petits  trous.  Ces 
roches  sont  très  friables,  puisque,  dans  les  siècles  derniers, 
les  charrettes  de  l'invasion  mandchoue,  y  ont  creusé  des 
ornières  assez  profondes.  L'eau  de  source  y  coule  en  très 


J 


UN  YOTÀGE  EN  MANDCHOURIE^  15 

grande  abondance.  Je  ne  doute  pas  qu'autrefois  ce  grand 
plateau  n'ait  été  lef  centre  d'un  vaste  foyer  d'éruption. 

Enfin  le  jeudi  17  novembre,  après  avoir  passé  le  fameux 
pont  de  pierre  au-dessus  duquel  était  élevé  le  trône  de 
l'empereur  Wang-Ti,  dit  la  tradition,  et  sur  lequel  il  était 
assis  pendant  que  ses  troupes  défilaient  pour  aller  à  la  con- 
quête du  Céleste  Empire,  nous  entrions  à  Niugutah.  Le  pont, 
qui  n'a  qu'une  seule  arche,  est  jeté  avec  une  grande  har- 
diesse au-dessus  d'un  précipice  de  plus  de  30  mètres  de 
large.  Quelques  jours  de  repos  étaient  nécessaires  à  nos 
animaux,  surtout  aux  mules  des  charrettes.  L'installation 
que  nous  avait  préparée  le  gouverneur  de  la  ville  était  fort 
convenable  et  meilleure  que  nous  n'osions  l'espérer.  Le 
gouverneur,  des  mieux  disposé  pour  nous,  ne  songeait  qu'à 
nous  être  agréable.  Nous  chassions  la  grande  outarde,  à  ce 
moment  fort  abondante  dans  les  environs  de  la  ville;  c'est 
un  oiseau  d'un  goût  très  délicat,  et  d'un  volume  considé- 
rable; il  en  est  qui  pèsent  jusqu'à  25  livres. 

Nous  étions  à  Ningutah  depuis  deux  jours,  quand  nous 
apprenons  qu'un  très  grand  personnage  vient  d'arriver.  Ce 
n'était  rien  moins  qu'un  délégué  impérial.  Allant  aussitôt  lui 
rendre  visite,  nous  nous  trouvons  en  face  d'un  homme  jeune, 
de  quarante  ans  au  plus,  d'une  figure  extrêmement  fine  et 
spirituelle.  Il  était  entouré  d'un  certain  nombre  de  man- 
darins d'assez  haut  grade  et  avait  une  escorte  fort  bien 
tenue,  armée  de  fusils  Winchester  à  répétion  et  en  très  bon 
état.  Grand  ami  de  Li-hung-tchang,  Wou-tatcben,  tel  est 
son  nom,  était  très  partisan  des  idées  de  progrès,  et  mon- 
trait des  connaissances  dont  nous  fûmes  très  surpris  chez 
un  Chinois  qui  n'était  jamais  venu  en  Europe..  Natif  de  Su- 
cha-o,  il  justifiait  par  son  esprit  délicat  et  sa  grande  intelli- 
gence une  partie  de  la  renommée  de  cette  ville  qui  ne  pro- 
duit, dit-on,  que  de  belles  femmes  et  des  hommes  instruits. 
Wou-tatchen  nous  demanda  notre  avis  sur  une  ligne  de 
bateaux  à  vapeur,  destinée  à  relier  entre  elles  les  villes  de 


16  UN  VOYAGE  EN   MANDCHOURIE. 

Ningutah,  Kirin,  Petouna  et  Sang-sing  par  la  rivière  Moot- 
wan  et  le  Soungari.  Son  projet  déjà  en  cours  d'exécution 
était,  en  outre,  de  faire  une  grande  route  de  Kirin  à  Nin- 
gutah  et  Hung-chuen,  avec  un  embranchement  sur  Nikolsky 
et  Khamen-Riboloff,  établissements  frontières  des  Russes, 
sur  le  Suïfoun  et  TOssouri.  Cette  route  ne  devait  être  ter- 
minée, nous  dit-il,  que  dans  cinq  ans.  Nous  n'eûmes  pas  le 
courage  de  lui  dire  qu'elle  servirait  probablement  plus  aux 
Russes  qu'à  son  pays.  Il  n'est  pas  douteux,  en  effet,  qu'au 
premier  embarras  sérieux  des  Chinois,  les  Russes  ne  termi- 
nent ce  qu'ils  ont  commencé  en  1857,  lorsque  Mourawief- 
Amoursky  ayant  gagné  toute  la  ligne  de  l'Amour  et  de  l'Os- 
souri,  eut  le  bonheur  de  voir  ratifier  sa  conquête,  lors  du 
différend  anglo-franco-chinois,  en  1860. 

Wou-tatchen  est  certainement,  avec  Li-hung-tchang,  le 
Chinois  aux  idées  les  plus  élevées  et  les  plus  larges  que 
nous  ayons  rencontré  ;  particularité  rare  partout,  surtout 
en  Chine,  il  paraissait  animé  d'un  véritable  amour  du  bien 
public.  Le  seul  fait  de  voir  un  homme  de  cette  valeur  arrivé 
jeune  à  l'une  des  dignités  les  plus  élevées,  ferait  croire  que 
le  gouvernement  chinois  pourrait  être,  lui  aussi,  suscep- 
tible de  progrès  et  d'améliorations,  revenir  à  ce  qu'il  était 
autrefois,  avant  la  dynastie  mandchoue. 

La  route  de  Ningutah  aux  possessions  russes  passe  à  Hung- 
çhuen.Ën  la  suivant  nous  devions  traverser  la  chaîne  princi- 
pale des  monts  de  Mandchourie,  celle  qui  sépare  le  versant 
de  l'Océan  Pacifique  et  le  bassin  du  Soungari,  l'un  des 
affluents  de  l'Amour.  Nous  devions  en  outre,  longer  la  fron- 
tière coréenne;  aussi  nous  n'hésitâmes  pas  un  instant  à 
choisir  cette  route,  espérant  que  nous  pourrions  faire  une 
pointe  en  Corée,  si  les  circonstances  nous  favorisaient. 

Le  jeudi  24  novembre  nous  quittions  la  ville  et  traversions 
la  rivière  Mootwan.  Cette  rivière  n'était  pas  encore  entiè- 
rement gelée;  ses  bords  seulement  étaient  pris  et  nous  dûmes 
encore  nous  servir  d'un  bac.  Notre  escorte,  qui  avait  été 


UN  VOYAGE  EN  MANDGHOURIE.  17 

doublée  en  prévision  des  brigands,  ne  nous  inspirait  pas, 
pour  cela,  plus  de  confiance;  tout  le  long  de  la  route  on 
nous  montrait  les  effets  de  leurs  ravages.  Nombre  de  gens 
se  plaignaient  d'avoir  été  volés  et  battus;  aussi  faisions-nous 
bonne  garde  sans  crainte  cependant,  car  nous  étions  abso- 
lument convaincus  que  ces  bandes  n'oseraient  jamais  s'at- 
taquer à  des  Européens  armés  comme  nous  Tétions. 

La  route  ne  manquait  pas  d'intérêt  ;  très  variée  dans  ses 
aspects,  tantôt  elle  surplombait  un  torrent  ou  s'élevait  en  cor- 
niche sur  le  flanc  des  montagnes  à  d'assez  grandes  hauteurs, 
tantôt  elle  serpentait  à  travers  de  jolies  vallées,  au  pied  de 
collines  boisées.  Les  froids  assez  vifs  ( — 20)  avaient  solidifié 
les  fondrières;  celles-ci  sont  pourtant  recouvertes  d'une 
herbe  fine,  très  longue  et  très  moelleuse,  dont  les  Chinois  et 
et  les  Mandchous  pauvres  s'entourent  les  pieds  pour  se  ga- 
rantir du  froid.  De  temps  en  temps,  nous  apercevions  des 
pièges  à  tigre;  ce  sont  de  petits  monticules  de  trois  à  quatre 
mètres  de  haut,  au  sommet  desquels  sont  braqués  huit  ou 
dix  fusils  énormes,  que  l'animal  fait  partir  lui-même  en  dé- 
vorant la  proie  mise  comme  appât. 

Nous  comptions  nous  arrêter  à  environ  150  kilomètres  de 
Ningutah,  au  point  central  de  la  chaîne  de  montagne^  pour 
chasser  et  essayer  de  tuer  l'un  de  ces  tigres  à  longs  poils, 
dont  le  vice-roi  de  Moukden  ainsi  que  le  gouverneur  de 
Kirin,  nous  avaient  donné  quatre  peaux.  Pour  y  arriver  nous 
eûmes  à  traverser  des  forêts  superbes  s'élevant  dans  les 
gorges  et  sur  les  sommets  de  montagnes  fort  escarpées. 

Chaque  jour  le  chemin  devenait  plus  pittoresque  et  plus 
sauvage;  le  lundi  28  novembre  nous  descendions  dans  un 
cirque  appelé  Lau-to-la-tze,  sorte  de  nœud  central  d'où 
partent  les  différentes  chaînes  qui  rayonnent  dans  toutes  les 
directions;  notre  baromètre  accusait  une  altitude  de  près 
de  1200  mètres,  et  les  pics  à  arêtes  vives  qui  s'élevaient 
au-dessus  de  nous  devaient  avoir  de  1800  à  2000  mètres. 
En  arrivant  dans  la  maisonnette,  qui  devait  nous  servir 

soc.  DE  GÉOGR.  —  1*'  TRIMESTRE  1885.  Vf.  —  2 


18  TIN  VOYAGE  EN  MANDCHÔURIE. 

d'abri,  nous  y  trouvâmes  un  tigre  magnifique,  de  plus  de 
dix  pieds  de  long,  que  notre  ami  Wou-tatchen,  le  délégué 
impérial,  passant  avant  nous,  avait  fait  apporter  pour  nous 
montrer  un  des  produits  du  pays.  L'attention  était  d'autant 
plus  aimable  et  délicate  de  sa  part,  que  nous  ne  fûmes 
pas  assez  heureux  pour  en  tuer,  ni  même  en  voir  pen- 
dant les  huit  jours  que  nous  passâmes  dans  ce  coin  perdu. 
A  défaut  de  tigres,  le  gibier  ne  manquait  pas  :  ours,  cerfs 
élans,  énormes  chevreuils,  abondaient  dans  toutes  les  val- 
lées avoisinantes,  mais  ils  étaient  extrêmement  difficiles  à 
approcher.  D'autre  part,  la  température  qui  avait  encore 
beaucoup  baissé  >( —  25  degrés)  ne  nous  permettait  pas  les 
longs  affûts.  Aussi  nos  chasses  furent-elles  plutôt  des  excur- 
sions pour  reconnaître  le  pays;  nos  seules  victimes  furent 
quelques  cerfs  et  chevreuils.  La  contrée  est  déserte  et  sau- 
vage; les  quelques  rares  habitants  que  l'on  y  rencontre,  sont 
de  misérables  chasseurs  de  gen-sing,soviede  racine,  dont  les 
Chinois  font  le  plus  grand  cas,  et  qu'ils  payent  cinq  ou  six-fois 
son  poids  en  or.  Les  chasseurs  se  font  brigands  à  l'occasion. 
Wou-tatchen  avait  l'intention  de  transporter  dix  mille 
familles  dans  cette  contrée.  Je  ne  sais  s'il  aura  mis  son  pro- 
jet à  exécution,  mais  quand  nous  y  sommes  passés  il  ne  s'y 
trouvait  encore  que  quelques  rares  émigrés  de  la  province 
du  Shantung,  établis  là  pour  fournir  des  gîtes  d'étape  aux 
courriers  du  gouvernement.  Cette  colonisation  pourrait  cer- 
tainement réussir,  car,  les  forêts  défrichées,  la  terre  donne- 
rait  les  plus  riches  produits. 

La  route  entre  le  point  central  de  Lau-to-la-tsé  et  Houng- 
tchouen  est  de  160  kilomètres.  Elle  traverse  plusieurs  chaînes 
de  montagnes  parallèles  les  unes  aux  autres,  qui  vont  tou- 
jours en  s'abaissant.  Le  surlendemain  de  notre  départ,  nous 
eûmes  un  spectacle  inattendu  et  des  plus  curieux.  Notre 
troupe  suivait  la  route,  taillée  là  dans  le  roc  et  en  corniche 
au-dessus  d'une  vallée  très  étroite  où  coule  un  torrent; 
à  inesure   que  nous  avancions  nous  entendions  des  sons 


UN  VOYAGE   EN  MANDGHOURIE.  19 

extraordinaires  qui  s'élevaient  d'une  grande  vallée  encore 
masquée  à  nos  regards.  Nous  partons  en  avant  et  aperce- 
vons rimposanl  cortège  du  délégué  Wou-tatchen  en  route 
pour  revenir  à  Ningutah.  Une  nombreuse  escorte  l'accompa- 
gnait. Il  était  très  confortablement  installé  dans  une  cbaise 
T^erte  fourrée  à  l'intérieur  et  que  seize  hommes  portaient  en 
se  relayant.  Devant  lui,  marchait  un  de  ses  mandarins  à 
cheval^  avec  l'étendard  jaune  au  dragon  impérial,  emblème 
de  sa  puissance.  Il  avait,  en  effet,  droit  de  vie  et  de  mort  sur 
les  habitants.  Sitôt  qu'il  nous  vit  Wou-tatchen  descendit 
de  sa  chaise  ;  en  môme  temps  nous  mettions  pied  à  terre. 
Quelques  instants  de  conversation  ayant  suffi  pour  échanger 
un  nombre  incalculable  de  politesses,  nous  nous  quittâmes 
enchantés  les  uns  des  autres. 

Pour  gagnerla  frontière  coréenne  que  nous  devions  suivre 
jusqu'aux  possessions  russes,  nous  eûmes  à  passer  trois 
cols  trèsdifûciles,  non  pour  nous,  mais  pour  nos  charrettes. 

Ce  ne  fut  qu'avec  les  plus  grands  efforts  qu'elles  purent 
parvenir  à  l'étape.  La  route,  couverte  de  glace,  était 
extrêmement  dure  et  nos  voitures  culbutaient  à  chaque 
instant.  Un  peu  de  pratique  de  la  part  des  Chinois 
enlève  toute  préoccupation,  car  il  est  difficile  de  voir  des 
gens  plus  ingénieux,  plus  patients,  plus  habiles  à  tourner 
les  difficultés  en  apparence  les  plus  insurmontables. 

Le  jeudi  15  décembre,  le  voisinage  delà  plaine  commen- 
çait à  se  faire  sentir.  Le  froid  était  moins  vif  et  des  brouil< 
lards  épais,  inconnus  dans  les  hauteurs,  se  maintenaient 
presqu.e  tout  le  jour. 

Les  croupes  des  montagnes  étaient  plus  arrondies,  les 
vallées  plus  larges.  Bientôt  nous  arrivons  sur  la  rivière 
Tioumen  que  les  Chinois  appellent  Mi-Kiang  ou  Kaoli- 
Kiang;  elle  est  large,  torrentueuse  et  sert,  pendant  200  ki- 
lomètres environ,  de  frontière  à  la  Corée  encore  inacces- 
sible aux  Européens,  comme  l'était  le  Japon  il  y  a  trente  ans. 

Nous  suivions  cette  rivière  depuis  quelques  temps,  quand. 


20  UN  VOYAGE  EN  MANDGHOURIE. 

sur  la  berge  opposée,  à  5  ou  600  mètres  du  fleuve,  nous 
apparut  une  grande  tour  isolée.  Nos  interprètes  interrogés 
nous  disent  qu'il  y  a  là  un  fort  et  un  gros  village  coréen. 
L'idée  d'aller  pousser  une  reconnaissance  en  Corée  nous 
vient  aussitôt;  nous  donnons  ordre  à  notre  escorte  de 
rester  sur  le  côté  mandchou  (car  il  est  interdit  aux  soldats 
chinois  d'aller  en  Corée)  et  suivis  seulement  de  nos  inter- 
prètes, nous  allons  jusqu'au  près  du  village,  qui  doit  avoir 
2  à  3000  habitants.  Une  cinquantaine  de  Coréens  nous 
entourent;  au  bout  de  quelques  instants  ils  sont  deux  cents; 
ils  rient,  s'étonnent  beaucoup  de  notre  accoutrement,  s'ex- 
clament d'admiration  en  touchant   nos  fourrures  et  nos 
selles,  et  poussent  même  l'indiscrétion  jusqu'à  nous  tâter  de 
tous  côtés.  Ces  gens  ont  beaucoup  plus  de  ressemblance  avec 
les  Japonais  qu'avec  les  Chinois.  Une  sorte  de  fortification 
en  pierre  sèche  entoure  la  ville  et  la  sépare  des  faubourgs 
sales  et  mal  bâtis.  Malgré  l'apparence  aimable  des  habi- 
tants, il  nous  fut  impossible  de  traverser  la  partie  fortifiée, 
comme  nous  l'aurions  voulu,  et  force  nous  fut  d'en  con- 
tourner seulement  les  faubourgs.  Autant  que  nous  pûmes 
en  juger,  la  population  paraît  vigoureuse;  hommes  et 
femmes  sont  couverts  de  vêtements  longs,  en  calicot  de 
couleur  claire.  Les  couleurs  telles  que  le  rose  tendre,  le 
lilas,  le  vert  très  clair  paraissent  avoir  leur  préférence.  Leurs 
habits  sont  très  propres  et  comme  empesés.  Notre  excur- 
sion finie,  nous  revenons  du  côté  mandchou,  en  retraver- 
sant la  rivière  sur  la  glace.  Vers  trois  heures  de  l'après  midi, 
nous  apercevons  dans  le  lointain  une  immense  quantité  de 
drapeaux  flottant  au  vent.  C'est  l'armée  de  Hong-chuen, 
environ  3000  hommes,  qui  nous  attend  sous  les  armes,  gé- 
néral en  tête.  Nous  descendons  de  cheval  pour  serrer  la 
main  du  brave  guerrier,  puis  remontant  aussitôt,  nous  par- 
tons avec  lui  pour  passer  la  revue  de  ses  troupes.  II  y  avait 
un  immense  drapeau  pour  cinq  hommes.  Les  quatre  autres 
étaient  armés  de  vieux  fusils  Enûeld,  de  fusils  à  mèche,  et 


UN  VOYAGE  EN  MANDGHOURIE.  21 

d'anciens  fusils  de  munitions;  beaucoup  de  €es  derniers 
avaient  été  coupés  au  milieu,  comme  chargeant  trop  le  sol- 
dat, nous  disent  les  ofQciers.  Des  troupiers,  les  uns  avaient 
des  bottes,  les  autres  des  souliers  mandchoux  en  cuir  non 
tanné.  Un  vieux  soldat  de  cinquante  ans  se  trouvait  à  côté 
d'un  gamin  de  quinze  ans.  Telle  est  l'armée  qu'auraient  dû 
combattre  les  Russes  si  la  guerre  avait  été  déclarée. 

Cette  troupe  armée  était  logée  dans  quatre  ou  cinq  for- 
tins en  terre  battue,  disséminés  dans  la  plaine.  Par  une  im- 
prévoyance toute  orientale,  deux  de  ces  fortins  occupaient 
juste  le  pied  d'un  petit  monticule,  du  sommet  duquel  on 
aurait  pu  tirer  des  coups  de  pistolet  dans  Tintérieur  de 
l'ouvrage.  Ce  sont,  en  réalité,  plutôt  des  casernes  fortifiées 
contre  la  population,  que  des  forts  élevés  contre  l'ennemi. 

La  ville  de  Houng-tchouen  qui  n'est  guère  qu'un  gros  vil- 
lage sans  aucun  intérêt,  n'a  qu'un  très  petit  commerce;  mais 
on  commence  à  y  trouver  quelques  produits  russes.  Ce  n'est 
que  pendant  les  quatre  mois  de  l'année  oîi  les  froids  rendent 
les  routes  praticables,  que  la  ville  peut  avoir  quelques  rap- 
ports commerciaux  avec  le  reste  de  l'empire  chinois.  Son 
mince  commerce  se  fait  surtout  avec  les  établissements  russes 
et  la  Corée.  L'hospitalité  des  autorités  chinoises  à  notre 
égard  ne  se  démentit  pas  un  seul  instant;  nous  fûmes  com- 
blés de  politesses  et  de  dîners.  Ils  firent  enfin  tout  ce  qu'ils 
purent  pour  nous  rendre,  à  leur  manière,  le  séjour  de  Houng- 
tchouen  agréable.  La  ville  et  le  camp  restèrent  pavoises,  et 
chaque  fois  que  nous  sortions  de  notre  maison,  le  canon  ou 
du  moins  de  gros  pétards  résonnaient  par  trois  fois. 

Le  gouverneur  civil  et  le  général  étant  plutôt  pauvres, 
nous  firent  des  cadeaux  en  nature,  tels  que  moutons, 
porcs,  sac  de  farine  etc.  Le  premier  nous  offrit  six  boites 
de  lait  condensé,  préparé  en  Suisse,  croyant  nous  faire  le 
plus  grand  plaisir. 

La  frontière  russe  est  à  20  kilomètres  de  Houng-tchouen, 
an  poste  de  Cosaques  de  Tsou-rou-ho.  A  30  kilomètres  plus 


^i  UN  VOYAGE   EN  VANDGHOURIE. 

loin  se  trouve  la  première  ville  russe,  Novo-Kievsk,  place 
absolument  neuve  et  créée  par  la  Russie  pour  y  établir  un 
poste  militaire. 

Notre  voyage  avait  duré  du  9  octobre  au  21  décembre 
1881  y  soit,  en  tout,  73  journées,  et  nous  avions  parcouru  à 
cheval  une  distance  de  près  de  1400  kilomètres. 

Cette  immense  province  de  Mandchourie,  que  nous 
venions  de  traverser  du  sud  au  nord- est,  n'est  pas  com- 
prise dans  les  dix  huit  provinces  qui  forment  ce  que  les 
Chinois  appellent  l'Empire  du  Milieu.  Bornée  au  sud  par  le 
golfe  de  Petchili,  à  l'ouest  pat  le  plateau  de  Mongolie,  au 
nord  par  l'Amour,  à  l'est  par  le  fleuve  Ossouri  et  la  Gorée^ 
la  Mandchourie  s'étend  sur  un  espace  quatre  ou  cinq  fois 
^rand  comme  la  France  entière. 

Les  princes  mandchoux  conquirent  la  Chine  vers  1640,  et 
ce  sont  encore  les  descendants  de  Wang-ti,  le  premier 
des  Tsings,  qui  règne  à  Pékin.  Mais  si  les  Mandchoux  ont 
la  satisfaction  de  savoir  que  l'empereur  est  de  leur  race,  ils 
ont  été,  à  leur  tour,  envahis  pacifiquement  par  l'élément  chi- 
nois. On  ne  rencontre  que  ces  derniers  en  Mandchourie  et 
la  race  mandchoue  pure  n'existe  plus  que  dans  certains  dis- 
tricts isolés,  dans  quelques  parties  des  provinces  limitro-* 
phes  russes,  où  ils  s'occupent  exclusivement  d'agriculture. 

La  Mandchourie  se  subdivise  en  trois  grandes  provinces  : 
celles  de  Moukden  ou  de  Liao-Tung,  et  de  Kirin  que  nous 
venons  de  parcourir;  la  troisième  est  celle  de  Tsi-tsi-Har, 
plus  à  l'ouest  et  qui  touche  à  la  Mongolie.  Les  noms  des  pré- 
fectures et  sous-préfectures  ne  vous  intéresseraient  guères 
plus  que  les  noms  des  cours  d'eau  plus  ou  m^ins  importants, 
qui  sont  les  affluents  du  Liao-ho,  du  Soungari  ou  de  TOus- 
souri.  On  peut  encore  regarder  ce  dernier  comme  un  fleuve 
de  la  Mandchourie,  bien  que,  depuis  1857,il  serve  de  frontière 
entre  les  Russes  et  les  Chinois. 

,  L'eau  abonde  partout  en  Mandchourie;  les  fleuves  et  les 
rivières  sont  magnifiques,  et  s'étendent  en  nappes  superbes^ 


UN  VOYAGE  EN  MANDCHOURIE.  23 

Le  Soungari  principalement,  a  dans  une  grande  partie  de 
son  cours  cinq  ou  six  fois  la  largeur  de  la  Seine,  et  quand 
il  vient  se  joindre  au  grand  fleuve  Amour,  au  poste  russe  de 
Michaelo-Seméo-novskaya,  les  deux  fleuves  réunis  ressem- 
blent  à  un  immense  lac. 

Les  climats  sont  naturellement  très  difl'érents  ;  la  province 
deMoukden,  située  plus  au  midi  et  protégée  des  vents  glacés 
de  la  Mongolie  par  plusieurs  chaînes  de  montagnes  basses 
maisfort  étendues,  peut  cultiver  certaines  plantes  des  pays 
chauds.  Les  provinces  de  Kirin  et  de  Tsi-tsi-Har  sont  au 
contraire  des  pays  très  froids,  où  la  culture  devient  celle 
des  pays  du  nord. 

Je  ne  dirai  rien  de  l'armée  chinoise;  vous  aurez  pu  la 
jager  vous-même  par  la  description  des  troupes  que  nous 
avons  rencontrées.  Le  Chinois  serait  un  excellent  soldat 
s'il  était  bien  commandé.  Il  ne  craint  pas  la  fatigue,  mé- 
prise la  mort,  mais,  que  faire  avec  des  mandarins  qui,  eux 
au  contraire,  tiennent  beaucoup  à  la  vie  et  à  toutes  leurs 
aises  ?  Au  jour  du  danger,  les  officiers  sont  les  premiers  à 
fuir.  Il  faudrait  leur  inculquer  l'esprit  militaire  et  le  sentiment 
du  devoir,  ce  que  je  crois  impossible.  Quelques  troupes  ont 
cependant  une  valeur  réelle  quand  elles  ont  un  chef  doué  de 
ces  qualités.  On  cite  l'armée  de  Ly-hung-tchang,  qui  garde 
les  forts  du  Peï-ho,  et  celle  du  maréchal  Ïzo-Tzung-Tang,  le 
vainqueur  des  musulmans  révoltés  du  Hunan  et  de  Kaschgar. 

Je  ne  veux  pas  vous  quitter  si  loin  de  Samarkande.  Wla- 
divostock,  le  grand  port  des  Russes  sur  l'Océan  Pacifique, 
Khabarofka,  la  nouvelle  capitale  des  provinces  maritimes 
de  la  Sibérie  orientale,  Blagovatchensk,  le  point  central  de 
ravitaillement  pour  les  mines  d'or  de  la  Zée  et  de  TAmour, 
Tchitala  capitale  du  Zabaïkal,  où  se  trouvent  les  principaux 
établissements  pénitentiaires  des  Russes,  le  lac  Baïkal^  Ir- 
koutsk  et  Tomsk  furent  nos  principaux  points  d'arrêt.  Nous 
redescendîmes  ensuite  vers  le  sud,  à  travers  les  steppes 
kirghises,  pour  gagner  Viernolé,  d'où  nous  fîmes  une  ex- 


24  UN  VOYAGE  EN  HANDGHOURIE. 

cursion  de  deux  mois  dans  les  monts  Célestes,  vivant  de  la 
vie  des  sauvages  Kara  Kirghises.  eouchant  sous  leurs  tentes 
en  feutre  et  chassant  avec  eux  à  des  hauteurs  vertigineuses. 
Cette  excursion  nous  conduisit  aux  portes  de  la  capitale 
de  la  nouvelle  conquête  chinoise,  Kaschgar.  Nous  nous 
sommes  trouvés  à  Kouldja  au  moment  ofi  les  Russes,  sous 
le  commandement  du  général  Kolpakowsky,  rendaient  la 
province  dlli  aux  autorités  chinoises. 

Six  semaines  passées  à  Taschkent  nous  permirent  d'en- 
trer en  relations  avec  le  général  Tchernaïeff,  Tun  des  héros 
de  la  guerre  de  Serbie^  l'homme  le  plus  populaire  de  Russie 
depuis  la  mort  de  SkobelefT,  et  son  digne  remplaçant.  Ce  fut 
grâce  àlui,  à  l'intérêt  qu'il  voulut  bien  prendre  à  nos  voyages, 
j'ose  même  dire  à  l'affection  qu'il  nous  portait,  que  le  reste 
de  notre  entreprise  put  se  continuer  dans  des  conditions 
aussi  heureuses  que  la  première  partie. 

Mon  ami  le  baron  Benoist-Méchin  va  continuer  le  récit 
de  notre  voyage,  mieux  que  je  n'ai  su  le  faire  pour  le  com- 
mencement. 


VOYAGE  'A  TRAVERS  LE  TURKESTAN 


PAR 

M.  I«  %aroii  BEMOIST-mÊCHin  ^ 


Je  viens,  à  mon  tour,  continuer  ie  récit  de  M.  de  Mailly- 
Chalon  et  je  vais  tâcher,  aussi  brièvement  que  possible,  de 
vous  mener  à  travers  leTurkestan,  vassal  de  la  Russie,  et 
chez  les  Turkmènes,  indépendants  encore  à  l'époque  de  notre 
passage,  incorporés  aujourd'hui  aux  immenses  territoires 
asiatiques  du  tzar,  depuis  la  soumission  spontanée  de  Merv. 

Le  8  janvier  1883,  nous  quittions  Samarkand  après  avoir 
formé  notre  caravane  et  repris  à  peu  de  chose  près  le  mode 
de  voyage  que  nous  avions  abandonné  un  an  auparavant, 
à  Wladiwostock.  La  dernière  partie  de  notre  expédition,  la 
plus  pénible,  commençait  :  nous  avions  devant  nous, 
jusqu'à  Téhéran,  3,000  kilomètres  de  route  à  travers  des 
pays  presqu'inconnus,  et  si  nous  savions  qu'à  moins  d'ac- 
cidents improbables  nous  devions  parvenir  à  Khiva,  nous 
ignorions  totalement  comment  nous  pourrions  traverser  le 
désert  des  Kara-Kums,  par  quelle  voie  nous  parviendrions 
à  Merv,  et  surtout  si  nous  pourrions  en  sortir  sains  et  saufs 
pour  gagner  le  territoire  persan. 

Nous  étions  décidés  coûte  que  coûte  à  aller  à  Merv.  Le 
reste  était  entre  les  mains  de  Dieu.  Il  n'y  a  pas  d'autre 
raison  au  succès  de  notre  entreprise. 

A  peine  sortis  des  jardins  de  Samarkand,  nous  nous 
retrouvons  dans  la  steppe,  non  pas  dans  le  désert  (il  ne 

l.  Communication  adressée  à  la  Société  dans  sa  séance  du  21  mars  1884. 
—  Voir  la  carte  jointe  à  ce  numéro. 


26         VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

faut  pas  confondre  les  deux  termes),  mais  dans  une  plaine 
dont  rherbe  courte  et  rare  pousse  sur  un  terrain  qui  ne 
demande  qu'à  être  cultivé  pour  donner  d'abondantes  mois- 
sons. 

A  notre  gauche,  se  profilent  les  montagnes  du  Zarafchan, 
dernière  ramification  de  TAlaï  et  de  Timmense  Tiân-Shân  ; 
à  notre  droite,  c'est  la  plaine  sans  limites  jusqu'à  Orenbourg, 
et,  plus  haut,  jusqu'en  Sibérie,  ce  sont  les  steppes  kirghizes, 
que  les  vents  balayent  sans  rencontrer  d'obstacles,  depuis 
les  bords  de  l'Océan  glacial  jusqu'aux  premiers  contreforls 
des  monts  du  Khorassan. 

En  deux  jours  nous  sommes  à  Djam,  sur  la  frontière  du 
Bokhara.  Nous  allons  quitter  le  territoire  delà  Russie  pro- 
prement dite  et  ce  n'est  pas  sans  un  sentiment,  je  dirai 
presque  de  regret,  que  nous  pensons  ne  plus  voir  le  surtout 
vert  de  l'officiel  russe,  auquel  nous  sommes  accoutumés 
depuis  si  longtemps,  et  qui  nous  semble  aujourd'hui  comme 
le  dernier  lien  qui  nous  rattache  à  la  civilisation. 

Dès  notre  arrivée  à  Djam,  deux  colonels  ou  soi-disant 
tels  (le  mot  toksaba  est  sujet  à  de  nombreuses  interpré- 
tations à  Bokhara)  se  présentaient  à  nous  et  enveloppaient 
dans  les  formules  les  plus  fleuries  de  la  rhétorique  asiatique 
les  compliments  que  nous  envoyait  le  bek  ou  gouverneur 
de  Tchiraktchi,  pour  nous  féliciter  de  notre  heureuse 
arrivée  dans  les  domaines  de  son  père.  Ces  messieurs 
devaient  nous  servir  d'escorte;  d'autres  fonctionnaires  d'un 
ordre  plus  élevé  étaient  ensuite  venus  nous  saluer,  à  diffé- 
rentes étapes  de  la  route,  aussi  faisions  nous  notre  entrée 
dans  le  pauvre  et  misérable  village  de  Tchiraktchi  avec  une 
suite  assez  imposante.  On  nous  loge  dans  une  horrible 
salle  en  pisé  qui  se  trouve  dans  la  citadelle,  et  presque 
aussitôt  on  vient  nous  prévenir  que  le  gouverneur  nous 
attend.  Sa  demeure  est  située  dans  la  même  enceinte,  à 
cent  pas  environ  de  la  nôtre.  Nous  nous  y  rendons,  pr.é- 
cédés  d'un  maître  des  cérémonies,  et  nous  entrons  dans  une 


VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN.         27 

pièce  à  peine  moins  sale  que  celle  qui  nous  a  été  désignée, 
mais  d'où  l'on  a  une  belle  vue  sur  les  montagnes.  Sur  quel-^ 
qiies  tréteaux  qui  figurent  une  table,  est  déposé  le  dostar-^ 
khân  :  c'est  une  collation  composée  de  friandises  de  toute 
espèce.  Au  bout  de  cette  table,  autour  de  laquelle  nous 
voyons  deux  tabourets,  l'un  pour  M.  de  Mailly,  l'autre  pour 
moi,  est  assis  le  bek,  jeune  homme  de  vingt  ans  environ,  à  la 
figure  insignifiante  et  présentant  tous  les  signes  d'un  abru- 
tissement précoce.  II  est  vêtu  d'une  robe  assez  belle  et  porte 
le  turban  de  mousseline  à  palmes  d'or, réservé  à  l'émir  et  à 
sa  famille.  Sa  conversation  est  absolument  nulle;  il  faut  lui 
arracher  positivement  les  quelques  paroles  de  félicitation 
qu'il  doit  nous  dire.  Dès  que  nous  sommes  de  retour  dans 
notre  habitation, -il  nous  envoie  les  cadeaux  officiels:  deux 
chevaux  caparaçonnés  et  des  robes  de  diverses  qualités. 
C'est  un  peu  une  nionnaie  courante  à  Bokhara,  car  lorsqu'on 
voyage,  comme  nous  le  faisions,  avec  des  lettres  du  gou- 
verneur général  du  Turkestan,  on  reçoit  en  cadeau  une 
quantité  considérable  de  ces  robes,  que  l'on  donne  soi-même 
en  grande  partie  aux  officiels  dont  on  a  reçu  des  services. 
Elles  sont  de  couleur  éclatante  suivant  la  mode  du  pays.  Ces 
cadeaux  étaient  obligatoires,  comme  du  reste  ceux  que 
nous  avions  envoyés  au  bek,  mais,  ainsi  qu'on  nous  l'avait 
dit,  <(nous  donnions  un  œuf  pour  recevoir  un  bœuf»,  puis- 
que la  montre  et  la  chaîne  que  nous  lui  avions  apportée  ne 
représentaient  par  le  quart  de  la  valeur  qu'on  nous  rendait. 
Dès  le  lendemain  nous  nous  rendions  au  fond  de  Thémi- 
cycle  de  montagnes  au  pied  duquel  s'élève  l'ancienne  ville 
de  Kesh,  où  naquit  Tamerlan  et  qui  depuis  s'est  appelée 
Shaar-y-Sabz,  la  Ville  verte,  à  cause  de  ses  nombreux  et 
beaux  jardins.  Pendant  longtemps,  le  grand  conquérant 
voulut  faire  sa  capitale  du  lieu  où  il  avait  vu  le  jour;  mais 
la  position  et  l'importance  de  Samarkand  finirent  par  rem- 
porter, et  c'est  pourquoi  l'on  ne  voit  plus  ailleurs  que  dans 
cette  dernière  ville  de  vestiges  imposants  de  sa  puissance. 


28  VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

Le  surlendemain  de  notre  arrivée,  l'émir  nous  envoya 
chercher,  et  nous  dûmes  nous  rendre  au  palais  en  grand 
équipage  pour  faire  notre  visite  officielle. 

Nous  partons  précédés  d'un  maître  des  cérémonies  à 
cheval,  portant  une  canne  d'or,  insigne  de  sa  dignité.  Nous 
sommes  entourés  de  fonctionnaires  richement  vêtus  de  ces 
robes  aux  couleurs  chatoyantes,  serrées  à  la  taille  par  de 
larges  ceintures  recouvertes  de  plaques  d'or  ou  d'argent 
suivant  le  grade  ou  l'emploi  qu'ils  occupent. 

Notre  cortège  traverse  ainsi  le  bazar,  et  nous  arrivons 
jusqu'à  la  première  porte  du  palais,  où  nous  mettons  pied 
à  terre  pour  traverser  ensuite  deux  ou  trois  cours  où  se 
tiennent  des  dignitaires  et  des  serviteurs  de  tout  rang  qui 
s'inclinent  sur  notre  passage.  Enfin  nous  arrivons  à  une 
porte  donnant  sur  une  grande  cour  carrée,  entourée  d'une 
manière  de  vérandah  sans  aucune  prétention  architecturale. 
A  notre  droite,  s'élève  une  immense  arche  de  pierrCi  recou* 
verle  encore  en  partie  de  tuiles  vernissées  dans  le  goût 
persan.  C'est  là,  dit-on,  que  Tamerlan  rendait  la  justice  et 
proclamait  ses  édits. 

On  est  frappé,  quand  on  arrive  dans  celte  cour,  du  profond 
silence  qui  y  règne:  on  dirait  presque  le  recueillement  d'un 
d'un  lieu  saint.  Personne  n'apparaît;  c'est  à  peine  si  l'on 
aperçoit  deux  ou  trois  robes  qui  se  dissimulent  derrière  les 
portes  entrebaillées  des  vérandahs.  Nous  sommes  précédés 
du  maître  des  cérémonies  qui  nous  accompagne  depuis 
notre  demeure,  et  qui  s'est  adjoint,  lorsque  nous  sommes 
entrés  dans  le  palais,  deux  autres  porteurs  de  cannes  d'un 
rang  évidemment  inférieur  au  sien. 

M.  deMaillyet  moi  suivons  gravement  ces  messieurs;  nos 
deux  interprètes  ferment  la  marche.  C'est  là  tout  le  cortège. 
On  nous  dirige  vers  une  porte  qui  fait  face  à  celle  par 
laquelle  nous  sommes  entrés,  et  qui  ne  se  distingue  des 
autres  par  aucun  signe  ni  ornement  particulier. 
.  A  peine  y  sommes  nous  arrivés,  que  le  maître  des  céré* 


VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN.  29' 

monies  et  notre  interprète  musulman  se  précipitent  la  face 
contre  terre.  Nous  sommes  en  présence  de  Témir  deBokhara. 
La  salle  est  vaste,  toute  entourée  de  paravents  de  glaces  à 
hauteur  d'homme.  Pas  d'autre  meuble  que  le  trône  sur  le* 
quel  est  assis  Sa  Hautesse,  et  deux  fauteuils  qui  nous 
sont  destinés;  encore  est-ce  là  une  grande  politesse  qui  nous 
est  faite,  car  nous  devrions  rester  debout.  Mozaffar-eddin 
est  seul:  point  de  cour,  point  de  serviteurs  autour  de  lui; 
d'un  geste  plein  de  noblesse,  il  nous  fait  signe  d'avancer  et 
de  nous  asseoir.  La  conversation  qui  languit  beaucoup  au 
début,  nous  permet  de  le  considérer  à  notre  aise.  C'est  un 
homme  d'environ  cinquante-cinq  ans,  aux  cheveux  teints,  à 
la  figure  fardée,  aux  traits  fatigués,  qui  le  font  paraître  plus 
âgé  qu'il  ne  Test.  Un  branlement  sénile  de  la  tête  contribue 
surtout  à  lui  donner  l'air  d'un  vieillard;  néanmoins  son 
geste,  sa  tenue,  sa  figure  même,  malgré  le  fard,  ne  démen- 
tent pas  son  origine,  et  il  ne  donne  pas  l'idée  de  déchéance 
morale  qu'on  éprouve  à  la  vue  de  son  fils,  le  bek  de 
Tchiraktchi.  Devant  lui,  on  se  sent  en  face  d'un  prince  que 
les  malheurs  ont  abattu,  non  abaissé,  et  l'on  comprend 
que,  si  les  jours  de  gloire  et  de  puissance  sont  passés, 
on  n'est  pas,  devant  l'émir,  en  présence  d'une  royauté 
burlesque  comme  celle  d'un  roi  nègre  vôtu  d'un  habit  de 
général,  mais  bien  devant  le  représentant  d'une  grande  race, 
devant  le  descendant  direct  de  Timour  et  d'Abdullah- 
Khan. 

Après  une  conversation  assez  insignifiante,  l'émir  nous 
fit  signe  que  nous  pouvions  nous  retirer.  Ceux  qui  nous  ac- 
compagnaient traversèrent  l'immense  cour  à  reculons,  et 
delà  nous  menèrent  recevoir  le  Dastar  Khan  et  les  cadeaux 
chez  le  gouverneur  de  Shahr-i'-Sabz,  qui  porte  le  titre  do 
Parmanachi. 

Toute  cette  étiquette,  je  l'ai  su  depuis,  vient  du  vieux  rite 
persan  introduit  à  Bokhara  à  l'époque  de  Tamerlan  ;  les 
costumes  mômes  sont,  paraît-il,  à  peu  de  chose  près  ceux 


30         VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

que  Ton  portait  encore  à  la  cour  de  Shah-Abbas,  de  Nadir 
et  de  Feth-Ali-Shah. 

Après  notre  réception  chez  Témir  nous  avions  hâte  de 
quitter  Shaar-i-Sabz.La températureétait  devenue  excessive- 
ment basse  (jusqu'à  25  degrés  de  froid)  et  nous  n'avions 
plus  les  moyens  de  nous  garantir  que  l'on  trouve  nécessaire- 
ment en  Sibérie.  Les  environs  de  la  ville  étaient  couverts  de 
neige,  et  toute  cette  suite  dont  on  nous  honorait  commençait, 
en  embarrassant  nos  mouvements,  à  nous  gêner  et  à  nous 
ennuyer  prodigieusement.  Nous  étions  tout  comme  pri- 
sonniers, nous  ne  pouvions  faire  un  pas  en  deho,rs  de  notre 
habitation  sans  que  notre  garde  prit  les  armes  et  qu'on  allât 
demander  au  palais  la  permission  de  nous  laisser  sortir,  ce 
qui  devenait  fatigant.  Enfin,  le  31  janvier,  nous  nous  met- 
tions en  route  pour  Bokhara,  par  une  belle  gelée  et  un  temps 
superbe.  A  perte  de  vue,  c'est  la  neige;  nous  suivons,  pour 
quitter  Shaar-i-Sbaz,  le  même  chemin  que  nous  avions  déjà 
pris  pour  y  arriver  ;  il  faut  que  nous  sortions  de  cet  hémi- 
cycle de  montagnes  pour  prendre  définitivement  la  plaine 
jusqu'en  Perse,  et,  le  lendemain  de  notre  départ,  nous 
faisons  notre  première  halte  à  Karshi,  à  la  limite  des  terres 
cultivées  de  la  région.  Karshi  est  une  assez  grande  ville  et 
un  centre  commercial  important.  Les  caravanes  qui,  de 
Balkh  et  de  toute  la  région  des  hauts  plateaux,  se  rendent  à 
Bokhara,  passent  par  Karshi  ;  c'est  aussi  la  route  la  plus 
directe  des  Indes  à  Samarkand.  De  Karshi  à  Bokhara,  c'est 
le  désert;  sur  la  route,  on  trouve  le  village  de  Karsan  et 
quelques  forteresses  avec  de  bons  puits,  entre  autres  celles 
de  Kakyr  et  de  Karaoul,  vestiges  de  la  sollicitude  que  dé- 
ploya le  grand  émir  Abdallah-Khan  pour  doter  son  pays  de 
haltes  où  les  caravanes  fussent  sûres  de  trouver  un  abri, 
et  surtout  celte  denrée,  inappréciable  au  désert,  qu'on 
appelle  l'eau. 

Le  6  février,  nous  apercevions  dans  le  lointain  Bokhara- 
i-Shérif,  Bokhara  la  sainte,  dont  les  minarets  et  les  dômes. 


VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN.  31 

émergeant  de  la  ceinture  de  jardins  qui  l'entourent,  s'élan- 
cent de  toutes  part  dans  le  ciel.  Toutes  les  villes  d'Asie 
centrale  sont  ainsi  environnées  de  jardins,  et,  l'été,  elles 
sont  plongées  dans  des  niasses  de  verdure  qui  adoucit  l'éclat 
et  tempère  la  chaleur  impitoyable  d'un  soleil  qu'aucun 
nuage  ne  vient  jamais  obscurcir. 

Bokhara  est  une  oasis  fécondée  par  les  eaux  de  la  rivière 
Zarafchân,  qui,  par  suite  des  saignées  trop  considérables 
qui  lui  sont  faites,  n'a,  plus  la  force  de  rouler  ses  eaux 
jusqu'à  l'Amou  Daria  et  se  perd  dans  les  sables,  à  quelques 
kilomètres  au  sud  de  Kara-Koul.  Les  terres  de  l'oasis  sont 
admirablement  cultivées  et  très-fertiles,  grâce  aux  canaux 
d'irrigation  sans  lesquels  rien  ne  pousserait  dans  ces  pays, 
et  qui  dénotent  de  la  part  des  indigènes  un  talent  d'ingénieur 
extraordinaire.  Les  terres  cultivables  de  la  principauté  se 
divisent  en  deux  classes  :  les  terres  de  pluies  et  les  terres 
irrigués;  les  premières  sont  celles  qui  se  trouvent  sur  les 
déclivités  et  aux  pieds  des  montagnes,  et  dont  la  fécondation 
dépend  uniquement  de  la  quantité  d'eau  naturelle  qui  les 
arrose.  Ces  terres  sont  soumise  à  un  aléa  perpétuel,  et  la 
famine,  toujours  à  craindre  au  Bokhara,  est  causée  par  le 
manque  de  récoltes  sur  ces  terres  dontla  production  ne  peut 
être  suppléée  que  par  celle  des  cultures  soumises  à  l'irrigation . 
Dans  les  terres  irriguées,  la  récolte  est  naturellement  assurée 
tous  les  ans,  mais  elles  sont  loin  d'être  en  quantité  suffisante 
pour  subvenir,  à  elles  seules,  aux  besoins  de  la  population. 
.  Depuis  la  prise  de  possession  de  Samarkand  et  de  Katti- 
Kourgân,  les  Russes  tiennent  Bokhara  à  leur  merci,  mieux 
qu'avec  des  bataillons  et  de  l'artillerie.  Ils  tiennent  l'exis- 
tence même  des  habitants  entre  leurs  mains,  puisque  les 
digues  du  Zarafchân,  d'où  provient  l'eau  qui  donne  la  vie 
à  l'oasis  entière,  sont  sous  leur  contrôle  absolu.  La  ville  est 
entourée  d'un  mur  crénelé  qui  nous  a  eu  l'air  en  meilleur 
état  que  ne  le  sont  en  général  les  remparts  des  cités  asia- 
tiques où  tout  est  livré  à  l'incurie  ou  à  l'abandon.  L'im- 


32  VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

pression  que  nous  fit  Bokhara  ne  fut  pas  du  tout  la  même 
que  celle  que  nous  avions  éprouvée  en  visitant  les  autres 
villes  d'Asie  centrale.  Quoique  bâties  en  général  sur  le  môme 
principe,  chacune  de  ces  villes  garde  son  cachet  particulier 
mais  aucune,  jusqu'à  présent,  ne  nous  avait  semblé  ville 
sainte,  comme  l'est  et  surtout  comme  le  paraît  Bokhara. 
C'est  incontestablement  la  ville  la  plus  musulmane  que  nous 
ayons  visitée.  Tout  y  est  fermé,  caché,  cadenassé;  on 
n'y  voit  que  des  rues  étroites,  de  hautes  murailles  sans  fe- 
nêtres^ des  portes  basses  donnant  accès  aux  plus  infimes 
comme  aux  plus  riches  demeures.  Chacun  se  renferme  soi- 
gneusement chez  soi,  évitant  par  là  d'attirer  sur  sa  personne 
et  sur  ses  biens  le  regard  du  maître,  comme  aussi  pour  se 
livrer  plus  secrètement  aux  vices  épouvantables  qui  sont  la 
plaie  de  ces  contrées. 

L'eau  que  l'on  boit  à  Bokhara  n'est  pas  saine  ;  en  hiver  il 
n'est,  paraît-il,  pas  dangereux  d'en  faire  usage,  mais  en  été 
on  doit  redouter  le  reshta  ;  c'est  une  espèce  de  ver  en  forme 
de  fil,  qui  fait  son  apparition  sous  la  peau,  généralement 
aux  jambes,  un  an  après  qu'on  a  bu  l'eau  qui  le  contenait 
La  guérison  en  est  longue  et  difficile.  On  essaye,  avec  de 
grandes  précautions,  d'enrouler  le  ver  sur  une  aiguille.  Si 
l'on  y  parvient,  et  si  la  tête  du  ver  est  ainsi  extraite,  on  est 
sauvé;  mais,  dans  le  cas  contraire,  s'il  se  casse  pendant 
l'opération,  il  se  divise  en  plusieurs  tronçons  qui  produisent 
des  ulcères  par  tout  le  corps. 

La  ville  de  Bokhara  est  le  grand  centre  commercial  de 
ces  régions.  On  peut  s'en  faire  une  idée  par  l'importance  du 
bazar,  cinq  fois  plus  grand  que  celui  de  Tashkent,  qui 
vient  immédiatement  après  lui.  C'est  le  centre  du  marché  de 
thé  vert  des  Indes  que  boit  toute  la  population  de  l'Asie 
centrale;  on  y  trouve  aussi,  en  très  grande  quantité, 
toutes  les  productions  et  importations  du  pays,  telles  que 
la  mousseline  pour  les  turbans,  Yadrass,  la  soie,  les  peaux, 
les  cotonnades  anglaises  et  russes,  le  sucre,  etc.  Les  tran- 


VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN.  33 

sactions  annuelles  du  marché  de  Bokhara  ne  s'élèvent  pas, 
dit-OD,  à  moins  de  130  millions  de  francs. 

Le  gouverneur  de  la  ville  est  un  vieux  Persan  rusé,  qui 
porte  le  titre  de  Koush-Begi  ;  ainsi  que  beaucoup  de  hauts 
fonctionnaires,  il  est  arrivé  à  Bokhara  comme  esclave,  et 
s'est  peu  à  peu  élevé  par  son  adresse  et  sa  duplicité  jusqu'à 
la  première  dignité  de  TEtat.  L'esclavage,  du  reste,  n'existe 
pour  ainsi  dire  plus,  depuis  l'arrivée  des  Russes.  Les  Turk- 
mènes amenaient  bien  encore,  par  la  voie  de  Tchardjoui, 
des  femmes  et  déjeunes  garçons  volés  en  Perse,  qu'ils  ven- 
daient en  secret  aux  riches  bokhariotes,  mais  il  est  juste  de 
dire'que  ce  trafic,  à  cause  des  difficultés  qu'il  présentait, 
ne  se  faisait  plus  que  sur  une  bien  petite  échelle  ;  à  Merv, 
on  nous  assura  que  depuis  une  année  il  était  devenu  tout  à 
fait  impossible  à  continuer.  Les  juifs  sont  tenus,  à  Bokhara, 
dans  une  situation  inférieure  et  très  humiliante;  ils 
ne  doivent  porter  que  des  vêtements  sordides,  se  ceignent 
les  reins  avec  une  corde  au  lieu  de  ceinture,  et  portent  sur 
la  tête  une  sorte  de  bonnet  noir,  en  papier,  qui  ressemble  à 
un  bonnet  carré.  Ils  ne  peuvent  monter  à  cheval,  il  faut 
qu'ils  aillent  à  âne  ou  à  pied;  quand  un  musulman  trouve 
an  juif  sur  sa  route,  il  l'écarté  avec  des  paroles  de  mépris, 
si  même  il  ne  le  frappe  pas  de  son  fouet.  Les  profits  qu'ils 
font  à  Bokhara  sont  suffisants,  cependant,  pour  les  faire 
passer  par-dessus  toutes  ces  humiliations;  ils  connaissent  la 
façon  toute  différente  dont  sont  traités  leurs  coreligionnaires 
dans  les  villes  voisines  occupées  parles  Rusjses,  etcependant 
on  nous  a  signalé  un  juif  archi-millionnaire  qui,  pouvant  em- 
porter ses  biens,  préférait  rester  à  Bokhara,  dans  les  condi- 
tions que  je  viens  de  décrire,  plutôt  que  de  renoncer  aux 
profits  qu'il  y  faisait. 

La  capitale  de  l'émir  est  aussi  un  grand  centre  d'ins- 
struction;  on  y  élève  dans  les  medresséSj  les  moullahsle 
plus  célèbres  de  la  contrée.  Cet  élément  entretient  évidem- 
ment le  fanatisme  religieux,  mais  dans  les  proportions  infi- 

soc.  DE  6É06A.  —  !«'  TRIMESTRE  18S5.  VI.  —  3 


34         VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

niment  moindres  que  pour  les  étudiants  d'El  Hazarau 
Caire,  ouïes  ulémas  de  Gonstantinople.  La  personne  môme 
de  l'Émir,  qui  est  considérée  comme  sainte,  les  tombeaux 
de  Boghan-eddin  près  de  la  ville,  la  quantité  de  mosquées  et 
de  medressés  qu'on  y  trouve,  contribuent  à  faire  de  Bokbara 
un  lieu  de  pèlerinage  moins  révéré  que  la  Mecque,  mais 
très  baut  placé  néanmoins  dansTesprit  des  Sunnites. 

Le  17  févriernous  nous  mettions  en  route  pourTchardjoui. 
Quand  on  quitte  la  ville  par  le  côté  sud,  on  s'aperçoit  vite 
que  les  sables  gagnent  dans  cette  direction.  Des  vidages  en 
ruines,  à  moitié  recouverts  déjà,  attestent  que  les  babitants 
ont  dû  céder  la  place  et  se  retirer  devant  l'envabisseur. 

Le  froid  se  maintient  toujours  très  vif  (moins  13  degrés), 
et  Ton  nous  annonce  qu'il  nous  faudra  passer  l'Amou  Daria 
sur  la  glacCé  Après  avoir  quitté  Kara-Kul  nous  cheminons 
pendant  une  trentaine  de  kilomètres  dans  des  dunes  de  sable 
mouvant. 

C'est  la  seule  fois  durant  le  cours  de  notre  voyage  que  nous 
ayons  eu  l'impression  du  désert  présentant  l'aspect  si  sou- 
vent décrit  d'une  mer  houleuse  ;  du  sable,  rien  que  du  sable, 
nous  entoure  à  perte  de  vue  de  tous  les  côtés.  Rien  de 
plus  facile  que  de  perdre  sa  route,  au  milieu  de  ces  collines 
mouvantes  dont  le  moindre  souffle  d'air  suffit  à  changer 
l'aspect,  et  le  cœur  se  serre  involontairement  à  l'idée  qu'un 
grand  vent  s'élevant  tout  à  coup  pourrait  vous  engloutir 
sans  espoir  sous  ces  dunes,  où  blanchissent  sans  doute  les 
os  de  bien  des  caravanes  qui  n'ont  pas  eu  la  même  chance 
que  nous. 

Le  soir  même  nous  étions  au  bord  de  l'Amou  Daria,  nous 
saluions  l'Oxus  d'Alexandre,  que  la  glace  encore  assez  solide 
nous  permettait  de  franchir  à  pied  sec;  mais  il  était  temps 
car  elle  se  rompait,  heureusement  sans  accident  grave,  sous 
un  de  nos  chevaux  ;  le  lendemain  le  passage  eût  été  imprati- 
cable et  nous  aurions  été  obligés  d'attendre  plusieurs  jours 
que  la  débâcle  nous  permit  de  faire  notre  entrée  à  Tcbard  joui. 


VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN.         3& 

Cette  ville,  située  à  6  kilomètres  sur  la  rite  gauche  du 
fleuve,  est  le  poste  avancé  de  Témir  sur  ia  route  de  Merv.  Une 
citadelle  pourvue  d'artillerie  et  d'une  nombreuse  garoison  la 
défend,  et  néanmoins  elle  succomberait  infailliblement 
devant  l'attaque  d'une  poignée  de  Turkmènes,  tant  est 
grande  la  terreur  que  ces  pillards  de  la  steppe  inspirent  aux 
habitants  des  villes. 

Après  la  réception  d'usage  chez  le  gouverneur  qui  était 
encore  un  des  fils  de  l'émir,  mais  qui  cette  fois  ressemblait 
tout  à  fait  à  un  prince  des  <  Mille  et  une  nuits  >,  nous  nous^ 
remîmes  en  route,  mais  en  modifiant  du  tout  au  tout  notre 
caravane.  Notre  plan  primitif  était  de  descendre  TAmou 
Daria  en  bateau  jusqu'au  fort  Petro-Alexandrovsk,  mais  les 
glaces  nous  opposant  un  obstacle  insurmontable,  et  surtout 
la  navigation  n'étant  pas  encore  commencée,  il  nous  fallut 
nous  procurer  à  la  hâte  ce  qui  nous  était  indispensable  pour 
faire  la  route  à  cheval  le  long  du  fleuve.  Après  avoir  suivi  la 
rive  gauche,  nous  traversions  de  nouveau  TAmou  Daria  à 
lljïk,  pour  suivre  l'autre  rive  jusqu'au  poste  russe  dont  je 
viens  de  parler.  Cette  marche  de  dix  jours  se  passa  sans 
incidents.  Les  berges  du  fleuve,  par  suite  du  limon  charrié 
par  les  eaux,  se  couvrent  d'une  végétation  extrêmement 
touffue  et  sont  très  giboyeuses  ;  ces  terres,  constamment 
baignées  par  l'eau,  se  rattachent  ^au  pied  d'une  espèce  de 
falaise  ou  de  dune  qui  en  suit  tout  le  cours,  et  qui,  s'élevant 
également  sur  les  deux  rives,  marque  le  lit  véritable  du  fleuve 
et  sert  de  limite  au  désert.  Lorsqu'on  chemine,  comme  nous 
le  faisions,  le  plus  souvent  sur  le  bord  de  cette  dune,  on  a  à 
ses  pieds  les  terres  cultivables  ou  berges  basses,  au  delà 
le  large  courant  d'eau  du  Daria  et  dans  le  lointain  la  ligne 
parallèle  qui  borde  l'autre  rive  ;  mais  si  l'on  porte  les  yeux 
du  côté  opposé,  on  n'a  plus  que  le  sable  à  perte  de  vue,  avec 
sa  végétation  maigre  et  desséchée  de  tamarix  et  de  saksaouh 
nains. 

Tout  le  long  de  la  route,  sur  le  bord  de  la  falaise,  on  voit 


L 


36  VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

de  vieux  forts  en  ruine,  comme  des  sentinelles  demeurées  i 
leur  poste  et  qu*on  a  oublié  de  relever;  nous  passons 
Kabakliy  puis  Utch-Uchak,  la  frontière  bokharo-russe,  nous 
traversons  l'horrible  désert  de  rAdam-Krylgân  ou  a  mort 
de  l'homme  »,  dans  lequel  le  général  Kauffman  et  son  armée 
furent  sur  le  point  de  périr  lors  de  la  marche  surKhiva. 

Le  12  mars  nous  arrivions  enfin  au  fort  russe  de  Petro« 
Aiexandrovosk,  où  nous  devions  faire  nos  derniers  préparatifs 
pour  la  traversée  des  Kara-Kums,  qui  restait  toujours  des 
pins  problématiques  si  nous  persistions  dans  notre  résolu- 
tion d'aller  à  Merv. 

La  première  partie  de  notre  voyage  était  terminée,  nous 
avions  parcouru  environ  1100  kilomètres  depuis  Samarkand, 
et  nous  arrivions  à  Khiva  en  bonnes  dispositions  pour 
entamer  l'étape  la  plus  difficile  et  la  plus  dangereuse  de  la 
route. 

Petro  Alexandrovosk  n'est  pas  une  ville,  ce  n'est  qu'un 
poste  avancé  où  les  Russes  s'installèrent  après  la  prise  de 
Khiva  et  qui  leur  sert  de  base  d'opérations  pour  tenir  en 
respect  les  Khiviens  et  les  populations  nomades  environ- 
nantes. L'endroit  est  assez  mal  choisi  du  reste  et  il  a  tou- 
jours élé  question  de  la  changer,  mais  nous  ne  savons  pas 
que  ce  changement  se  soit  accompli. 

Tout  ce  que  nous  pouvons  dire  c'est  qu'à  l'époque  de 
de  notre  passage,  le  général  Tchernayeff  avait  décidé  en 
principe  de  transporter  le  poste  en  face  de  la  ville  dUrgench, 
où  il  eût  été  dans  une  bien  meilleure  et  surtout  dans  une 
bien  plus  saine  position. 

Dès  que  cela  nous  fut  possible,  nous  quittâmes  Petro- 
Alcxandrovosk  pour  nous  rendre  à  Khiva.  Après  avoir  traversé 
de  nouveau  l'Amou  Daria,  qui  peut  avoirà  Khanki  500  à 
600  mètres  de  large,  nous  nous  dirigeâmes  vers  la  capitale 
du  khan,  à  travers  un  pays  admirablement  cultivé,  suivant  le 
même  système  d'irrigation  qu'à  Bokhara  et  qui  ferti- 
lise si  admirablement  toutes  les  terres  de  ces  pays  ;  nous 


VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN.         37 

traversons  de  nombreux  villages  et  partout  nous  voyons 
des  fermes  entourées  de  hauts  murs  en  pisé  qui  leur  donnent 
Taspect  de  petits  forts  détachés.  Les  indigènes,  vêtus  de  robe 
rayées  de  couleur  sombre  et  la  tête  couverte  d'un  énorme 
bonnet  de  peau  de  mouton,  oot  un  caractère  tout  différent 
de  ce  que  nous  avons  vu  jusqu'ici. 

Les  physionomies  sont  plus  rudes,  les  caractères  de  la  race 
uzbègue  sont  plus  nettement  accusés,  et  le  fin  profil  du 
Tadjick  iranien  ne  se  retrouve  plus  guère  à  Khiva.  Les  murs 
de  la  capitale  nous  apparaissent  d'assez  loin  ;  elle  est  moins 
entourée  de  jardins  que  ne  le  sont  les  autres  villes  de  l'Asie 
centrale  etl'on  voit  mieux  reluire  au  soleil  les  tuiles  vernissées 
des  minarets  et  de  la  grosse  tour  inachevée  du  medressé  de 
Mat-Amin-Khân.  La  différence  entre  Khiva  et  Bokhara 
s'accuse  à  mesure  que  nous  avançons;  la  ville  semble  moins 
bien  entretenue  que  la  capitale  de  l'émir  ;  les  murs  sont  dé- 
molis en  beaucoup  d'endroits,  et  surtout  le  cachet  éminem- 
ment musulman  de  Bokhara  ne  se  rencontre  plus  ici.  Tout 
est  faste  et  étiquette  chez  l'émir,  chez  le  khan  tout  est 
bonhommie  et  simplicité.  Lorsque  nous  fûmeâ  introduits 
près  de  lui  il  était  assis  sur  des  coussins,  dans  une  salle  de 
la  citadelle,  et  c'est  le  divan  bégi  ou  premier  ministre  qui 
nous  mena  sans  façon  chez  son  maître.  L'émir,  teint,  fardé, 
recouvert  de  robes  d'or,  vivant  dans  un  palais  rempli  de 
courtisans,  obéissant  aux  lois  de  la  plus  stricte  étiquette, 
représente  bien  le  descendant  d'un  Louis  XIV  asiatique.  Le 
khan  grand,  fort,  l'air  bonhomme  et  pour  ainsi  dire  sans 
façon,  donne  l'idée  d'un  chef  guerrier  du  moyen  âge  dont  la 
civilisation  n'a  pas  encore  adouci  les  mœurs  ni  les  manières. 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  les  Khiviens  sont  constamment 
en  rapport  avec  les  Turkmènes,  qu'ils  portent  le  même 
costume,  qu'ils  vivent  un  peu  de  la  môme  façon  et  l'on  ne 
sera  pas  étonné  qu'ils  aient  conservé  quelque  chose  de  leur 
ancienne  condition  d'hommes  du  désert.  La  yourte  ou  tente 
de  feutre  que  l'on  trouve  à  poste  fixe  dans  la  cour  de  chaque 


38  VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

grande  habitation  khivienne  n'est-elie  pas  un  signe  frappant 
de  rinstînct  nomade  de  la  race  et  ne  semble-t-elle  pas  être 
là  comme  pour  rappeler  à  l'Uzbeg  qu'il  doit  toujours  être 
prêt  à  partir? 

Mais  à  ces  signes  extérieurs  s'arrêtent  leurs  rapports  avec 
les  hommes  de  la  steppe.  Les  Khiviens  n'ont  pas  conservé 
les  mâles  vertus  qui  font  défaut  aux  Bokhariotes  ;  sous  une 
apparence  moins  efféminée  leurs  vices  sont  les  mêmes,  et 
leuf  crainte  du  guerrier  turkmène  égale  si  elle' ne  la  dépasse 
<;elle  qui  existe  chez  les  sujets  de  l'émir. 

Ehiva  n'est  pas  un  centre  commercial  comparable  à 
Bokhara,  mais  sa  position  géographique  lui  donne  une 
grande  importance  comme  entrepôt  entre  la  Aussie  et  les 
autres  villes  de  l'Asie  centrale  ;  de  plus  la  richesse  naturelle 
de  Toasis  est  grande  et  mérite  qu'on  s'en  occupe  et  qu'on 
essaiye  de  la  développer. 

Le  général  Tchernayeff,  dont  nous  avons  été  à  môme  d'étu- 
dier et  d'apprécier  les  plans  au  point  de  vue  de  l'adminis- 
tration du  Turkestan,  avait  selon  nous  trouvé  la  véritable 
voie  commerciale  pour  l'échange  des  produits  centraux  asia- 
tiques avec  la  Russie  et  les  autres  pays  de  l'Europe.  Il  vou« 
lait  établir  sur  l'Amou  Daria  une  flottille  à  vapeur  qui 
entretiendrait  entre  Bokhara  et  KhiVa,  du,  pour  mieux  dire, 
entre  Tchardjoui  et  Koungrad,  une  communication  directe 
et  rapide.  Puis  il  reliait  Koungrad  à  Mertvii  Kultuk  sur  la  Cas- 

'  n  ne^  par  une  ligne  de  chemin  de  fer  longue  de  400  kik)* 
mètres,  construite  sur  un  terrait  parfaitement  uni,  enfin,  par 
les  bateaux  à  vapeur  de  la  Caspienne  et  du  Volga,  les  mar- 
chandises embarquées  à  Mertvii  Kultuk  arrivaient  aux  portes 
de  Moscou.  G^était  le  centre  delà  Russie^  réuni  au  centre  de 
l'Asie,  par  une  communication  presque  entièrement  fluviale, 
la' plus  simple  et  la  moins  coûteuse  de  toutes.  La  suite  natu- 
relle de  ce  projet  était  un  chemin  de  fer  partant  de  l'Amou 
Daria,'passan(  par  Bokhara,Samarkand,  Khodjent  etjashkent, 
avec  une  branche  se  dirigeant  sur  Khokand;  plus  tard  on  eût 


VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN.         39 

pu  continuer  le  chemin  de  Tachkent  soit  sur  Orenbourg, 
comme  leveut  le  projet  de  M.  de  Lesseps,  soit  sur  Tlrtysh  et 
le  chemin  de  fer  trans-sibérien,  dont  la  construction  s'im- 
pose tous  les  jours  davantage,  donnant  ainsi  aux  habitants 
du  gouvernement  des  steppes  un  débouché  pour  leurs  pro- 
duits; malheureusement  ce  projet  du  général  Tchernayeff  a 
rencontré  à  Saint-Pétersbourg  une  vive  opposition  ;  les  par-, 
tisans  du  Caucase  et  par  conséquent  d'un  gouvernement  trans- 
caspien  dépendant  de  Tiflis,  veulent  faire  triompher  le  chemin 
de  fer  de  rAkhal-TeJ^ké,  qui  doit  se  continuer  par  Askabat 
jusqu'à  Merv,  et  plus  loin  jusqu'à  Hérat,  suivantles  plans  de 
l'ingénieur,  M.  Lessar,  qui .  a  étudié  les  tracés  sur  place.  La 
grande  objection  que  font  les  adversaires  du  projet  Tcher- 
DayefPest  que  la  communication  fluviale  ne  sera  libre  que 
pendant  six  mois  de  Pannée  et  que  pendant  les  six  autres 
mois  on  ne  pourra  s'en  servir  à  causé  des  glaces. 

Ce  raisonnement  nous  a  toujours^  paru  spécieux,  d'abord 
parce  que  les  Russes  sont  partout  habitués  à  compter 
avec  la  glace,  que  leurs  précautions  sont  toujours  prises 
en  conséquence^  et  que,  dans  ce  cas  particulier,  il  n'est  pas 
difficile  d'approvisionner  les  entrepôts  pendant  la  bonne 
saison  pour  les  six  mois  de  saison  morte.  Le  ckemin  de  fer  de 
l'Âkhal  Tekké  n'a  d'autre  utilité  que  celle  d'être  une  ligne 
stratégique  de  grande  importance,  mais  rien  de  plus.  En 

r 

raison  de  la  cherté  des  transports,  causée  parle  loilg  détour 
que  ces  marchandises  seraient  obligées  de  faire,  elle  ne  peut 
être  la  ligne  commerciale  des  grandes  villes  du  Turkestan, 
elle  ne  peut  songer  non  plus  à  être  un  jour  celle  des  Indes, 
carie  chemin  de  fer  de  la  vallée  du  Sindh,  qui  s'étendra 
bientôt  jusqu'à  Sibi,  passera  évidemment  plus  tard  par 
Kandahar,  Hérat,  Mesched  et  Téhéran  pour  aboutir  à  Cons- 
tantinople,  de  façon  a  englober  le  commerce  de  la  Perse  et 
de  l'Asie  Mineure,  et  les  marchandises  indiennes  ne  pren- 
drons jamais  la  voie  russe  tant  que  les  Anglais  seront  les 
maîtres  de  la  presqu'île  de  l'Hindoustan. 


40  VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

Avant  de  continuer  le  récit  de  notre  voyage,  ii  me  faut 
dire  un  mot  du  gouvernement  russe  dans  ses  rapports  avec 
les  indigènes  et  des  résultats  qu'il  a  obtenus  jusqu'à  ce  jour. 
Avant  1864,  époque  à  laquelle  le  général  Tchernayeff  ouvrit 
par  la  prise  de  Tashkent  l'ère  des  grandes  conquêtes  asia- 
tiques, que  vient  de  couronner  l'annexion  de  Merv,  les 
Russes  s'étaient  avancés  à  la  romaine,  c'est-à-dire  poussant 
toujours  devant  eux  leurs  Cosaques,  le  plus  merveilleu]^, 
instrument  de  colonisation  qu'un  peuple  ait  jamais  possédé. 
Les  territoires  qu^ils  avaient  à  coloniser  se  prêtaient  du  reste 
admirablement  à  cette  manière  de  faire,  puisque  les  Cosaques 
établissaient  presque  partout  leurs  stanitzas  sur  des  ter- 
rains qui  n'appartenaient  à  personne.  La  Sibérie  était  peu 
peuplée,  et  de  l'Oural  à  la  frontière  chinoise,  comme  de 
rirtysh  au  Sir  Daria,  les  colons  russes  rencontraient  la 
population  nomade  des'Kirghizes,  qui  ne  possède  que  ses 
tentes,  ses  troupeaux  et  ne  cultive  presque  jamais  la  terre. 
En  s*emparant  de  Taskhend  onse  beurtaitàunnouvel  ordre 
de  choses  :  on  se  trouvait  en  face  d'une  propriété  réelle,  par- 
faitement délimitée  et  régie  par  des  lois  et  des  usages  anciens; 
le  général  Kauffmann  le  comprit,  il  interdit  l'entrée  des 
Cosaques  au  Turkestan,  sous  prétexte  que  le  pays  n'était  pas 
encore  suffisamment  pacifié  pour  y  introduire  l'élément  russe. 
Du  reste  Tétat  des  terres  ne  comportait  pas  un  surcroitde  po- 
pulation, et  le  général  résolut  de  gouverner  le  pays  par  la 
seule  autorité  des  fonctionnaires.  Il  faut  convenir  que  cet  es- 
sai du  gouvernement  n'a  pas  absolument  réussi.  Sans  en- 
trer dans  des  détails,  on  sait  que  les  exactions  de  certains 
fonctionnaires  russes  et  leur  façon  un  peu  cavalière  de 
traiter  les  habitants,  ont  amené,  spécialement  dans  le 
Ferghana,  une  désaffection  assez  visible  à  l'égard  des  nou- 
veaux maîtres  du  pays  qui  avaient  été  acceptés  avec  enthou- 
siasme. Le  manque  de  connaissance  des  lois  qui  régissent 
les  Sartes  et  surtout  les  impôts  progressifs  dont  on  a  été 
obligé  de  frapper  de  nouveau  les  populations  après  les  en 


VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN.  41 

avoir  délivrées,  a  surtout  produit  une  très  mauvaise 
impression. 

Néanmoins  les  Russes  ont  eu  cette  heureuse  chance 
de  prendre  possession  de  pays  dont  les  maîtres  étaient 
tellement  détestés  que  tout  paraissait  préférable  au  joug 
que  Ton  subissait,  et  dont  on  désirait  avant  tout  s'affranchir. 
D'un  autre  cô lé,  il  faut  considérer  que,  pour  les  indigènes  de 
l'Asie  centrale,  les  Russes  ne  sont  pas  des  étrangers  comme 
l'Anglais  est  un  étranger  pour  l'Indien.  Le  soldat  russe  vit 
sur  le  pied  d'égalité  avec  le  Sarte,  tandis  que  Ton  ne  pourra 
jamais  empêcher  le  soldat  britannique  de  se  croire  le  supé- 
rieur de  tous  les  peuples  de  la  presqu'île  del'Hindoustan. 

C'est  ce  qui  fait  que  la  domination  russe,  malgré  ses 
fautes  et  ses  abus,  est  acceptée  par  toute  la  population  d'Asie 
centrale  sans  trop  de  répugnance^  et  aujourd'hui  l'intro- 
duction des  stanitzas  de  Cosaques' au  Turkestan  complétera 
l'œuvre  commencée,  en  russifiant  les  peuplades  nouvelle- 
ment  soumises,  comme  elles  l'ont  fait  autrefois  pour  les 
Tartars  et  pour  la  plus  grande  partie  des  Kirghizes. 

C'est  là  qu'est  la  vraie  puissance  russe  ;  lorsqu'une  ou  deux 
générations  de  Cosaques  et  de  Sartes  auront  grandi  côte  à 
côte,  on  pourra  dire  alors  que  la  Russie  possède  TAsie 
centrale,  tandis  que  l'Angleterre  ne  pourra  jamais  faire  autre 
chose  que  gouverner  l'empire  des  Indes  comme  on  admi- 
nistre une  fortune,  aussi  bien  du  reste  qu'elle  peut  l'être. 
A  Bokhara,  les  Russes  ne  sont  pas  très  populaires  et  cela  se 
comprend  de  reste  car  les  Bokhariotes  n'ont  guère  eu  jus- 
qu'à présenta  faire  avec  leurs  suzerains  que  pour  en  recevoir 
des  coups,  suivis  de  contributions  de  guerre  à  payer.  A  Khi  va 
la  situation  n'est  pas  la  même,  car,  à  part  la  prise  d'assaut 
de  la  ville  et  la  perte  des  territoires  dont  les  Russes  se  sont 
emparés  sur  la  rive  droite  de  l'Amou  Daria,  les  Khiviens 
n'ont  guère  eu  à  se  plaindre,  et  ils  y  ont  gagné  d'être 
délivrés  des  Turkmènes  qui  étaient  un  sujet  de  terreur 
pour  les  habitants  et  qui  portaient  le  pillage  et  poussaient 


42  VOYAGE   A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

leurs  incursions  jusque  sous  les  murs  même  de  Khiva. 
Quant  à  la  Perse,  elle  est  trop  heureuse  d'être  délivrée 
définitivement  des  Turkmènes  qui  étaient  son  cauchemar 
et,  de  ce  côté,  il  faut  aussi  convenir  que  la  conquête  a 
été  un  bienfait  très  réel.  En  résumé,  malgré  les  erreurs  et 
les  abus  de  Tadministration ,  le  gouvernement  dont  les 
Eusses  ont  doté  leurs  nouveaux  sujets  est  encore  suffi- 
samment bon  pour  être  un  immense  progrès  sur  ce  qui 
existait  auparavant. 

Au  point  de  vue  religieux,  ils  ont  eu  la  très  grande  habi- 
leté de  respecter  les  croyances  de  populations  fanatiques 
qu'on  eût  fait  qu'exaspérer  en  essayant  de  les  convertir. 
Aujourd'hui  l'islamisme,  par  suite  de  cette  tolérance  absolue, 
a  perdu  beaucoup  de  sa  puissance  et  de  son  ascendant  sur 
les  masses,  il  n'est  déjà  plus  un  danger,  car  les  rancunes 
religieuses  n'ont  pas:  de  raisons  d'exister. 

En  réduisant  les  Turkmènes,  en  supprimant  l'esclavage 
et  en  mettant  un  terme  aux  vols  et  aux  brigandages  de  la 
steppe,  les  Russes  ont  accompli  une  œuvre  dont  on  doit  les 
féliciter,  et  pour  laquelle  ils  ne  méritent  pas  seulement  la 
reconnaissance  des  Khiviens  et  des  Persans,  mais  encore 
celle  de  tous  les  peuples  civilisés. 

Dès  notre  arrivée  à  Khiva  on  nous  avait  annoncé  la  venue 
prochaine  d'une  amibassade  des  Tékkés  de  Merv,  ayant  à  sa 
tête  Kara-Koul-Khan. 

Ce  dernier  qui  a^ait  entendu  parler  (les  nouvelles  se  pro- 
pagent vite  dans  la  steppe),  de  l'arrivée  prochaine  du  général 
Tchernàyeff  à  Khiva,  s'était  mis  en  route  pour  l'y  rencontrer, 
Il  voulait'  obtenir  dé  lui  l'envoi  d'un  délégué  khivien  pour 
gouverner  la  turbulente'population  des  Tekkès. 

C'était  pour  nouis  un  coup  de  fortune  inespéré,  nous 
retournâmes  à  Petro-AÎexandrovosk  pour  y  faire  une  der- 
nière tentative  auprès  du  général  qui  n'avait  jamais  voulu 
consentir  jusqu'alors  à  nous  laisser  aller  directement  à 
Merv,  parce  qu'il  n'en  voulait  pas  prendre  la  responsabilité. 


VOYAGE  A  TRAVEnS  LE  TURKESTAN.         43 

Toutetois  notre  insistance,  la  présence  des  Turkmènes, 
etsartout  la  confiance  qu'il  crut  pouvoir  placer  en  Kara- 
Koul-Khan,  qui  répondait  de  nous  conduire  sains  et  saufs 
jusqu'à  Mesched,  décidèrent  enfin  le  général  à  nous  accor- 
der la  permission  tant  désirée. 

Dès  le  lendemain  nous  repartions  pour  Khiva  et  mettions 
la  dernière  main  à  nos  préparatifs.  Il  s'agissait  de  se  réduire 
au  strict  nécessaire  car  nous  allions  voyager  à  travers  un  pays 
difficile,  peut  être  ennemi;  il  fallait,  avant  tout, ne  pas  s'en- 
combrer et  garder  le  plus  possible  la  liberté  de  nos  mouve- 
ments pour  ne  pas  gêner  nos  guides,  et  nous  tenir  toujours 
prêts  à  toutes  les  éventualités. 

Le  samedi  5  mai,  après  un  séjour  de  cinquante-deux  jours 
àKhiva^nous  nous  mettions  en  route  pour  la  steppe  et  nous 
suivions  Toasis  jusqu'à  Pitniak  où  nous  arrivions  le  7  mai  au 
soir,  après  nous  être  arrêtés  à  KhodjeiliketàHazar-Âsp,  où 
la  caravane  devait  faire  ses  dernières  provisions.  Le  8  nous 
quittions  Pitniak  et  nous  suivions  le  bord  de  l'Amou-Daria 
jusqu'à  un  endroit  qu'on  appelle  Kougar  ou  Kourgàntchin,  à 
une  cinquantaine  de  kilomètres  du  village  bokhariote  de 
Kabakli.  Nous  y  parvenions  le  vendredi  11  mai,  n'ayant  fait 
jusqu'alors  qu'une  promenade  fort  agréable,  sans  aucune 
fatigue  pour  nous  ni  pour  les  animaux» 

La  caravane,  très  considérable,  présentait  l'aspect  le  plus 
pittoresque  ;  en  effet,  nous  avions  avec  nous  85  chameaux  et 
140  ou  150  cavaliers.  D'abord  venait  Kara-Koul-Khan, 
servant  de  guide  avec  70  ou  80  Turkmènes,  y  compris  la 
bande  des  Sariks  que  commandait  Awas-Khan  ;  ensuite 
marchaient  Baba-Jân  Bek,  le  gouverneur  de  Merv  et  le  divan 
Mat-Yakoub  avec  une  escorte  de  50  Khivièns  ;  enfin  s'avan- 
çait notre  petite  troupe  pour  laquelle  toutce^monde  était 
plein  de  prévenance  et  d'attentions. 

Nous  eûmes  la  preuve,  pendant  cette  partie  de  la  route, 
que  le  cours  de  l'Amou-Daria  se  déplace  insensiblement. 
Le  courant  du  fleuve  apporte  continuellement  des  terres 


44         VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

d'alluvioD  sur  la  rive  droite.  Les  bandes  de  terre  cultivables 
dont  j'ai  parlé  plus  haut  étaient  infiniment  plus  considé- 
rables sur  le  côté  où  nous  nous  trouvions  que  sur  l'autre,  et 
nous  y  avons  même  remarqué  des  traces  de  cultures  entre- 
prises tout  récemment  par  les  Khiviens. 

A  partir  de  Kourgântchin  le  voyage  pénible  commençait, 
le  vrai  voyage  dans  la  steppe  sans  eau,  et  la  température  qui 
s'était  maintenue  assez  fraîche  tant  que  nous  étions  sur  le 
bord  du  fleuve,  devait  faire  place,  presqu'aussitôt  notre 
entrée  dans  les  sables,  à  la  chaleur  accablante  du  désert. 
Le  samedi  12  mai,  après  avoir  fait  notre  provision  d'eau, 
nous  quittions  TAmou-Daria  et  nous  nous  enfoncions  dans 
les  sables  en  suivant  une  direction  presque  constamment 
sud.  Quarante  deux  heures  après  nous  avions  fait  120  kilo- 
mètres et  nous  arrivions  à  un  puits  connu  des  Turkmènes 
sous  le  nom   de  Tchall-Ganak.   Pendant  toute  la  route, 
l'aspect  du  pays  n'avait  pas  changé;  nous  avions  marché  à 
travers  des  collines  ou  plutôt  de  grandes  ondulations   de 
sable,  recouvertes  de  saksaouls  et  de   ces  deux  ou  trois 
buissons  d'espèce  différente  qui  forment  toute  la  végétation 
de  cette  steppe,  avec  une  petite  herbe  rare  et  menue  qui 
pousse  au  printemps,  et  dont  les  chevaux  des  Turkmènes 
se  sont   nourris  presque  exclusivement  pendant  tout  le 
voyage. 

Le  puits  profond  de  quatre-vingt  pieds  environ  était  très 
peu  abondant  et  fournissait  une  eau  que  les  animaux  pou- 
vaient boire  mais  qui  avait  un  goût  saumâtre  très  prononcé. 
Enfin, tel  qu'il  était,  nous  devions  nousen  contenter;  toutefois, 
pour  que  toute  la  caravane  pût  se  désaltérer  et  refaire  sa 
provision  d'eau,  il  fallut  queKara-Koul-Khanle  fit  recreuser 
par  ses  hommes,  ce  qui  causa  une  assez  grande  perte  de 

temps. 

Le  mercredi  16,  à  cinq  heures  du  matin,  nous  nous  remet- 
tions en  route;  la  chaleur  était  devenue  insupportable  et  notre 
chef  avait  déclaré  qu'il  fallait  de  toute  nécessité  arriver  le 


VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN.  45 

plas  vite  possible  au  puits  de  Tchishma-toga!,  pour  rafraî- 
chir les  chevaux.  Ce  fut  la  partie  la  plus  dure  de  la  route  : 
dans  la  journée  nous  eûmes  à  traverser  deux  langues  de 
sables  mouvants  de  quatre  à  cinq  kilomètres  chacutie  où 
les  chevaux  entraient  jusqu'aux  jarrets';  le  jeudi  à  huit  heures 
du  matin  nous  étions  au  puits ,  ayant  fait  110  kilo- 
mètres en  vingt-sept  heures.  Toute  la  caravane  arrivait  à 
Teau  sans  avoir  trop  souffert,  mais  nous  doutons  fort  que  les 
animaux  eussent  pu  résister  cinq  ou  six  heures  de  plus  à  la 
soif  terrible  qui  les  étreignait. 

Le  puits  de  Tchishma-togaï  était  creusé,  non  plus  dans  le 
sable  mais  dans  le  genre  de  terrain  appelé  takir  et  presque 
à  Textrémité  du  cours  probable  de  la  rivière  Mourghab  dans 
les  années  de  grande  crue.  A  partir  de  ce  moment  nous 
ne  devions  plus  rentrer  dans  les  sables,  les  puits  devenaient 
de  plus  en  plus  nombreux,  et  jusqu'aux  premiers  obas  des 
Tekkès  (on  appelle  obas  une  réunion  de  tentes),  nous  ren- 
contrâmes plusieurs  fois  des  traces  d'anciennes  cultures 
abandonnées  par  suite  du  manque  d'eau.  La  végétation  était 
assez  toufTue,  saksaouls,  tamaritz,  grandes  herbes  ou  ro- 
seaux; nous  avions  définitivement  passé  le  désert.  Le  lundi 
31  mai,  après  dix-sept  jours  de  route  assez  pénibles,  nous 
faisions  notre  entrée  dans  Merv  ou  plutôt  dans  l'enclos  où 
se  trouvent  les  tentes  de  Kara-Koul-Khan,  dont  nous  devions 
rester  les  hôtes  jusqu'au  13  juin,  jour  de  notre  départ  pour 
Mesched. 

La  distance  de  Khiva  à  Merv  par  cette  route  est  d'environ 
600  kilomètres  ;  la  route  directe  à  travers  le  désert  n'en 
compte  pas  plus  de  450,  mais  elle  ne  peut  être  suivie  que 
par  des  courriers,  par  de  petits  partis  de  cavaliers  turkmènes 
ou  bien  encore  par  des  caravanes,  mais  avec  des  chameaux 
seulement. 

L'oasis  de  Merv  est  occupée  par  les  Turkmènes-Tekkés, 
les  Sariks  et  les  Salors.  Les  Tekkés  sont  de  beaucoup  les 
plus  puissants;  ils  se  divisent  en  Otamishes  et  en  Tokta- 


46  VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

mishes.  Les  Toktamishes  sont  ceux  qui  habitent  à  Test  ou 
sur  la  rive  droite  de  la  Mourghab  ;  ils  se  divisent  en  deux 
tribus  :  la  tribu  des  Begs,  dont  le  chef  était  notre  ami  Kara* 
Koul-Khan,etlatribu  des  Wakils,  gouvernée  parMagdoum- 
Kouli-Khan,  celui  qui  se  battit  si  bien,  en  Akbal,  contre  le 
général  SkobelelT.  Les  Otamishes^  qui  ont  leurs  tentes  sur 
la  rive  ouest  ou  gauche  du  fleuve,  se  diyisent  aussi  en  deux 
tribus,  celle  de  Sitchmass  et  celle  des  Bakchis. 

Les  Sariks  se  divisent  en  Sariks  de  Youlitân  et  Sàriks  ée 
Panj-dçh  ;  ces  derniers  se  déclarant  sujets  afghans  et  sont 
ennemis  de  ceux  de  Youlitân.  Quant  aux  Salors,  ils  sont 
disséminés  dans  les  différentes  tribus  des  Tekkés.  On  évalue 
le  nombre  de»  Tekkés  habitant  Toasis  de  Merv  à  40  000  tentes,. 
10000  dans  chaque  division,  ce  qui  donne,  à  raison  de  cinq 
habitants  par  tent&„  un  chiffre  de  200000  âmes,  qui  doit  être 
assez  près  de  la  vérité.  Les  Sariks  de  Youlitân  compteraient 
environ  4  000  tentes,  soit  20  000  habitants. 

Merv,  que  les  Turkmènes  n'appellent  jamais  autrement 
que  Mori,  à  proprement  parler  n'existe  pas.  Auprès  de  Tan- 
cienne  Merv,  qui  fut  détruite  en  1221  parTouloui-Khân,  flls 
de  Tchingiz,  s'éleva  une  ville  nouvelle  qui  fut  connue  sous 
le  nom  de  la  Merv  de  Baïram- Ali-Khan.  Cette  seconde  ville 
fut  détruite  en  1784  par  l'émir  de  Bokhara  Mir-Magsoum. 
Les  ruines  des  deux  Merv  sont  à  vingt  kilomètres  environ 
de  la  forteresse  que  bâtit  Kaushid-Khan  lorsqu'il  vint  s'ins- 
taller, à  la  tête  des  Tekkés,  sur  les  bords  de  la  Mourghab,  d'où 
il  repoussa  les  Sariks.  Ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  Merv  est 
donc  la  forteresse  connue  des  Turkmènes  sous  le  nom  de 
Kala-Kaushid-Khân. 

La  forteresse  ne  présente  pas  un  aspect  régulier,  elle 
affecte  la  forme  d'un  cône  tronqué  dont  la  base  manquerait, 
car  elle  n'est  terminée  que  sur  trois  côtés.  Encore  ces  trois 
côtés  soi-disant  terminés,  ne  le  sont-ils  même  pas  complè- 
tement, car  il  existe  dans  la  muraille  une  quantité  de  brèches 
qui  n'ont  pas  été  fermées  et  qui  ne  le  seront  sans  doute 


VOYAGE  À  TRAVERS  LE  TURKESTAN.  4T 

jamais,  au  moins  par  les  iDdigënes.  Ces  derniers  avaient 
entrepris  la  construction  de  cette  forteresse  à  l'annonce  de 
la  marche  des  Russes  sur  Khiva,  parce  qu'ils  craignaient 
qu^une  colonne  ne  se  détournât  de  sa  route  pour  s'emparer 
de  Merv,  chemin  faisant.  Chaque  division  des  Tekkés  fut 
mise  à  l'ouvrage  en  grande  hâte  et  éleva  la  partie  du  rempart 
qui  lui  était  désignée.  Les  Sariks,  qui  devaient  bâtir  le  qua- 
trième  côté,  celui  qui  donne  sur  le  AI ourghab,  i^e  se  rendirent 
pas  à  l'appel.  La  raison  des  brèches  qui  existent  dans  Ie$ 
murs  de  la  forteresse  est  que  les  dilTérentps  partie^  du 
travail  des  tribus  turkmènes  qui  avaient  coopéré  à  Toeiuvre 
commune  né  furent  jamais  reliées  entre  elles;  àcetteépo-- 
que,  en  effet,  lesTekkès  apprirent  que  les  Russes  rentraier^t 
tout  droit  à  Tashkeot  après  la  prise  de  Khiva,  et  qu'ils 
n'avaient  nulle  intention  de  venir  à  Mcrv.  Telle  qu'elle  est, 
la  forteresse  ou  plutôt  le  camp  retranché  de  Kaushid-Khan 
pourrait  offrir,  une  fois  remise  en  état,  de  très  sérieux  obs- 
tacles car  le  rempart,  défendu  par  un  large  fos^é  mesure  de 
cinquante  à  soixante  pieds  environ.  On  dit  qu'en  temps  de 
guerre  chaque  famille  turkmène  peut  trouver  refuge  dans 
la  forteresse;  nous  ne  saurions  l'affirmer,  mais  en  tout  cas 
l'enceinte  peut  mesurer  de  cinq  à  six  kilomètres  de  long,  sur 
deux  de  large,  à  Fendroit  de  la  brèche  qui  donne  accès  sur 
le  bazar. 

La  rivière  Mourghab,  large  d'environ  quatre-vingts  à  cent 
pas  auprès  de  la  forteresse,  n'est,  dit-on,  guéable  à  aucun 
moment  de  l'année;  il  y  avait  encore  récemment  trois  ponts, 
près  de  Merv  pour  la  passer,  mais  l'un  a. été  enlevé  par  les 
eaux,  un  autre  est  dans  le  plus  mauvais  état,  et  le  troisième 
auprès  du  bazar,  est  le  seul  dont  on  se  serve  aujourd'hui. 

Kara-Koul-Khan  était,  au  moment  de  notre  passage  à 
Merv,  le  chef  le  plus  puissant  et  le  plus  redouté  de  la  contrée. 
11  s'était  conquis  un  grand  renom  par  ses  pillages  et  ses  ex- 
péditions, avant  de  devenir  un  chef  politique.  Ses  raids 
étaient  célèbres  dans  toute  la  steppe,  et  Khiva  môme  l'avait 


48  VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

• 

VU  jusque  sous  ses  murs.  Malgré  la  popularité  dont  il  jouis- 
sait il  était  loin  d'obtenir  de  son  peuple  une  obéissance  ab- 
solue, et  lorsqu'il  voulut  installer  le  gouverneur  qu'il  était 
allé  cbercher  à  Khiva,  il  vit  bien  que  ce  nouvel  essai  de 
gouvernement  aurait  promptement  le  sort  des  autres;  dé- 
courage,  désespéré,  il  vint  nous  trouver  et  nous  dit  qu'il 
voyait  bien  que  les  baïonnettes  russes  auraient  seules  raison 
d'une  population  aussi  turbulente,  allant  jusqu'à  traiter  ses 
compatriotes  de  pillards  et  de  brigands.  Cette  conversation, 
d'autres  que  nous  eûmes  avec  lui  et  avec  différents  Turk- 
mènes témoignèrent  d'une  si  grande  lassitude  de  l'état  de 
choses  existant  et  d'un  tel  besoin  d'un  gouvernement  quel- 
conque que,  dès  notre  arrivée  à  Khiva,  au  mois  de  juillet, 
nous  n'hésitftmes  pas  à  écrire  au  général  Tchemayeff  qu'il 
nous  paraissait  que  l'oasis  de  Merv  ferait  sa  soumission  sans 
combat,  dans  un  délai  assez  rapproché.  L'événement  nous 
a  donné  raison  plus  tôt  même  que  nous  ne  le  supposions. 

On  affirmait  qu'il  y  avait  encore  l'année  dernière,  dans  le 
pays  mervien,  mille  esclaves  qu'on  enchaînait  tous  les  soirs, 
mais  je  dois  dire  que  nous  n'en  avons  jamais  vu  un  seul. 
Vingt  mille  esclaves  non  enchaînés  sont  définitivement  fixés 
dans  le  pays. 

Les  Juifs  sont  beaucoup  mieux  traités  qu'à  Bokhara;  ils 
se  mettent  sous  la  protection  d'un  chef,  comme  cela  est  de 
règle  en  Turkménie,  pour  quiconque  n'est  pas  Turkmène 
et  lui  payent  pour  cela  une  somme  d'argent  convenue  d'a- 
vance. Les  terres  de  l'oasis  sont  peu  et  mal  cultivées  si  on 
les  compare  surtout  aux  cultures  de  Bokhara  et  de  Khiva; 
elles |sont  d'une  fertilité  prodigieuse  et  arrosées  par  l'eau  de 
la  Mourghab,  suivant  les  mêmes  principes  d'irrigation  que 
j'ai  déjà  décrits.  Les  cruautés  auxquelles  les  Turkmènes  se 
livraient  sur  leurs  captifs  ont  été  évidemment  très  exagérées, 
mais  on  a  des  preuves  certaines  qu'ils  infligeaient  des  tor- 
tures à  ceux  de  leurs  prisonniers  qu'ils  voulaient  faire  ra- 
cheter  par  leurs  familles,  et  dont  la  rançon  n'arrivait  pas 


VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN.         49 

assez  vite  au  gré  de  leurs  désirs.  Les  autres,  ceux  qu'ils  des- 
tinaient à  la  vente,  étaient  au  contraire  bien  traités  pour 
rapporter  un  plus  grand  prix.  Les  Turkmènes  ont  été 
pendant  de  longues  années  la  plaie  de  la  Perse;  jusqu'à  la 
prise  de  Geok-tepé,  toutes  les  routes  de  Khorassan  étaient 
infestées  par  des  bandes  de  pillards  de  TAkhal  ou  de 
Merv.  Leurs  raids  se  sont  étendus  même  jusqu'à  Ispahan. 

La  présence  d'un  Turkmène  suffisait  à  mettre  en  fuite 
un  village  tout  entier  ;  d'après  les  meilleurs  renseignements, 
il  serait  permis  de  supposer  que,  dans  les  quarante  dernières 
années,  les  Turkmènes  aient  emmené  de  Perse  environ 
200  000  captifs. 

Comme  race  ils  présentent  une  très  grande  variété  de 
types;  on  y  voit  des  blonds  et  même  des  roux;  les  yeux  bleus 
ne  sont  pas  rares,  et  dans  beaucoup  de  familles,  générale- 
ment chez  les  femmes,  on  retrouve  le  type  turc  à  l'état  pur, 
c'est-à-dire  retournant  au  Mongol.  Leur  langage  est  le  vieux 
turc  ou  turc  jagataï,  absolument  incompréhensible  aux  ha- 
bitants de  Gonstantinople.  Ce  sont  en  général  des  hommes 
grands,  robustes,  d'un  type  fier  et  souvent  farouche.  Ils  sont 
braves  à  l'excès,  et  la  vie  de  pillage  et  d'expéditions  guer- 
rières est  la  seule  qui  leur  convienne.  Ils  sont  fidèles  à  leur 
parole,  leur  hôte  leur  est  sacré,  mais  dès  qu'il  quitte  leur 
foyer,  ils  le  tueront  s'ils  pensent  en  tirer  profit.  Extrê- 
mement paresseux  ils  passent  leur  vie  couchés  autour  de 
leurs  tentes  jusqu'à  ce  que  la  nouvelle .  d'une  expédition  à 
entreprendre  ou  d'une  caravane  à  piller  vienne  les  tirer  de 
leur  apathie  et  les  rejette  de  nouveau  dans  le  steppe.  Ils 
sont  aussi  bons  fantassins  que  cavaliers,  mais  préfèrent  le 
cheval  et  tâchent  de  s'en  procurer  un  par  le  vol  s'ils  ne 
peuvent  le  posséder  par  d'autres  moyens.  En  un  mot  les 
Turkmènes  ont  en  eux  un  mélange  de  bonnes  et  de  mau- 
vaises qualités,  qui,  suivant  qu'elles  seront  bien  ou  mal  diri- 
gées, pourront  faire  d'eux  une  population  capable  de  rendre 
de  grands  services,  comme  aussi  de  devenir  une  cause  de 

soc,  DE  GËOGR.  —  1»  TRIMESTRE  1885.  YI.  —  4 


50  VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

grandes  difficultés  au  développement  de  la  puissance  russe 
en  Asie. 

La  técenie  annexion  de  Merv  nous  oblige  à  parler  ici  de 
la  question  russo-anglaise  et  de  la  possibilité  d'une  invasion 
des  Indes  par  une  armée  russe  dans  un  temps  plus  ou 
éloigné.  En  1879,  lors  de  la  deuxième  campagne  de  l'Afgha- 
nistan, lorsque  les  Anglais  envahirent  de  nouveau  le  pays 
et  s'emparèrent  de  Kaboul  et  de  Kandahar,  lorsque  le  minis- 
tère Beaconsfield  tomba  au  moment  oh  la  marche  sur  Hérat 
était  décidée,  il  suffisait  aux  Anglais  de  s'établir  fortement 
dans  les  trois  points  de  Kaboul,  Hérat  et  Kandahar,  ce  qui 
leur  était  facile  alors,  pour  avoir  pris  une  avance  décisive 
sur  leurs  adversaires  et  voir  venir  de  là  les  événements.  Mais 
il  n'en  fut  pas  ainsi;  on  mit  en  avant  que  l'Afghanistan  était 
une  conquête  coûteuse  à  garder,  qu'il  faudrait  augmenter 
les  effectifs,  qu'en  fin  de  compte,  les  Russes  n'étaient  qu'à 
Khiva,  et  que  garder  l'Afghanistan  ne  revenait  pas  à  autre 
chose  qu'à  payer  très  cher  une  prime  d'assurance  pour  ga- 
rantir les  Indes,  qui  n'étaient  pas  encore  en  danger  et  qui  ne 
le  seraient  peut-être  jamais.  Bref,  les  Anglais  se  retirèrent 
derrière  les  monts  Suleïmani,  évacuèrent  même  Kandahar, 
renonçant  ainsi  aux  bénifices  d'une  longue  et  pénible  cam- 
pagne. Lorsque  le  général  SkobelefT  s'empara  de  l'Akhal,  il 
devint  évident  que  Merv  devait,  un  Jour  ou  l'autre,  être  en- 
globée dans  l'orbite  russe.  Ils  en  firent  tacitement  leur  deui}, 
mais  regrettèrent  peut-être  de  n'être  pas  encore  établis  à 
Hérat.  Merv  ne  resta  la  clef  des  Indes  que  pour  quelques 
politiques  arriérés,  et,  excepté  ceux  dont  le  rôle  est  de  crier 
quand  il  se  passe  un  fait  de  cette  nature,  tous  les  gens  in- 
formés acceptèrent  sans  murmures  la  soumission  prévue  et 
déjà  escomptée  des  gens  deMerv.  Les  Russes  se  trouvent  donc 
aujourd'hui  d'un  côté  de  l'Afghanistan  et  les  Anglais  de 
l'autre,  c'est-à-dire  dans  la  position  que  prévoyaient  depuis 
longtemps  ceux  qui  s'occupent  de  la  question  centrale  asia 
tique,  qui  deviendra  la  question  européenne  le  jour  où  l'em- 


VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN.  54 

pereur  de  Russie  croira  devoir  faire  la  guerre  à  rimpératrice 
des  Indes.  Que  la  guerre  éclate  au  sujet  de  l'Hindouslan,  ce 
qui  n'est  pas  probable,  ou  pour  toute  autre  cause,  le  champ 
de  bataille  des  armées  russes  et  anglaises  sera  évidemment 
dans  les  environs  de  Hérat  ou  de  Kandahar  ;  en  tout  cas,  le  sort 
de  ces  deux  grands  empires  se  décidera  fatalement  dans  ces 
régions,  car  ils  n'ont  pas  d'autre  point  de  contact.  Il  faut 
donc  examiner  la  situation  actuelle  des  deux  adversaires 
pour  tâcher  d'en  tirer  une  conclusion.  Au  point  de  vue  de 
l'effet  moral,  les  Russes  ont  tout  l'avantage,  car  les  Afghans 
qui,  depuis  plus  de  quarante  ans,  voient  les  Anglais  entrer 
chez  eux,   puis  en  sortir,  croient  évidemment  que  c'est 
parce  qu'ils  sont  trop  faibles  pour  y  rester.  D'un  autre  côté 
ils  voient  depuis  quelques  années  les  Russes,  qui  leur  étaient 
inconnus,  arriver  jusque   sur  leurs   frontières  en  prenant 
possession  de  territoires  occupés  par  des  population  dont 
ils  connaissent  et  respectent  la  bravoure.  Aujourd'hui  les 
Afghansqui,  comme  tousles  Asiatiques,seprostementdevant 
les  baïonnettes  les  plus  proches,  doivent  être   bien  tentés 
de  prendre  en  considération  ceux  qui  font  miroiter  à  leurs 
yeux  le  prestige  des  bataillons  russes.  D'un  antre  côté,  au 
point  de  vue  défensif,  les  Anglais  fortement  retranchés  der- 
rière leurs  montagnes  y  sont  presque  inexpugnables;  ils  sont 
encore  très  éloignés  des  Russes  et  ce  n'est  pas  eux  qui  di* 
minuerontla  distance.  En  fin  de  compte,  Merv  n'est  pas  une 
base  d'opération  bien  favorable  pour  entreprendre  une  pa- 
reille expédition.  Chacun  a  donc  une  théorie  très  soutenable, 
et  la  balance  pourrait  paraître  égale  entre  les  deux  nations 
s'il  n'y  avait  pas  la  question  de  TAfghanistan.  L'idée  d'en 
faire  une  zone  neutre,  très  bonne  en  théorie,  est  inapplicable 
dans  la  pratique  ;  les  zones  neutres  sont  partout  difficiles  à 
établir  et  spécialement  en  Asie  oti  celui  qui  n'est  pas  d'un 
parti  se  croit  obligé  d'être  de  l'autre,  et  surtout  de  celui  du 
plus  fort. 
La  question  revient  donc  à  peu  près  à  ceci  :  celle  des  deux 


52  VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN. 

puissances  du  côté  de  laquelle  se  rangera  rAfghanistan  aura 
dans  son  jeu  Tune  des  cartes,  sinon  la  carte  maîtresse  de  la 
partie. 

Les  généraux  russes  savent  très  bien  qu'ils  ne  peuvent 
aller  attaquer  l'Angleterre  s'ils  doivent  d'abord  se  beurler 
aux  Afghans.  Mais  si,  au  contraire,  cette  population  de 
montagnards  braves  et  avides  de  pillage  devient  l'avant-garde 
de  l'armée  russe,  et  se  précipite  bannières  déployées  sur  la 
vallée  du  Sindh,  semant  la  mort,  et  ce  qui  est  plus  grave, 
excitant  à  la  révolte,  l'Angleterre  regrettera  peut-être  de 
n'avoir  pas  fait  en  temps  opportun  le  sacrifice  des  quelques 
millions  de  livres  que  réclamait  l'installation  de  ses  troupes 

sur  un  territoire  déjà  conquis.  En  résumé,  par  la  retraite 
derrière  les  monts  Suléimani  et  en  laissant  les  Russes 
s'établir  en  Akhal  et  à  Merv,  les  Anglais  ont  perdu  du 
terrain  et  ont  subi  un  échec  moral  que  personne  ne  peut 
contester. 

Leur  position  n'est  plus  dans  l'Asie  centrale,  ce  qu'elle 
était  il  y  a  quelques  années  seulement;  et  il  faut  souhaiter  que 
cet  échec  moral  ne  devienne  pas  pour  eux  un  échec  matériel 
au  jour,  encore  éloigné  mais  fatal,  d'une  rupture  entre  la 
Russie  et  le  gouvernement  britannique. 

Le  43  juin  nous  quittions  la  maison  hospitalière  de 
Kara-Koul-Khan  pour  gagner Mesched. C'était  une  dernière 
étape  de  dix  à  douze  jours,  mais  la  chaleur  devenue  de  plus 
en  plus  forte  devait  la  rendre  particulièrement  pénible.  La 
première  journée  de  marche  d'une  caravane  est  toujours 
•courte,  il  faut  que  tout  le  monde  se  mette  en  train;  aussi 
ie  soir,  après  avoir  traversé  la  forteresse  et  la  rivière  sur  le 
pont  du  Bazar,  campions-nous  en  steppe  près  du  dernier 
canal  qui  fertilise  les  terres  de  ce  côté  de  la  Mourghab. 

Le  lendemain  nous  continuions  lentement  notre  route  à 
travers  le  désert,  marchant  souvent  la  nuit,  tâchant  de 
trouver,  pour  prendre  un  peu  de  repos,  des  endroits  où  l'on 
ne  pût  pas  trop  nous  attaquer  à  l'improviste.  Nous  nous 


VOYAGE  A  TRAVERS  LE  TURKESTAN.         53 

trouvions  jusqu'à  Sarakhs  dans  la  partie  la  plus  dangereuse 
de  la  route.  D'abord  nous  étions  infiniment  moins  nombreux 
qu'à  notre  arrivée  à  Merv,  de  plus  on  savait  dans  l'oasis 
entière  que  nous  avions  acheté  un  assez  grand  nombre  de 
chevaux,  et  il  devait  être  bien  tentant  pour  un  parti  de 
pillards  tekkès  de  venir  nous  les  reprendre  à  coups  de  sabre, 
après  avoir  empoché  notre  argent.  Enfin  nous  approchions 
de  la  rivière  Tedjend,  dont  la  réputation  est  détestable  au 
point  de  vue  des  brigandages  qui  s'y  commettent.  Le  17  juin 
nous  campions  sur  le  bord  même  de  la  rivière,  à  quel- 
ques kilomètres  de  l'endroit  où  les  Turkmènes  avaient 
assassiné,  peu  de  temps  auparavant,  un  ingénieur  et  quatre 
ou  cinq  Cosaques. 

Il  se  trouva  que  nous  passâmes  au  milieu  de  tous  ces 
dangers,  dont  nos  guides  nous  entretenaient  à  toute  heure, 
sans  en  courir  un  seul,  mais  néanmoins  nous  éprouvâmes 
comme  un  sentiment  de  délivrance  iorsquenous  aperçûmes 
à  l'horizon  la  forteresse  persane  de  Sarakhs.  Entre  Merv  et 
la  rivière  Tedjend,  nous  n'avions  trouvé  qu'un  puits,  qui 
porte  le  nom  de  Sheid-li,  et  dont  l'eau  saumâtre  n'est  bonne 
que  pour  les  animaux. 

Un  peu  plus  loin  nous  avions  passé  à  côté  d'une  quantité 
énorme  de  puits,  comblés  aujourd'hui,  et  creusés  par  les 
soldats  de  Nassr-ed-din  Shah  lorsqu'il  envoya  une  armée 
pour  soumettre  les  Tekkès.  C'est  là  que  ses  troupes  furent 
défaites  et  qu'on  lui  prit  les  canons  que  Ton  voit  aujourd'hui 
à  Merv.  Les  Persans  se  retirèrent  laissant,  dit-on,  derrière 
eux  28  000  tués,  blessés  ou  prisonniers. 

Sa  forteresse  de  Sarakhs,  dans  laquelle  nous  entrons 
tambours  battant  et  enseignes  déployées,  par  suite  d'une 
gracieuse  attention  du  gouverneur,  n'est  entourée  que  d'une 
muraille  en  pisé,  comme  on  en  voit  partout  en  Asie  centrale. 

Elle  est  située  en  plaine,  à  une  assez  grande  distance  des 
montagnes  et  n'a  aucune  espèce  de  raison  d'être  pour  les 
Persans,  car  elle  ne  sert  à  abriter  aucun  sujet  du  shah  et 


54  VOYAGE  A  TRAVERS   LE  TURKESTAN. 

la  population  qui  l'environiiB  est  absolument  turkmène. 

Les  600  soldats  qui  y  sont  enfermés  passent  leur  temps  à 
dormir  et  à  boire  de  Teau-de-vie,  quand  ils  en  ont,  en  atten- 
dant qu'ils  se  fassent  enlever  par  un  parti  de  Tekkës  ou  de 
Sariks,  sans  aucun  profit  pour  la  Perse. 

Pour  nous  rendre  de  Sarakhs  à  Mescbed,  nous  devions 
franchir  la  première  chaîne  des  monts  du  Khorassan,  dont 
le  point  culminant  est  la  passe  deHoz-déran,où  le  gouverne- 
ment persan  a  bâti  une  forteresse  dont  la  position  est  vrai- 
ment sérieuse  et  bien  choisie. 

Elle  commande  admirablement  l'entrée  et  la  sortie  de  la 
Perse  sur  la  route  de  Merv.  Moz-déran  appartient  géogra- 
phiquement  à  la  Perse,  et  n*est  plus,  comme  Sarakhs,  un 
fortin  sans  importance,  perdu  au  milieu  d'un  territoire 
étranger. 

De  Moz-déran  nous  nous  dirigeons  vers  la  rivière  Kaskha- 
roud,affluent  duTedjend,  dont  les  eaux,  pendant  une  grande 
partie  de  son  cours,  ont  un  goût  saumâtre  très  prononcé. 

Enfin,  le  24  juin  dans  la  matinée,  nous  apercevions  tout 
à  coup  les  coupoles  dorées  et  les  minarets  de  la  Mosquée 
d'Imam  Réza,  flamboyant  au  soleil  comme  un  phare  qui  nous 
indiquait  le  chemin;  c'est  Mesched,  notre  joie  ne  connaît 
plus  de  bornes,  nos  bonnets  volent  en  l'air,  et  nous  nous 
serrons  les  mains  comme  si  nous  venions  de  nous  retrouver 
après  une  longue  séparation;  c'est  que  Mesched  c'était  la 
fin  du  voyage,  la  fin  de  nos  fatigues  et  de  nos  misères; 
Mesched  c'était  notre  entreprise  achevée  et  réussie,  Mesched 
c'était  pour  nous  comme  un  coin  de  notre  belle  France  que 
nous  étions  sûrs  maintenant  de  revoir. 

Une  troupe  s'avance  à  notre  rencontre,  ce  sont  les  fonc- 
tionnaires que  le  gouverneur  général  du  Khorassan  envoie 
au-devant  de  nous  pour  nous  présenter  ses  félicitations.  Un 
homme  s'approche,  c'est  un  courrier  de  Téhéran  avec  des 
lettres,  des  nouvelles  dont  nous  sommes  privés  depuis  si 
longtemps,  il  nous  semble  positivement  que  nous  renaissons 


VOYAGE  A  TRAVERS  LB  TURKESTAN.  55 

à  la  lumière,  que  nous  venons  de  sortir  d'un  mauvais  rêve. 

Dès  qu'il  nous  fut  possible  de  quitter  Mesched,  nous 
prîmes  congé  du  gouverneur  et  du  colonel  Stewart,  qui  nous 
y  avait  reçus  comme  des  compatriotes  et  comme  des  amis. 

En  sept  jours,  par  une  chaleur  torride,  nous  franchissions 
à  cheval  les  900  kilomètres  qui  séparent  Mesched  de  Té- 
héran, et  le  13  juillet  nous  tombions  dans  les  bras  du 
ministre  de  France,  de  notre  ami  M.  de  Balloy,  qui  nous 
acueillait  comme  lui  seul  sait  le  faire  dans  sa  légation  si 
hospitalière  de  Téhéran. 

Aquelques  jours  de  là,  nous  pouvions  fôternotre  deuxième 
anniversaire  depuis  notre  départ  du  Japon.  Pendant  ces 
deux  années,  nous  avions  traversé  TAsie  entière  de  Test  à 
l'ouest,  du  nord  au  sud,  après  avoir  parcouru,  dansdespays 
réputés  difficiles,  une  distance  de  plus  de  4000  lieues. 


L'EXPÉDITION 

DU  PROFESSEUR  NORDENSKIÔLD 


AU  GROENLAND* 


On  sait  de  quelle  importance  est  pour  rexplication  des 
formations  glaciaires  l'étude  du  Groenland.  Rink  a  eu 
l'honneur  de  signaler  le  premier  à  l'attention  des  géologues 
cette  curieuse  contrée,  mais  jusque  dans  ces  derniers  temps 
aucun  explorateur  n'avait  essayé  de  se  rendre  compte  de 
la  nature  de  l'intérieur  de  cette  mystérieuse  péninsule. 
L'intérieur  du  pays  était,  disait-on,  couvert  de  glaciers  ;  cette 
assertion  était  acceptée  sans  contrôle. 

De  toutes  les  nombreuses  expéditions  arctiques  qui,  depuis 
une  quarantaine  d'années,  ont  parcouru  la  mer  de  Baffîn  et 
suivi  le  détroit  de  Smith,  une  seule  a  fait  une  ttntative  pour 
reconnaître  ces  déserts  de  glace.  Au  mois  d'octobre  1860, 
l'Américain I.I.  Hayes,  bloqué  dans  le  port  Fonlke  (détroit  de 
Smith)  (78*  de  lat.  N.),  entreprit  une  excursion  sur  un  bras 
de  l'Inlandsis  ^  qui  couvre  la  péninsule  comprise  entre  le 

1.  Cette  relation  a  été  rédigée  d'après  les  rapports  adressés  par 
M.  Kordenskidld  à  M.  0.  Dickson  et  insérés  dans  VYmer,  publication  de 
la  Société  suédoise  d'Anthropologie  et  de  Géographie  fn"  7  et  8  de  1883) 
(A.  E.  NordenskiÔld.  Den  svenska  expeditionen  tUl  Grônland,  àr.  1883). 
le  rapport  du  D'  Nathorst,  inséré  dans  VYmer  (n*  8,  188ij  {Den  svenska 
expeditionen  till  Grônland  &r  1883.  Fàrden  tiU  Kap  York  af  A.  G.  Na- 
thorst)  et  les  lettres  adressées  par  ce  savant  au  Journal  le  Dagblad,  de 
Stockholm.  Enfin  M.  Nathorst  a  pris  la  peine  de  revoir  ce  résumé,  ce 
dont  nous  ne  saurions  trop  le  remercier.  —  Voir  la  carte  jointe  à  ce 
numéro. 

2.  Nom  sous  lequel  les  Scandinaves  désignent  les  coupoles  glaciaires 
des  régions  polaires. 


EXPÉDITION  DU  PROFESSEUR  NORDENSKIÔLD.      57 

Whale  Sound  et  le  chenal  de  Kennedy  (78*  de  lat.  N.).  A 
110  kilomètres  de  la  mer*,  une  tourmente  de  neige  l'obligea 
à  battre  en  retraite.  D'autre  part,  les  Danois  ont  négligé 
longtemps  l'exploration  de  leur  vaste  colonie.  L'idée  d'ex- 
plorer l'Inlandsis  est  pourtant  ancienne.  Dès  1751,  un 
négociant  établi  au  Groenland,  Lars  Dalager,  accompagné 
de  cinq  indigènes,  avait  fait  une  tentative  pour  pénétrer  dans 
l'intérieur  du  pays.  Abordant  l'Inlandsis  dans  les  environs 
de  Vlsblink  ^  4e  Julianehaab  (62°  de  lat.  N.),  il  parcourut 
environ  deux  milles  sur  le  glacier.  Le  mauvais  état  des 
chaussures  de  ses  compagnons  et  la  basse  température  des 
nuits  l'obligèrent  à  rebrousser  chemin.  Plus  de  cent  ans  se 
passèrent  sans  qu'aucune  autre  exploration  fût  entreprise 
sur  l'Inlandsis.  En  1867,  M.E.  Whymper,  le  célèbre  <  grim- 
peur »  anglais,  le  vainqueur  du  Gervin,fit  une  tentative  en 
partant  du  fjord  de  Jacobshavn  (69°  10'  lat.  N.),  mais  sans 
plus  de  succès  que  son  devancier. 

L'année  1870marquele  début  d'importantes  explorations 
au  Groenland.  M.Nordenskiôld  s'étant  rendu  dans  les  éta- 
blissements danois,  pour  acheter  des  chiens  dont  il  pensait 
se  servir  dans  une  exploration  qu'il  projetait  au  Spitzberg, 
mit  à  profit  son  séjour  pour  étudier  l'intérieur  de  ce  pays 
si  intéressant.  G'est  à  cet  illustre  explorateur  qu'appartient 
l'honneur  d'avoir  fait  le  premier  voyage  important  vers  l'in- 
térieur delà  péninsule  groënlandaise.  Pendant  que  deux  de 
sescompagnons,  les  docteurs  Oberg et  Nordstrom, réunissaient 
des  collections  zoologiques  et  botaniques  dans  la  baie  de 
Disco,  M.  Nordenskiôld,  accompagné  du  docteur  Berggrén, 
entreprit  une  longue  course  sur  l'Inlandsis.  Partant  d'Ege- 
desminde  le  12  juillet,  il  arriva,  le  16,  dans  le  bras  septen- 
trional de  l'Aulaitsivikfjord,  (68°  10'  lat.  N.)  où  débouche 
une  branche  de  l'Inlandsis.  Le  19,  suivi  de  deux  Eskimos, 

1.  J.  J.  Rayes,  La  mer  libre  du  pôle,  Hachette  et  C^'  1868,  p.  136 
à  144. 
1  Branche  de  l'Inlandsis  s'avançant  jusque  près  de  la  mer. 


58  EXPÉDITION  DU  PROFESSEUR  NORDENSKIÔLD 

et  hâlant  un  traîneau  chargé  de  trente  jours  de  vivres,  les 
deux  savants  suédois  commencèrent  Tascension  du  glacier. 
Le  lendemain  ils  durent  abandonner  leurs  bagages.  Au  début 
le  glacier  était  déchiré  de  crevasses  difficiles  à  traverser  ; 
plus  loin,  il  présentait  de  moindres  difficultés.  Le  21,  les 
explorateurs  atteignirent  Taltitude  de  416  mètres,  à  une 
distance  de  24  kilomètres  environ,  à  Test  de  leur  campement 
au  pied  du  glacier.  Le  soir,  les  Eskimos  refusèrent  d'avancer 
et  le  lendemain  ils  battirent  en  retraite.  M.  Nordenskiôld 
et  son  compagnon  continuèrent  néanmoins  leur  roule. 
Le  23,  à  midi,  ils  se  trouvaient  à  51  kil.,  de  la  côte,  et  à 
une  altitude  de  565  mètres.  Les  maigres  provisions  dont  ils 
s'étaient  chargés  étaient  fortement  entamées,  il  fallut  donc 
songer  au  retour.  Avant  de  rebrousser  chemin,  les  savants 
Suédois  gravirent  un  monticule  de  glace  du  sommet  duquel 
la  vue  était  très  étendue.  Vers  Test,  l'immense  glacier 
s'élevait  déplus  en  plus;  nulle  part,  dans  cette  direction, 
aucun  pointement  rocheux  n'était  visible.  Au  nord,  au  sud 
et  à  l'est,  l'horizon  était  limité  par  la  ligne  du  glacier  qui 
paraissait  aussi  unie  que  l'horizon  de  la  mer. 

Le  point  où  le  professeur  Nordenskiôld  rebroussa  chemin 
étailà  Taltitude  de  654  mètres  et  à  une  distance  d'environ 
54  kilomètres  de  l'extrémité  del'Aulaitsivikfjord*. 

Ces  explorations,  entreprises  par  des  étrangers,  détermi- 
nèrent le  gouvernement  danois  à  organiser  des  expéditions 
au  Groenland,  et,  chaque  été,  depuis  1876,  des  officiers  et 
des  géologues  danois  ont  étudié  des  portions  considérables 
de  cette  péninsule  ^.  En  1878  =  le  lieutenant  Jenssen,  accom- 
pagné d'un  géolçgue,  M.  Kornerup,  d'un  dessinateur, 
M.  Groth  et  d'un  Eskimo,  partit  et  réussit  à  atteindre  des 


1.  Redogôrelse  fôr  en  expédition  till  GrôrUand  ar  1880  af.  A,  E.  Nor- 
denskiôld, Ofversigt  af  KongU  Vetemkaps  Akademiem  forhandlingar. 
1870,  p.  973. 

2.  Les  résultats  de.  ces  expéditions  ont  été  publiés  dans  les  Meddelser 
om  Gronland.  Copenhague. 


AU   GROENLAND.  59 

Nunatakk  S  distants  de  75  kilomètres  de  la  côte.  C'était 
jusqu'en  1883^  la  plus  longue  course  qui  ait  été  entreprise 
sur  rinlandsis'. 

Dans  le  compte  rendu  qu'il  avait  adressé  sur  son  expédition 
à  r  Académie  Royale  des  sciences  de  Stockholm,  le  professeur 
Nordenskiôld  émit  une  opinion  qui  semble  alors  avoir  passé 
inaperçue.  «:  Vraisemblablement,  disait-il,  l'Inlandsis  n'oc- 
cupe qu'une  bande  de  territoire  le  long  de  la  côte,  du  moins 
nombre  de  faits  semblent  le  prouver,  et,  au  delà  de  cette  li- 
sière de  glaciers,  s'étend  une  région  dépouillée  de  neige 
et  de  glace,  peut  être  même  boisée  dans  le  sud  de  la 
péninsule.  »  L'illustre  savant  suédois  basait  cette  hypothèse 
sur  la  théorie  du  fœhn;  d'après  lui, les  courants  atmosphé- 
riques qui  soufflent  dans  l'intérieur  du  pays,  venant  soit  de 
l'Atlantique,  soit  du  détroit  de  Davis,  devaient,  en  tra- 
versant les  montagnes  du  littoral,,  acquérir  les  propriétés 
de  ce  vent,  c'est-à-dire  devenir  secs  et  chauds.  La  précipi- 
tation aqueuse  ne  devait  donc  pas  être  suffisante  dans 
l'intérieur  du  pays  pour  y  former  des  glaciers. 

IM.  Nordenskiôld  a  entrepris,  pendant  Té  té  de  1883,  de  véri- 
fier cette  hypothèse.  Dans  ce  but,  il  se  proposait  de  pénétrer  à 
une  grande  distance  dans  l'intérieur  des  terres  en  partant  de 
l'Aulaitsivikfjord.  Le  plan  du  voyage  comprenait  en  outre 
plusieurs  autres  explorations.  Au  retour  de  son  excursion  sur 
les  glaciers,M.  Nordenskiôld  voulait  essayer  de  débarquer  sur 
la  partie  de  la  côte  orientale  située  au-dessous  du  Cercle 
Polaire,  région  ordinairement  barrée  par  les  glaces  et 
qu'aucune  expédition  n'avait  pu  encore  atteindre.  Enfin, 
pendant  l'exploration  de  l'Inlandsis,  le  géologue  de  l'expé- 
dition, le  docteur  Nathorst,  avait  mission  d'étudier  les  im- 


1.  Mot  eskinio,  désignant  un  pic  dépouillé  de  neige  qui  se  dresse  au 
milieu  de  l'Inlandsis. 

i.  Nous  avons  exposé  les  résultats  de  ce  voyage  dans  la  séance  du 
1"  juin  1883.  Voir  également  à  ce  sujet  le  n"  du  23  juin  1883  de  la 
Revue  scientifique. 


60       EXPÉDITION  DU  PROFESSEUR  NORDENSKIÔLD 

portantes  couches  fossilifères  des  deux  rives  du  W^igat,  et, 
sous  sa  direction,  le  navire  de  la  mission  essayerait  d'at- 
teindre le  cap  York,  aux  environs  duquel  se  trouvent  des  blocs 
de  fer  natif  signalés  dans  ces  parages  par  Ross  et  Sabine. 

Là  libéralité  inépuisable  de  M.  Oscar  Dickson,  de  Gothem- 
bourg,  permit  à  M.Nordenskiôld  de  réaliser  ses  projets;  c'est 
entièrement  aux  frais  de  ce  Mécène  suédois  qu'a  été  exécutée 
cette  importante  exploration.  De  son  côté,  S.  M.  le  roi  de 
Suède,  qui  s'occupeavec  le  plus  grand  intérêt  des  progrès  de 
la  géographie  dans  les  régions  polaires,  voulut  bien  mettre  à 
la  disposition  de  l'expédition  le  paquebot  poste  là  Sofia, 

Ce  vapeur  en  fer,  de  la  capacité  de  180  tonnes  et  de  la 
force  de  65  chevaux,  était  parfaitement  approprié  au  but  du 
voyage.  Son  faible  tirant  d'eau  et  sa  puissante  machine 
devaient  lui  permettre  de  naviguer  facilement  dans  le  sker- 
fl'a^'d^groënlandais  dont  l'hydrographie  est  très  imparfaite  et 
où  les pscil  lations  delà  marée  produisent  de  violents  courants. 
Enfin  dans  Topinion  de  marins  expérimentés,  la  Sofia  était 
capable  de  résister  aux  tempêtes  qui  sévissent  parfois  entre 
les  Ferô  et  l'Islande,  et  aux  approches  du  cap  Farvel. 

L'expédition  placée  sous  le  commandement  du  professeur 
Nordenskiôld  comprenait,  outre  son  chef,  les  vingt-quatre 
personnes  suivantes  :  le  docteur  Nathorst,  géologue;  le 
docteur  Berlin,  médecin  etbotanisle  ;  \ecandidal^^ForssiaLnô, 
zoologue;  M.  KolthofF,  préparateur  zoologue;  un  hydro- 
graphe, M.  Hamberg;  un  dessinateur  géographe,  l'adjudant 
Kjellstrôm;  deux  officiers  de  mer,  le  capitaine  Nilsson, 
commandant  la  Sofia  et  un  lieutenant;  deux  mécaniciens, 
deux  chauffeurs,  un  soutier,  un  pilote  des  glaces,  deux 
fângslmàn^,  trois  matelots,  un  cuisinier,  un  maître  d'hôtel, 
et  deux  Lapons. 

1.  Ce  mot  désigne,  dans  les  langues  Scandinaves,  les  cordons  littoraux 
qui  bordent  la  péninsule  Scandinave,  le  Groenland,  etc. 

2.  Grade  universitaire  correspondant  à  celui  de  licencié. 

3.  Pluriel  de  fangstman  (prononcez  fongstman)  (  â  =  0),  mot  à  mot 
«homme  de  prise,»  marin  allant  à  la  pêche  des  cétacés  dans  VOcéan  glacial. 


AU  GROENLAND.  61 


II 


Le  23  mai,  la  Sofia  quitta  le  port  de  Gothenabourg,  em- 
portant  quatorze  mois  de  vivres,  les  équipements  néces- 
saires pour  un  hivernage,  et  du  charbon  en  quantité  suffi- 
sante pour  fournir  une  marche  de  2500  milles.  De  Go- 
thembourg  l'expédition  lit  route  sur  Thurso,   de  là  sur 
l'Islande  où    elle  visila   les    célèbres    couches   de    spath 
d'Helgustadir,  voisines  de  l'Eskifjord,  et  Reykjavik.  Après 
avoir  embarqué  dans  ce  port  trente  tonnes  de  charbon,  la 
So/?a  reprit  la  mer,  se  dirigeant  à  ro.-N.-O,  vers   le  cap 
Dan,  sur  la  côteorienlale  du  Groenland.  Le  12juin,  à  7  heures 
du  matin,  la  terre  était  en   vue.   Jusque  là  aucune  glace 
n'avait  été   rencontrée,   et,  d'après  les  indications  de  la 
vigie,  montée  dans  le  nid  de  pie  ^  la  mer  était  libre  jusqu'à 
la  côte.  A  20  ou  30  milles  de  terre,  une  banquise  impéné- 
trable fut  signalée  tout  le  long  du  rivage.  Comme  les  bords 
du  fjord  François-Joseph,  la  terre  de  Scoresby  et  la  côte 
du  détroit  de  Danemarck,  celte  partie  du  littoral  est  hé- 
rissée  de   hautes   montagnes  ;   elles    sont   visibles    à    70 
ou  80  milles  de   terre.  L'existence  de  pics   élevés    dans 
ces  parages  sembla  à  M.  Nordenskiôld  un  nouvel  argument 
en  faveur  de  son  hypothèse  sur  la  nature  de  l'intérieur  du 
Groenland.  Toute  tentative  pour  attérir  paraissent  ne  pré- 
senter aucune  chance  de  succès,  le  chef  de  l'expédition  fit 
mettre  la  route  au  sud  en  suivant  la  lisière  du  pack.  Au 
large  de  Vlskant^,  la  glace  était  clairsemée  et  n'entravait 
pas  la  marche  du  navire,  mais  l'intérieur  du  champ  était 
formé  d'une  glace  compacte,  aussi  résistante  que   celle 
qui  couvre  la.mer  au  nord  du  Spitzberg  et  que  le  plus  solide 
navire  n'aurait  pu  briser.  Sur  la  côte  orientale,  les  isberg 

1.  Tonne  vide  placée  au  haut  du  mât  où  prend  place. la  vigie  pour  dé- 
couvrir les  glaces. 

2.  Lisière  de  la  banquise. 


62  •  EXPÉDITION   DU  PROFESSEUR  NORDENSKIÔLD 

étaient  rares;  au  delà  du  cap  Farvel,  au  contraire,  la  mer 
était  couverte  de  ces  magnifiques  montagnes  de  glace,  entre 
lesquelles  dérivaient  des  dri fis  ^.  Ces  glaces  et  les  brouillards 
obligèrent  la  Sofia  à  ralentir  sa  marche,  et,  le  17  seulement, 
elle  mouilla  devant  Julianehaab,  établissement  danois  sur  la 
côte  occidentale.  De  là,  après  une  relâche  de  cinq  jours  né- 
cessitée par  le  nettoyage  de  la  machine,  elle  partit  pour 
Ivigtut  (61°  12'  lat.  N.),  siège  d'une  importante  exploitation 
de  kryolilhe,  puis  pour  Egedesminde  (68''  42',  de  lat.  N.). 
Dans  ce  trajet  l'expédition  ne  rencontra  aucune  difflculté; 
quelques  isberg  ou  drifis  dérivaient  seuls;  ces  glaces  favo- 
risaient même  la  marche  de  la  Sofia  en  adoucissant  la  houle 
qui  aurait  pu  fatiguer  le  navire  lourdement  chargé  de 
charbon.  Avant  d'entrer  à  Egedesminde,  la  Sofia  débarqua 
à  Ujaragsugsuk,  sur  la  côte  nord-est  de  l'île  de  Disco,  le 
docteur  Nathorst  et  M.  Hamberg,  qui  devaient  étudier  les 
riches  couches  fossilifères  crétacées  et  miocènes  des  deux 
rives  du  Waigat.  Le  29,  au  matin,  Texpédition  entra  à 
Egedesminde  et,  le  lendemain,  en  repartit  pour  TAulait- 
sivikfjord  que  le  professeur  Nordenskiôld  avait  choisie 
comme  point  de  départ  de  son  exploration  dans  l'intérieur 
du  Groenland. 

L'Aulaitsiviktjordjlong  de  130  kilomètres, est  très  étroit; 
sur  un  point  la  passe  est  à  peine  large  de  2  kilomètres.  Au 
delà  de  cet  étranglement,  le  fjord  s'élargit,  puis  tourne  à 
angle  droit  pour  former  une  baie  rectangulaire  au  fonds 
de  laquelle  débouche  une  branche  de  l'Inlandsis.  Comme 
dans  la  plupart  des  fjords  groênlandais,  le  chenal  est 
profond  et  les  oscillations  de  la  marée  y  produisent  de 
violents  courants  qui  charrient  de  gros  blocs  de  glace. 
Quelquefois  les  glaces  dérivent  en  masse  assez  compacte 
pour  former  une  sorte  de  digue  fermant  complètement 
la  passe.  Retenues  par  ce  barrage,  les  eaux  s'élèvent  alors, 

1 .  Glaces  flottantes. 


AU  GROENLAND.  63 

dans  la  partie  du  fjord  ainsi  isolée,  à  plusieurs  mètres  au- 
dessus  de  leur  niveau  ordinaire.  En  1870,  M.  Nordenskiôld 
avait  pu  reconnaître  les  difficultés  de  ce  passage  ;  depuis 
treize  ans,  le  glacier  s'était  peut-être  modifié  et  par  suite 
les  courants  pouvaient  avoir  changé.  Personne  ne  put  à 
cet  égard  renseigner  les  membres  de  l'expédition  ;  bien  plus, 
un  soi-disant  pilote,  qui  avait  été  embarqué  à  l'entrée  du 
fjord,  perdit  contenance  à  la  vue  des  tourbillons  et  fina- 
lement déclara  ne  pas  connaître  le  chenal.  Le  passage 
s'effectua  néanmoins  sans  incident  et,  dans  la  matinée 
du  {"juillet,  la  Sofia  ancra  dans  un  excellent  petit  havre 
du  Tassiusarsoak.  Le  mouillage  était  entouré  de  collines  de 
gneiss  arrondies,  hautes  de  150  à  300  mètres,  dont  les  pentes 
étaient,  par  endroits,  couvertes  de  buissons  touffus,  de  petits 
arbrisseaux  ou  d'un  tapis  de  camarines,  de  saules  nains, 
de  mousses  et  de  lichens,  au  milieu  duquel  s'épanouissaient 
de  belles  fleurs.  D'un  escarpement  rocheux  bondissait  une 
jolie  cascade  dont  l'eau  avait  une  température  de  -f-  12^,3. 
Le  temps  était  magnifique,  le  ciel  presque  complètement 
découvert  et  l'air  très  sec. 

III 

Trois  jours  furent  consacrés  .aux  préparatifs  de  l'expédi- 
tion sur  l'Inlandsis,  et,  le  3  juillet,  la  caravane  qui  devait 
explorer  l'intérieur  du  Groenland  se  mit  en  marche.  Formée 
de  sable,  coupée  de  cours  d'eau,  bossuée  de  monticules,  la 
bande  de  terrain,  large  de  4  à  5  kilomètres,  qui  sépare  le 
glacier  de  la  mer  était  d'un  parcours  difficile  pour  les 
petites  charrettes  sur  lesquelies  les  bagages  avaient  été 
chargés.  Le  4  seulement,  les  explorateurs  atteignirent  la 
lisière  du  glacier;  là,  les  bagages  furent  placés  sur  six  traî- 
neaux qui  devaient  être  halés  à  bras  sur  le  glacier.  La 
caravane  emportait  une  tente;  de  vêtements  de  rechange, 
de  nombreuses  bottes  en  toile  à  voiles,  des  instruments 


64  EXPÉDITION  DU  PROFESSEUR  NORDENSKIÔLD 

pour  les  observations,  de  l'alcool  et  des  vivres  pour  cinquante 
jours;  chaque  homme  était  en  outre  muni  d*un  matelas  en 
caoutchouc,  d*uue  couverture  et  d'un  sac.La  ration  jour- 
nalière consistait  en  pain,  beurre,  fromage,  jambon  fumé, 
viande  conservée,  café,  sucre,  eau-de-vie.  Pour  la  cuisson  des 
aliments  (deux  fois  par  jour  du  café  et  une  fois  de  la  viande 
conservée)  70  centilitres  d'alcool  suffisaient  par  jour.  Le 
poids  total  des  bagages  s'élevait  à  400  kilogrammes. 

Neuf  personnes  composaient  la  caravane  de  M.  Nor- 
denskiôld  :  le  docteur  Berlin,  Tadjudant  Kjellstrôm,  le 
pilote  des  glaces  Johannesen,  deux  matelots,  deux  fâng- 
slmàn  et  deux  Lapons.  Pendant  les  premiers  jours,  les 
explorateurs  furent  accompagnés  par  la  plus  grande  partie 
de  l'équipage  de  la  Sofia^  et  de  nombreux  indigènes,  ren- 
fort bien  nécessaire,  car,  comme  tous  les  glaciers,  l'In- 
landsis était  hérissé,  au  voisinage  de  la  terre,  d'accidents  de 
toute  nature  qui  rendaient  très  pénible  le  halage  des 
traîneaux.  Même  au  Groenland  —  qui  eût  pu  le  penser  — 
le  reportage  est  pratiqué.  Au  nombre  des  Eskimos  qui  sui- 
virent au  début  M.  Nordenskiôld,  se  trouvait  un  journaliste, 
Lars  Môller,  rédacteur  de  YAtuagagdliutit  {La  Lecture), 
journal  illustré  qui  se  publie  en  langue  indigène  à  Godthaab. 
Lars  Môller  était,  en  outre,  tout  à  la  fois  poète,  dessinateur 
et  imprimeur.  Il  adressait  à  son  journal  des  correspon- 
dances sur  l'expédition  suédoise  et  les  accompagnait  de 
croquis  assez  exacts. 

La  caravane  campa  sur  la  glace  pour  la  première  fois  dans 
la  nuit  du  4  au  5  juillet.  Le  glacier  paraissant  impraticable 
vers  Test,  elle  dut  le  lendemain  revenir  sur  ses  pas,  puis 
marcher,  pendant  deux  jours,  dans  la  direction  du  nord  et 
du  nord-est;  môme  de  ce  côté,  la  glace  était  coupée  de 
ravins  et  de  profondes  crevasses.  Le  5,  au  soir,  le  camp  fut 
établi,  à  l'altitude  de  240  mètres,  près  d'une  langue  de 
terre  faisant  saillie  sur   le  bord  de  llnlandsis. 

Pour  alléger  les  traîneaux,  un  dépôt  contenant  dix  jours 


AU  GROENLAND.  65 

% 

de  vivres  fut  établi  sur  ce  point.  Le  lendemain,  lesEskimos 
qui  avaient  accompagné  jusque-là  les  explorateurs,  battirent 
en  retraite. 

Dans  la  soirée  du  6,  les  matelots  de  la  Sofia  qui  avaient 
aidé  au  halage  des  traîneaux  revinrent  en  arrière.  Privés  de 
ce  renfort,  les  explorateurs  ne  purent  avancer  qu'au  prix 
de  mille  difficultés.  Le  glacier  était  bossue  de  monti- 
cules, sillonné  de  crevasses,  coupé  de  ruisseaux  torrentueux 
encaissés  dans  des  berges  escarpées.  Ces  cours  d'eau  obli- 
geaient à  de  nombreux  détours  ;  quelquefois  pourtant,  la 
caravane  réussissait  à  les  franchir  rapidement  en  établissant 
à  l'aide  de  bâtons  ferrés  une  sorte  de  pont  volant.  A  la 
différence  des  glaciers  alpins,  l'Inlandsis  n'est  souillée 
d'aucun  débris;  à  une  distance  de  500  mètres  ou  même  de 
250  mètres  de  ses  bords,  on  y  chercherait  en  vain  le  plus 
petit  caillou.  La  glace  était  percée  de  centaines  de  petits 
trous,  profonds  en  certains  endroits  de  50  à  70  centimètres, 
et  remplis  d'eau  ;  plus  loin,  elle  était  recouverte  d'une  neige 
imprégnée  d'eau  qui  formait  une  véritable  bouillie.  Sur  un 
pareil  terrain  il  était  impossible  de  haler  tous  les  traîneaux 
en  même  temps;  par  suite  il  était  nécessaire  de  faire  trois 
fois  le  même  trajet  Les  étapes  étaient  très  courtes.  En 
trois  jours  la  caravane  ne  put  avancer  que  de  douze  kilo- 
mètres et  demi.  Au  milieu  de  ce  glacier  accidenté,  il 
n'était  pas  facile  non  plus  de  trouver  un  emplacement 
commode  pour  camper.  Le  9  juillet,  par  exception,  la 
tente  fut  dressée  sur  une  belle  nappe  de  glace  unie.  Dans  le 
voisinage,  de  nombreux  cours  d'eau  se  réunissaient  pour 
former  un  petit  lac  dont  l'émissaire,  coulant  dans  un  lit  de 
glace  azurée,  se  précipitait  bruyamment  dans  une  crevasse 
gigantesque.  «  Tous  nos  hommes,  dit  M.  Nordenskiôld, 
matelots,  Lapons,  fângstmàn^  restaient  sur  le  bord  de  la 
rivière,  ébahis  par  la  magnificence  de  cette  œuvre  de  la 
nature,  n 

Pour  marcher  plus  rapidement,  la  caravane  hala  désor- 

SOC.  DE  GtOGR.  —  1*'  TRIMESTRi:  i885.  TI.  —  5 


66  EXPÉDITION  DU  PROFESSSUR  NORDENSKIÔLD 

I 

mais  tous  les  tratoeaux  en  une  seule  fois,  travail  partLculiè* 
rement  pénible  au  début,  alors  qu'une  petite  quantité  da 
vivres  seulement  avait  été  consommée.  Le  10  juillet,  elle 
put  ainsi  avancer  de  neuf  kilomètres  et  demi,  le  11  de  dix  et 
le  12  de  onze.  Le  15,  elle  fit  même  une  étape  de  qoatoae  kilo- 
mètres. Le  terrain,  du  reste,  était  d'un  parcours  plus  facile; 
le  1 1,  notamment,  Ton  traversa  une  plaine  longue  de  5  kilo- 
mètres. Le  lendemain,  M.  Nordenskiôld  observa  sur  la 
surface  du  glacier  des  pousses  de  graminées,  des  feuilles  de 
bouIeaux*nains,  de  saules  et  de  différentes  autres  plantes.  Il 
crut  tout  d'abord  que  ces  débris  végétaux  avaient  été  trans- 
portés par  le  vent  de  l'intérieur  du  pays  ;  cette  supposition 
était  inexacte,  comme  il  le  reconnut  plus  tard,  car  au  delà 
du  neuvième  campement,  il  ne  trouva  plus  aucune  feuille 
sur  le  glacier.  Du  sommet  d'un  monticule  de  glace  voisin 
du  campement  du  13  juillet,  l'expédition  put  encore  aper- 
cevoir la  mer  et  les  hautes  montagnes  du  littoral;  au  delà 
de  ce  point  aucune  terre  ne  fut  désormais  visible;  dans 
toutes  les  directions  s'étendait  l'immense  glacier  qui,  par 
suite  d'une  illusion  d'optique  produite  par  la  réfraction  des 
glaces,  semblait  s'abaisser  vers  l'horizon. 

Jusqu'au  neuvième  campement  la  marche  fut  favorisée 
par  un  beau  temps.  Le  ciel  était  presque  complètement  dé- 
couvert; à  un  mètre  environ  au-dessus  du  glacier,  un 
thermomètre,  placé  à  Tombre,  marquait  de  +  2*  à  +  8°;  au 
soleil,  il  s'élevait  jusqu'à  +  20*.  Le  jour  continuel*  et  la 
réverbération  du  soleil  sur  les  neiges  affectaient  dou- 
loureusement les  explorateurs,  tous  étaient  atteints  d'oph- 
tbalmie  et  avaient  la  peau  du  visage  brûlée,  comme  l'éprou- 
vent les  voyageurs  sur<  les  glaciers.  Dans  l'après  midi  du 
13  juillet,  le  temps  changea.  Un  violent  vent  du  sud-est 
s'éleva  et  la  phiie    commença  à  tomber.   La    tempête 

1.  Le  centre  du  soleil  s'abaissa  au  dessous  de  l'horizon  pour  la  pre- 
mière fois  le  It»  juillet,  et  le  bord  inférieur,  abstraction  faite  de  la  réfrac- 
tion, le  21, 


A0  GROENLAND.  67 

continua  ioate  la  nuit,  et,  le  lendemain,  il  neigea.  La 
caravane  souffrait  cruellement  du  froid  et  de  l'humidité, 
néanmoins  personne  n'était  découragé.  Cette  pluie  amenée 
par  un  vent  du  sud-est  était,  croyait-on,  la  preuve  de  l'exis- 
tence  d'un  pays  libre  de  neige  au  cefntre  de  la  péninsule, 
a  Nous  brûlions  de  marcher  en  avant,  dit  M.  NordenskiGld, 
comme  les  aventuriers  espagnols  qui  partaient  à  la  recherche 
de  l'Eldorado.  Matelots,  fàngstmàUj  Lapons,  tous  étaient 
persuadés  de  l'existence  d'une  terre  libre.  Survenait-il  une 
éclaircie,  tous  braquaient  les  yeux  à  l'est  dans  l'espoir  de 
distinguer  quelques  pics  émergeant  dans  le  lointain.  »  Le  12, 
les  explorateurs  crurent  apercevoir  des  montagnes  dans  la 
direction  de  Test.  Plus  tard  ils  reconnurent  qu'ils  étaient 
victimes  d'une  illusion  d'optique    produite  par  le  reflet 
sombre  de  petits  lacs  situés  à  Test. 

En  1870,  M.NordenskiôId  avait  observé  sur  Tlnlandsis  la 
présence  d'un  $lam  argileux;  cette  substance  formait  des 
(huches  épaisses  de  quelques  millimètres,  au  fond  de  trous 
ronds,  profonds  de  30  à  90  centimètres^  très  rapprochés  les 
uns  des  autres,  et,  d'après  le  D'  Berggren,  ces  slams  ser- 
vaient de  substratum  à  une  flore  microscopique.  Surnombre 
de  points,  les  espèces  végétales  reposaient  même  diree- 
tement  sur  la  glace.  Ces  plantes  microscopiques  auraient, 
d*après  M.  Nordenskiôld,  un  grand  rôle  dans  l'économie  du 
glacier.  Leur  couleur  sombre  absorbant  plus  facilement  la 
chaleur  solaire  que  la  surface  blanche  du  glacier,  elles  faôi- 
literaient  la  fonte  de  la  glace,  et  il  faudrait  attribuer,  dans 
une  certaine  mesure,  à  ces  plantes  la  disparition  du 
manteau  de  glace  qui  a  recouvert  la  Scandinavie. 

M.  Nordenskiôld  a  émis  sur  la  provenance  et  sur  la 
nature  de  ce  slam  argileux  auquel  il  donne  le  nom  de 
Iryolconitey  des  idées  très  originales,  qu'il  a  formulées  dans 
les  termes  suivants  : 

«  1*  La  kryokonite  ne  peut  provenir  des  montagnes  voi- 
sines de  l'Inlandsis,  car  elle  est  répartie  sur  toute  la  sûr- 


68  EXPÉDITION  DU  PROFESSEUK  NORDENSKIÔLD 

face  du  glacier,  à  une  hauteur  beaucoup  plus  grande  que 
ces  montagnes. 

€  ^  Elle  n'a  pas  été  transportée  par  les  cours  d'eau  qui 
sillonnent  le  glacier;  elle  ne  provient  pas  non  plus  de 
prétendues  moraines  de  fonds. 

c  3*  C'est  donc  usi  sédiment  aérien,  formé  en  grande  partie 
de  poussières  d'origine  terrestre  qui  ont  été  transportées 
par  le  vent. 

€  4^  Ce  sédiment  contient,  en  outre,  des  matières  d'origine 
cosmique.  C'est  une  poussière  fine,  renfermant  du  fer  natif 
attîrable  à  l'aimant,  et  qui,  chauffée  au  chalumeau,  donne 
les  réactions  du  cobalt  et  du  nickel,  j» 

M.  Nordenskiôld  a  de  nouveau  étudié  avec  beaucoup 
d'attention  la  kryokonite  et  ses  nouvelles  observations  ont 
confirmé  les  conclusions  qu'il  avait  formulées  précédem- 
ment. «  Partout  où  la  neifi[e  de  l'hiver  avait  fondu,  le  glacier 
était  recouvert  d'une  poussière  fine,  grise,  qui  aurait  formé 
une  couche  épaisse  d'un  dixième  de  millimètre  à  un  milli- 
mètre, si  elle  avait  été  uniformément  répandue  sur  la  sur- 
face du  glacier.  Cette  kryokonite  se  trouve,  semble-t-il,  en 
aussi  grande  quantité  dans  les  régions  de  l'Inlandsis, 
voisines,  qu'à  cent  kilomètres  dans  l'intérieur  de  la  péninsule, 
mais,  près  des  bords  du  glacier,  elle  est  mélangée  à  un 
sable  fin,  d'un  gris  clair,  que  Ton  peut  séparer  facilement 
mais  qui  est  indistinct  à  l'œil  nu.  A  une  certaine  distance 
des  montagnes,  l'on  n'observe  plus  ce  sable.  » 

M.  Nordenskfôld,  en  dépit  de  ses  recherches,  n'a  pu 
découvrir  dans  la  kryokonite,  aucun  gravier  ou  grain  de 
sable.  Elle  contient  au  contraire  de  très  fines  particules 
de  fer  nickelifère.  Sur  le  glacier,  elle  ne  forme  pas  une 
couche  d'un  seul  tenant;  mais,  lors  de  la  fonte  des  neiges, 
elle  se  dépose  dans  les  trous  de  la  surface  du  glacier.  Ces 
trous  sont  généralement  ronds,  plus  rarement  demi-circu- 
laires, profonds  de  0",30  à  0™,90;  leur  largeur  varie  de 
quelques  millimètres  à  un  mètre.  La  kryokonite  remplit  le 


AU  GROENLAND.  69 

fond  de  ces  cavités  d'une  couche  épaisse  de  1  à  4  milii- 
mètresy  où  souvent,  sous  rinfluencd  du  vent  ou  fax  suite  de 
la  présence  d'organisme,  elle  forme  des  concrétions.  Dans 
les  endroits  oîi  la  surface  du  glacier  n'a  pas  été  ravinée  par 
des  cours  d'eau,  les  trous  de  kryokonite  sont  aussi  rap- 
prochés les  uns  des  autres  que  les  alvéoles  d'un  gâteau  de 
miel.  Là  température  s'abaisse4-elle  durant  la  nuit  de 
quelques  degrés  au-dessous  de  zéro,  la  couche  superficielle 
de  l'eau  qui  remplit  ces  cavités  gèle;  même  si  le  froid  est 
très  vif,  la  plaque  d'eau  ne  se  solidifie  pas  entièrement.  La 
croûte  CTista:lline,  ainsi  formée,  est  par  suite  rarement  assez 
forte  pour  pouvoir  supporter  le  poids  d'un  homme, 
notamment  lorsqu'elle  a  été  recouverte  de  neige  fraîche. 

Les  trous  de  kryokonite  exposèrent  les  explorateurs  aux 
plus  grands  dangers.  Ces  cavités  étaient  juste  assez  larges 
pour  que  le  pied  pût  s'y  engager;  à  chaque  instant  on  cou- 
rait le  risque  d'enfoncer  une  jambe  dans  un  trou  masqué 
par  une  couche  de  neige.  Pendant  quatre  jours  à  l'aller  et 
trois  jours  au  retour,  la  caravane  chemina  sur  un  terrain 
percé  de  milliers  de  trous.  Durant  ce  laps  de  temps,  d'après 
un  calcul  du  chef  de  l'expédition,  chaque  homme  tomba 
en  moyenne  100  fois  par  jour,  ce  qui  fait  pour  toute  la 
caravane  un  total  de  7000  chutes  dans  une  semaine. 

Le  16  juillet,  les  explorateurs  avancèrent  de  treize  kilo- 
mètres, le  17,  de  huit  et  demi,  et  le  18,  de  dix-^ept  et  demi. 
La  surface  du  glacier  présentait  une  pente  doucement 
inclinée;  sur  une  distance  de  48  kilomètres,  il  ne  s'élevait 
que  de  248  mètres  (de  965  à  1313  mètres).  Le  glacier  était, 
par  suite,  d'un  parcours  plus  facile;  toutefois,  sur  les  bords  de  ' 
petits  lacs,  la  caravane  rencontra  d'assez  grandes  difficultés 
duesàl'existence  d'une  couche  superficielle'de  neige  fondante 
dans  laquelle  les  traîneaux  enfonçaient  profondément. 

Ces  bassins  lacustres  doivent  contenir,  même  en  hiver, 
une  certaine  quantité  d'eau,  ainsi  que  semble  l'indiquer 
l'épaisseur  des  glaçons  échoués  sur  leurs  bords. 


70  .    EXPÉDITION  DU .  PRQrE;$SEUR  NORDENSKIÔLD 

f  Le  19  elle  30,  les  explorateurs  avancèrent  deirente^uatre 
kilomètres,  rapidité  due  à  Texcellent  état  de  la  neige  dnrôe 
par  la  gelée.  Dans  la  nuit  du  30  au  24,  la  pluie  lônt 
transformer  la  noige  fraîche  et  la  vieille  neige  de  Tannée 
précédente  en   une   bouillie   épaisse   dans   laquelle  les 
traîneaux  restaient  embourbés.  Quatre  hommes  ne  réussis* 
saient  qu'avec  peine  h  les  bâler.  L'étape  de  la  journée 
ne  fut  que  de  sept  kilomètres.  lie  soir,  les  explorateurs 
ne  trouvèrent  qu'après  de  longues  recherches  une  plaque 
sèche  pour  camper,  et,  le  lendemain,  il  durent  s'établir 
sur  une  couche  de  neige  fondante  au  milieu  de  laquelle  les 
matelas  en  caoutchouc  formaient  une  sorte  de  radeau.  La 
situatU>n  devenait  critique.  Le  21,  dans  raprès^midi,  un 
Lapon  parti  en  reconnaissance,  avait  trouyé  partout,  à  l'est, 
la  surface  du  glacier  recouverte  d'une  épaisse  bouillie  de 
neige  impraticable  axuc  traîneaux.  D'autre  part,  la  caravane 
ne  pouvait  abandonner  les  bagages  pour  continuer   sa 
marche.  H.  Nordenskidld  résolut  alors  d'envoyer  en  avaiO; 
les  Lapons.  Montés  sur  leurs  longs  patins,  ils  pourraient 
avancer  très  vite  et  sans  difficulté.  D'après  les  ordres  écrits 
que  leur  renoit  le  cbef  de  l'expédition,  leur  absence  ne 
devait  pas  excéder  quatre  jours;  la  caravane  les  attendrait 
toutefois  pendant  six  jours.  Passé  ce  délai,  elle  se  remettnûi 
en  route  pour  regagner  la  côte,  en  laissant  néanmoins  sur  le 
glad^  les  approvisionnements  nécessaires.  Les  Lapons 
étaient  munis  d'une  montre,  d'un  anéroïde  et  de  deux  betts-> 
soles.  Suivant   les  instructions  de  M.  Nordenski^,  ils 
devaient,  Um^  les  trois.  millesS  observer  la  direction  suivie  01 
noter  l'altitude;  s'ils  attei^aient  une  région  dépouillée  de 
l^adiers,  ils^  avaient  prdre* de  rapporter  des  échantillons  de 
la  végétation; 

Le  point  atteint,  par  la  caravane,  âaità  121  kilomètres 
de  la  côte  et  à  une  altitude  de  1492  mètres. 

1.  Le  mille  suédois  vwt  çiivtr9]»,iO(ÛOO. mètres. 


'      •  »  Air  GROtNLATlD.  71 

Le  S2  juillet,  ters  â  heures  du  matin,  les  Lapons  se 
nrîrent  en  route  et  te  restant  de  la  caravane  s'établit  sous 
latente;  Le  33,  M.  Nordenskidld  fat  témoin  d'un  phtoo* 
mène  météoroldgique  intéressant,  qu'il  a  eu,  du  reste, 
l'occasion  d'obserter  plusieurs  fois  pendant  son  excursion 
sur  inlandsis.  Le  eiel  était  couvert  d'une  mince  couche  de 
nuages  que  les  rayons  du  soleil  traversaient  sans  perdre  de 
ealoriqae'j  Par  moment,  ces  brumes  s'abaissaient  &  la  sur- 
faee  du  glacier.  Oîi  pouvait  alors  reconnaître  qu'elles  ne  con* 
tenaient  aucune  humidité,  Car,  dans  ce  milieu,  les  vêlements 
mouiliés  des  explorateurs  séchaient  rapidement.  M.  Nor- 
denskiôld  compare  ce  phénomène  à  la  fbmée  du  soleil  obser- 
vée en  Scandinavie,  ou  au  brduillard  sec  décrit  par  Arago. 

Le24,  à  midi,  après  uAe  absence  de  cinquante-sept  heures, 
leJB  Lapons  rallièrent  la  caravane.  Ils  déclaraient  s'être 
avancés  à  330  kilomètres  sur  le  glacier  sans  avoir  aperça 
aucune  terre.  Au  point  ofi  ils  avaient  rebroussé  chemin,  le 
bftromètre  marquait  une  altitude  de  3000  mètres.  Le  manque 
é^u  et  de  combustible  pour  fkire  fondre  la  neige  les  avait 
forcés  de  revenir  en  arrière. 

Dans  les  rapports  qu'il  a  adressés  à  M.  0.  Dickson,  M.  Nor- 
densUôId  donne  les  renseignements  suivants  sur  Ta  recon- 
nalsMinoe  poussée  par  les  Lapons,  a  A  partir  de  50  kilomètre^ 
àTest  du  dix-huitième  campement,  ils  ne  trouvèrent  plas 
d'eau.  Plusloio,  la  suri^aicedu  glacier  formait  des  plaines 
10BgoeS)de40fe90  kilomètres,  séparées  les  une  des  autres,  par 
des  lignes  de  hawteurs.  Le  thermomètre  marquait—  5^.  Lars 
disait  n'avoir  jamais  renëontré  auparavant  terrain  plus  favo- 
rable pour  une  course  sur  des  patins.  Au  point  oti  les 
Lapons  avaient  battu  en  retraite,  la  neige  était  unie  et 
tassée  par  le  vent.  Aucune  terre  n'était  visible;  à  perte  de 
vue  s'étendait  le  glacier  sans  aucun  accident  de  terrain,  re- 
recouvertd'nn  névé  à  grains  très  fins.  Linlandsis  s'élevait 
en  formant  pour  ainsi  dire  un  gigantesque  escalier  dont  les 
marches  étaient  très  larges  et  très  basses.  » 


72  EXPÉDITION  DU  PROFESSEUR  NORDENSKIÔLD 

Le  25  juillet,  la  caravane  se  remit  en  marche  pour  rega- 
gner  la  côte.  Le  retour  présenta  de  moindres  difficultés  que 
Taller,  les  ruisseaux  qui  sillonnaient  le  glacier  avaient  di- 
minué, et,  sous  Faction  de  la  fonte,  les  monticules  de  glace 
s'étaient  affaissés.  Les  explorateurs  eurent  par  contre  à  souf- 
frir du  froid.  Dans  la  nuit  du  27  juillet,  le  thermomètre 
s'abaissa  à  — 15<^  environ.  A  différentes  reprises,  pendant 
la  retraite,  l'on  observa  des  vols  d'oiseàux,  probablement  des 
échassiers,  qui  émigraient  vers  le  sud.  Le  31,  les  montagnes 
de  la  côte  furent  signalées,  et,  le  3  août  dans  l'après-midi, 
la  caravane  atterrit,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  puis  gagna 
Ëgdesminde,  oit  la  Sofia  arriva,  le  16  au  matin,  de  retour 
de  sa  croisière  dans  le  détroit  de  Davis. 

D'après  M.  Nordenskiold,  l'existance^de  cette  mer  de 
glace  dans  Tintérieur  du  Groenland  est  une  conséqueiicede 
la  forme  même  dusol.  DansTexposé  de  son  projet  de  voyage, 
le  célèbre  explorateur  suédois  s'exprimait  ainsi  :  c  Les  gla* 
ciers  ne  peuvent  exister  dans  l'intérieur  de  la  péninsule^que 
si  la  partie  do  Groenland  élevée  au-dessus  de  la  mer  a  la  forme 
d'un  dôme  Rabaissant  par  des  pentes. douces  et  régulières 
vers  la  mer^  »  Or,  précisément^  dans  la  région  comprise 
entre  le  68*  et  le  69®  de  latitude  N.,  explorée  par  l'expédi- 
tion suédoise,  le  relief  du  soi  présente  cette  forme,  condi- 
tion nécessaire  à  l'existence  de  l'Inlandsis.  La  question  reste 
donc  entière  ^  l'hypothèse  émise  par  M.  Nordenskiold  peut 
se  trouver  réalisée  dans  d'autres  régions  de  la  péninsule 
dont  les  formes  orographiques  seraient  différentes. 

IV 

Au  nombre  des  travaux  que  l'expédition  suédoise  devait 
entreprendre  au  Groenland  figurait  Texploration  des  im- 
portants gisements  de  plantes  fossiles  de  l'île  Disco  (70«  de 

1.  A.  £.  Nordenskiold.  Den  blifvande  expeditiotientillGrônland.  Ymer 
1883»  n*  2.  p.  105. 


AU  GROENLAND.  73 

latitude  N.).  Cette  île  marque  la  limite  méridionale  de  la 
grande  formation  basaltique  du  Groenland  septentrional, 
dont  la  date  d'émission  est  nettement  indiquée  par  les 
rapports,  stratigraphiques  des  terrains.  Près  de  Gpdhavn, 
ces  basaltes  reposent  sur  des  gneiss,  et  <i»ns  la  partie  nord* 
est  de  nie,  sur  des  couches  de  sable  et  d*argile  crétacés.  A 
Test  de  Godhavn^  à  Puilasok,  des  lits  de  sable  et  d'argile 
contenant  des  fossiles  tertiaires,  sont  intercalés  dans  les  ba- 
saltes dont  ils  indiquent  ainsi  la  date  d'émission.  Toutes  c^s, 
formations  sont  très  fossilifères.  Elles  contiennent  surtout 
des  empreintes  de  plantes  ;  les  couches  tertiaires  renferment, 
en  outre,  des  débris  de  quelques  insectes  et  mollusques 
terrestres;  mais  ce  n'est  que  dans  les  couches  senonienoes 
de  Patoot  qu'on  a  trouvé  des  mollusques  marins,  des  our- 
sins, etc.  £n  1870,  M.  Nordenskiôld  avait  rapporté  de  ees. 
localités  une  très  belle  série  de  plantes  fossiles;  depuis, 
M.  Steenstrup,  géologue  danois  qui  a  passé  deux  ans  dans 
ces  parages,  a  étudié  avec  grand  soin  ces  gisements 
et  ses  collections  ont  permis  au  regretté  Oswald  Heer 
d'ajouter  une  page  à  sa  Flora  arctica  fossilis.  M.Nordens- 
kiôld.pensait,  avec  juste  raison,  qu'une  nouvelle  exploration 
de  cea  couches  fournirait  des  matériaux  encore  plus  com-* 
plets  pour  Fétude  de  la  flore  fossile  de  ces  étages.  Conduite 
par  le  docteur  Nathorst,  jeune  paléontologiste  suédois, 
dont  la  réputation  est  aujourd'hui  européenne,  cette  étude 
adonnéd'excellents  résultats.  Les  collectionsfaites  sur  la  côte 
nord-est  de  Tile  Disco  sont  particulièrement  im|iortantes. 
De  nombreuses  espèces  nouvelles  ou  qui  n'avaient  pas  encore 
été  découvertes  dans  ces  gisements  ont  été  recueillies. 
Citons  notamment  une  feuille  entière,  longue  de  30  centi- 
mètres, d'Aralia  Ravmana  Hr.  Algdlok.unguak,  les  plantes 
fossiles  crétacées  se  trouvent  non  seulement  dans .  des 
schistes  mais,  encore  dans  des  sphérosidérltes  ressemblant  à 
s'y  méprendre  à  celles  d'âge  tertiaire. .  Sur  ce  même  point 
et  à  Unartoarsuk,  M.  Nathorst  trouva  des  lits  importants  de 


14      EXPÉDITION  DU  FROf%88BUR  NORDENSKIÔLD 

racines^  preuve  iqne  ded  plantes  palustres  vivaient  dan»  ees 
localités  et  que  ces  couches  fossilifères  se  sont  dépotées 
dans  des  eaux  douces,  comme  du  reste  Oswald  Heer  l'avait 
indîcpié. 

Les  géologues  suédms  ont  étudié  aussi,  dans  la  pre^ 
qu'ile  Noursoak,  les  célèbres  formations  teitlaires  d'Ata- 
nekerdluk,  qu^n  profond  ravin  permet  d'examiner  fad- 
lement.  En  1870,  M.  Nordensklôld  avait  signalé  à  Atane, 
localité  située  à  quelque  distance  à  Touest,  des  couc&es 
oénomanîennes  qui,  jusque  là,  n'avaient  pas  été  signalées  au 
Ghroênland»  Oes  couches  se  continuaient  jusqu'à  la  base  da 
ravin  d'Atdnekerdluk.  Il  restait  à  déterminer  dans  cette 
coupure,  Tftge  des  terrains  couiprisentrele  cénomanienet 
les  sphéirosidérites  tertiaires  des  escarpements  supérieurs. 
M.Steenstrup  ayant  découvert  à  Patoot  unefloresénonienne, 
i4  était  permis  de  supposer  que  cette  formation  devait  se 
rencontrer  à  mi-côte  dans  le  ravin  d'Atanekerdluk.  Tout  au 
contraire,  M.  Nathorst  n'a  trouvé  dans  cette  localité,  a» 
dessous  des!  Cx>uche8  miocènes  que  des  formations  cénoma- 
niepines  renfermant^du  reste  de  nombreuses  plantes  fossiles 
nouvelles!.  L'examen  de  ces  collections  paléontologiques  est 
aujourd'hui  à  peine  commencé»  M,  Nathorst  cite,  parmi  les 
échantillons  qu'il  a  recueillis  dans  cette  localité,  des  feuilles 
d'une  espèce  de  jffnftgro,appartenant  à  un  type  qui  jusqu'iei 
n'avaltétè  signalé  que  dans  les  terrains  jurassiques,  une  fou- 
gèreà  larges  feuilles  du  genre  A'^AorsIta,  des  magnolias, 
des  oinnamômutt,  des  lirioéendron,  des  ptérospermites, 
des  platanes,  ete:  * 

Sauf  pendant  quelques  jours,  cette  exploration  a  été  favo* 
risée  par  un  temps  ms^ifique.  La  température  ét'diit  même 
relativement  élevée,  et,  si  des  iceberg  n'avaient  dérivé  dans 
te  Waigatt,  les  géolo^s  suédois  auraient  pu  4W  croire,  non 
au  Groenland  par  le  70>  de  latitude  N.,  mais  en  Suède  où  fré- 
quemment Tété  n'est  pas  aussi  beau.  Par  ces  temps  chauds, 
M.  Nathorst  et   son   compagnon  éprouvèrent   de  vives 


▲U  «BOiflI.iKD.  75 

souffrances  causées  par  les  piqûres  d'essaims  innombrables 
de  moustiques. 

M.  Kathorst  domie^  dans  sa  relation  de  voyage,  d'intéres^ 
sants  renseignements  sur  les  chiens  eskimos.  Gomaie  les 
poneys  d'Islande,  ces  animaux  sont  nourris  en  hiver  de 
poi$s0n  sec  (angmakseUerfmllQtuê  mllosu»  MuU).  D'après 
WningeL^  Les  indigènes  des  côtes  septentrioDales  de  la  Sibérie 
donneraient  également  à  leurs  chiens  dUpoisson  see  en  hiver. 
A  l'époque  où  les  voyageurs  suédois  exploraient  le  Waigat, 
\t»  nudlotU9  venaient  frayer  sur  la  côte  et  s'avançaient  en 
niasse  jusqu'au  rivage,  où  les  indigènes  les  prenaient  avec 
dssécuelles.  Les  chiens  même,  se  mettaient»  de  la  partie,  se 
jetaient  à  l'eau  et  attrapaient  les  poissons  à  leur  portée^ 

•Au  celûur  de  son  excursion  au  cap  York,  le  ly  Nathorst 
a  .étudié  les  formations  scsioniennes  de  Patoot.  Outre 
des  emipreintes  de  plantes,  il  y  a  reeueilli  des  Oursins,  des 
Moules,  etc.  Une  partie  de  ces  couches  se  seraient  donc 
déposées  en  mer,  d'autres^  au  contraire,  dans  des  eaux 
douces.  Cette  localité  est  ifitéressante  à  un  autre  point  de 
vue.  Une  imporlante  combustion  a  eu  lieu  sur  un  vaste  pé- 
rimètre autour  de  Patoot.  La  roche,  — un  schiste  primi- 
tivement bitumineux,  —  e6t  jusqu'à  450  mètres  environ,  en* 
tièrement  carbonisée  comme  la. cendre  du  charbon  impur. 
Sa  ecdoratîon  est  très  variée  :  généralement  elle  est  rouge 
brique,  ailleurs,  elle  est  jaune  clair,  blanche  ou  marron. 
Çà  et  là  on  trouve  de  gros  morceaux  de  sooriês^tantôt  vé- 
siculaires  comme  celles  d'iun.baut  fourneau,  tantôt  com* 
posées  de  schistes  agglutinés.  Cette  roche  calcinée  con- 
tient de  nombreuses  empreintes  de  plantes  fossiles,  le 
feu  ayant  rendu  résistants -ces  schi^es  qui  auparavant  se 
délitaient  facilement.  Cette  carbonisation  du  sol  n'a  été 
que  superficielle,  car  lescoucfaes  profcMides,  mises  à  découvert 
dans  des  ravins,  ontconsetvé  leur  couleur  foncée  primitive. 
Il  est  diffieile  de  rcconnaîlrela  cause,  de  cette  combustion. 
ËUe  ne  s'est  pas  produite  lors  de  la  venue  des  basaltes, car, 


76      EXPÉDITION  DU  PROFESSEUR  NORDENSKIÔLD 

dans  un  endroit  où  les  schistes  sont  traversés  par  un  filon 
de  basalte,  ces  roches  volcaniques  portent  elles-mènies  la 
trace  de  feu.  La  calcination  est  donc  postérieure  à  l'émis- 
sion des  basaltes.  Si  le  Waigat  existait  avant  la  période 
glaciaire,  cette  calcination  a  peut-être  été  déterminée  par 
rincendie  de  quelque  grande  forêt  qui  couvrait  cette  région 
avant  l'époqpe  glaciaire.  Le  feu  se  se^a  alors  communiqué 
aux  couches  carbonifères  et  aux  schistes  bitumineux.de  la 
surface ,    . 

M.  Nathorst  a  visité  encore,  dans  ces  parages^  File  du 
Lièvre  (Haro),  à  Touest  du  Waigat.  Cette  île  est  constituée 
par  des  nappes  de  basalte  entre  lesquelles  sont  intercalées, 
dans  la  région  nord^st,  des  couches  de  charbon,  d'argile  et 
de  sphérosidérite  tertiaires,  très  riches  en  empreintes  de 
plantes.  Les  couches  de  charbon,  qui  ressemblent  beaucoup 
aux  lignites,  contiennent  une  résine  fossile  analogue  à 
Tambre.  L'existence  d'empreintes  de  plantes  dans  des  tufs 
volcaniques,  indique  que  ces  gisements  fossilifères  se  sont 
formés  pendant  la  venue  des  basaltes. 


Gomme  nous  l'avons  raconté  précédemment,  une  partie  de 
l'équipage  de  h  Sofia  avait  accompagné  pendant  deux  jours 
la  caravane  qui  partait  pour  explorer  Tlnlandsis.  Le  7  août, 
tout  le  mondé  ayant  rallié  le  bord,Ie  capitaine  ordonna  d'appa- 
reiller pour  aller  rejoindre  MM.  Nathorst  et  Hamberg  sur  les 
bords  du  Waigat.  Entre  temps,  une  masse  considérable  de 
glace  s'était  détachée  du  glacier  qui  débouche  dansTAulaîtsi- 
vikfjord,  et  s'était  agglutinée  en  une  masse  compacte,  barrant 
complètement  la  passe.  La  Sofia  dut,  par  suite,  rester  au 
mouillage.  Retenue  par  cette  digue  artificielle,  l'eau  s'éleva 
de  plus  de  3  mètres  au  fond  du  fjord.  Dans  la  nuit  du  10 
au  il  juillet  le  vêlage  du  glacier  continua,  et  le  fjord  se 
couvrit  de  glaces  à  perte  de  vue.  Le  12,  le  capitaine  ayant 


AU  GROENLAND.  «77 

aperçu  quelques,  ouvertures  et  un  mouvement  marqué  dans 
la  banquise,  résolut  d'essayer  de  gagner  la  mer.  La  tentative 
réussit  sans  autre  dommage  pour  le  navire  que  la  perte  de 
l'extrémité  d'une  branche  de  l'hélice.  Dans  la  nuit  du 
15  au  16,  la  Sofia  arriva  dans  le  Waigat.  Après  avoir  rallié  le 
D' Nathorst  et  son  compagnon,  puis  embarqué  1 50  tonnes 
decharbon  au  gisement  de  Ritenbeck,  sur  la  côte  nord-est  de 
l'île  Disco,  l'expédition  fit  route  au  nord  pour  atteindre  le 
cap  Yorkoti  les  naturalistes  devaient  étudier  les  blocé  de  fer 
natif  signalés  par  Ross.  Le  14,  à  cinq  heures  du  matin,  la  5o/!a 
rencontra  les  premières  glaces,  c'était  de  la  vieille  glace  de 
haie^.  Le  champ  n'était  toutefois  pas  assez  compact  pour 
arrêter  la  marche,  et,  pendant  toute  la  journée,  le  navire 
avança  au  milieu  des  drîfis,  obligé  seulement  à  cause  du 
brouillard  de  stopper  de  temps  en  temps.  La  faune  était 
pauvre  dans  ces  parages  :  quelques  phoques  et  mouettes 
furent  seuls  signalés.  Une  observation  faite  à  minuit  indiquait 
comme  position  75*'20'  de  lat.  environ. 

Pendant  deux  jours  l'expédition  manœuvra  péniblement 
au  milieu  des  glaces  pour  avancer  vers  le  nord.  Le  26  enfin, 
elle  put  faire  route  dans  la  direction  désirée.  L'après-midi, 
de  nombreuses  bandes  de  guillemots  nains  (Jlf^r^i^It^^alJ^yL.) 
indiquèrent  l'approche  d'une  terre,  et,  à  cinq  heures.  Ton 
aperçut  une  côte  escarpée  dont  les  rochers,  recouverts  d'une 
couche  de  Xanthoria  elegans,  avaient  une  belle  couleur  jau- 
nâtre. C'était  le  Conîcal  Rock.  Pour  atteindre  le  cap  York, 
l'expédition  n'avait  plus  qu'à  se  diriger  vers  l'est,  mais  de  ce 
côté  s'étendait  une  banquise  compacte  qui  paraissait  adhé- 
rente au  rivage.  Au  nord-est  du  Gonical  Rock  la  côte  s'inflé- 
chissait pour  former  une  baie  libre  à  ce  moment;  le  D""  Na- 
thorst ordonna  d'y  mouiller. 

Les  membres  de  l'expédition  ayant  aperçu  des  indigènes 
débarquèrent  immédiatement  pour  entrer  en  rapport  avec 

1.  Les  fangiimôn  désignent  sous  ce  nom  la  glace  qai  se  forme  dans  U 
baies  de  la  côte. 


78  EXPÉDITION  DU  PROFESSEUR  NO RDENSKIÔLD 

eux.  Un  Tieilkrd,  vôtu  d'une  peau  d'ours»  alla  à  leur  ren- 
contre et,  pour  leur  souhaiter  la  bienvenue,  se  mit  à  rire  à 
goi^e  déployée.  Hans  Henrtk,  interprète  de  Texpédition, 
répondit  de  même  à  cette  politesse.  Les  indigènes  avaient 
une  mine  épanouie  et  ^leur  physionomie  ne  portait  aucune 
marque  de  souffrance.  Une  épaisse  chevelure  flottait  sur 
leurs  épaules,  et  le  menton  de  quelques-uns  était  orné  d'une 
longue  barbe,  peu  fournie,  il  est  vrai.  Les  vêtements  de  ces 
Ëskimos,  faits  de  peau  d'ours,  de  chiens  ou  d^oiseaux, 
ressemblaient  à  ceux  des  ind^nes  du  Groenland  méri- 
dional. Les  enfants  [étaient  généralement  vêtus  de  peaux 
de  renards.  Les  femmes  se  présentèrent  aux  membreis 
de  l'expédition  la  bouche  barbouillée  du  sang][des  guillemots 
qu'elles  venaient  de  manger  tout  crus.  Ces  palmipèdes 
pondent  par  milliers  dans  les  éboulis  du  voisinage,  et  les 
Eskimos  les  capturent  avec  un  filet  suspendu  à  une  perche, 
lorsqu'ils  volent  au-dessus  de  leur  tête.  D'un  coup  de  main 
fort  adroit,  ils  tuent  ces  oiseaux,  puis,  après  les  avoir  dé- 
pouillés à  la  partie  inférieure  du  corps,  se  mettent  à  les 
manger.  Les  tentes  de  campement,  faites  de  peaux  de  phoque, 
étaient  basses  et  de  petites  dimensions.  Ces  Eskimos 
n'avaient  aucun  Kajak  ni  aucune  autre  embarcation.  Quel- 
ques harpons  en  os,  des  filets  pour  prendre  les  oiseaux,  un 
couteau,  tels  étaient  leurs  seuls  engins  de  chasse  et  dépêche. 
Avec  ces  armes  ils  réussissent  pourtant  à  tuer  des  morses, 
des  phoques  et  même  des  ours.  Ne  possédant  pas  d'arc  ils 
ne  peuvent  que  difficilement  abattre  des  rennes.  Ces  Eskimos 
s'établissent  l'été  sur  les  bords  du  Qord  dans  lequel  l'expé- 
dition était  mouillée,  appelé  par  eux  Ivsugigsok,  et  passent 
l'hiver  dans  une  île  du  détroit  de  Wolstenholme  où  ils 
capturent  des  morses. 

Le  27,  deux  Eskimos  qui  étaient  allés  reconnaître  l'état 
des  glaces  autour  du  cap  York,  annoncèrent  que  la  banquise 
était  toujours  fixe  au  rivage.  Lès  naturalistes  de  l'expé- 
dition profitèrent  de  cette  relâche  forcée  pour  faire  des  col- 


AU  GROfilfIfAND.  79 

leciions  d'histoire  natareUe.  Le  D''  T^atborslty  en  gravissant 
une  colline  haate  de  350 à  450  mètres,  située  entre  les  denz 
glaciers  qui  déboucheat  au  fodd  du  fjord,  reoaeiUit  des 
exemplaires  de  58  plantes,  notamment  de  Plauropogou 
Sabineiy  dont  la  préseoce  n'avait  point  encore  été  signalée 
au  Groenland  ;  une  variété  nouvelle  de  Luzula  spicaitty  et 
Y  Air  a  brevifolia  R.  Br.  inconnue  jusqu'ioi  sur  la  côte 
occidentale.  Dans  la  matinée,  un  banc  de  glaces  vint  barirer 
l'entrée  du  Qord  ;  plus  tard  la  glace  commença  à  dériver  vers 
la  partie  supérieure  du  mouillage,  et,  le  28,  au  matin,  le  Qord 
était  presque  entièrement  rempli  de  drifis;  le  long  de  la  rive 
nord  s*o^vrait  seulement  un  chenal  très  étroit.  Bientôt  la 
Sofia  fut  complètement  entourée  et  si  des  pressions  s'étaient 
fait  sentir,  une  catastrophe  aurait  pu  se  produire. 

D'après  les  indigènes,  les  blocs  de  fer  natif  que  l'expédi- 
tion avait  mission  d'étudier  se  trouvaient  sur  les  bords  dW 
fjord,  à  une  dizaine  de  milles  de  la  côte.  Les  explorateurs 
suédois  auraient  pu  facilement  atteindre  ce  gisement  sur  des 
traîneaux  tirés  par  des  chiens,  comme  l'avait  fait  un  Eskimo 
arrivé  la  veille  du  cap  York.  Mais  la  situation  du  navire 
était  trop  critique  pour  que  cette  excursion  pût  être  exé- 
cutée; en  second  lieu  elle  aurait  exigé  un  temps  assez  long; 
par  suite,  la  Sofia  ne  serait  pas  revenue  à  Egedesminde  à 
l'époque  fixée  par  M.  Nordenskiôld.  Si  un  accident  était  ar- 
rivé à  la  caravane  qui  explorait  l'Inlandsis,  ce  retard  pouvait 
avoir  les  plus  fâcheuses  conséquences.  Cette  pensée  déter- 
mina M.  Nathorstà  profiter  de  la  première  occasion  favorable 
pour  battre  en  retraite. 

Dans  la  matinée  du  29,  la  banquise  s'étant  disloquée,  la 
Sofia  sortit  du  fjord.  Toute  la  mer  de  Baffin  était  cou* 
verte  de  glaces  compactes,  comparables  à  celles  que  l'ex- 
pédition devait  rencontrer  plus  tard  sur  la  côte  orientale^ 
Le  1"^  août  seulement,  le  navire  put  gagner  des  eaux  libres 
et  le  même  jour,  à  huit  heures  du  soir,  il  mouilla  dans  le 
port  d'Upernivik.  Il  se  rendit  ensuite  à  Ritenbeck  où  il  arriva 


80  EXPÉDITION  DU  PROFESSEUR  NORDENSKIÔLD 

le  5  au  matin.  L'expédition  resta  dans  le  Waigat  jusqu'au 
i3  pour  embarquer  du  charbon  et  permettre  au  D''  Nathorst 
d'étudier  les  gisements  dePatoot  et  l'île  du  Lièvre  (voir  plus 
haut).  Entre  temps  elle  exécuta  une  excursion  hydrogra- 
phique dans  la  mer  de  Bafûn,  mais  une  tempête  l'obligea  à 
rentrer  promptement  dans  le  Skergârd.  Finalement,  le 
16,  la  So/!a  arriva  à  Egedesminde  où  l'attendaient  M.  Nor- 
denskiôld  et  ses  compagnons. 


VI 


Il  restait  à  l'expédition  suédoise  à  exécuter  la  dernière 
partie  de  son  programme,  à  atteindre  la  côte  orientale  du 
Groenland  au-dessous  du  cercle  polaire. 

Le  16  août,  dans  l'après-midi,  la  Sofia  quitta  Egedes- 
minde pour  se  rendre  à  Ivigtut.  Les  environs  de  cetie  sta- 
tion fournirent  d'intéressants  sujets  d'études  aux  natu- 
ralistes de  l'expédition,  notamment  au  botaniste.  Près 
d'Ivigtut  s'ouvre  une  vallée  ornée  d'une  végétation  très 
belle  pour  le  Groenland,  et  qui,  pour  ce  motif,  a  reçu  le 
nom  caractéristique  de  Grondai  (vallée  verte).  Le  D'  Na- 
thorst y  découvrit  des  exemplaires  de  la  Linnea  borealis, 
inconnue  jusqu'ici  au  Groenland.  Autour  des  maisons  de  la 
colonie,  il  reconnut,  en  outre,  la  présence  de  graminées  qui, 
apportées  d'Europe  avec  des  plantes  industrielles,  s'étaient 
développées  sur  ce  terrain.  Une  roche  syénitique  trouvée 
dans  cette  localité  contenait  un  minéral  bleu  qui  parut  être 
de  la  sodalithe.  Le  même  minéral  se  rencontre  dans  le 
voisinage  du  gisement  de  kryolithe  de  la  [montagne  Ilmen 
(Oural),  gisement  peu  important,  du  reste.  Une  certaine 
relation  semble  donc  exister  dans  la  venue  de  ces  deux  mi- 
néraux très  riches  en  soudé  et  le  géologue  doit  recher- 
cher la  kryolithe  dans  les  environs  des  gisements  de  soda- 
lithe. Aux  environs  d'Ivigtut  Ton  rencontre  de  nombreuses 
espèces  minérales  intéressantes,  la  plupart  spéciales  à  ces 


AU  GROENLAND.  Sf 

parages.  Cette  station  peut,  par  saite,  être  considérée  comme 
une  localité  classique  pour  le  minéralogiste. 

Dlvigtut  l'expédition  fit  route  vers  Julianehaab  et  le  fjord 
d'Igaliko.  Sur  les  bords  de  ce  fjord  au  milieu  de  prairies  assez 
verdoyantes,  découpées  par  des  murettes  en  pierre  qui  jadis 
limitaient  les  propriétés,  se  trouvent  des  ruines,  qui,  d'après 
certains  archéologues  danois,  seraient  les  vestiges  dngârd*^ 
d'Eric  le  Rougd.  Ces  ruines  sont  beaucoup  moins  impor* 
tantes  que  ne  le  font  croires  les  inscriptions.  Les  murs  du 
prétendu  gârd  d'Eric  le  Rouge  ne  sont  pas  aussi  élevés  que 
les  soubassements  en  pierre  d'une  pauvre  cabane,  mais  les 
Mocs  employés  dans  ces  constructions  ont  des  dimensions 
'  véritablement  étonnantes.  On  ne  peut  comprendre  com- 
ment de  pareilles  masses  ont  pu  être  amenées  là  et  appa- 
reillées sans  l'aide  de  leviers  et  de  pouliest 

Aux  environs  de  Julianehaab,  la  végétation  est  relative- 
ment développée.  Sur  les  bords  du  Tasermiut  fjord,  sur- 
Donâmé  l'Italie  du  Groenland,  croisssent  des  bouleaux  dont 
la  tige  atteint  une  hauteur  de  quatre  à  cinq  mètres  et  une 
épaisseur  de  trente  centimètres.  Les  prajries  sont  assez 
fournies  et  les  Eskimos  de  ce  district  s'occupent  de  l'éle- 
vage dtt  bétail  et  de  la  culture  de  quelques  Légumes,  pom- 
mes de  terre  et  navets.  Le  sol  est  toutefois  ou  trop  gras  ou 
mal  fumé,  car  les  pommes  de  terre  récoltées  sont  molles  et 
aqueuses. 

•Dans  cette  région,  les  mollusques  terrestres  ne  sont  repré- 
sentés que  par  trois  genres  (des  Physa^  des  Vitrina  et  des 
Belix)  ;  encore  les  individus  sont-ils  rares.  Les  zoologues 
recueillirent  en  outre  quelques  coléoptères  et  papillons, 
ainsi  que  des  insectes  appartenant  à  d'autres  ordres.  Le 
climat  de  la  Norvège  septentrionale  est  aussi  rigoureux  que 
celui  du  Groenland  méridional  ;  là  pourtant,  les  mollusques 
terrestres  et  les  coléoptères  sont  beaucoup  plus  nombreux, 

:1.  Maison. 

soc.  DE  GÉOGR.  —  1*'  TRIMESTRE  1885.  VI.  —  6 


82       EXPÉDITION  DU  PEOFE99EUR  NORDENSKIÔLD 

en  tant  qu'e6pèce9  etindmdus.  Peut-être  faut-il  conclure  de 
ce  fait  que  le  manteau  de  glace  qui  a  recouvert  ces  pays  a 
disparu  plus  récemment  du  Groenland  méridionaL  Dans 
.  tous  les,  cas,  c^te  observation  permet  dq  se  faire  une  idée 
de  la  longue  période  nécessaire  pour  qu'une  espèce  appar- 
tenant, aux  genres  les  plus  sédentaires  ait  le  temps  de  se 
développer  sur  de  nouvelles  terres^ 

En  netournant  la  nuit  à  Julianehaab,  l'expédition ,  sué- 
doise fut  témoin  d'un  phénomène  très  curieux.  Le  temps 
était  beaUy  la  mer  calme^  soudain,  une  large  bande  lumi- 
neuse parut  à  la  surface  du  Qord,  en  arrière  du  navire.  Cette 
lueur  d'une  couleur  jaun&tre' ressemblait  à  celle  qu'émet- 
tent des  matières  phosphorescentes.  La  Sofia  marchait,  à  ce 
moment,  avec  nne  vitesse  de  4  à  &  nmuds;  néanmoins,  la 
bande  lumineuse.se  rapprochait  de  plus  en  plus  du  vapeur, 
bientôt  elle  l'atteignit,  puis  le  dépassa  et  disparut  en  con- 
tinuant ?a  marche  sans  que  M.  Nordenskidld  ait  eu  le 
temps.de  l'examiner  au  spectroscope.  Un  moment  le  navire 
sembla  navigner  sur  une  mer  de  feu  ou  de  métal  f(mdu. 
Cette  lueur  ne  provenait  ni  de  noctiluques,  ni  d'une  phospho- 
rescence produite  par  quelque  banc  de  poissons.  La  lueur 
émise  par  les  zoophytes  a  une  couleur  bleuâtre,  très  diifé- 
rente  de  la  couleur  jaunâtre  de  cette  bande  brillante,  comme 
on  pouvait  en  juger  par  quelques  noctiluques  visibles  à  ce 
moment  même  dans  le  sillage  du  navire.  D'autre  part,  la  pré-, 
sence  de  poissons  se  serait  révélée  par  un  mouvement  dans 
l'eau,  or,  pendant  toute  la  durée  de  l'apparition,  la  mer  était 
absolument  unie;  d'ailleurs  les  lueurs  phosphorescentes, 
émises  par  les  poissons  sont  bleuâtres  et  non  jaunâtres. 
Les  Ëskimos  qui  étaient  à  bord  donnèrent  une  explication 
assezpl  aisantede  ce  phénomène.  Us  racontèrent  qu'  une  rivière 
issue  d'un  glacier  débouchant  dans  le  voisinage,  recouvrait 
la  surface  du  fjord  d'une  mince  couche  d'eau  d'une  faible 
salure  et  tenant  de  l'argile  en  suspension;  à  leur  avis  ce 
fait  serait  en  connexion  avec  le  phénomène  observé.  Au 


AU  GROENLAND,     .  fi? 

moment  oti  la  bande  lumineuse  fut  remarquée,-  aucune 
frange  d'aurore  boréale  n'était  visible.  M^  NordenskiOld  ai*- 
elare  ne  pouvoir  indiquer  aucune  cause  à  ce  beau  phéno- 
mène qui  dura  environ  dix  à  quinze  minutes.  Un  des  héroç^ 
légendaires  de  l'histoire  du  <jrroênland,  Lig-Lodin^  raconta 
au  roi  Harald  Sigurdsftn  qu'il  avait  navigué,  un  jour,  sur 
une  mer  de  feu.  Peut-être  la  lueur  observée  par  l'expédi- 
tion suédoise' est  elle  de  la  nature  dé  celle  que  vjit>  il  y  a 
quelques  siècles,  le  célèbre  Vikîng. 

Après  avoir  embarqué  à  Frederiksdal,  comme  interprète, 
le  pasteur  Brodbeck  qui,  en  1^81,  avait  fait  une  intéressante 
exploration  sur  la  Côte  orientale,  la  Sofia  fil  route  vers  la 
c6te  orientale  pour  essayer  d'atterrir  au  dessous  du  parallèle 
de  l'Islande^  Cette  partie  du  programme  de  l'expédition  était 
regardée  comme  inexcutable  par  tous  les  explorateurs  pp-^ 
laires.  M.  Norden^kiôld  ne  cite  pas  moins  de  dix»huitexpé- 
ditioiis  qui,  depuis  1579,  ont  vainement  essayé  d'atteindre 
la  c6te  orientale  du  Groenland  au-dessous  du  cercle  Polaire. 
C'est  probablement  en  essayant  de  franchir  la  banquise  qui 
ferme  cette  partie  de  la  côte  qu'en  1832  le  brick  la  Lilloise^ 
comj:nandé  par  le  lieutenant  de  Blosseville,  se  perdit  corps 
etj)ien.  En  1860^  le  plus  expérimenté  des  «  artic  officers  », 
Mac  Glintock,  échoua  dans  une  tentative  de  ce  genre*  Plus 
récemment,  en  1879,  le  capitaine  Mourier  de  la  marine 
royale  danoise,  commandant  )a  goélette  à  ya.peur,V Ingolf 
«•avança  jusqu'en  vue  de  terre,  pendant  une  campagne  hy-r 
drogrâphique  dans  le  détroit  de  Danemark;  d'impénétrables 
masses  de  glaees  l'empêchèrent  de  débarquer.  Dans  son 
rapport,  cet  officier  déclare  même  que  toute  tentative  faite 
de  la  pleine  mer  pour  percer  la  barrière  de  glace  qui 
bloque  la  côte  du  Groenland  au-dessous  du  cercle  polaire, 
ne  présente  aucune  chance  de  succès. 

M.  Nordenskiôld  ne  partageait  pas  cette  opinion.  A  son 
avis,  les  insuccès  des  expéditions  précédentes  devaient  étrç 
attribuées  soit  à  des  circonstances  défavorables,  soit,  dans  la 


84  EXPÉDITION  D0  PROFESSEUR  NOROENSKIÔLD 

plupart  des  cas,  à  l'emploi  de  navires  à  voile;  un  chenal 
libre  devait,  croyaitril,  exister  le  long  de  la  côte,  chenal  vrai- 
semblablement trop  pen  profond  pour  qne  de  grands  is- 
.  bergs  et  de  gros  glaçons  pussent  s'y  rencontrer  C'est 
cette  route  qu'il  se  proposait  de  suivre.  Pour  entrer  dans  ce 
chenal,  H.  Nordenskiôld  pensait  suivre  le  Ramiagdluksund 
et  llkeksund,  détroits  qui,  au  nord  du  cap  Farvel,  séparent 
du.  continent  grofinlandais  quelques  grandes  îles* 

Le  30  août,  favorisée  par  un  temps  magnifique,  la  Sofia 
commença  sa  navigation  au  milieu  du  skœrgard  et  avança 
sans  difficulté  jusqu'à  Kungmiut,  point  oh  l'Ikeksund  et 
llkerasaksund,  se  coupent  à  angle  droit.  Vers  le  milieu  de 
l'Ikerasaksund,  la  glace  devint  très  épaisse; c'était  de  lu  glace 
de  mer  compacte,  au  milieu  de  laquelle  dérivaient  quel- 
ques isbergs.  Le  navire  dut  alors  s'arrêter,  puis  revenir  en 
arrière,  aucun  mouillage  où  il  aurait  pu  attendre  un  chan- 
gement dans  l'état  des  glaces  ne  se  trouvant  aux  environs. 
Ce  détroit  est  bordé  de  hautes  montagnes  aux  formes  alpines 
et  les  fonds  sont  trop  profonds  pour  permettre  d'ancrer.  Le 
navire  alla  alors  se  réfugier  sur  la  rive  nord  de  l'ikerasak  ; 
là  il  fut  de  nouveau  menacé  par  les  glaces,  et,  à  différentes 
reprises,  par  une  nuit  obscure,  la  Sofia  dut  changer  ile 
mouillage. 

Le  lendemain,  l'expédition  fit  route  au  sud  par  l'ikerasak- 
sund.  Des  masses  impénétrables  de  glace  la  forcèrent  bien- 
tôt à  rebrousser  chemin.  Une  nouvelle  tentative  pour  tra- 
verser rikeksund  ne  réussit  pas  mieux,  les  glaces  y  étaient 
encore  plus  compactes  que  la  veille.  La  Sofia  battit  alors  en 
retraite  et  sortit  de  l'archipel  par  le  Pamiagdluksund,  pour 
essayer  de  pénétrer  dans  le  chenal  libre  en  longeant  la  côte. 
Là  encore  l'expédition  éprouva  un  échec.  Les  glaces  s'éten- 
daient jusqu'au  rivage  aux  approches  du  cap  Farvel  où  les 
fonds  tombent  à  pic  près  de  terre.  M.  Nordenskiôld  aban- 
donna alors  son  projet  d'atteindre  la  côte  orientale  en  sui- 
vant le  <;henal  qu'il  supposait  exister  le  long  de  terre.  La 


AU  GROENLAND.  85: 

Sofia  coutourna  d'abord  la  banquise  qui  est  accumulée, 
durant  la  plus  grande  partie  de  l'année^  autour  du  cap 
Farvely  puis  suivit  VIskant  dans  la  direction  du  nord  aussi 
près  que  possible  de  terre»  pour  reconnaître  si  quelque 
ouverture  ne  se  trouverait  pas  dans  la  banquise. 

Là  faune  est  pauvre  dans  cette  région.  Durant  les  deux 
jours  que  la  Sofia  avait  navigué  dans  le  Skergârd  autour 
du  cap  Farvel,  on  avait  vu  seulement  un  cétacé,  quelques 
phoques  et  un  petit  nombre  d'oiseaux»  L'existence  de 
grands  fonds  près  de  la  côte  explique  ce  fait,  les  phoques  et 
les  oiseaux  ne  pouvant  aller  chercher  leur  nourriture  dans 
des  eaux  si  profondes.  L'été,  les  guillemets  (guillemots  de 
Briinnichet  guillemots  grylle)  doivent  pourtant  s'établir 
en  grand  nombre  sur  les  récifs  qui  environnent  le  cap  Far-> 
vel.  D'après  un  pilote  eskimo  embarqué  à  bord  de  la  Sofia, 
les  vieillards  racontent  que  jadis  YAlca  impannis  vivait  dans 
ces  parages. 

Dans  la  matinée  du  1*'  septembre,  par  6V  19'^  la  mer 
paraissait  libre  dans  la  direction  de  terre.  Du  haut  du  mât 
la  vigie  ne  signalait  aucune  glace.  La  banquise  côtière  sem- 
blait donc  présenter  ici  une  solution  de  continuité.  Immé- 
diatement M.  Nordenskiôld  ordonna  d'approcher  de  terre, 
mais,  là  encore,  la  côte  était  garnie  d'une  ceinture  de 
glace,  large  d'environ  6  milles.  Cette  région,  inhabitée, 
aurait  présenté  peu  d'intérêt  aux  explorateurs;  le  chef 
de  l'expédition  renonça  alors  à  forcer  la  banquise ,  et  fit 
piettre  le  cap  au  nord,  pour  essayer  d'atteindre,  vers  le 
63*  de  lat.  N.  les  grands  fjords  d'Umanak  et  d'Ekalumiut  où 
se  trouveraient  de  nombreuses  ruines  d'habitations  Scandi- 
naves, d'après  les  renseignements  donnés  par  un  Eskimo, 
Dans  ces  parages,  un  courant  froid,  animé  d'une  grande 
vitesse  mais  n'ayant  qu'une  faible  largeur,  longe  la  côte 
orientale;  à  40  ou  50  milles  de  terre,  au  contraire,  l'on 
constate  l'existence  d'un  courant  venant  du  sud  dont  la 
température  atteint  -f-  6°* 


86  EXPÉDITION  DU  t^BOFESSEUR  NORDENSKIÔLD 

Âtt  delà  du  62^  de  lat.  Ni,  la  Sofia  fit  une  nouvelle  ten- 
tative pour  atteindre  ia  côte,  mais  sans  plus  de  saccës.  I^ 
banquise  se  coiciposaii  prineipaleinent  de  petits  glaçons, 
débriS' de  blocs^de  grandes  dimensions,  fondus,  en  partie 
sous  rinflttenee  des  eaux  chaudes  du  Gnlfstream  et  de  la 
température  de  Tété.  Plus  avant  le  champ  était  formé  de 
flaques  étendues ,  découpées  par  dés  canaux  étroits  et  au 
milieu  s'élevaient  quelques  tsfr^r^^.  A  cette  époque,  comme 
du  reste  lors  de  sa  première  tentative  en  juillet,  Texpédi* 
lion  r^contra  ces  montagnes  de  glace  en  beaucoup  moins 
grand  nombre  sur  la  côte  orientale  que  dans  le  détroit  de 
Davis. 

Cette  partie  de  la'^ôte  est  bordée,  comine  aux  environs 
du  cap  jParvel,  par  de  hautes  montagnes  généralement  dé- 
pouillées de  neiges,  dont  les  formes  élancées  rappellent 
celles  des  Alpes.  Entre  ces  pics  s'ouvrent  des:  vallées,  soiv* 
vent  remplies  de  névés  qui,  toutefois,  ne  papaissent  pas 
former  de  véritables  glaciers.  Sur  aucun  point:  de  \b,  côte 
orientale  les  explorateurs  suédois  n'aperçurent  l'Inlandsis. 

Le  temps  qui  jusque-là  avait  été  beau  changea  et  une 
abondante  chute  de  neige  masqua  toute  vue.  Le '^cklos'étant 
éclairci  dans  la  soirée  du  3  septembre,  rexpédition  reeonnot 
qu'elle  avait  dépassé  les  fjords  d'Umanak.  et  d'Ëkalamiut. 
M.  Nordenskiôld  décida  alors  d^essayer  de  débarquer  au  sud 
do  cap  Dan.  Le  lendemain-,  ce  promontoire  éVaài  en  vue  et 
dans  cette  direction  ia  meif  semblait  complètement  libre. 
A  20  milles  de  terre,  la  Sofia  rencontra  uii>e  banquise, 
comme  lors  des  tentatives  précédentes;  cette  fois,  le  chef 
de  l'expédition 'résolut  de  la  forcer.  Après  avoir  traversé  un 
premier  banc  de  glaces  épais,  le  navire  atteignit  des  eaux 
assez  libres;  la  banquise  n'était  formée  que  de  flaques 
longues  de  10  à  12  mètres  s'élevant  seulement  de  quelques 
pieds  au-dessus  de  la  surface  de  la  mer*  Au  delà  s'étendait 
un  second  rempart  de  glaces  compactes  derrière  lequel  se 
trouvait  le  long  de  la  côte  un  chenal  large  de  3  à  4  milles. 


AU  OROËNLANS.  83 

■  A  une  heure  et  demie  de  l'uprës-midi,  la  Sofia  réussit  à 
entrer  dans  une  petite  baie  située  pir  65o  30'  d«  Lat.  N.  Pour 
la  première  fois,  depuis  des  siècles,  un  Davire  avait  réussi 
à  aborder  la  cfrte  orientale  du  Grofinland  an-dessous  dn 
cercle  polaire.  Cette  baie  ne  présentaot  aucun  mbuillage 


slir,  l'expédition  n'y  Ût  qu'une  relftcbe  de  quelques  heures 
pour  permettre  aux  naturalistes  d'étudier  les  envisons.  Du 
sommet  d'une  montagne,  l'un  des  explorateurs  aperçut  au 
nord  un  fjord  libre,  qui  pénétrait  à  une  ceiiaine  distance 
dans  l'intérieur  des  terces^  et  où,  «élan  toute  apparence, 
derait  se  trouver  un  excellent  mouillage.  D^  que  les  sa- 
vants furent  rentrés  à  bord,  la  Sofia  alla  anci:er  dans  un 
havre  de  ce  Qord,  bien  abrité  des  vents  et  de  la  glace,  havre 
qui  reQut  le  nom  de  Port  du  roi  Oscar  en  l'honneur  du  sou- 
verain de  la  Suède.  Si  l'on  identifie  le  cap  Dan  avec  l'ancien 
Herjolfsnœs  (cap  d'Herjolf),  le  Port  du  roi  Oscar  corres- 
poodrail  peut-Qtre  au  Port  Saad,  situé  près  d'Herjolfsnœs, 


$8  EXPÉDITION  DU  PROFESSEUR  NORDENSKIÔLD 

«mouillage  fréquenté  parles  Normands  et  les  marchands  ». 
ties  anciens  Scandinaves  ont  certainement  visité  ces  pa- 
rages; sur  les  montagaesà  l'entrée  du  ijord  se  trouvaient 
deux,  cairns  qui  probablement  servaient  jadis  de  balises  pour 
reconnaître  l'entrée  de  la  passe.  Les  raines  d'une  petite  cons- 
truction, analogues  à  celles  de  la  côte  occidentale,  étaient  en 
outre  reconnaissables  aux  environs  du  mouillage  de  la  Sofia. 
La  présence  sur  les  bords  du  fjord  de  la  Potentilla  anserina^ 
celte  plante  domestique  en  Scandinavie  qui,  jusqu'ici,  n'a 
guère  été  signalée  au  Groenland  que  près  des  ruines  d'habita- 
tions Scandinaves,  semble  prouver  également  que  les  Nor- 
mands se  sont  établis  dans  ces  parages.  Les  environs  du  Port  du 
roi  Oscar  sont  très  pittoresques.  De  hautes  montagnes  con-- 
stituées  par  du  gneiss  granltoïde  et  de  la  diorite,  forment 
des  massifs  séparés  par  des  vallées  couvertes  de  belles 
pelouses.  Aucun  arbre  n'orne  le  paysage  ;  seul,  le  bouleau 
nain,  rabougri  comme  au  Spitzberg,  croit  sur  quelques 
points.  La  végétation  paraît  plus  développée  et  le  gazon 
mieux  fourni  que  sur  les  bords  des  fjord  de  la  côte  occi- 
dentale situés  à  la  même  latitude. 

Sur  plusieurs  points  on  voyait  des  ruines  bien  conservées 
de  huttes  d'Eskimos,  construites  en  pierres  et  en  tourbe, 
des  tombeaux,  des  murettes  de  pierres  dessinant  de  véri- 
tables labyrinthes,  destinés  probablement  aux  jeux  de  la 
population,  des  pièges  à  renards  qui  semblaient  avoir  servi 
récemment,  etc.  Ces  engins  étaient  fabriqués  fort  adroite- 
ment avec  des  esquilles  de  pierres  et  de  cailloux  roulés, 
sans  le  moindre  morceau  d'os  ou  de  bois.  Dans  un  tombeau 
d'enfant^  formé  par  un  simple  cairn^  des  fouilles  mirent  à 
jour  une  série  d'engins  de  chasse  et  de  pèche  en  miniature^ 
très  finement  travaillés. 

-  La  faune  terrestre  était  pauvre.  On  ne  vit  ni  bœufs  musqué, 
ni  ours,  ni  morse;  quelques  phoques  seuls  se  montrèrent.  En 
fait  de  gibier  les  chasseurs  ne  rapportèrent  que  deux  lago* 
pèdes  ;  dans  leurs  courses  ils  trouvèrent  des  pistes  de  rennes. 


<  AU  GROENLAND.  89' 

Sur  les  rives  d'un  torrent,  formées  de  sables,  des  traces 
d'Eskimos  étaient  nettement  visibles.  Les  unes  dataient 
de  plusieurs  jours,  les  autres  semblaient  très  récentes. 
Ne  pouvant  entrer  en  relations  avec  Jes  indigènes,. M.  Nor- 
denskiôld  quitta,  le  5  septembre,  à  1  heure  de  Taprès-midi, 
le  Port  du  roi  Oscar,  pour  essayer  d'atteindre  un  grand  fjord 
au  nord  du  cap  Dan  où  habiterait  une  nombreuse  popula- 
tion, d'après  les  renseignements  recueillis  par  le  lieutenant 
Holm  et  le  pasteur  Brodbeck  auprès  des  Ëskimos  de  la 
côte  orientale. 

Pendant  que  l'expédition  avait  mouillé  dans  le  Port  du 
Roi  Oscar,  la  banquise  était  devenue  moins  compacte,  croyait*- 
on;  néanmoins,  pour  regagner  la  pleine  mer,  la  Sofia 
dut  se  frayer  un  passage  à  travers  les  glaces  au  prix  d'assez 
grandes  difficultés.  Dans  l'après-midi,  elle  étaitenfin  arrivée 
dans  le  voisinage  de  l'eau  libre.  La  position  devint  alors 
critique.  Les  drifis  formant  une  masse  compacte  étaient 
violemment  agités  par  une  forte  houle.  Le  navire  était  ainsi 
environné  par  autant  de  récifs  mobiles,  suivant  l'expression 
du  docteur  Nathorst.  La  Sofia  s'élance  à  l'assaut,  son  avant 
monte  sur  une  flaque  de  glace.  Le  navire  s'arrête,  puis,  re- 
tombe à  flot;  on  fait  machine  en  arrière  et  la  vapeur  marche 
de  nouveau  pour  briser  la  glace.  Tout  l'équipage  est  sur  le 
pont,  repoussant  avec  des  gaffés  les  glaçons  pour  dégager 
l'hélice.  La  Sofia  avance  toujours.  Un  banc  de  glace  qui 
s'étend  entre  deux  gros  blocs  la  sépare  encore  de  Veau 
libre.  Les  glaçons  agités  parle  roulis  se  soulèvent  en  même 

temps,  le  navire  est  pressé,  la  machine  s'arrête  du  coup 

Un  instant  après,  \2l  Sofia  redevient  libre  et  gagne  sans  ava- 
rie la  mer.  Si  la  pression  des  glaces  avait  été  plus  forte,  le 
vapeur  aurait  été  aplati  comme  la  Hansa. 

Une  fois  hors  de  la  banquise,  il  fallut  doubler  un  banc 
de  glace  qui  faisait  saillie  au  sud  du  cap  Dan.  Bientôt  la 
nuit  arriva  et  par  mesure  de  prudence,  la  vitesse  du  vapeur 
fut  ralentde.  Le  lendemaia  matin  l'expédition  se  trouvait, 


90  EXPÉDITION  DU  PROFESSEUR  NORDENSKIÔLD 

seulement  par  66^  degré  de  lat.  N.  Dans  ces  parages  furent 
rencontrés  plusieurs  Ubergs  chargés  de  grosses  pierres, 
observation  intéressante  pour  l'étude  des  formations  qua- 
ternaires.. 

Par  suite  des  détours  auxcpiels  les  glaces  avaient  obligé, 
la  provision  de  charbon  était  fortement  entamée;  les  sontes 
De  contenaient  plus  que  pour  trois  jours  de  combustible. 
Dans  ces  conditioas,  le  chef  de  l'expédition  résolut  de  faire 
une  tentative  pour  atteindre  la  côte  au  sud  de  riugolfsfjelly 
où  un  fjord  pénètre  profondément  dans  l'intérieur  des 
terres.  Peut-être  la  nombreuse  colonie  d'Eskimos  signalée 
par  le  lieutenant  Hdm  étaèt-^elle  établie  sur  les  bords  de 
cette  baie.  La  Sofia  avança  facilement  jusqu'à  10  milles  de 
terre,  à  cette  distance,  elle  trouva  une<  banquise  qui  parsâs- 
sait  s'étendre  jusqu'à  la  côte.  Les  glaees  ne  semblaient  pas 
assez  résistantes,  pour  arrêtée  le  navire  mais  elles  étaient 
agitées*  par  une  forte  Jioule  ;  toute  tentative  pour  franchir  le 
paok  aurait  exposé  le  ^bâtim^t  aux  plus  sérieux  dangers. 
H.  Nordenskiâld  renonçant  alors  à  ses  projets,  ordonna  de 
battre  en  retraite  pour  regagner  l'Islande^  Le  9  septembre, 
la  Sofia  arriva  à  Rejkiavik  et  le  27  à  (jo^embourg. 

Les  résultats  de  cette  nouvelle  expédition  de  M.  Nordensi* 
kiôld  sont  considérables.  Pour  la  première  fois  des  explo-r 
rateurs  ont  pu  pénétreir  aussi  avant  dans  l'intérim  du 
Groenland  et  recuelUir  de$  observations  de  la  plus  haute 
importance  pour  la  géologie  .de  l'époque  glaciaire*  Pour 
la  première  fois,  aussi>  un  navire  a  pu  aborder  sur  la 
côte  orientale  du  Gro^land  au  dessous  du  jeercle  po-* 
laire.  L'expédition  a  pu  se  rendre  compte  de  la  nature 
et  de  la  position  des  glaces  le  long  de  cette  côte,  et  faire  des 
observations  hydrographiques  dans  une  partie  de  l'Océan 
encore  inconnue.  Jusqu'ici  toutes  les  cartes  indiquaient 
rex,istence  d'un  courant  polaire  entre  l'Islande  et  le  Groen- 
land; au  contraire.,  comme  le  prouvent  les  nombreuses 
séries  de  températures  prises  par  M.  Hamberg,  Thydro^ 


AU  GROENLAND.  91 

graphe  de  l'expédition^  uu  courant  chaud,  venant  du  sud, 
longerait  la  côte  orientale  du  Groenland,  à  une  distance  de 
M  à  50  milles.  Dans  le  voisinage  de  terre  seulement,  un 
courant  polaire  d'une  faible  profondeur  se  fait  sentir.  C'est, 
suivant  l'expression  de  M.  Nordenskiôld,  un  fleuve  d'eau 
froide  coulant  dans  un  lit  d'eau  chaude.  Cette  branche  du 
Gulfstream  doit  avoir  une  grande  influence  sur  le  climat  du 
littoral  du  Groenland  oriental;  probablement  ce  climat  est 
plus  humide,  mais  non  plus  rigoureux  que  celui  de  la  côte 
occidentale.  Les  travaux  hydrographiques  de  l'expédition 
ont,  en  outre,  prouvé  que  le  détroit  de  Davis  et  la  mer  de 
Baffin  sont  remplis  jusqu'aux  fonds  par  une  eau  dont  la 
température  est  très  basse. 

Les  zoologues  seront  redevables  à  la  nouvelle  expédition 
suédoise  de  nombreux  documents  pout*  l'étude  de  la  distri- 
bution des  espèces.  Chaque  fois  que  l'état  de  la  mer  le  per- 
mettait, des  dragages  ont  été  effectués  et  ont  ramené  des 
fonds  de  belles  collections  d^animaux  marins,  notamment 
de  gigantesques  éponges  recueillies  à  une  grande  profondeur 
dans  le  détroit  de  Danemarck.  Dans  ces  parages,  la  na- 
ture du  fonds  composé  de  gros  blocs  roulés  a  entravé 
les  recherches.  La  faune  terrestre  n'a  pas  été  étudiée  avec 
moins  d'attention  par  les  naturalistes  suédois;  la  col- 
lection entomologique  qu'ils  ont  faite  est  particulièrement 
intéressante.  Enfin  le  docteur  Nathorst  a  rapporté  de. très 
nombreuses  empreintes  de  plantes  des  flores  crétacée  et 
miocène.  L'étude  de  ces  matériaux  complétera  sans  nul 
doute  l'œuvre  grandiose  d'Oswald  Heer. 

M.  Nordenskiôld  doit  publier  une  relation  étendue  de  son 
voyage  ;  ce  travail  permettra  d'apprécier  mieux  qu'un  ré- 
sumé forcément  incomplet  les  résultats  atteints  par  l'expé- 
dition, qui,  bien  que  n'ayant  pas  eu  le  retentissement  du 
voyage  à  jamais  célèbre  de  la  Véga,  prendra  place  néan- 
moins au  nombre  des  plus  fécondes  explorations  arctiques. 


VOYAGE 

DANS  L'ARABIE  CENTRALE 

HAMÂD,    SAMMÂR,    QAÇÎM,    HEDJÂZ^ 

PAR 

CHAHIiES    HVBER 

C!bargë  de  mission  du  Ministère  de  l'Instruction  publique. 

1878-1882 


Je  quittai  Kheîbef  le  15  décembre.  Mon  intention  était 
de  traverser  le  Harrah  dans  toute  sa  largeur  jusqu'à  El- 
Hâ'ieth.  Sur  ce  trajet  le  territoire  appartient  aux  Arabes 
Houteîm*.  parmi  lesquels  je  dus  prendre  un  guide.  Merzy, 
qui  m'accompagnait  depuis  El  'Alâ^  continuait  néanmoins 
à  me  suivre;  il  ne  devait  me  quitter  qu'à  Hall. 

Si  Ton  veut  être  respecté,  il  ne  faut  pas  voyager  seul  avec 
un  Houteîm,  et  c'est,  à  mon  avis,  une  des  fautes  commises 
par  M.  Doughty  que  d'être  arrivé  à  Hâïl  sous  la  conduite  de 
deux  Houtelm,  ce  qui  a,  du  reste,  motivé  son  expulsion 
immédiate. 

Les  àammari  se  regardent  comme  le$  plus  nobles  des 
Arabes,  et  ils  le  sont.  Dans  leur  esprit,  ceux  qui  viennent 
immédiatement  après  eux,  sont  les  'Anezah,  qui  occupent 
ce  rang  non  pour  leur  noblesse  ou  la  pureté  de  leur  sang, 
mais  plutôt  à  cause  de  leur  nombre  et  de  leur  puissance. 
Après  ceux-ci  viennent  les  àerârât  et  ce  n'est  qu'en  tout 
dernier  lieu  et  comme  hors  caste,  que  se  placeront  lesSaloby 
et  les  Houteïm. 

Les  principales  tribus  des  Houteïm  sont  les  suivantes  : 

-   1 .  Voir  Bulletin  de  la  Société,  3*  et  4*  trimestres  1884,  pages  289  et  à&6, 
2.  L'orttiograptie  Hoteïm  serait  préférable  (Rédaction), 


YOTAGE  DANS  L'ARÀBIE   GEDITRALE*  93 

Ebn  Semerah,  —  Ebn  Bâlerak,  —  El  Mehîmezat,  —  El 
Feredesah,  —  El  'Aôuâmerah,  —  El  Medhaberah. 

Les  Ebn  Semerah  se  trouvent  généralement  autour  de 
Kheîbef. 

Les  Mehîmezat  campent  dans  les  environs  de  Médine  et 
sont  en  guerre  avec  les  Sammar. 

Les  Medhaberah  parc^Durent  le  Qâçim  et  paient  tribut  à 
l'émir  Hasen. 

Les  Ebn  Semerah  comptent  huit  tribus  qui  sont  appelées 
par  le  gouvernement  turc,  Birindji,  c'est-à-dire  les  premiers. 
Entre  elles,  ces  mêmes  tribus  se  donnent  le  nom  de 
Âdzeîbah. 

Mon  guide  à  travers  le  Harrah  était  le  propre  fils  de  Ebn 
Semerah.  C'était  un  grand  et  beau  garçoa  d'environ  vingt- 
cinq  ans,  fort  obligeant  et  serviable  ;  il  supportait  avec  {ine 
patience  angélique  les  injures  et  les  avanies  dont  le  noble 
Merzy  Taccablait  tout  le  jour. 

A  dix  heures  du  matin  nous  quittâmes  Qarîet  BîSr,  et  qua- 
rante-cinq minutes  après  nous  sortions  des  bas-fonds  dans 
lesquels  poussent  les  palmiers  de  Khe'ibef,  pour  monter 
sur  le  plateau  du  Harrah.  La  piste  traverse  aussitôt  les 
ruines  d'un  ancien  village  en  pierres.  Le  chemin  est  hor- 
rible et  se  poursuit  au  travers  de  moellons  dont  quelques- 
uns  du  volume  de  un  mètre  cube  et  demi.  La  direction  n'est 
tracée  que  par  un  léger  reflet  à  la  surface  des  pierres  qu'une 
circulation  de  peut-être  cinquante  siècles  n'a  pu  entamer, 
tant  ce  roc  basaltique  est  dur. 

Le  sentier  de  Kheîbef  àEl  Haieth  porte  le  nom  de  Serdeb 
el  Yehoûd  ou  Serdeb  el  Kouilâr  (chemin  des  Juifs  ou  che- 
min des  infidèles). 

Après  les  cinq  premiers  kilomètres,  on  rencontre  le  long 
du  sentier,  une  vingtaine  de  tas  de  pierres,  espacés  de  20  à 
30  mètres,  et  appelés  Ergoûm  el  Yehôud.  Ce  sont  les  Juifs 
égorgés  par  'Aly,  me  dit  le  fils  de  Ébn  Semerah,  qui  sont 
couchés  là-dessous,et  chaque  passant  ajoute  une  piei^re  au  tas. 


9i  TOTA.GE  DAHS  L'âRABIE  GEHTBALE. 

Vers  qnalre  heures  du  soir  nous  étions  près  da  peUt  gebel 
Fekah,  à  deux  milles  au  aud  de  ma  roate,  et  uoe  heare 
après  nous  campions  dans  le  ou&dy  Souets.  Au  nord  de 
notre  campement,  je  relevai  le  gebel  Qers  et  an  nord^iOEd- 
ouest  le  gebel  Ghramef,  de  16  milles  de  long;  tons  deux  soat 
formés  de  granit  et  distincts  du  Harrab,  qui,  dans  cette  di- 
rection, s'étend  encore  à  une  vingtSine  de  kilomètres  à  aia 
gauche. 

Le  lendemain  nous  fîmes  environ  lômilles,  dont  deux  au 
sud-est. 

A  neuf  heures  du  matin  nous  avions  recoupé  le  ouâdy 
Souels  et  à  midi  nous  avions  campé  près  du  ghradtr  de  El 
Meqen'a,  où  il  y  avait  encore  un  peu  d'eau. 

Depuis  le  matin,  nous  avions  traversé  cinq  cratères  à 
bords  peu  élevés  et  de  diamètres  fort  variables.  Ces  cratèms, 
dépourvus  de  pierres,  sont  remplis  d'une  terre  argàleuse 
jauee  qui,  lors  de  mon  passage,  en  rendait  la  traversée 
difficile  et  par  endroits  impossible,  tant  le  sol  était  devenu 
glissant  à  la  suite  des  dernières  pluies. 

Notre  marche  îRi  sud-est  avaitété  nécessitée  par  une  pluie 
fine  qni  commençait  à  tomber.  II  fallait  passer  la  nuit  sous 
une  tente  et  notre  guide  nous  avait  assuré  que  nous  en  ren- 
contrerions dans  cette  direction.  Effectivement,  nous  attei- 
gnîmes bientAt  dnq  misérables  petites  tentes  de  Houteîm, 
sous  la  plus  grande  desquelles  nous  nous  installâmes.  La 
pluie  cependant  ne  nous  épai^na  pas,  car  l'orage  ayant 
éclaté  vers  dix  heures  du  soir,  la  tente  fut  envahie  par  les 
eauj,et  dans  le  but  de  préservermesinstriunents,  je  me  dé- 
cidai à  les  prendre  sur  mes  genoux  pour  aller  m'asseoir  en 
dehors  sur  le  roc,  oh  je  me  fis  recouvrir  de  mes  manteaux  et 
de  mes  tapis.  La  nuit  fut  pénible  etie  lendemain  bien  triste, 
-là  nous  ne  fîmes  qu'un  mille  au  nord  pour  re- 
e  sentier,  et  8  milles  dans  notre  direction  de 
■est. 
aussitôt  après  la  reprise  de  notre  marche  vers 


VOYAGE  DANS  l'ARABIE  CENTRALE.  95 

Haleth,  le  sentier  traverse  une  région  affreuse.  Ondirait  du 
fer  figé  en  pleine  ébuUition,  avec  des  bouillons  énormes  et 
des  bulles  doDtquelques-uneSy  crevées,  laissent  voir  des  trous 
profonds  et  des  bords  de  scories  tranchantes  cocnmei  du 
verre.  De  temps  en  temps  une  crevasse  pro£6nde  qu'on 
dirait  produite  par  le  retrait  do  refroidissement,  ajoute 
au  désordre  et  àThorreur  de  ce  phénomène  extraordioaire^ 
Cette  région  a  deux  milles  de  large  et  s'appelle  El  Hfabir^ 

La  lave  à  scories  est  si  dure  que,  traversée  depuis  les  longs 
siècles,  elle  n'a  pas  même  gardé  ce  léger  reflet  qui  indique 
la  direction  sur  le  basalte  du  Harrah.  De  même  que  dans 
le  grand  Nefoûd,  le  chemin  sur  ElH'abîr  D«'ser«cûonalt, 
qu'aux  fientes  de  chameaux  que  tout  Bédouin  se  fait  un 
devoir  d'écraser  sur  la  scorie  au  fur  et  à  mesure  que  sa 
bète  les  laisse  tomber.  Ces  fientes  ainsi  aplaties,  adhérant 
au  roc  pendant  plusieurs  années,  indiquent  la  direction  à 
suivre. 

Notre  campement  de  ce  soir  se  trouva  entre  les  deux  mon- 
tagnes de  Ghreînât  et  de  Ghreneîm,  la  première  au  nord  et 
celle-ci  au  sud.  Plus  au  sud  venaient  ensuite,  à  peu  près  à 
égale  distance  l'une  de  Tautre,  les  montagnes  suivantes  : 

Râs  el  Âblatha,  —  Là  Kalil,  —  Remâhah,  —  El  'Aàqef. 

Ces  six  montagnes  se  trouvent  elles-mêmes  sur  un  saule- 
vement  de  terrain  en  forme  de  dos  d*Âne.  C'est  le  Râs  el 
Âblath  qui  est  la  plus  élevée. 

Cette  chaîne  de  montagne  est  intéressante  parce  qu^elle 
forme  le  point  de  partage  des  eaux  dans  l'Arabie  septentrionale. 
De  là  les  eaux  se  rendent,  à  l'ouest,  dans  la*  mer  Rouge,  et 
à  Test,  dans  le  golfe  Persique.  C'est  près  du  Gebel  Âbîath 
que  naît  le  grand  ouâdy  Ermek  qui  a  son  embouchure  près 
de  Baçrah  (Bassora).  En  déterminant  ce  point  que  d'ordi- 
naire les  cartes  ne  donnent  pas,  ou  qu'elles  reportent  au- 


1.  Probablement  mieux  El-'Abir  (Rédaction). 

2.  Probablement  pour  Kâs  El-Abïad  (Rédaction). 


96  VOYAGE  DANS  L'ARABIE  CENTRALE. 

delà  de  Teîmâ,  jusqu'à  Teboûk,  je  crois  avoir  fait  fiaire  un 
progrès  à  nos  connaissances  sur  l'hydrographie  de  l'Arabie 
septentrionale. 

Je  diraiàlafin  du  présent  travail,  dansunecourte  notice  sur 
ma  carte,  les  motifs  du  tracé  que  j'ai  adopté  pour  le  .cours 
du  ouàdy  Ermek  et  qui  s'éloigne  considérablement  de  celui 
des  cartes  antérieures^. 

Quand  à  ce  nom  de  Ermek  que  je  donne  au  même  ouàdy, 
au  lieu  du  nom  de  Roummah,  adopté  jusqu'à  présent,  et 
que  lui  donnent  déjà  les  anciens  auteurs  arabes,  je  dirai  que 
je  n'en  ai  jamais  entendu  d^autre,  et  que  le  dernier  est  tota- 
lement inconnu  dans  la  région  du  ouàdy,  ainsi  qu'au  Gebel. 

Les  eaux  qui  tombent  sur  le  versant  occidental  du  massif 
du  Ràs  el  Àbïath  forment  le  ouàdy  El  Thebeq  qui  traverse 
tout  le  Harrah  en  allant  à  l'ouest,  passe  à  quelques  kilo- 
mètres au  sud  du  gebel  Kheîbef ,  puis  sort  du  Harrah  et  va 
joindre  le  Ouàdy  El  Hamdh  près  du  gebel  Hedîah,  station 
duDerb  elHadjdj,  à  environ  soixante-dix  kilomètres  à  l'ouest 
de  Khe'ibef .  Dans  son  trajet  à  travers  le  Harrah,  El  Thebeq 
reçoit  différents  petits  cours  d'eau  ;  mais  je  n'ai  porté  sur  ma 
carte  que  ceux  sur  le  cours  desquels  j'ai  acquis  quelque 
certitude.  Ce  sont  le  Soueis  et  le  Tsemed,  et  en  dehors  du 
Harrah,  le  Sereîr. 

Je  dois  noter  une  particularité  qui  m'a  paru  étrange; 
je  la  tiens  d'un  Arabe  des  Harb  et  d'un  Houteïm  ren- 
contrés dans  le  désert  au  delà  de  El  Hàïeth.  Ils  m'assu- 
rèrent que  les  affluents  les  plus  élevés  du  ouàdy  Thebeq 
remontaient  jasqu'au  gebel  Makhld,  au  nord-nord-est  du 
Ràs  el  Abïath,  donc  en  dehors  du  Harrah.  J'étais  alors  à 
plusieurs  lieues,  déjà,  au  nord  de  Hàïeth,  loin  des  gens  bien 
renseignés  là-dessus,  et  plus  tard  je  n'ai  plus  pu  avoir  que 
des  renseignements  contradictoires  sur  cette  question. 

Le  ouàdy  El  Haâidh  a  son  origine  au  nord  de  Médine,  il 

1.  L'auteur,  occupé  aux  préparatifs  de  son  dernier  voyage,  n'a?aitl>tt 
rédiger  la  notice  dont  il  parle  dam  ce  paragraphe. 


VOYAGE  DANS   L*ARABIE  CENTRALE.  07 

marche  ensuite  parallèlement  au  Harrah,  c'est  à  dire  au 
nord-ouest,  jusqu'au  gebel  Hedïah  oili  il  reçoit  le  Ouâdy 
Thebeq.  Il  prend  ensuite  une  direction  ouest,  reçoit  le  Ouady 
El  'Alây  pour  se  jeter  enfin  dans  la  Mer  Rouge,  au  sud  de 
la  petite  ville  de  Oueg. 

'  Le  Ouâdy  El  Hamdh  ne  contient  pas  de  palmiers  comme 
les  autres  ouâdy,  ses  affluents;  mais  il  renferme  de  nombreux 
puits. 

Le  Ouâdy  El'Alâ,  que  je  viens  de  nommer,  se  forme  dans 
le  bassin  de  El  Hegef,  coule  ensuite  au  sud,  l'espace  de  trois 
jours  de  marche,  puis  se  jette  dans  le  Ouâdy  El  Hamdh  sur 
le  territoire  des  Beny  Geheinah,  fraction  des  Beny  Kelb. 

Entre  les  deux  montagnes  de  Ghreïnât  et  de  Ghreneïm, 
est  la  petite  grotte  naturelle  appelée  Meghrenlàh  el  Âsoûdah, 
formée  par  des  blocs  de  basalte;  haute  de  1",20,  profonde 
de  2  mètres  et  longue  de  3  mètres  environ,  elle  est  juste 
assez  grande  pour  nous  abriter  tous  trois  contre  la  pluie 
qui  tomba  toute  la  nuit. 

Le  lendemain,  18  décembre,  nous  fîmes  20  milles  par  en- 
Tiron  nord,  H""  est,  direction  exacte  de  El  Hâïeth. 

Après  les  5  premiers  milles  nous  aperçûmes  le  Gebel 
£1  Hamâdab,  au  pied  sud-est  duquel  se  trouve  le  vil- 
lage. Vers  midi  nous  longeons  pendant  quelque  temps  le 
Ouâdy  Ghreneïm,  qui  a  son  origine  au  gebel  du  même  nom, 
passe  au  nord  du  Gebel  Boçr  et  s'en  va  rejoindre,  quelques 
pas  plus  loin,  le  Ouâdy  Ermek, 

Au  sud  du  Gebel  Boçr  se  trouve  le  Gebel  Kenât  ou  Aboû 
Zeïd. 

A  partir  de  Meghrenïah  la  piste  est  horriblement  pénible 
et  difficile  â  suivre. 

Le  jour  suivant,  trois  bonnes  heures  de  marche  nous  me- 
nèrent à  El  HAïeth;  on  aperçoit  la  tête  de  ses  palmiers 
seulement  une  demi-heure  avant  d'y  arriver,  car  cette  loca- 
lité, avec  les  palmiers  qui  l'entourent,  se  trouve,  de  même 
queKheïbef,  dans  une  déchirure  du  Harrah. 

soc.  DE  GÉOGR.  —  i*'  TRIMESTRE  1885.  YI.   —  7 


98  VOYAGE  DANS  L'ARABIE   CENTRALE. 

Avant  de  descendre  la  pente  du  Harrah  on  traverse,  pen- 
dant quinze  minutes,  les  ruines  d'une  localité  fort  ancienne, 
bâtie  en  pierres  de  taille;  il  y  avait  autrefois  plusieurs 
tours  rondes,  mais  presque  tout  est  aujourd'hui  au  ras  du 
sol.  C'est  l'ancien  Hâïeth,  qui,  de  môme  que  les  anciens 
villages  de  Kheïber,  était  bâti  au  dessus  du  Harrah,  et  non, 
comme  aujourd'hui,  dans  les  bas-fonds  où  la  population 
est  décimée  par  les  fièvres.  £1  Hâïeth  a  du  reste  un  aspect 
frais  et  neuf  que  n'ont  ni  Kheïber,  ni  El  'Alâ,  avec  lesquels 
elle  a,  d'autre  part,  beaucoup  d'analogies,  par  sa  population 
nègre,  ses  fièvres,  et  le  bonheur  inappréciable  de  voir  ses 
palmiers  arrosés  par  des  sources. 

Le  teint  de  la  population  nègre  d'Hâîeth,  sans  être  aussi 
clair  que  celui  des  habitants  de  £l 'Alâ,  Test  plus  que  celui 
des  Rheïbery. 

El  Hâïeth,  vu  son  peu  d'éloignement  de  la  capitale  du  ^am- 
mar,  n'a  pas  de  gouverneur  spécial,  comme  le  Djoûf,  Teïmâ 
et  El  'Alâ;  elle  dépend  directement  du  gouvernement  de 
l'émîr.  C'est  le  propriétaire  le  plus  riche,  un  nommé 
Gâber,  qui  reçoit  les  hôtes  et  auquel  on  donne  le  titre  de 
âeïkh. 

Cette  oasis,  très  prospère,  possède  deux  fois  plus  de 
palmiers  qu'El  'Alâ,  mais  comme  ils  sont  moins  beaux,  la 
récolte  en  est  moindre  et  de  qualité  inférieure  ;  néanmoins 
rendement  et  produits  sont  de  beaucoup  supérieurs  à  ceux 
de  Kheibef.  Il  n'y  a  pas  à  £1  Hâïeth,  comme  à  El  'Alâ,  de 
dattes  hellouah,  mais  le  sol  produit  d'autres  espèces  fort 
estimées,  dont  les  meilleures  sont  les  dattes  gesb^  bemy^ . 
fresy  et  kelb. 

Les  dattes  de  El  Hâïeth  sont  achetées  par  les  Arabes  Hou- 
teïm,  les  Harb  et  les  Sammar. 

Les  palmiers  de  El  Hâïeth  appartenaient  jadis  à  la  tribu 
des  'Aly,  de  la  grande  famille  des  'Anezah,  forte  d'environ 
200  tentes.  L'oasis  ayant  été  annexée  à  l'émîrat  de  Sam- 
mar par  les  soins  de  'Abeïd,  l'émîr  Telâl,  alors  régnant, 


VOYAGE  DANS  L* ARABIE   CENTRALE.  99 

exigea  le  tribut  habituel  de  5  Vo  de  la  part  des  'Aly.  Ceux- 
ci  s'exécutèrent  pendant  quatre  ans,  mais  refusèrent  en- 
suite le  tribut.  Telàl  exécuta  alors  sur  eux  un  ghrazoù,  à 
la  suite  duquel  ils  se  retirèrent  auprès  des  autres  grandes 
tribus  des  'Anezah  du  nord,  sur  les  bords  de  TEuphrate. 
Par  suite,  Témir  se  substitua  à  eux  comme  propriétaire. 
Les  habitants  donnent  la  moitié  de  la  récolte  à  Témîr  et 
paient  en  outre  un  impôt  de  10  7o  de  leur  propre  moitié. 

Les  habitants  cultivent  aussi  du  blé,  de  l'orge  et  du  dhoura'. 
Ils  ne  possèdent  ni  bétail,  ni  bêtes  de  somme. 

Les  plantations  de  El  Hâîeth  sont  arrosées  par  trois 
sources,  qui  partent  d'El  §elâlah,  El  Çefeirey  et  Âboû 
Settmân. 

Les  deux  premières  donnent  ensemble  environ  3  litres 
à  la  seconde;  elles  sortent  de  la  même  colline,  El  Çefeirey, 
partie  du  Harrah»  juste  au-dessous  d'une  tour  en  ruines 
appelée  Qaçr  el  Çefeirey,  au  nord-nord-ouest  du  village.  La 
source  Abou  Selitnân,  appelée  aussi  'Aly,  arrive  de  l'ouest; 
c'est  la  plus  puissante,  elle  a  uja  débit  de  8  litres  environ  à 
la  seconde. 

Le  débit  des  sources  semble  indépendant  des  bonnes  ou  des 
mauvaises  saisons.  L'hiver  pendant  Jequet  je  visitai  la  loca- 
lité, c'est  à-dire  celui  de  1879-80,  il  avait  plu^  mais  aupa- 
ravant il  y  avait  eu,  depuis  1876,  quatre  hivers  secs  sans 
qu'on  eût  aperçu  de  variation  dans  le  débit  des  sourcies. 

Les  températures  de  ces  dernières  sont  un  peu  moins 
élevées  que  celles  des  sources  de  Kheïbef .  Voici  les  moyennes 
trouvées  : 

Pour  la  source  de  Selâlah +  28**,5 

—  Çefeirey +  28»,2 

—  Abou  Selîmân +  26%8 

Cette  dernière,  m*a-t-on  assuré,  est  constamment  plus 
froide  que  les  deux  premières.  Les  trois  sources  donnent  de 
Teau  potable. 


100  VOYAGE  DANS  L* ARABIE  CENTRALE. 

D'autres  sources,  me  disent  les  habitants,  ont  tari;  mais 
sur  différents  endroits,  en  hiver,  l'eau  sort  de  terre  et 
forme  des  marais  qui  disparaissent  ensuite  au  printemps. 

A  El  Hâïeth  on  plante  du  tabac  fort  estimé,  qui  se  vend 
un  demi-réal  la  mesure  contenant  environ  500  grammes. 
Le  tabac  planté  à  Kheïbef,  El  'Alâ  et  Teïmâ  est  fort  inférieur 
à  celui  de  El  Hàïeth,  aussi  cette  même  quantité  de  tabac  se 
vend-elle  à ErAlâ  un  quartderéal,  àKheîbef  une  piastre*; 
à  Te'imâ  on  fume  une  espèce  de  foin  que  tout  le  monde  ra* 
masse. 

Les  ruines  nombreuses  qui  existent  encore  à  El  Hâïeth 
prouvent  que  cette  cité  a  été  jadis  au  moins  aussi  impor- 
tante, sinon  plus,  que  Kheïbef.  Elle  comprenait  deux  grands 
quartiers,  l'un  au  sud-est,  l'autre  au  nord-ouest  du  village 
actuel.  Leurs  noms  se  sont  perdus;  les  habitants  en  désignent 
aujourd'hui  les  ruines,  les  premières  sous  le  nom  de  Kharàb 
el  Naçârà  (ruines  des  Ghréliens),  et  les  secondes  sous  celui 
de  Kharâb  el  Yehoûdy*  (ruines  du  Juif).  Le  Hâïeth  actuel 
lui-même,  est  élevé  sur  d'anciennes  fondations  en  pierres  de 
taille,  et  il  existe  encore  des  restes  fort  curieux  de  vieilles 
constructions,  entre  autres  un  bâtiment  carré,  auquel  don- 
nait accès  un  escalier  extérieur  conduisant  au  premier 
étage.  Il  existe  un  puits  dans  l'intérieur  du  bâtiment. 

La  construction  appelée  le  qaçr  Azehelâny,  est  un  bâti- 
ment carré  en  pierres  de  taille,  du  même  style,  et  avec  un 
escalier  extérieur.  Ce  qui  serait  le  rez-de-chaussée,  n'a  ni 
porte,  ni  fenêtre,  ni  aucune  autre  ouverture. 

La  ville  actuelle  de  El  Hâïeth,  qui  s'allonge  dans  une 
crevasse  du  Harrah,  sur  une  longueur  de  2  milles  de  l'est 
à  l'ouest,  se  compose  de  trois  quartiers.  Le  premier  est  le 
plus  considérable;  il  s'appelle  Ouâdy  S'afan;  le  second,  qui 
est  le  plus  petit,  situé  à  100  mètres  au  sud-ouest,  est  Ââ- 

1.  Une  piastre  =  0  fr.  20. 

2.  Probablement  mieux,  par  analogie,  Kharâb  £l-Yéhoûd  :  ruines  des 
Juirs  (Rédaction). 


VOYAGE  DANS  L'ARABIE   CENTRALE.  101 

reîf  ;  le  troisième,  dans  la  même  direction  mais  à  500  mètres 
plus  loin,  sur  une  petite  colline,  se  nomme  El  Qçetr^ 

Au  bas  de  cette  dernière  colline  se  trouvent  d'anciennes 
tombes  construites  en  moellons,  murées,  et  dont  quelques- 
unes  sont  éboulées.  La  direction  des  tombes  est  de  Test  à 
l'ouest. 

A  El  Hâieth,  du  haut  du  Harrah,  je  pus  relever  les  mon- 
tagnes de  Kenât^  de  Qern,  de  Heleîfah  et  de  Tin,  au  sud 
et  au  sud-est. 

Ces  relèvements  me  permirent  de  tracer  les  limites  du 
Harrah  de  ce  côté. 

Le  24  décembre  je  partais  de  El  Haleth  à  neuf  heures  et 
demie  du  matin  et  à  onze  heures  j'atteignais  la  limite  du 
Harrah.  Il  se  continue  encore,  mais  à  l'état  pour  ainsi  dire 
sporadique,  pendant  12  kilomètres  environ,  jusqu'au  delà 
du  gebel  Âçeqâbef,  à  16  kilomètres  de  El  Hâîeth. 

Au  pied  de  cette  dernière  montagne,  dans  une  interrupr 
tion  du  Harrah,  se  trouvent  les  restes  d'une  trentaine  d'ha- 
bitations en  ruines. 

Quelques  minutes  après  avoir  quitté  définitivement  le 
Harrah,  je  traverse  enfin  le  Ouâdy  Makhldqui  part  du  gebei 
du  même  nom,  à  40  kilomètres  environ  au  nord-ouest  de 
ma  route.  Je  campai,  lors  de  mon  passage,  9  kilomètres  au 
delà  de  ce  ouâdy  qui  avait  de  l'eau. 

A  peu  près  au  Ouady  Makhîd  commence  un  sol  de  terre 
argileuse  compacte  recouverte  de  gravier,  d'une  uniformité 
désespérante  et  d'une  stérilité  presque  absolue;  aussi  n'y 
voit-on  jamais  de  campements  de  Bédouins,  pas  plus  qu'entre 
le  massif  du  Râs  el  Âbiath  et  El  Hâieth.  Ce  désert  porte  le 
nom  de  El  Zerb. 

De  notre  campement,  nous  avions  le  gebel  El  Bân  à  quel- 
ques kilomètres  au  nord-ouest;  c'est  un  massif  peu  élevé. 
Devant  nous  se  dressait  le  petit  Gebel  El  Zelf,  montagne  du 
même  genre,  longue  de  6  milles. 

1.  En  français  :  le  châtelet.  (Rédaction.) 


lO±  TOTA^  BiAJiS  L  Al^ftKK  CI9TSAIX. 


Le  jour  smvani,  kmb  bous  OKttcas  ca  raste  sn  peo 
afanl  boit  becrcs;  j'étais  tfen  hmzes  après  sor  le  Gid:^  El 
ZtiL  Ua  pcB  aopanvaat  f  avais  pu  refever,  à  ii>  mîILes  de 
rff^»tance,  le  Gebel  Rakkah,  qiâ  Eci4Eéflie  iL*(Kt  «fa^à  T  milles 
ëft  ooidj  Ertnek. 

A  partir  <hx  Gebel  El  Zelf.  noos  marclioiis  dans  la  dîrec- 
tioQ  de  nord  65*  est.  Xoos  retombci»  aos^tôt  s«r  on  sol 


Trois  milles  pios  loîn  je  relevai  le  Geliel  El  Debj,  à  £ 
milles  an  sod-est,  H  près  de  femiiociehare  da  Ooàdj  El 
Qahed  daa§  le  ODâdr  Ermek.  Un  pen  pl;^  loin  encore  je 
eoapai  le  Onâdj  El  O^^^ii^d,  près  da  petit  pic  dn  mêflie 
nom* 

Le  Ooid  j  El  Qabed  a  son  or%îiie  à  S  kilomètres  an  nord- 
ooest  dn  pîc  dn  même  nom,  près  dn  petit  village  de 
Tkaghrat. 

A  4  kilomètres  annord-nord-ooest  dn  petit  Gebel  Qahed, 
se  troore  nne  antre  petite  montagne  appelée  Fers.  A  5  milles 
an  snd-ooest-est  ceUe  de  Oocsma. 

An  concher  dn  soîeil  noos  campions  dans  le  désert  de 
Qalanqonali qni  fait  suiteà celui  de  El  Zerb. 

Le  lendemain^  %  décembre,  nous  fimes  14  milles.  A  huit 
heures  dn  matin  nous  traversions  le  Onidy  Mebehel,  qui  se 
forme  près  du  Griiel  Roueîsah  et  se  jette  dans  le  Ouâdj 
Ermek.  Ters  midi  nous  arrîrons  an  Gebel  Deqlah  el  Asmar  *, 
colline  granilique  d'une  cinquantaine  de  mètres  de  hauteur, 
et  qni  est  à  40  milles  au  sud  d'une  colline  semblable  appelée 
Deqiah  el  Ahmar  ^ 

Dn  sommet  du  Deqîah  el  Abmar,  j'ai  pu  relever  le  Gebel 
Remàû  an  pied  duquel  se  trouve  MestagedL 

C'est  à  ces  deux  pics  de  Deqîah  que  s'au-rétent  les  pâtu- 
rages des  Houtelm. 

Le  27  décembre,  nous  partons  à  sept  heures  du  matin, 

i.  El  Asmar  :  la  bmne. 
2.  £1  Ahmar  :  la  roage. 


VOYAGE  DANS  l'ARÂBIE   CENTRALE.  103 

et  trois  heures  après,  je  voyais  de  loin  les  palmiers  deMes- 
tagedt  où  j'arrivai  deux  heures  plus  tard. 

Déjà  à  Kheïbef,  lors  de  mon  passage,  le  bruit  courait  que 
l'émir  était  parti  pour  exécuter  un  ghrazoû  dans  le  sud.  A 
El  Hâletb,  ce  fait  me  fut  confirmé  et  à  mon  arrivée  à  Mes- 
tagedt,  j'appris  que  le  ghrazoû  avait  été  effectué  sur  les 
Arabes  'Ateîbah  qui  campent  entre  El  Makkah  et  £1  Ràld. 
Le  âeîkh  de  Mestagedt,  qui  me  donnait  ces  détails,  ajou- 
tait que  le  ghrazoû  avait  campé  la  veille  même  dans  le 
Ouâdy  Ermek  et  que,  par  conséquent,  il  s'attendait  à  le  voir 
repasser  d'un  instant  à  l'autre  pour  retourner  à  Hall.  Je 
résolus  donc  de  l'attendre  à  Mestagedt  pour  le  voir  repasser  « 
Mais,  au  milieu  de  la  nuit,  arriva  un  messager  de  l'émir,  charité 
de  s'enquérir  de  moi  et  de  lui  rapporter  de  mes  nouvelles. 
Tout  le  ghrazoû  était  campé  à  une  dizaine  de  lieues  au 
sud  de  Mestagedt.  Je  fis  monter  de  suite  Merzy  sur  mon 
propre  dzeloûl  et  le  chargeai  d'aller  saluer  l'émir  de  ma 
part  et  le  remercier  de  son  attention. 

Le  messager  m'apprit  que  le  ghrazoû  avait  très  bien  réussi 
et  avait  donné  de  beaux  résultats,  sans  aucune  effusion  de 
sang.  On  avaitpris  environ  800  chameaux,  5000  moutons  et 
chèvres,  six  esclaves  et  sept  chevaux.  Les  'Ateibah  s'étant 
sauvés,  l'émîr  n'avait  pas  voulu  qu'on  les  poursuivît. 

Le  lendemain,  Merzy  revint  à  trois  heures  du  soir;  il 
avait  bien  marché.  L'émir  me  faisait  dire  qu'il  passerait  le 
jour  suivant  au  matin  devant  Mestagedt,  qu'il  enverrait 
une  escorte  me  chercher  pour  me  faire  rentrer  à  Hâïi  avec 
lui  et  flue  je  devais  me  tenir  prêt. 

Effectivement,  le  29  décembre,  dès  le  grand  matin,  la 
plaine  se  couvrit  de  troupeaux,  de  troupes  de  Bédouins  et 
d'hommes  de  l'émir;  tous  pressant  le  pas  et  marchant  au 
nord.  Néanmoins  le  gros  du  ghrazoû  passait  avec  l'émîr  à 
environ  2  lieues  à  l'ouest  de  Mestagedt,  Vers  midi,  arrivè- 
rent quatre  cavaliers  envoyés  par  l'émir  pour  me  prendre; 
mais  mon  intention  n'était  nullement  de  .rentrisr  à  Hall 


i04  VOYAGE  DANS  L' ARABIE  CENTRALE. 

au  pas  de  course,  comme  je  savais  que  Témir  le  ferait. 

Je  chargeai  donc  Tescorte  de  mes  remerciements  pour 
rémîr»  ainsi  que  de  mes  excuses  de  décliner  son  invitation, 
dans  le  désir  où  j'étais  de  rentrer  en  faisant  un  petit  détour. 

Nous  nous  mimes  aussitôt  en  route  et  quatre  fortes 
heures  de  marche  nous  menèrent  jusqu'à  Qçeîr,  petit  vil- 
lage d'une  quarantaine  d'habitants,  oti  nous  passâmes  la  nuit. 

Le  30  décembre,  3  kilomètres  de  route  nous  conduisirent 
par-dessus  le  petit  Gebel  £1  Safrâ,  au  village  de  Ghrazâlah, 
devant  lequel  je  ne  fis  que  passer.  Je  m'arrêtai,  8  kilomètres 
plus  loin,  au  hameau  de  Ei  Hehââ,  qui  compte  10  habitants, 
et  où  je  passai  la  nuit. 

Le  lendemain,  je  marchai  vers  le  Gebel  àebeîkah,  mon- 
tagne de  granit  rouge,  avec  quelques  plantations  de  pal- 
miers, pareilles  à  celles  de 'Aqdah.  Peu  après  je  passai  devant 
le  Gebel  Serra  et  campai  un  peu  plus  au  nord,  dans  le  fond 
d'un  ïaïb'. 

Le  jour  suivant  était  le  1*'  janvier  1881.  Je  ne  pus  me 
mettre  en  route  que  vers  dix  heures,  par  suite  de  la  négli- 
gence de  mes  hommes  qui  avaient  laissé  s'égarer  mon 
dzeloûl;  on  ne  le  retrouva  que  deux  jours  plus  tard.  Rien 
ne  me  retenant  dans  cette  région  que  je  connaissais  déjà,  je 
forçai  le  pas  de  ma  monture  et  arrivai  à  Hâïl  à  sept  heures 
du  soir. 

Mon  exploration  de  l'ouest  m'avait  pris  74  jours. 

DE  HÂÏL   A    BAGHDÂD. 

Le  10  janvier  les  pèlerins  persans  revenant  de  Ef  Mak- 
kah  et  de  Médine  étaient  arrivés  à  Hâïl,  et  le  17  ils  en  re- 
partaient pour  retourner  par  Baghdâd,  dans  leur  patrie.  Je 
résolus  de  les  accompagner. 

A  midi  je  quittai  Hâïl,  en  marchant  au  nord-est;  trois 
heures  après  cessait  le  granit  et  reparaissait  le  grès.  Une 

1.  S^aib  t  ravin.  (Rédaction.) 


VOYAGE  DANS  l'aRABIE   CENTRALE.  105 

demie  heure  plus  loin  je  campai  avec  le  hadjdj  dans  la  ré- 
gion d'Âmàdzen. 

Le  lendemain,  on  ne  fit  que  7  milles,  toujours  au  nord- 
est,  et  Ton  campa  près  du  Ouâdy  §eqîq.  Quelques  crevasses 
rocheuses  renfermaient  encore  de  l'eau  des  pluies  d'un  mois 
auparavant.  On  trouve  aussi  dans  cette  vallée  beaucoup  de 
broussailles  qui  donnent  le  bois  nécessaire  pour  les  feux. 
L'eau  et  le  bois  sont  tout  ce  qu'il  faut  au  hadjdj  ;  quant  aux 
vivres,  il  les  transporte  avec  lui. 

Le  19  janvier  nous  ne  marchâmes  que  de  sept  heures  à 
onze  heures  et  fîmes  11  milles  et  demi.  Le  campement  fut 
établi  aux  puits  de  El  Hâçerah.  Ces  puits,  au  nombre  d'une 
trentaine  environ,  sont  situés  dans  une  dépression  de  ter- 
rain peu  sensible;  ils  sont  creusés  directement  dans  le  sol 
argileux.  L'eau  est  à  6  ou  7  mètres  de  profondeur  et  n'est 
guère  bonne.  La  couche  d'eau  n'est  pas  profonde,  car  tous 
les  puits  sont  un  peu  ensablés.  C'est  à  ces  puits  qu'abou- 
tit le  Ouâdy  Hâïl;  il  ne  continue  pas  sa  course  pour  aller 
se  jeter  à  l'est,  dans  le  Ouâdy  Ermek,  comme  on  l'a  cru 
jusqu'à  présent. 

Généralement  les  environs  des  puits  sont  dépourvus  de 
végétation,  par  conséquent  de  fourrage  et  de  bois.  A  El 
Hâçerah,  s'ajoutait  encore  ce  désagrément  qu'au  bout  de 
vingt-quatre  heures  les  puits  étaient  épuisés;  nous  y  restâmes 
quatre  jours  cependant. 

Le  hadjdj,  à  son  départ  deBaghdâd  pour  les  villes  saintes, 
se  composait  d'environ  800  personnes.  Au  retour  il  y  en 
avait  environ  4000,  qui  naturellement  n'avaient  pas  assez 
de  chameaux  pour  les  conduire  en  Mésopotamie.  Les  Harb  ^ 
qui  avaient  transporté  le  hadjdj  des  villes  saintes  jusqu'à 
Hâïl,  voulaient,  comme  d'habitude,  s'en  retourner;  mais 
devant  la  pénurie  de  chameaux,  l'émîr  dut  les  prier  de  res- 
ter jusqu'à  Meàhed  'Aly.  La  plus  grande  partie  accepta,  mais 
le  nombre  des  chameaux  restait  encore  insuffisant.  L'émîr 

1.  M.  Uuber  écrit  Harby,  qui  est  le  singulier  de  Harb.  (Rédaction.) 


106         VOYAGE  DANS  L' ARABIE  CENTRALE. 

alors  envoya  courrier  sur  courrier  aux  nomades  du  désert 
pour  les  faire  venir  avec  leurs  chameaux;  les  Arabes,  mé- 
contents des  prix  de  location,  qu'ils  trouvaient  que  l'émir 
avait  fixés  trop  à  l'avantage  des  Persans,  ne  se  pressaient 
pas  d'arriver. 

Pendant  ce  temps  tous  les  pèlerins  pauvres,  les  Harb  et 
les  §ammar,  étaient,  suivant  la  coutume  béduuine,  les  hôtes 
de  l'émîr.  A  mon  estime,  cela  lui  faisait  de  2500  à  3000 
bouches  à  nourrir  par  jour  en  plus  que  d'ordinaire,  ce  qui 
enlevait  une  masse  de  provisions. 

Pour  se  débarrasser  de  ces  consommateurs  inutiles  l'émîr 
fait  partir  le  hadjdj  de  Hâïl,  après  avoir  néanmoins  fait  don- 
ner à  tous  les  nécessiteux  pour  quinze  jours  de  dattes.  Mais 
comme  tous  les  hadjdj  n'avaient  pas  encore  de  chameaux^ 
il  fallait  bien  rester  campé. 

Gomme  les  réclamations  des  pèlerins  devenaient  de  plus 
en  plus  bruyantes,  l'émir  el  hadjdj*  conduisit,  le 24  janvier, 
la  partie  montée  de  la  caravane  jusqu'à  Beq'aâ,  à  une  tren- 
taine de  kilomètres  au  nord-est  de  El  Hâçerah.  Dans  la  nuit, 
les  chameaux  retournèrent  à  ce  dernier  endroit  et  amenè- 
rent le  lendemain  le  reste  du  hadjdj.  On  fit  ainsi  pendant 
plusieurs  jours,  jusqu'à  ce  que  les  menaces  que  Témîr 
adressait  par  ses  envoyés  aux  Bédouins  eus^sent  déterminé 
ceux-ci  à  venir  avec  leurs  chameaux. 

Voici  les  prix  de  location  que  l'émîr  avait  fixés  pour  les 
chameaux  depuis  HâU  jusqu'à  Meâhed  'Aly  : 

pour  un  cavalier  avec  son  kherdj* 7  réal 

—    un  chameau  chargé 10    — 

—  avec  deux  baldanquins  pour 

deux  personnes 13    — 

i.  L'émîr  el  hadjdj  est  le  commandant  en  chef  de  la  caravane.  Depuis 
le  départ  jusqu'au  point  d'arrivée  il  a  tout  pouvoir,  comme  le  comman- 
dant à  bord  de  son  navire.  Celui  qui  remplissait  cet  emploi  était  un  esclave 
d'Ëbn  Re^id,  nommé  'Abd  e'Rahmâii. 

2.  KherQj  double  sac  de  voyage  qui  pend  des  deux  côtés  du  chameau. 


VOYAGE  DANS   L'ARABIE  CENTRALE.  107 

Les  Bédouins  avaient  demandé  que  ces  prix  fussent  res- 
pectivement de  10,  de  15  et  18  réal. 

Beq'aâ  est  situé  d'une  manière  fort  pittoresque,  dans  un 
immense  bassin  de  grès  blanchâtre  qui  s'étend  de  l'est  à 
l'ouest.  Le  village  se  compose  de  deux  groupes  d'habitations, 
l'un  à  l'est  s'appelle  Çeheby,  l'autre  à  l'ouest,  El  Oueîmy. 
EDtre  les  deux  se  trouve  un  petit  groupe  de  i  maisons, 
appelé  àerqy,  qu'on  regarde  comme  très  ancien  et  qui  s'ap- 
pelait jadis  El  Hamâm,  ou  encore  Mercîqeb.  A  côlé  se 
trouve  une  propriété  isolée,  sans  palmiers,  entourée  de 
champs,  qui  porte  le  nom  de  El  Qeçeîfah;  un  peu  plus  loin 
est  un  dernier  groupe  qui  s'appelle  Qoûeî'aân. 

Le  milieu  du  bassin  est  recouvert  d'une  épaisse  couche 
de  sel  très  amer. 

L'eau,  généralement  mauvaise  et  salée,  se  trouve  à  une 
profondeur  de  8  à  10  mètres.  Le  grès  dans  lequel  sont 
creusés  les  puits  étant  fort  tendre,  ceux-ci  ont  une  1res 
grande  ouverture.  L'eau,  qui  est  abondante,  ne  varie  jamais 
de  hauteur.  Un  seul  puits  donne  de  l'eau  passable,  c'est 
celui  du  qaçr  de  El  Oueîmy.  L'eau  en  est  à  la  fois  laiteuse 
et  bleuâtre,  elle  m'a  rappelé  celle  du  Rhin.  Ce  puits  s'ap- 
pelle El  Samhah. 

Les  deux  quartiers  de  Çeheby  et  de  El  Oueîmy,  possèdent 
chacun  un  grand  qaçr  carré,  construit  en  moellons  et  en 
mortier  sans  chaux,  avec  des  tourelles  aux  quatre  angles. 
L'intérieur  est  rempli  des  misérables  demeures  des  habi- 
tanlsjqui  me  rappellent  le  sale  village  de  Palmyre, renfermé 
dans  l'enceinte  du  temple  du  soleil.  Le  qaçr  de  Çeheby 
est  le  plus  grand. 

Les  palmiers  de  Beq'aâ  sont  beaux  et  produisent  une 
bonne  espèce  de  datte.  On  y  plante  aussi  chaque  année  du 
blé  et  de  l'orge. 

J*ai  observé,  près  de  Beq'aâ,  des  grès  d'une  forme  très 
curieuse.  Ce  sont  de  petites  boules  parfaitement  rondes, 
de  la  grosseur  d'un  pois  à  celle  des  billes  qui  servent  au  jeu 


108  VOYAGE  DANS  L'ARÂBIE  CENTRALE. 

des  enfants.  Les  boules,  incrustées  dans  le  grès,  sont  elles- 
mêmes  en  grès  très  dur,  à  ciment  calcaire;  d'autres  sont 
à  ciment  d'oxyde  de  manganèse  hydraté,  et  présentent  des 
formes  botryoïdes  qui  rappellent  les  variétés  analogues  du 
grès  de  Fontainebleau.  Dans  l'un  des  échantillons  de  grès 
que  j'ai  rapportés  se  trouve  une  coquille  bivalve  paraissant 
être  une  cardite.  —  Ce  grès  en  boule  est  appelé  par  les  \ 

indigènes  restres,  ' 

I 

Le  hadjdj  était  campé  à  environ  1  kilomètre  au  nord-est 
de  Beq'aâ,  sur  un  plateau  de  roc  nu  appelé  Qetheïân.  | 

Le  26  janvier,  nous  quittâmes  Beq'aâ  et  fîmes  environ  ' 

20  kilomètres,  toujours  à  nord  65*  est.  Notre  campement 
de  ce  jour  s'appelle  El  Loghrf  el  Nefoûd  ^  et  encore  El  Ghre- 
be'ia. 

A  peu  de  distance,  au  nord,  le  Nefoûd  s'élevait  comme 
une  muraille  à  environ  40  mètres  de  hauteur.  De  sou  som- 
met, je  pus  relever  le  Gebel  Geldïah ,  ce  que  j'avais  fait 
aussi  de  Beq'aâ. 

Le  surlendemain,  reprenant  la  marche,  nous  suivîmes  le 
bord  du  Nefoûd  qui  s'infléchit  là  légèrement  vers  le  sud, 
aussi  notre  direction  était-elle  sud  80"  est.  Un  trajet  de 
30  kilomètres  nous  mena  jusqu'aux  puits  de  â'aîbah,  où 
nous  restâmes  ce  jour-là  ainsi  que  le  jour  suivant.  Pendant 
cesdeux  jours,  le  paysage  resta  couvert  de  brume,  le  soleil 
fut  pâle  et  la  température  froide.  La  boussole  était  cons- 
tamment agitée. 

Les  puits  de  è'aïbah,  au  nombre  d'une  trentaine^  ont 
l'eau  à  5  ou  6  mètres  de  profondeur.  Gelle-ci  est  très  salée 
et  amère. 

Le  30  janvier  nous  fîmes  encore  quelques  kilomètres  au 
sud-sud-est,  puis  à  l'est;  ayant  alors  atteint  la  piste  du  che- 
min de  Baghdâd,  nous  commençâmes  à  marcher  au  nord  en 
entrant  dans  le  Nefoûd,  qui  là,  n'a  plus  rien  d'effrayant  et 
n'est  pas  à  comparer  au  Nefoûd  de  l'Arabie  centrale.  Ce  ne 

1.  «  La  boulette  des  dunes.  »  (Rédaction.) 


VOYAGE   DANS  l'aRABIE  CENTRALE.  109 

sont  généralement  que  des  collines  de  sable  séparées  par  des 
vallons  caillouteux.  Après  une  marphe  de  13  milles,  nous 
arrivions  à  un  lieu  appelé  El  §âma. 

Le  31  janvier,  nous  fîmes  encore  13  milles  dans  la  di- 
rection du  nord,  pour  aller  camper  au  puits  de  Trobah,  où 
nous  restâmes  quatre  jours. 

Ces  puits,  au  nombre  de  deux,  sont  murailles  et  ont  Teau 
à  10  mètres  de  profondeur  environ.  Cette  eau  était  puante  et 
amère  à  notre  arrivée,  mais,  le  hajddj  l'ayant  vite  épuisée, 
celle  qui  remplaça  la  première  fut  meilleure. 

Auprès  des  puits,  Met'ab,  un  des  derniers  émirs  du  èam- 

mar,  fit  construire  un  qaçr  en  pisé  et  y  mit  garnison  pour 

» 

empêcher  les  Arabes  autres  que  les  Sammar  ou  alliés  des 
ëammar,  d'y  prendre  de  l'eau  •  Mohammed,  Témîr  actuel, 
y  entretient  constamment  trois  hommes  dans  le  môme  but. 

Ce  sont  les  tribus  §ammar  de  'Abtah  et  Toûmân  qui  ont 
leurs  campements  dans  ces  régions  et  qui  boivent  l'eau  de 
Trobah . 

Les  alentours  de  Trobah  sont  d'une  aridité  extraordinaire; 
c'est  un  désert  pierreux  parsemé  d'îlots  de  sable  de  2  à  3 
centimètres  d'épaisseur.  Le  sous-sol  est  un  conglomérat  de 
galets,  de  quartz,  de  fragments  de  silex  et  de  calcaire  très 
compactes,  qui  semblent  liés  par  un  mortier  blanc.  Ce 
désert,  qui  s'étend  beaucoup  à  Test,  porte  le  nom  de  El 
Dhebeïb  el  Kebîr. 

A 12  milles  au  nord-est  de  Trobah,  se  trouvent  les  puits 
de  Khadhrâ,  au  nombre  de  14.  Simplement  taillés  dans  le  roc, 
ils  ne  sont  pas  garnis  de  murailies  et  ontdel5àl6  mètres  de 
profondeur,  sur  2  de  diamètre.  L'eau  en  est  un  peu  amère. 

Ces  puits  appartenaient  autrefois  en  propre  aux  Arabes 

» 

'Abtah,  mais  aujourd'hui  toutes  les  tribus  du  Sammar 
peuvent  y  boire. 

A  15  milles  à  l'est  de  Khadhrâ  se  trouvent  les  deux  puits 
de  El-Hâ§raa,  moins  profonds  que  ceux  de  Trobah.  Ils  sont 
revêtus  de  murailles  et  contiennent  de  bonne  eau. 


110         VOYAGE  DANS  L' ARABIE  CENTRALE. 

A  10  kilomètres  environ  à  Test  des  puits  de  El  Hâ§ma, 
se  trouvent  deux  autres  puits  nommés  Zeroûd,  de  la  môme 
profondeur  que  ceux  de  Trobah,  et  maçonnés.  Leur  eau 
est  inférieure  en  qualité  à  celle  des  puits  précédents. 

Ces  puits,  situés  tous  dans  le  Nefoûd  appelé  Matsoûr^ 
étaient  jadis  la  propriété  exclusive  des  Abtah.  Le  Nefoûd  est 
ici  une  bande  étroite  de  sable,  d'une  dizaine  de  kilomètres 
de  largeur,  qui,  partant  du  grand  Nefoûd,  se  dirige  vers 
l'est. 

Le  4  février,  nous  quittons  Trobah,  traversons  la  bande 
tiu  Nefoûd  Matsoûr,  et  allons  camper,  à  midi,  à  quelques 
kilomètres  au  delà  du  lieu  appelé  El-Metse!&ha,  dans  le 
désert  pierreux  et  sablonneux  de'Areq  el  Dhehoûr. 

A  une  journée  de  marche,  soit  à  environ  40  kilomètres 
à  l'ouest  de  El  Metseîâhat  et  dans  le  Nefoûd,  se  trouvent 
les  trois  puits  de  El  Heïànïâ,  dont  on  m'indique  la  profon- 
deur comme  devant  être  de  60  mètres  (?);  la  moitié  du  puits 
traverserait  le  Nefoûd  et  serait  muraillée,  le  reste  serait 
creusé  dans  le  roc.  L'eau  en  est  très  bonne. 

Dans  le  désert  de  'Areq  el  Dhehoûr,  à  quelques  kilo- 
mètres à  Test  de  El  Metseîâhat,  se  trouvent  les  têtes  de  deux 
petits  cours  d'eau,  le  Ouâdy  Khetsâl  et  le  Ouâdy  Khoûr  Oûqïîan 
qui  coulent  l'espace  de  30  milles  environ  vers  l'est  nord- 
est,  dans  la  vallée  de  Âbâleçrân,  entre  le  Nefoûd  Zeroûd,au 
sud,  et  une  région  montueuse  au  nord,  dont  je  n'ai  pu 
apprendre  le  nom. 

Avant  d'arriver  à  El  Metseîâhat,  la  route  passe,  pendant 
plusieurs  kilomètres,  entre  les  restes  de  deux  murailles 
espacées  Tune  de  l'autre  de  20  à  30  mètres.  Ce  sont  les 
témoins  des  murs  construits  de  Baghdâd  à  El  Makkah  par 
Zobeïdah,  la  femme  de  Âroûn  e'  Re§id  et  qui,  au  dire  des 
auteurs  arabes,  devaient  permettre,  même  aux  aveugles,  de 
faire  le  pèlerinage  des  villes  saintes.  La  route,  en  souvenir 
de  celte  princesse,  s'appelle  encore  aujourd'hui  Derb  Zo- 
beïdah. 


VOYAGE  DANS   L*ARABIE  CENTRALE.  lll 

Le  5  février  on  reprit  là  marche  à  six  heures  du  matin. 
A  neuf  heures,  le  Nefoûd  recommençait,  et  deux  fortes 
heures  après  nous  campions  de  nouveau  en  dehors  du 
Nefoûd  au  lieu  dit  Belegbïah. 

Depuis  notre  départ  de  Trobah  nc^us  n'avions  pas  ren- 
contré d'eaUy  aussi  le  hadjdj  commençait-il  à  en  manquer. 
On  a  vendu  ce  jour-là  l'eau  à  une  roupie*  l'outre,  Heureu- 
sement, le  soir,  à  sept  heures,  il  tombe  une  forte  pluie, 
qui  enverra  un  peu  d'eau  dans  les  bas-fonds. 

Le  lendemain  6  février,  22  kilomètres  de  marche  au  nord, 
et  6  au  nord-nord-ouest,  nous  conduisent  à  El  'A§ak,  tou- 
jours sur  le  môme  désert  pierreux. 

C'est  là  que  je  vis  le  premier  de  ces  fameux  bassins 
(6trA:^Q. construits  par  Zobeïdah,  le  long  de  la  route,  pour 
recevoir  les  eaux  de  pluies  et  servir  à  abreuver  le  hadjdj. 

Le  birket  el  'A§ak  se  trouvait  à  environ  un  mille  à  l'ouest 
sud-ouest  de  notre  campement. 

Cette  belle  construction,  en  pierres  de  taille  recouvertes 
déciment,  est  dans  un  parfait  état  de  conservation.  Elle 
mesure  90  mètres  sur  61,  et  environ  10  mètres  de  pro- 
fondeur. Le  bassin,  à  mi-côte  d'un  grand  plateau,  est  à 
cheval  sur  le  ruisseau  qui  en  coule  et  dont  il  intercepte 
ainsi  toutes  les  eaux.  Des  parois  intérieures  nord  et  sud  du 
bassin,  descendent  jusqu'au  fond  de  hauts  et  larges  gradins. 
Il  n'était  probablement  tombé  que  peu  de  pluie  dans  la 
région  car  le  fond  du  bassin  ne  renfermait  qu'un  peu  de 
boue  liquide,  avec  laquelle  les  hadjdj  remplirent  néanmoins 
leurs  outres.  A  côté  du  bassin,  sur  le  plateau,  se  trouvaient 
des  restes  de  constructions  ayant  servi  d'habitations. 

Près  du  campement  des  pèlerins  se  trouvait  un  second 
bassin,  plus  petit  que  celui  que  je  viens  de  décrire,  moins 
bien  conservé  et  entièrement  ensablé. 

Le  7  février,  après  une  étape  de  12  milles  par  nord,  10"*  ouest, 


1.  La  roupie  vaut  2  fr.  15. 


ii2  TOTAGE  DANS  L' ARABIE  CEIITBALE. 

noos  arrivions,  toajoars  à  traYers  le  même  désert  pierrenx, 
aux  Birket  Asabah. 

Cette  station  se  composait  de  trois  bassins,  d*nne  grande 
construction  et  d'environ  iOO  petites  maisons,  le  tout  ea 
pierres  de  taille;  c'était  donc  nn  point  important. 

Immédiatement  an  nord  de  Asabab,  se  trouve  un  autre 
tronçon,  de  5  milles  de  long  environ,  du  Derb  Zobrïdab.Lày 
les  murs  qui  bordent  la  route  sont  construits  avec  beaucoup 
de  soin.  Ils  ont  de  60  à  70  centimètres  d'épaisseur  et  environ 
1  mètre  de  hauteur.  De  temps  en  temps  on  trouve  les  restes 
d'une  petite  maison  carrée,  en  pierres  de  taille,  mesurant 
environ  8  mètres  de  côté  ;  elle  est  bâtie  à  l'extérieur  du 
mur  qui  borde  le  chemin,  avec  une  porte  d'accès  sur  ce 
chemin  dont  la  largeur  uniforme  était  là  de  25  mètres. 

Le  lendemain,  à  six  heures,  nous  reprîmes  la  marche  au 
nord  et  une  heure  après  nous  passions  entre  un  birket 
rond,  à  notre  gauche,  et  un  qaçr  en  ruines,  à  notre  droite.  Cet 
endroit  porte  le  nom  de  Gâser  *  ebn  'Athîah. 

Au  bout  de  la  seconde  heure  de  marche,  nous  passâmes 
à  côté  d'un  qaçr  en  ruines  appelé  Feleît  ebn  Qenet. 

Quatre  heures  et  demie  après  notre  départ  nous  campions 
à  Àéeîhebat. 

Cette  station,  située  dans  une  légère  dépression  de  ter- 
rain, possède  deux  bassins,  un  rond  et  un  carré,  plus  des 
restes  de  constructions  considérables,  parmi  lesquelles  un 
qaçr  qui  élève  encore  ses  murs  de  plusieurs  mètres  au-des- 
sus du  sol.  Tout  le  reste  est  presque  à  ras  de  terre. 

Les  deux  bassins  ont  été  construits  avec  un  soin  extrême 
et  une  solidité  qui  les  a  fait  se  conserver  intacts  jusqu'à  au- 
jourd'hui. Le  bassin  carré  a  ses  murs  en  pierres  taillées,  le 
bassin  rond  est  construit  en  moellons  revêtus  de  ciment  Les 
parois  nord. et  sud  du  bassin  carré  ont  été  renforcées  après 
coup  par  un  second  mur  fait  d'un  mélange  de  mortier  et  de 

1.  Probablement  mieux  Gasr  (Djasr),  chaussée,  pont. 


VOYAGE  DANS  l'aRABIE  CENTRALE.  113 

pierres  cassées,  élevé  devant  le  premier.  Cette  précaution  a 
été  inutile,  car  les  murs  supplémentaires  se  sont  écroulé?, 
tandis  que  les  premiers  sont  restés  debout. 

Le  qaçr  a  aussi  ses  murs  en  pierres  de  taille,  mais  ils  sont 
très  frustes.  Près  de  ce  dernier  se  trouve  un  beau  puits  sans 
eau,  de  4Q  mètres  de  profondeur,  sur  3  mètres  de  diamètre. 

Les  deux  bassins  étaient  à  moitié  remplis  d'une  eau  un 
peu  jaunâtre,  mais  bonne  et  suffisante  pour  abreuver  dix 
hadjdj  comme  le  nôtre. 

Du  campement  de  Âàeîhebat  on  m^indique  la  position 
des  fameux  puits  de  Lînab  qui  doivent  se  trouver  juste  à 
Test,  à  30  milles  au  plus.  Ces  puits,  au  nombre  de  300 
environ,  ont  25  mètres  de  profondeur  et  sont  tous  taillés 
dans  le  roc.  L'eau  en  est  bonne,  sans  être  néanmoins  ce 
que  les  Arabes  appellent  «  douce  )> .  Ils  appartenaient  de 
tout  temps  aux  Arabes  ^Abtab,  déjà  nommés,  dont  les 
terrains  de  parcours  s'étendent  jusque-là. 

'Abd  Allah,  un  des  hommes  de  Témîr  qui  fait  partie  de 
l'escorte  du  hadjdj,  me  raconte  que  les  puits  de  Lînah  ne 
sont  pas  l'œuvre  des  hommes,  car  personne  ne  pourrait  en 
creuser  dans  ce  roc  blanc  et  dur  comme  du  métal.  C'est 
Sàlomon,  fils  de  David,  qui  passant  un  jour  par  là,  altéré 
et  sans  eau,  ordonna  aux  'afrîts  (démons)  de  lui  creuser 
ces  puits  en  une  heure.  Les  'afrîts  obéissants  se  mirent 
de  suite  à  l'œuvre,  mais  si  dur  était  le  roc,  que  malgré 
leur  zèle  ils  ne  purent  les  terminer  qu'en  deux  heures. 

Le  9  février,  le  hadjdj  se  mit  en  marche  à  sept  heures. 
Deux  heures  après  nous  passions  à  côté  des  restes  d'un 
qaçr  appelée  Bâtel  Athoûl.  Quelques  kilomètres  plus  loin 
les  ruines  d'une  petite  construction  isolée,  en  pierres,  se 
nomment  Qaçr  'Aqelâ  El-Renemy.  Peu  après,  nous  arri- 
vâmes à  Zebâlâ. 

Cette  station  est  la  plus  importante  de  toutes  celles  que 
nous  avions  rencontrées  depuis  'Aâak.  Elle  occupe  un  bassin 
ovale,  mesurant  4  kilomètres  sur  deux.  Le  sol  est  du  roc, 

soc.  DE  GÉOGR.  —  1"  TRIMESTRE  1885.  VL  —  8 


114  VOYAGE  DANS  L'ARABIE  CENTRALE. 

en  sorte  que  les  eaux  de  pluie  n'ayant  d'écoulement  ni  au 
dehors  de  ce  bassin  naturel,  ni  dans  le  sol,  se  rassemblent 
dans  les  bas-fonds  et  ne  disparaissent  que  par  Tévaporation. 
Néanmoins,  on  a  construit  là  quatre  grandes  citernes  qui 
sont  pleines  d'eau  en  ce  moment. 

Les  habitations,  qui  étaient  considérables,  ont  été  cons- 
truites au  sud  des  bassins,  et  au-dessus  de  la  dépression 
qu'ils  occupent;  elles  pouvaient  ainsi  être  vues  de  très 
loin  et  servir  de  points  de  repère  dans  ce  désert  si  nu  et  si 
uniforme. 

Entre  les  bassins  et  les  bâtiments  se  trouvent  5  grands 
puits  de  2"*,50à  3  mètres  de  diamètre  et  de  40à50  mètres  de 
profondeur.  Lors  de  mon  passage  ils  avaient  de  Teau,  mais 
c'était  probablement  de  l'eau  de  pluie.  La  partie  supérieure 
de  ces  puits  est  muraillée,  le  reste  est  taillé  dans  le  roc. 

Les  bâtiments  ne  sont  plus  que  des  monceaux  in- 
formes, parce  que  les  pierres  employées  à  les  construire 
étant  de  nature  friable,  se  sont  effritées  sous  l'influence 
des  agents  atmosphériques.  Les  bassins  sont  aussi  en  partie 
éboulés. 

Depuis  Aàeîhebat  le  terrain  était  déjà  redevenu  volca- 
nique, mais  à  Zebâlâ  ce  caractère  s'accentue. 

Le  10  février  nous  fûmes  de  nouveau  en  marche  à  sept 
heures.  Quelques  minutes  après  nous  traversions  le  s'aïb^ 
Âbârouâts,  qui,  grâce  à  la  pluie  tombée  toute  la  nuit,  avait 
à  ce  moment-là  deux  pieds  d'eau  et  une  largeur  de  100  mè- 
tres. Ce  à'aïb  doit  avoir  un  cours  de  50  à  60  kilomètres  de 
l'ouest  à  Test. 

A  onze  heures  nous  campions  à  El  Gemeïmâ,  dépression 
de  terrain  au  plus  bas  niveau  de  laquelle  a  été  construit  un 
beau  bassin  carré, très  bien  conservé; il  a  30  mètres  de  côté 
environ,  sur  4  de  profondeur.  La  construction  en   es 
très  ingénieuse.  L'eau  entre  dans  le  réservoir,  qui  était 

1 .  S*aibf  ruisseau,  petit  cours  d'eau. 


VOYAGE  DANS  L' ARABIE  CENTRALE.  115 

plein  jusqu'au  bord,  par  un  canal  latéral  destiné  proba- 
blement à  faire  précipiter  le  sable  et  les  matières  terreuses 
en  suspension  dans  Teau. 

Les  murs  du  bassin  avaient  1",30  d'épaisseur,  l'intérieur 
était  revêtu  de  pierres  taillées,  non  recouvertes  de  ciment.  De 
même  que  les  précédents  bassins,  celui-ci  avait  des  marches 
conduisant  jusqu'au  fond. 

Le  il  février  nous  fîmes  16  milles  dans  le  nord,  5®  ouest  et 
nous  campâmes  à  Âdhafîry,  où  se  trouve  un  beau  birket 
entièrement  conservé. 

Vers  neuf  heures  du  matin  nous  avions  vu  juste  à  l'ouest,  à 
une  vingtaine  de  kilomètres,  la  pointe  d'une  colline  qui  s'éle- 
vait un  peu  au-dessus  de  l'horizon;  on  la  nomme  El  Qoûr 
'Athïah. 

Près  de  40  kilomètres  avant  d'arriver  à  notre  campe- 
ment nous  avions  rencontré  déjà  un  bassin  de  même  nom 
que  celui  près  duquel  nous  campions,  Âdhafîry.  Tous  les 
deux,  très  bien  conservés,  ils  n'avaient  d'eau  ni  l'un  ni 
l'autre.  Aucune  construction  n'était  élevée  auprès. 

A  quelques  kilomètres  au  nord  de  notre  campement  se 
trouve  un  troisième  birket  portant  également  le  nom  de 
Âdhafîry.  Celui-ci  a  environ  12  mètres  de  diamètre;  il  était 
ensablé  jusqu'au  bord. 

Les  Arabes,  pour  distinguer  ces  trois  bassins  qui  portent 
le  même  nom,  les  désignent  par  les  qualificatifs  de  méri- 
dional, septentrional  et  du  milieu. 

Nous  étions  donc  campés  près  du  Birket  Âdhafîry  du 
milieu,  et  de  ce  point  je  voyais  se  profiler  au  nord,  en  une 
longue  ligne  parfaitement  horizontale,  une  colline  désignée 
sous  le  nom  de  £1  Gâl  el  Bathn.  Le  lendemain,  en  la  fran- 
chissant, je  vis  que  c'était  non  pas  une  colline,  mais  un 
étage  du  plateau. 

C'est  là,  au  Gâl  el  Bathn,  que  finit  le  désert  pierreux; 
il  avait  conimencé  au  point  où  le  Derb  Zobeïdah  quitte 
définitivement  le  Nefoûd,  c'est-à-dire  au  Birket  Feleît  ebn 


116  VOYAGE  DANS   l'aRABIE   CENTRALE. 

Qenet.  Ce  désert  pierreux  (calcaire)  qui  est  très  uniforme 
s'appelle  El  Hegerah.  Dans  le  nord-ouest,  il  s'étend  jusqu'au 
Oudïân,  à  quatre  journées  de  marche;  dans  le  sud-est, 
jusqu'au  Hasâ,  à  trois  jours  duDerb  Zobeïdah.  Partout  sur 
cet  immense  espace  de  terrain,  il  est  d'une  sécheresse  et 
d'une  stérilité  absolues. 

Je  viens  de  nommer  El  Oûdïâû.  Ce  nom  ne  désigne  ni  un 
s'aïb  ni  un  ouâdy,  mais  une  dépression  de  terrain  dans  le 
Hamâd,  au  nord  du  Nefoûd,  à  Test  du  Djoùf,  et  qui  se  dirige 
vers  le  nord-est  sur  une  longueur  de  plus  de  120  milles 
géographiques.  Il  contient  de  bons  pâturages.  Je  dois  re- 
marquer ici  que  je  n'ai  entendu  parler  du  Oûdiàn  ni  au 
Djoûf  ni  au  Gebel.  Un  seîkh  'anezah  qui  a  accompagné  le 
hadjdj  pendant  deux  jours  à  partir  de  OûaSrâf,  m^en  a  dit 
le  peu  que  j'en  sache  et  c'est  d'après  ces  renseignements 
que  je  l'ai  porté  sur  ma  carte. 

Le  12  février  nous  partîmes  à  sept  heures  pour  le  nord 
et, une  heure  après,  nous  passions  à  côté  du  Birket  Adhafîry 
septentrional,  mentionné  tout  à  l'heure.  Un  peu  plus  loin, 
nous  arrivions  devant  El  Gâl  el  Bathn  dont  nous  escala- 
dions la  pente  fort  raide. 

La  montée  qui  s'effectue  par  le  lit  d'un  torrent,  est  très 
difficile,  aussi  beaucoup  de  chameaux  culbutent-ils. Partout 
ailleurs  qu'à  cet  endroit  le  Gâl  el  Bathn  est  inabordable, 
même  pour  un  homme,  m'assurent  les  Arabes. 

Le  torrent  a  été  détourné  en  partie  pour  en  envoyer  les 
eaux  dans  un  bassin  construit  au  bas  delà  pente,  mais  qui 
est  entièrement  ensablé. 

Lorsqu'on  se  trouve  au  sommet  du  Gâl  el  Bathn  on  voit 
effectivement,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit,  que  ce  n'est  pas 
une  colline,  car  le  terrain  se  continue  aussitôt  vers  le  nord 
en  un  plateau  immense.  C'est  donc  un  gradin  de  40  à 
50  mètres  à  monter,  lorsqu'on  arrive  du  sud. 

Au  bas  du  Gâl  el  Bathn  le  terrain  est  raviné  et  vallonné 
par  les  eaux,  aussi  trouve-t-on  là  quelques  pâturages. 


VOYAGE   DANS  l'aRABIE   CENTRALE.  117 

Ce  soulèvement  dont  la  direction  est  du  nord-ouest  au 
sud-est,  s*étend  sur  une  longueur  d'environ  160  kilomètres, 
dont  un  tiers  environ  à  l'ouest  du  Derb  Zobeïdah,  et  le 
reste  à  l'est. 

Deux  lieues  au  delà  du  Gâl  el  Bathn  nous  campâmes  près 
du  Birket  el  'Aqabah. 

Cette  station  est  une  des  plus  importantes  de  la  roule.  Il 
s'y  trouve  un  magnifique  bassin  de  110  mètres  de  long  sur 
60  de  large,  en  partie  en  ruines  et  ensablé.  Il  contenait 
de  Teau. 

Un  second  birket,  en. ruines,  est  sans  eau. 

Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable  ce  sont  quatre  grands 
puits,  des  plus  beaux  que  j'aie  jamais  vus.  Le  premier,  qui 
se  trouve  au  nord  du  grand  Birket,  est  un  carré  de  4  mètres 
et  demi  de  côté.  Depuis  l'orifice  jusqu'à  environ  8  mètres 
de  profondeur,  il  es,t  muré;  le  reste  est  taillé  dans  le  roc. 

Un  deuxième  puits,  placé  au  milieu  d'un  grand  bâtiment 
en  ruines,  est  aussi  carré  et  a  3™,50  de  côté. 

Un  troisième  n'a  que  2  mètres  de  diamètre,  et  un  qua- 
trième, situé  à  50  mètres  au  nord-est  du  grand  bassin,  me- 
sure 4  niètres  sur  chaque  face. 

Tous  ces  puits,  véritables  travaux  d'art  exécutés  avec 
un  très  grand  soin,  ont  60  mètres  de  profondeur.  Ils  ne 
contiennent  malheureusement  pas  d'eau  et  tant  d'im- 
menses travaux  ont  été  faits  en  pure  perte. 

Les  ruines  des  bâtiments  d'habitation  sont  considérables 
et  témoignent  de  l'importance  de  cette  station. 

Le  lendemain,  reprenant  notre  marche  aa  nord,  nous 
fîmes  11  milles  et  campâmes  à  'Atsâmîn. 

Aussitôt  après  notre  départ  de  El  'Aqabah  la  route  recom- 
mença à  être  bordée  de  murs,  restes  des  travaux  de  Zobeï- 
dah. Mais  là,  mieux  conservés  que  précédemment,  ils 
atteignaient  en  certains  endroits  2  mètres  de  hauteur.  Pri- 
mitivement ils  devaient  être  plus  hauts,  car  les  murs  sont 
privés  de  couronnement  et  ébréchés.  Néanmoins,  je  ne 


118  VOYAGE  DANS   l'ARABIE  CENTRALE. 

crois  pas  que  cette  hauteur  de  2  mètres  ait  dû  exister 
partout,  non  plus  que  l'épaisseur,  qui  varie  de  0™,50  ki'^ylO. 
Ces  murs  au  nord  de  ^Aqabah  sont  d'une  construction 
plus  grossière  que  ceux  qui  restent  au  sud  de  El  Metseîâhat. 
Les  pierres,  près  de  *  Aqabah,  sont  toutes  frustes,  très  grandes 
et  simplement  posées  les  unes  sur  les  autres,  sans  avoir 
jamais  été  reliées  par  un  mortier. 

Au  nord  et  à  6  kilomètres  de  'Aqabah  se  trouve  un  qaçr 
en  ruines.  A  8  kilomètres  plus  loin,  dans  une  légère  dépres- 
sion de  terrain,  on  voit  un  birket  carré,  de  15  mètres  de 
côté.  Ce  bassin  est  visible  d'une  certaine  distance,  car  les 
terres  extraites,  lors  de  sa  construction,  ayant  été  rejetées 
au  nord  et  au  sud  du  bassin,  forment  deux  petites  collines 
brunâtres,  qui,  grâce  à  l'uniformité  du  désert,  sont  visibles 
de  loin.  Le  bassin  était  plein  d'eau.  Le  qaçr  et  le  birket 
portent  le  nom  de  la  région,  'Atsâmîn*. 

Déjà  avant  d'arriver  à  ce  birket  on  voit  au  nord  une 
longue  bande  horizontale,  allant  de  Test  à  l'ouest,  qui  fait 
songer  à  un  soulèvement  pareil  à  celui  du  Gâl  el  Bathn. 
Mais,  nous  l'atteignons  vers  onze  heures  et  je  vois  alors  que 
c'était  une  longue  bande  de  petites  collines  isolées,  à  som- 
met en  table,  dirigées  de  nord-est  à  sud-ouest.  Ces  collines 
affectent  généralement  la  forme  elliptique;  leur  hauteur 
n'est  que  de  15  mètres  environ.  La  longueur  du  soulè- 
vement qui  porte  le  nom  de  'Atsâmîn,  est  de  50  kilomètres. 

Un  petit  groupe  de  collines,  à  8  milles  au  nord,  50°  ouest 
de  notre  campement,  s'appelle  'Aisemâii. 

Le  14  février  nous  étions  en  route  vers  sept  heures,  et 
une  demi-heure  après  nous  avions  en  vue,  devant  nous, 
un  petit  pic  que  nous  atteignîmes  bientôt;  il  s'appelle 
Gebel  el  Fehadah. 

En  même  temps  que  ce  gebel  minuscule  je  vis  au  loin, 
également  du  côté  du  nord,  un  soulèvement  qui  me  rappela 

1.  *At8âmîn  est  le  pluriel  de  'Atsmân,  plus  généralement  prononcé 
Othmân,  nom  propre  d'homme  (Rédaction). 


VOYAGE   DANS  L'ARABIE  CENTRALE.  119 

ceux  de  Gâl  el  Bathn  et  de  'Atsàmîii.  Nous  ne  tardâmes  pas 
à  y  arriver  et  je  vis  alors  qu'il  ressemblait  plutôt  au  premier 
qu'au  second.  Nous  eûmes  d'abord  à  monter  un  premier 
gradin,  puis,  après  une  centaine  de  mètres,  un  second.  Les 
deux  gradins  réunis  n'ont  guère  que  la  moitié  de  la  hauteur 
de  celui  de  Gâl  el  Bathn.  Une  fois  arrivé  au  sommet  on  se 
trouve  sur  un  plateau  absolument  nu. 

Ce  soulèvement  qui  a  aussi  la  direction  du  nord-ouest  au 
sud-est,  court  sur  une  longueur  de  60  kilomètres  environ, 
et  porte  le  nom  de  Gâl  Ouaqçat. 

Du  Gâl  Ouaqçat  nous  fîmes  encore  2  kilomètres,  puis  nous 
campâmes  près  d'une  dépression  de  terrain  que  les  der- 
nières  pluies  avaiint  transformée  en  un  petit  lac  et  qui  s'ap- 
pelle Ouaârâf. 

Ce  campement  occupait  un  plateau  en  forme  de  cuvette 
très  aplatie,  de  5  milles  de  long  sur  2  de  large.  Dans 
le  fond  de  cette  cuvette  ont  été  creusés  une  soixantaine 
de  puits  de  1  mètre  de  diamètre,  La  plus  grande  partie  de 
ces  puit3  était  alors  submergée  par  le  lac,  produit  des 
pluies  de  l'hiver.  Je  n'en  n'ai  vu  qu'un  seul  mesurant 
8  mètres  de  côté,  mais  tous  sont  taillés  dans  le  roc.  L'eau 
est  détestable. 

Les  Arabes  me  racontent  qu'il  y  avait  là  jadis  une  grande 
cité.  Est-ce  yne  légende  fondée  sur  le  nombre  des  puits,  ou 
sur  la  quantité  des  moellons  épars  de  tous  côtés  ?  J'ai  bien 
vu  là  des  restes  de  fondations  de  constructions  anciennes, 
mais  pas  plus  considérables  que  dans  les  précédentes 
stations.  Quoiqu'il  en  sait,  sauf  les  puits,  il  n'y  a  plus  rien 
là,  pas  même  de  hathab  S  et  beaucoup  de  pèlerins  ne  purent 
préparer  leur  nourriture,  faute  d'avoir  de  quoi  la  faire  cuire. 

Peu  avant  d'arriver  au  Gâl  Ouaqçat,  on  rencontre  à 
l'ouest  de  la  route,  le  puits  de  Ouaqçat,  de  18  mètres  de 
profondeur  et  avec  de  l'eau  douce, 

1.  Hathab,  bois  à  brûler. 


120  VOYAGE   DANS  L* ARABIE  CENTRALE. 

Dans  la  région  de  Ouaqçat  et  de  *Atsâmîn  il  existe  encore 
trois  puits  fort  anciens.  Ils  occupent  une  ligne  qui  partant 
du  Birket  'Atsâmîn,  s'en  va  rejoindre  au  nord-est  Textré- 
mité  du  Gâl  Ouaqçat. 

Le  premier,  situé  à  12  kilomètres  du  birket,  est  El  Gil, 
profond  de  70  mètres. 

Le  second,  à  22  kilomètres,  se  nomme  El  Sebrom;  il  a 
80  mètres  de  profondeur; 

Le  troisième,  El  'Aâ'aa,  à  26  kilomètres  du  birket,  est 
profond  de  87  mètres . 

L'eau  de  El  Gil  serait  mauvaise,  celle  des  deux  autres 
puits,  bonne.  Pour  les  profondeurs,  je  les  donne,  bien 
entendu,  sous  toutes  réserves,  d'après  le  dire  des  Arabes, 
auxquels  les  nombres  de  mètres  ne  coûtent  rien,  surtout 
lorsqu'il  s'agit  de  la  profondeur  d'un  puits. 

Le  désert  à  Test  de  ces  trois  puits  s'appelle  Gâl  el  Besâsab. 
Je  ne. sais  à  quoi  se  rattache  au  juste  cette  dénomination 
car  on  m'a  assuré  qu'il  ne  s'y  trouve  pas  de  gdl  proprement 
dit. 

Toute  la  région  de  'Atsâmîn,  entre  les  deux  gâl  de  El 
Batbn  et  de  Ouaqçat,  est  un  désert  de  silex  d'une  stérilité 
absolue.  Pourtant,  entre  le  Gebel  Fehadah  et  le  Gâl  Ouaqçat, 
les  silex  disparaissent.  Les  Bédouins  donnent  à  ces  silex  le 
nom  de  çalâbikh,  et  plus  spécialement  celui  de  çalâbikh 
ouaqçat;  mais  je  crois  que  cette  dénomination  n'est  en  usage 
que  chez  les  'Anezah. 

A  5  milles  au  nord  de  notre  campement  de  OuaSrâf,  se 
trouve  la  ligne  de  séparation  des  territoires  des  deux  plus 
puissantes  tribus  de  l'Arabie,  des  èammar  et  des  'Anezah. 
Cette  ligne  passe  à  peu  près  par  la  latitude  des  puits  de 
Sebîkah  qui  se  trouvent  à  5  milles  au  nord-ouest  de 
Oua§râf. 

Ces  puits  fameux,  au  nombre  de  trois  cents  environ,  ne 
sont  pas  anciens  et  ont  été  creusés  par  les  Arabes  modernes, 
c'est-à-dire  depuis  le  commencement  de  l'hégire.  Ils  n'ont 


VOYAGE  DANS   L'ARABIE   CENTRALE.  121 

qu'une  profondeur  de  2,  3  ou  4  mètres.  On  m'assure  aussi 
qu'ils  n'ont  d'eau  que  quand  il  pleut.  Ce  serait  donc  plutôt 
des  citernes  que  des  puits,  et  ce  qui  le  fait  croire  encore, 
c'est  que  l'eau  en  est  putride,  amère  et  salée. 

Le  15  février,  à  cause  d'une  discussion  entre  deux  hame- 
Ifldar*  et  leurs  Bédouins,  loueurs  de  chameaux,  le  hadjdj 
resta  campé  à  Ouaèrâf. 

J'ai  déjà  dit  que  le  terrain  entre  le  Gebel  Fehadâh  et  le 
Gâl  Ouaqçat  différait  de  celui  de'Atsâmîn,  situé  plus  au  sud, 
qui  était  un  sol  siliceux.  A  Ouaqçat  encore,  on  trouve  du 
calcaire  mais  très  varié,  ainsi  qu'on  peut  en  juger  par  les 
échantillons  rapportés,  et  qui  sont  les  suivants  : 

1)  Calcaire  parsemé  de  grains  de  quartz; 

2)  Calcaire  gris  cristallin; 

3)  Calcaire  concrétionné  ; 

4)  Calcaire  très  compacte,  poli*  et  comme  verni  à  la  sur- 
face, probablement  par  le  frottement  du  sable. 

A  Ouaérâf,  domine  un  calcaire  très  siliceux  qui  raye  le 
verre;  il  est  parsemé  de  vacuoles  et  de  veines  calcaires, 
comme  des  travertins. 

Le  16,  on  reprit  la  marche  et  30  kilomètres  nous  me- 
nèrent jusqu'à  Âthelahât,  qui  est  encore  une  des  stations 
les  plus  importantes  du  Derb  Zobeïdah. 

Là  sont  les  ruines  d'une  centaine  de  petites  maisons  et 
d'un  grand  khân»  Ce  dernier  dresse  encore  ses  murs  à 4  ou. 
5  mètres  au-dessus  du  sol. 

Il  s'y  trouve  en  outre,  trois birket,  un  rond  et  deux  carrés; 
chacun  de  ces  deux  derniers  est  double.  Mais  ce  qu'on  voit 
de  plus  étonnant,  ce  sont  deux  puits  carrés  entièrement 
taillés  dans  le  roc,  d'environ  .70*  mètres  de  profondeur  et 
mesurant  5  mètres  sur  chaque  face,  exécutés  avec  un  soin 
et  une  précision  parfaits.  Je  n'avais  encore  rien  vu  d'aussi 

1.  Hameladar,  nom  que  portent  ceux  qui  se  chargent,  moyennant  un 
prix  à  forfait,  du  transport  des  hadjdj  persans,  depuis  la  Mésopotamie  jus- 
qu'aux villes  saintes,  et  de  leur  retour. 


122         VOYAGE  DANS  l' ARABIE  CENTRALE. 

grandiose/  car  ces  puits  sont  bien  plus  beaux  et  plus  pro- 
fonds que  ceux  de  El  'Aqabah.  Lors  de  mon  passage  ils 
étaient  à  secs,  et  l'ont  probablement  toujours  été. 

Les  birket,  eux  aussi,  étaient  à  sec,  ce  qui  n'est  pas 
étonnant  car  ils  sont  ensablés  jusqu'au-dessus  des  bouches 
d'alimentation.  Il  avait  plu  ici  comme  dans  toute  la  région  ; 
c'est  ce  qu'attestait  la  forte  végétation  qui  poussait  dans 
toutes  les  dépressions  du  sol. 

Une  heure  avant  d'arriver  à  Athelahât  on  rencontre  les 
ruines  d'une  construction  isolée,  pour  lesquelles  il  n'y  a 
pas  de  nom  spécial. 

A  partir  de  10  kilomètres  au  nord  de  Ouasrâf  le  sol  change 
encore  d'aspect.  Le  calcaire  concrétionné,  le  calcaire  com- 
pacte et  le  silex  jaspoïde,  restent  les  roches  dominantes 
jusqu'à  Athelahât. 

Cette  station  porte  encore  le  nom  de  Mefreqâ  Derb,  parce 
que  d'ici  le  chemin  se  bifurque,  une  branche  allant  direc- 
tement à  Nedjef,  l'autre  vers  Qaçr  e'Seïd. 

Le  17  février,  on  changea  de  route  et  nous  marchâmes 
au  nord,  20**  est. 

A  11  heures,  nous  passions,  sans  nous  y  arrêter,  devant 
la  station  de  El  Hamâih.  Il  s'y  trouve  un  qaçr,  un  puits  et 
un  birket.  Le  qaçr,  un  des  mieux  conservés  de  la  route, 
renferme  une  pièce  entièrement  voûtée,  encore  debout.  Le 
birket  aussi  est  bien  conservé  et  a  de  l'eau. 

A  une  heure,  après  avoir  parcouru  35  kilomètres  depuis 
Athelahât,  nous  campâmes  à  la  station  de  Hamed,  où  il  n'y 
qu'un  birket  carré. 

Le  jour  suivant,  en  route  à  six  heures  du  matin,  nous 
passions  deux  heures  après  à  côté  de  la  station  de  Meghrî- 
tsah,  où  se  trouvent  un  qaçr  et  deux  birket.  Une  vingtaine 
de  kilomètres  plus  loin  nous  campâmes  sur  les  bords  du 
S'aïb  El  Khats'amy,  non  loin  du  Qaçr  et  du  Birket  Ouâme- 
qroûn. 

Depuis  Athelahât  jusqu'au  ruisseau  de  El  Khats'amy,  le 


VOYAGE  DANS  L'ABABIE    CENTRALE.  123 

pays  présente  toujours  l'aspect  d'un  désert  pierreux,  sans 
Tégélalion.  Ce  dernier  ruisseau  est  à  sec,  mais  ayant  eu 
déjà  de  l'eau  cet  hiver,  il  est  plein  de  verdure.  Ou  y  trouve 
de  l'herbe  et  du  hathab. 

Le  19  février,  en  roule  à  six  heures,  nous  marchâmes  par 
environ  nord,  10°  ouest. 

Après  trois  heures  de  voyage,  nous  traversions  le  è'aïb  Açb, 
qui  doit  avoir  son  origine  près  des  puits  de  Sebîkab,  et 
couler  dans  le  àatt  el  ^Arab,  près  Baçrah. 

Une  heure  après  avoir  traversé  le  à'aïb  Âçb,  nous  arri- 
vâmes au  à'aïb  Âboû  Khamsât,  qui  avait  beaucoup  de  ver- 
dure. Nous  allâmes  camper  une  heure  plus  au  nord. 

A  quelques  kilomètres  à  Test  de  notre  campement,  nous 
avions  le  Qaçr  e  'Seïed,  avec  une  source;  à  quelques  kilo- 
mètres au  sud-est  le  Qaçr  Reheïm,  avec  une  source  d'eau 
amère. 

Dès  huit  heures  du  matin  on  pouvait  voir  devant  soi 
la  coupole  dorée  de  la  mosquée  de  *Aly,  à  Nedjef,  qui  mi- 
roitait comme  un  soleil.  Cette  vue  donna  du  courage  à  tout 
le  monde  et  fit  oublier  bien  des  misères  passées. 

Le  lendemain,  20  février,  longtemps  avant  l'aube,  tout  le 
monde  était  prêt.  En  route  à  six  heures,  on  arrivait  une 
heure  et  demie  après  devant  la  «  mer  de  Nedjef  »  qu'on 
laissa  à  droite  pour  la  contourner.  Nous  marchâmes  succes- 
sivement au  nord-est  puis  à  l'est  et  enfin  au  sud-est.  A 
midi  moins  quelques  minutes,  j'arrivai  à  Nedjef  la  Sainte. 

Des  Bédouins  avaient  voulu  faire  pièce  à  Ebn  Reâid  en 
refusant  de  transporter  le  hadjdj  aux  conditions  posées  par 
lui  ;  mais  finalement,  sur  les  menaces  de  l'émîr,  ils  s'étaient 
décidés  à  envoyer  leurs  chameaux  les  plus  mauvais,  ce  qui 
força  le  hadjdj  à  ne  faire  que  des  marches  de  six  à  sept 
»  heures  par  jour;  nous  avions  donc  mis  35  jours  pour  venir 
de  Hâïl  à  Nedjef,  trajet  qui  d'ordinaire  s'effectue  facilement 
en  12  jours. 
Je  m'arrêtai  quelquesjours  à  Nedjef  et  àKerbelà,  heureux 


124  VOYAGE  DANS  L'ARABIE   CENTRALE. 

de  goûter  de  nouveau  les  douceurs  d'une  civilisation  plus 
avancée  que  celle  des  habitants  du  désert.  La  peste  ayant 
éclaté  à  Nedjef,  je  dus  faire  quinze  jours  de  quarantaine  à 
Mescïeb  avant  d'entrer  à  Baghdâd,  où  je  n'arrivai  que  le 
18  mars.  J'y  reçus  l'accueil  le  plus  cordial  et  îe  plus  fran- 
chement sympathique  de  M.Pèretié,  notre  consul,  en  même 
temps  qu'une  hospitalité  .toute  orientale.  Je  lui  en  aurai 
toujours  la  plus  vive  reconnaissance. 

Un  mot  encore  avant  de  clore  l'itinéraire  de  Hâïl  vers 
le  'Iraq.  Trois  routes  sont  suivies  d'habitude,  que  les  Arabes 
désignent  comme  suit  : 

LaDerb  Semâoûah;  elle  part  de  cette  dernière  localité,  sur 
les  bords  de  TEuphrate,  et  se  rend  au  Gebel  en  passant  par 
Lînah  ; 

La  Derb  G.hrazâl,  qui  peut  partir  d'un  point  quelconque  de 
la  Mésopotamie,  oblique  un  peu  àl'ouest  et  va  au  sud  en  pas- 
sant à  l'ouest  des  puits  de  èebîkah,  et  en  entamant  fortement 
le  JNefoûd.  Cette  voie  ne  peut  être  prise  que  par  des  hommes 
bien  montés.  C'est  probablement  celle  que  suivit  Wallin  en 
1848; 

La  Derb  Zobeïdah  ou  Derb  Çoulthâny,  qui  court  entre 
les  deux  précédentes.  C'est  celle  que  j'ai  suivie  et  que  je 
/viens  de  décrire. 

Mais  l'on  comprend  que  cette  dernière  route,  malgré  son 
luxe  de  bassins,  ne  soit  pas  praticable  en  tout  temps,  puisque 
les  pluies  d'hiver  ne  sont  pas  régulières.  Tous  les  arabes 
m'ont  raconté  qu'avant  l'hiver  de  1880-81,  il  y  en  avait  eu 
trois  sans  pluies,  pendant  lesquels  aucun  des  bassins  n'avait 
eu  de  l'eau,  et  avant  cestroishiversilyenavaiteu  neuf  autres 
de  sécheresse.  Ainsi  en  treize  ans,  cette  route  n'aélé  praticable 
que  trois  ans.  La  caravane  des  pèlerins  pour  laquelle  elle  a 
été  construite  peut  s'en  servir  bien  plus  rarement  encore,  , 
puisque  le  pèlerinage  coïncide  généralement  avec  un  mois 
chaud  plutôt  qu'avec  un  mois  froid. 

Les  constructeurs  du  Derb  Zobeïdah  ont  bien  compris 


VOYAGE  DANS  l'ARABIE   CENTRALE.  125 

cet  inconvénient  et  ils  ont  essayé  d'y  parer  en  créant  des 
puits  à  côté  de  leurs  immenses  bassins;  on  a  vu  par  les 
beaux  travaux  exécutés  aux  stations  de  Âthelahàt  et  de 
El'Aqabah  combien  ils  y  ont  mis  de  ténacité.  Mais  déci- 
dément  Allah  n'était  point  avec  eux  car  ils  n'ont  pas  trouvé 
d'eau. 

Voici  maintenant  quelques  renseignements  sur  la  route  la 
plus  fréquentée,  le  Derb  Semàoûah,  passant  par  Lînah,  et 
que,  faute  de  plus  de  précision,  je  n'ai  pu  faire  entrer  dans 
ma  carte. 

En  partant  de  Semàoûah,  une  forte  journée  conduit  à 
El  Gferah*,  station  pourvue  de  puits.  Ce  point  est  rendu 
dangereux  par  les  Arabes  Âzeïàd,  voleurs  de  profession.  Ils 
ont  tous  des  chevaux  et  sont  continuellement  en  maraude. 

Le  second  jour  déjà  on  arrive  au  désert  de  El  Hegerah  et 
on  campe  à  un  endroit  appelé  Âboû  Khoueïmah,  où  il  n'y 
a  de  l'eau  qu'en  hiver,  dans  un  ghradîr. 

Le  troisième  jour  on  campe  à  Selmân;  là  sont  de  nom- 
breux puits  dont  l'eau  est  mauvaise. 

Le  quatrième  jour  conduit  à  Haqeî  el  Ferdoûs,  légère 
dépression  de  terrain,  de  forme  allongée  et  d'environ 
500  mètres  d'étendue;  elle  renferme  toute  l'année  de  la 
verdure.  Il  ne  s'y  trouve  pas  de  puits,  mais  après  la  pluie 
l'eau  y  séjourne  longtemps. 

Le  cinquième  jour,  on  campe  à  El  Khâdîd  où  il  n'y  a  que 
de  l'eau  de  pluie. 

Le  sixième  jour  on  campe  au  Gâl  el  Bathn,  où  l'on  trouve 
soit  de  l'eau  de  pluie,  soit  de  l'eau  des  puits  de  Lînah. 

Mes  renseignements  sur  cette  route  ne  vont  pas  plus  loin. 

1.  Le  nom,  écrit  en  arabe,  en  marge  du  manuscrit  de  M.  Huber  auto- 
riserait à  corriger  ainsi  sa  transcription  :  El-Gofrah  (Rédaction). 


ii6  YOTAGE  DANS  L'ARABIE  CEUTBALE. 

DE   BAGHVÂD  A  DAMAS  PAR  LE   HAMId. 

De  Bstghdâd  on  n'a  que  le  choix  des  routes  pour  se  rendre 
en  France.  La  plus  habituelle  est  la  Toîe  de  mer,  par 
Baçrah  et  Suez;  c'est  la  moins  fatigante  mais  la  plus 
longue. 

Une  des  routes  de  terre  consiste  à  se  rendre  de  Baghdâd 
à  Mosoul*  et  de  là  à  Alezandrette,  soit  par  Orfa,  soit  par 
Haleb.  Cette  course  se  fait  à  cheval. 

Il  existe  enfin  une  route  beaucoup  plus  courte  qui  em- 
prunte la  voie  du  désert.  Elle  consiste  à  se  rendre  de  Bagh- 
dâd à  TEuphrate  qu'on  traverse  à  Saq1â\KFîah;  on  remonte 
ensuite  la  rive  droite  du  fleuve  jusqu'à  Deîr,  d'où  Ton  se 
rend  à  Sokhnah  au  sud-ouest,  puis  à  Palmyre  et  enfin  à 
Damas.  On  a  de  l'eau  tous  les  jours  ou  tous  les  deux  jours 
et  le  voyage  se  fait  sur  un  dzeloûl.  Malheureusement  od 
est  exposé  aux  déprédations  des  grandes  tribus  des  'Anezah 
qui  occupent  précisément  ces  régions  du  désert  de  Syrie. 

C'est  le  chemin  habituellement  suivi  par  les  petites  cara- 
vanes qui  circulent  entre  Baghdâd  et  Damas. 

Plus  intéressante  pour  la  science  devait  être  la  route 
directe  de  Baghdâd  à  Damas  au  travers  du  Hamâd.  Le 
trajet  est  effectué  depuis  plusieurs  années  par  des  Arabes 
isolés  qui  font  le  service  de  la  poste  entre  ce  deux  villes, 
pour  le  compte  du  consul  anglais  de  Baghdâd'. 

Je  fis  donc  mes  préparatifs  pour  suivre  cette  route  et, 
ayant  trouvé  le  guide  nécessaire,  je  quittai  Baghdâd  le 
i«'  décembre  1881. 

Sortis  de  la  ville  à  cinq  heures  du  soir,  à  la  tombée  de  la 
nuit  je  ne  fis  que  quatre  milles  et  allai  camper  non  loin 
de  'Aker-Koûf,  auprès  de  quelques  tentes  des  Beny  Temîm. 

1.  Le  nom  arabe  est  :  £l-Moûcil  (Rédaction). 

2.  Depuis  un  an  le  gouyernement  ottoman  a  établi  sur  la  même  ligne 
un  service  semblable. 


VOYAGE  DANS   L'àRABIE  CENTRALE.  127 

Le  lendemain,  2  décembre,  en  marche  à  trois  heures  du 
matin,  nous  arrivions  douze  heures  après  à  Saqlâwïah,  sur 
les  bords  de  l'Euphrate. 

Le  terrain  alluvionnaire  du  Tigre  s'étend  jusqu'à  moitié 
chemin,  près  du  Qaçr  Noqtah.  Au  delà,  le  sol  devient  pier- 
reux et  caillouteux.  La  composition  du  sol  est  du  reste  fort 
compliquée.  J*ai  en  effet  relevé  du  gypse  lamellaire,  du  silex 
en  galets  gris  clairs  ou  jaunâtres,  du  jaspe  craquelé  avec 
veinules  de  quartz,  des  galets  de  quartz  blanc  hyalin,  du 
grès  gris,  du  calcaire  terreux. 

Une  heure  avant  d'arriver  à  Saqlâwïah,  le  marbre  et  le 
mica  affleurent  le  sol. 

A  partir  du  Qaçr  Noqtah  la  flore  prend  l'aspect  de  celle 
du  Hamâd,  les  térébinthes  caractéristiques  du  Gezîrat  dis- 
paraissent à  l'excftption  d'un  ou  deux. 

Le  lendemain  nous  traversâmes  l'Euphrate  dans  un  bac, 
à  quinze  minutes  du  village.  L'opération  ne  dura  qu'un 
quart  d'iieure.  Nous  nous  dirigeâmes  aussitôt,  par  nord, 
70°  ouest,  sur  Remâdy,  où  nous  arrivions  à  quatre  heures 
pour  aller  camper  en  pleins  champs  à  une  heure  de  marche 
plus  loin. 

Toute  la  rive  droite  de  l'Euphrate  depuis  Saqlâwïah  jus- 
qu'à Remâdy,  sur  une  largeur  de  500  à  1000  mètres,  est 
cultivée  par  des  Arabes  sédentaires  des  tribus  deÂbou  Fahat, 
de  Ourdemy  et  de  Mehamtah. 

Le  paysage  est  entièrement  changé;  ce  n'est  plus  l'im- 
mense plaine  du  Gezîrat,  le  terrain  d'alluvion  cesse  à  une 
distance  de  l'Euphrate  qui  varie  de  1  à  5  kilomètres.  Le  sol 
monte  insensiblement,  forme  un  soulèvement  de  15à20  mè- 
tres d'élévation,  composé  de  grès  friable  en  décomposition. 

Le  4  décembre,  en  route  à  quatre  heures  du  matin, 
nous  arrivions  neuf  heures  après  à  Hît*,  dont  la  direction 
était  indiquée,  dès  huit  heures  du  matin,  par  une  colonne 

1.  Hit,  rancienne  His  d'Hérodote. 


128  VOYAGE  DANS  l'aRABIE   CENTRALE. 

de  fumée  noire  provenant  de  la  distillation  de  ses  essences 
minérales. 

Cette  petite  ville,  une  des  plus  vieilles  du  monde,  sûre- 
ment antérieure  à  Babylone,  se  trouve  aujourd'hui  située  à 
150  mètres  à  l'ouest  de  son  ancien  emplacement.  Le  nou- 
veau Hît  occupe  la  place  de  la  citadelle  de  Tancienne  ville, 
sur  un  roc  dominant  le  fleuve  et  taillé  à  pic  de  ce  côté. 
En  face,  sur  la  rive  gauche,  se  trouve  un  seul  jardin  de  200 
palmiers  âgés  de  vingt  ans;  il  est  arrosé  au  moyen  de  deux 
de  ces  immenses  roues  mues  par  le  courant,  qui  montent 
l'eau  avec  un  ronflement  assourdissant  et  qui  sont  parti- 
culières à  la  région  de  l'Euphrate.  Au  bas,  à  l'est  de  Hît,  se 
trouve  encore  un  jardin  d'une  centaine  de  palmiers.  C'est 
tout  ce  qu'il  y  a  de  verdure. 

On  sait  qu'au  delà  de  Hît,  le  palmier  vient  encore  à  'Anâ, 
mais  c'est  là  la  limite  septentrionale  de  la  productivité  de 
cet  arbre;  au  delà  il  ne  donne  plus  de  fruits. 

Le  territoire  de  Hît  forme  une  dépression  de  terrain  ana- 
logue aux  bassins  que  j'avais  vus  au  Qaçîm.  Une  extrémité  de 
ce  bassin  est  touchée  par  l'Euphrate  dont  la  largeur  est  ici 
de  60  mètres,  et  c'est  précisément  en  ce  point  que  se  trouve 
Hit. 

L'aspect  de  la  contrée  est  nu  et  désolé.  A  plusieurs  kilo- 
mètres à  la  ronde  sourdent  de  petites  sources  saturées 
d'hydrogène  sulfuré  qui  empestent  l'atmosphère,  chargée 
en  outre  de  la  fumée  noire  des  carbures  qui  servent  de 
combustible  pour  distiller  lés  mêmes  carbures. 

La  ville  produit  l'effet  d'une  ruine.  Un  minaret,  situé  dans 
l'angle  sud,  se  voit  de  très  loin  lorsqu'on  vient  de  Remâdy. 

Hît  vit  entièrement  de  ses  sources  de  bitume  qui  sem- 
blent inépuisables. 

D'après  les  échantillons  minéralogiques  rapportés,  le  sol 
de  la  localité  se  compose  principalement  de  gypse,  de  galets 
de  quartz  et  de  phtanite, de  silex  zonaire  rubané,  parfois  man- 
ganésifère,  de  quartz  hyalin,  de  galets  de  calcaire  noi^très 


VOYAGE  DANS  L* ARABIE  CENTRALE.         129 

compacte,  parfois  tubuleux,  de  grès  quartzeux  à  ciment  cal- 
caire. 

Entre  Remâdy  etHît,  TEuphrate  forme  une  anse  au  nord, 
de  sorte  qu'on  le  perd  de  vue,  et  les  alluvîons  ne  s'étendant 
pas  aussi  loin  dans  l'intérieur,  il  en  résulte  que  presque 
tout  le  parcours  se  fait  dans  un  désert  de  gravier  qui 
porte  le  nom  de  Âboû  Rayât. 

A  Hit  on  remplit  ses  outres  de  l'eau  de  l'Euphrate  pour 
la  traversée  du  désert.  Nous  repartîmes  vers  cinq  heures  du 
soir  dans  la  direction  de  nord,  75«  ouest,  pour  arriver  à 
huit  heures  à  Kebeïsah,  village  de  500  âmes,  entouré  de 
murs  bien  entretenus,  en  dehors  desquel  nous  passons  la  nuit. 

Les  jardins  de  Kebeïsah  se  trouvent  dans  un  enclos  séparé, 
au  nord  de  la  ville  et,  sur  la  lisière  des  jardins,  coule  une 
source  abondante,  mais  dont  l'eau  est  amère  et  salée.  L'eau 
potable,  pour  la  consommation  de  tout  le  village,  ne  se 
trouve  que  dans  un  puits  unique  situé  à  500  mètres  en 
dehors  des  murs. 

Cette  petite  cité,  aux  portes  du  désert,  est  le  siège  d'un 
moûdir  chargé  de  recevoir  l'impôt  pour  le  compte  du  gou- 
vernement ottoman;  mais  c'est  là  le  seulbénifice  que  les 
habitants  recueillent  de  leur  nationalité,  car,  victimes  des 
déprédations  continuelles  des  Arabes  'Anezah,  ils  n'ont 
jamais  vu  l'autorité  intervenir  pour  les  en  préserver. 

Le  lundi  5  décembre  nous  quittâmes  Kebeïsah  à  six 
heures  du  matin  ;  nous  ne  devions  plus  rencontrer  de  centre 
habité  jusqu'à  notre  arrivée  en  Syrie.  Un  vent  glacial  du 
nord  souffla  en  tempête  tout  le  jour  et  empêcha  parfois 
nos  chameaux  d'avancer. 

Notre  route  courait  dans  le  sud,  60*  ouest.  Six  heures  de 
marche  nous  conduisirent  au  Qaçr  Khebâz,  où  nous  cam- 
pâmes dans  le  lit  du  â'aïb  du  môme  nom,  qui,  après  s'être 
formé  sur  les  plateaux  dont  le  qaçr  est  environné,  prend  la 
direction  nord-est,  passe  à  Kebeïsah,  et  de  là  se  jette  dans 
l'Euphrate. 

soc.  DE  GÉOGR.  —  1"  TRIMESTRE  1885.  Yl    —  9 


130  VOYAGE  DANS   l'ARABIE  CENTRALE. 

Le  Qaçr  de  Khebâz  est  la  première  station  d'une  route 
allant  dé  Baghdâd  à  Damas,  et  appelée  Derb  Zobeîdah 
comme  celle  qui  conduit  du  'Iraq  aux  Tilles  saintes  du 
Hedjâz;  c'est  dire  que  les  constructions  de  la  route  de 
Damas  sont  attribuées  à  la  même  princesse. 

Devant  le  Qaçr  Khebâz  le  terrain  s'abaisse  brusquement 
de  40  mètres  environ  et  à  côté  du  qaçr  descend  un  torrent 
dans  le  bas  duquel  on  a  construit  un  grand  birket  en 
pierres  de  taille  de  fortes  dimensions.  Le  tout  est  en 
ruines,  néanmoins  il  est  facile  de  voir  que  c'est  le  même 
genre  de  constructions  que  sur  le  Derb  Zobeîdah  du  sud. 
Les  murs  du  qaçr  ont  encore  trois  mètres  d'élévation  et  la 
voûte  du  portail  est  encore  entière. 

£n  quittant  Khebâz  nous  continuâmes  notre  route  pen- 
dant 25  kilomètres,  toujours  dans  la  direction  de  nord, 
60^  ouest,  et  campâmes  à  Riqm  e'  Saboûil,  nom  d'un  léger 
monticule  sur  lequel  se  trouvait  une  seule  construction,  en 
gros  blocs,  maintenant  entièrement  en  ruines. 

Le  6  décembre,  au  moment  du  départ,  le  matin,  le  ther- 
momètre marquait  —  5°,9,  et  le  vent,  toujours  fort,  soufflait 
du  nord-ouest.  Personne  n'avait  pu  dormir  à  cause  du 
froid. 

Quelques  kilomètres  au  delà  de  Riqm  e'  Saboûn  nous 
arrivâmes  dans  le  canton  de  Qer'aah  'Aâmeq,  et  après 
cinq  heures  de  marche  au  Qaçr  'Amed. 

Le  Qaçr  'Amed  est  bâti  sur  la  partie  la  plus  déclive  d'un 
plateau.  Il  n'en  reste  plus  que  les  fondations  au  ras  du 
sol  et  la  porte  avec  sa  voûte.  A  une  petite  distance  à  l'ouest 
du  qaçr  on  trouve  un  bassin  carré  de  l!2  mètres  de  côté, 
mais  qui  est  ensablé  jusqu'à  fleur  de  terre. 

A  partir  de  Hît  le  désert  conserve  la  même  uniformité  ;  ce 
ne  sont  que  plaines  immenses  parfois  légèrement  ondulées. 

Du  Qaçr  'Amed  nous  fîmes  encore  une  quarantaine  de 
kilomètres,  puis  nous  campâmes. 

La  nuit  du  6  au  7  décembre  fut  encore  plus  froide  que  la 


VOYAGE  DANS  L' ARABIE  CENTRALE.         131 

précédente;  le  thermomètre  deseendit  à  —  10%1,  Heu- 
reusement le  vent  était  plus  faible  que  les  jours  passés. 

Partis  à  sept  heures,  nous  arrivâmes  en  trois  heures  de. 
marche  au  Ouàdy  El  M'aïâer^  dont  Torigine  se  trouve  à  cinq 
milles  environ  au  sud-est  de  ma  route.  Après  un  cours 
d'une  vingtaine  de  kilomètres  au  nord-ouest,  il  se  jette 
dans  le  Ouâdy  Haourân. 

Une  heure  avant  d'arriver  au  Ouâdy  El  M'aïâef,  je  ren- 
contrai, fait  curieux,  des  deux  côtés  du  chemin,  des  restes 
de  inur  de  clôture  identiques  à  ceux  que  j'avais  vus  sur 
le  Derb  Zobeïdah  du  sud.  Je  pus  suivre  ces  murs  sur 
une  longueur  de  près  de  deux  kilomètres. 

Deux  heures  et  demie  après  avoir  quitté  le  Ouâdy  El 
M'aïâef,  nous  campions  dans  le  Ouâdy  Haourâii  près  des 
puits  de  'Aïwef .  Les  ruines  du  Qaçr  'Aïwef  se  trouvent  sur 
la  rive  droite  du  ouâdy;  ses  murs  n'ont  plus  qu'un  mètre 
de  hauteur.  La  porte  voûtée  est  aussi  encore  debout. 

Les  puits  de  'Aïwef,  au  nombre  de  12,  sont  dans  le  lit 
même  du  ouâdy,  près  de  la  rive  droite  ;  sept  sont  comblés. 
On  les  a  creusés  dans  le  gravier  et  les  parois  en  sont  sou- 
tenues par  des  gros  blocs  roulés,  pris  dans  le  ouâdy 
même.  L'eau,  très  bonne,  est  à  quatre  mètres  de  profon- 
deur. 

Sur  la  rive  opposée,  en  face  de  Qaçr  'Aïwef,  se  trouve  un 
tombeau  en  ruines,  et  tout  autour,  sur  un  grand  espace, 
se  voient  des  tombes.  Cet  endroit  est  le  lieu  de  sépulture  des 
Saloby  qui  sont  aussi  les  propriétaires  des  puits. 

Le  commencement  du  Ouâdy  Haourân,  au  dire  de  mes 
hommes,  serait  à  quatre  ou  cinq  jours  de  marche  sud- 
ouest  de  'Aïwef,  soit  à  environ  200  kilomètres,  et  son 
embouchure  dans  TEuphrate,  à  trois  ou  quatre  jours  de 
marche  à  partir  du  même  point.  D'autres  renseignements 
m'ont  donné  des  chiffres  plus  faibles.  Les  Saloby  du  nord- 
est  du  Nefoûd  m'avaient  tous  dit  que  la  longueur  totale 
du  Ouâdy  Haourân  ne  dépassait  pas  six  à  sept  jours  de 


132  VOYAGE  DANS  l'ARABIE   CENTRALE. 

marche.  Des  Arabes  Amarrât,  à  Test  de  Kerbelâ,  m'avaient 
donné  des  chiffres  à  peu  près  analogues.  J'avoue  que  ces 
derniers  renseignements  m'ont  influencé  dans  mon  tracé  et 
que  je  n'ai  pas  osé  suivre  l'auteur  de  la  carte  jointe  au 
voyage  de  Lady  Anna  Blunt,  qui  reporte  la  tête  du  ouâdy  à 
36°  7'  de  longitude  est,  soit  environ  un  degré  de  plus  à 
l'ouest  que  moi. 

D'après  la  feuille  V  de  la  carte  du  cours  de  l'Euphrate  par 
le  colonel  Chesney,  l'embouchure  du  Ouâdy  Haourân  se 
trouve  à  vingt  cinq  milles  anglais,  nord  37°  ouest,  de  'Anâ. 

A  'Aïwef,  les  berges  du  ouâdy  disparaissent  et  son  lit  est 
rempli  de  gros  gravier,  de  cailloux  et  de  blocs  roulés,  ce 
qui  indique  un  régime  parfois  torrentiel. 

Les  environs  de  'Aïwef  sont  montueux.  La  masse  des 
montagnes  est  formée  d'un  calcaire  compacte.  Mes  guides 
les  désignaient  toutes  sous  le  nom  générique  de  montagnes 
de  'Aïwef;  mais  les  différents  pics  ont  probablement  des 
noms  spéciaux,  connus  seulement  des  Saloby  qui  viennent 
là  au  printemps. 

Les  chameaux  abreuvés  et  les  outres  remplies,  nous 
repartîmes  et,  marchant  à  Touest,  fîmes  encore  environ 
30  kilomètres.  Nous  étions  ainsi  à  l'extrémité  de  ce  désert, 
où  l'on  ne  voit  que  des  plaines  immenses  avec  de  faibles 
et  longues  ondulations  du  sol  dépourvu  de  toute  végé- 
tation. 11  avait  commencé  à  l'ouest  du  Riqm  e'Saboùn  ;  son 
nom  est  El  Dhâï'a  et  aussi  El  Dhoui'a  le  (dh,  dans  ces  deux 
mots,  représentant  le  dhad  emphatique). 

En  quittant  cette  région  nous  arrivâmes,  le  8  décembre, 
dans  le  pays  plus  montueux  de  El  G'arâ,  qui  est  aussi 
moins  stérile.  La  terre  est  bonne  et  produit  de  bons  pâtu- 
rages. Je  vis  môme,  vers  dix  heures  du  matin,  du  noçy, 
dans  un  petit  vallon  où  nous  nous  arrêtâmes  pour  déjeuner 
et  permettre  à  nos  chameaux  de  paître. 

De  ce  campement  je  pus  relever  quelques  pics  en  vue, 
tous  situés  sur  le  territoire  de  El  G'arâ: 


VOYAGE  DANS   l'ARABIE    CENTRALE.  133 

Par  nord,  22o  ouest El  HedeP, 

Par  nord,  60o  ouest Merboth  el  Haçân, 

Par  nord,  70"  ouest El  N'aqah*, 

Par  sud,  55*»  ouest El  *Afâïf, 

Ce  dernier  est  le  plus  considérable. 

Au  loin,  devant  nous  et  juste  à  l'ouest,  s'étend  une 
longue  chaîne  de  montagnes  appelée  El  Meloçah,  que  nous 
atteignîmes  après  huit  heures  du  soir  et  où  il  y  a  des  puits. 

Deux  heures  auparavant  nous  avions  eu  une  alerte.  Nous 
venions  de  monter  la  pente  raide  d*une  petite  colline, 
lors  qu'arrivés  au  sommet  nous  voyons  tout  à  coup,  à  une 
distance  que  j'estime  à  cinq  ou  six  kilomètres  au  sud,  la 
lueur  d'un  feu  de  bivouac.  Des  hommes  qui  peuvent  se  per- 
mettre cette  bravade,  à  pareille  heure  et  dans  le  désert,  doivent 
être  nombreux  ;  leur  présence  n'annonce  rien  de  bon.  C'était 
évidemment  le  ghrazoû  que  des  Bédouins  venant  du  désert 
et  que  nous  avions  rencontrés  à  quelques  kilomètres  de 
Kebeïsah,  nous  avaient  annoncé  comme  devant  circuler 
dans  ces  régions. 

Obliquant  donc  immédiatement  à  droite,  nous  forçâmes 
un  peu  notre  marche. 

Les  puits  de  Meloçah  sont  aussi  appelés  El  Râh  ou  encore 
El  Ghrary. 

L'opération  de  puiser  de  l'eau  et  d'aljreuverles  chameaux 
est  toujours  relativement  longue,  surtout  lorsque  les  puits 
sont  profonds.  Les  difficultés  sont  encore  augmentées  si 
Topération  se  fait  la  nuit,  avec  la  difficulté  de  distinguer 
quels  sont  les  bons  puits,  qui  entraîne  la  nécessité  de  les 
chercher  et  de  les  sonder  l'un  après  l'autre.  En  outre,  lors- 
que le  pays  est  dangereux  et  lorsqu'on  se  sait,  comme  nous 
alors,  dans  le  proche  voisinage  d'un  ghrazoû,  il  faut  que 

1 .  Peut-être  mieux  El-Nâqah,  à  cause  du  sens.  £1-N'aqah  désigne  un 
certain  cri  du  berger  qui  veut  diriger  ses  moutons;  Ël-Nâqah  est  la  cha- 
melle (Rédaction). 


134  TOTAGE  D15S  l'aRABIE  CESTRAIX. 

tout  se  fiasse  doucement  et  en  si'ence  ;  on  ne  parie  qo'à  Toix 
basse,  et  les  chameaux  aaxqnels  il  f^ut  ne  donner  aacon 
prétexte  de  beogler,  sont  traités  arec  des  égards  toot  par- 
tîcolier. 

Ad  bout  d'ane  heare  néanmoins  tont  était  terminé  à  sou- 
hait et  nons  repartions  pour  aller  camper,  à  une  heore  du 
matin  y  à  8  kilomètres  plus  loin,  entre  quelques  gros  blocs 
de  calcaire  près  du  S'aîb  Sembàfi. 

Ce  ^'alb  qui  se  forme  non  loin  an  sud  de  notre  campe- 
ment, coule  au  nord-est  et  se  jette,  après  un  cours  de  près 
de  50  kilomètres,  dans  le  Ouâdy  £1  Ralqah,  qui  lui-même 
ya  Ters  i'Euphrate.  J'ai  lieu  de  croire  qu'il  nV  Ta  pas  direc- 
tement, mais  qu'il  doit  être  un  des  afQuents  du  Ouâdy 
Haonrân. 

Le  sable  du  S'aîb  Sembàn  est  un  limon  sableux  mêlé  de 
beaucoup  de  calcaire,  avec  des  silex  et  du  carbonate  de 
cbaux. 

Le  9  décembre,  partis  à  sept  heures  du  matin,  nous  cam- 
pâmes à  dix  heures  sur  le  territoire  de  El  Hery,  qui  est  un 
désert  de  pierres  (gros  éclats  de  silex  et  calcaire),  mais  qui 
n'a  que  trois  bonnes  heures  de  traTersée. 

Aussitôt  après  nous  marchons  sur  le  territoire  de 
Çonâb. 

A  3  h.  30  m.,  à  4  h.  20  m.  et  à  4  h.  35  m.  je  traTcrse  suc- 
cessivement trois  petits  affluents  du  S'aïb  Çoûeïb,  qui  nais- 
sent là  et  coulent  au  nord  pour  aller  se  jeter  dans  le  Ouâdy 
Çonâb. 

Les  trois  S'aïb  Coûeîb  sont  des  ruisseaux  qui  n'ont  que 
6  à  8  mètres  de  largeur  et  des  bords  de  30  centimètres. 

Le  Ouâdy  Çoûâb,  me  disent  mes  hommes,  coule  dans 
l'Euphrate  entre  Deîr  et  le  Ouâdy  Haourân,  mais  aucun  ne 
put  préciser  le  point,  pas  même  indiquer  s'il  se  trouve  au- 
dessus  ou  au-dessous  de  'Anâ.  Toutefois,  en  examinant  la 
belle  carte  de  l'Euphrate  du  colonel  Ghesney,  je  vis  sur  la 
feuille  lY,  qui  donne  le  cours  du  fleuve  entre  Âbou  Salde 


VOYAGE  DANS  L' ARABIE  CENTRALE.  135 

et  Werdi,  qu'au  retour  l'expédition  rencontra  dans  le  dé- 
sert,'à  36  milles*  nord,  IS""  ouest  de  Werdi  (34''29'4''  L.  N.), 
le  Ouâdy  Souwâb.  Avec  ce  point  de  repère  et  d'après  la 
configuration  du  terrain  près  de  TEuphrate  dans  cette  ré- 
gion, je  crois  pouvoir  assurer  que  l'embouchure  de  ce  ouàdy 
dans  l'Euphrate,  se  trouve  entre  34^45'  et  34*55'  de  latitude 
nord,  soit  au  sud  de  Deîr  situé  par  35°20'  T  de  latitude 
nord.  On  a  naturellement  le  droit  de  s'étonner  que,  dans 
le  relevé  si  minutieux  du  cours  de  l'Euphrate,  l'expédition 
du  colonel  Chesney  n'ait  pas  remarqué  cette  embouchure. 

Les  roches  dominantes  dans  la  région  de  Çoûâb  sont  le 
silex  et  un  calcaire  rouge.  L'échantillon  pris  dans  le  lit 
même  du  ouâdy  est  un  limon  très  chargé  d'un  calcaire  rou- 
geâtre  provenant  peut-être  de  Tusure  du  calcaire  rouge. 

Le  10  décembre  nous  continuâmes  noire  route  au  nord, 
80«  ouest.  Au  bout  de  2  milles  nous  quittions  le  territoire 
deÇoûâb  pourentrer  sur  celui  de  El  Ouâleget  presqu'aussitôt 
après  nous  marchions  au  nord,  25«>  ouest.  Cette  pointe  au 
nord  avait  pour  but  de  contourner  une  région,  volcanique 
fort  difficile  à  traverser  qui  se  trouvait  au  sud  de  notre 
route. 

Nous  mîmes  près  de  six  heures  pour  arriver  au  bout  du 
territoire  de  El  Ouâleg  et  atteindre  celui  deKhoûeïmât,  que 
rien  ne  distingue  du  précédent.  Toujours  le  même  aspect 
de  nudité,  la  même  absence  complète  de  toute  .végétation. 
Le  sol  est  couvert  de  débris  de  silex,  qui  paraissent  laqués 
tellement  ils  reluisent  au  soleil.  Ce  désert  ressemble  à  celui 
qui  s'étend  à  Test  du  Djoûf,  entre  cette  localité  et  le  désert 
deOuelmâ,  cependant  les  pierres  d'El  Oueleg  et  Khoûeïmât 
sont  plus  grosses. 

A  El  Oâuleg  nous  avions  repris  notre  voyage  vers  Touest. 

Une  marche  de  la  nuit  nous  mena  à  la  lin  du  territoire 
de  Khoûe'imâl  et  au  commencement  de  celui  de  S'alân. 

1.  Statute  mile  anglais  de  1609  mètres. 


136         VOYAGE  DANS  I.'ARABIE  CENTRALE. 

A  7  h.  30  m.  nous  fûmes  témoins  d'un  curieux  phéno- 
mène météorique.  Un  magnifique  bolide,  qui  en  apparence 
avait  le  diamètre  d'une  grosse  orange,  uo  vrai  globe  de  feu, 
se  montraprès  dea  de  l'Aigle,  traversa  l'espace  au  sud,  passa 
sur  Orion  et  disparut  derrière  nous,  à  gauche,  en  nous 
éclairant  pendant  sept  à  huit  secondes  d'une  lumière  vive 
pareille  à  celle  d'un  foyer  électrique.  Cinquante  cinq  se- 
condes plus  tard  nous  arriva  le  bruit  d'une  détonation  pa- 
reille à  la  décharge  de  plusieurs  canons. 

Pendant  toute  la  durée  du  phénomène,  Zeïd,  l'un  de  mes 
hommes,  criait  à  haute  voix,  avec  l'accent  de  la  plus  grande 
terreur  a  Allahou  akbar !  Allahou  akbarl  Es-saldm  'alâ 
Seïdnd  Mohammed  /  »  —  Dieu  est  le  plus  grand  !  Dieu  est  le 
plus  grand  !  Que  le  salut  soit  sur  notre  seigneur  Mohammed  ! 
Il  répéta  cette  phrase  unedizainede  fois,  puis  raconta  que  ce 
signe  présageait  une  mauvaise  fin  pournotre  voyage,  a  N'est- 
ce  pas  Bey?  »  dit-il,  en  s'adressant  à  moi.  —  «  Oui,  lui  ré- 
pondis-je,  si  cela  était  arrivé  au  commencement  de  notre 
voyage,  mais  maintenant  cela  ne  nous  regarde  plus.  Tant 
pis  pour  ceux  qui,  ayant  vu  ce  signe,  voudront  quand 
même  commencer  un  voyage  demain.  »  — Mon  explication 
ne  e  rassura  qu'à  moitié. 

Le  lendemain  matin,  je  relevai,  de  notre  campement,  les 
petites  montagnes  suivantes  : 

El  Ghrâb,  à  dix  milles  environ  nord,  45**  ouest; 

» 

S'alân,  à  trois  milles  environ  nord,  80**  ouest; 

El  Tenef  et  El  Teneîf,  à  16  et  18  milles  environ  sud, 
45**  ouest. 

Près,  des  Gebel  S'alân,  El  Tenef  et  El  Teneîf  se  trouvent 
des  ghradîr,  en  sorte  que,  si  l'hiver  les  pluies  ont  été  abon- 
dantes, il  y  reste  de  l'eau,  et  les  Arabes  Fedhân  et  Sebâ  s'y 
rassemblent  alors  au  printemps. 

Nous  mîmes  deux  heures  et  demie  à  traverser  le  territoire 
de  S'alân,  et  aussitôt  après  commença  celui  de  Khoûr  el  Te- 
nefât,  oii  nous  campâmes,  après  trois  heures  du  soir,  dans  un 


VOYAGE  DANS  L' ARABIE  CENTRALE.         137 

délicieux  vallon  plein  de  hathab  et  de  fourrage,  parmi  lequel 
beaucoup  de  noçy.  Le  terrain,  en  effet,  a  changé  ainsi  que 
le  paysage.  Aux  plaines  immenses,  monotones  et  dénudées 
de  El  Hery,  El  Ouâleg  et  Khoûeimât  a  succédé  un  pays 
accidenté  de  collines  et  de  vallons.  Le  sol  aussi  n'est  plus 
couvert  d'éclats  semblables  à  des  pierres  à  fusil,  les  frag- 
ments de  roche  ont  la  forme  de  cailloux  et  souvent  ils 
semblent  avoir  été  cassés  comme  les  pierres  destinées  chez 
nous  à  empierrer  les  routes  macadamisées.  Parfois  aussi, 
mais  plus  rarement,  ces*  pierres  ont  la  grosseur  de  nos 
moellons,  et  leur  nature  de  quartz  et  de  calcaire  cristallin 
fait  supposer  le  voisinage  d'un  terrain  volcanique*. 

A  cinq  heures  du  soir  nous  repartîmes  pour  aller  camper 
à  dix  heures  dans  le  désert  de  Zerqah  Keboût. 

Jusqu'à  ce  jour  et  depuis  notre  départ  de  Kebeisah,  nous 
avions  beaucoup  souffert  du  froid.  Presque  tous  les  matins, 
le  thermomètre  marquait  —  10®  et  dans  la  journée,  le 
mercure  montait  à  peine  à  -\-  10**  ou  12°.  Nos  outres  d'eau 
restaient  continuellement  gelées,  malgré  la  précaution  que 
j'avais  fait  prendre  de  les  envelopper  de  couvertures  et  bien 
que,  jour  et  nuit,  elles  restassent  pendues  aux  flancs  des 
chameaux.  Deux  fois,  le  matin,  nous  dûmes  nous  mettre  en 
route  à  jeun,  n'ayant  pas  réussi  à  faire  fondre  assez  d'eau 
pour  pouvoir  préparer  du  thé  ou  du  café.  Notre  beurre 
fondu  ressemblait  à  du  marbre,  et  nous  fûmes  forcés  de 
couper  avec  un  sabre,  l'outre  qui  le  contenait. 

Nos  plus  grandes  craintes  étaient  pour  nos  chameaux. 
Ces  pauvres  bètes,  qui  nous  servaient,  la  nuit,  de  paravents 
étaient  gelées  et  toutes  raides,  le  matin.  Pour  monter  en 
selle  nous  étions  obligés  de  les  laisser  se  lever  d'abord  et 

1-  Le  quartzite  et  le  calcaire  cristaUin  sont  des  roches  métamorphiques 
c'est-à-dire  des  roches  dont  la  substance  a  été  altérée  ou  modifiée  sous 
l'influence  de  la  chaleur,  mais  dans  les  conditions  de  pression  qui 
n'existent  pas  à  la  surface  du  globe.  Il  semblerait  donc  préférable  d'em- 
ployer l'expression  de  terrain  plutonien.  (Rédaction). 


138  VOYAGE  DANS   l'ABABIE   CENTRALE. 

de  grimper  ensuite  sur  leur  dos.  Ce  n'était  que  dansTaprès- 
midî  qae  nos  chameaux  s'étant  dégelés,  nous  pouvions  leur 
faire  presser  le  pas. 

Le  12  décembre  nous  mîmes  deux  heures  à  traverser  le 
désert  de  Zerqab  Keboût,  qui  doit  son  nom  aux  pierres  ba- 
saltiques noires  dont  il  est  couvert. 

Nous  nous  trouvâmes  alors  dans  le  désert  de  Laqethah, 
qui  n'a  que  10  kilomètres  d'étendue,  et  que  nous  eûmes 
vite  traversé.  Celui  de  El  à'amyloi  succède  immédiatement. 

Vers  midi  nous  eûmes  le  plaisir  de  voir  la  pointe  du  gebel 
'Adah,  qui  se  trouve  au  sud  de  Qarïeteîn  et  que  je  relevai 
par  nord,  70»  ouest.  C'était  une  vieille  connaissance,  faite 
du  temps  de  mes  pérégrinations  avec  les  Rou'allah  dans  le 
désert  de  Syrie  et  qui  nous  prouvait  que  nous  touchions  au 
but  de  notre  course. 

En  deux  heures  et  demie  nous  traversâmes  le  désert  de 
El  è'amy  pour  arriver  sur  celui  de  El  Merrah. 

Environ  4  kilomètres  avant  la  fin  du  paysde  El  S'amy,  à 
3  milles  au  sud  de  ma  route,  se  trouvent  trois  ghradîr;  c'est 
là  qu'aboutit  le  petit  §'aïb  de  El  S'amy,  qui  se  forme  plus 
au  sud.  Ils  appartiennent,  ainsi  que  le  territoire  environ- 
nant, aux  Arabes  Saloby,  qui  y  vont  au  printemps,  quand 
les  ghradîr  ont  de  l'eau. 

A  El  Merrah  où  cesse  le  désert  pierreux,  nous  com- 
mençons à  fouler  de  bonne  terre  végétale  couverte  de  bons 
pâturages.  Néanmoins  nos  dzeloûl  ne  mangent  que  du  bout 
des  lèvres;  ils  restent  à  bâiller  en  regardant  l'horizon  et 
laissent  retomber  à  terre  les  brins  de  végétation  qu'ils  mâ- 
chent. C'est  que  les  pauvres  bêtes  ont  soif.  Elles  n'avaient 
pas  bu  depuis  le  puits  de  El  Meloçah,  c'est-à-dire  depuis  le 
8  décembre,  à  onze  heures  du  soir. 

Comme  notre  provision  d'eau  s'épuisait  aussi  (il  n'y  en 
avait  plus  que  pour  un  seul  repas),  nous  fûmes  bien  forcés 
de  presser  notre  marche. 

A  trois  heures  et  demie  nous  campâmes  dans  le  désert  de 


VOYAGE   DANS  l'ARABIE   CENTRALE.  139 

El  Merrah  et  une  heure  et  demie  après  nous  reprîmes  la 
marche  jusqu'à  une  heure  du  matin  du  13  décembre. 

Après  deux  heures  de  repos  nous  repartîmes  à  trois  heures 
du  matin.  Au  bout  de  deux  milles  nous  sortions  du  territoire 
de  El  Merrah  pour  entrer  sur  celui  de  El  Heîl,  avec  un  petit 
ouâdy  du  même  nom. 

Au  pays  de  El  Heîl  succède  celui  de  El  'Aïtsa,  avec  le 
Ouâdy  Sab'a  Bïâr*. 

El  'Aïtsa  est  borné  à  l'ouest  par  un  grand  bâtiment  carré 
en  pierres  de  taille,  appelé  Qaçr  Seîqal,  qui  marque  le 
commencement  du  territoire  du  même  nom. 

La  contrée  de  Seîqal  s'étend  jusqu'au  Qaçr  El  Sâmy,  à 
trois  heures  quarante  minutes  de  marche  du  Qaçr  Seîqal. 

En  partant  du  Qaçr  El  èâmy  nous  fîmes  encore  trente 
kilomètres  jusqu'au  Birket  Senbîn,  qui  n'est  qu'à  six  kilo- 
mètres du  village  de  Dhemeîr,  où  nous  arrivâmes  heureuse- 
ment à  cinq  heures  du  soir. 

Quelques  kilomètres  seulement  avant  d'arriver  à  Dhe- 
meîr  le  terrain  était  redevenu  pierreux. 

Le  lendemain  14  décembre,  ayant  quitté  Dhemeîr  à  onze 
heures  du  matin,  j'arrivais  à  Damas  avant  cinqheures  du  soir. 

Dhemeîr,  ainsi  que  la  route  de  là  à  Damas,  sont  connus. 

GÉOGRAPmE  DE   l'ÉMIRAT  DE   §AMMAR 

■ 

Réslon  an  nord  de  HÂYl 

Hâïl,  capitale  deTéraîrat,  située  au  pied  duGebel  Samrâ. 

Le  centre  de  Hâïl  se  compose  aujourd'hui  de  douze  soûq 
ou  quartiers,  savoir  : 

Berzâii,  —  Loubdah,  —  El  Gebârah,  —  El  Gerâd,  — 
Lagdeïdah,  —  Semâh,  —  El'Abîd,  —  El  Kheneqah,  — 
Ouarbaï'aah,  —  Soueîflah  —  El  Khereïm,  —  Mefeîdhah. 

Semâh  et  El  'Abîd  ont  été  les  derniers  construits.  El  'Abîd, 
ainsi  que  son  nom  l'indique,  est  entièrement  habité  par  des 

1.  En  français  :  «  Vallée  des  septs  puits.  »  (Rédaction.) 


140  VOYAGE  DANS  l' ARABIE  CENTRALE. 

esclaves  noirs,  qui  appartient  à  Ténaîr.  L'eau  du  puits  de 
Semâh  est  la  meilleure  de  Hâïl.  La  ville  mesure  environ 
4  kilomètres  du  soûq  de  Ouarbsu'aah  à  l'est,  au  soûq  de 
Semâh  à  l'ouest. 

Dans  tous  les  souq  à  Test  l'eau  est  proche,  mais  amère 
et  impotable. 
'  La  population  deHâîl  monte  au  maximum  àl5,000  âmes. 

El  Ouçîd  ou  El  Ougîd,  au  nord,  31"est,  età  14kilomètres 
de  Hâïl.  Fondé  vers  1835.  150  habitants. 

El  Gedzâmïah,  à  20  kilomètres  au  nord,  35^est  de  Hall; 
100  habitants.  Cette  localité  existe  depuis  1830. 

El  Laqîthah,  à  22  kilomètres  au  nord,  10«  est  de  Haïl, 
a  500  habitants.  Elle  a  été  fondée  en  même  temps  que  El 
Gedzâmïah. 

Umm  el  Qoulbân,  à  62  kilomètres  au  nord,  320  ouest  de 
Hâïl,  dans  le  Nefoûd;  30  habitants. 

Qenâ,  à  57  kilomètres  au  nord  47"  ouest  de  Hâïl,  dans  le 
Nefoûd,  100  habitants. 

Touïah  ou  Toueïl,  à  90  kilomètres  au  nord,  74"  ouest  de 
Hâïl,  dans  le  Nefoûd,  120  habitants. 

Gobbah,  à  130  kilomètres  au  nord,  62°  ouest  de  Hâïl, 
dans  le  Nedfoûd,  400  habitants. 

El  Bjoûf,  appelée  jadis  Doûmat  el  Djandel.  Ville  située 
au  nord  du  Nefoûd,  à  320  kilomètres  nord,  25"  ouest  de  Gob- 
bah. Se  compose  de  quinze  quartiers  groupés,  mais  sépa- 
rés par  des  murailles.  Elle  possède  environ  12  000  habitants. 
Oasis  très  ancienne,  antérieure  au  7''  siècle  avant  J.-C. 

Qârâ,  à  32  kilomètres  nord,  70**  est  de  Djoûf,  compte 
1000  habitants. 

Sehârâ,  à5  milles  au  nord-ouest  de  Djoûf,  a  50  habitants. 

Hasïah,  à  7  kilomètres  au  nord,  35°  ouest  de  Djoûf,  a 
50  habitants. 

Gâwâ,  à  21  kilomètres  au  nord-est  de  Djoûf,  sur  la 
route  deSekâkâ,  avec  des  puits  et  des  sources.  Aujourd'hui 
abandonnée. 


VOYAGE  DANS  l'ARABIE   CENTRALE.  141 

Moûeisen,  juste  à  moitié  chemin  entre  leDjoûf  et  Sekâkâ^ 
avec  des  puits  et  des  sources.  Inhabitée  aujourd'hui. 

Ces  cinq  dernières  localités  passent  pour  aussi  anciennes 
que  El  DjoûP  même. 

Sekâkâ,  à  35  kilomètres  au  nord-est  de  Djoûf,  avec  8000 
habitants,  n'existe  que  depuis  un  siècle. 

Kaf,  dansleOuâdy  Sirhân,  à250  kilomètres  au  sud,  25'  est 
de  Damas.  Peuplée  depuis  un  demi-siècle,  elle  a  90  habi- 
tants. Palmiers  et  exploitation  de  sel. 

Etsrah,  à  6  milles  à  l'est-sud-est  de  Kaf.  Petite  oasis  fort 
ancienne,  mais  qui,. ayant  été  abandonnée,  ne  s'est  repeu- 
plée que  depuis  un  demi-siècle.  Eau  de  source  comme  à 
Kaf;  100  habitants. 

Beq'aâ,  à  95  kilomètres  au  nord,  66' est  de  Hâïl  ;  400  habi- 
tants. Ville  fort  ancienne  et  station  du  Derb  El  Hadjdj 
persan. 

Trobah,  qaçr  bâti  sur  la  rQute  de  Hâïl  à  Baghdâd,  auprès 
des  puits  du  même  nom,  avec  un  poste  de  quelques 
hommes;  pas  de  plantations.  Se  trouve  à  deux  jours  de 
marche  au  nord,  55<>  est  de  Hâïl. 

El  Heïânïah,  à  trois  ou  quatre  jours  de  marche  au  nord 
de  Hâïl,  dans  le  Nefoûd.  C'est  un  qaçr  avec  cinq  puits, 
habité  par  deux  familles  Saloby;  10  habitants. 

Terbïah,  à  une  demie  journée  de  marche  à  l'est  de  El 
Heïânïah.  Un  qaçr  avec  deux  puits;  10 habitants. 

Résloii  an  find  de  Hftïl 

Bassin  du  Ouàdy  Hâïl.  —  Bassin  du  Ouâdy  Ermek. 
—  Massif  du  Gebel  Âgâ. 

El  Ouçeîthâ,  à  trois  kilomètres  au  sud-ouest  de  Hâïl; 
50  habitants. 

El  'Aqdah,  série  de  petites  vallées  contenant  dix  petits  vil- 
lages, dans  le  Gebel  Agâ,  et  dont  Tunique  entrée  se  trouve  à 
douze  kilomètres  au  sud,  70°  ouest  de  Hâïl.  Ces  villages  sont  : 

El  Qeny,  -  El  Weïbâr,  —  Ânebeïtah,  —  El  Sâqah,  -- 


142         VOYAGE  DANS  L' ARABIE  CENTRALE. 

Haçnah,  —  El  M'aà,  —  El  Ghredhïân,  —  El  Hâïeth,  — 
Remîdh,  —  El  'Alïâ. 

Tous  réunis,  ils  possèdent  une  population  de  800  âmes 
environ,  dont  une  partie  est  nomade  et  ne  réside  dans 
El'  Aqdah  qu'à  Tépoque  de  la  fructification  des  palmiers 
qui  lui  appartiennent. 

Qefâr,  jadis  capitale  du  Sammar,  est  encore  aujourd'hui 
fort  importante.  Elle  s'étend  à  19  kilomètres  sud,  30"  ouest 
de  Hâïl,  au  pied  du  Gebel,  entre  cette  montagne  et  le  Ouâdy 
Hâïl,  sur  une  longueur  de  4  kilomètres,  mais  elle  renferme 
beaucoup  de  propriétés  abandonnées.  Elle  se  compose 
de  quatre  petites  villes  distinctes. 

Âdhdhebath,— ElKheâamâiah,— ElHemâd,— Ourekdïah. 

Les  trois  premières  possèdent  chacun  une  mosquée  prin- 
cipale. Les  habitants  d'Ourekdïah,  qui  n'en  ont  pas,Vont  le 
vendredi  faire  la  prière  de  midi  dans  le  soûq  de  El  Hemâd. 

La  population  qui  descend  des  Beny  Temîm,  se  monte,  au 
maximum,  à  8,000  âmes. 

El  Qaçr,  à  48  kilomètres  sud,  22°  ouest  de  Hâïl.  Elle  se 
compose  de  trois  soûq  ou  quartiers,  qui  sont  : 

El  Qebel,  avec  40  maisons. 
Ârasd,        ^60        — 
El  Nefîd,   —    as- 
soit ensemble  135  maisons  et  environ  600  habitants. 
Moûqaq,  à  environ  70  kilomètres,  à  vol  d'oiseau,  au  sud, 
60"  ouest  de  Hâïl,  sur  le  versant  occidental  du  Gebel  Agâ. 
Avec  un  bon  dzeloûl  on  peut  y  arriver  de  Hâïl  en  un  jour. 
Moûqaq  composé  de  dix  qoulbân,  est  peuplé  de  520  ha- 
bitants environ. 

Bed'a  Gefeïfâ,  à  6  milles  au  sud  de  Moûqaq,  avec  100 
habitants. 

El  Çafrâ,  à  deux  jours  de  marche  au  sud-sud-est  de  Hâïl  ; 
25 habitants.  Pas  de  palmiers,  mais  cultures  de  grains.  Les 
puits  sont  salés  et  amers. 


VOYAGE  DANS  l' ARABIE  CENTRALE.         143 

Ghrûûdhah,  à  80  kilomètres  au  sud  de  Hàïl  ;  1000  habi- 
tants. (?) 

El  Hefenah,  à  15  kilomètres  au  nord,  55"  est  de  Ghroû- 
dhah;  50  habitants. 

El  Hefe'inah,  à  1  kilomètre  nord-est  de  El  Hefenah; 
cohabitants. 

Semîrâ,  à  environ  100  kilomètres  au  sud,  lO"*  est  de  Hàïl. 
Semîrâ  ne  possède  pas  de  palmiers  et  n'a  que  des  champs 
de  blé.  L'eau,  très  abondante,  n'est  qu'à  2  mètres  de 
profondeur.  Cette  localité  qui  est  fort  ancienne  compte 
environ  400  habitants. 

El  Mestaggedt,  à  100  kilomètres  environ  sud,  10*  ouest  de 
Hàïl.  Ville  fort  ancienne  et  jadis  aussi  populeuse  queQefâf. 
C'est  aujourd'hui  une  des  stations  de  la  caravane  des  pèle- 
rins persans,  et  elle  ne  compte  plus  que  7  à  800  habitants, 
au  maximum. 

El  Seleîmy,  à  22  kilomètres  au  sud  de  El  Mestaggedt.  Petit 
village  de  trois  qoulbâû,  avec  30  habitants.  Il  s'y  trouve 
quinze  puits,  dont  un  seul  d'eau  douce,  les  autres  d'eau 
salée.  Il  n'y  a  que  peu  de  palmiers  à  El  Seleîmy. 

Setaouy,  à  12  kilomètres  nord-nord-ouest  de  El  Mes- 
taggedt, et  à  4  milles  à  l'est  de  El  Mehââ.  Possède 
600  palmiers  qui  boivent  l'eau  du  sous-sol  *,  comme  ceux  de 
'Aqdah  ;  ils  appartiennent  aux  Arabes  El  Eslé  qui  arrivent 
parfois  à  Setaouy  en  hiver  pour  y  planter  du  blé.  En  été  ils  ne 
s'y  trouvent  qu'à  l'époque  de  la  fructification  de  leurs  pal- 

miers.  Setaouy  se  trouve  près  d'un  petit  gebel  du  même  nom. 

El  Mehàs,  une  propriété  avec  un  puits  où  l'eau  est  à  18 
mètres.  50  palmiers,  6  habitants. 

El  Ghrazâlah,  à  8  kilomètres  sud-sud*ouest  de  El  Mehââ, 
se  compose  de  deux  grands  qoulbân  ;  80  habitants. 

1.  C'est  ce  que  les  Arabes  du  Soûf  appellent  :  ghers  toloûay  ce  plantation 
ascendante  ».  L'eau  d'une  couche  inférieure  du  sol,  daus  laquelle  plon- 
gent les  racines  des  dattiers,  monte  dans  l'arbre  par  les  fibres  creuses, 
et  l'abreuve  (Rédaction). 


144  VOYAGE   DANS  l'ARABIE  CENTRALE. 

Qçeir,  trois  grands  qoulbân  espacés  de  600  à  700  mètres, 
avec  palmiers  et  champs  d'orge.  Un  des  qoulbân,  celui  à 
l'ouest,  a  de  l'eau  impotable.  L'eau  douce  est  à  24  mètres 
de  profondeur,  de  môme  qu'à  El  Mestaggedt  et  à  El  Ghra- 
zâlah;  30  habitants. 

Ghramef,  à  8  kilomètres  au  nord-ouest  de  El  MehâS,  au 
pied  du  petit  gebel  du  même  nom.  Pas  de  puits  ;  l'eau  est 
dans  les  citernes  ou  les  ghradîr.  Les  palmiers  de  Ghramef 
sont  dans  la  montagne  et  boivent  l'eau  du  sous-sol,  comme 
ceux  de  'Aqdah. 

Ghrathaouars  à  14  kilomètres  au  sud,  55*' ouest  de  El 
Mestaggedt  ;  25  habitants. 

Dheraghrath,  à  50  kilomètres  au  nord  de  El  Hâieth.  Un  seul 
qoulbân,  avec  50  palmiers  et  des  champs  de  blé  et  d'orge,  ha- 
bité par  une  famille  de  Houteïm  ;  8  habitants.  Un  puits  avec  de 
l'eau  à  2  mètres  de  profondeur.  Ce  point  est  mal  placé  sur  la 
carte  ;  il  doit,  je  pense,  se  trouver  plus  au  sud-est. 

El  Hâieth,  se  trouve  au  nord,  sur  le  bord  oriental  du 
Harrah.  Oasis  fort  ancienne,  se  compose  aujourd'hui  des 
trois  soûq  suivants  : 

Ouady  S'afan,  —  Aâreîf,  —  El  Qçeîr,  avec  environ 
500  habitants.  Les  plantations  de  palmiers  sont  arrosées 
par  trois  sources. 

El  Houeîth,  à  environ  20  milles  au  sud  de  El  Hâieth, 
dans  le  Harrah,  près  du  Gebel  Kenât;  70  habitants. 

Séi^ton  à  l'ouest  de  HâYl. 

Hedjàz 

Teïmâ,  oasis  fort  ancienne,  à  six  journées  de  marche 
à  l'ouest  de  Hâïl,  au  nord  du  Gebel  Ghreneïm;  soixante 
qoulbân  avec  une  population  d'environ  1500  âmes. 

El  'Alâ,  oasis  fort  ancienne,  située  aussi  à  deux  fortes  jour- 

1.  Sur  la  marge  du  manuscrit  de  M.  Huber  ce  nom  est  écrit  en  arabe. 
!1  faut  rendre  l'orthographe  arabe  par  Ghadhouar;  le  sens  de  ce  nom  est 
«argile  verdâtre  et  tenace».  La  carte  porte  «  Ghredhouar»  (Rédaction).* 


VOYAGE  DANS  L' ARABIE  CENTRALE.         145 

nées  au  sad-sud-ouest  de  Teîmâ.  El'  Ala  est  soumis  à  l'émir 
du  èammar  depuis  1878.  Belles  plantations  de  palmiers  arro- 
sées par  des  sources  abondantes.  Possède  des  ruines  fort 
intéressantes;  1,500  habitants  environ. 

Béslttn  à  Verni  de  Hftkl. 

Thabah,  dans  le  GebelSelmâ,  à  deux  journées  de  marche 
au  sud-est  de  Hall;  250  habitants. 

El  Seb'aàô,  à  l'extrémité  méridionale  du  Gebel  Selmà  et 
à  deux  jours  de  marche  de  Hâîl;  500  habitants. 

Feyd,  ville  fort  ancienne  et  jadis  une  station  du  Derb  el 
Hadjdj  persan.  Population  réduite  aujourd'hui  à  250  habi- 
tants. Tous  ceux  gui  circulent  entre  le*  Gebel  et  le  QaQim 
passent  par  Feyd. 

£1  Kehafah,  à  environ  50  kilomètres  au  nord,  65*  est  de 
Feyd.  C'est  la  dernière  localité  de  l'émirat  de  àammar,  sur  la 
route  du  Qaçim;  200  habitants. 

El  Ghremeîsah,  à  6  kilomètres  au  sud-est  de  El  Kehafah  ; 
25  habitants. 

Umm  el  Khaâabah,  à  10  kilomètres  au  sud-est  de  El 
Kehafah.  En  ruines. 

RÉCAPITULATION 

des  localités  et  de  la  population  sédentaire  de  V émirat  de  Sammar, 

1.  Hâïï 15000 

2.  ElOuçîd 150 

3.  El  Gedzàmïah 160 

4.  £1  Laqithah 500 

5.  Umm  el  Qoulbân 30 

6.  Qenâ 100 

7.  Touïah 120 

8.  Gobbah m 


A  reporter 16400 

soc.  BB  GÉOGR.   —  U*  TRIMSSTRE  1885.  TI.   —  10 


i46  VOYAGE  DANS   L'ARABIE    CENTRALE. 

Heport 16400 

9.  El  Djoûf , 12000 

10.  Qàrâ 1000 

11.  Sehârâ 50 

12.  Hasïah 50 

13.  Gâwâ  (inhabitée) ■ 

14.  Moûeïsen  (inhabitée) » 

15.  Sekâkâ 8000 

16.  Kaf 90 

17.  Etsrah 100 

18.  Beq'aâ 400 

19.  Trobah 3 

20.  El  Heïânïah 10 

21.  Terbiah W 

22.  El  Ouçeîtha 50 

23.  El'Aqdah 800 

24.  Qefâr 8000 

25.  El  Qaçr 600 

26.  Moûqaq 530 

27.  Bed'a  Gefeïfà 100 

28.  El  Çafrâ 25 

29.  Ghroûdhah 4000  (?) 

30.  El  Hefenah 50 

31.  El  Hefeïnah 20 

32.  Semîrà 400 

33.  El  Mestaggedt 800 

34.  El  Seleîmy 30 

35.  Setaouy  (population  nomade) » 

36.  El  Mehâè , 6 

37.  El  Ghrazâlah 80 

38.  Qçeîr 30 

39.  Ghrame? 18 

40.  Ghrathaouar 25 

41.  Dheraghratb 8 

42.  El  Hâïeth 500 

43.  ElHoueîth 70 

14.  Teïmâ 1500 

45.  El 'Alâ 1500 

46.  Thabah 250 

47.  ElSeb'aân 500 

48.  Feyd 250 

49.  El  Kehafah 200 

50.  El  Ghremeïsah 25 

51.  Umm  el  Khasabah  (en  ruines) » 

55470 


VOYAGE  DANS  L  ARABIE    CENTRALE. 


147 


RÉGAPITULATION 


des  localités  et  de  la  population  sédentaire  d*EhQaçîm  ' 


1. 

2. 

3. 

4. 

5. 

6. 

7. 

8. 

9. 
10, 
11. 
12. 
13. 
14. 
15. 
16. 
17. 
18. 
19. 
20. 
21. 
22. 
23. 
24. 
25. 
26. 


Qouàrah 120 

Qeçeïbâ 3000 

El  Maâkoûk 10 

£1  Hamoudïah  (inhabité) » 

ElRaf 100 

*Ayoun 2600 

Ghroudah 1500 

Outsâl 250 

Qer'a 800 

Eàeqah 1 000 

Athrefïah 60 

'Aïn  ebn  Feyd 600 

El  Çerlf  (population  nomade) » 

ElNebqïah 35 

El  Rekeïah 5 

Roudhah 150 

Bereïdah 10000 

El  Khab 500  (?) 

Houflan 350  (?) 

Qeçefaah 200  (?) 

Roueidah  (inhabité) » 

Çebeîh 500  (?) 

Bereïdisîah 100 

Khatar 40Ô 

El  Th'amïah 10 

Semasïah 250 


22440 


Les  localités  suivantes  de  la  province  du  Qaçîiïi  relèvent 
en  ce  moment  (1880)  de  la  ville  de  'Aneïzah  ou  sont  indé- 
pendantes : 


El  'Aïarïah  (en  ruines).. 
El  Ooahlân       — 
Roudhah  el  'Aouâzïah... 


100 


1.  Je  ne  comprends  dans  cet  article  que  les  localités  actuellement  sou- 
mises à  l*émir  Haseii  de  Bereïdah. 


148  VOYAGE  DANS   l'âRABIE  CENTRALE. 

'Aneïzah 20000 

El  Ouâdy 500 

Roudhân 120 

Aâblbïah  (en  ruines) » 

Senânah 200  (?) 

Rass 3000  (?) 


Le  Gérant  responsable  y 
G.  Maunoir, 

Secrétaire  général  de  la  Gommissioc  centrale. 


''9'h 


^ 


f 


BooikLOTON.  —  Imprlmeriai  rfanlu,  8. 


rtrinifitOv  /<1WJ 


AtHefin^  de  Itv  Sœiêtd 


l^'^n'inuifir^  JMS. 


JOnoinn^  par^^.J/tMJrufon^ 


Crotté'  «t^ùnfKjKLT Eriuwd  F^S3*:^txtJB,Jl^mfhr4>Xoi1>ett€ut, 


BULLETIN  DE  LA  SOCIÉTÉ,  in-S», 

l'««érie  (1821  à  1833),  20  voL  —  (voL  1  et  2  épuisés), 

2*  série  (1834  à  1843),  20  vol. 

3«  série  (1844  à  1850),  14  voL 

4«  série  (1851  à  1860),  20  voL  —  (voL  1  à  10, 15  épuisés). 

5*  série  (1861  à  1870),  20  vol.  —  (vol.  1,  à  6,  9,  11, 12,  1    et  16  épuisés). 

6«  série  (1871  à  1880),  20  vol.  —  (vol.  7  épuisé). 

T  série  (1881  à  1883),  4  vol. 

Ce  Bulletin,  à  partir  de  1882,  est  divisé  en  deux  parties.  La  première  qui  com- 
prend le  compte  rendu  des  séances,  les  principales  lettres  de  la  correspondance 
la  liste  des  ouvrages  offerts  à  la  Société  et  les  faits  géographiques  les  plus  impor- 
tants est  publiée  dix  jours  après  la  séance. 

La  seconde   qui    renferme  les  mémoires,  notices,  rapport^  ou  documents  de 
quelque  étendue  avec  cartes,  parait  tous  les  trois  mois.  Prix  :  pour  Paris,  20  francs 
pour  les  départements,  22  francs;  et  pour  rétranger,  25francf. 

Table  générale  et  analytique  de  la  l'«  et  de  la  2»  série.  1  vol.  in-8«.  Prix  : 
6  francs. 

Table  générale  et  analytique  de  la  3o  et  de  la  4*  série.  1  vol.  in-8".  Prix  : 
6  francs. 

Notices  annuelles  des  travaux  de  |la  Société  et  du  [progrès  des  sciences  géogra- 
phiques, par  les  secrétaires  généraux.  Prix     1    franc  chaque  notice. 

Programme  d'instructions  aux  navigateurs  pour  Vétude  de  la  géographie  physique 
de  la  mer.  Broch.  in-8*.  Prix  :  1  franc. 

Instructions  générales   aux  voyageurs.  1  vol.  in-16.  Prix  :  3  francs. 

Compte  rendu    du   Congrès  international  des   sciences  géographiques  de  1875. 
Tome  I,  in-8».  Prix  :  20  francs.  —  Tome  II,  in-8\  Prix:  15  francs. 

Guide  hygiénique  et  médical  des  voyageurs  dans  l'Afrique  inter tropicale, 
par  les  h'*  Ad.  Nicolas,  H.  Lacâze  et  Signol,  publié  par  la  Société  de 
Géographie  et  la  Société  de  médecine  pratique  de  Paris,  avec  le  concours  des 
Sociétés  françaises  de  Géographie.  Une  brochure  in-8°  de  100  pages.  Prix  : 
2  francs. 

Liste  provisoire  de  bibliographies  géographiques  spéciales,  par  M.  James  Jack- 
son, archiviste-bibliothécaire  de  la  Société  de  Géographie. 

Cette  liste  comprend  1177  articles  se  rapportant  à  la  bibliographie  des  diverses 
régions  de  la  terre< 

Un  vol.  in-8°  de  8  et  340  pages.  Prix  :  12  francs. 

Exploration  du  Sahara.  Les  deux  missions  du  lieutenant-colonel  Flatters,  par 
le  lieutenant-colonel  Derrégagaix. 
Un  vol.  in-8'*  de  144  pages  avec  carte.  Prix  :  3  francs. 

■ 

Fleuves  de  TAmérique  du  Sud,  1877-1879,  par  le  D'  Jules  Grevaux,  médecin 
de  la  Marine  française^  1  vol.  in-f*  de  39  cartes  avec  tableau  d'assemblage.  Une 
notice  biographique  et  une  bibliographie  des  travaux  de  Grevaux  accompagnent 
cet  atlas.  Prix  :  25  francs. 

La  confrérie  musulmane  de  Sldi  Mohammed  ben  Alî  es-Senoûsî  et  son  domaine 
géographique  en  {l'année  1300  de  rhégire«1883  de  notre  ère,  par  Henri  Duvey- 
RIER. Paris,  1884.  Brochure  in-8"  de  84  pages  accompagnée  d'une  carte.  Prix:  3  fr. 

Liste  de  positions  géographiques  en  Afrique  (continent  et  îles),  par  Henri  Dir- 
YEYRIER.  Premier  fascicule  A-G.  Paris,  1884.  In-f  de  140  pages.  Prix  :  12  fr. 


EXTRAIT  DU  RÈGLEMENT  DE  LA  SOCIÉTÉ 


Art.  I.  La  Société  est  instituée  pour  concourir  aux  progrès  de  la  géograpliie; 
elle  fait  entreprendre  des  voyages  dans,  des  contrées  ineonnues;  elle  fn:opose  et 
décerne  des  prix;  établit  une  correspondance  avec  les  Sociétés  savantes,  les 
voyageurs  et  les  géographes  ;  publie  des  relations  inédites,  ainsi  que  des  ouvrages 
et  fait  graver  des  cartes. 

Art.  IV.  Les  étrangers  sont  admis  au  même  titre  que  les  Français. 

Art.  y.  Pour  être  admis  dans  la  Société,  il  faudra  être  présenté  par  deux 
membres  et  reçu  par  la  Commission  centrale. 

Art.  VI.  Chaque  membre  de  la  Société  souscrit  pour  une  contribution  annuelle 
de  36  francs  au  moins  par  année,  et  doiine  en  outre  25  francs  une  fois  payés,  lors 
de  la  remise  du  diplôme. 


•  X 


fitl'RAir  DD  RÈGLEMENT  INTÉRIEUR 


Art.  XXXI.  La  Commission  centrale  a  la  faculté  de  nommer,  hors  du  territoire 
français,  des  membres  correspondants  étrangers  qui  se  seraient  acquis  un  nom 
par  leurs  travaux  géographiques.  Un  diplôme  peut  leur  être  délivré. 

Art.  XXXll.  La  Société  admet,  sous  le  titre  de  Membres  donateurs,  les  étran- 
gers et  les  Français  qui  s'engagent  à  payer,  lors  de  leur  admission  et  une  fois 
pour  toutes,  une  somme  dont  le  minimum  est  fixé  à  300  francs. 


La  bibliothèque,  boulevard  Saint-Germain,  184,  est  ouverte  aux  membres  de  la 
Société,  de  iT  à  4  heures,  leB  dimanches  et  jours  de  fête  exceptés. 

Les  envois  faits  à  la  Société  doivent  être  adressés,  francs  de  port  i  M.  le  Pré- 
sident dé  la  Commission  centrale,  boulevard  Saint-Germain,  184. 

S'adresser,  pour  les  renseignements  et  les  réclamations,  à  M.  C.  Aubry,  agent  de 
la  Société,  boulevard  Saint-Germain,  184. 


MM.  les  membres  de  la  Société  de  Géographie  peuvent  faire  exécuter  à  leurs 
frais  des  tirages  à  part  de  leurs  articles,  aux  conditions  du  tarif  ci-après. 


Une  f  *•  (16  pages) 

Remise  en  pages,  glaçage, 
papier,  piqûre,  enveloppe  de 
couleur. 

3/4  de  P»*  (12  pages). . . . 

1/2  !"•  (8  pages) 

1/4  de  f»«  (4  pages) 

Couvertures,  composition,  ti- 
rage, papier,  glaçage 


50 


eunpl. 


12  65 

1Q75 

7  80 

440 


100 
•xeopl. 


15  55 

1260 

960 

6  30 

10 


150 
exempl. 


1895 

16  70 

12  05 

8  85 

1180 


200     250 


exempl. 


2310 
20  » 
1420 
1010 

13    » 


exeBpl. 


27  » 
23  50 
1675 
12   j» 

1515 


300 

exeapl. 


3090 
27  » 
19  30 
1340 

1645 


350 
exeapl. 


34  80 
31  » 
2185 
15  30 

18  70 


400 


exeBpl. 


38  95 
34  75 
2440 
16  95 

19  75 


500 


exeBpl. 


4590 
4090 
29  95 
20  50 

2315 


—  1*1 


Composition  d*un  titre  d'entrée  de  1/4  de  page 

Composition  d'un  grand  titre,  avec  page  blanche  au  verso 

Composition  de  quatre  pages  de  titres  (sans  annonces  pour  les  travaux 
du  même  auteur) 

Les  corrections  seront  comptées  1  franc  Theure. 
Le  tirage  de  chaque  gravure  sera  compte  3  francs. 


2 
4  50 

6  50 


BOURLOTON.  —  Imprimeries  réunies,  B. 


/Z  5 


'2 


— ./ — 


/-^ 


La  Société  ne  prend  sous  sa  responsabilité 
'aucune  des  opinions  émises  par  les  auteurs  des  articles  insérés  dans  son  Bulletin 


BULLETIN  '^ / 


DE   LA  . 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGMPïïn 

RÉDIGÉ 

AVEC  LE  CONCOURS    DE  LA    SECTION  DE  PUBLICATION 


PAR 


LES  SECRÉTAIRES  DE  LA  COMMISSION  CEN;^^pR^j  C^ 

•(BCOL-.LIBrV 


SOMMAIRE 


Gharl.es  MAUnoir.  —  Rapport  sur  les  travaux  de  la  Société  de  Géographie  et 
sur  les  progrès  des  sciences  géographiques  pendant  l'année  1884- 149 

Le  commandant  Derrien.  — La  région  algérienne  traversée  par  le  méridien 
de  Paris 251 


CARTES 


Le  commandant  Derrien.    —  La  région   algérienne  traversée  par   le  méridien  de 
Paris  ^^500,000 


2-  TRIMESTRE  1885 


PARIS 

SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

BOULEVARD   SAINT-GERMAIN,    184 


1885 


PUBLICATIONS  DE  LA  SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 


RECUEIL  DE  VOYAGES  ET  DE  MÉMOIRES,  in-4o. 

Tome  l*',  contenant  les  voyages  de  Marco  Polo.  1  vol.  in-i*",  1824  {épuisé).  Première 
édition  française,  d'après  le  manuscrit  le  plus  ancien  et  le  plus  complet  connu, 
suivie  d'un  texte  latin  inédit.  Ce  volume  est  composé  comme  suit  :  Avant-propos, 
par  M.  Malte-Brun,  secrétaire  général  de  la  Société  de  Géograptiie;  — Introduc- 
tion aux  voyages  de  Marco  Polo,  par  M.  Roux  de  Rochelle;  —  Voyage de^  Marco 
Polo,  le  texte  français  de  Rusticien  de  Pise,  d'après  le  n*^  10270  de  la  Biblio- 

.  thèque  jroyale;  —  Peregrinatio  ifa;rci  Paulin,  texte  latin,  d'après  le  n*  3195  de 
la  Bibliothèque  royale;  —  Glossaire  des  mots  aujourd'hui  hors  d'usage:  — 
Variantes  pour  les  noms  propres  d'hommes  et  de  lieux,  d'après  onze  manus- 
crits. 

TouE  II,  avec  18  planches.  Prix:  18  francs* 

Il  contient  :  Une  Relation,  de  Gbanat  et  des  coutumes  de  ses  habitants.  —  Des 
relations  inédites  de  la  Gyrénaïque.  —  Une  notice  sur  la  mesure  géométrique 
de  quelques  sommités  des  Alpes.  —  Résultats  des  questions  adressées  à  un 
Maure  de  Tischit  et  à  un  nègre  de  Wallet.  —  Réponses  aux  questions  de  la 
Société  sur  l'Afrique  septentrionale.  —  Unitméraire  de  Gonstantinople  à  la 
Mecque.  —  Une  Description  des  ruines  découvertes  près  de  Palenqué,  suivie 
de  Recherches  sur  l'ancienne  population  de  l'Amérique.  — .  Une  notice  sur  la 
carte  générale  des  pachalicks  de  Hhaleb,  Orfa  et  Bagdad.  —  Un  mémoire  sur 
la  géographie  de  la  Perse.  —  Des  recherches  sur  les  antiquités  des  États-Unis 
de  l'Amérique  septentrionale. 

Tome  III,  contenant  l'Orographie  de  l'Europe,  par  M.  L.  Bruguière,  ouvrage  cou- 
ronné parla  Société  dans  sa  séance  générale  du  31  mars  1826;  avec  une  carte 
orographique,  12  tableaux  synoptiques  et  trois  vues  et  coupes  des  chaînes  de 
montagnes  (épuisé). 

Tome  IY,  avec  une  carte  et  plusieurs  fac-similés.  Prix  :  30  francs. 

Il  contient  :  Description  des  merveilles  d'une  partie  de  l'Asie,  par  le  P.  Jordan  de 
Séverac.  —  Relacion  del  Yiage  hecho  à  la  isla  de  Amat,  etc.  (Relation  d'un 
Voyage  à  l'île  d'Amat),  d'après  les  manuscrits  communiqués  par  M.  Henri  Ter- 
naux.  — Vocabulaires  de  plusieurs  conti'ées  de  l'Afrique,  recueillis  par  M.  Koe^nig, 
avec  des  observations  préliminaires.  —  Voyages  en  Orient  :  Relation  de  Guil- 
laume de  Rubruck.  —  Notice  sur  les  anciens  voyages  de  Tartarie  en  général, 
et  sur  celui  de  Jean  du  Plan  de  Garpin  en  particulier;  avec  une  carte,  par 
M.  d'Avezac.  —  Relation  de  la  Tartarie,  de  Jean  du  Plan  de  Garpin;  Voyage  de 
Bernard  et  de  ses  compagnons  en  Egypte  et  en  Terre-Sainte.  —  Relation  des 
voyages  de  Sœvulf  à  Jérusalem  et  en  Terre-Sainte. 

Tomes  V  et  VI,  contenant  la  Géographie  d'Edrisi,  traduite  de  l'arabe  en  français, 
d'après  deux  manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  roi,  et  accorapagnée  de  notes, 
par  P.  Amédée  Jaubert,  membre  de  l'Institut,  etc.,  avec  3  cartes.  Prix  : 
24  francs  chaque  volume. 

Tome  VU,  contenant  la  Grammaire  et  le  Dictionnaire  de  la  langue  berbère,  en  ca- 
ractères arabes,  composés  par  feu  Venture  de  Paradis,  revus  par  P.  Amédée 
Jaubert,  membre  de  l'Institut;  suivis  de  plusieurs  itinéraires  de  l'Afrique  sep- 
tentrionale recueillis  par  l'auteur,  et  précédés  d'une  Notice  biographique  sur  la 
partie  méridionale  de  l'Asie  centrale,  avec  une  carte  et  deux  plans,  par  M.  Nicolas 
de  Khanikof.  —  Recherches  sur  Tyr  et  Palœtyr,  et  essais  de  restitution  et 
d'interprétation  d'un  passage  de  Scylax,  avec  deux  cartes,  par  M.  Poulain  de 
Bossay.  Prix  :  24  francs. 

Mémoire  sur  l'Ethnographie  de  la  Perse,  par  M.  Nicolas  de  Khanikof.  Prix  :  6  francs. 


(BCDL:Lll.:i"0 


RAPPORT 

SUR 

LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

ET  SUR 

LES  PROGRÈS  DES  SCIEiNfCES  GÉOGRAPHIQUES 

PENDANT    L*ANNÉE  1884. 

PAR    GH.    MAUNOIR 

Secrétaire  général  de  la  Commission  centrale. 


L'année  dont  les  jours  s'achèvent  n'aura  pas  été  moins 
féconde  que  les  précédentes  au  point  vue  des  progrès  de  la 
géographie. 

Larges  publications  où  les  explorateurs  ont  consigné  les 

résultats  de  leurs  efforts,  ouvrages  didactiques  où  viennent 

prendre  place  peu  à  peu  les  faits  désormais  acquis^  études 

spéciales  sur  quelque  point  de  la  terre  ou  quelque  point 

de  la  science ,  ont  été  aussi  abondants  cette  année  que  les 

précédentes. 

L'ardeur  pour  les  explorations  ne  se  refroidit  pas  et  nous 
apprenons  sans  cesse  quelque  nouveau  départ ,  quelque 
nouveau  retour;  parfois  une  terrible  aventure  vient  rappe- 
ler à  l'attention  ce  qu'a  de  périlleux  la  lutte  engagée  contre 
l'inconnu  par  les  explorateurs  d'avant-garde. 

L'esprit  public  est  ainsi  fait  qu'en  matière  de  voyages 
il   ne  se  préoccupe  guère  des  heureux  et  que  les   plus 
beaux  résultats  scientifiques  le  laissent  un  peu  froid  s'ils 
n'ont  été  achetés  par  des  souffrances,  surtout  par  une  catas- 
trophe. 

A  ce  dernier  point  de  vue  1884  est  malheureusement  trop 
bien  partagée  ;  les  lugubres  circonstances  qui  ont  accom- 

SOG.  DE  GÉOGR.   —  2^  TRIMESTRE  1885.  VI.    —  11 


150      RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

pagné  la  retraite  de  la  mission  Greely  de  la  baie  Lady  Franklin 
au  cap  Sabine  sont  de  nature  à  satisfaire  les  plus  exigeants. 

Pour  la  dix-septième  fois,  le  secrétaire  général  actuelle- 
ment en  exercice  va  vous  exposer  le  progrès  accompli  dans 
le  cours  de  Tannée.  Gomme  précédemment,  il  devra  se 
borner  à  résumer  les  travaux,  les  événements  qui  caracté- 
risent le  mieux  ce  progrès  auquel  concourent  tant  d'élé- 
ments variés;  comme  précédemment  aussi,  les  explorateurs 
y  auront  la  plus  grande  part.  Vous  serez  heureux  de  cons- 
tater que  les  explorateurs  français,  en  particulier,  ont  con- 
tribué dans  une  large  mesure  au  mouvement  géographique 
de  l'année. 

Le  rapporteur  fait  appel  à  votre  indulgence,  comme  à 
celle  des  savants  et  des  voyageurs  dont  il  a  mission  de  signa- 
ler les  travaux. 

La  préface  obligée  de  cette  revue  Sisra  consacrée,  seloa 
nos  traditions,  à  énumérer  les  vides  que  la  mort  à  ouverts 
parmi  nous.  Elle  est  bien  longue,  cette  fois  encore,  la  table 
nécrologique  delà  Société;  elle  ne  compte  pas  moins  de 
quarante-neuf  noms. 

Tout  d'abord  nous  y  voyons  inscrits  Arnaud-Bey  et 
Charles  Tissot  qui,  à  des  titres  divers,  ont  pris  un  rang  con- 
sidérable dans  la  géographie  de  l'Afrique. 

Un  hommage  auquel  ne  saurait  rien  ajouter  votre  rap- 
porteur leur  a  été  rendu  par  notre  collègue  M.  Duveyrier. 

Le  plus  ancien  des  deux  parmi  nous,  Arnaud-Bey,  avait 
été  l'un  des  précurseurs  de  cette  phalange  d'explorateurs 
dont  l'énergie  a  peu  à  peu  résolu  le  problème  des  sources 
du  Nil.  Les  voyages  dans  la  haute  vallée  du  fleuve  mysté- 
rieux, à  l'époque  où  Arnaud-Bey  accomplissait  les  siens, 
étaient  particulièrement  difficiles;  Khartoum  était  une 
sorte  d'Ullima  Thule  équatoriale.  Les  renseignements 
recueillis  par  notre  collègue  étaient  alors  tout  à  fait  nou- 


ET  SUR  LES  PROGRÉS  DES   SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES.      151 

veaux,  mais  ils  n'ont  été  publiés  qu'à  Tétat  de  résumé.  Le 
volumineux  journal  de  route  du  voyageur  est  déposé  à  la 
Société  qui  s'efforcerçi  d'en  tirer  un  jour  le  meilleur  parti 
possible.  Il  renferme,  en  effet,  des  informations  de  géogra- 
phie physique  qui  restent  précieuses  en  ce  qu'elles  permet- 
tront d'établir  les  changements  subis  par  la  vallée  du  Nil 
depuis  quarante  ans. 

Arnaud-Bey,  dans  les  dernières  années  de  sa  longue  vie, 
suivait  .assidûment  nos  réunions  et  portait  à  la  Société  un 
véritable  intérêt.  II  en  faisait  partie  depuis  l'année  1884, 
où  il  fut  lauréat  de  notre  grande  médaille  d'or. 

Charles  Tissot  auquel  son  mérite  et  son  savoir  avaient 
ouvert  les  portes  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles 
Lettres,  fut  un  explorateur  du  passé.  Il  avait  parcouru  le 
Maroc  et  la  Tunisie  pour  en  reconstituer,  avec  l'aide  des 
auteurs,  la  géographie  ancienne.  Nul  ne  contestera  que  sa 
laborieuse  sagacité,  sa  sûreté  de  critique  n'aient  fait  faire 
à  ces  questions  un  pas  considérable.  La  science  a  perdu  en 
lui  un  représentant  distingué  des  études  où  la  géographie 
et  l'archéologie  concourent  à  une  sorte  de  restauration  des 
civilisations  éteintes.  Ces  deux  éléments,  éclairés  des  lu- 
mières d'un  esprit  supérieur,  se  combinent  dans  la  Géo- 
graphie  comparée  de  la  province  romaine  d'Afrique^  qui 
fut  le  testament  scientifique  de  notre  éminent  et  regretté 
collègue.  Charles  Tissot  était  entré  à  la  Société  en  1861. 

Un  nom  scientifique  illustre  que  naus  nous  honorions 
depuis  1868  de  voir  figurer  sur  nos  listes,  en  va  disparaître 
emporté  avec  Paul  Thénard,  de  l'Institut,  qui  laissera  parmi 
nous,  comme  ailleurs,  les  regrets  dus  à  un  homme  dont 
l'esprit  était  ouvert  à  toutes  les  suggestions  élevées,  le 
cœur  prêt  à  toutes  les  générosités. 

En  M.  Duflot  de  Mo^ras  nous  a  été  enlevé  un  collègue 
inscrit  au  nombre  des  membres  de  la  Société  depuis  1839. 
C'est  dans  la  diplomatie  qu'il  avait  fait  sa  carrière  dont  les 
premières  étapes  le  conduisirent  aux  États-Unis,  à  travers  les 


^ 


152      RAPPORT  SUR  LES  TRAYÂUX  DE  LÀ  SOaÊTÊ 

territoires  de  l'Orégon  et  de  la  Califomie;  ces  territoires 
qa*il  parcoarai  et  qui  deraient  occoper  on  rang  si  considé- 
rable parmi  les  États  de  ITnion  américaine,  étaient  alors  à 
peine  connu?,  et  M.  Boflot  de  Mofras  nous  en  a  donné  one 
description  qni  fat  remarquée.  Il  ayait  été  élu  secrétaire  de 
la  Société  pour  Tannée  1845. 

Pendant  bien  longtemps  tous  avez  pu  remarquer  aux 
séances,  assis  presque  toujours  à  la  même  place,  près  de  la 
porte  d'entrée,  un  rieiUard  à  l'expression  affable,  M.  MoroL 
n  a  voulu  témoigner  ses  sympathies  pour  les  sciences  dont 
nous  poursuivons  le  développement,  en  instituant  un  prix 
destiné  à  récompenser  des  voyages  accomplis  en  de  certaines 
conditions  stipulées  par  son  testament.  M.  Morot  était  des 
nôtres  depuis  l'année  1877. 

Vers  la  fin  de  l'année,  la  Société  a  perdu  un  adhérent  qui 
lui  faisait  honneur,  M.  Emmanuel  Ross  Van  den  Berg,  ancien 
élève  de  l'Ecole  normale,  dont  le  nom  figurait  sur  nos  con- 
trôles depuis  1868.  Collaborateur  de  plusieurs  journaux,  il 
y  traitait  avec  talent  les  sujets  d'ordre  géographique,  et 
quelques-uns  de  ses  articles  avaient  Timportance  de  véri- 
tables mémoires.  Au  milieu  de  ces  travaux  toujours  con- 
sciencieux auxquels  s'ajoutaient  les  soins  d*un  laborieux  et 
délicat  enseignement,  notre  collègue  trouva  le  temps  de  pu- 
blier, en  1881  et  1883,  deux  livres  excellents  sous  leur  mo- 
deste formai,  une  Petite  histoire  d'Orient  et  une  Petite 
histoire  des  Grecs;  la  géographie  y  tient  une  grande  place. 
M.  Van  den  Berg  avait  trop  étudié  pour  n'être  pas  profondé- 
ment convaincu  des  influences  que  le  sol  exerce  sur  l'homme 
et  sur  les  destinées  des  peuples.  La  mort  qui  l'a  pris  en 
plein  travail  a  enlevé  prématurément  ce  savant  et  galant 
homme  à  la  science  et  à.  l'affection  de  tous  ceux  qui  l'ap- 
prochaient. 

Selon  le  cours  naturel  des  choses  et  en  raison  de  son 
âge,  M.  G.  V.  Dauzats,  adhérent  à  la  Société  depuis  1879, 
pouvait  espérer  encore  une  longue  vie.  Ingénieur  d'un  haut 


ET  SUR  LES   PROGRÉS  DES   SCIENCES    GÉOGRAPHIQUES.      f53 

mérite,  il  avait  été  Tun  des  plus  actifs  collaborateurs  de 
notre  illustre  président,  lors  de  la  campagne  glorieuse  qui  a 
ouvert  aux  flottes  du  monde  une  route  directe  vers  l'Orient. 

Il  y  a  trois  ans,  le  rapporteur  avait  à  enregistrer  la  mort 
d'Eugène  Cortambert  l'un  des  plus  laborieux,  des  plus  con- 
nus parmi  ceux  qui  se  sont  consacrés  à  l'enseignement  de 
la  géographie.  Aujourd'hui  c'est  à  son  fils  Richard  Cortam- 
bert qu'il  faut  adresser  un  dernier  adieu.  Il  était  des  nôtres 
depuis  1864.  En  1866,  il  entrait  dans  la  Commission  cen- 
trale dont  il  fut  secrétaire  adjoint  de  1867  à  1874.  L'état  de 
sa  santé  l'ayant  contraint  à  résigner  ses  fonctions,  il  obtint 
en  1875  le  titre  de  secrétaire  adjoint  honoraire.  Comme 
son  père,  Richard  Cortambert  fut  un  zélé  vulgarisateur  des 
sciences  géographiques.  Il  savait  donner  à  ses  travaux  un 
tour  littéraire  qui  en  rendait  la  lecture  aisée,  agréable 
même.  Sa  dernière  œuvre,  qu'il  ne  put  achever  entièrement 
lui-même,  fut  une  Nouvelle  histoire  des  voyages  et  des 
grandes  découvertes  géographiques. 

La  mort  est  venue  enlever  aussi  à  la  Commission  centrale 
Félix  Fournier,  l'un  des  membres  les  plus  profondément 
dévoués  aux  intérêts  de  notre  compagnie.  F.  Fournier  avait 
pour  principe  que  nul,  parmi  les  favorisés  de  là. fortune,  ne 
doit  passer  ici-bas  sans  y  rendre  quelque  service  aux  inté- 
rêts généraux;  aussi  accordait-il  volontiers  son  concours  aux 
associations  qui  poursuivent  une  œuvre  de  bien  public.  En 
1873,  il  se  faisait  admettre  dans  la  Société  et  en  1876  il  en- 
trait à  la  Commission  centrale.  Jusqu'au  moment  où  la  ma- 
ladie l'a  retenu  éloigné  de  nous,  il  n'a  pas  cessé  d'apporter 
des  soins  scrupuleusement  attentifs  à  l'accomplissement  de 
ses  fonctions.  Dans  une  précédente  séance  M.  Gauthiot  nous 
a  parlé  en  termes  justes  et  chaleureux  de  ce  collègue  dont 
il  avait  été  particulièrement  à  même  d'apprécier  le  mérite. 

Fidèle  jusqu'après  la  mort  au  principe  de  sa  vie,  F.  Four- 
nier, par  ses  dispositions  testamentaires,  a  fait  à  la  Société 
un  legs  considérable  dont  le  revenu  est  destiné  àrécompen- 


154  RAPPORT   SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

ser  la  raeilleure  œuvre  géographique  ou  cartographique  de 
Tannée.  La  commission  centrale  a  décidé  que  le  prix  ainsi 
fondé  s'appellerait  Prix  Félix  Founiier  et  que  le  fils  de  ce 
libéral  collègue  serait  inscrit  d'office  sur  nos  listes  avec 
la  qualité  de  membre  à  vie.  La  Société  réunie  aujourd'hui 
en  assemblée  plénière  ratifie  certainement  les  résolutions 
de  son  conseil. 

Nos  membres  correspondants  étrangers  ont  été  particu- 
lièrement décimés  cette  année.  Des  trente-huit  dont  les 
noms  constituent  notre  liste,  cinq  ont  été  enlevés. 

C'est  d'abord  Karl  Richard  Lepsius,  élu  correspondant  en 
1853.  Lepsius  avait  transporté  l'érudition  allemande  sur  le 
terrain  de  l'égyptologie  où  l'avait  précédée,  où  n'a  pas  cessé 
de  se  maintenir  brillamment  l'érudition  française. 

Voici  le  baron  Ferdinand  de  Hochstetter,  le  géologue  du 
beau  voyage  de  circumnavigation  de  la  Novara  et  qui  fut 
pendant  de  longues  années  président  de  la  Société  de  géo- 
graphie de  Vienne.  Il  la  représentait  à  Paris  en  1873,  lors 
du  Congrès  international  des  Sciences  géographiques  réuni 
par  l'initiative  de  notre  association. 

Voici  encore  sir  Henri  Bartle  Edward  Frère.  Trente  trois 
années  de  séjour  aux  Indes,  dont  une  partie  dans  de  hautes 
fonctions  administratives,  l'avaient  particulièrement  initié  à 
la  connaissance  du  pays,  et  en  1872  il  était  nommé  prési- 
dent de  la  Société  Royale  géographique  de  Londres.  C'est  dé- 
puis 1874  qu'il  figurait  sur  la  liste  de  nos  correspondants 
étrangers. 

Le  général  Andrew  Atkinson  Humphreys  avait  été  élu 
par  nous  en  1875,  comme  ancien  chef  des  ingénieurs  mili- 
taires des  États-Unis.  Les  ingénieurs  ont  parfois  l'occasion 
de  faire,  dans  l'exécution  de  leurs  grands  travaux,  des  ob- 
servations et  des  études  précieuses  pour  les  géographes. 
C'est  ainsi  que  M.  Humphreys,  chargé  en  1850  de  recher- 
cher les  moyens  de  préserver  le  delta  du  Mississipi  de 
désastreuses  inondations,  recueillit  soit  sur  le  delta  même. 


ET  SUR   LES  PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      155 

soit  sur  rénorme  fleuve,  des  données  d'un  haut  intérêt. 
De  1854  à  1861,  il  prît  une  part  active  aux  reconnaissances 
nécessitées  par  les  projets  de  construction  de  chemins  de 
fer  entre  le  Mississipi  et  l'Océan  Pacifique. 

Arnold  Guyot,  originaire  de  Neuchâtel  en  èuisse  et  na- 
turalisé citoyen  des  États-tJnis,  fut  géographe  dans  la  com- 
plète acception  du  terme.  Esprit  précis  autant  qu'ingé- 
nieux pour  les  recherches  spéciales,  il  laissera  la  trace  de 
son  passage  dans  les  études  relatives  aux  montagnes,  aux 
lacs,  aux  glaciers  et  à  leur  histoire.  Ses  observations  et  ses 
conseils  furent  les  bases  premières  du  vaste  système  météor 
rologique  établi  aux  États-Unis.  A  soixante-douze  ans  il 
parcourait,  pour  en  faire  la  triangulation,  la  topographie  et 
la  description,  le  niassif  des  Gatskills  alors  à  peine  connu 
bien  qu'il  soit  à  100  milles  seulement  au  nord  de  New-York, 
sur  la  rive  droite  de  THudson. 

Arnold  Guyot  a  exercé  aussi  une  influence  considérable 
sur  l'enseignement  de  la  géographie  aux  États-Unis.  11  y 
apportait,  avec  une  méthode  excellente  et  l'autorité  d'un 
profond  savoir,  une  fécondante  chaleur.  Les  cours  qu'il  fît 
à  Princeton  (New-Jersey)  déterminèrent  une  révolution 
géographique  assez  intense  pour  propager  ses  eff'ets  jusqu'en 
Europe. 

Pénétré  d'une  pieuse  admiration  pour  les  lois  qui  régissent 
le  globe,  il  en  a  résumé  avec  beaucoup  d'élévation  de  vue 
ce  qu'en  embrasse  notre  entendement.  VEarth  and  Man 
d'Arnold  Guyot,  qui,  traduit  en  plusieurs  langues  attend 
encore  une  édition  française,  restera  comme  un  modèle. 
On  y  sent,  en  même  temps  que  la  solidité  de  la  science, 
une  vraie  passion  pour  cette  Terre  dont  la  vie  est  notre  vie. 

La  Société  a  perdu  encore,  MM.  Constantin  de  Sabir, 
gentilhomme  de  S.  M.  l'empereur  de  Russie  (1858)*;  — 


1.  Les  millésimes  entre  parenthèses  indiquent  les  années  d'admission 
dans  la  Société. 


156      RAPPORT  SUR  LES  TRAYAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Hippolyte  Payn,  propriétaire  (1864)  ;  —  l'abbé  Léon  Bossa 
(1868);  -*  le  comte  Gaillaume-Amable-Octave  de  Bas  tard 
d'Estang,  général  de  brigade  (1874)  ;  —  ArmaDd  Rosier, 
directeur  de  l'École  supérieure  de  commerce  à  Marseille 
(1874);  —  Firmin  Tameaud,  banquier  (1875)  ;  —  Hermite 
Reynald,  doyen  de  la  Faculté  des  lettres  d'Aix  (1875);  —  le 
vicomte  Napoléon  Duchatel,  ancien  préfet  (1875);  —  David 
Chantai,  professeur  (1875)  ;  — le  comte  Constantin  Branicki, 
voyageur  en  Orient  (1875);  —  Charles  Poulhier,  capitaine 
de  vaisseau  (1876)  ;  —  Mgr  A.  Pillon  de  Thury,  protonotaire 
apostolique  (1876);  —  Rémi  deMontigny  (1876); — Léopold 
Estourgies,  de  l'Observatoire  de  Bruxelles  (1876);  —  Paul 
Dévot  (1876);  —  Antoine  Kœnigswarter  (1877);  —  Charles 
Becquet,  imprimeur  lilhographe  (1878);  —  Frédéric  De- 
rouet,  sous-lieutenant  au  9*  d'artillerie  (1878)  ; — Louis  Trem- 
blay (1878);  — Ernest-Léon  Sourd,  avocat  à  la  Cour  d'ap- 
pel de  Paris  (1879);  — Louis-Guslave  Marchant,  ingénieur 
en  chef  des  ponts  et  chaussées,  directeur  de  la  Compa- 
gnie des  Eaux  (1879);  —  Guillaume- Vincent-André-Henri 
Corne,  vice*consul  de  France  (1879);  —  Victor-Eugène- 
Marie- Alphonse  Biaise,  instituteur  (1879)  ;  —  Emile  Bi- 
gorne, propriétaire  (1879);  —  Albert  Pascal  (1880);  — 
Louis  Outrebon  (1880);  —  Louis-Joseph- Victor  Gauvenet- 
Dijon,  colonel  en  retraite  (1880)  ;  —  A.  Delapalme,  notaire 
honoraire  (1880);  —  Auguste  Denayrouse,  ingénieur  civil 
(1881);  —  Alphonse  Lavallée,  membre  du  conseil  général 
de  Seine-et-Oise  (1882)  ;  —  Gros,  inspecteur  général  des 
ponts  et  chaussées  (1882);  —  le  général  de  Bovet  (1882); 
—  Louis-Marie-Edgar  Amé,  sous-chef  au  Ministère  des 
Finances  (1882);  —  Paul  Seignette,  inspecteur  général  des 
études  au  Prytanée  militaire  de  La  Flèche  (1882);  —  le 
comte  de  Miramon,  sous-lieutenant  au  li«  chasseurs  (1884). 
Sur  les  affaires  intérieures  de  la  Société  le  rapport  dira 
peu  de  chose  ;  chacun  de  vous  sait  qu'il  trouvera  en  toute- 
circonstance,  auprès  de  ses  collègues  de  la  Commission 


ET  SUR  LES   PROGRÈS  DES   SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES.      157 

centrale,  toutes  les  informations  qu'il  pourrait  désirer  à  ce 
sujet. 

Un  fait,  cependant,  a  marqué  pour  nous  cette  année,  c'est 
l'organisation  de  conférences  sur  des  sujets  de  haute  géo- 
graphie. Le  succès  en  a  été  assuré  par  le  mérite  des  confé- 
renciers choisis  et  aussi  par  la  libéralité  de  quelques-uns 
d'entre  vous  qui  ont  voulu  faire  honneur  à  leur  titre  de 
membre  de  la  Société. 

Dans  quelques  semaines  va  commencer  une  nouvelle 
série  de  conférences;  puisse- t-elle  avoir  autant  de  succès 
que  la  précédente.  Notre  collègue,  si  plein  de  dévouement, 
M.  William  Huber,  spécialement  chargé  de  l'organisation  de 
ces  conférences,  a  droit  à  tous  les  remerciements  de  la 
Société. 

Les  finances  qui  avaient  subi  de  légères  oscillations  sont 
en  voie  de  reprendre  leur  équilibre  normal,  confiées  qu'elles 
sont  à  la  sollicitude  éclairée  et  active  de  M.  Paul  Mirabaud, 
Président  de  votre  section  de  comptabilité. 

Libéralement  accrues  non  moins  qu'attentivement  gérées 
par  M.  Jackson,  en  qui  la  Société  a  trouvé  le  plus  dévoué 
des  bibliothécaires,  les  richesses  de  la  bibliothèque  aug- 
mentent dans  une  proportion  bien  faite  pour  réjouir  les 
travailleurs.  Le  nombre  des  prêts  aux  membres  de  la 
Société  a  marqué  une  augmentation  notable  sur  les  nombres 
correspondants  pour  1882  et  1883. 

Même  les  personnes  étrangères  à  la  Société  sont  autorisées, 
dans  certaines  conditions,  à  faire  usage  de  ces  richesses.  La 
science  doit  luire  pour  tout  le  monde  ;  les  procédés  libéraux 
suscitent  parfois  d'ailleurs  des  reconnaissances  qu'il  convient 
d'encourager.  Du  l®''janvier  au30  novembre,  la  bibliothèque 
avait  reçu  deux  cent  soixante-dix-sept  visiteurs  étrangers 
à  la  Société. 

Enfin  le  nombre  croissant  des  membres,  le  nombre  crois- 
sant aussi  des  affaires  à  traiter  obligent  l'agent  de  la  Société, 
M.  Charles  Aubry,  à  se  multiplier  pour  l'accomplissement 


158  RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOaÉTÊ 

de  ses  devoirs,  et  c'est  justice  de  reconaadtre  qu'il  y  réussit 
pleinemeuL 

Le  Service  géographique  de  rArmée  et  le  Dépôt  de  la 
Marine  sont,  chez  nous,  les  deux  institutions  publiques  qui 
contribuent  le  plus  largement,  le  plus  utilement  au  progrès 
des  sciences  géographiques.  Un  résumé  des  travaux  qui  s'y 
exécutent  a  donc  sa  place  marquée  d'office  aux  premières 
pages  de  ce  rapport. 

En  commençant  cet  exposé  par  les  travaux  astronomiques 
exécutés  au  Service  géographique,  il  faut  constater  que 
M.  le  Commandant  Bassot  et  M.  le  capitaine  Deffbrges  ont 
mesuré,  cette  année,  la  latitude  et  un  azimut  aux  quatre 
stations  géodésiques  de  Bry-sur-Marne,  Morlu,  Mont-Valé- 
rien  et  Ghatillon. 

Ces  quatre  mesures  doivent  permettre  de  conclure  la 
latitude  et  l'azimut  fondamentaux  de  la  nouvelle  méridienne. 

Conformément  à  un  vœu  ancien  de  la  Conférence  géodé- 
sique  internationale,  notre  Service  géographique  et  l'Obser- 
vatoire de  Leyde  ont  entrepris  la  détermination  télé- 
graphique de  la  différence  de  longitude  entre  Paris  et  Leyde. 
Les  observateurs  étaient  :  du  côté  français,  M.  le  comman- 
dant Bassot;  du  côté  hollandais,  M.  Van  de  Sande 
Backhuysen,  directeur  de  l'Observatoire  de  Leyde. 

Les  deux  observateurs  ont  occupé  successivement  les 
deux  stations,  effectuant  ainsi  l'échange  des  observateurs 
et  des  instruments. 

Cette  détermination  de  longitude  a  une  grande  importance, 
car  elle  permettra  de  fermer  le  triangle  Leyde-Greenwich- 
Paris  et  servira  ainsi  de  contrôle  aux  différences  de  longi- 
tude déjà  mesurées  entre  Paris  et  Greenwich  et  entre  Leyde 
et  Greenwich. 

Pour  assurer  la  position  de  l'Observatoire  météorologique 
du  Pic  du  Midi  de  Bigorre,  eu  fournissant  un  point  de  départ 
astronomique  aux  coordonnées  de  la  chaîne  des  Pyrénées 


ET   SUR  LES  PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     459 

dont  le  Pic  du  Midi  est  un  sommet  géodésique  de  premier 
ordre,  le  Service  géographique  a  procédé  en  1884  à  la  mesure 
de  la  différence  de  longitude  entre  Paris-Montsouris  et  le 
Pic  du  Midi. 

Les  observations  ont  été  faites  par  M.  le  commandant 
Bassot  et  M.  le  capitaine  Defforges.  M.  Defforges,  assisté  de 
M.  le  capitaine  Tracou,  a  mesuré  en  outre,  au  Pic  du  Midi, 
la  latitude  et  un  azimut.  Enfin,  à  l'aide  d'un  pendule  à 
reversion  de  Repsold,  M.  le  capitaine  Defforges  a  mesuré,  à 
Paris  et  au  Pic  du  Midi,  l'intensité  absolue  de  la  pesanteur. 

En  même  temps  que  ses  opérations  astronomiques,  en 
même  temps  que  la  révision  de  la  carte  de  France,  le 
Service  géographique  poursuit  les  levés  de  l'Algérie  et  de 
la  Tunisie. 

Pendant  l'hiver  1883-1884,  les  capitaines  Brullard  et 
Guéneau  de  Mussy  ont  exécuté  les  mesures  d'angles  de  la 
triangulation  de  premier  ordre,  dans  la  région  comprise 
entre  la  méridienne  de  Biskra,  le  parallèle  algérien,  la 
frontière  de  la  Tunisie  et  l'Aurès.  A  la  fin  de  leur  campagne 
d'hiver,  ces  deux  officiers  ont  reconnu  les  sommets  et  con- 
struit les  signaux  du  prolongement  du  parallèle  algérien  à 
travers  la  Tunisie  jusqu'au  Gap  Bon.  Le  Capitaine  Brullard, 
assisté  de  M.  Barisien,  lieutenant,  procède  en  ce  moment 
à  la  mesure  des  angles  dans  la  partie  de  cette  chaîne  com- 
prise entre  Bône  et  Béja. 

Les  opérations  de  la  géodésie  de  deuxième  ordre,  confiées 
aux  capitaines  Boulangier  et  Tracou,  ont  porté  sur  le  terrain 
des  feuilles  de  Soukharas  et  de  Sétif.  D'autre  part  les 
capitaines  Durand  et  du  Magnin  ont  entrepris  et  terminent 
actuellement  la  géodésie  de  deuxième  ordre  pour  la  feuille 
de  Tlemcen,  tandis  que  le  capitaine  Guéneau  de  Mussy 
exécute  la  géodésie  de  deuxième  ordre  de  la  feuille  de  Sidi 
Bel  Abbès. 

Les  levés  topographiques  réguliers,  qui  ont  porté  sur  les 
trois  provinces,  embrassent  une  superficie  approximative 


160     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

de  8000  kilomètres  carrés,  dont  2750  kilomètres  dans  la 
province  d'Oran,  pour  les  environs  de  Lourmel,  le  massif 
montagneux  entre  Aïn-Temouchen,  Bel  Abbès  et  Mascara; 
2630  kilomètres  carrés  dans  la  province  d'Alger,  pour  le 
massif  kabyle  entre  Azefibun  et  les  Biban  ;  2560  kilomètres 
carrés  dans  la  province  de  Gonstantine,  pour  les  massifs  du 
Taya  et  de  TAoura,  au  nord  de  Guelma,  ainsi  que  pour  les 
massifs  de  TOuarech,  du  Chettoba  et  du  Djebel  le  Rohl, 
entre  Gonstantine  et  Mila.  Dans  le  SudOranais,  le  capitaine 
Bruneau  a  exécuté  des  reconnaissances  à  1/200  000®  ap- 
puyées sur  les  remarquables  levés  du  capitaine  de  Castries. 

On  n'a  pas  abandonné  l'idée  signalée  l'an  dernier  d'em- 
ployer les  explorateurs  indigènes  aux  premières  enquêtes 
sur  les  régions  voisines  de  l'Algérie  et  sur  l'extrême  sud, 
comme  les  Anglais  utilisent  des  paundits  hindous  pour 
reconnaître  le  Tibet  et  l'Asie  centrale.  Le  Lycée  d'Alger 
étend  le  cercle  d'études  des  élèves  indigènes,  de  façon  à 
leur  permettre  de  rendre  de  bons  services  dans  cet  ordre 
d'idées. 

Gette  année  a  vu  s'effectuer,  du  1"  novembre  1883  au 
31  mars  1884,  la  troisième  et  dernière  campagne  topogra- 
phique en  Tunisie.  Six  brigades  topographiques  dirigées 
par  le  commandant  Lachouque  et  formant  un  total  de  vingt 
neuf  officiers,  ont  concouru  à  l'exécution  des  derniers  tra- 
vaux sur  le  terrain. 

Limitée  au  nord  par  le  parallèle  de  Sfax  et  au  sud  par 
l'oued  Fessi,  la  région  levée  comprend  une  superficie  d'en- 
viron 35  000  kilomètres  carrés  :  elle  correspond  aux  feuilles 
de  Maharès,  Gabès  et  Zarzis  pour  la  côte,  à  celles  de  Gafsa 
et  de  Kebelli  pour  l'intérieur. 

Gependant  il  reste  encore  à  lever  5  ou  6000  kilomètres 
carrés  au  sud  de  l'oued  Fessi,  sur  la  frontière  tripolitaine, 
puis,  dans  l'ouest,  une  bande  de  terrain  près  de  la  frontière 
algérienne. 

Le  Service  géographique  fait  paraître  une  édition  provi- 


ET   SUR   LES  PROGRÉS  DBS  SGIE^XES  GÉOGRAPHIQUES.      161 

soire  de  la  carte  à  1/200000%  obtenue  en  reproduisant  par 
laphotozincographie  les  minutes  des  officiers,  au  fur  et  à 
mesure  de  leur  achèvement.  Les  douze  premières  feuilles 
de  cette  œuvre  sont  tirées  ;  les  cinq  feuilles  suivantes  qui 
sont  en  cours  d'exécution  paraîtront  prochainement. 

Cette  publication  a  pour  but  de  livrer  le  plus  rapidement 
possible  aux  troupes  du  corps  d'occupation  et  au  public  la 
reproduction  des  levés,  en  attendant  l'exécution  d'une  hélio- 
gravure en  couleurs. 

Les  levés  et  documents  rapportés  par  les  brigades  topo- 
graphiques de  Tunisie  ont  permis  d'établir,  en  outre,  une 
nouvelle  carte  des  itinéraires,  à  Téchelle  de  1/800  000®;  elle 
est  destinée  à  remplacer  la  carte  en  deux  feuilles  à  l/400000^ 
Plus  exacte  et  plus  maniable  que  la  précédente,  cette 
nouvelle  carte,  qui  est  d'ailleurs  la  continuation  de  la  carte 
des  étapes  de  l'Algérie  établie  par  provinces,  sera  tirée  en 
trois  couleurs  :  les  eaux  en  bleu,  les  routes  en  rouge,  les 
écritures  en  noir.  Pour  rester  plus  claire,  elle  ne  donnera 
pas  le  figuré  du  terrain,  mais  on  y  trouvera  les  chemins,  les 
gîtes  d'étapes,  lieux  de  campement,  grand'haltes,  et  les 
points  d'eau  importants.  Des  chiffres  indiqueront  les  dis- 
tances kilométriques  d'un  gîte  à  l'autre. 

Enfin,  un  registre  d'itinéraire  qui  sera  comme  le  complé- 
ment de  la  carte,  doit  être  prochainement  livré  à  l'impres- 
sion; il  fournira,  sur  le  pays,  tous  les  renseignements  utiles 
aux  troupes  en  marche.  Les  géographes  eux  aussi  trouve- 
ront dans  ces  documents  des  informations  nombreuses 
autant  que  sûres  et  dont  ils  doivent  remercier  le  Service 
géographique  de  l'armée. 

Les  travaux  intérieurs  du  Service  géographique  se  recom- 
mandent, pour  cette  année,  à  notre  attention  par  des  mo- 
difications apportées  au  mode  de  production  des  cartes. 
Ainsi,  dans  la  gravure  sur  zinc  en  couleurs,  au  lieu  de  faire 
graver  les  signes  figuratifs  des  bois,  on  emploie  actuelle- 
ment un  poncif  y  c'est-à-dire  une  planche  dont  toute  la  sur- 


162  RAPPORT  SUR   LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

face  est  couverte  de  bois.  On  en  tire  une  épreuve  que  Ton 
reporte  sur  une  planche  de  zinc,  dont  toutes  les  parties  non 
boisées  ont  été  préalablement  recouvertes  de  gomme.  Ce 
procédé  présente  une  économie  considérable  qui  peut  être 
évaluée  aux  cinq  sixièmes  de  la  dépense  qu'entraînaient  les 
procédés  habituels. 

D'un  autre  côté,  on  a  introduit  dans  l'exécution  des  cartes 
du  Service  géographique  l'emploi  des  caractères  typogra- 
phiques, qui  rend  des  services  surtout  pour  les  calques  à 
reproduire  par  l'héliogravure  ;  on  obtient  ainsi  pour  les 
écritures  une  régularité  supérieure  à  celle  que  comporte 
la  lettre  dessinée  même  par  le  plus  habile  dessinateur. 
Néanmoins,  pour  la  souplesse  du  trait,  ces  caractères  ty- 
pographiques restent  inférieurs  à  la  lettre  gravée  ;  mais  ils 
permettent  une  économie  de  temps  ou  d'argent  évaluée  à 
60  p.  400, 

L'école  de  dessin,  créée  au  Service  géographique  par  déci- 
sion ministérielle  du  29  avril  1883,  fonctionne  régulière- 
ment depuis  le  1"  novembre  de  la  même  année.  Onze  élèves 
ont  été  admis  au  début  et  huit  nouveaux  jeunes  gens  sont 
entrés  cette  année,  après  les  épreuves  qui  ont  eu  lieu 
au  mois  d'août.  Les  élèves  de  deuxième  année,  qui  ont 
actuellement  onze  mois  d'école,  peuvent  répondre  sur  les 
matières  qui  figurent  au  programme  des  cours.  Ils  ont 
exécuté  au  printemps  dernier  des  levés  réguliers  à  1/5000 
et  1/10000. 

Les  progrès  déjà  réalisés  sont  considérables  et  dès  au- 
jourd'hui les  deux  tiers  des  élèves  de  deuxième  année  se- 
raient en  mesure  d'exécuter  des  travaux  pour  le  Service 
géographique.  Au  .mois  d'octobre  prochain,  des  certificats 
d'aptitude  seront  délivrés  à  ceux  des  élèves  qui  pourront  être 
admis  dans  les  ateliers  du  Service  géographique. 

Les  ingénieurs  hydrographes  ont  entrepris,  dans  le  cou- 
rant de  l'année,  le  levé  des  côtes  de  l'île  de  Corse,  travail 


ET  SUR  LES  PROGRÈS   DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      163 

assez  considérable  puisqu'il  doit  s'étendre  sur  un  circuit  de 
près  de  400  milles. 

Le  Dépôt  des  Cartes  et  Plans  ne  possédait  sur  ces  parages 
que  les  cartes  levées  de  182*2  à  1828  par  M.  de  Hell,  capitaine 
de  vaisseau  ;  d'une  exactitude  suffisante,  à  ne  considérer 
que  les  besoins  les  plus  immédiats  de  la  navigation,  ces  cartes 
étaient  évidemment  incomplètes  au  point  de  vue  des  détails 
topographiques  et  de  la  triangulation.  Ces  deux  éléments 
avaient  été^  en  grande  partie,  empruntés  au  travail  que 
l'ingénieur  géographe  Tranchot  exécutait  en  Corse,  à  la  un 
du  siècle  dernier. 

Le  travail  a  été  repris  et  entièrement  refait  par  le  service 
de  l'État-major  en  1863;  il  importait  de  mettre  les  cartes 
de  la  marine  au  même  niveau  que  celles  de  la  guerre,  en 
rattachant  les  points  remarquables  de  la  côte  au  nouveau 
réseau  trigouométrique.  Le  programme  qui  consistait  à  em- 
prunter à  ce  réseau  une  ou  plusieurs  bases,  pour  une  trian- 
gulation indépendante,  a  reçu  en  1884  un  commencement 
d'exécution. 

M.  A.  Germain,  ingénieur  hydrographe,  a  fait  cette  pre- 
mière campagne  à  bord  de  l'aviso  la  Chimère;  les  mois  dé 
mai  et  juin  ont  été  consacrés  à  des  levés  sur  la  côte  est,  à 
Porto-Vecchio,  à  Bastia  et  au  sud  de  cette  ville  jusqu'à  l'em- 
bouchure du  Golo. 

Quand  la  saison  des  fièvres  est"  arrivée,  la  mission  s'est 
transportée  sur  la  côte  sud,  où  elle  a  refait  entièrement  le 
levé  des  bouches  de  Bonifacio,  en  y  joignant  une  notable 
portion  de  la  côte  ouest.  Son  séjour  à  Bonifacio  et  aux  en- 
virons s'est  prolongé  jusqu'au  milieu  d'octobre,  époque  à 
laquelle  la  fréquence  des  vents  de  nord-est  rend  la  côte 
très  dangereuse.  Les  derniers  beaux  jours  ont  été  consacrés 
à  des  travaux  exécutés  sous  les  ordres  de  M.  Hatt,  ingénieur 
hydrographe,  le  long  de  la  côte  nord- ouest,  entre  Calvi  et 
l'île  Rousse. 

Les  travaux  de  sondes  et  de  topographie  côtière  ont  été 


164  RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

exécutés  de  manière  à  pouvoir  être  rédigés  à  réchelie  de 
i/20000';  de  nombreux  plans  particuliers  intéressant  spé* 
cialementla  navigation  ont  été  levés  avec  plus  de  détails,  en 
vue  de  la  publication  ultérieure  de  Tœuvre  à  une  échelle 
plus  grande. 

Outre  les  travaux  qu'ils  ont  exécutés  en  Corse,  les  officiers 
et  les  ingénieurs  hydrographes  de  notre  marine  ont  active- 
mentjtravaillé  à  des  levés  soit  en  Tunisie,  soit  au  Tong-King 
et  à  Formose. 

En  4884,  le  levé  des  côtes  de  la  Tunisie  a  été  continué, 
sous  la  direction  de  M.  Héraud,  ingénieur  hydrographe,  à 
partir  de  la  pointe  Salackta,  limite  des  travaux  de  1883, 
jusqu'aux  îlots  Surkennis  dont  les  environs  avaient  été,  éga- 
lement en  1883,  l'objet  d'un  levé  particulier. 

Au  large  de  cette  partie  de  la  côte  dont  la  longueur  est 
de  100  milles  environ,  sont  situées  les  îles  Kerkennah  autour 
desquelles  de  hauts  fonds  dangereux,  les  bancs  de  Ker- 
kennah, couvrent  une  surface  considérable. 

On  a  reconnu  complètement  la  côte,  les  îles  et  les  bancs. 
La  triangulation  particulière  faite  l'an  dernier  autour  des 
îlots  Surkennis,  par  M.  Hanusse,  ingénieur-hydrographe,  a 
été  rattachée  par  cet  ingénieur  à  la  triangulation  générale 
qui  part  de  la  frontière  algérienne.  La  topographie  de  toute 
la  région  visible  de  la  mer  a  été  faite  complètement. 

Enfin  les  sondes  ont  été  étendues  sur  toute  la  surface 
d'environ  1600  milles  carrés  que  limite  au  large  la  courbe 
de  fonds  de  20  mètres;  la  longueur  totale  des  lignes  de 
sondes  est  d'environ  5000  milles. 

La  ligne  de  fends  de  20  mètres  s'écarte  jusqu'à  40  milles 
du  rivage;  la  côte  étant  basse  et  généralement  invisible  au 
delà  de  5  ou  6  milles,  il  a  fallu,  pour  déterminer  la  position 
des  sondes  plus  éloignées,  recourir  à  l'emploi  de  signaux 
flottants  solidement  tenus  sur  le  fond  et  rattachés  par  une 
triangulation  aux  points  remarquables  de  la  côte. 

Les  opérations  ont  amené  la  découverte,  dans  le  canal 


ET   SUR  LES  PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.       J65 

compris  entre  la  côle  et  les  îles  Kerkennab,  d'une  passe 
plus  profonde  de  1  mètre  que  celle  qui  était  pratiquée  jus- 
qu^ici.  Cette  passe  nouvelle,  accessible  aux  navires  d'un 
tirant  d'eau  de  4  mètres,  procure  une  diminution  de  trajet  de 
100  milles  à  la  navigation  côtière. 

On  a  étudié  le  régime  des  marées  qui  sont,  à  Sfax,de  {""jS 
à  2  mètres  et  des  observations  ont  été  faites  sur  les  courants. 
En  résumé  la  reconnaissance  de  la  côte  de  Tunisie  est 
achevée  de  la  frontière  algérienne  au  golfe  de  Gabès;  ce 
levé  ne  comprend  pas  moins  de  cinquante  feuilles  du  format 
grand-aigle. 

MM.  les  ingénieurs  hydrographes  Renaud  et  RoUet  de 
risle,  membres  de  la  Société  de  Géographie,  ont  fait  par 
ordre  de  M.  le  vice-amiral  Courbet  le  levé  des  chenaux 
intérieurs  de  la  côte  du  Tong-King  septentrional,  depuis  la 
baie  de  Ha-long  jusqu'à  Tsang-Mui-Tao,  à  une  dizaine  de 
milles  du  cap  Paklung.  Ils  ont  réussi  à  débrouiller  le 
chaos  des  îles  qui  avoisinent  la  baie  de  Faï-tzi-long.  Les 
caries  qu'ils  ont  envoyées  au  Dépôt  de  la  Marine  et  qui  sont 
publiées  en  majeure  partie,  fixent  la  position  de  plus  de 
mille  îles  et  rochers  ;  elles  donnent  les  chenaux  qui  sillon- 
nent cet  archipel  et  qui  mènent  aux  gîtes  houillers  de  Hon- 
Gay,  de  Kebao,  etc.  Ils  ont  exploré  en  détail  la  baie  de 
Hon-Gay  et  les  chenaux  qui  y  accèdent  de  la  baie  de 
Halong;  ils  ont  déterminé  deux  mouillages  sur  la  côte  de 
l'île  de  la  Cac-Râ,  les  ports  Rayard  et  Parseval,  ainsi  que  la 
passe  du  Volta  qui  donne  directement  accès  à  la  grande 
baie  Faï-tzi-long,  en  venant  du  large. 

Appelés  à  suivre  l'amiral  Courbet  en  Chine,  ils  ont  sondé  la 
rivière  Min,  puis  dressé  le  plan  deKelun^,  et  déterminé  des 
sondes  à  Tam-sui. 

Tandis  que  M.  Renaud  restait  avec  Tamiral  Courbet, 
M.RoUetde  Tlsle,  récemment  retourné  au  Tong-King,  était 
occupé  à  compléter  les  levés  jusqu'au  cap  Paklung  et  à  faire 
les  observations  nécessaires  pour  établir  la  triangulation 

soc.   DE  GÉOGR.  —  2*  TRIMESTRE  1885.  YI.  —  12 


166      RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

générale  des  chenaux  explorés  qui  occupent  une  étendue  de 
plus  d'un  degré  de  longitude  entre  Halong  et  Pakhoï. 

Les  cartes  originales  publiées  en  1884  par  le  Dépôt  de 
la  Marine  sont,  à  la  côte  occidentale  d'Afrique,  le  plan  du 
mouillage  du  petit  Biribi,  levé  par  M.  le  lieutenant  de  vais- 
seau Gambar. 

Pour  le  détroit  de  Magellan  et  les  canaux  latéraux,  le  Dépôt 
a  publié  les  plans  des  baies  Snug,  Butler  et  du  Volage,  avec 
le  plan  du  port  Ballenas,  levé  par  M.  Ingouf,  lieutenant  de 
vaisseau.  M.  Ingouf  a  levé  également  le  plan  de  la  rivière 
Santa-Cruz,  à  la  côte  de  Patagonie,  qui  est  en  cours  de 
publication. 

L'hydrographie  de  l'archipel  du  cap  Horn  s'est  enrichie 
des  plans  de  la  baie  Saint-Bernard  ou  Orange,  du  mouillage 
d'Oushouaia  et  de  Lapataia,  des  mouillages  des  îles  Otter  et 
de  la  Romanche,  des  baies  Lort  et  de  Saint-Joachim.  Ces 
diverses  publications  sont  le  résultat  des  travaux  exécutés 
par  les  officiers  de  la  Romanche  sous  la  direction  de  M.  le 
capitaine  de  frégate  Martial;  les  autres  levés  de  cette  mis- 
sion sont  en  cours  de  publication. 

L'Océan  Pacifique  est  représenté  dans  ces  publications 
par  la  carte  de  la  partie  de  l'île  Tahiti  située  entre  la 
rivière  Varii  et  Arupa,  levée  par  M.  le  lieutenant  de  vais- 
seau Bugard.  La  côte  entre  Arupa  et  Vaitoto,  qui  avait  été 
levée  par  M.  le  lieutenant  de  vaisseau  Agnant,  est  en  cours 
de  publication  :  cette  dernière  carte  complétera  le  levé  du 
littoral  de  Tahiti  à  grande  échelle. 

Il  y  faut  ajouter  la  carte  des  îles  Polt  et  Art  et  une  partie 
du  récif  qui  s'étend  au  nord  de  la  Nouvelle-Calédonie, 
levée  par  M.  le  capitaine  de  frégate  Ghambeyron. 

Enfin,  des  croquis  des  îles  Api  et  Ambrym  dans  les  Nou- 
velles-Hébrides ainsi  que.  des  plans  de  mouillages  dans  le 
même  archipel,  résument  ces  levés  effectués  par  les  officiers 
du  B'EstréeSy  commandé  par  M.  le  capitaine  de  frégate 
Communal. 


ET   SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      167 

Aux  parages  excentriques  de  l'Europe,  dans  le  nord  de  la 
Norvège,  nous  avons  vu  notre  collègue  M.  Charles  Rabot 
continuer  cette  année  la  tâche  depuis  longtemps  entre- 
prise. Il  a  visité  pour  la  troisième  fois  le  Svartisen,  le  grand 
glacier  de  Laponie  oîi,  après  avoir  constaté  qu'une  impor- 
tante vallée  le  sépare  en  deux  parties  distinctes,  il  a  déter- 
miné à  1300  mètres  l'altitude  moyenne  du  massif.  Les  cotes 
barométriques  recueillies  pendant  les  voyages  antérieurs 
ont  été  calculées  par  les  soins  de  M.  le  commandant  Pru- 
dent. 

D'après  M.  Rabot,  c'est  une  erreur  de  croire  que  les  gla- 
ciers de  la  Laponie  descendent  jusqu*à  la  mer.  Les  courants 
de  glace  issus  du  Svartisen  s'arrêtent  tous  à  une  certaine 
distance  ou  à  une  certaine  hauteur  avant  d'atteindre  le 
plan  de  l'eau.  Si  le  Jokûlûeld,  dans  le  Finmark,  paraît 
faire  exception  à  cette  règle,  c'est  par  suite  d'une  circons- 
tance topographique  toute  particulière.  Après  avoir  visité 
ce  que  la  géographie  botanique  appelle  la  Norvège  boréale, 
M.  Rabot  a  visité  l'Europe  arctique,  formée  par  le  stérile 
plateau  du  Finmark,  par  la  péninsule  de  Kola  et  par  les 
toundras  qui  s*étendent  du  Kanin  Noss  à  l'Oural. 

M.  Georges  Pouchet  et  M.  de  Guerne  ayaient  visité,  dans 
une  partie  de  cette  région,  la  vallée  du  Pasvig  et  l'immense 
lac  Enara  dont  il  est  l'émissaire.  Les  informations  recueil- 
lies par  ces  voyageurs  se  trouvent  complétées  et  précisées 
par  celles  que  rapporte  M.  Rabot.  La  vallée  de  Pasvig  et  le 
bassin  de  l'Ënara  forment,  entre  la  plateau  de  Fiomark  et 
la  Laponie  russe,  une  large  dépression  naguère  remplie  par 
les  eaux  de  la  mer,  comme  l'attestent  de  nombreuses  co- 
quilles subfossiles  trouvées  sur  les  bords  du  Pasvig.  Une 
immense  forôt  de  pins  couvre  toute  cette  région  que  fré- 
quentent quelques  Lapons,  quelques  Finnois,  mais  où  pul- 
lulent les  moustiques.  Le  lac  Enara,  sorte  de  mer  intérieure 
de  la  Finlande,  présente  sur  ses  rives  un  cordon  littoral,  un 
skœrgaard  composé,  dit-on,  de  plus  de  deux  mille  îlots. 


168      RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

M.  Rabol  a  déterminé  barométriquement  l'altitude  de 
l'Enara  et  d'une  centaine  de  points  sur  le  Pasvig;  il  a,  en 
outre,  levé  à  la  boussole  le  trajet  de  ce  cours  d'eau  long 
d'environ  120  kilomètres. 

S'avançant  sur  le  territoire  de  la  Laponie  russe,  il  a  re- 
monté, de  Kola  au  Notozero,  la  rivière  de  Tulom  dont  il  a 
également  effectué  un  relervé.  Les  cartes  représentant  à 
tort  comme  une  plaine  stérile  la  Laponie  russe  ou  tout  au 
moins  la  partie  du  pays  comprise  entre  Kola  et  la  frontière 
norvégienne.  Le  sol,  au  contraire,  est  accidenté  de 
chaînes  de  collines  dont  l'altitude  atteint  500  mètres;  la 
région  n'est  qu'une  immense  forêt  de  pins.  C'est  encore  une 
erreur,  d'après  M.  Rabot,  de  faire  commencer  la  toundra 
immédiatement  à  l'est  du  Yarangerfjord.  Selon  lui,  entre 
ce  fjord  et  Kola,  la  toundra  n'existe  pas  et  la  côte  russe 
jusqu'à  Kola  ne  présente  aucune  différence  avec  la  côte 
norvégienne.  En  d'autres  termes,  ceux  qui  tiendront  à 
faire  figurer  une  toundra  sur  ce  littoral  devront  la  faire 
commencer  à  Hammerfest  ou  même  plus  bas,  au-dessous 
du  cercle  polaire,  car  toutes  les  îles  de  la  côte  norvégienne 
sont  actuellement  dépouillées  de  végétation. 

Tout  en  étudiant  le  sol,  M.  Rabot  a  recueilli  de  précieuses 
informations  sur  les  habitants,  et  justice  doit  être  rendue  une 
fois  de  plus  à  la  persévérance  avec  laquelle  il  poursuit  ses 
recherches  dans  TEurope  boréale.  Il  faut  ajouter  à.  cet  hom- 
mage l'impression  du  regret  que  tant  d'observations,  tant 
de  renseignements  n'aient  pas  été  coordonnés  par  le  voya- 
geur, dans  une  œuvre  sans  laquelle  la  portée  de  ses  efforts 
ne  saurait  être  complètement  appréciée. 

Au  delà  du  Bosphore  par  lequel  nous  sortirons  de  l'Eu- 
rope, voici  cette  vaste,  belle  et  riche  Asie-Mineure  encore 
imparfaitement  connue  dans  ses  détails,  bien  qu'elle  ait  été 
déjà  très  parcourue.  Le  professeur  Henri  Kiepart  nous  en 
a  donné  dernièrement  une  carte  en  6  feuilles,  à  l'échelle  de 
1/1,500,000*  oîi,  combinés  sous  le  contrôle  d'une  critique 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      169 

érudite,  sont  venus  se  coordonner  tous  les  éléments  essen- 
tiels d'une  œuvre  de  ce  genre.  L'auteur  a  pu  même  y  ajou- 
ter de  nombreuses  informations  inédites  qu'attire  à  lui,  par 
un  légitime  privilège,  sa  compétence  indiscutée.  C'est  ainsi 
qu'une  fois  de  plus  M.  H.  Kiepert  a  pu  doter  la  géographie 
d'un  précieux  document  dans  lequel,  à  côté  des  résultats 
acquis,  apparaissent  les  lacunes  à  combler  sur  la  carte  de 
TAsie-Mineure. 

En  commençant  par  l'Arabie  notre  course  rapide  à  travers 
le  monde,  sur  les  pas  des  explorateurs  en  Asie,  nous  nous 
heurtons  à  une  tombe  récemment  ouverte;  c'est  celle  de 
Charles  Huber,  explorateur  français  doué  d'une  rare  énergie, 
d'un  ardent  bon  vouloir  et  dont  le  précédent  voyage  avait 
produit  des  résultats  bien  faits  pour  légitimer  de  belles 
espérances. 

L'Arabie  centrale  présente  encore  aujourd'hui  de  vastes 
espaces  inconnus  ou  à  peine  sillonnés  de  quelques  lignes 
de  marche  insuffisamment  relevées.  Charles  Huber  nous  a 
donné,  au  Bulletin  de  cette  année,  une  relation  de  son 
voyage  accompli  de  1879  à  1881,  avec  une  carte  des  routes 
qu'il  avait  parcourues.  Cette  carte  est  pour  ainsi  dire  la  pre- 
mière base  solide  dont  la  géographie  dispose  pour  le  figuré 
de  ces  contrées. 

Chargé  d'une  nouvelle  mission  du  Ministère  de  l'Instruc- 
tion publique,  C.  Huber  partait  de  Damas  le  28  juillet  1883. 
C'est  d'abord  la  Bâdlyet^ech-Châm  qui  l'attire  dans  la  di- 
rection de  l'Euphrate,  puis  c'est  le  Djebel-Hauran,  au  sud 
de  Damas.  Ces  premières  excursions  terminées,  il  reprend 
son  ancien  itinéraire  jusqu'au  Djouf,  d'où  il  complète  sa 
carte  vers  le  nord-est,  jusqu'à  Sekâka  et  à  Athouer.  Du 
chef-lieu  de  l'oasis  de  Djouf,  où  il  était  entré  dans  l'émirat 
de  Chammar,  Huber,  pour  ne  citer  que  les  parties  nouvelles 
de  ses  itinéraires,  visite  Qefâr,  puis  le  massif  du  Djebel-Agjâ 
qu'il  étudie  dans  tous  ses  détails.  Il  repart  ensuite  de  Haîl 
pour  Teïmâ,  c'est-à-dire  dans  l'ouest,  s'arrêtant  aux  monts 


170  RAPPORT  SUR  LSS  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Serra  et  Mismâ;  près  de  ce  dernier  il  copie,  sur  les  rochers, 
de  premières  gravures  égyptiennes,  témoignage  irrécusable 
que  le  centre  -de  TArabie  septentrionale,  comme  le  Sahara 
au  sud  de  Tunis,  a  gravilé  jadis  dans  Taire  de  l'antique  ci- 
vilisation qui  s'était  épanouie  sur  les  bords  du  Nil. 

A  El-Mehadjdjé,  autre  station  sur  une  nouvelle  variante 
de  cette  route,  il  découvre  de  nombreuses  inscriptions  sé- 
mitiques. Mais  à  Teïma  l'attendait  une  récolte  plus  précieuse 
encore,  une  jstèle  araméenne  d'une  exceptionnelle  valeur 
et  plusieurs  autres  épigraphes  araméens.  Huber  reprend  là 
ses  traces  du  premier  voyage  pour  gagner  les  vieux  sanc- 
tuaires de  Qala'at  El  Hidjdjr;  on  peut  qualifier  ainsi  ces 
ruines,  car  leur  dénomination  .arabe  (Hidjdjr)  est  aussi  celle 
d'un  des  murs  d'enceinte  de  la  qu'aba  de  La  Mekke  mu- 
sulmane; la  disposition  des  monuments,  les  belles  caves 
mortuaires,  sortes  de  catacombes  embellies  par  l'architec- 
ture,  répondent  d'ailleurs  bien  à  notre  interprétation.  Ici, 
des  inscriptions  en  caractères  inconnus,  une  tête  de  Moloch, 
le  dieu  phénicien,  là  des  inscriptions  araméennes,  coufiques 
et  arabes  modernes  viennent  grossir  la  récolte  du  mis* 
sionnaire.  Il  quitte  El  Hidjdjr  juste  à  temps  pour  échapper 
à  une  troupe  de  bandits  qui  venaient  l'y  surprendre.  En  re* 
tournant  à  Teîmâ,  par  un  chemin  nouveau  jusqu'au  Djebel- 
Helouân,  il  fait  la  découverte  de  très  belles  inscriptions  ara- 
méennes et  thamoudéenneset  de  la  figure  d'un  dieu  égyptien. 
Puis  c'est  le  figuré  complet  du  Djebel  Arnàn,  à  peine 
amorcé  sur  sa  première  carte,  qui  réclame  ses  soins. 

A  Hâîl,  capitale  de  l'émirat  de  Ghammar,  Huber  occupe 
utilement  ses  loisirs  à  réunir  une  quantité  de  renseigne* 
ments  relatifs  à  toute  la  partie  nord  de  l'Arabie  et  surtout  à 
ses  habitants.  Peut-être  aurons-nous  à  regretter  la  perte  du 
cahier  sur  lequel  il  avait  groupé  tous  ses  renseignements 
relatifs  aux  tribus  et  à  leurs  subdivisions.  Il  s'est  occupé  aussi 
à  dresser  l'inventaire,  par  informations,  de  tous  les  animaux 
qui  composent  la  faune  de  la  région  des  Nefoûd  ou  dunes 


ET  SUR   LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      171 

de  Sable  du  nord  de  l'Arabie  et  de  la  région  montagneuse 
du  Djebel  Ghammar.  Il  est  intéressant  de  trouver  dans  cet 
inventaire  une  indice  de  l'homogénéité  de  la  zone  saharienne 
qui  empiète  ici  sur  l'Arabie  ;  dans  les  dunes  de  sable  des 
Nefoûd,  on  voit  à  côté  des  plantes  de  l'Erg,  l'antilope  leu- 
coryx  qui  porte  ici  le  nom  arabe  du  moufflon  à  manchettes, 
la  gazelle  rim,  les  vipères  les  plus  dangereuses  et  les  plus 
rares  du  Sahara.  Dans  le  Djebel  Ghammar  c'est,  sous  un 
autre  nom  (el-fa'fd'a),  la  zorreig  de  Arabes,  la  seffeltès  des 
Touaregs  Vechis  carinata  des  erpétologistes,  qui,  pourvue 
de  crochets  à  venin,  saute  sur  son  ennemi  comme  projetée 
par  un  ressort. 

Après  une  lointaine  excursion  dans  le  sud,  en  pays  par- 
tiellement inconnu,  à El^Çelaîliyé  et  au  Djebel-Serra,  Huber 
tomba  malade  à  Hâîl.  L'emir  Mohammed  ben  Rechid,  sou- 
verain du  Ghammar,  se  préoccupait  beaucoup  du  mahedi 
de  Dongola,  Mohammed  ben  Amed  ;  il  se  demandait,  d'une 
part,  si  ce  chef  de  mouvement  était  bien  le  réformateur,  le 
guide  annoncé  par  les  prophéties  et  d'autre  part,  si  l'occu- 
pation de  l'Egypte  par  l'Angleterre  aurait  une  un.  Il  con- 
seilla à  Huber  de  se  donner  pour  un  musulman  de  l'Srâq 
persan,  s'il  voulait  passer  par  les  villes  saintes  de  l'Islam.  Ge 
conseil  était  très  sage  ;  malheureusement  il  n'eut  pas  le  ré- 
sultat que  l'émir  du  Ghammar  en  attendait,  car  Huber  était 
déjà  reconnu  pour  un  infidèle* 

De  Hâîl  à  Bereîda,  Huber  repassait  sur  un  terrain  qu'il 
connaissait  déjà.  De  Bereîda  à  La  Mekke  son  itinéraire  che- 
vauche sur  celui  de  M.  Mac  Doughty,  mais  les  indications 
géographiques  publiées  jusqu'à  ce  jour  par  le  voyageur  an- 
glais sont  quelque  peu  vagues  et  il  faut  attendre  la  cons 
truction  de  l'itinéraire  beaucoup  plus  précis  de  Gharles 
Huber  pour  décider  quelles  sont  les  parties  communes  aux 
deux  explorateurs. 

Au  passage  sur  le  territoire  des  villes  saintes»  qui  a  ses 
limites  très  arrêtées,  Huber  ne  put  méconnaître  les  sym- 


172  RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

plômes  de  méfiance  et  de  haine  fanatique  dont  il  était  l'ob- 
jet. La  renommée  qui  l'avait  précédé  avait  trahi  son  véri- 
table caractère.  Pourtant,  en  arrivant  sous  les  murs  de  La 
MekkCy  il  reçut  la  visite  d'un  chérif.  Ce  pieux  personnage, 
poli  et  convenable  comme  le  sont  tous  ses  concitoyens, 
engagea  Huber  à  transporter  sa  tente  sous  le  Djebel-Qoubaïs 
où  il  serait  mieux  abrité  ;  le  chérif  n'ajouta  pas,  il  est  vrai, 
que  là  le  voyageur  serait  facilement  surveillé  par  les  hôtes 
d'une  zaouya  senoûsienne. 

Quoiqu'il  en  soit,  il  réussit  à  gagner  Djedda  où  il  fut 
reçu  par  notre  consul  M.  de  Lostalot,  et  put  se  rendre 
compte  de  la  gravité  de  sa  situation. 

Mais  il  n'avait  pas  encore  accompli  la  mission  dont  il  était 
chargé;  il  fallait  aller  rechercher  dans  l'intérieur  des  monu- 
ments épîgraphiques  promis  à  l'Académie  des  Inscriptions 
et  Belles  Lettres.  N'écoutant  donc  que  le  sentiment  du  devoir 
et  bien  que  conscient  du  danger  auquel  il  marchait,  Huber  se 
remit  en  route.  Dans  le  milieu  du  mois  d'août  la  nouvelle  nous 
parvenait  qu'il  avait  été  assassiné  par  l'un  de  ses  serviteurs 
dansun  endroit  nommé  Kassar-Alia,  à  quatre  jours  de  marche 
de  Djeddah  et  près  de  Rabegh,  point  de  la  côte  d'Arabie. 
Quelque  temps  avant  de  quitter  Djeddah,  le  malheureux 
voyageur  avait  adressé  à  la  Société  de  Géographie  son  jour- 
nal de  voyage,  plein  d'informations  précieuses  qui  attendent 
encore  une  élaboration,  mais  qui  éclaireront  vivement  le 
présent  et  le  passé  du  nord  de  l'Arabie.  Les  itinéraires  et 
les  croquis  topographiques  soigneusement  levés  renferment 
toutes  les  indications  désirables  sur  la  région  parcourue. 
De  fréquents  tours  d'horizon,  de  nombreuses  observations 
de  hauteur  méridienne  du  soleil  apportent,  en  outre,  de 
précieux  éléments  pour  la  construction  de  Titinéraire  du 
voyageur.  Enfin  l'épigraphie  sémitique  sera  redevable  à 
G.  Huber  de  plus  de  cent  copies  d'inscriptions  antiques 
qu'il  a  consignées  sur  ses  cahiers  de  route. 
En  pénétrant  dans  l'intérieur  de  l'Asie,  nous  aurons  à 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      173 

signaler  un  intéressant  itinéraire  accompagné  d'un  levé  et 
dont  Fauteur  est  un  Français. 

M.  Delaplanohe,  ingénieur  civil,  se  rendant  à  Pinang  où 
TattendaitM.  François  Deloncle  pour  entreprendre  Texplo- 
ration  de  la  péninsule  malaise,  a  traversé  la  Perse  presque 
directement  du  nord  au  sud,  de  Recht,  sur  la  mer  Caspienne, 
à  Bender  Bouchir  sur  le  golfe  Persique. 

Il  a  relevé  le  long  de  la  route  les  accidents  topographi- 
ques du  terrain  et  les  éléments  d'un  profit  de  la  contrée 
traversée.  La  Société  espère  que  M.  Delaplanche  voudra  bien 
lui  exposer  les  résultats  de  ce  voyage  qui,  sur  quelques 
parties,  s'est  accompli  en  dehors  des  lignes  suivies  par  les 
précédents  explorateurs. 

Les  notions  sur  l'énorme  soulèvement  du  Pamir  ont  passé 
par  une  série  de  phases  assez  confuses,  et  il  faut  admirer 
le  travail  dans  lequel  le  savant  colonel  Yule,  Tiin  de  nos 
membres  correspondants  étrangers,  résumait,  dans  une 
savante  introduction  à  l'ouvrage  de  Wood  *,  les  données  com- 
plexes, souvent  contradictoires,  de  la  géographie  du  c  Toit 
du  Monde  ».  Depuis  lors,  une  série  de  voyages  accomplis 
soit  par  des  Anglais,  soit  surtout  par  des  Russes,  avaient  peu 
à  peu  déterminé  les  lignes  hydrographiques  principales  de 
cette  singulière  région.  Dans  le  courant  de  l'année  a  paru  le 
résqmé  d'une  exploration  russe  qui  achève  presque  com- 
plètement de  fixer  les  géographes  au  sujet  du  Pamir. 

En  1883,  un  géologue,  M.  Ivanof,  accompagné  de  deux 
officiers  topographes,  les  capitaines  Putiata  et  Benderski, 
ont  sillonné  le  Pamir  d'itinéraires  heureusement  combinés. 

Tantôt  cheminant  ensemble,  tantôt  se  séparant  pour  em- 
brasser une  plus  grande  étendue  de  pays,  les  membres  de 
celte  expédition  suivirent  un  itinéraire  très  compliqué  qui, 
du  col  de  Kizil-Art,  dans  l'Alaï,  et  des  rives  du  grand  Kara- 
Koul,  les  amena  à  visiter  successivement  toute  la  partie 

1.  Introduction  à  :  Joumey  to  the  source  of  the  river  OoJttS,  Wood. 


174      RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

orientale  et  divers  points  très  importants  de  la  partie  sud 
du  vaste  massif  pamiréen. 

Malgré  de  nombreuses  et  rudes  difficultés^  les  explora- 
teurs réussirent  à  dresser  la  carte  de  la  contrée  parcourue, 
en  rattachant  leurs  observations  à  celles  des  explorateurs 
anglais  qui  les  avaient  précédés.  En  outre,  ils  ont  déterminé 
l'altitude  d'environ  trois  cents  points  et  recueilli  de  pré- 
cieuses données  sur  la  géographie  physique  et  sur  la  consti- 
tution géologique  de  la  contrée. 

Des  études  auxquelles  s'est  livrée  l'expédition  de  M.  Iva- 
nofy  il  résulte  qu'au  point  de  vue  topographique  la  dénomi- 
nation de  Pamir  doit  être  restreinte  à  une  seule  région 
formée  par  un  haut  plateau  dénué  de  toute  végétation,  et 
qu'il  ne  faut  point  l'appliquer  à  telles  ou  telles  autres  par- 
ties du  pays  dont  on  avait  fait  jusque-là  comme  autant  de 
Pamirs  partiels  :  Pamir  Alichour,  Pamir  Serez,  Pamir  Kar- 
goche,  etc.  Les  régions  ainsi  dénommées  n'ont,  en  effet, 
aucun  trait  caractéristique  commun  avec  le  vrai  Pamir,  et 
les  indigènes  les  désignent  simplement  sous  les  noms  des 
Alichour,  Serez,  Kargoche,  etc. 

Le  nom  de  «  Pamir  »  appartient  aussi  à  la  rivière  qui  sort 
du  Zor-Koul  (ou  Grand  Lac)  et  qui  est  un  des  affluents  du 
Pandsch. 

Le  Pamir  proprement  dit  est  assez  nettement  limité  :  au 
nord,  par  les  monts  Aiai;  au  sud,  par  l'Hindou-Kouch;  à 
l'est,  par  les  montagnes  deKachgarie;  à  l'ouest,  par  une 
ligne  qui  siiit  l'origine  des  premiers  champs  cultivés.  Cette 
ligne  partirait  de  Kala-Pandj, passerait  par  Tcardym-Tchar- 
pan  sur  le  Kund,  Tach  Kourgan  sur  le  Mourghab,  Altyn 
Mazar,  sur  le  Mouk-SoU|  pour  aboutir  à  Daraout-Kourgan, 
dans  l'Alaï. 

Circonscrit  de  la  sorte,  le  Pamir  se  divise  en  une  partie 
orientale  ou  région  des  prairies  et  une  partie  occidentale 
ou  région  des  montagnes. 

La  région  des  prairies,  plateau  de  3000  à  4000  mètres  d'al- 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUESé      175 

titude,  est  caractérisée  par  des  vallées  couvertes  de  riches 
pâturages,  analogues  à  celles  du  haut  Alaï,  aux  sources  de 
TAksou  et  à  celles  del'Istyk;  analogue  aussi  aux  terrains 
sablonneux  des  sources  du  haut  et  du  bas  Gtièze  et  du 
Koche-Aghile. 

La  région  des  montagnes  se  distingue  de  la  précédente 
en  ce  que  les  vallées  disparaissent,  pour  ainsi  dire,  ou  plutôt 
se  réduisent  à  des  gorges  étroites  et  profondes,  resserrées 
entre  les  montagnes.  Les  ruisseaux  se  transforment  ici  en 
torrents  qui  s'ouvrent  difficilement  un  passage  à  travers 
les  rochers.  Les  vallées  ne  sont  souvent  qu'un  défilé  d'un 
accès  difficile,  comme  celle  de  Mourghab  près  du  Roschan, 
ou  bien  elles  s'élargissent  et  se  rétrécissent  alternativement, 
comme  celle  du  cours  de  la  rivière  de  Pamir. 

Un  autre  résultat  de  l'expédition  deMM.Ivanof,Putiata  et 
Benderski  est  la  solution,  qui  paraît  définitive,  de  la  ques- 
tion du  Bolor,  cet  ensemble  de  montagnes  qu'on  représen- 
tait comme .  perpendiculaire  aux  systèmes  du  Tian-Chan 
et  de  l'Hindou-Kouch.  Or,  non  seulement  cette  chaîne 
n'existe  point,  comme  on  l'avait  du  reste  déjà  reconnu,  mais 
M.  Ivanof  n'accepte  môme  pas  la  théorie  de  M.  Severtzov 
relative  à  l'existence  d'une  ligne  de  hauteurs  qui  se  distin- 
gueraient par  des  caractères  géologiques  spéciaux. 

Les  explorateurs  ont  constaté  ainsi  quel'lstykjl'Aksou,  et 
par  conséquent  leMourghab,  de  même  que  la  rivière  qui  sort 
du  grand  lac  Pamir  (Zor-Koul),  ont  leurs  sources  dans  les 
montagnes  du  sud,  c'est-à-dire  dans  celles  du  Wakhan,  et  non 
dans  celles  du  nord  qui  séparent  le  bassin  du  Pamir  de  celui 
del'Alichour,  comme  on  le  croyait  jusqu'à  présent. 

Tandis  que  l'expédition  accomplissait  son  œuvre  difficile, 
un  autre  voyageur  russe,  le  docteur  Regel,  qui  a  déjà  rendu  à 
la  géographie  des  services  considérables,  continuait  ses  explo- 
rations dans  le  Darwaz  et  le  Ghugnan,en  particulier  le  long 
du  cours  du  Pandsch.  De  ce  côté-là  aussi  nos  connaissances 
ont  pris  un  caractère  sinon  définitif,  du  moins  plus  précis. 


176     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

En  somme,  la  région  où  naît  l'Amou-Daria  nous  est 
maintenant  connue  dans  ses  traits  généraux. 

L'un  des  principaux  bras  de  ce  fleuve,  le  Kizil-Sou  ou 
Sourkhab,  appartient  à  l'immense  vallée  de  TAlaï,  dont  la 
topographie  a  été  si  bien  étudiée  par  les  voyageurs  Fedt- 
chenko^  Severtzov  et  autres. 

Le  second  bras  encore  plus  important  de  l'Amou-Daria, 
le  Pandsch,  qui,  par  ses  affluents  principaux,  appartient  à 
la  région  du  Pamir,  a  été  exploré  avec  un  soin  tout  particu- 
lier par  le  docteur  Regel,  dont  les  observations  sont  venues 
compléter  celles  des  précédents  voyageurs  et  se  relier  à 
celles  que  le  pundit  M.-S.  avait  recueillies,  de  1878  à  1881, 
sur  le  cours  supérieur  de  cette  rivière  et  sur  son  affluent  le 
Wakban-Daria. 

Tous  les  différents  tributaires  du  Pandscb,  le  Wakban- 
Daria,  le  Mourghab,  le  Kund,  le  Pogouzboulak  et  la  rivière 
de  Pamir,  ont  du  reste  été  étudiés  aussi  et  reconnus  jusque 
dans  leurs  sources  par  l'expédition  de  M.  Ivanov. 

A  part  quelques  régions  actuellement  réduites  en  étendue, 
il  ne  reste  plus  guère,  dans  la  géographie  de  cette  région 
centrale  de  l'Asie,  d'autre  lacune  que  celle  qui  concerne  la 
partie  orientale  du  Darwaz,  c'est-à-dire  le  pays  compris,  au 
nord  du  Mourghab,  entre  le  Pandscb  à  l'ouest,  le  Tatka- 
Korum  et  la  Koudara  à  l'est. 

De  nouvelles  reçues  au  Ministère  des  Affaires  étran- 
gères de  Russie,  il  résulte  que  le  10  mars  dernier,  le 
colonel  Prjévalski  se  trouvait  aux  temples  des,  idoles 
de  Tcheibssen.  11  y  était  arrivé  sans  trop  de  difficultés, 
en  traversant  l'Alashan  méridional  et  la  chaîne  de  Khan- 
sou.  Il  devait  partir  avec  une  escorte  de  quatorze  de  ses 
cosaques  pour  les  sources  du  Hohang-ho,  s'avancer  sur  le 
territoire  de  Tsiamdo  et  revenir  à  la  fin  d'août  à  Zaïdam. 
Le  voyage  à  L'Hassa  était  projeté  pour  l'automne  ;  si  l'en- 
trée de  cette  cité  sainte  lui  était  interdite,  M.  Prjévalski 
se  proposait  d'explorer   le  Tibet  septentrional  jusqu'au 


ET  SUR  LES  PROGRÉS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      177 

Lop  Noor,  et  de  s'avancer  [aussi  loin  que  possible  vers  le 
sud. 

La  Société  adresse  ses  vœux  de  réussite  au  colonel 
Prjévalskiy  dont  Tinfatigable  labeur  a  déjà  valu  à  la  géo- 
graphie tant  de  belles  acquisitions. 

Le  dernier  rapport  nous  signalait  les  études  dirigées  en 
1882  dans  l'isthme  de  Kra,  partie  étroite  de  la  péninsule 
malaise,  par  MM.  les  consuls  Harmand  et  François  De- 
loncle,  puis,  en  1883,  par  MM.  le  lieutenant  de  vaisseau  Bel- 
lion  et  les  ingénieurs  Bourgery,  Delaplanche  et  Schlussel, 
assistés  de  deux  commissaires  siamois,  les  commandants 
Touan  et  Loftus.  Pour  des  motifs  étrangers  à  la  géographie, 
M.  Deloncle  n'a  pas  cru  devoir  publier  encore  les  rapports 
de  la  mission  française. 

Il  ressort  néanmoins,  de  communications  particulières 
reçues  par  la  Société,  que  l'isthme  de  Kra  proprement  dit, 
les  vallées  du  Paktchan,  du  Saoui  et  du  Langsuen  ont  pu 
être  relevées  très  exactement  Une  coupe  géologique  de  la 
péninsule  par  10^30'  de  latitude  nord  a  été  obtenue,  et  des 
travaux  hydrographiques  ont  fixé  la  ligne  des  côtes  des 
golfes  de  Bengale  et  du  Siam,  aux  extrémités  de  la  ligne 
étudiée. 

Afin  de  compléter  cette  enquête  sur  la  possibilité  du  per- 
cement d'une  voie  maritime  internationale  à  travers  la 
péninsule,  M.  F.  Deloncle  est  reparti  de  Bangkok  au  mois 
de  février  dernier;  il  était  accompagné  de  M.  Paul  Macey, 
d'uningénieuranglais,M.  Davidson,  du  commandant  Jouan, 
commissaire  siamois,  puis  de  M.  l'ingénieur  Delaplanche, 
qui  est  venu  le  rejoindre  à  Pinang. 

Après  avoir  relevé  la  péninsule  depuis  l'isthme  de  Kra 
jusqu'à  7°30'  de  latitude  nord  et  visité  les  îles  Samuie  qui 
forment  l'archipel  le  moins  connu  mais  le  plus  intéressant 
du  golfe  de  Siam,  l'expédition  a  pénétré  dans  la  péninsule 
malaise  à  la  hauteur  de  Singora,  par  7**14'  de  latitude  nord, 
où  elle  a  reconnu  l'existence  d'un  État  sam-sam,  c'est- 


178      RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

à-dïre  de  métis  de  Malais  et  de  Siamois,  ancien  repaire  de 
pirates  et  semi-indépendant  du  Siam.  Des  canaux  larges  et 
profonds  s'enfonçant  dans  les  terres  ont  conduit  ensuite 
M.  Deloncle  et  ses  compagnons  dans  une  mer  intérieure 
nommée  Talé-Sale,  où  ils  étaient  les  premiers  Européens  à 
pénétrer.  Profond  d'environ  6  mètres,  large  sur  un  point 
de  12  milles  et  long  de  45,1e  Talé-Sale  présente  la  configu- 
ration la  plus  étrange:  il  est  semé  d'îles  de  calcaire  com- 
pacte et  couvertes  de  nids  d'hirondelles.  Douce  pendant  la 
mousson  de  nord-est^  salée  pendant  la  mousson  de  sud- 
ouest,  cette  mer  sépare  la  péninsule  proprement  dite  de  l'île 
Tantalan,  la  Ko'-Yaï  des  Siamois,  par  un  ensemble  d'ar- 
royos  dont  les  uns  aboutissent  à  Singora  au  sud,  les  autres 
à  Lacon  au  nord.  Après  l'avoir  parcourue,  l'expédition  dé- 
barqua par  T^'^O'de  latitude  nord  sur  la  côte  ouest,  à  Taloung, 
où  un  rajah  sam-sam,  maître  des  pays  de  Taloung  et  de 
Plian,  lui  fournit  des  éléphants  pour  traverser  la  péninsule. 

On  releva  d'abord  une  magnifique  plaine  de  rizières  de 
12  milles  de  large,  sur  les  bords  du  Klong  Taloung,  puis  on 
atteignit,,  au  col  du  Khau-Phra,  la  chaîne  des  monts  Louang 
qui  forme  l'arête  de  la  péninsule.  L'expédition  descendit 
ensuite  dans  le  bassin  du  Trangqui  va  au  golfe  du  Bengale. 
Une  plaine  de  rizières  s'étend  également  de  la  montagne  à 
la  ville  de  Trang  où  un  rajah  chinois  règne  sur  une  popu- 
lation plutôt  malaise  que  sam-sam.  De  Trang  on  gagna  Pi- 
nang  en  faisant  une  reconnaissance  hydrographique  de  toute 
la  côte  jusqu'ici  mal  connue.  Au  mois  d'avril,  MM.  Dela- 
planche,  Paul  Macey  et  E.  Hardouin,  partaient  de  Pinang 
pour  aller  compléter  l'exploration  du  Talé-sale  et  de  l'isthme 
de  Taloung.  Ils  parcoururent  dans  tous  les  sens  les  États  de 
Trang,  Taloung,  Laoon,  Singora  et  Stouil.  Ce  dernier  terri- 
toire, absolument  malais,  est  situé  au  sud  du  pays  de  Trang. 

De  retour  au  mois  de  juin,  les  ingénieurs  ont  rapporté 
des  coupes  géologiques  de  toute  la  région  traversée,  et  l'a- 
nalyse des  échantillons  faite  à  l'École  des  Mines  a  révélé 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      179 

i*exîstence,  dans  cette  terra  incognitay  de  nombreux  gise- 
ments de  quartz  aurifères,  d'étain  et  de  fer.  Des  observa- 
tions ethnographiques  sur  les  Sam-Sam»  leur  constitution 
politique,  leurs  habitudes  de  piraterie,  ont  pu  être  achevées 
très  heureusement  et  nous  avons  le  droit  d'espérer  que  le 
rapport  de  Texpédition  de  M.  François  Deloncle  intéressera 
vivement  la  science  géographique  ;  puissent  les  circonstances 
en  permettre  bientôt  la  publication. 

En  quittant  Pinang,  M.  F.  Deloncle  a  visité  Tarchipel 
Mergui,  puis  gagné  Rangoun  d'où  il  est  monté,  par  Tir- 
aouady,  dans  la  Haute-Birmanie. 

Dans  l'île  de  Ceylan  M.  Colombo  et  M.  F.  Deloncle  ont 
étudié  avec  succès  le  projet  de  percement  d'un  canal  mari- 
time entre  Ceylan  et  la  péninsule  de  l'Indoustan  par  llle  de 
Ramesveram.  Ces  intéressants  travaux  auront  contribué  à 
fixer  la  géographie  du  canal  de  Pamben  et  de  la  série  des 
îlots  rocheux  qui  forme  le  fameux  pont  de  Rama  ou  d'Adam, 
de  l'Hindoustan  à  Sérendib. 

Pour  rindo-Chine^  le  fait  important  à  signaler  est  le 
remarquable  voyage  accompli  par  le  docteur  Paul  Neis, 
médecin  de  1"^*  classe  de  la  marine,  dans  des  parties  inex- 
plorées du  haut  Mékong, 

Trois  voyages  antérieurs  dans  lesquels  M.  Neis  avait 
visité  le  pays  des  Mois  et  découvert  les  sources  du  Dognenaï, 
puis  des  nouvelles  du  dernier  voyage,  qui  nous  parvenaient 
de  temps  à  autre,  avaient  déjà  attiré  l'attention  sur  cet 
explorateur  distingué.  Son  retour  permet  aujourd'hui  d'ap- 
précier l'importance  de  l'exploration  qu'il  vient  d'achever. 

'M.  Neis  partait  de  Saïgon  en  décembre  1882,  n'ayant  pour 
toute  escorte  que  deux  jeunes  interprètes  annamites  et  deux 
miliciens  indigènes;  il  remontait  le  Mékong  jusqu'à  l'un  de 
ses  affluents  encore  inexploré,  qu'il  suivait  avec  ses  pirogues, 
jusqu'au  village  nouveau  appelé  Muong  Nhiam,  non  loin  de 
Tha-thome,  par  18°57'54''  de  latitude  nord.  La  rivière  en  ce 
point  cesse  d'être  navigable.  Franchissant  alors  un  massif 


180      RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

montagneux  élevé,  M.  Neis  parvient  sur  un  vaste  plateau, 
centre  du  pays  dePhoueuns.  Des  bandes  de  pirates  chinois, 
sortes  de  Pavillons-Noirs  qui,  sous  le  nom  de  Hôs,  envahis- 
sent peu  à  peu  la  contrée,  avaient  chassé,  il  y  a  dix  ans, 
le  roi  des  Phoueuns  de  sa  capitale  Heing  Kouang,près  dès 
sources  du  Nam  Ngoun.  Il  s'était  alors  bâti  une  petite  for- 
teresse à  Muong  Ngan,  par  WH'H"  de  latitude  nord.  Deux 
missionnaires  français  qui,  venus  de  la  côte  d'Annam,  habi- 
taient depuis  un  an  cette  localité,  purent  fournir  au  voya- 
geur des  renseignements  précieux  soit  sur  le  pays  absolument 
nouveau  des  Phoueuns,  soit  sur  les  routes  qui  le  font  com- 
muniquer avec  le  Tong-King. 

M.  Neis  avait  formé  le  projet  de  gagner  Luang  Prabang 
par  une  route  que  nul  avant  lui  n'avait  parcourue,  quand  il 
apprit  qu'une  petite  forteresse,  située  à  16  kilomètres  au 
nord  de  Muong  Ngan,  venait  d'être  prise  par  les  Hôs;  qu'il 
fallait  s'attendre  d'un  moment  à  l'autre  à  voir  arriver  ces 
hordes  de  pillards,  grossies  des  sauvages  de  la  montagne, 
des  Khas  Pouthangs.  Les  trois  Européens  qui  seuls  eussent 
opposé  une  résistance,  d'ailleurs  absolument  inutile,  durent, 
devant  la  marche  rapide  de  l'ennemi,  quitter  la  place  en  y 
abandonnant  la  plus  grande  partie  de  leurs  bagages.  Les 
missionnaires  "se  retirèrent  vers  la  côte  d'Annam  et  le  docteur 
Neis  redescendit  le  Nam  Sau,  pour  gagner  Luang  Prabang 
par  la  voie  du  Mékong. 

A  Paklay  on  quitte  les  barques  et  le  voyage  se  continue 
à  dos  d'éléphant,  afin  de  passer  plus  facilement  à  gué  les 
nombreux  affluents  de  droite  du  Mékong.  Le  voyage  se 
poursuit  le  long  de  la  ligne  de  partage  des  eaux  entre  le 
Muong  Hoa  et  la  Thadua. 

Cependant  la  saison  des  pluies  qui  rendait  les  routes  im- 
praticables, puis  les  fièvres  dont  lui-même  et  ses  compa- 
gnons de  route  subissaient  de  violentes  atteintes,  forcèrent 
M.  Neis  à  séjourner  pendant  plusieurs  mois  à  Luang  Pra- 
bang. Cette  inaction  forcée,  il  l'employa  à  recueillir  des 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      181 

renseignements  sur  le  pays,  à  nouer  des  relations  utiles 
avec  les  personnages  qui  entourent  le  roi  de  Luang  Pra- 
bang. 

Dans  ses  excursions,  il  reconnaît  le  Nam  Kan^  qui  décrit 
un  immense  circuit  autour  du  massif  de  Pou  Soan,  de  sorte 
qu'après  une  navigation  de  six  jours  les  voyageurs  ne  se 
trouvent  guère  à  plus  de  50  kilomètres  au  sud-est  de  Luang 
Prabang,  au  grand  village  de  Nleng  Ngoun;  là,  dans  la 
crainte  des  Hôs,  on  leur  interdit  de  pousser  plus  loin. 

Enfin,  après  de  nouveaux  retards  causés  par  la  grande  fête 
des  eaux,  à  laquelle  le  docteur  Neis  avait  été  gracieusement 
invité  à  assister,  il  put  entreprendre  l'exploration  du  Nam 
Hou,  puissante  voie  fluviale  qui  naît  dans  les  montagnes 
du  Yunnan  et  dont  le  cours  n'était  indiqué  jusqu'ici  sur 
les  cartes  que  par  un  trait  pointillé.  Pendant  quinze  jours, 
M.  Neis  remonta  de  rapides  en  rapides,  levant  avec  un  soin 
attentif  le  cours dufleuve,  jusqu'à  Muong  Qua,  par  HHViT 
de  latitude  nord.  Au  delà  sont  les  Pou  Noï,  à  peine  tribu- 
taires de  l'État  de  Luang. 

La  situation  politique  rendait  impossible  à  M.  Neis  de 
rentrer  par  le  Tongking;  il  se  décida,  en  conséquence,  à 
revenir  par  l'ouest,  en  choisissant  la  voie  de  Xieng  Mai,  la 
moins  connue,  la  plus  intéressante  et  sur  laquelle  un  seul 
voyageur  européen,  le  docteur  Garl  Bock,  Ty  avait  précédé. 

Remontant  le  Mékong  jusque  près  de  Xieng  Sen,  M.  Neis 
suit  le  Nam  Kok,  affluent  inexploré  du  Mékong,  et  parvient 
à  Xieng  Haï.  De  là,  il  gagne  Xieng  Maï  en  franchissant  à  dos 
d'éléphant  la  distance  qui  sépare  ces  deux  points.  De 
Lakone,  il  continue  son  voyage  en  pirogue  jusqu'à  Laheng, 
d'où  une  jonque  l'amène  à  Bangkok. 

Désireux  de  finir  par  une  visite  aux  ruines  d'Angkor, 
M.  Neis  débarque  à  Ghantaboum  et  se  rend  à  pied  à  Battam- 
bang,  en  traversant  la  fameuse  plaine  des  saphirs,  où  5  à 
6000  Birmans  sont  occupés  à  rechercher  des  pierres  pré- 
cieuses. D' Angkor,  une  traversée  assez  pénible  du  grand  lac 

soc.  DE  GÉOGR.  —  2e  TRIMESTRE  1885.  TI.  —  13 


l^i  tUPt^OAt  l^tfR  tËâ  fHAVAtï  tt  LÀ  SOCtÉTt 

Tàtaéne  à  Phtiom-Penb,  d'où  enfiti  il  rentre  à  Satgôti,  après 
une  abs^tice  de  18  mois  éf  nn  Toyage  dont  la  longueur  peut 
être  évaluée  à  environ  5000  kilomètres. 

M.  Neid  a  l'apporté  de  éette  exploratiôtl,  accomplie  potir 
lé  Ministère  de  rinstrûCtion  publique,  des  itinéraires^ 
appuyés  dur  dés  observations  astronomique^,  à  travers  dés 
territoires  immenses  dont  la  carte  est  etitièremetit  blanche. 
Il  n'a  cessé  de  recueillir,  en  suivaiit  péniblement  sa  routé, 
des  infortoatîoûs  sur  les  pays  qu'il  Irâversail,  leurs  popu- 
lations, leurs  ricbesses,  leur  blstoire.  Par  la  variété  et 
retendue  dé  Seâ  résultats,  rètploration  du  docteur  Nei^ 
comptera  parmi  les  plus  fmctueuses  de  ces  demièretl 
années.  Sans  compter  plus  de  350  kilomètres  d'itiué^ 
ralre  par  terre,  la  carte  de  la  région  qu'a  parcourue  le 
docteur  Neis  portera  désormais  700  à  800  kilomètres  rtâflevési 
à  la  boussole,  des  cours  du  Nam^Cbane,  du  Ménam  et  du 
Nam-^Ping,  du  Nam-^Rane,  du  Nam-Rok,  enfin  du  Nam^)n. 

Il  y  a  un  an,  d'ici  même  et  en  pareille  Circonstance,  la 
Société  envoyait  l'etpression  de  ses  sympathies  à  nos  soldats 
qui  combattent  au  Tongkiug  pour  les  intérêts  delà  France; 
plus  encore,  pour  les  intérêts  d'une  civilisation  à  laquelle, 
malgré  ses  défauts,  on  ne  saurait  refuser  un  véritable  carac^ 
tère  de  grandeur.  Les  soldats  ont  répondu  en  envoyant  aux 
géographes  de  précieux  matériaux  recueillis  au  cours  des 
opérations  militaires.  La  carte  du  Tongking  ne  s'est  guère 
composée  jusqu'ici  que  du  tracé  fait,  par  nos  ingénieurs  hy- 
drographes, des  bras  sinueux  qui  sillonnent  le  delta.  Le 
cours  même  du  Fleuve  Rouge  a  été  reconnu  seulement  par 
M.  Dupuis  et  par  M.  de  KergaradeC.  Les  meilleurs  représen- 
tations du  Tongking  se  bornaient  et  devaient  se  borner  à 
donner  les  indications  fournies  par  Ces  travaux.  Les  comman* 
dants  successifs  du  corps  expéditionnaire  ont  fait  procéder 
à  des  reconnaissances,  à  des  levés,  à  des  études  dont  un 
exposé  détaillé  a  été  présenté  à  la  Société.  La  mise  en  œuvîe 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      1B3 

de  <îes  éléments  vâ  produire  une  carte  notrvelle  du  delta,  sur 
laquelle  nous  verrons  se  garnir  de  centres  de  populations  les 
intervalles  «ntre  les  branches  multiples  du  fleuve,  et  sur  la- 
quelle apparaîtront  nettement  dessinés  les  quelques  mouve- 
ments de  terrain  situés  dans  Tes^.  Gq  sera  là  comme  tme 
seconde  phase  «de  la  carte  du  Tongking  ;  la  fin  des  opérations 
militaires  permettra  rexécuttonHle  levés  réguKers  et  complets 
qui  pourrcmt  s'étenidre  jusqu'aux  abords  de  la  frontière  chi- 
noise >où  presque  tout  reste  à  faire  pour  la  géographie. 

Nous  devons  remercier  le  Service  géographique  de  l'ar- 
mée de  la  promptitude  avec  laquelle  il  a  résumé  tons  ces 
documents  en  une  carte  dont  la  publication  est  prochaine. 

MM*  Bréon  et  Kortbals  chargés  par  ie  Ministère  de  llns- 
tructlon  publique  d'une  mission  au  volcan  de  Krakatau, 
arrivaient  à  iBatavia  lei4mai  dernier.  Le  21,  montés  sur  nn 
petit  vapeur  mis  à  leur  disposition  par  la  bienveillance  du 
gouvemeur  général  des  Indes  néerlandaises,  ils  visitaient, 
à  la  pointe  sud  de  Java,  un  dépôt  de  roches  volcaniques 
qui  ne  «e  rencontrent  qu'en  ce  point  de  l'archipel  de  la 
Sonde.  Le  23,  ils  abordaieiKt  à  Prinsen  Eiland,  grande  île 
couverte  de  forêts  épaisses,  qui  jusqu'alors  n'avait  été 
visitée  par  aucun  géologue.  Le  24,  dans  la  baie  de  Lampong, 
ils  pouvaient  constater  les  effets  de  la  terrible  vague  qui, 
en  pénétrant  à  une  grande  distance  dans  rintérieur  des 
terr^,  avait  anéanti  toiït  ce  qui  se  trouvait  à  une  altitude 
inférieure  à  30  mètres. 

Le  25,  ils  débarquaient  aux  îles  Sebcekœ  et  Sebesie,  où 
les  désastres  étaient  encore  plus  considérables.  Tout  y  est 
recouvert  d'un  manteau  de  projections  épais  de  dix  mètres. 
Enfin  le  26,  ils  arrivaient  au  Krakatau  dont  ils  étudiaient  la 
configuration  et  la  constitution  géologique.  Deux  des  cônes 
qui  constituaient  le  volcan  ont  disparu  par  l'effet  de  la  der- 
nière éruption  et  sur  leur  emplacement  la  mer  présente  des 
profondeurs  de  200  mètres.  La  moitié  du  troisième  cône  du 


184         BlAFPobt  sue  les  trâyaux  de  la  société 

Krakatau  est  restée  ddboat,  tandis  que  toale  sa  partie  nord 
s'abimait.  Le  sommet  qui  s*élève  à  820  mètres  d'altitade  est 
recouvert  d'une  masse  énorme  de  ponces  qui,  en  s'écronlant, 
r^idaient  l'abord  des  falaises  difficile  et  même  dangereux. 
Après  aYoir  quitté  Krakatau,  UM.  Bréon  et  Korthals,  ac- 
compagnés de  notre  collègue,  M.  E.  Ck)tteau,  ont  encore  vi- 
sité les  îles  Lang  et  Yerlaten,  puis,  de  retour  à  Java,  ils  con- 
sacraient un  mois  à  visiter  les  volcans  de  l'îleet  à  faire  l'ascen- 
sion des  principaux  pics.  Ils  ont  réuni,  au  cours  de  ce  voyage, 
une  collection  de  rocbes  et  de  minéraux,  précieuse  pour 
l'étude  géologique  de  Java. 

La  Nouvelle- Guinée  nous  apporte  cette  fois  encore  quel- 
ques contributions  géographiques.  La  partie  néerlandaise 
de  111e  est  restée  assez  longtemps  sans  faire  parler  d'elle, 
tandis  que^  grâce  surtout  aux  missionnaires  anglais,  grâce 
à  l'agitation  annexioniste  soulevée  par  les  An^o-Australiens, 
la  partie  orientale  de  l'île  se  rappelait  fréquemment  à  notre 
attention. 

Vous  trouverez,  dans  l'un  des  fascicules  du  Bulletin  tri- 
mestriel, une  étude  dans  laquelle  notre  collègue  le  prince 
Roland  Bonaparte  a  résumé  avec  beaucoup  de  clarté  les 
plus  récents  voyages  des  Néerlandais  dans  la  moitié  de  la 
Nouvelle-Guinée  sur  laquelle  ils  ont  des  droits  anciens.  A  ce 
travail  est  jointe  une  carte  dont  plusieurs  traits,  empruntés 
à  des  documents  néerlandais  peu  connus,  sont  vraiment 
nouveaux. 

Le  travail  du  prince  Roland  Bonaparte  signalait  un  voyage 
du  résident  van  Morris  Braam  sur  la  côte  nord  de  la  Nou- 
velle-Guinée, entre  la  baie  Humboldt  et  les  embouchures  de 
la  rivière  Ambemo,  en  août  et  septembre  1883.  M.  van  Morris 
Braam  ayant  trouvé  une  passe  praticable  sur  la  barre  de 
l'une  des  embouchures  du  fleuve,  avait  formé  le  projet  de 
remonter  ultérieurement  le  cours  deTAmberno.  Ce  projeta 
été  mis  à  exécution.  En  juillet  dernier,  le  résident  remontait 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     185 

la  grande  mière  papoua  jusque  par  22°  20'  de  latitude 
australe,  ce  qui,  d* après  la  grande  carte  de  Swaan,  représen- 
tait un  trajet  approximatif  d'un  degré  en  latitude.  Malheu- 
reusement son  bateau  échoua  sur  un  banc  de  sable  et,  sans 
la  crue  subite  du  fleuve,  l'explorateur  n'aurait  pas  pu 
regagner  la  côte. 

Ce  double  voyage  ,est  d'une  importance  géographique 
assez  considérable  pour  que  M.  Robidé  van  der  Aa  ait  entre- 
pris de  publier  les  journaux  et  les  cartes  de  M.  van  Morris 
Braam  dans  le  prochain  numéro  de  l'excellent  recueil  néer- 
landais de  l'Institut  voor  de  TaaULand-en-Volkenkundey 
publié  à  La  Haye. 

Le  prince  Roland  Bonaparte,  en  adressant  cette  informa- 
tion à  la  Société,  veut  bien  lui  faire  espérer  une  analyse  de 
la  relation  dont  M.  Robidé  van  der  Aa  prépare  la  publication. 
cLes  tentatives  de  M.  van  Morris  Braam  nous  font  voir,  dit-il, 
en  terminant  sa  note  à  ce  sujet,  que  les  Néerlandais  ne  se 
contentent  pas  de  faire  valoir  d'une  façon  platonique  leurs 
droits  indiscutables  sur  la  moitié  de  la  Nouvelle-Guinée,  mais 
qu'ils  l'explorent  aussi  avec  la  plus  grande  ardeur  et  le  plus 
grand  zèle.  » 

Dans  la  moitié  orientale  de  la  Nouvelle-Guinée  le  capi- 
taine W.  E.  Armit  entreprenait,  en  1883,  aux  fi'ais  du  jour- 
nal V Argus  de  Melbourne,  une  expédition  pour  reconnaître 
le  pays  au  point  de  vue  de  la  colonisation. 

Parti  de  Port-Moresby,  à  la  côte  méridionale  de  la  longue 
pointe  que  la  Nouvelle-Guinée  projette  vers  l'est,  il  se  pro- 
posait de  traverser  cette  partie  étroite  de  l'île;  mais  la  difR- 
culté  de  franchir  les  chaînes  centrales  l'obligèrent  à  se 
rabattre  au  sud-est.  Une  route  accidentée,  qui  traverse  de 
nombreux  cours  d'eau  et  des  terres  boisées  où  l'horizon  est 
borné;  le  conduisit  au  mont  Astrolabe  qui  appartient  à  la 
chaîne  côtière.  Des  flancs  du  mont  Astrolabe  la  vue  s'étend 
au  nord-ouest,  sur  une  large  vallée  qui  semble  se  prolonger 
fort  loin.  Vers  le  nord  se  dresse,  à  près  de  3000  mètres,  le 


186  iUPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  Bjt  LA  SOCIÉTÉ 

mant  Lawes,  et  daos  Test  apparaît  le  mont  O'Bree  qui  s'élève 
à  3200  mètres. 

C'est  en  remootaDt  le  cours  duLaloki  fréquemment  acc^- 
denté  de  rapides  et  de  petites  cascades  que  le  capiiaios 
Ârmit  continua  sa  route»  Après  avoir  rencontré  plusieuirs 
villages  indigènes,  il  finit  par  arriver  à  celui  de  Pidihaiba, 
situé  sur  une  ramification  du  mont  Redford.  De  ee  pointon 
découvre  un  panoorama  gramdiosey  uni  véritable  kibyriolbe 
de  montagnes  coupées,  de  gorges  et  de  prédipices. 

iCependant  les  fièvres,  auxquelles  succomba  le  docteur 
américain  Denton,  Timdes.  compagnons  du  capitaine  Ârmit, 
forcèrent  l'expédition  au  retour.  Elle  avait  atteint,  comme 
point  extrême,  le  village  de  Pautmau  situé,  dit  le  capitaine 
Armit,  à  deux  journiées  de  marche  seulement  de  la  côte 
nord-est. 

Les  villages  de  rintérieury  presque  tk)us  établis  sur  des 
hauteurs  d'un  aecèsdif fielleuse  composent  eniparties  de  cases 
élevées  de  quelques  mètres  aiï-dessus  du  sol^  en  partie  de 
doèos,  sortes  de  pigeonniers  construits  entre  les  branche 
des  arbres,  à  dix-huit  ou  vingt  mètres  de  hauteur.  Les  indir 
gènes  s'y  réfugient  en  cas  d'agression.  Parfois  une  palissade 
enclôt  las  villages. 

I^s  Papous  de  l'intérieur  sont,  en  général,  moins  grossiers 
et  moins  barbares  que  leurs  congénères  de  la  côste;  ils  sonA 
aussi  plus  avancés  en  agriculture. 

M.  Armit  dit  avoir  observé  deux  races  distinctes  de  Pa- 
pous. L'une  a  le  teint  clair,.  Le  mez  aquilin,  le  frostt  haut  et 
l'expression  intelligente;  elle  représente  un  type  qui,,  d'a|)rès 
le  voyageur,  se  rapprocherait  du  type  israélite.  Les  repré- 
sentants de  la  seconde  race  se  distinguent  par  leuv  teint 
presque  noir,  un  nez  épaté,  de  grosses  lèvres,  des  cheveux 
plus  crépus  et  le  faont  plus  bas.  que  ceux  de  leurs  voisious; 
ils  soat  aussi  moins  intelligents. 

Une  autre  expédition  organisée  pair  le  journal  The  AgSy 
de  Melbourne,  et  conduite  par  M.  6»  Ë.  Movrisonr  a  marché 


ET  sua  ^KS  PROGIiËS  DJ^â  SC{ENGË3  a^OGliAFPIiQUES.      i^T 

sans  beaucoup  plus  de  succès  9ur  la$  traces  de  la  Pirep^ière. 
Vers  la  m$m^  époque,  M*  ïlobe?|b  Prew,  d^  Sidney,  wtre- 
prenait  d'explorer  la  partie  la  mpm^  coûnijuodç  la  côte  sod- 
f)st  dé  la  NQuyeUe'r(Suinéey  entre  le  détroit  d9  Tprr^^  Qt  t'île 
du  Prioc^  Frédéric  He»ri,  A  un^  tr^utaiue  d^  milWs  ^  l'ptteat 
du  Maï  Kassa  ou  Baxter  River^  bra9  inférieur  d^  la  rivière 
Fly,  il  découvrit  uu  cours  d'eau  ç<?nsidérable  qu'il  r^mopta 

sur  aavirop  ^3  miUas  çt  auquel  il  d^nua  le  n^pi  de  Cb^i^ 
River. 

[a  ç6te  de  la  NpijivciUe-Guiftée  cliai>g3  4'asp(9ct  k  ftûviroïi 
IQO  m]\$s  ^  l'puest  de  la  pietite  île  Délivrance,  c'pst-à-rdire 
à  proximité  de  la  frontière  D4erlaudais?«,  les  o^araiç  de  palé- 
tuviers sont  remplace  par  d^  poçotierç  qui  pou^^eni  90;* 
des  terres  plus  élevées,  M.  Drew  a  découvert,  k  1^  milles  II 
}'ouast  de  x^etle  mj^me  île  Pélivrance,  unç  île  qu'il  a  ^ptisée 
du  nom  de  Discovery  {sland, 

La  rivière  Maï  Kassa  qu'avait  relevée  pour  la  première 
foi$,  en  1875,  le  millionnaire  Mac  Farlane,a  été  exploré^  de 
iM>uvea.u  en  mai  1884  par  une  e^^pédition  due  h  l'initi^ativ^  du 
journal  The  Age.  Conduite  par  le  capitaine  Straban,  cette 
expédition  remonta  le  flieuve  jusqu'à  liO  milles  de  son  em- 
bouchure et  lui  découvrit  une  série  de  gros  a/Quent^,  Mais 
à  la  suUe  d'un  combat  contre  les  indigènes,  elle  dut  aban- 
donner son  embarcation  pour  opérer  une  retraite  préoipitée 
et  périlleuse  à  travers  les  terres,  juisqu'à  la  côte, 

La  partie  angolaise  de  la  NouvellMîuinée  a  été,  cette  anuée, 
le  tbéWire  d'un  fait  considérable  qui,  relevant  de  la  :géo»pa^ 
pbie  politique,  doit  être  iei  meutloimé^  Depi«is  q^elqu^s 
années  il  était  prévu  par  ceux  qui  suivent  les  événements 
dans  çelie  partie  du  ma»de,  L'Australie  tendait  visiblement 
i  une  prise  de  possession  de  la  partie  ori^tale  de  cette 
grande  île;  le  Ç  novembre  dernier,  le  commandant  de^ 
fpr<;es  navales  auglaipes  en  Australie  a  solennellement  pro- 
clamé le  protectorat  de  l'Angleterre  sur  toute  la  côte  mérir 
dipnale  de  la  Nouvelle-Guinée,  située  à  l'e^t  du  141^  degré 


188     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

de  longitude  est,  frontière  des  territoires  néerlandais.  Nous 
ignorons  encore  où  se  limitera,  dans  la  direction  du  nord  de 
l'île,  ce  protectorat  sur  toute  la  côte  sud. 

Un  explorateur  infatigable,  M.  G.  Winnecke,  vient  de 
combler  une  importante  lacune  dans  notre  connaissance 
des  régions  centrales  de  l'Australie. 

Il  s'agit  de  l'espace,  jusqu'ici  en  blanc  sur  les  cartes, 
compris  au  nord  du  lac  Eyre,  entre  la  frontière  occidentale 
du  Queensland  et  la  ligne  télégraphique  qui  traverse  tout  le 
continent  australien  d'Adélaïde  à  Port  Darwin.  Connaissant 
déjà  la  nature  du  pays  qu'il  allait  traverser,  M.  Winnecke 
s'était  procuré,  comme  montures  et  bêtes  de  somme^  des 
chameaux,  les  seuls  animaux  qui  puissent  parcourir  impu- 
nément ces  régions  arides  et  désolées. 

Le  champ  de  cette  nouvelle  exploration  s'étend  de  27"30' 
de  latitude  sud  jusque  au  delà  du  tropique  du  Capricorne, 
•  soit  jusqu'à  22»43'. 

Quittant  Farina,  the  Gums  ou  Government  Gums, 
terminus  septentrional  du  chemin  de  fer  sud-australien  qui 
l'avait  amené  d'Adélaïde,  M.  Winnecke  arrivait  le  11  août 
1883  à  Cowarie,  station  d'élevage  sur  la  rivière  Warburlon. 

Son  convoi  organisé,  M.  Winnecke,  accompagné  seule- 
ment de  deux  blancs  et  d'un  indigène,  franchissait  le  War- 
burton  et  le  Kallakoopah,  deux  affluents  du  lac  Eyre,  et  se 
dirigeait  vers  le  nord,  à  travers  une  contrée  où  aucun  explo- 
rateur n'avait  pénétré  avant  lui;  les  indigènes  eux-mêmes 
semblent  y  avoir  rarement  mis  le  pied  car,  dès  le  second  jour, 
celui  qui  s'était  offert  pour  servir  de  guide  se  voyait  obligé 
d'avouer  son  ignorance. 

L'expédition  s'avança  jusqu'au  25*  degré,  dans  une  région 
caractérisée  par  d'interminables  rangées  de  collines  sablon- 
neuses, courant  presque  invariablement  de  nord-ouest  à 
sud-est,  et  séparées  par  des  vallées  dans  lesquelles  une  rare 
végétation  alterne  avec  des  lacs  salés.  Ces  lacs,  de  forme 
allongée,  étaient  revêtus  d'une  croûte  de  sel  assez  épaisse 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      189 

pour  supporter  le  poids  des  chameaux.  Entre  le  26®  et  le 
25''  degré  de  latitude  sud,  le  pays  prend  de  plus  en  plus 
l'aspect  du  désert.  Pendant  seize  jours,  on  ne  rencontra  pas 
d'eau  potable  pour  abreuver  les  animai^  qui  durent  faire 
sans  boire  un  trajet  de  400  kilomètres. 

Marchant  en  droite  ligne  vers  Test,  jusqu'à  la  rencontre 
de  la  rivière  Mulligan,  l'expédition  parvenait,  dans  les  pre- 
miers jours  de  septembre,  à  la  station  d'élevage  de  Sandrin- 
gham,  où  la  vue  des  chameaux  causa  un  grand  effroi  aux 
indigènes. 

M.  Winnecke  espérait  y  trouver  des  chevaux  pour  conti- 
nuer sa  route,  mais  déçu  dans  son  espoir,  il  reprit  la  direc- 
tion ouest,  puis  nord-ouest  et  arrivé  en  un  point  que  les  indi- , 
gènes  appellent  Woonunajilla,  sur  la  rivière  Pield,  il  tra- 
versa un  pays  qu'il  compare  à  un  «  véritable  jardin  ».  A 
partir  de  ce  point  le  paysage  change  entièrement  d'aspect. 
Le  sol  est  beaucoup  plus  accidenté  et  la  végétation  moins 
rare.  A  mesure  qu'on  approche  du  23'  degré  de  latitude,  les 
collines  prennent  les  proportions  de  petites  montagnes. 
M.  Winnecke  leur  donna  les  noms  de  Adam  Ranges,  Mount 
Tietkens,  Mount  Smith,  etc.,  en  l'honneur  de  personnages 
australiens  ou  d'explorateurs  de  sa  connaissance.  Il  baptisa 
pareillement  du  nom  de  Hay  River,  un  cours  d'eau  qui  che- 
minant au  nord-ouest,  va  se  jeter  dans  la  rivière  Marshall, 

Arrivé  par  22°43'  de  latitude  sud  et  iS6%&  de  longitude 
est  de  Greenwich,  M.  Winnecke  se  retrouvait  en  vue  du 
Tarlton  Range,  reconnu  dans  ses  précédentes  expéditions; 
il  revoyait  deux  pics  de  forme  bizarre,  couronnés  de  roches 
verticales  de  kaolin,  qui,  à  distance,  les  fait  ressembler,  à 
deux  immenses  piliers  blancs.  C'étaient  les  pics  auxquels, 
dans  un  précédent  voyage,  il  avait  déjà  donné  le  nom  de 
Goyder's  Pillars. 

Des  montagnes  élevées  étaient  visibles  à  l'horizon,  en 
particulier  le  Jervois  Range  et  le  Central  Mount  Hawker, 
que  M.  Winnecke  estime  être  exactement  au  centre  de  Ogure 


190     RAPPORT  SÇR  US9  TRAVAUX  m  hh   SOCIÉTÉ 

4ç  rAqatralie^  Ce  point,  que  d'autres  explorateurs  avaîeufc 
viânement  chercha  à  ntteiuclrey  rappelait  &  M.  Wirmeefce 
d'amerç  souvenirs-  C'ert  là  qu'en  1881  il  avait  failli  périr 
de  soif  et  perdit  p^lusieurs  e^celleuts  chevaux  avec  lesqueb 
il  venait  de  parcourir  480  kilomètres,  à  travers  une  contrée 
entièrement  aride  et  déserte.  Il  souffrait^  en  outre,  du 
scorbut,  de  rhumatismes  viol^otsf,  et  n'avait  même  plus  de 
chaussures. 

Après  quelques  jours  consacrés  h  une  eiçploration  de  la 
rivière  Hay  et  de  la  contrée  environnante,  au  sud-sud-est 
de  Goyder's  Pillars,  oti  il  détermina  la  position  du  mont 
Winnecke,  du  lac  Caroline  et  d'autres  points^  l'ej^plorateur 
remonta  vers  le  nord-est  jnsqu'aw(  sources  de  la  rivière 
Field,  dans  les  Adam  Ranges, 

Au:$:  premiers  jours  d'octobre#  il  opérait  son  retour  par. 
Sandringham  en  traversant  la  rivière  Herbert  et  le  King's 
Creek»  pour  atteindre  la  station  de  Monkarra,  sur  la  rivière 
Mûller  ou  Diamantina;  le  l^'décenibre  1883  Texpédition  si; 
retrouvait  à  Farina,  son  point  de  départ 

Les  résultats  obtenus  pendant  les  quatre  mois  seulement 
qn'a  duré  ce  voyage  sont  très  remarquables,  surtout  si  Ton 
considère  l'étendue  du  territoire  exploré,  le  nombre  des 
points  dont  j^f.  Winnecke  a  déterminé  la  position,  et  1^ 
difficultés  de  toute  nature  qu'il  a  rencontrées  sur  son 
chemin.  Ce  voyage  sillonne  d'un  premier  itinéraire  l'un  des 
espaces  blancs  qui  subsistaicAt  encore  sur  les  cartes  d' Aus** 
tralie. 

Ceux  qui  demandent  aux  rapports  annuels  de  notre  So- 
ciété de  les  éclairer  sur  les  progrès  de  la  géographie  auront 
certainement  constaté  que,  depuis  plusieurs  années,  la 
partie  de  ces  rapports  qui  traite  de  l'Afrique  est  particuUè* 
rement  ferme  et  nourrie.  L'explication  en  est  dans  le  fait 
que,  sur  ce  point,  le  véritable  rapporteur  est  M.  Henri  Du* 
veyrier. 


ET  SUR  t£S  PROCHES  DES  SCIENCES   GÉOQAAFOIQUES.    191 

Ainsi  quo  ks  aiHiéês  précédentes,  voua  recoanaltrez  dans 
ks  détails  qui  vont  vous  être  présentés  la  collaboration 
d'un  collègue  tout  dévoué  aux  intérêts  de  notre  association 
et  qui  Sait  autorité  en  matière  de  géographie  airicaine. 

Il  serait  malaisé  aujiQiird'bski  de  parler  de  la  géographiie 
africaine  sans  effleurer  le  terrain  de  la  politiqiie.  En  ces 
dernières  années^  une  sorte  de  fermentation  s'est  produite 
dans  les  États  européens  au  sujet  du  continent  noir,  et  il 
semble  en  vérité  qne  TAfrique  vienne  d'être  découverte* 
Taflil  qu'il  ne  s'est  agi  que  d'aller  s'y  disputer  les  palmes  du 
martyre,  en  luttant  ceouttre  l'iaconnu  ou  contre  l'esclavage, 
on  a  pu  s'entendre  à  peu  près;  mais  des  intérêts  d'un  autre 
ordre  sont  entrés  en  ligne  et  ceux->tà  ne  savent  pas  se  con* 
tenter  de  la  simple  bienveillacMîe  entre  les  hommes»  Les 
oscillations  économiques,  l'excès  de  populati<m,  les  exigences 
d'une  trop  active  industrie  ont  donné  une  étrange  intensité 
à  la  recherche  des  champs  â*ezpIoitation,  des  débouchés  et 
des  sources  de  matières  premières.  L'Afrique  est  là^  presque 
soua  la  main^  et  qui  répond  au  moins  à  l'une  de  ces  néces^ 
sites;  aussi,  quand  au  prix  des  effor(s„  au  prix  même  du 
sacrifice  de  bien  des  explorateurs,  les  géographes  eurent 
été  renseignés  sur  ses  lignes  essentielles^  sur  ses  voies 
d^accës  vers  Tintérieur,  siur  ses  richesses,  le  commerce  et  la 
politique  survinrent,  plus  ou  moins  dissimulés  l'un  par 
l'autre.  On  invoqua  des  droits  à  peine  constatés,  des  traités 
dont  les  a  instruments  '»,  comme  dit  le  langage  diploma* 
tique,  dormaient  oubliés  au  plus  profond  des  chancelleries; 
on  obtint  des  petits  chefs  de  petites  cessions  territoriales 
que  le  voisin  s'efforça  parfois  d'annuler  ;  on  planta  et  on 
abattit  des  pavillons  sur  des  points  à  peine  connus  de  la 
côte  ou  des  deltas;  les  lots  du  sol  africain  en  bordure  sur 
les  océans  firent  prime.  Quant  à  l'intérieur,  c'est  le  long 
des  voies  naturelles,  du  Nil,  du  Niger,  du  Kongo  que  s'éta* 
biit  la  concurrence»  Le  conflit  des  intérêts  pouvait  amener 
des  conflits  plus  graves  et  la  rivalité  établie  sur  le  Kongo 


192      RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

4 

entre  deux  missions,  dont  les  caractères  étaient  d'ailleurs 
assez  différents,  devint  le  prétexte  de  la  réunion  de  la  con- 
férence qui  siège  en  ce  moment  à  Berlin. 

Mais  ici  votre  rapporteur  est  tout  à  fait  dans  le  domaine 
de  la  politique.  Comme  Français,  nous  devons,  désirer  ar- 
demment que  les  droits  acquis  par  la  France  ne  soient  pas 
sacrifiés  ;  comme  géographes,  que  les  conventions  établies 
facilitent  aux  explorateurs  leur  tâche  ardue;  comme 
hommes,  que  Tère  des  pillages  et  des  massacres  d'indigènes 
soit  à  jamais  close,  et  que  les  procédés  des  conquistadores 
soient  abandonnés  à  jamais;  c'est  peut-être  beaucoup  d'am- 
bition. Nous  devons  reconnaître,  du  moins,  que  jusqu'à 
présent  le  vaillant  de  Brazza  a  poursuivi  son  œuvre  sans 
enfreindre  les  lois  de  l'humanité. 

Du  fleuve Ogôoué  et  de  l'océan  Atlantique  auKongo,  M.  de 
Brazza  a  déjà  fondé  treize  stations  ou  postes  français,  bien 
placés  pour  nous  assurer  l'accès  de  la  partie  navigable  du 
Kongo,  soit  en  partant  de  nos  possessions  du  Gabon  et  de 
l'Ogôoué,  soit  en  partant  du  royaume  de  Loango;  nous 
avons  sur  la  côte,  à  Loango  même,  à  Ponta  Negra  ou 
Pointe  Noire,  puis  sur  le  Kouilou-Niari,  trois  établissements 
situés  dans  de  bonnes  conditions  géographiques  pour 
devenir  les  têtes  de  lignes  du  commerce  avec  les  régions 
que  draine  le  Kongo  dans  sa  partie  navigable.  Aux  rives 
mêmes  du  Kongo,  à  Brazzaville,  au  milieu  d'un  territoire 
français  long  de  580  kilomètres,  flotte  maintenant  notre 
drapeau.  Quoi  qu'il  advienne,  la  conception  et  la  réalisation 
de  cette  œuvre  restera  un  honneur  pour  M.  de  Brazza.  Le 
makokOy  souverain  des  Batéké  qui  vivent  sur  le  haut  Kango, 
à  la  hauteur  du  Stanley-Pool,  a  ratifié  le  traité  qui  lui  a  été 
rapporté  par  notre  explorateur,  et  accepté  le  protectorat  de 
la  France.  Voilà  donc  une  nouvelle  porte  ouverte  à  l'activité 
industrielle  et  commerciale  ainsi  qu'à  l'influence  de  notre 
pays.  Puissent  nos  nationaux  en  profiter  autant  que  sauront 
le  faire  les  étrangers. 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      193 

Au  nord  du  Gabon,  daos  la  baie  de  Gorisco,  la  France  a 
pris  possession  de  l'île  d'Ëlobé,  sur  laquelle,  en  novembre 
1884,  l'Espagne  a  fait  valoir  des  droits  antérieurs. 

A  la  côte  de  l'Or,  à  Porto-Novo,  le  protectorat  français  a 
été  proclamé  et  rendu  effectif. 

A  l'autre  extrémité  du  continent,  le  rivage  nord  de  la  baie 
de  Toûjoûrra  qui  fut  si  souvent  le  point  de  départ  de  nos 
explorateurs  en  Ethiopie  s'abrite  maintenant  sous  pavillon 
français;  la  station  d'Oboq,  désormais  occupée  militaire- 
ment, olTrira  à  notre  marine  un  précieux  point  de  relâche 
sar  la  route  de  l'extrême  Orient,  et  à  nos  commerçants  une 
entrée  vers  le  royaume  de  Ghawâ  dont  le  souverain  est  par 
tradition  un  ami  de  la  France. 

Au  loin,  du  côté  du  sud,  dans  l'océan  Indien,  nous  avons 
fait  valoir  nos  droits  sur  Madagascar;  Taomasine  ou  Tama- 
tave  est  occupée  par  nos  marins  qui  ont  également  pris  pos- 
session de  la  baie  de  Passandava. 

Enfin,  et  ce  n'est  pas  là  le  moins  intéressant  des  faits  à 
porter  au  compte  de  cette  année,  une  canonnière  française 
a  été  lancée  sur  le  Dhiôli-Ba  ou  Haut-Niger.  Du  poste  de 
Bammakou,  relié  comme  on  sait  par  d'autres  postes  à  nos 
forts  du  Sénégal,  l'influence  française  va  pouvoir  s'affirmer 
dans  la  direction  de  Timbouktou,  et  déjà  peut-être  les  négo^ 
ciants  de  Kabara,  port  et  faubourg  du  célèbre  emporium 
soudanien,  ont-ils  compris  au  sifflement  d'une  machine  à 
vapeur  que  leur  régime  commercial  va  subir  de  profondes 
modifications.  C'est  la  réalisation  du  rêve  patriotique  d'un 
homme  supérieur,  le  général  Faidherbe  qui,  non  content 
de  rêver,  a  soutenu  puissamment  notre  mission  civilisatrice 
au  Soudan  occidental.  Là  encore  le  commerce  français 
peut  trouver  un  vaste  champ  pour  son  activité. 

A  ce  point  de  vue,  ce  n'est  pas  sans  un  sentiment  de  vif 
regret  qu'il  faut  enregistrer  l'interruption  des  travaux  du 
chemin  de  fer  destiné  à  relier  la  belle  voie  fluviale  du 
Dhiôli-Ba  à  la  partie  navigable  du  Sénégal.  Gomme  un  père 


191  RAPPORT  9im  IBS  rtAYJaX  BE  LÀ  seoiÉTÉ 

de  famille,  FÉtat  doit  faire  des  sacrifices  pour  Tayenir,  et 
la  compétition  actire  dont  l'étranger  nous  menace,  sur  ce 
marché  encore  vierge^  indique  que  nous  devons  nenégl^er 
aucune  des  armes  nécessaires  à  cette  lutte  économique.  Les 
trente  ou  quarante  kilomètres  de  chemin  de  fer  déjà  con- 
struits ne  tarderont  pas,  s'ils  demeurent  inutilisés,  à  être 
détruits. 

N'oublions  pas  que,  de  Bammakou  aux  rapides  de  Tîa- 
dfaerîfen  et  de  Tôsayé,àâ90kilomètres  àl'est  de  Timbouktou, 
le  Dhiôli**£a  est  navigable  sar  une  longueur  de  1140  kilo- 
mètres, et  les  rapides  dont  nous  parlons  ne  sont  peut-^tre, 
pas  plus  que  'Ceux  en  amont  et  en  aval  de  Bousa,  des  obs- 
tacles permanents  à  la  navigation  en  bateacuiPar  contre,  les 
rapides  d'Ëm-'n-Achid,  an  snd  de  Gôgô,  et  la  barre  de 
rochers  noirs  qui  coupe  le  lit  du  fleuve  an  snad-ouest  de 
Yaouri,  paraissent  dervoir  former  des  obstacles  plus  sérieux. 
La  barre  deYaouriresteralongteœpssansdoute  danslalimite 
de  la  navigation  en  amoatsur  le  Kwàra  ou  bas  Dhiôli-Ba. 

Sur  le  Kongo  et  sur  le  Koailou-Nlarï  la  France  a  pour 
voisin  4ine  puissanl'e  société,  l'Assc^Giation  internationale da 
Kongo,  qui  demain  peut-être  sera  reconnue  comnae  État 
indépendant.  Par  une  couveation  spéciale,  d^tinée  à  régler 
les  relations  de  voisinage,  TAssocialion  internationale,  au 
cas  où  elle  se  dissoudrait,  accorderait  à  la  France  le  droit 
de  préemption  sur  ses  stations  et  les  droits  territoriaux 
qu'elle  possédera,  tant  sur  une  partie  du  cours  du  Kongo,  que 
sur  le  Niari  et  leurs  affluents  ou  sur  la  côte.  L'Assodatioii 
possède  aujourd'hui,  d'après  M.  Stanley  lui-môme,  vingt- 
nenf  établissements  échelonnés  sur  un  territoire  long  de 
3500  kilomètres  et  lai^e  de  37  à  833  kilomètres,  qui  relève 
d'elle.  Son  influence  s'exercerait  sur  une  superficie  de 
78  à  79  000  kitomètres  carrés.  Les  trois  «dernières  stations 
fondées  sont  celles  d'Arthnrville  et  de  Strauchville,  dans  le 
bassin  du  Kouilou-Niari,>€(t  oelte  du  confluent  de  l'Arouwimi 
dans  le  Kongo. 


ET  SUR  tËS   PROGRÈS  DES  ISCIEKCÉS  GÉOGRAt^ïIIQUES.     195 

L'Angleterre  n'assiste  pas  indifférente  à  ces  créations  et 
à  ces  arrangements.  En  Afrique  comme  ailleurs,  elle  a 
quelque  peine  à  accepter  un  rîval  politique  et  surtout  un 
Concurrent  commercial.  Tandis  qu*oû  discutait,  pour  l'écar- 
ter finalement,  une  convention  entre  elle  et  le  Portugal 
relativement  au  Kongo,  elle  s'annexait,  au  mois  d'août, 
Tembouchure  du  Kwâra,  partie  du  fleuve  où  ses  nationaux 
possèdent  une  centaine  de  comptoirs,  et  où  elle  avait  pris 
pied,  dès  1840,  au  confluent  de  la  Bénouê.  Par  suite  du 
rachat  des  affaires  que  la  Compagnie  du  Sénégal  avait  au 
Niger,  et  de  la  fusion  des  intérêts  de  la  Compagnie  française 
de  TAfrique  équatoriale,  la  «  National  African  Company  », 
c'est-à-dire  l'Angleterre,  s*e$t  rendue  maîtresse  de  tout  le 
commerce  du  Bas-Niger.  En  outre  l'Angleterre  discutait  à 
l'ouest  les  droits  de  l'Association  internationale,  et  à  l'est 
les  limites  de  notre  possession  d'Oboq.  Par  contre,  elle 
prenait  possession,  en  septembre,  des  ports  çomali  de  Zela' 
et  Berbera;  elle  n'a,  du  reste,  jamais  fait  grand  mystère  de 
ses  vues  sur  Zanzibar  et  la  côte  qui  fait  face  à  celte  ile.  Sa 
position  en  Egypte  est  connue  de  tous,  comme  aussi  le 
départ  (27  octobre)  de  lord  Wolseley  avec  l'armée  chargée 
de  délivrer  l'héroïque  Gordon^Pacha  à  Khartoûm. 

Dans  le  sud  de  l'Afrique,  notons  les  modifications  ap- 
portées à  la  carte  politique.  Redevenue  indépendante  des 
Anglais,  la  république  du  Transvaal  s'est  sentie  asse«  forte 
pour  coloniser;  des  essaims  de  Boers  partis  pour  les  pays 
des  Betchoiiâna  viennent  d'y  créer,  sous  les  noms  de  Stella- 
land  et  de  Goscben-laûd,  les  noyaux  de  nouvelles  provinces 
de  la  République.  Simultanémentj  deux  des  royaumes  bet- 
chouâna  se  sont  placés  sous  la  protection  et  la  juridiction 
du  Transvaal,  qui  décrétait  enfin  la  création  d'une  nouvelle 
république  néo-^hollandaise  en  plein  pays  des  Zoulous. 

Après  s'être  longtemps  contenté  de  droits  honorifiques, 
le  Portugal  se  prépare  à  annexer  virtuellement  à  ses  pos- 
sessions les  territoires  qu'il  réclame  au  nord  et  au  Sud  du 


196     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Kongo.  Ces  territoires  formeront  une  province  du  Kongo, 
avec  Kabinda  pour  chef-lieu. 

Enfin  rAllemagne,  une  nouvelle  venue  dans  ces  mômes 
parages  d'Afrique,  n'y  possède  pas  moins  de  quarante-quatre 
comptoirs,  dont  vingt-quatre  sur  la  côte  des  esclaves  et 
treize  dans  Testuaire  de  Kameroûn.  Elle  a  envoyé  le  doc- 
teur Nachtigal,  son  consul  à  Tunis,  planter  le  drapeau  de 
l'Empire  allemand  au  Kameroûn,  vis-à-vis  l'île  de  Fer- 
nando-Poo. 

Les  points  de  ce  territoire  qui  sont  devenus  des  posses- 
sions allemandes  sont  :  la  rivière  môme  de  Kameroûn  (fleuve 
côtier),  avec  un  village  Diwalla  sur  la  rive  sud;  le  village 
de  Bimbia,  sur  la  côte  au  sud  du  mont  Mongo-ma-Loba; 
Malimba,  île  à  l'embouche  du  fleuve  d'Ediya,  et  les  villages 
de  Petit  Batonga,  au  nord  et  au  sud  de  la  baie  de  Panavia. 
Tous  ces  points  se  trouvent  sur  une  partie  de  la  côte  com- 
prise entre  i^'i'  et  2^48'  de  latitude  nord.  En  môme  temps 
un  bateau  de  guerre  allemand  déployait  les  couleurs  de 
l'empire  dans  le  voisinage  des  Anglais,  à  la  petite  baie 
d'Angra  Pequenha  où  un  négociant  allemand,  M.  Lûderitz, 
possède  un  établissement.  Les  journaux  qui  ont  relaté  ce 
fait  n'ont  pas  tous  indiqué  les  véritables  limites  du  vaste 
territoire  africain,  le  Lûderitzlànd,  qu'il  faudra  désormais 
marquer  sur  les  cartes.  La  proclamation  du  capitaine  de 
vaisseau  Schering  permet  de  préciser.  Au  nord  le  territoire 
est  borné  par  le  20'  degré  de  latitude  sud,  laissant  par  con- 
séquent l'embouchure  du  Kounôné  dans  les  possessions  por- 
tugaises que  l'empire  d'Allemagne  a  respectées;  au  sud, 
il  s'étend  sur  un  développement  de  côtes  de  1058  kilomè- 
tres jusqu'à  l'embouchure  du  fleuve  Oranje,  par  conséquent 
jusqu'aux  possessions  anglaises.  La  profondeur  de  cette 
bande  de  territoire  est  de  440  kilomètres.  A  partir  de 
maintenant  l'Allemagne  devient  une  puissance  coloniale,  et 
ce  n'est  plus  à  Heligoland  seulement  qu'elle  est  côte  à  côte 
avec  l'Angleterre. 


ET  SUR  LES  PROGRÈS   DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      197 

Pour  rentrer  dans  le  domaine  de  la  géographie  propre- 
ment dite,  veuillez  vous  transporter  au  pays  immense,  riche 
et  varié,  que  sa  proximité  de  l'Algérie  désigne  tout  parti- 
culièrement aux  explorateurs  français.  Ils  y  trouveront  les 
risques  et  les  difficultés  auxquels  peut  aspirer  leur  esprit 
d'aventure;  ils  s'y  heurteront,  par  exemple,  au  fanatisme 
religieux  d'une  partie  de  la  population  et  à  l'état  d'indé- 
pendance absolue  dans  lequel  vivent  un  grand  nombre  de 
tribus  qui  ne  relèvent  guère  que  spirituellement  de  l'empire 
des  chérifs. 

Il  résulte  de  cet  état  de  choses  que  le  Maroc  presque 
entier  échappe  encore  à  la  géographie  positive.  L'inventaire 
de  nos  connaissances  quelque  peu  précises  sur  ce  pays 
comprend  un  certain  nombre  d'itinéraires  limités  aux 
routes  de  Tanger  à  Fez  et  au  Tafilelt,  de  Rabat  à  Fez,  de 
Mogador  à  Maroc,  de  Fedâla  à  Taroudant  et  de  Fez  àOud- 
jeda.  Une  vingtaine  de  points  déterminés  astronomiquement 
assujettissent  tant  bien  que  mal  ce  réseau  sur  la  carie. 

Un  itinéraire  nouveau  et  plein  de  hardiesse  vient  de  dou- 
bler presque,  d'un  seul  coup,  la  longueur  des  lignes  par- 
courues au  Maroc.  Il  a  été  accompli  en  onze  mois  par  un 
jeune  explorateur  français,  le  vicomte  Charles  de  Foucauld. 
Dans  un  espace  d'environ  8°  en  longitude  et  G^  en  latitude, 
M.  de  Foucauld  n'a  pas  reconnu  moins  de  3200  kilomètres 
de  route,  dont  la  direction  s'appuie  sur  la  détermination  de 
45  points  en  longitude,  de  40  points  en  latitude,  et  dont  les 
altitudes  ont  été  prises  pour  près  de  3000  points. 

De  Mequinez  à  l'Ouadi  Dhera'a,  dans  le  sens  des  méridiens, 
de  Tizgui  ou  Foumm  el  Hosân  et  même  d'Agâdir-n-lguir  à 
Oudjeda,  dans  le  sens  des  parallèles,  ses  lignes  de  marche 
parcourent  un  terrain  absolument  neuf  où  elles  coupent  seu- 
lement de  loin  en  loin,  et  sans  les  suivre,  les  routes  d'autres 
explorateurs. 

La  partie  géographique  de  ce  voyage  ne  peut  être  encore 
appréciée  que  sur  des  indications  provisoires,  d'après  l'ins- 

SOC.  DE  6É0GR.  —  2*  TRIMESTRE  1885.  Yl.  -^  14 


198     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

peclion  des  abondantes  notes  rapportées  par  le  voyageur, 
ûiais  il  est  manifeste  que  nous  sommes  en  présence  d'un 
ensemble  de  résultats  considérables  pour  la  géographie  du 
Maroc. 

La  carte  de  ses  itinéraires  que  dresse  en  ce  moment  M.  de 
Foucauld  nous  présentera,  entre  autres  choses,  le  premier 
figuré  exact  de  la  disposition  générale  des  massifs  de  cette 
région  éminemment  montagneuse.  Une  comparaison  entre 
les  trois  cartes  classiques,  en  quelque  sorte,  du  Maroc,  celle 
de  M.  Ë.  Renou  (1845),  celle  du  capitaine  Beaudouin  (1848) 
et  celle  de  M.  John  Bail  (1878),  permet  de  constater  uq 
complet  désaccord  dans  le  tracé  des  chaînes  de  montagnes 
à  l'est  du  méridien  de  Fez  ;  seuls,  d'autre  part,  les  itinéraires 
du  rabbin  Mardochée  et  du  doctenr  Lenz  indiquaient,  dans 
l'extrême  sud,  soit  le  nom,  soit  des  points  du  long  système 
du  Djebel  Bani. 

Nous  savons  maintenant,  grâce  à  M.  de  Foucauld,  que  la 
ligne  principale  de  l'Atlas  marocain  est  flanquée,  au  sud 
comme  au  nord,  de  deux  chaînes  parallèles  de  moindre  hau- 
teur, bien  que  considérables  encore  par  leur  développement 
qui  équivaut  à  peu  près  à  la  moitié  du  développement  de 
l'arête  maîtresse.  Ces  deux  chaînes,  ces  deux  anti-Atlas, 
sont  reliées  à  la  première;  celle  du  nord-est  par  le  Djebel 
El-'Ayâchîn,  celle  du  sud-ouest  par  le  Djebel  Siroua.  Ausud 
de  cette  dernière,  le  Djebel  Bani  se  prolongé  en  suivant  le 
cours  de  l'Ouâdi  Dhera'a,  qui,  par  l'étendue  de  son  bassin, 
est  le  principal  fleuve  du  Maroc. 

Rien  de  ce  qui  peut  nous  intéresser  n'a  échappé  à  M.  de 
Foucauld.  Sa  relation  fournira  des  indications  précises  sur 
la  race,  tamâzîrht  (berbère),  arabe  ou  juive  des  habitants 
de  chaque  province,  sur  le  chiffre,  les  dispositions  naturelles, 
le  degré  de  soumission,  la  culture  et  le  commerce  des  popu- 
lations. Il  nous  donnera  une  curieuse  idée  de  la  situation  du 
pays  en  nous  apprenant  que  tandis  que,  dans  l'intérieur,  la 
plupart  des  forteresses  du  sultan,  ruinées,  sans  garnisons. 


ET   SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     199 

sans  artillerie,  sont  comme  les  prisons  d'un  qâ'id  bloqué  par 
ses  administrés,  on  trouve  les  chefs  berbères  indépendants 
logés  dans  de  véritables  chàteaus-forts  en  parfait  état.  M.  de 
Foucauld  n'a  pas  encore  mis  ses  notes  à  jour,  ses  détermi- 
nations astronomiques  et  barométriques  ne  sont  pas  encore 
toutes  calculées,  sa  carte  à  laquelle  il  travaille  activement  est 
encore  à  l'état  d'esquisse,  mais  le  rapport  devait  rendre  hom- 
mage au  méritant  voyageur  qui  arrêtait  ses  travaux  sur  le 
terrain  à  Laila  Maghniya,  le  i23  mai  de  cette  année. 

Gomme  résultats  géographiques,  la  mission  de  M.  de 
Brazza  dans  l'ouest  africain  nous  a  apporté  cette  année  un 
document  précieux,  le  levé  détaillé  du  fleuve  Ogôoué,  exé^ 
cuté  par  M.  Dutreuil  de  Rhins.  Commencé  au  mois  de  mai 
1883,  à  Tembouchure  du  fleuve,  dans  la  baie  de  Na^aré,  ce 
levé  nous  conduit  k  400  kilomètres,  à  vol  d'oiseau,  dans  l'in- 
térieur, un  peu  au  delà  du  confluent  de  la  rivière  Lolo,  où 
l'explorateur  arrivait  aii  mois  de  juillet.  La  première  partie 
de  cet  utile  travail  a  été  dressée  au  1/320  OOO*';  mais  à  partir 
de  la  rivière  N'gounié  et  jusqu'à  la  Lolo,  six  feuilles  donnent 
le  cours  de  l'Ogôoué,  à  l'échelle  de  1/80  000^,  ce  qui  a  permis 
à  l'auteur  de  marquer  tous  lés  détails  du  fleuve  et  de  ses  rives, 
tels  qu'il  les  avait  relevés,  jusqu'à  la  limite  de  la  portée  de 
la  vue.  Cette  dernière  partie  de  la  carte  est  un  document 
de  première  main,  qui  conservera  toujours  sa  valeur  et 
auquel  seule  une  bonne  position  astronomique  du  point 
extrême,  le  confluent  de  la  Lolo,  pourra  apporter  un  per- 
fectionnement. 

Le  docteur  Ballay,  quand  il  a  été  appelé  à  assister,  en 
qualité  de  délégué  technique,  le  représentant  de  la  France  à 
la  conférence  de  Berlin,  arrivait  du  champ  des  travaux 
de  la  mission  dirigée  par  M.  de  Brazza  dont  il  a  été  long- 
temps le  collaborateur  dévoué.  Il  en  a  rapporté  un  document 
géographique  important,  fruit  de  ses  travaux  personnels, 
mais  dont  le  tracé  cartographique  n'est  pas  encore  achevé. 


200     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

C'est  un  relevé  à  la  boussole  d'une  grande  partie  du  cours  de 
la  rivière  Alimay  à  partir  du  poste  français  de  Leketi,  sur  la 
Leketi-Lebala,  affluent  de  l'Alimay  jusqu'au  confluent  de 
rAlima  dans  le  Kongo.  Rappelons  ici  qu'en  1880,  M.  de 
Brazza  avait  découvert  la  Leketi,  sur  le  plateau  d'Achikouya, 
à  108  kilomètres  sud-est  de  Franceville;  qu'en  1878  il  décou- 
vrait, en  compagnie  du  docteur  Ballay,  la  grande  rivière 
Alima,  qu'il  avait  reconnu  64  kilomètres  de  son  cours, 
près  de  la  source,  et  jusqu'à  quelque  360  kilomètres  en  ligne 
droite  du  point  où  elle  se  jette  dans  le  Kongo.  C'est  donc 
les  quatre  cinquièmes  du  cours  de  TAlima  que  M.  Ballay 
ajoute  à  nos  cartes,  et  avec  tout  le  détail  topographique 
que  peuvent  donner  des  visées  répétées  de  100  à  900  mètres. 
De  plus  il  s'est  assuré,  en  la  descendant  en  bateau  à  partir 
du  confluent  de  la  Leketi-Lebala,  que  l'Alima  est  navigable. 
D'autres  levés  exécutés  par  le  docteur  Ballay  précisent  la 
connaissance  du  Kongo  sur  185  kilomètres  en  amont  de 
l'étang  de  Stanley  (Stanley-Pool) ,  jusqu'au  pays  d'Ibaka, 
c'est-à-dire  au  confluent  de  la  Wabouma,  où  se  trouve  la 
station  française  de  N'ganchou;  à  l'ouest  de  ce  point  ils 
relient  au  Kongo  la  résidence  du  makoko  ou  roi  des  Batéké. 

Tous  ces  nouvaux  levés  du  docteur  Ballay  sont  accom- 
pagnés d'excellentes  observations  astronomiques  qui  ser- 
viront à  les  établir  sur  la  carte,  et  d'observations  baromé- 
triques dont  les  calculs  indiqueront  l'élévation  des  diverses 
stations  de  l'explorateur. 

La  reconnaissance  de  l'Ogôoué  par  M.  Dutreuil  de  Rhins 
s'arrête,  comme  il  a  été  dit  précédemment,  à  la  rivière  Lolo. 
En  ce  point  même  commence  une  autre  reconnaissance  dé- 
taillée du  reste  de  l'Ogôoué  supérieur,  exécutée  par  M.  Mizon, 
lieutenant  de  vaisseau,  et  qui  s'étend  jusqu'au  confluent  de 
la  Likoko  ou  Liboumbi  avec  rOgôoué.  A  partir  de  là,  la 
reconnaissance  par  eau  se  transforme  en  une  longue  route 
par  terre  qui  chemine  parallèlement  à  la  Louété,  puis  au 
Niari-Kouilou  et  à  quelque  distance  de  ces  deux  cours 


ET  SUR  LES   PROGRÈS  DES   SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES.    201 

d'eau,  pour  aboutir  à  la  côte  de  l'Océan,  entre  Mayoumba  et 
Loango.  Dressé  avec  un  grand  soin  et  riche  en  détails,  cet 
itinéraire,  dont  notre  Société  prépare  la  publication,  est  le 
premier  qui  franchisse  par  terre  l'espace  situé  entre  le  haut 
Ogôoué  et  la  côte.  Il  coupe,  en  particulier,  tous  les  affluents 
de  droite  de  la  Louété  et  du  Niari. 

Il  faut  espérer  que  l'un  des  membres  de  la  mission  de 
Brazza,  M.  Dolisie,  aura,  de  son  côté,  recueilli  des  observa- 
tions utiles  à  la  géographie  en  accomplissant  un  trajet  de 
Loango  à  Stephanieville  et  à  Philippeville,  et  de  Philippe- 
ville  aux  rives  du  haut  Niari. 

De  l'autre  côté  du  continent  se  poursuit  avec  des  fortunes 
diverses,  mais  avec  une  constance  et  un  courage  au-dessus 
de  tous  éloges,  le  grand  voyage  de  découvertes  de  M.  V.  Gi- 
raud,  enseigne  de  vaisseau.  Il  constituera  sans  doute  la  page 
la  plus  saillante  d'un  des  prochains  rapports.  Actuellement, 
les  données  sur  ce  voyage  étant  fort  insuffisantes,  il  faut 
se  borner  à  enregistrer  les  faits  principaux  qui  s'y  rat- 
tachent. 

Le  rapport  de  l'an  dernier  laissait  M.  Giraud  à  M'gouna, 
dans  l'Oukhoutou  ou  Khoutou,  au  nord  du  fleuve  Roufidji. 
Une  lettre  du  voyageur  nous  a  appris  qu'il  avait  consacré 
six  mois  à  explorer  le  lac  Bangweolo  ou  Bemba,  au  sujet 
duquel  il  avait  corrigé  plusieurs  erreurs  considérables  des 
cartes  du  docteur  Livingstone,  notamment  sur  la  rivière 
Louapoula,  qui  devient  plus  loin  le  Kongo.  La  Louapoula 
ne  sort  pas  du  nord-ouest,  mais  bien  du  sud-ouest  du  lac 
Bangweolo. 

Son  exploration  du  lac  terminée,  M.  Giraud  s'embarquait, 
pour  descendre  le  cours  inconnu  de  la  Louapoula,  sur  le 
bateau  dont  le  transport  lui  avait  suscité  tant  de  difficultés. 
Au  lieu  de  couler  droit  au  nord  comme  on  le  croyait,  cette 
rivière  décrit,  au  sortir  du  lac,  une  courbe  de  180  kilomètres 
dans  le  sud-ouest.  Un  incident  de  guerre  faillit  mettre  un 


202     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOaÉTÉ 

terme  aux  travaux  de  M.  Giraud.  Près  de  la  cataracte  de 
Monbottouta,  une  attaque  des  indigèues  le  contraignit  à 
abandonner  son  bateau  pour  se  réfugier  auprès  de  Méréméré, 
roi  des  Waoussi,  qui  le  fit  prisonnier.  Au  bout  de  deux 
mois  pourtant,  M.  Giraud  réussissait  à  s'échapper.  Les 
Waoussi  font  leur  première  apparition  dans  la  géographie, 
et  c'est  en  se  rapportant  à  la  suite  du  voyage  de  M.  Giraud 
qu'on  doit  supposer  qu'ils  vivent  à  l'est  de  la  Louapoula.  En 
effet,  de  la  capitale  de  Méréméré,  il  fuit  à  travers  l'Itawa  et 
gagne  à  l'ouest  le  lac  Moero.  Pressé  de  refaire  son  équipe- 
ment, il  marche  sur  le  Tanganyka  et  trouve  à  Karéma  l'hos- 
pitalité de  la  Belgique.  De  cette  station,  il  a  avisé  M.  Ledoulx, 
notre  consul  à  Zanzibar,  qu'il  allait  repartir  dans  la  direction 
de  l'est  pour  couper  le  Loualâba  et  chercher  à  atteindre 
Léopoldville,  sur  le  Kongo,  en  marchant  à  peu  près  sous  le 
6*  de  latitude  sud,  c'est-à-dire  à  travers  une  région  inex- 
plorée. Au  mois  de  mars,  M.  Giraud  avait  commencé  la  réa- 
lisation de  ce  programme,  mais  bientôt  la  désertion  de  son 
escorte  et  de  ses  porteurs  vint  mettre  sa  patience  à  une 
nouvelle  et  rude  épreuve  en  le  forçant  à  revenir  à  Karéma, 
où  il  attend  les  ressources  qu'il  a  demandées  à  Zanzibar. 

Ainsi  deux  échecs,  deux  désastres  successifs,  n'ont  pas 
découragé  notre  vaillant  et  tenace  officier  de  marine.  Si, 
comme  nous  le  lui  souhaitons  de  tout  cœur,  il  revient  après 
avoir  triomphé  des  dangereux  obstacles  accumulés  sur  sa 
route,  il  aura  pris  place  au  nombre  des  grands  explorateurs 
africains  et  notre  Société  de  Géographie  voudra  être  la  pre- 
mière à  lui  exprimer  son  admiration. 

Il  est  peu  de  parties  de  l'Afrique  qui  doivent  autant  que 
l'Ethiopie  aux  explorations  françaises  et  ces  traditions  sem- 
blent se  continuer.  Aujourd'hui  nous  trouvons,  au  royaume 
de  Chawâ,  le  sous-lieutenant  de  cavalerie  Hénon,  attaché  à 
la  mission  de  MM.  Aubry  et  Hamon,  qui  est  arrivé  au 
Chawâ  le  5  juillet  1883.  Cette  année-ci  M.  Hénon  a  pu 
ajouter  une  belle  feuille  aux  cartes  de  nos  compatriotes  le 


<  ^i 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      203 

lieutenant  de  vaisseau  Lefebvre,  les  docteurs  Petit  et  Quar- 
tin-Dillon  et  M.  Rochet  d'Héricourt  qui^de  1839  à  1844, 
avaient  donné  sur  ce  pays  alors  tout  nouveau,  des  renseigne- 
ments où  la  géographie  a  puisé  le  fond  de  ses  connaissan- 
ces. De  môme  que  nos  premiers  souverains,  le  roi  de  Ghawà 
Menelik  II,  un  ami  sincère  de  la  France,  a  ses  villes  royales; 
c'est  de  l'une  d'elles,  Entotto,  que  part  M.  Hénon;  traver- 
sant une  région  de  formation  granitique,  il  a  exécuté  à  partir 
du  mont  Errer  et  dans  la  direction  du  sud-est,  jusque  chez 
la  tribu  oromo  ou  galla  des  Aroûsi,  un  voyage  de  230  kilo- 
mètres en  pays  totalement  inconnu. 

M.  Hénon  nous  a  donné  de  plus,  comme  éléments  nou- 
veaux, un  levé  de  340  kilomètres  du  cours  de  l'Awàsi.  Ses 
prédécesseurs  avaient  vu  quelques  points  seulement  du  cours 
de  cette  rivière  qui  forme  un  bassin  intérieur.  Il  a  déterminé 
de  très  nombreuses  altitudes,  entre  autres  celles  des  som- 
mets les  plus  élevés,  comme  les  monts  Zoukélâ  ou  Zqu- 
quéla  (2880  mètres)  et  Dandi  (3200  mètres);  presque  tous 
ces  sommets  sont  d'anciens  volcans  aux  cratères  transformés 
en  lacs  et  dont  les  flancs  présentent  des  sources  thermales. 
Nous  lui  serons  redevables  encore  de  la  détermination  de 
l'emplacement  réel  du  grand  lac  Zouaï,  le  Elâki  des  Oromo. 
Enfin,  sur  le  versant  sud  de  la  chaîne  qui  limite  ce  bassin 
et  qui  forme,  en  môme  temps,  le  plateau  de  Didaha,  M.  Hénon 
a  découvert  une  rivière  qui,  coulant  au  sud  sous  le  nom  de 
Webbi  Sidama,  est  peut-être  un  des  premiers  affluents  su- 
périeurs du  fleuve  Djouba.  Voilà  pour  les  faits  principaux  ; 
quant  aux  observations  de  détail,  il  en  est  de  très  impor* 
tantes  &t  qui  corrigeront  d'une  manière  inattendue  les  cartes 
les  plus  récentes. 

Grâce  à  son  altitude,  le  pays  des  Aroûsi  est  loin  de  jouir 
de  ce  climat  chaud  qu'annoncerait  une  latitude  de  7^  au 
nord  de  l'équateur.  Il  y  neige  et  M.  Hénon  y  a  vu  plus  d'une 
fois  de  la  glace.  Ces  plateaux  ne  sont  pas  très  fertiles, 
pourtant  les  Aroûsi  cultivent  assez  de  blé  et  d'orge,  dont 


204  RAPPORT  SDR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

ils  font  deux  récolles  par  an,  pour  alimenter  un  commerce 
d'exportation.  Ces  Aroûsi  sont  toutefois  pasteurs  plutôt 
qu'agriculteurs  ;  le  laitage  et  la  viande  crue  forment  le  fond 
de  leur  alimentation.  L'islam,  qu'ils  ont  adopté,  n'a  pas  eu  le 
don  de  resserrer  les  liens  de  parenté  entre  leurs  nombreuses 
tribus  ;  c'est  là,  comme  le  fait  remarquer  M.  Hénon,  la  cause 
de  la  faiblesse  militaire  des  Aroûsi  que  leurs  voisins,  les 
Éthiopiens  et  les  Galla  ennemis,  ne  trouvent  jamais  unis 
pour  leur  résister. 

De  son  côté  M.  Aubry,  ingénieur  civil  des  mines,  a  envoyé 
à  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  le  compte  rendu 
de  ses  travaux  personnels.  La  saison  des  pluies  l'avait 
d'abord  retenu  quatre  mois  inactif  dans  la  capitale  du 
Ghawâ;  plus  tard,  il  avait  parcouru  le  royaume  et  le  pays 
des  Oromo  ou  Galla,  menant  de  front  les  études  géogra- 
phiques et  géologiques. 

Il  a  réuni  ainsi  les  éléments  de  cartes  topographiques 
dont  il  annonçait  il  y  a  quelques  mois  la  prochaine  rédac- 
tion; c'est  donc  là  un  travail  intéressant  dont  pourra  faire 
mention  le  prochain  rapport. 

L'exposé  des  résultats  généraux  des  observations  géolo- 
giques recueillies  par  M.  Aubry  ne  sera  peut-être  pas  dé- 
placé ici.  M.  Aubry  classe  comme  formations  tertiaires  tous 
les  terrains  sédimentaires  qu'il  a  rencontrés  dans  TÉthio- 
pie  proprement  dite.  Plus  à  l'est,  les  plaines  qui  séparent 
le  massif  éthiopien  de  la  mer  sont  des  terrains  déposés  par 
des  eaux  douces  ou  saumâtres.  Le  fait  le  plus  intéressant 
qu'ait  constaté  le  voyageur  est  l'existence  de  cinq  volcans 
qui,  d'après  la  stratification  de  leurs  roches,  ont  dû  se  for- 
mer au  sein  de  l'océan.  Ce  phénomène  d'éjection,  M.  Aubry 
le  généralise  à  toutes  les  masses  de  roches  volcaniques 
qu'il  a  étudiées  dans  le  Ghawâ,  et  qui,  d'après  sa  théorie, 
ont  dû  traverser  les  couches  tertiaires  alors  que  Tocéan  les 
recouvrait  encore.  En  même  temps  que  les  premières 
données  positives  et  complètes  sur  la  géologie  du  Ghawâ, 


ET   SUR  LES  PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     205 

M.  Aubry  rapportera  Tinventaire  de  tous  les  produits  du 
règne  minéral  susceptibles  d'être  utilisés  par  l'industrie,  et 
une  étude  des  nombreuses  sources  thermales  minérales  de 
la  contrée. 

Un  autre  explorateur  français,  le  capitaine  Longbois,  au- 
quel M.  le  Président  de  la  République  a  confié  une  lettre  et 
des  présents  destinés  au  roi  du  Ghawà ,  remplit  en  môme 
temps  une  mission  du  Ministère  de  Tlnstruction  publique. 
M.  Longbois  a  suivi,  d'Oboq  à  Ankôber,  un  chemin  en 
partie  nouveau,  sur  lequel  il  a  fait  des  observations  pré- 
cieuses pour  la  géographie  proprement  dite. 

Une  étude  du  fleuve  Awâsi  ou  Aouache  a  permis  à  M.  Long- 
bois  de  reconnaître  que  ce  cours  d'eau  offre  une  voie  navi- 
gable et  d'en  corriger  le  tracé  sur  plusieurs  points,  notam- 
ment la  partie  du  lac  Abelbad  ou  Abhebbad,  oîi  se  jette  la 
rivière.  L'Awâsi  qui  roule  des  eaux  bourbeuses  où  vivent 
l'hippopotame  et  le  crocodile,  est  large  de  20  mètres  à 
45  mètres  et  son  courant  n'est  que  de  46  mètres'à  la  minute/ 
On  pourrait,  dit  M.  Longbois,  profiter  de  ce  cours  d'eau 
pour  le  transport  des  marchandises  jusqu'à  la  cataracte  qui 
se  trouve  au  pied  du  piton  de  Dabita,  c'est-à-dire  à  35  ou 
40  kilomètres  seulement  de  la  ville  de  Farré,  et  par  consé- 
quent jusqu'au  Ghawà  proprement  dit.  C'est  là  un  ensemble 
de  résultats  qui  touche  non  seulement  la  géographie  mais 
aussi  l'avenir  de  nos  relations  avec  l'Ethiopie.  Si,  comme 
l'indique  encore  M.  Longbois,  le  port  d'Oboq  est  défectueux 
et  trop  petit  pour  répondre  aux  besoins  que  nous  crée 
notre  situation  nouvelle  dans  les  mers  de  la  Chine,  du  moins 
e^t-il  situé  dans  un  endroit  sain;  mais  Toudjourra,  où  nous 
venons  de  nous  établir,  remplira  peut-être  mieux  le  but. 

Huit  déterminations  de  points  en  latitude  et  en  longitude 
appuient  l'itinéraire  de  M.  Longbois  d'Oboq  à  Ankôber, 
ville  dont  la  position  serait  à  peu  près  celle  que  le  docteur 
Beke  avait  trouvée  en  1841.  Quant  aux  populations,  les 
observations  du  voyageur  français  seront  utiles  pour  l'étude 


206      RAPPORT  SUR  LES  TRÂYAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

de  la  race  'afar.  Il  nous  dépeint  les  pastears  nomades  Da- 
nâkil  comme  des  sauvages  fiers  et  insolents  autant  qne 
lâches  et  féroces,  et  plongés  dans  les  superstitions  les  plus 
absurdes.  Depuis  les  temps  anciens  jusqu'à  nos  jours,  les 
Danâkil  ont  honoré  la  mémoire  de  leurs  guerriers  en  leur 
élevant  des  monuments  intéressants  par  leur  stucture  ar- 
chaïque, que  décrit  et  figure  M.  Longbois.  Ds  consistent  en 
un  hémisphère  de  pierres  amoncelées,  entouré  d'an  cercle 
des  mêmes  matériaux,  à  l'entrée  duquel  sont  plantées,  en 
rangs,  et  au  nombre  de  dix  à  quarante^inq,  de  grandes 
pierres  dressées.  Nous  trouvons  là  des  données  qu'il  faudra 
comparer  aux  découvertes  de  sépultures  en  pierres  brutes, 
dans  le  pays  des  Çomâli,  faites  par  le  lieutenant  Speke,  en 
1854,  entre  Yafir  et  Makar.  Peut-être  cette  étude  donnera- 
t-elië  la  preuve  que  la  race  'afar  a  possédé,  à  une  époque 
ancienne,  le  nord-ouest  de  la  vaste  région  peuplée  aujour- 
d'hui par  les  Çomâli. 

C'est  à  la  partie  méridionale  la  région  des  Çomàli,  dès 
longtemps  connue  pour  une  des  plus  dangereuses  de 
l'Afrique,  que  M.  Georges  Révoil,  chargé  d'une  mission  du 
Ministère  de  l'Instruction  publique,  a  mis  encore  une  fois 
au  service  de  son  pays  et  de  la  science  son  énergie  et  l'expé- 
rience toute  spéciale  qu'il  avait  gagnées  dans  ses  précédents 
voyages.  Dès  le  mois  d'avril  1883  le  moment  était  critique. 
M.  Révoil  partait  de  Zanzibar  et  arrivait  à  Mouqdicha  ou 
Magadoxo,  tandis  qu'une  explosion  de  fanatisme,  de  révolu- 
tions et  de  guerres  ébranlait,  plus  au  nord,  l'État  le  plus 
avancé  et  le  plus  puissant  de  l'est  africain,  tandis  que  le  cd 
de  djehâdt  (guerre  sainte  contre  l'infidèle)  avait  trouvé  des 
échos  au  loin.  Aussi  faut-il  s'étonner  que  de  telles  circon- 
stances n'aient  eu  pour  effet  que  de  circonscrire  le  théâtre 
des  travaux  de  notre  collègue;  elles  étaient  de  nature  à 
ouvrir  une  nouvelle  et  douloureuse  page  au  nécrologe  de 
cette  année. 


ET   SUR  LES  PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.    207 

De  Mouqdîcha  il  se  rendità  Guélédi,  royaume  situé  aune 
cinquantaine  de  kilomètres  sur  cette  Wobi  ou  Webbi,  qui, 
descendant  du  pays  de  Hèrèr,  au  sud  de  TÉthiopie,  après 
avoir  décrit  un  cours  immense  encore  inconnu,  va  se  perdre 
dans  un  lac  un  peu  au  nord  de  Téquateur  et  près  de  la 
côte  de  rOcéàn.  Pendant  cinq  mois,  M.  Révoil  se  vit 
retenu  prisonnier  par  'Omar  Yoûsef,roi  de  Guélédi  ;  ses  res- 
sources diminuèrent  rapidement  devant  les  exigences  de  ce 
petit  potentat  çomâli,  imbu  des  doctrines  fanatiques  d'une 
confrérie  musulmane  dont  les  événements  d'Egypte  ratta- 
chés aux  vieilles  prophéties  pouvaient,  grâce  à  la  distance, 
annoncer  le  règne  définitif. 

Des  guerres  sévissaient  entre  les  tribus  çomâlies  voisines 
du  Guélédi  et  retardaient  le  départ  de  M.  Révoil  pour  Ga- 
nàné,  sur  la  haute  Wobi.  Enfin  il  partit,  non  sans  entendre 
murmurer  des  présages  sinistres  dont  il  allait  bientôt  com- 
prendre la  portée.  A  peine  a-t-il  foulé  le  terrain  inconnu, 
que  des  gens  en  armes,  partis  de  Guélédi  sur  ses  traces, 
inquiètent  sa  caravane.  Plus  loin,  à  Warmân,  les  habitants 
ameutés  par  Vimâm  pressurent  le  voyageur,  qui  se  sent 
livré  d'avance  à  l'ennemi,  par  suite  de  divisions  qui  écla- 
tent au  milieu  de  son  escorte ,  et  la  tribu  çomâlie  des  Gara 
profite  de  la  désunion  pour  commencer  le  pillage.  On  tient 
conseil,  et  il  est  reconnu  que  la  seule  chance  de  salut  est 
un  retour  précipité  à  Guélédi.  Là,  dans  ce  foyer  des  intri- 
gues qui  lui  avaient  déjà  suscité  tant  de  dif&cultés,  M.  Ré- 
voil comprit  que  sa  vie  était  menacée  par  'Omar  Yoûsef, 
son  soi-disant  protecteur  et  ami,  et  il  dut  profiter  de  la  nuit 
pour  chercher  un  refuge  à  Mouqdîcha  où  il  arrivait  avec 
les  épaves  de  son  bagage  et  ses  collections.  En  attendant  la 
mise  au  net  des  notes  du  voyageur,  le  public  a  déjà  pu 
admirer,  ici  même,  de  précieuses  collections  ethnogra- 
phiques, fruit  de  cette  expédition,  et  le  muséum  d'histoire 
naturelle  a  reçu,  pour  sa  part,  des  collections  botaniques  et 
zoologiques. 


208      RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Yoilà  donc  un  ensemble  de  résultats  des  plus  satisfaisants 
et,  comme  Ta  déclaré  un  de  ses  émules,  bon  juge  en  pareille 
matière,  M.  Révoil  a  mérité  les  éloges  et  les  félicitations 
des  géographes  et  des  savants.  La  publication  de  son  dernier 
voyage  satisfera  les  esprits  difficiles. 

Uexposé  de  la  part  des  étrangers  au  progrès  de  la  géo- 
graphie africaine  s'ouvrira  pour  nous  par  la  mention  des 
travaux  dûs  à  TAssociation  internationale  et  du  Comité 
d'études  du  haut  Koogo. 

Voici  d'abord  la  publication  partielle  du  voyage  de 
M.  Stanley,  à  laquelle  le  précédent  rapport  a  déjà  consacré 
quelques  lignes.  Parti  du  Stanley  Pool,  avec  une  flotte  de 
quatre  bateaux  à  vapeur,  il  toucha  les  stations  de  l'Associa- 
tion déjà  établie  à  Kwamouth,  vis-à-vis  le  poste  français  de 
N'ganchou,  en  aval  du  confluent  delà  Wabouma,  et  à  Louko- 
léla,  sur  la  rive  gauche,  puis  la  station  de  l'Equateur,  dont 
le  commandant,  M.  Van  Ghele,  vient  d'être  élu  chef  d'un 
village  baroumbé  voisin,  en  remplacement  du  chef  indigène 
décédé.  Plus  loin  en  amont,  à  Ouranga,  sur  le  confluent  de 
la  Loulemgpu  qu'il  croit  identique  à  la  Kasaï,  et  à  Rou- 
bounga,  presque  au  point  le  plus  septentrional  du  Rongo, 
M.  Stanley  prit  les  arrangements  nécessaires  à  l'établisse- 
ment de  nouvelles  stations. 

Un  peu  en  amont  du  confluent  de  la  Loulemgou,  mais 
sous  la  même  latitude  de  0*^45'  nord,  il  a  relevé  le  confluent 
de  la  Loubilach,  dont  le  docteur  Pogge  avait  découvert  les 
sources  plus  loin  au  sud,  dans  l'empire  du  Mata-Yanvo.  Au 
delà  de  la  Loubilach,  le  Kongo  reçoit  du  nord  d'importants 
affluents  :  la  M'boundgou,  dans  le  pays  des  Bangala  et  l'Itim- 
biri  qui  débouche  dans  le  coude  le  plus  au  nord  décrit  par 
le  grand  fleuve.  C'est  sur  l'Itimbiri,  rivière  dont  le  con- 
fluent lui  avait  échappé  lors  de  son  premier  voyage,  que 
M.  Stanley  vit  des  marchandises  apportées  du  Banda  ou  Dâr 
Banda,  pays  au  sud  du  Fôr  et  du  Wâdâï  ;  toutefois  il  ne  fau- 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     209 

drait  pas  chercher  dans  ce  fait,  très  intéressant  en  lui-même, 
la  preave  que  Tltimbiri  soit  le  cours  inférieur  de  la  Ouèllé. 
Bien  que  tout  ce  terrain  eût  été  déjà  parcouru  par  M.  Stan- 
ley, non  seulement  l'Itimbiri  mais  presque  tous  les  autres 
affluents  qui  viennent  d'être  nommés  avaient  échappé  à  son 
attention  ;  il  est  vrai  que  son  premier  voyage  dut  s'accom- 
plir avec  rapidité^  au  milieu  d'un  pays  ennemi.  Dans  le 
Eourourou,  au  confluent  de  TArouwimi,  le  chef  des  mis- 
sions de  l'Association  se  trouvait  revoir  une  des  plus  dan- 
gereuses parties  du  théâtre  de  ses  découvertes.  Il  entre 
dans  TÂrouwimi  et,  effrayés  à  la  vue  des  bateaux  à  va- 
peurs, ses  anciens  ennemis  dont  les  flottes  avaient  jadis 
si  cruellement  harcelé  la  Lady  Alice  viennent  faire  des 
ouvertures  de  paix.  M.  Stanley  remonta  la  rivière,  pendant 
trois  jours,  jusqu'à  une  chute  située  par  2*^13'  de  latitude 
nord,  près  du  village  de  Tambouga.  Ici  déjà,  l'Arouwimi 
devient  le  Bi-yéré,  dont  plus  loin  le  nom  se  transforme  en 
celui  de  Berré,  et  plus  loin  encore  en  Ouerré.  Bien  que  les 
noms  de  Ouerré  et  Quelle  soient  identiques,  bien  qu'à 
Tambougou  la  civilisation  et  les  cultures  soient  toutes  diflé- 
rentes  de  celles  du  Kongo,  gardons-nous  pourtant  d'assimi- 
ler la  Ouêilé  et  l'Arouwimi.  Chez  les  peuples  primitifs,  il  est 
fréquent,  en  effet,  que  le  principal  cours  d'eau  du  pays  porte 
simplement  le  nom  de  «  rivière  »  dans  la  langue  indigène. 
Au.  train  dont  marchent  les  découvertes  en  Afrique,  les  géo- 
graphes ne  resteront  sans  doute  plus  longtemps  dans  l'incer- 
titude au  sujet  de  la  mystérieuse  Ouêilé. 

Rentré  dans  le  Kongo,  M.  Stanley  le  remonte  encore  jus- 
qu'aux chutes  auxquelles  il  a  donné  son  nom  et,  un  peu  en 
aval,  il  choisit  l'île  de  Wana  Rousani,  près  de  la  rive  nord, 
par  0®  W  de  latitude  nord,  pour  y  fonder  la  dernière  station 
dont  il  laisse  la  direction  à  M.  l'ingénieur  Bennie.  C'est 
ainsi  que,  par  une  interprétation  un  peu  large  peut-être 
des  faits  ci-dessus  et  de  ceux  dont  il  sera  question  plus 
loin,  M.  Stanley  a  pu  dire,  à  son  retour,  que  l'Association 


210     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

internationale  africaine  possède  un  territoire  long  de 
2500  kilomètres  et  large  de  37  à  833  kilomètres.  Elle  a  établi, 
en  tout  cas,  une  chaîne  de  stations  sur  ce  territoire. 

Au  mois  de  juillet  1884,  sir  Francis  de  Winton,  qui  suc- 
cède à  M.  Stanley  comme  délégué  de  l'Association,  a  profité 
d'un  voyage  d'inspection  des  stations  du  haut  fleuve  pour 
remonter  pendant  cinq  jours  la  Wabouma,  artère  qui  reçoit 
le  Kwango. 

Un  des  nouveaux  membres  de  l'Association,  M.  Gliavanne, 
géographe  autrichien  bien  connu,  a  reçu  missioade  lever  le 
cours  du  Kongo  et  du  Niari  ou  Kouilou-Niadi,  avec  la  région 
intermédiaire  des  embouchures  de  ces  fleuves  aussi  loin  que 
la  station  de  l'Equateur.  M.  Ghavanqe  a  déjà  exécuté  le  tra- 
vail sur  une  étendue  de  2200  kilomètres  carrés  et  il  va  le 
continuer  en  se  rendant  au  Stanley-Pool. 
^  Après  le  récent  voyage  de  M.  Stanley,  l'Association  a  en- 
voyé sur  ses  traces  le  capitaine  Hanssens,  chargé  d'une  mis- 
sion politique.  Parti  de  Léopoldville,  M.  Hanssens  est  revenu 
au  bout  de  cent  trente-six  jours,  ayant  atteint  les  chutes  de 
Stanley,  reconnu  le  cours  de  plusieurs  affluents,  passé  des 
traités  avec  tous  les  chefs  le  long  du  fleuve,  et  fondé  une 
station  à  l'embouchure  de  TArouwimi. 

D'autre  part,  l'Association  avait  dirigé  au  commencement 
de  1884  une  expédition,  commandée  par  te  capitaine!.  Grant 
Ëlliott,  dans  la  vallée  du  Kouilou-Niadi.  Parti  du  poste  de 
Vivi,  M.  Grant  EUiott  alla  d'abord  à  Isanghila  d'oîi  il  pénétra 
dans  la  vallée  arrosée  par  la  Loudima,  affluent  du  Kouilou- 
Niadi.  Gette  partie  de  la  contrée  a  un  sol  ondulé,  couvert 
d'herbes  géantes  qui  atteignent  jusqu'à  4  et  5  mètres  de 
hauteur.  Après  vingt-cinq  jours  de  marche,  comptés  du 
départ  d'Isanghila,  la  mission  rencontrait,  à  Tandon,  le 
fleuve  dont  elle  descendit  les  rives  à  travers  une  magnifique 
vallée.  Au  confluent  de  la  Loudima  fut  choisi  remplacement 
d'un  poste  qui  reçut  le  nom  de  Stéphanie-ville.  Une  autre 
station,  Frank-town,  fut  fondée  au  confluent  de  la  Louasa, 


ET   SUR  LES  PROGRÈS  DES   SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES.      211 

dont  la  rivière  Lalli  n'est  qu'un  tributaire;  enfin  une  der- 
nière station,  Taunton-ville,  fut  fondée  à  Eilabi,  sur  le 
fleuve,  non  loin  de  son  confluent  dans  TOcéan. 

Ce  voyage  de  1200  kilomètres  n'avait  pas  été  accompli  sans 
un  incident  qui  faillit  être  funeste  à  l'expédition*  A  Hanga, 
en  amont  du  confluent  de  la  Louasa,  les  porteurs,  tous  indi- 
gènes de  Zanzibar,  s'étaient  révoltés  contre  leur  chef  et  avaient 
déserté.  Le  capitaine  Grant  Elliott  s'était  vu  réduit  aloi*s  à 
détruire  une  partie  de  ses  bagages  plutôt  que  de  les  aban- 
donner aux  porteurs,  devenus  ses  ennemis.  Mais  la  mission 
n'aura  pas  été  sans  fruits  pour  la  géographie,  car  on  annonce 
qu'elle  a  rapporté  un  levé  complet  du  Niadi-Kouilou. 

De  son  côté,  un  naturaliste,  M.  H.  H.  Johnston,  vient  de 
publier  sous  le  titre  de  The  River  Congo^  from  its  mouth 
to  BolobOy  les  fruits  de  deux  années  d'observation  (1882- 
1883)  sur  le  grand  fleuve  de  l'ouest  africain.  Au  milieu 
d'une  masse  de  faits  intéressant  l'histoire  naturelle  et  l'eth- 
nographie, l'ancien  compagnon  de  lord  Mayo  au  Kounênê 
expose  les  progrès  récemment  réalisés  au  Kongo  et  il  accuse, 
poiir  l'œuvre  de  M.  Stanley,  une  préférence  qui  même  hors 
de  France  a  paru  quelque  peu  partiale. 

Un'  miissionnaire  protestant  anglais,  M.  Gomber,  a  attaché 
son  nom  à  un  travail  qui,  indépendant  de  ceux  de  l'Asso- 
ciatioD,  porte  cependant  sur  le  môme  terrain;  c'est  une 
carte  du  Stanley-Pool,  levée  durant  une  circumnavigation 
de  cette  nappe  d'eau  ;  M.  Gomber  donne  des  corrections 
très  appréciables  du  tracé  de  M.  Stanley  et  le  lac  ou  l'étang 
aurait  six  ou  sept  fois  l'étendue  que  lui  avait  attribuée 
son  découvreur.  Le  Stanley-PooJ,  couvert  de  nombreuses 
îles  et  traversé  par  un  courant  très  rapide,  dangereux  même 
près  de  la  rentrée  dans  le  fleuve,  mesure  4s2  kilomètres  et 
demi  de  long  et  sa  superficie  est  de  1190  kilomètres  carrés. 

Une  autre  carte,  en  perspective  il  est  vrai,  pour  l'Afrique 
occidentale,  est  celle  du  Kounèné  et  des  contrées  voisines. 
M.  D.  D.  Vetb,  l'ingénieur  néerlandais  auquel  ses  travaux 


212     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

à  Sumatra  ont  valu  une  renommée  justifiée,  a  reçu  la  mis- 
sion de  se  rendre  de  Benguella  par  Eilenguès  à  Houmpata 
où  se  trouve,  dans  le  bassin  de  Kounêné,  une  colonie  de 
Boers  immigrés  depuis  quatre  ans  seulement.  De  là,  M.Yeth 
lèvera  le  plus  possible  du  cours  du  Kounèné,  et  enfin,  de 
Mossamèdes,  il  cherchera  à  atteindre  le  Koubango  et  à  le 
descendre  jusqu'au  lac  Ngâmî. 

Le  Kounèné  a  appelé  aussi  l'attention  du  gouvernement 
portugais,  qui  a  chargé  MM.  Brito  Capello  et  Robert  hens 
d'en  faire  l'exploration.  Ces  deux  voyageurs  distingués  sont 
partis  de  Mossamèdes  et  ont  cherché  à  gagner  ce  fleuve,  au 
plus  près,  en  remontant  la  vallée  du  Kovoka,  petit  fleuve 
côtier.  Leur  début  n'a  pas  été  heureux;  en  approchant  de 
la  Serra  de  Ghella  où  naît  le  Kovoka,  les  explorateurs  por- 
tugais ont  rencontré  des  gorges  si  profondes,  d'un  accès  si 
difficile,  qu'ils  ont  renoncé  à  atteindre  le  Kounèné  par  cette 
voie.  Revenus  à  leur  point  de  départ  ils  se  disposaient,  aux 
dernières  nouvelles,  à  repartir  pour  mener  à  bonne  fin  l'ex- 
ploration du  Kounèné  dont  ils  sont  chargés,  à  passer  ensuite 
dans  le  bassin  du  Kwango  et  à  descendre  cette  rivière  jus- 
qu'au Kongo,  par  la  Wabouma. 

L'année  passée,  à  pareille  date,  nous  rappelions  que  les 
dernières  nouvelles,  déjà  bien  anciennes,  laissaient  dans  sa 
station  de  Moukengué  le  célèbre  voyageur  allemand,  doc- 
teur Pogge,  hésitant  entre  ces  deux  alternatives  :  ou  d'at- 
tendre à  Moukengué  l'arrivée  d'une  expédition  allemande, 
ou  de  partir  pour  la  côte  occidentale.  M.  Pogge,  nous  le 
savons  aujourd'hui,  est  resté  encore  près  de  deux  ans  à  son 
poste,  continuant  avec  succès  ses  études  d*histoire  naturelle. 
Enfin,  s'étant  décidé  au  retour,  il  fit  une  excursion  dans  le 
nord  de  Moukengué  jusqu'au  confluent  de  laLouloua  dans 
la  Kasal  et  il  prit  la  direction  de  Saint-Paul  de  Loanda. 
Mais,  très  affaibli  par  ses  voyages  et  par  son  séjour  dans 
l'intérieur,  le  docteur  Pogge  n'arriva  à  Loanda  que  pour  y 
mourir,  le  17  mars  1884. 


ET  SUR  L^S  PROGRÈS  DES   SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES.      213 

On  voit  par  cet  aperçu  des  travaux  accomplis  ou  com- 
mencés dans  le  sud-ouest  de  l'Afrique  équatoriale,  que  bien 
loin  de  se  ralentir,  le  mouvement  européen  s'accentue  de 
plus  en  plus  de  ces  côtés.  Peut-être,  malgré  des  rivalités 
qui  existent  d^ailleurs  sur  toute  la  surface  du  globe,  les 
nations  européennes  sont-elles  assez  mûres  à  la  civilisation 
pour  comprendre  leur  intérêt  commun  qui  les  invite,  ici,  à 
faire  converger  fraternellement  leurs  efforts  vers  un  même 
but,  en  se  réservant  mutuellement  une  part  de  la  tâche. 

Sans  sortir  de  l'Afrique  occidentale,  si  nous  remontons 
au  nord,  vers  le  Niger,  nous  trouvons  là  deux  voyageurs 
allemands.  L'un,  M.  Krause,  vient  de  partir  aux  frais  de 
M.  Emile  Ricbeck  de  Halle,  pour,  étudier  aux  points  de 
vue  ethnographique  et  linguistique  les  pays  situés  entre  le 
Niger,  la  Bénouê  et  le  lac  Tzâdé  ou  Tsâd.  M.  Krause  est 
bien  préparé  à  cette  tâche  pour  les  travaux  qu'il  a  faits 
durant  un  séjour  à  Tripoli,  et  dont  les  fruits,  des  gram- 
maires de  la  langue  de  Rhât^  et  du  foulfouldéS  ont  été 
publiés  cette  anné&-ci. 

L'autre  voyageur  est  M.  Flegel  qui  a  ajouté  une  belle 
page  à  ses  explorations  des  années  précédentes.  Au  mois 
de  juillet  1883,11  avait  levé  la  rivière  Amambara,afjauenjt  ou 
bras  oriental  du  Niger,  qui  joint  ce  fleuve  un  peu  au-dessus 
d'Onitcha.  Au  mois  d'avril  1884,  nous  trouvons  M.  Flegel 
à  Bagnio,  grand  marché  d'ivoire  dans  le  bassin  du  fleuve 
du  Yieux-Galabar,  assez  près  pourtant  de  la  ligne  de  par- 
tage du  bassin  de  la  Bénouê.  C'est  au  sud  de  la  Bénouê, 
principalement  dans  TAdamawa,  que  ce  voyageur  avait 
concentré  ses  efforts  pendant  neuf  mois.  Il  avait  parcouru 
avec  profit  tout  le  pays,  de  Gasaka  à  Woukari,  relevant 
beaucoup  d'affluents  inconnus  de  la  rivière,  dont  le  bassin 
ne  s'étend  pas  là  aussi  loin  dans  le  sud  que  dans  l'est,  près 


1.  Proben  der  Sprache'Jvon  Rhat  in  der  Sahara. 

2.  Ein  Beitrag  zur  Renntniss  der  fulischea  Sprache,  in  Afrika. 

soc.  DE  GÉOGR.  —  2*  TRIMESTRE  1885.  VI.   —  15 


214     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

de  N'gâoundéré,  en  Adamaway  par  exemple,  où  il  ne  finit 
que  vers  7°40'.  A  l'ouest  de  Woukari,  M.  FlegeL  avait 
parcouru  la  partie  nord  du  bassin  de  la  Bénouô  jusque 
près  de  Bida,  capitale  du  Noûpé  ;  à  l'est,  toute  la  partie 
sud  du  même  bassin  jusqu'à  la  ligne  de  soulèvement  qui 
le  sépare  des  bassins  du  Ghàri,  à  Test,  et  du  Yieux-Ga- 
lab^r,  au  sud.  Dans  la  lettre  qui  contient  les  données  uti- 
lisées sur  la  carte  dé  M.  R.  Kiepert,  M.  Flegel  annonçait 
que  la  maladie,  les  contrariétés  et  surtout  le  manque  d'ar- 
gent le  clouaient  à'  Bagnio,  et  qu'il  était  obligé  d'attendre 
a  fin  de  la  saison  des  pluies  pour  reprendre,  s'il  en  avait 
les  moyens,  ses  voyages  dans  la  direction  du  sud,  vers  le 
Kongo.  Le  terrain,  vierge  dans  cette  région  de  l'Afrique, 
promet  de  fructueuses  explorations. 

Le  capitaine  Bratidon  Kii'by,  qui  a  dépassé  de  128  kilo- 
mètres Koumassi,  limite  nord  des  précédents  voyages  en 
Achanti,  rapporte  un  fait  qui  doit  être  enregistré  dans  cet 
exposé.  L'aùcien  i*oyaume  Achanti  s'est  beaucoup  affaibli 
dans  les  dernières  années  et  son  souverain  ne  commande 
plus  que  sur  un  territoire  restreint,  le  noyau  de  ses  nom- 
breuses provinces  de  jadis. 

Faute  de  renseignements,  le  voyage  que  M.  Buonfanti 
terminait  sur. la  côte  dé  Guinée  en  1883  n'a  pu  trouver 
place  dans  le  précédent  rapport,  et  la  notice  qui  a  paru 
cette  année  est  encore  malheureusement  bien  incomplète. 
Malgré  la  surexcitation  des  esprits  dans  tout  le  monde 
musulman,  M.  Buonfanti  commençait  son  voyage  à  Tripoli 
en  1881.  Jusqu'à  Mourzouk  et  même  jusqu'au  Bornou,  où, 
fait  inusité  jusqu'ici,  il  se  présente  escorté  de  Touareg, 
le  voyageur  italien  ne  fait  que  suivne  des  voies  maintes 
fois  frayées.  Des  guerres  ayant  fermé  à  M.  Buonfanti 
l'accès  de  TAdamawa,  pays  à  la  frontière  duquel  il  arrivait 
par  Dikoa,  il  se  rejeta  dans  l'ouest,  refaisant  les  itiné- 
raires de  Barth  et  Yogel  par  Kanô,  Yakoba,  Sokoto  et  Sa!, 
où  il  touchait  le  Niger   que  Barth  avait  descendu  au- 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     215 

trefois  précisément  de  Timbouktou  jusqu'à  cette  même 
yille  de  Sâï.  M.  Baonfanti  aurait  repris  le  môme  trajet 
en  remontant  le  fleuve,  pais  le  marigot  qui  conduit  à  Sa- 
raïyamo.  De  là  il  aurait  pénétré  dan$  le  Masina  par  un 
chemin  nouveau,  puis  parcouru  le  Tombo,  pays  encore  vierge 
qui  confine  au  Masina,  à  Test.  Dans  le  Sàngbi,  province 
du  Tombo,  il  a  été  attaqué,  dépouillé  de  tout  son  bagage, 
y  compris  ses  notes,  sauf  les  indications  pour  l'itinéaire, 
et  abandonné  de  son  escorte,  il  a  traversé  le  pays  des 
Môsi  païens  pour  atteindre^  au  sud,  la  côte  de  Guinée. 
La  dernière  partie  du  voyage  constituerait  un  fait  marquant 
dans  l'histoire  des  explorations  africaines;  mais  nous 
devons  attendre  encore  pour  être  en  mesure  d'en  juger 
la  portée  géographique.  i 

Les  voyages  de  M.  Buonfa^ti  nous  ramènent  à  ceux  de 
son  prédécessetir  à  Timbouktou,  le  docteur  Lenz.  Deux 
volumes  ^,  ornés  de  neuf  cartes  et  de  nombreuses,  gravures, 
permettent  maintenant  d'étudier  en  détail,  sur  les  traces  du 
voyageur  allemand,  les  pays  et  les  peuples  qu'il  a  visités 
pendant  le  voyage  du  Maroc  au  Niger  et  au  Sénégal,  et  dont 
vous  connaissez  déjà  les  données  principales.  Une  grande 
partie  du  tome  premier  est  consacrée  à  une  description  de 
l'empire  de  Maroc  envisagé  sous  tous  ses  aspects,  mais  surtout 
au  point  de  vue  de  la  population,  du  fonctionnement  et  de 
la  force  dii  gouvernement.  Plus  loin,  le  docteur  Lenz  fait 
un  tableau  très  neuf  et  très  précieux  du  Sahara  occiden- 
tal,  de  la  ville  de  Timbouktou  et  de  la  situation  poli- 
tique des  pays  du  Niger  moyen.  Nous  regrettons  de  ne 
pouvoir  entrer  ici  dans  un  examen  serré  de  cette  publicar 
tion  donjt'ii  serait  d'ailleurs  superflu  de  montrer  l'impor- 
tance et  dont  l'intérêt  saute  aux  yeux. 

Dans  l'Afrique  australe,  les  Anglais  surtout,  mais  les  Por- 
tugais aussi,  font  preuve  d'une  activité  dont  la  géographie 

1.  Timbuktu,  Leipzig,  1884. 


216     BAPPOBT  SUR  LES  TRATACX  V£   LA  SOCIÉTÉ 

profite  en  même  temps  qoe  la  civilisation;  M.  André 
A.  Aderson  a  domié  dans  les  Proeeedimgs  de  la  Royal  Geo- 
graphical  Society,  le  résomé  de  seize  ans  de  traranx  géo- 
graphiques exécntés  entre  le  flenTC  Oranje  et  la  lÎTière 
Taal  an  saJ,  le  Zambézi  et  le  Koobango  an  nord,  et  les 
deux  océans  à  l'est  et  à  Tonest.  Une  grande  carte  est  le 
résultat  final  de  ces  longues  et  méritantes  explorations; 
elle  nous  montre,  couverts  de  détails  topographîques  et  de 
cotes  de  hauteur  qui  font  ressortir  les  grands  caractères  da 
relief  du  sol,  le  pays  des  Matébéli,  la  région  des  étangs  et 
le  Kalahari  ou  Kalahara,  qui  lui  font  suite  dans  la  direction 
du  sud-ouest. 

Le  docteur  Emile  Holub,  ce  hardi  et  heureux  explorateur 
de  l'Afrique  australe,  est  reparti  pour  ;le  champ  des  tra- 
vaux qui  lui  ont  valu  une  si  juste  notoriété.  Le  14  juillet, 
de  Groonvley,  dans  l'état  libre  d'Oranje,  il  répondit  par  nn 
mémoire  nourri  de  faits  à  une  question  que  notre  col- 
lègue M.  Henri  Duveyrier  lui  avait  adressée  relativement  à 
la  distribution  et  au  cantonnement  géographiques  des 
genres  de  manmiifères  dans  l'Afrique  australe.  Il  envoyait 
en  même  temps  les  éléments  de  ses  mesures  barométriques 
sur  le  Colesberg. 

Le  passé  de  M.  Holub  nous  autorise  à  compter  que  sa 
nouvelle  entreprise  produira  des  résultats  précieux. 

Un  autre  vétéran  parmi  les  voyageurs,  M.  Selous,  a 
perlé  ses  pas  vers  le  canton  inexploré  où  prend  sa  source  le 
Sabi  ou  Ghabi,  tributaire  de  l'Océan  indien.  Il  a  trouvé  là, 
sur  la  ligne  de  partage  de  ce  bassin  et  du  bassin  du  Zam- 
bézi, des  terres  au  climat  très  frais  et  qui  se  prêteraient 
admirablement  à  des  projets  de  colonisation  européenne. 
G*est  là  encore  une  addition  à  nos  connaissances  sur  le 
Matébéli. 

Sur  le  Zambézi  nous  avons  à  mentionner  la  publication 
bienvenue  quoiqu'un  peu  tardivement  faite  par  le  gouver- 
nement portugais,  du  rapport  de .  mission  du  capitaine 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     217 

4 

PachecOy  qui  fut  chargé,  en  1881,  de  rétablir  après  vingt- 
cinq  ans  d'abandon  le  poste  de  Zoumbo,  près  du  confluent 
de  la  Loungwa. 

Au  mois  d'octobre  dernier  le  gouvernement  portugais  a 
confié  au  major  Serpa  Pinto  une  mission  secrète.  On  croit 

r 

pourtant  savoir  qu'il  s'agit  cette  fois,  pour  le  voyageur, 
d'explorer  le  pays  entre  Mozambique  et  le  lac  Nyassa,  et 
peut-être  ensuite  la  route  du  lac  Nyassa  au  lac  Kongo.  Le 
choix  de  M.  Serpa  Pinto  indique  qu'il  s'agit  d'une  entre- 
prise importante  et  que  le  Portugal  songerait  à  faire  valoir 
sa  belle  position  dans  l'Afrique  australe.  La  même  idée  est 
encore  confirmée  par  la  nouvelle  du  départ  de  Malinge  ou 
Malange,  d'une  expédition  portugaise  qui,  traversant  l'État 
de  Mata-Yanvo,  doit  chercher  à  ouvrir  une  route  de  l'Atlan- 
tique à  Mozambique. 

Les  Anglais  ont  plus  que  jamais  les  yeux  tournés  sur  le 
bassin  du  Zambézi  et  les  territoires  situés  plus  au  nord-est 
D'une  part,  voici  la  publication  dans  laquelle  M.  Johnson, 
missionnaire  anglais,  résume  ses  sept  ans  d'expérience  et 
d'observations  à  l'est  du  lac  Nyassa.  Il  s'agit  par  conséquent 
de  la  première  partie  du  théâtre  de  la  nouvelle  mission  de 
M.  Serpa  Pinto.  Ses  observations  qui  partent  de  la  côte 
orientale,  suivent  le  cours  du  Rovouma,«à  l'ouest,  jusqu'aux 
sources  de  ce  fleuve  et  de  la  Loudjendé;  elles  embrassent 
tout  le  pays  de  Yao,  habité  par  les  Adjawa,  entre  le  haut 
Rovouma  et  la  haute  Loudjendé;  elles  vont  jusqu'au  rivage 
est  du  Nyassa,  que  M.  Johnson  a  relevé  en  entier  et  qu'il  a 
même  dépassé  d'un  degré  dans  le  nord-est.  Son  point 
extrême  est  le  village  d'Ouatalinini,  dans  le  pays  des  Wa- 
bena  ou  Wadjinza.  Parmi  les  observations  sur  ce  haut 
pays,  que  nous  devons  au  missionnaire  protestant,  il  en  est 
une  qui  bien  qu'étrangère  à  la  géographie  physique  n'en 
mérite  pas  moins  d'attirer  notre  attention.  Au  village  du 
chef  Makandjila,  c'est-à-dire  sur  le  rivage  sud-est  du  lac 
Nyassa,  M.  Johnson  a  trouvé  une  mosquée  d'oîi  part  un 


218     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

enseignement  musulman  très  zélé.  Ge  pays  était  enc(»*e 
tout  à  fait  païen  il  y  à  peu  d'années.  La  religion  musulmane 
progresse  donc  ici,  comme  un  autre  voyageur. nous,  apprend 
qu'elle  fait  à  Lagos,  sur  la  e6te  de  Guinée,  oîi  Ton  voit 
maintenant  plusieurs  mosquées  *  avec  une  communauté 
mahométane  assez  nombreuse.  Qr,  à  cinquante-neuf  ans  en 
arrière,  quand  le  capitaine  Gtapperton  choisisfiait  Lagos 
comme  point  de  départ' de  son  dernier  voyage^  il  n'y  troa- 
vait  en  fait  de  musulmans  que  des  étrangers,  de  passage, 
quelques  'négociants  venus  du  Bornou  qui  se  contônlaient 
de  la  mosquée  par  excellence)  la  voûte  du  firmament. 

Toute  la  région  du  nbrd-est  du  bassin  du  Zambézi  et  son 
voisin  oriental,  le  petit  bassin  fermé  de  Chirwa,  se  couvrent 
d'un  réseau  de  nouveaux  itinéraires.  Un  natorali^  anglais, 
M.  H.  Drummond,  afait  une  excursion  delaChiré  au  rivage 
sud  du  lac  Chirwa  ou  Tamand^va,  au  sud-est  du  Nyassa, 
dans  un  pays  que  menacent  constamment  les  incursicms  des 
Mazitou.  Il  rapporte  des  observations  précieuses  en  elles- 
mêmes,  nqais'qui  acquièrent  une  grande  portée  quand  on  ks 
rapproche  de  la  situation  connue  du  lac  Nyassa,  beaucoup 
plus  au  sud, 'et  de  la  découverte  du  lit  d'un  grand  lac  des- 
séché, faite  parM.  Thomson,  beaucoup  plus  au  nord. Actuel- 
lement, dit  M.  Drummond,  le  lac  Chirwa  n'occupe  plus  que 
le  dernier  fonîd  de  la  cuvette  qu'il  remplissait  jadis,  ei*la 
rivière  Loudjendé  né  sort  pas  ou  plutôt  ne  sort  plus  du 
Chirwa;  un  grand  banc  de  sable  fait  aujourd'hui  ecmime 
une  barrière  entre  elle  et  ce  lac. 

Prenant  le  chemin  opposé,  celui  de  Mazambik  ou  Mo- 
zambique, le  missionnaire  anglais  O'Neill  a  rapporté  d'un 
voyage  au  pays  situé  entre  la  côte  orientale,  le  lac  Chirwa 
et  les  sources  de  la  Loudjendé,  les  déterminations  astrono- 
miques de  la  latitude  du  rivage  nord  du  lac  et  des. sources 
de  la  Wvière.  yécart  entre  les  deux  points  serait  de  46'.  A 
peu  près  sous  le  nième  parallèle  M.  O'Neiil  a  découvert  le 
petit  lac  Amaramba,  un  lac  minuscule  en  comparaison  des 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     219 

autres  réservoirs  si  nombreux  dans  l'intérieur  de  TAfrique. 
Revenant  à  Angoche  ou  Angocha,  sur  la  côte  orientale,  par 
la  vallée  de  la  Likoungou,  il  en  est  reparti  pour  aller  par  une 
route  nouvelle  à  la  Chiré  et  à  Blantyre.  Le  voyageur  a 
exécuté  un  grand  nombre  d'observations  astronomiques^qui 
feront  de  ses  itinéraires  une  base  solide  pour  le  figuré  de 
cette  partie  si  peu  connue  de  l'Afrique. 

A  des  titres  divers,  nous  devons  citer  ici  Tœuvre  pour- 
suivie par  M.  J.  Stewart  dans  le  pays  qui  sépare  le  Nyassa 
et  le  Tanganyka.  Chargé  par  les  Anglais  de  construire  une 
route  entre  ces  deux  lacs,  il  a  conduit  les  travaux  par  Mali- 
wanda,  à  92  kilomètres  dans  l'ouest  du  Nyassa,  et  de  là  au 
mont  Mapouroumouka,  en  traversant  des  affluents  de  la 
Songwé,  un  tributaire  du  lac,  de  la  Longwa,  tributaire  du 
Zambézi  et  de  la  Tcbambézi,  une  des  tètes  du  cours  de 
Kongo.  M.  Stewart  a  fait,  entre  autres,  une  observation  fort 
impoi'tante,  d'où  il  résulterait  que  la  source  de  la  Tcbam- 
bézi et  par  conséquent  l'une  des  plus  lointaines  sources  du 
Kongo  ne  serait  qn'à  l'altitude  de  1402  mètres. 

La  faiblesse  de  cette  cote^  rapprochée  des  trois  groupes 
de  chutes  qui  barrent  le  fleuve  dans  le  pays  de  Manyema, 
dans  le  Wenya,  et  enfin  en  aval  de  Stanley-Pool,  expliquerait 
que. sur  le  Loualàba  et  dans  les  longs  biefs  que  séparent  les 
cataractes,  le  courant  du  Kongo  doit  être  relativement  très 
faible. 

Les  travaux  de  M.  Stev^art,  si  utiles  à  la  géographie,  re- 
montent à  l'année  dernière;  le  30  août  1883,  en  revenant  au 
Nyassa,  le  méritant  ingénieur  a  été  emporté  par  la  ma- 
ladie« 

La  route  entreprise  par  M.  Stewart  était-elle  achevée  cette 
année-ci?  On  peut  le  penser,  car  déjà  la  London  Missionary 
Society  a  pu  faire  transporter,  par  les  soins  de  l'African 
Lakes  Company,  un  bateau  à  vapeur  du  lac  Nyassa  au  lac 
Tanganyka.  La  vapeur,  organe,  essentiel  de  la  civilisation 
moderne,  a  donc  siffié  sur  le  Tanganyka,  comme  elle  avait 


220     RAPPORT  SUR  LES  TRATAUX  HE  LA  SOCIÉTÉ 

fait  déjà  SOT  le  Nyassa,  sur  le  baot  Nil,  enfin  soi  le  haot 
Kongo  dont  tons  ici,  à  de  rares  exceptions  piès,  noos  doqs 
rappelons  la  découfeiie. 

Signalons  enfin,  snr  le  même  terrain,  le  départ  des 
Toyagenrs  allemands  Bôhm  et  Reichard,  de  la  station  belge 
de  M*i»a]a,  c'est-à-dire  da  rivage  ouest  da  lac  Tanganyka, 
ponr  atteindre  !e  lac  Moero. 

La  cÎTilisation  ne  progresse  pourtant  pas  là  sans  crises. 
Nous  ayons  appris  qu'à  la  suite  du  meurtre  par  un  Européen, 
du  chef  des  Makololo,  ces  fidèles  amis  de  LiTingstone, 
le  Tapeur  Laig  Nyassa  portant  le  courrier  anglais  a  été 
coulé  bas  par  les  Makololo  sur  la  Chiré. 

L'ordre  géographique  adopté  dans  ce  rapport  nous  amène 
à  mentionner  ici  une  nouTelle  entreprise  de  l'Association 
internationale  africaine.  Elle  Tient  d'envoyer  le  lieutenant 
Becker,  à  la  tête  d'une  expédition  chaire  de  traTerser 
l'Afrique  de  l'est  à  l'ouest  et  de  relier  par  de  nouvelles  sta- 
tions celle  de  Karéma  aux  stations  récemment  fondées  snr 
le  haut  Kongo. 

La  géographie  a  de  fort  belles  conquêtes  à  enregistrer 
cette  année  dans  la  région  des  monts  sourcilleux  de  l'est  et 
des  cours  d'eau  qui  en  descendent.  Signalons  d'abord  la 
publication,  à  Hambourg,  du  Toyage  accompli  en  1883  par 
M.  G.  A.  Fischer,  du  fleuve  Pangani  au  Kilima-N'djâro.  Con- 
tournant le  Kilima-N'djàro  M.  Fischer  a  tu,  à  l'est  de  Som- 
bou^  le  N'gouroumàn,  un  des  sommets  les  plus  hauts  de  la 
ligne  des  bassins  de  l'Océan  indien  et  du  Nil.  Il  s'est  avancé 
du  c6té  du  nord,  jusqu'au  lac  Naîvacha  dont  la  découverte 
et  la  constatation  qu'il  forme  un  bassin  fermé,  à  1900  mètres 
d'altitude,  lui  appartiennent.  Ayant  atteint  Mourentat,  à 
l'extrémité  nord  du  lac,  M.  Fischer  a  dû  hâter  son  retour  en 
présence  de  l'attitude  hostile  desMasaî  et,  marchant  plus  au 
sud-ouesty  il  a  touché  le  volcan  de  Donyo  N'gaî  avant  de 
revoir  son  point  de  départ. 
Les  résultats  importants  dus  à  H.  6.  A.  Fischer  sont 


ET  ST7R  LES  PROGRÉS  DES  SCIENCES   GÉOGRAPHIQUES.      221 

quelque  peu  éclipsés  par  les  travaux  d'un  émule  encore  plus 
heureux,  M.  Thomson,  qui,  pour  les  voyages  en  Afrique 
dont  la  mention  appartient  à  1884,  serait  le  seul  rival  pos 
sible  de  notre  compatriote  M.  de  Foucauld,  s'il  avait  comme 
lui  déterminé  des  latitudes  et  des  longitudes. 

Déjà  connu  de  vous  par  un  voyage  en  Ouroua,  à  l'ouest 
du  Tanganyka,  M.  Joseph  Thomson,  commençait  le  15  mars 
1883,  à  Rabbal,  près  Monbâsa,  site  bien  connu  de  la 
mission  protestante,  une  expédition  dont  les  fatigues  et  les 
dangers  auront  du  moins  largement  profité  à  la  géographie. 
Votre  rapporteur,  ne  pouvant  suivre  M.  J.  Thomson  dans 
ses  longs  itinéraires,  se  contentera  de  vous  présenter  une 
courte  synthèse  de  l'œuvre  du  voyageur,  en  l'animant  par 
l'exposé  des  épisodes  les  plus  caractéristiques  de  l'expé- 
dition. Escorté  de  cent  vingt  porteurs  recrutés  parmi  ce 
que  la  plage  de  Zanzibar  offrait  de  moins  bon,  il  arrivait 
au  Rilima-N'djâro  en  traversant  un  pays  déjà  décrit.  Sur 
la  route  qui  conduit  à  ces  cantons  pittoresques  du  Djagga 
que  nous  ont  fait  connaître  le  baron  von  der  Decken  et 
M.  Kersten,  il  rencontrait  les  Wa-Taveta,  population  pai- 
sible, hospitalière  et  honnête,  bien  que  de  mœurs  assez 
peu  rigides.  Ces  Wa-Taveta,  les  Wa-Dafeta  de  von  der 
Decken,  étaient  dans  l'origine  des  Bantou,  des  Cafres  pur 
sang;  par  la  suite  des  âges,  des  Masaî  ou  Wa-Kwâfi,  comme 
les  nomment  les  Sawâhili,  ayant  perdu  tous  leurs  troupeaux 
dans  des  guerres  intestines,  vinrent  se  réfugier  chez  les 
Wa-Taveta;  la  nécessité  fit  d'eux  des  cultivateurs,  et  des 
alliances  entre  les  deux  tribus  sortit  la  population  actuelle. 

A  Taveta  commencèrent  les  difficultés.  Il  fallait  pénétrer 
chez  les  Masaï  qui  sont  la  terreur  de  tous  les  voisins  et 
auxquels  en  outre,  M.  Fischer  avait  livré  un  combat  quel- 
ques jours  auparavant.  M.  Thomson  n'en  essaie  pas  moins 
de  contourner  sur  les  mêmes  traces,  c'est-à-dire  par  l'ouest, 
le  massif  du  Kilima  N'djâro.  Longeant  d'abord  le  gros 
massif  par  sa  base  sud,  il  en  fait  bientôt  l'ascension  jusqu'à 


222      BAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

2665  mètres  d'altitude^  pour  collectionner  des  plantes.  Il 
put  ainsi  contempler  de  près  I^  deux  pics  neigeux,  le  Kibo, 
le  plus  haut  à  Toùest,  et  le  Kimawenzi,  à  Test,  qui  domi- 
nent tout  cet  eiiisemble  montagneiù.  La  présence  de  Ha- 
saï  signalés  sur  la  roùte^  dans  la  plaine^  avait  engagé 
M.  Thomson  à  suspendre  sa  marchie  au  nord.  IL  la  i^^pcend 
danslà  direction  ouest  et  arrive  bientôt  à  Kibonoto^  e'esl- 
à-dire  à  la  frontière  du  pays  des  Masaï  et  à  leurs  premiers 
kraalSy  ceux  de  N*garé  N'érobi,  dans  le  cautôn  de  Siguî- 
rariy  directement  à  l'ouest  du  Kilima  rrdjàro.  An  début 
l'accueil  est  favorable,  mais  il  en  coûte  dix  charges  de.  ver- 
roterie et  malgré  cette  libéralité  les  indigènes  ne  tardèrent 
pas  à  devenir  tout  à  fait  hostiles;  un  couteau  est  levé  sur 
M.  Thomson,  le^pays  prend  les  armes,  on  veut  venger  le 
sang  versé  par  M.  Fischer,  Il  dut  battre  en  retraite  surTaveta 
etMonbàsa,  autant  pour  recruter  ides  porteurs,  car  les  siens 
frappés  de  panique  s'étaient  débandés,  que  poor  prendre 
un  nouvel  approvisionnenaent  de  marchandises. 

Rê^venu  à-Taveta  il  se  décide  à  contourner  le  Kilima- 
N'djâro  par  l'est,  il  passe  une  des  tôtes  de  la  T^vo,  affluant 
du  fleuve  Sabaki  et  se  retrouve  bientôt  sur  un  autre  point 
de  la  frontière  des  Masaï.  De  ce  côté-là  les  guerriers  des 
tribus  étant  partis  en  expédition^  M.  Thomson  peut  étudier, 
au  nord  du  massif,  la  dépression  de  ^'guiri,  située  à 
1082  mètres;  c'est  le  fond  boueux,  humide  et  salin  d'Un 
ancien  lac,  encore  tout  couvert  de  sources,  de  mares  et  de 
marais,  et  qui  devait  avoir  une  grande  étendue.  Aucun 
ruisseau  du  Kilima-N'djâro  ne  vient  aboutit  à  cette  dé- 
pression. 

Quatre  marches  plus  loin  dans  le  nord-Ouest  conduisent 
le  voyageur  au  pied  du  Donyo  Ërok,  où  le  terrain,  volca- 
nique dans  la  région  précédente,  devient  métamorphique. 
A  ce  point  du  voyage  les  Masaï,  «  ces  .sauvages  les  moins 
scrupuleux  et  les  plus  arrogants  de  TAfrique  n,  sont  les 
maîtres  de  la  caravane,  a  Slls  nous  avaient  tiré  le  nez, 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SGIEKGES  GÉOGRAPHIQUES.     223 

ajoute  M.  Thomson,  nous  étions  forcés  de  leur  offrir  nos 
plus  gracieux  sourires  pour  toute  réponse.  »  Sous  la  plume 
du  voyageur  anglais  lé  portrait  des  Masaî  n'a  rieii  de  bien 
séduisant:  sale,  puant,  graisseux  et  badigeonné  d'argile^ 
>  le  Masaï  ne  songe  à  prendre  f^mme  que  sur  le  déclin  de  âa 
vie,  tant  il  aime  les  émotions  des  guerres  et  des  coups  ijle 
main.  Alors  seulement  il  abandonne  son  lourd  bouclier  en 
peau  de  buffle,  son  sàbrë,  sa  lance  et  sa  massue;  il  se  fait 
honnête  homme  et  se  marie^  mais  il  ne  cesse  pas  d'être  le 
nomade  enragé,  toujours  émigrant  en  quête  de-pàtuiages. 

Du  Kilima-N'djàro,  c'est-à-dire  de  3<>  de  latitude  sud,  au 
lac  Baringp,  par  1^45^  de  latitude  nord,  il  découvre  et  suit 
au  nord-nord-ouest  une  dépression  très  caractéristique  aux 
points  de  vue  géographique  et  géologique,  qu'on  à  déjà 
cherché  à  comparer  et  à  rattacher  aux  dépressions  de  la 
vallée  du  Nil' et  delà  mer  Morte.  C'est  là  que'  M.  T.homsDn 
trouve  non  s^eulement  les  marécages  de  N'guiri,  dont  il  arété 
question,  mais  encore  les  lacs  Nalvacha,  haut  de  1829  mètres, 
ËlmeteUa  et  Nakouro,  puis  enfin,  à  l'extrémité  nord  de  son 
itinéraire  et  à  914  mètres  seulement  d'altitude,  le  la<;  Ba- 
ringo  ou  plutôt  le  lae  des  Ba-^Ringo  ;  en  effet;  ce  nom  signifie 
c  peuple  du  léopard»;  la  carte  du  capitaine  Speke  nous 
montrait  le  lac  Baringo  comme  une  annexe  orientale  du 
N'yanza  et  relié  au  Nil  par  l'Avoua.  Aptiès  la  traversée'  de 
l'Afrique  par  M;  Stanley  il  fallut  bien  isoler  le  Baringo  du 
N'yanza,,  mais  aujourd'hui  seulement;  grâceà  M.  Thomson, 
nous  connaissons  devisu  etla  véritable  position  et  l'étendue 
relativement  faible  de  ce  lac  qui  forme  un  petit  bassin  indé^ 
pendant. 

Toute  cette* partie  de  la/  relation  de  M.  Thomson  est  riche 
•en  observations  géologiques  du  plus  haut  intérêt.  Autour 
des  lacs,  en  dedans  des  chaînes  de  montagnes  qui  bordent 
à  l'est  et  à  Toiiest  la  longue  coulée;  les  signes  de  l'action 
volcanique  abondent.  Le  volcan  éteint  du  Donyo  Longonot, 
avec    son    cratère   aux    arêtes   tranchantes,    hautes    de 


m  RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

2743  mètres  ;  l'entassement  des  débris  de  roches  volcani- 
ques qui  ont  aidé  à  la  formation  du  lac  Naivacha  ;  les  cônes 
d'éruption,  les  sources  thermales,  les  fissures  fumantes  et 
le  mont  Bourou  qui,  non  loin  de  là,  lance  des  vapeurs, 
voilà  tout  un  ensemble  de  découvertes  d'une  véritable  im- 
portance; M.  Fouqué  y  trouverait  sans  doute  matière  à 
bien  des  études. 

A  l'est  de  la  curieuse  coulée,  M.  Thomson  a  poussé  une 
reconnaissance  jusqu'au  pied  du  haut  mont  Kénia  dont 
aucun  autre  Européen  ne  s'était  approché  aussi  près.  Pour 
y  arriver  il  a  traversé  une  chaîne  qu'il  a  nommée  Aberdare 
Range,  du  nom  du  président  actuel  de  la  Royal  Geogra- 
phical  Society,  puis  un  plateau  où  il  rencontre,  avec  une 
forêt  de  conifères,  un  vrai  brouillard  épais  d'Ecosse.  Le 
Kénia,  cône  volcanique  d'aspect  majestueux  qui  émerge 
d'une  plaine  haute  elle-même  de  1737  mètres,  mesure 
55  kilomètres  de  diamètre  à  la  base.  Jusqu'à  4500  ou 
4600  mètres,  la  montagne  s'élève  progressivement  par  une 
pente  faible;  mais  tout  à  coup  se  dresse,  en  forme  de  pain 
de  sucre,  la  partie  la  plus  haute,  dont  les  flancs  sont  tel- 
lement abruptes  que  la  neige  ne  trouvant  pas  à  se  fixer 
partout,  blanchit  par  taches   seulement  la  teinte  noire 
générale  du  Kénia.  De  là  le  nom  qu'il  porte  chez  les  Masaî, 
Donyo  Eguéré,  qui,  d'après  son  itinéraire  veut  dire  «  mont 
moucheté  ».  M.  Thomson  a  déjà  publié  la  position  du 
Kénia  :  0^10'  sud,  34^25'  est  de  Paris,  mais  il  ne  paraît  pas 
que,  malgré  les  éclaircies  qui  permettent  assez  régulii- 
rement,  soir  et  matin,  de  contempler  la  cime  du  Kénia 
comme  celle  du  Kilima  N'djâro,  il  ait  eu  un  théodolite  pour 

mesurer  la  hauteur  absolue  de  la  montagne. 

A  l'est  et  parallèlement  à  la  longue  coulée  dont  il  a  été 
question  plus  haut,  nous  trouvons  alignés,  du  sud  au  nord, 
sur  une  bande  qui  ne  mesure  pas  plus  de  3"^  de  longitude  (à 
partir  de  3M0'  de  latitude  sud,  jusqu'à  6*34'  de  latitude  nord) 
le  Kilima-N'djâro,le  Kénia,  le  Tchibtcharagnani,  le  Ligonyi 


ET  SUR  LES  PROGRÉS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      225 

OU  Ëlgon  et  le  Wocho,  c'est-à-dire  cinq  des  plus  hauts  som- 
mets de  toute  TAfrique;  leur  formation  est  due  presque  et 
indubitablement  à  un  grand  soulèvement  volcanique. 

Une  épizootie  particulière  décimait  les  troupeaux  des  en- 
virons du  Kénia,  et  les  Masal  souffraient  de  cette  maladie, 
terrible  conseillère,  la  faim.  Ils  vinrent  donc  à  M.  Thomson 
lui  demander,  le  couteau  sur  la  gorge,  un  remède  contre  le 
fléau  qui  les  accablait.  Le  voyageur  leur  échappa  par  une 
fuite  de  nuit. 

À  l'ouest  du  lac  Baringo  il  a  atteint  le  rivage  du  lac 
N'yanza.  Toujours  en  pays  masaï  il  a  traversé  et  relevé 
les  chaînes  méridionales  du  Kamassia  et  de  l'Elgueyo 
(2372  mètres),  à  l'ouest  desquelles  il  se  trouvait  dans  le 
bassin  du  grand  lac,  et  dans  le  Kavirondo  dont  le  nom  n'a 
jamais  été  que  celui  d'une  plaine  et  non  celui  d'un  lac.  Au 
point  de  vue  ethnologique  il  a  constaté  ce  fait  remarquable 
que  les  Wa-Kavirondo,  comme  les  Wa-Taïta,  sont  un 
mélange  de  deux  sangs;  et,  tandis  que  les  tribus  du  nord 
sont  parentes  par  la  langue  des  Wa-Sawahîli  de  la  côte  de 
Zanzibar,  les  tribus  du  sud  parlent  une  langue  de  la  famille 
nilotique.  Après  bien  des  objections  on  laissa  M.  Thomson 
arriver  au  lac,  à  82  kilomètres  du  point  oi!i  en  sort  le  Nil. 
Ses  observations  nous  obligent  à  réduire  de  beaucoup 
l'étendue  du  N'yanza  dans  la  direction  nord-est. 

Une  dernière  observation  importante,  recueillie  par 
M.  Thomson,  ouvre  des  aperçus  tout  nouveaux  dans  l'his- 
toire d'une  partie  de  l'Afrique  où  la  civilisation  n'est  plus 
aujourd'hui  qu'à  différents  âges  de  son  enfance.  En  allant 
au  N'yanza  il  a  laissé,  un  peu  dans  le  nord,  deux  hauts 
massifs,  le  Tchibtcharagnani  (3600-3700  mètres)  et  l'Elgon, 
ou  Ligonyi  (4'250-'4260  mètres).  Dans  les  premières  assises 
du  massif  de  l'Elgon,  du  côté  du  sud,  assises  formées  d'un 
conglomérat  dur  d'origine  volcanique,  il  a  découvert,  ran- 
gées en  ligne,  des  caves  artificielles  dont  quelques-unes 
servent  d'abri  à  tout  un  village,  y  compris  les  parcs  à  bes- 


226  RAPPORT  SUR  LES   TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

tiaux.  Ces  caves,  que  le  voyageur  estime  creusées  de  la  main 
des  hommes  et  qui  s'étendent  au  loin  dans  Tintérieur  de  la 
montagne,  atteignent  jusqu'à  9  mètres  de  hauteur;  elles 
sojit  consolidées  au  moyen  de  colonnes  qui  supportent  le 
plafond.  En  raison  de  leur  nombre,  de  leurs  dimensions, 
de  leur  position  par  rapport  à  certain  point  de  l'horizon,  en 
raison  aussi  de  l'absence  de  toute  tradition  qui  s'y  rapporte, 
parmi  les  habitants  actuels, M.  Thomson  croit  que  ces  caves 
sont  d'anciennes  galeries  de  mine.  Une  va  pas  plus  loin  dans 
ses  hypothèses,  laissant  à  un  successeur  assez  heureux  pour 
y  pénétrer  et  aux  savants  archéologues,  la  tâche  de  rattacher 
ces  monuments  à  une  civilisation  définie. 

Sans  avoir  perdu  un  seul  de  ses  porteurs,  sans  s'être 
trouvé  dans  le  cas  de  tuei*  un  seul  indigène,  M.  Thomson 
rentra  à  Monbâsa  en  repassant  par  les  contrées  qu'il  avait 
traversées  à  l'aller. 

Le  voyage  de  M. «Thomson  enrichira  la  géographie  d'un 
long  itinéraire  appuyé  sur  des  observations  hypsométriqiies 
et  astronomiques  qui  contribueront  à  remplir,  tout  en  la 
rendant  plus  précise,  la  carte  de  l'Est  africain. 

L'Angleterre  a  pour  consul  à  Monbftsa  M.  G.-B.  Gissing, 
capitaine  de  vaisseau.  Cet  officier  a  accompli  au  nord-ouest 
de  son  poste  une  excursion  jusqu'au  mont  N'dâra,  dans  le 
but  de  visiter  la  mission  protestante  anglaise  qui  y  est 
établie. 

Dans  le  massif  du  Kilima-N'dàro<  le  prochain  rapport  re- 
trouvera M.  H.-H.  Johnstpn,  dont  il  a  été  question  plus  haut. 
Chargé  par  la  British  Association  for  the  Advancement  of 
Science  d'étudier  la  faune  et  la  flore  de  ces  mmitagnes, 
M.  Johnston  j  annonçait  son  arrivée  dès  le  mois  de  juin 
dernier.  i 

DumontKénia,  on  le  sait  presque  sûrement  aujourd'hui, 
descend  le  fleuve  Tana,  tributaire  de  l'Océan  indien.  Cette 
année-ci  M.R.Kiepert  a  dressé  et  publié  la  carte  du  voyage 
de  MM.  Clément  et  Gustave  Denhardt,  qui  partis  des  deux 


ET   SUR  LES  PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.    227 

embouchures  appelées  Ozi  et  Tana,  s'arrêtèrent  à  Massa,  à 
près  d'un  degré  et  demi  de  l'Océan  indien.  Nous  remarquons 
d'abord  que  malgré  les  voyages  de  Brenner,  accomplis  il  y 
a  yingt  ans,  môme  la  partie  inférieure  de  ce  cours  d'eau 
était  inconnue.  On  ne  soupçonnait  pas  les  sinuosités  décrites 
par  le  bas  Tana  et  qui  dépassent  en  nombre  comme  en 
importance  celles  de  la  Seine  à  l'ouest  de  Paris.  MM.  Den- 
hardt  rapportent  aussi  une  constatation  intéressante  pour 
l'ethnologie.  Le  Tana  arrosait  jadis  une  partie  du  domaine 
propre  à  la  race  oromo  ou  galla.  Aujourd'hui  encore  on 
trouve  bien  les  Oromo  à  l'est  et  à  l'ouest  du  fleuve,  près  de 
l'Océan,  mais  la  race  çomâlie,  veiiant  de  l'intérieur,  a  déjà 
pénétré,  comme  ferait  un  coin,  le  long  de  la  rive  est  du 
Tana,  jusqu'à  cinquante  kilomètres  de  la  mer. 

Lès  pays  de  l'intérieur  peuplés  par  les  Oromo  et  par  les 
Qomâli  sont  encore  le  sujet  d'une  étude  oùlës  missionnaires 
ont  groupé  de  nouveaux  renseignements  puisés  aux  sources 
indigènes,  et  que  vient  de  publier  M.  Ravenstein.  Quant  à 
l'extrémité  nord  de  la  même  région^ nous  n'avons  à  signaler 
que  le  départ  d'un  nouveau  voyageur,  le  docteur  von  Har- 
deggerqui  choisit  la  ville  de  Hèrèr  pour  premier  but  de  ses 
travaux. 

En  Ethiopie  nous  trouvons  le  chef  de  la  mission  de  la 
Société  italienne  d'explorations  en  Afrique,  M.  G.  Blanchi, 
terminant  un  long  voyage  dont  la  relation  ne  saurait  man- 
quer d'intérêt.  Connaissant  déjà  l'Awàsi,  et  ayant  visité  la 
partie  nord  du  domaine  de  la  race  oromo,  il  a  poussé,  à 
partir  du  lac  Achangui,  une  pointe  en  pays  inconnu,  chez  les 
'Afar.  Les  altitudes  qu'il  a  déterminées  à  l'est  d'Afgol  Guior- 
guis,  à  Makalé  (2040  mètres),  à  Sekek  (1470  mètres),  en  se 
rendant  chez  les  Tantali,  indiquent  pour  la  première  fois  le 
niveau  des  derniers  étages  du  plateau  éthiopien  dans  cette 
direction.  Du  mois  de  mars  au  mois  de  juillet  1884  partant 
de  Makalé,  dans  la  province  d'Enderta,  il  a  descendu  le  bord 
est  de  ce  plateau,  et  s'est  avancé  à  plus  de  100  kilomètres 


as  RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

daos  la  plaine  jusqu'à  Aîla,  sur  les  affluents  supérieurs  de 
la  Kila,  à  752  mètres  seulement  d'altitude^.  Cette  excursion 
nous  fait  connaître  une  contrée  qui,  bien  qu'assez  peu 
étendue,  n'en  était  pas  moins  tout  à  fait  nouvelle;  les  azi- 
muts, l'itinéraire  et  les  observations  du  baromètre  anéroïde 
recueillis  par  le  voyageur  auront  un  prix  réel.  Dans  ses  der- 
nières lettres  M.  Bianchi  annonçait  que,  partant  de  la  fron- 
tière de  l'Ethiopie,  il  allait  descendre  la  Gwalima  et  chercher 
le  chemin  direct  de  l'Ethiopie  à  la  colonie  italienne  d'Assab. 
C'était  promettre  une  nouvelle  et  importante  addition  à 
nos  connaissances  sur  les  pays  'afar.  Nous  faisons  des  vœux 
pour  voir  prochainement  démentir  une  nouvelle  publiée-aa 
mois  de  novembre  (1884),  et  d'après  laquelle  un  malheur 
serait  arrivé  à  M.  Bianchi. 

En  1881  M.  J.  Menges  parcourait  le  bassin  du  khôr  Ba- 
raka, le  pays  des  Béni  'Amer  et  des  Kounama  ou  Baza  Bazôn, 
et  enfin  la  contrée  qui  les  sépare  de  Kassâla,  sur  le  khôr  El- 
Gàch.  Tous  ces  noms  géographiques  sont  bien  connus;  ils 
évoquent  aussi  parmi  nous  les  noms  d'explorateurs  de 
mérite.  Le  travail  que  vient  de  publier  M.  Menges,  avec  une 
carte  donnant  4cux  degrés  en  longitude  sur  un  degré  en 
latitude,  n'en  sera  pas  moins  précieux  pour  le  nombre  des 
détails  topographiques  qui  s'y  trouvent  consignés. 

Plus  nous  marchons  vers  l'achèvement  de  la  première 
découverte,  de  la  découverte  provisoire  de  l'immense  inté- 
rieur de  l'Afrique,  plus  laborieuse  devient  la  tâche  des  géo- 
graphes de  cabinet  et  des  constructeurs  de  cartes,  qui  ont 
à  peser  et  à  comparer  des  éléments  divers  de  plus  en  plus 
nombreux.  A  la  masse  de  documents  que  quarante-quatre 
ans  nous  ont  apportés  sur  le  Bahar  El-Ghazâl  et  les  pays 
voisins,  viennent  s'ajouter  la  carte  et  les  observations  du 
gouverneur  de  cette  province,  François  Lupton  Bey,  pu- 
bliées par  la  Société  de  géographie  de  Londres.  Cette  carte 

1.  M.  Bianchi  dit  à  1250  mètres  plus  bas  que  TEnderta. 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     339 

qui  corrige  utilement  celle  de  M.  Schweinfurth,  permet  de 
suiyre  les  itinéraires  de  Lupton  Bey  sur  un  espace  de 
six  degrés  de  longitude,  de  la  Mechera'a  £r-Rèq  à  la  rivière 
Foro,  affluent  de  la  Kouta  ou  M'bomo,  et,  dans  la  direction 
du  sud-ouest,  jusqu'un  peu  au  sud  des  itinéraires  du 
docteur  Potagos.  Le  gouverneur  de  la  préfecture  de  Bahar 
El-Ghazâl  a  étudié  les  rivières  de  sa  moudiriyé  et  les  a 
trouvées  navigables  pendant  la  plus  grande  partie  de  l'année* 
En  i883,  quarante  stations  militaires  maintenaient  la  sou* 
mission  du  pays  au  gouvernement  égyptien,  mais  déjà  les 
tribus  ralliées  à  la  cause  du  mahedî  Mohammed  Ben  Ahmed 
donnaient  fort  à  faire  à  Lupton  Bey  et  l'obligeaient  de 
remettre  à  des  temps  meilleurs  la  poursuite  de  ses  travaux 
géographiques. 

Au  moment  oti  paraissait  dans  les  Mitteilungen  de 
Gotha,  la  carte  des  collines  dans  la  région  nord-ouest  de 
Khartoûm,  levée  par  M.  J.  M.  Schuver,  le  bruit  de  la  mort 
de  ce  hardi  voyageur,  survenue  dans  le  bassin  du  Bahar 
El-Ghazâl,  prenait  quelque  consistance.  Malheureusement 
les  circonstances  semblent  prêter  de  la  vraisemblance  & 
cette  nouvelle.  Si  elle  se  vérifie,  nous  serons  des  premiers  k 
regretter  un  homme  éminemment  dévoué  et  dont  les  tra- 
vaux ont  une  utilité  reconnue. 

La  formidable  levée  de  boucliers  du  mahedi  qâderien,  en 
interrompant  les  relations  entre  l'Egypte  et  ses  dépen- 
dances du  haut  Nil,  n'a  pas  mis  en  retard  seulement  les 
envois  de  Lupton  Bey;  ceux  de  M.  Guillaume  Junker  ont 
subi  le  même  sort.  C'est  ainsi  que  les  Mitteilungen  ne 
nous  apportent  que  le  fruit  de  ses  reconnaissances  de 
1881-1883,  au  sud  de  la  Ouôllé.  Ce  travai  n'en  a  pas  moins 
un  intérêt  hors  ligne.  De  la  résidence  de  Mounza,  roi  des 
Monbouttou,  un  peu  au  sud  de  la  OuêUé,  M.  Junker  a 
relevé  le  cours  de  cette  rivière  jusqu'à  N'bia,  à  1°  30'  plus 
à  Touest,  dans  le  pays  des  Zandé.  Il  a  étudié  ses  affluents, 
jusqu'à  la  Pokho,  tributaire  sud  de  la  Mayo  Bomakandi, 

soc.  DE  GÉOGR.  —  2*  TRIMESTRE  1885.  VI.  —  16 


230  RAPPORT  SUR  LES  TRAYA13X  DE  LA  SOCIÉTÉ 

on  peu  au  çud  du  3"^  degré  de  latitude  ;  enfin,  près  du  2*  de- 
gré de  latitude  nord,  il  a  trouvé  dans  la  Nekoko  le  premier 
affluent  du  Kongo.  Toilà  une  donnée  dont  l'utilité  n'échap- 
pera à  personne. 

Nous  sera-t-ii  permis  d'ouvrir  ici  la  porte  à  une  décon- 
verte  ethnographique  et  historique?  C'est  la . linguistique 
qui  va  nous  servir.  Les  Foûlbé  et  leur  langue,  le  foulfooldé, 
paraissaient  jusqu'ici  cantonnés  dans  une  région  del'Àfiriqoe 
occidentale  séparée  par  plusieurs  degrés  de  longitude  des 
territoires  qui  nous  occupent  en  ce  moment.  Mayo  Boma- 
kandi  veut  dire  Rivière  de  Bomakandi,  or  mâyo  est  préci- 
sément l'équivalent  du  mot  rivière  daos  la  langue  des 
Foûlbé.  Trouvera*t-on  aussi  près  du  Kongo  des  parents  des 
Foûlbé,  peuple  si  caractérisé  et  jusqu'ici  si  énigmatique,  ou 
bien  cette  race  aurait-elle  seulement  laissé  dans  l'est  de  la 
région  équatoriale  la  trace  d'une  de  ses  migrations  ? 

Le  grand  N'yanza,  le  lac  Victoria  des  Anglais,  a  été  le 
théâtre  d'un  voyage  en  bateau,  fait  du  nord  au  sud,  d'un 
port  en  Ouganda  à  Eadjeî  ou  Eaguel,  le  long  de  son 
rivage  occidental,  par  M.  Mackay,  l'ingénieur  civil  au  ser- 
vice des  missions  anglaises.  Sa  relation  précise  encore 
notre  connaissance  de  la  partie  la  première  et  la  plus  sou- 
vent visitée  de  ce  «  réservoir  du  Nil  ».  Elle  nous  apporte 
aussi  les  notes  du  voyageur  sur  une  excursion  faite  par 
terre  de  Kadjeï  à  Msalala. 

Si  nettement  différent  qu'elle  soit  de  TAfrique  par  sa 
forme  et  par  l'homme  lui-même,  Madagascar  reste  pour  les 
géographes  une  dépendance  forcée,  un  fragment  de  la  carte 
d'Afrique.  Nous  consignerons  donc  ici  la  nouvelle  d'une 
traversée  de  Madagascar,  d'Antananarivo  au  sud-ouest,  par 
M.  Shufeldt,  lieutenant  de  la  marine  des  États-Unis.  Cette 
partie  du  continent  insulaire  malgache  était  encore  inex- 
plorée et  l'officier  américain  aurait  découvert  sur  sa  route, 
chez  les  Betsileô,  les  sources  du  fleuve  Zizibongy.  Ce  fleuve 
dont  le  nom  véritable  est  Tsijobonina,  se  jette  à  la  côte  occi- 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     231 

dentale  un  peu  au  nord  de  Morondaya;  à  son  embouchure 
est  la  ville  de  Tsîmandrafarazana,  appelée  souvent,  à  tort^ 
Tsimandrafouse.  Le  nom  de  Tsijobonina  ne  s'applique  qu'au 
cours  inférieur  du  fleuve?,  à  la  partie  qui  traverse  le  Menabe; 
le  nom  indigène  de  la  partie  moyenne  du  fleuve  estTsivi- 
hibina.  Ce  fleuve  figure,  du'  reste,  sur  la  carte  provisoire  de 
M.  A.  Grandidier,  publiée  en  1871  par  notre  Socîétéi 

Les  événements  qui  se  sont  produits  en  ces  derniers  temps 
ont  attiré  l'attention  publique  sur  Madagascar  et  donné 
l'essor  à  toute  une  série  de  pubKcations  où  se  rééditent  les 
données  antérieures  sur  Thistoire  et  la  géographie^  de  c^tte 
Ile  immense.  • 

La  grande  carte  de  Madagascar  dont  l'auteur,  M.  Joseph 
Mullens,  missionnaire  anglican,  a  bien  voulu  enrichir  notre 
bibliothèque,  a  servi  de  base  à  la  plupart  des  cartes  pro- 
duites pour  la  cifconçtance.  Les  cartel  publiées  par  la 
librairie  française  marqueront,  il  faut  le  dire,  un  ceH;ain 
progrès  sur-  les  productions  antérieures  de  même  origine. 
Notre  collègue^  M.  Orandidier,  en  effet,  a  prêté  aux  éditeurs 
le  concours  de  son  savoir  spécial  pour  rectifier  au  moins 
les  traits  généraux  du  figuré  de  l'île 

Cette  partie  du  rapport  resterait  incomplète,  si  elle  ne  men- 
tionnait l'apparition  ou  le  progrèii  des  études  dans  lesquelles 
viennent  se  concentrer  les  données  recueillies  sur  l'Afrique. 
La  publication  de  la  grande  carte  d'Afrique  dressée  au  Ser- 
vice géographique  de  l'armée  par  le  capitaine  Regnauld  de 
Lannoy  de  Bissy,  marche  rapidement.  Ces  soixante  feuilles 
dont  se  composera  cette  œuvre,  vingt-huit  sont  aujour- 
d'hui gravées  en  planimétrie  et  une  première  livraison  a 
été  tirée  avec  la  montagne^  Neuf  feuSles  nouvelles  sont  en 
cours  d'exécution;  elles  portent  plus  spécialement  sur  des 
parties  de  l'Afrique  vers  lesquelles  se  tourne  l'attention. 
C'est  ainsi  que  Madagascar,  la  côte  orientale,  le  haut  Zam- 
bézi,  l'empire  de  Lounda,  le  cours  moyen  du  Kongo  et  le 
Gabon,  figurent  sur  les  feuilles  gravées  en  1884.  L'œuvre  du 


S32   V  RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOaÉTÉ 

capitaine  de  Lannoy  n'est  plus  à  louer.  Jamais  carte  d'en- 
semble de  l'Afrique  ne  fut  élaborée  avec  un  soin  aussi  mi- 
nutieux. Chaque  feuille  est  soigneusement  tenue  au  courant 
et  ce  n'est  point  là  une  tâche  facile,  car  des  explorations 
nouvelles  viennent  constamment  imposer  au  cartographe 
le  remaniement  de  son  travail.  Sur  la  feuille  de  TOunya 
N'zingué  on  peut  suivre,  par  exemple,  l'itinéraire  tout 
récent  de  MM.  Pogge  et  Wissmann;  sur  celle  d'Inguimma 
on  trouve,  avec  les  plus  nouvelles  stations  de  l'Association 
iûtematîonale  le  long  du  cours  du  Kongo,  la  partie  sud 
des  itinéraires  du  docteur  Potagos,  c'est-à-dire  presque  une 
liaison  directe  des  itinéraires  de  la  province  équatoriale 
égyptienne  avec  les  levés  de  M.  Stanley  sur  le  Kongo. 

Dans  un  tout  autre  ordre  d'idée,  il  faut  enregistrer  la  ten- 
tative de  M.  Robert  Needham  Cust  pour  classifier,  dans  son 
livre  intitulé  Modem  languages  of  Africa^  les  langues  des 
populations  africaines.  L'auteur  y  aborde  séparément  quatre 
cent  trente-huit  langues  et  cent  cinquante-trois  dialectes  de 
ces  langues.  Est-il  nécessaire  d'ajouter  que  M.  Gust  ne 
donne  ni  la  grammaire  ni  le  vocabulaire  de  ces  idiomes? 
Mais  un  répertoire  complet  de  toutes  les  publications  lin- 
guistiques sur  l'Afrique  prouve,  comme  la  classification 
établie  dans  l'ouvrage,  que  M.  Cust  a  étudié  soigneusement 
son  sujet.  Une  grande  carte  des  langues  de  l'Afrique,  dres- 
sée par  M.  Ravenstein  complète  l'œuvre  que  nous  venons 
de  signaler,  et  qui,  malgré  des  imperfections  impossibles 
à  éviter  en  abordant  un  champ  aussi  vaste,  aussi  neuf,  est 
appelée  à  rendre  d'importants  services. 

M.  le  commandant  Niox,  professeur  de  géographie  à 
l'École  supérieure  de  guerre,  a  ajouté  à  la  série  de  ses  ou- 
vrages si  estimés,  une  géographie  de  l'Algérie  qui  méritait 
d'être  signalée  dans  ce  rapport.  C'est,  en  effet,  une  œmTe 
originale  dont  M.  Niox  est  allé  recueillir  ou  contrôler  sur 
place  les  éléments.  Pendant  longtemps  sans  doute  elle  sera 
exploitée  par  les  auteurs  de  descriptions  de  l'Algérie. 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     233 

Revenant  un  peu  en  arrière,  le  rapport  doit  signaler,  bien 
qu'elle  remonte  à  4883,  l'excellente  étude  de  M.  Pouyanne 
sur  la  région  comprise  entre  le  Touât  et  Timbouktou.  Elle 
présente,  en  les  discutant,  les  éléments  de  la  carte  encore 
fort  hypothétique  de  cette  partie  du  grand  Sahara.  Ce  tra- 
vail, complément  d'une  carte  dont  elle  réunit  et  discute  les 
données,  se  recommande  non  seulement  aux  géographes, 
mais  encore  aux  explorateurs. 

L'exploration  scientifique  de  la  Tunisie,  cette  nouvelle 
grande  publication  du  ministère  de  l'instruction  publique, 
vient  d'être  inaugurée  par  le  savant  ouvrage  de  M.  Charles 
Tissot,  la  Géographie  comparée  de  la  province  romaine 
d'Afrique  y  dont  le  premier  volume  a  seul  paru  jusqa'ici. 
Tout  ce  que  pouvaient  produire  une  exploration  personnelle 
du  pays  presque  entier  et  trente  années  d'études  suivies,  se 
trouve  condensé,  résumé  et  exposé  avec  clarté  dans  le  livre 
de  M.  Tissot.  C'est  sur  une  description  scientifique  du  relief 
du  sol,  de  l'hydrographie,  du  climat,  des  productions  natu- 
relles et  de  l'ethnographie  de  la  Tunisie,  que  notre  éminent 
et  regretté  collègue  appuie  la  restitution  des  itinéraires  ré- 
sultant de  la  position  des  monuments  anciens  ;  cette  res- 
titution remplira  le  tome  deuxième  de  l'ouvrage. 

Le  volume  publié  aborde  les  principaux  problèmes  de  la 
géographie  ancienne  de  la  Tunisie,  avec  une  autorité  à 
laquelle  rendront  hommage  tous  les  maîtres  en  géographie 
comparée.  C'est  en  analysant  de  très  près  et  pour  ainsi  dire 
sur  le  terrain  même  les  textes  laissés  par  l'antiquité,  qu'il  fait 
jaillir  la  lumière  au  milieu  des  indications  souvent  contra- 
dictoires de  textes  anciens,  d'inégale  valeur. 

L'ethnographie  occupe  une  place  considérable  dans  ce 
premier  volume  dont  M.  Tissot  consacre  un  chapitre  à  la 
répartition  géographique  des  tribus  libyennes;  deux  autres 
chapitres  traitent  de  la  géographie  punique  et  de  la  topo- 
graphie de  Cdrthage,  tandis  qu'une  note  intéressante  est 
consacrée  à  TAtlantide. 


234     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Le  ministère  des  travaux  publics  a  fait  paraître  en  un  beau 
volume  les  Documents  relatifs  à  la  mission  dirigée  au  sud 
de  l'Algérie  par  le  lieutenant-colonel  Flatters.  Ce  titre  ne 
dit  pas  tout  l'intérêt  du  livre  qui .  renferme  TensembLe  des 
documents  relatifs  aux  deux  missions  du  colonel  Flatters. 
Il  suffira,  pour  signaler  aux  géographes  la  valeur  de  cette 
publication,  d'en  indiquer  le  contenu.  Elle  s'ouvre  avec  le 
journal  de  voyage  du  colonel  Flatters  pendant  la  première 
mission,  suivi  du  journal  du  capitaine  Bernard,  et  des  rap- 
ports de  mission  de  MM.  les  ingénieurs  Béringer  et  Roche, 
pour  la  géographie,  la  topographie,  la  météorologie  et  la 
géologie.  M.  Béringer  y  a  contribué  aussi  par  un  avant- 
projet  de  chemin  de  fer  au  sud  de  Warglâ,  et  M.  Rabourdin 
par  un  mémoire  sur  les  âges  de  pierre  du  Sahara  cen- 
tral. 

L'historique  de  la  seconde  mission  est  représenté  par  le 
journal  provisoire  de  route  du  colonel  jusqu'à  Inzelmân- 
Tikhsîn,  les  études  géologiques  et  hydrologiques  de  M.  Roche 
et  des  tableaux  d'observations  jusqu'au  29  janvier  4881. 
Enfin  les  dernières  lettres  particulières  des  glorieuses  vic- 
times du  patriotisme,  de  la  science  et  de  la  civilisation,  per- 
mettent au  lecteur  de  suivre  presque  jusqu'au  jour  su- 
prême les  destinées  de  nos  malheureux  explorateurs.  Plu- 
sieurs plans  et  cartes,  y  compris  une  carte  générale  des 
itinéraires  des  deux  missions^  achèvent  de  faire  de  ce  volume 
un  document  géographique  de  premier  ordre. 

De  son  côté,  sous  le  titre  de  La  France  dans  l'Afrique 
occidentale,  4879-1883,  le  ministère  de  la  marine  et  des 
colonies,  a  publié  un  travail  d'ensemble  des  plus  utiles,  sur 
les  résultats  dés  nombreuses  missions  topographiques  et 
militaires  qui  ont  préparé  la  construction  des^  chemins  de 
fer  du  Sénégal,  tout  en  portant  au  Niger  les  avant-postes 
de  notre  civilisation.  Ce  recueil  donne  sur  plusieurs  des 
missions  les  premiers  renseignements.  Des  études  de  fond 
sur  les  populations  du  Sénégal  et  du  haut  Niger,  sur  leur 


ET  SUR  LES  PROGRÈa  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      235 

organisation  sociale  et  les  productions  de  leur  pays  servent 
d'introduction  à  l'historique  des  explorations. 

Bien  qu'elle  ne  soit  pas  rigoureusement  géographique,  la 
belle  étude. de  M.  le  commandant  Rinn  :  Marabouts  et 
KhouaHy  étude  sur  Pislam  euMgériey  doit  avoir  ici  sa  men- 
tion. Chef  du  service  central  des  affaires  indigènes  en.Al-> 
gérie,  M.  Rinn  n'a  rien  négligé  pour  découvrir  la  vérité  sur 
l'origine^  le  développement,  la  marche  et  la  situation  ac- 
tuelle des  ordre  religieux  musulmans,  dont  l'un,  peut-être, 
ne  serait  pas  tout  à  fait  étranger  aux  causés,  du  massadrede 
MM.  Flatters,  Béringer  et  Roche.  D'ailleurs,  Thistoii'e.des 
dix-neuf  confréries  principales  qui,  à  différents  degrés,  se 
trouvent  mêlées  aux  affaires  des  paroisses  musulmanes  de 
^Algérie,  empiète  sur  le  terrain  géographique,  et  M.  le  com- 
içandant  Rinn  a  joint  à  son  travail  deux  pièces  ()iie  les  géo- 
graphes comme  les  administrateurs  devront  consulter;  nous 
voulons  parler  de  la  statistique  officielle  des  ordres  religieux 
en  Algérie,  et  la  grande  carte  de  l'Algérie  au  1/800000®  mon- 
trant, au  moyen  de  douze  teintes,  la  marche,  là  situation  et- 
l'importance  des  ordres  religieux  musulmans  dans  notre 
colonie. 

•  Du  même  ordre  est  l'étude,  si  nourrie,  si  précise  que 
M.  IHiveyrier  avait  consacrée  à  l'une  de  ces  confréries,  celle 
de  Sidi  Mohamed  Ben'Alî  Es-Senoûsi  et  à  son  domaine  géo- 
graphique en  1883.  Dans  ce  travail,  publié  par  notre  Société, 
M.  Duveyrier  suit  sur  toute  la  surface  du  globe  et  depuis 
son  origine,  une  association  musulmane  aussi  puissante 
qu'elle  est  redoutable  par  la  vigueur  de  sa  haine  contre  les 
chrétiens. 

Notre  Bulletin  et  les  Comptes  rendus  de  nos  séances  ren- 
ferment aussi  cette  année,  plusieurs  documents  originaux 
et  utiles  relatifs  à  l'Afrique.  Pour  la  partie  nord  du  con- 
tinent vous  aurez  remarqué  VExcursion  dans  la  province 
d'Alger  où  le  capitaine  Bernard  donne  d'excellentes  obser- 
vations sur  l'archéologie,  l'histoire  naturelle  et  les  phéno- 


236     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

mènes  météorologiques  des  hauts  plateaux  ;  puis  la  note  si 
intéressante  dont  Fauteur  anonyme  mais  évidemment  fort 
bien  renseigné,  a  relaté  les  circonstances  dans  lesquelles  se 
sont  accomplis  les  travaux  de  V Expédition  hydrographique 
sur  les  côtes  du  Maroc^  en  1854.  La  Note  sur  VOgadén^  par 
M.  Rimbaud  et  la  Communication  sur  son  voyage  par 
M.  Révoil,  ont  un  intérêt  qu'il  n'est  pas  besoin  de  faire  res-» 
sortir;  par  un  côté,  elles  se  rattachent  plus  ou  moins  direc- 
tement aux  études  de  MM.  Duveyrier  et  Rinn.  Nous  devons 
à  la  plume  de  M.  Dutreuil  de  Rhinsle  Voyage  deM.Dolisie 
entre  Loango  et  Brazzaville  par  la  voie  du  Kouilou-Niari, 
rapport  sur  un  important  épisode  de  la  mission  dans  l'Ouest 
africain.  De  son  côté,  M.  Duboc,  lieutenant  de  vaisseau, 
nous  a  donné  une  Note  sur  un  croquis  hydrographique 
levé  en  1^74  dans  VOgôoué  avec  une  carte  au  i/lOOOOOO*, 
chargée  de  détails.  Pour  la  partie  sud  de  l'Afrique  nos  deax 
recueils  ont  publié  une  esquisse  de  carte  du  voyage  au  Zan- 
guebar  par  les  pères  Machon  et  Picarda,  et  le  Muaraze^ 
affluent  du  Zambèze,  travail  de  M.  Paul  Guyot^  accompagné 
d'une  carte  au  1/200000*. 

Les  travaux  géographiques  sont  peu  nombreux  au  Bré- 
sil; on  doit  le  regretter,  mais  il  faut  l'expliquer.  Ce  pays 
a  plus  particulièrement  tourné  ses  forces  vers  la  solution 
des  problèmes  économiques  qui  intéressent  son  existence  : 
transformation  du  travail,  développement  des  moyens  de 
transport,  perfectionnement  de  l'outillage  industriel.  La 
science  pure  y  esl  un  peu  effacée  au  second  rang,  malgré  les 
encouragements  que  en  cesse  de  lui  accorder  l'empereur 
Don  Pedro  IL 

£n  ce  moment  le  gouvernement  fait  graver  une  nouvelle 
carte  du  pays,  sur  laquelle  seront  tracés  tous  les  chemins 
livrés  à  la  circulation  ou  en  voie  de  construction. 

Au  mois  de  mai  dernier,  les  chemins  de  fer  brésiliens  en 
exploitation  avaient  une  longueur  de  5600  kilomètres  et 


ET  SUR    LES  PROGRÈS  DES    SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      237 

2400  kilomètres  de  lignes  étaient  en  construction  :  ces  chif- 
fres sont  faibles  par  rapport  à  Timmense  étendue  du  pays, 
mais  il  faut  tenir  compte  aussi  de  la  faible  densité  de  popu- 
lation de  l'empire. 

La  construction  des  chemins  de  fer  est,  au  Brésil,  l'occa- 
sion de  travaux  d^un  intérêt  géographique;  la  haute  admi- 
nistration fait  déterminer  avec  soin  les  coordonnées  géogra- 
phiques des  principaux  points  des  lignes  en  construction 
et  dont  l'établissement  contribuera,  de  la  sorte,  à  rectifier 
les  cartes  des  régions  traversées. 

Les  études  de  voies  ferrées  ont,  d'autre  part,  donné  lieu 
à  une  exploration  d'un  véritable  intérêt,  qui  vient  de  s'ache- 
ver au  milieu  des  difficultés  excessives  et  au  prix  de  grands 
sacrifices.  Les  ingénieurs  ont  reconnu  le  pays  par  lequel  doit 
passer  une  voie  destinée  à  traverser  le  bassin  du  Madeira, 
pour  relier  la  Bolivie  au  Brésil.  Les  travaux  sur  le  terrain 
sont  à  peu  près  achevés,  mais  les  missions  successives,  déci- 
mées par  les  fièvres  paludéennes,  ont  eu  de  plus  à  lutter 
contre  des  Indiens  fort  dangereux.  Plusieurs  ingénieurs  et 
officiers  de  marine  y  ont  laissé  la  vie,  et  pas  un  des  opéra- 
teurs n'en  est  revenu  indemne.  On  met  actuellement  en 
œuvre  les  documents  recueillis  qui  seront  d'une  réelle  im- 
portance géographique,  puisqu'il  s'agit  d'une  partie  du 
bassin  des  Amazones  encore  complètement  inconnue. 

La  géographie  du  Brésil  trouvera  aussi  de  précieux  élé- 
ments dans  les  études  d'une  grande  ligne  ferrée  qui  partant 
de  la  capitale  de  la  province  de  Sâo  Paulo,  pénétrera  dans 
le  sud-ouest  de  la  province  de  Minas-Geraes,  pour  s'avancer 
dans  les  régions  inexplorées  de  Goyaz,  entre  les  hauts 
affluents  du  Parana  et  les  têtes  des  Tocantins. 

A  un  ordre  de  travaux  plus  théoriques  appartient  la 
mission  accordée  par  le  gouvernement  brésilien  à  un  savant 
néerlandais,  M.  Rickvorsel,  qui  a  entrepris  d'explorer  le 
cours  entier  du  rio  Sâo  Francisco,  dans  le  but  d'y  déter- 
miner les  constantes  magnétiques,  déclinaison  et  inclinai- 


238     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

son.  Une  semblable  recherche  comporte  de  toute  rigueur 
la  détermination  de  coordonnées  géographiques,  et  l'œuvre 
dQ  M.  Rickvorsel  complétera  celle  de  M.  Liais  et  de  M.  Hol- 
feldt  sur  le  même  fleuve. 

.  La  géologie  du  Brésil  a  fait  plus  spécialement  l'objet  des 
préoccupations  de  notre  collègue  M.  Gorceix,  directeur  de 
l'école  des  mines  d'Ouro-Preto.  Dans  la  troisième  année 
des  Annaes  da  Escola  de  Minas ^  il  a  traité  quelques  sujets 
de  géologie  générale  intéressants  pour,  l'histoire  de  la  terre 
à  la  fin  de  la  période  tertiaire  et  qui  peuvent,  jusqu'à  un 
certain  point^  se  rattacher  à  la  géographie  actuelle. 

II  a  été,  par  exemple,  amené  à  reconnaître  que  le  soulè- 
vement principal  du  centre  du  Brésil,  dirigé  nord-nord-ouest, 
sud*sud-est,  s'était  encore  fait  sentir  pendant  l'époque  ter- 
tiaire. La  grande  Serra  d'Ëspinbaço,  qui  sépare  les  bassins 
du  rio  Doce  et  du  rio  Jequitinhonba  de  celui  du  Sâo  Fran- 
cisco, a  dû  certainement  continuée  à  se  former  pendant 
cette  période  à  la  fin  de  laquelle  existaient,  tout  autour  du 
massif  central  d'Ouro-Preto,  de  grands  lacs  entourés  d'une 
puissante  végétation,  très  semblable  à  celle  des  forêts  ac- 
tuelles. Comment  ces  forêts  ont-elles  disparu  en  partie? 
Quelles  corrélations  lient  la  flore  actuelle  à  la  flore  tertiaire  ? 
Yoilà  des  problèmes  qui  relèvent  du  savoir  spécial  de  M.  de 
Saporta,  et  pour  la  solution  desquels  les  matériaux  recueillis 
par  l'éminent  directeur  de  l'école  d'Ouro-Preto  seront  d'un 
précieu?  secours.  Ces  problèmes  avaient  déjà  préoccupé  le 
docteur  Lund,  savant  danois,  mort  en  1881,  à  un  âge  fort 
avancé,  dans  un  petit  village  à  vingt-cinq  lieues  d'Ouro- 
Preto. 

En  marche  sur  l'Amérique  du  Nord,  nous  constaterons, 
au  passage,  que  l'œuvre  colossale  du  percement  de  l'isthme 
de  Panama  se  poursuit  sans  désemparer.  La  nature  y  oppose 
de  terribles  résistances,  mais  le  génie  humain  lui  aussi  a 
ses  énergies,  et,  nous  savons  ce  qu'elles  valent,  soutenues  par 
Ykme  d'un  Ferdinand  de  Lesseps. 


ET  SUR  LES  PROGRÉS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.      239 

L'Alaska  «  la  grande  Terre  »,  dont  racquisition  par  le  gou- 
vernement des  Etats-Unis,  en  1867,  reçut  de  l'opinion  publi- 
que un  accueil  assez  dédaigneux,  est  devenu  un  champ 
d'explorations*  et  de  découvertes  intéressantes  pour  la  géo- 
graphie ;  un  ou  deux  des  derniers  explorateurs  vont  même 
jusqu'à  prédire  un  grand  avenir  à  ce  territoire  dont:  quelques 
partie^,  disent-ils,  peuvent  rivaliser  avec  certaines  parties  de 
l'Angleterre,  de  l'Ecosse  ou  de  la  Prusse. 

Quand  on  s'occupe  de  l'Alaska,  il  ne  faut  pas  perdre  de 
vue  que  son  territoire  est  égal,  en  superficie,  à  d^ux^fois  et 
demi-  le  territoire  de  la  France;  qu'il  y  a  place.,  par  con- 
séquent, pour  de  grands .  fleuves,  de  puissantes  chaînes  de 
montagnes  qui  viendront  peu  h  peu  garnir  la  carte  encore 
assez  nue  de  cette  région. 

Lie  rapport  de  Tan  dernier  signalait  le  voyage  du  lieute- 
nant Schwatka  sur  le  fleuve  Tukon  qui,  avec  ses  3570  kilo- 
mètres de  développement,  dont  1370  dans  la  Colombie 
anglaise,  forme  la,  principale  artère  de  l'Alaska. 

Les  quelques  détails  publiés  depuis  lors  nous  permettent 
d'apprécier  la  portée  de  ce  voyage.  Après  la  traversée  des 
chaînes  littorales,  c'est  aux  sources  môme  du  fleuve,  à  un 
petit  lac  presque  toujours  gelé  au  fond  d'un  ancien  cratère, 
que  M.  Schwatka  commença  son  exploration.  Mince  filet 
d'eau  d'abord,  qui  franchit  un  chapelet  de  sept  ou  huit  lacs 
reliés  par  de  hauts,  défilésv  le  cours  du  Yukon  ne  tarde  pas  à 
cheminer  majesti^eusement  à  travers  la  contrée  qui.  lui 
envoie,  de  droite  et  de  gauche,  le  tribut  d'affluents,  dont 
quelques-uns  ont  Timportance  de  la  Seine.  Au  fort  Selkirk, 
que  le  lieutenant  Schwatka  détermina  en  latitude  et  longi- 
tude, le  lit  du  Yukon,  parsemé  de  npmbreux  îlots,  n'a  pas 
moins  de  850  mètreé  de  largeur.  Il  reçoit  tout  près  de  là, 
sur  sa  droite,  l!ancien  Lewis  River  des  trafiquants,  la  Pelly 
River,  que  le  capitaine  Robert  Campbell,  de  la  compagnie 
d'Hudson,  avait  descendu  en  1852,  et  que,  sur  son  autorité, 
on  avait  considéré  comme  la  tète  principale  du  grand  fleuve. 


240  RAPPORT   SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

M.  Schwalka  a  constaté  que  la  Pelly  River,  charriant  seule- 
ment les  trois  cinquièmes  du  volume  d'eau  du  Yukon,  ne 
peut  prétendre  qu'à  la  qualification  de  tributaire.  En  aval  de 
Fort  Selkirk  et  jusqu'à  Tîle  Saint-Michel,  le  Yukon  est 
vaseux,  contourné  en  méandres  et  semé  d'îles.  Large  de  15 
à  18  kilomètres,  il  se  resserre  de  temps  à  autre  jusqu'à 
250  mètres;  la  rapidité  du  courant  oblige  alors  à  décharger 
les  canots  pour  faire  des  portages. 

Au  delà,  le  fleuve  qui  atteint  jusqu'à  22  kilomètres  de  lar- 
geur, sillonne  de  vastes  plaines  sous  165°  30'  de  longitude 
ouest  ;  il  débouche  enfin  à  l'Océan  glacial  par  cinq  grand 
bras  qui  s'étalent  en  un  delta  de  100  kilomètres. 

Tout  en  décrivant  le  fleuve,  M.  Schwatka  donne  des 
détails  fort  intéressants  sur  les  indigènes  riverains  dont  les 
uns  sont  tout  à  fait  misérables,  tandis  que  d'autres  jouissent 
d'une  aisance  et  d'une  civilisation  relatives. 

L'Alaska,  dont  il  s'en  faut  encore  beaucoup  que  la  carte 
soit  complète,  présente  un  problème  géographique  pour  la 
solution  duquel  M.  Schwatka  compte  entreprendre  un  nou- 
veau voyage.  Le  Tananah  est  regardé  par  quelques-uns, 
comme  un  affluent  du  bas  Yukon,  par  d'autres  comme  un 
fleuve  ayant  son  embouchure  à  la  côte  nord. 

Nous  devons  aussi  de  bons  détails  sur  l'Alaska  à  un  mis- 
sionnaire, M.  Sheldon  Jackson.  Ce  territoire  est  couronné 
parles  plus  majestueux  sommets  de  Tunion  américain  ;  tels 
sont  le  mont  Gook  et  le  mont  Orillon,  dont  la  hauteur 
dépasse  celle  du  Mont  Blanc,  puis  le  mont  Saint-Elie,  qui 
atteint  4500  mètres.  De  ces  puissants  massifs  descendent  des 
, glaciers  qu'il  faut  ranger  parmi  les  plus  grands  du  monde. 
Le  mont  Fairweather,  par  exemple,  haut  de  4482,  mètres 
donne  naissance  à  un  glacier  long  de  80  kilomètres  et  qui, 
large  de  13  kilomètres  à  la  fin  de  son  trajet,  se  termine  en 
une  paroi  à  pic  de  60  mètres  au-dessus  de  la  mer. 

L'Alaska,  avec  les  îles  qui  en  dépendent  plus  ou  moins, 
comporte  un  système  de  soixante  et  un  volcans  dont  plu- 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.        241 

sieurs  en  activité.  Comme  en  Islande  et  en  Nouvelle-Zélande, 
ceux  qu'on  trouve  en  Alaska  sont  à  côté  des  glaciers,  des 
thermes,  des  lacs  de  soufre  et  de  salpêtre,  des  sources  mi- 
nérales en  ébuUition.  Le  cratère  du  Goreloï  renferme  une 
source  minérale  et  chaude  qui  n'aurait  pas  moins  de  30  ki- 
lomètres de  pourtour,  c'est-à-dire  presque  la  longeur  du 
développement  de  l'enceinte  fortifié  de  Paris. 

M.  Sheldon  Jackson  divise  l'Alaska,  pour  son  climat  et 
ses  productions  naturelles,  en  trois  zones.  Le  territoire  du 
Yukon,  au  noid,  dont  les  températures  extrêmes  sont  de 
+  40**  à —  50®  centigrades,  avec  une  moyenne  de  — ^  6**  et 
dont  les  animaux  à  fourrures  forment  la  richesse  princi- 
pale. Le  territoire  aléoutien  qui  renferme  la  presqu'île 
d'Âliaska,  la  côte  nord-ouest  et  les  îles  Aléoutes,  a  comme 
extrêmes  de  température  -J-  30*  et  —  26%  avec  2<»  comme 
moyenne;  les  pêcheries  forment  sa  ressource  essentiel. 
Enfin  le  territoire  de  Sitka,  au  sud-ouest,  est  caractérisé, 
grâce  au  passage  du  Kourosivo,  par  un  climat  plus  clément 
que  celui  des  deux  autres  zones.  Le  thermomètre  y  oscille 
de  —  47°,  qui  est  la  température  hivernale  de  la  Virginie  et 
du  Rentucky,  à  -\-  23°  qui  est  la  température  estival  du 
Minnesota.  La  moyenne  générale  annuelle  est  de  4^  6°.  Le 
Sitka,  excellent  champ  pour  l'émigration,  renferme  en  outre 
de  magnifiques  forêts  de  cèdres  et  de  pins,  avec  des  mines 
de  charbon  et  de  métaux  de  toutes  les. espèces,  sauf  l'argent 
et  l'étain. 

Vers  répoque  où  l'expédition  du  lieutenant  Greely  s'em- 
barquait pour  aller  dans  la  baie  Lady  Franklin  établir  une 
station  météorologique  et  magnétique,  les  États-Unis  en- 
voyaient à  la  pointe  Barrow,  le  point  extrême  au  nord  des 
côtes  de  l'Alaska,  une  autre  mission  du  même  genre. 

Sous  les  ordres  du  lieutenant  de  marine  P.  H.  Ray,  elle 
quittait  San  Franciso  en  juillet  1881,  sur  le  Golden  FleecCy 
et  le  8  septembre  suivant  elle  était  à  son  poste,  non  loin  du 
village  esquimau  d'Ooglalamie.  C'est  là  qu'elle  a  passé  deux 


242     RAPPORT  SUR  LES  TRAYAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

années  à  recueillir  des  obserrations,  conformément  an  pro- 
gramme arrêté  par  la  conférence  circonpolaire  interna- 
tionale. 

En  dehors  des  travaux  spéciaux  de  la  mission,  M.  Ray 
s'eât  appliqué  à  reconnaître  le  pays  absolument  inexploré 
jusqu'alors  qui  s'étendait  dans  le  sud  de  la  station.  Ses 
recherches  l'ont  conduit  à  la  découverte  d'un  fleuve  consi- 
dérable qui,  né  au  sud,  va  se  jeter  dans  l'Océan  arctique^  à 
peu  de  distance  à  l'est  de  la  pointe  Barro'W,  et  auquel  il 
donna  le  nom  de  Meade  'River,  en  l'hoimeur  du  général 
George  Meade. 

Ce  fleuve  parait  descendre  de  montagues  peu  élevées;  il 
traverse  un  pays  légèrement  ondulé,  entièrement  désert  et 
semé  de  petits  lacs,  de  lagunes  et  de  ruisseaux  qui  forment 
un  véritable  labyrinthe.  La  végétation  est  très  pauvre  dans 
cette  sorte  de  toundra  américaine  dont  une  épaisse  couche 
de  mousse  recouvre  le  sol  toujours  gelé  et  fortement  im- 
prégné dé  sel. 

Le  lieutenant  Ray  aurait  poursuivi  son  exploration  s'il 
n'eut  été  abandonné  par  ses  guides  qui  se  refusèrent  à  l'ac- 
compagner, car  jamais  encore  ils  n'avaient  pénétré  aussi 
loin  dans  l'intérieur  du  pays. 

A  Test  du  Meade  doit  se  trouver  un  autre  fleuve,  dirigé  du 
sud-ouest  au  nord-est,  et  auquel  les  indigènes  donnent  le 
nom  de  Ik-pik-pung. 

Il  résulte  des  observations  sur  le  climat  faites  par  la  mis- 
sion américaine,  que  le  minimum  atteint  pendant  son  séjour 
a  été  de —  50  degrés  centigrades.  Le  lieutenant  Ray  ne  pense 
pas  qu'au  pôle  môme  cette  température  ait  été  dépassée. 
On  aurait  ainsi  le  maximum  de  froid  constaté  sur  le  globe 
terrestre. 

Enregistrons  ici,  car  elle  est  intéressante  à  recueillir, 
l'opinion  émise  par  le  lieutenant  Ray  qu'il  ne  doit  pas  exis- 
ter de  mer  libre'près  du  pôle  nord;  il  se  base  sur  cette  cir- 
constance que  la  température  de  TOcéan  arctique  demeure 


ET   SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     243 

le  même  depuis  le  mois  d'octobre  où  les  glaces  se  ferment, 
jusqu'au  mois  de  juillet  où  elle  se  s'ouvrent;  ce  ne  pourrait 
guère  être  le  cas  s'il  existait  près  du  pôle  une  vaste  nappe 
d'eau  d'une  température  plus  élevée.  Il  est  rare,  d'ailleurs, 
qu'on  aperçoive  des  nuages  pendant  l'hiver,  sauf  dans  la 
direction  du  sud  ou  de  l'ouest. 

Depuis  la  découverte  de  M.  Ray,  il  en  a  été  fait  une  autre 
non  moins  importante.  L'an  dernier,  le  lieutenant  Stoney, 
de  la  marine  des  États-Unis,  se  trouvant  dans  les  parages 
de  l'Alaska  septentrional,  entreprit  d'explorer  un  grand 
fleuve  dont  les  indigènes  lui  avaient  signalé  l'existence. 
Guidé  par  des  renseignements  fort  vagues,  il  atteignit,  en 
effet,  l'embouchure  d'un  cours  d'eau  très  important  qui 
vient  se^jeter  dans  l'Océan  polaire  au  nord  du  détroit  de 
Behring,  juste  sous  le  cercle  polaire,  dans  le  Hotham  Inlet, 
l'une  des  ramifloations  du  Kotzebue  Sound.  Malheureuse- 
ment l'état  de  la  mer  empêcha  cette  fois  M.  Stoney  de  pous- 
ser plus  loin  ses  iuTestigations. 

Le  13  avril  dernier,  il  repartait  de  San  Francisco  sur  le 
schooner  Ounalaska,  avec  l'enseigne  Purcell,  un  chirugien 
et  huit  hommes  d'équipage.  Après  une  navigation  rapide 
quoiquft  pénible,  il  ne  tardait  pas  à  retrouver  l'embouchure 
du  fleuve  auquel  il  avait  donné  le  nom  de  Putnam,  en  l'hon- 
neur de  l'un  des  héros  du  drame  de  la  Jeannette. 

Ce  fleuve,  à  en  juger  par  son  volume  qui  est  fort  con- 
sidérable, parait  être  le  plus  important  cours  d'eau  de 
toute  la  partie  nord-ouest  du  territoire  d'Alaska.  Grossi  de 
nombreux  affluents,  il  débouche  à  la  mer  par  un  vaste 
delta. 

Les  tributaires  qui  lui  viennent  du  nord,  sont,  pour  la 
plupart,  peu  larges  mais  très  rapides  ;  les  eaux  en  sont  exces- 
sivement froides.  Parmi  ceux  de  la  rive  méridionale,  il  en 
est  un  que  les  indigènes  appellent  la  rivière  Pah  et  qu'ils 
remontent  dans  leurs  voyages  vers  le  sud.  Cet  affluent  aurait 
une  grande  importance,  si,  comme  l'afârment  les  Indiens, 


244     RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

sa  source  n'est  pas  séparée  que  par  une  courte  dislance  de 
l'un  des  tributaires  septentrionaux  du  Yukon. 

Les  explorateurs  remontèrent  le  cours  du  fleuve  en  cha- 
loupe jusqu'à  300  milles  environ  de  rembouchure;  là  des 
rapides  les  obligèrent  à  remplacer  la  chaloupe  par  un  canot 
de  peaux  cousues;  mais,  comme  il  devenait  impossible  de 
ramer  contre  le  courant,  il  fallut  hâler  l'embarcation  en 
marchant  dans  l'eau  jusqu'au  genoux.  Pendant  une  semaine, 
ils  continuèrent  ainsi  leur  route,  ne  faisant  guère  plus 
de  12  milles  par  jour;  mais,  à  lafln  du  septième  jour,  ils 
s'arrêtèrent  exténués  de  fatigue. 

Informés  alors  qu'en  coupant  à  travers  les  terres  on  pou- 
vait gagner  aisément  la  source  d'un  des  affluents  du  fleuve, 
M.  Stoney  et  deux  de  ses  compagnons  partirent,  portant 
eux-mêmes  leur  bagage  et  munis  d'un  léger  canot  en  écorce 
de  bouleau.  Ils  atteignirent  ainsi  deux  grands  lacs  d'où  sort 
l'un  des  affluents  du  Putnam. 

Le  canot  fut  mis  à  l'eau  et  deux  jours  furent  employés  à 
reconnaître  la  contrée.  Du  haut  d'une  montagne  voisine  du 
lac,  on  apercevait  le  cours  principal  du  fleuve  qui  jusqu'à 
perte  de  vue,  en  amont,  ne  paraissait  pas  diminuer  sensi- 
blement de  volume.  Les  Indiens  prétendent  qu'à  sept  jour- 
nées plus  haut  on  rencontre  un  immense  lac  que,  pour  sa 
grandeur,  ils  comparent  à  «  une  mer  ». 

Il  est  probable  que  le  fleuve  Pulnam,s'étendanttrès  loin  à 
l'est,  prend  sa  source  à  peu  de  distance  du  Mackenzie  et 
de  la  frontière  des  possessions  anglaises.  L'importance  pra- 
tique de  cette  voie  fluviale  serait  considérable  si,  comme  on 
le  suppose,  une  communication  pouvait  être  établie  par  de 
faibles  portages  entre  le  Putnam  et  le  Yukon  d'une  part, 
d'autre  part  entre  le  Putnam  et  le  fleuve  Meade  du  lieute- 
nant Ray. 

La  région  qu'arrose  le  Putnam  est  très  montagneuse.  Le 
fleuve  lui-même  est  bordé  de  chaque  côté  par  des  chaînes 
de  montagnes  en  arrière  desquelles  s'élèvent  des  massifs  iso- 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     245 

lés  qui  atteignent  jusqu'à  900  mètres  d'altitude.  Du  sommet 
gravi  par  le  lieutenant  Stoney,  on  n'apercevait  au  nord  qu'une 
masse  confuse  de  pics.  Les  indigènes  assurent  que  c'est  là 
le  caractère  général  de  la  contrée  jusqu'à  TOcéan  arctique. 

Le  climat  était  agréable  et  la  végétation  assez  abondante. 
Les  Esquimaux,  qui  se  montrèrent  pacifiques  et  serviables, 
sont  encore  exempts  des  vices  qu'ils  acquièrent  générale- 
ment au  contact  des  blancs. 

M.  Stoney  et  ses  compagnons  opérèrent  aisément  leur 
retour;  le  canot,  entraîné  par  le  courant,  franchit  sans  acci- 
dents les  rapides.  Us  trouvèrent  les  hommes  remis  de  leurs 
fatigues,  et  un  jour  suffit  pour  refaire  le  trajet  qui  avait 
exigé  sept  rudes  journées  en  remontant  le  fleuve. 

Le  25  octobre  1884,  le  schooner  Ounalaska  rentrait  à 
San  Francisco,  sans  avoir  perdu  un  seul  homme  ni  éprouvé 
d'avarie  sérieuse.  Il  est  à  regretter  que  dans  les  limites  du 
temps  dont  il  disposait,  M.  Stoney  n'ait  pas  pu  reconnaître 
complètement  le  cours  supérieur  du  fleuve  nouvellement 
découvert. 

L'événement  le  plus  saillant  de  Tannée,  en  ce  qui  con- 
cerne les  régions  polaires,  est  le  sauvetage  des  survivants 
de  la  mission  Oreely. 

Les  expéditions  entreprises  à  l'instigation  de  la  Conférence 
polaire  internationale  étaient  depuis  longtemps  de  retour. 
Seule,  celle  que  les  Étals-Unis  avaient  envoyée  à  l'extrême 
nord,  dans  la' baie  Lady  Franklin,  n'était  pas  revenue  et  le 
silence  le  plus  inquiétant  régnait  sur  son  sort. 

Le  lieutenant  A.  W.  Greely,  chef  de  l'expédition,  avait 
quitté  New-York  le  14  juin  1881,  sur  le  Proteus.  Le  4  août, 
il  atteignait  sans  obstacle  sérieux  le  but  de  son  voyage.  Un 
poste  d'observation  fut  établi  en  un  point  de  la  baie  de  Lady 
Franklin  situé  par  81^44'  de  latitude  nord  et  64o  30'  de  lon- 
gitude ouest  de  Greenwich.  Ge  poste  avait  reçu  le  nom  de 
Fort  Conger,  en  l'honneur  de  M.  Gonger,  du  Michigao, 
membre  du  Gongrès,  l'un  des  promoteurs  de  Texpéclition. 

80G.  DB  GÉOGR.  —  2*  TRIMESTRB  1885.  VI.  —  17 


246      RAPPORT  SUR  LES  TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Le  18  août,  le  Proteus  reprenait  la  route  des  États-Unis  et  les 
vingt-cinq  membres  dont  se  composait  la  mission  étalent 
laissés  à  eax-mémes,  avec  des  Yiyres  pour  deux  ans  et  ceot 
quarante  tonnes  de  charbon. 

L'année  snÎTante  (1882),  on  navire,  le  Neptune,  comman- 
dant Beebe,  envoyé  ponr  ravitailler  la  station,  ne  pat  fran- 
chir les  glaces  du  détroit  de  Smith. 

Un  an  plas  tard  (1883),  le  Proteue  et  le  Yawtic  partirent 
ponr  ramener  les  membres  de  la  mission  on  leur  porter  les 
provisions  nécessaires  dans  Tévaitaalité  d*an  troisième  hi- 
vernage. Le  Pro^iM,prîs  dans  les  glaces,  fat  écrasé  entre  deux 
banqaises  et  l'équipage  eut  de  la  peine  à  regagner  Uper- 
navick,  d'où  le  Tantie  le  ramena  aux  États-Unis. 

Les  inquiétudes  devenaient  toujours  plus  vives  au  sujet 
des  vingt-cinq  hommes  abandonnés  sans  secours  dans  ces  ré- 
gions désolées.  L'opinion  publique  s'émut  et  en  mai  1884  une 
petite  escadre  composée  de  la  Thétis,  du  Bear  et  de  VAlert, 
sous  le  commandement  du  capitaine  Schley,  fut  envoyée 
à  la  recherche  des  infortunés. 

U  était  temps.  La  mission,  selon  son  programme,  avait 
passé  deux  années  à  Fort  Gonger;  supporter  un  troisième 
hivernage  était  au-dessus  de  ses  forces.  Aussi  le  9  août  1883, 
commença-t-elle  sa  retraite  vers  le  sud,  dans  l'espoir  de  ren- 
contrer quelque  navire  ou  de  gagner,  avant  l'hiver,  l'un  des 
établissements  danois  de  la  côte  occidentale  du  Groenland. 

U  n'entre  pas  dans  le  cadre  du  présent  rapport  de  relater 
les  poignantes  péripéties  de  ce  voyage.  Aucun  navire  ne 
s'était  montré  et  l'hiver  se  déclarant  trop  tôt  pour  per- 
mettre de  continuer  la  route,  le  lieutenant  Greely  s'était  va 
forcé  de  s'établir  au  camp  Glay,  près  du  cap  Sabine,  par 
78"^  25^  de  latitude  septentrionale. 

Il  y  était  depuis  le  31  octobre  1883.  Dix-sept  de  ses  com- 
pagnons de  souffrance  avaient  déjà  péri  de  froid,  de  faim  et 
de  fatigue  ;  les  survivants,  réduits  à  la  dernière  extrémité, 
n'avaient  même  plus  la  force  de  se  tenir  debout,  lorsque  le 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES  SUENGES  GÉOGRAPHIQUES.     247 

22  juin  dernier,  le^  équipages  de  lâ  Thétis  et  du  Bear  les 
découvrirent  et  se  portèrent  à  leur  secours.  Le  17  juillet, 
une  dépêche  de  Terre-Neuve  donnait  la  nouvelle  du  sau- 
vetage et  le  4  août  les  survivants,  réduits  au  nombre  de 
sept  (l'un  deux  étant  mort  en  route  à  la  suite  d'une  am- 
putation), débarquaient  à  New- York,  où  une  brillante  ova- 
tion les  atttendait. 

Bien  que  le  principal  objet  de  la  mission  Greely,  pendant 
les  deux  années  qu'elle  a  passé  à  Fort  Gongej:,  fut  de 
recueillir  des  observations  météorologiques,  cette  mission, 
grâce  à  Tactivité  de  son  chef,  n'en  a  pas  moins  eu  ses  fruits 
pour  la  géographie. 

Des  excursions  furent  entreprises  dans  plusieurs  direc- 
tions. Elles  ont  soulevé  quelques-uns  des  mystères  qui  cou- 
vrent encore  ces  hautes  latitudes. 

La  côte  nord-ouest  du  Groenland  a  été  explorée  au  delà 
du  point  reconnu  par  le  lieutenant  Beaumont  lors  de  l'ex- 
pédition anglaise  dirigée  par  le  commandant  G.  Nares.  Le 
13  mai  1882,  le  lieutenant Lockwood  et  le  sergent  Brainard, 
chargés  de  l'exploration,  découvrirent  sur  cette  côte  une  île 
(île  Lockv*rood)  située  par  83»  24'  de  latitude  nord,  40^46' 
de  longitude  ouest  de  Greenwich.  C'est  la  plus  haute 
latitude  que  l'homme  aitatteinte  jusqu'à  nos  jours.  Le  com- 
ma  ndant  Markham,  de  l'expédition  du  commandante.  Nares, 
était  parvenu,  en  1876,  jusque  par  83°20'28". 

La  portion  de  côte  nouvellement  découverte  ressemble,  à 
beaucoup  d'égards,  à  celle  du  Groenlaùd  méridional.  Elle 
est  assez  haute,  fortement  dentelée  et  abrupte,  coupée  de 
Qords,  avec  de  nombreuses  îles  qui  se  projettent  en  avant 
des  caps.  L'intérieur  du  pays  laisse  apercevoir  des  masses 
confuses  de  montagnes  couvertes  de  neige  et  d'une  calotte 
de  glace.  Les  Qords  ne  présentent  que  de  vastes  amas  de 
neige  et  de  glace,  mais  absolument  aucun  indice  ne  permet 
de  supposer  qu'ils  puissent  être  en  communication  avec  la 
mer  du  Spitzberg. 


248  RAPPORT  SUR  LES  TRAYAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Da point  extrême  atteint  par  MM.  Lockwood  et  Brainard, 
on  n'aperceyait  de  terre  ni  an  nord-onest,  ni  an  nord; 
mais,  dans  le  nord-est,  les  explorateurs  distinguèrent,  par 
environ  83*  35'  de  latitude  nord  et  38*  de  longitude  ouest 
de  Greenwich,  un  cap  auquel  ib  attribuèrent  le  nom  de  Gap 
Robert  Lincoln,  en  l'honneur  du  ministre  de  la  guerre  à 
Washington,  fils  du  président  Lincoln.  Rien  n'indiquait  que 
la  côte  du  Groenland  ne  se  prolongeât  pas  au  delà. 

Parmi  {es  membres  de  la  mission  du  lieutenant  Greely  se 
trouvait  un  Français,  Octave  Pavy,  qui  avait  dû,  naguère, 
faire  partie  de  Fexpédition  projetée  par  Gustave  Lambert. 
En  mars  1883  0.  Pavy  s'éleva  jusque  par  82*56'.  Dans  cette 
course  pleine  de  souffrances  et  de  périls,  l'explorateur  s'était 
vu  emporté  sur  un  glaçon  à  la  dérive  dans  la  direction  du 
pôle;  sa  perte  était  certaine  si  le  vent  du  nord  ne  l'eût 
ramené  jusqu'à  terre.  Notre  malheureux  compatriote  ne 
devait  d'ailleurs  pas  survivre  aux  terribles  épreuves  qui 
assaillirent  la  mission;  il  est  mort  le  6  juin  de  l'année  der- 
nière au  camp  Glay. 

D'autres  excursions,  entreprises  en  1882  et  en  1883  par 
lelieutenant  Greely,  ainsi  que  par  MM.  Lockwood  et  Brainard, 
ont  jeté  quelque  lumière  sur  la  configuration  de  la  terre  de 
Grinnell. 

A  80  milles  environ  à  l'ouest  de  la  baie  Béatrice,  tète  du 
fiord  Archer,  se  trouve  une  anse  qui  s'ouvre  sur  l'Océan 
arctique  occidental  et  qui  a  reçu  le  nom  de  fiord  Greeley. 

Du  point  extrême  que  les  explorateurs  ont  atteint  dans 
cette  direction  (80''48'  de  latitude  nord  et  78*26'  de  longi- 
tude ouest  de  Greenwich),  le  fiord  Greely  semble  se  ter- 
miner du  cMé  nord  par  un  cap,  le  cap  Brainard,  distant 
d'environ  32  milles.  Du  côté  du  sud,  à  70  milles,  apparaît 
un  autre  cap,  le  cap  Lockwood,  qui  semble  séparé  de  la 
terre  de  Grinnell  et  appartenir  à  une  autre  terre.  Cette  terre 
encore  hypothétique  a  reçu  provisoirement  le  nom  de  Terre 
Arthur,  en  Thonneur  du  Président  des  États-Unis. 


ET  SUR  LES  PROGRÈS  DES   SCIENCES  GÉOGRAPHIQUES.     249 

Entre  la  tête  du  fiord  Archer  et  la  naissance  du  fiord 
Greely,  se  dresse,^  sur  une  longueur  d'environ  70  milles,  le 
front  perpendiculaire  d'une  immense  calotte  de  glace  qui 
couvre  presque  entièrement  la  partie  sud  de  la  Tertre  de 
Grinnelly  du  81'  parallèle  au  Hayes  Sound,  et  du  canal  de 
Kennedy  au  fiord  Greely  et  à  l'Océan  arctique  occidental. 

La  partie  septentrionale  de  la  terre  de  Grinnell  est  pareil- 
lement couverte  d'une  calotte  de  glace,  qui  a  sa  limite  sud 
sur  le  82*  degré. 

L'espace  compris  entre  le  81*  et  le  82*  parallèle  et 
qui  s'étend  du  canal  de  Kennedy  et  du  canal  Robeson  à 
l'Océan  arctique  occidental,  était  en  juillet  1882  dépouillé 
de  neige,  sauf  sur  les  hauteurs.  Le  lieutenant  Greely  a  pu 
yfaireun  trajetde  150  milles  à  l'intérieur,  sans  que  son  pied 
ait  foulé  nulle  part  la  neige  ;  il  y  a  môme  trouvé  une  végétation 
abondante  comparativement  à  celle  du  cap  Hawkes,  du  cap 
Sabine  et  d'autres  points  situés  plus  au  sud,  qu'il  a  eu 
occasion  de  visiter. 

A  l'intérieur  de  la  terre  de  Grinnell,  le  lieutenant  Greely 
a  découvert,  en  outre,  un  lac  auquel  a  été  attribué  le  nom 
du  général  Hazen,  chef  du  Signal  Service  des  États-Unis. 
Le  lac  Hazen  est  alimenté  par  des  glaciers  et  M.  Greely  a 
pu  constater  que  des  Esquimaux  en  avaient  naguère  habité 
la  rive  méridionale. 

Les  esprits  positifs,  cette  fois  encore,  n'ont  pas  manqué 
de  contester  aux  résultats  des  expéditions  polaires  une 
importance  qui  justifie  les  souffrances,  les  morts  au  prix 
desquelles  ils  sont  le  plus  souvent  acquis.  En  théorie  et  au 
point  de  vue  de  l'humanité  ils  peuvent  avoir  raison;  mais 
les  raisonnements  les  plus  sains  ne  sauraient  prévaloir 
contre  les  faits.  Arrivé  à  un  certain  degré  de  culture, 
l'homme  devient  âpre  à  combattre  l'inconnu  qui  l'enve- 
loppe. Tant  qu'un  lambeau  de  terre  restera  inexploré,  les 
voyageurs  n'auront  ni  trêve  ni  repos  qu'ils  ne  l'aient  visité, 
et  les  plus  solides  argumentations  ne  sauraient  les  en  dé- 


2S0    BAPPOBT  Sm  us  TKATACX  BK  LA  SOaÉTÉ. 

toomer.  Il  ne  faut  pas  «failleiirs  cbcrdicr  à  déeoarager  les 
andacienx  de  l'actioa  ncn  plus  qœ  ceux  de  la  pensée,  et 
moins  ici  qu'ailleurs,  il  est  permis  d'ooblier  la  part  de 
ces  enfants  perdus  dans  la  conquête  dn  globe  par  la  cnili- 
sation. 


LA    REGION    ALGERIENNE 

TRAVBRSél 

PAR    LE    MÉRIDIEN    DE    PARIS 

PAR 

Le  eomiiiAndaiil  DBrbIEM^ 


ASPECT  GÉNÉRAL.  —  DIVISION  EN  ZONES  DISTINCTES. 

Le  méridien  de  Paris  traverse  en  Algérie  les  quatre  régions 
fondamentales  et  bien. distinctes  de  cette  partie  septentrio- 
nale de  l'Afrique,  à  savoir  :  le  Tell,  les  Hauts- Plateaux, la 
région  montagneuse  de  Sahara  ou  régions  des  Ksours  et  le 
Sahara. 

Nous  nous  proposons  de  décrire  ici  la  zone  méridienne 
comprise  entre  le  littoral  et  Aïn  Madhi,  c'est-à-dire  entre  le 
36<'40'  et  le  33'50'  de  latitude  nord  (latitude  de  Laghouat), 
sur  une  longueur  de  320  kilomètres  environ. 

Disons  de  suite  que  cette  zone  est  presque  toute  entière 
occupée  par  le  bassin  du  Ghélif. 

Les  régions  citées  plus  haut  peuvent  se  subdiviser  de  la 
manière  suivante  : 

Le  Tell  :  l""  versant  méditerranéen  ;  2^  bassin  Tellien  du 
Ghélif. 

Les  Hauts-Plateaux  :  l^  bassin  du  Nahr  Ouassel  et  de 
l'Oued  Oureuq;  2<*  bassin  de  l'Oued  Taguine;  3^  bassin  de 
l'Oued  Touil  et  de  l'Oued  Kosni;  4<^  bassin  du  Zahrez  R'arbi; 
5®  bassin  des  Dayas. 

La  région  montagneuse  du  Sahara  :  1*  le  Djebel  Amour; 
2«  le  massif  de  Djelfa;  3*"  le  désert  d'érosion -de  Laghouat. 

1.  Voir  la  carte  jointe  à  ce  numéro. 


252  LÀ   RÉGION  ALGÉRIEN!9E 

Dans  le  Tell,  le  méridien  coupe  le  littoral  entre  Gherchell 
et  Tipaza,  traverse  le  versant  méditerranéen  entre  l'Oued 
Hachem  et  TOued  Nador,  en  passant  sur  le  Ghenoua ,  le 
Djebel  Feriss  et  le  Djebel  Bou  Dezmann,  atteint  la  chaioe  du 
Zaccar  au  Bou  Haya,  qui  sépare  entre  elles  les  deux  branches 
mères  de  l'Oued  Djer,  l'Oued  Hammam  R'ira  au  nord  et 
rOued  Ouamborg  au  sud;  il  descend  du  col  de  Gontas  dans 
la  vallée  du  Ghélif,  dont  le  bassin  Tellien  peut  être  limité 
dans  la  zone  qui  nous  occupe  entre  les  quatre  villes  de 
Milianah,  Médéa,  Teniet-el-Had  et  Boghar. 

Du  Chélif,  le  méridien  remonte  la  rive  droite  de  l'Oued 
Dourdeur,  coupe  l'Oued  Djemaa  et  atteint  la  crête  du  moyen 
Atlas  au  massif  d'Achaourn.  Il  descend  ensuite  le  versant 
septentrional,  fortement  accentué,  du  Nahr  Ouassel,  qu'il 
atteint  entre  les  Djebel  Er-Riouen  Dahrani  et  el  Guebli. 

Du  Nahr  Ouassel,  le  méridien  entre  dans  les  Hauts-Pla- 
teaux, traverse  le  Sersou  oriental  et  la  plaine  que  sillonnent 
les  Oueds  Belbela  et  Oureuq;  à  une  lieue  environ  à  l'est  de 
Ghellala,  il  coupe  la  chaîne  de  Ben  Hammad  et  se  dirige  sur 
Taguine  en  traversant  une  plaine  ondulée,  couverte  de  thym 
et  d'halfa,  inclinant  à  l'est  vers  l'Oued  Bettine. 

De  Taguine,  le  méridien  se  prolonge  au  sud  sur  la  rive 
droite  de  l'Oued  Touil^  entre  cette  rivière  et  les  ondulations 
qui  là  séparent  du  Zahrez  R'arbi;  il  coupe  le  Djebel  Archa, 
franchit  l'Oued  Ghellal,  gravit  à  partir  de  Sidi  Bou  Zid  les 
contreforts  orientaux  du  Djebel  Amour  et  atteint  à  la  côte 
(1200  mètres)  la  ligne  de  partage  des  eaux  du  Grand  Atlas, 
d'où  il  descend  dans  le  bassin  de  l'Oued  Mzi.  Il  coupe  la 
gorge  de  TOuaren  et  les  dentelures  de  la  Gada  d'el  Groun, 
passe  dans  les  jardins  d'Aïn-Madhi  à  l'altitude  de  975  mètres, 
d'où  il  pénètre  ensuite  dans  la  région  du  Sahara. 

La  coupe  donnée  sur  la  carte  ci-jointe  permet  de  se  faire 
une  idée  du  relief  des  différentes  parties  que  nous  venons 
d'énumérer  et  que  nous  allons  revoir  en  détail  dans  les  cha- 
pitres suivants. 


TRAVERSÉE  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE   PARIS.  253 

OROGRAPHIE 

La  crête  du  moyen  Atlas  qui  serpente  à  l'ouest-sud-ouest 
de  Boghar,  en  passant  à  deux  kilomètres  au  sud  de  Teniet- 
el-Had,  sépare  le  bassin  du  Ghélif  de  celui  du  Nahr  Ouassel, 
une  de  ses  branches  mères. 

Elle  présente,  comme  saillies,  le  Djebel  Ikhoud  (1259  mè- 
tres); le  Djebel  en  Nedate  ou  massif  des  cèdres  de  Téniet- 
el-Had>  dont  le  point  culminant,  Ras  Brarit,  a  1782  mètres 
d'altitude;  TEl  Madhen  (1628  mètres);  le  Guernel  Ahmar 
(1491  mètres);  TAchaoun  (1814  mètres),  dominant  à  Test 
les  ruines  de  Thaza;  le  Djebel  Bent  Khreliala,  le  Kef  Taïg 
et  le  Kef  Ammouch  dominant  Boghar;  le  Ras  Taguença 
(1731  mètres),  entre  Achaoun  et  Bent  Khreliala^  est  à  une 
lieue  environ  au  sud  de  la  ligne  de  partage. 

Cette  crête,  vue  du  sud,  semble  former  une  muraille 

■ 

continue,  mais  chacun  des  massifs  précités  fait  partie  de 
chaînons  différents  sensiblement  parallèles  entre  eux  et  à  la 
direction  du  littoral.  Les  cols  se  trouvent  presque  tous  en 
arrière,  au  nord  et  à  des  altitudes  de  3  à  400  mètres  en  con- 
tre-bas, voire  même  à  500  mètres,  comme  celui  de  Derrague, 
entre  Achaoun  et  Taguença. 

Ces  montagnes  sont  rocheuses,  boisées  surtout  sur  leurs 
pentes  septentrionales  et  les  sources  y  abondent.  Le  col 
principal  est  celui  qui  a  donné  son  nom  à  Teniet-el«Had, 
entre  les  Kefs  Sachi  et  le  Djebel  Mezzioud. 

Le  versant  méridional  du  moyen  Atlas  forme  la  transition 
entre  le  Tell  et  la  région  des  steppes;  son  aspect  général 
est  désolé  et  à  part  les  vallées  quelques  peu  verdoyantes  de 
rOued  Issa,  de  l'Oued  Aricha  et  de  l'Oued  Boukmouri,  les 
collines  se  succèdent  les  unes  aux  autres,  nues,  érodées, 
effondrées  jusque  vers  le  Nahr  Ouassel.  Quelques  sommets 
se  détachent  au  milieu  de  cette  masse  confuse;  ce  sont 
le  Kef  Ben  Naouri  (1200  mètres),  le  Rihouen  Dahrani, 


S54  LA  RÉGION  ALGÊRIENIfE 

(1015  mètres),  le  Tilouen,  le  Djira,  l'Harezza  (1450  mètres) 
le  Tafrent  et  le  Kobarat. 

Un  petit  chaînon  dont  le  sommet  est  coté  918  mètres,  le 
Djebel  Gourine,  se  détache  distinctement  au  sad-est  et 
sépare  le  Ghélif  de  son  affluent  l'Oued  Moudjelil. 

Le  Nahr-Ouassel  limite,  à  vrai  dire,  la  région  des  steppes 
au  nord;  cette  région  comprend  les  divisions  suivantes  : 

1*  Plateau  du  Sersou  (partie  orientale).  —  La  partie 
orientale  du  Sersou,  entre  le  Sébsun  Aïoun  et  l'Oued  Oureuq, 
a  une  profondeur  de  20  kilomètres  environ  entre  le  Nahr 
Ouassel  et  TOued  Belbela. 

La  vallée  du  Nahr  Ouassel  est  fertile^  mais  le  reste  du 
plateau  et  les  coteaux  qui  le  bordent  sont  nus,  dénués  d'eau 
et  de  végétation.  Ce  pays  ne  présente  aucune  ressource  pour 
l'avenir. 

Le  Sersou  est  complètement  plat,  sauf  sur  la  rive  droite 
du  Nahr  Ouassel,  où  se  dresse  une  ligne  de  collines  de  50  à 
200  mètres.  Entre  Redjem  Sidi  Saïd  et  Aïn  Beïda,  cette 
rampe  est  couronnée  par  un  escarpement.  Plusieurs  con- 
trefortSy  se  terminant  par  des  mamelons,  se  rattachent 
à  cette  rampe;  les  principaux  de  ces  mamelons  sont  : 
Koléat,  Hamdia,  Keskess  et  surtout  Er  Ribouen-^oebli. 
Le  point  le  plus  bas  du  Sersou  est  à  685  mètres  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer;  le  point  le  plus  élevé  est  à 
1106  mètres. 

La  partie  occidentale  du  Sersou,  au  delà  d'Aïn  Tamella- 
ket,  est  riche  et  fertile,  abondante  en  ruines  romaines  et  en 
monuments  mégalithiques. 

La  partie  centrale,  entre  Ain  Tamellaket  et  Aîn  Belbela, 
ne  présente  qu'une  petite  herbe  maigre  que  tondent  les 
troupeaux.  Enfin  à  l'est  on  ne  trouve  plus  que  du  thym  sur 
le  plateau  et  de  l'halfa  sur  les  collines;  cette  troisième 
partie  est  complètement  stérile.  Sur  tout  le  Sersou,  il  n'y 
avait  en  1877  qu'une  seule  maison,  le  Bordj  d'Aïn  Guettar, 
au  caïd  des  Doui  Hasseni,  et  encore  était-elle  abandon- 


TRAVERSÉE  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE  PARIS.       255 

née  ^  On  y  voit  cinq  Marabouts  avec  Koubbas,  Trissit,  Sidi 
Mohammed  ben  Rabah,  Sidi  Harmela,  Sidi  Kouider,  et 
Sidi  Ali  ben  Rabah  ;  ces  deux  derniers  sont  en  ruines. 

2«  Plaine  de  Soussellem  et  de  VOureuq,  —  L'Oued  Sous- 
sellem  n'est  séparé  de  TOued  Mechti  que  par  des  ondula- 
tions à  carapace  quaternaire,  assez  prononcées  d'abord  à 
l'ouesty  aux  environs  du  Marabout  de  Sidi  l'Habri  et  des  Aïn 
Dzarit,Keséa,  Moïel  Safra,  etGheguiga,maisdeplus  en  plus 
insensibles  à  Test  où  l'Oued  Soussellem  se  perd  dans  le  sol. 

Entre  l'Oued  Soussellem  et  le  massif  de  Goudjila,  la  plaine 
se  relève  au  milieu  de  collines  pierreuses  et  prend  le  nom 
de  Bled  Merkouna;  elle  se  trouve  limitée  à  Test  par  les  col- 
lines de  Beziza  et  de  Racheïga  qui  ne  sont  que  des  contre- 
forts du  Kef  Goudjila. 

La  plaine  de  l'Oureuq  forme  deux  paliers  bien  distincts 
dont  le  pied  du  gradin  est  marqué  par  le  lit  de  l'Oued  Ou- 
reuq.  En  effet,  le  voyageur  qui  se  rend  de  Chellala  à  Teniet 
el  Had  descend  brusquement,  par  un  talus  raide  et  rocheux 
de  15  à  20  mètres  de  hauteur,  dans  TOued  Medremme  (nom 
de  l'Oued  Oureuq  en  amont),  sans  que  rien  à  l'horizon  ait 
pu  faire  soupçonner  ce  ressaut. 

Les  hauteurs  qui  dominent  cette  plaine,  et  qui  peuvent 
servir  de  jalons  pour  se  diriger,  sont  le  Djebel  Racheïga, 
à  l'ouest;  le  Djebel  Oumm  ez  Zeboudj,  contrefort  du  Kef 
Goudjila  au  sud-ouest,  les  collines  de  Seba  l'Hadid  et  de 
Djerade  au  sud,  entre  les  villages  de  Bou  Hammad  et  de 
Chellala;  le  petit  mamelon  de  Hameima,  non  loin  du  con- 
fluent de  rOued  Oureuq  avec  l'Oued  Bettine. 

La  plaine  de  Bou  Larbaa  ou  d'el  Gouirat  occupe  l'espace 
restreint  entre  TOued  Belbela,  le  Nahr  Ouassel,  l'Oued  Bou 
Larbaa  et  l'Oued  Ghabouina;  ses  ondulations  sont  un  peu 
plus  accentuées  et,  parmi  celles-ci,  on  remarque  le  Kef 

1.  Lors  de  ma  deuxième  excursion  dans  cette  région,  en  1877,  je  reçus 
l'hospitalité  dans  nne  maison  ou  haouch,  appartenant  au  Caïd  des  Béni 
Lent,  près  derAïn  Sidi  Ataya,  où  legénie  a  fait  construire  un  bel  abreuvoir. 


256  LA  RÉGION  ALGÉRIENNE 

Zerga,  dominant  la  rive  droite  de  TOaed  Belbela,  le  Kef  el 
Asfour  et  le  Ghegga,  sur  la  rive  droite  du  Nahr  Ouassel. 

Au  delà  de  l'Oued  Oureuq,  la  plaine  se  prolonge  à  Test, 
s'élevant  de  quelques  mètres,  pour  se  terminer  dans  les  bas- 
fonds  marécageux  de  Bou  R'ezoul  et  d'el  Khrachem. 

3<*  Chaîne  de  Goudjila  et  de  Chellala.  —  Cette  chaîne 
isolée  qui  se  dresse  au  milieu  des  Hauts-Plateaux  dont  elle 
rompt  la  monotonie  n'est  que  le  prolongement  de  celle  qui, 
un  peu  au  sud  de  Frenda,  forme  la  limite  nord  du  bassin 
du  Ghot  Gbergui,  et  qui  s'étend  au  nord-est  jusqu'au  moyen 
Atlas,  à  Test  de  Boghar. 

Du  Djebel  Nador  au  Kef  Goudjila,  la  chaîne  présente  trois 
lignes  parallèles  dirigées  du  sud-est  au  nord-ouest;  celle 
du  nord  comprend  le  Djebel  Nador,  le  Djebel  Harmela,  le 
Djebel  Mouila  séparé  du  précédent  par  le  Kheneq  Djellal, 
le  Djebel  Bel  Baîa,  le  Djebel  Oudeïnet  et  le  Kheneq  ez  Zegg. 
Cette  ligne  est  boisée  et  rocheuse,  surtout  au  nord  où  les 
pentes  sont  inaccessibles. 

La  deuxième  ligne  comprend  le  Djebel  Bel  Oulid,  le 
Djebel  Benian,  le  Djebel  Fortass  R'arbi,  le  Ras  Assass,  som- 
met le  plus  élevé  (1531  mètres),  le  Ras  Chemakh  (1489  mè- 
tres) que  couronnent  les  ruines  d'un  ancien  Ksar  et  le 
Djebel  Archaoun. 

Entièrement  boisée,  cette  chaîne  est  séparée  de  la  pre- 
mière par  une  vallée,  également  boisée,  que  sillonnent  les 
Chabet  Nessissa,  Djellal  et  Bezzess. 

Les  flancs  nord  sont  extrêmement  abrupts  et  présentent 
en  certains  endroits,  notamment  au  nord  de  Fortass  et  de 
Chemakh,  des  murailles  de  rochers  inaccessibles. 
.  La  troisième  chaîne,  plus  basse,  comprend  le  Djebel 
Berahall,  les  collines  de  Soufiguigue  et  les  hauteurs  qui 
séparent  l'Oued  Safla  de  l'Oued  Soufiguigue,  le  Mahjouba, 
le  Réah,  le  Msallah,  et  enfin  le  Kef  Goudjila  (1311  mètres) 
dominant  à  pic  la  plaine  de  l'Oureuq.  —  Ces  trois  lignes 
ont  une  longueur  de  6  à  8  kilomètres. 


TRAVERSÉE   PAR  LE  MÉRIDIEN.  DE   PARIS.  257 

Le  Kef  Goudjila  est  relié  au  Khe^eg  Zegg  par  la  crête 
rocheuse  du  Zegg,  les  Kefs  de  Chei^nadre  et  de  Sidi  Abd- 
el-Kader,  dirigés  de  l'ouest  nord-duest  au  sud-est;  cette 
direction  se  prolonge  au  delà  de  Gtiudjila  par  les  collines 
de  Zoubiat  jusqu'à  la  trouée  de  rO(îied  el  Ouache.  L'Oued 
Safîa  s*écoule  dans  la  plaine  à  Test  de  Goudjila,  par  le  Kheneq 
el  Arar.  De  l'Oued  el  Ouache  à  TOued  Bettine,  la  chaîne 
s'étend  également  sur  trois  lignes  parallèles,  du  sud -ouest 
au  nor4-est;  on  peut  la  diviser  en  trois  parties  : 

1o  Chaîne  de  Kheneq  el  Ouache  à^heneq  el  Kharza. 

La  première  ligne  de  cette  chaîne  est  le  prolongement 
des  collines  basses  de  Kosni;  elle  commence  à  s'accentuer 
aux  dentelures  du  Djebel  Metalès  et  au  Djebel  Magrounat 
atteint  1211  fiiètres  au  Sba  TAzereg,  et  s'abaisse  un  peu  par 
les  collines  de  Debaa,  jusqu'à  la  trouée  par  laquelle  s'échap- 
pent les  eaux  de  l'Aïn-Lorak  et  du  Chabet  du  Esar-ben- 
Hammad,  entre  le  monticule  dolomitique  d'el  Kharza  et  le 
Djebel  Lebouib. 

La  deuxième  ligne  est  le  Djebel  Zerga  et  le  Kef  TAbiod. 

En  troisième  ligne,  la  Ghebka  de  Noufikra^  le  Djebel 
Faïma  et  les  quatre  têtes  de  Massenfa,  Sba  l'Abiod,  Kef 
l'Azereg  et  Keskess;  ce  dernier  piton  domine  à  Touest  le 
Kheneq  el  Rouga. 

2«  Chaîne  de  Kheneq  el  Kharza  à  Teniet  el  Hasbaïa. 

Cette  chaîne,  appelée  Ben  Hammad,  comprend,  en  pre- 
mière ligne,  le  Djebel  Lebouib,  le  Kef  benHammad  (1266  mè- 
tres) couronné  par  les  ruines  du  Ksar  el  Foukani  et  domi- 
nant à  l'est  le  Ksar  el  Tahlani  de  Ben  Hammad,  la  Gada, 
le  Drah  Temer,  le  Mindjel,  le  Maalba,  l'Ouasrla,  le  Kef 
Ghellala,  dominant  au  sud  le  village  de  ce  nom  et  les  collines 
de  Niague,  d'Amara,  de  Kouifess,  de  Djeffala  et  d'Hasbaïa. 

La  deuxième  ligne,  plus  élevée,  comprend  les  rochers  de 
Bon  Mzil  et  du  Rogba,  le  Redjem  Fatallah  (1331  mètres),  le 
Khang  el  Arar,  le  Sba  Sidi  Abd-el-Kader  (1409  mètres), 
l'Houraïa  et  le  Guenadsa. 


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258  Li^yRÉGION  ALGÉRIENNE 

Enfin  en  troisième  li^e  les  collines  basses  de  Sba  l'Mahd 
Joubas,  de  Lféab  et  de!  Siouet.  —  Ce  massif  présente  trois 
passages,  le  Kheneq  ei  Djach,  le  Kheng  el  Metmar  et  le 
Teniel  Djeffala  (950  mitres). 

30  Chaîne  de  Teniet  0I  Hasbaïa  à  l'Oued  Bettine. 

La  première  ligne  de  cette  chaîne  comprend  TAmar- 
Khaddou,  1188  mètres;  le  Djédid  Cherf,  le  Djebel  Harfouf 
(1007  mètres)  et  le  Djebel  Daourra. 

En  deuxième  ligne,  ntioins  élevée,  l'Argoub  Louai  et  THa- 
rezza.La  troisième  lign^  comprend  les  roqbade  Fritizza,  de 
Rhadra  et  de  Zerguine,  Je  Guerjgoura,  le  Kef  Hammam  et 
le  Kef  Morra. 

Cette  chaîne,  comme  celle  de  Chellala,  n'a  que  5  ou  6000 
mètres  de  largeur,  elle  est  remarquable  par  l'abondance  el 
l'excellence  de  ses  sources,  surtout  dans  sa  partie  orientale, 
mais  les  eaux  disparaissent  sous  terre  à  quelques  mètres  de 
leurs  sources  ou  bien  sont  absorbées  par  des  canaux  d'irri- 
gation; rOued  Bettine,  dont  elles  sont  tributaires,  n'en 
perçoit  pas  une  goutte. 

Cette  grande  chaîne  se  prolonge  au  nord-est,  avons-nous 
dit,  jusqu^à  l'est  de  Boghar.  L'oued  Bettine,  après  avoir 
^accumulé  jadis  ses  eaux  contre  cette  barrière,  a  dû  la  briser 
et  s'élancer  au  nord,  laissant  à  droite  les  hauteurs  nues  et 
arides  de  Noukra  (952  mètres),  d'En  Naçeur,  d'Hasbeïa,  de 
Bou  Touidjine  (785  mètres)  et  de  Souati  TAmra. 

i^  Plaine  de  Taguine.  —  Cette  plaine,  traversée  dans  sa 
partie  centrale  par  l'Oued  Bettine  appelé  en  amont  Oued 
Touil,  Oued  Taguine,  Oued  Touil  une  deuxième  fois,  puis 
Oued  Felderrigha,  peut  se  subdiviser  en  plaine  de  Kosni, 
plaine  de  Sakni,  plaine  de  Ben  Marouf,  du  nom  des  ouad  qui 
traversent  chacune  de  ces  parties  de  la  plaine  de  Taguine. 

Elle  a  120  kilomètres  d'étendue  de  l'est  à  l'ouest,  entre 
l'oued  Reghaï  et  la  route  d'Alger  à  Laghouat  ;  sa  profondeur, 
du  nord  au  sud,  est  de  64  kilomètres,  entre  Goudjila  et  Fm- 
derrigha;  elle  est  de  32  kilomètres  seulement  entre  le  Djebel 


TRAVERSÉE   PAR  LE  MÉRIDIEN  DE  PARIS.  259 

Noukra  et  le  Djebel  Oukaït  qui  la  limite  à  Test.  Quelques 
collines  crétacées  s'élèvent  au*dessus  du  plateau  quaternaire 
des  steppes;  sur  la  rive  gauche  de  TOued  Bettine,  on  voit  le 
Mdarreg  Nhar,  le  Drah  el  Hahbara,  le  Ghebkat  el  Maïa;  sur 
la  rive  gauche  de  l'Oued  Taguine,  la  Ghebka  de  ce  nom,  le 
coudiat  Maberka^  et  le  coudiat  el  Hachfar.  —  Au  sud  de 
rOued  Sakeni,  s'étendent  les  ondulations  duDjebiletd'Atza- 
rou  et  au  n  ord  le  Dj  ebel  Korra  mta  oulad  Khreliff^  le  Tabkroura 
ou  Ras  el  Zelch  et  le  coudiat  Tinguemart,  près  de  Ras  Bechouat. 

Sur  la  rive  droite  de  TOued  Bettine,  entre  l'Oukaït  et  les  puits 
de  Ben  Marouf,  est  la  Gada  Ghedjeret  Ech  Ghouf,  et  sur  la 
rive  droite  de  l'Oued  Taguine,  sont  le  Drah  el  Hallouf,  le 
Djeder  Dib,  le  petit  mamelon  crétacé  d'Oukdeïat  er  Raïane, 
près  des  dix  puits  de  Djelila,  et  le  Daklat  en  Naga. 

Gette  partie  des  hauts  plateaux  est  couverte  d'halfa  dans 
les  terrains  élevés,  de  Sennagh,  de  chihh,  dans  la  plaine,  et 
de  guetaf  et  d'issérif  dans  les  bas-fonds  ^ 

Verdoyante  après  les  premières  pluies  d'hiver,  cette  végé- 
tation est  brûlée  par  le  soleil  en  été  ;  dans  les  endroits  sablon- 
neux on  voit  apparaître  des  arbrisseaux  sous  épines  et  des 
plantes  sous-frutescentes,  moitié  vertes,  moitié  desséchées. 
Dans  les  ouad,  dans  les  dépressions  où  le  sol  conserve  un 
peu  d*humidité,  la  terre  se  recouvre  d'un  gazon  fin  et  du  plus 
beau  vert;  les  jujubiers  se  garnissent  de  feuilles  et  quelques 
bouquets  de  térébinthes  et  de  tamarix  forment  comme  des 
oasis  vers  lesquelles  on  se  dirige  pour  y  trouver  un  peu 
d'ombre,  à  défaut  d'eau. 

5**  Chaîne  de  UOukaït.  —  Cette  chaîne  très  bien  accentuée 
entre  le  Ras  Taguine  et  Guelt  es  Stel,  se  prolonge  au  sud- 
ouest  en  collines  insignifiantes;  on  peut  la  suivre  au  nord* 
est  jusqu'à  l'Oued  GheLlal,  principal  tributaire  de  la  Sebkha 
duHodna;  elle  se  raccorde  brusquement  au  nord  avec  la 

1.  Halfa,  stîpa  tenacissima;  Sennagh,  lygeum  spartum;  Chihhy  arthe- 
misia  alba;  Guetaf,  atriplex  halymus;  hserifi?)  plante  ligneuse  à  petite 
feuille  granuleuse. 


360  LA  RÉGION    ALGÉRIENNE 

plaioe,  par  des  pentes  rocheuses  et  iaacessibles  ;  au  sud, 
uneséried'ondulations  vont  mourir  non  loin  des  bords  du  lac, 
par  une  corniche  de  5  à  6  mètres  de  hauteur.  Elles  séparent 
le  bassin  de  TOued  Beltine  de  celui  du  Zahrez  R'  arbi,  et  à 
partir  deTaguine,  prennentlesnomssuivants  :  Drahc'Hallouf, 
El  Mindjel,  El  Ousseraïa,  Oukait  Rarbi,  Oukaît  Ghergui, 
Kebouria,  Ghebiket  el  Mokra;  au  delà  de  Guelt  es  Stel  sont 
le  Djebel  Krider  et  le  Seba  Rous. 

Ghacune  de  ces  parties  de  la  chaîne  est  séparée  de  ses 
voisines  par  un  kheneq  ou  défilé  auquel  on  donne  le  nom 
de  Megbzem;  les  Arabes  désignent  quelquefois  le  Djebel 
Oukaît  sous  le  nom  de  Djebel  Megbzem. 

Ge3  kheneq  sont  :  Meggzhem  Ousseraïa,  Megbzem  Trad, 
Megbzem  Bekrour,  Guelta  Ahmed  ben  Daoud,  Kebouria, 
Teniet  et  Tine,  Teniet  el  Mhaïrez  et  Guelt  es  Slel,  où  passe 
la  route  d'Alger  à  Laghouat. 

La  chaîne  de  l'Oukaït,  large  de  3  ou  4  kilomètres,  est 
couverte  d'halfa  et  d'arbustes  tels  que  chênes  à  glands 
amers  (Karrouche),  myrtes,  genévriers  et  lentisques.  — 
Elle  n'a  pas  une  seule  source.  L'Oukaït  Ghergui  est  coté 
1228  mètres  et  l'Oukaït  R'  arbi  1 198  mètres.  La  crête  supé- 
rieure de  la  chaîne  est  tout  à  fait  au  nord,  se  rattachant 
brusquement  à  la  plaine  par  une  muraille  rocheuse,  tandis 
qu'au  sud  le  raccord  avec  le  Zahrez  se  fait  par  une  série 
d'ondulations. 

&"  Chaînes  deUAlleg,  de  Sidi  Lahssen,  et  de  UArcha. 
—  Le  Djebel  el  Alieg  et  le  Djebel  Archa  qui  est  son 
prolongement  au  nord-est,  au  delà  de  l'Oued  Feîderrigha, 
peuvent  être  considérés  comme  les  sentinelles  du  Djebel 
Amour. 

Le  Djebel  AUeg  sur  une  longueur  de  19  kilomètres  et 
sous  les  noms  de  Kef  el  Alleg  (1421  mètres),  Seba  TOgab,  Bou 
Ghachia,  Daklaet  Goudjila,  sépare  l'Oued  Namous  et  l'Oued 
Beîda  de  la  vallée  de  l'Oued  Feuetril,  affluent  de  l'Oued 
Feîderrigha. 


TRAVEHSÉE   PAR  LE  MÉRIDIEN  DE   PARIS.  261 

• 

Au  nord  de  cette  vallée  est  le  massif  de  Sidi  Lahssen  ^ 
qui,  à  l'ouest,  se  joint  en  fer  à  cheval  avec  le  Djebel  Alleg, 
par  les  collines  de  Rafdaït;  au  nord  il  présente  une  masse 
compacte,  dont  le  point  culminant  est  coté  1408  mètres  et 
qui  est  séparée  des  autres  mamelons  du  massif  par  des 
ravins  très  escarpés,  taillés  dans  les  flancs  du  calcaire  de 
la  montagne  ;  à  Test,  près  de  la  rivière,  on  ne  voit  que  ma- 
melons isolés,  dans  des  ondulations  ravinées  et  qui  témoi- 
gnent d'une  forte  érosion. 

L'action  érosive  s'est  fait  surtout  sentir  dans  le  Djebel 
Archa,  qui  n'offre  à  sa  partie  nord  qu'une  série  de  sommets 
coniques  dont  le  plus  élevé,  le  Ghouf,  est  coté  1280  mètres. 
—  Le  Djebel  Archa  sépare  les  eaux  de  l'Oued  Touil  et  de 
rOued  Feïderrigha  de  celles  de  l'Oued  el  Agaïg  qui  s'écoule 
dans  la  Dayat  Mouchegague. 

La  tête  de  ce  ruisseau  est  tout  près  de  l'Oued  Feïderrigha  ; 
une  série  de  collines  dites  Delaa  el  Agaïg  le  séparent,  au 
sud,  du  bassin  de  l'Oued  Chellal. 

7°  Le  Djebel  Amour.  —  I^e  Djebel  Amour  est  une  des 
parties  les  plus  curieuses  et  les  plus  remarquables  de  la 
région  montagneuse  du  Sahara,  tant  au  point  de  vue  de  sa 
formation  et  des  cours  d'eau  qu'il  envoie  dans  toutes  les 
directions,  qu'à  celui  de  son  étendue.  Il  fait  partie  de  la 
chaîne  du  Grand  Atlas  qui  traverse  l'Algérie  du  sud-ouest  au 

1.  Le  massif  de  Sidi  Lhassen  est  représenté  à  tort,  sur  les  cartes,  sous 
le  nom  de  Djebel  Archa  R*arbi.  Ce  dernier  est  tout  entier  sur  la  rive  droite 
de  rOued  Feïderrigha  ;  à  6  kilomètres  au  sud  de  Sidi  Lahssen,  et  parallè- 
lement à  sa  direction  sud-ouest  —  nord-est,  est  la  chaîne  de  l'Alleg, 
qui  sépare  l'Oued  Namous  et  TOued  Beïda  de  TOued  Feaetril.  L*Alleg  est 
coté  1421  mètres,  tandis  que  le  Ras  Sidi  Lahssen  n'a  que  U08  mètres. 

Au  sommet  de  Sidi  Lahssen  est  un  gros  tas  de  pierres,  élevé  en  Thon- 
nenr  du  Marabout  Sidi  Lahssen  ;  ces  pierres  proviennent,  disent  les  Arabes, 
d'un  ancien  Ksar  construit  en  ce  lieii. 

Les  pentes  nord  sont  escarpées  et  hérissées  de  rochers  à  pic  ;  au  sud, 
la  crête  contourne  plusieurs  ravins  très  encaissés. 

Sidi  Lahssen  est  du  territoire  des  Oulad  Sidi  Brahim,  dont  le  Caïd  esi 
au  pied  de  TAUeg,  à  l'Aïn  Ziouinet. 

soc.  DE  GÉOGR.  —  2»  TRIMESTRE  1885.  VI.  —  18 


2Bâ  LA  RÉGION  ALGÉRIENNE 

nord -est  et  qui  comprend  les  massifs  importants  da  Ksel, 
du  Bou  Khaïl  et  de  TAurès. 

Cette  région  a  un  aspect  tout  différent  de  celui  des  Hauts- 
Plateaux;  les  bois  couvrent  fréquemment  ses  parties  les 
plus  élevées  ;  des  sources  d'une  eau  généralement  douce  se 
présentent  à  chaque  pas;  les  ools,  qui  servent  à  la  fois  de 
ligne  de  partage  et  de  routes  pour  les  habitants,  y  sont 
larges,  d'un  abord  facile  et  couverts  d'épaisses  touffes 
d'Halfa  ;  les  vallées  sont  ordinairement  propres  à  la  culture 
des  céréales  et  les  ksours  étendus  en  occupent  les  points 
les  plus  importants.  Cette  région  ressemble  plutôt  au  Tell 
Saharien;  mais  il  y  a  loin  de  là  à  en  faire  un  jardin,  suivant 
l'exagération  arabe.  Ce  qu'il  y  a  de  vrai,  c'est  que  les  sobres 
habitants  peuveat  se  passer  du  Tell  quand  l'année  a  été 
bonne. 

Le  pâté  de  Djebel  Amour  a  environ  15  lieues  d'étendue 
du  nord  au  sud  et  35  lieues  environ  de  l'est  à  l'ouest.  Il 
présente  Taspect  d'un  nœud  principal  duquel  se  détachent 
des  lignes  d'eau  dans  toutes  les  directions. 

Les  eaux  qui  sourdent  de  ses  flancs  septentrionaux  vont 
former  rOued  Sebgague  qui  estla  tôte  du  Ghélif  ;  vers  l'ouest, 
ses  eaux  vont  grossir  les  affluents  de  l'Oued  Sldi  en  Naceur 
et  se  perdre  dans  le  Chot  ech  Chergui.  Au  sud,  elles  contri« 
huent  à  former  les  affluents  de  l'Oued  Seggueur  et  de 
rOued  Zergoun.  Enfin,  à  l'est,  elles  se  perdent  dans  le  Chot 
Melrir,  la  future  mer  intérieure. 

Sous  le  rapport  stratigraphique,  le  Djebel  Amour  se  dis- 
tingue par  une  grande  variété  d'accidents  orograpl^iques  qui 
le  sillonnent  en  sens  divers  et  s'entremêlent  sans  paraître, 
en  général,  s'être  déviés  les  uns  des  autres.  —  Pourtant 
l'ensemble  du  massif  obéit  à  la  loi  orograpbique  des  soulè- 
vements ou  de  l'érosion,  qui,  en  Algérie^  a  assigné  aux 
grandes  crêtes  une  direction  générale  sud-ouest —  nord-est 
parallèle  au  littoral;  une  excursion  d'Âîn  Madhi  h,  AAqu  et 
à  rOued  Sebgague  nous  a  permis  de  compter,  dans  le 


TRAVERSÉE  PAR  LB  MÉfilMEN  DE  PARIS.  S63 

Djebel  Amour,  tfdizre  e^alskons  parjsilIèJies.  Ces  datatoons  ne 
forment,  au  lieu  d'un  trait  con(Liiàij,y  qu'une  suite  ëe  so«iiiiités 
isolées  et  de  ^onguear  rdativement  médiocre,  dont  les  noms 
qui  nous  ontété  donnés  avaient  été  rectifiés  au  poste -d'Aflou, 
d'après  une  carte  manuscrite  du  Djebel  Amour,  exécutée 
par  M.  le  capitaine  O'Gormann. 

Ces  noms  sont  les  suivants  dans  chaque  chaînon,  en  allant 
du  nord-ouest  au  sud-est  : 

i»  1100  à  1200  mètres  d'altitude.  Djebel  Tikialine,  Djebel 
Ouzadja,  coudiatDebiah,  Kef  et  Theïr,  Kef  ben  Nachmouch, 
Kef  Toumoadadiue  et  ie  Djebel  Belalit  qui  est  la  corne 
nord-est  du  Djebel  Amour. 

2<>  1300  à  1400  mètres.  Tena£at  eehCheham,  Goudiat  Bou 
Azem,  Djebel  si  Slimane,  Djebel  Zoreg,  Djebel  Tafeza  et 
les  collines  basses  du  Djeder. 

3*  De  1500  à  1700  mètres.  Kef  el  Hasba,  Djebel  0«ern 
Arif,  Djebel  el  Harcha,  Djebel  Oum  el  Ouedour,  Djebel 
Sidi  Oqba  (point  le  plus  haut,  1710  mètres),  Ghebka  de 
Tafesa,  condiat  ez  Zeg,  ï^ebél  Gourou  (1708  mètres), Djebel 
Ounuu  Selimane,  El  Outeldat. 

i^  1600  mètres.  Seraouat  d  Biout,  Komifat  er  Rmel,  Dje- 
bel Djahia,  Safia  el  Hamra,  eoudiat  Gantons,  Dalaa  Safra, 
RHrane  Torba,  Djebel  Labeth  el  Mahser(1350  mètres). 

5*  Cette  chakie,  formée  de  plateaux  élevés,  est  en  grande 
partie  la  ligne  de  partage  àes  eaux  entre  le  versant  midU 
terranéen  du  Chélif  et  le  Sahara.  Ses  points  principaux 
sont  :  Djebdi  Mesrour,  Kef  ei  Mektouba,  Djebel  1]k)uira; 
ils  ont  de  1400  à  4300  mètres  d'altitude. 

6M400à  1500  mètres.  Goudiat  DjeUiba,  covdiat  Zriga, 
Djebel  Naîm,  Delaa  Bon  Kreronf,  Rbeïbat  Sebat,  ithanonfa, 
eoudiat  Houl  Touaref.  Cette  chaton  sépare  aussi  en  grande 
partie  les  eaux  du  Chélif  de  celles  de  l'Oued  Mzi. 

V  li50mHre$ea  moyenne.  DjebelDjeder,  Djebel  Tebouda, 
Djebel  Ougal,  Djebel  Kérina,  Djebel  Aziaq  (1530  iaètres)« 
Djebel  Baîrecb  (1390  mètres),  Sidi  Amar  (1380  mètres). 


!264  LA  RÉGION  ALGÉRIENNE 

S*"  Les  Gada  d'Enfous,  de  Groun  et  de  Madena,  sillonnées 
dans  le  même  sens  sud-ouest  —  nord-est  par  onze  petites 
chaînes  dont  la  dentelure  est  mise  à  nu  dans  la  coupure 
de  rOued  Ouarem,  entre  les  Gada  de  Groun  et  de  Madena 
(1400  mètres  environ). 

y  Djebel  Tammène  (1350  mètres),  Zemba  (1480  mètres), 
Ras  el  Mouimina  (1512  mètres),  Djebel  Berida,  Ghbiket  el 
Hmeïra,  el  Hezz  el  Zirek. 

10*  La  crête  méridionale  du  Djebel  Amour,  la  plus  élevée 
après  la  troisième,  celle  de  Sidi  Oqba  et  qui  comprend  le 
Ras  Merkeb  (1579  mètres),  Gaïda,Nadjia,  Mahouchen,  Dje- 
beur  et  Hamia. 

Les  crêtes  ou  Delaa  qui  suivent  se  dressent  comme  de 
grandes  écailles  alignées  lelong  du  pied  du  relief  précédent: 

11*  Delaa  mta  aïn  Madhi,El  Feïdj  Djebeur,  Guelt  el  Bidha, 
Drah  Zebboudj. 

IS''  Delaa  Belfelah,  delaa  Tanouret,  delaa  Kerdana. 

13**  Goudiat  Zmeïla,  coudiat  elGuelit  (1137  mètres),  Kef 
Mouilha,  Kef  el  Mora,  Djebel  Mdaouer,  Djebel  Thouil. 

Ge  massif  montagneux  est  généralement  d'un  accè^  fort 
pénible  et  d'un  parcours  difficile.  Ses  pentes,  presque 
toujours  très  raides,  se  terminent  presque  toutes,  vers  le 
nord  comme  vers  le  sud^  par  des  escarpements  à  pic.  Les 
massifs  de  Guern  Arif,  d'Oum  el  Guedour  et  de  Sidi  Okba 
forment  la  portion  la  plus  difficile  de  cette  chaîne  dans  la 
partie  nord. 

A  partir  de  la  pointe  orientale  du  Djebel  Sidi  Okba,  la 
montagne  subit  un  brusque  affaissement;  au  lieu  de  se  cou- 
ronner d'escarpements  infranchissables,  elle  forme  le  plateau 
sans  ondulations  d'el  Kheneïgat  et  le  plateau  fortement 
mouvementé  de  Tigenthar,  dont  le  col  est  des  plus  acces- 
sibles. 

A  la  sortie  de  ce  dernier  plateau,  le  soulèvement  monta- 
gneux prend  à  Ragoubt  el  Khian,  Ragoubt  el  Matz,  Kef  ben 
Nachmouchy  Kef  Toumoudadine  et  el  Belalit  des  proportions 


TRAVERSÉE  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE  PARIS.       265 

considérables  et  le  pays  est  fort  difficile  à  parcourir  dans 
n'importe  quel  sens. 

Le  naassif  du  Labeth  et  du  Gourou,  compris  entre  le 
Teniet  el  Beïdha,  Aïn  Skhouna,  Aïn  Ktama,  et  Aïn  Ouamri, 
est  aussi  des  plus  difficiles;  les  pentes  sont  d'une  raideur 
remarquable. 

Dans  la  Chebka  Mesrour,  le  Djebel  Djeder  et  le  Djebel  Ta- 
bouda,  les  peutes  sont  si  rapides,  si  rocheuses,  les  mouve- 
ments de  terrain  si  heurtés  et  pressés  les  uns  contre  les  au- 
tres, que  le  parcours  à  cheval  en  est  impossible. — Mais  rien 
n'égale  les  difficultés  des  Gada. 

La  Gada  forme  un  vaste  plateau  qui  s'étend  de  l'est  à 
l'ouest,  et  à  une  altitude  de  100  mètres  au-dessus  du  pays 
environnant,  comme  un  talus  à  pic,  La  crêfe  rocheuse  qui 
couronne  son  périmètre  se  dresse  au-dessus  d'un  inextri- 
cable fouillis  de  blocs  de  pierre  énormes. 

On  compte  quatre  Gada  séparées  l'une  de  l'autre  par  des 
accidents  de  terrain  gigantesques  :  la  Gada  d'Enfous,  la 
Gada  d'El  Groun,  la  Gada  de  Madena,  la  Gada  de  TOued 
Morra  ou  Gada  el  Gherguia. 

La  Gada  d'Enfous  est  la  plus  abordable  et  la  plus  facile 
de  toutes;  on  y  arrive  d'Âflou  par  le  Kheneq  Rabeth,  d'El 
R'icha  par  le  chemin  d'el  Goss  ou  bien  par  un  affreux  sen- 
tier qui  descend  le  flanc  vertical  de  l'escarpement,  rive 
droite,  de  l'oued  Berriche,  à  1000  mètres  en  aval  d'En- 
fous. 

Au  centre  de  la  Gada  se  trouve  un  beau  plateau  d'où  sor- 
tent les  magnifiques  sources  qui  forment  l'oued  Berriche; 
Tescarpement  rocheux  qui  forme  la  ceinture  de  la  Gada 
s'appelle  Selloub  el  Gada. 

La  Gada  d'El  Groun  est  la  plus  difficile  de  toutes.  On  peut 
néanmoins  y  monter  à  cheval  par  le  triq  ben  el  Abegâa  et 
le  triq  ben  Naghla  au  nord. 

La  Gada  d'El  Groun  n'a  pas  de  plateau  central;  elle  est 
coupée  par  quatre  arêtes  que  terminent  des  escarpements  à 


266  l-A  BfeGiaïf  ALCÉBISHHK 

pic  sar  rOned  Onaren  et  les  tmos  sont  encaissés  entre  des 
berges  yerticales  de  30  à  90  mètres  de  profandenr. 

La  Gada  de  Madena  est  aussi  facile  que  celle  dlMèns; 
on  peat  y  arriver  à  cheval  an  nord  par  le  Triq  Madena,  par 
Ain  Tameina,  le  long  de  la  rîye  gauche  de  l'Oued  Onaren, 
à  Touest  par  le  Triq  en  Nakhla. 

La  cânture  de  la  Gada  de  Madena  ainsi  qne  celle  de  la 
Gada  d'ElGronn  s'appelle  Ketef  et  Gada. 

Les  plateaux  de  Madena  et  d*Enfous  sont  labourables  en 
certains  points;  on  trouve  de  beaux  jardins  à  Ekifoos  et  à 
Madena. 

La  Gada  d'El  Groim  n*a  ni  sources  ni  eaux  courantes;  il 
y  a  dans  le  Ghabet  ech  Gbebb  un  réservoir  d*eau  intarissable, 
le  Guelta  Badt. 

8^  Massif  de  Djelfa.  —  Le  massif  de  Djelfa,  comme  celui 
du  Djebel  Amour,  est  formé  d'une  série  de  chaînes 
orientées  sud-ouest  —  nord-est,  parallèles  entre  elles  et 
dont  les  principales  ne  scmt  que  le  prolongement  de  celles 
du  Djebel  Amour.  Mais  entre  ces  deux  grands  reMefs,  les 
cbdoes  ont  subi  une  très  forte  dépression  dont  l'aspect 
est  ediri  des  plaines  ondulées  des  Hauts-Plateaux.  La  cbs^e 
du  Djebel  Amour  dont  le  Belalit,  avons  nous  dit,  est  la  corne, 
se  prolonge  au  nord-est  par  les  fortes  collines  de  Rlionat  et 
de  Ghou2âf  ;  au  sud  de  celles-ci  est  le  Guebr  et  Bachi  (tom- 
beau du  jeune  chameau)  qui  relie  Gourou  au  Djerf  el  6a!a; 
plus  en  arrière  est  le  Ghab  ez  Zmerra,  plateau  avec  murailles 
rocheuses,  surmontées  à  distances  égales  de  chapeaux  cal- 
caires, érodés  en  parallélipipède,  ce  qui  lui  donne  Tappa- 
rence  d'un  ouvrage  de  fortifications,  avec  courtines  et 
bastions.  A  Textrémité  orientale  on  voft  les  ruines  du  Ksar 
de  Zmerra. 

La  crête  principale  du  massif  de  lyjelb  est  ce^  du 
Senalba;  au  nord  de  celle-ci  est  la  chaîne  du  Djebel  Kahla, 
du  Sbat  el  Hokrane,  du  Djebel  Mrafia  et  du  Djebel  Haouass 
(4580  mètres);  enfin,  au  nord  et  dominant  la  plaine  de  Zabrez 


TRAVERSÉE  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE  PARIS. 

R'arbi,  la  chaîne  de  Zenina  (1429  mèires),  le  coudiat  Mecif, 
le  Djebel  Serdoun,  le  eoudiat  Feïdja,  le  Djebel  Tarous,  le 
Djerf  el  Baîa  (1499  mètres),  le  Djebel  Lélif,  le  Guern  Bel 
AbbèSy  les  collines  de  Charef  (1220  mètres)^  le  Djebel 
Ouajba,  le  Djebel  Kourirechs.  Plus  à  Test  est  une  série  de 
collines  qui  vont  mourir  sur  les  bords  du  Zahrez  Ghergui.  • 

Cette  région  est  presque  entièrement  boisée  entre  Djerf 
el  Baïa  et  Djelfa;  le  territoire  des  Abbaziz,  entre  Gharef  et 
Zenina,  a  très  peu  d'eau. 

9"*  Déieirt  d'érosion  de  Laghouat.  —  Ge  désert  est  re- 
présenté par  les  longues  séries  de  ravins  et  d'escarpements 
qui  s'étendent  et  se  succèdent  depuis  Aïn  Madhi  jusqu'à 
Assafia*  Tout  ce  chaos  de  sable,  d'argile  et  de  calcaire  est 
l'ouvrage  des  eaux  pluviales  et  de  grands  courants  marins. 

La  désolation  y  est  profondément  empreinte.  Les  crêtes 
argileuses  des  collines  se  succèdent  et  s'échelonnent  dans 
là  môme  direction. 

La  végétation  est  presque  nulle  ;  des  fragments  de  silice 
et  de  sulfate  de  cbaux  parsèment  le  sol. 

Une  particularité  remarquable  des  environs  de  Laghouat 
est  la  forme  de  cuvettes  elliptiques  qu'affectent  lès  chaînes, 
et  l'isolement  de  chacune  d'elles.  La  plus  remarquable  est 
celle  du  Milok,  cuvette  elliptique  de  18  kilomètres  de  lon- 
gueur, sur  4  de  largeur;  c'est,  suivant  M.  Ville,  un  empi- 
lement de  cuvettes  de  grandeur  décroissante;  les  eaux 
tombant  dans  l'intérieur  s'écoulent  par  une  fente  au  sud- 
ouest,  oti  est  TAïn  Milok.  Le  Milok  avec  sa  muraille  dentelée 
semble  être  une  vaste  forteresse. 

Le  Moodloua  (mère  des  côtes,  épine  dorsale)^  le  Dakla, 
le  Zebbacba  et  les  Rous  el  Aïoun  appartiennent  à  ce  même 
système  de  cuvettes,  mais  forment  un  chiffre  8,  qui  serait 
coupé  à  son  étranglement  par  l'Oued  MocL 

Les  cMîiies  dûlomitiquies  de  Tis^eoriSoie  et  de  Ghreïga 
formeat  aussi  uli«  curette  incomplète  du  côté  du  sud. 

Ges  cuvettes  se  lient  ks  t/aei  aux  autres  par  les  odâulit* 


268  LA  RÉGION  AhEÈSaESaSE 

lions  da  sol  ;  à  ces  ondulations  se  sont  ajoutées  des  lignes 
de  fractare  parallèles  à  divers  systèmes  de  montagnes  et  le 
croisement  de  ces  lignes  aurait  produit  ainsi  des  massifs 
polygonaux  isolés  les  uns  des  antres. 

La  chaîne  du  Lazerez  s'étend  du  sud-ouest  au  nord-est, 
de  i'Oaed  Mzi  à  l'Oued  Tadmit,sur  une  longueur  de  44  kilo- 
mètres environ  ;  sa  laigeur  est  de  3  à  4  kilomètres.  Sa  crête 
présente  une  série  de  mamelons,  à  cime  escarpée,  tron- 
conique,  de  1500  mètres  d'altitude  en  moyenne.  Elle  est 
coupée  par  des  Rheneq  qui  sont  des  gorges  infranchis- 
sables. Elle  comprend,  à  partir  de  l'Oued  Mzi,  le  Djebel  Ra- 
koussa,  au  nord  duquel  on  voit  sur  deux  mamelons  les 
ruines  du  Ksar  Tarchoucha  et  du  Ksar  Rakoussa  entre 
lesquels  jaillissent  les  eaux  tièdes  d'Aîoun  Rakoussa  (28*),  les 
seules  de  tout  le  Lazereg  ;  le  ras  Hamira,  le  Toumiat  Zeg 
(1480  mètres),  le  Khalloua  (1436  mètres),  leDjaîffa  (1470 
mètres),  l'Ourak,  le  Djahfa.  Au  nord-est  de  ces  deux  points 
la  crête  s'abaisse  de  200  mètres  au  Rgoubet  el  Azaîdj,  pour  se 
relever  au  Djebel  Mjaad,  qui  vient  mourir  en  escarpements 
sur  la  rive  droite  de  l'Oued  Tadmit. 

Le  Lazereg  est  semé  de  cailloux  gypseux  et  de  débris 
schisteux  qui  lui  donnent  de  loin  une  teinte  bleuâtre,  d*où 
son  nom  (el  azereg,  la  bleue);  les  ravins  sont  ornés  d*é- 
normes  romarins. 

HYDROGRAPmE 

BASSIN  DU  GHÉUF.  —  Le  Ghélif,  l'Asar  des  Romains,  est  le 
fleuve  de  l'Algérie  dont  le  cours  est  le  plus  long;  c'est  aussi 
le  seul  qui  ait  son  origine  dans  le  Grand  Atlas  au  sud  des 
Hauts-Plateaux. 

Nous  avons  dit  que  le  Djebel  Amour  était  formé  de  treize 
chaînons  parallèles.  C'est  entre  le  quatrième  et  le  cin- 
quième, en  partant  du  nord,  qu'il  faut  placer  les  sources 
du  Ghélif,  à  une  altitude  de  1400  à  1450  mètres. 


TRAVERSÉE  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE  PARIS.  269 

Le  bjebel  Douïra,  le  Djebel  Djahfa  et  la  Safiat  el-Amra 
forment, avec  le  plateau  de  Merdoufa,  au  sad-ouest,  un  véri- 
table cirque  de  10  kilomètres  de  largeur  sur  6  de  profon- 
deur, dans  lequel  jaillissent  cent  une  sources  ;  ce  cirque  est 
appelé  par  les  Arabes  Ras  Sebgague.  Cinq  de  ces  sources,  les 
plus  importantes  (Aïn  Djahfa,  Ain  Assoul,  Aïn  Tousli,  Aïn 
Uaouadjeb  et  Aïn  Naqli),  forment  des  ruisseaux  collecteurs; 
elles  se  réunissent  avant  de  s'élancer  au  dehors  du  cirque,  au 
nord-ouest,  sous  le  nom  d'Oued  Sebgague,  pour  traverser  les 
chaînons  du  nord.  Par  une  bizarrerie  très  commune  dans 
Thydrologie  algérienne,  la  tête  du  thalweg  de  Taïn  Naqli  a 
son  origine  au  sud  même  du  Djebel  Douira,  sur  un  large 
plateau,  entre  cette  montagne  et  le  coudiat  Zeriga  ;  il  se 
réunit  aux  autres  en  contournant  le  Douira  à  l'est  et  en  se 
glissant  dans  une  gorge  boisée,  le  long  du  Safiat  el-Amra. 

L'Oued  Sebgague,  une  fois  formé,  coule  directement  au 
nord-ouest,  passe  entre  le  Guern  Arif  et  le  Djebel  Harcha, 
dans  le  Kheneq  de  Si  Hamza,  baigne  les  pieds  du  coudiat 
el  Halddada,  se  fait  jour  entre  le  coudiat  Bou  H'zeni  et  les 
collines  d'el  Halfaïa,  s'infléchit  un  peu  à  Test  près  du  Mara- 
bout de  Bel  Kassem,  décrit  plusieurs  sinuosités  avant  d'at- 
teindre le  Marabout  de  Sidi  Brahim  et  sort  du  Djebel  Amour 
entre  le  coudiat  Merzoug  et  le  coudiat  Debich,  par  le  Khe- 
neq Ghemorra. 

L'Oued  Sebgague  continue  sa  course  vers  le  nord-est  pour 
se  dégager  des  dernières  ondulations  des  Gada  d'ei  Mouareb 
et  de  Sahouel  Amar;  une  fois  en  plaine  il  tourne  brusque- 
ment au  nord'-est,  prend  le  nom  d'Oued  Niamous,  à  partir 
du  Guet  Si  SaSd,  passage  de  la  route  de  Tiare t  à  Aflou  et 
longe  le  bas  des  pentes  sablonneuses  du  Djebel  Menza  et 
du  Djebel  Alleg.  Son  lit  s'élargit  peu  à  peu  et  ses  berges  se 
creusent  davantage.  Grossi  des  eaux  de  l'Oued  Mrara,  il 
prend  le  nom  d'Oued  el  Beîda  et  laisse  sur  sa  rive  droite 
les  ruines  abandonnées  d'un  petit  Ksar  de  ce  nom. 

Les  eaux  du  Djebel  Amour  arrêtées  en  cet  endroit  par  la 


S70  Lk  RÉGION  ALGÉRIENNE 

barrière  de  TAlleg  et  de  l'Archa  ont  dû  y  séjourner  et 
former  un  étang  avant  de  se  frayer  un  passage  an  nord; 
d'un  autre  6dté,  les  sables  fluides  ont  nécessairement  uoe 
moindre  épaisseur  dans  ces  Coupures,  où  les  rochers 
solides,  grès,  dolomîes  et  calcaires,  sont  très  rapprochés  du 
sol  :  cela  expHqueles  marécages  disséminés  dans  cette  partie 
de  la  vallée  et  les  sources  (jui  jaillissent  au  milieu  des  joncs. 

C'est  après  son  confluent  avec  l'Oued  Ghellal,  que  l'Oued 
Beïda,  à  une  altitude  de  d91  mètres^  devient  Oued  Feïder- 
rïgha  et  tourne  vers  le  nord,  laissant  à  droite,  le  Rsar  ruiné, 
la  source  et  les  marais  de  Feîderrigha;  sa  vallée,  entre  les 
hauteurs  de  Si  Lahssen  à  gauche  et  celles  de  l'Archa  à 
droite,  offre  sur  une  longueur  de  5  kilomètres,  des  prairies 
toujours  verdoyantes,  couvertes  de  troupeaux  et  dont  l'as- 
pect réjouit  le  voyageur  venant  du  nord. 

Jusqu'ici  la  rivière  a  conservé  ses  eaux  dans  une  partie 
de  son  lit,  mais  pour  se  mettre  à  l'unisson  des  Hauts- 
Plateaux  qu'elle  doit  traverser,  elle  laisse  filtrer  ses  eaux 
sous  terre  devant  le  petit  mamelon  de  Mzahedda,  qui  do- 
mine sur  sa  rive  droite. 

De  cet  endroit  jusqu'à  Taguine^  le  lit  de  la  rivière  est 
complètement  sec,  sablonneux  et  sans  cailloux  roulés;  les 
Arabes  l'appellent  Oued  Touil  (la  rivière  longue);  en  creu- 
sant dans  le  sable,  on  trouve  encore  l'eau,  invisible  à  la 
surface,  seulement  cette  eau  s'est  chargée  des  sels  dont  le 
sol  est  imprégné;  elle  est  devenue  saumâtre;  c'est  ainsi 
qu'à  10  kilomètres  en  aval  de  Feîderrigha,  sur  la  rive 
gauche^  sont  les  Hacian  Gherrak,  trous  dans  le  sable  à  2  ou 
3  mètres  de  profondeur*.  L'altitude  de  l'Oued  Touil  est  en 
cet  endroit  de  953  mètres. 

A  ^000  mètres  plus  loiaést le  Mokta el  Hadjaf, sam  eau; 
à  la  même  distance  au  delà,  sont  les  puit»  de  Mekraoula, 
comblés  aujourd'hui^ 

1«  lin  seul  de  cd»  pvàM  dotmalt  de  Feau  en  avril  1877. 


TRAVERSES  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE  PARIS.  271 

A  nne  lieue  en  aval  de  Mekraoala  sont  les  neuf  puits  de 
Senaniy  puits  à  abreuvoirs  surmontés  d'une  tour  cylindrique 
en  forme  de  guérite,  que  couronne  une  coupole  blanchie 
à  la  chaux.  Ces  puits  ont  été  construits  par  le  génie  mili- 
taire pour  les  besoins  de  la  colonne  d'observation  du  géné- 
ral Liébert,  en  i8&4.  Quatre  de  ces  puits  sont  sur  la  rive 
gauche  de  TOued  Touil,  les  cinq  autres  sont  à  1500  n>ètres 
à  Touest  sur  la  rive  droite  de  l'Oued  Sakeni,  qui  serpente 
pendant  6  kilomètres  au  milieu  de  collines  de  sable,  paral- 
lèlement à  l'Oued  Touil,  avant  de  se  réanir  à  lui  à  Tendroit 
appelé  Heïla. 

L'Oued  Touil  à  partir  de  cet  endroit  n'est  plus  reconnais- 
sable;  le  terrain  ne  présente  que  fossés,  crevasses,  se  croi- 
sant en  toas  sens,  se  réunissant  parfois  pour  se  diviser  plus 
loin,  et  c'est  par  raille  détours  que  l'on  arrive  aux  dix  puits 
de  Djelila. 

Ces  puits,  construits  comme  les  précédents,  sont  correc- 
tement alignés  et  de  loin  ressemblent  à  une  colonnade 
d'aqaeduc;  ils  sont  à  7  kilomètres  d'Heïla  et  à  10  kilo- 
mètres de  Taguine. 

La  vallée  se  trouve  ensuite  resserrée  entre  les  collines 
basses  de  THacbfar,  de  Mokta  Sfa,  sur  la  rive  gauche,  et 
du  Djeder  Dib  sur  la  rive  droite,  et  passe  de  la  province 
d'Oran  dans  celle  d'Alger.  —  On  arrive  à  Taguine.  Elle 
se  trouve  alors  devant  une  nouvelle  barrière,  la  chaîne  de 
rOukaït;  il  en  résulte,  comme  à  Peïderrigha,  une  nouvelle 
accumulation  d'eau  souterraine  et  par  suite  de  nouveaux 
marécages.  Du  pied  des  hauteurs  de  gauche,  dîtes  Chebka 
mta  Taguine,  au  milieu  de  rochers,  jaillissent  six  sources 
dont  les  eaux  rassemblées  dans  une  cuvette  s'échappent  à 
Test  pottr  se  rendre,  non  pas  dfans  la  rivière  mais  dans  des 
canaux  d'irrigation.  Ces  sources  ont  un  débit  assez  fort 
(20  litres  à  la  seconde)  d'une  eau  excellente. 

Les  six  sources  bouillonnent  dans  la  cuvette  sur  une  lon- 
gueur de  80  mètres  environ  ;  les  eaux  avant  de  se  réunir  for- 


272  LA   RÉGION   ALGÉRIENNE 

ment  un  cloaque,  entretenu  dans  cet  étatpar  le  piétinement 
des  innombrables  chameaux  et  moutons  des  Larbaa,  des 
Oulad  Naïl^  des  Oulad  Khelif  et  des  Meggane,  qui  viennent 
s'y  abreuver. 

De  grosses  pierres,  disséminées  ça  et  là  dans  la  cuvette, 
permettent  aux  Arabes  d*y  circuler  sans  enfoncer  dans  la 
boue. 

Une  septième  source  jaillit  au  milieu  des  alluvions  de  la 
rivière  et  alimente  les  marécages.  Les  environs  sont  complè- 
tement dénudés;  les  collines  n'offrent  à  la  vue  que  rochers 
grisâtres,  sans  aucune  espèce  de  végétation;  au  sud-est 
s'étend  la  grande  plaine  des  Daya,  couverte  d'une  plante 
gris  bleuâtre,  nommée  Djell  par  les  Arabes,  croissant  par 
touffes  basses,  serrées,  et  dont  l'aspect  général  est  des  plus 
monotones.  Ras  Taguine  est  à  la  limite  des  cercles  de 
Bogbar  et  de  Djelfa,  non  loiîi  de  la  frontière  de  la  province 
d'Oran. 

L'Oued  Taguine  traverse  la  chaîne  des  Oukaït  à  la  cote 
848  mètres,  entre  le  Djebel  Mindjel  à  droite  et  la  Ghebka 
à  gauche  ;  la  vallée  a  1500  mètres  de  largeur  envirou.  La 
rive  droite  est  couverte  de  marécages;  sur  la  rive  gauche, 
à  200  mètres,  est  une  colline  de  rochers  calcaires,  dirigée 
du  sud  au  nord,  dite  Roqba  mta  el  Barout  et  qui  n'est 
qu'un  témoin  de  l'action  érosive  des  eaux  venues  du  Djebel 
Amour.  Des  ruines,  parmi  lesquelles  on  remarque  des  paos 
de  mur  crénelés,  se  voient  sur  la  crête  de  cette  colline; 
c'est  l'ancien  Bordj  Taguine,  habité  jadis  par  les  Abbaziz 
Gherf,  qui  y  fabriquaient  de  la  poudre  ;  ce  fut  pendant  quelque 
temps  un  des  réduits  d'Abd-el-Kader. 

Le  lit  de  l'Oued  Taguine  se  resserre  de  plus  en  plus  à 
mesure  qu'il  incline  vers  le  nord-est,  décrivant  comme  une 
transversale  entre  les  deux  chaînes  parallèles  de  TOukaït 
et  de  Ghellala.  —  Son  filet  d'eau  disparsdt  avec  les  maré- 
cages; dès  lors  à  quoi  bon  le  nom  de  l'Oued  Taguine? 
rOued,  à  sec  et  sans  ressources  pour  l'Arabe  altéré,  reprend 


TRAVERSÉE  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE  PARIS.       273 

le  nom  d'Oued  Touil  et,  sur  une  longueur  de  40  kilomètres^ 
ne  présente  qu'un  simple  fossé  de  3  à  4  mètres  de  largeur, 
bordé  en  certains  endroits  de  quelques  térébinthes.  Le  seul 
endroit  à  signaler  est  lé  R*edir  de  Kouïba,  au  confluent  de 
rOued  Zelche,  à  13  kilomètres  de  Taguine;  les  animaux 
y  trouvent  une  eau  jaune  et  bourbeuse,  mais  suffisante  pour 
tromper  leur  soif.  —  Le  campement  y  est  bon,  mais  ouvert 
à  tous  les  vents. 

Arrivé  à  hauteur  des  collines  de  l'Ammar  Khaddou  d'où 
sortent  au  sud  les  magnifiques  sources  de  Fritizza,  Khadra, 
Abadïé,  Zerguine  (le  débit  de  cette  dernière  est  de  12000  litres 
par  minute) ,  l'Oued  Touil  devient  l'Oued  Bettine,  du  nom 
d'un  puits  et  de  ruines  romaines  dont  on  voit  les  traces  sur 
sa  rive  gauche. 

L'Oued  Bettine  se  rapproche  de  plus  en  plus  de  la  chaîne, 
et  lorsqu'il  a  atteint  les  dernières  pentes  du  Djebel  Harezza, 
non  loin  des  ruines  qui  sont  sur  sa  rive  droite  et  portent 
simplement  le  nom  de  Kherba,  il  tourne  brusquement  au 
nord-ouest,  dominé  à  gauche  par  le  Djebel  Daoura  et  à 
droite,  à  3  kilomètres  environ,  par  le  Djebel  Sidi  en  Naceur  et 
le  Kef  Harbaya;  la  largeur  de  cette  trouée  indique  suffisam- 
ment la  formation  d'un  ancien  lac,  pour  les  mêmes  causes 
signalées  à  Feïderrigha  et  à  Taguine. 

Le  terrain  marécageux  se  prolonge  jusqu'à  el  Kheïtar,  où 
jaillit  une  source,  non  loin  de  l'Oued  Bettine  et  à  2000  mètres 
il'ouest  du  Djebel  Bou  Touidjine.  L'altitude  d'el  Kheïtar  est 
de  717  mètres.  Un  kilomètre  environ  en  aval,  après  avoir  reçu 
les  eaux  de  l'Oued  Oureuq,  en  partie  canalisées,  il  reprend 
sa  course  vers  le  nord-est,  en  conservant  le  nom  de  son 
associé. 

Son  lit  est  encaissé  entre  les  collines  d'Hameïmat  à 
gauche,  et  les  collines  d'el  Ghachra  et  de  Souati  l'Amra  à 
droite;  il  traverse  ensuite  le  territoire  des  Oulad  Aïssa  Ou- 
reug,  passe  près  de  la  Koubba  de  Sidi  Hadjel  et  6  kilo- 
mètres plus  loin  devient  l'Oued  bou  Lerbaa,  du  nom  d'un 


274  LA  RÉGION  ALGÉRIENNE 

marabout  situé  sur  sa  rive  gauche  ;  il  laisse  sur  sa  droite 
les  ruines  de  la  redoute  Marey,  construite  en  1844  par  les 
soldats  de  la  colonne  du  général  Marey  dans  son  expédition 
contre  les  Oulad  Naïl  ;  il  s'infléchit  un  peu  à  l'est  et  après 
un  cours  de  210  kilomètres,  il  se  jette  dans  le  Nahr  Ouassel, 
à  la  cote  683,  sous  le  nom  d'Oued  Ghabounia,  dn  nom  d'un 
ancien  Bordji  ou  Ksar,  dont  on  voit  encore  les  ruines, 
à  2000  mètres  en  amont,  sur  un  petit  mamelon  qui  domine 
sa  rive  droite. 

Le  Nahr  Ouassel  et  l'Oued  Cbabounia  réunis  forment 
rOued  Ghélif  qui  se  redresse  au  nord^est  à  travers  le  ter- 
ritoire des  Zenkra  Mhaoucha  ;  il  traverse  les  marais  de 
Kséria,  desséchés  en  été,  laissant  à  droite,  à  6  kilomètres, 
le  caravansérail  de  Bou  R'ezoul,  première  étape  de  Boghar 
à  Laghouat,  dont  la  grand'halte  se  fait  à  l'auberge  d'Aïn 
Sba,  sur  la  rive  droite  du  Ghélif. 

Dans  cette  partie  de  son  cours  le  Ghélif  serpente  sournoi- 
sement et  traîtreusement  à  travers  une, région  désolée. 
a  C'est  sans  doute  ainsi  qu'il  a  pu  s'introduire  furtivement 
dans  le  Tellj  rien  qui  le  décèle;  point  dérives  saillantes; 
c'est  comme  une  bouche  san$  lèvres;  point  d'«poiâent$  qui 
paraissent  gêner  son  allure  ou  contrarier  son  o<^rs  :  fleuve 
égoïste  qui  s'est  creusé  un  lit  profond  dans  unéNfi^rte  de 
marne  boueuse  et  qui  se  hâte  de  porter  son  tribut  "ipigeux 
et  ocreu;(  à  la  mer,  sans  se  préoccuper  de  calmer  ^  soif 
ardente  du  pays  qu'il  traverse,  »  (Colonel  Trunielet,  J^^^' 
rection  de  1864.)  ^ 

A  1500  mètres  en  aval  du  confluent  de  l'Oued  Moudj^'' 
il  laisse  sur  sa  droite  le  village  de  Boghari,  que  domina 
Ksar  de  ce  nom,  puis  il  entre  définitivement  dans  le  Jell,  at 
pied  des  falaises  de  Boghar,  par  500  mètres  d'altitude  en- 
viron. 

Le  cours  que  nous  venons  de  décrire  est  de  300  kilomètres 
depuis  le  Ras  Sebgague.  Sa  pente  est  de  6  centimètres  par 
^]iètre,  en  moyennCi  dans  le  Djebel  Amour  ;  elle  n'est  que 


^ 


1 


thayersée  par  le  méridien  de  paris.  375 

de  2  millimètres  sur  les  Hauts-Plateaux,  sur  une  longueur 
de  220  kilomètres. 

affluents  du  chélif.  —  Affluents  de  droite. 

V  Dans  le  Djebel  Amour,  le  chabet  Sidi  Sliman  recueille 
les  eaux  du  Djebel  Zoreq,  d'Oum  Guedour  et  de  Sidi  Okba; 
un  de  ses  affluents  passe  au  pied  du  petit  Ksar  de  Tedmama. 
Il  se  jette  dans  TOued  Sebgague,  près  des  ruines  d'un  Ksar, 
entre  les  Marabouts  de  Si  bel  Kassem  et  de  Sidi  Brabim 
après  un  cours  de  20  kilomètres. 

Sources  de  son  bassin  :  Ain  Tedmama,  Aïn  Djaballah  et 
Aïu  Guemaz. 

2^  L'Oued  Akha  prend  sa  source  dans  la  Chebka  de 
Tafeza,  sous  le  nom  d'Oued  Kef  el  Their,  coule  au  nord 
ouest  dans  le  Kheneq  el  Akbal,  entre  le  Djebel  Tafeza  et  le 
Djebel  Zoreq  et  se  jette  dans  TOued  Namous,  à  une  demi- 
lieue  en  aval  de  Gueltet  Si  Sa^id.  Son  cours,  de  31  kilo- 
mètres, est  longé  sur  sa  rive  gauche  par  le  chemin  d'Aflou  à 
Tiaret.  Sources:  Ain  Tlettel,  Aïn  Tigeuthar,  Aïn  Kef  el 
Their. 

3o  L'Oued  Aïchat  descend  du  Ragoubh  el  Khian. 

4''  L'Oued  Mrara,  appelé  Oued  Medsous  dans  sa  partie  supé- 
rieure, prend  naissance  tout  près  et  à  l'est  de  Ras  Sebgague; 
il  coule  dans  une  vallée  luxuriante  de  5  à  6  kilomètres  de 
largeur;  il  coupe  la  grande  chaîne  de  Sidi  Okba,  entre  la 
Chebka  de  Tafeza  et  le  Djebel  Gourou,  dans  une  gorge 
étroite  et  difficile,  dite  Kheneg  el  Beïda,  sort  du  Djebel 
Amour  entre  Kef  Nakmouohe  et  Kef  Toumoudadine.  Il  se 
jette  dans  l'Ouçd  Namous,  à  7000  mètres  en  amont  du  Ksar 
ruiné  de  Be!da.  *-«  Cours  66  kilomètres* 

C'est  sur  sa  rive  gauche,  à  l'est  de  Sidi  Okba,  qu'a  été 
construit  le  Bordj  d'Aflou,  chef^ieu  d'une  annexe  de  la  sub- 
division de  Mascara,  à  l'altitude  de  1350  mètres. 

Cette  annexe  est  destinée  à  administrer  le  Djebel  Amour  ; 
elle  se  compose  d'un  capitaine  chef  d'annexé,  de  deux 
officiers  adjoints,  d'un  médecin  et  d'un  interprète.  La  gar- 


276  lÀ  RÉGION  ALGÉRIENNE 

nison  comprend  actuellement  une  compagnie  de  légion 
étrangère  et  quelques  spahis. 

Le  Bordj  a  la  forme  d'un  caravansérail  ordinaire,  40  mètres 
sur  30,  avec  des  bastions  aux  quatre  angles,  toiture  en 
tuiles,  salles  voûtées.  Un  puits  de  8  mètres  de  profondeur  a 
été  creusé  dans  la  cour,  mais  l'eau  extérieure  est  fournie 
par  TAïn  Aflou,  qui  sort  de  rochers  à  1400  mètres  au  sud- 
sud-est  dans  le  lit  de  l'Oued  Medsous;  son  débit  est  de 
5  litres  à  la  seconde;  sa  vitesse  devant  le  Bordj  est  deO°',3!24. 
—  A  500  mètres  au  nord-ouest  est  le  vieux  Ksar  d'Aflou, 
en  ruines.  Entre  lui  et  le  Bordj  s'étend  le  superbe  jardin 
potager  des  officiers  et  se  dressent  plusieurs  maisons  d'Eu- 
ropéens, de  Mzabites  et  de  Caïds.  Sur  la  rive  droite  de  TOued 
Medsous,  on  voit  les  deux  Koubbas  de  Sidi  ben  Guelloula 
et  de  Sidi  Abdallah  ben  Othman. 

D'Aflou  au  Kheneq  el  Melah,  on  remarque,  sur  la  rive 
gauche  de  l'Oued  Medsous,  le  Dar  Mansour,  près  de  l'Aïn  du 
même  nom,  le  Marabout  de  Sidi  Abd-el-Kader  et  le  Ksar 
de  Çherf  à  moitié  abandonné.  Les  sources  comprises  dans 
cette  région  sont  :  Aïn  Tingzim,  Aïn  Aflou,  Aïn  Mansour, 
Aïn  Ouamri,  Aïn  Arar.  Aïn  el  Beïdha,  Aïn  Zouara,  Aïn  Ta- 
messedouïne,  Aïn  Relal,  Aïn  Boukherouf,  près  de  laquelle 
est  la  bergerie  d'Aflou,  et  enfin  Aïn  Rziouinet. 

Le  bassin  de  l'Oued  Medsous  renferme  les  plus  belles 
prairies  du  Djebel  Amour  :  elles  se  succèdent  le  long  de 
cette  rivière,  d'Aïn  Aflou  au  Kheneq  el  Melah.  Les  plus 
riches  s'étendent  sans  interruption  d'Aïn  Aflou  à  Aïn  Beïdha. 
Débarrassées  des  joncs  qui  les  encombrent,  ces  dernières 
prairies  fourniraient  au  moins  6000  quintaux  de  fourrage 
de  première  qualité. 

Gomme  boisement,  le  bassin  est  le  plus  riche  du  Djebel 
Amour.  Les  plus  beaux  massifs  se  trouvent  sur  le  versant 
sud  de  Tigenthar  et  sur  le  versant  nord  du  Djebel  Gourou. 
Les  essences  forestières  sont  le  chêne  vert,  le  thuya,  le  téré* 
binthe  et  le  genévrier. 


TRAVERSÉE  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE  PARIS.  277 

b^  L'Oued  Chellal.  —  Déversoir  des  eaux  du  massif  du 
Gourou  au  nord,  et  à  Test,  des  Djebels  Mahser,  Khanoufa 
et  Sidi  Amer,  l'Oued  Chellal  prend  sa  source,  sous  le  nom 
d'Oued  Skhouna,  sur  le  versant  nord  du  Gourou;  il  coule  au 
nord-est,  reçoit  le  Ghabet  Ledjour  à  gauche,  l'Oued  Kherba 
adroite;  après  avoir  longé  le  pied  nord  de  TOuteïdat,  il 
tourne  brusquement  au  nord-ouest;  prenant  alors  le  nom 
d'Oued  Taïba,  il  laisse  à  droite  les  collines  de  Guebr  el  Hachi 
et  reçoit  à  gauche  l'Oued  Mekta,  dont  un  afQuent,  l'Oued 
Lachfour,  baigne  les  jardins  du  Ksar  de  Sidi  Bou  Zid^;  il 
prend  là  le  nom  d'Oued  Kheneq  ed  Dibet,  traverse  la  plaine 
d'ech  Chouaïf  et  termine  son  cours  en  se  creusant  un  lit  dans 
le  calcaire  dont  les  couches  sont  mises  à  nu  à  Guelta  el  Abiod. 
L'Oued  Ghellal  se  jette  dans  l'Oued  Beïda,  à  une  lieue  en 
amont  des  ruines  de  Feïderrigha.  Son  cours  est  de  54  kilo- 
mètres. 

6*^  Dans  les  Hauts-Plateaux,  le  Djebel  Oukaït  R'arbi  envoie 
à  l'Oued  Touil,  l'Oued  insignifiant  d'Issérif  et  le  Ghabat  ez 

1.  Sidi  Bou  Zid  est  un  village  arabe  dépendant  du  ca!dat  des  Oulad  Mi- 
moun  (Aflou).  Au  milieu  de  ses  maisons  agglomérées  est  une  mosquée  sans 
minaret  assez  curieuse  ;  c'est  une  salle  basse,  sous  une  excavation  de  ro- 
cher; les  parois  en  sont  noires  de  la  fumée  des  lampes.  Six  troncs  d'arbres 
soutiennent  une  toiture  en  branchages,  de  chaque  côté  sont  deux  estrades 
de  0m,60  de  hauteur,  une  porte  basse  éclaire  à  peine  ce  réduit. 

La  mosquée  de  Sidi  Bou  Zid  est  très  simple  et  n'a  rien  de  remarquable. 
Plusieurs  nègres  et  négresses,  esclaves  achetés  dans  le  Mzab  avant  notre 
domination,  habitent  le  village.  La  majorité  des  habitants  sont  ma- 
rabouts. 

Au  nord-est,  à  200  mètres  à  mi-côte,  s'élève  la  koubba  de  Sidi  Bou  Zid, 
un  descendant  de  la  fille  du  Prophète  ;  près  du  marabout,  à  l'entrée  du 
jardin,  sont  deux  sources,  l'une,  Aïn  en  Neça,  a  un  débit  de  10  litres  par 
seconde,  l'autre,  A!n  Mta  el  Koubba,  a  un  débit  insignifiant. 

Le  village,  bâti  sur  une  croupe  aplatie  se  détache  des  hauteurs  qui  le 
dominent  à  l'ouest,  sous  le  nom  de  Seddet  el  Ougab  (nid  de  l'aigle)  et  dont 
les  pentes  aboutissent  vers  l'Oued  Ladjbour,  entre  les  deux  chabats  dits 
Djoua  au  nord  et  Eutsila  au  sud. 

Les  jardins  s'étendent  sur  le  bas  des  pentes  de  la  croupe,  à  l'est  du 
marabout  ;  les  abricotiers,  pêchers,  poiriers,  grenadiers  et  la  vigne  y  vien- 
nent très  bien. 

soc.  D£  GÉOGR.  —  2"  TRIMESTRE  1885.  ▼!.  —  1^ 


279  hà  Râeion  AL(^Bi£imB< 

Zéboudj,;  dont*  leliiesi  orné  d-éaomies  tétt6bitith^«et  pvA- 
seiE^de,  à^800  mètres^en  atâoni-  de  son  conflaeni^  un&  série 
de'  puitfi  oreusé&'^rossièrèineat  pfjp  lè^ Arabe» etappelés' 
Haoiaû  beil  Maroufi*  Son  cours  esl'de.26  kilomètreisi' 

7PPrè6  des  ruines'de  BotUne^  l'Oaed<B^tîne  reçoit  l'Oued 
Gtiernitti  qai  a-sa  source  près  do^  Marabout  de  SidLAîssa 
Mouley  Abda,  et  dont  le  lit  possède  le  pmts^ditHaoi^KcébL 

9^  Util  peu  plus^  au*  nordv  sont  l'OuedKçéa^  ainsi  appelé 
du  n6m  de  ruinesromaines  qtii'giMat  surla  rivegiftaohe, 
puis  rOâed  K4i6lo«La  qui  nait  près  de^  ruines  romaines  de 
ce  nom  y  et  enfintrOued  Ghemlali'' c|ui  descendra  Djebel 
Neukk*a< 

AFFLUENTS  Ds  OAUCHB.  -«l^^L'Ouod  Boricana*  desceod)  sons 
le  nom  d'Oued  Brida>  du  Djï^bel  Maksour,^  entre  I0  K«f  et 
Hasba^  et  le  Seraouai  el  Biouti  L'Oued  Brida-  alimenté  par 
les  sources  de  Brinia,  R'ir  Nouiren,  Berrait  el  Merdha^ 
Gousseïba,  Hamira,  baigne  les  pieds*desKsour$*abandonnés 
de  Brida,' Bekkali  sur  la  rive  gauche  et  Donlssen,  sur  iari?e 
droite.  A 1000  mètres  en  aval  de  ce  dernier,  il  se  grossit  de 
rOtied  Bëriser,  du  nom  d'un<Ksar  rainé  sai<  sa' rive  dn>ite^ 
qui  nat't  dans  le  Djebel  el  ItlektoUba  sons  le  ndtn  d^Ôued' 
TameUaket. 

L'Otted<  Bër'kanà  reçoit  encore  les  eaux  des  seupces-  de 
M'rires,  Nsissa,  Ouzadja,  sur  la  rtvégauche  et'dë  celles  de 
Bethman,  Sîdi  Ali  ben  Ahmed ,  sur  la  rive  droite.  Il  se  jette 
dans  rOuedSebgagûey  un>peu  en  amont  du*  Kiieneq  Ghe^ 
morra,  après  un.  cours  de  46  kilomètres. 

2^  L'Oued  Fenetrii  forme  une  vallée  entre  le  Djebel  el  Alleg 
et  le  Djebel  Sidi  Lahssen.  Ua  sa  source  pràs'du  Kef  Alkg'-et' 
prend  successivement  les  noms  d'Otied  Alleg,  Oued  Dakia, 
Oued  Medsaa  et  Oued  Fenetril,  du  nom  d'une  source  qui 
jaillit  dans  son'  thalweg  au  milieu  de  roseai»i!>-  de^  lafuikrs 
roses  et  dé  figuiers,  à  une  lieue  avant  son  confluent'  avec 
rbued  Felderrigha, 

3'  L'Oued  Sakeni  a  sa  source  à  l'aïn  Reghai  à»804slo^ 


TRAVERSÉS  PAIt  LB  MÉRIMBN  DE  PARIS.  %W 

wMresiU  rouesFt,  Iraverse  1»  plttae  des  Ooiad.  KheHF  sous  !• 
Bam'  d^Oueil  bontRadja  et  se' j«l;te.  dan»  Ï^Oned  Tonil  u»  peu 
oa^arai  dies^pwitsde'Souam^à^VefiiibfDitaippelé  HiB¥k; 
Itetre  Tagoîne  et^  d  Kheritto;  les  «Moents  de>  gaueb»  son! 

sans  importance,  rOued  Zelche,  TOued  Berraous^  l'Oued 
BcNi  Gboiiai  et  FOued  B«hi  Lermat  gardent  les  eaux  dt 
pluîe  dans  tes  r'dir s  dont  !a  présence  est  signalée  par  quel- 
ques térébinthes.. 

Le'baa6ia>âe  rOuedBettiiie  renferme  les  belles  sources  de 
Fntizza,  Khadra,  Abadié,  Zerguine,  Radja,,  Sîdi  Sald  dont 
les:  eaux,  se:  perdent  dans  les  cultures»  Entre:  VAixi.  Zer guin« 
et  le  Sidi  Saïd,  est  une  source  d'eau  thermale  sulfureust 
dite  Mil  el  Hammams 

4<>  L'Oued  Oureuq  a  sa  source  au  sud  du  massif  de  GoudjUa 
entre  le  Djebel  Berabail  et  la  Gbebka',  sous^le'nom  d'Oued 
Souffiguig,  n  reçoit  l'Oued  Kosni  et  franchit  la  grandi 
chaîne  médiane  au  Kheneqel  Ouache,  entr«  le  Djebel  Meta*» 
less  et  les  collines  de  Zoubiat;  en  sort  sous  le  nom  d'Oued 
el  Ouacbe,  prend  successivement  les  noms  d'Oued  Snûr 
après  avoir  reçu  les  eaux  des  Aïouns  Smir,  Beîda,  Touabà 

1 .  L*Aïn  el  Hkmmam  est  sitâéé  à  une  trentaine  de  mètres  en  contre-bai 
d*ùn  petit  col  et  à  Touest  du  Ref  el  Hammam.  Son  entrée  ne  se  voit  qn^àune 
petite  distance;  elle  est  signalée  par  des  efÏÏorescences  calcaires  et  par 
le  sommet  d*ùn  gros  lentisque.  £*ouverture,  à  peu  près  circulaire,  est  dé 
8  à  10  mètres  de  diamètre;  on  descend  par  un  escalier  de  doute 
marches  inégales  jusque  un  premier  palier,  au  pied  du  tronc  du  len- 
tisque ;  un  petit  parapet  protège,  à  gauche,  contre  une  ouverture  donnant 
dans  la  grotte  de  la  source  et  qui  fut  creusée  en  1865  par  les  ordres  dQ 
général  Marmier.  À  quelques  mètres  en  contre-bas,  en  avant,  est  rentrée 
d'une  grotte  dàns' laquelle  on  pénètre  en  se  courbant  un  peu  ;  on  se  trouve 
dans  une  première  chambre  de  3  mètres  de  largeur  sur  5  mètres  de  lon- 
gueur; on  peut'  s'y  tenir  debout.  Dans  le  fond  un  énorme  rocher  en 
forme  de  parallélipipède  est  suspendu  au  sommet  de  la  grotte  ;  il  ferme 
rentrée  d'une  seconde  chambre  plus  vaste,  qui  a  8  mètres  de  largeur  sur 
10  de  longueur,  et  dont  la  voûte  supérieure  est  élevée  de  4  à  5  mètres. 

Du  premier  palier,  cinq  ou  six  marches  conduisent  devant  l'entrée  d*un 
couloir  sombre,  à  droite,  dans  lequel  on  ne  peut  s'engager  qu'avec  une 
Inmi^ns,  en  descendant  dès  marches  grossièrement  taillées  dans  le  roc  ;  au 
boot  de  5  à  6  mèlres,  le  couloir  s'élargit  un  peu  ;  le  visiteur  peut  se 


280  LA.  RÉGION  ALGÉRIENNE 

et  Bou  Kzioua,  chez  les  Oulad  Ahmed  Racheiga,  Oued  Me- 
dremme  et  Oued  Oureuq,  nom  qu'il  impose  au  prolonge- 
ment de  l'Oued  Bettine.  Son  cours  est  de  80  kilomètres.  L'Oued 
Oureuq  a  dans  son  bassin  les  deux  villages  de  Ben  Hammad' 

tenir  debout  et  à  3  mètres  en  avant  on  voit,  sous  le  rocher,  un  trou 
creusé  en  forme  de  niche.  C'est  là  qu'est  la  nappe  d'eau  chaude.  Quelques 
marches  permettent  aux  baigneurs  d'y  pénétrer  insensiblement.  L'eau  est 
profonde  de  1",50  au  bord  et  de  4  mètres  dans  le  fond;  sa  température 
est  de  38**  à  40**  ;  elle  répand  une  odeur  de  soufre  très  prononcée. 
Bien  que  l'ouverture  pratiquée  par  le  général  Marmier  jette  une  faible 
lueur  dans  cette  partie  delà  grotte,  une  lumière  n'en  est  pas  moins  néces- 
saire. La  partie  inférieure  du  puits  offre  une  espèce  de  vestibule  où  Ton 
peut  se  déshabiller. 

Sur  une  plaque  de  pierre,  au  dessus  de  la  grotte  médiane,  on  a  tracé 
une  inscription,  où  l'on  ne  distingue  plus  que  les  mots  :  c  Général  Mar- 
mier »,  et  «  2*  génie  ». 

L'Ain  el  Hammam  est  à  4  kilomètres  de  Zerguine  ;  le  terrain  environ- 
nant est  pierreux  et  n'offre  que  de  maigres  touffes  de  meteneo  {passerina 
microphylla)  et  dechihh  {artemisia  ulba)  ;  la  nappe  d'eau  esta  15  mètres 
environ  au-dessous  du  sol. 

1.  Le  village  de  Ben  Hammad  constitue  une  deëferkas  de  la  tribu  des 
Oulad  Ahmed  Racheïga,  dont  le  caïd  a  ses  tentes  près  des  sources  de 
Smir;  ce  village  est  composé  d'une  trentaine  de  maisons  dont  la  moitié 
sont  en  ruines,  depuis  l'insurrection  de  1864.-  Elles  occupent  une  croupe 
formant  plateau  entre  le  Ghabat  el  Ksar  et  le  Ghabat  el  Haci;  ce  dernier 
est  profondément  encaissé  et  le  village  de  ce  côté  borde  un  vrai  précipice; 
le  village  est  dominé,  au  nord,  par  le  plateau  rocheux  de  la  Gada,  ter- 
miné à  Touest  par  les  crêtes  du  Djebel  Lebouib,  auxquelles  fait  suite 
le  mamelon  de  Kharza,  et  au  point  sud-est  par  le  Kef  où  sont  les  ruines 
du  Ksar  el  Foukani  de  Ben  Hammad. 

Le  Ghabet  el  Aïn  prend  sa  source  au  nord>est,  derrière  le  Ksar  Fou- 
kani, entre  la  Gada  et  le  Djebel  Drah  Temar;  il  s'appelle  alors  Gbabetel 
Mereza  ;  une  bande  rocheuse  le  sépare,  à  l'est,  du  Ghabet  Rouga  qui  a  sa 
source  entre  le  Drah  Temar  et  le  Mindjel,  et  qui  contourne  un  large 
mamelon  rocailleux  dont  le  sommet,  le  plus  élevé  de  toute  la  chaîne  de 
Ben  Hammad,  est  signalé  par  un  tas  de  pierre  dit  Redjem  Fatallah 
(1331  mètres). 

Le  Ghabet  Rouga  débouche  au  sud  par  le  Foum  el  Kheneq  et  se  dirige 
vers  l'oued  Touil. 

Le  Ksar  de  Ben  Hammad  est  donc  tout  à  fait  caché  dans  un  cirque  de 
hauteurs  dont  l'issue  elle-même  est  obstruée  par  la  colline  rocheuse  d'El 
Rharza.  Il  est  probable  que  cette  situation  topographique  n'aura  pas 
échappé  aux  Romains,  et  que  des  traces  de  leur  séjour  doivent  exister 


i 


TRAVERSÉE  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE  PARIS.  281 

et  de  C3iellala  ^  —  5®  Le  Nahr  Ouassel  a  son  origine  au  sud 
de  Tiaret  où  de  faibles  ondulations  le  séparent  du  bassin 
de  la  Mina.  II  coule  de  l'ouest  à  l'est  sous  le  nom  d'Oued 
Medrissa  et  ne  prend  son  vrai  nom  qu'après  avoir  reçu  les 
soixante-dix  sources  ou  Sebaîn  Aïoun.  Entre  Sebaïn  et  Daya 


dans  les   environs,  au  milieu  des   ruines  accumulées  par  les  autoch- 
tones. 

L*eau  de  TAïn  Lorak  est  très  abondante  et  ne  tarit  jamais  ;  seulement 
le  terrain  environnant  est  rocheux,  rocailleux  et  se  prête  peu  à  la  culture 
des  céréales. 

1.  Ghellala  est  un  petit  village  arabe  mais  qui  a  toute  la  physionomie 
d*un  village  français  où  Ton  aurait  voulu  mêler  quelques  habitations  de  style 
arabe  et  vénitien.  La  grande  place  rectangulaire  est  ornée  au  sud,  d'une 
maison  à  tourelles,  dite  Dar  Djelloul  ben  Messaoud,  caïd  tué  à  Taguine  en 
1864.  A  l'ouest  s'élève  la  maison  à  minaret  et  colonnades  de  Smahi  ben  Ahmed, 
à  moitié  consumée  par  un  incendie  et  non  encore  reconstruite  (en  1879)  et 
celle  de  M.  Brûlé,  marchand  de  comestibles  ;  à  Test  est  la  maison  du  bureau 
arabe  annexe  de  Boghar.  Le  centre  de  la  place  possède  un  vaste  abreuvoir 
et  un  grand  lavoir  ;  au  nord,  dans  une  espèce  de  large  square,  sont  deux 
grands  bassins  circulaires;  les  maisons  du  village  bien  alignées  forment 
plusieurs  rues  au  nord-ouest;  on  y  voit  des  marchands  juifs,  des  Mozabites 
et  des  prostituées,  mais  la  majorité  des  habitants  sont  des  Arabes  venus 
de  Zenina. 

Les  jardins  qui  entourent  Ghellala  de  tous  côtés  sont  splendides  et  re- 
nommés pour  leurs  fruits.  Le  village  est  dominé  au  sud  par  la  haute 
chaîne  du  Kef  ben  Hammada. 

A  l'extrémité  sud-ouest  du  ksar  est  le  marabout  de  Sidi  Brahim.  Au 
nord-ouest  est  une  autre  vaste  place  où  s'élèvent  la  maison  et  la  ferme 
de  M.  Romanet  de  Boghari,  qui,  avec  M.  Periola,  fait  le  commerce  des 
laines  (4009  quintaux  par  an);  un  autre  négociant,  M.  Delpech^  fait  le 
commerce  des  grains. 
Au  nord-est  du  ksar  est  le  dépêt  d'étalons  de  la  remonte. 
Les  eaux  qui  arrosent  les  jardins  en  alimentant  les  deux  grands  bassins 
sortent  d'une  grotte  située  à  l'extrémité  des  jardins  au  sud;  cette  grotte 
artificielle  de  l'',20  de  hauteur,  sur  1  mètre  de  large  et  15  mètres  environ 
de  profondeur,  a  été  taillée  par  les  soins  de  M.  de  Roquefeuille  qui  a 
commandé  le  bureau  arabe  de  Ghellala  de  1858  à  1864.  C'est  cet  officier 
qui  a  fait  construire  l'abreuvoir,  le  lavoir  et  les  bassins  ;  il  a  aussi  amorcé 
les  routes  qui  rayonnent  de  Ghellala  sur  Boghar,  Teniet-el-Had,  Zer- 
guine,  Taguine  et  Goudjila. 

Ghellala  est  le  seul  endroit  des  Hauts-Plateaux  où  l'on  peut  se  ravi- 
tailler, entre  Aflou  et  Teniet-el-Had  et  entre  Djelfa  et  Tiaret. 


fl^oonle  dons  on  fit  wanewc,  beidé  de  berges  à  fîc,  difficflis 
àiiavereerpMir  les  cbeMiox. 

Hes  «uunis  de J^e^yaià  la  SMMgiié&de  fiîdi  Mohin—fed  tbee 
Rebal^«Qe  jUteel  furofaodéiiieat'eiicaîfisé.par  des  beigai 
de<3  à4iiiièties^e  hauiem:,  àfpîc  set  bordées  de  iemerk. 
n  devient  ensuite  moins  escarpé  ;  ses  eaax  sont  moins  aboa- 
dantes  et  le  peu  qui  en  reste  est  presque  absorbé  en  entier 
par  le  barrage  du  Hzabite. 

La  birgeur  de  «a  ^lée  ^iaiie  de  -500  A  3Q0O  (mètres,  ^saq 
eoars  est  de  270  kilomètres. 

Le  Nahr  Oùassel  reçoit  les  eaux  de  quelques  ruisseaux 
qui  ixe  l^arissent  pas  en  été';  te  «ont  tes  'Sëbiûni  ^Meun, 
rOued  Soufeî,  l'Oued  Trissît-R'arbî,  TOued  Trissit  Chei^ 
et  l'Ooed  SDasmania. 

Ofaacuii'de  ees<oofirs  d'*ean  «9t  anémié  par  vae  soom. 
Quant  àl'Oued  Belbéla,  ce  n'est  qu'une  yàllée  dont  l'on- 
gUie^est  -à  .Ain  Jdzant,  ^cèsfda  Maisabout  de  Sidi  i'Qabiâ,; 
el'le  reçeit,  «eus  le  «nom  d^^md  If  eeSiti,  le'/eld  detFameHaàiet, 
où  l'on  tronve  un  peu  d'eau  à  sa  source  ;  les  eaux  reparais- 
aeBt/eiai.a¥alAAm.Gbed6idaietàuÂln  Fedaul,  au irad  d'jifie 
série  de  trous  creusés  par  les  Arabes.  A  partir  d'Aîn^edeul 
la  vallée  est  bien  marguée^mais  il  n'y  a  de  l'eau  que  jusqu'à 
sa  rencontre  avec  le  Feïd  Kerfouch.  l)erlà  à  fiOB  sooifljHUit 

« 

anpee  le  Nahrr  Ovassel  '«m  4ie  ^nH«re  d'^eau  (qa'an  ipiùls  de 
SeBl-Zerga. 

Sntre  Mn  Tamellaket  .et.Aîn  .Cbedeîda,  ^ont.les  ^ëources 
de  Zilène  et  de  Zouilene,  donnant  naissmoe  à  oin  :pelit 
cours  d'eau  maréc2\geux  gui  disparsdt  bieiltôt  comjilète- 
mest. 

>Les  seupoes  de^fiebain-ASoiunsootd^aneabiindaneeiOB^ 
veilleuse.  Elles  sourdeiït  de  tous  côtés  dans  un  petit  vallon 
des,plus  pitjtoresisuesi,  >defi0^à  100  notèlres  de.laj^geur  et  dont 
la«tôte'est  fermée  par  «m  densneeiidle  jde  îsoahBPsde  3M<mè- 
très  de  diamètre  environ  ;  au-dessus  d'eux  lapparaisseHt 
un  cimetiè»B  arabe  (meiabra)  let  ides  cuînes  .rAmaioes.  JLe 


TRAVERSE  IIMCR  OM  «telDIEM  DE  PARIS.  S8S3 

* 

fuîaseiui  «luko^mloent  les  ^louroes  ;attp6iàeu9e8  a  mifi  ^Iftr- 
]gsiif»diB<i  Jï 'g  mètres:; Ms  abosAs  ^mi.^Qwrefts  ite  «l'^fmp. 
di  «esiKiiile  «en  HMotemuMiiit  iquelquee  petite  ^oonU^frirts 
rocheux  et  après  un  oûues  de  flOQO^fDUfesjaivriton^  ilae  j#tte 
tdans  le  'lit  du  fitabr  rûuassél,  a^^tlé  M  cet  (fmémii  Ouad 
Medrâsa.  iQaelqueefiioes  des  soHroasoot  éiét^camalkiéesipar 
les  Arabes  pour  arroser  jde  fwUls  jandîns.  iKers  ie  mUlkiu 
du  -^Uoa,  «ur  ilia  me  igsuacbe,  jon  oamaiiqibe  sept  on  ihuit 
gc96  figujeBsi^iiie  'donaî&e/ua  *éfiûn»efpe«plkff*  {Les  eottrees 
inférieures  jaillissent  au  milieu  d'un  jardin  délîcJiQiiXyiOQOS- 
.^uit  par  Je :«apilaiae  iMarguerilte,  doos  qu'il  «était  cb0f  du 
bttvenu  ociabeideTehieUel^ad.  LoDsgue  j'explacai  les  SebaAa 
àâùvoi  le  â  ddoneolbse  ^.êl9f  fce  ^lan  était  luae  «nératable 
.foUère;  ks  «aiseauK  du  Seraûiu  eenaihiaieikt  ^-y  6loe  donnés 
(rei}decHiroos>et>je{n'«vs  guéve  de  méi^ieià  faire  ii^n  carnage 
•de  cattandây  de  namieaiix,  Ae  p0uleâ<lartli^e,reta. 

tftlon-peiit'baoQiiiàicejde  .poôbednke.donûeilOSDittéUte^ipQur 
.  raltitude^de  iaéètedes  Sebam  iÀloun. 

L-Boen  Soiifiaeltem,tdoni  le  lit.Sieifierae  dans  la  plains  au 
noodteti  du  I^abd  Haghelga,  peujUèlreiconsidéré  icotnaia  din 
affluent  ute  Tâued  Belbeia.  91  :a  :sa  ssnusee  près  idu  \Hador, 
deeoend  4?iab(H*d.dujfliid  aumord  po)iritoQ£aerien3iiUeàll!^t 
vers  leiVjebel&aoheiga. 

Son  thaiweg!sans  berges. d'est  .qu'une  dâpression  du  soi 
très  ordinaire,  sa  vecduse  fkâraket^sejile  de  rjenoiHiôtftrenstexi 
identité. 

^  UrfiQQit^n 'Miar  des  eaux  ,du  massif  de  Vortes$a>  ^Aan^ 
teslbaLwegs.del'ûued  An£iss0ur^âur  la  ri?e  idrûitjs  duquel 
on  Yoit  deux  marabouts  à  koubba,  Sidi  Belfedal  .i^t; J;,allia 
Hadpnft;  de  Pûued  «ftelecn,  de  dfûaed  J^aUeUde  ^rOned 
Bbise&,  idu  rObabet  «1  àmeur  >qm  cdeis^end  du  )Kdf  >iio^- 
jiia,  de  TOued  Kheneq^sl  Aiw.rrJbtibntaire  id«Mi;  jea«SE.diu 
?etsant  inéfidional<ida'>B}fibel)Rort9i3a,  du  ^D^ehel  rC«b^mAkh 

eitdu  ffi^jebab^ccbaoïm,  iBQju»  (le  negn  id^QnedrSa&a. 
tllOfde  sesiafCbueats,  Jeifibabet  loil  Altoon^  aaïUe  .enjtr^  le 


m  LA  RÉGION  ALGÉRIENNE 

Z€gg  et  TArchaoun  ;  au  nord  de  son  confluent,  sur  les 
pointes  du  Djebel  Zegg,  que  couronne  le  marabout  de  Sidi 
Abd-el-Kader,  s'élèvent  deux  tristes  masures  habitées  par 
des  marabouts  et  appelées  Gheninader. 

L'Oued  Soussellem  a  de  l'eau  dans  son  lit  près  de  Dar 
Gadi  ben  Ghoura  ;  un  puits  a  été  creusé  en  outre  dans  les 
jardins  qui  entourent  l'habitation. 

Entre  Alu  Dzarit  et  ce  dernier  puits  jaillissent  dans  un 
ressaut  calcaire,  les  sources  de  Keçéa,  de  Moi  el  Safra  et  de 
Gheguiga. 

Au  nord-ouest  du  Djebel  Racheîga,  une  série  de  puits 
à  moitié  comblés  marquent  la  fin  de  son  cours  apparent. 

La  vallée  du  Nahr  Ouassel  est  des  plus  fertiles  et  cette  situa- 
tion n'avait  pas  échappé  aux  Romains,  car,  des  soixante-seize 
sources  que  j'ai  visitées  sur  les  deux  rives  de  ce  cours  d'eau, 
dans  la  partie  du  territoire  de  Teniet-el-Had  qu'il  traverse 
(Béni  Lent,  Béni  Melda,  Doui  Haceni),  il  en  est  vingt-six  près 
desquelles  j'ai  vu  des  ruines  romaines  parfois  considérables. 

Ges  vingt-six  sources  qui  peuvent  intéresser  les  archéo- 
logues sont  les  suivantes,  en  allant  de  Tiaret  sur  Boghari  : 

Rive  gauche.  —  A!n  Ben  Zerouda,  A.  Kartouchen,  A. 
£1-Bahira,  A  Mansour,  A.  Ank-el-Djebel,  A.  Sidi  Ataya, 
A.  Gherifa,  A.  Ouaba  (importantes),  A.  Kebbaba,  A.  Tissemsil, 
A.  el  Aneb,  A.  Ksar  Yakoub,  A.  Khalfouna,  A.  Sfa,  A. 
Sidi-Mansour,  A.  Tencria,A.  Tlemcen. 

Rive  droite.  —  Aïn  Tisselfine,  A.  Tametthil  (impor- 
tantes), A.  Marset  Ggergui,  A.  Tebouda,  A.  Zemara,  A. 
Trissit  R'arbia.  A.  Djouah,  A.  Trissit  Gherguia,  A.  Oumm 
el  Adam. 

BASSIN  DU  ZAHREZ  r'arbi.  —  Lcs  dcux  Zahrcz  R'arbi  et 
Ghergui  sont  des  lacs  salés  qui  occupent  la  plus  basse  dé- 
pression entre  deux  chaînes  crétacés. 

Le  Zahrez  R'arbi  a  33  kilomètres  de  longueur  sur  8  de 
largeur  en  moyenne.  Il  est  borné  au  nord  et  au  nord-ouest 
par  la  chaîne  de  l'Oukaït,  au  sud  par  le  Djebel  Korirecb, 


TRAVERSÉE  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE  PARIS.  285 

le  Djebel  Oaajba  et  le  Djebel  Djerf  el  Baïa,  au  premier 
plan,  mais  en  réalité  par  la  grande  crête  du  Senalba.  Des 
collines  basses  ou  des  dunes  le  séparent  à  l'ouest  du  bassin 
des  Dayas  et,  à  Test,  du  Zahrez  Ghergui. 

Il  est  alimenté  à  l'est  par  l'Oued  Melab,  qui  a  sa  source 
au  sud  de  Djebel,  et  baigne  le  pied  du  Rocher  de  Sel. 

Il  reçoit  au  sud  :  !•  l'Oued  Asbaïa  qui  naît  entre  le  Djebel 
Haouass  et  le  Djebel  Ouadjba;  trois  sources  sont  dans  sa 
vallée  :  Ain  Ouksen,  Aïn  Taftaka  et  Aïn  Kourirech  ;  il  tra- 
verse les  dunes  entre  Bir  Bou  Menzou  et  Aïn   Bezaïz. 

2°  L'Oued  Hadjïd,  formé  à  Aïn  Sultan  de  la  réunion  de  deux 
ruisseaux  ;  l'un  est  l'Oued  Kalane  qui  déverse  les  eaux  du  ver- 
sant méridional  du  Djebel  Lelif  et  de  l'Ouk  Taïta  et  qui  arrose 
les  jardins  du  petit  ksar  des  Oulad  Zeriga;  Pautre  est  l'Oued 
el  Hammam  qui  descend  du  Djebel  Mrafia,  sous  le  nom 
d'Oued  Bou  Zib,  offre  au  voyageur  se  rendant  de  Djelfa  h 
Gharef  une  eau  excellente  à  Aouinet  bel  Hadj  et  présente 
dan  son  lit,  à  l'extrémité  sud-ouest  du  Djebel  Ouadjba,  des 

sources  d'eau  chaude  de  33*  environ. 

3"  L'Oued  Aïn  el  Hadjar  qui  reçoit  les  eaux  de  Gharef,  du 
versant  septentrional  de  Guern  el  Abbès,  du  Djebel  Lelif, 
du  massif  du  Djerf  el  Baïa  et  du  Tarsous;  ces  dernières  se 
réunissent  dans  l'Oued  Djeba,  dont  le  confluent  avec  TAïn  el 
Hadjar  est  à  l'est  du  Gourine  mta  Zahrez.  L'Ain  el  Hadjar 
qui  donne  son  nom  à  cette  rivière  sort  de  rochers  de  sel  en 
aval  de  Gharef*. 

1.  Gherf  ou  Gharef  est  un  petit  ksar  à  moitié  ruiné,  dont  les  maisons 
grises  et  délabrées  s*étendent  sur  les  dernières  pentes  nord  du  Guern 
Bel  Abbès,  entre  deux  ravins,  le  Ghabet  Zarour  et  le  Ghabet  Moukha.  Le 
terrain  du  nord-est  à  Test  est  occupé  par  un  réseau  de  jardins  dont  les 
murs  s'enchevêtrent  en  tous  sens.  —  Au  milieu  des  jardins,  coule,  dans 
des  segguiaSf  Teau  de  l'Aïn  Sidi  Abd  el  Aziz,  situé  à  i50  mètres  à  l'est  du 
Bordj  Gaïd;  l'eau  sort  limpide  en  trois  endroits  différents»  au  pied  de 
couches  rocheuses.  La  colline  qui  les  domine  à  l'est,  est  encore  couverte 
des  ruines  du  camp  du  général  Liébert  en  1864;  plus  loin  à  l'est  est  le 
Ghabet-Hadjria  et  au  delà  le  Drah  el  Aztr. 

Le  Ghabet  ez  Zarour,  à  l'ouest  est  très  encaissé  et  profond;  il  formerait 


iLetZabrez.R'^bi  ae  leeQoH.Auoan  x^ouns  d'^ew  à  JfOaMt 
.]uauifierd.i4es(thalw#gs<de«0efi(knt  ile^'iâ^  ft^wnbi  aSoBt 
de  J'eaii  qu'^iprès  loa  ^pliim.  (Lie  ifdns  âii)po]toBit<eatJÎOii0d 
BesbesSy  qui  nait  aji^sud  du  Uss  OnùaSl  B^arbi  ;  ^ensia^moilié 
deison  aoxaseit  un  Jbcmqaetid'arlNres  appelé  Aaij»tKbftd)aDia. 

A  r^xlrémilé  orie&taie  tdulacAQutlIAîn.Sebalfih  ^cuiirae 
dïeau  douée),  llHamteChengia^'eiao  $atin)U4ije,iet})e,fmils  ar- 


un  obstacle  très  sérieux  de  ce  côté,  si  leCoudiat  Zarour  ne  le  dominait  par 
le  k$dT  de  Qherf  d'une  vingtaindie  nffctres  au  aioin«. 

Gherf, possède  imAaotfa^  etolei»  raaccbaods  mosaJutes.;  ,«iir  40  «mai- 
sons il  n*y  en  a  qu'une  dizaine  d*habitées.  Il  y  .a  deux  cimetières,  Djeb- 
bana  Dahramia  et  Djebbana  Giteblia  (nord  et  sud). 

La  forêt  ^eat  à  fôOO  mètres  au  sud  et  à  SDO  mètres  i  IToneat. 

Gtwref,  s^nifie  «n  arnbe,  v/quo;  jokev/U.  Son  &)Qdateur.AJM«ai  -Asâz  en- 
seignait jadis  dans  la  2aouiya.de  Stdi  fou  Zid^pour  2000  réaux  par  an. 
Peu  satisfait  de  cette  rétribution,  il  quitta  Sîdi  Bou  2id  et  marcha  vers 
Test.  11  «e  reposait  pi^èftd'une «ouree du  ilféb^l8tiian,'lonqfiie  les' Arabes 
qui .  rentûOEaiBÉit  manifestiàrjSQt  Xù  ■.  désir  i  de.  le  ,<9ardef  iparmi  .aiux.  Jl hési- 
tait, mais  son  vieux  cheval  s'étant  noyé  dans  la  source,  il  crut  y  voir  un 
avis  du  ciel  et  resta  en  cet  endroit.  La  source  s*appela  Âbd-el-Âziz,  et  le 
village  qu'il  fonda  reçut  le  nom  de  Gliaref  ;  la  tribu  s'appola  Ab^nâaiz 
ech  Charef't)u..pAr  abréviation  Abbaziz  .Gheif. 

Un  mur  divisait  autrefois  la  source,  côté  des  hommes,  côté  des  femmes; 
défense  ^tait  faite  aux  hommes,  sous  peine  de  mort,  de  se  tromper.  tJn 
jeunehomme,  llfansojir,» ayant* enfreiikt  la  loi,  estvooiat  le:meUve«à  matt. 
Ses  ;amis.et  jiaceats .prirent ;sa  défoase.  Il  y  eut^combat.  Le  parti  de  JUansiBur 
vaincu  alla  former  plusieurs  tribus  près  de  Médéa  et  de  Boghar. 

A  GOOO  mètres  au  -nord-e^t  Île  Cherf,  au  pied  du  Djebel  Ouadjba,  sont 
des«aux:cbauites,  dites  Aîonn  Haomiam.  Gea*  sources  jaiUiaeoiflE'aept  oa 
huit  endroits  dans  le  lit  de  l'Oued  el  Hadjia,  qui  en  «at .endroit. a^apjpAlie 
Oued  el  Hammam. 

Deux  ile  cesisoaraes  ont  un  débit  ^plus.fort  que  les  autres  aties  indi- 
gênas  les. ont  groaslèrement «amém^ées  de  imanièrejà,ponvoir<faicaîd^s 
ablutions  dans  ides  tcousde  1*^,50  de  profondeuir,  sa  cÂel  ou-vast.  ,)»a 
température. de  ices.eaux;est  deM""  enviroE^;  eUas  oe tsant  .nullAmi»at.4Bi- 
néRales^;ies  indigènes  ies.aiçplgient.pour.  les.  Irrigations. 

Le/obeminde  GberXaux  eaux  .chaudes  tna«er9ç,à,.^Q0. métras de^Cbar/* 
r.Oued  Kalane,vafia«aDtjde.lXlued:Eadjia;.aat,lOweil.âs<»fpé  a^dea'fauiin 
.toutes  ^aisQn^.et,ron.j>*e«t  pas  bétonné ide  yoir,À30û  mÀtcesiflo  Avalnaar 
ia»rive  4||auche,iaajiulieu.de  jacdius^rnés.de,/}uelf}ueSf|iiBUi)ii9ss«iai0a<i«u 
six  maisons  formant  le  Ksar  das  OuUd  «Zeriga  qui  uletXmiam^  'lar 
aufiuue  ^oarte.  juaflu'ÂiCe  Jour. 


TRAVERSÉE  f^AtR  ILE  JI6IIDIIICN  DE  PARIS.  S6S1 

Mua  de  JialakxiiF4..âa  ^and^onestieât  «IffiMim  rR'mobi  {fian 
daitt0àtr6)rdaiisrleilac(inêfiDe^)|nrèis  (desideuxipfiBtiAeBâlea.-*- 
iDoi9iûé#éqafi9iiépar/leBjArAbea,rj^  liens 

iIb  sa  k)i]gsiewrÂrpaiiir '^e  ;l'HDUfi6tt.)(2&)guéiJiui  ipoete  4]e«ftin 
âaMtekia  BjedéaBe  lest  FemanqimlÉlB  *m  ceiqpi'ii  ipvéBente  /à 
son  miUeUykiine  source  d^eaiitdoiiQe  quiijftiliit'en»6té;àitra« 
versrla  oroMe  <de  )sel  iapÂssBoi  4e  fond  idu  JteCydfistd'Ain 
fiidi  Aâ'ssa. %Uneitoniè^>sauvcer|aillit  iàiQentt  œètoes  f^lus  à 
l'est;  ies  tabords.ari' sont  faoïnteuK.  et rpresquedDaccBBsiUies. 

Le  Mekta  Djedéme  idéfaoscdie  'dans  «une  fanesqa'ike  .de 
6669  iiiètres  de  larpgevo'  'enxriiroDvikait  TistiMiie  ^élranglée 
pointe  le  nom'derQueltat'vl  rHenague;  'la  àiraiiabe  ouest >'pv6- 
sente  une  eau  bourbeuse  dite  Haoïiat  elJCracha. 

L!é|MÙ98eur  du.sfilten^étéy  «unnilieii  diL>laC|'efit»ide»0"',70. 
M.  Ville  estime  que  le  Zahrez  R'arbi  renferme '990' mîHitwis 
de  tonnes  de  sél  en.nonibre  rond. 

MSSiNfDES  iDÂXAS. — .fioDscte  :notn,.&oufi  iûampfffiaons.la 
parti e^dcs?Hauts^Pkteaux'qui  «e^rouveiït  entre  'i'€)ued^Totiil 
et  le  Zabrez  R'arbi  et  qui  absorbe  les. eaux  venant, du  DJebèl 
Arcba  et  des  collines  qui  uBisfient  .te  iQjebal  .Aoaour  ^UnSe- 
lialba . ^Elles  »e*tT0uventi3ur-lagrande  ligne  dfe  d^ression 'des 
Cbott^,  des  Cabrez  et  delaSebkba.du  Hodna. 

Les  deux  dayas  les  plus  remarquables  sont  celles  .d-Duro- 
Qhegaguet  (ou Ufouébeigague)  ôt  de  Rad jélane.  lia  ^reniière 
re.ç6it  J*Oued-él-Agaïg,  tributaire  du  Djéhel-Archa  et  du 
iMaArilgiâg  «et  .dfAaednelittammBffl,  iiftnai  ipit^ffindéoient 
encaisié  dans^oallcàiretît  qûi^àt  formé,  au  nord  de'Ze- 
nina'jflela  réunioades  Oued-rMalahaBtDueaelMan.  t^Oued- 

.  J. .Gel(e.sottrce,AriéwAane^/dtnt4e  RAm..«rabid  iMt,Aïn<.«lKJ}ar2i^,.a  ^té 
ImàtiAÂe  eD.tô63.4e,i;appeliaUonndeuaàAïa#]tfaUkoff.»  en  .l'iiaonaur  .du 
vaia^yâur.dfi  .Sébastf{»oU  .aloss  g8av«PA»ur^éaéBa|i, {{xatr  ile.  JienteoAat- 

X  «Z«nuya'Aat  «wi^tU  ^  viU^fe  idoat  <  lea./maisons  -Mfii  eu^awéos .  au ,  nocd 
dtodlea  mamelons  du  Jtfe(Mf;>des.  flânes  riMsheuxde  ce  .mamelon  .aort. à 
rteuastrURfi  source. abondante  «(ai.arrpseidetgM«id«it)ar4in)9ett»liaunaAta ; 


288  lA  RÉami  ALGÉRKIINE 

Malah  sort  lui-même  d'ane  espèce  de  daya  allongée,  appelée 
Oaed-Baba  et  dont  le  sol  offre  des  bigarrures  de  coolenrs 
ocre  jaune  et  ronge  briqne.  L'Oned-Malah  reçoit  de  Zenina 
rOned-Honila  qui  recueille  les  eaux  du  versant  snd  da 
Djebei-Serdoun  et  l'Oued  Kef  el  Bass  formé,  an  sud  de  Djerf 
el  Bala«  de  TOned  Roreikhar  et  du  Feîd  el  Berrouag. 

Les  Oueds  Melah  et  El  Ma,  ont  des  bei^;es  yerticales  de 
8  à  10  mètres  de  profondeur,  dentelées,  éraiOées,  déchirées 
à  rinfini  :  elles  forment  autour  de  Zenina,  à  l'ouest  et  an 
sud,  des  obstacles  très  sérieux  et  si  Ton  n'a  pas  un  gaide 
avec  soi,  on  court  le  risque  de  perdre  deux  ou  trois  heures  à 
fureter  sur  les  rives  avant  de  trouver  un  point  de  passage. 

Teau  se  perd  dans  des  joncs  et  forme  des  marécages  malsains;  les  mors 
du  jardin  sont  en  torchis  de  1*,03  de  hauteor;  la  ville  a  un  rempart  à 
bastions  triangulaires. 

La  partie  sud  du  mamelon  est  couverte  de  ruines,  restes  des  habitations 
de  la  fraction  des  Onlad-Brahim,  qui  à  la  suite  d'une  discussion  (ou  lojf) 
avec  Tautre  fraction  alla  s'installer  à  Chellala;  au  nord-est,  à  5  on 
600  mètres,  sont  les  collines  de  Medf  et  an-delà,  à  4000  mètres,  le  Djebel 
Serdoun. 

Entre  le  Mecif  et  le  Djebel  Serdoun  est  une  colline  rocheuse  dite  El 
Mansourah,  couverte  de  ruines  romaines. 

Le  Djebel  Serdoun  est  d'un  accès  facile  par  un  des  larges  thalwegs  du 
nord,  mais  le  versant  sud  est  très  rocheux  ;  il  donne  d'excellents  pâtu- 
rages à  son  sommet,  sur  les  plateaux,  et  offre  des  parties  boisées  de  thuya 
et  de  genévrier. 

Le  ksar  de  Zenina  ainsi  que  la  fontaine  laissent  à  désirer  au  point  de  vue 
de  la  propreté.  Les  ruelles  du  côté  ouest  sont  semées  de  gros  rochers.  Le 
ksar  a  trois  portes  :  l'une  au  sud-ouest  au  dessus  de  la  fontaine,  une  deuxième 
à  l'ouest,  devant  le  cimetière  et  le  marabout  à  koubba  de  Sidi  Mohamed 
ben  Salah  ;  la  troisième  est  à  l'est.  Près  de  la  maison  du  caïd  Zigham  est 
un  dépôt  d'étalons  de  remonté.  Il  y  a  à  Zenina  trois  ou  quatre  Mozabites 
vendant  du  sucre,  du  café,  de  la  bougie,  des  cotonnades,  du  savon,  des 
capsules,  etc. 

Zenina,  jusqu'à  notre  occupation,  était  un  centre  de  pillards,  un  re- 
fuge de  voleurs.  Les  Turcs  les  châtièrent  souvent;  un  bey  d'Oran,  Moham- 
med el  Kebir,  le  réduisit  en  cendres.  Les  habitants  étaient  bien  organisés; 
ils  excellaient  à  dévaliser  les  caravanes.  Les  habitants  actuels  sont  origi- 
naires des  Bou  Aïche  de  Bogbar,  les  anciens  possesseurs  du  pays  avant  la 
venue  des  Oulad  Nails.  Ceux-ci  n'ont  jamais  pu  s'emparer  de  Zenina. 
Zenina  se  soumit  en  1844,  lors  de  l'expédition  du  général  Marey-Monge 
et  nous  resta  fidèle  jusqu'en  1864.  Le  caïd  Zigham,  qui  le  commandait 


TRAVERSÉE  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE  PARIS.  289 

Le  Dayat  Radjelane  (coté  927  mètres)  reçoit  les  eaux  du 
Djebel  Serdoun  et  du  Goudiat  el  Feïdja.  En  1874^  le  génie 
militaire  a  fait  creuser  un  puits  sur  le  bord  sud  de  la  daya, 
de  manière  à  former  un  gîte  d'étape  entre  Taguine  et  Zenina 
L'eau  est  un  peu  douceâtre.  La  daya  a  500  mètres  de  lar- 
geur sur  1600  mètres  de  longueur;  elle  est  couverte  de  ta* 
marix  au  sud-ouest  et  de  gros  betoums  au  nord-est. 

Entre  Zenina  et  la  Dayat  Radjelane  est  la  Daya  de  6ue- 
rouache.  Le  chemin  de  Gharef  à  Dayat  Radjelane  traverse 
la  daya  de  Touicha.  Enfin,  le  sentier  qui  mène  de  Daya, 
Radjelane  à  Taguine  traverse  les  petites  dayas  de  Guenatrat 
de  Sedeur  et  les  bas  fonds  de  Nzaouat-Seraï,  de  Feïd-el- 
Barout  et  de  Feïd-el-Redjem.  Ges  dayas  n'ont  d'eau  qu'en 
hiver  après  les  pluies;  elles  sont  couvertes  en  partie  de 

alors  et  qni  est  encore  actuellement  caïd  delalocalité,  résista  pendant  8  jours 
aux  attaques  de  17  tribus  dlssidcntes.LacolonneYusuf  ayant  alors  paru,  les 
dissidents  se  retirèrent.  Le  général  Yusuf  emmena  Zihgam  avec  lui  comme 
guide,  le  ksar  ouvrit  ses  portes  aux  dissidents  qui  pillèrent  la  maison  du  caïd. 

La  stérilité  de  Zenina  est  telle  qu'elle  a  donné  lien  dans  le  pays  à  une 
imprécation  ;  quand  un  Arabe  veut  souhaiter  malheur  à  son  voisin,  il 
dit  :  c  Que  Dieu  le  délaisse  comme  il  a  délaissé  Zenina,  où  il  n'existe  ni 
ronces  ni  chardons.  » 

Légende  de  Zenina,  —  Bien  avant  le  prophète,  une  femme  Zenina  avait 
un  fils  chéri  ;  elle  le  vit  tomber  dans  une  bataille  et  supplia  le  vain- 
queur de  ne  pas  l'achever.  Emportant  son  fils  sur  ses  épaules,  elle  traversa 
monts  et  plaines.  Arrivée  près  d'une  source,  elle  s'y  arrêta,  lava  les  plaies 
de  son  fils  et  résolut  d'attendre  la  guérison  en  ce  lieu.  Des  amis 
vinrent  l'y  rejoindre  ;  on  éleva  quelques  maisons,  puis  une  ville.  Néan- 
moins le  fils,  appelé  Serdoun,  mourut  et  on  Tenterra  dans  la  montagne 
qui  porte  son  nom.  La  ville  fut  appelée  Zenina. 

L'Oued  Malah  coule  à  900  mètres  environ  à  l'ouest;  au  sud  sont  les 
dépressions  sablonneuses  de  l'Oued  Baba;  les  collines  du  nord-ouest  sont, 
à  5000  mètres,  le  Ghouaïf,  et,  près  du  jardin,  le  Maknia;  à  l'ouest  est  la 
colline  de  Guebr  el  Hachi,  et  au  sud-ouest,  le  Ghab  ez  Zmera  (qui  de  loin 
affecte  la  forme  d'un  mur  de  fortification  avec  quatre  bastions)  et  la  col- 
line d'Ain  el  Hadjar;  au  sud  se  projettent  les  silhouettes  du  Rlaa,  de 
l'Argoub  es  Seba,  du  Seba  es  Mokra,  du  Ben  Yakoub  et  du  Beziz. 

Nous  avons  levé  le  plan  de  Zenina  par  trois  stations  à  la  boussole- 
éclimètre.  Une  quatrième  station  a  été  faite  en  outre  sur  le  sommet  du 
Djebel  Serdoun,  pour  faciliter  le  recoupement  des  points  de  l'horizon  en 
vue  de  notre  carte  du  méridien. 


296  LAi  PUtaOïr  JH^OÉRICME 

jujabiBBs-et  db  tomorix;  Toutle;plàtâM»€si)0(niiii»t  dThaiVa. 

B^sflf  9&  i'oQED'  KZL.  -^  LfOued  Mzi  a  deBz  ttrsuMtkBs 
nièv8£  cpil)  96  léunisscnÉ  aHptedâeacciDlReliKrta  méridittuaux 
duiBjebd  Amoiir,  l*u«c  lf(ki«ti  Mfarra^  eoli  formée  desj Oued 
Zoiiibia  et  Oued-^dSiababj  qoi^  desceoidciul.  da  Djebel  Labetta 
et.dui  Bjebeli  Goeh^ob  ;;  il  fiarm»!  ki  fossé  onenlM)  de  la;  gada 
de  Madaïa.  Uaatoe,  UOuedrOuaren,  a^sa^CHinee  à>  l/est4*Afloa 
entm  le  Dalaa  Bon  Kberoiiff  etl  le  BjebelMaara»p  il  Kinite 
aa'  nord  lai  gadài  dfËl^  (àsoun  «eus  le  nemi  d'Oueds  Mekaliiba, 
tirawersey  du  motd  au-  sud^  une  dizaine  de  contreforts  qui 
sillouaeiit)  les  ^das  dfBlGraunietideMadenavfonmanUaioffi 
la:  gorge  d'Ël  Ouareny  en:  sopt  prèa  des  riÛKes  de  ksas  de 
Goutteibat  et  rejoint  y ôoed  Momraà  ki  cete:960  mètres. 

L'Oued  Mai  ainsi  formé  incline  au  sod-esl^arrcœe  le&  jar- 
dins de  ksar  de  Tadjemout*  et  à  3000  mètres  en  aval  son  lit 
desséché  se  dirige  de  Fouest  à  l'est,  après,  avoir  reçu  l'Qued 

1(.  Tadjeraout  est  un  pelili  ksar  situé  sor  la  rive  gauche  de  rOued  Hxi; 
ses- maisons  sont  groupées:  sur.  us  mamelon- dont  les  pentes  sud  sont 
beaucoup  plus  vailles  que:  le»  pente» nord;  eeiles-oi  sonti  douces  el  abea^ 
tissent  au  p^ii  thalweg  au  deiàiduquei,  sur  une  lég^e  émi»Bnee»,s^élèv« 
le  marabout  à  koubba  blanche  de  Sidi  Atallah. 

Ce  marebAttt-est  le  centse  d'un/  ciouBtière;  dans  lecfiiel  (ne  remarquB'InHS 
auti«s  marabouts  non  blanchis* 

Les  pentiss  orientales  sont  seméas  de  gros  loâhemiisidés  simulant  des 
ruines. 

Le  bassin  du  thalweg  est  fermé  au  nopd^-est  par  une  arête  rocheuse; 
cette  partie  se  nomme  Rieldar;  le  plateau  est)  semé  de  cailloux,  scblstim 
et,  pour  toute  végétation»  db  petites  touffes  d'uoeiplantle  h&riseée. 

Les  jardins  s'étendent  auisudet  àreuest;  ils  formentuiie  bande  étroite 
aU' nord^ouest.  L'Oued'Msi  baigne  les  mura  dfènceinte,  à  l-ouest,  suruoc 
longueur  de-  300  mètoesi  environ.  Les  jardins^  penfennenftides  olnrteoitiers^ 
despruttioDS^  des  i^enadiers;  el  quelques.* palmiers^ 

Le  ksar  est  entouré  d'un  rempart,  à  bastions  carrés,  en  moellens-et 
mortier  de  terve,.  de  4i  à  5  mèlres  dé  hauteur:  Les  murs  des* maison»  sont 
en  toub'i  ou  en.  toob  et  moellons. 

L'Oued  Moi  a^.  à»  Tadjemeuti,  20e.mètf«8>  de  largeur  enviren.  Son  lit  est 
de  sable.  Les  maisons  supérieures  du  ksar  forment  la  kasbah  à  deux 
étages-  de  terrasse. 

L'horisoni  an  sudH^uestir  est  borné  par  le)  Gucvn  el  Haouita^  par  la  dente* 
lure  du  Djebel  Djellouadj  et  par  la  crête  rocheuse  du  Djebel  Medloua; 


TRÂVERSÉB:  V^kA'  BB.  ■ÉMMtir  M  PARIS.  294 

M«f  ftiKàlf  qui'  deseettduki  Tmm  RMdftdev  eotomaictt  snv^a 
gamsh^  I»  yiite<8ai»lrdiiltlfi  Mfléhi^;^ 

L'Otoed'  Min  y  dms>  ssn  nuMnsin  Ters^  Tèslv  pMse  naiMe  )e 
D]«M  llcMirdloua  «tleDiebelLaMregv  laîstô  ieMiML  àgaod») 
s'infléeliit  légèreitKSQitens  ienoydipowr  contOQvmrte  cbaine 
éb  Rou9  El  Aioaiiy  ett  neçoil  an  peo  d^eau  mi  khttMq  de 
Demen,  à  hauteur  da^Dakla  etd«  Zé^baefaa;^  cette  eflu  hii 
est  ra^ie  pav  Toaiftis  de  Laghonaitty  awr  s»  riva  dnnte. 

De  Laghouat,  TOued  Mzi  phmge  vwn  Test  et  soua  le  nom 
d'Oued  Djedi  va  se  perdre  dans  le  chetMelii'iry  ao  sud-^est  à% 
Bîskra. 

Les  affluents  de  ga«eliB  de  l'Oued  Mzi  entre  le  Djebel 
Amour  et  le  Djebel  Lazereg  sont  insignifiants.  Au  sud  de 
TAln  Milok,  TOued  Mzi  reçoit  POued  Ben  Djebline,  qui 

rOnetf  Msri'  cotile  danf^  une  trouée,  entre  cette  montagne  et  la  corne  onest 
do  Milok;  an  fond  de  la  trouée  on  aperçoit  là  dentehire  detteollines  jaunes 
de  Ras  el  Aïoun.  La  corne  orientale  du  Milok  est  cachée  par  le  Djebel 
LMWe^  qui  se  perd  an  loin  au  sué-escv 

Au  nord^est  se  détache,  dans  la  plaine»  le  D}ebel  Mdaouer,  au-d^wat 
diiqiMi  eu  apei^oitaii  )«iii  la  silhooettei  dtt  Gtouroo» 

L*lioifî«<ni«  au  nord,  est  fermé  par  le  DjelMi  Amour  dond  lepoiat' eulmf- 
nant  parait  être  le  Merkeb. 

i.  Aïn'  Madhi  est  iin  peitit  ksar  da  forme  cdllpt^roe;  son  mur  d'en- 
c«l0tte  en  moellons-  a  10  ou  1%  mètref  da-  hauteur,  sar  O^^^O  d'épaissemr, 
avw  des  saitlamts  formant  ba«tian  ;  tout  adtmir  du  rempartr  est  une  me 
avec  un  nrar  eiLtérieor  de  5  mètres  de  hauleur,  qtfi  la  sépare  de»  jardins  ; 
les  jardins  eux-mêmes  ont  lenr  mur  d'encelnta. 

La  partie  sud-est  du  ksar  est  occupée  par  la  mosquée  de  Tadjini,  sur- 
montée d*un  petit  minaret  de  6  mètres,  que  couvre  un  parasol  die*  toiles 
vertes:  surMsn té  de  tpois  bontés  dont  la  supérieure  porte  un  croissant.  La 
mosquée  est  enclavée  dans  la  maison  du  Ghérif  Ben  Bachir,  fil»  du  vieux 
Tadjini  ;  un  grand  esealier  sombre  conduit  en  spiratlo  dans  la  grande 
cbambfd  des  bâttos»  ornée'  de  quatw  arceaui,  d'une  aleôre,  et  éehiirée 
faiblement  par  quatre  fenêtres  basses. 

lie'  bâtiment  des  femmes  do  ehérif  est  dissimulé^  àt  la»  vue  des  étran- 
gers ]»«#  éts  nmn  d«r3  métros  de  hauteur  snr  1«  terrasse;  même  ;  nétm* 
moins,  pé»  one*  petite  porter  basse  dOMNMt  sur  le  minaret)  on  entrevoit  la 
fetftde  intérieure  de  eette  maison  ;  péris^le  avee  sept  carreaux  en  ogive, 
derrière  lesquels  apparaissent  deux  galeries  séparées  pav  des  colon- 
midé»  éon4i  l'efet  est  des<  plus  gracieux. 

Les  jardins  entourent  la  ville  on  sigsa^  sur  une  profondeur  de  2S0  à 


293  LA  RÉGION  ALGÉRIENNE 

sépare  le  Lazereg  du  Milok  et  qui  reçoit  TOued  Rakousas, 
dont  les  sources  jaillissent  dans  le  Lazereg  entre  deux  ma- 
melons couronnés,  l'un  par  les  ruines  du  ksar  Tarchoucha, 
l'autre  par  celles  du  ksar  Rakoussa.  AuKheneq  ed  Demen 
rOued  Mzi  reçoit  l'Oued  Metlili,  sur  la  rive  droite  duquel 
est  l'auberge  de  ce  nom,  à  12  kilomètres  de  Laghouat  sur 
ia  route  carrossable  d'Alger  à  Laghouat. 

Le  principal  affluent  de  droite  est  l'Oued  el  R'icha,  qui 
baigne  les  jardins  du  ksar  de  ce  nom,  après  avoir  contourné 
la  gada  d'Enfous  à  l'ouest: 

Enfin,  une  petite  daya  au  nord  d'Aïn  Madbi,  recueille  les 
eaux  du  versant  sud  du  Djebel  Merkeb. 

GÉOLOGIE. 

Nous  ne  pouvons  aborder  ce  chapitre  sans  dire  quelques 
mots  du  système  général  de  l'orographie  algérienne  et  des 

o50  mètres;  à  Touest,  les  jardins  forment  une  pointe  autour  de  la  grande 
ségguia  qui  amène  les  eaux  d'une  source  située  à  3000  mètres  environ 
uu  pied  du  Djebel  Amour;  cette  pointe  de  jardin  s'appelle  Djeoane  es 
Solthan,  parce  qu'Abd  el  Kader  y  a  campé,  en  1838,  lorsqu'il  assiégeait 
Aïn  Madhi. 

Au  sud  sont  les  marabouts  de  Sidi  Moussa  et  Sidi  Mohammed  TArbi, 
fils  de  Tadjini  ;  les  chérifs  ont  leur  tombeau  dans  la  mosquée.  Il  y  a  deux 
portes  :  Bab  Segguia  à  Touest  et  Bab  el  Kébir  au  sud,  près  de  la  mosquée. 

Les  rues  sont  étroites,  resserrées,  avec  portes  basses;  quelques-unes 
d'entre  elles  sont  de  vrais  couloirs  sombres  après  midi. 

Au  sud  et  au  8ud<-est  de  la  ville  sont  les  collines  de  Kobour  Yehoud  et 
de  Foum-ed-Djïr. 

Au  nord-ouest,  à  3000  mètres,  on  voit  les  collines  de  Talza  et  de 
Smenna  (Zmeila). 

Au  delà  des  jardins,  le  sol  est  cultivé  au  sud  et  A  Touest,  mars  Touest 
ne  présente  qu'un  sol  pierreux.  On  ne  voit  que  trois  palmiers  dans  tout 
l'oasis  d'Aïn  Madhi. 

On  montre  encore,  dans  le  rempart  nord-ouest,  la  trace  d'un  des  boulets 
d'Abd  el  Kader  ;  la  pierre  présente  une  excavation  du  centre  de  laquelle 
partent  cinq  ou  six  fissures.  On  montre  aussi  des  excavations  souterraines 
par  lesquelles  Abd  el  Kader  essaya  de  pénétrer  dans  la  ville,  ne  pouvant 
la  réduire  par  force. 

Outre  l'eau  abondante  de  la  source  extérieure,  Aïn  Madhi  possède 
quatre  puits  pour  parer  aux  éventualités. 


TRAVERSÉE  PAR  LE  MÉRIDIEN   DE  PARIS.  293 

différentes  explications  qui  ont  été  données  sur  les  origines 
de  sa  formation.  Un  caractère  spécial  à  l'Algérie,  irrécusable, 
est  que  les  trois  grandes  chaînes  de  TAtlas  sont  sensible- 
ment parallèles  au  littoral  et  forment  des  bassins  qui  ne 
sont  interrompus  que  par  les  rivières  qui  descendent  en 
grand  nombre  des  plateaux  supérieurs,  les  traversent  par 
des  coupures  étroites,  résultant  des  grandes  différences  de 
niveau  que  nous  avons  constatées. 

Déjà,  avant  Tinstallation  française  en  Algérie,  M.'  Élie  de 
Beaumont  avait  rapproché  toutes  les  chaînes  qui  traversent 
cette  contrée,  de  trois  des  axes  principaux  de  dislocation  de 
l'Europe  méridionale,  attribuant  ainsi  leur  formation  à  des 
soulèvements  anciens. 

Les  études  spéciales  de  M.  Renou,  membre  de  la  Commis- 
sion scientifique  de  l'Algérie,  faites  en  1840,  1841,  1842, 
amenèrent  ce  savant  ingénieur  à  attribuer  la  formation  du 
grand  Atlas  au  soulèvement  des  grandes  Alpes,  dirigées 
est  17*  à  18<>  nord.  Suivant  lui,  le  pic  de  Ténériffe  et  TEtna 
seraient  alignés  sur  une  direction  exactement  parallèle  à 
cette  chaîne;  de  même  que  la  Sierra  Nevada  d'Espagne  a  le 
même  alignement  entre  Madère  et  le  Vésuve. 

On  sait,  en  effet,  aujourd'hui  que  les  terrains  secondaires 
forment  généralement  la  charpente  osseuse  de  l'Algérie,  et 
que  leur  direction  la  plus  fréquente  correspond  bien  à 
l'angle  est  16'>nord,  caractère  dominant  du  soulèvement  des 
Alpes,  qui  s'est  manifesté  après  le  dépôt  des  terrains  supé- 
rieurs. 

Des  études  ultérieures  ont  également  fait  connaître  que 
les  terrains  secondaires  se  distinguent,  en  Algérie,  par  la 
hauteur  et  l'aspérité  des  chaînes  de  montagne  qui  les  con- 
stituent, par  l'abondance  et  la  pureté  des  eaux  qui  les  sil- 
lonnent. On  a  remarqué  qu'ils  se  composent  le  plus  souvent 
d'argiles  schisteuses  grises,  au  milieu  desquelles  on  ren- 
contre des  grès  quartzeux  et  du  calcaire  gris  compact  à 
texture  cristalline. 

soc.  DE  GÉOGR.  <-^  2^  tRIMESTRE  1885.  VI.  —  20 


204  LA  RÉGION  ALGÉRIEKHE 

Avec  ces  données  on  a  pn  recueillir,  dans  les  montagnes 
de  TAurès  et  dans  le  sud  de^  proTinces  d'Alger  et  d'Ckan, 
des  obsenraiions  suMsanles  pour  donner  une  idée  de  ces 
terrains.  C'est  d'après  ces  observations  qae  M.  Ville  a 
eonelu  appartenir  au  même  soulêrement  la  grande  chaîne 
unissant  le  Djebel  Amour  à  TAurès  et  «e  prolongeant  au 
sud-ouest  jusque  dans  le  Maroc. 

M.  Renou  rattache  toutes  les  antres  chaînes  du  Tdl  et 
des  Hauts  Plateaux  à  ce  souIèTement.  Il  retrouve  le  terrain 
pyrénéen  dans  le  Dahra,  près  de  Setif  et  de  Biskra,  le  ter- 
rain volcanique  de  la  Sicile  dans  les  Trara  et  dans  les  ba- 
saltes d'Aîn  Temouchent,  de  la  Tafna,  de  Rachgocm  et  des 
îles  ZafTarines.  En  résumé,  d'après  M.  Renou,  en  Algérie,  le 
soulèvement  des  Pyrénées  aurait  produit  des  hauteurs  de 
i^OO  mètres  ;  celui  des  Alpes  Occidentales,  des  hauteurs  de 
600  à  800  mètres  ;  celui  des  grandes  Alpes,  des  hauteurs  de 
1400  mètres  et  le  résultat  des  croisements  await  donné  des 
hauteurs  de  1800  à  2000  mètres. 

Tous  les  ingénieurs  qui  se  sont  oorapés^  de  TAlgéiie, 
MM.  Ville,  Pomely  Dubocq,  Fonrnel,  Vatonne,  Brossard, 
Goquandy  Poujranne,  etc..  admettent  en  principe  le  soulè- 
vement, comme  origine  de  l'orographie  algérienne. 

M.  Pouyanne  va  plus  loin  :  il  a  distingué,  dans  les  mon- 
tagnes au  sud  du  Ghot  Ghergui,  seize  directions  différentes, 
orientées  de  nord  8^15'  ouest  à  nord  Sl'^Aff  ouest  et  corres- 
pondant à  des  directions  observées  en  Europe,  produites  à 
des  époques  différentes. 

M.  Renou  retrouve  encore  la  direction  des  graiMles  Atpes, 
dans  la  série  des  iacs  salés  des  Gfaots,  des  Zahrez  et  4u 
Hodna. 

M.  Pouyanne,  de  son  côté,  prétend  que  la  dépression  de  ces 
lacs  serait  due  non  pas  à  un  effondrementoni  rérosioQ,mais 
bien  à  une  évaporation  graduelle;  il  admet  que  les  eaux 
pluviales,  accumules  dans  ces  déplissions  pendatni  FUver, 
dissolvent  par  places  les  couches  calcaires  et  péoètrent  dans 


TRAVERSÉE  »AB.  LE  MÉftOttEK  DE   PARIS  '896 

le  sablfi  aoM^Tjiioeniejat  y  £atsaB>l  passer  toa  calcaîres  piilfé- 
risés;  que  la  surface  des  sables  finit  par  être  mise  à.au  et 
qu'afnès.r^vaporaiiioii  desr  eaux,  pendant  l'éié^.teiie  >sutlace 
devient  p^ivéïmleate  et.mobile;  le  ^nt  eimporte  k  sabita  et 
la  succasâion  desr  naéoie  phénomènes  se  produit  sans  oes«e 
tant  que  les  ntôme^causesi  existent. 

M.  Yilley  d'après  la  gran<iiet  direction  iongitudinato  de  œs 
dépressions  en  forme  de  cuvût4ie  dont  le  grand  axe  e&t  paral- 
lèle à  la  dîKotion  des  ehafoe&qiii  la  Uaoitent.au  nordieXi  au 
sud^oonolutquecea^dépiressions  sont  dnea  k  un  mouvement 
géologique  in^lérreiir  et  non  à  une  érosion  cauaée  piar  les 
agents  extérieurs.  Puis,  comme  on  sait  que.cea  mouvements 
intérieurs  sieaûat  produite  suivant  «ui  grand  corde,,  on  doit 
supposer  que  le  mèmaâDuldvfiment.,  q«i<a' donné  aux  mon- 
tagnes Yokines  leundipoctton  est. 16*  nord,  a<dû>oaufittin  «nssi 
ce  parallélisime  que  l'on  remarque  dasnia  vallée  et  dans  le 
grand  axe  des  lacs^ 

La.  eonamoiion  intérÎAare  qui,  bouleversa  akxrs  la  nord  de 
la  presqu'île  africaine  se  fit  sentir  d'une  façon  plusxp«ffs- 
aante  sur  deux  pointa  principaux  :  le  Djiebei-Aarës^  d\ine 
part,  le  Djebel  Amour  et  l»v  Makoa  de  Uatutre.  Aussi  ces 
deux  maesifs  atiei^nenH-ils  une  altitude  pitu&  grande  que 
l«ars  ToisiAS.  Lss  teoeaine  tediaiine  avoisinanUs.  damnt 
subir  «Ae  inftiienee  analogue;  c'est  aioei  qu'on  peut  exfAi- 
quer  l'élémtiion  des  tâbis.  de  TaUéo  qui  dcacnndenlidnj Djebel 
Attoèfi  eidaD^etbel  Amoun,  «'eat-àrdire  la  formation  géolo- 
gique des  Haute  Plateaiuu 

D'apràft  M.  Ciiaoles  Martina,.  le»  obotts>  et  le»  lam  salés 
seraient  left  semis  témoios.  permanents  da  l'aftcieomi  mer 
qui  CDVTiraifï  le  Saha/a^.  Cette  mer  art^Uo  exilsfeéi  9  La  «on- 
fermaiiAn  extéiriewre  du  fialttis^  iiée*  è  l'existieoee  if  uni  grès 
Ma  eongiométaA  eeqoiUeir  sor  le  Ikiocal  de  la  HéiUenra- 
née»  onàm  Oaan  ta  Bosgpei,.  contenanli  sur  un*  hauteur  de 
lOOèi30  wàÉrea^dBsdébri&dè  iHDllus^pasqidtappaiitieiiiient 
à  desi  esfèces  «cora  nmanéts,^  coudniai  diwrs  géologaes  à 


296  LA  RÉGION  ALGÉIlIBNflE 

regarder  FAfriqae  du  nord^  comme  récemment  émergée 
des  eaaz. 

D'un  autre  c6té,  la  rédaction  des  anciens  glaciers  des 
Alpes,  correspondant  à  rapparition  d'un  vent  sec  et  cl^aad, 
le  foehn,  on  en  tira  tout  d'abord  cette  conclusion  que  ce 
vent  est  d'origine  africaine,  qu'il  se  dessèche  en  passant  sur 
le  sol  embrasé  du  désert,  et  que  son  apparition  a  évidem- 
ment suivi  Témersion  du  Sahara. 

Cette  théorie  était  séduisante,  mais  il  fallait  s'assurer  que 
l'Afrique  du  nord  eût  été  recouverte  par  les  eaux  au  com- 
mencement de  l'âge  géologique  appelle  communément  l'é- 
poque glaciaire. 

C'est  dans  ce  but  que  M.  Ëscher  de  la  Linth,  en  compa- 
gnie de  MM.  Desor  et  Charles  Martins,  entreprit  une  course 
laborieuse  dans  le  Sahara.  Le  voyage  fut  heureux  :  M.  Desor 
trouva,  sous  les  dunes  du  Souf,  un  grès  stratifié  récent  avec 
des  indices  du  Cardium  edule;  puis,  près  du  Chott  Melrir, 
des  fragments  de  Buccinum  gibberulum  et  de  Balanus 
miser. 

Us  en  conclurent  que  la  mer  a  recouvert  le  Sahara  au 
commencement  de  l'époque  géologique  actuelle. 

M.  l'ingénieur  Le  Ghâteiier,  attaché  à  la  mission  des 
chotts  algériens,  a  constaté  la  présence  du  Cardium  edule 
dans  des  gours  ou  témoins,  Ilots  fossilifères  élevés  de 
10  mètres  environ  au-dessus  du  niveau  des  chotts  ;  mais, 
étant  donné  et  constaté  le  seuil  de  calcaire  tertiaire  de 
Gabès,  il  n'admet  pas  une  mer  communiquant  avec  la  Mé- 
diterranée et  croit  à  l'existence  d'un  grand  lac  saumâtre. 
^  Quand  et  comment  cette  mer  ou  ce  lac  intérieur  a-t-il  pu 
disparaître  ?  Suivant  M.  Le  Ghâteiier,  l'évaporation  l'aurait 
emporté  sur  Tascension  des  nappes  liquides  souterraines,  à 
la  suite  d'une  modification  de  la  température  dans  le  nord 
de  l'Afrique.  Suivant  M.  Charles  Grad,  la  disparition  de 
cette  mer  serait  due  à  de  fortes  oscillations  glaciaires;  il 
établit  que,  par  suite  du  mouvement  cosmique,  la  distribu- 


TRAVERSÉE  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE   PARIS.  297 

tion  de  la  chaleur  à  la  surface  de  la  terre  subit  une  variatioa 
très  régulière  et  périodique ,  variation  qui  augmente  ou 
diminue  les  glaciers.  A  ces  oscillations  glaciaires  corres- 
pondent des  mouvements  du  sol  ou  mieux  des  déplacements 
des  nappes  liquides  à  la  surface  du  globe. 

Une  autre  hypothèse  récemment  émise,  et  qui  découle  de 
la  précédentCiest  celle  d'un  déplacement  brusque  du  centre 
de  gravité  de  noire  globe  qui  se  serait  produit  à  la  suite 
d'une  accumulation  de  glaces  à  l'un  des  pôles;  l'énorme 
masse  liquide,  dont  l'équilibre  aurait  été  rompu,  se  serait 
déplacée  à  son  tour  suivant  une  direction  donnée,  creusant, 
balayant  les  parties  solubleset  peu  résistantes  et  formant  ces 
innombrables  sillons  qui  couvrent  le  nord  de  l'Afrique,  et 
ces  crôtes  parallèles  qui  les  séparent.  Ici^  plus  de  soulèvement^ 
ce  serait  l'érosion  qui  serait  l'agent  extérieur.  La  constitu- 
tion topographique  de  l'Algérie  semblerait  se  prêter  à  cette 
théorie;  les  eaux,  suivant  actuellement  les  thalwegs  forcé- 
ment creusés  dans  les  sillons  signalés,  seraient  conduites 
dans  les  grands  cours  d'eau  descendus  des  crêtes  ou  plateaux 
supérieurs  et  qui,  par  une  nouvelle  érosion  perpendiculaire 
à  la  première,  se  sont  fait  brèche  à  travers  les  crêtes  infé- 
rieures. Une  orographie  d'ensemble,  construite  sur  une 
planimétrie  rigoureusement  exacte,  comme  celle  d'une  ré- 
duction  du  cadastre,  permettrait  de  saisir  la  continuité  et 
le  parallélisme  des  chaînons  dans  les  massifs  du  Tell  qui 
paraissent  inextricables  à  première  vue  ^. 

Mais  n'y  aura-t-il  pas  toujours  la  constitution  géologique 
et  la  stratigraphie  des  montagnes,  pour  donner  aux  partisans 
du  soulèvement  des  arguments  palpables  et  irréfutables  ? 

Malgré  ce  qu'ont  de  contradictoire  les  opinions  que  nous 
venons  de  rapporter,  nous  n'avons  nullement  l'intention 
de  les  discuter  ni  de  les  combattre.  On  doit  croire  qu'elles 


1.  C'est  ce  qa'a  fait  le  commandant  Titre,  ancien  chef  du  service  topo- 
graphique  à  Alger. 


208-  LA  KÈ61(»ff  ADBtRiBNNe 

reprès0RHBii<l'bien  les  faits  m»  fçmt  chaque  obmwaiour  et  la 
seule  eoivel^ion  à  tirep  d&  ^eurdisemniance,  c'tectt  qoluiie 
lor  générale  a  ]»p§cédé  à  la  fermaiioii  dci  veliief  «^gérien  et 
qfie'eertanms  commolknis  «géologiques  seut  'Tenuefriaiiiodi* 
fîer  en  de  nombreux  endroits,  sans  toulelois  détraivel/liar- 
mmne'  primitif. 

Les  b«Bde»  roehenaes  ^ni  «e  dressent  sur  les  itarls 
Piaiteam  appartienne»!  à  ta  période  secondaire.  Il  en:  est 
dem^^e  pour  les  massife  monta^eux  de  P)«fliel  Amour  et 
du  fienalfca;  on  y  distingue  les  terrains  orétacési  suiifiaiils  : 
terrain  néoeoRrien,  eraîe  cbloril^e,  craie  blaneke. 

Des  grës  quartzeax^  et  des  calcaîres^  gvis  compactas  à 
texture  cristalline  composent  général>ement  les  sommets  et 
les  flancs  deces'  monita^es.  Sur  leurs  âer&îères  pentes  on 
rencontre  des  marnes  et  des^  schistes  argileux  gfis.  En  ^lu- 
sieurs  poin(^,  ces  deraiëres  roches  se  ftrou^ent  intercalée» 
dans  des  parties  âe  ealcanm  tertiaire;  sur  les  flancs,  ces 
roches  alTèctent  Faspect  4»  grandes  plaques  inclinées  les 
un«s  SOT'  les  antres  ftrès  af^arenl^es  au  l^ebel  Lasereg)^ 
terminées  par  des  arê1.es  ai^ës  dtont  k  plusr  élevée  fbroae  la 
crêl^'  de  la  chaîne.  Les  larges  mliervallesqni;  règlent  sur  ks 
Batfts  Plateaux  entre  ces  bandes  roellieuses  sont  occupés 
par'Utt  terrain  herisentaJ',  un  pev  saAé,  coinpnsé  de  dépôts 
séditnentarres  de  sable,  tantôt  purs,  tantôt  marneux  cm 
gypsenx,  entremêM  de  queîqties  eouciles  ealcanres.  Ce  tar^ 
rain  appartient  certainement  â  f  époque  «quaternaire* 

Le  sol  superfictel  consiste  en*  une  nftinee  coveka  de  cd- 
cair&  terreux  &Fa»c  jaunâtre  ^i  se  détrempe  fiusiïemenl 
parla  pMé  et  devient  e4nrs  aseeor  plMtîqae'.  Les  bassins  dw 
Ziahfèz  sont,  cofErme  les  Ifautis  FlateaH:r,  des  baisms  qnaiev- 
naires,  se  rattachant  par  des  alluTions  amcienane»  an  terrain 
crétacé  des*  montagnes  qui  les  Umît^nt  aU'  nord^et  ait  sud. 

La  plaine  ondulée  entre  le  Ras  Taguine  et  le  bas  des  pentes 
diii  Baoi  HasHiiAd  eai,  pair  exfiepAiAih,  tojtméfd.  de  teffcaînis 
secondaires;  la  carapace  calcaire,  couverte  de  eliihk,  ent  -■ 


TRAVERSÉS  FAR  LE  MÉillDIBlf  0E    PARIS.  299" 

souvent  à  découvert,à  oOté  de  grès  quartzeux^  ferrugineux, 
crétacés,  qui  affleurent  par  plaques.  Le  terrain  tertiaire 
stt|>é£ieiir  est  très  peu  développé  dans  la  zone  des  Hauts 
Plateaux;  on  en  observe  quelques  affleurements  sur  la 
lisière  sud  du  bassin  des  Zahréz* 

Le  tertiaire  moyen  eouvie  en  partie  les  pentes  sud  du 
moyen  Atlas  qui  formant  la  lisière  méridionale  du  Tell.  Le 
terraia  jurassique  a  été  observé  au  nord  du  Djebel  Racheîga. 
Eafin  le  sol  avoisii^ni  les  thalwegs  des  grands  oours  d'eau 
est  formé  d'ailuvions  modernes.  Les  eaux  sorties  des  terrains 
secondaires  sont  plus  potables  que  celles  qui  viennent  des 
terrains  tertiaires*  Les  eaux  sortant  des  bas-fonds  ou  des  cols 
inférieurs  sont  presque  toujours  saumâtres  ou  légèrement 
«ulfureuses. 

VOISS  V&  C01UnJ2riCATH>M     ' 

On  peut  les  classer  en  routes  militaires  reliant  nos  postes 
d'occapalîon,  et  en  chemins  indigènes  tracés  par  les  habi- 
tants des  trifans  nomades  ei  qui  indiquent  les  voies  suivies 
par  les  productions  sott  daufô  leur  déretoppement,  soit  vers 
leurs  débouchés. 

ROirrSS  MUITAIRCS 

l""  De  Boghar  àLnghouat.  Cette  route  est  une  de  celles  qui 
refienl  le  Tell  au  sud;  elle  est  carrossable^  Les  étapes  sont  : 
Bou  R'ezoul  (29  kilomètres),  A!n  Oussera  (31  kilomètres)» 
Caelt  es  Stel  (38  kilomètres),  Rocher  de  Sel  (42  kilomètres), 
Bjelfa  (18  kilomètres),  Ain  el  Ibel  (40  kilomètres),  Sidl 
Mnkloot  (36  kilomètres),.  Laghonat  (43  kilomètres).  Cette 
route  est  iacîtey  prescpoe  toujours  en  terrain  à  pieu  près  plat; 
eMe  a  de  L'eau  à  chaque  étape,  prè»  des  caravansérails»  Elle 
ne  présente  qu'un  passage  étroit,  le  Guélt  es  Stel. 

2"*  De  Géryville  à  Laghouat.   RDute  tracée  par  la  main 


300  LÀ  RÉGION  ALGÉRIENNE 

d'œuvre  indigène,  sur  une  largeur  de  3  mètres.  Ses  étapes 
sont,  à  partir  de  Laghouat  :  Ouad  Recheg  (20  kilomètres), 
Tadjemout  (25  kilomètres),  Aïn  Madhi  (26  kilomètres), 
Ksar  Reddad  (12  kilomètres),  Taouiala  (26  kilomètres), 
Kheneg  el  Melab  (24  kilomètres).  Ras  Oued  Mekheînza 
(24  kilomètres),  Aouinet  bou  Beker  (28  kilomètres),  Géryville 
(24  kilomètres).  Cette  route  côtoie  ou  suit  des  lignes  de 
séparation  d'eau,  ou  bien  elle  passe  d'une  vallée  dans  une 
autre  par  des  cols  qui  appartiennent  à  ces  lignes.  Le  point 
le  plus  difficile  est  le  Teniet  Reddad.  Sur  son  parcours  ou 
aux  environs  sont  les  ksours  importants  de  Stitten,  Bou 
Alem,  el  Hadjeria,  Sidi  Tifour,  el  Magta,  Taouiala. 

3"*  De  Laghouat  à  Teniet  el  Had,  par  Zenina,  Dayat  Rad- 
jelane,  Taguine,  Ghellala,  Aïn  Fedoul  et  l'Oued  Issa. 

De  Taguine  à  Ghellala  il  y  a  deux  routes  ;  Tune  plus  facile, 
mais  plus  longue  par  le  Teniet  Djeffala  ;  l'autre  plus  courte, 
par  Aïn  Leféah,mais  qui  gravit  la  montagne  de  Ben  Ham- 
mad  en  serpentant  sur  les  flancs. 

4^  De  Ghellala  à  Boghar,  par  el  Kbeïtar,  Ghabounia  et 
Bou  R'zoul,  route  facile^  mais  peu  riche  en  eaux. 

B""  De  Laghouat  à  Aflou,  par  Aïn  Madhi,  Foum  Reddade, 
£1  R'icha  et  l'Oued  Ghouabir,  ou  bien  par  Tadjemout  et  el 
Ouaren  ;  mais  celle-ci  est  très  difficile. 

6'  D'Aflou  à  Djelfa,  par  Sidi  Bou  Zid,  Zenina,  Gharcf 
et  bah  Messaoud. 

7**  D'Aflou  à  Géryville  par  le  ras  Medsous  et  Taouiala. 

8o  D'Aflou  à  Taguine  par  le  Kheneq  el  Malah,  el  B^da, 
Feiderrigha,  Souani  et  Djelila. 

9»  D'Aflou  à  Tiaret  par  le  Guelt  Sidi  Saad,  Hacian  ed  Dib 
et  Aïn  Oussekr.  Ges  chemins  qui  ne  sont  le  plus  souvent 
que  des  sentiers,  suivent  ordinairement  les  vallées  des 
ouads;  en  plaine,  ils  se  dirigent  sur  des  sommets  connus, 
ae  manière  à  passer  auprès  des  sources,  de  puits  ou  de  r'dirs. 


TRAVERSÉE  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE   PARIS.  301 

MÉTÉOROLOGIE 

La  région  des  Hauts  Plateaux,  la  plaine  de  Zahrez,  la 
contrée  montagneuse  du  Djebel  Amour  et  du  Senalba,  ont 
un  climat  qu'on  peut  qualifier  d'excessif.  On  a  vu  à  Laghouat, 
dans  la  même  année,  le  thermomètre*  descendre  à  —  7°  et 
monter  à  +  45°  à  l'ombre.  A  Aflou,  les  températures 
extrêmes  sont  —  3*»  et  +  **"•  «  Ce  climat  excessif  est  dû  à 
deux  causes  distinctes  :  l'altitude  de  ces  régions  et  leur 
latitude  ;  les  vents  et  ]a  nature  des  terrains  agiraient  alors 
comme  des  causes  secondaires  susceptibles  d'augmenter 
l'efiPet  des  premières  *.  » 

L'altitude  moyenne  des  Hauts  Plateaux  est  de  800  mètres. 
—  IjC  Gourou  et  le  Sidi  Okba,  dans  le  Djebel  Amour,  attei- 
gnent 1700  mètres;  aussi  la  neige  et  les  frimas  y  règnent-ils 
l'hiver. 

L'excès  de  chaleur  en  été  surprend  peu,  quand  on  songe 
que,  par  suite  des  brusques  abaissements  de  la  côte  vers 
l'ouest,  les  contrées  dont  il  s'agit  sont  placées  entre  le  35* 
et  le  33*  degré  de  latitude. 

Entre  les  deux  saisons  extrêmes  la  transition  n'est  jamais 
subite  ;  elle  est  amenée  par  des  séries  d'orages  qui  se  renou- 
vellent presque  chaque  jour  au  printemps  et  surtout  en 
automne. 

A  Laghouat,  la  température  moyenne  est  de  18%  6  ;  maxi- 
mum 47%  5,  minimum  4*.  Les  vents  nord-ouest,  nord  et 
ouest,  en  hiver  ;  sud-ouest,  sud  et  sud-est,  en  été,  se  par- 
tagent l'année.  Il  y  a  22  ou  23  jours  de  beau  temps  par 
mois,  2  ou  3  jours  de  pluie  en  moyenne;  quelques  orages, 
neiges  ou  gelées  rares  ou  de  peu  de  durée. 

L'hiver  y  est  moins  rigoureux  que  dans  le  Sahara  Oranais. 
Le  premier  mois  d'hiver  est  novembre^  le  premier  mois 

s 

i.  Rapport  de  M.  le  capitaine  d'état-migor  Derrécagaix. 


30i  LA  BÉGION  ALCaSRlENNE. 

d'été  est  mai.  Il  n'y  a  que  deux  saisons  :  l'été,  de  mai  à 
octobre  inclusivement;  l'bÎTer  de  nofembre  en  avril. 

Les  Hauts  Plateaux  sont  sujets  à  des  brouillards  très 
intenses,  après  les  plaies  on  bien  lorsque  le  vent  da  nord 
souffle  après  le  Sirocco.  Le  20  avril  1877,  près  de  Goudjila, 
nous  avons  été  enveloppés  â*un  brouiîiard  aussi  intense  que 
ceux  de  la  Tamise;  on  ne  distinguait  pins  rien  â  une  dizaine 
de  mètres. 

Les  pluies  commencent  ordinairement  en  octobre,  alter- 
nant en  novembre,  décembre  et  janvier,  avec  des  séries  de 
beaux  jours  ;  elles  se  renouvellent  à  des  intervalles  irréguliers 
«n  février  et  mars,  pour  finir  en  avril. 

Les  pluies  d'orages  qui  marquent  la  fin  de  la  saison  chaude 
sont  violentes;  les  ouads  desséchés,  transformés  alors  en  tor- 
rents impétueux,  roulent  des  quantités  d'eau  considérable. 

Au  printemps  et  pendant  la  saison  chaude,  il  règne  sur 
les  Hauts  Plateaux  des  vents  dont  la  durée  et  la  puissance 
«ont  surprenantes  ;  ils  exercent  sur  le  cKmat,  sur  la  nature 
du  sol  et  sur  l'économie  animale,  une  influence  pernicieuse. 
Ils  sévissent  sur  d^immenses  steppes  où  rien  ne  les  arrête; 
ils  transportent  des  tourbillons  de  sable  et  de  poussière  à 
de  grandes  distances;  ils  engendrent  de  brasqaes  change- 
ments de  température  et  contribuent  à  donner  an  Tell  Saha- 
rien ce  climat  excessif  qui  est  un  de  ses  caractères.  Néan- 
moins la  région  est  saine,  l'air  sec  et  pur  ;  mais  il  faut  prendre 
des  précautions  hygiéniques  et  surtout  bien  se  couvrir. 

DIVISIONS    MIUTAIRES    ET  ADMINISTRATIVES  (en   1878) 

Le  terrain  reconnu  est  traversé,  le  long  du  méridien,  au 
sud,  par  la  limite  des  provinces  d'Oran  et  d'Alger;  les  points 
principaux  de  cette  limite  sont  le  Ras  Merkeb,le  Mdaouert, 
le  Guebr  el  Hachi,  le  pied  nord  du  Djebd  Ardia,  le  Daya, 
Mouchegague,  TOued  Touil  entre  Taguine  et  les  puits  de 
Djelila,  le  Teniel  el  Onaebe,  le  Bjebel  Bazzisa,  le  Djebel 


TRAYERSÊ«  TkVi  ^^  Utim^fi  Ofi  PARIS.  3DS 

Rsrc^eïga,  VOaed  Mechti  JHsqa'à  Afn  Etearit,  «tic*  Timit  ce 
territoire  est  militaire. 

Province  âVran.  -^  Bans  la  fnrMAM)e  id^aw^  sobdifi- 
sion  de  Mascara,  le  TDfjebd  Amour ,  avec  tes  tribus  des 
(Wlad  Mimoun,  Otïlad  Sidî  Brahim,  Ottla^  en  Naoer,  Oufed 
Yakoub  e1  Raba,  les  Guememta,  fait  parti  du  œrele  de 
G'éryriïle,  annexe  d'Aflon. 

Les  plaines  de  Sakenî,  de  Kosnî,  tes  'Djel^Is  Kador,  Fôr- 
tass,  Goadpfla  et  la  plaître  de  'Soosseltem  eH  4b.  %aat  îSersou 
dépendent  da  cercle  de  Tiareti;  les  tri6u^  sofit  les  Ooflad 
Khélîf,  les  Crnenadsa  et  les  Sabri. 

Province  dAlger.  —  le  reters  nïêrîfional  de  FA4!as 
moyen,  dB  la  frontière  fie  la  pTatittCe  d^'Oran  au  méridren 
de  Tagnensa,  et  la  phrne  de  Sérson  jnsqu*^  VOued  Meeheti, 
dépendentdela  commune  mixte  de  Teniet  el  Had.lies  tribus 
qui  l'habitent  sont  tes  Beirî  Lettr,  Beiri  Méïda,'Oûktt!  Aîedd, 
Onîad  Hayane,  Blaôl,  Sionf,  Aziz,  Douî  Wacem. 

Dans  la  subdivison  de  Médéa,  le  x^ercle  de  Bogbar  a  ponr 
limite,  au  sud,  le  Dejebel  Oukaït  et  à  l'ouest  la  frontière 
d'Oran  et  la  Itaiite  do  cercle  de  Temet  elHad^Ses  tribus  sont 
les  Zenakra,  Oulad  Ahmed  Racheïga,  Oulad  Aïssa  el  Oureuq, 
Qiibd  A'isfla;  tSciwagin^.  QuMd  M9m  han  Ader  y  Meggane, 
Bm  AiÊh^Ottlad  Gfaaîbw 

Le  ùmte\&  fde  I))el&  tooebe  «u  nord  sa  •oêknr  de  fiogbar, 
de  Taguine  à  Gueit  es  Stel;  à  l'ouest  au  eerele  de  Tiaret, 
de  Taguine  à  Guebr  el  Hachi;  au  sud,  par  une  ligne  allant 
de  Guebr  el  Ea^bi  k  TadoiU,  il  touche  à.  celui  de  Lagbouat. 
Tpi&ubi  r  Oaïaé  Rlouâni,  CMad  'Oumbanl/  Abbarâ  tlherf, 
Oulad  ben  Tonnes,  ZTenatha,  Oaïaft  ben  Saad. 

Onfi  ligne  riani&sjant  Guebr  el  Hachi,  Tadmîi  et  Jilokta  el 
0«rf;,  «Btvet  Aïn  ^  Ibei  ek  1Sq#  MakiosI,  eé^iaro  le  cenete  de 
DJeïFa  de  celui  de  Laghouat.  Ce  dernier  tondié  S  Fonest  à 
raimexe  d'Aflou,,  de.  Guebr  et  BadiL  à  Fodim  Reddad  par  le 
MémueTi  A»  98é  dé  VovraReddaid',  ^  eoofine  an  eerote  de 
Géryville. 


304  LA  RÉGION  ALGÉRIENNE 

Tribus  :  Mekhrelif  Lazereg,  Larbaa,  Amamray  Tadjemout, 
Aîn  Madhi. 

Lieux  de  ravitaillement.  —  Teniet  el  Had,  Boghar, 
Djelfa,  Laghouat,  chefs- lieux  de  cercles  et  de  communes 
mixtes  y  offrent  les  ressources  nécessaires  en  vivres  et  en 
fourrages. 

A  Aflou  deux  boulangers  militaires  font  du  pain;  le  poste 
se  ravitaille  à  Tiaret  tous  les  huit  jours. 

Les  caravansérails  de  la  route  de  Boghar  à  Laghouat  sont 
approvisionnés  en  fourrages;  ils  fournissent  aux  militaires, 
sur  des  bons,  le  pain,  le  sucre  et  le  café.  Les  voyageurs 
peuvent  y  trouver  des  lits  et  une  table  passables. 

A  Zenina,  Charef,  Tadjmout,  Aîn-Madhi,  R'icba  et  Sidi 
Bou-Zid,  il  y  a  des  petites  boutiques  d'épiceries  tenues  par 
des  Mzabites. 

Ghellala,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  est  le  seul  endroit 
des  Hauts  Plateaux  où  Ton  peut  se  ravitailler  entre  Aflou, 
Teniet  el  Had,  Djelfa  et  Tiaret. 

ORIGINE  DES  TRIBUS  DU  DJEBEL   AMOUR. 

Avant  les  invasions  arabes,  le  massif  montagneux,  qae 
nous  avons  décrit  sous  le  nom  actuel  de  Djebel  Amour, 
s'appelait  le  Djebel  Rached  et  était  habité  par  la  tribu  ber- 
bère des  Demmer*. 

1.  Je  n*ai  trouvé  nulle  part  de  documents  signalant  Toccupatioa  de 
cette  région  par  les  Romains.  La  carte  de  l'Afrique  romaine  du  capitaine 
Nau  de  Ghamplouis  indique  le  Djebel  Amour  sous  le  nom  de  Mous  Kin- 
naba,  avec  un  point  d'interrogation.  Pourtant  des  ruines  romaines  ont  été 
signalées  à  Guehara,  au  sud  du  Hodna,  au  sommet  du  Bon  Kahil  et  à 
Blessad  près  de  Laghouat.  —  Le  seul  vestige  romain  trouvé  jusqu'à  ce 
jour  dans  la  région  qui  nous  occupe  est  une  pierre  commémorativei  avec 
inscriptions  sur  les  quatre  faces.  EUe  est  chez  les  OuladSidl  en  Nasseur^sur 
la  rive  droite  de  TOued  Agueneb,  afluent  de  l'Oued  Ksab.  —  L'inscription, 
d'après  M.  Béron  de  Villefosse,  se  rapporte  à  une  expédition  fort  heureu- 
sememt  accomplie  ou  à  une  station  (Thasunus)  terminée  par  une  veml- 
latio. 


TRAVERSÉE  PAR   LE  MÉRIDIEN  DE  PARIS.  305 

Les  premiers  Arabes  qui  vinreut  dans  le  pays,  vers  le 
miliea  du  vu*  siècle,  furent  les  Athledj,  fraction  des  tribus 
Kerfa.  Ils  se  cantonnèrent  à  l'ouest,  les  Demmer  s'instal- 
lèrent à  leur  place  dans  la  région  fertile  du  Haul^Sebgague. 
Ils  avaient  pour  cbef  el  Adjel  et  leurs  descendants  furent 
désignés  sous  le  nom  d'Adjalates. 

Quelques  années  plus  tard,  les  Amour  envahirent  la  con- 
trée, chassèrent  les  Adjalates  de  la  montagne  qui  s'appela 
dès  lors  Djebel  Amour,  et  restèrent  les  maîtres  du  pays. 
Les  indigènes  du  Djebel  Amour  se  rattachent  donc  aux 
Kabyles  Demmer  et  aux  deux  branches  arabes  des  Adjalates 
et  des  Aroour< 

Nous  allons  examiner  succinctement  les  tribus  qui  en 
descendent. 

1°  TRIBUS  KABYLES.  — Lcs  descendants  des  Demmer  sont 
les  Ghementa,  les  Oulad  ali  ben  Amour,  et  une  partie  des 
Oulad  Yakoub  el  Ghaba. 

Ils  habitaient  autrefois  à  l'est  de  l'Oued  Morra  ;  à  l'arrivée 
des  Arabes  dans  le  pays,  ils  cherchèrent  asile  dans  les  forêts 
et  les  terrains  accidentés  qui  avoisinent  le  haut  Mezi. 

Ils  sont  paisibles,  cultivent  des  jardins  et  font  du  gou- 
dron. 

Lors  des  incursions  ennemies,  ils  se  réfugient  dans  leurs 
gadas. 

Les  Ghementa  occupent  le  territoire  d'el  Groune,  deMadena 
et  de  la  Gada  Gherguia.  Les  Oulad  Ali  ben  Amour  ont 
quatre  douars  dans  l'annexe  d'Aflou,  dans  la  région  du 
Djebel  Gourou  ;  les  autres  dépendent  de  Laghouat  et  de 
Djelfa. 

Les  Oulad  Yakoub  el  Ghaba  habitent  El  Gh'icha  et  Ënfous. 
Les  premiers  habitants  d'El  Gh'icha  furent  les  Mouissat 
qui  ont  tous  disparu.  Les  Oulad  Riah  des  Amour  ont  occupé 
le  ksar  après  eux  et  en  ont  vendu  les  propriétés  à  des  indi- 
gènes de  provenances  diverses  qui  ont  formé  la  tribu  actuelle 
des  Oulad  Yakoub  el  Ghaba. 


B66  LA  néfiMMK  àLGÉm%ms^ 

lis  coHypremieafl  quatoe  douaors;  les  Outod  Seroiup,  le^ 
BeLlaaiy  ilss  Klbovaiidfs  (fornés  àarlianar)  e£le8iNekahi« 

En  iSMy  les*  Oakd  SiéU  Œbeiisfa)  tûntea*  liétoiiee:  les;  ja^ 
dms  d'££<Sib'iehaL  Les  Oiuibad:  Yakouè  el  <iibaiJia  paGl»èit«t 
ayee  e«Ec,  mais  oe  sartireni  pa&  <lu  paysv, 

2«  LES  ADJÂLATES.  —  Lf»  Aj^slates».  idiassési  da  Sjobel 
Racbedi  paries  A^noar^  s'cn&iirent  «b  fjrasoàù  ipa^e  aotoord- 
ouesÉ;  et  alièrenib  à  Mascaitav  Ceux  qui  restèrent  danâk  payis 
â'alliëmnt  bieatàt  par  des  maniages-  àfvac  les  Aiiiouf  at  for- 
mèrent en.  s'unissant  àeuocvume  sarle  de  .eonlédératMi -qui 
ne  S'^esi  jamais  désagrégée» 

Avant  l'arrivée  des  Français,  les  Adjalates  éiUient  «om- 
noaiiidbés  par  uii>e  dfsmaa^  Lors>de  leoc  scNamisfiioa  w>  tHi, 
on  leur  donna  un  caïd.  En  1847,  ils  formèrent  ixms  eoklats: 

i' Ouiad  Sids  Abmed  ben  Saïd; 

'2'^  Ouiad  en  Nasser  ; 

S'  Oulad  Sidi  Brahim. 

Les  Oalad  S«di  Abmed  bea  SaM  soiiit  Jes  descendants  ci- 
rcct's  di'el  A^djd.  ils  sont  répartis  en  seçsi  diouars  :  Ouiad  Sidi 
el  Adeb,  OudadiStdi  Yahia,  Oi]l»d  Aibdallah,.  ûtekid  Tafaar, 
Oolad  bou  Halleufo^  Oalad  4aueUoida  «I  Ottàad  bea  Guel- 
loula.  En  1864,  le  caïd  si  Mohamed  ben  Mouaz  resta,  fidèle 
avec  le  douar  SàéÀ  el  Adeb  ;  il  irejoigniA  avec  ses  4^valiACs  la 
colonne  du  général  Yusuf. 

En  iêù^f  ils  suiiiriflrent  arec  ieits  gmimsi  1a<.cq1ooaç  du 
général  Delk^n;. 

ËQi  i^ly  loirs  de  ratflttiOQce  jde  Vjtpppodie  de^SidiKaddiOiur 
bein  Hamaga^  ils  s'enfinraivl;  sur  te  iîerdtoi  reides  Barrar» 

Ils  occupent  actuellement  le  territoire  de  l'Oued  elBfilda, 
enire  le  Djebel  ei  Allof  «I  le  luardaSidiBotU  Zid. 

Les  Oakd  ea  Kasacr,.  au  nord  de  Sidi.  BoaZid,  eompren- 
aenl  qnatre  douara^  ks  Oulad  €l  Gaid^  les  0»lad  ben.  Aœ«r^ 
les  ElAUdAtet  tes  OukdKheliiùioiiûerkaDna^aîflBsiQoaiiBés 
parce  qu'ils  onA  qmlté  momtaAaiiéaieatks  Adjalaies^a^s 
une  discussion,  pour  aller  haUteir  mu  awtni  piays-j  • 


TRAYERSÉC  PAA  LE  MÉRIDIEN  DE   PARIS.  307 

Les  Ooiad  en  Nasser  ont  fait  ^feetioa  «n  1864.  £a  iiùl, 
ils  s'enfuirent  d'Ël  Beïda  à  Bogbai*  et  ne  rentrèrent  chez  eux 
qo'après  le  ccMnbat  d'Aïn  Madhi. 

Les  Oulad  Sidi  Brahin^  ont  leujrs  quatre  douars  dans  la 
vallée  de  TOaed  Berkana;  ce  sont  les  Oulad  Sidi  Abd  el  Ka- 
der^  les  Oulad  Marabtine,  les  Oulad  Boucherit  et  les  Oulad 
Mezzien.  Une  fraction  du  douar  Oulad  Marabtiœ  yiept  de 
Tadjerouna. 

En  1864>  ils  &al  fait  défection,  mais  Si  Hamza  les  aban- 
dcmna  f^ree  qu'ils  n'ayaient  que  des  bœufs  comme  moyen 
de  transport. 

En  1867,  ils  furent  razziés  sur  l'Oued  Sebgague,  près  de 
la  Koubba  de  Si  bel  Kassem  par  Kaddour  Ould  Hamza. 
Ils  se  sauvèrent  alors  dans  le  £ef  de  Sidi  Zin  et  de  là  à 
Taguine. 

3"*  LES  AMOUR.  —  Les  Amour  forment  aujourd'hui  les 
deux  tribus  des  Oulad  Mimoun  et  des  Oulad  Sidi  Hacnza  qui 
occupent  la  partie  la  plus  fertile  du  Djebel  Amours  les 
sources  de  l'Oued  Sebgague  et  le  plateau  d'Aflou. 

Les  Oulad  Mimoun  descendait  des  Douaonida,  branche 
des  RiaÏL  lis  comprennent  les  cinq  douars  suivants  :  Oulad 
Daoud,  Oulad  Adda,  Ferachiche,  Zerakka,  Oulad  en  Nadri. 
Diverses  populations  d'origines  diverses  sont  venues  se 
joindre  aux  Oulad  Mimoun,  ce  sont  : 

l' Les  Oulad  Sidi  ben  Abdallah; 

2'  Les  Oulad  Saad»  issus  des  Harar  ; 

d^  BlSbadra,  parents  des  serviteurs  des  Oulad  Sidi  Cheikh 
d'ElAhiod; 

4"  Tasuiala,  habité  par  les  Oulad  Sassi  et  les  Oulad  Tarki  ; 

5""  Les  Oulad  Tikhil,  parents  des  Hamyanes  ; 

&*  Kesaoura; 

7""  Rehamna»  sixième  propriétaire  du  ksar  d'Aflou  et  de 
Bo»  Klierouf  9  d'of  igine  berbère  ; 

8*  Les  Oulad  Riah,  premiers  habitants  d'el  (ihicfaa; 

9°  Les  Chekkala,  anciens  possesseurs  des  terres  du  Haut- 


308  LA  RÉGION  ALGÉRIENNE 

Sebgague.  La  beauté  de  ce  territoire  excita  la  jalousie  des 
Amour  qui  s'en  emparèrent  de  force; 

10«  Les  Sidi  bou  Zid,  qui  ont  leurs  ancêtres  enterrés  à  El 
Hamra;  ils  sont  frères  desBou  Azid  de  la  province  de  Gons- 
tantine;  ils  forment  deux  douars  :  les  Oulad  Halymoa  et  les 
Zehalguine; 

11*^  Les  Atamna. 

Depuis  1267,  les  Oulad  Mimoun  ont  régné  en  maîtres  sur 
le  Djebel  Amour.  Ils  furent  soumis  aux  Turcs  et  reconnu- 
rent l'autorité  d'Abd  el  Kader.  Ils  firent  acte  de  soumission 
en  1843. 

Le  premier  agha  fut  Yelloul  ben  Yahia  ben  Daoud,  mort 
en  1854  ;  son  frère,  Ed  Din  ben  Yabia,  lui  succéda. 

En  1864,  surpris  par  Tinsurrection  qui  l'avait  entratné,il 
est  venu,  le  premier  de  tous  les  chefs  indigènes,  faire  sa  sou- 
mission au  mois  de  juin.  Enjuillet  il  laisse  ses  tribus  entrai-: 
nées  de  nouveau  et  se  retira  à  Taguine,  où  il  perdit  toute  sa 
fortune.  Il  se  réfugia  à  Laghouat  au  milieu  de  la  colonne  Yu- 
suf.On  dit  qu'il  sauva  les  cavaliers  de  remonte  en  les  faisant 
habiller  en  femmes  et  qu'il  les  fit  partir  sur  des  palanquins. 

L'agha  Ed  Din  est  officier  de  la  Légion  d'honneur,  du 
7  septembre  1877. 

Les  Oulad  Sidi  Hamza  ont  les  mêmes  ancêtres  que  les 
Oalad  Sidi  Hamela  de  Mesila.  Ils  se  subdivisent  en  Oulad 
bou  Chemial,  Rherazza,  Hadjadj  et  Droura. 

4*  TRIBUS  ÉTRANGÈRES.  —  LoTs  de  la  coustitutiou  de  l'an- 
nexe d'Aflou,  à  la  fin  de  1872,  on  accrut  Taghalick  de  nou- 
velles tribus  prises  soit  au  cercle  de  Tiaret,  soit  au  cercle  de 
Géryville. 

Ces  tribus  sont  : 

1**  Les  Oulad  Sidi  en  Nasseur.  Ils  se  disent  Cheurfa  et 
descendent  d'un  marabout  originaire  de  Mazouna  qui  vint, 
sous  les  Turcs,  se  fixer  sur  l'oued  qui  a  depuis  porté  son 
nom.  Ses  descendants  ont  toujours  été  tributaires  des  Amour 
pour  les  terres  de  culture  qu'ils  leur  louent. 


TRÀVERSÉB  PAR  LE  MÉRIDIEN  DE  PARIS.  909 

^  Les  Oulad  YakoubZerara  sont  issus  des  Hilal  qai  habi- 
taient autrefois  l'Oued  Zergoun.  Us  forment  aujourd'hui 
deux  kaidats  :  Gheraga  et  Gharaba  (est  et  ouest). 

3"*  Les  Laghouat  du  Kesah  Ils  tirent  leur  origine  des  aven- 
turiers qui,  de  tous  les  pays,  se  réfugièrent  sous  la  protec- 
tion de  lazaouiade  Sidi  Gheïkh.  Parmi  eux,  les  Oulad  Azsa 
viennent  du  Djebel  Amour,  les  Oulad  ben  Okba  des  Oulad 
Sidi  en  Nasseur,  les  Oulad  Aïssa  de  Kerakda.  Aidés  des 
Saîtatba,  ils  chassèrent  les  Béni  Amer,  puis  plus  tard  ils 
battirent  les  Oulad  Ghaib  et  restèrent  seuls  maîtres  du 
pays.  Ils  sont  aujourd'hui  divisés  en  trois  tribus  :  les  Oulad 
Moumen,  les  Rezeigat  et  les  Oulad  Aïssa  ou  Gueraridj. 

En  1832,  les  Oulad  Mouroen,  suivant  les  drapeaux  du  chef 
des  Oulad  Sidi  Gheïkh  Gharaba,  furent  battus  à  Askourk  par 
16  chef  de  la  zaouïa  de  l'est,  ayant  avec  lui  les  Rezeigat  et 
les  Oulad  Aïssa. 

Les  Laghouat  vinrent  d'abord  faire  des  offres  de  paix  au 
colonel  Géry,  lors  de  son  expédition  sur  Brezina  en  avril 
et  mai  1845,  puis  se  soumirent  au  colonel  Renault  en  juin 
1846. 

En  1864,  ils  ont  fait  défection. 

4*"  Les  Ahlouiakal  formaient  sous  les  Turcs  une  confédé- 
ration composée  des  six  fractions  suivantes  : 

l**  Oulad  Bou  Ali  (El  Hammouida  et  Bou  Alem)  ; 

2^  Makena,  descendants  d'un  renégat  ; 

y  Oulad  Sidi  Tifour  ; 

4*  Oulad  Zeïd  ; 

5®  Oulad  Bou  Medien  ; 

6"»  Oulad  ben  Aïssa. 

Lors  de  l'arrivée  des  Français  ils  ne  formaient  qu'un  seul 
kaïdat,  dit  des  Makena. 

Aujourd'hui  ils  forment  les  deux  tribus  de  Makena  et  des 
Oulad  Sidi  Tifour. 

5<»  TADJEROUNA  ET  EL  MAïA.  —  Le  ksar  de  Tadjerouna  fut 
fondé  enrannéel006  del'hégyre  par  un  nommé  Si  el  Mihoub 

S0€.  DK  GÉOGR.  —  2*  TRIMESTRE  1885.  YI.  —  21 


310  LA  RÉGION  ALGÉRIENNE. 

ben  Mohammed  ben  Youssef,  qui  est  Tancêtre  des  Oulad 
Sidi  Youssefy  habitants  actuels  du  ksar. 

Ils  gardent  les  grains  des  Oulad  Yakoub  Zerara  et  ont 
quelques  troupeaux. 

En  1864,  ils  sont  restés  fidèles.  Ils  comprenaient  les  quatre 
douars  des  Oulad  ben  Aïssa,  Oulad  Sidi  Chenaf,  Oulad  Sidi 
el  Mihoub  et  M edabick  d'el  Maïa. 

Le  ksar  d'el  Mala  appartenait  jadis  aux  Âhl  el  Haoud 
(Laghouat  et  Stittern).  Si  ben  Hameïda  céda  le  terrain  aux 
Oulad  el  Gharbi  qui  construisirent  le  ksar;  battus  par  les 
Makena,  ils  se  réfugièrent  à  Khadra.  Le  ksar  fut  repeuplé 
avec  les  Oulad  Sidi  Youssef  et  les  Mdabich. 

En  1864,  ils  firent  défection  et  se  retirèrent  au  Mzab.  La 
colonne  du  général  Deligny  détruisit  le  ksar  en  1865. 


Le  Gérant  responsable, 

C.  MAUNOIRy 
Secrétaire  général  de  la  Commission  centrale. 


BouRLOTON.  —  Imprimeries  réunies,  B. 


LA  REGION  AliN  DE  PARIS 


BULLETIN  DE  LA  SOCIÉTÉ,  in-S". 

i»««érie  (1821  à  1833),  20  voL  —  (voL  1  et  2  épuisés), 

2«  série  (1834  à  1843j,20vol. 

S*  série  (1844  à  1850),  14  vol. 

A*  série  (1851  à  1860), 20  vol.  —(vol.  1  à  10, 15  épuisés), 

5*  série  (1861  à  1870),  20  vol.  —  (vol.  1,  à  6,  9,  11,  12,  1    et  16  épuisés). 

6«  série  (1871  à  1880),  20  vol.  —  (vol.  7  épuisé). 

T  série  (1881  à  1883),  4  vol. 

Ce  Bulletin,  à  partir  de  1882,  est  divisé  en  deux  parties.  La  première  qui  com- 
prend le  compte  rendu  des  séances,  les  principales  lettres  de  la  correspondance 
la  liste  des  ouvrages  offerts  à  la  Société  et  les  faits  géographiques  les  plus  impor- 
tants est  publiée  dix  jours  après  la  séance. 

La  seconde   qui    renferme  les  mémoires,  notices,  rapports  ou  documents  de 
quelque  étendue  avec  cartes,  parait  tous  les  trois  mois.  Prix  :  pour  Paris,  20  francs 
pour  les  départements,  22  francs;  et  pour  Tétranger,  25  francs. 

Table  générale  et  analytique  de  la  l'e  et  de  la  2*,  série.  1  vol.  in-8*.  Prix  : 
6  francs. 

Table  générale  et  analytique  de  la  3«  et  de  la  4*  série.  1  vol.  in-8*.  Prix  : 
6  francs. 

Notices  annuelles  des  travaux  de  la  Société  et  du  progrès  des  sciences   géogra- 
phiques, par  les  secrétaires  généraux.  Prix  :  1   franc  chaque  notice. 

Programme  d'instructions  aux  navigateurs  pour  Vétude  de  la  géographie  physique 
de  la  mer.  Broch.  in-8*.  Prix  :  1  franc. 

Instructions  générales  aux  voyageurs.  1  vol.  in-16.  Prix  :  3  francs. 

Compte- rendu    du   Congrès  international  des   sciences  géographiques  de  1875. 
Tome  I,  in-8«.  Prix  :  20  francs.  —  Tome  II,  in-8».  Prix:  15  francs. 

Cuide  hygiénique  et  médical  des  voyageurs  dans  l'Afrique  intertropicale, 
par  les  D'>  Ad.  Nicolas,  H.  Lâcaze  et  Signol,  publié  par  la  Société  de 
Géographie  et  la  Société  de  médecine  pratique  de  Paris,  avec  le  concours  des 
Sociétés  françaises  de  Géographie.  Une  brochure  in-8"  de  100  pages.  Prix  : 
2  francs. 

Liste  provisoire  de  bibliographies  géographiques  spéciales,  par  M.  James  Jack- 
son, archiviste-bibliothécaire  de  la  Société  de  Géographie. 

Cette  liste  comprend  1177  articles  se  rapportant  à  la  bibliographie  des  diverses 
régions  de  la  terre- 
Un  vol.  in-8*  de  8  et  340  pages.  Prix  :  12  francs. 

Exploration  du  Sahara.  Les  deux  missions  du  lieutenant-colonel  Flatters^  par 
le  lieutenant-colonel  Derrégagaix. 

Un  vol.  in-8^  de  144  pages  avec  carte.  Prix  :  3  francs. 

Fleuves  de  ^Amérique  lu  Sud,  1877-1879,  par  le  D'  Jules  Crèvadx,  médecin 
de  la  Marine  française,  1  vol.  in-f*  de  39  cartes  avec  tableau  d'assemblage.  Une 
notice  biographique  et  une  bibliographie  des  travaux  de  Crevaux  accompagnent 
cet  atlas.  Prix  :  25  francs. 

La  confrérie  musulmane  de  Sîdi  Mohammed  ben  AU  es-Senoûsî  et  son  domaine 
géographique  en  l'année  1300  de  rhégires=1883  de  notre  ère,  par  Henri  Duvey- 
rier.  Paris,  1884.  Brochure  in-8°  de  84  pages  accompagnée  d'une  carte.  Prix  :  3  fr. 

Liste  de  positions  géographiques  en  Afrique  (continent  et  iles),  par  Henri  Du- 
Veyrier.  Premier  fascicule  A-G.  Paris,  1884.  In-f  de  140  pages.  Prix  :  12  fr. 


EXTRAIT  DU  RÈGLEMENT  DE  LÀ  SOCIÉTÉ 

ART.  I.  La  Société  est  instituée  pour  concourir  aux  progrès  de  la  géographie; 
elle  fait  entreprendre  des  voyages  dans  des  contrées  inconnues  ;  elle  propose  et 
décerne  des  prix;  établit  une  correspondance  avec  les  Sociétés  savantes,  les 
voyageurs  et  les  géographes  ;  publie  des  relations  inédites,  ainsi  que  des  ouvrages 
et  fait  graver  des  cartes. 

Art.  IV.  Les  étrangers  sont  admis  au  même  titre  que  les  Français. 

Art.  y.  Pour  être  admis  dans  la  Société,  il  faudra  être  présenté  par  deux 
membres  et  reçu  par  la  Commission  centrale. 

Art.  YI.  Chaque  membre  de  la  Société  souscrit  pour  une  contribution  annuelle 
de  36  francs  au  moins  par  année,  et  donne  en  outre  25  francs  une  fois  payés,  lors 
de  la  remise  du  diplôme. 

EXTRAIT  DU  RÈGLEMENT  INTÉRIEUR 

Art.  XXXI.  \a  Commission  centrale  a  la  faculté  de  nommer,  hors  du  territoire 
français,  des  membres  correspondants  étrangers  qui  se  seraient  acquis  ;un  nom 
par  leurs  travaux  géographiques.  Un  diplôme  peut  leur  être  délivré. 

Art.  XXXIl.  La  Société  admet,  sous  le  titre  de  Membres  donateurs,  les  étran- 
gers et  les  Français  qui  s'engagent  à  payer,  lors  de  leur  admission  et  une  fois 
pour  toutes,  une  somme  dont  le  minimum  est  fixé  à  300  francs. 


La  bibliothèque,  boulevard  Saint-Germain,  18-4,  est  ouverte  aux  membres  de'  la 
Société,  de  11  à  4  heures,  les  dimanches  et  jours  de  fête  exceptés. 

Les  envois  faits  à  la  Société  doivent  être  adressés,  francs  de  port  à  M.  le  Pré- 
sident de  la  Commission  centrale,  boulevard  Saint-Germain,  184. 

S'adresser,  pour  les  renseignements  et  les  réclamations,  à  M.  C.  Aubry,  agent  de 
la  Société,  boulevard  Saint-Germain,  184. 


MM.  les  membres  de  la  Société  de  Géographie  peuvent  faire  exécuter  à  leurs 
frais  des  tirages  à  part  de  leurs  articles,  aux  conditions  du  tarif  ci-après. 


Une  f^*(16  pages) 

Remise  en  pages,  glaçage, 
papier,  piqûre,  enveloppe  de 
couleur 

3/4  de  P^«  (12  pages). . . . 

1/2  f"«  (8  pages) 

1/4  de  f»«  (4  pages) 

Couvertures,  composition,  ti- 
rage, papier,  glaçage 


50 
exenpl. 


12  65 
10  75 

7  80 

4  40 


100 


exempl. 


15  55 

12  60 

9  60 

6  30 

tO  » 


150 

exenpl. 


18  95 

16  70 

12  05 

8  85 

1180 


200 


exempl. 


2310 
20  » 
1420 
1010 

13    » 


250 


exenpl. 


27  » 
23  50 
16  75 
12   « 

1515 


300 


exenpl. 


3090 
27  » 
19  30 
13  40 

1645 


350 


exenpl. 


34  80 
31  > 
2185 
15  30 

18  70 


400 


exenpl. 


38  95 
34  75 
2440 
16  95 

19  75 


500 
exenpl. 


45  90 
4090 
2995 
20  50 

2316 


>tm 


Composition  d'un  titre  d'entrée  de  1/4  de  page 

Composition  d'un  grand  titre,  avec  page  blanche  au  verso 

Composition  de  quatre  pages  de  titres  (sans  annonces  pour  les  travaux 
du  même  auteur) ', 

Les  corrections  seront  comptées  1  franc  l'heure. 
Le  tirage  de  chaque  gravure  sera  compté  3  francs. 


2 
4  50 

6  50 


BouELOTON.  —  Imprimeries  réunies,  B. 


C  .  ô 


t. — 


La  Société  ne  prend  sous  sa  responsabilité 
aucune  des  opinions  émises  par  les  auteurs  des  articles  insérés  dans  son  Bulletin 


BULLETIN 


/ô 


/ 


DE   LÀ 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHÏÏ 

RÉDIGé 

AVEC  LE  CONCOURS   DE  LA    SECT.ION  DE  PUBLICATION 

PAR 

LES  SECRÉTAIRES  DE  LA  COMMISSION  CENTAALB 


SOMMAIRE 


Rapport  sur  le  concours  au  prix  annuel  fait  à  la  Société  de  Géographie  dans 

sa  séance  du  U  avril  1885 jl-\ 313 

Le  D'  Paul  Neis.  —  Voyage  au  Laos  (1883-1 884).. ^^^,,<rr0.^.-^v7P-:;^^ 368 

J.  Errington  de  la  Croix.  —  Sept  mois  au  pays yrfe  fektiir.'TèlPàlr^âji^h^le 

de  Malacca). .A  ,. /jl^  -,  ^.j. .,  t . ,  ^-k%\\  «A*      ^^^ 

A.-L.  PiNART.  —  Chiriqui  —  Bocas  del  Toro  —  VttIle\MiWiU'2^tfîWi4î«Via)rfa«» 
le  texte) .V^;^>-^ ^t^.'c:.y/..      433 

CARTES  

Le  D*"  Paul  Neis.  —  Voyages  en  Indo-Chine  (1883-1884). 


3*  TRIMESTRE  1885 


PARIS 

SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

BOULEVARD  SAINT-GERMAIN,   18i 

1885 


PUBLICATIONS  DE  LA  SOCIÉTÉ  BE  GÉOGRAPHIE 


ItEGUËlL  DE  VOYAGES  ET  DE  IMBMOIRES,  in-i». 

TOHE  I*%  contenant  les  voya^^es  de  Marco  Polo.  1  vol.  in-4'',  1824  (épuisé).  Première 
édition  française»  diaprés  le  manuscrit  le  plus  ancien  et  le  plus  complet  connu, 
suivie  d'un  texte  latin  inédit.  Ce  volume  est  composé  comme  suit  :  Avant-propos , 
par  M.  Malte-Brun,  secrétaire  général  de  la  Société  de  Géographie;  — IntroduC' 
tion  aux  voyages  de  Marco  Polo,  par  M.  Roux  de  Rochelle;  —  Voyagede  Marco 
Polo,  le  texte  français  de  Rusticien  de  Pise,  d'après  le  n*  10270  de  la  Biblio- 
thèque royale;  —  Peregrinatio  Marci  Pauli,  texte  latin,  d'après  le  n*  3195  de 
la  Bibliothèque  royale;  —  Glossaire  des  mots  aujourd'hui  hors  d'usage:  — 
Variantes  pour  les  noms  propres  d'hommes  et  de  lieux,  d'après  onze  manus- 
erits. 

Tome  tl,  avec  18  planches.  Prix  :  18  francs^ 

Il  contient  :  Une  Relation  de  Ohanat  et  des  coutumes  de  ses  habitants.  —  Des 
relations  inédites  de  la  Gyrénaïque.  —  Une  notice  sur  la  mesure  géométrique 
de  quelques  sommités  des  Alpes.  —  Résultats  des  questions  adressées  à  on 
Maure  de  Tischit  et  à  un  nègre  de  Wallet.  —  Réponses  aux  questions  de  la 
Société  sur  l'Afrique  septentrionale.  —  Un  itinéraire  de  Gonstantinople  à  la 
Mecque.  —  Une  Description  des  ruines  découvertes  près  de  Palenqué,  suivie 
de  Recherches  sur  l'ancienne  population  de  l'Amérique.  —  Une  notice  sur  la 
carte  générale  des  pachalicks  de  Hhaleb,  Orfa  et  Bagdad.  —Un  mémoire  sur 
la  géographie  de  la  Perse.  —  Des  recherches  sur  les  antiquités  des  Ëtats-Unis 
de  l'Amérique  septentrionale. 

ToHE  III,  contenant  l'Orographie  de  l'Europe,  par  M.  L.  Brugnière,  ouvrage  cou- 
ronné par  la  Société  dans  sa  séance  générale  du  31  mars  1826;  avec  une  carte 
orographique,  12  tableaux  synoptiques  et  trois  vues  et  coupes  des  chaînes  de 
montagnes  {épuisé). 

Tome  IV,  avec  une  carte  et  plusieurs  fac-similés.  Prix  :  30  francs. 

Il  contient  :  Description  des  merveilles  d'une  partie  de  l'Asie,  par  le  P.  Jerdaa  de 
Séverac.  —  Relacion  del  Viage  hecho  à  la  isla  de  Amat,  etc.  (Relation  d'un 
Voyage  à  l'île  d'Amat),  d'après  les  manuscrits  communiqués  par  M.  Henri  Ter- 
naux.  — Vocabulaires  de  plusieurs  contrées  de  l'Afrique,  recueillis  par  M.  ICœnig, 
avec  des  observations  préliminaires.  —  Voyages  ea  Orient  :  Relation  de  Guil- 
laume de  Rubruck. —  Notice  sur  les  anciens  voyages  de  Tartarie  e(i  général, 
et  sur  celui  de  Jean  du  Plan  de  Garpin  en  particulier;  avec  une  carte,  par 
M.  d'Avezac.  —  Relation  de  la  Tartarie,  de  Jean  du  Plan  de  Garpin;  Voyage  de 
Bernard  et  de  ses  compagnons  en  Egypte  et  en  Terre-Sainte.  —  Relation  des 
voyages  de  Sœvulf  à  Jérusalem  et  en  Terre-Sainte. 

Tomes  V  et  VI,  contenant  la  Géographie  d'Edrisi,  traduite  de  l'arabe  en  français, 
d'après  deux  manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  roi,  et  accompagnée  de  notes, 
par  P.  Amédée  Jaubert,  membre  de  l'Institut,  etc.,  avec  3  cartes.  Prix  : 
24  francs  chaque  volume. 

Tome  VII,  contenant  la  Grammaire  et  le  Dictionnaire  de  la  langue  berbère,  en  ca- 
'  ractères  arabes,  composés  par  feu  Venture  de  Paradis,  revus  par  P.  Amédée 
Jaubert,  membre  de  l'Institut;  suivis  de  plusieurs  itinéraires  de  l'Afrique  sep- 
tentrionale recueillis  par  l'auteur,  et  précédés  d'une  Notice  biographique  sur  la 
partie  méridionale  de  l'Asie  centrale,  avec  une  carte  et  deux  plans,  par  M.  Nicolas 
de  Khanikof.  —  Recherches  sur  Tyr  et  Palœtyr,  et  essais  de  restitution  et 
d'interprétation  d'un  passage  de  Scylax,  avec  deux  cartes,  par  M.  Poulain  de 
Bossay.  Prix  :  24  francs. 

Mémoire  sur  l'Ethnographie  de  la  Perse,  par  M.  Nicolas  de  Khanikof.  Prix  :  6  francs. 


BAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRI 


FAIT 

A  LA  SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

Dans  sa  séance  gdnërale  du  24  avril  1885 
AU   NOM    D*UNE    COlTlflSSION   COMPOSÉE  DB 

MM.  Henri  Duveyrier,  Alfred  Grandidier,  le  docteur  E.-T.  Hamy, 
De  Quatrefage,  et  William  Huber,  rapporteur  général. 


Ce  n'est  pas  dans  la  catégorie  des  grands  voyages  en 
pays  vierges  que  votre  commission  a  cherché,  cette  année, 
les  lauréats  de  vos  médailles.  Ces  grands  voyages  ont  fait 
défaut.  Ils  deviendront  de  plus  en  plus  rares  à  mesure  que 
la  surface  limitée  de  notre  globe  sera  mieux  connue.  Les 
mailles  des  itinéraires  se  resserrent.  Bientôt  nous  ne  pour- 
rons plus  applaudir  les  Gameron,  les  Stanley,  les  Nachtigal, 
les  de  Brazza,  dont  les  découvertes  primordiales  révélaient 
au  vieux  monde  l'ossature  et  les  artères  de  continents  nou- 
veaux, leur  corps  et  leur  vie.  Bientôt  nous  devrons  nous 
résoudre  à  décerner  nos  témoignages  de  gratitude  à  des 
explorations  moins  retentissantes,  mais  tout  aussi  méri- 
toires et  plus  pratiquement  utiles. 

Dans  les  diverses  branches  de  la  science  un  homme 
inspiré  fait-il  une  découverte,  d'autres  lui  succèdent  qui  la 
perfectionnent,  la  complètent  pour  en  doter  l'humanité. 
De  même  en  géographie,  il  ne  suffit  pas  d'une  traversée  en 
pays  neuf  au  pas  de  course  pour  le  révéler;  encore  faut-il 
en  posséder  les  détails,  en  scruter  le  'sol,  les  ressources,  en 
étudier  les  habitants  pour  en  conclure  le  rôle  que  ce  pays 
-devra  jouer  un  jour  sur  l'échiquier  des  nations. 

Cette  exploration  en  seconde  ligne,  si  je  puis  m'exprimer 
4iinsi,  est  peut-être  plus  difficile  que  la  première;   elle 

soc.  DE  GÉOGR.  —  3*  TRIMESTRE  1885.  vl.  —22 


314  RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANmiEL. 

exigç  une  plus  grande  somme  de  science,  un  esprit  inquisi- 
teur, précis,  et  des  qualités  diplomatiques  indispensables 
pour  se  faire  accepter  de  populations  toujours  défiantes  ou 
hostiles,  au  milieu  desquelles  on  doit  vivre  et  faire  usage 
d'instruments  qui,  à  leurs  yeux,  ne  sont  qu'engins  de 
guerre  ou  de  maléfice. 

C'est  parmi  ces  explorations  complémentaires,  dans  des 
contrées  imparfaitement  connues,  que  votre  commission 
des  prix  a  distingué  trois  voyages  qui  s'imposent  à  voire 
attention  et  méritent  vos  sufi'rages. 

Celui  de  M.  le  vicomte  Charles  de  Foucauld,  dans  le  sud 
du  Maroc  et  la  partie  occidentale  de  la  chaîne  de  TAllas; 

Celui  de  M.  Yictor  Giraud,  enseigne  de  vaisseau,  au  lac 
Bangouéolo,  dont  vous  avez  entendu  l'exposé  à  la  Sor- 
bonne  ; 

Celui  de  M.  Paul  Neis,  médecin  de  la  marine^  dans  le 
Laos,  le  bassin  du  Donnai  jusqu'aux  sources  de  ce  fleuve. 

Ces  trois  voyages  nous  intéressent  particulièrement 
d'abord  parce  qu'ils  ont  été  exécutés  par  des  Français;  en 
second  lieu,  parce  que  deux  d'entre  eux  nous  font  con- 
naitre  des  régions  voisines  de  nos  colonies.  L'autre  rectifie 
les  notions  acquises  sur  les  origines  du  majestueux  Congo, 
ce  fleuve  dont  600  kilomètres  de  rives  sont  maintenant  fran- 
çaises et  qui  sert  de  frontière  au  vaste  territoire  conquis 
par  Pierre  de  Brazza  et  ses  compagnons,  auquel  on  peut 
donner,  ajuste  titre,  le  nom  de  France  équatoriale. 

Les  critiques  autorisées  de  nos  collègues  MM.  Duveyrier, 
Grandidier  et  Dutreuil  de  Rhins  vous  diront  tout  à  l'heure 
les  titres  de  MM.  de  Foucauld,  Giraud  et  Neîs  à  vos  mé- 
dailles d'or. 

Le  prix  de  La  Roqqette  attribuable  a  à  l'auteur^u  meilleur 
travail  sur  la  géographie  des  pays  du  Nord,  ou  au  voyageur 
qui  aura  le  plus  contribué  à  faire  connaître  ces  répons  t, 

semblait  devoir  être  destiné  à  la  mission  du  lieutenant 

i 

1 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.  315 

américain  Greely,  —  Vous  connaissez  son  dénouement  trar- 
gique  rappelant  le  drame  de  la  Jeannette.  Le  lieutenant 
Greely  ne  nous  a  rien  communiqué  ;  votre  commission  ne 
peut  donc  examiner  ce  voyage  que  sur  les  documents 
publiés,  dans  lesquels  elle  n'a  pas  trouvé  de  nouvel  apport 
à  la  géographie.  La  lutte  pour  la  vie  fut  ardente  au  point 
de  ne  laisser  aucune  place  à  d'autres  préoccupations.  Cette 
mission  tombait  donc  hors  concours.  , 

Un  Français,  le  docteur  Pavy,  attaché  à  l'expédition,  y 
trouva  la  mort  dans  des  conditons  dont  nous  ignorons  les 
détails  et  sur  lesquelles  il  est  peut-être  bon  de  laisser  le 
voile  qui  doit  à  jamais  cacher  les  scènes  de  désespoir.  — 
Nous  adressons  l'expression  de  notre  sympathie  à  sa  famille 
et  le  nom  de  Pavy  pourra  s'inscrire,  avec  ceux  de  Bellot  et 
d'autres,  sur  la  liste  française  des  victimes  tombées  pour  la 
conquête  de  l'extrême  nord. 

Nos  suffrages  unanimes  se  sont  portés  sur  une  publica- 
tion danoise  <  Middeleker  om  Groenland  »,  où  se  trouvent 
condensés  tous  les  résultats  recueillis  dans  ce  pays  par  les 
membres  d'une  commission  d'exploration  nommée  par  le 
gouvernement  de  Copenhague. 

Deux  fois  déjà,  la  Société  de  Géographie  a  décerné  ses 
médailles  à.des  Danois  :  En  1825,  trois  ans  seulement  après 
sa  création,  elle  couronnait  une  carte  orographique  de  l'Eu- 
rope, publiée  par  MM.  OËisen  et  Bresdorff,  et  en  1831  les  re- 
cherches au  Groenland  du  capitaine  Graah. 
:  Depuis  ciâquante-trois  ans,  aucune  de  vos  récompenses 
n'a  été  adressée  aux  descendants  de  ces  audacieux  décou- 
vreurs du  moyen  âge,  ce  peuple  danois  toujours  réuni  à  la 
France  par  un  double  courant  de  sympathies,  dont  l'inten* 
sité  oe  fait  que  s'accroître  entre  les  mains  du  ministre  qui^ 
depuis  plus  de  vingt  ans^  représente  le  Danemark  auprès  du 
gouvernement  français.  Nous  regrettons  qu'une  circonstance 
imprévue  l'empêche  d'assister  ce  soir  à  cette  séance >  à 


316    RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANHUEL. 

c6té  de  l'homme  qui  a  le  plas  fait  pour  établir  les  courants 
pacifiques  entre  les  peuples. 

Le  prix  Erhard  «  pour  la  construction  et  la  production  des 
cartes  »  est  attribué  à  un  cartographe  modeste  autant 
qu'habile,  M.  Dumas  Vorzet.  Sa  santé  altérée  par  Texcès 
du  travail  lui  avait  arraché  le  crayon  de  la  main.  L'annonce 
de  votre  distinction  a  été  pour  lui  la  dernière  satisfaction 
qu'il  ait  eue  à  son  lit  de  mort.  M.  Schrader  a  bien  voulu 
se  charger  de  vous  présenter  le  rapport. 

Enfin,  Le  prix  Jomard,  exclusivement  réservé  aux  travaux 
les  plus  remarquables  sur  VHistoire  de  la  géographie^  a  été 
décerné  sans  conteste  au  grand  ouvrage  en  six  volumes 
publié  sous  la  direction  ^e  MM.  Scheffer,  de  l'Institut, 
Henri  Gordier  et  Harrisse,  et  édité  par  M.  Leroux.  Cet 
ouvrage,  dont  M.  le  docteur  Hamy  vous  dira  la  valeur,  a 
pour  titre  :  Recueil  de  voyages  et  de  documents  pour  servir 
à  Vhistoire  de  la  géographie^  depuis  le  xiii'  siècle  jusqu^à 
la  fin  du  XVI*. 

Bientôt,  deux  nouveaux  prix  viendront  s'ajouter  à  ceux 
que  vous  distribuez  déjà.  De  regrettés  collègues  ont  pensé 
à  la  Société  de  Géographie^  dans  •  leurs  dispositions  der- 
nières. Ce  sont  :  d'abord,  M.  Jean-Baptiste  Morot,  membre 
de  la  Société  depuis  1877  seulement,  lequel  nous  a  légué 
un  capital  de  âOOO  francs  «  dont  l'intérêt  sera  servi  annuel* 
lement  ou  cumulé  au  profit  du  navigateur  ou  voyageur 
français  qui,  dans  le  cours  de  l'année^  se  sera  rapproché  le 
plus  près  du  pôle  nord  >.  C'est  ensuite  notre  ami,  M.Félix 
Fournier,  membre  de  la  Société  depuis  1873  et  de  la  Com- 
mission centrale.  Il  a  légué  à  notre  Société  une  somme  de 
50,000  francs  «  pour  fonder  un  prix  annuel  destiné  à  ré- 
compenser le  meilleur  ouvrage  de  géographie  paru  dans 
l'année  :  cartes  ou  livres  >.  Ce  don  généreux  d'un  collègue 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS   AU  PRIX  ANNUEL.  317 

que  nous  avons  tous  estimé  nous  a  élé  droit  au  cœur^  il 
perpétuera  le  nom  de  cet  homme  érudit  et  affable  dans  une 
Société  aux  intérêts  de  laquelle  il  ne  marchandait  ni  son 
temps  ni  sa  peine. 

C'est  en  augmentant  ses  ressources,  en  lui  permettant  de 
récompenser  et  peut-éire  un  jour  de  subventionner  des 
voyages,  que  notre  Société  grandira,  entrera  de  plus  en  plus 
dans  le  mouvement  géographique  par  son  côté  militant  et 
apportera  sa  pierre  aux  fondations  de  l'édifice  scientifique 
du  xx""  siècle  que  nos  successeurs  verront  brillamment 
éclairé. 

M.    LE   VICOMTE   CHARLES  DE   FOUCAULD 

M.  Henri  Duveyrier,  rapporteur. 

Médaille  d'or. 

11  est  un  État,  limitrophe  d'un  département  français,  oti 
le  voyageur  européen  en  général,  et  le  voyageur  français  en 
particulier,  n'a  jamais  été  très  bien  vu.  Cet  état  est  le  Maroc. 
Nos  cartes  et  nos  manuels  de  géographie  nous  montrent 
bien  un  vaste  territoire  qu'ils  attribuent  comme  domaine 
au  sultan  du  Maroc.  Les  géographes  européens  ont  cherché 
ainsi  Texpression  la  plus  simple  pour  rendre  un  état  de 
choses  incertain,  variable,  embrouillé;  sans  s'en  douter  ils 
ont  été  depuis  cent  et  tant  d'années  les  complices  d'une  fic- 
tion. Carie  sultan  du  Maghreb,  cet  empereur  d'Occident  des 
musulmans  n'est  pas,  à  beaucoup  près,  le  souverain  tempo- 
rel de  tout  le  pays  marqué  à  sa  couleur  sur  nos  atlas.  Pre- 
nons-nous, au  contraire,  sa  souveraineté  sous  le  jour  du 
spirituel,  alors  non  seulement  les  cartes  ont  raison,  mais  il 
faudrait  tellement  élargir  les  limites  de  son  diocèse  que 
personne  ni  à  Paris,  ni  à  Gonstantinople,  ne  consentira  à 
reconnaître  que  le  sultan  du  Maroc  peut  juger  comme 
d'abus  sur  un  mandement  pastoral  ou  sur  une  décision  juri- 
dique rendus  à  Alger,  à  Tunis,  à  Tripoli  ou  à  Ben-Ghàzi^ 


«    ' 


318  RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

villes  dont  il  est  pourtant  juge  suprême  et  le  pape,  et  où  la 
logique  voudrait  que  l'imâin  de  chaque  mosquée,  iors  du 
service  public  du  vendredi,  appelât  les  bénédictions  du  ciel 
non  pas  sur  le  Président  de  la  République  firançaise  ou  sur 
le  padioJliâh  de  Gonstantiuople,  mais  bien  sur  le  sultan  du 
Maroc,  qui  est  en  même  temps  le  grand  îmâm  de  tous  les 
musulmans  mâlekites. 

Mais  le  Maroc  d'aujourd'hui  n'est  plus,  à  beaucoup  près, 
celui  d'il  y  a  deux  cent  cinquante  ans,  alors  que  (de  1590  à 
1660  environ)  le  souverain  de  Fâs  envoyait  ses  armées  et 
dictait  sa  loi  jusque  sur  les  rives  du  Niger  et  daqs  le  Bâ- 
guena  et  le  Tagânt,  au  nord  et  assez  près  du  Sénégal.  Cette 
ère-là  s'est  évanouie  el  quiconque  connaît  bien  la  situation 
actuelle  du  Maroc  ne  comprendra  pas  le  rêve  de  son  gou- 
vernement qui  songerait  maintenant  à  faire  valoir  ses  droits 
périmés  sur  Timbouktou  et  sur  Djinni.  Sans  être  resté 
indifférent  au  progrès  ni  nsensible  aux  événements,  l'héri- 
tier des  souverains  de  Fâs,  à  la  fin  du  xix«  siècle,  est 
dominé  par  une  silualioji,  la  résultante  d'un  long  passé,  et 
tandis  que  chez  nous  le  chef  de  l'État  sait  bien  qu*il  com- 
mande non  seulement  aux  préfets  de  nos  quatre-vingt-dix 
départements,  mais  aussi  aux  gouverneurs  de  notre  Inde, 
de  la  Cochinchine,  du  Sénégal,  de  nos  Antilles,  etc..  Sa 
Majesté  chérifienne  est  parfois  forcée  de  faire  parler  la 
poudre  quand  Elle  veut  prélever  Timpôt,  et  cela  jusque 
dans  des  cantons  qui  sont  visibles,  sans  télescope,  de  Tune 
quelconque  de  ses  capitales. 

A  côté  de  provinces  ou  de  banlieues,  réellement  soumises 
à  l'administration  du  sultan,  quelquefois  même  enclavés 
dans  ces  provinces,  qui  forment  le  beled  el  makhzéfiy  ou 
cpays  des  bureaux  »,  on  trouve  des  territoires  aussi  sevrés 
des  bienfaits  de  la  bureaucratie  marocaine  que  sont  le  Trans- 
vaal  ou  la  République  d'Andorre. 

Dans  iin  État  comme  celui-là,  inutile  de  parler  d'ordre  et 
de  sécurité. 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS   AU  PRIX  ANNUEL,  319 

C'est  là,  pourtant,  qu'un  jeune  Français,  M,  le  vicomte  de 
Foucauld,  soucieux  de  nous  révéler  ce  qui  touche  à  nos 
portes,  avait  résolu  de  faire  un  voyage  d'exploration.  Il  Ta 
accompli,  sans  Taide  du  gouvernement,  à  ses  frais,  et  en 
faisant  avec  le  sacrifice  de  son  avenir  dans  la  carrière  mili- 
taire un  autre  sacrifice  plus  grand  encore  si  possible.  Il  s'est 
résigné  à  voyager  sous  le  travestissement  du  juif,  au  milieu 
de  populations  qui  Considèrent  le  juif  comme  un  être  utile 
mais  inférieur.  Prenant  bravement  ce  rôle,  il  a  fait  abné- 
gation absolue  de  son  bien-être  et  c'est  sans  serviteur,  sans 
monture,  sans  tente,  sans  lit,  presque  sans  bagages  qu'il  a 
travaillé  pendant  onze  mois  chez  des  peuples  qui,  ayant  plus 
d'une  fois  démasqué  l'acteur  l'ont,  à  deux  ou  trois  reprises, 
placé  en  face  duchâtimeot  qu'il^  méritait,  c'est-à-dire  de  la 
mort. 

Nous  avions  déjà  vu  un  étudiant  musulman,  RenéCaillié,  et 
deux  derviches  musulmans,  Richard  Burton  et  Ârminius 
Vambéry,  faire  de  très  beaux  voyages  d'exploration;  leurs 
cartes  pourtant  prêtaient  à  la  discussion  parce  qu'un  faux 
étudiant  ou  un  faux  derviche  musulman  doit  rester  fidèle  à 
son  rôle  sous  peine  d'expier  de  sa  vie  un  écart,  un  simple 
oubli.. •  Le  voile  qui  abrite  le  juif  pendant  sa  prière  a  servi 
à  cacher  le  baromètre  et  le  sextant  de  M.  de  Foucauld  !  C'est 
un  véritable  miracle  qu'il  ait  pu  rencontrer  partout  et  tou- 
jours des  caravaniers  aussi  complaisants  ou  aussi  indifi'érents  1 
Mais  le  fait  est  qu'il  vient  placer  sous  nos  yeux  des  itiné- 
raires et  des  abservations  astronomiques  exécutés  d'après 
les  principes  enseignés  à  l'Ecole  de  guerre. 

Ajoutons  tout  de  suite  que  le  rabbin  Mardokhaï  Abi  Sou- 
roûr,  celui-là  même  dont  vous  connaissez  déjà  l'histoire  et 
les  travaux,  a  été  le  compagnon  constant  du  vicomte  de 
Foucauld.  Celte  association  qui,  dans  l'espèce,  était  un 
passe-partout  nécessaire,  a  coûté  à  l'explorateur  bien  autre 
chose  que  les  270  francs  de  gages  mensuels  convenus;  les 
défauts  de  caractère  prennent  des  proportions  inouïes  quand 


320  RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  IPRIX  ANIfUEL. 

on  se  trouve  dans  risolement,  et  vous  permettrez  à  votre 
rapporteur  de  déclarer  à  la  louange  de  M.  de  Foucauld, 
expérience  faite  en  Seine-et-OisCy  que  le  rabbin  Mardochée 
n'est  pas  toujours  un  auxiliaire  agréable  et  commode. 

Yoilà  donc  le  voyageur  dans  son  bien  humble  équipage» 
Voyons  maintenant  où  en  était  la  connaissance  géogra- 
phique du  Maroc  au  moment  où  il  commençait  son  explo— 
ration.  En  1845  un  géographe  aussi  savant  que  conscien- 
cieux, M.  Ëmilien  Renou,  avait  donné  une  première  carte 
générale  du  Maroc,  au  \l%  000,000%  qui  a  encore  sa  valeur 
aujourd'hui;  trois  ans  plus  tard  le  capitaine  Beaudoin,  dis- 
posant de  renseignements  uouveaux^refaisait,  pour  le  Dépôt 
de  la  guerre,  le  même  travail,  à  Téchelle  du  1/1,500,000*. 
Utilisant  tous  les  documents  et  tous  les  renseignements 
qu'ils  avaient  pu  se  procurer,  ces  deux  géographes  français  • 
avaient  livré  les  modèles  de  toutes  les  cartes  générales 
qui  ont  été  publiées  pendant  les  trente-cinq  années  sui- 
vantes. Mais  le  nombre  des  itinéraires  et  des  détermina- 
tions de  positions  s'est  accru  entre  temps,  et  le  20  juin 
1883,  quand  M.  le  vicomte  de  Foucauld  commençait  à 
Tanger  son  voyage  d'exploration,  les  cartographes  avaient  à 
leur  disposition  12208  kilomètres  d'itinéraires  jalonnés  de^ 
bien  rares  déterminations  de  latitude  et  de  déterminations 
de  longitude  plus  rares  encore  ;  on  n'avait  fait  de  géographie^ 
astronomique  que  sur  une  vingtaine  de  points  dans  l'intérieur 
de  l'empire.  Ajoutons  qu'ici  la  France  ne  s'était  laissée  distan- 
cer par  personne,  et  que  des  vingt  et  un  auteurs  d'itinéraires 
au  Maroc,  seize  étaient  des  Français;  que  sur  le  nombre  des 
kilomètres  levés,  9232  l'avaient  été  tant  par  nos  propres 
compatriotes  que  par  deux  étrangers  patronnés  et  subven- 
tionnés par  le  gouvernement  français  (Badia  y  Leblich)  ou 
par  la  Société  de  géographie  de  Paris  (Mardochée). 

En  onze  mois,  du  20  juin  au  23  mai  1884,  un  seul  homme^ 
M.  le  vicomte  de  Foucauld,  a  doublé  pour  le  moins  la  lon- 
gueur des  itinéraires  soigneusement  levés  au  Maroc.  U,^ 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.  3îi 

repris,  en  les  perfectionnant, 689  kilomètres  des  travaux  de 
ses  devanciers,  et  il  y  a  ajouté  2250  kilomètres  nouveaux. 
Pour  ce  qui  est  de  la  géographie  astronomique,  il  a  déter- 
miné quarante-cinq  longitudes  et  quarante  latitudes;  et  \k 
où  nous  ne  possédions  que  des  altitudes  se  chiffrant  par 
quelques  dizaines,  il  nous  en  apporte  trois  mille.  C'est  vrai- 
ment, vous  le  comprenez,  une  ère  nouvelle  qui  s'ouvre,, 
grâce  à  M.  de  Foucauld,  dans  la  connaissance  géographique 
du  Maroc,  et  on  ne  sait  ce  qu'il  faut  le  plus  admirer,  ou  de 
ces  résultats,  si  beaux  et  si  utiles,  ou  du  dévouement,  du 
courage  et  de  l'abnégation  ascétique,  grâce  auxquels  ce 
jeune  officier  français  les  a  obtenus. 

Jetons  un  coup  d'œil  rapide  sur  ces  résultats,  en  envisa- 
geant séparément  les  travaux  de  M.  de  Foucauld  au  nord 
de  la  chaîne  de  l'Atlas,  puis  ceux  qu'il  a  faits  dans  l'Atlas 
même,  et  enfin  ce  qu'il  ajoute  à  notre  connaissance  des 
contrées  au  sud  de  cette  chaîne. 

Partant  de  Tanger  le  20  juin  1883,  il  fait  d'abord  une 
pointe;  par  Tétouân,  au  sud-ouest,  jusqu'à  Ghichawân  où 
commence  le  territoire  des  Berbères  indépendants  du  Rîf, 
populations  guerrières  dont  les  tendances  fanatiques  sont 
excitées,  ici  dans  l'ouest  du  pays,  par  les  chorfâ  (pi.  de 
Gherîf)  marocains.  Il  est  là,  déjà  à  60  kilomètres  deTétouân, 
sur  un  terrain  nouveau  pour  la  géographie,  quoique  les  na- 
turalistes, Hooker,  Bail  et  Maw,  eussent  poussé  jusqu'à 
Ghichawân  leur  exploration  géologique  et  botanique.  Le 
projet  de  M.  dé  Foucauld  d'atteindre  Fâs  directement  en 
partant  de  Ghichawân,  et  en  levant  un  itinéraire  des  plus 
précieux,  échoue  devant  l'impossibilité  môme  pour  les  indi- 
gènes musulmans  de  traverser  les  territoires  de  tribus  pil- 
lardes, indépendantes,  les  Ghezâwa,  les  Benî-Hamed  et  les 
Rehôma.  Il  revient  à  Tétouân  et  relie  directement  cette 
ville  à  El  Qaçar  El-Kebtr  par  un  chemin  nouveau,  traversant 
un  pays  dont  la  population  nomade,  de  race  arabe,  est  assez 
dense. 


322  BAPPORT  SUR  LE  C03fC0€RS  AU  PRIX  AHRUEL. 

De  là  àTAs  et  à  Sefero,  il  ne  fait  qae  compléter  les  ob- 
senrations  topographiqaes  de  ses  devanciers. 

Il  y  a  de  cela  quatre  ans,  an  officier  anglais,  le  capitaine 
Golville,  accompagné  de  sa  jeune  et  conragease  éponse,  fai- 
sait le  voyage  de  Fàs  à  Oadjeda  et  rapportait  le  premier 
itinéraire  détaillé  fait  dans  cette  partie  dn  Maroc  qai  touche 
i  TAlgérie,  car  son  prédécesseur,  le  célèbre  espagnol  Badia 
y  Leblicb,  s'était  appliqué  principalement  aux  détermina- 
tions astronomiques.  A  son  tour,  M.  de  Foucauld  s'enfonce 
dans  le  dangereux  pays  à  Test  de  Fâs  et  il  trace  jusqu'à 
Tâza  deux  itinéraires  qui  fixent  pour  la  première  fois  la 
configuration  du  cours  et  du  bassin  de  TOuàd  Jennawen, 
qui  n'est  autre  chose  que  le  haut  Seboû.  Sans  doute  le  voya- 
geur voudra  bien  vous  communiquer  lui-même  les  obser- 
vations qu'il  a  faites  dans  cette  contrée,  où  les  tribus  arabes 
des  Ghiâta  et  même  des  Hiyalna  ne  laissent  guère  d'autre 
liberté  au  représentant  du  sultan,  le  gouverneur  de  Tâza, 
que  celle  de  végéter  prisonnier  dans  sa  citadelle. 

Mentionnons  pour  mémoire  le  trajet  de  Fâs  à  Meknâs 
(Méquinez),  route  tant  de  fois  parcourue  qu'à  peine  un 
explorateur  aussi  sérieux  pouvait-il  y  compléter  les  notions 
acquises. 

Mais  à  Meknas  précisément,  commence  une  des  parties 
les  plus  nouvelles  et  les  plus  intéressantes  du  voyage  de 
M.  de  Foucauld;  de  là  jusqu'à  près  de  cinq  degrés  plus  au 
sud,  son  itinéraire  est  à  proprement  parler  celui  d'un  voyage 
de  découverte  dans  la  province  de  Tâdela  (ici  déjà  l'expres- 
sion administrative  est  illusoire),  et  plus  au  sud,  dans  le 
territoire  parfaitement  indépendant  des  Berbères.  Pour 
rester  fidèle  à  notre  programme  nous  considérerons  main- 
tenant le  pays  jusqu'à  Qaçba  Beni-Mellàd  (aussi  nommé 
Qaçba-Bel-Kouch),  où  commencent  les  premiers  plis  du 
soulèvement  de  l'Atlas.  Il  se  présente  d'abord  avec  une 
surface  accidentée,  puis  il  devient  montagneux  et  ici 
les  montagnes  sont  boisées.  A  20  kilomètres  de  Boû-El- 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.     323 

Dja'd,  le  voyageur  entre  dans  la  plaine  pierreuse  et  aride  de 
Tâdela,  qui  s'étend  au  sud,  montrant  des  signes  de  fertilité 
quand  on  se  rapproche  de  TOuâd  Oiimm  Er-Rebîa'  sur 
lequel  est  bâti  la  Qaçba  de  Tâdela,à  l'intérieur  des  murs  de 
laquelle  le  sultan  est  obéi  par  un  qâïd  si  désœuvré  par 
suite  de  Finsoumission  de  ses  prétendus  administrés  qu'il 
passe  ses  journées  à  réciter  son  chapelet.  Entre  la  Qaçba  de 
Tâdela  et  la  Qaçba  Bel  Koûch,  ou  Qabça  Benî  Mellâl,  bâtie 
au  pied  d'une  première  chaîne  dépendant  de  l'Atlas,  on 
passe  dans  un  pays  bien  arrosé,  couvert  de  cultures,  de  jar- 
dins et  de  villages.  —  Toute  cette  partie  du  voyage  est 
entièrement  nouvelle. 

Beaucoup  plus  à  l'est,  au  retour,  en  rerttrant  en  Algérie, 
M.  de  Foncauld  a  relevé,  entre  Debdou  et  Oudjeda,  une  autre 
partie  de  la  même  zone  naturelle. 

Nous  arrivons  h  TAdrâr-n-Deren,  à  la  chaîne  du  seul 
véritable  grand  Atlas,  et  à  ses  contreforts.  Quiconque  a  jeté 
iine  fois  seulement  les  yeux  sur  la  carte  d'Afrique  a  vu  son 
attention  éveillée  par  les  forts  coups  d'eslompe  qui  y  accu- 
sent avec  fermeté  la  chaîne  de  l'Atlas.  Pour  qui  n'est  pas 
bien  au  courant  de  l'histoire  moderne  de  la  géographie,  la 
sûreté  du  dessin  rassure  l'esprit,  et  on  se  croit  là  en  terrain 
à  peu  près  sinon  complètement  connu.  Il  n'en  est  pourtant 
rien.  De  llguîr  Oufrâni,  du  cap  Guîr  de  nos  caries,  à  la 
frontière  de  l'Algérie,  le  soulèvement  du  grand  Atlas  me- 
sure, vous  le  savez,  une  longueur  de  700  kilomètres.  Eh 
bien,  sur  ce  long  développement  de  la  chaîne,  les  itiné- 
raires de  tous  les  voyageurs  européens  n'avaient  encore 
traversé  et  fixé  que  quatre  cols,  en  comprenant  le  col  qui 
touche  au  rivage  de  l'Océan  :  Tizînt  El-Rioût,  Ta  gherot, 
*Onq  El-Djemel  et  le  col  sur  l'Iguîr  Oufrâni  (cap  Guîr). 
Après  René  Caillîé  et  Gérard  Rohifs,  M.  le  vicomte  de  Fou- 
cauld  lui  aussi  a  passé  par  le  Tizînt  El-Rioût;  il  est  le  pre- 
mier explorateur  qui  ait  franchi  et  mesuré  le  Tîzi-n-Gue- 
lâtvi,  àTesl-sud-est  de  Merâkech.  Ses  observations  du  haro- 


324  RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

mètre  nous  apportent  donc  les  altitudes  de  deux  cols  dans 
l'arête  mattresse  de  TÂtlas;  ces  chiffres  sont  les  premiers 
que  nous  possédions,  ni  Rohlfs  ni  Lenz,  qui  avaient  pour- 
tant des  baromètres,  n'ayant  fait  d'observations  sur  les 
points  culminants  de  leurs  deux  itinéraires  dans  le  Maroc. 
De  plus,  sur  une  longueur  de  300  kilomètres  au  moins,  les 
itinéraires  de  M.  le  vicomte  de  Foucauld  passent  à  une  dis- 
tance de  TAtlas  qui  permettait  de  déterminer  sur  la  carte 
la  direction  de  la  chaîne. 

Mais  à  50  kilomètres,  dans  le  nord,  à  150  et  à  200 
kilomètres  dans  le  sud,  cette  arête  maîtresse  est  flan- 
quée de  chaînes  parallèles  dont  le  tracé  sur  la  carte  de 
M.  de  [Foucauld  est  tout  une  révélation.  Malgré  le  soin 
apporté  par  les  géographes  les  plus  habiles,  aucun  d'eux 
jusqu'ici  n'avait  trouvé  dans  les  observations  et  les  rensei- 
gnements des  voyageurs  assez  de  données  pour  débrouiller 
ce  qui  était  resté  souvent  un  chaos,  un  enchevêtrement 
presque  fantastique  de  sierras  anamostomosées.  M.  de  Fou- 
cauld rectifie  et  simplifie  tout  cela  d'après  ce  qu'il  a  vu  et 
observé,  et  les  géographes  ne  seront  peut-être  pas  seuls  à 
s'en  réjouir,  les  géologues  eux  aussi  en  éprouveront  de  la 
satisfaction.  Au  nord  de  l'Atlas  court,  nous  le  savons  main- 
tenant, une  chaîne  de  300  kilomètres,  qui  prend  les  noms 
de  Djebel  Alt  Seri  et  de  Djebel  Benî.Ouaghaîn;  au  sud,  c'est 
d'abord  le  petit  Atlas,  Tanti-Atlas  de  la  carte  de  Lenz,  avec 
son  prolongement  oriental,  le  Djebel  Sagherou,  et  enfin, 
encore  plus  au  sud,  le  Djebel  Banî,  dont  le  rabbin  Mardo- 
chée  nous  avait  appris  le  nom,  et  que  Lenz  a  coupé  sans 
s'inquiéter  de  ce  nom. 

Votre  rapporteur  devine  que  vous  voudriez  bien  entendre 
aujourd'hui  autre  chose  que  le  résumé  aride  des  décou- 
vertes purement  géographiques  de  M.  de  Foucauld,  que 
l'état  des  populations  au  sein  desquelles  il  a  voyagé  vous 
intéresse  aussi,  car  l'homme  se  préoccupe  toujours  d'abord 
4e  son  semblable.  Sur  ce  point  la  moisson  de  M.  de  Fou- 


RAPPORT  SUR  Lfi  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.  325 

cauld  est  extrêmement  riche,  mais  mieux  vaut  lui  laisser, 
à  lui,  qui  a  vu,  qui  a  senti,  qui  a  souffert,  Thonneur  de 
^satisfaire  votre  légitime  curiosité.  A  lui  donc,  dans  une 
auire  séance,  de  vous  peindre  les  mœurs  et  la  politique 
des  Imaztghen,  de  ces  montagnards  berbères  de  TAtlas, 
avec  lesquels,  jusqu'à  ce  jour,  personne  n'a  fait  une  con- 
naissance aussi  intime.  Il  vous  montrera  les  Âît  Atta  d*A- 
melou,  et  tous  les  Imazîghen  à  Test  de  Tizi-n-Guelàwi, 
vivant  dans  des  villages  dont  chacun  est  dominé  par  un 
château  fort  où  les  villageois  emmagasinent  leurs  récoltes 
(cette  coutume  existe  aussi  dans  le  Djabel  Nefoma,  en  Tri- 
politaine,  où  j'ai  pu  l'observer);  il  vous  montrera  au  con- 
traire les  Imazîghen  de  la  région  entre  Tizt-n-6uelàwi  et 
rOcéan  groupant  leurs  villages  autour  d'un  centre  fortifié, 
qui  reçoit  les  récoltes  de  tout  un  canton.  Au  point  de  vue 
de  l'administration  que  se  sont  donnée  ces  tribus  berbères 
indépendantes,  il  vous  fera  distinguer  deux  groupes  de  po- 
pulation :  celles  du  nord,  organisées  en  démocraties  et 
ennemies  de  la  centralisation,  où  chaque  fraction  de  tribu 
obéit  et  obéit  exclusivement  à  l'assemblée  de  ses  notables  ; 
celles  du  sud,  qui  ont  adopté  un  régime  mixte  entre  celui 
des  communes  et  celui  de  la  féodalité,  et  qui  se  sont  donné 
des  cheikhs  héréditaires,  dont  quelques-uns  bravent  le 
sultan  et  pourraient  fort  bien  s'approprier  la  fière  devise  d'un 
haut  baron  français  du  temps  passé  : 


Roi  ne  suis,  ne  duc,  ne  comte  aussy  ; 
Je  suis  le  sire  de  Coucy, 


Ces  sires  de  Tikirt,  de  Tazenakht,  et  cœtera,  ont  des  ré- 
sidences fortifiées,  aux  murs  flanqués  de  quinze  à  vingt 
tours.  Leurs  vassaux  aussi  sont  loin  d'inspirer  la  pitié,  car 
ils  vivent  dans  des  maisons  à  un  ou  deux  étages,  construites 
en  pisé  épais  et  solide,  et  dont  les  murailles  extérieures  sont 
ornées  de  moulures. 


326     RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

Un  peu  au  sud  et  au  nord  du  30*  degré  de  latitude,  l'a- 
rêtedu  petit  Atlas  marque  une  division  tranchée.  Au  nord  de 
cette  chaîne,  nous  apprend  M.  de  Foucauld,  on  est  encore 
dans  la  zone  tempérée;  la  flore  dans  ses  traits  généraux rap* 
pelle  celle  du  midi  de  TEurope.  Le  versant  sud  du  petit  Atlas 
est  déjà  dans  la  zone  saharienne  caractérisée  par  un  climatà 
extrêmes.  Ici,  le  dattier  et  les  acacias  à  gomme  remplacent 
le  figuier,  ramandier,  le  grenadier,  Tolivier  et  môme  le 
noyer  du  versant  septentrional  et  de  la  région  plus  au  nord. 
Le  dattier,  il  est  vrai,  cet  arbre  cultivé,  n'existe  que  dans 
les  vallées  que  la  fonte  des  neiges  et  les  pluies  de  l'Atlas 
viennent  mouiller  de  temps  en  temps  ;  Tacacia  à  gomme  se 
trouve  de  loin  en  loin  sur  les  plaines  d'un  sable  blanc. 
Quant  à  l'eau,  on  est  réduit  à  celle  de  sources  cachées  sous 
le  sable. 

Au  milieu  de  cette  plaine  M.  de  Foucauld  trace,  d'après 
ses  observations,  une  bien  singulière  montagne,  longue  de 
500  kilomètres,  le  Djebel  Banî,  dont  je  mentionnais,  tout  à 
l'heure,  l'alignement  parallèle  avec  l'Atlas.  C'est,  dit  le 
voyageur,  une  simple  arête  rocheuse,  tranchante  au  som-  ' 
met,  épaisse  d'un  kilomètre  à  la  base,  et  haute  de  200  à 
300  mètres,  au  sud  de  laquelle  court  la  partie  inférieure  de 
rOuâdi  Dhera'a,  le  fleuve  le  plus  important  de  ce  que  nous 
appelons  le  Maroc,  si  l'on  ne  mesure  que  la  longueur  du 
cours,  mais  malheureusement,  fleuve  sans  eau.  Une  arête 
rocheuse,  un  long  tesson,  comme  le  Djebel  Bant  ne  peut 
naturellement  pas  fournir  une  quantité  appréciable  d'eau  à 
un  fleuve;  aussi  les  trois  affluents  nord  de  TOuâdi  Dhera'a, 
que  M.  de  Foucauld  a  relevés,  descendent-ils  du  petit  Atlas 
et  traversent-ils  le  Djebel  Banî  par  autant  de  brèches  de 
cette  étrange  digue  naturelle.  Au  sud  de  chacune  de  ces 
brèches  (le  mot  cassure  serait  peut-être  plus  exact)  on 
trouve,  sous  la  montagne,  de  belles  oasis:  c'est  Tissint, 
c'est  Tatta,  c'est  Aqqa,  patrie  du  rabbin  Mardochée«  Et 
M.  de  Foucauld  ne  nous  fait  pas  attendre  l'explication  du 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.      327 

phénomène  :  les  affluents  nord  de  ce  fleuve  mort^  TOuàdi 
'Dhera'dy  sonl  de  belles  rivières  d'eau  courant  à  plein  bord. 
Telle  est  la  puissance  du  climat  du  Sahara  !  Le  lit  de  TOuàdi 
Dhera'a,  large  de  4  kilomètres,  a  tellement  soif,  que  l'apport 
permanent  de  ces  rivières  ne  sert  qu'à  lui  conserver  de  la 
fertilité.  Pour  que  cette  vallée  redevienne  le  fleuve  que  les 
Romains  ont  counu,  sous  lé  nom  de  Darat,  lorsque  ve- 
naient s'y  désaltérer  et  s'y  baigner  les  éléphadts  dont  les 
figures  sont  gravées  sur  le  Djebel  Tabayoudt,  excroissance 
dans  la  chaîne  du  Bani,  il  faut  ou  bien  une  fonte  subite  des 
neiges  du  Djebel  Dàdès  et  du  Djebel  Guelâwi,  ou  bien  des 
pluies  torrentielles  continues  dans  les  parties  de  l'Atlas  que 
nous  venons  de  nommer.  Alors,  pendant  deux  ou  trois  jours, 
la  vallée  est  entièrement  inondée,  et  le  voyageur  assez  heu- 
reux pour  que  son  passage  coïncide  avec  une  de  ces  crues 
aurait  sous  les  yeux  un  cours  d'eau  de  3  ou  4  kilomètres  de 
large. 

Au  mois  de  décembre  1883,  le  vicomte  de  Foucauld  tou- 
chait le  Dhera'a,  au  sud  deTatta.  Quelque  temps  après  il 
le  revoyait,  loin  dans  le  nord-est  de  ce  point,  dans  le  dis- 
trict de  Mezguîta,  et  là,  sous  le  Djebel  Sagherou,  c'est  un 
beau  et  large  fleuve  permanent,  coulant  avec  une  rapidité 
moyenne  au  milieu  de  plantations  de  dattiers;  je  no  résiste 
pas  au  plaisir  de  vous  faire  part  d'une  découverte  que 
M.  de  Foucauld  m'a  fait  faire.  Son  itinéraire  reporte  d'un  de- 
gré plein,  vers  l'ouest,  le  tracé  de  cette  partie  du  cours  du 
fleuve  telle  qu'elle  est  indiquée  sur  la  carte  du  doc- 
teur Rohlfs,  et  bien  que  les  deux  voyageurs  n'aient  pas 
touché  le  môme  point  de  TOuàdi  Dhera'a,  la  correction  si 
importante  que  je  signale  pourra  sans  doute  être  utilisée 
pour  redresser  l'itinéraire  même  du  docteur  allemand. 

Toute  la  partie  haute  de  l'Ouàdi  Dhera'a  est  constellée 
de  villages,  peuplés  d'Imazîghen  et  de  subéthiopiens,  de  ces 
noirs,  indigènes  du  Sahara  et  parlant  aujourd'hui  la  langue 
berbère. 


328     RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

Plus  haut  encore  en  remontant  vers  le  nord,  le  voyageur 
français  arrive  dans  le  canton  populeux  de  Dâdès,  arrose 
par  un  affluent  du  Dhera'a.  Ici  déjà  on  entre  dans  le  domaine 
des  AU  Attâ,  l'un  des  deux  grands  groupçs  formant  la 
fameuse  confédération  des  Berâber,  dont  le  nom  dispense 
d'ajouter  qu'ils  sont  de  race  berbère*  De  toutes  les  tribus 
de  cette  expression  géographique,  le  Maroc,  les  Berâber 
sont  la  plus  nombreuse,  la  plus  belliqueuse  et  à  la  fois  la 
plus  riche,  ce  qui  indiquerait  qu'ils  ne  méprisent  ni  les 
travaux  des  champs  et  de  l'industrie,  ni  le  coiûmerce,  car 
chacun  sait  que  la  guerre  et  le  pillage  ne  sont  jamais  les 
sources  d'une  fortune  durable  pour  un^peuple. 

Toujours  en  terrain  neuf,  M.  de  Foucauld  continue  sa 
route  sur  Todegha,  Ferkela  et  Gherîs,  trois  oasis  qui  dans 
son  langage  imagé  «  s'allongent  comme  trois  tronçons  de 
serpent  »  dans  les  lits  de  cours  d'eau  affluents  du  Zîz.  11 
entre  donc  là  dans  le  bassin  hydrographique  à  l'extrémité 
sud  duquel  s'épanouit  le  Tafîlelt,  le  berceau  de  la  dynastie 
marocaine  régnante,  le  lieu  d'exil  pour  ceux  de  la  famille 
impériale  qui  pourraient  devenir  des  prétendants,  le  groupe 
d'oasis  célèbre,  dans  une  vaste  partie  de  l'Afrique,  pour  les 
cuirs  qu'on  y  prépare  avec  une  grande  perfection. 

Plus  loin  encore,  notre  hardi  et  méritant  explorateur 
touche,  à  Qeçar  Es-Soûq,  le  cours  supérieur  de  l'Ouâd  Ziz, 
séparé  de  ses  premiers  affluents  par  un  désert  des  plus 
arides.  Qeçar  Es-Soûq  fait  partie  de  loasis  de  Medghâra  ou 
Medâghra,  où  M.  de  Foucauld  tombe  sur  les  traces  de  René 
Caillé  et  du  deuxième  voyage  du  docteur  Rohlfs,  qu'il  ne 
quittera  qu'au  col  de  Telghemt,  ou  Tissint  Er-Rioût,  comme 
l'appelle  Rohlfs,  au  moment  où  il  traversera  une  dernière 
fois  le  grand  Atlas.  C'est  ici  seulement  que  finit  dans  la 
direction  du  nord-est  le  territoire  des  Berâber,  et  que  com- 
mence celui  des  Aït  Ou  Afella,  tribu  d'Imazîghen  que  nous 
aurons  la  surprise  de  compter  parmi  les  loyaux  sujets  du 
sultan  du  Maroc.  Du  col  de  Telghemt,  où  l'Atlas  n'accuse 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.  329 

que  1700  mètres  d'altitude,  M.  de  Foucauld  peut  laisser 
planer  sa  vue  sur  la  vaste  plaine  de  la  Moloûya,  de  ce  fleuve 
qui  aurait  formé  une  frontière  si  commode  et  si  naturelle 
de  rÂlgérie,  si  l'État  voisin,  du  côté  de  l'ouest,  avait  la 
puissance  voulue  pour  la  faire  respecter  de  ses  nationaux* 

M.  de  Foucauld  touche  la  Moloûya  à  Aqçâbi  Ech-Ghorfà 
(c'est-à-dire  les  citadelles  des  chérifs),  où  un  qâïd  marocain 
est  gardé  par  une  centaine  de  soldats  avec  deux  canons. 
Grâce  à  cette  force  le  représentant  du  sultan  se  fait  obéir 
dans  un  rayon  d'une  vingtaine  de  kilomètres,  au  delà  des- 
quels on  retrouve,  comme  presque  partout,  des  tribus  bel 
et  bien  libres  de  toute  attache  gouvernementale. 

Avec  le  bassin  de  la  Moloûya  notre  vaillant  explorateur 
trouve,  sur  le  versant  nord  de  l'Atlas,  d'abord  une  région 
dont  la  flore  rappelle  la  nature  des  hauts  plateaux  d'Algérie. 
Bientôt  des  groupes  de  villages,  des  forêts  d'oliviers  et  de 
pommiers  et  de  splendides  cultures  accusent  une  transition 
rapide  à  la  région  de  Tell,  autrement  dit  aux  conditions 
naturelles  qui  font,  de  l'autre  côté  de  la  Méditerranée,  la 
richesse  de  notre  Provence. 

J'abrège,  car  il  y  a  beaucoup  à  garder  dans  les  résultats 
de  la  dernière  partie  du  voyage,  chez  les  Oulâd  El  Hâdj  et 
de  là  à  la  ville  algérienne  de  LâUa  Maghnîga  en  passant  par 
Debdou  et  Oudjeda,  c'est-à-dire  sur  un  terrain  qui  touche 
aux  dernières  reconnaissances  faites  lors  de  l'expédition  du 
général  de  Marti mprey  contre  les  Benî  Senâsen  (1859).  Le 
21  mai  1884,  M.  le  vicomte  de  Foucauld  mettait  le  pied 
en  Algérie  après  avoir  traversé  le  Maroc  du  nord  au 
sud,  et  du  sud-ouest  au  nord-est.  Sacrifiant  bien  autre 
chose  que  ses  aises,  ayant  fait  et  tenu  jusqu'au  bout  bien 
plus  qu'un  vœu  de  pauvreté  et  de  misère,  ayant  renoncé, 
pendant  près  d'un  an,. aux  égards  qui  sont  les  apanages  de 
son  grade  dans  l'armée,  et  s'étant  consolé  en  recueillant  les 
seuls  et  rares  témoignages  de  bienveillance  auxquels  un 
cai;actère  heureux    pouvait    lui     donner  quelque  droit, 

soc.  DE  6É0GR.  —  3*  TRIMESTRE  1885.  Tl.  —  23 


330         RAPPORT  SDR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

même  chez  des  peuples  sauvages,  il  nous  avait  conquis  des 
renseignements  très  nombreux,  très  précis,  qui  renouvel- 
lent littéralement  la  connaissance  géographique  et  politique 
presque  tout  entière  du  Maroc.  C'est  là,  disons-le  haute- 
ment, un  mérite  peu  ordinaire,  que  ne  récompenserait  pas 
trop,  à  l'avis  de  votre  rapporteur,  la  plus  haute  distinction 
que  nous  ayons  à  décerner.  Mais  notre  Société  ne  doit 
jamais  oublier  son  caractère  universel  et  international; 
elle  a  dû  tenir  compte  des  mérites  d'autres  lutteurs  qui 
venaient  concourir  à  ses  récompenses  et,  forcée  cette 
année-ci  de  ne  pas  choisir  entre  trois  concurrents  qu'elle 
estime  être  égaux  en  mérites,  elle  a  transformé  cette  récom- 
pense en  plusieurs  médailles  d'or,  dont  elle  attribue  la  pre- 
mière à  M.  le  vicomte  de  Foucauld. 

M.    VICTOR   GIRAUD 
M.  Alfred  Grandidier,  rapporteur 

aiédaille  d^or 

Votre  Commission  des  prix  a  (Jécerné  une  médaille  d'or 
à  M.  Victor  Giraud  pour  son  voyage  aux  lacs  Bangouéolo 
et  Moéro.  —  Vous  connaissez  les  résultats  très  importants 
de  ce  voyage.  M.  Giraud  vous  en  a  fait  le  récit  tout  récem- 
ment à  la  Sorbonne,  au  milieu  de  vos  applaudissements  ;  il 
vous  a  dit  quels  dangers  il  a  courus,  quelles  fatigues  il  a 
eu  à  supporter,  quelles  difficultés  il  lui  a  fallu  surmonter 
pour  le  mener  à  bonne  fin,  dans  le  but  très  louable  d'acqué- 
rir des  connaissances  nouvelles  pour  la  géographie. 

Il  n'y  a  pas  longtemps,  il  y  a  vingt-sept  ans  seulement, 
l'Afrique  équatoriaie  nous  était  totalement  inconnue.  Ce 
n'est  en  effet  qu'à  partir  de  1857  que  ce  territoire  redou- 
table, attaqué  de  tous  côtés  avec  succès,  a  appelé  l'attention 
du  monde  civilisé.  Depuis  cette  époque,  tour  à  tour,  Bur- 
ton,  Speke,  Grant,  Baker,  Gessi,  Chaillé-Long,  de  Linant, 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.     331 

Piaggia^  Mason,  Schnitzler  ont  exploré  la  région  des  lacs  ; 
Cameron,  Stanley  et  Serpa  Pinto  ont  traversé  le  continent 
de  part  en  part;  Livingstone,  Young,  Gotteril  et  Thompson 
nous  ont  fait  connaître  le  Nyassa  et  les  pays  limitrophes  ; 
Livingstone,  enfin,  a  passé  les  dernières  années  de  sa  vie 
aux  environs  des  lacs  Bangouéolo  et  Moéro.  Grâce  aux 
efforts  répétés  de  tous  ces  hardis  voyageurs,  les  traits  géné- 
raux de  l'orographie  de  l'Afrique  orientale  sont  aujourd'hui 
fixés,  le  contour  des  lacs  principaux  est  arrêté,  et  on  con- 
naît les  limites  des  bassins  de  ses  trois  grands  fleuves  :  le 
Zambèse  dans  lequel  le  Nyassa  déverse  ses  eaux  par  le 
Chiré,  le  Congo  qui  traverse  les  lacs  Bangouéolo  et  Moéro 
et  est  relié  au  Tanganika  par  le  Loukouga,  le  Nil  qui  sort 
des  lacs  Oukéréoué  et  Mwoutan.  Il  reste  cependant  beau- 
<;oup  à  faire  et  il  y  a  encore  de  vastes  espaces  qui  réservent 
aux  futurs  explorateurs  une  ample  moisson  de  découvertes. 
Ainsi,  le  territoire  situé  dans  le  sud-ouest  du  Tanganika,  où 
le  Congo  prend  sa  source,  était  à  peu  près  inconnu  jusqu'à 
ce  jour.  Seul,  comme  nous  l'avons  dit,  Livingstone  y  avait 
poussé  plusieurs  reconnaissances  qui  lui  avaient  révélé 
l'existence  des  deux  lacs  Bangouélo  et  Moéro  et  de  la  rivière 
Tchambézi,  la  source  du  Congo.  Malheureusement,  en 
1873,  la  mort  à  arrêté  ce  grand  voyageur  au  milieu  de  ses 
recherches  si  intéressantes  pour  la  science,  si  utiles  pour 
l'humanité. 

M.  Giraud  a  repris  l'œuvre  laissée  inachevée  par  Livings- 
tone et  il  nous  rapporte  des  documents  précieux  pour  la 
géographie  de  l'Afrique.  Parti  de  la  côte  orientale  le  17  dé- 
cembre 1882,  il  s'est  dirigé  vers  le  sud-ouest,  marchant 
d'abord  à  travers  une  grande  plaine,  puis  au  milieu  de  mon- 
tagnes dont  les  eaux  se  déversent  soit  vers  le  sud  dans  le 
Rufigi,  soil^  vers  le  nord  dans  le  Kingani;  au  sortir  de  l'Ou- 
sagara,  après  avoir  traversé  le  Rua  ha,  par  le  33®  degré  de 
longitude,  notre  voyageur  a  trouvé  un  grand  plateau,  coupé 
de  rivières  tributaires  du  lac  Nyassa  et  de  vastes  marais,  au 


332  RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

delà  duquel  il  a  franchi  non  sans  de  grandes  difficullés  les 
montagnes  de  Livingslone,  qui,  hautes  de  3  à  4000  mètres, 
limitent  au  nord  la  dépression  oii  s'étale  le  lac  Nyassa. 
C'était  en  pleine  saison  pluvieuse,  et  il  n'est  ni  aisé  ni 
agréable   de    mener   une  caravane  à  travers    ces  mon- 
tagnes abruptes  oh  il  lui  fallut,  pendant  trente  jours, 
monter   et   descendre,  sans  trêve   ni    repos,  sous    une 
pluie  continue  et  torrentielle.  Il  y  avait  quatre  mois  que 
M*  Giraud  avait  quitté  la  côte  lorsqu'il  est  arrivé  à  la  pointe 
nord  du  Ikc  Nyassa.  Son  itinéraire,  qui  s'appuie  sur  plu- 
sieurs latitudes  prises  au  sextant,  s'écarte  peu  de  celui  de 
M.  Thompson  ;'  il  nous  fournit  néanmoins  des  renseignements 
intéressants  et  précis  sur  cette  partie  de  l'Afrique  qui  est 
encore  peu  connue,  soit  en  contrôlant,  soit  en  rectifiant 
ceux  de  son  devancier..  —  Les  monts  Livingstone  franchis, 
M.  Giraud  est  entré  en  pays  inconnu.  Le  vaste  territoire  de 
dix  mille  lieues  carrées  qui  s'étend  entre  les  lacs  Ban- 
gouéolo,  Moéro,  Tanganika  et  Nyassa,  l'ITemba,  n'avait 
encore  été  traversé  que  par  Livingstone  du  nord  au  sud,  par 
une  route  toute  différente  de  celle  qu'a  ouverte  M.  Giraud 
de  l'est  à  l'ouest.  Les  renseignements  que  nous  rapporte  ce 
hardi  voyageur  sur  cette  région  sont  précieux.  Certes,  il  ne 
nous  la  peint  pas  sous  des  couleurs  riantes  :  c'est  un  vaste 
plateau  ondulé,  dont  l'horizon,  monotone  et  vulgaire,  n'a 
rien  d'enchanteur,  qui  est  couvert  d'arbustes  rachitiques 
embarrassant  la  marche  du  voyageur  sans  le  garantir  des 
rayons  brûlants  du  soleil,  et  qu'habite  une  population  sau- 
vage, peu  nombreuse  et  d'un  physique  repoussant.  Mais,  au 
point  de  vue  géographique,  il  a  fait  des  découvertes  impor- 
tantes qui  modifient  la  carte  de  cette  partie  de  l'Afrique. 
Ainsi,  il  nous  apprend  que,  contrairement  à  ce  que  Ton 
croyait,  il  n'y  a  pas  de  hautes  montagnes  dans  les  États  de 
Mamboué  et  d'Uemba,  que  le  Congo  prend  sa  source  tout 
près  de  la  pointe  sud  du  lac  Tanganika,  beaucoup  plus  près 
que  ne  l'avait  indiqué  Livingstone,  et  qu'au  lieu  de  couler 


RAPPORT  SDR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.     333 

directement  vers  le  sud-ouest,  il  se  dirige  d*abord  vers  le 
sud-est,  puis  s'infléchit  brusquement  pour  gagner  le  lac 
Bangouéolo  d'où  il  sort  par  la  pointe  méridionale  et  non 
pas  par  la  pointe  occidentale;  il  nous  apprend  que  ce  iac 
entrevu  par  Livingstone,  mais  sur  lequel  nous  n'avions 
aucune  donnée  précise,  ne  s'étend  pas  de  Test  à  l'ouest, 
comme  l'indiquent  les  cartes,  mais  est  allongé  du  nord  au 
sud,  comme  tous  ceux  de  cette  région,  et  qu'aucune  chaîne 
ne  limite  son  bassin  ni  au  sud  ni  à  l'ouest  ;  il  ne  rectifie  pas 
seulement  la  forme  et  la  grandeur  du  lac  Bangouéolo,  mais 
aussi  sa  position  qui  était  beaucoup  trop  occidentale.  Enfin, 
grâce  à  lui,  nous  avons  pour  la  première  fois  le  tracé  exact 
du  bas-cours  du  Louapoula  et  de  la  côte  orientale  du  lac 
Moéro. 

Je  ne  puis,  dans  ce  rapport  très  sommaire,  vous  exposer 
en  détail  toutes  les  découvertes  que  M.  Giraud  a  faites  et 
dont  la  science  géographique  tirera  un  grand  profit  ;  ce  que 
je  viens  de  dire  à  la  hâte  suffit  pour  en  montrer  toute  l'im- 
portance. Je  ne  m'étendrai  pas  non  plus  sur  les  événements 
fâcheux  qui  ont  arrêté  notre  vaillant  lauréat  au  milieu  de 
son  voyage  ;  il  nous  en  a  fait  le  récit  dramatique,  il  y  ii 
quelques  jours  à  peine,  et  vous  en  avez  certainement  gardé 
le  souvenir.  Pillé,  abandonné  par  ses  hommes,  en  butte  à 
l'hostilité  des  indigènes  et  des  Arabes,  il  a  dû  à  contre-cœur 
abandonner  le  projet  qu'il  nourrissait  d'aller  plus  avant,  et 
il  est  revenu  à  Quillimane,  en  traversant  le  lac  Nyassa  dans 
toute  sa  longueur  et  descendant  le  Ghiré  et  la  Zambèse.  Le 
15  novembre  1884,  après  deux  années  de  dangers  conti- 
nuels et  de  souffrances  de  toutes  sortes,  physiques  et  mo- 
rales, plus  heureux  que  l'abbé  Debaize  et  tant  d'autres  qui 
ont  payé  de  leur  vie  leur  dévouement  à  la  science,  il  s'est 
retrouvé  sain  et  sauf,  au  bord  de  la  mer. 

Vous  le  voyez,  M.  Giraud  a  acquis  des  titres  sérieux 
à  la  reconnaissance  des  géographes.  L'œuvre  n'est  pas 
aussi    grande    qu'il    l'avait   rêvé.    Gomme    Livingstone, 


334    RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

comme  Stanley,  comme  Cameron,  il  eût  voulu  traverser 
l'Afrique  équatoriale  de  part  en  part;  j'ai  assisté  à  ses  pré- 
paratifs et,  il  y  a  trois  ans,  avant  qu'il  ne  quittât  la  France,, 
j'ai  souvent  eu  l'occasion  de  m'entretenir  avec  lui  de  ses 
projets;  je  puis  dire  que  son  courage  et  son  énergie 
étaient  à  la  hauteur  d'une  entreprise  aussi  hardie.  Il  a  été 
vaincu  par  les  circonstances,  mais,  tel  qu'il  est,  son  voyage 
n'en  a  pas  moins  produit  d'utiles  résultats  et  lui  fait  le  plus 
grand  honneur  ;  il  laissera  sa  trace  dans  l'histoire  de  la  con- 
quête géographique  de  la  Terre. 

Le  courage  et  le  dévouement  que  M;  Giraud,  faisant  bon 
marché  de  sa  vie  et  de  sa  fortune,  a  mis  au  service  de  la 
science  sans  souci  du  bien-être  matériel  ni  des  dangers,  les 
découvertes  importantes  qu'il  a  acquises  au  prix  de  tant  de 
peines  et  de  tant  de  fatigues,  méritaient  une  haute  récom- 
pense, que  votre  Commission  des  prix  a  été  heureuse  de  lui 
décerner  à  l'unanimité  et  que  vous  avez  sanctionnée  à  la 
Sorbonne  par  vos  applaudissements. 

M.    LE   DOCTEUR  PAUL  NEIS 

M.  Dutreuil  de  Rhins^  rapporteur 

Médaille  d'or 

Il  y  aura  bientôt  vingt  ans  que  la  Commission  d'explora- 
tion du  Mékong,  dirigée  successivement  par  Doudart  de  la 
Grée  et  Francis  Garnier,  s'est  illustrée  par  une  de  ces 
entreprises  qu'on  ne  renouvelle  qu'à  de  longs  intervalles. 

En  vain,  depuis  cette  époque,  le  Ministère  de  l'Instruction 
publique  a  songé  à  rouvrir  l'ère  des  grandes  explorations 
dans  rindo-Chine  orientale  qui  nous  intéresse  à  tant  de 
titres.  Diverses  considérations  ont  fait  constamment  ajour- 
ner l'exécution  de  ces  projets  :  il  faudra  encore  bien  des 
années  pour  combler  les  principales  lacunes  de  la  géogra- 
phie indo-chinoise  que  nous  signalions  en  1879. 


BAPPORT  SUR  L£  GONCaUBS  AU  PEUX  AJOTHUBI..  335 

Toutefois,  malgré  taat  de  circonstanees  défavorables^  ni 
la  Société  de  Géographie  ni  les  voyageurs  français  n'ont 
perdu  de  vue  la  grande  péninsule  asiatique. 

A  la  suite  de  M.  Harmand,  votre  lauréat  de  1878,  plu- 
sieurs de  nos  compatriotes  ont  continué  la  série  des  explo- 
rations spéciales  ou  de  détail.  Le  Bulletin  de  la  Société  nous 
tient  soigneusement  au  courant  de  leurs  mouvements,  car 
ici  les  absents  ne  peuvent  avoir  tort.  Nos  meilleurs  souve- 
nirs leur  sont  dûs,  non  seulement  comme  un  encouragement 
à  supporter  une  existence  solitaire  et  périlleuse,  mais  encore 
en  témoignage  de  l'intérêt  que  nous  prenons  à  leurs  travaux, 
base  indispensable  de  nos  futures  entreprises. 

Parmi  tant  de  noms  qui  vous  sont  familiers,  je  ne  saurais 
me  dispenser  de  rappeler  ceux  de  M.  Aymonier  et  de 
M.  Pavie;  de  M.  Aymonier,  rinfatigable  chercheur  qui  aura 
rapporté  du  Cambodge,  des  parties  méridionales  du  Siam 
et  de  TAnnam,  la  plus  riche  moisson  de  documents  épigra- 
phiques  et  géographiques;  —  de  M.  Pavie  qui,  chargé  d'éta- 
blir la  ligne  télégraphique  de  Bangkok  à  Pnom-Penh,  a 
rendu  de  grands  services  à  la  cartographie  en  sillonnant  de 
ses  itinéraires  les  territoires  compris  entre  cette  ligne^,  la 
Gochinchine  et  le  golfe  de  Siam. 

En  ce  qui  concerne  TAnnam  proprement  dit,  nous  n'au- 
rions aucun  progrès  sérieux  à  signaler  si  nos  missionnaires 
catholiques  n'avaient  poursuivi  jusqu'à  l'année  dernière 
leurs  tentatives  de  pénétration  au  Laos  central  par  les  pro- 
vinces de  Nghê  An  et  de  Thagne  Hoa.  Votre  rapporteur 
serait  taxé  d'ignorance  ou  d'injustice  s'il  n'accordait  à  leurs 
explorations  du  Mo,  du  Trâne  Nigne  et  du  bassin  inférieur 
du  Maa,  la  mention  qu'elles  méritent  parmi  les  pluç 
importantes  au  point  de  vue  géographique  et  ethnogra- 
phique. Malheureusement,  presque  tous  ces  pionniers,  si 
bien  préparés  à  la  rude  existence  de  missionnaires  chez  les 
sauvages,  ont  succombé  aux  maladies  où  péri  au  milieu 
des  luttes,  secrètement  encouragées  par  les  gouvernements 


336  RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANKUEL. 

voisins,  qui  ont  fait  du  Laos  central  un  autre  Tonkin^  plus 
vaste,  plus  malsain,  plus  redoutable  par  Finconnu  qu'il 
nous  présente. 

Au  Tonkin  même  les  résultats  des  travaux  topographiques 
du  corps  expéditionnaire  ne  s'écartent  pas  sensiblement, 
jusqu'à  présent,  des  lignes  et  positions  que  nous  connais- 
sions déjà;  mais  les  levés  de  nos  officiers  auront  un  plus 
grand  intérêt  lorsqu'ils  seront  poussés  davantage  à  l'intérieur 
du  Tonkin  dont  la  cartographie  actuelle  repose  uniquement 
sur  l'interprétation  de  documents  annamites  et  chinois. 
Ajouterai-je  que  la  rectification  de  la  carte  du  Tonkin  serait 
vite  faite  si  les  qualités  militaires  suffisaient  pour  conquérir 
de  pareils  pays  et  pour  s'y  maintenir  sans  pertes  de  tous 
genres,  sans  dépenses  hors  de  proportion  avec  les  béné- 
fices. Est-il  permis  d'espérer  que  notre  organisme  gouver- 
nemental sera  modifié  heureusement  en  dépit  des  intérêts 
grandissants  de  personnes  et  de  coteries?  est-il  possible  d'ad- 
mettre que  nos  changements  de  ministères  seront  motivés 
par  la  nécessité  et  le  sincère  désir  de  réformes  adminis- 
tratives ?  est-il  probable,  par  exemple,  que,  sans  organisa- 
tion coloniale  sérieuse,  nous  en  finissions  jamais  avec  les 
succès  éphémères,  les  conquêtes  improductives  et  les  avor- 
tements  coloniaux  successifs?... 

De  Tempire  de  l'illusion  hâtons-nous  de  revenir,  messieurs, 
à  notre  domaine  scientifique.  Après  avoir  jeté  un  rapide 
coup  d'œil  sur  la  carte  de  l'Indo-Chine,  arrêtons  nos  regards 
sur  le  Donnai  et  le  Nam  Hou,  affluent  du  Mékong,  dont 
l'exploration  nous  rappelle  les  principaux  titres  géogra- 
phiques de  M.  Paul  Neis,  médecin  de  1"*  classe  de  la  marine, 
à  qui  la  Société  décerne  aujourd'hui  une  médaille  d'or. 

Vous  n'attendez  pas  que,  me  substituant  au  voyageur,  je 
refasse,  avec  moins  de  compétence  que  lui,  le  récit  de  ses 
pérégrinations.  Votre  rapporteur  se  bornera  donc  à  une 
large  esquisse  de  l'œuvre  qui  a  mérité  vos  suffrages,  sans 
laisser  trop  dans  l'ombre  les  parties  de  nature  à  suggérer 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.  337 

quelques  observations  dont  la  convenance  et  l'utilité  pouF 
Tavancement  de  nos  études  ne  sauraient  avoir  de  meilleurs 
juges  que  vous. 

Né  à  Quimper  en  1852,  M.  Neis  s'engageait  à  dix -huit  ans 
dans  l'artillerie  de  marine.  Libéré  en  1871,  il  suivit,  à  Brest, 
les  cours  de  médecine  navale.  Nommé  aide-médecin  en 
1873,  médecin  de  2«  classe  en  1876,  de  1"  classe  en  1879, 
M.  Neis  arrivait  en  Gochinchine  en  février  1880.  Deux 
mois  plus  tard  il  se  donnait  sa  première  leçon  pratique 
d'exploration. 

Les  explorateurs  savent  bien,  et  nous  n'ignorons  pas,  que 
les  cours  institués  à  Montsouris  par  l'amiral  Mouchez  sont 
deia  plus  grande  utilité  pour  ceux  qui  ont  déjà  prouvé  leurs 
aptitudes,  aptitudes  pratiques  qu'on  ne  saurait  acquérir 
dans  de  soi-disant  écoles  d'exploration.  Les  difficultés 
vaincues  dans  une  seule  journée  de  voyage  sont  plus  profi- 
tables à  l'explorateur  intelligent  que  les  préceptes  dont  on 
l'aurait  bourré  en  six  mois  d'école.  Mais  s'il  est  peu  sérieux, 
et  même  nuisible,  de  vouloir  fabriquer  des  explorateurs,  il 
est  excellent  de  fournir,  comme  l'amiral  Mouchez,  à  ceux 
qui  ont  prouvé  leur  vocation,  les  moyens  de  perfectionner 
leur  instruction. 

C'est  sur  le  terrain  que  Ton  acquiert  l'art  de  voyager; 
c'est  ainsi  que  M.  Neis  débuta  par  une  première  excursion 
chez  les  Mois  de  l'arrondissement  de  Baria,  bientôt  suivie 
d'un  voyage  de  deux  mois  chez  les  Moïs  du  bassin  inférieur 
du  Donnaï. 

Avant  de  l'y  rejoindre,  rappelons-nous  que  les  populations 
arriérées  des  régions  montagneuses  de  l'Indo-Chine  orien- 
tale ont  reçu  de  leurs  voisins  plus  civilisés  :  Annamites, 
Siamois,  Laos,  les  noms  génériques  de  Mois,  Muongs, 
Khas,  etc..  dénominations  devenues  synonymes  dé  c  sau- 
vages »,  bien  qu'elles  ne  soient  ainsi  justifiées  que  par  l'état 
misérable  dans  lequel  vivent  aujourd'hui  les  derniers  reje- 
tons de  peuplas  depuis  longtemps  disparus. 


338  RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANffUELw 

Accompagné  de  trois  iDdigènes,  M.  Nds  quittait  Baria  h 
1®"  novembre  1880;  pnis,  suivant  à  petite  distance  la  fron- 
tière orientale  de  la  Gochinchine,  il  arrivait  au  confluent  du 
Laiâa  qu'il  venait  de  découvrir  et  du  Donnai. 

En  franchissant  la  frontière,  il  entrait  dans  l'inconnu.  La 
limite  est  dépassée.  Déjà  il  s'est  avancé  d'une  cinquantaine 
de  kilomètres  vers  le  nord  quand  ses  porteurs  indigènes 
refusent  absolument  de  remonter  plus  haut  le  Donnai  dont 
les  tribus  riveraines  paraissent  inspirer  une  grande  terreur. 
Pour  n'être  pas  complètement  abandonné.  M*  Neis  se 
rejette  un  peu  à  l'est,  le  long  d'un  petit  affluent,  le  Da  Houé, 
qui  sort  du  beau  massif  Thion  Lay. 

Mais  sur  les  bords  du  Da  Houé  les  hameaux  sont  rares; 
partout  les  habitants  ont  fui  dans  les  forêts;  vivres,  por- 
teurs vont  faire  défaut  à  notre  voyageur  dans  le  désert  im- 
provisé autour  de  lui  L'heure  de  la  retraite  semble  sonnée, 
quand  il  rencontre  au  hameau  de  Damré  des  Mois  bien 
disposés  grâce  à  l'influence  d'un  nommé  Patao  qui  escomp- 
tait l'appui  de  notre  colonie  cochinchinoise. 

Sans  se  montrer,  Patao  facilita  le  voyage  de  M.  Neis  qui 
traversa  le  Thion  Lay  et  s'avança  jusqu'au  village  d'An  Dran 
à  moitié  chemin  entre  la  Gochinchine  et  les  sources  du 
Donnai.  Ici,  la  fièvre  et  surtout  le  manque  de  ressources 
obligèrent  le  voyageur  à  revenir  promptement  en  Cochin* 
chine.  Il  put  heureusement  opérer  son  retour  par  une  route 
nouvelle,  et  relier  An  Dran  aux  positions  bien  déterminées 
de  la  côte,  en  traversant  d'abord  un  grand  plateau  exploité 
en  bonne  intelligence  par  les  Mois  et  les  éléphants,  puis  la 
chaîne  principale  des  montagnes  qui  séparent  le  bassin  du 
Mékong  des  provinces  maritimes  de  TAnnam. 

Assez  surpris  de  rencontrer  dans  ces  montagnes  des  Chi- 
nois pratiquant  la  vaccine  sur  les  Mois,  il  fut  moins  étonné 
de  trouver,  au  pied  de  la  chaîne,  le  village  Ciampa  de 
Galoan  administré  par  les  mandarins  annamites  du  Bigne 
Thouane.  Son  état  de  santé  ne  lui  permit  pas  d'étudier  les 


RAPPORT   SUR  LE  CONCOURS  AU  PRΠ ANNUEL.  339 

descendants  des  anciens  maîtres  de  l'Annam  proprement 
dit.  En  passant  des  hauteurs  boisées  à  la  plaine  sèche  et 
déserte  qui  s'étend  jusqu'à  la  côte,  M.  Neis  sentit  ses  forces 
l'abandonner.  Deux  jours  plus  tard  on  l'embarquait  au  port 
de  Phan  ry  sur  une  jonque;  le  8  janvier  1881  il  débarquait 
à  Saigon. 

Un  mois  de  repos  lui  suffit  pour  se  mettre  en  état  de  con- 
tinuer l'exploration  du  Donna!.  Cette  fois  il  allait  être 
secondé  par  un  de  ses  amis,  M.  Septans,  lieutenant  d'infan- 
terie de  marine,  et  guidé  par  Patao  qui,  appréciant  l'excel- 
lente attitude  de  notre  compatriote,  était  déjà  venu  à  Saigon 
établir  ses  relations  avec  notre  colonie. 

Outre  Patao  et  une  douzaine  de  Moîs,  MM.  Neis  et  Sep- 
tans  emmenaient  deux  miliciens  et  un  Chinois  chargé  d'étu- 
dier les  ressources  commerciales  du  pays  des  Mois. 

Le  11  février  1881,  ils  remontaient  le  Donnai  jusqu'à 
Tri  An,  se  dirigeaient  ensuite  à  l'est,  puis  au  nord  pour 
arriver  à  un  hameau  de  cinq  ou  six  cases  représentant  la 
capitale  de  Patao.  Grâce  à  cet  industrieux  haciendero  la 
petite  troupe  ne  manqua  ni  de  vivres  ni  de  porteurs.  La 
route  du  Thion  Lay  et  d'An  Dran,  précédemment  parcourue 
par  M.  Neis,  se  fit  sans  difficultés  à  travers  un  pays  qui 
diffère  peu  des  parties  hautes  de  la  Cochinchine.  On  pénètre 
dans  une  région  plus  accidentée,  plus  sauvage,  oti  les  bons 
souvenirs  laissés  chez  les  Moïs  ou  Traos  Thioma  favorisent 
encore  la  marche  jusqu'à  Diom,  à  la  source  [du  Da-gning, 
branche  méridionale  du  Donnai. 

Maisici,  l'influence  de  Patao,  impuissante  contre  la  crainte 
des  Annamites,  ne  décide  pas  les  Moïs  à  fournir  des  por- 
teurs; il  faut  revenir  jusqu'à  Mélone  et  s'estimer  heureux 
d'atteindre  par  un  autre  sentier  les  monts  Lang  Bian  d'oii 
s'élancent  les  petits  ruisseaux  qui  forment  le  Da  Dong, 
principale  branche  du  Donnai. 

Il  semblera  peut-être  que  les  données  acquises  par 
MM.  Neis  et  Septans  constituaient  une  reconnaissance  suf- 


340    RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

fisante  de  la  direction  générale  d'un  cours  d'eau  imprati- 
cable à  cause  de  ses  nombreux  rapides.  N'y  avait-il  pas  dès 
lors  un  plus  grand  intérêt  géographique  et  politique  à  relier 
leur  itinéraire  aux  provinces  annamites  de  Thagne  Hoa  on 
de  Phou  Yène  qu'à  revenir  en  Cochinchine  en  suivant  autant 
que  possible  les  détours  du  Da  Dong?  L'approche  de  la 
saison  des  pluies  et,  sans  doute  encore,  le  manque  de  res- 
sources, ont  dû  engager  nos  compatriotes  à  revenir  sans 
trop  s'écarter  des  régions  où  ils  étaient  déjà  connus. 

Quand  il  revit  Saigon,  en  avril  1881,  M.  Neis  comptait, 
depuis  son  arrivée  en  Cochinchine,  sept  mois  de  voyages, 
et  avait  parcouru,  en  pays  jusqu'alors  inconnu,  700  kilo- 
mètres dont  une  grande  partie  ont  été  relevés  avec  soin  par 
M.  Septans  à  qui  nous  devons  un  rapport  très  précis  sur 
l'hydrographie  et  l'orographie  du  bassin  du  Donnai.  Rap- 
pelons-nous aussi  que  l'année  suivante,  MM.  Seplans  et 
Gauroy  exécutèrent  une  très  intéressante  reconnaissance 
dans  le  pays  des  Mois,  Beunongs  et  Giarays  jusqu'au  Se 
Ghane,  affluent  du  Mékong,  à  la  frontière  orientale  du  Cam- 
bodge et  des  Mois. 

Si  M.  Septans  a  pris  une  grande  part  aux  travaux  de 
M.  Neis,  celui-ci  n'en  reste  pas  moins  le  premier  explora- 
teur du  Donnai.  Il  passa  l'année  1881  en  Cochinchine  et  y 
publia  ses  notes  de  voyage  qui  répondent  aux  questions  les 
plus  variées  du  programme  tracé  aux  voyageurs,  et  résu- 
ment ses  travaux  spéciaux  basés  sur  un  nombre  considé- 
rable de  mesures  anthropométriques. 

De  retour  en  France,  en  avril  1882,  M.  Neis  ajouta  à  ses 
titres  et  à  son  expérience  pratique  des  voyages  de  nouvelles 
connaissances  techniques  acquises  à  l'observatoire  de  Mont- 
souris,  et  obtint  alors  du  Ministère  de  l'Instruction  publique 
une  mission  pour  aller  continuer  l'exploration  du  pays  des 
Mois  au  nord  du  Donnai. 

Le  13  décembre  de  la  même  année  il  quittait  Saigon  pour 
entreprendre  un  long  voyage  dans  le  Laos  central. 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.  341 

Nous  n'avons  pas  à  discuter  les  considéraiions  de  divers 
genres  qui  ont  dicté  à  M.  Neis  ce  changement  d'itinéraire, 
non  plus  que  les  instructions  qui  lui  furent  données  en 
Gochinchine.  Toutefois,  qu'il  nous  soit  permis  de  regretter 
que  les  missions  scientifiques  ne  soient  pas  plus  franche- 
ment indépendantes  de  toute  influence  étrangère  au  Minis- 
tère de  rinstruction  publique.  Que  toute  administration 
organise  les  missions  qu'elle  juge  utiles  ;  mais  nous  esti- 
mons que  la  confusion  dans  la  conception,  l'organisation  et 
la  direction  des  missions  ne  réserve  que  des  échecs,  au  moins 
des  désavantages,  des  retards,  des  pertes  que  rien  ne  com- 
pense. L'explorateur  doit  savoir  ce  qu'il  veut  faire  et  ce 
dont  il  a  besoin.  Quand  ses  plans  ont  été  acceptés,  il  doit 
rester  maître  de  ses  mouvements  dans  les  limites  générales 
convenues;  et  il  est  regrettable  qu'on  le  laisse  partir  ou  qu'il 
parte  sans  avoir  les  moyens  nécessaires  à  l'accomplissement 
de  sa  tâche,  et  qu'il  se  trouve  plus  tard,  voyageur  français 
commissionné,  à  la  merci  de  la  charité  des  indigènes. 

Au  commencement  de  janvier  1883,  M.  Neis  accompagné 
de  deux  miliciens  et  de  deux  interprètes,  traversait,  sans 
être  inquiété  par  le  rebelle  Sivalha,  la  frontière  du  Cam- 
bodge et  du  Laos. 

Le  Mékong  nous  étant  connu  depuis  longtemps,  nous  ne 
suivrons  pas  l'interminable  route  qu'on  lui  fit  prendre  pour 
se  rendre  à'Luang-Prabang.  Il  convient  cependant  de  nous 
arrêter  un  instant  avec  lui  au  confluent  du  Mékong  et  du 
Nam  Ghane  qui  donne  accès  dans  la  principauté  de  Trâne 
Nigne,  tributaire  de  l'Annam.  Sachant  que  des  mission- 
naires français,  venus  de  laprovince annamite  de  Nghê  Ane^ 
étaient  établis  depuis  un  an  au  Trâne  Nigne,  M.  Neis  pou- 
vait espérer  que  leurs  renseignements  et,  au  besoin,  leur 
concours  lui  faciliteraient  l'exploration  du  Laos  entre  le 
Trâne  Nigne  etLuang-Prabang. 

Il  remonta  donc  le  Nam  Chane  et  rejoignit  nos  deux 
missionnaires  à  Muong  Ngan^  dans  le  district  de  Kouang. 


342  RAPPORT   SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

Malheureusement  il  arrivait  au  moment  où  cette  nou- 
velle capitale  du  Trâne  Nigne  allait  subir  le  sort  de  Nigne 
Kouang. 

Les  missionnaires  établis  sur  le  Maa,  le  Cai,  le  Mo,  etc.. 
signalent  depuis  cinq  ans  les  désordres  croissants  et  les 
luttes  meurtrières  qui  désolent  les  régions  comprises  entre 
le  Tonkin  et  le  Mékong.  Il  en  ressort,  croyons-nous,  que 
chassées  jadis  de  leur  pays  par  les  Siamois  et  ne  voulant 
pas  subir  leur  joug,  certaines  populations  Lao,  telles  que 
les  Phou  Qhiung,  les  Phou  Thai,  les  Phou  Thigne,  etc... 
tentent  de  s'établir  dans  les  montagnes  ou  à  Tintérieur  et 
s'entendent  plus  ou  moins  avec  des  émigrants  et  envahisseurs 
du  Yunnan  méridional  :  Lolos,  Los,  Méhos,  Hos,  etc.,  pour 
déposséder  les  Mois  indépendants  ou  tributaires  de  Siam 
ou  de  l'Annam.  Tant  d'éléments  de  désordre  dans  un  pays 
d'un  accès  difficile,  tant  d'intérêts  se  heurtant,  se  compli- 
quant des  agissements  annamites  et  chinois,  présentent 
l'image  d'un  chaos  que  les  missionnaires  n'ont  pas  dé- 
brouillé depuis  plusieurs  années.  Nous  serions  donc  trop 
exigeants  de  demander  un  travail  historique  à  M.  Neis  qui 
dut  battre  en  retraite  une  semaine  après  son  arrivée  à  Muong 
Ngan  que  ses  habitants  refusaient  de  défendre  contre  des  Hos 
et  des  Phou  Thang. 

Renonçant  à  son  projet  de  route  directe  sur  Luang  Pra- 
bang,  obligé  même  de  sacrifier  une  partie  de  ses  bagages, 
M.  Neis  revint  en  hâte  sur  les  bords  du  Mékong,  rapportant 
au  moins  les  observations  et  les  notes  qui  servent  à  tracer 
son  itinéraire  d'environ  150  kilomètres  entre  Bonn  Gang  et 
Muong  Ngan. 

Le  23  mai  il  arriva  à  Paklay  ;  puis  il  suivit  en  partie  l'iti- 
néraire du  naturaliste  Mouhot  pour  se  rendre  à  Luang- 
Prabang  où  la  saison  des  pluies  le  retint  prisonnier  du 
8  juin  au  11  octobre. 

Le  soin  d'entretenir  de  bonnes  relations  avec  le  roi  et  les 
autorités  ne  suffisait  pas  à  occuper  les  loisirs  que  lui  laissait 


RAP^RT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.  343 

la  fièvre  et  à  calmer  son  besoin  d'activité.  Aussi,  M.  Neis 
salua-t-il  avec  joie  le  premier  rayon  de  soleil  et  s'empressa- 
t-il,  sans  attendre  la  fin  des  pluies,  d'aller  explorer  le  Nam 
Kan  sur  les  bords  duquel  il  remplit  d'abord  un  pieux  devoir 
en  réparant  le  tombeau  de  Mouhot. 

Le  Nam  Kan  est  tellement  encombré  de  rapides,  tellement 
tortueux,  qu'après  six  jours  de  pirogue  on  ne  se  trouve 
qu'à  50  kilomètres  à  vol  d'oiseau  dans  le  sud-est  de  Luang- 
Prabang.  Ses  rives  et  celles  de  ses  affluents  sont  peuplées 
de  Mois  ou  Khas,  cultivateurs,  chasseurs,  commerçants, 
considérés,  paraît-il,  comme  la  gent  corvéable  et  taillable  à 
merci. 

Du  pays  de  ces  sauvages,  qu'il  mesure  de  la  tête  aux 
pieds,  et  qui  lui  rappellent  le  genre  de  vie  et  les  usages  des 
Moïs  du  Donnai;  de  la  barbarie,  M.  Neis  nous  ramène  à 
Luang-Prabang  pour  assister  avec  le  roi  et  les  principaux 
mandarins  à  la  fête  des  eaux  et  au  Tetluang.  Si  les  chevaux 
de  bois  n'ont  pas  encore  fait  leur  apparition  au  Laos,  on  y 
retrouve  du  moins  les  joutes,  les  danses,  les  feux  d'artilice 
et  même  des  montgolfières  importées,  lancées  par  des  mar- 
chands birmans. 

Mi  Neis  profita  de  cette  circonstance  pour  prendre  de 
plus  amples  renseignements  sur  le  Lao  central,  et  se  lier 
avec  le  délégué  d'un  des  districts  du  Nam  Hou,  important 
affluent  de  gauche  du  Mékong,  qu'il  devait  explorer. 

Dans  ce  but,  il  quittait  Luang-Prabang  le  27  décembre, 
reconnaissait  en  passant  le  Nam  Seun,  et  arrivait  le  28  au 
confluent  du  Mékong  et  du  Nam  Hou. 

Malgré  sa  belle  apparence,  le  Nam  Hou  n'est  praticable 
qu'en  pirogue  et  ses  nombreux  rapides  rendent  la  naviga- 
tion si  dangereuse,  qu'à  l'époque  où  les  communications 
étaient  sûres,  les  caravanes  de  marchands  birmans  et  chi- 
nois préféraient  suivre  les  sentiers  les  plus  accidentés  pour 
se  rendre  à  Luang-Prabang. 

Le  temps  nous  manque  pour  visiter  avec  M.  Neis  de  ma- 


344   RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

gnifiques  grottes,  et  admirer  le  long  de  la  route  les  paysages 
les  plus  pittoresques.  Nous  ne  rechercherons  pas  non  plus 
si  des  quantités  d'îlots  rocheux,  qui  présentent  l'image 
d'animaux  ou  d'êtres  humains,  ont  été  taillés  par  le  ciseau 
peu  décent  des  Rhmers  ou  des  Chinois.  Nous  Yoici  à  Muong 
Ngai.  En  attendant  que  le  mandarin,  qui  répond  sur  sa  tête 
de  la  vie  de  M.  Neis,  lui  permette  de  remonter  encore  un 
peu  le  Nam  Hou,  nous  écoutons  ses  récits  du  pays  de 
HO'pa-tha-Ha-than-Hoc,  à  cheval  sur  les  versants  Laos 
et  Tonkinois,  d'où  l'on  tire  le  stick-lack,  le  benjoin,  etc.. 

Enfin  la  route  a  été  reconnue  libre  ;  M.  Neis  arrive  à  Muong 
Koua.  Il  est  ici  à  environ  150  kilomètres  à  Luang-Prabang; 
en  faisant  la  part  des  exagérations  habituelles  aux  indigènes, 
il  lui  en  resterait  sans  doute  autant  à  parcourir  pour  at- 
teindre la  source  du  Nam  Hou  qui  vient  du  nord. 

Mais  à  Muong  Koua,  on  s'attend  chaque  jour  à  une  at- 
taque des  Hos  ;  chacun  se  tient  prêt  à  descendre  le  Nam  Hoa. 
Notre  voyageur  est  donc  encore  obligé  d'interrompre  son 
exploration  et  de  renoncer  à  passer  au  Tonkin.  Ses  res- 
sources étaient  d'ailleurs  épuisées  ;  en  revenant  à  Luang- 
Prabang  il  dut  emprunter  de  quoi  vivre  et  opérer  son  retour 
à  Bangkok  par  la  voie  connue  du  Mékong  et  du  Ménam. 

Me  tromperais-je  en  supposant  que  M.  Neis  a  regretté  de 
voir  les  riches  forêts  de  teck  de  la  vallée  du  Ménam  déjà 
exploitées  par  les  Anglais?  Prenons  garde  qu'une  influence 
étrangère  ne  l'emporte  ici  sur  la  nôtre.  Le  bassin  du  Ménam 
doit  être  la  barrière  de  notre  Indo-Ghine  orientale  ou  tout 
au  moins  la  zone  neutre  que  deux  puissants  voisins  ont 
intérêt  à  respecter. 

Puisque  nous  glissons  sur  le  terrain  délicat  de  la  poli- 
tique, nous  exprimerons  le  vœu  qu'une  paix  sincère  et 
durable,  avec  un  peuple  dont  nous  avons  toujours  reconnu 
les  qualités,  nous  permette  d'en  finir  rapidement  en  Annam 
avec  les  opérations  militaires.  Que  les  succès,  si  ardemment 
souhaités,  de  nos  armes  ouvrent  le  plus  tôt  possible^l'ère  de 


RAPPORT   SUR  LE  CONCOURS  AU   PRIX  ANNUEL.  345 

la  pacification;  qu'une  véritable  administration  coloniale, 
s'efforçant  de  diriger  dans  la  voie  du  progrès  moral  et 
matériel  nos  nouveaux  sujets,  leur  inspire  une  respectueuse 
reconnaissance;  qu'enfin,  le  caractère  pacifique  et  civilisateur 
de  la  mission  de  la  France  en  Indo-Ghine  ne  puisse  porter 
ombrage  à  la  GhinCy  et  contribue  à  resserrer  des  liens 
d'amitié  dont  la  rupture  accidentelle  aura  prouvé  l'utilité 
et  l'intérêt  aux  deux  grandes  nations  de  l'Orient  et  de 
l'Occident. 

Je  n'insisterai  pas  sur  la  traversée  de  M.  Neis  de  Bangkok 
à  Cbantaboun,  aux  ruines  d'Angkor  et  à  Saigon  oii  il 
arrivait  le  4  juin  1884,  après  une  absence  de  dix-sept 
mois. 

Peu  de  voyageurs,  comme  vous  l'avez  vu,  ont  été  aussi 
constamment  contrariés  que  l'a  été  M.  Neis  pendant  ce  long 
voyage  de  5000  kilomètres.  Le  parti  qu'il  en  a  tiré  nous 
laisse  entrevoir  tout  ce  que  la  science  aurait  gagné  si  son 
pionnier  eût  été  mieux  approvisionné,  plus  libre  de  ses 
mouvements  ou  mieux  dirigé. 

Au  point  de  vue  géographique,  ses  itinéraires  du  Nam 
Cham  et  du  Nam  Hou,  appuyés  sur  des  observations  de 
latitude,  complétés  par  des  altitudes,  constituent  un  travail 
des  plus  intéressants  sur  une  partie  du  Laos  central.  Ajoutons 
qu'il  a  recueilli  de  nombreux  renseignements  sur  plusieurs 
voies  commerciales  du  bassin  occidental  du  Mékong.  En 
outre,  les  indications  qui  lui  ont  été  fournies  au  Trâne  Nigne 
et  sur  le  Nam  Hou  permettront  de  tracer  approximativement 
un  nouvel  itinéraire  entre  Luang-Prabang  et  la  partie  sep- 
tentrionale de  la  province  annamite  de  Thagne  Hoa. 

Le  journal  météorologique  de  M.  Neis,  constamment  tenu 
au  courant  depuis  son  entrée  au  Laos  jusqu'à  son  retour 
à  Bangkok,  sera  non  moins  précieux  aux  météorologistes 
qu'aux  géographes  qui  en  déduiront  les  altitudes  de  l'itiné- 
raire parcouru. 

Parmi  ses  collections,  nous  remarquons  une  centaine 

soc.  DE  GÉOGH.  —  d«  TRIMESTRE  1885.  Yt.  —  24 


346     RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

d'échantillons  de  roches  recueillies  entre  le  Cambodge  et 
Luang'-PrabaDgy  des  insectes,  des  serpents  et  des  poissons; 
des  crûmes  et  des  squelettes  de  Khas;  des  échantillons  des 
produits  du  Laos  :  coton,  soie,  stick  lack,  benjoin,  papier 
d'écorce,  etc.,  des  vêtements  et  des  ustensiles. 

Ses  notes  enrichiront  le  vocabulaire  de^s  idiomes  indo- 
chinois,  et  ses  travaux  étendus  sur  l'anthropologie  et  l'eth- 
nographie des  Laos  et  des  Khaà  compléteront  heureusement 
son  étude  des  Mois  du  Donnai'. 

Tels  sont  les  principaux  résultats  obtenus  par  M.  Nais 
qui  n'a  cessé,  d'ailleurs,  de  prendre  bien  d'autres  notes  sur 
les  régions  visitées,  sur  leurs  ressources^  leur  population, 
leur  état  social,  commercial  et  politique.  J'ai  passé  sous 
silence  ses  qualités  d'explorateur;  mais  ce  qu'il  lui  a  fallu 
de  patience  et  de  courage  pour  remplir  sa  mission,  le 
Ministre  de  la  Marine  l'a  reconnu  en  le  nommant  che- 
valier de  la  Légion  d'honneur,  et  vous-mêmes  en  avez  tenu 
compte  en  inscrivant  sur  la  liste  de  vos  lauréats  le  nom  du 
D'  Paul  Neis. 

MEDDELELSER   OM   GROENLAND 

M.  William  Huber,  rapporteur 

MédaiUe  d^or.  —  Prix  de  lia  Roquette 

* 

Vers  la  fin  du  xiii»  siècle,  l'accumulation  des  glaces  sur  la 
côte  orientale  du  Groenland,  les  incursions  des  esquimaux 
et  certains  phénomènes  d'abaissement  du  sol,  détruisirent 
les  établissements  fondés  par  les  Danois  et  les  Norvégiens 
trois  cents  ans  auparavant.  Depuis  cette  époque,  cette  côte 
inhospitalière  semble  avoir  été  délaissée  des  explorateurs  et 
des  savants  :  en  hiver,  la  banquise  et  les  hummoks;  en  été 
l'interminable  défilé  des  glaces  flottantes  poussées  par  les 
courants  polaires,  en  rendent  les  abords  dangereux  et  là 
même  où,  voilà  six  cents  ans,  se  groupaient  des  populations 


RAPPORT  SDR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  AlfNUEL.  347 

autour  de  leurs  églises  sous  la  crosse  de  leur  évèque,  on 
ne  trouve  aujourd'hui  que  solitude  et  désolation. 

Quelques  tentatives  furent  cependant  faites  pour  retrouver 
les  traces  des  premiers  occupants,  mais  ces  recherches 
ayant  surabondamment  prouvé  l'impossibilité  d'une  ins> 
tallatiou  nouvelle,  la  curiosité  diminua,  et  ces  régions 
retombèrent  dans  l'oubli. 

Il  n'en  fut  pas  de  même  de  la  côte  occidentale  :  le  détroit 
de  Davis  et  la  itner  de  Baffin  étaient  les  routes  par  lesquelles 
on  eâpérait  atteindre  le  passage  nord^ouest  et  le  pôle;  il 
importait  d'assurer  sur  leurs  rivages  de  bons  abris  pour  les 
navires  et  des  points  de  ravitaillement  praticables  et  sûrs. 
Cette  raison,  jointe  au  climat  moins  sévère,  attira  les 
navigateurs  sur  cette  côte  occidentale  du  continent  boréal 
et  leur  en  fit  relever  çà  et  là  les  principaux  contours  en  vue 
d'en  reconnaître  les  meilleures  baies  d^hivernage.  i 

Ces  levés  partiels  de  quelques  kilomètres  de  côte  man- 
quaient de  cohésion,  exécutés  par  des  capitaines  de  natio* 
nalités  diiTérentes,  ces  croquis  et  ces  noteis- allaient  enrichir 
les  bibliothèques  ministérielles  de  divers  pays,  et  tout  car- 
tographe sincère  eut  été  fort  empêché  de  les  rattacher  les 
•  unes  aux  autres. 
.  Récemment,  sous  l'inspiration  du  prince  éclairé  qui^ 
depiais  vingt-deux  ans,  poursuit  sur  le  trône  de  Danemark 
les  traditions  de  dix  siècles,  le  gouvernement  danois  résolut 
de  reprendre  les  études  du  sol  de  son  ancienne  colonie,  de 
les  compléter,  de  les  grouper  et- de  les  publier  afin  de  les 
répandre  dans  le  monde,  pour  servir  à  totis  sans'  distinction 
de  drapeau.  De  là  l'origine  des  Meddelelser^om  Gr&enlandy 
autremient  dit:  «Documents  sur  le  Groenland  »,  publication 
savante,  sincère,  résumant  une  somme  de  travail, considé- 
^able,à  laquelle  votre  Société  décerne  aujourd'hui  la  médaille 
d*or  du  prix  La  Roquette. 

La  meilleure  preuve  de  l'esprit  cosmopolite  de  jcette  pu- 
blication, est  dans  le  résumé  en  langue  française  par  lequel 


Sis         RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

se  termine  chaque  yolume.  La  diffusion  des  précieux  docu* 
ments  qu'ils  renferment  est  par  cela  même  assurée,  et  c'est 
grâce  à  cette  courtoise  attention  que  votre  commission  des 
prix  put  se  rendre  compte  de  la  valeur  de  l'œuvre.  Au  sur- 
plus, le  Groenland  ne  présente  pas  l'étoffe  nécessaire  pour 
y  tailler  une  colonie  rémunératrice;  aujourd'hui  que  les 
nations  cherchent  à  découper  leur  part  dans  les  régions 
équatoriales  africaines,  ce  n'est  pas  sous  les  bises  du  nord 
ni  dans  le  voisinage  de  la  nuit  polaire,  qu'un  État  peut 
penser  à  jeter  des  populations  et  à  immobiliser  des  millions. 
Non,  le  but  de  S.  M.  Christian  IX  est  d'un  intérêt  général;^ 
la  nation  danoise,  intelligente  et  vaillante  au  travail  comme 
elle  sait  l'être  au  besoin  dans  le  métier  des  armes,  cherche 
moins  son  expansion  dans  le  monde  par  le  poids  de  son 
épée  ou  la  force  de  ses  cuirassés  que  par  l'ascendant  de  son 
génie  national,  les  vivifiantes  luttes  pour  la  science,  qui 
l'ont  mise  depuis  longtemps  et  la  maintiennent  de  pair 
avec  les  premières  nations  civilisées. 

Les  Danois  ont  été  les  plus  audacieux  navigateurs  du 
moyen  âge  :  leurs  vikingSy  battant  les  flots  des  rames  de 
leurs  navires,  partaient  sans  boussole  à  la  conquête  du^ 
monde  avec  une  poignée  d'hommes  déterminés.  Les  Sagas  * 
ont  chanté  leur  témérité  et  leurs  victoires.  Du  v*  au  vi*  siècle, 
les  Jutes,  les  Angles  et  les  Saxons  prennent  part  à  la  con- 
quête de  l'Angleterre;  au  viii*  et  au  xi%  les  Danois  s'éta- 
blissent en  Islande  et  au  Groenland;  leurs  fils  découvrent 
le  Labrador  et  la  côte  des  États-Unis.  Ailleurs,  ils  s'em-* 
parent  de  la  Neustrie,  remontent  la  Seine  jusqu'à  Paris^ 
poussent  leurs  excursions  dans  la  mer  cantabrique,  abor- 
dent et  combattent  en  Espagne,  doublent  Gibraltar,  mettent 
à  sac  les  îles  Baléares  et  la  côte  d'Afrique  où  ils  se  mesurent 
avec  les  Maures  et  donnent  la  main,  dans  la  Méditerranée, 
à  leurs  compatriotes  descendus  du  nord  par  les  fleuves  de 
la  Russie,  la  mer  Noire  et  le  Bosphore.  Suédois,  Russes, 
Allemands,  Anglo-Saxons,  Français,  Espagnols  et  Portu- 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.    349 

^ais,  Arabes,  Italiens,  Bulgares,  Turcs  et  Grecs,  tous  ces 
peuples  auxquels  je  donne  leurs  noms  actuels,  eurent  à 
compter  avec  la  «  rage  des  Nordmen  ».  Existe- t-il  dans 
l'histoire  peuple  plus  voyageur  et  plus  téméraire? 

Longue  serait  la  liste  des  capitaines  et  des  explorateurs 
danois^  auxquels,  depuis  Behring,  dans  des  temps  plus 
modernes,  la  géographie  est  redevable  d'importantes  dé* 
couvertes.  Les  savants  danois  ont  créé  la  chronologie  pré- 
historique et  reconstitué  les  annales  de  l'humanité  en  pro- 
£tant  des  immenses  progrès  réalisés  dans  les  sciences 
contemporaines 

Les  collaborateurs  des  Meddelelser  portent  des  noms 
déjà  connus  dans  les  sciences;  vous  les  reconnaîtrez  dans 
les  signatures  de  MM.  Johnstrup  et  Steenstrup,  pour  la 
géologie;  lieutenant  Jensen,  pour  la  géographie;  Holm, 
pour  la  zoologie;*  Kornerup,  jeune  officier  plein  d'avenir 
enlevé  à  la  fleur  de  l'âge;  Lorenzen,  pour  la  minéralogie; 
Lange,  pour  la  botanique;  Hoffmayer,  Grath,  capitaine 
Wandel,  lieutenant  Hammer. 

Ces  hommes  éminents  ont  eu  des  prédécesseurs  qui  leur 
ont  ouvert  la  voie  ;  il  n'est  pas  sans  intérêt  de  rappeler  lés 
noms  de  ceux  qui  ont  fait  le  plus  pour  la  géographie  du 
Groenland. 

Citons  d'abord  Carl-Ludwig  Giesecke,  né  à  Augsbourg, 
auquel  revient  l'honneur  d'avoir  le  premier  attiré  Tatten- 
lion  sur  la  nature  géologique  de  la  partie  habitée  du  pays. 
A  la  fois  poète,  acteur  et  géologue,  en  tous  cas  caractère 
jen  quête  d'aventures,  Giesecke  passa  sept  hivers  et  huit  étés 
consécutifs  au  Groenland,  de  1806  à  1813.  Pendant  ce  sé- 
jour, il  poursuivit  avec  persévérance  ses  études  jusqu'à  la 
limite  extrême  des  lieux  habités  au  nord  entre  le  63"*  et  le 
70*  de  latitude.  Nommé  professeur  de  minéralogie  à  l'Uni- 
Tersité  de  Dublin  en  1814,  il  conserva  ce  poste  jusqu'à  sa 
mort,  en  1833. 

Après  lui,  le  lieutenant  de  vaisseau  Graah  (1823-1824), 


350        RAPPORT  SDR  LE  OORGOURS  AU  PRIX  AHSTOL. 

releva  la  côte  occidentale  entre  le  68*3(y  et  le  73*;  pois  de 
i829  à  1830,  en  compagnie  da  botaniste  Yahl,  la  côte  orien- 
tale du  cap  Farewel  jasqu'an  65*.  Da  65*  ao  73*,  cette  n?e 
orientale  reste  presque  enti^eai<»oit  inconnue,  sans  doote 
parce  que  le  voisinage  de  Tlslande,  située  à  40  milles  à  Test, 
rejette  les  glaces  flottantes  sur  elle.  Du  73*  an  77*,  Salûne 
et  Scoresby  Font  visitée  ;  plus  tard,  elle  fut  explorée  en  par- 
tie parla  seconde  expédition  polaire  allemande  commandée 
par  le  capitaine  Koideway  • 

A  la  môme  époque,  Pingel  entreprenait  des  recherches 
minéralogiques  dans  la  région  méridionale  et  constatait  le 
premier  des  phénomènes  d'abaissement  dans  cette  partie 
du  continent. 

Le  voyage  scientifique  que  H.  Riièk  entreprit  de  1848  à 
1851  dans  le  nord  du  Groenlai^d,  contribua  pour  une  grande 
part  à  la  connaissance  de  cette  eonlrée.  On  savait  qu'une 
grande  partie  du  pays  était  rendue  inaccessible  par  d'im- 
menses glaciers  d'où  se  détachent  les  montagnes  de  glace 
qui  flottent  à  la  dérive  le  long  des  côtes,  mais  on  ignorait 
leur  étendue  et  le  rôle  qu'ils  jouent  dans  la  nature.  Rink 
fraya  la  voie  dans  cette  direction  en  ouvrant  de  nouveaux 
horizons  à  des  questions  qui  se  mettaient  alors  à  l'ordre  du 
jour  en  Europe,  par  les  travaux  de  MM.  Yenetz  et  de  Char- 
pentier, d'après  les  naïves  révélations  du  montagnard  valai- 
San,  Jean-Pierre  Perraudin^. 

Il  est  intéressant  de  rappeler  qu'avant  ces  savants  suisses, 
Plaifair,  en  1815,  et  l'immortel  Gœthe  avaient  eu  l'intui- 
tion d'une  période  glaciaire  ;  mais  ni  l'un  ni  l'autre  n'en 
avaient  appuyé  l'existence  par  des  faits.  Que  l'on  dise  en- 
core que  l'inspiration  poétique  ne  se  nourrit  que  de  rêves! 

Les  découvertes  de  Rink  engagèrent  plusieurs  natura- 

i.  Venetz.  Mémoire  sur  la  température  dés  Alpes^  inséré  dans  les 
Mémoires  de  la  Société  helvétique  des  sciences  naturelles.  Vol.  I*', 
l»rt.  2  (1821). 

De  Charpentier.  Estai  sur  Us  glaciers.  —  Lausanne  1841. 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  AI9NUEL.         351 

listes  tels  que  les  Suédois  Forell  (1S58)  et  Nordenskiôld 
(1870);  les  anglais  Whjmper  et  Brown  (1867);  le  norvé-- 
gien  Helland  (1875),  à  se  rendre  dans  le,  nord  du  Groenland 
pour  étudier  de  leurs  propres  yeux  les  puissants  effets  de 
la  glace  continentale.  M.  Nordenskiôld  fit  une  seconde  et 
remarquable  expédition  dans  Tintérieur  en  1883.  Les  résuU 
tats  sont  consignés  au  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie, 
1"  trimestre  1885. 

En  1876)  s'organisèrent,  sur  la  proposition  de  M.  John- 
strup,  les  récentes  expéditions  de  MM.  Steenstrup  et  Holm  : 
ils  relevèrent  une  carte  géologique  de  80  milles  carrés; 
celle  de  M.  Kornerup  à  la  recherche  des  ruines  nordiques, 
il  en  prit  les  plans  et  les  dessins  ;  l'expédition  de  MM.  Steen- 
strup, déjà  nommé,  et  le  lieutenant  de  vaisseau  Jensen. 
(1877),  qui  explorèrent  le  district  de  Friedrikshaab  et  tra- 
cèrent une  carte  des  fiords  avec  leurs  ramifications  jusqu'au 
pied  de  la  glace  continentale.  Ils  déterminèrent  un  grand 
nombre  de  hauteurs  ainsi  que  le  mouvement  de  la  glace 
dans  les  fiords,  mais  ne  parvinrent  pas  cette  fois  à  pénétrer 
dans  l'intérieur  sur  la  glace  continentale  elle-même.  Ce  ne 
fut  que  l'été  suivant  (1878),  que  M.  Steenstrup  se  rendit 
dans  le  nord  du  continent  pour  y  chercher  les  ramifications 
inconnues  des  fiords  Umanak  et  poursuivre  en  1879  et 
1880  ses  recherches  sur  les  mouvements  glaciaires.  Une 
autre  expédition  commandée  par  M.  le  lieutenant  Jenseii 
(1878),  reçut  pour  mission  d'explorer  la  partie  de  la  côte  du 
Groenland  comprise  entre  le  fiord  Améralik  dans  le  district 
de  Godthaab  et  Tiningnertok,  d'en  dresser  la  carte  par 
des  mensurations  terrestres  et  astronomiques,  et  d'entre- 
prendre plusieurs  excursions  dans  l'intérieur.  On  lui  adjoi- 
gnit MM.  Kornerup  et  Groth  dont  le  zèle  facilita  singuliè- 
rement sa  tâche. 

Telles  sont,  à  grands  traits^  les  différentes  expéditions 
dont  les  résultats  sont  consignés  dans  les  Meddelelser  om 
Groenland. 


' 


352    RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

Notions  générales.  —  On  ne  peut  évaluer  avec  quelque 
certitude  la  surface  du  Groenland,  les  rivages  nord  de  ce 
continent  n'ayant  jamais  été  entrevus.  On  admet,  toutefois, 
que  cette  [surface  est  de  1700000  à  2  300  000  kilomètres 
carrés  dont  la  moitié  est  recouverte  de  glaces  persistantes. 
Une  bande  de  largeur  variable  entre  50  à  150  kilomètres 
court  le  long  du  littoral,  coupée  par  de  profonds  fiords.  Elle 
peut  seule  servir  d'habitat  aux  plantes,  aux  animaux  et  à 
l'homme.  Dans  le  nord,  cette  bande  est  même  supprimée; 
les  glaces  plongent  souvent  dans  la  mer.  Le  point  extrême 
reconnu  sur  la  côte  orientale  est  le  cap  Bismarck  par  77*  de 
latitude;  de  ce  point,  on  n'a  pu  qu'entrevoir  une  rive  se 
dirigeant  droit  au  nord.  La  côte  occidentale  est  reconnue 
jusqu'au  nord  du  glacier  de  Humboldt  (79  à  80*),  le  cap 
Constitution  et  les  profonds  fiords  de  Petermann  et  de  la 
baie  Polaris  (Sl^"  et  82"^).  Au  delà,  la  terre  semble  se  diriger 
vers  le  nord-est  pour  rejoindre  peut-être  l'autre  côte,  au 
nord  du  cap  Bismarck,  à  des  latitudes  inconnues. 

Orographie.  —  On  s'accorde  à  croire  que  l'ossature  du 
Groenland  est  formée  par  une  longue  chaîne  de  montagnes 
courant  du  nord  au  sud,  plus  près  de  la  côte  orientale. 
Ses  points  culminants  connus  sont,  par  73"",  la  pointe  Pe- 
termann (3000  mètres  environ),  et  la  pointe  de  Payer 
(2200  mètres),  dont  on  a  fait  l'ascension.  Cette  chaîne  prin- 
cipale semble  s'abaisser  vers  le  sud,  pour  se  relever  près 
du  cap  Farewel  jusqu'à  des  sommets  de  1800  à  2000  mètres 
d'altitude,  aux  parois  abruptes  encaissant  de  longs  et  pro- 
fonds fiords.  Une  seconde  chaîne  parallèle  moins  haute 
longerait  la  côte  occidentale  à  la  distance  d'environ  100  ki- 
lomètres. Ses  cimes  atteindraient  300  à  1200  mètres, et 
dans  le  sud  par  70^30',  on  voit  se  dresser  quelques  sommets 
de  2000  mètres. 

Fiords.  —  La  caractéristique  des  côtes  du  Groenland  et 
surtout  de  la  côte  occidentale,  est  l'existence  de  fiords  pé« 
nétrant  fort  loin  dans  les  terres,  profonds,  tortueux,  mais 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.  353 

entre  lesquels  un  observateur  scrupuleux  trouve  des  indices 
certains  de  parallélisme  dans  leurs  traits  principaux. 

Ce  parallélisme  aurait  pour  cause  première  des  disloca* 
tions  provoquées  par  des  lignes  de  soulèvement  éruptif, 
qui  frappent  d'autant  plus  les  yeux  que  le  pays  est  plus 
dénudé  et  que  la  roche  apparaît  souvent  sans  humus  ni 
végétation.  Ces  lignes  de  dislocation  sont  parallèles  par 
séries,  selon  l' époque  à  laquelle  elles  se  sont  produites  ;  une 
série  plus  moderne  croisant  souvent  une  série  plu  an- 
cienne. M.  Kornerup,  par  une  étude  approfondie  de  la 
constitution  géologique  du  sol,  croit  pouvoir  expliquer  la 
formation  des  fiords,  question  si  controversée,  par  le  tra- 
vail d'érosion  de  Teau  et  de  la  glace  sur  des  roches  dis- 
loquées. D'après  M.  Kornerup,  il  n'est  pas  besoin  d'attri- 
buer à  l'eau  et  à  la  glace  des  forces  surnaturelles  ni  de  sup- 
poser pour  la  durée  de  leur  action  un  nombre  prodigieux 
d'années.  La  glace  aurait  d'abord  joué  le  rôle  de  racloir 
sur  les  parties  de  la  roche  désagrégées,  puis  celui  de  polis- 
soir  sur  les  parties  dures  et  compactes  qu'elle  ne  pouvait 
entamer.  Cette  théorie  peut  soulever  certaines  objections, 
mais  ce  qu'elle  n'explique  pas,  c'est  pourquoi  dans  toutes 
les  régions  quelque  peu  rapprochées  dés  pôles,  les  fiords 
sont  beaucoup  plus  prononcés  sur  les  côtes  occidentales 
des  terres  que  sur  les  autres  :  le  Groenland,  l'Islande,  l'Ir- 
lande, l'Ecosse  et  ses  archipels,  la  Norvège;  au  sud,  la  Pa- 
tagonie,  la  Nouvelle-Zélande  présentent  toutes  ce  même 
phénomène.  On  le  retrouve  même  en  Bretagne,  en  Galice, 
en  Corse,  en  Dalmatie,  en  Asie  mineure,  en  Corée.  Quelques 
savants  ont  cherché  sa  cause  dans  la  conservation  des  re- 
liefs primitifs  du  sol  par  la  carapace  de  glace  dont  ils  étaient 
recouverts  aux  époques  glaciaires,  carapace  qui  aurait  pro- 
tégé le  sol  contre  les  agents  atmosphériques,  tels  que  les 
pluies  et  les  alternatives  de  gel  et  de  dégel,  ces  plus  grands 
dislocateurs  de  montagnes.  Les  vents  d'ouest,  plus  humides, 
auraient  déchargé  leurs  nuages  sous  forme  de  neige  sur 


354  RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEU. 

les  premières  côtes  qa'ils  {abordaient  et  cette  neige,  trans- 
formée en  nevé  a  donné  une  plus  grande  extension  en  même 
temps  qu'une  plus  longue  durée  aux  glaciers  inclinés  vars 
l'ouest.  Si  cette  explication  est  plausible  pour  les  régicms 
polaires,  elle  l'est  moins  pour  les  régions  chaudes  ah  la 
période  glaciaire  a  dû  être  moins  froide  et  moins  longue. 
Nous  pensons  donc  que  tout  n'est  pas  dit  sur  les  causes  de 
la  formation  des  fiords.  - 

Géologie.  —  La  part  consacrée  à  la  géologie  dans  les  Med- 
delelser  om  Groenland  est  considérable*  Nous  aborderons 
d'autant  moins  ce  sujet  qu'il  a  été  traité  récemment  avec 
toute  autorité  par  notre  savant  ccdlègue,  M.  Daubrée^,  qui 
rend  un  juste  hommage  aux  géologues  de  la  publication 
danoise. 

Nous  signalerons  seulement  une  découverte  de  la  plus 
haute  importance  :  celle  de  la  présence  à  l'état  natif,  et 
d'origine  terrestre  du  fer  nickelé  dit  météorique,  dont  les 
quelques  échantillons  recueillis  jusqu'à  ce  jour  provenaient 
de  bolides  tombés  sur  notre  planète.  Les  savants  danois 
ont  trouvé  au  Groenland  ce  fer  nickelé,  provenant  sans  con- 
teste des  profondeurs  de  notre  globe  et  rejeté  à  sa  surface 
par  les  forces  volcaniques.  Ce  métal  dont  on  n'avait  jamais 
encore  constaté  la  présence  à  l'état  natif  restait  avec  les 
phosphures  de  fer  et  le  sesquisulfure  de  chrome  (appelé 
daubréite)^  les  seuls  corps  étrangers  à  la  terre  semblant 
appartenir  en  propre  aux  astres  dont  les  débris  flottent  dans 
l'espace.  La  présence  du  fer  nickelé  à  l'état  natif  affirme  une 
fois  de  plus  l'unité  de  la  matière  et  des  lois  qui  la  doivent 
régir  dans  les  mondes  sidéraux  comme  ici-bas.        * 

Glaciologie.  —  La  crustallogie^  que  par  gallicisme  nous 
avons  appelé  glaciologie^  est  une  science  née  d'hier.  Elle  a 
conduit  en  remontant  le  cours  des  âges  à  la  période  gla- 
ciaire, et  la  période  glaciaire,  qui  n'est  plus  disc^table, 

1.  Journal  des  savants,  1885. 


HAPPQRT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL,  35i> 

nûU3  H  donné  l'explicatioa  claire,  irréfutable  de  problèmes- 
qui,  sans  elle,  resteraient  âans  solution. 

Qu'était  cette  période  de  froid?  Noire  imagination  a  peine 
à^e  figurer  un  immense  champ  de  glace  descendant  du  nord 
jusque  dans  les  plaines  de.  TAlIemagne,  couvrant  la  Hol- 
lande, .  la  Bretagne  et  s'avançant  peut-être  plus  au  sud  en* 
core.  Nous  ne  réalisons  pas  noaplus,  dans  des  temps  moins 
lointains»  l'aspect  que  devait  présenter  le  grand  glacier  des 
Alpes,  pariant  de  leurs  sommets  pour  étendre  ses  froids 
contacts  jusque  sur  les  vallées  de  la  Saône^du  Rhône,  du 
Danube  et  les  plaines  de  l'Italie.  Eh  bien,  messieurs,  la  pé- 
riode glaciaire  existe  encore  au  Groenland  avec  toutes  ses 
causes,  tous  ses  effets,  tous  ses  phénomènes;  là,  elle  peut 
ôtre  décrite  et  dessinée  d'après  nature.  C'est  ce  que  vient 
de  faire  Ja  commission. des  Medéelelser  en  nous  ramenant 
d'une  façon  tangible  à  la  réalité. sans  rien  emprunter  aux 
hypothèses  ni  à  la  fiction. 

La  glace  continentale  du  Groenland  était,  avant  ces  explo- 
rations, :un  redoutable  inconnu;  les  seules  tentatives  de 
Delager  en  1751,  de  John  Rae  en  1860  étaient  restées  stériles. 
.  MM.  Steenstrnp  et  Jensen  réussirent  à  pénétrer  jusqu'à 
75  kilomètres  sur  cette  glace,  dont  la  ligne  monotone  borne 
de  toutes  parts  l'horizon. 

Il  faut  admirer  le  courage  et  l'énergie  dont  les  membres 
de  l'expédition  ont  fait  preuve  pendant  ce  long  trajet,  avan- 
çant lentement  dans  un  labyrinthe  de  crevasses,  aveuglés 
par  des  tourmentes  de  neige  souvent  terribles  qui  décu- 
plaient les  morsures  du  froid,  n'ayant  pour  abri  et  pour 
nourriture  que  des  tentes  fragiles  et  quelques  conserves 
emportées  de  la  o6te.  Ils  parvinrent  avec  peine  en  un  point 
entouré  de  Nunatakker^  on  désigne  ainsi  en  langue  esqui- 
maude, les  sommets  ou  les  arêtes  de  roc  émergeant  du  gia* 
cier.  Ces  géants  opposent  un  obstacle  inébranlable  au  mou- 
vement de  la  glace  :  elle  se  fend  en  tous  sens,  se  heurte,  se 
disloque,  s'élève  en  gigantesques  vagues  ou  s'écroule  en  de 


356  RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANUTUEL. 

profonds  abîmes.  Quelles  impressions  ces  hommes  intré- 
pides n'ont-ils  point  dû  ressentir  devant  ce  chaos,  enve- 
loppés de  l'imposant  silence  des  régions  glacées,  dans  ces 
vastes  solitudes  si  loin  de  la  patrie,  où  l'homme  est  si  petit 
à  l'échelle  de  la  nature  mais  où  il  se  sent  grandir  par  les 
armes  que  Dieu  lui  a  données  pour  en  combattre  les  rigueurs 
et  en  surprendre  les  secrets. 
Dans  un  intéressant  article  des  Meddelelser^  M.  Johnstrup 

I 

ne  croit  pas  impossible  d'admettre  que  les  forces  en  action 
sur  ces  immenses  glaciers,  ne  soient  autres  que  celles  en 
oeuvre  sur  les  glaciers  inclinés  de  la  Suisse  et  de  la  Nor- 
vège. Il  est  peut-être  téméraire  de  ne  pas  partager  entiè- 
rement l'opinion  du  savant  professeur;  toutefois  nous  ne 
pouvons  nous  défendre  de  croire  que  les  lois  qui  régissent 
les  glaciers  de  nos  contrées,  au  moins  dans  leurs  parties 
planes,  sont  les  mêmes  au  Groenland*  Les  effets  de  ces  lois 
sur  des  masses  telles  que  celles  dont  il  s'agit  ici  peuvent 
être  différents  vu  les  proportions  du  laboratoire;  les  condi- 
tions d'humidité,  de  température,  de  regel  peuvent  varier, 
mais  les  causes  doivent  être  de  même  nature  sinon  de 
même  intensité.  Et  c'est  précisément  le  point  intéressant, 
que  de  reconnaître  ces  forces  dans  leur  maximum  d'am- 
pleur, pour  arriver  à  résoudre  en  Europe,  des  problèmes 
que  les  trop  petits  caractères  du  livre  nous  empêchent  de 
bien  déchiffrer. 

Cette  région,  elle  aussi,  a  passé  par  une  période  plus 
froide  et  plus  humide  encore,  car  les  stries  et  les  roches 
polies  constatées  sur  les  pics  émergents,  prouvent  que  les 
glaces  atteignaient  jadis  une  beaucoup  plus  grande  hauteur. 
Ainsi  les  montagnes  de  700  et  de  800  mètres  sont  striées 
jusqu'à  leur  cime.  Sur  le  Redekam  on  observe  des  stries 
jusqu'à  cette  altitude  de  800  mètres,  mais  non  plus  au 
sommet;  ce  qui  prouve  que  cette  montagne,  haute  de 
1200  mètres  émergeait  de  la  glace  ancienne,  comme 
d'autres  pointes,  jadis  recouvertes,  en  émergent  aujour- 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.    357 

d'hui.  Aetueilement  à  56  kilomètres  du  front,  la  glace 
atteint  690  mètres  au-dessus  de  la  mer  et  à  75  kilomètres, 
elle  monte  jusqu'à  1570  mètres.  Il  est  certain  qu'au  centre 
du  Groenland  elle  doit  s'élever  jusqu'au  nevé  qui  s'appuie  à 
des  cimes  de  2200  et  3000  mètres  d'altitude. 

Les  moraines  ont  fait  l'objet  d'une  étude  spéciale;  elles 
ont  dans  ces  régions  de  bizarres  allures  :  les  roches  émer- 
gentes étant  rares,  les  moraines  sont  rares  aussi,  mais  la 
glace  continentale  semble  suer  des  moraines  ou  des  blocs 
isolés  qui,  du  fond  remontent  à  la  surface.  Ce  phénomène, 
constaté  sur  les  glaciers  européens,  prend  au  Groenland  de 
grandes  proportions,  surtout  dans  le  voisinage  des  Nuna^ 
takkér  où  la  moraine  prend  la  forme  d'un  fer  à  cheval 
entourant  le  pic,  qui  souvent  lui-même  se  présente  comme 
un  cône  de  roc  au  fond  d'un  entonnoir  de  glace.  L'explica- 
tion que  M.  de  Charpentier  a  donnée  de  la  réapparition  des 
blocs  ensevelis  nous  entraînerait  trop  loin  et  n'est  peut-être 
pas  bien  applicable  aux  faits  observés  au  Groenland. 

Au  temps  de  la  période  glaciaire  des  Alpes,  les  moraines, 
probablement  rares  aussi,  et  certainement  plus  rares 
qu'aujourd'hui,  devaient  affecter  les  allures  qu'elles  ont  au 
Groenland.  Ils  sont  fondus,  ces  glaciers  préhistoriques,  en 
déposant  leur  bagage  de  blocs  erratiques  dans  les  plaines  où 
nous  savons  les  reconnaître.  Si  leurs  traces  offrent  parfois 
à  nos  observations  des  particularités  qui  piquent  notre 
curiosité,  ne  devons-nous  pas  en  rechercher  l'explication 
dans  ce  que  les  danois  nous  apprennent  de  cette  période 
glaciaire  groenlandaise  du  xix*^  siècle,  à  l'aide  de  laquelle 
nous  pouvons  aujourd'hui  comprendre  certaines  choses 
restées  inexpliquées. 

En  résumé  les  Meddelelser  om  Groenland  constituent  une 
encyclopédie  de  ce  continent  si  mal  connu.  De  nombreuses 
déterminations  astronomiques  et  observations  terrestres 
ont  permis  d'en  dresser  la  carte  exacte;  la  géologie  y 
trouve  une  série  de  faits  nouveaux  et  curieux;  le  bota- 


358         RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS   AU  PRIX  ANNUEL. 

niste  compare  la  flore  groenlandaise  avec  celles  de  l'Ame- 
rique  du  Nord,  de  l'Islande,  du  Spitzberg,  de  la  Sibérie  et 
de  certaines  zones  des  Alpes;  l'archéologue  enfin  peut,  à 
l'aide  des  ruines  retrouvées,  rétablir  une  des  premières 
pages  déchirées  de  Thistoire  de  ce  peuple  conquérant  par 
excellence,  et  grâce  aux  Danois  le  Groenland  servira  peut- 
être  nn  jour  -de  dernière  échelle  à  l'assaut  du  pôle. 

M.   EDMOND  DUMAS-VORZET 
M.  Fr.  Schrader,  rapporteur. 

Médaille    d'or.    —    Prix    Erliard. 

Mon  rapport  sera  presque  une  notice  nécrologique  :  Si 
Dumas-Vorzet  a  eu  la  joie  d'apprendre  que  vous  lui  dé- 
cerniez le  prix  fondé  en  mémoire  de  notre  collègue  Ërhard, 
d'autres  viendront  ici  le  recevoir  en  souvenir  de  lui.  Il  est 
mort  le  3  avril,  après  plus  d'une  année  de  souffrances. 

J'éprouve  quelque  difficulté  à  vous  parler  en  détail  de 
l'œuvre  d'Edouard  Dumas-yorzet,car  l'état  de  faiblesse  oà 
il  se  trouvait  depuis  plusieurs  mois  déjà  ne  lui  a  pas  permis 
de  me  fournir  tous  lés  renseignements  qui  m'auraient  été 
nécessaires.  Au  surplus,  ce  qui  asurtout  attiré  les  regards  de 
votre  commission  des  prix,  c'est  moins  la  quantité  de  ses 
travaux  que  le  caractère  de  sérieux,  de  sincérité,  de  cons^- 
cience  qui  les  caractérisait. 

Élève  du  vétéran  de  la  cartographie  française,  du  respec* 
table  M.  Vuillemin,  Dumas-Vorzet  apportait  dans  toutes  ses 
oeuvres  le  soin  scrupuleux  qui  distingue  les  travaus  de  son 
maître.  ^ 

Nombre  de  cartes  ont  été  dessinées  par  lui  dans  les  pu- 
blications géographiques  de  MM.  Cortambert,  dans  le  livre 
de  M.  Dupaigne,  les  Montagnes;  dans.de  nombreux  vo- 
lumes ou  atlas  géographiques  publiés  par  la  librairie  Ha<* 
chette.  Toute  la  partie  cartographique  du  travail  consacré 


BAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.    359 

par  le  comte  de  Paris  à  la  guerre  de  sécession  lui  a  été 
confiée,  et  ceux. qui  ont  jeté  les  yeux  sur  les  belles  cartes 
qui  accompagnent  le  texte  de  cet  ouvrage  ont  pu  apprécier 
avec  quelle,  intelligence  et  quel  talent  Dumas- Vorzet  s'est 
acquitté  de  sa  tâche. 

Quand  notre  vénéré  président  honoraire,  M.  Vivien  de 
Saint-tMartin,  fut  chargé  par  la  librairie  Hachette  de  pré- 
parer un  atlas  universel,  il  songea  immédiatement  à  s'atta- 
cher Dumas-Vorzet.  Sous  sa  direction,  le  talent  de  votre 
lauréat  grandit  et  $'éleva  en  même  temps  que  ses  connais- 
sances géographiques  s'étendaient  chaque  jour. La  carte  du 
Mexique,  déjà  parue^  celles  de  TAmérique  centrale,  de 
rAlgérie,  de  la  Caucasie,  encore  inachevées,  furent  les 
principaux  résultats  de  la  collaboration  de  Dumas-Yorzet  à 
V Atlas  universeLEn  môme  temps  il  consacrait  depuis  1870 
une  partie  de  son  temps  à  la  carte  de  France  au  500  000*  en- 
treprise par  le  génie  militaire  sous  la  direction  du  capitaine 
Prudent,  aujourd'hui  commandant. 

Guidé  par  l'expérience  d'un  si  excellent  topographe,  Du- 
m^s-Yorzet  apprit  bien,  vite  que  la  cartographie  ne  peut 
plus  aujourd'hui  se  borner  à  figurer  les  inégalités  du  sol 
d'après  des  traditions  établies  jadis  sans  connaissances  suf- 
fisantesy  et  longtemps  suivies  sans  une  suffisante  critique. 
Il  modifia  rapidement  sa  manière,  en  lui  donnant  à  la  fois 
plus  de  largeur  artistique  et  plus  de  rigueur  scientifiqij^e. 
Plus  convaincu  chaque  jour  de  cette  vérité,  que  la  nature 
est  le  seul  maître  infaillible,  et  qu'il  n'y  a  ni  traditions  ni 
principes  qui  tiennent  quand  la  réalité  les  contredit,  il  en- 
treprit plusieurs  voyages  pédestres,  et  visita,  le  sac  au  dos, 
plus  d'une  région  de  l'Europe,  entre  autres  la  Suisse,  où  il 
passa  une  partie  de  l'été  de  1878.  Ces  voyages  achevèrent 
son  éducation  géographique,  et  quand  le  progrès  des  nou- 
veaux procédés  d*héliogravure  inspira  au  commandant  Pru- 
dent la  pensée  de  transformer  directement  le  dessin  en  gra- 
yure  sur  cuivre,  il  chargea  Dumas-Yorzet  de  reproduire  en 


360    RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

hachures  ses  superbes  dessins  de  la  région  des  Alpes.  Je 
ne  crois  pas  me  tromper  en  disant  que  les  copies  de  Dumas- 
Yorzet  sont  presque  aussi  belles  que  leur  modèle,  et  sur- 
passent les  autres  travaux  de  ce  genre  faits  en  France  ou  à 
rélranger. 

Pour  la  région  des  Pyrénées,  dont  la  plus  grande  partie 
était  encore  ignorée  à  cette  époque,  M.  Prudent  confia  à 
Dumas-Vorzet  le  soin  de  préparer  une  carte  provisoire,  éta- 
blissant l'état  des  connsdssances  acquises  pour  cette  portion 
de  l'Europe.  Peut-être  votre  rapporteur  a-t-il  quelque  com- 
pétence pour  parler  de  ce  travail,  aussi  modeste  dans  la 
forme  que  remarquable  dans  le  fond;  et  tout  d'abord,  il  se 
permettra  de  faire  en  passant  une  remarque  toujours  bonne 
à  répéter;  c'est  que  l'amour  de  la  gloire  et  la  recherche  de 
la  célébrité  doivent  tenir  peu  de  place  dans  la  carrière  du 
cartographe.  Il  lui  faut  chercher  la  vérité  pour  la  vérité 
même,  ajouter  des  échelons  à  l'échelle  infinie  de  nos  con- 
naissances, pour  que  ceux  qui  le  suivent  montent  plus  haut 
que  lui  et  le  fassent  oublier.  Que  de  fois  cette  pensée  m'est 
venue  en  voyant  année  après  année,  aux  côtés  du  com- 
mandant  Prudent,  Dumas-Vorzet  remanier  sa  carte,  y  ajou- 
ter tout  ce  que  nous  ou  d'autres  avions  pu  recueillir  de 
nouveau  sur  la  géographie  pyrénéenne,  toujours  perfec- 
tionner pour  toujours  détruire,  avec  la  certitude  que  ces 
feuilles  de  papier  sur  lesquelles  il  se  penchait  n'auraient 
plus  dans  quelques  années  d'autre  valeur  que  celle  d'un 
chemin  parcouru,  d'une  étape  dépassée,  d'un  effort  oublié 
devant  son  résultat.  J'ai  tenu  à  mentionner  ici  ce  long  et 
modeste  travail,  dans  lequel  Edmond  Dumas-Vorzet  a  été 
le  fidèle  collaborateur  du  commandant  Prudent.  Il  y  a  des 
choses  obscures  qu'il  est  bon  de  faire  sortir  de  l'obscurité. 

La  participation  de  Dumas-Vorzet  à  la  carte  du  génie 
militaire  lui  valut  les  palmes  d'officier  d'Académie,  qui  lui 
furent  décernées  en  1880. 

Il  avait  déjà  fait  avec  M.  de  Lamothe  un  premier  voyage 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.    361 

dans  la  vallée  du  Nil,  pour  y  étudier  la  possibilité  de  fertili- 
ser les  vastes  plaines  situées  à  proximité  du  fleuve,  opu- 
lentes jadis,  stériles  aujourd'hui.  En  1882,  il  repartit  pour 
l'Egypte  et  remonta  le  fleuve  jusqu'en  Nubie,  poursuivant 
dans  toutes  les  anfractuosités  des  chaîaes  qui  bordent  le 
Nil,  des  études  dont  le  résultat,  suivant  toutes  les  appa- 
rences, se  fera  attendre  pendant  de  bien  longues  années. 
€'est  à  .son  retour  que  sa  poitrine,  fatiguée  par  l'excès  de 
travail  et  aussi  par  la  poussière  sablonneuse  du  désert 
égyptien,  fut  définitivement  atteinte.  Gomme  le  navire  se 
rapprochait  des  côtes  de  France,  un  coup  de  mistral 
vint  refroidir  brusquement  l'atmosphère,  et  Dumas-Vorzet 
débarqua  avec  le  germe  de  la  maladie  qui  devait  l'em- 
porter. 

C'a  été  pour  moi  un  privilège  que  d'être  invité  par  nos 
collègues  à  présenter  le  rapport  du  prix  Erhard.  Appelé  à 
collaborer  avec  M.  Vivien  de  Saint-Martin  pour  la  prépara- 
tion de  V Atlas  universel  auquel  il  a  attaché  son  nom,  j'ai 
pu  mieux  que  personne  apprécier  la  conscience  et  la  valeur 
de  Dumas-Yorzet,  et  je  tiens  à  lui  en  apporter,  en  termi- 
nant, le  témoignage  personnel.  Un  de  nos  plus  émineûtâ 
topographes,  le  colonel  Goulier,  constatait  dans  une  con- 
férence faite  à  l'École  d'application  de  Metz,  que  tous  les 
hommes  qui  ont  laissé  une  trace  dans  la  cartographie  ont 
été  remarquables  par  un  trait  commun,  leur  profonde  hon- 
nêteté. Dumas-Yorzet  n'a  pas  fait  exception.  C'est  à  un  bon* 
nête  homme  dans  toute  la  force  du  terme  que  vous  avez 
accordé  le  prix  Erhard  de  1885.  Puisse  cette  pensée  adoucir 
le  chagrin  de  sa  veuve  et  servir  d'exemple  à  son  jeune 
fils. 


soc.  DE  GÉOGR.  —  3*  TRIMESTRE  1885.  VI.  —  25 


362         RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 


M.  ERNEST  LEROUX,  éditeur 

M.  £.  T.  Hamy,  ra^pforUur 
Prix  Jomard^ 

Un  41e  nos  collègues,  M.  Barbie  da  Bocage,  rappelait  der« 
nièrement^  dans  une  réunion  de  la  Commission  centrale, 
les  discussions  savantes  qui  animaieïit  jadis  les  séances  de 
quinzaine,  et  dont  l'histoire  de  la  géographie,  il  se  plaisait 
à  nous  le  rappeler,  faisait  le  plus  souvent  les  frais. 

Il  y  a  longtemps,  bien  longtemps,  qu'il  n'en  est  plus  de 
même;  on  ne  discute  plus  guère  à  nos  réuriions(  bi-men- 
suelles,  et  les  études  historiques,  si  florissantes  jadis  au  sein 
de  la  Société,  n'y  comptent  preisque  plus  d'adeptes. 

Les  publications  relatives  à  cette  •  branche  de  la  géogra- 
phie se  sont  même  faites  très  rares  en  France.  Tandis  que 
la  Société  Haklnyt  continuait  vaillamioênt  à  Londres  la 
série  de  ses  traductions  annotées  ;  tandis  que  M.  Saragoza 
mettait  au  jour  à  Madrid  les  premiers  volumes  de  sa  fit- 
hliotheca  Hispano-Ultramarina;  tandis  que  d'autres  •  col- 
lections analogues  trouvaient  à  Munich,  à  Barcelone,  à 
Philadelphie  et  même  à  Mexico  d'actifs  et  entreprenants 
éditeurs,  la  librairie  firanQaise  semblait  avoir  renoncé  à  non 
publier  d'important  dans  une  voie  momentanément  désertée 
par  nos  géographes  nationaux. 

Il  restait  pourtant  bien  à  faire  dans  la  direction  histo- 
rique, même  en  se  bornant  aux  œuvres  géographiques,  iné^ 
dites  ou  peu  connues,  écrites  dans  notre  langue.  La  relation 
du  premier  voyage  autour  du  monde,  rédigée  en  français 
par  Pigafetta,  était  encore  manuscrite;  on  ne  possédait  pas 

1.  Recueil  de  Voyages  et  de  DoeumenU  pour  servir  à  Vkistoire  de  la 
géographie  depuis  le  treizième  jusqu'à  la  fin  du  seizième  siècle,  publié 
80US  la  direction  de  MM.  Ch.  Schefer,  membre  de  Tlnstitut,  et  HEinu 
CORDiER.  6  vol.  in-8,  Paris  1882-1884,  avec  cartes,  etc. 


j 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  kV   PRIX  ANNUEL.    363 

l'œuvre  des  Parmentier,  les  premiers  capitaines  qui. aient 
arboré,  en  1529,  le  drapeau  national  dans  les  mers  des 
Indes  ;  nos  anciennes  relations  de  voyages  asiatiques  étaient 
en  partie  oubliées,  enfin  Ton  continuait  à  contester  à  nos 
navigateurs  normands,  bretons  ou  basques,  une  partie  de 
leurs  découvertes  en  Amérique  ou  sur  les  côtes  de  Guinée. 

M.  Ernest  Leroux,  frappé  de  l'importance  de  quelques* 
uns  des  manuscrits  que  mettaient  sous  ses  yeux,  en  enpro* 
voquant  Tédition,  MM.  Gh.  Schefer  ou -H.  Barrisse^  de 
New-Tork,  s'est  décidé  à  confier  à  réminént  directeur  de 
l'École  des  langues  orientales,  et  à  notre  sympathique  et 
savant  collègue  M.  Henri  Gordier,  la  publication  d'une  nou- 
velle bibliothèque  de  géographie  historique  qui  fera  peu  à 
peu  connaître  les  choses  les  plus  intéressantes  relatives  à  la 
connaissance  du  globe  du  xnv  siècle  à  la  fin  du  xvi*. 

C'est  le  Recueil  de  voyages  et  de  documents  pour  servir 
à  r histoire  de  la  géographie^  commencé  en  188S  et  qui  se 
compose  déj^  de  six  beaux  volumes  in-S"",  accompagnés 
de  cartes.  J'en  vais  donner  une  analyse  rapide,  afin  de  jus- 
tifier la  décision  de  votre  commission  des  prix,  qui  attribue 
cette  année  le  prix  Jomard  à  la  publication  de  M.  Leroux. 
Les  six  volumes  parus  forment  deux  séries  bien  distinctes. 
L'une  de  ces  séries  est  plutôt  biographique;  le  célèbre  éru- 
dit  américain  qui  la  publie,  M.  Barrisse,  s'efforce,  on  le 
sait,  depuis  longtemps,  de  pénétrer  aussi  avant  que  pos- 
sible dans  l'intimité  des  grands  navigateurs  qui  ont  illustré 
les  dernières  années  du  xv*  siècle.  Les  documents  accu- 
mulés dans  les  tomes  I,  UI  et  YI  du  Recueil  de  M.  Leroux 
contribueront  à  élucider  bien  des  problèmes  relatifs  aux 
deux  Cabot,  Gaspard  et  Miguel,  aux  Corte  Real,  et  à  Chris* 
tophe  Colomb. 

Les  trois  volumes  qui  portent  les  numéros  II,  IV  et  V  de 
la  collection  ont  plutôt  un  caractère  historique;  ce  sont 
d'anciens  textes  français,  inédits  ou  devenus  rares,  et  re- 
latifs à  des  voyages  d'Orient.  La  personne  des  voyageurs  n'y 


364         RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

joue  plus  lé  rôle  prépondérant,  l'étude  des  milieux  au  sein 
desquels  il  leur  a  fallu  se  mouvoir  est,  au  contraire, 
poussée  aussi  loin  que  possible. 

M.  Schefer,  membre  de  Tlnstitut,  qui  fait  paraître  ces 
volumes,  n'est  point .  seulement  le  linguiste  dont  tout  le 
monde  savant  apprécie  la  valeur.  Cet  Orient,  dont  il  a  par- 
ticulièrement étudié  les  langues,  il  en  possède  admirable- 
ment l'histoire  et  l'archéologie.  La  géographie  des  contrées 
qui  composent  son  vaste  domaine  scientifique  n'a  guère  de 
secrets  pour  lui,  et  il  connaît  aussi  bien  les  textes  des  an- 
ciens voyageurs  en  Malaisie  ou  en  Chine  que  ceux  des 
grands  auteurs  persans  dont  il  commente  les  œuvres  dans 
sa  chaire  de  l'École  des  langues  orientales. 

Le  premier  des  volumes  publiés  par  M.  Schefer  est  la 
relation  d'un  Parisien,  dont  le  nom  est  resté  inconnu  et  qui 
visitait  la  Terre-Sainte  en  1480.  Publié  en  1517  d'une  ma- 
nière  extrêmement  incorrecte  et  réimprimé  deux  fois  tel 
quel  au  xvi*  siècle,  le  Voyage  de  la  Saincte  Cyté  de  Hiéru- 
saletn  était,  sous  cette  forme  défectueuse,  d'une  extrême 
rareté,  lorsque  M.  Schefer  s'est  déterminé  à  en  donner  une 
édition  définitive.  Une  description  assez  étendue  de  Venise, 
et  des  renseignements  plus  sommaires  sur  Raguse,  Modon, 
Candie,  Chypre  et  Rhodes,  méritent  plus  particulièrement 
de  fixer  l'attention  des  géographes. 

Si  l'on  se  rappelle  que  les  Turcs  venaient  d'assiéger 
Rhodes  sans  succès  et  que  leurs  navires  couraient  la  mer 
jusqu'à  Valona,  on  sera  en  mesure  d'apprécier  les  difGicullés 
d'une  navigation  où  la  galère,  quoique  vénitienne  et  pro- 
tégée par  un  traité  récent  de  la  République  avec  le  Sultan, 
est  pourtant  exposée  journellement  à  des  rencontres  désas- 
treuses et  où  les  pèlerins  vont  trouver  en  Terre-Sainte  une 
population  fanatique  et  turbulente  et  des  fonctionnaires 
violents  et  avides,  que  surexcitent  encore  les  événements 
qui  se  déroulent  autour  des  murailles  de  Rhodes.  Le  patron 
de  la  galère  vénitienne  est,  d'ailleurs,  un  homme  cupide, 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.    865 

toujours  prêt  à  sacrifier  à  ses  inftérôts  personnels  la  liberté 
des  passagers^  et  l'exposé  des  a  noises  et  altercations  entre 
ledict  patron  et  lesdicts  pèlerins  »  n'est  pas  un  des  côtés 
les  moins  curieux  du  récit  publié  par  M.  Schefer.  L'éminent 
directeur  de  l'École  des  langues  orientales  a  fait  précéder 
le  texte  du  Voyage  d'une  introduction  très  intéressante  dans 
laquelle  il  résume,  à  l'aide  des  récits  de  pèlerins  et  des 
sources  indigènes^  qu'il  connaît  mieux  que  personne,  la 
situation  de  la  Palestine  à  la  fin  du  xv*  siècle,  et  l'état  des 
relations  des  voyageurs  occidentaux  avec  les  autorités  mu- 
sulmanes, à  cette  époque  particulièrement  agitée.  Un  Suisse 
de  Zurich,  le  dominicain  Félix  Faber  (Schmidt)  et  un  Mi- 
lanais, Sancto  Brascha,  qui  faisaient  partie  de  la  môme 
expédition  que  Tauteur  anonyme  du  Voyage  à  la  Saincte 
Cyté  ont  laissé,  l'un  et  l'autre,  des  relations  que  M.  Schefer 
analyse  et  compare  dans  cette  même  introduction. 

Le  deuxième  voyage  en  Orient  publié  par  le  savant  aca- 
démicien a  pour  auteur  le  gardien  du  couvent  des  cordeliers 
d'Angoulême,  Jean  Thenaud.  Il  est  postérieur  de  trente- 
deux  ans  à  celui  de  l'anonyme  de  Paris.  Ge  Voyage  éPou^ 
tremer  {Égyptey  Mont  Sinay,  Palestine),  n'est  plus  le 
simple  récit  d'un  pèlerin  entraîné  à  visiter  les  Saints  Lieux 
par  une  ardente  dévotion.  L'auteur  se  trouve  chargé  d'une 
mission  officieuse  ;  il  fait  partie  de  l'ambassade  qu'envoie 
Louis  XII  «  pour  porter  lettres  au  souldan  d'Egypte  et  de 
Babilloyne  qui  detenoit  en  prison  le  gardien  et  les  religieux 
de  Hiérusalcm...  qui  semblablement  detenoit  le  consul  des 
Françoys  et  Gastellans,  Phelipes  de  Peretz,  avecque  plu- 
sieurs marcbans  et  marchandises,  etc.  ». 

M.  Schefer  a  écrit,  à  propos  de  cette  ambassade  que  di- 
rigeait André  Le  Roy,  un  chapitre  presque  entièrement  nou- 
veau de  l'histoire  des  relations  politiques  et  commerciales 
du  monde  européen  avec  l'Orient  à  la  fin  du  xV  siècle.  On 
trouve,  pour  la  première  fois,  dans  ce  travail  qui  sert  d'in- 
troduction au  texte  de  Jean  Thenaud,  l'analyse  raisonnée 


366    RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

des  documents  recueillis  $ur  TÉgypte  par  les  voyageurs 
francs  depuis  1832  jusqu-à  1502,  et  Texposé  détaillé  des 
événements  qui  ont  amené  Tenvo^  de  l'ambassade  dont  fait 
partie  lé  cordelier  d'Àngoulême.  M*  Schefer  étudie  aussi  de 
très  près,  dans  mnlntroductian^  les  documents  relatifs  au 
voyage  de  Domehieo  Trevisan,  dépêché  vers  le  même  temps 
par  la  seigneurie  de  Venise;  pour  traiter  avec  le  Soudan 
d^Égypte  :  la  relation  de  rambâssade  de  Trevisan /écrite  en 
italien  par  Zaccaria  Pagani  et  traduite  en  français  à  la  fin 
du  volume,  vient  Irôs  heureusement  compléter  une  publi* 
cation  que  devront  consulter  tous  ceux  qui  s'intéressent 
à  l'histoire  commerciale  et  politique  du  Levant. 

Les  navigations  de  Jean  et  Raoul  Parmentier,  de  Dieppe, 
ont  fourni  la  matière  du  troisième  volume  publié  par 
M»  Schefer.  Les  voyages  de  ces  hardis  marins  n'étaient  que 
partiellement  connus.  Desmarquets,  Vitet,  M.  Pierre  Margry 
en  avaient  conservé  la  tradition.  Estancelin  avait  même, 
en  1832,  publié  un  texte  incorrect  et  incomplet  du  Voyage 
à  Sumatra  rédigé,  M.  Schefer  le  démontre,  par  Pierre  Cri- 
gnon,  ie  fidèle  et  dévoué' compagnon  de  Jean  Parmentier. 
L'édition  de  M.  Schefer,  précédée  d'une  introduction  qui 
renferme  tout  ce  que  l'on  peut  dire  sur  Crignon  et  les  Par- 
mentier, est  publiée  d'après  un  manuscrit  original  qui 
comprend,  outre  une  bonne  copie  du  Discours  de  la  navi- 
gation de  Jean  et  Raouâ  Parmentier ,  la  description  demeurée 
inédite  de  «  Ttle  de  Sainct-Domingo  »,  Haïti  ou  Saint- 
Domingue. 

-  Ge  n'est  point  le  lï&d  d'insister  sur  les  circonstances  dans 
lesquelles  s'est  efTectué  le  premier  voyage  des  Français  dans 
la  mer  des  Indes.  Nouis  nous  bornons  à  relever  dans  le  texte 
deGrignon  quelques  renseignements,  curieux  pour  l'époque, 
sur  Madagascar  récemment  découverte  et  sur  les  €  Mores  » 
de  types  variés  rencontrés  par  les  explorateurs  à  la  côte 
occidentale  de  cette  grande  île;  sur  Anjouan  et  les  «  deux 
langages  »  de  ses  habitants;  sur  les  Maldives;  sur  TicoU; 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  AITNUEL.         367 

enfin,  chef-lieu  d'un  canton  de  la  résidence  de  Padang  où  Par- 
nientier  cherche  à  faire  la  traite  du  poivre  et  de  Tor,  et  aux 
habitante  duquel  Grignon  consacre  un  paragraphe  spécial* 

Les  deux  Parmentier  succombèrent  Tua  devant  Ticou, 
i'âutre  'vers  Indapour,  ainsi  qu'un  grand  nombre  de  leurs 
-compagnons,  atteints  de  scorbut  ou  de  fièvres  pernicieuses. 
Ce  double  coup  fut  particulièrement  cruel  pour  nos  intérêts 
dans  Fextrômb  Orient;  les  deux  navires  français,  la  Pensée 
elle  Sacret  revinrent  péniblement  à  leur  port  d'attache 
aveé  des:  chargements  fort  incomplets  et  l'initiative  commer- 
ciale et  scientifique  de  nos  marins  de  la  Manche  fut  pour 
longtemps  paralysée  par  cet  échec. 

Lorsque  Normands  et  Parisiens  associés  tentèrent,  au 
commeneemeut  du  xvn*  siècle,  de  nouvelles  entreprises  du 
eôté  de  la  Sonde,  ils  trouvèrent  les  Hollandais  fortement 
établis  presque  partout  et  décidés  à  entraver,  même  par  des 
moyens  illicites,  leurs  relations  avec  les  îles  des  épices. 

Les  expéditions  de  de  Netz  et  de  Beaulieu,  pour  ne  citer 
'que  les  premières,  échouèrent  en  partie,  grâce  à  cette  hos- 
tilité, et  ce  n'est  que  beaucoup  plus  tard  qu'il  fut  possible 
à  d'autres  navigateurs  de  notre  nation  de  négocier  à  peu 
près  librement  avec  Java. 

Le  c  mémoire  de  ce  qui  est  contenu  en  l'île  de  Saint- 
Domingo  ))!' qui  forme  la  seconde  partie  de  la  rédaction  de 
€ngnon  est  le  texte  français  ic  plus  ancien  que  nous  possé- 
dions sur  les  côtes  d'Amérique.  LongtempsavantParnieatier 
des  navigateurs  de  notre  pays  avaient  abordé  le  r^ouveau 
€ontinent.  Binot  Paulmier  de  Gonnerville,  par  exemple,  tou- 
chait au'  Brésil  en  1503,  mais  son  journal  >6s^«  depuis  long- 
temps p^rdu.  Les  Grandes-Antilles  avaient  reçu  des  religieux 
français  avant  le  quatrième  et  dernier  voyage  de  Colomb, 
mais  ces  religieux  n'ont  laissé  aucun  monument  de  leur 
séjour.  Enfin  nos  pêcheurs  normands  et  bretons  fréquen- 
taient* les  bancs  de  Terre-Neuve  dès  les  premières  années 
du  îcvi*  siècle. 


^68        BAPPQRT  SUR  LE   CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

Ils  y  avaient  été  précédés  par  les  Portugais  de  Gorte  Real 
et  par  les  Anglais  de  Cabot,  qui  avaient  exploré  dès  la  fin  du 
XV*  siècle  les  contrées  voisines  des  embouchures  du  Saint- 
Laurent.  C'est  à  rétude  de  ces  premières  expéditions  le  long 
du  littoral  nord  américain  que  sont  consacrés  les  volumes 
I  et  III  de  la  collection  Leroux,  publiés  par  M.  H.  Har* 

risse. 

Le  savant  éditeur  montre  dans  le  premier  de  ces  volumes 
que  le  navigateur  Jean  Cabot  était  Génois  de  naissance  et 
Vénitien  d'adoption;  que  Sébastien,  son  fils,  qui  fut  pilote- 
major  de  Charles-Quint,  est  né  à  Venise  ;  que  l'établissement 
des  Cabot  en  Angleterre  a  eu  lieu  vers  1490;  que  le  voyage 
de  Jean  et  de  ses  fils  s'est  effectué  de  mai  à  juillet  1497; 
que  le  point  d'atterrissage  des  navigateurs  i  la  côte 
d'Amérique  dans  leur  premier  voyage  est  à  peu  près  impos- 
sible à  déterminer  rigoureusement;  que  les  deux  autres- 
expéditions  attribuées  aux  Cabot  n'ont  guère  laissé  de 
traces  plus  nettes;  enfin,  que  la  trop  fameuse  carte  de 
S^astien,  datée  de  1544^  n'est  en  ce  qui  concerne  le  golfe 
de  Saint-Laurent  et  les  terres  voisines,  qu'une  imitation 
de  la  célèbre  mappemonde  française,  dite  de  Henri  II y  c  le 
plus  beau  monument  cartographique  du  xvi*  siècle  qui 
nous  soit  parvenu  >.  La  carrière  de  Sébastien  Cabot  en 
Espagne,  ses  fugues  en  Angleterre,  ses  intrigues  avec  les 
Vénitiens,  le  voyage  à  laPlata  sont,  de  la  part  de  M.  Barrisse, 
l'objet  d'une  enquête  minutieuse  et  d'une  discussion  qui 
se  recommande  à  la  fois  par  son  érudition  et  son  ingé- 
niosité. 

Les  mêmes  qualités  signalent  aux  historiens  de  la  géogra- 
phie le  deuxième  volume  de  M.  Barrisse  consacré  aux  Gorte 
Real,  qui  suivent  de  si  près  les  Cabot  dans  leurs  explorations 
du  littoral  canadien. 

Pendant  que  Colomb,  Bojeda,  Pinzon,  Lepe,  Nino,  Ves- 
pucci,explorent  les  cêtes  américaines  du  cap  Saint-Augus- 
tin au  Venezuela  et  que  Cabrai  découvre  accidentellement 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.    369 

le  Brésil,  un  gentilhomme  portugais ,  d'une  cinquantaine 
d'années,  Gaspar  Corte  Real  appareille  de  Lisbonne  ou  de 
file  de  Terceire,  et  rentre  au  bout  de  quelques  mois,  ayant 
trouvé  bien  loin  dans  la  direction  du  nord-ouest  des  terres 
habitées  et  couvertes  de  verdure.  Une  seconde  expédition, 
composée  de  trois  caravelles,  met  à  la  voile  en  janvier  1501 
pour  se  rendre  dans  les  mômes  régions;  une  de  ces  cara- 
velles disparaît,  c'est  celle  de  Gaspar.  Miguel,  son  frère, 
après  cinq  mois  de  douloureuse  attente,  équipe  trois  bâti- 
ments pour  voler  au  secours  du  cher  absent;  les  trois  bâti- 
ments de  Miguel  sont  engloutis  dans  les  flbts.  Le  mystère 
dont  ce  double  désastre  est  resté  entouré,  le  rang  et  l'hé- 
roïsme des  victimes  qu'il  a  faites,  l'importance  présumée 
des  découvertes  accomplies  et  le  désaccord  qui  règne  sur 
les  contrées  dont  elles  avaient  ouvert  la  route,  enfin  et 
surtout  le  manque  de  détails  authentiques  sur  l'origine,  la 
famille  et  la  vie  des  malheureux  explorateurs,  tout  cela  avait 
depuis  longtemps  attiré  et  séduit  M.  Barrisse  qui  s'était 
appliqué,  faute  de  mieux,  à  reconstituer,  aussi  détaillée  qe 
possible,  l'histoire  de  la  famille  de  Gorte  Real.  Le  savant 
biographe  avait  même  réussi  à  rétablir,  â  l'aide  de  pièces 
peu  connues,  la  généalogie  tout  entière  de  cette  illustre 
race,  quand  un  document  inédit  d'un  exceptionnel  intérêt 
lui  a  permis  d'aborder  fructueusement  l'étude  même  des 
deux  voyages  de  1500  à  1501.  ^ 

Cette  pièce,  tirée  des  archives  de  la  maison  d'Esté,  est  un 
rapport  envoyé  par  Alberto  Gantino,  correspondant  en  Por- 
tugal du  duc  Hercule  de  Ferrare,  et  témoin  oculaire  du 
retour  à  Lisbonne  de  la  seconde  des  caravelles  de  Gaspard 
Gorte  Real  le  11  octobre  1501.  Il  est  accompagné  d'un  ma- 
gnifique planisphère  exécuté  en  1502  pour  le  duc  par  un 
cartographe  portugais.  L'étude  du  portulan  de  Gantino, 
dont  la  portion  utile  est  reproduite  en  fac-similé  colorié 
dans  l'ouvrage  de  M.  Barrisse,  nous  confirme  une  interpré- 
tation déjà  ancienne  suivant  laquelle  les  terres  vues  par  les 


370         RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL. 

Portugais  en  1500  et  en  1501  ne  seraient  autres  que  Terre- 
Neuve  d'une  part  et  de  l'autre  le  Labrador» 

Ce  portulan  nousCait  encore  connaître  un  autre  fait  extrê- 
mement intéressant  dans  l'histoire  des  découvertes  améri- 
caines. Entre  la  fin  de  l'année  1500  et  l'été  de  1501,  après 
Tachèvement  de  la  carte  de  La  Gosa  et  avant  la  confection 
de  celle  de  Gantino,  des  navigateurs  espagnols  avaient  dé- 
couvert,  exploré  et  nommée  la  partie  du  littoral  des  États- 
Unis  qui,  des  environs  de  la  baie  de  P^nsacola,  borde  le 
golfe  du  Mexique  jusqu'à  l'extrémité  de  la  péninsule  flori- 
dienne,  et  le  contournant,  longe  au  nord  la  côte  de  l'Atlan- 
tique jusque  vers  l'embouchure  de  la  Ghesapeake  ou  de 
l'Hudson,  » 

Les  nouvelles  études  de  M.  Barrisse  sur  Golomb  ne  nous 
arrêteront  point  longtemps.  La  première  partie  de  cette 
histoire  critique  est,  en  effet,  seule  publiée  aujourd'hui  ; 
c'est  le  sixième  et  dernier  volume  du  Recueil  de  M.  Ernest 
Leroux.  Il  comprend  une  analyse  détaillée  des  sources  ma* 
nuscrites  et  imprimées  de  la  biographie  du  grand  Génois, 
puis  trois  chapitres  de  cette  biographie  consacrés  aux 
origines  de  sa  famille,  à  ses  aïeux  et  à  sa  personne  même, 
depuis  sa  naissance  jusqu'à  son  atterrage  à  Guanahani  le 
12  octobre  1492.  On  trouvera  notamment,  vers  la  fin  du 
volume,  une  reproduction  fidèle  de  la  relation  originale  de 
Golomb  d'après  l'exemplaire  unique  que  l'on  conserve  à  la 
bibliothèque  ambrosienne  de  Milan,  et  une  traduction 
française  faite  sur  cette  précieuse  plaquette,  qui  n'est  con- 
nue que  depuis  vingt-deux  ans  des  bibliographes  et  des  his- 
toriens. 

Il  y  aurait  d'autres  documents  curieux  à  mentionner 
encore  dans  cet  intéressant  volume.  Mais  je  ne  veux  pas 
oublier  que  mon  rapport  est  le  sixième  qui  vous  aura  été 
présenté  dans  cette  séance  et  je  crains  d'abuser  de  votre 
bienveillante  attention. 

Au  surplus,  le  résumé  que  vous  venez  d'entendre,  quelque 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  AU  PRIX  ANNUEL.         371 

succinct  qu'il  soit,  justifie  amplement  la  décision  de  votre 
Commission  des  prix.  J'ai  déjà  eu  l'honneur  de  dire  que  le 
prix  Jomard  pour  1885  est  attribué  à  M.  Eraest  Leroux, 
l'éditeur  intelligent  et  actif  du  Rectieil  de  Voyages  et  de 
Documents  pour  servir  à  Vhistoire  de  la  Géographie  jus- 
qu'à  la  fin  du  xyi°  siècle. 


(1883-1884) 


AR 

Médecin  de  la  marine. 


Il  y  a  vingt-six  mois,  en  rendant  compte  à  la  Société 
de  Géographie  de  mes  excursions  chez  les  Mois  qui  habitent 
la  région  de  Tlndo-Ghine  comprise  entre  l'Ânnam  et  le 
Mékong,  je  manifestais  l'intention  de  parcourir  du  sud  au 
nord  la  chaîne  de  montagnes  qui  borde  TAnnam.  Peu  après, 
je  partais  dans  ce  but,  chargé  d'une  mission  par  le  Ministre 
de  l'Instruction  publique.  Arrivé  à  Singapore,  je  reçus  une 
lettre  de  M.  LeMyre  de  Villers,  alors  gouverneur  de  la  Cochin- 
chine,  qui  m'engageait  à  laisser  là,  pour  le  moment,  les 
peuplades  Mois  ;  il  y  avait,  me  disait-t-il,  un  intérêt  au  moins 
aussi  grand  au  point  de  vue  géographique,  à  reconnaître  les 
pays  situés  entre  le  Tonkin  et  le  royaume  de  Luang-Prabang 
et  d'un  autre  côté  il  pouvait  être  de  la  plus  grande  utilité  de 
s'éclairer  sur  l^état  actuel  de  ces  régions  et  de  nouer  des 
relations  d'amitié  avec  les  gouverneurs  et  vice-rois  du  Laos. 
J'acceptai  avec  empressement  cette  mission  qui  devait 
allonger  considérablement  mon  voyage  et  me  dirigeai  sur 
Bangkok,  soit  pour  me  procurer  des  passeports  siamois, 
soit  pour  conférer  avec  le  D'  Harmand,  représentant  de  la 
France,  que  son  habitude  du  Laos  et  sa  haute  compétence 
en  tout  ce  qui  regarde  l'Indo-Ghîne,  mettaient  à  môme  de 
me  donner  des  conseils  précieux. 

1.  Communication  adressée  à  la  Société  dans  sa  séance  du  7  novembre 
1884.  —  Voir  la  carte  jointe  à  ce  numéro. 


VOYAGE  AU  LAOS.  373 

Le  12  janvier  1883,  après  avoir  organisé  mon  expédition, 
aidé  des  subsides  que  m'avait  votés  le  conseil  colonial  de  la 
Cochinchine,  je  partis  de  Saigon  sur  VÉclair,  canonnière 
de  l'État,  qui  devait  me  conduire  jusqu'à  Kratieh,  dans  le 
Haut-Cambodge.  L'expédition  se  composait  de  quatre  Anna- 
mites seulement.  Deux  d'entre  eux  étaient  des  interprètes  ; 
l'un,  âgé  de  moins  de  dix-sept  ans,  était  chargé  du  siamois 
et  laotien  et  ne  comprenant  pas  le  français;  l'autre,  âgé  de 
moins  de  vingt  ans,  devait  interpréter  l'annamite  en  fran- 
çais qu'il  comprenait  à  peine.  Les  deux  autres  Annamites 
étaient  deux  miliciens  de  l'inspection  de  Bien-Hoa.  A  mon 
départ  M.  Le  Myre  deVillers  m'avait  donné  des  instructions 
dont  je  détache  les  passages  suivants  :  c ...  Vous  remonterez 
le  Haut-Mékong,  vous  arrêtant  successivement  à  Somboc* 
Sombôr  (Cambodge),  Stung-Streng,  Bassac  et  Luang'-Pra- 
bang.  Arrivé  dans  cette  dernière  ville  vous  vous  y  établirez 
et  de  là  rayonnerez  dans  les  différentes  directions,  au  besoin 
jusqu'aux  frontières  chinoises. 

Votre  retour  s'opérerait  soit  par  le  Yunnan  et  le  Fleuve 
Rouge,  si  le  passage  était  possible,  soit  par  le  sud  du  Tonkin 
si  l'état  de  nos  relations  avec  l'Annam  vous  permettait  de 
pénétrer  çur  son  territoire.  Dans  le  cas  où  vous  ne  pourriez 
suivre  ces  voies  vous  redescendriez  par  le  Ménam  à  Bangkok 
et  vous  suivriez  l'itinéraire  de  Mouhot....  j» 

Après  être  restés  quelques  Jours  à  Pnom-Penh,  la  capi- 
tale du  Cambodge,  où  je  fis  mes  derniers  achats,  nous 
arrivions  le  19  décembre  à  Kratieh,  point  au-dessus  duquel 
lanavigation  devenait  dangereusepourla  canonnière  l'éclair. 
Le  20  au  matin,  ayant  dit  adieu  à  YÉclair,  à  son  comman- 
dant, le  lieutenant  de  vaisseau  Thesmar  que  j'espérais  bien 
retrouver  au  Tonkin  où  nous  nous  rendions  tous  deux  par 
des  routes  différentes,  et  aux  amis  de  Pnom-Penh  qui 
étaient  venus  m'accompagner  jusqu'à  Kratieh  je  m'embar- 
quais sur  trois  petites  jonques  cambodgiennes.  Isolé  désor- 
mais, j'allais  vivre,  pendant  près  de  dix-huit  mois,  en  dehors 


374  VOYAGE  AU  lAOS. 

de  la  vie  civilisée.  Ce  ne  fut  pas  sans  quelque  émotion  que 
je  vis  disparaître  au  premier  tournant  du  fleuve  le  panache 
de  fumée  de  VËclair  qui  avait  appareillé  en  même  temps 
que  mes  jonques. 

Je  ne  songe  pas  à  vous  faire,  en  quelques  minutes,  la  re- 
lation d'un  aussi  long  voyage;  je  rapporte  des  documents, 
des  notes,  des  observations  et  des  itinéraires  nomlnrenx,  à 
l'aide  desquels  j'espère  pouvoir,  dans  quelques  mois,  fournir 
à  M.  le  Ministre  de  rinstruction  publique  un  long  rapport 
et  publier  une  relation  de  voyage;  mais  pour  aujourd'hui, 
après  avoir  brièvement  énuméré  les  principaux  résultats 
de  cette  exploration,  je  me  bornerai  à  attirer  votre  attention 
sur  la  partie  de  mon  itinéraire  la  plus  importante  pour 
l'avenir  de  Tlndo-Chine,  je  veux  parler  du  Nam  Ou  et  des 
pays  environnants. 

Suivant  mes  instructions,  je  me  suis  efforcé  pendant 
tout  ce  voyage  de  me  rendre  compte  des  produits  des 
contrées  parcourues,  des  moyens  de  communication,  de 
l'importance  du  commerce,  de  la  direction  des  échanges. 
Il  m'a  été  donné  de  nouer  des  relations  amicales  avec  la 
plupart  des  gouverneurs  du  Laos  et  en  particulier  avec 
les  deux  rois  et  les  mandarins  de  Luang-Prabang.  J'ai  suivi 
le  Mékong  jusqu'au  dessus  du  18®  parallèle  malgré  la  vio- 
lente épidémie  de  choléra  qui  sévissait  dans  le  Laos  moyen 
en  février  et  mars  1883.  Arrivé  au  grand  coude  du  Mékong, 
j'ai  abandonné  Titinéraire  du  commandant  Doudart  de  la 
Grée,  pour  remonler  le  Nam  Chane  et  essayer  de  gagner 
Luang-Prabang  à  travers  le  pays,  absolument  inconnu 
jusqu'ici,  qui  porte  le  nom  de  pays  de  Poueuns  ou,  en 
annamite,  principauté  de  Tranninh. 

J'ai  trouvé  ce  pays,  autrefois  fort  riche,  ravagé  par  les 
pirates  chinois  que  les  Laotiens  appellent  les  Hos;  ils 
donnent  d'ailleurs  le  nom  Hos  à  tous  les  habitants  du  Yun- 
nan.  Forcé  de  fuir  devant  ces  pirates,  je  suis  revenu  sur 
le  Mékong  en  redescendant  le  Nam  Chane  et  en  abandon- 


TOTAGE  AU  LAOS.  375 

nant  entre  leurs  mains  la  plus  grande  partie  de  mes  bagages. 
Bien  que  cette  perte  ait  lourdement  pesé  sur  toute  la  suite 
de  mon  voyage^  je  n'ai  jamais  regretté  ma  pointe  dans  le 
pays  des  Poueuns,  dont  j'ai  pu  déterminer  par  des  obser- 
vations astronomiques  les  principaux  points  visités:  J'ai 
relevé  avec  le  plus  grand  soin  jusqu'à  sa  source  le  I^am 
Chane  qui,  môme  dans  la  saison  sèche^,  est  i^avigable  pen* 
dant  douze  journées,  et  sur  les  bords  duquel  on  rencontre 
deux  chefs-lieux  de  province,  Pat  Soum  et  Molican.  Dans  la 
petite  capitale  des  Poueuns  appelée  MuongNgan,  se  trou- 
vaient, lors  de  mon  arrivée,  deux  missionnaires  catholiques, 
MM.  Coudrey  et  Sastre,  qui  venaient  de  Yinh  sur  la  c6te 
d'Annam.Ils  me  donnèrent  de  nombreux  renseignements 
sur  le  pays  qu'ils  habitaient  depuis  un  an  et  sur  les  deux 
routes  qui  conduisent  en  Annani,  l'une  par  Gua  Rao  et  le 
Song  Ga,  l'autre  par  Ha  Traî  et  le  Song  Pho.  Quand  nous 
fûmes  chassés  de  Muong  Ngan  par  l'attaque  des  Hos,  ces 
deux  missionnaires  prirent  la  seconde  de  ces  routes  pour 
retourner  à  Yinh. 

Remontant  ensuite  le  Mékong  jusqu'à  Pakiay,  je  visitai 
Non  Kay,le  point  le  plus  commerçant  du  Laos;  non  loin  de 
là  sont  les  ruines  encore  imposantes  de  l'ancienne  capitale 
du  royaume  de  Vien-chan.  Après  Pakiay  le  fleuve  est  con- 
tinuellement coupé  de  rapides  et  je  pris  des  éléphants  pour 
me  conduire  à  Thadùa,  en  suivant  la  ligne  de  partage  des 
eaux  du  Mékong  et  de  la  vallée  du  Ménam. 

Près  de  Luang-Prabang  où  je  me  suis  établi  pendant  huit 
mois  environ,  j'ai  remonté  sur  75  kilomètres  et  relevé  le 
Nam  Eane,  rivière  près  de  laquelle  est  enterré  notre  compa- 
triote Henri  Mouhot.Le  Nam  Kane  est  l'une  des  routes  entre 
Luang-Prabang  et  le  pays  des  Poueuns. 

J'ai  reconnu  le  Nam  Ou  sur  une  longueur  de  plus  de 
150  kilomètres  jusqu'à  la  ville  de  Muong  Koua  qui  se  trouve 
par  2144'  de  latitude.  Arrêté  constamment  dans  ma  marche 
par  la  présence  des  Hos  et  voyant  fermées  devant  moi  les 


\ 


376  VOYAGE  AU  LAOS. 

roates  de  l'est  et  du  nord,  j*ai  opéré  mon  retour  par  Xieng 
Ma!  et  lous  ces  riches  pays  de  Lampoun  et  Lakone  cou- 
verts de  forêts  de  tek  et  habités  par  les  Laotiens  à  ventres 
noirs. 

J'ai  relevé  avec  un  soin  particulier  la  route  de  Xieng  Sen 
à  Xieng  MaT  par  le  Nam  Kok,  route  bien  peu  connue,  quoi 
qu'elle  ait  déjà  été  parcourue  par  quelques  voyageurs 
européens. 

Pendant  mon  séjour  à  Luang-Prabang  et  surtout  pendant 
l'exporation  du  Nam  Ou,  j'ai  pu  réunir  de  nombreux  ren- 
seignements soit  sur  les  routes  suivies  avant  les  invasions 
des  Hos  dans  les  transactions  entre  le  Haut-Laos,  le  Tonkin 
et  le  Yunnan,  soit  sur  l'état  actuel  de  ces  régions.  Au  point 
de  vue  ethnographique  et  anthropologique,  nombreuses 
sont  les  observations  que  j'ai  réunies.  Je  rapporte  aussi 
des  échantillons  minéralogiques  recueillis  dans  toute  la 
vallée  du  Mékong  que  j'ai  parcourue,  des  échantillons  des 
principaux  articles  de  commerce  du  Haut-Laos  et  une  assez 
grande  quantité  d'insectes  et  de  reptiles.  A  part  quelques 
rares  lacunes  dues  au  mauvais  état  de  ma  santé,  mon  registre 
météorologique  a  été  tenu  régulièrement  quatre  fois  par 
jour,  depuis  mon  départ  de  Kratieh  jusqu'à  mon  arrivée  à 
Bangkok. 

De  retour  dans  cette  ville  je  voulus  compléter  mon 
voyage  à  travers  rindo-Chine  en  allant  visiter  les  magni- 
fiques ruines  d'Angkor.  J'avais  vu  dans  le  Laos  quelques 
spécimens  de  l'art  Kmer  et  notre  collègue  le  capitaine  Aymo- 
nier  que  j'avais  rencontré  à  Ajuthia,  ancienne  capitale  du 
royaume  de  Siam,  m'avait  vivement  engagé  à  ne  pas  quitter 
rindo-Ghine  sans  passer  quelques  jours  à  Angkor.  Je  me  fis 
donc  débarquer  à  Ghahtaboun,  sur  la  côte  de  Siam,  où  je 
reçus  la  plus  cordiale  hospitalité  dans  la  mission  catho- 
lique. Après  un  pénible  voyage  à  pied  de  huit  jours,  j'ar- 
rivais à  Battambang.  La  plaine  qui  s'étend  de  Chantaboun  à 
Battambang  a  reçu  le  nom  de  «  plaine  des  saphirs  >.  Deux 


VOYAGE  AU  LAOS.  377 

à  trois  mille  Birmans  sont  occupés  à  la  recherche  de  ces 
pierres  précieuses  ;  ils  trouvent  aussi  des  rubis  et  des  topazes, 
mais  l'exploitation  se  fait  d'une  manière  irrégulière  et  tout 
à  fait  primitive.  A  Batlambang  je  rencontrai  un  camarade 
en  M.  Pavie,  l'employé  du  télégraphe  français;  après  avoir 
séjourné  quelques  jours  chez  lui,  puis  quelques  jours  sur 
les  ruines  d'Angkor,  je  traversai  le  grand  lac,  pour  arriver 
à  Pnom-Penh  le  2  juin  dernier. 

Voilà,  en  quelques  mots,  ce  qu'a  été  mon  voyage  en  Indo- 
Chine.  Nous  reviendrons  maintenant,  si  vous  le  voulez  bien, 
à  Luang-Prabang,  au  mois  de  novembre  1883.  — J'avais  dû 
•attendre  pendant  quatre  mois,  dans  une  inaction  presque 
complète,  la  fin  de  l'interminable  saison  des  pluies.  J'étais 
presque  constamment  tourmenté  par  de  violents  accès  de 
fièvre  bilieuse  et  mes  hommes,  qui  ne  se  portaient  pas  mieux 
que  moi,  commençaient  à  se  démoraliser.  Deux  d'entre  eux 
profitèrent  de  mon  état  de  maladie  pour  se  mettre  à  fumer 
l'opium  et  une  nuit  je  fus  dévalisé  de  mes  dernières  barres 
d'argent.  Il  avait  fallu,  pour  accomplir  ce  vol,  la  complicité 
de  l'un  de  mes  miliciens;  on  avait,  ce  soir-là,  donné  de 
l'opium  à  mon  chien  Tambô  qui  était  un  gardien  vigilant; 
le  milicien  fumeur  d'opium,  qui  n'entrait  jamais  dans  ma 
chambre,  y  était  venu  sous  je  ne  sais  quel  prétexte  et  avait 
placé  la  caisse  contenant  l'argent  dans  le  seul  endroit  où 
elle  put  être  accessible  du  dehors.  L'ayant  fait  mettre  en 
prison,  les  ceps  aux  pieds  suivant  la  coutume  laotienne,  je 
partis  dès  les  premiers  beaux  jours,  en  octobre,  pourexplo* 
rer  le  Nam  Kane.  Mes  bagages  restaient  à  Luang-Prabang,- 
aux  soins  de  Tinterprèle  et  du  milicien  qui  avaient  encore 
et  n'ont  jamais  cessé  de  mériter  toute  ma  confiance.  J'em-- 
menais  mon  jeune  interprète;  c'était  un  <;ompagnon  de 
route  gai,  intelligent,  mais  ayant ^u  suprême  degré  tous  le» 
vices  de  la  race  annamite. 

Le  mois  de  novembre  se  passa  en  fêtes;  pour  la  fête  des 
^aux  et  pour  la  fête  du  Tàt-Luang  le  roi  déploya  la  plus 

soc.  DE  GÉOGR.  —  3*  TRIMESTRE  1885.  VI.  —  26 


S78  VOYAGE  AU  LAOS. 

grande  magnificence.  A  cette  dernière  fête  qui  est  la  plos^ 
importante,  le  cortège  royal  ne  se  composait  pas  de  moins 
de  dix  mille  personnes;  plus  de  la  moitié  étaient  des  Khas 
ou  sauvages  de  la  montagne»  les  autres  étaient  des  Leues- 
et  des  Laotiens  de  diverses  espèces. 

Tous  les  ehefs  de  villages  et  de  cantons  soumis  à  Luang* 
Prabang  arrivent  en  ville  pendant  les  fêtes;  cette  année  il 
en  manquait  un  grand  nombre,  les  uns  s'étaot  soumis  aux 
Hos  avaient  refusé  de  venir,  les  autres  craignaient  de  dé- 
garnir d'hommes  leurs  villages,  redoutant  une  attaque  pen- 
dant  leur  absence.  Pendant  les  cinq  jours  que  durèrent  les 
divertissements,  spectacles,  danses,  joutes,  combats  simulés,, 
illuminations  et  feux  d'artifioe,  le  roi  insista  beaucoup  pour 
^ue  je  restasse  près  de  lui,  dans  son  pavillon,  avec  le  second 
roi  et  son  fils  aîné  le  Bah  Saon.  Les  jeux  duraient  depuis  le 
commencement  du  jour  jusque  bien  avant  dans  la  nuit;, 
nous  mangions  ensemble,  non  pas  à  la  même  table  —  il 
n'en  existe  point  dans  le  pays  -r-  mais  chacun  sur  un  pla- 
teau différent. 

Les  jeux  sont  fort  intéressants  à  suivre  pour  un  Euro- 
péen, surtout  à  cause  de  la  variété  des  races  et  de  la  diffé- 
rence de  leurs  divertissements;  les  danses  et  la  musique 
primitive  des  Khas  ne  ressemblent  en  rien  à  celles  des  Leues 
ou  des  Laotiens.  Les  marchands  birmans  de  Luang-Pra- 
bang,  pour  justifier  le  titre  de  Phalang  ou  Européen,  qu'on 
leur  donne  assez  facilement  dans  le  Laos  parce  que  beau- 
coup sont  sujets  anglais,  construisirent  et  gonflèrent  deux 
yastes  mongolfières  qui  s'élevèrent  au  grand  étonnement  de 
la  population.  Dans  tout  ce  concours  de  peuple  venu  de 
tous  les  points  du  royaume  de  Luang,  il  ne  se  trouvait  pas 
un  seul  Chinois.  Au  bout  du  cinquième  jour  je  succombais 
de  fatigue  et  mes  deux  mterprètes  n'en  pouvaient  plus; 
j'avais  cependant  tenu  à  rester  jusqu'à  la  fin,  tant  pour 
montrer  au  roi  ma  bonne  volonté  que  pour  me  montrer  au 
peuple  en  sa  compagnie.  Cette  précaution  pouvait  m'être 


VOYAGE  AU  LAOS.  379 

fort  atile  pendant  le  voyage  que  j'allais  entreprendre  sur  le 
Nam  Ou;  dans  les  villages. l^s  plus  éloignés,  s'il  était  venu 
un  seul  homme  à  la  fête.,  on  connaissait  le  chef  européen 
ami  du  roi  et  on  le  recevait  sans  défiance. 

Enfin,  les  fêtes  finies  et  après  quelques  jours  de  repos,  je 
parvins  à  décider  le  conseil  du  roi  à  autoriser  mon  départ 
pour  le  Nam  Ou.  Ce  ne  fut.  pas  sans  difficultés,  surtout  de  la 
part  du  second  roi  qui  prétendait  que  le  pays  n'était  pas 
sûr  et  qui  refusait  de  me  laisser  m*exposer  à  rencontrer  les 
Hos.  Je  fus  obligé  de  me  fâcher  et  de  leur  représenter  que 
si  j'avais  depuis  six. mois,  au.  risque  de  ma  vie,  attendu  la 
saison  favorable  pour  cette  exploration,  ils  devaient  com- 
prendre que  je  ne  quitterais  pas  le  pays  sans  l'avoir  faite. 
Le  Muong  £ran,  l'un  des  mandarins  du  séna  ou  tribunal  de 
Luang-Prabang,  avait  été,  deux  mois  auparavant,  envoyé 
sur  le  Nam  Ou  dans^Ja  province  de  Muong  Ngoï;  on  me 
permit  d'aller  jusqu'à  ce  point,  en  me  faisant  promettre  de 
ne  pas  le  dépasser  si  le  Muong  Kran  s'y  opposait  ;  on  me 
donnait,  pour  me  conduire,  un  mandarin  de  rang  inférieur, 
le  Phyo  Hokong,  porteur  d'une  lettre  pour  le  Muong 
Kran. 

.  Je  laissai  à  Luang-Prabang  la  plus  grande  partie  de  mes 
bagages  aux  soins  de  mes  deux  hommes  de  confiance  et  je 
partis  avec  les  deux  autres.  Je  dois  faire  remarquer  ici  qu'à 
partir  de  sa  sortie  de  prison  le  milicien  que  j'avais  fait  en- 
fermer ne  me  donna  aucun  sujet  de  mécontement;  il  n'en 
fut  pas  de  môme  du  jeune  interprète  qui  continua  à  me  jouer 
les  tours  les  plus  pendables;  à  vrai  dire  j'ai  en  horreur  les 
châtiments  corporels  et  n'ai  jamais  pu  me  résoudre  à  les 
.employer  quoique  ce  soient  les  seuls  qui  aient  quelque  effet 
sur  les  Annamites. 

De  Luang-Prabang  à  Pak  Ou,  la  route  peut  se  faire  facile- 
ment en  un  jour,  mais  je  désirais  séjourner  quelques  heures 
à  Pak  Seuan,  pour  visiter  le  village  et  prendre  des  renseigne- 
ments sur  le  Nam  Seuan,  la  rivière  qui  s'y  jette. 


380  VOYAGE  AU  LAOS. 

Le  Nam  Seuan  est  un  affluent  de  gauche  du  Mékong,  na- 
vigable pendant  plusieurs  jours;  ses  rives  sont  peuplées  et 
bien  cultivées.  Ayant  eu  occasion  de  retourner  deux  fois 
encore  à  Pak  Seuan  et  d'y  séjourner  chaque  fois  p(us  de  temps 
que  je  ne  Taurais  voulu  pour  trouver  des  hommes  et  des 
barques  de  rechange,  j'ai  toujours  vu,  à  Tentrée  du  Nam 
Seuan,  un  mouvement  de  pirogues  et  de  radeaux  chargés 
de  marchandises,  qui  annonçait  un  commerce  assez  actif. 
C'est  l'une  des  routes  du  pays  de  Ho-pha-tha-Ha-than-Hoc, 
pays  qui  produit  la  canelle  et  qui  payait  il  y  a  peu  de  temps 
rimpôt  à  l'Annam  et  au  roi  de  Luàng;  c'est  aussi  une  des 
routes  futures,  peut-être  la  plus  directe,  entre  le  Tonkin  et 
le  Haut-Laos.  L'importance  de  cette  rivière  a  passé  inaperçue 
à  la  commission  du  commandant  Doudard  de  la  Grée,  parce 
que  les  officiers  de  la  mission  ont  fait  en  un  jour  l'étape 
de  Luang  à  Pak  Ou  et,  dans  ce  cas,  on  suit  constamment  la 
rive  droite  du  fleuve  ;  or,  en  face  de  Pak  Seuan,  le  Mékong 
s'élargit  et  son  lit  est  encombré  par  des  bancs  de  rochers 
et  par  une  petite  île  sur  laquelle  s'élève  une  élégante  pagode 
entourée  de  cocotiers  et  de  palmiers  à  sucre.  L'entrée  du 
Nam  Seuan  est  cachée  par  un  banc  de  rochers  qu'il  faut 
contourner  pour  arriver  au  grand  village  de  Pak  Seuan 
situé  sur  la  rive  gauche  de  cette  rivière.  L'avant-dernier  roi 
de  Luang-Prabang  avait  une  prédilection  pour  ce  pays  et 
Ton  montre  encore  les  restes  de  la  vaste  habitation  quH 

s'était  fait  construire  en  face  de  Pak  Seuan,  sur  une  colline 

»  ■ 

dominée  maintenant  par  la  flèche  dorée  du  tombeau  qui 
contient  ses  cendres. 

Je  regrette  vivement  que  les  circonstances  m'aient  em- 
pêché de  remonter  le  Nam  Seuan.  Après  six  jours  de  navi- 
gation, on  le  voit  se  diviser,  d'après  les  renseignements  du 
chef  de  canton,  en  deux  bras  dont  celui  du  nord  prend  le 
nom  de  Nam  Seuan,  tandis  que  celui  du  sud  conserve  le  nom 
de  Nam  Seuan  ;  tous  deux  descendent  d'une  montagixe  élevée, 
le  Pou  Pung  So,  de  l'autre  côté  de  laquelle  les  eaux  coulent 


VOYAGE  AU  LAOS.  381 

vers  le  Tonkin.  Son  cours  est  encaissé  et  les  rapides  y  sont 
nombreux. 

Le  lendemain,  après  quatre  heures  de  marche,  nous  arri* 
vions  en  face  du  Nam^Ou.  Ici  le  cours  du  Mékong,  resserré 
entre  des  collines  élevées,  n*a  pas  plus  de  quatre  à  cinq 
cents  mètres  de  large  ;  juste  en  face  du  village  de  Pak  Ou, 
les  collines  de  la  rive  droite  du  fleuve  sont  creusées  de 
grottes  fort  curieuses.  L'une  d'elles  s'ouvre  dans  le  flanc 
d'une  falaise  à  pic;  on  y  parvient  par  un  escalier  creusé 
dans  le  roc;  elle  a  été  visitée  et  décrite  par  la  mission  du 
commandant  de  la  Grée.  La  seconde  grotte,  située  à  plus  de 
cinquante  mètres  au-dessus,  est  d'un  accès  difficile,  mais 
elle  est  bien  plus  vaste  et  le  visiteur  est  bien  dédommagé 
de  la  pénible  ascension  qu'il  a  dû  faire.  L'entrée,  formée 
par  deux  énormes  stalactites,  est  munie  d'une  porte  qui 
s'ouvre  dans  un  couloir  de  7  à  8  mètres  de  large,  puis  la 
grotte  s'élargit  en  une  vaste  salle  dont  le  sol  est  assez  bien 
nivelé.  On  compte  soixante-dix  pas  de  la  porte  au  fond  de 
la  grotte;  la  voûte  s'élève  à  mesure  que  la  grotte  s'élargit; 
arrivé  au  milieu,  je  ne  réussis  pas  à  me  rendre  compte  de 
la  hauteur  de  la  cavité,  malgré  les  six  bougies  de  cire  que 
mes  hommes  avaient  allumées.  Des  murailles  et  des  parties 
les  moins  élevées  de  la  voûte  descendent  des  stalactites  d'un 
blanc  éclatant,  toutes  irrégulières  et  simulant  parfois  des 
draperies.  De  tous  côtés  se  dressent  des  idoles  boudhistes 
de  toutes  les  tailles  et  de  formes  diverses  ;  quelques«unes 
sont  en  bois,  beaucoup  en  bronze  et  les  plus  grandes  sont 
en  briques  recouvertes  de  mortier  et  dorées  avec  soin.  C'est 
vraiment  un  beau  temple  naturel  et  comme  nous  étions  au 
milieu  du  jour  j'y  séjournai  imprudemment  pendant  plu- 
sieurs heures;  le  soir  même,  dès  mon  arrivée  à  Pak  Ou, 
je  fus  pris  d'un  violent  accès  bilieux.  Couché  à  la  porte 
d'une  pagode,  le  seul  abri  que  l'on  ait  pu  nous  procurer 
dans  ce  grand  village,  je  passai  une  terrible  nuit;  le  Phya 
Hokông  essaya  de  me  décider  à  ne  pas  poursuivre  ma  route 


382  VOYAGE  AU  LAOS. 

et  à  revenir  à  Luang-Prabang.  N'y  pouvant  réussir  il  me 
déclara  que  dans  ma  visite  à  la  grotte,  j'avais  dérangé  quelque 
Pi  (génie  de  la  caverne)  et  que  ce  Pi  s'était  introduit  dans 
mon  corps;  pour  l'engager  à  en  sortir  il  retourna  de  grand 
matin  à  la  grotte  accompagné  du  chef  de  canton  de  Pak  Ou, 
dans  l'intention  de  faire  un  sacrifice  au  génie  de  la  caverne. 
Grâce  à  cette  cérémonie  et  aussi  à  une  forte  dose  de  quinine 
je  pus  me  remettre  en  route  le  matin  môme  pour  remonter 
le  Nam  Ou. 

Cette  belle  rivière  dont  le  cours  est  très  sinueux,  coule 
d'abord  lentement  entre  des  falaises  à  pic,  élevées  de  cin- 
quante à  soixante  mètres.  Mais  à  mesure  qu'on  remonte, 
la  rivière  s'élargit  et  son  courant  devient  plus  rapide.  Le 
long  des  rives  sont  échelonnés  d'assez  nombreux  villages 
laotiens,  et  sur  les  montagnes  on  aperçoit  quelques  vil- 
lages de  Khas  ou  sauvages;  ceux-ci  cultivent  principale» 
ment  l'arbuste  sur  lequel  ils  élèvent  l'insecte  qui  fournit  le 
stick-lak. 

Le  lendemain  de  notre  départ  de  Pak  Ou,  tonte  la  matinée 
fut  employée  à  passer  un  grand  rapide  appelé  le  Keng  Luang; 
ce  rapide  est  composé  de  plusieurs  petites  chutes  qui  se 
suivent  et  dont  l'une  n'a  pas  moins  de  deux  mètres  ;  il  fal- 
lut débarquer  les  bagages  et  débarrasser  nos  barques  de 
leurs  toits  de  feuillage.  L'après*midi,  la  même  opération  dut 
être  recommencée  pour  un  autre  rapide.  Le  fleuve  est  par* 
tout  encombré  d'immenses  blocs  de  rochers  et  il  me  sembla, 
sans  que  d'abord  je  voulusse  en  croire  mes  yeux,  que  cha- 
cun xle  ces  blocs  était  taillé  en  forme  d'animaux.  En  exami- 
nant attentivement,  je  ne  tardai  pas  à  reconnaître  des  statues 
de  buffles,  d'éléphants,  de  tigres,  de  crocodiles  et  d'autres 
animaux,  parfois  aussi  des  homnties  dans  des  postures  lu* 
briques  ou  formant  des  groupes  obscènes.  Partout  on  avait 
tiré  parti  de  la  forme  naturelle  de  la  roohe  et  suivant  la 
grosseur  du  bloc,  c'était  à  cinquante  «pas  ou  à  plusieurs 
centaines  de  pas  que  l'effet  produit  était  le  plus  satisfais 


VOYAGE  AU  LAOS.  383 

sant;  en  s'approchant  du  rocher  on  avait  de  la  peine  à 
reconnaître  la  statue  qui  se  détachait  si  clairement  à  une 
distance  convenable.  Les  yeux,  cependant^  se  reconnaissaient 
toujours  y  car  ils  avaient  dû  être  restaurés  peu  de  temps 
avant  mon  passage,  probablement  à  l'époque  de  la  fête  des 
eaux.  Quand  je  voulus  demander  des  explications  aux 
hommes  des  barques,  ils  m'affirmèrent  qu'ils  ne  voyaient 
rien  d'extraordinaire  dans  ces  rochers  et  refusèrent  <le  me 
répondre.  Le  soir  nous  nous  arrêtions  au  grand  village  de 
Kok  Han.  Quand  le  Phya  Hokong  m'y  eut  rejoint  je  lui  mon- 
trai plusieurs  rochers  en  lui  demandant  qui  les  avait  taillés^ 
mais  lui  aussi  refusa  de  répondre.  Dans  ce  village,  les  en- 
virons des  pagodes  étaient  semés  de  gazon  formant  des  des- 
sins d'animaux  et  les  arbres  de  la  rive  étaient  taillés  ou 
attachés  de  manière  à  simuler  des  statues  ;  je  le  menai  près 
d'un  groupe  de  grands  arbres  qui,  à  quelque  distance  offrait 
la  forme  d'un  éléphant,  je  lui  montrai  les  lianes  évidem- 
ment plantées  pour  simuler  la  trompe,  les  grosses  branches 
déviées  et  encore  attachées  par  des  liens  pour  obtenir  une 
forme  convenable,  puis,  sur  le  groupe  de  rochers  placé  en 
face  du  village,  je  lui  fis  remarquer  cinq  personnages  dont 
deux  avaient  eu  les  cheveux  et  la  barbe  teints  il  y  avait  peu 
de  temps.  Le  pauvre  mandarin  prit  un  air  désolé  et  me 
supplia  de  ne  pas  lui  en  demander  plus,  m'assurant  que 
dans  quelques  jours,  quand  nous  serions  éloignés  de  ce  lieu, 
il  pourrait  me  donner  des  explications. 

Je  n'ai  jamais  pu,d*ailleurs,avoir  de  renseignements  sérieux 
sur  ce  travail  de  Titan  qui  a  consisté  à  tirer  parti  d'une 
façon  aussi  pittoresque  de  milliers  de  rochers  ;  les  uns  attri- 
buent ces  travaux  aux  Annamites,  d'autres,  avec  plus  de 
raison,  je  crois,  les  attribuent  aux  Chinois.  Les  bonzes  lao*- 
tiens  entraînés  par  l'exemple,  sèment  les  gazons  et  taillent 
les  arbres  en  forme  d'animaux,  chaque  année,  lors  de  la  fête 
des  eaux;  ils  tracent  aussi  des  des^ns,  sur  les  bancs  de 
sable  et  taillent  des  statues  dans  les  rives  en  argile,  mais  ils 


384  VOYAGE  AV  tAOS. 

sont  incapables  de  tailler  la  pierre  avec  autant  d'habileté. 

Au-dessus  du  village  deKokHan  se  trouve  une  montagne 
de  deux  à  trois  cents  mètres  de  haut  qui  porte  le  nom  de 
Pou  Xan  ou  montagne  éléphant;  elle  représente  assez  exac- 
tement la  forme  d'un  éléphant  couché,  son  œil,  formé  par 
une  partie  dénudée  de  la  montagne,  est  entretenu  avec  soin 
par  les  talapoins;  peut-être  est-ce  la  vue  de  cette  montagne 
qui  a  donné  l'idée  de  tailler  tous  les  autres  rochers. 

Le  donnons  arrivions  à  Pak  Seun,  chef-lieu  de  canton, 
situé  sur  la  rive  gauche  à  l'embouchure  d'une  petite  rivière 
appelée  le  Nam  Seun.  La  latitude  de  Pak  Seun  est  de 20^ 30' 
environ;  la  localité  se  compose  de  cinquante  à  soixante 
maisons  propres  et  bien  bâties;  tout  ici  respire  l'aisance 
et  le  bien-être,  et  chaque  soir  les  jeunes  filles,  portant  dans 
les  cheveux  des  fleurs  odoriférantes,  se  réunissaient  pour 
chanter  et  rire  jusque  bien  avant  dans  la  nuit.  Cependant, 
sans  être  encore  descendus  jusqu'à  Pak  Seun  les  Hôs  ont 
déjà  fait  quelques  incursions  de  ce  côté  et  on  m'assura 
qu'une  partie  de  la  population  de  ce  village  avait  déjà  émigré 
pour  se  rapprocher  de  Luang-Prabang  et  se  mettre  à  l'abri 
des  pirates. 

Les  jours  suivants  nous  continuons  à  remonter  de  rapitles 
en  rapides;  les  bords  de  la  rivière  sont  assez  habités,  et,  à 
l'embouchure  de  chaque  ruisseau,  sur  le  beau  sable  qu'on 
y  trouve  à  découvert  à  celte  époque  de  l'année^  se  trouve 
un  marché  alimenté  par  les  Khas  ou  sauvages  de  la  mon- 
tagne. Ces  ruisseaux,  qui  ne  sont  pas  navigables,  ne  man- 
quent cependant  pas  d'importance  car  c'est  le  long  de 
leur  cours  que  s'échelonnent  les  nombreux  villages  de  Khas 
qui  font  la  richesse  des  Laotiens.  Les  Khas  prennent  le 
nom  du  ruisseau  près  duquel  ils  habitent  ;  on  ne  demande 
pas  à  un  Khas  :  u  d'où  es-tu  ?  »  on  lui  demande  :  «  de 
quelle  eau  bois-tu?  »  et  il  répond  par  le  nom  de  son  ruis- 
seau. Le  riz,  le  coton,  le  tabac,  le  stick-lak,  l'écorce  astrin- 
gente que  mâchent  les  Laotiens,  avec  le  bétel  et  un  peu  d'or 


VOYAGE  AU  LAOS.  385 

ramassé  dans  les  torrents,  forment  les  principaui  objets 
d'échanges  sur  les  marchés.  Les  Laotiens  fournissent  en 
échange,  des  yêtements  tous  cousus,  des  étoffes,  de  la  vais- 
selle et  de  la  quincaillerie. 

Quatre  jours  après  notre  départ  de  Pak  Seun  nous  arrivons 
à  Muong  Ngoï,  chef-lieu  deprovince,  où  je  devais  rencontrer 
le  Muong  Kran.  Devant  Muong  Ngoî  le  Nam  Ou  s'élargit  au 
point  de  former  un  véritable  lac  au  centre  duquel  se  trouve 
une  île;  il  est  entouré  de  montagnes  élevées  dénudées  à  leur 
sommet  et  dont  les  flancs  sont  couverts  de  forêts  épaisses; 
sur  ses  bords  on  aperçoit  de  nombreux  villages.  La  petite 
ville  de  Muong  Ngoï  où  je  suis  arrivé,  forme  un  véritable 
bouquet  de  cocotiers  et  d'aréquiers  au  pied  des  monts  Pa 
Boum  et  Pa  Phô  entre  lesquels  passe  le  Nam  Ngoï  et  la 
route  de  Muong  Ngoï  à  Muong  Son  l'un  des  centres  impor- 
tants du  pays  de  Ho-pha-lha-Ha-than-Hoc. 

Je  fus  étonné,  à  mon  arrivée,  de  voir  la  rivière  couverte 
de  radeaux  sur  lesquels  étaient  construites  de  véritables 
maisons.  Le  Muong  Kran  lui-même  et  les  hommes  qu'il  avait 
amenés  de  Luang-Prabang  demeuraient  sur  des  radeaux.  Ce 
pauvre  vieux  mandarin  était  d'ailleurs  fort  malade.  Il  m'ex- 
pliqua que  craignant  à  chaque  instant  une  attaque  des  Hôs 
par  la  vallée  du  Nam  Ngoï,  les  habitants  passaient  toutes  les 
nuits  sur  le  fleuve;  ils  y  avaient  transporté  leurs  objets  les 
plus  précieux  et  se  tenaient  prêts  à  couper,  à  la  première 
nouvelle  de  l'arrivée  des  Hôs,  l'amarre  en  totin  qui  retenait 
leur  radeau.  Il  prit  connaissance  de  la  lettre  du  roi  et  me 
déclara  qu'il  lui  était  impossible  de  me  laisser  remonter  plus 
loin  le  Nam  Ou  ;  il  m'offrait  d'ailleurs  de  séjourner  autant 
que  je  le  voudrais  à  Muong  Ngoï,  et  s'engageait  soit  à  me 
faire  faire  des  excursions  chez  lesKhas  qui  demeuraient  sur 
le  Nam  Ngoï,  soit  à  en  faire  venir  chez  moi  pour  que  je 
pusse  les  mesurer,  mais  ajoutait- il  :  «La  seule  ville  impor- 
tante où  vous  puissiez  aller  sur  le  Nam  Ou  est  Muong  Koua; 
pour  aller  à  Muong  Koua  il  faut  passer  le  confluent  du  Nam 


386  VOYAGE  àU  Laos. 

Noua  y  affinent  de  gauche  du  Nam  Ou  qui  conduit  à  Mnong 
Teng  et  je  viens  d'apprendre  que  le  gouverneur  de  Muong 
Teng  a  fait  sa  soumission  aux  Hôs  ;  nous  devons  donc  nous 
attendre  à  voir  venir  les  Hôs  par  le  Nam  Noua,  s'ils  ne  vien-^ 
nent  pas  par  la  route  qui  suit  le  Nam  Ngoï.  Le  roi  m'avertit 
que  je  réponds  de  votre  vie  sur  ma  tète,  je  ne  puis  donc  pas 
vous  autoriser  à  remonter  le  Nam  Ou.  »  Tout  en  me  par- 
lant)  ce  pauvre  mandarin  était  pris  de  vomissements  conti* 
nuels  et  se  tordait  de  douleur.  Il  était  atteint  d'une  grosse 
hernie  qui  s'était  engouée  depuis  plusieurs  jours;  le  plus 
pressé  pour  moi  était  de  le  soigner,  il  se  mit  d'ailleurs 
entièrement  entre  mes  mains  et  au  bout  de  peu  d'heures, 
grâce  à  un  traitement  et  à  des  manœuvres  appropriés,  je 
parvins  à  réduire  la  tumeur  :  le  lendemain  il  se  portait 
bien. 

Gomme  il  ne  pouvait  plus  rien  me  refuser,  je  revins  à  la 
charge  et  je  le  harcelai  si  bien  qu'il  finit  par  consentir  à 
me  laisser  continuer  mon  voyage  après  avoir  pris  les  pré* 
cautions  suivantes.  Il  envoyait  en  avant  un  petit  mandarin 
sur  une  barque  légère  pour  prendre  des  renseignements; 
je  devais  attendre  son  retour  pour  partir  et  pendant  tout  le 
voyage  je  serais  précédé  de  deux  barques  chargées  d'éclaV 
rer  la  route. 

J'attendis  sept  jours  à  Muong  Ngoî,  et  mis  ce  temps  à 
pi:ofit  pour  parcourir  les  environs  si  pittoresques  de  cette 
ville.  Ou  me  fit  visiter  de  nombreuses  grottes  creusées  dans 
le  flanc  des  montagnes.  Je  fis  aussi  une  excursion  chez  les 
Khas  de  la  vallée  du  Nam  Ngoî.  Je  visitai  le  village  de  Ban 
Xeng  Nan  situé  comme  tous  les  villages  Khas  sur  le  sommet 
d'une  colline,  entouré  de  palissades  et  composé  de  maisons 
élevées  sur  des  pieux  de  plus  de  deux  mètres.  Il*  me  rap- 
pelait certains  villages  de  Mois  sur  le  DongNaï,  dont  Taspect 
était  identique;  à  rinférieur  on  trouve,  comme  chez  les 
Moïs,  l'arbalète,  les  piques,  les  pots  de  bière  de  riz  qu'on  vous 
offre  avec  le  même  cérémonial.  Je  remarquai  cependant  ici 


VOYAGE  AU  LAOS.  387 

que  l'on  fit  boire  avant  moi  les  jeunes  gens  de  la  maison  et 
l'on  m'expliqua  que  c'était  une  grande  marque  de  défé-* 
rence.  Quand  on  offre  la  bière  de  riz  à  un  étranger,  celui 
qui  boit  avant  lui  doit  mourir  avant  lui;  c'était  donc  m'as- 
surer  une  longue  vie  que  de  faire  boire  avant  moi  les  plus 
jeunes  gens  de  la  maison*.  Je  dois  dire  ensuite  que  les  men- 
surations que  j'ai  pu  prendre  sur  les.  Kbas  tant  à  Luang- 
Prabaug  qu'à  Muong  Ngoï,  m'ont  confirmé  dans,  l'idée 
qu'une  race  identique,  probablement  aborigène  existe  dans 
toute  la  chaîne  de  montagnes  qui  parcourt  l'Indo-Ghine  du 
sud  au  nord,  sur  les  confins  de  TAnnam. 

En  revenant  de  Ban  Xeng  Nan  par  la  vallée  du  Nam  Ngoï 
nous  avons  suivi  pendant  une  douzaine  de  kilomètres  les 
anciennes  rizières  de  Muong  Ngo!^  couvertes  maintenant  de 
hautes  herbes,  ce  Si  nous  cultivions  nos  rizières,  me  disaient 
les  habitants,  nous  attirerions  à  coup  sûr  les  Hôs;  à  quoi 
bon  cultiver  quand  on  ne  doit  pas  récolter  pour  soi!  Puis 
les  Khas  cultivent  assez  de  riz  pour  eux  et  pour  nous,  nous 
leur  achetons  leur  riz,  leur  coton  et  leur  stick-lak,  nous  leur 
fournissons  des  vêtements  tissés  et  des  instruments  et  nous 
vivons  en  bonne  intelligence.  >  Cet  état  de  choses  n'est 
possible  qu'à  cause  du  petit  nombre  des  Laotiens  rela^ 
tivement  à  celui  des  sauvages.  Le  roi  de  Luang-Prabang  me 
disait  que  parmi  ses  sujets  il  estime  que  le  nombre  des 
Khas  est  à  celui  des  Laotiens  comme  quatre  est  à  un  ;  je  suis 
tenté  de  croire  que  la  proportion  des  Khas  est  plutôt  supé- 
rieure à  ce  chiffre.  Il  ne  faudrait  pas  croire  d'ailleurs  que 
les  Khas  trouvent  cette  situation  parfaite;  l'un  d'eux  qui 
parlait  laotien  me  disait  :  «  Nous  cultivons  trois  fois  plus 
de  terre  qu'il  ne  nous  en  faut,  un  tiers  de  la  récolte  sert 
à  payer  l'impôt,  un  tiers  à  nous  nourrir  nous  et  notre  famille 
et  Tantre  tiers  à  acheter  des  habits  et  des  instruments; 
sans  nous  les  Laotiens  mourraient  de  faim.  »  Il  s'est  pro- 
.  doit  déjà  plusieurs  révoltes  parmi  eux;  il  y  a  cinq  ans  ils 
mirent  Luang-Prabang  en  péril  et  le  second  roi  fut  obligé 


388  VOYAGE  AU  LAOS. 

de  partir  sur  le  Nam  Ou  pour  leur  faire  la  guerre  ;  souvent, 
dans  les  incursions  desHôs,  ils  fontcause  communeavec  eux. 

Le  11  décembre  je  partais  de  Muong  Ngoï  pour  conti- 
nuer à  remonter  le  Nam  Ou.  Au-dessus  de  Muong  Ngoî  les 
rives  du  fleuve  continuent  à  être  habitées  ;  on  rencontre  plu- 
sieurs villages  de  Leues,  anciens  habitants  de  Xieng  Hong 
réfugiés  sur  le  Nam  Ou. 

A  un  jour  de  marche  au-dessus  de  Muong  Ngoï  on  passe 
devant  un  affluent  de  gauche  appelé  le  Nam  Heup  que  Ton 
peut  remonter  pendant  trois  jours  vers  l'est.  On  rencontre 
de  nombreux  marchés  de  Khas  à  l'embouchure  de  tous  les 
ruisseaux,  c'est  ainsi  qu'à  moins  d'une  heure  de  marche 
au-dessus  du  confluent  du  Nam  Heup^  devant  un  petit  ruis- 
seau appelé  le  Hué  Kine,  nous  avons  compté  dix  forts  ra- 
deauxamarrés  le  long  delà  rive  et  tous  chargés  des  denrées 
fournies  par  les  Khas. 

Le  13  au  matin,  nous  passions  devant  le  confluent  du 
Nam  Noua;  ce  gros  affluent  peut  être  remonté  pendant  onze 
jours  jusqu'à  la  ville  de  Muong  Teng.  A  partir  de  ce  point 
les  laotiens  qui  m'accompagnaient  ne  cessèrent  de  mani- 
fester la  plus  grande  inquiétude.  Muong  Teng,  nous  l'avons 
dit,  était  aux  mains  des  Hôs  et  l'on  craignait  à  tout  moment 
de  les  voir  descendre  par  le  Nam  Noua.  Le  soir  même  nous 
arrivions  à  Muong  Koua^  dernier  point  occupé  par  des  man- 
darins laotiens.  Là,  le  fleuve  se  divise  en  deux  branches 
presque  égales  :  l'une  conserve  le  nom  de  Nam  Ou  et  vient 
du  nord^  l'autre,  sous  le  nom  de  Nam  Pak,  vient  de  Test. 
Celle-ci  sert  de  route  entre  le  Nam  Ou  et  le  Mékong;  en 
passant  par  Muong  Say,  on  rejoint  le  Mékong  par  son 
affluent  le  Nam  Deuan. 

La  branche  nord  ou  le  Nam  Ou  est  encore  navigable  pen- 
dant  plus  d'un  mois.  Je  rencontrai  à  Muong  Koua  des  habi- 
tants venant  d'une  ville  située  à  huit  jours  plus  haut  sur  le 
Nam  Ou  ;  sans  seconsidérercomme  faisant  partie  duroyaume  • 
de  Luang,  ils  se  rendaient  cependant  à  cette  ville  pour  y 


VOYAGE  AU  LAOS.  389 

porter  un  tribut,  afin,  disaieni-ils,  de  faire  amitié.  Ces 
braves  gens  qui  ressemblaient  plus  à  des  Annamites  qu'à 
des  Laotiens,  s'appelaient  les  Pou  Noi  ou  a  gens  de  la 
petite  montagne  »,  mais  me  disaient-ils,  on  ferait  mieux  de 
nous  appeler  Pou  Yai  ou  c  gens  de  la  grande  montagne  j», 
car  nous  habitons  tous  des  montagnes  élevées.  Leur  chef, 
homme  intelligent  et  fort  affable,  me  traça  une  carte  du 
haut  du  fleuve  jusqu'à  Muong  Oa  et  Muong  Hin,  qu41  faut, 
dit-il,  plus  d'un  mois  pour  atteindre.  Il  me  dit  que  jusqu'à 
ces  dernières  années  des  caravanes  de  Hôs  commerçants  arri- 
vaient chez  eux  du  Yunnan,  avec  des  mulets  qui  leur  appor- 
taient le  thé  et  les  étoffes  chinoises  qu'ils  venaient  ensuite 
vendre  à  Luang-Prabang;  ce  commerce  était  interrompu 
depuis  trois  ans.  Les  Leues  habitent  non  loin  de  chez  les 
Pou  Noî  et  leur  font  sans  cesse  la  guerre  ;  il  venait  encore 
d'y  avoir  entre  eux  un  différend  qui  avait  empêché  les  Pou 
Noî  de  se  rendre  à  Luang-Prabang  lors  de  la  fête  des  eaux. 

Je  trouvai  Muong  Koua  à  moitié  désert.  C'était  autrefois 
une  ville  très  commerçante,  bien  placée  au  confluent  de 
deux  grands  cours  d'eau.  On  y  voyait  encore  de  grands 
approvisionnements  de  coton.  Je  dois  aussi  noter  la  quan- 
tité considérable  des  porcs  que  l'on  élève  à  Muong  Koua  ;  il 
y  en  avait  certainement  deux  fois  plus  que  d'habitants.  Je 
ne  pouvais  songer  à  remonter  plus  haut  que  Muong  Koua, 
ni  même  à  y  séjourner  longtemps. 

Le  temps  ayant  été  suffisamment  clair  le  14,  je  pus 
prendre  la  hauteur  méridienne.  Nous  étions  par  21°10'.  Le 
temps  était  réellement  frais,  le  thermomètre  ne  montait  pas 
au-dessus  de  22'*  dans  l'après-midi  et  descendait  à  11®  vers 
la  fin  de  la  nuit.  Excepté  à  Muong  Ngoï  on  ne  trouve  pas, 
sur  tout  le  Nam  Ou,  une  seule  maison  commune  destinée 
aux  voyageurs,  aussi,  forcés  de  coucher  dans  nos  barques 
ou  sur  la  plage,  peu  vêtus  pour  une  •semblable  tempéra- 
ture, nous  grelottions  une  bonne  partie  de  la  nuit. 

Le  retour  à  Muong  Ngoï  eut  lieu  sans  incident  remar- 


aaO  YOYAGE  AU  LAOS. 

quable  ;  je  me  n^ipelle  seulement  qu'en.passani  près  du  ver- 
sant nord  da  Poo  Phé  que  contourne  le  Nam  Ou  avant  de 
former  le  petit  lac  de  Muong  Ngoï,  nous  nous  trouvâmes  en 
face  d'une  cinquantaine  de  gibbons  qui  gambadaient  le 
long  de  la  rive,  sans  paraître  effàroudiès.  Comme  j'en  ajus- 
tais un,  le  chef  de  barque  me  supplia  de  ne  pas  tirer,  parce 
que  le  Pi  ou  génie  de  cette  montagne  n'était  pas  un  Pi  lao- 
tien, mais  un  Arak,  génie  de  race  chinoise  extrêmement 
redoutable.  Quand  je  n'avais  pas  un  intérêt  direct  à  passer 
outre,  je  me  suis  toujours  fait  un  devoir  de  respecter  les 
superstitions  de  ces  braves  geas4 

A  mon  retour  à  Muong  Ngoï,  il  y  avait  du  nouveau.  Le 
Muong  Kran  avait  été  saisi  d'une  lettre  qui  était  une  excita- 
tion à  la  révolte,  un  véritable  appel  aux  armes  de  tout  le 
pays  de  Bo-pha-tha-Ha-than-Hoc*  Je  tiens  à  la  reproduire 
Ici,  car,  outre  qu'elle  montre  bien  l'état  politique  actuel  de 
ce  malheureux  pays,  elle  n*est  point  sans  importance  au 
point  de  vue  géographique.  Cette  lettre  est  arrivée  à  Muong 
Ngoï  le  25  décembre  1883. 

((  Le  gouverneur  de  Muong  Lay  appelé  Binh  bien  Chao  et  le 
Pho  Tong  de  Muong  Teng  vont  se  rendre  à  Sôp  Hôp«  Ils  ont 
envoyé  des  lettres,  la  première  à  Muong  Son,  la  deuxième 
à  Muong  Po,  la  troisième  à  Muong  Cao,  la  quatrième  à 
Muong  Kuc,  la  cinquième  à  Muong  Gut  et  au  Phay  ou  Thaï, 
à  Muong  Taï,  la  sixième  au  Phya  Tong,  à  Muong  Taî,  pour 
dire  qu'ils  envoyaient  de  Muong  Huôo  le  Thay  Ngiên  et  le 
Kothay  en  avant  porter  des  lettres.  Us  arriveront  à  Sôp  Hôp 
le  26  du  cinquième  mois  ;  il  faut  que  tous  les  gouverneurs  se 
rendent  à  Sôp  Hôp  pour  faire  conseil  ;  il  faut  apporter  cha- 
cun vingt>-six  barres  d'argent  à  l'Atgna  Luang  en  allant  à  Sôp 
Hôp. 

>  Cette  lettre  doit  arriver  dans  six  jours  à  Muong  Son  et 
dans  les  six  jours  tous  les  gouverneurs  doivent  être  arrivés 
à  Sôp  Hôp.  Si  l'un  d'eux  ne  vient  pas,  on  enverra  quatre- 
vingts  soldats  pour  lui  faire  la  guerre* 


VOYAGK  AU  LAOS.  391 

»  Trente-sixièiBe  année  deTodoc^  (sigaéj  Atgna  l4iong  à 
MttôDg.  Lajjr  »« 

Aucun  de  ces  noms  n'était  inconnu  pour  moi  ;  j'avais 
souvent  rencontré  des  habitants  de  Muong  Hét  et  de  Sôp  Hôp 
et  un  petit  mandaria  de  Muong  Son  faisait  partie  de  l'escorte 
de  Phya  Hokong  qui  m'accompagnait.  Ce  sont  de  purs  Lao-^ 
tiens  et  ils  parlent  le  siamois.  Ce  ne  fui  pas  sans  étonne- 
ment  que  je  vis  que  cette  lettre  était  datée  de  la  trente- 
sixième  année  deTuduc,  lequel  d'ailleurs  était  mort  depuis 
longtemps. 

Revenu  à  Luang-Prabang  dans  les  derniers  jours  de 
décembre,  et  bien  persuadé  désormais  que  toute  tentative 
pour  revenir  par  le  Yunnan  et  le  Tonkin  était  en  ce  moment 
inutile,  je  me  décidai  à  opérer  mon  retour  par  Xieng-Maî. 
Depuis  mon  arrivée  à  Luang*Prabang  j'bntendais  sans  cesse 
parler  de  Xieng-Maï  comme  d'une  ville  européenne^  toutes 
les  denrées  européennes  du  marché  de  Luang  venaient  de 
là  et  je  désirais  vivement  reconnaître  la  route  suivie  par  les 
caravanes  entre  ces  deux  villes.  Le  roi  me  supplia  de  rester 
encore  quelque  temps  chez  lui,  car  il  attendait  les  gouver- 
neurs siamois  des  provinces  de  Phixaie  et  de  Socotal  qui  de* 
valent  arriver  avec  des  troupes  pour  l'aider  à  se  défendre 
contre  les  Hôs.  Aussitôt  l'arrivée  des  Siamois,  me  disait  le  roi, 
nous  ferons  un  grand  conseil  oîi  nous  vous  appellerons  pour 
décider  de  ce  qu'il  y  a  à  faire  au  sujet  des  Hôs  et  en  particu- 
lier au  sujet  de  Muong  Lay.  J'avoue  que  je  n'étais  pas  moins 
embarassé  que  leroi  à  ce  sujet;  je  savais  par  M.deKergaradec, 
notre  consul  à  Bangkok,  que  les  relations  de  la  France  avec 
la  Chine  étaient  très  tendues  et  que  nous  étions  enfin  déci- 
dés à  balayer  du  haut  Tonkin  les  bandes  de  pirates  qui 
l'infestaient  et  empêchaient  tout  commerce  entre  le  Yunnan 
et  le  bas  Tonkin,  mais,  en  rompant  ouvertement,  avec  le  roi 
de  Luang,  le  gouverneur  de  Muong  Lay  avait-il  l'intention 
de  se  rallier  aux  Chinois  et  aux  Annamites  ?  Je  n'en  pouvais 
rien  savoir. 


392  VOYAGE  AU   LAOS. 

Dans  le  doute  je  me  décidai  à  tout  faire  pour  aller  par 
moi-même  voir  ce  qui  se  passait  à  Muoug  Lay,  me  réser- 
vant de  servir  au  besoin  de  médiateur  entre  ce  gouverneur 
et  le  roi  de  Luang.  C'était  prendre  une  grande  responsabi- 
lité, j'en  avais  le  sentiment,  mais  je  n'engageais  en  rien 
mon  pays  dans  cette  minuscule  querelle  de  deux  roitelets 
laotiens;  n'ayant  aucun  mandat  officiel,  je  pouvais  être 
désavoué  si  ce  désaveu  était  de  quelque  utilité  à  notre  poli- 
tique indo-chinoise  et  je  l'acceptais  d'avance.  Des  consi- 
dérations semblables  ne  doivent  en  rien  peser  à  qui  se 
trouve  en  sentinelle  avancée  comme  je  l'étais  alors.  Je 
devais  d'ailleurs  échouer  dans  mes  négociations  avec  les 
mandarins  siamois.  À  leur  arrivée  lei^  gouverneurs  de  Phixaie 
et  de  Socotaï  me  reçurent  fort  bien  mais  ne  me  rendirent 
pas  ma  visite;  malgré  les  efforts  du  roi  et  des  mandarins  de 
Luang-Prabang  ils  i>efusèrent  constamment  d'assister  à  un 
conseil  dont  je  ferais  partie.  Ils  arrivaient  avec  mille  soldats 
chacun  et  traitaient  le  royaume  de  Luang  en  pays  conquis. 
A  ce  point  de  vue,  ma  présence  les  gênait  beaucoup  et  je  pus 
être  fort  utile  à  mon  vieil  ami  le  roi  de  Luang-Prahang  en 
forçant  les  mandarins  siamois  à  surveiller  leurs  hommes  qui 
chaque  jour  réquisitionnaient  et  pillaient  au  marché  ;  tous 
ces  gens  étaient  d'ailleurs  nourris  et  payés  aux  frais  du  roi 
de  Luang.  Malheureusement  ce  Français  sans  escorte,  sans 
bagages,  sans  argent,  sans  vêtements  européens,  (depuis 
longtemps  j'étais  pieds  nus  et  je  portais  le  pa  noung  ou  lan- 
gouti  siamois)  ne  pouvait  pas  leur  en  imposer  assez.  Je  vis 
bientôt  que  ma  position  devenait  intolérable;  le  roi  le  com- 
prit aussi  et  quoi  qu'il  me  vît  partir  avec  bien  du  chagrin,  il 
n'essaya  pas  de  me  retenir. 

Je  quittai  Luang-Prabang  le  24  janvier  dernier.  J'aurais 
désiré  pouvoir  dire  quelques  mots  de  la  Birmanie  siamoise, 
des  belles  forêts  de  tek  qui  couvrent  toute  cette  contrée,  de 
l'état  politique  de  ce  riche  pays  sans  cesse  parcouru  par  des 
banides  de  pirates  birmans,  montrant  des  passeports  anglais 


VOYAGE  AU  LAOS.  393 

plus  OU  moins  authentiques  de  Maulmeïn,  ou  de  Rangoon. 

Mon  long  voyage  de  retour  ne  s'accomplit  pais  sans  diffi- 
cultés et  sans  aventures  de  toutes  espèces,  mais  je  ne  veux 
pas  abuser  de  la  bienveillante  attention  de  la  Société,  et 
d'ailleurs  ces  provinces  siamoises  ne  sont  pas  pour  nous 
aussi  intéressantes  que  les  principautés  à  moitié  indépen- 
dantes qui  sont  limitrophes  du  Tonkin  ;  elles  ont  le  même 
intérêt  que  nous  à  se  débarasser  des  pirates  qui,  depuis  de 
longues  années,  infestent  leur  pays  et  qui,  dans  la  suite, 
pourront  être  de  la  plus  grande  utilité  pour  assurer  la  tran- 
quillité des  frontières  de  nos  possessions  indo-chinoises. 

Le  retour  s'effectua  en  remontant  le  Mékong  jusqu'à  Xieng- 
Sen  où  je  pris  le  Nam  Kok,  affluent  de  droite  que  je  relevai 
jusqu'à  Xieng-Hay;  là  je  continuai  ma  route  vers  l'est  à  dos 
d'éléphant,  passant  par-dessus  la  ligne  de  partage  des  eaux 
entre  le  Mékong  et  le  Ménam.  Je  séjournai  quelques  jours 
à  Xieng-Maï,  grande  ville  située  sur  le  Mé-Ping,  affluent  du 
Ménam.  De  Xieng-Maï  je  gagnai  à  pied  le  ville  de  Lampoun 
puis  celle  de  Lakone  sur  le  Mévan.  A  Lakone  je  pus  me 
procurer  une  barque  et  descendre  le  Mévan  jusqu'au  Mé- 
Ping,  puis  cet  affluent  jusqu'à  sa  rencontre  avec  le  Nam-Poh 
où  la  réunion  des  deux  branches  forment  le  Ménam  que  je 
suivis  ensuite  jusqu'à  Bangkok. 


soc.  DE  GÉOGR.  — 3*  TRIMESTRE  1885.  YI.   —  27 


SEPT  MOIS  AU  PAYS  DE  L'ÉTAIN 


PERAK 

(PRESQU'ILE  DE  HALACCA) 


PAR 


Ingénieur  civil  des  mines. 


Le  20  janvier  1880,  je  m'embarquai  à  Toulon  avec 
M.  Brau  de  Saint-Pol  Lias.  Notre  but  était  la  Malaisie 
ou  du  moins  certaines  régions,  encore  peu  connues,  de  la 
grande  île  de  Sumatra  que  nous  nous  proposions  d'explorer 
à  un  point  de  vue  scientifique  et  pratique  à  la  fois. 

Après  quarante-deux  jours  de  navigation  sur  un  trans- 
port de  l'État,  le  Tarn^  nous  arrivâmes  à  Singapore  et  re- 
partîmes presque  aussitôt  pour  Batavia,  où  nous  tenions  à 
présenter  nous-mêmes  à  S.  Exe.  le  gouverneur  général  des 
Indes  néerlandaises,  les  lettres  de  recommandation  dont 
nous  étions  munis.  Nous  ne  fîmes  qu'un  séjour  très  court 
à  Java  et  trois  semaines  plus  tard,  le  1*'  avril,  nous  mouil- 
lions sur  rade  d'Ouléleh,  à  l'extrême  pointe  nord  d'Atjeh. 

Une  triste  nouvelle  nous  y  attendait;  un  steamer  mar- 
chand, arrivé  le  matin  même  de  la  côte  ouest,  venait  an- 
noncer la  mort  de  deux  Français,  MM.  Vallon  et  Guillaume, 
chargés,  comme  nous,  d'une  mission  scientifique  en  Malaisie. 
Nos  deux  malheureux  compatriotes  avaient  été  assassinés 
sur  la  rivière  Tenom,  aune  petite  distance  de  la  côte.  Les 
détails  manquaient  encore,  mais  le  gouverneur  d'Atjeh, 
S.  Exe.  le  général  Van  der  Heyden,  avait  déjà  donné  des 

1.  Voir  les  trois  cartes  publiées  dans  le  3»  trimestre  1883  àa'BuUeti». 


VOYAGE  AU  PAYS  DE  L'ÉTAIN.  395 

ordres  pour  qu'un  corps  de  trois  cents  hommes  de  troupe 
îàt  embarqué  et  se  tint  prêt  à  partir.  Il  devait  se  mettre  lui- 
même  à  la  tête  de  l'expédition;  sur  notre  demande,  il  nous 
accorda  fort  gracieusement  l'autorisation  de  l'accompagner. 
Nous  auriops  pu  commencer  nos  explorations  sous  de  meil- 
leurs auspiceç*  Le  i^eurtre  de  ces  deux  infortunés  jeunes 
gens,  en  dehors  du  sentiment  pénible  qu'il  nous  causa, 
devait  être  un  obstacle  absolu  à  la  réussite  de  nos  projets. 
L'état  de  guerre,  la  crainte  qu'up  second  malheur  ne  vînt 
créer  de  nouvelles  complications  dans  une  situation  politique 
très  tendue,  tout  devait  nous  fermer  le  pays  et  nous  empê- 
cher de  voyager  à  notre  gré.  Nous  nous  aperçûmes  bientôt 
que,  avec  les  formes  les  plus  courtoises,  nous  étions  simple- 
ment gardés  à  vue  et  protégés  malgré  nous,  avec  une  solli- 
citude que  nous  aurions  appréciée  en  tout  autre  occasion. 
Nous  fûmes  tout  uniment  remis  entre  les  mains  des  dififé^ 
rents  contrôleurs  de  la  côte  qui,  selon  leur  propre  ex.pres- 
sion,  répondaient  de  nous  «  sur  leur  tôle  »•  Jamais  déportés  ou 
criminels  endurcis  n'ont  été  surveillés  avec  autant  de  soin; 
nous  ne  pouvions  faire  un  pas  sans  être  accompagnés,  com- 
pagnie charmante  il  -est  vrai,  mais  qui  devait  nous  inter- 
dire toutes  recherches  utiles  et  toute  étude  nouvelle  dans 
rintérieur  du  pays.  Nous  dûmes  donc  nous  borner  à  par- 
courir la  côte,  à  faire  de  courte  s  escales,  des  promenades 
officielles  et  plus  courtes  encore  dans  les  divers  petits  ports 
d'Atjeh.  Ces  promenades  étaient  fprt  agréables,  mais  ne 
pouvaient  avoir  qu'un  résultat  scientifique  ou  pratique  très 
limité;  toute  cette  côte  est  en  effet  suffisamment  connue, 
nous  n'avions  rien  de  nouve^au  à  y  découvrir. 

Je  ne  reproduirai  donc  pas  ici  les  détails,  fort  peu  inté- 
ressantSy  de  Texpédition  envoyée  pour  venger  la  mort,  de 
Vallon  et  Guillaume,  ni  les  incidents,  d'un  intérêt  géogra- 
phique tout  aussi  médiocre,  qui  se  sont  produits  pendant 
notre  séjour  de  cinq  mois  à  Sumatra.  Du  reste,  mon  com- 
pagnon de  voyage  se  propose  de  publier  prochainement  le 


396  VOYAGE  AU  PAYS  DE  L'ÉTAIN. 

compte  rendu  pittoresque  de  notre  visite  à  Atjeh^;  pour 
ma  part,  je  mécontenterai  de  raconter  les  explorations  que 
j'ai  faites  à  Pera)^,  dans  la  presqu'île  de  Malacca. 

Ce  petit  État  indigène  de  la  péninsule  malaise  est  aussi 
inconnu  en  Europe  qu'il  l'était  à  nous-mêmes  avant  notre 
arrivée  aux  Indes;  mais,  en  débarquant  à  Ouléleh,  nous 
avions  eu  la  bonne  fortune  de  rencontrer  un  négociant  de 
Pinang,  auquel  un  long  séjour  sur  la  côte  de  la  presqu'île 
et  à  Perak  même  avait  fait  connaître  tontes  les  ressources 
et  tout  l'intérêt  que  ce  pays  présentait  au  voyageur.  Il 
m'avait  surtout  entretenu  des  richesses  minières  de  la  con- 
trée; c'était  prendre  un  ingénieur  par  son  faible.  J'en  parlai 
à  de  Saint-Pol  Lias  et  notre  résolution  fut  aussitôt  arrêtée. 
Avec  une  extrême  obligeance,  ce  négociant  se  chargea 
de  nous  faire  avoir  une  invitation  officielle  du  résident  de 
Perak,  invitation  fort  aimable  qui  en  effet  arriva  peu  de 
temps  après. 

Devant  l'impossibilité  de  faire  des  choses  utiles  à  Atjeh^ 
j'aurais  désiré  partir  immédiatement,  mais  mon  compagnon 
de  voyage  pensa,  avec  une  persévérance  certainement  des 
plus  louables^  qu'étant  venus  aussi  loin,  nous  ne  pouvions 
repartir  sans  avoir  tenté  encore  de  pénétrer  dans  le  pays. 
Ainsi  que  je  le  dis  plus  haut,  ce  fut  peine  perdue  et  après 
cinq  mois  d'efTorts  infructueux,  je  décidai  mon  ami  à  m'ac« 
compagner  à  Perak. 

Le  27  août,  après  une  courte  escale  à  Pinang,  nous  débar- 
quàmes  à  Telok-Kartang,  le  port  de  la  province  de  Larout 
(Haut  Perak),  situé  sur  la  rivière  même  de  Larout  à  trois 
milles  environ  de  son  embouchure.  Ce  port  n'est  accessible 
qu'aux  petits  vapeurs  chinois,  de  50  à  100  tonneaux,  qui 
font  le  service  journalier  entre  Perak  et  Pinang  ;  mais  le 
grand  développement  que  l'industrie  minière   du  pays  a 

1.  Depuis  q.ue  ces  lignes  ont  été  écrites,  M.  de  Saint-Pol  Lias  a  publié 
les  notes  d*une  seconde  excursion  quil  a  faite  à  Sumatra  :  «  Chez  les 
Atchés.  »  —  E.  Pion,  NoTirrit  et  C^*,  éditeurs. 


VOYAGE  AU  PAYS  DE  L'ÉTAIN.  397 

pris  depuis  quelques  années,  a  prouvé  l'insuffisance  de  ce 
point  d'embarquement.  Aussi  le  gouvernement  s'est-il 
décidé  à  le  transférer  un  peu  plus  haut^  sur  l'un  des  nooi- 
breux  arroyos  qui  parcourent  la  grande  bande  maré- 
cageuse de  la  côte.  Ce  nouveau  port^  auquel  a  été  donné  le 
nom  de  S.  Ëxc.  Sir  Frederick  Weld, gouverneur  des  «Straîts 
séttlementsB,  sera  probablement  achevé  dans  deux  ans^  ainsi 
que  le  chemin  de  fer  qui  doit  le  relier  à  Thaîpeng. 

En  débarquant  à  Telok-Kartang,  nous  fûmes  reçus  par 
M.  WynnCy  l'aimable  magistrat  de  l'endroit,  qui  nous  sou- 
haita la  bienvenue  au  nom  du  résident  et  nous  apprit  que 
«e  dernier  se  trouvait  en  ce  moment  dans  l'intérieur,  à 
Kwala-Kangsa,  siège  politique  du  gouvernement  de  Perak. 
La  meilleure  façon  d'y  parvenir  était  de  nous  rendre  tout 
d'abord  à  Thaîpeng,  chef-lieu  de  la  province  de  Larout, 
où  des  moyens  de  locomotion  seraient  mis  à  notre  dispo- 
sition. 

Nous  fîmes  le  trajet  dans  une  afiTreuse  carriole  du  pays, 
traînée  par  un  de  ces  ardents  petits  chevaux  de  Sumatra 
que  les  Battaks  de  la  province  de  Déli  exportent  chez  tous 
leurs  voisins  du  détroit.  Après  une  course  d'une  heure  et 
demie  sur  la  belle  route  de  12  kilomètres  qui  traverse  les 
villages  de  Matang,  Simpang  et  Kotah,  notre  automédon 
nous  déposait  à  l'autre  bout  de  la  ville,  au  pied  du  monticule 
que  couronne  pittoresquement  l'habitation  de  M.  W.-R.  Max- 
well, l'assistant-résident.  En  l'absence  de  ce  dernier,  mo- 
mentanément en  congé,  nous  fûmes  reçus  par  le  major 
Swinburne,  commandant  les  forces  militaires   de  Perak 
et  par  son  lieutenant  M.  Walker,  tous   deux  officiers  de 
l'armée  anglaise  dont  ils  savaient  maintenir,  dans  cette 
€olonie  lointaine,  les  traditions  de  courtoisie  et  de  distinc- 
tion. Ces  deux  noms  sont  aujourd'hui  pour  moi  des  noms 
d'amis  et  je  suis  heureux  de  saisir  cette  nouvelle  occasion 
de  leur  exprimer  mon  souvenir  reconnaissant  pour  la  cor- 
dialité et  l'amabilité  si  parfaites  qui  présidèrent  à  notre  pre- 


398  VOYAGE  AU  PAYS  DE  l'ÉTAIN. 

mière  réunion  et  qu'ils  me  continuèrent  si  largement  dans 
la  suite. 

Notre  séjour  à  la  résidence  dura  une  semaine  que  j'em- 
ployai à  parcourir  les  environs  et  à  visiter  les  nombreuses 
exploitations  d'étaîn  de  la  localité. 

La  ville  elle-même  s'élève  dans  la  plaine  de  Larout,  au 
fond  de  la  longue  bande  d'alluvions  plates  qui  s'étendent  aa 
nord,  entre  la  mer  et  la  première  chaîne  de  montagnes; 
elle  est  adossée  au  massif  de  Maxwells'Hill  qui  dresse,  à 
1425  mètres  de  hauteur,  sa  cime  couverte  d'épaisses  forêts. 

Thaîpeng  est  la  capitale  commerciale  de  Perak,.  si  l'on 
peut  appeler  a  capitale  )>  l'agglomération  de  huttes  et  de 
paillotes  qui  servent  d'abri  à  la  population  travailleuse  du 
district.  Le  quartier  des  Européens,  peu  peuplé  il  est  vrai, 
puisque  leur  nombre  ne  s'élevait  qu'à  dix-neuf  (nous  com- 
pris) aumomentdenotre  visite, est  situé  en  dehors  du  centre 
commercial,  près  des  casernes  affectées  à  l'armée  locale. 

Le  corps  entier  compte  environ  cinq  cents  hommes,  dont 
la  plupart  sont  des  Sikhs,  originaires  du  nord  de  l'Inde 
anglaise,  auxquels  ont  été  adjoints  quelques  Malais  indi- 
gènes chargés  plus  spécialement  de  la  police.  Ces  troupes 
sont  admirablement  disciplinées.  Dans  une  revue  et  des  ma- 
nœuvres que  le  major  Swinburne  voulut  bien  faire  en  notre 
honneur,  nous  pûmes  juger  ce  corps  d'élite  dont  la  précision 
et  l'ensemble  merveilleux  font  le  plus  grand  honneur  aux 
officiers  qui  le  commandent.  Les  moyens  de  défense  sont 
complétés  par  un  fort  qui  domine  la  ville  et  les  environs. 

La  majeure  partie  de  la  population  qui  se  chiffre  par 
14000  âmes,  est  composée  de  Chinois  se  livrant  presque 
uniquement  au  travail  des  mines  groupées  en  trois  dis-» 
tricts  autour  de  Thaîpeng.  Il  y  a  deux  ans,  l'industrie  mi«- 
nière  de  la  localité  ne  comptait  que  trente  exploitations,  elle 
en  comprend  cent  cinquante-cinq  aujourd'hui,  c'est  assez 
dire  quel  énorme  développement  elle  a  subi  en  un  temps  si 
court. 


YOTAGE  AU  PATS  DE  L'ÉTAIN.  399 

;  Je  n'entrerai  pas  à  ce  sujet  dans  des  détails  trap  tech- 
niques que  j'ai  déjà  publiés  ailleurs  ^  Qu'il  me  suffise  de 
dire  que  l^s  seuls  gisements  d'étain  exploités  jusqu'à  présent 
sont  des  dép&ts  alluviens  provenant  de  la  décomposition  et 
de  l'érosion  des  roches  granitoîdes  qui  constituent  l'ossature 
.des  massifs  montagneux  du  pays. 

Les  filons  «n  place  n'ont  jamais  été  travaillés;  une  exploit 
4ation  souterraine,  avèls  tout  son  matériel  compliqué,  serait 
trop  dispendieuse  dans  un  pays  où  les  voies  de  communi- 
cation sont  eiïcore  assez  rares.  Les  Chinois,  avec  le  sens 
pratique  qui  est  l'une  de  leurs  caractéristiques  les  plus  re- 
marquîd)les,  préfèrent  avec  juste  raison  exploiter  les  alluvions 
si  riches  qui  recouvrent  les  plaines.  Ces  gisements  sont 
d'autant  moins  profonds  qu'ils  sont  plus  rapprochés  des 
montagnes; ils  présentent  parfois  une  richesse  considérable, 
atteignant  jusqu'à  6  p.  100  de  teneur  de  métal. 

Le  système  ordinaire  d'exploitation  consiste  à  ouvrir,  à 
ciel  ouvert,  une  vaste  excavation  qui  dépasse  rarement 
vingt-cinq  à  trente  pieds  de  profondeur.  Les  matières  sté- 
riles de  la  surface  sont  rejetées  en  arrière  à  mesure  que  le 
front  de  taille  s'avance,  tandisque  les  terres  du  dépôt  stan- 
nifère  sont  portées  à  dos  d'homme,  dans  de  petits  paniers, 
jusqu'aux  appareils  de  lavage. 

Ceux-ci  sont  identiques  aux  «  sluice- boxes  »  employés  en 
Australie  pour  le  lavage  de  l'or.  Les  minerais  lavés  attei- 
gnent une  richesse  moyenne  de  65  à  70  p.  100.  Leur  grande 
pureté  simplifie  considérablement  l'opération  métallurgique 
qui  se  fait,  au  charbon  de  bois,  dans  de  petits  fours  à 
manche  en  briques  ou  en  argile. 

Les  procédés  employés  par  les  Chinois  sont  très  primitifs, 
en  ce  qui  concerne  l'épuisement  des  mines  ainsi  que  le  trai- 
tement mécanique  ou  métallurgique,  mais  les  dépôts  sbiit 

1.  «  Les  mines  d'étain  de  Perak.  »  Archives  dei  missions  scientifiques 
et  littéraireSf  3<'  série,  t.  IX.  Imprimerie  nationale  (1882),  chez  Dunpdj, 
éditeur. 


400  VOYAGE  AU  PATS  DB  L'ÊTAIIT. 

suffisamment  riches  pour  leur  donner,  malgré  des  pertes 
sensibles,  des  bénéfices  souvent  considérables. 

L'exploitation  la  plus  importante  et  la  plus  riche,  connue 
sous  le  nom  de  Kong-Loon*Kongsi,  occupe  près  de  douze  cents 
ouvriers  et  a  déjà  donné,  à  son  propriétaire,  200000  dollars 
de  bénéfices  nets,  soit  environ  un  million  de  notre  monnaie.. 
Cet  intelligent  capitaliste  est  le  premier  de  tous  les  exploi- 
tants chinois  qui  ait  compris  l'utilité  d'introduire  des  en- 
gins européens  danssesmines.il  y  a  déjà  installé  deux  belles 
machines  à  vapeur  ;  non  sans  hésitation  toutefois,  car  pour 
bien  lui  faire  comprendre  la  supériorité  de  nos  appareils, 
le  résident  a  dû  faire  venir  une  pompe,  et  la  faire  travail- 
ler, pour  ainsi  dire  à  vide,  sous  ses  yeux  mômes.  Vidée 
abstraite  n'existe  chez  les  Fils  du  Ciel  que  pour  s'appliquer 
au  merveilleux,  aux  croyances  superstitieuses,  aux  esprits  ; 
pour  toute  autre  chose,  ils  sont  incrédules  et  méfiants  et  ne 
comprennent  que  lorsqu'ils  ont  vu  de  leurs  deux  yeux, 
mais  alors  ils  comprennent  bien  et  s'assimilent  facilement 
toute  idée  nouvelle. 

Pour  prouver  une  fois  encore  combien  l'industrie  de 
rétain  est  florissante  à  Perak,  nous  ne  donnons  que  deux 
chiffres  :  eu  1876,  la  quantité  totale  de  métal  produit  s'est 
élevée  à  2054  tonnes  ;  pendant  Tannée  qui  vient  de  s'écouler 
(1882)  l'exportation  a  atteint  le  chiffre  de  7149  tonnes. 

Le  3  septembre  nous  quittâmes  Thaïpeng  pour  Kwala- 
Kangsa  oi!i  noiis  attendait  le  résident.  Nous  fîmes  cette 
charmante  promenade  de  35  kilomètres  par  la  route  pitto- 
resque qui  s'embranche  à  Simpang  sur  la  voie  principale, 
traverse  le  petit  Kampong  de  Boukit-Gantang  et  franchit  la 
passe  de  Gapis  (106  mètres  d'altitude)  pour  redescendre 
ensuite  dans  la  magnifique  plaine  du  SoungirPerak^  qui  a 
donné  son  nom  au  pays. 

Au  sortir  de  la  passe,  un  gigantesque  rocher  calcaire, 

*  1.  Soungi,  rivière. 


VOYAGE  AU   PAYS  DB  L'ÉTAIM.  401 

Gounong-Pon4oq  S  élève,  à  500  mètres  de  hauteur,  ses  faces 
verticales  couvertes  de  végétation.  Les  seuls  habitants  de 
ce  pic  curieux,  dont  l'ascension  n'a  jamais  été  faite  d'une 
manière  complète,  sont  des  chèvres  sauvages  qui,  paratt-il, 
ne  descendent  jamais  dans  la  vallée.  La  base  de  la  montagne 
renferme  de  petites  grottes  et  de  larges  fissures  où  j'ai 
trouvé  de  belles  cristallisations  ainsi  que  quelques  spécimens 
de  mélanies  modernes  empâtées  daps  Tenduit  ferrugineux 
qui  tapisse  les  parois.  Mais  ce  que  le  rocher  oilre  de  plus 
curieux  aux  yeux  du  géologue,  c'est  son  isolement  absolu  de 
toute  autre  masse  de  même  origine  ;  il  est  là  le  seul  témoin, 
à  des  lieues  à  la  ronde,  d'une  formation  sédimentaire  qui  a 
disparu.  Soulevé  et  métamorphosé  par  les  roches  éruptives 
de  la  chaîne  qui  le  touche,  son  calcaire  s'est  transformé  en 
un  beau  marbre  blanc  veiné  de  rouge  qui  serait  d'une  ex- 
ploitation facile,  si  toutefois  le  besoin  s'en  faisait  sentir.  Mais 
le  moment  n'est  pas  encore  venu  ;  Perak  est  un  pays  trop 
jeune  encore  pour  se  donner  le  luxe  de  palais  en  marbre; 
de  nOodestes  maisons  en  bois  ou  en  bambou  sont  les  seules 
habitations  des  indigènes  aussi  bien  que  des  Européens. 

Nous  profitâmes  de  l'arrêt  nécessaire  au  changement  de 
relais  pour  faire  une  visite  à  un  planteur  de  café  installé  avec 
toute  sa  famille  dans  le  vallon  qui  sépare  Gounong-Pondoq 
de  la  passe  de  Gapis.  Plusieurs  acres  de  terre  étaient  déjà 
défrichés;  l'essence  choisie,  le  caféier  de  Libéria,  sem- 
blait pousser  admirablement  sur  ce  beau  sol  vierge  que  la 
forêt  recouvrait  encore,  il  y  a  quelques  mois  à  peine. 

Après  quelques  instants  de  repos,  nous  reprîmes  notre 
voyage  vers  Kwala-Kangsa  où  le  résident  de  S.  M.  Britan- 
nique, M.  H.  Low^,  nous  accueillit  avec  une  bienveillance 
dont  je  conserverai  toujours  le  souvenir. 


1.  Gounong,  montagne. 

S-IAujourd'hiii  «  Sir  Hugh  Low  )>,  depuis  <iue  la  reine,  en  récompense 
des  services  signalés  qu*il  a  rendus  au  pays.  Ta  éleyé  à  la  dignité  de 
«  chevalier-commandeur  des  ordres  de  Saint-Michel  et  Saint-George.  »  • 


402  VOYAGE  AU  PAYâ  DE  L'ÉTAIN. 

Kwala-Kangsa,  malgré  son  titre  un  peu  pompeux  â^ 
((  capitale  politique >,n*est  qu'une  petite  bourgade  indigène 
construite. sur  la  berge  de  Soungi-Perak.  La  rivière  en  cet 
endroit  attdint  une  largeur  de  près  de  200  mètres.  Vis-à-vis 
s'élève,  au  milieu  de  cocotiers  et  de  bananiers  verdoyants, 
le  Kampong^Sayong  où  réside  le  souverain  protégé  du  pays, 
le  rajah  Mouda  Yousouf. 

Le  choix  de  cette  situation  sur  la  rive  gauche  n'a  pas, 
paraît-il,  été  laiseé  au  hasard.  Une  ancienne  légende  pré- 
tend qu'autrefois  les  indigènes  du  pays  s'étaient  partagés 
en  deux  catégories  distinctes,  ceux  qui  habitaient  la  rive 
droite,  les  hommes  de  la  côte^  les  marins,  qui  se  livraient 
presque  uniquement  au  commerce,  à  la  pêche  et  surtout  à 
la  piraterie,  et  ceux  de  la  rive  gauche,  plus  sédentaires  dans 
leurs  habitudes  et  s'occupant  d'agriculture.  Dans  l'intérieur 
de  ces  deux  régions  habitaient  en  outre,  et  habitent  encore, 
les  hommes  sauvages^  les  orangs  outaUBj  «  Semangs  »  d'un 
côté  et  «  Sakayes  »  de  l'autre.  Imitant  l'exemple  humain, 
les  singes  du  pays  s'étaient  eux  aussi  partagés  en  deux  tribus, 
les  c(  Ounkas  »  sur  la  rive  droite  et  les  «  Siamangs  ^  »  sur 
la  rive  gauche.  Ces  deux  catégories  de  Malais,  sauvages  et 
singes,  ne  se  fréquentaient  pas  entre  elles  et  ne  passaient 
jamais  d'un  bord  à  l'autre.  Les  singes  ont  persévéré  jusqu'à 
ce  jour  dans  leur  convictions,  mais  les  hommes  consentent 
aujourd'hui  à  franchir  la  limite;  non  toutefois  sans  une 
certaine  répugnance,  car  quelques  Sakayes  que  j'ai  vus  à 
Kwala-Kangsa  allaient  tous  les  soirs  dormir  sur  la  rive 
gauche,  et  le  rajah  Mouda  lui-même  ne  traverse  la  rivière 
que  le  plus  rarement  possible.  Il  ne  consent  janiais  à  passer 
la  nuit  à  Rwala-Kangsa  et  volontiers  il  maudit  sa  grandeur 
qui  l'oblige  à  aller  parfois  à  Thaïpeng  présider  le  Conseil 
d'État. 


1.  Les  «  Ounkas  »  et  les  «Siamangs  •  sont  deux  espèces  de  Gibbons 
{Hylobaie$  syndaclylwt). 


VOYAGE'  Air  PAYS  DE  l'ÉTAIN,  408 

Ce  rajah  a  été  installé  comme  souverain  par  les  Anglais, 
at>rès  les  événements  de  1876.  J'ai  raconté  déjà^  comment, 
après  le  meurtre  du  premier  résident,  M.  Birch^  les  deux 
sultans  de  Perak^  fortement  ckimprômisdans  l'affaire,  furent 
exilés,  Tun  aux  îles  Seychelies,  l'autre  à  Johore,  dans 
le  sud  de  la  presqu'île.  C'est  à  cette  époque  que  l'Angle* 
terre  imposa  son  protectorat  et  donna  le  pouvoir  au  rar 
jah  Yousouf,  l'héritier  présomptif.  Il  est  devenu,  entre  les 
mains  des  autorités  brîtanniqùeà,  et,  empressons-nous  de  le 
dire,  pour  le  plus  grand  bien  du  pays,  un  simple  souverain 
honoraire,  auquel  sont  rendus  naturellement  tous  les  hon- 
neurs possibles,  mais  qui  règnef  et  ne  gouverne  pas,  confor- 
mément aux  principes  de  la  constitution  anglaise  appliquée 
même  à  Perak.  Il  est  du  reste  fort  satisfait  de  ce  rôle  de  roi 
fainéant  et  emploie  son  temps  à  chasser  les  bêtes  fauves,  à 
apaiser  les  éternelles  disputes  féminines  de  son  sérail  et  à 
enterrer^  dans  des  trous,  les  12  000  dollars  de  rente  civile 
que  lui  fait  le  gouvernement  de  son  pays.  . 

Nous  passâmes  quatre  jours  chez  notre  aimable  hôte^ 
visitant  les  environs,  les  jardins  d'essai  où  le  résident, 
botaniste  fort  distingué,  se  livre  à  des.  expériences  d'accli- 
matation sur  des  plantes  étrangères  au  pays,  le  caféier,  le 
thé,  le  quinquina  et  certaines  essences  de  caoutchouc  et  de 
gutta-percha  qui  semblent  pousser  admirablement  sous  le 
beau  ciel  de  Perak. 

De  Kwala-Kangsa  nous  fîmes  une  excursion  aux  mines 
de  Sâlak,  à  l'extrémité  nord  de  la  petite  chaîne  de  Sengan. 
M.  Low  voulut  bien  mettre  deux  de  ses  éléphants  à  notre 
disposition  et  nous  nous  aperçûmes  bientôt  que  ces  mon* 
tures  étaient  les  seules  possibles  dans  ce  pajcs  coupé  de 
mirais  profonds  et  couvert  de  jungles  inextricables  dé* 
pourvues  parfois  de  tout  sentier. 


1.  V Économiste  français,  24  et  31  mars  1883  et  BuUetin  de  la  Sociéié 
de  Géographie  du  3*  trimestre  1883. 


404  VOYAGE  AU  PATS  DE  L'ÉTAIN. 

Après  avoir  traversé  la  rivière,  nous  nous  engageâmes  dans 
la  forêt,  mais  notre  cornac,  ne  connaissant  pas  le  chemin, 
s'égara  bientôt  au  beau  milieu  de  la  jungle  et  au  grand 
déplaisir    de   notre    éléphant  qui   manifestait  de  temps 
en  temps  son  ennui  d'une  pareille  ignorance  par  des  rugis- 
sements épouvantables.  Il  fallut  pourtant  retrouver  le  sen- 
tier, et  c'est  alors  que  nous  pûmes  apprécier  Futilité  et 
l'intelligence  de  notre  monture.  La  broussaille  étant  devenue 
plus  épaisse,  Mé-Mass  (c'était  son  nom)  se  mit  à  tailler 
dans  le  fourré  à  grands  coups  de  trompe,  renversant  tout 
sur  son  passage  et  se  frayant  une  route  large  comme  elle. 
Parfois  un  arbre  un  peu  fort  lui  barrait  le  passage  ;  elle 
l'enlaçait  alors  du  bout  de  sa  trompe  à  cinq  mètres  de  hau- 
teur, tâchant  de  le  briser  en  le  recourbant;  si  l'arbre  résis- 
tait, encouragée  par  son  cornac,  elle  posait   son  énorme 
pied  sur  le  dos  de  la  tige  et  poussait  de  toute  sa  force,  ou, 
si  cet  effort  n'était  pas  encore  suffisant,  elle  employait  alors 
les  grands  moyens,  appuyait  son  vaste  front  sur  le  tronc, 
qui,  cédant  sous  ce  poids  énorme,  s'abattait  avec  fracas 
entraînant  avec  lui  cent  mètres  carrés  de  jungle.  D'autres 
fois  c'était  un  obstacle  d'un  autre  genre,  des  bouquets  de 
bambou  douriy  le  terrible  bambou  épineux,  si  menaçant 
avec   ses    pointes  aiguës  que  les  indigènes    l'emploient 
comme  moyen  de  défense  pour  garnir  les  murs  de  leurs 
villages  en  temps  de  guerre.  Mé-Mass  n'élait  pas  embar- 
rassée pour  si  peu;  ramassant  une  poignée  d'herbes  dures 
du  bout  de  sa  trompe,  elle  s'en  faisait  un  petit  coussinet 
impénétrable  aux  longues  épines.  Son  cornac  nous  dît  qu'on 
ne  lui  avait  jamais  appris  ce  procédé,  elle  l'avait  inventé 
elle-même.  Quelle  intelligence  !  —  et  quelle  prudence  aussi  ! 
A  chaque  marais  que  nous  traversions,  elle  ne  mettait  pas 
un  pied  devant  l'aulre  sans  sonder  de  la  trompe  et  sans 
mesurer  la  profondeur  de  l'eau  et  la  résistance  du  terrain. 
Elle  avait  conscience  de  son  poids  et  usait  des  mêmes  pré- 
cautions s'il  s'agissait  de  passer   un  pont;  l'on  n'aurait 


VOYAGE   AU  PATS  DE   l'ÉTAIN.  405 

jamais  pu  lui  persuader  de  le  franchir  si  elle  n'en  avait 
auparavant  vérifié  la  solidité. 

Ces  occupations  multiples  ne  l'empêchaient  pas  de  pen- 
ser un  peu,  et  môme  beaucoup,  à  elle-même;  tout  en 
marchant  elle  arrachait,  de  droite  et  de  gauche,  des  feuilles, 
des  lianes,  des  touffes  d'herbe,  des  pousses  de  bambou. 
Elle  les  frappait  tout  d'abord  sur  son  pied  pour  faire  tomber 
la  terre  restée  aux  racines,  et  tout  en  les  introduisant  mor- 
ceau par  morceau  sous  ses  molaires  puissantes,  prenait 
grand  soin  de  ne  pas  laisser  choir  le  reste  de  ses  provisions 
maintenues  par  sa  trompe  enroulée. 

Des  volumes  ont  été  écrits  sur  les  éléphants  ;  on  a  par- 
fois accusé  les  voyageurs  d'avoir  exagéré  leur  intelligence 
et  leurs  aptitudes.  Pour  moi,  tout  ce  que  j'ai  lu  sur  le 
compte  de  ces  animaux  est  encore  au-dessous  de  la  réalité. 
Pendant  les  sept  mois  que  j'ai  passés  à  Perak,  continuel- 
lement avec  des  éléphants,  je  les  ai  vus  exécuter  des  lours 
de  force  physiques  et  intellectuels  si  invraisemblables,  que 
j'ose  à  peine  les  raconter  de  crainte  de  faire  douter  de  ma 
véracité. 

Partis  de  Kwala-Kangsa  à  six  heures  du  matin,  nous  arri- 
vâmes à  dix  heures  au  Kampong  Ëngar,  sur  la  rivière  de 
Perak,  où  nous  prîmes  un  sentier  qui,  trois  heures  plus 
tard,  nous  amenait  à  Salak,  but  de  notre  excursion. 
J'allai  aussitôt  visiter  les  exploitations;  mais  avant  de  pé- 
nétrer dans  les  travaux,  je  dus  me  soumettre  aux  exigences 
superstitieuses  des  Chinois  de  la  mine,  c'est-à-dire  enlever 
mes  chaussures  et  fermer  mon  parasol,  ces  deux  articles  de 
toilette  ayant  la  propriété  de  faire  fuir  les  génies  bienfai- 
sants préposés  à  la  garde  du  minerai  dans  le  sein  de  la 
terre.  Un  Chinois,  devant  qui  j'émis  l'opinion  que  celte  me- 
sure, très  vexatoire  pour  un  Européen,  avait  peut-être  pour 
but  d'écarter  les  visiteurs  indiscrets,  m'assura  que  cette 
croyance  n'était  nullement  d'origine  chinoise  mais  bien 
malaise.  Les  mines  d'étain  appartenaient  autrefois  aux  ra* 


406  VOYAGE  AU  PAYS  DE  L'ÊTAIN. 

jahs  du  pays  ;  ils  se  figuraient,  et  se  figurent  encore  du  realei 
que  les  métaux  sont  placés  sous  la  gai^de  d'esprits,  d'an'* 
touSf  qui  seraient  profondément  froissés  si  Ton  foulait  le 
minerai  avec  des  chaussures,  si  le  costume  n'était  pas  décent 
ou  si  Ton  tenait  à  la  main  un  parasol  ouvert.  Le  «  génie  » 
abandonnerait  aussitôt  les  travaux  et,  chose  plus  regreth 
table,  emporterait  avec  lui  la  totalité  de  Tétain.  Lorsque 
les  Chinois  sont  arrivés  dans  le  pays,  appelés  comme  tra- 
vailleurs, ils  ont  dû  respecter  cette  croyance,  mafs  gvec 
leur  amour  du  merveilleux  et  leur  goût  mythologique  pour 
des  dieux  innombrables,  ils  ont  fini  par  la  partager  à  leur 
tour  et  par  vouer  à  cette  déité  nouvelle  un  culte  plus 
complet  encore  que  celui  des  Malais.  Devant  chaque  mine 
s'élève  un  petit  autel  spécial  sur  lequel  ils  font  des  offrandes 
propitiatoires  de  fruits  et  de  tasses  de  thé,  tout  en  tirant 
force  pétards  en  l'honneur  du  «  génie  ». 

Après  avoir  visité  les  exploitations  de  la  localité,  nous 
revînmes  dans  l'après-midi  à  Kwala-Kangsa. 

Je  repartis  le  surlendemain  pour  le  district  de  Bakow,  à 
l'extrémité  sud  de  la  chaîne  de  Sengan.  Je  fis  cette  excursion 
seul,  mon  ami  préférant  aller  visiter  l'un  des  jardins  d'essai 
du  gouvernement  situé  dans  le  voisinage  de  Gapis,  sur  le 
sommet  de  Gounong-Arang-Para,  à  1066  mètres  d'élévation. 

Je  fis  en  praho*^  indigène  la  première  partie  du  trajet, 
jusqu'au  point  où  Soungi-Bakow  se  jette  dans  la  rivière 
Perak.  A  moitié  chemin  je  rencontrai,  remontant  en  sens 
inverse,  le  rajah  Mahmoud,  chef  du  district  que  j'allais  visi- 
ter. Le  résident  m'avait  donné  une  lettre  pour  lui  et,  fort 
gracieusement,  il  consentit  à  rebrousser  chemin,  'quoiqu'il 
fût  accompagné  de  toutes  ses  femmes  qu'il  emmène  toujours 
avec  lui,  me  dit-il;  sans  doute  par  mesure  de  précaution.  Je 
passai  la  nuit  à  l'entrée  de  la  petite  rivière  de  Bakow  et 


1.  Le  praho  malais  est  une   grande  embarcation  portant  dans  toute 
sa  longueur  un  large  toit  en  feuilles. de  palmiste. 


VOYAGE  AU  PAYS  DE  L'ÉTAIN,  407 

repartis  le  lendemain  de  bonne  heure  pour  les  montagnes, 
accompagné  du  rajah  et  de  quelques  porteurs.  Le  sentier 
suivait  à  peu  près  lé  cours  de  la  rivière,  mais  nous  avions 
continuellement  à  traverser  des  marais,  assez  profonds;  le 
seul  inconvénient  du  reste  était  d'en  sortir  couvert  de 
sangsues,  cette  plaie  des  forêts  tropicales.  II  en  existe  de 
deux  espèces,  celle  des  marais,  ou  plutôt  d'eau,  appelée 
linta  par  les  indigènes,  et  celle  des  bois  nommée  patchat. 
Ces  dernières  sont  les  plus  désagréables;  elles  sont  exces- 
sivement minces,  filiformes  et  ont  de  2  à3  centimètres  de 
long,  mais,  en  raison  même  de  leur  ténuité,  elles  pénètrent 
plus  facilement  sous  les  vêtements  et  souvent  passent  tout 
simplement  à  travers  rétoffe.  Lorsqu'elles  sont  gorgées  de 
sang,  elles  deviennent  aussi  grosses  que  nos  sangsues 
ordinaires;  la  blessure  qu'elles  font  s'envenime  facilement 
et  souvent  est  très  longue  à  guérir.  Ges.sansgsues  des  bois 
doivent  avoir  des  sens  de  perception  très  développés,  car, 
au  moindre  bruit  ou  à  l'approche  d'un  être  quelconque,  on 
les  voit  se  mettre  en  mouvement  et  se  placer  en  observation 
sur  les  herbes  ou  les  feuilles  basses  des  arbrisseaux. 

La  forêt  que  je  traversai  était  fort  belle  et  renfermait 
des  arbres  magnifiques,  des  merantis,  des  tampenis  et 
surtout  des  merbows  superbes,  hauts  de  50  mètres  et 
dont  le  tronc  ne  pouvait  être  embrassé  que  par  dix  hommes 
se  tenant  par  les  mains.  Ces  trois  essences  sont  les  plus 
répandues  et  les  plus  utilisées  comme  bois  de  construction. 

Je  rencontrai  aussi  des  fougères  arborescentes  de  toute 
beauté,  hautes  de  5  à  6  mètres,  les  plus  belles  que  j'aie  vues, 
après  celles  du  jardin  botanique  de  Buitenzorg  à  Java.  Mais 
d'un  autre  c6té,  et  c'est  là  une  des  particularités  des  forêts 
vierges  de  la  Malaisie,  je  ne  trouvai  pas  de  fleurs,  ou  les 
quelques  rares  spécimens  que  je  pus  découvrir  étaient  d'une 
coloration  très  pâle  ou  d'une  couleur  blanche,  due  san& 
doute  à  l'ombre  perpétuelle  jetée  sur  le  sol  par  des  massifs 
touffus  impénétrables  apx  rayons  du  soleil. 


408  VOYAGE  âC  pays  DE  L'ÉTAIN. 

Les  êtres  animés  y  sont  du  reste  aussi  rares  que  les  fleurs. 
En  dehors  des  sangsues,  des  insectes  et  de  quelques  pi- 
geons ou  singes  égarés,  l'on  ne  voit  guère  de  bêtes  dans 
rintérieur  des  bois. 

Faute  d'herbages,  qui  sont  tués  aussi  par  l'absence  de 
lumière,  les  herbivores  en  sont  réduits  à  fréquenter  les  clai- 
rières  et  h  se  rapprocher  des  lisières  où  ils  cherchent  leur 
nourriture  jusque  dans  les  plantations  mêmes  des  indi- 
gènes. Les  fauves,  qui  à  leur  tour  se  nourrissent  de  cerfs, 
de  sangliers,  etc. ,  les  accompagnent  naturellement. 

J'arrivai  le  soir  même  à  Kampong-Bakow,  mais  n'y  fis 
qu'un  séjour  de  courte  durée.  J'y  étais  surtout  venu  à  la 
demande  du  résident,  qui  désirait  avoir  un  avis  technique 
sur  certains  dépôts  stannifères  exploités  par  le  rajah  Mah- 
moud. Mon  travail  terminé,  je  repris  le  même  chemin  et 
j'étais  de  retour  à  Kwala-Kangsa  le  13  septembre. 

Le  même  soir,  M.  de  Saint-Pol  Lias  revenait  lui  aussi  de 
son  excursion,  et  le  surlendemain,  après  une  nouvelle  halte 
à  la  plantation  de  Gapis,  chez  M.  Wray,  nous  étions  de 
retour  à  Thaïpeng. 

Je  passai  là  quinze  nouveaux  jours  à  étudier  enco  re  les 
procédés  chinois  d'exploitation  et  à  faire  un  plan  de  cam- 
pagne eu  vue  d'explorer  le  pays  d'une  façon  aussi  complète 
que  possible.  Dans  l'intervalle,  mon  compagnon  de  voyage 
me  quitta,  retournant  à  Sumatra,  pour  y  continuer  l'étude 
d'un  projet  de  plantation  que  nous  avions  ébauché  avant 
notre  départ  d'Atjeh. 

De  mon  côté,  après  les  délais  nécessaires  à  la  connaissance 
des  habitudes  et  des  ressources  du  pays,  je  commençai  mes 
recherches  techniques.  M.  Low  voulut  bien  me  prêter  les 
appareils  de  sondage  du  gouvernement  et  poussa  l'obli- 
geance jusqu'à  mettre  à  ma  disposition  des  éléphants  pour 
les  transporter.  J'embauchai  une  douzaine  de  coolies  chinois 
et  commençai  mes  opérations  dans  le  district  de  Djebong, 
à  une  petite  distance  au  sud-ouest  de  Thaïpeng.  J'y  fis,  dans 


VOYAGE  AtJ  PAYS  DE  L'ÉTAIN.  409^ 

lajungle,  un  séjour  de  trois  semaines,  mais  sans  résultat 
pratique.  Je  changeai  donc  de  canton  et  allai  m'installer  à 
Boukit-Gantang,  petit  kampong^  sur  la  route  de  Simpang 
à  Kwala-Kangsa. 

Ce  village  est  l'ancienne  résidence  du  fameux  Mountri  ou 
gouverneur  de  Larout,  sous  le  sultan  Abdoullah.  Je  dis 
«  fameux  »,  car  il  est  un  peu  la  cause  première  de  la  guerre 
de  Perak  et  de  l'établissement  du  protectorat  anglais  sur  le 
pays. 

Ce  Mountri  était  unhommefort  puissant,  très  indépendant, 
très  entreprenant  surtout.  Il  avait  eu  le  talent  d'attirer 
l'immigration  chinoise  et  Ton  peut  dire  que  c'est  lui  qui  a 
fondé  l'industrie  minière  à  Perak.  Mais  s'il  s'était  acquis 
dans  ce  sens  des  droits  considérables  à  la  reconnaissance 
publique,  il  les  perdit  complètement  vis-à-vis  des  Anglais, 
en  se  mêlant  au  complot  qui  aboutit  à  l'assassinat  du  rési«- 
dent,  M.  Birch,  en  1875. 

La  part  qu'il  prit  dans  l'affaire  lui  valut  un  exil  perpétuel 
aux  îles  Seychelles,  en  compagnie  de  son  sultan  et  de 
quelques  autres  chefs. 

Le  souvenir  du  Mountri  et  de  sa  puissance  est  resté  vivace 
à  Boukit-Gantang  et  se  manifeste  encore  par  une  froideur 
incontestable  à  l'égard  de  tout  Européen  qui  séjourne  dans 
l'endroit.  Le  chef  actuel  du  district  est  un  parent  de  l'an- 
cien gouverneur;  il  ne  voulut  me  fournir  aucun  rensei- 
gnement sur  la.  région.  Je  ne  pus  d'ailleurs  réussir  à  le 
sortir  de  chez  lui  oti  il  passait  son  temps  à  jouer,  sur  un 
violon  abominablement  faux,  l'air  de  Mandolinata  avec 
accompagnement  indigène  de  tams-tams  et  de  flûtes  de 
bambou. 

Je  restai  trois  semaines  à  Boukit^Oantang,  fort  occupé  à 
explorer  la  petite  vallée  comprise  entre  deux  éperons  de  la 
chaîne  principale.  Après  avoir  poussé  mes  recherches  jus« 

1.  Kampong,  viUage  malais. 

soc.  DE  GÉOGR.  —  3*  TRIMESTRB  1885.  VI.  —  28 


410  VOYAGE  AU  PAYS  DE  L'ÉTAIN. 

qu'au  delà  de  Tchangkat-Tabacow  et  de  Soungi-Botchat,  je 
revins  à  Tbaîpeng»  et  le  surlendemain^  10  novembre,  je 
repartis  pour  la  vallée  de  Kourow  au  nord-est. 

Cette  petite  plaine  est  formée  par  un  contrefort  qui  se 
détacbe  de  la  chaîne,  à  la  bauteur  de  Thaîpeng  et  se  dirige 
vers  leinord  sur  une  longueur  d'environ  16  kilomètres.  La  lar- 
geur moyenne  de  la  vallée  est  de  8  kilomètres.  Elle  est  sil- 
lonnée par  un  grand  nombre  de  petits  cours  d'eau  qui  tous  vien- 
nent affluer  à  la  rivière  principale,  Soungi- Kourow,  d'où  la 
vallée  tire  son  nom;  cette  rivière  prend  sa  source  au  nord  du 
massif  de  Bircb's  Hill  et  va  se  jeter  dans  le  détroit  à  15  kilo- 
mètres environ  au-dessous  de  la  frontière  nord  de  Perak. 

La  formation  géologique  du  contrefort  ne  diffère  de  celle 
des  montagnes  voisines  que  par  une  plus  grande  proportion 
de  mica  dans  les  roches  granitoldes.  A  mi*c6te  de  Gounong- 
Blakan-Parang  on  rencontre^  un  lambeau  de  grès  verts 
(arkoses)  d'une  petite  étendue  et  ne  dépassant  pas  la  crête 
des  collines. 

Comme  je  me  proposais  de  séjourner  quelque  temps  à 
Kourow,  j'établis  mon  quartier  général  au  kampongDagang, 
le  plus  central  et  le  plus  considérable  des  villages  de  la 
vallée.  C'était  là  aussi  qu'habitait  le  Pengoulou  du  district, 
titre  qui  correspond  à  chef  de  circonscription.  Les  Pengou- 
lous  sont  des  fonctionnaires  indigènes  soumis  à  l'autorité 
britannique  et  chargés  de  la  police  de  leur  district,  de  la 
perception  des  impôts,  etc.;  ils  sont  généralement  choisis 
dans  les  familles  influentes  du  pays.  Le  Pengoulou  de  Kou- 
row est  une  femme,  Wan-té-Spia,  dont  la  famille,  d'ori- 
gine siamoise,  a  émigré  à  Perak  lors  de  )a  soumission  du 
pays  à  la  domination  de  Siam  en  1818.  Ayant  reçu  du  rési- 
dent  un  avis  officiel  de  ma  visité,  elle  m'avait  fait  construire 
une  petite  hutte  en  bambou  voisine  de  la  sienne.  Je  crus 
tout  d'abord  à  une  attention  délicate  et  aimable  de  sa  part, 

if  Voir  coupe,  fig.  2^ 


VOYAGE  AU  PAYS  DE  l'ÉTAIN.  411 

mais  je  fus  bien  bien  vite  détrompé;  elle  ne  m'avait  mis  à 
part  qu'afin  que  ma  cuisine  de  chrétien  ne  souillât  point  sa 
propre  demeure.  Le  soir  de  mon  arrivée,  je  fus  tenu  éveillé, 
malgré  ma  fatigue,  par  des  prières,  des  incantations  et  une 
forte  odeur  debenjqin.  J'appris  le  lendemain  que  le  grand- 
prôtre  de  l'endroit  avait  offert  un  sacrifice  et  récité  des 
litanies  afin  de  chasser  les  mauvais  esprits,  les  c  an  tous  3» 
que  j'avais  apportés  dans  mes  bagages  ou  que  ma  présence 
devait  fatalement  attirer  dans  la  localité. 

Je  consacrai  ma  première  journée  à  Teconnaltre  le  pays  et 
poussai  une  pointe  au  sud  vers  un  pic  que  j'apercevais  se 
dressant  seul  au  fond  de  la  plaine. 

Le  terrain  était  tellement  détrempé  par  les  pluies,  tombées 
depuis  quelques  jours,  que  je  ne  pus  y  parvenir  qu'en  mar- 
chant dans  le  lit  même  de  la  rivière  avec  de  l'eau  jusqu'à 
la  ceinture.  Ce  pic,  appelé  Gounong*Kourow  par  les  na- 
turels, est  un  gigantesque  rocher  calcaire  identique  à  celui 
de  la  passe  de  Gapis,  Gounong-Pondoq,  dont  j'ai  parlé  plus 
haut.  Ainsi  que  ce  dernier,  il  est  complètement  isolé  dans 
le  cirque  de  montagnes  qui  l'entoure,  et  nulle  part,  dans  les 
nombreux  sondages  que  j'exécutai  plus  tard,  je  n'ai  pu  dé- 
couvrir, sous  les  alluvions,  la  moindre  trace  d'une  formation 
semblable.  Sa  hauteur,  que  je  mesurai  au  moyen  d'une  base 
et  de  l'angle  d'élévation^  me  donna  300  mètres  environ  par 
le  calcul  trigonométrique.  Je  mesurai  de  la  même  façon, 
évidemment  approximative,  quelques-unes  des  montagnes 
qui  m'entouraient. 

Pendant  les  jours  suivants,  tout  en  procédant  à  mes  tra- 
vaux de  sondage,  je  fis  un  relevé  topographique  de  la  vallée 
qui  ne  figurait  encore  dans  aucune  des  cartes  anglaises.  Je 
le  fis  au  moyen  d'une  base  de  500  mètres  que  je  traçai,  avec 
autant  de  précision  que  possible,  dans  l'axe  même  de  la 
vallée,  près  du  kampong  Dagang,  où  les  rizières  qui  entou- 
rent le  village  m'offraient  un  terrain  assez  plat  et  découvert. 
;re  pris  mes  observations  ^u  moyen  d'une  petite  boussole  à 


412  VOYAGE  AU   PAYS   DE  L'ÉTAIN. 

alidades  portant  un  cercle  gradué  de  6  centimètres  de  dia- 
mètre *.  A  titre  de  vérification,  je  fis  une  seconde  série  d'ob- 
servations sur  une  nouvelle  base  perpendiculaire  à  la 
première. 

Je  ne  pus  faire  ce  travail  que  dans  des  conditions  déplo- 
rables, à  cause  de  la  saison  avancée  des  pluies.  Presque 
toute  la  plaine  était  sous  Teau  et  j'étais  souvent  bloqué 
dans  ma  hutte  pendant  plusieurs  jours  consécutifs.  Cette 
saison  pluvieuse  commence  en  général  à  Perak  vers  le 
milieu  de  septembre  0t  finit  en  février,  les  deux  mois  les 
plus  humides  étant  novembre  et  décembre.  Il  est  pourtant 
difficile  d'établir  une  ligne  de  démarcation  bien  exacte  entre 
les  deux  saisons,  car  leur  durée  varie  chaque  année.  On 
pourrait  s'attendre,  étant  donnée  la  situation  géographique 
de  Perak,  à  ce  que  la  saison  humide  correspondît  à  la  mous- 
son de  sud-ouest  qui  souffle  de  mai  en  septembre,  chassant 
les  vapeurs  de  l'océan  Indien  sur  la  côte  occidentale  de  la 
péninsule  malaise,  ainsi  que  cela  se  produit  pour  Sumatra 
par  exemple.  Or  c'est  précisément  le  contraire  qui  a  lieu  ici, 
quoique  nous  ne  soyons  séparés  de  Sumatra  que  par  un 
canal  relativement  étroit.  Cette  diÉTérence,  curieuse  à  pre- 
mière vue,  dans  les  phénomènes  atmosphériques,  est  dae, 
je  pense,  à  la  configuratioi^  du  sol.  Si  Ton  jette  les  yeux 
sur  les  cartes  de  Sumatra  et  de  la  presqu'île  de  Malacca,  or 
voit  que  ces  deux  contrées  sont  parcourues,  dans  toute  leur 
longueur,  par  de  longues  chaîne^  montagneuses  et  assez 

1.  Je  recommande  beaucoup  ce  genre  de  boussole  à  mes  coUègues  en 
missions.  Le  fond  de  l'instrument  porte  un  demi*cercle  gradué  sur  lequel 
se  meut  un  petit  pendule  fort  utile  pour  mesurer  les  hauteurs  des  mon- 
tagnes dont  on  ne  peut  s'approcher  ou  dont  on  n*a  pas  le  loisir  de  faire 
Tascension.  La  boussole,  très  peu  encombrante,  se  visse  sur  une  gaine  à 
genou  que  Ton  fixe  au  bout  d'un  bâton.  Le  modèle  que  j'ai  donné  i 
M.  Molténi,  le  constructeur  d'instruments  de  précision  bien  connu  à  la 
Société  de  Géographie,  porte  en  outre  un  rapporteur  métallique  qui  s'adapte 
à  la  boussole  et  est  très  commode  pour  relever  rapidement  sur  le  papier; 
■il  est  d'ailleurs  identique  au  rapporteur  qui  accompagne  l'instroment 
appelé  «  boussole  belge  »,  si  usité  dans  les  travaux  de  mines. 


VOYAGE  AU  PAYS  DE  L'ÉTAIN.  413 

élevées  qui  constituent  une  espèce  de  barrière  ou  plutôt 
d*obstacleàlalibre  circulation  des  vapeurs  atmosphériques. 
Gelles-ci,  chassées  de  septembre  en  mars,  par  les  vents  de 
nord*est,  viennent  s'accumuler  sur  les  crêtes  des  massifs 
qui  semblent  les  retenir  et  les  condenser;  elles  retombent 
alors  en  pluie  sur  le  versant  opposé,  ainsi  que  dans  le 
détroit.  C'est  le  cas  pour  le  régime  humide  actuel  à  Perak. 
Les  nuages  dégonflés,  purgés,  passent  alors  au-dessus  de 
Sumatra  sans  s'y  déverser  et  c'est  en  effet,  pour  la  grande 
tle,  l'époque  de  la  saison  sèche.  Le  contraire  a  lieu  pendant 
la  mousson  du  sud-ouest.  Les  nuages  se  brisent  sur  les 
hautes  montagnes  de  Sumatra,  les  plaines  et  le  détroit,  et 
nous  avons  alors  ici  la  période  sans  pluies.  Mais  nous 
voyons  que  dans  les  deux  cas  il  doit  toujours  pleuvoir 
dans  le  détroit  de  Malacca  et  c'est  précisément  ce  qui 
arrive.  Tous  ceux  qui  l'ont*  parcouru  savent  que,  quelle 
que  soit  l'époque  de  l'année,  on  y  reçoit  toujours  des 
averses.  Comme  conséquence,  je  ne  serais  pas  surpris, 
et  c'est  un  point  à  éclaircir,  que  la  saison  pluvieuse  de  la 
côte  occidentale  de  la  presqu'île  correspondît  à  une  saison 
sèche  pour  la  côte  orientale,  du  côté  de  Pahang. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  pleuvait  beaucoup  à  Kourow^  et  la 
difficulté  des  communications  causa  dans  ma  case  une 
grande  pénurie  de  vivres.  Mon  amie,  Wan-té-Spia,  refusa 
de  me  vendre,  même  à  sa  valeur  triple,  le  moindre  poulet, 
seule  ressource  de  l'endroit.  Cependant  un  jour,  ayant 
fait  tuer  un  buffle  énorme  à  l'occasion  de  quelque  fête 
religieuse,  elle  m'en  envoya  une  tranche  minuscule;  mais 
lorsque  j'allai  la  remercier^  pensant  que  c'était  là  un  effet 
de  sa  reconnaissance  pour  les  nombreux  cadeaux  que  je  lui 
avais  faits,  elle  me  répondit  que  je  faisais  erreur  et  que 
j'avais  à  lui  payer  1  koupang  (0  fr.  50  de  notre  monnaie), 

1.  Les  observations  météorologiques  officielles  du  gouvernement  de 
Perak  accusent  pour  la  hauteur  d*eau  tombée  dans  l'année  une  moyenne 
d'environ  3™,75. 


414  VOYAGE  ÂV  PAYS  DE  L'ÉTAIN. 

pour  le  petit  morceau  de  viande  coriace  que,  malgré  de 
grands  efforts,  je  ne  parvins  pas  à  entamer.  En  désespoir 
de  cause,  je  pris  le  parti  de  revenir  m'approvisionner  4 
Thaïpengy  et  changeant  mon  premier  itinéraire,  j'abordai 
le  massif  qui  borde  la  vallée  au  sud.  Arrivé  à  la  petite  sta- 
tion de  repos  qui  se  trouve  au  haut  de  la  montée,  j'obliquai 
à  gauche  et,  suivant  les  crêtes  de  «  Maxwells'  hiil  »,  je  fis 
une  pointe  au  €  Jardin  du  gouvernement  ]»,  sorte  de  plan- 
tation modèle  où  le  résident  fait  des  essais  de  culture  et 
tâche  d'acclimater  des  thés  et  des  quinquinas,  qui  d'ailleurs 
réussissent  admirablement. 

Enfin  je  redescendis  la  montagne  et  arrivai  le  23  no- 
vembre à  Thaïpeng. 

J'en  repartis  le  lendemain,  avec  deux  éléphants  que 
M.  Lo^ avait  fort  gracieusement  misa  ma  disposition, et  qui 
me  furent  bien  utiles,  non  seulement  au  point  de  vue  per- 
sonnel des  provisions  mais  surtout  pour  le  transport  ultérieur 
de  mes  appareils  de  sondage. 

Je  retournai  à  Kourow,  mais  laissant  cette  fois  de  côté  la 
paillette  inhospitalière  de  Wan-té-Spia,  j'allai  camper  au 
milieu  de  la  vallée,  au  kampong  Tchangkat-Prab,  près  des 
montagnes.  Je  fis  de  là  de  nombreuses  excursions  et 
achevai  de  relever  les  différents  petits  cours  d'eau;  mais 
la  pluie  continuant  toujours,  je  me  décidai  le  3  décembre 
à  quitter  la  vallée  pour  explorer  de  nouvelles  régions. 

Changeant  encore  d'itinéraire,  je  traversai  la  plaine  dans 
sa  largeur.  J'arrivai  à  Soungi-^Kourow  vers  neuf  heures  du 
matin;. les  pluies  avaient  grossi  la  rivière  dont  les  eaux 
montaient  à  vue  d'œil.  Je  pus  néanmoins  passer  avec  de 
l'eau  jusqu'au  cou,  puis  continuai  vers  les  montagnes  sans 
m'arrôter  au  kampong  S.-Kourow.  A  midi,  je  Ûs  halte 
attendant  les  éléphants  qui  portaient  mes  vivres.  Attente 
inutile;  de  guerre  lasse  je  repris  ma  route,  m'engageant 
dans  les  montagnes  avec  l'espoir  de  gagner  quelque  village. 
Malheureusement  mon  guide  se  perdit,  l'obscurité  survint  et 


VOYAGE  AU  PATS  DE  l'ÉTAIN.  415 

force  nous  fut  de  passer  la  nuit  au  pied  d'un  arbre  avec  quel- 
ques feuilles  de  palmiste  pour  tout  abri.  Quoique  trempés  jus- 
qu'aux os  et  l'estomac  vide,  nous  passâmes  une  bonne  nuit. 

Le  lendemain  matin  nous  retrouvâmes  le  sentier  et  à 
dix  heures,  nous  arrivâmes  à  un  village,  à  moitié  morts  de 
faim.  Nous  n'avions  rien  mangé  depuis  la  veille  six  heures  du 
matin,  soit  depuis  vingt-trois  heures;  mais  c'est  là  l'un  des 
moindres  inconvénients  de  la  vie  du  voyageur.  Les  gens  de 
l'endroit  me  reçurent  comme  reçoivent  les  Malais,  avec  une 
froide  réserve,  et  me  refusèrent  toute  espèce  d'aliments.  In- 
digné, je  jetai  un  dollar  à  l'un  d'eux,  et  abattis  d'un  coup  de 
fusil  l'un  des  nombreux  poulets  qui  couraient  sous  la  maison. 

C'est  là  leur  façon  de  recevoir  les  étrangers  ;  pour  eux, 
l'hospitalité  consiste  à  ne  pas  vous  assassiner.  Il  est  juste 
de  dire  aussi  que  leurs  ressources  sont  bien  minimes. 
Indolents  par  nature,  paresseux  au  delà  de  toute  expres- 
sion, les  Malais  de  Perak  ne  travaillent  que  lorsqu'ils  ne 
peuvent  faire  autrement.  Ce  sont  les  femmes  qui  font  la 
besogne,  qui  soignent  la  maison  et  les  champs.  Us  ont  un 
pays  splendide,  le  sol  le  plus  fertile  qui  soit  au  monde,  où 
croissent  les  plus  beaux  arbres  fruitiers  ;  mais  ils  ne  songent 
que  rarement  à  en  planter  dans  leurs  kampongs.  Sauf 
quelques  cocotiers  et  quelques  misérables  bananiers,  on  ne 
trouve  rien  dans  l'intérieur  du  pays.  Ce  n'est  que  près  des 
localités  habitées  par  des  Européens,  qu'ils  permettent  à 
quelques  arbres  de  croître,  afin  d'en  vendre  le  produit. 

C'est  sans  doute  à  la  grande  fertilité  du  terrain  qu'est  due 
cette  extrême  indolence.  Se  contentant  de  peu  sous  leur  ciel 
admirable,  n'ayant  que  des  besoins  restreints,  ils  trouvent 
inutile  de  travailler,  et  c'est  peut-être  là  la  vraie  sagesse  ! 

Pour  être  juste,  il  faut  aussi  reconnaître  leurs  qua- 
lités. Ils  sont  doux,  excessivement  polis,  très  «  gentlemen  » 
de  forme  et  de  langage;  ne  montrant  jamais  leurs  impres- 
sions, tout  en  ayant  un  caractère  fort  gai,  mais  une  gaieté 
tranquille  et  de  bon  aloL 


446  VOYAGE  AU  PAYS   DE  L'ÉTAIN. 

Gomme  tous  les  gens  enfermés  dans  un  cercle  étroit,  ils 
vivent  d'intrigues,  sont  au  courant  des  événements  les  plus 
insignifiants  qui  se  passent  d'un  bout  à  l'autre  du  pays  et 
se  passionnent  volontiers  pour  les  questions  politiques. 
Fins,  rusés,  polis  et  jamais  pressés,  ils  ont  toutes  les  qua- 
lités de  bons  diplomates.  Ces  qualités  sont  précieuses  pour 
ceux quilesgouvernentetquisaventen  tirer  parti.  En  somme, 
pour  bien  les  juger,  il  faut  se  placer  à  deux  points  de  vue. 
ai  Ton  a  besoin  d'eux  pour  un  travail  manuel  quelconque, 
ils  se  dérobent  complètement;  si,  au  contraire,  on  ne  leur 
demande  que  de  simples  relations  individuelles  qui  leur 
permettent  de  mettre  en  œuvre  leurs  aptitudes  ^rticu- 
lières,  on  les  trouve  très  empressés  et  sympathiques;  de 
là  les  deux  opinions  si  diiférenies  qu'on  entend  souvent 
émettre  sur  le  compte  des  Malais  de  la  presqu'île. 

Aprèsnous  être  restaurés,  nous  quittâmes  ce  kampong  peu 
généreux  et  continuâmes  notre  route  versThaîpeng.  Mesélé- 
phants  n'arrivèrent  que  le  lendemain  et  j'eus  alors  l'expli- 
cation de  leur  retard;  ils  avaient  été  arrêtés  par  l'inondation 
subite  de  la  rivière  Kourow.  Quant  au  guide  maladroit  qui 
m'avait  égaré  dans  la  montagne,  je  lui  pardonnai  de  grand 
cœur;  trois  jours  après,  le  malheureux  fut  trouvé  couché 
dans  un  sentier,  avec  un  kriss  planté  dans  le  dos.  C'est  le 
seul  crime  dont  j'aie  entendu  parler  pendant  tout  mon 
séjour  à  Perak  et  c'étaient  des  Chinois  qui  l'avaient  commis. 

Je  passai  la  plus  grande  partie  du  temps  à  faire  de  nou- 
velles excursions  dans  *  le  voisinage  de  Thaîpeng,  ainsi 
qu'une  seconde  visite  à  Kwala-Kangsa.  Pendant  ce  dernier 
séjour  à  la  résidence,  j'eus  l'honneur  d'être  présenté  à 
M.  Cecil-C*  Smith,  qui  remplit  à  Singapore  les  hautes  fonc- 
tions de  secrétaire  colonial  du  gouvernement  des  (c  Straits 
Settlements  ».  Ce  fut  pour  moi  une  véritable  bonne  fortune 
de  faire  la  connaissance  de  ce  fonctionnaire  distingué  et  de 
nouer  des  relations  auxquelles  a  succédé  depuis  une  amitié 
dont  j'apprécie  toute  la  valeur.    . 


VOtAGE  AU  PAYS  DE  L'ÉTAIN.  ^417 

Quelque  temps  après,  M.  Low  me  proposa  de  faire  une 
excursion  sur  la  côte,  dans  le  district  de  Soungi-Tingi, 
réputé  très,  riche  pour  ses  dépôts  stannifëres.  Je  repartis 
donc  le  30  décembre,  ayant  cette  fois  un  aimable  et  char- 
mant compagnon  de  voyage,  M.  Brooke  Low,  le  fils  du 
résident  et  résident  lui-même  dans  les  États  du  rajah  de 
Sarawak  à  Bornéo. 

Nous  nous  embarquâmes  à  Teiok-Kartang;  mais  notre 
embarcation,  un  simple  praho  malais,  étant  incapable 
de  tenir  la  mer,  nous  nous  engageâmes  dans  le  premier 
arroyo  que  nous  trouvâmes  à  Tembouchure,  dans  la 
passe  de  Larout.  Après  une  courte  halte  à  l'entrée  de  ]a 
rivière  Trong,  nous  arrivâmes  le  soir  même  à  Passir-Itam, 
petit  village  de  pécheurs  malais  et  chinois.  Le  lendemain, 
1"  janvier,  nous  trouva  dans  le  Slat-Jaroum-Mass. 

Toute  celte  région  n'est  qu'un  réseau  marécageux  de 
nombreux  canaux  que  la  marée  haute  envahit  chaque  jour. 
Elle  n'est  habitée  que  par  des  pêcheurs  qui  établissent  en 
mer,  parfois  assez  loin,  leurs  immenses  pièges  à  poissons, 
ou  par  des  bûcherons  chinois  qui  exploitent  de  vastes 
coupes  de  bois  dans  les  îlots  et  sur  la  côte  même.  Ces  bois 
sont  les  mangliers  {BqkaOy  en  malais),  si  répandus  sur 
tout  le  littoral  malais. 

A  dix  heures,  nous  quittâmes  la  passe,  nous  engageant 
dans  la  rivière  Tingi  que  nous  suivîmes  pendant,  deux 
heures  jusqu'à  un  arroyo^  Trouss-Nior,  qui  nouis  conduisit 
à  Soungi-Nior  et  au  Kampong  Jaroum-Mass.  Nous  passâmes 
trois  jours  dans  ce  district,  visitant  les  environs  et  poussant 
une  pointe  jusqu'au  pied  deTchangkat-Semamis,oùlapetite 
rivière  Soungi-Semambou  prend  sa  source.  Après  avoir 
relevé  ce  cours  d'eau,  ainsi  que  le  groupe  montagneux  de 
Gounong-Jaroum-Mass,  nous  partîmes  pour  le  kampong 
Tingi. 

Notre  praho  étant  très  incommode  pour  des  opérations 
topographiques,  à  cause  du  toit  en  paillote  qui  empêche 


418  VOYAGE  At   PAYS  DE   L'ÉTAIN. 

de  faire  des  visées  en  arrière,  je  louai  un  sagoTy  petite 
pirogue  très  plate,  taillée  dans  un  tronc  d'arbre,  et  au 
moyen  d'un  fil  tendu  de  bout  en  bout,  je  fixai  ma  boussole 
aussi  exactement  que  possible  dans  Taxe  du  canot. 

J'avais  eu  auparavant  le  soin  de  fabriquer  un  petit  pied 
en  bois  à  l'extrémité  duquel  j'avais  adapté  une  vis  ordi- 
naire qu'il  m'était  facile  d'introduire  dans  le  fond  même  de 
la  pirogue.  A  chaque  tournant,  je  plaçais  le  bateau  dans 
l'axe  de  la  rivière  et  prenais  la  direction.  Quant  aux  dis- 
tances, j'étais  forcément  obligé  de  les  évaluer  à  vue  de 
nez. 

11  est  beaucoup  plus  difficile  qu'on  ne  le  croit  tout  d'abord 
d'estimer  ainsi  les  distances,  et  ce  n'est  qu'après  une  longue 
pratique  qu'on  peut  arriver  à  une  certaine  approxima- 
tion. Cette  évaluation  varie  en  effet  à  chaque  instant,  sui- 
vant que  la  rivière  est  plus  ou  moins  large,  que  la  végéta- 
tion est  plus  ou  moins  dense  ou  que  la  lumière  est  plus 
ou  moins  vive.  Dans  une  plaine  ouverte  l'estimation  est  tout 
autre  que  sur  une  rivière  étroite  et  bordée  de  hautes  futaies 
qui  l'assombrissent.  J'en  ai  souvent  fait  l'expérience;  aussi 
avais-je  pris  l'habitude  de  m'exercer  continuellement  dans 
des  différents  paysages  et  de  contrôler  ces  observations 
d'essai  par  une  mesure  effective  à  la  roulette. 

On  n'arrive  évidemment,  par  ce  procédé,  qu'à  une  ap- 
proximation très  relative,  mais  cependant  suffisante  pour 
des  relevés  rapides.  Ces  résultats  doivent  donc  être  plutôt 
considérés  comme  des  notes  que  comme  des  données 
exactes.  Du  reste, chaque  fois  que  cela  m'était  possible,  c'est- 
à-dire  quand  je  revenais  par  le  même  chemin,  je  contrô- 
lais mes  premiers  chifi'res  par  une  seconde  série  d'observa- 
tions. Je  prenais  en  môme  temps  les  azimuts  de  points  remar- 
quables, tels  que  ceux  de  pics  connus  dans  les  montagnes, 
ou  d'ilôts  visés  en  mer  et  dont  je  pouvais  avoir  la  position 
sur  les  cartes  marines.  A  ce  sujet  je  me  permettrai  de  faire 
remarquer,  entre  parenthèses»  que  les  cartes  marines  an- 


VOYAGE  AU  PAYS  DE  l'ÉTAIN.  419 

glaises  de  la  côte  de  Perak  laissent  beaucoup  à  désirer  sous 
le  rapport  de  Texactitude. 

C'est  par  le  procédé  que  je  viens  d'indiquer  que  je  relevai 
Soungi-Tingi,  ainsi  que  le  petit  massif  montagneux  qui  se 
trouve  à  Test  et  que  nous  visitâmes  pendant  notre  séjour 
dans  la  région.  A  notre  retour  près  de  l'embouchure  de 
Tingi,  je  remontai  la  rivière  Jaroum-Mass  et  Trouss-Nior, 
afin  d'avoir  un  relèvement  qui  me  donna  un  polygone  fermé 
d'environ  6  kilomètres  de  longueur  totale.  En  le  transcri- 
vant sur  papier,  je  trouvai  une  erreur  de  250  mètres  entre 
les  deux  extrémités,  soit  4  p.  100  environ  pour  tout  le  par- 
cours. Il  est  vrai  que  d'autres  erreurs  avaient  pu  se  com- 
penser. 

Le  6  janvier,  nous  étions  de  retour  à  Kwala-Kangsa  et 
nous  en  repartions  le  13,  pour  une  excursion  au  nord-est, 
dans  le  pays  habité  par  les  fameux  orangs  outane,  les 
Sakayes  de  Kerbow.  Nous  passâmes  la  première  nuit  au 
Kampong  Chigar-Gala,  au  point  oti  Soungi  Perak  fait  un 
coude.  Le  lendemain  nous  arrivâmes  à  la  rivière  Pluss  *, 
large  de  150  mètres  environ  à  son  embouchure.  Je  com- 
mençai aussitôt,  d'après  la  méthode  que  j'ai  déjà  décrite, 
le  relevé  de  ce  cours  d'eau  qui  ne  figurait  encore  sur  aucune 
des  cartes  du  pays. 

Au  milieu  de  la  journée  nous' nous  arrêtâmes  quelques 
instants  pour  visiter  Kampong-Limo,  et  passâmes  la  nuit, 
un  peu  plus  haut,  au  Kampong  Maoh.  Le  lendemain  matin, 
avant  de  partir,  je  calculai,  par  le  procédé  ordinaire,  la 
quantité  d'eau  qui  passait  dans  la  ïivière.  Je  trouvai  un 
débit  de  2040  mètres  cubes  par  miniïte. 

Le  soir  nous  arrivâmes  au  kampong  Lasah,  le  plus  im- 
portant de  la  région.  Nous  fûmes  reçus  par  le  Datou-Imam, 
chef  religieux  du  district,  et  par  To-Pankou-Mouda,  c  pen- 
goulou  ))  de  l'endroit, 

1.  Voir  la  carte  des  rivières  Pluss  et  Kerbow. 


4S0  V0YA6E  AV  PAYS  DE  l'ÉTÀIN. 

Ces  deux  personnages  paraissaient  peu  disposés  à  nous 
laisser  continuer  et  semblaient  fort  ennuyés  de  notre  désir 
de  visiter  les  Sakayes,  les«  hommes  des  bois»,  auxquels  ils 
font  souvent  une  chasse  acharnée  et  qu'ils  traitent  abso- 
lument en  esclaves  après  les  avoir  capturés.  Ils  nous  firent 
une  foule  d'objections  qui  n'eurent  d'autre  effet  que  d'af- 
fermir notre  résolution.  Nos  prahos  étant  trop  lourds 
pour  remonter  les  nombreux  rapides  qui  encombrent  la 
rivière  au-dessus  de  Lasah,  nous  demandâmes  des  embar- 
cations légères,  qu'on  nous  promit  du  reste. 

Mais  le  lendemain  matin,  rien  n'était  prêt  et  les  deux 
chefs  avaient  disparu.  Nous  employâmes  les  grands  moyens 
et  allâmes  nous  emparer  tout  simplement  de  quelques 
pirogues  que  nous  découvrîmes,  couchées  au  sec  sous 
les  maisons  du  village.  Nous  avions  heureusement  conservé 
nos  propres  bateliers,  ceux  qui  nous  avaient  amenés  de 
Kwala-Kangsa.  Au  moment  du  départ,  le  Pengoulou  et 
rimam,  qui  s'étaient  probablement  cachés  chez  eux,  firent 
leur  apparition  et  nous  voyant  prêts  à  partir,  se  décidèrent 
à  nous  accompagner  et  môme  à  nous  servir  de  pilotes. 

Le  voyage  se  fit  très  lentement,  à  cause  des  rapides,  et  nos 
hommes  furent  souvent  obligés  de  se  mettre  à  l'eau  et  de 
nous  hisser  contre  le  courant  en  sautant  de  rocher  en 
rocher*  Dans  Faprès-midi,  nous  arrivâmes  cependant  à 
l'entrée  de  Soungi^Kerbow  où  une  ondée  épouvantable  nous 
força  à  nous  arrêter  encore. 

Jusque-là  le  passage  qui  borde  les  deux  rives  est  assez  plat 
ou  du  moins  paraît  tel,  car  une  végétation  très  dense  re- 
couvre tout  le  pays  et  empêche  de  voir  à  plus  de  100  mètres 
devant  soi.  Ge  n'est  qu'un  peu  plus  haut  que  le  terrain 
devient  plus  accidenté,  mais  on  rencontre  alors  des  rapides 
impossibles  à  franchir  en  canot. 

Laissant  derrière  nous  la  rivière  Pluss  qui  va  prendre  sa 
source  dans  la  région  du  Gounong-Rayam,  située  dans  la 
troisième  chaîne  de  montagnes,  nous  nous  engageâmes  dans 


VOYAGE  AU  PAYS   DE  l'ÉTAIN.  421 

Soungi-Rerbow.  Un  peu  aprës^i  nous  aperçûmes  un  radeau 
de  bambou  descendant  au  âl  de  Teau  et  monté  par  quatre 
Sakayes.  Ils  venaient  au  kampong  Lasah  porter  au  Pen- 
goulou  des  produitsde  la  forêt;  maisce]ui-ci  leur  ayant  intimé 
l'ordre  de  rebrousser  cbemin,  ils  sautèrent  aussitôt  à  terre 
et  disparurent  dans  les  bois. 

Nous  arrivâmes  vers  le  soir  à  une  petite  colline^  Gounong- 
Koumounin,  où  nous  nous  arrêtâmes  pour  passer  la  nuit 
sous  des  abris  improvisés  à  la  bâte.  Le  lendemain,  notre 
marche  fut  encore  pins  lente  que  la  veille.  La  rivière  était 
obstruée  par  des  troncs  d'arbres  tombés  en  travers,  par  des 
ilôts  et  des  rochers  entre  lesquels  le  courant  devenait  par- 
fois assez  violent  et  me  gênait  singulièrement  dans  mes 
opérations  topographiques.  Par  instants  nous  apercevions 
des  huttes  de  Sakayes,  des  stations  de  pêche,  mais  sans 
aucun  habitant.  Enfin  le  soir,  assez  tard,  nous  atteignîmes 
Kampong-Langkor,  en  plein  pays  sakaye.  To-Pankou-Mouda 
nous  annonça  que  tout  près  se  trouvait  un  campement 
à^orangs-outane. 

En  effet,  le  lendemain  matin,  après  une  course  d'une 
demi-heure  dans  la  forêt,  nous  arrivâmes  à  une  clairière 
défrichée  au  milieu  de  laquelle  s'élevait  une  douzaine  de 
huttes  en  écorce  d'arbre.  Nous  étions  au  kampong  Tcbà- 
bang,  chez  les  fameux  €  hommes  des  bois  >.  Leur  chef 
€  Bah-Itang  »  vint  nous  recevoir  à  la  tête  d'une  vingtaine 
d'individus  des  deux  sexes,  tous,  sauf  quelques  femmes, 
vêtus  du  slampety  longue  bande  d'écorce  d'arbre  fort 
douce  qui  fait  le  tour  de  la  taille  après  avoir  passé  entre 
les  jambes  et  constitue  un  costume  suffisamment  discret. 
Quelques-uns  des  hommes  étaient  remarquables  par  leur 
chevelure,  sorte  de  bonnet  à  poil  naturel  formé  par  de  petites 
touffes  se  tenant  droites  sur  la  tête.  D'autres  avaient  les  che- 
veux plus  ou  moins  laineux,  frisés,  ondulés  ou  même  lisses, 
indiquant  pour  chacun  un  degré  de  métissage  plus  ou 
moins  prononcé.  Chez  certains  d'entre  eux,  malgré  un  type 


422  VOYAGE  AU  PAYS    DE  L'ÉTAIN. 

négrito  très  accentué,  la  taille  était  un  peu  plus  élevée;  dif- 
férence qui  provient  sans  doute  d'un  croisement  avec  la 
nce  malaise  plusv  grande,  et  qu'un  illustre  profess^eur, 
M.  de  QuatrefageSy  a  expliquée  par  la  juxtaposition  dçs 
caractères. 

Malgré  leur  air  un  peu  sauvage,  ils  n'en  avaient  pas 
moins  une  physionomie  fort  douce,  agréable  même  et  cer- 
tainement plus  sympathique  que  celle  de  leurs  voisins  les 
Malais.  Leur  intelligence  ne  paraît  nullement  bornée  et 
pourtant  ils  ne  peuvent  compter  au  delà  de  trois.  C'est  là 
plutôt  un  manque  d'éducation  qu'autre  chose,  car  les 
Sakayes  djina,  c'esi-h-dive  domestiqués,  apprivoisés,  ap- 
prennent très  rapidement  à  compter  au  delà  en  se  servant 
alors  des  numérale^  malaises. 

Les  hommes  portaient  une  longue  sarbacane  et  un  car- 
quois renfermant  de  petites  flèches  empoisonnées  avec  le 
suc  de  Vupa  {antiaris  toxicaria)  et  qu'ils  lancent  avec  une 
adresse  merveilleuse;. outre  la  sarbacane,  ils  portent  par- 
fois des  lances  dont  la  pointe  est  faite  d'un  éclat  de  bambou 
effilé.  Leurs  armes,  et  du  reste  tous  leurs  ustensiles,  sont 
entièrement  en  bois,  car  ceux  qui  n'ont  pas  fréquenté  les 
Malais  ignorent  l'usage  des  métaux  pour  lesquels  leur 
langue  ne  possède  aucun  mot. 

Le  dialecte  qu'ils  parlent  est  absolument  distinct  du 
malais  et  varie  même,  ,me  dit-on,  d'une  tribu  à  l'autre. 
Dans  un  vocabulaire,  que  mon  ami  Low  et  moi  avons  pris 
ensemble,  nous  n'avons  trouvé  que  fort  peu  de  mots  com- 
muns aux  deux  langues,  et  encore  n'exprimaient-ils  que  des 
objets  ou  des  choses  inconnues  aux  <  orangs  outane  > 
avant  leur  fréquentation  des  Malaise 

Dans  l'après-midi,  les  fjBmmes  de  la  tribu  vinrent  seules 
nous  faire  une  visite  et  recevoir  les  présents  que  nous  leur 
avions  promis,  parmi  lesquels  elles  apprécièrent  surtout  un 

1.  Pour  plus  amples  détails,  voir  ^69  $akat/e^  d^e  Perak  {Bevm  d*eth-' 
fiographiej  juillet-août  18^, 


VOYAGE  AU  PAYS  DR  L'ÉTAIN.  423 

affreux  tabac  en  carotte  qu'elles  se  mirent  aussitôt  à  mâcher. 

Un  peu  plus  tard  arrivèrent  d'autres  individus  d'une 
tribu  voisine,  et  pour  nous  prouver  leur  contentement,  ils 
nous  donnèrent  dans' la  soirée  un  concert  à  leur  façon,  où 
les  instruments  étaient  de  simples  bambous  qu'ils  frap- 
paient l'un  contre  l'autre,  produisant  un  son  sourd  en  har- 
monie parfaite  avec  un  chant  plaintif  qui  ne  manquait  pas 
d'une  certaine  grandeur. 

Les  chefs  malais  nous  dirent  que  les  Sakayes  que  nous 
avions  devant  nous  étaient  relativement  civilisés,  mais  que 
dans  les  montagnes  de  l'intérieur  habitaient  des  aborigènes 
complètement  sauvages  et  dont  il  était  difficile  d'approcher, 
à  cause  de  leur  timidité  excessive.  Cette  timidité  est  d'ail- 
leurs justifiée  par  les  cruautés  dont  les  Malais  se  rendent 
coupables  à  leur  égard.  Cet  état  de  chose  est  prêt  de  finir, 
car  le 'gouvernement  du  protectorat  s'est  justement  ému 
de  faits  odieux  qui  se  produisaient  trop  fréquemment,  et 
quand  ces  lignes  paraîtront,  l'esclavage  légal  aura  cessé 
d*exister  dans  l'État  de  Perak. 

J'employai  ma  journée  du  lendemain  à  relever  Soungi- 
Kerbow  aussi  loin  que  possible,  mais  le  peu  de  profondeur 
de  l'eau  ne  me  permit  pas  d'aller  au  delà  des  deux  collines 
Terkam  çt  Changong,  entre  lesquelles  passe  la  rivière.  Celle- 
ci  devient  du  reste  un  ruisseau  insignifiant  jusqu'au  Gou- 
nong  Pari  où  elle  prend  sa  source. 

Étant  pressés,  mon  compagnon  et  moi,  derevenir  à  Kwala- 
Kangsa  d'où  nous  avions  projeté  une  excursion  dans  le 
sud,  nous  dûmes  à  regret  quitter  ces  braves  Sakayes  et 
revenir  sur  nos  pas.  Nous  redescendîmes  la  rivière  avec  une 
grande  rapidité,  faisant  en  cipq  heures  un  trajet  qui  nous 
avait  pris  deux  longs  jours,  en  remontant  le  courant. 

Au  kampong  Lasah,  je  fis  une  petite  pointe  dans  l'in- 
térieur, relevant  quelques  petits  cours  d'eau,  ainsi  que  les 
positions  des  Gounong-Niaman,  Kincha  et  Tehel,  qui  se 
détachent,  en  cpntrefort,  de  la  chatne  principal^f. 


424  YOTAGE  AU  PATS  DE  L'ÊTAIlf. 

m 

Le  90  janvier,  j!étais  de  retoor  à  Thaipeng.  Le  lendenuin 
arrivait,  en  visite  à  la  résidence,  le  gonverneor  des  c 
Seltiemenls  >,  Sir  Frederick  Weld,  sons  la  hante 
tion  duquel  se  trouve  d*aiileurs  l'État  de  Perak.  Son  Excel-* 
lence  voulut  bien,  avec  la  largeur  d*idées  qui  caractérise  les 
hauts  fonctionnaires  des  colonies  anglaises,  me  renouveler 
les  encouragements  précieux  que  j'avais  déjè  reçus  du  rési- 
dent et  m'assurer  de  son  haut  appui  dans  les  études  et  les 
recherches  que  je  poursuivais. 

Deux  jours  après,  M.  de  Saint^-Pol  Lias  revenait  de 
Sumatra.  Nous  n'eûmes  guère  que  quelques  heures  à  passer 
ensemble,  car  le  soir  même  il  partit  pour  Kwala-Kangsa 
où  il  désirait  voir  le  gouverneur  et  l'accompagner  dans  une 
partie  de  chasse  an  kampong  Lasah  oue  je  venais  de  visiter 
sur  la  rivière  Plnss. 

Quelques  instants  après  lui,  je  partis  à  mon  tour  pour 
aller  explorer  le  district  de  Kinta  dans  le  Bas-Perak.  Cette 
fois  encore  je  devais  voyager  dans  l'aimable  société  de 
M.  Brooke  Low. 

Comme  nous  devions  d'abord  nous  rendre  à  Dourian-Se- 
batang  par  mer,  le  résident  avait  eu  l'extrême  obligeance  de 
mettre  son  yacht  à  vapeur  à  notre  disposition.  Partis  de 
Telok-Kartang,  à  onze  heures  du  soir,  nous  arrivâmes  à 
huit  heures  du  matin  à  Ponlo-Pangkor,  où  nous  déposâmes 
un  courrier  officiel,  continuant  ensuite  vers  l'embouchure 
de  Soungi-Perak.  Mais  à  peine  avions-nous  dépassé  la 
pointe  sud  de  Tîle,  qu'un  accident  survint  à  notre  machine. 
La  tîge  du  piston  se  rompit;  il  nous  était  impossible 
de  continuer,  et,  chose  plus  ennuyeuse  encore,  une  brise 
assez  fraîche  nous  poussait  rapidement  sur  la  côte.  Nous 
mimes  nos  embarcations  à  la  mer,  et  à  coups  de  sifBet, 
appelâmes  à  notre  secours  des  canots  indigènes,  qui  par- 
vinrent à  nous  remorquer  jusqu'au  point  que  nous  venions 
de  quitter,  dans  l'excellente  petite  anse  qui  est  le  port  de 
Pangkor. 


VOYAGE  AU  PAYS  DE  l'ÉTAIN.  425 

Nous  descendîmes  à  terre  et  fûmes  très  heureux  de  trou- 
ver là  un  fonctionnaire  anglais,  M.  Bruce,  qui  nous  offrit 
l'hospitalité  la  plus  gracieuse. 

Il  était  impossible  de  réparer  notre  avarie  sur  place^ 
mais  notre  accident  était  heureusement  arrivé  sur  un  point 
de  la  côte  assez  fréquenté,  et  le  lendemain  nous  pûmes 
faire  des  signaux  à  un  vapeur  qui  passait  assez  près.  Le  ca- 
pitaine voulut  bien  se  charger  de  porter  Tobjet  brisé  à 
Pinang  et  nous  promit  de  nous  le  renvoyer  par  la  plus  pro- 
chaine occasion. 

En  attendant,  nous  nous  installâmes  chez  notre  aimable 
hôte  auquel  notre  accident  semblait  causer  une  joie  e)(trôme. 
Parqué  dans  son  île,  ne  voyant  des  Européens  que  rare- 
ment, il  était  tout  heureux  de  cet  envoi  providentiel  de 
deux  visages  blancs. 

Ce  fonctionnaire  administre  les  possessions  anglaises  de 
Dinding,  qui  tout  en  étant  placées  sous  la  direction  immé- 
diate du  résident  de  Kwala-Kangsa,  n'en  sont  pas  moins 
absolument  indépendantes  de  TÉtat  de  Perak.  Lorsque,  en 
1874-75,  l'Angleterre  se  chargea  de  mettre  un  peu  d'ordre 
dans  les  affaires  du  sultan  de  Perak  et  de  chasser  les  pirates 
qui  infestaient  ces  parages,  elle  eut  soin  de  se  faire  céder, 
en  récompense  de  ses  services,  l'île  de  Pangkor  ainsi  qu'une 
bande  de  terre  située  vis-à-vis  sur  la  côte.  Le  but  de  cette 
annexion  était  de  s'emparer  du  splendide  port  naturel  formé 
par  l'embouchure  de  la  rivière  Dinding  et  merveilleusement 
protégé  par  Poulo-Pangkor.  Le  gouvernement  des  «  Straits 
Settlements  »  espérait  créer  là  un  point  d'attache  où  les 
vaisseaux  du  plus  fort  tonnage  trouveraient  un  abri  sûr  et  qui 
deviendrait  ultérieurement  le  port  de  commerce  du  détroit 
au  lieu  et  place  de  Pinang  dont  les  approches  sont  mau- 
vaises et  dont  la  passe  sud  est  impraticable  aux  navires  d'un 
grand  tirant  d'eau.  Rien  n'a  encore  été  fait  pour  ce  projet 
dont  la  réalisation  est  du  reste  subordonnée  au  développe- 
ment que  prendra  plus  tard  la  région  centrale  de  Perak 

S0€.  DE  GÉOGR.  ~  3^  TRIMESTRE  1885.  VI.  —  29 


v^ 


436  V0TA6E  AU  PATS  DE  l'ATAIN. 

En  atteDdànt  le  retour  de  la  pièce  de  notre  machiae,  nous 
employâmes  le  temps  à  faire  quelques  excursions  sur  la 
terre  ferme  et  à  visiter  l'île.  Dans  cette  dernière,  on  voit 
encore  les  ruines  d'un  petit  fort  que  les  Hollandais  élevèrent 
vers  1660,  à  Tépoque  oîi  ils  étaient  maîtres  de  Malacca.Ge 
fort  n'avait  point  été  construit  à  un  point  de  vue  stratégique  ; 
c'était  simplement  un  comptoir  où  les  commerçants  se 
livraient  à  des  échanges  avec  les  indigènes,  tout  en  proté- 
geant leurs  biens  et  leur  personne  contre  les  pirates  qui 
écumaient  les  mers  des  Indes. 

L'île  de  Pangkor,  par  elle-même,  ne  produit  rien,  sauf 
des  bois  de  construction  ou  de  chauffage.  Les  naturels 
assurent  qu'on  y  trouve  de  l'or  ;  mais,  malgré  des  lavages 
répétés,  je  n'ai  pu  en  découvrir  de  traces  appréciables.  Notre 
hôte,  étant  un  grand  chasseur,  nous  donna  des  renseigne- 
ments sur  la  faune  du  pays  qui  est  remarquable  par  la 
grande  quantité  de  sangliers  et  surtout  de  pythons  mons- 
trueux. Ces  derniers  n'hésitent  pas,  parait-il ,  à  passer  le 
détroit  à  la  nage  et  pullulent  à  tel  point  dans  l'île,  qu'il 
est  impossible  d'y  conserver  un  seul  chien.  Les  abords  sont 
en  outre  infestés  de  crocodiles. 

Le  9  février,  après  un  séjour  d'une  semaine  chez  le  très 
hospitalier  M.  Bruce,  un  navire  nous  rapporta  notre  pièce 
de  machine  et  nous  pûmes  continuer  notre  voyage.  Le 
même  jour,  vers  midi,  nous  arrivâmes  à  l'immense  embou- 
chure de  Soungi-Perak,  et  quatre  heures  plus  tard,  à  Dou- 
rian-Sebatang,  chef-lieu  du  Bas-Perak  et  situé  à  75  kilO' 
mètres  environ  de  la  côte.  Jusqu'à  ce  point,  la  rivière  est 
navigable  pour  les  bâtiments  calant  12  pieds  d'eau;  ceux 
qui  tirent  davantage  sont  arrêtés  par  la  barre  de  sable  qui 
obstrue  l'embouchure. 

Dourian-Sebatang  n'est  qu'un  centre  provisoire  et  la  ville 
sera  bientôt  transférée  un  peu  plus  bas  où  des  constructions 
sont  déjà  commencées.  Ce  nouveau  port,  nommé  Telok- 
Anson  en  l'honneur  du  général  commandant  la  ville  de 


VOYAGE  kV  PAYS  DE  L*ÉTAIN.  427 

Pinangy  aura  une  profondeur  beaucoup  plus  considérable, 
et  sera  d'un  accès  plus  facile  à  tous  les  points  de  vue. 

M.  Paul,  surintendant  du  Bas-Perak,  nous  fît  le  meilleur 
accueil  et  mit  le  plus  grand  empressement  à  nous  procurer 
des  embarcations  pour  notre  voyage  de  l'intérieur. 

Nous  partîmes  le  lendemain  de  bonne  heure,  profitant 
de  la  marée  montante  qui,  en  deux  heures,  nous  amena  à 
Bandar-Barou,  petite  île  formée  par  le  delta  de  Soungi- 
Kinta. 

Tout  le  pays  est  fort  plat  entre  la  rivière  et  la  mer; 
aussi  le  flux  se  fait-il  sentir  jusqu'à  près  de  100  kilo- 
mètres dans  les  terres.  A  ce  point  le  beau  fleuve  de  Perak 
atteint  une  largeur  de  un  kilomètre  d'une  rive  à  l'autre. 
C'est  à  Bandar-Barou  qu'habitait  l'infortuné  résident, 
M.  Birch,  dont  j'ai  parlé  plus  haut  et  qui  fut  assassiné  à 
Passir-Sala,  à  quelque  distance  en  amont. 

Abandonnant  la  rivière  Perak,  nous  nous  engageâmes 
dans  Soungi-Kinta  qui  est,  avec  la  rivière  Pluss,  l'affluent  le 
plus  important  de  la  grande  artère  du  pays.  Nous  mîmes 
trois  jours  pour  remonter  jusqu'à  Kotà-Barou,  à  l'entrée  du 
Soungi  Tedja  oîi  réside  M.  W.-C.  Leech,  l'adminisirateur 
du  district^  qui  nous  reçut  de  la  façon  la  plus  aimable. 

Le  lendemain  nous  repartîmes  à  dos  d'éléphants,  avec 
M.  Leech  lui-môme,  pour  Gopeng,  point  central  de  la  ré- 
gion et  en  même  temps  le  plus  important  par  ses  mines 
d'étain  qui  occupent  environ  800  mineurs.  De  Gopeng  nous 
allâmes  à  Pengkalan-Barou  sur  la  rivière  Raya,  et  de  là 
rejoignîmes  Soungi-Kinta  à  Pengkalan-Pegou  à  150  kilo- 
mètres de  la  côte.  Avant  de  continuer  sur  Papan,  nous 
visitâmes  la  vallée  de  Lahat  formée  par  les  derniers  con- 
treforts de  la  chaîne  de  Sengan.  C'est  l'un  des  points  les 
plus  riches  en  étain  de  toute  la  vallée  de  Kinta,  mais  il  fut 
abandonné  lorsque  les  Anglais  détruisirent,  en  1876,  le 
village  de  Pengkalan-Pegou,  qui  était  alors  la  capitale  du 
sultan  Ismaêl,  aujourd'hui  interné  à  Johore.  Papan  est  l'un 


428  VOYAGE  AU   PAYS   DE  l'ÉTAIN. 

des  centres  les  plus  peuplés  de  Kinta  et  les  mines  d'étainy 
sont  fort  profondes.  Les  alluvions  y  atteignent  jusqu'à 
17  niètres  de  profcmdeur  et,  en  certains  points,  sont  exploi- 
tées dans  toute  leur  épaisseur.  Nous  revînmes  à  Batou-Gadja 
prendre  des  canots  indigènes  et,  le  16  février,  nous  étions 
de  retour  à  Kota-Barou. 

J'étais  malade  et  pressé  d'achever  mon  voyage.  Je  re- 
partis donc,  après  un  jour  de  repos,  pour  Suoudong,  près 
de  la  rivière  Kampar,  à  l'ouest  de  Gounong-Boujang-Malacca. 
Le  même  soir,  nous  couchâmes  à  Missigit-Batou,  un  peu 
plus  au  nord,  au  pied  de  deux  pics  calcaires  fort  pittores- 
ques, Gounong  Nipari  et  Gadja,  qui  dressent  à  700  mètres 
de  hauteur  leurs  muis  verticaux.  Je  fus  surpris  d'y  trouver 
un  village  d'une  certaine  importance,  mais  absolument 
abandonné  de  ses  habitants,  à  l'exception  de  deux  indi- 
gènes qui  semblaient  être  là  uniquement  pour  le  garder. 
J'appris  que  cet  abandon,  qui  n'était  que  momentané,  ren- 
trait dans  le  système  agricole  des  Malais.  Je  disais  plus 
haut  que  l'ombre  perpétuelle  qui  règne  dans  les  forêts  de 
la  Malaisie  empêchait  les  grandes  herbes  de  pousser.  Les 
Malais  en  font  leur  profit  ;  ils  viennent  s*établir  en  pleine 
jungle,  pratiquent  une  clairière  et  brûlent  les  arbres  dont 
les  sels  basiques  contribuent  à  enrichir  le  sol.  Un  kam- 
pong  s'élève;  des  cocotiers,  qui,  entre  parenthèses,  ne 
poussent  pas  à  l'état  sauvage,  sont  plantés  ainsi  que  des 
bananiers,  et  des  rizières  sont  créées.  Après  deux  années 
de  récoltes  consécutives,  les  herbes  poussant  au  grand 
soleil,  ont  envahi  les  plantations;  mais,  trop  paresseux  pour 
les  arracher  et  préférant  laisser  à  la  nature  le  soin  de  les 
détruire,  les  habitants  abandonnent  le  village  et  vont  en 
établir  un  autre  un  peu  plus  loin.  Au  bout  de  cinq  ans,  la 
jungle  a  repoussé  et  a  tué  les  herbes;  les  Malais  reviennent 
alors  et,  s'installant  de  nouveau,  recommencent  leurs  cul- 
tures. 

Le  système  est  simple  et  leur  réussit,  parait-il;  il  explique 


VOYAGE  AU  PAYS  DE  l'ÉTAIN.  429 

la  présence  des  villages  abandonnés  qu'on  rencontre  en 
si  grand  nombre  dans  le  pays. 

AMissigit-BatouJ'eus  l'occasion  devoir  encore  quelques 
échantillons  de  la  race  aborigène,  les  Sakayes,  habitant  la 
montagne  voisine.  Les  femmes  avaient  un  costume  différent 
de  celui  de  leurs  congénères  de  Kerbow.  Au  lieu  du  «  slam- 
pet)),  elles  portaient,  fixée  autour  de  la  taille,  une  ceinture 
de  petits  paquets  d'herbe  gros  comme  des  bottes  de  radis 
et  qui  ressemblait  plutôt  à  un  appareil  de  sauvetage  qu'à 
un  vêlement  féminin.  Ces  braves  gens  se  livraient,  paraît-il, 
à  quelques  cultures  pour  le  compte  des  chefs  malais  du 
voisinage. 

Le  lendemain,  nous  partîmes  de  bonne  heure,  con- 
tournant à  Test  le  magnifique  massif  de  Boujang-Malacca 
(1330  mètres  d'altitude)  et,  après  un  long  et  pénible 
•voyage  à  travers  une  forêt  vierge  où  nos  éléphants  étaient 
obligés  de  tailler  eux-mêmes  le  sentier,  nous  arrivâmes 
au  kampong-Naga-Barou,  sur  la  rivière  Chanderiong.  Ce 
district  est  encore  très  riche  en  étain,  et  les  indigènes  font 
de  grands  bénéfices  en  lavant  tout  simplement  le  sable  de 
la  rivière. 

Le  20  février,  nous  arrivâmes  à  Tapa,  sur  Soungi-Batang- 
Padang.  Le  lendemain  je  visitai  quelques  exploitations 
chinoises,  à  3  kilomètres  de  là,  au  pied  de  la  colline  Che- 
mor.  C'est  le  seul  endroit  de  Perak  où  Ton  trouve  un  peu 
d'or  mélangé  au  minerai  d'étain. 

Nous  restâmes  un  jour  à  Tapa,  et  louant  des  canots, 
redescendîmes  la  rivière  jusqu'à Dourian-Sebatang.  Le  yacht 
du  résident  nous  v  attendait,  et  le  23  février  nous  étions  de 
retour  à  Thaïpeng. 

J'aurais  voulu  continuer  mes  explorations  et  visiter  les 
districts  de  l'extrême  nord  de  Perak  si  intéressants  à  plus 
d'un  point  de  vue,  mais  ma  santé  laissait  trop  à  désirer. 
Du  reste  ma  tâche  était  terminée  et  je  me  décidai  à  rentrer 
eti  Europe.  Le  9  mars,  je  pris  congé  de  mes  amis  et  de  tous 


430  VOYAGE  AU  PAYS  DE  L'ÉTAIN. 

ceux  qui  m'avaient  donné  de  si  nombreuses  preuves  de 
sympathie  pendant  les  sept  mois  que  je  venais  de  passer  à 
Perak. 

15  septembre  1883. 


Ces  lignes  étaient  primitivement  destinées  au  Bulletin 
du  troisième  trimestre  1883,  dans  lequel  ont  paru  d'ailleurs 
les  cartes  auxquelles  le  lecteur  est  renvoyé. 

L'auteur  a  fait  depuis  deux  autres  voyages  à  Perak,  le 
dernier  séjour  ayant  duré  près  de  deux  années.  La  relation 
qui  précède  est  donc  devenue  de  l'histoire  ancienne,  surtout 
si  Ton  considère  les  progrès  surprenants  que  le  pays  a  faits 
depuis  trois  ans. 

Le  «  Port  Weld  »  dont  il  est  parlé  plus  haut,  est  aujour- 
d'hui presque  achevé  ;  le  chemin  de  fer  qui  le  relie  à  Thaï- 
peng  a  été  inauguré  l'été  dernier.  La  ville  actuelle,  qui 
n'était  autrefois  qu'un  amas  confus  de  paillottes  informes, 
présente  maintenant  l'aspect  d'un  véritable  centre  civilisé, 
avec  de  larges  rues  bien  alignées  bordées  d'arbres  et  debelles 
maisons  en  briques.  De  nombreuses  routes  rayonnant  en 
tous  sens  dans  le  pays,  facilitent  l'accès  de  régions  qui  au- 
trefois étaient  à  peine  abordables  à  dos  d'éléphant. 

Le  premier  efiet  de  l'établissement  de  ces  voies  de  com- 
munication a  porté  sur  l'industrie  minière,  qui  a  reçu  une 
impulsion  nouvelle;  ainsi  la  production  d'étain  métallique 
qui  était  de  7149  tonnes  en  1882,  s'est  élevée  l'année  der- 
nière (1884)  au  chiffre  de  10  272  tonnes. 

Jusqu'à  présent  la  principale  source  des  revenus  de 
l'État  à  été  dans  les  droits  d'exportation  prélevés  sur  les 
étains.  C'est  en  somme  la  population  minière  qui  alimente 
les  caisses  du  royaume,  car,  faute  de  bras,  l'agriculture  est 
restée  à  l'état  rudimentaire.  Or,  l'exploitation  des  mines  ne 
peut  être  considérée  comme  un  travail  de  colonisation  pro- 


VOYAGE  AU  PAYS  DE  L'ÉTAIN.  431 

prement  dite  ;  elle  est  même  nuisible  aux  intérêts  agricoles, 
car  les  districts  miniers  une  fois  épuisés,  les  mineurs  se  reti- 
rent laissant,  derrière  eux  de  vastes  espaces  bouleversés  et 
stérilisés,  qui,  pendant  longtemps,  sont  impropres  à  toute 
culture.  Les  véritables  colons  sont  ceux  qui  exploitent  les 
produits  du  sol.  Dans  la  presqu'île,  la  seule  main-d'œuvre 
possible  et  à  bon  marché  ne  peut  être  fournie  que  par  des 
coolies  indiens.  Malheureusement  les  lois  en  vigueur  aux 
Indes  anglaises  interdisaient  d'une  façon  absolue  toute 
émigration  de  Tarails  à  destination  de  la  péninsule  ma* 
laise. 

Le  gouvernement  des  «  Straits  Settlements  »  s'est  ému 
d'une  situation  aussi  défavorable;  après  de  longues  négo- 
ciations, il  est  parvenu  à  faire  rapporter  ces  règlements 
déplorables  et  à  donner  pleine  satisfaction  aux  planteurs. 
C'est  peut-être  l'acte  le  plus  important  du  gouvernement 
depuis  l'établissement  du  protectorat.  Il  aura  l'eifet  le 
plus  heureux  sur  le  pays;  une  ère  nouvelle  va  s'ouvrir,  et 
désormais,  non  seulement  l'État  de  Perak,  mais  encore  lès 
autres  États  protégés  de  la  péninsule  vont  prendre,  dans  le 
monde  agricole,  la  place  à  laquelle  ils  ont  droit. 

Aux  points  de  vue  géographique  et  scientifique,  le  gou- 
vernement local  n'est  pas  resté  inactif.  Un  progrès  très  con- 
sidérable s'est  produit  dans  les  services  topographiques  qui 
comprennent  aujourd'hui  trois  classes  de  a  Survey  »  : 

1°  Le  service  géodésique  de  l'État  ; 

2°  L'exploration  du  pays  avec  relèvements  rapides  ; 

S""  Le  service  topographique  des  domaines. 

£n  vu^  des  premières  opérations,  une  base  de  5  milles  a 
déjà  été  tracée  dans  la  plaine  de  Larout  pendant  que  des 
stations  permanentes  étaient  installées  sur  les  montagnes 
principales,  telles  que  :  Boukit-Larout,  Gounong-Boubou 
(5450  pieds  d'altitude),  Gounong-Hijau,  etc.  Le  méridien  de 
chaque  poste  a  été  déterminé  au  moyen  d'observations 
astronomiques  et  rattaché  à  celui  de  Plnang. 


432  VOYAGE  AU  PAYS  DE   l'ÉTAIN. 

Bes  officiers  de  la  marine  royale  ont  procédé  en  pulre  au 
relèvement  d'une  partie  de  la  côte. 

Sous  le  rapport  scientifique,  un  musée  a  été  créé  à  Thaï- 
peng  et  renferme  déjà  de  nombreuses  et  intéressantes 
collections  d*histoire  naturelle,  ainsi  que  des  produits  da 
pays.  Un  botaniste  de  grand  talent  est  occupé  depuis  plus 
d'une  année  à  l'étude  de  la  flore  de  la  corftrée.  Des  stations 
météorologiques  ont  été  établies  dans  tons  les  districts  et  à 
des  altitudes  difi^érentes  afin  de  bien  fixer  les  conditions  de 
chaque  région  au  point  de  vue  agricole.  En  somme,  rien 
n'a  été  négligé  par  le  gouvernement  pour  assurer  et  hâter 
la  connaissance  complète  du  pays. 

Au  point  de  vue  politique,  l'événement  le  plus  considé- 
rable qui  se  soit  récemment  passé  est  l'établissement  d'un 
poste  officiel  à  Jeram*Pandjang,  sur  la  rivière  Perak,  à  plus 
de  50  milles  au  nord  de  Kwala-Kangsa.  Dans  cette  région,  la 
frontière  de  Perak  est  encore  indéterminée.  Des  pourparlers 
ont  été  entamés  avec  le  gouvernement  de  Siam,  qui  invoque 
sa  souveraineté  sur  le  district  de  Raman,  dans  l'État  de 
Patani,  mais,  en  attendant...  le  poste  anglais  est  déjà  installé 
et  le  résultat  des  négociations  est  facile  à  prévoir. 

Facile  à  prévoir  aussi  le  résultat  des  relations  amicales 
qui  depuis  peu  sont  activement  entretenues  avec  le  Banda- 
hara  de  Pahang  sur  la  côte  orientale  de  la  presqu'île. 

Il  suffit  de  comparer  les  anciennes  et  les  nouvelles  cartes 
de  cette  partie  de  la  Malaisie  pour  voir  que  l'influence  de 
l'Angleterre  gagne  sans  cesse  du  terrain.  Elle  monte,  et  le 
jour  n'est  pas  éloigné  où  la  domination  britannique  s'étendra 
d'une  façon  définitive  sur  la  péninsule  entière,  depuis  le  cap 
Romania  jusqu'au  territoire  de  Tenasserim. 

(Note  de  Vauteur.) 

1"  octobre  1885. 


CHIRIQUI 


BOCAS    DEL    TORO    —    VALLE    MIRANDA 

PAR 

A.    li.   PIIVART^ 


La  région  de.  l'état  du  Panaraa  dont  je  vais  avoir  Thon- 
neur  de  vous  entretenir  est  malheureusement  peu  visitée 
aujourd'hui.  Bien  qu'ayant  été  un  des  premiers  points  du 
continent  américain  découvert  par  l'immortel  Colomb,  le 
peu  de  salubrité  de  ses  côtes,  la  grande  difficulté  de  pénétrer 
dans  ses  forêts  firent  que,  malgré  les  tentatives  des  pre- 
miers explorateurs,  le  pays  est  resté  jusqu'à  nos  jours 
presque  inconnu  ;  je  parle  spécialement  ici  des  pays  avoîsi- 
nant  la  lagune  de  Ghiriqui  et  connus  sous  la  dénomination 
de  Comarca  ou  territoire  de  Bocas  del  Toro  situé  au 
nord  de  la  grande  Cordillère  et  qui  se  trouve  encore,  à 
rbeure  présente,  entièrement' aux  mains  des  Indiens  et  des 
populations  d'origiuQ  africaine.  Plusieurs  tentatives  furent 
faites  à  l'époque  de  la  conquête  du  Costa  Rica  par  Yazquez 
de  Goronado  et  ses  successeurs  pour  pénétrer  dans  Tinté- 
rieur  du  pays,  mais  toujours  sans  succès.  Une  colonie  du 
nom  de  Castillo  de  Austria  avait  même  été  fondée  sur  le  rio 
Krikamaula,  mais  elle  ne  put  se  maintenir.  Le  pays  resta 
donc  livré  à  lui  même  et  aux  Indiens  Valientes  ouGuaymies 
presque  jusqu'au  commencement  du  présent  siècle,  quand 
des  nègres  provenant  des  Iles  de  la  Providence  et  de  San- 
Ândres  vinrent  s'établir  sur  les  îles  du  Drago,  de  Bastiment(9s 

1.  Communication  adressée  à  la   Société  dans   sa  séance  du  20  fé- 
vrier 1885. 


434  GHIRIQUI. 

ainsi  que  sur  d'autres  points  de  la  grande  lagune  de  Chi- 
riqui. 

Le  2  novembre  1883  me  trouvait  à  Bocas  del  Toro,  petite 
ville  de  500  habitants  située  sur  une  pointe  sablonneuse  de 
rUe  du  Drago  ou  de  Colon.  Les  maisons  toutes  en  bois 
s'étendent  le  long  d'une  rue  tortueuse,  abritée  par  d'im* 
menses  bouquets  de  cocotiers  ;  les  habitants  presque  exclu- 
sivement de  race  africaine  font  un  commerce  assez  étendu 
de  cocos,  d'écaillé  de  tortue  et  de  salsepareille.  Le  port  de 
Bocas  del  Toro,  formé  par  les  îles  du  Drago,  Baslimentos  et 
la  petite  caye  de  Grinning  Key,  peut  recevoir  les  bâtiments 
du  plus  gros  tonnage  et  deviendra  très  important  le  jour 
oh  l'émigration  se  fera  dans  la  lagune.  La  plupart  des  îles 
qui  forment  la  lagune  de  Ghiriqui  et  la  baie  de  l'Âlmirante 
sont  basses,  couvertes  de  forêts  et  présentent  un  sol  madré- 
porique  et  sablonneux  où  l'eau  potable  fait  souvent  défaut  ; 
sur  l'île  de  Bastimentos  ou  Old  bank  où  existe  un  grand 
village,  on  cultive  cependant  en  abondance  les  patates, 
ignames,  etc.,  d'où  lui  vient  son  nom  de  Bastimentos  ou  tle 
de  la  Provision.  Je  ne  m'étendrai  pas  beaucoup  à  décrire  ces 
différentes  îles  ou  même  les  côtes  de  la  lagune  de  Ghiri- 
qui, malgré  l'intérêt  qu'elles  peuvent  avoir  au  point  de  vue 
commercial.  En  effet,  sur  les  rivières  qui  viennent  se  jeter 
dans  la  lagune,  il  y  a  place  pour  de  grandes  plantations 
de  cacao,  de  caoutchouc,  etc.  ;  sur  plusieurs  points,  on  a 
découvert  des  traces  de  charbons  de  terre  comme  à  Poop 
island,  à  West  river,  et  à  peu  de  distance  du  Gap  Valiente. 
Ayant  parcouru  les  îles  et  les  côtes  de  la  lagune,  je  me  rendis 
à  rtle  connue  sous  le  nom  de  l'Escudo  de  Veraguas.  Gettè  île 
ou  plutôt  le  groupe  d'îlots  ainsi  nommé,  est  situé  à  il  milles 
de  la  côte  et  entouré  dé  récifs  qui  en  rendent  les  abords  fort 
dangereux.  Ge  sont  une  multitude  d'îlots  séparés  par  des 
canaux  étroits,  tous  d'une  hauteur  uniforme  et  couverts  de 
forêts  impénétrables.  L'eau  ne  s'y  rencontre  que  sur  un 
point  â  l'ouest;  les  habitants  des  îles  de  la  lagune  se 


CHIRIQUI.  435 

rendent  quelquefois  à  TEscudo  pour  y  faire  la  pêche  à  la 
tortue  de  Gavey  qui  y  abonde.  L'intérêt  que  j'avais  à  visiter 
cette  Ile  était  de  m'assurer  des  gisements  de  phosphate 
de  chaux  que  l'on  m'y  avait  indiqués  et  que  j'y  ai  en  effet 
examinés.  Cet  examen  terminé,  je  revins  à  Bocas  del 
Toro  et  en  repartis  avec  une  nouvelle  escouade  de  nègres 
pour  Tembouchure  du  Krikamaula.  C'est  là  que  commence 
ritinéraire  que  je  vais  vous  décrire  un  peu  plus  minu* 
tieusement. 

Ayant  fait  prévenir  à  Tayance  le  traitant  de  Gobrante, 
celui-ci  vint  me  chercher  à  Fembouchure  avec  ses  embarca- 
tions et  ses  Indiens.  La  rivière  ici  est  large  et  coule  entre 
deux  haies  impénétrables  de  verdure;  le  terrain  est  bas  et 
marécageux;  aussi  les  plantes  les  plus  variées  s'oifrent-elles 
à  notre  vue.  Nous  remontons  lentement  la  rivière  toute 
une  journée  avant  d'arriver  à  Gobrante,  le  premier  poste 
de  traite  sur  la  Krikamaula  ;  le  pays  est  extrêmement  mo- 
notone, plat  et  marécageux,  l'horizon  ne  s'étendant  que 
jusqu'aux  rives  du  fleuve.  De  Gobrante,  qui  se  trouve  à  la 
limite  du  terrain  bas  et  au  pied  de  la  première  mesa  ou 
plateau,  nous  ne  pouvons  plus  avancer  qu'à  pied  ;  là  rivière 
que  nous  avons  remontée  malgré  ses  rapides,  devient  im- 
possible à  la  navigation.  A  Gobrante,  nous  rencontrons  aussi 
les  premières  habitations  des  Indiens  Valientes;  de  la  ter- 
rasse, sur  laquelle  est  élevée  la  maison  où  je  passe  la  nuit,  la 
vue  s'étend  sur  une  immense  étendue  de  forêt  à  nos  pieds  et 
sur  le  massif  imposant  de  la  Cordillère.  Après  avoir  séjourné 
deux  jours  en  cet  endroit,  je  dus  profiter  de  deux  Indiens  qui 
retournaient  à  Jocuatabiti  pour  continuer  ma  route.  Ceux 
de  Gobrante  en  efTet  ne  se  décidèrent  pas  à  m'accompagner. 
A  partir  de  Gobrante  les  difficultés  du  voyage  augmentent  ; 
nous  suivons  la  rivière  qui  devient  torrentueuse  et  dans  le 
lit  de  laquelle  nous  sommes  souvent  obligés  de  passer.  Nous 
montons  maintenant  visiblement.  La  première  journée,  où 
nous  franchissons  environ  15  milles^  le  baromètre  accuse 


436  CHIRIQUI. 

125  mètres  de  bailleur  ;  cette  journée  a  élé  dure,  la  pluie 
n'ayant  pns  cessé  de  tomber  durant  tout  le  temps  que  nous 
fûmes  en  marche.  Le  jour  suivant,  nous  nous  mimes  en 


route  à  la  première'Jbeure  ;  les  sentiers  de  montagne  que 
nons  franchissons  sont  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  exé- 
crable; pour  éviter  un  très  long  détour  que  fait  la  rivière, 


GHIRIQUI.  437 

nous  devons  passer  une  crête  de  800  mètres,  Taito  de  la 
Gulebra.  Du  point  le  plus  élevé  de  Tallo  de  Culebra  la  vue 
s'étend  sur  un  océan  de  verdure  ;  seuls  serpentant  au 
milieu  de  la  plaine,  le  Krikamaula  ou  Nokri  (à  partir  de 
Gobrante  la  rivière  prend  ce  nom)  et  son  affluent  le  Modoti  : 
derrière  nous,  la  montagne  s^élève  majestueuse  comme  une 
barrière  infranchissable  entre  les  deux  océans.  Peu  après 
avoir  passé  cette  crête,  nous  redescendons  dans  ce  qui 
est  à  proprement  parler  le  Yalle  Miranda  jet  arrivons .  à 
Jocuatabiti  :  la  distance  franchie  dans  cette  dernière  journée 
est  de  12  milles.  Le  Yalle  Miranda,  en  raison  des  .difficultés 
très  grandes  d'y  parvenir,  n'ayant  jamais  été  décrit,  je  pren- 
drai la  liberté  de  m'y  arrêter  quelque  temps  :  c'est  là,  en 
effet,  que  se  sont  retirées  la  plus  grande  quantité  des 
populations  indiennes  de  fainille  Guaymie  qui,  à  l'époque 
de  la  découverte,  habitaient  l'État  actuel  de  Panama  et  qui 
finirent,  en  raison  de  guerres  continuelles  avec  les  Epagnols, 
par  se  retirer  dans  cette  vallée  presque  inaccessible.  Â 
Jocuatabiti,  vit  un  vieux  Ghiricano  métissé  qui  m'accueillit 
avec  beaucoup  d'afi*abilité  et  grâce  à  lui  j'ai  pu  me  procurer 
des  renseignements  fort  intéressants  sur  les  Guaymies,  leurs 
mœurs  et  leur  langue.  Le  Yalle  Miranda  proprement  dit  est 
formé  des  vallées  du  Nokri  et  du  Muoi  qui  se  réunissent 
à  Jocuatabiti  ;  la  hauteur  de  la  vallée  sur  ce  point  est  de 
400  mètres;  par  l'ouverture  qu'elle  s'est  faite  à  travers  l'alto 
de  la  Gulebra  la  rivière  se  précipite  vers  la  lagune  avec  une 
série  de  cascades  et  de  rapides.  Les  Indiens  considèrent 
cette  région  comme  leur  territoire  et  ne  permettent  à  aucun 
blanc  ou  nègre  d'y  résider  ni  même  d'y  transiter. 

Maintenant,  si  vous  me  permettez,  je  donnerai  briève- 
ment les  résultats  principaux  de  mes  investigations  sur  ces 
Indiens. 

Les  Indiens  Guaymies  sont  aujourd'hui  au  nombre  d'envi- 
ron 4000  dont  plus  de  3000  vivant  dans  le  Yalle  Miranda,  les 
autres  dispersés  sur  la  côte  nord  de  l'État  de  Panama  dans 


438  CHiRiQm. 

les  montagnes  du  Veraguas  et  du  Minerai  ainsi  que  dans  les 
hautes  savanes  du  département  de  Ghiriqui.  Ils  se  divisent 
en  trois  familles  distinctes  parlant  trois  dialectes  fort  diffé- 
rents l'un  de  l'autre  :  V  Les  Muoi  dont  il  ne  reste  que  trois 
individus  ;  2*  les  Moves  ou  Valientes  connus  aussi  sous  le 
nom  de  Norteflos  ;  3^  les  Murire-Buktietas  ou  Sabaneros. 
Le  terme  générique  sous  lequel  on  désigne  ces  Indiens 
Guaymidy  signifie,  homme,  Tindien^  en  dialecte  Muoû 

Les  Guaymies  sont  en  général  petits  de  stature,  mais  d'une 
constitution  robuste  avec  une  tendance  à  la  corpulence  ;  la 
couleur  de  la  peau  varie  d'un  brun  jaune  au  brun  très 
foncé  :  quelques-uns  deviennent  même  très  noirs  après  un 
long  séjour  sur  les  côtes.  Les  cheveux  sont  noirs,  durs  et 
lisses  ;  la  tête  grosse  en  proportion  du  corps,  longue  et  ovale, 
la  face  particulièrement  plate  et  large  entre  les  arcades  zygo- 
matiques  :  le  nez  est  proéminent,  souvent  épais  à  la  base  ;  les 
yeux  d'un  rouge  brun  foncé,  la  bouche  grande  et  les  lèvres 
fortes  :  peu  ou  pas  de  barbe.  Très  indolent,  même  paresseux, 
lé  Guaymie,  quand  la  nécessité  se  présente  ou  que  l'appât 
du  gain  le  meut,  entreprend  à  pied  des  voyages  dans  la  mon- 
tagne, sous  forêts  ou  à  la  côte,  marchant  nuit  et  jour,  man- 
geant à  peine,  franchissant  en  peu  de  temps  des  distances 
incroyables.  Il  porte  facilement,  soutenus  sur  son  dos  par 
un  filet  et  une  courroie  passée  sur  le  front,  des  poids 
énormes  dans  ces  chemins  exécrables  de  la  fbrêt  vierge  où 
il  est  obligé  de  sauter  comme  les  chèvres  de  racine  en 
racine  pour  ne  pas  s'enfoncer  dans  le  sol  mobile  et  boueux  : 
son  agilité  est  surprenante.  Le  Guaymie  croit,  ainsi  que  la 
grande  quantité  des  Indiens  américains,  à  la  religion  des 
esprits  et  à  l'animisme.  La  peur  est  la  base  de  sa  religion  : 
un  Indien  entend-il  un  bruit  insolite  sous  forêt,  une  tem-^ 
pête  a-t-elle  renversé  sa  misérable  hutte,  son  canot  a-t-il 
été  brisé  dans  un  rapide,  il  voit  dans  tout  cela  l'agissement 
d'un  mauvais  esprit.  Il  croit  alors  qu'à  l'aide  d'offrandes,  il 
pourra  se  le  rendre  favorable  :  s'il  peut  appeler  le  magi** 


GHIRIOUI.  439 

cien  ou  sukia,  il  le  fait  et  paie  une  forte  somme  pQur  que 
celui*ci  le  débarrasse  du  mauTais  sort  jelé  contre  lui  par 
Tesprit  :  s'il  se  trouve  seul,  il  jettera  dans  Taau  ou  à  l'en- 
droit dont  il  a  peur  une  des  choses  qu'il  prise  le  plus,  du 
tabac,  du  cacao,  etc.,  espérant  par  là  détourner  le  mauvais 
sentimei^t  de  l'esprit.  Nous  trouvons  aussi  chez  le  Guaymie 
des  traces  manifestes  du  système  totémique,  chaque  tribu, 
chaque  famille,  chaque  individu  ayant  son  animal  tuté- 
laire. 

Uy  a  chez  ces  Indiens  différentes  espèces  cle  fêtes,  mais 
je  ne  m'étendrai  ici  que  sur  deux  des  principales.  La  plus 
importante  est  celle  de  la  balza.  Celte  fête  a  lieu  géné- 
ralement au  commencement  de  la  saison  sèche  et  les 
invités  s'y  rendent  en  foule.  Quand  une  famille  ou  un  vil- 
lage a  décidé  de  donner  une  balzeria  et  que  l'époque  en  a 
été  fixée,  on  expédie  des  messagers  prévenir  les  maisons 
éloignées.  Ces  messagers  portent  des  lianes  auxquelles  on  a 
fait  autant  de  nœuds  qu'il  y  a  de  jours  'à  courir  avant  le 
commencement  de  la  fête;  on  invite  tout  le  monde,  hommes 
et  femmes,  jeunes  ou  vieux.  Suivant  les  distances  à  parcou- 
rir, Ton  se  met  en  route  afin  d'arriver  au  lieu  du  rendez-vous 
deux  jours  avant  ;  chacun  apporte  les  provisions  nécessaires, 
car  les  organisateurs  ne  fournissent  guère  que  la  chicha. 
Durant  le  trajet,  les  invités  soufflent  de  temps  en  temps  dans 
de  grosses  conques  dont  le  son  doit  faire  connaître  leur 
passage.  L'endroit  choisi  pour  la  circonstance  est  généra- 
lement une  savane  près  d'une  rivière*  Le  jour  désiré  «irrive 
enfin  :  tout  le  monde  est  debout  dès  la  première  heure  et 
se  rend  à  la  rivière  pour  s'y  baigner.  Le  bain  terminé,  l'on  se 
peint  tout  le  corps  d'une  couleur  unie,  bleue  ou  rouge,  la 
face  seule  décorée  de  figures  très  compliquées  d'hommes, 
d'animaux  ou  d'arabesques  telles  que  nous  les  rencontrons 

sur  les  vases  tirés  des  Guacas.  Les  femmes  sont  les  artistes 

• 

Le  travail  prend  un  certain  temps  et  le  soleil  est  déjà  haut 
vers  le  zénith  avant  que  l'invité  soit  prêt  :  il  se  passe 


440  CHIRIQUI. 

autour  des  reins  et  entre  les  jambesun  morceau  d'étoffe  faite 
d'écorce  d'arbre  battue  {numi),  puis  ji  se  coiffe  d'une  peau 
d'animal  dont  la  queue  el  les  jambes  flottent  sur  son  dos. 
Les  animaux  employés  le  plus  communément  sont  le  tigre, 
le  fourmilier.  Tours  à  miel,  etc.*  Si  la  peau  est  trop  grande, 
on  n'emploie  que  là  tête  à  laquelle  se  trouvent,  pendues 
la  queue  et  les  pattes.  Chacun  se  rend  alors  sur  le  lieu 
désigné  :  des  groupes  se  forment  en  silence.  Peu  à  peu  le 
tambour  et  les  chants  se  font  entendre  et  l'on  commence 
à  boire  la  chicha  :  durant  ce  temps,  les  femmes  qui,  elles 
aussi,  se  sont  peintes  pour  la  circonstance,  rejoignent  les 
groupes  et  tout  en  buvant  modérément,  soutiennent  le  chant 
ou  parlent  entre  elles  en  groupes  animés.  Au  bout  de  deux 
ou  trois  heures,  la  chicha  a  produit  son  effet  :  l'un  après 
l'autre  se  lève,  après  avoir  jeté  un  défi  à  l'une  des  personnes 
du  même  groupe  ;  \1  est  convenu  que  les  personnes  âgées 
doivent  donner  le  signal.  Le  groupe  suit  alors  les  danseurs  et 
bientôt  toute  la  savane  est  couverte  de  groupes,  les  femmes 
se  joignant  à  celui  où  se  trouvent  leurs  maris.  Les  deux 
danseurs  sont  maintenant  en  présence  à  environ  vingt-cinq 
pas  l'un  de  l'autre.  Celui  qui  a  jeté  le  défi  tient  dans  la  main 
droite  un  bâton  léger  et  spongieux  fait  en  bois  de  balza 
(bois  trompette  des  Antilles  françaises)  ;  ce  bâton  a  environ 
deux  mètres  de  longueur,  formant  boule  à  Une  extrémité  et 
diminuant  graduellement  en  grosseur  vers  la  poignée.  Tout 
en  faisant  mouvoir  son  corps,  le  danseur  imprime  à  ce 
bâton  un  mouvement  de  va-et-vient  et  de  rotation,  puis  le 
lance  de  toute  sa  forcé  visant  les  jambes  de  son  adversaire 
de  manière  à  le  faire  tomber.  Durant  ce  temps  celui-ci 
danse  en  remuant  les  jambes  avec  une  agilité  surprenante 
afin  d'esquiver  le  coup  ;  s'il  est  touché  et  qu'il  tombe,  le 
vainqueur  proclame  alors  son  triomphe  en  répétant  vive- 
ment Kaca,  Ctty  ca  etc.,  (il  est  tombé)  de  toute  la  force  de 
ses  poumons  et,  gesticulant  furieusement,  il  se  précipite  afin 
de  reprendre  son  bâton  et  le  public  applaudit  par  un  cer- 


GHIRIQUI.  441 

tain  grognement  riant  aux  dépens  de  celui  qui  s'est  laissé 
toucher.  Si  au  contraire  l'adversaire  a  esquivé  le  coup,  alors 
les  rôles  changent  et  celui  qui  tout  à  l'heure  dansait  pour 
éviter  ie  coup  prend  le  bâton  :  quand  l'un  ou  l'autre  se 
trouve  trop  fatigué  ou  blessé,  il  se  retire.  Alors  quelqu'un 
dans  la  foule  s'avance  et  reprend  immédiatement  la  danse, 
ie  bâton  de  balza  n'étant  jamais  en  repos  tant  que  dure  la 
chicha.  Il  y  a  environ  un  bâton  pour  douze  danseurs.  La 
fête  dure  ainsi  avec  alternatives  de  danses  et  de  libations 
jusqu'à  ce  que  la  chicha  soit  épuisée.  A  la  suite  de  la  fête 
beaucoup  des  Indiens  se  trouvent  blessés  grièvement,  mais 
ceux  qui  peuvent  résister  le  plus  longtemps  sont  considérés 
comme  les  plus  braves.  Il  arrive  souvent  que  cette  fête  se 
termine  par  une  véritable  orgie  dans  laquelle  s'engagent  des 
rixes  personnelles  oîi  nombre  de  pauvres  diables  restent  sur 
le  carreau.  La  fête  terminée,  l'ivresse  passée,  chacun  reprend 
le  chemin  de  son  habitation.  Les  Guaymies  aiment  passion- 
nément la  balza  et  quelques-uns  d'entre  eux  deviennent 
extrêmement  experts  dans  l'art  de  jeter  le  bâton  et  de  mou- 
voir les  jambes  afin  d'esquiver  les  coups.  Ils  apprennent  ce 
jeu  dès  leur  plus  tendre  enfance  et  il  m'est  arrivé  de  voir 
s'y  exercer  de  jeunes  enfants  de  deux  ou  trois  ans. 

Leurs  instruments  de  musique  se  bornent  à  un  tronc 
d'arbre  qui  a  été  creusé  et  sur  l'une  des  extrémités  duquel 
l'on  a  tendu  une  peau,  une  petite  flûte  d'os  à  trois  trous  et 
la  conque  marine. 

Les  chants  sont  lents  et  monotones,  divisés  en  couplets  se 
terminant  par  un  refrain  que  répète  en  chœur  toute  l'assis- 
tance. Ces  chants  sont  composés  dans  un  dialecte  particulier 
que  comprennent  seuls  les  Sulcias,  les  chefs  et  personnages 
importants.  Ce  dialecte  est  le  kugeré  pour  les  chants  ordi- 
naires et  le  Xaketare  pour  les  chants  particuliers  aux  Sukias. 
L'on  croit  généralement  que  ces  dialectes  sont  des  formes 
archaïques  de  la  langue  vulgaire;  je  suis  au  contraire  porté 
à  croire  qu'ils  sont  tout  simplement  formés  de  mots  de  la 

SOG.  DE  «ÉOGR.  —  3*  TRIMESTRE  1885.  Tl.  —  30 


442  CHIHIQUI. 

langue  vulgaire  auxquels  on  donne  une  signification  nou- 
yelle,  souvent,  dénaturée  ou  conventionnelle.  Quelquefois 
inème  on  a  recours  à  des  périphrases  que  les  initiés  seuls 
peuvent  comprendre. 

Une  autre  cérémonie  sur  laquelle  les  Indiens  conservent  le 
plus  grand  mystère,  YUrote^  à  lieu  à  des  époques  fixées  par 
les  Sukias.  Ils  réunissent  dans  le  plus  grand  secret  les  jeunes 
gens  arrivés  à  Tâge  de  puberté  étales  conduisent  dans  un 
endroit  retiré  de  la  forêt  où  ils  n'ont,  pendant  le  temps 
que  durent  les  cérémonies,  aucune  communication  avec  le 
dehors.  Le  chef  de  TUrote,  ou  Oungun  et  ses  aides  ne  se 
montrent  aux  jeunes  gens  que  peints  et  la  figure  recouverte 
de  grands  masques  en  bois  entourés  de  feuillage  :  leur  per- 
sonne est  sacrée.  Ils  enseignent  aux  jeunes  gens  les  tradi- 
tions, les  chants  anciens  de  leur  race  et  ceux  qui  sontàTàge 
de  passer  dans  Tordre  des  guerriers  subissent  certaines 
épreuves  très  pénibles.  Celui  qui  peut  en  supporter  les 
souffrances  est  admis  dans  Tordre  :  ceux  au  contraire  qui 
laissent  échapper  la  moindre  plainte  sont  considérés  comme 
indignes  et  réputés  poltrons.  La  cérémonie  terminée,  cha- 
eun  rentre  chez  soi  durant  la  nuit  et  aucune  question  ne 
peut  être  faite  sur  Temploi  du  temps. 

Les  Guaymies  vivent  ainsi  que  les  autres  tribus  de  TÉtat 
de  Panama  dans  des  maisons  séparées,  éparses,  soit  sur  une 
même  rivière,  soit  sur  une  même  savane,  chaque  groupe  re- 
connaissant un  chef  héréditaire.  A  Theure  qu'il  est^  tous  les 
Guaymies  du  Yalle  Miranda,  par  suite  de  l'influence  étran- 
gère, ont  reconnu  comme  grand  chef  ou  roi  un  nommé 
Gibicu,  homme  fort  intelligent  qui  s'efforce  d'amener  une 
entente  définitive  entre  ses  administrés  et  les  étrangers. 
Dans  les  montagnes  du  Yeraguas,  au  contraire,  les  Muites 
obéissent  à  un  autre  chef  nommé  Suvala  prétendant  des- 
cendre de  Montezuma,  qui  cherche  à  isoler  ses  Indiens  dans 
les  points  les  plus  inaccessibles  de  la  Cordillère. 

Les  maisons  des  Guaymies  sont  bâties  près  d'une  rivière 


GHIRIQUI.  443 

OU  d'une  source  sur  une  petite  esplanade  dominant  les 
environs  immédiats  :  les  côtés  sont  en  bambous  ou  roseaux 
blancs,  le  toit  en  feuilles  de  palmier  de  montagne,  les 
extrémités  arrondies,  l'entrée  à  l'une  des  extrémités.  L'in- 
térieur est  divisé  en  petits  compartiments  par  des  cloisons 
en  bambous,  chaque  membre  de  la  famille  occupant  une 
division  spéciale;  celle  du  fond,  opposée  à  l'entrée,  appar- 
tient de  droit  au  chef  de  famille.  Peu  ou  point  de  mobilier, 
si  ce  n'est  quelques  hamacs  grossiers  et  des  blocs  de  bois 
pour  sièges;  chaque  division  a  son  foyer  spécial,  bien  qu'au 
centre,  il  en  existe  un  plus  grand  qui  sert  aux  usages 
communs  de  la  famille.  Gomme  objets  de  cuisine,  des  pots 
en  fer  d'origine  européenne,  une  pierre  plate,  espèce  de 
metate  servant  à  broyer  le  cacao  et  le  maïs,  des  calebasses 
en  guise  de  plats  et  de  tasses,  des  gourdes  pour  conserver 
l'eau  :  ajoutez  à  cela  un  mortier  creusé  dans  un  tronc 
d'arbre,  avec  un  pilon  servant  à  décortiquer  le  riz  et  cer- 
taines graines.  Attachés  par  des  cordes  aux  poutrelles  du 
toit,  des  filets  et  des  claies  en  bambous  ou  l'on  conserve  les 
provisions,  les  vêtements  et  les  objets  précieux  :  quelques- 
arcs,  des  flûtes,  des  lances  ou  bien  un  vieux  fusil  avec  sa 
poire  à  poudre  et  un  sac  à  plomb  :  ajoutez-y  une  quantité 
de  chiens  aux  longs  poils  et  vous  aurez  une  idée  de  Tinté- 
rieur  d'une  de  ces  maisons. 

Leurs  armes  consistent^  comme  nous  venons  de  le  voir, 
en  arcs,  flèches,  et  lances  avec  pointes  en  bois  durci  ;  ils 
emploient  encore  pour  la  pêche  des  lances  à  plusieurs 
pointes  avec  lesquelles  ils  sont  très  experts  ;  un  ou  plu- 
sieurs fusils,  et  le  machete  inévitable.  Ils  avaient  autrefois 
comme  arme  défensive  un  petit  bouclier  rond  en  peau  de 
tapir  qui  aujourd'hui  a  entièrement  disparu.  Les  Bukuetas 
ou  Sabaneros  connaissaient  l'usage  de  la  bodoquera  ou  sar- 
bacane, mais  je  n'ai  pu  savoir  si  cette  arme  redoutable  avait 
jamais  été  en  usage  parmi  les  Yalientes. 

Leur  costume  était  des  plus  primitifs.  Us  se  peignaient  le 


444  CHIBIQUI. 

corps;  rhomme  portait  une  simple  bande  d'étoffe  d'écorce 
d'arbre  (nufiit)  passée  autoor  des  reins,  la  femme  une  bande 
pins  large,  lui  descendant  jusqu'aux  genoux;  en  temps  de 
pluie,  hommes  et  femmes  portaient  un  grand  manteau 
d'écorce  d'arbre,  sans  manches,  descendant  jusqu'au  des- 
sous des  genoux.  Gomme  ornement  des  colliers  et  des  brace- 
lets en  dents  d'animaux  ou  en  verroteries.  Dans  les  grandes 
cérémonies  les  chefs  avaient  un  diadème  composé  des  plumes 
les  plus  éclatantes  :  ceiies  du  guetzal  sont  les  plus  estimées. 
A  l'heure  qu'il  est,  la  plupart  des  Guaymies  ont  pris  le 
costume  des  gens  du  pays.  On  prétend  que  ces  Indiens, 
à  l'instar  de  ceux  de  la  Talamanca,  fabriquaient  des  tissus 
de  coton;  je  ne  puis  l'affirmer,  mais  il  est  positif  qu'à 
côté  de  toute  maison  indienne,  le  cotonnier  pousse  en 
liberté. 

La  femme  sur  le  point  d'accoucher  était  bukuru  {tabu)  ; 
elle  se  rendait  à  Tayance  dans  une  hutte  disposée  sous  forêt 
à  cet  effet  et  où  personne,  si  ce  n'est  une  vieille  femme  dé* 
signée  pour  ce  service,  ne  pouvait  rapprocher.  Aussitôt  l'ac- 
couchement fait,  elle  se  rendait  à  la  rivière  pour  se  baigner 
et  y  baigner  Tenfanl;  puis  elle  retournait  à  la  maison  com- 
mune où  elle  ne  pouvait  entrer  qu'après  avoir  été  purifiée 
par  le  Sukia  qui  soufflait  sur  elle  quelques  bouffées  de  fumée 
de  tabac. 

L'enfant  mâle  recevait  quelquefois  un  nom  deux  ou  trois 
mois  après  sa  naissance,  mais  le  nom  définitif  ne  lui  était 
généralement  appliqué  qu'après  la  cérémonie  de  l'Urote. 
Quant  à  l'enfant  du  sexe  faible,  il  n'était  connu  que  sous  le 
nom  de  fille  d'un  tel,  jusqu'aux  premières  apparences  de 
puberté.  A  ce  moment  on  donnait  une  grande  fête  et  c'était 
la  plupart  du  temps  à  la  suite  de  cette  fête  que  la  jeune  fille 
semaria.it.  Le  mariage  n'amenait  aucune  cérémonie  spéciale, 
mais  le  mari'  était  obligé  de  payer  aux  parents  de  la  jeune 
fille  une  certaine  somme  suivant  ses  moyens.  La  femme 
est  bien  traitée  chez  les  Guaymies  et  l'adultère  y  est  rare; 


GHIRIQUI.  445 

la  polygamie  existe  sans  être  cependant  tr'ès  commune. 

Aussitôt  qu'une  personne  est  gravement  malade,  on  fak 
venir  le  Sukia  ;  si  celui-ci,  après  examen  du  sujet,  répond 
qu'il  n'y  a  plus  d'espoir,  les  proches  parents  du  moribond 
le  transportent  dans  la  forêt  et  suspendent  son  hamae  sous 
un  petit  hangar  disposé  à  cet  etfet;  on  l'abandonne  alors  à 
lui-même  en  déposant  à  côté  de  lui  une  gourde  pleine  d'eau 
et  quelques  plantains.  Dès  ce  moment  personne  ne  peut 
l'approcher  :  il  est  hukuru.  Quand  on  suppose  qu'il  est  mort, 
le  Sukia  est  chargé  de  constater  le  décès;  immédiatement 
on  étend  le  corps  sur  des  feuilles  de  latanier  qu'on  replie 
par-dessus  et  qu'on  ligotte  alors  fortement,  puis  on  trans- 
porte ce  corps  au  loin  dans  la  forêt,  et  là  on  le  dépose 
sur  un  échafaudage.  Je  n'ai  pu  savoir  d'une  manière  exacte 
ce  que  devient  ensuite  ce  dépôt  :  tout  me  porté  à  croire  ce- 
pendant qu'au  bout  d'une  année,  une  personne  dont  c'est 
l'office  spécial  se  rend  auprès  du  cadavre,  nettoyé  les  osse- 
ments et  en  fait  un  petit  paquet  bien  lié  dans  un  morceau 
d'étoffe;  les  ossements  ainsi  disposés  sont  alors  transportés 
en  grande  pompe  à  la  sépulture  de  famille.  Plusieurs  per- 
sonnes m'affirment  que  la  sépulture  encore  employée  par 
les  Guaymies  est  dans  les  guacas  de  leurs  ancêtres; 
d'autres,  au  contraire,  qu'à  l'instar  de  ce  qui  a  lieu  chez  les 
Bsibsis  et  les  Cabecars  de  la  Talamanca,  l'endroit  de  sépul- 
ture est  dans  une  case  en  bois  où  les  corps  sont  déposés  sur 
des  échafaudages. 

Ils  pensent  qu'après  la  mort  l'Indien,  ou  son  esprit,  erre 
pendant  quelque  temps  et  qu'il  doit  traverser  maintes 
rivières  à  courant  fort  rapide  et  nombre  de  forêts  épaisses 
oîi  fourmillent  les  animaux  malfaisants;  il  arrive  ainsi  sur 
les  bords  d'une  dernière  rivière  sur  l'autre  rive  de  laquelle 
se  trouve  leur  paradis,  endroit  où  ils  ont  à  volonté  chasse 
et  la  pêche  et  une  continuelle  abondance  de  fruits  de  toutes 
espèces.  Mais  une  fois  arrivé  sur  celte  rivière,  il  doit 
attendre  qu'un  de  ses  parents  ou  amis  qui  Ta  précédé  dans 


446  CHIRIQUI. 

cette  région  Taperçoive  et  tai  serve  de  pilote  pour  faire  cette 
dernière  traversée. 

Autrefois  on  déposait  avec  le  mort  tout  ce  qu'il  possé- 
dait; maintenant  pourtant  llndieù  connaît  la  valeur  des 
objets  et  ne  sacrifie  guère  que  ceux  qui  n'ont  plus  de  valeur^ 
mais  il  enterre  avec  le  mort  des  pièces  de  numi  représen- 
tant les  objets  gardés  qui  sont  alors  distribués  entre  les 
parents. 

J'ai  tout  lieu  de  croire  que  les  Guaymies  sont  les  descen- 
dants des  Indiens  qui  construisirent  les  guacas  par  tout  le 
Ghiriquiy  le  Veraguas,  l'Aziiero  et  le  Codé.  Il  y  a  en  effet 
chez  eux  ui^e  tradition  qu'avant  l'arrivée  des  Espagnols  et 
même  durant  une  certaine  période  après  cet  événement,  ils 
fabriquaient  de  la  poterie  ;  mais,  en  raison  de  la^  facilité  avec 
laquelle  ils  se  procuraient  des  marmites  et  pots  en  fer  bien 
plus  durables,  l'art  se  perdit  peu  à  peu.  Ils  connaissaient 
aussi  le  trs^vail  de  l'or,  du  cuivre  et  leur  alliage  ;  nous  trou- 
vons même  encore  aujourd'hui  parmi  les  Guaymies  du  Yalle 
Miranda,  nombre  d'ornements  en  ces  différents  métaux  qu'ils 
prétendent  leur  avoir  été  légués  par  leurs  ancêtres  et  qui  ne 
diffèrent  en  rien  de  ceux  que  nous  rencontrons  dans  les 
guacas  au  sud  de  la  Cordillère  ;  et  outre  cela,  comme  je  l'ai 
déjà  dit  plus  haut,  j'ai  la  ferme  conviction  que  le  Guaymie 
dépose  encore  ses  morts  d^ns  certaines  guacas  de  ses 
ancêtres. 

Après  un  séjour  assez  prolongé  à  Jocuatabiti,  séjour 
durant  lequel  je  pus  me  procurer  des  renseignements  et 
des  vocabulaires  considérables  de  dialectes  guaymies,  je 
me  remis  de  nouveau  en  route,  cette  fois  pour  franchir  la 
Cordillère  et  tomber  dans  le  Chiriqui  du  Sud.  J'eus  beau- 
coup de  peine  à  me  procurer  des  guides  et  porteurs  et  il 
ne  fallut  rien  moins  que  Tintervention  énergique  du  chef 
Gibicu  et  de  mon  bon  ami  Juan  Antonio  Molina  pour 
arriver  à  me  les  procurer.  J'y  réussis  enfin  et,  au  nombre 
de  huit,  nous  nous  mîmes  en  route,  remontant  le  Muoi 


GHIRIQUI.  Ul 

JQsqu*à  ses  sources.  Ce  trajet  nous  prit  trois  jours  de 
montées  et  de  descentes  continuelles.  Toute  cette  vallée  est 
habitée  ;  nous  passions  continuellement  devant  des  maisons 
indiennes  avec  leurs  plantations  de  plantain  et  de  piji- 
baySf  mais  nous  n'osions,  malgré  les  ordres  envoyés  par 
le  chef,  nous  en  approcher  trop  près;  nous  nous  tenions 
à  l'écart.  Le  troisième  joui'  nous  eûmes  à  dormir  sous  forêt 
dans  une  hutte  que  nos  gens  établirent  avec  des  feuilles  de 
iatanier;  nous  étions  à  une  altitude  de  2000  mètres.  Le 
brouillard  et  la  pluie  ne  nous  avaient  pas  quittés  de  toute  la 
journée.  Le  lendemain,  dès  la  première  aurore,  nous  nous 
mettions  en  route;  nous  avions  en  effet  à  franchir  la  Cor- 
dillère, par  une  série  de  pentes  abruptes  où  nous  étions  sou- 
vent obligés  de  nous  accrocher  aux  racines  pour  ne  pas  tom- 
ber. Cette  dernière  ascension  fut  peut-être  le  trajet  le  plus 
pénible  qu'il  m'ait  été  donné  de  faire  dans  toute  ma  vie 
d'excursion.  Les  pentes  franchies,  nous  arrivions  à  une  heure 
de  Taprès-diner,  après  six  heures  de  marche  incessante,  au 
sommet  de  la  Cordillère,  à  peu  près  à  2500  mètres  d'alti- 
tude. Les  pluies  et  le  brouillard  ne  permettaient  de  rien 
découvrir.  Je  ferai  remarquer  que  c'est  sur  ce  point  que 
la  légende  prétendait  qu'il  existait  une  coupure  ou  dépres- 
sion dans  la  Cordillère  par  où  Ton  pourrait  faire  passer  un 
canal,  et  le  col  où  nous  passons  est  un  des  moins  élevés,  à 
l'exception  de  ceux  par  où  passent  les  routes  de  la  Caldera  au 
Fish-Creek,  aux  pieds  respectifs  du  Horqueta  (1206  mètres) 
et  du  volcan  (lliO  mètres).  Nous  arrivâmes  ce  jour-là  à  une 
case  abandonnée  sur  le  versant  méridional  de  la  Cordil- 
lère. Le  jour  suivant  nous  dûmes  suivre  les  crêtes  de  la 
Sierra,  ayant,  à  chaque  instant  à  nos  côtés,  des  précipices  de 
1000  et  1200  mètres  de  profondeur.  Peu  après  avoir  quitté 
notre  campement  de  la  nuit  et  avoir  escaladé  un  morne 
absolument  privé  de  forêts,  nous  eûmes  une  vue  admirable 
de  toute  la  c6te  sud,  qui,  depuis  l'île  de  Cebaco  jusqu'à  la 
pointe  de  Burica,se  déployait  à  nos  pieds  comme  un  magni- 


448  CHIRIQUI. 

fique  panorama.  Nous  dûmes  ce  jour-là  traTerser  une  de  ces 
immenses  barrancas,  celle  du  rio  San  Feliz  ;  nous  descen- 
dîmes à  1000  mètres  environ,  pour  immédiatement  re- 
monter presque  à  pic  de  l'autre  côté  la  Hondura  haute  de 
1200  mètres,  nous  accrochant  aux  brousses  et  aux  herbes. 
Au  fond  de  cette  barranca  viennent  se  jeter  en  cascades  de 
200  mètres  d'altitude,  les  trois  branches  de  la  rivière  qoi 
se  réunissent  en  bouillonnant  dans  cet  entonnoir  :  c'est 
beau  et  grandiose.  Une  fois  la  Hondura  passée  nous  suivons 
les  hautes  savanes  où  l'on  ne  rencontre  même  plus  un 
bouquet  d'arbres  pour  se  mettre  à  l'abri  du  soleil  qui  vous 
brûle.  Ces  savanes  sur  lesquelles  nous  allons  encore  voyager 
pendant  deux  jours,  forment  une  des  grandes  richesses 
du  département  de  Ghiriqui  et  s'étendent  depuis  le  ver- 
sant de  la  Cordillère  en  s'avançant  vers  la  côte  jusque  vers 
400  mètres  d'altitude  en  s'approchant  de  la  côte;  coupées 
par  d'immenses  ravins,  elles  forment  comme  autant  d'im- 
menses pâtures  où  les  animaux  domestiques  pourraient 
se  développer  avec  une  extrême  facilité.  La  soirée  après 
avoir  franchi  la  Hondura,  mes  Indiens  s'égarèrent  et  ce  ne 
fut  que  très  tard  que  nous  arrivâmes  à  l'Hato  de  Cacafeliz 
où  habitait  un  de  mes  guides,  et  qui  est  situé  sur  la  crête 
divisant  les  deux  rivières  de  San  Feliz  et  de  Cedros. 

A  peu  de  distance  de  ce  point,  nous  rencontrâmes,  le  len- 
demain, un  groupe  de  guacas  et  de  roches  avec  inscriptions 
(ces  dernières  si  effacées,  que  je  ne  pus  même  en  prendre 
copie).  Répandus  en  groupes,  quelquefois  seuls,  ombragés 
par  des  arbres  séculaires  appelés  chumicoSy  ces  monuments 
de  l'ancienne  population  du  pays  existent  en  grand  nombre 
dans  les  savanes  dont  nous  parlons.  Un  peu  plus  loin  je 
donnerai  une  description  des  types  les  plus  communs  de 
ces  guacas.  Il  me  fallut  encore  cinq  jours  de  voyage  de 
Cacafeliz  pour  me  rendre  à  David  :  de  ces  cinq  jours,  deux 
furent  en  savane,  passant  par  les  sources  du  rio  Cedros, 
afQuent  du  Fonseca,  et  par  le  Cerro  Banco.  C'est  après 


ceiRiQUi.  449 

avoir  passé  ce  dernier  point  que  nous  commençons  à  re- 
trouver la  forêt  sous  laquelle  nous  avons  à  marcher  jus- 
qu'au premier  village  de  Sabalo,  à  34  milles  de  Gacafeliz.  Là 
enfin,  nous  rentrions  dans  la  région  civilisée  et  je  pus  me 
procurer  un  cheval  pour  le  port  de  Caôafistola  d'où  je  me 
rendis  en  canot  à  David.  Je  dus  laisser  mes  Indiens  à  Cana- 
fistola  ne  pouvant  les  décider  avenir  jusqu'à  David,  telle- 
ment la  civilisation,  même  de  ces  points  retirés,  les  effraye. 

David,  la  capitale  du  département  de  Ghiriqui,  est  une 
petite  ville  de  6000  âmes,  bien  située  dans  une  plaine,  riche 
surtout  par  l'élève  du  bétail  et  la  production  du  café  des 
haciendas  du  volcan  de  Ghiriqui.  A  une  lieue  de  la  ville, 
vers  le  sud-ouest,  existe  le  port  du  Pedegral  oîi  les  bateaux 
d'un  faible  tonnage  viennent  aborder  et  charger  le  bétail 
pour  Panama.  Les  grandes  savanes  qui  entourent  David 
vers  Touest  et  vers  le  volcan  en  font  un  point  fort  impor- 
tant; il  suffirait  de  quelques  capitaux  et  d'une  bonne  admi- 
nistration pour  développer  dans  ce  pays  ^élevage  sur  une 
grande  échelle  avec  du  débouché  toujours  facile.  Le  Ghiri- 
cano  est  malheureusement,  comme  son  compatriote  de 
Panama,  fort  indolent;  se  contentant  de  très  peu  il  laisse 
perdre  tous  les  beaux  avantages  que  la  nature  lui  a  donnés. 

Après  quelques  jours  de  repos  à  David,  je  repartais,  à 
cheval  cette  fois,  afin  de  visiter  les  cafetales  ou  haciendas  de 
café  établies  sur  la  base  du  magnifique  et  pittoresque  volcan 
de  Ghiriqui  dont  le  cône  parfait,  haut  de  4000  mètres,  s'est 
fait  voir  à  nous  ces  derniers  jours  dans  toute  sa  superbe 
majesté.  A  partir  de  David,  le  chemin  que  nous  suivons 
nous  fait  traverser  successivement  des  savanes  et  des  bou- 
quets d'arbres  qui  séparent  ces  savanes  les  unes  des  autres. 
Nous  montons  graduellement  sans  presque  nous  en  aperce- 
voir et  arrivons  dans  la  soirée  à  l'hacienda  du  docteur  Du- 
veyran,  un  Français  qui  a  su  se  faire  une  position  impor- 
tante dans  le  pays;  cette  hacienda  est  située  à  970  mètres 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer  et  le  café  y  vient  magnifique- 


450  GHIRIQUI. 

ment.  De  ce  point  j*ea^  le  plaisir  de  visiter  les  différents 
cafetales  des  environs,  tons  à  peu  près  à  la  même  altitude 
et  de  reconnaître  que  la  culture  du  café  à  Chiriqui  peut 
non  seulement  se  faire  dans  de  bonnes  conditions^  mais 
encore  être  profitable. 

Après  quelques  journées  passées  bien  agréablement  dans 
ces  cafetales,  je  me  dirigeai  obliquement  à  travers  les 
grandes  savanes  de  los  Potrerillos  vers  la  Caldera.  Partis 
à  trois  heures  du  matin  avec  d'excellents  chevaux,  nous 
ne  pûmes  arriver  à  la  Caldera  que  vers  huit  heures  du  soir  ; 
nous  diimes  franchir  le  rio  Caldera  très  profond  et  très 
rapide  où  nous  eûmes  de  très  grandes  difficultés.  On  le 
passe  généralement  à  la  nage,  mais  ayant  une  excellente 
monture,  je  crus  que  mon  cheval  pourrait  me  faire  tra* 
verser;  à  peine  avancé  au  milieu,  la  rivière  était  si  haute 
que  l'animal  perdit  pied  et  fut  entraîné  par  le  courant  à  une 
distance  de  quelques  centaines  de  mètres,  mais  il  réussit 
enfin  à  aborder.  Les  gens  du  pays  ont  une  véritable  terreur 
de  ce  fleuve. 

L'objet  de  ma  visite  à  la  Caldera  était  de  connaître  les 
roches-  peintes  qui  y  existent  en  assez  grand  nombre.  Outre 
cela  la  Caldera^  et  le  Potrero  de  Yargas  sont  les  endroits  où 
habitent  les  derniers  restes  des  Indiens  Dorasques.  Le 
nombre  de  personnes  parlant  le  dialecte  dorasque  de  la 
Caldera  ou  Chumulu  est  de  six.  Ayant  décrit  en  détail  les 
Indiens  Ouaymies,  je  dirai  peu  de  chose  de  ceux-ci  :  il 
suffira  de  savoir  que,  d'après  leurs  traditions,  ils  habitaient 
autrefois  à  la  côte  nord,  derrière  le  volcan  de  Chiriqui, 
suivant  leur  expression,  probablement  dans  la'Talamanca  ; 
ils  croyaient  que  les  tremblements  de  terre  si  communs 
dans  ce  pays  étaient  l'œuvre  d'un  esprit  habitant  le  volcan 
de  Chiriqui  ou  enma  et  décochaient  alors  leurs  flèches  dans 
cette  direction  afin  de  Tefifrayer. 

Par  la  Caldera  et  le  Potrero  de  Vargas  passe  un  sentier 
qui  conduit  en  trois  jours  à  Fish-Creek  sur  la  lagune  de 


CHJRIQUI.  451 

Ghirîqui.  Si  nous  quittons  maintenant  la  Caldera  et  que 
nous>  continuions  notre  voyage  vers  Bugaba,  nous  traver- 
serons encore  une  série  de  savanes  à  peine  interrompues 
par  quelques  gros  bouquets  d'arbres  ;  nous  passons  en 
route  par  Dolega,  ancienne  mission  des  Dor^sques,  mais  où 
la  langue  a  depuis  longtemps  disparu,  puis  par  Boqueron, 
autre  village  autrefois  important.  Un  peu  avant  d'arriver  à 
Bugaba  nous  traversons  le  rio  Piedras  qui,  lui  aussi,  a  une 
bien  mauvaise  réputation.  Je  m'arrêtai  un  instant  à  Bu- 
gaba,  car  c'est  à  2  milles  de  ce  point  que  se  rencontrèrent 
les  guacas  riches  en  objets  d'or  qui  rendirent  à  un  moment 
donné  le  Ghiriqui  aussi  célèbre  que  la  Californie  ;  cet  endroit 
est  connu  sous  le  nom  de  Bugabita.  Comme  je  n'ai  encore 
rencontré  aucune  description  d'une  guaca  ou  tombeau 
indien  de  ces  régions,  je  vais  tâcher  de  les  décrire  en 
quelques  mots.  Réunis  généralement  par  groupes,  nous 
reconnaissons,  leur  présence  aux  roches  plantées  debout 
chez  les  unes,  de  champ  chez  les  autres,  formant  so^  un 
cercle  (et  c'est  le  plus  grand  nombre),  soit  un  carré  :  les 
dimensions  sorit  absolument  variables.  Si  après  avoir  choisi  ^ 
la  guaca  qui  parait  être  riche,  nous  creusons  vers  le  centre., 
nous  verrons  que  la  terre  a  été  soigneusement  reniuée  et 
tassée.  Suivant  les  dimensions  de  la  guaca,  à  2  mètres,  à 
3  mètres,  à  5  mètres  et  davantage,  nous  rencontrons  la 
sépulture.  Dans  certaines  guacas  on  a  garni  les  parois  de 
la  sépulture  avec  des  dalles  plates  et  une  fois  le  cadavre  et 
les  objets  déposés,  on  refermait  l0  réceptacle  avec  une 
grosse  dalle  ;  dans  d'autres,  le  réceptacle  était  grossièrement 
fait,  tandis  que  sur  les  côtés  on  avait  creusé  dans  la  paroi  des 
niches  parfaitement  garnies  de  dalles  dans  lesquelles  étaient 
déposés  les  cadavres;  chaque  niche  se  fermait  par  une  autre 
dalle.  Dans  le  premier  cas,  les  ossements  (j'insiste  ici  sur 
mot  d'ossements,  car,  non  le  corps,  mais  les  os  seulement 
étaient  déposés  dans  les  guacas)  étaient  déposés  sans  ordre 
apparent  au  fond  du  réceptacle,  plus  généralement  vers  les 


452  GHIRIQUI. 

parois  et  au  centre  les  poteries  et  objets  divers  de  terre 
cuite  ou  de  pierre  ;  les  objets  en  or,  en  cuivre  ou  tumbagUy 
toujours  avec  les.  ossements.  Dans  le  second  cas,  les 
poteries  et  objets  divers  sont  trouvés  dans  le  réceptacle,  les 
ornements  et  les  objets  d'or,  etc.,  dans  les  niches.  On  a 
bien  parlé  de  grandes  guacas  dans  lesquelles  il  y  avait  de 
véritables  galeries  soutenues  par  des  pilliers  sculptés  et  où 
l'on  avait  trouvé  de  fort  grandes  richesses,  c'est  de  l'exa- 
gération et  de  la  fantaisie  ;  il  n'existe  à  ma  connaissance 
au  Chiriqui  et  dans  l'état  de  Panama  que  les  deux  genres  de 
guacas  que  je  viens  d'indiquer. 

Les  guacas,  dans  l'état  de  Panama,  sont  plus  nombreux  que 
dans  le  Chiriqui,  mais  on  les  rencontre  jusqu'aux  euTirons 
môme  de  la  ligne  de  chemin  de  fer  de  Colon  à  Panama, 
de  même  que  l'isthme,  à  proprement  parler,  parait  être  la 
limite  des  roches  peintes  ;  la  plus  orientale  de  ces  roches 
que  je  connaisse  en  effet  se  trouvait  à  quelque  distance  du 
chemin  de  fer  de  l'Obispo. 

Près  de  Bugaba  vivent  encore  quelques  descendants 
des  Changuinas,  ancienne  tribu  alliée  aux  Dorasques  et 
parlant  un  dialecte  peu  différent  du  leur  ;  je  n'ai  pu  trouver 
que  trois  personnes  connaissant  aujourd'hui  la  langue. 

De  Bugaba  je  revins  à  David  en  traversant  les  grandes 
savanes  de  la  côte.  Je  m'arrêtai  quelque  temps  cependant 
à  Alanje,  ou  Rio  Chico,  ancienne  capitale  de  ces  régions  et 
ville^  importante  autrefois  sur  le  transit  des  caravanes  qui 
allaient  de  Panama  à  Guatemala;  il  ne  reste  aujourd'hui 
ancun  signe  de  son  importance  passée. 

De  retour  à  David,  et  après  quelques  jours  de  reposée  me 
dirigeai  par  mer  à  Panama. 


Le  Gérant  responsable, 
C.  Maunoir, 

Secrétaire  général  de  la  Commission  centrale. 


BOURLOTON.  ->  Imprimeries  réunies, 


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ères,  55  "i*  rue  Denfert-Rodieicau 


A* 


BULLETIN  DE  LA  SOCIÉTÉ,  in-l^. 

l'alêne  (1821  à  1833),  20  voL  —  (vol.  1  et  2  épuisés): 

2*  série  (1834  i  1843j,  20  vol. 

8«  série  (18U  à  1850),  U  vol. 

4*  série  (1851  à  1860),  20  vol.  —  (vol.  1  à  10, 15  épuisés). 

5*  série  (1861  à  1870),  20  vol.  —  (vol.  1,  à  6,  9,  11, 12,  1    ei  16  épuisés). 

6*  série  (1871  à  1880),  20  vol.  —  (vol.  7  épuisé). 

T  série  (1881  à  1883),  4  vol. 

Ce  Bulletin^  à  partir  de  1882,  est  divisé  en  deux  parties.  La  première  qui  corn*- 
prend  le  compte  rendu  des  séances,  les  principales  lettres  de  It  correspondance 
la  liste  des  ouvrages  offerts  à  la  Société  et  les  faits  géographiques  les  plus  impor- 
tants est  publiée  dix  jours  après  la  séance.  , 

La  seconde  qui  renferme  les  mémoires,  notices,  rapports  ou  documents  de 
quelque  étendue  avec  cartes,  parait  tous  les  trois  mois.  Prix  :  pour  Paris,  20  francs  ; 
pour  les  départements,  22  francs;  et  pour  l'étranger,  25  francs. 

Table  générale  et  analytique  de  la  1'"  et  de  la  2*  série.  .1  vol.  in-8*.  Prix  : 
6  francs. 

Table  générale  et  analytique  de  la  3«  et  de  la  4*  série.  1  vol.  in-S**.  Prix  : 
(^  francs. 

Notices,  annuelles  des  travaux  do  la  Société  et  du  progrès  des  sciences  géogra- 
phiques, par  les  secrétaires  généraux.  Prix  :  1   franc  chaque  notice. 

Programme  d'instructions  aux  navigateurs  pour  Vétude  de  la  géographie  physique 
de  la  mer.  Broch.  in-8*.  Prix  :  1  franc. 

Instructions  générales  aux  voyageurs.  1  vol.  in-16.  Prix  :  3  francs. 

Compte  rendu    du   Congrès  international  des   sciences  géographiques  de  1875. 
Tome  I,  in-8*.  Prix  :  20  francs.  —  Tome  II,  in-8*.  Prix:  15  francs. 

Guide  hygiénique  et  médical  des  voyageurs  dans  l'Afrique  inter tropicale, 
par  les  D'«  Ad.  Nicolas j  H.  Làcaze  et  Signol,  publié  par  la  Société  de 
Géographie  et  la  Société  de  médecine  pratique  de  Paris,  avec  le  concours  des 
Sociétés  françaises  de  Géographie.  Une  brochure  in-8*  de  100  pages.  Prix  : 
2  francs. 

Liste  provisoire  de  bibliographies  géographiques  spéciales,  par  M.  Jaues  Jack- 

$oir,  archiviste-bibliothécaire  de  la  Société  de  Géographie. 
Cette  liste  comprend  1177  articles  se  rapportant  à  la  bibliographie  des  diverses 

régions  de  la  terre- 
Un  vol.  in-8*  de  8  et  340  pages.  Prix  :  12  francs. 

Exploration  du  Sahara.  Les  deux  missions  du  lieutenant-colonel  Flatters,  par 
le  lieutenant-colonel  DerrécAGAix. 

Un  vol.  in-8*  de  144  pages  avec  carte.  Prix  :  3  francs. 

Fleuves  de  ^Amérique  du  Sud,  1877-1879,  par  le  D'  Jules  Grevaux,  médecin 
de  la  Marine  française*  1  vol.  in-f*  de  39  cartes  avec  tableau  d'assemblage.  Une 
notice  biographique  et  une  bibliographie  des  travaux  de  Grevaux  accompagnent 
cet  atlas.  Prix  :  25  francs. 

La  confrérie  musulmane  de  Sldi  Mohammed  ben  AU  es-Senoûsi  et  son  domaine 
géographique  en  Tannée  1300  de  rhégireal883  de  notre  ère,  par  Henri  Duvey- 
AIER.  Paris,  1884.  Brochure  in-8*  de  84  pages  accompagnée  d'une  carte.  Prix  :  3  fr. 

Liste  de  positions  géographiques  en  Afrique  (continent  et  îles),  par  Henri  Du- 
VBYRiÊRT'PrémîèF  fascicule  A-C.  Paris,  1884.  In-f'de  140  pages.  Prix  :  12  fi. 


EXTRAIT  DU  RfaLEMENT  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Art.  I.  La  Société  est  instituée  pour  concourir  aux  progrès  de  la  géograpbie; 
elle  fait  entreprendre  des  voyages  dans  des  contrées  inconnues  ;  elle  propose  et 
décerne  des  prix;  établit  une  correspondance  avec  les  Sociétés  savantes,  les 
voyageurs  et  les  géographes;  publie  des  relations  inédites,  ainsi  que  des  ouvrages 
et  fait  graver  des  cartes. 

Art.  IY.  Les  étrangers  sont  admis  au  même  titre  que  les  Français. 

Art.  y.  Pour  être  admis  dans  la  Société,  il  faudra  être  présenté  par  deux 
membres  et  reçu  par  la  Conmiission  centrale. 

Art.  YL  Chaque  membre  de  la  Société  souscrit  pour  une  contribution  anbuèlle 
.de  36  francs  au  moins  par  année,  et  donne  en  outre  25  francs  une  fois. payés,  lors 
de  ht  remise  du  diplôme. 

EXTRAIT  DU  RÈGLEMENT  INTÉRIEUR 

Art.  XXXI.  lia  Commission  centrale  a  la  faculté  de  nommer,  hors  du  territoire 
français,  des  membres  correspondants  étrangers  qui  se  seraient  acquis  un  nom 
par  leurs  travaux  géographiques.  Un  diplôme  peut  leur  être  délivré. 

Art.  XXXll.  La  Société  admet,  sous  le  titre  de  Membres  donateurs,  les  étran- 
gers et  les  FVançais  qui  s'engagent  à  payer,  lors  de  leur  admission  et  une  fois 
pour  toutes,  une  somme  dont  le  minimum  est  fixé  à  300  francs. 


Là  bibliothèque,  boulevard  Saint-Germain,  184,  est  ouverte  aux  membres  de  la 
Société,  de  II  à  4  heures,  les  dimanches  et  jours  de  fête  exceptés. 

Les  envois  faits  à  la  Société  doivent  être  adressés,  francs  de  port  à  M.  le  Pré- 
sident de  la  Commission  centrale,  boulevard  Saint-Germain,  184. 

S'adresser,  pour  les  renseignements  et  les  réclamations,  à  M.  C.  Aubry,  agent  de 
la  Société,  boulevard  Saint-Germain,  184. 


MM.  les  membres  de  la  Société  de  Géfigraplrie  peuvent  fair«  exécuter  à  leur, 
frais  des  tirages  à  part  de  leurs  ariieles,  aux  conditions  du  tarif  ci-après. 


Une  f '•  (16  pages) 

Remise  en  pages,  glaçage, 
papier,  piqûre,  enveloppe  de 
eouleur 

3/4  de  f  »•  (12  pages). . . . 

1/2  f  »•  (8  pages) 

1/4'de  f»«  (4  pages) 

Couvertures,  composition,  ti- 
rage, papier,  glaçage 


50 
eimfl. 


12  65 

1075 

7  80 

440 


100 


15  55 

12  60 

960 

6  30 

10  » 


150 
eumpi. 


1895 

16  70 

12  05 

885 

1180 


200 


ex«Bpl. 


2310 
20  » 
1420 
1010 

13   » 


250 
euapl. 


27'» 
2350 
1675 
12   a 

1515 


300 

exenfl. 


3090 
27  » 
19  30 
1340 

1645 


350 
Meapt. 


3480 
31  » 
2185 
15  30 

18  70 


400 
eieafl. 


3895 
34  75 

2440 
1695 

19  75 


500 

ex«Bpl. 


45  90 
4090 
29  95 
2050 

2315 


Composition  d'un  titre  d'entrée  de  1/4  de  page 2    - 

Composition  d'un  grand  titre,  avec  page  blanche  au  verso 4  50 

Composition  de  quatre  pages  de  titres  (sans  annonces  pour  les  travaux 

du  même  auteur) 6  50 

Les  corrections  seront  comptées  1  franc  Theore. 
Le  tirage  de  chaque  gravure  sera  compté  3  francs. 


BouRLOTON.  —  Imprimeries  réunies,  B. 


/ 


La  Société  ne  prend  sous  sa  responsabilité 
aucune  des  opinions  émises  par  les  adteurs  des  articles  insérés  dans  son  Bulletin 


BULLETIN 


DE   LA 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

RÉDIGÉ 

AVEC  LE  CONCOURS  DE  LA  SECTION  DE  PUBLICATION 


PAR 


LES  SECRÉTAIRES  DE  LA  COMMISSION  CENTRAI!^' ^^     '   / 


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SOMUAUfi 


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K '-■-- •  ''''-^ 


Gh.  Vélain.  —  Esquisse  géographique  et  ettinographique  delà  Guyane  française, 
et  des  bassins  du  Yari  et  du  Parou,  affluents  de  rAmazone»  d'après  les  ei^plo- 
rations  du  D'  Grevaux ' ~     453 

Brau  de  Saint-Pol  Lias.  —  Atché  et  Pérak  (Sumatra  et  Malacca) 493 

Vidal  Senêze  et  Jean  Noetzli.  -~  Voyage  dans  les  Républiques  de  l'Equateur 
et  du  Pérou  (1876-1877) 523 

cartes 

Gh.  VÉtAiN.  —  Carte  géologique  de  la  Guyane  française  et  d'une  partie  du  bas  Ama- 
zone, d'après  les  recherches  du  D'  Crevaux  en  1878-1879.  1/6  000000». 

Brau  de  Saint-Pol  Lias.  •—  Rivière  de  Lohoag,  côte  occidentale  d'Atché  (Sumatra), 
1880-1881. 1/50000S 


\  vm^   '■   ■  ^■^■■■*  I  ■ 


4*  TRIMESTRE  1885 


V^J» 


PARIS 

SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

184,  BOULEVARD  SAINT-GERMAIN,   184 

1885 


PUBLICATIONS  DE  LA  SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 


RECUEIL  DE  VOYAGES  ET  DE  MÉMOIRES,  ia-4o. 

Tome  I"^  contenant  les  voyages  de  Marco  Polo.  1  vol.  in-4',  1824  (épuisé).  Première 
édition  française,  d'après  le  manuscrit  le  plus  ancien  et  le  plus  complet  conno, 
suivie  d'un  texte  latin  inédit.  Ce  volume  est  composé  comme  suit  :  Avant-propos, 
par  M.  Malte-Brun,  secrétaire  général  de  la  Société  de  Géographie;  — Introduc- 
tion aux  voyages  de  Marco  Polo,  par  M.  Roux  de  Rochelle;  —  Foya(;e de  Marco 
Polo,  le  texte  français  de  Rusticiea  de  Pise,  d'après  le  n**  10270  de  la  Biblio- 
thèque royale;  — -  Peregrinatio  Marci  Paulin  texte  latin,  d'après  le  n*  3195  de 
la  Bibliothèque  royale;  —  Glossaire  des  mots  aujourd'hui  hors  d'usage:  — 
Variantes  pour  les  noms  propres  d'hommes  et  de  lieux,  d'après  onze  manus- 
crits. 

Tome  II,  avec  18  planches.  Prix  :  18  francs. 

Il  contient  :  Une  Relation  de  Ghanat  et  des  coutumes  de  ses  habitants.  —  Des 
relations  inédites  de  la .  Cyrénaïque.  —  Une  notice  sur  la  mesure  gé^imétrique 
de  quelques  sommités  des  Alpes.  —  Résultats  des  questions  adressées  à  on 
Maure  de  Tischit  et  à  un  nègre  de  WaJlet.  —  Réponses  aux  questions  de  la 
Société  sur  l'Afrique  septentrionale.  —  Un  itinéraire  de  Gonstantinople  à  la 
Mecque.  —  Une  Description  des  ruines  découvertes  près  de  Palenqué,  suivie 
de  Recherches  sur  l'ancienne  population  de  l'Amérique.  —  Une  notice  sur  la 
carte  générale  des  pachalicks  de  Hhaleb,  Orfa  et  Bagdad.  —  Un  mémoire  sur 
la  géographie  de  la  Perse.  —  Des  recherches  sur  les  antiquités  des  États-Unis 
de  l'Amérique  septentrionale. 

Tome  III,  contenant  l'Orographie  de  l'Europe,  par  M.  L.  Bruguière,  ouvrage  cou- 
ronné par  la  Société  dans  sa  séance  générale  du  31  mars  1826  ;  avec  une  carte 
orographique,  12  tableaux  synoptiques  et  trois  vues  et  coupes  des  chaînes  de 
montagnes  (épuisé). 

Tome  IY,  avec  une  carte  et  plusieurs  fac-similés.  Prix  :  30  francs. 

Il  contient  :  Description  des  merveilles  d'une  partie  de  l'Asie,  par  le  P.  Jordan  de 
Séverac.  —  Relacion.del  Viage  hecho  à  la  isla  de  Amat,  etc.  (Relation  d'un 
Voyage  à  l'île  d'Amat),  d'après  les  manuscrits  communiqués  par  M.  Henri  Ter- 
naux.  — Vocabulaires  de  plusieurs  contrées  de  l'Afrique,  recueillis  par  M.  Kœnig, 
avec  des  observations  préliminaires.  —  Voyages  .en  Orient  :  Relation  de  Guil- 
laume de  Rubruck.  —  Notice  sur  les  anciens  voyages  de  Tartane  en  général, 
et  sur  celui  de  Jean  du  Plan  de  Carpin  en  particulier;  avec  une  carte,  par 
M.  d'Avezac.  —  Relation  dé  la  Tartarie,  de  Jean  du  Plan  de  Carpin  ;  Voyage  de 
Bernard  et  de  ses  compagnons  en  Egypte  et  en  Terre-Sainte.  —  Relation  des 
voyages  de  Sœvulf  à  Jérusalem  et  en  TeiTe-Sainte. 

Tomes  V  et  VI,  contenant  la  Géographie  d'Edrisi,  traduite  de  l'arabe  en  français, 
d'après  deux  manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  roi»  et. accompagnée  de  notes» 
par  P.  Amédée  Jaubert,  membre  de  l'Institut,  etc.,  avec  3  cartes.  Prix  : 
24  francs  chaque  volume. 

Tome  VII,  contenant  la  Grammaire  et  le  Dictionnaire  de  la  langue  berbère,  en  ca- 
ractères arabes,  composés  par  feu  Venture  de  Paradis,  revus  par  P.  Amédée 
Jaubert,  membre  de  l'Institut;  suivis  de  plusieurs  itinéraires  de  l'Afrique  sep- 
tentrionale  recueillis  par  l'auteur,  et  précédés  d'une  Notice  biographique  sur  la 
partie  méridionale  de  l'Asie  centrale,  avec  une  carte  et  deux  plans,  par  M.  Nicolas 
de  Khanikof.  —  Recherches  sur  fyr  et  Palœtyr,  et  essais  de  restitution  et 
d'interprétation  d'un  passage  de  Scylax,  avec  deux  cartes,  par  M.  Poulain  de 
\  Prix  :  24  francs. 

ir  l'Ethnographie  de  la  Perse,  par  M.  Nicolas  de  Khanikof.  Prix  :  6  francs. 


ESQUISSE  GÉOLOGIQUE 

DE  LA  GUYANE   FRANÇAISE 

ET  DES  BA.SSIMS  DU  PAROU  ET  DU   ÏÂRI 
(Affltteiits  de  TAmazone) 

d'après  les  explorations  du  d'  chevaux 


PAR 

M.    CH.  VÉIiAlli^ 

Maître  de  conférences  à  la  Sorbonne. 


"-x'  h.  I  r- 


{        \  L.j  v^'  [J  i •  i I  . I  \  } 


La  géologie  de  la  Guyane  française,  avant  les  explora- 
tions du  docteur  Grevaux,  était  aussi  peu  connue  que  sa 
topographie.  Dans  Tintérieur,  l'absence  de  toute  voie  de 
communication,  des  forêts  impénétrables,  des  rivières  tor- 
rentielles entrecoupées,  dans  la  majeure  partie  de  leur 
cours,  de  rapides  et  de  sauts  que  des  pirogues  seules 
peuvent  franchir  au  prix  des  plus  grandes  difficultés, 
étaient  tout  autant  d'obstacles,  réputés  insurmontables, 
qui  s'étaient  opposés  à  toute  tentative  d'exploration  suivie 
à  l'intérieur. 

Seule,  la  recherche  de  l'or,  dont  les  pépites  abondent 
dans  les  alluvions,  avait  sollicité  quelques  voyageurs  fur- 
tifs,  avides  d'un  gain  facile,  à  pénétrer,  au  delà  des  pre- 
miers sautSy  dans  les  différentes  criques  qu'on  savait  devoir 
fournir  une  abondante  récolte.  Cette  recherche  de  l'or 
n'avait  elle-même  amené,  à  la  connaissance  de  la  constitu- 
tion géologique  de  la  région,  aucune  donnée  qui  mérite 
d'être  sigpalée.  Toutes  autres  sont  les  explorations  du 
docteur  Grevaux,  qui  ont  été  aussi  profitables  à  la  géologie 
qu'à  la  géographie.  Triomphant  des  difficultés  de  la  route, 

1.  Voir  la  carte  jointe  à  ce  numéro. 

soc.  DE  GÉOGR.  —  4*  TRIMESTRE  1885.  VI.  —  31 


454    ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE  LA  GUYANE  FRANÇAISE 

le  courageux  voyageur,  avec  une  persévérance  et  une  énergie 
auxquelles  on  ne  saurait  trop  rendre  hommage,  a  su  triom- 
pher de  tous  les  obstacles  qu'offrait  une  région  jusqu'alors 
vierge  de  toute  exploration,  et  rapporter,  avec  un  tracé 
exact  du  chemin  parcouru,  des  indications,  très  précises, 
sur  la  nature  et  les  conditions  de  gisement  des  roches 
affleurant  dans  le  cours  des  fleuves  qu'il  explorait.  Des 
collections  importantes,  recueillies  avec  soin  et  discerne- 
ment, dans  les  différentes  stations,  viennent  à  l'appui  de  ses 
observations. 

Sur  ses  carnets  de  voyage^  en  regard  des  numéros  d'ordre 
correspondant  aux  divers  échantillons  de  roches  sont  no- 
tées, avec  l'indication  précise  du  jour  et  de  l'heure  de  la 
récolte,  toutes  les  indications  relatives  aux  conditions  de 
gisement,  à  leur  extension,  à  leurs  relations  réciproques; 
souvent,  quand  les  affleurements  s'y  prêtent,  des  croquis 
viennent  conapléter  cette  description.  C'est  dans  ces  con- 
ditions éminemment  favorables  que  j'avais  pu  déjà  donner, 
d'après  l'étude  des  collections  recueillies  dans  son  premier 
voyage  (exploration  du  Maroni  et  du  Yari,  du  10  juillet  au 
30  novembre  1877),  une  première  esquisse  géologique  de 
la  Haute-Guyane,  dont  la  majeure  partie  était  complètement 
inconnue*. 

A  peine  de  retour  en  Europe,  où  il  ne  semble  être  revenu 
que  pour  avoir  l'occasion  d'en  repartir,  le  courageux  voya- 
geur, toujours  à  la  recherche  de  l'inconnu,  se  remet  de  nou- 
veau en  route  pour  continuer  ses  explorations  fluviales  dans 
l'Amérique  du  Sud.  Parti,  cette  fois,  de  l'embouchure  de 
l'Oyapock,  il  remonte  ce  fleuve  jusqu'à  ses  sources,  puis 
franchissant  de  nouveau  la  chaîne  des  Tumuc-Humac,  il 
descend  la  rivière  Kou,  jusqu'au  Yari,  recoupe  ensuite 
son  premier  itinéraire,  pour  revenir  à  l'Amazone,  par  ce 
grand  fleuve  «  le  Parou  »  dont  on  lui  doit  la  découverte. 

1.  Bull,  de  la  Soc.  géolog.  de  France,  3*  série,  t.  VU,  p.  338,  1879; 
t.  IX,  p.  396, 1881. 


ET  DES  BASSINS  DU  YARI  ET  DU  PAnOU.       455 

Dans  cette  nouvelle  exploration,  préparée  avec  un  soin 
extrême,  conduite  avec  autant  de  vigueur  que  la  précé- 
dente et  dans  un  esprit  véritablement  scientifique,  il  re- 
cueillit encore,  au  prix  des  plus  grandes  difficultés,  d'im- 
portantes collections,  accompagnées  de  notes  précises  sur 
la  géologie  de  la  région  parcourue,  qui  m'ont  permis  cette 
fois  de  compléter  ces  premières  données,  en  les  étendant 
non  seulement  à  la  partie  orientale  de  la  Guyane,  mais 
aux  deux  bassins  du  Yari  et  du  Parou,  sur  le  versant  mé- 
ridional du  Tumuc-rHjumac. 

L^objet  principal  de  ce  travail,  dans  lequel  j'ai  cherché 
surtout  à  mettre  en  lumière  les  résultats  d'observations 
faites  d'une  façon  soutenue  et  avec  un  soin  extrême,  est 
de  rendre  à  la  mémoire  du  regretté  docteur  Crevaux  un 
hommage  bien  mérité. 

II 

.  La  constitution  géologique  de  la  Guyane  française  paraît 
fort  simple*  Sur  le  littoral,  et  principalement  aux  embou- 
chures des  fleuves  nombreux  qui  sillonnent  cette  région,  se 
développent  des  alluvions  limoneux  très  étendus,  donnant 
lieu  à  des  terres  basses,  le  plus  souvent  marécageuses  et 
couvertes  de  palétuviers.  Au  delà,  à  l'exception  d'une  bande 
étroite  de  quartziles  et  de  schistes  ferrugineux,  limitée 
dans  le  cours  supérieur  du  Maroni  à  une  étendue  de  15  à 
20  kilomètres,  les  terres  hautes,  qui  cômmencetit  avec  les 
premiers  rapides  des  rivières  et  s'élèvent  ensuite  par  gradins . 
successifs  jusqu'aux  Tumuc-Humac,  se  montrent  unifor- 
mément constituées  par  une  série  puissante  de  gneiss  et  de 
micaschistes,  que- de  nombreuses  éruptions  de  roches  gra- 
nitoïdes  diverses  (granités,  granulites,  diorites,  ont;  profon^ 
dément  modifiées  à  leur  eontact» 

-  Ces  joches  cristallopbylliennes,  disposées   par  bandes 
successives,  sensiblement  orientées  Nord-nord-est,  Sud-sud*. 


456        ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE   LA  GUYANE  FRANÇAISE 

ouest,  impriment  à  la  Guyane  française  un  relief  particulier, 
consistant  principalement,  au  delà  des  terres  basses  qui 
régnent  sur  le  littoral,  en  une  suite  de  terrasses  étagées, 
plus  ou  moins  ondulées,  disposées  parallèlement  à  la  côte 
et  s'élèvant  successivement  vers  la  petite  chaîne  monta- 
gneuse des  Tumuc-Humac.  D'autre  part,  c'est  aux  interca- 
lations  si  fréquentes  de  roches  éruptives  massives  au  travers 
de  ces  roches  feuilletées,  et  par  suite  au  défaut  d'homogé- 
néité du  sol  au  travers  duquel  le  creusement  a  dû  s'effec- 
tuer, que  les  fleuves  de  la  Guyane  doivent  de  présenter, 
dans  la  majeure  partie  de  leur  cours,  une  pente  brisée  par 
une  succession  de  barrages,  donnant  lieu  à  tout  autant  de 
bassins  étages,  qui  ne  se  relient  entre  eux  que  par  des 
rapides  ou  des  sauts.  Le  travail  d'érosion  du  fleuve,  singu- 
lièrement facilité  par  l'élat  de  fendillement  et  la  ûssilité 
des  roches  gneissiques,  se  trouve  subitement  entravé  à  la 
rencontre  d'un  massif  de  roches  granitoîdes  dures  et  résis- 
tantes; l'eau,  par  suite,  s'accumule  en  arrière  du  barrage, 
trop  résistant  pour  se  laisser  entamer,  et  ne  peut  vaincre 
l'obstanle  qu'en  se  précipitant  par-dessus  en  cascade.  C'est 
alors  au  pied  de  ces  chutes  que  se  concentre  le  travail  mé- 
canique de  l'érosion,  la  vitesse  de  l'eau  étant  retardée,  ou 
même  presque  nulle,  entre  deux  sauts. 

Terrain  primitif  de  la  Guyane;  bassin  du  Uaroni.  — 
Parmi  les  roches  de  ce  terrain,  les  gneiss  sont  de  beaucoup 
celles  qui  dominent.  A  la  base,  on  observe,  formant  aux  em- 
bouchures du  Maroni  et  de  l'Oyapock,  c'est-à-dire  aux  deux 
extrémités  de  la  Guyane,  les  premières  saillies,  un  gneiss 
granitoide  rubanné,  très  feldspathique.  Viennent  ensuite 
des  gneiss  gris  feuilletés,  le  plus  souvent  grahulitisés,  aux- 
quels succèdent  dans  le  Maroni  des  micaschites  à  muscovite, 
recouverts  par  des  schistes  sériciteux,  eux-mêmes  très  mo- 
difiés au  contact  de  la  granulite,  en  devenant  mâclifères. 

Cette  série  supérieure  prend  son  principal  développe- 
ment dans  l'Aoua,  et  se  trouve  ensuite  interrompue,  dans 


ET  DES  BASSINS  DU  TABI  ET  DU  PAROÙ.  457 

ritany,  troisiôme  tronçon  du  Maroni,  par  une  baode  de 
quartzites  et  de  schistes  ferrugineux,  au  travers  desquels 
s'ëlëvenl  les  filons  de  quartz  aurifères  qui  fournissent  aux 
alluvions  du  Maroui  leur  richesse,  bien  connue,  en  pépites 


tu  roche)  d*  l'Erldan  {Ojapock).  d'iprèi  du  «rtquia  du  D'  CraTBui, 
Gf.  Granité.  —  Gn.  Gaeiu  granlloide. 

d'or,  d'argent  et  de  platine.  Les  rives  du  fleuve,  jusque-là 
fortement  encaissées,  s'élargissent,  en  même  temps  elles 
deviennent  basses  et  marécageuses,  par  suite  de  la  facile 
décomposition  des  roches  schisteuses  qui,  sous  l'influence 
de  l'eau  et  de  l'air  humide,  se  réduisent  en  terres  meubles 
argilo -sableuses. 

Les  gneiss  granulitiques  reparaissent  ensuite  au  delà  du 
piton  Vidal,  au  point  même  oîi  l'Itanj  cesse  d'être  navigable; 


FiB.  i.  —  Honlttnea  fnnuliliqaea  de  TuniDc-Humie  ne*  pir  le  trinn  en 
montul  ■■!  Ktiircei  du  Haroni  (D'ipria  un  erequii  du  0'  Crenni.) 


fortement  redressés,  ils  forment  les  premiers  contre-forts 
des  Tumuc-Humac  qui  s'élèvent  en  ce  point  à  400  mètres  de 
hauteur  (fig.2).  Celte  petite  chaîne  montagneuse  qui  sert  de 
ligne  de  partage  des  eaux  pour  les  grandes  artères  fluviales 
qui  se  rendent  les  unes,  le  Maroni  et  l'Oyapock,  après  avoir 
traversé  la  Guyane,  dans  l'Atlantique,  les  autres,  le  Yari 


458    ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE  LA  GUYANE  FRAQAISE 

et  le  Parou  dans  rAmazone^  paraîl  tout  entière  formée 
par  un  puissant  massif  de  granulite.  Cette  roche»  qui  devient 
ainsi  la  formation  éruptive  dominante  ^e  la  région,  se  pré- 
sente là  avec  tous  ses  accidents  habituels  (Pegmatite,  Aplite, 
Hyalomicte,  Tourmalinite),  ainsi  qu'en  témoignent  les  nom- 
breux échantillons  recueillis  par  le  docteur  Crevaux  dans  les 
deux  traversées  qu'il  a  faites  de  cette  chaîne,  inconnue  jus- 
qu'à lui,  en  passant  soit  du  Maroni  dans  le  Parou,  soit  de 
rOyapock  dans  le  Yari. 

Bassin  de  VOyapock.  —  Dans  le  bassin  de  l'Oyapock  une 
série  identique  de  gneiss  et  de  micaschites,  avec  nombreuses 
intercalations  de  roches  éruptives  granitoîdes  comme  dans 
le  Maroni,  se  succède  sans  interruption  depuis  la  passe Ma- 
louet,  jusqu'au  pied  des  Tumuc-Humac  où  le  fleuve  prend 
naissance  dans  une  infinité  de  petites  criques  ramifiées,  qui 
serpentent  sur  le  versant  est  de  ces  petites  montagnes,  très 
abaissées  en  ce  point  (330  mètres). 

Le  gneiss  granitoïde,  déjà  très  développé  au  pénitencier 
de  Saint-Georges  où  il  se  montre  traversé  par  de  grandes 
masses  granitiques  qui  émergent  au-dessus  de  lui,  donnant 
lieu  aux  Deux-Mornes,  se  représente  en  avant  du  saut 
Massara;  puis  au  delà,  on  le  reconnaît  encore  dans  le  cours 
moven  du  fleuve,  où  le  docteur  Crevaux  déclare  l'avoir  suivi 
sur  une  étendue  de  plus  de  10  kilomètres.  Au-dessus  se 
développent,  comme  d'habitude,  des  gneiss  gris,  accom- 
pagnés de  leptynites  auxquelles  succèdent  des  micaschistes 
riches  en  grenat.  Dans  le  cours  supérieur  du  fleuve,  au 
débouché  de  la  crique  Ouroupay,  cette  série  se  complète 
par  l'adjonction  de  quelques  lits  de  cipolins  serpentineux 
et  surtout  de  gneiss  à  amphibole  qui  prennent  beaucoup 
d'importance  aux  grandes  chutes  des  Trois-Sauts. 

Il  est  alors  à  remarquer  que,  dans  cette  partie  orientale 
de  la  Guyane,  les  enclaves  transversaux  et  les  filons  de 
roches  éruptives  qui  se  présentent  si  nombreux,  au  travers 
de  cet  ensemble  de  schistes  cristallins,  sont  principalement 


ET  DES  BASSINS  DU  TARI  ET  BU  PAROU.       459 

constituées  par  des  granulites  à  amphibole  (mission  Saint- 
Paul>  crique  Ouroupay,  crique  Garacquart,  mont  Tigre, 
chute  des  Trots-Sauts),  le  granité  devient  lui-même  amphi- 
bolique  (saut  Robinson,  saut  Yennarou,  saut  Manoa);  enfin 
des  roches,  encore  plus  basiques,  des  diorites  où  l'amphi- 
bole s'associe  à  des  éléments  feldspathiques  sodiques,  sont 
également  à  signaler  au  travers  du  gneiss,  entre  les  criques 
Motoura  et  Ouroupay. 

Bassin  de  r Amazone,  Yari.  —  Sur  le  versant  méridional 
des  Tumuc-Humac  le  gneiss  gris  reparaît.  Il  s'étend  large- 
ment sur  le  parcours  de  TApouani,  ou  dç  nombreuses  inter- 
çalations  de  granqlite  à  mica  noir  y  introduisent  des  va- 
riétés granulitiques  comme  dans  la  Guyane.  Ces  accidents 
se  présentent  surtout  quand  TApouani,  après  avoir  reçu  le 
Campi  devient  navigable.  C'est  alors  que  commencent  les 
rapides  et  les  sauts  dont  chacun  marque  la  traversée  d'une 
enclave  granulitique.  A  son  passage  au  travers  du  gneiss,  la 
vallée  se  transforme  subitement  en  gorges  escarpées,  taillées 
.à  pic,  au  fond  desquelles  s'écoule  tranquillement  la  rivière 
torrentielle;  dans  ce  cas  la  schistosité  et  surtout  le  fendille- 
ment du  gneiss  fortement  redressé,  facilitent  singulièrement 
ia  formation  de  gorges  profondes;  en  même  temps  se  pré- 
sentent sur  ces  roches  gneissiques,  dans  les  points  où  les 
rives  s'abaissent,  notamment  au  voisinage  du  sautMapi,  un 
grand  nombre  de  ces  cavités  cylindriques  à  parois  polies, 
bien  connues  sous  le  nom  de  Marmites  de. Géant,  et  qui 
sont  dues,  comme  on  sait,  au  mouvement  tourbillonnant 
des  galets  et  des  graviers  tenus  en  su^pensipi^  dans  les  eaux 
torrentielles  à  l'époque  des  crues.  Le4octeur  Crevaux,  après 
avoir  remarqué  que  chacune  d'elles  présente  encore  au  fond 
les  galets  de.  roche  dure  granulitique  qui  leur  ont  donné 
naissance,  les  décrit  comme  disposée^.p^  ^les  alignées  les 
unes  à  côté  des  autres.  Leur  diamètre  moyen  à  l'ouverture 
était  de0",30  à  0",40,  leur  profondeur  pouvant  atteindre 
0^60. 


460     ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE  LA  GUYANE  FRANÇAISE 

Les  rochers  plats  qui  bordent  la  rivière  et  les  îlots  qui  se 
dressent  en  avaut  du  saut  Kamaraka,  situé  à  peu  de  dis- 
tance du  confluent  de  l'Apaouani  et  du  Tari,  marquent  la 
limite  du  gneiss  dans  cette  direction;  au  delà,  sur  tout  le 
parcours  du  Tari  jusqu'au  saut  de  la  Pacanda^  qui  précède 
de  quelques  kilomètres  le  point  où  ce  grand  fleuve  vient  se 
jeter  dans  TAmazone,  on  ne  rencontre  plus  qu'une  longue 
succession  de  schistes  et  de  quartzites  semblables  à  ceux  de 
ritany,  accompagnés  de  conglomérats  quartzeux,  de  bancs 
de  poudingues  et  de  grès  feldspathiques  jaunâtres,  mal 
cimentés,  qui  représentent  de  véritables  arkoses. 

Tout  cet  ensemble  de  roches  schisteuses  et  arénacées, 
très  concordant,  est  décrit  par  le  doctenr  Grevaur  comme 
disposé  sur  les  rivQS  du  fleuve  en  couches  faiblement  in- 
clinées vers  le  sud-ouest.  Les  poudingues  grossiers  et  les 
conglomérats,  oti  se  rencontrent  avec  des  galets  quartzenx, 
des  blocs  de  roches  granitoïdes  et  gneissiques,  alternent  à 
la  base  avec  les  schistes  ;  viennent  ensuite  des  grès  feldspa- 
thiques eux-mêmes  schistoîdes,  surmontés  par  des  quar- 
tzites, en  bancs  épais,  oii  dominent,  en  fait  de  coloration, 
le  vert  et  le  rouge  violacé. 

Au  travers  des  schistes,  les  rives  sont  basses,  la  rivière, 
très  large  et  peu  profonde,  décrit  de  nombreux  méandres, 
et  le  courant  n'est  entravé  que  par  quelques  îlots,  qui  tous 
sont  placés  sur  le  trajet  des  bancs  de  poudingues  et  de 
conglomérats.  Les  chutes  et  les  rapides  ne  reparaissent 
qu'au  travers  des  quartzites,  qui  s'élèvent  alors  de  chaque 
côté  du  fleuve  à  la  manière  de  murailles  gigantesques  *,  où 
ils  se  montrent  traversés  par  de  nombreux  filons  de  quartz 
d'un  blanc  laiteux  et  à  diverses  reprises  par  des  apophyses 
de  granulite,  sous  la  forme  de  pitons  aigus.  Les  grandes 
chutes  du  Tari,  dans  le  cours  moyen  du  fleuve,  sont  ainsi 

1.  Pacanda,  chute  à  pic,  en  portugais. 

2.  D'  Crevaux,  Exploration  des  fleuves  Yari,  Parou,  Yca  et  Vapura, 
Bull,  de  la  Soc,  de  Géographie,  7*  série,  t.  III,  p.  666. 


ET  DES  BASSINS   DU  YÂRI  ET  DU  PAROU.  461 

précédées  par  quelques  îlots  granulitiques,  très  allongés^ 
qui  divise  la  rivière  en  plusieurs  bras.  Ces  îlots  sont  alors 
en  rapport  avec  un  grand  massif  de  granulite  qui,  plus  loin 
(à  une  distance  de  1500  à  1800  mètres),  forme  un  barrage 
compact  et  d'une  grande  dureté,  contre  lequel  la  rivière, 
obligée  de  refluer  en  arrière,  se  déverse  ensuite  par-dessus 
ces  roches,  trop  résistantes  pour  se  laisser  entamer,  en  don- 
nant lieu,  sur  une  étendue  de  250  à  300  mètres,  à  cette  ca- 
taracte de  30  mètres  de  haut,  que  le  docteur  Grevaux  a  dési- 
gnée sous  le  nom  bien  significatif  de  Chute  du  Désespoir. 

Malgré  des  recherches  attentives,  le  docteur  Grevaux  n'a 
pu  reconnaître,  dans  cette  puissante  série  de  roches  fran- 
chement détritiques,  aucune  trace  de  corps  organisé  fos- 
sile qui  puisse  permettre  d'en  fixer  l'âge  absolu.  Le  fait  seul 
de  la  pénétration  bien  nette  de  la  granulite  soit  en  filons 
minces,  soit  en  grandes  masses,  autorise  à  la  considérer 
comme  antérieure  à  l'époque  carbonifère.  On  sait,  en  effet, 
•d'après  les  observations  de  M.  Michel  Lévy  dans  le  Morvan, 
que  les  émissions  de  cette  roche,  si  répandue  à  la  surface 
du  globe,  ne  dépasse  pas  le  Dévonien. 

Bassin  du.  Parou,  —  Le  second  voyage  d'exploration  du 
docteur  Grevaux  (10  août  1878  au  31  juillet  1879),  après  un 
relevé  de  l'Oyapock,  qui,  dans  l'est  de  la  Guyane,  marque  la 
limite!  de  nos  possessions  avec  le  Brésil,  a  eu  pour  principal 
résultat  la  découverte  du  Parou.  Ge  grand  fleuve,  qui  me- 
sure 975  kilomètres,  situé  à  l'ouest  du  Yari  dont  il  épouse  la 
direction  nord-ouest-sud-est,  était  jusqu'alors  absolument 
inconnu,  aucun  récit  de  voyage  n^en  faisant  mention.  Après 
avoir  de  nouveau  traversé  les  Tumuc-Humac,  dans  la  partie 
.orientale  de  la  chaîne,  le  courageux  voyageur  relève  la 
trace  de  deux  affluents  du  Yari  (les  rivières  Kou  et  Roua- 
apiri,  qui  prennent  là  leurs  sources);  puis  remontant  le  Yari 
jusqu'à  son  confluent  avec  l'Apaouani,  il  gagne  le  Parou 
en  traversant  le  terrain,  très  accidenté,  qui  le  sépare  du  Yari. 

Des  nouvelles  observations  géologiques  faites  pendant  ce 


463        ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE  LA  GUYANE  FRANÇAISE 

second  voyage  il  résulte  que  le  gneiss  gris,  gui  se  poursuit 
jusqu'à  cette  extrémité  des  Tumuc-Humac,  se  montre  là 
recouvert,  comme  sur  le  versant  nord,  par  des  schistes  am- 
phiboliques  et  des  gneiss  à  amphibole. 

Dans  les  parties  basses  de  la  crique  Kou,  de  véritables 
amphibolites,  où  l'amphibole  prédominant  ne  se  trouve 
plus  associée  qu'à  un  plagioclase  (labrador),  sont  subor- 
données à  ces  roches  gneissiques.  Les  roches  éruptives 
intercalées  appartiennent  aux  variétés  quartziferes  des  dio- 
rites  ,et  àax  granblites  à  amphibole.  . 

Dans  la  traversée  du  Parou,  une  succession  identique  à 
celle  du  Yari,  se  reproduit,  depuis  les  sources  jusqu'à  la 
chute  de  Panama,  où  commencent  bientôt  après  les  terres 
alluviales  de  TAmazone.  Les  roches  cristallophyllienoes, 
limitées  à  un  gneiss  gris,  très  micacé,  à  grain  bien  homo- 
gène, passant  au  micaschiste,  cessent  au  village  roucouyenne 
de  Canea,  où  ils  font  place  à  un  grand  massif  de  granulite 
qui  se  développe  au  delà  sur  une  étendue  de  plusieurs  kilo* 
mètres. 

Les  premières  roches  schisteuses  qui  affleurent  ensuite, 
de  coloration  plus  foncée  que  celles  du  Yari,  et  plus  cris- 
tallines, apparaissent  disloquées  et  fortement  redressées 
entre  deux  massifs  de  granulite  qui  obligent  le  fleuve  a 
décrire  des  sinuosités  qui  quadruplent  son  parcours  ^  C'est 
seulement  au  delà  de  la  crique  Oitare,  affluent  de  gauche  du 
Parou,  que  cette  série  prend  Tallure  régulière  qu'elle 
présentait  dans  le  Yari,  en  donnant  lieu  aux  mêmes  acci- 
dents :  Profil  adouci  des  rives  dans  les  phyllades  et  les  grès, 
gorges  profondes,  entaillées  à  pic  dans  les  quartzites,  bar- 
rages et  sauts  dans  la  traversée  des  enclaves  granuUtiques 
(saut  du  Grand-Halage,  barrage  du  Taouracapa)  '. 


1.  Crevaux,  loc.  cit.f  p.  672. 

i.  Voir  à  ce  sujet  les  croquis  du  D*^  Crevàux  dans  le  Tour  du  MondCf 
i.  XLI,  1050*  livraison,  p.  137  e  suiv. 


ET  DES   BA3SIN§  DU  YARI  ET  DU  PAROU.  463 

En  résumé,  le  terrain  primitif,  largement  développé  sur 
les  deux  versants  deç  Tumuc-Humac,  offre  dans  son  ensemble 
la  succession  suiyante,en  tout  point  conforme  à  celle  reconnue 
dans  toutes  les  contrées  où  ce  terrain  a  pu  être  observé  : 

5**  Schistes  séricitôux. 

4^  Gneiss  à  amphibole  avec  amphibolites. 

3^  Micaschistes  et  cipolins  serpentineux. 
.    â*"  Gneiss  gris  et  leptynites. 

1°  Gneiss  granitoïde. 

Ètade  pétrofl^raplilqae  des  prlneipales  roelies  erlstallophyl- 
llennefl  et  érupIlTea  de  la  Cruyane  et  du  baMSin  de  l'Ama- 
soiie. 

ROCHES  ÉRUPTIVES 

Granité  du  Maronù  —  Le  granité  qui  forme  aux  embou- 
chures du  Maroni,  au  travers  du  gneiss,  de  grandes  enclaves 
est-ouest,  est  à  grain  fin,  d^in  blanc  grisâtre;  il  contient 
avec  du  quartz  peu  abondant,  en  petits  grains  incolores; 
deux  feldspaths,  l'un  en  grands  cristaux,  souvent  màclés,  à 
clivages  faciles,  nacrés  ;rautre  en  débris,  non  clivés,  vitreux 
et  généralement  striés  (oligoclase)  ;  du  mica  noir,  très  bril- 
lant, distribué  dans  la  roche  avec  une  certaine  régularités 

Au  microscope,  le  mica  noir,  très  polychrolque,  en  la- 
melles déchiquetées,  renferme  par  places,  à  rétat  d'inclu- 
sions, des  prismes  hexagonaux  d'apatite.  Le  quartz  ancien, 
en  petits  cristaux  bipyramidés,  rares  et  clairsemés,  est 
engagé  soit  dans  l'oligoclase,  soit  dans  Torthose,  qui  tous 
deux  sont  en  débris;  de  larges  plages  de  microcline,  avec 
du  quartz  récent  étiré,  à  contours  irréguliers,  remarquable 
par  le  nombre  et  la  dimension  de  ses  inclusions  liquides  à 
bulle  mobile,  cimentent  les  éléments  précédents.  La  com- 
position minéralQgique  de  la  roche  peut  être  résumée  ainsi 
qu'il  suit  : 


464        ESQUISSE  GÉOLOGIQDE   DE  LA  GUYANE  FRANÇAISE 

I.  Première  consolidation  :  Mica  noir,  quartz  bipyraniidé^ 
oligoclase,  orthose;  accessoirement  :  apatite. 

II.  Seconde  consolidation  :  Microcline  et  quartz  grani- 
tique*. 

Granité  de  VOyapock.  —  Plus  étendu  que  le  précédent, 
ce  granité  conserve,  dans  le  puissant  massif  qui  se  développe 
dans  le  sud  du  pénitencier  de  Saint-Georges  en  donnant 
lieu  aux  récifs  submergés  de  l'Éridan,  une  texture  réguliè- 
rement grenue;  il  est  alors  plus  micacé  que  le  précédent 
et  ne  présente  plus  de  microcline  dans  le  second  temps.  Il 
en  est  de  môme  pour  celui  qui  s'élève  en  manière  de  d}kes, 
au  travers  du  gneiss,  dans  le  voisinage  du  môme  péniten- 
cier, et  sous  forme  d*îlots,  dans  la  passe  Malouet;  dykes  et 
Ilots  qui  semblent  n*être  là  que  les  apophyses  du  massif 
granitique. 

Dans  ce  granité  le  quartz  récent,  cette  fois  en  plages  très 
étendues,  s'accompagne  d 'orthose  qui  se  présente  ainsi  dans 
les  deux  temps  de  consolidation. 

Il  est  ensuite  à  remarquer  que,  dans  les  filons  indépen- 
dants*, qui  se  représentent  nombreux,  au  travers  du  gneiss 
gris  dans  les  collines  Huart,  ce  même  granité  prend  un 
aspect  glanduleux.  Il  est  alors  chargé  de  microcline  qui 
cette  fois  semble  plus  récent  que  le  quartz,  car  il  l'enveloppe 
«t  contient  également,  à  l'état  de  débris  anguleux  ou  le 
plus  souvent  arrondis  et  corrodés,  des  fragments  d'orthose 
et  d'oligoclase.  En  môme  temps,  du  mica  blanc  disposé  en 


1.  D*aprè8  la  notation  établie  par  MM.  Fouqué  et  Michel  Lévy,le  chiffra 
I,  représente,  dans  les  roches  éruptives,  les  cristaux  anciens,  de  formation 
antérieure  à  rémission  de  la  roche  :  cristallisation  initiale  qui  s'est  opérée 
dans  les  profondeurs  du  globe  (première  consolidation)  ;  II,  ceux  qu'on 
peut  considérer  comme  contemporains  de  l'émission  de  la  roche  et  de 
sa  solidification  (deuxième*  consolidation)  ;  UI,  les  minéraux  postérieurs 
•à  cette  solidification  qu'on  peut  attribuer  à  des  actions  secondaires  pro- 
liuites  par  métamorphisme  ou  altération,  sur  place,  de  certains  minéraux 
intégrants. 

2.  8  à  10  mètres  d'après  le  D'  Grevaux. 


ET  DES  BASSINS  DU  YARI   ET  DU  PAROU.  465 

petites  houppes  radiées  dans  les  iaterstices^  les  'Cassures, 
les  cliyages  des  éléments  feldspathiques,  apparaît  comme 
contemporain  de  la  formation  du  microcline.  Le  microcline 
et  le  mica  blanc  sont  vraisemblablement,  dans  ce  cas  parti- 
culier, développés  par  voie  métamorphique,  sous  l'influence 
de  la  granulite  qui  traverse  tout  à  la  fois  le  granité  et  ce 
massif  gneissique  en  larges  filons. 

Ces  actions  exomorphes  exercées  par  la  granulite  sur  le 
granité  encaissant  sont  encore  plus  nettes  au  mont  Tigre, 
dans  le  cours  supérieur  du  fleuve.  Dans  toute  l'étendue  de 
ce  vaste  épanchement  granitique,  qui  se  développe  à  partir 
du  saut  Manou  sur  près  de  10  kilomètres,  la  roche  devient 
porphyroïde  par  suite  du  développement  qu'y  prennent  les 
cristaux  d'orthose  ancien.  Les  échantillons  recueillis  à 
Textrémité  sud  de  ce  massif,  au  voisinage  de  la  granulite 
qui  lui  succède  immédiatement,  montrent  tous  ces  grands 
cristaux  d'orthose  entourés  d*une  auréole  de  micropegma^ 
tite.  De  plus,  on  reconnaît,  dans  toute  la  roche,  des  traînées 
de  quartz  granulitique  accompagné  d'orthose  en  cristaux 
raccourcis  et  d'innombrables  paillettes  de  mica  blanc,  en 
tous  points  semblables  aux  éléments  de  seconde  consolida- 
tion de  la  granulite  et  représentant  ainsi  une  pénétration 
intime  des  éléments  acides  de  celte  roche  dans  le  granité. 

En  rési^mé,  l'action  de  la  granulite  sur  le  granité  se  tra«- 
duit  par  l'injection  d'un  apport  granulitique  auquel  ne 
prennent  part  que  les  éléments  du  second  temps  :  quartz^ 
microcline  et  mica  blanc.  Il  en  résulte  qu'il  s'établit,  dans  les 
points  où  ces  deux  roches  sont  en  contact;  une  zone  de  pas- 
sage plus  ou  moins  étendue  où  les  caractères  des  deux 
roches  sont  pour  ainsi  dire  mélangés. 

Dans  les  blocs  de  granité  pinces  dans  la  granulite,  les 
principales  modifications  consistent  en  une  solification  des 
fragments  englobés.  Le  docteur  Crevaux,  sur  le  versant 
nord  de  Tumuc-Humac,  au  débouché  de  la  crique  Leprieur, 
a  recueilli  un  échantillon  qui  simule  une  véritable  brèche 


466       ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE  LA.  GUTANE   FRANÇAISE 

de  granité  cimentée  par  une  granulite  euritique  d'un  blanc 
rosé.  Chacun  de  ces  fragments,  modifiés  dans  toute  leur 
étendue,  montre  les  éléments  du  granité  non  plus  adhé- 
rents entre  eux,  mais  disloqués  et  comme  charriés  dans  un 
mélange  à  grains  cristallins  de  quartz  à  texture  granulitique 
et  de  mica  blanc. 

Ces  traînées  quartzeuses,  affectant  parfois  un  parallélisme 
marqué,  au  point  de  donner  à  la  roche  une  allure  gneissiqne, 
serésolvent,  prennent  l'aspect,  entre  les  niçois  croisés,  d'une 
mosaïque  b«iHftaunent  colorée.  De  part  et  d'autre  le  quartz 
s'en  sépare,  sous  forme  é»  petits  filons,  réduits  à  la  dimension 
de  0'°0002,  cette  fois  ramifiés,  qm  i^ont  s'infiltrant  dans  les 
fissures  des  éléments,  feldspathiqnes  torda&  et  bris'és.  Le 
mica  noir  seul  reste  intact.  Autour  des  grandes  |>ia|p)&  de 
quartz  du  granité,  lé  quartz  granulitique  filonien  se  dis- 
pose en  auréole  qui,  composée  de  petits  cristaux  à  con- 
tours hexagonaux  optiquement  orientés  dans  le  même  sens; 
s'éteint  d'un  seul  coup,  simultanément,  avec  le  quartz  cen- 
tral. Le  quartz  ancien  du  granité,  qui  a  influé  ainsi  non 
seulement  sur  la  concentration  du  quartz  granulitique  mais 
sur  son  orientation  optique,  a  perdu  ses  contours  habituel- 
lement si  finement  découpés,  et  se  présente  alors  sous  un 
aspect  globuleux.  En  même  temps,  dans  l'intérieur  des  élé- 
ments feldspathiqnes,  on  remarque  un  développement 
abondant  de  ce  quartz  secondaire  en  gouttelettes  hyalines, 
que  M.  Michel  Lévy  a  dénommé  quartz  do  corrosion. 

Dans  ce  cas  particulier  des  blocs  inclus  dans  la  granulite, 
il  y  a  donc,  non  seulement  uneinjection  mécaniquey  dans  le 
granité,  des  éléments  acides  de  la  roche  encaissàhte  (quartz 
granulitique  et  mica  blanc),  mais  encore  un  effet  chimique 
qui  a  provoqué^  après  dissolution,  la  tecristalli^ation  de  la 
silice  sous  la  forme  «de  quartz  de  corrosion. 

Granités  à  an^fhibalé  de  VOyapock.^- Ces  granités  où* 
l'ai^phibole  (hornblende)  tend  à  se  substituer  au  mica  noir,' 
représ.e}it^nt  un  type  plus  basique  que  lês  {granités  à  mica 


£T  DES  BASSINS  DU  YARl  ET  DU  PAROU.       467 

noir  précédents.  Us  sont  également  plas  récents.  Le  docteur 
Greyauxen  a  observé  un  bon  exemple  au  saut  Yennarou  ; 
une  large  enclave  granitique  se  montre  là,  percée  par  des 
filons  minces  de  granité  à  amphibole,  qui  se  poursuivent 
plus  loin  dans  le  gneiss  gris  encaissant. 

Gi^  gÊààiia  est  à  grandes  parties,  circonstance  déjà  remar* 
quable,  étant  donnée  la  faible  dmiensroa  dBS  filons  (un  à  deux 
mètres,  d'après  le  docteur  Grevaux).  L'amphibole  domi- 
nante, en  cristaux  lamelleux  d'un  vert  brunâtre  distribués 
assez  régulièrement  dans  la  roche,  et  souvent  transformée 
sur  les  bords  en  chlorite  et  en  épidote,  se  présente  engagée 
dans  les  éléments  feldspathiques  qui  sont  de  deux  sortes  3 
l'un  d'un  blanc  rosé,  avec  clivages  rectangulaires  miroitants; 
l'autre,  grisâtre  et  vitreux,  le  plus  souvent  marqué  des 
stries  fines  caractéristiques  des  plagioclases.  Le  mica  noir, 
en  petits  prismes  )iexagonaux  est  rare  et  clairsemé;  le  quartz 
en  grains  grisâtres,  est  bien  apparent. 

Au  microscope,  ces  éléments  se  disposent  dans  l'ordre 
suivant  : 

L  Première  consolidation.  — Mica  noir,  hornblende,  or- 
those,  oligoclase;  accessoirement  :  sphène,  zircon, 

IL  Deuxième  consolidation.  —  Microcline,  hornblende, 
quartz. 

liï.  Développement  postérieur  de  magnétite,  de  chlorite 
et  d'épidote. 

Le  mica  noir  et  l'hornblende,  en  grands  cristaux  tous 
deux  très  disloqués,,  sont  doués  d'un  polychroïsme  intense, 
le  premier  dans  des  tons  qui  varient  du  jaune  pâle  au  brun 
foncé,  le  second  du  vert  foncé  au  brun  pâle.  Le  sphène 
se  monti*e  en  cristaux  isolés,  jaunâtres,  légèrement  di-* 
chroïques  ;  le  zircon  est  le  plus  souvent  à  l'état  d'inclusion» 
dans  le  mica  noir  et  l'amphibole;  il  apparaît  ainsi  comme 
l'élément  le  plus  anciennement  formé;  l'oligocla^e,  en 
larges  cristaux,  dans  lesquels  la  n^cle  de  l'albite  prédomine 
et  s'associe  rarement  à  celle  du  périkline,  est  l'élément 


468        ESQUISSE   GÉOLOGIQUE  DE   LA  GUYANE  FRANÇAISE 

feldspathique  dominant;  il  contient  souvent  à  l'état  d'incla- 
sions  des  fragments  anguleux  d'orthose.  Dans  le  microcline, 
les  lilonnets  d'albite  du  second  temps  sont  nombreux  et 
remarquablement  bien  développés;  l'amphibole  récente, 
plus  pâle,  moins  ferrugineuse  que  la  précédente,  est  rare- 
ment intacte,  et  se  montre  même  entièrement  épigénisée 
par  de  la  chlorite  et  de  Tépidote.  Cette  transformation  com- 
mence sur  les  bords;  Tamphibole  se  décolore,  il  se  développe 
alors  du  fer  oxydulé  en  petits  cristaux  octaédriques  ;  une 
dernière  métamorphose  donne  naissance  à  la  chlorite  et 
à  l'épidote.  Cette  amphibole  est  manifestement  postérieure 
aux  éléments  feldspathiques  qui  sont  souvent  moulés  et 
même  injectés  par  ses  lamelles  fibreuses.  Le  quartz,  en 
grandes  plages  à  contours  sinueux,  remplissant  tous  les 
interstices  laissés  vides  entre  ces  différents  cristaux,  appa- 
raît bien  ainsi  comme  l'élément  le  plus  récent. 

Tout  autres  sont  les  granités  à  amphibole  qui,  d'une 
part,  dans  le  cours  inférieur  du  fleuve  au  saut  Robinson, 
de  l'autre,  dans  le  cours  supérieur  au  saut  Manou,  forment 
au  travers  du  gneiss  gris  de  larges  enclaves  transversaux. 
Plus  riches  en  mica  noir,  ils  sont  en  même  temps  plus 
quartzeux.  L'hornblende^  d'un  vert  brun  foncé,  ne  s'y 
montre  plus  qu'en  grands  cristaux,  brisés  et  souvent  en- 
tièrement transformés  en  chlorite  et  en  épidote  qui  émi- 
grent  dans  les  feldspaths.  Ces  granités  n'admettent  plus 
comme  éléments  feldspathiques  que  l'orthose  et  l'oligo- 
clase,  tous  deux  en  grands  cristaux  fréquemment  altérés. 
Ils  se  chargent  alors,  suivant  leurs  plans  de  clivages,  de  pe- 
tits traits  brillants,  doués  de  couleurs  de  potarisation  vive 
(talc)  et  partiellement  de  calcite.  Les  actions  secondaires 
ont  donc  attaqué  énergiquement  ces  deux  roches  qui, 
d'après  les  notes  du  docteur^C revaux,  tombent  en  Arène  sur 
de  grandes  étendues. 

Les  collections  que  j'ai  eu^à  étudier  renferment  également 
des  échantillons  de  chacun  de  ces  deux  granités  pris  au 


ET  DES  BASSINS  DU  YARI  ET  DU  PAROU.       469 

contact  des  masses  granulitiques  qui  les  traversent  en  filons. 
J'ai  pu  noter,  dans  les  actions  subies  par  le  granité,  quel- 
ques faits  intéressants.  En  particulier,  avec  des  apports 
granulitiques  (quartz  granulitique  et  mica  blanc)  comme 
précédemment,  on  remarque  un  développement  par  voie 
métamorphique  de  quartz  de  corrosion  et  de  siilimanite.  La 
siliimanite,  en  petits  prismes  aciculaires,  très  allongés,  tron- 
çonnés comme  d'habitude  par  des  casisures  transversales  et 
groupés  par  faisceaux,  se  montre  entourée  par  du  mica 
blanc  palmé.  Dans  ces  conditions,  l'amphibole  se  transforme 
en  actinote  microlithique,  après  avoir  donné  naissance  à  de 
petits  octaèdres  de  fer  oxydulé  qui  se  disposent  sur  la  trace 
des  clivages  et  sur  les  bords,  délimitant  exactement  la  place 
anciennement  occupée  par  ces  cristaux. 

Diorites  de  fOyapock  et  de  la  crique  Kou.  —  Les  divers 
échantillons  de  diorite  provenant  de  la\Guyane  ou  du  bas- 
sin de  l'Amazone  appartiennent  tous  à  la  variété  quartzi- 
fère.  L'hornblende  est  l'élément  dominant;  elle  se  présente 
sous  deux  états  :  en  prismes  raccourcis  souvent  bien  ter- 
minés,  d'un  noir  vif;  en  grands  cristaux  lamelleux,  d'un 
vert  bronze  foncé,  entourant  un.  feldspath  opaque,  d'un 
vert  pâle.  Us  contiennent,  en  outre,  avec  du  mica  noir,  du 
sphène  très  abondant,  du  zircon,  de  la  chlorite  et  de  Tépi- 
dote  ;  ces  deux  derniers  y  apparaissant  comme  des  produits 
d'altération  de  Tamphibole. 

La  composition  minéralogique  de  la  diorite  de  TOyapock 
est  réglée  ainsi  qu'il  suit  : 

L  Première  consolidation.  —  Fer  oxydulé,  hornblende, 
oMgochse]  accessoirement  :aL]^dLiiiej  mica,  noir,  sphène,  zir- 
con, orthose. 

IL  Deuxième  consolidation.  —  Oligoclase,  hornblende, 
quartz  granulitique. 

IIL  Éléments  secondaires,  —  Épidote,  chlorite. 

L'apatite  ne  se  rencontre  qu'à  l'état  d'inclusions  dans  le 
mica  noir  et  l'amphibole  ancienne  ;  le  mica  noir,  peu  abon- 

SOC.  DE  GÉOGR.  —  4*  TRIMESTRE  1885.  Yl.  —  32 


« 


470        ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE  LA  GUYANE  FRANÇAISE 

dant,  verdâtre  et  faiblement  dichroïque,  contient  de  l'apa- 
tite  avec  quelques  petits  zircons,  entourés  d'auréoles  poly- 
chroïques;  les  g^rands  cristaux  d'oligoclase  ancien,  bien 
homogènes,  sont  composés  d'un  grand  nombre  de  lamelles, 
suivant  la  loi  de  Talbite,  avec  quelques  associations  très 
fines  suivant  celle  du  périkline;  ils  contiennent  de  la  ma- 
gnétite  et  du  mica  noir.  L'amphibole  ancienne,  quoique  en 
débris,  reste  bien  fraîche  et  très  colorée;  son  polychroïsme 

é 

assez  intense  la  fait  passer  successivement  d'un  brun  foncé 
du  vert  bouteille;  celle  du  second  temps,-  plus  pâle  et 
moins  ferrugineuse,  forme  de  grandes  plages,  à  clivages 
bien  marqués,  moulant  les  autres  éléments;  elle  est  alors 
intimement  associée  à  l'oligoclase  récent  qui,  s'allongeant 
suivant  pg^^  tend  à  communiquer  à  la  roche  une  texture 
ophitique. 

Des  diorites  semblables  affleurent  en  divers  points  sur  les 
rives  de  l'Oyapock  entre  les  criques  Motoura  et  Ourapayo. 
Le  sphène  y  devient  très  abondant  et  se  montre  surtout  en 
grandes  plages  déchiquetées,  de  seconde  consolidation,  avec 
clivages  mm  bien  marqués.  Le  sphène  ancien,  en  cristaux 
fusiformes,  associés  à  du  fer  titane,  renferme  de  Tapatite 
et  du  fer  oxydulé. 

Celle  qui  se  retrouve  ensuite  sur  le  revers  sud  des  Tumuc- 
Humac,  au  travers  des  schistes  amphiboliques,  dans  une 
des  petites  criques  (crique  Kou)  qui  se  rendent  au  Yari, 
devenue  schisteuse,  est  en  même  temps  plus  micacée.  Elle 
contient  de  Torthose  ancien,  de  nombreux  zircons  bien 
prismes,  remplis  d'inclusions  gazeuses  à  :  contours  polyé- 
driques. 

De  larges  lamelles  d'hornblende  verdâtre,  très  clivées, 
intimement  associées  à  de  grandes  plages  d'oligoclase, 
constituent,  avec  un  quartz  granulitique  de  formation  plus 
récente,  les  éléments  de  seconde  'consolidation  de  cette 
diorite  intéressante  qui  représ<3nte  un  type  plus  acide  que 
tes  précédentes,  -  .     i  . 


ET  QES  BASSINS   DU  ;  ïAIU   ET  IHT  PAKCIU.  471 

Granulites  de  la  Guyane  et  du  bassin  des  Amazones. 
—  En  Guyane,  la  granulite  furnie  au  travers  .des.  gneiss, 
dans  la  réj^ion  drainée  par  le  Maronl,  et  l'Oyapock,  de 
grands  enclaves  tranversaiix  dirigés  sensibletnent  nord- 
ooest,  sud-est.  Elle  constitue  égaletnent  le  remplissage  d'un 
nombr«  considérable  de  fiions  et  de  veinules  miaces,  dans 
les  roches  éruptives  diverses  et  dans  toutes  les  formations 


Fio.  3.  -  Gr. 

;rosi.  =  W  litflni.  , 

Lumire  polarinle,  nicoll  à  K 

I.  -Mica  1 

loir  (10);  Quarti  bii 

.jrtmtdd  (l);orlha»<S);  oIÎei 

iclue  (8). 

IL  UiWHiliiia  1 

.vec  OlonnoU  d'iJbiii 

■luUlBC.(lI). 

sédimentaires  de  la  région,  qui  paraissent  ainsi  iocontesta- 
blement  antérieures  à  son  émission.  C'est  elle  également 
qui,  à  rétilt  de  massif  indépendant,  prend  la  plus  large  place 
-dans  la  constituilou  de  celte  chaîne  montagneuse,  les 
Tumuc-Humac,  qui  sert  de  ligne  dé  faîte  entre  l'Athutique 
et  le  bassin  de  l'Amazone.  Dans  ch:icune  de  ces  conditions, 
elle  se  présente  avec  tous  ces  faciès  connus  (pegmatitolde, 


472       ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE  LA  GUYANE  FRANÇAISE 

aplitique,  Hyalomicteyetc),  et  se  poursuit  de  même  au  delà 
sur  le  versant  sud  du  Tumuc-Humac,  occupant  de  larges 
espaces  sur  le  trajet  du  Paroii  et  du  Tari.  Dans  toute  reten- 
due de  ce  vaste  territoire  parcouru  par  le  docteur  Grevaux, 
la  granulite  est  ainsi  de  beaucoup  la  formation  éruptive  do- 
minante; c'est  aussi  la  plus  récente,  car  elle  traverse  toutes 
les  roches  éruptives  de  la  région. 

Indépendamment  d'un  certain  nombre  de  variétés  dans 
le  détail  desquels  je  ne  puis  entrer  ici,  deux  types  princi- 
paux sont  à  considérer  dans  ce  puissant  massif  granulitique  : 
l'un  caractérisé,  comme  élément  ferrugineux  prédominant 
par  la  biotite  (granulites  à  mica  noir),  l'autre  par  l'horn- 
blende (granulites  à  amphibole). 

Granulite  à  mica  noir.  —  De  beaucoup  la  plus  répan- 
due, cette  granulite  varie  peu  dans  sa  composition^  Large- 
ment cristallisée  et  souvent  porphyroïde  dans  les  grandes 
masses,  elle  devient  aplitique,  c'est-à-dire  à  grain  fin  dans 
les  filons,, et  cette  finesse,  dans  la  texture,  s'accentue  dans 
les  veinules,  minces,  où  elle  subit  davantage  l'influence  des 
roches  traversées.  C'est  une  roche  claire,  blanche  ou  gri- 
sâtre, qui  se  montre  à  l'œil  nu,  composée  principalement 
d'éléments  feldspathiques  d'un  blanc  opaque,  à  clivages 
rectangulaires  miroitants  et  de  quartz  grisâtre,  en  grains 
arrondis;  sur  le  fond  clair  de  la  roche  tranchent  quelques 
paillettes  de  mica  blanc  et  surtout  des  lamelles  de  mica 
noir  à  contours  bien  limités.  Sa  composition  minéralogique 
.normale,  établie  sur  des  échantillons  recueillis  dans  les 
Tumuc-Humac,  peut  être  résumée  ainsi  qu'il  suit  : 

I.  Première  consolidation.  —  Mica  noir,  orlhose, 
oligoclase;  accessoirement  :  apatite,  tourmaline,  zircon, 
rutile. 

IL  Seconde  consolidation.  —  Microcline,  quartz  granu- 
litique, mica  blanc. 

L'oligoclase  en  grands  cristaux  composés  d'un  grand 
nombre  de  très  fines  lamelles  hémitropes  suivant  ja  loi  de 


ET  DES  BASSINS  DU  YÂRI  ET  DU  PÂROU.       473 

l'albite,  avec  quelques  associations  plus  rares  suivant  celle 
du  périklinCy  est  plifs  aboûdant  que  l'orthose  et  parait  plus 
récenty  car  il  en  emprisonne  des  fragments.  Le  quartz  an- 
cien, souvent  corrodé  et  brisé,  renferme  en  abondance, 
avec  quelques  aiguilles  de  rutile,  les  inclusions  habituelles 
d'acide  carbonique  condensé  et  de  liquides  chlorurés.  Ces 
dernières  atteignent  une  grande  dimension  (0°"",0093  de 
grand  axe  et  0"",0071  de  petit  axe),  et  peuvent  contenir 
jusqu'à  trois  cristaux  cubiques  de  chlorure  de  sodium,  qui 
se  dissolvent  sous  l'action  de  la  chaleur  et  renaissent  après 
refroidissement.  Le  microcline  récent,  avec  ses  ûlonnets 
d^albile,  forme  des  plages  étendues,  moulant  imparfai- 
tement les  éléments  précédents;  le  quartz  granulitique 
avec  le  mica  blanc,  tous  deux  de  formation  plus  récente, 
remplissent  les  interstices  laissés  libres,  en  jouant  le  rôle 
de  ciment. 

Dans  les  filons  minces,  la  roche  est  le  plus  souvent  ré- 
duite à  ses  éléments  de  seconde  consolidation;  le  mica  noir 
étant  le  seul  des  éléments  anciens  qui  s'y  présente  parfois. 

Parmi  les  variétés  intéressantes  de  cette  granulite,  je 
signalerai  celle  qui  n'est  plus  composée  que  d'éléments 
feldspathiques,  en  débris  tordus,,  disloqués  {orthose,  oligo- 
clasBy  microcline),  cimentés  par  du  quartz  granulitique 
très  segmenté  qui,  de  même  que  le  mica  blanc  devenu  très 
rare,  ne  se  laisse  discerner  qu'au  microscope. 

Les  pegmatites  qui,  dans  les  grands  massifs  comme  ceux 
des  Tumuc-Humac,  forment  des  amas  plutôt  que  des  filons, 
sont  riches  en  mica  blanc  palmé.  La  tourmaline,  en  petits 
prismes  aiguillés,  a  de  même  une  tendance  à  former  des 
groupes  radiés. 

Dans  la  partie  orientale  de  cette  chaîne  oti  la  granulite 
devient  porphyroïde  par  suite  du  développement  qu'y 
prennent  les  cristaux  de  microcline  (5  à  7  centimètres  de 
côté),  le  mica  noir  fait  défaut.  Un  échantillon  de  pegmatite 
à  grandes  parties,  provenant  du  versant  nord  de  cette  région 


474    ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE  LA  GUYANE  FRANÇAISE 

des  Tumuc-Humac,  présente  une  masse  brune,  à  éclat  rési- 
neuXy  clivable  suivant  irois  directions  rectangulaires^  qu'une 
analyse  m'a  permis  de  rapporter  à  la  triplitej  phosphate 
de  manganèse  et  de  fer  fluoré,  qui  n'a  guère  été  signalé 
jusqu'à  présent  que  dans  les  pegmatites  de  Ghanteloube 
(Haute-Yjenne).  Dans  le  haut  Maroni,  au  pied  des  Tnmuc- 
Humac,  un  filon  de  greisen  (quartz  et  mica  blanc),  étroite- 
ment lié  au  massif  granulitique  renferme,  avec  des  aiguilles 
de  rutile  et  de  tourmaline  incluses  dans  le  quartz,  un  cer- 
tain nombre  de  ces  minéraux  intéressants  qui  forment  le 
cortège  habituel  des  gîtes  stannifères;  ce  sont  d'abord  des 
masses  lamelleuses  de  wolfram,  d'un  brun  noirâtre  très 
éclatant  ;  des  cristaux  de  sphène  rougeâtre,  présentant  la 
combinaison  me  -^  B^  de  \apictite  des  protogypes  du  Mont- 
Blanc;  des  cristaux  cubiques  de  fluorine  jaune;  enfin,  à 
l'état,  soit  de  minces  veinules  concrétionnées,soit  et  surtout 
de  petits  cristaux  prismatiques  bruns,  distribués  dans  toute 
la  roche,  de  la  cassitérite  (étain  oxydé). 


FlO.  4.  —  Enclave  dn  granuUte  à  amphibole  aa  trayen  du  gneiss  gris  au  saot 

Massara  (D'après  un  croquis  do  Dr  Crevaiix). 


Granulites  à  amphibole  de  VOyapock  et  du  Parou. — Ces 
granulites  dans  lesquelles  l'amphibole  hornblende  vient  se 
substituer  au  mica  noir,  n'occupent,  dans  la  région  traver- 
sée par  rOyapock  et  surtout  dans  le  cours  inférieur  du 
Parou,  oîi  elles  reparaissent  en  filons  minces  an  travers 
des  quartzites  qui  forment  les  encaissements  du  fleuve  en 
avant  du  saut  du  (Grandhalage),  que  des  espaces  restreints 
Ce  sont  des  roches  foncées,  à  grands  cristaux  de  feldspaths 
d'un  blanc  rosé,  nettement  clivés  à  angle  droit,  au  milieu 
desquels  l'amphibole  apparaît  tantôt  en  prismes  noirs  rac- 


ET  DES  BASSINS  Dtl  TARI   ET  DU  PAROr.  415 

conrcis,  tantAt  en  lamelles  fibreuses  vertes  ou  branes,  à 
coDtoure  mal  délimités.  Le  quartz,  eu  grains  vitreux,  est 
bien  distinct.  Certains  échantillons  contiennent  des  cris- 
taux biea  formés  de  tourmaline  noire. 
La  composition  de  la  granulite  à  amphibole,  qui  donne 


FlO.  G.  —  Grinulllc  peEmaloïde  à  imphibala  au  Panu. 

Gmi.  —  50  diam.  Lumière  polarûét,  nietlt  à  *5". 

I.  Hiendtite  (16);  Spbèns  {H);  hornblrade  (13) ;  oUgoeliK  (S) . 

11.  Auodttioii  psjtnuloidD  d'amphibole  et  d«  quart:  (13);  ijnarli  gruiulîllquo  (î) 

lieu,  au  travers  du  gneiss  amphibolique  de  l'Oyapock,  à  la 
grande  chute  des  Trois-Sauts  est  la  suivante  : 

1.  Première  consolidation.  —  Mica  noir,  hornblender 
quartz  dlhexaédrique,  orthose,  olîgoclase;  accessoirement  ; 
spbène  et  fer  titane  bien  développé  en  cristaux  lamelleux 
découpés,  ou  en  grilles  remarquables,  avec  enduit  gris&tre, 
à  bords  ombrés  de  titanomorphile. 

IL  Seconde  consolidation.  —  Microclioe,  quartz  granuli- 
tique,  mica  blaac. 


476   ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE  LA  CUTANE  FRANÇAISE 

III.  Développement  postérieur  d'épidote  et  de  fer  oxydulé. 

Dans  celle  qui  se  développe  également  sur  une  grande 
étendue  au  delà  des  gneiss  gris  du  Mont-Tigre,  le  mica  noir 
disparait,  en  même  temps  l'orthose  et  le  quartz  ancien  de- 
viennent rares.  On  arrive  ensuite,  avec  celle  du  saut  de  la 
crique  Ouroupayo,  à  une  roche  pins  basique,  composée 
essentiellement  de  cristaux  en  débris  de  fer  oxydulé,  de 
sphène^  d'hornblende  et  d'oligoclase,  cimentés  par  de  larges 
plages  de  microcline  et  d'orthose  avec  quartz  granulitique 
plus  récent,  accompagné  cette  fois  de  petits  cristaux  fins, 
aiguillés,  de  tourmaline  qui  remplacent  le  mica  blanc. 

Enfin,  dans  les  granulites  à  amphibole  qui  se  présentent 
en  filons  minces  au  travers  des  quartzites  du  Parou,  le  mi- 
crocline disparaît  à  son  tour  et  se  trouve  remplacé  par  de 
rhornblende  disposée  en  larges  plages,  presque  incolores, 
traversées  par  de  nombreuses  lignes  de  clivages  entre- 
croisées en  fins  réseaux,  caractéristiques  de  la  zone  ph^. 
Cette  amphibole  récente,  peu  dicbroîque,  forme  alors,  avec 
le  quartz  granulitique,  allongé  suivant  les  arêtes  du  prisme, 
une  remarquable  association  pegmatoide  (fig.  5). 

La  composition,  fort  simple,  de  cette  roche  intéressante, 
peut  être  exprimée  ainsi  qu'il  suit  : 

I.  Première  consolidation.  —  Magnétite,  sphène,  horn- 
blende, oligoclase. 

II.  Seconde  consolidation.  —  Amphibole  et  quartz  gra- 
nulitique de  cristallisation  simultanée;  quartz  granulitique. 

En  résumé,  le  fait  intéressant  qui  se  dégage  de  l'examen 
de  ces  granulites  amphiboliques,  c'est  que  la  disparition 
successive  des  éléments  silicates  propres  aux  roches  acides 
(mica»  tourmaline,  orthose,  microcline),  coïncide  avec  un 
développement  progressif  de  l'amphibole.  On  passe  ainsi 
par  des  transitions  ménagées  d'une  série  de  roches  riches 
en  silice,  au  type  franchement  basique,  réalisé  dans  la  gra- 
nulite  du  Parou. 


ET  DES  BASSINS  DU  YARI  ET  DU  PAROU.  477 

ROCHES   GRISTALLOPHYLLIENNES. 
(Terrain  primitif.) 

Gneiss  granitoîde.  —  Legneiss  graniioïde  duMaroni  et  de 
rOyapock,  massif,  &  texture  bien  homogène,  se  montre  très 
feldspathique  et  marqué  de  colorations  claires,  blanc  ou 
grisâtre.  Il  contient,  comme  toutes  les  roches  gneissiques, 
un  mica  noir  absolument  dépourvu  de  contours  hexagonaux, 
en  larges  paillettes  d'un  noir  vif  très  brillantes,  couchées  à 
plat  et  nettement  orientées.  Ces  lits  discontinus  de  mica 
sont  séparés  par  de  larges  bandes  feldspathiques,  composées 
principalement  d*orthose,  en  cristaux  lamelleux,  d'un  blanc 
•de  lait  et  d'un  feldspath  vitreux  strié.  Le  quartz,  peu  dis- 
tinct, est  en  grains  grisâtres  étirés. 

Au  microscope,  les  lamelles  de  mica  noir,  déchiquetées, 
très  polychroïques,  renferment,  à  l'état  d'inclusions  cris- 
tallines, de  l'apatite,  du  fer  oxydulé  et  quelques  rares  petits 
cristaux  de  zircons,  entourés  d'auréoles  brunes  douées  d'un 
polychroïsme  plus  intense  que  celui  du  mica  encaissant. 
Le  plus  souvent  ces  trois  éléments,  qui  paraissent  ainsi  les 
plus  anciens  de  la  roche,  sont  réunis  dans  la  même  lamelle 
de  mica.  On  remarque  ensuite  çà  et  là,  avec  des  zircons 
isolés,  bien  terminés,  très  réfringents,  renfermant  de 
grosses  inclusions  gazeuses  à  bords  estompés,  quelques 
rares  débris  d'orthose  et  surtout  des  cristaux  également 
brisés  d'oligoclase,  formés  d'un  grand  nombre  de  fines 
lamelles  hémétropes,  mâclées  suivant  la  loi  de  l'albite,  avec 
juxtaposition  de  celle  du  périkline.  Entre  ces  éléments  en 
débris  se  disposent  de  larges  plages  d'orthose,  allongé,  ne 
présentant  qu'exceptionnellement  des  formes  extérieures 
cristallines  bien  nettes,  accompagnées  d'un  quartz  plus 
récent,  lui-même  en  grandes  plages  sinueuses,  à  contours 
irréguliers.  Ces  plages  quartzeuzes,  au  lieu  d'être  douées 
d'une  orientation  unique  et  de  s'éteindre  par  suite  d'un 


478  ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE  U  GUYANE  FRAKÇAISE 
seul  coup  entre  les  niçois  croisés,  présentent  les  extinctions 
moirées  du  quartz  des  granulites.  Sillonnées  par  des  fissures 
înéguliëres,  elles  conlienneot  un  grand  nombre  d'inclu- 
sions liquides  à  bulle  mobile,  remplies  soit  par  un  liquide 
chloruré,  ainsi  qu'en  témoignent  des  petits  cristaux  cu- 
biques ou  des  trémies  de  chlorure  de  sodium  qui  se 


Fii.  6.  —  Gnel»  cnniloidt  du  H*ron). 

Grtu.  =  50  Ham.  Lumiire  poltrUét,  nfMli  CTBitii. 

1.  ApMita  (IS):  niEDJIita  (16);  lircon  ((3);  mlu  noir  (10);  oUiodste  [9); 

orlhoM  (0).  —  II.  Orthaae  (3);  qurli  |riaali11<iae  (i). 

déplacent  en  même  temps  que  la  libelle,  soit  et  le  plus 
souvent,  par  de  l'acide  carbonique  condensé.  De  plus,  ainsi 
que  l'ont  déjà  fait  remarquer  Zirkel'  et  Kalkowsky*,  ces 
inclusions,  disposées  par  files  rectilignes,  entrecroisées, 
n'atteignent  jamais  les  bords  de  la  plage  quartzeuze  et 

1.  Zirkel,  Vnilei  State»;  ExploT,  of  tbepaT^Ul,mieroicapUalpetrim 

graphy,  p.  Slj. 

2.  Kolkowsk;,  Sew  Jabrbticb,  1. 1,  p.  14,  1880. 


.    ET  DES  BASSINS   I>U  YARI  ET  DU  PAROU.  479 

souvent  elles  sont  dans  le  cas  présent,  réunies  au  centre  en 
si  grand  nombre  qu'elles  en  troublent  La  transparence. 

En  classant  ces  éléments  dans  Tordre  d'apparition,  on 
obtient  la  succession  suivante  : 

I.  Première  consolidation. —  Apatite,  magnétite,  zircon» 
mica  noir  oligoclase,  orthose. 

II.  Deuxième  consolidation.  —  Orthose,  quartz  granu- 
litique. 

Action  du  granité  sur  le  gneiss  granitoïde.  —  L'aspect 
glanduleux  que  prend  ce  gneiss  au  contact  du  granité 
(roches  de  TÉridan)  tient  à  un  développement,  dans  les 
traînées  blanches  de  la  roche,  de  nodules  quartzeux  glan- 
dulaires ou  elliptiques,  disposés  en  chapelet.  Ces  nodules, 
en  relation  avec  les  filons  minces  et  les  veines  ramifiées  qui 
se  détachent  du  massif  granitique  de  TÉridan,  sont  formés 
de  gros  grains  de  quartz  granitique,  à  contours  arrondis;, 
avec  des  extinctions  uniformes,  chacun  de  ces  grains  de 
quartz  renferme  des  files  rectilignes  de  très  petites  indu-- 
sions  liquides  à  bulle  spontanément  mobile,  qui  au  lieu 
d'être  discontinues  comme  dans  les  plages  quartzeuzes  du 
gneiss,  se  poursuivent  d'un  grain  à  l'autre,  dans  toute 
l'étendue  du  nodule;  elles  représentent  ainsi,  avec  le  quartz^ 
qui  les  contient,  un  apport  direct  du  grajiite.  Parfois  le 
centre  de  ces  nodules  est  occupé  par  un  cristal  d'orthose 
simple  ou  mâclé,  très  intact  et  très  frais,  développé  évidem- 
ment sur  place.  L'action  du  granité  ne  se  limite  pas  à  ce 
développement  de  nodules  quartzo-feldspathiques,  les  élé- 
ments feidspathiques  du  gneiss  sont  altérés,  nuageux  et  en 
grande  partie  épigènisés  en  mica  blanc.  L'orthose  en  raison 
de  ces  clivages  multiples  est  le  plus  atteint  par  cette  dé- 
composition ;  le  mica  blanc  s'en  détache  et  forme  sur  ses 
bords  des  houppes  multicolores  radiées  ;  il  se  montre  en 
outre  découpé  par  du  quartz  de  corrosion  en  goutelettes  et 
en  crosses  arrondies. 

Il  y  a  donc  lieu  de  distinguer,  dans  ces  actions  métandor- 


480      ESQUISSE  OÉOLOCIQUE  DE  U  fiCT&NE  FRANÇAISE 

pbiqiies  exercées  par  le  granité  sur  le  gneiss  encaissant,  nn 
apport  direct  amenant  un  enrichissement  en  silice  de  la 
roche  et  un  métamorphisme  de  contact  dont  l'effet  prin- 
cipal a  été  un  développemeiit  de  mica  blanc  au  dépens  des 
éléments  feldspalhiques. 
Gneiss  gris.  —  Le  gneiss  gris,  nettement  Teuillelé  et 


Fin,  7.  —  Gneiss  grit  de  U  rhière  Koy. 

Groi.  =  30  diam.  Ltimiêre  polariiét,  nictli  croiiét. 

l.  Apilile  (IS):  sphina  (U);  migndtilt  (I6)i  miei  noir  (10);  ollgoclue  (Bit 

Drlbnie  (P).  —  II.  Orthotc  (6);  qntiii  (1|. 

rubané  en  Guyane,  n'offre  rien  de  particulier,  sinon  l'orien- 
tation remarquable  de  ses  éléments.  Le  mica  noir,  très, 
abondant,  en  lamelles  brunes  étirées,  déchiquetées,  con- 
centrées cetle  rois  suivant  des  surfaces  planes  ou  ondulées, 
forme  des  lits  continus  séparés  par  des  couches  d'épaisseur 
également  unirorme  (de  0,02  à  0,02)  où  se  concentrent  le 
Quartz  et  le  feldspath.  Lemica  noir,  qui  devient  l'élément 


ET  DES  BASSINS  DU  TARI  ET  DU  PAROU.      481 

caractéristique  du  goeissy  est  ici  très  polychroïque  dans  les 
tons  bruns  ^  ses  lamelles,  disloquées  comme  d'hs^bitade,  sont 
marquées  par  des  lignes  de  clivages  bien  accusées.  Il  a  été 
précédé  par  quelques  rares  cristaux  de  zircon  isolés  et 
d*apatite  à  l'état  d'inclusions,  qui  forment  avec  lui  les  seuls 
éléments  anciens  de  la  roche,  puis  suivi  par  une  association 
de  quartz,  d'orthose  et  d*oligoclase  à  l'état  granulitique. 
Les  feldspaths,  eux-mêmes  en  débris,  sont  déchiquetés  sur 
les  bords  et  souvent  enchevêtrés  comme  s'ils  avaient  été 
gônés  dans  leur  cristallisation.  Le  quartz,  en  plages  moins 
étendues  que  dans  le  gneiss  granitoîde,  encore  sinueuses  et 
finement  découpées  sur  les  bords,  remplit  les  espaces 
restés  vides  entre  les  cristaux  déjà  formés  et  forme  ainsi  la 
trame  de  la  roche,  en  s'injectant  dans  le  sens  de  la  schis- 
tosité. 

Des  variétés  plus  riches  en  éléments  accidentels  s'obser- 
vent sur  le  versant  sud  du  Tumuc-Humac.  La  figure  7  re- 
présente un  de  ces  gneiss,  provenant  de  la  rivière  Kou, 
qui  renferme,  parmi  ses  éléments  anciens,  avec  de  la  magné- 
tite  titanifëre,  d'assez  nombreux  cristaux  de  sphène  bruns, 
fusif ormes,  très  allongés  « 

Dans  le  haut  du  Parou  un  gneiss,  moins  micacé,  présente 
comme  dans  la  série  gneissique  des  Alpes  (Saint-Christophe 
dans  roisans,  massif  du  Simplon),  ce  fait  intéressant  de  la 
substitution  du  microcline  à  l'orthose;  l'oligoclase,  peu 
abondant,  présente  de  belles  zones  concentriques  dont  les 
extinctions  ne  sont  pas  simultanées.  Le  mica  noir,  en 
petites  lamelles  très  transparentes  peu  dichrolques,  est  en 
partie  chloritisé.  Cette  chlorite,  en  houppes  fibreuses  pola- 
risant dans  les  teintes  bleues,  émigré,  au  voisinage  du  mica 
transformé,  dans  les  interstices  et  plans  de  clivage  des 
feldspaths;  souvent  la  place  du  mica  n'est  plus  occupée 
que  par  de  petits  cristaux  de  sphène  biréfringents,  cunéi- 
formas,  entourés  d'une  auréole  brune  polychroïque,  remar- 
quablement bien  développée,  qui  a  résisté  à  cette  altération. 


482   ESQUISSE  OÉOLOGIQUE  DE  LA  GUYANE  FRANÇAISE 

Le  spbène,  soit  à  cat  état  d'inclusions  auréolées  dans  le 
mica,  soit  en  lambeaux  isolés,  déchiquetés,  avec  les  cli- 
vages mm  bien  miarqués,  est  abondant  dans  la  roche  où  il 
s'accompagne  de  belles  grilles  4e  fer  titane*  Çà  et  là  quel- 
ques grenats  brunâtres,  contenant  des  inclusions  de  ma- 
gnéUte  titanifère,  figurent  parmi  les  éléments  accidentels. 
Leptynites.  —  Des  variétés  plus  feldspathiques,  encore 
grenatifères  mais  dépourvues  de  microcline,  sont  à  signaler 
dans  rOyapock;  elles  forment  un  passage  aux  leptynites 
franches  qui  paraissent  bien  développées  dans  le  cours 
supériecir  du. fleuve,  près  de  la  crique  Ouroupayo.  Dans  ces 
nouvelles  roches,  gNnaues,  blanches,  disposées  en  larges 
bandes,  alternant  avec  le  gneiss  gris,  le  mica  noir  est 
absent,  et  l'orientation  seule  des  éléments  feldspaihiques, 
jointe  à  l'allongement  du  quartz  sous  forme  lenticulaire, 
communique  à  la  roche  une  allure  gneissique.  Leur  com- 
-position  et  surtout  leur  texture  est  intéressante,  en  voici 
une  description  sommaire  :  l'oligoclase,  en  larges  cristaux, 
souvent  bien  terminés,  composés  d'un  grand  nombre  de 
très  fines  lamelles  hémitropes,  suivant  la  loi  de  l'albite, 
d'une  grande  netteté  et  d'épaisseurtrès  régulière,  forme  de 
remarquables  associations  avec  l'orthose  qui  reste  prédo- 
minant.. Le  mica  blanc,  en  petites  paillettes  irisées,  ou  en 
rosettes  appliquées  à  la  surface  des  cristaux  d'orthose, 
avec,  des  aiguillés  de  tourmaline  noire  très  polychroîques, 
y  est  assez  uniformément  répandu.  Le  quartz,  pbis  rétracté 
que. dans  le  gneiss,  forme  des  traînées  qui  se  décomposent 
en  un  grand  nombre  de  grains  cristallins  montrant,  entre 
les  niçois  croisés,  cette  mosaïque  qui  fQrme  un  des  traits  les 
plus  saillants  de  l'allure  et  de  la  disposition  du  quartz  dans 
les  granuUtes  éruplives.  De  petits  grenats  dodécaédriques, 
déjà  bien  distincts  h  l'œil  nu  dans  la  roche  oîi  ite  ressor- 
tent  en  rouge  clair,  serrés  les  uns  contre  les  autres,  for- 
ment, aux  travers  des  éléments  précédents  de  petits  lits 
continus  parallèles  à  l'allongement  des  feldspaths. 


r 


ET  DES  BASSINS  DU  TAHI  ET  DU  PAROU.       4S3 

La  texture  granulitique,  déjà  bien  accusée  dans  les  bandes 
«quartzo-feldspatbiques  du  gneiss,  s'accentue  dans  ces  lep- 
lynîlo^qui  représentent  ainsi,  dans  le  massif  gneissique,  un 
développenMit  plus  étendu  des  éléments  de  consolidation 
plus  récente,  étant  dbnnè  qoe  le  gneiss  doit  être  considéré 
comme  une  rocbe,  originairement  ccMftpasée  de  mica  et 
«  des  éléments  anciens  (apatite,  magnélite,  zircon,  sphème) 
qui  raccompagnent,  dont  les  couches  régulières  ont  été 
ensuite  disloquées   par  un  développement  ultérieur   de 

•  quartz  et  de  feldspath. 

Gneiss  granulitiques.  —  Ces  variétés  intéressantes,  dues 
à  rinfluence  de  la  granulite  qui  traverse  et  disloque  le 

:  gneiss  en  de  nombreux  points  et  s'y  injecte  en  filons  minces, 
occupent  en  Guyane  et  sur  le  versant  opposé  du  Tumuc- 
Humac,  de  vastes  surfaces;  ces  niodificatious  subies  psfr  le 
gneiss  s'étendent  jusqu'à  des  distances  de  plusieurs  cen- 
taines dé  mètres  de  la  zone  de  contact. 
Dans  cette  zone  de  contact  ;  l'injection  à  courte  distance 

-de  la  granulite  entre  les  feuillets  du  gneiss  gris  amène  le 
développement  de  grands  cristaux  de  microcline  associés  à 
du  quartz  granulitique  et  à  du  mica  blanc.  Ces  traînées 
feldspathiques  d'un  blanc  éclatant,  trouvant  dans  la  schis- 
tosité  du  gneiss  une  direction  d'injection  plus  facile,  se  dis- 
posent parallèlement  aux  feuillets  et  le  gneiss  conserve  ainsi 

'  sa  texture  rubanée. 

Plus  loin  le  quartz  granulitique  subsiste  seul  avec  du 

Nmica  blanc  en  grandes  lamelles  fibreuses,  accompagné  cette 
fois  d'un  remarquable  développement  de  sillimanite.  Ce 
silicate  d'alumine,  déjà  reconnaissable  à  la  loupe  en 
longs  faisceaux  de  fines  aiguilles  blancbes  au  travers  des 
délits  micacés  du  gneiss^  se  reconnaît  encore,  au  micros- 
cope, à  ses  aiguilles  prismatiques  cannelées,  indépendantes^ 
traversant  les  éléments  feldspspathiques  et  le  mica  noir  du 
.gneiss.  Ces  éléments  anciens  sont  alors  altérés  et  épigénisés 

-en  partie  par  du  mica  blanc;  des  aiguilles  de  tourmaline^ 


484       ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE  LA  GUYANE  FRANÇAISE 

très  rares  et  régulièrement  distribuées,  sont  également  à 
citer  dans  cette  seconde  zone  où  viennent  ainsi  s'ajouter 
aux  phénomènes  filoniens  si  nets  dans  la  première  zone 
métamorphique  des  apports  chimiques  amenant,  avec  le 
développement  d'éléments  nouveaux,  la  transformation  des 
éléments  anciens  du  gneiss. 

Dans  le  cas  de  gneiss  à  amphibole,  le  trait  dominant  de 
l'action  de  la  granulite  consiste,  avec  une  égale  injection 
d'éléments  du  second  temps  (microcline,  quartz  granuli- 
tique  et  mica  blanc)  en  un  développement  de  microiithes 
d'actinote  et  de  petits  octaèdres  de  fer  oxydulé^  qui  s'in- 
filtrent dans  les  clivages  et  les  interstices  des  éléments 
feldspathiques.  Parmi  ces  derniers,  ceux  qui  appartiennent 
au  gneiss,  devenus  nuageux  au  point  d'être  méconnais^ 
sames,  sont  en  partie  épigénisés  en  mica  noir. 

Tous  ces  gneiss  profondément  modifiés  se  font  remarquer 
par  un  développement  de  quartz  de  corrosion  qui  sème  de 
ses  crosses  et  de  ses  coins  aux  angles  arrondis,  les  cristaux 
préexistants  de  feldspath  et  même  ceux  de  mica  noir,  déve- 
loppement qui  est  d'autant  plus  net  qu'on  est  plus  rapproché 
de  la  zone  de  contact;  un  échantillon  recueilli  au  voisinage 
immédiat  de  la  granulite  (au  saut  Anoura)  présente  éga- 
lement des  imprégnations  vermiculaires  de  quartz  secon- 
daire dans  les  éléments  feldspathiques  du  gneiss  fortement 
acidifiéi 

Micaschistes.  —  Les  micaschistes,  très  froissés,  qui 
s'observent  en  couches  subordonnées  au  gneiss  sur  les  rives 
de  rOyapock,  dans  les  parties  éloignées  du  fleuve,  sont  à  deux 
micas.  Le  mica  blanc  prédominant  s'y  présente  en  petites 
paillettes,  d'un  blanc  nacré,  empilées,  au  milieu  desquelles 
tranchent  çà  et  là  de  larges  lamelles  de  mica  noir  très  bril- 

1.  Ces  faits  sont  en  accord  avec  ceux  si  bien  mis  en  lumière  par  M.  Michel 
Lévy  dans  son  étude  sur  les  roches  éruptives  et  cambriennes  du  Maçon- 
nais et  du  Beaujolais  {BtHL  de  la  Soc.  géolog,  de  France,  3**  série,  t.  XI, 
1883). 


ET  DES  BASSINS  DU  YARI  ET  DU  PAROU.  485 

lantes^  Tous  deux,  couchés  à  plat,  forment  des  lits  continus 
qui  permettent  de  cliTcr  celte  masse  très  schisteuse  sui- 
vant des  surfaces  planes  ;  le  quartz,  qui  forme  avec  les  miôas 
des  zones  alternantes  très  régulières,  n'est  distinct  que  sur 
la  tranche.  Ceux  du  Parou,  plus  compacts  et  plus  riches  en 
mica  noir,  renferment  en  abondance  de  gros  grenats  alman- 
dins  d'un  beau  brun  rouge  qui  donnent  à  la  roche  un  aspect 
glanduleux. 

L'analyse  n'ajoute,  à  cette  composition  fort  simple,  que 
de  Tapatite,  soit  en  longs  prismes  couchés  parallèlement  à 
l'axe,  tronçonnés,  et  présentant  leurs  fragments  disjoints, 
soil  et  surtout  à  l'état  d'inclusions  dans  le  mica  noir.  Les  deux 
micas,  moins  déchiquetés  qu'ils  ne  sont  dans  le  gneiss,  tou- 
jours bien  frais  et  nettement  distincts,  s'entremêlent  et 
paraissent  de  formation  contemporaine.  Le  quartz,  très  frac- 
turé comme  d'habitude,  est  en  grains  émoussés,  étroitement 
serrés  les  uns  contre  les  autres,  régulièrement  elliptiques  et 
comme  étirés  dans  les  sections  normales  aux  feuillets.  Il  est 
rempli  d'inclusions  aqueuses,  à  bulle  immobile  à  la  tempéra- 
ture ordinaire. 

Les  micaschistes  du  Parou  (village  Ganoa)  sont  à  mica 
blanc;  avec  du  quartz  plus  abondant  ils  contiennent  quelques 
débris  de  feldspath  (oligoclase  et  orthose)  et  de  nombreux 
grenats  d'un  rouge  violacé.  Ces  grenats,  distribués  par  files 
alignées  dans  le  sens  de  la  schistosi  té  de  la  roche,  renferment, 
à  l'état  d'inclusion,  du  mica  noir,  de  Tapatite  et  des  grains 
de  quartz  arrondis,  c'est-à-dire  des  éléments  empruntés  au 
micaschiste,  oîi  ils  apparaissent  bien  comme  développés  par 
voie  métamorphique. 

Gneiss  à  amphibole  de  VOyapock.  —  Ce  gneiss  où  l'am- 
phibole tend  à  se  substituer  au  mica  noir  est  plus  feldspa- 
thique  que  les  précédents.  Sur  un  fond  clair  formé  d'un  feld- 
spath vitreux  strié  et  de  quartz  grenu  se  détachent  de  larges 

1.  Des  micaschistes  semblables  ont  été  signalés  en  Russie  par  M.  Inos- 
tranzeff  (5/ucf.  ûb.  Metamorph,  Gest.  Leipzig,  1879). 

soc.  DE  GÉOGR.  —  4^  TRIM£STR£  1885.  Vt.  —  33 


L 


Fis.  8.  —  Giciu  à  imphiMe  d*  rairipock. 
Gtdm.  =  30  dlam.  Lumière  polariiét,  nifoli  à  t^. 
Délita  (16))  iiriièao  (li);  barnblenda  (l£);  oligoclate  (6);  nrlhou  {G). 
11.  OrlboMlOfi  qiurli(l).  —  111.  Gr«i»t  (18). 


lamelles  hémitropes  d'épaisseur  très  régulière,  associés  à 
quelques  rares  débris  d'orthose,  soit  en  cristaux  de  dimea- 
sions  plus  réduites  constituant  avec  ie  quartz  récent  lui- 
même  très  rétracté  un  assemblage  en  mosaïque  remarqua- 
blement granulitique.  L'hornblende  lamelleuse  et  très 
colorée,  douée  par  suite  d'un  polycbrolsme  assez  intense, 
présente  parfois  de  nombreuses  lamelles  bémitropes  suivant 


ET   DES   BA.SSIHS   DU   YABI    ET  DU  FAROU.  4^ 

A',  des  sections  fréquentes  suivant  ph*  avec  les  diragtB  à 
124"  caractéristiques  sont  encore  à  signaler.  Allongée  siu- 
vant  mm,  elle  forme  des  traînées  membraneuses  oontmve^  k 
la  manière  du  mica  noir,  en  se  montrant  comme  lui  ilédû« 
quetée  et  disloquée  par  le  quartz  granulitique.  Le  micH  unr 
très  clairsemé  se  présente  souvent  en  sections  branes^  biav,' 


Fia.  9. -Gndti  à  ■mpbibolo  . 

da  l'ApoiÉ^ni. 

Crow.  =  30  liinm,  lumière  polan 

':iét,  nicoli  «  i 

1.  Aptiite  (19);  ll(EnétU«  Eituoifère  (lli);  mici 
OliEiKU»  (S),  -ri.  Homblande  (13);  Dli^gclM. 

1  noir  (10);  ho 
B  (Bj;  «rtho.e 

Mtî)i 


transparentes,,  parallèles  à  p;  on  le  reconnaît  aussi  en  paiU 
letles  hexagonales,  incluses  dans  l'amphibole  et  plu»  rare- 
ment dans  le  spbène,  qui  peut  compter  parmi  les  élé^ments 
essentiels  de  ce  gneiss  en  raison  de  son  abondance.  L&  sphëne 
se  montre  là  intimement  associé  h  l'amphibole  ;  des  ssclions 
bexagonales  très  allongées,  avec  clivages  mm  bien  marquASi 
annoncent  des  cristaux  aplatis  suivant  o'  j  des  mâdei:  sui- 


488     Esquisse  géologique  de  lk  gdyahe  française 
vant  A',  amenant  des  sectious  triangulaires,  limitées  par 
les  faces  d  \ft.  etji,  sont  de  même  fréquentes. 

Gneiu  et  schistes  amphiboliques  de  l'Apouani.  —  Les 
gneiss  amphiboliques  qui  reparaissent,  sur  le  versant  sjd 
des  Tumuc-Humac,  dans  le  bassin  du  Yari,  moins  basiques 
que  les  précédents,  représentent  des  termes  de  pass&ge  avec 


Croît.  =  50  diam.  Lumiire  polaritée,  nicoU  à  ta°. 
I.  Iil(|;n<ime  (16);  tphène  (14|!  borablenda  (K).  —  II.  QuirU  (naniilique  (t). 

le  gneiss  f;'''^-  L'amphibole  moins  abondante,  dispersée  dans 
la  roche,  n'y  forme  plus  des  lits  continus.  Le  sphène  est 
absent  el  le  mica  noir  devient  plus  abondant.  11  en  est  de 
même  pour  t'ortbose,  qui  forme  avec  l'oligoclase  Snement 
ma  clé  de  curieuses  associations. 

Les  schistes  amphiboliques  qui  les  accompagnent  ne 
consistent  plus  qu'en  unagrégat  schisteux  dequartz  et  d'horn- 
blende; le  feldspath  y  fait  entièrement  défaut.  Le  quartz 


ET  DES   BASSINS   DD    TÂSI    ET   DU   PAROD.  489 

très  abondant,  étiré,  fréquemment  lenticulaire,  comme 
dans  les  micaschistes,  s'intlltre  dans  l'intérieur  des  graads 
crislaux  d'bomblende,  déchiquetés  et  remarquablement 
allongés  suivant  m,  m,  en  les  transformant  en  une  véritable 
dentelle.  Des  cristaux  de  sphëne  brunâtre,  fusiformes,  sont 


Fie.  T.  —  Gnein  i  aniphibolc  graoulKité. 

Cm».  =  50  Mata.  Lumlire  folarUie  nieod  à  iS^. 

Wapidllla  (IS|i  ApiUU<IS)iilrean  {I3)i  niki  noir  (10):  hornblanilg  (11); 

Oligoclaw  (IS). 

I  roche  ail injr 


assez  abondants.  Le  fer  oxydulé  n'existe  qu'à  l'état  secon- 
daire développé  aux  dépens  de  l'amphibole. 

Action  de  la  granulite  sur  les  gneiss  amphiboligues.  — 
Le  trait  dominant  dans  les  modifications  subies  par  ces 
gneiss  au  contact  de  la  granulite  consiste  dans  ce  fait  qu'ils 
deviennent  épidotifères.  L'épidote,  déjà  reconnaissable  à 


490   ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE  LA  GUYANE  FRANÇAISE 

Tmil  mu  dans  la  roche  métamorphique  où  elle  se  présente 
^n  ipetils 'cristaux  granuleux  transparents,  d'un  jaune  bril- 
!lEnt>  :rôguiièrement  distribués  au  travers  des  lits  amphibo- 
liqiitfes,  «e  ihontre  au  microscope  comme  un  des  derniers 
^résultats  de  la  transformation  de  Thornblende.  Le  bisilicate 
ferro-magnésien  dans  cette  action  réductive  se  décolore,  perd 
son  dichroïsme;  il  se  développe  alors  du  fer  oxyduVé  octaé- 
drigue  secondaire;  puis  finalement  prennent  naissance  de 
rki;icKlorîte  et  de  Tépidote. 

En  même  temps,  avec  un  grand  développeitient  des  élé- 
mentB  acides  de  la  granulite  (quartz  et.microcline*),  on  re- 
marque une  fragmentation  et  une  répartition  inégale  de 
^l'anupliibole.  Dans  ces  conditions,  la  roche  profondément 
ixnerdLïiée  perd  son  caractère  gneissique. 

'Rotfies  exceptionnelles  :  amphibolites  de  la  crique  Kou. 
— ^Dans  ces  roches  massives,  éminemment  basiques,  le  quartz 
fàittdéfaut  et  l'élément  feldspathique  tend  lui-même  à  dis- 
jRnnftttre;  à  l'œil  nu  il  ne  se  traduit  que  par  quelques  cris- 
•^irx 'Striés  opaques  sans  formes  précises  qui  se  détachent  eu 
xhiT  sur  le  ton  sombre  de  l'amphibole.  L'hornblende,  dc- 
"l^isnue  vainsi  prédominante,  est  en  grands  cristaux  lamelleux, 
enéhevêtrés,  qui  déterminent  dans  la  roche  une  certaine 
-«ohîstosité.  Au  microscope,  cette  amphibole  peu  colorée 
présente  un  polychroïsme  variable  du  vert  bouteille  au  brun 
pâle.  Ces  cristaux  allongés  suivant  w,  m,  frangés  sur  les 
bords  et  déchiquetés,  se  montrent  nettement  antérieurs  au 
feldspath.  Ce  dernier,  très  frais,  est  en  larges  plages  com- 
posées <de  larges  bandes  hémitropes  présentant  les  combi- 
naisons habituelles  des  deux  mâcles,  suivant  les  lois  de  Tal- 
blte-et  du  périkline  et  les  extinctions  caractéristiques  du 
Labrador.  De  belles  grilles  hexagonales  de  (fer  titane),  associé 
à  dergrandes  plages  de  sphène  brunâtre,  de  très  rares  cristaux 
dfe  zireon  bien  prismes,  isolés  ou  inclus  dans  le  sphène, 

1.  ^Fen'ai  pas  constaté  dans  ce  gneiss  la  présence  du  tnica  blanc. 


ET  J>ES    BASSINS   DU   YARI   ET   DU  PAROU.  491 

Rgurent  parmi  les  éléments  anciens  de  cette  roche  qui 
représente  le  terme  le  plus  basique  de  cette  série. 

Parmi  ces  amphibolites,  ii  en  est  une  remarquable  qui 
présente  cette  particularité  intéressante  de  compter  l'épi- 
dote  parmi  ses  éléments  anciens.  Ce  minéral,  qui  n'apparait 


F[0.  lï.  —  AmphibolilB  épiiioUrëre  de  la  crique  Kou. 

Oraii.  =  30  diam.  Lumière  folariiie,  nicolt  il  iV. 

I.  Hornblende  |1î);  Épiilote  |19). 

».  Hornblende  (ISl;  Labrodor  (9). 

guère  dans  les  roches  que  comme  un  produit  d'altération 
secondaire,  se  montre  ici  associé  à  l'hornblende, on  cristaux 
bien  développés,  qui  ne  paraissent  nullement  résulter  de 
sa  transformation.  L'hornblende  toujours  très  fraîche,  lim- 
pide et  peu  colorée,  .'^e  présente  ea  grands  crisiaux  allongés 
suivant  A'  .9',  qui  se  montrent  fréquemment  constitués  par 
un  agrégat  de  microlithes  à  extinctions  longitudinales,  tels 


492        ESQUISSE  GÉOLOGIQUE  DE  LA  GUYANE  FRAliÇAISE. 

que  ceux  décrit  par  ZirkeU.  Faiblement  polychroïques  ces 
cristaux  sont,  suivant  le  grand  axe  d'élasticité,  d'un  jaune 
verdâtre,  vert  bouteille  suivant  le  moyen,  vert  plus  pâle  sui- 
vant le  plus  petit  axe.  Les  cristaux  d'épidote,  simples  ou 
mâclés  suivant  AS  allongés  suivant  ph^,  avec  clivages  p  bien 
marqués,  sont  toujours  limités  par  des  contours  géomé- 
triques bien  nets  et  fortement  cerclés  de  noir.  Ils  se  parent 
dans  la  lumière  polarisée  de  couleurs  éclatantes  dans  les 
tons  jaune  et  orange;  leur  polychroïsme  est  par  contre  peu 
sensible.  Quelques-uns  de  ces  cristaux  présentent  de  grosses 
inclusions  liquides  à  bulle  mobile,  avec  du  fer  oxydulé 
octaédrique. 

Le  feldspatb,  plus  récent,  qui  remplit  tous  les  espaces  vides 
entre  ces  cristaux  est  à  attribuer  au  labrador. 

Schistes  sériciteux  du  Maronù  —  Ces  schistes  luisauts, 
d'un  blanc  verdâtre  ou  violacé,  avec  éclat  soyeux  sur  les 
feuillets,  sont  entièrement  formés  de  quartz  et  de  séricite. 
Le  quartz  est  en  petits  grains  irréguliers,  étirés,  gneissiques, 
entièrement  dépourvus  de  toute  trace  de  élasticité.  De  nom- 
breuses inclusions  liquides  à  bu  lie  mobile  s'y  disposent  par 
traînées  irrégulières  et  discontinues  ou  le  plus  souvent  con- 
centrées à  l'intérieur  de  chaque  grain  quartzeux.  La  séri- 
cite incolore,  en  paillettes  fibreuses,  entrelacées,  à  extinc- 
tions longitudinales,  forme  le  ciment  de  la  roche;  plus 
abondante  que  le  quartz,  elle  se  réunit  par  places  en  un  tissu 
continu,  au  travers  duquel  les  forts  grossissements  révèlent 
la  présence  de  nombreux  microlithes  de  rutile  avec  les  mâ- 
clés géniculées  caractéristiques,  simples,  doubles  ou  grou- 
pées en  trémies  irrégulières. 

Au  contact  de  la  granulite,  ces  schistes  subissent  des 
modifications  notables  dont  la  principale  consiste  en  un  égal 
développement  de  mica  blanc  et  de  chiastolithe. 

1.  Uv\ié[,Mikroskopxsche  Beschaffenheit  des  Miner,  und  Gesteine,  fig.4, 
p.  34. 


(SUHÂTRÂ  ET  MALâGGA) 

PAR 
M.    BRAC   DE    SAIMT-POIi    lilAS^ 


Il  y  a  quelques  mois,  j'étais  sur  la  côte  ouest  d'Atché,  à 
bord  du  Siaky  une  canonnière  de  la  marine  coloniale 
hollandaise  sur  laquelle  je  recevais  une  cordiale  hospitalité. 
J'attendais  que  la  marée  fût  favorable  pour  permettre  à 
notre  canot  d'aborder  cette  côte  madréporique  très  difficile 
de  l'océan  Indien,  et,  tâchant  de  donner  un  emploi  utile  à 
cette  longue  attente,  j'interrogeais  sur  leur  pays  les  nombreux 
chefs  indigènes  embarqués  avec  nous.  La  plupart  de  ces 
chefs  atchés  allaient  pour  la  première  fois  à  Kotta-Radjah 
faire  leur  soumission.  Étendus  sur  le  pont,  pieds  nus,  drapés 
dans  de  riches  étoifes  de  soie  ou  dans  des  loques  rehaussées 
d'énormes  bijoux  d'or,  la  tête,  à  la  physionomie  souvent 
d'une  énergie  sauvage,  avec  leur  œil  ardent  et  leurs  longs 
cheveux  noirs,  enveloppée  d'un  léger  turban,  ils  donnaient 
à  notre  bateau,  au  milieu  du  va-et-vient  de  son  équipage 
malais,  un  aspect  bien  pittoresque!  Je  voulais  savoir  de 
quel  nom  les  indigènes  nommaient  eux-mêm^s  cette  île  que 
nous  appelons  Sumatra. 

Le  personnage  que  je  questionnais  à  ce  sujet  était  un  petit 
vieillard  vert  et  vif,  d'une  intelligence  élargie  parles  grands 
voyages.  Il  s'appelait  Si-Labô.  Il  avait  visité  le  pays  des 
Gaîoux  et  le  pays  des  Battaks,  et,  suivant  l'obligation 
qu'imposent  ces  peuples  aux  étrangers  qui  séjournent  chez 

1.  Communication  adressée  à  la  Société  dans  sa  séance  du  15  juin  1883. 
Voir  la  carte  jointe  à  ce  numéro. 


494  ATGHÉ  ET  PÉRAK. 

eux,  il  s'était  marié  successivement  dans  ces  deux  pays, 
rendant  simplement  la  liberté  à  ses  femmes,  à  son  départ, 
en  leur  abandonnant  ses  enfants,  ce  qu'elles  et  leurs  parents 
avaient  dû  considérer  comme  une  grande  largesse  !  Dans  ces 
pays,  en  effet,  l'abandon  des  femmes  est  un  affranchis- 
sement et  les  enfants  sont  toujours  une  richesse. 

Mais  Si-Labô  avait  poussé  plus  loin  ses  pérégrinations. 
Embarqué  sur  un  navire  italien  qui  faisait  du  poivre  sur 
la  côte  d'Atché,  il  était  venu  en  Europe  :  il  y  a  bien  long- 
temps de  cela,  plus  de  quarante  ans  peut-être;  mais  deux 
souvenirs  lui  étaient  restés,  très  persistants,  du  pays  des 
blancs  :  c'était  le  froid  rigoureux  qu'il  faisait  en  Italie,  et  la 
méchanceté  des  femmes  de  cette  nation.  Je  crois  que  son 
habitude  de  se  marier  chez  tous  les  peuples  qu'il  visitait  lui 
avait  là  été  fatale.  A  son  débarquement  à  Gênes,  une  belle 
fille,  qui  ne  se  serait  pas  contentée  sans  doute  de  la  liberté 
qu'il  lui  aurait  rendue  à  son  départ,  lui  avait  pris,  comme 
arrhes  de  fiançailles,  tout  son  argent  et  tous  ses  bijoux  et 
l'avait  laissé  sur  le  port  dans  un  tel  dénuement  qu'il  avait 
été  obligé  de  se  rembarquer  aussitôt.  Malgré  sa  mésaventure, 
il  avait  gardé  ses  sympathies  aux  hommes  d'Europe  et  venait 
volontiers  offrir  ses  services  aux  navires  européens  qui 
mouillaient  sur  les  points  de  la  côte  oti  il  se  trouvait. 

Je  demandais  donc  à  Si-Labô  quel  nom  les  irtdigènes 
donnaient  à  Tîle  : 

—  Poulo-Klouang-Touan,  me  répondait-il. 
C'était  en  effet  le  nom  d'un  îlot  qui  était  en  vue. 

—  Mais  la  grande  terre? 

—  La  grande  terre?  C'est  le  pays  de  KIouang. 

—  Sans  doute  sur  le  point  de  la  côte  qui  est  devant  nous; 
mais  au  delà? 

Au  delà  il  me  nomme  successivement  les  pays  de  Tenom 
Weïla,  Malabou,  Soussou,  Tampat-Touan,  Klouat,  comme 
nous  dirions  l'Angleterre,  l'Allemagne,  la  Russie...^.  Tous 
ces  pays  pourtant  n'étaient  que  des  petits  États  du  pays 


ATCHÉ  ET  PÉRAK.  495 

d'Atché.  Sur  mon  insistance  Si-Labô  me  nommait  bien 
encore  les  pays  de  Baros,  de  Siboga,  des  Mangdelings  qni 
s'étendent  au  delà,  dans  la  région  de  Padang;  mais  il  ne 
serait  jamais  arrivé  à  une  énumération  complète  des  pays 
de  Sumatra,  qui  me  permît  de  lui  demander  le  nom  de  Ttle 
qui  les  contenait  tous  ;  malgré  ses  grandes  navigations 
savait-il  seulement  que  c'est  une  île? 

Ainsi,  Sumatra  qui  n'est  pour  nous  qu'qn  point  de  géo- 
graphie, — '  nous  serions  tentés  de  charger  de  nos  compli- 
ments pour  un  ami  de  Sumatra  un  voyageur  qui  partirait 
pour  une  province  quelconque  de  cette  îfe,  —  Sumatra  est 
pour  les  indigènes  un  monde.  Ils  n'ont  pas  une  idée  bien 
nette  de  son  isolement,  de  l'ensemble  que  forment  les  innom- 
brables  pays  qui  la  composent... 

En  réalité  Suniatra  est  une  vaste  contrée  dont  la  superficie 
égale  environ  les  deux  tiers  de  celle  de  la  France,  et  c'est 
•certainement  une  des  plus  intéressantes  et  des  plus  curieuses 
à  étudier. 

A  cheval  sur  la  ligne  équatoriale,  s'orientant  du  sud-est 
au  nord-ouest  sur  une  longueur  d'à  peu  près  1500  kilomètres, 
—  ses  points  extrêmes  étant  ainsi  plus  éloignés  que  Nice  et 
Dunkerque,  elle  renferme  leS'  régions  les  plus  diverse^, 
soit  à  cause  de  leurs  différences  topographiques,  qui  en 
modifient  profondément  le  climat,  soit  à  cause  de  leurs 
populations  de  races  et  de  mœurs  si  variées,  depuis  les 
peuplades  idolâtres  et  anthropophages  où  les  vieillards  sont 
mangés  parleurs  enfants,  jusqu'aux  musulmans  fanatiques, 
aux  Malais  doux  et  tranquilles. 

Si  l'on  y  aborde  en  venant  de  Java,  dont  elle  n'est  séparée 
-que  par  le  détroit  de  la  Sonde,  Sumatra  présente,  en  allant 
du  sud-est  au  nord-ouest,  les  provinces  des  Lampongs,  de 
Palembang,  de  Benkoulen  et  les  Étals  de  la  côte  ouest  qui 
ont  pour  chef-lieu  Padang,  siège  du  gouvernement  qiii 
commande  à  toutes  ces  provinces.  C'est  la  partie  la  plus 
large  de  l'île.  La  province  de  Palembang,  à  elle  seule,  eist 


496  ÀTGHÉ  ET  PÉRAK. 

plus  vaste  que  Java,  qui  a  pourtant  vingt  millions  d'habi- 
tants avec  sa  satellite  Madoura!  Tous  cespays  sont  entièrement 
soumis  à  la  Hollande  et  directement  administrés  par  elle  : 
ils  ont  des  routes  carrossables  et  de'belles  rivières,  à  Palem- 
bang  surtout,  que  les  vapeprs  remontent  très  haut.  Ce  sont 
des  pays  de  touristes. 

Au  nord  de  l'Equateur,  au  contraire,  entre  les  pays  de 
Padang  et  les  États  de  la  côte  est  gouvernés  par  des  chefs 
indépendants  sous  le  protectorat  de  la  Hollande,  le  centre 
de  l'île  jusqu'à  la  pointe  d'Atché  renferme  des  peuplades 
aussi  inconnues,  aussi  isolées  du  reste  du  monde  que  celles 
qu'on  peut  avoir  à  découvrir  encore  dans  les  profondeurs 
du  continent  africain  :  ce  sont  des  tribus  Battaks,  les 
Gaïoux,  les  Allas,  et  enfin  les  Karo  dont  le  nom  n'a  peut- 
êlre  été  prononcé  encore  dans  aucune  Société  de  géographie. 

Ce  n'est  guère  d'ailleurs  que  depuis  le  commencement  de 
ce  siècle  qu'on  sait  quelque  chose  de  Sumatra,  bien  que 
l'île  ait  été  découverte  par  le  Portugais  Siquéira  en  1508, 
que  les  Hollandais  soient  allés  à  Palembang  en  1599  et  les 
Anglais  à  Bènkoulèn,  cent  ans  plus  tard,  en  1698. 

L'isolement  de  ces  pays  relativement  si  rapprochés  de  la 
côte  vient  de  la  grande  difQculté  des  communications,  que 
créent,  sur  bien  des  points,  l'escarpement  des  montagnes, 
la  végétation  exubérante  des  grandes  forêts  peuplées  de 
tigres,  d'éléphants,  de  rhinocéros,  d'énormes  reptiles,  et 
enfin  ces  pangdo%\  dangereux  où  j'ai  failli  rester  moi-même 
à  mon  premier  voyage  : 

Je  m'étais  avancé  sous  bois,  dans  une  exploration,  sur 
une  terre  noire,  que  je  voyais  dénuée  de  végétation  et  qui 
semblait  offrir  un  chemin  facile  :  tout  à  coup  la  terre 
fléchit  sous  mes  pieds  ;  je  me  précipitai  en  avant,  mais  le 
sol  se  dérobait  sous  moi;  tous  mes  mouvements  m'enfon- 
çaient d'avantage  dans  la  boue  noire.  J'étais  dans  un 
pangdo.  Heureusement  pour  la  continuation  de  mon  voyage 
qu'un  indigène  qui  m'avait  suivi,  marchant  sur  un  bois 


ATCHÉ  ET  PÉRAK.  497 

mort,  avec  Tagileté  d'un  singe,  vint  à  temps  me  saisir  sous 
le  bras....  On  me  raconta  qu'à  une  certaine  distance  de  ce 
lieu,  quelques  jours  auparavant,  un  cheval  s'était  englouti 
et  avait  disparu  avec  son  harnachemcTit,  le  cavalier  n'ayant 
eu  que  le  temps  de  s'accrocher  à  une  branche  d'arbre. 
C'était  dans  le  même  pangdo  sans-doute,  car  ils  sont  par- 
fois très  étendus,  parfois  aussi  couverts  d'une  couche 
d'herbe  qui  les  dérobe  même  à  l'œil  exercé  des  indigènes 
elles  rend  plus  dangereux  encore. 

Si  Ton  ajoute  à  ces  difficultés,  des  populations  comme 
les  Gaïoux,  qui  refusent  absolument  de  recevoir  des  Eu- 
ropéens, on  comprendra  que  Sumatra  reste  une  terre 
attrayante  pour  les  explorateurs,  qui  auront  longtemps  peut- 
être  encore  des  découvertes  à  y  faire. 

J'ai  eu  un  moment,  pendant  mon  voyage  à  Atché,  l'émo- 
tion que  devait  me  causer  l'espoir  de  pénétrer  chez  les 
Gaïoux.  M.  van  derHoeven,  alors  commissaire  du  gouver- 
nement, aujourd'hui  gouverneur  civi'l  d'Atché,  venait 
d'envoyer  à  un  radjah  Gaïou,  une  lettre  dans  laquelle  il 
lui  demandait  de  le  recevoir,  se  déclarant  disposé,  sur  sa 
parole,  à  aller  chez  lui  sans  aucune  escorte  armée.  Et 
j'avais  obtenu  de  M.  van  der  Hoeven  la  promesse  que  nous 
pourrions  nous  joindre  à  lui  dans  cette  première  exploration 
du  pays  Gaïoux.  La  lettre  avait  été  portée  par  des  Gaïoux 
venus  à  la  côte.  Elle  représentait  au  radjah  les  grands 
avantages  qui  pourraient  résulter  pour  lui  de  ses  relations 
avec  les  Hollandâis^  Mais  le  radjah  n'entendit  pas  de  cette 
oreille  et  refusa  de  répondre  aux  avances  qui  lui  étaient 
faites.  Je  devais  donc  renoncer  au  projet  que  j'avais  caressé 
un  instant  d'arriver  jusqu'à  Laou^-Taottar  (la  Mer  douce), 
grand  lac  qui  est  entre  les  deux  côtes  d'Atché,  au  centre  du 
pays  gaïou,  bien  au  nord  du  lac  Tebah,  et  qui  ne  figure  sur 
aucune  carte,  parce  qu'aucun  Européen  encore  ne  l'a  vu. 
C'est  en  allant  vers  ce  lac  que  deux  de  nos  compatriotes, 
MM.  Vallon  et  Guillaume,  venaient  d'être  assassinés  sur  la 


498  ATCHÉ   ET  PÉRAK. 

première  rivière  qu'ils  avaient  essayé  de  remonter,  la  rivière 
de  Tenom.  Un  troisième  membre  de  leur  expédition, 
M .  Courret,  ne  devait  son  salut  qu'à  la  fièvre  qui  l'avait  retenu 
à  la  côte,  et  il  s'était  rembarqué  à  Oulélé,  à  la  pointe 
d'Atché,  la  veille  du  jour  où  nous  débarquions  nous-mêmes 
dans  ce  port.  J'ai  raconté  ces  tragiq4ies  événements  dans 
les  journaux  de  l'époque.  Son  Excellence  le  général  van 
der  Heyden,  gouverneur  d'Atché,  avec  un  empressement 
dont  nous  devons  au  moins  le  remercier,  avait  dirigé  une 
expédition  militaire  contre  les  meurtriers  des  voyageurs 
français.  Cinq  cents  hommes  avaient  été  embarqués^  sur  le 
SourabayUy  grand  navire  de  guerre  de  la  marine  hollandaise^ 
et  c'est  cette  expédition  qui  nous  avait  amenés  sur  la  côte- 
ouest  dès  notre  arrivée  à  Atché.  Le  général,  qui  accompagnait 
lui-même  la  petite  armée  sur  le  ZeemeeuWy  avait  très  gra- 
cieusement consenti  à  nous  prendre  h  bord  de  sa  canonnière. 
De  celle-ci  nous  étions  passés  sur  le  Siaky  qui  parcourait 
toute  la  côte,  de  Malabou  à  Tampat-Touan  et  Singkel,  sur 
les  limites  du  pays  de  Padang,  et  nous  revenions  mainte- 
nant à  Oulélé,  à  la  pointe  d'Atché, 

Mais  si  nous  devions  renoncer  à  voir  les  Gaïouxchez  eux, 
nous  devions  rencontrer  du  moins  un  type  bien  intéressant 
de  cette  race,  dans  les  montagnes  de  Tampat-Touan. 

C'était  au  Kampong  de  Panté-Lawan,  un  des  points  les 
plus  éloignés  de  cette  côte  d'Atché  que  Ton  puisse  atteindre 
dans  l'intérieur,  et  qui  n'est  séparé  du  pays  des  Gaïoux  que 
par  des  forêts  inhabitées.  Nous  y  étions  arrivés  après  une 
journée  de  marche,  par  des  sentiers  difficiles,  sur  des  escar- 
pements très  raides,  suivant  un  torrent  auquel  nous  des- 
cendions parfois,  pour  traverser  son  cours  sinueux,  en 
marchant  dans  son  eau  fraîche  et  limpide,  parfois  aussi  le 
dominant  de  haut,  sur  des  crêtes  si  étroites  que  nous  pou^ 
vions  étendre  les  mains  à  droite  et  à  gauche  au-dessus  des 
précipices  qui  bordaient  le  sentier^  mais  dont  la  grande 
végétation  qui  nous  entourait,  les  arbres  et  les  arbustes 


ATCHÉ  ET  PÉRAK.  49$ 

enchevêtrés  de  lianes  au  milieu  desquels  nous  marchions,, 
nous  dérobaient  les  profondeurs  qui  nous  eussent  donné  le 
vertige.  De  loin  en  loin  seulement  une  éclaircie  dans  le 
feuillage  nous  permettait  de  voir^  en  bas,  des  trous  d'eau 
bleue,  entre  des  roches  empanachées  de  belles  orchidées  ou 
ombragées  de  fougères  arborescentes. 

PantérLawan.  signifie  grand  plateau.  Le  nom  est  préten- 
lieux;  mais  là  les  montagnes  semblent  s'ouvrir  un  peu,  et, 
au  milieu  de  plantations  de  siri  —  cette  plante  grimpante 
qui  fournit  aux  indigènes  la  précieuse  feuille  à  mâcher,  — 
au  milieu  de  petits  champs  de  manioc  et  de  maïs,  sous  les 
cocotiers  et  les  bananiers,  on  découvre  une  dizaine  de  pail- 
ioUes  igolées,  à. un  demi- kilomètre  Tune  de  l'autre  et  qui 
forment  le  kampong. 

Celle  à  laquelle  nous  nous  étions  arrêtés  était,  comme 
les  autres,  construite  sur  hauts  piquets  :  une  échelle  de 
bambousy  donnait  accès.  De  belles  toufTes  de  cette  plante 
balançaient,  au-dessus  du  toit,  le  léger  feuillage  de  leurs 
longues  tiges  creuses,  d'une  utilité  inappréciable  pour  les 
indigènes,  auxquels  elles  fournissent  leurs  paniers,  leurs 
boîtes,  leurs  cruches,  tous  leurs  ustensiles  de  ménage,  et 
jusqu'à  leurs  chapeaux,  et  surtout  les  principaux  matériaux 
de  construction  de  leurs  maisons;  quelques  beaux  aréquiers 
au  tronc  vert  brillant,  comme  verni,  au  riche  panache  de 
feuilles  de  la  même  couleur  vive,  laissaient  pendre  leurs 
régimes  de  noix  rouges  ou  jaunes,  indispensables  à  la  pré- 
paration du  siri;  à  côté,  des  papayers  étaient  chargés  de 
leurs  beaux  fruits,  ces  figues  grosses  comme  des  melons,  à 
la  pulpe  si  parfumée;  —  mais  on  voyait  surtout  autour  des 
piquets  qui  supportaient  le  toit,  un  fouillis  de  cannes  à  sucre 
d'une  hauteur  de  trois  mètres  peut-être,  dont  notre  escorte, 
aidée  des  habitants  de  la  maison,  avait  déjà  mis  quelques 
pieds  au  pillage  pour  nous  offrir,  à  notre  arrivée,  le' 
rafraîchissement  le  plus  usité  dans  le  pays.  —  Nous  étions 
en  compagnie  du  contrôleur  hollandais  de  Malabou,  dans  le 


500  ATGHÉ  ET  PÉRAK. 

district  duquel  nous  nous  trouvions,  et  escortés  des  princi- 
pnux  chefs  indigènes  de  Tampat-Touan. 

Pendant  qu'on  pelait  les  cannes,  pour  nous  présenter  par 
morceaux  leur  tige  blanche,  juteuse  â  mâcher,  nos  boys 
installaient  en  plein  vent  notre  cuisine  :  une  marmite  de  riz 
sur  trois  pierres,  avec  un  feu  de  bois  mort,  et  préparaient 
une  broche  de  bois  pour  ud  somptueux  rôti  :  on  dépeçait  en 
eifet  un  chevreuil  que  je  venais  de  tirer  à  vingt  pas  de  la 
paillotte,  et  dont  l'indigène  notre  hôte  prenait  d'abord  pour 
lui  la  tête  et  un  cuissot,  les  morceaux  auxquels  il  avait  droit, 
parce  que  la  bête  avait  été  tuée  sur  sa  terre,  mais  qu'il  nous 
eût  abandonnés  sans  doute,  si  nous  n'eussions  tenu  nous- 
même  à  nous  conformer  à  Codât  (la  loi  des  ancêtres!  pour 
tous  les  peuples  de  la  Malaisie).  Un  autre  indigène,  pendant 
ce  temps,  faisait  fonctionner  un  appareil  qui  a  été  sans  doute 
la  première  usine  à  sucre  -—  bien  perfectionnée  depuis  !  — 
deux  morceaux  de  bois  que  Ton  voit  attachés  aux  piquets 
de  toutes  les  pailloltes  de  ces  montagnes,  et  entre  lesquels, 
en  se  servant  de  l'un  d'eux  comme  d'un  levier,  on  écrase  la 
canne  pour  faire  du  kiang.  Le  kiang  un  jus  écumeux  qui 
coule  dans  la  gaine,  cousue  au  rotin,  d'une  feuille  d'aré- 
quier, fait  une  boisson  sucrée  excellente,  valant  l'eau  de 
coco  et  le  vin  de  palme. 

Un  boy  que  nous  avons  pris  à  Tampat-Touan,  surtout 
pour  nous  servir  d'interprète,  vient  me  demander,  à  ce 
moment,  si  je  veux  voir  un  homme  de  Nyas  qui  habite 
Panté-Lav^au  ;  je  le  suis  jusqu'à  Textrémité  du  kampong, 
à  une  paillotte  plantée  dans  un  endroit  sauvage,  au  pied  de 
la  grande  forêt.  A  mon  arrivée,  une  jeune  femme  portant 
un  enfant  à  califourchon  sur  sa  hanche  vient  de  descendre 
l'échelle..  Elle  se  sauve  à  toutes  jambes  dès  qu'elle  m'aper-^ 
çoit  et  remonte  précipitamment  dans  la  paillotte.  Mais  le 
maître  de  la  maison  semble  moins  effarouché  :  il  a  déjà  vu 
sans  doute  des  «  hommes  blancs  »  à  la  côte.  C'est  un  homme 
de  petite  taille,  mais  dont  le  buste  nu  parait  souple  et  solide 


ATCHÉ  ET  PÊRAK.  501 

et  qui  a  dans  sa  physionomie  quelque  chose  de  singulier  et 
de  sympathique.  Il  est  en  train  de  confectionner,  a\ec  une 
hache  assez  primitive,  un  de  ces  grands  boucliers  en  bois 
légers  que  Ton  recouvre  de  peau  de  buffle  ou  de  rhinocéros. 
îl  a  près  de  lui  sa  grande  lance.  —  Mon  boy,  qui  le  connaît, 
me  le  présente  en  lui  disant  quelques  mots  dans  une  langue 
que  je  ne  comprends  plus,  et  en  me  montrant  sans  façon 
son  oreille  droite  percée  d'un  grand  trou  qui  a  étendu  le 
lobe,  la  marque,  me  dit-il,  des  hommes  de  Nyas.  —  Nyas  est 
une  petite  île  de  l'océan  Indien  renommée  pour  la  beauté  de 
sa  population  etoù  beaucoup  de  gens  d'Atché  et  des  pays 
voisins  vont  souvent  se  pourvoir  de  femmes. 

L'histoire  de  cet  insulaire  m'est  racontée  en  quelques 
mots  fort  simples  ;  elle  est  touchante  : 

Il  était  le  fils  d'un  radjah  de  son  île,  un  orang-kaya,  me 
dit  le  boy  (un  homme  riche,  puissant),  il  a  été  enlevé  par 
des  pirates  à  son  pays  natal  et  vendu  à  Tampat-Touan 
comme  esclave.  Mais  il  a  recouvré  sa  liberté;  aujourd'hui 
il  est  chef  de  maison,  chef  de  famille,  près  de  redevenir 
orang-kaya  lui-même  avec  son  bouclier.  —  Cet  homme 
paraît  avoir  subi  philosophiquement  son  sort.  II  est  gai  et 
bienveillant.  Comme  je  me  dirige  du  côté  du  lalang  (des 
hautes  herbes),  près  de  sa  maison,  il  court  à  moi  avec  em- 
pressement pour  me  prévenir  qu'il  y  a  là  un  piège  tendu  au 
tigre. 

Je  rentre  au  campement  pour  le  dîner  que  nous  abordons 
avec  l'appétit  que  donne  dans  tous  les  pays  une  ascension 
de  montagne.  —  La  température  ici  le  soir  est  délicieuse  ;  le 
soleil  a  déjà  disparu  derrière  les  hautes  crêtes  couvertes  de 
forêts  touffues  qui  ferment  de  tous  côtés  notre  horizon.  -- 
Nous  voulons  employer  pourtant  les  dernières  minutes  du 
jour  qui  nous  restent  et  nous  avons  envoyé  nos  koulis  avec 
nos  appareils  au  bord  d*un  ruisseau, dans  une  gorge  étroite,où 
les  indigènes  nous  signalent  un  gisement  aurifère.  Mon  com- 
pagnon de  voyage,  M.  de  la  Croix,  est  là  à  sa  besogne,  faisant 

soc.  DE  GÉOGR.  —  i*  TRIMESTRE  1885.  TI.  —  'SA 


la  çrosgççtiçjQ  la  plu§  co»sfi|e.pcMs^  cmftWtf.^StJa^Wl», 
-r  ])la{s, mei.  (Ut-il  enjRQ,  J9,^Avq^?  ^^j^çAmB/e^, aug»^ 

JIiÇ]terJ988»  ^lorsJç^  in^igène^; 

—  Coflanj^iH  s^it.oftgu;iJty  a  de  Fp/^,  iq^.? 

—  Q^  le  sait»,.  Tj]ii;ia^9,, 

—  Quel  est  l'hompae  qui  y  ena,,chQ«4^é? 

—  On^ofy  en  a,  p^s  .ch§rçM  e»qp?e^. 

—  ^qrs  09.y  en  a  lr9^yé.p^r  ^HW^^J  Q^i.W  ^  ^Wm^l 
— Pprspnpe  eVficy^,  TQmJh, 

Je  suis  près  de  p^jjç^çfjatjenfiç,  !G.>gt.ppgp.l§fi^,  u9,n§rsQ|ïr 
nage,,,un^.Datpu^   q^ui,  nje,  répoi^^d,  ^liçai  jusqtt'a.v^ti»H4,? 

—  Mais  lui  dis-je,' si  pn  n;efi.a  .pa§.ch,^rché.; s},pn^ï^^^,^, 
pa^  trouva  paç,  h^^açci,  cona^rppQj,  ps^t-o^.  sayow;  qsJtty^ 
de  l'or? 

¥fiTC&f  dans  ses  retiia^Qh^me^ti^^  il,  se  d^çi4e,  c»^  ^, 
m'e^pliqugir  1^  cjipse,  quQ  tq^l^  le  mpnde  conpro^ft  atttpqR4fi.- 
lui  avçc  lie  plu§  grand  sérieux  : 

—  Vpil^  ce  que  cfest  :  Un  h^pn^iQ  d§  T^tnagjit-TQj^^.a 
doçmj  une  nuitd^gs  ^,paillp.U§,oîi  nous,5oaiïï|çts  iii^^I)^ 

ett/^réçl  qja;ilya,.deror  da;?iscetep(}i;QiA;  il  a.vi^.ç^te, 
en  songe  ! 

Et  cppfime  npus  donnons  l'or^çir.^.  ai^^  ko^^s,d^  j^gjçfSMte^t 
leur  charge  : 

—  Mais  quand  un  hopime  a  rêvé.qi^'il  y  a  dç.l'o^.iqj,  ij,  dfx\i, 
y  en  avoir,  fait  observer  unjtpiili,  naéme,.;  il  /ljïw4,q^J|l  y  en, 
ait! 

ypi là  où  en  sont  les  méthpdç^  d^^  pr.ospect.ipns  n|inipFe^ 
à  Tamçat-Toqan  ! 

Quand  nous  remontons  r^cheiUe  de  la  paiIlott^,,.nai4^> 
trouvons  Iç  contrôleur  assis  suçla  natte,  les  jap))>^$^crpi|^^§y , 
-  il  n'y  a-pas  ici  d'autre  siège, .—  en  gpaR4ç..cpftféï:we§r 
avec.un  Gaïpu,.  au  .n^iljeu.d^s  RA^i^hrR^(}j.aU  dfi  iWtei^i:^^.. 
cor.tç  e|.de  qjaelqi^QS  howftes  dii  p^y§.,  CftOfti^JM  J«iP|IW^.i 


ÂÊmt  MT  pmak. 

d'itti»  Ieititur«giè9  »oifibt%i  il  «si  TÔiU  de  loqUè»  déetllotfêeti^ 
pmnimt  nïA  pliysiwdmto  remAK]4Mibl^y  ttvoe  9é^  tiQiti 
réguliers  et  son  regaNi  fier.  H  â'appelle'SI-lfedtildutiQ'im 
kl(H»«ttaiàt%^f0l»'pHitMèt#6  qu'il  fOît  dd^  blatiCëV  tuai»  il  ne 
paraît  nullement  embaMkft^  de  leur  préS6ti6«j  Ai  4^  MiQ 
\mpl}t{AtA(pï'Qtï  lui  iMt  jou^r^  oftt  Id  cdtUft&tol^r  If illlërroge 
avidement  sur  ces  pays  mystérieux  de  l'intérieur  de  Stiiâ<ft^ 
tra^  où  il  esi^  dé  el^ qu'il  a  parooiifû^^  qu'il  {Mkf&lt  iwftuiiiftre 
tûiëûx  que  pê^tMitttie^  G'«»t  Itti^qàt  û(mê  ^§asAé  poui^  Itt 
pmitiièré^  ftri9,  «û  silé  de»*  GaïOuxy  cMttie  ks  Mli#  ëtt  toni 
fiattaM%,  ât)^  régicAi  atiiK&éiieiiduei  qu'il  a^pMte^  rëm|tft^â6» 
Kar4^  ê^  dont  le  contvôlaup  boUaâdâis  Ic^rtlê^ne  cKUefid 
pkAet  p0Uf  la^preimièi^  §oiiV 

Cette  conférence  offre  un  vif  intérêt  et  je  voudrais  bt0li 
vous  dcunier  une  idée^  de  la  scènt^ 

Elle  a  pow  IbéÂtm  la^  s«llr  élr^ité^  hmi  pçst^M^-  de  la 
maison  où  nous  campons,  toute  en  paillotte,  les  olôisons 
et  le  toit  en  cadre  de  bambous  garnis  d0  f&uiHè#'dë'|^ft3miers 
ou  de  pandanées,  le  bas  de  la  cage  fait  en  lattes  d'aréquier 
couvertes  de  Biittfltt>sur  IcKsqfvedlfès  HôU^sléliltifes^afs^ii  enrortid. 

Une  lampe  de  cuivre  à  plusieurs  becs,  à  l'huile- de  CGk;o, 
pend  du  toit  au  milieu  de  i^nsf  Ixflaifame  agitée  pat  la  toise 
qui  entre  IilM^f»enrt>  à  tÉ^ve¥«  la  graxide  b«iie  d^cme  fenêtre 
sans  WM»*' 

En  fa«e^  de  lai  po»te  d^etttrée^sur  1»  i^orlëiriitépîeilte  d'une 
secende  péè^e  que  coi^nfiten^t  toutes  lies^  mlnsoiié  d'Aèehé 
et  où  ne  pénètrent  que  lès  intiflae^v  Icfs  daiàe^tiq»eâ,  les 
familiers  de  la  maisoiï,  déutt:^  feâslftieB^  qui  ^  ^oM' satinées 
d'abord  à  notre  arrivée^  itiafîs  qui  omt  eii  le  tém^pede  se 
familiariser  avec  notre  prédei^ee^  se  penchent  curieuién^nt, 
apptiyéi^  l'uïie  s«r  IfÀtftre  pour  ûou^- rei^iidief;  L'uiiie^d'elles 
porte  un  singulier  opAtdment  r  un  citron  passé  <tea$>le  lebe 
de  chaque  oreille;  l'autre  a  des  boutons  d'or  d^iin  diî^mètre 
amsi  fft3tnéyOfûé»i  de  pii^preries  e€'q«'*e«v  e^t  étonné  éët^ir 
dans  ces  montagnes  ;  elles  les  a  mis  peut-être  piftif  É^m»^ 


504  ATGHÉ  ET   PÉRAK. 

faire  honneur.  Quand  elles  se  déplacent,  on  entend  sonner 
parfois  les  grands  anneaux  d'or,  d'argent  ou  de  bronaje 
qu'elles  portent  sur  leurs  chevilles  nues. 

Le  contrôleur,  qui  a  son  carnet  ouvert  sur  ses  genoux, 
pose  une  question  ;  il  parle  malais  : 

— f  Quel  est  le  pays  qui  s'étend  au  delà  de  la  rivière  Pang- 
gou? 

Un  des  indigènes  importants  sert  d'interprète  et  traduit 
la  question  en  gaïou  à  Si-Maoulout  qui  comprend  et  parle 
parfailement  le  malais,  si  bien  que  l'interprète  oublie 
souvent  de  traduire,  mais  ne  manque  pas  de  répéter  la 
question  en  malais,  mot  pour  mot,  telle  qu'elle  a  été  posée  : 

—  Quel  est  le  pays  qui  s'étend  au  delà  de  la  rivière  Pang- 
gou? 

Toute  l'assistance  approuve  du  geste  et  de  la  voix. 

—  Au  delà  de  la  rivière  Panggou  ?  dit  le  gaïou. 

—  Oui. 

—  Quel  est  le  pays? 

—  Oui 

.    Nouvelle  approbation  de  l'assistance  qui  fait  : 
«  Aah!  » 
La  question  a  été  bien  comprise. 

—  Je  vais  vous  dire  son  nom  reprend  Si-Maoulout. 
Et  après  une  pause  :  —  Ce  pays  c'est  Panté-Kalang. 

—  «  Haaab!  j>  Exclamation  générale  de  satisfaction. 

—  Si-Maoulout  peut-il  me  dire  maintenant  quels  sont  les 
radjahs-radjahs  de  Panté-Kalang? 

Traduction  de  l'interprète  officieux. 
Approbation  de  l'assemblée  qui  dit  : 
.    —  Ah!  oui  les  radjahs-radjahs. 
L'assemblée  approuve  toujours.  Si-Maoulout  demande  : 

—  Touan  a-t-il  fini  d'écrire  le  nom? 

—  Oui,  oui. 

.  Mais  il  faut  recommencer  la  question,  la  traduction,  etc., 
après  quoi  : 


ATCHÉ   ET  PÉRÂK.  505 

—  Les  radjahs?  Il  y  en  a  de  grands,  il  y  en  a  de  petits, 
répond  le  Gaîou  de  sa  grosse  voix  ;  et  il  fait  lui-même  : 
i!c  Aah  !  »  donnant  à  l'assistance  le  signal  de  l'approbation. 

Cela  ne  va  pas  vite  et  il  ne  faut  pas  songer  à  accélérer  le 
mouvement  :  tout  le  monde  serait  dérouté;  mais,  en  y  met- 
tant le  temps,  le  Gaïou  dira  le  nom  de  tous  ces  radjahs;  le 
nombre  des  habitants  de  tous  ces  pays,  leurs  situations  rela- 
tives. -^  Il  dessine  sur  la  natte  avec  des  brins  d'herbe,  avec 
des  morceaux  de  bois,  avec  ce  qui  lui  tombe  sous  la  main, 
de  véritables  cartes  qui  peuvent  fournir  de  précieux  rensei- 
gnements. Il  nous  apprend  que  la  rivière  de  Malabou,  par 
exemple,  ne  prend  pas  sa  source  au  lac  Tawar,  comme  on 
le  croyait  dans  le  pays,  mais  très  loin  de  là.  Il  émet  son  opi- 
nion sur  les  Battaks  qu'il  croit  être  le  peuple  primitif,  les 
aborigènes  de  Sumatra.  —  Il  ne  grasseyé  pas  comme  les 
Atchés.  Il  parle  ^ro5  :  il  dit,  au  lieu  de  y  a  (oui)  saya  (moi) 
yô,  sayô;  mais  il  fait  preuve  d'une  intelligence  étonnajite  et 
bien  faite  pour  donner  une  haute  idée  de  la  race  gaïou,  s'il 
n'est  pas  lui-même  une  rare  exception  de  cette  race. 

Gomme  la  conférence  se  prolonge,  ce  que  l'on  croira  aisé- 
ment, et  que  je  compte  sur  les  notes  que  le  contrôleur  a  obli- 
geamment oCTert  dé  me  communiquer,  je  renverse  mon 
b^ste  et  étend  mes  jambes  sur  ma  natte  :  c*est  ici  en  effet 
tout  ce  que  l'on  a  à  faire  pour  se  mettre  au  lit,  et  en  me 
réveillant,  au  petit  jour,  je  constate  que  la  conférence  est 
terminée  et  que  chacun  des  conférenciers,  à  une  heure  quel- 
conque de  la  nuit,  a  successivement  fait  comme  moi. 

Nous  nous  levons  pour  aller,  chacun  de  notre  côté,  nous 
plonger  dans  les  eaux  fraîches  du  ruisseau  voisin  avant  de 
regagner  la  côte,  et  je  vais  dire  adieu  à  mon  homme  de  Nyas, 
qui  m'a  sauvé  hier  au  soir  de  tomber  dans  le  piège  à  tigre. 

Quelle  vive  impression  m'a  laissé  ce  coin  des  montagnes 
d'Atché,  c'est  ce  que  je  suis  impuissant  à  vous  traduire.  Il 
faudrait  pouvoir  rendre  le  sentiment  d'exubérance  et  de  fraî- 
cheur, de  fécondité  et  de  grâce,  de  vie  puissante  et  naïve  qui 


906  égatm^fts^. 

kvoipmSf  auffDoineiit  oè  nou»  aUoQs  la(qi«tlto&  l4e$(lmrt> 
baiiibOiHi'fiAilf»  gF«n4«  arbres  ^noownt  l'Abondaiite  lOffie^de 
lu  QtfittQf  lia»  ÎRiniaiisaft  fanfllates  das  illanlas  «éqoatoiriiles 
qui  (Couvrant  te  wt  Da^  flanaa  escarpés  das  aoonlagiiaB  Qm 
app»  dWBiiiiairt> ^Mas  ami»Di  cas.mille  bni)t$'<|iia ilesiin^î- 
gi^Ms  aauls  aavaal  ^rooQiiiiirtipa  :  oe  tout  Ica  'Oria  daa  Mtas 
OMluaoa«iqui  oMtî»iient  «Hnoora  laura  aMpala,  lalssâai  da« 
iortarif ailes  qui  ^MOBiettaiil  d'aataadre  <let  répanam  steis  le 
kialaiPi  aa  acmtieajaboiaiDttntf  é^  itroupasAonÉhaawia»  ée 
flllboii^  aiftmaagSy  )a#  grands  «ingwtipirs,  al:iaatid'«iitiwi  \ 
w«Ga«Qiit«Qaa9e'le  béoiei  jdaa  •mgprtadefi  d'oisiaua  igni  se 
véar^Ulaat  ipour  jaier  'lenjm  piaaMèras  antas  àifilàas  daaa  tf  ak 
aelooe  al  Irais  ^««latio.  -^^temps.aniaattpsiiin  grawl  celao 
«H  un  bnaéroeicavqiia  a!éliiiica  daLal)raii0lie4l6sm<doBtil 
t  fail  aaa  g^la  paar  te  ^nitit  et  f^asee,  fdo  $oii  w)  Icawd  ^ 
lira}  i|aâ>  A  jKm&gewHla  élésalioibaii  ^aoa  de  le  talUe^  jfllant 
â*aQi0  «Kiutagoe  à  Taadie. 

Quelle jMdla eftgHinde Baituia l fit £QMma  ee flta  deeadîali, 
^afeuu  iesielave,  i^  «  aa  d'aboiod  à  ee  redhater  loi^mèiae, 
qui  a  déirioké  eaa  lobapot^  «aanatroit  aa^misoa,  fiabi^fié  ses 
«irmesy  a<Aiielé  an  coa^iiie  sa  fainme  qu'il  preMège  ecmire  la 
tigre, M  qai  aelait  .un  henuçlier  aujawrd^^itt'qu'il  a  un  wS^ftAj 
me  sefloUe  plua  Aamweqsie  nou^  ne  le  eommes  dans  ncAoe 
aociété  ^viaiittie,  avec  no$  -ternes 4e  e^mvaaÉian  et  kms  préoe- 


Si-Maûukkat  ^ptcMia  Meoadiât  josqu'i  Tampat-ToiMMi. 
Nous  wmnA  aM  ampte  eonnaisaaaoe.  On  l'appelle  aussi 
«  PangUma^-Maouloriit  »  dans  ee  pays,  06  il  est  étaMi  «ft  oil  il 
est  eoBsidéré  oenaiDe  wù  ^Mrsonsage,  im  des  ootaldas  4e 
Panié-'LaaiMH»  (P«f»f  jtma  eignifie  suivant  les  cas»  lt€un«Me 
df^^nmee,  lieiiilen&»fr,  graoé  écuyerV  S^n  ^re  est  Pncylt- 
ma^£a#<»  d«M  le  paye  galon  {f»dja,  ëlépèacit),  tdfire  qui 
éSqaSyant  à  eetoî  de  grand  ^kyvrvetter,  tttats  dans  tm  pays  oâ 
les  fottf»e.  à  chasser  sont  des  étêpbants.  —  Qn  quittant  ce 


^«f  Shé'^et  i>^â*AK.  'Sot 

ISgtfé  ^rt  ê«îtirMli6nrèl  >  lui  'ddtt«ë*(irte  pî^ë.'  WîJf a'tfu1f«ut 
'léSIWhîftë  ctli*erfS^iiiëflt  éë  l)fetît%Pp'âi^yîl  qu^il*  jiâratt'ftte^as 
comprendre,  et  il  rit  à  se  tordre  quand  je  lui  ex{)KèfUte'^ti^on 
^W!fr|*it^lë'^fôttWëaù  de  lâb^è  t>^tii*  TàTïtihlër^ét  ^è  itiméc  par 
'♦e^Wi^ù. 

*è  me'^ms  iïi'^Bâ^qtifet'  ^e  'Tàto'pât-'ïbti'ah  mis  îitrè"tin 
m6%  ûb'&é  fàys,  ^rtfti  des  j^ffus  intéï^ésiâh(s  dfe'la  éAleMëst 
^*Mi9ié.'*GAle'(?8të,^^uë1ës  dôMitië^iJàiits  a^'tiè'rrefiii  la  €^<ï*te 
'^ati^WWfe  »/est  lêhfcbl^é.âtiipëieë  ^ar  1ë^  saVânts  îrfdigè*n«s, 
»eteûx<}urc*Ôtiftaî^â!^t  la'ti-âdiffôh,  lia^c&ieÛédÛoit^é^Comiès. 

"im^  léiëcle  de  tibVfeWe,  ÛdiUk  Mvifties  îjAkl^sei^pà'viWéni 
m' mfdttitdB  <|ë^énaîî^këbthv,  di^obé  'dâhs  1è  'gôtîVei^tfe- 
^ènt  më^ildahg,  et  i'êtoctttàÂl  la^CÔte;  Vîriitetft  s^é^h^Wiitter 
«^Ws  le^k^s  a*Âl6h6,  6û  eMqûe  bâ*(ïuë-ftridà'tfrfè1^i/rôtoîe. 
■'■'^  On  rèlPdûi^c  cjftcore  aujoui*â'hûi  siir  toate  cette  cldte'ies 
^«€«b€*ââ(i^s^^âe^èhefs  dè'èes  bâi*cfùés  qui  dht  èîôùs'em  au 
'Mlièti  des  b^an^-AÉchèslétib  titre  ttalftis  deiDâiôU  et"<fui 
s6tii*tï^ès  iLéH  'de  leur  ^ôrîgîiië.  — ïiiais  la  plus  '  to^'ùrtSéte 
dé'bëfe 'ctfldfïîés  fcaTal*s*èfetl  t  rfrtipkt-Ty 
^e  cer'fy*ys,  eiiblàVé  âktiis  ÂtfcHé,ôiit'côïi^éî**é1ett'rrâceptft»ë, 
*et^'dtft»jSœais  tdùlu  tofetër  lëtir^sftrig  à  «ëîûiliës  Atèlï'éè,  ^si 
\îfe  ii'ëstlîiaria'sîèrs'côrmbats.  —  ITn  Hialàis  dé  1^âfftï)kt-%Yiân 
qui  épouserait  une  femifle  àtchêfe,  ou  dotirfëi^àït  i^a  TiïIë''k*Ôn 
mtime  '«b 'cette  ï*Mde,  sëi^rft  i^èhfe  ôë^  siëhs  et  obligé  de 
ijf&iftër  lë^âftà.    ' 

Le  riotode'TàTri^àt-Tôu^h  ^ùi  sipfle  «  étid^t  lîa  ISéi- 
•gttéiîr  »' vîënt  'd^me'durîéùéte  le^e^de  :  (<:  Il  y  aWit  àûtrëMs 
à  ^f«M{iat-ïoààïi  'une  belle  ^WtfdeèSë,  lïrrede  dêiïx^â^a 
'  (ëét*ifrënts  %  sëfil  tètés).  Des  'nSàWris  virii-eiit  tin  jôù'r  pour 
•ëhléV»  «âtte  tjrftiéës^e  *tfe¥V^fllëasè;  lërtt  lïaWe  s'àliicl'a 
dftttèla  bWe'^tfr^ësl^ëAôbl^è  'âbj6uMli^ûi  ÏÏttefes  pltfs  J'ô^ès 
^eHtts1)à?ès  du  Wônde,'t6ùtë^b6'rdêë  de  grâtfds  coc6iler"s, 
Wû^  lfeqtie1^'Mi'àf{)éi'%ô\t  les'  pî^ilTottes  psfe.  L*é1ilëVtt¥fKnt 


508  ATCflÉ  EN  PÉRAK. 

s'opéra  heureusement.  Mais  les  terribles  nagas,  père  et  mère 
de  la  princesse,  au  moment  ou  le  navire  reprenait  la  mer, 
se  jetèrent  à  la  nage  à  la  poursuite  de  leur  fille.  Le  navire 
était  perdu . 

«  Mais  il  y  avait  aussi  alors  à  TampatrTouan  un  saint  homme 
appelé  Touan-di-Talou  (le  seigneur  de  Talou,  Talou  avait 
été  jusque-là  le  nom  du  pays)  qui,  prenant  en  pitié  le  navire 
et  la  princesse,  s'élança  de  la  montagne  jusque  sur  la  plage, 
et  jeta  sa  canne  sur  les  nagas,  d'un  mouvement  si  brusque 
qu'il  en  laissa  tomber  son  chapeau  à  la  mer.  La  canne  attei- 
gnit le  naga  mère,  et  fit  voler  son  corps  en  éclats.  »  —  Les 
Malais  ne  sauraient  douter  de  la  rigoureuse  exactitude  de 
ces  faits,  puisqu'il  existe  encore,  près  de  la  plage  une  pierre 
qui  conserve  l'empreinte  du  pied  du  Touan,  qu'on  retrouve 
en  pleine  mer  sa  canne  et  son  chapeau,  sous  forme  de  roches 
pointues  que  les  remous  des  vagues  couvrent  et  découvrent 
alternativement,  et  qu'on  voit  enfin  à  l'entrée  de  la  baie  une 
roche  rouge,  teinte  du  sang  du  monstre,  et  une  roche  noire, 
qui  forme  un  petit  ilôt  et  qui  est  le  cœur  même  du  naga 
femelle  qui  a  eu  le  temps  depuis,  de  se  pétrifier.  —  Quant 
ail  naga  mâle  il  fut  tellement  épouvanté,  et  prit  si  précipi- 
tamment la  fuite,  qu'il  passa  à  travers  une  île  voisine.  L'ile 
fut  coupée  en  deux  et  forme  depuis,  deux  ravissants  ilols, 
Poulo-Doua  (les  deux  îles)  où  nous  venons  pêcher  les  tri- 
pangs  en  quittant  Tampat-Touan. 

Ce  sont  de  bien  curieuses  choses  que  ces  holothuries  que 
les  Malais  appellent  des  tripang  et  les  Orangs-Atchés  des 
kolongt  Qu'on  se  figure  un  boudin  long  de0°',40  à  0",25, 
gros  comme  le  poignet,  malléable  et  contractile,  capable 
de  prendre  toutes  les  formes  :  il  s'allonge  en  cylindre, 
se  renfle  comme  une  grosse  quille;  si  on  le  pose  en  travers 
d'un  bâton  il  retombe  et  pend  de  chaque  bout  comme  une 
bourse  à  deux  poches;  il  devient  rond  comme  une  pomme 
si  on  le  roule  entre  les  mains.  Remis  dans  l'eau  de  mer  et 
abandonné  à  lui-môme,  vous  le  voyez  s'allonger  de  nouveau 


ATGHÉ   ET  PÉRAK.  509 

se  fixer  légèrement  au  roc  ou  au  foud  du  vase  par  de  petits 
tentacules  très  courts,  qui  flottent  comme  des  fils  à  sa  partie 
inférieure;  puis  à  une  extrémité  de  cette  étrange  chose  un 
orifice  s'ouvre,  s'épanouit,  aspire  et  expire,  et  dénote  une 
vie  animale.  Les  organes  d'absorption  du  Iripang  s'étalent  là 
comme  les  pétales  d'une  corolle  :  on  dirait  une  fleur,  une 
belle  anémone  de  mer,  qui  s'est  fixée  sur  l'enveloppe  de  la 
bête  avec  ces  organes  qui  se  replient  et  disparaissent  dès 
que  vous  y  touchez.  Cette  enveloppe  épaisse  esta  peu  près 
tout  l'animal.  On  sent  flotter  dans  l'intérieur  des  viscères  à 
peine  adhérents,  et  si  accessoires,  assure-t-on,  que  l'holothu- 
rie peut  les  rejeter  et  s'en  refaire  d'autres. 

La  pêche  des  tripangs  est  bien  facile.  Débarqués  sur  l'un 
des  îlots  de  Poùlo-Doua,  notre  boy  malais  muni  d'une  timba, 
(un  récipient  fait  d'une  gaine  de  feuille  d'aréquier  et  qui  tient 
l'eau),  descend  sur  les  coraux,  dans  la  mer,  à  dix  pas  de 
nous,  et  là;  ayant  de  l'eau  jusqu'à  la  ceinture,  se  met  à 
ramasser  des  holothuries  comme  on  ramasse  des  prunes  mûres 
sous  un  prunier  qu'on  a  secoué.  En  un  quart  d'heure,  sur 
un  espace  de  dix  mètres  peut-être,  il  a  cueilli  ainsi  soixante 
holothuries  et  il  nous  rapporte  un  récipient  qui  semble  rem- 
pli d'une  confiture  noire  :  on  dirait  une  seule  masse  com- 
pacte; ces  animaux  se  tassent  comme  se  tasserait  de  la 
mélasse.  Rien  n'est  plus  malléable,  plus  fluide,  et  en  même 
temps  plus  résistant  que  les  holothuries.  —  Les  jaunes 
surtout,  car  il  y  en  a  de  noires  et  de  jaunes  plusieurs 
variétés,  sont  aussi  dures  à  ouvrir  qu'un  cuir  épais  d*uu 
à  deux  centimètres,  qui  aurait  été  mouillé  et  séché 
au  soleiL  J'ai  beaucoup  de  peine  à  les  couper  avec  de 
forts  ciseaux;  et  quand  je  les  ai  fendues  sur  toute  leur 
longueur,  je  ne  parviens  pas  à  les  retourner.  —  Mais 
ces  peaux  dures,  si  résistantes,  que  je  suspends  pour 
les  sécher,  coulent  et  tombent  une  à  une  sur  le  pont  du 
navire,  où  elles  s'étalent  comme  une  poix  chauffée. 

Les  Chinois  sont  très  friands  des  holothuries  et  c'est  à  leur 


'910  ^fSHÉ  Et  "PfflAK. 

Mtftitk)ti  Hitf^ù  4«$  ^êébè  et  i^éh  ië»  ^^Àiîlle,  |»Wr  fes 
WfMlFtêr  à<t%Milg  M  dî«etffM«lr'èt  delà  «ta^Shft^.'I^s-'tH- 
^tffll^  JaiHWs-smt  tes  ptas  fédbiftHftés  t  fls  ^«vMlHMt  Mit 

UttVHVtXgiB  «ti  Chine. 

^Oûttt)ûtfe  éBtedte'istir  crilte  ïrièftic  "cftte  "tû  '<ftte  Wets 
bMnéisf tes  ^Itf^  ctfrfetnt'ët  f 6^  i^lils  i*Sf«s,  ^  !és  I^Ufts  ^d'hiraii- 
ltelt«s,  tes  taifls  cohwestifeles  (fe  «àlàlifàh'es/lïiîfe'VoYi"^^ 
t^Ôitè,  à  aeHàifir6S'«)iO()%^  "de  l^saM^/tlàM^  tés  ^\itiës  \de 
*KtmËtéttfèKl(»lâ«ie.  Kôas-aiv^s^sîté  la  lpl\is  ^^ilde  %t 
l^pliis  bèl!6  de  iCéS'gf6t€éë;i(Sti  liôtaj^  èMétfÂiy^âfé  "StfU^  la 
Toûte  obscure,  à  «in^  pf bâi^éti^e  "éléi^tîôii  «e(tl48rë^S^  'de  la 
^hène  éeMfée'par  tftïs  ' icfft^hë^,  *è^(mâ)e  'tfn  'i^iment 
t(^ttt!titi,  iéi  CHs  Yiiétalliqtiës  iAe  1tfyHa(iës  d^  sâlâtt^Rl^s 
q«ri  altttiieYit  rfôtroehé  îèUft  prtrcWOlcYilfds  rfifi: '^Yôî^ïlbriM;. 

Mais  il  e»  fi^A^ps  'd'âlWfrdlt  'à\l  âlèf^H^ii  6t^  %  CMè  du 
Pdvte,  Màltfbôti,  la  tésWteftcte  du  èo¥i((r6fèi4r  (qu'èti  ^  m\ 
d'tfppdttfr  An^tdbôtii^trr  les  5àfftes,  IpttK^tifé  m  ^^lâlltàtie 
dtsetil  fks  aiùsn). 

NfÀiâbMi  em.  lin  des  Hè^  1é^  ^hiâ  dafi|^Mik  tf^AHèlfê, 

tampttf  *sc«i  tôsalttbrité  cjhb  parîe  peu  ist  i*éK5Urt(é  -qa^<^ 

môôté  ee  pay^  aWt  ËUl^pééYis.  ^ïièfs  ttélt^ndaîs  sV  ^^t 
installée  de  bàûte  lutté;  fuàh  itfë  qu'ils  ordôttlpi^nt  sel%d«lit 
k  tleu^  bèhtëtigs  ({bHef(f»^e^  dti  "p^ys)  et  à  làïHài^û  'ba 
ctttttfJÔleuf ,  eiûtoWéè,  «rtiùftaeles  î)tentiètogs,^e  batftès^lîs- 
sad«is  de  trbnr^  de 'codottéfè,  ^vét  d^  palvillôbs  de  ^thé  à 
tous  tes-togTé«.'La'tttiit,âétïuart€'!fèiffèm  t^^tti  d'heilVe, 
on  "entend  cérMmé  un  'tfàVill6h  les  titt^t^Vés  de  fér  des 
homYtres  dé' garde,  qdi  sëYé^OtodeY^t  ^XiWiXt  tfu  b^ntèng  et 
delà  fftàtsOhlroftîïlée.--ïî(ydfe  âVotffe  passlé  Ml  qtkîn'iefe  J'dtJh 
q\li  n'éta^ût  ps^  d'une  gaieté  fôUe.  f^ous  ne  ^ôHidûs 
qù'esCbrtésAé  nw^boyè  armes  letiSe  dfeux  ôpVi  (g«iK!les'du 
ttontrftleur),  le  fûsîl  sut-  'rëpaulè,  —  Pow  témrév  8u 
bèntèngdè  lafeftfô,  Où  jfe  ni*ètâîs^ttW<té  uti  Sbll^,  ^1a  ïôstftôn 
du  étrtitrtltelfrqttSiStalt  tômprôébfe,  —il  y  aV^tt  d*tfhè''pbrle 


à  ratfkre  vingt  pas  à  flaire,  — i|e  oxnxinmiiéaiitTMhit  illwo- 
lument  me  faire  précéder  cfim%ofmiiye)portsnit  nne  laotorae. 
A  'la  pottede'la  makon,  qui  ^tilait 'déjà  iMiifrtcQ^dée,  il  fallut 
f rappelât pa^meo ter  de  rBxtériBur,v(Miimiepo^QnrTairelew^ 
la  hepse  et  d)aisser  le  pont-^lofis.  QtHmd<la  poite  s^^ouvvft  et 
que  mon  porla^lanterne  s^écaila  pour  rœ  )ai9^r  pasaer, 
j'aperçus  encore  deux  sdldatB,  Pafme'au  iiraSy  qui  avaient 
aiar€liÀé«nr  mestalcmsy'etdonit'je  n'ayaie  pas  eittendu 'les 
pîec(s  nus,  'derrière  moi,  snr  le  'mamdam  >de  Hnadrépoyeis 
qui  'forme  le  éhemin. 

Un  jour,  fatigijtô  de  ces  lesco^teR,  je  pris  mon  fusil  et 
sortis  de  la  maison  avec  mon  lioy,  ik  'Pheure  oil  ious  les 
Bnropêens 'faisaient  la  sieste,  pour  aller 'Chasser,  a?ee  tm 
rupéjah  'du  pays,  dans  un  >bois  de  cocotiers.  —  (Le  «eeond 
i^tèng  était  dans  Tintérreur.,  k  deus  kilomètres  'peul*i8tre 
âe'ce>ui  de  la  côte.  J'arrivai  jnsque^^^à  pour  faire  visite  an 
commandant  qui  fit  aassitèt  apporter  des  oigapes  CJt  4e 
V^âlêer  Manda  (eau  hollanrdaise),  une  eau  galeuse  doftt  on 
fut  une  elFrop^ble  consommation  à  Malabou.  — Quand  je 
repris  le  chemin  de  k  cèle,  ^traversant  à  la  tomlbée^du  jour 
les  lerranns  désoMs,  couverts  de  hautes  heii)e6,  et 
s'ilevaieiit  autrefois  les  mille  maisons  du  t^rand  kampong 
de  Mailabou,  jeTÎs  venir  à  ma  rencontre  tous  les^Eupopéens 
du  pajrs;  le  con^Meor  escorté  de  tous  ses  opas,  le  ^ieu^*^ 
namt  d':Àrmanville,  commandant  <Au  fort  de  la  eôte  et  te 
diotiteur  de  ce  fort...  J'eira  vnittetaeiiit  lafensée,  devant  des 
forces  si  importantes,  de  me  repiier  on  bon  lovéue  ^avec  m^ 
hoy  sur  le  bèntèng  qve  ge  «(tenais  de  quitter.. «  3'<allais  "ètire 
«vertement  tancé.  On  me  cpojsîA  déjà  perdu.**. 

Le'Oonitrôleurmeract&nrta  alors  que,>qudques  sematnes 
auparavant,  Tescoi^e  deqinnseouiviîngthofnviesqoi  accom- 
pagne ious  les  matins  le  eonvoi  <d*afyprov'rsti»fnienff0n^s  qu 
vnei  revient  du  nouveau  bèaftièngà  la  oAte,  avsiït  élé^vtta^uée 
itfans  ce  lieu  même  par  le  teni^le  l^oukoa  Omar,  on  jeii»e 
liomsK;  et  vingitHieux  ans,  ^oi  a  déjà   ^toé  ^oinquanle 


512  ATGHÉ  ET  PÉRAK. 

Européens  et  l'histoire  de  Malabou  me  fut  contée  dans  ses 
détails   sans  aucun  ménagement. 

C'est  un  des  plus  sanglants  épisodes  de  cette  guerre  d'At- 
ché  bien  connue,  dont  je  ne  rappellerai  que  quelques  dates  : 

Jusque  dans  ces  derniers  temps  encore,  la  piraterie  des 
Atcbés  s'exerçait  dans  le  détroit  de  Malacca,  au  point  d'y 
menacer  la  sécurité  du  commerce  européen.  Les  journaux 
anglais  de  Pinang  et  de  Singapour  de  1868  à  1870  sont 
pleins  de  cris  d'alarmes  au  sujet  des  pirates  d'Atcbé.  Alors 
les  Anglais,  qui  se  font  volontiers  les  grands  justiciers  du 
monde,  se  décidèrent  à  donner  carte  blanche  aux  Hollan- 
dais. —  Ce  fut  là  l'objet  du  traité  de  1871.  —  La  guerre  fut 
déclarée  au  sultan  de  Kotta-Radjah  par  le  gouverneur 
général  des  Indes  néerlandaises  en  1872,  et,  au  commen- 
cement de  l'année  suivante,  la  première  expédition,  dont  le 
commandant  militaire  le  général  Khiiler,  était  tué  à  l'assaut 
du  Missighit,  vint  échouer  devant  Kotta-Radjah.  —  Mais  à 
la  fin  de  cette  année  1873,  une  seconde  expédition  conduite 
par  le  général  van  Swieten  revint  à  la  Pointe  d'Atché.  Le 
vieux  et  glorieux  général,  à  la  tête  de  dix  mille  hommes, 
s'empara  du  Kraton,  la  demeure  fortifiée  des  sultans,  et 
planta  définitivement  le  drapeau  hollandais  en  Atché.  Le 
général  van  Swieten  avait  alors  soixante-quatorze  ans.  Je 
l'ai  vu  encore  plein  de  vie  et  de  santé,  six  ans  plus  tard, 
à  La  Haye,  au  moment  de  me  rembarquer  pour  les  Indes. 

Le  général  van  Swieten  était  retourné  en  Europe  en  1874, 
croyant  la  guerre  terminée,  et  pensant  qu'il  n'y  avait  plus 
qu'à  attendre  la  soumission  complète  du  pays.  Mais  on 
avait  affaire  ici  à  des  indigènes  bien  différents  des  autres 
contrées  de  la  Malaisie,  une  population  fière  et  belliqueuse, 
qui  ne  devait  pas  désarmer  de  sitôt.  Les  Hollandais  étaient 
forcés  de  reprendre  l'offensive  en  1875  et  en  1876.  Et  c'était 
le  général  van  der  Heyden,  que  nous  avons  trouvé  encore 
à  la  tête  de  l'armée  d'Atché,  et  que  j'aurai  l'honneur  de 
vous  présenter  tout  à  l'heure,  qui  devait  porter  les  plus 


ATGHÉ  ET  PÉRAK.  513 

rudes  coups  à  cette  résistance  acharnée  des  Atcbés  qui  avait 
pris  des  proportions  inattendues. 

C'est  en  1877,  dans  ces  alternatives  d'offensive  et  de 
temporisation  que  les  Hol]anj(3ais  décidaient  d'occuper  un 
point  central  de  la  côte  ouest  d'Atcbé  et  d'établir  un  con- 
trôleur à  Malabou. 

Un  navire  arrivait  alors  dans  cette  rade  chargé  des  ma- 
tériaux nécessaires  à  la  construction  de  la  maison  du  con- 
trôleur et  du  bèntèng  où  devait  s'installer  le  poste  mili- 
taire.  Les  matériaux  étaient  débarqués  sur  la  plage  et 
confiés  à  la  garde  de  dix  soldats  indigènes,  pendant  que  le 
contrôleur  restait  à  bord  du  navire  qui  croisait  sur  la  côte 
en  attendant  la  construction. 

L'État  de  Malabou  qui  avait  alors  40000  habitants,  à  ce 
que  m'ont  raconté  les  radjahs  du  pays  -^  et  qui  n'en  a 
pas  4000  aujourd'hui  —  était  gouverné  par  le  vieux  Ked- 
jourouan  Toukou  Tchi,  ouloubalang  du  sultan  d'Atché, 
qui  avait  lui-même  trois  datous  et  seize  ouloubalangs  sous 
ses  ordres  (ouloubalang  signifie  lieutenant  ou  vassal;  les 
Kedjourouans  étaient  les  radjahs,  sortes  de  grands-dues 
feudataires  des  États  des  côtes  d'Atché,  vassaux  du 
sultan).  Toukou  Tchi  avait  trois  fils  :  Toukou  Mouda  ou 
Kedjourouan  Mouda  (le  Kedjourouan  jeune)  son  fils  aîné 
et  son  héritier  présomptif,  Toukou  Itam  (le  Prince  Noir), 
et  Toukou  Omar,  dont  nous  avons  déjà  parlé. 

Le  soir  du  premier  débarquement  hollandais  sur  la  côte  de 
Malabou,  Toukou  Itam  vint  trouver  les  dix  soldats  qui 
avaient  été  laissés  sur  la  plage  et  leur  proposa  du  schèndou 
(opium  préparé  pour  ^ôtre  fumé),  en  échange  de  leur  riz. 
C'était  offrir  à  des  soldats  indigènes  une  tentation  à  la- 
quelle ils  résistent  rarement.  Ils  acceptèrent.  Le  Prince 
Noir  fit  largement  rechange  et  les  soldats  se  livrèrent  à  une 
telle  débauche  d'opium  qu'ils  tombèrent  tous  iVres-morts. 
Alors  Toukou  Itam  avec  ses  Kawan  (ses  compagnons 
d'armes),  leur  coupa  la  gorge  et  s'empara  de  leurs  armes. 


5U^  ATCHI.  Et-  PiftAïK. 

f 

lift  lendfiBiftiii)  ,Ia  430BteÀkiir  iriai  ë«maadec  coo^p^te  da  ce 
meurtre  au  Kedjourouan  et  lui  donaa  iriBgl-qiifttre.  beores 
pour  lui  Utmhp  les  muÊstn^n*  Le  vieux.  Toiikou  Xcbi,,  qui 
Q^éitaU.  pas  uaBruiii^âai  trottmiiiaas  1  eplusigrand  em^ 
MaÀ&  sasitt»  leLmiceati  à  Faiset.  Le^  sûiE  atème  toutes*  lea 
maisons  flambaient  à  Malabou.  Les  fils  dii  Ktt<yaittOiiaii^ 
afiO0m[Uigii^  des  IiQamsr(Ies  prêtres» musuioMtns),  paroou- 
ratoftt  .le  KampuMig^  pgêchaai  lai>gjaerre  saîate,  la  vésisUnce 
à  Ifétraog^,  et  ejitcaiiiaient.leahaâ>itaAis  à:  se  réfugier  a9eo 
eus daos.les  iiMiitagj9/e8y,  meuaçant  d'ailieucsde  mort  ceux 
qiii  refusanaifiat  de.  las  suivrek  Toute  la  nuit.  un.  immense 
ioAeudie  éclaira,  la  c6iey  et.ajirant  Texfi^atioaides  délaie  fixés 
par  le  contrôleur,  il  ne  restait  à  JAalabott.nl  un&psùUotle  ni 
ua  babitaaL  Lest  feamiQ&>ei Jes^enfanis  slétateot  enfuis*  avec 
les  hAmmas,,au.iioinbre  de  dix  mille,  peutrétse,  n*aj/ant  pp 
emportée  que  leur  argentou  leurs  bijoux;  cesmalbettreuxy 
saos  abris,,  san^provisionSy^urent  mourir  par  nuilier  s  dans 
lesjpucs  qui  suivirent  ce  fol  élan  d'indépendance. 

Le  contrôleur  revint  pour  demandée  compte  cette  fois  de 
rinisendie.du  kampong.  Le  Kedjourouan  de  plus>en.  plus 
embarrassé  inventa  une  histoire  et  raconta  qfie  les  G«iuoux 
étaient,  descendus  des  montagnes  et  avaient  4 tout  ravagé 
pendant. la. nuit.  Cette,  version. s'accrédita,  un  moment,  et 
je/me. rappelle  que  c'est  celle  qui  me  parvint  à.ûéli,  sur  la 
côte  est  de  Sumatra  où  j'étais  à.  cetto  époque*  Mais  i'enr 
quête,  faite  par.  le.  contrôleur  hollandais  lui  apprit  bientôt 
qufauQun  chemin  ne  mettait  Malabou  en  communication 
dira(de.avec  le  pays  des  Gaïoux.  Ceux-ci  auraient  dû,  p^ir 
conséquent,. venir  par  la  côte^..de  Soussou  ou  de.  tout  autre 
point  où  ils  peuvent  aboutiri,  et  la. côte  était  bien  gardée^.. 
Le^yieux  Kedjourouan,  ne  sachant  àquels  saints  se  vouer,  dé-^ 
clara  alors  qu!il  allait  dire  la  .vérité,. et  dénonça  conunecou- 
pablesJes  babitants.de  Morbao,  un. kampong;^ui  était  de 
l'autre. côté  de  la.baie^. administré  par  un  xiatou  ^makis,  le 
datoUoYanggput,  descendant  d'jun.des  chefs  des  «  Douze* 


Depuis,  le  vieux  Kedjourouaa   est  mort  ;.  m^U:  s^t  81^^ 
n'<;MPt.P$i3  dâ^arnfté»  et  Sj^nti^OMon^  p^PMh  lei^i  iOAPiwid:, 
tewf^t  .l%,mi;^Q}Àgl^*^tt*tfiPtaAt  PMl<M«M.eaiiCbef#(de':;b9i»iH%^ , 
le^,  QQupft;d^)a(^iQ^,lef  ^plu&Mddi:i««ll< 

Telles  sont  les  diflicullés  politiques  et  militstiita^.qtte  1^9^. 

lati^a  aj|jLttpi6us(3,«^.:fl^ff^,  iQliép^odaqMiQt.balli4]U;eiu»«i^.qui) 

Jo^^^s«lU,yeû|fcd§îJ:^«>,axee.sw.eno^^ïU  Uïfti&qui  ppûasQelai 
braiî<>.ivie>e(  le,méppM  daila,moI^l  juft^u'à  rbé(^>)LS9)et. 

tifti  liQuIiônaiHè  d;Açm^8*filte,  ni;a,.  raQootéi  à.  Miildbottv.  Cftt 
faLtttq^i  xQpQl^^  bi^naraQbaflae^açativdQik  combatt^Als^ disiasi. 
la  ,gupi?r^  4' Atçbé.  '  A  G,u€dongi.ou;.le,lieutenftat  coaiioftiir 
dajjj.  uflft  coojpagaie  pendant  reupéditiQU:  de  IST^i-  il  voil»: 
veqîf}  à Jai)  jui^  b£|djb.  un  prêtre  iQiisviiioan^^  vêtu.  de.  la;lao- 
gu§  robp  bLanchç  et  brapdiatsaot  ua.»  gfîand<  kléfViaQ.   La 
lieuteodQt  o^dQao»  à  dçtoi^  de  ^m  soldats  d^  f^iire  fau^  Deux 
balles,  fnappQRile^bAdji  san^rai!i?êt6r:;  1q%  soldats  tinenb  Mii#^r 
seconde.fQi^  LÎAtebé*  qttilrebftllBsdaps^le  corp^^et  avance 
toujpui^.  UpA.cinqMÎjÈini^  bftUe  Je  fr^app^^  au*  bas^  de  la  jambes 
et  lui  bri(>ie  la  cbfty,ille  aun^piQeat  pu  il^arrivaili  &Mr  rofilQie^ 
bollAPdt^S!;  iUombe  alpr^,.  mm  en  s<i  roulant  ju^a'à.Juii. 
pQHrlQ  mQrdre,et  il.  expire  tenant  Je. bfta  du.  pantalon  .de» 
son-enpf^mienira  ses  denta. 

Cette  rag^idqvait^paturelleqfïQnt  provoquer  uni  seatimAOti. 
detr^ipfji^ailP  dao^,raiu».ée  bolIandaisQ.;  cette  ariniâ^a.eu 

aus^^de»  CQ^balt^i^te  terribles.  iœpla6«àle$r  pa3<^ 
de,répéft,tQu%le»,  défeQft^urs;de«  bèotèngft  doot JlB,.<ea3tpan 
laimtiie^otiiPf^jsaane-diaiUQiorâ^  net^ong^^ib  ^idâi»Md0r< 


516  ÂTCHÉ   ET  PÉRÂK. 

grâce  ;  incendiant  et  ravageant  tout  sur  leur  passage,  ne 
faisant  jamais  quartier  à  un  ennemi  qu'ils  considéraient 
comme  sauvage*...  Il  a  fallu  partout  prendre  le  terrain  pied 
à  pied.  Et  c'est  ainsi  qu'a  été  enfin  conquise  la  province  la 
plus  importanle,  celle  qui  formait  le  domaine  de  la  cou- 
ronne du  sultan,  J^cA^  Bessar,  le  grand  Atché,  qui  occupe, 
autour  du  Kraton  et  de  Rotta-Radjah  (la  Ville  Royale),  toute 
la  pointe  de  l'île. 

Cette  partie  d'Atché,  je  puis  faire  mieux  que  vous  la 
décrire  :  je  vais  vous  montrer  les  photographies  que  j'ai 
prises  pendant  mon  séjour  de  plusieurs  mois  à  Oulélé  et  à 
Kotta-Radjah. 

Atché-Bessar  était  divisé  en  trois  districts  qu'on  appelait 
des  Sagui  :  la  sagui  des  Vingt-Six  Moukims,  la  sagui  des 
Vingt-Cinq  et  la  sagui  des  Vingt-Deux  Moukims.  Le  raoukim 
est  une  division  en  même  temps  religieuse  et  politique, 
canton  et  paroisse,  qui  a  un  Missighit  (mosquée)  et  se  sub- 
divise en  plusieurs  Btfiapa  (communes).  Chacune  des  trois 
saguis  était  commandée  par  un  Grand-Panglima  du  sultan. 
De  ces  trois  Grands-Panglimas,  dont  le  titre  à  été  aboli  par 
les  Hollandais,  l'un  est  mort  en  combattant;  un  autre,  qui 
s'était  rallié  aux  Hollandais  dès  leur  arrivée  dans  le  pays,  a 
eu  pour  successeur  mon  ami  Toukou  Lohong,  dont  je 
regrette  bien  de  ne  pouvoir  parler  dans  le  cadre  étroit  de 
cette  conférence  ;  le  troisième  Grand-Panglima  est  encore 
au  nombre  des  insoumis,  et  probablement  à  Pédir.  Les  deux 
points  de  résistance  sont  encore  Samalanggan  et  Pédir  sur 
la  côte  nord  d'Atché.  Je  me  suis  laissé  conter,  pendant  que 
j'étais  à  Kolta-Radjah,  qu'il  y  avait  encore  à  Pédir  20000 
guerriers  armés  de  fusils  à  tir  rapide  et  à  percussion  centrale. 
Outre  ces  20000  fusils,  il  y  aurait  encore  80000  lances  à 
Pédir.  Là  est  un  enfant  vénéré  des  insoumis,  le  descendant 
et  l'héritier  des  sultans,  élevé  par  sa  mère,  probablement 
comme  Annibal,  dans  la  haine  de  Rome  et  le  sentiment  de 
la  vengeance.  Mais  ce  qui  a  déjà  sauvé  les  Hollandais,  quand 


ATGHÉ  ET  PÉRAK.  517 

Atché  a  eu  son  Abd-el-Kader  dans  la  personne  du  fameux 
Hadji  Habib-Abdoul-Rachmam ,  ce  qui  les  sauvera  encore, 
c'est  qu'il  n'y  a  pas  la  moindre  cohésion  enlre  les  divers 
petits  États  qui  forment  le  pays  d'Atchéetqui^sousles  sul- 
tans, étaient  le  plus  souvent  en  guerre  entre  eux.  Pédir  ré- 
siste encore,  fier  d'ailleurs  de  son  importance  et  de  son  an- 
cienne origine;  un  dicton atché  est  ainsi  formulé  en  malais  : 

«  ATCHÉ   BESSAR  KAPALA, 
PÉDIR  BADAN,   PASSÉ  KAKIGNA.  » 

Ce  qui  veut  dire  : 

a  LE  GRAND   ATCHÉ  LA     ÉTÉ, 
PÉDIR  LE  CORPS,  PASSÉ    LES  PIEDS.  » 

parce  que  la  sultanie  d' Atché  qui  avait  commencé  à  Passé, 
sur  la  côte  Est,  a  eu  longtemps  ensuite  sa  capitale  à  Pédir. 
C'est  Morhoum-Kotta-Allam,  le  plus  grand  des  sultans 
d'Atché,  dont  le  nom  illustre  m'a  parfois  servi  comme  de 
mot  de  passe  auprès  des  indigènes,  qui  transporta,  au 
XVI"  siècle,  le  siège  du  gouvernement  à  la  pointe  d'Atché 
et  en  fit  la  tètedu  pays.  Mais  la  plupart  des  Kedjourouan 
ont  déjà  fait  leur  soumission;  Pédir  bloqué  par  les  navires 
hollandais  finira  par  se  lasser,  et  sa  soumission  mettra  le 
sceau  à  la  conquête  de  cet  admirable  pays  qui,  constituera 
certainement,  avec  sa  vaillante  population,  une  des  plus 
précieuses  possessions  de  la  Hollande. 

Projections 

Les  Hollandais  ont  déjà  donné  à  la  pointe  d'Atché  un 
aspect  européen  dont  on  est  frappé  lorsqu'on  aborde 
Sumatra  de  ce  côté. 

Tous  les  navires  qui  arrivent  d'Europe,  après  avoir 
quitté  la  station  de  Geylan  pour  s'engager  dans  le  détroit  de 
Malacca,  viennent  reconnaître  le  «phare  de  Sumatra», pas- 
sant au  milieu  du  petit  archipel  de  la  pointe  d'Atché,  entre 
les  îles  de  Poulo  Bras  (l'île  du  riz  cru),  Poulo-Nassi  (l'île  du 

soc.  DE  GÉOGR.  —  4«  TRIMESTRE  1885.  VI.  —  35 


rte  ciA)  et  ftmA^yé  (l'Ite  àe  ila«»feii>^  idnsi  appeléit  yonG^ 
4M  cttlte  tte^  ^t  était  aâlrefeît  to«l  fffèB  de  Pdtt)ô«'FiMâii^ 
du  fut  etiaaséi»,.  et,  èprè&  otie  keurèiH»  navigation^  fkrt 
s'étâMir  à  )a  plac^  ^ù'tflle  ocKsnopè  aujomd*hQiy  slÂvâm  b 

Le  pilaire  «stdorfîte  de  i^eiile-&raé^  Is  phis  atAMée^  ot 
éeiaire  ce  qtt'M  pe«fr«il  apy l^tat  c  )a  P6rle  ds  te  M^laîMe  » 
à  neuf  lieues  à  la  ronde. 

C'est  à  Poulo-Bras  qu'est  le  dépôt  de  charbon  pour  l'appro- 
visionnement  des  navires  de  la  marine  hollandaise.  C'est  là 
que  débarqua  d'abord  la  première  expédition  contre  Atché 
avec  le  choléra  qu'elle  portait  de  Batavia,  et  c'est  là  qu'a  été 
la  tombe  du  fameux  Bixio,  lieutenant-général  du  roi  d'Italie, 
qui  s'était  fait  afitfateût  potif  cette  expëdilfôn. 

Ouléfé  est  le  p&tt  d'Abbé,  à  la>  pcânie  ée  Sumâftr&«  Elle  esl 
refiéeè  la  e^pitrie  pwv/a  télégraq^ei  électrique  et  ta  etiemin 
de  fer. 

Kotta-Radljah,  la  Ville-Royale,  eapitale  d'Atchéy  à  huit 
ou  dix  kilomètres  d'Oulèléy  dans  l'intérieur,  sur  la  rivière 
d' Atché  comprend  : 

Le  Kraton,  ancienne  forteresse  des  sultans^  où  est  aujour- 
d'hui l'habitation  du  gouverneur  et  les  bureaux  des  divers 
services  militaires  et  civils^  au  milieu  des  baraquements  des 
soldats  ;  l'église  catholique,  qui  relève  de  la  cure  de  Padang, 
fondée  par  des  Françaisy*et  éis^jfn^  reçu  une  bonne  hospita- 
lité dans  la  paillotte  du  missionnaire,  le  vénérable  abbé 
Vèrbraak,  à  mon  arrivée  à  Atché;  et  le  nouvel  hôpital,  qui 
e^t  malheureusement  e&core  un  des  établissements  les  phis 
importants  de  ce  pays. 

J'ai  été  retenu  là,  par  la  plus  grande  inondation  que  îesDùro- 
p^eAs  aient  subie  à  Atè^hé  et  dont  j^ài  pu  prendre  pïusieurs  vues. 

Je  ne  t^Vi^iis  oublier  ide  VoU's  (^rler  de  S.  tiit.  h'  g(SkiéMii 


^1  af?a«  «éjou¥ife  Te  pins  lô^nglemiis  BàVis  ce  "pif h,  64  le 
ctknat  tisttil  tité  les  Èury>p*ens  {iieiidant  là  eàiïifrà^8.  ïl  à 
>tt8  le  ejômftwttïdèiAènt  eft  eheî  del'arMe  û'kiéhS  ëii  \ilT. 
Il  tt'étrfit  fiflow  tîde  isolfftWl  ^fc  sâccéfdait  à  nt^fe  ^éH'é  *è 
géiféi'àux.  Màfis  de  briMaÀt^  fait^  d'àrïne^  TatSi^ht  'éfëjà 
signaM  Conrfftfe  uïi  des  èffleifers  lès  pies  àple^  h  cdiidiiiH 
eette  gnefte  tlifficite  ^  itaéfuf  liWrti.  SôtI  visage  pà^té  Kè 
tritees  ^'UBô  glorie\à«e  Wèssute.  le  Ôiràî  cbmmetit  ii  fà 
reçue,  rien  ne  saurait  mieux  moiiti'e^  son  caràeUfeVe  de  fè^ 
et  son  incroyable  énergie  : 

C'était  à  là  "balaille  de  Samalanggàn,  une  des  plus  chaudes 
à'tfaîrèsdelâ  guérite  d^Atché.  Le  colonel  vari  derHeyden  qui 
éômihàndàît,  reçut  cobp  8\ir  coup  deux  blessures  à  l'œil 
^àucbé.  À  Jà  seconde,  une  talïe  traversa  l'œil  et  pénétra  si 
profondément  dans  la  tête  que  le  colonel  la  rendait  vingt- 
six  jours  après  par  la  gorge  ! ...  Et  malgré  cette  blessure,  il 

irîger  les  mouvements  de  ses  troupes  et  né 
quitta  le  champ  de  bataille  que  lorsque  la  nuit  eut  mis  fin 
au  combat  ! 

É^ëst  dans  leâ  campagnes  de  Samalanggàn,  dé  Guedong, 
dés  Vingt-Deux  et  des  Vingt-Six  Moukins,  qui  ont  été  la  fin 
(iu  grand  Àtché,  que  le  colonel  van  der  Hëyden  a  gagné  ses 
grades  dé  général-major  et  dp  lieutenant-général,  avec  le 
titré  d'aide  de  camp  du  roi  des  Pays-Bas. 

Le  général  van  der  Heyden  s'est  constamment  montré 
^ôui  S!,  de  la  Croix  et  pour  moi  d'une  courtoisie,  d'une 
bîènvéillahce ,  je  dois  même  dire  d'une  hospitalité  dont 
hôûs  g^tdons  un  souvenir  reconnaissant. 

Il  est  aujourd'hui  iiotre  collègue  à  cette  Société  où  j*ai  eu 
1  hoYineur  de  le  présenter  avec  M.  de  Lesseps. 

Le  kampong  chinois  d^Oulélé  ressemble  exactement  à  tous 
les  kampongs  chinois  que  j'ai  vus  à  Java,  à  Singapour,  à 
Pin^iiff.  r.  m  ivmit  m  Ghitidïs  ^{itto^t^  et  fyaVt<M  aVec 


530  ATGHÉ  ET  PÉRAK. 

leur  caractère  bien  tranché,  ne  s'assîmilant  aucunement  aux 
populations  au  milieu  desquelles  ils  vivent.  Ils  portent  la 
Chine  avec  eux  et  semblent  vouloir  l'étendre  à  tous  les  pays 
où  ils  émigrent  Le  monde  est  menacé  de  devenir  une  vaste 
Chine!  — Bienlôtils  nous  envahiront  probablement. Ils  vien- 
dront chez  nous  comme  domestiques,  comme  artisans, 
comme  tailleurs,  comme  blanchisseurs,  comme  koulis, 
comme  cultivateurs  peut-être  pour  combler  les  vides  qui  se 
font  tous  les  jours  plus  grands  dans  nos  campagnes....  Il  y 
aurait  trop  à  dire  à  ce  sujet  ! 

Il  me  resterait  encore,  pour  remplir  le  programme  de  cette 
communication,  à  vous  conduire  de  l'autre  côté  du  détroit 
de  Malacca,  à  Pérak,  dans  la  presqu'île  malaise.  L'heure 
m'oblige  à  vous  renvoyer  aux  ouvrages  que  j'ai  publiés  sur 
ce  sujet  *. 

J'aurais  voulu  aussi  pouvoir  aborder  devant  vous  le  cha- 
pitre intéressant  des  femmes  d' Atché.  —  J'ai  pu,  après  l'avoir 
vainement  tenté  avec  mon  ami  pendant  cinq  mois,  pénétrer 
seul  enfin,  à  un  second  voyage,  au  milieu  de  ces  redouta- 
bles Orangs-Atchés  dont  on  nous  avait  longtemps  objecté 
la  perfidie  et  la  férocité,  démontrées  encore  par  le  meurtre 
de  nos  deux  compatriotes.  —  J'ai  habité  le  bèntèng  de  mon 
amiTonkouLohong,  Kedjourouan  de  ce  pays,  et  la  maison 
môme  où  logeaient  trois  de  ses  femmes  —  en  très  bonne 
harmonie,  je  dois  le  dire  en  passant.  —  J'ai  fait  là  une 
carte  d'un  coin  de  pays  neuf,  qui  n'avait  pas  été  encore 
relevé,  carte  bien  modeste,  dix  kilomètres  de  rivière  environ, 
mais  qui  me  conduisaient  déjà  au  cœur  des  montagnes,  et 
à  travers  une  contrée  difficile  et  dangereuse  encore  où 
plusieurs  hommes  ont  été  tués  par  les  tigres  pendant  mon 
séjour.  J'ai  pu  pendant  ce  temps  m'initier  aux  lois,  aux 
usages,  aux  mœurs  des  Atchés,  et  j'aurais  voulu  vous  dire 
surtout  le  rôle  important  que  la  femme  joue  dans  celte 

1.  Pérak  et  les  Orangs-Sakeys.  Pion,  Nourrit  et  C**,  éditeurs;  Paris. 


ATCHÉ  ET   PÉRAK.  521 

société  que  nous  croyons  entièrement  sauvage....  Mais  le 
récit  de  cet  épisode  qui  a  été  certainement  le  plus  intéres- 
sant de  mon  voyage  va  être  livré  à  la  publicité,  dans  un 
second  volume  qui  aura  pour  titre.  Chez  les  Atchés  *. 

Je  n'ai  plus  qu'un  mot  à  ajouter.  Ce  sont  les  idées  colo- 
niales qui  ont  dominé  mes  préoccupations  dans  mes  voyages 
et  qui  les  domineront  toujours....  Il  y  a  quelques  jours* à 
peine  que  mon  compagnon  de  voyage  vient  d'aborder  de 
nouveau  à  Pérakoù  il  retourne  pour  commencer  un  établis- 
sement français  sur  les  concessions  que  nous  y  avons 
obtenues,  avec  le  concours  éclairé  etTappui  le  plus  bienveil- 
lant des  autorités  anglaises  de  la  colonie. 

On  commence  aujourd'hui  à  se  passionner  en  France  pour 
et  contreles  idées  coloniales.  Jusqu'ici  le  réveil  de  ces  idées 
qui  est  dû  surtoutau  monde  géographique  avait  obtenu  une 
adhésion  générale  mais  platonique.  Aujourd'hui  il  y  a  un 
progrès  dont  nous  devons  nous  réjouir:  les  idées  de  colo- 
nisation trouvent  leurs  détracteurs,  ce  qui  prouve  qu'elles 
entrent  dans  la  période  de  réalisation.  A  Dieu  ne  plaise 
que  je  suive  celte  question  sur  le  terrain  politique  oîi  elle 
semble  s'engager:  je  sais  que  ce  serait  s'écarter  de  toutes 
les  convenances  de  la  Société  devant  laquelle  j'ai  l'honneur 
de  parler.  Mais,  sans  me  préoccuper  aucunement  des  pas- 
sions de  partis  qui  divisent  notre  pays,  et  auxquelles,  avec 
mes  collègues,  nous  restons  étrangers,  nous  qui  dans  Téloi- 
gnement  où  nous  sommes  souvent  de  notre  patrie  ne  la 
voyons  que  comme  un  tout  uni  et  ne  concevons  en  France 
que  des  Français,  il  m'est  bien  permis  d'apporter  ici  l'opinion 
patriotique  d'un  voyageur  et  de  dire  que  nous  ne  pouvons 

1 .  Ce  volume  :  Chez  les  Atchés^  Lohong  (île  de  Sumatra)  vient  de 
paraître  chez  Pion,  Nourrit  et  €'•,  10,  rue  Garancière,  à  Paris. 

Un  troisième  volume,  qui  est  le  premier  du  voyage,  parait,  en  même 
temps,  sous  le  titre  :  De  France  à  Sumatray  par. Java,  Singapour  et 
Pinang,  les  Battaks  anthropophages,  avec  cartes  et  nombreuses  illustra- 
tions, chez  Oudin,  17,  rue  Bonaparte,  à  Paris. 


5^  V^c#»  Pf»M^ 

On  ré4(}jita  les  Yie^x  cliph^,  ^mî  saipb^p^t  fifci^pwt»: 
depuis  quelque  temps,  sur  le  défaut  d'aptitudes  colonisa- 
tripes  dp,  Bpire  rafifi^nous  qisfi  ^yf^^^  ^(  la  (JaM4^«t4>P«lps 
P*^s,qqi9pt,si  {^QfQp4éiz^eaf  «HW^erv^l'^Mf^te^reeQl^fi^ 
q^  ^fT^s^le^j;  ^b^cn^UQ^s^ig^  av^PMfLOwiWf.dW^ 
qR.8l«f*9p  ^ndiveD^euHA  o^éi^ipç^  ^  W4  i^fl  W^W%«W. 

Qfl  dit  qifs  no\^s.  dis&émiopfi^  no^.  ff|ree#»..^  BwséqHUPr 

vive  à  laquelle  les  ffixq^  d^'m  w^J^  BUÎs^^lA  §f)  «%lr^N^ 

ÇÇMPK  du  wqp^e,,  syf^is,  s^^c^ptuèt^.  «^l«l4«|e»?>  K%^  n^^ 

carf^çtèr^  ;  ^  dç^jpuo^  g«P^qi^  sftwei^^  f«st^  ffivc^^oili 

s'é^r^ssçfl^  qjHftP4t  Uf<  sp  tfcmyeftt  ^l^  4»b&  4^  f^ 
iQiqtains,  eq^p^és.f«c«^  4'qn%-  tj^ç^e  lnpQrt^[lto  ^  f^WSfm 
^'m.  ^\kh  ^1^  ^1  ^tk^^ri?^;  eU«  eq  fa^t  4§  vy^  ^^^  df 
famill^  (}ui  uç.  s;^raiçrQvitiPa§  4.ul  upqi!>jr«|  dg^  leurs  wOi^Ui, 
WH;<î«qyil?>y/Brrppt  4e  l^jp^c^rw^^^.  s'î^AWJir  4^]i{Wl^««ih- 
^9'}^  PC  qi^e  l^,C9jlffliis§j^^,a,|v^  AftBAftis  «J  %ft*qH'^ 
PÇPt  Jf^W  Vte  A9MÂ1 

cftRQj4ftiP  OftlftW^lfti  GfiWJBÇMt  ¥>lW^J^^îi^ûtriJ|,  ^^wftPWW- 
c^ffX  W,Î4 %sq^jjg  ç'ç^^  uç^,îîr^pç^,  ijvft^  ^  9!m^m.^Vfm 
pures  de  notre  époque,  une  des  plus  hautes  et  des  plqs 
puissantes  çersçun^lités  du  nipn^ç  aq^ot^rj^'l^yÀi  «SlL4.«||P«l 
n?fllAVfftps  viiQiiftftUf  d'a^Yoijf.i4  h  Wte#  t4*%^ftWWï¥M»fl«4fl|t 
d^  oeitift.  Sûciélé^  qui  ouvre  aux-  na;(ri^teup^  tes  ^b^(|n^ 
portes  des  océans  ! 


J 


f 


V0VA6t 

DA|<S   LIS 
PAR 

(1876-lg77) 


TTTJ mu  I.L.I. 


à  xol  4'm9eftii.  U  jm  a  raj^a^té  e&T^/^pi»  HQQ  ^^pi^fi^  de 
pianA^ë^  âatr^.^ette  ç^UçOipn  çooisidéra&te  ^U4  i9»(  d^j^:^ 
au  Muséum  d'histoire  naturelle  où  JH  l'a  lu^i-OOiito^  étÂ^^Vi^ll^^ 

l#.  iwi!99w  ft^lttcajj^  a  ri^^m«iU|i  iu  M>rfmUQm  4'i9t4rôt 
{^r^bi^l^  qa*^;»!^  broiitver^  dam  1q.i$  ys^^  $Miy;9<0iles« 

l'appréciation  du  docteur  Hamy  à  ce  sujet: 

€  M.  Vidal  ^nèzé^  a  ^cpttXjEirJ,,  çft  Gaaï|)agnie  de  Jean 
Noetzli,  des  sépultures  d'un  type  fort  remarquable  sur  la 

mfmt^tm^  %ie4f»ii«m#.  Jl  k$  «  foi|iUéf^4fM4i^^  en 

km  wmér'mm^  Au  .9w^4>ltoo^Ai)fcii^,  ide  ites^csIsiQs  ii 
pfffHKejimt  4^  fQ«iiUm  de  ML.  Snwi^e^  i^fiit  été,  déjM^^s  paie  Iqj 

1.  Cejtie  notice  a  été  obli^Q^iivneat  revue  en  épreuve  par  le  fttt|^eur 
de  la  mtssicHi  des  Lazaristes  à  Fopayaa.  —  Les  Qobes  aocamf  a|;«ad»t  4e 


524  VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

duHaut-Pérou.  Ony  voildesvasesd'une  facture  toute  spéciale, 
fort  différente  de  ceux  qui  ont  été  recueillis  dans  les  autres 
parties  du  Pérou,  des  ornements  en  os  découpés,  des  poin- 
çons en  os  dont  le  manche  est  orné  de  figures  d'animaux, 
des  haches  de  pierre  d'un  type  spécial,  des  têtes  d'idoles  ou 
autres  en  pierre,  etc.,  etc. 

»  La  découverte  du  mode,  inconnu  jusqu'à  présent,  des 
sépultures  de  Piedra  Grande,  et  les  collections  ethnogra- 
phiques d'un  caractère  entièrement  nouveau,  formées  par 
le  pauvre  Senèze  dans  la  région  dont  il  a  été  le  premier 
explorateur,  offrent  un  réel  intérêt. 

))  Quant  aux  objets  recueillis  par  lui  chez  les  Indiens  mo- 
dernes du  bassin  de  l'Utcubamba,  on  les  trouvera  au  musée 
d'ethnographie  encadrés  entre  les  collections  formées  plus 
au   Nord  par  M.  André  et  plus  au  sud  par  M.  Wiener.  » 

Vidai  Senèze  est  mort  en  1878,  au  cours  d'un  voyage  où, 
chargé  d'une  mission  par  le  Muséum,  il  se  disposait  à 
aborder  aux  îles  Chincha. 

A  la  suite  de  ce  travail  de  Vidal  Senèze,  on  trouvera  deux 
notes  complémentaires  que  M.  le  docteur  Hamy  a  bien 
\oulu  rédiger:  1*  sur  la  construction  des  sépultures  de 
PiCdra  Grande;  2"  sur  les  momies  rapportées  par  M  Senèze. 

PREMIÈRE  PARTIE  (EQUATEUR) 

De  Guayaquil  à  Loja.  —  Le  20  octobre  1876  nous  quit- 
tâmes Guayaquil  à  bord  d'une  chata  (chaloupe)  et,  passant 
auprès  de  l'île  Puna,  nous  entrâmes  deux  jours  après  dans 
la  rivière  de  Santa  Rosa.  Très  profonde  et  large  d'environ 
300  mètres  à  son  embouchure,  cette  rivière  devient  de  plus 
en  plus  étroite  et  décrit,  à  mesure  qu'on  la  remonte,  d'in- 
nombrables la(^ets  qui  en  rendent  la  navigation  très  difficile. 

Le  pueblo  de  Santa  Rosa,  où  nous  arrivions  le  lendemain, 
est  bâti  à  une  demi-lieue  de  la  rivière,  sur  la  rive  gauche, 
au  milieu  d'une  grande  plaine  peu  boisée,  traversée  par  une 


VOTXGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.      525 

petite  rivière  et  plusieurs  petits  cours  d'eau.  De  grands 
marais^  remplît  de  caïmans,  s'étendent  au  sud  de  la  plaine 
dont  le  climat  est  aussi  fiévreux  que  brûlant*. 

Une  église  est  le  seul  monument  du  pueblo  qui  compte 
environ  2000  habitants,  en  majorité  de  race  blanche. 

On  y  voit  deux  écoles  avec  un  instituteur  pour  les  garçons 
et  un  pour  les  filles. 

Plusieurs  excursions  que  nous  fîmes  dans  les  environs 
nous  permirent  d'apprécier  les  mœurs  hospitalières  des 
habitants,  et  les  richesses  botaniques  du  pays  qui  est  exces- 
sivement fertile. 

On  y  cultive  surtout  le  café  et  le  cacao.  Ce  dernier  est 
cependant  d'une  qualité  moyenne  et  ne  donne  pas  toujours 
des  résultats  satisfaisants  ;  aussi  la  culture  en  est-elle  un 
peu  sacrifiée  à  celle  du  café.  Celui-ci,  d'une  qualité  supé- 
rieure, réussit  à  merveille  et  rapporte  de  bien  plus  beaux 
bénéfices  que  le  cacao*. 

De  Santa  Rosa  nous  nous  dirigeâmes  sur  Ayapamba, 
qui  en  est  éloigné  d'un  jour  et  demi  de  marche.  Le  premier 
jour,  il  faut  bien  passer  et  repasser  soixante  fois  la  rivière 
qui  va  arroser  les  plantations  de  café,  cacao  et  bananiers  de 
Santa  Rosa,  et  dont  les  bords  sont  garnis  d'une  splendide 
végétation.  Le  climat  y  est  tempéré  par  le  cours  d'eau  et 
l'ombre  de  grands  arbres. 

Nous  nous  déterminâmes  à  passer  la  nuit  dans  un  tambo 
appelé  chouta^y  du  nom  d'un  palmier  qui  fournit  la  char- 
pente du  hangar.  Les  vipères  abondent  en  ce  lieu,  ainsi  que 
les  singes,  dont  les  hurlements  ne  favorisent  guère  le  som- 
meil du  voyageur. 

Nous  partîmes  de  très  bon  matin  afin  de  pouvoir  escalader 

1.  Le  climal  de  Santa  Rosa  est  pourtant  meilleur  que  celui  de  Guaya- 
quil. 

2.  Le  café  est  exporté  au  Chili  et  le  cacao  en  Europe. 

3.  Simple  hangar  servant  de  halte  et  d*abri.  Le  mot  s*étend  quelque- 
fois à  de  tous  petits  hameaux. 


calier  tournant,  4QiiA  tos  ||i«ir/cbA$  ikMtute^  4'^virQ9  StO  p#iit>«- 
ip^Uï^  sç  trOttVi^At  pr(9^tégé^4^is  ileiM;;^  cô^téi»  pa^  de»  pjr^i- 
pices  eSi?«i)^«E|W.  Y^rs  IQ  b^urf#  »o«$  amvÂPfte^à  4|MIFM^toS 
^tjH/é  .^r  le  T^^arftt  ^.ud^^^t  4e  1^  mcNotogi^  T¥f^a1^  >Ge 
village,  récemment  formé  par  un  prêtre  g»!  euXie^t.Àfe  Ç¥lfi% 

ç|  les  mii^m  J^Wt  dis^é«()in4$  da^^s  )i^  p]y»ff^UiM)^  4»  cmMM» 
4 ,9A^e,  l4  iK>p«ilMiw  i^(  boeo^  et  JiiQ$|iit;alJy^mt 

Nous  achetâmes  quelques  provisions  et  tA^^e^ix^ectf^ 
k  La  vW^t^  Galère;  ^^  4ireçtJi(9i)L  vers  J^^^v\^xf^^  gr^  «iU^lge, 
étoÀg^  d'4ja|^9A3^  de  qtt«.tF.^  Im^uta^^  de  jQlidf^çlji.e,  J^i^k 
^pir  |jP9?(^sé  la  rivji^r.^  il  f^^t  la  U)A^r  fiQi^aQt.  VAÇ  bei^# 

JBft  c^t  ftHiroU  je  rwftofttrai  dew  Aoî^icfiî^s^MW.  Vmi? 
et  Tibian  Crausse,  à  qui  je  devais  préçi^p^ejg^  vj^m^f^  4^ 
l#jttr<e$  4^  la  P9,rt  du  c^M^  ^ngjt^  d^  j%viayi(^il^  ;]Ml.  £ilj»pi- 

Pr^s^r^étiiife*  d^  «aeli|»^  miy^s  d'w,  iU  Dçi'asswrèr^t 
^^e  la  mQfAdk^m  r,en%i&aU  .uq  ^md  i¥>flal>r^  4^  ftlm^ 

4'iç)iP,  4'drg<it$it  ^  (te  4^iwivF«,  Um  J^amma  f^  tûea  dé^z^u^  ûê^ 

SAn^gokQÎçi^A?  (Sjailç^d^r;  ^tg^  mpe$.s|ont  ^Jikaiidoiinéçi^,  €^,06% 
les  exploiter  il  faudrait  commenc^j^  p^r  to^  d^  cbe0?w$ 

piMT  l^  .tr»9ji|K^r|b,d«;s  piac]!»o^Sp  QAj^djitf  d^mei^épét^içaa^re 

rteUei%§ie«.:^ 
i;f]^  partaat  di&  ^a<P«MAa^  oau»  d@^(^i^<Ui9^  P^od^SLAl  eii^- 

1.  Plaine  des  Morts.  —  Hauteur:  1536  mètres. 

8.  Zaruffîa,  liauieiif*  1^)  raUre^,  Win^éraUii*d  nu>y«»«^  4»  ^t#  4  M*  C. 
Le  travail  des  mines  d*or  de  Zaruma  a  été  repris  depuis  1880  par  une 
GQ0]|>a^aiç  ^i^j^laise.  Ver^  ^a  fi9  4$  1883.,  comice  les  résultats  ne  satis- 
faisaient les  grandes  espérances  des  membres  de  la  Compagnie,  on  éli^t 
sur  le  point  d*abandonAer  les  travaux,.  Afai^  actu^Uement^  ia  découverte 
de  Tvicieftae  mn^  de  Porto  ÇplQ  est  v^Hp  (loftftW  du  eomriife  ejt  aii^- 
mejD^er  les  capitaux  (6  novembre  1884). 


,  vw^  illl9,l|iHiee  i9fe4^4ii^  4u  hm  4e*  ta  mofHagae  mide  le 
Apr^  «iv^ir  p^ssé  .e#  ppot,  h  IQQ  pH^eo  d»  (|iftka«è0^  ^ir 

Ifim.  mi^  m'9,Ymt  apport»*  qvwlqUes  bousille»,  qu4  jie 
(}^i#li^Î3  4  rmnw^  4ie§  j^^p^ote,  d^^  iùseolds  qii  dos  poi»« 

mis  les  p)i»ii4i^  ft^piî^s  y  ftyofep  iftiçoduili  w  p«a  4«  tefue. 

l'^u  ^i)i«  il:  <^iHHit«.  §1 1^  ^Mii^i^te  paMiM?«a  plus:  t^çti^meu  m 

^m^.  (§»M^  bi^ft  m  srç»tà#F?>  afôst  qu'une  IPDgue  sém 
d^iorp^f^  (}H  g«ié&et  d^^^^ide  liàni»«,  mterpQiqp«M>  ç& 
^  là  P^P  <!#§  QeijCHlUlf[Uâ&  ^0»«df*t9«:  d«  pr^lfies  natnfrelld»* 

^p^^iM^l^  ^«^nsii^  de  4>^  k^m^f  depuis  h  nmhp»' 
hf^m9^,!mm  €^4RQH*.eiifl«vft«wle*omaaetde  la^montegne» 

Le  voyageur  t^iD^j^^  1^  »a,  QUfé  et  va  QQ^alURe  dféOQ)«v 
C4pftl^s,i«wt«fii  #  lèpcQviiwife  et  tetead:iwft«i»«w*»  pMiw» 

P9HF  tÇ*i^, 

Pour  arriver  à  Lojja  il  faut  descendre.toat  d'atbord  p.eudaat 
cinq  heures,  puis  traverser  une  grande  pl^ijRe.  ÛIPuIte  Qk 
brûlante,  le  C^^m^yo^  arroii^éie  pw  if  ois  ewrs  d'es^u^  tdbii- 
taifes  de  la  grande  rkière  Achira  qui  se  jettQ  près  de  Tuipbez. 
daçs  Je  Paciflqne..  CetfQ  vdlé^  e^sit  prjwque  ah3»d«aaé«  4 
c^p§:d^  §Q(KQàfl»W$  Qlipat);  la  fiè^iie  itérée  y  rAgae  eo'  sm^u» 
varaine»  el' quelques  nègres  sont  les  seul.3.  habitants  qu'elle 
accepte  ^ans  tfopleg  toMpfiafiul^r. 

Après  la  vallée  du  Galamayo  il  faut  gjpai^ifilai  «ii^iatogae^ 


528  VOYAGE  DANS  l'ÉQUATEUR  ET  LE   PÉROU. 

Yillonaco.  Arrivés  à  la  hauteur  de  2786  mètres  on  jouit  d'un 
magnifique  paysage.  Les  Cordillères  des  Andes«  réunies  au 
nœud  de  Cajanuma,  se  séparent  de  nouveau  pour  former 
une  belle  petite  vallée,  d'un  climat  tempéré  (de  18*  à  20*  C.) 
et  bien  cultivée.  Au  fond  du  paysage,  au  pied  de  la  Cordil- 
lère orientale  S  s'élève  la  ville  de  Loja,  chef-lieu  de  la 
province  de  Loja,  la  plus  méridionale  de  la  République  de 
rÉquateur.  Deux  rivières,  Zamora  et  Malacatos,  sorties  du 
nœud  de  Cajanuma,  baignent  la  ville,  et  viennent  se  joindre 
à  son  extrémité  Nord  pour  aller  porter  leurs  eaux,  sous  le 
nom  de  rio  Zamora,  au  roi  des  fleuves,  le  Maragnon. 

Loja  *,  une  des  plus  anciennes  villes  de  l'Equateur,  est 
bien  déchue  de  sa  richesse  et  de  son  commerce'.  Elle  a,  vue 
de  près,  un  aspect  triste  et  misérable  :  de  longues  rues  mal- 
propres, bordées  de  petites  maisons  assez  mal  conservées. 
La  cathédrale,  dont  les  murs  sont  en  torchis  et  la  façade  en 
briques,  est  le  plus  beau  monument  de  la  province.  Elle 
possède  un  hôpital,  un  collège  national  pour  l'enseignement 
secondaire,  un  séminaire  confié  à  des  missionnaires  français, 
les  Lazaristes,  des  écoles  laïques  et  un  vaste  établissement 
d'enseignement  primaire,  dirigé  par  des  frères  des  écoles 
chrétiennes,  dont  le  supérieur  est  Français. 

Ces  nombreux  établissements  d'instruction  indiquent  que 
la  population  (d'environ  8  à  10000  habitants)  est  avide  de 
civilisation  et  de  progrès.  Mais  elle  a  beaucoup  à  faire  pour 
sortir  de  la  misère  et  de  l'abattement  qui  la  consument. 

1.  Hauteur  de  la  partie  la  plus  élevée  de  la  Cordillère  orientale  près 
de  Loja  :  3000  mètres.         ^ 

%  Hauteur  de  la  place  de  la  cathédrale  :  2220  mètres. 

3.  A  Test  de  Loja,  de  Tautre  côté  de  la  Cordillère  orientale,  à  une 
journée  de  marche,  vivent  les  Jivaros,  sauvages  nomades  assez  pacifiques; 
ils  descendent  de  ces  Indiens  qui  égorgèrent  les  colons  espagnols  de  plu- 
sieurs villes  riches.  Les  rivières  de  cette  région  charrient  de  Tor  de  très^ 
bonne  qualité.  On  s*occupe  en  ce  moment  de  vérifier  si  ces  lavaderos 
pourraient  être  travaillés  avec  quelque  utilité,  malgré  les  difficultés  que 
présente  la  permanence  au  milieu  des  sauvages  et  le  manque  de  bonnes 
voies  de  communication. 


VOYAGE  DANS  L'ÉQUATëUR   ET  LE   PÉROU.  529 

Les  habitants  sont  en  majeure  partie  de  race  blanche;  mais 
les  blancs  n'aiment  pas  le  travail,  qu'ils  laissent  exécuter 
d'une  manière  plus  ou  moins  intelligente  par  les  Indiens  de 
la  vallée.  Les  révolutions  incessantes  et  le  manque  de  voies 
de  communication  obligent  la  ville  et  la  province  à  une 
apathie  profonde  et  à  une  pauvreté  qui  augmente  chaque 
jour.  Le  commerce  des  quinquinas* ,  est  en  souffrance  et 
même  en  agonie.  L3.Cascarilla  fina,  la  seule  qui  donne  un 
véritable  profit,  tous  frais  payés,  a  été  brutalement  exploitée 
par  des  ouvriers  avides  d'un  triste  gain  et  peu  soucieux  du 
lendemain.  On  voit  sans  doute  les  forêts  de  la  province 
remplies  de  quinquinas,  mais  d'une  qualité  inférieure,  et  dont 
la  vente  ne  correspond  pas  aux  frais  d'extraction  et  de 
transport  par  des  chemins  horribles. 

Tous  les  fruits,  les  légumes  et  les  céréales  des  tropiques 
et  de  l'Europe,  même  le  blé,  viennent  bien  dans  la  plaine 
de  Loja  où  règne  toute  Tannée  une  douce  température,  un 
printemps  continuel.  Le  meilleur  fruit  que  j'y  trouvai  est 
appelé  chirimoya;  il  pèse  en  moyenne  une  livre,  et  sa  chair 
extrêmement  fine,  parfumée,  a  un  goût  exquis. 

Nous  eûmes  le  plaisir  de  rencontrer  à  Loja  des  compa- 
triotes, les  PP.  Lazaristes,  qui,  non  seulement  nous  offri- 
rent l'hospitaliLé,  mais  nous  donnèrent  aussi  tous  les  ren- 
seignements que  nous  pouvions  désirer.  Grâce  à  leur  con- 
cours désintéressé  et  à  leur  précieux  appui,  nous  entre- 
primes plusieurs  excursions  dans  les  environs,  ce  qui 
présentait  alors  de  grandes  difficultés,  car  le  pays  était  en 
révolution,  et  l'on  ne  pouvait  faire  un  pas  hors  de  la  ville, 
sans  se  munir  de  laissez-passer  que  les  autorités  civiles  et 
militaires  presque  affolées  ne  délivraient  pas  à  tout  le 
monde. 

t.  Le  produit  des  forêts  du  plateau  de  Loja  est  réputé  comme  le  meil- 
leur des  quinquinas.  C'est  dans  les  monts  Uritusinga,  entre  Loja  et  Vil- 
cabamba,  qu'on  découvrit  pour  la  première  fois  les  propriétés  de  cette 
précieuse  plante.  On  suit  encore  dans  le  pays  les  procédés  d'extraction 
indiqués  en  1739  par  M.  de  Jussicu. 


Après  AVùlr  fait  tiHe  àirhple  itoôiss6n  de  )^1«irt^,  je  làïëM. 
%  là  ^M-de  de»  ^ères,  H.  Noetsiti  dont  Tétat  de  âaûté  M^îAè- 
|>irait  de  viveâ  inquiéfcrdes,  et  je  Édé  bàtài  de  poH>e1^  tiôs 
é^écliôffi  à  Sàûta  Rosà. 

En  dieitiîn  je  rencontrai  lànt  d'obstacles  {^Ms^  ipnt  les 
difiéréïits  par tt«  qui  se  disptitaient  le  pêuvô^îf,  ctiTè  Jèr  i^rtft 
h'en  jamais  finit.  Je  pus  eependairt  ramasser  encore  q^eltjiies 
plantes  et  dés  graines  de  palDhiê^  d^ttne  grande  Valeur  côtÈl- 
wièt'Cfiale;  et,  tantôt  àsant  éè  tente  la  patîtocie  dMt  M 
homme  e^t  capable,  tantôt  employait  la  ruse,  (|ueh|WeMiè 
nvèftïe  la  forcfé,  J'âirrivai  heufeuseinent  âss^ï  tôt  à  SkiHk 
Rôda  petir  y  préiidre  la  chata  q«i  me  taÉnèfft^  â  tïuà^^IlH. 

Je  descendi*  Chez  les  PP.  Lafcaristefs  frattÇâis^  àuiafi^àiei*s 
des  hôpitaux,  et  chez  edt,  pkis  tt'anéfùille  qtie  dani^  tah 
hôtel,  A'ayaftt  auc^ttfè'  dépensé  à  faire.  Je  tfatailW  Côttftne 
un  nègre  à  prépara  Mes  ettv^oi^  pottr  l'Eiîifope,  Sept  j^irs 
âèprès,  ayant  p^'ssé  ^tiatrë  ifiuifi  Èur  sept,  je  pôu'tais  éxpé-^ 
dier  dix-'neuf  grandes  cai>»!^e>s  d«  plflfntes  et  dieux  ût&sÉé^  de 
poisèotts;  pnîs,  retoet^ciaM  les  autoôiiiei**  xjfoi  tft'aVâîèttl 
aidé  de  toutes  tnaïAi^es,  je  repartie  pour  Loja  oîi  j€l 
trouvai  M>  Noelîili  très  souffrant.  Il  avait  voulu  faiî^  une 
exctfrsiOA'  datis  lei  ParàmoB  des  montaignes  Voisines  ;  ttiafs 
la  piuie  cO'ntinuelle  et  le  f^oid  avaient  àggraté  sït  maladie, 
et  ravaieAt  obligé  même  à  gardet  te  Ht. 

Pendant  Ce  te^ps  je  fis  une  excursion  à  Chiquirtbatnfos. 
Je  m'y  rendis  en  passait  par  las  Juntas,  village  situé  au 
Confluent  des  rivièfreift  ZaMôra  et  inttXaas  qui  foftiMm  la 
grfeinde  rivière  de  Zamy^ra.  On  rappelle  âinài  parce  ttu'en 
cet  endroit,  à  Ces  dteux  riitiète*,  se  rétftiit  uh  àilliré  cottr* 
d'ean-,  le  Cachi-pircà. 

Le  village  de  Ghiquiribamba  est  situé  presque  au  notd« 
oMsfc  de  Loja,  sur  un  plateau  froid^  hafnide  et  élcfvé  d'en- 
viron 3000  mètres.  Sîei^  4000  habitants  sont  touâ  indiéfts 
pur  sang^  passablement  adonnés  à  l'eau-de-vie. 

J^observai   dans  ce  village  une  eoHetiser  tâH^tiifitè  Ab« 


W^àéE  ÈAM  rfi^AtËtA  Wt  LE  mÈi6Xf.  99(1 

JétltiéS  gefA^  véVileiit  i^'uAir,  la  jeune  fill^  é^l  ^i â<^  eH  iép^ 
cl^n  lé  c^^é,  potir  ^pt'ê^idne  Itt  dk^ttlD^  <!«f  U  refligiôn 
ctiffétietti^é,  éf  être  à  l'abri  dés  ihipeftinetiees  dé  âôâ  futat 
époux.  PéûdaKlt  ce  téolp^é  4us«i,  Toii  téi^ifie  &^il  é:sisié  qud*' 
(faë  empêchement,  et  lé  âMiriàfge  se  célèbre  dès  (}Ue  la 
jeune  fille  et  le  jeune  homme  saveAt  leùt  dbrtrine  et  qu'il 
esibieii  reconnu  qu'au cAn  empêchement  ne  s'oppose  à  leur 

tîn  jottt  •,  eïi  reveofânt  d'mié  eîrcuf  ôiôtt,  je  j^assai  par  la 

1.'  €ettécoutmrte  teii4>  à  disparaître,  et  Mgr  Tévéque-  de  Loja  se  pi*0'- 
pote  de  la  détruire  complètement. 

â.  Ce  que  M.  Senèze  Raconte  de  La  Montafla  de  la  tleitiaf  est-il'  une 
réillité?  rai  ifttefi^egé  j^lue  de  ^u$n^  persoiitoe«  pour  effoSt  quelques 
doAhéeë  sur  cette  montagne  de  la  Reina;  aucune  n*a  pt»  me  Tindiquef. 
Toutes,  au  contraire,  affirmaient  n'avoir  jamais  oui  parler  d*une  telle 
montagne  entre  Loja  et  Ghiquiribamba.  Je  tentai  alors  une  dernière 
yél'iftcation.  Je  ptm  M.  Domfâjg^o  Burilèo,  riche  pfd|yriéYîai)*è  d^  L6ja,  qdfe 
distinguent  surtout  sa  générosité  et  sa  sympathie  pour  les  étrangers»  jb 
le  priai,  dis-je,  de  vouloir  bien  interroger  lui-même  les  Indiens  de  son 
imMense  hacienda.  Ancun  d'eux  ne  connaissait  cette  montagne  ;  aucun 
n^an^ait  vu  le  palais,  etc.  Âlbrs  il  oMloAtia  à  quati^  Indiens  d'allôf  pâi* 
monts  ei  par  vaux  vérifier  TeXistenee  de  ce  palais,  do  c<Ss  statuts  et  de% 
sculptures.  Leurs  recherches  ont  abouti  à  reconnaître  Texistence  de  fon- 
dements (cimientos),  d'une  grande  maison  (âÛ  mètres  de  long  sur  20  de 
lafge)  dans  la  montiagne  qtii  se'  trouve  entre  l^aticien  clieMin  de  Loja  à 
Cuenca  (chemin  de  Gaehi-pirca  )  et  le  hameau  de  Taquik  Cet  endroit  s'ap^ 
pelle  Caja-tambo, 

U  est  à  remarquer  qu'à  Taquil  on  voit  beaucoup  de  pierres  de  taillé 
aV^c  iofûelqUcà  sictilptui^ès.  Le«  f indiens  s'en  sotit  sef'Vis  ptmt  tlore  liâât^ 
petites  propriétés^ 

Dans  la  vallée  du  Gatamayo,  entre  Cisné  et  Loja,  prèe  de  la  hacienda 
du  Valle-Hermoso,  on  voit  un  ràonticule  que  tous  les  voyageurs  regardent 
céMMe  arlilkiél.  Et  cettie  opinion'  est  cx>nfirifiée  pa^  les  di(fét*^nis  objets 
indiens  trouvés  lors  d'nne  tranohée  ppatiqûée  pour  amener  danto  lies  prat^ 
ries  voisines  un  bon  cours  d'eau.  J'ai  cru  utile  de  donner  oette  indication 
dont  pourra  profiler  quelque  voyageur. 

i^rëk>  d^  villiag^  de  San  Éucais,  au  nerd'-ottest  dis  Loja,  Àlrr  ¥é  chémiti  dis 
L<]jia  âf  Zâraguo,  au  lieu  désigné  par  le  nom  de  Tambù  Blanca,  eurent 
lieu)  en  1858,  des  fouilles  qui  donnèrent  quelfyies  objets  en  cuivre  bien 
doré  ;  à  côté'  des  excavations  on  voyait  des  restes  assez  bien  (Conservés 
d'habitations  d'anoienk  Ihdicfn&. 


532  VOYAGE   DANS   L'ÉQUATEUU  ET  LE  PÉROU. 

haute  montagne  de  la  Reina  où  je  vis  un  grand  noaibre  de 
statues  en  pierre. .L'une  d'elles,  beaucoup  plus  grande  que 
les  autres,  représentait,  me  dit-on,  la  reine  qui  gouvernait 
le  pays  avant  la  conquête.  Tout  ce  pays  est  couvert  de  ruines 
qui  attestent  une  ancienne  et  puissante  civilisation,  mais 
les  plus  considérables  et  les  mieux  conservées  sont  celles 
que  je  visitai  en  revenant  à  Loja. 

Figurez-vous  de  vastes  monuments  de  forme  quadrangu- 
laire  dont  les  pierres,  fort  bien  taillées  et  d'une  régularité 
parfaite,  se  superpbsent  si  exactement  qu'il  est  impossible 
de  faire  pénétrer  une  lame  de  couteau. entre  les  parties 
juxtaposées.  La  plupart  de  ces  pierres  de  taille  sont  ornée^ 
de  portraits  et  de  sculptures,  les  uns  rappelant  les  traits  des 
Incas,  les  autres  ressemblant  à  s'y  méprendre  aux  ruines  de 
l'ancienne  Palenque  du  Yucatan.  Les  dimensions  et  la  dis- 
position des  ruines  font  supposer  la  destination  primitive 
de  ces  monuments  qui  étaient,  sans  doute,  des  temples  et 
des  palais. 

Un  de  ceux  qui  me  frappa  le  plus  formait  un  rectangle 
de  20  mètres  de  longueur  sur  40  de  largeur,  avec  des  portes 
de  1"*,20  sur  3  mètres  de  hauteur.  Toutes  les  pierres  étaient 
plus  ou  moins  bien  sculptées. 

La  plus  haute  muraille  avait  5  mètres  et  1  mètre  d'épais- 
seur; mais  l'accumulation  des  matériaux  me  ôt  penser 
qu'elle  avait  dû  avoir  une  bien  plus  grande  hauteur  et  le 
monument  plus  d'un  étage.  A  2  mètres  au-dessus  du  sol  on 
voyait  encore  quelques  fenêtres  de  forme  carrée  et  grandes 
d'un  mètre.  Enfin,  aux  alentours,  des  statues  pour  la  plu- 
part mutilées,  sont  presque  enfouies  dans  la  terre;  peut- 
être  serait-il  à  désirer  qu'elles  le  fussent  tout  à  fait. 

Dans  ce  beau  pays,  où  il  n'y  a  pas  un  homme  capable 
d'imiter  de  tels  chefs-d'œuvre,  le  fermier  démolit  les  palais 
des  rois  et  des  princes,  en  précipite  les  débris  du  haut  des 
montagnes  pour  bâtir  ses  haciendas,  et  les  plus  belles 
sculptures  sont  usées  par  le  sabot  des  mules! 


VOYAGE  DANS  l'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  533 

A  Loja,  où  je  rentrai  après  neuf  jours  d'absence,  je 
retrouvai  mon  compagnon  un  peu  mieux  portant. 

Nous  prîmes  encore  quelques  jours  de  repos  et»  prêts  à 
supporter  les  fatigues  d'un  des  plus  pénibles  voyages  que 
j'aie  fait  dans  ma  longue  vie  d'aventures,  nous  remerciâmes 
ies  Lazaristes  qui  nous  avaient  si  bien  accueillis,  si  bien 
ret)seignés,  et  nous  nous  dirigeâmes  au  Sud  pour  gagner  le 
pueblo  de  Vilcabamba. 

De  Loja  à  Yangana.  —  Nous  marchâmes  d'abord  pen- 
*dant  quelques  heures  sur  la  rive  droite  de  la  rivière  de  Ma- 
lacatos,  que  nous  traversâmes  vers  deux  heures  de  Taprès- 
midi,  après  avoir  reconnu  qu'elle  prenaitsasourceaunœud 
de  Gajanuma,  à  l'est  du  chemin  qui  conduit  à  Vilcabamba. 
A  cet  endroit  même,  de  l'autre  côté  de  la  Cordillère  latérale 
qui  unit  les  deux  principales,  prend  sa  source  la  rivière  qui 
<lescendà  Malacatos,  et  qui,  unieau grand  riqdePiscobamba, 
forme  le  rio  Grande  qui  arrose  le  Gatamayo  et  se  jette  sous 
•ce  dernier  nom  dans  le  Pacifique,  après  avoir  changé  encore 
^on  nom  pour  celui  d'Achira.  Nous  traversâmes  donc 
"Cette  nouvelle  rivière  qui  sort  de  Gajanuma  près  de  l'ha- 
cienda de  Landangui,  laissant  à  notre  droite  le  village  de 
Malacatos  avec  ses  belles  plantations  de  bananiers  et 
de  cannes  à  sucre.  Il  nous  fallut  tout  d'abord  gravir  une 
-petite  montagne  et  la  descendre  aussitôt  pour  arriver  au 
petit  vallon  oîi  se  trouve  le  pueblo  de  Vilcabamba  ou  la 
Victoria,  entouré  de  petites  et  belles  propriétés  où  se  cuUi- 
'venty  comme  de  coutume,  le  bananier,  la  canne  à  sucre  et 
le  café. 

*  De  Vilcabamba  nous  partîmes  pour  la  hacienda  de  Pal- 
tnira.  Le  chemin  est  un  affreux  sentier;  nous  fûmes 
heureux  d'avoir  beau  temps,  car  le  voyage  par  ces  mon- 
tagnes et  leurs  torrents  impétueux  devient  plus  qu'in- 
téressant lorsque  tout  à  coup  éclate  un  orage,  et  le 
voyageur  se  trouve  sans  abri  et  à  une  grande  distance  des 
habitations. 

soc.  DE  GÉ06R.  — 4«  TRIMESTRE  1885.  VI.  —  36 


534  voTAGE  i)Âirs  l'équàteur  bt  le  Pérou. 

Nous  arrivons  enfin  à  la  ferme  de  la  Palmira,  après  avoir 
traversé  le  Rio  Grande  ou  de  Piscobamba. 

  huit  heures  du  matin,  nous  quittions  la  Palmira.  Heu- 
reusement le  temps  était  beacr,  car^dans  un  pays  oii  il  pleut 
pendant  dix  mois  sur  douze,  l'affreux  sentier  que  nous  sui- 
vîmes toute  la  journée  à  travers  les  montagnes,  plusieurs 
rivières  et  d'innombrables  quebradasydoitèirebien  rarement 
praticable.  Sur  les  flancs  des  montagnes  nous  vîmes  quelques 
rares  et  misérables  cases,  mais  au  loin  nous  aperçûmes  la 
belle  et  riche  vallée  de  Malacatos  que  nous  laissâmes  sur  la 
droite  pour  descendre  au  pueblo  de  Vilcabamba. 

Ce  petit  hameau  renferme  3000  habitants,  la  plupart 
de  race  blanche  disséminés  dans  la  vallée.  C'est  ici,  qu'il 
y  a  près  d'un  siècle  et  demi,  le  curé  réparait  les  tuyaux 
de  la  grande  lunette  de  seize  pieds  qui  servait  à  La  Gonda- 
mine  pour  ses  observations  de  longitude;  et  l'illustre  savant 
reconnaît  que,  sans  l'humble  curé,  son  instrument  n'eût  été 
pour  lui  qu'un  fardeau  embarrassant.  Nous  ne  songions, 
nous,  qu'à  réparer  nos  forces;  aussi  fûmies-nous  agréable- 
ment surpris  en  voyant  venir  à  notre  rencontre  le  senor  don 
Augustin  Palacio,  parent  de  l'évêque  de  Loja  et  riche  hacien- 
dero  qui  nous  offrit  l'hospitalité  dans  sa  maison  bâtie  sur 
un  monticule  :à  une  petite  distance  du  pueblo. 

Les  environs  du  village  sont  très  fertiles,  mais  les 
montagnes  sont  presque  toutes  dénuées  de  végétation, 
car  le  terrain  n'est  guère  que  du  gravier*.  Dans  les  lieux 
abrités  et  recouverts  d'un  peu'  de  bonne  terre,  on  voit  ea 
abondance  diverses  qualités  de  cascarillas  toutes  bien  pré- 
cieuses. » 

Notre  hôte  nous  fournit  de  nombreux  renseignements  sur 

1.  n  me  semble  utile  de  sij^naler  un  livre  qu'a  publié  le  docteur  Wolf^ 
ex-jésuite,et  qui  contient  des  indications  précieuses,  surtout  de  très  bonnes 
cartes  géographiques.  Voici  le  titre  de  l'ouvrage  :  Vicies  cientificos  por 
la  Repûblica  del  EcxMdor^  vérificadog  y  publicados  pororden  del  supremo 
gobiemo  de  la  misma  Repûblica,  por  ei  doctor  Wolf.  Guayaquil,  1879. 


VOYAGE  DANS  l'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  535 

le  pays,  principaleineDt  sur  le  bassin  de  la  rivière  qui 
charrie  des  sables  aurifères.  Le  lendemain  matin  nous  allâmes 
visiter  avec  lui  d'anciennes  galeries  de  mines  dont  la  cons* 
truction  est  probablement  antérieure  à  la  conquête. 

Elles  sont  situées  à  une  lieue  et  demie  du  pueblo,  sur 
les  bords  de  la  rivière,  au  pied  d'une  haute  montagne  où 
elles  s'enfoncent.  Il  y  en  a  de  très  profondes  :  les  unes 
droites,  les  autres  plus  ou  moins  courbées  ;  toutes  sont  plus 
basses  à  l'entrée  qu'à  l'intérieur,  disposition  qui  a  pour 
but  de  faciliter  l'écoulement  des  eaux.  On  y  trouve 
encore  les  débris  de  vieux  fourneaux  qui  ont  servi  à  fondre 
l'or. 

Il  y  a  quelques  années,  des  gens  du  pap  visitant  ces 
galeries,  trouvèrent  au  fond  d'un  creuset  quelques  grammes 
d'or  qu'ils  recueillirent,  et,  pensant  en  trouver  davantage, 
ils  brisèrent  plusieurs  autres  creusets  et  démolirent  quelques 
petites  maisonnettes. 

Ces  maisonnettes,  faites  de  petites  pierres  et  d'adobeSy  se 
rencontrent  toujours  à  l'entrée  des  galeries  qui  renferment 
encore  des  cadavres,  des  poteries,  des  outils  en  bois  sculpté, 
des  haches  en  bronze  et  de  vieilles  étoffes.  Dans  quelques 
endroits  il  y  a  des  piliers  taillés  dans  la  roche  elle-même; 
plusieurs  galeries  sont  entièrement  écroulées  ou  menacent 
ruine,  d'autres  sont  en  bon  état  et  résisteront  probablement 
longtemps  encore,  s'il  ne  survient  pas  de  tremblement  de 
terre. 

Nous  revînmes  au  pueblo  en  passant  par  le  haut  de  la 
montagne  et  vîmes  sur  notre  gauche  de  nombreuses  ruines^ 
beaucoup  moins  importantes  que  toutes  les  précédentes, 
mais  qui  ne  manquent  pourtant  pas  d'intérêt.  Après  avoir 


Ce  même  géologue  prépare  une  carte  générale  de  la  République  de 
TÉquateur  qui  sera  la  meilleure  que  Ton  connaisse. 

1.  M.  Augustin  Palacio,  qui  accompagnait  M.  Senèze,  assure  qu'i\  leur 
retour,  ils  ne  virent  point  ces  restes  de  maisons. 


536  yoYAGE  DANS  l'équateur  et  le  Pérou. 

vu  les  débris  des  temples  et  des  palais,  noas  avions  devant 
nous  la  pauvre  demeure  de  ceux  qui  construisaient  ces 
spacieux  monuments,  ou  creusaient  ces  immenses  galeries 
pour  enrichir  Tlnca  et  ses  conquérants.  Leurs  maisons^ 
étaient  de  forme  ronde,  bâties  en  pierre;  et  nous  remar- 
quâmes que  les  murs  —  de  deux  à  trois  pieds  de  hauteur 
et  deux  pieds  d'épaisseur  —  étaient  tous  adossés  à  la  mon- 
tagne. 

'  En  l'absence  du  propriétaire,  M.  Garrion,  sa  fille  nous 
reçut  fort  bien  et  nous  fit  préparer  un  excellent  souper 
composé  de  mais  et  d'une  belle  volaille. 

Le  lendemain  nous  passâmes  deux  heures  à  herboriser 
sur  les  bords  de  la  rivière  qui  traverse  une  jolie  vallée 
de  3  à  4  lieues  de  long  sur  une  de  large.  Le  climat  est  plus 
chaud  qu*à  Loja;  tous  les  fruits  et  plantes  des  tropiques  y 
viennent  bien,  surtout  la  canne  à  sucre.  L'hacienda  compte 
120  habitants;  le  maître,  M.  Miguel  Garrion,  est  un  homme 
expérimenté,  à  l'esprit  ouvert  à  tous  les  progrès;  ses  essais 
de  plantes  alimentaires  ont  généralement  donné  de  très 
^eaux  résultats.  Nous  pûmes  constater  entre  autres  que 
plusieurs  pieds  de  vigne,  plantés  deux  ans  auparavant, 
portaient  déjà  des  fruits. 

De  retour  à  son  hacienda  M.  Garrion  s'empressa  de  nous 
faire  connaître  tout  ce  qui  pouvait  nous  intéresser.  Il  nous 
conduisit  de  l'autre  côté  de  la  rivière,  à  une  centaine  de 
mètres  de  la  rive  droite,  dans  un  endroit  apppelé  a  la  Huaca 
de  Quinarà.  c  G'est  là,  nous  dit-il,  que  lors  de  la  conquête, 
-s^arrêtèrent  les  vingt  mille  Indiens  venant  de  l'Equateur 
pour  rapporter  la  rançon  du  roi  Atahualpa.  Un  courrier  leur 
apprit  que  Pizarre  avait  fait  égorger  l'infortuné  souverain  à 
Cajamarca,  et  les  engagea  à  creuser  un  trou  en  ce  lieu  pour 

.1.  Le  voyageur  donnera  de  plus  grands  détails  sur  ces  maisons  lorsque, 
plus  tard,  il  en  rencontrera  de  mieux  conservées.  11  semble  appartenir  à 
.cette  classe  si  peu  nombreuse  de  voyageurs  qui  ne  racontent  que  ce 
qu'ils  voient. 


VOYAGE  DANS  l'ÉQUATEUR  ET   LE  PÉROU.  537 

y  enfouir  des  trésors  qu'on  n'a  jamais  retrouvés.  M.  Garrion 
et  d'autres  propriétaires  ont  fait  faire  des  fouilles  jusqu'à 
20  mètres  de  profondeur  sans  découvrir  autre  chose  qu'une 
idole  en  pierre  grossièrement  sculptée  *• 


1 .  A  la  demande  des  PP.  Lazaristes  qui  ont  revu  le  travail  de  M.  Senèze, 
M.  Garrion  a  eu  la  bonté  d'écrire  (1878)  ce  qu'il  savait  touchant  celte  fa- 
meuse «  Uuaca  de  Quinarà  ».  Se  servant  de  ces  données  et  de  tous  les 
autres  renseignements  qu'ils  ont  pu  recueillir  auprès  des  habitants  de 
iiOJay  les  PP.  Lazaristes  ont  rédigé  la  notice  suivante  : 

Le  trésor  de  Quinara,  —  Dans  la  province  de  Loja  (République  d» 
rÉquateur),  se  trouve  la  petite  vallée  de  Piscobamba,  dépendante  du  vil- 
lage de  Vilcabamba  et  à  deux  journées  de  marche  du  chef-lieu  de  la 
province,  Loja.  Située  dans  la  partie  occidentale  de  la  Cordillère  des  Andes, 
elle  est  entourée  d'assez  hautes  montagnes  nues  et  arrosée  par  une  ri- 
vière qui  porte  son  nom,  et  qui,  après  s'être  unie  à  divers  torrents,  va  se 
jeter  dans  le  Pacifique. 

A  250  mètres  de  la  rivière,  sur  la  rive  droite  et  à  30  mètres  au-dessus 
de  son  niveau  d'eao,  dans  la  propriété  ou  hacienda  appelée  Quinara,  on 
voit  un  plan  à  peu  près  circulaire  d'environ  50  mètres  de  long  sur  30  de 
lai^e,  formé  de  pierres  roulées,  unies  avec  de  la  boue,  où  se  trouvent 
mêlés  des  fragments  de  poterio. 

Ces  fondements  (cimientos)  de  l'épaisseur  d'nn  mètre,  s^  trouvent  as- 
sis au  pied  d'un  mamelon  couronné  de  pierres  verticales.  Le  côté  oriental 
de  la  plate-forme-  se  trouve  démoli  par  des  fouilles  entreprises  à  diverses 
époques. 

Le  petit  mamelon,  très  bien  orienté,  a  une  tranchée  d'environ  l'^,50, 
où  fut  rencontré  le  squelette  d'un  Indien  et  sur  le  squelette  une  pierre  de 
forme  pyramidale. 

Avant  de  raconter  ce  que  nous  a  transmis  la  tradition  sur  ces  travaux, 
il  est  bon  de  rappeler  un  fait  d'histoire. 

En  1553,  l'Inca  Atahualpa  était  à  Gajamarca  (Pérou),  prisonnier  du  Con- 
quistador Francisco  Pizarre.  Il  promit  au  chef  espagnol  une  grande  quan- 
tité d'or  et  d'argent  s'il  le  mettait  en  liberté.  «  Je  te  donnerai,  hii  dit  le 
monarque,  autant  d'or  et  d'argent  qu'il  en  faudra  pour  couvrir  le  sol  de 
cet  appartement.  »  Voyant  les  Espagnols  surpris*  d'une  semblable  pro- 
messe, il  ajouta  :  c  Mon  seulement  je  te  donnerai  ce  que  je  viens  de  t'oifrir, 
niais  encore  j'y  joindrai  la  quantité  nécessaire  pour  atteindre  la  hauteur 
qu'indique  mon  bras.»  (La  salle  mesurait  22  pieds  de  long  sur  17  de 
large;  et  la  main  de  l'Inca  indiquait  9  pieds  de  haut). 

Pizarre  accepta  à  Tinstant  et  on  signa  un  contrat.  L'Inca  mit  cependant 
deux  conditions  :  la  première  qu'on  ne  fondrait  les  pièces  d'or  ou  d'ar- 
gent qu'après  avoir  rempli  la  promesse  ;  la  seconde  qu'on  lui  accorderait 
un  laps  de  temps  suffisant  pour  réunir  des  différentes  provinces  de  l'emw 


538  VOYAGE   DANS   L*ÉQUATE1JR  ET  LE  PÉROU. 

Pendant  qae  Noetsli  s'occupait  aux  enyirbns  de  la  Palmira, 
je  me  rendis  au  petit  village  de  Yaiigana,  éloigné  d'une 
heure  et  demie  de  marche.  Le  chemin  est  tout  indiqué  par 
le  cours  du  torrent  ;  on  est  presque  toujours  dans  l'eau^ 
Jusqu'à  rentrée  du  village,  qui  compte  une  douzaine  de 
maisons  et  50  habitants,  dont  la  plupart  sont  affligés  d'énor- 
mes goitres. 

Le  village  de  Yangana  est  situé  au  pied  de  très  hautes 

pire  les  métaux  précieux  promis.  Les  eonditions  furent  acceptées;  et  les 
oidres  ayant  été  donnés  aussitôt,  Gajamarpa  vit  bientôt  arriver  de  grandes 
quantités  d'or  et  d'argent.  Gusco  et  Quito  devaient  envoyer  une  forte  part 
Pour  ce  qui  regarde  l'envoi  du  royaume  de  Quito,  il  est  certain  que  Ru* 
mignahui  chercha  à  en  retarder  la  remise.  Les  Espagnols  impatients  de 
se  partager  le  butin  déjà  réuni,  et  craignant  par-dessus  tout  une  attaque 
sérieuse  en  faveur  de  leur  prisonnier,  prononcèrent  contre  Atahualpa  la 
peine  de  mort,  et  Tlnca  fut  exécuté  le  29  août  1553. 

Voilà  ce  que  nous  dit  l'histoire.  Elle  est  complétée  par  une  tradition 
constante  en  ces  pays.  La  voici  : 

Un  Indien,  jeune  encore*,  quand  se  réunissaient  les  quantités  d'or  et 
d'argent  du  royaume  de  Quito,  se  trouva  dans  la  vallée  de  Piscobamba, 
lieu  déterminé  pour  la  réunion  des  objets^  U  vit  arriver  des  nuées  d'In- 
diens chargés  du  transport  et  de  la  garde  du  trésor  sous  la  condaite  du 
capitaine  Quinar^.  Us  se  disposaient  à  marcher  vers  Cajamarea  lorsqu'ils 
apprirent  la  fatale  nouvelle  de  la  mort  de  leur  souverain .  Aussitôt  la  réso* 
lution  est  prise  de  cacher  le  trésor  royal,  pour  le  soustraire  à  l'avidité 
des  étrangers  et  pouvoir  le  reprendre  en  des  temps  meilleurs. 

Cet  Indien  se  trouvait  à  Lima  chez  les  jésuites.  Se  sentant  mourir,  il 
voulut  montrer  sa  gratitude  envers  ces  bons  pères,  ses  bienfaiteurs,  en 
leur  découvrant,  chose  rare  chez  un  Indien,  le  splendide  et  immense  tré- 
sor de  Quinara.  On  crut  à  ses  paroles  et  un  plan**  fut  dressé  sons  sa  dictée. 
.  Bientôt  après  partait  pour  Piscobamba.un  frère  de  la  même  compagnie 
à  la  recherche  de  la  plate-forme  et  du  trésor*  Il  fit  des  excavations  dont 
on  voit  encore  la  trace,  consomma  les  fends,  se  découragea  et  revint  à 
Lima>  laissant  aux  habitants  du  pays  de  Loja  le  plan  et  la  narration  du  vieil 
Indien.  On  devait  trouver  diverses  couches  de  gravier  et  de  terre,  de 
grandes  pierres  (gtiajalanchesjy  une  pierre  portant  le  dessin  grossièrement 
gravé  d'une  figure  humaine  qui  indiquerait  .la  distance,  et  la  direction  du 
trésor  et  une  quipa**** 

*  Je  n'ai  pu  vérifier  à  qvteWe  époque  pi'ëcise  les  jésuites  s'établirent  à  Lima.  Il 
.serait  bpa  de  s'assurer  du  fait  pour  pouvoir  accepter  le  commeneement  de  li  nar- 
ration de  cette  légende. 
'  **  Ce  plan  est  désigné  à  Loja  par  Jerrotero, 

***  Grande  conque  marine  percée  d'un  trou  au-  bout  de  la  spirale  et  Servant  de 
trompette  pour  les  courriers  et  soldais. 


VOYAGE  BANS  L'ÉQTJATEUR   ET  LE  PÉROU.  539 

montagnes  excessivement  ravinées  ;  le  climat  y  est  tempéré 
et  humide. 

Je  ne  fis  qu'y  passer  la  nuit,  et  me  bâtai  d'aller  rejoindre 
mon  compagnon  à  la  Palmira. 

Je  retournai  deux  jours  après  à  Yangana  pour  visiter  les 
hautes  montagnes  du  Zamora,  tandis  que  M.  Noetzli,  entouré 
de  soins  par  la  famille  Garrion,  réparait  ses  forces  et  se 

Vers  la  fin  du  xvii»  siècle,  un  habitant  de  Vilcabamba  continua,  mais 
vainement  aussi,  les  travaux  du  frère  jésuite. 

'  Au  commencement  du  xviii«  siècle,  quelques  habitanfs  de  la  ville  de 
Loja  formèrent  une  société  dont  l'acte  passé  devant  notaire,  existe  en^ 
<;ore,  m'assure-t-on.  Pour  des  causes  ignorées  jusqu'à  présent,  les*  tra- 
vaux ne  furent  pas  entrepris.  ^ 

En  1787,  le  capitaine  espagnol  Romero,  ayant  découvert  un  trésor 
<l*objet8  en  or  dans  le  torrent  voisin  de  la  plate-forme  de  Quinara,  le 
corregidor  général  de  Loja,  M.  Pierre-Xavier  Vatdivieso,  exigea  la  part 
d*or  qui  revenait  au  fisc  ;  et  lui-même  encouragé  par  cette  découverte, 
«e  mit  à  la  recherche  du  trésor  de  Quinara  en  1790;  mais  aptes  avoir 
employé  la  somme  d'environ  8000  pesos  (32  000  francs),  il  abandonna  les 
travaux. 

En  1819,  les  principaux  habitants  de  Loja  formèrent  une  compagnie, 
rénnirent  4000  pesos  (16  000  francs)  et  recommencèrent  les  fouilles. 
Comme  leurs  prédécesseurs,  ils  firent  les  excavations  dans  la  partie  orien- 
tale de  la  plafe-fôrme.  Bientôt,  on  découvrit  les  grandes  pierres  (Pune  dé 
ces  pierres  sert  de  pieu  dans  la  hacienda  de  Palmira  et  Tautre  gît  auprès 
de  la  plate-forme).  En  continuant  les  travaux  avec  enthousiasme,  le 
désiré  mascaron  apparut,  mais  on  n*en  reconnut  le  dessin  qu'après  l'avoir 
remué  à  plusieurs  reprises  et  l'avoir  mis  en  état  d'être  sorti  du  trou. 

A  la  vue  de  ces  objets  la  joie  et  l'avarice  des  chercheurs  augmentent  à 
l'excès.  On  veut  arriver  à  la  dernière  couche  qui  est  iodiquée.  On  déterre 
la  quipa  ainsi  qu'une  figure  grotesque  en  terre  cuite.  Mais  de  quel  coté 
faut-il  maintenant  diriger  l'excavation?  Gomment  était  placé  le  masca- 
ron? On  doute,  on  se  dispute;  l'époque  des  pluies,  torrentielles  cette  an- 
née-là,' arrive,  et  les  travaux  sont  abandonnés. 

Les  détails  de  cette  excavation  ont  été  fournis  par  un  Indien  de  la 
vallée  même  de  Piscobamba,  Gâvino  Camacho,  qui  vivait  encore  en  1877^ 
«t  qui  travailla  comme  ouvrier  aux  fouilles  de  1819.  En  1834, 1854, 1869*, 
1877, 1880,  ont  été  formées  d'autres  compagnies  d'excavations,  elles  n'ont 
rien  obtenu  de  nouveau. 

Le  principal  entrepreneur  de  1834,  M.  Segundo  Palacio,  qui  avait  assisté 
aux  fouilles  de  1819,  était  tellement  résolu  de  donner  aux  travaux  un 

*  En  i869  on  essaya  de  changer  le  lit  de  la  rivière  de  Piscobamba  et  de  1* 
4:onduire  sur  la  plate-forme  afin  qu'à  l'époque  del  pluies  la  rivière  elle-même 
servit  à  déblayer  le  terrain. 


540      VOYAGE  DANS  L'EQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

préparait  ainsi  aux  fatigues  des  prochaines  excursions  dans 
les  montagnes. 

Ce  que  je  remarquai  tout  d'abord  en  avançant  vers  Test, 
ce  fut  la  quantité  de  petits  serpents  crotal  qui  pullulent  sur 
les  arbres  par  groupes  de  trois,  cinq,  sept,  enroulés  sur  eux» 
mêmes.  Il  y  a  deux  espèces  de  serpents  :  les  uns,  jaune  d'or 
sur  les  côtés,  ont  la  tête  verd&tre  et  grise  en  forme  de  lance; 

caractère  sérieux,  qu'il  acheta  une  troupe  de  nègres  et  les  ûxa  sur  ses  ' 
terres  aux  environs  de  Quinara,  leur  donna  des  terres,  des  plantations, 
des  bananiers  et  d'autres  avantages,  à  la  seule  condition  de  travailler  aux 
fouilles.  Les  esclaves  s'échappèrent,  s'enfuyantau  Pérou  où  l'on  avait  aboli 
l'esclavage. 

Il  dut  renifncer  à  son  entreprise  mais  après  avoir  subi  de  grandes 
pertes. 

Actuellement  le  propriétaire  de  la  hacienda  de  Palmira,  s'est  mis  au 
travail  de  la  recherche  avec  une  constance  rare,  malgré  bon  nombre  de 
difficultés,  provenant  surtout  des  moyens  d'excavations  par  trop  primitif. 
ïi  a  pratiqué  des  souterrains  à  la  profondeur  de  20  à  30  mètres.  Le 
terrain  est  toujours  du  gravier  et  du  sable.  £n  examinant  le  mascaron 
il  a  découvert  sur  chaque  face  de  la  pierre  qui  est  à  peu  près  une 
pyramide  tronquée,  des  dessins  plus  ou  moins  exprimés.  Que  signifient 
ces  dessins  ?  Les  hypothèses  abondent.  On  désire  des  conseils  de  la  part 
d'hommes  intelligents  comme  aussi  le  concours  de  personnes  résolues  à 
poursuivre  un  travail  qui,  aboutissaut  à  un  bon  résultat,  donnera  une 
fortune  immense  et  des  documents  historiques  précieux. 

Loja,  14  juin  1884. 

Voici  ce  que  dit  le  colonel  don  Antonio  de  Alcedo  dans  son  Diction-^ 
naire*  géographique  et  historique  des  Indes  occidentales,  tome  IV, 
page  358,  «  Qulnara  :  t> 

(S,  Quinara,  vallée  grande  et  belle  de  la  province  et  Corregimiento  de 
Loja  dans  le  royaume  de  Quito  et  du  district  du  village  de  Malacatos,  est 
célèbre  par  la  tradition  antique  que  Quinara,  capitaine  de  Tlnca  Atahualpa, 
enterra  en  ce  lieu  le  trésor  qu'il  apportait  à  Francisco  Pixarre  pour  le 
l'achat  de  ce  prince,  lorsqu'il  apprit  la  condamnation  à  mort  qu'avaient 
prononcé  contre  lui  les  Espagnols.  Depuis  lors  cette  vallée  porte  le  nom 
de  Quinara. 

Elle  se  trouve  dans  la  possession  de  Pisco-banipa^  à  A^W  de  latitude 
australe.  )> 

On  peut  consulter  aussi  le  premier  voyage  à  Loja  du  R.  P.  Francisco 
Solano,  franciscain,  imprimé  à  Cuenca,  1848. 

Mmpriméà  Madrid  en  1788. 


VOYAGE  DANS  L'EQUATEUR  ET  LE   PÉROU.  541 

les  autres  ont  la  tête  plus  petite,  le  ventre  rouge  et  le  dessus 
du  corps  marron.  On  les  dit  si  venimeux  que  personne  n'ose 
pénétrer  dans  les  bois  sans  de  grandes  précautions. 

A  une  hauteur  de  200  mètres  (au-dessous  de  Yangana),  on 
rencontre  de  nombreux  quinquinas  dans  ces  montagnes 
encore  vierges. 

Après  avoir  franchi  plusieurs  sources  qui  se  réunissent 
plus  bas  pour  former  le  Tangana,  j'arrivai  le  soir,  vers  six 
heures,  au  bas  des  montagnes  qui  servent  de  limite  entre 
les  Indiens  cultivateurs  et  les  Indiens  sauvages  du  Zamora, 
et  je  passai  la  nuit  dans  Tanfractuosité  d'un  énorme 
rocher. 

Dès  le  lendemain  je  commençai  une  excursion  qui  fut 
des  plus  fructueuses  en  botanique  et  en  ethnographie,  car 
dans  ces  montagnes,  on  rencontre  beaucoup  de  vieilles  ca- 
vernes renfermant  des  poteries  brisées  ou  entières,  des 
armes  en  pierre  ou  en  bronze,  des  instruments  de  tisse- 
rand, des  outils  de  tous  genres  en  bois  et  en  os,  etc.  On  y 
voit  aussi  un  grand  nombre  de  maisons  en  ruines  dont  quel- 
ques-unes fort  bien  conservées,  de  sorte  qu'on  peut  les  re- 
construire entièrement,  au  moins  par  la  pensée. 

Ces  maisons  étaient  généralement  de  forme  ronde  ;  on 
en  trouve  aussi  de  carrées.  Les  murs,  en  pierres  grossiè- 
rement taillées,  avaient  de  1  mètre  à  3  mètres  de  hauteur, 
1  mètre  d'épaisseur  et  parfois  ils  étaient  percés  d'ouvertures 
â*un  pied  carré. 

La  toiture  des  maisons  rondes  devait  former  un  dôme, 
tandis  que  celle  des  maisons  carrées,  comme  celle  de 
nos  granges,  devait  se  composer  de  deux  pans  inclinés, 
reposant  sans  doute  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur  sur  des 
piliers  ou  colonnes  en  bois. 

Je  fus  non  moins  surpris  en  découvrant,  dans  ces  mon- 
tagnes aujourd'hui  désertes,  plusieurs  grandes  routes  di- 
rigées du  sud  au  nord,  d'autres  descendant  à  l'est  dans  la 
grande  plaine  occupée  par  les  Indiens  sauvages  du  Zamora. 


542      VOYAGE  DANS  L'EQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

Quelques-uaes  de  ces  routes  étaient  très  biea  conservées  et 
se  pouvaient  suivre  assez  longtemps;  d'autres  disparais- 
saient par  places  pour  se  retrouver  un  peu  plus  bas.  En  les 
dégageant  de  l'épaisse  couche  d'bumus  qui  les  recouvrait, 
on  pouvait  s'assurer  que  ces  routes  étaient  pavées,  assez  mal 
il  est  vrai. 

.  Le  soir,  je  descendis  par.  une  de  ces  vieilles  routes,  du 
c6té  d'Yangaua  et  passai  encore  la  nuit  dans  une  caverne,  à 
l'abri  de  la  pluie. 

En  continuant  ainsi  à  descendre,  mon  guide  me  fit 
visiter  plusieurs  cavernes  creusées  par  la  main  de  l'bomme 
et  divisées  en  couloirs.  Les  trouvant  en  très  mauvais  état  et 
n'étant  pas  outillé  poor  en  faire  rexploration,  je  revins  au 
pueblo  de  Yangana  après  avoir  traversé  la  rivière  qui  draine 
des  sables  aurifères  assez  pauvres  et  de  petits  grenats  d'une 
très  belle  eau. 

Le  lendemain  je  repartis  pour  une  autre  excursion.  Tra- 
versant la  rivière  et  me  dirigeant  au  Nord  ^,  je  rencontrai 
une  haute  montagne  entièrement  déboisée  et  suivis  des 
chemins  qui  doivent  être  extrêmement  anciens.  Ils  sont 
taillés  dans  la  roche,  s'enfoncent  parfois  à  8  ou  10  mètres 
dans  les  flancs  de  la  montagne,  et  conduisent  presque  tous 
à  d'anciennes  galeries  pour  la  plupart  obstruées  aujourd'hui. 

Les  vieux  Indiens  prétendent  se  rappeler  les  avoir  vues 
ouvertes  daus  leur  enfance.  Ils  disent  que  leurs  pères  y 
allaient  extraire  de  l'or  pour  payer  les  impôts,  et  que  de* 
puis  ce  temps  les  ouvertures  ont  disparu  ou  les  galeries  se 
sont  affaissées  par  suite  des  tremblements  de  terre. 

L'ouverture  des  galeries  est  tournée  vers  le  sud-ouest»; 
la  rivière  de  Yangana  coule  au  bas  de  la  montagne.  A  côté 
des  galeries  est  un  précipice  d.e.S  à  600  miètres  de  pro- 
fondeur; je  suis  porté  à  croire,    d'après  les  ruines  et  un 

1 .  Je  pense  gue  Fauteur  a  voulu  dire'  au  contraire  vers  le  sud.  {Note  de 
là  rédaction.) 
.  S.  Le  sud'-e^t  probablement  et  même  Test?  {Idem.) 


VOYAOE  DANS  l'Equateur  et  le  pékou.  543 

petit  chemin  en  escalier  que  j*aî  vu  en  bas,  qu'on  devait 
jeter  le  métal  dans  cette  profonde  coupure.  }l  arrivait  ainsi 
très  rapidement  à  la  rivière  où  il  était  lavé. 

Les  Indiens  prétendent  que  le  roi  Manco  Gapac  faisait 
exploiter  la  plus  grande  partie  des  mines  du  pays.  Je  peux, 
quant  h  moi,  affirmer  que  j'ai  trouvé^  presque  partout  aux 
environs,  des  filons  d'or  et  d'argent  très  riches;  et  qu'entre 
autres,  j'en  ai  vu  deux  à  fieurde  terre  sur  lesquels  on  passe 
tous  les  jours. 

A  Yangana,  j'avais  &it  connaissance  avec  un  homme 
très  intelligent,  le  médecin  ou  curador  don  Pedro  Ëineguez. 
Nous  causions  très  souvent  de  plantes  médicinales;  un  jour 
que  je  lui  avais  indiqué  quelques  rep3èdes,il  voulut  bien  me 
conduire  à  une  source  d'eau  minérale,  située  à  deux  lieues 
du  pueblo.  Arrivé  là,  je  trouvai  l'eau  sans  odeur,  mais  des 
plus  désagréables  au  igod t. 

a  Faites  la  grimace  tant  que  vous  voudrez,  me  dit  le 
curador*  mais  en  en  faisant  boire  le  plus  possible  à  jeun  et 
entre  les  repas,  je  guéris  les  hydropiques  en  un  mois  ou 
six  semaines.  )>  Gomme  je  ne  semblais  pas  très  convaincu, 
il  se  fâcha  tout  rouge  et,  voulant  me.  donner  des  preuves 
sur  le  champ,  il  envoya  .chercher  trois  de  ses  clients  quill 
avait  guéris.  Il  se  retirçi  d^s  leur  arrivée  afin  de  me  laisser 
plus  libre  de  les  questionner;  j'avotie  que  leurs  réponses 
auraient  au  moins  amplement  satisfait  l'amour-propre  de 
rirascible  curador, 

.  Sur  ces  entrefaitesi,  mon  compcignon  M.  Noetzii,  étant 
revenu  de  Palmira,nous  nous  préparâmes  à  continuer  notre 
voyage*  En  cette  saison  de  pluies  diluviennes^  tout  trafic  est 
suspendu  entre  la  vallée  de  lioja  et  la  frontière  du  Pérou  ; 
ce  fut  avec  toutes  les  peines  du  monde  que  nous  trouvâmes 
deux  guides  pour  conduire  nos  pauvres  mules  dont  la  charge 
ne  devait  pas  dépasser  20  kilogrammes^  si  nous  ne  voulions 
rester  enoJîourbés^  nous  et  nos  bagages.      ,  : 

De  Yangana  à  la  frontière  du  Pérou.  —  Il  y  a  bien  long-^ 


544  VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  IB  PÉROU. 

temps  que,  à  propos  de  la  route  de  Loja  à  Jaen  de  Braca- 
moros  (Pérou)»  La  Condamine  écrivait  «  qu'aucune  exagé- 
ration ue  peut  donner  une  juste  idée  de  ses  difficultés  ». 
J'ai  passé  sept  ans  à  explorer  les  Amériques  et  n'ai  jamais 
rencontré  de  si  mauvais  sentiers,  si  toutefois  on  peut  appe* 
1er  ainsi  les  immenses  barancas  et  quebradas  que  nous  sui- 
vîmes, ayant  souvent  de  l'eau  jusqu'aux  genoux  et  parfois 
jusqu'au  cou.  Entre  chacune  d*elles  il  fallait  gravir  des  hau- 
teurs qu'on  appellerait  partout  ailleurs  de  hautes  mon- 
tagnes; leur  végétation  exubérante  n'était  pas  un  des 
moindres  obstacles  opposés  à  notre  marche.  Les  fougères, 
les  herbes  grimpantes  et  les  palmiers  atteignent  des  dimen- 
sions merveilleuses  et  la  plupart  des  arbres  ont  une  hauteur 
de  25  à  30  mètres. 

Mouillés  jusqu'aux  os  par  une  pluie  battante,  nous  n'a- 
vancions que  lentement  sur  cet  abominable  chemin,  obligés 
tantôt  de  décharger  les  mules  dans  les  passages  difOciles, 
tantôt  de  les  relever  lorsqu*elles  glissaient  et  tombaient 
dans  l'eau. 

Enfin,  vers  cinq  heures  du  soir,  nous  arrivâmes  au  pied 
d'une  haute  montagne  dont  les  flancs  étaient  couverts 
d'une  riche  végétation.  Nos  animaux  étaient  exténués  ;  nous- 
mêmes  ne  pouvions  plus  marcher  :  il  fallait  absolument 
camper  là.  Après  avoir  donné  aux  mules  des  feuilles  de 
palmier,  mauvaise  nourriture  qui  pourtant  valait  mieux  que 
rien,  nos  Indiens  nous  construisirent  un  abri.  Rien  n'est 
plus  simple.  On  coupe  une  vingtaine  de  feuilles  de  palmier 
et,  fendant  par  le  milieu  leur  partie  supérieure,  on  les 
plante  sur  deux  lignes  parallèles;  puis  on  rabat  les  feuilles 
de  Tune  sur  les  feuilles  de  l'autre  en  les  croisant,  et  il  n'y 
a  plus  qu'à  se  glisser  en  rampant  sous  ce  toit  improvisé  et 
peu  confortable  quand  il  fait  mauvais  temps.    . 

A  peine  y  étions-nous  installés  que  mon  pauvre  compa- 
gnon fut  pris  d'un  accès  de  fièvre  plus  fort  que  tous  les  pré- 
cédentSr 


VOYAGE  DANS  L'ÉQi^ATEUR  EE  LE  PÉROU.      545 

J'en  fus  consterné  ;  nous  n'avions  absolument  rien  pour 
le  soigner,  pas  même  de  quoi  faire  du  feu,  tous  nos  bagages 
étant  tombés  plusieurs  fois  à  Teau  dans  la  journée.  Après 
une  bien  mauvaise  nuit»  je  ne  pus  lui  donner^  avant  de  re- 
partir, qu'un  peu  de  farine  de  maïs  délayée  dans  l'eau,  sans 
sel  ni  aucun  condiment.  Puis  me  rappelant  que  les  mission- 
naires de  Loja  nous  avaient  donné  une  bouteille  d'eau  sé- 
dative, je  l'en  frictionnai,  et  lui  administrai  ensuite  quel- 
ques gouttes  d'eau-de-vie  dans  laquelle  j'avais  fait  infuser 
une  grande  quantité  d'écorce  de  quinquina.  Enfin,  au  bout 
.d'une  beure,  j'eus  la  satisfaction  de  le  voir  tranquille  et 
presque  sans  fièvre. 

Je  crois  devoir  recommander  aux  voyageurs  ce  remède 
fort  simple.  Si  par  hasard  on  trouve  des  plantes  de  Gali- 
nayas,  on  en  enlève  l'écorce  qu*on  coupe  en  petits  mor- 
ceaux, et  on  les  fait  infuser  dans  n'importe  quelle  eau- de- 
vie.  Vingt-quatre  heures  après  on  peut  en  faire  usage. 
L'écorce  de  quinquina  délabre  moins  l'estomac  que  la  qui- 
nine et  produit  autant  d'effet.  Si  la  fièvre  n'est  pas  coupée 
complètement,  elle  diminue  beaucoup  d'intensité;  on  peut 
alors  gagner  un  village  pour  achever  de  se  soigner.  C'est 
ainsi  que  nous  avons  souvent  procédé,  ]VI.  Noetzli  et  moi. 

Retardés  par  Tindisposition  de  mon  compagnon^  nous  ne 
quittâmes  notre  campement  qu'à  sept  heures  du  matin,  et 
commençâmes  à  gravir  «Las  Penas»  ou  «  El  Encajonado», 
croyant  ne  jamais  pouvoir  en  atteindre  le  sommet. 

La  pluie,  qui  tombait  de  plus  en  plus  fort,  avait  affreuse- 
.ment  raviné  la  montagne  et  le  sentier  que  barraient  çà  et  là 
Jes  arbres  tombés  de  vieillesse  ou  déracinés  par  l'orage.  Il 
fallait  à  tout  moment  s'arrêter,  faire  des  ponts  ou  déblayer 
la  route,  décharger  et  recharger  les  mules  aux  passages 
dangereux,  et  en  faire  autant  quand  elles  s'abattaient.  Plus 
loin,  c'étaient  des  bourbiers  6ù  bêtes  et  gens  s'enfonçaient 
jusqu'au  ventre,  et  dont  elles  ne  sortaient  qu'avec  la  plus 
grande  peine.Heureux  encore  de  ne  pas  être  blessés  ou  tués 


546  VOYAGE  DANS   L'ÉQUATEUR  ET   LE  VéROU. 

par  les  mules  gui  se  débattaient  alors  comme  des  démons! 
Je  suis  sûr  que,  sur  un  parcours  de  30  lieues,  nous  dûmes 
les  sortir  des  bourbiers  ou  les  décharger  au  moins  50  fois, 
et  porter  leur  charge  sur  notre  dos,  ce  qitî  ne  laissait  pas 
que  d'être  fort  pénible,  quoique  chacune  ne  pesât  pas  plus 
de  50  livres. 

Découragés  par  tant  d'obstacles,  nous  abandonnâmes  le 
sentier  et  essayâmes  de  nous  frayer  un  passage  à  travers 
bois.  Ce  ne  fut  pas  moins  pénible,  moins  dangereux;  presque 
partout  nous  rencontrions  des  ravins  aussi  impraticables 
pour  nos  mules,  qui  refusaient  d'avancer,  quoique  nous  por- 
tions leur  charge.  Enfin,  vers  quatre  heures  du  soir,  après 
avoir  fait  environ  2  lieues  en  4  heures  et  demie  à  travers 
-ces  forêts,  noiis  arrivâmes  au  faite  de  TEncajonado;  nous  y 
vîmes  plusieurs  petits  lacs  de  dix  mètres  de  diamètre. 

Nous  étions  à  3800  mètres  au  dessus  du  niveau  de  l'O- 
céan. Sur  ce  plateau  désert  nous  trouvâmes  heureusement 
un  hangar  que  notre  guide  appelait  :  Agnafiàn  ehiquito^ 
et  nous  complétâmes  l'installation  de  manière  à  y  braver  le 
mauvais  temps.  Un  des  Indiens  ayant  trouvé  par  hasard  un 
peu  de  yesca  sèche  *  nous  pûmes  enfin  allumer  du  feu,  faire 
sécher  nos  habits,  notre  herbier  et  nos  bagages.  Pour 
comble  de  bonheur,  il  y  avait  à  côté  du  tambo  un  riche 
pâturage  oii  nos  pauvres  mules  pouvaient  se  refaire;  aussi 
restâmes-nous- deux  jours  dans  ce  tambo,  passant  tous  nos 
instants  à  herboriser. 

Certes  avec  un  pareil  temps  et  dans  ces  forêts, la  besogne 
n'était  pas  facile  ;  mais  nos  peines  furent  largement  com- 
pensées par  la  riche  moisson  de  plantes  que  nous  recueil- 
lîmes. Les  espèces  dominantes  appartiennent  aux  orchidées 
fougères  ;  dans  le  bas  de  la  montagne,  ce  sont  les  plantes 
à  feuillage  piperonnia  et  surtout  les  aroïdées,  tandis  que  sur 

à- 

1.  On  appelle  ainsi  la  hampe  florale  du  Theophrasta  imperialis; 
lorsque  sa  moelle  est  bien  sèche,  elle  prend  feu  très  vite,  et  remplace 
afantageusement  notre  amadou. 


VOYAGE  DANS  L'ÉQtJATEUR  ET  LE  PÉROU.  547 

les  prairies  naturelles. qui  couvrent  le  sommet,  on  trouve  un 
nombre  considérable  de  graminées  et  quelques  espèces 
d'orchidées  terrestres. 

Pendant  notre  séjour^mon  compagnon  eut  encore  un  petit 
accès  de  fièvre;  mais  le  feu,  des  habits  secs  et  une  friction 
en  eurent  vite  raison. 

De  l'Ëncajonado  à  Yalladolid,  l'état  des  chemins  est  ab- 
solument le  même  que  celui  dont  nous  avons  donné  une 
idée  précédemment.  A  deux  heures  de  marche  de  notre 
campement,  nous  dûmes  gravir  encore  une  autre  montagne 
appelée  La  Guesta  del  Garrisal  dont  le  -sommet  se  nomme 
€ruz  grande. 

La  vallée  de  Yalladolid  s'étendait  devant  nous  dans  la 
direction  du  sud-est.  Nous  commençâmes  à  descendre  et 
allâmes  coucher  à  1000  mètres  plus  bas,  au  tambo  de  Nian 
Nian  Grande,  situé  à  la  limite  des  prairies  naturelles  et  des 
bois  qui  font  la  beauté  du  pays  arrosé  par  le  Palanda  et  ses 
nombreux  affluents. 

Après  une  journée  de  repos  accordée  à  nos  mules  et  em- 
ployée par  nous  à  une  des  plus  fructueuses  herborisations 
que  nous  ayons  faites,  nous  continuâmes  notre  descente 
dans  la  direction  générale  du  sud*est. 

Par  ces  affreux  chemins  nous  faisions  à  peine  quatre  lieues 
par  jour,  en  nous  donnant  beaucoup  de  mal  ;  et  il  nous  fallut, 
cette  fois,  faire  des  prodiges  pour  arriver  à  Yalladolid,  à 
5  heures  du  soir. 

Sur  la  rive  droite  du  rio  Yalladolid,  affluent  du  Chin- 
chipe,  un  petit  hameau,  habité  par  des  Indiens  et  des 
métis,  conserve  seul  le  nom  de  Topulente  cité  de  Yalladolid, 
peuplée  d'Espagnols,  il  y  a  moins  d'un  siècle. 

Déjà  le  temps  et  les  mains  sacrilèges  des  habitants  ont 
accompli  leur  œuvre  de  destruction  *. 

1.  Il  en  est  de  môme  pour  la  cité  voisine  de  Loyola,  à  environ  12  milles 
à  Test  de  Valladolid.  Il  semble  que  l'auteur  ait  égaré  quelques  pages  de 
son  manuscrit.  Il  a  dû  décrire  plus  amplement  les  ruines  de  Valladolid 


548  YOTAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

La  plupart  des  ruines,  dans  un  piteux  état,  sont  cachées 
sous  une  couche  de  terreau  épaisse,  en  certains  endroits, 
de  plusieurs  mètres.  Cependant,  malgré  tous  les  débris  ao 
cumulés  par  une  végétation  splendide,  on  distingue  çà  et 
là  le  tracé  de  quelques  rues,  et  parmi  des  arbres,  des  pal- 
miers gigantesques. 

En  partant  de  Yalladolid,  nous  traversons  quelques  que* 
bradas  qui  vont  toutes  se  jeter  dans  le  rio  Yalladolid,  et 
nous  gravissons  pendant  deux  heures  une  haute  montagne 
sur  laquelle  on  rencontre  à  chaque  instant  des  vestiges  de 
routes  fort  anciennes. 

Après  une  descente  d'une  demi-heure  et  l'ascension  d'une 
nouvelle  montagne,  nous  voyons  à  nos  pieds  le  rio  Palanda 
et  le  hameau  de  Schoutoupé  qui  compte  jusqu'à  13  ha- 
bitants tous  très  pauvres,  et  surtout  d'une  triste  santé. 

Nous  y  trouvâmes  heureusement  de  quoi  apaiser  notre 
faim,  car  nos  provisions  étaient  épuisées  ;  puis,  le  soleil  ayant 
daigné  se  montrer  dans  la  soirée,  nous.fimes  la  chasse  aux 
papillons.  Il  y  en  avait  en  telle  quantité,  qu'en  moins  de 
trois  heures,  nous  en  primes  plus  de  300. 

Le  lendemain  nous  réservait  de  moins  agréables  distrac- 
tions. D'abord,  il  nous  fallut  traverser  la  rivière  tellement 
forte  en  cette  saison  pluvieuse  qu'elle  roule,  avec  un  bruit 
épouvantable,  des  roches  énormes  pesant  plusieurs  tonnes* 

Notre  léger  radeau  et  nos  mules  ayant  échappé  au  danger 
d'être  emportés  ou  broyés,  il  restait  à  gravir  une  côte  si 
raide,  que  les  mules  refusaient  d'avancer.  Bon  gré,  mal 
gré,  nous  dûmes  les  décharger  et  porter  chacun  pendant 
deux  heures  la  moitié  de  leurs  charges. 

car,  dans  la  suite,  il  les  prend  souvent  pour  terme  de  comparaison.  Il  a 
vu  ici  non  seulement  des  palais  et  des  temples  construits  avec  des  pierres 
de  taille  énormes,  mais  aussi  de  simples  maisons.  Voir  à  la  III*  partie  la 
description  des  ruines  de  Gochamal,  d'Omia  et  d'Anayac.  Les  maisons  de 
Cochamal  lui  ont  .paru  semblables  à  celles  de  Valladolid.  Ces  maisons 
étaient  de  forme  carrée,  bâties  avec  d'énormes  pierres  juxtaposées  sans 
ciment.  (Note  de  la  rédaction.) 


VOYAGE  DANS  l'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.       549 

Ce  fut  dans  ce  bel  équipage  que  nous  atteignîmes  le 
vieux  Palanda  situé  sur  un  petit  plateau. 

Autrefois,  on  y  comptait  2000  habitants  ;  mais  en  1839, 
une  épidémie  anéantit  ou  dispersa  presque  toute  la  popu- 
lation. Il  ne  resta  que  les  plus  malades  ou  les  gens  trop 
pauvres  pour  aller  s'établir  ailleurs.  Les  vingt  individus  que 
nous  y  trouvâmes  vivaient  dans  la  plus  profonde  misère, 
presque  constamment  malades,  scrofuleux  et  rachitiques.. 
Gela  tient  à  la  constante  humidité  du  climat. 

En  revauche,  cette  humidité  favorise  extraordinairement 
la  végétation. 

Nos  mules  s'étant  bien  reposées  pendant  quatre  jours, 
nous  poursuivîmes  le  cours  de  nos  montées  et  de  nos  des- 
centes sous  une  pluie  diluvienne  qui  transformait  les  sea* 
tiers  en  torrents  et  les  ruisseaux  en  rivières.  Nous  passions 
ceux-ci,  tantôt  en  radeau,  tantôt  sur  de  mauvais  ponts  de 
lianes. 

Aucun  ne  nous  causa  plus  de  souci  que  celui  du  Siman- 
chi.  Il  avait  à  peine  20  à  25  mètres  de  long  et  cependant 
il  nous  fallut  presque  deux  heures  pour  le  traverser.  Après 
les  bagages,  ce  fut  le  tour  des  mules  ;  à  chaque  pas  les  lianes 
se  tendaient,  quelques  unes  se  brisaient  et  le  mouvement 
imprimé  au  pont  le  faisait  ressembler  à  une  balançoire,  du 
haut  de  laquelle  nous  ne  pouvions  regarder  en  bas  sans 
avoir  le  vertige. 

Après  deux  jours  et  demi  de  marche  et  deux  nuits 
passées  à  la  belle  étoile  sur  des  montagnes  de  3000  mètres 
de  hauteur,  nous  eûmes  le  plaisir  d'arriver  àZumba. 

Ce  pueblo  encaissé  entre  de  hautes  noiontagnes  jouit 
d'un  climat  relativement  très  chaud.  La  population  est  d'en- 
viron 300  habitants,  mais  16  seulement  dans  le  village.  Ils 
sont  la  plupart  de  race  indienne  et  fort  pauvres.  Ils  ne  cul- 
tivent la  canne  à  sucre  que  pour  leurs  besoins  et  récoltent 
un  peu  de  cascarilla  d'excellente  qualité,  et  du  tabac  qu'ils 
vont  vendre  à  Uancabamba. 

soc.  DE  GÉOGR.  —  4«  TRIMESTRE  1885.  YI.  —  37 


S50  VOYAGE  DANS  l'ÉQCATEUR  ET  LE  PÉROU. 

Tandis  que  M.  Noetzli  partait  pour  visiter  le  petit  bourg 
de  Ghito  sur  la  rive  gauche  du  Ghinehipe,  je  restai  encore 
deux  jours  à  Zumba  pour  compléter  nos  collections  avec 
les  produits  des  environs,  puis  je  partis  pour  San-Ignacio 
où  le  premier  arrivé  devait  attendre  Tautre. 

En  sortant  de  Zumba,  je  descendis  à  la  rivière  Gauchi, 
qui  forme  la  limite  de  l'Equateur  et  du  Pérou. 
.  Cette  rivière,  presque  aussi  large  que  la  Seine,  a  un 
courant  très  violent  et  des  plus  dangereux.  Elle  prend  sa 
source  dans  la  Cordillère  occidentale  et  se  jette  à  l'est  dans 
le  Chinchipe. 

Après  une  heure  de  marche  sur  un  chemin  assez  bon, 
quoique  fort  encaissé,  j'arrivai  sur  les  bords  de  la  rivière 
de  Namballe  qui  prend  aussi  sa  source  dans  la  Cordillère 
occidentale,  et,  unie  au  Gauchi,  se  jette  dans  le  Chinchipe. 
Elle  est  très  profonde  et  son  courant  est  non  moins  rapide 
que  celui  du  Gauchi. 

Je  la  traversai  et,  suivant  la  rive  droite,  j'entrai  une  heure 
après  à  Namballe.  Le  climat  est  chaud,  le  sol  des  plus  fer- 
tiles ;  les  environs  remarquablement  beaux.  Les  habitants 
de  la  ferme  de  Namballe  cultivent  k  tabac  aussi  renomnté 
que  celui  de  Jaen. 

Il  me  fut  impossible  de  m'y  procurer  un  logement  et 
un  peu  d'herbe  pour  nos  pauvres  mules  qui  mouraient 
de  faim.  Toutefois  on  m'indiqua  plus  à  l'est  une  ferme 
appartenant  à  un  riche  propriétaire,  M.  Antonio  Gebeda,  qui 
non  seulement  nous  donna  Thospitalité,  mais  encore  voulut 
nous  accompagner  h  San-Ignacio  Nuevo  avec  un  de  ses 
domestiques  pour  nous  servir  de  guide. 

Ce  pueblo,  bail  au  pied  d'une  moniagne  de  4000  inètresy 
se  trouve  lui-même  à  3700  DGàètres.  U  compte  100  habitants. 

Je  passai  toute  une  journée  à  herboriser  dans  les  environs 
et  à  visiter  des  ruines  très  anciennes,  et  foct  earieuses.  Les 
unes  sont  ineas,  tant  par  Leur  archîtecllQre  que  par  leurs 
sculptures;  les  autres  semblent  appartenir  S  une  civilisa-* 


1 


VOYIIGE  DANS  L  EQUATEUR  ET  LE  PÉROU.      551 

tion  antérieure.  On  remarque  aussi  plusieurs  cavernes  avec 
des  mscriptioQS. 

Le  troisième  jour,  nous  descendîmes  la  montagne  en  tra- 
versant plusieurs  cours  d'eau,  et  laissant  sur  la  droite  la 
quebrada  de  Gaparoza,  ainsi  nommée  parce  qu'elle  con- 
tient une  riche  mine  de  sulfate  de  cuivre,  nous  arrivâmes 
de  bonne  heure  au  pueblo  de  San-Ignacio  Nuevo,  situé  à 
une  demi-lieue  du  Ghinchipe.  Gelui-cî,  aussi  large  que  la 
Seine,  descend  en  cet  endroit  avec  une  rapidité  vertigineuse 
à  donner  la  chair  de  poule  aux  plus  braves;,  malgré  la 
distance,  on  entend  le  fracas  des  roches  qu'il  entraîne. 

J'eus  la  douleur  de  retrouver  au  pueblo  mon  pauvre  com- 
pagnon rongé  par  la  fièvre,  paralysé  des  reins  et  complè- 
tement abandonné,  car  les  habitants,  très  timides,  n'osaient 
lui  rendre  visite.  Seul,  le  curé  éUdt  venu  le  voir  quelque- 
fois et,  peut-être  sans  lui,  M.  Noetzii  eût- il  succombé 
autant  à  la  privation  de  nourriture  qu'aux  atteintes  de  la 
fièvre.  Quelques  soins  et  de  bonnes  frictions  le  remirent 
heureusement  sur  pied  en  quelques  jours  et  lui  permirent 
d'aller  achever  son  traitement  à  Ghirinos,  à  trois  jours  de 
marche  dans  le  sud  sud-est  de  San-Ignacio. 

Pendant  ce  temps  je  revins  sur  mes  pas  pour  aller  explo- 
rer les  montagnes  de  l'Ospirios. 

DEUXIÈME  PARTIE   (PÉROU.)  —  DE  LA  FRONTIÈRE  DU  PÉROU  A 

GHAC'HAPOTAS. 

De  San-Ignacio  à  la  Peca.  —  Le  Maranon  et  ses 
affluents,  les  rivières  de  Zamora  et  de  Ghinchipe,  dessinent 
un  grand  triangle  d'environ  2  degrés  carrés  ayant  pour  som- 
mets le  Pongo  de  Manseriche,  Loja  et  Jaen  de  Bracamoros. 
Une  grande  chaîne,  qui  se  détache  de  la  Gordillère  de 
Zamora,  le  partage  en  trois  bassins  excessivement  acci- 
dentés. Getle  chaîne  centrale,  nommée  Gordillère  du  Con- 
dor, se  dirige  d'abord  vers  Test  et  se  bifurque  à  peu  près  au 


552       VOYAGE  DANS  L* EQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

centre  du  triangle.  Parmi  les  nombreux  contreforts  de  sa 
branche  sud,  les  plus  importants  semblent  être  les  monts 
Ospirios  qui  nous  sont  à  peine  connus,  car  aucun  blanc 
n'ose  s'aventurer  chez  les  Indiens  sauvages  qui  les  habitent. 

Pour  m'y  rendre,  je  reolontai  d'abord  la  rive  droite  du 
Chinchipe  que  je  traversai  à  la  hauteur  de  Zumba,  et  trois 
heures  après,  j'arrivai  dans  une  ferme  complètement  isolée, 
où  Ton  élève  du  bétail  qui  se  multiplie  avec  une  étonnante 
facilité,  quoique  les  animaux  féroces  en  détruisent  une 
bonne  partie. 

Je  remarquai  en  divers  points  beaucoup  de  tombes  et  une 
grande  quantité  de  cavernes.  Plusieurs,  faites  de  main 
d'homme,  étaient  couvertes  de  sculptures;  je  découvris 
également  des  inscriptions  sur  les  parois  de  quelques  mon- 
tagnes. Vers  sept  heures  du  soir  j'avais  atteint  une  altitude 
de  3  000  mètres  ;  la  montagne  était  presque  entièrement  cou- 
verte de  prairies  naturelles,  sauf  dans  les  vallons  où  Ton 
voyait  des  arbres  et  même  des  palmiers  en  assez  grand 
nombre. 

Après  avoir  passé  la  nuit  dans  une  caverne,  nous  repar- 
tîmes dans  la  direction  de  Test  que  nous  suivîmes  pendant 
trois  autres  jours,  rencontrant  constamment  la  même  végé- 
tation. 

Cependant  le  quatrième  jour,  nous  trouvant  à  une  bonne 
lieue  du  rio  Ghirino,  nous  vîmes  devant  nous  une  grande  et 
belle  montagne  entièrement  boisée. 

Pendant  toute  une  journée  nous  montâmes  dans  une  ma- 
gnifique forêt  en  longeant  le  plus  près  possible  le  Ghirino,  et 
nous  passâmes  la  nuit  sous  un  petit  toit  de  feuilles  de  pal- 
mier, pauvra  abri  contre  une  pluie  incessante. 

Notre  cinquième  journée  de  marche  ne  fut  pas  mieux 
favorisée  par  le  temps.  Nous  montions  toujours  et  n'attei- 
gnîmes qu'à  4  heures  du  soir  le  sommet  de  la  montagne 
qui  forme  un  des  pics  de  la  Cordillère  centrale.  A  peine 
javions-nous  commencé  à  y  installer  notre  campement  qu'un 


VOYAGE  DANS  l'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.      553 

de  mes  Indiens,  apercevant  dans  un  vallon  la  fumée  de 
quelques  huttes,  me  supplia  de  ne  pas  faire  de  feu  et  de 
nous  éloigner,  car  si  les  Indiens  sauvages  nous  rencon- 
traient, c'en  serait  fait  de  nous. 

J'eus  beau  lui  dire  qu'avec  nos  armes  à  feu  nous  n^avions 
rien  à  redouter,  il  fallut  céder,  redescendre  pendant  une 
demi-heure  et  chercher  une  grotte  pour  passer  la  nuit  à 
l'abri  de  la  pluie  et  des  sauvages. 

Le  lendemain  je  regagnai  le  sommet  de  la  montagne, 
d'où,  suivant  des  yeux  les  contours  du  Ghirino,  je  jugeai 
que  sa  source  devait  être  encore  fort  éloignée.  Je  quittai 
mon  observatoire  vers  onze  heures  et,  dans  Timpossibilité 
de  me  faire  guider  plus  à  l'est,  je  résolus  d'aller  rejoindre 
M.  Noetzii  au  pueblo  de  Ghirino,  en  suivant,  sur  le  versant 
oriental  des  montagpes,  la  rive  droite  de  la  rivière. 

Le  hameau  de  Ghenanche,  que  nous  rencontrâmes  le  len- 
demain, compte  à  peine  24  habitants,  tous  Indiens.  Il  y  avait 
autrefois,  me  dirent-ils,  beaucoup  de  villages  dans  l'Os- 
pirios,  mais  les  Indiens  sauvages  ont  fini,  dans  leurs  excur- 
sions, par  enlever  les  femmes,  les  enfants,  et  par  exterminer 
tous  les  hommes;  et  depuis  longtemps,  personne  n'ose  plus 
dépasser,  à  Test,  le  village  de  Ghenanche. 

Gontinuant  à  descendre,  nous  arrivâmes,  le  troisième  jour, 
dans  un  petit  village,  à  une  lieue  du  Ghirino  qui  se  jette  un 
peu  plusbasdans  le  Ghinchipe.  Nous  y  attendîmes,  le  lende- 
main jusqu'à  dix  heures,  des  gens  de  bonne  volonté  pour 
nous  aider  à  traverser  le  Ghirino.  Jamais  je  n'éprouvai  pa- 
reille crainte,  car  la  rivière  s'engouffre  ici  entre  des  berges 
élevées  de  plusieurs  centaines  de  mèlres  et  les  eaux  fu- 
rieuses roulent  d'énormes  roches  avec  un  bruit  effrayant. 

A  quelques  pas  de  là,  on  franchit  une  petite  quebrada  et 
l'on  arrive  sur  les  bords  du  Ghinchipe.  Longeant  sa  rive 
gauche,  nous  traversons  ensuite  sur  un  radeau  l'un  de  ses 
affluents,  et  faisons  un  coude  vers  l'est  pour  aller  visiter 
le  pueblo  de  Puyaya  Nuevo,  dont  les  150  habitants  sont  In- 


554  VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

diens,  sauf  quelques  familles  blanches  d'une  rare  beautë. 

Nous  retrouvions  ici  un  climat  chaud,  mais  sain.  Après 
nous  être  reposés  pendant  un  jour,  ce  dont  nous  avions  le 
plus  grand  besoin,  nous  repartîmes  dans  la  direction  de 
l'ouest,  et  quatre  heures  de  descente  en  pente  douce  nous 
conduisirent  sur  les  bords  du  Chinctaipe  que  nous  tra- 
versâmes en  face  de  Ghîrino. 

Bâti  au  milieu  d'une  plaine  d'alluvion  qui  doit  6tré  de 
formation  très  ancienne,  à  en  juger  par  la  grosseur  exces- 
sive des  arbres,  le  pueblo  de  Ghirino  a  environ  190  habi- 
tants. J'avais  hâte  d'arriver,  car,  depuis  mon  départ  de 
San-TgnaciOy  j'étais  sans  nouvelles  de  mon  ami.  J'eus  le 
plaisir  de  le  trouver  à  peu  près  rétabli,  et  nous  pûmes  dès  le 
lendemain  nous  diriger  sur  Jaen  Yiejo  ou  Jaen  de  Bracamo* 
ros. 

Je  passerai  rapidement  sur  les  détails  de  cette  route  qui 
descend  presque  constamment  en  suivant  la  rive  gauche  du 
Chinchipe.  Le  premier  village  qu'on  rencontre  est  Lnma- 
ruca,  sur  la  pente  de  la  montagne  de  Huanca,  au  pied  de 
laquelle  coule  la  rivière  de  ce  nom,  peu  profonde  mais  fort 
large  et  d'un  courant  très  rapide.  On  la  traverse  en  radeau, 
à  peu  de  distance  du  Ghinchipe;  puis,  montant  pendant 
une  heure  par  un  chemin  fort  beau,  quoique  coupé  par  les 
nombreux  ruisseaux  qui  inondent  le  pays  dans  la  saison 
des  pluies,  on  entre  dans  la  grande  et  belle  plaine  de 
Shiumba.  On  y  voit  des  troupeaux  de  cerfs  comme  en 
France  des  troupeaux  de  moutons,  mais  on  y  rencontre 
malheureusement  aussi  beaucoup  de  maisons  abandonnées, 
car  le  vomito  ou  le  typhus  fait  de  cruels  ravages  parmi  les 
habitants  dont  le  nombre  a  diminué,  dit-on,  de  75  p.  100 
depuis  une  quarantaine  d^années. 

Tous  les  ruisseaux  qui  arrosent  la  plaine  viennent  se 
réunir  près  du  pueblo  de  Shiumba  pour  former  une  jolie  ri- 
vière qui  va  se  jeter  dans  le  Ghinchipe.  De  ce  pueblo,  il  sufDt 
d'une  petite  journée  de  marche,  dans  la  direction  de  l'est, 


VOYAGE  DANS  l'ÉQUATECR  ET  LE  PÉROU.  555 

pour  atteindre  la  sous- préfecture  de  Jaen  de  Bracamoros, 
bâtie  à  mi-oôte  sur  lô  versant  d'une  grande  montagne.  Sa 
population  de  1800  âmes  se  compose  de  nègres,  die  quelques 
familles  blanches  et  surtout  de  métis. 

Leur  misère  égale  leur  ignorance  ;  ils  n'ont  aucune  in- 
dustrie et  ne  produisent  même  pas  de  quoi  acheter  le  sel 
dont  ils  ont  besoin.  La  plupart  vivent  de  brigandage;  â 
peine  trouve^t*-on  trois  hommes  qui  veuillent  bien  travailler 
et  faire  le  courrier  entre  ce  bourg  et  Gajamarca. 

Avant  de  poursuivre  notre  voyage,  je  désirais  voir  les 
environs  de  Jaen  et  surtout  explorer  les  montagnes  qui 
séparent  les  rives  gauches  du  Ghinchipe  et  du  Marafion.  En 
conséquence  je  retournai  jusqu'à  Shiumba  d'où  je  gagnai 
San-Égypto,  petit  village  habité  par  92  Indiens,  gens  plus 
simples  que  méchants,  dont  la  grande  ressource  est  la  cul- 
ture du  tabac  qui  vient  admirablement  dans  la  contrée  et 
jusqu'à  Ghirino.  Il  est  connu  au  Pérou  sous  le  nom  de 
tabac  de  Jaen;  sa  qualité  est  peut*être  supérieure  à  celle 
du  tabac  de  la  Havane,  mais  on  ne  sait  pas  le  préparer.  Les 
cascarîlleros  ou  Indiens  chasseurs  du  pueblo  récoltent  aussi 
un  peu  de  quinquina. 

Quelques-uns  d'entre  eux  ayant  consenti  à  m'accom- 
pagner  dans  les  montagnes,  nous  partîmes  en  emportant 
deux  régimes  de  bananes  presque  vertes,  un  peu  de  yuca  ou 
jatropha  manioca  et  1  kilogr.  de  viande  sèche.  Ge  furent 
toutes  nos  provisions  de  bouche  pendant  une  excursion 
qui  dura  plusieurs  jours. 

Je  ne  pouvais  suffire  à  ramasser  et  préparer  mes  coUec* 
lions  dans  ces  magnifiques  forêts  aujourd'hui  abandonnées, 
malgré  leur  richesse.  J'en  étais  fort  surpris.  Autrefois,  me 
dirent  mes  Indiens,  blancs.  Indiens  et  sauvages  habitaient 
les  anciens  pueblos  de  Puyaya  et  de  Gopallin  sur  les  bords 
du  Maranon  et  exploitaient  ces  forêts;  mais  un  jour  les 
sauvages,  partant  pour  la  guerre,  confièrent  aux  blancs  et 
aux  Indiens  leurs  femmes,  leurs  propriétés  et  leurs  trou*- 


556  VOYAGE  DANS  l'ÉQUATEUR  ET  LE   PÉROU. 

peaux.  A  leur  retour,  grand  fut  leur  étonnement  de  retrou- 
ver leurs  champs  dévastés;  bientôt  ils  apprirent  que  les 
blancs  s'étaient  mal  conduits  à  l'égard  de  leurs  femmes  et 
avaient  vendu  leurs  troupeaux.  Ils  tinrent  conseil  et  réso- 
lurent de  se  venger  des  traîtres.  Le  pueblo  fut  incendié,  les 
hommes  tués  et  les  femmes  emmenées  dans  l'intérieur.  Le 
petit  nombre  de  ceux  qui  échappèrent  vinrent  alors  se  ré- 
fugier près  du  Ghinchipe  et  y  fohdèrent  le  pueblo  de  San- 
Egypto. 

N'étant  qu'à  une  journée  de  marche  de  Puyaya  Viejo, 
nous  poussâmes  jusqu'aux  ruines  près  desquelles  on  voit 
aujourd'hui  un  pauvre  hameau. 

Au  pied  de  la  montagne  coule  le  Maraiion  ;  sur  l'autre  rive, 
on  aperçoit  les  ruines  de  Gopallin  Viejo. 

Je  ne  me  rappelle  pas  avoir  vu  deux  villages  plus  pitto- 
resquement  situés.  En  outre  la  température  est  ici  toujours 
douce;  le  terrain  d'une  rare  fécondité  produit  en  abon- 
dance de  la  vanille  et  tous  les  fruits  des  tropiques. 

Le  lendemain,  en  revenant  à  San-Egypto,  nous  rencon- 
trâmes un  cours  d'eau  qui  traverse  un  peu  plus  bas  les 
ruines  de  Jaen  de  l'Oro  (le  Jaen  de  l'Or).  La  ville  était  bâtie 
sur  un  plateau  de  12  à  16  kilomètres  de  long  et  de  1  kilo- 
mètre de  large.  Le  climat  est  chaud  et  humide;  une 
végétation  luxuriante  couvre  le  plateau  et  les  ruines,  en 
général  assez  bien  conservées.  Que  de  richesses  ont  été 
apportées  ici  aux  Espagnols  dont  tous  les  objets  de  luxe 
étaient  en  or  !  Las  d'être  maltraités,  les  Indiens  se  révol- 
tèrent, mirent  le  feu  à  la  ville,  égorgèrent  les  hommes  et 
emmenèrent  les  femmes  dans  leurs  forêts.  Des  colonies 
qui  reposent  sur  de  tels  principes  ne  méritent  pas  d'autre 
sort. 

Revenu  à  Shiumba,  je  suivis  une  fort  belle  route  pour  me 
rendre  à  Bella  Vista  oîi  mon  compagnon  vint  me  rejoindre, 
le  jour  même  de  mon  arrivée.  Il  était  accompagné  de  sept 
t>u  huit  personnes  venues  pour  prendre  mes  collections  que 


VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE   PÉROU.      ;        557 

j'expédiai  en  France,  sauf  mes  trouvailles  anthropologiques 
que  je  cachai  aux  environs  dans  une  caverne,  me  réservant 
de  les  venir  prendre  plus  tard. 

Le  pueblo  de  Bella  Vista  est  situé  au  confluent  de  la 
rivière  de  ce  nom  et  du  Maranon  dans  une  plaine  aride  où 
Ton  n'aperçoit  pas  l'ombre  d'une  plantation  de  bananiers  ou 
de  cannes  à  sucre.  B^Ua  Vista  n'a  ni  commerce  ni  industrie. 
La  population  est  presque  entièrement  nègre  ;  cependant  on 
rencontre  quelques  Indiens  et  des  métis.  Il  n'existe  peut-être 
pas  au  Pérou  de  localité  plus  mal  famée,  et  ce  n'est  point 
sans  raison.  Sur  150  habitants,  on  trouverait  difficilement 
un  véritable  honnête  homme.  Quand  ils  apprennent  qu'une 
personne  possède  quelque  argent,  ils  vont  de  nuit  l'égorger, 
pillent  sa  maison  et  l'incendient  ensuite  ;  et  lorsqu'ils  ne 
trouvent  rien  à  piller  aux  environs,  ils  se  volent  entre  eux. 
Les  populations  voisines  les  redoutent,  sans  oser  rien  dire; 
car,  dans  ces  départements  reculés,  le  gouvernement  n'a 
presque  pas  d'autorité.  Libres  et  assurés  de  l'impunité,  ces 
bandits  attendent  l'arrivée  d'un  étranger  comme  une  excel- 
lente  aubaine.  Déjà  deux  Français,  un  Anglais,  deux  Améri- 
cains et  trois  Allemands,  en  tout  huit  naturalistes  ou 
commerçants,  ont  été  assassinés  entre  Bella  Vista  et  le 
pueblo  de  la  Peca.  Tel  est  le  joli  pays  que  je  me  prépare  à 
visiter. 

Mes  préparatifs  d'excursion  avaient  été  rapidement  faits, 
mais,  n'ayant  pas  compté  avec  les  habitudes  d'ivrognerie  des 
bateliers,  je  commençai  par  perdre  un  jour  entier  en 
attendant  un  homme  pour  me  faire  passer  sur  la  rive  droite 
du  Maranon.  Il  était  fort  tard  lorsque  je  le  traversai;  j'allai 
coucher  dans  une  ferme  à  une  demi-lieue  du  fleuve. 

Au  jour,  je  continuai  ma  route,  tantôt  au  milieu  des 
cactus,  tantôt  dans  le  lit  d'une  quebrada  ou  d'un  ruisseau, 
avec  de  l'eau  jusqu'aux  épaules,  et  j'arrivai  ainsi  sur  les 
bords  d'un  magnifique  affluent  du  Maranon,  la  rivière 
d'Utcubamba  ou  rivière  de  la  joie.  De  Tautre  côté,  à  quel- 


558  voTAŒ  DAns  l'êquateub  et  le  Pérou. 

qnes  centaines  de  mètres  de  hanteor,  se  trouTe  Bagua 
Ghica  qne  dominent  de  hantes  montagnes. 

Je  passai  la  naît  dans  ce  pueblo  qui  compte  80  habitants, 
tons  Indiens  et  assez  hospitaliers.  Le  lendemain,  après 
cinq  heures  de  marche,  j'entrai  à  la  Peca,  petit  pueblo  sur 
la  rivière  de  ce  nom,  entouré  de  bois  et  de  champs  cultivés. 
Le  bruit  ayant  couru  qne  je  venais  recruter  des  soldats,  tout 
le  monde,  à  mon  approche,  se  sauva  dans  les  bois,  à  Tex- 
ception  de  quelques  infirmes. 

Mon  guide  partit  le  jour  suivant,  après  m'avobr  recom* 
mandé  de  ne  pas  sortir  la  nuit.  Je  ne  sais  trop  comment 
je  serais  allé  visiter  les  ruines  de  Gopallin  Tiejo  sans  l'ar- 
rivée d'un  cascarillero,  H.  Léon  Asuero,  qui  se  mit  à  ma  dis- 
position et  voulut  bien  m^accompagner.  Sur  notre  route, 
la  beauté  de  la  végétation  me  frappa  non  moins  que  la  grande 
abondance  de  vanille  et  de  Carlos  Dudovica  avec  lequel 
on  fait  les  chapeaux  de  Panama.  Malheureusement  les 
Indiens  sauvages  s'opposent  à  l'exploitation  de  ces  richesses 
et  poussent  leurs  excursions  jusqu'à  la  Peca,  égorgeant  tout 
ce  qu'ils  rencontrent. 

Nous  passâmes  une  journée  aux  ruines  de  Gopallin  Yiejo. 
Au  moment  oh  nous  nous  j  attendions  le  moins,  nous 
remarquâmes  des  empreintes  fraîches,  a  Partons  tout  de 
suite,  s'écria  mon  compagnon,  les  Indiens  sont  ici;  >  et 
aussitôt  il  rebroussa  chemin.  La  peur  lui  donnait  des  ailes; 
je  le  suivais  avec  peine.  Le  lendemain,  à  9  heures  du 
matin,  nous  étions  de  retour  à  la  Peca,  mais  dans  un  état 
piteux. 

De  la  Peca  à  Shipatsbamba.  — En  me  rendant  à  Shipaîs- 
bamba,  je  pensais  faire,  suivant  mon  habitude,  plusieurs 
excursions  à  droite  et  à  gauche  dans  les  montagnes,  excur- 
sions très  fatigantes  dans  cette  saison  pluvieuse.  Je  restai 
donc  quelques  jours  à  la  Peca,  autant  pour  me  reposer  que 
pour  mettre  en  ordre  mes  notes  et  mes  collections. 

Qu'avait  à  redouter  ici  un  pauvre  naturaliste  comme  moi? 


VOYAGE  DANS  l'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.      559 

En  vérité  les  gens  de  Bagua  Chica  m'avaient  mis  en  tète 
des  dangers  imaginaires.  Les  habitants  de  là  Peca  ne  sont* 
ils  pas  plus  craintifs  que  méchants?  Voyant  que  je  ne 
mange  personne,  ils  reviennent  peu  à  peu  au  village; 
bientôt  même  ils  s'enhardissent  au  point  de  me  rendre 
visite  et  de  m^offrîr  de  la  chicha  faite  avec  du  jus  de  canne 
et  de  la  salspàreille.  Ils  me  firent  trinquer  et  boire  avec  eux  ; 
mais  à  peine  avais-je  avalé  le  contenu  de  mon  verre  que, 
pris  de  coliques  et  de  crampes  affreuses,  je  me  crus  empois- 
sonné. 

Léon  Asuero  rentrait  en  ce  moment.  Me  voyant  tout  pâle, 
il  se  hâta  de  faire  chauffer  de  Teau  qu'il  me  fit  boire,  et 
réussit  à  me  faire  rejeter  ce  que  j'avais  pris. 

Je  me  croyais  hors  danger;  mais  le  lendemain  j'eus  un 
accès  de  fièvre  chaude  à  la  suite  duquel  je  tombai  dans  un 
profond  assoupissement.  A  mon  ré veil,  je  trouvai  Léon  Asuero 
à  mes  côtés.  Il  me  fît  prendre  une  tisane  de  sa  composition 
qui  sembla  couper  la  fièvre;  cependant,  le  second  jour,  elle 
revint  déplus  belle  et  dura  vingt-quatre  heures.  Dès  que  je 
pus  remuer  les  jambes,  je  me  hâtai  de  quitter  la  Peca,  et 
me  traînai  jusqu'au  village  de  Gopallin  Nuevo  oti  je  repris 
un  peu  de  force,  grâce  aux  soins  de  mon  brave  Asuero  et 
des  gens  chez  qui  nous  logions. 

Le  climat  de  Gopallin  Nuevo  est  chaud  et  sain.  Les  habi* 
tants,  au  nombre  de  210,  paraissent  intelligents,  actifs,  se 
livrent  entièrement  à  l'agriculture  et  savent  très  bien  utiliser 
le  joli  cours  d'eau  qui  traverse  le  pueblo  et  la  plaine  pour 
irriguer  leurs  champs.  Je  fus  assez  surpris  de  rencontrer 
une  école  dans  une  localité  si  reculée  où  le  papier  fait  à  peu 
près  défaut  ;  mais  les  gens  du  pays  le  remplacent  par  des 
feuilles  de  bananier  sur  lesquelles  les  enfants  écrivent  fort 
habilement. 

De  Gopallin  Nuevo  je  me  rendis  à  Lunchicati,  distant  de 
cinq  lieues.  On  y  voit  quelques  plantations  de  cacao  qui 
réussissent  très  bien  et  fournissent  d'excellents  produits. 


560  VOYAGE   DANS   L'ÉQUATEUR   ET  LE  PÉROU. 

Le  lendemain  je  continuai  ma  route^  mais  après  avoir 
passé  la  quebrada  de  Naranjito,  les  forces  m'abandonnè- 
rent et  je  dus  envoyer  un  de  mes  guides  demander  l'hospi- 
talité au  maître  de  la  ferme  d'Utcubamba.  Cet  excellent 
homme  eut  l'idée  de  faire  appeler  un  blanc  des  environs, 
M.  Nicolini  Stavi,  qui  vint  me  voir  dès  le  lendemain  matin 
et  m'offrit  de  le  suivre  chez  lui  où  je  trouverais  des  médi- 
caments. J'acceptai  avec  empressement  sa  proposition  et, 
remerciant  mon  hôte  de  sa  bienveillante  attention,  nous 
partîmes  pour  l'hacienda  de  Quinquinal. 

J'y  arrivai  très  fatigué  au  bout  de  trois  heures  de  marche, 
et  y  restai  malade  quinze  jours;  mais  enfin  ma  nature 
robuste  reprit  le  dessus  et,  grâce  aux  bons  soins  de  M.  Nico- 
lini Stavî  et  de  ses  gens,  ma  convalescence  fut  assez  courte. 

Devant  l'hacienda  de  Quinquinal,  adossée  aux  parois 
d'une  montagne  presque  coupée  à  pic,  s'étend  un  petit  pla- 
teau couvert  de  riches  pâturages.  Le  climat  est  tempéré  et 
la  végétation  fort  belle  dans  les  montagnes,  où  Ton  trouve 
quelques  variétés  de  Chincona  GalUnaya  fort  estimées  sur 

les  marchés. 
M'étant    fortifié    par    quelques   excursions    autour  de 

l'hacieuda,  je  retournai  à  la  ferme  d'Utcubaroba  dont  le 

personnel  se  compose  d'une  trentaine  d'Indiens.  Hs  me 

montrèrent  un  ours  qu'ils  venaient  de  tuer  et  m'affirmèrent 

que  cet  animal  était  tout  à  fait  inoffensif.  Il  mesurait  plus 

d'un  mètre  de  hauteur  sur  1",50  de  longueur.  Une  bande 

d'un  jaune  grisâtre  partait  de  ses  yeux  pour  aller  se  perdre 

en  s*élargissant  sur  son  dos. 

Je  n'étais  venu  à  la  ferme  qu'avec  l'intention  de  remer- 
cier encore  le  propriétaire;  mais,  comme  il  me  proposa 
d'aller  visiter  avec  lui  le  pueblo  de  Pururco,  je  ne  me  fis 
nullement  prier  et  nous  partîmes  le  lendemain. 

Nous  passâmes  d'abord  sur  la  rive  gauche  de  l'Utcubamba 
et  commençâmes  aussitôt  à  monter  la  côte  de  Pururco  par 
un  chemin  assez  bon.  Après  cinq  heures  d'ascension  nous 


VOTAGE  DANS  l'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  561 

entrâmes  à  Pururco  Nuevo,  petit  pueblo  de  200  âmes  qui 
manque  d'eau  en  été  et  ne  se  distingue  par  aucune  indus- 
trie. 

Le  lendemain  nous  continuons  à  monter  jusqu'à  3500 
mètres  d'altitude  et  nous  arrivons  au  pueblo  de  Pururco 
Yiejo,  entouré  de  champs  de  maïs  et  de  pommes  de  terre. 
La  population  était  autrefois  de  500  habitants.  Le  froid, 
intense  de  Thiver  en  a  chassé  une  bonne  partie.  Le  dimanche, 
il  s'y  tient  un  marché  où  le  commerce  ne  se  fait  que  par 
échange.  Toutes  les  montagnes  des  environs  sont  couvertes 
de  ruines  de  monuments  antérieurs  à  la  conquête,  et  je 
rapportai  à  Quinquinal  une  bonne  collection  d'objets  et  de 
haches  en  silex  très  bien  polies. 

Cette  petite  excursion,  loin  de  me  fatiguer^  avait  achevé 
de  me  rendre  des  forces.  Je  résolus  donc  de  continuer  mon 
voyage  en  explorant  les  montagnes  de  la  rive  droite  de 
rutcubamba. 

Ma  première  étape  fut  aussi  courte  que  possible,  à  peine 
deux  heuces  de  montée.  M.  Nicolini  Stavi  avait  bien 
voulu  m'accompagner  chez  un  de  ses  amis,  M.  Jossion,  qui 
dirige  l'hacienda  de  Lonyat,  située  au  milieu  des  bois  sur  un 
plateau  de  deux  à  trois  lieues.  J'y  passai  une  agréable  et 
dernière  soirée  avec  ces  messieurs  qui  m'avaient  rendu  tant 
de  bons  offices,  et  le  lendemain,  ayant  fait  bonne  provi- 
sion de  renseignements,  je  quittai  Lonyat. 

Longue  et  mauvaise  journée  1  Nous  montons  la  côte  de 
Lamparo  sous  une  pluie  torrentielle  et  ne  trouvons  qu'à 
7  heures  du  soir  un  pâturage  pour  nos  mules.  La  montagne 
a  2700  mètres  d'altitude  ;  on  y  rencontre  quantité  de  vieilles 
routes  se  dirigeant  dans  tous  les  sens  et  un  nombre  consi- 
dérable de  ruines,  parmi  lesquelles  je  découvris  une  mai- 
son dont  les  murs  en  pierres  de  taille  avaient  3  mètres 
d'épaisseur,  8  mètres  de  hauteur,  10  mètres  de  largeur  et 
40  mètres  de  longueur. 
Nous  traversons  ensuite  plusieurs  petits  cours  d'eau  et  la 


562  VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEtR  £T  LE  PÉROU. 

quebrada  de  Jaoïbec.  Mes  Indiens  m'assurant  que  je  trou- 
verais de  chaque  côté  de  ce  ravin  des  ruines  plus  nom- 
breuses et  plus  importantes  encore,  je  consacrai  la  matinée 
à  faire  des  recherches.  Je  vis  en  effet  dans  les  ruines  d'un 
temple  plusieurs  statues  en  pierre,  les  unes  brisées,  les 
autres  renversées  sur  le  sol;  mais  je  me  contentai  de  re- 
cueillir des  haches  en  silex,  des  poteries  et  des  outils  exces- 
sivement bizarres. 

Tout  le  versant  des  montagnes,  sur  une  longueur  d'en- 
viron 10  lieues,  est  couvert  de  ruines.  Aussi  passai-je 
plusieurs  jours  dans  ces  parages  à  faire  des  fouilles  ;  décou- 
vrant tantôt  d'anciennes  routes  pavées,  tantôt  d'immenses 
monuments  dont  les  murs  en  pierres  de  taille  et  très  épais 
ont  de  50  à  100  et  même  300  mètres  de  longueur! 

Alors  je  reconstruisais  ces  maisons,  ces  temples,  ces  pa- 
lais et,  dans  la  plaine  favorisée  par  la  douceur  du  climat,  je 
revoyais  une  nombreuse  et  active  population;  mais  voici 
qu'un  jour  les  Fils  du  Soleil  voient  arriver  des  hommes  au 
visage  pâle.  Ils  se  courbent  devant  eux  tout  prêts  à  les 
adorer;   ces  divinités  se  changent  en  fléaux,  et  bientôt  un 

silence  de  mort  plane  sur  ce  paradis  terrestre OA  donc 

est  le  progrès?  Dans  la  longue  succession  des  siècles^  les  na- 
tions et  les  individus  ne  tournent-ils  pas  toujours  dans  le 
même  cercle,  et  l'éternelle  loi  qui  régit  leurs  destinées  n'est-  J 

elle  pas  la  même  pour  toute  la  nature?  Que  d'immenses 
contrées,  réputées  pour  leur  fertilité,  se  sont  transformées 
en  désert  et  de  nouveau  se  repeupleront  et  se  couvriront 
d'une  nouvelle  végétation?  La  vie  sort  de  la  mort,  laTichesse 
de  la  ruine;  malheureusement,  dans  cette  fatale  évolution, 
les  destructions  sont  rapides  et  bien  lentes  les  reconstruc- 
tions. 

Tout  en  continuant  nos  recherches,  nous  étions  arrivés 
au  pied  de  la  grande  côte  de  Pomacocha  où  nous  fûmes  ar- 
rêtés par  un  torrent  qui,  grossi  par  les  pluies,  entraînait  des 
roches  et  des  arbres  entiers  dans  sa  course  vertigineuse. 


VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEtR  ET  LE  PÉROU.  563 

I 

Deux  palmiers  que  nous  jetâmes  en  travers  de  la  quebrada 
et  quelques  arbres  plus  petits,  assujettis  par*dessus  avec  des 
lianes,  nous  servirent  de  pont  volant.  Il  fallut  ensuite  instal- 
ler notre  campement  de  manière  à  nous  mettre  à  Tabri  des 
animaux  féroces,  des  serpents  cobral  et  d'autres  serpents 
noirs  assez  gros  qui  se  tiennent  dans  les  arbres  d'où  ils 
s'élancent  sur  tout  ce  qui  passe  à  leur  portée. 

A  côté  de  nousy  une  grosse  roche  masquait  l'entrée  d'un 
bel  aqueduc  adossé  aux  parois  de  la  montagne.  Les  murs, 
inclinés  et  percés  de  trous  de  distance  en  distance,  s'éle- 
vaient parfois  à  une  hauteur  de  50  mètres. 

Le  surlendemain,  la  pluie  ne  cessant  pas  de  tomber,  nous 
nous  décidâmes  à  gravir  la  côte  de  Pomacocha. 

La  partie  inférieure  est  très  boisée;  on  y  trouve  le  Siroxi" 
Ion  coco  ou  Coca  des  Indiens.  Vers  midi  nous  rencontrâmes 
quelques  ruines  et,  ce  qui  me  surprit  le  plus,  un  bas- 
sin profond  d'environ  3  à  400  mètres  de  circonférence, 
très  poissonneux  et  alimenté  par  deux  quebradas  dont  Tune, 
presque  entièrement  obstruée^  est  construite  en  pierres 
dans  le  genre  des  puits. 

Le  chemin  que  nous  suivions  était  tellement  détrempé 
que  les  mules  s'embourbaient  à  chaque  instant.  En  un 
endroit,  le  chemin  s'effondra  sous  les  pieds  de  ma  béte  et 
nous  roulâmes  alternativement  l'un  sur  l'autre  pendant 
quelques  minutes  avant  que  je  pusse  m'accrocher  à  une 
branche  d'arbre.  J'avais  été  assez  heureux  pour  saisir  en 
même  temps  les  rênes  de  ma  mule  qui  se  releva;  mais  en 
essayant  de  la  hisser,  les  rônes  se  brisèrent  et  elle  alla  tom- 
ber dans  un  précipice.  Cette  fois  je  la  crus  morte. 

Je  descendis  pour  abréger  son  agonie;  par  miracle  elle 
vivait  encore.  Je  l'aidai  à  se  relever;  nous  en  étions  quittes 
pour  la  peur. 

Après  l'avoir  laissée  reposer  pendant  une  demi-heure,  je 
réussis  à  ouvrir  un  chemin  et  à  la  remonter.  Quoique  la 
nuit  fût  venue  nous  surprendre,  j'aurais  désiré  monter  en- 


564  YOTAGE  DillfS  L  EQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

core  afin  d'installer  les  mules  dans  une  prairie,  mais  un 
accident  plus  grave  que  le  premier  m'en  empêcha.  Une  des 
mules  roula  dans  un  précipice  et  cette  fois  bête  et  charge 
furent  bien  perdues. 

Nous  dûmes  camper  là,  et  passer  une  vilaine  nuit  sans 
feu,  sans  abri,  sous  une  pluie  torrentielle. 

Au  jour  nous  reprenons  notre  ascension.  Portant  sur  le 
dos  la  charge  de  nos  mules,  nous  n'avançons  qu'en  déblayant 
la  route  à  coups  de  sabre. 

Parfois  elle  est  si  encombrée  d'arbres  abattus  par  l'orage 
que,  pour  la  dégager,  nous  sommes  obligés  de  nous  déchar- 
ger. Ici  c'est  la  boue  qui  nous  retarde;  plus  je  veux  en  sortir, 
plus  j'y  enfonce.  Tous  mes  efforts  n'aboutissant  qu'à  me 
mettre  les  pieds  en  sang,  je  finis  par  abandonner  mes 
bottes.  Enfin,  vers  10  heures  du  matin,  nous  atteignons 
le  faîte  de  la  montagne  où  nous  trouvons  un  petit  abri... 
La  pluie  venait  de  cesser;  à  11  heures,  le  soleil  parut  et 
nous  réchauffa  un  peu. 

Nous  descendîmes  toute  l'après-midi  cette  maudite  mon- 
tagne. La  quebrada  de  Ghorillos  une  fois  passée,  le  chemin 
devient  meilleur.  Si  loin  que  la  vue  peut  s'étendre,  on 
n'aperçoit  que  des  ruines,  semblables  par  leur  architecture 
et  le  fini  du  travail  à  celles  de  Yalladolid;  même  spectacle, 
le  lendemain,  entre  la  côte  d'Alva  et  Shipaïsbamba  que  nous 
atteignîmes  en  suivant  le  flanc  des  montagnes  au  pied  des- 
quelle coule  rutcubamba. 

De  Shipaïsbamba  à  Chachapoyas. —  Je  restai  trois  jours 
à  Shipaïsbamba.  Les  Indiens  qui  m'avaient  accompagné 
étaient  brisés  par  la  fièvre  et  je  ne  valais  guère  mieux.  Le 
climat  est  froid  et  humide  au  pueblo;  mais,  au  bas  de  la 
montagne,  la  température  est  plus  douce.  Le  sol  très  fertile 
produit  en  abondance  la  pomme  de  terre,  le  mais  et  la 
coca.  Shipaïsbamba  compte  300  habitants,  polis,  hospi- 
taliers et  timides,  comme  tous  les  Indiens.  En  fait  d'indus- 
trie, on  n'y  voit  qu'une  fabrique  d'eau-de-vie  dont  la  pro- 


VOYAGE  DANS  l'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  565 

daction  suffit  à  peine  à  la  consommation  des  habitants. 

De  ce  village  à  San-Garlos  la  route  ne  présente  rien  de 
particulier.  L'aspect  du  pays  est  le  même  avec  un  caractère 
moins  sauvage,  car  on  commence  à  rencontrer  çà  et  là  de 
petits  hameaux.  Toutes  les  quebradas  qu'on  traverse  vont 
se  jeter  soit  dans  ]e  rio  de  Achillo  qui  charrie  des  sables 
aurifères,  soit  dans  TUtcubamba. 

San-Garlos  ^st  une  sous-préfecture  de  2000  habitants,  tons 
Indiens,  d'une  saleté  extraordinaire,  la  plupart  syphilitiques 
ou  goitreux.  Le  climat  est  d'ailleurs  froid,  humide  et  mal- 
sain. Plusieurs  cours  d'eau  baignent  la  ville  sans  la  laver, 
car  les  rues  ne  sont  pas  plus  propres  que  Ibs  habitants,  et 
on  y  enfonce  dans  la  boue  jusqu'aux  genoux.  Telle  cité, 
telle  administration.  En  me  promenant,  je  rencontrai  Tayun- 
tamiento  et  le  sous-préfet  dans  un  pitoyable  état  d'ivro- 
gnerie. Je  me  hâte  d'ajouter  que  ce  digne  fonctionnaire  ne 
tarda  pas  à  être  remplacé. 

San-Carlos  possède  une  église  et  deux  chapelles  bâties  en 
adobe'comme  presque  toutes  les  maisons.  Le  commerce, 
l'industrie  y  sont  nuls.  Sur  la  montagne  on  récolte  du  maïs, 
un  peu  de  blé  et  quelques  légumes  ;  le  yuca,  la  coca  et  la 
canne  à  sucre  sont  cultivés  dans  la  plaine. 

La  montagne  sur  laquelle  est  bâti  San-Garlos  s'élève  à 
une  hauteur  de  3500  à  3800  mètres.  A  son  sommet  de 
forme  octogonale,  appelé  Alcaliaca  ou  pic  de  Moyou,  je 
fus  tout  surpris  de  voir  une  grande  nappe  d'eau  qui  donne 
naissance  à  une  quantité  de  quebradas.  Les  unes  vont  se 
jeter  dans  l'Utcubamba,  d'autres  se  dirigent  vers  l'est  et 
le  nord-est  à  travers  les  montagnes,  dans  un  pays  désert  et 
inconnu  ^ 

Suivant  ensuite  les  flancs  du  pic  et  traversant  les  que- 
bradas de  Pacallaca,  Yincana,  Piedra  grande,  etc.,  et  une 
côte  assez  raide,  j'arrivai  à  9  heures  et  demie  du  soir  à  San- 

1 .  Il  est  probable  que  le  Chuchunga,  affluent  du  Maranon,  prend  ici 
sa  soarce. 

soc.  DE  GÉ06R.  —  4*  TRIMESTRE  1885.  V[.  —  38 


S66      VOYAGE  DANS  L'EQUATEUR  ET  LE  PEROU. 

Pablo.  Ce  village,  situé  au  pied  du  Moyou,  est  encore  élevé 
de  2500  mètres  au-dessus  de  l'Océan  ;  le  climat  y  est  froid, 
liumide  ;  la  végétation  très  pauvre.  Cependant  les  cent  In- 
diens de  San-Pablo  s'y  trouvent  comme  dans  un  paradis  en 
comparaison  du  hameau  qu'ils  habitaient  autrefois  sur  une 
montagne  voisine.  On  me  fit  voir  les  ruines  de  cette  localité 
•qui  se  nommait  Campanario  ;  elles  sont  bien  à  une  hauteur 
de  3500  mètres.  Le  froid  intense  et  les  pluies  continuelles 
devaient  en  faire  un  bien  triste  séjour. 

Après  avoir  passé  la  nuit  à  San*Pablo,  je  descendis  jus- 
•qu'au  rio  Cocayacu,  affluent  de  TUtcubamba,  qui  charrie  de 
petits  grenats.  On  le  traverse  sur  un  de  ces  ponts  à  toiture 
qui  servent  d'abri  aux  voyageurs,  genre  de  construction 
très  utile  et  très  commun  au  Pérou,  puis,  gravissant  la 
•côte  de  la  Coca,  on  arrive  au  pueblo  de  ce  nom  qui  lui  a  été 
•donné,  parce  que  la  coca  est  pour  ainsi  dire  un  produit  na- 
turel du  sol  et  qu'elle  y  est  d'une  qualité  supérieure  à  celle 
des  environs. 

Entre  San-Carios  et  la  Coca,  les  montagnes  recouvertes 
•d'une  couche  d'alluvion  sont  de  formation  dévonienne.  Les 
prairies  naturelles  dominent  et  les  cultures  se  bornent  gé- 
'néralement  à  quelques  champs  de  maïs  et  de  pommes  de 
terre.  Sur  ce  trajet  on  rencontre  beaucoup  de  cavernes  dans 
'lesquelles  je  recueillis  une  grande  quantité  d'ossements  hu- 
^mains. 

Sur  cent  Indiens  qui  habitent  la  Coca,  il  y  en  a  au  moins 
•quatre-vingt-dix  qui  sont  jaunes  comme  des  citrons.  Cette 
-coloration  de  teint  est  due  à  l'abus  de  la  coca  mélangée  à 
la  chaux,  dont  l'effet  sur  la  santé  est  encore  plus  désastreux 
que  celui  de  l'opium.  Cependant  la  coca  prise  modérément, 
mais  sans  chaux,  est  très  salutaire  contre  les  maladies  des 
os  et  elle  produit  en  peu  de  temps  de  très  heureux  effets 
sur  les  personnes  d'un  tempérament  faible. 

Du  pueblo  on  atteint,  en  une  demi-heure  de  marche,  le 
«ommet  de  la  montagne  que  deux  petits  cours  d'eau  sépa- 


.  VOYAGE  DANS  L  EQUATEUR  ET  LE  PÉROU.       567 

rent  de  la  grande  côte  de  Huanca.  Le  sentier  devient  ici 
très  étroit,  très  raide.  Le  voyageur  ne  doit  avancer  qu'avec 
la  plus  grande  attention  en  faisant  reposer  ses  mules  tous 
les  quarts  d'heure  pour  éviter  les  accidents.  Je  n'ai  vu  nulle 
part  autant  de  squelettes  d'animaux. 

A  5  heures  du  soir  nous  atteignons  le  sommet  de  la  côte 
qui  n'a  pas  moins  de  4000  mètres.  Quelle  vue  splendide 
nous  aurions,  s'il  faisait  beau  temps  !  Mais  une  pluie  froide, 
qui  tomba  toute  la  journée,  nous  chassa  bien  vite.  Nous  ne 
faisons  que  traverser  Huancas,  petit  village  au  pied  de  la 
côte  où  l'on  fabrique  d'assez  médiocres  poteries  et,  franchis- 
sant quelques  petits  cours  d'eau  et  deux  grandes  barrancaSy 
nous  entrons  à  9  heures  du  soir  à  Ghachapoyas,  sans  chaus- 
sures, couverts  de  vêtements  en  lambeaux,  affaiblis  par  les 
fièvres,  les  perpétuels  changements  de  température  et  les 
privations  de  toutes  sortes. 

Je  ne  trouvai  pas  mon  cher  compagnon,  M.  Noetzli,  en 
meilleure  santé.  La  moindre  humidité  augmentait  ses  dou- 
leurs de  reins  compliquées  de  fièvre  et  de  rhumatismes. 
Dans  ces  conditions  il  n'avait  pu  entreprendre  aucune  ex- 
cursion. 

Le  charmant  plateau  sur  lequel  est  situé  Ghachapoyas  est 
élevé  de  2332  mètres  et  dominé  par  de  magnifiques  mon- 
tagnes. Un  climat  chaud,  humide,  favorise  le  développement 
de  la  végétation  sur  le  terrain  excessivement  fertile  de  la 
province  de  Ghachapoyas  qui  produit  du  maïs,  du  riz,  de 
la  cire  blanche,  du  cacao,  de  l'indigo,  du  sucre,  du  coton, 
du  tabac,  etc.  ;  mais  les  principales  récoltes  des  environs 
du  chef-lieu  consistent  en  blé,  maïs  et  pommes  de  terre.  A 
quelque  distance  au  nord  de  la  ville,  près  d'un  affluent  de 
rutcubamba,  on  trouve  une  riche  mine  de  mercure. 

Ghachapoyas  possède  une  préfecture,  un  évôché,  un  col- 
lège épiscopal,  et  môme  une  petite  garnison.  Aussi  Tauto- 
rité  du  gouvernement  y  est-elle  un  peu  moins  méconnue 
que  partout  où  nous  avons  passé  jusqu'à  présent.  Les  rues 


568  TOTAGE  BANS  L*ÉQUàTEUR  ET  LE  PÉROU. 

ftont  droites,  bien  pavées,  et  la  ville  prend  meilleure  tour- 
nure grâce  aux  travaux  dirigée  par  M*  Wertheman,  ingé- 
nieur de  rÉtat,  un  des  explorateurs  du  Guallaga  et  de  la 
province. 

Il  n'y  a  ici  ni  commerce  ni  industrie  ;  cependant  par  sa 
situation  géographique,  entre  Moyobamba  à  Test,  Gaja- 
marca  au  sud-ouest  et  la  vallée  de  Guyabamba  au  sud-est, 
Gbachapoyas  deviendrait  facilement  un  centre  commercial 
important.  Mais  qu'attendre  de  malheureux  Indiens  dont  la 
fainéantise  égale  la  stupidité?  Avec  des  nègres  on  aurait 
plus  de  ressources  ;  on  pourrait  réparer  les  routes,  en  ou- 
vrir de  nouvelles,  enfin  rendre  possible  ce  qui  n'est  et  ne 
peut  être  aujourd'hui  qu'un  rêve. 

La  seule  bonne  chose  que  nous  trouvâmes  ici,  c'est  du 
pain.  Sans  doute  un  Parisien  ferait  la  grimace  devant  les  ga- 
lettes passablement  dures  que  nous  payons  un  prix  exorbi- 
tant ;  mais  comment  ne  pas  les  trouver  délicieuses,  quand  on 
est  privé  de  pain  depuis  cinq  mois  ? 

Pendant  les  huit  jours  que  je  restai  à  Gbachapoyas 
pour  me  reposer  et  préparer  nos  collections,  j'entendis 
parler  de  la  vallée  de  Guyabamba  comme  d'une  région 
voisine  et  peu  connue  ;  et  de  fait,  on  n'en  possède  aucune 
carte. 

Seul,  M.  Raimondi  y  avait  pénétré  en  1869,  mais  les  ré- 
sultats de  son  voyage  n'étaient  pas  connus,  et  tous  les  ren- 
seignements que  j'obtins  se  bornèrent  à  ceci  :  a  Le  rio  de 
Guyabamba  ou  del  Guambo  prend  naissance  dans  les  mon- 
tagnes du  sud  et  va  probablement  se  jeter  dans  le  Guallaga, 
après  avoir  traversé  une  grande  vallée  peuplée  d'environ 
15  à  20000  habitants  qui  exportent  le  meilleur  sucre  du 
Pérou.  y> 

Get  inconnu  géographique  éveillait  d'autant  plus  ma  cu- 
riosité qu'une  contrée  aussi  reculée  me  semblait  le  refuge 
naturel  des  populations  primitives  repoussées  dans  l'inté- 
rieur. L'archéologie,  l'ethnographie  pouvaient  donc  aussi 


VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  569 

bien  trouver  leur  compte  à  cette  exploration  que  la  géogra- 
phie et  rhistoire  naturelle. 

Résolu  à  la  tenter,  je  quittai  Chachapoyas  dans  les  pre- 
miers jours  de  mars  1877. 

TROISIÈME    PARTIE   (PÉROU).    —     EXCURSION    DANS    LA    VALLÉE 

DE   GUYABAMBA. ^ 

De  Chachapoyas  à  Milpo.  —  En  quittant  Chachapoyas, 
je  me  rendis  à  Pipos,  sur  la  route  de  Moyobamba.  Pipos 
Yiejo,  qui  a  environ  100  habitants,  est  situé  sur  la  rive 
gauche  de  la  rivière  de  ce  nom;  sur  l'autre  rive  est  Pipos 
Nuevo  où  je  pris  un  guide  pour  visiter  le  lendemain  le  nou- 
veau et  Tancien  pueblo  de  Soloco. 

Le  premier  est  à  deu^  bonnes  heures  de  Pipos,  sur  un 
plateau  élevé  de  2800  mètres,  tandis  que  Soloco  Yiejo  est 
dans  la  vallée  arrosée  par  une  quebrada  qui  alimente  un 
moulin,  le  premier  que  j'aie  vu  dans  le  pays.  Le  climat 
est  tempéré,  humide;  le  sol  fertile  produit  la  canne  à  sucre, 
mais  les  cent  habitants  du  pueblo,  tous  Indiens  et  très  pa- 
resseux, ne  la  cultivent  que  pour  leurs  seuls  besoins. 

Le  jour  suivant,  je  remontai  sur  le  plateau.  On  y  voit 
plusieurs  petits  lacs.  La  végétation  est  pauvre;  les  cultures 
fort  rares  consistent  en  blé,  maïs,  et  pommes  de  terre.  Le 
versant  sud-ouest  de  la  montagne  est  coupé  par  de  nom- 
breux ruisseaux  qui  vont  tous  se  jeter  dans. la  rivière  de 
Gheto^ 

Le  hameau  de  ce  nom  a  environ  50  habitants;  il  est  situé 
sur  la  rive  droite  de  la  rivière.  Je  la  remontai  encore  pen- 
dant une  heure,  en  traversant  quelques  ruisseaux  qui  vont 
grossir  le  Cheto,  puis  je  franchis  la  montafgne  de  la  Cruz 
au  pied  de  laquelle  coule  le  Cheto.  La  pluie,  qui  tomba  toute 

1 .  Le  Cheto  et  le  Pipos  se  réunissent  au  bas  du  village  de  Pipos,  à 
300  mètres  de  distance  environ. 


570      YOTAGE  DANS  l'ÉQVÂTEUR  ET  LE  PÉROU. 

la  journée,  avait  rendu  les  diemins  impraticables  et  nous 
étions  dans  un  état  pitoyable,  lorsque,  vers  6  heures  du 
soir,  nous  arrivâmes  au  pont  Olea.  Ce  pont,  de  10  mètres  de 
longueur  sur  4  mètres  de  largeur,  est  couvert  d'une  toiture. 
Une  douzaine  d'Indiens  s'étaient  déjà  installés  sous  cet 
abri;  nous  y  passâmes  la  nuit  avec  eux. 

De  ce  pont  on  peut  se  rendre  en  un  jour  au  tambo  de 
Guàlama  et  même  à  celui  de  Ghouta,  à  l'entrée  de  la  vallée 
de  Guyabamba  ;  mais  outre  que  les  chemins  étaient  affreux, 
j'avançais  lentement  en  recueillant  des  plantes.  Aussi  em- 
ployai-je  deux  jours  à  faire  ce  trajet. 

On  monte  d'abord  une  petite  côte  jusqu'au  tambo  del 
Tio  Grande,  dont  le  sommet  n'est  que  sables  blancs  et  brous> 
sailles,  puis  on  redescend  au  tambo  del  Tio  Ghiquîto.  Ce 
chemin,  détrempé  par  des  pluies  continuelles,  est  ordi- 
nairement très  fréquenté  par  les  gens  de  la  vallée  de  Guya- 
bamba qui  vont  vendre  leur  sucre  et  leur  eau-de-vie  à 
Ghachapoyas  ;  mais,  en  ce  moment,  tout  transport  était  in- 
terrompu, parce  que  les  animaux  restaient  embourbés.  Nos 
mules  mêmes  avaient  de  la  peine  à  s'en  tirer. 

Du  tambo  Chiquito  on  remonte,  en  traversant  de  nom- 
breux ruisseaux  et  les  quebradas  de  Lejia  et  de  Tinas  et, 
après  avoir  suivi  celle-ci  pendant  une  demi-heure,  on  gravitla 
côte  de  Las  Escaleras  ô  de  Tinas,  en  passant  par  les  endroits 
suivants  :  Moria  Pota,  Juez  Tambo  Costa,  Anio  Pampa  et  Las 
Escaleras.  Cette  ascension  nous  demanda  une  heure,  tant 
les  chemins  étaient  mauvais.  Nous  étions  enfin  sur  le 
plateau  élevé  de  2400  mètres,  qui  forme  la  ligne  de  partage 
des  eaux  entre  le  Maranon  et  le  Guallaga.  J'y  trouvai  un 
petit  lac  d'eau  minérale  chaude  dans  lequel  je  fus  assez 
surpris  de  trouver  un  nombre  considérable  de  plantes  que 
je  ne  pus  classifîer.  Le  lac  a  environ  8  mètres  de  largeur 
et  20  de  longueur;  sa  température  est  de  6*  centigrades. 

Un  peu  plus  loin  nous  rencontrâmes  le  tambo  de  Guà- 
lama; mais  n'ayant  autour  de  nous  que  des  arbres  rabou- 


VOYAGE  DANS  l'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  571 

gris  et  pas  de  pâturages  pour  les  mules,  nous  descendîmes 
pendant  une  heure  et  demie  pour  aller  passer  la  nuit  aa 
tambo  de  Ghouta. 

Le  lendemain,  du  haut  d'une  colline,  je  vis  se  dérouler 
sous  mes  yeux  la  vallée  de  Guyabamba.  Derrière  les  nuagesv 
amoncelés,  le  soleil,  tout  pâle  comme  il  l'est  dans  les  régions 
équatoriales  lors  de  la  saison  des  pluies,  éclairait  un  des 
plus  jolis  panoramas  qu'on  puisse  voir.  A  l'est,  au  pied 
des  montagnes,  coule  le  Guambo  ;  vers  le  sud  j'aperçois  les 
pueblos  de  Michina  et  de  San*NiooIas,  plus  loin  le  rio  de 
Cochamal  qui  n'est  qu'un  bras  du  Guambo  ^  ;  enfin,  à  l'ouest, 
vers  les  montagnes  qui  bornent  la  plaine,  je  découvre  Co- 
chamal, Soquia,  Santa-Rosa  et  Milpo.  C'est  un  coup  d'œil 
magnifique. 

Je  descendis  jusqu'à  Cochamal.  C'est  un  pays  très  fertile 
dont  le  climat  est  tempéré,  très  humide  et  malsain.  A  mi- 
chemin  de  Cochamal,  je  fus  surpris  par  un  orage  épouvan- 
table oh  nous  faillîmes  rester  :  moi,  mes  collections  et  mes 
mules.  Le  vent  déracinait  les  arbres  et  une  bourrasque  me 
renversa  ainsi  que  ma  mule.  Je  roulai  dans  un  trou  où  je 
perdis  connaissance.  Quand  je  revins  à  moi,  j'avais  de  l'eau 
jusqu'à  la  ceinture.  L'eau  qui  descendait  de  la  montagne 
remplissait  peu  à  peu  le  trou,  et  un  arbre  déraciné  était 
tombé  en  travers.  Tandis  que  j'en  coupais  les  branches  avec 
mon  machetôy  j'entendis  des  bruits  de  voix.  Je  me  mis  à 
crier  de  toute  la  force  de  mes  poumons  et  bientôt  deux 
hommes  se  dirigèrent  de  mon  côté.  En  me  voyant  dans 
cette  triste  situation,  ces  braves  gens  commencèrent  par 
éclater  de  rire;  mais  je  l'oubliai  quand  ils  m'eurent  aidé  à 

1.  Nous  avons  interprété  les  renseignements  géographiques  du  voyageur 
en  admettant  :  l"*  quMl  s*est  souvent  trompé  sur  les  directions,  i°  qu'il 
donnait  des  noms  différents  aux  différentes  parties  d*une  même  rivière. 
Par  suite,  dans  cet  extrait  de  son  manuscrit^  nous  donnons  les  indica- 
tions qui  se  rapprochent  le  plus,  croyons  nous,  de  la  vérité.  Nous  aurions 
pu  les  interpréter  sans  faire  la  seconde  hypothèse,  mais  cette  interprétation 
s'écarterait  probablement  davantage  de  la  vérité.  (Note  de  la  rédaction,) 


à 
\ 


572  VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

me  dégager.  Je  me  mis  alors  à  la  recherche  de  mes  affaires, 
trouvant  ici  une  couverture,  là  mon  chapeau,  etc.  Ma  mule 
de  selle  s'était  réfugiée  à  un  quart  de  lieue  dans  Tenceinte 
d'une  maison  démolie  par  Torage  ;  quant  à  ma  mule  de 
charge,  je  la  retrouvai,  à  six  heures  du  soir,  au  pueblo  de 
Cochamal,  devant  la  porte  de  Téglise.  Le  Gobernador  et  le 
maître  d'école,  qui  m'attendaient,  me  donnèrent  ce  dont 
j'avais  besoin,  car  tous  mes  bagages  étaient  trempés  par  la 
pluie.  Jeu^oublierai  pas  que  le  Gobernador  eut  l'obligeance 
de  m'oifrir  son  four  pour  faire  sécher  mon  herbier. 

Cochamal  est  bâtie  au  pied  des  montagnes,  à  une  altitude 
de  1480  mètres;  ses  cent  habitants  sont  la  plupart  de  race 
blanche.  Gomme  ils  m'assurèrent  que  les  montagnes  étaient 
couvertes  de  ruines  et  de  cavernes,  je  partis  le  lendemain 
pour  les  visiter.  A  dix  heures,  j'arrivai  sur  une  hauteur  où 
je  trouvai  des  ruines  semblables  à  celles  de  Yalladolid.  La 
plupart  des  maisons,  de  10  mètres  de  longueur  sur  5  de 
largeur,  sont  construites  en  pierres  de  deux  pieds  d'épaisseur, 
taillées  comme  les  pavés  de  nos  rues.  La  plupart  de  ces  mai- 
sons sont  adossées  à  la  montagne*  Celles-ci  ont  deux  pe- 
tites fenêtres  sur  le  devant,  tandis  que  les  maisons  qui  font 
face  à  la  montagne  ont  leurs  fenêtres  de  l'autre  côté.  L'en- 
semble de  ces  ruines  forme  une  circonférence  coupée  en 
tous  sens  par  des  rues  d'une  largeur  moyenne  de  4  mètres. 
J'en  suivis  une  qui  aboutissait  au  sommet  de  la  montagne 
jonchée  de  pierres  plus  ou  moins  bien  sculptées;  puis, 
ayant  fait  quelques  fouilles  sans  résultat,  je  redescendis 
par  une  des  rues  du  versant  est. 

Plus  bas,  je  traversai  d'autres  ruines  groupées  sans  ordre 
et  me  dirigeai  vers  une  petite  montagne  qui  dominait  les 
environs  ;  mais  en  arrivait  à  sa  base,  je  restai  tout  étonné  de 
voir  que  la  montagne  avait  été  coupée  verticalement  et 
formait  une  haute  muraille. 

En  en  faisant  le  tour,  je  vis  une  caverne  faite  de  main 
d'homme.  L'ouverture  haute  d'un  mètre,  large  de  0™,50, 


VOYAGE  DANS  L'EQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  573 

s'enfonce  dans  le  flanc  de  la  montagne.  J'y  pénétrai  et 
y  recueillis  quelques  ossements  et  des  silex  que  j'envoyai 
à  Gocbamal  par  un  de  mes  hommes. 

Je  continuais  à  descendre  lorsque  je  fus  arrêté  par  un 
amas  de  pierres  de  taille.  Je  ne  pouvais  m'imaginer  d'où 
elles  venaient  quand,  levant  la  tête,  j*aperQus  une  muraille 
large  de  10  mètres  et  haute  de  8  à  10  mètres,  bâtie  sans 
ciment  avec  des  pierres  de  1",50  de  long  sur  O'^jSO  de  large. 

Je  Tescaladai  à  l'aide  de  branches  d'arbres  et  de  mon 
poignard  que  j'enfonçai  entre  les  pierres.  Cette  muraille, 
légèrement  inclinée,  peut  avoir  5piètres  d'épaisseur.  Je  fus 
bien  plus  étonné  d'en  voir,  derrière,  une  seconde  pareille 
à  la  première,  sauf  la  pente^  et  plus  haut  une  troisième 
formée  presque  entièrement  par  les  rochers  de  la  mon- 
tagne. Un  peu  plus  bas,  celle-ci  s'était  affaissée  et  la  muraille 
démolie  m'offrit  un  passage,  mais  je  ne  trouvai  rien  qui 
m'indiquât  d'une  façon  quelconque  si  ces  travaux  dataient 
des  Incas  ou  d'une  époque  antérieure. 

Je  rencontrai  encore  quelques  ruines  de  maisons,  celles- 
ci  de  forme  ronde,  et  je  revins  au  pueblo  de  Cochamal  à 
7  heures  du  soir. 

Je  passai  les  deux  jours  suivants  à  la  chasse.  Les  habitants 
d'une  pampa,  située  à  quatre  lieues  de  Cochamal^  voyant 
leur  bétail  détruit  par  les  animaux  féroces,  avaient  organisé 
une  battue.  Nous  tuâmes  deux  beaux  ours  et  un  magnifique 
sanglier.  Chacun  prit  sa  part  du  butin  et  tout  le  monde 
revint  satisfait  au  pueblo,  que  je  quittai  le  lendemain  pour 
Santa-Rosa,  chef-lieu  du  district  de  Guyabamba. 

Après  avoir  passé  et  repassé  la  rivière  de  Cochamal*  sur 
un  pont  de  bois  à  toiture,  d'une  longueur  de  8  mètres,  nous 
nous  engageâmes  dans  un  chemin  affreusement  détrempé 
par  la  pluie  et  coupé,  à  chaque  instant,  par  de  petits  ruis- 

1.  Avant  d'arriver  à  Saint-Nicolas,  la  rivière  de  Cociiamal  se  réunit  à 
celle  de  Aina,  puis  elle  reçoit  la  rivière  de  San  Antonio,  et,  ainsi  grossie, 
va  se  jeter  dans  le  Guambo. 


574  VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

seaux.  Dans  d'autres  conditions,  il  nous  eût  fallu  deux 
heures  pour  aller  à  Soquia,  à  moitié  chemin  deSanta-Rosa; 
nous  patauge&mes  pendant  neuf  heures.  Soquia  se  compose 
de  cinq  hameaux  avec  1500  habitants.  Le  territoire  est  ar- 
rosé par  plusieurs  ruisseaux.  On  y  cultive  surtout  la  canne  à 
sucre.  Je  perdis  une  journée  à  explorer  les  environs,  car  la 
végétation  est  presque  nulle,  et  le  lendemain  j'arrivai  à 
Santa-Rosa,  après  avoir  traversé  la  rivière  du  même  nom. 

Santa-Rosa  est  entourée  de  montagnes  de  quelques  cen- 
taines de  mètres  d'élévation.  Le  climat  est  tempéré  et  aussi 
humide  que  le  sol  est  fertile.  La  canne  à  sucre  est  partout 
cultivée  sur  une  grande  échelle;  le  sucre  et  l'eau-de-vie 
sont,  du  reste, les  seules  productions  importantes  de  la  vallée 
de  Guyabamba.  Le  pueblo  de  Santa*Rosa^  avec  son  église, 
ses  rues  droites,  ses  maisons  en  adobe  et  ses  écoles,  a 
presque  l'apparence  d'une  petite  ville;  cependant  la  popu- 
lation n'est  que  de  400  habitants,  en  majorité  de  race 
blanche.  Mais  quelle  différence  entre  eux  et  ceux  de  la 
province  de  Chachapoyas  !  Ici  tout  le  monde  est  honnête, 
laborieux,  intelligent.  On  ne  fait  pas  de  révolution,  mais  de 
l'agricullure,  du  commerce,  et  chaque  année  voit  croître  le 
nombre  des  routes  et  des  défrichements.  Je  ne  découvris 
aucune  ruine  aux  environs;  cependant,  sur  une  des  mon- 
tagnes voisines,  je  remarquai  des  trous  creusés  à  la  main 
qui  pouvaient  avoir  20  métrés  de  profondeur  sur  10  mètres 
de  diamètre. 

Après  un  cordial  adieu  à  la  charmante  population  de 
Santa-Rosa,  je  me.mis  en  route  pour  la  Totora.  Le  chemin 
est  d'abord  coupé  par  plusieurs  quebradas  qui  tombent 
dans  le  rio  de  Santa-Rosa,  puis  on' atteint  la  rivière  de 
Pindo  Cucho  qui  va  se  perdre  dans  la  rivière  de  Milpo.  Le 
Pindo  Cucho  est  tellement  tortueux  que  je  le  passai  et  re- 
passai cinq  fois.  Une  petite  côte  le  sépare  de  la  rivière  de 
la  Totora  qui  prend  sa  source  dans  les  montagnes  de  la 
Calca  et  va  se  jeter  dans  le  Guambo.  Je  traversai  la  rivière 


YOYAGIC  DANS  L'ÉQVATEUR  ET  LE  PÉROU.  575 

de  Totora  et,  à  5  heures  du  soir,  j'arrivai  complètement 
mouillé  au  pueblo. 

Le  pueblo  de  la  Totora,  situé  dans  une  yallée  élevée  de 
1566  mètres,  compte  200  habitants  presque  tous  blancs  et 
sachant  presque  tous  lire  et  écrire.  Au  sud  se  trouve  une 
grande  montagne,  tandis  que  de  vastes  marais  s'étendent 
au  nord,  et  forment  un  grand  lac  dans  la  saison  des 
pluies. 

Aidé  par  tout  le  pueblo,  qui  mit  à  ma  disposition  ses 
engins  de  pèche,  je  fis  une  collection  complète  des  poissons 
que  ce  lac  contient  eti  abondance. 

.  J'organisai  ensuite  quelques  explorations  dans  les  mon* 
tagnes  environnantes  à  10  et  même  15  lieues  à  la  ronde  ^ 

J'y  trouvai  d'immenses  ruines  et  de  très  beaux  silex.  Les 
ruines  m'ont  paru  être  de  l'âge  de  celles  de  Yalladolid  ; 
toutefois  je  n'affirme  rien  et  laisse  à  de  plus  savants  que 
moi  le  soin  de  trancher  la  question. 

Je  dois  reconnaître  que,  dans  toutes  mes  excursions,  tout 
le  monde  me  venait  en  aide.  La  plupart  des  gens  du  pays 
étant  atteints  de  fièvres,  de  goitres  ou  de  rhumatismes; 
j'eus  la  chance  de  les  guérir. en  me  servant  de  plantes  mé- 
dicinales que  j'avais  appris  à  connaître,  et  je  me  créai  ainsi 
d'excellentes  et  fort  utiles  relations  qui  me  permirent  de 
faire  à  peu  de  frais  de  nombreuses  collections  de  plantes, 
de  reptiles,  de  poissons  et  d'insectes,  et  de  les  envoyer  sans 
grande  dépense  àChacbapoyas^. 

Les  habitants   de  la  Totora  vinrent,  à  mon  retour,  me 

1 .  Ces  chiffres  nous  paraissent  exagérés  de  moitié  si  on  les  prend  pour 
les  distances  directes  et  à  vol  d*oiseau.  Le  voyageur  tient  sans  doute 
compte  de  tous  ses  tours  et  détours  dans  un  rayon  beaucoup  plus  petit. 
On  verra  plus  loin  que  le  point  extrême  qu'il  a  atteint  dans  Test  ou  le 
nord-est  de  la  Totora  (Calca)  ne  semble  pas  être  à  plus  de  30  kilomètres. 
On  remarquera  que  les  ruines  des  montagnes  de  Calca  sont  au  contraire- 
différentes  de  celles  de  Valladolid.  (Note  de  la  rédaction,) 

2.  Ces  collections  de  reptiles,  de  poissons  et  d'insectes  n'ont  pu  être^ 
retrouvées. 


576      VOYAGE  DANS  L'ÊQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

prier  de  leur  découvrir  une  source  d'eau  minérale  ou  saline. 
Dans  ce  but  nous  nous  réunîmes  une  dizaine  pour  explorer 
les  montagnes  voisines.  J'y  fis  de  nombreuses  collections 
d'histoire  nalurelle  et  d'ethnographie;  nous  poussâmes 
notre  reconnaissance  jusqu'à  Milpo. 

Ce  pueblo  est  situé  dans  une  petite  vallée^  près  d'une 
rivière  encaissée,  profonde  et  très  poissonneuse.  Une  que- 
brada  passe  au  milieu  du  village  et  va  tomber  plus  bas  dans 
la  rivière.  Là  population  d'environ  200  habitants  est  pres- 
que entièrement  de  race  blanche ,  honnête  et  laborieuse. 
Le  pueblo  possède  une  école;  ce  n'est  pas  un  de  mes 
moindres  sujets  d'étonnement  que  de  voir  dans  toute  cette 
vallée  si  reculée  de  Guyabamba  combien  l'instruction  est 
répandue.  Il  n'est  si  pauvre  hameau  qui  n'ait  son  école  où 
les  enfants  écrivent  sur  des  feuilles  de  palmier  à  défaut  de 
papier.  Gela  n'explique-t-il  pas  la  différence  de  mœurs 
entre  les  Péruviens  de  Guyabamba  et  les  gens  de  Jaen? 

Le  pays,  dont  l'altitude  est  de  2000  mètres,  est  un  peu 
humide,  très  fertile,  et  produit  surtout  la  canne  à  sucre.  Je 
laissai  là  mes  amis  de  laTotora  et  me  préparai  à  descendre 
encore  la  vallée  de  Guyabamba. 

Les  ruines  de  Omia  et  le  cours  du  Guambo.  —  Parti  de 
Milpo  le  matin,  j'arrivai  le  même  soir  à  Omia,  après  avoir 
passé  plusieurs  quebradas  et  longé  parfois  le  rio  de  Milpo  que 
je  laissai  à  ma  gauche. 

Omia  est  bâti  au  pied  des  montagnes  entre  la  quebrada 
d'Omia  et  la  rivière  du  même  nom  *. 

Ces  deux  cours  d'eau  suivent  une  voie  souterraine  pen- 
dant une  heure  et  vont  se  jeter  dans  le  Guambo.  Le  pueblo 
compte  75  habitants,  tous  Indiens,  agriculteurs  et  éleveurs 
de  bestiaux.  Les  jaguars  de  la  plaine  et  les  ours  de  la  mon- 
tagne leur  enlèvent  rarement  quelques  animaux. 

La  première  journée,  je  fus  coucher  à  deux  lieues  plus  bas 

1 .  Le  rio  Omia  est  le  même  que  le  Cochamal. 


VOYAGE  DANS  L*ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.      577 

que  le  pueblo,  dans  une  belle  plaine  couverte  d'immenses 
ruines  sur  les  bords  de  la  rivière  de  Guambo^  qui  est  ici 
très  encaissée.  Nous  y  établîmes  noire  campement  pour  y 
rester  deux  jours.  Les  ruines  de  la  plaine  consistent  en  mai- 
sons de  forme  carrée.  Les  murailles,  bâties  avec  de  grosses 
pierres  sans  aucune  espèce  de  mortier,  sont  encore  daus  un 
état  parfait  de  conservation.  Les  rues  sont  longues  et  d'une 
largeur  moyenne  de  8  à  10  mètres.  Toutes  ces  constructions 
rappellent  parfaitement  celles  de  Valladolid. 

En  avançant  dans  les  montagnes,  on  découvre  les  vestiges 
d'une  très  ancienne  et  remarquable  civilisation. 

J'arrivai  ensuite  sur  un  immense  rocher  entouré  de  pré- 
cipices. Jadis  s'élevait  ici  un  magnifique  monument  dont  il 
reste  à  peine  les  murailles  très  épaisses  et  encore  hautes  de 
10  mètres.  Le  monument  mesurait  environ  250  mètres  de 
longueur  sur  10  mètres  de  largeur.  Les  murs  sont  entière- 
ment en  pierres  de  taille  fort  grandes  ;  quelques-unes  sont 
énormes.  On  y  voit  des  sculptures  et  des  hiéroglyphes  d'une 
grande  beauté  que,  faute  de  temps,  je  ne  pus  dessiner. 

Je  visitai  aussi  dans  les  environs  de  notre  campement  un 
vaste  souterrain.  Grand  fut  mon  étonnement  d'y  trouver  un 
magnifique  escalier  et,  de  distance  en  distance,  des  portes 
murées  et  d'innombrables  objets.  Je  montai  l'escalier  avec 
les  plus  grandes  précautions,  de  peur  des  serpents  et 
d'autres  animaux,  mais  je  n'osai  m'aventurer  jusqu'en 
haut,  car  plus  j*avançais,  plus  le  nombre  des  chauves-souris 
augmentait*  Je  redescendis  donc  en  maugréant  de  ne  pou- 
voir aller  jusqu'au  bout.  Aucun  de  mes  guides  n'eût  voulu 
m'accompagner;  je  crois  même  qu'on  ne  trouverait  pas 
dans  tout  le  Pérou  un  Indien  qui  consentit  à  explorer  une 
caverne.  Us  prétendent  que  le  diable  ou  les  animaux  mal- 
faisants qui  y  font  leur  refuge  leur  donneraient  une  maladie 
qu'ils  appellent  Vantimonio .  L'antimonio  commence , 
disent-ils,  par  un  mal  de  tête  suivi  d'une  hémorrhagie  gêné- 
raie,  finalement  de  la  mort.  Mes  Indiens,  fort  étonnés  de  me 


578      VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

voir  reyenir  sain  et  saafy  s'imaginaient  que  j'avais  en  mon 
pouvoir  quelque  remède  contre  l'antimonio,  et  tous  mes 
efforts  ne  réussirent  pas  à  les  dissuader  de  cette  idée. 

Cette  répugnance  incroyable  des  Indiens  date  sans  doute 
de  la  conquête.  A  cette  époque  une.  grande  partie  des  ri- 
chesses du  pays  avait  été  enfouie  dans  les  cavernes;  et  pour 
se  réserver  ces  trésors,  les  Espagnols  en  défendirent  peut- 
être  l'entrée  sous  peine  d'une  mort  quelconque  ou  d'un 
poison  dont  les  effets  étaient  ceux  de  l'antimonio. 

Pendant  mon  absence  un  de  mes  hommes  avait  été 
mordu  par  un  serpent.  Craignant  de  le  voir  mourir  malgré 
deux  applications  successives  d'acide  'phénique,  je  le  fis 
transportera  Omia  sur  un  brancard,  et,  quinze  jours  plus 
tard,  à  mon  retour,  j'eus  le  plaisir  de  le  trouver  guéri. 

En  quittant  les  ruines  d'Omis,  nous  nous  rendîmes  au 
Tambo  del  Guambo.  On  y  vient  de  tous  côtés  défricher 
quelques  morceaux  de  terrain  pour  faire  des  plantations  de 
yucca  ou  jatropha  manioca  et  de  bananier.  Lé  climat  est 
plus  chaud;  le  sol  plus  feHile  et  plus  riche  qu'aux  environs. 
Nous  nous  construisîmes  un  tambo  et  je  passai  quatre  jours 
à  explorer  le  voisinage. 

Partout  je  trouvai  d'immenses  ruines,  mais  sensiblement 
différentes  de  celles  que  j'avais  rencontrées  précédemment. 
La  plupart  sont  bâties  au  pied  des  rochers  ou  sur  les  rochers, 
comme  le  plan  l'indique  ^ 

Voulant  enfin  savoir  où  se  dirige  le  Guambo,  je  me  dé- 
cidai à  partir  avec  mes  guides  en  emportant  des  vivres  pour 
cinq  jours. 

Le  premier  jour  nous  suivîmes  constamment  la  rivière 
dont  le  courant  est  très  rapide.  Elle  coule  entre  des  bei^s 
escarpées  couvertes  d'épais  fourrés  qui  rendaient  notre 
marche  excessivement  fatigante  sous  une  pluie  continuelle. 
Aussi,  le  second  jour,  nous  nous  écartâmes  de  la  rivière  tout 

1,  Ce  plan  n'a  pu  être  retrouvé. 


VOYAGE   DANS  l'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  579 

en  la  suivant^  mais  à  une  centaine  de  mètres  au-dessus  de 
son  lit.  Plus  nous  descendions  la  vallée,  plus  le  climat 
devenait  chaud,  humide,  le  terrain  impraticable.  Nous 
avions  de  la  peine  à  faire  trois  lieues  par  jour. 

Le  lendemain  nous  aperçûmes  une  haute  montagne  que 
je  rêvais  d'escalader  avec  l'espoir  de  suivre  fort  loin  la 
direction  générale  de  la  rivière.  En  attendant  nous  com- 
mençâmes par  nous  reposer.  Je  préparai  mes  notes  et  mon 
herbier.  Mes  guides  qui  étaient  allés  pécher  dans  leGuambo 
revinrent  avec  une  charge  de  très  beaux  poissons. 

Le  quatrième  jour,  nous  nous  remettons  en  route  pour  la 
haute  montagne.  Une  jolie  petite  rivière  excessivement 
encaissée  nous  arrêta  plusieurs  heures;  il  fallut  faire  un 
radeau  pour  la  traverser.  Nous  suivîmes  ensuite  les  bords 
du  Guambo  sur  une  grande  plage  remplie  de  ruines  sem- 
blables aux  précédentes,  puis  une  rue  qui  avait  bien  une 
demi-lieue  de  long  avec  des  maisons  parfaitement  alignées 
dont  les  murs  étaient  bien  conservés.  Un  orage  épouvan- 
table, qui  dura  toute  la  soirée,  nous  surprit  en  route. 
Nous  étions  littéralement  trempés  quand  nous  établîmes 
notre  campement  près  de  la  montagne. 

Le  découragement  commençait  à  se  mettre  de  la  partie. 
Mes  guides  voulaient  revenir;  rien  ne  pouvait  les  décider  à 
m'accompagner  un  jour  encore.  Cependant  le  lendemain 
matin  je  réussis  à  les  entraîner  sur  un  vieux  chemin  que  je 
venais  de  découvrir.  11  aboutissait  au  pied  même  de  la 
montagne,  mais  là  nous  le  perdîmes.  En  le  cherchant  nous 
en  trouvâmes  trois  dirigés,  l'un  au  sud-est,  Tautre  au  nord, 
et  le  troisième  vers  la  rivière  dont  nous  atteignîmes  le  bord 
un  instant  après.  Une  grande  plage  nous  séparait  de  la 
montagne.  Nous  y  construisîmes  un  abri  au  milieu  de  nom- 
breuses ruines  de  même  caractère  que  celles  de  Yalladolid, 
et  fîmes  ensuite  une  excellente  pèche  d'énormes  poissons. 

La  montagne  dont  j'atteignis  le  sommet  le  lendemain  n'a 
pas  plus  de  2000  mètres;  mais  des  rochers  escarpés,  une 


nV^> 


^S^^  VOVAM  DANS  L'ÉQUATBUR  ET   LE    PÉROU. 

x>?l((\^U(K\n  surabondanlo,  une  pluie  torrentielle  entravaient 

H's^1^w«kn|  iji  niarcbo  que,  parti  de  très  bon  matin,  je  n'a^ 

"^  nAM  $mr  )«>  pi«lp«u  qu'à  11  heures.    De   là  j'aperçus  la 

rC\vN(y>  $«  «)ïri|t<Mnl  \'ers  le  sud  en  faisant  de  nombreux 

x^s^^^%-N^  it  m\*  convaincu  qu'elle  doit  se  jeter  dans  le  haot 

««.(v;\\(As  U<>  |tlat«au  n'offre  rien  de  remarquable;  mais,  en 

^Vj^Viv^A'.u  «^^U«  campement,  je  rencontrai  un  nombre  com- 

nu^\>aN.,^  ,>\''  r«inc$  diffu^rentes  de  celles  de  la  vallée,  là  >s 

WM^NxMKv,  M^t^s  awc  une  espèce  de  mortier  et  de  piiirt. 

*'^^'^'^^^''nt  U  iVu-iiic.  rvonde;  mais  ce  qui  le 

cr  Iles  ,Uv  ,„^^  fortt»^sq«*  j'«  r«ncoatKes 

du  MAraiVw,  oV*t  qu<>  uN^uput  axaient  dei 

Je  wnlrai  au  cwupcmwjft'^  •  •»*«•**  **■ 

ft»t  ma«^^K.e,  Kirv^y^^s  ,»ar  l*>s  ^jJ^ 

.coo„t«„.é  à  ,«ut  et  surlou,  Ms^ 
qu  un  somme  jus,,u'«u  jour.  ^ 

Dépourvu  de  toutes  ivssour,^.,  ^  „,.„,.^ 

noire  hl^llt^T^::  """""^"*  '»"  ^^  *»""' 

fires  on  ordre      "pu  LtSr'  "'  '"^*'«"^  "'* 
ruines  d'Annyac.  ^  '*"'"'  ""«••'  '*"'/<♦'• 

tilo  vallée  u rilZ  ;^*''""'"''"»^''«»-"«n»' 
canne  à  suc  ^]'T^'  !''  ''•-"'".  «"«  ''«a  m.Ulv./|« 
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VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  531 

M'ouvrant  un  passage  à  travers  la  montagne  je  franchis 
plusieurs  quehradas  qui  vont  se  jeter  dans  le  Pindo  Cucho, 
et  longeai  une  barranca  encaissée  de  plus  de  20  mètres.  En 
plusieurs  endroits  je  trouvai  des  pans  de  murs  couverts 
d'hiéroglyphes,  les  uns  peints  en  rouge,  les  autres  scul- 
ptés. Je  rencontrai  aussi  des  cavernes  naturelles  et  d'autres 
faites  de  main  d'homme  qui  renfermaient  des  étoffes,  des 
poteries  et  des  cadavres  momifiés. 

Ces  souterrains,  pour  la  plupart  affaiiSsés,  ne  m'inspi- 
raient aucune  confiance.  Je  me  bornai  à  en  explorer  deux 
où  je  recueillis  quelques  objets  très  intéressants,  et  je  re- 
vins au  pueblo. 

Mon  hôte  m'attendait  pour  me  faire  part  d'une  décou- 
verte faite  en  mon  absence.  Un  chasseur  de  l'endroit  lui 
avait  appris  que  dans  une  de  ses  courses  il  avait  vu  en  face 
de  lui  un  énorme  couloir  traversant  une  montagne;  de 
chaque  côté  des  parois  de  la  montagne  il  avait  aperçu 
des  portes  murées,  mais  n'avait  pas  osé  pousser  plus  loin 
ses  recherches. 

Je  m'y  rendis  le  jour  suivant.  J'essayai  d'abord  de  dé- 
molir une  des  portes  murées  et,  n'ayant  pas  les  outils  né- 
cessaires^ j'y  mis  beaucoup  de  temps.  Enfin  je  pus  entrer, 
bien  résolu  à  reconnsdtre  l'intérieur  où  je  trouvai  une  si 
grande  quantité  de  choses  curieuses  que  je  ne  savais  que 
prendre.  Mais  ces  cavernes  sont  tellement  profondes  que  je 
craignis  de  manquer  de  lumière  et  de  me  perdre. 

Je  jugeai  donc  plus  sage  de  revenir  sur  mes  pas,  pliant 
d'ailleurs  sous  le  poids  des  objets  que  j'avais  recueillis.  Je 
gardai  avec  moi  un  de  mes  guides  et,  chargeant  les  au- 
tres de  mon  butin,  je  les  renvoyai  au  pueblo  d'où  ils  de- 
vaient me  rapporter  le  lendemain  des  outils  et  de  la  chan- 
delle du  pays.  Celle-ci  est  faite  avec  de  nombreux  fils  de 

les  deux  villages.  Nous  voyons  bien  qa*Anayac  est  entre  la  Totora  et  le 
Pindo  Cucho»  à  environ  une  lieue  de  cette  rivière;  mais  de  quel  point  de 
cette  rivière?  C'est  un  affluent  du  Guambo  (/^o^e  de  la  rédaction). 

soc.  DI  GÉOGR.   —  4*  TRIMESTRE  1885.  YI.  —  39 


582  VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

eoton  tordus  formant  une  corde  de  la  grosseur  du  petit 
doigt  qu'on  passe  plusieurs  fois  dans  de  la  cire  fondue. 

Tandis  que  mon  guide  installait  un  abri  pour  passer  la  nuit 
à  l'entrée  du  souterrain,  je  me  mis  à  explorer  la  montagne. 
Pour  ce  qui  est  des  vieilles  ruines,  je  n'en  parlerai  pas 
davantage  ;  il  y  en  a  plus  ici  que  je  ne  voudrais.  Partout 
côtes  et  plateaux  en  sont  remplis.  Elles  sont  d'une  cons- 
truction élégante  et  diffèrent  beaucoup  de  tout  ce  que  j'ai 
encore  vu  *. 

Les  maisons  qui  se  trouvent  sur  les  pentes  des  monta- 
gnes et  des  ravins  sont  construites  ainsi  qu'il  suit  :  Les 
murs  de  derrière  sont  adossés  à  la  montagne,  ceux  de  de- 
vant sont  au  même  niveau  et  ont  une  égale  hauteur.  Us 
sont  bâtis  en  pierre  sèche  sans  aucun  mortier  et  ont  uoe 
légère  inclinaison  en  arrière  à  partir  de  la  base.  Leurs  di- 
mensions^ sont  en  général  de  8  mètres  de  long,  de  4  ou  5  de 
large  et  de  3  mètres  d^épaisseur.  La  porte  d'entrée  est  située 
au  bout;  elle  peut  avoir  1°*,50  de  haut  sur  O^'jSO  de  large. 
La  façade  est  percée  de  petites  fenêtres  carrées  de  0™,40. 
A  l'intérieur  la  maison  était  nivelée  à  1"',50  au-dessus  du 
mur  de  façade^  ce   qui  pouvait  donner  une  hauteur  de 
1°',50  à  Tintérieur,  sans  compter,  bien  entendu,  celle  qui 
restait  encore  jusqu'à  la  toiture.  On  y  voit  aussi  de.  petits 
trous  carrés  dont  je  ne  m'explique  pas  l'utilité  *. 

1 .  Cette  différence  ne  nous  paraît  pas  bien  ressortir  de  la  description 
du  voyageur.  Cependant,  comme  quelque  point  particulier  a  pu  nous 
échapper,  nous  la  reproduisons. 

Remarquons  ici  que,  jusqu'à  présent,  les  ruines  de  simples  maisons, 
décrites  par  M.  Senèze,  sont  de  quatre  sortes  : 

1**  Petites  huttes  rondes  en  pisé,  dont  la  toiture  devait  être  en  feuilles 
(Bassin  du  Ch inchipe)  ; 

2°  Petites  maisons  de  forme  ronde  en  pierres,  sans  étage  (Vilcabamba...); 

3*  Maisons  de  forme  ronde,  bâties  avec  une  espèce  de  mortier  et  de 
plâtre,  et  fenêtres,  un  et  deux  étages  (MdntGuambo); 

4**  Malsons  de  forme  carrée,  grosses  pierres  juxtaposées  sans  ciment, 
fenêtres  (Cordillère  de  Zamora,  Valladolid,  Gochamal,  Oihia).  {Note  de  la 
rédaction.) 

2.  Il  est  reg  H'ettable  que  le  voyageur  n'ait  indiqué  ni  leur  nombre,  ni 


VOYAGE  DANS  L'EQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  583 

Toutes  ces  constructions  forment  des  rues  de  3  à  4  mè- 
tres de  largeur.  Leur  direction  est  tout  à  fait  irréguliëre, 
dans  le  sens  de  la  largeur  de  la  montagne;  mais,  de  bas  en 
haut,  elles  forment  des  chemins  en  zigzag.  De  la  base  au 
commet  je  ne  pense  pas  qu'il  y  ait  plus  d'une  lieue,  mais  à 
cause  de  ces  détours,  de  la  difficulté  de  se  firayer  un 
chemin  et  du  temps  passé  à  regarder  les  ruines,  je  mis 
quatre  heures  pour  arriver  sur  le  plateau.  Je  descendis  du 
<;6té  de  l'est,  rencontrant  partout  des  ruines  semblables  et 
regagnai  rentrée  du  souterrain.  Mes  guides  étaient  revenus 
du  pueblo  en  m'apportant  des  vivres  et  de  la  chandelle. 
J'allais  donc  pouvoir  travailler  à  mon  aise. 

J'attachai  d'abord  à  la  porte  du  souterrain  l'extrémité 
d^une  pelote,  de  fil.  Ce  fil  très  beau,  très  solide,  est  fait 
avec  une  variété  de  cheophrasta  qui  croît  ici  en  abondance. 
'  Je  m'avançai  alors  en  suivant  ie  côté  gauche  du  souter- 
rain et  regardant  à  droite  de  temps  à  autre.  Bientôt  je  vis 
des  excavations,  des  sculptures  et  de  nombreuses  pierres 
détachées  de  la  voûte.  Un  instant  je  fis  un  soubresaut,  sur- 
pris par  une  quantité  innombrable  de  chauves-souris  blan- 
châtres que  la  lumière  avait  éveillées,  puis  je  fus  de  nou- 
veau arrêté  par  un  amas  de  pierres.  J'aperçus  alors  à  droite 
une  large  ouverture  vers  laquelle  je  me  dirigeai.  Quel  ne 
fut  pas  mon  étonnement  en  voyant  près  de  cette  ouverture 
<îinq  ou  six  corridors  I 

Un  courant  d'air  faillit  éteindre  ma  chandelle.  Tandis 
que  je  l'abritais  avec  la  main  en  marchant,  je  trébuchai  et 
allai  donner  de  la  tête  contre  un  squelette  d'animal  que  j^ 
•ne  pus  reconnaître.  Je  m'assis  un  moment  et  regardai  les 
parois  des  murs  entièrement  tapissées  de  chauves-souris. 

Je  fis  ensuite  le  tour  des  pierres  qui  m'avaient  arrêté  et, 
laissant  à  droite  toutes  les  ouvertures,  je  continuai  mon 

leurs  dimensions,  ni  leur  position  à  l'intérieur.  Qui  sait  si  la  toiture  ne 
reposait  pas  sur  des  piliers  en  bois  enfoncés  dans  ces  trous?  (Note  de  la 
rédaction.) 


584      TOTAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

ebemin  dans  la  première  galerie  qui  présentait  çà  et  là  des 
ooTertares  donnant  accès  dans  des  cavernes  remplies  d'os* 
sements.  Le  sol  était  toujours  jonché  de  pierres  tombées  de 
la  Toûte.  Un  peu  plus  loin  la  galerie  s'arrêtait.  Je  levai  les 
yeux  et  aperçus  une  légère  clarté  à  travers  une  fente  de  la 
voûte,  vers  laquelle  se  dirigeait  une  espèce  d'escalier.  Je 
n'osai  y  monter,  de  peur  de  faire  tomber  quelques  pierres 
qui  eussent  pu  m'écraser,  et  me  mis  à  fouiller  le  sol  où  je 
trouvai  nombre  d'objets  curieux. 

Tout  à  coup  un  vacarme  épouvantable  retentit  dans  le 
souterrain  et  me  remplit  d'inquiétude.  Il  semblait  que  tout 
allait  crouler  sur  moi;  je  sentais  le  contact  d'animaux  im- 
mondes. Plus  de  vingt  fois  je  fus  obligé  de  rallumer  ma  chan- 
delle et  je  crus  perdre  la  raison.  J'avais  peur. 

Le  bruit  ayant  un  peu  diminué,  je  repris  assez  de  force 
pour  me  tenir  debout  et  essayer  de  partir.  Je  rallumai  en- 
core ma  chandelle  et  revins  sur  mes  pas,  marchant  avec  la 
plus  grande  attention  et  voyant  de  bien  belles  choses  sans 
avoir  le  courage  de  les  ramasser. 

En  passant  près  d'une  galerie,  le  vacarme  recommença  de 
plus  belle  ;  je  crus  entendre  le  tonnerre,  tant  les  hurlements 
étaient  formidables.  J'accélérai  le  pas  autant  que  possible, 
car  ma  chandelle  m'éclairait  h  peine  par  suite  de  la  vitesse. 
Enfin  je  revis  la  lumière  du  jour;  le  crépuscule  commençait 
lorsque  je  retrouvai  mes  Indiens  efEairés,  blottis  dans  un 
trou  derrière  un  grand  feu  qu'ils  avaient  allumé. 

Je  leur  demandai  s'ils  avaient  entendu  gronder  le  ton- 
nerre. Sur  leur  réponse  négative,  il  me  devint  impossible  de 
m'expliquer  le  bruit  infernal  qui  m'avait  causé  tant  d'in- 
quiétude, sans  admettre  la  présence  dans  le  souterrain  de 
nombreux  animaux  féroces.  Pour  les  asphixier  nous  fîmes 
grand  feu  à  l'entrée  de  la  galerie.  Tout  se  passa  tranquille- 
ment pendant  la  soirée,  mais  dans  la  nuit  je  fus  réveillé 
par  mes  Indiens.  On  entendait  très  distinctement  des  hur- 
lements affreux  qui  nous  causèrent  à  tous  une  certaine 


VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  585 

frayeur.  Je  fis  alors  couper  tous  les  arbres  des  alentours 
pour  alimenter  le  feu,  mais  nous  n'osâmes  nous  rendormir 
ni  les  uns  ni  les  autres,  et  au  point  du  jour  nous  décam- 
pâme3  si  lestement  qu'à  9  heures  du  matin  nous  étions  de 
retour  au  pueblo  d'Anayac* 

De  là  nous  nous  rendîmes  à  Milpo  où  les  autorités  nous 
donnèrent  un  bah  Malgré  la  fièvre,  je  dus  danser  toute  la 
nuit.  A  9  heures  du  matin,  j'étais  de  nouveau  en  route, 
accompagné  d'une  bonne  partie  de  la  population,  et  à 
4  heures,  je  rentrai  à  la  Totora,  harassé  et  tremblant  de  fièvre. 
Cependant^  avant  de  me  coucher,  il  me  fallut  encore  danser 
une  partie  de  la  nuit. 

Le  peu  de  temps  dont  je  disposais  ne  me  permettait  pas 
de  perdre  une  minute.  Dès  le  lendemain  je  visitai  mon  her- 
bier et  le  fis  sécher,  chose  difficile  en  raison  des  pluies  con- 
tinuelles. Ce  travail  eût  exigé  huit  jours;  mais  le  maître  d'école 
m'ayant  offert  de  m'aider,  je  lui  montrai,  ainsi  qu'à  sa 
femme,  comment  il  fallait  s'y  prendre  et  me  préparai  aussi- 
tôt à  visiter  les  pueblos  de  San-Nicolas  et  do  Michina. 

San-NicolaSy  Michina^  montagnes  et  ruines  de  la  Calca. 
—  Le  pueblo  de  San-Nicolas  est  à  une  bonne  journée  de 
la  Totora^  sur  un  petit  monticule,  au  pied  d'une  énorme 
montagne.  Il  compte  200  habitants  et  possède  une  église  et 
deux  écoles.  Tune  pour  les  garçons  et  l'autre  pour  les  filles* 
La  population  est  presque  toute  de  race  blanche,  honnête, 
hospitalière  et  laborieuse.  Sur  cent  habitants,  je  suis  con- 
vaincu qu'il  y  en  a  quatre-vingt-dix  qui  savent  lire  et  écrire. 

Je  recueillis  peu  de  plantes  dans  ce  pays  brûlé  et  dé- 
friché chaque  année  pour  faire  des  plantations  de  bananes 
et  de  cannes  à  sucre.  Gomme  les  pluies  abondantes  lavent 
constamment  l'humus,  les  cultivateurs  défrichent  toujours 
de  nouveaux .  emplacements.  Aussi  le  déboisement  est-il 
complet  dans  les  environs  transformés  en  pâturages  où  l'on 
commence  aujourd'hui  à  faire  l'élevage  des  bestiaux. 

A  trois  heures  de  marche  de  San-NicolaS,  se  trouve  Mi- 


b%  VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE   PÉROU. 

china.  Je  m'y  rendis  le  lendemain  en  suivant  le  flanc  des 
montagnesu  Dans  la  plaine,  les  mules  auraient  enfoncé  jus- 
qu'au ventre  dans  la  boue.  Partout  je  vis  un  grand  nombre 
de  lacs,  les  uns  très  petits,  les  autres  assez  grands.  Quelques- 
uns  ont  plusieurs  lieues  de  diamètre.  Ces  derniers  sont  très 
poissonneux,  tandis  que  les  petits  ne  le  sont  pas  du  tout. 
J'y  remarquai  une  quantité  de  grenouilles  et  quelques  jolies 
variétés  de  serpents.  Il  y  en  a  de  fort  venimeux,  de  cou- 
leur noire,  assez  semblables  à  ceux  qu'on  rencontre  sur  les 
bords  du  Mississipi  et  dans  les  fossés  qui  entourent  la  Nou- 
velle-Orléans.  On  les  appelle  ici  conyo. 

Le  pueblo  de  Micbina  est  situé  sur  une  petite  élévation, 
au  pied  de  hautes  montagnes  entièrement  désertes  derrière 
lesquelles  doit  s'étendre  la  plaine  jde  Moyobamba.  Les 
150  habitants  de  Michina  sont  tous  Indiens,  très  hospi- 
taliers et  très  robustes,  quoique  souvent  malades  de  la 
fièvre  qui  règne  malheureusement  dans  toute  cette  belle 
vallée  de  Guyabamba.  Us  cultivent  principalement  la  canne 
à  sucre  et  vont  vendre  leurs  produits  à  Chachapoyas  pendant 
l'été. 

Le  lendemain  j'allai  faire  un  tour  dans  les  montagnes  qui 
ont  bien  2  500  mètres  d'altitude*  J'y  rencontrai  des  ruiues 
considérables  et  des  cavernes  tant  naturelles  que  faites  de 
main  d'homme.  Je  redescendis  par  un  senti  erui  me 
conduisit  à  moitié  chemin  de  San-Nicolas,  et  de  là  à  la 
Totora  en  deux  journées  de  marche. 

Quelle  vie  que  celle  d'explorateur  dans  ce  paysl  J'étais 
toujours  en  l'air  et  ne  trouvais  ni  le  temps  d'être  malade 
ni  celui  de  me  reposer  entre  les  bals  et  les  explorations» 
J'étais  arrivé  à  huit  heures  du  soir  et,  aussitôt  mes  plantes 
mises  sous  presse,  je  dus  assister  à  un  bal  que  les  braves 
gens  de  la  Totora  donnaient  à  mon  intention.  Le  jour  sui* 
vaut  se  passa  à  mettre  mes  affaires  en  ordre  et  à  organiser 
une  excursion  dans  les  montagnes  de  la  Galca. 

Je  me  mis  en  route  le  lendemain.  Les  pluies  continuelles 


VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  587 

avaient  détrempé  le  sol;  je  marchai  toute  la  journée  pour 
faire  deux  lieues. 

Le  jour  suivant  je  commençai  à  gravir  la  grande  côte  en 
barbotant  dans  la  boue;  c'est  à  peine  si  le  soir  j'avais  fait 
une  lieue. 

Je  renvoyai  mes  mules,  ne  gardant  que  l'indispensable, 
tel  que  le  papier  pour  l'herbier  et  le  peu  de  matériel  néces- 
saire pour  continuer  mon  ascension.  Cette  fois  je  fis  bien 
deux  lieues  en  marchant  pendant  quatorze  heures,  et  je 
passai  la  nuit  dans  une  des  nombreuses  cavernes  de  la 
montagne. 

Que  de  ruines  je  vis  le  lendemain!  Elles  ne  ressemblaient 
en  rien  à  tout  ce  que  j'avais  vu  jusqu'alors  et  elles  étaient 
beaucoup  plus  volumineuses  que  celles  de  Palenque  du 
Yucatan  ou  de  Valladolid  de  l'Equateur.  Je  les  dessinai* 
tant  bien  que  mal,  mais  elles  sont  restées  dans  ma  mémoire 
comme  si  je  les  avais  sous  les  yeux. 

Après  une  nuit  passée  au  milieu  des  débris  d'une  civili- 
sation.qui  m'était  inconnue,  je  repris  ma  course  à  travers 
les  bois  et  rencontrai  une  construction  d'un  travail  aussi 
bizarre  que  bien  conservé.  C'était  un  tombeau  de  forme 
ronde,  d'une  hauteur  de  8  à  10  mètres,  bâti  en  pierres 
admirablement  taillées.  Je  suis  sûr  que  jamais  un  ciment 
quelconque  n'a  été  employé  ici,  et  cependant  les  pierres 
sont  si  bien  ajustées  que  je  n'ai  pu  passer  entre  elles  la 
lame  d'un  couteau.  Je  fis  plusieurs  fois  le  tour  de  celte 
construction  sans  découvrir  la  moindre  ouverture,  le 
moindre  indice  de  porte  ou  de  fenêtre.  Las  de  chercher  je 
fis  couper  quelques  arbres  de  façon  à  les  faire  tomber  sur 
le  monument.  Ils  me  servirent  d'échelle  pour  arriver  sur  le 
dôme  ou  je  vis  une  ouverture  bouchée  avec  une  énorme 
pierre.  En  la  nettoyant  je  remarquai  qu'elle  était  percée  de 
trois  trous.  J'enfilai  une  branche  d'arbre  dans  deux  de  ces 


1 .  On  n*a  pu  retrouver  ces  dessins. 


588      VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

trouSy  et,  liant  les  deux  branches,  je  me  fis  au  levier  à  l'aide 
d'une  troisième*  Mais  j'eus  beau  peser  de  toutes  mes  forces 
sur  celle-ciy  la  pierre  ne  bougea  pas  plas  que  la  montagne. 
J'appelai  mon  guide,  et  à  nous  deux  nous  ne  réussîmes  pas 
à  la  faire  remuer.  Épuisé  de  fatigue,  je  redescendis,  cher- 
chant de  quelle  manière  je  pourrais  bien  ouvrir.  Ne  trou- 
vant rien,  je  m'enfonçai  dans  le  bois  où  je  découvris  encore 
une  tombe  aussi  intacte  que  la  précédente  et  bouchée  de  la 
même  façon.  Plus  loin  j'en  vis  six  autres  dont  deux  étaient 
fermées  avec  un  énorme  vase  au  lieu  de  pierre.  Je  m'em- 
pressai de  monter  avec  mon  guide. 

Après  avoir  bien  nettoyé  le  vase,  nous  l'enlevâmes  i 
grand'peine  et  en.  prenant  toutes  les  précautions  possibles 
pour  ne  pas  le  briser.  Puis  je  regardai  l'intérieur  où  régnait 
une  obscurité  complète.  J'allumai  alors  quelques  feuilles  de 
papier  qui  en  tombant  éclairèrent  les  murailles.  Je  pus  voir 
ainsi  de  nombreux  instruments  qui  ornaient  les  parois  et 
des  cadavres  dans  le  fond  ;  les  plus  grands  étaient  assis  sur 
le  sol. 

J'aurais  bien  voulu  descendre,  mais  n'ayant  avec  moi 
qu'un  homme  que  je  connaissais  à  peine,  je  n'osai  tenter 
l'aventure,  craignant  qu'il  ne  m'abandonnât  dans  le  fond,  où 
je  n'aurais  eu  d'autre  perspective  que  celle  de  mourir  de 
faim.  Je  redoutais  d'ailleurs  que  ses  bavardages  n'éveillassent 
trop  Tattention  des  gens  du  pays. 

Cette  exploration  fut  la  dernière  que  je  fis  dans  la  vallée 
de  Guyabamba.  En  rentrant  à  la  Totora  je  regrettais  de  n'a- 
voir pu  faire  des  études  assez  sérieuses  pour  me  permettre 
de  tirer  le  fruit  de  tant  de  fatigues  et  de  travail,  et  je  me 
promettais  d'acquérir  ces  connaissances  dans  un  prochain 
avenir. 

Cinq  jours  après  mon  départ  de  la  Totora,  j'arrivaiàGha- 
chapoyas  où  je  retrouvai  M.  Noetzli.  Toujours  souffrant, 
mon  compagnon  n'avait  pu  faire  qu'une  excursion  à  deux 
journées  de  marche  du  chef- lieu.  En  outre,  il  me  donna  de 


VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  589 

bien  pénibles  nouvelles.  Nous  étions  abandonnés,  dans  une 
triste  situation  résultant  des  fatigues  et  de  la  maladie,  à 
l'extrémité  du  Pérou Ce  furent  des  Péruviens,  des  étran- 
gers qui  nous  vinrent  en  aide.  Puisse  ce  faible  tribut  de 
notre  reconnaissance  arriver  jusqu'à  MM.  Wertheman, 
MorisetMendoza! 

QUATRIÈME    PARTIE.    —    EXCURSION    AUX     RUINES    DE    PIEDRA 

GRANDE  DEL  UTCUBAMBA. 

Il  avait  été  convenu  entre  M.  Noetzli  et  moi  que  je  ren- 
trerais en  France;  mais  en  attendant  le  jour  du  départ,  je 
fis  une  excursion  intéressante,  je  Tespère,  au  point  de  vue 
ethnographique. 

De  Chachapoyas  je  me  rendis  sur  les  bords  de  TUtcu- 
bamba,  et  laissant  ma  mule  de  selle  dans  un  endroit  appelé  ' 
Puente  del  rio  de  Utcubamba,  je  longeai  la  rivière  en  visi- 
tant sur  ma  route  de  nombreuses  cavernes  dans  Tune 
desquelles  je  passai  la  nuit. 

Le  lendemain,  je  rencontrai  encore  des  ruines  fort  cu- 
rieuses. La  rivière  plus  encaissée  devient  plus  difficile  à 
longer.  Le  sol  aride,  presque  stérile,  fait  le  désespoir  du 
naturaliste.  Le  soir  même,  je  me  trouvai  en  présence  de 
ruines  d'un  caractère  particulier;  je  ne  crois  pas  que  jus- 
qu'à présent  personne  ait  jamais  décrit  quelque  chose  d^a- 
nalogue. 

Dans  la  montagne,  coupée  à  pic,  j'apercevais  une  quan- 
tité de  calottes  sphériques,  quelques-unes  surmontées  de 
têtes  d'idoles.  Du  bas  je  ne  distinguais  pas  assez  clairement 
pour  les  dessiner,  et  la  montée  me  paraissait  aussi  difficile 
que  dangereuse. 

La  nuit  étant  venue,  nous  couchâmes  dans  une  petite  ca- 
verne. Pendant  la  soirée  je  causai  avec  mes  Indiens.  Je 
leur  demandai  s'il  y  avait  fiux  environs  des  maisons  ou  des 
tombeaux  semblables  et,  comme  ils  n'en  connaissaient  pas, 


590  VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU. 

je  réfléchis  longtemps  à  ce  que  je  devais  faire,  voyant  ici 
nn  grand  travail  et  pa^s  mal  de  danger. 
,  Après  y  avoir  rêvé  toute  la  nuit,  je  fis.le  tour  de  cette  sin-^ 
gulière  montagne  qu'on  nomme  Piedra  Grande  del  Utcu- 
bamba  pour  la  distinguer  d'une  autre  Piedra  Grande  située 
à  deux  jours  de  marche  de  la  première. 

La  montagne  a  bien  1000  mètres  de  hauteur  de  la  base 
au  sommet;  la  rivière  coule  à  quelque  distance.  Les  rives 
recouvertes,  à  l'époque  des  inondations,  par  des  couches 
d'alluvion,  sont  très  fertiles;  mais  les  environs  tout  à  fait 
stériles  ressemblent  à  un  désert. 

Pour  aller  de  la  rivière  à  l'endroit  où  la  montagne  est 

taillée  à  pic,  il  faut  deux  bonnes  heures  ;    on  n'avance 

qu'en  s'aidant  avec  les  mains,  tantôt  en  s'accrochant  à  de 

rares  arbustes  rabougris,  tantôt  en  se  faisant  un  point 

'  d'appui  à  l'aide  d'un  poignard  enfoncé  dans  le  sol. 

Arrivé  en  cet  endroit,  je  levai  la  tête  et  demeurai  stupéfait^ 
ne  comprenant  pas  comment  des  hommes  ont  pu  aller 
construire  des  habitations  et  des  tombeaux  dans  des  en- 
droits inaccessibles,  au  moins  de  nos  jours.  Cette  immense 
coupure  représentait  une  incroyable  somme  de  travail*»  Sa 
surface  était  ornée  d'hiéroglyphes  et  de  peintures  rouges  et 
présentait  de  distance  en  distance  des  cavités  qui  renfer- 
maient les  singulières  constructions  que  j'avais  aperçues 
d'en  bas. 

Vers  6  heures  du  soir,  je  commençai  à  grimper  le  long 
de  cette  muraille.  J'avais  fait  une  ample  provision  de  pi- 
quets en  bois  que  j'enfonçais,  à  mesure  que  je  m'élevais, 
dans  des  trous  faits  avec  mon  poignard.  La  nuit  me  surprit 
au  milieu  de  cette  difficile  escalade;  je  m'installai  comme 
je  pus  pour  ne  pas  être  obligé  de  la  recommencer  le  lende- 
main. 

1.  Ce  n'est  sans  doute  l'œuvre  ni  d'une  génération,  ni  d'un  siècle.  Les 
générations  successives  taillaient  sans  doute  la  montagne  au  fur  et  à 
mesure  que  les  tranchées  supérieures  se  comblaient  de  sépultures. 


VOYAGE  DANS  L'ÉQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  591 

Je  dormis  comme  on  dort  en  pareille  circonstance  et,  à 
mon  réveil,  je  repris  mon  ascension  jusqu'au  sommet  de  la 
montagne  où  l'on  ne  voit  que  de  mauvais  pâturages. 

Le  succès  avait  du  reste  couronné  mes  efforts.  J'avais  pu 
dessiner  ^  assez  grossièrement  les  tombeaux  que  j'avais  vus 
et  j'étais  parvenu  avec  beaucoup  de  peine  à  en  démolir 
quelques-uns.  J'y  trouvai  des  objets  fort  curieux  et  des 
momies.  ' 

Dans  ma  précipitation  j'arrachai  malheureusement  un 
grand  morceau  de  la  toile  qui  couvrait  la  tête  de  l'une 
d'elles. 

Il  y  avait  aussi  quelques  souterrains  dont  les  ouvertures 
étaient  fermées  avec  des  pierres  de  forme  elliptique  dont 
les  diamètres  ont  2°*,50  et  3  mètres  et  qui  sont  là  comme 
des  bouchons  aux  bouteilles. 

Ce  qui  m'étonna  bien  davantage,  ce  fut  de  rencontrer  de 
simples  maisons  parmi  ces  tombeaux.  On  pourrait  faire  à 
ee  sujet  bien  des  suppositions  dont  je  veux  m'abstenir  pour 
le  moment. 

Je  me  bornerai  à  dire  que  toutes  ces  ruines  contiennent 
une  foule  d'objets  en  pierre,  en  os,  etc.,  mais  rien  en  fer. 
On  y  voit  beaucoup  de  grands  vases  elliptiques  dont  les  di- 
mensions en  hauteur  et  largeur  varient  entre  2  et  3  pieds. 
Enfin  de  nombreux  hiéroglyphes,  de  toutes  couleurs,  ornent 
les  murs. 

Le  jour  suivant  je  quittai  ces  parages  et  je  revins  par  El 
Puente  à  Ghachapoyas 

NOTES  COMMUNIQUÉES   PAR  M.    LE  DOCTEUR  HAMT. 

1*  Sur  la  construction  des  tombeaux  : 
Les  tombeaux  ont  la  forme  de  calottes  sphériques  ou  de 
ruches  d*abeilles.  Leurs  dimensions   moyennes  sont  de 

1.  Les  dessins  n*ont  pas  été  retrouvés. 


592  VOYAGE  DANS  L^ÉQUATElfR  ET  LE  PÉROU. 

2  mètres  de  circonférence  et  del'^,25àl"',50  de  hauteur.  Ils 
sont  construits  d'un  mélange  de  pierres  et  de  terre  argi- 
leuse pétrie  avec  des  matières  végétales  ou  animales  (ma- 
tière poilue,  disait  Senèze)* 

Les  tombes  sont  placées  à  la  suite  les  unes  des  autres, 
mais  se  trouvent  tantôt  isolées,  tantôt  reliées  entre  elles. 
Dans  ce  cas  elles  communiquent  par  de  petites  ouvertures 
d'environ  0"S0010  à  0'»S0012. 

Chaque  tombe  séparée  est  surmontée  d'une  figure,  tôle 
bizarre,  variant  de  forme  et  de  dimension,  formée  avec  la 
même  pâte  argileuse  dont  j'ai  parlé. 

Les  tombes  groupées  ou  communiquant  entre  elles  ne 
portent  qu'une  seule  tète  sur  une  des  tombes,  mais  cette 
tète  est  alors  très  grosse  :  O'^ySO  de  largeur  et  hauteur 
proportionnelle.  Sur  cette  t^te  sont  ajustées  autant  de 
petites  tètes  qu'il  y  a  de  tombes  groupées.  Les  petites  tètes 
sont  disposées  de  toutes  les  façons  sur  la  principale,  sur 
son  sommet,  ses  oreilles,  ses  joues,  etc..  mais  il  faut  re- 
marquer que  parmi  ces  petites  tètes,  la  plus  grosse  est  toi>» 
jours  placée  plus  haut  et  quelles  vont  en  diminuant  de 
grosseur  à  mesure  qu'elles  sont  ajustées  plus  bas  sur  la  tète 
principale. 

(Une  de  ces  petites  tètes,  primitivement  appliquée  sur 
l'oreille  d'une  grosse,  est  au  Musée  d'ethnographie.  Elle 
était  peinte  en  rouge  comme  toutes  les  autres.) 

2»  Sur  les  momies  : 

Les  momies  renfermées  dans  les  tombes  sont  repliées,  les 
cuisses  contre  le  sternum,  le  bout  du  pied  droit  couvrant 
le  pied  gauche,  les  genoux  sous  le  menton,  les  bras  en  de- 
dans, et  la  tète  est  appuyée  sur  les  doigts  appliqués  sur  la 
mâchoire  inférieure.  Les  cheveux  sont  châtains  et  la  peau 
est  de  couleur  très  claire  (d'un  gris  blanchâtre.) 

Une  des  momies,  débarrassée  de  ses  enveloppes  dont 
les  empreintes  sont  très  nettement  marquées  sur  la  peau, 
porte  au  cou  un  petit  sac  en  tapisserie  assez  bien  conservé, 


VOYAGE  BANS  L  EQUATEUR  ET  LE  PÉROU.  593 

oroé  de  dessins  géométriques.  La  tête  de  cette  momie  est 
surtout  remarquable  par  la  perte  de  substance  faite  dans 
son  occiput  à  l'aide  d'une  sorte  de  trépan. 

Le  crâne  offert  à  la  Société  d'anthropologie  par  M.  Senèze^ 
présente  une  semblable  perte  de  substance  à  la  base  du 
front.  M.  Broca  qui  a  étudié  cette  perforation  la  décrit 
ainsi  : 

c  Elle  est  très  large  et  présente  sur  sa  circonférence  une 
série  de  demi-cercles  bien  réguliers  de  (y°,006  à  O^'jOOT  de 
diamètre,  résultant  d'autant  de  petites  perforations  à  l'aide 
desquelles  on  a  circonscrit  et  enlevé  la  pièce  centrale.  D'après 
l'aspect  de  ces  demi-cercles,  il  est  évident  que  chaque 
perforation  partielle  a  été  faite  à  Taide  a'un  instrument 
tournant  qu'on  appliquait  perpendiculairement  à  la  surface 
de  l'os  et  qui  devait  être  un  gros  poinçon* 

»  Cette  pratique  faisait  sans  doute  partie  d'un  procédé  de 
momification  et  était  destinée,  soit  à  enlever  la  substance 
cérébrale,  soit  plutôt  à  introduire  dans  le  crâne  des  sub- 
stances aromatiques  pour  empêcher  la  putréfaction  du  cer- 
veau. » 

L'examen  de  la  momie  du  Musée  d'ethnographie  a  con- 
firmé en  partie  cette  hypothèse.  En  effet  M.  Senèze  a  extrait 
par  le  trou,  qui  n'a  pas  moins  de  0*^,08  de  diamètre,  une 
éponge  qui  tenait  lieu  d'encéphale  et  devait  être  imbibée 
d'un  liquide  antiseptique. 

(Voir  Bulletin  de  la  Société  d'Anthropologie^iHl,  p.  562.) 


Le  Gérant  respomablCy 
C.  Maunoir, 

Secrétaire  général  de  la  Commission  centrale. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CONTENUES    DANS    LE     TOME  VI   DE     LA    YIP     SÉRIE    (1885) 


/ 


!•''  TRIMESTRE 


De  Mailly-Ghalon.  —  Un  voyage  en  Mandchourie 4 

Baron  Benoist-Méchin.  —  Voyage  à  travers  le  Turkestaa • .      25 

Charles  Rabot.   —  L'expédition  du  professeur  Nordenskiôld  au 
Groenland,  avec  cliché  dans  le  texte 56 

Charles  Hdber. — Voyage  dans  l'Arabie  centrale  (18^8-1882),  Hamâd, 
Sammar,  Qaçîm,  P^edjâz  (suite  et  fin) 92 

2*  trimestre 

Charles  Maunoir.  —  Rapport  sur  les  travaux  de  la  Société  de  Géo- 
graphie et  sur  les  progrès  des  sciences  géographiques  pendant 
Tannée  1884 149 

Le  commandant  Derrien.  —  La  région  algérienne  traversée  par  le 
méridien  de  Paris • 251 

3«  trimestre 

Rapport  sur  le  concours  au  prix  annuel  fait  à  la  Société  de  Géogra- 
phie dans  sa  séance  du  24  avril  188b 313 

Le  D'  Paul  Neis.  —  Voyage  au  Laos  (1883-1884) 368 

J.  ËRRiNGTON  DE  LA  Croix.  —  Sept  mois  au  pays  de  l'étain.  Perak 
(presqu'île  de  Malacca) 394 

Â.-L.  PiNART.  —  Chiriqui  ^.  Boca  del  Toro,  Valle  Miranda  (avec 
carte  dans  le  texte) 433 

4«  trimestre 

Gh.  Vélain.  —  Esquisse  géologique  et  ethnographique  de  la  Guyane 
française  et  des  bassins  da  Parou  et  du  Yari,  affluents  de  TAina- 
zone,  d'après  les  explorations  du  D^  Grevavx 453 


596  TABLE  DES  MATIÈRES. 

Bbau  de  Saint-Pol  Lias.  —  Atché  et  Pérak  (Sumatra  et  Malacca)..    493 

Vidal  Senèze  et  Jean  Noetzli.  —  Voyage  dans  les  Républiques  de 
rÉquateur  et  du  Pérou  (1876-1877) 523 

CARTES 

Itinéraires  en  Asie  par  MM.  Benoist^écbin  et  de  Mailly-Chalon,  1883, 
1/6  000  000«. 

Itinéraire  à  l'intérieur  du  Groenland  d'après  la  carte  provisoire  par 
A.  E.  Nordenskidld,  du  1«  au  129  juillet  1883.  1/3  000000*. 

Le  commandant  Derrien.  —  La  région  algérienne  traversée  par  le  mé- 
ridien de  Paris.  1/1  500000». 

Le  D'  PAUL  Neis,  —  Voyages  en  Indo-Chine  (1883-1884). 

Gh.  Vélain.  —  Garte  géologique  de  la  Guyane  française  et  d'une  partie 
du  bas  Amazone,  d'après  les'  récherches  du  D'  Greyaux  en  1878-1879. 
1/6000000\  V 

Brau  de  Saint-Pol  Lias.  —  Rivière  de  Lohong^  côte  occidentale  d'Atché 
(Sumatra),  1880-1881.  1/50  000«. 


FIN    de    la    table    des    MATIÈRES. 


BoURLOTOM.  —  Imprimeries  rêumei,  B. 


€kULj0€ièUiUe»i^ 


¥'.  lrim«MnUt85 


Dressée  par  J.llansen 


Crave  et  lun».  |»«i-  KrKaitl  F*"'*..'»;>^ini<'lVnfei«l-Rocfcpi»an.Parw. 


596  TABLE  DES 

Bbao  de  Saint-Pûl  Lias.  —  Atché 

Vidal  Senèze  et  Jean  Noetzli.  —  ' 
rÉqaateur  et  du  Pérou  (1876-18' 


Itinéraires  en  Asie  par  MM.  Beo 

1/6  000  OOO». 

Itinéraire  à  l'intérieur  du  Gr< 
A.  E.  Nordenskidld,  du  1*  a 

Le  commandant  Derrien.  — 
ridien  de  Paris.  1/1  50000^' 

Le  D'  PADL  Neis,  —  Voyager 

Gh.  Vélain.  ^  Carte  géolof 
du  bas  Amazone,  d'après 
1/6  000  000*. 

Brad  de  Saint-Pol  Lias. 
(Sumatra),  1880-1881.  1 


FIN 


Il  11/     nj^  ^ 


BULLETIN  DE  LA  SOCIÉTÉ,  in>. 

i'*Béne  (1821  à  1833),  20  vol.  —  (vol.  1  et  2  épuisés). 

2«  série  (1834  à  1843),  20  vol. 

3*  série  (1844  à  1850),  14  vol. 

4*  série  (1851  à  1860),  20  vol.  —  (vol.  1  à  10, 1 5  éfmisés). 

5»  série  (1861  à  1870)^20  vol.  —  (vol.  1,  à  6,  9,  11, 12,  1    et  16  épuisés). 

6*  série  (1871  à  1880),  20  vol.  —  (vol.  7  épuisé). 

T  série  (1881  à  1883),  4  vol. 

Ce  Bulletin,  à  partir  de  1882,  est  divisé  en  deux  parties.  La  première  qui  com- 
prend le  compte  rendu  des  séances,  les  principales  lettres  de  la  correspondance 
la^  liste  des  ouvrages  offerts  à  la  Société  et  les  faits  géographiques  les  plus  impor- 
tants est  publiée  dix  jours  après  la  séance. 

La  seconde  qui  renferme  les  mémoii*es,  notices,  rapports  ou.  documents  de 
quelque  étendtie  avec  cartes,  parait  tous  les  trois  mois.  Prix  :  pour  Paris,  20  francs; 
pour  les  départements,  22  francs;  et  pour  Tétranger,  25  francs. 

Table  générale  et  analytique  de  la  1'»  et  de  la  2*  série.  1  vol.  in-S**.  Prix  : 
6  francs. 

Table  générale  et  analytique  de  la  3e  et  de  la  4*  série.  1  vol.  in-8".  Prix  : 
6  francs. 

Notices  annuelles  des  travaux  de  la  Société  et  du  progrès  des  sciences  géogra- 
phiques, par  les  secrétaires  généraux.  Prix  :  1   franc  chaque  notice. 

Programme  d'instructions  aux  navigateurs  pour  Tétude  de  la  géographie  physique 
de  la  mer.  Broch.  in-8*.  Prix  :  1  franc. 

Instructions  générales  aux  voyageurs.  1  vol.  in- 16.  Prix  :  3  francs. 

Compte  rendu    du   Congrès  international  des   sciences  géographiques  de  1875. 
Tome  I,  in- 8'.  Prix  :  20  francs.  —  Tome  II,  in-S*».  Prix:  15  francs. 

Guide  hygiénique  et  médical  des  voyageurs  dans  l'Afrique  intertropicale, 
par  les  D'*  Ad.  Nicolas,  H.  Lacàze  et  Signol,  publié  par  la  Société  de 
Géographie  et  la  Société  de  médecine  pratique  de  Paris,  avec  le  concours  des 
Sociétés  françaises  de  Géographie.  Une  brochure  in-S"*  de  100  pages.  Prix  : 
2  francs. 

Liste  provisoire  de  bibliograpi  ies  géographiques  spéciales,  par  M.  James  Jack- 
son, archiviste-bibliothécaire  de  la  Société  de  Géographie. 

Cette  liste  comprend  1177  articles  se  rapportant  à  la  bibliographie  des  diverses 
régions  de  la  terre- 
Un  vol.  in-8<>  de  8  et  340  pages.  Prix  :  12  francs.  • 

Exploration  du  Sahara.  Les  deux  missions  du  lieutenant-colonel  Flatters,  par 
le  lieutenant-colonel  Derrégagaix. 

Un  vol.  in-S"  de  144  pages  avec  carte.  Prix  :  3  francs. 

Fleuves  de  ^Amérique  du  Sud,  1877-1879,  par  le  D'  Jules  Grevaux,  médecin 
de  la  Marine  française,  1  vol.  in-f  do  39  cartes  avec  tableau  d'assemblage.  Une 
notice  biographique  et  une  bibliographie  des  travaux  de  Grevaux  accompagnent 
cet  atlas.  Prix  :  25  francs. 

La  confrérie  musulmane  de  Sldi  Mohammed  ben  Ali  es-Senoûsl  et  son  domaine 
géographique  en  Tannée  1300  de  rhégire=1883  de  notre  ère,  par  Henri  Duvey- 
aiER.  Paris,  1884.  Brochure  in-S"*  de  84  pages  accompagnée  d'une  carte.  Prix  :  3  fr. 

Liste  de  positions  géographiques  en  Afrique  (contii^ent  et  îles),  par  Henri  DD- 
VEYRiER.  Premierfascicule  A-G.  Paris,  1884.  In-f» de  140  pages.  Prix  :  12  fr. 


EXTRAIT  DU  RtGLEMENT  DE  Uk  SOCIÉTÉ 

Aet.  I.  La  Société  est  instituée  pour  concourir  aux  progrès  de  la  géograplite; 
elle  fait  entreprendre  des  voyages  dans  des  contrées  inconnues  ;  elle  propose  et 
décerne  des  prix;  établit  une  correspondance  avec  les  Sociétés  savantes,  les 
voyageurs  et  les  géographes  ;  publie  des  relations  inédites,  ainsi  que  des  ouvrages 
et  fait  graver  des  cartes. 

Art.  IV.  Les  étrangers  sont  admis  au  même  titre  que  les  Français. 

Art.  y.  Pour  être  admis  dans  la  Société,  il  faudra  être  présenté  par  deux 
membres  et  reçu  par  la  Commission  centrale. 

Art.  YI.  Chaque  membre  de  la  Société  souscrit  pour  une  contribution  annuelle 
de  86  francs  au  moins  par  année,  et  donne  en  outre  25  francs  une  fois  payés^  lors 
de  la  remise  du  diplôme. 

EXTRAIT  DU  RÈGLEMENT  INTÉRIEUR 

Art.  XXXI.  la,  Commission  centrale  a  la  fatuité  de  nommer,  hors  du  territoire 
français,  des  membres  corre^pondanU  étrangers  qui  se  seraient  acquis  jon  nom 
par  leurs  travaux  géographiques.  Un  diplôme  peut  lenr  être  délivré. 

Art.  XXXI 1.  La  Société  admet,  sous  le  titre  de  Membres  donateurs^  les  étran- 
gers et  les  Français  qui  s'engagent  à  payer,  lors  de  leur  admission  «t  une  fois 
pour  toutes,  une  somme  dont  le  minimum  est  fixé  à  300  francs. 


La  bibliothèque,  boulevard  Saint-Germain,  184,  est  ouverte  aux  membres  de  la 
Société,  de  11  ai  heures,  les  dimanches  et  jours  de  fête  exceptés. 

Les  envois  faits  à  la  Société  doivent  être  adressés,  francs  de  port  A  M.  le  Pré^ 
sident  de  la  Commission  centrale,  boulevard  Saint-Germain,  184. 

S'adresser,  pour  les  renseignements  et  les  réclamations,  i  M.  C.  Aabry,  agent  de 
la  Société,  boulevard  Saint-Germain,  184. 


MM.  les  membres  de  la  Société  de  Géographie  peuvent  faire  exécuter  à  leurs 
frais  des  tirages  à  part  de  leurs  artieles,  aux  conditions  du  tarif  ci-après. 


Une  f  >•  (16  pages) 

Remise  ea  pages,  glaçage, 
papier,  piqûre,  enveloppe  de 
couleur 

3/4  de  f  ^«  (12  pages). . . . 

1/2  f^  (8  pages) 

1/4  de  P>«  (4  pages). .... 

Couvertures,  composition,  ti- 
rage, papier,  glaçage 


50 
eiMipl. 


12  65 

1075 

7  80 

440 


100 

eieayl. 


1555 

12  60 

960 

630 

10  » 


150 

excBpl. 


1895 

16  70 

1205 

885 

1180 


200 

exMifl. 


2310 
20  » 
1420 
1010 

13 


250 


exeapl. 


27    » 

2350 
1675 
12  » 

1515 


300 

exeBfl 


3090 
27  » 
19  30 
1340 

1645 


350 


3480 
31  • 
2185 
15  30 

18  70 


400 


exeapl. 


3895 
34  75 

2440 
16  95 

19  75 


500 

n«a^. 


4590 
4090 
2995 
2050 

2315 


Composition  d*un  titre  d'entrée  de  1/4  de  page 2 

Composition  d*un  grand  titre,  avec  page  blanche  au  verso 4  50 

Composition  de  quatre  pages  de  titres  (sans  annonces  pour  les  travaux 

du  même  auteur) 6  50 

Les  corrections  seront  comptées  1  franc  Theure. 
Le  tirage  de  chaque  gravure  sera  compté  3  francs. 


BouRLOTON.  —  Imprimeries  réunies,  B.