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La Société ne prend sous sa responsabilité
aucune des opinions émises par les auteurs des articles insérés dans son Bulletin
BULLETIN
/Ù~^
DE LA
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
Aitiat
AVEC LE CONCOURS DE LA SECTION DE PUBLICATION
PAR
LES SECRÉTAIRES DB LA COMMISSION CENTRALE
SOMMAIRE /,^î V-^^QJ, P7y
De Maiixy-Chalon. — Un voyage en Mandchourie /. »./.^^. f-î,j..-.V.v.rfé,;. . •
Baron Benoist-Méchin. — Voyage à travers le Turkesta^.A:;^'.'.V/.'.'.'.l.'V..'7..^{ ^5
Charles Rabot. — L'expédition du professeur NorderHl^3fd--au_ Groenland/;^
avec cliché dans le texte />>^:4^j^. À. '.^.:.li<C\ 56
Ghahles Hubeb. — Voyage dans l'Arabie centrale (1878-1882) Uamàd, Sammar,
Qaçîm, Nedjâz (suite et fin) 92
cartes
Itmérairesen Asie par MM. Benoist-Méchin et de Mailly-Chalon, 1883. 1/6000000*'.
Itinéraire à rintérieur du Groenland d'après la cai'te provisoire par A. £. Nordenskiôld
du !•' au 29 juillçt 1883. 1/300000».
1» TRIMESTRE ISaô
Sec . V':-' ^ . ■ '
PARIS
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 184
1885
PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
RECUEIL DE VOYAGES ET DE MÉMOIRES, ia-4o.
Tome 1*% contenant les voyages de Marco Polo. 1 vol. in-4°, 1824 {épuisé). Première
édition française, d*après le manuscrit le plus ancien et le plus complet connu,
suivie d'un texte latin inédit. Ce volume est composé comme suit ; Avant-propos ,
par M. Malte-Brun, secrétaire général de la Société de Géographie; — !ntrodw>
tion aux voyages de Marco Polo, par M. Roux de Rochelle; — Voyage de Marco
Polo, le texte français de Rusticien de Pise, d'après le n^ 10270 de la Biblio-
thèque royale; — Peregrinatio Marci PauU, texte latin, d'après le n* 3195 de
la Bibliothèque royale; — Glossaire des mots aujourd'hui hors d'usage: —
Variantes pour les noms propres d'hommes et de lieux, d'après onze manus-
crits.
Tome II, avec 18 planches. Prix : 18 francs*
Il contient : Une Relation de Ghanat et des coutumes de ses habitants. — Des
relations inédites de la Gyrénaïque. — Une notice sur la mesure géométrique
de quelques sommités des Alpes. — Résultats des questions adressées à un
Maure de Tischit et à un nègre de Wallet. — Réponses aux questions de la
Société sur l'Afrique septentrionale. — Unitméraire de Gonstantinople à la
Mecque. — Une Description des ruines découvertes près de Palenqué, suivie
de Recherches sur l'ancienne population de l'Amérique. — ^Une notice sur la
carte générale des pachalicks de Hhaleb, Orfa et Bagdad. — Un mémoire sur
la géographie de la Perse. — Des recherches sur les antiquités des États-Unis
de l'Amérique septentrionale.
ToMp III) contenant l'Orographie de l'Europe, par M. L. Bruguière, ouvrage cou-
ronné par la Société dans sa séance générale du 31 mars 1826 ; avec une carte
oroçraphique, 12 tableaux synoptiques et trois vues et coupes des chaînes de
montagnes (épuise).
Tome IV, avec une carte et plusieurs fac-similés. Prix : 30 francs.
Il contient : Description des merveilles d'une partie de l'Asie, par le P. Jordan de
Séverac. — Relacion del Yiage hecho à la isla de Amat, etc. (Relation d'un
Voyage à l'île d'Amat), d'après les manuscrits communiqués par M. Henri Ter-
naux. — Vocabulaires de plusieurs conti'ées de l'Afrique, recueillis par M. Kœnig,
avec des observations préliminaires. — Voyages en Orient : Relation de Guil-
laume de Rubruck. — Notice sur les anciens voyages de Tartarie en général,
et sur celui de Jean du Plan de Garpin en particulier; avec une carte, par
M. d'Avezac. — Relation de la Tartarie, de Jean du Plan de Garpin; Voyage de
Bernard et de ses compagnons en Egypte et en Terre-Sainte. — Relation di's
voyages de SsBvulf à Jérusalem et en Terre-Sainte.
Tomes Y et VI, contenant la Géographie d'Ëdrisi, traduite de l'arabe en français,
d'après deux manuscrits de la Bibliothèque du roi, et accompagnée de notes,
par P. Amédée Jaubert, membre de l'Institut, etc., avec 3 cartes. Prix :
24 francs chaque volume.
Tome VII, contenant la Grammaire et le Dictionnaire de la langue berbère, en ca-
ractères arabes, composés par feu Venture de Paradis, revus par P. Amédée
Jaubert, membre de l'Institut; suivis de plusieurs itinéraires de l'Afrique sep-
tentrionale recueillis par l'auteur, et précédés d'une Notice biographique sur la
partie méridionale de l'Asie centrale, avec une carte et deux plans, par M. Nicolas
de Khanikof. — Recherches sur Tyr et Palœtyr, et essais de restitution et
d'interprétation d'un passage de Scyl.ax, avec deux cartes, par M. Poulain de
bossay. Prix : 24 francs.
oire sur rEthnograpIue de la P?rse, par M. Nicolas de Khanikof. Prix : 6 francs.
BULLETIN
DE LA
r r
SOCIETE LE GEOGRAPHIE
fiieptlème «érle
TOME VI
LISTE
DES PRÉSIDENTS HONORAIRES DE LA SOCIÉTÉ*
MM.
* Marquis de Laplage.
** Marquis DE Pastoret.
* yte DE Chateaubriand.
*Ct« Chabrol de Volyic.
* Begquet.
* Ct« Chabrol de Crou-
SOL.
* Baron Georges Cdvier.
* B°" Hyde de Neoville.
* Duc DE DOUDEAUYILLE.
♦Comte d*Argout.
* J.-B. Eyriês.
* Vice-amiral de Rignt.
* Contre-am. d*Urville.
*Duc Decazes.
* Comte DE MONTALIVET.
* Baron de Barante.
* Général baron Pelet.
* GOIZOT.
* De Salvandy.
* Baron Tdpinier.
MM.
* Comte Jaubert.
* Baron de Las Cases.
* ViLLEMAlN.
* Cunin-Gridadce.
* Amiral baron RonssiN.
* Am. baron de Mackau.
* B"" Alex, de Huhboldt.
* Vice-amiral Halgan.
* Baron Walgkenaer.
* Comte MoLÉ.
* De la Roquette.
♦JOHARD.
* Dumas.
* Contre-am. Mathieu.
♦Vice-amir. La Place.
♦Hippolyte Fortoul.
* Lefebvre-Duruflë.
* guigniaut.
* Daussy.
* Général Daumas.
MM
*ËLIE DE BEAUMONT.
♦-ROULAND.
*Am. Desfossés.
* C.DE Grossolles-Fla-
marens.
* Duc DE PERSIGNY.
* Vice-amiral de laRon-
gière le Noury.
* Comte Walewski.
De Quatrefages.
* Michel Chevalier.
Alfred Maury.
Vivien de St-Martin.
*Mis DE ChASSELOUP-
Laubat.
Meurand.
Ctre.amiral Mouchez.
Ferdinand de Lesseps.
A. Milne-Edwards.
Alfred Grandidier.
COMPOSITION DU BUREAU DE LA SOCIÉTÉ
POUR l'année 1884-1885
Présidents. 0^,,* M. Ferdinand de Lesseps, membre de Tlnstitut.
î M. L. Vignes, contre-amiral.
Vice' présidents A M. E. Mascart, directeur du Bureau central météoro-
\ logique.
/ M. le lieutenant-colonel G. Niox, professeur de géogra-
Scrutateurs*,».} phîe à TÉcole supérieure de guerre.
( M. E. Bureau, professeur au Muséum d'histoire naturelle.
Secrétaire M. C. Velain, maître de conférences à la Sorbonne.
TRÉSORIER DE LA SOCIÉTÉ •
M. Meignen, ancien notaire, boulevard Malesherbes, 20,
ARCHITECTE DE LA SOCIÉTÉ *
M. Edouard Leudière.
AGENCE :
A rhdtel^.de la Société, boulevard Saint-Germain, 184.
M. Charles Aubry, agent.
i. La Sociëtë a perdu tous les Présidents dont les noms sont précédés d*un -k.
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
RÉBIGÂ
AVEC LE COMOIM Dl LA SECTION DE PUBLICATION
PAR
LES SECRÉTAIRES DE LA COMMISSION CENTRALE
SEPTIÈME SÉRIE. — TOME SIXIÈME
ANNÉE 1885
-^
PARIS
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
Boulevard Saiat-Gennain, I8i
1885
COMPOSITION DU BUREAU
ET DES SECTIONS DE LA COMMISSION CENTRALE
POUR 1885
Président
Vice'préiidenU
Secrétaire général. ... *
Secrétaire adjoint.,.
BUREAU
M. A. M11.NE ËDWÀBDS, de rinstitut.
M. Adrien Germain, ing. hydrographe.
M. Guillaume Rey.
M. Charles Maunoir.
M. Jules Girard.
Secrétaire général honoraire. M. Y. A. Malte-Brun.
Archiviste-bibliothécaire M. James Jackson.
Section de Correspondance.
MM. A. d'Abbadie, de rinstitut.
£. Cheysson.
A. Daubrée, de Tinstitut.
Charles Gauthiot.
Victor Guérin.
le D' £. T. Hamy.
MM. William Huber.
Le comte de Marsy.
Georges Perin, député.
Colonel Perrier, de l'Institut.
Franz Schi'ader.
Louis Vignes, contre-amiral.
Section de Publicalion.
MM. Barbie du Bocage.
le vicomte Henri de Bizemont.
Henri Duveyrier.
P. Foncin.
Jules Garnier.
James Jackson.
MM. Janssen, de l'Institut.
Emile Levasseur, de l'Institut.
V. A. Malte-Brun.
J. B. Paquier.
De Quatrefages, de l'Institut.
Vidal de La Blache.
Section de Comptabilité.
MM. Bouquet de la Grye, de l'Inst.
Casimir Delamarre.
Alfred Grandidier.
MM. WUliam Martin.
Meignen,notaiTehonoiaiie,trésorier.
Paul Mirabaud.
Membres honoraires de la Commission centrale.
MM. Edouard Charton, de l'Institut, sénateur. — Jules Codine. — Le
D' Alfred Demersay. — Alfred Maury, de l'institut. — Le vice-amiral Paris,
de l'Institut. — Vivien de Saint-Martin.
UN
VOYAGE EN MAND.CHOURIE
pAn
M. DE MAIIiLY-CHAIiOMO)
Il y a cinq ans, en décembre 1878, je quittais la France, et
j'étais loin de supposer que ce serait pour une aussi longue
absence ; une fois en route, le désir de connaître et d'étu-
dier de nouveaux pays, de voir ce que tout le monde n'avait
pas vu^ m'ont chaque jour entraîné plus loin.
Je rejoignis, à Geylan, mes amis le duc de Blacas et le
baron Benoist-Méchin; pendant deux mois, nous chassâmes
ensemble dans les jungles, mais chacun de vous connaît,
comme s'il y était allé, Geylan, la Cochinchine, Canton, etc.
Deux ans de séjour au Japon ont fait de nous presque des
indigènes; à pied, à cheval, nous avons parcouru toutes les
parties de ce ravissant pays où tout est petit, et rappelle la
France en miniature. Le Japon n'était qu'une étape, et c'est
là que nous avons pu mûrir et étudier le long et difficile
voyage que nous voulions accomplir.
La Mandchourie, dans sa plus grande partie, n'avait été
visitée par aucun Européen; nos missionnaires eux-mêmes
n'ont pas pénétré au delà du Soungari. Chacun des points de
la frontière russe près de la Chine est connu, mais un voyage
d'ensemble sur cette longue frontière de plus de 10,000 ki-
lomètres n'avait pas encore été fait : les Russes seuls con-
naissent les monts Célestes ou Tiân-Shân; Merv n'avait vu
que peu d'Européens un Anglais et un Russe n'ont fait qu'y
passer, et sr un Français, M. de Blocqueville, au service de
(1) Communication adressée à la Commission centrale dans sa séance
du 21 mars 1884. — Voir la carte jointe à ce numéro.
6 UN VOYAGE EN MANDGHOURIE.
la Perse, y a séjourné quelque temps, c'est en qualité de pri-
sonnier de guerre. La pensée de parcourir ces immenses
contrées m'avait séduit, comme mon ami M. Méchin; aussi,
laissions-nous revenir seul en France M. de Blacas, et nous
restions au Japon, attendant le moment de nous mettre en
route.
C'est de la Mandchourie seule, que je vous parlerai ; j'ajou-
terai quelques mots seulement pour vous conduire jusqu'à
Samarkand, où. commencera le récit de M. Benoist-Méchin.
Je vous demande toute votre indulgence, car je ne suis ni
orateur, ni écrivain et tout ce que je vous raconterai n'aura
que le mérite d'une très grande vérité.
Traverser la Mandchourie n'était possible qu^avec la pro*
tection du gouvernement chinois ; il fallait avoir en quel-
que sorte une position officielle, et nous devions l'obtenir à
tout prix ou renoncer à notre voyage.
Arrivés à Pékin en août 1881, notre premier soin fut
d'aller trouver M. Baurée, alors Ministre de France. M.Bou-
rée voulut bien faire de notre voyage sa propre affaire; il s'y
intéressait comme s'il avait dû nous accompagner. C'est
grâce à la position exceptionnelle que notre Ministre avait
su prendre auprès du gouvernement chinois, qu'il lui fut
possible de demander pour nous des passeports exception-
nels aussi, et tels qu'aucun étranger n'en avait eu encore.
Il obtenait, en même temps que notre passage fut partout
annoncé aux autorités chinoises, ordre de nous traiter avec'
les plus grands égards ; mais le plus extraordinaire est que
cet ordre ait été exécuté. La mesure du gouvernement chi-
nois ne fut pas vaine, et partout nous en ressentîmes les
heureux effets.
Partis de Pékin vers le 15 septembre, c'est par mer que
nous gagnâmes Niou-tchouang ou plutôt Ying-tzé son port
Là, avec l'aide de nos missionnaires, nous complétâmes
tous les préparatifs de notre expédition. Le 0 octobre, tout
était prêt) notre caravane était organisée, et le temps
UN VOYAGE EN MANDCHOURIE. 7
s'étanl établi au sec depuis plusieurs jours, nous pûmes
nous mettre en route. Notre caravane se composait de vingt
personnes.
M.Benolst-Méchin et moi, nous avions chacun avec nous
un serviteur français, MM. Gausit et Yvon, seize domes-
tiques chinois, douze chevaux de selle et neuf charrettes
attelées chacune de trois vigoureux mulets. Nous partions
accompagnés des vœux de monseigneur Dubail, vicaire
apostolique de Mandchourie, qui, pendant quinze jours,
nous avait offert asile. Tout en nous souhaitant un plein
succès, il ne nous avait pas caché que, malgré nos passe-
prorts, il ne pouvait y croire.
Deux jours de route nous conduisirent à Niou-tchouang,-
où nos relations avec les autorités chinoises se bornèrent àun
échange de cartes de visites avec le préfet. Entre ces deux
villes, nous avons traversé un camp chinois. Celui de Niou-
tchouang contenait, nous a-t-on dit, 25,000 hommes; il
occupe une grande plaine, et se compose d'une réunion de
petits forts en terre, placés de 300 à 500 mètres les uns des
autres. Chaque fort peut contenir de 1000 à 1500 hommes.
Moukden la sainte est à 120 kilomètres de Niou-tchouang.
Les populations l'entourent de respect comme étant le lieu
de sépulture des empereurs de la dynastie actuelle, et le
vice-roi qui commande en Mandchourie, c'est-à-dire à plus
de vingt-cinq millions de chinois, y a sa résidence. Trois
jours nous suffirent pour faire ce trajet.
Sachant qu'avec les Chinois, tout dépend de l'attitude
prise au début, nous envoyâmes, aussitôt après notre instal-
lation, nos cartes de visite en grande cérémonie au vice-roi.
Ces cartes étaient accompagnées de quelques cadeaux des-
tinés à lui prouver notre respect des usages. L'interprète
avait l'ordre de se conformer strictement au cérémonial des
rites et politesses chinoises. Dès que notre envoyé fut revenu
nous montâmes à cheval et nous nous rendîmes au palais,
entourés d'une escorte d'honneur.
8 UN VOYAGE EN MANDGHOURIE.
Le vice-roi était uii vieillard de soixante-dix ans environ^
d'un aspect très digne et en même temps très cordial ; ses
gardes du corps^ en tenue de gala, formaient la haie à droite
et à gauche de la première cour, et dans la deuxième,
rangés de même, se trouvaient nombre de mandarins d'ordre
inférieur, placés là pour nous faire honneur. Le vice-roi
s'était avancé au-devant de nous et nous attendait à l'entrée
de la salle de réception.
Les salutations d'usage échangées, Ngan-fou (c'était son
nom) nous At passer devant lui et asseoir sur des sièges
d'honneur placés sur une estrade au pied de laquelle il s'as-
sit lui-même. Après quelques instants de conversation, et
après avoir épuisé le formulaire des phrases de politesse,
nous descendions de nos sièges élevés, pour aller prendre
place autour d'une table chargée de friandises, mandarines
glacées, confitures de gingembre, pâtisseries, etc., et comme
boisson, ce thé de fleurs si merveilleusement bon.
Le vice-roi paraissait mettre un certain amour-propre à
nous faire apprécier l'étendue de ses connaissances en lit-
térature, en histoire, etc., et à nous montrer que, surtout,
il n'était étranger ni aux mœurs de l'Europe, ni à toutes les
découvertes de la science. Il nous posait de nombreuses
questions et paraissait fort bien comprendre nos explica-
tions. Cette visite dura près d'une heure; nous regagnâmes
notre auberge entourés du même cérémonial et avec une
escorte comme à notre arrivée.
Le lendemain, nous obtenions un grand résultat qui ne
pouvait être attribué qu'aux ordres envoyés de Pékin; le
vice-roi venait nous rendre notre visite. Selon Tétiquette
chinoise qui est très minutieuse, nous étions allés l'attendre
à la porte de l'auberge, où se répéta la scène de la veille.
Ngan-fou, s'était fait précéder de fort beaux cadeaux :
quatre peaux de tigre, vingt martres zibelines, des étoffes
de soie brochées, etc., etc. Aussi aimable que la veille, le
vice-roi nous offrit une escorte, que nous acceptâmes avec
UN VOYAGE EN MANDGHOURIE. 9
beaucoup d'empressement, car elle était la consécration de
notre position officielle. Gomme défense, cette escorte était
absolument illusoire ; nos soldats et la conversation de leur
mandarin ne nous en laissèrent pas douter longtemps; le
mandarin nous déclara, sans vergogne, qu'il valait bien
mieux livrer armes, chevaux, tout enfin, plutôt que de ris-
quer sa peau à se défendre. Il y a toujours en Chine et
surtout en Mandchourie, province frontière, des brigands,
ou, pour mieux dire, des voleurs de grand chemin, môme
dans les parties les plus riches et les plus peuplées. Si la
récolte a été médiocre, ou môme s'ils voient un bon coup à
faire, les paisibles agriculteurs s'entendent à merveille pour
organiser une bande de pillards.
Moukden ou, en chinois, Shin-Yang, présente peu d'in-
térêt. D'une importance toute politique, elle n'a que peu de
commerce et sa population ne dépasse pas 30000 âmes.
Les rues sont peu fréquentées, à part un seul quartier. On
ne peut mieux la comparer qu'à la ville tartare de Pékin,
mais sans les belles boutiques dorées de celles-ci . Le Yamen
ou palais du gouvernement est, comme partout, entouré
de hautes murailles.
A cinq ou six kilomètres, au nord de Moukden se trouve
la sépulture des empereurs mandchoux. Trois enceintes
successives en défendent l'entrée aux profanes. Dans la
première se trouve un grand parc très sauvage, avec des
arbres magnifiques; la deuxième enceinte, également boisée,
contient la demeure des serviteurs de second ordre, atta-
chés au service du temple. De grandes avenues se dirigent
vers celui-ci ; elles sont bordées d'immenses animaux en
pierre, qui ne sont qu'une faible imitation de ceux qu'on
voit près de Pékin, aux tombeaux des empereurs Ming. Nous
ne pûmes pénétrer que dans les deux premières enceintes.
C'eût été profaner la sépulture des fils du Ciel, que de per-
mettre à des barbares occidentaux de pénétrer dans l'en-^
ceinte môme des tombeaux.
iO uai TOTAfiB ES MAincaoïnuE.
De Monkden à Kiiin, œ lîit me Tiaie promenade. Tons
les jours nous faisions à dieral tiente OQ quarante kilcMDèlres,
chassant chaqœ fois qoe Toccasion s'en présentait et, le soir,
troorant tonjoors notre logement préparé par les soins dn
petit mandarin cha^ de cet ofllee. Sor une taUe bien
dressée, nons faisions honneur au dîner que nous aTait
préparé notre cuisinier chinois. Nous avîmis alors tout le
confortable possible; combien il a laDu en rabattre plus
tard!
La route entre Monkden et Kirin est très praticable, très
large, iiès fréquentée. Elle relie entre eux de nombreuses
petites TÎlles et de gros bourgs, Tiè-Xing, Ki-yuen, Kah-li-
tcfaoung, Shian-ka-Sang, etc., etc., tous entourés de terres
cultivées à merveille et dont les Chinois, ces maîtres en
agriculture, savent très bien tirer parti. Pas un pouce de
terrain n'est perdu, et aucun arbre n'est souffiNi dans les
champs. Les principaux produits dn pays sont le coton, le
soi^ho, le riz sec, des pois qui sont Tobjet d'un commerce
considérable avec le Shân-tung. Il y a environ 450 kilo-
mètres entre Mookdon et Kirin. La première partie est un
pays absolument découvert et présente l'aspect que je viens
de décrire. On aperçoit, à l'horizon, des montagnes peu
élevées qui renferment quelques mines de cuivre et de fer
exploitées par les Chinois.
Près de Ki-jraen, passe la fameuse barrière de pieux, qui
longe dn sud au ncM^ toute la frontière de Corée; elle va
rejoindre celle qui, prenant naissance au défilé de Kou-pei-
Ko, au nord de Példn, sépare la Mandchourie de la Mongolie,
du sud-ouest au nord-ouest. A moitié chemin, vers Ki-yuèn,
la route quitte la plaine pour s'enfoncer dans de petites
montagnes, peu boisées, mais qu'on appelle encore, par
soBveoir, les forêts de l'empereur. Ces montagnes sont les
derniers contreforts de la ch^ne qni commence dans la
4>resqu'île du Liao-tong et se dirige généralement du sud
au nord, parallèlement aux chaînes beaucoup plus consi-
UN VOYAGE EN MANDGHOUfilE. 11
dérables qui sillonnent le territoire coréen. Selon les Chi-
nois que nous avons interrogés à cet égard, ces montagnes
sont très riches en mines de charbon, de cuivre, de fer,
d'étain, d'or et d'argent, exploitées par les Chinois avec
leurs moyens très primitifs. Un missionnaire protestant, le
Révérend Williamson, qui a fait un voyage remarquable dans
cette partie de la Mandchourie, nous a confirmé- tous ces
dires.
Kirin est le grand centre commercial de la Mandchourie.
Nous y arrivons le 28 octobre, environ vingt jours après
notre départ.
Kirin ou mieux Tîh-ling, comme disent les Chinois, est
une grande ville peuplée d'une centaine de mille âmes. Elle
présente un cachet très particulier. N'ayant pas d'enceinte
fortifiée comme Moukden, elle déployé dévastes faubourgs,
remplis de jardins, de maisons de plaisance, appartenant
soit à de riches fonctionnaires, soit à de très grands com*
merçants. Les rues, suffisamment grandes, sont pavées de
poutres en bois, placées transversalement. Sa situation au
bord du grand fleuve Soungari lui donne beaucoup d'impor-
tance. Le fleuve, du côté de la ville, est bordé de quais très
élevés, construits en bois. Ce port a un aspect de vie qui
nous a vivement frappés ; la saison était déjà avancée et
d'un jour à l'autre on s'attendait à voir le fleuve gelé. Quels
doivent être le commerce et le mouvement du port dans
une autre saison, lorsque les eaux sont hautes ! Le fleuve'
était couvert de longs trains de bois, composés d'arbres gi-'
gantesques, qui descendent des montagnes de Corée pour
s'arrêter à Kirin et à Petuna, où manquent les bois de
construction.
Notre arrivée à Kirin cause une émotion considérable.
Plus de 3 000 Chinois se bousculent dans les rues pour nous
voir; bien nous en prend d'être à cheval et accompagnés,
d'une escorte^ car, autrement, nous eussions été infailli-
blement écrasés.
12 UN VOYAGE EN MANDCHOURIE.
. Tout en nous leur semble extraordinaire; comme ils n'ont
jamais vu d'Européens, nos personnes, nos selles et nos
chiens de chasse les plongent dans un étonnement profond.
Notre escorte a fort à faire pour écarter le peuple, qui n'a du
reste, aucune mauvaise intention. Notre réception chez le
gouverneur de Kirin fut à peu près la j'épétition de celle de
Moukden. En échange de nos cadeaux, il nous en envoya
du même genre et d'aussi beaux que ceux du vice-roi. Quel-
ques verres de Champagne, offerts quand il nous rendit
notre visite, parurent lui causer un sensible plaisir. Ming*
hân paraissait avoir quarante-cinq ans à peine ; il ne nous
fit aucune question sur l'Europe; ce qu'il voyait autour de
lui, lui suffisait. Sans manquer d'un certain^ mérite, il ne
me semble pas pouvoir être comparé au vice-roi.
Afin de nous garer de la curiosité insupportable^es ha-
bitants, le chef des troupes mit à notre disposition une cen-
taine de soldats, tant à pied qu'à cheval, qui nous* accom-
pagnèrent dans toutes nos promenades. Le grand commerce
du moment était les fourrures dont il se vendait d'énormes
quantités.
Cinq journées sufiUrent amplement pour reposer nos
bêtes, et faire toutes les petites réparations nécessaires
à notre équipement. Le lundi 31 octobre nous passions
leSoungari et notre route montait droit au nord-est jusqu'à
Ningutah. A partir du fleuve le pays change totalement
d'aspect. Nous cheminons dans de jolies vallées, encaissées
entre de petites montagnes couvertes de taillis. La route,
peu suivie, n'est marquée, dans bien des endroits que par
un sentier. A mesure qu'on s'éloigne du fleuve, les mon-
tagnes deviennent de plus en plus hautes et les passes
assez difficiles. En continuant notre chemin, nous arrivons
au pied d'un grand pic qui peut avoir de 15 à 1800 mètres
de haut et s'élève seul au milieu d'une vallée très large. Les
Chinois lui ont donné le nom de La-pa-la-tze, ce qui veut
dire < montagne du feu éteint. » Il a toutes les apparences
V^ VOYAGE EN MANDCHOURIE. 13
d'un ancien volcan, ce qui nous explique le nom chinois.
De nombreux postes de soldats, de cinquante à cent hommes
chacun, se trouvaient sur la route avec la mission de la
réparer et de faire la chasse aux brigands qui désolent le
pays. Nous voyons en effet un rudiment de route et quelques
rondins dans les fondrières. Ces soldats font partie de ceux
qui ont été sur la frontière pour combattre les Russes. Ils
nous disent tous, avec la plus entière bonne foi, qu'ils ont
battu leurs ennemis et que ceux-ci ont lentement fui
devant eux. Le pays est peu habité. De loin en loin, on
rencontre une misérable ferme ou une auberge dontTap-
parence sordide indique qu'elle ne compte guère sur les
voyageurs. La température, toujours très bonne, se maintient
aux environs de 0*. Le terrain continue à être extrêmement
accidenté.
A notre cinquième jour dl^ marche, nous rencontrons
une assez haute montagne, le Tchang-Sai-Ling, au sommet
de laquelle nous arrivons par une pente presque douce.
Là, nous trouvons un fortin occupé par j^n poste d'environ
500 hommes. Le brave mandarin à globule bleu — c'était
au moins un colonel — qui les commande, se montre plein
d'empressement à notre égard; il fait sortir la gaMe et l'air
de « la casquette du père Bugeaud i va réveiller les échos
de la forêt. Il nous reçoit chez lui et nous offre à déjeuner,
mais nous acceptons seulement une ou deux tasses de thé;
dans le réduit sale et puant où il nous introduit, nous voyons
un appareil complet pour fumer l'opium.
Le versant opposé de la montagne est fort escarpé; nous
descendons à travers la forêt par des chemins abrupts, très
dangereux pour nos charrettes. Tout autour s'élèvent de
grands bois dont les essences sont les mêmes que celles
de nos forêts : hêtres, charmes, chênes, etc.
Le lendemain 6 novembre, nous arrivons à un fort village
appelé Oh-mô-Sou, situé dans une très belle vallée où coulé
la Moot*wan, qui passe à Ningutah, et se jette dans le
i4 UN VOYAGE £N ITANDGHOURIE.
Soungari. Oh-mô-Sott est habité par des cultivateurs mand-
chous, gens très calmes et très hospitaliers. C'est le premier
village mandchou que nous ayons rencontré car jusque .là
les Chinois dominaient partout. La route se continue à tra-
vers des collines peu élevées et des vallées herbeuses. On
aperçoit peu de cultures^ mais en revanche des quantités
de tourbières qui rendent, en dehors de l'hiver, le passage
impra^cable pour les voitures. Ces tourbières existent
sur le 4anc et jusque sur le sommet des montagnes, et,
malgré le froid, souvent les chevaux y enfoncent profondé-
ment.
Le jeudi 6 nous rencontrons un petit mandarin et six
soldats, qui, envoyés au-devant de nous par le gouverneur
de Ningutah, viennent se joindre à notre escorte. Ils portent
les uns des fusils à mèche, d'autres de vieux fusils à pierre
transformés. Ils s'alignent sur la route et nous présentent
les armes. Nous marchons toujours vers le nord et la tem-
pérature baisse. Le thermomètre indique 10 degrés au-
dessous de zéro. Nous en sommes heureux, car les chemins
en seront meilleurs. Ce pays continue à être des plus jolis et
des plus variés d'aspect; nous cheminons dans de char-
mantes vallées entourées de collines boisées, au milieu des-
quelles nous oublions que nous sommes si loin de la France,
pour admirer les paysages qui se déroulent devant nous,
r
et nous rappellent notre patrie. Le gros gibier abonde;
chaque jour, nous levons de nombreuses bardes de cerfs
et de chevreuils qui paraissent plutôt étonnés qu'effrayés à
notre approche.
Le lundi 14, au lieu des tourbières et des fondrières accou-
tumées, nous trouvons un sol couvert de roches plates,
polies, d'aspect' noirâtre et d'origine volcanique. Elles sont
percées régulièrement d'une infinité de petits trous. Ces
roches sont très friables, puisque, dans les siècles derniers,
les charrettes de l'invasion mandchoue, y ont creusé des
ornières assez profondes. L'eau de source y coule en très
J
UN YOTÀGE EN MANDCHOURIE^ 15
grande abondance. Je ne doute pas qu'autrefois ce grand
plateau n'ait été lef centre d'un vaste foyer d'éruption.
Enfin le jeudi 17 novembre, après avoir passé le fameux
pont de pierre au-dessus duquel était élevé le trône de
l'empereur Wang-Ti, dit la tradition, et sur lequel il était
assis pendant que ses troupes défilaient pour aller à la con-
quête du Céleste Empire, nous entrions à Niugutah. Le pont,
qui n'a qu'une seule arche, est jeté avec une grande har-
diesse au-dessus d'un précipice de plus de 30 mètres de
large. Quelques jours de repos étaient nécessaires à nos
animaux, surtout aux mules des charrettes. L'installation
que nous avait préparée le gouverneur de la ville était fort
convenable et meilleure que nous n'osions l'espérer. Le
gouverneur, des mieux disposé pour nous, ne songeait qu'à
nous être agréable. Nous chassions la grande outarde, à ce
moment fort abondante dans les environs de la ville; c'est
un oiseau d'un goût très délicat, et d'un volume considé-
rable; il en est qui pèsent jusqu'à 25 livres.
Nous étions à Ningutah depuis deux jours, quand nous
apprenons qu'un très grand personnage vient d'arriver. Ce
n'était rien moins qu'un délégué impérial. Allant aussitôt lui
rendre visite, nous nous trouvons en face d'un homme jeune,
de quarante ans au plus, d'une figure extrêmement fine et
spirituelle. Il était entouré d'un certain nombre de man-
darins d'assez haut grade et avait une escorte fort bien
tenue, armée de fusils Winchester à répétion et en très bon
état. Grand ami de Li-hung-tchang, Wou-tatcben, tel est
son nom, était très partisan des idées de progrès, et mon-
trait des connaissances dont nous fûmes très surpris chez
un Chinois qui n'était jamais venu en Europe.. Natif de Su-
cha-o, il justifiait par son esprit délicat et sa grande intelli-
gence une partie de la renommée de cette ville qui ne pro-
duit, dit-on, que de belles femmes et des hommes instruits.
Wou-tatchen nous demanda notre avis sur une ligne de
bateaux à vapeur, destinée à relier entre elles les villes de
16 UN VOYAGE EN MANDCHOURIE.
Ningutah, Kirin, Petouna et Sang-sing par la rivière Moot-
wan et le Soungari. Son projet déjà en cours d'exécution
était, en outre, de faire une grande route de Kirin à Nin-
gutah et Hung-chuen, avec un embranchement sur Nikolsky
et Khamen-Riboloff, établissements frontières des Russes,
sur le Suïfoun et TOssouri. Cette route ne devait être ter-
minée, nous dit-il, que dans cinq ans. Nous n'eûmes pas le
courage de lui dire qu'elle servirait probablement plus aux
Russes qu'à son pays. Il n'est pas douteux, en effet, qu'au
premier embarras sérieux des Chinois, les Russes ne termi-
nent ce qu'ils ont commencé en 1857, lorsque Mourawief-
Amoursky ayant gagné toute la ligne de l'Amour et de l'Os-
souri, eut le bonheur de voir ratifier sa conquête, lors du
différend anglo-franco-chinois, en 1860.
Wou-tatchen est certainement, avec Li-hung-tchang, le
Chinois aux idées les plus élevées et les plus larges que
nous ayons rencontré ; particularité rare partout, surtout
en Chine, il paraissait animé d'un véritable amour du bien
public. Le seul fait de voir un homme de cette valeur arrivé
jeune à l'une des dignités les plus élevées, ferait croire que
le gouvernement chinois pourrait être, lui aussi, suscep-
tible de progrès et d'améliorations, revenir à ce qu'il était
autrefois, avant la dynastie mandchoue.
La route de Ningutah aux possessions russes passe à Hung-
çhuen.Ën la suivant nous devions traverser la chaîne princi-
pale des monts de Mandchourie, celle qui sépare le versant
de l'Océan Pacifique et le bassin du Soungari, l'un des
affluents de l'Amour. Nous devions en outre, longer la fron-
tière coréenne; aussi nous n'hésitâmes pas un instant à
choisir cette route, espérant que nous pourrions faire une
pointe en Corée, si les circonstances nous favorisaient.
Le jeudi 24 novembre nous quittions la ville et traversions
la rivière Mootwan. Cette rivière n'était pas encore entiè-
rement gelée; ses bords seulement étaient pris et nous dûmes
encore nous servir d'un bac. Notre escorte, qui avait été
UN VOYAGE EN MANDGHOURIE. 17
doublée en prévision des brigands, ne nous inspirait pas,
pour cela, plus de confiance; tout le long de la route on
nous montrait les effets de leurs ravages. Nombre de gens
se plaignaient d'avoir été volés et battus; aussi faisions-nous
bonne garde sans crainte cependant, car nous étions abso-
lument convaincus que ces bandes n'oseraient jamais s'at-
taquer à des Européens armés comme nous Tétions.
La route ne manquait pas d'intérêt ; très variée dans ses
aspects, tantôt elle surplombait un torrent ou s'élevait en cor-
niche sur le flanc des montagnes à d'assez grandes hauteurs,
tantôt elle serpentait à travers de jolies vallées, au pied de
collines boisées. Les froids assez vifs ( — 20) avaient solidifié
les fondrières; celles-ci sont pourtant recouvertes d'une
herbe fine, très longue et très moelleuse, dont les Chinois et
et les Mandchous pauvres s'entourent les pieds pour se ga-
rantir du froid. De temps en temps, nous apercevions des
pièges à tigre; ce sont de petits monticules de trois à quatre
mètres de haut, au sommet desquels sont braqués huit ou
dix fusils énormes, que l'animal fait partir lui-même en dé-
vorant la proie mise comme appât.
Nous comptions nous arrêter à environ 150 kilomètres de
Ningutah, au point central de la chaîne de montagne^ pour
chasser et essayer de tuer l'un de ces tigres à longs poils,
dont le vice-roi de Moukden ainsi que le gouverneur de
Kirin, nous avaient donné quatre peaux. Pour y arriver nous
eûmes à traverser des forêts superbes s'élevant dans les
gorges et sur les sommets de montagnes fort escarpées.
Chaque jour le chemin devenait plus pittoresque et plus
sauvage; le lundi 28 novembre nous descendions dans un
cirque appelé Lau-to-la-tze, sorte de nœud central d'où
partent les différentes chaînes qui rayonnent dans toutes les
directions; notre baromètre accusait une altitude de près
de 1200 mètres, et les pics à arêtes vives qui s'élevaient
au-dessus de nous devaient avoir de 1800 à 2000 mètres.
En arrivant dans la maisonnette, qui devait nous servir
soc. DE GÉOGR. — 1*' TRIMESTRE 1885. Vf. — 2
18 TIN VOYAGE EN MANDCHÔURIE.
d'abri, nous y trouvâmes un tigre magnifique, de plus de
dix pieds de long, que notre ami Wou-tatchen, le délégué
impérial, passant avant nous, avait fait apporter pour nous
montrer un des produits du pays. L'attention était d'autant
plus aimable et délicate de sa part, que nous ne fûmes
pas assez heureux pour en tuer, ni même en voir pen-
dant les huit jours que nous passâmes dans ce coin perdu.
A défaut de tigres, le gibier ne manquait pas : ours, cerfs
élans, énormes chevreuils, abondaient dans toutes les val-
lées avoisinantes, mais ils étaient extrêmement difficiles à
approcher. D'autre part, la température qui avait encore
beaucoup baissé >( — 25 degrés) ne nous permettait pas les
longs affûts. Aussi nos chasses furent-elles plutôt des excur-
sions pour reconnaître le pays; nos seules victimes furent
quelques cerfs et chevreuils. La contrée est déserte et sau-
vage; les quelques rares habitants que l'on y rencontre, sont
de misérables chasseurs de gen-sing,soviede racine, dont les
Chinois font le plus grand cas, et qu'ils payent cinq ou six-fois
son poids en or. Les chasseurs se font brigands à l'occasion.
Wou-tatchen avait l'intention de transporter dix mille
familles dans cette contrée. Je ne sais s'il aura mis son pro-
jet à exécution, mais quand nous y sommes passés il ne s'y
trouvait encore que quelques rares émigrés de la province
du Shantung, établis là pour fournir des gîtes d'étape aux
courriers du gouvernement. Cette colonisation pourrait cer-
tainement réussir, car, les forêts défrichées, la terre donne-
rait les plus riches produits.
La route entre le point central de Lau-to-la-tsé et Houng-
tchouen est de 160 kilomètres. Elle traverse plusieurs chaînes
de montagnes parallèles les unes aux autres, qui vont tou-
jours en s'abaissant. Le surlendemain de notre départ, nous
eûmes un spectacle inattendu et des plus curieux. Notre
troupe suivait la route, taillée là dans le roc et en corniche
au-dessus d'une vallée très étroite où coule un torrent;
à inesure que nous avancions nous entendions des sons
UN VOYAGE EN MANDGHOURIE. 19
extraordinaires qui s'élevaient d'une grande vallée encore
masquée à nos regards. Nous partons en avant et aperce-
vons rimposanl cortège du délégué Wou-tatchen en route
pour revenir à Ningutah. Une nombreuse escorte l'accompa-
gnait. Il était très confortablement installé dans une cbaise
T^erte fourrée à l'intérieur et que seize hommes portaient en
se relayant. Devant lui, marchait un de ses mandarins à
cheval^ avec l'étendard jaune au dragon impérial, emblème
de sa puissance. Il avait, en effet, droit de vie et de mort sur
les habitants. Sitôt qu'il nous vit Wou-tatchen descendit
de sa chaise ; en môme temps nous mettions pied à terre.
Quelques instants de conversation ayant suffi pour échanger
un nombre incalculable de politesses, nous nous quittâmes
enchantés les uns des autres.
Pour gagnerla frontière coréenne que nous devions suivre
jusqu'aux possessions russes, nous eûmes à passer trois
cols trèsdifûciles, non pour nous, mais pour nos charrettes.
Ce ne fut qu'avec les plus grands efforts qu'elles purent
parvenir à l'étape. La route, couverte de glace, était
extrêmement dure et nos voitures culbutaient à chaque
instant. Un peu de pratique de la part des Chinois
enlève toute préoccupation, car il est difficile de voir des
gens plus ingénieux, plus patients, plus habiles à tourner
les difficultés en apparence les plus insurmontables.
Le jeudi 15 décembre, le voisinage delà plaine commen-
çait à se faire sentir. Le froid était moins vif et des brouil<
lards épais, inconnus dans les hauteurs, se maintenaient
presqu.e tout le jour.
Les croupes des montagnes étaient plus arrondies, les
vallées plus larges. Bientôt nous arrivons sur la rivière
Tioumen que les Chinois appellent Mi-Kiang ou Kaoli-
Kiang; elle est large, torrentueuse et sert, pendant 200 ki-
lomètres environ, de frontière à la Corée encore inacces-
sible aux Européens, comme l'était le Japon il y a trente ans.
Nous suivions cette rivière depuis quelques temps, quand.
20 UN VOYAGE EN MANDGHOURIE.
sur la berge opposée, à 5 ou 600 mètres du fleuve, nous
apparut une grande tour isolée. Nos interprètes interrogés
nous disent qu'il y a là un fort et un gros village coréen.
L'idée d'aller pousser une reconnaissance en Corée nous
vient aussitôt; nous donnons ordre à notre escorte de
rester sur le côté mandchou (car il est interdit aux soldats
chinois d'aller en Corée) et suivis seulement de nos inter-
prètes, nous allons jusqu'au près du village, qui doit avoir
2 à 3000 habitants. Une cinquantaine de Coréens nous
entourent; au bout de quelques instants ils sont deux cents;
ils rient, s'étonnent beaucoup de notre accoutrement, s'ex-
clament d'admiration en touchant nos fourrures et nos
selles, et poussent même l'indiscrétion jusqu'à nous tâter de
tous côtés. Ces gens ont beaucoup plus de ressemblance avec
les Japonais qu'avec les Chinois. Une sorte de fortification
en pierre sèche entoure la ville et la sépare des faubourgs
sales et mal bâtis. Malgré l'apparence aimable des habi-
tants, il nous fut impossible de traverser la partie fortifiée,
comme nous l'aurions voulu, et force nous fut d'en con-
tourner seulement les faubourgs. Autant que nous pûmes
en juger, la population paraît vigoureuse; hommes et
femmes sont couverts de vêtements longs, en calicot de
couleur claire. Les couleurs telles que le rose tendre, le
lilas, le vert très clair paraissent avoir leur préférence. Leurs
habits sont très propres et comme empesés. Notre excur-
sion finie, nous revenons du côté mandchou, en retraver-
sant la rivière sur la glace. Vers trois heures de l'après midi,
nous apercevons dans le lointain une immense quantité de
drapeaux flottant au vent. C'est l'armée de Hong-chuen,
environ 3000 hommes, qui nous attend sous les armes, gé-
néral en tête. Nous descendons de cheval pour serrer la
main du brave guerrier, puis remontant aussitôt, nous par-
tons avec lui pour passer la revue de ses troupes. II y avait
un immense drapeau pour cinq hommes. Les quatre autres
étaient armés de vieux fusils Enûeld, de fusils à mèche, et
UN VOYAGE EN MANDGHOURIE. 21
d'anciens fusils de munitions; beaucoup de €es derniers
avaient été coupés au milieu, comme chargeant trop le sol-
dat, nous disent les ofQciers. Des troupiers, les uns avaient
des bottes, les autres des souliers mandchoux en cuir non
tanné. Un vieux soldat de cinquante ans se trouvait à côté
d'un gamin de quinze ans. Telle est l'armée qu'auraient dû
combattre les Russes si la guerre avait été déclarée.
Cette troupe armée était logée dans quatre ou cinq for-
tins en terre battue, disséminés dans la plaine. Par une im-
prévoyance toute orientale, deux de ces fortins occupaient
juste le pied d'un petit monticule, du sommet duquel on
aurait pu tirer des coups de pistolet dans Tintérieur de
l'ouvrage. Ce sont, en réalité, plutôt des casernes fortifiées
contre la population, que des forts élevés contre l'ennemi.
La ville de Houng-tchouen qui n'est guère qu'un gros vil-
lage sans aucun intérêt, n'a qu'un très petit commerce; mais
on commence à y trouver quelques produits russes. Ce n'est
que pendant les quatre mois de l'année oîi les froids rendent
les routes praticables, que la ville peut avoir quelques rap-
ports commerciaux avec le reste de l'empire chinois. Son
mince commerce se fait surtout avec les établissements russes
et la Corée. L'hospitalité des autorités chinoises à notre
égard ne se démentit pas un seul instant; nous fûmes com-
blés de politesses et de dîners. Ils firent enfin tout ce qu'ils
purent pour nous rendre, à leur manière, le séjour de Houng-
tchouen agréable. La ville et le camp restèrent pavoises, et
chaque fois que nous sortions de notre maison, le canon ou
du moins de gros pétards résonnaient par trois fois.
Le gouverneur civil et le général étant plutôt pauvres,
nous firent des cadeaux en nature, tels que moutons,
porcs, sac de farine etc. Le premier nous offrit six boites
de lait condensé, préparé en Suisse, croyant nous faire le
plus grand plaisir.
La frontière russe est à 20 kilomètres de Houng-tchouen,
an poste de Cosaques de Tsou-rou-ho. A 30 kilomètres plus
^i UN VOYAGE EN VANDGHOURIE.
loin se trouve la première ville russe, Novo-Kievsk, place
absolument neuve et créée par la Russie pour y établir un
poste militaire.
Notre voyage avait duré du 9 octobre au 21 décembre
1881 y soit, en tout, 73 journées, et nous avions parcouru à
cheval une distance de près de 1400 kilomètres.
Cette immense province de Mandchourie, que nous
venions de traverser du sud au nord- est, n'est pas com-
prise dans les dix huit provinces qui forment ce que les
Chinois appellent l'Empire du Milieu. Bornée au sud par le
golfe de Petchili, à l'ouest pat le plateau de Mongolie, au
nord par l'Amour, à l'est par le fleuve Ossouri et la Gorée^
la Mandchourie s'étend sur un espace quatre ou cinq fois
^rand comme la France entière.
Les princes mandchoux conquirent la Chine vers 1640, et
ce sont encore les descendants de Wang-ti, le premier
des Tsings, qui règne à Pékin. Mais si les Mandchoux ont
la satisfaction de savoir que l'empereur est de leur race, ils
ont été, à leur tour, envahis pacifiquement par l'élément chi-
nois. On ne rencontre que ces derniers en Mandchourie et
la race mandchoue pure n'existe plus que dans certains dis-
tricts isolés, dans quelques parties des provinces limitro-*
phes russes, où ils s'occupent exclusivement d'agriculture.
La Mandchourie se subdivise en trois grandes provinces :
celles de Moukden ou de Liao-Tung, et de Kirin que nous
venons de parcourir; la troisième est celle de Tsi-tsi-Har,
plus à l'ouest et qui touche à la Mongolie. Les noms des pré-
fectures et sous-préfectures ne vous intéresseraient guères
plus que les noms des cours d'eau plus ou m^ins importants,
qui sont les affluents du Liao-ho, du Soungari ou de TOus-
souri. On peut encore regarder ce dernier comme un fleuve
de la Mandchourie, bien que, depuis 1857,il serve de frontière
entre les Russes et les Chinois.
, L'eau abonde partout en Mandchourie; les fleuves et les
rivières sont magnifiques, et s'étendent en nappes superbes^
UN VOYAGE EN MANDCHOURIE. 23
Le Soungari principalement, a dans une grande partie de
son cours cinq ou six fois la largeur de la Seine, et quand
il vient se joindre au grand fleuve Amour, au poste russe de
Michaelo-Seméo-novskaya, les deux fleuves réunis ressem-
blent à un immense lac.
Les climats sont naturellement très difl'érents ; la province
deMoukden, située plus au midi et protégée des vents glacés
de la Mongolie par plusieurs chaînes de montagnes basses
maisfort étendues, peut cultiver certaines plantes des pays
chauds. Les provinces de Kirin et de Tsi-tsi-Har sont au
contraire des pays très froids, où la culture devient celle
des pays du nord.
Je ne dirai rien de l'armée chinoise; vous aurez pu la
jager vous-même par la description des troupes que nous
avons rencontrées. Le Chinois serait un excellent soldat
s'il était bien commandé. Il ne craint pas la fatigue, mé-
prise la mort, mais, que faire avec des mandarins qui, eux
au contraire, tiennent beaucoup à la vie et à toutes leurs
aises ? Au jour du danger, les officiers sont les premiers à
fuir. Il faudrait leur inculquer l'esprit militaire et le sentiment
du devoir, ce que je crois impossible. Quelques troupes ont
cependant une valeur réelle quand elles ont un chef doué de
ces qualités. On cite l'armée de Ly-hung-tchang, qui garde
les forts du Peï-ho, et celle du maréchal Ïzo-Tzung-Tang, le
vainqueur des musulmans révoltés du Hunan et de Kaschgar.
Je ne veux pas vous quitter si loin de Samarkande. Wla-
divostock, le grand port des Russes sur l'Océan Pacifique,
Khabarofka, la nouvelle capitale des provinces maritimes
de la Sibérie orientale, Blagovatchensk, le point central de
ravitaillement pour les mines d'or de la Zée et de TAmour,
Tchitala capitale du Zabaïkal, où se trouvent les principaux
établissements pénitentiaires des Russes, le lac Baïkal^ Ir-
koutsk et Tomsk furent nos principaux points d'arrêt. Nous
redescendîmes ensuite vers le sud, à travers les steppes
kirghises, pour gagner Viernolé, d'où nous fîmes une ex-
24 UN VOYAGE EN HANDGHOURIE.
cursion de deux mois dans les monts Célestes, vivant de la
vie des sauvages Kara Kirghises. eouchant sous leurs tentes
en feutre et chassant avec eux à des hauteurs vertigineuses.
Cette excursion nous conduisit aux portes de la capitale
de la nouvelle conquête chinoise, Kaschgar. Nous nous
sommes trouvés à Kouldja au moment ofi les Russes, sous
le commandement du général Kolpakowsky, rendaient la
province dlli aux autorités chinoises.
Six semaines passées à Taschkent nous permirent d'en-
trer en relations avec le général Tchernaïeff, Tun des héros
de la guerre de Serbie^ l'homme le plus populaire de Russie
depuis la mort de SkobelefT, et son digne remplaçant. Ce fut
grâce àlui, à l'intérêt qu'il voulut bien prendre à nos voyages,
j'ose même dire à l'affection qu'il nous portait, que le reste
de notre entreprise put se continuer dans des conditions
aussi heureuses que la première partie.
Mon ami le baron Benoist-Méchin va continuer le récit
de notre voyage, mieux que je n'ai su le faire pour le com-
mencement.
VOYAGE 'A TRAVERS LE TURKESTAN
PAR
M. I« %aroii BEMOIST-mÊCHin ^
Je viens, à mon tour, continuer ie récit de M. de Mailly-
Chalon et je vais tâcher, aussi brièvement que possible, de
vous mener à travers leTurkestan, vassal de la Russie, et
chez les Turkmènes, indépendants encore à l'époque de notre
passage, incorporés aujourd'hui aux immenses territoires
asiatiques du tzar, depuis la soumission spontanée de Merv.
Le 8 janvier 1883, nous quittions Samarkand après avoir
formé notre caravane et repris à peu de chose près le mode
de voyage que nous avions abandonné un an auparavant,
à Wladiwostock. La dernière partie de notre expédition, la
plus pénible, commençait : nous avions devant nous,
jusqu'à Téhéran, 3,000 kilomètres de route à travers des
pays presqu'inconnus, et si nous savions qu'à moins d'ac-
cidents improbables nous devions parvenir à Khiva, nous
ignorions totalement comment nous pourrions traverser le
désert des Kara-Kums, par quelle voie nous parviendrions
à Merv, et surtout si nous pourrions en sortir sains et saufs
pour gagner le territoire persan.
Nous étions décidés coûte que coûte à aller à Merv. Le
reste était entre les mains de Dieu. Il n'y a pas d'autre
raison au succès de notre entreprise.
A peine sortis des jardins de Samarkand, nous nous
retrouvons dans la steppe, non pas dans le désert (il ne
l. Communication adressée à la Société dans sa séance du 21 mars 1884.
— Voir la carte jointe à ce numéro.
26 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
faut pas confondre les deux termes), mais dans une plaine
dont rherbe courte et rare pousse sur un terrain qui ne
demande qu'à être cultivé pour donner d'abondantes mois-
sons.
A notre gauche, se profilent les montagnes du Zarafchan,
dernière ramification de TAlaï et de Timmense Tiân-Shân ;
à notre droite, c'est la plaine sans limites jusqu'à Orenbourg,
et, plus haut, jusqu'en Sibérie, ce sont les steppes kirghizes,
que les vents balayent sans rencontrer d'obstacles, depuis
les bords de l'Océan glacial jusqu'aux premiers contreforls
des monts du Khorassan.
En deux jours nous sommes à Djam, sur la frontière du
Bokhara. Nous allons quitter le territoire delà Russie pro-
prement dite et ce n'est pas sans un sentiment, je dirai
presque de regret, que nous pensons ne plus voir le surtout
vert de l'officiel russe, auquel nous sommes accoutumés
depuis si longtemps, et qui nous semble aujourd'hui comme
le dernier lien qui nous rattache à la civilisation.
Dès notre arrivée à Djam, deux colonels ou soi-disant
tels (le mot toksaba est sujet à de nombreuses interpré-
tations à Bokhara) se présentaient à nous et enveloppaient
dans les formules les plus fleuries de la rhétorique asiatique
les compliments que nous envoyait le bek ou gouverneur
de Tchiraktchi, pour nous féliciter de notre heureuse
arrivée dans les domaines de son père. Ces messieurs
devaient nous servir d'escorte; d'autres fonctionnaires d'un
ordre plus élevé étaient ensuite venus nous saluer, à diffé-
rentes étapes de la route, aussi faisions nous notre entrée
dans le pauvre et misérable village de Tchiraktchi avec une
suite assez imposante. On nous loge dans une horrible
salle en pisé qui se trouve dans la citadelle, et presque
aussitôt on vient nous prévenir que le gouverneur nous
attend. Sa demeure est située dans la même enceinte, à
cent pas environ de la nôtre. Nous nous y rendons, pr.é-
cédés d'un maître des cérémonies, et nous entrons dans une
VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN. 27
pièce à peine moins sale que celle qui nous a été désignée,
mais d'où l'on a une belle vue sur les montagnes. Sur quel-^
qiies tréteaux qui figurent une table, est déposé le dostar-^
khân : c'est une collation composée de friandises de toute
espèce. Au bout de cette table, autour de laquelle nous
voyons deux tabourets, l'un pour M. de Mailly, l'autre pour
moi, est assis le bek, jeune homme de vingt ans environ, à la
figure insignifiante et présentant tous les signes d'un abru-
tissement précoce. II est vêtu d'une robe assez belle et porte
le turban de mousseline à palmes d'or, réservé à l'émir et à
sa famille. Sa conversation est absolument nulle; il faut lui
arracher positivement les quelques paroles de félicitation
qu'il doit nous dire. Dès que nous sommes de retour dans
notre habitation, -il nous envoie les cadeaux officiels: deux
chevaux caparaçonnés et des robes de diverses qualités.
C'est un peu une nionnaie courante à Bokhara, car lorsqu'on
voyage, comme nous le faisions, avec des lettres du gou-
verneur général du Turkestan, on reçoit en cadeau une
quantité considérable de ces robes, que l'on donne soi-même
en grande partie aux officiels dont on a reçu des services.
Elles sont de couleur éclatante suivant la mode du pays. Ces
cadeaux étaient obligatoires, comme du reste ceux que
nous avions envoyés au bek, mais, ainsi qu'on nous l'avait
dit, <(nous donnions un œuf pour recevoir un bœuf», puis-
que la montre et la chaîne que nous lui avions apportée ne
représentaient par le quart de la valeur qu'on nous rendait.
Dès le lendemain nous nous rendions au fond de Thémi-
cycle de montagnes au pied duquel s'élève l'ancienne ville
de Kesh, où naquit Tamerlan et qui depuis s'est appelée
Shaar-y-Sabz, la Ville verte, à cause de ses nombreux et
beaux jardins. Pendant longtemps, le grand conquérant
voulut faire sa capitale du lieu où il avait vu le jour; mais
la position et l'importance de Samarkand finirent par rem-
porter, et c'est pourquoi l'on ne voit plus ailleurs que dans
cette dernière ville de vestiges imposants de sa puissance.
28 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
Le surlendemain de notre arrivée, l'émir nous envoya
chercher, et nous dûmes nous rendre au palais en grand
équipage pour faire notre visite officielle.
Nous partons précédés d'un maître des cérémonies à
cheval, portant une canne d'or, insigne de sa dignité. Nous
sommes entourés de fonctionnaires richement vêtus de ces
robes aux couleurs chatoyantes, serrées à la taille par de
larges ceintures recouvertes de plaques d'or ou d'argent
suivant le grade ou l'emploi qu'ils occupent.
Notre cortège traverse ainsi le bazar, et nous arrivons
jusqu'à la première porte du palais, où nous mettons pied
à terre pour traverser ensuite deux ou trois cours où se
tiennent des dignitaires et des serviteurs de tout rang qui
s'inclinent sur notre passage. Enfin nous arrivons à une
porte donnant sur une grande cour carrée, entourée d'une
manière de vérandah sans aucune prétention architecturale.
A notre droite, s'élève une immense arche de pierrCi recou*
verle encore en partie de tuiles vernissées dans le goût
persan. C'est là, dit-on, que Tamerlan rendait la justice et
proclamait ses édits.
On est frappé, quand on arrive dans celte cour, du profond
silence qui y règne: on dirait presque le recueillement d'un
d'un lieu saint. Personne n'apparaît; c'est à peine si l'on
aperçoit deux ou trois robes qui se dissimulent derrière les
portes entrebaillées des vérandahs. Nous sommes précédés
du maître des cérémonies qui nous accompagne depuis
notre demeure, et qui s'est adjoint, lorsque nous sommes
entrés dans le palais, deux autres porteurs de cannes d'un
rang évidemment inférieur au sien.
M. deMaillyet moi suivons gravement ces messieurs; nos
deux interprètes ferment la marche. C'est là tout le cortège.
On nous dirige vers une porte qui fait face à celle par
laquelle nous sommes entrés, et qui ne se distingue des
autres par aucun signe ni ornement particulier.
. A peine y sommes nous arrivés, que le maître des céré*
VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN. 29'
monies et notre interprète musulman se précipitent la face
contre terre. Nous sommes en présence de Témir deBokhara.
La salle est vaste, toute entourée de paravents de glaces à
hauteur d'homme. Pas d'autre meuble que le trône sur le*
quel est assis Sa Hautesse, et deux fauteuils qui nous
sont destinés; encore est-ce là une grande politesse qui nous
est faite, car nous devrions rester debout. Mozaffar-eddin
est seul: point de cour, point de serviteurs autour de lui;
d'un geste plein de noblesse, il nous fait signe d'avancer et
de nous asseoir. La conversation qui languit beaucoup au
début, nous permet de le considérer à notre aise. C'est un
homme d'environ cinquante-cinq ans, aux cheveux teints, à
la figure fardée, aux traits fatigués, qui le font paraître plus
âgé qu'il ne Test. Un branlement sénile de la tête contribue
surtout à lui donner l'air d'un vieillard; néanmoins son
geste, sa tenue, sa figure même, malgré le fard, ne démen-
tent pas son origine, et il ne donne pas l'idée de déchéance
morale qu'on éprouve à la vue de son fils, le bek de
Tchiraktchi. Devant lui, on se sent en face d'un prince que
les malheurs ont abattu, non abaissé, et l'on comprend
que, si les jours de gloire et de puissance sont passés,
on n'est pas, devant l'émir, en présence d'une royauté
burlesque comme celle d'un roi nègre vôtu d'un habit de
général, mais bien devant le représentant d'une grande race,
devant le descendant direct de Timour et d'Abdullah-
Khan.
Après une conversation assez insignifiante, l'émir nous
fit signe que nous pouvions nous retirer. Ceux qui nous ac-
compagnaient traversèrent l'immense cour à reculons, et
delà nous menèrent recevoir le Dastar Khan et les cadeaux
chez le gouverneur de Shahr-i'-Sabz, qui porte le titre do
Parmanachi.
Toute cette étiquette, je l'ai su depuis, vient du vieux rite
persan introduit à Bokhara à l'époque de Tamerlan ; les
costumes mômes sont, paraît-il, à peu de chose près ceux
30 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
que Ton portait encore à la cour de Shah-Abbas, de Nadir
et de Feth-Ali-Shah.
Après notre réception chez Témir nous avions hâte de
quitter Shaar-i-Sabz.La températureétait devenue excessive-
ment basse (jusqu'à 25 degrés de froid) et nous n'avions
plus les moyens de nous garantir que l'on trouve nécessaire-
ment en Sibérie. Les environs de la ville étaient couverts de
neige, et toute cette suite dont on nous honorait commençait,
en embarrassant nos mouvements, à nous gêner et à nous
ennuyer prodigieusement. Nous étions tout comme pri-
sonniers, nous ne pouvions faire un pas en deho,rs de notre
habitation sans que notre garde prit les armes et qu'on allât
demander au palais la permission de nous laisser sortir, ce
qui devenait fatigant. Enfin, le 31 janvier, nous nous met-
tions en route pour Bokhara, par une belle gelée et un temps
superbe. A perte de vue, c'est la neige; nous suivons, pour
quitter Shaar-i-Sbaz, le même chemin que nous avions déjà
pris pour y arriver ; il faut que nous sortions de cet hémi-
cycle de montagnes pour prendre définitivement la plaine
jusqu'en Perse, et, le lendemain de notre départ, nous
faisons notre première halte à Karshi, à la limite des terres
cultivées de la région. Karshi est une assez grande ville et
un centre commercial important. Les caravanes qui, de
Balkh et de toute la région des hauts plateaux, se rendent à
Bokhara, passent par Karshi ; c'est aussi la route la plus
directe des Indes à Samarkand. De Karshi à Bokhara, c'est
le désert; sur la route, on trouve le village de Karsan et
quelques forteresses avec de bons puits, entre autres celles
de Kakyr et de Karaoul, vestiges de la sollicitude que dé-
ploya le grand émir Abdallah-Khan pour doter son pays de
haltes où les caravanes fussent sûres de trouver un abri,
et surtout celte denrée, inappréciable au désert, qu'on
appelle l'eau.
Le 6 février, nous apercevions dans le lointain Bokhara-
i-Shérif, Bokhara la sainte, dont les minarets et les dômes.
VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN. 31
émergeant de la ceinture de jardins qui l'entourent, s'élan-
cent de toutes part dans le ciel. Toutes les villes d'Asie
centrale sont ainsi environnées de jardins, et, l'été, elles
sont plongées dans des niasses de verdure qui adoucit l'éclat
et tempère la chaleur impitoyable d'un soleil qu'aucun
nuage ne vient jamais obscurcir.
Bokhara est une oasis fécondée par les eaux de la rivière
Zarafchân, qui, par suite des saignées trop considérables
qui lui sont faites, n'a, plus la force de rouler ses eaux
jusqu'à l'Amou Daria et se perd dans les sables, à quelques
kilomètres au sud de Kara-Koul. Les terres de l'oasis sont
admirablement cultivées et très-fertiles, grâce aux canaux
d'irrigation sans lesquels rien ne pousserait dans ces pays,
et qui dénotent de la part des indigènes un talent d'ingénieur
extraordinaire. Les terres cultivables de la principauté se
divisent en deux classes : les terres de pluies et les terres
irrigués; les premières sont celles qui se trouvent sur les
déclivités et aux pieds des montagnes, et dont la fécondation
dépend uniquement de la quantité d'eau naturelle qui les
arrose. Ces terres sont soumise à un aléa perpétuel, et la
famine, toujours à craindre au Bokhara, est causée par le
manque de récoltes sur ces terres dontla production ne peut
être suppléée que par celle des cultures soumises à l'irrigation .
Dans les terres irriguées, la récolte est naturellement assurée
tous les ans, mais elles sont loin d'être en quantité suffisante
pour subvenir, à elles seules, aux besoins de la population.
. Depuis la prise de possession de Samarkand et de Katti-
Kourgân, les Russes tiennent Bokhara à leur merci, mieux
qu'avec des bataillons et de l'artillerie. Ils tiennent l'exis-
tence même des habitants entre leurs mains, puisque les
digues du Zarafchân, d'où provient l'eau qui donne la vie
à l'oasis entière, sont sous leur contrôle absolu. La ville est
entourée d'un mur crénelé qui nous a eu l'air en meilleur
état que ne le sont en général les remparts des cités asia-
tiques où tout est livré à l'incurie ou à l'abandon. L'im-
32 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
pression que nous fit Bokhara ne fut pas du tout la même
que celle que nous avions éprouvée en visitant les autres
villes d'Asie centrale. Quoique bâties en général sur le môme
principe, chacune de ces villes garde son cachet particulier
mais aucune, jusqu'à présent, ne nous avait semblé ville
sainte, comme l'est et surtout comme le paraît Bokhara.
C'est incontestablement la ville la plus musulmane que nous
ayons visitée. Tout y est fermé, caché, cadenassé; on
n'y voit que des rues étroites, de hautes murailles sans fe-
nêtres^ des portes basses donnant accès aux plus infimes
comme aux plus riches demeures. Chacun se renferme soi-
gneusement chez soi, évitant par là d'attirer sur sa personne
et sur ses biens le regard du maître, comme aussi pour se
livrer plus secrètement aux vices épouvantables qui sont la
plaie de ces contrées.
L'eau que l'on boit à Bokhara n'est pas saine ; en hiver il
n'est, paraît-il, pas dangereux d'en faire usage, mais en été
on doit redouter le reshta ; c'est une espèce de ver en forme
de fil, qui fait son apparition sous la peau, généralement
aux jambes, un an après qu'on a bu l'eau qui le contenait
La guérison en est longue et difficile. On essaye, avec de
grandes précautions, d'enrouler le ver sur une aiguille. Si
l'on y parvient, et si la tête du ver est ainsi extraite, on est
sauvé; mais, dans le cas contraire, s'il se casse pendant
l'opération, il se divise en plusieurs tronçons qui produisent
des ulcères par tout le corps.
La ville de Bokhara est le grand centre commercial de
ces régions. On peut s'en faire une idée par l'importance du
bazar, cinq fois plus grand que celui de Tashkent, qui
vient immédiatement après lui. C'est le centre du marché de
thé vert des Indes que boit toute la population de l'Asie
centrale; on y trouve aussi, en très grande quantité,
toutes les productions et importations du pays, telles que
la mousseline pour les turbans, Yadrass, la soie, les peaux,
les cotonnades anglaises et russes, le sucre, etc. Les tran-
VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN. 33
sactions annuelles du marché de Bokhara ne s'élèvent pas,
dit-OD, à moins de 130 millions de francs.
Le gouverneur de la ville est un vieux Persan rusé, qui
porte le titre de Koush-Begi ; ainsi que beaucoup de hauts
fonctionnaires, il est arrivé à Bokhara comme esclave, et
s'est peu à peu élevé par son adresse et sa duplicité jusqu'à
la première dignité de TEtat. L'esclavage, du reste, n'existe
pour ainsi dire plus, depuis l'arrivée des Russes. Les Turk-
mènes amenaient bien encore, par la voie de Tchardjoui,
des femmes et déjeunes garçons volés en Perse, qu'ils ven-
daient en secret aux riches bokhariotes, mais il est juste de
dire'que ce trafic, à cause des difficultés qu'il présentait,
ne se faisait plus que sur une bien petite échelle ; à Merv,
on nous assura que depuis une année il était devenu tout à
fait impossible à continuer. Les juifs sont tenus, à Bokhara,
dans une situation inférieure et très humiliante; ils
ne doivent porter que des vêtements sordides, se ceignent
les reins avec une corde au lieu de ceinture, et portent sur
la tête une sorte de bonnet noir, en papier, qui ressemble à
un bonnet carré. Ils ne peuvent monter à cheval, il faut
qu'ils aillent à âne ou à pied; quand un musulman trouve
an juif sur sa route, il l'écarté avec des paroles de mépris,
si même il ne le frappe pas de son fouet. Les profits qu'ils
font à Bokhara sont suffisants, cependant, pour les faire
passer par-dessus toutes ces humiliations; ils connaissent la
façon toute différente dont sont traités leurs coreligionnaires
dans les villes voisines occupées parles Rusjses, etcependant
on nous a signalé un juif archi-millionnaire qui, pouvant em-
porter ses biens, préférait rester à Bokhara, dans les condi-
tions que je viens de décrire, plutôt que de renoncer aux
profits qu'il y faisait.
La capitale de l'émir est aussi un grand centre d'ins-
struction; on y élève dans les medresséSj les moullahsle
plus célèbres de la contrée. Cet élément entretient évidem-
ment le fanatisme religieux, mais dans les proportions infi-
soc. DE 6É06A. — !«' TRIMESTRE 18S5. VI. — 3
34 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
niment moindres que pour les étudiants d'El Hazarau
Caire, ouïes ulémas de Gonstantinople. La personne môme
de l'Émir, qui est considérée comme sainte, les tombeaux
de Boghan-eddin près de la ville, la quantité de mosquées et
de medressés qu'on y trouve, contribuent à faire de Bokbara
un lieu de pèlerinage moins révéré que la Mecque, mais
très baut placé néanmoins dansTesprit des Sunnites.
Le 17 févriernous nous mettions en route pourTchardjoui.
Quand on quitte la ville par le côté sud, on s'aperçoit vite
que les sables gagnent dans cette direction. Des vidages en
ruines, à moitié recouverts déjà, attestent que les babitants
ont dû céder la place et se retirer devant l'envabisseur.
Le froid se maintient toujours très vif (moins 13 degrés),
et Ton nous annonce qu'il nous faudra passer l'Amou Daria
sur la glacCé Après avoir quitté Kara-Kul nous cheminons
pendant une trentaine de kilomètres dans des dunes de sable
mouvant.
C'est la seule fois durant le cours de notre voyage que nous
ayons eu l'impression du désert présentant l'aspect si sou-
vent décrit d'une mer houleuse ; du sable, rien que du sable,
nous entoure à perte de vue de tous les côtés. Rien de
plus facile que de perdre sa route, au milieu de ces collines
mouvantes dont le moindre souffle d'air suffit à changer
l'aspect, et le cœur se serre involontairement à l'idée qu'un
grand vent s'élevant tout à coup pourrait vous engloutir
sans espoir sous ces dunes, où blanchissent sans doute les
os de bien des caravanes qui n'ont pas eu la même chance
que nous.
Le soir même nous étions au bord de l'Amou Daria, nous
saluions l'Oxus d'Alexandre, que la glace encore assez solide
nous permettait de franchir à pied sec; mais il était temps
car elle se rompait, heureusement sans accident grave, sous
un de nos chevaux ; le lendemain le passage eût été imprati-
cable et nous aurions été obligés d'attendre plusieurs jours
que la débâcle nous permit de faire notre entrée à Tcbard joui.
VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN. 3&
Cette ville, située à 6 kilomètres sur la rite gauche du
fleuve, est le poste avancé de Témir sur ia route de Merv. Une
citadelle pourvue d'artillerie et d'une nombreuse garoison la
défend, et néanmoins elle succomberait infailliblement
devant l'attaque d'une poignée de Turkmènes, tant est
grande la terreur que ces pillards de la steppe inspirent aux
habitants des villes.
Après la réception d'usage chez le gouverneur qui était
encore un des fils de l'émir, mais qui cette fois ressemblait
tout à fait à un prince des < Mille et une nuits >, nous nous^
remîmes en route, mais en modifiant du tout au tout notre
caravane. Notre plan primitif était de descendre TAmou
Daria en bateau jusqu'au fort Petro-Alexandrovsk, mais les
glaces nous opposant un obstacle insurmontable, et surtout
la navigation n'étant pas encore commencée, il nous fallut
nous procurer à la hâte ce qui nous était indispensable pour
faire la route à cheval le long du fleuve. Après avoir suivi la
rive gauche, nous traversions de nouveau TAmou Daria à
lljïk, pour suivre l'autre rive jusqu'au poste russe dont je
viens de parler. Cette marche de dix jours se passa sans
incidents. Les berges du fleuve, par suite du limon charrié
par les eaux, se couvrent d'une végétation extrêmement
touffue et sont très giboyeuses ; ces terres, constamment
baignées par l'eau, se rattachent ^au pied d'une espèce de
falaise ou de dune qui en suit tout le cours, et qui, s'élevant
également sur les deux rives, marque le lit véritable du fleuve
et sert de limite au désert. Lorsqu'on chemine, comme nous
le faisions, le plus souvent sur le bord de cette dune, on a à
ses pieds les terres cultivables ou berges basses, au delà
le large courant d'eau du Daria et dans le lointain la ligne
parallèle qui borde l'autre rive ; mais si l'on porte les yeux
du côté opposé, on n'a plus que le sable à perte de vue, avec
sa végétation maigre et desséchée de tamarix et de saksaouh
nains.
Tout le long de la route, sur le bord de la falaise, on voit
L
36 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
de vieux forts en ruine, comme des sentinelles demeurées i
leur poste et qu*on a oublié de relever; nous passons
Kabakliy puis Utch-Uchak, la frontière bokharo-russe, nous
traversons l'horrible désert de rAdam-Krylgân ou a mort
de l'homme », dans lequel le général Kauffman et son armée
furent sur le point de périr lors de la marche surKhiva.
Le 12 mars nous arrivions enfin au fort russe de Petro«
Aiexandrovosk, où nous devions faire nos derniers préparatifs
pour la traversée des Kara-Kums, qui restait toujours des
pins problématiques si nous persistions dans notre résolu-
tion d'aller à Merv.
La première partie de notre voyage était terminée, nous
avions parcouru environ 1100 kilomètres depuis Samarkand,
et nous arrivions à Khiva en bonnes dispositions pour
entamer l'étape la plus difficile et la plus dangereuse de la
route.
Petro Alexandrovosk n'est pas une ville, ce n'est qu'un
poste avancé où les Russes s'installèrent après la prise de
Khiva et qui leur sert de base d'opérations pour tenir en
respect les Khiviens et les populations nomades environ-
nantes. L'endroit est assez mal choisi du reste et il a tou-
jours élé question de la changer, mais nous ne savons pas
que ce changement se soit accompli.
Tout ce que nous pouvons dire c'est qu'à l'époque de
de notre passage, le général Tchernayeff avait décidé en
principe de transporter le poste en face de la ville dUrgench,
où il eût été dans une bien meilleure et surtout dans une
bien plus saine position.
Dès que cela nous fut possible, nous quittâmes Petro-
Alcxandrovosk pour nous rendre à Khiva. Après avoir traversé
de nouveau l'Amou Daria, qui peut avoirà Khanki 500 à
600 mètres de large, nous nous dirigeâmes vers la capitale
du khan, à travers un pays admirablement cultivé, suivant le
même système d'irrigation qu'à Bokhara et qui ferti-
lise si admirablement toutes les terres de ces pays ; nous
VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN. 37
traversons de nombreux villages et partout nous voyons
des fermes entourées de hauts murs en pisé qui leur donnent
Taspect de petits forts détachés. Les indigènes, vêtus de robe
rayées de couleur sombre et la tête couverte d'un énorme
bonnet de peau de mouton, oot un caractère tout différent
de ce que nous avons vu jusqu'ici.
Les physionomies sont plus rudes, les caractères de la race
uzbègue sont plus nettement accusés, et le fin profil du
Tadjick iranien ne se retrouve plus guère à Khiva. Les murs
de la capitale nous apparaissent d'assez loin ; elle est moins
entourée de jardins que ne le sont les autres villes de l'Asie
centrale etl'on voit mieux reluire au soleil les tuiles vernissées
des minarets et de la grosse tour inachevée du medressé de
Mat-Amin-Khân. La différence entre Khiva et Bokhara
s'accuse à mesure que nous avançons; la ville semble moins
bien entretenue que la capitale de l'émir ; les murs sont dé-
molis en beaucoup d'endroits, et surtout le cachet éminem-
ment musulman de Bokhara ne se rencontre plus ici. Tout
est faste et étiquette chez l'émir, chez le khan tout est
bonhommie et simplicité. Lorsque nous fûmeâ introduits
près de lui il était assis sur des coussins, dans une salle de
la citadelle, et c'est le divan bégi ou premier ministre qui
nous mena sans façon chez son maître. L'émir, teint, fardé,
recouvert de robes d'or, vivant dans un palais rempli de
courtisans, obéissant aux lois de la plus stricte étiquette,
représente bien le descendant d'un Louis XIV asiatique. Le
khan grand, fort, l'air bonhomme et pour ainsi dire sans
façon, donne l'idée d'un chef guerrier du moyen âge dont la
civilisation n'a pas encore adouci les mœurs ni les manières.
Il ne faut pas oublier que les Khiviens sont constamment
en rapport avec les Turkmènes, qu'ils portent le même
costume, qu'ils vivent un peu de la môme façon et l'on ne
sera pas étonné qu'ils aient conservé quelque chose de leur
ancienne condition d'hommes du désert. La yourte ou tente
de feutre que l'on trouve à poste fixe dans la cour de chaque
38 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
grande habitation khivienne n'est-elie pas un signe frappant
de rinstînct nomade de la race et ne semble-t-elle pas être
là comme pour rappeler à l'Uzbeg qu'il doit toujours être
prêt à partir?
Mais à ces signes extérieurs s'arrêtent leurs rapports avec
les hommes de la steppe. Les Khiviens n'ont pas conservé
les mâles vertus qui font défaut aux Bokhariotes ; sous une
apparence moins efféminée leurs vices sont les mêmes, et
leuf crainte du guerrier turkmène égale si elle' ne la dépasse
<;elle qui existe chez les sujets de l'émir.
Ehiva n'est pas un centre commercial comparable à
Bokhara, mais sa position géographique lui donne une
grande importance comme entrepôt entre la Aussie et les
autres villes de l'Asie centrale ; de plus la richesse naturelle
de Toasis est grande et mérite qu'on s'en occupe et qu'on
essaiye de la développer.
Le général Tchernayeff, dont nous avons été à môme d'étu-
dier et d'apprécier les plans au point de vue de l'adminis-
tration du Turkestan, avait selon nous trouvé la véritable
voie commerciale pour l'échange des produits centraux asia-
tiques avec la Russie et les autres pays de l'Europe. Il vou«
lait établir sur l'Amou Daria une flottille à vapeur qui
entretiendrait entre Bokhara et KhiVa, du, pour mieux dire,
entre Tchardjoui et Koungrad, une communication directe
et rapide. Puis il reliait Koungrad à Mertvii Kultuk sur la Cas-
' n ne^ par une ligne de chemin de fer longue de 400 kik)*
mètres, construite sur un terrait parfaitement uni, enfin, par
les bateaux à vapeur de la Caspienne et du Volga, les mar-
chandises embarquées à Mertvii Kultuk arrivaient aux portes
de Moscou. G^était le centre delà Russie^ réuni au centre de
l'Asie, par une communication presque entièrement fluviale,
la' plus simple et la moins coûteuse de toutes. La suite natu-
relle de ce projet était un chemin de fer partant de l'Amou
Daria,'passan( par Bokhara,Samarkand, Khodjent etjashkent,
avec une branche se dirigeant sur Khokand; plus tard on eût
VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN. 39
pu continuer le chemin de Tachkent soit sur Orenbourg,
comme leveut le projet de M. de Lesseps, soit sur Tlrtysh et
le chemin de fer trans-sibérien, dont la construction s'im-
pose tous les jours davantage, donnant ainsi aux habitants
du gouvernement des steppes un débouché pour leurs pro-
duits; malheureusement ce projet du général Tchernayeff a
rencontré à Saint-Pétersbourg une vive opposition ; les par-,
tisans du Caucase et par conséquent d'un gouvernement trans-
caspien dépendant de Tiflis, veulent faire triompher le chemin
de fer de rAkhal-TeJ^ké, qui doit se continuer par Askabat
jusqu'à Merv, et plus loin jusqu'à Hérat, suivantles plans de
l'ingénieur, M. Lessar, qui . a étudié les tracés sur place. La
grande objection que font les adversaires du projet Tcher-
DayefPest que la communication fluviale ne sera libre que
pendant six mois de Pannée et que pendant les six autres
mois on ne pourra s'en servir à causé des glaces.
Ce raisonnement nous a toujours^ paru spécieux, d'abord
parce que les Russes sont partout habitués à compter
avec la glace, que leurs précautions sont toujours prises
en conséquence^ et que, dans ce cas particulier, il n'est pas
difficile d'approvisionner les entrepôts pendant la bonne
saison pour les six mois de saison morte. Le ckemin de fer de
l'Âkhal Tekké n'a d'autre utilité que celle d'être une ligne
stratégique de grande importance, mais rien de plus. En
r
raison de la cherté des transports, causée parle loilg détour
que ces marchandises seraient obligées de faire, elle ne peut
être la ligne commerciale des grandes villes du Turkestan,
elle ne peut songer non plus à être un jour celle des Indes,
carie chemin de fer de la vallée du Sindh, qui s'étendra
bientôt jusqu'à Sibi, passera évidemment plus tard par
Kandahar, Hérat, Mesched et Téhéran pour aboutir à Cons-
tantinople, de façon a englober le commerce de la Perse et
de l'Asie Mineure, et les marchandises indiennes ne pren-
drons jamais la voie russe tant que les Anglais seront les
maîtres de la presqu'île de l'Hindoustan.
40 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
Avant de continuer le récit de notre voyage, ii me faut
dire un mot du gouvernement russe dans ses rapports avec
les indigènes et des résultats qu'il a obtenus jusqu'à ce jour.
Avant 1864, époque à laquelle le général Tchernayeff ouvrit
par la prise de Tashkent l'ère des grandes conquêtes asia-
tiques, que vient de couronner l'annexion de Merv, les
Russes s'étaient avancés à la romaine, c'est-à-dire poussant
toujours devant eux leurs Cosaques, le plus merveilleu]^,
instrument de colonisation qu'un peuple ait jamais possédé.
Les territoires qu^ils avaient à coloniser se prêtaient du reste
admirablement à cette manière de faire, puisque les Cosaques
établissaient presque partout leurs stanitzas sur des ter-
rains qui n'appartenaient à personne. La Sibérie était peu
peuplée, et de l'Oural à la frontière chinoise, comme de
rirtysh au Sir Daria, les colons russes rencontraient la
population nomade des'Kirghizes, qui ne possède que ses
tentes, ses troupeaux et ne cultive presque jamais la terre.
En s*emparant de Taskhend onse beurtaitàunnouvel ordre
de choses : on se trouvait en face d'une propriété réelle, par-
faitement délimitée et régie par des lois et des usages anciens;
le général Kauffmann le comprit, il interdit l'entrée des
Cosaques au Turkestan, sous prétexte que le pays n'était pas
encore suffisamment pacifié pour y introduire l'élément russe.
Du reste Tétat des terres ne comportait pas un surcroitde po-
pulation, et le général résolut de gouverner le pays par la
seule autorité des fonctionnaires. Il faut convenir que cet es-
sai du gouvernement n'a pas absolument réussi. Sans en-
trer dans des détails, on sait que les exactions de certains
fonctionnaires russes et leur façon un peu cavalière de
traiter les habitants, ont amené, spécialement dans le
Ferghana, une désaffection assez visible à l'égard des nou-
veaux maîtres du pays qui avaient été acceptés avec enthou-
siasme. Le manque de connaissance des lois qui régissent
les Sartes et surtout les impôts progressifs dont on a été
obligé de frapper de nouveau les populations après les en
VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN. 41
avoir délivrées, a surtout produit une très mauvaise
impression.
Néanmoins les Russes ont eu cette heureuse chance
de prendre possession de pays dont les maîtres étaient
tellement détestés que tout paraissait préférable au joug
que Ton subissait, et dont on désirait avant tout s'affranchir.
D'un autre cô lé, il faut considérer que, pour les indigènes de
l'Asie centrale, les Russes ne sont pas des étrangers comme
l'Anglais est un étranger pour l'Indien. Le soldat russe vit
sur le pied d'égalité avec le Sarte, tandis que Ton ne pourra
jamais empêcher le soldat britannique de se croire le supé-
rieur de tous les peuples de la presqu'île del'Hindoustan.
C'est ce qui fait que la domination russe, malgré ses
fautes et ses abus, est acceptée par toute la population d'Asie
centrale sans trop de répugnance^ et aujourd'hui l'intro-
duction des stanitzas de Cosaques' au Turkestan complétera
l'œuvre commencée, en russifiant les peuplades nouvelle-
ment soumises, comme elles l'ont fait autrefois pour les
Tartars et pour la plus grande partie des Kirghizes.
C'est là qu'est la vraie puissance russe ; lorsqu'une ou deux
générations de Cosaques et de Sartes auront grandi côte à
côte, on pourra dire alors que la Russie possède TAsie
centrale, tandis que l'Angleterre ne pourra jamais faire autre
chose que gouverner l'empire des Indes comme on admi-
nistre une fortune, aussi bien du reste qu'elle peut l'être.
A Bokhara, les Russes ne sont pas très populaires et cela se
comprend de reste car les Bokhariotes n'ont guère eu jus-
qu'à présenta faire avec leurs suzerains que pour en recevoir
des coups, suivis de contributions de guerre à payer. A Khi va
la situation n'est pas la même, car, à part la prise d'assaut
de la ville et la perte des territoires dont les Russes se sont
emparés sur la rive droite de l'Amou Daria, les Khiviens
n'ont guère eu à se plaindre, et ils y ont gagné d'être
délivrés des Turkmènes qui étaient un sujet de terreur
pour les habitants et qui portaient le pillage et poussaient
42 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
leurs incursions jusque sous les murs même de Khiva.
Quant à la Perse, elle est trop heureuse d'être délivrée
définitivement des Turkmènes qui étaient son cauchemar
et, de ce côté, il faut aussi convenir que la conquête a
été un bienfait très réel. En résumé, malgré les erreurs et
les abus de Tadministration , le gouvernement dont les
Eusses ont doté leurs nouveaux sujets est encore suffi-
samment bon pour être un immense progrès sur ce qui
existait auparavant.
Au point de vue religieux, ils ont eu la très grande habi-
leté de respecter les croyances de populations fanatiques
qu'on eût fait qu'exaspérer en essayant de les convertir.
Aujourd'hui l'islamisme, par suite de cette tolérance absolue,
a perdu beaucoup de sa puissance et de son ascendant sur
les masses, il n'est déjà plus un danger, car les rancunes
religieuses n'ont pas: de raisons d'exister.
En réduisant les Turkmènes, en supprimant l'esclavage
et en mettant un terme aux vols et aux brigandages de la
steppe, les Russes ont accompli une œuvre dont on doit les
féliciter, et pour laquelle ils ne méritent pas seulement la
reconnaissance des Khiviens et des Persans, mais encore
celle de tous les peuples civilisés.
Dès notre arrivée à Khiva on nous avait annoncé la venue
prochaine d'une amibassade des Tékkés de Merv, ayant à sa
tête Kara-Koul-Khan.
Ce dernier qui a^ait entendu parler (les nouvelles se pro-
pagent vite dans la steppe), de l'arrivée prochaine du général
Tchernàyeff à Khiva, s'était mis en route pour l'y rencontrer,
Il voulait' obtenir dé lui l'envoi d'un délégué khivien pour
gouverner la turbulente'population des Tekkès.
C'était pour nouis un coup de fortune inespéré, nous
retournâmes à Petro-AÎexandrovosk pour y faire une der-
nière tentative auprès du général qui n'avait jamais voulu
consentir jusqu'alors à nous laisser aller directement à
Merv, parce qu'il n'en voulait pas prendre la responsabilité.
VOYAGE A TRAVEnS LE TURKESTAN. 43
Toutetois notre insistance, la présence des Turkmènes,
etsartout la confiance qu'il crut pouvoir placer en Kara-
Koul-Khan, qui répondait de nous conduire sains et saufs
jusqu'à Mesched, décidèrent enfin le général à nous accor-
der la permission tant désirée.
Dès le lendemain nous repartions pour Khiva et mettions
la dernière main à nos préparatifs. Il s'agissait de se réduire
au strict nécessaire car nous allions voyager à travers un pays
difficile, peut être ennemi; il fallait, avant tout, ne pas s'en-
combrer et garder le plus possible la liberté de nos mouve-
ments pour ne pas gêner nos guides, et nous tenir toujours
prêts à toutes les éventualités.
Le samedi 5 mai, après un séjour de cinquante-deux jours
àKhiva^nous nous mettions en route pour la steppe et nous
suivions Toasis jusqu'à Pitniak où nous arrivions le 7 mai au
soir, après nous être arrêtés à KhodjeiliketàHazar-Âsp, où
la caravane devait faire ses dernières provisions. Le 8 nous
quittions Pitniak et nous suivions le bord de l'Amou-Daria
jusqu'à un endroit qu'on appelle Kougar ou Kourgàntchin, à
une cinquantaine de kilomètres du village bokhariote de
Kabakli. Nous y parvenions le vendredi 11 mai, n'ayant fait
jusqu'alors qu'une promenade fort agréable, sans aucune
fatigue pour nous ni pour les animaux»
La caravane, très considérable, présentait l'aspect le plus
pittoresque ; en effet, nous avions avec nous 85 chameaux et
140 ou 150 cavaliers. D'abord venait Kara-Koul-Khan,
servant de guide avec 70 ou 80 Turkmènes, y compris la
bande des Sariks que commandait Awas-Khan ; ensuite
marchaient Baba-Jân Bek, le gouverneur de Merv et le divan
Mat-Yakoub avec une escorte de 50 Khivièns ; enfin s'avan-
çait notre petite troupe pour laquelle toutce^monde était
plein de prévenance et d'attentions.
Nous eûmes la preuve, pendant cette partie de la route,
que le cours de l'Amou-Daria se déplace insensiblement.
Le courant du fleuve apporte continuellement des terres
44 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
d'alluvioD sur la rive droite. Les bandes de terre cultivables
dont j'ai parlé plus haut étaient infiniment plus considé-
rables sur le côté où nous nous trouvions que sur l'autre, et
nous y avons même remarqué des traces de cultures entre-
prises tout récemment par les Khiviens.
A partir de Kourgântchin le voyage pénible commençait,
le vrai voyage dans la steppe sans eau, et la température qui
s'était maintenue assez fraîche tant que nous étions sur le
bord du fleuve, devait faire place, presqu'aussitôt notre
entrée dans les sables, à la chaleur accablante du désert.
Le samedi 12 mai, après avoir fait notre provision d'eau,
nous quittions TAmou-Daria et nous nous enfoncions dans
les sables en suivant une direction presque constamment
sud. Quarante deux heures après nous avions fait 120 kilo-
mètres et nous arrivions à un puits connu des Turkmènes
sous le nom de Tchall-Ganak. Pendant toute la route,
l'aspect du pays n'avait pas changé; nous avions marché à
travers des collines ou plutôt de grandes ondulations de
sable, recouvertes de saksaouls et de ces deux ou trois
buissons d'espèce différente qui forment toute la végétation
de cette steppe, avec une petite herbe rare et menue qui
pousse au printemps, et dont les chevaux des Turkmènes
se sont nourris presque exclusivement pendant tout le
voyage.
Le puits profond de quatre-vingt pieds environ était très
peu abondant et fournissait une eau que les animaux pou-
vaient boire mais qui avait un goût saumâtre très prononcé.
Enfin, tel qu'il était, nous devions nousen contenter; toutefois,
pour que toute la caravane pût se désaltérer et refaire sa
provision d'eau, il fallut queKara-Koul-Khanle fit recreuser
par ses hommes, ce qui causa une assez grande perte de
temps.
Le mercredi 16, à cinq heures du matin, nous nous remet-
tions en route; la chaleur était devenue insupportable et notre
chef avait déclaré qu'il fallait de toute nécessité arriver le
VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN. 45
plas vite possible au puits de Tchishma-toga!, pour rafraî-
chir les chevaux. Ce fut la partie la plus dure de la route :
dans la journée nous eûmes à traverser deux langues de
sables mouvants de quatre à cinq kilomètres chacutie où
les chevaux entraient jusqu'aux jarrets'; le jeudi à huit heures
du matin nous étions au puits , ayant fait 110 kilo-
mètres en vingt-sept heures. Toute la caravane arrivait à
Teau sans avoir trop souffert, mais nous doutons fort que les
animaux eussent pu résister cinq ou six heures de plus à la
soif terrible qui les étreignait.
Le puits de Tchishma-togaï était creusé, non plus dans le
sable mais dans le genre de terrain appelé takir et presque
à Textrémité du cours probable de la rivière Mourghab dans
les années de grande crue. A partir de ce moment nous
ne devions plus rentrer dans les sables, les puits devenaient
de plus en plus nombreux, et jusqu'aux premiers obas des
Tekkès (on appelle obas une réunion de tentes), nous ren-
contrâmes plusieurs fois des traces d'anciennes cultures
abandonnées par suite du manque d'eau. La végétation était
assez toufTue, saksaouls, tamaritz, grandes herbes ou ro-
seaux; nous avions définitivement passé le désert. Le lundi
31 mai, après dix-sept jours de route assez pénibles, nous
faisions notre entrée dans Merv ou plutôt dans l'enclos où
se trouvent les tentes de Kara-Koul-Khan, dont nous devions
rester les hôtes jusqu'au 13 juin, jour de notre départ pour
Mesched.
La distance de Khiva à Merv par cette route est d'environ
600 kilomètres ; la route directe à travers le désert n'en
compte pas plus de 450, mais elle ne peut être suivie que
par des courriers, par de petits partis de cavaliers turkmènes
ou bien encore par des caravanes, mais avec des chameaux
seulement.
L'oasis de Merv est occupée par les Turkmènes-Tekkés,
les Sariks et les Salors. Les Tekkés sont de beaucoup les
plus puissants; ils se divisent en Otamishes et en Tokta-
46 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
mishes. Les Toktamishes sont ceux qui habitent à Test ou
sur la rive droite de la Mourghab ; ils se divisent en deux
tribus : la tribu des Begs, dont le chef était notre ami Kara*
Koul-Khan,etlatribu des Wakils, gouvernée parMagdoum-
Kouli-Khan, celui qui se battit si bien, en Akbal, contre le
général SkobelelT. Les Otamishes^ qui ont leurs tentes sur
la rive ouest ou gauche du fleuve, se diyisent aussi en deux
tribus, celle de Sitchmass et celle des Bakchis.
Les Sariks se divisent en Sariks de Youlitân et Sàriks ée
Panj-dçh ; ces derniers se déclarant sujets afghans et sont
ennemis de ceux de Youlitân. Quant aux Salors, ils sont
disséminés dans les différentes tribus des Tekkés. On évalue
le nombre de» Tekkés habitant Toasis de Merv à 40 000 tentes,.
10000 dans chaque division, ce qui donne, à raison de cinq
habitants par tent&„ un chiffre de 200000 âmes, qui doit être
assez près de la vérité. Les Sariks de Youlitân compteraient
environ 4 000 tentes, soit 20 000 habitants.
Merv, que les Turkmènes n'appellent jamais autrement
que Mori, à proprement parler n'existe pas. Auprès de Tan-
cienne Merv, qui fut détruite en 1221 parTouloui-Khân, flls
de Tchingiz, s'éleva une ville nouvelle qui fut connue sous
le nom de la Merv de Baïram- Ali-Khan. Cette seconde ville
fut détruite en 1784 par l'émir de Bokhara Mir-Magsoum.
Les ruines des deux Merv sont à vingt kilomètres environ
de la forteresse que bâtit Kaushid-Khan lorsqu'il vint s'ins-
taller, à la tête des Tekkés, sur les bords de la Mourghab, d'où
il repoussa les Sariks. Ce qu'on appelle aujourd'hui Merv est
donc la forteresse connue des Turkmènes sous le nom de
Kala-Kaushid-Khân.
La forteresse ne présente pas un aspect régulier, elle
affecte la forme d'un cône tronqué dont la base manquerait,
car elle n'est terminée que sur trois côtés. Encore ces trois
côtés soi-disant terminés, ne le sont-ils même pas complè-
tement, car il existe dans la muraille une quantité de brèches
qui n'ont pas été fermées et qui ne le seront sans doute
VOYAGE À TRAVERS LE TURKESTAN. 4T
jamais, au moins par les iDdigënes. Ces derniers avaient
entrepris la construction de cette forteresse à l'annonce de
la marche des Russes sur Khiva, parce qu'ils craignaient
qu^une colonne ne se détournât de sa route pour s'emparer
de Merv, chemin faisant. Chaque division des Tekkés fut
mise à l'ouvrage en grande hâte et éleva la partie du rempart
qui lui était désignée. Les Sariks, qui devaient bâtir le qua-
trième côté, celui qui donne sur le AI ourghab, i^e se rendirent
pas à l'appel. La raison des brèches qui existent dans Ie$
murs de la forteresse est que les dilTérentps partie^ du
travail des tribus turkmènes qui avaient coopéré à Toeiuvre
commune né furent jamais reliées entre elles; àcetteépo--
que, en effet, lesTekkès apprirent que les Russes rentraier^t
tout droit à Tashkeot après la prise de Khiva, et qu'ils
n'avaient nulle intention de venir à Mcrv. Telle qu'elle est,
la forteresse ou plutôt le camp retranché de Kaushid-Khan
pourrait offrir, une fois remise en état, de très sérieux obs-
tacles car le rempart, défendu par un large fos^é mesure de
cinquante à soixante pieds environ. On dit qu'en temps de
guerre chaque famille turkmène peut trouver refuge dans
la forteresse; nous ne saurions l'affirmer, mais en tout cas
l'enceinte peut mesurer de cinq à six kilomètres de long, sur
deux de large, à Fendroit de la brèche qui donne accès sur
le bazar.
La rivière Mourghab, large d'environ quatre-vingts à cent
pas auprès de la forteresse, n'est, dit-on, guéable à aucun
moment de l'année; il y avait encore récemment trois ponts,
près de Merv pour la passer, mais l'un a. été enlevé par les
eaux, un autre est dans le plus mauvais état, et le troisième
auprès du bazar, est le seul dont on se serve aujourd'hui.
Kara-Koul-Khan était, au moment de notre passage à
Merv, le chef le plus puissant et le plus redouté de la contrée.
11 s'était conquis un grand renom par ses pillages et ses ex-
péditions, avant de devenir un chef politique. Ses raids
étaient célèbres dans toute la steppe, et Khiva môme l'avait
48 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
•
VU jusque sous ses murs. Malgré la popularité dont il jouis-
sait il était loin d'obtenir de son peuple une obéissance ab-
solue, et lorsqu'il voulut installer le gouverneur qu'il était
allé cbercher à Khiva, il vit bien que ce nouvel essai de
gouvernement aurait promptement le sort des autres; dé-
courage, désespéré, il vint nous trouver et nous dit qu'il
voyait bien que les baïonnettes russes auraient seules raison
d'une population aussi turbulente, allant jusqu'à traiter ses
compatriotes de pillards et de brigands. Cette conversation,
d'autres que nous eûmes avec lui et avec différents Turk-
mènes témoignèrent d'une si grande lassitude de l'état de
choses existant et d'un tel besoin d'un gouvernement quel-
conque que, dès notre arrivée à Khiva, au mois de juillet,
nous n'hésitftmes pas à écrire au général Tchemayeff qu'il
nous paraissait que l'oasis de Merv ferait sa soumission sans
combat, dans un délai assez rapproché. L'événement nous
a donné raison plus tôt même que nous ne le supposions.
On affirmait qu'il y avait encore l'année dernière, dans le
pays mervien, mille esclaves qu'on enchaînait tous les soirs,
mais je dois dire que nous n'en avons jamais vu un seul.
Vingt mille esclaves non enchaînés sont définitivement fixés
dans le pays.
Les Juifs sont beaucoup mieux traités qu'à Bokhara; ils
se mettent sous la protection d'un chef, comme cela est de
règle en Turkménie, pour quiconque n'est pas Turkmène
et lui payent pour cela une somme d'argent convenue d'a-
vance. Les terres de l'oasis sont peu et mal cultivées si on
les compare surtout aux cultures de Bokhara et de Khiva;
elles |sont d'une fertilité prodigieuse et arrosées par l'eau de
la Mourghab, suivant les mêmes principes d'irrigation que
j'ai déjà décrits. Les cruautés auxquelles les Turkmènes se
livraient sur leurs captifs ont été évidemment très exagérées,
mais on a des preuves certaines qu'ils infligeaient des tor-
tures à ceux de leurs prisonniers qu'ils voulaient faire ra-
cheter par leurs familles, et dont la rançon n'arrivait pas
VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN. 49
assez vite au gré de leurs désirs. Les autres, ceux qu'ils des-
tinaient à la vente, étaient au contraire bien traités pour
rapporter un plus grand prix. Les Turkmènes ont été
pendant de longues années la plaie de la Perse; jusqu'à la
prise de Geok-tepé, toutes les routes de Khorassan étaient
infestées par des bandes de pillards de TAkhal ou de
Merv. Leurs raids se sont étendus même jusqu'à Ispahan.
La présence d'un Turkmène suffisait à mettre en fuite
un village tout entier ; d'après les meilleurs renseignements,
il serait permis de supposer que, dans les quarante dernières
années, les Turkmènes aient emmené de Perse environ
200 000 captifs.
Comme race ils présentent une très grande variété de
types; on y voit des blonds et même des roux; les yeux bleus
ne sont pas rares, et dans beaucoup de familles, générale-
ment chez les femmes, on retrouve le type turc à l'état pur,
c'est-à-dire retournant au Mongol. Leur langage est le vieux
turc ou turc jagataï, absolument incompréhensible aux ha-
bitants de Gonstantinople. Ce sont en général des hommes
grands, robustes, d'un type fier et souvent farouche. Ils sont
braves à l'excès, et la vie de pillage et d'expéditions guer-
rières est la seule qui leur convienne. Ils sont fidèles à leur
parole, leur hôte leur est sacré, mais dès qu'il quitte leur
foyer, ils le tueront s'ils pensent en tirer profit. Extrê-
mement paresseux ils passent leur vie couchés autour de
leurs tentes jusqu'à ce que la nouvelle . d'une expédition à
entreprendre ou d'une caravane à piller vienne les tirer de
leur apathie et les rejette de nouveau dans le steppe. Ils
sont aussi bons fantassins que cavaliers, mais préfèrent le
cheval et tâchent de s'en procurer un par le vol s'ils ne
peuvent le posséder par d'autres moyens. En un mot les
Turkmènes ont en eux un mélange de bonnes et de mau-
vaises qualités, qui, suivant qu'elles seront bien ou mal diri-
gées, pourront faire d'eux une population capable de rendre
de grands services, comme aussi de devenir une cause de
soc, DE GËOGR. — 1» TRIMESTRE 1885. YI. — 4
50 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
grandes difficultés au développement de la puissance russe
en Asie.
La técenie annexion de Merv nous oblige à parler ici de
la question russo-anglaise et de la possibilité d'une invasion
des Indes par une armée russe dans un temps plus ou
éloigné. En 1879, lors de la deuxième campagne de l'Afgha-
nistan, lorsque les Anglais envahirent de nouveau le pays
et s'emparèrent de Kaboul et de Kandahar, lorsque le minis-
tère Beaconsfield tomba au moment oh la marche sur Hérat
était décidée, il suffisait aux Anglais de s'établir fortement
dans les trois points de Kaboul, Hérat et Kandahar, ce qui
leur était facile alors, pour avoir pris une avance décisive
sur leurs adversaires et voir venir de là les événements. Mais
il n'en fut pas ainsi; on mit en avant que l'Afghanistan était
une conquête coûteuse à garder, qu'il faudrait augmenter
les effectifs, qu'en fin de compte, les Russes n'étaient qu'à
Khiva, et que garder l'Afghanistan ne revenait pas à autre
chose qu'à payer très cher une prime d'assurance pour ga-
rantir les Indes, qui n'étaient pas encore en danger et qui ne
le seraient peut-être jamais. Bref, les Anglais se retirèrent
derrière les monts Suleïmani, évacuèrent même Kandahar,
renonçant ainsi aux bénifices d'une longue et pénible cam-
pagne. Lorsque le général SkobelefT s'empara de l'Akhal, il
devint évident que Merv devait, un Jour ou l'autre, être en-
globée dans l'orbite russe. Ils en firent tacitement leur deui},
mais regrettèrent peut-être de n'être pas encore établis à
Hérat. Merv ne resta la clef des Indes que pour quelques
politiques arriérés, et, excepté ceux dont le rôle est de crier
quand il se passe un fait de cette nature, tous les gens in-
formés acceptèrent sans murmures la soumission prévue et
déjà escomptée des gens deMerv. Les Russes se trouvent donc
aujourd'hui d'un côté de l'Afghanistan et les Anglais de
l'autre, c'est-à-dire dans la position que prévoyaient depuis
longtemps ceux qui s'occupent de la question centrale asia
tique, qui deviendra la question européenne le jour où l'em-
VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN. 54
pereur de Russie croira devoir faire la guerre à rimpératrice
des Indes. Que la guerre éclate au sujet de l'Hindouslan, ce
qui n'est pas probable, ou pour toute autre cause, le champ
de bataille des armées russes et anglaises sera évidemment
dans les environs de Hérat ou de Kandahar ; en tout cas, le sort
de ces deux grands empires se décidera fatalement dans ces
régions, car ils n'ont pas d'autre point de contact. Il faut
donc examiner la situation actuelle des deux adversaires
pour tâcher d'en tirer une conclusion. Au point de vue de
l'effet moral, les Russes ont tout l'avantage, car les Afghans
qui, depuis plus de quarante ans, voient les Anglais entrer
chez eux, puis en sortir, croient évidemment que c'est
parce qu'ils sont trop faibles pour y rester. D'un autre côté
ils voient depuis quelques années les Russes, qui leur étaient
inconnus, arriver jusque sur leurs frontières en prenant
possession de territoires occupés par des population dont
ils connaissent et respectent la bravoure. Aujourd'hui les
Afghansqui, comme tousles Asiatiques,seprostementdevant
les baïonnettes les plus proches, doivent être bien tentés
de prendre en considération ceux qui font miroiter à leurs
yeux le prestige des bataillons russes. D'un antre côté, au
point de vue défensif, les Anglais fortement retranchés der-
rière leurs montagnes y sont presque inexpugnables; ils sont
encore très éloignés des Russes et ce n'est pas eux qui di*
minuerontla distance. En fin de compte, Merv n'est pas une
base d'opération bien favorable pour entreprendre une pa-
reille expédition. Chacun a donc une théorie très soutenable,
et la balance pourrait paraître égale entre les deux nations
s'il n'y avait pas la question de TAfghanistan. L'idée d'en
faire une zone neutre, très bonne en théorie, est inapplicable
dans la pratique ; les zones neutres sont partout difficiles à
établir et spécialement en Asie oti celui qui n'est pas d'un
parti se croit obligé d'être de l'autre, et surtout de celui du
plus fort.
La question revient donc à peu près à ceci : celle des deux
52 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
puissances du côté de laquelle se rangera rAfghanistan aura
dans son jeu Tune des cartes, sinon la carte maîtresse de la
partie.
Les généraux russes savent très bien qu'ils ne peuvent
aller attaquer l'Angleterre s'ils doivent d'abord se beurler
aux Afghans. Mais si, au contraire, cette population de
montagnards braves et avides de pillage devient l'avant-garde
de l'armée russe, et se précipite bannières déployées sur la
vallée du Sindh, semant la mort, et ce qui est plus grave,
excitant à la révolte, l'Angleterre regrettera peut-être de
n'avoir pas fait en temps opportun le sacrifice des quelques
millions de livres que réclamait l'installation de ses troupes
sur un territoire déjà conquis. En résumé, par la retraite
derrière les monts Suléimani et en laissant les Russes
s'établir en Akhal et à Merv, les Anglais ont perdu du
terrain et ont subi un échec moral que personne ne peut
contester.
Leur position n'est plus dans l'Asie centrale, ce qu'elle
était il y a quelques années seulement; et il faut souhaiter que
cet échec moral ne devienne pas pour eux un échec matériel
au jour, encore éloigné mais fatal, d'une rupture entre la
Russie et le gouvernement britannique.
Le 43 juin nous quittions la maison hospitalière de
Kara-Koul-Khan pour gagner Mesched. C'était une dernière
étape de dix à douze jours, mais la chaleur devenue de plus
en plus forte devait la rendre particulièrement pénible. La
première journée de marche d'une caravane est toujours
•courte, il faut que tout le monde se mette en train; aussi
ie soir, après avoir traversé la forteresse et la rivière sur le
pont du Bazar, campions-nous en steppe près du dernier
canal qui fertilise les terres de ce côté de la Mourghab.
Le lendemain nous continuions lentement notre route à
travers le désert, marchant souvent la nuit, tâchant de
trouver, pour prendre un peu de repos, des endroits où l'on
ne pût pas trop nous attaquer à l'improviste. Nous nous
VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN. 53
trouvions jusqu'à Sarakhs dans la partie la plus dangereuse
de la route. D'abord nous étions infiniment moins nombreux
qu'à notre arrivée à Merv, de plus on savait dans l'oasis
entière que nous avions acheté un assez grand nombre de
chevaux, et il devait être bien tentant pour un parti de
pillards tekkès de venir nous les reprendre à coups de sabre,
après avoir empoché notre argent. Enfin nous approchions
de la rivière Tedjend, dont la réputation est détestable au
point de vue des brigandages qui s'y commettent. Le 17 juin
nous campions sur le bord même de la rivière, à quel-
ques kilomètres de l'endroit où les Turkmènes avaient
assassiné, peu de temps auparavant, un ingénieur et quatre
ou cinq Cosaques.
Il se trouva que nous passâmes au milieu de tous ces
dangers, dont nos guides nous entretenaient à toute heure,
sans en courir un seul, mais néanmoins nous éprouvâmes
comme un sentiment de délivrance iorsquenous aperçûmes
à l'horizon la forteresse persane de Sarakhs. Entre Merv et
la rivière Tedjend, nous n'avions trouvé qu'un puits, qui
porte le nom de Sheid-li, et dont l'eau saumâtre n'est bonne
que pour les animaux.
Un peu plus loin nous avions passé à côté d'une quantité
énorme de puits, comblés aujourd'hui, et creusés par les
soldats de Nassr-ed-din Shah lorsqu'il envoya une armée
pour soumettre les Tekkès. C'est là que ses troupes furent
défaites et qu'on lui prit les canons que Ton voit aujourd'hui
à Merv. Les Persans se retirèrent laissant, dit-on, derrière
eux 28 000 tués, blessés ou prisonniers.
Sa forteresse de Sarakhs, dans laquelle nous entrons
tambours battant et enseignes déployées, par suite d'une
gracieuse attention du gouverneur, n'est entourée que d'une
muraille en pisé, comme on en voit partout en Asie centrale.
Elle est située en plaine, à une assez grande distance des
montagnes et n'a aucune espèce de raison d'être pour les
Persans, car elle ne sert à abriter aucun sujet du shah et
54 VOYAGE A TRAVERS LE TURKESTAN.
la population qui l'environiiB est absolument turkmène.
Les 600 soldats qui y sont enfermés passent leur temps à
dormir et à boire de Teau-de-vie, quand ils en ont, en atten-
dant qu'ils se fassent enlever par un parti de Tekkës ou de
Sariks, sans aucun profit pour la Perse.
Pour nous rendre de Sarakhs à Mescbed, nous devions
franchir la première chaîne des monts du Khorassan, dont
le point culminant est la passe deHoz-déran,où le gouverne-
ment persan a bâti une forteresse dont la position est vrai-
ment sérieuse et bien choisie.
Elle commande admirablement l'entrée et la sortie de la
Perse sur la route de Merv. Moz-déran appartient géogra-
phiquement à la Perse, et n*est plus, comme Sarakhs, un
fortin sans importance, perdu au milieu d'un territoire
étranger.
De Moz-déran nous nous dirigeons vers la rivière Kaskha-
roud,affluent duTedjend, dont les eaux, pendant une grande
partie de son cours, ont un goût saumâtre très prononcé.
Enfin, le 24 juin dans la matinée, nous apercevions tout
à coup les coupoles dorées et les minarets de la Mosquée
d'Imam Réza, flamboyant au soleil comme un phare qui nous
indiquait le chemin; c'est Mesched, notre joie ne connaît
plus de bornes, nos bonnets volent en l'air, et nous nous
serrons les mains comme si nous venions de nous retrouver
après une longue séparation; c'est que Mesched c'était la
fin du voyage, la fin de nos fatigues et de nos misères;
Mesched c'était notre entreprise achevée et réussie, Mesched
c'était pour nous comme un coin de notre belle France que
nous étions sûrs maintenant de revoir.
Une troupe s'avance à notre rencontre, ce sont les fonc-
tionnaires que le gouverneur général du Khorassan envoie
au-devant de nous pour nous présenter ses félicitations. Un
homme s'approche, c'est un courrier de Téhéran avec des
lettres, des nouvelles dont nous sommes privés depuis si
longtemps, il nous semble positivement que nous renaissons
VOYAGE A TRAVERS LB TURKESTAN. 55
à la lumière, que nous venons de sortir d'un mauvais rêve.
Dès qu'il nous fut possible de quitter Mesched, nous
prîmes congé du gouverneur et du colonel Stewart, qui nous
y avait reçus comme des compatriotes et comme des amis.
En sept jours, par une chaleur torride, nous franchissions
à cheval les 900 kilomètres qui séparent Mesched de Té-
héran, et le 13 juillet nous tombions dans les bras du
ministre de France, de notre ami M. de Balloy, qui nous
acueillait comme lui seul sait le faire dans sa légation si
hospitalière de Téhéran.
Aquelques jours de là, nous pouvions fôternotre deuxième
anniversaire depuis notre départ du Japon. Pendant ces
deux années, nous avions traversé TAsie entière de Test à
l'ouest, du nord au sud, après avoir parcouru, dansdespays
réputés difficiles, une distance de plus de 4000 lieues.
L'EXPÉDITION
DU PROFESSEUR NORDENSKIÔLD
AU GROENLAND*
On sait de quelle importance est pour rexplication des
formations glaciaires l'étude du Groenland. Rink a eu
l'honneur de signaler le premier à l'attention des géologues
cette curieuse contrée, mais jusque dans ces derniers temps
aucun explorateur n'avait essayé de se rendre compte de
la nature de l'intérieur de cette mystérieuse péninsule.
L'intérieur du pays était, disait-on, couvert de glaciers ; cette
assertion était acceptée sans contrôle.
De toutes les nombreuses expéditions arctiques qui, depuis
une quarantaine d'années, ont parcouru la mer de Baffîn et
suivi le détroit de Smith, une seule a fait une ttntative pour
reconnaître ces déserts de glace. Au mois d'octobre 1860,
l'Américain I.I. Hayes, bloqué dans le port Fonlke (détroit de
Smith) (78* de lat. N.), entreprit une excursion sur un bras
de l'Inlandsis ^ qui couvre la péninsule comprise entre le
1. Cette relation a été rédigée d'après les rapports adressés par
M. Kordenskidld à M. 0. Dickson et insérés dans VYmer, publication de
la Société suédoise d'Anthropologie et de Géographie fn" 7 et 8 de 1883)
(A. E. NordenskiÔld. Den svenska expeditionen tUl Grônland, àr. 1883).
le rapport du D' Nathorst, inséré dans VYmer (n* 8, 188ij {Den svenska
expeditionen till Grônland &r 1883. Fàrden tiU Kap York af A. G. Na-
thorst) et les lettres adressées par ce savant au Journal le Dagblad, de
Stockholm. Enfin M. Nathorst a pris la peine de revoir ce résumé, ce
dont nous ne saurions trop le remercier. — Voir la carte jointe à ce
numéro.
2. Nom sous lequel les Scandinaves désignent les coupoles glaciaires
des régions polaires.
EXPÉDITION DU PROFESSEUR NORDENSKIÔLD. 57
Whale Sound et le chenal de Kennedy (78* de lat. N.). A
110 kilomètres de la mer*, une tourmente de neige l'obligea
à battre en retraite. D'autre part, les Danois ont négligé
longtemps l'exploration de leur vaste colonie. L'idée d'ex-
plorer l'Inlandsis est pourtant ancienne. Dès 1751, un
négociant établi au Groenland, Lars Dalager, accompagné
de cinq indigènes, avait fait une tentative pour pénétrer dans
l'intérieur du pays. Abordant l'Inlandsis dans les environs
de Vlsblink ^ 4e Julianehaab (62° de lat. N.), il parcourut
environ deux milles sur le glacier. Le mauvais état des
chaussures de ses compagnons et la basse température des
nuits l'obligèrent à rebrousser chemin. Plus de cent ans se
passèrent sans qu'aucune autre exploration fût entreprise
sur l'Inlandsis. En 1867, M.E. Whymper, le célèbre < grim-
peur » anglais, le vainqueur du Gervin,fit une tentative en
partant du fjord de Jacobshavn (69° 10' lat. N.), mais sans
plus de succès que son devancier.
L'année 1870marquele début d'importantes explorations
au Groenland. M.Nordenskiôld s'étant rendu dans les éta-
blissements danois, pour acheter des chiens dont il pensait
se servir dans une exploration qu'il projetait au Spitzberg,
mit à profit son séjour pour étudier l'intérieur de ce pays
si intéressant. G'est à cet illustre explorateur qu'appartient
l'honneur d'avoir fait le premier voyage important vers l'in-
térieur delà péninsule groënlandaise. Pendant que deux de
sescompagnons, les docteurs Oberg et Nordstrom, réunissaient
des collections zoologiques et botaniques dans la baie de
Disco, M. Nordenskiôld, accompagné du docteur Berggrén,
entreprit une longue course sur l'Inlandsis. Partant d'Ege-
desminde le 12 juillet, il arriva, le 16, dans le bras septen-
trional de l'Aulaitsivikfjord, (68° 10' lat. N.) où débouche
une branche de l'Inlandsis. Le 19, suivi de deux Eskimos,
1. J. J. Rayes, La mer libre du pôle, Hachette et C^' 1868, p. 136
à 144.
1 Branche de l'Inlandsis s'avançant jusque près de la mer.
58 EXPÉDITION DU PROFESSEUR NORDENSKIÔLD
et hâlant un traîneau chargé de trente jours de vivres, les
deux savants suédois commencèrent Tascension du glacier.
Le lendemain ils durent abandonner leurs bagages. Au début
le glacier était déchiré de crevasses difficiles à traverser ;
plus loin, il présentait de moindres difficultés. Le 21, les
explorateurs atteignirent Taltitude de 416 mètres, à une
distance de 24 kilomètres environ, à Test de leur campement
au pied du glacier. Le soir, les Eskimos refusèrent d'avancer
et le lendemain ils battirent en retraite. M. Nordenskiôld
et son compagnon continuèrent néanmoins leur roule.
Le 23, à midi, ils se trouvaient à 51 kil., de la côte, et à
une altitude de 565 mètres. Les maigres provisions dont ils
s'étaient chargés étaient fortement entamées, il fallut donc
songer au retour. Avant de rebrousser chemin, les savants
Suédois gravirent un monticule de glace du sommet duquel
la vue était très étendue. Vers Test, l'immense glacier
s'élevait déplus en plus; nulle part, dans cette direction,
aucun pointement rocheux n'était visible. Au nord, au sud
et à l'est, l'horizon était limité par la ligne du glacier qui
paraissait aussi unie que l'horizon de la mer.
Le point où le professeur Nordenskiôld rebroussa chemin
étailà Taltitude de 654 mètres et à une distance d'environ
54 kilomètres de l'extrémité del'Aulaitsivikfjord*.
Ces explorations, entreprises par des étrangers, détermi-
nèrent le gouvernement danois à organiser des expéditions
au Groenland, et, chaque été, depuis 1876, des officiers et
des géologues danois ont étudié des portions considérables
de cette péninsule ^. En 1878 = le lieutenant Jenssen, accom-
pagné d'un géolçgue, M. Kornerup, d'un dessinateur,
M. Groth et d'un Eskimo, partit et réussit à atteindre des
1. Redogôrelse fôr en expédition till GrôrUand ar 1880 af. A, E. Nor-
denskiôld, Ofversigt af KongU Vetemkaps Akademiem forhandlingar.
1870, p. 973.
2. Les résultats de. ces expéditions ont été publiés dans les Meddelser
om Gronland. Copenhague.
AU GROENLAND. 59
Nunatakk S distants de 75 kilomètres de la côte. C'était
jusqu'en 1883^ la plus longue course qui ait été entreprise
sur rinlandsis'.
Dans le compte rendu qu'il avait adressé sur son expédition
à r Académie Royale des sciences de Stockholm, le professeur
Nordenskiôld émit une opinion qui semble alors avoir passé
inaperçue. «: Vraisemblablement, disait-il, l'Inlandsis n'oc-
cupe qu'une bande de territoire le long de la côte, du moins
nombre de faits semblent le prouver, et, au delà de cette li-
sière de glaciers, s'étend une région dépouillée de neige
et de glace, peut être même boisée dans le sud de la
péninsule. » L'illustre savant suédois basait cette hypothèse
sur la théorie du fœhn; d'après lui, les courants atmosphé-
riques qui soufflent dans l'intérieur du pays, venant soit de
l'Atlantique, soit du détroit de Davis, devaient, en tra-
versant les montagnes du littoral,, acquérir les propriétés
de ce vent, c'est-à-dire devenir secs et chauds. La précipi-
tation aqueuse ne devait donc pas être suffisante dans
l'intérieur du pays pour y former des glaciers.
IM. Nordenskiôld a entrepris, pendant Té té de 1883, de véri-
fier cette hypothèse. Dans ce but, il se proposait de pénétrer à
une grande distance dans l'intérieur des terres en partant de
l'Aulaitsivikfjord. Le plan du voyage comprenait en outre
plusieurs autres explorations. Au retour de son excursion sur
les glaciers,M. Nordenskiôld voulait essayer de débarquer sur
la partie de la côte orientale située au-dessous du Cercle
Polaire, région ordinairement barrée par les glaces et
qu'aucune expédition n'avait pu encore atteindre. Enfin,
pendant l'exploration de l'Inlandsis, le géologue de l'expé-
dition, le docteur Nathorst, avait mission d'étudier les im-
1. Mot eskinio, désignant un pic dépouillé de neige qui se dresse au
milieu de l'Inlandsis.
i. Nous avons exposé les résultats de ce voyage dans la séance du
1" juin 1883. Voir également à ce sujet le n" du 23 juin 1883 de la
Revue scientifique.
60 EXPÉDITION DU PROFESSEUR NORDENSKIÔLD
portantes couches fossilifères des deux rives du W^igat, et,
sous sa direction, le navire de la mission essayerait d'at-
teindre le cap York, aux environs duquel se trouvent des blocs
de fer natif signalés dans ces parages par Ross et Sabine.
Là libéralité inépuisable de M. Oscar Dickson, de Gothem-
bourg, permit à M.Nordenskiôld de réaliser ses projets; c'est
entièrement aux frais de ce Mécène suédois qu'a été exécutée
cette importante exploration. De son côté, S. M. le roi de
Suède, qui s'occupeavec le plus grand intérêt des progrès de
la géographie dans les régions polaires, voulut bien mettre à
la disposition de l'expédition le paquebot poste là Sofia,
Ce vapeur en fer, de la capacité de 180 tonnes et de la
force de 65 chevaux, était parfaitement approprié au but du
voyage. Son faible tirant d'eau et sa puissante machine
devaient lui permettre de naviguer facilement dans le sker-
fl'a^'d^groënlandais dont l'hydrographie est très imparfaite et
où les pscil lations delà marée produisent de violents courants.
Enfin dans Topinion de marins expérimentés, la Sofia était
capable de résister aux tempêtes qui sévissent parfois entre
les Ferô et l'Islande, et aux approches du cap Farvel.
L'expédition placée sous le commandement du professeur
Nordenskiôld comprenait, outre son chef, les vingt-quatre
personnes suivantes : le docteur Nathorst, géologue; le
docteur Berlin, médecin etbotanisle ; \ecandidal^^ForssiaLnô,
zoologue; M. KolthofF, préparateur zoologue; un hydro-
graphe, M. Hamberg; un dessinateur géographe, l'adjudant
Kjellstrôm; deux officiers de mer, le capitaine Nilsson,
commandant la Sofia et un lieutenant; deux mécaniciens,
deux chauffeurs, un soutier, un pilote des glaces, deux
fângslmàn^, trois matelots, un cuisinier, un maître d'hôtel,
et deux Lapons.
1. Ce mot désigne, dans les langues Scandinaves, les cordons littoraux
qui bordent la péninsule Scandinave, le Groenland, etc.
2. Grade universitaire correspondant à celui de licencié.
3. Pluriel de fangstman (prononcez fongstman) ( â = 0), mot à mot
«homme de prise,» marin allant à la pêche des cétacés dans VOcéan glacial.
AU GROENLAND. 61
II
Le 23 mai, la Sofia quitta le port de Gothenabourg, em-
portant quatorze mois de vivres, les équipements néces-
saires pour un hivernage, et du charbon en quantité suffi-
sante pour fournir une marche de 2500 milles. De Go-
thembourg l'expédition lit route sur Thurso, de là sur
l'Islande où elle visila les célèbres couches de spath
d'Helgustadir, voisines de l'Eskifjord, et Reykjavik. Après
avoir embarqué dans ce port trente tonnes de charbon, la
So/?a reprit la mer, se dirigeant à ro.-N.-O, vers le cap
Dan, sur la côteorienlale du Groenland. Le 12juin, à 7 heures
du matin, la terre était en vue. Jusque là aucune glace
n'avait été rencontrée, et, d'après les indications de la
vigie, montée dans le nid de pie ^ la mer était libre jusqu'à
la côte. A 20 ou 30 milles de terre, une banquise impéné-
trable fut signalée tout le long du rivage. Comme les bords
du fjord François-Joseph, la terre de Scoresby et la côte
du détroit de Danemarck, celte partie du littoral est hé-
rissée de hautes montagnes ; elles sont visibles à 70
ou 80 milles de terre. L'existence de pics élevés dans
ces parages sembla à M. Nordenskiôld un nouvel argument
en faveur de son hypothèse sur la nature de l'intérieur du
Groenland. Toute tentative pour attérir paraissent ne pré-
senter aucune chance de succès, le chef de l'expédition fit
mettre la route au sud en suivant la lisière du pack. Au
large de Vlskant^, la glace était clairsemée et n'entravait
pas la marche du navire, mais l'intérieur du champ était
formé d'une glace compacte, aussi résistante que celle
qui couvre la.mer au nord du Spitzberg et que le plus solide
navire n'aurait pu briser. Sur la côte orientale, les isberg
1. Tonne vide placée au haut du mât où prend place. la vigie pour dé-
couvrir les glaces.
2. Lisière de la banquise.
62 • EXPÉDITION DU PROFESSEUR NORDENSKIÔLD
étaient rares; au delà du cap Farvel, au contraire, la mer
était couverte de ces magnifiques montagnes de glace, entre
lesquelles dérivaient des dri fis ^. Ces glaces et les brouillards
obligèrent la Sofia à ralentir sa marche, et, le 17 seulement,
elle mouilla devant Julianehaab, établissement danois sur la
côte occidentale. De là, après une relâche de cinq jours né-
cessitée par le nettoyage de la machine, elle partit pour
Ivigtut (61° 12' lat. N.), siège d'une importante exploitation
de kryolilhe, puis pour Egedesminde (68'' 42', de lat. N.).
Dans ce trajet l'expédition ne rencontra aucune difflculté;
quelques isberg ou drifis dérivaient seuls; ces glaces favo-
risaient même la marche de la Sofia en adoucissant la houle
qui aurait pu fatiguer le navire lourdement chargé de
charbon. Avant d'entrer à Egedesminde, la Sofia débarqua
à Ujaragsugsuk, sur la côte nord-est de l'île de Disco, le
docteur Nathorst et M. Hamberg, qui devaient étudier les
riches couches fossilifères crétacées et miocènes des deux
rives du Waigat. Le 29, au matin, Texpédition entra à
Egedesminde et, le lendemain, en repartit pour TAulait-
sivikfjord que le professeur Nordenskiôld avait choisie
comme point de départ de son exploration dans l'intérieur
du Groenland.
L'Aulaitsiviktjordjlong de 130 kilomètres, est très étroit;
sur un point la passe est à peine large de 2 kilomètres. Au
delà de cet étranglement, le fjord s'élargit, puis tourne à
angle droit pour former une baie rectangulaire au fonds
de laquelle débouche une branche de l'Inlandsis. Comme
dans la plupart des fjords groênlandais, le chenal est
profond et les oscillations de la marée y produisent de
violents courants qui charrient de gros blocs de glace.
Quelquefois les glaces dérivent en masse assez compacte
pour former une sorte de digue fermant complètement
la passe. Retenues par ce barrage, les eaux s'élèvent alors,
1 . Glaces flottantes.
AU GROENLAND. 63
dans la partie du fjord ainsi isolée, à plusieurs mètres au-
dessus de leur niveau ordinaire. En 1870, M. Nordenskiôld
avait pu reconnaître les difficultés de ce passage ; depuis
treize ans, le glacier s'était peut-être modifié et par suite
les courants pouvaient avoir changé. Personne ne put à
cet égard renseigner les membres de l'expédition ; bien plus,
un soi-disant pilote, qui avait été embarqué à l'entrée du
fjord, perdit contenance à la vue des tourbillons et fina-
lement déclara ne pas connaître le chenal. Le passage
s'effectua néanmoins sans incident et, dans la matinée
du {"juillet, la Sofia ancra dans un excellent petit havre
du Tassiusarsoak. Le mouillage était entouré de collines de
gneiss arrondies, hautes de 150 à 300 mètres, dont les pentes
étaient, par endroits, couvertes de buissons touffus, de petits
arbrisseaux ou d'un tapis de camarines, de saules nains,
de mousses et de lichens, au milieu duquel s'épanouissaient
de belles fleurs. D'un escarpement rocheux bondissait une
jolie cascade dont l'eau avait une température de -f- 12^,3.
Le temps était magnifique, le ciel presque complètement
découvert et l'air très sec.
III
Trois jours furent consacrés .aux préparatifs de l'expédi-
tion sur l'Inlandsis, et, le 3 juillet, la caravane qui devait
explorer l'intérieur du Groenland se mit en marche. Formée
de sable, coupée de cours d'eau, bossuée de monticules, la
bande de terrain, large de 4 à 5 kilomètres, qui sépare le
glacier de la mer était d'un parcours difficile pour les
petites charrettes sur lesquelies les bagages avaient été
chargés. Le 4 seulement, les explorateurs atteignirent la
lisière du glacier; là, les bagages furent placés sur six traî-
neaux qui devaient être halés à bras sur le glacier. La
caravane emportait une tente; de vêtements de rechange,
de nombreuses bottes en toile à voiles, des instruments
64 EXPÉDITION DU PROFESSEUR NORDENSKIÔLD
pour les observations, de l'alcool et des vivres pour cinquante
jours; chaque homme était en outre muni d*un matelas en
caoutchouc, d*uue couverture et d'un sac.La ration jour-
nalière consistait en pain, beurre, fromage, jambon fumé,
viande conservée, café, sucre, eau-de-vie. Pour la cuisson des
aliments (deux fois par jour du café et une fois de la viande
conservée) 70 centilitres d'alcool suffisaient par jour. Le
poids total des bagages s'élevait à 400 kilogrammes.
Neuf personnes composaient la caravane de M. Nor-
denskiôld : le docteur Berlin, Tadjudant Kjellstrôm, le
pilote des glaces Johannesen, deux matelots, deux fâng-
slmàn et deux Lapons. Pendant les premiers jours, les
explorateurs furent accompagnés par la plus grande partie
de l'équipage de la Sofia^ et de nombreux indigènes, ren-
fort bien nécessaire, car, comme tous les glaciers, l'In-
landsis était hérissé, au voisinage de la terre, d'accidents de
toute nature qui rendaient très pénible le halage des
traîneaux. Même au Groenland — qui eût pu le penser —
le reportage est pratiqué. Au nombre des Eskimos qui sui-
virent au début M. Nordenskiôld, se trouvait un journaliste,
Lars Môller, rédacteur de YAtuagagdliutit {La Lecture),
journal illustré qui se publie en langue indigène à Godthaab.
Lars Môller était, en outre, tout à la fois poète, dessinateur
et imprimeur. Il adressait à son journal des correspon-
dances sur l'expédition suédoise et les accompagnait de
croquis assez exacts.
La caravane campa sur la glace pour la première fois dans
la nuit du 4 au 5 juillet. Le glacier paraissant impraticable
vers Test, elle dut le lendemain revenir sur ses pas, puis
marcher, pendant deux jours, dans la direction du nord et
du nord-est; môme de ce côté, la glace était coupée de
ravins et de profondes crevasses. Le 5, au soir, le camp fut
établi, à l'altitude de 240 mètres, près d'une langue de
terre faisant saillie sur le bord de llnlandsis.
Pour alléger les traîneaux, un dépôt contenant dix jours
AU GROENLAND. 65
%
de vivres fut établi sur ce point. Le lendemain, lesEskimos
qui avaient accompagné jusque-là les explorateurs, battirent
en retraite.
Dans la soirée du 6, les matelots de la Sofia qui avaient
aidé au halage des traîneaux revinrent en arrière. Privés de
ce renfort, les explorateurs ne purent avancer qu'au prix
de mille difficultés. Le glacier était bossue de monti-
cules, sillonné de crevasses, coupé de ruisseaux torrentueux
encaissés dans des berges escarpées. Ces cours d'eau obli-
geaient à de nombreux détours ; quelquefois pourtant, la
caravane réussissait à les franchir rapidement en établissant
à l'aide de bâtons ferrés une sorte de pont volant. A la
différence des glaciers alpins, l'Inlandsis n'est souillée
d'aucun débris; à une distance de 500 mètres ou même de
250 mètres de ses bords, on y chercherait en vain le plus
petit caillou. La glace était percée de centaines de petits
trous, profonds en certains endroits de 50 à 70 centimètres,
et remplis d'eau ; plus loin, elle était recouverte d'une neige
imprégnée d'eau qui formait une véritable bouillie. Sur un
pareil terrain il était impossible de haler tous les traîneaux
en même temps; par suite il était nécessaire de faire trois
fois le même trajet Les étapes étaient très courtes. En
trois jours la caravane ne put avancer que de douze kilo-
mètres et demi. Au milieu de ce glacier accidenté, il
n'était pas facile non plus de trouver un emplacement
commode pour camper. Le 9 juillet, par exception, la
tente fut dressée sur une belle nappe de glace unie. Dans le
voisinage, de nombreux cours d'eau se réunissaient pour
former un petit lac dont l'émissaire, coulant dans un lit de
glace azurée, se précipitait bruyamment dans une crevasse
gigantesque. « Tous nos hommes, dit M. Nordenskiôld,
matelots, Lapons, fângstmàn^ restaient sur le bord de la
rivière, ébahis par la magnificence de cette œuvre de la
nature, n
Pour marcher plus rapidement, la caravane hala désor-
SOC. DE GtOGR. — 1*' TRIMESTRi: i885. TI. — 5
66 EXPÉDITION DU PROFESSSUR NORDENSKIÔLD
I
mais tous les tratoeaux en une seule fois, travail partLculiè*
rement pénible au début, alors qu'une petite quantité da
vivres seulement avait été consommée. Le 10 juillet, elle
put ainsi avancer de neuf kilomètres et demi, le 11 de dix et
le 12 de onze. Le 15, elle fit même une étape de qoatoae kilo-
mètres. Le terrain, du reste, était d'un parcours plus facile;
le 1 1, notamment, Ton traversa une plaine longue de 5 kilo-
mètres. Le lendemain, M. Nordenskiôld observa sur la
surface du glacier des pousses de graminées, des feuilles de
bouIeaux*nains, de saules et de différentes autres plantes. Il
crut tout d'abord que ces débris végétaux avaient été trans-
portés par le vent de l'intérieur du pays ; cette supposition
était inexacte, comme il le reconnut plus tard, car au delà
du neuvième campement, il ne trouva plus aucune feuille
sur le glacier. Du sommet d'un monticule de glace voisin
du campement du 13 juillet, l'expédition put encore aper-
cevoir la mer et les hautes montagnes du littoral; au delà
de ce point aucune terre ne fut désormais visible; dans
toutes les directions s'étendait l'immense glacier qui, par
suite d'une illusion d'optique produite par la réfraction des
glaces, semblait s'abaisser vers l'horizon.
Jusqu'au neuvième campement la marche fut favorisée
par un beau temps. Le ciel était presque complètement dé-
couvert; à un mètre environ au-dessus du glacier, un
thermomètre, placé à Tombre, marquait de + 2* à + 8°; au
soleil, il s'élevait jusqu'à + 20*. Le jour continuel* et la
réverbération du soleil sur les neiges affectaient dou-
loureusement les explorateurs, tous étaient atteints d'oph-
tbalmie et avaient la peau du visage brûlée, comme l'éprou-
vent les voyageurs sur< les glaciers. Dans l'après midi du
13 juillet, le temps changea. Un violent vent du sud-est
s'éleva et la phiie commença à tomber. La tempête
1. Le centre du soleil s'abaissa au dessous de l'horizon pour la pre-
mière fois le It» juillet, et le bord inférieur, abstraction faite de la réfrac-
tion, le 21,
A0 GROENLAND. 67
continua ioate la nuit, et, le lendemain, il neigea. La
caravane souffrait cruellement du froid et de l'humidité,
néanmoins personne n'était découragé. Cette pluie amenée
par un vent du sud-est était, croyait-on, la preuve de l'exis-
tence d'un pays libre de neige au cefntre de la péninsule,
a Nous brûlions de marcher en avant, dit M. NordenskiGld,
comme les aventuriers espagnols qui partaient à la recherche
de l'Eldorado. Matelots, fàngstmàUj Lapons, tous étaient
persuadés de l'existence d'une terre libre. Survenait-il une
éclaircie, tous braquaient les yeux à l'est dans l'espoir de
distinguer quelques pics émergeant dans le lointain. » Le 12,
les explorateurs crurent apercevoir des montagnes dans la
direction de Test. Plus tard ils reconnurent qu'ils étaient
victimes d'une illusion d'optique produite par le reflet
sombre de petits lacs situés à Test.
En 1870, M.NordenskiôId avait observé sur Tlnlandsis la
présence d'un $lam argileux; cette substance formait des
(huches épaisses de quelques millimètres, au fond de trous
ronds, profonds de 30 à 90 centimètres^ très rapprochés les
uns des autres, et, d'après le D' Berggren, ces slams ser-
vaient de substratum à une flore microscopique. Surnombre
de points, les espèces végétales reposaient même diree-
tement sur la glace. Ces plantes microscopiques auraient,
d*après M. Nordenskiôld, un grand rôle dans l'économie du
glacier. Leur couleur sombre absorbant plus facilement la
chaleur solaire que la surface blanche du glacier, elles faôi-
literaient la fonte de la glace, et il faudrait attribuer, dans
une certaine mesure, à ces plantes la disparition du
manteau de glace qui a recouvert la Scandinavie.
M. Nordenskiôld a émis sur la provenance et sur la
nature de ce slam argileux auquel il donne le nom de
Iryolconitey des idées très originales, qu'il a formulées dans
les termes suivants :
« 1* La kryokonite ne peut provenir des montagnes voi-
sines de l'Inlandsis, car elle est répartie sur toute la sûr-
68 EXPÉDITION DU PROFESSEUK NORDENSKIÔLD
face du glacier, à une hauteur beaucoup plus grande que
ces montagnes.
€ ^ Elle n'a pas été transportée par les cours d'eau qui
sillonnent le glacier; elle ne provient pas non plus de
prétendues moraines de fonds.
c 3* C'est donc usi sédiment aérien, formé en grande partie
de poussières d'origine terrestre qui ont été transportées
par le vent.
€ 4^ Ce sédiment contient, en outre, des matières d'origine
cosmique. C'est une poussière fine, renfermant du fer natif
attîrable à l'aimant, et qui, chauffée au chalumeau, donne
les réactions du cobalt et du nickel, j»
M. Nordenskiôld a de nouveau étudié avec beaucoup
d'attention la kryokonite et ses nouvelles observations ont
confirmé les conclusions qu'il avait formulées précédem-
ment. « Partout où la neifi[e de l'hiver avait fondu, le glacier
était recouvert d'une poussière fine, grise, qui aurait formé
une couche épaisse d'un dixième de millimètre à un milli-
mètre, si elle avait été uniformément répandue sur la sur-
face du glacier. Cette kryokonite se trouve, semble-t-il, en
aussi grande quantité dans les régions de l'Inlandsis,
voisines, qu'à cent kilomètres dans l'intérieur de la péninsule,
mais, près des bords du glacier, elle est mélangée à un
sable fin, d'un gris clair, que Ton peut séparer facilement
mais qui est indistinct à l'œil nu. A une certaine distance
des montagnes, l'on n'observe plus ce sable. »
M. Nordenskfôld, en dépit de ses recherches, n'a pu
découvrir dans la kryokonite, aucun gravier ou grain de
sable. Elle contient au contraire de très fines particules
de fer nickelifère. Sur le glacier, elle ne forme pas une
couche d'un seul tenant; mais, lors de la fonte des neiges,
elle se dépose dans les trous de la surface du glacier. Ces
trous sont généralement ronds, plus rarement demi-circu-
laires, profonds de 0",30 à 0™,90; leur largeur varie de
quelques millimètres à un mètre. La kryokonite remplit le
AU GROENLAND. 69
fond de ces cavités d'une couche épaisse de 1 à 4 milii-
mètresy où souvent, sous rinfluencd du vent ou fax suite de
la présence d'organisme, elle forme des concrétions. Dans
les endroits oîi la surface du glacier n'a pas été ravinée par
des cours d'eau, les trous de kryokonite sont aussi rap-
prochés les uns des autres que les alvéoles d'un gâteau de
miel. Là température s'abaisse4-elle durant la nuit de
quelques degrés au-dessous de zéro, la couche superficielle
de l'eau qui remplit ces cavités gèle; même si le froid est
très vif, la plaque d'eau ne se solidifie pas entièrement. La
croûte CTista:lline, ainsi formée, est par suite rarement assez
forte pour pouvoir supporter le poids d'un homme,
notamment lorsqu'elle a été recouverte de neige fraîche.
Les trous de kryokonite exposèrent les explorateurs aux
plus grands dangers. Ces cavités étaient juste assez larges
pour que le pied pût s'y engager; à chaque instant on cou-
rait le risque d'enfoncer une jambe dans un trou masqué
par une couche de neige. Pendant quatre jours à l'aller et
trois jours au retour, la caravane chemina sur un terrain
percé de milliers de trous. Durant ce laps de temps, d'après
un calcul du chef de l'expédition, chaque homme tomba
en moyenne 100 fois par jour, ce qui fait pour toute la
caravane un total de 7000 chutes dans une semaine.
Le 16 juillet, les explorateurs avancèrent de treize kilo-
mètres, le 17, de huit et demi, et le 18, de dix-^ept et demi.
La surface du glacier présentait une pente doucement
inclinée; sur une distance de 48 kilomètres, il ne s'élevait
que de 248 mètres (de 965 à 1313 mètres). Le glacier était,
par suite, d'un parcours plus facile; toutefois, sur les bords de '
petits lacs, la caravane rencontra d'assez grandes difficultés
duesàl'existence d'une couche superficielle'de neige fondante
dans laquelle les traîneaux enfonçaient profondément.
Ces bassins lacustres doivent contenir, même en hiver,
une certaine quantité d'eau, ainsi que semble l'indiquer
l'épaisseur des glaçons échoués sur leurs bords.
70 . EXPÉDITION DU . PRQrE;$SEUR NORDENSKIÔLD
f Le 19 elle 30, les explorateurs avancèrent deirente^uatre
kilomètres, rapidité due à Texcellent état de la neige dnrôe
par la gelée. Dans la nuit du 30 au 24, la pluie lônt
transformer la noige fraîche et la vieille neige de Tannée
précédente en une bouillie épaisse dans laquelle les
traîneaux restaient embourbés. Quatre hommes ne réussis*
saient qu'avec peine h les bâler. L'étape de la journée
ne fut que de sept kilomètres. lie soir, les explorateurs
ne trouvèrent qu'après de longues recherches une plaque
sèche pour camper, et, le lendemain, il durent s'établir
sur une couche de neige fondante au milieu de laquelle les
matelas en caoutchouc formaient une sorte de radeau. La
situatU>n devenait critique. Le 21, dans raprès^midi, un
Lapon parti en reconnaissance, avait trouyé partout, à l'est,
la surface du glacier recouverte d'une épaisse bouillie de
neige impraticable axuc traîneaux. D'autre part, la caravane
ne pouvait abandonner les bagages pour continuer sa
marche. H. Nordenskidld résolut alors d'envoyer en avaiO;
les Lapons. Montés sur leurs longs patins, ils pourraient
avancer très vite et sans difficulté. D'après les ordres écrits
que leur renoit le cbef de l'expédition, leur absence ne
devait pas excéder quatre jours; la caravane les attendrait
toutefois pendant six jours. Passé ce délai, elle se remettnûi
en route pour regagner la côte, en laissant néanmoins sur le
glad^ les approvisionnements nécessaires. Les Lapons
étaient munis d'une montre, d'un anéroïde et de deux betts->
soles. Suivant les instructions de M. Nordenski^, ils
devaient, Um^ les trois. millesS observer la direction suivie 01
noter l'altitude; s'ils attei^aient une région dépouillée de
l^adiers, ils^ avaient prdre* de rapporter des échantillons de
la végétation;
Le point atteint, par la caravane, âaità 121 kilomètres
de la côte et à une altitude de 1492 mètres.
1. Le mille suédois vwt çiivtr9]»,iO(ÛOO. mètres.
' • » Air GROtNLATlD. 71
Le S2 juillet, ters â heures du matin, les Lapons se
nrîrent en route et te restant de la caravane s'établit sous
latente; Le 33, M. Nordenskidld fat témoin d'un phtoo*
mène météoroldgique intéressant, qu'il a eu, du reste,
l'occasion d'obserter plusieurs fois pendant son excursion
sur inlandsis. Le eiel était couvert d'une mince couche de
nuages que les rayons du soleil traversaient sans perdre de
ealoriqae'j Par moment, ces brumes s'abaissaient & la sur-
faee du glacier. Oîi pouvait alors reconnaître qu'elles ne con*
tenaient aucune humidité, Car, dans ce milieu, les vêlements
mouiliés des explorateurs séchaient rapidement. M. Nor-
denskiôld compare ce phénomène à la fbmée du soleil obser-
vée en Scandinavie, ou au brduillard sec décrit par Arago.
Le24, à midi, après uAe absence de cinquante-sept heures,
leJB Lapons rallièrent la caravane. Ils déclaraient s'être
avancés à 330 kilomètres sur le glacier sans avoir aperça
aucune terre. Au point ofi ils avaient rebroussé chemin, le
bftromètre marquait une altitude de 3000 mètres. Le manque
é^u et de combustible pour fkire fondre la neige les avait
forcés de revenir en arrière.
Dans les rapports qu'il a adressés à M. 0. Dickson, M. Nor-
densUôId donne les renseignements suivants sur Ta recon-
nalsMinoe poussée par les Lapons, a A partir de 50 kilomètre^
àTest du dix-huitième campement, ils ne trouvèrent plas
d'eau. Plusloio, la suri^aicedu glacier formait des plaines
10BgoeS)de40fe90 kilomètres, séparées les une des autres, par
des lignes de hawteurs. Le thermomètre marquait— 5^. Lars
disait n'avoir jamais renëontré auparavant terrain plus favo-
rable pour une course sur des patins. Au point oti les
Lapons avaient battu en retraite, la neige était unie et
tassée par le vent. Aucune terre n'était visible; à perte de
vue s'étendait le glacier sans aucun accident de terrain, re-
recouvertd'nn névé à grains très fins. Linlandsis s'élevait
en formant pour ainsi dire un gigantesque escalier dont les
marches étaient très larges et très basses. »
72 EXPÉDITION DU PROFESSEUR NORDENSKIÔLD
Le 25 juillet, la caravane se remit en marche pour rega-
gner la côte. Le retour présenta de moindres difficultés que
Taller, les ruisseaux qui sillonnaient le glacier avaient di-
minué, et, sous Faction de la fonte, les monticules de glace
s'étaient affaissés. Les explorateurs eurent par contre à souf-
frir du froid. Dans la nuit du 27 juillet, le thermomètre
s'abaissa à — 15<^ environ. A différentes reprises, pendant
la retraite, l'on observa des vols d'oiseàux, probablement des
échassiers, qui émigraient vers le sud. Le 31, les montagnes
de la côte furent signalées, et, le 3 août dans l'après-midi,
la caravane atterrit, si l'on peut s'exprimer ainsi, puis gagna
Ëgdesminde, oit la Sofia arriva, le 16 au matin, de retour
de sa croisière dans le détroit de Davis.
D'après M. Nordenskiold, l'existance^de cette mer de
glace dans Tintérieur du Groenland est une conséqueiicede
la forme même dusol. DansTexposé de son projet de voyage,
le célèbre explorateur suédois s'exprimait ainsi : c Les gla*
ciers ne peuvent exister dans l'intérieur de la péninsule^que
si la partie do Groenland élevée au-dessus de la mer a la forme
d'un dôme Rabaissant par des pentes. douces et régulières
vers la mer^ » Or, précisément^ dans la région comprise
entre le 68* et le 69® de latitude N., explorée par l'expédi-
tion suédoise, le relief du soi présente cette forme, condi-
tion nécessaire à l'existence de l'Inlandsis. La question reste
donc entière ^ l'hypothèse émise par M. Nordenskiold peut
se trouver réalisée dans d'autres régions de la péninsule
dont les formes orographiques seraient différentes.
IV
Au nombre des travaux que l'expédition suédoise devait
entreprendre au Groenland figurait Texploration des im-
portants gisements de plantes fossiles de l'île Disco (70« de
1. A. £. Nordenskiold. Den blifvande expeditiotientillGrônland. Ymer
1883» n* 2. p. 105.
AU GROENLAND. 73
latitude N.). Cette île marque la limite méridionale de la
grande formation basaltique du Groenland septentrional,
dont la date d'émission est nettement indiquée par les
rapports, stratigraphiques des terrains. Près de Gpdhavn,
ces basaltes reposent sur des gneiss, et <i»ns la partie nord*
est de nie, sur des couches de sable et d*argile crétacés. A
Test de Godhavn^ à Puilasok, des lits de sable et d'argile
contenant des fossiles tertiaires, sont intercalés dans les ba-
saltes dont ils indiquent ainsi la date d'émission. Toutes c^s,
formations sont très fossilifères. Elles contiennent surtout
des empreintes de plantes ; les couches tertiaires renferment,
en outre, des débris de quelques insectes et mollusques
terrestres; mais ce n'est que dans les couches senonienoes
de Patoot qu'on a trouvé des mollusques marins, des our-
sins, etc. £n 1870, M. Nordenskiôld avait rapporté de ees.
localités une très belle série de plantes fossiles; depuis,
M. Steenstrup, géologue danois qui a passé deux ans dans
ces parages, a étudié avec grand soin ces gisements
et ses collections ont permis au regretté Oswald Heer
d'ajouter une page à sa Flora arctica fossilis. M.Nordens-
kiôld.pensait, avec juste raison, qu'une nouvelle exploration
de cea couches fournirait des matériaux encore plus com-*
plets pour Fétude de la flore fossile de ces étages. Conduite
par le docteur Nathorst, jeune paléontologiste suédois,
dont la réputation est aujourd'hui européenne, cette étude
adonnéd'excellents résultats. Les collectionsfaites sur la côte
nord-est de Tile Disco sont particulièrement im|iortantes.
De nombreuses espèces nouvelles ou qui n'avaient pas encore
été découvertes dans ces gisements ont été recueillies.
Citons notamment une feuille entière, longue de 30 centi-
mètres, d'Aralia Ravmana Hr. Algdlok.unguak, les plantes
fossiles crétacées se trouvent non seulement dans . des
schistes mais, encore dans des sphérosidérltes ressemblant à
s'y méprendre à celles d'âge tertiaire. . Sur ce même point
et à Unartoarsuk, M. Nathorst trouva des lits importants de
14 EXPÉDITION DU FROf%88BUR NORDENSKIÔLD
racines^ preuve iqne ded plantes palustres vivaient dan» ees
localités et que ces couches fossilifères se sont dépotées
dans des eaux douces, comme du reste Oswald Heer l'avait
indîcpié.
Les géologues suédms ont étudié aussi, dans la pre^
qu'ile Noursoak, les célèbres formations teitlaires d'Ata-
nekerdluk, qu^n profond ravin permet d'examiner fad-
lement. En 1870, M. Nordensklôld avait signalé à Atane,
localité située à quelque distance à Touest, des couc&es
oénomanîennes qui, jusque là, n'avaient pas été signalées au
Ghroênland» Oes couches se continuaient jusqu'à la base da
ravin d'Atdnekerdluk. Il restait à déterminer dans cette
coupure, Tftge des terrains couiprisentrele cénomanienet
les sphéirosidérites tertiaires des escarpements supérieurs.
M.Steenstrup ayant découvert à Patoot unefloresénonienne,
i4 était permis de supposer que cette formation devait se
rencontrer à mi-côte dans le ravin d'Atanekerdluk. Tout au
contraire, M. Nathorst n'a trouvé dans cette localité, a»
dessous des! Cx>uche8 miocènes que des formations cénoma-
niepines renfermant^du reste de nombreuses plantes fossiles
nouvelles!. L'examen de ces collections paléontologiques est
aujourd'hui à peine commencé» M, Nathorst cite, parmi les
échantillons qu'il a recueillis dans cette localité, des feuilles
d'une espèce de jffnftgro,appartenant à un type qui jusqu'iei
n'avaltétè signalé que dans les terrains jurassiques, une fou-
gèreà larges feuilles du genre A'^AorsIta, des magnolias,
des oinnamômutt, des lirioéendron, des ptérospermites,
des platanes, ete: *
Sauf pendant quelques jours, cette exploration a été favo*
risée par un temps ms^ifique. La température ét'diit même
relativement élevée, et, si des iceberg n'avaient dérivé dans
te Waigatt, les géolo^s suédois auraient pu 4W croire, non
au Groenland par le 70> de latitude N., mais en Suède où fré-
quemment Tété n'est pas aussi beau. Par ces temps chauds,
M. Nathorst et son compagnon éprouvèrent de vives
▲U «BOiflI.iKD. 75
souffrances causées par les piqûres d'essaims innombrables
de moustiques.
M. Kathorst domie^ dans sa relation de voyage, d'intéres^
sants renseignements sur les chiens eskimos. Gomaie les
poneys d'Islande, ces animaux sont nourris en hiver de
poi$s0n sec (angmakseUerfmllQtuê mllosu» MuU). D'après
WningeL^ Les indigènes des côtes septentrioDales de la Sibérie
donneraient également à leurs chiens dUpoisson see en hiver.
A l'époque où les voyageurs suédois exploraient le Waigat,
\t» nudlotU9 venaient frayer sur la côte et s'avançaient en
niasse jusqu'au rivage, où les indigènes les prenaient avec
dssécuelles. Les chiens même, se mettaient» de la partie, se
jetaient à l'eau et attrapaient les poissons à leur portée^
•Au celûur de son excursion au cap York, le ly Nathorst
a .étudié les formations scsioniennes de Patoot. Outre
des emipreintes de plantes, il y a reeueilli des Oursins, des
Moules, etc. Une partie de ces couches se seraient donc
déposées en mer, d'autres^ au contraire, dans des eaux
douces. Cette localité est ifitéressante à un autre point de
vue. Une imporlante combustion a eu lieu sur un vaste pé-
rimètre autour de Patoot. La roche, — un schiste primi-
tivement bitumineux, — e6t jusqu'à 450 mètres environ, en*
tièrement carbonisée comme la. cendre du charbon impur.
Sa ecdoratîon est très variée : généralement elle est rouge
brique, ailleurs, elle est jaune clair, blanche ou marron.
Çà et là on trouve de gros morceaux de sooriês^tantôt vé-
siculaires comme celles d'iun.baut fourneau, tantôt com*
posées de schistes agglutinés. Cette roche calcinée con-
tient de nombreuses empreintes de plantes fossiles, le
feu ayant rendu résistants -ces schi^es qui auparavant se
délitaient facilement. Cette carbonisation du sol n'a été
que superficielle, car lescoucfaes profcMides, mises à découvert
dans des ravins, ontconsetvé leur couleur foncée primitive.
Il est diffieile de rcconnaîlrela cause, de cette combustion.
ËUe ne s'est pas produite lors de la venue des basaltes, car,
76 EXPÉDITION DU PROFESSEUR NORDENSKIÔLD
dans un endroit où les schistes sont traversés par un filon
de basalte, ces roches volcaniques portent elles-mènies la
trace de feu. La calcination est donc postérieure à l'émis-
sion des basaltes. Si le Waigat existait avant la période
glaciaire, cette calcination a peut-être été déterminée par
rincendie de quelque grande forêt qui couvrait cette région
avant l'époqpe glaciaire. Le feu se se^a alors communiqué
aux couches carbonifères et aux schistes bitumineux.de la
surface , .
M. Nathorst a visité encore, dans ces parages^ File du
Lièvre (Haro), à Touest du Waigat. Cette île est constituée
par des nappes de basalte entre lesquelles sont intercalées,
dans la région nord^st, des couches de charbon, d'argile et
de sphérosidérite tertiaires, très riches en empreintes de
plantes. Les couches de charbon, qui ressemblent beaucoup
aux lignites, contiennent une résine fossile analogue à
Tambre. L'existence d'empreintes de plantes dans des tufs
volcaniques, indique que ces gisements fossilifères se sont
formés pendant la venue des basaltes.
Gomme nous l'avons raconté précédemment, une partie de
l'équipage de h Sofia avait accompagné pendant deux jours
la caravane qui partait pour explorer Tlnlandsis. Le 7 août,
tout le mondé ayant rallié le bord,Ie capitaine ordonna d'appa-
reiller pour aller rejoindre MM. Nathorst et Hamberg sur les
bords du Waigat. Entre temps, une masse considérable de
glace s'était détachée du glacier qui débouche dansTAulaîtsi-
vikfjord, et s'était agglutinée en une masse compacte, barrant
complètement la passe. La Sofia dut, par suite, rester au
mouillage. Retenue par cette digue artificielle, l'eau s'éleva
de plus de 3 mètres au fond du fjord. Dans la nuit du 10
au il juillet le vêlage du glacier continua, et le fjord se
couvrit de glaces à perte de vue. Le 12, le capitaine ayant
AU GROENLAND. «77
aperçu quelques, ouvertures et un mouvement marqué dans
la banquise, résolut d'essayer de gagner la mer. La tentative
réussit sans autre dommage pour le navire que la perte de
l'extrémité d'une branche de l'hélice. Dans la nuit du
15 au 16, la Sofia arriva dans le Waigat. Après avoir rallié le
D' Nathorst et son compagnon, puis embarqué 1 50 tonnes
decharbon au gisement de Ritenbeck, sur la côte nord-est de
l'île Disco, l'expédition fit route au nord pour atteindre le
cap Yorkoti les naturalistes devaient étudier les blocé de fer
natif signalés par Ross. Le 14, à cinq heures du matin, la 5o/!a
rencontra les premières glaces, c'était de la vieille glace de
haie^. Le champ n'était toutefois pas assez compact pour
arrêter la marche, et, pendant toute la journée, le navire
avança au milieu des drîfis, obligé seulement à cause du
brouillard de stopper de temps en temps. La faune était
pauvre dans ces parages : quelques phoques et mouettes
furent seuls signalés. Une observation faite à minuit indiquait
comme position 75*'20' de lat. environ.
Pendant deux jours l'expédition manœuvra péniblement
au milieu des glaces pour avancer vers le nord. Le 26 enfin,
elle put faire route dans la direction désirée. L'après-midi,
de nombreuses bandes de guillemots nains (Jlf^r^i^It^^alJ^yL.)
indiquèrent l'approche d'une terre, et, à cinq heures. Ton
aperçut une côte escarpée dont les rochers, recouverts d'une
couche de Xanthoria elegans, avaient une belle couleur jau-
nâtre. C'était le Conîcal Rock. Pour atteindre le cap York,
l'expédition n'avait plus qu'à se diriger vers l'est, mais de ce
côté s'étendait une banquise compacte qui paraissait adhé-
rente au rivage. Au nord-est du Gonical Rock la côte s'inflé-
chissait pour former une baie libre à ce moment; le D"" Na-
thorst ordonna d'y mouiller.
Les membres de l'expédition ayant aperçu des indigènes
débarquèrent immédiatement pour entrer en rapport avec
1. Les fangiimôn désignent sous ce nom la glace qai se forme dans U
baies de la côte.
78 EXPÉDITION DU PROFESSEUR NO RDENSKIÔLD
eux. Un Tieilkrd, vôtu d'une peau d'ours» alla à leur ren-
contre et, pour leur souhaiter la bienvenue, se mit à rire à
goi^e déployée. Hans Henrtk, interprète de Texpédition,
répondit de même à cette politesse. Les indigènes avaient
une mine épanouie et ^leur physionomie ne portait aucune
marque de souffrance. Une épaisse chevelure flottait sur
leurs épaules, et le menton de quelques-uns était orné d'une
longue barbe, peu fournie, il est vrai. Les vêtements de ces
Ëskimos, faits de peau d'ours, de chiens ou d^oiseaux,
ressemblaient à ceux des ind^nes du Groenland méri-
dional. Les enfants [étaient généralement vêtus de peaux
de renards. Les femmes se présentèrent aux membreis
de l'expédition la bouche barbouillée du sang][des guillemots
qu'elles venaient de manger tout crus. Ces palmipèdes
pondent par milliers dans les éboulis du voisinage, et les
Eskimos les capturent avec un filet suspendu à une perche,
lorsqu'ils volent au-dessus de leur tête. D'un coup de main
fort adroit, ils tuent ces oiseaux, puis, après les avoir dé-
pouillés à la partie inférieure du corps, se mettent à les
manger. Les tentes de campement, faites de peaux de phoque,
étaient basses et de petites dimensions. Ces Eskimos
n'avaient aucun Kajak ni aucune autre embarcation. Quel-
ques harpons en os, des filets pour prendre les oiseaux, un
couteau, tels étaient leurs seuls engins de chasse et dépêche.
Avec ces armes ils réussissent pourtant à tuer des morses,
des phoques et même des ours. Ne possédant pas d'arc ils
ne peuvent que difficilement abattre des rennes. Ces Eskimos
s'établissent l'été sur les bords du Qord dans lequel l'expé-
dition était mouillée, appelé par eux Ivsugigsok, et passent
l'hiver dans une île du détroit de Wolstenholme où ils
capturent des morses.
Le 27, deux Eskimos qui étaient allés reconnaître l'état
des glaces autour du cap York, annoncèrent que la banquise
était toujours fixe au rivage. Lès naturalistes de l'expé-
dition profitèrent de cette relâche forcée pour faire des col-
AU GROfilfIfAND. 79
leciions d'histoire natareUe. Le D'' T^atborslty en gravissant
une colline haate de 350 à 450 mètres, située entre les denz
glaciers qui déboucheat au fodd du fjord, reoaeiUit des
exemplaires de 58 plantes, notamment de Plauropogou
Sabineiy dont la préseoce n'avait point encore été signalée
au Groenland ; une variété nouvelle de Luzula spicaitty et
Y Air a brevifolia R. Br. inconnue jusqu'ioi sur la côte
occidentale. Dans la matinée, un banc de glaces vint barirer
l'entrée du Qord ; plus tard la glace commença à dériver vers
la partie supérieure du mouillage, et, le 28, au matin, le Qord
était presque entièrement rempli de drifis; le long de la rive
nord s*o^vrait seulement un chenal très étroit. Bientôt la
Sofia fut complètement entourée et si des pressions s'étaient
fait sentir, une catastrophe aurait pu se produire.
D'après les indigènes, les blocs de fer natif que l'expédi-
tion avait mission d'étudier se trouvaient sur les bords dW
fjord, à une dizaine de milles de la côte. Les explorateurs
suédois auraient pu facilement atteindre ce gisement sur des
traîneaux tirés par des chiens, comme l'avait fait un Eskimo
arrivé la veille du cap York. Mais la situation du navire
était trop critique pour que cette excursion pût être exé-
cutée; en second lieu elle aurait exigé un temps assez long;
par suite, la Sofia ne serait pas revenue à Egedesminde à
l'époque fixée par M. Nordenskiôld. Si un accident était ar-
rivé à la caravane qui explorait l'Inlandsis, ce retard pouvait
avoir les plus fâcheuses conséquences. Cette pensée déter-
mina M. Nathorstà profiter de la première occasion favorable
pour battre en retraite.
Dans la matinée du 29, la banquise s'étant disloquée, la
Sofia sortit du fjord. Toute la mer de Baffin était cou*
verte de glaces compactes, comparables à celles que l'ex-
pédition devait rencontrer plus tard sur la côte orientale^
Le 1"^ août seulement, le navire put gagner des eaux libres
et le même jour, à huit heures du soir, il mouilla dans le
port d'Upernivik. Il se rendit ensuite à Ritenbeck où il arriva
80 EXPÉDITION DU PROFESSEUR NORDENSKIÔLD
le 5 au matin. L'expédition resta dans le Waigat jusqu'au
i3 pour embarquer du charbon et permettre au D'' Nathorst
d'étudier les gisements dePatoot et l'île du Lièvre (voir plus
haut). Entre temps elle exécuta une excursion hydrogra-
phique dans la mer de Bafûn, mais une tempête l'obligea à
rentrer promptement dans le Skergârd. Finalement, le
16, la So/!a arriva à Egedesminde où l'attendaient M. Nor-
denskiôld et ses compagnons.
VI
Il restait à l'expédition suédoise à exécuter la dernière
partie de son programme, à atteindre la côte orientale du
Groenland au-dessous du cercle polaire.
Le 16 août, dans l'après-midi, la Sofia quitta Egedes-
minde pour se rendre à Ivigtut. Les environs de cetie sta-
tion fournirent d'intéressants sujets d'études aux natu-
ralistes de l'expédition, notamment au botaniste. Près
d'Ivigtut s'ouvre une vallée ornée d'une végétation très
belle pour le Groenland, et qui, pour ce motif, a reçu le
nom caractéristique de Grondai (vallée verte). Le D' Na-
thorst y découvrit des exemplaires de la Linnea borealis,
inconnue jusqu'ici au Groenland. Autour des maisons de la
colonie, il reconnut, en outre, la présence de graminées qui,
apportées d'Europe avec des plantes industrielles, s'étaient
développées sur ce terrain. Une roche syénitique trouvée
dans cette localité contenait un minéral bleu qui parut être
de la sodalithe. Le même minéral se rencontre dans le
voisinage du gisement de kryolithe de la [montagne Ilmen
(Oural), gisement peu important, du reste. Une certaine
relation semble donc exister dans la venue de ces deux mi-
néraux très riches en soudé et le géologue doit recher-
cher la kryolithe dans les environs des gisements de soda-
lithe. Aux environs d'Ivigtut Ton rencontre de nombreuses
espèces minérales intéressantes, la plupart spéciales à ces
AU GROENLAND. Sf
parages. Cette station peut, par saite, être considérée comme
une localité classique pour le minéralogiste.
Dlvigtut l'expédition fit route vers Julianehaab et le fjord
d'Igaliko. Sur les bords de ce fjord au milieu de prairies assez
verdoyantes, découpées par des murettes en pierre qui jadis
limitaient les propriétés, se trouvent des ruines, qui, d'après
certains archéologues danois, seraient les vestiges dngârd*^
d'Eric le Rougd. Ces ruines sont beaucoup moins impor*
tantes que ne le font croires les inscriptions. Les murs du
prétendu gârd d'Eric le Rouge ne sont pas aussi élevés que
les soubassements en pierre d'une pauvre cabane, mais les
Mocs employés dans ces constructions ont des dimensions
' véritablement étonnantes. On ne peut comprendre com-
ment de pareilles masses ont pu être amenées là et appa-
reillées sans l'aide de leviers et de pouliest
Aux environs de Julianehaab, la végétation est relative-
ment développée. Sur les bords du Tasermiut fjord, sur-
Donâmé l'Italie du Groenland, croisssent des bouleaux dont
la tige atteint une hauteur de quatre à cinq mètres et une
épaisseur de trente centimètres. Les prajries sont assez
fournies et les Eskimos de ce district s'occupent de l'éle-
vage dtt bétail et de la culture de quelques Légumes, pom-
mes de terre et navets. Le sol est toutefois ou trop gras ou
mal fumé, car les pommes de terre récoltées sont molles et
aqueuses.
•Dans cette région, les mollusques terrestres ne sont repré-
sentés que par trois genres (des Physa^ des Vitrina et des
Belix) ; encore les individus sont-ils rares. Les zoologues
recueillirent en outre quelques coléoptères et papillons,
ainsi que des insectes appartenant à d'autres ordres. Le
climat de la Norvège septentrionale est aussi rigoureux que
celui du Groenland méridional ; là pourtant, les mollusques
terrestres et les coléoptères sont beaucoup plus nombreux,
:1. Maison.
soc. DE GÉOGR. — 1*' TRIMESTRE 1885. VI. — 6
82 EXPÉDITION DU PEOFE99EUR NORDENSKIÔLD
en tant qu'e6pèce9 etindmdus. Peut-être faut-il conclure de
ce fait que le manteau de glace qui a recouvert ces pays a
disparu plus récemment du Groenland méridionaL Dans
. tous les, cas, c^te observation permet dq se faire une idée
de la longue période nécessaire pour qu'une espèce appar-
tenant, aux genres les plus sédentaires ait le temps de se
développer sur de nouvelles terres^
En netournant la nuit à Julianehaab, l'expédition , sué-
doise fut témoin d'un phénomène très curieux. Le temps
était beaUy la mer calme^ soudain, une large bande lumi-
neuse parut à la surface du Qord, en arrière du navire. Cette
lueur d'une couleur jaun&tre' ressemblait à celle qu'émet-
tent des matières phosphorescentes. La Sofia marchait, à ce
moment, avec nne vitesse de 4 à & nmuds; néanmoins, la
bande lumineuse.se rapprochait de plus en plus du vapeur,
bientôt elle l'atteignit, puis le dépassa et disparut en con-
tinuant ?a marche sans que M. Nordenskidld ait eu le
temps.de l'examiner au spectroscope. Un moment le navire
sembla navigner sur une mer de feu ou de métal f(mdu.
Cette lueur ne provenait ni de noctiluques, ni d'une phospho-
rescence produite par quelque banc de poissons. La lueur
émise par les zoophytes a une couleur bleuâtre, très diifé-
rente de la couleur jaunâtre de cette bande brillante, comme
on pouvait en juger par quelques noctiluques visibles à ce
moment même dans le sillage du navire. D'autre part, la pré-,
sence de poissons se serait révélée par un mouvement dans
l'eau, or, pendant toute la durée de l'apparition, la mer était
absolument unie; d'ailleurs les lueurs phosphorescentes,
émises par les poissons sont bleuâtres et non jaunâtres.
Les Ëskimos qui étaient à bord donnèrent une explication
assezpl aisantede ce phénomène. Us racontèrent qu' une rivière
issue d'un glacier débouchant dans le voisinage, recouvrait
la surface du fjord d'une mince couche d'eau d'une faible
salure et tenant de l'argile en suspension; à leur avis ce
fait serait en connexion avec le phénomène observé. Au
AU GROENLAND, . fi?
moment oti la bande lumineuse fut remarquée,- aucune
frange d'aurore boréale n'était visible. M^ NordenskiOld ai*-
elare ne pouvoir indiquer aucune cause à ce beau phéno-
mène qui dura environ dix à quinze minutes. Un des héroç^
légendaires de l'histoire du <jrroênland, Lig-Lodin^ raconta
au roi Harald Sigurdsftn qu'il avait navigué, un jour, sur
une mer de feu. Peut-être la lueur observée par l'expédi-
tion suédoise' est elle de la nature dé celle que vjit> il y a
quelques siècles, le célèbre Vikîng.
Après avoir embarqué à Frederiksdal, comme interprète,
le pasteur Brodbeck qui, en 1^81, avait fait une intéressante
exploration sur la Côte orientale, la Sofia fil route vers la
c6te orientale pour essayer d'atterrir au dessous du parallèle
de l'Islande^ Cette partie du programme de l'expédition était
regardée comme inexcutable par tous les explorateurs pp-^
laires. M. Norden^kiôld ne cite pas moins de dix»huitexpé-
ditioiis qui, depuis 1579, ont vainement essayé d'atteindre
la c6te orientale du Groenland au-dessous du cercle Polaire.
C'est probablement en essayant de franchir la banquise qui
ferme cette partie de la côte qu'en 1832 le brick la Lilloise^
comj:nandé par le lieutenant de Blosseville, se perdit corps
etj)ien. En 1860^ le plus expérimenté des « artic officers »,
Mac Glintock, échoua dans une tentative de ce genre* Plus
récemment, en 1879, le capitaine Mourier de la marine
royale danoise, commandant )a goélette à ya.peur,V Ingolf
«•avança jusqu'en vue de terre, pendant une campagne hy-r
drogrâphique dans le détroit de Danemark; d'impénétrables
masses de glaees l'empêchèrent de débarquer. Dans son
rapport, cet officier déclare même que toute tentative faite
de la pleine mer pour percer la barrière de glace qui
bloque la côte du Groenland au-dessous du cercle polaire,
ne présente aucune chance de succès.
M. Nordenskiôld ne partageait pas cette opinion. A son
avis, les insuccès des expéditions précédentes devaient étrç
attribuées soit à des circonstances défavorables, soit, dans la
84 EXPÉDITION D0 PROFESSEUR NOROENSKIÔLD
plupart des cas, à l'emploi de navires à voile; un chenal
libre devait, croyaitril, exister le long de la côte, chenal vrai-
semblablement trop pen profond pour qne de grands is-
. bergs et de gros glaçons pussent s'y rencontrer C'est
cette route qu'il se proposait de suivre. Pour entrer dans ce
chenal, H. Nordenskiôld pensait suivre le Ramiagdluksund
et llkeksund, détroits qui, au nord du cap Farvel, séparent
du. continent grofinlandais quelques grandes îles*
Le 30 août, favorisée par un temps magnifique, la Sofia
commença sa navigation au milieu du skœrgard et avança
sans difficulté jusqu'à Kungmiut, point oh l'Ikeksund et
llkerasaksund, se coupent à angle droit. Vers le milieu de
l'Ikerasaksund, la glace devint très épaisse; c'était de lu glace
de mer compacte, au milieu de laquelle dérivaient quel-
ques isbergs. Le navire dut alors s'arrêter, puis revenir en
arrière, aucun mouillage où il aurait pu attendre un chan-
gement dans l'état des glaces ne se trouvant aux environs.
Ce détroit est bordé de hautes montagnes aux formes alpines
et les fonds sont trop profonds pour permettre d'ancrer. Le
navire alla alors se réfugier sur la rive nord de l'ikerasak ;
là il fut de nouveau menacé par les glaces, et, à différentes
reprises, par une nuit obscure, la Sofia dut changer ile
mouillage.
Le lendemain, l'expédition fit route au sud par l'ikerasak-
sund. Des masses impénétrables de glace la forcèrent bien-
tôt à rebrousser chemin. Une nouvelle tentative pour tra-
verser rikeksund ne réussit pas mieux, les glaces y étaient
encore plus compactes que la veille. La Sofia battit alors en
retraite et sortit de l'archipel par le Pamiagdluksund, pour
essayer de pénétrer dans le chenal libre en longeant la côte.
Là encore l'expédition éprouva un échec. Les glaces s'éten-
daient jusqu'au rivage aux approches du cap Farvel où les
fonds tombent à pic près de terre. M. Nordenskiôld aban-
donna alors son projet d'atteindre la côte orientale en sui-
vant le <;henal qu'il supposait exister le long de terre. La
AU GROENLAND. 85:
Sofia coutourna d'abord la banquise qui est accumulée,
durant la plus grande partie de l'année^ autour du cap
Farvely puis suivit VIskant dans la direction du nord aussi
près que possible de terre» pour reconnaître si quelque
ouverture ne se trouverait pas dans la banquise.
Là faune est pauvre dans cette région. Durant les deux
jours que la Sofia avait navigué dans le Skergârd autour
du cap Farvel, on avait vu seulement un cétacé, quelques
phoques et un petit nombre d'oiseaux» L'existence de
grands fonds près de la côte explique ce fait, les phoques et
les oiseaux ne pouvant aller chercher leur nourriture dans
des eaux si profondes. L'été, les guillemets (guillemots de
Briinnichet guillemots grylle) doivent pourtant s'établir
en grand nombre sur les récifs qui environnent le cap Far->
vel. D'après un pilote eskimo embarqué à bord de la Sofia,
les vieillards racontent que jadis YAlca impannis vivait dans
ces parages.
Dans la matinée du 1*' septembre, par 6V 19'^ la mer
paraissait libre dans la direction de terre. Du haut du mât
la vigie ne signalait aucune glace. La banquise côtière sem-
blait donc présenter ici une solution de continuité. Immé-
diatement M. Nordenskiôld ordonna d'approcher de terre,
mais, là encore, la côte était garnie d'une ceinture de
glace, large d'environ 6 milles. Cette région, inhabitée,
aurait présenté peu d'intérêt aux explorateurs; le chef
de l'expédition renonça alors à forcer la banquise , et fit
piettre le cap au nord, pour essayer d'atteindre, vers le
63* de lat. N. les grands fjords d'Umanak et d'Ekalumiut où
se trouveraient de nombreuses ruines d'habitations Scandi-
naves, d'après les renseignements donnés par un Eskimo,
Dans ces parages, un courant froid, animé d'une grande
vitesse mais n'ayant qu'une faible largeur, longe la côte
orientale; à 40 ou 50 milles de terre, au contraire, l'on
constate l'existence d'un courant venant du sud dont la
température atteint -f- 6°*
86 EXPÉDITION DU t^BOFESSEUR NORDENSKIÔLD
Âtt delà du 62^ de lat. Ni, la Sofia fit une nouvelle ten-
tative pour atteindre ia côte, mais sans plus de saccës. I^
banquise se coiciposaii prineipaleinent de petits glaçons,
débriS' de blocs^de grandes dimensions, fondus, en partie
sous rinflttenee des eaux chaudes du Gnlfstream et de la
température de Tété. Plus avant le champ était formé de
flaques étendues , découpées par dés canaux étroits et au
milieu s'élevaient quelques tsfr^r^^. A cette époque, comme
du reste lors de sa première tentative en juillet, Texpédi*
lion r^contra ces montagnes de glace en beaucoup moins
grand nombre sur la côte orientale que dans le détroit de
Davis.
Cette partie de la'^ôte est bordée, comine aux environs
du cap jParvel, par de hautes montagnes généralement dé-
pouillées de neiges, dont les formes élancées rappellent
celles des Alpes. Entre ces pics s'ouvrent des: vallées, soiv*
vent remplies de névés qui, toutefois, ne papaissent pas
former de véritables glaciers. Sur aucun point: de \b, côte
orientale les explorateurs suédois n'aperçurent l'Inlandsis.
Le temps qui jusque-là avait été beau changea et une
abondante chute de neige masqua toute vue. Le '^cklos'étant
éclairci dans la soirée du 3 septembre, rexpédition reeonnot
qu'elle avait dépassé les fjords d'Umanak. et d'Ëkalamiut.
M. Nordenskiôld décida alors d^essayer de débarquer au sud
do cap Dan. Le lendemain-, ce promontoire éVaài en vue et
dans cette direction ia meif semblait complètement libre.
A 20 milles de terre, la Sofia rencontra uii>e banquise,
comme lors des tentatives précédentes; cette fois, le chef
de l'expédition 'résolut de la forcer. Après avoir traversé un
premier banc de glaces épais, le navire atteignit des eaux
assez libres; la banquise n'était formée que de flaques
longues de 10 à 12 mètres s'élevant seulement de quelques
pieds au-dessus de la surface de la mer* Au delà s'étendait
un second rempart de glaces compactes derrière lequel se
trouvait le long de la côte un chenal large de 3 à 4 milles.
AU OROËNLANS. 83
■ A une heure et demie de l'uprës-midi, la Sofia réussit à
entrer dans une petite baie située pir 65o 30' d« Lat. N. Pour
la première fois, depuis des siècles, un Davire avait réussi
à aborder la cfrte orientale du Grofinland an-dessous dn
cercle polaire. Cette baie ne présentaot aucun mbuillage
slir, l'expédition n'y Ût qu'une relftcbe de quelques heures
pour permettre aux naturalistes d'étudier les envisons. Du
sommet d'une montagne, l'un des explorateurs aperçut au
nord un fjord libre, qui pénétrait à une ceiiaine distance
dans l'intérieur des terces^ et où, «élan toute apparence,
derait se trouver un excellent mouillage. D^ que les sa-
vants furent rentrés à bord, la Sofia alla anci:er dans un
havre de ce Qord, bien abrité des vents et de la glace, havre
qui reQut le nom de Port du roi Oscar en l'honneur du sou-
verain de la Suède. Si l'on identifie le cap Dan avec l'ancien
Herjolfsnœs (cap d'Herjolf), le Port du roi Oscar corres-
poodrail peut-Qtre au Port Saad, situé près d'Herjolfsnœs,
$8 EXPÉDITION DU PROFESSEUR NORDENSKIÔLD
«mouillage fréquenté parles Normands et les marchands ».
ties anciens Scandinaves ont certainement visité ces pa-
rages; sur les montagaesà l'entrée du ijord se trouvaient
deux, cairns qui probablement servaient jadis de balises pour
reconnaître l'entrée de la passe. Les raines d'une petite cons-
truction, analogues à celles de la côte occidentale, étaient en
outre reconnaissables aux environs du mouillage de la Sofia.
La présence sur les bords du fjord de la Potentilla anserina^
celte plante domestique en Scandinavie qui, jusqu'ici, n'a
guère été signalée au Groenland que près des ruines d'habita-
tions Scandinaves, semble prouver également que les Nor-
mands se sont établis dans ces parages. Les environs du Port du
roi Oscar sont très pittoresques. De hautes montagnes con--
stituées par du gneiss granltoïde et de la diorite, forment
des massifs séparés par des vallées couvertes de belles
pelouses. Aucun arbre n'orne le paysage ; seul, le bouleau
nain, rabougri comme au Spitzberg, croit sur quelques
points. La végétation paraît plus développée et le gazon
mieux fourni que sur les bords des fjord de la côte occi-
dentale situés à la même latitude.
Sur plusieurs points on voyait des ruines bien conservées
de huttes d'Eskimos, construites en pierres et en tourbe,
des tombeaux, des murettes de pierres dessinant de véri-
tables labyrinthes, destinés probablement aux jeux de la
population, des pièges à renards qui semblaient avoir servi
récemment, etc. Ces engins étaient fabriqués fort adroite-
ment avec des esquilles de pierres et de cailloux roulés,
sans le moindre morceau d'os ou de bois. Dans un tombeau
d'enfant^ formé par un simple cairn^ des fouilles mirent à
jour une série d'engins de chasse et de pèche en miniature^
très finement travaillés.
- La faune terrestre était pauvre. On ne vit ni bœufs musqué,
ni ours, ni morse; quelques phoques seuls se montrèrent. En
fait de gibier les chasseurs ne rapportèrent que deux lago*
pèdes ; dans leurs courses ils trouvèrent des pistes de rennes.
< AU GROENLAND. 89'
Sur les rives d'un torrent, formées de sables, des traces
d'Eskimos étaient nettement visibles. Les unes dataient
de plusieurs jours, les autres semblaient très récentes.
Ne pouvant entrer en relations avec Jes indigènes,. M. Nor-
denskiôld quitta, le 5 septembre, à 1 heure de Taprès-midi,
le Port du roi Oscar, pour essayer d'atteindre un grand fjord
au nord du cap Dan où habiterait une nombreuse popula-
tion, d'après les renseignements recueillis par le lieutenant
Holm et le pasteur Brodbeck auprès des Ëskimos de la
côte orientale.
Pendant que l'expédition avait mouillé dans le Port du
Roi Oscar, la banquise était devenue moins compacte, croyait*-
on; néanmoins, pour regagner la pleine mer, la Sofia
dut se frayer un passage à travers les glaces au prix d'assez
grandes difficultés. Dans l'après-midi, elle étaitenfin arrivée
dans le voisinage de l'eau libre. La position devint alors
critique. Les drifis formant une masse compacte étaient
violemment agités par une forte houle. Le navire était ainsi
environné par autant de récifs mobiles, suivant l'expression
du docteur Nathorst. La Sofia s'élance à l'assaut, son avant
monte sur une flaque de glace. Le navire s'arrête, puis, re-
tombe à flot; on fait machine en arrière et la vapeur marche
de nouveau pour briser la glace. Tout l'équipage est sur le
pont, repoussant avec des gaffés les glaçons pour dégager
l'hélice. La Sofia avance toujours. Un banc de glace qui
s'étend entre deux gros blocs la sépare encore de Veau
libre. Les glaçons agités parle roulis se soulèvent en même
temps, le navire est pressé, la machine s'arrête du coup
Un instant après, \2l Sofia redevient libre et gagne sans ava-
rie la mer. Si la pression des glaces avait été plus forte, le
vapeur aurait été aplati comme la Hansa.
Une fois hors de la banquise, il fallut doubler un banc
de glace qui faisait saillie au sud du cap Dan. Bientôt la
nuit arriva et par mesure de prudence, la vitesse du vapeur
fut ralentde. Le lendemaia matin l'expédition se trouvait,
90 EXPÉDITION DU PROFESSEUR NORDENSKIÔLD
seulement par 66^ degré de lat. N. Dans ces parages furent
rencontrés plusieurs Ubergs chargés de grosses pierres,
observation intéressante pour l'étude des formations qua-
ternaires..
Par suite des détours auxcpiels les glaces avaient obligé,
la provision de charbon était fortement entamée; les sontes
De contenaient plus que pour trois jours de combustible.
Dans ces conditioas, le chef de l'expédition résolut de faire
une tentative pour atteindre la côte au sud de riugolfsfjelly
où un fjord pénètre profondément dans l'intérieur des
terres. Peut-être la nombreuse colonie d'Eskimos signalée
par le lieutenant Hdm étaèt-^elle établie sur les bords de
cette baie. La Sofia avança facilement jusqu'à 10 milles de
terre, à cette distance, elle trouva une< banquise qui parsâs-
sait s'étendre jusqu'à la côte. Les glaees ne semblaient pas
assez résistantes, pour arrêtée le navire mais elles étaient
agitées* par une forte Jioule ; toute tentative pour franchir le
paok aurait exposé le ^bâtim^t aux plus sérieux dangers.
H. Nordenskiâld renonçant alors à ses projets, ordonna de
battre en retraite pour regagner l'Islande^ Le 9 septembre,
la Sofia arriva à Rejkiavik et le 27 à (jo^embourg.
Les résultats de cette nouvelle expédition de M. Nordensi*
kiôld sont considérables. Pour la première fois des explo-r
rateurs ont pu pénétreir aussi avant dans l'intérim du
Groenland et recuelUir de$ observations de la plus haute
importance pour la géologie .de l'époque glaciaire* Pour
la première fois, aussi> un navire a pu aborder sur la
côte orientale du Gro^land au dessous du jeercle po-*
laire. L'expédition a pu se rendre compte de la nature
et de la position des glaces le long de cette côte, et faire des
observations hydrographiques dans une partie de l'Océan
encore inconnue. Jusqu'ici toutes les cartes indiquaient
rex,istence d'un courant polaire entre l'Islande et le Groen-
land; au contraire., comme le prouvent les nombreuses
séries de températures prises par M. Hamberg, Thydro^
AU GROENLAND. 91
graphe de l'expédition^ uu courant chaud, venant du sud,
longerait la côte orientale du Groenland, à une distance de
M à 50 milles. Dans le voisinage de terre seulement, un
courant polaire d'une faible profondeur se fait sentir. C'est,
suivant l'expression de M. Nordenskiôld, un fleuve d'eau
froide coulant dans un lit d'eau chaude. Cette branche du
Gulfstream doit avoir une grande influence sur le climat du
littoral du Groenland oriental; probablement ce climat est
plus humide, mais non plus rigoureux que celui de la côte
occidentale. Les travaux hydrographiques de l'expédition
ont, en outre, prouvé que le détroit de Davis et la mer de
Baffin sont remplis jusqu'aux fonds par une eau dont la
température est très basse.
Les zoologues seront redevables à la nouvelle expédition
suédoise de nombreux documents pout* l'étude de la distri-
bution des espèces. Chaque fois que l'état de la mer le per-
mettait, des dragages ont été effectués et ont ramené des
fonds de belles collections d^animaux marins, notamment
de gigantesques éponges recueillies à une grande profondeur
dans le détroit de Danemarck. Dans ces parages, la na-
ture du fonds composé de gros blocs roulés a entravé
les recherches. La faune terrestre n'a pas été étudiée avec
moins d'attention par les naturalistes suédois; la col-
lection entomologique qu'ils ont faite est particulièrement
intéressante. Enfin le docteur Nathorst a rapporté de. très
nombreuses empreintes de plantes des flores crétacée et
miocène. L'étude de ces matériaux complétera sans nul
doute l'œuvre grandiose d'Oswald Heer.
M. Nordenskiôld doit publier une relation étendue de son
voyage ; ce travail permettra d'apprécier mieux qu'un ré-
sumé forcément incomplet les résultats atteints par l'expé-
dition, qui, bien que n'ayant pas eu le retentissement du
voyage à jamais célèbre de la Véga, prendra place néan-
moins au nombre des plus fécondes explorations arctiques.
VOYAGE
DANS L'ARABIE CENTRALE
HAMÂD, SAMMÂR, QAÇÎM, HEDJÂZ^
PAR
CHAHIiES HVBER
C!bargë de mission du Ministère de l'Instruction publique.
1878-1882
Je quittai Kheîbef le 15 décembre. Mon intention était
de traverser le Harrah dans toute sa largeur jusqu'à El-
Hâ'ieth. Sur ce trajet le territoire appartient aux Arabes
Houteîm*. parmi lesquels je dus prendre un guide. Merzy,
qui m'accompagnait depuis El 'Alâ^ continuait néanmoins
à me suivre; il ne devait me quitter qu'à Hall.
Si Ton veut être respecté, il ne faut pas voyager seul avec
un Houteîm, et c'est, à mon avis, une des fautes commises
par M. Doughty que d'être arrivé à Hâïl sous la conduite de
deux Houtelm, ce qui a, du reste, motivé son expulsion
immédiate.
Les àammari se regardent comme le$ plus nobles des
Arabes, et ils le sont. Dans leur esprit, ceux qui viennent
immédiatement après eux, sont les 'Anezah, qui occupent
ce rang non pour leur noblesse ou la pureté de leur sang,
mais plutôt à cause de leur nombre et de leur puissance.
Après ceux-ci viennent les àerârât et ce n'est qu'en tout
dernier lieu et comme hors caste, que se placeront lesSaloby
et les Houteïm.
Les principales tribus des Houteïm sont les suivantes :
- 1 . Voir Bulletin de la Société, 3* et 4* trimestres 1884, pages 289 et à&6,
2. L'orttiograptie Hoteïm serait préférable (Rédaction),
YOTAGE DANS L'ARÀBIE GEDITRALE* 93
Ebn Semerah, — Ebn Bâlerak, — El Mehîmezat, — El
Feredesah, — El 'Aôuâmerah, — El Medhaberah.
Les Ebn Semerah se trouvent généralement autour de
Kheîbef.
Les Mehîmezat campent dans les environs de Médine et
sont en guerre avec les Sammar.
Les Medhaberah parc^Durent le Qâçim et paient tribut à
l'émir Hasen.
Les Ebn Semerah comptent huit tribus qui sont appelées
par le gouvernement turc, Birindji, c'est-à-dire les premiers.
Entre elles, ces mêmes tribus se donnent le nom de
Âdzeîbah.
Mon guide à travers le Harrah était le propre fils de Ebn
Semerah. C'était un grand et beau garçoa d'environ vingt-
cinq ans, fort obligeant et serviable ; il supportait avec {ine
patience angélique les injures et les avanies dont le noble
Merzy Taccablait tout le jour.
A dix heures du matin nous quittâmes Qarîet BîSr, et qua-
rante-cinq minutes après nous sortions des bas-fonds dans
lesquels poussent les palmiers de Khe'ibef, pour monter
sur le plateau du Harrah. La piste traverse aussitôt les
ruines d'un ancien village en pierres. Le chemin est hor-
rible et se poursuit au travers de moellons dont quelques-
uns du volume de un mètre cube et demi. La direction n'est
tracée que par un léger reflet à la surface des pierres qu'une
circulation de peut-être cinquante siècles n'a pu entamer,
tant ce roc basaltique est dur.
Le sentier de Kheîbef àEl Haieth porte le nom de Serdeb
el Yehoûd ou Serdeb el Kouilâr (chemin des Juifs ou che-
min des infidèles).
Après les cinq premiers kilomètres, on rencontre le long
du sentier, une vingtaine de tas de pierres, espacés de 20 à
30 mètres, et appelés Ergoûm el Yehôud. Ce sont les Juifs
égorgés par 'Aly, me dit le fils de Ébn Semerah, qui sont
couchés là-dessous,et chaque passant ajoute une piei^re au tas.
9i TOTA.GE DAHS L'âRABIE GEHTBALE.
Vers qnalre heures du soir nous étions près da peUt gebel
Fekah, à deux milles au aud de ma roate, et uoe heare
après nous campions dans le ou&dy Souets. Au nord de
notre campement, je relevai le gebel Qers et an nord^iOEd-
ouest le gebel Ghramef, de 16 milles de long; tons deux soat
formés de granit et distincts du Harrab, qui, dans cette di-
rection, s'étend encore à une vingtSine de kilomètres à aia
gauche.
Le lendemain nous fîmes environ lômilles, dont deux au
sud-est.
A neuf heures du matin nous avions recoupé le ouâdy
Souels et à midi nous avions campé près du ghradtr de El
Meqen'a, où il y avait encore un peu d'eau.
Depuis le matin, nous avions traversé cinq cratères à
bords peu élevés et de diamètres fort variables. Ces cratèms,
dépourvus de pierres, sont remplis d'une terre argàleuse
jauee qui, lors de mon passage, en rendait la traversée
difficile et par endroits impossible, tant le sol était devenu
glissant à la suite des dernières pluies.
Notre marche îRi sud-est avaitété nécessitée par une pluie
fine qni commençait à tomber. II fallait passer la nuit sous
une tente et notre guide nous avait assuré que nous en ren-
contrerions dans cette direction. Effectivement, nous attei-
gnîmes bientAt dnq misérables petites tentes de Houteîm,
sous la plus grande desquelles nous nous installâmes. La
pluie cependant ne nous épai^na pas, car l'orage ayant
éclaté vers dix heures du soir, la tente fut envahie par les
eauj,et dans le but de préservermesinstriunents, je me dé-
cidai à les prendre sur mes genoux pour aller m'asseoir en
dehors sur le roc, oh je me fis recouvrir de mes manteaux et
de mes tapis. La nuit fut pénible etie lendemain bien triste,
-là nous ne fîmes qu'un mille au nord pour re-
e sentier, et 8 milles dans notre direction de
■est.
aussitôt après la reprise de notre marche vers
VOYAGE DANS l'ARABIE CENTRALE. 95
Haleth, le sentier traverse une région affreuse. Ondirait du
fer figé en pleine ébuUition, avec des bouillons énormes et
des bulles doDtquelques-uneSy crevées, laissent voir des trous
profonds et des bords de scories tranchantes cocnmei du
verre. De temps en temps une crevasse pro£6nde qu'on
dirait produite par le retrait do refroidissement, ajoute
au désordre et àThorreur de ce phénomène extraordioaire^
Cette région a deux milles de large et s'appelle El Hfabir^
La lave à scories est si dure que, traversée depuis les longs
siècles, elle n'a pas même gardé ce léger reflet qui indique
la direction sur le basalte du Harrah. De même que dans
le grand Nefoûd, le chemin sur ElH'abîr D«'ser«cûonalt,
qu'aux fientes de chameaux que tout Bédouin se fait un
devoir d'écraser sur la scorie au fur et à mesure que sa
bète les laisse tomber. Ces fientes ainsi aplaties, adhérant
au roc pendant plusieurs années, indiquent la direction à
suivre.
Notre campement de ce soir se trouva entre les deux mon-
tagnes de Ghreînât et de Ghreneîm, la première au nord et
celle-ci au sud. Plus au sud venaient ensuite, à peu près à
égale distance l'une de Tautre, les montagnes suivantes :
Râs el Âblatha, — Là Kalil, — Remâhah, — El 'Aàqef.
Ces six montagnes se trouvent elles-mêmes sur un saule-
vement de terrain en forme de dos d*Âne. C'est le Râs el
Âblath qui est la plus élevée.
Cette chaîne de montagne est intéressante parce qu^elle
forme le point de partage des eaux dans l'Arabie septentrionale.
De là les eaux se rendent, à l'ouest, dans la* mer Rouge, et
à Test, dans le golfe Persique. C'est près du Gebel Âbîath
que naît le grand ouâdy Ermek qui a son embouchure près
de Baçrah (Bassora). En déterminant ce point que d'ordi-
naire les cartes ne donnent pas, ou qu'elles reportent au-
1. Probablement mieux El-'Abir (Rédaction).
2. Probablement pour Kâs El-Abïad (Rédaction).
96 VOYAGE DANS L'ARABIE CENTRALE.
delà de Teîmâ, jusqu'à Teboûk, je crois avoir fait fiaire un
progrès à nos connaissances sur l'hydrographie de l'Arabie
septentrionale.
Je diraiàlafin du présent travail, dansunecourte notice sur
ma carte, les motifs du tracé que j'ai adopté pour le .cours
du ouàdy Ermek et qui s'éloigne considérablement de celui
des cartes antérieures^.
Quand à ce nom de Ermek que je donne au même ouàdy,
au lieu du nom de Roummah, adopté jusqu'à présent, et
que lui donnent déjà les anciens auteurs arabes, je dirai que
je n'en ai jamais entendu d^autre, et que le dernier est tota-
lement inconnu dans la région du ouàdy, ainsi qu'au Gebel.
Les eaux qui tombent sur le versant occidental du massif
du Ràs el Àbïath forment le ouàdy El Thebeq qui traverse
tout le Harrah en allant à l'ouest, passe à quelques kilo-
mètres au sud du gebel Kheîbef , puis sort du Harrah et va
joindre le Ouàdy El Hamdh près du gebel Hedîah, station
duDerb elHadjdj, à environ soixante-dix kilomètres à l'ouest
de Khe'ibef . Dans son trajet à travers le Harrah, El Thebeq
reçoit différents petits cours d'eau ; mais je n'ai porté sur ma
carte que ceux sur le cours desquels j'ai acquis quelque
certitude. Ce sont le Soueis et le Tsemed, et en dehors du
Harrah, le Sereîr.
Je dois noter une particularité qui m'a paru étrange;
je la tiens d'un Arabe des Harb et d'un Houteïm ren-
contrés dans le désert au delà de El Hàïeth. Ils m'assu-
rèrent que les affluents les plus élevés du ouàdy Thebeq
remontaient jasqu'au gebel Makhld, au nord-nord-est du
Ràs el Abïath, donc en dehors du Harrah. J'étais alors à
plusieurs lieues, déjà, au nord de Hàïeth, loin des gens bien
renseignés là-dessus, et plus tard je n'ai plus pu avoir que
des renseignements contradictoires sur cette question.
Le ouàdy El Haâidh a son origine au nord de Médine, il
1. L'auteur, occupé aux préparatifs de son dernier voyage, n'a?aitl>tt
rédiger la notice dont il parle dam ce paragraphe.
VOYAGE DANS L*ARABIE CENTRALE. 07
marche ensuite parallèlement au Harrah, c'est à dire au
nord-ouest, jusqu'au gebel Hedïah oili il reçoit le Ouâdy
Thebeq. Il prend ensuite une direction ouest, reçoit le Ouady
El 'Alây pour se jeter enfin dans la Mer Rouge, au sud de
la petite ville de Oueg.
' Le Ouâdy El Hamdh ne contient pas de palmiers comme
les autres ouâdy, ses affluents; mais il renferme de nombreux
puits.
Le Ouâdy El'Alâ, que je viens de nommer, se forme dans
le bassin de El Hegef, coule ensuite au sud, l'espace de trois
jours de marche, puis se jette dans le Ouâdy El Hamdh sur
le territoire des Beny Geheinah, fraction des Beny Kelb.
Entre les deux montagnes de Ghreïnât et de Ghreneïm,
est la petite grotte naturelle appelée Meghrenlàh el Âsoûdah,
formée par des blocs de basalte; haute de 1",20, profonde
de 2 mètres et longue de 3 mètres environ, elle est juste
assez grande pour nous abriter tous trois contre la pluie
qui tomba toute la nuit.
Le lendemain, 18 décembre, nous fîmes 20 milles par en-
Tiron nord, H"" est, direction exacte de El Hâïeth.
Après les 5 premiers milles nous aperçûmes le Gebel
£1 Hamâdab, au pied sud-est duquel se trouve le vil-
lage. Vers midi nous longeons pendant quelque temps le
Ouâdy Ghreneïm, qui a son origine au gebel du même nom,
passe au nord du Gebel Boçr et s'en va rejoindre, quelques
pas plus loin, le Ouâdy Ermek,
Au sud du Gebel Boçr se trouve le Gebel Kenât ou Aboû
Zeïd.
A partir de Meghrenïah la piste est horriblement pénible
et difficile â suivre.
Le jour suivant, trois bonnes heures de marche nous me-
nèrent à El HAïeth; on aperçoit la tête de ses palmiers
seulement une demi-heure avant d'y arriver, car cette loca-
lité, avec les palmiers qui l'entourent, se trouve, de même
queKheïbef, dans une déchirure du Harrah.
soc. DE GÉOGR. — i*' TRIMESTRE 1885. YI. — 7
98 VOYAGE DANS L'ARABIE CENTRALE.
Avant de descendre la pente du Harrah on traverse, pen-
dant quinze minutes, les ruines d'une localité fort ancienne,
bâtie en pierres de taille; il y avait autrefois plusieurs
tours rondes, mais presque tout est aujourd'hui au ras du
sol. C'est l'ancien Hâïeth, qui, de môme que les anciens
villages de Kheïber, était bâti au dessus du Harrah, et non,
comme aujourd'hui, dans les bas-fonds où la population
est décimée par les fièvres. £1 Hâïeth a du reste un aspect
frais et neuf que n'ont ni Kheïber, ni El 'Alâ, avec lesquels
elle a, d'autre part, beaucoup d'analogies, par sa population
nègre, ses fièvres, et le bonheur inappréciable de voir ses
palmiers arrosés par des sources.
Le teint de la population nègre d'Hâîeth, sans être aussi
clair que celui des habitants de £l 'Alâ, Test plus que celui
des Rheïbery.
El Hâïeth, vu son peu d'éloignement de la capitale du ^am-
mar, n'a pas de gouverneur spécial, comme le Djoûf, Teïmâ
et El 'Alâ; elle dépend directement du gouvernement de
l'émîr. C'est le propriétaire le plus riche, un nommé
Gâber, qui reçoit les hôtes et auquel on donne le titre de
âeïkh.
Cette oasis, très prospère, possède deux fois plus de
palmiers qu'El 'Alâ, mais comme ils sont moins beaux, la
récolte en est moindre et de qualité inférieure ; néanmoins
rendement et produits sont de beaucoup supérieurs à ceux
de Kheibef. Il n'y a pas à £1 Hâïeth, comme à El 'Alâ, de
dattes hellouah, mais le sol produit d'autres espèces fort
estimées, dont les meilleures sont les dattes gesb^ bemy^ .
fresy et kelb.
Les dattes de El Hâïeth sont achetées par les Arabes Hou-
teïm, les Harb et les Sammar.
Les palmiers de El Hâïeth appartenaient jadis à la tribu
des 'Aly, de la grande famille des 'Anezah, forte d'environ
200 tentes. L'oasis ayant été annexée à l'émîrat de Sam-
mar par les soins de 'Abeïd, l'émîr Telâl, alors régnant,
VOYAGE DANS L* ARABIE CENTRALE. 99
exigea le tribut habituel de 5 Vo de la part des 'Aly. Ceux-
ci s'exécutèrent pendant quatre ans, mais refusèrent en-
suite le tribut. Telàl exécuta alors sur eux un ghrazoù, à
la suite duquel ils se retirèrent auprès des autres grandes
tribus des 'Anezah du nord, sur les bords de TEuphrate.
Par suite, Témir se substitua à eux comme propriétaire.
Les habitants donnent la moitié de la récolte à Témîr et
paient en outre un impôt de 10 7o de leur propre moitié.
Les habitants cultivent aussi du blé, de l'orge et du dhoura'.
Ils ne possèdent ni bétail, ni bêtes de somme.
Les plantations de El Hâîeth sont arrosées par trois
sources, qui partent d'El §elâlah, El Çefeirey et Âboû
Settmân.
Les deux premières donnent ensemble environ 3 litres
à la seconde; elles sortent de la même colline, El Çefeirey,
partie du Harrah» juste au-dessous d'une tour en ruines
appelée Qaçr el Çefeirey, au nord-nord-ouest du village. La
source Abou Selitnân, appelée aussi 'Aly, arrive de l'ouest;
c'est la plus puissante, elle a uja débit de 8 litres environ à
la seconde.
Le débit des sources semble indépendant des bonnes ou des
mauvaises saisons. L'hiver pendant Jequet je visitai la loca-
lité, c'est à-dire celui de 1879-80, il avait plu^ mais aupa-
ravant il y avait eu, depuis 1876, quatre hivers secs sans
qu'on eût aperçu de variation dans le débit des sourcies.
Les températures de ces dernières sont un peu moins
élevées que celles des sources de Kheïbef . Voici les moyennes
trouvées :
Pour la source de Selâlah + 28**,5
— Çefeirey + 28»,2
— Abou Selîmân + 26%8
Cette dernière, m*a-t-on assuré, est constamment plus
froide que les deux premières. Les trois sources donnent de
Teau potable.
100 VOYAGE DANS L* ARABIE CENTRALE.
D'autres sources, me disent les habitants, ont tari; mais
sur différents endroits, en hiver, l'eau sort de terre et
forme des marais qui disparaissent ensuite au printemps.
A El Hâïeth on plante du tabac fort estimé, qui se vend
un demi-réal la mesure contenant environ 500 grammes.
Le tabac planté à Kheïbef, El 'Alâ et Teïmâ est fort inférieur
à celui de El Hàïeth, aussi cette même quantité de tabac se
vend-elle à ErAlâ un quartderéal, àKheîbef une piastre*;
à Te'imâ on fume une espèce de foin que tout le monde ra*
masse.
Les ruines nombreuses qui existent encore à El Hâïeth
prouvent que cette cité a été jadis au moins aussi impor-
tante, sinon plus, que Kheïbef. Elle comprenait deux grands
quartiers, l'un au sud-est, l'autre au nord-ouest du village
actuel. Leurs noms se sont perdus; les habitants en désignent
aujourd'hui les ruines, les premières sous le nom de Kharàb
el Naçârà (ruines des Ghréliens), et les secondes sous celui
de Kharâb el Yehoûdy* (ruines du Juif). Le Hâïeth actuel
lui-même, est élevé sur d'anciennes fondations en pierres de
taille, et il existe encore des restes fort curieux de vieilles
constructions, entre autres un bâtiment carré, auquel don-
nait accès un escalier extérieur conduisant au premier
étage. Il existe un puits dans l'intérieur du bâtiment.
La construction appelée le qaçr Azehelâny, est un bâti-
ment carré en pierres de taille, du même style, et avec un
escalier extérieur. Ce qui serait le rez-de-chaussée, n'a ni
porte, ni fenêtre, ni aucune autre ouverture.
La ville actuelle de El Hâïeth, qui s'allonge dans une
crevasse du Harrah, sur une longueur de 2 milles de l'est
à l'ouest, se compose de trois quartiers. Le premier est le
plus considérable; il s'appelle Ouâdy S'afan; le second, qui
est le plus petit, situé à 100 mètres au sud-ouest, est Ââ-
1. Une piastre = 0 fr. 20.
2. Probablement mieux, par analogie, Kharâb £l-Yéhoûd : ruines des
Juirs (Rédaction).
VOYAGE DANS L'ARABIE CENTRALE. 101
reîf ; le troisième, dans la même direction mais à 500 mètres
plus loin, sur une petite colline, se nomme El Qçetr^
Au bas de cette dernière colline se trouvent d'anciennes
tombes construites en moellons, murées, et dont quelques-
unes sont éboulées. La direction des tombes est de Test à
l'ouest.
A El Hâieth, du haut du Harrah, je pus relever les mon-
tagnes de Kenât^ de Qern, de Heleîfah et de Tin, au sud
et au sud-est.
Ces relèvements me permirent de tracer les limites du
Harrah de ce côté.
Le 24 décembre je partais de El Haleth à neuf heures et
demie du matin et à onze heures j'atteignais la limite du
Harrah. Il se continue encore, mais à l'état pour ainsi dire
sporadique, pendant 12 kilomètres environ, jusqu'au delà
du gebel Âçeqâbef, à 16 kilomètres de El Hâîeth.
Au pied de cette dernière montagne, dans une interrupr
tion du Harrah, se trouvent les restes d'une trentaine d'ha-
bitations en ruines.
Quelques minutes après avoir quitté définitivement le
Harrah, je traverse enfin le Ouâdy Makhldqui part du gebei
du même nom, à 40 kilomètres environ au nord-ouest de
ma route. Je campai, lors de mon passage, 9 kilomètres au
delà de ce ouâdy qui avait de l'eau.
A peu près au Ouady Makhîd commence un sol de terre
argileuse compacte recouverte de gravier, d'une uniformité
désespérante et d'une stérilité presque absolue; aussi n'y
voit-on jamais de campements de Bédouins, pas plus qu'entre
le massif du Râs el Âbiath et El Hâieth. Ce désert porte le
nom de El Zerb.
De notre campement, nous avions le gebel El Bân à quel-
ques kilomètres au nord-ouest; c'est un massif peu élevé.
Devant nous se dressait le petit Gebel El Zelf, montagne du
même genre, longue de 6 milles.
1. En français : le châtelet. (Rédaction.)
lO± TOTA^ BiAJiS L Al^ftKK CI9TSAIX.
Le jour smvani, kmb bous OKttcas ca raste sn peo
afanl boit becrcs; j'étais tfen hmzes après sor le Gid:^ El
ZtiL Ua pcB aopanvaat f avais pu refever, à ii> mîILes de
rff^»tance, le Gebel Rakkah, qiâ Eci4Eéflie iL*(Kt «fa^à T milles
ëft ooidj Ertnek.
A partir <hx Gebel El Zelf. noos marclioiis dans la dîrec-
tioQ de nord 65* est. Xoos retombci» aos^tôt s«r on sol
Trois milles pios loîn je relevai le Geliel El Debj, à £
milles an sod-est, H près de femiiociehare da Ooàdj El
Qahed daa§ le ODâdr Ermek. Un pen pl;^ loin encore je
eoapai le Onâdj El O^^^ii^d, près da petit pic dn mêflie
nom*
Le Ooid j El Qabed a son or%îiie à S kilomètres an nord-
ooest dn pîc dn même nom, près dn petit village de
Tkaghrat.
A 4 kilomètres annord-nord-ooest dn petit Gebel Qahed,
se troore nne antre petite montagne appelée Fers. A 5 milles
an snd-ooest-est ceUe de Oocsma.
An concher dn soîeil noos campions dans le désert de
Qalanqonali qni fait suiteà celui de El Zerb.
Le lendemain^ % décembre, nous fimes 14 milles. A huit
heures dn matin nous traversions le Onidy Mebehel, qui se
forme près du Griiel Roueîsah et se jette dans le Ouâdj
Ermek. Ters midi nous arrîrons an Gebel Deqlah el Asmar *,
colline granilique d'une cinquantaine de mètres de hauteur,
et qni est à 40 milles au sud d'une colline semblable appelée
Deqiah el Ahmar ^
Dn sommet du Deqîah el Abmar, j'ai pu relever le Gebel
Remàû an pied duquel se trouve MestagedL
C'est à ces deux pics de Deqîah que s'au-rétent les pâtu-
rages des Houtelm.
Le 27 décembre, nous partons à sept heures du matin,
i. El Asmar : la bmne.
2. £1 Ahmar : la roage.
VOYAGE DANS l'ARÂBIE CENTRALE. 103
et trois heures après, je voyais de loin les palmiers deMes-
tagedt où j'arrivai deux heures plus tard.
Déjà à Kheïbef, lors de mon passage, le bruit courait que
l'émir était parti pour exécuter un ghrazoû dans le sud. A
El Hâletb, ce fait me fut confirmé et à mon arrivée à Mes-
tagedt, j'appris que le ghrazoû avait été effectué sur les
Arabes 'Ateîbah qui campent entre El Makkah et £1 Ràld.
Le âeîkh de Mestagedt, qui me donnait ces détails, ajou-
tait que le ghrazoû avait campé la veille même dans le
Ouâdy Ermek et que, par conséquent, il s'attendait à le voir
repasser d'un instant à l'autre pour retourner à Hall. Je
résolus donc de l'attendre à Mestagedt pour le voir repasser «
Mais, au milieu de la nuit, arriva un messager de l'émir, charité
de s'enquérir de moi et de lui rapporter de mes nouvelles.
Tout le ghrazoû était campé à une dizaine de lieues au
sud de Mestagedt. Je fis monter de suite Merzy sur mon
propre dzeloûl et le chargeai d'aller saluer l'émir de ma
part et le remercier de son attention.
Le messager m'apprit que le ghrazoû avait très bien réussi
et avait donné de beaux résultats, sans aucune effusion de
sang. On avaitpris environ 800 chameaux, 5000 moutons et
chèvres, six esclaves et sept chevaux. Les 'Ateibah s'étant
sauvés, l'émîr n'avait pas voulu qu'on les poursuivît.
Le lendemain, Merzy revint à trois heures du soir; il
avait bien marché. L'émir me faisait dire qu'il passerait le
jour suivant au matin devant Mestagedt, qu'il enverrait
une escorte me chercher pour me faire rentrer à Hâïi avec
lui et flue je devais me tenir prêt.
Effectivement, le 29 décembre, dès le grand matin, la
plaine se couvrit de troupeaux, de troupes de Bédouins et
d'hommes de l'émir; tous pressant le pas et marchant au
nord. Néanmoins le gros du ghrazoû passait avec l'émîr à
environ 2 lieues à l'ouest de Mestagedt, Vers midi, arrivè-
rent quatre cavaliers envoyés par l'émir pour me prendre;
mais mon intention n'était nullement de .rentrisr à Hall
i04 VOYAGE DANS L' ARABIE CENTRALE.
au pas de course, comme je savais que Témir le ferait.
Je chargeai donc Tescorte de mes remerciements pour
rémîr» ainsi que de mes excuses de décliner son invitation,
dans le désir où j'étais de rentrer en faisant un petit détour.
Nous nous mimes aussitôt en route et quatre fortes
heures de marche nous menèrent jusqu'à Qçeîr, petit vil-
lage d'une quarantaine d'habitants, oti nous passâmes la nuit.
Le 30 décembre, 3 kilomètres de route nous conduisirent
par-dessus le petit Gebel £1 Safrâ, au village de Ghrazâlah,
devant lequel je ne fis que passer. Je m'arrêtai, 8 kilomètres
plus loin, au hameau de Ei Hehââ, qui compte 10 habitants,
et où je passai la nuit.
Le lendemain, je marchai vers le Gebel àebeîkah, mon-
tagne de granit rouge, avec quelques plantations de pal-
miers, pareilles à celles de 'Aqdah. Peu après je passai devant
le Gebel Serra et campai un peu plus au nord, dans le fond
d'un ïaïb'.
Le jour suivant était le 1*' janvier 1881. Je ne pus me
mettre en route que vers dix heures, par suite de la négli-
gence de mes hommes qui avaient laissé s'égarer mon
dzeloûl; on ne le retrouva que deux jours plus tard. Rien
ne me retenant dans cette région que je connaissais déjà, je
forçai le pas de ma monture et arrivai à Hâïl à sept heures
du soir.
Mon exploration de l'ouest m'avait pris 74 jours.
DE HÂÏL A BAGHDÂD.
Le 10 janvier les pèlerins persans revenant de Ef Mak-
kah et de Médine étaient arrivés à Hâïl, et le 17 ils en re-
partaient pour retourner par Baghdâd, dans leur patrie. Je
résolus de les accompagner.
A midi je quittai Hâïl, en marchant au nord-est; trois
heures après cessait le granit et reparaissait le grès. Une
1. S^aib t ravin. (Rédaction.)
VOYAGE DANS l'aRABIE CENTRALE. 105
demie heure plus loin je campai avec le hadjdj dans la ré-
gion d'Âmàdzen.
Le lendemain, on ne fit que 7 milles, toujours au nord-
est, et Ton campa près du Ouâdy §eqîq. Quelques crevasses
rocheuses renfermaient encore de l'eau des pluies d'un mois
auparavant. On trouve aussi dans cette vallée beaucoup de
broussailles qui donnent le bois nécessaire pour les feux.
L'eau et le bois sont tout ce qu'il faut au hadjdj ; quant aux
vivres, il les transporte avec lui.
Le 19 janvier nous ne marchâmes que de sept heures à
onze heures et fîmes 11 milles et demi. Le campement fut
établi aux puits de El Hâçerah. Ces puits, au nombre d'une
trentaine environ, sont situés dans une dépression de ter-
rain peu sensible; ils sont creusés directement dans le sol
argileux. L'eau est à 6 ou 7 mètres de profondeur et n'est
guère bonne. La couche d'eau n'est pas profonde, car tous
les puits sont un peu ensablés. C'est à ces puits qu'abou-
tit le Ouâdy Hâïl; il ne continue pas sa course pour aller
se jeter à l'est, dans le Ouâdy Ermek, comme on l'a cru
jusqu'à présent.
Généralement les environs des puits sont dépourvus de
végétation, par conséquent de fourrage et de bois. A El
Hâçerah, s'ajoutait encore ce désagrément qu'au bout de
vingt-quatre heures les puits étaient épuisés; nous y restâmes
quatre jours cependant.
Le hadjdj, à son départ deBaghdâd pour les villes saintes,
se composait d'environ 800 personnes. Au retour il y en
avait environ 4000, qui naturellement n'avaient pas assez
de chameaux pour les conduire en Mésopotamie. Les Harb ^
qui avaient transporté le hadjdj des villes saintes jusqu'à
Hâïl, voulaient, comme d'habitude, s'en retourner; mais
devant la pénurie de chameaux, l'émîr dut les prier de res-
ter jusqu'à Meàhed 'Aly. La plus grande partie accepta, mais
le nombre des chameaux restait encore insuffisant. L'émîr
1. M. Uuber écrit Harby, qui est le singulier de Harb. (Rédaction.)
106 VOYAGE DANS L' ARABIE CENTRALE.
alors envoya courrier sur courrier aux nomades du désert
pour les faire venir avec leurs chameaux; les Arabes, mé-
contents des prix de location, qu'ils trouvaient que l'émir
avait fixés trop à l'avantage des Persans, ne se pressaient
pas d'arriver.
Pendant ce temps tous les pèlerins pauvres, les Harb et
les §ammar, étaient, suivant la coutume béduuine, les hôtes
de l'émîr. A mon estime, cela lui faisait de 2500 à 3000
bouches à nourrir par jour en plus que d'ordinaire, ce qui
enlevait une masse de provisions.
Pour se débarrasser de ces consommateurs inutiles l'émîr
fait partir le hadjdj de Hâïl, après avoir néanmoins fait don-
ner à tous les nécessiteux pour quinze jours de dattes. Mais
comme tous les hadjdj n'avaient pas encore de chameaux^
il fallait bien rester campé.
Gomme les réclamations des pèlerins devenaient de plus
en plus bruyantes, l'émir el hadjdj* conduisit, le 24 janvier,
la partie montée de la caravane jusqu'à Beq'aâ, à une tren-
taine de kilomètres au nord-est de El Hâçerah. Dans la nuit,
les chameaux retournèrent à ce dernier endroit et amenè-
rent le lendemain le reste du hadjdj. On fit ainsi pendant
plusieurs jours, jusqu'à ce que les menaces que Témîr
adressait par ses envoyés aux Bédouins eus^sent déterminé
ceux-ci à venir avec leurs chameaux.
Voici les prix de location que l'émîr avait fixés pour les
chameaux depuis HâU jusqu'à Meâhed 'Aly :
pour un cavalier avec son kherdj* 7 réal
— un chameau chargé 10 —
— avec deux baldanquins pour
deux personnes 13 —
i. L'émîr el hadjdj est le commandant en chef de la caravane. Depuis
le départ jusqu'au point d'arrivée il a tout pouvoir, comme le comman-
dant à bord de son navire. Celui qui remplissait cet emploi était un esclave
d'Ëbn Re^id, nommé 'Abd e'Rahmâii.
2. KherQj double sac de voyage qui pend des deux côtés du chameau.
VOYAGE DANS L'ARABIE CENTRALE. 107
Les Bédouins avaient demandé que ces prix fussent res-
pectivement de 10, de 15 et 18 réal.
Beq'aâ est situé d'une manière fort pittoresque, dans un
immense bassin de grès blanchâtre qui s'étend de l'est à
l'ouest. Le village se compose de deux groupes d'habitations,
l'un à l'est s'appelle Çeheby, l'autre à l'ouest, El Oueîmy.
EDtre les deux se trouve un petit groupe de i maisons,
appelé àerqy, qu'on regarde comme très ancien et qui s'ap-
pelait jadis El Hamâm, ou encore Mercîqeb. A côlé se
trouve une propriété isolée, sans palmiers, entourée de
champs, qui porte le nom de El Qeçeîfah; un peu plus loin
est un dernier groupe qui s'appelle Qoûeî'aân.
Le milieu du bassin est recouvert d'une épaisse couche
de sel très amer.
L'eau, généralement mauvaise et salée, se trouve à une
profondeur de 8 à 10 mètres. Le grès dans lequel sont
creusés les puits étant fort tendre, ceux-ci ont une 1res
grande ouverture. L'eau, qui est abondante, ne varie jamais
de hauteur. Un seul puits donne de l'eau passable, c'est
celui du qaçr de El Oueîmy. L'eau en est à la fois laiteuse
et bleuâtre, elle m'a rappelé celle du Rhin. Ce puits s'ap-
pelle El Samhah.
Les deux quartiers de Çeheby et de El Oueîmy, possèdent
chacun un grand qaçr carré, construit en moellons et en
mortier sans chaux, avec des tourelles aux quatre angles.
L'intérieur est rempli des misérables demeures des habi-
tanlsjqui me rappellent le sale village de Palmyre, renfermé
dans l'enceinte du temple du soleil. Le qaçr de Çeheby
est le plus grand.
Les palmiers de Beq'aâ sont beaux et produisent une
bonne espèce de datte. On y plante aussi chaque année du
blé et de l'orge.
J*ai observé, près de Beq'aâ, des grès d'une forme très
curieuse. Ce sont de petites boules parfaitement rondes,
de la grosseur d'un pois à celle des billes qui servent au jeu
108 VOYAGE DANS L'ARÂBIE CENTRALE.
des enfants. Les boules, incrustées dans le grès, sont elles-
mêmes en grès très dur, à ciment calcaire; d'autres sont
à ciment d'oxyde de manganèse hydraté, et présentent des
formes botryoïdes qui rappellent les variétés analogues du
grès de Fontainebleau. Dans l'un des échantillons de grès
que j'ai rapportés se trouve une coquille bivalve paraissant
être une cardite. — Ce grès en boule est appelé par les \
indigènes restres, '
I
Le hadjdj était campé à environ 1 kilomètre au nord-est
de Beq'aâ, sur un plateau de roc nu appelé Qetheïân. |
Le 26 janvier, nous quittâmes Beq'aâ et fîmes environ '
20 kilomètres, toujours à nord 65* est. Notre campement
de ce jour s'appelle El Loghrf el Nefoûd ^ et encore El Ghre-
be'ia.
A peu de distance, au nord, le Nefoûd s'élevait comme
une muraille à environ 40 mètres de hauteur. De sou som-
met, je pus relever le Gebel Geldïah , ce que j'avais fait
aussi de Beq'aâ.
Le surlendemain, reprenant la marche, nous suivîmes le
bord du Nefoûd qui s'infléchit là légèrement vers le sud,
aussi notre direction était-elle sud 80" est. Un trajet de
30 kilomètres nous mena jusqu'aux puits de â'aîbah, où
nous restâmes ce jour-là ainsi que le jour suivant. Pendant
cesdeux jours, le paysage resta couvert de brume, le soleil
fut pâle et la température froide. La boussole était cons-
tamment agitée.
Les puits de è'aïbah, au nombre d'une trentaine^ ont
l'eau à 5 ou 6 mètres de profondeur. Gelle-ci est très salée
et amère.
Le 30 janvier nous fîmes encore quelques kilomètres au
sud-sud-est, puis à l'est; ayant alors atteint la piste du che-
min de Baghdâd, nous commençâmes à marcher au nord en
entrant dans le Nefoûd, qui là, n'a plus rien d'effrayant et
n'est pas à comparer au Nefoûd de l'Arabie centrale. Ce ne
1. « La boulette des dunes. » (Rédaction.)
VOYAGE DANS l'aRABIE CENTRALE. 109
sont généralement que des collines de sable séparées par des
vallons caillouteux. Après une marphe de 13 milles, nous
arrivions à un lieu appelé El §âma.
Le 31 janvier, nous fîmes encore 13 milles dans la di-
rection du nord, pour aller camper au puits de Trobah, où
nous restâmes quatre jours.
Ces puits, au nombre de deux, sont murailles et ont Teau
à 10 mètres de profondeur environ. Cette eau était puante et
amère à notre arrivée, mais, le hajddj l'ayant vite épuisée,
celle qui remplaça la première fut meilleure.
Auprès des puits, Met'ab, un des derniers émirs du èam-
mar, fit construire un qaçr en pisé et y mit garnison pour
»
empêcher les Arabes autres que les Sammar ou alliés des
ëammar, d'y prendre de l'eau • Mohammed, Témîr actuel,
y entretient constamment trois hommes dans le môme but.
Ce sont les tribus §ammar de 'Abtah et Toûmân qui ont
leurs campements dans ces régions et qui boivent l'eau de
Trobah .
Les alentours de Trobah sont d'une aridité extraordinaire;
c'est un désert pierreux parsemé d'îlots de sable de 2 à 3
centimètres d'épaisseur. Le sous-sol est un conglomérat de
galets, de quartz, de fragments de silex et de calcaire très
compactes, qui semblent liés par un mortier blanc. Ce
désert, qui s'étend beaucoup à Test, porte le nom de El
Dhebeïb el Kebîr.
A 12 milles au nord-est de Trobah, se trouvent les puits
de Khadhrâ, au nombre de 14. Simplement taillés dans le roc,
ils ne sont pas garnis de murailies et ontdel5àl6 mètres de
profondeur, sur 2 de diamètre. L'eau en est un peu amère.
Ces puits appartenaient autrefois en propre aux Arabes
»
'Abtah, mais aujourd'hui toutes les tribus du Sammar
peuvent y boire.
A 15 milles à l'est de Khadhrâ se trouvent les deux puits
de El-Hâ§raa, moins profonds que ceux de Trobah. Ils sont
revêtus de murailles et contiennent de bonne eau.
110 VOYAGE DANS L' ARABIE CENTRALE.
A 10 kilomètres environ à Test des puits de El Hâ§ma,
se trouvent deux autres puits nommés Zeroûd, de la môme
profondeur que ceux de Trobah, et maçonnés. Leur eau
est inférieure en qualité à celle des puits précédents.
Ces puits, situés tous dans le Nefoûd appelé Matsoûr^
étaient jadis la propriété exclusive des Abtah. Le Nefoûd est
ici une bande étroite de sable, d'une dizaine de kilomètres
de largeur, qui, partant du grand Nefoûd, se dirige vers
l'est.
Le 4 février, nous quittons Trobah, traversons la bande
tiu Nefoûd Matsoûr, et allons camper, à midi, à quelques
kilomètres au delà du lieu appelé El-Metse!&ha, dans le
désert pierreux et sablonneux de'Areq el Dhehoûr.
A une journée de marche, soit à environ 40 kilomètres
à l'ouest de El Metseîâhat et dans le Nefoûd, se trouvent
les trois puits de El Heïànïâ, dont on m'indique la profon-
deur comme devant être de 60 mètres (?); la moitié du puits
traverserait le Nefoûd et serait muraillée, le reste serait
creusé dans le roc. L'eau en est très bonne.
Dans le désert de 'Areq el Dhehoûr, à quelques kilo-
mètres à Test de El Metseîâhat, se trouvent les têtes de deux
petits cours d'eau, le Ouâdy Khetsâl et le Ouâdy Khoûr Oûqïîan
qui coulent l'espace de 30 milles environ vers l'est nord-
est, dans la vallée de Âbâleçrân, entre le Nefoûd Zeroûd,au
sud, et une région montueuse au nord, dont je n'ai pu
apprendre le nom.
Avant d'arriver à El Metseîâhat, la route passe, pendant
plusieurs kilomètres, entre les restes de deux murailles
espacées Tune de l'autre de 20 à 30 mètres. Ce sont les
témoins des murs construits de Baghdâd à El Makkah par
Zobeïdah, la femme de Âroûn e' Re§id et qui, au dire des
auteurs arabes, devaient permettre, même aux aveugles, de
faire le pèlerinage des villes saintes. La route, en souvenir
de celte princesse, s'appelle encore aujourd'hui Derb Zo-
beïdah.
VOYAGE DANS L*ARABIE CENTRALE. lll
Le 5 février on reprit là marche à six heures du matin.
A neuf heures, le Nefoûd recommençait, et deux fortes
heures après nous campions de nouveau en dehors du
Nefoûd au lieu dit Belegbïah.
Depuis notre départ de Trobah nc^us n'avions pas ren-
contré d'eaUy aussi le hadjdj commençait-il à en manquer.
On a vendu ce jour-là l'eau à une roupie* l'outre, Heureu-
sement, le soir, à sept heures, il tombe une forte pluie,
qui enverra un peu d'eau dans les bas-fonds.
Le lendemain 6 février, 22 kilomètres de marche au nord,
et 6 au nord-nord-ouest, nous conduisent à El 'A§ak, tou-
jours sur le môme désert pierreux.
C'est là que je vis le premier de ces fameux bassins
(6trA:^Q. construits par Zobeïdah, le long de la route, pour
recevoir les eaux de pluies et servir à abreuver le hadjdj.
Le birket el 'A§ak se trouvait à environ un mille à l'ouest
sud-ouest de notre campement.
Cette belle construction, en pierres de taille recouvertes
déciment, est dans un parfait état de conservation. Elle
mesure 90 mètres sur 61, et environ 10 mètres de pro-
fondeur. Le bassin, à mi-côte d'un grand plateau, est à
cheval sur le ruisseau qui en coule et dont il intercepte
ainsi toutes les eaux. Des parois intérieures nord et sud du
bassin, descendent jusqu'au fond de hauts et larges gradins.
Il n'était probablement tombé que peu de pluie dans la
région car le fond du bassin ne renfermait qu'un peu de
boue liquide, avec laquelle les hadjdj remplirent néanmoins
leurs outres. A côté du bassin, sur le plateau, se trouvaient
des restes de constructions ayant servi d'habitations.
Près du campement des pèlerins se trouvait un second
bassin, plus petit que celui que je viens de décrire, moins
bien conservé et entièrement ensablé.
Le 7 février, après une étape de 12 milles par nord, 10"* ouest,
1. La roupie vaut 2 fr. 15.
ii2 TOTAGE DANS L' ARABIE CEIITBALE.
noos arrivions, toajoars à traYers le même désert pierrenx,
aux Birket Asabah.
Cette station se composait de trois bassins, d*nne grande
construction et d'environ iOO petites maisons, le tout ea
pierres de taille; c'était donc nn point important.
Immédiatement an nord de Asabab, se trouve un autre
tronçon, de 5 milles de long environ, du Derb Zobrïdab.Lày
les murs qui bordent la route sont construits avec beaucoup
de soin. Ils ont de 60 à 70 centimètres d'épaisseur et environ
1 mètre de hauteur. De temps en temps on trouve les restes
d'une petite maison carrée, en pierres de taille, mesurant
environ 8 mètres de côté ; elle est bâtie à l'extérieur du
mur qui borde le chemin, avec une porte d'accès sur ce
chemin dont la largeur uniforme était là de 25 mètres.
Le lendemain, à six heures, nous reprîmes la marche au
nord et une heure après nous passions entre un birket
rond, à notre gauche, et un qaçr en ruines, à notre droite. Cet
endroit porte le nom de Gâser * ebn 'Athîah.
Au bout de la seconde heure de marche, nous passâmes
à côté d'un qaçr en ruines appelé Feleît ebn Qenet.
Quatre heures et demie après notre départ nous campions
à Àéeîhebat.
Cette station, située dans une légère dépression de ter-
rain, possède deux bassins, un rond et un carré, plus des
restes de constructions considérables, parmi lesquelles un
qaçr qui élève encore ses murs de plusieurs mètres au-des-
sus du sol. Tout le reste est presque à ras de terre.
Les deux bassins ont été construits avec un soin extrême
et une solidité qui les a fait se conserver intacts jusqu'à au-
jourd'hui. Le bassin carré a ses murs en pierres taillées, le
bassin rond est construit en moellons revêtus de ciment Les
parois nord. et sud du bassin carré ont été renforcées après
coup par un second mur fait d'un mélange de mortier et de
1. Probablement mieux Gasr (Djasr), chaussée, pont.
VOYAGE DANS l'aRABIE CENTRALE. 113
pierres cassées, élevé devant le premier. Cette précaution a
été inutile, car les murs supplémentaires se sont écroulé?,
tandis que les premiers sont restés debout.
Le qaçr a aussi ses murs en pierres de taille, mais ils sont
très frustes. Près de ce dernier se trouve un beau puits sans
eau, de 4Q mètres de profondeur, sur 3 mètres de diamètre.
Les deux bassins étaient à moitié remplis d'une eau un
peu jaunâtre, mais bonne et suffisante pour abreuver dix
hadjdj comme le nôtre.
Du campement de Âàeîhebat on m^indique la position
des fameux puits de Lînab qui doivent se trouver juste à
Test, à 30 milles au plus. Ces puits, au nombre de 300
environ, ont 25 mètres de profondeur et sont tous taillés
dans le roc. L'eau en est bonne, sans être néanmoins ce
que les Arabes appellent « douce )> . Ils appartenaient de
tout temps aux Arabes ^Abtab, déjà nommés, dont les
terrains de parcours s'étendent jusque-là.
'Abd Allah, un des hommes de Témîr qui fait partie de
l'escorte du hadjdj, me raconte que les puits de Lînah ne
sont pas l'œuvre des hommes, car personne ne pourrait en
creuser dans ce roc blanc et dur comme du métal. C'est
Sàlomon, fils de David, qui passant un jour par là, altéré
et sans eau, ordonna aux 'afrîts (démons) de lui creuser
ces puits en une heure. Les 'afrîts obéissants se mirent
de suite à l'œuvre, mais si dur était le roc, que malgré
leur zèle ils ne purent les terminer qu'en deux heures.
Le 9 février, le hadjdj se mit en marche à sept heures.
Deux heures après nous passions à côté des restes d'un
qaçr appelée Bâtel Athoûl. Quelques kilomètres plus loin
les ruines d'une petite construction isolée, en pierres, se
nomment Qaçr 'Aqelâ El-Renemy. Peu après, nous arri-
vâmes à Zebâlâ.
Cette station est la plus importante de toutes celles que
nous avions rencontrées depuis 'Aâak. Elle occupe un bassin
ovale, mesurant 4 kilomètres sur deux. Le sol est du roc,
soc. DE GÉOGR. — 1" TRIMESTRE 1885. VL — 8
114 VOYAGE DANS L'ARABIE CENTRALE.
en sorte que les eaux de pluie n'ayant d'écoulement ni au
dehors de ce bassin naturel, ni dans le sol, se rassemblent
dans les bas-fonds et ne disparaissent que par Tévaporation.
Néanmoins, on a construit là quatre grandes citernes qui
sont pleines d'eau en ce moment.
Les habitations, qui étaient considérables, ont été cons-
truites au sud des bassins, et au-dessus de la dépression
qu'ils occupent; elles pouvaient ainsi être vues de très
loin et servir de points de repère dans ce désert si nu et si
uniforme.
Entre les bassins et les bâtiments se trouvent 5 grands
puits de 2"*,50à 3 mètres de diamètre et de 40à50 mètres de
profondeur. Lors de mon passage ils avaient de Teau, mais
c'était probablement de l'eau de pluie. La partie supérieure
de ces puits est muraillée, le reste est taillé dans le roc.
Les bâtiments ne sont plus que des monceaux in-
formes, parce que les pierres employées à les construire
étant de nature friable, se sont effritées sous l'influence
des agents atmosphériques. Les bassins sont aussi en partie
éboulés.
Depuis Aàeîhebat le terrain était déjà redevenu volca-
nique, mais à Zebâlâ ce caractère s'accentue.
Le 10 février nous fûmes de nouveau en marche à sept
heures. Quelques minutes après nous traversions le s'aïb^
Âbârouâts, qui, grâce à la pluie tombée toute la nuit, avait
à ce moment-là deux pieds d'eau et une largeur de 100 mè-
tres. Ce à'aïb doit avoir un cours de 50 à 60 kilomètres de
l'ouest à Test.
A onze heures nous campions à El Gemeïmâ, dépression
de terrain au plus bas niveau de laquelle a été construit un
beau bassin carré, très bien conservé; il a 30 mètres de côté
environ, sur 4 de profondeur. La construction en es
très ingénieuse. L'eau entre dans le réservoir, qui était
1 . S*aibf ruisseau, petit cours d'eau.
VOYAGE DANS L' ARABIE CENTRALE. 115
plein jusqu'au bord, par un canal latéral destiné proba-
blement à faire précipiter le sable et les matières terreuses
en suspension dans Teau.
Les murs du bassin avaient 1",30 d'épaisseur, l'intérieur
était revêtu de pierres taillées, non recouvertes de ciment. De
même que les précédents bassins, celui-ci avait des marches
conduisant jusqu'au fond.
Le il février nous fîmes 16 milles dans le nord, 5® ouest et
nous campâmes à Âdhafîry, où se trouve un beau birket
entièrement conservé.
Vers neuf heures du matin nous avions vu juste à l'ouest, à
une vingtaine de kilomètres, la pointe d'une colline qui s'éle-
vait un peu au-dessus de l'horizon; on la nomme El Qoûr
'Athïah.
Près de 40 kilomètres avant d'arriver à notre campe-
ment nous avions rencontré déjà un bassin de même nom
que celui près duquel nous campions, Âdhafîry. Tous les
deux, très bien conservés, ils n'avaient d'eau ni l'un ni
l'autre. Aucune construction n'était élevée auprès.
A quelques kilomètres au nord de notre campement se
trouve un troisième birket portant également le nom de
Âdhafîry. Celui-ci a environ 12 mètres de diamètre; il était
ensablé jusqu'au bord.
Les Arabes, pour distinguer ces trois bassins qui portent
le même nom, les désignent par les qualificatifs de méri-
dional, septentrional et du milieu.
Nous étions donc campés près du Birket Âdhafîry du
milieu, et de ce point je voyais se profiler au nord, en une
longue ligne parfaitement horizontale, une colline désignée
sous le nom de £1 Gâl el Bathn. Le lendemain, en la fran-
chissant, je vis que c'était non pas une colline, mais un
étage du plateau.
C'est là, au Gâl el Bathn, que finit le désert pierreux;
il avait conimencé au point où le Derb Zobeïdah quitte
définitivement le Nefoûd, c'est-à-dire au Birket Feleît ebn
116 VOYAGE DANS l'aRABIE CENTRALE.
Qenet. Ce désert pierreux (calcaire) qui est très uniforme
s'appelle El Hegerah. Dans le nord-ouest, il s'étend jusqu'au
Oudïân, à quatre journées de marche; dans le sud-est,
jusqu'au Hasâ, à trois jours duDerb Zobeïdah. Partout sur
cet immense espace de terrain, il est d'une sécheresse et
d'une stérilité absolues.
Je viens de nommer El Oûdïâû. Ce nom ne désigne ni un
s'aïb ni un ouâdy, mais une dépression de terrain dans le
Hamâd, au nord du Nefoûd, à Test du Djoùf, et qui se dirige
vers le nord-est sur une longueur de plus de 120 milles
géographiques. Il contient de bons pâturages. Je dois re-
marquer ici que je n'ai entendu parler du Oûdiàn ni au
Djoûf ni au Gebel. Un seîkh 'anezah qui a accompagné le
hadjdj pendant deux jours à partir de OûaSrâf, m^en a dit
le peu que j'en sache et c'est d'après ces renseignements
que je l'ai porté sur ma carte.
Le 12 février nous partîmes à sept heures pour le nord
et, une heure après, nous passions à côté du Birket Adhafîry
septentrional, mentionné tout à l'heure. Un peu plus loin,
nous arrivions devant El Gâl el Bathn dont nous escala-
dions la pente fort raide.
La montée qui s'effectue par le lit d'un torrent, est très
difficile, aussi beaucoup de chameaux culbutent-ils. Partout
ailleurs qu'à cet endroit le Gâl el Bathn est inabordable,
même pour un homme, m'assurent les Arabes.
Le torrent a été détourné en partie pour en envoyer les
eaux dans un bassin construit au bas delà pente, mais qui
est entièrement ensablé.
Lorsqu'on se trouve au sommet du Gâl el Bathn on voit
effectivement, ainsi que je l'ai déjà dit, que ce n'est pas
une colline, car le terrain se continue aussitôt vers le nord
en un plateau immense. C'est donc un gradin de 40 à
50 mètres à monter, lorsqu'on arrive du sud.
Au bas du Gâl el Bathn le terrain est raviné et vallonné
par les eaux, aussi trouve-t-on là quelques pâturages.
VOYAGE DANS l'aRABIE CENTRALE. 117
Ce soulèvement dont la direction est du nord-ouest au
sud-est, s*étend sur une longueur d'environ 160 kilomètres,
dont un tiers environ à l'ouest du Derb Zobeïdah, et le
reste à l'est.
Deux lieues au delà du Gâl el Bathn nous campâmes près
du Birket el 'Aqabah.
Cette station est une des plus importantes de la roule. Il
s'y trouve un magnifique bassin de 110 mètres de long sur
60 de large, en partie en ruines et ensablé. Il contenait
de Teau.
Un second birket, en. ruines, est sans eau.
Mais ce qu'il y a de plus remarquable ce sont quatre grands
puits, des plus beaux que j'aie jamais vus. Le premier, qui
se trouve au nord du grand Birket, est un carré de 4 mètres
et demi de côté. Depuis l'orifice jusqu'à environ 8 mètres
de profondeur, il es,t muré; le reste est taillé dans le roc.
Un deuxième puits, placé au milieu d'un grand bâtiment
en ruines, est aussi carré et a 3™,50 de côté.
Un troisième n'a que 2 mètres de diamètre, et un qua-
trième, situé à 50 mètres au nord-est du grand bassin, me-
sure 4 niètres sur chaque face.
Tous ces puits, véritables travaux d'art exécutés avec
un très grand soin, ont 60 mètres de profondeur. Ils ne
contiennent malheureusement pas d'eau et tant d'im-
menses travaux ont été faits en pure perte.
Les ruines des bâtiments d'habitation sont considérables
et témoignent de l'importance de cette station.
Le lendemain, reprenant notre marche aa nord, nous
fîmes 11 milles et campâmes à 'Atsâmîn.
Aussitôt après notre départ de El 'Aqabah la route recom-
mença à être bordée de murs, restes des travaux de Zobeï-
dah. Mais là, mieux conservés que précédemment, ils
atteignaient en certains endroits 2 mètres de hauteur. Pri-
mitivement ils devaient être plus hauts, car les murs sont
privés de couronnement et ébréchés. Néanmoins, je ne
118 VOYAGE DANS l'ARABIE CENTRALE.
crois pas que cette hauteur de 2 mètres ait dû exister
partout, non plus que l'épaisseur, qui varie de 0™,50 ki'^ylO.
Ces murs au nord de ^Aqabah sont d'une construction
plus grossière que ceux qui restent au sud de El Metseîâhat.
Les pierres, près de * Aqabah, sont toutes frustes, très grandes
et simplement posées les unes sur les autres, sans avoir
jamais été reliées par un mortier.
Au nord et à 6 kilomètres de 'Aqabah se trouve un qaçr
en ruines. A 8 kilomètres plus loin, dans une légère dépres-
sion de terrain, on voit un birket carré, de 15 mètres de
côté. Ce bassin est visible d'une certaine distance, car les
terres extraites, lors de sa construction, ayant été rejetées
au nord et au sud du bassin, forment deux petites collines
brunâtres, qui, grâce à l'uniformité du désert, sont visibles
de loin. Le bassin était plein d'eau. Le qaçr et le birket
portent le nom de la région, 'Atsâmîn*.
Déjà avant d'arriver à ce birket on voit au nord une
longue bande horizontale, allant de Test à l'ouest, qui fait
songer à un soulèvement pareil à celui du Gâl el Bathn.
Mais, nous l'atteignons vers onze heures et je vois alors que
c'était une longue bande de petites collines isolées, à som-
met en table, dirigées de nord-est à sud-ouest. Ces collines
affectent généralement la forme elliptique; leur hauteur
n'est que de 15 mètres environ. La longueur du soulè-
vement qui porte le nom de 'Atsâmîn, est de 50 kilomètres.
Un petit groupe de collines, à 8 milles au nord, 50° ouest
de notre campement, s'appelle 'Aisemâii.
Le 14 février nous étions en route vers sept heures, et
une demi-heure après nous avions en vue, devant nous,
un petit pic que nous atteignîmes bientôt; il s'appelle
Gebel el Fehadah.
En même temps que ce gebel minuscule je vis au loin,
également du côté du nord, un soulèvement qui me rappela
1. *At8âmîn est le pluriel de 'Atsmân, plus généralement prononcé
Othmân, nom propre d'homme (Rédaction).
VOYAGE DANS L'ARABIE CENTRALE. 119
ceux de Gâl el Bathn et de 'Atsàmîii. Nous ne tardâmes pas
à y arriver et je vis alors qu'il ressemblait plutôt au premier
qu'au second. Nous eûmes d'abord à monter un premier
gradin, puis, après une centaine de mètres, un second. Les
deux gradins réunis n'ont guère que la moitié de la hauteur
de celui de Gâl el Bathn. Une fois arrivé au sommet on se
trouve sur un plateau absolument nu.
Ce soulèvement qui a aussi la direction du nord-ouest au
sud-est, court sur une longueur de 60 kilomètres environ,
et porte le nom de Gâl Ouaqçat.
Du Gâl Ouaqçat nous fîmes encore 2 kilomètres, puis nous
campâmes près d'une dépression de terrain que les der-
nières pluies avaiint transformée en un petit lac et qui s'ap-
pelle Ouaârâf.
Ce campement occupait un plateau en forme de cuvette
très aplatie, de 5 milles de long sur 2 de large. Dans
le fond de cette cuvette ont été creusés une soixantaine
de puits de 1 mètre de diamètre, La plus grande partie de
ces puit3 était alors submergée par le lac, produit des
pluies de l'hiver. Je n'en n'ai vu qu'un seul mesurant
8 mètres de côté, mais tous sont taillés dans le roc. L'eau
est détestable.
Les Arabes me racontent qu'il y avait là jadis une grande
cité. Est-ce yne légende fondée sur le nombre des puits, ou
sur la quantité des moellons épars de tous côtés ? J'ai bien
vu là des restes de fondations de constructions anciennes,
mais pas plus considérables que dans les précédentes
stations. Quoiqu'il en sait, sauf les puits, il n'y a plus rien
là, pas même de hathab S et beaucoup de pèlerins ne purent
préparer leur nourriture, faute d'avoir de quoi la faire cuire.
Peu avant d'arriver au Gâl Ouaqçat, on rencontre à
l'ouest de la route, le puits de Ouaqçat, de 18 mètres de
profondeur et avec de l'eau douce,
1. Hathab, bois à brûler.
120 VOYAGE DANS L* ARABIE CENTRALE.
Dans la région de Ouaqçat et de *Atsâmîn il existe encore
trois puits fort anciens. Ils occupent une ligne qui partant
du Birket 'Atsâmîn, s'en va rejoindre au nord-est Textré-
mité du Gâl Ouaqçat.
Le premier, situé à 12 kilomètres du birket, est El Gil,
profond de 70 mètres.
Le second, à 22 kilomètres, se nomme El Sebrom; il a
80 mètres de profondeur;
Le troisième, El 'Aâ'aa, à 26 kilomètres du birket, est
profond de 87 mètres .
L'eau de El Gil serait mauvaise, celle des deux autres
puits, bonne. Pour les profondeurs, je les donne, bien
entendu, sous toutes réserves, d'après le dire des Arabes,
auxquels les nombres de mètres ne coûtent rien, surtout
lorsqu'il s'agit de la profondeur d'un puits.
Le désert à Test de ces trois puits s'appelle Gâl el Besâsab.
Je ne. sais à quoi se rattache au juste cette dénomination
car on m'a assuré qu'il ne s'y trouve pas de gdl proprement
dit.
Toute la région de 'Atsâmîn, entre les deux gâl de El
Batbn et de Ouaqçat, est un désert de silex d'une stérilité
absolue. Pourtant, entre le Gebel Fehadah et le Gâl Ouaqçat,
les silex disparaissent. Les Bédouins donnent à ces silex le
nom de çalâbikh, et plus spécialement celui de çalâbikh
ouaqçat; mais je crois que cette dénomination n'est en usage
que chez les 'Anezah.
A 5 milles au nord de notre campement de OuaSrâf, se
trouve la ligne de séparation des territoires des deux plus
puissantes tribus de l'Arabie, des èammar et des 'Anezah.
Cette ligne passe à peu près par la latitude des puits de
Sebîkah qui se trouvent à 5 milles au nord-ouest de
Oua§râf.
Ces puits fameux, au nombre de trois cents environ, ne
sont pas anciens et ont été creusés par les Arabes modernes,
c'est-à-dire depuis le commencement de l'hégire. Ils n'ont
VOYAGE DANS L'ARABIE CENTRALE. 121
qu'une profondeur de 2, 3 ou 4 mètres. On m'assure aussi
qu'ils n'ont d'eau que quand il pleut. Ce serait donc plutôt
des citernes que des puits, et ce qui le fait croire encore,
c'est que l'eau en est putride, amère et salée.
Le 15 février, à cause d'une discussion entre deux hame-
Ifldar* et leurs Bédouins, loueurs de chameaux, le hadjdj
resta campé à Ouaèrâf.
J'ai déjà dit que le terrain entre le Gebel Fehadâh et le
Gâl Ouaqçat différait de celui de'Atsâmîn, situé plus au sud,
qui était un sol siliceux. A Ouaqçat encore, on trouve du
calcaire mais très varié, ainsi qu'on peut en juger par les
échantillons rapportés, et qui sont les suivants :
1) Calcaire parsemé de grains de quartz;
2) Calcaire gris cristallin;
3) Calcaire concrétionné ;
4) Calcaire très compacte, poli* et comme verni à la sur-
face, probablement par le frottement du sable.
A Ouaérâf, domine un calcaire très siliceux qui raye le
verre; il est parsemé de vacuoles et de veines calcaires,
comme des travertins.
Le 16, on reprit la marche et 30 kilomètres nous me-
nèrent jusqu'à Âthelahât, qui est encore une des stations
les plus importantes du Derb Zobeïdah.
Là sont les ruines d'une centaine de petites maisons et
d'un grand khân» Ce dernier dresse encore ses murs à 4 ou.
5 mètres au-dessus du sol.
Il s'y trouve en outre, trois birket, un rond et deux carrés;
chacun de ces deux derniers est double. Mais ce qu'on voit
de plus étonnant, ce sont deux puits carrés entièrement
taillés dans le roc, d'environ .70* mètres de profondeur et
mesurant 5 mètres sur chaque face, exécutés avec un soin
et une précision parfaits. Je n'avais encore rien vu d'aussi
1. Hameladar, nom que portent ceux qui se chargent, moyennant un
prix à forfait, du transport des hadjdj persans, depuis la Mésopotamie jus-
qu'aux villes saintes, et de leur retour.
122 VOYAGE DANS l' ARABIE CENTRALE.
grandiose/ car ces puits sont bien plus beaux et plus pro-
fonds que ceux de El 'Aqabah. Lors de mon passage ils
étaient à secs, et l'ont probablement toujours été.
Les birket, eux aussi, étaient à sec, ce qui n'est pas
étonnant car ils sont ensablés jusqu'au-dessus des bouches
d'alimentation. Il avait plu ici comme dans toute la région ;
c'est ce qu'attestait la forte végétation qui poussait dans
toutes les dépressions du sol.
Une heure avant d'arriver à Athelahât on rencontre les
ruines d'une construction isolée, pour lesquelles il n'y a
pas de nom spécial.
A partir de 10 kilomètres au nord de Ouasrâf le sol change
encore d'aspect. Le calcaire concrétionné, le calcaire com-
pacte et le silex jaspoïde, restent les roches dominantes
jusqu'à Athelahât.
Cette station porte encore le nom de Mefreqâ Derb, parce
que d'ici le chemin se bifurque, une branche allant direc-
tement à Nedjef, l'autre vers Qaçr e'Seïd.
Le 17 février, on changea de route et nous marchâmes
au nord, 20** est.
A 11 heures, nous passions, sans nous y arrêter, devant
la station de El Hamâih. Il s'y trouve un qaçr, un puits et
un birket. Le qaçr, un des mieux conservés de la route,
renferme une pièce entièrement voûtée, encore debout. Le
birket aussi est bien conservé et a de l'eau.
A une heure, après avoir parcouru 35 kilomètres depuis
Athelahât, nous campâmes à la station de Hamed, où il n'y
qu'un birket carré.
Le jour suivant, en route à six heures du matin, nous
passions deux heures après à côté de la station de Meghrî-
tsah, où se trouvent un qaçr et deux birket. Une vingtaine
de kilomètres plus loin nous campâmes sur les bords du
S'aïb El Khats'amy, non loin du Qaçr et du Birket Ouâme-
qroûn.
Depuis Athelahât jusqu'au ruisseau de El Khats'amy, le
VOYAGE DANS L'ABABIE CENTRALE. 123
pays présente toujours l'aspect d'un désert pierreux, sans
Tégélalion. Ce dernier ruisseau est à sec, mais ayant eu
déjà de l'eau cet hiver, il est plein de verdure. Ou y trouve
de l'herbe et du hathab.
Le 19 février, en roule à six heures, nous marchâmes par
environ nord, 10° ouest.
Après trois heures de voyage, nous traversions le è'aïb Açb,
qui doit avoir son origine près des puits de Sebîkab, et
couler dans le àatt el ^Arab, près Baçrah.
Une heure après avoir traversé le à'aïb Âçb, nous arri-
vâmes au à'aïb Âboû Khamsât, qui avait beaucoup de ver-
dure. Nous allâmes camper une heure plus au nord.
A quelques kilomètres à Test de notre campement, nous
avions le Qaçr e 'Seïed, avec une source; à quelques kilo-
mètres au sud-est le Qaçr Reheïm, avec une source d'eau
amère.
Dès huit heures du matin on pouvait voir devant soi
la coupole dorée de la mosquée de *Aly, à Nedjef, qui mi-
roitait comme un soleil. Cette vue donna du courage à tout
le monde et fit oublier bien des misères passées.
Le lendemain, 20 février, longtemps avant l'aube, tout le
monde était prêt. En route à six heures, on arrivait une
heure et demie après devant la « mer de Nedjef » qu'on
laissa à droite pour la contourner. Nous marchâmes succes-
sivement au nord-est puis à l'est et enfin au sud-est. A
midi moins quelques minutes, j'arrivai à Nedjef la Sainte.
Des Bédouins avaient voulu faire pièce à Ebn Reâid en
refusant de transporter le hadjdj aux conditions posées par
lui ; mais finalement, sur les menaces de l'émîr, ils s'étaient
décidés à envoyer leurs chameaux les plus mauvais, ce qui
força le hadjdj à ne faire que des marches de six à sept
» heures par jour; nous avions donc mis 35 jours pour venir
de Hâïl à Nedjef, trajet qui d'ordinaire s'effectue facilement
en 12 jours.
Je m'arrêtai quelquesjours à Nedjef et àKerbelà, heureux
124 VOYAGE DANS L'ARABIE CENTRALE.
de goûter de nouveau les douceurs d'une civilisation plus
avancée que celle des habitants du désert. La peste ayant
éclaté à Nedjef, je dus faire quinze jours de quarantaine à
Mescïeb avant d'entrer à Baghdâd, où je n'arrivai que le
18 mars. J'y reçus l'accueil le plus cordial et îe plus fran-
chement sympathique de M.Pèretié, notre consul, en même
temps qu'une hospitalité .toute orientale. Je lui en aurai
toujours la plus vive reconnaissance.
Un mot encore avant de clore l'itinéraire de Hâïl vers
le 'Iraq. Trois routes sont suivies d'habitude, que les Arabes
désignent comme suit :
LaDerb Semâoûah; elle part de cette dernière localité, sur
les bords de TEuphrate, et se rend au Gebel en passant par
Lînah ;
La Derb G.hrazâl, qui peut partir d'un point quelconque de
la Mésopotamie, oblique un peu àl'ouest et va au sud en pas-
sant à l'ouest des puits de èebîkah, et en entamant fortement
le JNefoûd. Cette voie ne peut être prise que par des hommes
bien montés. C'est probablement celle que suivit Wallin en
1848;
La Derb Zobeïdah ou Derb Çoulthâny, qui court entre
les deux précédentes. C'est celle que j'ai suivie et que je
/viens de décrire.
Mais l'on comprend que cette dernière route, malgré son
luxe de bassins, ne soit pas praticable en tout temps, puisque
les pluies d'hiver ne sont pas régulières. Tous les arabes
m'ont raconté qu'avant l'hiver de 1880-81, il y en avait eu
trois sans pluies, pendant lesquels aucun des bassins n'avait
eu de l'eau, et avant cestroishiversilyenavaiteu neuf autres
de sécheresse. Ainsi en treize ans, cette route n'aélé praticable
que trois ans. La caravane des pèlerins pour laquelle elle a
été construite peut s'en servir bien plus rarement encore, ,
puisque le pèlerinage coïncide généralement avec un mois
chaud plutôt qu'avec un mois froid.
Les constructeurs du Derb Zobeïdah ont bien compris
VOYAGE DANS l'ARABIE CENTRALE. 125
cet inconvénient et ils ont essayé d'y parer en créant des
puits à côté de leurs immenses bassins; on a vu par les
beaux travaux exécutés aux stations de Âthelahàt et de
El'Aqabah combien ils y ont mis de ténacité. Mais déci-
dément Allah n'était point avec eux car ils n'ont pas trouvé
d'eau.
Voici maintenant quelques renseignements sur la route la
plus fréquentée, le Derb Semàoûah, passant par Lînah, et
que, faute de plus de précision, je n'ai pu faire entrer dans
ma carte.
En partant de Semàoûah, une forte journée conduit à
El Gferah*, station pourvue de puits. Ce point est rendu
dangereux par les Arabes Âzeïàd, voleurs de profession. Ils
ont tous des chevaux et sont continuellement en maraude.
Le second jour déjà on arrive au désert de El Hegerah et
on campe à un endroit appelé Âboû Khoueïmah, où il n'y
a de l'eau qu'en hiver, dans un ghradîr.
Le troisième jour on campe à Selmân; là sont de nom-
breux puits dont l'eau est mauvaise.
Le quatrième jour conduit à Haqeî el Ferdoûs, légère
dépression de terrain, de forme allongée et d'environ
500 mètres d'étendue; elle renferme toute l'année de la
verdure. Il ne s'y trouve pas de puits, mais après la pluie
l'eau y séjourne longtemps.
Le cinquième jour, on campe à El Khâdîd où il n'y a que
de l'eau de pluie.
Le sixième jour on campe au Gâl el Bathn, où l'on trouve
soit de l'eau de pluie, soit de l'eau des puits de Lînah.
Mes renseignements sur cette route ne vont pas plus loin.
1. Le nom, écrit en arabe, en marge du manuscrit de M. Huber auto-
riserait à corriger ainsi sa transcription : El-Gofrah (Rédaction).
ii6 YOTAGE DANS L'ARABIE CEUTBALE.
DE BAGHVÂD A DAMAS PAR LE HAMId.
De Bstghdâd on n'a que le choix des routes pour se rendre
en France. La plus habituelle est la Toîe de mer, par
Baçrah et Suez; c'est la moins fatigante mais la plus
longue.
Une des routes de terre consiste à se rendre de Baghdâd
à Mosoul* et de là à Alezandrette, soit par Orfa, soit par
Haleb. Cette course se fait à cheval.
Il existe enfin une route beaucoup plus courte qui em-
prunte la voie du désert. Elle consiste à se rendre de Bagh-
dâd à TEuphrate qu'on traverse à Saq1â\KFîah; on remonte
ensuite la rive droite du fleuve jusqu'à Deîr, d'où Ton se
rend à Sokhnah au sud-ouest, puis à Palmyre et enfin à
Damas. On a de l'eau tous les jours ou tous les deux jours
et le voyage se fait sur un dzeloûl. Malheureusement od
est exposé aux déprédations des grandes tribus des 'Anezah
qui occupent précisément ces régions du désert de Syrie.
C'est le chemin habituellement suivi par les petites cara-
vanes qui circulent entre Baghdâd et Damas.
Plus intéressante pour la science devait être la route
directe de Baghdâd à Damas au travers du Hamâd. Le
trajet est effectué depuis plusieurs années par des Arabes
isolés qui font le service de la poste entre ce deux villes,
pour le compte du consul anglais de Baghdâd'.
Je fis donc mes préparatifs pour suivre cette route et,
ayant trouvé le guide nécessaire, je quittai Baghdâd le
i«' décembre 1881.
Sortis de la ville à cinq heures du soir, à la tombée de la
nuit je ne fis que quatre milles et allai camper non loin
de 'Aker-Koûf, auprès de quelques tentes des Beny Temîm.
1. Le nom arabe est : £l-Moûcil (Rédaction).
2. Depuis un an le gouyernement ottoman a établi sur la même ligne
un service semblable.
VOYAGE DANS L'àRABIE CENTRALE. 127
Le lendemain, 2 décembre, en marche à trois heures du
matin, nous arrivions douze heures après à Saqlâwïah, sur
les bords de l'Euphrate.
Le terrain alluvionnaire du Tigre s'étend jusqu'à moitié
chemin, près du Qaçr Noqtah. Au delà, le sol devient pier-
reux et caillouteux. La composition du sol est du reste fort
compliquée. J*ai en effet relevé du gypse lamellaire, du silex
en galets gris clairs ou jaunâtres, du jaspe craquelé avec
veinules de quartz, des galets de quartz blanc hyalin, du
grès gris, du calcaire terreux.
Une heure avant d'arriver à Saqlâwïah, le marbre et le
mica affleurent le sol.
A partir du Qaçr Noqtah la flore prend l'aspect de celle
du Hamâd, les térébinthes caractéristiques du Gezîrat dis-
paraissent à l'excftption d'un ou deux.
Le lendemain nous traversâmes l'Euphrate dans un bac,
à quinze minutes du village. L'opération ne dura qu'un
quart d'iieure. Nous nous dirigeâmes aussitôt, par nord,
70° ouest, sur Remâdy, où nous arrivions à quatre heures
pour aller camper en pleins champs à une heure de marche
plus loin.
Toute la rive droite de l'Euphrate depuis Saqlâwïah jus-
qu'à Remâdy, sur une largeur de 500 à 1000 mètres, est
cultivée par des Arabes sédentaires des tribus deÂbou Fahat,
de Ourdemy et de Mehamtah.
Le paysage est entièrement changé; ce n'est plus l'im-
mense plaine du Gezîrat, le terrain d'alluvion cesse à une
distance de l'Euphrate qui varie de 1 à 5 kilomètres. Le sol
monte insensiblement, forme un soulèvement de 15à20 mè-
tres d'élévation, composé de grès friable en décomposition.
Le 4 décembre, en route à quatre heures du matin,
nous arrivions neuf heures après à Hît*, dont la direction
était indiquée, dès huit heures du matin, par une colonne
1. Hit, rancienne His d'Hérodote.
128 VOYAGE DANS l'aRABIE CENTRALE.
de fumée noire provenant de la distillation de ses essences
minérales.
Cette petite ville, une des plus vieilles du monde, sûre-
ment antérieure à Babylone, se trouve aujourd'hui située à
150 mètres à l'ouest de son ancien emplacement. Le nou-
veau Hît occupe la place de la citadelle de Tancienne ville,
sur un roc dominant le fleuve et taillé à pic de ce côté.
En face, sur la rive gauche, se trouve un seul jardin de 200
palmiers âgés de vingt ans; il est arrosé au moyen de deux
de ces immenses roues mues par le courant, qui montent
l'eau avec un ronflement assourdissant et qui sont parti-
culières à la région de l'Euphrate. Au bas, à l'est de Hît, se
trouve encore un jardin d'une centaine de palmiers. C'est
tout ce qu'il y a de verdure.
On sait qu'au delà de Hît, le palmier vient encore à 'Anâ,
mais c'est là la limite septentrionale de la productivité de
cet arbre; au delà il ne donne plus de fruits.
Le territoire de Hît forme une dépression de terrain ana-
logue aux bassins que j'avais vus au Qaçîm. Une extrémité de
ce bassin est touchée par l'Euphrate dont la largeur est ici
de 60 mètres, et c'est précisément en ce point que se trouve
Hit.
L'aspect de la contrée est nu et désolé. A plusieurs kilo-
mètres à la ronde sourdent de petites sources saturées
d'hydrogène sulfuré qui empestent l'atmosphère, chargée
en outre de la fumée noire des carbures qui servent de
combustible pour distiller lés mêmes carbures.
La ville produit l'effet d'une ruine. Un minaret, situé dans
l'angle sud, se voit de très loin lorsqu'on vient de Remâdy.
Hît vit entièrement de ses sources de bitume qui sem-
blent inépuisables.
D'après les échantillons minéralogiques rapportés, le sol
de la localité se compose principalement de gypse, de galets
de quartz et de phtanite, de silex zonaire rubané, parfois man-
ganésifère, de quartz hyalin, de galets de calcaire noi^très
VOYAGE DANS L* ARABIE CENTRALE. 129
compacte, parfois tubuleux, de grès quartzeux à ciment cal-
caire.
Entre Remâdy etHît, TEuphrate forme une anse au nord,
de sorte qu'on le perd de vue, et les alluvîons ne s'étendant
pas aussi loin dans l'intérieur, il en résulte que presque
tout le parcours se fait dans un désert de gravier qui
porte le nom de Âboû Rayât.
A Hit on remplit ses outres de l'eau de l'Euphrate pour
la traversée du désert. Nous repartîmes vers cinq heures du
soir dans la direction de nord, 75« ouest, pour arriver à
huit heures à Kebeïsah, village de 500 âmes, entouré de
murs bien entretenus, en dehors desquel nous passons la nuit.
Les jardins de Kebeïsah se trouvent dans un enclos séparé,
au nord de la ville et, sur la lisière des jardins, coule une
source abondante, mais dont l'eau est amère et salée. L'eau
potable, pour la consommation de tout le village, ne se
trouve que dans un puits unique situé à 500 mètres en
dehors des murs.
Cette petite cité, aux portes du désert, est le siège d'un
moûdir chargé de recevoir l'impôt pour le compte du gou-
vernement ottoman; mais c'est là le seulbénifice que les
habitants recueillent de leur nationalité, car, victimes des
déprédations continuelles des Arabes 'Anezah, ils n'ont
jamais vu l'autorité intervenir pour les en préserver.
Le lundi 5 décembre nous quittâmes Kebeïsah à six
heures du matin ; nous ne devions plus rencontrer de centre
habité jusqu'à notre arrivée en Syrie. Un vent glacial du
nord souffla en tempête tout le jour et empêcha parfois
nos chameaux d'avancer.
Notre route courait dans le sud, 60* ouest. Six heures de
marche nous conduisirent au Qaçr Khebâz, où nous cam-
pâmes dans le lit du â'aïb du môme nom, qui, après s'être
formé sur les plateaux dont le qaçr est environné, prend la
direction nord-est, passe à Kebeïsah, et de là se jette dans
l'Euphrate.
soc. DE GÉOGR. — 1" TRIMESTRE 1885. Yl — 9
130 VOYAGE DANS l'ARABIE CENTRALE.
Le Qaçr de Khebâz est la première station d'une route
allant dé Baghdâd à Damas, et appelée Derb Zobeîdah
comme celle qui conduit du 'Iraq aux Tilles saintes du
Hedjâz; c'est dire que les constructions de la route de
Damas sont attribuées à la même princesse.
Devant le Qaçr Khebâz le terrain s'abaisse brusquement
de 40 mètres environ et à côté du qaçr descend un torrent
dans le bas duquel on a construit un grand birket en
pierres de taille de fortes dimensions. Le tout est en
ruines, néanmoins il est facile de voir que c'est le même
genre de constructions que sur le Derb Zobeîdah du sud.
Les murs du qaçr ont encore trois mètres d'élévation et la
voûte du portail est encore entière.
£n quittant Khebâz nous continuâmes notre route pen-
dant 25 kilomètres, toujours dans la direction de nord,
60^ ouest, et campâmes à Riqm e' Saboûil, nom d'un léger
monticule sur lequel se trouvait une seule construction, en
gros blocs, maintenant entièrement en ruines.
Le 6 décembre, au moment du départ, le matin, le ther-
momètre marquait — 5°,9, et le vent, toujours fort, soufflait
du nord-ouest. Personne n'avait pu dormir à cause du
froid.
Quelques kilomètres au delà de Riqm e' Saboûn nous
arrivâmes dans le canton de Qer'aah 'Aâmeq, et après
cinq heures de marche au Qaçr 'Amed.
Le Qaçr 'Amed est bâti sur la partie la plus déclive d'un
plateau. Il n'en reste plus que les fondations au ras du
sol et la porte avec sa voûte. A une petite distance à l'ouest
du qaçr on trouve un bassin carré de l!2 mètres de côté,
mais qui est ensablé jusqu'à fleur de terre.
A partir de Hît le désert conserve la même uniformité ; ce
ne sont que plaines immenses parfois légèrement ondulées.
Du Qaçr 'Amed nous fîmes encore une quarantaine de
kilomètres, puis nous campâmes.
La nuit du 6 au 7 décembre fut encore plus froide que la
VOYAGE DANS L' ARABIE CENTRALE. 131
précédente; le thermomètre deseendit à — 10%1, Heu-
reusement le vent était plus faible que les jours passés.
Partis à sept heures, nous arrivâmes en trois heures de.
marche au Ouàdy El M'aïâer^ dont Torigine se trouve à cinq
milles environ au sud-est de ma route. Après un cours
d'une vingtaine de kilomètres au nord-ouest, il se jette
dans le Ouâdy Haourân.
Une heure avant d'arriver au Ouâdy El M'aïâef, je ren-
contrai, fait curieux, des deux côtés du chemin, des restes
de inur de clôture identiques à ceux que j'avais vus sur
le Derb Zobeïdah du sud. Je pus suivre ces murs sur
une longueur de près de deux kilomètres.
Deux heures et demie après avoir quitté le Ouâdy El
M'aïâef, nous campions dans le Ouâdy Haourâii près des
puits de 'Aïwef . Les ruines du Qaçr 'Aïwef se trouvent sur
la rive droite du ouâdy; ses murs n'ont plus qu'un mètre
de hauteur. La porte voûtée est aussi encore debout.
Les puits de 'Aïwef, au nombre de 12, sont dans le lit
même du ouâdy, près de la rive droite ; sept sont comblés.
On les a creusés dans le gravier et les parois en sont sou-
tenues par des gros blocs roulés, pris dans le ouâdy
même. L'eau, très bonne, est à quatre mètres de profon-
deur.
Sur la rive opposée, en face de Qaçr 'Aïwef, se trouve un
tombeau en ruines, et tout autour, sur un grand espace,
se voient des tombes. Cet endroit est le lieu de sépulture des
Saloby qui sont aussi les propriétaires des puits.
Le commencement du Ouâdy Haourân, au dire de mes
hommes, serait à quatre ou cinq jours de marche sud-
ouest de 'Aïwef, soit à environ 200 kilomètres, et son
embouchure dans TEuphrate, à trois ou quatre jours de
marche à partir du même point. D'autres renseignements
m'ont donné des chiffres plus faibles. Les Saloby du nord-
est du Nefoûd m'avaient tous dit que la longueur totale
du Ouâdy Haourân ne dépassait pas six à sept jours de
132 VOYAGE DANS l'ARABIE CENTRALE.
marche. Des Arabes Amarrât, à Test de Kerbelâ, m'avaient
donné des chiffres à peu près analogues. J'avoue que ces
derniers renseignements m'ont influencé dans mon tracé et
que je n'ai pas osé suivre l'auteur de la carte jointe au
voyage de Lady Anna Blunt, qui reporte la tête du ouâdy à
36° 7' de longitude est, soit environ un degré de plus à
l'ouest que moi.
D'après la feuille V de la carte du cours de l'Euphrate par
le colonel Chesney, l'embouchure du Ouâdy Haourân se
trouve à vingt cinq milles anglais, nord 37° ouest, de 'Anâ.
A 'Aïwef, les berges du ouâdy disparaissent et son lit est
rempli de gros gravier, de cailloux et de blocs roulés, ce
qui indique un régime parfois torrentiel.
Les environs de 'Aïwef sont montueux. La masse des
montagnes est formée d'un calcaire compacte. Mes guides
les désignaient toutes sous le nom générique de montagnes
de 'Aïwef; mais les différents pics ont probablement des
noms spéciaux, connus seulement des Saloby qui viennent
là au printemps.
Les chameaux abreuvés et les outres remplies, nous
repartîmes et, marchant à Touest, fîmes encore environ
30 kilomètres. Nous étions ainsi à l'extrémité de ce désert,
où l'on ne voit que des plaines immenses avec de faibles
et longues ondulations du sol dépourvu de toute végé-
tation. 11 avait commencé à l'ouest du Riqm e'Saboùn ; son
nom est El Dhâï'a et aussi El Dhoui'a le (dh, dans ces deux
mots, représentant le dhad emphatique).
En quittant cette région nous arrivâmes, le 8 décembre,
dans le pays plus montueux de El G'arâ, qui est aussi
moins stérile. La terre est bonne et produit de bons pâtu-
rages. Je vis môme, vers dix heures du matin, du noçy,
dans un petit vallon où nous nous arrêtâmes pour déjeuner
et permettre à nos chameaux de paître.
De ce campement je pus relever quelques pics en vue,
tous situés sur le territoire de El G'arâ:
VOYAGE DANS l'ARABIE CENTRALE. 133
Par nord, 22o ouest El HedeP,
Par nord, 60o ouest Merboth el Haçân,
Par nord, 70" ouest El N'aqah*,
Par sud, 55*» ouest El *Afâïf,
Ce dernier est le plus considérable.
Au loin, devant nous et juste à l'ouest, s'étend une
longue chaîne de montagnes appelée El Meloçah, que nous
atteignîmes après huit heures du soir et où il y a des puits.
Deux heures auparavant nous avions eu une alerte. Nous
venions de monter la pente raide d*une petite colline,
lors qu'arrivés au sommet nous voyons tout à coup, à une
distance que j'estime à cinq ou six kilomètres au sud, la
lueur d'un feu de bivouac. Des hommes qui peuvent se per-
mettre cette bravade, à pareille heure et dans le désert, doivent
être nombreux ; leur présence n'annonce rien de bon. C'était
évidemment le ghrazoû que des Bédouins venant du désert
et que nous avions rencontrés à quelques kilomètres de
Kebeïsah, nous avaient annoncé comme devant circuler
dans ces régions.
Obliquant donc immédiatement à droite, nous forçâmes
un peu notre marche.
Les puits de Meloçah sont aussi appelés El Râh ou encore
El Ghrary.
L'opération de puiser de l'eau et d'aljreuverles chameaux
est toujours relativement longue, surtout lorsque les puits
sont profonds. Les difficultés sont encore augmentées si
Topération se fait la nuit, avec la difficulté de distinguer
quels sont les bons puits, qui entraîne la nécessité de les
chercher et de les sonder l'un après l'autre. En outre, lors-
que le pays est dangereux et lorsqu'on se sait, comme nous
alors, dans le proche voisinage d'un ghrazoû, il faut que
1 . Peut-être mieux El-Nâqah, à cause du sens. £1-N'aqah désigne un
certain cri du berger qui veut diriger ses moutons; Ël-Nâqah est la cha-
melle (Rédaction).
134 TOTAGE D15S l'aRABIE CESTRAIX.
tout se fiasse doucement et en si'ence ; on ne parie qo'à Toix
basse, et les chameaux aaxqnels il f^ut ne donner aacon
prétexte de beogler, sont traités arec des égards toot par-
tîcolier.
Ad bout d'ane heare néanmoins tont était terminé à sou-
hait et nons repartions pour aller camper, à une heore du
matin y à 8 kilomètres plus loin, entre quelques gros blocs
de calcaire près du S'aîb Sembàfi.
Ce ^'alb qui se forme non loin an sud de notre campe-
ment, coule au nord-est et se jette, après un cours de près
de 50 kilomètres, dans le Ouâdy £1 Ralqah, qui lui-même
ya Ters i'Euphrate. J'ai lieu de croire qu'il nV Ta pas direc-
tement, mais qu'il doit être un des afQuents du Ouâdy
Haonrân.
Le sable du S'aîb Sembàn est un limon sableux mêlé de
beaucoup de calcaire, avec des silex et du carbonate de
cbaux.
Le 9 décembre, partis à sept heures du matin, nous cam-
pâmes à dix heures sur le territoire de El Hery, qui est un
désert de pierres (gros éclats de silex et calcaire), mais qui
n'a que trois bonnes heures de traTersée.
Aussitôt après nous marchons sur le territoire de
Çonâb.
A 3 h. 30 m., à 4 h. 20 m. et à 4 h. 35 m. je traTcrse suc-
cessivement trois petits affluents du S'aïb Çoûeïb, qui nais-
sent là et coulent au nord pour aller se jeter dans le Ouâdy
Çonâb.
Les trois S'aïb Coûeîb sont des ruisseaux qui n'ont que
6 à 8 mètres de largeur et des bords de 30 centimètres.
Le Ouâdy Çoûâb, me disent mes hommes, coule dans
l'Euphrate entre Deîr et le Ouâdy Haourân, mais aucun ne
put préciser le point, pas même indiquer s'il se trouve au-
dessus ou au-dessous de 'Anâ. Toutefois, en examinant la
belle carte de l'Euphrate du colonel Ghesney, je vis sur la
feuille lY, qui donne le cours du fleuve entre Âbou Salde
VOYAGE DANS L' ARABIE CENTRALE. 135
et Werdi, qu'au retour l'expédition rencontra dans le dé-
sert,'à 36 milles* nord, IS"" ouest de Werdi (34''29'4'' L. N.),
le Ouâdy Souwâb. Avec ce point de repère et d'après la
configuration du terrain près de TEuphrate dans cette ré-
gion, je crois pouvoir assurer que l'embouchure de ce ouàdy
dans l'Euphrate, se trouve entre 34^45' et 34*55' de latitude
nord, soit au sud de Deîr situé par 35°20' T de latitude
nord. On a naturellement le droit de s'étonner que, dans
le relevé si minutieux du cours de l'Euphrate, l'expédition
du colonel Chesney n'ait pas remarqué cette embouchure.
Les roches dominantes dans la région de Çoûâb sont le
silex et un calcaire rouge. L'échantillon pris dans le lit
même du ouâdy est un limon très chargé d'un calcaire rou-
geâtre provenant peut-être de Tusure du calcaire rouge.
Le 10 décembre nous continuâmes noire route au nord,
80« ouest. Au bout de 2 milles nous quittions le territoire
deÇoûâb pourentrer sur celui de El Ouâleget presqu'aussitôt
après nous marchions au nord, 25«> ouest. Cette pointe au
nord avait pour but de contourner une région, volcanique
fort difficile à traverser qui se trouvait au sud de notre
route.
Nous mîmes près de six heures pour arriver au bout du
territoire de El Ouâleg et atteindre celui deKhoûeïmât, que
rien ne distingue du précédent. Toujours le même aspect
de nudité, la même absence complète de toute .végétation.
Le sol est couvert de débris de silex, qui paraissent laqués
tellement ils reluisent au soleil. Ce désert ressemble à celui
qui s'étend à Test du Djoûf, entre cette localité et le désert
deOuelmâ, cependant les pierres d'El Oueleg et Khoûeïmât
sont plus grosses.
A El Oâuleg nous avions repris notre voyage vers Touest.
Une marche de la nuit nous mena à la lin du territoire
de Khoûe'imâl et au commencement de celui de S'alân.
1. Statute mile anglais de 1609 mètres.
136 VOYAGE DANS I.'ARABIE CENTRALE.
A 7 h. 30 m. nous fûmes témoins d'un curieux phéno-
mène météorique. Un magnifique bolide, qui en apparence
avait le diamètre d'une grosse orange, uo vrai globe de feu,
se montraprès dea de l'Aigle, traversa l'espace au sud, passa
sur Orion et disparut derrière nous, à gauche, en nous
éclairant pendant sept à huit secondes d'une lumière vive
pareille à celle d'un foyer électrique. Cinquante cinq se-
condes plus tard nous arriva le bruit d'une détonation pa-
reille à la décharge de plusieurs canons.
Pendant toute la durée du phénomène, Zeïd, l'un de mes
hommes, criait à haute voix, avec l'accent de la plus grande
terreur a Allahou akbar ! Allahou akbarl Es-saldm 'alâ
Seïdnd Mohammed / » — Dieu est le plus grand ! Dieu est le
plus grand ! Que le salut soit sur notre seigneur Mohammed !
Il répéta cette phrase unedizainede fois, puis raconta que ce
signe présageait une mauvaise fin pournotre voyage, a N'est-
ce pas Bey? » dit-il, en s'adressant à moi. — « Oui, lui ré-
pondis-je, si cela était arrivé au commencement de notre
voyage, mais maintenant cela ne nous regarde plus. Tant
pis pour ceux qui, ayant vu ce signe, voudront quand
même commencer un voyage demain. » — Mon explication
ne e rassura qu'à moitié.
Le lendemain matin, je relevai, de notre campement, les
petites montagnes suivantes :
El Ghrâb, à dix milles environ nord, 45** ouest;
»
S'alân, à trois milles environ nord, 80** ouest;
El Tenef et El Teneîf, à 16 et 18 milles environ sud,
45** ouest.
Près, des Gebel S'alân, El Tenef et El Teneîf se trouvent
des ghradîr, en sorte que, si l'hiver les pluies ont été abon-
dantes, il y reste de l'eau, et les Arabes Fedhân et Sebâ s'y
rassemblent alors au printemps.
Nous mîmes deux heures et demie à traverser le territoire
de S'alân, et aussitôt après commença celui de Khoûr el Te-
nefât, oii nous campâmes, après trois heures du soir, dans un
VOYAGE DANS L' ARABIE CENTRALE. 137
délicieux vallon plein de hathab et de fourrage, parmi lequel
beaucoup de noçy. Le terrain, en effet, a changé ainsi que
le paysage. Aux plaines immenses, monotones et dénudées
de El Hery, El Ouâleg et Khoûeimât a succédé un pays
accidenté de collines et de vallons. Le sol aussi n'est plus
couvert d'éclats semblables à des pierres à fusil, les frag-
ments de roche ont la forme de cailloux et souvent ils
semblent avoir été cassés comme les pierres destinées chez
nous à empierrer les routes macadamisées. Parfois aussi,
mais plus rarement, ces* pierres ont la grosseur de nos
moellons, et leur nature de quartz et de calcaire cristallin
fait supposer le voisinage d'un terrain volcanique*.
A cinq heures du soir nous repartîmes pour aller camper
à dix heures dans le désert de Zerqah Keboût.
Jusqu'à ce jour et depuis notre départ de Kebeisah, nous
avions beaucoup souffert du froid. Presque tous les matins,
le thermomètre marquait — 10® et dans la journée, le
mercure montait à peine à -\- 10** ou 12°. Nos outres d'eau
restaient continuellement gelées, malgré la précaution que
j'avais fait prendre de les envelopper de couvertures et bien
que, jour et nuit, elles restassent pendues aux flancs des
chameaux. Deux fois, le matin, nous dûmes nous mettre en
route à jeun, n'ayant pas réussi à faire fondre assez d'eau
pour pouvoir préparer du thé ou du café. Notre beurre
fondu ressemblait à du marbre, et nous fûmes forcés de
couper avec un sabre, l'outre qui le contenait.
Nos plus grandes craintes étaient pour nos chameaux.
Ces pauvres bètes, qui nous servaient, la nuit, de paravents
étaient gelées et toutes raides, le matin. Pour monter en
selle nous étions obligés de les laisser se lever d'abord et
1- Le quartzite et le calcaire cristaUin sont des roches métamorphiques
c'est-à-dire des roches dont la substance a été altérée ou modifiée sous
l'influence de la chaleur, mais dans les conditions de pression qui
n'existent pas à la surface du globe. Il semblerait donc préférable d'em-
ployer l'expression de terrain plutonien. (Rédaction).
138 VOYAGE DANS l'ABABIE CENTRALE.
de grimper ensuite sur leur dos. Ce n'était que dansTaprès-
midî qae nos chameaux s'étant dégelés, nous pouvions leur
faire presser le pas.
Le 12 décembre nous mîmes deux heures à traverser le
désert de Zerqab Keboût, qui doit son nom aux pierres ba-
saltiques noires dont il est couvert.
Nous nous trouvâmes alors dans le désert de Laqethah,
qui n'a que 10 kilomètres d'étendue, et que nous eûmes
vite traversé. Celui de El à'amyloi succède immédiatement.
Vers midi nous eûmes le plaisir de voir la pointe du gebel
'Adah, qui se trouve au sud de Qarïeteîn et que je relevai
par nord, 70» ouest. C'était une vieille connaissance, faite
du temps de mes pérégrinations avec les Rou'allah dans le
désert de Syrie et qui nous prouvait que nous touchions au
but de notre course.
En deux heures et demie nous traversâmes le désert de
El è'amy pour arriver sur celui de El Merrah.
Environ 4 kilomètres avant la fin du paysde El S'amy, à
3 milles au sud de ma route, se trouvent trois ghradîr; c'est
là qu'aboutit le petit §'aïb de El S'amy, qui se forme plus
au sud. Ils appartiennent, ainsi que le territoire environ-
nant, aux Arabes Saloby, qui y vont au printemps, quand
les ghradîr ont de l'eau.
A El Merrah où cesse le désert pierreux, nous com-
mençons à fouler de bonne terre végétale couverte de bons
pâturages. Néanmoins nos dzeloûl ne mangent que du bout
des lèvres; ils restent à bâiller en regardant l'horizon et
laissent retomber à terre les brins de végétation qu'ils mâ-
chent. C'est que les pauvres bêtes ont soif. Elles n'avaient
pas bu depuis le puits de El Meloçah, c'est-à-dire depuis le
8 décembre, à onze heures du soir.
Comme notre provision d'eau s'épuisait aussi (il n'y en
avait plus que pour un seul repas), nous fûmes bien forcés
de presser notre marche.
A trois heures et demie nous campâmes dans le désert de
VOYAGE DANS l'ARABIE CENTRALE. 139
El Merrah et une heure et demie après nous reprîmes la
marche jusqu'à une heure du matin du 13 décembre.
Après deux heures de repos nous repartîmes à trois heures
du matin. Au bout de deux milles nous sortions du territoire
de El Merrah pour entrer sur celui de El Heîl, avec un petit
ouâdy du même nom.
Au pays de El Heîl succède celui de El 'Aïtsa, avec le
Ouâdy Sab'a Bïâr*.
El 'Aïtsa est borné à l'ouest par un grand bâtiment carré
en pierres de taille, appelé Qaçr Seîqal, qui marque le
commencement du territoire du même nom.
La contrée de Seîqal s'étend jusqu'au Qaçr El Sâmy, à
trois heures quarante minutes de marche du Qaçr Seîqal.
En partant du Qaçr El èâmy nous fîmes encore trente
kilomètres jusqu'au Birket Senbîn, qui n'est qu'à six kilo-
mètres du village de Dhemeîr, où nous arrivâmes heureuse-
ment à cinq heures du soir.
Quelques kilomètres seulement avant d'arriver à Dhe-
meîr le terrain était redevenu pierreux.
Le lendemain 14 décembre, ayant quitté Dhemeîr à onze
heures du matin, j'arrivais à Damas avant cinqheures du soir.
Dhemeîr, ainsi que la route de là à Damas, sont connus.
GÉOGRAPmE DE l'ÉMIRAT DE §AMMAR
■
Réslon an nord de HÂYl
Hâïl, capitale deTéraîrat, située au pied duGebel Samrâ.
Le centre de Hâïl se compose aujourd'hui de douze soûq
ou quartiers, savoir :
Berzâii, — Loubdah, — El Gebârah, — El Gerâd, —
Lagdeïdah, — Semâh, — El'Abîd, — El Kheneqah, —
Ouarbaï'aah, — Soueîflah — El Khereïm, — Mefeîdhah.
Semâh et El 'Abîd ont été les derniers construits. El 'Abîd,
ainsi que son nom l'indique, est entièrement habité par des
1. En français : « Vallée des septs puits. » (Rédaction.)
140 VOYAGE DANS l' ARABIE CENTRALE.
esclaves noirs, qui appartient à Ténaîr. L'eau du puits de
Semâh est la meilleure de Hâïl. La ville mesure environ
4 kilomètres du soûq de Ouarbsu'aah à l'est, au soûq de
Semâh à l'ouest.
Dans tous les souq à Test l'eau est proche, mais amère
et impotable.
' La population deHâîl monte au maximum àl5,000 âmes.
El Ouçîd ou El Ougîd, au nord, 31"est, età 14kilomètres
de Hâïl. Fondé vers 1835. 150 habitants.
El Gedzâmïah, à 20 kilomètres au nord, 35^est de Hall;
100 habitants. Cette localité existe depuis 1830.
El Laqîthah, à 22 kilomètres au nord, 10« est de Haïl,
a 500 habitants. Elle a été fondée en même temps que El
Gedzâmïah.
Umm el Qoulbân, à 62 kilomètres au nord, 320 ouest de
Hâïl, dans le Nefoûd; 30 habitants.
Qenâ, à 57 kilomètres au nord 47" ouest de Hâïl, dans le
Nefoûd, 100 habitants.
Touïah ou Toueïl, à 90 kilomètres au nord, 74" ouest de
Hâïl, dans le Nefoûd, 120 habitants.
Gobbah, à 130 kilomètres au nord, 62° ouest de Hâïl,
dans le Nedfoûd, 400 habitants.
El Bjoûf, appelée jadis Doûmat el Djandel. Ville située
au nord du Nefoûd, à 320 kilomètres nord, 25" ouest de Gob-
bah. Se compose de quinze quartiers groupés, mais sépa-
rés par des murailles. Elle possède environ 12 000 habitants.
Oasis très ancienne, antérieure au 7'' siècle avant J.-C.
Qârâ, à 32 kilomètres nord, 70** est de Djoûf, compte
1000 habitants.
Sehârâ, à5 milles au nord-ouest de Djoûf, a 50 habitants.
Hasïah, à 7 kilomètres au nord, 35° ouest de Djoûf, a
50 habitants.
Gâwâ, à 21 kilomètres au nord-est de Djoûf, sur la
route deSekâkâ, avec des puits et des sources. Aujourd'hui
abandonnée.
VOYAGE DANS l'ARABIE CENTRALE. 141
Moûeisen, juste à moitié chemin entre leDjoûf et Sekâkâ^
avec des puits et des sources. Inhabitée aujourd'hui.
Ces cinq dernières localités passent pour aussi anciennes
que El DjoûP même.
Sekâkâ, à 35 kilomètres au nord-est de Djoûf, avec 8000
habitants, n'existe que depuis un siècle.
Kaf, dansleOuâdy Sirhân, à250 kilomètres au sud, 25' est
de Damas. Peuplée depuis un demi-siècle, elle a 90 habi-
tants. Palmiers et exploitation de sel.
Etsrah, à 6 milles à l'est-sud-est de Kaf. Petite oasis fort
ancienne, mais qui,. ayant été abandonnée, ne s'est repeu-
plée que depuis un demi-siècle. Eau de source comme à
Kaf; 100 habitants.
Beq'aâ, à 95 kilomètres au nord, 66' est de Hâïl ; 400 habi-
tants. Ville fort ancienne et station du Derb El Hadjdj
persan.
Trobah, qaçr bâti sur la rQute de Hâïl à Baghdâd, auprès
des puits du même nom, avec un poste de quelques
hommes; pas de plantations. Se trouve à deux jours de
marche au nord, 55<> est de Hâïl.
El Heïânïah, à trois ou quatre jours de marche au nord
de Hâïl, dans le Nefoûd. C'est un qaçr avec cinq puits,
habité par deux familles Saloby; 10 habitants.
Terbïah, à une demie journée de marche à l'est de El
Heïânïah. Un qaçr avec deux puits; 10 habitants.
Résloii an find de Hftïl
Bassin du Ouàdy Hâïl. — Bassin du Ouâdy Ermek.
— Massif du Gebel Âgâ.
El Ouçeîthâ, à trois kilomètres au sud-ouest de Hâïl;
50 habitants.
El 'Aqdah, série de petites vallées contenant dix petits vil-
lages, dans le Gebel Agâ, et dont Tunique entrée se trouve à
douze kilomètres au sud, 70° ouest de Hâïl. Ces villages sont :
El Qeny, - El Weïbâr, — Ânebeïtah, — El Sâqah, --
142 VOYAGE DANS L' ARABIE CENTRALE.
Haçnah, — El M'aà, — El Ghredhïân, — El Hâïeth, —
Remîdh, — El 'Alïâ.
Tous réunis, ils possèdent une population de 800 âmes
environ, dont une partie est nomade et ne réside dans
El' Aqdah qu'à Tépoque de la fructification des palmiers
qui lui appartiennent.
Qefâr, jadis capitale du Sammar, est encore aujourd'hui
fort importante. Elle s'étend à 19 kilomètres sud, 30" ouest
de Hâïl, au pied du Gebel, entre cette montagne et le Ouâdy
Hâïl, sur une longueur de 4 kilomètres, mais elle renferme
beaucoup de propriétés abandonnées. Elle se compose
de quatre petites villes distinctes.
Âdhdhebath,— ElKheâamâiah,— ElHemâd,— Ourekdïah.
Les trois premières possèdent chacun une mosquée prin-
cipale. Les habitants d'Ourekdïah, qui n'en ont pas,Vont le
vendredi faire la prière de midi dans le soûq de El Hemâd.
La population qui descend des Beny Temîm, se monte, au
maximum, à 8,000 âmes.
El Qaçr, à 48 kilomètres sud, 22° ouest de Hâïl. Elle se
compose de trois soûq ou quartiers, qui sont :
El Qebel, avec 40 maisons.
Ârasd, ^60 —
El Nefîd, — as-
soit ensemble 135 maisons et environ 600 habitants.
Moûqaq, à environ 70 kilomètres, à vol d'oiseau, au sud,
60" ouest de Hâïl, sur le versant occidental du Gebel Agâ.
Avec un bon dzeloûl on peut y arriver de Hâïl en un jour.
Moûqaq composé de dix qoulbân, est peuplé de 520 ha-
bitants environ.
Bed'a Gefeïfâ, à 6 milles au sud de Moûqaq, avec 100
habitants.
El Çafrâ, à deux jours de marche au sud-sud-est de Hâïl ;
25 habitants. Pas de palmiers, mais cultures de grains. Les
puits sont salés et amers.
VOYAGE DANS l' ARABIE CENTRALE. 143
Ghrûûdhah, à 80 kilomètres au sud de Hàïl ; 1000 habi-
tants. (?)
El Hefenah, à 15 kilomètres au nord, 55" est de Ghroû-
dhah; 50 habitants.
El Hefe'inah, à 1 kilomètre nord-est de El Hefenah;
cohabitants.
Semîrâ, à environ 100 kilomètres au sud, lO"* est de Hàïl.
Semîrâ ne possède pas de palmiers et n'a que des champs
de blé. L'eau, très abondante, n'est qu'à 2 mètres de
profondeur. Cette localité qui est fort ancienne compte
environ 400 habitants.
El Mestaggedt, à 100 kilomètres environ sud, 10* ouest de
Hàïl. Ville fort ancienne et jadis aussi populeuse queQefâf.
C'est aujourd'hui une des stations de la caravane des pèle-
rins persans, et elle ne compte plus que 7 à 800 habitants,
au maximum.
El Seleîmy, à 22 kilomètres au sud de El Mestaggedt. Petit
village de trois qoulbâû, avec 30 habitants. Il s'y trouve
quinze puits, dont un seul d'eau douce, les autres d'eau
salée. Il n'y a que peu de palmiers à El Seleîmy.
Setaouy, à 12 kilomètres nord-nord-ouest de El Mes-
taggedt, et à 4 milles à l'est de El Mehââ. Possède
600 palmiers qui boivent l'eau du sous-sol *, comme ceux de
'Aqdah ; ils appartiennent aux Arabes El Eslé qui arrivent
parfois à Setaouy en hiver pour y planter du blé. En été ils ne
s'y trouvent qu'à l'époque de la fructification de leurs pal-
miers. Setaouy se trouve près d'un petit gebel du même nom.
El Mehàs, une propriété avec un puits où l'eau est à 18
mètres. 50 palmiers, 6 habitants.
El Ghrazâlah, à 8 kilomètres sud-sud*ouest de El Mehââ,
se compose de deux grands qoulbân ; 80 habitants.
1. C'est ce que les Arabes du Soûf appellent : ghers toloûay ce plantation
ascendante ». L'eau d'une couche inférieure du sol, daus laquelle plon-
gent les racines des dattiers, monte dans l'arbre par les fibres creuses,
et l'abreuve (Rédaction).
144 VOYAGE DANS l'ARABIE CENTRALE.
Qçeir, trois grands qoulbân espacés de 600 à 700 mètres,
avec palmiers et champs d'orge. Un des qoulbân, celui à
l'ouest, a de l'eau impotable. L'eau douce est à 24 mètres
de profondeur, de môme qu'à El Mestaggedt et à El Ghra-
zâlah; 30 habitants.
Ghramef, à 8 kilomètres au nord-ouest de El MehâS, au
pied du petit gebel du même nom. Pas de puits ; l'eau est
dans les citernes ou les ghradîr. Les palmiers de Ghramef
sont dans la montagne et boivent l'eau du sous-sol, comme
ceux de 'Aqdah.
Ghrathaouars à 14 kilomètres au sud, 55*' ouest de El
Mestaggedt ; 25 habitants.
Dheraghrath, à 50 kilomètres au nord de El Hâieth. Un seul
qoulbân, avec 50 palmiers et des champs de blé et d'orge, ha-
bité par une famille de Houteïm ; 8 habitants. Un puits avec de
l'eau à 2 mètres de profondeur. Ce point est mal placé sur la
carte ; il doit, je pense, se trouver plus au sud-est.
El Hâieth, se trouve au nord, sur le bord oriental du
Harrah. Oasis fort ancienne, se compose aujourd'hui des
trois soûq suivants :
Ouady S'afan, — Aâreîf, — El Qçeîr, avec environ
500 habitants. Les plantations de palmiers sont arrosées
par trois sources.
El Houeîth, à environ 20 milles au sud de El Hâieth,
dans le Harrah, près du Gebel Kenât; 70 habitants.
Séi^ton à l'ouest de HâYl.
Hedjàz
Teïmâ, oasis fort ancienne, à six journées de marche
à l'ouest de Hâïl, au nord du Gebel Ghreneïm; soixante
qoulbân avec une population d'environ 1500 âmes.
El 'Alâ, oasis fort ancienne, située aussi à deux fortes jour-
1. Sur la marge du manuscrit de M. Huber ce nom est écrit en arabe.
!1 faut rendre l'orthographe arabe par Ghadhouar; le sens de ce nom est
«argile verdâtre et tenace». La carte porte « Ghredhouar» (Rédaction).*
VOYAGE DANS L' ARABIE CENTRALE. 145
nées au sad-sud-ouest de Teîmâ. El' Ala est soumis à l'émir
du èammar depuis 1878. Belles plantations de palmiers arro-
sées par des sources abondantes. Possède des ruines fort
intéressantes; 1,500 habitants environ.
Béslttn à Verni de Hftkl.
Thabah, dans le GebelSelmâ, à deux journées de marche
au sud-est de Hall; 250 habitants.
El Seb'aàô, à l'extrémité méridionale du Gebel Selmà et
à deux jours de marche de Hâîl; 500 habitants.
Feyd, ville fort ancienne et jadis une station du Derb el
Hadjdj persan. Population réduite aujourd'hui à 250 habi-
tants. Tous ceux gui circulent entre le* Gebel et le QaQim
passent par Feyd.
£1 Kehafah, à environ 50 kilomètres au nord, 65* est de
Feyd. C'est la dernière localité de l'émirat de àammar, sur la
route du Qaçim; 200 habitants.
El Ghremeîsah, à 6 kilomètres au sud-est de El Kehafah ;
25 habitants.
Umm el Khaâabah, à 10 kilomètres au sud-est de El
Kehafah. En ruines.
RÉCAPITULATION
des localités et de la population sédentaire de V émirat de Sammar,
1. Hâïï 15000
2. ElOuçîd 150
3. El Gedzàmïah 160
4. £1 Laqithah 500
5. Umm el Qoulbân 30
6. Qenâ 100
7. Touïah 120
8. Gobbah m
A reporter 16400
soc. BB GÉOGR. — U* TRIMSSTRE 1885. TI. — 10
i46 VOYAGE DANS L'ARABIE CENTRALE.
Heport 16400
9. El Djoûf , 12000
10. Qàrâ 1000
11. Sehârâ 50
12. Hasïah 50
13. Gâwâ (inhabitée) ■
14. Moûeïsen (inhabitée) »
15. Sekâkâ 8000
16. Kaf 90
17. Etsrah 100
18. Beq'aâ 400
19. Trobah 3
20. El Heïânïah 10
21. Terbiah W
22. El Ouçeîtha 50
23. El'Aqdah 800
24. Qefâr 8000
25. El Qaçr 600
26. Moûqaq 530
27. Bed'a Gefeïfà 100
28. El Çafrâ 25
29. Ghroûdhah 4000 (?)
30. El Hefenah 50
31. El Hefeïnah 20
32. Semîrà 400
33. El Mestaggedt 800
34. El Seleîmy 30
35. Setaouy (population nomade) »
36. El Mehâè , 6
37. El Ghrazâlah 80
38. Qçeîr 30
39. Ghrame? 18
40. Ghrathaouar 25
41. Dheraghratb 8
42. El Hâïeth 500
43. ElHoueîth 70
14. Teïmâ 1500
45. El 'Alâ 1500
46. Thabah 250
47. ElSeb'aân 500
48. Feyd 250
49. El Kehafah 200
50. El Ghremeïsah 25
51. Umm el Khasabah (en ruines) »
55470
VOYAGE DANS L ARABIE CENTRALE.
147
RÉGAPITULATION
des localités et de la population sédentaire d*EhQaçîm '
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10,
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22.
23.
24.
25.
26.
Qouàrah 120
Qeçeïbâ 3000
El Maâkoûk 10
£1 Hamoudïah (inhabité) »
ElRaf 100
*Ayoun 2600
Ghroudah 1500
Outsâl 250
Qer'a 800
Eàeqah 1 000
Athrefïah 60
'Aïn ebn Feyd 600
El Çerlf (population nomade) »
ElNebqïah 35
El Rekeïah 5
Roudhah 150
Bereïdah 10000
El Khab 500 (?)
Houflan 350 (?)
Qeçefaah 200 (?)
Roueidah (inhabité) »
Çebeîh 500 (?)
Bereïdisîah 100
Khatar 40Ô
El Th'amïah 10
Semasïah 250
22440
Les localités suivantes de la province du Qaçîiïi relèvent
en ce moment (1880) de la ville de 'Aneïzah ou sont indé-
pendantes :
El 'Aïarïah (en ruines)..
El Ooahlân —
Roudhah el 'Aouâzïah...
100
1. Je ne comprends dans cet article que les localités actuellement sou-
mises à l*émir Haseii de Bereïdah.
148 VOYAGE DANS l'âRABIE CENTRALE.
'Aneïzah 20000
El Ouâdy 500
Roudhân 120
Aâblbïah (en ruines) »
Senânah 200 (?)
Rass 3000 (?)
Le Gérant responsable y
G. Maunoir,
Secrétaire général de la Gommissioc centrale.
''9'h
^
f
BooikLOTON. — Imprlmeriai rfanlu, 8.
rtrinifitOv /<1WJ
AtHefin^ de Itv Sœiêtd
l^'^n'inuifir^ JMS.
JOnoinn^ par^^.J/tMJrufon^
Crotté' «t^ùnfKjKLT Eriuwd F^S3*:^txtJB,Jl^mfhr4>Xoi1>ett€ut,
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ, in-S»,
l'««érie (1821 à 1833), 20 voL — (voL 1 et 2 épuisés),
2* série (1834 à 1843), 20 vol.
3« série (1844 à 1850), 14 voL
4« série (1851 à 1860), 20 voL — (voL 1 à 10, 15 épuisés).
5* série (1861 à 1870), 20 vol. — (vol. 1, à 6, 9, 11, 12, 1 et 16 épuisés).
6« série (1871 à 1880), 20 vol. — (vol. 7 épuisé).
T série (1881 à 1883), 4 vol.
Ce Bulletin, à partir de 1882, est divisé en deux parties. La première qui com-
prend le compte rendu des séances, les principales lettres de la correspondance
la liste des ouvrages offerts à la Société et les faits géographiques les plus impor-
tants est publiée dix jours après la séance.
La seconde qui renferme les mémoires, notices, rapport^ ou documents de
quelque étendue avec cartes, parait tous les trois mois. Prix : pour Paris, 20 francs
pour les départements, 22 francs; et pour rétranger, 25francf.
Table générale et analytique de la l'« et de la 2» série. 1 vol. in-8«. Prix :
6 francs.
Table générale et analytique de la 3o et de la 4* série. 1 vol. in-8". Prix :
6 francs.
Notices annuelles des travaux de |la Société et du [progrès des sciences géogra-
phiques, par les secrétaires généraux. Prix 1 franc chaque notice.
Programme d'instructions aux navigateurs pour Vétude de la géographie physique
de la mer. Broch. in-8*. Prix : 1 franc.
Instructions générales aux voyageurs. 1 vol. in-16. Prix : 3 francs.
Compte rendu du Congrès international des sciences géographiques de 1875.
Tome I, in-8». Prix : 20 francs. — Tome II, in-8\ Prix: 15 francs.
Guide hygiénique et médical des voyageurs dans l'Afrique inter tropicale,
par les h'* Ad. Nicolas, H. Lacâze et Signol, publié par la Société de
Géographie et la Société de médecine pratique de Paris, avec le concours des
Sociétés françaises de Géographie. Une brochure in-8° de 100 pages. Prix :
2 francs.
Liste provisoire de bibliographies géographiques spéciales, par M. James Jack-
son, archiviste-bibliothécaire de la Société de Géographie.
Cette liste comprend 1177 articles se rapportant à la bibliographie des diverses
régions de la terre<
Un vol. in-8° de 8 et 340 pages. Prix : 12 francs.
Exploration du Sahara. Les deux missions du lieutenant-colonel Flatters, par
le lieutenant-colonel Derrégagaix.
Un vol. in-8'* de 144 pages avec carte. Prix : 3 francs.
■
Fleuves de TAmérique du Sud, 1877-1879, par le D' Jules Grevaux, médecin
de la Marine française^ 1 vol. in-f* de 39 cartes avec tableau d'assemblage. Une
notice biographique et une bibliographie des travaux de Grevaux accompagnent
cet atlas. Prix : 25 francs.
La confrérie musulmane de Sldi Mohammed ben Alî es-Senoûsî et son domaine
géographique en {l'année 1300 de rhégire«1883 de notre ère, par Henri Duvey-
RIER. Paris, 1884. Brochure in-8" de 84 pages accompagnée d'une carte. Prix: 3 fr.
Liste de positions géographiques en Afrique (continent et îles), par Henri Dir-
YEYRIER. Premier fascicule A-G. Paris, 1884. In-f de 140 pages. Prix : 12 fr.
EXTRAIT DU RÈGLEMENT DE LA SOCIÉTÉ
Art. I. La Société est instituée pour concourir aux progrès de la géograpliie;
elle fait entreprendre des voyages dans, des contrées ineonnues; elle fn:opose et
décerne des prix; établit une correspondance avec les Sociétés savantes, les
voyageurs et les géographes ; publie des relations inédites, ainsi que des ouvrages
et fait graver des cartes.
Art. IV. Les étrangers sont admis au même titre que les Français.
Art. y. Pour être admis dans la Société, il faudra être présenté par deux
membres et reçu par la Commission centrale.
Art. VI. Chaque membre de la Société souscrit pour une contribution annuelle
de 36 francs au moins par année, et doiine en outre 25 francs une fois payés, lors
de la remise du diplôme.
• X
fitl'RAir DD RÈGLEMENT INTÉRIEUR
Art. XXXI. La Commission centrale a la faculté de nommer, hors du territoire
français, des membres correspondants étrangers qui se seraient acquis un nom
par leurs travaux géographiques. Un diplôme peut leur être délivré.
Art. XXXll. La Société admet, sous le titre de Membres donateurs, les étran-
gers et les Français qui s'engagent à payer, lors de leur admission et une fois
pour toutes, une somme dont le minimum est fixé à 300 francs.
La bibliothèque, boulevard Saint-Germain, 184, est ouverte aux membres de la
Société, de iT à 4 heures, leB dimanches et jours de fête exceptés.
Les envois faits à la Société doivent être adressés, francs de port i M. le Pré-
sident dé la Commission centrale, boulevard Saint-Germain, 184.
S'adresser, pour les renseignements et les réclamations, à M. C. Aubry, agent de
la Société, boulevard Saint-Germain, 184.
MM. les membres de la Société de Géographie peuvent faire exécuter à leurs
frais des tirages à part de leurs articles, aux conditions du tarif ci-après.
Une f *• (16 pages)
Remise en pages, glaçage,
papier, piqûre, enveloppe de
couleur.
3/4 de P»* (12 pages). . . .
1/2 !"• (8 pages)
1/4 de f»« (4 pages)
Couvertures, composition, ti-
rage, papier, glaçage
50
eunpl.
12 65
1Q75
7 80
440
100
•xeopl.
15 55
1260
960
6 30
10
150
exempl.
1895
16 70
12 05
8 85
1180
200 250
exempl.
2310
20 »
1420
1010
13 »
exeBpl.
27 »
23 50
1675
12 j»
1515
300
exeapl.
3090
27 »
19 30
1340
1645
350
exeapl.
34 80
31 »
2185
15 30
18 70
400
exeBpl.
38 95
34 75
2440
16 95
19 75
500
exeBpl.
4590
4090
29 95
20 50
2315
— 1*1
Composition d*un titre d'entrée de 1/4 de page
Composition d'un grand titre, avec page blanche au verso
Composition de quatre pages de titres (sans annonces pour les travaux
du même auteur)
Les corrections seront comptées 1 franc Theure.
Le tirage de chaque gravure sera compte 3 francs.
2
4 50
6 50
BOURLOTON. — Imprimeries réunies, B.
/Z 5
'2
— ./ —
/-^
La Société ne prend sous sa responsabilité
'aucune des opinions émises par les auteurs des articles insérés dans son Bulletin
BULLETIN '^ /
DE LA .
SOCIÉTÉ DE GÉOGMPïïn
RÉDIGÉ
AVEC LE CONCOURS DE LA SECTION DE PUBLICATION
PAR
LES SECRÉTAIRES DE LA COMMISSION CEN;^^pR^j C^
•(BCOL-.LIBrV
SOMMAIRE
Gharl.es MAUnoir. — Rapport sur les travaux de la Société de Géographie et
sur les progrès des sciences géographiques pendant l'année 1884- 149
Le commandant Derrien. — La région algérienne traversée par le méridien
de Paris 251
CARTES
Le commandant Derrien. — La région algérienne traversée par le méridien de
Paris ^^500,000
2- TRIMESTRE 1885
PARIS
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 184
1885
PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
RECUEIL DE VOYAGES ET DE MÉMOIRES, in-4o.
Tome l*', contenant les voyages de Marco Polo. 1 vol. in-i*", 1824 {épuisé). Première
édition française, d'après le manuscrit le plus ancien et le plus complet connu,
suivie d'un texte latin inédit. Ce volume est composé comme suit : Avant-propos,
par M. Malte-Brun, secrétaire général de la Société de Géograptiie; — Introduc-
tion aux voyages de Marco Polo, par M. Roux de Rochelle; — Voyage de^ Marco
Polo, le texte français de Rusticien de Pise, d'après le n*^ 10270 de la Biblio-
. thèque jroyale; — Peregrinatio ifa;rci Paulin, texte latin, d'après le n* 3195 de
la Bibliothèque royale; — Glossaire des mots aujourd'hui hors d'usage: —
Variantes pour les noms propres d'hommes et de lieux, d'après onze manus-
crits.
TouE II, avec 18 planches. Prix: 18 francs*
Il contient : Une Relation, de Gbanat et des coutumes de ses habitants. — Des
relations inédites de la Gyrénaïque. — Une notice sur la mesure géométrique
de quelques sommités des Alpes. — Résultats des questions adressées à un
Maure de Tischit et à un nègre de Wallet. — Réponses aux questions de la
Société sur l'Afrique septentrionale. — Unitméraire de Gonstantinople à la
Mecque. — Une Description des ruines découvertes près de Palenqué, suivie
de Recherches sur l'ancienne population de l'Amérique. — . Une notice sur la
carte générale des pachalicks de Hhaleb, Orfa et Bagdad. — Un mémoire sur
la géographie de la Perse. — Des recherches sur les antiquités des États-Unis
de l'Amérique septentrionale.
Tome III, contenant l'Orographie de l'Europe, par M. L. Bruguière, ouvrage cou-
ronné parla Société dans sa séance générale du 31 mars 1826; avec une carte
orographique, 12 tableaux synoptiques et trois vues et coupes des chaînes de
montagnes (épuisé).
Tome IY, avec une carte et plusieurs fac-similés. Prix : 30 francs.
Il contient : Description des merveilles d'une partie de l'Asie, par le P. Jordan de
Séverac. — Relacion del Yiage hecho à la isla de Amat, etc. (Relation d'un
Voyage à l'île d'Amat), d'après les manuscrits communiqués par M. Henri Ter-
naux. — Vocabulaires de plusieurs conti'ées de l'Afrique, recueillis par M. Koe^nig,
avec des observations préliminaires. — Voyages en Orient : Relation de Guil-
laume de Rubruck. — Notice sur les anciens voyages de Tartarie en général,
et sur celui de Jean du Plan de Garpin en particulier; avec une carte, par
M. d'Avezac. — Relation de la Tartarie, de Jean du Plan de Garpin; Voyage de
Bernard et de ses compagnons en Egypte et en Terre-Sainte. — Relation des
voyages de Sœvulf à Jérusalem et en Terre-Sainte.
Tomes V et VI, contenant la Géographie d'Edrisi, traduite de l'arabe en français,
d'après deux manuscrits de la Bibliothèque du roi, et accorapagnée de notes,
par P. Amédée Jaubert, membre de l'Institut, etc., avec 3 cartes. Prix :
24 francs chaque volume.
Tome VU, contenant la Grammaire et le Dictionnaire de la langue berbère, en ca-
ractères arabes, composés par feu Venture de Paradis, revus par P. Amédée
Jaubert, membre de l'Institut; suivis de plusieurs itinéraires de l'Afrique sep-
tentrionale recueillis par l'auteur, et précédés d'une Notice biographique sur la
partie méridionale de l'Asie centrale, avec une carte et deux plans, par M. Nicolas
de Khanikof. — Recherches sur Tyr et Palœtyr, et essais de restitution et
d'interprétation d'un passage de Scylax, avec deux cartes, par M. Poulain de
Bossay. Prix : 24 francs.
Mémoire sur l'Ethnographie de la Perse, par M. Nicolas de Khanikof. Prix : 6 francs.
(BCDL:Lll.:i"0
RAPPORT
SUR
LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
ET SUR
LES PROGRÈS DES SCIEiNfCES GÉOGRAPHIQUES
PENDANT L*ANNÉE 1884.
PAR GH. MAUNOIR
Secrétaire général de la Commission centrale.
L'année dont les jours s'achèvent n'aura pas été moins
féconde que les précédentes au point vue des progrès de la
géographie.
Larges publications où les explorateurs ont consigné les
résultats de leurs efforts, ouvrages didactiques où viennent
prendre place peu à peu les faits désormais acquis^ études
spéciales sur quelque point de la terre ou quelque point
de la science , ont été aussi abondants cette année que les
précédentes.
L'ardeur pour les explorations ne se refroidit pas et nous
apprenons sans cesse quelque nouveau départ , quelque
nouveau retour; parfois une terrible aventure vient rappe-
ler à l'attention ce qu'a de périlleux la lutte engagée contre
l'inconnu par les explorateurs d'avant-garde.
L'esprit public est ainsi fait qu'en matière de voyages
il ne se préoccupe guère des heureux et que les plus
beaux résultats scientifiques le laissent un peu froid s'ils
n'ont été achetés par des souffrances, surtout par une catas-
trophe.
A ce dernier point de vue 1884 est malheureusement trop
bien partagée ; les lugubres circonstances qui ont accom-
SOG. DE GÉOGR. — 2^ TRIMESTRE 1885. VI. — 11
150 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
pagné la retraite de la mission Greely de la baie Lady Franklin
au cap Sabine sont de nature à satisfaire les plus exigeants.
Pour la dix-septième fois, le secrétaire général actuelle-
ment en exercice va vous exposer le progrès accompli dans
le cours de Tannée. Gomme précédemment, il devra se
borner à résumer les travaux, les événements qui caracté-
risent le mieux ce progrès auquel concourent tant d'élé-
ments variés; comme précédemment aussi, les explorateurs
y auront la plus grande part. Vous serez heureux de cons-
tater que les explorateurs français, en particulier, ont con-
tribué dans une large mesure au mouvement géographique
de l'année.
Le rapporteur fait appel à votre indulgence, comme à
celle des savants et des voyageurs dont il a mission de signa-
ler les travaux.
La préface obligée de cette revue Sisra consacrée, seloa
nos traditions, à énumérer les vides que la mort à ouverts
parmi nous. Elle est bien longue, cette fois encore, la table
nécrologique delà Société; elle ne compte pas moins de
quarante-neuf noms.
Tout d'abord nous y voyons inscrits Arnaud-Bey et
Charles Tissot qui, à des titres divers, ont pris un rang con-
sidérable dans la géographie de l'Afrique.
Un hommage auquel ne saurait rien ajouter votre rap-
porteur leur a été rendu par notre collègue M. Duveyrier.
Le plus ancien des deux parmi nous, Arnaud-Bey, avait
été l'un des précurseurs de cette phalange d'explorateurs
dont l'énergie a peu à peu résolu le problème des sources
du Nil. Les voyages dans la haute vallée du fleuve mysté-
rieux, à l'époque où Arnaud-Bey accomplissait les siens,
étaient particulièrement difficiles; Khartoum était une
sorte d'Ullima Thule équatoriale. Les renseignements
recueillis par notre collègue étaient alors tout à fait nou-
ET SUR LES PROGRÉS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 151
veaux, mais ils n'ont été publiés qu'à Tétat de résumé. Le
volumineux journal de route du voyageur est déposé à la
Société qui s'efforcerçi d'en tirer un jour le meilleur parti
possible. Il renferme, en effet, des informations de géogra-
phie physique qui restent précieuses en ce qu'elles permet-
tront d'établir les changements subis par la vallée du Nil
depuis quarante ans.
Arnaud-Bey, dans les dernières années de sa longue vie,
suivait .assidûment nos réunions et portait à la Société un
véritable intérêt. II en faisait partie depuis l'année 1884,
où il fut lauréat de notre grande médaille d'or.
Charles Tissot auquel son mérite et son savoir avaient
ouvert les portes de l'Académie des Inscriptions et Belles
Lettres, fut un explorateur du passé. Il avait parcouru le
Maroc et la Tunisie pour en reconstituer, avec l'aide des
auteurs, la géographie ancienne. Nul ne contestera que sa
laborieuse sagacité, sa sûreté de critique n'aient fait faire
à ces questions un pas considérable. La science a perdu en
lui un représentant distingué des études où la géographie
et l'archéologie concourent à une sorte de restauration des
civilisations éteintes. Ces deux éléments, éclairés des lu-
mières d'un esprit supérieur, se combinent dans la Géo-
graphie comparée de la province romaine d'Afrique^ qui
fut le testament scientifique de notre éminent et regretté
collègue. Charles Tissot était entré à la Société en 1861.
Un nom scientifique illustre que naus nous honorions
depuis 1868 de voir figurer sur nos listes, en va disparaître
emporté avec Paul Thénard, de l'Institut, qui laissera parmi
nous, comme ailleurs, les regrets dus à un homme dont
l'esprit était ouvert à toutes les suggestions élevées, le
cœur prêt à toutes les générosités.
En M. Duflot de Mo^ras nous a été enlevé un collègue
inscrit au nombre des membres de la Société depuis 1839.
C'est dans la diplomatie qu'il avait fait sa carrière dont les
premières étapes le conduisirent aux États-Unis, à travers les
^
152 RAPPORT SUR LES TRAYÂUX DE LÀ SOaÊTÊ
territoires de l'Orégon et de la Califomie; ces territoires
qa*il parcoarai et qui deraient occoper on rang si considé-
rable parmi les États de ITnion américaine, étaient alors à
peine connu?, et M. Boflot de Mofras nous en a donné one
description qni fat remarquée. Il ayait été élu secrétaire de
la Société pour Tannée 1845.
Pendant bien longtemps tous avez pu remarquer aux
séances, assis presque toujours à la même place, près de la
porte d'entrée, un rieiUard à l'expression affable, M. MoroL
n a voulu témoigner ses sympathies pour les sciences dont
nous poursuivons le développement, en instituant un prix
destiné à récompenser des voyages accomplis en de certaines
conditions stipulées par son testament. M. Morot était des
nôtres depuis l'année 1877.
Vers la fin de l'année, la Société a perdu un adhérent qui
lui faisait honneur, M. Emmanuel Ross Van den Berg, ancien
élève de l'Ecole normale, dont le nom figurait sur nos con-
trôles depuis 1868. Collaborateur de plusieurs journaux, il
y traitait avec talent les sujets d'ordre géographique, et
quelques-uns de ses articles avaient Timportance de véri-
tables mémoires. Au milieu de ces travaux toujours con-
sciencieux auxquels s'ajoutaient les soins d*un laborieux et
délicat enseignement, notre collègue trouva le temps de pu-
blier, en 1881 et 1883, deux livres excellents sous leur mo-
deste formai, une Petite histoire d'Orient et une Petite
histoire des Grecs; la géographie y tient une grande place.
M. Van den Berg avait trop étudié pour n'être pas profondé-
ment convaincu des influences que le sol exerce sur l'homme
et sur les destinées des peuples. La mort qui l'a pris en
plein travail a enlevé prématurément ce savant et galant
homme à la science et à. l'affection de tous ceux qui l'ap-
prochaient.
Selon le cours naturel des choses et en raison de son
âge, M. G. V. Dauzats, adhérent à la Société depuis 1879,
pouvait espérer encore une longue vie. Ingénieur d'un haut
ET SUR LES PROGRÉS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. f53
mérite, il avait été Tun des plus actifs collaborateurs de
notre illustre président, lors de la campagne glorieuse qui a
ouvert aux flottes du monde une route directe vers l'Orient.
Il y a trois ans, le rapporteur avait à enregistrer la mort
d'Eugène Cortambert l'un des plus laborieux, des plus con-
nus parmi ceux qui se sont consacrés à l'enseignement de
la géographie. Aujourd'hui c'est à son fils Richard Cortam-
bert qu'il faut adresser un dernier adieu. Il était des nôtres
depuis 1864. En 1866, il entrait dans la Commission cen-
trale dont il fut secrétaire adjoint de 1867 à 1874. L'état de
sa santé l'ayant contraint à résigner ses fonctions, il obtint
en 1875 le titre de secrétaire adjoint honoraire. Comme
son père, Richard Cortambert fut un zélé vulgarisateur des
sciences géographiques. Il savait donner à ses travaux un
tour littéraire qui en rendait la lecture aisée, agréable
même. Sa dernière œuvre, qu'il ne put achever entièrement
lui-même, fut une Nouvelle histoire des voyages et des
grandes découvertes géographiques.
La mort est venue enlever aussi à la Commission centrale
Félix Fournier, l'un des membres les plus profondément
dévoués aux intérêts de notre compagnie. F. Fournier avait
pour principe que nul, parmi les favorisés de là. fortune, ne
doit passer ici-bas sans y rendre quelque service aux inté-
rêts généraux; aussi accordait-il volontiers son concours aux
associations qui poursuivent une œuvre de bien public. En
1873, il se faisait admettre dans la Société et en 1876 il en-
trait à la Commission centrale. Jusqu'au moment où la ma-
ladie l'a retenu éloigné de nous, il n'a pas cessé d'apporter
des soins scrupuleusement attentifs à l'accomplissement de
ses fonctions. Dans une précédente séance M. Gauthiot nous
a parlé en termes justes et chaleureux de ce collègue dont
il avait été particulièrement à même d'apprécier le mérite.
Fidèle jusqu'après la mort au principe de sa vie, F. Four-
nier, par ses dispositions testamentaires, a fait à la Société
un legs considérable dont le revenu est destiné àrécompen-
154 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
ser la raeilleure œuvre géographique ou cartographique de
Tannée. La commission centrale a décidé que le prix ainsi
fondé s'appellerait Prix Félix Founiier et que le fils de ce
libéral collègue serait inscrit d'office sur nos listes avec
la qualité de membre à vie. La Société réunie aujourd'hui
en assemblée plénière ratifie certainement les résolutions
de son conseil.
Nos membres correspondants étrangers ont été particu-
lièrement décimés cette année. Des trente-huit dont les
noms constituent notre liste, cinq ont été enlevés.
C'est d'abord Karl Richard Lepsius, élu correspondant en
1853. Lepsius avait transporté l'érudition allemande sur le
terrain de l'égyptologie où l'avait précédée, où n'a pas cessé
de se maintenir brillamment l'érudition française.
Voici le baron Ferdinand de Hochstetter, le géologue du
beau voyage de circumnavigation de la Novara et qui fut
pendant de longues années président de la Société de géo-
graphie de Vienne. Il la représentait à Paris en 1873, lors
du Congrès international des Sciences géographiques réuni
par l'initiative de notre association.
Voici encore sir Henri Bartle Edward Frère. Trente trois
années de séjour aux Indes, dont une partie dans de hautes
fonctions administratives, l'avaient particulièrement initié à
la connaissance du pays, et en 1872 il était nommé prési-
dent de la Société Royale géographique de Londres. C'est dé-
puis 1874 qu'il figurait sur la liste de nos correspondants
étrangers.
Le général Andrew Atkinson Humphreys avait été élu
par nous en 1875, comme ancien chef des ingénieurs mili-
taires des États-Unis. Les ingénieurs ont parfois l'occasion
de faire, dans l'exécution de leurs grands travaux, des ob-
servations et des études précieuses pour les géographes.
C'est ainsi que M. Humphreys, chargé en 1850 de recher-
cher les moyens de préserver le delta du Mississipi de
désastreuses inondations, recueillit soit sur le delta même.
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 155
soit sur rénorme fleuve, des données d'un haut intérêt.
De 1854 à 1861, il prît une part active aux reconnaissances
nécessitées par les projets de construction de chemins de
fer entre le Mississipi et l'Océan Pacifique.
Arnold Guyot, originaire de Neuchâtel en èuisse et na-
turalisé citoyen des États-tJnis, fut géographe dans la com-
plète acception du terme. Esprit précis autant qu'ingé-
nieux pour les recherches spéciales, il laissera la trace de
son passage dans les études relatives aux montagnes, aux
lacs, aux glaciers et à leur histoire. Ses observations et ses
conseils furent les bases premières du vaste système météor
rologique établi aux États-Unis. A soixante-douze ans il
parcourait, pour en faire la triangulation, la topographie et
la description, le niassif des Gatskills alors à peine connu
bien qu'il soit à 100 milles seulement au nord de New-York,
sur la rive droite de THudson.
Arnold Guyot a exercé aussi une influence considérable
sur l'enseignement de la géographie aux États-Unis. 11 y
apportait, avec une méthode excellente et l'autorité d'un
profond savoir, une fécondante chaleur. Les cours qu'il fît
à Princeton (New-Jersey) déterminèrent une révolution
géographique assez intense pour propager ses eff'ets jusqu'en
Europe.
Pénétré d'une pieuse admiration pour les lois qui régissent
le globe, il en a résumé avec beaucoup d'élévation de vue
ce qu'en embrasse notre entendement. VEarth and Man
d'Arnold Guyot, qui, traduit en plusieurs langues attend
encore une édition française, restera comme un modèle.
On y sent, en même temps que la solidité de la science,
une vraie passion pour cette Terre dont la vie est notre vie.
La Société a perdu encore, MM. Constantin de Sabir,
gentilhomme de S. M. l'empereur de Russie (1858)*; —
1. Les millésimes entre parenthèses indiquent les années d'admission
dans la Société.
156 RAPPORT SUR LES TRAYAUX DE LA SOCIÉTÉ
Hippolyte Payn, propriétaire (1864) ; — l'abbé Léon Bossa
(1868); -* le comte Gaillaume-Amable-Octave de Bas tard
d'Estang, général de brigade (1874) ; — ArmaDd Rosier,
directeur de l'École supérieure de commerce à Marseille
(1874); — Firmin Tameaud, banquier (1875) ; — Hermite
Reynald, doyen de la Faculté des lettres d'Aix (1875); — le
vicomte Napoléon Duchatel, ancien préfet (1875); — David
Chantai, professeur (1875) ; — le comte Constantin Branicki,
voyageur en Orient (1875); — Charles Poulhier, capitaine
de vaisseau (1876) ; — Mgr A. Pillon de Thury, protonotaire
apostolique (1876); — Rémi deMontigny (1876); — Léopold
Estourgies, de l'Observatoire de Bruxelles (1876); — Paul
Dévot (1876); — Antoine Kœnigswarter (1877); — Charles
Becquet, imprimeur lilhographe (1878); — Frédéric De-
rouet, sous-lieutenant au 9* d'artillerie (1878) ; — Louis Trem-
blay (1878); — Ernest-Léon Sourd, avocat à la Cour d'ap-
pel de Paris (1879); — Louis-Guslave Marchant, ingénieur
en chef des ponts et chaussées, directeur de la Compa-
gnie des Eaux (1879); — Guillaume- Vincent-André-Henri
Corne, vice*consul de France (1879); — Victor-Eugène-
Marie- Alphonse Biaise, instituteur (1879) ; — Emile Bi-
gorne, propriétaire (1879); — Albert Pascal (1880); —
Louis Outrebon (1880); — Louis-Joseph- Victor Gauvenet-
Dijon, colonel en retraite (1880) ; — A. Delapalme, notaire
honoraire (1880); — Auguste Denayrouse, ingénieur civil
(1881); — Alphonse Lavallée, membre du conseil général
de Seine-et-Oise (1882) ; — Gros, inspecteur général des
ponts et chaussées (1882); — le général de Bovet (1882);
— Louis-Marie-Edgar Amé, sous-chef au Ministère des
Finances (1882); — Paul Seignette, inspecteur général des
études au Prytanée militaire de La Flèche (1882); — le
comte de Miramon, sous-lieutenant au li« chasseurs (1884).
Sur les affaires intérieures de la Société le rapport dira
peu de chose ; chacun de vous sait qu'il trouvera en toute-
circonstance, auprès de ses collègues de la Commission
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 157
centrale, toutes les informations qu'il pourrait désirer à ce
sujet.
Un fait, cependant, a marqué pour nous cette année, c'est
l'organisation de conférences sur des sujets de haute géo-
graphie. Le succès en a été assuré par le mérite des confé-
renciers choisis et aussi par la libéralité de quelques-uns
d'entre vous qui ont voulu faire honneur à leur titre de
membre de la Société.
Dans quelques semaines va commencer une nouvelle
série de conférences; puisse- t-elle avoir autant de succès
que la précédente. Notre collègue, si plein de dévouement,
M. William Huber, spécialement chargé de l'organisation de
ces conférences, a droit à tous les remerciements de la
Société.
Les finances qui avaient subi de légères oscillations sont
en voie de reprendre leur équilibre normal, confiées qu'elles
sont à la sollicitude éclairée et active de M. Paul Mirabaud,
Président de votre section de comptabilité.
Libéralement accrues non moins qu'attentivement gérées
par M. Jackson, en qui la Société a trouvé le plus dévoué
des bibliothécaires, les richesses de la bibliothèque aug-
mentent dans une proportion bien faite pour réjouir les
travailleurs. Le nombre des prêts aux membres de la
Société a marqué une augmentation notable sur les nombres
correspondants pour 1882 et 1883.
Même les personnes étrangères à la Société sont autorisées,
dans certaines conditions, à faire usage de ces richesses. La
science doit luire pour tout le monde ; les procédés libéraux
suscitent parfois d'ailleurs des reconnaissances qu'il convient
d'encourager. Du l®''janvier au30 novembre, la bibliothèque
avait reçu deux cent soixante-dix-sept visiteurs étrangers
à la Société.
Enfin le nombre croissant des membres, le nombre crois-
sant aussi des affaires à traiter obligent l'agent de la Société,
M. Charles Aubry, à se multiplier pour l'accomplissement
158 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOaÉTÊ
de ses devoirs, et c'est justice de reconaadtre qu'il y réussit
pleinemeuL
Le Service géographique de rArmée et le Dépôt de la
Marine sont, chez nous, les deux institutions publiques qui
contribuent le plus largement, le plus utilement au progrès
des sciences géographiques. Un résumé des travaux qui s'y
exécutent a donc sa place marquée d'office aux premières
pages de ce rapport.
En commençant cet exposé par les travaux astronomiques
exécutés au Service géographique, il faut constater que
M. le Commandant Bassot et M. le capitaine Deffbrges ont
mesuré, cette année, la latitude et un azimut aux quatre
stations géodésiques de Bry-sur-Marne, Morlu, Mont-Valé-
rien et Ghatillon.
Ces quatre mesures doivent permettre de conclure la
latitude et l'azimut fondamentaux de la nouvelle méridienne.
Conformément à un vœu ancien de la Conférence géodé-
sique internationale, notre Service géographique et l'Obser-
vatoire de Leyde ont entrepris la détermination télé-
graphique de la différence de longitude entre Paris et Leyde.
Les observateurs étaient : du côté français, M. le comman-
dant Bassot; du côté hollandais, M. Van de Sande
Backhuysen, directeur de l'Observatoire de Leyde.
Les deux observateurs ont occupé successivement les
deux stations, effectuant ainsi l'échange des observateurs
et des instruments.
Cette détermination de longitude a une grande importance,
car elle permettra de fermer le triangle Leyde-Greenwich-
Paris et servira ainsi de contrôle aux différences de longi-
tude déjà mesurées entre Paris et Greenwich et entre Leyde
et Greenwich.
Pour assurer la position de l'Observatoire météorologique
du Pic du Midi de Bigorre, eu fournissant un point de départ
astronomique aux coordonnées de la chaîne des Pyrénées
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 459
dont le Pic du Midi est un sommet géodésique de premier
ordre, le Service géographique a procédé en 1884 à la mesure
de la différence de longitude entre Paris-Montsouris et le
Pic du Midi.
Les observations ont été faites par M. le commandant
Bassot et M. le capitaine Defforges. M. Defforges, assisté de
M. le capitaine Tracou, a mesuré en outre, au Pic du Midi,
la latitude et un azimut. Enfin, à l'aide d'un pendule à
reversion de Repsold, M. le capitaine Defforges a mesuré, à
Paris et au Pic du Midi, l'intensité absolue de la pesanteur.
En même temps que ses opérations astronomiques, en
même temps que la révision de la carte de France, le
Service géographique poursuit les levés de l'Algérie et de
la Tunisie.
Pendant l'hiver 1883-1884, les capitaines Brullard et
Guéneau de Mussy ont exécuté les mesures d'angles de la
triangulation de premier ordre, dans la région comprise
entre la méridienne de Biskra, le parallèle algérien, la
frontière de la Tunisie et l'Aurès. A la fin de leur campagne
d'hiver, ces deux officiers ont reconnu les sommets et con-
struit les signaux du prolongement du parallèle algérien à
travers la Tunisie jusqu'au Gap Bon. Le Capitaine Brullard,
assisté de M. Barisien, lieutenant, procède en ce moment
à la mesure des angles dans la partie de cette chaîne com-
prise entre Bône et Béja.
Les opérations de la géodésie de deuxième ordre, confiées
aux capitaines Boulangier et Tracou, ont porté sur le terrain
des feuilles de Soukharas et de Sétif. D'autre part les
capitaines Durand et du Magnin ont entrepris et terminent
actuellement la géodésie de deuxième ordre pour la feuille
de Tlemcen, tandis que le capitaine Guéneau de Mussy
exécute la géodésie de deuxième ordre de la feuille de Sidi
Bel Abbès.
Les levés topographiques réguliers, qui ont porté sur les
trois provinces, embrassent une superficie approximative
160 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
de 8000 kilomètres carrés, dont 2750 kilomètres dans la
province d'Oran, pour les environs de Lourmel, le massif
montagneux entre Aïn-Temouchen, Bel Abbès et Mascara;
2630 kilomètres carrés dans la province d'Alger, pour le
massif kabyle entre Azefibun et les Biban ; 2560 kilomètres
carrés dans la province de Gonstantine, pour les massifs du
Taya et de TAoura, au nord de Guelma, ainsi que pour les
massifs de TOuarech, du Chettoba et du Djebel le Rohl,
entre Gonstantine et Mila. Dans le SudOranais, le capitaine
Bruneau a exécuté des reconnaissances à 1/200 000® ap-
puyées sur les remarquables levés du capitaine de Castries.
On n'a pas abandonné l'idée signalée l'an dernier d'em-
ployer les explorateurs indigènes aux premières enquêtes
sur les régions voisines de l'Algérie et sur l'extrême sud,
comme les Anglais utilisent des paundits hindous pour
reconnaître le Tibet et l'Asie centrale. Le Lycée d'Alger
étend le cercle d'études des élèves indigènes, de façon à
leur permettre de rendre de bons services dans cet ordre
d'idées.
Gette année a vu s'effectuer, du 1" novembre 1883 au
31 mars 1884, la troisième et dernière campagne topogra-
phique en Tunisie. Six brigades topographiques dirigées
par le commandant Lachouque et formant un total de vingt
neuf officiers, ont concouru à l'exécution des derniers tra-
vaux sur le terrain.
Limitée au nord par le parallèle de Sfax et au sud par
l'oued Fessi, la région levée comprend une superficie d'en-
viron 35 000 kilomètres carrés : elle correspond aux feuilles
de Maharès, Gabès et Zarzis pour la côte, à celles de Gafsa
et de Kebelli pour l'intérieur.
Gependant il reste encore à lever 5 ou 6000 kilomètres
carrés au sud de l'oued Fessi, sur la frontière tripolitaine,
puis, dans l'ouest, une bande de terrain près de la frontière
algérienne.
Le Service géographique fait paraître une édition provi-
ET SUR LES PROGRÉS DBS SGIE^XES GÉOGRAPHIQUES. 161
soire de la carte à 1/200000% obtenue en reproduisant par
laphotozincographie les minutes des officiers, au fur et à
mesure de leur achèvement. Les douze premières feuilles
de cette œuvre sont tirées ; les cinq feuilles suivantes qui
sont en cours d'exécution paraîtront prochainement.
Cette publication a pour but de livrer le plus rapidement
possible aux troupes du corps d'occupation et au public la
reproduction des levés, en attendant l'exécution d'une hélio-
gravure en couleurs.
Les levés et documents rapportés par les brigades topo-
graphiques de Tunisie ont permis d'établir, en outre, une
nouvelle carte des itinéraires, à Téchelle de 1/800 000®; elle
est destinée à remplacer la carte en deux feuilles à l/400000^
Plus exacte et plus maniable que la précédente, cette
nouvelle carte, qui est d'ailleurs la continuation de la carte
des étapes de l'Algérie établie par provinces, sera tirée en
trois couleurs : les eaux en bleu, les routes en rouge, les
écritures en noir. Pour rester plus claire, elle ne donnera
pas le figuré du terrain, mais on y trouvera les chemins, les
gîtes d'étapes, lieux de campement, grand'haltes, et les
points d'eau importants. Des chiffres indiqueront les dis-
tances kilométriques d'un gîte à l'autre.
Enfin, un registre d'itinéraire qui sera comme le complé-
ment de la carte, doit être prochainement livré à l'impres-
sion; il fournira, sur le pays, tous les renseignements utiles
aux troupes en marche. Les géographes eux aussi trouve-
ront dans ces documents des informations nombreuses
autant que sûres et dont ils doivent remercier le Service
géographique de l'armée.
Les travaux intérieurs du Service géographique se recom-
mandent, pour cette année, à notre attention par des mo-
difications apportées au mode de production des cartes.
Ainsi, dans la gravure sur zinc en couleurs, au lieu de faire
graver les signes figuratifs des bois, on emploie actuelle-
ment un poncif y c'est-à-dire une planche dont toute la sur-
162 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
face est couverte de bois. On en tire une épreuve que Ton
reporte sur une planche de zinc, dont toutes les parties non
boisées ont été préalablement recouvertes de gomme. Ce
procédé présente une économie considérable qui peut être
évaluée aux cinq sixièmes de la dépense qu'entraînaient les
procédés habituels.
D'un autre côté, on a introduit dans l'exécution des cartes
du Service géographique l'emploi des caractères typogra-
phiques, qui rend des services surtout pour les calques à
reproduire par l'héliogravure ; on obtient ainsi pour les
écritures une régularité supérieure à celle que comporte
la lettre dessinée même par le plus habile dessinateur.
Néanmoins, pour la souplesse du trait, ces caractères ty-
pographiques restent inférieurs à la lettre gravée ; mais ils
permettent une économie de temps ou d'argent évaluée à
60 p. 400,
L'école de dessin, créée au Service géographique par déci-
sion ministérielle du 29 avril 1883, fonctionne régulière-
ment depuis le 1" novembre de la même année. Onze élèves
ont été admis au début et huit nouveaux jeunes gens sont
entrés cette année, après les épreuves qui ont eu lieu
au mois d'août. Les élèves de deuxième année, qui ont
actuellement onze mois d'école, peuvent répondre sur les
matières qui figurent au programme des cours. Ils ont
exécuté au printemps dernier des levés réguliers à 1/5000
et 1/10000.
Les progrès déjà réalisés sont considérables et dès au-
jourd'hui les deux tiers des élèves de deuxième année se-
raient en mesure d'exécuter des travaux pour le Service
géographique. Au .mois d'octobre prochain, des certificats
d'aptitude seront délivrés à ceux des élèves qui pourront être
admis dans les ateliers du Service géographique.
Les ingénieurs hydrographes ont entrepris, dans le cou-
rant de l'année, le levé des côtes de l'île de Corse, travail
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 163
assez considérable puisqu'il doit s'étendre sur un circuit de
près de 400 milles.
Le Dépôt des Cartes et Plans ne possédait sur ces parages
que les cartes levées de 182*2 à 1828 par M. de Hell, capitaine
de vaisseau ; d'une exactitude suffisante, à ne considérer
que les besoins les plus immédiats de la navigation, ces cartes
étaient évidemment incomplètes au point de vue des détails
topographiques et de la triangulation. Ces deux éléments
avaient été^ en grande partie, empruntés au travail que
l'ingénieur géographe Tranchot exécutait en Corse, à la un
du siècle dernier.
Le travail a été repris et entièrement refait par le service
de l'État-major en 1863; il importait de mettre les cartes
de la marine au même niveau que celles de la guerre, en
rattachant les points remarquables de la côte au nouveau
réseau trigouométrique. Le programme qui consistait à em-
prunter à ce réseau une ou plusieurs bases, pour une trian-
gulation indépendante, a reçu en 1884 un commencement
d'exécution.
M. A. Germain, ingénieur hydrographe, a fait cette pre-
mière campagne à bord de l'aviso la Chimère; les mois dé
mai et juin ont été consacrés à des levés sur la côte est, à
Porto-Vecchio, à Bastia et au sud de cette ville jusqu'à l'em-
bouchure du Golo.
Quand la saison des fièvres est" arrivée, la mission s'est
transportée sur la côte sud, où elle a refait entièrement le
levé des bouches de Bonifacio, en y joignant une notable
portion de la côte ouest. Son séjour à Bonifacio et aux en-
virons s'est prolongé jusqu'au milieu d'octobre, époque à
laquelle la fréquence des vents de nord-est rend la côte
très dangereuse. Les derniers beaux jours ont été consacrés
à des travaux exécutés sous les ordres de M. Hatt, ingénieur
hydrographe, le long de la côte nord- ouest, entre Calvi et
l'île Rousse.
Les travaux de sondes et de topographie côtière ont été
164 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
exécutés de manière à pouvoir être rédigés à réchelie de
i/20000'; de nombreux plans particuliers intéressant spé*
cialementla navigation ont été levés avec plus de détails, en
vue de la publication ultérieure de Tœuvre à une échelle
plus grande.
Outre les travaux qu'ils ont exécutés en Corse, les officiers
et les ingénieurs hydrographes de notre marine ont active-
mentjtravaillé à des levés soit en Tunisie, soit au Tong-King
et à Formose.
En 4884, le levé des côtes de la Tunisie a été continué,
sous la direction de M. Héraud, ingénieur hydrographe, à
partir de la pointe Salackta, limite des travaux de 1883,
jusqu'aux îlots Surkennis dont les environs avaient été, éga-
lement en 1883, l'objet d'un levé particulier.
Au large de cette partie de la côte dont la longueur est
de 100 milles environ, sont situées les îles Kerkennah autour
desquelles de hauts fonds dangereux, les bancs de Ker-
kennah, couvrent une surface considérable.
On a reconnu complètement la côte, les îles et les bancs.
La triangulation particulière faite l'an dernier autour des
îlots Surkennis, par M. Hanusse, ingénieur-hydrographe, a
été rattachée par cet ingénieur à la triangulation générale
qui part de la frontière algérienne. La topographie de toute
la région visible de la mer a été faite complètement.
Enfin les sondes ont été étendues sur toute la surface
d'environ 1600 milles carrés que limite au large la courbe
de fonds de 20 mètres; la longueur totale des lignes de
sondes est d'environ 5000 milles.
La ligne de fends de 20 mètres s'écarte jusqu'à 40 milles
du rivage; la côte étant basse et généralement invisible au
delà de 5 ou 6 milles, il a fallu, pour déterminer la position
des sondes plus éloignées, recourir à l'emploi de signaux
flottants solidement tenus sur le fond et rattachés par une
triangulation aux points remarquables de la côte.
Les opérations ont amené la découverte, dans le canal
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. J65
compris entre la côle et les îles Kerkennab, d'une passe
plus profonde de 1 mètre que celle qui était pratiquée jus-
qu^ici. Cette passe nouvelle, accessible aux navires d'un
tirant d'eau de 4 mètres, procure une diminution de trajet de
100 milles à la navigation côtière.
On a étudié le régime des marées qui sont, à Sfax,de {""jS
à 2 mètres et des observations ont été faites sur les courants.
En résumé la reconnaissance de la côte de Tunisie est
achevée de la frontière algérienne au golfe de Gabès; ce
levé ne comprend pas moins de cinquante feuilles du format
grand-aigle.
MM. les ingénieurs hydrographes Renaud et RoUet de
risle, membres de la Société de Géographie, ont fait par
ordre de M. le vice-amiral Courbet le levé des chenaux
intérieurs de la côte du Tong-King septentrional, depuis la
baie de Ha-long jusqu'à Tsang-Mui-Tao, à une dizaine de
milles du cap Paklung. Ils ont réussi à débrouiller le
chaos des îles qui avoisinent la baie de Faï-tzi-long. Les
caries qu'ils ont envoyées au Dépôt de la Marine et qui sont
publiées en majeure partie, fixent la position de plus de
mille îles et rochers ; elles donnent les chenaux qui sillon-
nent cet archipel et qui mènent aux gîtes houillers de Hon-
Gay, de Kebao, etc. Ils ont exploré en détail la baie de
Hon-Gay et les chenaux qui y accèdent de la baie de
Halong; ils ont déterminé deux mouillages sur la côte de
l'île de la Cac-Râ, les ports Rayard et Parseval, ainsi que la
passe du Volta qui donne directement accès à la grande
baie Faï-tzi-long, en venant du large.
Appelés à suivre l'amiral Courbet en Chine, ils ont sondé la
rivière Min, puis dressé le plan deKelun^, et déterminé des
sondes à Tam-sui.
Tandis que M. Renaud restait avec Tamiral Courbet,
M.RoUetde Tlsle, récemment retourné au Tong-King, était
occupé à compléter les levés jusqu'au cap Paklung et à faire
les observations nécessaires pour établir la triangulation
soc. DE GÉOGR. — 2* TRIMESTRE 1885. YI. — 12
166 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
générale des chenaux explorés qui occupent une étendue de
plus d'un degré de longitude entre Halong et Pakhoï.
Les cartes originales publiées en 1884 par le Dépôt de
la Marine sont, à la côte occidentale d'Afrique, le plan du
mouillage du petit Biribi, levé par M. le lieutenant de vais-
seau Gambar.
Pour le détroit de Magellan et les canaux latéraux, le Dépôt
a publié les plans des baies Snug, Butler et du Volage, avec
le plan du port Ballenas, levé par M. Ingouf, lieutenant de
vaisseau. M. Ingouf a levé également le plan de la rivière
Santa-Cruz, à la côte de Patagonie, qui est en cours de
publication.
L'hydrographie de l'archipel du cap Horn s'est enrichie
des plans de la baie Saint-Bernard ou Orange, du mouillage
d'Oushouaia et de Lapataia, des mouillages des îles Otter et
de la Romanche, des baies Lort et de Saint-Joachim. Ces
diverses publications sont le résultat des travaux exécutés
par les officiers de la Romanche sous la direction de M. le
capitaine de frégate Martial; les autres levés de cette mis-
sion sont en cours de publication.
L'Océan Pacifique est représenté dans ces publications
par la carte de la partie de l'île Tahiti située entre la
rivière Varii et Arupa, levée par M. le lieutenant de vais-
seau Bugard. La côte entre Arupa et Vaitoto, qui avait été
levée par M. le lieutenant de vaisseau Agnant, est en cours
de publication : cette dernière carte complétera le levé du
littoral de Tahiti à grande échelle.
Il y faut ajouter la carte des îles Polt et Art et une partie
du récif qui s'étend au nord de la Nouvelle-Calédonie,
levée par M. le capitaine de frégate Ghambeyron.
Enfin, des croquis des îles Api et Ambrym dans les Nou-
velles-Hébrides ainsi que. des plans de mouillages dans le
même archipel, résument ces levés effectués par les officiers
du B'EstréeSy commandé par M. le capitaine de frégate
Communal.
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 167
Aux parages excentriques de l'Europe, dans le nord de la
Norvège, nous avons vu notre collègue M. Charles Rabot
continuer cette année la tâche depuis longtemps entre-
prise. Il a visité pour la troisième fois le Svartisen, le grand
glacier de Laponie oîi, après avoir constaté qu'une impor-
tante vallée le sépare en deux parties distinctes, il a déter-
miné à 1300 mètres l'altitude moyenne du massif. Les cotes
barométriques recueillies pendant les voyages antérieurs
ont été calculées par les soins de M. le commandant Pru-
dent.
D'après M. Rabot, c'est une erreur de croire que les gla-
ciers de la Laponie descendent jusqu*à la mer. Les courants
de glace issus du Svartisen s'arrêtent tous à une certaine
distance ou à une certaine hauteur avant d'atteindre le
plan de l'eau. Si le Jokûlûeld, dans le Finmark, paraît
faire exception à cette règle, c'est par suite d'une circons-
tance topographique toute particulière. Après avoir visité
ce que la géographie botanique appelle la Norvège boréale,
M. Rabot a visité l'Europe arctique, formée par le stérile
plateau du Finmark, par la péninsule de Kola et par les
toundras qui s*étendent du Kanin Noss à l'Oural.
M. Georges Pouchet et M. de Guerne ayaient visité, dans
une partie de cette région, la vallée du Pasvig et l'immense
lac Enara dont il est l'émissaire. Les informations recueil-
lies par ces voyageurs se trouvent complétées et précisées
par celles que rapporte M. Rabot. La vallée de Pasvig et le
bassin de l'Ënara forment, entre la plateau de Fiomark et
la Laponie russe, une large dépression naguère remplie par
les eaux de la mer, comme l'attestent de nombreuses co-
quilles subfossiles trouvées sur les bords du Pasvig. Une
immense forôt de pins couvre toute cette région que fré-
quentent quelques Lapons, quelques Finnois, mais où pul-
lulent les moustiques. Le lac Enara, sorte de mer intérieure
de la Finlande, présente sur ses rives un cordon littoral, un
skœrgaard composé, dit-on, de plus de deux mille îlots.
168 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
M. Rabol a déterminé barométriquement l'altitude de
l'Enara et d'une centaine de points sur le Pasvig; il a, en
outre, levé à la boussole le trajet de ce cours d'eau long
d'environ 120 kilomètres.
S'avançant sur le territoire de la Laponie russe, il a re-
monté, de Kola au Notozero, la rivière de Tulom dont il a
également effectué un relervé. Les cartes représentant à
tort comme une plaine stérile la Laponie russe ou tout au
moins la partie du pays comprise entre Kola et la frontière
norvégienne. Le sol, au contraire, est accidenté de
chaînes de collines dont l'altitude atteint 500 mètres; la
région n'est qu'une immense forêt de pins. C'est encore une
erreur, d'après M. Rabot, de faire commencer la toundra
immédiatement à l'est du Yarangerfjord. Selon lui, entre
ce fjord et Kola, la toundra n'existe pas et la côte russe
jusqu'à Kola ne présente aucune différence avec la côte
norvégienne. En d'autres termes, ceux qui tiendront à
faire figurer une toundra sur ce littoral devront la faire
commencer à Hammerfest ou même plus bas, au-dessous
du cercle polaire, car toutes les îles de la côte norvégienne
sont actuellement dépouillées de végétation.
Tout en étudiant le sol, M. Rabot a recueilli de précieuses
informations sur les habitants, et justice doit être rendue une
fois de plus à la persévérance avec laquelle il poursuit ses
recherches dans TEurope boréale. Il faut ajouter à. cet hom-
mage l'impression du regret que tant d'observations, tant
de renseignements n'aient pas été coordonnés par le voya-
geur, dans une œuvre sans laquelle la portée de ses efforts
ne saurait être complètement appréciée.
Au delà du Bosphore par lequel nous sortirons de l'Eu-
rope, voici cette vaste, belle et riche Asie-Mineure encore
imparfaitement connue dans ses détails, bien qu'elle ait été
déjà très parcourue. Le professeur Henri Kiepart nous en
a donné dernièrement une carte en 6 feuilles, à l'échelle de
1/1,500,000* oîi, combinés sous le contrôle d'une critique
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 169
érudite, sont venus se coordonner tous les éléments essen-
tiels d'une œuvre de ce genre. L'auteur a pu même y ajou-
ter de nombreuses informations inédites qu'attire à lui, par
un légitime privilège, sa compétence indiscutée. C'est ainsi
qu'une fois de plus M. H. Kiepert a pu doter la géographie
d'un précieux document dans lequel, à côté des résultats
acquis, apparaissent les lacunes à combler sur la carte de
TAsie-Mineure.
En commençant par l'Arabie notre course rapide à travers
le monde, sur les pas des explorateurs en Asie, nous nous
heurtons à une tombe récemment ouverte; c'est celle de
Charles Huber, explorateur français doué d'une rare énergie,
d'un ardent bon vouloir et dont le précédent voyage avait
produit des résultats bien faits pour légitimer de belles
espérances.
L'Arabie centrale présente encore aujourd'hui de vastes
espaces inconnus ou à peine sillonnés de quelques lignes
de marche insuffisamment relevées. Charles Huber nous a
donné, au Bulletin de cette année, une relation de son
voyage accompli de 1879 à 1881, avec une carte des routes
qu'il avait parcourues. Cette carte est pour ainsi dire la pre-
mière base solide dont la géographie dispose pour le figuré
de ces contrées.
Chargé d'une nouvelle mission du Ministère de l'Instruc-
tion publique, C. Huber partait de Damas le 28 juillet 1883.
C'est d'abord la Bâdlyet^ech-Châm qui l'attire dans la di-
rection de l'Euphrate, puis c'est le Djebel-Hauran, au sud
de Damas. Ces premières excursions terminées, il reprend
son ancien itinéraire jusqu'au Djouf, d'où il complète sa
carte vers le nord-est, jusqu'à Sekâka et à Athouer. Du
chef-lieu de l'oasis de Djouf, où il était entré dans l'émirat
de Chammar, Huber, pour ne citer que les parties nouvelles
de ses itinéraires, visite Qefâr, puis le massif du Djebel-Agjâ
qu'il étudie dans tous ses détails. Il repart ensuite de Haîl
pour Teïmâ, c'est-à-dire dans l'ouest, s'arrêtant aux monts
170 RAPPORT SUR LSS TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
Serra et Mismâ; près de ce dernier il copie, sur les rochers,
de premières gravures égyptiennes, témoignage irrécusable
que le centre -de TArabie septentrionale, comme le Sahara
au sud de Tunis, a gravilé jadis dans Taire de l'antique ci-
vilisation qui s'était épanouie sur les bords du Nil.
A El-Mehadjdjé, autre station sur une nouvelle variante
de cette route, il découvre de nombreuses inscriptions sé-
mitiques. Mais à Teïma l'attendait une récolte plus précieuse
encore, une jstèle araméenne d'une exceptionnelle valeur
et plusieurs autres épigraphes araméens. Huber reprend là
ses traces du premier voyage pour gagner les vieux sanc-
tuaires de Qala'at El Hidjdjr; on peut qualifier ainsi ces
ruines, car leur dénomination .arabe (Hidjdjr) est aussi celle
d'un des murs d'enceinte de la qu'aba de La Mekke mu-
sulmane; la disposition des monuments, les belles caves
mortuaires, sortes de catacombes embellies par l'architec-
ture, répondent d'ailleurs bien à notre interprétation. Ici,
des inscriptions en caractères inconnus, une tête de Moloch,
le dieu phénicien, là des inscriptions araméennes, coufiques
et arabes modernes viennent grossir la récolte du mis*
sionnaire. Il quitte El Hidjdjr juste à temps pour échapper
à une troupe de bandits qui venaient l'y surprendre. En re*
tournant à Teîmâ, par un chemin nouveau jusqu'au Djebel-
Helouân, il fait la découverte de très belles inscriptions ara-
méennes et thamoudéenneset de la figure d'un dieu égyptien.
Puis c'est le figuré complet du Djebel Arnàn, à peine
amorcé sur sa première carte, qui réclame ses soins.
A Hâîl, capitale de l'émirat de Ghammar, Huber occupe
utilement ses loisirs à réunir une quantité de renseigne*
ments relatifs à toute la partie nord de l'Arabie et surtout à
ses habitants. Peut-être aurons-nous à regretter la perte du
cahier sur lequel il avait groupé tous ses renseignements
relatifs aux tribus et à leurs subdivisions. Il s'est occupé aussi
à dresser l'inventaire, par informations, de tous les animaux
qui composent la faune de la région des Nefoûd ou dunes
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 171
de Sable du nord de l'Arabie et de la région montagneuse
du Djebel Ghammar. Il est intéressant de trouver dans cet
inventaire une indice de l'homogénéité de la zone saharienne
qui empiète ici sur l'Arabie ; dans les dunes de sable des
Nefoûd, on voit à côté des plantes de l'Erg, l'antilope leu-
coryx qui porte ici le nom arabe du moufflon à manchettes,
la gazelle rim, les vipères les plus dangereuses et les plus
rares du Sahara. Dans le Djebel Ghammar c'est, sous un
autre nom (el-fa'fd'a), la zorreig de Arabes, la seffeltès des
Touaregs Vechis carinata des erpétologistes, qui, pourvue
de crochets à venin, saute sur son ennemi comme projetée
par un ressort.
Après une lointaine excursion dans le sud, en pays par-
tiellement inconnu, à El^Çelaîliyé et au Djebel-Serra, Huber
tomba malade à Hâîl. L'emir Mohammed ben Rechid, sou-
verain du Ghammar, se préoccupait beaucoup du mahedi
de Dongola, Mohammed ben Amed ; il se demandait, d'une
part, si ce chef de mouvement était bien le réformateur, le
guide annoncé par les prophéties et d'autre part, si l'occu-
pation de l'Egypte par l'Angleterre aurait une un. Il con-
seilla à Huber de se donner pour un musulman de l'Srâq
persan, s'il voulait passer par les villes saintes de l'Islam. Ge
conseil était très sage ; malheureusement il n'eut pas le ré-
sultat que l'émir du Ghammar en attendait, car Huber était
déjà reconnu pour un infidèle*
De Hâîl à Bereîda, Huber repassait sur un terrain qu'il
connaissait déjà. De Bereîda à La Mekke son itinéraire che-
vauche sur celui de M. Mac Doughty, mais les indications
géographiques publiées jusqu'à ce jour par le voyageur an-
glais sont quelque peu vagues et il faut attendre la cons
truction de l'itinéraire beaucoup plus précis de Gharles
Huber pour décider quelles sont les parties communes aux
deux explorateurs.
Au passage sur le territoire des villes saintes» qui a ses
limites très arrêtées, Huber ne put méconnaître les sym-
172 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
plômes de méfiance et de haine fanatique dont il était l'ob-
jet. La renommée qui l'avait précédé avait trahi son véri-
table caractère. Pourtant, en arrivant sous les murs de La
MekkCy il reçut la visite d'un chérif. Ce pieux personnage,
poli et convenable comme le sont tous ses concitoyens,
engagea Huber à transporter sa tente sous le Djebel-Qoubaïs
où il serait mieux abrité ; le chérif n'ajouta pas, il est vrai,
que là le voyageur serait facilement surveillé par les hôtes
d'une zaouya senoûsienne.
Quoiqu'il en soit, il réussit à gagner Djedda où il fut
reçu par notre consul M. de Lostalot, et put se rendre
compte de la gravité de sa situation.
Mais il n'avait pas encore accompli la mission dont il était
chargé; il fallait aller rechercher dans l'intérieur des monu-
ments épîgraphiques promis à l'Académie des Inscriptions
et Belles Lettres. N'écoutant donc que le sentiment du devoir
et bien que conscient du danger auquel il marchait, Huber se
remit en route. Dans le milieu du mois d'août la nouvelle nous
parvenait qu'il avait été assassiné par l'un de ses serviteurs
dansun endroit nommé Kassar-Alia, à quatre jours de marche
de Djeddah et près de Rabegh, point de la côte d'Arabie.
Quelque temps avant de quitter Djeddah, le malheureux
voyageur avait adressé à la Société de Géographie son jour-
nal de voyage, plein d'informations précieuses qui attendent
encore une élaboration, mais qui éclaireront vivement le
présent et le passé du nord de l'Arabie. Les itinéraires et
les croquis topographiques soigneusement levés renferment
toutes les indications désirables sur la région parcourue.
De fréquents tours d'horizon, de nombreuses observations
de hauteur méridienne du soleil apportent, en outre, de
précieux éléments pour la construction de Titinéraire du
voyageur. Enfin l'épigraphie sémitique sera redevable à
G. Huber de plus de cent copies d'inscriptions antiques
qu'il a consignées sur ses cahiers de route.
En pénétrant dans l'intérieur de l'Asie, nous aurons à
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 173
signaler un intéressant itinéraire accompagné d'un levé et
dont Fauteur est un Français.
M. Delaplanohe, ingénieur civil, se rendant à Pinang où
TattendaitM. François Deloncle pour entreprendre Texplo-
ration de la péninsule malaise, a traversé la Perse presque
directement du nord au sud, de Recht, sur la mer Caspienne,
à Bender Bouchir sur le golfe Persique.
Il a relevé le long de la route les accidents topographi-
ques du terrain et les éléments d'un profit de la contrée
traversée. La Société espère que M. Delaplanche voudra bien
lui exposer les résultats de ce voyage qui, sur quelques
parties, s'est accompli en dehors des lignes suivies par les
précédents explorateurs.
Les notions sur l'énorme soulèvement du Pamir ont passé
par une série de phases assez confuses, et il faut admirer
le travail dans lequel le savant colonel Yule, Tiin de nos
membres correspondants étrangers, résumait, dans une
savante introduction à l'ouvrage de Wood *, les données com-
plexes, souvent contradictoires, de la géographie du c Toit
du Monde ». Depuis lors, une série de voyages accomplis
soit par des Anglais, soit surtout par des Russes, avaient peu
à peu déterminé les lignes hydrographiques principales de
cette singulière région. Dans le courant de l'année a paru le
résqmé d'une exploration russe qui achève presque com-
plètement de fixer les géographes au sujet du Pamir.
En 1883, un géologue, M. Ivanof, accompagné de deux
officiers topographes, les capitaines Putiata et Benderski,
ont sillonné le Pamir d'itinéraires heureusement combinés.
Tantôt cheminant ensemble, tantôt se séparant pour em-
brasser une plus grande étendue de pays, les membres de
celte expédition suivirent un itinéraire très compliqué qui,
du col de Kizil-Art, dans l'Alaï, et des rives du grand Kara-
Koul, les amena à visiter successivement toute la partie
1. Introduction à : Joumey to the source of the river OoJttS, Wood.
174 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
orientale et divers points très importants de la partie sud
du vaste massif pamiréen.
Malgré de nombreuses et rudes difficultés^ les explora-
teurs réussirent à dresser la carte de la contrée parcourue,
en rattachant leurs observations à celles des explorateurs
anglais qui les avaient précédés. En outre, ils ont déterminé
l'altitude d'environ trois cents points et recueilli de pré-
cieuses données sur la géographie physique et sur la consti-
tution géologique de la contrée.
Des études auxquelles s'est livrée l'expédition de M. Iva-
nofy il résulte qu'au point de vue topographique la dénomi-
nation de Pamir doit être restreinte à une seule région
formée par un haut plateau dénué de toute végétation, et
qu'il ne faut point l'appliquer à telles ou telles autres par-
ties du pays dont on avait fait jusque-là comme autant de
Pamirs partiels : Pamir Alichour, Pamir Serez, Pamir Kar-
goche, etc. Les régions ainsi dénommées n'ont, en effet,
aucun trait caractéristique commun avec le vrai Pamir, et
les indigènes les désignent simplement sous les noms des
Alichour, Serez, Kargoche, etc.
Le nom de « Pamir » appartient aussi à la rivière qui sort
du Zor-Koul (ou Grand Lac) et qui est un des affluents du
Pandsch.
Le Pamir proprement dit est assez nettement limité : au
nord, par les monts Aiai; au sud, par l'Hindou-Kouch; à
l'est, par les montagnes deKachgarie; à l'ouest, par une
ligne qui siiit l'origine des premiers champs cultivés. Cette
ligne partirait de Kala-Pandj, passerait par Tcardym-Tchar-
pan sur le Kund, Tach Kourgan sur le Mourghab, Altyn
Mazar, sur le Mouk-SoU| pour aboutir à Daraout-Kourgan,
dans l'Alaï.
Circonscrit de la sorte, le Pamir se divise en une partie
orientale ou région des prairies et une partie occidentale
ou région des montagnes.
La région des prairies, plateau de 3000 à 4000 mètres d'al-
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUESé 175
titude, est caractérisée par des vallées couvertes de riches
pâturages, analogues à celles du haut Alaï, aux sources de
TAksou et à celles del'Istyk; analogue aussi aux terrains
sablonneux des sources du haut et du bas Gtièze et du
Koche-Aghile.
La région des montagnes se distingue de la précédente
en ce que les vallées disparaissent, pour ainsi dire, ou plutôt
se réduisent à des gorges étroites et profondes, resserrées
entre les montagnes. Les ruisseaux se transforment ici en
torrents qui s'ouvrent difficilement un passage à travers
les rochers. Les vallées ne sont souvent qu'un défilé d'un
accès difficile, comme celle de Mourghab près du Roschan,
ou bien elles s'élargissent et se rétrécissent alternativement,
comme celle du cours de la rivière de Pamir.
Un autre résultat de l'expédition deMM.Ivanof,Putiata et
Benderski est la solution, qui paraît définitive, de la ques-
tion du Bolor, cet ensemble de montagnes qu'on représen-
tait comme . perpendiculaire aux systèmes du Tian-Chan
et de l'Hindou-Kouch. Or, non seulement cette chaîne
n'existe point, comme on l'avait du reste déjà reconnu, mais
M. Ivanof n'accepte môme pas la théorie de M. Severtzov
relative à l'existence d'une ligne de hauteurs qui se distin-
gueraient par des caractères géologiques spéciaux.
Les explorateurs ont constaté ainsi quel'lstykjl'Aksou, et
par conséquent leMourghab, de même que la rivière qui sort
du grand lac Pamir (Zor-Koul), ont leurs sources dans les
montagnes du sud, c'est-à-dire dans celles du Wakhan, et non
dans celles du nord qui séparent le bassin du Pamir de celui
del'Alichour, comme on le croyait jusqu'à présent.
Tandis que l'expédition accomplissait son œuvre difficile,
un autre voyageur russe, le docteur Regel, qui a déjà rendu à
la géographie des services considérables, continuait ses explo-
rations dans le Darwaz et le Ghugnan,en particulier le long
du cours du Pandsch. De ce côté-là aussi nos connaissances
ont pris un caractère sinon définitif, du moins plus précis.
176 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
En somme, la région où naît l'Amou-Daria nous est
maintenant connue dans ses traits généraux.
L'un des principaux bras de ce fleuve, le Kizil-Sou ou
Sourkhab, appartient à l'immense vallée de TAlaï, dont la
topographie a été si bien étudiée par les voyageurs Fedt-
chenko^ Severtzov et autres.
Le second bras encore plus important de l'Amou-Daria,
le Pandsch, qui, par ses affluents principaux, appartient à
la région du Pamir, a été exploré avec un soin tout particu-
lier par le docteur Regel, dont les observations sont venues
compléter celles des précédents voyageurs et se relier à
celles que le pundit M.-S. avait recueillies, de 1878 à 1881,
sur le cours supérieur de cette rivière et sur son affluent le
Wakban-Daria.
Tous les différents tributaires du Pandscb, le Wakban-
Daria, le Mourghab, le Kund, le Pogouzboulak et la rivière
de Pamir, ont du reste été étudiés aussi et reconnus jusque
dans leurs sources par l'expédition de M. Ivanov.
A part quelques régions actuellement réduites en étendue,
il ne reste plus guère, dans la géographie de cette région
centrale de l'Asie, d'autre lacune que celle qui concerne la
partie orientale du Darwaz, c'est-à-dire le pays compris, au
nord du Mourghab, entre le Pandscb à l'ouest, le Tatka-
Korum et la Koudara à l'est.
De nouvelles reçues au Ministère des Affaires étran-
gères de Russie, il résulte que le 10 mars dernier, le
colonel Prjévalski se trouvait aux temples des, idoles
de Tcheibssen. 11 y était arrivé sans trop de difficultés,
en traversant l'Alashan méridional et la chaîne de Khan-
sou. Il devait partir avec une escorte de quatorze de ses
cosaques pour les sources du Hohang-ho, s'avancer sur le
territoire de Tsiamdo et revenir à la fin d'août à Zaïdam.
Le voyage à L'Hassa était projeté pour l'automne ; si l'en-
trée de cette cité sainte lui était interdite, M. Prjévalski
se proposait d'explorer le Tibet septentrional jusqu'au
ET SUR LES PROGRÉS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 177
Lop Noor, et de s'avancer [aussi loin que possible vers le
sud.
La Société adresse ses vœux de réussite au colonel
Prjévalskiy dont Tinfatigable labeur a déjà valu à la géo-
graphie tant de belles acquisitions.
Le dernier rapport nous signalait les études dirigées en
1882 dans l'isthme de Kra, partie étroite de la péninsule
malaise, par MM. les consuls Harmand et François De-
loncle, puis, en 1883, par MM. le lieutenant de vaisseau Bel-
lion et les ingénieurs Bourgery, Delaplanche et Schlussel,
assistés de deux commissaires siamois, les commandants
Touan et Loftus. Pour des motifs étrangers à la géographie,
M. Deloncle n'a pas cru devoir publier encore les rapports
de la mission française.
Il ressort néanmoins, de communications particulières
reçues par la Société, que l'isthme de Kra proprement dit,
les vallées du Paktchan, du Saoui et du Langsuen ont pu
être relevées très exactement Une coupe géologique de la
péninsule par 10^30' de latitude nord a été obtenue, et des
travaux hydrographiques ont fixé la ligne des côtes des
golfes de Bengale et du Siam, aux extrémités de la ligne
étudiée.
Afin de compléter cette enquête sur la possibilité du per-
cement d'une voie maritime internationale à travers la
péninsule, M. F. Deloncle est reparti de Bangkok au mois
de février dernier; il était accompagné de M. Paul Macey,
d'uningénieuranglais,M. Davidson, du commandant Jouan,
commissaire siamois, puis de M. l'ingénieur Delaplanche,
qui est venu le rejoindre à Pinang.
Après avoir relevé la péninsule depuis l'isthme de Kra
jusqu'à 7°30' de latitude nord et visité les îles Samuie qui
forment l'archipel le moins connu mais le plus intéressant
du golfe de Siam, l'expédition a pénétré dans la péninsule
malaise à la hauteur de Singora, par 7**14' de latitude nord,
où elle a reconnu l'existence d'un État sam-sam, c'est-
178 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
à-dïre de métis de Malais et de Siamois, ancien repaire de
pirates et semi-indépendant du Siam. Des canaux larges et
profonds s'enfonçant dans les terres ont conduit ensuite
M. Deloncle et ses compagnons dans une mer intérieure
nommée Talé-Sale, où ils étaient les premiers Européens à
pénétrer. Profond d'environ 6 mètres, large sur un point
de 12 milles et long de 45,1e Talé-Sale présente la configu-
ration la plus étrange: il est semé d'îles de calcaire com-
pacte et couvertes de nids d'hirondelles. Douce pendant la
mousson de nord-est^ salée pendant la mousson de sud-
ouest, cette mer sépare la péninsule proprement dite de l'île
Tantalan, la Ko'-Yaï des Siamois, par un ensemble d'ar-
royos dont les uns aboutissent à Singora au sud, les autres
à Lacon au nord. Après l'avoir parcourue, l'expédition dé-
barqua par T^'^O'de latitude nord sur la côte ouest, à Taloung,
où un rajah sam-sam, maître des pays de Taloung et de
Plian, lui fournit des éléphants pour traverser la péninsule.
On releva d'abord une magnifique plaine de rizières de
12 milles de large, sur les bords du Klong Taloung, puis on
atteignit,, au col du Khau-Phra, la chaîne des monts Louang
qui forme l'arête de la péninsule. L'expédition descendit
ensuite dans le bassin du Trangqui va au golfe du Bengale.
Une plaine de rizières s'étend également de la montagne à
la ville de Trang où un rajah chinois règne sur une popu-
lation plutôt malaise que sam-sam. De Trang on gagna Pi-
nang en faisant une reconnaissance hydrographique de toute
la côte jusqu'ici mal connue. Au mois d'avril, MM. Dela-
planche, Paul Macey et E. Hardouin, partaient de Pinang
pour aller compléter l'exploration du Talé-sale et de l'isthme
de Taloung. Ils parcoururent dans tous les sens les États de
Trang, Taloung, Laoon, Singora et Stouil. Ce dernier terri-
toire, absolument malais, est situé au sud du pays de Trang.
De retour au mois de juin, les ingénieurs ont rapporté
des coupes géologiques de toute la région traversée, et l'a-
nalyse des échantillons faite à l'École des Mines a révélé
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 179
i*exîstence, dans cette terra incognitay de nombreux gise-
ments de quartz aurifères, d'étain et de fer. Des observa-
tions ethnographiques sur les Sam-Sam» leur constitution
politique, leurs habitudes de piraterie, ont pu être achevées
très heureusement et nous avons le droit d'espérer que le
rapport de Texpédition de M. François Deloncle intéressera
vivement la science géographique ; puissent les circonstances
en permettre bientôt la publication.
En quittant Pinang, M. F. Deloncle a visité Tarchipel
Mergui, puis gagné Rangoun d'où il est monté, par Tir-
aouady, dans la Haute-Birmanie.
Dans l'île de Ceylan M. Colombo et M. F. Deloncle ont
étudié avec succès le projet de percement d'un canal mari-
time entre Ceylan et la péninsule de l'Indoustan par llle de
Ramesveram. Ces intéressants travaux auront contribué à
fixer la géographie du canal de Pamben et de la série des
îlots rocheux qui forme le fameux pont de Rama ou d'Adam,
de l'Hindoustan à Sérendib.
Pour rindo-Chine^ le fait important à signaler est le
remarquable voyage accompli par le docteur Paul Neis,
médecin de 1"^* classe de la marine, dans des parties inex-
plorées du haut Mékong,
Trois voyages antérieurs dans lesquels M. Neis avait
visité le pays des Mois et découvert les sources du Dognenaï,
puis des nouvelles du dernier voyage, qui nous parvenaient
de temps à autre, avaient déjà attiré l'attention sur cet
explorateur distingué. Son retour permet aujourd'hui d'ap-
précier l'importance de l'exploration qu'il vient d'achever.
'M. Neis partait de Saïgon en décembre 1882, n'ayant pour
toute escorte que deux jeunes interprètes annamites et deux
miliciens indigènes; il remontait le Mékong jusqu'à l'un de
ses affluents encore inexploré, qu'il suivait avec ses pirogues,
jusqu'au village nouveau appelé Muong Nhiam, non loin de
Tha-thome, par 18°57'54'' de latitude nord. La rivière en ce
point cesse d'être navigable. Franchissant alors un massif
180 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
montagneux élevé, M. Neis parvient sur un vaste plateau,
centre du pays dePhoueuns. Des bandes de pirates chinois,
sortes de Pavillons-Noirs qui, sous le nom de Hôs, envahis-
sent peu à peu la contrée, avaient chassé, il y a dix ans,
le roi des Phoueuns de sa capitale Heing Kouang,près dès
sources du Nam Ngoun. Il s'était alors bâti une petite for-
teresse à Muong Ngan, par WH'H" de latitude nord. Deux
missionnaires français qui, venus de la côte d'Annam, habi-
taient depuis un an cette localité, purent fournir au voya-
geur des renseignements précieux soit sur le pays absolument
nouveau des Phoueuns, soit sur les routes qui le font com-
muniquer avec le Tong-King.
M. Neis avait formé le projet de gagner Luang Prabang
par une route que nul avant lui n'avait parcourue, quand il
apprit qu'une petite forteresse, située à 16 kilomètres au
nord de Muong Ngan, venait d'être prise par les Hôs; qu'il
fallait s'attendre d'un moment à l'autre à voir arriver ces
hordes de pillards, grossies des sauvages de la montagne,
des Khas Pouthangs. Les trois Européens qui seuls eussent
opposé une résistance, d'ailleurs absolument inutile, durent,
devant la marche rapide de l'ennemi, quitter la place en y
abandonnant la plus grande partie de leurs bagages. Les
missionnaires "se retirèrent vers la côte d'Annam et le docteur
Neis redescendit le Nam Sau, pour gagner Luang Prabang
par la voie du Mékong.
A Paklay on quitte les barques et le voyage se continue
à dos d'éléphant, afin de passer plus facilement à gué les
nombreux affluents de droite du Mékong. Le voyage se
poursuit le long de la ligne de partage des eaux entre le
Muong Hoa et la Thadua.
Cependant la saison des pluies qui rendait les routes im-
praticables, puis les fièvres dont lui-même et ses compa-
gnons de route subissaient de violentes atteintes, forcèrent
M. Neis à séjourner pendant plusieurs mois à Luang Pra-
bang. Cette inaction forcée, il l'employa à recueillir des
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 181
renseignements sur le pays, à nouer des relations utiles
avec les personnages qui entourent le roi de Luang Pra-
bang.
Dans ses excursions, il reconnaît le Nam Kan^ qui décrit
un immense circuit autour du massif de Pou Soan, de sorte
qu'après une navigation de six jours les voyageurs ne se
trouvent guère à plus de 50 kilomètres au sud-est de Luang
Prabang, au grand village de Nleng Ngoun; là, dans la
crainte des Hôs, on leur interdit de pousser plus loin.
Enfin, après de nouveaux retards causés par la grande fête
des eaux, à laquelle le docteur Neis avait été gracieusement
invité à assister, il put entreprendre l'exploration du Nam
Hou, puissante voie fluviale qui naît dans les montagnes
du Yunnan et dont le cours n'était indiqué jusqu'ici sur
les cartes que par un trait pointillé. Pendant quinze jours,
M. Neis remonta de rapides en rapides, levant avec un soin
attentif le cours dufleuve, jusqu'à Muong Qua, par HHViT
de latitude nord. Au delà sont les Pou Noï, à peine tribu-
taires de l'État de Luang.
La situation politique rendait impossible à M. Neis de
rentrer par le Tongking; il se décida, en conséquence, à
revenir par l'ouest, en choisissant la voie de Xieng Mai, la
moins connue, la plus intéressante et sur laquelle un seul
voyageur européen, le docteur Garl Bock, Ty avait précédé.
Remontant le Mékong jusque près de Xieng Sen, M. Neis
suit le Nam Kok, affluent inexploré du Mékong, et parvient
à Xieng Haï. De là, il gagne Xieng Maï en franchissant à dos
d'éléphant la distance qui sépare ces deux points. De
Lakone, il continue son voyage en pirogue jusqu'à Laheng,
d'où une jonque l'amène à Bangkok.
Désireux de finir par une visite aux ruines d'Angkor,
M. Neis débarque à Ghantaboum et se rend à pied à Battam-
bang, en traversant la fameuse plaine des saphirs, où 5 à
6000 Birmans sont occupés à rechercher des pierres pré-
cieuses. D' Angkor, une traversée assez pénible du grand lac
soc. DE GÉOGR. — 2e TRIMESTRE 1885. TI. — 13
l^i tUPt^OAt l^tfR tËâ fHAVAtï tt LÀ SOCtÉTt
Tàtaéne à Phtiom-Penb, d'où enfiti il rentre à Satgôti, après
une abs^tice de 18 mois éf nn Toyage dont la longueur peut
être évaluée à environ 5000 kilomètres.
M. Neid a l'apporté de éette exploratiôtl, accomplie potir
lé Ministère de rinstrûCtion publique, des itinéraires^
appuyés dur dés observations astronomique^, à travers dés
territoires immenses dont la carte est etitièremetit blanche.
Il n'a cessé de recueillir, en suivaiit péniblement sa routé,
des infortoatîoûs sur les pays qu'il Irâversail, leurs popu-
lations, leurs ricbesses, leur blstoire. Par la variété et
retendue dé Seâ résultats, rètploration du docteur Nei^
comptera parmi les plus fmctueuses de ces demièretl
années. Sans compter plus de 350 kilomètres d'itiué^
ralre par terre, la carte de la région qu'a parcourue le
docteur Neis portera désormais 700 à 800 kilomètres rtâflevési
à la boussole, des cours du Nam^Cbane, du Ménam et du
Nam-^Ping, du Nam-^Rane, du Nam-Rok, enfin du Nam^)n.
Il y a un an, d'ici même et en pareille Circonstance, la
Société envoyait l'etpression de ses sympathies à nos soldats
qui combattent au Tongkiug pour les intérêts delà France;
plus encore, pour les intérêts d'une civilisation à laquelle,
malgré ses défauts, on ne saurait refuser un véritable carac^
tère de grandeur. Les soldats ont répondu en envoyant aux
géographes de précieux matériaux recueillis au cours des
opérations militaires. La carte du Tongking ne s'est guère
composée jusqu'ici que du tracé fait, par nos ingénieurs hy-
drographes, des bras sinueux qui sillonnent le delta. Le
cours même du Fleuve Rouge a été reconnu seulement par
M. Dupuis et par M. de KergaradeC. Les meilleurs représen-
tations du Tongking se bornaient et devaient se borner à
donner les indications fournies par Ces travaux. Les comman*
dants successifs du corps expéditionnaire ont fait procéder
à des reconnaissances, à des levés, à des études dont un
exposé détaillé a été présenté à la Société. La mise en œuvîe
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 1B3
de <îes éléments vâ produire une carte notrvelle du delta, sur
laquelle nous verrons se garnir de centres de populations les
intervalles «ntre les branches multiples du fleuve, et sur la-
quelle apparaîtront nettement dessinés les quelques mouve-
ments de terrain situés dans Tes^. Gq sera là comme tme
seconde phase «de la carte du Tongking ; la fin des opérations
militaires permettra rexécuttonHle levés réguKers et complets
qui pourrcmt s'étenidre jusqu'aux abords de la frontière chi-
noise >où presque tout reste à faire pour la géographie.
Nous devons remercier le Service géographique de l'ar-
mée de la promptitude avec laquelle il a résumé tons ces
documents en une carte dont la publication est prochaine.
MM* Bréon et Kortbals chargés par ie Ministère de llns-
tructlon publique d'une mission au volcan de Krakatau,
arrivaient à iBatavia lei4mai dernier. Le 21, montés sur nn
petit vapeur mis à leur disposition par la bienveillance du
gouvemeur général des Indes néerlandaises, ils visitaient,
à la pointe sud de Java, un dépôt de roches volcaniques
qui ne «e rencontrent qu'en ce point de l'archipel de la
Sonde. Le 23, ils abordaieiKt à Prinsen Eiland, grande île
couverte de forêts épaisses, qui jusqu'alors n'avait été
visitée par aucun géologue. Le 24, dans la baie de Lampong,
ils pouvaient constater les effets de la terrible vague qui,
en pénétrant à une grande distance dans rintérieur des
terr^, avait anéanti toiït ce qui se trouvait à une altitude
inférieure à 30 mètres.
Le 25, ils débarquaient aux îles Sebcekœ et Sebesie, où
les désastres étaient encore plus considérables. Tout y est
recouvert d'un manteau de projections épais de dix mètres.
Enfin le 26, ils arrivaient au Krakatau dont ils étudiaient la
configuration et la constitution géologique. Deux des cônes
qui constituaient le volcan ont disparu par l'effet de la der-
nière éruption et sur leur emplacement la mer présente des
profondeurs de 200 mètres. La moitié du troisième cône du
184 BlAFPobt sue les trâyaux de la société
Krakatau est restée ddboat, tandis que toale sa partie nord
s'abimait. Le sommet qui s*élève à 820 mètres d'altitade est
recouvert d'une masse énorme de ponces qui, en s'écronlant,
r^idaient l'abord des falaises difficile et même dangereux.
Après aYoir quitté Krakatau, UM. Bréon et Korthals, ac-
compagnés de notre collègue, M. E. Ck)tteau, ont encore vi-
sité les îles Lang et Yerlaten, puis, de retour à Java, ils con-
sacraient un mois à visiter les volcans de l'îleet à faire l'ascen-
sion des principaux pics. Ils ont réuni, au cours de ce voyage,
une collection de rocbes et de minéraux, précieuse pour
l'étude géologique de Java.
La Nouvelle- Guinée nous apporte cette fois encore quel-
ques contributions géographiques. La partie néerlandaise
de 111e est restée assez longtemps sans faire parler d'elle,
tandis que^ grâce surtout aux missionnaires anglais, grâce
à l'agitation annexioniste soulevée par les An^o-Australiens,
la partie orientale de l'île se rappelait fréquemment à notre
attention.
Vous trouverez, dans l'un des fascicules du Bulletin tri-
mestriel, une étude dans laquelle notre collègue le prince
Roland Bonaparte a résumé avec beaucoup de clarté les
plus récents voyages des Néerlandais dans la moitié de la
Nouvelle-Guinée sur laquelle ils ont des droits anciens. A ce
travail est jointe une carte dont plusieurs traits, empruntés
à des documents néerlandais peu connus, sont vraiment
nouveaux.
Le travail du prince Roland Bonaparte signalait un voyage
du résident van Morris Braam sur la côte nord de la Nou-
velle-Guinée, entre la baie Humboldt et les embouchures de
la rivière Ambemo, en août et septembre 1883. M. van Morris
Braam ayant trouvé une passe praticable sur la barre de
l'une des embouchures du fleuve, avait formé le projet de
remonter ultérieurement le cours deTAmberno. Ce projeta
été mis à exécution. En juillet dernier, le résident remontait
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 185
la grande mière papoua jusque par 22° 20' de latitude
australe, ce qui, d* après la grande carte de Swaan, représen-
tait un trajet approximatif d'un degré en latitude. Malheu-
reusement son bateau échoua sur un banc de sable et, sans
la crue subite du fleuve, l'explorateur n'aurait pas pu
regagner la côte.
Ce double voyage ,est d'une importance géographique
assez considérable pour que M. Robidé van der Aa ait entre-
pris de publier les journaux et les cartes de M. van Morris
Braam dans le prochain numéro de l'excellent recueil néer-
landais de l'Institut voor de TaaULand-en-Volkenkundey
publié à La Haye.
Le prince Roland Bonaparte, en adressant cette informa-
tion à la Société, veut bien lui faire espérer une analyse de
la relation dont M. Robidé van der Aa prépare la publication.
cLes tentatives de M. van Morris Braam nous font voir, dit-il,
en terminant sa note à ce sujet, que les Néerlandais ne se
contentent pas de faire valoir d'une façon platonique leurs
droits indiscutables sur la moitié de la Nouvelle-Guinée, mais
qu'ils l'explorent aussi avec la plus grande ardeur et le plus
grand zèle. »
Dans la moitié orientale de la Nouvelle-Guinée le capi-
taine W. E. Armit entreprenait, en 1883, aux fi'ais du jour-
nal V Argus de Melbourne, une expédition pour reconnaître
le pays au point de vue de la colonisation.
Parti de Port-Moresby, à la côte méridionale de la longue
pointe que la Nouvelle-Guinée projette vers l'est, il se pro-
posait de traverser cette partie étroite de l'île; mais la difR-
culté de franchir les chaînes centrales l'obligèrent à se
rabattre au sud-est. Une route accidentée, qui traverse de
nombreux cours d'eau et des terres boisées où l'horizon est
borné; le conduisit au mont Astrolabe qui appartient à la
chaîne côtière. Des flancs du mont Astrolabe la vue s'étend
au nord-ouest, sur une large vallée qui semble se prolonger
fort loin. Vers le nord se dresse, à près de 3000 mètres, le
186 iUPPORT SUR LES TRAVAUX Bjt LA SOCIÉTÉ
mant Lawes, et daos Test apparaît le mont O'Bree qui s'élève
à 3200 mètres.
C'est en remootaDt le cours duLaloki fréquemment acc^-
denté de rapides et de petites cascades que le capiiaios
Ârmit continua sa route» Après avoir rencontré plusieuirs
villages indigènes, il finit par arriver à celui de Pidihaiba,
situé sur une ramification du mont Redford. De ee pointon
découvre un panoorama gramdiosey uni véritable kibyriolbe
de montagnes coupées, de gorges et de prédipices.
iCependant les fièvres, auxquelles succomba le docteur
américain Denton, Timdes. compagnons du capitaine Ârmit,
forcèrent l'expédition au retour. Elle avait atteint, comme
point extrême, le village de Pautmau situé, dit le capitaine
Armit, à deux journiées de marche seulement de la côte
nord-est.
Les villages de rintérieury presque tk)us établis sur des
hauteurs d'un aecèsdif fielleuse composent eniparties de cases
élevées de quelques mètres aiï-dessus du sol^ en partie de
doèos, sortes de pigeonniers construits entre les branche
des arbres, à dix-huit ou vingt mètres de hauteur. Les indir
gènes s'y réfugient en cas d'agression. Parfois une palissade
enclôt las villages.
I^s Papous de l'intérieur sont, en général, moins grossiers
et moins barbares que leurs congénères de la côste; ils sonA
aussi plus avancés en agriculture.
M. Armit dit avoir observé deux races distinctes de Pa-
pous. L'une a le teint clair,. Le mez aquilin, le frostt haut et
l'expression intelligente; elle représente un type qui,, d'a|)rès
le voyageur, se rapprocherait du type israélite. Les repré-
sentants de la seconde race se distinguent par leuv teint
presque noir, un nez épaté, de grosses lèvres, des cheveux
plus crépus et le faont plus bas. que ceux de leurs voisious;
ils soat aussi moins intelligents.
Une autre expédition organisée pair le journal The AgSy
de Melbourne, et conduite par M. 6» Ë. Movrisonr a marché
ET sua ^KS PROGIiËS DJ^â SC{ENGË3 a^OGliAFPIiQUES. i^T
sans beaucoup plus de succès 9ur la$ traces de la Pirep^ière.
Vers la m$m^ époque, M* ïlobe?|b Prew, d^ Sidney, wtre-
prenait d'explorer la partie la mpm^ coûnijuodç la côte sod-
f)st dé la NQuyeUe'r(Suinéey entre le détroit d9 Tprr^^ Qt t'île
du Prioc^ Frédéric He»ri, A un^ tr^utaiue d^ milWs ^ l'ptteat
du Maï Kassa ou Baxter River^ bra9 inférieur d^ la rivière
Fly, il découvrit uu cours d'eau ç<?nsidérable qu'il r^mopta
sur aavirop ^3 miUas çt auquel il d^nua le n^pi de Cb^i^
River.
[a ç6te de la NpijivciUe-Guiftée cliai>g3 4'asp(9ct k ftûviroïi
IQO m]\$s ^ l'puest de la pietite île Délivrance, c'pst-à-rdire
à proximité de la frontière D4erlaudais?«, les o^araiç de palé-
tuviers sont remplace par d^ poçotierç qui pou^^eni 90;*
des terres plus élevées, M. Drew a découvert, k 1^ milles II
}'ouast de x^etle mj^me île Pélivrance, unç île qu'il a ^ptisée
du nom de Discovery {sland,
La rivière Maï Kassa qu'avait relevée pour la première
foi$, en 1875, le millionnaire Mac Farlane,a été exploré^ de
iM>uvea.u en mai 1884 par une e^^pédition due h l'initi^ativ^ du
journal The Age. Conduite par le capitaine Straban, cette
expédition remonta le flieuve jusqu'à liO milles de son em-
bouchure et lui découvrit une série de gros a/Quent^, Mais
à la suUe d'un combat contre les indigènes, elle dut aban-
donner son embarcation pour opérer une retraite préoipitée
et périlleuse à travers les terres, juisqu'à la côte,
La partie angolaise de la NouvellMîuinée a été, cette anuée,
le tbéWire d'un fait considérable qui, relevant de la :géo»pa^
pbie politique, doit être iei meutloimé^ Depi«is q^elqu^s
années il était prévu par ceux qui suivent les événements
dans çelie partie du ma»de, L'Australie tendait visiblement
i une prise de possession de la partie ori^tale de cette
grande île; le Ç novembre dernier, le commandant de^
fpr<;es navales auglaipes en Australie a solennellement pro-
clamé le protectorat de l'Angleterre sur toute la côte mérir
dipnale de la Nouvelle-Guinée, située à l'e^t du 141^ degré
188 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
de longitude est, frontière des territoires néerlandais. Nous
ignorons encore où se limitera, dans la direction du nord de
l'île, ce protectorat sur toute la côte sud.
Un explorateur infatigable, M. G. Winnecke, vient de
combler une importante lacune dans notre connaissance
des régions centrales de l'Australie.
Il s'agit de l'espace, jusqu'ici en blanc sur les cartes,
compris au nord du lac Eyre, entre la frontière occidentale
du Queensland et la ligne télégraphique qui traverse tout le
continent australien d'Adélaïde à Port Darwin. Connaissant
déjà la nature du pays qu'il allait traverser, M. Winnecke
s'était procuré, comme montures et bêtes de somme^ des
chameaux, les seuls animaux qui puissent parcourir impu-
nément ces régions arides et désolées.
Le champ de cette nouvelle exploration s'étend de 27"30'
de latitude sud jusque au delà du tropique du Capricorne,
• soit jusqu'à 22»43'.
Quittant Farina, the Gums ou Government Gums,
terminus septentrional du chemin de fer sud-australien qui
l'avait amené d'Adélaïde, M. Winnecke arrivait le 11 août
1883 à Cowarie, station d'élevage sur la rivière Warburlon.
Son convoi organisé, M. Winnecke, accompagné seule-
ment de deux blancs et d'un indigène, franchissait le War-
burton et le Kallakoopah, deux affluents du lac Eyre, et se
dirigeait vers le nord, à travers une contrée où aucun explo-
rateur n'avait pénétré avant lui; les indigènes eux-mêmes
semblent y avoir rarement mis le pied car, dès le second jour,
celui qui s'était offert pour servir de guide se voyait obligé
d'avouer son ignorance.
L'expédition s'avança jusqu'au 25* degré, dans une région
caractérisée par d'interminables rangées de collines sablon-
neuses, courant presque invariablement de nord-ouest à
sud-est, et séparées par des vallées dans lesquelles une rare
végétation alterne avec des lacs salés. Ces lacs, de forme
allongée, étaient revêtus d'une croûte de sel assez épaisse
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 189
pour supporter le poids des chameaux. Entre le 26® et le
25'' degré de latitude sud, le pays prend de plus en plus
l'aspect du désert. Pendant seize jours, on ne rencontra pas
d'eau potable pour abreuver les animai^ qui durent faire
sans boire un trajet de 400 kilomètres.
Marchant en droite ligne vers Test, jusqu'à la rencontre
de la rivière Mulligan, l'expédition parvenait, dans les pre-
miers jours de septembre, à la station d'élevage de Sandrin-
gham, où la vue des chameaux causa un grand effroi aux
indigènes.
M. Winnecke espérait y trouver des chevaux pour conti-
nuer sa route, mais déçu dans son espoir, il reprit la direc-
tion ouest, puis nord-ouest et arrivé en un point que les indi- ,
gènes appellent Woonunajilla, sur la rivière Pield, il tra-
versa un pays qu'il compare à un « véritable jardin ». A
partir de ce point le paysage change entièrement d'aspect.
Le sol est beaucoup plus accidenté et la végétation moins
rare. A mesure qu'on approche du 23' degré de latitude, les
collines prennent les proportions de petites montagnes.
M. Winnecke leur donna les noms de Adam Ranges, Mount
Tietkens, Mount Smith, etc., en l'honneur de personnages
australiens ou d'explorateurs de sa connaissance. Il baptisa
pareillement du nom de Hay River, un cours d'eau qui che-
minant au nord-ouest, va se jeter dans la rivière Marshall,
Arrivé par 22°43' de latitude sud et iS6%& de longitude
est de Greenwich, M. Winnecke se retrouvait en vue du
Tarlton Range, reconnu dans ses précédentes expéditions;
il revoyait deux pics de forme bizarre, couronnés de roches
verticales de kaolin, qui, à distance, les fait ressembler, à
deux immenses piliers blancs. C'étaient les pics auxquels,
dans un précédent voyage, il avait déjà donné le nom de
Goyder's Pillars.
Des montagnes élevées étaient visibles à l'horizon, en
particulier le Jervois Range et le Central Mount Hawker,
que M. Winnecke estime être exactement au centre de Ogure
190 RAPPORT SÇR US9 TRAVAUX m hh SOCIÉTÉ
4ç rAqatralie^ Ce point, que d'autres explorateurs avaîeufc
viânement chercha à ntteiuclrey rappelait & M. Wirmeefce
d'amerç souvenirs- C'ert là qu'en 1881 il avait failli périr
de soif et perdit p^lusieurs e^celleuts chevaux avec lesqueb
il venait de parcourir 480 kilomètres, à travers une contrée
entièrement aride et déserte. Il souffrait^ en outre, du
scorbut, de rhumatismes viol^otsf, et n'avait même plus de
chaussures.
Après quelques jours consacrés h une eiçploration de la
rivière Hay et de la contrée environnante, au sud-sud-est
de Goyder's Pillars, oti il détermina la position du mont
Winnecke, du lac Caroline et d'autres points^ l'ej^plorateur
remonta vers le nord-est jnsqu'aw( sources de la rivière
Field, dans les Adam Ranges,
Au:$: premiers jours d'octobre# il opérait son retour par.
Sandringham en traversant la rivière Herbert et le King's
Creek» pour atteindre la station de Monkarra, sur la rivière
Mûller ou Diamantina; le l^'décenibre 1883 Texpédition si;
retrouvait à Farina, son point de départ
Les résultats obtenus pendant les quatre mois seulement
qn'a duré ce voyage sont très remarquables, surtout si Ton
considère l'étendue du territoire exploré, le nombre des
points dont j^f. Winnecke a déterminé la position, et 1^
difficultés de toute nature qu'il a rencontrées sur son
chemin. Ce voyage sillonne d'un premier itinéraire l'un des
espaces blancs qui subsistaicAt encore sur les cartes d' Aus**
tralie.
Ceux qui demandent aux rapports annuels de notre So-
ciété de les éclairer sur les progrès de la géographie auront
certainement constaté que, depuis plusieurs années, la
partie de ces rapports qui traite de l'Afrique est particuUè*
rement ferme et nourrie. L'explication en est dans le fait
que, sur ce point, le véritable rapporteur est M. Henri Du*
veyrier.
ET SUR t£S PROCHES DES SCIENCES GÉOQAAFOIQUES. 191
Ainsi quo ks aiHiéês précédentes, voua recoanaltrez dans
ks détails qui vont vous être présentés la collaboration
d'un collègue tout dévoué aux intérêts de notre association
et qui Sait autorité en matière de géographie airicaine.
Il serait malaisé aujiQiird'bski de parler de la géographiie
africaine sans effleurer le terrain de la politiqiie. En ces
dernières années^ une sorte de fermentation s'est produite
dans les États européens au sujet du continent noir, et il
semble en vérité qne TAfrique vienne d'être découverte*
Taflil qu'il ne s'est agi que d'aller s'y disputer les palmes du
martyre, en luttant ceouttre l'iaconnu ou contre l'esclavage,
on a pu s'entendre à peu près; mais des intérêts d'un autre
ordre sont entrés en ligne et ceux->tà ne savent pas se con*
tenter de la simple bienveillacMîe entre les hommes» Les
oscillations économiques, l'excès de populati<m, les exigences
d'une trop active industrie ont donné une étrange intensité
à la recherche des champs â*ezpIoitation, des débouchés et
des sources de matières premières. L'Afrique est là^ presque
soua la main^ et qui répond au moins à l'une de ces néces^
sites; aussi, quand au prix des effor(s„ au prix même du
sacrifice de bien des explorateurs, les géographes eurent
été renseignés sur ses lignes essentielles^ sur ses voies
d^accës vers Tintérieur, siur ses richesses, le commerce et la
politique survinrent, plus ou moins dissimulés l'un par
l'autre. On invoqua des droits à peine constatés, des traités
dont les a instruments '», comme dit le langage diploma*
tique, dormaient oubliés au plus profond des chancelleries;
on obtint des petits chefs de petites cessions territoriales
que le voisin s'efforça parfois d'annuler ; on planta et on
abattit des pavillons sur des points à peine connus de la
côte ou des deltas; les lots du sol africain en bordure sur
les océans firent prime. Quant à l'intérieur, c'est le long
des voies naturelles, du Nil, du Niger, du Kongo que s'éta*
biit la concurrence» Le conflit des intérêts pouvait amener
des conflits plus graves et la rivalité établie sur le Kongo
192 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
4
entre deux missions, dont les caractères étaient d'ailleurs
assez différents, devint le prétexte de la réunion de la con-
férence qui siège en ce moment à Berlin.
Mais ici votre rapporteur est tout à fait dans le domaine
de la politique. Comme Français, nous devons, désirer ar-
demment que les droits acquis par la France ne soient pas
sacrifiés ; comme géographes, que les conventions établies
facilitent aux explorateurs leur tâche ardue; comme
hommes, que Tère des pillages et des massacres d'indigènes
soit à jamais close, et que les procédés des conquistadores
soient abandonnés à jamais; c'est peut-être beaucoup d'am-
bition. Nous devons reconnaître, du moins, que jusqu'à
présent le vaillant de Brazza a poursuivi son œuvre sans
enfreindre les lois de l'humanité.
Du fleuve Ogôoué et de l'océan Atlantique auKongo, M. de
Brazza a déjà fondé treize stations ou postes français, bien
placés pour nous assurer l'accès de la partie navigable du
Kongo, soit en partant de nos possessions du Gabon et de
l'Ogôoué, soit en partant du royaume de Loango; nous
avons sur la côte, à Loango même, à Ponta Negra ou
Pointe Noire, puis sur le Kouilou-Niari, trois établissements
situés dans de bonnes conditions géographiques pour
devenir les têtes de lignes du commerce avec les régions
que draine le Kongo dans sa partie navigable. Aux rives
mêmes du Kongo, à Brazzaville, au milieu d'un territoire
français long de 580 kilomètres, flotte maintenant notre
drapeau. Quoi qu'il advienne, la conception et la réalisation
de cette œuvre restera un honneur pour M. de Brazza. Le
makokOy souverain des Batéké qui vivent sur le haut Kango,
à la hauteur du Stanley-Pool, a ratifié le traité qui lui a été
rapporté par notre explorateur, et accepté le protectorat de
la France. Voilà donc une nouvelle porte ouverte à l'activité
industrielle et commerciale ainsi qu'à l'influence de notre
pays. Puissent nos nationaux en profiter autant que sauront
le faire les étrangers.
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 193
Au nord du Gabon, daos la baie de Gorisco, la France a
pris possession de l'île d'Ëlobé, sur laquelle, en novembre
1884, l'Espagne a fait valoir des droits antérieurs.
A la côte de l'Or, à Porto-Novo, le protectorat français a
été proclamé et rendu effectif.
A l'autre extrémité du continent, le rivage nord de la baie
de Toûjoûrra qui fut si souvent le point de départ de nos
explorateurs en Ethiopie s'abrite maintenant sous pavillon
français; la station d'Oboq, désormais occupée militaire-
ment, olTrira à notre marine un précieux point de relâche
sar la route de l'extrême Orient, et à nos commerçants une
entrée vers le royaume de Ghawâ dont le souverain est par
tradition un ami de la France.
Au loin, du côté du sud, dans l'océan Indien, nous avons
fait valoir nos droits sur Madagascar; Taomasine ou Tama-
tave est occupée par nos marins qui ont également pris pos-
session de la baie de Passandava.
Enfin, et ce n'est pas là le moins intéressant des faits à
porter au compte de cette année, une canonnière française
a été lancée sur le Dhiôli-Ba ou Haut-Niger. Du poste de
Bammakou, relié comme on sait par d'autres postes à nos
forts du Sénégal, l'influence française va pouvoir s'affirmer
dans la direction de Timbouktou, et déjà peut-être les négo^
ciants de Kabara, port et faubourg du célèbre emporium
soudanien, ont-ils compris au sifflement d'une machine à
vapeur que leur régime commercial va subir de profondes
modifications. C'est la réalisation du rêve patriotique d'un
homme supérieur, le général Faidherbe qui, non content
de rêver, a soutenu puissamment notre mission civilisatrice
au Soudan occidental. Là encore le commerce français
peut trouver un vaste champ pour son activité.
A ce point de vue, ce n'est pas sans un sentiment de vif
regret qu'il faut enregistrer l'interruption des travaux du
chemin de fer destiné à relier la belle voie fluviale du
Dhiôli-Ba à la partie navigable du Sénégal. Gomme un père
191 RAPPORT 9im IBS rtAYJaX BE LÀ seoiÉTÉ
de famille, FÉtat doit faire des sacrifices pour Tayenir, et
la compétition actire dont l'étranger nous menace, sur ce
marché encore vierge^ indique que nous devons nenégl^er
aucune des armes nécessaires à cette lutte économique. Les
trente ou quarante kilomètres de chemin de fer déjà con-
struits ne tarderont pas, s'ils demeurent inutilisés, à être
détruits.
N'oublions pas que, de Bammakou aux rapides de Tîa-
dfaerîfen et de Tôsayé,àâ90kilomètres àl'est de Timbouktou,
le Dhiôli**£a est navigable sar une longueur de 1140 kilo-
mètres, et les rapides dont nous parlons ne sont peut-^tre,
pas plus que 'Ceux en amont et en aval de Bousa, des obs-
tacles permanents à la navigation en bateacuiPar contre, les
rapides d'Ëm-'n-Achid, an snd de Gôgô, et la barre de
rochers noirs qui coupe le lit du fleuve an snad-ouest de
Yaouri, paraissent dervoir former des obstacles plus sérieux.
La barre deYaouriresteralongteœpssansdoute danslalimite
de la navigation en amoatsur le Kwàra ou bas Dhiôli-Ba.
Sur le Kongo et sur le Koailou-Nlarï la France a pour
voisin 4ine puissanl'e société, l'Assc^Giation internationale da
Kongo, qui demain peut-être sera reconnue comnae État
indépendant. Par une couveation spéciale, d^tinée à régler
les relations de voisinage, TAssocialion internationale, au
cas où elle se dissoudrait, accorderait à la France le droit
de préemption sur ses stations et les droits territoriaux
qu'elle possédera, tant sur une partie du cours du Kongo, que
sur le Niari et leurs affluents ou sur la côte. L'Assodatioii
possède aujourd'hui, d'après M. Stanley lui-môme, vingt-
nenf établissements échelonnés sur un territoire long de
3500 kilomètres et lai^e de 37 à 833 kilomètres, qui relève
d'elle. Son influence s'exercerait sur une superficie de
78 à 79 000 kitomètres carrés. Les trois «dernières stations
fondées sont celles d'Arthnrville et de Strauchville, dans le
bassin du Kouilou-Niari,>€(t oelte du confluent de l'Arouwimi
dans le Kongo.
ET SUR tËS PROGRÈS DES ISCIEKCÉS GÉOGRAt^ïIIQUES. 195
L'Angleterre n'assiste pas indifférente à ces créations et
à ces arrangements. En Afrique comme ailleurs, elle a
quelque peine à accepter un rîval politique et surtout un
Concurrent commercial. Tandis qu*oû discutait, pour l'écar-
ter finalement, une convention entre elle et le Portugal
relativement au Kongo, elle s'annexait, au mois d'août,
Tembouchure du Kwâra, partie du fleuve où ses nationaux
possèdent une centaine de comptoirs, et où elle avait pris
pied, dès 1840, au confluent de la Bénouê. Par suite du
rachat des affaires que la Compagnie du Sénégal avait au
Niger, et de la fusion des intérêts de la Compagnie française
de TAfrique équatoriale, la « National African Company »,
c'est-à-dire l'Angleterre, s*e$t rendue maîtresse de tout le
commerce du Bas-Niger. En outre l'Angleterre discutait à
l'ouest les droits de l'Association internationale, et à l'est
les limites de notre possession d'Oboq. Par contre, elle
prenait possession, en septembre, des ports çomali de Zela'
et Berbera; elle n'a, du reste, jamais fait grand mystère de
ses vues sur Zanzibar et la côte qui fait face à celte ile. Sa
position en Egypte est connue de tous, comme aussi le
départ (27 octobre) de lord Wolseley avec l'armée chargée
de délivrer l'héroïque Gordon^Pacha à Khartoûm.
Dans le sud de l'Afrique, notons les modifications ap-
portées à la carte politique. Redevenue indépendante des
Anglais, la république du Transvaal s'est sentie asse« forte
pour coloniser; des essaims de Boers partis pour les pays
des Betchoiiâna viennent d'y créer, sous les noms de Stella-
land et de Goscben-laûd, les noyaux de nouvelles provinces
de la République. Simultanémentj deux des royaumes bet-
chouâna se sont placés sous la protection et la juridiction
du Transvaal, qui décrétait enfin la création d'une nouvelle
république néo-^hollandaise en plein pays des Zoulous.
Après s'être longtemps contenté de droits honorifiques,
le Portugal se prépare à annexer virtuellement à ses pos-
sessions les territoires qu'il réclame au nord et au Sud du
196 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
Kongo. Ces territoires formeront une province du Kongo,
avec Kabinda pour chef-lieu.
Enfin rAllemagne, une nouvelle venue dans ces mômes
parages d'Afrique, n'y possède pas moins de quarante-quatre
comptoirs, dont vingt-quatre sur la côte des esclaves et
treize dans Testuaire de Kameroûn. Elle a envoyé le doc-
teur Nachtigal, son consul à Tunis, planter le drapeau de
l'Empire allemand au Kameroûn, vis-à-vis l'île de Fer-
nando-Poo.
Les points de ce territoire qui sont devenus des posses-
sions allemandes sont : la rivière môme de Kameroûn (fleuve
côtier), avec un village Diwalla sur la rive sud; le village
de Bimbia, sur la côte au sud du mont Mongo-ma-Loba;
Malimba, île à l'embouche du fleuve d'Ediya, et les villages
de Petit Batonga, au nord et au sud de la baie de Panavia.
Tous ces points se trouvent sur une partie de la côte com-
prise entre i^'i' et 2^48' de latitude nord. En môme temps
un bateau de guerre allemand déployait les couleurs de
l'empire dans le voisinage des Anglais, à la petite baie
d'Angra Pequenha où un négociant allemand, M. Lûderitz,
possède un établissement. Les journaux qui ont relaté ce
fait n'ont pas tous indiqué les véritables limites du vaste
territoire africain, le Lûderitzlànd, qu'il faudra désormais
marquer sur les cartes. La proclamation du capitaine de
vaisseau Schering permet de préciser. Au nord le territoire
est borné par le 20' degré de latitude sud, laissant par con-
séquent l'embouchure du Kounôné dans les possessions por-
tugaises que l'empire d'Allemagne a respectées; au sud,
il s'étend sur un développement de côtes de 1058 kilomè-
tres jusqu'à l'embouchure du fleuve Oranje, par conséquent
jusqu'aux possessions anglaises. La profondeur de cette
bande de territoire est de 440 kilomètres. A partir de
maintenant l'Allemagne devient une puissance coloniale, et
ce n'est plus à Heligoland seulement qu'elle est côte à côte
avec l'Angleterre.
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 197
Pour rentrer dans le domaine de la géographie propre-
ment dite, veuillez vous transporter au pays immense, riche
et varié, que sa proximité de l'Algérie désigne tout parti-
culièrement aux explorateurs français. Ils y trouveront les
risques et les difficultés auxquels peut aspirer leur esprit
d'aventure; ils s'y heurteront, par exemple, au fanatisme
religieux d'une partie de la population et à l'état d'indé-
pendance absolue dans lequel vivent un grand nombre de
tribus qui ne relèvent guère que spirituellement de l'empire
des chérifs.
Il résulte de cet état de choses que le Maroc presque
entier échappe encore à la géographie positive. L'inventaire
de nos connaissances quelque peu précises sur ce pays
comprend un certain nombre d'itinéraires limités aux
routes de Tanger à Fez et au Tafilelt, de Rabat à Fez, de
Mogador à Maroc, de Fedâla à Taroudant et de Fez àOud-
jeda. Une vingtaine de points déterminés astronomiquement
assujettissent tant bien que mal ce réseau sur la carie.
Un itinéraire nouveau et plein de hardiesse vient de dou-
bler presque, d'un seul coup, la longueur des lignes par-
courues au Maroc. Il a été accompli en onze mois par un
jeune explorateur français, le vicomte Charles de Foucauld.
Dans un espace d'environ 8° en longitude et G^ en latitude,
M. de Foucauld n'a pas reconnu moins de 3200 kilomètres
de route, dont la direction s'appuie sur la détermination de
45 points en longitude, de 40 points en latitude, et dont les
altitudes ont été prises pour près de 3000 points.
De Mequinez à l'Ouadi Dhera'a, dans le sens des méridiens,
de Tizgui ou Foumm el Hosân et même d'Agâdir-n-lguir à
Oudjeda, dans le sens des parallèles, ses lignes de marche
parcourent un terrain absolument neuf où elles coupent seu-
lement de loin en loin, et sans les suivre, les routes d'autres
explorateurs.
La partie géographique de ce voyage ne peut être encore
appréciée que sur des indications provisoires, d'après l'ins-
SOC. DE 6É0GR. — 2* TRIMESTRE 1885. Yl. -^ 14
198 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
peclion des abondantes notes rapportées par le voyageur,
ûiais il est manifeste que nous sommes en présence d'un
ensemble de résultats considérables pour la géographie du
Maroc.
La carte de ses itinéraires que dresse en ce moment M. de
Foucauld nous présentera, entre autres choses, le premier
figuré exact de la disposition générale des massifs de cette
région éminemment montagneuse. Une comparaison entre
les trois cartes classiques, en quelque sorte, du Maroc, celle
de M. Ë. Renou (1845), celle du capitaine Beaudouin (1848)
et celle de M. John Bail (1878), permet de constater uq
complet désaccord dans le tracé des chaînes de montagnes
à l'est du méridien de Fez ; seuls, d'autre part, les itinéraires
du rabbin Mardochée et du doctenr Lenz indiquaient, dans
l'extrême sud, soit le nom, soit des points du long système
du Djebel Bani.
Nous savons maintenant, grâce à M. de Foucauld, que la
ligne principale de l'Atlas marocain est flanquée, au sud
comme au nord, de deux chaînes parallèles de moindre hau-
teur, bien que considérables encore par leur développement
qui équivaut à peu près à la moitié du développement de
l'arête maîtresse. Ces deux chaînes, ces deux anti-Atlas,
sont reliées à la première; celle du nord-est par le Djebel
El-'Ayâchîn, celle du sud-ouest par le Djebel Siroua. Ausud
de cette dernière, le Djebel Bani se prolongé en suivant le
cours de l'Ouâdi Dhera'a, qui, par l'étendue de son bassin,
est le principal fleuve du Maroc.
Rien de ce qui peut nous intéresser n'a échappé à M. de
Foucauld. Sa relation fournira des indications précises sur
la race, tamâzîrht (berbère), arabe ou juive des habitants
de chaque province, sur le chiffre, les dispositions naturelles,
le degré de soumission, la culture et le commerce des popu-
lations. Il nous donnera une curieuse idée de la situation du
pays en nous apprenant que tandis que, dans l'intérieur, la
plupart des forteresses du sultan, ruinées, sans garnisons.
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 199
sans artillerie, sont comme les prisons d'un qâ'id bloqué par
ses administrés, on trouve les chefs berbères indépendants
logés dans de véritables chàteaus-forts en parfait état. M. de
Foucauld n'a pas encore mis ses notes à jour, ses détermi-
nations astronomiques et barométriques ne sont pas encore
toutes calculées, sa carte à laquelle il travaille activement est
encore à l'état d'esquisse, mais le rapport devait rendre hom-
mage au méritant voyageur qui arrêtait ses travaux sur le
terrain à Laila Maghniya, le i23 mai de cette année.
Gomme résultats géographiques, la mission de M. de
Brazza dans l'ouest africain nous a apporté cette année un
document précieux, le levé détaillé du fleuve Ogôoué, exé^
cuté par M. Dutreuil de Rhins. Commencé au mois de mai
1883, à Tembouchure du fleuve, dans la baie de Na^aré, ce
levé nous conduit k 400 kilomètres, à vol d'oiseau, dans l'in-
térieur, un peu au delà du confluent de la rivière Lolo, où
l'explorateur arrivait aii mois de juillet. La première partie
de cet utile travail a été dressée au 1/320 OOO*'; mais à partir
de la rivière N'gounié et jusqu'à la Lolo, six feuilles donnent
le cours de l'Ogôoué, à l'échelle de 1/80 000^, ce qui a permis
à l'auteur de marquer tous lés détails du fleuve et de ses rives,
tels qu'il les avait relevés, jusqu'à la limite de la portée de
la vue. Cette dernière partie de la carte est un document
de première main, qui conservera toujours sa valeur et
auquel seule une bonne position astronomique du point
extrême, le confluent de la Lolo, pourra apporter un per-
fectionnement.
Le docteur Ballay, quand il a été appelé à assister, en
qualité de délégué technique, le représentant de la France à
la conférence de Berlin, arrivait du champ des travaux
de la mission dirigée par M. de Brazza dont il a été long-
temps le collaborateur dévoué. Il en a rapporté un document
géographique important, fruit de ses travaux personnels,
mais dont le tracé cartographique n'est pas encore achevé.
200 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
C'est un relevé à la boussole d'une grande partie du cours de
la rivière Alimay à partir du poste français de Leketi, sur la
Leketi-Lebala, affluent de l'Alimay jusqu'au confluent de
rAlima dans le Kongo. Rappelons ici qu'en 1880, M. de
Brazza avait découvert la Leketi, sur le plateau d'Achikouya,
à 108 kilomètres sud-est de Franceville; qu'en 1878 il décou-
vrait, en compagnie du docteur Ballay, la grande rivière
Alima, qu'il avait reconnu 64 kilomètres de son cours,
près de la source, et jusqu'à quelque 360 kilomètres en ligne
droite du point où elle se jette dans le Kongo. C'est donc
les quatre cinquièmes du cours de TAlima que M. Ballay
ajoute à nos cartes, et avec tout le détail topographique
que peuvent donner des visées répétées de 100 à 900 mètres.
De plus il s'est assuré, en la descendant en bateau à partir
du confluent de la Leketi-Lebala, que l'Alima est navigable.
D'autres levés exécutés par le docteur Ballay précisent la
connaissance du Kongo sur 185 kilomètres en amont de
l'étang de Stanley (Stanley-Pool) , jusqu'au pays d'Ibaka,
c'est-à-dire au confluent de la Wabouma, où se trouve la
station française de N'ganchou; à l'ouest de ce point ils
relient au Kongo la résidence du makoko ou roi des Batéké.
Tous ces nouvaux levés du docteur Ballay sont accom-
pagnés d'excellentes observations astronomiques qui ser-
viront à les établir sur la carte, et d'observations baromé-
triques dont les calculs indiqueront l'élévation des diverses
stations de l'explorateur.
La reconnaissance de l'Ogôoué par M. Dutreuil de Rhins
s'arrête, comme il a été dit précédemment, à la rivière Lolo.
En ce point même commence une autre reconnaissance dé-
taillée du reste de l'Ogôoué supérieur, exécutée par M. Mizon,
lieutenant de vaisseau, et qui s'étend jusqu'au confluent de
la Likoko ou Liboumbi avec rOgôoué. A partir de là, la
reconnaissance par eau se transforme en une longue route
par terre qui chemine parallèlement à la Louété, puis au
Niari-Kouilou et à quelque distance de ces deux cours
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 201
d'eau, pour aboutir à la côte de l'Océan, entre Mayoumba et
Loango. Dressé avec un grand soin et riche en détails, cet
itinéraire, dont notre Société prépare la publication, est le
premier qui franchisse par terre l'espace situé entre le haut
Ogôoué et la côte. Il coupe, en particulier, tous les affluents
de droite de la Louété et du Niari.
Il faut espérer que l'un des membres de la mission de
Brazza, M. Dolisie, aura, de son côté, recueilli des observa-
tions utiles à la géographie en accomplissant un trajet de
Loango à Stephanieville et à Philippeville, et de Philippe-
ville aux rives du haut Niari.
De l'autre côté du continent se poursuit avec des fortunes
diverses, mais avec une constance et un courage au-dessus
de tous éloges, le grand voyage de découvertes de M. V. Gi-
raud, enseigne de vaisseau. Il constituera sans doute la page
la plus saillante d'un des prochains rapports. Actuellement,
les données sur ce voyage étant fort insuffisantes, il faut
se borner à enregistrer les faits principaux qui s'y rat-
tachent.
Le rapport de l'an dernier laissait M. Giraud à M'gouna,
dans l'Oukhoutou ou Khoutou, au nord du fleuve Roufidji.
Une lettre du voyageur nous a appris qu'il avait consacré
six mois à explorer le lac Bangweolo ou Bemba, au sujet
duquel il avait corrigé plusieurs erreurs considérables des
cartes du docteur Livingstone, notamment sur la rivière
Louapoula, qui devient plus loin le Kongo. La Louapoula
ne sort pas du nord-ouest, mais bien du sud-ouest du lac
Bangweolo.
Son exploration du lac terminée, M. Giraud s'embarquait,
pour descendre le cours inconnu de la Louapoula, sur le
bateau dont le transport lui avait suscité tant de difficultés.
Au lieu de couler droit au nord comme on le croyait, cette
rivière décrit, au sortir du lac, une courbe de 180 kilomètres
dans le sud-ouest. Un incident de guerre faillit mettre un
202 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOaÉTÉ
terme aux travaux de M. Giraud. Près de la cataracte de
Monbottouta, une attaque des indigèues le contraignit à
abandonner son bateau pour se réfugier auprès de Méréméré,
roi des Waoussi, qui le fit prisonnier. Au bout de deux
mois pourtant, M. Giraud réussissait à s'échapper. Les
Waoussi font leur première apparition dans la géographie,
et c'est en se rapportant à la suite du voyage de M. Giraud
qu'on doit supposer qu'ils vivent à l'est de la Louapoula. En
effet, de la capitale de Méréméré, il fuit à travers l'Itawa et
gagne à l'ouest le lac Moero. Pressé de refaire son équipe-
ment, il marche sur le Tanganyka et trouve à Karéma l'hos-
pitalité de la Belgique. De cette station, il a avisé M. Ledoulx,
notre consul à Zanzibar, qu'il allait repartir dans la direction
de l'est pour couper le Loualâba et chercher à atteindre
Léopoldville, sur le Kongo, en marchant à peu près sous le
6* de latitude sud, c'est-à-dire à travers une région inex-
plorée. Au mois de mars, M. Giraud avait commencé la réa-
lisation de ce programme, mais bientôt la désertion de son
escorte et de ses porteurs vint mettre sa patience à une
nouvelle et rude épreuve en le forçant à revenir à Karéma,
où il attend les ressources qu'il a demandées à Zanzibar.
Ainsi deux échecs, deux désastres successifs, n'ont pas
découragé notre vaillant et tenace officier de marine. Si,
comme nous le lui souhaitons de tout cœur, il revient après
avoir triomphé des dangereux obstacles accumulés sur sa
route, il aura pris place au nombre des grands explorateurs
africains et notre Société de Géographie voudra être la pre-
mière à lui exprimer son admiration.
Il est peu de parties de l'Afrique qui doivent autant que
l'Ethiopie aux explorations françaises et ces traditions sem-
blent se continuer. Aujourd'hui nous trouvons, au royaume
de Chawâ, le sous-lieutenant de cavalerie Hénon, attaché à
la mission de MM. Aubry et Hamon, qui est arrivé au
Chawâ le 5 juillet 1883. Cette année-ci M. Hénon a pu
ajouter une belle feuille aux cartes de nos compatriotes le
< ^i
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 203
lieutenant de vaisseau Lefebvre, les docteurs Petit et Quar-
tin-Dillon et M. Rochet d'Héricourt qui^de 1839 à 1844,
avaient donné sur ce pays alors tout nouveau, des renseigne-
ments où la géographie a puisé le fond de ses connaissan-
ces. De môme que nos premiers souverains, le roi de Ghawà
Menelik II, un ami sincère de la France, a ses villes royales;
c'est de l'une d'elles, Entotto, que part M. Hénon; traver-
sant une région de formation granitique, il a exécuté à partir
du mont Errer et dans la direction du sud-est, jusque chez
la tribu oromo ou galla des Aroûsi, un voyage de 230 kilo-
mètres en pays totalement inconnu.
M. Hénon nous a donné de plus, comme éléments nou-
veaux, un levé de 340 kilomètres du cours de l'Awàsi. Ses
prédécesseurs avaient vu quelques points seulement du cours
de cette rivière qui forme un bassin intérieur. Il a déterminé
de très nombreuses altitudes, entre autres celles des som-
mets les plus élevés, comme les monts Zoukélâ ou Zqu-
quéla (2880 mètres) et Dandi (3200 mètres); presque tous
ces sommets sont d'anciens volcans aux cratères transformés
en lacs et dont les flancs présentent des sources thermales.
Nous lui serons redevables encore de la détermination de
l'emplacement réel du grand lac Zouaï, le Elâki des Oromo.
Enfin, sur le versant sud de la chaîne qui limite ce bassin
et qui forme, en môme temps, le plateau de Didaha, M. Hénon
a découvert une rivière qui, coulant au sud sous le nom de
Webbi Sidama, est peut-être un des premiers affluents su-
périeurs du fleuve Djouba. Voilà pour les faits principaux ;
quant aux observations de détail, il en est de très impor*
tantes &t qui corrigeront d'une manière inattendue les cartes
les plus récentes.
Grâce à son altitude, le pays des Aroûsi est loin de jouir
de ce climat chaud qu'annoncerait une latitude de 7^ au
nord de l'équateur. Il y neige et M. Hénon y a vu plus d'une
fois de la glace. Ces plateaux ne sont pas très fertiles,
pourtant les Aroûsi cultivent assez de blé et d'orge, dont
204 RAPPORT SDR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
ils font deux récolles par an, pour alimenter un commerce
d'exportation. Ces Aroûsi sont toutefois pasteurs plutôt
qu'agriculteurs ; le laitage et la viande crue forment le fond
de leur alimentation. L'islam, qu'ils ont adopté, n'a pas eu le
don de resserrer les liens de parenté entre leurs nombreuses
tribus ; c'est là, comme le fait remarquer M. Hénon, la cause
de la faiblesse militaire des Aroûsi que leurs voisins, les
Éthiopiens et les Galla ennemis, ne trouvent jamais unis
pour leur résister.
De son côté M. Aubry, ingénieur civil des mines, a envoyé
à M. le Ministre de l'Instruction publique le compte rendu
de ses travaux personnels. La saison des pluies l'avait
d'abord retenu quatre mois inactif dans la capitale du
Ghawâ; plus tard, il avait parcouru le royaume et le pays
des Oromo ou Galla, menant de front les études géogra-
phiques et géologiques.
Il a réuni ainsi les éléments de cartes topographiques
dont il annonçait il y a quelques mois la prochaine rédac-
tion; c'est donc là un travail intéressant dont pourra faire
mention le prochain rapport.
L'exposé des résultats généraux des observations géolo-
giques recueillies par M. Aubry ne sera peut-être pas dé-
placé ici. M. Aubry classe comme formations tertiaires tous
les terrains sédimentaires qu'il a rencontrés dans TÉthio-
pie proprement dite. Plus à l'est, les plaines qui séparent
le massif éthiopien de la mer sont des terrains déposés par
des eaux douces ou saumâtres. Le fait le plus intéressant
qu'ait constaté le voyageur est l'existence de cinq volcans
qui, d'après la stratification de leurs roches, ont dû se for-
mer au sein de l'océan. Ce phénomène d'éjection, M. Aubry
le généralise à toutes les masses de roches volcaniques
qu'il a étudiées dans le Ghawâ, et qui, d'après sa théorie,
ont dû traverser les couches tertiaires alors que Tocéan les
recouvrait encore. En même temps que les premières
données positives et complètes sur la géologie du Ghawâ,
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 205
M. Aubry rapportera Tinventaire de tous les produits du
règne minéral susceptibles d'être utilisés par l'industrie, et
une étude des nombreuses sources thermales minérales de
la contrée.
Un autre explorateur français, le capitaine Longbois, au-
quel M. le Président de la République a confié une lettre et
des présents destinés au roi du Ghawà , remplit en môme
temps une mission du Ministère de Tlnstruction publique.
M. Longbois a suivi, d'Oboq à Ankôber, un chemin en
partie nouveau, sur lequel il a fait des observations pré-
cieuses pour la géographie proprement dite.
Une étude du fleuve Awâsi ou Aouache a permis à M. Long-
bois de reconnaître que ce cours d'eau offre une voie navi-
gable et d'en corriger le tracé sur plusieurs points, notam-
ment la partie du lac Abelbad ou Abhebbad, oîi se jette la
rivière. L'Awâsi qui roule des eaux bourbeuses où vivent
l'hippopotame et le crocodile, est large de 20 mètres à
45 mètres et son courant n'est que de 46 mètres'à la minute/
On pourrait, dit M. Longbois, profiter de ce cours d'eau
pour le transport des marchandises jusqu'à la cataracte qui
se trouve au pied du piton de Dabita, c'est-à-dire à 35 ou
40 kilomètres seulement de la ville de Farré, et par consé-
quent jusqu'au Ghawà proprement dit. C'est là un ensemble
de résultats qui touche non seulement la géographie mais
aussi l'avenir de nos relations avec l'Ethiopie. Si, comme
l'indique encore M. Longbois, le port d'Oboq est défectueux
et trop petit pour répondre aux besoins que nous crée
notre situation nouvelle dans les mers de la Chine, du moins
e^t-il situé dans un endroit sain; mais Toudjourra, où nous
venons de nous établir, remplira peut-être mieux le but.
Huit déterminations de points en latitude et en longitude
appuient l'itinéraire de M. Longbois d'Oboq à Ankôber,
ville dont la position serait à peu près celle que le docteur
Beke avait trouvée en 1841. Quant aux populations, les
observations du voyageur français seront utiles pour l'étude
206 RAPPORT SUR LES TRÂYAUX DE LA SOCIÉTÉ
de la race 'afar. Il nous dépeint les pastears nomades Da-
nâkil comme des sauvages fiers et insolents autant qne
lâches et féroces, et plongés dans les superstitions les plus
absurdes. Depuis les temps anciens jusqu'à nos jours, les
Danâkil ont honoré la mémoire de leurs guerriers en leur
élevant des monuments intéressants par leur stucture ar-
chaïque, que décrit et figure M. Longbois. Ds consistent en
un hémisphère de pierres amoncelées, entouré d'an cercle
des mêmes matériaux, à l'entrée duquel sont plantées, en
rangs, et au nombre de dix à quarante^inq, de grandes
pierres dressées. Nous trouvons là des données qu'il faudra
comparer aux découvertes de sépultures en pierres brutes,
dans le pays des Çomâli, faites par le lieutenant Speke, en
1854, entre Yafir et Makar. Peut-être cette étude donnera-
t-elië la preuve que la race 'afar a possédé, à une époque
ancienne, le nord-ouest de la vaste région peuplée aujour-
d'hui par les Çomâli.
C'est à la partie méridionale la région des Çomàli, dès
longtemps connue pour une des plus dangereuses de
l'Afrique, que M. Georges Révoil, chargé d'une mission du
Ministère de l'Instruction publique, a mis encore une fois
au service de son pays et de la science son énergie et l'expé-
rience toute spéciale qu'il avait gagnées dans ses précédents
voyages. Dès le mois d'avril 1883 le moment était critique.
M. Révoil partait de Zanzibar et arrivait à Mouqdicha ou
Magadoxo, tandis qu'une explosion de fanatisme, de révolu-
tions et de guerres ébranlait, plus au nord, l'État le plus
avancé et le plus puissant de l'est africain, tandis que le cd
de djehâdt (guerre sainte contre l'infidèle) avait trouvé des
échos au loin. Aussi faut-il s'étonner que de telles circon-
stances n'aient eu pour effet que de circonscrire le théâtre
des travaux de notre collègue; elles étaient de nature à
ouvrir une nouvelle et douloureuse page au nécrologe de
cette année.
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 207
De Mouqdîcha il se rendità Guélédi, royaume situé aune
cinquantaine de kilomètres sur cette Wobi ou Webbi, qui,
descendant du pays de Hèrèr, au sud de TÉthiopie, après
avoir décrit un cours immense encore inconnu, va se perdre
dans un lac un peu au nord de Téquateur et près de la
côte de rOcéàn. Pendant cinq mois, M. Révoil se vit
retenu prisonnier par 'Omar Yoûsef,roi de Guélédi ; ses res-
sources diminuèrent rapidement devant les exigences de ce
petit potentat çomâli, imbu des doctrines fanatiques d'une
confrérie musulmane dont les événements d'Egypte ratta-
chés aux vieilles prophéties pouvaient, grâce à la distance,
annoncer le règne définitif.
Des guerres sévissaient entre les tribus çomâlies voisines
du Guélédi et retardaient le départ de M. Révoil pour Ga-
nàné, sur la haute Wobi. Enfin il partit, non sans entendre
murmurer des présages sinistres dont il allait bientôt com-
prendre la portée. A peine a-t-il foulé le terrain inconnu,
que des gens en armes, partis de Guélédi sur ses traces,
inquiètent sa caravane. Plus loin, à Warmân, les habitants
ameutés par Vimâm pressurent le voyageur, qui se sent
livré d'avance à l'ennemi, par suite de divisions qui écla-
tent au milieu de son escorte , et la tribu çomâlie des Gara
profite de la désunion pour commencer le pillage. On tient
conseil, et il est reconnu que la seule chance de salut est
un retour précipité à Guélédi. Là, dans ce foyer des intri-
gues qui lui avaient déjà suscité tant de dif&cultés, M. Ré-
voil comprit que sa vie était menacée par 'Omar Yoûsef,
son soi-disant protecteur et ami, et il dut profiter de la nuit
pour chercher un refuge à Mouqdîcha où il arrivait avec
les épaves de son bagage et ses collections. En attendant la
mise au net des notes du voyageur, le public a déjà pu
admirer, ici même, de précieuses collections ethnogra-
phiques, fruit de cette expédition, et le muséum d'histoire
naturelle a reçu, pour sa part, des collections botaniques et
zoologiques.
208 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
Yoilà donc un ensemble de résultats des plus satisfaisants
et, comme Ta déclaré un de ses émules, bon juge en pareille
matière, M. Révoil a mérité les éloges et les félicitations
des géographes et des savants. La publication de son dernier
voyage satisfera les esprits difficiles.
Uexposé de la part des étrangers au progrès de la géo-
graphie africaine s'ouvrira pour nous par la mention des
travaux dûs à TAssociation internationale et du Comité
d'études du haut Koogo.
Voici d'abord la publication partielle du voyage de
M. Stanley, à laquelle le précédent rapport a déjà consacré
quelques lignes. Parti du Stanley Pool, avec une flotte de
quatre bateaux à vapeur, il toucha les stations de l'Associa-
tion déjà établie à Kwamouth, vis-à-vis le poste français de
N'ganchou, en aval du confluent delà Wabouma, et à Louko-
léla, sur la rive gauche, puis la station de l'Equateur, dont
le commandant, M. Van Ghele, vient d'être élu chef d'un
village baroumbé voisin, en remplacement du chef indigène
décédé. Plus loin en amont, à Ouranga, sur le confluent de
la Loulemgpu qu'il croit identique à la Kasaï, et à Rou-
bounga, presque au point le plus septentrional du Rongo,
M. Stanley prit les arrangements nécessaires à l'établisse-
ment de nouvelles stations.
Un peu en amont du confluent de la Loulemgou, mais
sous la même latitude de 0*^45' nord, il a relevé le confluent
de la Loubilach, dont le docteur Pogge avait découvert les
sources plus loin au sud, dans l'empire du Mata-Yanvo. Au
delà de la Loubilach, le Kongo reçoit du nord d'importants
affluents : la M'boundgou, dans le pays des Bangala et l'Itim-
biri qui débouche dans le coude le plus au nord décrit par
le grand fleuve. C'est sur l'Itimbiri, rivière dont le con-
fluent lui avait échappé lors de son premier voyage, que
M. Stanley vit des marchandises apportées du Banda ou Dâr
Banda, pays au sud du Fôr et du Wâdâï ; toutefois il ne fau-
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 209
drait pas chercher dans ce fait, très intéressant en lui-même,
la preave que Tltimbiri soit le cours inférieur de la Ouèllé.
Bien que tout ce terrain eût été déjà parcouru par M. Stan-
ley, non seulement l'Itimbiri mais presque tous les autres
affluents qui viennent d'être nommés avaient échappé à son
attention ; il est vrai que son premier voyage dut s'accom-
plir avec rapidité^ au milieu d'un pays ennemi. Dans le
Eourourou, au confluent de TArouwimi, le chef des mis-
sions de l'Association se trouvait revoir une des plus dan-
gereuses parties du théâtre de ses découvertes. Il entre
dans TÂrouwimi et, effrayés à la vue des bateaux à va-
peurs, ses anciens ennemis dont les flottes avaient jadis
si cruellement harcelé la Lady Alice viennent faire des
ouvertures de paix. M. Stanley remonta la rivière, pendant
trois jours, jusqu'à une chute située par 2*^13' de latitude
nord, près du village de Tambouga. Ici déjà, l'Arouwimi
devient le Bi-yéré, dont plus loin le nom se transforme en
celui de Berré, et plus loin encore en Ouerré. Bien que les
noms de Ouerré et Quelle soient identiques, bien qu'à
Tambougou la civilisation et les cultures soient toutes diflé-
rentes de celles du Kongo, gardons-nous pourtant d'assimi-
ler la Ouêilé et l'Arouwimi. Chez les peuples primitifs, il est
fréquent, en effet, que le principal cours d'eau du pays porte
simplement le nom de « rivière » dans la langue indigène.
Au. train dont marchent les découvertes en Afrique, les géo-
graphes ne resteront sans doute plus longtemps dans l'incer-
titude au sujet de la mystérieuse Ouêilé.
Rentré dans le Kongo, M. Stanley le remonte encore jus-
qu'aux chutes auxquelles il a donné son nom et, un peu en
aval, il choisit l'île de Wana Rousani, près de la rive nord,
par 0® W de latitude nord, pour y fonder la dernière station
dont il laisse la direction à M. l'ingénieur Bennie. C'est
ainsi que, par une interprétation un peu large peut-être
des faits ci-dessus et de ceux dont il sera question plus
loin, M. Stanley a pu dire, à son retour, que l'Association
210 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
internationale africaine possède un territoire long de
2500 kilomètres et large de 37 à 833 kilomètres. Elle a établi,
en tout cas, une chaîne de stations sur ce territoire.
Au mois de juillet 1884, sir Francis de Winton, qui suc-
cède à M. Stanley comme délégué de l'Association, a profité
d'un voyage d'inspection des stations du haut fleuve pour
remonter pendant cinq jours la Wabouma, artère qui reçoit
le Kwango.
Un des nouveaux membres de l'Association, M. Gliavanne,
géographe autrichien bien connu, a reçu missioade lever le
cours du Kongo et du Niari ou Kouilou-Niadi, avec la région
intermédiaire des embouchures de ces fleuves aussi loin que
la station de l'Equateur. M. Ghavanqe a déjà exécuté le tra-
vail sur une étendue de 2200 kilomètres carrés et il va le
continuer en se rendant au Stanley-Pool.
^ Après le récent voyage de M. Stanley, l'Association a en-
voyé sur ses traces le capitaine Hanssens, chargé d'une mis-
sion politique. Parti de Léopoldville, M. Hanssens est revenu
au bout de cent trente-six jours, ayant atteint les chutes de
Stanley, reconnu le cours de plusieurs affluents, passé des
traités avec tous les chefs le long du fleuve, et fondé une
station à l'embouchure de TArouwimi.
D'autre part, l'Association avait dirigé au commencement
de 1884 une expédition, commandée par te capitaine!. Grant
Ëlliott, dans la vallée du Kouilou-Niadi. Parti du poste de
Vivi, M. Grant EUiott alla d'abord à Isanghila d'oîi il pénétra
dans la vallée arrosée par la Loudima, affluent du Kouilou-
Niadi. Gette partie de la contrée a un sol ondulé, couvert
d'herbes géantes qui atteignent jusqu'à 4 et 5 mètres de
hauteur. Après vingt-cinq jours de marche, comptés du
départ d'Isanghila, la mission rencontrait, à Tandon, le
fleuve dont elle descendit les rives à travers une magnifique
vallée. Au confluent de la Loudima fut choisi remplacement
d'un poste qui reçut le nom de Stéphanie-ville. Une autre
station, Frank-town, fut fondée au confluent de la Louasa,
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 211
dont la rivière Lalli n'est qu'un tributaire; enfin une der-
nière station, Taunton-ville, fut fondée à Eilabi, sur le
fleuve, non loin de son confluent dans TOcéan.
Ce voyage de 1200 kilomètres n'avait pas été accompli sans
un incident qui faillit être funeste à l'expédition* A Hanga,
en amont du confluent de la Louasa, les porteurs, tous indi-
gènes de Zanzibar, s'étaient révoltés contre leur chef et avaient
déserté. Le capitaine Grant Elliott s'était vu réduit aloi*s à
détruire une partie de ses bagages plutôt que de les aban-
donner aux porteurs, devenus ses ennemis. Mais la mission
n'aura pas été sans fruits pour la géographie, car on annonce
qu'elle a rapporté un levé complet du Niadi-Kouilou.
De son côté, un naturaliste, M. H. H. Johnston, vient de
publier sous le titre de The River Congo^ from its mouth
to BolobOy les fruits de deux années d'observation (1882-
1883) sur le grand fleuve de l'ouest africain. Au milieu
d'une masse de faits intéressant l'histoire naturelle et l'eth-
nographie, l'ancien compagnon de lord Mayo au Kounênê
expose les progrès récemment réalisés au Kongo et il accuse,
poiir l'œuvre de M. Stanley, une préférence qui même hors
de France a paru quelque peu partiale.
Un' miissionnaire protestant anglais, M. Gomber, a attaché
son nom à un travail qui, indépendant de ceux de l'Asso-
ciatioD, porte cependant sur le môme terrain; c'est une
carte du Stanley-Pool, levée durant une circumnavigation
de cette nappe d'eau ; M. Gomber donne des corrections
très appréciables du tracé de M. Stanley et le lac ou l'étang
aurait six ou sept fois l'étendue que lui avait attribuée
son découvreur. Le Stanley-PooJ, couvert de nombreuses
îles et traversé par un courant très rapide, dangereux même
près de la rentrée dans le fleuve, mesure 4s2 kilomètres et
demi de long et sa superficie est de 1190 kilomètres carrés.
Une autre carte, en perspective il est vrai, pour l'Afrique
occidentale, est celle du Kounèné et des contrées voisines.
M. D. D. Vetb, l'ingénieur néerlandais auquel ses travaux
212 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
à Sumatra ont valu une renommée justifiée, a reçu la mis-
sion de se rendre de Benguella par Eilenguès à Houmpata
où se trouve, dans le bassin de Kounêné, une colonie de
Boers immigrés depuis quatre ans seulement. De là, M.Yeth
lèvera le plus possible du cours du Kounèné, et enfin, de
Mossamèdes, il cherchera à atteindre le Koubango et à le
descendre jusqu'au lac Ngâmî.
Le Kounèné a appelé aussi l'attention du gouvernement
portugais, qui a chargé MM. Brito Capello et Robert hens
d'en faire l'exploration. Ces deux voyageurs distingués sont
partis de Mossamèdes et ont cherché à gagner ce fleuve, au
plus près, en remontant la vallée du Kovoka, petit fleuve
côtier. Leur début n'a pas été heureux; en approchant de
la Serra de Ghella où naît le Kovoka, les explorateurs por-
tugais ont rencontré des gorges si profondes, d'un accès si
difficile, qu'ils ont renoncé à atteindre le Kounèné par cette
voie. Revenus à leur point de départ ils se disposaient, aux
dernières nouvelles, à repartir pour mener à bonne fin l'ex-
ploration du Kounèné dont ils sont chargés, à passer ensuite
dans le bassin du Kwango et à descendre cette rivière jus-
qu'au Kongo, par la Wabouma.
L'année passée, à pareille date, nous rappelions que les
dernières nouvelles, déjà bien anciennes, laissaient dans sa
station de Moukengué le célèbre voyageur allemand, doc-
teur Pogge, hésitant entre ces deux alternatives : ou d'at-
tendre à Moukengué l'arrivée d'une expédition allemande,
ou de partir pour la côte occidentale. M. Pogge, nous le
savons aujourd'hui, est resté encore près de deux ans à son
poste, continuant avec succès ses études d*histoire naturelle.
Enfin, s'étant décidé au retour, il fit une excursion dans le
nord de Moukengué jusqu'au confluent de laLouloua dans
la Kasal et il prit la direction de Saint-Paul de Loanda.
Mais, très affaibli par ses voyages et par son séjour dans
l'intérieur, le docteur Pogge n'arriva à Loanda que pour y
mourir, le 17 mars 1884.
ET SUR L^S PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 213
On voit par cet aperçu des travaux accomplis ou com-
mencés dans le sud-ouest de l'Afrique équatoriale, que bien
loin de se ralentir, le mouvement européen s'accentue de
plus en plus de ces côtés. Peut-être, malgré des rivalités
qui existent d^ailleurs sur toute la surface du globe, les
nations européennes sont-elles assez mûres à la civilisation
pour comprendre leur intérêt commun qui les invite, ici, à
faire converger fraternellement leurs efforts vers un même
but, en se réservant mutuellement une part de la tâche.
Sans sortir de l'Afrique occidentale, si nous remontons
au nord, vers le Niger, nous trouvons là deux voyageurs
allemands. L'un, M. Krause, vient de partir aux frais de
M. Emile Ricbeck de Halle, pour, étudier aux points de
vue ethnographique et linguistique les pays situés entre le
Niger, la Bénouê et le lac Tzâdé ou Tsâd. M. Krause est
bien préparé à cette tâche pour les travaux qu'il a faits
durant un séjour à Tripoli, et dont les fruits, des gram-
maires de la langue de Rhât^ et du foulfouldéS ont été
publiés cette anné&-ci.
L'autre voyageur est M. Flegel qui a ajouté une belle
page à ses explorations des années précédentes. Au mois
de juillet 1883,11 avait levé la rivière Amambara,afjauenjt ou
bras oriental du Niger, qui joint ce fleuve un peu au-dessus
d'Onitcha. Au mois d'avril 1884, nous trouvons M. Flegel
à Bagnio, grand marché d'ivoire dans le bassin du fleuve
du Yieux-Galabar, assez près pourtant de la ligne de par-
tage du bassin de la Bénouê. C'est au sud de la Bénouê,
principalement dans TAdamawa, que ce voyageur avait
concentré ses efforts pendant neuf mois. Il avait parcouru
avec profit tout le pays, de Gasaka à Woukari, relevant
beaucoup d'affluents inconnus de la rivière, dont le bassin
ne s'étend pas là aussi loin dans le sud que dans l'est, près
1. Proben der Sprache'Jvon Rhat in der Sahara.
2. Ein Beitrag zur Renntniss der fulischea Sprache, in Afrika.
soc. DE GÉOGR. — 2* TRIMESTRE 1885. VI. — 15
214 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
de N'gâoundéré, en Adamaway par exemple, où il ne finit
que vers 7°40'. A l'ouest de Woukari, M. FlegeL avait
parcouru la partie nord du bassin de la Bénouô jusque
près de Bida, capitale du Noûpé ; à l'est, toute la partie
sud du même bassin jusqu'à la ligne de soulèvement qui
le sépare des bassins du Ghàri, à Test, et du Yieux-Ga-
lab^r, au sud. Dans la lettre qui contient les données uti-
lisées sur la carte dé M. R. Kiepert, M. Flegel annonçait
que la maladie, les contrariétés et surtout le manque d'ar-
gent le clouaient à' Bagnio, et qu'il était obligé d'attendre
a fin de la saison des pluies pour reprendre, s'il en avait
les moyens, ses voyages dans la direction du sud, vers le
Kongo. Le terrain, vierge dans cette région de l'Afrique,
promet de fructueuses explorations.
Le capitaine Bratidon Kii'by, qui a dépassé de 128 kilo-
mètres Koumassi, limite nord des précédents voyages en
Achanti, rapporte un fait qui doit être enregistré dans cet
exposé. L'aùcien i*oyaume Achanti s'est beaucoup affaibli
dans les dernières années et son souverain ne commande
plus que sur un territoire restreint, le noyau de ses nom-
breuses provinces de jadis.
Faute de renseignements, le voyage que M. Buonfanti
terminait sur. la côte dé Guinée en 1883 n'a pu trouver
place dans le précédent rapport, et la notice qui a paru
cette année est encore malheureusement bien incomplète.
Malgré la surexcitation des esprits dans tout le monde
musulman, M. Buonfanti commençait son voyage à Tripoli
en 1881. Jusqu'à Mourzouk et même jusqu'au Bornou, où,
fait inusité jusqu'ici, il se présente escorté de Touareg,
le voyageur italien ne fait que suivne des voies maintes
fois frayées. Des guerres ayant fermé à M. Buonfanti
l'accès de TAdamawa, pays à la frontière duquel il arrivait
par Dikoa, il se rejeta dans l'ouest, refaisant les itiné-
raires de Barth et Yogel par Kanô, Yakoba, Sokoto et Sa!,
où il touchait le Niger que Barth avait descendu au-
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 215
trefois précisément de Timbouktou jusqu'à cette même
yille de Sâï. M. Baonfanti aurait repris le môme trajet
en remontant le fleuve, pais le marigot qui conduit à Sa-
raïyamo. De là il aurait pénétré dan$ le Masina par un
chemin nouveau, puis parcouru le Tombo, pays encore vierge
qui confine au Masina, à Test. Dans le Sàngbi, province
du Tombo, il a été attaqué, dépouillé de tout son bagage,
y compris ses notes, sauf les indications pour l'itinéaire,
et abandonné de son escorte, il a traversé le pays des
Môsi païens pour atteindre^ au sud, la côte de Guinée.
La dernière partie du voyage constituerait un fait marquant
dans l'histoire des explorations africaines; mais nous
devons attendre encore pour être en mesure d'en juger
la portée géographique. i
Les voyages de M. Buonfa^ti nous ramènent à ceux de
son prédécessetir à Timbouktou, le docteur Lenz. Deux
volumes ^, ornés de neuf cartes et de nombreuses, gravures,
permettent maintenant d'étudier en détail, sur les traces du
voyageur allemand, les pays et les peuples qu'il a visités
pendant le voyage du Maroc au Niger et au Sénégal, et dont
vous connaissez déjà les données principales. Une grande
partie du tome premier est consacrée à une description de
l'empire de Maroc envisagé sous tous ses aspects, mais surtout
au point de vue de la population, du fonctionnement et de
la force dii gouvernement. Plus loin, le docteur Lenz fait
un tableau très neuf et très précieux du Sahara occiden-
tal, de la ville de Timbouktou et de la situation poli-
tique des pays du Niger moyen. Nous regrettons de ne
pouvoir entrer ici dans un examen serré de cette publicar
tion donjt'ii serait d'ailleurs superflu de montrer l'impor-
tance et dont l'intérêt saute aux yeux.
Dans l'Afrique australe, les Anglais surtout, mais les Por-
tugais aussi, font preuve d'une activité dont la géographie
1. Timbuktu, Leipzig, 1884.
216 BAPPOBT SUR LES TRATACX V£ LA SOCIÉTÉ
profite en même temps qoe la civilisation; M. André
A. Aderson a domié dans les Proeeedimgs de la Royal Geo-
graphical Society, le résomé de seize ans de traranx géo-
graphiques exécntés entre le flenTC Oranje et la lÎTière
Taal an saJ, le Zambézi et le Koobango an nord, et les
deux océans à l'est et à Tonest. Une grande carte est le
résultat final de ces longues et méritantes explorations;
elle nous montre, couverts de détails topographîques et de
cotes de hauteur qui font ressortir les grands caractères da
relief du sol, le pays des Matébéli, la région des étangs et
le Kalahari ou Kalahara, qui lui font suite dans la direction
du sud-ouest.
Le docteur Emile Holub, ce hardi et heureux explorateur
de l'Afrique australe, est reparti pour ;le champ des tra-
vaux qui lui ont valu une si juste notoriété. Le 14 juillet,
de Groonvley, dans l'état libre d'Oranje, il répondit par nn
mémoire nourri de faits à une question que notre col-
lègue M. Henri Duveyrier lui avait adressée relativement à
la distribution et au cantonnement géographiques des
genres de manmiifères dans l'Afrique australe. Il envoyait
en même temps les éléments de ses mesures barométriques
sur le Colesberg.
Le passé de M. Holub nous autorise à compter que sa
nouvelle entreprise produira des résultats précieux.
Un autre vétéran parmi les voyageurs, M. Selous, a
perlé ses pas vers le canton inexploré où prend sa source le
Sabi ou Ghabi, tributaire de l'Océan indien. Il a trouvé là,
sur la ligne de partage de ce bassin et du bassin du Zam-
bézi, des terres au climat très frais et qui se prêteraient
admirablement à des projets de colonisation européenne.
G*est là encore une addition à nos connaissances sur le
Matébéli.
Sur le Zambézi nous avons à mentionner la publication
bienvenue quoiqu'un peu tardivement faite par le gouver-
nement portugais, du rapport de . mission du capitaine
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 217
4
PachecOy qui fut chargé, en 1881, de rétablir après vingt-
cinq ans d'abandon le poste de Zoumbo, près du confluent
de la Loungwa.
Au mois d'octobre dernier le gouvernement portugais a
confié au major Serpa Pinto une mission secrète. On croit
r
pourtant savoir qu'il s'agit cette fois, pour le voyageur,
d'explorer le pays entre Mozambique et le lac Nyassa, et
peut-être ensuite la route du lac Nyassa au lac Kongo. Le
choix de M. Serpa Pinto indique qu'il s'agit d'une entre-
prise importante et que le Portugal songerait à faire valoir
sa belle position dans l'Afrique australe. La même idée est
encore confirmée par la nouvelle du départ de Malinge ou
Malange, d'une expédition portugaise qui, traversant l'État
de Mata-Yanvo, doit chercher à ouvrir une route de l'Atlan-
tique à Mozambique.
Les Anglais ont plus que jamais les yeux tournés sur le
bassin du Zambézi et les territoires situés plus au nord-est
D'une part, voici la publication dans laquelle M. Johnson,
missionnaire anglais, résume ses sept ans d'expérience et
d'observations à l'est du lac Nyassa. Il s'agit par conséquent
de la première partie du théâtre de la nouvelle mission de
M. Serpa Pinto. Ses observations qui partent de la côte
orientale, suivent le cours du Rovouma,«à l'ouest, jusqu'aux
sources de ce fleuve et de la Loudjendé; elles embrassent
tout le pays de Yao, habité par les Adjawa, entre le haut
Rovouma et la haute Loudjendé; elles vont jusqu'au rivage
est du Nyassa, que M. Johnson a relevé en entier et qu'il a
même dépassé d'un degré dans le nord-est. Son point
extrême est le village d'Ouatalinini, dans le pays des Wa-
bena ou Wadjinza. Parmi les observations sur ce haut
pays, que nous devons au missionnaire protestant, il en est
une qui bien qu'étrangère à la géographie physique n'en
mérite pas moins d'attirer notre attention. Au village du
chef Makandjila, c'est-à-dire sur le rivage sud-est du lac
Nyassa, M. Johnson a trouvé une mosquée d'oîi part un
218 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
enseignement musulman très zélé. Ge pays était enc(»*e
tout à fait païen il y à peu d'années. La religion musulmane
progresse donc ici, comme un autre voyageur. nous, apprend
qu'elle fait à Lagos, sur la e6te de Guinée, oîi Ton voit
maintenant plusieurs mosquées * avec une communauté
mahométane assez nombreuse. Qr, à cinquante-neuf ans en
arrière, quand le capitaine Gtapperton choisisfiait Lagos
comme point de départ' de son dernier voyage^ il n'y troa-
vait en fait de musulmans que des étrangers, de passage,
quelques 'négociants venus du Bornou qui se contônlaient
de la mosquée par excellence) la voûte du firmament.
Toute la région du nbrd-est du bassin du Zambézi et son
voisin oriental, le petit bassin fermé de Chirwa, se couvrent
d'un réseau de nouveaux itinéraires. Un natorali^ anglais,
M. H. Drummond, afait une excursion delaChiré au rivage
sud du lac Chirwa ou Tamand^va, au sud-est du Nyassa,
dans un pays que menacent constamment les incursicms des
Mazitou. Il rapporte des observations précieuses en elles-
mêmes, nqais'qui acquièrent une grande portée quand on ks
rapproche de la situation connue du lac Nyassa, beaucoup
plus au sud, 'et de la découverte du lit d'un grand lac des-
séché, faite parM. Thomson, beaucoup plus au nord. Actuel-
lement, dit M. Drummond, le lac Chirwa n'occupe plus que
le dernier fonîd de la cuvette qu'il remplissait jadis, ei*la
rivière Loudjendé né sort pas ou plutôt ne sort plus du
Chirwa; un grand banc de sable fait aujourd'hui ecmime
une barrière entre elle et ce lac.
Prenant le chemin opposé, celui de Mazambik ou Mo-
zambique, le missionnaire anglais O'Neill a rapporté d'un
voyage au pays situé entre la côte orientale, le lac Chirwa
et les sources de la Loudjendé, les déterminations astrono-
miques de la latitude du rivage nord du lac et des. sources
de la Wvière. yécart entre les deux points serait de 46'. A
peu près sous le nième parallèle M. O'Neiil a découvert le
petit lac Amaramba, un lac minuscule en comparaison des
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 219
autres réservoirs si nombreux dans l'intérieur de TAfrique.
Revenant à Angoche ou Angocha, sur la côte orientale, par
la vallée de la Likoungou, il en est reparti pour aller par une
route nouvelle à la Chiré et à Blantyre. Le voyageur a
exécuté un grand nombre d'observations astronomiques^qui
feront de ses itinéraires une base solide pour le figuré de
cette partie si peu connue de l'Afrique.
A des titres divers, nous devons citer ici Tœuvre pour-
suivie par M. J. Stewart dans le pays qui sépare le Nyassa
et le Tanganyka. Chargé par les Anglais de construire une
route entre ces deux lacs, il a conduit les travaux par Mali-
wanda, à 92 kilomètres dans l'ouest du Nyassa, et de là au
mont Mapouroumouka, en traversant des affluents de la
Songwé, un tributaire du lac, de la Longwa, tributaire du
Zambézi et de la Tcbambézi, une des tètes du cours de
Kongo. M. Stewart a fait, entre autres, une observation fort
impoi'tante, d'où il résulterait que la source de la Tcbam-
bézi et par conséquent l'une des plus lointaines sources du
Kongo ne serait qn'à l'altitude de 1402 mètres.
La faiblesse de cette cote^ rapprochée des trois groupes
de chutes qui barrent le fleuve dans le pays de Manyema,
dans le Wenya, et enfin en aval de Stanley-Pool, expliquerait
que. sur le Loualàba et dans les longs biefs que séparent les
cataractes, le courant du Kongo doit être relativement très
faible.
Les travaux de M. Stev^art, si utiles à la géographie, re-
montent à l'année dernière; le 30 août 1883, en revenant au
Nyassa, le méritant ingénieur a été emporté par la ma-
ladie«
La route entreprise par M. Stewart était-elle achevée cette
année-ci? On peut le penser, car déjà la London Missionary
Society a pu faire transporter, par les soins de l'African
Lakes Company, un bateau à vapeur du lac Nyassa au lac
Tanganyka. La vapeur, organe, essentiel de la civilisation
moderne, a donc siffié sur le Tanganyka, comme elle avait
220 RAPPORT SUR LES TRATAUX HE LA SOCIÉTÉ
fait déjà SOT le Nyassa, sur le baot Nil, enfin soi le haot
Kongo dont tons ici, à de rares exceptions piès, noos doqs
rappelons la découfeiie.
Signalons enfin, snr le même terrain, le départ des
Toyagenrs allemands Bôhm et Reichard, de la station belge
de M*i»a]a, c'est-à-dire da rivage ouest da lac Tanganyka,
ponr atteindre !e lac Moero.
La cÎTilisation ne progresse pourtant pas là sans crises.
Nous ayons appris qu'à la suite du meurtre par un Européen,
du chef des Makololo, ces fidèles amis de LiTingstone,
le Tapeur Laig Nyassa portant le courrier anglais a été
coulé bas par les Makololo sur la Chiré.
L'ordre géographique adopté dans ce rapport nous amène
à mentionner ici une nouTelle entreprise de l'Association
internationale africaine. Elle Tient d'envoyer le lieutenant
Becker, à la tête d'une expédition chaire de traTerser
l'Afrique de l'est à l'ouest et de relier par de nouvelles sta-
tions celle de Karéma aux stations récemment fondées snr
le haut Kongo.
La géographie a de fort belles conquêtes à enregistrer
cette année dans la région des monts sourcilleux de l'est et
des cours d'eau qui en descendent. Signalons d'abord la
publication, à Hambourg, du Toyage accompli en 1883 par
M. G. A. Fischer, du fleuve Pangani au Kilima-N'djâro. Con-
tournant le Kilima-N'djàro M. Fischer a tu, à l'est de Som-
bou^ le N'gouroumàn, un des sommets les plus hauts de la
ligne des bassins de l'Océan indien et du Nil. Il s'est avancé
du c6té du nord, jusqu'au lac Naîvacha dont la découverte
et la constatation qu'il forme un bassin fermé, à 1900 mètres
d'altitude, lui appartiennent. Ayant atteint Mourentat, à
l'extrémité nord du lac, M. Fischer a dû hâter son retour en
présence de l'attitude hostile desMasaî et, marchant plus au
sud-ouesty il a touché le volcan de Donyo N'gaî avant de
revoir son point de départ.
Les résultats importants dus à H. 6. A. Fischer sont
ET ST7R LES PROGRÉS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 221
quelque peu éclipsés par les travaux d'un émule encore plus
heureux, M. Thomson, qui, pour les voyages en Afrique
dont la mention appartient à 1884, serait le seul rival pos
sible de notre compatriote M. de Foucauld, s'il avait comme
lui déterminé des latitudes et des longitudes.
Déjà connu de vous par un voyage en Ouroua, à l'ouest
du Tanganyka, M. Joseph Thomson, commençait le 15 mars
1883, à Rabbal, près Monbâsa, site bien connu de la
mission protestante, une expédition dont les fatigues et les
dangers auront du moins largement profité à la géographie.
Votre rapporteur, ne pouvant suivre M. J. Thomson dans
ses longs itinéraires, se contentera de vous présenter une
courte synthèse de l'œuvre du voyageur, en l'animant par
l'exposé des épisodes les plus caractéristiques de l'expé-
dition. Escorté de cent vingt porteurs recrutés parmi ce
que la plage de Zanzibar offrait de moins bon, il arrivait
au Rilima-N'djâro en traversant un pays déjà décrit. Sur
la route qui conduit à ces cantons pittoresques du Djagga
que nous ont fait connaître le baron von der Decken et
M. Kersten, il rencontrait les Wa-Taveta, population pai-
sible, hospitalière et honnête, bien que de mœurs assez
peu rigides. Ces Wa-Taveta, les Wa-Dafeta de von der
Decken, étaient dans l'origine des Bantou, des Cafres pur
sang; par la suite des âges, des Masaî ou Wa-Kwâfi, comme
les nomment les Sawâhili, ayant perdu tous leurs troupeaux
dans des guerres intestines, vinrent se réfugier chez les
Wa-Taveta; la nécessité fit d'eux des cultivateurs, et des
alliances entre les deux tribus sortit la population actuelle.
A Taveta commencèrent les difficultés. Il fallait pénétrer
chez les Masaï qui sont la terreur de tous les voisins et
auxquels en outre, M. Fischer avait livré un combat quel-
ques jours auparavant. M. Thomson n'en essaie pas moins
de contourner sur les mêmes traces, c'est-à-dire par l'ouest,
le massif du Kilima N'djâro. Longeant d'abord le gros
massif par sa base sud, il en fait bientôt l'ascension jusqu'à
222 BAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
2665 mètres d'altitude^ pour collectionner des plantes. Il
put ainsi contempler de près I^ deux pics neigeux, le Kibo,
le plus haut à Toùest, et le Kimawenzi, à Test, qui domi-
nent tout cet eiiisemble montagneiù. La présence de Ha-
saï signalés sur la roùte^ dans la plaine^ avait engagé
M. Thomson à suspendre sa marchie au nord. IL la i^^pcend
danslà direction ouest et arrive bientôt à Kibonoto^ e'esl-
à-dire à la frontière du pays des Masaï et à leurs premiers
kraalSy ceux de N*garé N'érobi, dans le cautôn de Siguî-
rariy directement à l'ouest du Kilima rrdjàro. An début
l'accueil est favorable, mais il en coûte dix charges de. ver-
roterie et malgré cette libéralité les indigènes ne tardèrent
pas à devenir tout à fait hostiles; un couteau est levé sur
M. Thomson, le^pays prend les armes, on veut venger le
sang versé par M. Fischer, Il dut battre en retraite surTaveta
etMonbàsa, autant pour recruter ides porteurs, car les siens
frappés de panique s'étaient débandés, que poor prendre
un nouvel approvisionnenaent de marchandises.
Rê^venu à-Taveta il se décide à contourner le Kilima-
N'djâro par l'est, il passe une des tôtes de la T^vo, affluant
du fleuve Sabaki et se retrouve bientôt sur un autre point
de la frontière des Masaï. De ce côté-là les guerriers des
tribus étant partis en expédition^ M. Thomson peut étudier,
au nord du massif, la dépression de ^'guiri, située à
1082 mètres; c'est le fond boueux, humide et salin d'Un
ancien lac, encore tout couvert de sources, de mares et de
marais, et qui devait avoir une grande étendue. Aucun
ruisseau du Kilima-N'djâro ne vient aboutit à cette dé-
pression.
Quatre marches plus loin dans le nord-Ouest conduisent
le voyageur au pied du Donyo Ërok, où le terrain, volca-
nique dans la région précédente, devient métamorphique.
A ce point du voyage les Masaï, « ces .sauvages les moins
scrupuleux et les plus arrogants de TAfrique n, sont les
maîtres de la caravane, a Slls nous avaient tiré le nez,
ET SUR LES PROGRÈS DES SGIEKGES GÉOGRAPHIQUES. 223
ajoute M. Thomson, nous étions forcés de leur offrir nos
plus gracieux sourires pour toute réponse. » Sous la plume
du voyageur anglais lé portrait des Masaî n'a rieii de bien
séduisant: sale, puant, graisseux et badigeonné d'argile^
> le Masaï ne songe à prendre f^mme que sur le déclin de âa
vie, tant il aime les émotions des guerres et des coups ijle
main. Alors seulement il abandonne son lourd bouclier en
peau de buffle, son sàbrë, sa lance et sa massue; il se fait
honnête homme et se marie^ mais il ne cesse pas d'être le
nomade enragé, toujours émigrant en quête de-pàtuiages.
Du Kilima-N'djàro, c'est-à-dire de 3<> de latitude sud, au
lac Baringp, par 1^45^ de latitude nord, il découvre et suit
au nord-nord-ouest une dépression très caractéristique aux
points de vue géographique et géologique, qu'on à déjà
cherché à comparer et à rattacher aux dépressions de la
vallée du Nil' et delà mer Morte. C'est là que' M. T.homsDn
trouve non s^eulement les marécages de N'guiri, dont il arété
question, mais encore les lacs Nalvacha, haut de 1829 mètres,
ËlmeteUa et Nakouro, puis enfin, à l'extrémité nord de son
itinéraire et à 914 mètres seulement d'altitude, le la<; Ba-
ringo ou plutôt le lae des Ba-^Ringo ; en effet; ce nom signifie
c peuple du léopard»; la carte du capitaine Speke nous
montrait le lac Baringo comme une annexe orientale du
N'yanza et relié au Nil par l'Avoua. Aptiès la traversée' de
l'Afrique par M; Stanley il fallut bien isoler le Baringo du
N'yanza,, mais aujourd'hui seulement; grâceà M. Thomson,
nous connaissons devisu etla véritable position et l'étendue
relativement faible de ce lac qui forme un petit bassin indé^
pendant.
Toute cette* partie de la/ relation de M. Thomson est riche
•en observations géologiques du plus haut intérêt. Autour
des lacs, en dedans des chaînes de montagnes qui bordent
à l'est et à Toiiest la longue coulée; les signes de l'action
volcanique abondent. Le volcan éteint du Donyo Longonot,
avec son cratère aux arêtes tranchantes, hautes de
m RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
2743 mètres ; l'entassement des débris de roches volcani-
ques qui ont aidé à la formation du lac Naivacha ; les cônes
d'éruption, les sources thermales, les fissures fumantes et
le mont Bourou qui, non loin de là, lance des vapeurs,
voilà tout un ensemble de découvertes d'une véritable im-
portance; M. Fouqué y trouverait sans doute matière à
bien des études.
A l'est de la curieuse coulée, M. Thomson a poussé une
reconnaissance jusqu'au pied du haut mont Kénia dont
aucun autre Européen ne s'était approché aussi près. Pour
y arriver il a traversé une chaîne qu'il a nommée Aberdare
Range, du nom du président actuel de la Royal Geogra-
phical Society, puis un plateau où il rencontre, avec une
forêt de conifères, un vrai brouillard épais d'Ecosse. Le
Kénia, cône volcanique d'aspect majestueux qui émerge
d'une plaine haute elle-même de 1737 mètres, mesure
55 kilomètres de diamètre à la base. Jusqu'à 4500 ou
4600 mètres, la montagne s'élève progressivement par une
pente faible; mais tout à coup se dresse, en forme de pain
de sucre, la partie la plus haute, dont les flancs sont tel-
lement abruptes que la neige ne trouvant pas à se fixer
partout, blanchit par taches seulement la teinte noire
générale du Kénia. De là le nom qu'il porte chez les Masaî,
Donyo Eguéré, qui, d'après son itinéraire veut dire « mont
moucheté ». M. Thomson a déjà publié la position du
Kénia : 0^10' sud, 34^25' est de Paris, mais il ne paraît pas
que, malgré les éclaircies qui permettent assez régulii-
rement, soir et matin, de contempler la cime du Kénia
comme celle du Kilima N'djâro, il ait eu un théodolite pour
mesurer la hauteur absolue de la montagne.
A l'est et parallèlement à la longue coulée dont il a été
question plus haut, nous trouvons alignés, du sud au nord,
sur une bande qui ne mesure pas plus de 3"^ de longitude (à
partir de 3M0' de latitude sud, jusqu'à 6*34' de latitude nord)
le Kilima-N'djâro,le Kénia, le Tchibtcharagnani, le Ligonyi
ET SUR LES PROGRÉS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 225
OU Ëlgon et le Wocho, c'est-à-dire cinq des plus hauts som-
mets de toute TAfrique; leur formation est due presque et
indubitablement à un grand soulèvement volcanique.
Une épizootie particulière décimait les troupeaux des en-
virons du Kénia, et les Masal souffraient de cette maladie,
terrible conseillère, la faim. Ils vinrent donc à M. Thomson
lui demander, le couteau sur la gorge, un remède contre le
fléau qui les accablait. Le voyageur leur échappa par une
fuite de nuit.
À l'ouest du lac Baringo il a atteint le rivage du lac
N'yanza. Toujours en pays masaï il a traversé et relevé
les chaînes méridionales du Kamassia et de l'Elgueyo
(2372 mètres), à l'ouest desquelles il se trouvait dans le
bassin du grand lac, et dans le Kavirondo dont le nom n'a
jamais été que celui d'une plaine et non celui d'un lac. Au
point de vue ethnologique il a constaté ce fait remarquable
que les Wa-Kavirondo, comme les Wa-Taïta, sont un
mélange de deux sangs; et, tandis que les tribus du nord
sont parentes par la langue des Wa-Sawahîli de la côte de
Zanzibar, les tribus du sud parlent une langue de la famille
nilotique. Après bien des objections on laissa M. Thomson
arriver au lac, à 82 kilomètres du point oi!i en sort le Nil.
Ses observations nous obligent à réduire de beaucoup
l'étendue du N'yanza dans la direction nord-est.
Une dernière observation importante, recueillie par
M. Thomson, ouvre des aperçus tout nouveaux dans l'his-
toire d'une partie de l'Afrique où la civilisation n'est plus
aujourd'hui qu'à différents âges de son enfance. En allant
au N'yanza il a laissé, un peu dans le nord, deux hauts
massifs, le Tchibtcharagnani (3600-3700 mètres) et l'Elgon,
ou Ligonyi (4'250-'4260 mètres). Dans les premières assises
du massif de l'Elgon, du côté du sud, assises formées d'un
conglomérat dur d'origine volcanique, il a découvert, ran-
gées en ligne, des caves artificielles dont quelques-unes
servent d'abri à tout un village, y compris les parcs à bes-
226 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
tiaux. Ces caves, que le voyageur estime creusées de la main
des hommes et qui s'étendent au loin dans Tintérieur de la
montagne, atteignent jusqu'à 9 mètres de hauteur; elles
sojit consolidées au moyen de colonnes qui supportent le
plafond. En raison de leur nombre, de leurs dimensions,
de leur position par rapport à certain point de l'horizon, en
raison aussi de l'absence de toute tradition qui s'y rapporte,
parmi les habitants actuels, M. Thomson croit que ces caves
sont d'anciennes galeries de mine. Une va pas plus loin dans
ses hypothèses, laissant à un successeur assez heureux pour
y pénétrer et aux savants archéologues, la tâche de rattacher
ces monuments à une civilisation définie.
Sans avoir perdu un seul de ses porteurs, sans s'être
trouvé dans le cas de tuei* un seul indigène, M. Thomson
rentra à Monbâsa en repassant par les contrées qu'il avait
traversées à l'aller.
Le voyage de M. «Thomson enrichira la géographie d'un
long itinéraire appuyé sur des observations hypsométriqiies
et astronomiques qui contribueront à remplir, tout en la
rendant plus précise, la carte de l'Est africain.
L'Angleterre a pour consul à Monbftsa M. G.-B. Gissing,
capitaine de vaisseau. Cet officier a accompli au nord-ouest
de son poste une excursion jusqu'au mont N'dâra, dans le
but de visiter la mission protestante anglaise qui y est
établie.
Dans le massif du Kilima-N'dàro< le prochain rapport re-
trouvera M. H.-H. Johnstpn, dont il a été question plus haut.
Chargé par la British Association for the Advancement of
Science d'étudier la faune et la flore de ces mmitagnes,
M. Johnston j annonçait son arrivée dès le mois de juin
dernier. i
DumontKénia, on le sait presque sûrement aujourd'hui,
descend le fleuve Tana, tributaire de l'Océan indien. Cette
année-ci M.R.Kiepert a dressé et publié la carte du voyage
de MM. Clément et Gustave Denhardt, qui partis des deux
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 227
embouchures appelées Ozi et Tana, s'arrêtèrent à Massa, à
près d'un degré et demi de l'Océan indien. Nous remarquons
d'abord que malgré les voyages de Brenner, accomplis il y
a yingt ans, môme la partie inférieure de ce cours d'eau
était inconnue. On ne soupçonnait pas les sinuosités décrites
par le bas Tana et qui dépassent en nombre comme en
importance celles de la Seine à l'ouest de Paris. MM. Den-
hardt rapportent aussi une constatation intéressante pour
l'ethnologie. Le Tana arrosait jadis une partie du domaine
propre à la race oromo ou galla. Aujourd'hui encore on
trouve bien les Oromo à l'est et à l'ouest du fleuve, près de
l'Océan, mais la race çomâlie, veiiant de l'intérieur, a déjà
pénétré, comme ferait un coin, le long de la rive est du
Tana, jusqu'à cinquante kilomètres de la mer.
Lès pays de l'intérieur peuplés par les Oromo et par les
Qomâli sont encore le sujet d'une étude oùlës missionnaires
ont groupé de nouveaux renseignements puisés aux sources
indigènes, et que vient de publier M. Ravenstein. Quant à
l'extrémité nord de la même région^ nous n'avons à signaler
que le départ d'un nouveau voyageur, le docteur von Har-
deggerqui choisit la ville de Hèrèr pour premier but de ses
travaux.
En Ethiopie nous trouvons le chef de la mission de la
Société italienne d'explorations en Afrique, M. G. Blanchi,
terminant un long voyage dont la relation ne saurait man-
quer d'intérêt. Connaissant déjà l'Awàsi, et ayant visité la
partie nord du domaine de la race oromo, il a poussé, à
partir du lac Achangui, une pointe en pays inconnu, chez les
'Afar. Les altitudes qu'il a déterminées à l'est d'Afgol Guior-
guis, à Makalé (2040 mètres), à Sekek (1470 mètres), en se
rendant chez les Tantali, indiquent pour la première fois le
niveau des derniers étages du plateau éthiopien dans cette
direction. Du mois de mars au mois de juillet 1884 partant
de Makalé, dans la province d'Enderta, il a descendu le bord
est de ce plateau, et s'est avancé à plus de 100 kilomètres
as RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
daos la plaine jusqu'à Aîla, sur les affluents supérieurs de
la Kila, à 752 mètres seulement d'altitude^. Cette excursion
nous fait connaître une contrée qui, bien qu'assez peu
étendue, n'en était pas moins tout à fait nouvelle; les azi-
muts, l'itinéraire et les observations du baromètre anéroïde
recueillis par le voyageur auront un prix réel. Dans ses der-
nières lettres M. Bianchi annonçait que, partant de la fron-
tière de l'Ethiopie, il allait descendre la Gwalima et chercher
le chemin direct de l'Ethiopie à la colonie italienne d'Assab.
C'était promettre une nouvelle et importante addition à
nos connaissances sur les pays 'afar. Nous faisons des vœux
pour voir prochainement démentir une nouvelle publiée-aa
mois de novembre (1884), et d'après laquelle un malheur
serait arrivé à M. Bianchi.
En 1881 M. J. Menges parcourait le bassin du khôr Ba-
raka, le pays des Béni 'Amer et des Kounama ou Baza Bazôn,
et enfin la contrée qui les sépare de Kassâla, sur le khôr El-
Gàch. Tous ces noms géographiques sont bien connus; ils
évoquent aussi parmi nous les noms d'explorateurs de
mérite. Le travail que vient de publier M. Menges, avec une
carte donnant 4cux degrés en longitude sur un degré en
latitude, n'en sera pas moins précieux pour le nombre des
détails topographiques qui s'y trouvent consignés.
Plus nous marchons vers l'achèvement de la première
découverte, de la découverte provisoire de l'immense inté-
rieur de l'Afrique, plus laborieuse devient la tâche des géo-
graphes de cabinet et des constructeurs de cartes, qui ont
à peser et à comparer des éléments divers de plus en plus
nombreux. A la masse de documents que quarante-quatre
ans nous ont apportés sur le Bahar El-Ghazâl et les pays
voisins, viennent s'ajouter la carte et les observations du
gouverneur de cette province, François Lupton Bey, pu-
bliées par la Société de géographie de Londres. Cette carte
1. M. Bianchi dit à 1250 mètres plus bas que TEnderta.
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 339
qui corrige utilement celle de M. Schweinfurth, permet de
suiyre les itinéraires de Lupton Bey sur un espace de
six degrés de longitude, de la Mechera'a £r-Rèq à la rivière
Foro, affluent de la Kouta ou M'bomo, et, dans la direction
du sud-ouest, jusqu'un peu au sud des itinéraires du
docteur Potagos. Le gouverneur de la préfecture de Bahar
El-Ghazâl a étudié les rivières de sa moudiriyé et les a
trouvées navigables pendant la plus grande partie de l'année*
En i883, quarante stations militaires maintenaient la sou*
mission du pays au gouvernement égyptien, mais déjà les
tribus ralliées à la cause du mahedî Mohammed Ben Ahmed
donnaient fort à faire à Lupton Bey et l'obligeaient de
remettre à des temps meilleurs la poursuite de ses travaux
géographiques.
Au moment oti paraissait dans les Mitteilungen de
Gotha, la carte des collines dans la région nord-ouest de
Khartoûm, levée par M. J. M. Schuver, le bruit de la mort
de ce hardi voyageur, survenue dans le bassin du Bahar
El-Ghazâl, prenait quelque consistance. Malheureusement
les circonstances semblent prêter de la vraisemblance &
cette nouvelle. Si elle se vérifie, nous serons des premiers k
regretter un homme éminemment dévoué et dont les tra-
vaux ont une utilité reconnue.
La formidable levée de boucliers du mahedi qâderien, en
interrompant les relations entre l'Egypte et ses dépen-
dances du haut Nil, n'a pas mis en retard seulement les
envois de Lupton Bey; ceux de M. Guillaume Junker ont
subi le même sort. C'est ainsi que les Mitteilungen ne
nous apportent que le fruit de ses reconnaissances de
1881-1883, au sud de la Ouôllé. Ce travai n'en a pas moins
un intérêt hors ligne. De la résidence de Mounza, roi des
Monbouttou, un peu au sud de la OuêUé, M. Junker a
relevé le cours de cette rivière jusqu'à N'bia, à 1° 30' plus
à Touest, dans le pays des Zandé. Il a étudié ses affluents,
jusqu'à la Pokho, tributaire sud de la Mayo Bomakandi,
soc. DE GÉOGR. — 2* TRIMESTRE 1885. VI. — 16
230 RAPPORT SUR LES TRAYA13X DE LA SOCIÉTÉ
on peu au çud du 3"^ degré de latitude ; enfin, près du 2* de-
gré de latitude nord, il a trouvé dans la Nekoko le premier
affluent du Kongo. Toilà une donnée dont l'utilité n'échap-
pera à personne.
Nous sera-t-ii permis d'ouvrir ici la porte à une décon-
verte ethnographique et historique? C'est la . linguistique
qui va nous servir. Les Foûlbé et leur langue, le foulfooldé,
paraissaient jusqu'ici cantonnés dans une région del'Àfiriqoe
occidentale séparée par plusieurs degrés de longitude des
territoires qui nous occupent en ce moment. Mayo Boma-
kandi veut dire Rivière de Bomakandi, or mâyo est préci-
sément l'équivalent du mot rivière daos la langue des
Foûlbé. Trouvera*t-on aussi près du Kongo des parents des
Foûlbé, peuple si caractérisé et jusqu'ici si énigmatique, ou
bien cette race aurait-elle seulement laissé dans l'est de la
région équatoriale la trace d'une de ses migrations ?
Le grand N'yanza, le lac Victoria des Anglais, a été le
théâtre d'un voyage en bateau, fait du nord au sud, d'un
port en Ouganda à Eadjeî ou Eaguel, le long de son
rivage occidental, par M. Mackay, l'ingénieur civil au ser-
vice des missions anglaises. Sa relation précise encore
notre connaissance de la partie la première et la plus sou-
vent visitée de ce « réservoir du Nil ». Elle nous apporte
aussi les notes du voyageur sur une excursion faite par
terre de Kadjeï à Msalala.
Si nettement différent qu'elle soit de TAfrique par sa
forme et par l'homme lui-même, Madagascar reste pour les
géographes une dépendance forcée, un fragment de la carte
d'Afrique. Nous consignerons donc ici la nouvelle d'une
traversée de Madagascar, d'Antananarivo au sud-ouest, par
M. Shufeldt, lieutenant de la marine des États-Unis. Cette
partie du continent insulaire malgache était encore inex-
plorée et l'officier américain aurait découvert sur sa route,
chez les Betsileô, les sources du fleuve Zizibongy. Ce fleuve
dont le nom véritable est Tsijobonina, se jette à la côte occi-
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 231
dentale un peu au nord de Morondaya; à son embouchure
est la ville de Tsîmandrafarazana, appelée souvent, à tort^
Tsimandrafouse. Le nom de Tsijobonina ne s'applique qu'au
cours inférieur du fleuve?, à la partie qui traverse le Menabe;
le nom indigène de la partie moyenne du fleuve estTsivi-
hibina. Ce fleuve figure, du' reste, sur la carte provisoire de
M. A. Grandidier, publiée en 1871 par notre Socîétéi
Les événements qui se sont produits en ces derniers temps
ont attiré l'attention publique sur Madagascar et donné
l'essor à toute une série de pubKcations où se rééditent les
données antérieures sur Thistoire et la géographie^ de c^tte
Ile immense. •
La grande carte de Madagascar dont l'auteur, M. Joseph
Mullens, missionnaire anglican, a bien voulu enrichir notre
bibliothèque, a servi de base à la plupart des cartes pro-
duites pour la cifconçtance. Les cartel publiées par la
librairie française marqueront, il faut le dire, un ceH;ain
progrès sur- les productions antérieures de même origine.
Notre collègue^ M. Orandidier, en effet, a prêté aux éditeurs
le concours de son savoir spécial pour rectifier au moins
les traits généraux du figuré de l'île
Cette partie du rapport resterait incomplète, si elle ne men-
tionnait l'apparition ou le progrèii des études dans lesquelles
viennent se concentrer les données recueillies sur l'Afrique.
La publication de la grande carte d'Afrique dressée au Ser-
vice géographique de l'armée par le capitaine Regnauld de
Lannoy de Bissy, marche rapidement. Ces soixante feuilles
dont se composera cette œuvre, vingt-huit sont aujour-
d'hui gravées en planimétrie et une première livraison a
été tirée avec la montagne^ Neuf feuSles nouvelles sont en
cours d'exécution; elles portent plus spécialement sur des
parties de l'Afrique vers lesquelles se tourne l'attention.
C'est ainsi que Madagascar, la côte orientale, le haut Zam-
bézi, l'empire de Lounda, le cours moyen du Kongo et le
Gabon, figurent sur les feuilles gravées en 1884. L'œuvre du
S32 V RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOaÉTÉ
capitaine de Lannoy n'est plus à louer. Jamais carte d'en-
semble de l'Afrique ne fut élaborée avec un soin aussi mi-
nutieux. Chaque feuille est soigneusement tenue au courant
et ce n'est point là une tâche facile, car des explorations
nouvelles viennent constamment imposer au cartographe
le remaniement de son travail. Sur la feuille de TOunya
N'zingué on peut suivre, par exemple, l'itinéraire tout
récent de MM. Pogge et Wissmann; sur celle d'Inguimma
on trouve, avec les plus nouvelles stations de l'Association
iûtematîonale le long du cours du Kongo, la partie sud
des itinéraires du docteur Potagos, c'est-à-dire presque une
liaison directe des itinéraires de la province équatoriale
égyptienne avec les levés de M. Stanley sur le Kongo.
Dans un tout autre ordre d'idée, il faut enregistrer la ten-
tative de M. Robert Needham Cust pour classifier, dans son
livre intitulé Modem languages of Africa^ les langues des
populations africaines. L'auteur y aborde séparément quatre
cent trente-huit langues et cent cinquante-trois dialectes de
ces langues. Est-il nécessaire d'ajouter que M. Gust ne
donne ni la grammaire ni le vocabulaire de ces idiomes?
Mais un répertoire complet de toutes les publications lin-
guistiques sur l'Afrique prouve, comme la classification
établie dans l'ouvrage, que M. Cust a étudié soigneusement
son sujet. Une grande carte des langues de l'Afrique, dres-
sée par M. Ravenstein complète l'œuvre que nous venons
de signaler, et qui, malgré des imperfections impossibles
à éviter en abordant un champ aussi vaste, aussi neuf, est
appelée à rendre d'importants services.
M. le commandant Niox, professeur de géographie à
l'École supérieure de guerre, a ajouté à la série de ses ou-
vrages si estimés, une géographie de l'Algérie qui méritait
d'être signalée dans ce rapport. C'est, en effet, une œmTe
originale dont M. Niox est allé recueillir ou contrôler sur
place les éléments. Pendant longtemps sans doute elle sera
exploitée par les auteurs de descriptions de l'Algérie.
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 233
Revenant un peu en arrière, le rapport doit signaler, bien
qu'elle remonte à 4883, l'excellente étude de M. Pouyanne
sur la région comprise entre le Touât et Timbouktou. Elle
présente, en les discutant, les éléments de la carte encore
fort hypothétique de cette partie du grand Sahara. Ce tra-
vail, complément d'une carte dont elle réunit et discute les
données, se recommande non seulement aux géographes,
mais encore aux explorateurs.
L'exploration scientifique de la Tunisie, cette nouvelle
grande publication du ministère de l'instruction publique,
vient d'être inaugurée par le savant ouvrage de M. Charles
Tissot, la Géographie comparée de la province romaine
d'Afrique y dont le premier volume a seul paru jusqa'ici.
Tout ce que pouvaient produire une exploration personnelle
du pays presque entier et trente années d'études suivies, se
trouve condensé, résumé et exposé avec clarté dans le livre
de M. Tissot. C'est sur une description scientifique du relief
du sol, de l'hydrographie, du climat, des productions natu-
relles et de l'ethnographie de la Tunisie, que notre éminent
et regretté collègue appuie la restitution des itinéraires ré-
sultant de la position des monuments anciens ; cette res-
titution remplira le tome deuxième de l'ouvrage.
Le volume publié aborde les principaux problèmes de la
géographie ancienne de la Tunisie, avec une autorité à
laquelle rendront hommage tous les maîtres en géographie
comparée. C'est en analysant de très près et pour ainsi dire
sur le terrain même les textes laissés par l'antiquité, qu'il fait
jaillir la lumière au milieu des indications souvent contra-
dictoires de textes anciens, d'inégale valeur.
L'ethnographie occupe une place considérable dans ce
premier volume dont M. Tissot consacre un chapitre à la
répartition géographique des tribus libyennes; deux autres
chapitres traitent de la géographie punique et de la topo-
graphie de Cdrthage, tandis qu'une note intéressante est
consacrée à TAtlantide.
234 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
Le ministère des travaux publics a fait paraître en un beau
volume les Documents relatifs à la mission dirigée au sud
de l'Algérie par le lieutenant-colonel Flatters. Ce titre ne
dit pas tout l'intérêt du livre qui . renferme TensembLe des
documents relatifs aux deux missions du colonel Flatters.
Il suffira, pour signaler aux géographes la valeur de cette
publication, d'en indiquer le contenu. Elle s'ouvre avec le
journal de voyage du colonel Flatters pendant la première
mission, suivi du journal du capitaine Bernard, et des rap-
ports de mission de MM. les ingénieurs Béringer et Roche,
pour la géographie, la topographie, la météorologie et la
géologie. M. Béringer y a contribué aussi par un avant-
projet de chemin de fer au sud de Warglâ, et M. Rabourdin
par un mémoire sur les âges de pierre du Sahara cen-
tral.
L'historique de la seconde mission est représenté par le
journal provisoire de route du colonel jusqu'à Inzelmân-
Tikhsîn, les études géologiques et hydrologiques de M. Roche
et des tableaux d'observations jusqu'au 29 janvier 4881.
Enfin les dernières lettres particulières des glorieuses vic-
times du patriotisme, de la science et de la civilisation, per-
mettent au lecteur de suivre presque jusqu'au jour su-
prême les destinées de nos malheureux explorateurs. Plu-
sieurs plans et cartes, y compris une carte générale des
itinéraires des deux missions^ achèvent de faire de ce volume
un document géographique de premier ordre.
De son côté, sous le titre de La France dans l'Afrique
occidentale, 4879-1883, le ministère de la marine et des
colonies, a publié un travail d'ensemble des plus utiles, sur
les résultats dés nombreuses missions topographiques et
militaires qui ont préparé la construction des^ chemins de
fer du Sénégal, tout en portant au Niger les avant-postes
de notre civilisation. Ce recueil donne sur plusieurs des
missions les premiers renseignements. Des études de fond
sur les populations du Sénégal et du haut Niger, sur leur
ET SUR LES PROGRÈa DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 235
organisation sociale et les productions de leur pays servent
d'introduction à l'historique des explorations.
Bien qu'elle ne soit pas rigoureusement géographique, la
belle étude. de M. le commandant Rinn : Marabouts et
KhouaHy étude sur Pislam euMgériey doit avoir ici sa men-
tion. Chef du service central des affaires indigènes en.Al->
gérie, M. Rinn n'a rien négligé pour découvrir la vérité sur
l'origine^ le développement, la marche et la situation ac-
tuelle des ordre religieux musulmans, dont l'un, peut-être,
ne serait pas tout à fait étranger aux causés, du massadrede
MM. Flatters, Béringer et Roche. D'ailleurs, Thistoii'e.des
dix-neuf confréries principales qui, à différents degrés, se
trouvent mêlées aux affaires des paroisses musulmanes de
^Algérie, empiète sur le terrain géographique, et M. le com-
içandant Rinn a joint à son travail deux pièces ()iie les géo-
graphes comme les administrateurs devront consulter; nous
voulons parler de la statistique officielle des ordres religieux
en Algérie, et la grande carte de l'Algérie au 1/800000® mon-
trant, au moyen de douze teintes, la marche, là situation et-
l'importance des ordres religieux musulmans dans notre
colonie.
• Du même ordre est l'étude, si nourrie, si précise que
M. IHiveyrier avait consacrée à l'une de ces confréries, celle
de Sidi Mohamed Ben'Alî Es-Senoûsi et à son domaine géo-
graphique en 1883. Dans ce travail, publié par notre Société,
M. Duveyrier suit sur toute la surface du globe et depuis
son origine, une association musulmane aussi puissante
qu'elle est redoutable par la vigueur de sa haine contre les
chrétiens.
Notre Bulletin et les Comptes rendus de nos séances ren-
ferment aussi cette année, plusieurs documents originaux
et utiles relatifs à l'Afrique. Pour la partie nord du con-
tinent vous aurez remarqué VExcursion dans la province
d'Alger où le capitaine Bernard donne d'excellentes obser-
vations sur l'archéologie, l'histoire naturelle et les phéno-
236 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
mènes météorologiques des hauts plateaux ; puis la note si
intéressante dont Fauteur anonyme mais évidemment fort
bien renseigné, a relaté les circonstances dans lesquelles se
sont accomplis les travaux de V Expédition hydrographique
sur les côtes du Maroc^ en 1854. La Note sur VOgadén^ par
M. Rimbaud et la Communication sur son voyage par
M. Révoil, ont un intérêt qu'il n'est pas besoin de faire res-»
sortir; par un côté, elles se rattachent plus ou moins direc-
tement aux études de MM. Duveyrier et Rinn. Nous devons
à la plume de M. Dutreuil de Rhinsle Voyage deM.Dolisie
entre Loango et Brazzaville par la voie du Kouilou-Niari,
rapport sur un important épisode de la mission dans l'Ouest
africain. De son côté, M. Duboc, lieutenant de vaisseau,
nous a donné une Note sur un croquis hydrographique
levé en 1^74 dans VOgôoué avec une carte au i/lOOOOOO*,
chargée de détails. Pour la partie sud de l'Afrique nos deax
recueils ont publié une esquisse de carte du voyage au Zan-
guebar par les pères Machon et Picarda, et le Muaraze^
affluent du Zambèze, travail de M. Paul Guyot^ accompagné
d'une carte au 1/200000*.
Les travaux géographiques sont peu nombreux au Bré-
sil; on doit le regretter, mais il faut l'expliquer. Ce pays
a plus particulièrement tourné ses forces vers la solution
des problèmes économiques qui intéressent son existence :
transformation du travail, développement des moyens de
transport, perfectionnement de l'outillage industriel. La
science pure y esl un peu effacée au second rang, malgré les
encouragements que en cesse de lui accorder l'empereur
Don Pedro IL
£n ce moment le gouvernement fait graver une nouvelle
carte du pays, sur laquelle seront tracés tous les chemins
livrés à la circulation ou en voie de construction.
Au mois de mai dernier, les chemins de fer brésiliens en
exploitation avaient une longueur de 5600 kilomètres et
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 237
2400 kilomètres de lignes étaient en construction : ces chif-
fres sont faibles par rapport à Timmense étendue du pays,
mais il faut tenir compte aussi de la faible densité de popu-
lation de l'empire.
La construction des chemins de fer est, au Brésil, l'occa-
sion de travaux d^un intérêt géographique; la haute admi-
nistration fait déterminer avec soin les coordonnées géogra-
phiques des principaux points des lignes en construction
et dont l'établissement contribuera, de la sorte, à rectifier
les cartes des régions traversées.
Les études de voies ferrées ont, d'autre part, donné lieu
à une exploration d'un véritable intérêt, qui vient de s'ache-
ver au milieu des difficultés excessives et au prix de grands
sacrifices. Les ingénieurs ont reconnu le pays par lequel doit
passer une voie destinée à traverser le bassin du Madeira,
pour relier la Bolivie au Brésil. Les travaux sur le terrain
sont à peu près achevés, mais les missions successives, déci-
mées par les fièvres paludéennes, ont eu de plus à lutter
contre des Indiens fort dangereux. Plusieurs ingénieurs et
officiers de marine y ont laissé la vie, et pas un des opéra-
teurs n'en est revenu indemne. On met actuellement en
œuvre les documents recueillis qui seront d'une réelle im-
portance géographique, puisqu'il s'agit d'une partie du
bassin des Amazones encore complètement inconnue.
La géographie du Brésil trouvera aussi de précieux élé-
ments dans les études d'une grande ligne ferrée qui partant
de la capitale de la province de Sâo Paulo, pénétrera dans
le sud-ouest de la province de Minas-Geraes, pour s'avancer
dans les régions inexplorées de Goyaz, entre les hauts
affluents du Parana et les têtes des Tocantins.
A un ordre de travaux plus théoriques appartient la
mission accordée par le gouvernement brésilien à un savant
néerlandais, M. Rickvorsel, qui a entrepris d'explorer le
cours entier du rio Sâo Francisco, dans le but d'y déter-
miner les constantes magnétiques, déclinaison et inclinai-
238 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
son. Une semblable recherche comporte de toute rigueur
la détermination de coordonnées géographiques, et l'œuvre
dQ M. Rickvorsel complétera celle de M. Liais et de M. Hol-
feldt sur le même fleuve.
. La géologie du Brésil a fait plus spécialement l'objet des
préoccupations de notre collègue M. Gorceix, directeur de
l'école des mines d'Ouro-Preto. Dans la troisième année
des Annaes da Escola de Minas ^ il a traité quelques sujets
de géologie générale intéressants pour, l'histoire de la terre
à la fin de la période tertiaire et qui peuvent, jusqu'à un
certain point^ se rattacher à la géographie actuelle.
II a été, par exemple, amené à reconnaître que le soulè-
vement principal du centre du Brésil, dirigé nord-nord-ouest,
sud*sud-est, s'était encore fait sentir pendant l'époque ter-
tiaire. La grande Serra d'Ëspinbaço, qui sépare les bassins
du rio Doce et du rio Jequitinhonba de celui du Sâo Fran-
cisco, a dû certainement continuée à se former pendant
cette période à la fin de laquelle existaient, tout autour du
massif central d'Ouro-Preto, de grands lacs entourés d'une
puissante végétation, très semblable à celle des forêts ac-
tuelles. Comment ces forêts ont-elles disparu en partie?
Quelles corrélations lient la flore actuelle à la flore tertiaire ?
Yoilà des problèmes qui relèvent du savoir spécial de M. de
Saporta, et pour la solution desquels les matériaux recueillis
par l'éminent directeur de l'école d'Ouro-Preto seront d'un
précieu? secours. Ces problèmes avaient déjà préoccupé le
docteur Lund, savant danois, mort en 1881, à un âge fort
avancé, dans un petit village à vingt-cinq lieues d'Ouro-
Preto.
En marche sur l'Amérique du Nord, nous constaterons,
au passage, que l'œuvre colossale du percement de l'isthme
de Panama se poursuit sans désemparer. La nature y oppose
de terribles résistances, mais le génie humain lui aussi a
ses énergies, et, nous savons ce qu'elles valent, soutenues par
Ykme d'un Ferdinand de Lesseps.
ET SUR LES PROGRÉS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 239
L'Alaska « la grande Terre », dont racquisition par le gou-
vernement des Etats-Unis, en 1867, reçut de l'opinion publi-
que un accueil assez dédaigneux, est devenu un champ
d'explorations* et de découvertes intéressantes pour la géo-
graphie ; un ou deux des derniers explorateurs vont même
jusqu'à prédire un grand avenir à ce territoire dont: quelques
partie^, disent-ils, peuvent rivaliser avec certaines parties de
l'Angleterre, de l'Ecosse ou de la Prusse.
Quand on s'occupe de l'Alaska, il ne faut pas perdre de
vue que son territoire est égal, en superficie, à d^ux^fois et
demi- le territoire de la France; qu'il y a place., par con-
séquent, pour de grands . fleuves, de puissantes chaînes de
montagnes qui viendront peu h peu garnir la carte encore
assez nue de cette région.
Lie rapport de Tan dernier signalait le voyage du lieute-
nant Schwatka sur le fleuve Tukon qui, avec ses 3570 kilo-
mètres de développement, dont 1370 dans la Colombie
anglaise, forme la, principale artère de l'Alaska.
Les quelques détails publiés depuis lors nous permettent
d'apprécier la portée de ce voyage. Après la traversée des
chaînes littorales, c'est aux sources môme du fleuve, à un
petit lac presque toujours gelé au fond d'un ancien cratère,
que M. Schwatka commença son exploration. Mince filet
d'eau d'abord, qui franchit un chapelet de sept ou huit lacs
reliés par de hauts, défilésv le cours du Yukon ne tarde pas à
cheminer majesti^eusement à travers la contrée qui. lui
envoie, de droite et de gauche, le tribut d'affluents, dont
quelques-uns ont Timportance de la Seine. Au fort Selkirk,
que le lieutenant Schwatka détermina en latitude et longi-
tude, le lit du Yukon, parsemé de npmbreux îlots, n'a pas
moins de 850 mètreé de largeur. Il reçoit tout près de là,
sur sa droite, l!ancien Lewis River des trafiquants, la Pelly
River, que le capitaine Robert Campbell, de la compagnie
d'Hudson, avait descendu en 1852, et que, sur son autorité,
on avait considéré comme la tète principale du grand fleuve.
240 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
M. Schwalka a constaté que la Pelly River, charriant seule-
ment les trois cinquièmes du volume d'eau du Yukon, ne
peut prétendre qu'à la qualification de tributaire. En aval de
Fort Selkirk et jusqu'à Tîle Saint-Michel, le Yukon est
vaseux, contourné en méandres et semé d'îles. Large de 15
à 18 kilomètres, il se resserre de temps à autre jusqu'à
250 mètres; la rapidité du courant oblige alors à décharger
les canots pour faire des portages.
Au delà, le fleuve qui atteint jusqu'à 22 kilomètres de lar-
geur, sillonne de vastes plaines sous 165° 30' de longitude
ouest ; il débouche enfin à l'Océan glacial par cinq grand
bras qui s'étalent en un delta de 100 kilomètres.
Tout en décrivant le fleuve, M. Schwatka donne des
détails fort intéressants sur les indigènes riverains dont les
uns sont tout à fait misérables, tandis que d'autres jouissent
d'une aisance et d'une civilisation relatives.
L'Alaska, dont il s'en faut encore beaucoup que la carte
soit complète, présente un problème géographique pour la
solution duquel M. Schwatka compte entreprendre un nou-
veau voyage. Le Tananah est regardé par quelques-uns,
comme un affluent du bas Yukon, par d'autres comme un
fleuve ayant son embouchure à la côte nord.
Nous devons aussi de bons détails sur l'Alaska à un mis-
sionnaire, M. Sheldon Jackson. Ce territoire est couronné
parles plus majestueux sommets de Tunion américain ; tels
sont le mont Gook et le mont Orillon, dont la hauteur
dépasse celle du Mont Blanc, puis le mont Saint-Elie, qui
atteint 4500 mètres. De ces puissants massifs descendent des
, glaciers qu'il faut ranger parmi les plus grands du monde.
Le mont Fairweather, par exemple, haut de 4482, mètres
donne naissance à un glacier long de 80 kilomètres et qui,
large de 13 kilomètres à la fin de son trajet, se termine en
une paroi à pic de 60 mètres au-dessus de la mer.
L'Alaska, avec les îles qui en dépendent plus ou moins,
comporte un système de soixante et un volcans dont plu-
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 241
sieurs en activité. Comme en Islande et en Nouvelle-Zélande,
ceux qu'on trouve en Alaska sont à côté des glaciers, des
thermes, des lacs de soufre et de salpêtre, des sources mi-
nérales en ébuUition. Le cratère du Goreloï renferme une
source minérale et chaude qui n'aurait pas moins de 30 ki-
lomètres de pourtour, c'est-à-dire presque la longeur du
développement de l'enceinte fortifié de Paris.
M. Sheldon Jackson divise l'Alaska, pour son climat et
ses productions naturelles, en trois zones. Le territoire du
Yukon, au noid, dont les températures extrêmes sont de
+ 40** à — 50® centigrades, avec une moyenne de — ^ 6** et
dont les animaux à fourrures forment la richesse princi-
pale. Le territoire aléoutien qui renferme la presqu'île
d'Âliaska, la côte nord-ouest et les îles Aléoutes, a comme
extrêmes de température -J- 30* et — 26% avec 2<» comme
moyenne; les pêcheries forment sa ressource essentiel.
Enfin le territoire de Sitka, au sud-ouest, est caractérisé,
grâce au passage du Kourosivo, par un climat plus clément
que celui des deux autres zones. Le thermomètre y oscille
de — 47°, qui est la température hivernale de la Virginie et
du Rentucky, à -\- 23° qui est la température estival du
Minnesota. La moyenne générale annuelle est de 4^ 6°. Le
Sitka, excellent champ pour l'émigration, renferme en outre
de magnifiques forêts de cèdres et de pins, avec des mines
de charbon et de métaux de toutes les. espèces, sauf l'argent
et l'étain.
Vers répoque où l'expédition du lieutenant Greely s'em-
barquait pour aller dans la baie Lady Franklin établir une
station météorologique et magnétique, les États-Unis en-
voyaient à la pointe Barrow, le point extrême au nord des
côtes de l'Alaska, une autre mission du même genre.
Sous les ordres du lieutenant de marine P. H. Ray, elle
quittait San Franciso en juillet 1881, sur le Golden FleecCy
et le 8 septembre suivant elle était à son poste, non loin du
village esquimau d'Ooglalamie. C'est là qu'elle a passé deux
242 RAPPORT SUR LES TRAYAUX DE LA SOCIÉTÉ
années à recueillir des obserrations, conformément an pro-
gramme arrêté par la conférence circonpolaire interna-
tionale.
En dehors des travaux spéciaux de la mission, M. Ray
s'eât appliqué à reconnaître le pays absolument inexploré
jusqu'alors qui s'étendait dans le sud de la station. Ses
recherches l'ont conduit à la découverte d'un fleuve consi-
dérable qui, né au sud, va se jeter dans l'Océan arctique^ à
peu de distance à l'est de la pointe Barro'W, et auquel il
donna le nom de Meade 'River, en l'hoimeur du général
George Meade.
Ce fleuve parait descendre de montagues peu élevées; il
traverse un pays légèrement ondulé, entièrement désert et
semé de petits lacs, de lagunes et de ruisseaux qui forment
un véritable labyrinthe. La végétation est très pauvre dans
cette sorte de toundra américaine dont une épaisse couche
de mousse recouvre le sol toujours gelé et fortement im-
prégné dé sel.
Le lieutenant Ray aurait poursuivi son exploration s'il
n'eut été abandonné par ses guides qui se refusèrent à l'ac-
compagner, car jamais encore ils n'avaient pénétré aussi
loin dans l'intérieur du pays.
A Test du Meade doit se trouver un autre fleuve, dirigé du
sud-ouest au nord-est, et auquel les indigènes donnent le
nom de Ik-pik-pung.
Il résulte des observations sur le climat faites par la mis-
sion américaine, que le minimum atteint pendant son séjour
a été de — 50 degrés centigrades. Le lieutenant Ray ne pense
pas qu'au pôle môme cette température ait été dépassée.
On aurait ainsi le maximum de froid constaté sur le globe
terrestre.
Enregistrons ici, car elle est intéressante à recueillir,
l'opinion émise par le lieutenant Ray qu'il ne doit pas exis-
ter de mer libre'près du pôle nord; il se base sur cette cir-
constance que la température de TOcéan arctique demeure
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 243
le même depuis le mois d'octobre où les glaces se ferment,
jusqu'au mois de juillet où elle se s'ouvrent; ce ne pourrait
guère être le cas s'il existait près du pôle une vaste nappe
d'eau d'une température plus élevée. Il est rare, d'ailleurs,
qu'on aperçoive des nuages pendant l'hiver, sauf dans la
direction du sud ou de l'ouest.
Depuis la découverte de M. Ray, il en a été fait une autre
non moins importante. L'an dernier, le lieutenant Stoney,
de la marine des États-Unis, se trouvant dans les parages
de l'Alaska septentrional, entreprit d'explorer un grand
fleuve dont les indigènes lui avaient signalé l'existence.
Guidé par des renseignements fort vagues, il atteignit, en
effet, l'embouchure d'un cours d'eau très important qui
vient se^jeter dans l'Océan polaire au nord du détroit de
Behring, juste sous le cercle polaire, dans le Hotham Inlet,
l'une des ramifloations du Kotzebue Sound. Malheureuse-
ment l'état de la mer empêcha cette fois M. Stoney de pous-
ser plus loin ses iuTestigations.
Le 13 avril dernier, il repartait de San Francisco sur le
schooner Ounalaska, avec l'enseigne Purcell, un chirugien
et huit hommes d'équipage. Après une navigation rapide
quoiquft pénible, il ne tardait pas à retrouver l'embouchure
du fleuve auquel il avait donné le nom de Putnam, en l'hon-
neur de l'un des héros du drame de la Jeannette.
Ce fleuve, à en juger par son volume qui est fort con-
sidérable, parait être le plus important cours d'eau de
toute la partie nord-ouest du territoire d'Alaska. Grossi de
nombreux affluents, il débouche à la mer par un vaste
delta.
Les tributaires qui lui viennent du nord, sont, pour la
plupart, peu larges mais très rapides ; les eaux en sont exces-
sivement froides. Parmi ceux de la rive méridionale, il en
est un que les indigènes appellent la rivière Pah et qu'ils
remontent dans leurs voyages vers le sud. Cet affluent aurait
une grande importance, si, comme l'afârment les Indiens,
244 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
sa source n'est pas séparée que par une courte dislance de
l'un des tributaires septentrionaux du Yukon.
Les explorateurs remontèrent le cours du fleuve en cha-
loupe jusqu'à 300 milles environ de rembouchure; là des
rapides les obligèrent à remplacer la chaloupe par un canot
de peaux cousues; mais, comme il devenait impossible de
ramer contre le courant, il fallut hâler l'embarcation en
marchant dans l'eau jusqu'au genoux. Pendant une semaine,
ils continuèrent ainsi leur route, ne faisant guère plus
de 12 milles par jour; mais, à lafln du septième jour, ils
s'arrêtèrent exténués de fatigue.
Informés alors qu'en coupant à travers les terres on pou-
vait gagner aisément la source d'un des affluents du fleuve,
M. Stoney et deux de ses compagnons partirent, portant
eux-mêmes leur bagage et munis d'un léger canot en écorce
de bouleau. Ils atteignirent ainsi deux grands lacs d'où sort
l'un des affluents du Putnam.
Le canot fut mis à l'eau et deux jours furent employés à
reconnaître la contrée. Du haut d'une montagne voisine du
lac, on apercevait le cours principal du fleuve qui jusqu'à
perte de vue, en amont, ne paraissait pas diminuer sensi-
blement de volume. Les Indiens prétendent qu'à sept jour-
nées plus haut on rencontre un immense lac que, pour sa
grandeur, ils comparent à « une mer ».
Il est probable que le fleuve Pulnam,s'étendanttrès loin à
l'est, prend sa source à peu de distance du Mackenzie et
de la frontière des possessions anglaises. L'importance pra-
tique de cette voie fluviale serait considérable si, comme on
le suppose, une communication pouvait être établie par de
faibles portages entre le Putnam et le Yukon d'une part,
d'autre part entre le Putnam et le fleuve Meade du lieute-
nant Ray.
La région qu'arrose le Putnam est très montagneuse. Le
fleuve lui-même est bordé de chaque côté par des chaînes
de montagnes en arrière desquelles s'élèvent des massifs iso-
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 245
lés qui atteignent jusqu'à 900 mètres d'altitude. Du sommet
gravi par le lieutenant Stoney, on n'apercevait au nord qu'une
masse confuse de pics. Les indigènes assurent que c'est là
le caractère général de la contrée jusqu'à TOcéan arctique.
Le climat était agréable et la végétation assez abondante.
Les Esquimaux, qui se montrèrent pacifiques et serviables,
sont encore exempts des vices qu'ils acquièrent générale-
ment au contact des blancs.
M. Stoney et ses compagnons opérèrent aisément leur
retour; le canot, entraîné par le courant, franchit sans acci-
dents les rapides. Us trouvèrent les hommes remis de leurs
fatigues, et un jour suffit pour refaire le trajet qui avait
exigé sept rudes journées en remontant le fleuve.
Le 25 octobre 1884, le schooner Ounalaska rentrait à
San Francisco, sans avoir perdu un seul homme ni éprouvé
d'avarie sérieuse. Il est à regretter que dans les limites du
temps dont il disposait, M. Stoney n'ait pas pu reconnaître
complètement le cours supérieur du fleuve nouvellement
découvert.
L'événement le plus saillant de Tannée, en ce qui con-
cerne les régions polaires, est le sauvetage des survivants
de la mission Oreely.
Les expéditions entreprises à l'instigation de la Conférence
polaire internationale étaient depuis longtemps de retour.
Seule, celle que les Étals-Unis avaient envoyée à l'extrême
nord, dans la' baie Lady Franklin, n'était pas revenue et le
silence le plus inquiétant régnait sur son sort.
Le lieutenant A. W. Greely, chef de l'expédition, avait
quitté New-York le 14 juin 1881, sur le Proteus. Le 4 août,
il atteignait sans obstacle sérieux le but de son voyage. Un
poste d'observation fut établi en un point de la baie de Lady
Franklin situé par 81^44' de latitude nord et 64o 30' de lon-
gitude ouest de Greenwich. Ge poste avait reçu le nom de
Fort Conger, en l'honneur de M. Gonger, du Michigao,
membre du Gongrès, l'un des promoteurs de Texpéclition.
80G. DB GÉOGR. — 2* TRIMESTRB 1885. VI. — 17
246 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
Le 18 août, le Proteus reprenait la route des États-Unis et les
vingt-cinq membres dont se composait la mission étalent
laissés à eax-mémes, avec des Yiyres pour deux ans et ceot
quarante tonnes de charbon.
L'année snÎTante (1882), on navire, le Neptune, comman-
dant Beebe, envoyé ponr ravitailler la station, ne pat fran-
chir les glaces du détroit de Smith.
Un an plas tard (1883), le Proteue et le Yawtic partirent
ponr ramener les membres de la mission on leur porter les
provisions nécessaires dans Tévaitaalité d*an troisième hi-
vernage. Le Pro^iM,prîs dans les glaces, fat écrasé entre deux
banqaises et l'équipage eut de la peine à regagner Uper-
navick, d'où le Tantie le ramena aux États-Unis.
Les inquiétudes devenaient toujours plus vives au sujet
des vingt-cinq hommes abandonnés sans secours dans ces ré-
gions désolées. L'opinion publique s'émut et en mai 1884 une
petite escadre composée de la Thétis, du Bear et de VAlert,
sous le commandement du capitaine Schley, fut envoyée
à la recherche des infortunés.
U était temps. La mission, selon son programme, avait
passé deux années à Fort Gonger; supporter un troisième
hivernage était au-dessus de ses forces. Aussi le 9 août 1883,
commença-t-elle sa retraite vers le sud, dans l'espoir de ren-
contrer quelque navire ou de gagner, avant l'hiver, l'un des
établissements danois de la côte occidentale du Groenland.
U n'entre pas dans le cadre du présent rapport de relater
les poignantes péripéties de ce voyage. Aucun navire ne
s'était montré et l'hiver se déclarant trop tôt pour per-
mettre de continuer la route, le lieutenant Greely s'était va
forcé de s'établir au camp Glay, près du cap Sabine, par
78"^ 25^ de latitude septentrionale.
Il y était depuis le 31 octobre 1883. Dix-sept de ses com-
pagnons de souffrance avaient déjà péri de froid, de faim et
de fatigue ; les survivants, réduits à la dernière extrémité,
n'avaient même plus la force de se tenir debout, lorsque le
ET SUR LES PROGRÈS DES SUENGES GÉOGRAPHIQUES. 247
22 juin dernier, le^ équipages de lâ Thétis et du Bear les
découvrirent et se portèrent à leur secours. Le 17 juillet,
une dépêche de Terre-Neuve donnait la nouvelle du sau-
vetage et le 4 août les survivants, réduits au nombre de
sept (l'un deux étant mort en route à la suite d'une am-
putation), débarquaient à New- York, où une brillante ova-
tion les atttendait.
Bien que le principal objet de la mission Greely, pendant
les deux années qu'elle a passé à Fort Gongej:, fut de
recueillir des observations météorologiques, cette mission,
grâce à Tactivité de son chef, n'en a pas moins eu ses fruits
pour la géographie.
Des excursions furent entreprises dans plusieurs direc-
tions. Elles ont soulevé quelques-uns des mystères qui cou-
vrent encore ces hautes latitudes.
La côte nord-ouest du Groenland a été explorée au delà
du point reconnu par le lieutenant Beaumont lors de l'ex-
pédition anglaise dirigée par le commandant G. Nares. Le
13 mai 1882, le lieutenant Lockwood et le sergent Brainard,
chargés de l'exploration, découvrirent sur cette côte une île
(île Lockv*rood) située par 83» 24' de latitude nord, 40^46'
de longitude ouest de Greenwich. C'est la plus haute
latitude que l'homme aitatteinte jusqu'à nos jours. Le com-
ma ndant Markham, de l'expédition du commandante. Nares,
était parvenu, en 1876, jusque par 83°20'28".
La portion de côte nouvellement découverte ressemble, à
beaucoup d'égards, à celle du Groenlaùd méridional. Elle
est assez haute, fortement dentelée et abrupte, coupée de
Qords, avec de nombreuses îles qui se projettent en avant
des caps. L'intérieur du pays laisse apercevoir des masses
confuses de montagnes couvertes de neige et d'une calotte
de glace. Les Qords ne présentent que de vastes amas de
neige et de glace, mais absolument aucun indice ne permet
de supposer qu'ils puissent être en communication avec la
mer du Spitzberg.
248 RAPPORT SUR LES TRAYAUX DE LA SOCIÉTÉ
Da point extrême atteint par MM. Lockwood et Brainard,
on n'aperceyait de terre ni an nord-onest, ni an nord;
mais, dans le nord-est, les explorateurs distinguèrent, par
environ 83* 35' de latitude nord et 38* de longitude ouest
de Greenwich, un cap auquel ib attribuèrent le nom de Gap
Robert Lincoln, en l'honneur du ministre de la guerre à
Washington, fils du président Lincoln. Rien n'indiquait que
la côte du Groenland ne se prolongeât pas au delà.
Parmi {es membres de la mission du lieutenant Greely se
trouvait un Français, Octave Pavy, qui avait dû, naguère,
faire partie de Fexpédition projetée par Gustave Lambert.
En mars 1883 0. Pavy s'éleva jusque par 82*56'. Dans cette
course pleine de souffrances et de périls, l'explorateur s'était
vu emporté sur un glaçon à la dérive dans la direction du
pôle; sa perte était certaine si le vent du nord ne l'eût
ramené jusqu'à terre. Notre malheureux compatriote ne
devait d'ailleurs pas survivre aux terribles épreuves qui
assaillirent la mission; il est mort le 6 juin de l'année der-
nière au camp Glay.
D'autres excursions, entreprises en 1882 et en 1883 par
lelieutenant Greely, ainsi que par MM. Lockwood et Brainard,
ont jeté quelque lumière sur la configuration de la terre de
Grinnell.
A 80 milles environ à l'ouest de la baie Béatrice, tète du
fiord Archer, se trouve une anse qui s'ouvre sur l'Océan
arctique occidental et qui a reçu le nom de fiord Greeley.
Du point extrême que les explorateurs ont atteint dans
cette direction (80''48' de latitude nord et 78*26' de longi-
tude ouest de Greenwich), le fiord Greely semble se ter-
miner du cMé nord par un cap, le cap Brainard, distant
d'environ 32 milles. Du côté du sud, à 70 milles, apparaît
un autre cap, le cap Lockwood, qui semble séparé de la
terre de Grinnell et appartenir à une autre terre. Cette terre
encore hypothétique a reçu provisoirement le nom de Terre
Arthur, en Thonneur du Président des États-Unis.
ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 249
Entre la tête du fiord Archer et la naissance du fiord
Greely, se dresse,^ sur une longueur d'environ 70 milles, le
front perpendiculaire d'une immense calotte de glace qui
couvre presque entièrement la partie sud de la Tertre de
Grinnelly du 81' parallèle au Hayes Sound, et du canal de
Kennedy au fiord Greely et à l'Océan arctique occidental.
La partie septentrionale de la terre de Grinnell est pareil-
lement couverte d'une calotte de glace, qui a sa limite sud
sur le 82* degré.
L'espace compris entre le 81* et le 82* parallèle et
qui s'étend du canal de Kennedy et du canal Robeson à
l'Océan arctique occidental, était en juillet 1882 dépouillé
de neige, sauf sur les hauteurs. Le lieutenant Greely a pu
yfaireun trajetde 150 milles à l'intérieur, sans que son pied
ait foulé nulle part la neige ; il y a môme trouvé une végétation
abondante comparativement à celle du cap Hawkes, du cap
Sabine et d'autres points situés plus au sud, qu'il a eu
occasion de visiter.
A l'intérieur de la terre de Grinnell, le lieutenant Greely
a découvert, en outre, un lac auquel a été attribué le nom
du général Hazen, chef du Signal Service des États-Unis.
Le lac Hazen est alimenté par des glaciers et M. Greely a
pu constater que des Esquimaux en avaient naguère habité
la rive méridionale.
Les esprits positifs, cette fois encore, n'ont pas manqué
de contester aux résultats des expéditions polaires une
importance qui justifie les souffrances, les morts au prix
desquelles ils sont le plus souvent acquis. En théorie et au
point de vue de l'humanité ils peuvent avoir raison; mais
les raisonnements les plus sains ne sauraient prévaloir
contre les faits. Arrivé à un certain degré de culture,
l'homme devient âpre à combattre l'inconnu qui l'enve-
loppe. Tant qu'un lambeau de terre restera inexploré, les
voyageurs n'auront ni trêve ni repos qu'ils ne l'aient visité,
et les plus solides argumentations ne sauraient les en dé-
2S0 BAPPOBT Sm us TKATACX BK LA SOaÉTÉ.
toomer. Il ne faut pas «failleiirs cbcrdicr à déeoarager les
andacienx de l'actioa ncn plus qœ ceux de la pensée, et
moins ici qu'ailleurs, il est permis d'ooblier la part de
ces enfants perdus dans la conquête dn globe par la cnili-
sation.
LA REGION ALGERIENNE
TRAVBRSél
PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS
PAR
Le eomiiiAndaiil DBrbIEM^
ASPECT GÉNÉRAL. — DIVISION EN ZONES DISTINCTES.
Le méridien de Paris traverse en Algérie les quatre régions
fondamentales et bien. distinctes de cette partie septentrio-
nale de l'Afrique, à savoir : le Tell, les Hauts- Plateaux, la
région montagneuse de Sahara ou régions des Ksours et le
Sahara.
Nous nous proposons de décrire ici la zone méridienne
comprise entre le littoral et Aïn Madhi, c'est-à-dire entre le
36<'40' et le 33'50' de latitude nord (latitude de Laghouat),
sur une longueur de 320 kilomètres environ.
Disons de suite que cette zone est presque toute entière
occupée par le bassin du Ghélif.
Les régions citées plus haut peuvent se subdiviser de la
manière suivante :
Le Tell : l"" versant méditerranéen ; 2^ bassin Tellien du
Ghélif.
Les Hauts-Plateaux : l^ bassin du Nahr Ouassel et de
l'Oued Oureuq; 2<* bassin de l'Oued Taguine; 3^ bassin de
l'Oued Touil et de l'Oued Kosni; 4<^ bassin du Zahrez R'arbi;
5® bassin des Dayas.
La région montagneuse du Sahara : 1* le Djebel Amour;
2« le massif de Djelfa; 3*" le désert d'érosion -de Laghouat.
1. Voir la carte jointe à ce numéro.
252 LÀ RÉGION ALGÉRIEN!9E
Dans le Tell, le méridien coupe le littoral entre Gherchell
et Tipaza, traverse le versant méditerranéen entre l'Oued
Hachem et TOued Nador, en passant sur le Ghenoua , le
Djebel Feriss et le Djebel Bou Dezmann, atteint la chaioe du
Zaccar au Bou Haya, qui sépare entre elles les deux branches
mères de l'Oued Djer, l'Oued Hammam R'ira au nord et
rOued Ouamborg au sud; il descend du col de Gontas dans
la vallée du Ghélif, dont le bassin Tellien peut être limité
dans la zone qui nous occupe entre les quatre villes de
Milianah, Médéa, Teniet-el-Had et Boghar.
Du Chélif, le méridien remonte la rive droite de l'Oued
Dourdeur, coupe l'Oued Djemaa et atteint la crête du moyen
Atlas au massif d'Achaourn. Il descend ensuite le versant
septentrional, fortement accentué, du Nahr Ouassel, qu'il
atteint entre les Djebel Er-Riouen Dahrani et el Guebli.
Du Nahr Ouassel, le méridien entre dans les Hauts-Pla-
teaux, traverse le Sersou oriental et la plaine que sillonnent
les Oueds Belbela et Oureuq; à une lieue environ à l'est de
Ghellala, il coupe la chaîne de Ben Hammad et se dirige sur
Taguine en traversant une plaine ondulée, couverte de thym
et d'halfa, inclinant à l'est vers l'Oued Bettine.
De Taguine, le méridien se prolonge au sud sur la rive
droite de l'Oued Touil^ entre cette rivière et les ondulations
qui là séparent du Zahrez R'arbi; il coupe le Djebel Archa,
franchit l'Oued Ghellal, gravit à partir de Sidi Bou Zid les
contreforts orientaux du Djebel Amour et atteint à la côte
(1200 mètres) la ligne de partage des eaux du Grand Atlas,
d'où il descend dans le bassin de l'Oued Mzi. Il coupe la
gorge de TOuaren et les dentelures de la Gada d'el Groun,
passe dans les jardins d'Aïn-Madhi à l'altitude de 975 mètres,
d'où il pénètre ensuite dans la région du Sahara.
La coupe donnée sur la carte ci-jointe permet de se faire
une idée du relief des différentes parties que nous venons
d'énumérer et que nous allons revoir en détail dans les cha-
pitres suivants.
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 253
OROGRAPHIE
La crête du moyen Atlas qui serpente à l'ouest-sud-ouest
de Boghar, en passant à deux kilomètres au sud de Teniet-
el-Had, sépare le bassin du Ghélif de celui du Nahr Ouassel,
une de ses branches mères.
Elle présente, comme saillies, le Djebel Ikhoud (1259 mè-
tres); le Djebel en Nedate ou massif des cèdres de Téniet-
el-Had> dont le point culminant, Ras Brarit, a 1782 mètres
d'altitude; TEl Madhen (1628 mètres); le Guernel Ahmar
(1491 mètres); TAchaoun (1814 mètres), dominant à Test
les ruines de Thaza; le Djebel Bent Khreliala, le Kef Taïg
et le Kef Ammouch dominant Boghar; le Ras Taguença
(1731 mètres), entre Achaoun et Bent Khreliala^ est à une
lieue environ au sud de la ligne de partage.
Cette crête, vue du sud, semble former une muraille
■
continue, mais chacun des massifs précités fait partie de
chaînons différents sensiblement parallèles entre eux et à la
direction du littoral. Les cols se trouvent presque tous en
arrière, au nord et à des altitudes de 3 à 400 mètres en con-
tre-bas, voire même à 500 mètres, comme celui de Derrague,
entre Achaoun et Taguença.
Ces montagnes sont rocheuses, boisées surtout sur leurs
pentes septentrionales et les sources y abondent. Le col
principal est celui qui a donné son nom à Teniet-el«Had,
entre les Kefs Sachi et le Djebel Mezzioud.
Le versant méridional du moyen Atlas forme la transition
entre le Tell et la région des steppes; son aspect général
est désolé et à part les vallées quelques peu verdoyantes de
rOued Issa, de l'Oued Aricha et de l'Oued Boukmouri, les
collines se succèdent les unes aux autres, nues, érodées,
effondrées jusque vers le Nahr Ouassel. Quelques sommets
se détachent au milieu de cette masse confuse; ce sont
le Kef Ben Naouri (1200 mètres), le Rihouen Dahrani,
S54 LA RÉGION ALGÊRIENIfE
(1015 mètres), le Tilouen, le Djira, l'Harezza (1450 mètres)
le Tafrent et le Kobarat.
Un petit chaînon dont le sommet est coté 918 mètres, le
Djebel Gourine, se détache distinctement au sad-est et
sépare le Ghélif de son affluent l'Oued Moudjelil.
Le Nahr-Ouassel limite, à vrai dire, la région des steppes
au nord; cette région comprend les divisions suivantes :
1* Plateau du Sersou (partie orientale). — La partie
orientale du Sersou, entre le Sébsun Aïoun et l'Oued Oureuq,
a une profondeur de 20 kilomètres environ entre le Nahr
Ouassel et TOued Belbela.
La vallée du Nahr Ouassel est fertile^ mais le reste du
plateau et les coteaux qui le bordent sont nus, dénués d'eau
et de végétation. Ce pays ne présente aucune ressource pour
l'avenir.
Le Sersou est complètement plat, sauf sur la rive droite
du Nahr Ouassel, où se dresse une ligne de collines de 50 à
200 mètres. Entre Redjem Sidi Saïd et Aïn Beïda, cette
rampe est couronnée par un escarpement. Plusieurs con-
trefortSy se terminant par des mamelons, se rattachent
à cette rampe; les principaux de ces mamelons sont :
Koléat, Hamdia, Keskess et surtout Er Ribouen-^oebli.
Le point le plus bas du Sersou est à 685 mètres au-
dessus du niveau de la mer; le point le plus élevé est à
1106 mètres.
La partie occidentale du Sersou, au delà d'Aïn Tamella-
ket, est riche et fertile, abondante en ruines romaines et en
monuments mégalithiques.
La partie centrale, entre Ain Tamellaket et Aîn Belbela,
ne présente qu'une petite herbe maigre que tondent les
troupeaux. Enfin à l'est on ne trouve plus que du thym sur
le plateau et de l'halfa sur les collines; cette troisième
partie est complètement stérile. Sur tout le Sersou, il n'y
avait en 1877 qu'une seule maison, le Bordj d'Aïn Guettar,
au caïd des Doui Hasseni, et encore était-elle abandon-
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 255
née ^ On y voit cinq Marabouts avec Koubbas, Trissit, Sidi
Mohammed ben Rabah, Sidi Harmela, Sidi Kouider, et
Sidi Ali ben Rabah ; ces deux derniers sont en ruines.
2« Plaine de Soussellem et de VOureuq, — L'Oued Sous-
sellem n'est séparé de TOued Mechti que par des ondula-
tions à carapace quaternaire, assez prononcées d'abord à
l'ouesty aux environs du Marabout de Sidi l'Habri et des Aïn
Dzarit,Keséa, Moïel Safra, etGheguiga,maisdeplus en plus
insensibles à Test où l'Oued Soussellem se perd dans le sol.
Entre l'Oued Soussellem et le massif de Goudjila, la plaine
se relève au milieu de collines pierreuses et prend le nom
de Bled Merkouna; elle se trouve limitée à Test par les col-
lines de Beziza et de Racheïga qui ne sont que des contre-
forts du Kef Goudjila.
La plaine de l'Oureuq forme deux paliers bien distincts
dont le pied du gradin est marqué par le lit de l'Oued Ou-
reuq. En effet, le voyageur qui se rend de Chellala à Teniet
el Had descend brusquement, par un talus raide et rocheux
de 15 à 20 mètres de hauteur, dans TOued Medremme (nom
de l'Oued Oureuq en amont), sans que rien à l'horizon ait
pu faire soupçonner ce ressaut.
Les hauteurs qui dominent cette plaine, et qui peuvent
servir de jalons pour se diriger, sont le Djebel Racheïga,
à l'ouest; le Djebel Oumm ez Zeboudj, contrefort du Kef
Goudjila au sud-ouest, les collines de Seba l'Hadid et de
Djerade au sud, entre les villages de Bou Hammad et de
Chellala; le petit mamelon de Hameima, non loin du con-
fluent de rOued Oureuq avec l'Oued Bettine.
La plaine de Bou Larbaa ou d'el Gouirat occupe l'espace
restreint entre TOued Belbela, le Nahr Ouassel, l'Oued Bou
Larbaa et l'Oued Ghabouina; ses ondulations sont un peu
plus accentuées et, parmi celles-ci, on remarque le Kef
1. Lors de ma deuxième excursion dans cette région, en 1877, je reçus
l'hospitalité dans nne maison ou haouch, appartenant au Caïd des Béni
Lent, près derAïn Sidi Ataya, où legénie a fait construire un bel abreuvoir.
256 LA RÉGION ALGÉRIENNE
Zerga, dominant la rive droite de TOaed Belbela, le Kef el
Asfour et le Ghegga, sur la rive droite du Nahr Ouassel.
Au delà de l'Oued Oureuq, la plaine se prolonge à Test,
s'élevant de quelques mètres, pour se terminer dans les bas-
fonds marécageux de Bou R'ezoul et d'el Khrachem.
3<* Chaîne de Goudjila et de Chellala. — Cette chaîne
isolée qui se dresse au milieu des Hauts-Plateaux dont elle
rompt la monotonie n'est que le prolongement de celle qui,
un peu au sud de Frenda, forme la limite nord du bassin
du Ghot Gbergui, et qui s'étend au nord-est jusqu'au moyen
Atlas, à Test de Boghar.
Du Djebel Nador au Kef Goudjila, la chaîne présente trois
lignes parallèles dirigées du sud-est au nord-ouest; celle
du nord comprend le Djebel Nador, le Djebel Harmela, le
Djebel Mouila séparé du précédent par le Kheneq Djellal,
le Djebel Bel Baîa, le Djebel Oudeïnet et le Kheneq ez Zegg.
Cette ligne est boisée et rocheuse, surtout au nord où les
pentes sont inaccessibles.
La deuxième ligne comprend le Djebel Bel Oulid, le
Djebel Benian, le Djebel Fortass R'arbi, le Ras Assass, som-
met le plus élevé (1531 mètres), le Ras Chemakh (1489 mè-
tres) que couronnent les ruines d'un ancien Ksar et le
Djebel Archaoun.
Entièrement boisée, cette chaîne est séparée de la pre-
mière par une vallée, également boisée, que sillonnent les
Chabet Nessissa, Djellal et Bezzess.
Les flancs nord sont extrêmement abrupts et présentent
en certains endroits, notamment au nord de Fortass et de
Chemakh, des murailles de rochers inaccessibles.
. La troisième chaîne, plus basse, comprend le Djebel
Berahall, les collines de Soufiguigue et les hauteurs qui
séparent l'Oued Safla de l'Oued Soufiguigue, le Mahjouba,
le Réah, le Msallah, et enfin le Kef Goudjila (1311 mètres)
dominant à pic la plaine de l'Oureuq. — Ces trois lignes
ont une longueur de 6 à 8 kilomètres.
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN. DE PARIS. 257
Le Kef Goudjila est relié au Khe^eg Zegg par la crête
rocheuse du Zegg, les Kefs de Chei^nadre et de Sidi Abd-
el-Kader, dirigés de l'ouest nord-duest au sud-est; cette
direction se prolonge au delà de Gtiudjila par les collines
de Zoubiat jusqu'à la trouée de rO(îied el Ouache. L'Oued
Safîa s*écoule dans la plaine à Test de Goudjila, par le Kheneq
el Arar. De l'Oued el Ouache à TOued Bettine, la chaîne
s'étend également sur trois lignes parallèles, du sud -ouest
au nor4-est; on peut la diviser en trois parties :
1o Chaîne de Kheneq el Ouache à^heneq el Kharza.
La première ligne de cette chaîne est le prolongement
des collines basses de Kosni; elle commence à s'accentuer
aux dentelures du Djebel Metalès et au Djebel Magrounat
atteint 1211 fiiètres au Sba TAzereg, et s'abaisse un peu par
les collines de Debaa, jusqu'à la trouée par laquelle s'échap-
pent les eaux de l'Aïn-Lorak et du Chabet du Esar-ben-
Hammad, entre le monticule dolomitique d'el Kharza et le
Djebel Lebouib.
La deuxième ligne est le Djebel Zerga et le Kef TAbiod.
En troisième ligne, la Ghebka de Noufikra^ le Djebel
Faïma et les quatre têtes de Massenfa, Sba l'Abiod, Kef
l'Azereg et Keskess; ce dernier piton domine à Touest le
Kheneq el Rouga.
2« Chaîne de Kheneq el Kharza à Teniet el Hasbaïa.
Cette chaîne, appelée Ben Hammad, comprend, en pre-
mière ligne, le Djebel Lebouib, le Kef benHammad (1266 mè-
tres) couronné par les ruines du Ksar el Foukani et domi-
nant à l'est le Ksar el Tahlani de Ben Hammad, la Gada,
le Drah Temer, le Mindjel, le Maalba, l'Ouasrla, le Kef
Ghellala, dominant au sud le village de ce nom et les collines
de Niague, d'Amara, de Kouifess, de Djeffala et d'Hasbaïa.
La deuxième ligne, plus élevée, comprend les rochers de
Bon Mzil et du Rogba, le Redjem Fatallah (1331 mètres), le
Khang el Arar, le Sba Sidi Abd-el-Kader (1409 mètres),
l'Houraïa et le Guenadsa.
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258 Li^yRÉGION ALGÉRIENNE
Enfin en troisième li^e les collines basses de Sba l'Mahd
Joubas, de Lféab et de! Siouet. — Ce massif présente trois
passages, le Kheneq ei Djach, le Kheng el Metmar et le
Teniel Djeffala (950 mitres).
30 Chaîne de Teniet 0I Hasbaïa à l'Oued Bettine.
La première ligne de cette chaîne comprend TAmar-
Khaddou, 1188 mètres; le Djédid Cherf, le Djebel Harfouf
(1007 mètres) et le Djebel Daourra.
En deuxième ligne, ntioins élevée, l'Argoub Louai et THa-
rezza.La troisième lign^ comprend les roqbade Fritizza, de
Rhadra et de Zerguine, Je Guerjgoura, le Kef Hammam et
le Kef Morra.
Cette chaîne, comme celle de Chellala, n'a que 5 ou 6000
mètres de largeur, elle est remarquable par l'abondance el
l'excellence de ses sources, surtout dans sa partie orientale,
mais les eaux disparaissent sous terre à quelques mètres de
leurs sources ou bien sont absorbées par des canaux d'irri-
gation; rOued Bettine, dont elles sont tributaires, n'en
perçoit pas une goutte.
Cette grande chaîne se prolonge au nord-est, avons-nous
dit, jusqu^à l'est de Boghar. L'oued Bettine, après avoir
^accumulé jadis ses eaux contre cette barrière, a dû la briser
et s'élancer au nord, laissant à droite les hauteurs nues et
arides de Noukra (952 mètres), d'En Naçeur, d'Hasbeïa, de
Bou Touidjine (785 mètres) et de Souati TAmra.
i^ Plaine de Taguine. — Cette plaine, traversée dans sa
partie centrale par l'Oued Bettine appelé en amont Oued
Touil, Oued Taguine, Oued Touil une deuxième fois, puis
Oued Felderrigha, peut se subdiviser en plaine de Kosni,
plaine de Sakni, plaine de Ben Marouf, du nom des ouad qui
traversent chacune de ces parties de la plaine de Taguine.
Elle a 120 kilomètres d'étendue de l'est à l'ouest, entre
l'oued Reghaï et la route d'Alger à Laghouat ; sa profondeur,
du nord au sud, est de 64 kilomètres, entre Goudjila et Fm-
derrigha; elle est de 32 kilomètres seulement entre le Djebel
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 259
Noukra et le Djebel Oukaït qui la limite à Test. Quelques
collines crétacées s'élèvent au*dessus du plateau quaternaire
des steppes; sur la rive gauche de TOued Bettine, on voit le
Mdarreg Nhar, le Drah el Hahbara, le Ghebkat el Maïa; sur
la rive gauche de l'Oued Taguine, la Ghebka de ce nom, le
coudiat Maberka^ et le coudiat el Hachfar. — Au sud de
rOued Sakeni, s'étendent les ondulations duDjebiletd'Atza-
rou et au n ord le Dj ebel Korra mta oulad Khreliff^ le Tabkroura
ou Ras el Zelch et le coudiat Tinguemart, près de Ras Bechouat.
Sur la rive droite de TOued Bettine, entre l'Oukaït et les puits
de Ben Marouf, est la Gada Ghedjeret Ech Ghouf, et sur la
rive droite de l'Oued Taguine, sont le Drah el Hallouf, le
Djeder Dib, le petit mamelon crétacé d'Oukdeïat er Raïane,
près des dix puits de Djelila, et le Daklat en Naga.
Gette partie des hauts plateaux est couverte d'halfa dans
les terrains élevés, de Sennagh, de chihh, dans la plaine, et
de guetaf et d'issérif dans les bas-fonds ^
Verdoyante après les premières pluies d'hiver, cette végé-
tation est brûlée par le soleil en été ; dans les endroits sablon-
neux on voit apparaître des arbrisseaux sous épines et des
plantes sous-frutescentes, moitié vertes, moitié desséchées.
Dans les ouad, dans les dépressions où le sol conserve un
peu d*humidité, la terre se recouvre d'un gazon fin et du plus
beau vert; les jujubiers se garnissent de feuilles et quelques
bouquets de térébinthes et de tamarix forment comme des
oasis vers lesquelles on se dirige pour y trouver un peu
d'ombre, à défaut d'eau.
5** Chaîne de UOukaït. — Cette chaîne très bien accentuée
entre le Ras Taguine et Guelt es Stel, se prolonge au sud-
ouest en collines insignifiantes; on peut la suivre au nord*
est jusqu'à l'Oued GheLlal, principal tributaire de la Sebkha
duHodna; elle se raccorde brusquement au nord avec la
1. Halfa, stîpa tenacissima; Sennagh, lygeum spartum; Chihhy arthe-
misia alba; Guetaf, atriplex halymus; hserifi?) plante ligneuse à petite
feuille granuleuse.
360 LA RÉGION ALGÉRIENNE
plaioe, par des pentes rocheuses et iaacessibles ; au sud,
uneséried'ondulations vont mourir non loin des bords du lac,
par une corniche de 5 à 6 mètres de hauteur. Elles séparent
le bassin de TOued Beltine de celui du Zahrez R' arbi, et à
partir deTaguine, prennentlesnomssuivants : Drahc'Hallouf,
El Mindjel, El Ousseraïa, Oukait Rarbi, Oukaît Ghergui,
Kebouria, Ghebiket el Mokra; au delà de Guelt es Stel sont
le Djebel Krider et le Seba Rous.
Ghacune de ces parties de la chaîne est séparée de ses
voisines par un kheneq ou défilé auquel on donne le nom
de Megbzem; les Arabes désignent quelquefois le Djebel
Oukaît sous le nom de Djebel Megbzem.
Ge3 kheneq sont : Meggzhem Ousseraïa, Megbzem Trad,
Megbzem Bekrour, Guelta Ahmed ben Daoud, Kebouria,
Teniet et Tine, Teniet el Mhaïrez et Guelt es Slel, où passe
la route d'Alger à Laghouat.
La chaîne de l'Oukaït, large de 3 ou 4 kilomètres, est
couverte d'halfa et d'arbustes tels que chênes à glands
amers (Karrouche), myrtes, genévriers et lentisques. —
Elle n'a pas une seule source. L'Oukaït Ghergui est coté
1228 mètres et l'Oukaït R' arbi 1 198 mètres. La crête supé-
rieure de la chaîne est tout à fait au nord, se rattachant
brusquement à la plaine par une muraille rocheuse, tandis
qu'au sud le raccord avec le Zahrez se fait par une série
d'ondulations.
&" Chaînes deUAlleg, de Sidi Lahssen, et de UArcha.
— Le Djebel el Alieg et le Djebel Archa qui est son
prolongement au nord-est, au delà de l'Oued Feîderrigha,
peuvent être considérés comme les sentinelles du Djebel
Amour.
Le Djebel AUeg sur une longueur de 19 kilomètres et
sous les noms de Kef el Alleg (1421 mètres), Seba TOgab, Bou
Ghachia, Daklaet Goudjila, sépare l'Oued Namous et l'Oued
Beîda de la vallée de l'Oued Feuetril, affluent de l'Oued
Feîderrigha.
TRAVEHSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 261
•
Au nord de cette vallée est le massif de Sidi Lahssen ^
qui, à l'ouest, se joint en fer à cheval avec le Djebel Alleg,
par les collines de Rafdaït; au nord il présente une masse
compacte, dont le point culminant est coté 1408 mètres et
qui est séparée des autres mamelons du massif par des
ravins très escarpés, taillés dans les flancs du calcaire de
la montagne ; à Test, près de la rivière, on ne voit que ma-
melons isolés, dans des ondulations ravinées et qui témoi-
gnent d'une forte érosion.
L'action érosive s'est fait surtout sentir dans le Djebel
Archa, qui n'offre à sa partie nord qu'une série de sommets
coniques dont le plus élevé, le Ghouf, est coté 1280 mètres.
— Le Djebel Archa sépare les eaux de l'Oued Touil et de
rOued Feïderrigha de celles de l'Oued el Agaïg qui s'écoule
dans la Dayat Mouchegague.
La tête de ce ruisseau est tout près de l'Oued Feïderrigha ;
une série de collines dites Delaa el Agaïg le séparent, au
sud, du bassin de l'Oued Chellal.
7° Le Djebel Amour. — I^e Djebel Amour est une des
parties les plus curieuses et les plus remarquables de la
région montagneuse du Sahara, tant au point de vue de sa
formation et des cours d'eau qu'il envoie dans toutes les
directions, qu'à celui de son étendue. Il fait partie de la
chaîne du Grand Atlas qui traverse l'Algérie du sud-ouest au
1. Le massif de Sidi Lhassen est représenté à tort, sur les cartes, sous
le nom de Djebel Archa R*arbi. Ce dernier est tout entier sur la rive droite
de rOued Feïderrigha ; à 6 kilomètres au sud de Sidi Lahssen, et parallè-
lement à sa direction sud-ouest — nord-est, est la chaîne de l'Alleg,
qui sépare l'Oued Namous et TOued Beïda de TOued Feaetril. L*Alleg est
coté 1421 mètres, tandis que le Ras Sidi Lahssen n'a que U08 mètres.
Au sommet de Sidi Lahssen est un gros tas de pierres, élevé en Thon-
nenr du Marabout Sidi Lahssen ; ces pierres proviennent, disent les Arabes,
d'un ancien Ksar construit en ce lieii.
Les pentes nord sont escarpées et hérissées de rochers à pic ; au sud,
la crête contourne plusieurs ravins très encaissés.
Sidi Lahssen est du territoire des Oulad Sidi Brahim, dont le Caïd esi
au pied de TAUeg, à l'Aïn Ziouinet.
soc. DE GÉOGR. — 2» TRIMESTRE 1885. VI. — 18
2Bâ LA RÉGION ALGÉRIENNE
nord -est et qui comprend les massifs importants da Ksel,
du Bou Khaïl et de TAurès.
Cette région a un aspect tout différent de celui des Hauts-
Plateaux; les bois couvrent fréquemment ses parties les
plus élevées ; des sources d'une eau généralement douce se
présentent à chaque pas; les ools, qui servent à la fois de
ligne de partage et de routes pour les habitants, y sont
larges, d'un abord facile et couverts d'épaisses touffes
d'Halfa ; les vallées sont ordinairement propres à la culture
des céréales et les ksours étendus en occupent les points
les plus importants. Cette région ressemble plutôt au Tell
Saharien; mais il y a loin de là à en faire un jardin, suivant
l'exagération arabe. Ce qu'il y a de vrai, c'est que les sobres
habitants peuveat se passer du Tell quand l'année a été
bonne.
Le pâté de Djebel Amour a environ 15 lieues d'étendue
du nord au sud et 35 lieues environ de l'est à l'ouest. Il
présente Taspect d'un nœud principal duquel se détachent
des lignes d'eau dans toutes les directions.
Les eaux qui sourdent de ses flancs septentrionaux vont
former rOued Sebgague qui estla tôte du Ghélif ; vers l'ouest,
ses eaux vont grossir les affluents de l'Oued Sldi en Naceur
et se perdre dans le Chot ech Chergui. Au sud, elles contri«
huent à former les affluents de l'Oued Seggueur et de
rOued Zergoun. Enfin, à l'est, elles se perdent dans le Chot
Melrir, la future mer intérieure.
Sous le rapport stratigraphique, le Djebel Amour se dis-
tingue par une grande variété d'accidents orograpl^iques qui
le sillonnent en sens divers et s'entremêlent sans paraître,
en général, s'être déviés les uns des autres. — Pourtant
l'ensemble du massif obéit à la loi orograpbique des soulè-
vements ou de l'érosion, qui, en Algérie^ a assigné aux
grandes crêtes une direction générale sud-ouest — nord-est
parallèle au littoral; une excursion d'Âîn Madhi h, AAqu et
à rOued Sebgague nous a permis de compter, dans le
TRAVERSÉE PAR LB MÉfilMEN DE PARIS. S63
Djebel Amour, tfdizre e^alskons parjsilIèJies. Ces datatoons ne
forment, au lieu d'un trait con(Liiàij,y qu'une suite ëe so«iiiiités
isolées et de ^onguear rdativement médiocre, dont les noms
qui nous ontété donnés avaient été rectifiés au poste -d'Aflou,
d'après une carte manuscrite du Djebel Amour, exécutée
par M. le capitaine O'Gormann.
Ces noms sont les suivants dans chaque chaînon, en allant
du nord-ouest au sud-est :
i» 1100 à 1200 mètres d'altitude. Djebel Tikialine, Djebel
Ouzadja, coudiatDebiah, Kef et Theïr, Kef ben Nachmouch,
Kef Toumoadadiue et ie Djebel Belalit qui est la corne
nord-est du Djebel Amour.
2<> 1300 à 1400 mètres. Tena£at eehCheham, Goudiat Bou
Azem, Djebel si Slimane, Djebel Zoreg, Djebel Tafeza et
les collines basses du Djeder.
3* De 1500 à 1700 mètres. Kef el Hasba, Djebel 0«ern
Arif, Djebel el Harcha, Djebel Oum el Ouedour, Djebel
Sidi Oqba (point le plus haut, 1710 mètres), Ghebka de
Tafesa, condiat ez Zeg, ï^ebél Gourou (1708 mètres), Djebel
Ounuu Selimane, El Outeldat.
i^ 1600 mètres. Seraouat d Biout, Komifat er Rmel, Dje-
bel Djahia, Safia el Hamra, eoudiat Gantons, Dalaa Safra,
RHrane Torba, Djebel Labeth el Mahser(1350 mètres).
5* Cette chakie, formée de plateaux élevés, est en grande
partie la ligne de partage àes eaux entre le versant midU
terranéen du Chélif et le Sahara. Ses points principaux
sont : Djebdi Mesrour, Kef ei Mektouba, Djebel 1]k)uira;
ils ont de 1400 à 4300 mètres d'altitude.
6M400à 1500 mètres. Goudiat DjeUiba, covdiat Zriga,
Djebel Naîm, Delaa Bon Kreronf, Rbeïbat Sebat, ithanonfa,
eoudiat Houl Touaref. Cette chaton sépare aussi en grande
partie les eaux du Chélif de celles de l'Oued Mzi.
V li50mHre$ea moyenne. DjebelDjeder, Djebel Tebouda,
Djebel Ougal, Djebel Kérina, Djebel Aziaq (1530 iaètres)«
Djebel Baîrecb (1390 mètres), Sidi Amar (1380 mètres).
!264 LA RÉGION ALGÉRIENNE
S*" Les Gada d'Enfous, de Groun et de Madena, sillonnées
dans le même sens sud-ouest — nord-est par onze petites
chaînes dont la dentelure est mise à nu dans la coupure
de rOued Ouarem, entre les Gada de Groun et de Madena
(1400 mètres environ).
y Djebel Tammène (1350 mètres), Zemba (1480 mètres),
Ras el Mouimina (1512 mètres), Djebel Berida, Ghbiket el
Hmeïra, el Hezz el Zirek.
10* La crête méridionale du Djebel Amour, la plus élevée
après la troisième, celle de Sidi Oqba et qui comprend le
Ras Merkeb (1579 mètres), Gaïda,Nadjia, Mahouchen, Dje-
beur et Hamia.
Les crêtes ou Delaa qui suivent se dressent comme de
grandes écailles alignées lelong du pied du relief précédent:
11* Delaa mta aïn Madhi,El Feïdj Djebeur, Guelt el Bidha,
Drah Zebboudj.
IS'' Delaa Belfelah, delaa Tanouret, delaa Kerdana.
13** Goudiat Zmeïla, coudiat elGuelit (1137 mètres), Kef
Mouilha, Kef el Mora, Djebel Mdaouer, Djebel Thouil.
Ge massif montagneux est généralement d'un accè^ fort
pénible et d'un parcours difficile. Ses pentes, presque
toujours très raides, se terminent presque toutes, vers le
nord comme vers le sud^ par des escarpements à pic. Les
massifs de Guern Arif, d'Oum el Guedour et de Sidi Okba
forment la portion la plus difficile de cette chaîne dans la
partie nord.
A partir de la pointe orientale du Djebel Sidi Okba, la
montagne subit un brusque affaissement; au lieu de se cou-
ronner d'escarpements infranchissables, elle forme le plateau
sans ondulations d'el Kheneïgat et le plateau fortement
mouvementé de Tigenthar, dont le col est des plus acces-
sibles.
A la sortie de ce dernier plateau, le soulèvement monta-
gneux prend à Ragoubt el Khian, Ragoubt el Matz, Kef ben
Nachmouchy Kef Toumoudadine et el Belalit des proportions
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 265
considérables et le pays est fort difficile à parcourir dans
n'importe quel sens.
Le naassif du Labeth et du Gourou, compris entre le
Teniet el Beïdha, Aïn Skhouna, Aïn Ktama, et Aïn Ouamri,
est aussi des plus difficiles; les pentes sont d'une raideur
remarquable.
Dans la Chebka Mesrour, le Djebel Djeder et le Djebel Ta-
bouda, les peutes sont si rapides, si rocheuses, les mouve-
ments de terrain si heurtés et pressés les uns contre les au-
tres, que le parcours à cheval en est impossible. — Mais rien
n'égale les difficultés des Gada.
La Gada forme un vaste plateau qui s'étend de l'est à
l'ouest, et à une altitude de 100 mètres au-dessus du pays
environnant, comme un talus à pic, La crêfe rocheuse qui
couronne son périmètre se dresse au-dessus d'un inextri-
cable fouillis de blocs de pierre énormes.
On compte quatre Gada séparées l'une de l'autre par des
accidents de terrain gigantesques : la Gada d'Enfous, la
Gada d'El Groun, la Gada de Madena, la Gada de TOued
Morra ou Gada el Gherguia.
La Gada d'Enfous est la plus abordable et la plus facile
de toutes; on y arrive d'Âflou par le Kheneq Rabeth, d'El
R'icha par le chemin d'el Goss ou bien par un affreux sen-
tier qui descend le flanc vertical de l'escarpement, rive
droite, de l'oued Berriche, à 1000 mètres en aval d'En-
fous.
Au centre de la Gada se trouve un beau plateau d'où sor-
tent les magnifiques sources qui forment l'oued Berriche;
Tescarpement rocheux qui forme la ceinture de la Gada
s'appelle Selloub el Gada.
La Gada d'El Groun est la plus difficile de toutes. On peut
néanmoins y monter à cheval par le triq ben el Abegâa et
le triq ben Naghla au nord.
La Gada d'El Groun n'a pas de plateau central; elle est
coupée par quatre arêtes que terminent des escarpements à
266 l-A BfeGiaïf ALCÉBISHHK
pic sar rOned Onaren et les tmos sont encaissés entre des
berges yerticales de 30 à 90 mètres de profandenr.
La Gada de Madena est aussi facile que celle dlMèns;
on peat y arriver à cheval an nord par le Triq Madena, par
Ain Tameina, le long de la rîye gauche de l'Oued Onaren,
à Touest par le Triq en Nakhla.
La cânture de la Gada de Madena ainsi qne celle de la
Gada d'ElGronn s'appelle Ketef et Gada.
Les plateaux de Madena et d*Enfous sont labourables en
certains points; on trouve de beaux jardins à Ekifoos et à
Madena.
La Gada d'El Groim n*a ni sources ni eaux courantes; il
y a dans le Ghabet ech Gbebb un réservoir d*eau intarissable,
le Guelta Badt.
8^ Massif de Djelfa. — Le massif de Djelfa, comme celui
du Djebel Amour, est formé d'une série de chaînes
orientées sud-ouest — nord-est, parallèles entre elles et
dont les principales ne scmt que le prolongement de celles
du Djebel Amour. Mais entre ces deux grands reMefs, les
cbdoes ont subi une très forte dépression dont l'aspect
est ediri des plaines ondulées des Hauts-Plateaux. La cbs^e
du Djebel Amour dont le Belalit, avons nous dit, est la corne,
se prolonge au nord-est par les fortes collines de Rlionat et
de Ghou2âf ; au sud de celles-ci est le Guebr et Bachi (tom-
beau du jeune chameau) qui relie Gourou au Djerf el 6a!a;
plus en arrière est le Ghab ez Zmerra, plateau avec murailles
rocheuses, surmontées à distances égales de chapeaux cal-
caires, érodés en parallélipipède, ce qui lui donne Tappa-
rence d'un ouvrage de fortifications, avec courtines et
bastions. A Textrémité orientale on voft les ruines du Ksar
de Zmerra.
La crête principale du massif de lyjelb est ce^ du
Senalba; au nord de celle-ci est la chaîne du Djebel Kahla,
du Sbat el Hokrane, du Djebel Mrafia et du Djebel Haouass
(4580 mètres); enfin, au nord et dominant la plaine de Zabrez
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS.
R'arbi, la chaîne de Zenina (1429 mèires), le coudiat Mecif,
le Djebel Serdoun, le eoudiat Feïdja, le Djebel Tarous, le
Djerf el Baîa (1499 mètres), le Djebel Lélif, le Guern Bel
AbbèSy les collines de Charef (1220 mètres)^ le Djebel
Ouajba, le Djebel Kourirechs. Plus à Test est une série de
collines qui vont mourir sur les bords du Zahrez Ghergui. •
Cette région est presque entièrement boisée entre Djerf
el Baïa et Djelfa; le territoire des Abbaziz, entre Gharef et
Zenina, a très peu d'eau.
9"* Déieirt d'érosion de Laghouat. — Ge désert est re-
présenté par les longues séries de ravins et d'escarpements
qui s'étendent et se succèdent depuis Aïn Madhi jusqu'à
Assafia* Tout ce chaos de sable, d'argile et de calcaire est
l'ouvrage des eaux pluviales et de grands courants marins.
La désolation y est profondément empreinte. Les crêtes
argileuses des collines se succèdent et s'échelonnent dans
là môme direction.
La végétation est presque nulle ; des fragments de silice
et de sulfate de cbaux parsèment le sol.
Une particularité remarquable des environs de Laghouat
est la forme de cuvettes elliptiques qu'affectent lès chaînes,
et l'isolement de chacune d'elles. La plus remarquable est
celle du Milok, cuvette elliptique de 18 kilomètres de lon-
gueur, sur 4 de largeur; c'est, suivant M. Ville, un empi-
lement de cuvettes de grandeur décroissante; les eaux
tombant dans l'intérieur s'écoulent par une fente au sud-
ouest, oti est TAïn Milok. Le Milok avec sa muraille dentelée
semble être une vaste forteresse.
Le Moodloua (mère des côtes, épine dorsale)^ le Dakla,
le Zebbacba et les Rous el Aïoun appartiennent à ce même
système de cuvettes, mais forment un chiffre 8, qui serait
coupé à son étranglement par l'Oued MocL
Les cMîiies dûlomitiquies de Tis^eoriSoie et de Ghreïga
formeat aussi uli« curette incomplète du côté du sud.
Ges cuvettes se lient ks t/aei aux autres par les odâulit*
268 LA RÉGION AhEÈSaESaSE
lions da sol ; à ces ondulations se sont ajoutées des lignes
de fractare parallèles à divers systèmes de montagnes et le
croisement de ces lignes aurait produit ainsi des massifs
polygonaux isolés les uns des antres.
La chaîne du Lazerez s'étend du sud-ouest au nord-est,
de i'Oaed Mzi à l'Oued Tadmit,sur une longueur de 44 kilo-
mètres environ ; sa laigeur est de 3 à 4 kilomètres. Sa crête
présente une série de mamelons, à cime escarpée, tron-
conique, de 1500 mètres d'altitude en moyenne. Elle est
coupée par des Rheneq qui sont des gorges infranchis-
sables. Elle comprend, à partir de l'Oued Mzi, le Djebel Ra-
koussa, au nord duquel on voit sur deux mamelons les
ruines du Ksar Tarchoucha et du Ksar Rakoussa entre
lesquels jaillissent les eaux tièdes d'Aîoun Rakoussa (28*), les
seules de tout le Lazereg ; le ras Hamira, le Toumiat Zeg
(1480 mètres), le Khalloua (1436 mètres), leDjaîffa (1470
mètres), l'Ourak, le Djahfa. Au nord-est de ces deux points
la crête s'abaisse de 200 mètres au Rgoubet el Azaîdj, pour se
relever au Djebel Mjaad, qui vient mourir en escarpements
sur la rive droite de l'Oued Tadmit.
Le Lazereg est semé de cailloux gypseux et de débris
schisteux qui lui donnent de loin une teinte bleuâtre, d*où
son nom (el azereg, la bleue); les ravins sont ornés d*é-
normes romarins.
HYDROGRAPmE
BASSIN DU GHÉUF. — Le Ghélif, l'Asar des Romains, est le
fleuve de l'Algérie dont le cours est le plus long; c'est aussi
le seul qui ait son origine dans le Grand Atlas au sud des
Hauts-Plateaux.
Nous avons dit que le Djebel Amour était formé de treize
chaînons parallèles. C'est entre le quatrième et le cin-
quième, en partant du nord, qu'il faut placer les sources
du Ghélif, à une altitude de 1400 à 1450 mètres.
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 269
Le bjebel Douïra, le Djebel Djahfa et la Safiat el-Amra
forment, avec le plateau de Merdoufa, au sad-ouest, un véri-
table cirque de 10 kilomètres de largeur sur 6 de profon-
deur, dans lequel jaillissent cent une sources ; ce cirque est
appelé par les Arabes Ras Sebgague. Cinq de ces sources, les
plus importantes (Aïn Djahfa, Ain Assoul, Aïn Tousli, Aïn
Uaouadjeb et Aïn Naqli), forment des ruisseaux collecteurs;
elles se réunissent avant de s'élancer au dehors du cirque, au
nord-ouest, sous le nom d'Oued Sebgague, pour traverser les
chaînons du nord. Par une bizarrerie très commune dans
Thydrologie algérienne, la tête du thalweg de Taïn Naqli a
son origine au sud même du Djebel Douira, sur un large
plateau, entre cette montagne et le coudiat Zeriga ; il se
réunit aux autres en contournant le Douira à l'est et en se
glissant dans une gorge boisée, le long du Safiat el-Amra.
L'Oued Sebgague, une fois formé, coule directement au
nord-ouest, passe entre le Guern Arif et le Djebel Harcha,
dans le Kheneq de Si Hamza, baigne les pieds du coudiat
el Halddada, se fait jour entre le coudiat Bou H'zeni et les
collines d'el Halfaïa, s'infléchit un peu à Test près du Mara-
bout de Bel Kassem, décrit plusieurs sinuosités avant d'at-
teindre le Marabout de Sidi Brahim et sort du Djebel Amour
entre le coudiat Merzoug et le coudiat Debich, par le Khe-
neq Ghemorra.
L'Oued Sebgague continue sa course vers le nord-est pour
se dégager des dernières ondulations des Gada d'ei Mouareb
et de Sahouel Amar; une fois en plaine il tourne brusque-
ment au nord'-est, prend le nom d'Oued Niamous, à partir
du Guet Si SaSd, passage de la route de Tiare t à Aflou et
longe le bas des pentes sablonneuses du Djebel Menza et
du Djebel Alleg. Son lit s'élargit peu à peu et ses berges se
creusent davantage. Grossi des eaux de l'Oued Mrara, il
prend le nom d'Oued el Beîda et laisse sur sa rive droite
les ruines abandonnées d'un petit Ksar de ce nom.
Les eaux du Djebel Amour arrêtées en cet endroit par la
S70 Lk RÉGION ALGÉRIENNE
barrière de TAlleg et de l'Archa ont dû y séjourner et
former un étang avant de se frayer un passage an nord;
d'un autre 6dté, les sables fluides ont nécessairement uoe
moindre épaisseur dans ces Coupures, où les rochers
solides, grès, dolomîes et calcaires, sont très rapprochés du
sol : cela expHqueles marécages disséminés dans cette partie
de la vallée et les sources (jui jaillissent au milieu des joncs.
C'est après son confluent avec l'Oued Ghellal, que l'Oued
Beïda, à une altitude de d91 mètres^ devient Oued Feïder-
rïgha et tourne vers le nord, laissant à droite, le Rsar ruiné,
la source et les marais de Feîderrigha; sa vallée, entre les
hauteurs de Si Lahssen à gauche et celles de l'Archa à
droite, offre sur une longueur de 5 kilomètres, des prairies
toujours verdoyantes, couvertes de troupeaux et dont l'as-
pect réjouit le voyageur venant du nord.
Jusqu'ici la rivière a conservé ses eaux dans une partie
de son lit, mais pour se mettre à l'unisson des Hauts-
Plateaux qu'elle doit traverser, elle laisse filtrer ses eaux
sous terre devant le petit mamelon de Mzahedda, qui do-
mine sur sa rive droite.
De cet endroit jusqu'à Taguine^ le lit de la rivière est
complètement sec, sablonneux et sans cailloux roulés; les
Arabes l'appellent Oued Touil (la rivière longue); en creu-
sant dans le sable, on trouve encore l'eau, invisible à la
surface, seulement cette eau s'est chargée des sels dont le
sol est imprégné; elle est devenue saumâtre; c'est ainsi
qu'à 10 kilomètres en aval de Feîderrigha, sur la rive
gauche^ sont les Hacian Gherrak, trous dans le sable à 2 ou
3 mètres de profondeur*. L'altitude de l'Oued Touil est en
cet endroit de 953 mètres.
A ^000 mètres plus loiaést le Mokta el Hadjaf, sam eau;
à la même distance au delà, sont les puit» de Mekraoula,
comblés aujourd'hui^
1« lin seul de cd» pvàM dotmalt de Feau en avril 1877.
TRAVERSES PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 271
A nne lieue en aval de Mekraoala sont les neuf puits de
Senaniy puits à abreuvoirs surmontés d'une tour cylindrique
en forme de guérite, que couronne une coupole blanchie
à la chaux. Ces puits ont été construits par le génie mili-
taire pour les besoins de la colonne d'observation du géné-
ral Liébert, en i8&4. Quatre de ces puits sont sur la rive
gauche de TOued Touil, les cinq autres sont à 1500 n>ètres
à Touest sur la rive droite de l'Oued Sakeni, qui serpente
pendant 6 kilomètres au milieu de collines de sable, paral-
lèlement à l'Oued Touil, avant de se réanir à lui à Tendroit
appelé Heïla.
L'Oued Touil à partir de cet endroit n'est plus reconnais-
sable; le terrain ne présente que fossés, crevasses, se croi-
sant en toas sens, se réunissant parfois pour se diviser plus
loin, et c'est par raille détours que l'on arrive aux dix puits
de Djelila.
Ces puits, construits comme les précédents, sont correc-
tement alignés et de loin ressemblent à une colonnade
d'aqaeduc; ils sont à 7 kilomètres d'Heïla et à 10 kilo-
mètres de Taguine.
La vallée se trouve ensuite resserrée entre les collines
basses de THacbfar, de Mokta Sfa, sur la rive gauche, et
du Djeder Dib sur la rive droite, et passe de la province
d'Oran dans celle d'Alger. — On arrive à Taguine. Elle
se trouve alors devant une nouvelle barrière, la chaîne de
rOukaït; il en résulte, comme à Peïderrigha, une nouvelle
accumulation d'eau souterraine et par suite de nouveaux
marécages. Du pied des hauteurs de gauche, dîtes Chebka
mta Taguine, au milieu de rochers, jaillissent six sources
dont les eaux rassemblées dans une cuvette s'échappent à
Test pottr se rendre, non pas dfans la rivière mais dans des
canaux d'irrigation. Ces sources ont un débit assez fort
(20 litres à la seconde) d'une eau excellente.
Les six sources bouillonnent dans la cuvette sur une lon-
gueur de 80 mètres environ ; les eaux avant de se réunir for-
272 LA RÉGION ALGÉRIENNE
ment un cloaque, entretenu dans cet étatpar le piétinement
des innombrables chameaux et moutons des Larbaa, des
Oulad Naïl^ des Oulad Khelif et des Meggane, qui viennent
s'y abreuver.
De grosses pierres, disséminées ça et là dans la cuvette,
permettent aux Arabes d*y circuler sans enfoncer dans la
boue.
Une septième source jaillit au milieu des alluvions de la
rivière et alimente les marécages. Les environs sont complè-
tement dénudés; les collines n'offrent à la vue que rochers
grisâtres, sans aucune espèce de végétation; au sud-est
s'étend la grande plaine des Daya, couverte d'une plante
gris bleuâtre, nommée Djell par les Arabes, croissant par
touffes basses, serrées, et dont l'aspect général est des plus
monotones. Ras Taguine est à la limite des cercles de
Bogbar et de Djelfa, non loiîi de la frontière de la province
d'Oran.
L'Oued Taguine traverse la chaîne des Oukaït à la cote
848 mètres, entre le Djebel Mindjel à droite et la Ghebka
à gauche ; la vallée a 1500 mètres de largeur envirou. La
rive droite est couverte de marécages; sur la rive gauche,
à 200 mètres, est une colline de rochers calcaires, dirigée
du sud au nord, dite Roqba mta el Barout et qui n'est
qu'un témoin de l'action érosive des eaux venues du Djebel
Amour. Des ruines, parmi lesquelles on remarque des paos
de mur crénelés, se voient sur la crête de cette colline;
c'est l'ancien Bordj Taguine, habité jadis par les Abbaziz
Gherf, qui y fabriquaient de la poudre ; ce fut pendant quelque
temps un des réduits d'Abd-el-Kader.
Le lit de l'Oued Taguine se resserre de plus en plus à
mesure qu'il incline vers le nord-est, décrivant comme une
transversale entre les deux chaînes parallèles de TOukaït
et de Ghellala. — Son filet d'eau disparsdt avec les maré-
cages; dès lors à quoi bon le nom de l'Oued Taguine?
rOued, à sec et sans ressources pour l'Arabe altéré, reprend
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 273
le nom d'Oued Touil et, sur une longueur de 40 kilomètres^
ne présente qu'un simple fossé de 3 à 4 mètres de largeur,
bordé en certains endroits de quelques térébinthes. Le seul
endroit à signaler est lé R*edir de Kouïba, au confluent de
rOued Zelche, à 13 kilomètres de Taguine; les animaux
y trouvent une eau jaune et bourbeuse, mais suffisante pour
tromper leur soif. — Le campement y est bon, mais ouvert
à tous les vents.
Arrivé à hauteur des collines de l'Ammar Khaddou d'où
sortent au sud les magnifiques sources de Fritizza, Khadra,
Abadïé, Zerguine (le débit de cette dernière est de 12000 litres
par minute) , l'Oued Touil devient l'Oued Bettine, du nom
d'un puits et de ruines romaines dont on voit les traces sur
sa rive gauche.
L'Oued Bettine se rapproche de plus en plus de la chaîne,
et lorsqu'il a atteint les dernières pentes du Djebel Harezza,
non loin des ruines qui sont sur sa rive droite et portent
simplement le nom de Kherba, il tourne brusquement au
nord-ouest, dominé à gauche par le Djebel Daoura et à
droite, à 3 kilomètres environ, par le Djebel Sidi en Naceur et
le Kef Harbaya; la largeur de cette trouée indique suffisam-
ment la formation d'un ancien lac, pour les mêmes causes
signalées à Feïderrigha et à Taguine.
Le terrain marécageux se prolonge jusqu'à el Kheïtar, où
jaillit une source, non loin de l'Oued Bettine et à 2000 mètres
il'ouest du Djebel Bou Touidjine. L'altitude d'el Kheïtar est
de 717 mètres. Un kilomètre environ en aval, après avoir reçu
les eaux de l'Oued Oureuq, en partie canalisées, il reprend
sa course vers le nord-est, en conservant le nom de son
associé.
Son lit est encaissé entre les collines d'Hameïmat à
gauche, et les collines d'el Ghachra et de Souati l'Amra à
droite; il traverse ensuite le territoire des Oulad Aïssa Ou-
reug, passe près de la Koubba de Sidi Hadjel et 6 kilo-
mètres plus loin devient l'Oued bou Lerbaa, du nom d'un
274 LA RÉGION ALGÉRIENNE
marabout situé sur sa rive gauche ; il laisse sur sa droite
les ruines de la redoute Marey, construite en 1844 par les
soldats de la colonne du général Marey dans son expédition
contre les Oulad Naïl ; il s'infléchit un peu à l'est et après
un cours de 210 kilomètres, il se jette dans le Nahr Ouassel,
à la cote 683, sous le nom d'Oued Ghabounia, dn nom d'un
ancien Bordji ou Ksar, dont on voit encore les ruines,
à 2000 mètres en amont, sur un petit mamelon qui domine
sa rive droite.
Le Nahr Ouassel et l'Oued Cbabounia réunis forment
rOued Ghélif qui se redresse au nord^est à travers le ter-
ritoire des Zenkra Mhaoucha ; il traverse les marais de
Kséria, desséchés en été, laissant à droite, à 6 kilomètres,
le caravansérail de Bou R'ezoul, première étape de Boghar
à Laghouat, dont la grand'halte se fait à l'auberge d'Aïn
Sba, sur la rive droite du Ghélif.
Dans cette partie de son cours le Ghélif serpente sournoi-
sement et traîtreusement à travers une, région désolée.
a C'est sans doute ainsi qu'il a pu s'introduire furtivement
dans le Tellj rien qui le décèle; point dérives saillantes;
c'est comme une bouche san$ lèvres; point d'«poiâent$ qui
paraissent gêner son allure ou contrarier son o<^rs : fleuve
égoïste qui s'est creusé un lit profond dans unéNfi^rte de
marne boueuse et qui se hâte de porter son tribut "ipigeux
et ocreu;( à la mer, sans se préoccuper de calmer ^ soif
ardente du pays qu'il traverse, » (Colonel Trunielet, J^^^'
rection de 1864.) ^
A 1500 mètres en aval du confluent de l'Oued Moudj^''
il laisse sur sa droite le village de Boghari, que domina
Ksar de ce nom, puis il entre définitivement dans le Jell, at
pied des falaises de Boghar, par 500 mètres d'altitude en-
viron.
Le cours que nous venons de décrire est de 300 kilomètres
depuis le Ras Sebgague. Sa pente est de 6 centimètres par
^]iètre, en moyennCi dans le Djebel Amour ; elle n'est que
^
1
thayersée par le méridien de paris. 375
de 2 millimètres sur les Hauts-Plateaux, sur une longueur
de 220 kilomètres.
affluents du chélif. — Affluents de droite.
V Dans le Djebel Amour, le chabet Sidi Sliman recueille
les eaux du Djebel Zoreq, d'Oum Guedour et de Sidi Okba;
un de ses affluents passe au pied du petit Ksar de Tedmama.
Il se jette dans TOued Sebgague, près des ruines d'un Ksar,
entre les Marabouts de Si bel Kassem et de Sidi Brabim
après un cours de 20 kilomètres.
Sources de son bassin : Ain Tedmama, Aïn Djaballah et
Aïu Guemaz.
2^ L'Oued Akha prend sa source dans la Chebka de
Tafeza, sous le nom d'Oued Kef el Their, coule au nord
ouest dans le Kheneq el Akbal, entre le Djebel Tafeza et le
Djebel Zoreq et se jette dans TOued Namous, à une demi-
lieue en aval de Gueltet Si Sa^id. Son cours, de 31 kilo-
mètres, est longé sur sa rive gauche par le chemin d'Aflou à
Tiaret. Sources: Ain Tlettel, Aïn Tigeuthar, Aïn Kef el
Their.
3o L'Oued Aïchat descend du Ragoubh el Khian.
4'' L'Oued Mrara, appelé Oued Medsous dans sa partie supé-
rieure, prend naissance tout près et à l'est de Ras Sebgague;
il coule dans une vallée luxuriante de 5 à 6 kilomètres de
largeur; il coupe la grande chaîne de Sidi Okba, entre la
Chebka de Tafeza et le Djebel Gourou, dans une gorge
étroite et difficile, dite Kheneg el Beïda, sort du Djebel
Amour entre Kef Nakmouohe et Kef Toumoudadine. Il se
jette dans l'Ouçd Namous, à 7000 mètres en amont du Ksar
ruiné de Be!da. *-« Cours 66 kilomètres*
C'est sur sa rive gauche, à l'est de Sidi Okba, qu'a été
construit le Bordj d'Aflou, chef^ieu d'une annexe de la sub-
division de Mascara, à l'altitude de 1350 mètres.
Cette annexe est destinée à administrer le Djebel Amour ;
elle se compose d'un capitaine chef d'annexé, de deux
officiers adjoints, d'un médecin et d'un interprète. La gar-
276 lÀ RÉGION ALGÉRIENNE
nison comprend actuellement une compagnie de légion
étrangère et quelques spahis.
Le Bordj a la forme d'un caravansérail ordinaire, 40 mètres
sur 30, avec des bastions aux quatre angles, toiture en
tuiles, salles voûtées. Un puits de 8 mètres de profondeur a
été creusé dans la cour, mais l'eau extérieure est fournie
par TAïn Aflou, qui sort de rochers à 1400 mètres au sud-
sud-est dans le lit de l'Oued Medsous; son débit est de
5 litres à la seconde; sa vitesse devant le Bordj est deO°',3!24.
— A 500 mètres au nord-ouest est le vieux Ksar d'Aflou,
en ruines. Entre lui et le Bordj s'étend le superbe jardin
potager des officiers et se dressent plusieurs maisons d'Eu-
ropéens, de Mzabites et de Caïds. Sur la rive droite de TOued
Medsous, on voit les deux Koubbas de Sidi ben Guelloula
et de Sidi Abdallah ben Othman.
D'Aflou au Kheneq el Melah, on remarque, sur la rive
gauche de l'Oued Medsous, le Dar Mansour, près de l'Aïn du
même nom, le Marabout de Sidi Abd-el-Kader et le Ksar
de Çherf à moitié abandonné. Les sources comprises dans
cette région sont : Aïn Tingzim, Aïn Aflou, Aïn Mansour,
Aïn Ouamri, Aïn Arar. Aïn el Beïdha, Aïn Zouara, Aïn Ta-
messedouïne, Aïn Relal, Aïn Boukherouf, près de laquelle
est la bergerie d'Aflou, et enfin Aïn Rziouinet.
Le bassin de l'Oued Medsous renferme les plus belles
prairies du Djebel Amour : elles se succèdent le long de
cette rivière, d'Aïn Aflou au Kheneq el Melah. Les plus
riches s'étendent sans interruption d'Aïn Aflou à Aïn Beïdha.
Débarrassées des joncs qui les encombrent, ces dernières
prairies fourniraient au moins 6000 quintaux de fourrage
de première qualité.
Gomme boisement, le bassin est le plus riche du Djebel
Amour. Les plus beaux massifs se trouvent sur le versant
sud de Tigenthar et sur le versant nord du Djebel Gourou.
Les essences forestières sont le chêne vert, le thuya, le téré*
binthe et le genévrier.
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 277
b^ L'Oued Chellal. — Déversoir des eaux du massif du
Gourou au nord, et à Test, des Djebels Mahser, Khanoufa
et Sidi Amer, l'Oued Chellal prend sa source, sous le nom
d'Oued Skhouna, sur le versant nord du Gourou; il coule au
nord-est, reçoit le Ghabet Ledjour à gauche, l'Oued Kherba
adroite; après avoir longé le pied nord de TOuteïdat, il
tourne brusquement au nord-ouest; prenant alors le nom
d'Oued Taïba, il laisse à droite les collines de Guebr el Hachi
et reçoit à gauche l'Oued Mekta, dont un afQuent, l'Oued
Lachfour, baigne les jardins du Ksar de Sidi Bou Zid^; il
prend là le nom d'Oued Kheneq ed Dibet, traverse la plaine
d'ech Chouaïf et termine son cours en se creusant un lit dans
le calcaire dont les couches sont mises à nu à Guelta el Abiod.
L'Oued Ghellal se jette dans l'Oued Beïda, à une lieue en
amont des ruines de Feïderrigha. Son cours est de 54 kilo-
mètres.
6*^ Dans les Hauts-Plateaux, le Djebel Oukaït R'arbi envoie
à l'Oued Touil, l'Oued insignifiant d'Issérif et le Ghabat ez
1. Sidi Bou Zid est un village arabe dépendant du ca!dat des Oulad Mi-
moun (Aflou). Au milieu de ses maisons agglomérées est une mosquée sans
minaret assez curieuse ; c'est une salle basse, sous une excavation de ro-
cher; les parois en sont noires de la fumée des lampes. Six troncs d'arbres
soutiennent une toiture en branchages, de chaque côté sont deux estrades
de 0m,60 de hauteur, une porte basse éclaire à peine ce réduit.
La mosquée de Sidi Bou Zid est très simple et n'a rien de remarquable.
Plusieurs nègres et négresses, esclaves achetés dans le Mzab avant notre
domination, habitent le village. La majorité des habitants sont ma-
rabouts.
Au nord-est, à 200 mètres à mi-côte, s'élève la koubba de Sidi Bou Zid,
un descendant de la fille du Prophète ; près du marabout, à l'entrée du
jardin, sont deux sources, l'une, Aïn en Neça, a un débit de 10 litres par
seconde, l'autre, A!n Mta el Koubba, a un débit insignifiant.
Le village, bâti sur une croupe aplatie se détache des hauteurs qui le
dominent à l'ouest, sous le nom de Seddet el Ougab (nid de l'aigle) et dont
les pentes aboutissent vers l'Oued Ladjbour, entre les deux chabats dits
Djoua au nord et Eutsila au sud.
Les jardins s'étendent sur le bas des pentes de la croupe, à l'est du
marabout ; les abricotiers, pêchers, poiriers, grenadiers et la vigne y vien-
nent très bien.
soc. D£ GÉOGR. — 2" TRIMESTRE 1885. ▼!. — 1^
279 hà Râeion AL(^Bi£imB<
Zéboudj,; dont* leliiesi orné d-éaomies tétt6bitith^«et pvA-
seiE^de, à^800 mètres^en atâoni- de son conflaeni^ un& série
de' puitfi oreusé&'^rossièrèineat pfjp lè^ Arabe» etappelés'
Haoiaû beil Maroufi* Son cours esl'de.26 kilomètreisi'
7PPrè6 des ruines'de BotUne^ l'Oaed<B^tîne reçoit l'Oued
Gtiernitti qai a-sa source près do^ Marabout de SidLAîssa
Mouley Abda, et dont le lit possède le pmts^ditHaoi^KcébL
9^ Util peu plus^ au* nordv sont l'OuedKçéa^ ainsi appelé
du n6m de ruinesromaines qtii'giMat surla rivegiftaohe,
puis rOâed K4i6lo«La qui nait près de^ ruines romaines de
ce nom y et enfintrOued Ghemlali'' c|ui descendra Djebel
Neukk*a<
AFFLUENTS Ds OAUCHB. -«l^^L'Ouod Boricana* desceod) sons
le nom d'Oued Brida> du Djï^bel Maksour,^ entre I0 K«f et
Hasba^ et le Seraouai el Biouti L'Oued Brida- alimenté par
les sources de Brinia, R'ir Nouiren, Berrait el Merdha^
Gousseïba, Hamira, baigne les pieds*desKsour$*abandonnés
de Brida,' Bekkali sur la rive gauche et Donlssen, sur iari?e
droite. A 1000 mètres en aval de ce dernier, il se grossit de
rOtied Bëriser, du nom d'un<Ksar rainé sai< sa' rive dn>ite^
qui nat't dans le Djebel el ItlektoUba sons le ndtn d^Ôued'
TameUaket.
L'Otted< Bër'kanà reçoit encore les eaux des seupces- de
M'rires, Nsissa, Ouzadja, sur la rtvégauche et'dë celles de
Bethman, Sîdi Ali ben Ahmed , sur la rive droite. Il se jette
dans rOuedSebgagûey un>peu en amont du* Kiieneq Ghe^
morra, après un. cours de 46 kilomètres.
2^ L'Oued Fenetrii forme une vallée entre le Djebel el Alleg
et le Djebel Sidi Lahssen. Ua sa source pràs'du Kef Alkg'-et'
prend successivement les noms d'Otied Alleg, Oued Dakia,
Oued Medsaa et Oued Fenetril, du nom d'une source qui
jaillit dans son' thalweg au milieu de roseai»i!>- de^ lafuikrs
roses et dé figuiers, à une lieue avant son confluent' avec
rbued Felderrigha,
3' L'Oued Sakeni a sa source à l'aïn Reghai à»804slo^
TRAVERSÉS PAIt LB MÉRIMBN DE PARIS. %W
wMresiU rouesFt, Iraverse 1» plttae des Ooiad. KheHF sous !•
Bam' d^Oueil bontRadja et se' j«l;te. dan» Ï^Oned Tonil u» peu
oa^arai dies^pwitsde'Souam^à^VefiiibfDitaippelé HiB¥k;
Itetre Tagoîne et^ d Kheritto; les «Moents de> gaueb» son!
sans importance, rOued Zelche, TOued Berraous^ l'Oued
BcNi Gboiiai et FOued B«hi Lermat gardent les eaux dt
pluîe dans tes r'dir s dont !a présence est signalée par quel-
ques térébinthes..
Le'baa6ia>âe rOuedBettiiie renferme les belles sources de
Fntizza, Khadra, Abadié, Zerguine, Radja,, Sîdi Sald dont
les: eaux, se: perdent dans les cultures» Entre: VAixi. Zer guin«
et le Sidi Saïd, est une source d'eau thermale sulfureust
dite Mil el Hammams
4<> L'Oued Oureuq a sa source au sud du massif de GoudjUa
entre le Djebel Berabail et la Gbebka', sous^le'nom d'Oued
Souffiguig, n reçoit l'Oued Kosni et franchit la grandi
chaîne médiane au Kheneqel Ouache, entr« le Djebel Meta*»
less et les collines de Zoubiat; en sort sous le nom d'Oued
el Ouacbe, prend successivement les noms d'Oued Snûr
après avoir reçu les eaux des Aïouns Smir, Beîda, Touabà
1 . L*Aïn el Hkmmam est sitâéé à une trentaine de mètres en contre-bai
d*ùn petit col et à Touest du Ref el Hammam. Son entrée ne se voit qn^àune
petite distance; elle est signalée par des efÏÏorescences calcaires et par
le sommet d*ùn gros lentisque. £*ouverture, à peu près circulaire, est dé
8 à 10 mètres de diamètre; on descend par un escalier de doute
marches inégales jusque un premier palier, au pied du tronc du len-
tisque ; un petit parapet protège, à gauche, contre une ouverture donnant
dans la grotte de la source et qui fut creusée en 1865 par les ordres dQ
général Marmier. À quelques mètres en contre-bas, en avant, est rentrée
d'une grotte dàns' laquelle on pénètre en se courbant un peu ; on se trouve
dans une première chambre de 3 mètres de largeur sur 5 mètres de lon-
gueur; on peut' s'y tenir debout. Dans le fond un énorme rocher en
forme de parallélipipède est suspendu au sommet de la grotte ; il ferme
rentrée d'une seconde chambre plus vaste, qui a 8 mètres de largeur sur
10 de longueur, et dont la voûte supérieure est élevée de 4 à 5 mètres.
Du premier palier, cinq ou six marches conduisent devant l'entrée d*un
couloir sombre, à droite, dans lequel on ne peut s'engager qu'avec une
Inmi^ns, en descendant dès marches grossièrement taillées dans le roc ; au
boot de 5 à 6 mèlres, le couloir s'élargit un peu ; le visiteur peut se
280 LA. RÉGION ALGÉRIENNE
et Bou Kzioua, chez les Oulad Ahmed Racheiga, Oued Me-
dremme et Oued Oureuq, nom qu'il impose au prolonge-
ment de l'Oued Bettine. Son cours est de 80 kilomètres. L'Oued
Oureuq a dans son bassin les deux villages de Ben Hammad'
tenir debout et à 3 mètres en avant on voit, sous le rocher, un trou
creusé en forme de niche. C'est là qu'est la nappe d'eau chaude. Quelques
marches permettent aux baigneurs d'y pénétrer insensiblement. L'eau est
profonde de 1",50 au bord et de 4 mètres dans le fond; sa température
est de 38** à 40** ; elle répand une odeur de soufre très prononcée.
Bien que l'ouverture pratiquée par le général Marmier jette une faible
lueur dans cette partie delà grotte, une lumière n'en est pas moins néces-
saire. La partie inférieure du puits offre une espèce de vestibule où Ton
peut se déshabiller.
Sur une plaque de pierre, au dessus de la grotte médiane, on a tracé
une inscription, où l'on ne distingue plus que les mots : c Général Mar-
mier », et « 2* génie ».
L'Ain el Hammam est à 4 kilomètres de Zerguine ; le terrain environ-
nant est pierreux et n'offre que de maigres touffes de meteneo {passerina
microphylla) et dechihh {artemisia ulba) ; la nappe d'eau esta 15 mètres
environ au-dessous du sol.
1. Le village de Ben Hammad constitue une deëferkas de la tribu des
Oulad Ahmed Racheïga, dont le caïd a ses tentes près des sources de
Smir; ce village est composé d'une trentaine de maisons dont la moitié
sont en ruines, depuis l'insurrection de 1864.- Elles occupent une croupe
formant plateau entre le Ghabat el Ksar et le Ghabat el Haci; ce dernier
est profondément encaissé et le village de ce côté borde un vrai précipice;
le village est dominé, au nord, par le plateau rocheux de la Gada, ter-
miné à Touest par les crêtes du Djebel Lebouib, auxquelles fait suite
le mamelon de Kharza, et au point sud-est par le Kef où sont les ruines
du Ksar el Foukani de Ben Hammad.
Le Ghabet el Aïn prend sa source au nord>est, derrière le Ksar Fou-
kani, entre la Gada et le Djebel Drah Temar; il s'appelle alors Gbabetel
Mereza ; une bande rocheuse le sépare, à l'est, du Ghabet Rouga qui a sa
source entre le Drah Temar et le Mindjel, et qui contourne un large
mamelon rocailleux dont le sommet, le plus élevé de toute la chaîne de
Ben Hammad, est signalé par un tas de pierre dit Redjem Fatallah
(1331 mètres).
Le Ghabet Rouga débouche au sud par le Foum el Kheneq et se dirige
vers l'oued Touil.
Le Ksar de Ben Hammad est donc tout à fait caché dans un cirque de
hauteurs dont l'issue elle-même est obstruée par la colline rocheuse d'El
Rharza. Il est probable que cette situation topographique n'aura pas
échappé aux Romains, et que des traces de leur séjour doivent exister
i
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 281
et de C3iellala ^ — 5® Le Nahr Ouassel a son origine au sud
de Tiaret où de faibles ondulations le séparent du bassin
de la Mina. II coule de l'ouest à l'est sous le nom d'Oued
Medrissa et ne prend son vrai nom qu'après avoir reçu les
soixante-dix sources ou Sebaîn Aïoun. Entre Sebaïn et Daya
dans les environs, au milieu des ruines accumulées par les autoch-
tones.
L*eau de TAïn Lorak est très abondante et ne tarit jamais ; seulement
le terrain environnant est rocheux, rocailleux et se prête peu à la culture
des céréales.
1. Ghellala est un petit village arabe mais qui a toute la physionomie
d*un village français où Ton aurait voulu mêler quelques habitations de style
arabe et vénitien. La grande place rectangulaire est ornée au sud, d'une
maison à tourelles, dite Dar Djelloul ben Messaoud, caïd tué à Taguine en
1864. A l'ouest s'élève la maison à minaret et colonnades de Smahi ben Ahmed,
à moitié consumée par un incendie et non encore reconstruite (en 1879) et
celle de M. Brûlé, marchand de comestibles ; à Test est la maison du bureau
arabe annexe de Boghar. Le centre de la place possède un vaste abreuvoir
et un grand lavoir ; au nord, dans une espèce de large square, sont deux
grands bassins circulaires; les maisons du village bien alignées forment
plusieurs rues au nord-ouest; on y voit des marchands juifs, des Mozabites
et des prostituées, mais la majorité des habitants sont des Arabes venus
de Zenina.
Les jardins qui entourent Ghellala de tous côtés sont splendides et re-
nommés pour leurs fruits. Le village est dominé au sud par la haute
chaîne du Kef ben Hammada.
A l'extrémité sud-ouest du ksar est le marabout de Sidi Brahim. Au
nord-ouest est une autre vaste place où s'élèvent la maison et la ferme
de M. Romanet de Boghari, qui, avec M. Periola, fait le commerce des
laines (4009 quintaux par an); un autre négociant, M. Delpech^ fait le
commerce des grains.
Au nord-est du ksar est le dépêt d'étalons de la remonte.
Les eaux qui arrosent les jardins en alimentant les deux grands bassins
sortent d'une grotte située à l'extrémité des jardins au sud; cette grotte
artificielle de l'',20 de hauteur, sur 1 mètre de large et 15 mètres environ
de profondeur, a été taillée par les soins de M. de Roquefeuille qui a
commandé le bureau arabe de Ghellala de 1858 à 1864. C'est cet officier
qui a fait construire l'abreuvoir, le lavoir et les bassins ; il a aussi amorcé
les routes qui rayonnent de Ghellala sur Boghar, Teniet-el-Had, Zer-
guine, Taguine et Goudjila.
Ghellala est le seul endroit des Hauts-Plateaux où l'on peut se ravi-
tailler, entre Aflou et Teniet-el-Had et entre Djelfa et Tiaret.
fl^oonle dons on fit wanewc, beidé de berges à fîc, difficflis
àiiavereerpMir les cbeMiox.
Hes «uunis de J^e^yaià la SMMgiié&de fiîdi Mohin—fed tbee
Rebal^«Qe jUteel furofaodéiiieat'eiicaîfisé.par des beigai
de<3 à4iiiièties^e hauiem:, àfpîc set bordées de iemerk.
n devient ensuite moins escarpé ; ses eaax sont moins aboa-
dantes et le peu qui en reste est presque absorbé en entier
par le barrage du Hzabite.
La birgeur de «a ^lée ^iaiie de -500 A 3Q0O (mètres, ^saq
eoars est de 270 kilomètres.
Le Nahr Oùassel reçoit les eaux de quelques ruisseaux
qui ixe l^arissent pas en été'; te «ont tes 'Sëbiûni ^Meun,
rOued Soufeî, l'Oued Trissît-R'arbî, TOued Trissit Chei^
et l'Ooed SDasmania.
Ofaacuii'de ees<oofirs d'*ean «9t anémié par vae soom.
Quant àl'Oued Belbéla, ce n'est qu'une yàllée dont l'on-
gUie^est -à .Ain Jdzant, ^cèsfda Maisabout de Sidi i'Qabiâ,;
el'le reçeit, «eus le «nom d^^md If eeSiti, le'/eld detFameHaàiet,
où l'on tronve un peu d'eau à sa source ; les eaux reparais-
aeBt/eiai.a¥alAAm.Gbed6idaietàuÂln Fedaul, au irad d'jifie
série de trous creusés par les Arabes. A partir d'Aîn^edeul
la vallée est bien marguée^mais il n'y a de l'eau que jusqu'à
sa rencontre avec le Feïd Kerfouch. l)erlà à fiOB sooifljHUit
«
anpee le Nahrr Ovassel '«m 4ie ^nH«re d'^eau (qa'an ipiùls de
SeBl-Zerga.
Sntre Mn Tamellaket .et.Aîn .Cbedeîda, ^ont.les ^ëources
de Zilène et de Zouilene, donnant naissmoe à oin :pelit
cours d'eau maréc2\geux gui disparsdt bieiltôt comjilète-
mest.
>Les seupoes de^fiebain-ASoiunsootd^aneabiindaneeiOB^
veilleuse. Elles sourdeiït de tous côtés dans un petit vallon
des,plus pitjtoresisuesi, >defi0^à 100 notèlres de.laj^geur et dont
la«tôte'est fermée par «m densneeiidle jde îsoahBPsde 3M<mè-
très de diamètre environ ; au-dessus d'eux lapparaisseHt
un cimetiè»B arabe (meiabra) let ides cuînes .rAmaioes. JLe
TRAVERSE IIMCR OM «telDIEM DE PARIS. S8S3
*
fuîaseiui «luko^mloent les ^louroes ;attp6iàeu9e8 a mifi ^Iftr-
]gsiif»diB<i Jï 'g mètres:; Ms abosAs ^mi.^Qwrefts ite «l'^fmp.
di «esiKiiile «en HMotemuMiiit iquelquee petite ^oonU^frirts
rocheux et après un oûues de flOQO^fDUfesjaivriton^ ilae j#tte
tdans le 'lit du fitabr rûuassél, a^^tlé M cet (fmémii Ouad
Medrâsa. iQaelqueefiioes des soHroasoot éiét^camalkiéesipar
les Arabes pour arroser jde fwUls jandîns. iKers ie mUlkiu
du -^Uoa, «ur ilia me igsuacbe, jon oamaiiqibe sept on ihuit
gc96 figujeBsi^iiie 'donaî&e/ua *éfiûn»efpe«plkff* {Les eottrees
inférieures jaillissent au milieu d'un jardin délîcJiQiiXyiOQOS-
.^uit par Je :«apilaiae iMarguerilte, doos qu'il «était cb0f du
bttvenu ociabeideTehieUel^ad. LoDsgue j'explacai les SebaAa
àâùvoi le â ddoneolbse ^.êl9f fce ^lan était luae «nératable
.foUère; ks «aiseauK du Seraûiu eenaihiaieikt ^-y 6loe donnés
(rei}decHiroos>et>je{n'«vs guéve de méi^ieià faire ii^n carnage
•de cattandây de namieaiix, Ae p0uleâ<lartli^e,reta.
tftlon-peiit'baoQiiiàicejde .poôbednke.donûeilOSDittéUte^ipQur
. raltitude^de iaéètedes Sebam iÀloun.
L-Boen Soiifiaeltem,tdoni le lit.Sieifierae dans la plains au
noodteti du I^abd Haghelga, peujUèlreiconsidéré icotnaia din
affluent ute Tâued Belbeia. 91 :a :sa ssnusee près idu \Hador,
deeoend 4?iab(H*d.dujfliid aumord po)iritoQ£aerien3iiUeàll!^t
vers leiVjebel&aoheiga.
Son thaiweg!sans berges. d'est .qu'une dâpression du soi
très ordinaire, sa vecduse fkâraket^sejile de rjenoiHiôtftrenstexi
identité.
^ UrfiQQit^n 'Miar des eaux ,du massif de Vortes$a> ^Aan^
teslbaLwegs.del'ûued An£iss0ur^âur la ri?e idrûitjs duquel
on Yoit deux marabouts à koubba, Sidi Belfedal .i^t; J;,allia
Hadpnft; de Pûued «ftelecn, de dfûaed J^aUeUde ^rOned
Bbise&, idu rObabet «1 àmeur >qm cdeis^end du )Kdf >iio^-
jiia, de TOued Kheneq^sl Aiw.rrJbtibntaire id«Mi; jea«SE.diu
?etsant inéfidional<ida'>B}fibel)Rort9i3a, du ^D^ehel rC«b^mAkh
eitdu ffi^jebab^ccbaoïm, iBQju» (le negn id^QnedrSa&a.
tllOfde sesiafCbueats, Jeifibabet loil Altoon^ aaïUe .enjtr^ le
m LA RÉGION ALGÉRIENNE
Z€gg et TArchaoun ; au nord de son confluent, sur les
pointes du Djebel Zegg, que couronne le marabout de Sidi
Abd-el-Kader, s'élèvent deux tristes masures habitées par
des marabouts et appelées Gheninader.
L'Oued Soussellem a de l'eau dans son lit près de Dar
Gadi ben Ghoura ; un puits a été creusé en outre dans les
jardins qui entourent l'habitation.
Entre Alu Dzarit et ce dernier puits jaillissent dans un
ressaut calcaire, les sources de Keçéa, de Moi el Safra et de
Gheguiga.
Au nord-ouest du Djebel Racheîga, une série de puits
à moitié comblés marquent la fin de son cours apparent.
La vallée du Nahr Ouassel est des plus fertiles et cette situa-
tion n'avait pas échappé aux Romains, car, des soixante-seize
sources que j'ai visitées sur les deux rives de ce cours d'eau,
dans la partie du territoire de Teniet-el-Had qu'il traverse
(Béni Lent, Béni Melda, Doui Haceni), il en est vingt-six près
desquelles j'ai vu des ruines romaines parfois considérables.
Ges vingt-six sources qui peuvent intéresser les archéo-
logues sont les suivantes, en allant de Tiaret sur Boghari :
Rive gauche. — A!n Ben Zerouda, A. Kartouchen, A.
£1-Bahira, A Mansour, A. Ank-el-Djebel, A. Sidi Ataya,
A. Gherifa, A. Ouaba (importantes), A. Kebbaba, A. Tissemsil,
A. el Aneb, A. Ksar Yakoub, A. Khalfouna, A. Sfa, A.
Sidi-Mansour, A. Tencria,A. Tlemcen.
Rive droite. — Aïn Tisselfine, A. Tametthil (impor-
tantes), A. Marset Ggergui, A. Tebouda, A. Zemara, A.
Trissit R'arbia. A. Djouah, A. Trissit Gherguia, A. Oumm
el Adam.
BASSIN DU ZAHREZ r'arbi. — Lcs dcux Zahrcz R'arbi et
Ghergui sont des lacs salés qui occupent la plus basse dé-
pression entre deux chaînes crétacés.
Le Zahrez R'arbi a 33 kilomètres de longueur sur 8 de
largeur en moyenne. Il est borné au nord et au nord-ouest
par la chaîne de l'Oukaït, au sud par le Djebel Korirecb,
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 285
le Djebel Oaajba et le Djebel Djerf el Baïa, au premier
plan, mais en réalité par la grande crête du Senalba. Des
collines basses ou des dunes le séparent à l'ouest du bassin
des Dayas et, à Test, du Zahrez Ghergui.
Il est alimenté à l'est par l'Oued Melab, qui a sa source
au sud de Djebel, et baigne le pied du Rocher de Sel.
Il reçoit au sud : !• l'Oued Asbaïa qui naît entre le Djebel
Haouass et le Djebel Ouadjba; trois sources sont dans sa
vallée : Ain Ouksen, Aïn Taftaka et Aïn Kourirech ; il tra-
verse les dunes entre Bir Bou Menzou et Aïn Bezaïz.
2° L'Oued Hadjïd, formé à Aïn Sultan de la réunion de deux
ruisseaux ; l'un est l'Oued Kalane qui déverse les eaux du ver-
sant méridional du Djebel Lelif et de l'Ouk Taïta et qui arrose
les jardins du petit ksar des Oulad Zeriga; Pautre est l'Oued
el Hammam qui descend du Djebel Mrafia, sous le nom
d'Oued Bou Zib, offre au voyageur se rendant de Djelfa h
Gharef une eau excellente à Aouinet bel Hadj et présente
dan son lit, à l'extrémité sud-ouest du Djebel Ouadjba, des
sources d'eau chaude de 33* environ.
3" L'Oued Aïn el Hadjar qui reçoit les eaux de Gharef, du
versant septentrional de Guern el Abbès, du Djebel Lelif,
du massif du Djerf el Baïa et du Tarsous; ces dernières se
réunissent dans l'Oued Djeba, dont le confluent avec TAïn el
Hadjar est à l'est du Gourine mta Zahrez. L'Ain el Hadjar
qui donne son nom à cette rivière sort de rochers de sel en
aval de Gharef*.
1. Gherf ou Gharef est un petit ksar à moitié ruiné, dont les maisons
grises et délabrées s*étendent sur les dernières pentes nord du Guern
Bel Abbès, entre deux ravins, le Ghabet Zarour et le Ghabet Moukha. Le
terrain du nord-est à Test est occupé par un réseau de jardins dont les
murs s'enchevêtrent en tous sens. — Au milieu des jardins, coule, dans
des segguiaSf Teau de l'Aïn Sidi Abd el Aziz, situé à i50 mètres à l'est du
Bordj Gaïd; l'eau sort limpide en trois endroits différents» au pied de
couches rocheuses. La colline qui les domine à l'est, est encore couverte
des ruines du camp du général Liébert en 1864; plus loin à l'est est le
Ghabet-Hadjria et au delà le Drah el Aztr.
Le Ghabet ez Zarour, à l'ouest est très encaissé et profond; il formerait
iLetZabrez.R'^bi ae leeQoH.Auoan x^ouns d'^ew à JfOaMt
.]uauifierd.i4es(thalw#gs<de«0efi(knt ile^'iâ^ ft^wnbi aSoBt
de J'eaii qu'^iprès loa ^pliim. (Lie ifdns âii)po]toBit<eatJÎOii0d
BesbesSy qui nait aji^sud du Uss OnùaSl B^arbi ; ^ensia^moilié
deison aoxaseit un Jbcmqaetid'arlNres appelé Aaij»tKbftd)aDia.
A r^xlrémilé orie&taie tdulacAQutlIAîn.Sebalfih ^cuiirae
dïeau douée), llHamteChengia^'eiao $atin)U4ije,iet})e,fmils ar-
un obstacle très sérieux de ce côté, si leCoudiat Zarour ne le dominait par
le k$dT de Qherf d'une vingtaindie nffctres au aioin«.
Gherf, possède imAaotfa^ etolei» raaccbaods mosaJutes.; ,«iir 40 «mai-
sons il n*y en a qu'une dizaine d*habitées. Il y .a deux cimetières, Djeb-
bana Dahramia et Djebbana Giteblia (nord et sud).
La forêt ^eat à fôOO mètres au sud et à SDO mètres i IToneat.
Gtwref, s^nifie «n arnbe, v/quo; jokev/U. Son &)Qdateur.AJM«ai -Asâz en-
seignait jadis dans la 2aouiya.de Stdi fou Zid^pour 2000 réaux par an.
Peu satisfait de cette rétribution, il quitta Sîdi Bou 2id et marcha vers
Test. 11 «e reposait pi^èftd'une «ouree du ilféb^l8tiian,'lonqfiie les' Arabes
qui . rentûOEaiBÉit manifestiàrjSQt Xù ■. désir i de. le ,<9ardef iparmi .aiux. Jl hési-
tait, mais son vieux cheval s'étant noyé dans la source, il crut y voir un
avis du ciel et resta en cet endroit. La source s*appela Âbd-el-Âziz, et le
village qu'il fonda reçut le nom de Gliaref ; la tribu s'appola Ab^nâaiz
ech Charef't)u..pAr abréviation Abbaziz .Gheif.
Un mur divisait autrefois la source, côté des hommes, côté des femmes;
défense ^tait faite aux hommes, sous peine de mort, de se tromper. tJn
jeunehomme, llfansojir,» ayant* enfreiikt la loi, estvooiat le:meUve«à matt.
Ses ;amis.et jiaceats .prirent ;sa défoase. Il y eut^combat. Le parti de JUansiBur
vaincu alla former plusieurs tribus près de Médéa et de Boghar.
A GOOO mètres au -nord-e^t Île Cherf, au pied du Djebel Ouadjba, sont
des«aux:cbauites, dites Aîonn Haomiam. Gea* sources jaiUiaeoiflE'aept oa
huit endroits dans le lit de l'Oued el Hadjia, qui en «at .endroit. a^apjpAlie
Oued el Hammam.
Deux ile cesisoaraes ont un débit ^plus.fort que les autres aties indi-
gênas les. ont groaslèrement «amém^ées de imanièrejà,ponvoir<faicaîd^s
ablutions dans ides tcousde 1*^,50 de profondeuir, sa cÂel ou-vast. ,)»a
température. de ices.eaux;est deM"" enviroE^; eUas oe tsant .nullAmi»at.4Bi-
néRales^;ies indigènes ies.aiçplgient.pour. les. Irrigations.
Le/obeminde GberXaux eaux .chaudes tna«er9ç,à,.^Q0. métras de^Cbar/*
r.Oued Kalane,vafia«aDtjde.lXlued:Eadjia;.aat,lOweil.âs<»fpé a^dea'fauiin
.toutes ^aisQn^.et,ron.j>*e«t pas bétonné ide yoir,À30û mÀtcesiflo Avalnaar
ia»rive 4||auche,iaajiulieu.de jacdius^rnés.de,/}uelf}ueSf|iiBUi)ii9ss«iai0a<i«u
six maisons formant le Ksar das OuUd «Zeriga qui uletXmiam^ 'lar
aufiuue ^oarte. juaflu'ÂiCe Jour.
TRAVERSÉE f^AtR ILE JI6IIDIIICN DE PARIS. S6S1
Mua de JialakxiiF4..âa ^and^onestieât «IffiMim rR'mobi {fian
daitt0àtr6)rdaiisrleilac(inêfiDe^)|nrèis (desideuxipfiBtiAeBâlea.-*-
iDoi9iûé#éqafi9iiépar/leBjArAbea,rj^ liens
iIb sa k)i]gsiewrÂrpaiiir '^e ;l'HDUfi6tt.)(2&)guéiJiui ipoete 4]e«ftin
âaMtekia BjedéaBe lest FemanqimlÉlB *m ceiqpi'ii ipvéBente /à
son miUeUykiine source d^eaiitdoiiQe quiijftiliit'en»6té;àitra«
versrla oroMe <de )sel iapÂssBoi 4e fond idu JteCydfistd'Ain
fiidi Aâ'ssa. %Uneitoniè^>sauvcer|aillit iàiQentt œètoes f^lus à
l'est; ies tabords.ari' sont faoïnteuK. et rpresquedDaccBBsiUies.
Le Mekta Djedéme idéfaoscdie 'dans «une fanesqa'ike .de
6669 iiiètres de larpgevo' 'enxriiroDvikait TistiMiie ^élranglée
pointe le nom'derQueltat'vl rHenague; 'la àiraiiabe ouest >'pv6-
sente une eau bourbeuse dite Haoïiat elJCracha.
L!é|MÙ98eur du.sfilten^étéy «unnilieii diL>laC|'efit»ide»0"',70.
M. Ville estime que le Zahrez R'arbi renferme '990' mîHitwis
de tonnes de sél en.nonibre rond.
MSSiNfDES iDÂXAS. — .fioDscte :notn,.&oufi iûampfffiaons.la
parti e^dcs?Hauts^Pkteaux'qui «e^rouveiït entre 'i'€)ued^Totiil
et le Zabrez R'arbi et qui absorbe les. eaux venant, du DJebèl
Arcba et des collines qui uBisfient .te iQjebal .Aoaour ^UnSe-
lialba . ^Elles »e*tT0uventi3ur-lagrande ligne dfe d^ression 'des
Cbott^, des Cabrez et delaSebkba.du Hodna.
Les deux dayas les plus remarquables sont celles .d-Duro-
Qhegaguet (ou Ufouébeigague) ôt de Rad jélane. lia ^reniière
re.ç6it J*Oued-él-Agaïg, tributaire du Djéhel-Archa et du
iMaArilgiâg «et .dfAaednelittammBffl, iiftnai ipit^ffindéoient
encaisié dans^oallcàiretît qûi^àt formé, au nord de'Ze-
nina'jflela réunioades Oued-rMalahaBtDueaelMan. t^Oued-
. J. .Gel(e.sottrce,AriéwAane^/dtnt4e RAm..«rabid iMt,Aïn<.«lKJ}ar2i^,.a ^té
ImàtiAÂe eD.tô63.4e,i;appeliaUonndeuaàAïa#]tfaUkoff.» en .l'iiaonaur .du
vaia^yâur.dfi .Sébastf{»oU .aloss g8av«PA»ur^éaéBa|i, {{xatr ile. JienteoAat-
X «Z«nuya'Aat «wi^tU ^ viU^fe idoat < lea./maisons -Mfii eu^awéos . au , nocd
dtodlea mamelons du Jtfe(Mf;>des. flânes riMsheuxde ce .mamelon .aort. à
rteuastrURfi source. abondante «(ai.arrpseidetgM«id«it)ar4in)9ett»liaunaAta ;
288 lA RÉami ALGÉRKIINE
Malah sort lui-même d'ane espèce de daya allongée, appelée
Oaed-Baba et dont le sol offre des bigarrures de coolenrs
ocre jaune et ronge briqne. L'Oned-Malah reçoit de Zenina
rOned-Honila qui recueille les eaux du versant snd da
Djebei-Serdoun et l'Oued Kef el Bass formé, an sud de Djerf
el Bala« de TOned Roreikhar et du Feîd el Berrouag.
Les Oueds Melah et El Ma, ont des bei^;es yerticales de
8 à 10 mètres de profondeur, dentelées, éraiOées, déchirées
à rinfini : elles forment autour de Zenina, à l'ouest et an
sud, des obstacles très sérieux et si Ton n'a pas un gaide
avec soi, on court le risque de perdre deux ou trois heures à
fureter sur les rives avant de trouver un point de passage.
Teau se perd dans des joncs et forme des marécages malsains; les mors
du jardin sont en torchis de 1*,03 de hauteor; la ville a un rempart à
bastions triangulaires.
La partie sud du mamelon est couverte de ruines, restes des habitations
de la fraction des Onlad-Brahim, qui à la suite d'une discussion (ou lojf)
avec Tautre fraction alla s'installer à Chellala; au nord-est, à 5 on
600 mètres, sont les collines de Medf et an-delà, à 4000 mètres, le Djebel
Serdoun.
Entre le Mecif et le Djebel Serdoun est une colline rocheuse dite El
Mansourah, couverte de ruines romaines.
Le Djebel Serdoun est d'un accès facile par un des larges thalwegs du
nord, mais le versant sud est très rocheux ; il donne d'excellents pâtu-
rages à son sommet, sur les plateaux, et offre des parties boisées de thuya
et de genévrier.
Le ksar de Zenina ainsi que la fontaine laissent à désirer au point de vue
de la propreté. Les ruelles du côté ouest sont semées de gros rochers. Le
ksar a trois portes : l'une au sud-ouest au dessus de la fontaine, une deuxième
à l'ouest, devant le cimetière et le marabout à koubba de Sidi Mohamed
ben Salah ; la troisième est à l'est. Près de la maison du caïd Zigham est
un dépôt d'étalons de remonté. Il y a à Zenina trois ou quatre Mozabites
vendant du sucre, du café, de la bougie, des cotonnades, du savon, des
capsules, etc.
Zenina, jusqu'à notre occupation, était un centre de pillards, un re-
fuge de voleurs. Les Turcs les châtièrent souvent; un bey d'Oran, Moham-
med el Kebir, le réduisit en cendres. Les habitants étaient bien organisés;
ils excellaient à dévaliser les caravanes. Les habitants actuels sont origi-
naires des Bou Aïche de Bogbar, les anciens possesseurs du pays avant la
venue des Oulad Nails. Ceux-ci n'ont jamais pu s'emparer de Zenina.
Zenina se soumit en 1844, lors de l'expédition du général Marey-Monge
et nous resta fidèle jusqu'en 1864. Le caïd Zigham, qui le commandait
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 289
Le Dayat Radjelane (coté 927 mètres) reçoit les eaux du
Djebel Serdoun et du Goudiat el Feïdja. En 1874^ le génie
militaire a fait creuser un puits sur le bord sud de la daya,
de manière à former un gîte d'étape entre Taguine et Zenina
L'eau est un peu douceâtre. La daya a 500 mètres de lar-
geur sur 1600 mètres de longueur; elle est couverte de ta*
marix au sud-ouest et de gros betoums au nord-est.
Entre Zenina et la Dayat Radjelane est la Daya de 6ue-
rouache. Le chemin de Gharef à Dayat Radjelane traverse
la daya de Touicha. Enfin, le sentier qui mène de Daya,
Radjelane à Taguine traverse les petites dayas de Guenatrat
de Sedeur et les bas fonds de Nzaouat-Seraï, de Feïd-el-
Barout et de Feïd-el-Redjem. Ges dayas n'ont d'eau qu'en
hiver après les pluies; elles sont couvertes en partie de
alors et qni est encore actuellement caïd delalocalité, résista pendant 8 jours
aux attaques de 17 tribus dlssidcntes.LacolonneYusuf ayant alors paru, les
dissidents se retirèrent. Le général Yusuf emmena Zihgam avec lui comme
guide, le ksar ouvrit ses portes aux dissidents qui pillèrent la maison du caïd.
La stérilité de Zenina est telle qu'elle a donné lien dans le pays à une
imprécation ; quand un Arabe veut souhaiter malheur à son voisin, il
dit : c Que Dieu le délaisse comme il a délaissé Zenina, où il n'existe ni
ronces ni chardons. »
Légende de Zenina, — Bien avant le prophète, une femme Zenina avait
un fils chéri ; elle le vit tomber dans une bataille et supplia le vain-
queur de ne pas l'achever. Emportant son fils sur ses épaules, elle traversa
monts et plaines. Arrivée près d'une source, elle s'y arrêta, lava les plaies
de son fils et résolut d'attendre la guérison en ce lieu. Des amis
vinrent l'y rejoindre ; on éleva quelques maisons, puis une ville. Néan-
moins le fils, appelé Serdoun, mourut et on Tenterra dans la montagne
qui porte son nom. La ville fut appelée Zenina.
L'Oued Malah coule à 900 mètres environ à l'ouest; au sud sont les
dépressions sablonneuses de l'Oued Baba; les collines du nord-ouest sont,
à 5000 mètres, le Ghouaïf, et, près du jardin, le Maknia; à l'ouest est la
colline de Guebr el Hachi, et au sud-ouest, le Ghab ez Zmera (qui de loin
affecte la forme d'un mur de fortification avec quatre bastions) et la col-
line d'Ain el Hadjar; au sud se projettent les silhouettes du Rlaa, de
l'Argoub es Seba, du Seba es Mokra, du Ben Yakoub et du Beziz.
Nous avons levé le plan de Zenina par trois stations à la boussole-
éclimètre. Une quatrième station a été faite en outre sur le sommet du
Djebel Serdoun, pour faciliter le recoupement des points de l'horizon en
vue de notre carte du méridien.
296 LAi PUtaOïr JH^OÉRICME
jujabiBBs-et db tomorix; Toutle;plàtâM»€si)0(niiii»t dThaiVa.
B^sflf 9& i'oQED' KZL. -^ LfOued Mzi a deBz ttrsuMtkBs
nièv8£ cpil) 96 léunisscnÉ aHptedâeacciDlReliKrta méridittuaux
duiBjebd Amoiir, l*u«c lf(ki«ti Mfarra^ eoli formée desj Oued
Zoiiibia et Oued-^dSiababj qoi^ desceoidciul. da Djebel Labetta
et.dui Bjebeli Goeh^ob ;; il fiarm»! ki fossé onenlM) de la; gada
de Madaïa. Uaatoe, UOuedrOuaren, a^sa^CHinee à> l/est4*Afloa
entm le Dalaa Bon Kberoiiff etl le BjebelMaara»p il Kinite
aa' nord lai gadài dfËl^ (àsoun «eus le nemi d'Oueds Mekaliiba,
tirawersey du motd au- sud^ une dizaine de contreforts qui
sillouaeiit) les ^das dfBlGraunietideMadenavfonmanUaioffi
la: gorge d'Ël Ouareny en: sopt prèa des riÛKes de ksas de
Goutteibat et rejoint y ôoed Momraà ki cete:960 mètres.
L'Oued Mai ainsi formé incline au sod-esl^arrcœe le& jar-
dins de ksar de Tadjemout* et à 3000 mètres en aval son lit
desséché se dirige de Fouest à l'est, après, avoir reçu l'Qued
1(. Tadjeraout est un pelili ksar situé sor la rive gauche de rOued Hxi;
ses- maisons sont groupées: sur. us mamelon- dont les pentes sud sont
beaucoup plus vailles que: le» pente» nord; eeiles-oi sonti douces el abea^
tissent au p^ii thalweg au deiàiduquei, sur une lég^e émi»Bnee»,s^élèv«
le marabout à koubba blanche de Sidi Atallah.
Ce marebAttt-est le centse d'un/ ciouBtière; dans lecfiiel (ne remarquB'InHS
auti«s marabouts non blanchis*
Les pentiss orientales sont seméas de gros loâhemiisidés simulant des
ruines.
Le bassin du thalweg est fermé au nopd^-est par une arête rocheuse;
cette partie se nomme Rieldar; le plateau est) semé de cailloux, scblstim
et, pour toute végétation» db petites touffes d'uoeiplantle h&riseée.
Les jardins s'étendent auisudet àreuest; ils formentuiie bande étroite
aU' nord^ouest. L'Oued'Msi baigne les mura dfènceinte, à l-ouest, suruoc
longueur de- 300 mètoesi environ. Les jardins^ penfennenftides olnrteoitiers^
despruttioDS^ des i^enadiers; el quelques.* palmiers^
Le ksar est entouré d'un rempart, à bastions carrés, en moellens-et
mortier de terve,. de 4i à 5 mèlres dé hauteur: Les murs des* maison» sont
en toub'i ou en. toob et moellons.
L'Oued Moi a^. à» Tadjemeuti, 20e.mètf«8> de largeur enviren. Son lit est
de sable. Les maisons supérieures du ksar forment la kasbah à deux
étages- de terrasse.
L'horisoni an sudH^uestir est borné par le) Gucvn el Haouita^ par la dente*
lure du Djebel Djellouadj et par la crête rocheuse du Djebel Medloua;
TRÂVERSÉB: V^kA' BB. ■ÉMMtir M PARIS. 294
M«f ftiKàlf qui' deseettduki Tmm RMdftdev eotomaictt snv^a
gamsh^ I» yiite<8ai»lrdiiltlfi Mfléhi^;^
L'Otoed' Min y dms> ssn nuMnsin Ters^ Tèslv pMse naiMe )e
D]«M llcMirdloua «tleDiebelLaMregv laîstô ieMiML àgaod»)
s'infléeliit légèreitKSQitens ienoydipowr contOQvmrte cbaine
éb Rou9 El Aioaiiy ett neçoil an peo d^eau mi khttMq de
Demen, à hauteur da^Dakla etd« Zé^baefaa;^ cette eflu hii
est ra^ie pav Toaiftis de Laghonaitty awr s» riva dnnte.
De Laghouat, TOued Mzi phmge vwn Test et soua le nom
d'Oued Djedi va se perdre dans le chetMelii'iry ao sud-^est à%
Bîskra.
Les affluents de ga«eliB de l'Oued Mzi entre le Djebel
Amour et le Djebel Lazereg sont insignifiants. Au sud de
TAln Milok, TOued Mzi reçoit POued Ben Djebline, qui
rOnetf Msri' cotile danf^ une trouée, entre cette montagne et la corne onest
do Milok; an fond de la trouée on aperçoit là dentehire detteollines jaunes
de Ras el Aïoun. La corne orientale du Milok est cachée par le Djebel
LMWe^ qui se perd an loin au sué-escv
Au nord^est se détache, dans la plaine» le D}ebel Mdaouer, au-d^wat
diiqiMi eu apei^oitaii )«iii la silhooettei dtt Gtouroo»
L*lioifî«<ni« au nord, est fermé par le DjelMi Amour dond lepoiat' eulmf-
nant parait être le Merkeb.
i. Aïn' Madhi est iin peitit ksar da forme cdllpt^roe; son mur d'en-
c«l0tte en moellons- a 10 ou 1% mètref da- hauteur, sar O^^^O d'épaissemr,
avw des saitlamts formant ba«tian ; tout adtmir du rempartr est une me
avec un nrar eiLtérieor de 5 mètres de hauleur, qtfi la sépare de» jardins ;
les jardins eux-mêmes ont lenr mur d'encelnta.
La partie sud-est du ksar est occupée par la mosquée de Tadjini, sur-
montée d*un petit minaret de 6 mètres, que couvre un parasol die* toiles
vertes: surMsn té de tpois bontés dont la supérieure porte un croissant. La
mosquée est enclavée dans la maison du Ghérif Ben Bachir, fil» du vieux
Tadjini ; un grand esealier sombre conduit en spiratlo dans la grande
cbambfd des bâttos» ornée' de quatw arceaui, d'une aleôre, et éehiirée
faiblement par quatre fenêtres basses.
lie' bâtiment des femmes do ehérif est dissimulé^ àt la» vue des étran-
gers ]»«# éts nmn d«r3 métros de hauteur snr 1« terrasse; même ; nétm*
moins, pé» one* petite porter basse dOMNMt sur le minaret) on entrevoit la
fetftde intérieure de eette maison ; péris^le avee sept carreaux en ogive,
derrière lesquels apparaissent deux galeries séparées pav des colon-
midé» éon4i l'efet est des< plus gracieux.
Les jardins entourent la ville on sigsa^ sur une profondeur de 2S0 à
293 LA RÉGION ALGÉRIENNE
sépare le Lazereg du Milok et qui reçoit TOued Rakousas,
dont les sources jaillissent dans le Lazereg entre deux ma-
melons couronnés, l'un par les ruines du ksar Tarchoucha,
l'autre par celles du ksar Rakoussa. AuKheneq ed Demen
rOued Mzi reçoit l'Oued Metlili, sur la rive droite duquel
est l'auberge de ce nom, à 12 kilomètres de Laghouat sur
ia route carrossable d'Alger à Laghouat.
Le principal affluent de droite est l'Oued el R'icha, qui
baigne les jardins du ksar de ce nom, après avoir contourné
la gada d'Enfous à l'ouest:
Enfin, une petite daya au nord d'Aïn Madbi, recueille les
eaux du versant sud du Djebel Merkeb.
GÉOLOGIE.
Nous ne pouvons aborder ce chapitre sans dire quelques
mots du système général de l'orographie algérienne et des
o50 mètres; à Touest, les jardins forment une pointe autour de la grande
ségguia qui amène les eaux d'une source située à 3000 mètres environ
uu pied du Djebel Amour; cette pointe de jardin s'appelle Djeoane es
Solthan, parce qu'Abd el Kader y a campé, en 1838, lorsqu'il assiégeait
Aïn Madhi.
Au sud sont les marabouts de Sidi Moussa et Sidi Mohammed TArbi,
fils de Tadjini ; les chérifs ont leur tombeau dans la mosquée. Il y a deux
portes : Bab Segguia à Touest et Bab el Kébir au sud, près de la mosquée.
Les rues sont étroites, resserrées, avec portes basses; quelques-unes
d'entre elles sont de vrais couloirs sombres après midi.
Au sud et au 8ud<-est de la ville sont les collines de Kobour Yehoud et
de Foum-ed-Djïr.
Au nord-ouest, à 3000 mètres, on voit les collines de Talza et de
Smenna (Zmeila).
Au delà des jardins, le sol est cultivé au sud et A Touest, mars Touest
ne présente qu'un sol pierreux. On ne voit que trois palmiers dans tout
l'oasis d'Aïn Madhi.
On montre encore, dans le rempart nord-ouest, la trace d'un des boulets
d'Abd el Kader ; la pierre présente une excavation du centre de laquelle
partent cinq ou six fissures. On montre aussi des excavations souterraines
par lesquelles Abd el Kader essaya de pénétrer dans la ville, ne pouvant
la réduire par force.
Outre l'eau abondante de la source extérieure, Aïn Madhi possède
quatre puits pour parer aux éventualités.
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 293
différentes explications qui ont été données sur les origines
de sa formation. Un caractère spécial à l'Algérie, irrécusable,
est que les trois grandes chaînes de TAtlas sont sensible-
ment parallèles au littoral et forment des bassins qui ne
sont interrompus que par les rivières qui descendent en
grand nombre des plateaux supérieurs, les traversent par
des coupures étroites, résultant des grandes différences de
niveau que nous avons constatées.
Déjà, avant Tinstallation française en Algérie, M.' Élie de
Beaumont avait rapproché toutes les chaînes qui traversent
cette contrée, de trois des axes principaux de dislocation de
l'Europe méridionale, attribuant ainsi leur formation à des
soulèvements anciens.
Les études spéciales de M. Renou, membre de la Commis-
sion scientifique de l'Algérie, faites en 1840, 1841, 1842,
amenèrent ce savant ingénieur à attribuer la formation du
grand Atlas au soulèvement des grandes Alpes, dirigées
est 17* à 18<> nord. Suivant lui, le pic de Ténériffe et TEtna
seraient alignés sur une direction exactement parallèle à
cette chaîne; de même que la Sierra Nevada d'Espagne a le
même alignement entre Madère et le Vésuve.
On sait, en effet, aujourd'hui que les terrains secondaires
forment généralement la charpente osseuse de l'Algérie, et
que leur direction la plus fréquente correspond bien à
l'angle est 16'>nord, caractère dominant du soulèvement des
Alpes, qui s'est manifesté après le dépôt des terrains supé-
rieurs.
Des études ultérieures ont également fait connaître que
les terrains secondaires se distinguent, en Algérie, par la
hauteur et l'aspérité des chaînes de montagne qui les con-
stituent, par l'abondance et la pureté des eaux qui les sil-
lonnent. On a remarqué qu'ils se composent le plus souvent
d'argiles schisteuses grises, au milieu desquelles on ren-
contre des grès quartzeux et du calcaire gris compact à
texture cristalline.
soc. DE GÉOGR. <-^ 2^ tRIMESTRE 1885. VI. — 20
204 LA RÉGION ALGÉRIEKHE
Avec ces données on a pn recueillir, dans les montagnes
de TAurès et dans le sud de^ proTinces d'Alger et d'Ckan,
des obsenraiions suMsanles pour donner une idée de ces
terrains. C'est d'après ces observations qae M. Ville a
eonelu appartenir au même soulêrement la grande chaîne
unissant le Djebel Amour à TAurès et «e prolongeant au
sud-ouest jusque dans le Maroc.
M. Renou rattache toutes les antres chaînes du Tdl et
des Hauts Plateaux à ce souIèTement. Il retrouve le terrain
pyrénéen dans le Dahra, près de Setif et de Biskra, le ter-
rain volcanique de la Sicile dans les Trara et dans les ba-
saltes d'Aîn Temouchent, de la Tafna, de Rachgocm et des
îles ZafTarines. En résumé, d'après M. Renou, en Algérie, le
soulèvement des Pyrénées aurait produit des hauteurs de
i^OO mètres ; celui des Alpes Occidentales, des hauteurs de
600 à 800 mètres ; celui des grandes Alpes, des hauteurs de
1400 mètres et le résultat des croisements await donné des
hauteurs de 1800 à 2000 mètres.
Tous les ingénieurs qui se sont oorapés^ de TAlgéiie,
MM. Ville, Pomely Dubocq, Fonrnel, Vatonne, Brossard,
Goquandy Poujranne, etc.. admettent en principe le soulè-
vement, comme origine de l'orographie algérienne.
M. Pouyanne va plus loin : il a distingué, dans les mon-
tagnes au sud du Ghot Ghergui, seize directions différentes,
orientées de nord 8^15' ouest à nord Sl'^Aff ouest et corres-
pondant à des directions observées en Europe, produites à
des époques différentes.
M. Renou retrouve encore la direction des graiMles Atpes,
dans la série des iacs salés des Gfaots, des Zahrez et 4u
Hodna.
M. Pouyanne, de son côté, prétend que la dépression de ces
lacs serait due non pas à un effondrementoni rérosioQ,mais
bien à une évaporation graduelle; il admet que les eaux
pluviales, accumules dans ces déplissions pendatni FUver,
dissolvent par places les couches calcaires et péoètrent dans
TRAVERSÉE »AB. LE MÉftOttEK DE PARIS '896
le sablfi aoM^Tjiioeniejat y £atsaB>l passer toa calcaîres piilfé-
risés; que la surface des sables finit par être mise à.au et
qu'afnès.r^vaporaiiioii desr eaux, pendant l'éié^.teiie >sutlace
devient p^ivéïmleate et.mobile; le ^nt eimporte k sabita et
la succasâion desr naéoie phénomènes se produit sans oes«e
tant que les ntôme^causesi existent.
M. Yilley d'après la gran<iiet direction iongitudinato de œs
dépressions en forme de cuvût4ie dont le grand axe e&t paral-
lèle à la dîKotion des ehafoe&qiii la Uaoitent.au nordieXi au
sud^oonolutquecea^dépiressions sont dnea k un mouvement
géologique in^lérreiir et non à une érosion cauaée piar les
agents extérieurs. Puis, comme on sait que.cea mouvements
intérieurs sieaûat produite suivant «ui grand corde,, on doit
supposer que le mèmaâDuldvfiment., q«i<a' donné aux mon-
tagnes Yokines leundipoctton est. 16* nord, a<dû>oaufittin «nssi
ce parallélisime que l'on remarque dasnia vallée et dans le
grand axe des lacs^
La. eonamoiion intérÎAare qui, bouleversa akxrs la nord de
la presqu'île africaine se fit sentir d'une façon plusxp«ffs-
aante sur deux pointa principaux : le Djiebei-Aarës^ d\ine
part, le Djebel Amour et l»v Makoa de Uatutre. Aussi ces
deux maesifs atiei^nenH-ils une altitude pitu& grande que
l«ars ToisiAS. Lss teoeaine tediaiine avoisinanUs. damnt
subir «Ae inftiienee analogue; c'est aioei qu'on peut exfAi-
quer l'élémtiion des tâbis. de TaUéo qui dcacnndenlidnj Djebel
Attoèfi eidaD^etbel Amoun, «'eat-àrdire la formation géolo-
gique des Haute Plateaiuu
D'apràft M. Ciiaoles Martina,. le» obotts> et le» lam salés
seraient left semis témoios. permanents da l'aftcieomi mer
qui CDVTiraifï le Saha/a^. Cette mer art^Uo exilsfeéi 9 La «on-
fermaiiAn extéiriewre du fialttis^ iiée* è l'existieoee if uni grès
Ma eongiométaA eeqoiUeir sor le Ikiocal de la HéiUenra-
née» onàm Oaan ta Bosgpei,. contenanli sur un* hauteur de
lOOèi30 wàÉrea^dBsdébri&dè iHDllus^pasqidtappaiitieiiiient
à desi esfèces «cora nmanéts,^ coudniai diwrs géologaes à
296 LA RÉGION ALGÉIlIBNflE
regarder FAfriqae du nord^ comme récemment émergée
des eaaz.
D'un autre c6té, la rédaction des anciens glaciers des
Alpes, correspondant à rapparition d'un vent sec et cl^aad,
le foehn, on en tira tout d'abord cette conclusion que ce
vent est d'origine africaine, qu'il se dessèche en passant sur
le sol embrasé du désert, et que son apparition a évidem-
ment suivi Témersion du Sahara.
Cette théorie était séduisante, mais il fallait s'assurer que
l'Afrique du nord eût été recouverte par les eaux au com-
mencement de l'âge géologique appelle communément l'é-
poque glaciaire.
C'est dans ce but que M. Ëscher de la Linth, en compa-
gnie de MM. Desor et Charles Martins, entreprit une course
laborieuse dans le Sahara. Le voyage fut heureux : M. Desor
trouva, sous les dunes du Souf, un grès stratifié récent avec
des indices du Cardium edule; puis, près du Chott Melrir,
des fragments de Buccinum gibberulum et de Balanus
miser.
Us en conclurent que la mer a recouvert le Sahara au
commencement de l'époque géologique actuelle.
M. l'ingénieur Le Ghâteiier, attaché à la mission des
chotts algériens, a constaté la présence du Cardium edule
dans des gours ou témoins, Ilots fossilifères élevés de
10 mètres environ au-dessus du niveau des chotts ; mais,
étant donné et constaté le seuil de calcaire tertiaire de
Gabès, il n'admet pas une mer communiquant avec la Mé-
diterranée et croit à l'existence d'un grand lac saumâtre.
^ Quand et comment cette mer ou ce lac intérieur a-t-il pu
disparaître ? Suivant M. Le Ghâteiier, l'évaporation l'aurait
emporté sur Tascension des nappes liquides souterraines, à
la suite d'une modification de la température dans le nord
de l'Afrique. Suivant M. Charles Grad, la disparition de
cette mer serait due à de fortes oscillations glaciaires; il
établit que, par suite du mouvement cosmique, la distribu-
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 297
tion de la chaleur à la surface de la terre subit une variatioa
très régulière et périodique , variation qui augmente ou
diminue les glaciers. A ces oscillations glaciaires corres-
pondent des mouvements du sol ou mieux des déplacements
des nappes liquides à la surface du globe.
Une autre hypothèse récemment émise, et qui découle de
la précédentCiest celle d'un déplacement brusque du centre
de gravité de noire globe qui se serait produit à la suite
d'une accumulation de glaces à l'un des pôles; l'énorme
masse liquide, dont l'équilibre aurait été rompu, se serait
déplacée à son tour suivant une direction donnée, creusant,
balayant les parties solubleset peu résistantes et formant ces
innombrables sillons qui couvrent le nord de l'Afrique, et
ces crôtes parallèles qui les séparent. Ici^ plus de soulèvement^
ce serait l'érosion qui serait l'agent extérieur. La constitu-
tion topographique de l'Algérie semblerait se prêter à cette
théorie; les eaux, suivant actuellement les thalwegs forcé-
ment creusés dans les sillons signalés, seraient conduites
dans les grands cours d'eau descendus des crêtes ou plateaux
supérieurs et qui, par une nouvelle érosion perpendiculaire
à la première, se sont fait brèche à travers les crêtes infé-
rieures. Une orographie d'ensemble, construite sur une
planimétrie rigoureusement exacte, comme celle d'une ré-
duction du cadastre, permettrait de saisir la continuité et
le parallélisme des chaînons dans les massifs du Tell qui
paraissent inextricables à première vue ^.
Mais n'y aura-t-il pas toujours la constitution géologique
et la stratigraphie des montagnes, pour donner aux partisans
du soulèvement des arguments palpables et irréfutables ?
Malgré ce qu'ont de contradictoire les opinions que nous
venons de rapporter, nous n'avons nullement l'intention
de les discuter ni de les combattre. On doit croire qu'elles
1. C'est ce qa'a fait le commandant Titre, ancien chef du service topo-
graphique à Alger.
208- LA KÈ61(»ff ADBtRiBNNe
reprès0RHBii<l'bien les faits m» fçmt chaque obmwaiour et la
seule eoivel^ion à tirep d& ^eurdisemniance, c'tectt qoluiie
lor générale a ]»p§cédé à la fermaiioii dci veliief «^gérien et
qfie'eertanms commolknis «géologiques seut 'Tenuefriaiiiodi*
fîer en de nombreux endroits, sans toulelois détraivel/liar-
mmne' primitif.
Les b«Bde» roehenaes ^ni «e dressent sur les itarls
Piaiteam appartienne»! à ta période secondaire. Il en: est
dem^^e pour les massife monta^eux de P)«fliel Amour et
du fienalfca; on y distingue les terrains orétacési suiifiaiils :
terrain néoeoRrien, eraîe cbloril^e, craie blaneke.
Des grës quartzeax^ et des calcaîres^ gvis compactas à
texture cristalline composent général>ement les sommets et
les flancs deces' monita^es. Sur leurs âer&îères pentes on
rencontre des marnes et des^ schistes argileux gfis. En ^lu-
sieurs poin(^, ces deraiëres roches se ftrou^ent intercalée»
dans des parties âe ealcanm tertiaire; sur les flancs, ces
roches alTèctent Faspect 4» grandes plaques inclinées les
un«s SOT' les antres ftrès af^arenl^es au l^ebel Lasereg)^
terminées par des arê1.es ai^ës dtont k plusr élevée fbroae la
crêl^' de la chaîne. Les larges mliervallesqni; règlent sur ks
Batfts Plateaux entre ces bandes roellieuses sont occupés
par'Utt terrain herisentaJ', un pev saAé, coinpnsé de dépôts
séditnentarres de sable, tantôt purs, tantôt marneux cm
gypsenx, entremêM de queîqties eouciles ealcanres. Ce tar^
rain appartient certainement â f époque «quaternaire*
Le sol superfictel consiste en* une nftinee coveka de cd-
cair& terreux &Fa»c jaunâtre ^i se détrempe fiusiïemenl
parla pMé et devient e4nrs aseeor plMtîqae'. Les bassins dw
Ziahfèz sont, cofErme les Ifautis FlateaH:r, des baisms qnaiev-
naires, se rattachant par des alluTions amcienane» an terrain
crétacé des* montagnes qui les Umît^nt aU' nord^et ait sud.
La plaine ondulée entre le Ras Taguine et le bas des pentes
diii Baoi HasHiiAd eai, pair exfiepAiAih, tojtméfd. de teffcaînis
secondaires; la carapace calcaire, couverte de eliihk, ent -■
TRAVERSÉS FAR LE MÉillDIBlf 0E PARIS. 299"
souvent à découvert,à oOté de grès quartzeux^ ferrugineux,
crétacés, qui affleurent par plaques. Le terrain tertiaire
stt|>é£ieiir est très peu développé dans la zone des Hauts
Plateaux; on en observe quelques affleurements sur la
lisière sud du bassin des Zahréz*
Le tertiaire moyen eouvie en partie les pentes sud du
moyen Atlas qui formant la lisière méridionale du Tell. Le
terraia jurassique a été observé au nord du Djebel Racheîga.
Eafin le sol avoisii^ni les thalwegs des grands oours d'eau
est formé d'ailuvions modernes. Les eaux sorties des terrains
secondaires sont plus potables que celles qui viennent des
terrains tertiaires* Les eaux sortant des bas-fonds ou des cols
inférieurs sont presque toujours saumâtres ou légèrement
«ulfureuses.
VOISS V& C01UnJ2riCATH>M '
On peut les classer en routes militaires reliant nos postes
d'occapalîon, et en chemins indigènes tracés par les habi-
tants des trifans nomades ei qui indiquent les voies suivies
par les productions sott daufô leur déretoppement, soit vers
leurs débouchés.
ROirrSS MUITAIRCS
l"" De Boghar àLnghouat. Cette route est une de celles qui
refienl le Tell au sud; elle est carrossable^ Les étapes sont :
Bou R'ezoul (29 kilomètres), A!n Oussera (31 kilomètres)»
Caelt es Stel (38 kilomètres), Rocher de Sel (42 kilomètres),
Bjelfa (18 kilomètres), Ain el Ibel (40 kilomètres), Sidl
Mnkloot (36 kilomètres),. Laghonat (43 kilomètres). Cette
route est iacîtey prescpoe toujours en terrain à pieu près plat;
eMe a de L'eau à chaque étape, prè» des caravansérails» Elle
ne présente qu'un passage étroit, le Guélt es Stel.
2"* De Géryville à Laghouat. RDute tracée par la main
300 LÀ RÉGION ALGÉRIENNE
d'œuvre indigène, sur une largeur de 3 mètres. Ses étapes
sont, à partir de Laghouat : Ouad Recheg (20 kilomètres),
Tadjemout (25 kilomètres), Aïn Madhi (26 kilomètres),
Ksar Reddad (12 kilomètres), Taouiala (26 kilomètres),
Kheneg el Melab (24 kilomètres). Ras Oued Mekheînza
(24 kilomètres), Aouinet bou Beker (28 kilomètres), Géryville
(24 kilomètres). Cette route côtoie ou suit des lignes de
séparation d'eau, ou bien elle passe d'une vallée dans une
autre par des cols qui appartiennent à ces lignes. Le point
le plus difficile est le Teniet Reddad. Sur son parcours ou
aux environs sont les ksours importants de Stitten, Bou
Alem, el Hadjeria, Sidi Tifour, el Magta, Taouiala.
3"* De Laghouat à Teniet el Had, par Zenina, Dayat Rad-
jelane, Taguine, Ghellala, Aïn Fedoul et l'Oued Issa.
De Taguine à Ghellala il y a deux routes ; Tune plus facile,
mais plus longue par le Teniet Djeffala ; l'autre plus courte,
par Aïn Leféah,mais qui gravit la montagne de Ben Ham-
mad en serpentant sur les flancs.
4^ De Ghellala à Boghar, par el Kbeïtar, Ghabounia et
Bou R'zoul, route facile^ mais peu riche en eaux.
B"" De Laghouat à Aflou, par Aïn Madhi, Foum Reddade,
£1 R'icha et l'Oued Ghouabir, ou bien par Tadjemout et el
Ouaren ; mais celle-ci est très difficile.
6' D'Aflou à Djelfa, par Sidi Bou Zid, Zenina, Gharcf
et bah Messaoud.
7** D'Aflou à Géryville par le ras Medsous et Taouiala.
8o D'Aflou à Taguine par le Kheneq el Malah, el B^da,
Feiderrigha, Souani et Djelila.
9» D'Aflou à Tiaret par le Guelt Sidi Saad, Hacian ed Dib
et Aïn Oussekr. Ges chemins qui ne sont le plus souvent
que des sentiers, suivent ordinairement les vallées des
ouads; en plaine, ils se dirigent sur des sommets connus,
ae manière à passer auprès des sources, de puits ou de r'dirs.
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 301
MÉTÉOROLOGIE
La région des Hauts Plateaux, la plaine de Zahrez, la
contrée montagneuse du Djebel Amour et du Senalba, ont
un climat qu'on peut qualifier d'excessif. On a vu à Laghouat,
dans la même année, le thermomètre* descendre à — 7° et
monter à + 45° à l'ombre. A Aflou, les températures
extrêmes sont — 3*» et + **"• « Ce climat excessif est dû à
deux causes distinctes : l'altitude de ces régions et leur
latitude ; les vents et ]a nature des terrains agiraient alors
comme des causes secondaires susceptibles d'augmenter
l'efiPet des premières *. »
L'altitude moyenne des Hauts Plateaux est de 800 mètres.
— IjC Gourou et le Sidi Okba, dans le Djebel Amour, attei-
gnent 1700 mètres; aussi la neige et les frimas y règnent-ils
l'hiver.
L'excès de chaleur en été surprend peu, quand on songe
que, par suite des brusques abaissements de la côte vers
l'ouest, les contrées dont il s'agit sont placées entre le 35*
et le 33* degré de latitude.
Entre les deux saisons extrêmes la transition n'est jamais
subite ; elle est amenée par des séries d'orages qui se renou-
vellent presque chaque jour au printemps et surtout en
automne.
A Laghouat, la température moyenne est de 18% 6 ; maxi-
mum 47% 5, minimum 4*. Les vents nord-ouest, nord et
ouest, en hiver ; sud-ouest, sud et sud-est, en été, se par-
tagent l'année. Il y a 22 ou 23 jours de beau temps par
mois, 2 ou 3 jours de pluie en moyenne; quelques orages,
neiges ou gelées rares ou de peu de durée.
L'hiver y est moins rigoureux que dans le Sahara Oranais.
Le premier mois d'hiver est novembre^ le premier mois
s
i. Rapport de M. le capitaine d'état-migor Derrécagaix.
30i LA BÉGION ALCaSRlENNE.
d'été est mai. Il n'y a que deux saisons : l'été, de mai à
octobre inclusivement; l'bÎTer de nofembre en avril.
Les Hauts Plateaux sont sujets à des brouillards très
intenses, après les plaies on bien lorsque le vent da nord
souffle après le Sirocco. Le 20 avril 1877, près de Goudjila,
nous avons été enveloppés â*un brouiîiard aussi intense que
ceux de la Tamise; on ne distinguait pins rien â une dizaine
de mètres.
Les pluies commencent ordinairement en octobre, alter-
nant en novembre, décembre et janvier, avec des séries de
beaux jours ; elles se renouvellent à des intervalles irréguliers
«n février et mars, pour finir en avril.
Les pluies d'orages qui marquent la fin de la saison chaude
sont violentes; les ouads desséchés, transformés alors en tor-
rents impétueux, roulent des quantités d'eau considérable.
Au printemps et pendant la saison chaude, il règne sur
les Hauts Plateaux des vents dont la durée et la puissance
«ont surprenantes ; ils exercent sur le cKmat, sur la nature
du sol et sur l'économie animale, une influence pernicieuse.
Ils sévissent sur d^immenses steppes où rien ne les arrête;
ils transportent des tourbillons de sable et de poussière à
de grandes distances; ils engendrent de brasqaes change-
ments de température et contribuent à donner an Tell Saha-
rien ce climat excessif qui est un de ses caractères. Néan-
moins la région est saine, l'air sec et pur ; mais il faut prendre
des précautions hygiéniques et surtout bien se couvrir.
DIVISIONS MIUTAIRES ET ADMINISTRATIVES (en 1878)
Le terrain reconnu est traversé, le long du méridien, au
sud, par la limite des provinces d'Oran et d'Alger; les points
principaux de cette limite sont le Ras Merkeb,le Mdaouert,
le Guebr el Hachi, le pied nord du Djebd Ardia, le Daya,
Mouchegague, TOued Touil entre Taguine et les puits de
Djelila, le Teniel el Onaebe, le Bjebel Bazzisa, le Djebel
TRAYERSÊ« TkVi ^^ Utim^fi Ofi PARIS. 3DS
Rsrc^eïga, VOaed Mechti JHsqa'à Afn Etearit, «tic* Timit ce
territoire est militaire.
Province âVran. -^ Bans la fnrMAM)e id^aw^ sobdifi-
sion de Mascara, le TDfjebd Amour , avec tes tribus des
(Wlad Mimoun, Otïlad Sidî Brahim, Ottla^ en Naoer, Oufed
Yakoub e1 Raba, les Guememta, fait parti du œrele de
G'éryriïle, annexe d'Aflon.
Les plaines de Sakenî, de Kosnî, tes 'Djel^Is Kador, Fôr-
tass, Goadpfla et la plaître de 'Soosseltem eH 4b. %aat îSersou
dépendent da cercle de Tiareti; les tri6u^ sofit les Ooflad
Khélîf, les Crnenadsa et les Sabri.
Province dAlger. — le reters nïêrîfional de FA4!as
moyen, dB la frontière fie la pTatittCe d^'Oran au méridren
de Tagnensa, et la phrne de Sérson jnsqu*^ VOued Meeheti,
dépendentdela commune mixte de Teniet el Had.lies tribus
qui l'habitent sont tes Beirî Lettr, Beiri Méïda,'Oûktt! Aîedd,
Onîad Hayane, Blaôl, Sionf, Aziz, Douî Wacem.
Dans la subdivison de Médéa, le x^ercle de Bogbar a ponr
limite, au sud, le Dejebel Oukaït et à l'ouest la frontière
d'Oran et la Itaiite do cercle de Temet elHad^Ses tribus sont
les Zenakra, Oulad Ahmed Racheïga, Oulad Aïssa el Oureuq,
Qiibd A'isfla; tSciwagin^. QuMd M9m han Ader y Meggane,
Bm AiÊh^Ottlad Gfaaîbw
Le ùmte\& fde I))el& tooebe «u nord sa •oêknr de fiogbar,
de Taguine à Gueit es Stel; à l'ouest au eerele de Tiaret,
de Taguine à Guebr el Hachi; au sud, par une ligne allant
de Guebr el Ea^bi k TadoiU, il touche à. celui de Lagbouat.
Tpi&ubi r Oaïaé Rlouâni, CMad 'Oumbanl/ Abbarâ tlherf,
Oulad ben Tonnes, ZTenatha, Oaïaft ben Saad.
Onfi ligne riani&sjant Guebr el Hachi, Tadmîi et Jilokta el
0«rf;, «Btvet Aïn ^ Ibei ek 1Sq# MakiosI, eé^iaro le cenete de
DJeïFa de celui de Laghouat. Ce dernier tondié S Fonest à
raimexe d'Aflou,, de. Guebr et BadiL à Fodim Reddad par le
MémueTi A» 98é dé VovraReddaid', ^ eoofine an eerote de
Géryville.
304 LA RÉGION ALGÉRIENNE
Tribus : Mekhrelif Lazereg, Larbaa, Amamray Tadjemout,
Aîn Madhi.
Lieux de ravitaillement. — Teniet el Had, Boghar,
Djelfa, Laghouat, chefs- lieux de cercles et de communes
mixtes y offrent les ressources nécessaires en vivres et en
fourrages.
A Aflou deux boulangers militaires font du pain; le poste
se ravitaille à Tiaret tous les huit jours.
Les caravansérails de la route de Boghar à Laghouat sont
approvisionnés en fourrages; ils fournissent aux militaires,
sur des bons, le pain, le sucre et le café. Les voyageurs
peuvent y trouver des lits et une table passables.
A Zenina, Charef, Tadjmout, Aîn-Madhi, R'icba et Sidi
Bou-Zid, il y a des petites boutiques d'épiceries tenues par
des Mzabites.
Ghellala, comme nous l'avons déjà dit, est le seul endroit
des Hauts Plateaux où Ton peut se ravitailler entre Aflou,
Teniet el Had, Djelfa et Tiaret.
ORIGINE DES TRIBUS DU DJEBEL AMOUR.
Avant les invasions arabes, le massif montagneux, qae
nous avons décrit sous le nom actuel de Djebel Amour,
s'appelait le Djebel Rached et était habité par la tribu ber-
bère des Demmer*.
1. Je n*ai trouvé nulle part de documents signalant Toccupatioa de
cette région par les Romains. La carte de l'Afrique romaine du capitaine
Nau de Ghamplouis indique le Djebel Amour sous le nom de Mous Kin-
naba, avec un point d'interrogation. Pourtant des ruines romaines ont été
signalées à Guehara, au sud du Hodna, au sommet du Bon Kahil et à
Blessad près de Laghouat. — Le seul vestige romain trouvé jusqu'à ce
jour dans la région qui nous occupe est une pierre commémorativei avec
inscriptions sur les quatre faces. EUe est chez les OuladSidl en Nasseur^sur
la rive droite de TOued Agueneb, afluent de l'Oued Ksab. — L'inscription,
d'après M. Béron de Villefosse, se rapporte à une expédition fort heureu-
sememt accomplie ou à une station (Thasunus) terminée par une veml-
latio.
TRAVERSÉE PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 305
Les premiers Arabes qui vinreut dans le pays, vers le
miliea du vu* siècle, furent les Athledj, fraction des tribus
Kerfa. Ils se cantonnèrent à l'ouest, les Demmer s'instal-
lèrent à leur place dans la région fertile du Haul^Sebgague.
Ils avaient pour cbef el Adjel et leurs descendants furent
désignés sous le nom d'Adjalates.
Quelques années plus tard, les Amour envahirent la con-
trée, chassèrent les Adjalates de la montagne qui s'appela
dès lors Djebel Amour, et restèrent les maîtres du pays.
Les indigènes du Djebel Amour se rattachent donc aux
Kabyles Demmer et aux deux branches arabes des Adjalates
et des Aroour<
Nous allons examiner succinctement les tribus qui en
descendent.
1° TRIBUS KABYLES. — Lcs descendants des Demmer sont
les Ghementa, les Oulad ali ben Amour, et une partie des
Oulad Yakoub el Ghaba.
Ils habitaient autrefois à l'est de l'Oued Morra ; à l'arrivée
des Arabes dans le pays, ils cherchèrent asile dans les forêts
et les terrains accidentés qui avoisinent le haut Mezi.
Ils sont paisibles, cultivent des jardins et font du gou-
dron.
Lors des incursions ennemies, ils se réfugient dans leurs
gadas.
Les Ghementa occupent le territoire d'el Groune, deMadena
et de la Gada Gherguia. Les Oulad Ali ben Amour ont
quatre douars dans l'annexe d'Aflou, dans la région du
Djebel Gourou ; les autres dépendent de Laghouat et de
Djelfa.
Les Oulad Yakoub el Ghaba habitent El Gh'icha et Ënfous.
Les premiers habitants d'El Gh'icha furent les Mouissat
qui ont tous disparu. Les Oulad Riah des Amour ont occupé
le ksar après eux et en ont vendu les propriétés à des indi-
gènes de provenances diverses qui ont formé la tribu actuelle
des Oulad Yakoub el Ghaba.
B66 LA néfiMMK àLGÉm%ms^
lis coHypremieafl quatoe douaors; les Outod Seroiup, le^
BeLlaaiy ilss Klbovaiidfs (fornés àarlianar) e£le8iNekahi«
En iSMy les* Oakd SiéU Œbeiisfa) tûntea* liétoiiee: les; ja^
dms d'££<Sib'iehaL Les Oiuibad: Yakouè el <iibaiJia paGl»èit«t
ayee e«Ec, mais oe sartireni pa& <lu paysv,
2« LES ADJÂLATES. — Lf» Aj^slates». idiassési da Sjobel
Racbedi paries A^noar^ s'cn&iirent «b fjrasoàù ipa^e aotoord-
ouesÉ; et alièrenib à Mascaitav Ceux qui restèrent danâk payis
â'alliëmnt bieatàt par des maniages- àfvac les Aiiiouf at for-
mèrent en. s'unissant àeuocvume sarle de .eonlédératMi -qui
ne S'^esi jamais désagrégée»
Avant l'arrivée des Français, les Adjalates éiUient «om-
noaiiidbés par uii>e dfsmaa^ Lors>de leoc scNamisfiioa w> tHi,
on leur donna un caïd. En 1847, ils formèrent ixms eoklats:
i' Ouiad Sids Abmed ben Saïd;
'2'^ Ouiad en Nasser ;
S' Oulad Sidi Brahim.
Les Oalad S«di Abmed bea SaM soiiit Jes descendants ci-
rcct's di'el A^djd. ils sont répartis en seçsi diouars : Ouiad Sidi
el Adeb, OudadiStdi Yahia, Oi]l»d Aibdallah,. ûtekid Tafaar,
Oolad bou Halleufo^ Oalad 4aueUoida «I Ottàad bea Guel-
loula. En 1864, le caïd si Mohamed ben Mouaz resta, fidèle
avec le douar SàéÀ el Adeb ; il irejoigniA avec ses 4^valiACs la
colonne du général Yusuf.
En iêù^f ils suiiiriflrent arec ieits gmimsi 1a<.cq1ooaç du
général Delk^n;.
ËQi i^ly loirs de ratflttiOQce jde Vjtpppodie de^SidiKaddiOiur
bein Hamaga^ ils s'enfinraivl; sur te iîerdtoi reides Barrar»
Ils occupent actuellement le territoire de l'Oued elBfilda,
enire le Djebel ei Allof «I le luardaSidiBotU Zid.
Les Oakd ea Kasacr,. au nord de Sidi. BoaZid, eompren-
aenl qnatre douara^ ks Oulad €l Gaid^ les 0»lad ben. Aœ«r^
les ElAUdAtet tes OukdKheliiùioiiûerkaDna^aîflBsiQoaiiBés
parce qu'ils onA qmlté momtaAaiiéaieatks Adjalaies^a^s
une discussion, pour aller haUteir mu awtni piays-j •
TRAYERSÉC PAA LE MÉRIDIEN DE PARIS. 307
Les Ooiad en Nasser ont fait ^feetioa «n 1864. £a iiùl,
ils s'enfuirent d'Ël Beïda à Bogbai* et ne rentrèrent chez eux
qo'après le ccMnbat d'Aïn Madhi.
Les Oulad Sidi Brahin^ ont leujrs quatre douars dans la
vallée de TOaed Berkana; ce sont les Oulad Sidi Abd el Ka-
der^ les Oulad Marabtine, les Oulad Boucherit et les Oulad
Mezzien. Une fraction du douar Oulad Marabtiœ yiept de
Tadjerouna.
En 1864> ils &al fait défection, mais Si Hamza les aban-
dcmna f^ree qu'ils n'ayaient que des bœufs comme moyen
de transport.
En 1867, ils furent razziés sur l'Oued Sebgague, près de
la Koubba de Si bel Kassem par Kaddour Ould Hamza.
Ils se sauvèrent alors dans le £ef de Sidi Zin et de là à
Taguine.
3"* LES AMOUR. — Les Amour forment aujourd'hui les
deux tribus des Oulad Mimoun et des Oulad Sidi Hacnza qui
occupent la partie la plus fertile du Djebel Amours les
sources de l'Oued Sebgague et le plateau d'Aflou.
Les Oulad Mimoun descendait des Douaonida, branche
des RiaÏL lis comprennent les cinq douars suivants : Oulad
Daoud, Oulad Adda, Ferachiche, Zerakka, Oulad en Nadri.
Diverses populations d'origines diverses sont venues se
joindre aux Oulad Mimoun, ce sont :
l' Les Oulad Sidi ben Abdallah;
2' Les Oulad Saad» issus des Harar ;
d^ BlSbadra, parents des serviteurs des Oulad Sidi Cheikh
d'ElAhiod;
4" Tasuiala, habité par les Oulad Sassi et les Oulad Tarki ;
5"" Les Oulad Tikhil, parents des Hamyanes ;
&* Kesaoura;
7"" Rehamna» sixième propriétaire du ksar d'Aflou et de
Bo» Klierouf 9 d'of igine berbère ;
8* Les Oulad Riah, premiers habitants d'el (ihicfaa;
9° Les Chekkala, anciens possesseurs des terres du Haut-
308 LA RÉGION ALGÉRIENNE
Sebgague. La beauté de ce territoire excita la jalousie des
Amour qui s'en emparèrent de force;
10« Les Sidi bou Zid, qui ont leurs ancêtres enterrés à El
Hamra; ils sont frères desBou Azid de la province de Gons-
tantine; ils forment deux douars : les Oulad Halymoa et les
Zehalguine;
11*^ Les Atamna.
Depuis 1267, les Oulad Mimoun ont régné en maîtres sur
le Djebel Amour. Ils furent soumis aux Turcs et reconnu-
rent l'autorité d'Abd el Kader. Ils firent acte de soumission
en 1843.
Le premier agha fut Yelloul ben Yahia ben Daoud, mort
en 1854 ; son frère, Ed Din ben Yabia, lui succéda.
En 1864, surpris par Tinsurrection qui l'avait entratné,il
est venu, le premier de tous les chefs indigènes, faire sa sou-
mission au mois de juin. Enjuillet il laisse ses tribus entrai-:
nées de nouveau et se retira à Taguine, où il perdit toute sa
fortune. Il se réfugia à Laghouat au milieu de la colonne Yu-
suf.On dit qu'il sauva les cavaliers de remonte en les faisant
habiller en femmes et qu'il les fit partir sur des palanquins.
L'agha Ed Din est officier de la Légion d'honneur, du
7 septembre 1877.
Les Oulad Sidi Hamza ont les mêmes ancêtres que les
Oalad Sidi Hamela de Mesila. Ils se subdivisent en Oulad
bou Chemial, Rherazza, Hadjadj et Droura.
4* TRIBUS ÉTRANGÈRES. — LoTs de la coustitutiou de l'an-
nexe d'Aflou, à la fin de 1872, on accrut Taghalick de nou-
velles tribus prises soit au cercle de Tiaret, soit au cercle de
Géryville.
Ces tribus sont :
1** Les Oulad Sidi en Nasseur. Ils se disent Cheurfa et
descendent d'un marabout originaire de Mazouna qui vint,
sous les Turcs, se fixer sur l'oued qui a depuis porté son
nom. Ses descendants ont toujours été tributaires des Amour
pour les terres de culture qu'ils leur louent.
TRÀVERSÉB PAR LE MÉRIDIEN DE PARIS. 909
^ Les Oulad YakoubZerara sont issus des Hilal qai habi-
taient autrefois l'Oued Zergoun. Us forment aujourd'hui
deux kaidats : Gheraga et Gharaba (est et ouest).
3"* Les Laghouat du Kesah Ils tirent leur origine des aven-
turiers qui, de tous les pays, se réfugièrent sous la protec-
tion de lazaouiade Sidi Gheïkh. Parmi eux, les Oulad Azsa
viennent du Djebel Amour, les Oulad ben Okba des Oulad
Sidi en Nasseur, les Oulad Aïssa de Kerakda. Aidés des
Saîtatba, ils chassèrent les Béni Amer, puis plus tard ils
battirent les Oulad Ghaib et restèrent seuls maîtres du
pays. Ils sont aujourd'hui divisés en trois tribus : les Oulad
Moumen, les Rezeigat et les Oulad Aïssa ou Gueraridj.
En 1832, les Oulad Mouroen, suivant les drapeaux du chef
des Oulad Sidi Gheïkh Gharaba, furent battus à Askourk par
16 chef de la zaouïa de l'est, ayant avec lui les Rezeigat et
les Oulad Aïssa.
Les Laghouat vinrent d'abord faire des offres de paix au
colonel Géry, lors de son expédition sur Brezina en avril
et mai 1845, puis se soumirent au colonel Renault en juin
1846.
En 1864, ils ont fait défection.
4*" Les Ahlouiakal formaient sous les Turcs une confédé-
ration composée des six fractions suivantes :
l** Oulad Bou Ali (El Hammouida et Bou Alem) ;
2^ Makena, descendants d'un renégat ;
y Oulad Sidi Tifour ;
4* Oulad Zeïd ;
5® Oulad Bou Medien ;
6"» Oulad ben Aïssa.
Lors de l'arrivée des Français ils ne formaient qu'un seul
kaïdat, dit des Makena.
Aujourd'hui ils forment les deux tribus de Makena et des
Oulad Sidi Tifour.
5<» TADJEROUNA ET EL MAïA. — Le ksar de Tadjerouna fut
fondé enrannéel006 del'hégyre par un nommé Si el Mihoub
S0€. DK GÉOGR. — 2* TRIMESTRE 1885. YI. — 21
310 LA RÉGION ALGÉRIENNE.
ben Mohammed ben Youssef, qui est Tancêtre des Oulad
Sidi Youssefy habitants actuels du ksar.
Ils gardent les grains des Oulad Yakoub Zerara et ont
quelques troupeaux.
En 1864, ils sont restés fidèles. Ils comprenaient les quatre
douars des Oulad ben Aïssa, Oulad Sidi Chenaf, Oulad Sidi
el Mihoub et M edabick d'el Maïa.
Le ksar d'el Mala appartenait jadis aux Âhl el Haoud
(Laghouat et Stittern). Si ben Hameïda céda le terrain aux
Oulad el Gharbi qui construisirent le ksar; battus par les
Makena, ils se réfugièrent à Khadra. Le ksar fut repeuplé
avec les Oulad Sidi Youssef et les Mdabich.
En 1864, ils firent défection et se retirèrent au Mzab. La
colonne du général Deligny détruisit le ksar en 1865.
Le Gérant responsable,
C. MAUNOIRy
Secrétaire général de la Commission centrale.
BouRLOTON. — Imprimeries réunies, B.
LA REGION AliN DE PARIS
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ, in-S".
i»««érie (1821 à 1833), 20 voL — (voL 1 et 2 épuisés),
2« série (1834 à 1843j,20vol.
S* série (1844 à 1850), 14 vol.
A* série (1851 à 1860), 20 vol. —(vol. 1 à 10, 15 épuisés),
5* série (1861 à 1870), 20 vol. — (vol. 1, à 6, 9, 11, 12, 1 et 16 épuisés).
6« série (1871 à 1880), 20 vol. — (vol. 7 épuisé).
T série (1881 à 1883), 4 vol.
Ce Bulletin, à partir de 1882, est divisé en deux parties. La première qui com-
prend le compte rendu des séances, les principales lettres de la correspondance
la liste des ouvrages offerts à la Société et les faits géographiques les plus impor-
tants est publiée dix jours après la séance.
La seconde qui renferme les mémoires, notices, rapports ou documents de
quelque étendue avec cartes, parait tous les trois mois. Prix : pour Paris, 20 francs
pour les départements, 22 francs; et pour Tétranger, 25 francs.
Table générale et analytique de la l'e et de la 2*, série. 1 vol. in-8*. Prix :
6 francs.
Table générale et analytique de la 3« et de la 4* série. 1 vol. in-8*. Prix :
6 francs.
Notices annuelles des travaux de la Société et du progrès des sciences géogra-
phiques, par les secrétaires généraux. Prix : 1 franc chaque notice.
Programme d'instructions aux navigateurs pour Vétude de la géographie physique
de la mer. Broch. in-8*. Prix : 1 franc.
Instructions générales aux voyageurs. 1 vol. in-16. Prix : 3 francs.
Compte- rendu du Congrès international des sciences géographiques de 1875.
Tome I, in-8«. Prix : 20 francs. — Tome II, in-8». Prix: 15 francs.
Cuide hygiénique et médical des voyageurs dans l'Afrique intertropicale,
par les D'> Ad. Nicolas, H. Lâcaze et Signol, publié par la Société de
Géographie et la Société de médecine pratique de Paris, avec le concours des
Sociétés françaises de Géographie. Une brochure in-8" de 100 pages. Prix :
2 francs.
Liste provisoire de bibliographies géographiques spéciales, par M. James Jack-
son, archiviste-bibliothécaire de la Société de Géographie.
Cette liste comprend 1177 articles se rapportant à la bibliographie des diverses
régions de la terre-
Un vol. in-8* de 8 et 340 pages. Prix : 12 francs.
Exploration du Sahara. Les deux missions du lieutenant-colonel Flatters^ par
le lieutenant-colonel Derrégagaix.
Un vol. in-8^ de 144 pages avec carte. Prix : 3 francs.
Fleuves de ^Amérique lu Sud, 1877-1879, par le D' Jules Crèvadx, médecin
de la Marine française, 1 vol. in-f* de 39 cartes avec tableau d'assemblage. Une
notice biographique et une bibliographie des travaux de Crevaux accompagnent
cet atlas. Prix : 25 francs.
La confrérie musulmane de Sîdi Mohammed ben AU es-Senoûsî et son domaine
géographique en l'année 1300 de rhégires=1883 de notre ère, par Henri Duvey-
rier. Paris, 1884. Brochure in-8° de 84 pages accompagnée d'une carte. Prix : 3 fr.
Liste de positions géographiques en Afrique (continent et iles), par Henri Du-
Veyrier. Premier fascicule A-G. Paris, 1884. In-f de 140 pages. Prix : 12 fr.
EXTRAIT DU RÈGLEMENT DE LÀ SOCIÉTÉ
ART. I. La Société est instituée pour concourir aux progrès de la géographie;
elle fait entreprendre des voyages dans des contrées inconnues ; elle propose et
décerne des prix; établit une correspondance avec les Sociétés savantes, les
voyageurs et les géographes ; publie des relations inédites, ainsi que des ouvrages
et fait graver des cartes.
Art. IV. Les étrangers sont admis au même titre que les Français.
Art. y. Pour être admis dans la Société, il faudra être présenté par deux
membres et reçu par la Commission centrale.
Art. YI. Chaque membre de la Société souscrit pour une contribution annuelle
de 36 francs au moins par année, et donne en outre 25 francs une fois payés, lors
de la remise du diplôme.
EXTRAIT DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR
Art. XXXI. \a Commission centrale a la faculté de nommer, hors du territoire
français, des membres correspondants étrangers qui se seraient acquis ;un nom
par leurs travaux géographiques. Un diplôme peut leur être délivré.
Art. XXXIl. La Société admet, sous le titre de Membres donateurs, les étran-
gers et les Français qui s'engagent à payer, lors de leur admission et une fois
pour toutes, une somme dont le minimum est fixé à 300 francs.
La bibliothèque, boulevard Saint-Germain, 18-4, est ouverte aux membres de' la
Société, de 11 à 4 heures, les dimanches et jours de fête exceptés.
Les envois faits à la Société doivent être adressés, francs de port à M. le Pré-
sident de la Commission centrale, boulevard Saint-Germain, 184.
S'adresser, pour les renseignements et les réclamations, à M. C. Aubry, agent de
la Société, boulevard Saint-Germain, 184.
MM. les membres de la Société de Géographie peuvent faire exécuter à leurs
frais des tirages à part de leurs articles, aux conditions du tarif ci-après.
Une f^*(16 pages)
Remise en pages, glaçage,
papier, piqûre, enveloppe de
couleur
3/4 de P^« (12 pages). . . .
1/2 f"« (8 pages)
1/4 de f»« (4 pages)
Couvertures, composition, ti-
rage, papier, glaçage
50
exenpl.
12 65
10 75
7 80
4 40
100
exempl.
15 55
12 60
9 60
6 30
tO »
150
exenpl.
18 95
16 70
12 05
8 85
1180
200
exempl.
2310
20 »
1420
1010
13 »
250
exenpl.
27 »
23 50
16 75
12 «
1515
300
exenpl.
3090
27 »
19 30
13 40
1645
350
exenpl.
34 80
31 >
2185
15 30
18 70
400
exenpl.
38 95
34 75
2440
16 95
19 75
500
exenpl.
45 90
4090
2995
20 50
2316
>tm
Composition d'un titre d'entrée de 1/4 de page
Composition d'un grand titre, avec page blanche au verso
Composition de quatre pages de titres (sans annonces pour les travaux
du même auteur) ',
Les corrections seront comptées 1 franc l'heure.
Le tirage de chaque gravure sera compté 3 francs.
2
4 50
6 50
BouELOTON. — Imprimeries réunies, B.
C . ô
t. —
La Société ne prend sous sa responsabilité
aucune des opinions émises par les auteurs des articles insérés dans son Bulletin
BULLETIN
/ô
/
DE LÀ
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHÏÏ
RÉDIGé
AVEC LE CONCOURS DE LA SECT.ION DE PUBLICATION
PAR
LES SECRÉTAIRES DE LA COMMISSION CENTAALB
SOMMAIRE
Rapport sur le concours au prix annuel fait à la Société de Géographie dans
sa séance du U avril 1885 jl-\ 313
Le D' Paul Neis. — Voyage au Laos (1883-1 884).. ^^^,,<rr0.^.-^v7P-:;^^ 368
J. Errington de la Croix. — Sept mois au pays yrfe fektiir.'TèlPàlr^âji^h^le
de Malacca). .A ,. /jl^ -, ^.j. ., t . , ^-k%\\ «A* ^^^
A.-L. PiNART. — Chiriqui — Bocas del Toro — VttIle\MiWiU'2^tfîWi4î«Via)rfa«»
le texte) .V^;^>-^ ^t^.'c:.y/.. 433
CARTES
Le D*" Paul Neis. — Voyages en Indo-Chine (1883-1884).
3* TRIMESTRE 1885
PARIS
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 18i
1885
PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ BE GÉOGRAPHIE
ItEGUËlL DE VOYAGES ET DE IMBMOIRES, in-i».
TOHE I*% contenant les voya^^es de Marco Polo. 1 vol. in-4'', 1824 (épuisé). Première
édition française» diaprés le manuscrit le plus ancien et le plus complet connu,
suivie d'un texte latin inédit. Ce volume est composé comme suit : Avant-propos ,
par M. Malte-Brun, secrétaire général de la Société de Géographie; — IntroduC'
tion aux voyages de Marco Polo, par M. Roux de Rochelle; — Voyagede Marco
Polo, le texte français de Rusticien de Pise, d'après le n* 10270 de la Biblio-
thèque royale; — Peregrinatio Marci Pauli, texte latin, d'après le n* 3195 de
la Bibliothèque royale; — Glossaire des mots aujourd'hui hors d'usage: —
Variantes pour les noms propres d'hommes et de lieux, d'après onze manus-
erits.
Tome tl, avec 18 planches. Prix : 18 francs^
Il contient : Une Relation de Ohanat et des coutumes de ses habitants. — Des
relations inédites de la Gyrénaïque. — Une notice sur la mesure géométrique
de quelques sommités des Alpes. — Résultats des questions adressées à on
Maure de Tischit et à un nègre de Wallet. — Réponses aux questions de la
Société sur l'Afrique septentrionale. — Un itinéraire de Gonstantinople à la
Mecque. — Une Description des ruines découvertes près de Palenqué, suivie
de Recherches sur l'ancienne population de l'Amérique. — Une notice sur la
carte générale des pachalicks de Hhaleb, Orfa et Bagdad. —Un mémoire sur
la géographie de la Perse. — Des recherches sur les antiquités des Ëtats-Unis
de l'Amérique septentrionale.
ToHE III, contenant l'Orographie de l'Europe, par M. L. Brugnière, ouvrage cou-
ronné par la Société dans sa séance générale du 31 mars 1826; avec une carte
orographique, 12 tableaux synoptiques et trois vues et coupes des chaînes de
montagnes {épuisé).
Tome IV, avec une carte et plusieurs fac-similés. Prix : 30 francs.
Il contient : Description des merveilles d'une partie de l'Asie, par le P. Jerdaa de
Séverac. — Relacion del Viage hecho à la isla de Amat, etc. (Relation d'un
Voyage à l'île d'Amat), d'après les manuscrits communiqués par M. Henri Ter-
naux. — Vocabulaires de plusieurs contrées de l'Afrique, recueillis par M. ICœnig,
avec des observations préliminaires. — Voyages ea Orient : Relation de Guil-
laume de Rubruck. — Notice sur les anciens voyages de Tartarie e(i général,
et sur celui de Jean du Plan de Garpin en particulier; avec une carte, par
M. d'Avezac. — Relation de la Tartarie, de Jean du Plan de Garpin; Voyage de
Bernard et de ses compagnons en Egypte et en Terre-Sainte. — Relation des
voyages de Sœvulf à Jérusalem et en Terre-Sainte.
Tomes V et VI, contenant la Géographie d'Edrisi, traduite de l'arabe en français,
d'après deux manuscrits de la Bibliothèque du roi, et accompagnée de notes,
par P. Amédée Jaubert, membre de l'Institut, etc., avec 3 cartes. Prix :
24 francs chaque volume.
Tome VII, contenant la Grammaire et le Dictionnaire de la langue berbère, en ca-
' ractères arabes, composés par feu Venture de Paradis, revus par P. Amédée
Jaubert, membre de l'Institut; suivis de plusieurs itinéraires de l'Afrique sep-
tentrionale recueillis par l'auteur, et précédés d'une Notice biographique sur la
partie méridionale de l'Asie centrale, avec une carte et deux plans, par M. Nicolas
de Khanikof. — Recherches sur Tyr et Palœtyr, et essais de restitution et
d'interprétation d'un passage de Scylax, avec deux cartes, par M. Poulain de
Bossay. Prix : 24 francs.
Mémoire sur l'Ethnographie de la Perse, par M. Nicolas de Khanikof. Prix : 6 francs.
BAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRI
FAIT
A LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
Dans sa séance gdnërale du 24 avril 1885
AU NOM D*UNE COlTlflSSION COMPOSÉE DB
MM. Henri Duveyrier, Alfred Grandidier, le docteur E.-T. Hamy,
De Quatrefage, et William Huber, rapporteur général.
Ce n'est pas dans la catégorie des grands voyages en
pays vierges que votre commission a cherché, cette année,
les lauréats de vos médailles. Ces grands voyages ont fait
défaut. Ils deviendront de plus en plus rares à mesure que
la surface limitée de notre globe sera mieux connue. Les
mailles des itinéraires se resserrent. Bientôt nous ne pour-
rons plus applaudir les Gameron, les Stanley, les Nachtigal,
les de Brazza, dont les découvertes primordiales révélaient
au vieux monde l'ossature et les artères de continents nou-
veaux, leur corps et leur vie. Bientôt nous devrons nous
résoudre à décerner nos témoignages de gratitude à des
explorations moins retentissantes, mais tout aussi méri-
toires et plus pratiquement utiles.
Dans les diverses branches de la science un homme
inspiré fait-il une découverte, d'autres lui succèdent qui la
perfectionnent, la complètent pour en doter l'humanité.
De même en géographie, il ne suffit pas d'une traversée en
pays neuf au pas de course pour le révéler; encore faut-il
en posséder les détails, en scruter le 'sol, les ressources, en
étudier les habitants pour en conclure le rôle que ce pays
-devra jouer un jour sur l'échiquier des nations.
Cette exploration en seconde ligne, si je puis m'exprimer
4iinsi, est peut-être plus difficile que la première; elle
soc. DE GÉOGR. — 3* TRIMESTRE 1885. vl. —22
314 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANmiEL.
exigç une plus grande somme de science, un esprit inquisi-
teur, précis, et des qualités diplomatiques indispensables
pour se faire accepter de populations toujours défiantes ou
hostiles, au milieu desquelles on doit vivre et faire usage
d'instruments qui, à leurs yeux, ne sont qu'engins de
guerre ou de maléfice.
C'est parmi ces explorations complémentaires, dans des
contrées imparfaitement connues, que votre commission
des prix a distingué trois voyages qui s'imposent à voire
attention et méritent vos sufi'rages.
Celui de M. le vicomte Charles de Foucauld, dans le sud
du Maroc et la partie occidentale de la chaîne de TAllas;
Celui de M. Yictor Giraud, enseigne de vaisseau, au lac
Bangouéolo, dont vous avez entendu l'exposé à la Sor-
bonne ;
Celui de M. Paul Neis, médecin de la marine^ dans le
Laos, le bassin du Donnai jusqu'aux sources de ce fleuve.
Ces trois voyages nous intéressent particulièrement
d'abord parce qu'ils ont été exécutés par des Français; en
second lieu, parce que deux d'entre eux nous font con-
naitre des régions voisines de nos colonies. L'autre rectifie
les notions acquises sur les origines du majestueux Congo,
ce fleuve dont 600 kilomètres de rives sont maintenant fran-
çaises et qui sert de frontière au vaste territoire conquis
par Pierre de Brazza et ses compagnons, auquel on peut
donner, ajuste titre, le nom de France équatoriale.
Les critiques autorisées de nos collègues MM. Duveyrier,
Grandidier et Dutreuil de Rhins vous diront tout à l'heure
les titres de MM. de Foucauld, Giraud et Neîs à vos mé-
dailles d'or.
Le prix de La Roqqette attribuable a à l'auteur^u meilleur
travail sur la géographie des pays du Nord, ou au voyageur
qui aura le plus contribué à faire connaître ces répons t,
semblait devoir être destiné à la mission du lieutenant
i
1
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 315
américain Greely, — Vous connaissez son dénouement trar-
gique rappelant le drame de la Jeannette. Le lieutenant
Greely ne nous a rien communiqué ; votre commission ne
peut donc examiner ce voyage que sur les documents
publiés, dans lesquels elle n'a pas trouvé de nouvel apport
à la géographie. La lutte pour la vie fut ardente au point
de ne laisser aucune place à d'autres préoccupations. Cette
mission tombait donc hors concours. ,
Un Français, le docteur Pavy, attaché à l'expédition, y
trouva la mort dans des conditons dont nous ignorons les
détails et sur lesquelles il est peut-être bon de laisser le
voile qui doit à jamais cacher les scènes de désespoir. —
Nous adressons l'expression de notre sympathie à sa famille
et le nom de Pavy pourra s'inscrire, avec ceux de Bellot et
d'autres, sur la liste française des victimes tombées pour la
conquête de l'extrême nord.
Nos suffrages unanimes se sont portés sur une publica-
tion danoise < Middeleker om Groenland », où se trouvent
condensés tous les résultats recueillis dans ce pays par les
membres d'une commission d'exploration nommée par le
gouvernement de Copenhague.
Deux fois déjà, la Société de Géographie a décerné ses
médailles à.des Danois : En 1825, trois ans seulement après
sa création, elle couronnait une carte orographique de l'Eu-
rope, publiée par MM. OËisen et Bresdorff, et en 1831 les re-
cherches au Groenland du capitaine Graah.
: Depuis ciâquante-trois ans, aucune de vos récompenses
n'a été adressée aux descendants de ces audacieux décou-
vreurs du moyen âge, ce peuple danois toujours réuni à la
France par un double courant de sympathies, dont l'inten*
sité oe fait que s'accroître entre les mains du ministre qui^
depuis plus de vingt ans^ représente le Danemark auprès du
gouvernement français. Nous regrettons qu'une circonstance
imprévue l'empêche d'assister ce soir à cette séance > à
316 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANHUEL.
c6té de l'homme qui a le plas fait pour établir les courants
pacifiques entre les peuples.
Le prix Erhard « pour la construction et la production des
cartes » est attribué à un cartographe modeste autant
qu'habile, M. Dumas Vorzet. Sa santé altérée par Texcès
du travail lui avait arraché le crayon de la main. L'annonce
de votre distinction a été pour lui la dernière satisfaction
qu'il ait eue à son lit de mort. M. Schrader a bien voulu
se charger de vous présenter le rapport.
Enfin, Le prix Jomard, exclusivement réservé aux travaux
les plus remarquables sur VHistoire de la géographie^ a été
décerné sans conteste au grand ouvrage en six volumes
publié sous la direction ^e MM. Scheffer, de l'Institut,
Henri Gordier et Harrisse, et édité par M. Leroux. Cet
ouvrage, dont M. le docteur Hamy vous dira la valeur, a
pour titre : Recueil de voyages et de documents pour servir
à Vhistoire de la géographie^ depuis le xiii' siècle jusqu^à
la fin du XVI*.
Bientôt, deux nouveaux prix viendront s'ajouter à ceux
que vous distribuez déjà. De regrettés collègues ont pensé
à la Société de Géographie^ dans • leurs dispositions der-
nières. Ce sont : d'abord, M. Jean-Baptiste Morot, membre
de la Société depuis 1877 seulement, lequel nous a légué
un capital de âOOO francs « dont l'intérêt sera servi annuel*
lement ou cumulé au profit du navigateur ou voyageur
français qui, dans le cours de l'année^ se sera rapproché le
plus près du pôle nord >. C'est ensuite notre ami, M.Félix
Fournier, membre de la Société depuis 1873 et de la Com-
mission centrale. Il a légué à notre Société une somme de
50,000 francs « pour fonder un prix annuel destiné à ré-
compenser le meilleur ouvrage de géographie paru dans
l'année : cartes ou livres >. Ce don généreux d'un collègue
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 317
que nous avons tous estimé nous a élé droit au cœur^ il
perpétuera le nom de cet homme érudit et affable dans une
Société aux intérêts de laquelle il ne marchandait ni son
temps ni sa peine.
C'est en augmentant ses ressources, en lui permettant de
récompenser et peut-éire un jour de subventionner des
voyages, que notre Société grandira, entrera de plus en plus
dans le mouvement géographique par son côté militant et
apportera sa pierre aux fondations de l'édifice scientifique
du xx"" siècle que nos successeurs verront brillamment
éclairé.
M. LE VICOMTE CHARLES DE FOUCAULD
M. Henri Duveyrier, rapporteur.
Médaille d'or.
11 est un État, limitrophe d'un département français, oti
le voyageur européen en général, et le voyageur français en
particulier, n'a jamais été très bien vu. Cet état est le Maroc.
Nos cartes et nos manuels de géographie nous montrent
bien un vaste territoire qu'ils attribuent comme domaine
au sultan du Maroc. Les géographes européens ont cherché
ainsi Texpression la plus simple pour rendre un état de
choses incertain, variable, embrouillé; sans s'en douter ils
ont été depuis cent et tant d'années les complices d'une fic-
tion. Carie sultan du Maghreb, cet empereur d'Occident des
musulmans n'est pas, à beaucoup près, le souverain tempo-
rel de tout le pays marqué à sa couleur sur nos atlas. Pre-
nons-nous, au contraire, sa souveraineté sous le jour du
spirituel, alors non seulement les cartes ont raison, mais il
faudrait tellement élargir les limites de son diocèse que
personne ni à Paris, ni à Gonstantinople, ne consentira à
reconnaître que le sultan du Maroc peut juger comme
d'abus sur un mandement pastoral ou sur une décision juri-
dique rendus à Alger, à Tunis, à Tripoli ou à Ben-Ghàzi^
« '
318 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
villes dont il est pourtant juge suprême et le pape, et où la
logique voudrait que l'imâin de chaque mosquée, iors du
service public du vendredi, appelât les bénédictions du ciel
non pas sur le Président de la République firançaise ou sur
le padioJliâh de Gonstantiuople, mais bien sur le sultan du
Maroc, qui est en même temps le grand îmâm de tous les
musulmans mâlekites.
Mais le Maroc d'aujourd'hui n'est plus, à beaucoup près,
celui d'il y a deux cent cinquante ans, alors que (de 1590 à
1660 environ) le souverain de Fâs envoyait ses armées et
dictait sa loi jusque sur les rives du Niger et daqs le Bâ-
guena et le Tagânt, au nord et assez près du Sénégal. Cette
ère-là s'est évanouie el quiconque connaît bien la situation
actuelle du Maroc ne comprendra pas le rêve de son gou-
vernement qui songerait maintenant à faire valoir ses droits
périmés sur Timbouktou et sur Djinni. Sans être resté
indifférent au progrès ni nsensible aux événements, l'héri-
tier des souverains de Fâs, à la fin du xix« siècle, est
dominé par une silualioji, la résultante d'un long passé, et
tandis que chez nous le chef de l'État sait bien qu*il com-
mande non seulement aux préfets de nos quatre-vingt-dix
départements, mais aussi aux gouverneurs de notre Inde,
de la Cochinchine, du Sénégal, de nos Antilles, etc.. Sa
Majesté chérifienne est parfois forcée de faire parler la
poudre quand Elle veut prélever Timpôt, et cela jusque
dans des cantons qui sont visibles, sans télescope, de Tune
quelconque de ses capitales.
A côté de provinces ou de banlieues, réellement soumises
à l'administration du sultan, quelquefois même enclavés
dans ces provinces, qui forment le beled el makhzéfiy ou
cpays des bureaux », on trouve des territoires aussi sevrés
des bienfaits de la bureaucratie marocaine que sont le Trans-
vaal ou la République d'Andorre.
Dans iin État comme celui-là, inutile de parler d'ordre et
de sécurité.
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL, 319
C'est là, pourtant, qu'un jeune Français, M, le vicomte de
Foucauld, soucieux de nous révéler ce qui touche à nos
portes, avait résolu de faire un voyage d'exploration. Il Ta
accompli, sans Taide du gouvernement, à ses frais, et en
faisant avec le sacrifice de son avenir dans la carrière mili-
taire un autre sacrifice plus grand encore si possible. Il s'est
résigné à voyager sous le travestissement du juif, au milieu
de populations qui Considèrent le juif comme un être utile
mais inférieur. Prenant bravement ce rôle, il a fait abné-
gation absolue de son bien-être et c'est sans serviteur, sans
monture, sans tente, sans lit, presque sans bagages qu'il a
travaillé pendant onze mois chez des peuples qui, ayant plus
d'une fois démasqué l'acteur l'ont, à deux ou trois reprises,
placé en face duchâtimeot qu'il^ méritait, c'est-à-dire de la
mort.
Nous avions déjà vu un étudiant musulman, RenéCaillié, et
deux derviches musulmans, Richard Burton et Ârminius
Vambéry, faire de très beaux voyages d'exploration; leurs
cartes pourtant prêtaient à la discussion parce qu'un faux
étudiant ou un faux derviche musulman doit rester fidèle à
son rôle sous peine d'expier de sa vie un écart, un simple
oubli.. • Le voile qui abrite le juif pendant sa prière a servi
à cacher le baromètre et le sextant de M. de Foucauld ! C'est
un véritable miracle qu'il ait pu rencontrer partout et tou-
jours des caravaniers aussi complaisants ou aussi indifi'érents 1
Mais le fait est qu'il vient placer sous nos yeux des itiné-
raires et des abservations astronomiques exécutés d'après
les principes enseignés à l'Ecole de guerre.
Ajoutons tout de suite que le rabbin Mardokhaï Abi Sou-
roûr, celui-là même dont vous connaissez déjà l'histoire et
les travaux, a été le compagnon constant du vicomte de
Foucauld. Celte association qui, dans l'espèce, était un
passe-partout nécessaire, a coûté à l'explorateur bien autre
chose que les 270 francs de gages mensuels convenus; les
défauts de caractère prennent des proportions inouïes quand
320 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU IPRIX ANIfUEL.
on se trouve dans risolement, et vous permettrez à votre
rapporteur de déclarer à la louange de M. de Foucauld,
expérience faite en Seine-et-OisCy que le rabbin Mardochée
n'est pas toujours un auxiliaire agréable et commode.
Yoilà donc le voyageur dans son bien humble équipage»
Voyons maintenant où en était la connaissance géogra-
phique du Maroc au moment où il commençait son explo—
ration. En 1845 un géographe aussi savant que conscien-
cieux, M. Ëmilien Renou, avait donné une première carte
générale du Maroc, au \l% 000,000% qui a encore sa valeur
aujourd'hui; trois ans plus tard le capitaine Beaudoin, dis-
posant de renseignements uouveaux^refaisait, pour le Dépôt
de la guerre, le même travail, à Téchelle du 1/1,500,000*.
Utilisant tous les documents et tous les renseignements
qu'ils avaient pu se procurer, ces deux géographes français •
avaient livré les modèles de toutes les cartes générales
qui ont été publiées pendant les trente-cinq années sui-
vantes. Mais le nombre des itinéraires et des détermina-
tions de positions s'est accru entre temps, et le 20 juin
1883, quand M. le vicomte de Foucauld commençait à
Tanger son voyage d'exploration, les cartographes avaient à
leur disposition 12208 kilomètres d'itinéraires jalonnés de^
bien rares déterminations de latitude et de déterminations
de longitude plus rares encore ; on n'avait fait de géographie^
astronomique que sur une vingtaine de points dans l'intérieur
de l'empire. Ajoutons qu'ici la France ne s'était laissée distan-
cer par personne, et que des vingt et un auteurs d'itinéraires
au Maroc, seize étaient des Français; que sur le nombre des
kilomètres levés, 9232 l'avaient été tant par nos propres
compatriotes que par deux étrangers patronnés et subven-
tionnés par le gouvernement français (Badia y Leblich) ou
par la Société de géographie de Paris (Mardochée).
En onze mois, du 20 juin au 23 mai 1884, un seul homme^
M. le vicomte de Foucauld, a doublé pour le moins la lon-
gueur des itinéraires soigneusement levés au Maroc. U,^
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 3îi
repris, en les perfectionnant, 689 kilomètres des travaux de
ses devanciers, et il y a ajouté 2250 kilomètres nouveaux.
Pour ce qui est de la géographie astronomique, il a déter-
miné quarante-cinq longitudes et quarante latitudes; et \k
où nous ne possédions que des altitudes se chiffrant par
quelques dizaines, il nous en apporte trois mille. C'est vrai-
ment, vous le comprenez, une ère nouvelle qui s'ouvre,,
grâce à M. de Foucauld, dans la connaissance géographique
du Maroc, et on ne sait ce qu'il faut le plus admirer, ou de
ces résultats, si beaux et si utiles, ou du dévouement, du
courage et de l'abnégation ascétique, grâce auxquels ce
jeune officier français les a obtenus.
Jetons un coup d'œil rapide sur ces résultats, en envisa-
geant séparément les travaux de M. de Foucauld au nord
de la chaîne de l'Atlas, puis ceux qu'il a faits dans l'Atlas
même, et enfin ce qu'il ajoute à notre connaissance des
contrées au sud de cette chaîne.
Partant de Tanger le 20 juin 1883, il fait d'abord une
pointe; par Tétouân, au sud-ouest, jusqu'à Ghichawân où
commence le territoire des Berbères indépendants du Rîf,
populations guerrières dont les tendances fanatiques sont
excitées, ici dans l'ouest du pays, par les chorfâ (pi. de
Gherîf) marocains. Il est là, déjà à 60 kilomètres deTétouân,
sur un terrain nouveau pour la géographie, quoique les na-
turalistes, Hooker, Bail et Maw, eussent poussé jusqu'à
Ghichawân leur exploration géologique et botanique. Le
projet de M. dé Foucauld d'atteindre Fâs directement en
partant de Ghichawân, et en levant un itinéraire des plus
précieux, échoue devant l'impossibilité môme pour les indi-
gènes musulmans de traverser les territoires de tribus pil-
lardes, indépendantes, les Ghezâwa, les Benî-Hamed et les
Rehôma. Il revient à Tétouân et relie directement cette
ville à El Qaçar El-Kebtr par un chemin nouveau, traversant
un pays dont la population nomade, de race arabe, est assez
dense.
322 BAPPORT SUR LE C03fC0€RS AU PRIX AHRUEL.
De là àTAs et à Sefero, il ne fait qae compléter les ob-
senrations topographiqaes de ses devanciers.
Il y a de cela quatre ans, an officier anglais, le capitaine
Golville, accompagné de sa jeune et conragease éponse, fai-
sait le voyage de Fàs à Oadjeda et rapportait le premier
itinéraire détaillé fait dans cette partie dn Maroc qai touche
i TAlgérie, car son prédécesseur, le célèbre espagnol Badia
y Leblicb, s'était appliqué principalement aux détermina-
tions astronomiques. A son tour, M. de Foucauld s'enfonce
dans le dangereux pays à Test de Fâs et il trace jusqu'à
Tâza deux itinéraires qui fixent pour la première fois la
configuration du cours et du bassin de TOuàd Jennawen,
qui n'est autre chose que le haut Seboû. Sans doute le voya-
geur voudra bien vous communiquer lui-même les obser-
vations qu'il a faites dans cette contrée, où les tribus arabes
des Ghiâta et même des Hiyalna ne laissent guère d'autre
liberté au représentant du sultan, le gouverneur de Tâza,
que celle de végéter prisonnier dans sa citadelle.
Mentionnons pour mémoire le trajet de Fâs à Meknâs
(Méquinez), route tant de fois parcourue qu'à peine un
explorateur aussi sérieux pouvait-il y compléter les notions
acquises.
Mais à Meknas précisément, commence une des parties
les plus nouvelles et les plus intéressantes du voyage de
M. de Foucauld; de là jusqu'à près de cinq degrés plus au
sud, son itinéraire est à proprement parler celui d'un voyage
de découverte dans la province de Tâdela (ici déjà l'expres-
sion administrative est illusoire), et plus au sud, dans le
territoire parfaitement indépendant des Berbères. Pour
rester fidèle à notre programme nous considérerons main-
tenant le pays jusqu'à Qaçba Beni-Mellàd (aussi nommé
Qaçba-Bel-Kouch), où commencent les premiers plis du
soulèvement de l'Atlas. Il se présente d'abord avec une
surface accidentée, puis il devient montagneux et ici
les montagnes sont boisées. A 20 kilomètres de Boû-El-
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 323
Dja'd, le voyageur entre dans la plaine pierreuse et aride de
Tâdela, qui s'étend au sud, montrant des signes de fertilité
quand on se rapproche de TOuâd Oiimm Er-Rebîa' sur
lequel est bâti la Qaçba de Tâdela,à l'intérieur des murs de
laquelle le sultan est obéi par un qâïd si désœuvré par
suite de Finsoumission de ses prétendus administrés qu'il
passe ses journées à réciter son chapelet. Entre la Qaçba de
Tâdela et la Qaçba Bel Koûch, ou Qabça Benî Mellâl, bâtie
au pied d'une première chaîne dépendant de l'Atlas, on
passe dans un pays bien arrosé, couvert de cultures, de jar-
dins et de villages. — Toute cette partie du voyage est
entièrement nouvelle.
Beaucoup plus à l'est, au retour, en rerttrant en Algérie,
M. de Foncauld a relevé, entre Debdou et Oudjeda, une autre
partie de la même zone naturelle.
Nous arrivons h TAdrâr-n-Deren, à la chaîne du seul
véritable grand Atlas, et à ses contreforts. Quiconque a jeté
iine fois seulement les yeux sur la carte d'Afrique a vu son
attention éveillée par les forts coups d'eslompe qui y accu-
sent avec fermeté la chaîne de l'Atlas. Pour qui n'est pas
bien au courant de l'histoire moderne de la géographie, la
sûreté du dessin rassure l'esprit, et on se croit là en terrain
à peu près sinon complètement connu. Il n'en est pourtant
rien. De llguîr Oufrâni, du cap Guîr de nos caries, à la
frontière de l'Algérie, le soulèvement du grand Atlas me-
sure, vous le savez, une longueur de 700 kilomètres. Eh
bien, sur ce long développement de la chaîne, les itiné-
raires de tous les voyageurs européens n'avaient encore
traversé et fixé que quatre cols, en comprenant le col qui
touche au rivage de l'Océan : Tizînt El-Rioût, Ta gherot,
*Onq El-Djemel et le col sur l'Iguîr Oufrâni (cap Guîr).
Après René Caillîé et Gérard Rohifs, M. le vicomte de Fou-
cauld lui aussi a passé par le Tizînt El-Rioût; il est le pre-
mier explorateur qui ait franchi et mesuré le Tîzi-n-Gue-
lâtvi, àTesl-sud-est de Merâkech. Ses observations du haro-
324 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
mètre nous apportent donc les altitudes de deux cols dans
l'arête mattresse de TÂtlas; ces chiffres sont les premiers
que nous possédions, ni Rohlfs ni Lenz, qui avaient pour-
tant des baromètres, n'ayant fait d'observations sur les
points culminants de leurs deux itinéraires dans le Maroc.
De plus, sur une longueur de 300 kilomètres au moins, les
itinéraires de M. le vicomte de Foucauld passent à une dis-
tance de TAtlas qui permettait de déterminer sur la carte
la direction de la chaîne.
Mais à 50 kilomètres, dans le nord, à 150 et à 200
kilomètres dans le sud, cette arête maîtresse est flan-
quée de chaînes parallèles dont le tracé sur la carte de
M. de [Foucauld est tout une révélation. Malgré le soin
apporté par les géographes les plus habiles, aucun d'eux
jusqu'ici n'avait trouvé dans les observations et les rensei-
gnements des voyageurs assez de données pour débrouiller
ce qui était resté souvent un chaos, un enchevêtrement
presque fantastique de sierras anamostomosées. M. de Fou-
cauld rectifie et simplifie tout cela d'après ce qu'il a vu et
observé, et les géographes ne seront peut-être pas seuls à
s'en réjouir, les géologues eux aussi en éprouveront de la
satisfaction. Au nord de l'Atlas court, nous le savons main-
tenant, une chaîne de 300 kilomètres, qui prend les noms
de Djebel Alt Seri et de Djebel Benî.Ouaghaîn; au sud, c'est
d'abord le petit Atlas, Tanti-Atlas de la carte de Lenz, avec
son prolongement oriental, le Djebel Sagherou, et enfin,
encore plus au sud, le Djebel Banî, dont le rabbin Mardo-
chée nous avait appris le nom, et que Lenz a coupé sans
s'inquiéter de ce nom.
Votre rapporteur devine que vous voudriez bien entendre
aujourd'hui autre chose que le résumé aride des décou-
vertes purement géographiques de M. de Foucauld, que
l'état des populations au sein desquelles il a voyagé vous
intéresse aussi, car l'homme se préoccupe toujours d'abord
4e son semblable. Sur ce point la moisson de M. de Fou-
RAPPORT SUR Lfi CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 325
cauld est extrêmement riche, mais mieux vaut lui laisser,
à lui, qui a vu, qui a senti, qui a souffert, Thonneur de
^satisfaire votre légitime curiosité. A lui donc, dans une
auire séance, de vous peindre les mœurs et la politique
des Imaztghen, de ces montagnards berbères de TAtlas,
avec lesquels, jusqu'à ce jour, personne n'a fait une con-
naissance aussi intime. Il vous montrera les Âît Atta d*A-
melou, et tous les Imazîghen à Test de Tizi-n-Guelàwi,
vivant dans des villages dont chacun est dominé par un
château fort où les villageois emmagasinent leurs récoltes
(cette coutume existe aussi dans le Djabel Nefoma, en Tri-
politaine, où j'ai pu l'observer); il vous montrera au con-
traire les Imazîghen de la région entre Tizt-n-6uelàwi et
rOcéan groupant leurs villages autour d'un centre fortifié,
qui reçoit les récoltes de tout un canton. Au point de vue
de l'administration que se sont donnée ces tribus berbères
indépendantes, il vous fera distinguer deux groupes de po-
pulation : celles du nord, organisées en démocraties et
ennemies de la centralisation, où chaque fraction de tribu
obéit et obéit exclusivement à l'assemblée de ses notables ;
celles du sud, qui ont adopté un régime mixte entre celui
des communes et celui de la féodalité, et qui se sont donné
des cheikhs héréditaires, dont quelques-uns bravent le
sultan et pourraient fort bien s'approprier la fière devise d'un
haut baron français du temps passé :
Roi ne suis, ne duc, ne comte aussy ;
Je suis le sire de Coucy,
Ces sires de Tikirt, de Tazenakht, et cœtera, ont des ré-
sidences fortifiées, aux murs flanqués de quinze à vingt
tours. Leurs vassaux aussi sont loin d'inspirer la pitié, car
ils vivent dans des maisons à un ou deux étages, construites
en pisé épais et solide, et dont les murailles extérieures sont
ornées de moulures.
326 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
Un peu au sud et au nord du 30* degré de latitude, l'a-
rêtedu petit Atlas marque une division tranchée. Au nord de
cette chaîne, nous apprend M. de Foucauld, on est encore
dans la zone tempérée; la flore dans ses traits généraux rap*
pelle celle du midi de TEurope. Le versant sud du petit Atlas
est déjà dans la zone saharienne caractérisée par un climatà
extrêmes. Ici, le dattier et les acacias à gomme remplacent
le figuier, ramandier, le grenadier, Tolivier et môme le
noyer du versant septentrional et de la région plus au nord.
Le dattier, il est vrai, cet arbre cultivé, n'existe que dans
les vallées que la fonte des neiges et les pluies de l'Atlas
viennent mouiller de temps en temps ; Tacacia à gomme se
trouve de loin en loin sur les plaines d'un sable blanc.
Quant à l'eau, on est réduit à celle de sources cachées sous
le sable.
Au milieu de cette plaine M. de Foucauld trace, d'après
ses observations, une bien singulière montagne, longue de
500 kilomètres, le Djebel Banî, dont je mentionnais, tout à
l'heure, l'alignement parallèle avec l'Atlas. C'est, dit le
voyageur, une simple arête rocheuse, tranchante au som- '
met, épaisse d'un kilomètre à la base, et haute de 200 à
300 mètres, au sud de laquelle court la partie inférieure de
rOuâdi Dhera'a, le fleuve le plus important de ce que nous
appelons le Maroc, si l'on ne mesure que la longueur du
cours, mais malheureusement, fleuve sans eau. Une arête
rocheuse, un long tesson, comme le Djebel Bant ne peut
naturellement pas fournir une quantité appréciable d'eau à
un fleuve; aussi les trois affluents nord de TOuâdi Dhera'a,
que M. de Foucauld a relevés, descendent-ils du petit Atlas
et traversent-ils le Djebel Banî par autant de brèches de
cette étrange digue naturelle. Au sud de chacune de ces
brèches (le mot cassure serait peut-être plus exact) on
trouve, sous la montagne, de belles oasis: c'est Tissint,
c'est Tatta, c'est Aqqa, patrie du rabbin Mardochée« Et
M. de Foucauld ne nous fait pas attendre l'explication du
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 327
phénomène : les affluents nord de ce fleuve mort^ TOuàdi
'Dhera'dy sonl de belles rivières d'eau courant à plein bord.
Telle est la puissance du climat du Sahara ! Le lit de TOuàdi
Dhera'a, large de 4 kilomètres, a tellement soif, que l'apport
permanent de ces rivières ne sert qu'à lui conserver de la
fertilité. Pour que cette vallée redevienne le fleuve que les
Romains ont counu, sous lé nom de Darat, lorsque ve-
naient s'y désaltérer et s'y baigner les éléphadts dont les
figures sont gravées sur le Djebel Tabayoudt, excroissance
dans la chaîne du Bani, il faut ou bien une fonte subite des
neiges du Djebel Dàdès et du Djebel Guelâwi, ou bien des
pluies torrentielles continues dans les parties de l'Atlas que
nous venons de nommer. Alors, pendant deux ou trois jours,
la vallée est entièrement inondée, et le voyageur assez heu-
reux pour que son passage coïncide avec une de ces crues
aurait sous les yeux un cours d'eau de 3 ou 4 kilomètres de
large.
Au mois de décembre 1883, le vicomte de Foucauld tou-
chait le Dhera'a, au sud deTatta. Quelque temps après il
le revoyait, loin dans le nord-est de ce point, dans le dis-
trict de Mezguîta, et là, sous le Djebel Sagherou, c'est un
beau et large fleuve permanent, coulant avec une rapidité
moyenne au milieu de plantations de dattiers; je no résiste
pas au plaisir de vous faire part d'une découverte que
M. de Foucauld m'a fait faire. Son itinéraire reporte d'un de-
gré plein, vers l'ouest, le tracé de cette partie du cours du
fleuve telle qu'elle est indiquée sur la carte du doc-
teur Rohlfs, et bien que les deux voyageurs n'aient pas
touché le môme point de TOuàdi Dhera'a, la correction si
importante que je signale pourra sans doute être utilisée
pour redresser l'itinéraire même du docteur allemand.
Toute la partie haute de l'Ouàdi Dhera'a est constellée
de villages, peuplés d'Imazîghen et de subéthiopiens, de ces
noirs, indigènes du Sahara et parlant aujourd'hui la langue
berbère.
328 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
Plus haut encore en remontant vers le nord, le voyageur
français arrive dans le canton populeux de Dâdès, arrose
par un affluent du Dhera'a. Ici déjà on entre dans le domaine
des AU Attâ, l'un des deux grands groupçs formant la
fameuse confédération des Berâber, dont le nom dispense
d'ajouter qu'ils sont de race berbère* De toutes les tribus
de cette expression géographique, le Maroc, les Berâber
sont la plus nombreuse, la plus belliqueuse et à la fois la
plus riche, ce qui indiquerait qu'ils ne méprisent ni les
travaux des champs et de l'industrie, ni le coiûmerce, car
chacun sait que la guerre et le pillage ne sont jamais les
sources d'une fortune durable pour un^peuple.
Toujours en terrain neuf, M. de Foucauld continue sa
route sur Todegha, Ferkela et Gherîs, trois oasis qui dans
son langage imagé « s'allongent comme trois tronçons de
serpent » dans les lits de cours d'eau affluents du Zîz. 11
entre donc là dans le bassin hydrographique à l'extrémité
sud duquel s'épanouit le Tafîlelt, le berceau de la dynastie
marocaine régnante, le lieu d'exil pour ceux de la famille
impériale qui pourraient devenir des prétendants, le groupe
d'oasis célèbre, dans une vaste partie de l'Afrique, pour les
cuirs qu'on y prépare avec une grande perfection.
Plus loin encore, notre hardi et méritant explorateur
touche, à Qeçar Es-Soûq, le cours supérieur de l'Ouâd Ziz,
séparé de ses premiers affluents par un désert des plus
arides. Qeçar Es-Soûq fait partie de loasis de Medghâra ou
Medâghra, où M. de Foucauld tombe sur les traces de René
Caillé et du deuxième voyage du docteur Rohlfs, qu'il ne
quittera qu'au col de Telghemt, ou Tissint Er-Rioût, comme
l'appelle Rohlfs, au moment où il traversera une dernière
fois le grand Atlas. C'est ici seulement que finit dans la
direction du nord-est le territoire des Berâber, et que com-
mence celui des Aït Ou Afella, tribu d'Imazîghen que nous
aurons la surprise de compter parmi les loyaux sujets du
sultan du Maroc. Du col de Telghemt, où l'Atlas n'accuse
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 329
que 1700 mètres d'altitude, M. de Foucauld peut laisser
planer sa vue sur la vaste plaine de la Moloûya, de ce fleuve
qui aurait formé une frontière si commode et si naturelle
de rÂlgérie, si l'État voisin, du côté de l'ouest, avait la
puissance voulue pour la faire respecter de ses nationaux*
M. de Foucauld touche la Moloûya à Aqçâbi Ech-Ghorfà
(c'est-à-dire les citadelles des chérifs), où un qâïd marocain
est gardé par une centaine de soldats avec deux canons.
Grâce à cette force le représentant du sultan se fait obéir
dans un rayon d'une vingtaine de kilomètres, au delà des-
quels on retrouve, comme presque partout, des tribus bel
et bien libres de toute attache gouvernementale.
Avec le bassin de la Moloûya notre vaillant explorateur
trouve, sur le versant nord de l'Atlas, d'abord une région
dont la flore rappelle la nature des hauts plateaux d'Algérie.
Bientôt des groupes de villages, des forêts d'oliviers et de
pommiers et de splendides cultures accusent une transition
rapide à la région de Tell, autrement dit aux conditions
naturelles qui font, de l'autre côté de la Méditerranée, la
richesse de notre Provence.
J'abrège, car il y a beaucoup à garder dans les résultats
de la dernière partie du voyage, chez les Oulâd El Hâdj et
de là à la ville algérienne de LâUa Maghnîga en passant par
Debdou et Oudjeda, c'est-à-dire sur un terrain qui touche
aux dernières reconnaissances faites lors de l'expédition du
général de Marti mprey contre les Benî Senâsen (1859). Le
21 mai 1884, M. le vicomte de Foucauld mettait le pied
en Algérie après avoir traversé le Maroc du nord au
sud, et du sud-ouest au nord-est. Sacrifiant bien autre
chose que ses aises, ayant fait et tenu jusqu'au bout bien
plus qu'un vœu de pauvreté et de misère, ayant renoncé,
pendant près d'un an,. aux égards qui sont les apanages de
son grade dans l'armée, et s'étant consolé en recueillant les
seuls et rares témoignages de bienveillance auxquels un
cai;actère heureux pouvait lui donner quelque droit,
soc. DE 6É0GR. — 3* TRIMESTRE 1885. Tl. — 23
330 RAPPORT SDR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
même chez des peuples sauvages, il nous avait conquis des
renseignements très nombreux, très précis, qui renouvel-
lent littéralement la connaissance géographique et politique
presque tout entière du Maroc. C'est là, disons-le haute-
ment, un mérite peu ordinaire, que ne récompenserait pas
trop, à l'avis de votre rapporteur, la plus haute distinction
que nous ayons à décerner. Mais notre Société ne doit
jamais oublier son caractère universel et international;
elle a dû tenir compte des mérites d'autres lutteurs qui
venaient concourir à ses récompenses et, forcée cette
année-ci de ne pas choisir entre trois concurrents qu'elle
estime être égaux en mérites, elle a transformé cette récom-
pense en plusieurs médailles d'or, dont elle attribue la pre-
mière à M. le vicomte de Foucauld.
M. VICTOR GIRAUD
M. Alfred Grandidier, rapporteur
aiédaille d^or
Votre Commission des prix a (Jécerné une médaille d'or
à M. Victor Giraud pour son voyage aux lacs Bangouéolo
et Moéro. — Vous connaissez les résultats très importants
de ce voyage. M. Giraud vous en a fait le récit tout récem-
ment à la Sorbonne, au milieu de vos applaudissements ; il
vous a dit quels dangers il a courus, quelles fatigues il a
eu à supporter, quelles difficultés il lui a fallu surmonter
pour le mener à bonne fin, dans le but très louable d'acqué-
rir des connaissances nouvelles pour la géographie.
Il n'y a pas longtemps, il y a vingt-sept ans seulement,
l'Afrique équatoriaie nous était totalement inconnue. Ce
n'est en effet qu'à partir de 1857 que ce territoire redou-
table, attaqué de tous côtés avec succès, a appelé l'attention
du monde civilisé. Depuis cette époque, tour à tour, Bur-
ton, Speke, Grant, Baker, Gessi, Chaillé-Long, de Linant,
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 331
Piaggia^ Mason, Schnitzler ont exploré la région des lacs ;
Cameron, Stanley et Serpa Pinto ont traversé le continent
de part en part; Livingstone, Young, Gotteril et Thompson
nous ont fait connaître le Nyassa et les pays limitrophes ;
Livingstone, enfin, a passé les dernières années de sa vie
aux environs des lacs Bangouéolo et Moéro. Grâce aux
efforts répétés de tous ces hardis voyageurs, les traits géné-
raux de l'orographie de l'Afrique orientale sont aujourd'hui
fixés, le contour des lacs principaux est arrêté, et on con-
naît les limites des bassins de ses trois grands fleuves : le
Zambèse dans lequel le Nyassa déverse ses eaux par le
Chiré, le Congo qui traverse les lacs Bangouéolo et Moéro
et est relié au Tanganika par le Loukouga, le Nil qui sort
des lacs Oukéréoué et Mwoutan. Il reste cependant beau-
<;oup à faire et il y a encore de vastes espaces qui réservent
aux futurs explorateurs une ample moisson de découvertes.
Ainsi, le territoire situé dans le sud-ouest du Tanganika, où
le Congo prend sa source, était à peu près inconnu jusqu'à
ce jour. Seul, comme nous l'avons dit, Livingstone y avait
poussé plusieurs reconnaissances qui lui avaient révélé
l'existence des deux lacs Bangouélo et Moéro et de la rivière
Tchambézi, la source du Congo. Malheureusement, en
1873, la mort à arrêté ce grand voyageur au milieu de ses
recherches si intéressantes pour la science, si utiles pour
l'humanité.
M. Giraud a repris l'œuvre laissée inachevée par Livings-
tone et il nous rapporte des documents précieux pour la
géographie de l'Afrique. Parti de la côte orientale le 17 dé-
cembre 1882, il s'est dirigé vers le sud-ouest, marchant
d'abord à travers une grande plaine, puis au milieu de mon-
tagnes dont les eaux se déversent soit vers le sud dans le
Rufigi, soil^ vers le nord dans le Kingani; au sortir de l'Ou-
sagara, après avoir traversé le Rua ha, par le 33® degré de
longitude, notre voyageur a trouvé un grand plateau, coupé
de rivières tributaires du lac Nyassa et de vastes marais, au
332 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
delà duquel il a franchi non sans de grandes difficullés les
montagnes de Livingslone, qui, hautes de 3 à 4000 mètres,
limitent au nord la dépression oii s'étale le lac Nyassa.
C'était en pleine saison pluvieuse, et il n'est ni aisé ni
agréable de mener une caravane à travers ces mon-
tagnes abruptes oh il lui fallut, pendant trente jours,
monter et descendre, sans trêve ni repos, sous une
pluie continue et torrentielle. Il y avait quatre mois que
M* Giraud avait quitté la côte lorsqu'il est arrivé à la pointe
nord du Ikc Nyassa. Son itinéraire, qui s'appuie sur plu-
sieurs latitudes prises au sextant, s'écarte peu de celui de
M. Thompson ;' il nous fournit néanmoins des renseignements
intéressants et précis sur cette partie de l'Afrique qui est
encore peu connue, soit en contrôlant, soit en rectifiant
ceux de son devancier.. — Les monts Livingstone franchis,
M. Giraud est entré en pays inconnu. Le vaste territoire de
dix mille lieues carrées qui s'étend entre les lacs Ban-
gouéolo, Moéro, Tanganika et Nyassa, l'ITemba, n'avait
encore été traversé que par Livingstone du nord au sud, par
une route toute différente de celle qu'a ouverte M. Giraud
de l'est à l'ouest. Les renseignements que nous rapporte ce
hardi voyageur sur cette région sont précieux. Certes, il ne
nous la peint pas sous des couleurs riantes : c'est un vaste
plateau ondulé, dont l'horizon, monotone et vulgaire, n'a
rien d'enchanteur, qui est couvert d'arbustes rachitiques
embarrassant la marche du voyageur sans le garantir des
rayons brûlants du soleil, et qu'habite une population sau-
vage, peu nombreuse et d'un physique repoussant. Mais, au
point de vue géographique, il a fait des découvertes impor-
tantes qui modifient la carte de cette partie de l'Afrique.
Ainsi, il nous apprend que, contrairement à ce que Ton
croyait, il n'y a pas de hautes montagnes dans les États de
Mamboué et d'Uemba, que le Congo prend sa source tout
près de la pointe sud du lac Tanganika, beaucoup plus près
que ne l'avait indiqué Livingstone, et qu'au lieu de couler
RAPPORT SDR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 333
directement vers le sud-ouest, il se dirige d*abord vers le
sud-est, puis s'infléchit brusquement pour gagner le lac
Bangouéolo d'où il sort par la pointe méridionale et non
pas par la pointe occidentale; il nous apprend que ce iac
entrevu par Livingstone, mais sur lequel nous n'avions
aucune donnée précise, ne s'étend pas de Test à l'ouest,
comme l'indiquent les cartes, mais est allongé du nord au
sud, comme tous ceux de cette région, et qu'aucune chaîne
ne limite son bassin ni au sud ni à l'ouest ; il ne rectifie pas
seulement la forme et la grandeur du lac Bangouéolo, mais
aussi sa position qui était beaucoup trop occidentale. Enfin,
grâce à lui, nous avons pour la première fois le tracé exact
du bas-cours du Louapoula et de la côte orientale du lac
Moéro.
Je ne puis, dans ce rapport très sommaire, vous exposer
en détail toutes les découvertes que M. Giraud a faites et
dont la science géographique tirera un grand profit ; ce que
je viens de dire à la hâte suffit pour en montrer toute l'im-
portance. Je ne m'étendrai pas non plus sur les événements
fâcheux qui ont arrêté notre vaillant lauréat au milieu de
son voyage ; il nous en a fait le récit dramatique, il y ii
quelques jours à peine, et vous en avez certainement gardé
le souvenir. Pillé, abandonné par ses hommes, en butte à
l'hostilité des indigènes et des Arabes, il a dû à contre-cœur
abandonner le projet qu'il nourrissait d'aller plus avant, et
il est revenu à Quillimane, en traversant le lac Nyassa dans
toute sa longueur et descendant le Ghiré et la Zambèse. Le
15 novembre 1884, après deux années de dangers conti-
nuels et de souffrances de toutes sortes, physiques et mo-
rales, plus heureux que l'abbé Debaize et tant d'autres qui
ont payé de leur vie leur dévouement à la science, il s'est
retrouvé sain et sauf, au bord de la mer.
Vous le voyez, M. Giraud a acquis des titres sérieux
à la reconnaissance des géographes. L'œuvre n'est pas
aussi grande qu'il l'avait rêvé. Gomme Livingstone,
334 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
comme Stanley, comme Cameron, il eût voulu traverser
l'Afrique équatoriale de part en part; j'ai assisté à ses pré-
paratifs et, il y a trois ans, avant qu'il ne quittât la France,,
j'ai souvent eu l'occasion de m'entretenir avec lui de ses
projets; je puis dire que son courage et son énergie
étaient à la hauteur d'une entreprise aussi hardie. Il a été
vaincu par les circonstances, mais, tel qu'il est, son voyage
n'en a pas moins produit d'utiles résultats et lui fait le plus
grand honneur ; il laissera sa trace dans l'histoire de la con-
quête géographique de la Terre.
Le courage et le dévouement que M; Giraud, faisant bon
marché de sa vie et de sa fortune, a mis au service de la
science sans souci du bien-être matériel ni des dangers, les
découvertes importantes qu'il a acquises au prix de tant de
peines et de tant de fatigues, méritaient une haute récom-
pense, que votre Commission des prix a été heureuse de lui
décerner à l'unanimité et que vous avez sanctionnée à la
Sorbonne par vos applaudissements.
M. LE DOCTEUR PAUL NEIS
M. Dutreuil de Rhins^ rapporteur
Médaille d'or
Il y aura bientôt vingt ans que la Commission d'explora-
tion du Mékong, dirigée successivement par Doudart de la
Grée et Francis Garnier, s'est illustrée par une de ces
entreprises qu'on ne renouvelle qu'à de longs intervalles.
En vain, depuis cette époque, le Ministère de l'Instruction
publique a songé à rouvrir l'ère des grandes explorations
dans rindo-Chine orientale qui nous intéresse à tant de
titres. Diverses considérations ont fait constamment ajour-
ner l'exécution de ces projets : il faudra encore bien des
années pour combler les principales lacunes de la géogra-
phie indo-chinoise que nous signalions en 1879.
BAPPORT SUR L£ GONCaUBS AU PEUX AJOTHUBI.. 335
Toutefois, malgré taat de circonstanees défavorables^ ni
la Société de Géographie ni les voyageurs français n'ont
perdu de vue la grande péninsule asiatique.
A la suite de M. Harmand, votre lauréat de 1878, plu-
sieurs de nos compatriotes ont continué la série des explo-
rations spéciales ou de détail. Le Bulletin de la Société nous
tient soigneusement au courant de leurs mouvements, car
ici les absents ne peuvent avoir tort. Nos meilleurs souve-
nirs leur sont dûs, non seulement comme un encouragement
à supporter une existence solitaire et périlleuse, mais encore
en témoignage de l'intérêt que nous prenons à leurs travaux,
base indispensable de nos futures entreprises.
Parmi tant de noms qui vous sont familiers, je ne saurais
me dispenser de rappeler ceux de M. Aymonier et de
M. Pavie; de M. Aymonier, rinfatigable chercheur qui aura
rapporté du Cambodge, des parties méridionales du Siam
et de TAnnam, la plus riche moisson de documents épigra-
phiques et géographiques; — de M. Pavie qui, chargé d'éta-
blir la ligne télégraphique de Bangkok à Pnom-Penh, a
rendu de grands services à la cartographie en sillonnant de
ses itinéraires les territoires compris entre cette ligne^, la
Gochinchine et le golfe de Siam.
En ce qui concerne TAnnam proprement dit, nous n'au-
rions aucun progrès sérieux à signaler si nos missionnaires
catholiques n'avaient poursuivi jusqu'à l'année dernière
leurs tentatives de pénétration au Laos central par les pro-
vinces de Nghê An et de Thagne Hoa. Votre rapporteur
serait taxé d'ignorance ou d'injustice s'il n'accordait à leurs
explorations du Mo, du Trâne Nigne et du bassin inférieur
du Maa, la mention qu'elles méritent parmi les pluç
importantes au point de vue géographique et ethnogra-
phique. Malheureusement, presque tous ces pionniers, si
bien préparés à la rude existence de missionnaires chez les
sauvages, ont succombé aux maladies où péri au milieu
des luttes, secrètement encouragées par les gouvernements
336 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANKUEL.
voisins, qui ont fait du Laos central un autre Tonkin^ plus
vaste, plus malsain, plus redoutable par Finconnu qu'il
nous présente.
Au Tonkin même les résultats des travaux topographiques
du corps expéditionnaire ne s'écartent pas sensiblement,
jusqu'à présent, des lignes et positions que nous connais-
sions déjà; mais les levés de nos officiers auront un plus
grand intérêt lorsqu'ils seront poussés davantage à l'intérieur
du Tonkin dont la cartographie actuelle repose uniquement
sur l'interprétation de documents annamites et chinois.
Ajouterai-je que la rectification de la carte du Tonkin serait
vite faite si les qualités militaires suffisaient pour conquérir
de pareils pays et pour s'y maintenir sans pertes de tous
genres, sans dépenses hors de proportion avec les béné-
fices. Est-il permis d'espérer que notre organisme gouver-
nemental sera modifié heureusement en dépit des intérêts
grandissants de personnes et de coteries? est-il possible d'ad-
mettre que nos changements de ministères seront motivés
par la nécessité et le sincère désir de réformes adminis-
tratives ? est-il probable, par exemple, que, sans organisa-
tion coloniale sérieuse, nous en finissions jamais avec les
succès éphémères, les conquêtes improductives et les avor-
tements coloniaux successifs?...
De Tempire de l'illusion hâtons-nous de revenir, messieurs,
à notre domaine scientifique. Après avoir jeté un rapide
coup d'œil sur la carte de l'Indo-Chine, arrêtons nos regards
sur le Donnai et le Nam Hou, affluent du Mékong, dont
l'exploration nous rappelle les principaux titres géogra-
phiques de M. Paul Neis, médecin de 1"* classe de la marine,
à qui la Société décerne aujourd'hui une médaille d'or.
Vous n'attendez pas que, me substituant au voyageur, je
refasse, avec moins de compétence que lui, le récit de ses
pérégrinations. Votre rapporteur se bornera donc à une
large esquisse de l'œuvre qui a mérité vos suffrages, sans
laisser trop dans l'ombre les parties de nature à suggérer
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 337
quelques observations dont la convenance et l'utilité pouF
Tavancement de nos études ne sauraient avoir de meilleurs
juges que vous.
Né à Quimper en 1852, M. Neis s'engageait à dix -huit ans
dans l'artillerie de marine. Libéré en 1871, il suivit, à Brest,
les cours de médecine navale. Nommé aide-médecin en
1873, médecin de 2« classe en 1876, de 1" classe en 1879,
M. Neis arrivait en Gochinchine en février 1880. Deux
mois plus tard il se donnait sa première leçon pratique
d'exploration.
Les explorateurs savent bien, et nous n'ignorons pas, que
les cours institués à Montsouris par l'amiral Mouchez sont
deia plus grande utilité pour ceux qui ont déjà prouvé leurs
aptitudes, aptitudes pratiques qu'on ne saurait acquérir
dans de soi-disant écoles d'exploration. Les difficultés
vaincues dans une seule journée de voyage sont plus profi-
tables à l'explorateur intelligent que les préceptes dont on
l'aurait bourré en six mois d'école. Mais s'il est peu sérieux,
et même nuisible, de vouloir fabriquer des explorateurs, il
est excellent de fournir, comme l'amiral Mouchez, à ceux
qui ont prouvé leur vocation, les moyens de perfectionner
leur instruction.
C'est sur le terrain que Ton acquiert l'art de voyager;
c'est ainsi que M. Neis débuta par une première excursion
chez les Mois de l'arrondissement de Baria, bientôt suivie
d'un voyage de deux mois chez les Moïs du bassin inférieur
du Donnaï.
Avant de l'y rejoindre, rappelons-nous que les populations
arriérées des régions montagneuses de l'Indo-Chine orien-
tale ont reçu de leurs voisins plus civilisés : Annamites,
Siamois, Laos, les noms génériques de Mois, Muongs,
Khas, etc.. dénominations devenues synonymes dé c sau-
vages », bien qu'elles ne soient ainsi justifiées que par l'état
misérable dans lequel vivent aujourd'hui les derniers reje-
tons de peuplas depuis longtemps disparus.
338 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANffUELw
Accompagné de trois iDdigènes, M. Nds quittait Baria h
1®" novembre 1880; pnis, suivant à petite distance la fron-
tière orientale de la Gochinchine, il arrivait au confluent du
Laiâa qu'il venait de découvrir et du Donnai.
En franchissant la frontière, il entrait dans l'inconnu. La
limite est dépassée. Déjà il s'est avancé d'une cinquantaine
de kilomètres vers le nord quand ses porteurs indigènes
refusent absolument de remonter plus haut le Donnai dont
les tribus riveraines paraissent inspirer une grande terreur.
Pour n'être pas complètement abandonné. M* Neis se
rejette un peu à l'est, le long d'un petit affluent, le Da Houé,
qui sort du beau massif Thion Lay.
Mais sur les bords du Da Houé les hameaux sont rares;
partout les habitants ont fui dans les forêts; vivres, por-
teurs vont faire défaut à notre voyageur dans le désert im-
provisé autour de lui L'heure de la retraite semble sonnée,
quand il rencontre au hameau de Damré des Mois bien
disposés grâce à l'influence d'un nommé Patao qui escomp-
tait l'appui de notre colonie cochinchinoise.
Sans se montrer, Patao facilita le voyage de M. Neis qui
traversa le Thion Lay et s'avança jusqu'au village d'An Dran
à moitié chemin entre la Gochinchine et les sources du
Donnai. Ici, la fièvre et surtout le manque de ressources
obligèrent le voyageur à revenir promptement en Cochin*
chine. Il put heureusement opérer son retour par une route
nouvelle, et relier An Dran aux positions bien déterminées
de la côte, en traversant d'abord un grand plateau exploité
en bonne intelligence par les Mois et les éléphants, puis la
chaîne principale des montagnes qui séparent le bassin du
Mékong des provinces maritimes de TAnnam.
Assez surpris de rencontrer dans ces montagnes des Chi-
nois pratiquant la vaccine sur les Mois, il fut moins étonné
de trouver, au pied de la chaîne, le village Ciampa de
Galoan administré par les mandarins annamites du Bigne
Thouane. Son état de santé ne lui permit pas d'étudier les
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRŒ ANNUEL. 339
descendants des anciens maîtres de l'Annam proprement
dit. En passant des hauteurs boisées à la plaine sèche et
déserte qui s'étend jusqu'à la côte, M. Neis sentit ses forces
l'abandonner. Deux jours plus tard on l'embarquait au port
de Phan ry sur une jonque; le 8 janvier 1881 il débarquait
à Saigon.
Un mois de repos lui suffit pour se mettre en état de con-
tinuer l'exploration du Donna!. Cette fois il allait être
secondé par un de ses amis, M. Septans, lieutenant d'infan-
terie de marine, et guidé par Patao qui, appréciant l'excel-
lente attitude de notre compatriote, était déjà venu à Saigon
établir ses relations avec notre colonie.
Outre Patao et une douzaine de Moîs, MM. Neis et Sep-
tans emmenaient deux miliciens et un Chinois chargé d'étu-
dier les ressources commerciales du pays des Mois.
Le 11 février 1881, ils remontaient le Donnai jusqu'à
Tri An, se dirigeaient ensuite à l'est, puis au nord pour
arriver à un hameau de cinq ou six cases représentant la
capitale de Patao. Grâce à cet industrieux haciendero la
petite troupe ne manqua ni de vivres ni de porteurs. La
route du Thion Lay et d'An Dran, précédemment parcourue
par M. Neis, se fit sans difficultés à travers un pays qui
diffère peu des parties hautes de la Cochinchine. On pénètre
dans une région plus accidentée, plus sauvage, oti les bons
souvenirs laissés chez les Moïs ou Traos Thioma favorisent
encore la marche jusqu'à Diom, à la source [du Da-gning,
branche méridionale du Donnai.
Maisici, l'influence de Patao, impuissante contre la crainte
des Annamites, ne décide pas les Moïs à fournir des por-
teurs; il faut revenir jusqu'à Mélone et s'estimer heureux
d'atteindre par un autre sentier les monts Lang Bian d'oii
s'élancent les petits ruisseaux qui forment le Da Dong,
principale branche du Donnai.
Il semblera peut-être que les données acquises par
MM. Neis et Septans constituaient une reconnaissance suf-
340 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
fisante de la direction générale d'un cours d'eau imprati-
cable à cause de ses nombreux rapides. N'y avait-il pas dès
lors un plus grand intérêt géographique et politique à relier
leur itinéraire aux provinces annamites de Thagne Hoa on
de Phou Yène qu'à revenir en Cochinchine en suivant autant
que possible les détours du Da Dong? L'approche de la
saison des pluies et, sans doute encore, le manque de res-
sources, ont dû engager nos compatriotes à revenir sans
trop s'écarter des régions où ils étaient déjà connus.
Quand il revit Saigon, en avril 1881, M. Neis comptait,
depuis son arrivée en Cochinchine, sept mois de voyages,
et avait parcouru, en pays jusqu'alors inconnu, 700 kilo-
mètres dont une grande partie ont été relevés avec soin par
M. Septans à qui nous devons un rapport très précis sur
l'hydrographie et l'orographie du bassin du Donnai. Rap-
pelons-nous aussi que l'année suivante, MM. Seplans et
Gauroy exécutèrent une très intéressante reconnaissance
dans le pays des Mois, Beunongs et Giarays jusqu'au Se
Ghane, affluent du Mékong, à la frontière orientale du Cam-
bodge et des Mois.
Si M. Septans a pris une grande part aux travaux de
M. Neis, celui-ci n'en reste pas moins le premier explora-
teur du Donnai. Il passa l'année 1881 en Cochinchine et y
publia ses notes de voyage qui répondent aux questions les
plus variées du programme tracé aux voyageurs, et résu-
ment ses travaux spéciaux basés sur un nombre considé-
rable de mesures anthropométriques.
De retour en France, en avril 1882, M. Neis ajouta à ses
titres et à son expérience pratique des voyages de nouvelles
connaissances techniques acquises à l'observatoire de Mont-
souris, et obtint alors du Ministère de l'Instruction publique
une mission pour aller continuer l'exploration du pays des
Mois au nord du Donnai.
Le 13 décembre de la même année il quittait Saigon pour
entreprendre un long voyage dans le Laos central.
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 341
Nous n'avons pas à discuter les considéraiions de divers
genres qui ont dicté à M. Neis ce changement d'itinéraire,
non plus que les instructions qui lui furent données en
Gochinchine. Toutefois, qu'il nous soit permis de regretter
que les missions scientifiques ne soient pas plus franche-
ment indépendantes de toute influence étrangère au Minis-
tère de rinstruction publique. Que toute administration
organise les missions qu'elle juge utiles ; mais nous esti-
mons que la confusion dans la conception, l'organisation et
la direction des missions ne réserve que des échecs, au moins
des désavantages, des retards, des pertes que rien ne com-
pense. L'explorateur doit savoir ce qu'il veut faire et ce
dont il a besoin. Quand ses plans ont été acceptés, il doit
rester maître de ses mouvements dans les limites générales
convenues; et il est regrettable qu'on le laisse partir ou qu'il
parte sans avoir les moyens nécessaires à l'accomplissement
de sa tâche, et qu'il se trouve plus tard, voyageur français
commissionné, à la merci de la charité des indigènes.
Au commencement de janvier 1883, M. Neis accompagné
de deux miliciens et de deux interprètes, traversait, sans
être inquiété par le rebelle Sivalha, la frontière du Cam-
bodge et du Laos.
Le Mékong nous étant connu depuis longtemps, nous ne
suivrons pas l'interminable route qu'on lui fit prendre pour
se rendre à'Luang-Prabang. Il convient cependant de nous
arrêter un instant avec lui au confluent du Mékong et du
Nam Ghane qui donne accès dans la principauté de Trâne
Nigne, tributaire de l'Annam. Sachant que des mission-
naires français, venus de laprovince annamite de Nghê Ane^
étaient établis depuis un an au Trâne Nigne, M. Neis pou-
vait espérer que leurs renseignements et, au besoin, leur
concours lui faciliteraient l'exploration du Laos entre le
Trâne Nigne etLuang-Prabang.
Il remonta donc le Nam Chane et rejoignit nos deux
missionnaires à Muong Ngan^ dans le district de Kouang.
342 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
Malheureusement il arrivait au moment où cette nou-
velle capitale du Trâne Nigne allait subir le sort de Nigne
Kouang.
Les missionnaires établis sur le Maa, le Cai, le Mo, etc..
signalent depuis cinq ans les désordres croissants et les
luttes meurtrières qui désolent les régions comprises entre
le Tonkin et le Mékong. Il en ressort, croyons-nous, que
chassées jadis de leur pays par les Siamois et ne voulant
pas subir leur joug, certaines populations Lao, telles que
les Phou Qhiung, les Phou Thai, les Phou Thigne, etc...
tentent de s'établir dans les montagnes ou à Tintérieur et
s'entendent plus ou moins avec des émigrants et envahisseurs
du Yunnan méridional : Lolos, Los, Méhos, Hos, etc., pour
déposséder les Mois indépendants ou tributaires de Siam
ou de l'Annam. Tant d'éléments de désordre dans un pays
d'un accès difficile, tant d'intérêts se heurtant, se compli-
quant des agissements annamites et chinois, présentent
l'image d'un chaos que les missionnaires n'ont pas dé-
brouillé depuis plusieurs années. Nous serions donc trop
exigeants de demander un travail historique à M. Neis qui
dut battre en retraite une semaine après son arrivée à Muong
Ngan que ses habitants refusaient de défendre contre des Hos
et des Phou Thang.
Renonçant à son projet de route directe sur Luang Pra-
bang, obligé même de sacrifier une partie de ses bagages,
M. Neis revint en hâte sur les bords du Mékong, rapportant
au moins les observations et les notes qui servent à tracer
son itinéraire d'environ 150 kilomètres entre Bonn Gang et
Muong Ngan.
Le 23 mai il arriva à Paklay ; puis il suivit en partie l'iti-
néraire du naturaliste Mouhot pour se rendre à Luang-
Prabang où la saison des pluies le retint prisonnier du
8 juin au 11 octobre.
Le soin d'entretenir de bonnes relations avec le roi et les
autorités ne suffisait pas à occuper les loisirs que lui laissait
RAP^RT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 343
la fièvre et à calmer son besoin d'activité. Aussi, M. Neis
salua-t-il avec joie le premier rayon de soleil et s'empressa-
t-il, sans attendre la fin des pluies, d'aller explorer le Nam
Kan sur les bords duquel il remplit d'abord un pieux devoir
en réparant le tombeau de Mouhot.
Le Nam Kan est tellement encombré de rapides, tellement
tortueux, qu'après six jours de pirogue on ne se trouve
qu'à 50 kilomètres à vol d'oiseau dans le sud-est de Luang-
Prabang. Ses rives et celles de ses affluents sont peuplées
de Mois ou Khas, cultivateurs, chasseurs, commerçants,
considérés, paraît-il, comme la gent corvéable et taillable à
merci.
Du pays de ces sauvages, qu'il mesure de la tête aux
pieds, et qui lui rappellent le genre de vie et les usages des
Moïs du Donnai; de la barbarie, M. Neis nous ramène à
Luang-Prabang pour assister avec le roi et les principaux
mandarins à la fête des eaux et au Tetluang. Si les chevaux
de bois n'ont pas encore fait leur apparition au Laos, on y
retrouve du moins les joutes, les danses, les feux d'artilice
et même des montgolfières importées, lancées par des mar-
chands birmans.
Mi Neis profita de cette circonstance pour prendre de
plus amples renseignements sur le Lao central, et se lier
avec le délégué d'un des districts du Nam Hou, important
affluent de gauche du Mékong, qu'il devait explorer.
Dans ce but, il quittait Luang-Prabang le 27 décembre,
reconnaissait en passant le Nam Seun, et arrivait le 28 au
confluent du Mékong et du Nam Hou.
Malgré sa belle apparence, le Nam Hou n'est praticable
qu'en pirogue et ses nombreux rapides rendent la naviga-
tion si dangereuse, qu'à l'époque où les communications
étaient sûres, les caravanes de marchands birmans et chi-
nois préféraient suivre les sentiers les plus accidentés pour
se rendre à Luang-Prabang.
Le temps nous manque pour visiter avec M. Neis de ma-
344 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
gnifiques grottes, et admirer le long de la route les paysages
les plus pittoresques. Nous ne rechercherons pas non plus
si des quantités d'îlots rocheux, qui présentent l'image
d'animaux ou d'êtres humains, ont été taillés par le ciseau
peu décent des Rhmers ou des Chinois. Nous Yoici à Muong
Ngai. En attendant que le mandarin, qui répond sur sa tête
de la vie de M. Neis, lui permette de remonter encore un
peu le Nam Hou, nous écoutons ses récits du pays de
HO'pa-tha-Ha-than-Hoc, à cheval sur les versants Laos
et Tonkinois, d'où l'on tire le stick-lack, le benjoin, etc..
Enfin la route a été reconnue libre ; M. Neis arrive à Muong
Koua. Il est ici à environ 150 kilomètres à Luang-Prabang;
en faisant la part des exagérations habituelles aux indigènes,
il lui en resterait sans doute autant à parcourir pour at-
teindre la source du Nam Hou qui vient du nord.
Mais à Muong Koua, on s'attend chaque jour à une at-
taque des Hos ; chacun se tient prêt à descendre le Nam Hoa.
Notre voyageur est donc encore obligé d'interrompre son
exploration et de renoncer à passer au Tonkin. Ses res-
sources étaient d'ailleurs épuisées ; en revenant à Luang-
Prabang il dut emprunter de quoi vivre et opérer son retour
à Bangkok par la voie connue du Mékong et du Ménam.
Me tromperais-je en supposant que M. Neis a regretté de
voir les riches forêts de teck de la vallée du Ménam déjà
exploitées par les Anglais? Prenons garde qu'une influence
étrangère ne l'emporte ici sur la nôtre. Le bassin du Ménam
doit être la barrière de notre Indo-Ghine orientale ou tout
au moins la zone neutre que deux puissants voisins ont
intérêt à respecter.
Puisque nous glissons sur le terrain délicat de la poli-
tique, nous exprimerons le vœu qu'une paix sincère et
durable, avec un peuple dont nous avons toujours reconnu
les qualités, nous permette d'en finir rapidement en Annam
avec les opérations militaires. Que les succès, si ardemment
souhaités, de nos armes ouvrent le plus tôt possible^l'ère de
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 345
la pacification; qu'une véritable administration coloniale,
s'efforçant de diriger dans la voie du progrès moral et
matériel nos nouveaux sujets, leur inspire une respectueuse
reconnaissance; qu'enfin, le caractère pacifique et civilisateur
de la mission de la France en Indo-Ghine ne puisse porter
ombrage à la GhinCy et contribue à resserrer des liens
d'amitié dont la rupture accidentelle aura prouvé l'utilité
et l'intérêt aux deux grandes nations de l'Orient et de
l'Occident.
Je n'insisterai pas sur la traversée de M. Neis de Bangkok
à Cbantaboun, aux ruines d'Angkor et à Saigon oii il
arrivait le 4 juin 1884, après une absence de dix-sept
mois.
Peu de voyageurs, comme vous l'avez vu, ont été aussi
constamment contrariés que l'a été M. Neis pendant ce long
voyage de 5000 kilomètres. Le parti qu'il en a tiré nous
laisse entrevoir tout ce que la science aurait gagné si son
pionnier eût été mieux approvisionné, plus libre de ses
mouvements ou mieux dirigé.
Au point de vue géographique, ses itinéraires du Nam
Cham et du Nam Hou, appuyés sur des observations de
latitude, complétés par des altitudes, constituent un travail
des plus intéressants sur une partie du Laos central. Ajoutons
qu'il a recueilli de nombreux renseignements sur plusieurs
voies commerciales du bassin occidental du Mékong. En
outre, les indications qui lui ont été fournies au Trâne Nigne
et sur le Nam Hou permettront de tracer approximativement
un nouvel itinéraire entre Luang-Prabang et la partie sep-
tentrionale de la province annamite de Thagne Hoa.
Le journal météorologique de M. Neis, constamment tenu
au courant depuis son entrée au Laos jusqu'à son retour
à Bangkok, sera non moins précieux aux météorologistes
qu'aux géographes qui en déduiront les altitudes de l'itiné-
raire parcouru.
Parmi ses collections, nous remarquons une centaine
soc. DE GÉOGH. — d« TRIMESTRE 1885. Yt. — 24
346 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
d'échantillons de roches recueillies entre le Cambodge et
Luang'-PrabaDgy des insectes, des serpents et des poissons;
des crûmes et des squelettes de Khas; des échantillons des
produits du Laos : coton, soie, stick lack, benjoin, papier
d'écorce, etc., des vêtements et des ustensiles.
Ses notes enrichiront le vocabulaire de^s idiomes indo-
chinois, et ses travaux étendus sur l'anthropologie et l'eth-
nographie des Laos et des Khaà compléteront heureusement
son étude des Mois du Donnai'.
Tels sont les principaux résultats obtenus par M. Nais
qui n'a cessé, d'ailleurs, de prendre bien d'autres notes sur
les régions visitées, sur leurs ressources^ leur population,
leur état social, commercial et politique. J'ai passé sous
silence ses qualités d'explorateur; mais ce qu'il lui a fallu
de patience et de courage pour remplir sa mission, le
Ministre de la Marine l'a reconnu en le nommant che-
valier de la Légion d'honneur, et vous-mêmes en avez tenu
compte en inscrivant sur la liste de vos lauréats le nom du
D' Paul Neis.
MEDDELELSER OM GROENLAND
M. William Huber, rapporteur
MédaiUe d^or. — Prix de lia Roquette
*
Vers la fin du xiii» siècle, l'accumulation des glaces sur la
côte orientale du Groenland, les incursions des esquimaux
et certains phénomènes d'abaissement du sol, détruisirent
les établissements fondés par les Danois et les Norvégiens
trois cents ans auparavant. Depuis cette époque, cette côte
inhospitalière semble avoir été délaissée des explorateurs et
des savants : en hiver, la banquise et les hummoks; en été
l'interminable défilé des glaces flottantes poussées par les
courants polaires, en rendent les abords dangereux et là
même où, voilà six cents ans, se groupaient des populations
RAPPORT SDR LE CONCOURS AU PRIX AlfNUEL. 347
autour de leurs églises sous la crosse de leur évèque, on
ne trouve aujourd'hui que solitude et désolation.
Quelques tentatives furent cependant faites pour retrouver
les traces des premiers occupants, mais ces recherches
ayant surabondamment prouvé l'impossibilité d'une ins>
tallatiou nouvelle, la curiosité diminua, et ces régions
retombèrent dans l'oubli.
Il n'en fut pas de même de la côte occidentale : le détroit
de Davis et la itner de Baffin étaient les routes par lesquelles
on eâpérait atteindre le passage nord^ouest et le pôle; il
importait d'assurer sur leurs rivages de bons abris pour les
navires et des points de ravitaillement praticables et sûrs.
Cette raison, jointe au climat moins sévère, attira les
navigateurs sur cette côte occidentale du continent boréal
et leur en fit relever çà et là les principaux contours en vue
d'en reconnaître les meilleures baies d^hivernage. i
Ces levés partiels de quelques kilomètres de côte man-
quaient de cohésion, exécutés par des capitaines de natio*
nalités diiTérentes, ces croquis et ces noteis- allaient enrichir
les bibliothèques ministérielles de divers pays, et tout car-
tographe sincère eut été fort empêché de les rattacher les
• unes aux autres.
. Récemment, sous l'inspiration du prince éclairé qui^
depiais vingt-deux ans, poursuit sur le trône de Danemark
les traditions de dix siècles, le gouvernement danois résolut
de reprendre les études du sol de son ancienne colonie, de
les compléter, de les grouper et- de les publier afin de les
répandre dans le monde, pour servir à totis sans' distinction
de drapeau. De là l'origine des Meddelelser^om Gr&enlandy
autremient dit: «Documents sur le Groenland », publication
savante, sincère, résumant une somme de travail, considé-
^able,à laquelle votre Société décerne aujourd'hui la médaille
d*or du prix La Roquette.
La meilleure preuve de l'esprit cosmopolite de jcette pu-
blication, est dans le résumé en langue française par lequel
Sis RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
se termine chaque yolume. La diffusion des précieux docu*
ments qu'ils renferment est par cela même assurée, et c'est
grâce à cette courtoise attention que votre commission des
prix put se rendre compte de la valeur de l'œuvre. Au sur-
plus, le Groenland ne présente pas l'étoffe nécessaire pour
y tailler une colonie rémunératrice; aujourd'hui que les
nations cherchent à découper leur part dans les régions
équatoriales africaines, ce n'est pas sous les bises du nord
ni dans le voisinage de la nuit polaire, qu'un État peut
penser à jeter des populations et à immobiliser des millions.
Non, le but de S. M. Christian IX est d'un intérêt général;^
la nation danoise, intelligente et vaillante au travail comme
elle sait l'être au besoin dans le métier des armes, cherche
moins son expansion dans le monde par le poids de son
épée ou la force de ses cuirassés que par l'ascendant de son
génie national, les vivifiantes luttes pour la science, qui
l'ont mise depuis longtemps et la maintiennent de pair
avec les premières nations civilisées.
Les Danois ont été les plus audacieux navigateurs du
moyen âge : leurs vikingSy battant les flots des rames de
leurs navires, partaient sans boussole à la conquête du^
monde avec une poignée d'hommes déterminés. Les Sagas *
ont chanté leur témérité et leurs victoires. Du v* au vi* siècle,
les Jutes, les Angles et les Saxons prennent part à la con-
quête de l'Angleterre; au viii* et au xi% les Danois s'éta-
blissent en Islande et au Groenland; leurs fils découvrent
le Labrador et la côte des États-Unis. Ailleurs, ils s'em-*
parent de la Neustrie, remontent la Seine jusqu'à Paris^
poussent leurs excursions dans la mer cantabrique, abor-
dent et combattent en Espagne, doublent Gibraltar, mettent
à sac les îles Baléares et la côte d'Afrique où ils se mesurent
avec les Maures et donnent la main, dans la Méditerranée,
à leurs compatriotes descendus du nord par les fleuves de
la Russie, la mer Noire et le Bosphore. Suédois, Russes,
Allemands, Anglo-Saxons, Français, Espagnols et Portu-
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 349
^ais, Arabes, Italiens, Bulgares, Turcs et Grecs, tous ces
peuples auxquels je donne leurs noms actuels, eurent à
compter avec la « rage des Nordmen ». Existe- t-il dans
l'histoire peuple plus voyageur et plus téméraire?
Longue serait la liste des capitaines et des explorateurs
danois^ auxquels, depuis Behring, dans des temps plus
modernes, la géographie est redevable d'importantes dé*
couvertes. Les savants danois ont créé la chronologie pré-
historique et reconstitué les annales de l'humanité en pro-
£tant des immenses progrès réalisés dans les sciences
contemporaines
Les collaborateurs des Meddelelser portent des noms
déjà connus dans les sciences; vous les reconnaîtrez dans
les signatures de MM. Johnstrup et Steenstrup, pour la
géologie; lieutenant Jensen, pour la géographie; Holm,
pour la zoologie;* Kornerup, jeune officier plein d'avenir
enlevé à la fleur de l'âge; Lorenzen, pour la minéralogie;
Lange, pour la botanique; Hoffmayer, Grath, capitaine
Wandel, lieutenant Hammer.
Ces hommes éminents ont eu des prédécesseurs qui leur
ont ouvert la voie ; il n'est pas sans intérêt de rappeler lés
noms de ceux qui ont fait le plus pour la géographie du
Groenland.
Citons d'abord Carl-Ludwig Giesecke, né à Augsbourg,
auquel revient l'honneur d'avoir le premier attiré Tatten-
lion sur la nature géologique de la partie habitée du pays.
A la fois poète, acteur et géologue, en tous cas caractère
jen quête d'aventures, Giesecke passa sept hivers et huit étés
consécutifs au Groenland, de 1806 à 1813. Pendant ce sé-
jour, il poursuivit avec persévérance ses études jusqu'à la
limite extrême des lieux habités au nord entre le 63"* et le
70* de latitude. Nommé professeur de minéralogie à l'Uni-
Tersité de Dublin en 1814, il conserva ce poste jusqu'à sa
mort, en 1833.
Après lui, le lieutenant de vaisseau Graah (1823-1824),
350 RAPPORT SDR LE OORGOURS AU PRIX AHSTOL.
releva la côte occidentale entre le 68*3(y et le 73*; pois de
i829 à 1830, en compagnie da botaniste Yahl, la côte orien-
tale du cap Farewel jasqu'an 65*. Da 65* ao 73*, cette n?e
orientale reste presque enti^eai<»oit inconnue, sans doote
parce que le voisinage de Tlslande, située à 40 milles à Test,
rejette les glaces flottantes sur elle. Du 73* an 77*, Salûne
et Scoresby Font visitée ; plus tard, elle fut explorée en par-
tie parla seconde expédition polaire allemande commandée
par le capitaine Koideway •
A la môme époque, Pingel entreprenait des recherches
minéralogiques dans la région méridionale et constatait le
premier des phénomènes d'abaissement dans cette partie
du continent.
Le voyage scientifique que H. Riièk entreprit de 1848 à
1851 dans le nord du Groenlai^d, contribua pour une grande
part à la connaissance de cette eonlrée. On savait qu'une
grande partie du pays était rendue inaccessible par d'im-
menses glaciers d'où se détachent les montagnes de glace
qui flottent à la dérive le long des côtes, mais on ignorait
leur étendue et le rôle qu'ils jouent dans la nature. Rink
fraya la voie dans cette direction en ouvrant de nouveaux
horizons à des questions qui se mettaient alors à l'ordre du
jour en Europe, par les travaux de MM. Yenetz et de Char-
pentier, d'après les naïves révélations du montagnard valai-
San, Jean-Pierre Perraudin^.
Il est intéressant de rappeler qu'avant ces savants suisses,
Plaifair, en 1815, et l'immortel Gœthe avaient eu l'intui-
tion d'une période glaciaire ; mais ni l'un ni l'autre n'en
avaient appuyé l'existence par des faits. Que l'on dise en-
core que l'inspiration poétique ne se nourrit que de rêves!
Les découvertes de Rink engagèrent plusieurs natura-
i. Venetz. Mémoire sur la température dés Alpes^ inséré dans les
Mémoires de la Société helvétique des sciences naturelles. Vol. I*',
l»rt. 2 (1821).
De Charpentier. Estai sur Us glaciers. — Lausanne 1841.
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX AI9NUEL. 351
listes tels que les Suédois Forell (1S58) et Nordenskiôld
(1870); les anglais Whjmper et Brown (1867); le norvé--
gien Helland (1875), à se rendre dans le, nord du Groenland
pour étudier de leurs propres yeux les puissants effets de
la glace continentale. M. Nordenskiôld fit une seconde et
remarquable expédition dans Tintérieur en 1883. Les résuU
tats sont consignés au Bulletin de la Société de Géographie,
1" trimestre 1885.
En 1876) s'organisèrent, sur la proposition de M. John-
strup, les récentes expéditions de MM. Steenstrup et Holm :
ils relevèrent une carte géologique de 80 milles carrés;
celle de M. Kornerup à la recherche des ruines nordiques,
il en prit les plans et les dessins ; l'expédition de MM. Steen-
strup, déjà nommé, et le lieutenant de vaisseau Jensen.
(1877), qui explorèrent le district de Friedrikshaab et tra-
cèrent une carte des fiords avec leurs ramifications jusqu'au
pied de la glace continentale. Ils déterminèrent un grand
nombre de hauteurs ainsi que le mouvement de la glace
dans les fiords, mais ne parvinrent pas cette fois à pénétrer
dans l'intérieur sur la glace continentale elle-même. Ce ne
fut que l'été suivant (1878), que M. Steenstrup se rendit
dans le nord du continent pour y chercher les ramifications
inconnues des fiords Umanak et poursuivre en 1879 et
1880 ses recherches sur les mouvements glaciaires. Une
autre expédition commandée par M. le lieutenant Jenseii
(1878), reçut pour mission d'explorer la partie de la côte du
Groenland comprise entre le fiord Améralik dans le district
de Godthaab et Tiningnertok, d'en dresser la carte par
des mensurations terrestres et astronomiques, et d'entre-
prendre plusieurs excursions dans l'intérieur. On lui adjoi-
gnit MM. Kornerup et Groth dont le zèle facilita singuliè-
rement sa tâche.
Telles sont, à grands traits^ les différentes expéditions
dont les résultats sont consignés dans les Meddelelser om
Groenland.
'
352 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
Notions générales. — On ne peut évaluer avec quelque
certitude la surface du Groenland, les rivages nord de ce
continent n'ayant jamais été entrevus. On admet, toutefois,
que cette [surface est de 1700000 à 2 300 000 kilomètres
carrés dont la moitié est recouverte de glaces persistantes.
Une bande de largeur variable entre 50 à 150 kilomètres
court le long du littoral, coupée par de profonds fiords. Elle
peut seule servir d'habitat aux plantes, aux animaux et à
l'homme. Dans le nord, cette bande est même supprimée;
les glaces plongent souvent dans la mer. Le point extrême
reconnu sur la côte orientale est le cap Bismarck par 77* de
latitude; de ce point, on n'a pu qu'entrevoir une rive se
dirigeant droit au nord. La côte occidentale est reconnue
jusqu'au nord du glacier de Humboldt (79 à 80*), le cap
Constitution et les profonds fiords de Petermann et de la
baie Polaris (Sl^" et 82"^). Au delà, la terre semble se diriger
vers le nord-est pour rejoindre peut-être l'autre côte, au
nord du cap Bismarck, à des latitudes inconnues.
Orographie. — On s'accorde à croire que l'ossature du
Groenland est formée par une longue chaîne de montagnes
courant du nord au sud, plus près de la côte orientale.
Ses points culminants connus sont, par 73"", la pointe Pe-
termann (3000 mètres environ), et la pointe de Payer
(2200 mètres), dont on a fait l'ascension. Cette chaîne prin-
cipale semble s'abaisser vers le sud, pour se relever près
du cap Farewel jusqu'à des sommets de 1800 à 2000 mètres
d'altitude, aux parois abruptes encaissant de longs et pro-
fonds fiords. Une seconde chaîne parallèle moins haute
longerait la côte occidentale à la distance d'environ 100 ki-
lomètres. Ses cimes atteindraient 300 à 1200 mètres, et
dans le sud par 70^30', on voit se dresser quelques sommets
de 2000 mètres.
Fiords. — La caractéristique des côtes du Groenland et
surtout de la côte occidentale, est l'existence de fiords pé«
nétrant fort loin dans les terres, profonds, tortueux, mais
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 353
entre lesquels un observateur scrupuleux trouve des indices
certains de parallélisme dans leurs traits principaux.
Ce parallélisme aurait pour cause première des disloca*
tions provoquées par des lignes de soulèvement éruptif,
qui frappent d'autant plus les yeux que le pays est plus
dénudé et que la roche apparaît souvent sans humus ni
végétation. Ces lignes de dislocation sont parallèles par
séries, selon l' époque à laquelle elles se sont produites ; une
série plus moderne croisant souvent une série plu an-
cienne. M. Kornerup, par une étude approfondie de la
constitution géologique du sol, croit pouvoir expliquer la
formation des fiords, question si controversée, par le tra-
vail d'érosion de Teau et de la glace sur des roches dis-
loquées. D'après M. Kornerup, il n'est pas besoin d'attri-
buer à l'eau et à la glace des forces surnaturelles ni de sup-
poser pour la durée de leur action un nombre prodigieux
d'années. La glace aurait d'abord joué le rôle de racloir
sur les parties de la roche désagrégées, puis celui de polis-
soir sur les parties dures et compactes qu'elle ne pouvait
entamer. Cette théorie peut soulever certaines objections,
mais ce qu'elle n'explique pas, c'est pourquoi dans toutes
les régions quelque peu rapprochées dés pôles, les fiords
sont beaucoup plus prononcés sur les côtes occidentales
des terres que sur les autres : le Groenland, l'Islande, l'Ir-
lande, l'Ecosse et ses archipels, la Norvège; au sud, la Pa-
tagonie, la Nouvelle-Zélande présentent toutes ce même
phénomène. On le retrouve même en Bretagne, en Galice,
en Corse, en Dalmatie, en Asie mineure, en Corée. Quelques
savants ont cherché sa cause dans la conservation des re-
liefs primitifs du sol par la carapace de glace dont ils étaient
recouverts aux époques glaciaires, carapace qui aurait pro-
tégé le sol contre les agents atmosphériques, tels que les
pluies et les alternatives de gel et de dégel, ces plus grands
dislocateurs de montagnes. Les vents d'ouest, plus humides,
auraient déchargé leurs nuages sous forme de neige sur
354 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEU.
les premières côtes qa'ils {abordaient et cette neige, trans-
formée en nevé a donné une plus grande extension en même
temps qu'une plus longue durée aux glaciers inclinés vars
l'ouest. Si cette explication est plausible pour les régicms
polaires, elle l'est moins pour les régions chaudes ah la
période glaciaire a dû être moins froide et moins longue.
Nous pensons donc que tout n'est pas dit sur les causes de
la formation des fiords. -
Géologie. — La part consacrée à la géologie dans les Med-
delelser om Groenland est considérable* Nous aborderons
d'autant moins ce sujet qu'il a été traité récemment avec
toute autorité par notre savant ccdlègue, M. Daubrée^, qui
rend un juste hommage aux géologues de la publication
danoise.
Nous signalerons seulement une découverte de la plus
haute importance : celle de la présence à l'état natif, et
d'origine terrestre du fer nickelé dit météorique, dont les
quelques échantillons recueillis jusqu'à ce jour provenaient
de bolides tombés sur notre planète. Les savants danois
ont trouvé au Groenland ce fer nickelé, provenant sans con-
teste des profondeurs de notre globe et rejeté à sa surface
par les forces volcaniques. Ce métal dont on n'avait jamais
encore constaté la présence à l'état natif restait avec les
phosphures de fer et le sesquisulfure de chrome (appelé
daubréite)^ les seuls corps étrangers à la terre semblant
appartenir en propre aux astres dont les débris flottent dans
l'espace. La présence du fer nickelé à l'état natif affirme une
fois de plus l'unité de la matière et des lois qui la doivent
régir dans les mondes sidéraux comme ici-bas. *
Glaciologie. — La crustallogie^ que par gallicisme nous
avons appelé glaciologie^ est une science née d'hier. Elle a
conduit en remontant le cours des âges à la période gla-
ciaire, et la période glaciaire, qui n'est plus disc^table,
1. Journal des savants, 1885.
HAPPQRT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL, 35i>
nûU3 H donné l'explicatioa claire, irréfutable de problèmes-
qui, sans elle, resteraient âans solution.
Qu'était cette période de froid? Noire imagination a peine
à^e figurer un immense champ de glace descendant du nord
jusque dans les plaines de. TAlIemagne, couvrant la Hol-
lande, . la Bretagne et s'avançant peut-être plus au sud en*
core. Nous ne réalisons pas noaplus, dans des temps moins
lointains» l'aspect que devait présenter le grand glacier des
Alpes, pariant de leurs sommets pour étendre ses froids
contacts jusque sur les vallées de la Saône^du Rhône, du
Danube et les plaines de l'Italie. Eh bien, messieurs, la pé-
riode glaciaire existe encore au Groenland avec toutes ses
causes, tous ses effets, tous ses phénomènes; là, elle peut
ôtre décrite et dessinée d'après nature. C'est ce que vient
de faire Ja commission. des Medéelelser en nous ramenant
d'une façon tangible à la réalité. sans rien emprunter aux
hypothèses ni à la fiction.
La glace continentale du Groenland était, avant ces explo-
rations, :un redoutable inconnu; les seules tentatives de
Delager en 1751, de John Rae en 1860 étaient restées stériles.
. MM. Steenstrnp et Jensen réussirent à pénétrer jusqu'à
75 kilomètres sur cette glace, dont la ligne monotone borne
de toutes parts l'horizon.
Il faut admirer le courage et l'énergie dont les membres
de l'expédition ont fait preuve pendant ce long trajet, avan-
çant lentement dans un labyrinthe de crevasses, aveuglés
par des tourmentes de neige souvent terribles qui décu-
plaient les morsures du froid, n'ayant pour abri et pour
nourriture que des tentes fragiles et quelques conserves
emportées de la o6te. Ils parvinrent avec peine en un point
entouré de Nunatakker^ on désigne ainsi en langue esqui-
maude, les sommets ou les arêtes de roc émergeant du gia*
cier. Ces géants opposent un obstacle inébranlable au mou-
vement de la glace : elle se fend en tous sens, se heurte, se
disloque, s'élève en gigantesques vagues ou s'écroule en de
356 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANUTUEL.
profonds abîmes. Quelles impressions ces hommes intré-
pides n'ont-ils point dû ressentir devant ce chaos, enve-
loppés de l'imposant silence des régions glacées, dans ces
vastes solitudes si loin de la patrie, où l'homme est si petit
à l'échelle de la nature mais où il se sent grandir par les
armes que Dieu lui a données pour en combattre les rigueurs
et en surprendre les secrets.
Dans un intéressant article des Meddelelser^ M. Johnstrup
I
ne croit pas impossible d'admettre que les forces en action
sur ces immenses glaciers, ne soient autres que celles en
oeuvre sur les glaciers inclinés de la Suisse et de la Nor-
vège. Il est peut-être téméraire de ne pas partager entiè-
rement l'opinion du savant professeur; toutefois nous ne
pouvons nous défendre de croire que les lois qui régissent
les glaciers de nos contrées, au moins dans leurs parties
planes, sont les mêmes au Groenland* Les effets de ces lois
sur des masses telles que celles dont il s'agit ici peuvent
être différents vu les proportions du laboratoire; les condi-
tions d'humidité, de température, de regel peuvent varier,
mais les causes doivent être de même nature sinon de
même intensité. Et c'est précisément le point intéressant,
que de reconnaître ces forces dans leur maximum d'am-
pleur, pour arriver à résoudre en Europe, des problèmes
que les trop petits caractères du livre nous empêchent de
bien déchiffrer.
Cette région, elle aussi, a passé par une période plus
froide et plus humide encore, car les stries et les roches
polies constatées sur les pics émergents, prouvent que les
glaces atteignaient jadis une beaucoup plus grande hauteur.
Ainsi les montagnes de 700 et de 800 mètres sont striées
jusqu'à leur cime. Sur le Redekam on observe des stries
jusqu'à cette altitude de 800 mètres, mais non plus au
sommet; ce qui prouve que cette montagne, haute de
1200 mètres émergeait de la glace ancienne, comme
d'autres pointes, jadis recouvertes, en émergent aujour-
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 357
d'hui. Aetueilement à 56 kilomètres du front, la glace
atteint 690 mètres au-dessus de la mer et à 75 kilomètres,
elle monte jusqu'à 1570 mètres. Il est certain qu'au centre
du Groenland elle doit s'élever jusqu'au nevé qui s'appuie à
des cimes de 2200 et 3000 mètres d'altitude.
Les moraines ont fait l'objet d'une étude spéciale; elles
ont dans ces régions de bizarres allures : les roches émer-
gentes étant rares, les moraines sont rares aussi, mais la
glace continentale semble suer des moraines ou des blocs
isolés qui, du fond remontent à la surface. Ce phénomène,
constaté sur les glaciers européens, prend au Groenland de
grandes proportions, surtout dans le voisinage des Nuna^
takkér où la moraine prend la forme d'un fer à cheval
entourant le pic, qui souvent lui-même se présente comme
un cône de roc au fond d'un entonnoir de glace. L'explica-
tion que M. de Charpentier a donnée de la réapparition des
blocs ensevelis nous entraînerait trop loin et n'est peut-être
pas bien applicable aux faits observés au Groenland.
Au temps de la période glaciaire des Alpes, les moraines,
probablement rares aussi, et certainement plus rares
qu'aujourd'hui, devaient affecter les allures qu'elles ont au
Groenland. Ils sont fondus, ces glaciers préhistoriques, en
déposant leur bagage de blocs erratiques dans les plaines où
nous savons les reconnaître. Si leurs traces offrent parfois
à nos observations des particularités qui piquent notre
curiosité, ne devons-nous pas en rechercher l'explication
dans ce que les danois nous apprennent de cette période
glaciaire groenlandaise du xix*^ siècle, à l'aide de laquelle
nous pouvons aujourd'hui comprendre certaines choses
restées inexpliquées.
En résumé les Meddelelser om Groenland constituent une
encyclopédie de ce continent si mal connu. De nombreuses
déterminations astronomiques et observations terrestres
ont permis d'en dresser la carte exacte; la géologie y
trouve une série de faits nouveaux et curieux; le bota-
358 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
niste compare la flore groenlandaise avec celles de l'Ame-
rique du Nord, de l'Islande, du Spitzberg, de la Sibérie et
de certaines zones des Alpes; l'archéologue enfin peut, à
l'aide des ruines retrouvées, rétablir une des premières
pages déchirées de Thistoire de ce peuple conquérant par
excellence, et grâce aux Danois le Groenland servira peut-
être nn jour -de dernière échelle à l'assaut du pôle.
M. EDMOND DUMAS-VORZET
M. Fr. Schrader, rapporteur.
Médaille d'or. — Prix Erliard.
Mon rapport sera presque une notice nécrologique : Si
Dumas-Vorzet a eu la joie d'apprendre que vous lui dé-
cerniez le prix fondé en mémoire de notre collègue Ërhard,
d'autres viendront ici le recevoir en souvenir de lui. Il est
mort le 3 avril, après plus d'une année de souffrances.
J'éprouve quelque difficulté à vous parler en détail de
l'œuvre d'Edouard Dumas-yorzet,car l'état de faiblesse oà
il se trouvait depuis plusieurs mois déjà ne lui a pas permis
de me fournir tous lés renseignements qui m'auraient été
nécessaires. Au surplus, ce qui asurtout attiré les regards de
votre commission des prix, c'est moins la quantité de ses
travaux que le caractère de sérieux, de sincérité, de cons^-
cience qui les caractérisait.
Élève du vétéran de la cartographie française, du respec*
table M. Vuillemin, Dumas-Vorzet apportait dans toutes ses
oeuvres le soin scrupuleux qui distingue les travaus de son
maître. ^
Nombre de cartes ont été dessinées par lui dans les pu-
blications géographiques de MM. Cortambert, dans le livre
de M. Dupaigne, les Montagnes; dans.de nombreux vo-
lumes ou atlas géographiques publiés par la librairie Ha<*
chette. Toute la partie cartographique du travail consacré
BAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 359
par le comte de Paris à la guerre de sécession lui a été
confiée, et ceux. qui ont jeté les yeux sur les belles cartes
qui accompagnent le texte de cet ouvrage ont pu apprécier
avec quelle, intelligence et quel talent Dumas- Vorzet s'est
acquitté de sa tâche.
Quand notre vénéré président honoraire, M. Vivien de
Saint-tMartin, fut chargé par la librairie Hachette de pré-
parer un atlas universel, il songea immédiatement à s'atta-
cher Dumas-Vorzet. Sous sa direction, le talent de votre
lauréat grandit et $'éleva en même temps que ses connais-
sances géographiques s'étendaient chaque jour. La carte du
Mexique, déjà parue^ celles de TAmérique centrale, de
rAlgérie, de la Caucasie, encore inachevées, furent les
principaux résultats de la collaboration de Dumas-Yorzet à
V Atlas universeLEn môme temps il consacrait depuis 1870
une partie de son temps à la carte de France au 500 000* en-
treprise par le génie militaire sous la direction du capitaine
Prudent, aujourd'hui commandant.
Guidé par l'expérience d'un si excellent topographe, Du-
m^s-Yorzet apprit bien, vite que la cartographie ne peut
plus aujourd'hui se borner à figurer les inégalités du sol
d'après des traditions établies jadis sans connaissances suf-
fisantesy et longtemps suivies sans une suffisante critique.
Il modifia rapidement sa manière, en lui donnant à la fois
plus de largeur artistique et plus de rigueur scientifiqij^e.
Plus convaincu chaque jour de cette vérité, que la nature
est le seul maître infaillible, et qu'il n'y a ni traditions ni
principes qui tiennent quand la réalité les contredit, il en-
treprit plusieurs voyages pédestres, et visita, le sac au dos,
plus d'une région de l'Europe, entre autres la Suisse, où il
passa une partie de l'été de 1878. Ces voyages achevèrent
son éducation géographique, et quand le progrès des nou-
veaux procédés d*héliogravure inspira au commandant Pru-
dent la pensée de transformer directement le dessin en gra-
yure sur cuivre, il chargea Dumas-Yorzet de reproduire en
360 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
hachures ses superbes dessins de la région des Alpes. Je
ne crois pas me tromper en disant que les copies de Dumas-
Yorzet sont presque aussi belles que leur modèle, et sur-
passent les autres travaux de ce genre faits en France ou à
rélranger.
Pour la région des Pyrénées, dont la plus grande partie
était encore ignorée à cette époque, M. Prudent confia à
Dumas-Vorzet le soin de préparer une carte provisoire, éta-
blissant l'état des connsdssances acquises pour cette portion
de l'Europe. Peut-être votre rapporteur a-t-il quelque com-
pétence pour parler de ce travail, aussi modeste dans la
forme que remarquable dans le fond; et tout d'abord, il se
permettra de faire en passant une remarque toujours bonne
à répéter; c'est que l'amour de la gloire et la recherche de
la célébrité doivent tenir peu de place dans la carrière du
cartographe. Il lui faut chercher la vérité pour la vérité
même, ajouter des échelons à l'échelle infinie de nos con-
naissances, pour que ceux qui le suivent montent plus haut
que lui et le fassent oublier. Que de fois cette pensée m'est
venue en voyant année après année, aux côtés du com-
mandant Prudent, Dumas-Vorzet remanier sa carte, y ajou-
ter tout ce que nous ou d'autres avions pu recueillir de
nouveau sur la géographie pyrénéenne, toujours perfec-
tionner pour toujours détruire, avec la certitude que ces
feuilles de papier sur lesquelles il se penchait n'auraient
plus dans quelques années d'autre valeur que celle d'un
chemin parcouru, d'une étape dépassée, d'un effort oublié
devant son résultat. J'ai tenu à mentionner ici ce long et
modeste travail, dans lequel Edmond Dumas-Vorzet a été
le fidèle collaborateur du commandant Prudent. Il y a des
choses obscures qu'il est bon de faire sortir de l'obscurité.
La participation de Dumas-Vorzet à la carte du génie
militaire lui valut les palmes d'officier d'Académie, qui lui
furent décernées en 1880.
Il avait déjà fait avec M. de Lamothe un premier voyage
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 361
dans la vallée du Nil, pour y étudier la possibilité de fertili-
ser les vastes plaines situées à proximité du fleuve, opu-
lentes jadis, stériles aujourd'hui. En 1882, il repartit pour
l'Egypte et remonta le fleuve jusqu'en Nubie, poursuivant
dans toutes les anfractuosités des chaîaes qui bordent le
Nil, des études dont le résultat, suivant toutes les appa-
rences, se fera attendre pendant de bien longues années.
€'est à .son retour que sa poitrine, fatiguée par l'excès de
travail et aussi par la poussière sablonneuse du désert
égyptien, fut définitivement atteinte. Gomme le navire se
rapprochait des côtes de France, un coup de mistral
vint refroidir brusquement l'atmosphère, et Dumas-Vorzet
débarqua avec le germe de la maladie qui devait l'em-
porter.
C'a été pour moi un privilège que d'être invité par nos
collègues à présenter le rapport du prix Erhard. Appelé à
collaborer avec M. Vivien de Saint-Martin pour la prépara-
tion de V Atlas universel auquel il a attaché son nom, j'ai
pu mieux que personne apprécier la conscience et la valeur
de Dumas-Yorzet, et je tiens à lui en apporter, en termi-
nant, le témoignage personnel. Un de nos plus émineûtâ
topographes, le colonel Goulier, constatait dans une con-
férence faite à l'École d'application de Metz, que tous les
hommes qui ont laissé une trace dans la cartographie ont
été remarquables par un trait commun, leur profonde hon-
nêteté. Dumas-Yorzet n'a pas fait exception. C'est à un bon*
nête homme dans toute la force du terme que vous avez
accordé le prix Erhard de 1885. Puisse cette pensée adoucir
le chagrin de sa veuve et servir d'exemple à son jeune
fils.
soc. DE GÉOGR. — 3* TRIMESTRE 1885. VI. — 25
362 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
M. ERNEST LEROUX, éditeur
M. £. T. Hamy, ra^pforUur
Prix Jomard^
Un 41e nos collègues, M. Barbie da Bocage, rappelait der«
nièrement^ dans une réunion de la Commission centrale,
les discussions savantes qui animaieïit jadis les séances de
quinzaine, et dont l'histoire de la géographie, il se plaisait
à nous le rappeler, faisait le plus souvent les frais.
Il y a longtemps, bien longtemps, qu'il n'en est plus de
même; on ne discute plus guère à nos réuriions( bi-men-
suelles, et les études historiques, si florissantes jadis au sein
de la Société, n'y comptent preisque plus d'adeptes.
Les publications relatives à cette • branche de la géogra-
phie se sont même faites très rares en France. Tandis que
la Société Haklnyt continuait vaillamioênt à Londres la
série de ses traductions annotées ; tandis que M. Saragoza
mettait au jour à Madrid les premiers volumes de sa fit-
hliotheca Hispano-Ultramarina; tandis que d'autres • col-
lections analogues trouvaient à Munich, à Barcelone, à
Philadelphie et même à Mexico d'actifs et entreprenants
éditeurs, la librairie firanQaise semblait avoir renoncé à non
publier d'important dans une voie momentanément désertée
par nos géographes nationaux.
Il restait pourtant bien à faire dans la direction histo-
rique, même en se bornant aux œuvres géographiques, iné^
dites ou peu connues, écrites dans notre langue. La relation
du premier voyage autour du monde, rédigée en français
par Pigafetta, était encore manuscrite; on ne possédait pas
1. Recueil de Voyages et de DoeumenU pour servir à Vkistoire de la
géographie depuis le treizième jusqu'à la fin du seizième siècle, publié
80US la direction de MM. Ch. Schefer, membre de Tlnstitut, et HEinu
CORDiER. 6 vol. in-8, Paris 1882-1884, avec cartes, etc.
j
RAPPORT SUR LE CONCOURS kV PRIX ANNUEL. 363
l'œuvre des Parmentier, les premiers capitaines qui. aient
arboré, en 1529, le drapeau national dans les mers des
Indes ; nos anciennes relations de voyages asiatiques étaient
en partie oubliées, enfin Ton continuait à contester à nos
navigateurs normands, bretons ou basques, une partie de
leurs découvertes en Amérique ou sur les côtes de Guinée.
M. Ernest Leroux, frappé de l'importance de quelques*
uns des manuscrits que mettaient sous ses yeux, en enpro*
voquant Tédition, MM. Gh. Schefer ou -H. Barrisse^ de
New-Tork, s'est décidé à confier à réminént directeur de
l'École des langues orientales, et à notre sympathique et
savant collègue M. Henri Gordier, la publication d'une nou-
velle bibliothèque de géographie historique qui fera peu à
peu connaître les choses les plus intéressantes relatives à la
connaissance du globe du xnv siècle à la fin du xvi*.
C'est le Recueil de voyages et de documents pour servir
à r histoire de la géographie^ commencé en 188S et qui se
compose déj^ de six beaux volumes in-S"", accompagnés
de cartes. J'en vais donner une analyse rapide, afin de jus-
tifier la décision de votre commission des prix, qui attribue
cette année le prix Jomard à la publication de M. Leroux.
Les six volumes parus forment deux séries bien distinctes.
L'une de ces séries est plutôt biographique; le célèbre éru-
dit américain qui la publie, M. Barrisse, s'efforce, on le
sait, depuis longtemps, de pénétrer aussi avant que pos-
sible dans l'intimité des grands navigateurs qui ont illustré
les dernières années du xv* siècle. Les documents accu-
mulés dans les tomes I, UI et YI du Recueil de M. Leroux
contribueront à élucider bien des problèmes relatifs aux
deux Cabot, Gaspard et Miguel, aux Corte Real, et à Chris*
tophe Colomb.
Les trois volumes qui portent les numéros II, IV et V de
la collection ont plutôt un caractère historique; ce sont
d'anciens textes français, inédits ou devenus rares, et re-
latifs à des voyages d'Orient. La personne des voyageurs n'y
364 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
joue plus lé rôle prépondérant, l'étude des milieux au sein
desquels il leur a fallu se mouvoir est, au contraire,
poussée aussi loin que possible.
M. Schefer, membre de Tlnstitut, qui fait paraître ces
volumes, n'est point . seulement le linguiste dont tout le
monde savant apprécie la valeur. Cet Orient, dont il a par-
ticulièrement étudié les langues, il en possède admirable-
ment l'histoire et l'archéologie. La géographie des contrées
qui composent son vaste domaine scientifique n'a guère de
secrets pour lui, et il connaît aussi bien les textes des an-
ciens voyageurs en Malaisie ou en Chine que ceux des
grands auteurs persans dont il commente les œuvres dans
sa chaire de l'École des langues orientales.
Le premier des volumes publiés par M. Schefer est la
relation d'un Parisien, dont le nom est resté inconnu et qui
visitait la Terre-Sainte en 1480. Publié en 1517 d'une ma-
nière extrêmement incorrecte et réimprimé deux fois tel
quel au xvi* siècle, le Voyage de la Saincte Cyté de Hiéru-
saletn était, sous cette forme défectueuse, d'une extrême
rareté, lorsque M. Schefer s'est déterminé à en donner une
édition définitive. Une description assez étendue de Venise,
et des renseignements plus sommaires sur Raguse, Modon,
Candie, Chypre et Rhodes, méritent plus particulièrement
de fixer l'attention des géographes.
Si l'on se rappelle que les Turcs venaient d'assiéger
Rhodes sans succès et que leurs navires couraient la mer
jusqu'à Valona, on sera en mesure d'apprécier les difGicullés
d'une navigation où la galère, quoique vénitienne et pro-
tégée par un traité récent de la République avec le Sultan,
est pourtant exposée journellement à des rencontres désas-
treuses et où les pèlerins vont trouver en Terre-Sainte une
population fanatique et turbulente et des fonctionnaires
violents et avides, que surexcitent encore les événements
qui se déroulent autour des murailles de Rhodes. Le patron
de la galère vénitienne est, d'ailleurs, un homme cupide,
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 865
toujours prêt à sacrifier à ses inftérôts personnels la liberté
des passagers^ et l'exposé des a noises et altercations entre
ledict patron et lesdicts pèlerins » n'est pas un des côtés
les moins curieux du récit publié par M. Schefer. L'éminent
directeur de l'École des langues orientales a fait précéder
le texte du Voyage d'une introduction très intéressante dans
laquelle il résume, à l'aide des récits de pèlerins et des
sources indigènes^ qu'il connaît mieux que personne, la
situation de la Palestine à la fin du xv* siècle, et l'état des
relations des voyageurs occidentaux avec les autorités mu-
sulmanes, à cette époque particulièrement agitée. Un Suisse
de Zurich, le dominicain Félix Faber (Schmidt) et un Mi-
lanais, Sancto Brascha, qui faisaient partie de la môme
expédition que Tauteur anonyme du Voyage à la Saincte
Cyté ont laissé, l'un et l'autre, des relations que M. Schefer
analyse et compare dans cette même introduction.
Le deuxième voyage en Orient publié par le savant aca-
démicien a pour auteur le gardien du couvent des cordeliers
d'Angoulême, Jean Thenaud. Il est postérieur de trente-
deux ans à celui de l'anonyme de Paris. Ge Voyage éPou^
tremer {Égyptey Mont Sinay, Palestine), n'est plus le
simple récit d'un pèlerin entraîné à visiter les Saints Lieux
par une ardente dévotion. L'auteur se trouve chargé d'une
mission officieuse ; il fait partie de l'ambassade qu'envoie
Louis XII « pour porter lettres au souldan d'Egypte et de
Babilloyne qui detenoit en prison le gardien et les religieux
de Hiérusalcm... qui semblablement detenoit le consul des
Françoys et Gastellans, Phelipes de Peretz, avecque plu-
sieurs marcbans et marchandises, etc. ».
M. Schefer a écrit, à propos de cette ambassade que di-
rigeait André Le Roy, un chapitre presque entièrement nou-
veau de l'histoire des relations politiques et commerciales
du monde européen avec l'Orient à la fin du xV siècle. On
trouve, pour la première fois, dans ce travail qui sert d'in-
troduction au texte de Jean Thenaud, l'analyse raisonnée
366 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
des documents recueillis $ur TÉgypte par les voyageurs
francs depuis 1832 jusqu-à 1502, et Texposé détaillé des
événements qui ont amené Tenvo^ de l'ambassade dont fait
partie lé cordelier d'Àngoulême. M* Schefer étudie aussi de
très près, dans mnlntroductian^ les documents relatifs au
voyage de Domehieo Trevisan, dépêché vers le même temps
par la seigneurie de Venise; pour traiter avec le Soudan
d^Égypte : la relation de rambâssade de Trevisan /écrite en
italien par Zaccaria Pagani et traduite en français à la fin
du volume, vient Irôs heureusement compléter une publi*
cation que devront consulter tous ceux qui s'intéressent
à l'histoire commerciale et politique du Levant.
Les navigations de Jean et Raoul Parmentier, de Dieppe,
ont fourni la matière du troisième volume publié par
M» Schefer. Les voyages de ces hardis marins n'étaient que
partiellement connus. Desmarquets, Vitet, M. Pierre Margry
en avaient conservé la tradition. Estancelin avait même,
en 1832, publié un texte incorrect et incomplet du Voyage
à Sumatra rédigé, M. Schefer le démontre, par Pierre Cri-
gnon, ie fidèle et dévoué' compagnon de Jean Parmentier.
L'édition de M. Schefer, précédée d'une introduction qui
renferme tout ce que l'on peut dire sur Crignon et les Par-
mentier, est publiée d'après un manuscrit original qui
comprend, outre une bonne copie du Discours de la navi-
gation de Jean et Raouâ Parmentier , la description demeurée
inédite de « Ttle de Sainct-Domingo », Haïti ou Saint-
Domingue.
- Ge n'est point le lï&d d'insister sur les circonstances dans
lesquelles s'est efTectué le premier voyage des Français dans
la mer des Indes. Nouis nous bornons à relever dans le texte
deGrignon quelques renseignements, curieux pour l'époque,
sur Madagascar récemment découverte et sur les € Mores »
de types variés rencontrés par les explorateurs à la côte
occidentale de cette grande île; sur Anjouan et les « deux
langages » de ses habitants; sur les Maldives; sur TicoU;
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX AITNUEL. 367
enfin, chef-lieu d'un canton de la résidence de Padang où Par-
nientier cherche à faire la traite du poivre et de Tor, et aux
habitante duquel Grignon consacre un paragraphe spécial*
Les deux Parmentier succombèrent Tua devant Ticou,
i'âutre 'vers Indapour, ainsi qu'un grand nombre de leurs
-compagnons, atteints de scorbut ou de fièvres pernicieuses.
Ce double coup fut particulièrement cruel pour nos intérêts
dans Fextrômb Orient; les deux navires français, la Pensée
elle Sacret revinrent péniblement à leur port d'attache
aveé des: chargements fort incomplets et l'initiative commer-
ciale et scientifique de nos marins de la Manche fut pour
longtemps paralysée par cet échec.
Lorsque Normands et Parisiens associés tentèrent, au
commeneemeut du xvn* siècle, de nouvelles entreprises du
eôté de la Sonde, ils trouvèrent les Hollandais fortement
établis presque partout et décidés à entraver, même par des
moyens illicites, leurs relations avec les îles des épices.
Les expéditions de de Netz et de Beaulieu, pour ne citer
'que les premières, échouèrent en partie, grâce à cette hos-
tilité, et ce n'est que beaucoup plus tard qu'il fut possible
à d'autres navigateurs de notre nation de négocier à peu
près librement avec Java.
Le c mémoire de ce qui est contenu en l'île de Saint-
Domingo ))!' qui forme la seconde partie de la rédaction de
€ngnon est le texte français ic plus ancien que nous possé-
dions sur les côtes d'Amérique. LongtempsavantParnieatier
des navigateurs de notre pays avaient abordé le r^ouveau
€ontinent. Binot Paulmier de Gonnerville, par exemple, tou-
chait au' Brésil en 1503, mais son journal >6s^« depuis long-
temps p^rdu. Les Grandes-Antilles avaient reçu des religieux
français avant le quatrième et dernier voyage de Colomb,
mais ces religieux n'ont laissé aucun monument de leur
séjour. Enfin nos pêcheurs normands et bretons fréquen-
taient* les bancs de Terre-Neuve dès les premières années
du îcvi* siècle.
^68 BAPPQRT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
Ils y avaient été précédés par les Portugais de Gorte Real
et par les Anglais de Cabot, qui avaient exploré dès la fin du
XV* siècle les contrées voisines des embouchures du Saint-
Laurent. C'est à rétude de ces premières expéditions le long
du littoral nord américain que sont consacrés les volumes
I et III de la collection Leroux, publiés par M. H. Har*
risse.
Le savant éditeur montre dans le premier de ces volumes
que le navigateur Jean Cabot était Génois de naissance et
Vénitien d'adoption; que Sébastien, son fils, qui fut pilote-
major de Charles-Quint, est né à Venise ; que l'établissement
des Cabot en Angleterre a eu lieu vers 1490; que le voyage
de Jean et de ses fils s'est effectué de mai à juillet 1497;
que le point d'atterrissage des navigateurs i la côte
d'Amérique dans leur premier voyage est à peu près impos-
sible à déterminer rigoureusement; que les deux autres-
expéditions attribuées aux Cabot n'ont guère laissé de
traces plus nettes; enfin, que la trop fameuse carte de
S^astien, datée de 1544^ n'est en ce qui concerne le golfe
de Saint-Laurent et les terres voisines, qu'une imitation
de la célèbre mappemonde française, dite de Henri II y c le
plus beau monument cartographique du xvi* siècle qui
nous soit parvenu >. La carrière de Sébastien Cabot en
Espagne, ses fugues en Angleterre, ses intrigues avec les
Vénitiens, le voyage à laPlata sont, de la part de M. Barrisse,
l'objet d'une enquête minutieuse et d'une discussion qui
se recommande à la fois par son érudition et son ingé-
niosité.
Les mêmes qualités signalent aux historiens de la géogra-
phie le deuxième volume de M. Barrisse consacré aux Gorte
Real, qui suivent de si près les Cabot dans leurs explorations
du littoral canadien.
Pendant que Colomb, Bojeda, Pinzon, Lepe, Nino, Ves-
pucci,explorent les cêtes américaines du cap Saint-Augus-
tin au Venezuela et que Cabrai découvre accidentellement
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 369
le Brésil, un gentilhomme portugais , d'une cinquantaine
d'années, Gaspar Corte Real appareille de Lisbonne ou de
file de Terceire, et rentre au bout de quelques mois, ayant
trouvé bien loin dans la direction du nord-ouest des terres
habitées et couvertes de verdure. Une seconde expédition,
composée de trois caravelles, met à la voile en janvier 1501
pour se rendre dans les mômes régions; une de ces cara-
velles disparaît, c'est celle de Gaspar. Miguel, son frère,
après cinq mois de douloureuse attente, équipe trois bâti-
ments pour voler au secours du cher absent; les trois bâti-
ments de Miguel sont engloutis dans les flbts. Le mystère
dont ce double désastre est resté entouré, le rang et l'hé-
roïsme des victimes qu'il a faites, l'importance présumée
des découvertes accomplies et le désaccord qui règne sur
les contrées dont elles avaient ouvert la route, enfin et
surtout le manque de détails authentiques sur l'origine, la
famille et la vie des malheureux explorateurs, tout cela avait
depuis longtemps attiré et séduit M. Barrisse qui s'était
appliqué, faute de mieux, à reconstituer, aussi détaillée qe
possible, l'histoire de la famille de Gorte Real. Le savant
biographe avait même réussi à rétablir, â l'aide de pièces
peu connues, la généalogie tout entière de cette illustre
race, quand un document inédit d'un exceptionnel intérêt
lui a permis d'aborder fructueusement l'étude même des
deux voyages de 1500 à 1501. ^
Cette pièce, tirée des archives de la maison d'Esté, est un
rapport envoyé par Alberto Gantino, correspondant en Por-
tugal du duc Hercule de Ferrare, et témoin oculaire du
retour à Lisbonne de la seconde des caravelles de Gaspard
Gorte Real le 11 octobre 1501. Il est accompagné d'un ma-
gnifique planisphère exécuté en 1502 pour le duc par un
cartographe portugais. L'étude du portulan de Gantino,
dont la portion utile est reproduite en fac-similé colorié
dans l'ouvrage de M. Barrisse, nous confirme une interpré-
tation déjà ancienne suivant laquelle les terres vues par les
370 RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.
Portugais en 1500 et en 1501 ne seraient autres que Terre-
Neuve d'une part et de l'autre le Labrador»
Ce portulan nousCait encore connaître un autre fait extrê-
mement intéressant dans l'histoire des découvertes améri-
caines. Entre la fin de l'année 1500 et l'été de 1501, après
Tachèvement de la carte de La Gosa et avant la confection
de celle de Gantino, des navigateurs espagnols avaient dé-
couvert, exploré et nommée la partie du littoral des États-
Unis qui, des environs de la baie de P^nsacola, borde le
golfe du Mexique jusqu'à l'extrémité de la péninsule flori-
dienne, et le contournant, longe au nord la côte de l'Atlan-
tique jusque vers l'embouchure de la Ghesapeake ou de
l'Hudson, »
Les nouvelles études de M. Barrisse sur Golomb ne nous
arrêteront point longtemps. La première partie de cette
histoire critique est, en effet, seule publiée aujourd'hui ;
c'est le sixième et dernier volume du Recueil de M. Ernest
Leroux. Il comprend une analyse détaillée des sources ma*
nuscrites et imprimées de la biographie du grand Génois,
puis trois chapitres de cette biographie consacrés aux
origines de sa famille, à ses aïeux et à sa personne même,
depuis sa naissance jusqu'à son atterrage à Guanahani le
12 octobre 1492. On trouvera notamment, vers la fin du
volume, une reproduction fidèle de la relation originale de
Golomb d'après l'exemplaire unique que l'on conserve à la
bibliothèque ambrosienne de Milan, et une traduction
française faite sur cette précieuse plaquette, qui n'est con-
nue que depuis vingt-deux ans des bibliographes et des his-
toriens.
Il y aurait d'autres documents curieux à mentionner
encore dans cet intéressant volume. Mais je ne veux pas
oublier que mon rapport est le sixième qui vous aura été
présenté dans cette séance et je crains d'abuser de votre
bienveillante attention.
Au surplus, le résumé que vous venez d'entendre, quelque
RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL. 371
succinct qu'il soit, justifie amplement la décision de votre
Commission des prix. J'ai déjà eu l'honneur de dire que le
prix Jomard pour 1885 est attribué à M. Eraest Leroux,
l'éditeur intelligent et actif du Rectieil de Voyages et de
Documents pour servir à Vhistoire de la Géographie jus-
qu'à la fin du xyi° siècle.
(1883-1884)
AR
Médecin de la marine.
Il y a vingt-six mois, en rendant compte à la Société
de Géographie de mes excursions chez les Mois qui habitent
la région de Tlndo-Ghine comprise entre l'Ânnam et le
Mékong, je manifestais l'intention de parcourir du sud au
nord la chaîne de montagnes qui borde TAnnam. Peu après,
je partais dans ce but, chargé d'une mission par le Ministre
de l'Instruction publique. Arrivé à Singapore, je reçus une
lettre de M. LeMyre de Villers, alors gouverneur de la Cochin-
chine, qui m'engageait à laisser là, pour le moment, les
peuplades Mois ; il y avait, me disait-t-il, un intérêt au moins
aussi grand au point de vue géographique, à reconnaître les
pays situés entre le Tonkin et le royaume de Luang-Prabang
et d'un autre côté il pouvait être de la plus grande utilité de
s'éclairer sur l^état actuel de ces régions et de nouer des
relations d'amitié avec les gouverneurs et vice-rois du Laos.
J'acceptai avec empressement cette mission qui devait
allonger considérablement mon voyage et me dirigeai sur
Bangkok, soit pour me procurer des passeports siamois,
soit pour conférer avec le D' Harmand, représentant de la
France, que son habitude du Laos et sa haute compétence
en tout ce qui regarde l'Indo-Ghîne, mettaient à môme de
me donner des conseils précieux.
1. Communication adressée à la Société dans sa séance du 7 novembre
1884. — Voir la carte jointe à ce numéro.
VOYAGE AU LAOS. 373
Le 12 janvier 1883, après avoir organisé mon expédition,
aidé des subsides que m'avait votés le conseil colonial de la
Cochinchine, je partis de Saigon sur VÉclair, canonnière
de l'État, qui devait me conduire jusqu'à Kratieh, dans le
Haut-Cambodge. L'expédition se composait de quatre Anna-
mites seulement. Deux d'entre eux étaient des interprètes ;
l'un, âgé de moins de dix-sept ans, était chargé du siamois
et laotien et ne comprenant pas le français; l'autre, âgé de
moins de vingt ans, devait interpréter l'annamite en fran-
çais qu'il comprenait à peine. Les deux autres Annamites
étaient deux miliciens de l'inspection de Bien-Hoa. A mon
départ M. Le Myre deVillers m'avait donné des instructions
dont je détache les passages suivants : c ... Vous remonterez
le Haut-Mékong, vous arrêtant successivement à Somboc*
Sombôr (Cambodge), Stung-Streng, Bassac et Luang'-Pra-
bang. Arrivé dans cette dernière ville vous vous y établirez
et de là rayonnerez dans les différentes directions, au besoin
jusqu'aux frontières chinoises.
Votre retour s'opérerait soit par le Yunnan et le Fleuve
Rouge, si le passage était possible, soit par le sud du Tonkin
si l'état de nos relations avec l'Annam vous permettait de
pénétrer çur son territoire. Dans le cas où vous ne pourriez
suivre ces voies vous redescendriez par le Ménam à Bangkok
et vous suivriez l'itinéraire de Mouhot.... j»
Après être restés quelques Jours à Pnom-Penh, la capi-
tale du Cambodge, où je fis mes derniers achats, nous
arrivions le 19 décembre à Kratieh, point au-dessus duquel
lanavigation devenait dangereusepourla canonnière l'éclair.
Le 20 au matin, ayant dit adieu à YÉclair, à son comman-
dant, le lieutenant de vaisseau Thesmar que j'espérais bien
retrouver au Tonkin où nous nous rendions tous deux par
des routes différentes, et aux amis de Pnom-Penh qui
étaient venus m'accompagner jusqu'à Kratieh je m'embar-
quais sur trois petites jonques cambodgiennes. Isolé désor-
mais, j'allais vivre, pendant près de dix-huit mois, en dehors
374 VOYAGE AU lAOS.
de la vie civilisée. Ce ne fut pas sans quelque émotion que
je vis disparaître au premier tournant du fleuve le panache
de fumée de VËclair qui avait appareillé en même temps
que mes jonques.
Je ne songe pas à vous faire, en quelques minutes, la re-
lation d'un aussi long voyage; je rapporte des documents,
des notes, des observations et des itinéraires nomlnrenx, à
l'aide desquels j'espère pouvoir, dans quelques mois, fournir
à M. le Ministre de rinstruction publique un long rapport
et publier une relation de voyage; mais pour aujourd'hui,
après avoir brièvement énuméré les principaux résultats
de cette exploration, je me bornerai à attirer votre attention
sur la partie de mon itinéraire la plus importante pour
l'avenir de Tlndo-Chine, je veux parler du Nam Ou et des
pays environnants.
Suivant mes instructions, je me suis efforcé pendant
tout ce voyage de me rendre compte des produits des
contrées parcourues, des moyens de communication, de
l'importance du commerce, de la direction des échanges.
Il m'a été donné de nouer des relations amicales avec la
plupart des gouverneurs du Laos et en particulier avec
les deux rois et les mandarins de Luang-Prabang. J'ai suivi
le Mékong jusqu'au dessus du 18® parallèle malgré la vio-
lente épidémie de choléra qui sévissait dans le Laos moyen
en février et mars 1883. Arrivé au grand coude du Mékong,
j'ai abandonné Titinéraire du commandant Doudart de la
Grée, pour remonler le Nam Chane et essayer de gagner
Luang-Prabang à travers le pays, absolument inconnu
jusqu'ici, qui porte le nom de pays de Poueuns ou, en
annamite, principauté de Tranninh.
J'ai trouvé ce pays, autrefois fort riche, ravagé par les
pirates chinois que les Laotiens appellent les Hos; ils
donnent d'ailleurs le nom Hos à tous les habitants du Yun-
nan. Forcé de fuir devant ces pirates, je suis revenu sur
le Mékong en redescendant le Nam Chane et en abandon-
TOTAGE AU LAOS. 375
nant entre leurs mains la plus grande partie de mes bagages.
Bien que cette perte ait lourdement pesé sur toute la suite
de mon voyage^ je n'ai jamais regretté ma pointe dans le
pays des Poueuns, dont j'ai pu déterminer par des obser-
vations astronomiques les principaux points visités: J'ai
relevé avec le plus grand soin jusqu'à sa source le I^am
Chane qui, môme dans la saison sèche^, est i^avigable pen*
dant douze journées, et sur les bords duquel on rencontre
deux chefs-lieux de province, Pat Soum et Molican. Dans la
petite capitale des Poueuns appelée MuongNgan, se trou-
vaient, lors de mon arrivée, deux missionnaires catholiques,
MM. Coudrey et Sastre, qui venaient de Yinh sur la c6te
d'Annam.Ils me donnèrent de nombreux renseignements
sur le pays qu'ils habitaient depuis un an et sur les deux
routes qui conduisent en Annani, l'une par Gua Rao et le
Song Ga, l'autre par Ha Traî et le Song Pho. Quand nous
fûmes chassés de Muong Ngan par l'attaque des Hos, ces
deux missionnaires prirent la seconde de ces routes pour
retourner à Yinh.
Remontant ensuite le Mékong jusqu'à Pakiay, je visitai
Non Kay,le point le plus commerçant du Laos; non loin de
là sont les ruines encore imposantes de l'ancienne capitale
du royaume de Vien-chan. Après Pakiay le fleuve est con-
tinuellement coupé de rapides et je pris des éléphants pour
me conduire à Thadùa, en suivant la ligne de partage des
eaux du Mékong et de la vallée du Ménam.
Près de Luang-Prabang où je me suis établi pendant huit
mois environ, j'ai remonté sur 75 kilomètres et relevé le
Nam Eane, rivière près de laquelle est enterré notre compa-
triote Henri Mouhot.Le Nam Kane est l'une des routes entre
Luang-Prabang et le pays des Poueuns.
J'ai reconnu le Nam Ou sur une longueur de plus de
150 kilomètres jusqu'à la ville de Muong Koua qui se trouve
par 2144' de latitude. Arrêté constamment dans ma marche
par la présence des Hos et voyant fermées devant moi les
\
376 VOYAGE AU LAOS.
roates de l'est et du nord, j*ai opéré mon retour par Xieng
Ma! et lous ces riches pays de Lampoun et Lakone cou-
verts de forêts de tek et habités par les Laotiens à ventres
noirs.
J'ai relevé avec un soin particulier la route de Xieng Sen
à Xieng MaT par le Nam Kok, route bien peu connue, quoi
qu'elle ait déjà été parcourue par quelques voyageurs
européens.
Pendant mon séjour à Luang-Prabang et surtout pendant
l'exporation du Nam Ou, j'ai pu réunir de nombreux ren-
seignements soit sur les routes suivies avant les invasions
des Hos dans les transactions entre le Haut-Laos, le Tonkin
et le Yunnan, soit sur l'état actuel de ces régions. Au point
de vue ethnographique et anthropologique, nombreuses
sont les observations que j'ai réunies. Je rapporte aussi
des échantillons minéralogiques recueillis dans toute la
vallée du Mékong que j'ai parcourue, des échantillons des
principaux articles de commerce du Haut-Laos et une assez
grande quantité d'insectes et de reptiles. A part quelques
rares lacunes dues au mauvais état de ma santé, mon registre
météorologique a été tenu régulièrement quatre fois par
jour, depuis mon départ de Kratieh jusqu'à mon arrivée à
Bangkok.
De retour dans cette ville je voulus compléter mon
voyage à travers rindo-Chine en allant visiter les magni-
fiques ruines d'Angkor. J'avais vu dans le Laos quelques
spécimens de l'art Kmer et notre collègue le capitaine Aymo-
nier que j'avais rencontré à Ajuthia, ancienne capitale du
royaume de Siam, m'avait vivement engagé à ne pas quitter
rindo-Ghine sans passer quelques jours à Angkor. Je me fis
donc débarquer à Ghahtaboun, sur la côte de Siam, où je
reçus la plus cordiale hospitalité dans la mission catho-
lique. Après un pénible voyage à pied de huit jours, j'ar-
rivais à Battambang. La plaine qui s'étend de Chantaboun à
Battambang a reçu le nom de « plaine des saphirs >. Deux
VOYAGE AU LAOS. 377
à trois mille Birmans sont occupés à la recherche de ces
pierres précieuses ; ils trouvent aussi des rubis et des topazes,
mais l'exploitation se fait d'une manière irrégulière et tout
à fait primitive. A Batlambang je rencontrai un camarade
en M. Pavie, l'employé du télégraphe français; après avoir
séjourné quelques jours chez lui, puis quelques jours sur
les ruines d'Angkor, je traversai le grand lac, pour arriver
à Pnom-Penh le 2 juin dernier.
Voilà, en quelques mots, ce qu'a été mon voyage en Indo-
Chine. Nous reviendrons maintenant, si vous le voulez bien,
à Luang-Prabang, au mois de novembre 1883. — J'avais dû
•attendre pendant quatre mois, dans une inaction presque
complète, la fin de l'interminable saison des pluies. J'étais
presque constamment tourmenté par de violents accès de
fièvre bilieuse et mes hommes, qui ne se portaient pas mieux
que moi, commençaient à se démoraliser. Deux d'entre eux
profitèrent de mon état de maladie pour se mettre à fumer
l'opium et une nuit je fus dévalisé de mes dernières barres
d'argent. Il avait fallu, pour accomplir ce vol, la complicité
de l'un de mes miliciens; on avait, ce soir-là, donné de
l'opium à mon chien Tambô qui était un gardien vigilant;
le milicien fumeur d'opium, qui n'entrait jamais dans ma
chambre, y était venu sous je ne sais quel prétexte et avait
placé la caisse contenant l'argent dans le seul endroit où
elle put être accessible du dehors. L'ayant fait mettre en
prison, les ceps aux pieds suivant la coutume laotienne, je
partis dès les premiers beaux jours, en octobre, pourexplo*
rer le Nam Kane. Mes bagages restaient à Luang-Prabang,-
aux soins de Tinterprèle et du milicien qui avaient encore
et n'ont jamais cessé de mériter toute ma confiance. J'em--
menais mon jeune interprète; c'était un <;ompagnon de
route gai, intelligent, mais ayant ^u suprême degré tous le»
vices de la race annamite.
Le mois de novembre se passa en fêtes; pour la fête des
^aux et pour la fête du Tàt-Luang le roi déploya la plus
soc. DE GÉOGR. — 3* TRIMESTRE 1885. VI. — 26
S78 VOYAGE AU LAOS.
grande magnificence. A cette dernière fête qui est la plos^
importante, le cortège royal ne se composait pas de moins
de dix mille personnes; plus de la moitié étaient des Khas
ou sauvages de la montagne» les autres étaient des Leues-
et des Laotiens de diverses espèces.
Tous les ehefs de villages et de cantons soumis à Luang*
Prabang arrivent en ville pendant les fêtes; cette année il
en manquait un grand nombre, les uns s'étaot soumis aux
Hos avaient refusé de venir, les autres craignaient de dé-
garnir d'hommes leurs villages, redoutant une attaque pen-
dant leur absence. Pendant les cinq jours que durèrent les
divertissements, spectacles, danses, joutes, combats simulés,,
illuminations et feux d'artifioe, le roi insista beaucoup pour
^ue je restasse près de lui, dans son pavillon, avec le second
roi et son fils aîné le Bah Saon. Les jeux duraient depuis le
commencement du jour jusque bien avant dans la nuit;,
nous mangions ensemble, non pas à la même table — il
n'en existe point dans le pays -r- mais chacun sur un pla-
teau différent.
Les jeux sont fort intéressants à suivre pour un Euro-
péen, surtout à cause de la variété des races et de la diffé-
rence de leurs divertissements; les danses et la musique
primitive des Khas ne ressemblent en rien à celles des Leues
ou des Laotiens. Les marchands birmans de Luang-Pra-
bang, pour justifier le titre de Phalang ou Européen, qu'on
leur donne assez facilement dans le Laos parce que beau-
coup sont sujets anglais, construisirent et gonflèrent deux
yastes mongolfières qui s'élevèrent au grand étonnement de
la population. Dans tout ce concours de peuple venu de
tous les points du royaume de Luang, il ne se trouvait pas
un seul Chinois. Au bout du cinquième jour je succombais
de fatigue et mes deux mterprètes n'en pouvaient plus;
j'avais cependant tenu à rester jusqu'à la fin, tant pour
montrer au roi ma bonne volonté que pour me montrer au
peuple en sa compagnie. Cette précaution pouvait m'être
VOYAGE AU LAOS. 379
fort atile pendant le voyage que j'allais entreprendre sur le
Nam Ou; dans les villages. l^s plus éloignés, s'il était venu
un seul homme à la fête., on connaissait le chef européen
ami du roi et on le recevait sans défiance.
Enfin, les fêtes finies et après quelques jours de repos, je
parvins à décider le conseil du roi à autoriser mon départ
pour le Nam Ou. Ce ne fut. pas sans difficultés, surtout de la
part du second roi qui prétendait que le pays n'était pas
sûr et qui refusait de me laisser m*exposer à rencontrer les
Hos. Je fus obligé de me fâcher et de leur représenter que
si j'avais depuis six. mois, au. risque de ma vie, attendu la
saison favorable pour cette exploration, ils devaient com-
prendre que je ne quitterais pas le pays sans l'avoir faite.
Le Muong £ran, l'un des mandarins du séna ou tribunal de
Luang-Prabang, avait été, deux mois auparavant, envoyé
sur le Nam Ou dans^Ja province de Muong Ngoï; on me
permit d'aller jusqu'à ce point, en me faisant promettre de
ne pas le dépasser si le Muong Kran s'y opposait ; on me
donnait, pour me conduire, un mandarin de rang inférieur,
le Phyo Hokong, porteur d'une lettre pour le Muong
Kran.
. Je laissai à Luang-Prabang la plus grande partie de mes
bagages aux soins de mes deux hommes de confiance et je
partis avec les deux autres. Je dois faire remarquer ici qu'à
partir de sa sortie de prison le milicien que j'avais fait en-
fermer ne me donna aucun sujet de mécontement; il n'en
fut pas de môme du jeune interprète qui continua à me jouer
les tours les plus pendables; à vrai dire j'ai en horreur les
châtiments corporels et n'ai jamais pu me résoudre à les
.employer quoique ce soient les seuls qui aient quelque effet
sur les Annamites.
De Luang-Prabang à Pak Ou, la route peut se faire facile-
ment en un jour, mais je désirais séjourner quelques heures
à Pak Seuan, pour visiter le village et prendre des renseigne-
ments sur le Nam Seuan, la rivière qui s'y jette.
380 VOYAGE AU LAOS.
Le Nam Seuan est un affluent de gauche du Mékong, na-
vigable pendant plusieurs jours; ses rives sont peuplées et
bien cultivées. Ayant eu occasion de retourner deux fois
encore à Pak Seuan et d'y séjourner chaque fois p(us de temps
que je ne Taurais voulu pour trouver des hommes et des
barques de rechange, j'ai toujours vu, à Tentrée du Nam
Seuan, un mouvement de pirogues et de radeaux chargés
de marchandises, qui annonçait un commerce assez actif.
C'est l'une des routes du pays de Ho-pha-tha-Ha-than-Hoc,
pays qui produit la canelle et qui payait il y a peu de temps
rimpôt à l'Annam et au roi de Luàng; c'est aussi une des
routes futures, peut-être la plus directe, entre le Tonkin et
le Haut-Laos. L'importance de cette rivière a passé inaperçue
à la commission du commandant Doudard de la Grée, parce
que les officiers de la mission ont fait en un jour l'étape
de Luang à Pak Ou et, dans ce cas, on suit constamment la
rive droite du fleuve ; or, en face de Pak Seuan, le Mékong
s'élargit et son lit est encombré par des bancs de rochers
et par une petite île sur laquelle s'élève une élégante pagode
entourée de cocotiers et de palmiers à sucre. L'entrée du
Nam Seuan est cachée par un banc de rochers qu'il faut
contourner pour arriver au grand village de Pak Seuan
situé sur la rive gauche de cette rivière. L'avant-dernier roi
de Luang-Prabang avait une prédilection pour ce pays et
Ton montre encore les restes de la vaste habitation quH
s'était fait construire en face de Pak Seuan, sur une colline
» ■
dominée maintenant par la flèche dorée du tombeau qui
contient ses cendres.
Je regrette vivement que les circonstances m'aient em-
pêché de remonter le Nam Seuan. Après six jours de navi-
gation, on le voit se diviser, d'après les renseignements du
chef de canton, en deux bras dont celui du nord prend le
nom de Nam Seuan, tandis que celui du sud conserve le nom
de Nam Seuan ; tous deux descendent d'une montagixe élevée,
le Pou Pung So, de l'autre côté de laquelle les eaux coulent
VOYAGE AU LAOS. 381
vers le Tonkin. Son cours est encaissé et les rapides y sont
nombreux.
Le lendemain, après quatre heures de marche, nous arri*
vions en face du Nam^Ou. Ici le cours du Mékong, resserré
entre des collines élevées, n*a pas plus de quatre à cinq
cents mètres de large ; juste en face du village de Pak Ou,
les collines de la rive droite du fleuve sont creusées de
grottes fort curieuses. L'une d'elles s'ouvre dans le flanc
d'une falaise à pic; on y parvient par un escalier creusé
dans le roc; elle a été visitée et décrite par la mission du
commandant de la Grée. La seconde grotte, située à plus de
cinquante mètres au-dessus, est d'un accès difficile, mais
elle est bien plus vaste et le visiteur est bien dédommagé
de la pénible ascension qu'il a dû faire. L'entrée, formée
par deux énormes stalactites, est munie d'une porte qui
s'ouvre dans un couloir de 7 à 8 mètres de large, puis la
grotte s'élargit en une vaste salle dont le sol est assez bien
nivelé. On compte soixante-dix pas de la porte au fond de
la grotte; la voûte s'élève à mesure que la grotte s'élargit;
arrivé au milieu, je ne réussis pas à me rendre compte de
la hauteur de la cavité, malgré les six bougies de cire que
mes hommes avaient allumées. Des murailles et des parties
les moins élevées de la voûte descendent des stalactites d'un
blanc éclatant, toutes irrégulières et simulant parfois des
draperies. De tous côtés se dressent des idoles boudhistes
de toutes les tailles et de formes diverses ; quelques«unes
sont en bois, beaucoup en bronze et les plus grandes sont
en briques recouvertes de mortier et dorées avec soin. C'est
vraiment un beau temple naturel et comme nous étions au
milieu du jour j'y séjournai imprudemment pendant plu-
sieurs heures; le soir même, dès mon arrivée à Pak Ou,
je fus pris d'un violent accès bilieux. Couché à la porte
d'une pagode, le seul abri que l'on ait pu nous procurer
dans ce grand village, je passai une terrible nuit; le Phya
Hokông essaya de me décider à ne pas poursuivre ma route
382 VOYAGE AU LAOS.
et à revenir à Luang-Prabang. N'y pouvant réussir il me
déclara que dans ma visite à la grotte, j'avais dérangé quelque
Pi (génie de la caverne) et que ce Pi s'était introduit dans
mon corps; pour l'engager à en sortir il retourna de grand
matin à la grotte accompagné du chef de canton de Pak Ou,
dans l'intention de faire un sacrifice au génie de la caverne.
Grâce à cette cérémonie et aussi à une forte dose de quinine
je pus me remettre en route le matin môme pour remonter
le Nam Ou.
Cette belle rivière dont le cours est très sinueux, coule
d'abord lentement entre des falaises à pic, élevées de cin-
quante à soixante mètres. Mais à mesure qu'on remonte,
la rivière s'élargit et son courant devient plus rapide. Le
long des rives sont échelonnés d'assez nombreux villages
laotiens, et sur les montagnes on aperçoit quelques vil-
lages de Khas ou sauvages; ceux-ci cultivent principale»
ment l'arbuste sur lequel ils élèvent l'insecte qui fournit le
stick-lak.
Le lendemain de notre départ de Pak Ou, tonte la matinée
fut employée à passer un grand rapide appelé le Keng Luang;
ce rapide est composé de plusieurs petites chutes qui se
suivent et dont l'une n'a pas moins de deux mètres ; il fal-
lut débarquer les bagages et débarrasser nos barques de
leurs toits de feuillage. L'après*midi, la même opération dut
être recommencée pour un autre rapide. Le fleuve est par*
tout encombré d'immenses blocs de rochers et il me sembla,
sans que d'abord je voulusse en croire mes yeux, que cha-
cun xle ces blocs était taillé en forme d'animaux. En exami-
nant attentivement, je ne tardai pas à reconnaître des statues
de buffles, d'éléphants, de tigres, de crocodiles et d'autres
animaux, parfois aussi des homnties dans des postures lu*
briques ou formant des groupes obscènes. Partout on avait
tiré parti de la forme naturelle de la roohe et suivant la
grosseur du bloc, c'était à cinquante «pas ou à plusieurs
centaines de pas que l'effet produit était le plus satisfais
VOYAGE AU LAOS. 383
sant; en s'approchant du rocher on avait de la peine à
reconnaître la statue qui se détachait si clairement à une
distance convenable. Les yeux, cependant^ se reconnaissaient
toujours y car ils avaient dû être restaurés peu de temps
avant mon passage, probablement à l'époque de la fête des
eaux. Quand je voulus demander des explications aux
hommes des barques, ils m'affirmèrent qu'ils ne voyaient
rien d'extraordinaire dans ces rochers et refusèrent <le me
répondre. Le soir nous nous arrêtions au grand village de
Kok Han. Quand le Phya Hokong m'y eut rejoint je lui mon-
trai plusieurs rochers en lui demandant qui les avait taillés^
mais lui aussi refusa de répondre. Dans ce village, les en-
virons des pagodes étaient semés de gazon formant des des-
sins d'animaux et les arbres de la rive étaient taillés ou
attachés de manière à simuler des statues ; je le menai près
d'un groupe de grands arbres qui, à quelque distance offrait
la forme d'un éléphant, je lui montrai les lianes évidem-
ment plantées pour simuler la trompe, les grosses branches
déviées et encore attachées par des liens pour obtenir une
forme convenable, puis, sur le groupe de rochers placé en
face du village, je lui fis remarquer cinq personnages dont
deux avaient eu les cheveux et la barbe teints il y avait peu
de temps. Le pauvre mandarin prit un air désolé et me
supplia de ne pas lui en demander plus, m'assurant que
dans quelques jours, quand nous serions éloignés de ce lieu,
il pourrait me donner des explications.
Je n'ai jamais pu,d*ailleurs,avoir de renseignements sérieux
sur ce travail de Titan qui a consisté à tirer parti d'une
façon aussi pittoresque de milliers de rochers ; les uns attri-
buent ces travaux aux Annamites, d'autres, avec plus de
raison, je crois, les attribuent aux Chinois. Les bonzes lao*-
tiens entraînés par l'exemple, sèment les gazons et taillent
les arbres en forme d'animaux, chaque année, lors de la fête
des eaux; ils tracent aussi des des^ns, sur les bancs de
sable et taillent des statues dans les rives en argile, mais ils
384 VOYAGE AV tAOS.
sont incapables de tailler la pierre avec autant d'habileté.
Au-dessus du village deKokHan se trouve une montagne
de deux à trois cents mètres de haut qui porte le nom de
Pou Xan ou montagne éléphant; elle représente assez exac-
tement la forme d'un éléphant couché, son œil, formé par
une partie dénudée de la montagne, est entretenu avec soin
par les talapoins; peut-être est-ce la vue de cette montagne
qui a donné l'idée de tailler tous les autres rochers.
Le donnons arrivions à Pak Seun, chef-lieu de canton,
situé sur la rive gauche à l'embouchure d'une petite rivière
appelée le Nam Seun. La latitude de Pak Seun est de 20^ 30'
environ; la localité se compose de cinquante à soixante
maisons propres et bien bâties; tout ici respire l'aisance
et le bien-être, et chaque soir les jeunes filles, portant dans
les cheveux des fleurs odoriférantes, se réunissaient pour
chanter et rire jusque bien avant dans la nuit. Cependant,
sans être encore descendus jusqu'à Pak Seun les Hôs ont
déjà fait quelques incursions de ce côté et on m'assura
qu'une partie de la population de ce village avait déjà émigré
pour se rapprocher de Luang-Prabang et se mettre à l'abri
des pirates.
Les jours suivants nous continuons à remonter de rapitles
en rapides; les bords de la rivière sont assez habités, et, à
l'embouchure de chaque ruisseau, sur le beau sable qu'on
y trouve à découvert à celte époque de l'année^ se trouve
un marché alimenté par les Khas ou sauvages de la mon-
tagne. Ces ruisseaux, qui ne sont pas navigables, ne man-
quent cependant pas d'importance car c'est le long de
leur cours que s'échelonnent les nombreux villages de Khas
qui font la richesse des Laotiens. Les Khas prennent le
nom du ruisseau près duquel ils habitent ; on ne demande
pas à un Khas : u d'où es-tu ? » on lui demande : « de
quelle eau bois-tu? » et il répond par le nom de son ruis-
seau. Le riz, le coton, le tabac, le stick-lak, l'écorce astrin-
gente que mâchent les Laotiens, avec le bétel et un peu d'or
VOYAGE AU LAOS. 385
ramassé dans les torrents, forment les principaui objets
d'échanges sur les marchés. Les Laotiens fournissent en
échange, des yêtements tous cousus, des étoffes, de la vais-
selle et de la quincaillerie.
Quatre jours après notre départ de Pak Seun nous arrivons
à Muong Ngoï, chef-lieu deprovince, où je devais rencontrer
le Muong Kran. Devant Muong Ngoî le Nam Ou s'élargit au
point de former un véritable lac au centre duquel se trouve
une île; il est entouré de montagnes élevées dénudées à leur
sommet et dont les flancs sont couverts de forêts épaisses;
sur ses bords on aperçoit de nombreux villages. La petite
ville de Muong Ngoï où je suis arrivé, forme un véritable
bouquet de cocotiers et d'aréquiers au pied des monts Pa
Boum et Pa Phô entre lesquels passe le Nam Ngoï et la
route de Muong Ngoï à Muong Son l'un des centres impor-
tants du pays de Ho-pha-lha-Ha-than-Hoc.
Je fus étonné, à mon arrivée, de voir la rivière couverte
de radeaux sur lesquels étaient construites de véritables
maisons. Le Muong Kran lui-même et les hommes qu'il avait
amenés de Luang-Prabang demeuraient sur des radeaux. Ce
pauvre vieux mandarin était d'ailleurs fort malade. Il m'ex-
pliqua que craignant à chaque instant une attaque des Hôs
par la vallée du Nam Ngoï, les habitants passaient toutes les
nuits sur le fleuve; ils y avaient transporté leurs objets les
plus précieux et se tenaient prêts à couper, à la première
nouvelle de l'arrivée des Hôs, l'amarre en totin qui retenait
leur radeau. Il prit connaissance de la lettre du roi et me
déclara qu'il lui était impossible de me laisser remonter plus
loin le Nam Ou ; il m'offrait d'ailleurs de séjourner autant
que je le voudrais à Muong Ngoï, et s'engageait soit à me
faire faire des excursions chez lesKhas qui demeuraient sur
le Nam Ngoï, soit à en faire venir chez moi pour que je
pusse les mesurer, mais ajoutait- il : «La seule ville impor-
tante où vous puissiez aller sur le Nam Ou est Muong Koua;
pour aller à Muong Koua il faut passer le confluent du Nam
386 VOYAGE àU Laos.
Noua y affinent de gauche du Nam Ou qui conduit à Mnong
Teng et je viens d'apprendre que le gouverneur de Muong
Teng a fait sa soumission aux Hôs ; nous devons donc nous
attendre à voir venir les Hôs par le Nam Noua, s'ils ne vien-^
nent pas par la route qui suit le Nam Ngoï. Le roi m'avertit
que je réponds de votre vie sur ma tète, je ne puis donc pas
vous autoriser à remonter le Nam Ou. » Tout en me par-
lant) ce pauvre mandarin était pris de vomissements conti*
nuels et se tordait de douleur. Il était atteint d'une grosse
hernie qui s'était engouée depuis plusieurs jours; le plus
pressé pour moi était de le soigner, il se mit d'ailleurs
entièrement entre mes mains et au bout de peu d'heures,
grâce à un traitement et à des manœuvres appropriés, je
parvins à réduire la tumeur : le lendemain il se portait
bien.
Gomme il ne pouvait plus rien me refuser, je revins à la
charge et je le harcelai si bien qu'il finit par consentir à
me laisser continuer mon voyage après avoir pris les pré*
cautions suivantes. Il envoyait en avant un petit mandarin
sur une barque légère pour prendre des renseignements;
je devais attendre son retour pour partir et pendant tout le
voyage je serais précédé de deux barques chargées d'éclaV
rer la route.
J'attendis sept jours à Muong Ngoî, et mis ce temps à
pi:ofit pour parcourir les environs si pittoresques de cette
ville. Ou me fit visiter de nombreuses grottes creusées dans
le flanc des montagnes. Je fis aussi une excursion chez les
Khas de la vallée du Nam Ngoî. Je visitai le village de Ban
Xeng Nan situé comme tous les villages Khas sur le sommet
d'une colline, entouré de palissades et composé de maisons
élevées sur des pieux de plus de deux mètres. Il* me rap-
pelait certains villages de Mois sur le DongNaï, dont Taspect
était identique; à rinférieur on trouve, comme chez les
Moïs, l'arbalète, les piques, les pots de bière de riz qu'on vous
offre avec le même cérémonial. Je remarquai cependant ici
VOYAGE AU LAOS. 387
que l'on fit boire avant moi les jeunes gens de la maison et
l'on m'expliqua que c'était une grande marque de défé-*
rence. Quand on offre la bière de riz à un étranger, celui
qui boit avant lui doit mourir avant lui; c'était donc m'as-
surer une longue vie que de faire boire avant moi les plus
jeunes gens de la maison*. Je dois dire ensuite que les men-
surations que j'ai pu prendre sur les. Kbas tant à Luang-
Prabaug qu'à Muong Ngoï, m'ont confirmé dans, l'idée
qu'une race identique, probablement aborigène existe dans
toute la chaîne de montagnes qui parcourt l'Indo-Ghine du
sud au nord, sur les confins de TAnnam.
En revenant de Ban Xeng Nan par la vallée du Nam Ngoï
nous avons suivi pendant une douzaine de kilomètres les
anciennes rizières de Muong Ngo!^ couvertes maintenant de
hautes herbes, ce Si nous cultivions nos rizières, me disaient
les habitants, nous attirerions à coup sûr les Hôs; à quoi
bon cultiver quand on ne doit pas récolter pour soi! Puis
les Khas cultivent assez de riz pour eux et pour nous, nous
leur achetons leur riz, leur coton et leur stick-lak, nous leur
fournissons des vêtements tissés et des instruments et nous
vivons en bonne intelligence. > Cet état de choses n'est
possible qu'à cause du petit nombre des Laotiens rela^
tivement à celui des sauvages. Le roi de Luang-Prabang me
disait que parmi ses sujets il estime que le nombre des
Khas est à celui des Laotiens comme quatre est à un ; je suis
tenté de croire que la proportion des Khas est plutôt supé-
rieure à ce chiffre. Il ne faudrait pas croire d'ailleurs que
les Khas trouvent cette situation parfaite; l'un d'eux qui
parlait laotien me disait : « Nous cultivons trois fois plus
de terre qu'il ne nous en faut, un tiers de la récolte sert
à payer l'impôt, un tiers à nous nourrir nous et notre famille
et Tantre tiers à acheter des habits et des instruments;
sans nous les Laotiens mourraient de faim. » Il s'est pro-
. doit déjà plusieurs révoltes parmi eux; il y a cinq ans ils
mirent Luang-Prabang en péril et le second roi fut obligé
388 VOYAGE AU LAOS.
de partir sur le Nam Ou pour leur faire la guerre ; souvent,
dans les incursions desHôs, ils fontcause communeavec eux.
Le 11 décembre je partais de Muong Ngoï pour conti-
nuer à remonter le Nam Ou. Au-dessus de Muong Ngoî les
rives du fleuve continuent à être habitées ; on rencontre plu-
sieurs villages de Leues, anciens habitants de Xieng Hong
réfugiés sur le Nam Ou.
A un jour de marche au-dessus de Muong Ngoï on passe
devant un affluent de gauche appelé le Nam Heup que Ton
peut remonter pendant trois jours vers l'est. On rencontre
de nombreux marchés de Khas à l'embouchure de tous les
ruisseaux, c'est ainsi qu'à moins d'une heure de marche
au-dessus du confluent du Nam Heup^ devant un petit ruis-
seau appelé le Hué Kine, nous avons compté dix forts ra-
deauxamarrés le long delà rive et tous chargés des denrées
fournies par les Khas.
Le 13 au matin, nous passions devant le confluent du
Nam Noua; ce gros affluent peut être remonté pendant onze
jours jusqu'à la ville de Muong Teng. A partir de ce point
les laotiens qui m'accompagnaient ne cessèrent de mani-
fester la plus grande inquiétude. Muong Teng, nous l'avons
dit, était aux mains des Hôs et l'on craignait à tout moment
de les voir descendre par le Nam Noua. Le soir même nous
arrivions à Muong Koua^ dernier point occupé par des man-
darins laotiens. Là, le fleuve se divise en deux branches
presque égales : l'une conserve le nom de Nam Ou et vient
du nord^ l'autre, sous le nom de Nam Pak, vient de Test.
Celle-ci sert de route entre le Nam Ou et le Mékong; en
passant par Muong Say, on rejoint le Mékong par son
affluent le Nam Deuan.
La branche nord ou le Nam Ou est encore navigable pen-
dant plus d'un mois. Je rencontrai à Muong Koua des habi-
tants venant d'une ville située à huit jours plus haut sur le
Nam Ou ; sans seconsidérercomme faisant partie duroyaume •
de Luang, ils se rendaient cependant à cette ville pour y
VOYAGE AU LAOS. 389
porter un tribut, afin, disaieni-ils, de faire amitié. Ces
braves gens qui ressemblaient plus à des Annamites qu'à
des Laotiens, s'appelaient les Pou Noi ou a gens de la
petite montagne », mais me disaient-ils, on ferait mieux de
nous appeler Pou Yai ou c gens de la grande montagne j»,
car nous habitons tous des montagnes élevées. Leur chef,
homme intelligent et fort affable, me traça une carte du
haut du fleuve jusqu'à Muong Oa et Muong Hin, qu41 faut,
dit-il, plus d'un mois pour atteindre. Il me dit que jusqu'à
ces dernières années des caravanes de Hôs commerçants arri-
vaient chez eux du Yunnan, avec des mulets qui leur appor-
taient le thé et les étoffes chinoises qu'ils venaient ensuite
vendre à Luang-Prabang; ce commerce était interrompu
depuis trois ans. Les Leues habitent non loin de chez les
Pou Noî et leur font sans cesse la guerre ; il venait encore
d'y avoir entre eux un différend qui avait empêché les Pou
Noî de se rendre à Luang-Prabang lors de la fête des eaux.
Je trouvai Muong Koua à moitié désert. C'était autrefois
une ville très commerçante, bien placée au confluent de
deux grands cours d'eau. On y voyait encore de grands
approvisionnements de coton. Je dois aussi noter la quan-
tité considérable des porcs que l'on élève à Muong Koua ; il
y en avait certainement deux fois plus que d'habitants. Je
ne pouvais songer à remonter plus haut que Muong Koua,
ni même à y séjourner longtemps.
Le temps ayant été suffisamment clair le 14, je pus
prendre la hauteur méridienne. Nous étions par 21°10'. Le
temps était réellement frais, le thermomètre ne montait pas
au-dessus de 22'* dans l'après-midi et descendait à 11® vers
la fin de la nuit. Excepté à Muong Ngoï on ne trouve pas,
sur tout le Nam Ou, une seule maison commune destinée
aux voyageurs, aussi, forcés de coucher dans nos barques
ou sur la plage, peu vêtus pour une •semblable tempéra-
ture, nous grelottions une bonne partie de la nuit.
Le retour à Muong Ngoï eut lieu sans incident remar-
aaO YOYAGE AU LAOS.
quable ; je me n^ipelle seulement qu'en.passani près du ver-
sant nord da Poo Phé que contourne le Nam Ou avant de
former le petit lac de Muong Ngoï, nous nous trouvâmes en
face d'une cinquantaine de gibbons qui gambadaient le
long de la rive, sans paraître effàroudiès. Comme j'en ajus-
tais un, le chef de barque me supplia de ne pas tirer, parce
que le Pi ou génie de cette montagne n'était pas un Pi lao-
tien, mais un Arak, génie de race chinoise extrêmement
redoutable. Quand je n'avais pas un intérêt direct à passer
outre, je me suis toujours fait un devoir de respecter les
superstitions de ces braves geas4
A mon retour à Muong Ngoï, il y avait du nouveau. Le
Muong Kran avait été saisi d'une lettre qui était une excita-
tion à la révolte, un véritable appel aux armes de tout le
pays de Bo-pha-tha-Ha-than-Hoc* Je tiens à la reproduire
Ici, car, outre qu'elle montre bien l'état politique actuel de
ce malheureux pays, elle n*est point sans importance au
point de vue géographique. Cette lettre est arrivée à Muong
Ngoï le 25 décembre 1883.
(( Le gouverneur de Muong Lay appelé Binh bien Chao et le
Pho Tong de Muong Teng vont se rendre à Sôp Hôp« Ils ont
envoyé des lettres, la première à Muong Son, la deuxième
à Muong Po, la troisième à Muong Cao, la quatrième à
Muong Kuc, la cinquième à Muong Gut et au Phay ou Thaï,
à Muong Taï, la sixième au Phya Tong, à Muong Taî, pour
dire qu'ils envoyaient de Muong Huôo le Thay Ngiên et le
Kothay en avant porter des lettres. Us arriveront à Sôp Hôp
le 26 du cinquième mois ; il faut que tous les gouverneurs se
rendent à Sôp Hôp pour faire conseil ; il faut apporter cha-
cun vingt>-six barres d'argent à l'Atgna Luang en allant à Sôp
Hôp.
> Cette lettre doit arriver dans six jours à Muong Son et
dans les six jours tous les gouverneurs doivent être arrivés
à Sôp Hôp. Si l'un d'eux ne vient pas, on enverra quatre-
vingts soldats pour lui faire la guerre*
VOYAGK AU LAOS. 391
» Trente-sixièiBe année deTodoc^ (sigaéj Atgna l4iong à
MttôDg. Lajjr »«
Aucun de ces noms n'était inconnu pour moi ; j'avais
souvent rencontré des habitants de Muong Hét et de Sôp Hôp
et un petit mandaria de Muong Son faisait partie de l'escorte
de Phya Hokong qui m'accompagnait. Ce sont de purs Lao-^
tiens et ils parlent le siamois. Ce ne fui pas sans étonne-
ment que je vis que cette lettre était datée de la trente-
sixième année deTuduc, lequel d'ailleurs était mort depuis
longtemps.
Revenu à Luang-Prabang dans les derniers jours de
décembre, et bien persuadé désormais que toute tentative
pour revenir par le Yunnan et le Tonkin était en ce moment
inutile, je me décidai à opérer mon retour par Xieng-Maî.
Depuis mon arrivée à Luang*Prabang j'bntendais sans cesse
parler de Xieng-Maï comme d'une ville européenne^ toutes
les denrées européennes du marché de Luang venaient de
là et je désirais vivement reconnaître la route suivie par les
caravanes entre ces deux villes. Le roi me supplia de rester
encore quelque temps chez lui, car il attendait les gouver-
neurs siamois des provinces de Phixaie et de Socotal qui de*
valent arriver avec des troupes pour l'aider à se défendre
contre les Hôs. Aussitôt l'arrivée des Siamois, me disait le roi,
nous ferons un grand conseil oîi nous vous appellerons pour
décider de ce qu'il y a à faire au sujet des Hôs et en particu-
lier au sujet de Muong Lay. J'avoue que je n'étais pas moins
embarassé que leroi à ce sujet; je savais par M.deKergaradec,
notre consul à Bangkok, que les relations de la France avec
la Chine étaient très tendues et que nous étions enfin déci-
dés à balayer du haut Tonkin les bandes de pirates qui
l'infestaient et empêchaient tout commerce entre le Yunnan
et le bas Tonkin, mais, en rompant ouvertement, avec le roi
de Luang, le gouverneur de Muong Lay avait-il l'intention
de se rallier aux Chinois et aux Annamites ? Je n'en pouvais
rien savoir.
392 VOYAGE AU LAOS.
Dans le doute je me décidai à tout faire pour aller par
moi-même voir ce qui se passait à Muoug Lay, me réser-
vant de servir au besoin de médiateur entre ce gouverneur
et le roi de Luang. C'était prendre une grande responsabi-
lité, j'en avais le sentiment, mais je n'engageais en rien
mon pays dans cette minuscule querelle de deux roitelets
laotiens; n'ayant aucun mandat officiel, je pouvais être
désavoué si ce désaveu était de quelque utilité à notre poli-
tique indo-chinoise et je l'acceptais d'avance. Des consi-
dérations semblables ne doivent en rien peser à qui se
trouve en sentinelle avancée comme je l'étais alors. Je
devais d'ailleurs échouer dans mes négociations avec les
mandarins siamois. À leur arrivée lei^ gouverneurs de Phixaie
et de Socotaï me reçurent fort bien mais ne me rendirent
pas ma visite; malgré les efforts du roi et des mandarins de
Luang-Prabang ils i>efusèrent constamment d'assister à un
conseil dont je ferais partie. Ils arrivaient avec mille soldats
chacun et traitaient le royaume de Luang en pays conquis.
A ce point de vue, ma présence les gênait beaucoup et je pus
être fort utile à mon vieil ami le roi de Luang-Prahang en
forçant les mandarins siamois à surveiller leurs hommes qui
chaque jour réquisitionnaient et pillaient au marché ; tous
ces gens étaient d'ailleurs nourris et payés aux frais du roi
de Luang. Malheureusement ce Français sans escorte, sans
bagages, sans argent, sans vêtements européens, (depuis
longtemps j'étais pieds nus et je portais le pa noung ou lan-
gouti siamois) ne pouvait pas leur en imposer assez. Je vis
bientôt que ma position devenait intolérable; le roi le com-
prit aussi et quoi qu'il me vît partir avec bien du chagrin, il
n'essaya pas de me retenir.
Je quittai Luang-Prabang le 24 janvier dernier. J'aurais
désiré pouvoir dire quelques mots de la Birmanie siamoise,
des belles forêts de tek qui couvrent toute cette contrée, de
l'état politique de ce riche pays sans cesse parcouru par des
banides de pirates birmans, montrant des passeports anglais
VOYAGE AU LAOS. 393
plus OU moins authentiques de Maulmeïn, ou de Rangoon.
Mon long voyage de retour ne s'accomplit pais sans diffi-
cultés et sans aventures de toutes espèces, mais je ne veux
pas abuser de la bienveillante attention de la Société, et
d'ailleurs ces provinces siamoises ne sont pas pour nous
aussi intéressantes que les principautés à moitié indépen-
dantes qui sont limitrophes du Tonkin ; elles ont le même
intérêt que nous à se débarasser des pirates qui, depuis de
longues années, infestent leur pays et qui, dans la suite,
pourront être de la plus grande utilité pour assurer la tran-
quillité des frontières de nos possessions indo-chinoises.
Le retour s'effectua en remontant le Mékong jusqu'à Xieng-
Sen où je pris le Nam Kok, affluent de droite que je relevai
jusqu'à Xieng-Hay; là je continuai ma route vers l'est à dos
d'éléphant, passant par-dessus la ligne de partage des eaux
entre le Mékong et le Ménam. Je séjournai quelques jours
à Xieng-Maï, grande ville située sur le Mé-Ping, affluent du
Ménam. De Xieng-Maï je gagnai à pied le ville de Lampoun
puis celle de Lakone sur le Mévan. A Lakone je pus me
procurer une barque et descendre le Mévan jusqu'au Mé-
Ping, puis cet affluent jusqu'à sa rencontre avec le Nam-Poh
où la réunion des deux branches forment le Ménam que je
suivis ensuite jusqu'à Bangkok.
soc. DE GÉOGR. — 3* TRIMESTRE 1885. YI. — 27
SEPT MOIS AU PAYS DE L'ÉTAIN
PERAK
(PRESQU'ILE DE HALACCA)
PAR
Ingénieur civil des mines.
Le 20 janvier 1880, je m'embarquai à Toulon avec
M. Brau de Saint-Pol Lias. Notre but était la Malaisie
ou du moins certaines régions, encore peu connues, de la
grande île de Sumatra que nous nous proposions d'explorer
à un point de vue scientifique et pratique à la fois.
Après quarante-deux jours de navigation sur un trans-
port de l'État, le Tarn^ nous arrivâmes à Singapore et re-
partîmes presque aussitôt pour Batavia, où nous tenions à
présenter nous-mêmes à S. Exe. le gouverneur général des
Indes néerlandaises, les lettres de recommandation dont
nous étions munis. Nous ne fîmes qu'un séjour très court
à Java et trois semaines plus tard, le 1*' avril, nous mouil-
lions sur rade d'Ouléleh, à l'extrême pointe nord d'Atjeh.
Une triste nouvelle nous y attendait; un steamer mar-
chand, arrivé le matin même de la côte ouest, venait an-
noncer la mort de deux Français, MM. Vallon et Guillaume,
chargés, comme nous, d'une mission scientifique en Malaisie.
Nos deux malheureux compatriotes avaient été assassinés
sur la rivière Tenom, aune petite distance de la côte. Les
détails manquaient encore, mais le gouverneur d'Atjeh,
S. Exe. le général Van der Heyden, avait déjà donné des
1. Voir les trois cartes publiées dans le 3» trimestre 1883 àa'BuUeti».
VOYAGE AU PAYS DE L'ÉTAIN. 395
ordres pour qu'un corps de trois cents hommes de troupe
îàt embarqué et se tint prêt à partir. Il devait se mettre lui-
même à la tête de l'expédition; sur notre demande, il nous
accorda fort gracieusement l'autorisation de l'accompagner.
Nous auriops pu commencer nos explorations sous de meil-
leurs auspiceç* Le i^eurtre de ces deux infortunés jeunes
gens, en dehors du sentiment pénible qu'il nous causa,
devait être un obstacle absolu à la réussite de nos projets.
L'état de guerre, la crainte qu'up second malheur ne vînt
créer de nouvelles complications dans une situation politique
très tendue, tout devait nous fermer le pays et nous empê-
cher de voyager à notre gré. Nous nous aperçûmes bientôt
que, avec les formes les plus courtoises, nous étions simple-
ment gardés à vue et protégés malgré nous, avec une solli-
citude que nous aurions appréciée en tout autre occasion.
Nous fûmes tout uniment remis entre les mains des dififé^
rents contrôleurs de la côte qui, selon leur propre ex.pres-
sion, répondaient de nous « sur leur tôle »• Jamais déportés ou
criminels endurcis n'ont été surveillés avec autant de soin;
nous ne pouvions faire un pas sans être accompagnés, com-
pagnie charmante il -est vrai, mais qui devait nous inter-
dire toutes recherches utiles et toute étude nouvelle dans
rintérieur du pays. Nous dûmes donc nous borner à par-
courir la côte, à faire de courte s escales, des promenades
officielles et plus courtes encore dans les divers petits ports
d'Atjeh. Ces promenades étaient fprt agréables, mais ne
pouvaient avoir qu'un résultat scientifique ou pratique très
limité; toute cette côte est en effet suffisamment connue,
nous n'avions rien de nouve^au à y découvrir.
Je ne reproduirai donc pas ici les détails, fort peu inté-
ressantSy de Texpédition envoyée pour venger la mort, de
Vallon et Guillaume, ni les incidents, d'un intérêt géogra-
phique tout aussi médiocre, qui se sont produits pendant
notre séjour de cinq mois à Sumatra. Du reste, mon com-
pagnon de voyage se propose de publier prochainement le
396 VOYAGE AU PAYS DE L'ÉTAIN.
compte rendu pittoresque de notre visite à Atjeh^; pour
ma part, je mécontenterai de raconter les explorations que
j'ai faites à Pera)^, dans la presqu'île de Malacca.
Ce petit État indigène de la péninsule malaise est aussi
inconnu en Europe qu'il l'était à nous-mêmes avant notre
arrivée aux Indes; mais, en débarquant à Ouléleh, nous
avions eu la bonne fortune de rencontrer un négociant de
Pinang, auquel un long séjour sur la côte de la presqu'île
et à Perak même avait fait connaître tontes les ressources
et tout l'intérêt que ce pays présentait au voyageur. Il
m'avait surtout entretenu des richesses minières de la con-
trée; c'était prendre un ingénieur par son faible. J'en parlai
à de Saint-Pol Lias et notre résolution fut aussitôt arrêtée.
Avec une extrême obligeance, ce négociant se chargea
de nous faire avoir une invitation officielle du résident de
Perak, invitation fort aimable qui en effet arriva peu de
temps après.
Devant l'impossibilité de faire des choses utiles à Atjeh^
j'aurais désiré partir immédiatement, mais mon compagnon
de voyage pensa, avec une persévérance certainement des
plus louables^ qu'étant venus aussi loin, nous ne pouvions
repartir sans avoir tenté encore de pénétrer dans le pays.
Ainsi que je le dis plus haut, ce fut peine perdue et après
cinq mois d'efTorts infructueux, je décidai mon ami à m'ac«
compagner à Perak.
Le 27 août, après une courte escale à Pinang, nous débar-
quàmes à Telok-Kartang, le port de la province de Larout
(Haut Perak), situé sur la rivière même de Larout à trois
milles environ de son embouchure. Ce port n'est accessible
qu'aux petits vapeurs chinois, de 50 à 100 tonneaux, qui
font le service journalier entre Perak et Pinang ; mais le
grand développement que l'industrie minière du pays a
1. Depuis q.ue ces lignes ont été écrites, M. de Saint-Pol Lias a publié
les notes d*une seconde excursion quil a faite à Sumatra : « Chez les
Atchés. » — E. Pion, NoTirrit et C^*, éditeurs.
VOYAGE AU PAYS DE L'ÉTAIN. 397
pris depuis quelques années, a prouvé l'insuffisance de ce
point d'embarquement. Aussi le gouvernement s'est-il
décidé à le transférer un peu plus haut^ sur l'un des nooi-
breux arroyos qui parcourent la grande bande maré-
cageuse de la côte. Ce nouveau port^ auquel a été donné le
nom de S. Ëxc. Sir Frederick Weld, gouverneur des «Straîts
séttlementsB, sera probablement achevé dans deux ans^ ainsi
que le chemin de fer qui doit le relier à Thaîpeng.
En débarquant à Telok-Kartang, nous fûmes reçus par
M. WynnCy l'aimable magistrat de l'endroit, qui nous sou-
haita la bienvenue au nom du résident et nous apprit que
«e dernier se trouvait en ce moment dans l'intérieur, à
Kwala-Kangsa, siège politique du gouvernement de Perak.
La meilleure façon d'y parvenir était de nous rendre tout
d'abord à Thaîpeng, chef-lieu de la province de Larout,
où des moyens de locomotion seraient mis à notre dispo-
sition.
Nous fîmes le trajet dans une afiTreuse carriole du pays,
traînée par un de ces ardents petits chevaux de Sumatra
que les Battaks de la province de Déli exportent chez tous
leurs voisins du détroit. Après une course d'une heure et
demie sur la belle route de 12 kilomètres qui traverse les
villages de Matang, Simpang et Kotah, notre automédon
nous déposait à l'autre bout de la ville, au pied du monticule
que couronne pittoresquement l'habitation de M. W.-R. Max-
well, l'assistant-résident. En l'absence de ce dernier, mo-
mentanément en congé, nous fûmes reçus par le major
Swinburne, commandant les forces militaires de Perak
et par son lieutenant M. Walker, tous deux officiers de
l'armée anglaise dont ils savaient maintenir, dans cette
€olonie lointaine, les traditions de courtoisie et de distinc-
tion. Ces deux noms sont aujourd'hui pour moi des noms
d'amis et je suis heureux de saisir cette nouvelle occasion
de leur exprimer mon souvenir reconnaissant pour la cor-
dialité et l'amabilité si parfaites qui présidèrent à notre pre-
398 VOYAGE AU PAYS DE l'ÉTAIN.
mière réunion et qu'ils me continuèrent si largement dans
la suite.
Notre séjour à la résidence dura une semaine que j'em-
ployai à parcourir les environs et à visiter les nombreuses
exploitations d'étaîn de la localité.
La ville elle-même s'élève dans la plaine de Larout, au
fond de la longue bande d'alluvions plates qui s'étendent aa
nord, entre la mer et la première chaîne de montagnes;
elle est adossée au massif de Maxwells'Hill qui dresse, à
1425 mètres de hauteur, sa cime couverte d'épaisses forêts.
Thaîpeng est la capitale commerciale de Perak,. si l'on
peut appeler a capitale )> l'agglomération de huttes et de
paillotes qui servent d'abri à la population travailleuse du
district. Le quartier des Européens, peu peuplé il est vrai,
puisque leur nombre ne s'élevait qu'à dix-neuf (nous com-
pris) aumomentdenotre visite, est situé en dehors du centre
commercial, près des casernes affectées à l'armée locale.
Le corps entier compte environ cinq cents hommes, dont
la plupart sont des Sikhs, originaires du nord de l'Inde
anglaise, auxquels ont été adjoints quelques Malais indi-
gènes chargés plus spécialement de la police. Ces troupes
sont admirablement disciplinées. Dans une revue et des ma-
nœuvres que le major Swinburne voulut bien faire en notre
honneur, nous pûmes juger ce corps d'élite dont la précision
et l'ensemble merveilleux font le plus grand honneur aux
officiers qui le commandent. Les moyens de défense sont
complétés par un fort qui domine la ville et les environs.
La majeure partie de la population qui se chiffre par
14000 âmes, est composée de Chinois se livrant presque
uniquement au travail des mines groupées en trois dis-»
tricts autour de Thaîpeng. Il y a deux ans, l'industrie mi«-
nière de la localité ne comptait que trente exploitations, elle
en comprend cent cinquante-cinq aujourd'hui, c'est assez
dire quel énorme développement elle a subi en un temps si
court.
YOTAGE AU PATS DE L'ÉTAIN. 399
; Je n'entrerai pas à ce sujet dans des détails trap tech-
niques que j'ai déjà publiés ailleurs ^ Qu'il me suffise de
dire que l^s seuls gisements d'étain exploités jusqu'à présent
sont des dép&ts alluviens provenant de la décomposition et
de l'érosion des roches granitoîdes qui constituent l'ossature
.des massifs montagneux du pays.
Les filons «n place n'ont jamais été travaillés; une exploit
4ation souterraine, avèls tout son matériel compliqué, serait
trop dispendieuse dans un pays où les voies de communi-
cation sont eiïcore assez rares. Les Chinois, avec le sens
pratique qui est l'une de leurs caractéristiques les plus re-
marquîd)les, préfèrent avec juste raison exploiter les alluvions
si riches qui recouvrent les plaines. Ces gisements sont
d'autant moins profonds qu'ils sont plus rapprochés des
montagnes; ils présentent parfois une richesse considérable,
atteignant jusqu'à 6 p. 100 de teneur de métal.
Le système ordinaire d'exploitation consiste à ouvrir, à
ciel ouvert, une vaste excavation qui dépasse rarement
vingt-cinq à trente pieds de profondeur. Les matières sté-
riles de la surface sont rejetées en arrière à mesure que le
front de taille s'avance, tandisque les terres du dépôt stan-
nifère sont portées à dos d'homme, dans de petits paniers,
jusqu'aux appareils de lavage.
Ceux-ci sont identiques aux « sluice- boxes » employés en
Australie pour le lavage de l'or. Les minerais lavés attei-
gnent une richesse moyenne de 65 à 70 p. 100. Leur grande
pureté simplifie considérablement l'opération métallurgique
qui se fait, au charbon de bois, dans de petits fours à
manche en briques ou en argile.
Les procédés employés par les Chinois sont très primitifs,
en ce qui concerne l'épuisement des mines ainsi que le trai-
tement mécanique ou métallurgique, mais les dépôts sbiit
1. « Les mines d'étain de Perak. » Archives dei missions scientifiques
et littéraireSf 3<' série, t. IX. Imprimerie nationale (1882), chez Dunpdj,
éditeur.
400 VOYAGE AU PATS DB L'ÊTAIIT.
suffisamment riches pour leur donner, malgré des pertes
sensibles, des bénéfices souvent considérables.
L'exploitation la plus importante et la plus riche, connue
sous le nom de Kong-Loon*Kongsi, occupe près de douze cents
ouvriers et a déjà donné, à son propriétaire, 200000 dollars
de bénéfices nets, soit environ un million de notre monnaie..
Cet intelligent capitaliste est le premier de tous les exploi-
tants chinois qui ait compris l'utilité d'introduire des en-
gins européens danssesmines.il y a déjà installé deux belles
machines à vapeur ; non sans hésitation toutefois, car pour
bien lui faire comprendre la supériorité de nos appareils,
le résident a dû faire venir une pompe, et la faire travail-
ler, pour ainsi dire à vide, sous ses yeux mômes. Vidée
abstraite n'existe chez les Fils du Ciel que pour s'appliquer
au merveilleux, aux croyances superstitieuses, aux esprits ;
pour toute autre chose, ils sont incrédules et méfiants et ne
comprennent que lorsqu'ils ont vu de leurs deux yeux,
mais alors ils comprennent bien et s'assimilent facilement
toute idée nouvelle.
Pour prouver une fois encore combien l'industrie de
rétain est florissante à Perak, nous ne donnons que deux
chiffres : eu 1876, la quantité totale de métal produit s'est
élevée à 2054 tonnes ; pendant Tannée qui vient de s'écouler
(1882) l'exportation a atteint le chiffre de 7149 tonnes.
Le 3 septembre nous quittâmes Thaïpeng pour Kwala-
Kangsa oi!i noiis attendait le résident. Nous fîmes cette
charmante promenade de 35 kilomètres par la route pitto-
resque qui s'embranche à Simpang sur la voie principale,
traverse le petit Kampong de Boukit-Gantang et franchit la
passe de Gapis (106 mètres d'altitude) pour redescendre
ensuite dans la magnifique plaine du SoungirPerak^ qui a
donné son nom au pays.
Au sortir de la passe, un gigantesque rocher calcaire,
* 1. Soungi, rivière.
VOYAGE AU PAYS DB L'ÉTAIM. 401
Gounong-Pon4oq S élève, à 500 mètres de hauteur, ses faces
verticales couvertes de végétation. Les seuls habitants de
ce pic curieux, dont l'ascension n'a jamais été faite d'une
manière complète, sont des chèvres sauvages qui, paratt-il,
ne descendent jamais dans la vallée. La base de la montagne
renferme de petites grottes et de larges fissures où j'ai
trouvé de belles cristallisations ainsi que quelques spécimens
de mélanies modernes empâtées daps Tenduit ferrugineux
qui tapisse les parois. Mais ce que le rocher oilre de plus
curieux aux yeux du géologue, c'est son isolement absolu de
toute autre masse de même origine ; il est là le seul témoin,
à des lieues à la ronde, d'une formation sédimentaire qui a
disparu. Soulevé et métamorphosé par les roches éruptives
de la chaîne qui le touche, son calcaire s'est transformé en
un beau marbre blanc veiné de rouge qui serait d'une ex-
ploitation facile, si toutefois le besoin s'en faisait sentir. Mais
le moment n'est pas encore venu ; Perak est un pays trop
jeune encore pour se donner le luxe de palais en marbre;
de nOodestes maisons en bois ou en bambou sont les seules
habitations des indigènes aussi bien que des Européens.
Nous profitâmes de l'arrêt nécessaire au changement de
relais pour faire une visite à un planteur de café installé avec
toute sa famille dans le vallon qui sépare Gounong-Pondoq
de la passe de Gapis. Plusieurs acres de terre étaient déjà
défrichés; l'essence choisie, le caféier de Libéria, sem-
blait pousser admirablement sur ce beau sol vierge que la
forêt recouvrait encore, il y a quelques mois à peine.
Après quelques instants de repos, nous reprîmes notre
voyage vers Kwala-Kangsa où le résident de S. M. Britan-
nique, M. H. Low^, nous accueillit avec une bienveillance
dont je conserverai toujours le souvenir.
1. Gounong, montagne.
S-IAujourd'hiii « Sir Hugh Low )>, depuis <iue la reine, en récompense
des services signalés qu*il a rendus au pays. Ta éleyé à la dignité de
« chevalier-commandeur des ordres de Saint-Michel et Saint-George. » •
402 VOYAGE AU PAYâ DE L'ÉTAIN.
Kwala-Kangsa, malgré son titre un peu pompeux â^
(( capitale politique >,n*est qu'une petite bourgade indigène
construite. sur la berge de Soungi-Perak. La rivière en cet
endroit attdint une largeur de près de 200 mètres. Vis-à-vis
s'élève, au milieu de cocotiers et de bananiers verdoyants,
le Kampong^Sayong où réside le souverain protégé du pays,
le rajah Mouda Yousouf.
Le choix de cette situation sur la rive gauche n'a pas,
paraît-il, été laiseé au hasard. Une ancienne légende pré-
tend qu'autrefois les indigènes du pays s'étaient partagés
en deux catégories distinctes, ceux qui habitaient la rive
droite, les hommes de la côte^ les marins, qui se livraient
presque uniquement au commerce, à la pêche et surtout à
la piraterie, et ceux de la rive gauche, plus sédentaires dans
leurs habitudes et s'occupant d'agriculture. Dans l'intérieur
de ces deux régions habitaient en outre, et habitent encore,
les hommes sauvages^ les orangs outaUBj « Semangs » d'un
côté et « Sakayes » de l'autre. Imitant l'exemple humain,
les singes du pays s'étaient eux aussi partagés en deux tribus,
les c( Ounkas » sur la rive droite et les « Siamangs ^ » sur
la rive gauche. Ces deux catégories de Malais, sauvages et
singes, ne se fréquentaient pas entre elles et ne passaient
jamais d'un bord à l'autre. Les singes ont persévéré jusqu'à
ce jour dans leur convictions, mais les hommes consentent
aujourd'hui à franchir la limite; non toutefois sans une
certaine répugnance, car quelques Sakayes que j'ai vus à
Kwala-Kangsa allaient tous les soirs dormir sur la rive
gauche, et le rajah Mouda lui-même ne traverse la rivière
que le plus rarement possible. Il ne consent janiais à passer
la nuit à Rwala-Kangsa et volontiers il maudit sa grandeur
qui l'oblige à aller parfois à Thaïpeng présider le Conseil
d'État.
1. Les « Ounkas » et les «Siamangs • sont deux espèces de Gibbons
{Hylobaie$ syndaclylwt).
VOYAGE' Air PAYS DE l'ÉTAIN, 408
Ce rajah a été installé comme souverain par les Anglais,
at>rès les événements de 1876. J'ai raconté déjà^ comment,
après le meurtre du premier résident, M. Birch^ les deux
sultans de Perak^ fortement ckimprômisdans l'affaire, furent
exilés, Tun aux îles Seychelies, l'autre à Johore, dans
le sud de la presqu'île. C'est à cette époque que l'Angle*
terre imposa son protectorat et donna le pouvoir au rar
jah Yousouf, l'héritier présomptif. Il est devenu, entre les
mains des autorités brîtanniqùeà, et, empressons-nous de le
dire, pour le plus grand bien du pays, un simple souverain
honoraire, auquel sont rendus naturellement tous les hon-
neurs possibles, mais qui règnef et ne gouverne pas, confor-
mément aux principes de la constitution anglaise appliquée
même à Perak. Il est du reste fort satisfait de ce rôle de roi
fainéant et emploie son temps à chasser les bêtes fauves, à
apaiser les éternelles disputes féminines de son sérail et à
enterrer^ dans des trous, les 12 000 dollars de rente civile
que lui fait le gouvernement de son pays. .
Nous passâmes quatre jours chez notre aimable hôte^
visitant les environs, les jardins d'essai où le résident,
botaniste fort distingué, se livre à des. expériences d'accli-
matation sur des plantes étrangères au pays, le caféier, le
thé, le quinquina et certaines essences de caoutchouc et de
gutta-percha qui semblent pousser admirablement sous le
beau ciel de Perak.
De Kwala-Kangsa nous fîmes une excursion aux mines
de Sâlak, à l'extrémité nord de la petite chaîne de Sengan.
M. Low voulut bien mettre deux de ses éléphants à notre
disposition et nous nous aperçûmes bientôt que ces mon*
tures étaient les seules possibles dans ce pajcs coupé de
mirais profonds et couvert de jungles inextricables dé*
pourvues parfois de tout sentier.
1. V Économiste français, 24 et 31 mars 1883 et BuUetin de la Sociéié
de Géographie du 3* trimestre 1883.
404 VOYAGE AU PATS DE L'ÉTAIN.
Après avoir traversé la rivière, nous nous engageâmes dans
la forêt, mais notre cornac, ne connaissant pas le chemin,
s'égara bientôt au beau milieu de la jungle et au grand
déplaisir de notre éléphant qui manifestait de temps
en temps son ennui d'une pareille ignorance par des rugis-
sements épouvantables. Il fallut pourtant retrouver le sen-
tier, et c'est alors que nous pûmes apprécier Futilité et
l'intelligence de notre monture. La broussaille étant devenue
plus épaisse, Mé-Mass (c'était son nom) se mit à tailler
dans le fourré à grands coups de trompe, renversant tout
sur son passage et se frayant une route large comme elle.
Parfois un arbre un peu fort lui barrait le passage ; elle
l'enlaçait alors du bout de sa trompe à cinq mètres de hau-
teur, tâchant de le briser en le recourbant; si l'arbre résis-
tait, encouragée par son cornac, elle posait son énorme
pied sur le dos de la tige et poussait de toute sa force, ou,
si cet effort n'était pas encore suffisant, elle employait alors
les grands moyens, appuyait son vaste front sur le tronc,
qui, cédant sous ce poids énorme, s'abattait avec fracas
entraînant avec lui cent mètres carrés de jungle. D'autres
fois c'était un obstacle d'un autre genre, des bouquets de
bambou douriy le terrible bambou épineux, si menaçant
avec ses pointes aiguës que les indigènes l'emploient
comme moyen de défense pour garnir les murs de leurs
villages en temps de guerre. Mé-Mass n'élait pas embar-
rassée pour si peu; ramassant une poignée d'herbes dures
du bout de sa trompe, elle s'en faisait un petit coussinet
impénétrable aux longues épines. Son cornac nous dît qu'on
ne lui avait jamais appris ce procédé, elle l'avait inventé
elle-même. Quelle intelligence ! — et quelle prudence aussi !
A chaque marais que nous traversions, elle ne mettait pas
un pied devant l'aulre sans sonder de la trompe et sans
mesurer la profondeur de l'eau et la résistance du terrain.
Elle avait conscience de son poids et usait des mêmes pré-
cautions s'il s'agissait de passer un pont; l'on n'aurait
VOYAGE AU PATS DE l'ÉTAIN. 405
jamais pu lui persuader de le franchir si elle n'en avait
auparavant vérifié la solidité.
Ces occupations multiples ne l'empêchaient pas de pen-
ser un peu, et môme beaucoup, à elle-même; tout en
marchant elle arrachait, de droite et de gauche, des feuilles,
des lianes, des touffes d'herbe, des pousses de bambou.
Elle les frappait tout d'abord sur son pied pour faire tomber
la terre restée aux racines, et tout en les introduisant mor-
ceau par morceau sous ses molaires puissantes, prenait
grand soin de ne pas laisser choir le reste de ses provisions
maintenues par sa trompe enroulée.
Des volumes ont été écrits sur les éléphants ; on a par-
fois accusé les voyageurs d'avoir exagéré leur intelligence
et leurs aptitudes. Pour moi, tout ce que j'ai lu sur le
compte de ces animaux est encore au-dessous de la réalité.
Pendant les sept mois que j'ai passés à Perak, continuel-
lement avec des éléphants, je les ai vus exécuter des lours
de force physiques et intellectuels si invraisemblables, que
j'ose à peine les raconter de crainte de faire douter de ma
véracité.
Partis de Kwala-Kangsa à six heures du matin, nous arri-
vâmes à dix heures au Kampong Ëngar, sur la rivière de
Perak, où nous prîmes un sentier qui, trois heures plus
tard, nous amenait à Salak, but de notre excursion.
J'allai aussitôt visiter les exploitations; mais avant de pé-
nétrer dans les travaux, je dus me soumettre aux exigences
superstitieuses des Chinois de la mine, c'est-à-dire enlever
mes chaussures et fermer mon parasol, ces deux articles de
toilette ayant la propriété de faire fuir les génies bienfai-
sants préposés à la garde du minerai dans le sein de la
terre. Un Chinois, devant qui j'émis l'opinion que celte me-
sure, très vexatoire pour un Européen, avait peut-être pour
but d'écarter les visiteurs indiscrets, m'assura que cette
croyance n'était nullement d'origine chinoise mais bien
malaise. Les mines d'étain appartenaient autrefois aux ra*
406 VOYAGE AU PAYS DE L'ÊTAIN.
jahs du pays ; ils se figuraient, et se figurent encore du realei
que les métaux sont placés sous la gai^de d'esprits, d'an'*
touSf qui seraient profondément froissés si Ton foulait le
minerai avec des chaussures, si le costume n'était pas décent
ou si Ton tenait à la main un parasol ouvert. Le « génie »
abandonnerait aussitôt les travaux et, chose plus regreth
table, emporterait avec lui la totalité de Tétain. Lorsque
les Chinois sont arrivés dans le pays, appelés comme tra-
vailleurs, ils ont dû respecter cette croyance, mafs gvec
leur amour du merveilleux et leur goût mythologique pour
des dieux innombrables, ils ont fini par la partager à leur
tour et par vouer à cette déité nouvelle un culte plus
complet encore que celui des Malais. Devant chaque mine
s'élève un petit autel spécial sur lequel ils font des offrandes
propitiatoires de fruits et de tasses de thé, tout en tirant
force pétards en l'honneur du « génie ».
Après avoir visité les exploitations de la localité, nous
revînmes dans l'après-midi à Kwala-Kangsa.
Je repartis le surlendemain pour le district de Bakow, à
l'extrémité sud de la chaîne de Sengan. Je fis cette excursion
seul, mon ami préférant aller visiter l'un des jardins d'essai
du gouvernement situé dans le voisinage de Gapis, sur le
sommet de Gounong-Arang-Para, à 1066 mètres d'élévation.
Je fis en praho*^ indigène la première partie du trajet,
jusqu'au point où Soungi-Bakow se jette dans la rivière
Perak. A moitié chemin je rencontrai, remontant en sens
inverse, le rajah Mahmoud, chef du district que j'allais visi-
ter. Le résident m'avait donné une lettre pour lui et, fort
gracieusement, il consentit à rebrousser chemin, 'quoiqu'il
fût accompagné de toutes ses femmes qu'il emmène toujours
avec lui, me dit-il; sans doute par mesure de précaution. Je
passai la nuit à l'entrée de la petite rivière de Bakow et
1. Le praho malais est une grande embarcation portant dans toute
sa longueur un large toit en feuilles. de palmiste.
VOYAGE AU PAYS DE L'ÉTAIN, 407
repartis le lendemain de bonne heure pour les montagnes,
accompagné du rajah et de quelques porteurs. Le sentier
suivait à peu près lé cours de la rivière, mais nous avions
continuellement à traverser des marais, assez profonds; le
seul inconvénient du reste était d'en sortir couvert de
sangsues, cette plaie des forêts tropicales. II en existe de
deux espèces, celle des marais, ou plutôt d'eau, appelée
linta par les indigènes, et celle des bois nommée patchat.
Ces dernières sont les plus désagréables; elles sont exces-
sivement minces, filiformes et ont de 2 à3 centimètres de
long, mais, en raison même de leur ténuité, elles pénètrent
plus facilement sous les vêtements et souvent passent tout
simplement à travers rétoffe. Lorsqu'elles sont gorgées de
sang, elles deviennent aussi grosses que nos sangsues
ordinaires; la blessure qu'elles font s'envenime facilement
et souvent est très longue à guérir. Ges.sansgsues des bois
doivent avoir des sens de perception très développés, car,
au moindre bruit ou à l'approche d'un être quelconque, on
les voit se mettre en mouvement et se placer en observation
sur les herbes ou les feuilles basses des arbrisseaux.
La forêt que je traversai était fort belle et renfermait
des arbres magnifiques, des merantis, des tampenis et
surtout des merbows superbes, hauts de 50 mètres et
dont le tronc ne pouvait être embrassé que par dix hommes
se tenant par les mains. Ces trois essences sont les plus
répandues et les plus utilisées comme bois de construction.
Je rencontrai aussi des fougères arborescentes de toute
beauté, hautes de 5 à 6 mètres, les plus belles que j'aie vues,
après celles du jardin botanique de Buitenzorg à Java. Mais
d'un autre c6té, et c'est là une des particularités des forêts
vierges de la Malaisie, je ne trouvai pas de fleurs, ou les
quelques rares spécimens que je pus découvrir étaient d'une
coloration très pâle ou d'une couleur blanche, due san&
doute à l'ombre perpétuelle jetée sur le sol par des massifs
touffus impénétrables apx rayons du soleil.
408 VOYAGE âC pays DE L'ÉTAIN.
Les êtres animés y sont du reste aussi rares que les fleurs.
En dehors des sangsues, des insectes et de quelques pi-
geons ou singes égarés, l'on ne voit guère de bêtes dans
rintérieur des bois.
Faute d'herbages, qui sont tués aussi par l'absence de
lumière, les herbivores en sont réduits à fréquenter les clai-
rières et h se rapprocher des lisières où ils cherchent leur
nourriture jusque dans les plantations mêmes des indi-
gènes. Les fauves, qui à leur tour se nourrissent de cerfs,
de sangliers, etc. , les accompagnent naturellement.
J'arrivai le soir même à Kampong-Bakow, mais n'y fis
qu'un séjour de courte durée. J'y étais surtout venu à la
demande du résident, qui désirait avoir un avis technique
sur certains dépôts stannifères exploités par le rajah Mah-
moud. Mon travail terminé, je repris le même chemin et
j'étais de retour à Kwala-Kangsa le 13 septembre.
Le même soir, M. de Saint-Pol Lias revenait lui aussi de
son excursion, et le surlendemain, après une nouvelle halte
à la plantation de Gapis, chez M. Wray, nous étions de
retour à Thaïpeng.
Je passai là quinze nouveaux jours à étudier enco re les
procédés chinois d'exploitation et à faire un plan de cam-
pagne eu vue d'explorer le pays d'une façon aussi complète
que possible. Dans l'intervalle, mon compagnon de voyage
me quitta, retournant à Sumatra, pour y continuer l'étude
d'un projet de plantation que nous avions ébauché avant
notre départ d'Atjeh.
De mon côté, après les délais nécessaires à la connaissance
des habitudes et des ressources du pays, je commençai mes
recherches techniques. M. Low voulut bien me prêter les
appareils de sondage du gouvernement et poussa l'obli-
geance jusqu'à mettre à ma disposition des éléphants pour
les transporter. J'embauchai une douzaine de coolies chinois
et commençai mes opérations dans le district de Djebong,
à une petite distance au sud-ouest de Thaïpeng. J'y fis, dans
VOYAGE AtJ PAYS DE L'ÉTAIN. 409^
lajungle, un séjour de trois semaines, mais sans résultat
pratique. Je changeai donc de canton et allai m'installer à
Boukit-Gantang, petit kampong^ sur la route de Simpang
à Kwala-Kangsa.
Ce village est l'ancienne résidence du fameux Mountri ou
gouverneur de Larout, sous le sultan Abdoullah. Je dis
« fameux », car il est un peu la cause première de la guerre
de Perak et de l'établissement du protectorat anglais sur le
pays.
Ce Mountri était unhommefort puissant, très indépendant,
très entreprenant surtout. Il avait eu le talent d'attirer
l'immigration chinoise et Ton peut dire que c'est lui qui a
fondé l'industrie minière à Perak. Mais s'il s'était acquis
dans ce sens des droits considérables à la reconnaissance
publique, il les perdit complètement vis-à-vis des Anglais,
en se mêlant au complot qui aboutit à l'assassinat du rési«-
dent, M. Birch, en 1875.
La part qu'il prit dans l'affaire lui valut un exil perpétuel
aux îles Seychelles, en compagnie de son sultan et de
quelques autres chefs.
Le souvenir du Mountri et de sa puissance est resté vivace
à Boukit-Gantang et se manifeste encore par une froideur
incontestable à l'égard de tout Européen qui séjourne dans
l'endroit. Le chef actuel du district est un parent de l'an-
cien gouverneur; il ne voulut me fournir aucun rensei-
gnement sur la. région. Je ne pus d'ailleurs réussir à le
sortir de chez lui oti il passait son temps à jouer, sur un
violon abominablement faux, l'air de Mandolinata avec
accompagnement indigène de tams-tams et de flûtes de
bambou.
Je restai trois semaines à Boukit^Oantang, fort occupé à
explorer la petite vallée comprise entre deux éperons de la
chaîne principale. Après avoir poussé mes recherches jus«
1. Kampong, viUage malais.
soc. DE GÉOGR. — 3* TRIMESTRB 1885. VI. — 28
410 VOYAGE AU PAYS DE L'ÉTAIN.
qu'au delà de Tchangkat-Tabacow et de Soungi-Botchat, je
revins à Tbaîpeng» et le surlendemain^ 10 novembre, je
repartis pour la vallée de Kourow au nord-est.
Cette petite plaine est formée par un contrefort qui se
détacbe de la chaîne, à la bauteur de Thaîpeng et se dirige
vers leinord sur une longueur d'environ 16 kilomètres. La lar-
geur moyenne de la vallée est de 8 kilomètres. Elle est sil-
lonnée par un grand nombre de petits cours d'eau qui tous vien-
nent affluer à la rivière principale, Soungi- Kourow, d'où la
vallée tire son nom; cette rivière prend sa source au nord du
massif de Bircb's Hill et va se jeter dans le détroit à 15 kilo-
mètres environ au-dessous de la frontière nord de Perak.
La formation géologique du contrefort ne diffère de celle
des montagnes voisines que par une plus grande proportion
de mica dans les roches granitoldes. A mi*c6te de Gounong-
Blakan-Parang on rencontre^ un lambeau de grès verts
(arkoses) d'une petite étendue et ne dépassant pas la crête
des collines.
Comme je me proposais de séjourner quelque temps à
Kourow, j'établis mon quartier général au kampongDagang,
le plus central et le plus considérable des villages de la
vallée. C'était là aussi qu'habitait le Pengoulou du district,
titre qui correspond à chef de circonscription. Les Pengou-
lous sont des fonctionnaires indigènes soumis à l'autorité
britannique et chargés de la police de leur district, de la
perception des impôts, etc.; ils sont généralement choisis
dans les familles influentes du pays. Le Pengoulou de Kou-
row est une femme, Wan-té-Spia, dont la famille, d'ori-
gine siamoise, a émigré à Perak lors de )a soumission du
pays à la domination de Siam en 1818. Ayant reçu du rési-
dent un avis officiel de ma visité, elle m'avait fait construire
une petite hutte en bambou voisine de la sienne. Je crus
tout d'abord à une attention délicate et aimable de sa part,
if Voir coupe, fig. 2^
VOYAGE AU PAYS DE l'ÉTAIN. 411
mais je fus bien bien vite détrompé; elle ne m'avait mis à
part qu'afin que ma cuisine de chrétien ne souillât point sa
propre demeure. Le soir de mon arrivée, je fus tenu éveillé,
malgré ma fatigue, par des prières, des incantations et une
forte odeur debenjqin. J'appris le lendemain que le grand-
prôtre de l'endroit avait offert un sacrifice et récité des
litanies afin de chasser les mauvais esprits, les c an tous 3»
que j'avais apportés dans mes bagages ou que ma présence
devait fatalement attirer dans la localité.
Je consacrai ma première journée à Teconnaltre le pays et
poussai une pointe au sud vers un pic que j'apercevais se
dressant seul au fond de la plaine.
Le terrain était tellement détrempé par les pluies, tombées
depuis quelques jours, que je ne pus y parvenir qu'en mar-
chant dans le lit même de la rivière avec de l'eau jusqu'à
la ceinture. Ce pic, appelé Gounong*Kourow par les na-
turels, est un gigantesque rocher calcaire identique à celui
de la passe de Gapis, Gounong-Pondoq, dont j'ai parlé plus
haut. Ainsi que ce dernier, il est complètement isolé dans
le cirque de montagnes qui l'entoure, et nulle part, dans les
nombreux sondages que j'exécutai plus tard, je n'ai pu dé-
couvrir, sous les alluvions, la moindre trace d'une formation
semblable. Sa hauteur, que je mesurai au moyen d'une base
et de l'angle d'élévation^ me donna 300 mètres environ par
le calcul trigonométrique. Je mesurai de la même façon,
évidemment approximative, quelques-unes des montagnes
qui m'entouraient.
Pendant les jours suivants, tout en procédant à mes tra-
vaux de sondage, je fis un relevé topographique de la vallée
qui ne figurait encore dans aucune des cartes anglaises. Je
le fis au moyen d'une base de 500 mètres que je traçai, avec
autant de précision que possible, dans l'axe même de la
vallée, près du kampong Dagang, où les rizières qui entou-
rent le village m'offraient un terrain assez plat et découvert.
;re pris mes observations ^u moyen d'une petite boussole à
412 VOYAGE AU PAYS DE L'ÉTAIN.
alidades portant un cercle gradué de 6 centimètres de dia-
mètre *. A titre de vérification, je fis une seconde série d'ob-
servations sur une nouvelle base perpendiculaire à la
première.
Je ne pus faire ce travail que dans des conditions déplo-
rables, à cause de la saison avancée des pluies. Presque
toute la plaine était sous Teau et j'étais souvent bloqué
dans ma hutte pendant plusieurs jours consécutifs. Cette
saison pluvieuse commence en général à Perak vers le
milieu de septembre 0t finit en février, les deux mois les
plus humides étant novembre et décembre. Il est pourtant
difficile d'établir une ligne de démarcation bien exacte entre
les deux saisons, car leur durée varie chaque année. On
pourrait s'attendre, étant donnée la situation géographique
de Perak, à ce que la saison humide correspondît à la mous-
son de sud-ouest qui souffle de mai en septembre, chassant
les vapeurs de l'océan Indien sur la côte occidentale de la
péninsule malaise, ainsi que cela se produit pour Sumatra
par exemple. Or c'est précisément le contraire qui a lieu ici,
quoique nous ne soyons séparés de Sumatra que par un
canal relativement étroit. Cette diÉTérence, curieuse à pre-
mière vue, dans les phénomènes atmosphériques, est dae,
je pense, à la configuratioi^ du sol. Si Ton jette les yeux
sur les cartes de Sumatra et de la presqu'île de Malacca, or
voit que ces deux contrées sont parcourues, dans toute leur
longueur, par de longues chaîne^ montagneuses et assez
1. Je recommande beaucoup ce genre de boussole à mes coUègues en
missions. Le fond de l'instrument porte un demi*cercle gradué sur lequel
se meut un petit pendule fort utile pour mesurer les hauteurs des mon-
tagnes dont on ne peut s'approcher ou dont on n*a pas le loisir de faire
Tascension. La boussole, très peu encombrante, se visse sur une gaine à
genou que Ton fixe au bout d'un bâton. Le modèle que j'ai donné i
M. Molténi, le constructeur d'instruments de précision bien connu à la
Société de Géographie, porte en outre un rapporteur métallique qui s'adapte
à la boussole et est très commode pour relever rapidement sur le papier;
■il est d'ailleurs identique au rapporteur qui accompagne l'instroment
appelé « boussole belge », si usité dans les travaux de mines.
VOYAGE AU PAYS DE L'ÉTAIN. 413
élevées qui constituent une espèce de barrière ou plutôt
d*obstacleàlalibre circulation des vapeurs atmosphériques.
Gelles-ci, chassées de septembre en mars, par les vents de
nord*est, viennent s'accumuler sur les crêtes des massifs
qui semblent les retenir et les condenser; elles retombent
alors en pluie sur le versant opposé, ainsi que dans le
détroit. C'est le cas pour le régime humide actuel à Perak.
Les nuages dégonflés, purgés, passent alors au-dessus de
Sumatra sans s'y déverser et c'est en effet, pour la grande
tle, l'époque de la saison sèche. Le contraire a lieu pendant
la mousson du sud-ouest. Les nuages se brisent sur les
hautes montagnes de Sumatra, les plaines et le détroit, et
nous avons alors ici la période sans pluies. Mais nous
voyons que dans les deux cas il doit toujours pleuvoir
dans le détroit de Malacca et c'est précisément ce qui
arrive. Tous ceux qui l'ont* parcouru savent que, quelle
que soit l'époque de l'année, on y reçoit toujours des
averses. Comme conséquence, je ne serais pas surpris,
et c'est un point à éclaircir, que la saison pluvieuse de la
côte occidentale de la presqu'île correspondît à une saison
sèche pour la côte orientale, du côté de Pahang.
Quoi qu'il en soit, il pleuvait beaucoup à Kourow^ et la
difficulté des communications causa dans ma case une
grande pénurie de vivres. Mon amie, Wan-té-Spia, refusa
de me vendre, même à sa valeur triple, le moindre poulet,
seule ressource de l'endroit. Cependant un jour, ayant
fait tuer un buffle énorme à l'occasion de quelque fête
religieuse, elle m'en envoya une tranche minuscule; mais
lorsque j'allai la remercier^ pensant que c'était là un effet
de sa reconnaissance pour les nombreux cadeaux que je lui
avais faits, elle me répondit que je faisais erreur et que
j'avais à lui payer 1 koupang (0 fr. 50 de notre monnaie),
1. Les observations météorologiques officielles du gouvernement de
Perak accusent pour la hauteur d*eau tombée dans l'année une moyenne
d'environ 3™,75.
414 VOYAGE ÂV PAYS DE L'ÉTAIN.
pour le petit morceau de viande coriace que, malgré de
grands efforts, je ne parvins pas à entamer. En désespoir
de cause, je pris le parti de revenir m'approvisionner 4
Thaïpengy et changeant mon premier itinéraire, j'abordai
le massif qui borde la vallée au sud. Arrivé à la petite sta-
tion de repos qui se trouve au haut de la montée, j'obliquai
à gauche et, suivant les crêtes de « Maxwells' hiil », je fis
une pointe au € Jardin du gouvernement ]», sorte de plan-
tation modèle où le résident fait des essais de culture et
tâche d'acclimater des thés et des quinquinas, qui d'ailleurs
réussissent admirablement.
Enfin je redescendis la montagne et arrivai le 23 no-
vembre à Thaïpeng.
J'en repartis le lendemain, avec deux éléphants que
M. Lo^ avait fort gracieusement misa ma disposition, et qui
me furent bien utiles, non seulement au point de vue per-
sonnel des provisions mais surtout pour le transport ultérieur
de mes appareils de sondage.
Je retournai à Kourow, mais laissant cette fois de côté la
paillette inhospitalière de Wan-té-Spia, j'allai camper au
milieu de la vallée, au kampong Tchangkat-Prab, près des
montagnes. Je fis de là de nombreuses excursions et
achevai de relever les différents petits cours d'eau; mais
la pluie continuant toujours, je me décidai le 3 décembre
à quitter la vallée pour explorer de nouvelles régions.
Changeant encore d'itinéraire, je traversai la plaine dans
sa largeur. J'arrivai à Soungi-^Kourow vers neuf heures du
matin;. les pluies avaient grossi la rivière dont les eaux
montaient à vue d'œil. Je pus néanmoins passer avec de
l'eau jusqu'au cou, puis continuai vers les montagnes sans
m'arrôter au kampong S.-Kourow. A midi, je Ûs halte
attendant les éléphants qui portaient mes vivres. Attente
inutile; de guerre lasse je repris ma route, m'engageant
dans les montagnes avec l'espoir de gagner quelque village.
Malheureusement mon guide se perdit, l'obscurité survint et
VOYAGE AU PATS DE l'ÉTAIN. 415
force nous fut de passer la nuit au pied d'un arbre avec quel-
ques feuilles de palmiste pour tout abri. Quoique trempés jus-
qu'aux os et l'estomac vide, nous passâmes une bonne nuit.
Le lendemain matin nous retrouvâmes le sentier et à
dix heures, nous arrivâmes à un village, à moitié morts de
faim. Nous n'avions rien mangé depuis la veille six heures du
matin, soit depuis vingt-trois heures; mais c'est là l'un des
moindres inconvénients de la vie du voyageur. Les gens de
l'endroit me reçurent comme reçoivent les Malais, avec une
froide réserve, et me refusèrent toute espèce d'aliments. In-
digné, je jetai un dollar à l'un d'eux, et abattis d'un coup de
fusil l'un des nombreux poulets qui couraient sous la maison.
C'est là leur façon de recevoir les étrangers ; pour eux,
l'hospitalité consiste à ne pas vous assassiner. Il est juste
de dire aussi que leurs ressources sont bien minimes.
Indolents par nature, paresseux au delà de toute expres-
sion, les Malais de Perak ne travaillent que lorsqu'ils ne
peuvent faire autrement. Ce sont les femmes qui font la
besogne, qui soignent la maison et les champs. Us ont un
pays splendide, le sol le plus fertile qui soit au monde, où
croissent les plus beaux arbres fruitiers ; mais ils ne songent
que rarement à en planter dans leurs kampongs. Sauf
quelques cocotiers et quelques misérables bananiers, on ne
trouve rien dans l'intérieur du pays. Ce n'est que près des
localités habitées par des Européens, qu'ils permettent à
quelques arbres de croître, afin d'en vendre le produit.
C'est sans doute à la grande fertilité du terrain qu'est due
cette extrême indolence. Se contentant de peu sous leur ciel
admirable, n'ayant que des besoins restreints, ils trouvent
inutile de travailler, et c'est peut-être là la vraie sagesse !
Pour être juste, il faut aussi reconnaître leurs qua-
lités. Ils sont doux, excessivement polis, très « gentlemen »
de forme et de langage; ne montrant jamais leurs impres-
sions, tout en ayant un caractère fort gai, mais une gaieté
tranquille et de bon aloL
446 VOYAGE AU PAYS DE L'ÉTAIN.
Gomme tous les gens enfermés dans un cercle étroit, ils
vivent d'intrigues, sont au courant des événements les plus
insignifiants qui se passent d'un bout à l'autre du pays et
se passionnent volontiers pour les questions politiques.
Fins, rusés, polis et jamais pressés, ils ont toutes les qua-
lités de bons diplomates. Ces qualités sont précieuses pour
ceux quilesgouvernentetquisaventen tirer parti. En somme,
pour bien les juger, il faut se placer à deux points de vue.
ai Ton a besoin d'eux pour un travail manuel quelconque,
ils se dérobent complètement; si, au contraire, on ne leur
demande que de simples relations individuelles qui leur
permettent de mettre en œuvre leurs aptitudes ^rticu-
lières, on les trouve très empressés et sympathiques; de
là les deux opinions si diiférenies qu'on entend souvent
émettre sur le compte des Malais de la presqu'île.
Aprèsnous être restaurés, nous quittâmes ce kampong peu
généreux et continuâmes notre route versThaîpeng. Mesélé-
phants n'arrivèrent que le lendemain et j'eus alors l'expli-
cation de leur retard; ils avaient été arrêtés par l'inondation
subite de la rivière Kourow. Quant au guide maladroit qui
m'avait égaré dans la montagne, je lui pardonnai de grand
cœur; trois jours après, le malheureux fut trouvé couché
dans un sentier, avec un kriss planté dans le dos. C'est le
seul crime dont j'aie entendu parler pendant tout mon
séjour à Perak et c'étaient des Chinois qui l'avaient commis.
Je passai la plus grande partie du temps à faire de nou-
velles excursions dans * le voisinage de Thaîpeng, ainsi
qu'une seconde visite à Kwala-Kangsa. Pendant ce dernier
séjour à la résidence, j'eus l'honneur d'être présenté à
M. Cecil-C* Smith, qui remplit à Singapore les hautes fonc-
tions de secrétaire colonial du gouvernement des (c Straits
Settlements ». Ce fut pour moi une véritable bonne fortune
de faire la connaissance de ce fonctionnaire distingué et de
nouer des relations auxquelles a succédé depuis une amitié
dont j'apprécie toute la valeur. .
VOtAGE AU PAYS DE L'ÉTAIN. ^417
Quelque temps après, M. Low me proposa de faire une
excursion sur la côte, dans le district de Soungi-Tingi,
réputé très, riche pour ses dépôts stannifëres. Je repartis
donc le 30 décembre, ayant cette fois un aimable et char-
mant compagnon de voyage, M. Brooke Low, le fils du
résident et résident lui-même dans les États du rajah de
Sarawak à Bornéo.
Nous nous embarquâmes à Teiok-Kartang; mais notre
embarcation, un simple praho malais, étant incapable
de tenir la mer, nous nous engageâmes dans le premier
arroyo que nous trouvâmes à Tembouchure, dans la
passe de Larout. Après une courte halte à l'entrée de ]a
rivière Trong, nous arrivâmes le soir même à Passir-Itam,
petit village de pécheurs malais et chinois. Le lendemain,
1" janvier, nous trouva dans le Slat-Jaroum-Mass.
Toute celte région n'est qu'un réseau marécageux de
nombreux canaux que la marée haute envahit chaque jour.
Elle n'est habitée que par des pêcheurs qui établissent en
mer, parfois assez loin, leurs immenses pièges à poissons,
ou par des bûcherons chinois qui exploitent de vastes
coupes de bois dans les îlots et sur la côte même. Ces bois
sont les mangliers {BqkaOy en malais), si répandus sur
tout le littoral malais.
A dix heures, nous quittâmes la passe, nous engageant
dans la rivière Tingi que nous suivîmes pendant, deux
heures jusqu'à un arroyo^ Trouss-Nior, qui nouis conduisit
à Soungi-Nior et au Kampong Jaroum-Mass. Nous passâmes
trois jours dans ce district, visitant les environs et poussant
une pointe jusqu'au pied deTchangkat-Semamis,oùlapetite
rivière Soungi-Semambou prend sa source. Après avoir
relevé ce cours d'eau, ainsi que le groupe montagneux de
Gounong-Jaroum-Mass, nous partîmes pour le kampong
Tingi.
Notre praho étant très incommode pour des opérations
topographiques, à cause du toit en paillote qui empêche
418 VOYAGE At PAYS DE L'ÉTAIN.
de faire des visées en arrière, je louai un sagoTy petite
pirogue très plate, taillée dans un tronc d'arbre, et au
moyen d'un fil tendu de bout en bout, je fixai ma boussole
aussi exactement que possible dans Taxe du canot.
J'avais eu auparavant le soin de fabriquer un petit pied
en bois à l'extrémité duquel j'avais adapté une vis ordi-
naire qu'il m'était facile d'introduire dans le fond même de
la pirogue. A chaque tournant, je plaçais le bateau dans
l'axe de la rivière et prenais la direction. Quant aux dis-
tances, j'étais forcément obligé de les évaluer à vue de
nez.
11 est beaucoup plus difficile qu'on ne le croit tout d'abord
d'estimer ainsi les distances, et ce n'est qu'après une longue
pratique qu'on peut arriver à une certaine approxima-
tion. Cette évaluation varie en effet à chaque instant, sui-
vant que la rivière est plus ou moins large, que la végéta-
tion est plus ou moins dense ou que la lumière est plus
ou moins vive. Dans une plaine ouverte l'estimation est tout
autre que sur une rivière étroite et bordée de hautes futaies
qui l'assombrissent. J'en ai souvent fait l'expérience; aussi
avais-je pris l'habitude de m'exercer continuellement dans
des différents paysages et de contrôler ces observations
d'essai par une mesure effective à la roulette.
On n'arrive évidemment, par ce procédé, qu'à une ap-
proximation très relative, mais cependant suffisante pour
des relevés rapides. Ces résultats doivent donc être plutôt
considérés comme des notes que comme des données
exactes. Du reste, chaque fois que cela m'était possible, c'est-
à-dire quand je revenais par le même chemin, je contrô-
lais mes premiers chifi'res par une seconde série d'observa-
tions. Je prenais en môme temps les azimuts de points remar-
quables, tels que ceux de pics connus dans les montagnes,
ou d'ilôts visés en mer et dont je pouvais avoir la position
sur les cartes marines. A ce sujet je me permettrai de faire
remarquer, entre parenthèses» que les cartes marines an-
VOYAGE AU PAYS DE l'ÉTAIN. 419
glaises de la côte de Perak laissent beaucoup à désirer sous
le rapport de Texactitude.
C'est par le procédé que je viens d'indiquer que je relevai
Soungi-Tingi, ainsi que le petit massif montagneux qui se
trouve à Test et que nous visitâmes pendant notre séjour
dans la région. A notre retour près de l'embouchure de
Tingi, je remontai la rivière Jaroum-Mass et Trouss-Nior,
afin d'avoir un relèvement qui me donna un polygone fermé
d'environ 6 kilomètres de longueur totale. En le transcri-
vant sur papier, je trouvai une erreur de 250 mètres entre
les deux extrémités, soit 4 p. 100 environ pour tout le par-
cours. Il est vrai que d'autres erreurs avaient pu se com-
penser.
Le 6 janvier, nous étions de retour à Kwala-Kangsa et
nous en repartions le 13, pour une excursion au nord-est,
dans le pays habité par les fameux orangs outane, les
Sakayes de Kerbow. Nous passâmes la première nuit au
Kampong Chigar-Gala, au point oti Soungi Perak fait un
coude. Le lendemain nous arrivâmes à la rivière Pluss *,
large de 150 mètres environ à son embouchure. Je com-
mençai aussitôt, d'après la méthode que j'ai déjà décrite,
le relevé de ce cours d'eau qui ne figurait encore sur aucune
des cartes du pays.
Au milieu de la journée nous' nous arrêtâmes quelques
instants pour visiter Kampong-Limo, et passâmes la nuit,
un peu plus haut, au Kampong Maoh. Le lendemain matin,
avant de partir, je calculai, par le procédé ordinaire, la
quantité d'eau qui passait dans la ïivière. Je trouvai un
débit de 2040 mètres cubes par miniïte.
Le soir nous arrivâmes au kampong Lasah, le plus im-
portant de la région. Nous fûmes reçus par le Datou-Imam,
chef religieux du district, et par To-Pankou-Mouda, c pen-
goulou )) de l'endroit,
1. Voir la carte des rivières Pluss et Kerbow.
4S0 V0YA6E AV PAYS DE l'ÉTÀIN.
Ces deux personnages paraissaient peu disposés à nous
laisser continuer et semblaient fort ennuyés de notre désir
de visiter les Sakayes, les« hommes des bois», auxquels ils
font souvent une chasse acharnée et qu'ils traitent abso-
lument en esclaves après les avoir capturés. Ils nous firent
une foule d'objections qui n'eurent d'autre effet que d'af-
fermir notre résolution. Nos prahos étant trop lourds
pour remonter les nombreux rapides qui encombrent la
rivière au-dessus de Lasah, nous demandâmes des embar-
cations légères, qu'on nous promit du reste.
Mais le lendemain matin, rien n'était prêt et les deux
chefs avaient disparu. Nous employâmes les grands moyens
et allâmes nous emparer tout simplement de quelques
pirogues que nous découvrîmes, couchées au sec sous
les maisons du village. Nous avions heureusement conservé
nos propres bateliers, ceux qui nous avaient amenés de
Kwala-Kangsa. Au moment du départ, le Pengoulou et
rimam, qui s'étaient probablement cachés chez eux, firent
leur apparition et nous voyant prêts à partir, se décidèrent
à nous accompagner et môme à nous servir de pilotes.
Le voyage se fit très lentement, à cause des rapides, et nos
hommes furent souvent obligés de se mettre à l'eau et de
nous hisser contre le courant en sautant de rocher en
rocher* Dans Faprès-midi, nous arrivâmes cependant à
l'entrée de Soungi^Kerbow où une ondée épouvantable nous
força à nous arrêter encore.
Jusque-là le passage qui borde les deux rives est assez plat
ou du moins paraît tel, car une végétation très dense re-
couvre tout le pays et empêche de voir à plus de 100 mètres
devant soi. Ge n'est qu'un peu plus haut que le terrain
devient plus accidenté, mais on rencontre alors des rapides
impossibles à franchir en canot.
Laissant derrière nous la rivière Pluss qui va prendre sa
source dans la région du Gounong-Rayam, située dans la
troisième chaîne de montagnes, nous nous engageâmes dans
VOYAGE AU PAYS DE l'ÉTAIN. 421
Soungi-Rerbow. Un peu aprës^i nous aperçûmes un radeau
de bambou descendant au âl de Teau et monté par quatre
Sakayes. Ils venaient au kampong Lasah porter au Pen-
goulou des produitsde la forêt; maisce]ui-ci leur ayant intimé
l'ordre de rebrousser cbemin, ils sautèrent aussitôt à terre
et disparurent dans les bois.
Nous arrivâmes vers le soir à une petite colline^ Gounong-
Koumounin, où nous nous arrêtâmes pour passer la nuit
sous des abris improvisés à la bâte. Le lendemain, notre
marche fut encore pins lente que la veille. La rivière était
obstruée par des troncs d'arbres tombés en travers, par des
ilôts et des rochers entre lesquels le courant devenait par-
fois assez violent et me gênait singulièrement dans mes
opérations topographiques. Par instants nous apercevions
des huttes de Sakayes, des stations de pêche, mais sans
aucun habitant. Enfin le soir, assez tard, nous atteignîmes
Kampong-Langkor, en plein pays sakaye. To-Pankou-Mouda
nous annonça que tout près se trouvait un campement
à^orangs-outane.
En effet, le lendemain matin, après une course d'une
demi-heure dans la forêt, nous arrivâmes à une clairière
défrichée au milieu de laquelle s'élevait une douzaine de
huttes en écorce d'arbre. Nous étions au kampong Tcbà-
bang, chez les fameux € hommes des bois >. Leur chef
€ Bah-Itang » vint nous recevoir à la tête d'une vingtaine
d'individus des deux sexes, tous, sauf quelques femmes,
vêtus du slampety longue bande d'écorce d'arbre fort
douce qui fait le tour de la taille après avoir passé entre
les jambes et constitue un costume suffisamment discret.
Quelques-uns des hommes étaient remarquables par leur
chevelure, sorte de bonnet à poil naturel formé par de petites
touffes se tenant droites sur la tête. D'autres avaient les che-
veux plus ou moins laineux, frisés, ondulés ou même lisses,
indiquant pour chacun un degré de métissage plus ou
moins prononcé. Chez certains d'entre eux, malgré un type
422 VOYAGE AU PAYS DE L'ÉTAIN.
négrito très accentué, la taille était un peu plus élevée; dif-
férence qui provient sans doute d'un croisement avec la
nce malaise plusv grande, et qu'un illustre profess^eur,
M. de QuatrefageSy a expliquée par la juxtaposition dçs
caractères.
Malgré leur air un peu sauvage, ils n'en avaient pas
moins une physionomie fort douce, agréable même et cer-
tainement plus sympathique que celle de leurs voisins les
Malais. Leur intelligence ne paraît nullement bornée et
pourtant ils ne peuvent compter au delà de trois. C'est là
plutôt un manque d'éducation qu'autre chose, car les
Sakayes djina, c'esi-h-dive domestiqués, apprivoisés, ap-
prennent très rapidement à compter au delà en se servant
alors des numérale^ malaises.
Les hommes portaient une longue sarbacane et un car-
quois renfermant de petites flèches empoisonnées avec le
suc de Vupa {antiaris toxicaria) et qu'ils lancent avec une
adresse merveilleuse;. outre la sarbacane, ils portent par-
fois des lances dont la pointe est faite d'un éclat de bambou
effilé. Leurs armes, et du reste tous leurs ustensiles, sont
entièrement en bois, car ceux qui n'ont pas fréquenté les
Malais ignorent l'usage des métaux pour lesquels leur
langue ne possède aucun mot.
Le dialecte qu'ils parlent est absolument distinct du
malais et varie même, ,me dit-on, d'une tribu à l'autre.
Dans un vocabulaire, que mon ami Low et moi avons pris
ensemble, nous n'avons trouvé que fort peu de mots com-
muns aux deux langues, et encore n'exprimaient-ils que des
objets ou des choses inconnues aux < orangs outane >
avant leur fréquentation des Malaise
Dans l'après-midi, les fjBmmes de la tribu vinrent seules
nous faire une visite et recevoir les présents que nous leur
avions promis, parmi lesquels elles apprécièrent surtout un
1. Pour plus amples détails, voir ^69 $akat/e^ d^e Perak {Bevm d*eth-'
fiographiej juillet-août 18^,
VOYAGE AU PAYS DR L'ÉTAIN. 423
affreux tabac en carotte qu'elles se mirent aussitôt à mâcher.
Un peu plus tard arrivèrent d'autres individus d'une
tribu voisine, et pour nous prouver leur contentement, ils
nous donnèrent dans' la soirée un concert à leur façon, où
les instruments étaient de simples bambous qu'ils frap-
paient l'un contre l'autre, produisant un son sourd en har-
monie parfaite avec un chant plaintif qui ne manquait pas
d'une certaine grandeur.
Les chefs malais nous dirent que les Sakayes que nous
avions devant nous étaient relativement civilisés, mais que
dans les montagnes de l'intérieur habitaient des aborigènes
complètement sauvages et dont il était difficile d'approcher,
à cause de leur timidité excessive. Cette timidité est d'ail-
leurs justifiée par les cruautés dont les Malais se rendent
coupables à leur égard. Cet état de chose est prêt de finir,
car le 'gouvernement du protectorat s'est justement ému
de faits odieux qui se produisaient trop fréquemment, et
quand ces lignes paraîtront, l'esclavage légal aura cessé
d*exister dans l'État de Perak.
J'employai ma journée du lendemain à relever Soungi-
Kerbow aussi loin que possible, mais le peu de profondeur
de l'eau ne me permit pas d'aller au delà des deux collines
Terkam çt Changong, entre lesquelles passe la rivière. Celle-
ci devient du reste un ruisseau insignifiant jusqu'au Gou-
nong Pari où elle prend sa source.
Étant pressés, mon compagnon et moi, derevenir à Kwala-
Kangsa d'où nous avions projeté une excursion dans le
sud, nous dûmes à regret quitter ces braves Sakayes et
revenir sur nos pas. Nous redescendîmes la rivière avec une
grande rapidité, faisant en cipq heures un trajet qui nous
avait pris deux longs jours, en remontant le courant.
Au kampong Lasah, je fis une petite pointe dans l'in-
térieur, relevant quelques petits cours d'eau, ainsi que les
positions des Gounong-Niaman, Kincha et Tehel, qui se
détachent, en cpntrefort, de la chatne principal^f.
424 YOTAGE AU PATS DE L'ÊTAIlf.
m
Le 90 janvier, j!étais de retoor à Thaipeng. Le lendenuin
arrivait, en visite à la résidence, le gonverneor des c
Seltiemenls >, Sir Frederick Weld, sons la hante
tion duquel se trouve d*aiileurs l'État de Perak. Son Excel-*
lence voulut bien, avec la largeur d*idées qui caractérise les
hauts fonctionnaires des colonies anglaises, me renouveler
les encouragements précieux que j'avais déjè reçus du rési-
dent et m'assurer de son haut appui dans les études et les
recherches que je poursuivais.
Deux jours après, M. de Saint^-Pol Lias revenait de
Sumatra. Nous n'eûmes guère que quelques heures à passer
ensemble, car le soir même il partit pour Kwala-Kangsa
où il désirait voir le gouverneur et l'accompagner dans une
partie de chasse an kampong Lasah oue je venais de visiter
sur la rivière Plnss.
Quelques instants après lui, je partis à mon tour pour
aller explorer le district de Kinta dans le Bas-Perak. Cette
fois encore je devais voyager dans l'aimable société de
M. Brooke Low.
Comme nous devions d'abord nous rendre à Dourian-Se-
batang par mer, le résident avait eu l'extrême obligeance de
mettre son yacht à vapeur à notre disposition. Partis de
Telok-Kartang, à onze heures du soir, nous arrivâmes à
huit heures du matin à Ponlo-Pangkor, où nous déposâmes
un courrier officiel, continuant ensuite vers l'embouchure
de Soungi-Perak. Mais à peine avions-nous dépassé la
pointe sud de Tîle, qu'un accident survint à notre machine.
La tîge du piston se rompit; il nous était impossible
de continuer, et, chose plus ennuyeuse encore, une brise
assez fraîche nous poussait rapidement sur la côte. Nous
mimes nos embarcations à la mer, et à coups de sifBet,
appelâmes à notre secours des canots indigènes, qui par-
vinrent à nous remorquer jusqu'au point que nous venions
de quitter, dans l'excellente petite anse qui est le port de
Pangkor.
VOYAGE AU PAYS DE l'ÉTAIN. 425
Nous descendîmes à terre et fûmes très heureux de trou-
ver là un fonctionnaire anglais, M. Bruce, qui nous offrit
l'hospitalité la plus gracieuse.
Il était impossible de réparer notre avarie sur place^
mais notre accident était heureusement arrivé sur un point
de la côte assez fréquenté, et le lendemain nous pûmes
faire des signaux à un vapeur qui passait assez près. Le ca-
pitaine voulut bien se charger de porter Tobjet brisé à
Pinang et nous promit de nous le renvoyer par la plus pro-
chaine occasion.
En attendant, nous nous installâmes chez notre aimable
hôte auquel notre accident semblait causer une joie e)(trôme.
Parqué dans son île, ne voyant des Européens que rare-
ment, il était tout heureux de cet envoi providentiel de
deux visages blancs.
Ce fonctionnaire administre les possessions anglaises de
Dinding, qui tout en étant placées sous la direction immé-
diate du résident de Kwala-Kangsa, n'en sont pas moins
absolument indépendantes de TÉtat de Perak. Lorsque, en
1874-75, l'Angleterre se chargea de mettre un peu d'ordre
dans les affaires du sultan de Perak et de chasser les pirates
qui infestaient ces parages, elle eut soin de se faire céder,
en récompense de ses services, l'île de Pangkor ainsi qu'une
bande de terre située vis-à-vis sur la côte. Le but de cette
annexion était de s'emparer du splendide port naturel formé
par l'embouchure de la rivière Dinding et merveilleusement
protégé par Poulo-Pangkor. Le gouvernement des « Straits
Settlements » espérait créer là un point d'attache où les
vaisseaux du plus fort tonnage trouveraient un abri sûr et qui
deviendrait ultérieurement le port de commerce du détroit
au lieu et place de Pinang dont les approches sont mau-
vaises et dont la passe sud est impraticable aux navires d'un
grand tirant d'eau. Rien n'a encore été fait pour ce projet
dont la réalisation est du reste subordonnée au développe-
ment que prendra plus tard la région centrale de Perak
S0€. DE GÉOGR. ~ 3^ TRIMESTRE 1885. VI. — 29
v^
436 V0TA6E AU PATS DE l'ATAIN.
En atteDdànt le retour de la pièce de notre machiae, nous
employâmes le temps à faire quelques excursions sur la
terre ferme et à visiter l'île. Dans cette dernière, on voit
encore les ruines d'un petit fort que les Hollandais élevèrent
vers 1660, à Tépoque oîi ils étaient maîtres de Malacca.Ge
fort n'avait point été construit à un point de vue stratégique ;
c'était simplement un comptoir où les commerçants se
livraient à des échanges avec les indigènes, tout en proté-
geant leurs biens et leur personne contre les pirates qui
écumaient les mers des Indes.
L'île de Pangkor, par elle-même, ne produit rien, sauf
des bois de construction ou de chauffage. Les naturels
assurent qu'on y trouve de l'or ; mais, malgré des lavages
répétés, je n'ai pu en découvrir de traces appréciables. Notre
hôte, étant un grand chasseur, nous donna des renseigne-
ments sur la faune du pays qui est remarquable par la
grande quantité de sangliers et surtout de pythons mons-
trueux. Ces derniers n'hésitent pas, parait-il , à passer le
détroit à la nage et pullulent à tel point dans l'île, qu'il
est impossible d'y conserver un seul chien. Les abords sont
en outre infestés de crocodiles.
Le 9 février, après un séjour d'une semaine chez le très
hospitalier M. Bruce, un navire nous rapporta notre pièce
de machine et nous pûmes continuer notre voyage. Le
même jour, vers midi, nous arrivâmes à l'immense embou-
chure de Soungi-Perak, et quatre heures plus tard, à Dou-
rian-Sebatang, chef-lieu du Bas-Perak et situé à 75 kilO'
mètres environ de la côte. Jusqu'à ce point, la rivière est
navigable pour les bâtiments calant 12 pieds d'eau; ceux
qui tirent davantage sont arrêtés par la barre de sable qui
obstrue l'embouchure.
Dourian-Sebatang n'est qu'un centre provisoire et la ville
sera bientôt transférée un peu plus bas où des constructions
sont déjà commencées. Ce nouveau port, nommé Telok-
Anson en l'honneur du général commandant la ville de
VOYAGE kV PAYS DE L*ÉTAIN. 427
Pinangy aura une profondeur beaucoup plus considérable,
et sera d'un accès plus facile à tous les points de vue.
M. Paul, surintendant du Bas-Perak, nous fît le meilleur
accueil et mit le plus grand empressement à nous procurer
des embarcations pour notre voyage de l'intérieur.
Nous partîmes le lendemain de bonne heure, profitant
de la marée montante qui, en deux heures, nous amena à
Bandar-Barou, petite île formée par le delta de Soungi-
Kinta.
Tout le pays est fort plat entre la rivière et la mer;
aussi le flux se fait-il sentir jusqu'à près de 100 kilo-
mètres dans les terres. A ce point le beau fleuve de Perak
atteint une largeur de un kilomètre d'une rive à l'autre.
C'est à Bandar-Barou qu'habitait l'infortuné résident,
M. Birch, dont j'ai parlé plus haut et qui fut assassiné à
Passir-Sala, à quelque distance en amont.
Abandonnant la rivière Perak, nous nous engageâmes
dans Soungi-Kinta qui est, avec la rivière Pluss, l'affluent le
plus important de la grande artère du pays. Nous mîmes
trois jours pour remonter jusqu'à Kotà-Barou, à l'entrée du
Soungi Tedja oîi réside M. W.-C. Leech, l'adminisirateur
du district^ qui nous reçut de la façon la plus aimable.
Le lendemain nous repartîmes à dos d'éléphants, avec
M. Leech lui-môme, pour Gopeng, point central de la ré-
gion et en même temps le plus important par ses mines
d'étain qui occupent environ 800 mineurs. De Gopeng nous
allâmes à Pengkalan-Barou sur la rivière Raya, et de là
rejoignîmes Soungi-Kinta à Pengkalan-Pegou à 150 kilo-
mètres de la côte. Avant de continuer sur Papan, nous
visitâmes la vallée de Lahat formée par les derniers con-
treforts de la chaîne de Sengan. C'est l'un des points les
plus riches en étain de toute la vallée de Kinta, mais il fut
abandonné lorsque les Anglais détruisirent, en 1876, le
village de Pengkalan-Pegou, qui était alors la capitale du
sultan Ismaêl, aujourd'hui interné à Johore. Papan est l'un
428 VOYAGE AU PAYS DE l'ÉTAIN.
des centres les plus peuplés de Kinta et les mines d'étainy
sont fort profondes. Les alluvions y atteignent jusqu'à
17 niètres de profcmdeur et, en certains points, sont exploi-
tées dans toute leur épaisseur. Nous revînmes à Batou-Gadja
prendre des canots indigènes et, le 16 février, nous étions
de retour à Kota-Barou.
J'étais malade et pressé d'achever mon voyage. Je re-
partis donc, après un jour de repos, pour Suoudong, près
de la rivière Kampar, à l'ouest de Gounong-Boujang-Malacca.
Le même soir, nous couchâmes à Missigit-Batou, un peu
plus au nord, au pied de deux pics calcaires fort pittores-
ques, Gounong Nipari et Gadja, qui dressent à 700 mètres
de hauteur leurs muis verticaux. Je fus surpris d'y trouver
un village d'une certaine importance, mais absolument
abandonné de ses habitants, à l'exception de deux indi-
gènes qui semblaient être là uniquement pour le garder.
J'appris que cet abandon, qui n'était que momentané, ren-
trait dans le système agricole des Malais. Je disais plus
haut que l'ombre perpétuelle qui règne dans les forêts de
la Malaisie empêchait les grandes herbes de pousser. Les
Malais en font leur profit ; ils viennent s*établir en pleine
jungle, pratiquent une clairière et brûlent les arbres dont
les sels basiques contribuent à enrichir le sol. Un kam-
pong s'élève; des cocotiers, qui, entre parenthèses, ne
poussent pas à l'état sauvage, sont plantés ainsi que des
bananiers, et des rizières sont créées. Après deux années
de récoltes consécutives, les herbes poussant au grand
soleil, ont envahi les plantations; mais, trop paresseux pour
les arracher et préférant laisser à la nature le soin de les
détruire, les habitants abandonnent le village et vont en
établir un autre un peu plus loin. Au bout de cinq ans, la
jungle a repoussé et a tué les herbes; les Malais reviennent
alors et, s'installant de nouveau, recommencent leurs cul-
tures.
Le système est simple et leur réussit, parait-il; il explique
VOYAGE AU PAYS DE l'ÉTAIN. 429
la présence des villages abandonnés qu'on rencontre en
si grand nombre dans le pays.
AMissigit-BatouJ'eus l'occasion devoir encore quelques
échantillons de la race aborigène, les Sakayes, habitant la
montagne voisine. Les femmes avaient un costume différent
de celui de leurs congénères de Kerbow. Au lieu du « slam-
pet)), elles portaient, fixée autour de la taille, une ceinture
de petits paquets d'herbe gros comme des bottes de radis
et qui ressemblait plutôt à un appareil de sauvetage qu'à
un vêlement féminin. Ces braves gens se livraient, paraît-il,
à quelques cultures pour le compte des chefs malais du
voisinage.
Le lendemain, nous partîmes de bonne heure, con-
tournant à Test le magnifique massif de Boujang-Malacca
(1330 mètres d'altitude) et, après un long et pénible
•voyage à travers une forêt vierge où nos éléphants étaient
obligés de tailler eux-mêmes le sentier, nous arrivâmes
au kampong-Naga-Barou, sur la rivière Chanderiong. Ce
district est encore très riche en étain, et les indigènes font
de grands bénéfices en lavant tout simplement le sable de
la rivière.
Le 20 février, nous arrivâmes à Tapa, sur Soungi-Batang-
Padang. Le lendemain je visitai quelques exploitations
chinoises, à 3 kilomètres de là, au pied de la colline Che-
mor. C'est le seul endroit de Perak où Ton trouve un peu
d'or mélangé au minerai d'étain.
Nous restâmes un jour à Tapa, et louant des canots,
redescendîmes la rivière jusqu'à Dourian-Sebatang. Le yacht
du résident nous v attendait, et le 23 février nous étions de
retour à Thaïpeng.
J'aurais voulu continuer mes explorations et visiter les
districts de l'extrême nord de Perak si intéressants à plus
d'un point de vue, mais ma santé laissait trop à désirer.
Du reste ma tâche était terminée et je me décidai à rentrer
eti Europe. Le 9 mars, je pris congé de mes amis et de tous
430 VOYAGE AU PAYS DE L'ÉTAIN.
ceux qui m'avaient donné de si nombreuses preuves de
sympathie pendant les sept mois que je venais de passer à
Perak.
15 septembre 1883.
Ces lignes étaient primitivement destinées au Bulletin
du troisième trimestre 1883, dans lequel ont paru d'ailleurs
les cartes auxquelles le lecteur est renvoyé.
L'auteur a fait depuis deux autres voyages à Perak, le
dernier séjour ayant duré près de deux années. La relation
qui précède est donc devenue de l'histoire ancienne, surtout
si Ton considère les progrès surprenants que le pays a faits
depuis trois ans.
Le « Port Weld » dont il est parlé plus haut, est aujour-
d'hui presque achevé ; le chemin de fer qui le relie à Thaï-
peng a été inauguré l'été dernier. La ville actuelle, qui
n'était autrefois qu'un amas confus de paillottes informes,
présente maintenant l'aspect d'un véritable centre civilisé,
avec de larges rues bien alignées bordées d'arbres et debelles
maisons en briques. De nombreuses routes rayonnant en
tous sens dans le pays, facilitent l'accès de régions qui au-
trefois étaient à peine abordables à dos d'éléphant.
Le premier efiet de l'établissement de ces voies de com-
munication a porté sur l'industrie minière, qui a reçu une
impulsion nouvelle; ainsi la production d'étain métallique
qui était de 7149 tonnes en 1882, s'est élevée l'année der-
nière (1884) au chiffre de 10 272 tonnes.
Jusqu'à présent la principale source des revenus de
l'État à été dans les droits d'exportation prélevés sur les
étains. C'est en somme la population minière qui alimente
les caisses du royaume, car, faute de bras, l'agriculture est
restée à l'état rudimentaire. Or, l'exploitation des mines ne
peut être considérée comme un travail de colonisation pro-
VOYAGE AU PAYS DE L'ÉTAIN. 431
prement dite ; elle est même nuisible aux intérêts agricoles,
car les districts miniers une fois épuisés, les mineurs se reti-
rent laissant, derrière eux de vastes espaces bouleversés et
stérilisés, qui, pendant longtemps, sont impropres à toute
culture. Les véritables colons sont ceux qui exploitent les
produits du sol. Dans la presqu'île, la seule main-d'œuvre
possible et à bon marché ne peut être fournie que par des
coolies indiens. Malheureusement les lois en vigueur aux
Indes anglaises interdisaient d'une façon absolue toute
émigration de Tarails à destination de la péninsule ma*
laise.
Le gouvernement des « Straits Settlements » s'est ému
d'une situation aussi défavorable; après de longues négo-
ciations, il est parvenu à faire rapporter ces règlements
déplorables et à donner pleine satisfaction aux planteurs.
C'est peut-être l'acte le plus important du gouvernement
depuis l'établissement du protectorat. Il aura l'eifet le
plus heureux sur le pays; une ère nouvelle va s'ouvrir, et
désormais, non seulement l'État de Perak, mais encore lès
autres États protégés de la péninsule vont prendre, dans le
monde agricole, la place à laquelle ils ont droit.
Aux points de vue géographique et scientifique, le gou-
vernement local n'est pas resté inactif. Un progrès très con-
sidérable s'est produit dans les services topographiques qui
comprennent aujourd'hui trois classes de a Survey » :
1° Le service géodésique de l'État ;
2° L'exploration du pays avec relèvements rapides ;
S"" Le service topographique des domaines.
£n vu^ des premières opérations, une base de 5 milles a
déjà été tracée dans la plaine de Larout pendant que des
stations permanentes étaient installées sur les montagnes
principales, telles que : Boukit-Larout, Gounong-Boubou
(5450 pieds d'altitude), Gounong-Hijau, etc. Le méridien de
chaque poste a été déterminé au moyen d'observations
astronomiques et rattaché à celui de Plnang.
432 VOYAGE AU PAYS DE l'ÉTAIN.
Bes officiers de la marine royale ont procédé en pulre au
relèvement d'une partie de la côte.
Sous le rapport scientifique, un musée a été créé à Thaï-
peng et renferme déjà de nombreuses et intéressantes
collections d*histoire naturelle, ainsi que des produits da
pays. Un botaniste de grand talent est occupé depuis plus
d'une année à l'étude de la flore de la corftrée. Des stations
météorologiques ont été établies dans tons les districts et à
des altitudes difi^érentes afin de bien fixer les conditions de
chaque région au point de vue agricole. En somme, rien
n'a été négligé par le gouvernement pour assurer et hâter
la connaissance complète du pays.
Au point de vue politique, l'événement le plus considé-
rable qui se soit récemment passé est l'établissement d'un
poste officiel à Jeram*Pandjang, sur la rivière Perak, à plus
de 50 milles au nord de Kwala-Kangsa. Dans cette région, la
frontière de Perak est encore indéterminée. Des pourparlers
ont été entamés avec le gouvernement de Siam, qui invoque
sa souveraineté sur le district de Raman, dans l'État de
Patani, mais, en attendant... le poste anglais est déjà installé
et le résultat des négociations est facile à prévoir.
Facile à prévoir aussi le résultat des relations amicales
qui depuis peu sont activement entretenues avec le Banda-
hara de Pahang sur la côte orientale de la presqu'île.
Il suffit de comparer les anciennes et les nouvelles cartes
de cette partie de la Malaisie pour voir que l'influence de
l'Angleterre gagne sans cesse du terrain. Elle monte, et le
jour n'est pas éloigné où la domination britannique s'étendra
d'une façon définitive sur la péninsule entière, depuis le cap
Romania jusqu'au territoire de Tenasserim.
(Note de Vauteur.)
1" octobre 1885.
CHIRIQUI
BOCAS DEL TORO — VALLE MIRANDA
PAR
A. li. PIIVART^
La région de. l'état du Panaraa dont je vais avoir Thon-
neur de vous entretenir est malheureusement peu visitée
aujourd'hui. Bien qu'ayant été un des premiers points du
continent américain découvert par l'immortel Colomb, le
peu de salubrité de ses côtes, la grande difficulté de pénétrer
dans ses forêts firent que, malgré les tentatives des pre-
miers explorateurs, le pays est resté jusqu'à nos jours
presque inconnu ; je parle spécialement ici des pays avoîsi-
nant la lagune de Ghiriqui et connus sous la dénomination
de Comarca ou territoire de Bocas del Toro situé au
nord de la grande Cordillère et qui se trouve encore, à
rbeure présente, entièrement' aux mains des Indiens et des
populations d'origiuQ africaine. Plusieurs tentatives furent
faites à l'époque de la conquête du Costa Rica par Yazquez
de Goronado et ses successeurs pour pénétrer dans Tinté-
rieur du pays, mais toujours sans succès. Une colonie du
nom de Castillo de Austria avait même été fondée sur le rio
Krikamaula, mais elle ne put se maintenir. Le pays resta
donc livré à lui même et aux Indiens Valientes ouGuaymies
presque jusqu'au commencement du présent siècle, quand
des nègres provenant des Iles de la Providence et de San-
Ândres vinrent s'établir sur les îles du Drago, de Bastiment(9s
1. Communication adressée à la Société dans sa séance du 20 fé-
vrier 1885.
434 GHIRIQUI.
ainsi que sur d'autres points de la grande lagune de Chi-
riqui.
Le 2 novembre 1883 me trouvait à Bocas del Toro, petite
ville de 500 habitants située sur une pointe sablonneuse de
rUe du Drago ou de Colon. Les maisons toutes en bois
s'étendent le long d'une rue tortueuse, abritée par d'im*
menses bouquets de cocotiers ; les habitants presque exclu-
sivement de race africaine font un commerce assez étendu
de cocos, d'écaillé de tortue et de salsepareille. Le port de
Bocas del Toro, formé par les îles du Drago, Baslimentos et
la petite caye de Grinning Key, peut recevoir les bâtiments
du plus gros tonnage et deviendra très important le jour
oh l'émigration se fera dans la lagune. La plupart des îles
qui forment la lagune de Ghiriqui et la baie de l'Âlmirante
sont basses, couvertes de forêts et présentent un sol madré-
porique et sablonneux où l'eau potable fait souvent défaut ;
sur l'île de Bastimentos ou Old bank où existe un grand
village, on cultive cependant en abondance les patates,
ignames, etc., d'où lui vient son nom de Bastimentos ou tle
de la Provision. Je ne m'étendrai pas beaucoup à décrire ces
différentes îles ou même les côtes de la lagune de Ghiri-
qui, malgré l'intérêt qu'elles peuvent avoir au point de vue
commercial. En effet, sur les rivières qui viennent se jeter
dans la lagune, il y a place pour de grandes plantations
de cacao, de caoutchouc, etc. ; sur plusieurs points, on a
découvert des traces de charbons de terre comme à Poop
island, à West river, et à peu de distance du Gap Valiente.
Ayant parcouru les îles et les côtes de la lagune, je me rendis
à rtle connue sous le nom de l'Escudo de Veraguas. Gettè île
ou plutôt le groupe d'îlots ainsi nommé, est situé à il milles
de la côte et entouré dé récifs qui en rendent les abords fort
dangereux. Ge sont une multitude d'îlots séparés par des
canaux étroits, tous d'une hauteur uniforme et couverts de
forêts impénétrables. L'eau ne s'y rencontre que sur un
point â l'ouest; les habitants des îles de la lagune se
CHIRIQUI. 435
rendent quelquefois à TEscudo pour y faire la pêche à la
tortue de Gavey qui y abonde. L'intérêt que j'avais à visiter
cette Ile était de m'assurer des gisements de phosphate
de chaux que l'on m'y avait indiqués et que j'y ai en effet
examinés. Cet examen terminé, je revins à Bocas del
Toro et en repartis avec une nouvelle escouade de nègres
pour Tembouchure du Krikamaula. C'est là que commence
ritinéraire que je vais vous décrire un peu plus minu*
tieusement.
Ayant fait prévenir à Tayance le traitant de Gobrante,
celui-ci vint me chercher à Fembouchure avec ses embarca-
tions et ses Indiens. La rivière ici est large et coule entre
deux haies impénétrables de verdure; le terrain est bas et
marécageux; aussi les plantes les plus variées s'oifrent-elles
à notre vue. Nous remontons lentement la rivière toute
une journée avant d'arriver à Gobrante, le premier poste
de traite sur la Krikamaula ; le pays est extrêmement mo-
notone, plat et marécageux, l'horizon ne s'étendant que
jusqu'aux rives du fleuve. De Gobrante, qui se trouve à la
limite du terrain bas et au pied de la première mesa ou
plateau, nous ne pouvons plus avancer qu'à pied ; là rivière
que nous avons remontée malgré ses rapides, devient im-
possible à la navigation. A Gobrante, nous rencontrons aussi
les premières habitations des Indiens Valientes; de la ter-
rasse, sur laquelle est élevée la maison où je passe la nuit, la
vue s'étend sur une immense étendue de forêt à nos pieds et
sur le massif imposant de la Cordillère. Après avoir séjourné
deux jours en cet endroit, je dus profiter de deux Indiens qui
retournaient à Jocuatabiti pour continuer ma route. Ceux
de Gobrante en efTet ne se décidèrent pas à m'accompagner.
A partir de Gobrante les difficultés du voyage augmentent ;
nous suivons la rivière qui devient torrentueuse et dans le
lit de laquelle nous sommes souvent obligés de passer. Nous
montons maintenant visiblement. La première journée, où
nous franchissons environ 15 milles^ le baromètre accuse
436 CHIRIQUI.
125 mètres de bailleur ; cette journée a élé dure, la pluie
n'ayant pns cessé de tomber durant tout le temps que nous
fûmes en marche. Le jour suivant, nous nous mimes en
route à la première'Jbeure ; les sentiers de montagne que
nons franchissons sont tout ce qu'il y a de plus exé-
crable; pour éviter un très long détour que fait la rivière,
GHIRIQUI. 437
nous devons passer une crête de 800 mètres, Taito de la
Gulebra. Du point le plus élevé de Tallo de Culebra la vue
s'étend sur un océan de verdure ; seuls serpentant au
milieu de la plaine, le Krikamaula ou Nokri (à partir de
Gobrante la rivière prend ce nom) et son affluent le Modoti :
derrière nous, la montagne s^élève majestueuse comme une
barrière infranchissable entre les deux océans. Peu après
avoir passé cette crête, nous redescendons dans ce qui
est à proprement parler le Yalle Miranda jet arrivons . à
Jocuatabiti : la distance franchie dans cette dernière journée
est de 12 milles. Le Yalle Miranda, en raison des .difficultés
très grandes d'y parvenir, n'ayant jamais été décrit, je pren-
drai la liberté de m'y arrêter quelque temps : c'est là, en
effet, que se sont retirées la plus grande quantité des
populations indiennes de fainille Guaymie qui, à l'époque
de la découverte, habitaient l'État actuel de Panama et qui
finirent, en raison de guerres continuelles avec les Epagnols,
par se retirer dans cette vallée presque inaccessible. Â
Jocuatabiti, vit un vieux Ghiricano métissé qui m'accueillit
avec beaucoup d'afi*abilité et grâce à lui j'ai pu me procurer
des renseignements fort intéressants sur les Guaymies, leurs
mœurs et leur langue. Le Yalle Miranda proprement dit est
formé des vallées du Nokri et du Muoi qui se réunissent
à Jocuatabiti ; la hauteur de la vallée sur ce point est de
400 mètres; par l'ouverture qu'elle s'est faite à travers l'alto
de la Gulebra la rivière se précipite vers la lagune avec une
série de cascades et de rapides. Les Indiens considèrent
cette région comme leur territoire et ne permettent à aucun
blanc ou nègre d'y résider ni même d'y transiter.
Maintenant, si vous me permettez, je donnerai briève-
ment les résultats principaux de mes investigations sur ces
Indiens.
Les Indiens Guaymies sont aujourd'hui au nombre d'envi-
ron 4000 dont plus de 3000 vivant dans le Yalle Miranda, les
autres dispersés sur la côte nord de l'État de Panama dans
438 CHiRiQm.
les montagnes du Veraguas et du Minerai ainsi que dans les
hautes savanes du département de Ghiriqui. Ils se divisent
en trois familles distinctes parlant trois dialectes fort diffé-
rents l'un de l'autre : V Les Muoi dont il ne reste que trois
individus ; 2* les Moves ou Valientes connus aussi sous le
nom de Norteflos ; 3^ les Murire-Buktietas ou Sabaneros.
Le terme générique sous lequel on désigne ces Indiens
Guaymidy signifie, homme, Tindien^ en dialecte Muoû
Les Guaymies sont en général petits de stature, mais d'une
constitution robuste avec une tendance à la corpulence ; la
couleur de la peau varie d'un brun jaune au brun très
foncé : quelques-uns deviennent même très noirs après un
long séjour sur les côtes. Les cheveux sont noirs, durs et
lisses ; la tête grosse en proportion du corps, longue et ovale,
la face particulièrement plate et large entre les arcades zygo-
matiques : le nez est proéminent, souvent épais à la base ; les
yeux d'un rouge brun foncé, la bouche grande et les lèvres
fortes : peu ou pas de barbe. Très indolent, même paresseux,
lé Guaymie, quand la nécessité se présente ou que l'appât
du gain le meut, entreprend à pied des voyages dans la mon-
tagne, sous forêts ou à la côte, marchant nuit et jour, man-
geant à peine, franchissant en peu de temps des distances
incroyables. Il porte facilement, soutenus sur son dos par
un filet et une courroie passée sur le front, des poids
énormes dans ces chemins exécrables de la fbrêt vierge où
il est obligé de sauter comme les chèvres de racine en
racine pour ne pas s'enfoncer dans le sol mobile et boueux :
son agilité est surprenante. Le Guaymie croit, ainsi que la
grande quantité des Indiens américains, à la religion des
esprits et à l'animisme. La peur est la base de sa religion :
un Indien entend-il un bruit insolite sous forêt, une tem-^
pête a-t-elle renversé sa misérable hutte, son canot a-t-il
été brisé dans un rapide, il voit dans tout cela l'agissement
d'un mauvais esprit. Il croit alors qu'à l'aide d'offrandes, il
pourra se le rendre favorable : s'il peut appeler le magi**
GHIRIOUI. 439
cien ou sukia, il le fait et paie une forte somme pQur que
celui*ci le débarrasse du mauTais sort jelé contre lui par
Tesprit : s'il se trouve seul, il jettera dans Taau ou à l'en-
droit dont il a peur une des choses qu'il prise le plus, du
tabac, du cacao, etc., espérant par là détourner le mauvais
sentimei^t de l'esprit. Nous trouvons aussi chez le Guaymie
des traces manifestes du système totémique, chaque tribu,
chaque famille, chaque individu ayant son animal tuté-
laire.
Uy a chez ces Indiens différentes espèces cle fêtes, mais
je ne m'étendrai ici que sur deux des principales. La plus
importante est celle de la balza. Celte fête a lieu géné-
ralement au commencement de la saison sèche et les
invités s'y rendent en foule. Quand une famille ou un vil-
lage a décidé de donner une balzeria et que l'époque en a
été fixée, on expédie des messagers prévenir les maisons
éloignées. Ces messagers portent des lianes auxquelles on a
fait autant de nœuds qu'il y a de jours 'à courir avant le
commencement de la fête; on invite tout le monde, hommes
et femmes, jeunes ou vieux. Suivant les distances à parcou-
rir, Ton se met en route afin d'arriver au lieu du rendez-vous
deux jours avant ; chacun apporte les provisions nécessaires,
car les organisateurs ne fournissent guère que la chicha.
Durant le trajet, les invités soufflent de temps en temps dans
de grosses conques dont le son doit faire connaître leur
passage. L'endroit choisi pour la circonstance est généra-
lement une savane près d'une rivière* Le jour désiré «irrive
enfin : tout le monde est debout dès la première heure et
se rend à la rivière pour s'y baigner. Le bain terminé, l'on se
peint tout le corps d'une couleur unie, bleue ou rouge, la
face seule décorée de figures très compliquées d'hommes,
d'animaux ou d'arabesques telles que nous les rencontrons
sur les vases tirés des Guacas. Les femmes sont les artistes
•
Le travail prend un certain temps et le soleil est déjà haut
vers le zénith avant que l'invité soit prêt : il se passe
440 CHIRIQUI.
autour des reins et entre les jambesun morceau d'étoffe faite
d'écorce d'arbre battue {numi), puis ji se coiffe d'une peau
d'animal dont la queue el les jambes flottent sur son dos.
Les animaux employés le plus communément sont le tigre,
le fourmilier. Tours à miel, etc.* Si la peau est trop grande,
on n'emploie que là tête à laquelle se trouvent, pendues
la queue et les pattes. Chacun se rend alors sur le lieu
désigné : des groupes se forment en silence. Peu à peu le
tambour et les chants se font entendre et l'on commence
à boire la chicha : durant ce temps, les femmes qui, elles
aussi, se sont peintes pour la circonstance, rejoignent les
groupes et tout en buvant modérément, soutiennent le chant
ou parlent entre elles en groupes animés. Au bout de deux
ou trois heures, la chicha a produit son effet : l'un après
l'autre se lève, après avoir jeté un défi à l'une des personnes
du même groupe ; \1 est convenu que les personnes âgées
doivent donner le signal. Le groupe suit alors les danseurs et
bientôt toute la savane est couverte de groupes, les femmes
se joignant à celui où se trouvent leurs maris. Les deux
danseurs sont maintenant en présence à environ vingt-cinq
pas l'un de l'autre. Celui qui a jeté le défi tient dans la main
droite un bâton léger et spongieux fait en bois de balza
(bois trompette des Antilles françaises) ; ce bâton a environ
deux mètres de longueur, formant boule à Une extrémité et
diminuant graduellement en grosseur vers la poignée. Tout
en faisant mouvoir son corps, le danseur imprime à ce
bâton un mouvement de va-et-vient et de rotation, puis le
lance de toute sa forcé visant les jambes de son adversaire
de manière à le faire tomber. Durant ce temps celui-ci
danse en remuant les jambes avec une agilité surprenante
afin d'esquiver le coup ; s'il est touché et qu'il tombe, le
vainqueur proclame alors son triomphe en répétant vive-
ment Kaca, Ctty ca etc., (il est tombé) de toute la force de
ses poumons et, gesticulant furieusement, il se précipite afin
de reprendre son bâton et le public applaudit par un cer-
GHIRIQUI. 441
tain grognement riant aux dépens de celui qui s'est laissé
toucher. Si au contraire l'adversaire a esquivé le coup, alors
les rôles changent et celui qui tout à l'heure dansait pour
éviter ie coup prend le bâton : quand l'un ou l'autre se
trouve trop fatigué ou blessé, il se retire. Alors quelqu'un
dans la foule s'avance et reprend immédiatement la danse,
ie bâton de balza n'étant jamais en repos tant que dure la
chicha. Il y a environ un bâton pour douze danseurs. La
fête dure ainsi avec alternatives de danses et de libations
jusqu'à ce que la chicha soit épuisée. A la suite de la fête
beaucoup des Indiens se trouvent blessés grièvement, mais
ceux qui peuvent résister le plus longtemps sont considérés
comme les plus braves. Il arrive souvent que cette fête se
termine par une véritable orgie dans laquelle s'engagent des
rixes personnelles oîi nombre de pauvres diables restent sur
le carreau. La fête terminée, l'ivresse passée, chacun reprend
le chemin de son habitation. Les Guaymies aiment passion-
nément la balza et quelques-uns d'entre eux deviennent
extrêmement experts dans l'art de jeter le bâton et de mou-
voir les jambes afin d'esquiver les coups. Ils apprennent ce
jeu dès leur plus tendre enfance et il m'est arrivé de voir
s'y exercer de jeunes enfants de deux ou trois ans.
Leurs instruments de musique se bornent à un tronc
d'arbre qui a été creusé et sur l'une des extrémités duquel
l'on a tendu une peau, une petite flûte d'os à trois trous et
la conque marine.
Les chants sont lents et monotones, divisés en couplets se
terminant par un refrain que répète en chœur toute l'assis-
tance. Ces chants sont composés dans un dialecte particulier
que comprennent seuls les Sulcias, les chefs et personnages
importants. Ce dialecte est le kugeré pour les chants ordi-
naires et le Xaketare pour les chants particuliers aux Sukias.
L'on croit généralement que ces dialectes sont des formes
archaïques de la langue vulgaire; je suis au contraire porté
à croire qu'ils sont tout simplement formés de mots de la
SOG. DE «ÉOGR. — 3* TRIMESTRE 1885. Tl. — 30
442 CHIHIQUI.
langue vulgaire auxquels on donne une signification nou-
yelle, souvent, dénaturée ou conventionnelle. Quelquefois
inème on a recours à des périphrases que les initiés seuls
peuvent comprendre.
Une autre cérémonie sur laquelle les Indiens conservent le
plus grand mystère, YUrote^ à lieu à des époques fixées par
les Sukias. Ils réunissent dans le plus grand secret les jeunes
gens arrivés à Tâge de puberté étales conduisent dans un
endroit retiré de la forêt où ils n'ont, pendant le temps
que durent les cérémonies, aucune communication avec le
dehors. Le chef de TUrote, ou Oungun et ses aides ne se
montrent aux jeunes gens que peints et la figure recouverte
de grands masques en bois entourés de feuillage : leur per-
sonne est sacrée. Ils enseignent aux jeunes gens les tradi-
tions, les chants anciens de leur race et ceux qui sontàTàge
de passer dans Tordre des guerriers subissent certaines
épreuves très pénibles. Celui qui peut en supporter les
souffrances est admis dans Tordre : ceux au contraire qui
laissent échapper la moindre plainte sont considérés comme
indignes et réputés poltrons. La cérémonie terminée, cha-
eun rentre chez soi durant la nuit et aucune question ne
peut être faite sur Temploi du temps.
Les Guaymies vivent ainsi que les autres tribus de TÉtat
de Panama dans des maisons séparées, éparses, soit sur une
même rivière, soit sur une même savane, chaque groupe re-
connaissant un chef héréditaire. A Theure qu'il est^ tous les
Guaymies du Yalle Miranda, par suite de l'influence étran-
gère, ont reconnu comme grand chef ou roi un nommé
Gibicu, homme fort intelligent qui s'efforce d'amener une
entente définitive entre ses administrés et les étrangers.
Dans les montagnes du Yeraguas, au contraire, les Muites
obéissent à un autre chef nommé Suvala prétendant des-
cendre de Montezuma, qui cherche à isoler ses Indiens dans
les points les plus inaccessibles de la Cordillère.
Les maisons des Guaymies sont bâties près d'une rivière
GHIRIQUI. 443
OU d'une source sur une petite esplanade dominant les
environs immédiats : les côtés sont en bambous ou roseaux
blancs, le toit en feuilles de palmier de montagne, les
extrémités arrondies, l'entrée à l'une des extrémités. L'in-
térieur est divisé en petits compartiments par des cloisons
en bambous, chaque membre de la famille occupant une
division spéciale; celle du fond, opposée à l'entrée, appar-
tient de droit au chef de famille. Peu ou point de mobilier,
si ce n'est quelques hamacs grossiers et des blocs de bois
pour sièges; chaque division a son foyer spécial, bien qu'au
centre, il en existe un plus grand qui sert aux usages
communs de la famille. Gomme objets de cuisine, des pots
en fer d'origine européenne, une pierre plate, espèce de
metate servant à broyer le cacao et le maïs, des calebasses
en guise de plats et de tasses, des gourdes pour conserver
l'eau : ajoutez à cela un mortier creusé dans un tronc
d'arbre, avec un pilon servant à décortiquer le riz et cer-
taines graines. Attachés par des cordes aux poutrelles du
toit, des filets et des claies en bambous ou l'on conserve les
provisions, les vêtements et les objets précieux : quelques-
arcs, des flûtes, des lances ou bien un vieux fusil avec sa
poire à poudre et un sac à plomb : ajoutez-y une quantité
de chiens aux longs poils et vous aurez une idée de Tinté-
rieur d'une de ces maisons.
Leurs armes consistent^ comme nous venons de le voir,
en arcs, flèches, et lances avec pointes en bois durci ; ils
emploient encore pour la pêche des lances à plusieurs
pointes avec lesquelles ils sont très experts ; un ou plu-
sieurs fusils, et le machete inévitable. Ils avaient autrefois
comme arme défensive un petit bouclier rond en peau de
tapir qui aujourd'hui a entièrement disparu. Les Bukuetas
ou Sabaneros connaissaient l'usage de la bodoquera ou sar-
bacane, mais je n'ai pu savoir si cette arme redoutable avait
jamais été en usage parmi les Yalientes.
Leur costume était des plus primitifs. Us se peignaient le
444 CHIBIQUI.
corps; rhomme portait une simple bande d'étoffe d'écorce
d'arbre (nufiit) passée autoor des reins, la femme une bande
pins large, lui descendant jusqu'aux genoux; en temps de
pluie, hommes et femmes portaient un grand manteau
d'écorce d'arbre, sans manches, descendant jusqu'au des-
sous des genoux. Gomme ornement des colliers et des brace-
lets en dents d'animaux ou en verroteries. Dans les grandes
cérémonies les chefs avaient un diadème composé des plumes
les plus éclatantes : ceiies du guetzal sont les plus estimées.
A l'heure qu'il est, la plupart des Guaymies ont pris le
costume des gens du pays. On prétend que ces Indiens,
à l'instar de ceux de la Talamanca, fabriquaient des tissus
de coton; je ne puis l'affirmer, mais il est positif qu'à
côté de toute maison indienne, le cotonnier pousse en
liberté.
La femme sur le point d'accoucher était bukuru {tabu) ;
elle se rendait à Tayance dans une hutte disposée sous forêt
à cet effet et où personne, si ce n'est une vieille femme dé*
signée pour ce service, ne pouvait rapprocher. Aussitôt l'ac-
couchement fait, elle se rendait à la rivière pour se baigner
et y baigner Tenfanl; puis elle retournait à la maison com-
mune où elle ne pouvait entrer qu'après avoir été purifiée
par le Sukia qui soufflait sur elle quelques bouffées de fumée
de tabac.
L'enfant mâle recevait quelquefois un nom deux ou trois
mois après sa naissance, mais le nom définitif ne lui était
généralement appliqué qu'après la cérémonie de l'Urote.
Quant à l'enfant du sexe faible, il n'était connu que sous le
nom de fille d'un tel, jusqu'aux premières apparences de
puberté. A ce moment on donnait une grande fête et c'était
la plupart du temps à la suite de cette fête que la jeune fille
semaria.it. Le mariage n'amenait aucune cérémonie spéciale,
mais le mari' était obligé de payer aux parents de la jeune
fille une certaine somme suivant ses moyens. La femme
est bien traitée chez les Guaymies et l'adultère y est rare;
GHIRIQUI. 445
la polygamie existe sans être cependant tr'ès commune.
Aussitôt qu'une personne est gravement malade, on fak
venir le Sukia ; si celui-ci, après examen du sujet, répond
qu'il n'y a plus d'espoir, les proches parents du moribond
le transportent dans la forêt et suspendent son hamae sous
un petit hangar disposé à cet etfet; on l'abandonne alors à
lui-même en déposant à côté de lui une gourde pleine d'eau
et quelques plantains. Dès ce moment personne ne peut
l'approcher : il est hukuru. Quand on suppose qu'il est mort,
le Sukia est chargé de constater le décès; immédiatement
on étend le corps sur des feuilles de latanier qu'on replie
par-dessus et qu'on ligotte alors fortement, puis on trans-
porte ce corps au loin dans la forêt, et là on le dépose
sur un échafaudage. Je n'ai pu savoir d'une manière exacte
ce que devient ensuite ce dépôt : tout me porté à croire ce-
pendant qu'au bout d'une année, une personne dont c'est
l'office spécial se rend auprès du cadavre, nettoyé les osse-
ments et en fait un petit paquet bien lié dans un morceau
d'étoffe; les ossements ainsi disposés sont alors transportés
en grande pompe à la sépulture de famille. Plusieurs per-
sonnes m'affirment que la sépulture encore employée par
les Guaymies est dans les guacas de leurs ancêtres;
d'autres, au contraire, qu'à l'instar de ce qui a lieu chez les
Bsibsis et les Cabecars de la Talamanca, l'endroit de sépul-
ture est dans une case en bois où les corps sont déposés sur
des échafaudages.
Ils pensent qu'après la mort l'Indien, ou son esprit, erre
pendant quelque temps et qu'il doit traverser maintes
rivières à courant fort rapide et nombre de forêts épaisses
oîi fourmillent les animaux malfaisants; il arrive ainsi sur
les bords d'une dernière rivière sur l'autre rive de laquelle
se trouve leur paradis, endroit où ils ont à volonté chasse
et la pêche et une continuelle abondance de fruits de toutes
espèces. Mais une fois arrivé sur celte rivière, il doit
attendre qu'un de ses parents ou amis qui Ta précédé dans
446 CHIRIQUI.
cette région Taperçoive et tai serve de pilote pour faire cette
dernière traversée.
Autrefois on déposait avec le mort tout ce qu'il possé-
dait; maintenant pourtant llndieù connaît la valeur des
objets et ne sacrifie guère que ceux qui n'ont plus de valeur^
mais il enterre avec le mort des pièces de numi représen-
tant les objets gardés qui sont alors distribués entre les
parents.
J'ai tout lieu de croire que les Guaymies sont les descen-
dants des Indiens qui construisirent les guacas par tout le
Ghiriquiy le Veraguas, l'Aziiero et le Codé. Il y a en effet
chez eux ui^e tradition qu'avant l'arrivée des Espagnols et
même durant une certaine période après cet événement, ils
fabriquaient de la poterie ; mais, en raison de la^ facilité avec
laquelle ils se procuraient des marmites et pots en fer bien
plus durables, l'art se perdit peu à peu. Ils connaissaient
aussi le trs^vail de l'or, du cuivre et leur alliage ; nous trou-
vons même encore aujourd'hui parmi les Guaymies du Yalle
Miranda, nombre d'ornements en ces différents métaux qu'ils
prétendent leur avoir été légués par leurs ancêtres et qui ne
diffèrent en rien de ceux que nous rencontrons dans les
guacas au sud de la Cordillère ; et outre cela, comme je l'ai
déjà dit plus haut, j'ai la ferme conviction que le Guaymie
dépose encore ses morts d^ns certaines guacas de ses
ancêtres.
Après un séjour assez prolongé à Jocuatabiti, séjour
durant lequel je pus me procurer des renseignements et
des vocabulaires considérables de dialectes guaymies, je
me remis de nouveau en route, cette fois pour franchir la
Cordillère et tomber dans le Chiriqui du Sud. J'eus beau-
coup de peine à me procurer des guides et porteurs et il
ne fallut rien moins que Tintervention énergique du chef
Gibicu et de mon bon ami Juan Antonio Molina pour
arriver à me les procurer. J'y réussis enfin et, au nombre
de huit, nous nous mîmes en route, remontant le Muoi
GHIRIQUI. Ul
JQsqu*à ses sources. Ce trajet nous prit trois jours de
montées et de descentes continuelles. Toute cette vallée est
habitée ; nous passions continuellement devant des maisons
indiennes avec leurs plantations de plantain et de piji-
baySf mais nous n'osions, malgré les ordres envoyés par
le chef, nous en approcher trop près; nous nous tenions
à l'écart. Le troisième joui' nous eûmes à dormir sous forêt
dans une hutte que nos gens établirent avec des feuilles de
iatanier; nous étions à une altitude de 2000 mètres. Le
brouillard et la pluie ne nous avaient pas quittés de toute la
journée. Le lendemain, dès la première aurore, nous nous
mettions en route; nous avions en effet à franchir la Cor-
dillère, par une série de pentes abruptes où nous étions sou-
vent obligés de nous accrocher aux racines pour ne pas tom-
ber. Cette dernière ascension fut peut-être le trajet le plus
pénible qu'il m'ait été donné de faire dans toute ma vie
d'excursion. Les pentes franchies, nous arrivions à une heure
de Taprès-diner, après six heures de marche incessante, au
sommet de la Cordillère, à peu près à 2500 mètres d'alti-
tude. Les pluies et le brouillard ne permettaient de rien
découvrir. Je ferai remarquer que c'est sur ce point que
la légende prétendait qu'il existait une coupure ou dépres-
sion dans la Cordillère par où Ton pourrait faire passer un
canal, et le col où nous passons est un des moins élevés, à
l'exception de ceux par où passent les routes de la Caldera au
Fish-Creek, aux pieds respectifs du Horqueta (1206 mètres)
et du volcan (lliO mètres). Nous arrivâmes ce jour-là à une
case abandonnée sur le versant méridional de la Cordil-
lère. Le jour suivant nous dûmes suivre les crêtes de la
Sierra, ayant, à chaque instant à nos côtés, des précipices de
1000 et 1200 mètres de profondeur. Peu après avoir quitté
notre campement de la nuit et avoir escaladé un morne
absolument privé de forêts, nous eûmes une vue admirable
de toute la c6te sud, qui, depuis l'île de Cebaco jusqu'à la
pointe de Burica,se déployait à nos pieds comme un magni-
448 CHIRIQUI.
fique panorama. Nous dûmes ce jour-là traTerser une de ces
immenses barrancas, celle du rio San Feliz ; nous descen-
dîmes à 1000 mètres environ, pour immédiatement re-
monter presque à pic de l'autre côté la Hondura haute de
1200 mètres, nous accrochant aux brousses et aux herbes.
Au fond de cette barranca viennent se jeter en cascades de
200 mètres d'altitude, les trois branches de la rivière qoi
se réunissent en bouillonnant dans cet entonnoir : c'est
beau et grandiose. Une fois la Hondura passée nous suivons
les hautes savanes où l'on ne rencontre même plus un
bouquet d'arbres pour se mettre à l'abri du soleil qui vous
brûle. Ces savanes sur lesquelles nous allons encore voyager
pendant deux jours, forment une des grandes richesses
du département de Ghiriqui et s'étendent depuis le ver-
sant de la Cordillère en s'avançant vers la côte jusque vers
400 mètres d'altitude en s'approchant de la côte; coupées
par d'immenses ravins, elles forment comme autant d'im-
menses pâtures où les animaux domestiques pourraient
se développer avec une extrême facilité. La soirée après
avoir franchi la Hondura, mes Indiens s'égarèrent et ce ne
fut que très tard que nous arrivâmes à l'Hato de Cacafeliz
où habitait un de mes guides, et qui est situé sur la crête
divisant les deux rivières de San Feliz et de Cedros.
A peu de distance de ce point, nous rencontrâmes, le len-
demain, un groupe de guacas et de roches avec inscriptions
(ces dernières si effacées, que je ne pus même en prendre
copie). Répandus en groupes, quelquefois seuls, ombragés
par des arbres séculaires appelés chumicoSy ces monuments
de l'ancienne population du pays existent en grand nombre
dans les savanes dont nous parlons. Un peu plus loin je
donnerai une description des types les plus communs de
ces guacas. Il me fallut encore cinq jours de voyage de
Cacafeliz pour me rendre à David : de ces cinq jours, deux
furent en savane, passant par les sources du rio Cedros,
afQuent du Fonseca, et par le Cerro Banco. C'est après
ceiRiQUi. 449
avoir passé ce dernier point que nous commençons à re-
trouver la forêt sous laquelle nous avons à marcher jus-
qu'au premier village de Sabalo, à 34 milles de Gacafeliz. Là
enfin, nous rentrions dans la région civilisée et je pus me
procurer un cheval pour le port de Caôafistola d'où je me
rendis en canot à David. Je dus laisser mes Indiens à Cana-
fistola ne pouvant les décider avenir jusqu'à David, telle-
ment la civilisation, même de ces points retirés, les effraye.
David, la capitale du département de Ghiriqui, est une
petite ville de 6000 âmes, bien située dans une plaine, riche
surtout par l'élève du bétail et la production du café des
haciendas du volcan de Ghiriqui. A une lieue de la ville,
vers le sud-ouest, existe le port du Pedegral oîi les bateaux
d'un faible tonnage viennent aborder et charger le bétail
pour Panama. Les grandes savanes qui entourent David
vers Touest et vers le volcan en font un point fort impor-
tant; il suffirait de quelques capitaux et d'une bonne admi-
nistration pour développer dans ce pays ^élevage sur une
grande échelle avec du débouché toujours facile. Le Ghiri-
cano est malheureusement, comme son compatriote de
Panama, fort indolent; se contentant de très peu il laisse
perdre tous les beaux avantages que la nature lui a donnés.
Après quelques jours de repos à David, je repartais, à
cheval cette fois, afin de visiter les cafetales ou haciendas de
café établies sur la base du magnifique et pittoresque volcan
de Ghiriqui dont le cône parfait, haut de 4000 mètres, s'est
fait voir à nous ces derniers jours dans toute sa superbe
majesté. A partir de David, le chemin que nous suivons
nous fait traverser successivement des savanes et des bou-
quets d'arbres qui séparent ces savanes les unes des autres.
Nous montons graduellement sans presque nous en aperce-
voir et arrivons dans la soirée à l'hacienda du docteur Du-
veyran, un Français qui a su se faire une position impor-
tante dans le pays; cette hacienda est située à 970 mètres
au-dessus du niveau de la mer et le café y vient magnifique-
450 GHIRIQUI.
ment. De ce point j*ea^ le plaisir de visiter les différents
cafetales des environs, tons à peu près à la même altitude
et de reconnaître que la culture du café à Chiriqui peut
non seulement se faire dans de bonnes conditions^ mais
encore être profitable.
Après quelques journées passées bien agréablement dans
ces cafetales, je me dirigeai obliquement à travers les
grandes savanes de los Potrerillos vers la Caldera. Partis
à trois heures du matin avec d'excellents chevaux, nous
ne pûmes arriver à la Caldera que vers huit heures du soir ;
nous diimes franchir le rio Caldera très profond et très
rapide où nous eûmes de très grandes difficultés. On le
passe généralement à la nage, mais ayant une excellente
monture, je crus que mon cheval pourrait me faire tra*
verser; à peine avancé au milieu, la rivière était si haute
que l'animal perdit pied et fut entraîné par le courant à une
distance de quelques centaines de mètres, mais il réussit
enfin à aborder. Les gens du pays ont une véritable terreur
de ce fleuve.
L'objet de ma visite à la Caldera était de connaître les
roches- peintes qui y existent en assez grand nombre. Outre
cela la Caldera^ et le Potrero de Yargas sont les endroits où
habitent les derniers restes des Indiens Dorasques. Le
nombre de personnes parlant le dialecte dorasque de la
Caldera ou Chumulu est de six. Ayant décrit en détail les
Indiens Ouaymies, je dirai peu de chose de ceux-ci : il
suffira de savoir que, d'après leurs traditions, ils habitaient
autrefois à la côte nord, derrière le volcan de Chiriqui,
suivant leur expression, probablement dans la'Talamanca ;
ils croyaient que les tremblements de terre si communs
dans ce pays étaient l'œuvre d'un esprit habitant le volcan
de Chiriqui ou enma et décochaient alors leurs flèches dans
cette direction afin de Tefifrayer.
Par la Caldera et le Potrero de Vargas passe un sentier
qui conduit en trois jours à Fish-Creek sur la lagune de
CHJRIQUI. 451
Ghirîqui. Si nous quittons maintenant la Caldera et que
nous> continuions notre voyage vers Bugaba, nous traver-
serons encore une série de savanes à peine interrompues
par quelques gros bouquets d'arbres ; nous passons en
route par Dolega, ancienne mission des Dor^sques, mais où
la langue a depuis longtemps disparu, puis par Boqueron,
autre village autrefois important. Un peu avant d'arriver à
Bugaba nous traversons le rio Piedras qui, lui aussi, a une
bien mauvaise réputation. Je m'arrêtai un instant à Bu-
gaba, car c'est à 2 milles de ce point que se rencontrèrent
les guacas riches en objets d'or qui rendirent à un moment
donné le Ghiriqui aussi célèbre que la Californie ; cet endroit
est connu sous le nom de Bugabita. Comme je n'ai encore
rencontré aucune description d'une guaca ou tombeau
indien de ces régions, je vais tâcher de les décrire en
quelques mots. Réunis généralement par groupes, nous
reconnaissons, leur présence aux roches plantées debout
chez les unes, de champ chez les autres, formant so^ un
cercle (et c'est le plus grand nombre), soit un carré : les
dimensions sorit absolument variables. Si après avoir choisi ^
la guaca qui parait être riche, nous creusons vers le centre.,
nous verrons que la terre a été soigneusement reniuée et
tassée. Suivant les dimensions de la guaca, à 2 mètres, à
3 mètres, à 5 mètres et davantage, nous rencontrons la
sépulture. Dans certaines guacas on a garni les parois de
la sépulture avec des dalles plates et une fois le cadavre et
les objets déposés, on refermait l0 réceptacle avec une
grosse dalle ; dans d'autres, le réceptacle était grossièrement
fait, tandis que sur les côtés on avait creusé dans la paroi des
niches parfaitement garnies de dalles dans lesquelles étaient
déposés les cadavres; chaque niche se fermait par une autre
dalle. Dans le premier cas, les ossements (j'insiste ici sur
mot d'ossements, car, non le corps, mais les os seulement
étaient déposés dans les guacas) étaient déposés sans ordre
apparent au fond du réceptacle, plus généralement vers les
452 GHIRIQUI.
parois et au centre les poteries et objets divers de terre
cuite ou de pierre ; les objets en or, en cuivre ou tumbagUy
toujours avec les. ossements. Dans le second cas, les
poteries et objets divers sont trouvés dans le réceptacle, les
ornements et les objets d'or, etc., dans les niches. On a
bien parlé de grandes guacas dans lesquelles il y avait de
véritables galeries soutenues par des pilliers sculptés et où
l'on avait trouvé de fort grandes richesses, c'est de l'exa-
gération et de la fantaisie ; il n'existe à ma connaissance
au Chiriqui et dans l'état de Panama que les deux genres de
guacas que je viens d'indiquer.
Les guacas, dans l'état de Panama, sont plus nombreux que
dans le Chiriqui, mais on les rencontre jusqu'aux euTirons
môme de la ligne de chemin de fer de Colon à Panama,
de même que l'isthme, à proprement parler, parait être la
limite des roches peintes ; la plus orientale de ces roches
que je connaisse en effet se trouvait à quelque distance du
chemin de fer de l'Obispo.
Près de Bugaba vivent encore quelques descendants
des Changuinas, ancienne tribu alliée aux Dorasques et
parlant un dialecte peu différent du leur ; je n'ai pu trouver
que trois personnes connaissant aujourd'hui la langue.
De Bugaba je revins à David en traversant les grandes
savanes de la côte. Je m'arrêtai quelque temps cependant
à Alanje, ou Rio Chico, ancienne capitale de ces régions et
ville^ importante autrefois sur le transit des caravanes qui
allaient de Panama à Guatemala; il ne reste aujourd'hui
ancun signe de son importance passée.
De retour à David, et après quelques jours de reposée me
dirigeai par mer à Panama.
Le Gérant responsable,
C. Maunoir,
Secrétaire général de la Commission centrale.
BOURLOTON. -> Imprimeries réunies,
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rochers
•fuient
fùuent'
^^»^^,
ères, 55 "i* rue Denfert-Rodieicau
A*
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ, in-l^.
l'alêne (1821 à 1833), 20 voL — (vol. 1 et 2 épuisés):
2* série (1834 i 1843j, 20 vol.
8« série (18U à 1850), U vol.
4* série (1851 à 1860), 20 vol. — (vol. 1 à 10, 15 épuisés).
5* série (1861 à 1870), 20 vol. — (vol. 1, à 6, 9, 11, 12, 1 ei 16 épuisés).
6* série (1871 à 1880), 20 vol. — (vol. 7 épuisé).
T série (1881 à 1883), 4 vol.
Ce Bulletin^ à partir de 1882, est divisé en deux parties. La première qui corn*-
prend le compte rendu des séances, les principales lettres de It correspondance
la liste des ouvrages offerts à la Société et les faits géographiques les plus impor-
tants est publiée dix jours après la séance. ,
La seconde qui renferme les mémoires, notices, rapports ou documents de
quelque étendue avec cartes, parait tous les trois mois. Prix : pour Paris, 20 francs ;
pour les départements, 22 francs; et pour l'étranger, 25 francs.
Table générale et analytique de la 1'" et de la 2* série. .1 vol. in-8*. Prix :
6 francs.
Table générale et analytique de la 3« et de la 4* série. 1 vol. in-S**. Prix :
(^ francs.
Notices, annuelles des travaux do la Société et du progrès des sciences géogra-
phiques, par les secrétaires généraux. Prix : 1 franc chaque notice.
Programme d'instructions aux navigateurs pour Vétude de la géographie physique
de la mer. Broch. in-8*. Prix : 1 franc.
Instructions générales aux voyageurs. 1 vol. in-16. Prix : 3 francs.
Compte rendu du Congrès international des sciences géographiques de 1875.
Tome I, in-8*. Prix : 20 francs. — Tome II, in-8*. Prix: 15 francs.
Guide hygiénique et médical des voyageurs dans l'Afrique inter tropicale,
par les D'« Ad. Nicolas j H. Làcaze et Signol, publié par la Société de
Géographie et la Société de médecine pratique de Paris, avec le concours des
Sociétés françaises de Géographie. Une brochure in-8* de 100 pages. Prix :
2 francs.
Liste provisoire de bibliographies géographiques spéciales, par M. Jaues Jack-
$oir, archiviste-bibliothécaire de la Société de Géographie.
Cette liste comprend 1177 articles se rapportant à la bibliographie des diverses
régions de la terre-
Un vol. in-8* de 8 et 340 pages. Prix : 12 francs.
Exploration du Sahara. Les deux missions du lieutenant-colonel Flatters, par
le lieutenant-colonel DerrécAGAix.
Un vol. in-8* de 144 pages avec carte. Prix : 3 francs.
Fleuves de ^Amérique du Sud, 1877-1879, par le D' Jules Grevaux, médecin
de la Marine française* 1 vol. in-f* de 39 cartes avec tableau d'assemblage. Une
notice biographique et une bibliographie des travaux de Grevaux accompagnent
cet atlas. Prix : 25 francs.
La confrérie musulmane de Sldi Mohammed ben AU es-Senoûsi et son domaine
géographique en Tannée 1300 de rhégireal883 de notre ère, par Henri Duvey-
AIER. Paris, 1884. Brochure in-8* de 84 pages accompagnée d'une carte. Prix : 3 fr.
Liste de positions géographiques en Afrique (continent et îles), par Henri Du-
VBYRiÊRT'PrémîèF fascicule A-C. Paris, 1884. In-f'de 140 pages. Prix : 12 fi.
EXTRAIT DU RfaLEMENT DE LA SOCIÉTÉ
Art. I. La Société est instituée pour concourir aux progrès de la géograpbie;
elle fait entreprendre des voyages dans des contrées inconnues ; elle propose et
décerne des prix; établit une correspondance avec les Sociétés savantes, les
voyageurs et les géographes; publie des relations inédites, ainsi que des ouvrages
et fait graver des cartes.
Art. IY. Les étrangers sont admis au même titre que les Français.
Art. y. Pour être admis dans la Société, il faudra être présenté par deux
membres et reçu par la Conmiission centrale.
Art. YL Chaque membre de la Société souscrit pour une contribution anbuèlle
.de 36 francs au moins par année, et donne en outre 25 francs une fois. payés, lors
de ht remise du diplôme.
EXTRAIT DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR
Art. XXXI. lia Commission centrale a la faculté de nommer, hors du territoire
français, des membres correspondants étrangers qui se seraient acquis un nom
par leurs travaux géographiques. Un diplôme peut leur être délivré.
Art. XXXll. La Société admet, sous le titre de Membres donateurs, les étran-
gers et les FVançais qui s'engagent à payer, lors de leur admission et une fois
pour toutes, une somme dont le minimum est fixé à 300 francs.
Là bibliothèque, boulevard Saint-Germain, 184, est ouverte aux membres de la
Société, de II à 4 heures, les dimanches et jours de fête exceptés.
Les envois faits à la Société doivent être adressés, francs de port à M. le Pré-
sident de la Commission centrale, boulevard Saint-Germain, 184.
S'adresser, pour les renseignements et les réclamations, à M. C. Aubry, agent de
la Société, boulevard Saint-Germain, 184.
MM. les membres de la Société de Géfigraplrie peuvent fair« exécuter à leur,
frais des tirages à part de leurs ariieles, aux conditions du tarif ci-après.
Une f '• (16 pages)
Remise en pages, glaçage,
papier, piqûre, enveloppe de
eouleur
3/4 de f »• (12 pages). . . .
1/2 f »• (8 pages)
1/4'de f»« (4 pages)
Couvertures, composition, ti-
rage, papier, glaçage
50
eimfl.
12 65
1075
7 80
440
100
15 55
12 60
960
6 30
10 »
150
eumpi.
1895
16 70
12 05
885
1180
200
ex«Bpl.
2310
20 »
1420
1010
13 »
250
euapl.
27'»
2350
1675
12 a
1515
300
exenfl.
3090
27 »
19 30
1340
1645
350
Meapt.
3480
31 »
2185
15 30
18 70
400
eieafl.
3895
34 75
2440
1695
19 75
500
ex«Bpl.
45 90
4090
29 95
2050
2315
Composition d'un titre d'entrée de 1/4 de page 2 -
Composition d'un grand titre, avec page blanche au verso 4 50
Composition de quatre pages de titres (sans annonces pour les travaux
du même auteur) 6 50
Les corrections seront comptées 1 franc Theore.
Le tirage de chaque gravure sera compté 3 francs.
BouRLOTON. — Imprimeries réunies, B.
/
La Société ne prend sous sa responsabilité
aucune des opinions émises par les adteurs des articles insérés dans son Bulletin
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
RÉDIGÉ
AVEC LE CONCOURS DE LA SECTION DE PUBLICATION
PAR
LES SECRÉTAIRES DE LA COMMISSION CENTRAI!^' ^^ ' /
/
\
SOMUAUfi
• v_^' vj L_ • L_ • ; ; \ j
K '-■-- • ''''-^
Gh. Vélain. — Esquisse géographique et ettinographique delà Guyane française,
et des bassins du Yari et du Parou, affluents de rAmazone» d'après les ei^plo-
rations du D' Grevaux ' ~ 453
Brau de Saint-Pol Lias. — Atché et Pérak (Sumatra et Malacca) 493
Vidal Senêze et Jean Noetzli. -~ Voyage dans les Républiques de l'Equateur
et du Pérou (1876-1877) 523
cartes
Gh. VÉtAiN. — Carte géologique de la Guyane française et d'une partie du bas Ama-
zone, d'après les recherches du D' Crevaux en 1878-1879. 1/6 000000».
Brau de Saint-Pol Lias. •— Rivière de Lohoag, côte occidentale d'Atché (Sumatra),
1880-1881. 1/50000S
\ vm^ '■ ■ ^■^■■■* I ■
4* TRIMESTRE 1885
V^J»
PARIS
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
184, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 184
1885
PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
RECUEIL DE VOYAGES ET DE MÉMOIRES, ia-4o.
Tome I"^ contenant les voyages de Marco Polo. 1 vol. in-4', 1824 (épuisé). Première
édition française, d'après le manuscrit le plus ancien et le plus complet conno,
suivie d'un texte latin inédit. Ce volume est composé comme suit : Avant-propos,
par M. Malte-Brun, secrétaire général de la Société de Géographie; — Introduc-
tion aux voyages de Marco Polo, par M. Roux de Rochelle; — Foya(;e de Marco
Polo, le texte français de Rusticiea de Pise, d'après le n** 10270 de la Biblio-
thèque royale; — - Peregrinatio Marci Paulin texte latin, d'après le n* 3195 de
la Bibliothèque royale; — Glossaire des mots aujourd'hui hors d'usage: —
Variantes pour les noms propres d'hommes et de lieux, d'après onze manus-
crits.
Tome II, avec 18 planches. Prix : 18 francs.
Il contient : Une Relation de Ghanat et des coutumes de ses habitants. — Des
relations inédites de la . Cyrénaïque. — Une notice sur la mesure gé^imétrique
de quelques sommités des Alpes. — Résultats des questions adressées à on
Maure de Tischit et à un nègre de WaJlet. — Réponses aux questions de la
Société sur l'Afrique septentrionale. — Un itinéraire de Gonstantinople à la
Mecque. — Une Description des ruines découvertes près de Palenqué, suivie
de Recherches sur l'ancienne population de l'Amérique. — Une notice sur la
carte générale des pachalicks de Hhaleb, Orfa et Bagdad. — Un mémoire sur
la géographie de la Perse. — Des recherches sur les antiquités des États-Unis
de l'Amérique septentrionale.
Tome III, contenant l'Orographie de l'Europe, par M. L. Bruguière, ouvrage cou-
ronné par la Société dans sa séance générale du 31 mars 1826 ; avec une carte
orographique, 12 tableaux synoptiques et trois vues et coupes des chaînes de
montagnes (épuisé).
Tome IY, avec une carte et plusieurs fac-similés. Prix : 30 francs.
Il contient : Description des merveilles d'une partie de l'Asie, par le P. Jordan de
Séverac. — Relacion.del Viage hecho à la isla de Amat, etc. (Relation d'un
Voyage à l'île d'Amat), d'après les manuscrits communiqués par M. Henri Ter-
naux. — Vocabulaires de plusieurs contrées de l'Afrique, recueillis par M. Kœnig,
avec des observations préliminaires. — Voyages .en Orient : Relation de Guil-
laume de Rubruck. — Notice sur les anciens voyages de Tartane en général,
et sur celui de Jean du Plan de Carpin en particulier; avec une carte, par
M. d'Avezac. — Relation dé la Tartarie, de Jean du Plan de Carpin ; Voyage de
Bernard et de ses compagnons en Egypte et en Terre-Sainte. — Relation des
voyages de Sœvulf à Jérusalem et en TeiTe-Sainte.
Tomes V et VI, contenant la Géographie d'Edrisi, traduite de l'arabe en français,
d'après deux manuscrits de la Bibliothèque du roi» et. accompagnée de notes»
par P. Amédée Jaubert, membre de l'Institut, etc., avec 3 cartes. Prix :
24 francs chaque volume.
Tome VII, contenant la Grammaire et le Dictionnaire de la langue berbère, en ca-
ractères arabes, composés par feu Venture de Paradis, revus par P. Amédée
Jaubert, membre de l'Institut; suivis de plusieurs itinéraires de l'Afrique sep-
tentrionale recueillis par l'auteur, et précédés d'une Notice biographique sur la
partie méridionale de l'Asie centrale, avec une carte et deux plans, par M. Nicolas
de Khanikof. — Recherches sur fyr et Palœtyr, et essais de restitution et
d'interprétation d'un passage de Scylax, avec deux cartes, par M. Poulain de
\ Prix : 24 francs.
ir l'Ethnographie de la Perse, par M. Nicolas de Khanikof. Prix : 6 francs.
ESQUISSE GÉOLOGIQUE
DE LA GUYANE FRANÇAISE
ET DES BA.SSIMS DU PAROU ET DU ÏÂRI
(Affltteiits de TAmazone)
d'après les explorations du d' chevaux
PAR
M. CH. VÉIiAlli^
Maître de conférences à la Sorbonne.
"-x' h. I r-
{ \ L.j v^' [J i • i I . I \ }
La géologie de la Guyane française, avant les explora-
tions du docteur Grevaux, était aussi peu connue que sa
topographie. Dans Tintérieur, l'absence de toute voie de
communication, des forêts impénétrables, des rivières tor-
rentielles entrecoupées, dans la majeure partie de leur
cours, de rapides et de sauts que des pirogues seules
peuvent franchir au prix des plus grandes difficultés,
étaient tout autant d'obstacles, réputés insurmontables,
qui s'étaient opposés à toute tentative d'exploration suivie
à l'intérieur.
Seule, la recherche de l'or, dont les pépites abondent
dans les alluvions, avait sollicité quelques voyageurs fur-
tifs, avides d'un gain facile, à pénétrer, au delà des pre-
miers sautSy dans les différentes criques qu'on savait devoir
fournir une abondante récolte. Cette recherche de l'or
n'avait elle-même amené, à la connaissance de la constitu-
tion géologique de la région, aucune donnée qui mérite
d'être sigpalée. Toutes autres sont les explorations du
docteur Grevaux, qui ont été aussi profitables à la géologie
qu'à la géographie. Triomphant des difficultés de la route,
1. Voir la carte jointe à ce numéro.
soc. DE GÉOGR. — 4* TRIMESTRE 1885. VI. — 31
454 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA GUYANE FRANÇAISE
le courageux voyageur, avec une persévérance et une énergie
auxquelles on ne saurait trop rendre hommage, a su triom-
pher de tous les obstacles qu'offrait une région jusqu'alors
vierge de toute exploration, et rapporter, avec un tracé
exact du chemin parcouru, des indications, très précises,
sur la nature et les conditions de gisement des roches
affleurant dans le cours des fleuves qu'il explorait. Des
collections importantes, recueillies avec soin et discerne-
ment, dans les différentes stations, viennent à l'appui de ses
observations.
Sur ses carnets de voyage^ en regard des numéros d'ordre
correspondant aux divers échantillons de roches sont no-
tées, avec l'indication précise du jour et de l'heure de la
récolte, toutes les indications relatives aux conditions de
gisement, à leur extension, à leurs relations réciproques;
souvent, quand les affleurements s'y prêtent, des croquis
viennent conapléter cette description. C'est dans ces con-
ditions éminemment favorables que j'avais pu déjà donner,
d'après l'étude des collections recueillies dans son premier
voyage (exploration du Maroni et du Yari, du 10 juillet au
30 novembre 1877), une première esquisse géologique de
la Haute-Guyane, dont la majeure partie était complètement
inconnue*.
A peine de retour en Europe, où il ne semble être revenu
que pour avoir l'occasion d'en repartir, le courageux voya-
geur, toujours à la recherche de l'inconnu, se remet de nou-
veau en route pour continuer ses explorations fluviales dans
l'Amérique du Sud. Parti, cette fois, de l'embouchure de
l'Oyapock, il remonte ce fleuve jusqu'à ses sources, puis
franchissant de nouveau la chaîne des Tumuc-Humac, il
descend la rivière Kou, jusqu'au Yari, recoupe ensuite
son premier itinéraire, pour revenir à l'Amazone, par ce
grand fleuve « le Parou » dont on lui doit la découverte.
1. Bull, de la Soc. géolog. de France, 3* série, t. VU, p. 338, 1879;
t. IX, p. 396, 1881.
ET DES BASSINS DU YARI ET DU PAnOU. 455
Dans cette nouvelle exploration, préparée avec un soin
extrême, conduite avec autant de vigueur que la précé-
dente et dans un esprit véritablement scientifique, il re-
cueillit encore, au prix des plus grandes difficultés, d'im-
portantes collections, accompagnées de notes précises sur
la géologie de la région parcourue, qui m'ont permis cette
fois de compléter ces premières données, en les étendant
non seulement à la partie orientale de la Guyane, mais
aux deux bassins du Yari et du Parou, sur le versant mé-
ridional du Tumuc-rHjumac.
L^objet principal de ce travail, dans lequel j'ai cherché
surtout à mettre en lumière les résultats d'observations
faites d'une façon soutenue et avec un soin extrême, est
de rendre à la mémoire du regretté docteur Crevaux un
hommage bien mérité.
II
. La constitution géologique de la Guyane française paraît
fort simple* Sur le littoral, et principalement aux embou-
chures des fleuves nombreux qui sillonnent cette région, se
développent des alluvions limoneux très étendus, donnant
lieu à des terres basses, le plus souvent marécageuses et
couvertes de palétuviers. Au delà, à l'exception d'une bande
étroite de quartziles et de schistes ferrugineux, limitée
dans le cours supérieur du Maroni à une étendue de 15 à
20 kilomètres, les terres hautes, qui cômmencetit avec les
premiers rapides des rivières et s'élèvent ensuite par gradins .
successifs jusqu'aux Tumuc-Humac, se montrent unifor-
mément constituées par une série puissante de gneiss et de
micaschistes, que- de nombreuses éruptions de roches gra-
nitoïdes diverses (granités, granulites, diorites, ont; profon^
dément modifiées à leur eontact»
- Ces joches cristallopbylliennes, disposées par bandes
successives, sensiblement orientées Nord-nord-est, Sud-sud*.
456 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA GUYANE FRANÇAISE
ouest, impriment à la Guyane française un relief particulier,
consistant principalement, au delà des terres basses qui
régnent sur le littoral, en une suite de terrasses étagées,
plus ou moins ondulées, disposées parallèlement à la côte
et s'élèvant successivement vers la petite chaîne monta-
gneuse des Tumuc-Humac. D'autre part, c'est aux interca-
lations si fréquentes de roches éruptives massives au travers
de ces roches feuilletées, et par suite au défaut d'homogé-
néité du sol au travers duquel le creusement a dû s'effec-
tuer, que les fleuves de la Guyane doivent de présenter,
dans la majeure partie de leur cours, une pente brisée par
une succession de barrages, donnant lieu à tout autant de
bassins étages, qui ne se relient entre eux que par des
rapides ou des sauts. Le travail d'érosion du fleuve, singu-
lièrement facilité par l'élat de fendillement et la ûssilité
des roches gneissiques, se trouve subitement entravé à la
rencontre d'un massif de roches granitoîdes dures et résis-
tantes; l'eau, par suite, s'accumule en arrière du barrage,
trop résistant pour se laisser entamer, et ne peut vaincre
l'obstanle qu'en se précipitant par-dessus en cascade. C'est
alors au pied de ces chutes que se concentre le travail mé-
canique de l'érosion, la vitesse de l'eau étant retardée, ou
même presque nulle, entre deux sauts.
Terrain primitif de la Guyane; bassin du Uaroni. —
Parmi les roches de ce terrain, les gneiss sont de beaucoup
celles qui dominent. A la base, on observe, formant aux em-
bouchures du Maroni et de l'Oyapock, c'est-à-dire aux deux
extrémités de la Guyane, les premières saillies, un gneiss
granitoide rubanné, très feldspathique. Viennent ensuite
des gneiss gris feuilletés, le plus souvent grahulitisés, aux-
quels succèdent dans le Maroni des micaschites à muscovite,
recouverts par des schistes sériciteux, eux-mêmes très mo-
difiés au contact de la granulite, en devenant mâclifères.
Cette série supérieure prend son principal développe-
ment dans l'Aoua, et se trouve ensuite interrompue, dans
ET DES BASSINS DU TABI ET DU PAROÙ. 457
ritany, troisiôme tronçon du Maroni, par une baode de
quartzites et de schistes ferrugineux, au travers desquels
s'ëlëvenl les filons de quartz aurifères qui fournissent aux
alluvions du Maroui leur richesse, bien connue, en pépites
tu roche) d* l'Erldan {Ojapock). d'iprèi du «rtquia du D' CraTBui,
Gf. Granité. — Gn. Gaeiu granlloide.
d'or, d'argent et de platine. Les rives du fleuve, jusque-là
fortement encaissées, s'élargissent, en même temps elles
deviennent basses et marécageuses, par suite de la facile
décomposition des roches schisteuses qui, sous l'influence
de l'eau et de l'air humide, se réduisent en terres meubles
argilo -sableuses.
Les gneiss granulitiques reparaissent ensuite au delà du
piton Vidal, au point même oîi l'Itanj cesse d'être navigable;
FiB. i. — Honlttnea fnnuliliqaea de TuniDc-Humie ne* pir le trinn en
montul ■■! Ktiircei du Haroni (D'ipria un erequii du 0' Crenni.)
fortement redressés, ils forment les premiers contre-forts
des Tumuc-Humac qui s'élèvent en ce point à 400 mètres de
hauteur (fig.2). Celte petite chaîne montagneuse qui sert de
ligne de partage des eaux pour les grandes artères fluviales
qui se rendent les unes, le Maroni et l'Oyapock, après avoir
traversé la Guyane, dans l'Atlantique, les autres, le Yari
458 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA GUYANE FRAQAISE
et le Parou dans rAmazone^ paraîl tout entière formée
par un puissant massif de granulite. Cette roche» qui devient
ainsi la formation éruptive dominante ^e la région, se pré-
sente là avec tous ses accidents habituels (Pegmatite, Aplite,
Hyalomicte, Tourmalinite), ainsi qu'en témoignent les nom-
breux échantillons recueillis par le docteur Crevaux dans les
deux traversées qu'il a faites de cette chaîne, inconnue jus-
qu'à lui, en passant soit du Maroni dans le Parou, soit de
rOyapock dans le Yari.
Bassin de VOyapock. — Dans le bassin de l'Oyapock une
série identique de gneiss et de micaschites, avec nombreuses
intercalations de roches éruptives granitoîdes comme dans
le Maroni, se succède sans interruption depuis la passe Ma-
louet, jusqu'au pied des Tumuc-Humac où le fleuve prend
naissance dans une infinité de petites criques ramifiées, qui
serpentent sur le versant est de ces petites montagnes, très
abaissées en ce point (330 mètres).
Le gneiss granitoïde, déjà très développé au pénitencier
de Saint-Georges où il se montre traversé par de grandes
masses granitiques qui émergent au-dessus de lui, donnant
lieu aux Deux-Mornes, se représente en avant du saut
Massara; puis au delà, on le reconnaît encore dans le cours
moven du fleuve, où le docteur Crevaux déclare l'avoir suivi
sur une étendue de plus de 10 kilomètres. Au-dessus se
développent, comme d'habitude, des gneiss gris, accom-
pagnés de leptynites auxquelles succèdent des micaschistes
riches en grenat. Dans le cours supérieur du fleuve, au
débouché de la crique Ouroupay, cette série se complète
par l'adjonction de quelques lits de cipolins serpentineux
et surtout de gneiss à amphibole qui prennent beaucoup
d'importance aux grandes chutes des Trois-Sauts.
Il est alors à remarquer que, dans cette partie orientale
de la Guyane, les enclaves transversaux et les filons de
roches éruptives qui se présentent si nombreux, au travers
de cet ensemble de schistes cristallins, sont principalement
ET DES BASSINS DU TARI ET BU PAROU. 459
constituées par des granulites à amphibole (mission Saint-
Paul> crique Ouroupay, crique Garacquart, mont Tigre,
chute des Trots-Sauts), le granité devient lui-même amphi-
bolique (saut Robinson, saut Yennarou, saut Manoa); enfin
des roches, encore plus basiques, des diorites où l'amphi-
bole s'associe à des éléments feldspathiques sodiques, sont
également à signaler au travers du gneiss, entre les criques
Motoura et Ouroupay.
Bassin de r Amazone, Yari. — Sur le versant méridional
des Tumuc-Humac le gneiss gris reparaît. Il s'étend large-
ment sur le parcours de TApouani, ou dç nombreuses inter-
çalations de granqlite à mica noir y introduisent des va-
riétés granulitiques comme dans la Guyane. Ces accidents
se présentent surtout quand TApouani, après avoir reçu le
Campi devient navigable. C'est alors que commencent les
rapides et les sauts dont chacun marque la traversée d'une
enclave granulitique. A son passage au travers du gneiss, la
vallée se transforme subitement en gorges escarpées, taillées
.à pic, au fond desquelles s'écoule tranquillement la rivière
torrentielle; dans ce cas la schistosité et surtout le fendille-
ment du gneiss fortement redressé, facilitent singulièrement
ia formation de gorges profondes; en même temps se pré-
sentent sur ces roches gneissiques, dans les points où les
rives s'abaissent, notamment au voisinage du sautMapi, un
grand nombre de ces cavités cylindriques à parois polies,
bien connues sous le nom de Marmites de. Géant, et qui
sont dues, comme on sait, au mouvement tourbillonnant
des galets et des graviers tenus en su^pensipi^ dans les eaux
torrentielles à l'époque des crues. Le4octeur Crevaux, après
avoir remarqué que chacune d'elles présente encore au fond
les galets de. roche dure granulitique qui leur ont donné
naissance, les décrit comme disposée^.p^ ^les alignées les
unes à côté des autres. Leur diamètre moyen à l'ouverture
était de0",30 à 0",40, leur profondeur pouvant atteindre
0^60.
460 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA GUYANE FRANÇAISE
Les rochers plats qui bordent la rivière et les îlots qui se
dressent en avaut du saut Kamaraka, situé à peu de dis-
tance du confluent de l'Apaouani et du Tari, marquent la
limite du gneiss dans cette direction; au delà, sur tout le
parcours du Tari jusqu'au saut de la Pacanda^ qui précède
de quelques kilomètres le point où ce grand fleuve vient se
jeter dans TAmazone, on ne rencontre plus qu'une longue
succession de schistes et de quartzites semblables à ceux de
ritany, accompagnés de conglomérats quartzeux, de bancs
de poudingues et de grès feldspathiques jaunâtres, mal
cimentés, qui représentent de véritables arkoses.
Tout cet ensemble de roches schisteuses et arénacées,
très concordant, est décrit par le doctenr Grevaur comme
disposé sur les rivQS du fleuve en couches faiblement in-
clinées vers le sud-ouest. Les poudingues grossiers et les
conglomérats, oti se rencontrent avec des galets quartzenx,
des blocs de roches granitoïdes et gneissiques, alternent à
la base avec les schistes ; viennent ensuite des grès feldspa-
thiques eux-mêmes schistoîdes, surmontés par des quar-
tzites, en bancs épais, oii dominent, en fait de coloration,
le vert et le rouge violacé.
Au travers des schistes, les rives sont basses, la rivière,
très large et peu profonde, décrit de nombreux méandres,
et le courant n'est entravé que par quelques îlots, qui tous
sont placés sur le trajet des bancs de poudingues et de
conglomérats. Les chutes et les rapides ne reparaissent
qu'au travers des quartzites, qui s'élèvent alors de chaque
côté du fleuve à la manière de murailles gigantesques *, où
ils se montrent traversés par de nombreux filons de quartz
d'un blanc laiteux et à diverses reprises par des apophyses
de granulite, sous la forme de pitons aigus. Les grandes
chutes du Tari, dans le cours moyen du fleuve, sont ainsi
1. Pacanda, chute à pic, en portugais.
2. D' Crevaux, Exploration des fleuves Yari, Parou, Yca et Vapura,
Bull, de la Soc, de Géographie, 7* série, t. III, p. 666.
ET DES BASSINS DU YÂRI ET DU PAROU. 461
précédées par quelques îlots granulitiques, très allongés^
qui divise la rivière en plusieurs bras. Ces îlots sont alors
en rapport avec un grand massif de granulite qui, plus loin
(à une distance de 1500 à 1800 mètres), forme un barrage
compact et d'une grande dureté, contre lequel la rivière,
obligée de refluer en arrière, se déverse ensuite par-dessus
ces roches, trop résistantes pour se laisser entamer, en don-
nant lieu, sur une étendue de 250 à 300 mètres, à cette ca-
taracte de 30 mètres de haut, que le docteur Grevaux a dési-
gnée sous le nom bien significatif de Chute du Désespoir.
Malgré des recherches attentives, le docteur Grevaux n'a
pu reconnaître, dans cette puissante série de roches fran-
chement détritiques, aucune trace de corps organisé fos-
sile qui puisse permettre d'en fixer l'âge absolu. Le fait seul
de la pénétration bien nette de la granulite soit en filons
minces, soit en grandes masses, autorise à la considérer
comme antérieure à l'époque carbonifère. On sait, en effet,
•d'après les observations de M. Michel Lévy dans le Morvan,
que les émissions de cette roche, si répandue à la surface
du globe, ne dépasse pas le Dévonien.
Bassin du. Parou, — Le second voyage d'exploration du
docteur Grevaux (10 août 1878 au 31 juillet 1879), après un
relevé de l'Oyapock, qui, dans l'est de la Guyane, marque la
limite! de nos possessions avec le Brésil, a eu pour principal
résultat la découverte du Parou. Ge grand fleuve, qui me-
sure 975 kilomètres, situé à l'ouest du Yari dont il épouse la
direction nord-ouest-sud-est, était jusqu'alors absolument
inconnu, aucun récit de voyage n^en faisant mention. Après
avoir de nouveau traversé les Tumuc-Humac, dans la partie
.orientale de la chaîne, le courageux voyageur relève la
trace de deux affluents du Yari (les rivières Kou et Roua-
apiri, qui prennent là leurs sources); puis remontant le Yari
jusqu'à son confluent avec l'Apaouani, il gagne le Parou
en traversant le terrain, très accidenté, qui le sépare du Yari.
Des nouvelles observations géologiques faites pendant ce
463 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA GUYANE FRANÇAISE
second voyage il résulte que le gneiss gris, gui se poursuit
jusqu'à cette extrémité des Tumuc-Humac, se montre là
recouvert, comme sur le versant nord, par des schistes am-
phiboliques et des gneiss à amphibole.
Dans les parties basses de la crique Kou, de véritables
amphibolites, où l'amphibole prédominant ne se trouve
plus associée qu'à un plagioclase (labrador), sont subor-
données à ces roches gneissiques. Les roches éruptives
intercalées appartiennent aux variétés quartziferes des dio-
rites ,et àax granblites à amphibole. .
Dans la traversée du Parou, une succession identique à
celle du Yari, se reproduit, depuis les sources jusqu'à la
chute de Panama, où commencent bientôt après les terres
alluviales de TAmazone. Les roches cristallophyllienoes,
limitées à un gneiss gris, très micacé, à grain bien homo-
gène, passant au micaschiste, cessent au village roucouyenne
de Canea, où ils font place à un grand massif de granulite
qui se développe au delà sur une étendue de plusieurs kilo*
mètres.
Les premières roches schisteuses qui affleurent ensuite,
de coloration plus foncée que celles du Yari, et plus cris-
tallines, apparaissent disloquées et fortement redressées
entre deux massifs de granulite qui obligent le fleuve a
décrire des sinuosités qui quadruplent son parcours ^ C'est
seulement au delà de la crique Oitare, affluent de gauche du
Parou, que cette série prend Tallure régulière qu'elle
présentait dans le Yari, en donnant lieu aux mêmes acci-
dents : Profil adouci des rives dans les phyllades et les grès,
gorges profondes, entaillées à pic dans les quartzites, bar-
rages et sauts dans la traversée des enclaves granuUtiques
(saut du Grand-Halage, barrage du Taouracapa) '.
1. Crevaux, loc. cit.f p. 672.
i. Voir à ce sujet les croquis du D*^ Crevàux dans le Tour du MondCf
i. XLI, 1050* livraison, p. 137 e suiv.
ET DES BA3SIN§ DU YARI ET DU PAROU. 463
En résumé, le terrain primitif, largement développé sur
les deux versants deç Tumuc-Humac, offre dans son ensemble
la succession suiyante,en tout point conforme à celle reconnue
dans toutes les contrées où ce terrain a pu être observé :
5** Schistes séricitôux.
4^ Gneiss à amphibole avec amphibolites.
3^ Micaschistes et cipolins serpentineux.
. â*" Gneiss gris et leptynites.
1° Gneiss granitoïde.
Ètade pétrofl^raplilqae des prlneipales roelies erlstallophyl-
llennefl et érupIlTea de la Cruyane et du baMSin de l'Ama-
soiie.
ROCHES ÉRUPTIVES
Granité du Maronù — Le granité qui forme aux embou-
chures du Maroni, au travers du gneiss, de grandes enclaves
est-ouest, est à grain fin, d^in blanc grisâtre; il contient
avec du quartz peu abondant, en petits grains incolores;
deux feldspaths, l'un en grands cristaux, souvent màclés, à
clivages faciles, nacrés ;rautre en débris, non clivés, vitreux
et généralement striés (oligoclase) ; du mica noir, très bril-
lant, distribué dans la roche avec une certaine régularités
Au microscope, le mica noir, très polychrolque, en la-
melles déchiquetées, renferme par places, à rétat d'inclu-
sions, des prismes hexagonaux d'apatite. Le quartz ancien,
en petits cristaux bipyramidés, rares et clairsemés, est
engagé soit dans l'oligoclase, soit dans Torthose, qui tous
deux sont en débris; de larges plages de microcline, avec
du quartz récent étiré, à contours irréguliers, remarquable
par le nombre et la dimension de ses inclusions liquides à
bulle mobile, cimentent les éléments précédents. La com-
position minéralQgique de la roche peut être résumée ainsi
qu'il suit :
464 ESQUISSE GÉOLOGIQDE DE LA GUYANE FRANÇAISE
I. Première consolidation : Mica noir, quartz bipyraniidé^
oligoclase, orthose; accessoirement : apatite.
II. Seconde consolidation : Microcline et quartz grani-
tique*.
Granité de VOyapock. — Plus étendu que le précédent,
ce granité conserve, dans le puissant massif qui se développe
dans le sud du pénitencier de Saint-Georges en donnant
lieu aux récifs submergés de l'Éridan, une texture réguliè-
rement grenue; il est alors plus micacé que le précédent
et ne présente plus de microcline dans le second temps. Il
en est de môme pour celui qui s'élève en manière de d}kes,
au travers du gneiss, dans le voisinage du môme péniten-
cier, et sous forme d*îlots, dans la passe Malouet; dykes et
Ilots qui semblent n*être là que les apophyses du massif
granitique.
Dans ce granité le quartz récent, cette fois en plages très
étendues, s'accompagne d 'orthose qui se présente ainsi dans
les deux temps de consolidation.
Il est ensuite à remarquer que, dans les filons indépen-
dants*, qui se représentent nombreux, au travers du gneiss
gris dans les collines Huart, ce même granité prend un
aspect glanduleux. Il est alors chargé de microcline qui
cette fois semble plus récent que le quartz, car il l'enveloppe
«t contient également, à l'état de débris anguleux ou le
plus souvent arrondis et corrodés, des fragments d'orthose
et d'oligoclase. En môme temps, du mica blanc disposé en
1. D*aprè8 la notation établie par MM. Fouqué et Michel Lévy,le chiffra
I, représente, dans les roches éruptives, les cristaux anciens, de formation
antérieure à rémission de la roche : cristallisation initiale qui s'est opérée
dans les profondeurs du globe (première consolidation) ; II, ceux qu'on
peut considérer comme contemporains de l'émission de la roche et de
sa solidification (deuxième* consolidation) ; UI, les minéraux postérieurs
•à cette solidification qu'on peut attribuer à des actions secondaires pro-
liuites par métamorphisme ou altération, sur place, de certains minéraux
intégrants.
2. 8 à 10 mètres d'après le D' Grevaux.
ET DES BASSINS DU YARI ET DU PAROU. 465
petites houppes radiées dans les iaterstices^ les 'Cassures,
les cliyages des éléments feldspathiques, apparaît comme
contemporain de la formation du microcline. Le microcline
et le mica blanc sont vraisemblablement, dans ce cas parti-
culier, développés par voie métamorphique, sous l'influence
de la granulite qui traverse tout à la fois le granité et ce
massif gneissique en larges filons.
Ces actions exomorphes exercées par la granulite sur le
granité encaissant sont encore plus nettes au mont Tigre,
dans le cours supérieur du fleuve. Dans toute l'étendue de
ce vaste épanchement granitique, qui se développe à partir
du saut Manou sur près de 10 kilomètres, la roche devient
porphyroïde par suite du développement qu'y prennent les
cristaux d'orthose ancien. Les échantillons recueillis à
Textrémité sud de ce massif, au voisinage de la granulite
qui lui succède immédiatement, montrent tous ces grands
cristaux d'orthose entourés d*une auréole de micropegma^
tite. De plus, on reconnaît, dans toute la roche, des traînées
de quartz granulitique accompagné d'orthose en cristaux
raccourcis et d'innombrables paillettes de mica blanc, en
tous points semblables aux éléments de seconde consolida-
tion de la granulite et représentant ainsi une pénétration
intime des éléments acides de celte roche dans le granité.
En rési^mé, l'action de la granulite sur le granité se tra«-
duit par l'injection d'un apport granulitique auquel ne
prennent part que les éléments du second temps : quartz^
microcline et mica blanc. Il en résulte qu'il s'établit, dans les
points où ces deux roches sont en contact; une zone de pas-
sage plus ou moins étendue où les caractères des deux
roches sont pour ainsi dire mélangés.
Dans les blocs de granité pinces dans la granulite, les
principales modifications consistent en une solification des
fragments englobés. Le docteur Crevaux, sur le versant
nord de Tumuc-Humac, au débouché de la crique Leprieur,
a recueilli un échantillon qui simule une véritable brèche
466 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA. GUTANE FRANÇAISE
de granité cimentée par une granulite euritique d'un blanc
rosé. Chacun de ces fragments, modifiés dans toute leur
étendue, montre les éléments du granité non plus adhé-
rents entre eux, mais disloqués et comme charriés dans un
mélange à grains cristallins de quartz à texture granulitique
et de mica blanc.
Ces traînées quartzeuses, affectant parfois un parallélisme
marqué, au point de donner à la roche une allure gneissiqne,
serésolvent, prennent l'aspect, entre les niçois croisés, d'une
mosaïque b«iHftaunent colorée. De part et d'autre le quartz
s'en sépare, sous forme é» petits filons, réduits à la dimension
de 0'°0002, cette fois ramifiés, qm i^ont s'infiltrant dans les
fissures des éléments, feldspathiqnes torda& et bris'és. Le
mica noir seul reste intact. Autour des grandes |>ia|p)& de
quartz du granité, lé quartz granulitique filonien se dis-
pose en auréole qui, composée de petits cristaux à con-
tours hexagonaux optiquement orientés dans le même sens;
s'éteint d'un seul coup, simultanément, avec le quartz cen-
tral. Le quartz ancien du granité, qui a influé ainsi non
seulement sur la concentration du quartz granulitique mais
sur son orientation optique, a perdu ses contours habituel-
lement si finement découpés, et se présente alors sous un
aspect globuleux. En même temps, dans l'intérieur des élé-
ments feldspathiqnes, on remarque un développement
abondant de ce quartz secondaire en gouttelettes hyalines,
que M. Michel Lévy a dénommé quartz do corrosion.
Dans ce cas particulier des blocs inclus dans la granulite,
il y a donc, non seulement uneinjection mécaniquey dans le
granité, des éléments acides de la roche encaissàhte (quartz
granulitique et mica blanc), mais encore un effet chimique
qui a provoqué^ après dissolution, la tecristalli^ation de la
silice sous la forme «de quartz de corrosion.
Granités à an^fhibalé de VOyapock.^- Ces granités où*
l'ai^phibole (hornblende) tend à se substituer au mica noir,'
représ.e}it^nt un type plus basique que lês {granités à mica
£T DES BASSINS DU YARl ET DU PAROU. 467
noir précédents. Us sont également plas récents. Le docteur
Greyauxen a observé un bon exemple au saut Yennarou ;
une large enclave granitique se montre là, percée par des
filons minces de granité à amphibole, qui se poursuivent
plus loin dans le gneiss gris encaissant.
Gi^ gÊààiia est à grandes parties, circonstance déjà remar*
quable, étant donnée la faible dmiensroa dBS filons (un à deux
mètres, d'après le docteur Grevaux). L'amphibole domi-
nante, en cristaux lamelleux d'un vert brunâtre distribués
assez régulièrement dans la roche, et souvent transformée
sur les bords en chlorite et en épidote, se présente engagée
dans les éléments feldspathiques qui sont de deux sortes 3
l'un d'un blanc rosé, avec clivages rectangulaires miroitants;
l'autre, grisâtre et vitreux, le plus souvent marqué des
stries fines caractéristiques des plagioclases. Le mica noir,
en petits prismes )iexagonaux est rare et clairsemé; le quartz
en grains grisâtres, est bien apparent.
Au microscope, ces éléments se disposent dans l'ordre
suivant :
L Première consolidation. — Mica noir, hornblende, or-
those, oligoclase; accessoirement : sphène, zircon,
IL Deuxième consolidation. — Microcline, hornblende,
quartz.
liï. Développement postérieur de magnétite, de chlorite
et d'épidote.
Le mica noir et l'hornblende, en grands cristaux tous
deux très disloqués,, sont doués d'un polychroïsme intense,
le premier dans des tons qui varient du jaune pâle au brun
foncé, le second du vert foncé au brun pâle. Le sphène
se monti*e en cristaux isolés, jaunâtres, légèrement di-*
chroïques ; le zircon est le plus souvent à l'état d'inclusion»
dans le mica noir et l'amphibole; il apparaît ainsi comme
l'élément le plus anciennement formé; l'oligocla^e, en
larges cristaux, dans lesquels la n^cle de l'albite prédomine
et s'associe rarement à celle du périkline, est l'élément
468 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA GUYANE FRANÇAISE
feldspathique dominant; il contient souvent à l'état d'incla-
sions des fragments anguleux d'orthose. Dans le microcline,
les lilonnets d'albite du second temps sont nombreux et
remarquablement bien développés; l'amphibole récente,
plus pâle, moins ferrugineuse que la précédente, est rare-
ment intacte, et se montre même entièrement épigénisée
par de la chlorite et de Tépidote. Cette transformation com-
mence sur les bords; Tamphibole se décolore, il se développe
alors du fer oxydulé en petits cristaux octaédriques ; une
dernière métamorphose donne naissance à la chlorite et
à l'épidote. Cette amphibole est manifestement postérieure
aux éléments feldspathiques qui sont souvent moulés et
même injectés par ses lamelles fibreuses. Le quartz, en
grandes plages à contours sinueux, remplissant tous les
interstices laissés vides entre ces différents cristaux, appa-
raît bien ainsi comme l'élément le plus récent.
Tout autres sont les granités à amphibole qui, d'une
part, dans le cours inférieur du fleuve au saut Robinson,
de l'autre, dans le cours supérieur au saut Manou, forment
au travers du gneiss gris de larges enclaves transversaux.
Plus riches en mica noir, ils sont en même temps plus
quartzeux. L'hornblende^ d'un vert brun foncé, ne s'y
montre plus qu'en grands cristaux, brisés et souvent en-
tièrement transformés en chlorite et en épidote qui émi-
grent dans les feldspaths. Ces granités n'admettent plus
comme éléments feldspathiques que l'orthose et l'oligo-
clase, tous deux en grands cristaux fréquemment altérés.
Ils se chargent alors, suivant leurs plans de clivages, de pe-
tits traits brillants, doués de couleurs de potarisation vive
(talc) et partiellement de calcite. Les actions secondaires
ont donc attaqué énergiquement ces deux roches qui,
d'après les notes du docteur^C revaux, tombent en Arène sur
de grandes étendues.
Les collections que j'ai eu^à étudier renferment également
des échantillons de chacun de ces deux granités pris au
ET DES BASSINS DU YARI ET DU PAROU. 469
contact des masses granulitiques qui les traversent en filons.
J'ai pu noter, dans les actions subies par le granité, quel-
ques faits intéressants. En particulier, avec des apports
granulitiques (quartz granulitique et mica blanc) comme
précédemment, on remarque un développement par voie
métamorphique de quartz de corrosion et de siilimanite. La
siliimanite, en petits prismes aciculaires, très allongés, tron-
çonnés comme d'habitude par des casisures transversales et
groupés par faisceaux, se montre entourée par du mica
blanc palmé. Dans ces conditions, l'amphibole se transforme
en actinote microlithique, après avoir donné naissance à de
petits octaèdres de fer oxydulé qui se disposent sur la trace
des clivages et sur les bords, délimitant exactement la place
anciennement occupée par ces cristaux.
Diorites de fOyapock et de la crique Kou. — Les divers
échantillons de diorite provenant de la\Guyane ou du bas-
sin de l'Amazone appartiennent tous à la variété quartzi-
fère. L'hornblende est l'élément dominant; elle se présente
sous deux états : en prismes raccourcis souvent bien ter-
minés, d'un noir vif; en grands cristaux lamelleux, d'un
vert bronze foncé, entourant un. feldspath opaque, d'un
vert pâle. Us contiennent, en outre, avec du mica noir, du
sphène très abondant, du zircon, de la chlorite et de Tépi-
dote ; ces deux derniers y apparaissant comme des produits
d'altération de Tamphibole.
La composition minéralogique de la diorite de TOyapock
est réglée ainsi qu'il suit :
L Première consolidation. — Fer oxydulé, hornblende,
oMgochse] accessoirement :aL]^dLiiiej mica, noir, sphène, zir-
con, orthose.
IL Deuxième consolidation. — Oligoclase, hornblende,
quartz granulitique.
IIL Éléments secondaires, — Épidote, chlorite.
L'apatite ne se rencontre qu'à l'état d'inclusions dans le
mica noir et l'amphibole ancienne ; le mica noir, peu abon-
SOC. DE GÉOGR. — 4* TRIMESTRE 1885. Yl. — 32
«
470 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA GUYANE FRANÇAISE
dant, verdâtre et faiblement dichroïque, contient de l'apa-
tite avec quelques petits zircons, entourés d'auréoles poly-
chroïques; les g^rands cristaux d'oligoclase ancien, bien
homogènes, sont composés d'un grand nombre de lamelles,
suivant la loi de Talbite, avec quelques associations très
fines suivant celle du périkline; ils contiennent de la ma-
gnétite et du mica noir. L'amphibole ancienne, quoique en
débris, reste bien fraîche et très colorée; son polychroïsme
é
assez intense la fait passer successivement d'un brun foncé
du vert bouteille; celle du second temps,- plus pâle et
moins ferrugineuse, forme de grandes plages, à clivages
bien marqués, moulant les autres éléments; elle est alors
intimement associée à l'oligoclase récent qui, s'allongeant
suivant pg^^ tend à communiquer à la roche une texture
ophitique.
Des diorites semblables affleurent en divers points sur les
rives de l'Oyapock entre les criques Motoura et Ourapayo.
Le sphène y devient très abondant et se montre surtout en
grandes plages déchiquetées, de seconde consolidation, avec
clivages mm bien marqués. Le sphène ancien, en cristaux
fusiformes, associés à du fer titane, renferme de Tapatite
et du fer oxydulé.
Celle qui se retrouve ensuite sur le revers sud des Tumuc-
Humac, au travers des schistes amphiboliques, dans une
des petites criques (crique Kou) qui se rendent au Yari,
devenue schisteuse, est en même temps plus micacée. Elle
contient de Torthose ancien, de nombreux zircons bien
prismes, remplis d'inclusions gazeuses à : contours polyé-
driques.
De larges lamelles d'hornblende verdâtre, très clivées,
intimement associées à de grandes plages d'oligoclase,
constituent, avec un quartz granulitique de formation plus
récente, les éléments de seconde 'consolidation de cette
diorite intéressante qui représ<3nte un type plus acide que
tes précédentes, - . i .
ET QES BASSINS DU ; ïAIU ET IHT PAKCIU. 471
Granulites de la Guyane et du bassin des Amazones.
— En Guyane, la granulite furnie au travers .des. gneiss,
dans la réj^ion drainée par le Maronl, et l'Oyapock, de
grands enclaves tranversaiix dirigés sensibletnent nord-
ooest, sud-est. Elle constitue égaletnent le remplissage d'un
nombr« considérable de fiions et de veinules miaces, dans
les roches éruptives diverses et dans toutes les formations
Fio. 3. - Gr.
;rosi. = W litflni. ,
Lumire polarinle, nicoll à K
I. -Mica 1
loir (10); Quarti bii
.jrtmtdd (l);orlha»<S); oIÎei
iclue (8).
IL UiWHiliiia 1
.vec OlonnoU d'iJbiii
■luUlBC.(lI).
sédimentaires de la région, qui paraissent ainsi iocontesta-
blement antérieures à son émission. C'est elle également
qui, à rétilt de massif indépendant, prend la plus large place
-dans la constituilou de celte chaîne montagneuse, les
Tumuc-Humac, qui sert de ligne dé faîte entre l'Athutique
et le bassin de l'Amazone. Dans ch:icune de ces conditions,
elle se présente avec tous ces faciès connus (pegmatitolde,
472 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA GUYANE FRANÇAISE
aplitique, Hyalomicteyetc), et se poursuit de même au delà
sur le versant sud du Tumuc-Humac, occupant de larges
espaces sur le trajet du Paroii et du Tari. Dans toute reten-
due de ce vaste territoire parcouru par le docteur Grevaux,
la granulite est ainsi de beaucoup la formation éruptive do-
minante; c'est aussi la plus récente, car elle traverse toutes
les roches éruptives de la région.
Indépendamment d'un certain nombre de variétés dans
le détail desquels je ne puis entrer ici, deux types princi-
paux sont à considérer dans ce puissant massif granulitique :
l'un caractérisé, comme élément ferrugineux prédominant
par la biotite (granulites à mica noir), l'autre par l'horn-
blende (granulites à amphibole).
Granulite à mica noir. — De beaucoup la plus répan-
due, cette granulite varie peu dans sa composition^ Large-
ment cristallisée et souvent porphyroïde dans les grandes
masses, elle devient aplitique, c'est-à-dire à grain fin dans
les filons,, et cette finesse, dans la texture, s'accentue dans
les veinules, minces, où elle subit davantage l'influence des
roches traversées. C'est une roche claire, blanche ou gri-
sâtre, qui se montre à l'œil nu, composée principalement
d'éléments feldspathiques d'un blanc opaque, à clivages
rectangulaires miroitants et de quartz grisâtre, en grains
arrondis; sur le fond clair de la roche tranchent quelques
paillettes de mica blanc et surtout des lamelles de mica
noir à contours bien limités. Sa composition minéralogique
.normale, établie sur des échantillons recueillis dans les
Tumuc-Humac, peut être résumée ainsi qu'il suit :
I. Première consolidation. — Mica noir, orlhose,
oligoclase; accessoirement : apatite, tourmaline, zircon,
rutile.
IL Seconde consolidation. — Microcline, quartz granu-
litique, mica blanc.
L'oligoclase en grands cristaux composés d'un grand
nombre de très fines lamelles hémitropes suivant ja loi de
ET DES BASSINS DU YÂRI ET DU PÂROU. 473
l'albite, avec quelques associations plus rares suivant celle
du périklinCy est plifs aboûdant que l'orthose et parait plus
récenty car il en emprisonne des fragments. Le quartz an-
cien, souvent corrodé et brisé, renferme en abondance,
avec quelques aiguilles de rutile, les inclusions habituelles
d'acide carbonique condensé et de liquides chlorurés. Ces
dernières atteignent une grande dimension (0°"",0093 de
grand axe et 0"",0071 de petit axe), et peuvent contenir
jusqu'à trois cristaux cubiques de chlorure de sodium, qui
se dissolvent sous l'action de la chaleur et renaissent après
refroidissement. Le microcline récent, avec ses ûlonnets
d^albile, forme des plages étendues, moulant imparfai-
tement les éléments précédents; le quartz granulitique
avec le mica blanc, tous deux de formation plus récente,
remplissent les interstices laissés libres, en jouant le rôle
de ciment.
Dans les filons minces, la roche est le plus souvent ré-
duite à ses éléments de seconde consolidation; le mica noir
étant le seul des éléments anciens qui s'y présente parfois.
Parmi les variétés intéressantes de cette granulite, je
signalerai celle qui n'est plus composée que d'éléments
feldspathiques, en débris tordus,, disloqués {orthose, oligo-
clasBy microcline), cimentés par du quartz granulitique
très segmenté qui, de même que le mica blanc devenu très
rare, ne se laisse discerner qu'au microscope.
Les pegmatites qui, dans les grands massifs comme ceux
des Tumuc-Humac, forment des amas plutôt que des filons,
sont riches en mica blanc palmé. La tourmaline, en petits
prismes aiguillés, a de même une tendance à former des
groupes radiés.
Dans la partie orientale de cette chaîne oti la granulite
devient porphyroïde par suite du développement qu'y
prennent les cristaux de microcline (5 à 7 centimètres de
côté), le mica noir fait défaut. Un échantillon de pegmatite
à grandes parties, provenant du versant nord de cette région
474 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA GUYANE FRANÇAISE
des Tumuc-Humac, présente une masse brune, à éclat rési-
neuXy clivable suivant irois directions rectangulaires^ qu'une
analyse m'a permis de rapporter à la triplitej phosphate
de manganèse et de fer fluoré, qui n'a guère été signalé
jusqu'à présent que dans les pegmatites de Ghanteloube
(Haute-Yjenne). Dans le haut Maroni, au pied des Tnmuc-
Humac, un filon de greisen (quartz et mica blanc), étroite-
ment lié au massif granulitique renferme, avec des aiguilles
de rutile et de tourmaline incluses dans le quartz, un cer-
tain nombre de ces minéraux intéressants qui forment le
cortège habituel des gîtes stannifères; ce sont d'abord des
masses lamelleuses de wolfram, d'un brun noirâtre très
éclatant ; des cristaux de sphène rougeâtre, présentant la
combinaison me -^ B^ de \apictite des protogypes du Mont-
Blanc; des cristaux cubiques de fluorine jaune; enfin, à
l'état, soit de minces veinules concrétionnées,soit et surtout
de petits cristaux prismatiques bruns, distribués dans toute
la roche, de la cassitérite (étain oxydé).
FlO. 4. — Enclave dn granuUte à amphibole aa trayen du gneiss gris au saot
Massara (D'après un croquis do Dr Crevaiix).
Granulites à amphibole de VOyapock et du Parou. — Ces
granulites dans lesquelles l'amphibole hornblende vient se
substituer au mica noir, n'occupent, dans la région traver-
sée par rOyapock et surtout dans le cours inférieur du
Parou, oîi elles reparaissent en filons minces an travers
des quartzites qui forment les encaissements du fleuve en
avant du saut du (Grandhalage), que des espaces restreints
Ce sont des roches foncées, à grands cristaux de feldspaths
d'un blanc rosé, nettement clivés à angle droit, au milieu
desquels l'amphibole apparaît tantôt en prismes noirs rac-
ET DES BASSINS Dtl TARI ET DU PAROr. 415
conrcis, tantAt en lamelles fibreuses vertes ou branes, à
coDtoure mal délimités. Le quartz, eu grains vitreux, est
bien distinct. Certains échantillons contiennent des cris-
taux biea formés de tourmaline noire.
La composition de la granulite à amphibole, qui donne
FlO. G. — Grinulllc peEmaloïde à imphibala au Panu.
Gmi. — 50 diam. Lumière polarûét, nietlt à *5".
I. Hiendtite (16); Spbèns {H); hornblrade (13) ; oUgoeliK (S) .
11. Auodttioii psjtnuloidD d'amphibole et d« quart: (13); ijnarli gruiulîllquo (î)
lieu, au travers du gneiss amphibolique de l'Oyapock, à la
grande chute des Trois-Sauts est la suivante :
1. Première consolidation. — Mica noir, hornblender
quartz dlhexaédrique, orthose, olîgoclase; accessoirement ;
spbène et fer titane bien développé en cristaux lamelleux
découpés, ou en grilles remarquables, avec enduit gris&tre,
à bords ombrés de titanomorphile.
IL Seconde consolidation. — Microclioe, quartz granuli-
tique, mica blaac.
476 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA CUTANE FRANÇAISE
III. Développement postérieur d'épidote et de fer oxydulé.
Dans celle qui se développe également sur une grande
étendue au delà des gneiss gris du Mont-Tigre, le mica noir
disparait, en même temps l'orthose et le quartz ancien de-
viennent rares. On arrive ensuite, avec celle du saut de la
crique Ouroupayo, à une roche pins basique, composée
essentiellement de cristaux en débris de fer oxydulé, de
sphène^ d'hornblende et d'oligoclase, cimentés par de larges
plages de microcline et d'orthose avec quartz granulitique
plus récent, accompagné cette fois de petits cristaux fins,
aiguillés, de tourmaline qui remplacent le mica blanc.
Enfin, dans les granulites à amphibole qui se présentent
en filons minces au travers des quartzites du Parou, le mi-
crocline disparaît à son tour et se trouve remplacé par de
rhornblende disposée en larges plages, presque incolores,
traversées par de nombreuses lignes de clivages entre-
croisées en fins réseaux, caractéristiques de la zone ph^.
Cette amphibole récente, peu dicbroîque, forme alors, avec
le quartz granulitique, allongé suivant les arêtes du prisme,
une remarquable association pegmatoide (fig. 5).
La composition, fort simple, de cette roche intéressante,
peut être exprimée ainsi qu'il suit :
I. Première consolidation. — Magnétite, sphène, horn-
blende, oligoclase.
II. Seconde consolidation. — Amphibole et quartz gra-
nulitique de cristallisation simultanée; quartz granulitique.
En résumé, le fait intéressant qui se dégage de l'examen
de ces granulites amphiboliques, c'est que la disparition
successive des éléments silicates propres aux roches acides
(mica» tourmaline, orthose, microcline), coïncide avec un
développement progressif de l'amphibole. On passe ainsi
par des transitions ménagées d'une série de roches riches
en silice, au type franchement basique, réalisé dans la gra-
nulite du Parou.
ET DES BASSINS DU YARI ET DU PAROU. 477
ROCHES GRISTALLOPHYLLIENNES.
(Terrain primitif.)
Gneiss granitoîde. — Legneiss graniioïde duMaroni et de
rOyapock, massif, & texture bien homogène, se montre très
feldspathique et marqué de colorations claires, blanc ou
grisâtre. Il contient, comme toutes les roches gneissiques,
un mica noir absolument dépourvu de contours hexagonaux,
en larges paillettes d'un noir vif très brillantes, couchées à
plat et nettement orientées. Ces lits discontinus de mica
sont séparés par de larges bandes feldspathiques, composées
principalement d*orthose, en cristaux lamelleux, d'un blanc
•de lait et d'un feldspath vitreux strié. Le quartz, peu dis-
tinct, est en grains grisâtres étirés.
Au microscope, les lamelles de mica noir, déchiquetées,
très polychroïques, renferment, à l'état d'inclusions cris-
tallines, de l'apatite, du fer oxydulé et quelques rares petits
cristaux de zircons, entourés d'auréoles brunes douées d'un
polychroïsme plus intense que celui du mica encaissant.
Le plus souvent ces trois éléments, qui paraissent ainsi les
plus anciens de la roche, sont réunis dans la même lamelle
de mica. On remarque ensuite çà et là, avec des zircons
isolés, bien terminés, très réfringents, renfermant de
grosses inclusions gazeuses à bords estompés, quelques
rares débris d'orthose et surtout des cristaux également
brisés d'oligoclase, formés d'un grand nombre de fines
lamelles hémétropes, mâclées suivant la loi de l'albite, avec
juxtaposition de celle du périkline. Entre ces éléments en
débris se disposent de larges plages d'orthose, allongé, ne
présentant qu'exceptionnellement des formes extérieures
cristallines bien nettes, accompagnées d'un quartz plus
récent, lui-même en grandes plages sinueuses, à contours
irréguliers. Ces plages quartzeuzes, au lieu d'être douées
d'une orientation unique et de s'éteindre par suite d'un
478 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE U GUYANE FRAKÇAISE
seul coup entre les niçois croisés, présentent les extinctions
moirées du quartz des granulites. Sillonnées par des fissures
înéguliëres, elles conlienneot un grand nombre d'inclu-
sions liquides à bulle mobile, remplies soit par un liquide
chloruré, ainsi qu'en témoignent des petits cristaux cu-
biques ou des trémies de chlorure de sodium qui se
Fii. 6. — Gnel» cnniloidt du H*ron).
Grtu. = 50 Ham. Lumiire poltrUét, nfMli CTBitii.
1. ApMita (IS): niEDJIita (16); lircon ((3); mlu noir (10); oUiodste [9);
orlhoM (0). — II. Orthaae (3); qurli |riaali11<iae (i).
déplacent en même temps que la libelle, soit et le plus
souvent, par de l'acide carbonique condensé. De plus, ainsi
que l'ont déjà fait remarquer Zirkel' et Kalkowsky*, ces
inclusions, disposées par files rectilignes, entrecroisées,
n'atteignent jamais les bords de la plage quartzeuze et
1. Zirkel, Vnilei State»; ExploT, of tbepaT^Ul,mieroicapUalpetrim
graphy, p. Slj.
2. Kolkowsk;, Sew Jabrbticb, 1. 1, p. 14, 1880.
. ET DES BASSINS I>U YARI ET DU PAROU. 479
souvent elles sont dans le cas présent, réunies au centre en
si grand nombre qu'elles en troublent La transparence.
En classant ces éléments dans Tordre d'apparition, on
obtient la succession suivante :
I. Première consolidation. — Apatite, magnétite, zircon»
mica noir oligoclase, orthose.
II. Deuxième consolidation. — Orthose, quartz granu-
litique.
Action du granité sur le gneiss granitoïde. — L'aspect
glanduleux que prend ce gneiss au contact du granité
(roches de TÉridan) tient à un développement, dans les
traînées blanches de la roche, de nodules quartzeux glan-
dulaires ou elliptiques, disposés en chapelet. Ces nodules,
en relation avec les filons minces et les veines ramifiées qui
se détachent du massif granitique de TÉridan, sont formés
de gros grains de quartz granitique, à contours arrondis;,
avec des extinctions uniformes, chacun de ces grains de
quartz renferme des files rectilignes de très petites indu--
sions liquides à bulle spontanément mobile, qui au lieu
d'être discontinues comme dans les plages quartzeuzes du
gneiss, se poursuivent d'un grain à l'autre, dans toute
l'étendue du nodule; elles représentent ainsi, avec le quartz^
qui les contient, un apport direct du grajiite. Parfois le
centre de ces nodules est occupé par un cristal d'orthose
simple ou mâclé, très intact et très frais, développé évidem-
ment sur place. L'action du granité ne se limite pas à ce
développement de nodules quartzo-feldspathiques, les élé-
ments feidspathiques du gneiss sont altérés, nuageux et en
grande partie épigènisés en mica blanc. L'orthose en raison
de ces clivages multiples est le plus atteint par cette dé-
composition ; le mica blanc s'en détache et forme sur ses
bords des houppes multicolores radiées ; il se montre en
outre découpé par du quartz de corrosion en goutelettes et
en crosses arrondies.
Il y a donc lieu de distinguer, dans ces actions métandor-
480 ESQUISSE OÉOLOCIQUE DE U fiCT&NE FRANÇAISE
pbiqiies exercées par le granité sur le gneiss encaissant, nn
apport direct amenant un enrichissement en silice de la
roche et un métamorphisme de contact dont l'effet prin-
cipal a été un développemeiit de mica blanc au dépens des
éléments feldspalhiques.
Gneiss gris. — Le gneiss gris, nettement Teuillelé et
Fin, 7. — Gneiss grit de U rhière Koy.
Groi. = 30 diam. Ltimiêre polariiét, nictli croiiét.
l. Apilile (IS): sphina (U); migndtilt (I6)i miei noir (10); ollgoclue (Bit
Drlbnie (P). — II. Orthotc (6); qntiii (1|.
rubané en Guyane, n'offre rien de particulier, sinon l'orien-
tation remarquable de ses éléments. Le mica noir, très,
abondant, en lamelles brunes étirées, déchiquetées, con-
centrées cetle rois suivant des surfaces planes ou ondulées,
forme des lits continus séparés par des couches d'épaisseur
également unirorme (de 0,02 à 0,02) où se concentrent le
Quartz et le feldspath. Lemica noir, qui devient l'élément
ET DES BASSINS DU TARI ET DU PAROU. 481
caractéristique du goeissy est ici très polychroïque dans les
tons bruns ^ ses lamelles, disloquées comme d'hs^bitade, sont
marquées par des lignes de clivages bien accusées. Il a été
précédé par quelques rares cristaux de zircon isolés et
d*apatite à l'état d'inclusions, qui forment avec lui les seuls
éléments anciens de la roche, puis suivi par une association
de quartz, d'orthose et d*oligoclase à l'état granulitique.
Les feldspaths, eux-mêmes en débris, sont déchiquetés sur
les bords et souvent enchevêtrés comme s'ils avaient été
gônés dans leur cristallisation. Le quartz, en plages moins
étendues que dans le gneiss granitoîde, encore sinueuses et
finement découpées sur les bords, remplit les espaces
restés vides entre les cristaux déjà formés et forme ainsi la
trame de la roche, en s'injectant dans le sens de la schis-
tosité.
Des variétés plus riches en éléments accidentels s'obser-
vent sur le versant sud du Tumuc-Humac. La figure 7 re-
présente un de ces gneiss, provenant de la rivière Kou,
qui renferme, parmi ses éléments anciens, avec de la magné-
tite titanifëre, d'assez nombreux cristaux de sphène bruns,
fusif ormes, très allongés «
Dans le haut du Parou un gneiss, moins micacé, présente
comme dans la série gneissique des Alpes (Saint-Christophe
dans roisans, massif du Simplon), ce fait intéressant de la
substitution du microcline à l'orthose; l'oligoclase, peu
abondant, présente de belles zones concentriques dont les
extinctions ne sont pas simultanées. Le mica noir, en
petites lamelles très transparentes peu dichrolques, est en
partie chloritisé. Cette chlorite, en houppes fibreuses pola-
risant dans les teintes bleues, émigré, au voisinage du mica
transformé, dans les interstices et plans de clivage des
feldspaths; souvent la place du mica n'est plus occupée
que par de petits cristaux de sphène biréfringents, cunéi-
formas, entourés d'une auréole brune polychroïque, remar-
quablement bien développée, qui a résisté à cette altération.
482 ESQUISSE OÉOLOGIQUE DE LA GUYANE FRANÇAISE
Le spbène, soit à cat état d'inclusions auréolées dans le
mica, soit en lambeaux isolés, déchiquetés, avec les cli-
vages mm bien miarqués, est abondant dans la roche où il
s'accompagne de belles grilles 4e fer titane* Çà et là quel-
ques grenats brunâtres, contenant des inclusions de ma-
gnéUte titanifère, figurent parmi les éléments accidentels.
Leptynites. — Des variétés plus feldspathiques, encore
grenatifères mais dépourvues de microcline, sont à signaler
dans rOyapock; elles forment un passage aux leptynites
franches qui paraissent bien développées dans le cours
supériecir du. fleuve, près de la crique Ouroupayo. Dans ces
nouvelles roches, gNnaues, blanches, disposées en larges
bandes, alternant avec le gneiss gris, le mica noir est
absent, et l'orientation seule des éléments feldspaihiques,
jointe à l'allongement du quartz sous forme lenticulaire,
communique à la roche une allure gneissique. Leur com-
-position et surtout leur texture est intéressante, en voici
une description sommaire : l'oligoclase, en larges cristaux,
souvent bien terminés, composés d'un grand nombre de
très fines lamelles hémitropes, suivant la loi de l'albite,
d'une grande netteté et d'épaisseurtrès régulière, forme de
remarquables associations avec l'orthose qui reste prédo-
minant.. Le mica blanc, en petites paillettes irisées, ou en
rosettes appliquées à la surface des cristaux d'orthose,
avec, des aiguillés de tourmaline noire très polychroîques,
y est assez uniformément répandu. Le quartz, pbis rétracté
que. dans le gneiss, forme des traînées qui se décomposent
en un grand nombre de grains cristallins montrant, entre
les niçois croisés, cette mosaïque qui fQrme un des traits les
plus saillants de l'allure et de la disposition du quartz dans
les granuUtes éruplives. De petits grenats dodécaédriques,
déjà bien distincts h l'œil nu dans la roche oîi ite ressor-
tent en rouge clair, serrés les uns contre les autres, for-
ment, aux travers des éléments précédents de petits lits
continus parallèles à l'allongement des feldspaths.
r
ET DES BASSINS DU TAHI ET DU PAROU. 4S3
La texture granulitique, déjà bien accusée dans les bandes
«quartzo-feldspatbiques du gneiss, s'accentue dans ces lep-
lynîlo^qui représentent ainsi, dans le massif gneissique, un
développenMit plus étendu des éléments de consolidation
plus récente, étant dbnnè qoe le gneiss doit être considéré
comme une rocbe, originairement ccMftpasée de mica et
« des éléments anciens (apatite, magnélite, zircon, sphème)
qui raccompagnent, dont les couches régulières ont été
ensuite disloquées par un développement ultérieur de
• quartz et de feldspath.
Gneiss granulitiques. — Ces variétés intéressantes, dues
à rinfluence de la granulite qui traverse et disloque le
: gneiss en de nombreux points et s'y injecte en filons minces,
occupent en Guyane et sur le versant opposé du Tumuc-
Humac, de vastes surfaces; ces niodificatious subies psfr le
gneiss s'étendent jusqu'à des distances de plusieurs cen-
taines dé mètres de la zone de contact.
Dans cette zone de contact ; l'injection à courte distance
-de la granulite entre les feuillets du gneiss gris amène le
développement de grands cristaux de microcline associés à
du quartz granulitique et à du mica blanc. Ces traînées
feldspathiques d'un blanc éclatant, trouvant dans la schis-
tosité du gneiss une direction d'injection plus facile, se dis-
posent parallèlement aux feuillets et le gneiss conserve ainsi
' sa texture rubanée.
Plus loin le quartz granulitique subsiste seul avec du
Nmica blanc en grandes lamelles fibreuses, accompagné cette
fois d'un remarquable développement de sillimanite. Ce
silicate d'alumine, déjà reconnaissable à la loupe en
longs faisceaux de fines aiguilles blancbes au travers des
délits micacés du gneiss^ se reconnaît encore, au micros-
cope, à ses aiguilles prismatiques cannelées, indépendantes^
traversant les éléments feldspspathiques et le mica noir du
.gneiss. Ces éléments anciens sont alors altérés et épigénisés
-en partie par du mica blanc; des aiguilles de tourmaline^
484 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA GUYANE FRANÇAISE
très rares et régulièrement distribuées, sont également à
citer dans cette seconde zone où viennent ainsi s'ajouter
aux phénomènes filoniens si nets dans la première zone
métamorphique des apports chimiques amenant, avec le
développement d'éléments nouveaux, la transformation des
éléments anciens du gneiss.
Dans le cas de gneiss à amphibole, le trait dominant de
l'action de la granulite consiste, avec une égale injection
d'éléments du second temps (microcline, quartz granuli-
tique et mica blanc) en un développement de microiithes
d'actinote et de petits octaèdres de fer oxydulé^ qui s'in-
filtrent dans les clivages et les interstices des éléments
feldspathiques. Parmi ces derniers, ceux qui appartiennent
au gneiss, devenus nuageux au point d'être méconnais^
sames, sont en partie épigénisés en mica noir.
Tous ces gneiss profondément modifiés se font remarquer
par un développement de quartz de corrosion qui sème de
ses crosses et de ses coins aux angles arrondis, les cristaux
préexistants de feldspath et même ceux de mica noir, déve-
loppement qui est d'autant plus net qu'on est plus rapproché
de la zone de contact; un échantillon recueilli au voisinage
immédiat de la granulite (au saut Anoura) présente éga-
lement des imprégnations vermiculaires de quartz secon-
daire dans les éléments feldspathiques du gneiss fortement
acidifiéi
Micaschistes. — Les micaschistes, très froissés, qui
s'observent en couches subordonnées au gneiss sur les rives
de rOyapock, dans les parties éloignées du fleuve, sont à deux
micas. Le mica blanc prédominant s'y présente en petites
paillettes, d'un blanc nacré, empilées, au milieu desquelles
tranchent çà et là de larges lamelles de mica noir très bril-
1. Ces faits sont en accord avec ceux si bien mis en lumière par M. Michel
Lévy dans son étude sur les roches éruptives et cambriennes du Maçon-
nais et du Beaujolais {BtHL de la Soc. géolog, de France, 3** série, t. XI,
1883).
ET DES BASSINS DU YARI ET DU PAROU. 485
lantes^ Tous deux, couchés à plat, forment des lits continus
qui permettent de cliTcr celte masse très schisteuse sui-
vant des surfaces planes ; le quartz, qui forme avec les miôas
des zones alternantes très régulières, n'est distinct que sur
la tranche. Ceux du Parou, plus compacts et plus riches en
mica noir, renferment en abondance de gros grenats alman-
dins d'un beau brun rouge qui donnent à la roche un aspect
glanduleux.
L'analyse n'ajoute, à cette composition fort simple, que
de Tapatite, soit en longs prismes couchés parallèlement à
l'axe, tronçonnés, et présentant leurs fragments disjoints,
soil et surtout à l'état d'inclusions dans le mica noir. Les deux
micas, moins déchiquetés qu'ils ne sont dans le gneiss, tou-
jours bien frais et nettement distincts, s'entremêlent et
paraissent de formation contemporaine. Le quartz, très frac-
turé comme d'habitude, est en grains émoussés, étroitement
serrés les uns contre les autres, régulièrement elliptiques et
comme étirés dans les sections normales aux feuillets. Il est
rempli d'inclusions aqueuses, à bulle immobile à la tempéra-
ture ordinaire.
Les micaschistes du Parou (village Ganoa) sont à mica
blanc; avec du quartz plus abondant ils contiennent quelques
débris de feldspath (oligoclase et orthose) et de nombreux
grenats d'un rouge violacé. Ces grenats, distribués par files
alignées dans le sens de la schistosi té de la roche, renferment,
à l'état d'inclusion, du mica noir, de Tapatite et des grains
de quartz arrondis, c'est-à-dire des éléments empruntés au
micaschiste, oîi ils apparaissent bien comme développés par
voie métamorphique.
Gneiss à amphibole de VOyapock. — Ce gneiss où l'am-
phibole tend à se substituer au mica noir est plus feldspa-
thique que les précédents. Sur un fond clair formé d'un feld-
spath vitreux strié et de quartz grenu se détachent de larges
1. Des micaschistes semblables ont été signalés en Russie par M. Inos-
tranzeff (5/ucf. ûb. Metamorph, Gest. Leipzig, 1879).
soc. DE GÉOGR. — 4^ TRIM£STR£ 1885. Vt. — 33
L
Fis. 8. — Giciu à imphiMe d* rairipock.
Gtdm. = 30 dlam. Lumière polariiét, nifoli à t^.
Délita (16)) iiriièao (li); barnblenda (l£); oligoclate (6); nrlhou {G).
11. OrlboMlOfi qiurli(l). — 111. Gr«i»t (18).
lamelles hémitropes d'épaisseur très régulière, associés à
quelques rares débris d'orthose, soit en cristaux de dimea-
sions plus réduites constituant avec ie quartz récent lui-
même très rétracté un assemblage en mosaïque remarqua-
blement granulitique. L'hornblende lamelleuse et très
colorée, douée par suite d'un polycbrolsme assez intense,
présente parfois de nombreuses lamelles bémitropes suivant
ET DES BA.SSIHS DU YABI ET DU FAROU. 4^
A', des sections fréquentes suivant ph* avec les diragtB à
124" caractéristiques sont encore à signaler. Allongée siu-
vant mm, elle forme des traînées membraneuses oontmve^ k
la manière du mica noir, en se montrant comme lui ilédû«
quetée et disloquée par le quartz granulitique. Le micH unr
très clairsemé se présente souvent en sections branes^ biav,'
Fia. 9. -Gndti à ■mpbibolo .
da l'ApoiÉ^ni.
Crow. = 30 liinm, lumière polan
':iét, nicoli « i
1. Aptiite (19); ll(EnétU« Eituoifère (lli); mici
OliEiKU» (S), -ri. Homblande (13); Dli^gclM.
1 noir (10); ho
B (Bj; «rtho.e
Mtî)i
transparentes,, parallèles à p; on le reconnaît aussi en paiU
letles hexagonales, incluses dans l'amphibole et plu» rare-
ment dans le spbène, qui peut compter parmi les élé^ments
essentiels de ce gneiss en raison de son abondance. L& sphëne
se montre là intimement associé h l'amphibole ; des ssclions
bexagonales très allongées, avec clivages mm bien marquASi
annoncent des cristaux aplatis suivant o' j des mâdei: sui-
488 Esquisse géologique de lk gdyahe française
vant A', amenant des sectious triangulaires, limitées par
les faces d \ft. etji, sont de même fréquentes.
Gneiu et schistes amphiboliques de l'Apouani. — Les
gneiss amphiboliques qui reparaissent, sur le versant sjd
des Tumuc-Humac, dans le bassin du Yari, moins basiques
que les précédents, représentent des termes de pass&ge avec
Croît. = 50 diam. Lumiire polaritée, nicoU à ta°.
I. Iil(|;n<ime (16); tphène (14|! borablenda (K). — II. QuirU (naniilique (t).
le gneiss f;'''^- L'amphibole moins abondante, dispersée dans
la roche, n'y forme plus des lits continus. Le sphène est
absent el le mica noir devient plus abondant. 11 en est de
même pour t'ortbose, qui forme avec l'oligoclase Snement
ma clé de curieuses associations.
Les schistes amphiboliques qui les accompagnent ne
consistent plus qu'en unagrégat schisteux dequartz et d'horn-
blende; le feldspath y fait entièrement défaut. Le quartz
ET DES BASSINS DD TÂSI ET DU PAROD. 489
très abondant, étiré, fréquemment lenticulaire, comme
dans les micaschistes, s'intlltre dans l'intérieur des graads
crislaux d'bomblende, déchiquetés et remarquablement
allongés suivant m, m, en les transformant en une véritable
dentelle. Des cristaux de sphëne brunâtre, fusiformes, sont
Fie. T. — Gnein i aniphibolc graoulKité.
Cm». = 50 Mata. Lumlire folarUie nieod à iS^.
Wapidllla (IS|i ApiUU<IS)iilrean {I3)i niki noir (10): hornblanilg (11);
Oligoclaw (IS).
I roche ail injr
assez abondants. Le fer oxydulé n'existe qu'à l'état secon-
daire développé aux dépens de l'amphibole.
Action de la granulite sur les gneiss amphiboligues. —
Le trait dominant dans les modifications subies par ces
gneiss au contact de la granulite consiste dans ce fait qu'ils
deviennent épidotifères. L'épidote, déjà reconnaissable à
490 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA GUYANE FRANÇAISE
Tmil mu dans la roche métamorphique où elle se présente
^n ipetils 'cristaux granuleux transparents, d'un jaune bril-
!lEnt> :rôguiièrement distribués au travers des lits amphibo-
liqiitfes, «e ihontre au microscope comme un des derniers
^résultats de la transformation de Thornblende. Le bisilicate
ferro-magnésien dans cette action réductive se décolore, perd
son dichroïsme; il se développe alors du fer oxyduVé octaé-
drigue secondaire; puis finalement prennent naissance de
rki;icKlorîte et de Tépidote.
En même temps, avec un grand développeitient des élé-
mentB acides de la granulite (quartz et.microcline*), on re-
marque une fragmentation et une répartition inégale de
^l'anupliibole. Dans ces conditions, la roche profondément
ixnerdLïiée perd son caractère gneissique.
'Rotfies exceptionnelles : amphibolites de la crique Kou.
— ^Dans ces roches massives, éminemment basiques, le quartz
fàittdéfaut et l'élément feldspathique tend lui-même à dis-
jRnnftttre; à l'œil nu il ne se traduit que par quelques cris-
•^irx 'Striés opaques sans formes précises qui se détachent eu
xhiT sur le ton sombre de l'amphibole. L'hornblende, dc-
"l^isnue vainsi prédominante, est en grands cristaux lamelleux,
enéhevêtrés, qui déterminent dans la roche une certaine
-«ohîstosité. Au microscope, cette amphibole peu colorée
présente un polychroïsme variable du vert bouteille au brun
pâle. Ces cristaux allongés suivant w, m, frangés sur les
bords et déchiquetés, se montrent nettement antérieurs au
feldspath. Ce dernier, très frais, est en larges plages com-
posées <de larges bandes hémitropes présentant les combi-
naisons habituelles des deux mâcles, suivant les lois de Tal-
blte-et du périkline et les extinctions caractéristiques du
Labrador. De belles grilles hexagonales de (fer titane), associé
à dergrandes plages de sphène brunâtre, de très rares cristaux
dfe zireon bien prismes, isolés ou inclus dans le sphène,
1. ^Fen'ai pas constaté dans ce gneiss la présence du tnica blanc.
ET J>ES BASSINS DU YARI ET DU PAROU. 491
Rgurent parmi les éléments anciens de cette roche qui
représente le terme le plus basique de cette série.
Parmi ces amphibolites, ii en est une remarquable qui
présente cette particularité intéressante de compter l'épi-
dote parmi ses éléments anciens. Ce minéral, qui n'apparait
F[0. lï. — AmphibolilB épiiioUrëre de la crique Kou.
Oraii. = 30 diam. Lumière folariiie, nicolt il iV.
I. Hornblende |1î); Épiilote |19).
». Hornblende (ISl; Labrodor (9).
guère dans les roches que comme un produit d'altération
secondaire, se montre ici associé à l'hornblende, on cristaux
bien développés, qui ne paraissent nullement résulter de
sa transformation. L'hornblende toujours très fraîche, lim-
pide et peu colorée, .'^e présente ea grands crisiaux allongés
suivant A' .9', qui se montrent fréquemment constitués par
un agrégat de microlithes à extinctions longitudinales, tels
492 ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA GUYANE FRAliÇAISE.
que ceux décrit par ZirkeU. Faiblement polychroïques ces
cristaux sont, suivant le grand axe d'élasticité, d'un jaune
verdâtre, vert bouteille suivant le moyen, vert plus pâle sui-
vant le plus petit axe. Les cristaux d'épidote, simples ou
mâclés suivant AS allongés suivant ph^, avec clivages p bien
marqués, sont toujours limités par des contours géomé-
triques bien nets et fortement cerclés de noir. Ils se parent
dans la lumière polarisée de couleurs éclatantes dans les
tons jaune et orange; leur polychroïsme est par contre peu
sensible. Quelques-uns de ces cristaux présentent de grosses
inclusions liquides à bulle mobile, avec du fer oxydulé
octaédrique.
Le feldspatb, plus récent, qui remplit tous les espaces vides
entre ces cristaux est à attribuer au labrador.
Schistes sériciteux du Maronù — Ces schistes luisauts,
d'un blanc verdâtre ou violacé, avec éclat soyeux sur les
feuillets, sont entièrement formés de quartz et de séricite.
Le quartz est en petits grains irréguliers, étirés, gneissiques,
entièrement dépourvus de toute trace de élasticité. De nom-
breuses inclusions liquides à bu lie mobile s'y disposent par
traînées irrégulières et discontinues ou le plus souvent con-
centrées à l'intérieur de chaque grain quartzeux. La séri-
cite incolore, en paillettes fibreuses, entrelacées, à extinc-
tions longitudinales, forme le ciment de la roche; plus
abondante que le quartz, elle se réunit par places en un tissu
continu, au travers duquel les forts grossissements révèlent
la présence de nombreux microlithes de rutile avec les mâ-
clés géniculées caractéristiques, simples, doubles ou grou-
pées en trémies irrégulières.
Au contact de la granulite, ces schistes subissent des
modifications notables dont la principale consiste en un égal
développement de mica blanc et de chiastolithe.
1. Uv\ié[,Mikroskopxsche Beschaffenheit des Miner, und Gesteine, fig.4,
p. 34.
(SUHÂTRÂ ET MALâGGA)
PAR
M. BRAC DE SAIMT-POIi lilAS^
Il y a quelques mois, j'étais sur la côte ouest d'Atché, à
bord du Siaky une canonnière de la marine coloniale
hollandaise sur laquelle je recevais une cordiale hospitalité.
J'attendais que la marée fût favorable pour permettre à
notre canot d'aborder cette côte madréporique très difficile
de l'océan Indien, et, tâchant de donner un emploi utile à
cette longue attente, j'interrogeais sur leur pays les nombreux
chefs indigènes embarqués avec nous. La plupart de ces
chefs atchés allaient pour la première fois à Kotta-Radjah
faire leur soumission. Étendus sur le pont, pieds nus, drapés
dans de riches étoifes de soie ou dans des loques rehaussées
d'énormes bijoux d'or, la tête, à la physionomie souvent
d'une énergie sauvage, avec leur œil ardent et leurs longs
cheveux noirs, enveloppée d'un léger turban, ils donnaient
à notre bateau, au milieu du va-et-vient de son équipage
malais, un aspect bien pittoresque! Je voulais savoir de
quel nom les indigènes nommaient eux-mêm^s cette île que
nous appelons Sumatra.
Le personnage que je questionnais à ce sujet était un petit
vieillard vert et vif, d'une intelligence élargie parles grands
voyages. Il s'appelait Si-Labô. Il avait visité le pays des
Gaîoux et le pays des Battaks, et, suivant l'obligation
qu'imposent ces peuples aux étrangers qui séjournent chez
1. Communication adressée à la Société dans sa séance du 15 juin 1883.
Voir la carte jointe à ce numéro.
494 ATGHÉ ET PÉRAK.
eux, il s'était marié successivement dans ces deux pays,
rendant simplement la liberté à ses femmes, à son départ,
en leur abandonnant ses enfants, ce qu'elles et leurs parents
avaient dû considérer comme une grande largesse ! Dans ces
pays, en effet, l'abandon des femmes est un affranchis-
sement et les enfants sont toujours une richesse.
Mais Si-Labô avait poussé plus loin ses pérégrinations.
Embarqué sur un navire italien qui faisait du poivre sur
la côte d'Atché, il était venu en Europe : il y a bien long-
temps de cela, plus de quarante ans peut-être; mais deux
souvenirs lui étaient restés, très persistants, du pays des
blancs : c'était le froid rigoureux qu'il faisait en Italie, et la
méchanceté des femmes de cette nation. Je crois que son
habitude de se marier chez tous les peuples qu'il visitait lui
avait là été fatale. A son débarquement à Gênes, une belle
fille, qui ne se serait pas contentée sans doute de la liberté
qu'il lui aurait rendue à son départ, lui avait pris, comme
arrhes de fiançailles, tout son argent et tous ses bijoux et
l'avait laissé sur le port dans un tel dénuement qu'il avait
été obligé de se rembarquer aussitôt. Malgré sa mésaventure,
il avait gardé ses sympathies aux hommes d'Europe et venait
volontiers offrir ses services aux navires européens qui
mouillaient sur les points de la côte oti il se trouvait.
Je demandais donc à Si-Labô quel nom les irtdigènes
donnaient à Tîle :
— Poulo-Klouang-Touan, me répondait-il.
C'était en effet le nom d'un îlot qui était en vue.
— Mais la grande terre?
— La grande terre? C'est le pays de KIouang.
— Sans doute sur le point de la côte qui est devant nous;
mais au delà?
Au delà il me nomme successivement les pays de Tenom
Weïla, Malabou, Soussou, Tampat-Touan, Klouat, comme
nous dirions l'Angleterre, l'Allemagne, la Russie...^. Tous
ces pays pourtant n'étaient que des petits États du pays
ATCHÉ ET PÉRAK. 495
d'Atché. Sur mon insistance Si-Labô me nommait bien
encore les pays de Baros, de Siboga, des Mangdelings qni
s'étendent au delà, dans la région de Padang; mais il ne
serait jamais arrivé à une énumération complète des pays
de Sumatra, qui me permît de lui demander le nom de Ttle
qui les contenait tous ; malgré ses grandes navigations
savait-il seulement que c'est une île?
Ainsi, Sumatra qui n'est pour nous qu'qn point de géo-
graphie, — ' nous serions tentés de charger de nos compli-
ments pour un ami de Sumatra un voyageur qui partirait
pour une province quelconque de cette îfe, — Sumatra est
pour les indigènes un monde. Ils n'ont pas une idée bien
nette de son isolement, de l'ensemble que forment les innom-
brables pays qui la composent...
En réalité Suniatra est une vaste contrée dont la superficie
égale environ les deux tiers de celle de la France, et c'est
•certainement une des plus intéressantes et des plus curieuses
à étudier.
A cheval sur la ligne équatoriale, s'orientant du sud-est
au nord-ouest sur une longueur d'à peu près 1500 kilomètres,
— ses points extrêmes étant ainsi plus éloignés que Nice et
Dunkerque, elle renferme leS' régions les plus diverse^,
soit à cause de leurs différences topographiques, qui en
modifient profondément le climat, soit à cause de leurs
populations de races et de mœurs si variées, depuis les
peuplades idolâtres et anthropophages où les vieillards sont
mangés parleurs enfants, jusqu'aux musulmans fanatiques,
aux Malais doux et tranquilles.
Si l'on y aborde en venant de Java, dont elle n'est séparée
-que par le détroit de la Sonde, Sumatra présente, en allant
du sud-est au nord-ouest, les provinces des Lampongs, de
Palembang, de Benkoulen et les Étals de la côte ouest qui
ont pour chef-lieu Padang, siège du gouvernement qiii
commande à toutes ces provinces. C'est la partie la plus
large de l'île. La province de Palembang, à elle seule, eist
496 ÀTGHÉ ET PÉRAK.
plus vaste que Java, qui a pourtant vingt millions d'habi-
tants avec sa satellite Madoura! Tous cespays sont entièrement
soumis à la Hollande et directement administrés par elle :
ils ont des routes carrossables et de'belles rivières, à Palem-
bang surtout, que les vapeprs remontent très haut. Ce sont
des pays de touristes.
Au nord de l'Equateur, au contraire, entre les pays de
Padang et les États de la côte est gouvernés par des chefs
indépendants sous le protectorat de la Hollande, le centre
de l'île jusqu'à la pointe d'Atché renferme des peuplades
aussi inconnues, aussi isolées du reste du monde que celles
qu'on peut avoir à découvrir encore dans les profondeurs
du continent africain : ce sont des tribus Battaks, les
Gaïoux, les Allas, et enfin les Karo dont le nom n'a peut-
êlre été prononcé encore dans aucune Société de géographie.
Ce n'est guère d'ailleurs que depuis le commencement de
ce siècle qu'on sait quelque chose de Sumatra, bien que
l'île ait été découverte par le Portugais Siquéira en 1508,
que les Hollandais soient allés à Palembang en 1599 et les
Anglais à Bènkoulèn, cent ans plus tard, en 1698.
L'isolement de ces pays relativement si rapprochés de la
côte vient de la grande difQculté des communications, que
créent, sur bien des points, l'escarpement des montagnes,
la végétation exubérante des grandes forêts peuplées de
tigres, d'éléphants, de rhinocéros, d'énormes reptiles, et
enfin ces pangdo%\ dangereux où j'ai failli rester moi-même
à mon premier voyage :
Je m'étais avancé sous bois, dans une exploration, sur
une terre noire, que je voyais dénuée de végétation et qui
semblait offrir un chemin facile : tout à coup la terre
fléchit sous mes pieds ; je me précipitai en avant, mais le
sol se dérobait sous moi; tous mes mouvements m'enfon-
çaient d'avantage dans la boue noire. J'étais dans un
pangdo. Heureusement pour la continuation de mon voyage
qu'un indigène qui m'avait suivi, marchant sur un bois
ATCHÉ ET PÉRAK. 497
mort, avec Tagileté d'un singe, vint à temps me saisir sous
le bras.... On me raconta qu'à une certaine distance de ce
lieu, quelques jours auparavant, un cheval s'était englouti
et avait disparu avec son harnachemcTit, le cavalier n'ayant
eu que le temps de s'accrocher à une branche d'arbre.
C'était dans le même pangdo sans-doute, car ils sont par-
fois très étendus, parfois aussi couverts d'une couche
d'herbe qui les dérobe même à l'œil exercé des indigènes
elles rend plus dangereux encore.
Si Ton ajoute à ces difficultés, des populations comme
les Gaïoux, qui refusent absolument de recevoir des Eu-
ropéens, on comprendra que Sumatra reste une terre
attrayante pour les explorateurs, qui auront longtemps peut-
être encore des découvertes à y faire.
J'ai eu un moment, pendant mon voyage à Atché, l'émo-
tion que devait me causer l'espoir de pénétrer chez les
Gaïoux. M. van derHoeven, alors commissaire du gouver-
nement, aujourd'hui gouverneur civi'l d'Atché, venait
d'envoyer à un radjah Gaïou, une lettre dans laquelle il
lui demandait de le recevoir, se déclarant disposé, sur sa
parole, à aller chez lui sans aucune escorte armée. Et
j'avais obtenu de M. van der Hoeven la promesse que nous
pourrions nous joindre à lui dans cette première exploration
du pays Gaïoux. La lettre avait été portée par des Gaïoux
venus à la côte. Elle représentait au radjah les grands
avantages qui pourraient résulter pour lui de ses relations
avec les Hollandâis^ Mais le radjah n'entendit pas de cette
oreille et refusa de répondre aux avances qui lui étaient
faites. Je devais donc renoncer au projet que j'avais caressé
un instant d'arriver jusqu'à Laou^-Taottar (la Mer douce),
grand lac qui est entre les deux côtes d'Atché, au centre du
pays gaïou, bien au nord du lac Tebah, et qui ne figure sur
aucune carte, parce qu'aucun Européen encore ne l'a vu.
C'est en allant vers ce lac que deux de nos compatriotes,
MM. Vallon et Guillaume, venaient d'être assassinés sur la
498 ATCHÉ ET PÉRAK.
première rivière qu'ils avaient essayé de remonter, la rivière
de Tenom. Un troisième membre de leur expédition,
M . Courret, ne devait son salut qu'à la fièvre qui l'avait retenu
à la côte, et il s'était rembarqué à Oulélé, à la pointe
d'Atché, la veille du jour où nous débarquions nous-mêmes
dans ce port. J'ai raconté ces tragiq4ies événements dans
les journaux de l'époque. Son Excellence le général van
der Heyden, gouverneur d'Atché, avec un empressement
dont nous devons au moins le remercier, avait dirigé une
expédition militaire contre les meurtriers des voyageurs
français. Cinq cents hommes avaient été embarqués^ sur le
SourabayUy grand navire de guerre de la marine hollandaise^
et c'est cette expédition qui nous avait amenés sur la côte-
ouest dès notre arrivée à Atché. Le général, qui accompagnait
lui-même la petite armée sur le ZeemeeuWy avait très gra-
cieusement consenti à nous prendre h bord de sa canonnière.
De celle-ci nous étions passés sur le Siaky qui parcourait
toute la côte, de Malabou à Tampat-Touan et Singkel, sur
les limites du pays de Padang, et nous revenions mainte-
nant à Oulélé, à la pointe d'Atché,
Mais si nous devions renoncer à voir les Gaïouxchez eux,
nous devions rencontrer du moins un type bien intéressant
de cette race, dans les montagnes de Tampat-Touan.
C'était au Kampong de Panté-Lawan, un des points les
plus éloignés de cette côte d'Atché que Ton puisse atteindre
dans l'intérieur, et qui n'est séparé du pays des Gaïoux que
par des forêts inhabitées. Nous y étions arrivés après une
journée de marche, par des sentiers difficiles, sur des escar-
pements très raides, suivant un torrent auquel nous des-
cendions parfois, pour traverser son cours sinueux, en
marchant dans son eau fraîche et limpide, parfois aussi le
dominant de haut, sur des crêtes si étroites que nous pou^
vions étendre les mains à droite et à gauche au-dessus des
précipices qui bordaient le sentier^ mais dont la grande
végétation qui nous entourait, les arbres et les arbustes
ATCHÉ ET PÉRAK. 49$
enchevêtrés de lianes au milieu desquels nous marchions,,
nous dérobaient les profondeurs qui nous eussent donné le
vertige. De loin en loin seulement une éclaircie dans le
feuillage nous permettait de voir^ en bas, des trous d'eau
bleue, entre des roches empanachées de belles orchidées ou
ombragées de fougères arborescentes.
PantérLawan. signifie grand plateau. Le nom est préten-
lieux; mais là les montagnes semblent s'ouvrir un peu, et,
au milieu de plantations de siri — cette plante grimpante
qui fournit aux indigènes la précieuse feuille à mâcher, —
au milieu de petits champs de manioc et de maïs, sous les
cocotiers et les bananiers, on découvre une dizaine de pail-
ioUes igolées, à. un demi- kilomètre Tune de l'autre et qui
forment le kampong.
Celle à laquelle nous nous étions arrêtés était, comme
les autres, construite sur hauts piquets : une échelle de
bambousy donnait accès. De belles toufTes de cette plante
balançaient, au-dessus du toit, le léger feuillage de leurs
longues tiges creuses, d'une utilité inappréciable pour les
indigènes, auxquels elles fournissent leurs paniers, leurs
boîtes, leurs cruches, tous leurs ustensiles de ménage, et
jusqu'à leurs chapeaux, et surtout les principaux matériaux
de construction de leurs maisons; quelques beaux aréquiers
au tronc vert brillant, comme verni, au riche panache de
feuilles de la même couleur vive, laissaient pendre leurs
régimes de noix rouges ou jaunes, indispensables à la pré-
paration du siri; à côté, des papayers étaient chargés de
leurs beaux fruits, ces figues grosses comme des melons, à
la pulpe si parfumée; — mais on voyait surtout autour des
piquets qui supportaient le toit, un fouillis de cannes à sucre
d'une hauteur de trois mètres peut-être, dont notre escorte,
aidée des habitants de la maison, avait déjà mis quelques
pieds au pillage pour nous offrir, à notre arrivée, le'
rafraîchissement le plus usité dans le pays. — Nous étions
en compagnie du contrôleur hollandais de Malabou, dans le
500 ATGHÉ ET PÉRAK.
district duquel nous nous trouvions, et escortés des princi-
pnux chefs indigènes de Tampat-Touan.
Pendant qu'on pelait les cannes, pour nous présenter par
morceaux leur tige blanche, juteuse â mâcher, nos boys
installaient en plein vent notre cuisine : une marmite de riz
sur trois pierres, avec un feu de bois mort, et préparaient
une broche de bois pour ud somptueux rôti : on dépeçait en
eifet un chevreuil que je venais de tirer à vingt pas de la
paillotte, et dont l'indigène notre hôte prenait d'abord pour
lui la tête et un cuissot, les morceaux auxquels il avait droit,
parce que la bête avait été tuée sur sa terre, mais qu'il nous
eût abandonnés sans doute, si nous n'eussions tenu nous-
même à nous conformer à Codât (la loi des ancêtres! pour
tous les peuples de la Malaisie). Un autre indigène, pendant
ce temps, faisait fonctionner un appareil qui a été sans doute
la première usine à sucre -— bien perfectionnée depuis ! —
deux morceaux de bois que Ton voit attachés aux piquets
de toutes les pailloltes de ces montagnes, et entre lesquels,
en se servant de l'un d'eux comme d'un levier, on écrase la
canne pour faire du kiang. Le kiang un jus écumeux qui
coule dans la gaine, cousue au rotin, d'une feuille d'aré-
quier, fait une boisson sucrée excellente, valant l'eau de
coco et le vin de palme.
Un boy que nous avons pris à Tampat-Touan, surtout
pour nous servir d'interprète, vient me demander, à ce
moment, si je veux voir un homme de Nyas qui habite
Panté-Lav^au ; je le suis jusqu'à Textrémité du kampong,
à une paillotte plantée dans un endroit sauvage, au pied de
la grande forêt. A mon arrivée, une jeune femme portant
un enfant à califourchon sur sa hanche vient de descendre
l'échelle.. Elle se sauve à toutes jambes dès qu'elle m'aper-^
çoit et remonte précipitamment dans la paillotte. Mais le
maître de la maison semble moins effarouché : il a déjà vu
sans doute des « hommes blancs » à la côte. C'est un homme
de petite taille, mais dont le buste nu parait souple et solide
ATCHÉ ET PÊRAK. 501
et qui a dans sa physionomie quelque chose de singulier et
de sympathique. Il est en train de confectionner, a\ec une
hache assez primitive, un de ces grands boucliers en bois
légers que Ton recouvre de peau de buffle ou de rhinocéros.
îl a près de lui sa grande lance. — Mon boy, qui le connaît,
me le présente en lui disant quelques mots dans une langue
que je ne comprends plus, et en me montrant sans façon
son oreille droite percée d'un grand trou qui a étendu le
lobe, la marque, me dit-il, des hommes de Nyas. — Nyas est
une petite île de l'océan Indien renommée pour la beauté de
sa population etoù beaucoup de gens d'Atché et des pays
voisins vont souvent se pourvoir de femmes.
L'histoire de cet insulaire m'est racontée en quelques
mots fort simples ; elle est touchante :
Il était le fils d'un radjah de son île, un orang-kaya, me
dit le boy (un homme riche, puissant), il a été enlevé par
des pirates à son pays natal et vendu à Tampat-Touan
comme esclave. Mais il a recouvré sa liberté; aujourd'hui
il est chef de maison, chef de famille, près de redevenir
orang-kaya lui-même avec son bouclier. — Cet homme
paraît avoir subi philosophiquement son sort. II est gai et
bienveillant. Comme je me dirige du côté du lalang (des
hautes herbes), près de sa maison, il court à moi avec em-
pressement pour me prévenir qu'il y a là un piège tendu au
tigre.
Je rentre au campement pour le dîner que nous abordons
avec l'appétit que donne dans tous les pays une ascension
de montagne. — La température ici le soir est délicieuse ; le
soleil a déjà disparu derrière les hautes crêtes couvertes de
forêts touffues qui ferment de tous côtés notre horizon. --
Nous voulons employer pourtant les dernières minutes du
jour qui nous restent et nous avons envoyé nos koulis avec
nos appareils au bord d*un ruisseau, dans une gorge étroite,où
les indigènes nous signalent un gisement aurifère. Mon com-
pagnon de voyage, M. de la Croix, est là à sa besogne, faisant
soc. DE GÉOGR. — i* TRIMESTRE 1885. TI. — 'SA
la çrosgççtiçjQ la plu§ co»sfi|e.pcMs^ cmftWtf.^StJa^Wl»,
-r ])la{s, mei. (Ut-il enjRQ, J9,^Avq^? ^^j^çAmB/e^, aug»^
JIiÇ]terJ988» ^lorsJç^ in^igène^;
— Coflanj^iH s^it.oftgu;iJty a de Fp/^, iq^.?
— Q^ le sait»,. Tj]ii;ia^9,,
— Quel est l'hompae qui y ena,,chQ«4^é?
— On^ofy en a, p^s .ch§rçM e»qp?e^.
— ^qrs 09.y en a lr9^yé.p^r ^HW^^J Q^i.W ^ ^Wm^l
— Pprspnpe eVficy^, TQmJh,
Je suis près de p^jjç^çfjatjenfiç, !G.>gt.ppgp.l§fi^, u9,n§rsQ|ïr
nage,,,un^.Datpu^ q^ui, nje, répoi^^d, ^liçai jusqtt'a.v^ti»H4,?
— Mais lui dis-je,' si pn n;efi.a .pa§.ch,^rché.; s},pn^ï^^^,^,
pa^ trouva paç, h^^açci, cona^rppQj, ps^t-o^. sayow; qsJtty^
de l'or?
¥fiTC&f dans ses retiia^Qh^me^ti^^ il, se d^çi4e, c»^ ^,
m'e^pliqugir 1^ cjipse, quQ tq^l^ le mpnde conpro^ft atttpqR4fi.-
lui avçc lie plu§ grand sérieux :
— Vpil^ ce que cfest : Un h^pn^iQ d§ T^tnagjit-TQj^^.a
doçmj une nuitd^gs ^,paillp.U§,oîi nous,5oaiïï|çts iii^^I)^
ett/^réçl qja;ilya,.deror da;?iscetep(}i;QiA; il a.vi^.ç^te,
en songe !
Et cppfime npus donnons l'or^çir.^. ai^^ ko^^s,d^ j^gjçfSMte^t
leur charge :
— Mais quand un hopime a rêvé.qi^'il y a dç.l'o^.iqj, ij, dfx\i,
y en avoir, fait observer unjtpiili, naéme,.; il /ljïw4,q^J|l y en,
ait!
ypi là où en sont les méthpdç^ d^^ pr.ospect.ipns n|inipFe^
à Tamçat-Toqan !
Quand nous remontons r^cheiUe de la paiIlott^,,.nai4^>
trouvons Iç contrôleur assis suçla natte, les jap))>^$^crpi|^^§y ,
- il n'y a-pas ici d'autre siège, .— en gpaR4ç..cpftféï:we§r
avec.un Gaïpu,. au .n^iljeu.d^s RA^i^hrR^(}j.aU dfi iWtei^i:^^..
cor.tç e|.de qjaelqi^QS howftes dii p^y§., CftOfti^JM J«iP|IW^.i
ÂÊmt MT pmak.
d'itti» Ieititur«giè9 »oifibt%i il «si TÔiU de loqUè» déetllotfêeti^
pmnimt nïA pliysiwdmto remAK]4Mibl^y ttvoe 9é^ tiQiti
réguliers et son regaNi fier. H â'appelle'SI-lfedtildutiQ'im
kl(H»«ttaiàt%^f0l»'pHitMèt#6 qu'il fOît dd^ blatiCëV tuai» il ne
paraît nullement embaMkft^ de leur préS6ti6«j Ai 4^ MiQ
\mpl}t{AtA(pï'Qtï lui iMt jou^r^ oftt Id cdtUft&tol^r If illlërroge
avidement sur ces pays mystérieux de l'intérieur de Stiiâ<ft^
tra^ où il esi^ dé el^ qu'il a parooiifû^^ qu'il {Mkf< iwftuiiiftre
tûiëûx que pê^tMitttie^ G'«»t Itti^qàt û(mê ^§asAé poui^ Itt
pmitiièré^ ftri9, «û silé de»* GaïOuxy cMttie ks Mli# ëtt toni
fiattaM%, ât)^ régicAi atiiK&éiieiiduei qu'il a^pMte^ rëm|tft^â6»
Kar4^ ê^ dont le contvôlaup boUaâdâis Ic^rtlê^ne cKUefid
pkAet p0Uf la^preimièi^ §oiiV
Cette conférence offre un vif intérêt et je voudrais bt0li
vous dcunier une idée^ de la scènt^
Elle a pow IbéÂtm la^ s«llr élr^ité^ hmi pçst^M^- de la
maison où nous campons, toute en paillotte, les olôisons
et le toit en cadre de bambous garnis d0 f&uiHè#'dë'|^ft3miers
ou de pandanées, le bas de la cage fait en lattes d'aréquier
couvertes de Biittfltt>sur IcKsqfvedlfès HôU^sléliltifes^afs^ii enrortid.
Une lampe de cuivre à plusieurs becs, à l'huile- de CGk;o,
pend du toit au milieu de i^nsf Ixflaifame agitée pat la toise
qui entre IilM^f»enrt> à tÉ^ve¥« la graxide b«iie d^cme fenêtre
sans WM»*'
En fa«e^ de lai po»te d^etttrée^sur 1» i^orlëiriitépîeilte d'une
secende péè^e que coi^nfiten^t toutes lies^ mlnsoiié d'Aèehé
et où ne pénètrent que lès intiflae^v Icfs daiàe^tiq»eâ, les
familiers de la maisoiï, déutt:^ feâslftieB^ qui ^ ^oM' satinées
d'abord à notre arrivée^ itiafîs qui omt eii le tém^pede se
familiariser avec notre prédei^ee^ se penchent curieuién^nt,
apptiyéi^ l'uïie s«r IfÀtftre pour ûou^- rei^iidief; L'uiiie^d'elles
porte un singulier opAtdment r un citron passé <tea$>le lebe
de chaque oreille; l'autre a des boutons d'or d^iin diî^mètre
amsi fft3tnéyOfûé»i de pii^preries e€'q«'*e«v e^t étonné éët^ir
dans ces montagnes ; elles les a mis peut-être piftif É^m»^
504 ATGHÉ ET PÉRAK.
faire honneur. Quand elles se déplacent, on entend sonner
parfois les grands anneaux d'or, d'argent ou de bronaje
qu'elles portent sur leurs chevilles nues.
Le contrôleur, qui a son carnet ouvert sur ses genoux,
pose une question ; il parle malais :
— f Quel est le pays qui s'étend au delà de la rivière Pang-
gou?
Un des indigènes importants sert d'interprète et traduit
la question en gaïou à Si-Maoulout qui comprend et parle
parfailement le malais, si bien que l'interprète oublie
souvent de traduire, mais ne manque pas de répéter la
question en malais, mot pour mot, telle qu'elle a été posée :
— Quel est le pays qui s'étend au delà de la rivière Pang-
gou?
Toute l'assistance approuve du geste et de la voix.
— Au delà de la rivière Panggou ? dit le gaïou.
— Oui.
— Quel est le pays?
— Oui
. Nouvelle approbation de l'assistance qui fait :
« Aah! »
La question a été bien comprise.
— Je vais vous dire son nom reprend Si-Maoulout.
Et après une pause : — Ce pays c'est Panté-Kalang.
— « Haaab! j> Exclamation générale de satisfaction.
— Si-Maoulout peut-il me dire maintenant quels sont les
radjahs-radjahs de Panté-Kalang?
Traduction de l'interprète officieux.
Approbation de l'assemblée qui dit :
. — Ah! oui les radjahs-radjahs.
L'assemblée approuve toujours. Si-Maoulout demande :
— Touan a-t-il fini d'écrire le nom?
— Oui, oui.
. Mais il faut recommencer la question, la traduction, etc.,
après quoi :
ATCHÉ ET PÉRÂK. 505
— Les radjahs? Il y en a de grands, il y en a de petits,
répond le Gaîou de sa grosse voix ; et il fait lui-même :
i!c Aah ! » donnant à l'assistance le signal de l'approbation.
Cela ne va pas vite et il ne faut pas songer à accélérer le
mouvement : tout le monde serait dérouté; mais, en y met-
tant le temps, le Gaïou dira le nom de tous ces radjahs; le
nombre des habitants de tous ces pays, leurs situations rela-
tives. -^ Il dessine sur la natte avec des brins d'herbe, avec
des morceaux de bois, avec ce qui lui tombe sous la main,
de véritables cartes qui peuvent fournir de précieux rensei-
gnements. Il nous apprend que la rivière de Malabou, par
exemple, ne prend pas sa source au lac Tawar, comme on
le croyait dans le pays, mais très loin de là. Il émet son opi-
nion sur les Battaks qu'il croit être le peuple primitif, les
aborigènes de Sumatra. — Il ne grasseyé pas comme les
Atchés. Il parle ^ro5 : il dit, au lieu de y a (oui) saya (moi)
yô, sayô; mais il fait preuve d'une intelligence étonnajite et
bien faite pour donner une haute idée de la race gaïou, s'il
n'est pas lui-même une rare exception de cette race.
Gomme la conférence se prolonge, ce que l'on croira aisé-
ment, et que je compte sur les notes que le contrôleur a obli-
geamment oCTert dé me communiquer, je renverse mon
b^ste et étend mes jambes sur ma natte : c*est ici en effet
tout ce que l'on a à faire pour se mettre au lit, et en me
réveillant, au petit jour, je constate que la conférence est
terminée et que chacun des conférenciers, à une heure quel-
conque de la nuit, a successivement fait comme moi.
Nous nous levons pour aller, chacun de notre côté, nous
plonger dans les eaux fraîches du ruisseau voisin avant de
regagner la côte, et je vais dire adieu à mon homme de Nyas,
qui m'a sauvé hier au soir de tomber dans le piège à tigre.
Quelle vive impression m'a laissé ce coin des montagnes
d'Atché, c'est ce que je suis impuissant à vous traduire. Il
faudrait pouvoir rendre le sentiment d'exubérance et de fraî-
cheur, de fécondité et de grâce, de vie puissante et naïve qui
906 égatm^fts^.
kvoipmSf auffDoineiit oè nou» aUoQs la(qi«tlto& l4e$(lmrt>
baiiibOiHi'fiAilf» gF«n4« arbres ^noownt l'Abondaiite lOffie^de
lu QtfittQf lia» ÎRiniaiisaft fanfllates das illanlas «éqoatoiriiles
qui (Couvrant te wt Da^ flanaa escarpés das aoonlagiiaB Qm
app» dWBiiiiairt> ^Mas ami»Di cas.mille bni)t$'<|iia ilesiin^î-
gi^Ms aauls aavaal ^rooQiiiiirtipa : oe tout Ica 'Oria daa Mtas
OMluaoa«iqui oMtî»iient «Hnoora laura aMpala, lalssâai da«
iortarif ailes qui ^MOBiettaiil d'aataadre <let répanam steis le
kialaiPi aa acmtieajaboiaiDttntf é^ itroupasAonÉhaawia» ée
flllboii^ aiftmaagSy )a# grands «ingwtipirs, al:iaatid'«iitiwi \
w«Ga«Qiit«Qaa9e'le béoiei jdaa •mgprtadefi d'oisiaua igni se
véar^Ulaat ipour jaier 'lenjm piaaMèras antas àifilàas daaa tf ak
aelooe al Irais ^««latio. -^^temps.aniaattpsiiin grawl celao
«H un bnaéroeicavqiia a!éliiiica daLal)raii0lie4l6sm<doBtil
t fail aaa g^la paar te ^nitit et f^asee, fdo $oii w) Icawd ^
lira} i|aâ> A jKm&gewHla élésalioibaii ^aoa de le talUe^ jfllant
â*aQi0 «Kiutagoe à Taadie.
Quelle jMdla eftgHinde Baituia l fit £QMma ee flta deeadîali,
^afeuu iesielave, i^ « aa d'aboiod à ee redhater loi^mèiae,
qui a déirioké eaa lobapot^ «aanatroit aa^misoa, fiabi^fié ses
«irmesy a<Aiielé an coa^iiie sa fainme qu'il preMège ecmire la
tigre, M qai aelait .un henuçlier aujawrd^^itt'qu'il a un wS^ftAj
me sefloUe plua Aamweqsie nou^ ne le eommes dans ncAoe
aociété ^viaiittie, avec no$ -ternes 4e e^mvaaÉian et kms préoe-
Si-Maûukkat ^ptcMia Meoadiât josqu'i Tampat-ToiMMi.
Nous wmnA aM ampte eonnaisaaaoe. On l'appelle aussi
« PangUma^-Maouloriit » dans ee pays, 06 il est étaMi «ft oil il
est eoBsidéré oenaiDe wù ^Mrsonsage, im des ootaldas 4e
Panié-'LaaiMH» (P«f»f jtma eignifie suivant les cas» lt€un«Me
df^^nmee, lieiiilen&»fr, graoé écuyerV S^n ^re est Pncylt-
ma^£a#<» d«M le paye galon {f»dja, ëlépèacit), tdfire qui
éSqaSyant à eetoî de grand ^kyvrvetter, tttats dans tm pays oâ
les fottf»e. à chasser sont des étêpbants. — Qn quittant ce
^«f Shé'^et i>^â*AK. 'Sot
ISgtfé ^rt ê«îtirMli6nrèl > lui 'ddtt«ë*(irte pî^ë.' WîJf a'tfu1f«ut
'léSIWhîftë ctli*erfS^iiiëflt éë l)fetît%Pp'âi^yîl qu^il* jiâratt'ftte^as
comprendre, et il rit à se tordre quand je lui ex{)KèfUte'^ti^on
^W!fr|*it^lë'^fôttWëaù de lâb^è t>^tii* TàTïtihlër^ét ^è itiméc par
'♦e^Wi^ù.
*è me'^ms iïi'^Bâ^qtifet' ^e 'Tàto'pât-'ïbti'ah mis îitrè"tin
m6% ûb'&é fàys, ^rtfti des j^ffus intéï^ésiâh(s dfe'la éAleMëst
^*Mi9ié.'*GAle'(?8të,^^uë1ës dôMitië^iJàiits a^'tiè'rrefiii la €^<ï*te
'^ati^WWfe »/est lêhfcbl^é.âtiipëieë ^ar 1ë^ saVânts îrfdigè*n«s,
»eteûx<}urc*Ôtiftaî^â!^t la'ti-âdiffôh, lia^c&ieÛédÛoit^é^Comiès.
"im^ léiëcle de tibVfeWe, ÛdiUk Mvifties îjAkl^sei^pà'viWéni
m' mfdttitdB <|ë^énaîî^këbthv, di^obé 'dâhs 1è 'gôtîVei^tfe-
^ènt më^ildahg, et i'êtoctttàÂl la^CÔte; Vîriitetft s^é^h^Wiitter
«^Ws le^k^s a*Âl6h6, 6û eMqûe bâ*(ïuë-ftridà'tfrfè1^i/rôtoîe.
■'■'^ On rèlPdûi^c cjftcore aujoui*â'hûi siir toate cette cldte'ies
^«€«b€*ââ(i^s^^âe^èhefs dè'èes bâi*cfùés qui dht èîôùs'em au
'Mlièti des b^an^-AÉchèslétib titre ttalftis deiDâiôU et"<fui
s6tii*tï^ès iLéH 'de leur ^ôrîgîiië. — ïiiais la plus ' to^'ùrtSéte
dé'bëfe 'ctfldfïîés fcaTal*s*èfetl t rfrtipkt-Ty
^e cer'fy*ys, eiiblàVé âktiis ÂtfcHé,ôiit'côïi^éî**é1ett'rrâceptft»ë,
*et^'dtft»jSœais tdùlu tofetër lëtir^sftrig à «ëîûiliës Atèlï'éè, ^si
\îfe ii'ëstlîiaria'sîèrs'côrmbats. — ITn Hialàis dé 1^âfftï)kt-%Yiân
qui épouserait une femifle àtchêfe, ou dotirfëi^àït i^a TiïIë''k*Ôn
mtime '«b 'cette ï*Mde, sëi^rft i^èhfe ôë^ siëhs et obligé de
ijf&iftër lë^âftà. '
Le riotode'TàTri^àt-Tôu^h ^ùi sipfle « étid^t lîa ISéi-
•gttéiîr »' vîënt 'd^me'durîéùéte le^e^de : (<: Il y aWit àûtrëMs
à ^f«M{iat-ïoààïi 'une belle ^WtfdeèSë, lïrrede dêiïx^â^a
' (ëét*ifrënts % sëfil tètés). Des 'nSàWris virii-eiit tin jôù'r pour
•ëhléV» «âtte tjrftiéës^e *tfe¥V^fllëasè; lërtt lïaWe s'àliicl'a
dftttèla bWe'^tfr^ësl^ëAôbl^è 'âbj6uMli^ûi ÏÏttefes pltfs J'ô^ès
^eHtts1)à?ès du Wônde,'t6ùtë^b6'rdêë de grâtfds coc6iler"s,
Wû^ lfeqtie1^'Mi'àf{)éi'%ô\t les' pî^ilTottes psfe. L*é1ilëVtt¥fKnt
508 ATCflÉ EN PÉRAK.
s'opéra heureusement. Mais les terribles nagas, père et mère
de la princesse, au moment ou le navire reprenait la mer,
se jetèrent à la nage à la poursuite de leur fille. Le navire
était perdu .
« Mais il y avait aussi alors à TampatrTouan un saint homme
appelé Touan-di-Talou (le seigneur de Talou, Talou avait
été jusque-là le nom du pays) qui, prenant en pitié le navire
et la princesse, s'élança de la montagne jusque sur la plage,
et jeta sa canne sur les nagas, d'un mouvement si brusque
qu'il en laissa tomber son chapeau à la mer. La canne attei-
gnit le naga mère, et fit voler son corps en éclats. » — Les
Malais ne sauraient douter de la rigoureuse exactitude de
ces faits, puisqu'il existe encore, près de la plage une pierre
qui conserve l'empreinte du pied du Touan, qu'on retrouve
en pleine mer sa canne et son chapeau, sous forme de roches
pointues que les remous des vagues couvrent et découvrent
alternativement, et qu'on voit enfin à l'entrée de la baie une
roche rouge, teinte du sang du monstre, et une roche noire,
qui forme un petit ilôt et qui est le cœur même du naga
femelle qui a eu le temps depuis, de se pétrifier. — Quant
ail naga mâle il fut tellement épouvanté, et prit si précipi-
tamment la fuite, qu'il passa à travers une île voisine. L'ile
fut coupée en deux et forme depuis, deux ravissants ilols,
Poulo-Doua (les deux îles) où nous venons pêcher les tri-
pangs en quittant Tampat-Touan.
Ce sont de bien curieuses choses que ces holothuries que
les Malais appellent des tripang et les Orangs-Atchés des
kolongt Qu'on se figure un boudin long de0°',40 à 0",25,
gros comme le poignet, malléable et contractile, capable
de prendre toutes les formes : il s'allonge en cylindre,
se renfle comme une grosse quille; si on le pose en travers
d'un bâton il retombe et pend de chaque bout comme une
bourse à deux poches; il devient rond comme une pomme
si on le roule entre les mains. Remis dans l'eau de mer et
abandonné à lui-môme, vous le voyez s'allonger de nouveau
ATGHÉ ET PÉRAK. 509
se fixer légèrement au roc ou au foud du vase par de petits
tentacules très courts, qui flottent comme des fils à sa partie
inférieure; puis à une extrémité de cette étrange chose un
orifice s'ouvre, s'épanouit, aspire et expire, et dénote une
vie animale. Les organes d'absorption du Iripang s'étalent là
comme les pétales d'une corolle : on dirait une fleur, une
belle anémone de mer, qui s'est fixée sur l'enveloppe de la
bête avec ces organes qui se replient et disparaissent dès
que vous y touchez. Cette enveloppe épaisse esta peu près
tout l'animal. On sent flotter dans l'intérieur des viscères à
peine adhérents, et si accessoires, assure-t-on, que l'holothu-
rie peut les rejeter et s'en refaire d'autres.
La pêche des tripangs est bien facile. Débarqués sur l'un
des îlots de Poùlo-Doua, notre boy malais muni d'une timba,
(un récipient fait d'une gaine de feuille d'aréquier et qui tient
l'eau), descend sur les coraux, dans la mer, à dix pas de
nous, et là; ayant de l'eau jusqu'à la ceinture, se met à
ramasser des holothuries comme on ramasse des prunes mûres
sous un prunier qu'on a secoué. En un quart d'heure, sur
un espace de dix mètres peut-être, il a cueilli ainsi soixante
holothuries et il nous rapporte un récipient qui semble rem-
pli d'une confiture noire : on dirait une seule masse com-
pacte; ces animaux se tassent comme se tasserait de la
mélasse. Rien n'est plus malléable, plus fluide, et en même
temps plus résistant que les holothuries. — Les jaunes
surtout, car il y en a de noires et de jaunes plusieurs
variétés, sont aussi dures à ouvrir qu'un cuir épais d*uu
à deux centimètres, qui aurait été mouillé et séché
au soleiL J'ai beaucoup de peine à les couper avec de
forts ciseaux; et quand je les ai fendues sur toute leur
longueur, je ne parviens pas à les retourner. — Mais
ces peaux dures, si résistantes, que je suspends pour
les sécher, coulent et tombent une à une sur le pont du
navire, où elles s'étalent comme une poix chauffée.
Les Chinois sont très friands des holothuries et c'est à leur
'910 ^fSHÉ Et "PfflAK.
Mtftitk)ti Hitf^ù 4«$ ^êébè et i^éh ië» ^^Àiîlle, |»Wr fes
WfMlFtêr à<t%Milg M dî«etffM«lr'èt delà «ta^Shft^.'I^s-'tH-
^tffll^ JaiHWs-smt tes ptas fédbiftHftés t fls ^«vMlHMt Mit
UttVHVtXgiB «ti Chine.
^Oûttt)ûtfe éBtedte'istir crilte ïrièftic "cftte "tû '<ftte Wets
bMnéisf tes ^Itf^ ctfrfetnt'ët f 6^ i^lils i*Sf«s, ^ !és I^Ufts ^d'hiraii-
ltelt«s, tes taifls cohwestifeles (fe «àlàlifàh'es/lïiîfe'VoYi"^^
t^Ôitè, à aeHàifir6S'«)iO()%^ "de l^saM^/tlàM^ tés ^\itiës \de
*KtmËtéttfèKl(»lâ«ie. Kôas-aiv^s^sîté la lpl\is ^^ilde %t
l^pliis bèl!6 de iCéS'gf6t€éë;i(Sti liôtaj^ èMétfÂiy^âfé "StfU^ la
Toûte obscure, à «in^ pf bâi^éti^e "éléi^tîôii «e(tl48rë^S^ 'de la
^hène éeMfée'par tftïs ' icfft^hë^, *è^(mâ)e 'tfn 'i^iment
t(^ttt!titi, iéi CHs Yiiétalliqtiës iAe 1tfyHa(iës d^ sâlâtt^Rl^s
q«ri altttiieYit rfôtroehé îèUft prtrcWOlcYilfds rfifi: '^Yôî^ïlbriM;.
Mais il e» fi^A^ps 'd'âlWfrdlt 'à\l âlèf^H^ii 6t^ % CMè du
Pdvte, Màltfbôti, la tésWteftcte du èo¥i((r6fèi4r (qu'èti ^ m\
d'tfppdttfr An^tdbôtii^trr les 5àfftes, IpttK^tifé m ^^lâlltàtie
dtsetil fks aiùsn).
NfÀiâbMi em. lin des Hè^ 1é^ ^hiâ dafi|^Mik tf^AHèlfê,
tampttf *sc«i tôsalttbrité cjhb parîe peu ist i*éK5Urt(é -qa^<^
môôté ee pay^ aWt ËUl^pééYis. ^ïièfs ttélt^ndaîs sV ^^t
installée de bàûte lutté; fuàh itfë qu'ils ordôttlpi^nt sel%d«lit
k tleu^ bèhtëtigs ({bHef(f»^e^ dti "p^ys) et à làïHài^û 'ba
ctttttfJÔleuf , eiûtoWéè, «rtiùftaeles î)tentiètogs,^e batftès^lîs-
sad«is de trbnr^ de 'codottéfè, ^vét d^ palvillôbs de ^thé à
tous tes-togTé«.'La'tttiit,âétïuart€'!fèiffèm t^^tti d'heilVe,
on "entend cérMmé un 'tfàVill6h les titt^t^Vés de fér des
homYtres dé' garde, qdi sëYé^OtodeY^t ^XiWiXt tfu b^ntèng et
delà fftàtsOhlroftîïlée.--ïî(ydfe âVotffe passlé Ml qtkîn'iefe J'dtJh
q\li n'éta^ût ps^ d'une gaieté fôUe. f^ous ne ^ôHidûs
qù'esCbrtésAé nw^boyè armes letiSe dfeux ôpVi (g«iK!les'du
ttontrftleur), le fûsîl sut- 'rëpaulè, — Pow témrév 8u
bèntèngdè lafeftfô, Où jfe ni*ètâîs^ttW<té uti Sbll^, ^1a ïôstftôn
du étrtitrtltelfrqttSiStalt tômprôébfe, —il y aV^tt d*tfhè''pbrle
à ratfkre vingt pas à flaire, — i|e oxnxinmiiéaiitTMhit illwo-
lument me faire précéder cfim%ofmiiye)portsnit nne laotorae.
A 'la pottede'la makon, qui ^tilait 'déjà iMiifrtcQ^dée, il fallut
f rappelât pa^meo ter de rBxtériBur,v(Miimiepo^QnrTairelew^
la hepse et d)aisser le pont-^lofis. QtHmd<la poite s^^ouvvft et
que mon porla^lanterne s^écaila pour rœ )ai9^r pasaer,
j'aperçus encore deux sdldatB, Pafme'au iiraSy qui avaient
aiar€liÀé«nr mestalcmsy'etdonit'je n'ayaie pas eittendu 'les
pîec(s nus, 'derrière moi, snr le 'mamdam >de Hnadrépoyeis
qui 'forme le éhemin.
Un jour, fatigijtô de ces lesco^teR, je pris mon fusil et
sortis de la maison avec mon lioy, ik 'Pheure oil ious les
Bnropêens 'faisaient la sieste, pour aller 'Chasser, a?ee tm
rupéjah 'du pays, dans un >bois de cocotiers. — (Le «eeond
i^tèng était dans Tintérreur., k deus kilomètres 'peul*i8tre
âe'ce>ui de la côte. J'arrivai jnsque^^^à pour faire visite an
commandant qui fit aassitèt apporter des oigapes CJt 4e
V^âlêer Manda (eau hollanrdaise), une eau galeuse doftt on
fut une elFrop^ble consommation à Malabou. — Quand je
repris le chemin de k cèle, ^traversant à la tomlbée^du jour
les lerranns désoMs, couverts de hautes heii)e6, et
s'ilevaieiit autrefois les mille maisons du t^rand kampong
de Mailabou, jeTÎs venir à ma rencontre tous les^Eupopéens
du pajrs; le con^Meor escorté de tous ses opas, le ^ieu^*^
namt d':Àrmanville, commandant <Au fort de la eôte et te
diotiteur de ce fort... J'eira vnittetaeiiit lafensée, devant des
forces si importantes, de me repiier on bon lovéue ^avec m^
hoy sur le bèntèng qve ge «(tenais de quitter.. « 3'<allais "ètire
«vertement tancé. On me cpojsîA déjà perdu.**.
Le'Oonitrôleurmeract&nrta alors que,>qudques sematnes
auparavant, Tescoi^e deqinnseouiviîngthofnviesqoi accom-
pagne ious les matins le eonvoi <d*afyprov'rsti»fnienff0n^s qu
vnei revient du nouveau bèaftièngà la oAte, avsiït élé^vtta^uée
itfans ce lieu même par le teni^le l^oukoa Omar, on jeii»e
liomsK; et vingitHieux ans, ^oi a déjà ^toé ^oinquanle
512 ATGHÉ ET PÉRAK.
Européens et l'histoire de Malabou me fut contée dans ses
détails sans aucun ménagement.
C'est un des plus sanglants épisodes de cette guerre d'At-
ché bien connue, dont je ne rappellerai que quelques dates :
Jusque dans ces derniers temps encore, la piraterie des
Atcbés s'exerçait dans le détroit de Malacca, au point d'y
menacer la sécurité du commerce européen. Les journaux
anglais de Pinang et de Singapour de 1868 à 1870 sont
pleins de cris d'alarmes au sujet des pirates d'Atcbé. Alors
les Anglais, qui se font volontiers les grands justiciers du
monde, se décidèrent à donner carte blanche aux Hollan-
dais. — Ce fut là l'objet du traité de 1871. — La guerre fut
déclarée au sultan de Kotta-Radjah par le gouverneur
général des Indes néerlandaises en 1872, et, au commen-
cement de l'année suivante, la première expédition, dont le
commandant militaire le général Khiiler, était tué à l'assaut
du Missighit, vint échouer devant Kotta-Radjah. — Mais à
la fin de cette année 1873, une seconde expédition conduite
par le général van Swieten revint à la Pointe d'Atché. Le
vieux et glorieux général, à la tête de dix mille hommes,
s'empara du Kraton, la demeure fortifiée des sultans, et
planta définitivement le drapeau hollandais en Atché. Le
général van Swieten avait alors soixante-quatorze ans. Je
l'ai vu encore plein de vie et de santé, six ans plus tard,
à La Haye, au moment de me rembarquer pour les Indes.
Le général van Swieten était retourné en Europe en 1874,
croyant la guerre terminée, et pensant qu'il n'y avait plus
qu'à attendre la soumission complète du pays. Mais on
avait affaire ici à des indigènes bien différents des autres
contrées de la Malaisie, une population fière et belliqueuse,
qui ne devait pas désarmer de sitôt. Les Hollandais étaient
forcés de reprendre l'offensive en 1875 et en 1876. Et c'était
le général van der Heyden, que nous avons trouvé encore
à la tête de l'armée d'Atché, et que j'aurai l'honneur de
vous présenter tout à l'heure, qui devait porter les plus
ATGHÉ ET PÉRAK. 513
rudes coups à cette résistance acharnée des Atcbés qui avait
pris des proportions inattendues.
C'est en 1877, dans ces alternatives d'offensive et de
temporisation que les Hol]anj(3ais décidaient d'occuper un
point central de la côte ouest d'Atcbé et d'établir un con-
trôleur à Malabou.
Un navire arrivait alors dans cette rade chargé des ma-
tériaux nécessaires à la construction de la maison du con-
trôleur et du bèntèng où devait s'installer le poste mili-
taire. Les matériaux étaient débarqués sur la plage et
confiés à la garde de dix soldats indigènes, pendant que le
contrôleur restait à bord du navire qui croisait sur la côte
en attendant la construction.
L'État de Malabou qui avait alors 40000 habitants, à ce
que m'ont raconté les radjahs du pays -^ et qui n'en a
pas 4000 aujourd'hui — était gouverné par le vieux Ked-
jourouan Toukou Tchi, ouloubalang du sultan d'Atché,
qui avait lui-même trois datous et seize ouloubalangs sous
ses ordres (ouloubalang signifie lieutenant ou vassal; les
Kedjourouans étaient les radjahs, sortes de grands-dues
feudataires des États des côtes d'Atché, vassaux du
sultan). Toukou Tchi avait trois fils : Toukou Mouda ou
Kedjourouan Mouda (le Kedjourouan jeune) son fils aîné
et son héritier présomptif, Toukou Itam (le Prince Noir),
et Toukou Omar, dont nous avons déjà parlé.
Le soir du premier débarquement hollandais sur la côte de
Malabou, Toukou Itam vint trouver les dix soldats qui
avaient été laissés sur la plage et leur proposa du schèndou
(opium préparé pour ^ôtre fumé), en échange de leur riz.
C'était offrir à des soldats indigènes une tentation à la-
quelle ils résistent rarement. Ils acceptèrent. Le Prince
Noir fit largement rechange et les soldats se livrèrent à une
telle débauche d'opium qu'ils tombèrent tous iVres-morts.
Alors Toukou Itam avec ses Kawan (ses compagnons
d'armes), leur coupa la gorge et s'empara de leurs armes.
5U^ ATCHI. Et- PiftAïK.
f
lift lendfiBiftiii) ,Ia 430BteÀkiir iriai ë«maadec coo^p^te da ce
meurtre au Kedjourouan et lui donaa iriBgl-qiifttre. beores
pour lui Utmhp les muÊstn^n* Le vieux. Toiikou Xcbi,, qui
Q^éitaU. pas uaBruiii^âai trottmiiiaas 1 eplusigrand em^
MaÀ& sasitt» leLmiceati à Faiset. Le^ sûiE atème toutes* lea
maisons flambaient à Malabou. Les fils dii Ktt<yaittOiiaii^
afiO0m[Uigii^ des IiQamsr(Ies prêtres» musuioMtns), paroou-
ratoftt .le KampuMig^ pgêchaai lai>gjaerre saîate, la vésisUnce
à Ifétraog^, et ejitcaiiiaient.leahaâ>itaAis à: se réfugier a9eo
eus daos.les iiMiitagj9/e8y, meuaçant d'ailieucsde mort ceux
qiii refusanaifiat de. las suivrek Toute la nuit. un. immense
ioAeudie éclaira, la c6iey et.ajirant Texfi^atioaides délaie fixés
par le contrôleur, il ne restait à JAalabott.nl un&psùUotle ni
ua babitaaL Lest feamiQ&>ei Jes^enfanis slétateot enfuis* avec
les hAmmas,,au.iioinbre de dix mille, peutrétse, n*aj/ant pp
emportée que leur argentou leurs bijoux; cesmalbettreuxy
saos abris,, san^provisionSy^urent mourir par nuilier s dans
lesjpucs qui suivirent ce fol élan d'indépendance.
Le contrôleur revint pour demandée compte cette fois de
rinisendie.du kampong. Le Kedjourouan de plus>en. plus
embarrassé inventa une histoire et raconta qfie les G«iuoux
étaient, descendus des montagnes et avaient 4 tout ravagé
pendant. la. nuit. Cette, version. s'accrédita, un moment, et
je/me. rappelle que c'est celle qui me parvint à.ûéli, sur la
côte est de Sumatra où j'étais à. cetto époque* Mais i'enr
quête, faite par. le. contrôleur hollandais lui apprit bientôt
qufauQun chemin ne mettait Malabou en communication
dira(de.avec le pays des Gaïoux. Ceux-ci auraient dû, p^ir
conséquent,. venir par la côte^..de Soussou ou de. tout autre
point où ils peuvent aboutiri, et la. côte était bien gardée^..
Le^yieux Kedjourouan, ne sachant àquels saints se vouer, dé-^
clara alors qu!il allait dire la .vérité,. et dénonça conunecou-
pablesJes babitants.de Morbao, un. kampong;^ui était de
l'autre. côté de la.baie^. administré par un xiatou ^makis, le
datoUoYanggput, descendant d'jun.des chefs des « Douze*
Depuis, le vieux Kedjourouaa est mort ;. m^U: s^t 81^^
n'<;MPt.P$i3 dâ^arnfté» et Sj^nti^OMon^ p^PMh lei^i iOAPiwid:,
tewf^t .l%,mi;^Q}Àgl^*^tt*tfiPtaAt PMl<M«M.eaiiCbef#(de':;b9i»iH%^ ,
le^, QQupft;d^)a(^iQ^,lef ^plu&Mddi:i««ll<
Telles sont les diflicullés politiques et militstiita^.qtte 1^9^.
lati^a aj|jLttpi6us(3,«^.:fl^ff^, iQliép^odaqMiQt.balli4]U;eiu»«i^.qui)
Jo^^^s«lU,yeû|fcd§îJ:^«>,axee.sw.eno^^ïU Uïfti&qui ppûasQelai
braiî<>.ivie>e( le,méppM daila,moI^l juft^u'à rbé(^>)LS9)et.
tifti liQuIiônaiHè d;Açm^8*filte, ni;a,. raQootéi à. Miildbottv. Cftt
faLtttq^i xQpQl^^ bi^naraQbaflae^açativdQik combatt^Als^ disiasi.
la ,gupi?r^ 4' Atçbé. ' A G,u€dongi.ou;.le,lieutenftat coaiioftiir
dajjj. uflft coojpagaie pendant reupéditiQU: de IST^i- il voil»:
veqîf} à Jai) jui^ b£|djb. un prêtre iQiisviiioan^^ vêtu. de. la;lao-
gu§ robp bLanchç et brapdiatsaot ua.» gfîand< kléfViaQ. La
lieuteodQt o^dQao» à dçtoi^ de ^m soldats d^ f^iire fau^ Deux
balles, fnappQRile^bAdji san^rai!i?êt6r:; 1q% soldats tinenb Mii#^r
seconde.fQi^ LÎAtebé* qttilrebftllBsdaps^le corp^^et avance
toujpui^. UpA.cinqMÎjÈini^ bftUe Je fr^app^^ au* bas^ de la jambes
et lui bri(>ie la cbfty,ille aun^piQeat pu il^arrivaili &Mr rofilQie^
bollAPdt^S!; iUombe alpr^,. mm en s<i roulant ju^a'à.Juii.
pQHrlQ mQrdre,et il. expire tenant Je. bfta du. pantalon .de»
son-enpf^mienira ses denta.
Cette rag^idqvait^paturelleqfïQnt provoquer uni seatimAOti.
detr^ipfji^ailP dao^,raiu».ée bolIandaisQ.; cette ariniâ^a.eu
aus^^de» CQ^balt^i^te terribles. iœpla6«àle$r pa3<^
de,répéft,tQu%le», défeQft^urs;de« bèotèngft doot JlB,.<ea3tpan
laimtiie^otiiPf^jsaane-diaiUQiorâ^ net^ong^^ib ^idâi»Md0r<
516 ÂTCHÉ ET PÉRÂK.
grâce ; incendiant et ravageant tout sur leur passage, ne
faisant jamais quartier à un ennemi qu'ils considéraient
comme sauvage*... Il a fallu partout prendre le terrain pied
à pied. Et c'est ainsi qu'a été enfin conquise la province la
plus importanle, celle qui formait le domaine de la cou-
ronne du sultan, J^cA^ Bessar, le grand Atché, qui occupe,
autour du Kraton et de Rotta-Radjah (la Ville Royale), toute
la pointe de l'île.
Cette partie d'Atché, je puis faire mieux que vous la
décrire : je vais vous montrer les photographies que j'ai
prises pendant mon séjour de plusieurs mois à Oulélé et à
Kotta-Radjah.
Atché-Bessar était divisé en trois districts qu'on appelait
des Sagui : la sagui des Vingt-Six Moukims, la sagui des
Vingt-Cinq et la sagui des Vingt-Deux Moukims. Le raoukim
est une division en même temps religieuse et politique,
canton et paroisse, qui a un Missighit (mosquée) et se sub-
divise en plusieurs Btfiapa (communes). Chacune des trois
saguis était commandée par un Grand-Panglima du sultan.
De ces trois Grands-Panglimas, dont le titre à été aboli par
les Hollandais, l'un est mort en combattant; un autre, qui
s'était rallié aux Hollandais dès leur arrivée dans le pays, a
eu pour successeur mon ami Toukou Lohong, dont je
regrette bien de ne pouvoir parler dans le cadre étroit de
cette conférence ; le troisième Grand-Panglima est encore
au nombre des insoumis, et probablement à Pédir. Les deux
points de résistance sont encore Samalanggan et Pédir sur
la côte nord d'Atché. Je me suis laissé conter, pendant que
j'étais à Kolta-Radjah, qu'il y avait encore à Pédir 20000
guerriers armés de fusils à tir rapide et à percussion centrale.
Outre ces 20000 fusils, il y aurait encore 80000 lances à
Pédir. Là est un enfant vénéré des insoumis, le descendant
et l'héritier des sultans, élevé par sa mère, probablement
comme Annibal, dans la haine de Rome et le sentiment de
la vengeance. Mais ce qui a déjà sauvé les Hollandais, quand
ATGHÉ ET PÉRAK. 517
Atché a eu son Abd-el-Kader dans la personne du fameux
Hadji Habib-Abdoul-Rachmam , ce qui les sauvera encore,
c'est qu'il n'y a pas la moindre cohésion enlre les divers
petits États qui forment le pays d'Atchéetqui^sousles sul-
tans, étaient le plus souvent en guerre entre eux. Pédir ré-
siste encore, fier d'ailleurs de son importance et de son an-
cienne origine; un dicton atché est ainsi formulé en malais :
« ATCHÉ BESSAR KAPALA,
PÉDIR BADAN, PASSÉ KAKIGNA. »
Ce qui veut dire :
a LE GRAND ATCHÉ LA ÉTÉ,
PÉDIR LE CORPS, PASSÉ LES PIEDS. »
parce que la sultanie d' Atché qui avait commencé à Passé,
sur la côte Est, a eu longtemps ensuite sa capitale à Pédir.
C'est Morhoum-Kotta-Allam, le plus grand des sultans
d'Atché, dont le nom illustre m'a parfois servi comme de
mot de passe auprès des indigènes, qui transporta, au
XVI" siècle, le siège du gouvernement à la pointe d'Atché
et en fit la tètedu pays. Mais la plupart des Kedjourouan
ont déjà fait leur soumission; Pédir bloqué par les navires
hollandais finira par se lasser, et sa soumission mettra le
sceau à la conquête de cet admirable pays qui, constituera
certainement, avec sa vaillante population, une des plus
précieuses possessions de la Hollande.
Projections
Les Hollandais ont déjà donné à la pointe d'Atché un
aspect européen dont on est frappé lorsqu'on aborde
Sumatra de ce côté.
Tous les navires qui arrivent d'Europe, après avoir
quitté la station de Geylan pour s'engager dans le détroit de
Malacca, viennent reconnaître le «phare de Sumatra», pas-
sant au milieu du petit archipel de la pointe d'Atché, entre
les îles de Poulo Bras (l'île du riz cru), Poulo-Nassi (l'île du
soc. DE GÉOGR. — 4« TRIMESTRE 1885. VI. — 35
rte ciA) et ftmA^yé (l'Ite àe ila«»feii>^ idnsi appeléit yonG^
4M cttlte tte^ ^t était aâlrefeît to«l fffèB de Pdtt)ô«'FiMâii^
du fut etiaaséi»,. et, èprè& otie keurèiH» navigation^ fkrt
s'étâMir à )a plac^ ^ù'tflle ocKsnopè aujomd*hQiy slÂvâm b
Le pilaire «stdorfîte de i^eiile-&raé^ Is phis atAMée^ ot
éeiaire ce qtt'M pe«fr«il apy l^tat c )a P6rle ds te M^laîMe »
à neuf lieues à la ronde.
C'est à Poulo-Bras qu'est le dépôt de charbon pour l'appro-
visionnement des navires de la marine hollandaise. C'est là
que débarqua d'abord la première expédition contre Atché
avec le choléra qu'elle portait de Batavia, et c'est là qu'a été
la tombe du fameux Bixio, lieutenant-général du roi d'Italie,
qui s'était fait afitfateût potif cette expëdilfôn.
Ouléfé est le p&tt d'Abbé, à la> pcânie ée Sumâftr&« Elle esl
refiéeè la e^pitrie pwv/a télégraq^ei électrique et ta etiemin
de fer.
Kotta-Radljah, la Ville-Royale, eapitale d'Atchéy à huit
ou dix kilomètres d'Oulèléy dans l'intérieur, sur la rivière
d' Atché comprend :
Le Kraton, ancienne forteresse des sultans^ où est aujour-
d'hui l'habitation du gouverneur et les bureaux des divers
services militaires et civils^ au milieu des baraquements des
soldats ; l'église catholique, qui relève de la cure de Padang,
fondée par des Françaisy*et éis^jfn^ reçu une bonne hospita-
lité dans la paillotte du missionnaire, le vénérable abbé
Vèrbraak, à mon arrivée à Atché; et le nouvel hôpital, qui
e^t malheureusement e&core un des établissements les phis
importants de ce pays.
J'ai été retenu là, par la plus grande inondation que îesDùro-
p^eAs aient subie à Atè^hé et dont j^ài pu prendre pïusieurs vues.
Je ne t^Vi^iis oublier ide VoU's (^rler de S. tiit. h' g(SkiéMii
^1 af?a« «éjou¥ife Te pins lô^nglemiis BàVis ce "pif h, 64 le
ctknat tisttil tité les Èury>p*ens {iieiidant là eàiïifrà^8. ïl à
>tt8 le ejômftwttïdèiAènt eft eheî del'arMe û'kiéhS ëii \ilT.
Il tt'étrfit fiflow tîde isolfftWl ^fc sâccéfdait à nt^fe ^éH'é *è
géiféi'àux. Màfis de briMaÀt^ fait^ d'àrïne^ TatSi^ht 'éfëjà
signaM Conrfftfe uïi des èffleifers lès pies àple^ h cdiidiiiH
eette gnefte tlifficite ^ itaéfuf liWrti. SôtI visage pà^té Kè
tritees ^'UBô glorie\à«e Wèssute. le Ôiràî cbmmetit ii fà
reçue, rien ne saurait mieux moiiti'e^ son caràeUfeVe de fè^
et son incroyable énergie :
C'était à là "balaille de Samalanggàn, une des plus chaudes
à'tfaîrèsdelâ guérite d^Atché. Le colonel vari derHeyden qui
éômihàndàît, reçut cobp 8\ir coup deux blessures à l'œil
^àucbé. À Jà seconde, une talïe traversa l'œil et pénétra si
profondément dans la tête que le colonel la rendait vingt-
six jours après par la gorge ! ... Et malgré cette blessure, il
irîger les mouvements de ses troupes et né
quitta le champ de bataille que lorsque la nuit eut mis fin
au combat !
É^ëst dans leâ campagnes de Samalanggàn, dé Guedong,
dés Vingt-Deux et des Vingt-Six Moukins, qui ont été la fin
(iu grand Àtché, que le colonel van der Hëyden a gagné ses
grades dé général-major et dp lieutenant-général, avec le
titré d'aide de camp du roi des Pays-Bas.
Le général van der Heyden s'est constamment montré
^ôui S!, de la Croix et pour moi d'une courtoisie, d'une
bîènvéillahce , je dois même dire d'une hospitalité dont
hôûs g^tdons un souvenir reconnaissant.
Il est aujourd'hui iiotre collègue à cette Société où j*ai eu
1 hoYineur de le présenter avec M. de Lesseps.
Le kampong chinois d^Oulélé ressemble exactement à tous
les kampongs chinois que j'ai vus à Java, à Singapour, à
Pin^iiff. r. m ivmit m Ghitidïs ^{itto^t^ et fyaVt<M aVec
530 ATGHÉ ET PÉRAK.
leur caractère bien tranché, ne s'assîmilant aucunement aux
populations au milieu desquelles ils vivent. Ils portent la
Chine avec eux et semblent vouloir l'étendre à tous les pays
où ils émigrent Le monde est menacé de devenir une vaste
Chine! — Bienlôtils nous envahiront probablement. Ils vien-
dront chez nous comme domestiques, comme artisans,
comme tailleurs, comme blanchisseurs, comme koulis,
comme cultivateurs peut-être pour combler les vides qui se
font tous les jours plus grands dans nos campagnes.... Il y
aurait trop à dire à ce sujet !
Il me resterait encore, pour remplir le programme de cette
communication, à vous conduire de l'autre côté du détroit
de Malacca, à Pérak, dans la presqu'île malaise. L'heure
m'oblige à vous renvoyer aux ouvrages que j'ai publiés sur
ce sujet *.
J'aurais voulu aussi pouvoir aborder devant vous le cha-
pitre intéressant des femmes d' Atché. — J'ai pu, après l'avoir
vainement tenté avec mon ami pendant cinq mois, pénétrer
seul enfin, à un second voyage, au milieu de ces redouta-
bles Orangs-Atchés dont on nous avait longtemps objecté
la perfidie et la férocité, démontrées encore par le meurtre
de nos deux compatriotes. — J'ai habité le bèntèng de mon
amiTonkouLohong, Kedjourouan de ce pays, et la maison
môme où logeaient trois de ses femmes — en très bonne
harmonie, je dois le dire en passant. — J'ai fait là une
carte d'un coin de pays neuf, qui n'avait pas été encore
relevé, carte bien modeste, dix kilomètres de rivière environ,
mais qui me conduisaient déjà au cœur des montagnes, et
à travers une contrée difficile et dangereuse encore où
plusieurs hommes ont été tués par les tigres pendant mon
séjour. J'ai pu pendant ce temps m'initier aux lois, aux
usages, aux mœurs des Atchés, et j'aurais voulu vous dire
surtout le rôle important que la femme joue dans celte
1. Pérak et les Orangs-Sakeys. Pion, Nourrit et C**, éditeurs; Paris.
ATCHÉ ET PÉRAK. 521
société que nous croyons entièrement sauvage.... Mais le
récit de cet épisode qui a été certainement le plus intéres-
sant de mon voyage va être livré à la publicité, dans un
second volume qui aura pour titre. Chez les Atchés *.
Je n'ai plus qu'un mot à ajouter. Ce sont les idées colo-
niales qui ont dominé mes préoccupations dans mes voyages
et qui les domineront toujours.... Il y a quelques jours* à
peine que mon compagnon de voyage vient d'aborder de
nouveau à Pérakoù il retourne pour commencer un établis-
sement français sur les concessions que nous y avons
obtenues, avec le concours éclairé etTappui le plus bienveil-
lant des autorités anglaises de la colonie.
On commence aujourd'hui à se passionner en France pour
et contreles idées coloniales. Jusqu'ici le réveil de ces idées
qui est dû surtoutau monde géographique avait obtenu une
adhésion générale mais platonique. Aujourd'hui il y a un
progrès dont nous devons nous réjouir: les idées de colo-
nisation trouvent leurs détracteurs, ce qui prouve qu'elles
entrent dans la période de réalisation. A Dieu ne plaise
que je suive celte question sur le terrain politique oîi elle
semble s'engager: je sais que ce serait s'écarter de toutes
les convenances de la Société devant laquelle j'ai l'honneur
de parler. Mais, sans me préoccuper aucunement des pas-
sions de partis qui divisent notre pays, et auxquelles, avec
mes collègues, nous restons étrangers, nous qui dans Téloi-
gnement où nous sommes souvent de notre patrie ne la
voyons que comme un tout uni et ne concevons en France
que des Français, il m'est bien permis d'apporter ici l'opinion
patriotique d'un voyageur et de dire que nous ne pouvons
1 . Ce volume : Chez les Atchés^ Lohong (île de Sumatra) vient de
paraître chez Pion, Nourrit et €'•, 10, rue Garancière, à Paris.
Un troisième volume, qui est le premier du voyage, parait, en même
temps, sous le titre : De France à Sumatray par. Java, Singapour et
Pinang, les Battaks anthropophages, avec cartes et nombreuses illustra-
tions, chez Oudin, 17, rue Bonaparte, à Paris.
5^ V^c#» Pf»M^
On ré4(}jita les Yie^x cliph^, ^mî saipb^p^t fifci^pwt»:
depuis quelque temps, sur le défaut d'aptitudes colonisa-
tripes dp, Bpire rafifi^nous qisfi ^yf^^^ ^( la (JaM4^«t4>P«lps
P*^s,qqi9pt,si {^QfQp4éiz^eaf «HW^erv^l'^Mf^te^reeQl^fi^
q^ ^fT^s^le^j; ^b^cn^UQ^s^ig^ av^PMfLOwiWf.dW^
qR.8l«f*9p ^ndiveD^euHA o^éi^ipç^ ^ W4 i^fl W^W%«W.
Qfl dit qifs no\^s. dis&émiopfi^ no^. ff|ree#»..^ BwséqHUPr
vive à laquelle les ffixq^ d^'m w^J^ BUÎs^^lA §f) «%lr^N^
ÇÇMPK du wqp^e,, syf^is, s^^c^ptuèt^. «^l«l4«|e»?> K%^ n^^
carf^çtèr^ ; ^ dç^jpuo^ g«P^qi^ sftwei^^ f«st^ ffivc^^oili
s'é^r^ssçfl^ qjHftP4t Uf< sp tfcmyeftt ^l^ 4»b& 4^ f^
iQiqtains, eq^p^és.f«c«^ 4'qn%- tj^ç^e lnpQrt^[lto ^ f^WSfm
^'m. ^\kh ^1^ ^1 ^tk^^ri?^; eU« eq fa^t 4§ vy^ ^^^ df
famill^ (}ui uç. s;^raiçrQvitiPa§ 4.ul upqi!>jr«| dg^ leurs wOi^Ui,
WH;<î«qyil?>y/Brrppt 4e l^jp^c^rw^^^. s'î^AWJir 4^]i{Wl^««ih-
^9'}^ PC qi^e l^,C9jlffliis§j^^,a,|v^ AftBAftis «J %ft*qH'^
PÇPt Jf^W Vte A9MÂ1
cftRQj4ftiP OftlftW^lfti GfiWJBÇMt ¥>lW^J^^îi^ûtriJ|, ^^wftPWW-
c^ffX W,Î4 %sq^jjg ç'ç^^ uç^,îîr^pç^, ijvft^ ^ 9!m^m.^Vfm
pures de notre époque, une des plus hautes et des plqs
puissantes çersçun^lités du nipn^ç aq^ot^rj^'l^yÀi «SlL4.«||P«l
n?fllAVfftps viiQiiftftUf d'a^Yoijf.i4 h Wte# t4*%^ftWWï¥M»fl«4fl|t
d^ oeitift. Sûciélé^ qui ouvre aux- na;(ri^teup^ tes ^b^(|n^
portes des océans !
J
f
V0VA6t
DA|<S LIS
PAR
(1876-lg77)
TTTJ mu I.L.I.
à xol 4'm9eftii. U jm a raj^a^té e&T^/^pi» HQQ ^^pi^fi^ de
pianA^ë^ âatr^.^ette ç^UçOipn çooisidéra&te ^U4 i9»( d^j^:^
au Muséum d'histoire naturelle où JH l'a lu^i-OOiito^ étÂ^^Vi^ll^^
l#. iwi!99w ft^lttcajj^ a ri^^m«iU|i iu M>rfmUQm 4'i9t4rôt
{^r^bi^l^ qa*^;»!^ broiitver^ dam 1q.i$ ys^^ $Miy;9<0iles«
l'appréciation du docteur Hamy à ce sujet:
€ M. Vidal ^nèzé^ a ^cpttXjEirJ,, çft Gaaï|)agnie de Jean
Noetzli, des sépultures d'un type fort remarquable sur la
mfmt^tm^ %ie4f»ii«m#. Jl k$ « foi|iUéf^4fM4i^^ en
km wmér'mm^ Au .9w^4>ltoo^Ai)fcii^, ide ites^csIsiQs ii
pfffHKejimt 4^ fQ«iiUm de ML. Snwi^e^ i^fiit été, déjM^^s paie Iqj
1. Cejtie notice a été obli^Q^iivneat revue en épreuve par le fttt|^eur
de la mtssicHi des Lazaristes à Fopayaa. — Les Qobes aocamf a|;«ad»t 4e
524 VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
duHaut-Pérou. Ony voildesvasesd'une facture toute spéciale,
fort différente de ceux qui ont été recueillis dans les autres
parties du Pérou, des ornements en os découpés, des poin-
çons en os dont le manche est orné de figures d'animaux,
des haches de pierre d'un type spécial, des têtes d'idoles ou
autres en pierre, etc., etc.
» La découverte du mode, inconnu jusqu'à présent, des
sépultures de Piedra Grande, et les collections ethnogra-
phiques d'un caractère entièrement nouveau, formées par
le pauvre Senèze dans la région dont il a été le premier
explorateur, offrent un réel intérêt.
)) Quant aux objets recueillis par lui chez les Indiens mo-
dernes du bassin de l'Utcubamba, on les trouvera au musée
d'ethnographie encadrés entre les collections formées plus
au Nord par M. André et plus au sud par M. Wiener. »
Vidai Senèze est mort en 1878, au cours d'un voyage où,
chargé d'une mission par le Muséum, il se disposait à
aborder aux îles Chincha.
A la suite de ce travail de Vidal Senèze, on trouvera deux
notes complémentaires que M. le docteur Hamy a bien
\oulu rédiger: 1* sur la construction des sépultures de
PiCdra Grande; 2" sur les momies rapportées par M Senèze.
PREMIÈRE PARTIE (EQUATEUR)
De Guayaquil à Loja. — Le 20 octobre 1876 nous quit-
tâmes Guayaquil à bord d'une chata (chaloupe) et, passant
auprès de l'île Puna, nous entrâmes deux jours après dans
la rivière de Santa Rosa. Très profonde et large d'environ
300 mètres à son embouchure, cette rivière devient de plus
en plus étroite et décrit, à mesure qu'on la remonte, d'in-
nombrables la(^ets qui en rendent la navigation très difficile.
Le pueblo de Santa Rosa, où nous arrivions le lendemain,
est bâti à une demi-lieue de la rivière, sur la rive gauche,
au milieu d'une grande plaine peu boisée, traversée par une
VOTXGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 525
petite rivière et plusieurs petits cours d'eau. De grands
marais^ remplît de caïmans, s'étendent au sud de la plaine
dont le climat est aussi fiévreux que brûlant*.
Une église est le seul monument du pueblo qui compte
environ 2000 habitants, en majorité de race blanche.
On y voit deux écoles avec un instituteur pour les garçons
et un pour les filles.
Plusieurs excursions que nous fîmes dans les environs
nous permirent d'apprécier les mœurs hospitalières des
habitants, et les richesses botaniques du pays qui est exces-
sivement fertile.
On y cultive surtout le café et le cacao. Ce dernier est
cependant d'une qualité moyenne et ne donne pas toujours
des résultats satisfaisants ; aussi la culture en est-elle un
peu sacrifiée à celle du café. Celui-ci, d'une qualité supé-
rieure, réussit à merveille et rapporte de bien plus beaux
bénéfices que le cacao*.
De Santa Rosa nous nous dirigeâmes sur Ayapamba,
qui en est éloigné d'un jour et demi de marche. Le premier
jour, il faut bien passer et repasser soixante fois la rivière
qui va arroser les plantations de café, cacao et bananiers de
Santa Rosa, et dont les bords sont garnis d'une splendide
végétation. Le climat y est tempéré par le cours d'eau et
l'ombre de grands arbres.
Nous nous déterminâmes à passer la nuit dans un tambo
appelé chouta^y du nom d'un palmier qui fournit la char-
pente du hangar. Les vipères abondent en ce lieu, ainsi que
les singes, dont les hurlements ne favorisent guère le som-
meil du voyageur.
Nous partîmes de très bon matin afin de pouvoir escalader
1. Le climal de Santa Rosa est pourtant meilleur que celui de Guaya-
quil.
2. Le café est exporté au Chili et le cacao en Europe.
3. Simple hangar servant de halte et d*abri. Le mot s*étend quelque-
fois à de tous petits hameaux.
calier tournant, 4QiiA tos ||i«ir/cbA$ ikMtute^ 4'^virQ9 StO p#iit>«-
ip^Uï^ sç trOttVi^At pr(9^tégé^4^is ileiM;;^ cô^téi» pa^ de» pjr^i-
pices eSi?«i)^«E|W. Y^rs IQ b^urf# »o«$ amvÂPfte^à 4|MIFM^toS
^tjH/é .^r le T^^arftt ^.ud^^^t 4e 1^ mcNotogi^ T¥f^a1^ >Ge
village, récemment formé par un prêtre g»! euXie^t.Àfe Ç¥lfi%
ç| les mii^m J^Wt dis^é«()in4$ da^^s )i^ p]y»ff^UiM)^ 4» cmMM»
4 ,9A^e, l4 iK>p«ilMiw i^( boeo^ et JiiQ$|iit;alJy^mt
Nous achetâmes quelques provisions et tA^^e^ix^ectf^
k La vW^t^ Galère; ^^ 4ireçtJi(9i)L vers J^^^v\^xf^^ gr^ «iU^lge,
étoÀg^ d'4ja|^9A3^ de qtt«.tF.^ Im^uta^^ de jQlidf^çlji.e, J^i^k
^pir |jP9?(^sé la rivji^r.^ il f^^t la U)A^r fiQi^aQt. VAÇ bei^#
JBft c^t ftHiroU je rwftofttrai dew Aoî^icfiî^s^MW. Vmi?
et Tibian Crausse, à qui je devais préçi^p^ejg^ vj^m^f^ 4^
l#jttr<e$ 4^ la P9,rt du c^M^ ^ngjt^ d^ j%viayi(^il^ ;]Ml. £ilj»pi-
Pr^s^r^étiiife* d^ «aeli|»^ miy^s d'w, iU Dçi'asswrèr^t
^^e la mQfAdk^m r,en%i&aU .uq ^md i¥>flal>r^ 4^ ftlm^
4'iç)iP, 4'drg<it$it ^ (te 4^iwivF«, Um J^amma f^ tûea dé^z^u^ ûê^
SAn^gokQÎçi^A? (Sjailç^d^r; ^tg^ mpe$.s|ont ^Jikaiidoiinéçi^, €^,06%
les exploiter il faudrait commenc^j^ p^r to^ d^ cbe0?w$
piMT l^ .tr»9ji|K^r|b,d«;s piac]!»o^Sp QAj^djitf d^mei^épét^içaa^re
rteUei%§ie«.:^
i;f]^ partaat di& ^a<P«MAa^ oau» d@^(^i^<Ui9^ P^od^SLAl eii^-
1. Plaine des Morts. — Hauteur: 1536 mètres.
8. Zaruffîa, liauieiif* 1^) raUre^, Win^éraUii*d nu>y«»«^ 4» ^t# 4 M* C.
Le travail des mines d*or de Zaruma a été repris depuis 1880 par une
GQ0]|>a^aiç ^i^j^laise. Ver^ ^a fi9 4$ 1883., comice les résultats ne satis-
faisaient les grandes espérances des membres de la Compagnie, on éli^t
sur le point d*abandonAer les travaux,. Afai^ actu^Uement^ ia découverte
de Tvicieftae mn^ de Porto ÇplQ est v^Hp (loftftW du eomriife ejt aii^-
mejD^er les capitaux (6 novembre 1884).
, vw^ illl9,l|iHiee i9fe4^4ii^ 4u hm 4e* ta mofHagae mide le
Apr^ «iv^ir p^ssé .e# ppot, h IQQ pH^eo d» (|iftka«è0^ ^ir
Ifim. mi^ m'9,Ymt apport»* qvwlqUes bousille», qu4 jie
(}^i#li^Î3 4 rmnw^ 4ie§ j^^p^ote, d^^ iùseolds qii dos poi»«
mis les p)i»ii4i^ ft^piî^s y ftyofep iftiçoduili w p«a 4« tefue.
l'^u ^i)i« il: <^iHHit«. §1 1^ ^Mii^i^te paMiM?«a plus: t^çti^meu m
^m^. (§»M^ bi^ft m srç»tà#F?> afôst qu'une IPDgue sém
d^iorp^f^ (}H g«ié&et d^^^^ide liàni»«, mterpQiqp«M> ç&
^ là P^P <!#§ QeijCHlUlf[Uâ& ^0»«df*t9«: d« pr^lfies natnfrelld»*
^p^^iM^l^ ^«^nsii^ de 4>^ k^m^f depuis h nmhp»'
hf^m9^,!mm €^4RQH*.eiifl«vft«wle*omaaetde la^montegne»
Le voyageur t^iD^j^^ 1^ »a, QUfé et va QQ^alURe dféOQ)«v
C4pftl^s,i«wt«fii # lèpcQviiwife et tetead:iwft«i»«w*» pMiw»
P9HF tÇ*i^,
Pour arriver à Lojja il faut descendre.toat d'atbord p.eudaat
cinq heures, puis traverser une grande pl^ijRe. ÛIPuIte Qk
brûlante, le C^^m^yo^ arroii^éie pw if ois ewrs d'es^u^ tdbii-
taifes de la grande rkière Achira qui se jettQ près de Tuipbez.
daçs Je Paciflqne.. CetfQ vdlé^ e^sit prjwque ah3»d«aaé« 4
c^p§:d^ §Q(KQàfl»W$ Qlipat); la fiè^iie itérée y rAgae eo' sm^u»
varaine» el' quelques nègres sont les seul.3. habitants qu'elle
accepte ^ans tfopleg toMpfiafiul^r.
Après la vallée du Galamayo il faut gjpai^ifilai «ii^iatogae^
528 VOYAGE DANS l'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
Yillonaco. Arrivés à la hauteur de 2786 mètres on jouit d'un
magnifique paysage. Les Cordillères des Andes« réunies au
nœud de Cajanuma, se séparent de nouveau pour former
une belle petite vallée, d'un climat tempéré (de 18* à 20* C.)
et bien cultivée. Au fond du paysage, au pied de la Cordil-
lère orientale S s'élève la ville de Loja, chef-lieu de la
province de Loja, la plus méridionale de la République de
rÉquateur. Deux rivières, Zamora et Malacatos, sorties du
nœud de Cajanuma, baignent la ville, et viennent se joindre
à son extrémité Nord pour aller porter leurs eaux, sous le
nom de rio Zamora, au roi des fleuves, le Maragnon.
Loja *, une des plus anciennes villes de l'Equateur, est
bien déchue de sa richesse et de son commerce'. Elle a, vue
de près, un aspect triste et misérable : de longues rues mal-
propres, bordées de petites maisons assez mal conservées.
La cathédrale, dont les murs sont en torchis et la façade en
briques, est le plus beau monument de la province. Elle
possède un hôpital, un collège national pour l'enseignement
secondaire, un séminaire confié à des missionnaires français,
les Lazaristes, des écoles laïques et un vaste établissement
d'enseignement primaire, dirigé par des frères des écoles
chrétiennes, dont le supérieur est Français.
Ces nombreux établissements d'instruction indiquent que
la population (d'environ 8 à 10000 habitants) est avide de
civilisation et de progrès. Mais elle a beaucoup à faire pour
sortir de la misère et de l'abattement qui la consument.
1. Hauteur de la partie la plus élevée de la Cordillère orientale près
de Loja : 3000 mètres. ^
% Hauteur de la place de la cathédrale : 2220 mètres.
3. A Test de Loja, de Tautre côté de la Cordillère orientale, à une
journée de marche, vivent les Jivaros, sauvages nomades assez pacifiques;
ils descendent de ces Indiens qui égorgèrent les colons espagnols de plu-
sieurs villes riches. Les rivières de cette région charrient de Tor de très^
bonne qualité. On s*occupe en ce moment de vérifier si ces lavaderos
pourraient être travaillés avec quelque utilité, malgré les difficultés que
présente la permanence au milieu des sauvages et le manque de bonnes
voies de communication.
VOYAGE DANS L'ÉQUATëUR ET LE PÉROU. 529
Les habitants sont en majeure partie de race blanche; mais
les blancs n'aiment pas le travail, qu'ils laissent exécuter
d'une manière plus ou moins intelligente par les Indiens de
la vallée. Les révolutions incessantes et le manque de voies
de communication obligent la ville et la province à une
apathie profonde et à une pauvreté qui augmente chaque
jour. Le commerce des quinquinas* , est en souffrance et
même en agonie. L3.Cascarilla fina, la seule qui donne un
véritable profit, tous frais payés, a été brutalement exploitée
par des ouvriers avides d'un triste gain et peu soucieux du
lendemain. On voit sans doute les forêts de la province
remplies de quinquinas, mais d'une qualité inférieure, et dont
la vente ne correspond pas aux frais d'extraction et de
transport par des chemins horribles.
Tous les fruits, les légumes et les céréales des tropiques
et de l'Europe, même le blé, viennent bien dans la plaine
de Loja où règne toute Tannée une douce température, un
printemps continuel. Le meilleur fruit que j'y trouvai est
appelé chirimoya; il pèse en moyenne une livre, et sa chair
extrêmement fine, parfumée, a un goût exquis.
Nous eûmes le plaisir de rencontrer à Loja des compa-
triotes, les PP. Lazaristes, qui, non seulement nous offri-
rent l'hospitaliLé, mais nous donnèrent aussi tous les ren-
seignements que nous pouvions désirer. Grâce à leur con-
cours désintéressé et à leur précieux appui, nous entre-
primes plusieurs excursions dans les environs, ce qui
présentait alors de grandes difficultés, car le pays était en
révolution, et l'on ne pouvait faire un pas hors de la ville,
sans se munir de laissez-passer que les autorités civiles et
militaires presque affolées ne délivraient pas à tout le
monde.
t. Le produit des forêts du plateau de Loja est réputé comme le meil-
leur des quinquinas. C'est dans les monts Uritusinga, entre Loja et Vil-
cabamba, qu'on découvrit pour la première fois les propriétés de cette
précieuse plante. On suit encore dans le pays les procédés d'extraction
indiqués en 1739 par M. de Jussicu.
Après AVùlr fait tiHe àirhple itoôiss6n de )^1«irt^, je làïëM.
% là ^M-de de» ^ères, H. Noetsiti dont Tétat de âaûté M^îAè-
|>irait de viveâ inquiéfcrdes, et je Édé bàtài de poH>e1^ tiôs
é^écliôffi à Sàûta Rosà.
En dieitiîn je rencontrai lànt d'obstacles {^Ms^ ipnt les
difiéréïits par tt« qui se disptitaient le pêuvô^îf, ctiTè Jèr i^rtft
h'en jamais finit. Je pus eependairt ramasser encore q^eltjiies
plantes et dés graines de palDhiê^ d^ttne grande Valeur côtÈl-
wièt'Cfiale; et, tantôt àsant éè tente la patîtocie dMt M
homme e^t capable, tantôt employait la ruse, (|ueh|WeMiè
nvèftïe la forcfé, J'âirrivai heufeuseinent âss^ï tôt à SkiHk
Rôda petir y préiidre la chata q«i me taÉnèfft^ â tïuà^^IlH.
Je descendi* Chez les PP. Lafcaristefs frattÇâis^ àuiafi^àiei*s
des hôpitaux, et chez edt, pkis tt'anéfùille qtie dani^ tah
hôtel, A'ayaftt auc^ttfè' dépensé à faire. Je tfatailW Côttftne
un nègre à prépara Mes ettv^oi^ pottr l'Eiîifope, Sept j^irs
âèprès, ayant p^'ssé ^tiatrë ifiuifi Èur sept, je pôu'tais éxpé-^
dier dix-'neuf grandes cai>»!^e>s d« plflfntes et dieux ût&sÉé^ de
poisèotts; pnîs, retoet^ciaM les autoôiiiei** xjfoi tft'aVâîèttl
aidé de toutes tnaïAi^es, je repartie pour Loja oîi j€l
trouvai M> Noelîili très souffrant. Il avait voulu faiî^ une
exctfrsiOA' datis lei ParàmoB des montaignes Voisines ; ttiafs
la piuie cO'ntinuelle et le f^oid avaient àggraté sït maladie,
et ravaieAt obligé même à gardet te Ht.
Pendant Ce te^ps je fis une excursion à Chiquirtbatnfos.
Je m'y rendis en passait par las Juntas, village situé au
Confluent des rivièfreift ZaMôra et inttXaas qui foftiMm la
grfeinde rivière de Zamy^ra. On rappelle âinài parce ttu'en
cet endroit, à Ces dteux riitiète*, se rétftiit uh àilliré cottr*
d'ean-, le Cachi-pircà.
Le village de Ghiquiribamba est situé presque au notd«
oMsfc de Loja, sur un plateau froid^ hafnide et élcfvé d'en-
viron 3000 mètres. Sîei^ 4000 habitants sont touâ indiéfts
pur sang^ passablement adonnés à l'eau-de-vie.
J^observai dans ce village une eoHetiser tâH^tiifitè Ab«
W^àéE ÈAM rfi^AtËtA Wt LE mÈi6Xf. 99(1
JétltiéS gefA^ véVileiit i^'uAir, la jeune fill^ é^l ^i â<^ eH iép^
cl^n lé c^^é, potir ^pt'ê^idne Itt dk^ttlD^ <!«f U refligiôn
ctiffétietti^é, éf être à l'abri dés ihipeftinetiees dé âôâ futat
époux. PéûdaKlt ce téolp^é 4us«i, Toii téi^ifie &^il é:sisié qud*'
(faë empêchement, et lé âMiriàfge se célèbre dès (}Ue la
jeune fille et le jeune homme saveAt leùt dbrtrine et qu'il
esibieii reconnu qu'au cAn empêchement ne s'oppose à leur
tîn jottt •, eïi reveofânt d'mié eîrcuf ôiôtt, je j^assai par la
1.' €ettécoutmrte teii4> à disparaître, et Mgr Tévéque- de Loja se pi*0'-
pote de la détruire complètement.
â. Ce que M. Senèze Raconte de La Montafla de la tleitiaf est-il' une
réillité? rai ifttefi^egé j^lue de ^u$n^ persoiitoe« pour effoSt quelques
doAhéeë sur cette montagne de la Reina; aucune n*a pt» me Tindiquef.
Toutes, au contraire, affirmaient n'avoir jamais oui parler d*une telle
montagne entre Loja et Ghiquiribamba. Je tentai alors une dernière
yél'iftcation. Je ptm M. Domfâjg^o Burilèo, riche pfd|yriéYîai)*è d^ L6ja, qdfe
distinguent surtout sa générosité et sa sympathie pour les étrangers» jb
le priai, dis-je, de vouloir bien interroger lui-même les Indiens de son
imMense hacienda. Ancun d'eux ne connaissait cette montagne ; aucun
n^an^ait vu le palais, etc. Âlbrs il oMloAtia à quati^ Indiens d'allôf pâi*
monts ei par vaux vérifier TeXistenee de ce palais, do c<Ss statuts et de%
sculptures. Leurs recherches ont abouti à reconnaître Texistence de fon-
dements (cimientos), d'une grande maison (âÛ mètres de long sur 20 de
lafge) dans la montiagne qtii se' trouve entre l^aticien clieMin de Loja à
Cuenca (chemin de Gaehi-pirca ) et le hameau de Taquik Cet endroit s'ap^
pelle Caja-tambo,
U est à remarquer qu'à Taquil on voit beaucoup de pierres de taillé
aV^c iofûelqUcà sictilptui^ès. Le« f indiens s'en sotit sef'Vis ptmt tlore liâât^
petites propriétés^
Dans la vallée du Gatamayo, entre Cisné et Loja, prèe de la hacienda
du Valle-Hermoso, on voit un ràonticule que tous les voyageurs regardent
céMMe arlilkiél. Et cettie opinion' est cx>nfirifiée pa^ les di(fét*^nis objets
indiens trouvés lors d'nne tranohée ppatiqûée pour amener danto lies prat^
ries voisines un bon cours d'eau. J'ai cru utile de donner oette indication
dont pourra profiler quelque voyageur.
i^rëk> d^ villiag^ de San Éucais, au nerd'-ottest dis Loja, Àlrr ¥é chémiti dis
L<]jia âf Zâraguo, au lieu désigné par le nom de Tambù Blanca, eurent
lieu) en 1858, des fouilles qui donnèrent quelfyies objets en cuivre bien
doré ; à côté' des excavations on voyait des restes assez bien (Conservés
d'habitations d'anoienk Ihdicfn&.
532 VOYAGE DANS L'ÉQUATEUU ET LE PÉROU.
haute montagne de la Reina où je vis un grand noaibre de
statues en pierre. .L'une d'elles, beaucoup plus grande que
les autres, représentait, me dit-on, la reine qui gouvernait
le pays avant la conquête. Tout ce pays est couvert de ruines
qui attestent une ancienne et puissante civilisation, mais
les plus considérables et les mieux conservées sont celles
que je visitai en revenant à Loja.
Figurez-vous de vastes monuments de forme quadrangu-
laire dont les pierres, fort bien taillées et d'une régularité
parfaite, se superpbsent si exactement qu'il est impossible
de faire pénétrer une lame de couteau. entre les parties
juxtaposées. La plupart de ces pierres de taille sont ornée^
de portraits et de sculptures, les uns rappelant les traits des
Incas, les autres ressemblant à s'y méprendre aux ruines de
l'ancienne Palenque du Yucatan. Les dimensions et la dis-
position des ruines font supposer la destination primitive
de ces monuments qui étaient, sans doute, des temples et
des palais.
Un de ceux qui me frappa le plus formait un rectangle
de 20 mètres de longueur sur 40 de largeur, avec des portes
de 1"*,20 sur 3 mètres de hauteur. Toutes les pierres étaient
plus ou moins bien sculptées.
La plus haute muraille avait 5 mètres et 1 mètre d'épais-
seur; mais l'accumulation des matériaux me ôt penser
qu'elle avait dû avoir une bien plus grande hauteur et le
monument plus d'un étage. A 2 mètres au-dessus du sol on
voyait encore quelques fenêtres de forme carrée et grandes
d'un mètre. Enfin, aux alentours, des statues pour la plu-
part mutilées, sont presque enfouies dans la terre; peut-
être serait-il à désirer qu'elles le fussent tout à fait.
Dans ce beau pays, où il n'y a pas un homme capable
d'imiter de tels chefs-d'œuvre, le fermier démolit les palais
des rois et des princes, en précipite les débris du haut des
montagnes pour bâtir ses haciendas, et les plus belles
sculptures sont usées par le sabot des mules!
VOYAGE DANS l'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 533
A Loja, où je rentrai après neuf jours d'absence, je
retrouvai mon compagnon un peu mieux portant.
Nous prîmes encore quelques jours de repos et» prêts à
supporter les fatigues d'un des plus pénibles voyages que
j'aie fait dans ma longue vie d'aventures, nous remerciâmes
ies Lazaristes qui nous avaient si bien accueillis, si bien
ret)seignés, et nous nous dirigeâmes au Sud pour gagner le
pueblo de Vilcabamba.
De Loja à Yangana. — Nous marchâmes d'abord pen-
*dant quelques heures sur la rive droite de la rivière de Ma-
lacatos, que nous traversâmes vers deux heures de Taprès-
midi, après avoir reconnu qu'elle prenaitsasourceaunœud
de Gajanuma, à l'est du chemin qui conduit à Vilcabamba.
A cet endroit même, de l'autre côté de la Cordillère latérale
qui unit les deux principales, prend sa source la rivière qui
<lescendà Malacatos, et qui, unieau grand riqdePiscobamba,
forme le rio Grande qui arrose le Gatamayo et se jette sous
•ce dernier nom dans le Pacifique, après avoir changé encore
^on nom pour celui d'Achira. Nous traversâmes donc
"Cette nouvelle rivière qui sort de Gajanuma près de l'ha-
cienda de Landangui, laissant à notre droite le village de
Malacatos avec ses belles plantations de bananiers et
de cannes à sucre. Il nous fallut tout d'abord gravir une
-petite montagne et la descendre aussitôt pour arriver au
petit vallon oîi se trouve le pueblo de Vilcabamba ou la
Victoria, entouré de petites et belles propriétés où se cuUi-
'venty comme de coutume, le bananier, la canne à sucre et
le café.
* De Vilcabamba nous partîmes pour la hacienda de Pal-
tnira. Le chemin est un affreux sentier; nous fûmes
heureux d'avoir beau temps, car le voyage par ces mon-
tagnes et leurs torrents impétueux devient plus qu'in-
téressant lorsque tout à coup éclate un orage, et le
voyageur se trouve sans abri et à une grande distance des
habitations.
soc. DE GÉ06R. — 4« TRIMESTRE 1885. VI. — 36
534 voTAGE i)Âirs l'équàteur bt le Pérou.
Nous arrivons enfin à la ferme de la Palmira, après avoir
traversé le Rio Grande ou de Piscobamba.
 huit heures du matin, nous quittions la Palmira. Heu-
reusement le temps était beacr, car^dans un pays oii il pleut
pendant dix mois sur douze, l'affreux sentier que nous sui-
vîmes toute la journée à travers les montagnes, plusieurs
rivières et d'innombrables quebradasydoitèirebien rarement
praticable. Sur les flancs des montagnes nous vîmes quelques
rares et misérables cases, mais au loin nous aperçûmes la
belle et riche vallée de Malacatos que nous laissâmes sur la
droite pour descendre au pueblo de Vilcabamba.
Ce petit hameau renferme 3000 habitants, la plupart
de race blanche disséminés dans la vallée. C'est ici, qu'il
y a près d'un siècle et demi, le curé réparait les tuyaux
de la grande lunette de seize pieds qui servait à La Gonda-
mine pour ses observations de longitude; et l'illustre savant
reconnaît que, sans l'humble curé, son instrument n'eût été
pour lui qu'un fardeau embarrassant. Nous ne songions,
nous, qu'à réparer nos forces; aussi fûmies-nous agréable-
ment surpris en voyant venir à notre rencontre le senor don
Augustin Palacio, parent de l'évêque de Loja et riche hacien-
dero qui nous offrit l'hospitalité dans sa maison bâtie sur
un monticule :à une petite distance du pueblo.
Les environs du village sont très fertiles, mais les
montagnes sont presque toutes dénuées de végétation,
car le terrain n'est guère que du gravier*. Dans les lieux
abrités et recouverts d'un peu' de bonne terre, on voit ea
abondance diverses qualités de cascarillas toutes bien pré-
cieuses. »
Notre hôte nous fournit de nombreux renseignements sur
1. n me semble utile de sij^naler un livre qu'a publié le docteur Wolf^
ex-jésuite,et qui contient des indications précieuses, surtout de très bonnes
cartes géographiques. Voici le titre de l'ouvrage : Vicies cientificos por
la Repûblica del EcxMdor^ vérificadog y publicados pororden del supremo
gobiemo de la misma Repûblica, por ei doctor Wolf. Guayaquil, 1879.
VOYAGE DANS l'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 535
le pays, principaleineDt sur le bassin de la rivière qui
charrie des sables aurifères. Le lendemain matin nous allâmes
visiter avec lui d'anciennes galeries de mines dont la cons*
truction est probablement antérieure à la conquête.
Elles sont situées à une lieue et demie du pueblo, sur
les bords de la rivière, au pied d'une haute montagne où
elles s'enfoncent. Il y en a de très profondes : les unes
droites, les autres plus ou moins courbées ; toutes sont plus
basses à l'entrée qu'à l'intérieur, disposition qui a pour
but de faciliter l'écoulement des eaux. On y trouve
encore les débris de vieux fourneaux qui ont servi à fondre
l'or.
Il y a quelques années, des gens du pap visitant ces
galeries, trouvèrent au fond d'un creuset quelques grammes
d'or qu'ils recueillirent, et, pensant en trouver davantage,
ils brisèrent plusieurs autres creusets et démolirent quelques
petites maisonnettes.
Ces maisonnettes, faites de petites pierres et d'adobeSy se
rencontrent toujours à l'entrée des galeries qui renferment
encore des cadavres, des poteries, des outils en bois sculpté,
des haches en bronze et de vieilles étoffes. Dans quelques
endroits il y a des piliers taillés dans la roche elle-même;
plusieurs galeries sont entièrement écroulées ou menacent
ruine, d'autres sont en bon état et résisteront probablement
longtemps encore, s'il ne survient pas de tremblement de
terre.
Nous revînmes au pueblo en passant par le haut de la
montagne et vîmes sur notre gauche de nombreuses ruines^
beaucoup moins importantes que toutes les précédentes,
mais qui ne manquent pourtant pas d'intérêt. Après avoir
Ce même géologue prépare une carte générale de la République de
TÉquateur qui sera la meilleure que Ton connaisse.
1. M. Augustin Palacio, qui accompagnait M. Senèze, assure qu'i\ leur
retour, ils ne virent point ces restes de maisons.
536 yoYAGE DANS l'équateur et le Pérou.
vu les débris des temples et des palais, noas avions devant
nous la pauvre demeure de ceux qui construisaient ces
spacieux monuments, ou creusaient ces immenses galeries
pour enrichir Tlnca et ses conquérants. Leurs maisons^
étaient de forme ronde, bâties en pierre; et nous remar-
quâmes que les murs — de deux à trois pieds de hauteur
et deux pieds d'épaisseur — étaient tous adossés à la mon-
tagne.
' En l'absence du propriétaire, M. Garrion, sa fille nous
reçut fort bien et nous fit préparer un excellent souper
composé de mais et d'une belle volaille.
Le lendemain nous passâmes deux heures à herboriser
sur les bords de la rivière qui traverse une jolie vallée
de 3 à 4 lieues de long sur une de large. Le climat est plus
chaud qu*à Loja; tous les fruits et plantes des tropiques y
viennent bien, surtout la canne à sucre. L'hacienda compte
120 habitants; le maître, M. Miguel Garrion, est un homme
expérimenté, à l'esprit ouvert à tous les progrès; ses essais
de plantes alimentaires ont généralement donné de très
^eaux résultats. Nous pûmes constater entre autres que
plusieurs pieds de vigne, plantés deux ans auparavant,
portaient déjà des fruits.
De retour à son hacienda M. Garrion s'empressa de nous
faire connaître tout ce qui pouvait nous intéresser. Il nous
conduisit de l'autre côté de la rivière, à une centaine de
mètres de la rive droite, dans un endroit apppelé a la Huaca
de Quinarà. c G'est là, nous dit-il, que lors de la conquête,
-s^arrêtèrent les vingt mille Indiens venant de l'Equateur
pour rapporter la rançon du roi Atahualpa. Un courrier leur
apprit que Pizarre avait fait égorger l'infortuné souverain à
Cajamarca, et les engagea à creuser un trou en ce lieu pour
.1. Le voyageur donnera de plus grands détails sur ces maisons lorsque,
plus tard, il en rencontrera de mieux conservées. 11 semble appartenir à
.cette classe si peu nombreuse de voyageurs qui ne racontent que ce
qu'ils voient.
VOYAGE DANS l'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 537
y enfouir des trésors qu'on n'a jamais retrouvés. M. Garrion
et d'autres propriétaires ont fait faire des fouilles jusqu'à
20 mètres de profondeur sans découvrir autre chose qu'une
idole en pierre grossièrement sculptée *•
1 . A la demande des PP. Lazaristes qui ont revu le travail de M. Senèze,
M. Garrion a eu la bonté d'écrire (1878) ce qu'il savait touchant celte fa-
meuse « Uuaca de Quinarà ». Se servant de ces données et de tous les
autres renseignements qu'ils ont pu recueillir auprès des habitants de
iiOJay les PP. Lazaristes ont rédigé la notice suivante :
Le trésor de Quinara, — Dans la province de Loja (République d»
rÉquateur), se trouve la petite vallée de Piscobamba, dépendante du vil-
lage de Vilcabamba et à deux journées de marche du chef-lieu de la
province, Loja. Située dans la partie occidentale de la Cordillère des Andes,
elle est entourée d'assez hautes montagnes nues et arrosée par une ri-
vière qui porte son nom, et qui, après s'être unie à divers torrents, va se
jeter dans le Pacifique.
A 250 mètres de la rivière, sur la rive droite et à 30 mètres au-dessus
de son niveau d'eao, dans la propriété ou hacienda appelée Quinara, on
voit un plan à peu près circulaire d'environ 50 mètres de long sur 30 de
lai^e, formé de pierres roulées, unies avec de la boue, où se trouvent
mêlés des fragments de poterio.
Ces fondements (cimientos) de l'épaisseur d'nn mètre, s^ trouvent as-
sis au pied d'un mamelon couronné de pierres verticales. Le côté oriental
de la plate-forme- se trouve démoli par des fouilles entreprises à diverses
époques.
Le petit mamelon, très bien orienté, a une tranchée d'environ l'^,50,
où fut rencontré le squelette d'un Indien et sur le squelette une pierre de
forme pyramidale.
Avant de raconter ce que nous a transmis la tradition sur ces travaux,
il est bon de rappeler un fait d'histoire.
En 1553, l'Inca Atahualpa était à Gajamarca (Pérou), prisonnier du Con-
quistador Francisco Pizarre. Il promit au chef espagnol une grande quan-
tité d'or et d'argent s'il le mettait en liberté. « Je te donnerai, hii dit le
monarque, autant d'or et d'argent qu'il en faudra pour couvrir le sol de
cet appartement. » Voyant les Espagnols surpris* d'une semblable pro-
messe, il ajouta : c Mon seulement je te donnerai ce que je viens de t'oifrir,
niais encore j'y joindrai la quantité nécessaire pour atteindre la hauteur
qu'indique mon bras.» (La salle mesurait 22 pieds de long sur 17 de
large; et la main de l'Inca indiquait 9 pieds de haut).
Pizarre accepta à Tinstant et on signa un contrat. L'Inca mit cependant
deux conditions : la première qu'on ne fondrait les pièces d'or ou d'ar-
gent qu'après avoir rempli la promesse ; la seconde qu'on lui accorderait
un laps de temps suffisant pour réunir des différentes provinces de l'emw
538 VOYAGE DANS L*ÉQUATE1JR ET LE PÉROU.
Pendant qae Noetsli s'occupait aux enyirbns de la Palmira,
je me rendis au petit village de Yaiigana, éloigné d'une
heure et demie de marche. Le chemin est tout indiqué par
le cours du torrent ; on est presque toujours dans l'eau^
Jusqu'à rentrée du village, qui compte une douzaine de
maisons et 50 habitants, dont la plupart sont affligés d'énor-
mes goitres.
Le village de Yangana est situé au pied de très hautes
pire les métaux précieux promis. Les eonditions furent acceptées; et les
oidres ayant été donnés aussitôt, Gajamarpa vit bientôt arriver de grandes
quantités d'or et d'argent. Gusco et Quito devaient envoyer une forte part
Pour ce qui regarde l'envoi du royaume de Quito, il est certain que Ru*
mignahui chercha à en retarder la remise. Les Espagnols impatients de
se partager le butin déjà réuni, et craignant par-dessus tout une attaque
sérieuse en faveur de leur prisonnier, prononcèrent contre Atahualpa la
peine de mort, et Tlnca fut exécuté le 29 août 1553.
Voilà ce que nous dit l'histoire. Elle est complétée par une tradition
constante en ces pays. La voici :
Un Indien, jeune encore*, quand se réunissaient les quantités d'or et
d'argent du royaume de Quito, se trouva dans la vallée de Piscobamba,
lieu déterminé pour la réunion des objets^ U vit arriver des nuées d'In-
diens chargés du transport et de la garde du trésor sous la condaite du
capitaine Quinar^. Us se disposaient à marcher vers Cajamarea lorsqu'ils
apprirent la fatale nouvelle de la mort de leur souverain . Aussitôt la réso*
lution est prise de cacher le trésor royal, pour le soustraire à l'avidité
des étrangers et pouvoir le reprendre en des temps meilleurs.
Cet Indien se trouvait à Lima chez les jésuites. Se sentant mourir, il
voulut montrer sa gratitude envers ces bons pères, ses bienfaiteurs, en
leur découvrant, chose rare chez un Indien, le splendide et immense tré-
sor de Quinara. On crut à ses paroles et un plan** fut dressé sons sa dictée.
. Bientôt après partait pour Piscobamba.un frère de la même compagnie
à la recherche de la plate-forme et du trésor* Il fit des excavations dont
on voit encore la trace, consomma les fends, se découragea et revint à
Lima> laissant aux habitants du pays de Loja le plan et la narration du vieil
Indien. On devait trouver diverses couches de gravier et de terre, de
grandes pierres (gtiajalanchesjy une pierre portant le dessin grossièrement
gravé d'une figure humaine qui indiquerait .la distance, et la direction du
trésor et une quipa****
* Je n'ai pu vérifier à qvteWe époque pi'ëcise les jésuites s'établirent à Lima. Il
.serait bpa de s'assurer du fait pour pouvoir accepter le commeneement de li nar-
ration de cette légende.
' ** Ce plan est désigné à Loja par Jerrotero,
*** Grande conque marine percée d'un trou au- bout de la spirale et Servant de
trompette pour les courriers et soldais.
VOYAGE BANS L'ÉQTJATEUR ET LE PÉROU. 539
montagnes excessivement ravinées ; le climat y est tempéré
et humide.
Je ne fis qu'y passer la nuit, et me bâtai d'aller rejoindre
mon compagnon à la Palmira.
Je retournai deux jours après à Yangana pour visiter les
hautes montagnes du Zamora, tandis que M. Noetzli, entouré
de soins par la famille Garrion, réparait ses forces et se
Vers la fin du xvii» siècle, un habitant de Vilcabamba continua, mais
vainement aussi, les travaux du frère jésuite.
' Au commencement du xviii« siècle, quelques habitanfs de la ville de
Loja formèrent une société dont l'acte passé devant notaire, existe en^
<;ore, m'assure-t-on. Pour des causes ignorées jusqu'à présent, les* tra-
vaux ne furent pas entrepris. ^
En 1787, le capitaine espagnol Romero, ayant découvert un trésor
<l*objet8 en or dans le torrent voisin de la plate-forme de Quinara, le
corregidor général de Loja, M. Pierre-Xavier Vatdivieso, exigea la part
d*or qui revenait au fisc ; et lui-même encouragé par cette découverte,
«e mit à la recherche du trésor de Quinara en 1790; mais aptes avoir
employé la somme d'environ 8000 pesos (32 000 francs), il abandonna les
travaux.
En 1819, les principaux habitants de Loja formèrent une compagnie,
rénnirent 4000 pesos (16 000 francs) et recommencèrent les fouilles.
Comme leurs prédécesseurs, ils firent les excavations dans la partie orien-
tale de la plafe-fôrme. Bientôt, on découvrit les grandes pierres (Pune dé
ces pierres sert de pieu dans la hacienda de Palmira et Tautre gît auprès
de la plate-forme). En continuant les travaux avec enthousiasme, le
désiré mascaron apparut, mais on n*en reconnut le dessin qu'après l'avoir
remué à plusieurs reprises et l'avoir mis en état d'être sorti du trou.
A la vue de ces objets la joie et l'avarice des chercheurs augmentent à
l'excès. On veut arriver à la dernière couche qui est iodiquée. On déterre
la quipa ainsi qu'une figure grotesque en terre cuite. Mais de quel coté
faut-il maintenant diriger l'excavation? Gomment était placé le masca-
ron? On doute, on se dispute; l'époque des pluies, torrentielles cette an-
née-là,' arrive, et les travaux sont abandonnés.
Les détails de cette excavation ont été fournis par un Indien de la
vallée même de Piscobamba, Gâvino Camacho, qui vivait encore en 1877^
«t qui travailla comme ouvrier aux fouilles de 1819. En 1834, 1854, 1869*,
1877, 1880, ont été formées d'autres compagnies d'excavations, elles n'ont
rien obtenu de nouveau.
Le principal entrepreneur de 1834, M. Segundo Palacio, qui avait assisté
aux fouilles de 1819, était tellement résolu de donner aux travaux un
* En i869 on essaya de changer le lit de la rivière de Piscobamba et de 1*
4:onduire sur la plate-forme afin qu'à l'époque del pluies la rivière elle-même
servit à déblayer le terrain.
540 VOYAGE DANS L'EQUATEUR ET LE PÉROU.
préparait ainsi aux fatigues des prochaines excursions dans
les montagnes.
Ce que je remarquai tout d'abord en avançant vers Test,
ce fut la quantité de petits serpents crotal qui pullulent sur
les arbres par groupes de trois, cinq, sept, enroulés sur eux»
mêmes. Il y a deux espèces de serpents : les uns, jaune d'or
sur les côtés, ont la tête verd&tre et grise en forme de lance;
caractère sérieux, qu'il acheta une troupe de nègres et les ûxa sur ses '
terres aux environs de Quinara, leur donna des terres, des plantations,
des bananiers et d'autres avantages, à la seule condition de travailler aux
fouilles. Les esclaves s'échappèrent, s'enfuyantau Pérou où l'on avait aboli
l'esclavage.
Il dut renifncer à son entreprise mais après avoir subi de grandes
pertes.
Actuellement le propriétaire de la hacienda de Palmira, s'est mis au
travail de la recherche avec une constance rare, malgré bon nombre de
difficultés, provenant surtout des moyens d'excavations par trop primitif.
ïi a pratiqué des souterrains à la profondeur de 20 à 30 mètres. Le
terrain est toujours du gravier et du sable. £n examinant le mascaron
il a découvert sur chaque face de la pierre qui est à peu près une
pyramide tronquée, des dessins plus ou moins exprimés. Que signifient
ces dessins ? Les hypothèses abondent. On désire des conseils de la part
d'hommes intelligents comme aussi le concours de personnes résolues à
poursuivre un travail qui, aboutissaut à un bon résultat, donnera une
fortune immense et des documents historiques précieux.
Loja, 14 juin 1884.
Voici ce que dit le colonel don Antonio de Alcedo dans son Diction-^
naire* géographique et historique des Indes occidentales, tome IV,
page 358, « Qulnara : t>
(S, Quinara, vallée grande et belle de la province et Corregimiento de
Loja dans le royaume de Quito et du district du village de Malacatos, est
célèbre par la tradition antique que Quinara, capitaine de Tlnca Atahualpa,
enterra en ce lieu le trésor qu'il apportait à Francisco Pixarre pour le
l'achat de ce prince, lorsqu'il apprit la condamnation à mort qu'avaient
prononcé contre lui les Espagnols. Depuis lors cette vallée porte le nom
de Quinara.
Elle se trouve dans la possession de Pisco-banipa^ à A^W de latitude
australe. )>
On peut consulter aussi le premier voyage à Loja du R. P. Francisco
Solano, franciscain, imprimé à Cuenca, 1848.
Mmpriméà Madrid en 1788.
VOYAGE DANS L'EQUATEUR ET LE PÉROU. 541
les autres ont la tête plus petite, le ventre rouge et le dessus
du corps marron. On les dit si venimeux que personne n'ose
pénétrer dans les bois sans de grandes précautions.
A une hauteur de 200 mètres (au-dessous de Yangana), on
rencontre de nombreux quinquinas dans ces montagnes
encore vierges.
Après avoir franchi plusieurs sources qui se réunissent
plus bas pour former le Tangana, j'arrivai le soir, vers six
heures, au bas des montagnes qui servent de limite entre
les Indiens cultivateurs et les Indiens sauvages du Zamora,
et je passai la nuit dans Tanfractuosité d'un énorme
rocher.
Dès le lendemain je commençai une excursion qui fut
des plus fructueuses en botanique et en ethnographie, car
dans ces montagnes, on rencontre beaucoup de vieilles ca-
vernes renfermant des poteries brisées ou entières, des
armes en pierre ou en bronze, des instruments de tisse-
rand, des outils de tous genres en bois et en os, etc. On y
voit aussi un grand nombre de maisons en ruines dont quel-
ques-unes fort bien conservées, de sorte qu'on peut les re-
construire entièrement, au moins par la pensée.
Ces maisons étaient généralement de forme ronde ; on
en trouve aussi de carrées. Les murs, en pierres grossiè-
rement taillées, avaient de 1 mètre à 3 mètres de hauteur,
1 mètre d'épaisseur et parfois ils étaient percés d'ouvertures
â*un pied carré.
La toiture des maisons rondes devait former un dôme,
tandis que celle des maisons carrées, comme celle de
nos granges, devait se composer de deux pans inclinés,
reposant sans doute à l'intérieur et à l'extérieur sur des
piliers ou colonnes en bois.
Je fus non moins surpris en découvrant, dans ces mon-
tagnes aujourd'hui désertes, plusieurs grandes routes di-
rigées du sud au nord, d'autres descendant à l'est dans la
grande plaine occupée par les Indiens sauvages du Zamora.
542 VOYAGE DANS L'EQUATEUR ET LE PÉROU.
Quelques-uaes de ces routes étaient très biea conservées et
se pouvaient suivre assez longtemps; d'autres disparais-
saient par places pour se retrouver un peu plus bas. En les
dégageant de l'épaisse couche d'bumus qui les recouvrait,
on pouvait s'assurer que ces routes étaient pavées, assez mal
il est vrai.
. Le soir, je descendis par. une de ces vieilles routes, du
c6té d'Yangaua et passai encore la nuit dans une caverne, à
l'abri de la pluie.
En continuant ainsi à descendre, mon guide me fit
visiter plusieurs cavernes creusées par la main de l'bomme
et divisées en couloirs. Les trouvant en très mauvais état et
n'étant pas outillé poor en faire rexploration, je revins au
pueblo de Yangana après avoir traversé la rivière qui draine
des sables aurifères assez pauvres et de petits grenats d'une
très belle eau.
Le lendemain je repartis pour une autre excursion. Tra-
versant la rivière et me dirigeant au Nord ^, je rencontrai
une haute montagne entièrement déboisée et suivis des
chemins qui doivent être extrêmement anciens. Ils sont
taillés dans la roche, s'enfoncent parfois à 8 ou 10 mètres
dans les flancs de la montagne, et conduisent presque tous
à d'anciennes galeries pour la plupart obstruées aujourd'hui.
Les vieux Indiens prétendent se rappeler les avoir vues
ouvertes daus leur enfance. Ils disent que leurs pères y
allaient extraire de l'or pour payer les impôts, et que de*
puis ce temps les ouvertures ont disparu ou les galeries se
sont affaissées par suite des tremblements de terre.
L'ouverture des galeries est tournée vers le sud-ouest»;
la rivière de Yangana coule au bas de la montagne. A côté
des galeries est un précipice d.e.S à 600 miètres de pro-
fondeur; je suis porté à croire, d'après les ruines et un
1 . Je pense gue Fauteur a voulu dire' au contraire vers le sud. {Note de
là rédaction.)
. S. Le sud'-e^t probablement et même Test? {Idem.)
VOYAOE DANS l'Equateur et le pékou. 543
petit chemin en escalier que j*aî vu en bas, qu'on devait
jeter le métal dans cette profonde coupure. }l arrivait ainsi
très rapidement à la rivière où il était lavé.
Les Indiens prétendent que le roi Manco Gapac faisait
exploiter la plus grande partie des mines du pays. Je peux,
quant h moi, affirmer que j'ai trouvé^ presque partout aux
environs, des filons d'or et d'argent très riches; et qu'entre
autres, j'en ai vu deux à fieurde terre sur lesquels on passe
tous les jours.
A Yangana, j'avais &it connaissance avec un homme
très intelligent, le médecin ou curador don Pedro Ëineguez.
Nous causions très souvent de plantes médicinales; un jour
que je lui avais indiqué quelques rep3èdes,il voulut bien me
conduire à une source d'eau minérale, située à deux lieues
du pueblo. Arrivé là, je trouvai l'eau sans odeur, mais des
plus désagréables au igod t.
a Faites la grimace tant que vous voudrez, me dit le
curador* mais en en faisant boire le plus possible à jeun et
entre les repas, je guéris les hydropiques en un mois ou
six semaines. )> Gomme je ne semblais pas très convaincu,
il se fâcha tout rouge et, voulant me. donner des preuves
sur le champ, il envoya .chercher trois de ses clients quill
avait guéris. Il se retirçi d^s leur arrivée afin de me laisser
plus libre de les questionner; j'avotie que leurs réponses
auraient au moins amplement satisfait l'amour-propre de
rirascible curador,
. Sur ces entrefaitesi, mon compcignon M. Noetzii, étant
revenu de Palmira,nous nous préparâmes à continuer notre
voyage* En cette saison de pluies diluviennes^ tout trafic est
suspendu entre la vallée de lioja et la frontière du Pérou ;
ce fut avec toutes les peines du monde que nous trouvâmes
deux guides pour conduire nos pauvres mules dont la charge
ne devait pas dépasser 20 kilogrammes^ si nous ne voulions
rester enoJîourbés^ nous et nos bagages. , :
De Yangana à la frontière du Pérou. — Il y a bien long-^
544 VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET IB PÉROU.
temps que, à propos de la route de Loja à Jaen de Braca-
moros (Pérou)» La Condamine écrivait « qu'aucune exagé-
ration ue peut donner une juste idée de ses difficultés ».
J'ai passé sept ans à explorer les Amériques et n'ai jamais
rencontré de si mauvais sentiers, si toutefois on peut appe*
1er ainsi les immenses barancas et quebradas que nous sui-
vîmes, ayant souvent de l'eau jusqu'aux genoux et parfois
jusqu'au cou. Entre chacune d*elles il fallait gravir des hau-
teurs qu'on appellerait partout ailleurs de hautes mon-
tagnes; leur végétation exubérante n'était pas un des
moindres obstacles opposés à notre marche. Les fougères,
les herbes grimpantes et les palmiers atteignent des dimen-
sions merveilleuses et la plupart des arbres ont une hauteur
de 25 à 30 mètres.
Mouillés jusqu'aux os par une pluie battante, nous n'a-
vancions que lentement sur cet abominable chemin, obligés
tantôt de décharger les mules dans les passages difOciles,
tantôt de les relever lorsqu*elles glissaient et tombaient
dans l'eau.
Enfin, vers cinq heures du soir, nous arrivâmes au pied
d'une haute montagne dont les flancs étaient couverts
d'une riche végétation. Nos animaux étaient exténués ; nous-
mêmes ne pouvions plus marcher : il fallait absolument
camper là. Après avoir donné aux mules des feuilles de
palmier, mauvaise nourriture qui pourtant valait mieux que
rien, nos Indiens nous construisirent un abri. Rien n'est
plus simple. On coupe une vingtaine de feuilles de palmier
et, fendant par le milieu leur partie supérieure, on les
plante sur deux lignes parallèles; puis on rabat les feuilles
de Tune sur les feuilles de l'autre en les croisant, et il n'y
a plus qu'à se glisser en rampant sous ce toit improvisé et
peu confortable quand il fait mauvais temps. .
A peine y étions-nous installés que mon pauvre compa-
gnon fut pris d'un accès de fièvre plus fort que tous les pré-
cédentSr
VOYAGE DANS L'ÉQi^ATEUR EE LE PÉROU. 545
J'en fus consterné ; nous n'avions absolument rien pour
le soigner, pas même de quoi faire du feu, tous nos bagages
étant tombés plusieurs fois à Teau dans la journée. Après
une bien mauvaise nuit» je ne pus lui donner^ avant de re-
partir, qu'un peu de farine de maïs délayée dans l'eau, sans
sel ni aucun condiment. Puis me rappelant que les mission-
naires de Loja nous avaient donné une bouteille d'eau sé-
dative, je l'en frictionnai, et lui administrai ensuite quel-
ques gouttes d'eau-de-vie dans laquelle j'avais fait infuser
une grande quantité d'écorce de quinquina. Enfin, au bout
.d'une beure, j'eus la satisfaction de le voir tranquille et
presque sans fièvre.
Je crois devoir recommander aux voyageurs ce remède
fort simple. Si par hasard on trouve des plantes de Gali-
nayas, on en enlève l'écorce qu*on coupe en petits mor-
ceaux, et on les fait infuser dans n'importe quelle eau- de-
vie. Vingt-quatre heures après on peut en faire usage.
L'écorce de quinquina délabre moins l'estomac que la qui-
nine et produit autant d'effet. Si la fièvre n'est pas coupée
complètement, elle diminue beaucoup d'intensité; on peut
alors gagner un village pour achever de se soigner. C'est
ainsi que nous avons souvent procédé, ]VI. Noetzli et moi.
Retardés par Tindisposition de mon compagnon^ nous ne
quittâmes notre campement qu'à sept heures du matin, et
commençâmes à gravir «Las Penas» ou « El Encajonado»,
croyant ne jamais pouvoir en atteindre le sommet.
La pluie, qui tombait de plus en plus fort, avait affreuse-
.ment raviné la montagne et le sentier que barraient çà et là
Jes arbres tombés de vieillesse ou déracinés par l'orage. Il
fallait à tout moment s'arrêter, faire des ponts ou déblayer
la route, décharger et recharger les mules aux passages
dangereux, et en faire autant quand elles s'abattaient. Plus
loin, c'étaient des bourbiers 6ù bêtes et gens s'enfonçaient
jusqu'au ventre, et dont elles ne sortaient qu'avec la plus
grande peine.Heureux encore de ne pas être blessés ou tués
546 VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE VéROU.
par les mules gui se débattaient alors comme des démons!
Je suis sûr que, sur un parcours de 30 lieues, nous dûmes
les sortir des bourbiers ou les décharger au moins 50 fois,
et porter leur charge sur notre dos, ce qitî ne laissait pas
que d'être fort pénible, quoique chacune ne pesât pas plus
de 50 livres.
Découragés par tant d'obstacles, nous abandonnâmes le
sentier et essayâmes de nous frayer un passage à travers
bois. Ce ne fut pas moins pénible, moins dangereux; presque
partout nous rencontrions des ravins aussi impraticables
pour nos mules, qui refusaient d'avancer, quoique nous por-
tions leur charge. Enfin, vers quatre heures du soir, après
avoir fait environ 2 lieues en 4 heures et demie à travers
-ces forêts, noiis arrivâmes au faite de TEncajonado; nous y
vîmes plusieurs petits lacs de dix mètres de diamètre.
Nous étions à 3800 mètres au dessus du niveau de l'O-
céan. Sur ce plateau désert nous trouvâmes heureusement
un hangar que notre guide appelait : Agnafiàn ehiquito^
et nous complétâmes l'installation de manière à y braver le
mauvais temps. Un des Indiens ayant trouvé par hasard un
peu de yesca sèche * nous pûmes enfin allumer du feu, faire
sécher nos habits, notre herbier et nos bagages. Pour
comble de bonheur, il y avait à côté du tambo un riche
pâturage oii nos pauvres mules pouvaient se refaire; aussi
restâmes-nous- deux jours dans ce tambo, passant tous nos
instants à herboriser.
Certes avec un pareil temps et dans ces forêts, la besogne
n'était pas facile ; mais nos peines furent largement com-
pensées par la riche moisson de plantes que nous recueil-
lîmes. Les espèces dominantes appartiennent aux orchidées
fougères ; dans le bas de la montagne, ce sont les plantes
à feuillage piperonnia et surtout les aroïdées, tandis que sur
à-
1. On appelle ainsi la hampe florale du Theophrasta imperialis;
lorsque sa moelle est bien sèche, elle prend feu très vite, et remplace
afantageusement notre amadou.
VOYAGE DANS L'ÉQtJATEUR ET LE PÉROU. 547
les prairies naturelles. qui couvrent le sommet, on trouve un
nombre considérable de graminées et quelques espèces
d'orchidées terrestres.
Pendant notre séjour^mon compagnon eut encore un petit
accès de fièvre; mais le feu, des habits secs et une friction
en eurent vite raison.
De l'Ëncajonado à Yalladolid, l'état des chemins est ab-
solument le même que celui dont nous avons donné une
idée précédemment. A deux heures de marche de notre
campement, nous dûmes gravir encore une autre montagne
appelée La Guesta del Garrisal dont le -sommet se nomme
€ruz grande.
La vallée de Yalladolid s'étendait devant nous dans la
direction du sud-est. Nous commençâmes à descendre et
allâmes coucher à 1000 mètres plus bas, au tambo de Nian
Nian Grande, situé à la limite des prairies naturelles et des
bois qui font la beauté du pays arrosé par le Palanda et ses
nombreux affluents.
Après une journée de repos accordée à nos mules et em-
ployée par nous à une des plus fructueuses herborisations
que nous ayons faites, nous continuâmes notre descente
dans la direction générale du sud*est.
Par ces affreux chemins nous faisions à peine quatre lieues
par jour, en nous donnant beaucoup de mal ; et il nous fallut,
cette fois, faire des prodiges pour arriver à Yalladolid, à
5 heures du soir.
Sur la rive droite du rio Yalladolid, affluent du Chin-
chipe, un petit hameau, habité par des Indiens et des
métis, conserve seul le nom de Topulente cité de Yalladolid,
peuplée d'Espagnols, il y a moins d'un siècle.
Déjà le temps et les mains sacrilèges des habitants ont
accompli leur œuvre de destruction *.
1. Il en est de môme pour la cité voisine de Loyola, à environ 12 milles
à Test de Valladolid. Il semble que l'auteur ait égaré quelques pages de
son manuscrit. Il a dû décrire plus amplement les ruines de Valladolid
548 YOTAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
La plupart des ruines, dans un piteux état, sont cachées
sous une couche de terreau épaisse, en certains endroits,
de plusieurs mètres. Cependant, malgré tous les débris ao
cumulés par une végétation splendide, on distingue çà et
là le tracé de quelques rues, et parmi des arbres, des pal-
miers gigantesques.
En partant de Yalladolid, nous traversons quelques que*
bradas qui vont toutes se jeter dans le rio Yalladolid, et
nous gravissons pendant deux heures une haute montagne
sur laquelle on rencontre à chaque instant des vestiges de
routes fort anciennes.
Après une descente d'une demi-heure et l'ascension d'une
nouvelle montagne, nous voyons à nos pieds le rio Palanda
et le hameau de Schoutoupé qui compte jusqu'à 13 ha-
bitants tous très pauvres, et surtout d'une triste santé.
Nous y trouvâmes heureusement de quoi apaiser notre
faim, car nos provisions étaient épuisées ; puis, le soleil ayant
daigné se montrer dans la soirée, nous.fimes la chasse aux
papillons. Il y en avait en telle quantité, qu'en moins de
trois heures, nous en primes plus de 300.
Le lendemain nous réservait de moins agréables distrac-
tions. D'abord, il nous fallut traverser la rivière tellement
forte en cette saison pluvieuse qu'elle roule, avec un bruit
épouvantable, des roches énormes pesant plusieurs tonnes*
Notre léger radeau et nos mules ayant échappé au danger
d'être emportés ou broyés, il restait à gravir une côte si
raide, que les mules refusaient d'avancer. Bon gré, mal
gré, nous dûmes les décharger et porter chacun pendant
deux heures la moitié de leurs charges.
car, dans la suite, il les prend souvent pour terme de comparaison. Il a
vu ici non seulement des palais et des temples construits avec des pierres
de taille énormes, mais aussi de simples maisons. Voir à la III* partie la
description des ruines de Gochamal, d'Omia et d'Anayac. Les maisons de
Cochamal lui ont .paru semblables à celles de Valladolid. Ces maisons
étaient de forme carrée, bâties avec d'énormes pierres juxtaposées sans
ciment. (Note de la rédaction.)
VOYAGE DANS l'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 549
Ce fut dans ce bel équipage que nous atteignîmes le
vieux Palanda situé sur un petit plateau.
Autrefois, on y comptait 2000 habitants ; mais en 1839,
une épidémie anéantit ou dispersa presque toute la popu-
lation. Il ne resta que les plus malades ou les gens trop
pauvres pour aller s'établir ailleurs. Les vingt individus que
nous y trouvâmes vivaient dans la plus profonde misère,
presque constamment malades, scrofuleux et rachitiques..
Gela tient à la constante humidité du climat.
En revauche, cette humidité favorise extraordinairement
la végétation.
Nos mules s'étant bien reposées pendant quatre jours,
nous poursuivîmes le cours de nos montées et de nos des-
centes sous une pluie diluvienne qui transformait les sea*
tiers en torrents et les ruisseaux en rivières. Nous passions
ceux-ci, tantôt en radeau, tantôt sur de mauvais ponts de
lianes.
Aucun ne nous causa plus de souci que celui du Siman-
chi. Il avait à peine 20 à 25 mètres de long et cependant
il nous fallut presque deux heures pour le traverser. Après
les bagages, ce fut le tour des mules ; à chaque pas les lianes
se tendaient, quelques unes se brisaient et le mouvement
imprimé au pont le faisait ressembler à une balançoire, du
haut de laquelle nous ne pouvions regarder en bas sans
avoir le vertige.
Après deux jours et demi de marche et deux nuits
passées à la belle étoile sur des montagnes de 3000 mètres
de hauteur, nous eûmes le plaisir d'arriver àZumba.
Ce pueblo encaissé entre de hautes noiontagnes jouit
d'un climat relativement très chaud. La population est d'en-
viron 300 habitants, mais 16 seulement dans le village. Ils
sont la plupart de race indienne et fort pauvres. Ils ne cul-
tivent la canne à sucre que pour leurs besoins et récoltent
un peu de cascarilla d'excellente qualité, et du tabac qu'ils
vont vendre à Uancabamba.
soc. DE GÉOGR. — 4« TRIMESTRE 1885. YI. — 37
S50 VOYAGE DANS l'ÉQCATEUR ET LE PÉROU.
Tandis que M. Noetzli partait pour visiter le petit bourg
de Ghito sur la rive gauche du Ghinehipe, je restai encore
deux jours à Zumba pour compléter nos collections avec
les produits des environs, puis je partis pour San-Ignacio
où le premier arrivé devait attendre Tautre.
En sortant de Zumba, je descendis à la rivière Gauchi,
qui forme la limite de l'Equateur et du Pérou.
. Cette rivière, presque aussi large que la Seine, a un
courant très violent et des plus dangereux. Elle prend sa
source dans la Cordillère occidentale et se jette à l'est dans
le Chinchipe.
Après une heure de marche sur un chemin assez bon,
quoique fort encaissé, j'arrivai sur les bords de la rivière
de Namballe qui prend aussi sa source dans la Cordillère
occidentale, et, unie au Gauchi, se jette dans le Chinchipe.
Elle est très profonde et son courant est non moins rapide
que celui du Gauchi.
Je la traversai et, suivant la rive droite, j'entrai une heure
après à Namballe. Le climat est chaud, le sol des plus fer-
tiles ; les environs remarquablement beaux. Les habitants
de la ferme de Namballe cultivent k tabac aussi renomnté
que celui de Jaen.
Il me fut impossible de m'y procurer un logement et
un peu d'herbe pour nos pauvres mules qui mouraient
de faim. Toutefois on m'indiqua plus à l'est une ferme
appartenant à un riche propriétaire, M. Antonio Gebeda, qui
non seulement nous donna Thospitalité, mais encore voulut
nous accompagner h San-Ignacio Nuevo avec un de ses
domestiques pour nous servir de guide.
Ce pueblo, bail au pied d'une moniagne de 4000 inètresy
se trouve lui-même à 3700 DGàètres. U compte 100 habitants.
Je passai toute une journée à herboriser dans les environs
et à visiter des ruines très anciennes, et foct earieuses. Les
unes sont ineas, tant par Leur archîtecllQre que par leurs
sculptures; les autres semblent appartenir S une civilisa-*
1
VOYIIGE DANS L EQUATEUR ET LE PÉROU. 551
tion antérieure. On remarque aussi plusieurs cavernes avec
des mscriptioQS.
Le troisième jour, nous descendîmes la montagne en tra-
versant plusieurs cours d'eau, et laissant sur la droite la
quebrada de Gaparoza, ainsi nommée parce qu'elle con-
tient une riche mine de sulfate de cuivre, nous arrivâmes
de bonne heure au pueblo de San-Ignacio Nuevo, situé à
une demi-lieue du Ghinchipe. Gelui-cî, aussi large que la
Seine, descend en cet endroit avec une rapidité vertigineuse
à donner la chair de poule aux plus braves;, malgré la
distance, on entend le fracas des roches qu'il entraîne.
J'eus la douleur de retrouver au pueblo mon pauvre com-
pagnon rongé par la fièvre, paralysé des reins et complè-
tement abandonné, car les habitants, très timides, n'osaient
lui rendre visite. Seul, le curé éUdt venu le voir quelque-
fois et, peut-être sans lui, M. Noetzii eût- il succombé
autant à la privation de nourriture qu'aux atteintes de la
fièvre. Quelques soins et de bonnes frictions le remirent
heureusement sur pied en quelques jours et lui permirent
d'aller achever son traitement à Ghirinos, à trois jours de
marche dans le sud sud-est de San-Ignacio.
Pendant ce temps je revins sur mes pas pour aller explo-
rer les montagnes de l'Ospirios.
DEUXIÈME PARTIE (PÉROU.) — DE LA FRONTIÈRE DU PÉROU A
GHAC'HAPOTAS.
De San-Ignacio à la Peca. — Le Maranon et ses
affluents, les rivières de Zamora et de Ghinchipe, dessinent
un grand triangle d'environ 2 degrés carrés ayant pour som-
mets le Pongo de Manseriche, Loja et Jaen de Bracamoros.
Une grande chaîne, qui se détache de la Gordillère de
Zamora, le partage en trois bassins excessivement acci-
dentés. Getle chaîne centrale, nommée Gordillère du Con-
dor, se dirige d'abord vers Test et se bifurque à peu près au
552 VOYAGE DANS L* EQUATEUR ET LE PÉROU.
centre du triangle. Parmi les nombreux contreforts de sa
branche sud, les plus importants semblent être les monts
Ospirios qui nous sont à peine connus, car aucun blanc
n'ose s'aventurer chez les Indiens sauvages qui les habitent.
Pour m'y rendre, je reolontai d'abord la rive droite du
Chinchipe que je traversai à la hauteur de Zumba, et trois
heures après, j'arrivai dans une ferme complètement isolée,
où Ton élève du bétail qui se multiplie avec une étonnante
facilité, quoique les animaux féroces en détruisent une
bonne partie.
Je remarquai en divers points beaucoup de tombes et une
grande quantité de cavernes. Plusieurs, faites de main
d'homme, étaient couvertes de sculptures; je découvris
également des inscriptions sur les parois de quelques mon-
tagnes. Vers sept heures du soir j'avais atteint une altitude
de 3 000 mètres ; la montagne était presque entièrement cou-
verte de prairies naturelles, sauf dans les vallons où Ton
voyait des arbres et même des palmiers en assez grand
nombre.
Après avoir passé la nuit dans une caverne, nous repar-
tîmes dans la direction de Test que nous suivîmes pendant
trois autres jours, rencontrant constamment la même végé-
tation.
Cependant le quatrième jour, nous trouvant à une bonne
lieue du rio Ghirino, nous vîmes devant nous une grande et
belle montagne entièrement boisée.
Pendant toute une journée nous montâmes dans une ma-
gnifique forêt en longeant le plus près possible le Ghirino, et
nous passâmes la nuit sous un petit toit de feuilles de pal-
mier, pauvra abri contre une pluie incessante.
Notre cinquième journée de marche ne fut pas mieux
favorisée par le temps. Nous montions toujours et n'attei-
gnîmes qu'à 4 heures du soir le sommet de la montagne
qui forme un des pics de la Cordillère centrale. A peine
javions-nous commencé à y installer notre campement qu'un
VOYAGE DANS l'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 553
de mes Indiens, apercevant dans un vallon la fumée de
quelques huttes, me supplia de ne pas faire de feu et de
nous éloigner, car si les Indiens sauvages nous rencon-
traient, c'en serait fait de nous.
J'eus beau lui dire qu'avec nos armes à feu nous n^avions
rien à redouter, il fallut céder, redescendre pendant une
demi-heure et chercher une grotte pour passer la nuit à
l'abri de la pluie et des sauvages.
Le lendemain je regagnai le sommet de la montagne,
d'où, suivant des yeux les contours du Ghirino, je jugeai
que sa source devait être encore fort éloignée. Je quittai
mon observatoire vers onze heures et, dans Timpossibilité
de me faire guider plus à l'est, je résolus d'aller rejoindre
M. Noetzii au pueblo de Ghirino, en suivant, sur le versant
oriental des montagpes, la rive droite de la rivière.
Le hameau de Ghenanche, que nous rencontrâmes le len-
demain, compte à peine 24 habitants, tous Indiens. Il y avait
autrefois, me dirent-ils, beaucoup de villages dans l'Os-
pirios, mais les Indiens sauvages ont fini, dans leurs excur-
sions, par enlever les femmes, les enfants, et par exterminer
tous les hommes; et depuis longtemps, personne n'ose plus
dépasser, à Test, le village de Ghenanche.
Gontinuant à descendre, nous arrivâmes, le troisième jour,
dans un petit village, à une lieue du Ghirino qui se jette un
peu plusbasdans le Ghinchipe. Nous y attendîmes, le lende-
main jusqu'à dix heures, des gens de bonne volonté pour
nous aider à traverser le Ghirino. Jamais je n'éprouvai pa-
reille crainte, car la rivière s'engouffre ici entre des berges
élevées de plusieurs centaines de mèlres et les eaux fu-
rieuses roulent d'énormes roches avec un bruit effrayant.
A quelques pas de là, on franchit une petite quebrada et
l'on arrive sur les bords du Ghinchipe. Longeant sa rive
gauche, nous traversons ensuite sur un radeau l'un de ses
affluents, et faisons un coude vers l'est pour aller visiter
le pueblo de Puyaya Nuevo, dont les 150 habitants sont In-
554 VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
diens, sauf quelques familles blanches d'une rare beautë.
Nous retrouvions ici un climat chaud, mais sain. Après
nous être reposés pendant un jour, ce dont nous avions le
plus grand besoin, nous repartîmes dans la direction de
l'ouest, et quatre heures de descente en pente douce nous
conduisirent sur les bords du Chinctaipe que nous tra-
versâmes en face de Ghîrino.
Bâti au milieu d'une plaine d'alluvion qui doit 6tré de
formation très ancienne, à en juger par la grosseur exces-
sive des arbres, le pueblo de Ghirino a environ 190 habi-
tants. J'avais hâte d'arriver, car, depuis mon départ de
San-TgnaciOy j'étais sans nouvelles de mon ami. J'eus le
plaisir de le trouver à peu près rétabli, et nous pûmes dès le
lendemain nous diriger sur Jaen Yiejo ou Jaen de Bracamo*
ros.
Je passerai rapidement sur les détails de cette route qui
descend presque constamment en suivant la rive gauche du
Chinchipe. Le premier village qu'on rencontre est Lnma-
ruca, sur la pente de la montagne de Huanca, au pied de
laquelle coule la rivière de ce nom, peu profonde mais fort
large et d'un courant très rapide. On la traverse en radeau,
à peu de distance du Ghinchipe; puis, montant pendant
une heure par un chemin fort beau, quoique coupé par les
nombreux ruisseaux qui inondent le pays dans la saison
des pluies, on entre dans la grande et belle plaine de
Shiumba. On y voit des troupeaux de cerfs comme en
France des troupeaux de moutons, mais on y rencontre
malheureusement aussi beaucoup de maisons abandonnées,
car le vomito ou le typhus fait de cruels ravages parmi les
habitants dont le nombre a diminué, dit-on, de 75 p. 100
depuis une quarantaine d^années.
Tous les ruisseaux qui arrosent la plaine viennent se
réunir près du pueblo de Shiumba pour former une jolie ri-
vière qui va se jeter dans le Ghinchipe. De ce pueblo, il sufDt
d'une petite journée de marche, dans la direction de l'est,
VOYAGE DANS l'ÉQUATECR ET LE PÉROU. 555
pour atteindre la sous- préfecture de Jaen de Bracamoros,
bâtie à mi-oôte sur lô versant d'une grande montagne. Sa
population de 1800 âmes se compose de nègres, die quelques
familles blanches et surtout de métis.
Leur misère égale leur ignorance ; ils n'ont aucune in-
dustrie et ne produisent même pas de quoi acheter le sel
dont ils ont besoin. La plupart vivent de brigandage; â
peine trouve^t*-on trois hommes qui veuillent bien travailler
et faire le courrier entre ce bourg et Gajamarca.
Avant de poursuivre notre voyage, je désirais voir les
environs de Jaen et surtout explorer les montagnes qui
séparent les rives gauches du Ghinchipe et du Marafion. En
conséquence je retournai jusqu'à Shiumba d'où je gagnai
San-Égypto, petit village habité par 92 Indiens, gens plus
simples que méchants, dont la grande ressource est la cul-
ture du tabac qui vient admirablement dans la contrée et
jusqu'à Ghirino. Il est connu au Pérou sous le nom de
tabac de Jaen; sa qualité est peut*être supérieure à celle
du tabac de la Havane, mais on ne sait pas le préparer. Les
cascarîlleros ou Indiens chasseurs du pueblo récoltent aussi
un peu de quinquina.
Quelques-uns d'entre eux ayant consenti à m'accom-
pagner dans les montagnes, nous partîmes en emportant
deux régimes de bananes presque vertes, un peu de yuca ou
jatropha manioca et 1 kilogr. de viande sèche. Ge furent
toutes nos provisions de bouche pendant une excursion
qui dura plusieurs jours.
Je ne pouvais suffire à ramasser et préparer mes coUec*
lions dans ces magnifiques forêts aujourd'hui abandonnées,
malgré leur richesse. J'en étais fort surpris. Autrefois, me
dirent mes Indiens, blancs. Indiens et sauvages habitaient
les anciens pueblos de Puyaya et de Gopallin sur les bords
du Maranon et exploitaient ces forêts; mais un jour les
sauvages, partant pour la guerre, confièrent aux blancs et
aux Indiens leurs femmes, leurs propriétés et leurs trou*-
556 VOYAGE DANS l'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
peaux. A leur retour, grand fut leur étonnement de retrou-
ver leurs champs dévastés; bientôt ils apprirent que les
blancs s'étaient mal conduits à l'égard de leurs femmes et
avaient vendu leurs troupeaux. Ils tinrent conseil et réso-
lurent de se venger des traîtres. Le pueblo fut incendié, les
hommes tués et les femmes emmenées dans l'intérieur. Le
petit nombre de ceux qui échappèrent vinrent alors se ré-
fugier près du Ghinchipe et y fohdèrent le pueblo de San-
Egypto.
N'étant qu'à une journée de marche de Puyaya Viejo,
nous poussâmes jusqu'aux ruines près desquelles on voit
aujourd'hui un pauvre hameau.
Au pied de la montagne coule le Maraiion ; sur l'autre rive,
on aperçoit les ruines de Gopallin Viejo.
Je ne me rappelle pas avoir vu deux villages plus pitto-
resquement situés. En outre la température est ici toujours
douce; le terrain d'une rare fécondité produit en abon-
dance de la vanille et tous les fruits des tropiques.
Le lendemain, en revenant à San-Egypto, nous rencon-
trâmes un cours d'eau qui traverse un peu plus bas les
ruines de Jaen de l'Oro (le Jaen de l'Or). La ville était bâtie
sur un plateau de 12 à 16 kilomètres de long et de 1 kilo-
mètre de large. Le climat est chaud et humide; une
végétation luxuriante couvre le plateau et les ruines, en
général assez bien conservées. Que de richesses ont été
apportées ici aux Espagnols dont tous les objets de luxe
étaient en or ! Las d'être maltraités, les Indiens se révol-
tèrent, mirent le feu à la ville, égorgèrent les hommes et
emmenèrent les femmes dans leurs forêts. Des colonies
qui reposent sur de tels principes ne méritent pas d'autre
sort.
Revenu à Shiumba, je suivis une fort belle route pour me
rendre à Bella Vista oîi mon compagnon vint me rejoindre,
le jour même de mon arrivée. Il était accompagné de sept
t>u huit personnes venues pour prendre mes collections que
VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. ; 557
j'expédiai en France, sauf mes trouvailles anthropologiques
que je cachai aux environs dans une caverne, me réservant
de les venir prendre plus tard.
Le pueblo de Bella Vista est situé au confluent de la
rivière de ce nom et du Maranon dans une plaine aride où
Ton n'aperçoit pas l'ombre d'une plantation de bananiers ou
de cannes à sucre. B^Ua Vista n'a ni commerce ni industrie.
La population est presque entièrement nègre ; cependant on
rencontre quelques Indiens et des métis. Il n'existe peut-être
pas au Pérou de localité plus mal famée, et ce n'est point
sans raison. Sur 150 habitants, on trouverait difficilement
un véritable honnête homme. Quand ils apprennent qu'une
personne possède quelque argent, ils vont de nuit l'égorger,
pillent sa maison et l'incendient ensuite ; et lorsqu'ils ne
trouvent rien à piller aux environs, ils se volent entre eux.
Les populations voisines les redoutent, sans oser rien dire;
car, dans ces départements reculés, le gouvernement n'a
presque pas d'autorité. Libres et assurés de l'impunité, ces
bandits attendent l'arrivée d'un étranger comme une excel-
lente aubaine. Déjà deux Français, un Anglais, deux Améri-
cains et trois Allemands, en tout huit naturalistes ou
commerçants, ont été assassinés entre Bella Vista et le
pueblo de la Peca. Tel est le joli pays que je me prépare à
visiter.
Mes préparatifs d'excursion avaient été rapidement faits,
mais, n'ayant pas compté avec les habitudes d'ivrognerie des
bateliers, je commençai par perdre un jour entier en
attendant un homme pour me faire passer sur la rive droite
du Maranon. Il était fort tard lorsque je le traversai; j'allai
coucher dans une ferme à une demi-lieue du fleuve.
Au jour, je continuai ma route, tantôt au milieu des
cactus, tantôt dans le lit d'une quebrada ou d'un ruisseau,
avec de l'eau jusqu'aux épaules, et j'arrivai ainsi sur les
bords d'un magnifique affluent du Maranon, la rivière
d'Utcubamba ou rivière de la joie. De Tautre côté, à quel-
558 voTAŒ DAns l'êquateub et le Pérou.
qnes centaines de mètres de hanteor, se trouTe Bagua
Ghica qne dominent de hantes montagnes.
Je passai la naît dans ce pueblo qui compte 80 habitants,
tons Indiens et assez hospitaliers. Le lendemain, après
cinq heures de marche, j'entrai à la Peca, petit pueblo sur
la rivière de ce nom, entouré de bois et de champs cultivés.
Le bruit ayant couru qne je venais recruter des soldats, tout
le monde, à mon approche, se sauva dans les bois, à Tex-
ception de quelques infirmes.
Mon guide partit le jour suivant, après m'avobr recom*
mandé de ne pas sortir la nuit. Je ne sais trop comment
je serais allé visiter les ruines de Gopallin Tiejo sans l'ar-
rivée d'un cascarillero, H. Léon Asuero, qui se mit à ma dis-
position et voulut bien m^accompagner. Sur notre route,
la beauté de la végétation me frappa non moins que la grande
abondance de vanille et de Carlos Dudovica avec lequel
on fait les chapeaux de Panama. Malheureusement les
Indiens sauvages s'opposent à l'exploitation de ces richesses
et poussent leurs excursions jusqu'à la Peca, égorgeant tout
ce qu'ils rencontrent.
Nous passâmes une journée aux ruines de Gopallin Yiejo.
Au moment oh nous nous j attendions le moins, nous
remarquâmes des empreintes fraîches, a Partons tout de
suite, s'écria mon compagnon, les Indiens sont ici; > et
aussitôt il rebroussa chemin. La peur lui donnait des ailes;
je le suivais avec peine. Le lendemain, à 9 heures du
matin, nous étions de retour à la Peca, mais dans un état
piteux.
De la Peca à Shipatsbamba. — En me rendant à Shipaîs-
bamba, je pensais faire, suivant mon habitude, plusieurs
excursions à droite et à gauche dans les montagnes, excur-
sions très fatigantes dans cette saison pluvieuse. Je restai
donc quelques jours à la Peca, autant pour me reposer que
pour mettre en ordre mes notes et mes collections.
Qu'avait à redouter ici un pauvre naturaliste comme moi?
VOYAGE DANS l'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 559
En vérité les gens de Bagua Chica m'avaient mis en tète
des dangers imaginaires. Les habitants de là Peca ne sont*
ils pas plus craintifs que méchants? Voyant que je ne
mange personne, ils reviennent peu à peu au village;
bientôt même ils s'enhardissent au point de me rendre
visite et de m^offrîr de la chicha faite avec du jus de canne
et de la salspàreille. Ils me firent trinquer et boire avec eux ;
mais à peine avais-je avalé le contenu de mon verre que,
pris de coliques et de crampes affreuses, je me crus empois-
sonné.
Léon Asuero rentrait en ce moment. Me voyant tout pâle,
il se hâta de faire chauffer de Teau qu'il me fit boire, et
réussit à me faire rejeter ce que j'avais pris.
Je me croyais hors danger; mais le lendemain j'eus un
accès de fièvre chaude à la suite duquel je tombai dans un
profond assoupissement. A mon ré veil, je trouvai Léon Asuero
à mes côtés. Il me fît prendre une tisane de sa composition
qui sembla couper la fièvre; cependant, le second jour, elle
revint déplus belle et dura vingt-quatre heures. Dès que je
pus remuer les jambes, je me hâtai de quitter la Peca, et
me traînai jusqu'au village de Gopallin Nuevo oti je repris
un peu de force, grâce aux soins de mon brave Asuero et
des gens chez qui nous logions.
Le climat de Gopallin Nuevo est chaud et sain. Les habi*
tants, au nombre de 210, paraissent intelligents, actifs, se
livrent entièrement à l'agriculture et savent très bien utiliser
le joli cours d'eau qui traverse le pueblo et la plaine pour
irriguer leurs champs. Je fus assez surpris de rencontrer
une école dans une localité si reculée où le papier fait à peu
près défaut ; mais les gens du pays le remplacent par des
feuilles de bananier sur lesquelles les enfants écrivent fort
habilement.
De Gopallin Nuevo je me rendis à Lunchicati, distant de
cinq lieues. On y voit quelques plantations de cacao qui
réussissent très bien et fournissent d'excellents produits.
560 VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
Le lendemain je continuai ma route^ mais après avoir
passé la quebrada de Naranjito, les forces m'abandonnè-
rent et je dus envoyer un de mes guides demander l'hospi-
talité au maître de la ferme d'Utcubamba. Cet excellent
homme eut l'idée de faire appeler un blanc des environs,
M. Nicolini Stavi, qui vint me voir dès le lendemain matin
et m'offrit de le suivre chez lui où je trouverais des médi-
caments. J'acceptai avec empressement sa proposition et,
remerciant mon hôte de sa bienveillante attention, nous
partîmes pour l'hacienda de Quinquinal.
J'y arrivai très fatigué au bout de trois heures de marche,
et y restai malade quinze jours; mais enfin ma nature
robuste reprit le dessus et, grâce aux bons soins de M. Nico-
lini Stavî et de ses gens, ma convalescence fut assez courte.
Devant l'hacienda de Quinquinal, adossée aux parois
d'une montagne presque coupée à pic, s'étend un petit pla-
teau couvert de riches pâturages. Le climat est tempéré et
la végétation fort belle dans les montagnes, où Ton trouve
quelques variétés de Chincona GalUnaya fort estimées sur
les marchés.
M'étant fortifié par quelques excursions autour de
l'hacieuda, je retournai à la ferme d'Utcubaroba dont le
personnel se compose d'une trentaine d'Indiens. Hs me
montrèrent un ours qu'ils venaient de tuer et m'affirmèrent
que cet animal était tout à fait inoffensif. Il mesurait plus
d'un mètre de hauteur sur 1",50 de longueur. Une bande
d'un jaune grisâtre partait de ses yeux pour aller se perdre
en s*élargissant sur son dos.
Je n'étais venu à la ferme qu'avec l'intention de remer-
cier encore le propriétaire; mais, comme il me proposa
d'aller visiter avec lui le pueblo de Pururco, je ne me fis
nullement prier et nous partîmes le lendemain.
Nous passâmes d'abord sur la rive gauche de l'Utcubamba
et commençâmes aussitôt à monter la côte de Pururco par
un chemin assez bon. Après cinq heures d'ascension nous
VOTAGE DANS l'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 561
entrâmes à Pururco Nuevo, petit pueblo de 200 âmes qui
manque d'eau en été et ne se distingue par aucune indus-
trie.
Le lendemain nous continuons à monter jusqu'à 3500
mètres d'altitude et nous arrivons au pueblo de Pururco
Yiejo, entouré de champs de maïs et de pommes de terre.
La population était autrefois de 500 habitants. Le froid,
intense de Thiver en a chassé une bonne partie. Le dimanche,
il s'y tient un marché où le commerce ne se fait que par
échange. Toutes les montagnes des environs sont couvertes
de ruines de monuments antérieurs à la conquête, et je
rapportai à Quinquinal une bonne collection d'objets et de
haches en silex très bien polies.
Cette petite excursion, loin de me fatiguer^ avait achevé
de me rendre des forces. Je résolus donc de continuer mon
voyage en explorant les montagnes de la rive droite de
rutcubamba.
Ma première étape fut aussi courte que possible, à peine
deux heuces de montée. M. Nicolini Stavi avait bien
voulu m'accompagner chez un de ses amis, M. Jossion, qui
dirige l'hacienda de Lonyat, située au milieu des bois sur un
plateau de deux à trois lieues. J'y passai une agréable et
dernière soirée avec ces messieurs qui m'avaient rendu tant
de bons offices, et le lendemain, ayant fait bonne provi-
sion de renseignements, je quittai Lonyat.
Longue et mauvaise journée 1 Nous montons la côte de
Lamparo sous une pluie torrentielle et ne trouvons qu'à
7 heures du soir un pâturage pour nos mules. La montagne
a 2700 mètres d'altitude ; on y rencontre quantité de vieilles
routes se dirigeant dans tous les sens et un nombre consi-
dérable de ruines, parmi lesquelles je découvris une mai-
son dont les murs en pierres de taille avaient 3 mètres
d'épaisseur, 8 mètres de hauteur, 10 mètres de largeur et
40 mètres de longueur.
Nous traversons ensuite plusieurs petits cours d'eau et la
562 VOYAGE DANS L'ÉQUATEtR £T LE PÉROU.
quebrada de Jaoïbec. Mes Indiens m'assurant que je trou-
verais de chaque côté de ce ravin des ruines plus nom-
breuses et plus importantes encore, je consacrai la matinée
à faire des recherches. Je vis en effet dans les ruines d'un
temple plusieurs statues en pierre, les unes brisées, les
autres renversées sur le sol; mais je me contentai de re-
cueillir des haches en silex, des poteries et des outils exces-
sivement bizarres.
Tout le versant des montagnes, sur une longueur d'en-
viron 10 lieues, est couvert de ruines. Aussi passai-je
plusieurs jours dans ces parages à faire des fouilles ; décou-
vrant tantôt d'anciennes routes pavées, tantôt d'immenses
monuments dont les murs en pierres de taille et très épais
ont de 50 à 100 et même 300 mètres de longueur!
Alors je reconstruisais ces maisons, ces temples, ces pa-
lais et, dans la plaine favorisée par la douceur du climat, je
revoyais une nombreuse et active population; mais voici
qu'un jour les Fils du Soleil voient arriver des hommes au
visage pâle. Ils se courbent devant eux tout prêts à les
adorer; ces divinités se changent en fléaux, et bientôt un
silence de mort plane sur ce paradis terrestre OA donc
est le progrès? Dans la longue succession des siècles^ les na-
tions et les individus ne tournent-ils pas toujours dans le
même cercle, et l'éternelle loi qui régit leurs destinées n'est- J
elle pas la même pour toute la nature? Que d'immenses
contrées, réputées pour leur fertilité, se sont transformées
en désert et de nouveau se repeupleront et se couvriront
d'une nouvelle végétation? La vie sort de la mort, laTichesse
de la ruine; malheureusement, dans cette fatale évolution,
les destructions sont rapides et bien lentes les reconstruc-
tions.
Tout en continuant nos recherches, nous étions arrivés
au pied de la grande côte de Pomacocha où nous fûmes ar-
rêtés par un torrent qui, grossi par les pluies, entraînait des
roches et des arbres entiers dans sa course vertigineuse.
VOYAGE DANS L'ÉQUATEtR ET LE PÉROU. 563
I
Deux palmiers que nous jetâmes en travers de la quebrada
et quelques arbres plus petits, assujettis par*dessus avec des
lianes, nous servirent de pont volant. Il fallut ensuite instal-
ler notre campement de manière à nous mettre à Tabri des
animaux féroces, des serpents cobral et d'autres serpents
noirs assez gros qui se tiennent dans les arbres d'où ils
s'élancent sur tout ce qui passe à leur portée.
A côté de nousy une grosse roche masquait l'entrée d'un
bel aqueduc adossé aux parois de la montagne. Les murs,
inclinés et percés de trous de distance en distance, s'éle-
vaient parfois à une hauteur de 50 mètres.
Le surlendemain, la pluie ne cessant pas de tomber, nous
nous décidâmes à gravir la côte de Pomacocha.
La partie inférieure est très boisée; on y trouve le Siroxi"
Ion coco ou Coca des Indiens. Vers midi nous rencontrâmes
quelques ruines et, ce qui me surprit le plus, un bas-
sin profond d'environ 3 à 400 mètres de circonférence,
très poissonneux et alimenté par deux quebradas dont Tune,
presque entièrement obstruée^ est construite en pierres
dans le genre des puits.
Le chemin que nous suivions était tellement détrempé
que les mules s'embourbaient à chaque instant. En un
endroit, le chemin s'effondra sous les pieds de ma béte et
nous roulâmes alternativement l'un sur l'autre pendant
quelques minutes avant que je pusse m'accrocher à une
branche d'arbre. J'avais été assez heureux pour saisir en
même temps les rênes de ma mule qui se releva; mais en
essayant de la hisser, les rônes se brisèrent et elle alla tom-
ber dans un précipice. Cette fois je la crus morte.
Je descendis pour abréger son agonie; par miracle elle
vivait encore. Je l'aidai à se relever; nous en étions quittes
pour la peur.
Après l'avoir laissée reposer pendant une demi-heure, je
réussis à ouvrir un chemin et à la remonter. Quoique la
nuit fût venue nous surprendre, j'aurais désiré monter en-
564 YOTAGE DillfS L EQUATEUR ET LE PÉROU.
core afin d'installer les mules dans une prairie, mais un
accident plus grave que le premier m'en empêcha. Une des
mules roula dans un précipice et cette fois bête et charge
furent bien perdues.
Nous dûmes camper là, et passer une vilaine nuit sans
feu, sans abri, sous une pluie torrentielle.
Au jour nous reprenons notre ascension. Portant sur le
dos la charge de nos mules, nous n'avançons qu'en déblayant
la route à coups de sabre.
Parfois elle est si encombrée d'arbres abattus par l'orage
que, pour la dégager, nous sommes obligés de nous déchar-
ger. Ici c'est la boue qui nous retarde; plus je veux en sortir,
plus j'y enfonce. Tous mes efforts n'aboutissant qu'à me
mettre les pieds en sang, je finis par abandonner mes
bottes. Enfin, vers 10 heures du matin, nous atteignons
le faîte de la montagne où nous trouvons un petit abri...
La pluie venait de cesser; à 11 heures, le soleil parut et
nous réchauffa un peu.
Nous descendîmes toute l'après-midi cette maudite mon-
tagne. La quebrada de Ghorillos une fois passée, le chemin
devient meilleur. Si loin que la vue peut s'étendre, on
n'aperçoit que des ruines, semblables par leur architecture
et le fini du travail à celles de Yalladolid; même spectacle,
le lendemain, entre la côte d'Alva et Shipaïsbamba que nous
atteignîmes en suivant le flanc des montagnes au pied des-
quelle coule rutcubamba.
De Shipaïsbamba à Chachapoyas. — Je restai trois jours
à Shipaïsbamba. Les Indiens qui m'avaient accompagné
étaient brisés par la fièvre et je ne valais guère mieux. Le
climat est froid et humide au pueblo; mais, au bas de la
montagne, la température est plus douce. Le sol très fertile
produit en abondance la pomme de terre, le mais et la
coca. Shipaïsbamba compte 300 habitants, polis, hospi-
taliers et timides, comme tous les Indiens. En fait d'indus-
trie, on n'y voit qu'une fabrique d'eau-de-vie dont la pro-
VOYAGE DANS l'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 565
daction suffit à peine à la consommation des habitants.
De ce village à San-Garlos la route ne présente rien de
particulier. L'aspect du pays est le même avec un caractère
moins sauvage, car on commence à rencontrer çà et là de
petits hameaux. Toutes les quebradas qu'on traverse vont
se jeter soit dans ]e rio de Achillo qui charrie des sables
aurifères, soit dans TUtcubamba.
San-Garlos ^st une sous-préfecture de 2000 habitants, tons
Indiens, d'une saleté extraordinaire, la plupart syphilitiques
ou goitreux. Le climat est d'ailleurs froid, humide et mal-
sain. Plusieurs cours d'eau baignent la ville sans la laver,
car les rues ne sont pas plus propres que Ibs habitants, et
on y enfonce dans la boue jusqu'aux genoux. Telle cité,
telle administration. En me promenant, je rencontrai Tayun-
tamiento et le sous-préfet dans un pitoyable état d'ivro-
gnerie. Je me hâte d'ajouter que ce digne fonctionnaire ne
tarda pas à être remplacé.
San-Carlos possède une église et deux chapelles bâties en
adobe'comme presque toutes les maisons. Le commerce,
l'industrie y sont nuls. Sur la montagne on récolte du maïs,
un peu de blé et quelques légumes ; le yuca, la coca et la
canne à sucre sont cultivés dans la plaine.
La montagne sur laquelle est bâti San-Garlos s'élève à
une hauteur de 3500 à 3800 mètres. A son sommet de
forme octogonale, appelé Alcaliaca ou pic de Moyou, je
fus tout surpris de voir une grande nappe d'eau qui donne
naissance à une quantité de quebradas. Les unes vont se
jeter dans l'Utcubamba, d'autres se dirigent vers l'est et
le nord-est à travers les montagnes, dans un pays désert et
inconnu ^
Suivant ensuite les flancs du pic et traversant les que-
bradas de Pacallaca, Yincana, Piedra grande, etc., et une
côte assez raide, j'arrivai à 9 heures et demie du soir à San-
1 . Il est probable que le Chuchunga, affluent du Maranon, prend ici
sa soarce.
soc. DE GÉ06R. — 4* TRIMESTRE 1885. V[. — 38
S66 VOYAGE DANS L'EQUATEUR ET LE PEROU.
Pablo. Ce village, situé au pied du Moyou, est encore élevé
de 2500 mètres au-dessus de l'Océan ; le climat y est froid,
liumide ; la végétation très pauvre. Cependant les cent In-
diens de San-Pablo s'y trouvent comme dans un paradis en
comparaison du hameau qu'ils habitaient autrefois sur une
montagne voisine. On me fit voir les ruines de cette localité
•qui se nommait Campanario ; elles sont bien à une hauteur
de 3500 mètres. Le froid intense et les pluies continuelles
devaient en faire un bien triste séjour.
Après avoir passé la nuit à San*Pablo, je descendis jus-
•qu'au rio Cocayacu, affluent de TUtcubamba, qui charrie de
petits grenats. On le traverse sur un de ces ponts à toiture
qui servent d'abri aux voyageurs, genre de construction
très utile et très commun au Pérou, puis, gravissant la
•côte de la Coca, on arrive au pueblo de ce nom qui lui a été
•donné, parce que la coca est pour ainsi dire un produit na-
turel du sol et qu'elle y est d'une qualité supérieure à celle
des environs.
Entre San-Carios et la Coca, les montagnes recouvertes
•d'une couche d'alluvion sont de formation dévonienne. Les
prairies naturelles dominent et les cultures se bornent gé-
'néralement à quelques champs de maïs et de pommes de
terre. Sur ce trajet on rencontre beaucoup de cavernes dans
'lesquelles je recueillis une grande quantité d'ossements hu-
^mains.
Sur cent Indiens qui habitent la Coca, il y en a au moins
•quatre-vingt-dix qui sont jaunes comme des citrons. Cette
-coloration de teint est due à l'abus de la coca mélangée à
la chaux, dont l'effet sur la santé est encore plus désastreux
que celui de l'opium. Cependant la coca prise modérément,
mais sans chaux, est très salutaire contre les maladies des
os et elle produit en peu de temps de très heureux effets
sur les personnes d'un tempérament faible.
Du pueblo on atteint, en une demi-heure de marche, le
«ommet de la montagne que deux petits cours d'eau sépa-
. VOYAGE DANS L EQUATEUR ET LE PÉROU. 567
rent de la grande côte de Huanca. Le sentier devient ici
très étroit, très raide. Le voyageur ne doit avancer qu'avec
la plus grande attention en faisant reposer ses mules tous
les quarts d'heure pour éviter les accidents. Je n'ai vu nulle
part autant de squelettes d'animaux.
A 5 heures du soir nous atteignons le sommet de la côte
qui n'a pas moins de 4000 mètres. Quelle vue splendide
nous aurions, s'il faisait beau temps ! Mais une pluie froide,
qui tomba toute la journée, nous chassa bien vite. Nous ne
faisons que traverser Huancas, petit village au pied de la
côte où l'on fabrique d'assez médiocres poteries et, franchis-
sant quelques petits cours d'eau et deux grandes barrancaSy
nous entrons à 9 heures du soir à Ghachapoyas, sans chaus-
sures, couverts de vêtements en lambeaux, affaiblis par les
fièvres, les perpétuels changements de température et les
privations de toutes sortes.
Je ne trouvai pas mon cher compagnon, M. Noetzli, en
meilleure santé. La moindre humidité augmentait ses dou-
leurs de reins compliquées de fièvre et de rhumatismes.
Dans ces conditions il n'avait pu entreprendre aucune ex-
cursion.
Le charmant plateau sur lequel est situé Ghachapoyas est
élevé de 2332 mètres et dominé par de magnifiques mon-
tagnes. Un climat chaud, humide, favorise le développement
de la végétation sur le terrain excessivement fertile de la
province de Ghachapoyas qui produit du maïs, du riz, de
la cire blanche, du cacao, de l'indigo, du sucre, du coton,
du tabac, etc. ; mais les principales récoltes des environs
du chef-lieu consistent en blé, maïs et pommes de terre. A
quelque distance au nord de la ville, près d'un affluent de
rutcubamba, on trouve une riche mine de mercure.
Ghachapoyas possède une préfecture, un évôché, un col-
lège épiscopal, et môme une petite garnison. Aussi Tauto-
rité du gouvernement y est-elle un peu moins méconnue
que partout où nous avons passé jusqu'à présent. Les rues
568 TOTAGE BANS L*ÉQUàTEUR ET LE PÉROU.
ftont droites, bien pavées, et la ville prend meilleure tour-
nure grâce aux travaux dirigée par M* Wertheman, ingé-
nieur de rÉtat, un des explorateurs du Guallaga et de la
province.
Il n'y a ici ni commerce ni industrie ; cependant par sa
situation géographique, entre Moyobamba à Test, Gaja-
marca au sud-ouest et la vallée de Guyabamba au sud-est,
Gbachapoyas deviendrait facilement un centre commercial
important. Mais qu'attendre de malheureux Indiens dont la
fainéantise égale la stupidité? Avec des nègres on aurait
plus de ressources ; on pourrait réparer les routes, en ou-
vrir de nouvelles, enfin rendre possible ce qui n'est et ne
peut être aujourd'hui qu'un rêve.
La seule bonne chose que nous trouvâmes ici, c'est du
pain. Sans doute un Parisien ferait la grimace devant les ga-
lettes passablement dures que nous payons un prix exorbi-
tant ; mais comment ne pas les trouver délicieuses, quand on
est privé de pain depuis cinq mois ?
Pendant les huit jours que je restai à Gbachapoyas
pour me reposer et préparer nos collections, j'entendis
parler de la vallée de Guyabamba comme d'une région
voisine et peu connue ; et de fait, on n'en possède aucune
carte.
Seul, M. Raimondi y avait pénétré en 1869, mais les ré-
sultats de son voyage n'étaient pas connus, et tous les ren-
seignements que j'obtins se bornèrent à ceci : a Le rio de
Guyabamba ou del Guambo prend naissance dans les mon-
tagnes du sud et va probablement se jeter dans le Guallaga,
après avoir traversé une grande vallée peuplée d'environ
15 à 20000 habitants qui exportent le meilleur sucre du
Pérou. y>
Get inconnu géographique éveillait d'autant plus ma cu-
riosité qu'une contrée aussi reculée me semblait le refuge
naturel des populations primitives repoussées dans l'inté-
rieur. L'archéologie, l'ethnographie pouvaient donc aussi
VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 569
bien trouver leur compte à cette exploration que la géogra-
phie et rhistoire naturelle.
Résolu à la tenter, je quittai Chachapoyas dans les pre-
miers jours de mars 1877.
TROISIÈME PARTIE (PÉROU). — EXCURSION DANS LA VALLÉE
DE GUYABAMBA. ^
De Chachapoyas à Milpo. — En quittant Chachapoyas,
je me rendis à Pipos, sur la route de Moyobamba. Pipos
Yiejo, qui a environ 100 habitants, est situé sur la rive
gauche de la rivière de ce nom; sur l'autre rive est Pipos
Nuevo où je pris un guide pour visiter le lendemain le nou-
veau et Tancien pueblo de Soloco.
Le premier est à deu^ bonnes heures de Pipos, sur un
plateau élevé de 2800 mètres, tandis que Soloco Yiejo est
dans la vallée arrosée par une quebrada qui alimente un
moulin, le premier que j'aie vu dans le pays. Le climat
est tempéré, humide; le sol fertile produit la canne à sucre,
mais les cent habitants du pueblo, tous Indiens et très pa-
resseux, ne la cultivent que pour leurs seuls besoins.
Le jour suivant, je remontai sur le plateau. On y voit
plusieurs petits lacs. La végétation est pauvre; les cultures
fort rares consistent en blé, maïs, et pommes de terre. Le
versant sud-ouest de la montagne est coupé par de nom-
breux ruisseaux qui vont tous se jeter dans. la rivière de
Gheto^
Le hameau de ce nom a environ 50 habitants; il est situé
sur la rive droite de la rivière. Je la remontai encore pen-
dant une heure, en traversant quelques ruisseaux qui vont
grossir le Cheto, puis je franchis la montafgne de la Cruz
au pied de laquelle coule le Cheto. La pluie, qui tomba toute
1 . Le Cheto et le Pipos se réunissent au bas du village de Pipos, à
300 mètres de distance environ.
570 YOTAGE DANS l'ÉQVÂTEUR ET LE PÉROU.
la journée, avait rendu les diemins impraticables et nous
étions dans un état pitoyable, lorsque, vers 6 heures du
soir, nous arrivâmes au pont Olea. Ce pont, de 10 mètres de
longueur sur 4 mètres de largeur, est couvert d'une toiture.
Une douzaine d'Indiens s'étaient déjà installés sous cet
abri; nous y passâmes la nuit avec eux.
De ce pont on peut se rendre en un jour au tambo de
Guàlama et même à celui de Ghouta, à l'entrée de la vallée
de Guyabamba ; mais outre que les chemins étaient affreux,
j'avançais lentement en recueillant des plantes. Aussi em-
ployai-je deux jours à faire ce trajet.
On monte d'abord une petite côte jusqu'au tambo del
Tio Grande, dont le sommet n'est que sables blancs et brous>
sailles, puis on redescend au tambo del Tio Ghiquîto. Ce
chemin, détrempé par des pluies continuelles, est ordi-
nairement très fréquenté par les gens de la vallée de Guya-
bamba qui vont vendre leur sucre et leur eau-de-vie à
Ghachapoyas ; mais, en ce moment, tout transport était in-
terrompu, parce que les animaux restaient embourbés. Nos
mules mêmes avaient de la peine à s'en tirer.
Du tambo Chiquito on remonte, en traversant de nom-
breux ruisseaux et les quebradas de Lejia et de Tinas et,
après avoir suivi celle-ci pendant une demi-heure, on gravitla
côte de Las Escaleras ô de Tinas, en passant par les endroits
suivants : Moria Pota, Juez Tambo Costa, Anio Pampa et Las
Escaleras. Cette ascension nous demanda une heure, tant
les chemins étaient mauvais. Nous étions enfin sur le
plateau élevé de 2400 mètres, qui forme la ligne de partage
des eaux entre le Maranon et le Guallaga. J'y trouvai un
petit lac d'eau minérale chaude dans lequel je fus assez
surpris de trouver un nombre considérable de plantes que
je ne pus classifîer. Le lac a environ 8 mètres de largeur
et 20 de longueur; sa température est de 6* centigrades.
Un peu plus loin nous rencontrâmes le tambo de Guà-
lama; mais n'ayant autour de nous que des arbres rabou-
VOYAGE DANS l'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 571
gris et pas de pâturages pour les mules, nous descendîmes
pendant une heure et demie pour aller passer la nuit aa
tambo de Ghouta.
Le lendemain, du haut d'une colline, je vis se dérouler
sous mes yeux la vallée de Guyabamba. Derrière les nuagesv
amoncelés, le soleil, tout pâle comme il l'est dans les régions
équatoriales lors de la saison des pluies, éclairait un des
plus jolis panoramas qu'on puisse voir. A l'est, au pied
des montagnes, coule le Guambo ; vers le sud j'aperçois les
pueblos de Michina et de San*NiooIas, plus loin le rio de
Cochamal qui n'est qu'un bras du Guambo ^ ; enfin, à l'ouest,
vers les montagnes qui bornent la plaine, je découvre Co-
chamal, Soquia, Santa-Rosa et Milpo. C'est un coup d'œil
magnifique.
Je descendis jusqu'à Cochamal. C'est un pays très fertile
dont le climat est tempéré, très humide et malsain. A mi-
chemin de Cochamal, je fus surpris par un orage épouvan-
table oh nous faillîmes rester : moi, mes collections et mes
mules. Le vent déracinait les arbres et une bourrasque me
renversa ainsi que ma mule. Je roulai dans un trou où je
perdis connaissance. Quand je revins à moi, j'avais de l'eau
jusqu'à la ceinture. L'eau qui descendait de la montagne
remplissait peu à peu le trou, et un arbre déraciné était
tombé en travers. Tandis que j'en coupais les branches avec
mon machetôy j'entendis des bruits de voix. Je me mis à
crier de toute la force de mes poumons et bientôt deux
hommes se dirigèrent de mon côté. En me voyant dans
cette triste situation, ces braves gens commencèrent par
éclater de rire; mais je l'oubliai quand ils m'eurent aidé à
1. Nous avons interprété les renseignements géographiques du voyageur
en admettant : l"* quMl s*est souvent trompé sur les directions, i° qu'il
donnait des noms différents aux différentes parties d*une même rivière.
Par suite, dans cet extrait de son manuscrit^ nous donnons les indica-
tions qui se rapprochent le plus, croyons nous, de la vérité. Nous aurions
pu les interpréter sans faire la seconde hypothèse, mais cette interprétation
s'écarterait probablement davantage de la vérité. (Note de la rédaction,)
à
\
572 VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
me dégager. Je me mis alors à la recherche de mes affaires,
trouvant ici une couverture, là mon chapeau, etc. Ma mule
de selle s'était réfugiée à un quart de lieue dans Tenceinte
d'une maison démolie par Torage ; quant à ma mule de
charge, je la retrouvai, à six heures du soir, au pueblo de
Cochamal, devant la porte de Téglise. Le Gobernador et le
maître d'école, qui m'attendaient, me donnèrent ce dont
j'avais besoin, car tous mes bagages étaient trempés par la
pluie. Jeu^oublierai pas que le Gobernador eut l'obligeance
de m'oifrir son four pour faire sécher mon herbier.
Cochamal est bâtie au pied des montagnes, à une altitude
de 1480 mètres; ses cent habitants sont la plupart de race
blanche. Gomme ils m'assurèrent que les montagnes étaient
couvertes de ruines et de cavernes, je partis le lendemain
pour les visiter. A dix heures, j'arrivai sur une hauteur où
je trouvai des ruines semblables à celles de Yalladolid. La
plupart des maisons, de 10 mètres de longueur sur 5 de
largeur, sont construites en pierres de deux pieds d'épaisseur,
taillées comme les pavés de nos rues. La plupart de ces mai-
sons sont adossées à la montagne* Celles-ci ont deux pe-
tites fenêtres sur le devant, tandis que les maisons qui font
face à la montagne ont leurs fenêtres de l'autre côté. L'en-
semble de ces ruines forme une circonférence coupée en
tous sens par des rues d'une largeur moyenne de 4 mètres.
J'en suivis une qui aboutissait au sommet de la montagne
jonchée de pierres plus ou moins bien sculptées; puis,
ayant fait quelques fouilles sans résultat, je redescendis
par une des rues du versant est.
Plus bas, je traversai d'autres ruines groupées sans ordre
et me dirigeai vers une petite montagne qui dominait les
environs ; mais en arrivait à sa base, je restai tout étonné de
voir que la montagne avait été coupée verticalement et
formait une haute muraille.
En en faisant le tour, je vis une caverne faite de main
d'homme. L'ouverture haute d'un mètre, large de 0™,50,
VOYAGE DANS L'EQUATEUR ET LE PÉROU. 573
s'enfonce dans le flanc de la montagne. J'y pénétrai et
y recueillis quelques ossements et des silex que j'envoyai
à Gocbamal par un de mes hommes.
Je continuais à descendre lorsque je fus arrêté par un
amas de pierres de taille. Je ne pouvais m'imaginer d'où
elles venaient quand, levant la tête, j*aperQus une muraille
large de 10 mètres et haute de 8 à 10 mètres, bâtie sans
ciment avec des pierres de 1",50 de long sur O'^jSO de large.
Je Tescaladai à l'aide de branches d'arbres et de mon
poignard que j'enfonçai entre les pierres. Cette muraille,
légèrement inclinée, peut avoir 5piètres d'épaisseur. Je fus
bien plus étonné d'en voir, derrière, une seconde pareille
à la première, sauf la pente^ et plus haut une troisième
formée presque entièrement par les rochers de la mon-
tagne. Un peu plus bas, celle-ci s'était affaissée et la muraille
démolie m'offrit un passage, mais je ne trouvai rien qui
m'indiquât d'une façon quelconque si ces travaux dataient
des Incas ou d'une époque antérieure.
Je rencontrai encore quelques ruines de maisons, celles-
ci de forme ronde, et je revins au pueblo de Cochamal à
7 heures du soir.
Je passai les deux jours suivants à la chasse. Les habitants
d'une pampa, située à quatre lieues de Cochamal^ voyant
leur bétail détruit par les animaux féroces, avaient organisé
une battue. Nous tuâmes deux beaux ours et un magnifique
sanglier. Chacun prit sa part du butin et tout le monde
revint satisfait au pueblo, que je quittai le lendemain pour
Santa-Rosa, chef-lieu du district de Guyabamba.
Après avoir passé et repassé la rivière de Cochamal* sur
un pont de bois à toiture, d'une longueur de 8 mètres, nous
nous engageâmes dans un chemin affreusement détrempé
par la pluie et coupé, à chaque instant, par de petits ruis-
1. Avant d'arriver à Saint-Nicolas, la rivière de Cociiamal se réunit à
celle de Aina, puis elle reçoit la rivière de San Antonio, et, ainsi grossie,
va se jeter dans le Guambo.
574 VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
seaux. Dans d'autres conditions, il nous eût fallu deux
heures pour aller à Soquia, à moitié chemin deSanta-Rosa;
nous patauge&mes pendant neuf heures. Soquia se compose
de cinq hameaux avec 1500 habitants. Le territoire est ar-
rosé par plusieurs ruisseaux. On y cultive surtout la canne à
sucre. Je perdis une journée à explorer les environs, car la
végétation est presque nulle, et le lendemain j'arrivai à
Santa-Rosa, après avoir traversé la rivière du même nom.
Santa-Rosa est entourée de montagnes de quelques cen-
taines de mètres d'élévation. Le climat est tempéré et aussi
humide que le sol est fertile. La canne à sucre est partout
cultivée sur une grande échelle; le sucre et l'eau-de-vie
sont, du reste, les seules productions importantes de la vallée
de Guyabamba. Le pueblo de Santa*Rosa^ avec son église,
ses rues droites, ses maisons en adobe et ses écoles, a
presque l'apparence d'une petite ville; cependant la popu-
lation n'est que de 400 habitants, en majorité de race
blanche. Mais quelle différence entre eux et ceux de la
province de Chachapoyas ! Ici tout le monde est honnête,
laborieux, intelligent. On ne fait pas de révolution, mais de
l'agricullure, du commerce, et chaque année voit croître le
nombre des routes et des défrichements. Je ne découvris
aucune ruine aux environs; cependant, sur une des mon-
tagnes voisines, je remarquai des trous creusés à la main
qui pouvaient avoir 20 métrés de profondeur sur 10 mètres
de diamètre.
Après un cordial adieu à la charmante population de
Santa-Rosa, je me.mis en route pour la Totora. Le chemin
est d'abord coupé par plusieurs quebradas qui tombent
dans le rio de Santa-Rosa, puis on' atteint la rivière de
Pindo Cucho qui va se perdre dans la rivière de Milpo. Le
Pindo Cucho est tellement tortueux que je le passai et re-
passai cinq fois. Une petite côte le sépare de la rivière de
la Totora qui prend sa source dans les montagnes de la
Calca et va se jeter dans le Guambo. Je traversai la rivière
YOYAGIC DANS L'ÉQVATEUR ET LE PÉROU. 575
de Totora et, à 5 heures du soir, j'arrivai complètement
mouillé au pueblo.
Le pueblo de la Totora, situé dans une yallée élevée de
1566 mètres, compte 200 habitants presque tous blancs et
sachant presque tous lire et écrire. Au sud se trouve une
grande montagne, tandis que de vastes marais s'étendent
au nord, et forment un grand lac dans la saison des
pluies.
Aidé par tout le pueblo, qui mit à ma disposition ses
engins de pèche, je fis une collection complète des poissons
que ce lac contient eti abondance.
. J'organisai ensuite quelques explorations dans les mon*
tagnes environnantes à 10 et même 15 lieues à la ronde ^
J'y trouvai d'immenses ruines et de très beaux silex. Les
ruines m'ont paru être de l'âge de celles de Yalladolid ;
toutefois je n'affirme rien et laisse à de plus savants que
moi le soin de trancher la question.
Je dois reconnaître que, dans toutes mes excursions, tout
le monde me venait en aide. La plupart des gens du pays
étant atteints de fièvres, de goitres ou de rhumatismes;
j'eus la chance de les guérir. en me servant de plantes mé-
dicinales que j'avais appris à connaître, et je me créai ainsi
d'excellentes et fort utiles relations qui me permirent de
faire à peu de frais de nombreuses collections de plantes,
de reptiles, de poissons et d'insectes, et de les envoyer sans
grande dépense àChacbapoyas^.
Les habitants de la Totora vinrent, à mon retour, me
1 . Ces chiffres nous paraissent exagérés de moitié si on les prend pour
les distances directes et à vol d*oiseau. Le voyageur tient sans doute
compte de tous ses tours et détours dans un rayon beaucoup plus petit.
On verra plus loin que le point extrême qu'il a atteint dans Test ou le
nord-est de la Totora (Calca) ne semble pas être à plus de 30 kilomètres.
On remarquera que les ruines des montagnes de Calca sont au contraire-
différentes de celles de Valladolid. (Note de la rédaction,)
2. Ces collections de reptiles, de poissons et d'insectes n'ont pu être^
retrouvées.
576 VOYAGE DANS L'ÊQUATEUR ET LE PÉROU.
prier de leur découvrir une source d'eau minérale ou saline.
Dans ce but nous nous réunîmes une dizaine pour explorer
les montagnes voisines. J'y fis de nombreuses collections
d'histoire nalurelle et d'ethnographie; nous poussâmes
notre reconnaissance jusqu'à Milpo.
Ce pueblo est situé dans une petite vallée^ près d'une
rivière encaissée, profonde et très poissonneuse. Une que-
brada passe au milieu du village et va tomber plus bas dans
la rivière. Là population d'environ 200 habitants est pres-
que entièrement de race blanche , honnête et laborieuse.
Le pueblo possède une école; ce n'est pas un de mes
moindres sujets d'étonnement que de voir dans toute cette
vallée si reculée de Guyabamba combien l'instruction est
répandue. Il n'est si pauvre hameau qui n'ait son école où
les enfants écrivent sur des feuilles de palmier à défaut de
papier. Gela n'explique-t-il pas la différence de mœurs
entre les Péruviens de Guyabamba et les gens de Jaen?
Le pays, dont l'altitude est de 2000 mètres, est un peu
humide, très fertile, et produit surtout la canne à sucre. Je
laissai là mes amis de laTotora et me préparai à descendre
encore la vallée de Guyabamba.
Les ruines de Omia et le cours du Guambo. — Parti de
Milpo le matin, j'arrivai le même soir à Omia, après avoir
passé plusieurs quebradas et longé parfois le rio de Milpo que
je laissai à ma gauche.
Omia est bâti au pied des montagnes entre la quebrada
d'Omia et la rivière du même nom *.
Ces deux cours d'eau suivent une voie souterraine pen-
dant une heure et vont se jeter dans le Guambo. Le pueblo
compte 75 habitants, tous Indiens, agriculteurs et éleveurs
de bestiaux. Les jaguars de la plaine et les ours de la mon-
tagne leur enlèvent rarement quelques animaux.
La première journée, je fus coucher à deux lieues plus bas
1 . Le rio Omia est le même que le Cochamal.
VOYAGE DANS L*ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 577
que le pueblo, dans une belle plaine couverte d'immenses
ruines sur les bords de la rivière de Guambo^ qui est ici
très encaissée. Nous y établîmes noire campement pour y
rester deux jours. Les ruines de la plaine consistent en mai-
sons de forme carrée. Les murailles, bâties avec de grosses
pierres sans aucune espèce de mortier, sont encore daus un
état parfait de conservation. Les rues sont longues et d'une
largeur moyenne de 8 à 10 mètres. Toutes ces constructions
rappellent parfaitement celles de Valladolid.
En avançant dans les montagnes, on découvre les vestiges
d'une très ancienne et remarquable civilisation.
J'arrivai ensuite sur un immense rocher entouré de pré-
cipices. Jadis s'élevait ici un magnifique monument dont il
reste à peine les murailles très épaisses et encore hautes de
10 mètres. Le monument mesurait environ 250 mètres de
longueur sur 10 mètres de largeur. Les murs sont entière-
ment en pierres de taille fort grandes ; quelques-unes sont
énormes. On y voit des sculptures et des hiéroglyphes d'une
grande beauté que, faute de temps, je ne pus dessiner.
Je visitai aussi dans les environs de notre campement un
vaste souterrain. Grand fut mon étonnement d'y trouver un
magnifique escalier et, de distance en distance, des portes
murées et d'innombrables objets. Je montai l'escalier avec
les plus grandes précautions, de peur des serpents et
d'autres animaux, mais je n'osai m'aventurer jusqu'en
haut, car plus j*avançais, plus le nombre des chauves-souris
augmentait* Je redescendis donc en maugréant de ne pou-
voir aller jusqu'au bout. Aucun de mes guides n'eût voulu
m'accompagner; je crois même qu'on ne trouverait pas
dans tout le Pérou un Indien qui consentit à explorer une
caverne. Us prétendent que le diable ou les animaux mal-
faisants qui y font leur refuge leur donneraient une maladie
qu'ils appellent Vantimonio . L'antimonio commence ,
disent-ils, par un mal de tête suivi d'une hémorrhagie gêné-
raie, finalement de la mort. Mes Indiens, fort étonnés de me
578 VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
voir reyenir sain et saafy s'imaginaient que j'avais en mon
pouvoir quelque remède contre l'antimonio, et tous mes
efforts ne réussirent pas à les dissuader de cette idée.
Cette répugnance incroyable des Indiens date sans doute
de la conquête. A cette époque une. grande partie des ri-
chesses du pays avait été enfouie dans les cavernes; et pour
se réserver ces trésors, les Espagnols en défendirent peut-
être l'entrée sous peine d'une mort quelconque ou d'un
poison dont les effets étaient ceux de l'antimonio.
Pendant mon absence un de mes hommes avait été
mordu par un serpent. Craignant de le voir mourir malgré
deux applications successives d'acide 'phénique, je le fis
transportera Omia sur un brancard, et, quinze jours plus
tard, à mon retour, j'eus le plaisir de le trouver guéri.
En quittant les ruines d'Omis, nous nous rendîmes au
Tambo del Guambo. On y vient de tous côtés défricher
quelques morceaux de terrain pour faire des plantations de
yucca ou jatropha manioca et de bananier. Lé climat est
plus chaud; le sol plus feHile et plus riche qu'aux environs.
Nous nous construisîmes un tambo et je passai quatre jours
à explorer le voisinage.
Partout je trouvai d'immenses ruines, mais sensiblement
différentes de celles que j'avais rencontrées précédemment.
La plupart sont bâties au pied des rochers ou sur les rochers,
comme le plan l'indique ^
Voulant enfin savoir où se dirige le Guambo, je me dé-
cidai à partir avec mes guides en emportant des vivres pour
cinq jours.
Le premier jour nous suivîmes constamment la rivière
dont le courant est très rapide. Elle coule entre des bei^s
escarpées couvertes d'épais fourrés qui rendaient notre
marche excessivement fatigante sous une pluie continuelle.
Aussi, le second jour, nous nous écartâmes de la rivière tout
1, Ce plan n'a pu être retrouvé.
VOYAGE DANS l'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 579
en la suivant^ mais à une centaine de mètres au-dessus de
son lit. Plus nous descendions la vallée, plus le climat
devenait chaud, humide, le terrain impraticable. Nous
avions de la peine à faire trois lieues par jour.
Le lendemain nous aperçûmes une haute montagne que
je rêvais d'escalader avec l'espoir de suivre fort loin la
direction générale de la rivière. En attendant nous com-
mençâmes par nous reposer. Je préparai mes notes et mon
herbier. Mes guides qui étaient allés pécher dans leGuambo
revinrent avec une charge de très beaux poissons.
Le quatrième jour, nous nous remettons en route pour la
haute montagne. Une jolie petite rivière excessivement
encaissée nous arrêta plusieurs heures; il fallut faire un
radeau pour la traverser. Nous suivîmes ensuite les bords
du Guambo sur une grande plage remplie de ruines sem-
blables aux précédentes, puis une rue qui avait bien une
demi-lieue de long avec des maisons parfaitement alignées
dont les murs étaient bien conservés. Un orage épouvan-
table, qui dura toute la soirée, nous surprit en route.
Nous étions littéralement trempés quand nous établîmes
notre campement près de la montagne.
Le découragement commençait à se mettre de la partie.
Mes guides voulaient revenir; rien ne pouvait les décider à
m'accompagner un jour encore. Cependant le lendemain
matin je réussis à les entraîner sur un vieux chemin que je
venais de découvrir. 11 aboutissait au pied même de la
montagne, mais là nous le perdîmes. En le cherchant nous
en trouvâmes trois dirigés, l'un au sud-est, Tautre au nord,
et le troisième vers la rivière dont nous atteignîmes le bord
un instant après. Une grande plage nous séparait de la
montagne. Nous y construisîmes un abri au milieu de nom-
breuses ruines de même caractère que celles de Yalladolid,
et fîmes ensuite une excellente pèche d'énormes poissons.
La montagne dont j'atteignis le sommet le lendemain n'a
pas plus de 2000 mètres; mais des rochers escarpés, une
nV^>
^S^^ VOVAM DANS L'ÉQUATBUR ET LE PÉROU.
x>?l((\^U(K\n surabondanlo, une pluie torrentielle entravaient
H's^1^w«kn| iji niarcbo que, parti de très bon matin, je n'a^
"^ nAM $mr )«> pi«lp«u qu'à 11 heures. De là j'aperçus la
rC\vN(y> $« «)ïri|t<Mnl \'ers le sud en faisant de nombreux
x^s^^^%-N^ it m\* convaincu qu'elle doit se jeter dans le haot
««.(v;\\(As U<> |tlat«au n'offre rien de remarquable; mais, en
^Vj^Viv^A'.u «^^U« campement, je rencontrai un nombre com-
nu^\>aN.,^ ,>\'' r«inc$ diffu^rentes de celles de la vallée, là >s
WM^NxMKv, M^t^s awc une espèce de mortier et de piiirt.
*'^^'^'^^^''nt U iVu-iiic. rvonde; mais ce qui le
cr Iles ,Uv ,„^^ fortt»^sq«* j'« r«ncoatKes
du MAraiVw, oV*t qu<> uN^uput axaient dei
Je wnlrai au cwupcmwjft'^ • •»*«•** **■
ft»t ma«^^K.e, Kirv^y^^s ,»ar l*>s ^jJ^
.coo„t«„.é à ,«ut et surlou, Ms^
qu un somme jus,,u'«u jour. ^
Dépourvu de toutes ivssour,^., ^ „,.„,.^
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ruines d'Annyac. ^ '*"'"' ""«••' '*"'/<♦'•
tilo vallée u rilZ ;^*''""'"''"»^''«»-"«n»'
canne à suc ^]'T^' !'' ''•-"'". «"« ''«a m.Ulv./|«
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VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 531
M'ouvrant un passage à travers la montagne je franchis
plusieurs quehradas qui vont se jeter dans le Pindo Cucho,
et longeai une barranca encaissée de plus de 20 mètres. En
plusieurs endroits je trouvai des pans de murs couverts
d'hiéroglyphes, les uns peints en rouge, les autres scul-
ptés. Je rencontrai aussi des cavernes naturelles et d'autres
faites de main d'homme qui renfermaient des étoffes, des
poteries et des cadavres momifiés.
Ces souterrains, pour la plupart affaiiSsés, ne m'inspi-
raient aucune confiance. Je me bornai à en explorer deux
où je recueillis quelques objets très intéressants, et je re-
vins au pueblo.
Mon hôte m'attendait pour me faire part d'une décou-
verte faite en mon absence. Un chasseur de l'endroit lui
avait appris que dans une de ses courses il avait vu en face
de lui un énorme couloir traversant une montagne; de
chaque côté des parois de la montagne il avait aperçu
des portes murées, mais n'avait pas osé pousser plus loin
ses recherches.
Je m'y rendis le jour suivant. J'essayai d'abord de dé-
molir une des portes murées et, n'ayant pas les outils né-
cessaires^ j'y mis beaucoup de temps. Enfin je pus entrer,
bien résolu à reconnsdtre l'intérieur où je trouvai une si
grande quantité de choses curieuses que je ne savais que
prendre. Mais ces cavernes sont tellement profondes que je
craignis de manquer de lumière et de me perdre.
Je jugeai donc plus sage de revenir sur mes pas, pliant
d'ailleurs sous le poids des objets que j'avais recueillis. Je
gardai avec moi un de mes guides et, chargeant les au-
tres de mon butin, je les renvoyai au pueblo d'où ils de-
vaient me rapporter le lendemain des outils et de la chan-
delle du pays. Celle-ci est faite avec de nombreux fils de
les deux villages. Nous voyons bien qa*Anayac est entre la Totora et le
Pindo Cucho» à environ une lieue de cette rivière; mais de quel point de
cette rivière? C'est un affluent du Guambo (/^o^e de la rédaction).
soc. DI GÉOGR. — 4* TRIMESTRE 1885. YI. — 39
582 VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
eoton tordus formant une corde de la grosseur du petit
doigt qu'on passe plusieurs fois dans de la cire fondue.
Tandis que mon guide installait un abri pour passer la nuit
à l'entrée du souterrain, je me mis à explorer la montagne.
Pour ce qui est des vieilles ruines, je n'en parlerai pas
davantage ; il y en a plus ici que je ne voudrais. Partout
côtes et plateaux en sont remplis. Elles sont d'une cons-
truction élégante et diffèrent beaucoup de tout ce que j'ai
encore vu *.
Les maisons qui se trouvent sur les pentes des monta-
gnes et des ravins sont construites ainsi qu'il suit : Les
murs de derrière sont adossés à la montagne, ceux de de-
vant sont au même niveau et ont une égale hauteur. Us
sont bâtis en pierre sèche sans aucun mortier et ont uoe
légère inclinaison en arrière à partir de la base. Leurs di-
mensions^ sont en général de 8 mètres de long, de 4 ou 5 de
large et de 3 mètres d^épaisseur. La porte d'entrée est située
au bout; elle peut avoir 1°*,50 de haut sur O^'jSO de large.
La façade est percée de petites fenêtres carrées de 0™,40.
A l'intérieur la maison était nivelée à 1"',50 au-dessus du
mur de façade^ ce qui pouvait donner une hauteur de
1°',50 à Tintérieur, sans compter, bien entendu, celle qui
restait encore jusqu'à la toiture. On y voit aussi de. petits
trous carrés dont je ne m'explique pas l'utilité *.
1 . Cette différence ne nous paraît pas bien ressortir de la description
du voyageur. Cependant, comme quelque point particulier a pu nous
échapper, nous la reproduisons.
Remarquons ici que, jusqu'à présent, les ruines de simples maisons,
décrites par M. Senèze, sont de quatre sortes :
1** Petites huttes rondes en pisé, dont la toiture devait être en feuilles
(Bassin du Ch inchipe) ;
2° Petites maisons de forme ronde en pierres, sans étage (Vilcabamba...);
3* Maisons de forme ronde, bâties avec une espèce de mortier et de
plâtre, et fenêtres, un et deux étages (MdntGuambo);
4** Malsons de forme carrée, grosses pierres juxtaposées sans ciment,
fenêtres (Cordillère de Zamora, Valladolid, Gochamal, Oihia). {Note de la
rédaction.)
2. Il est reg H'ettable que le voyageur n'ait indiqué ni leur nombre, ni
VOYAGE DANS L'EQUATEUR ET LE PÉROU. 583
Toutes ces constructions forment des rues de 3 à 4 mè-
tres de largeur. Leur direction est tout à fait irréguliëre,
dans le sens de la largeur de la montagne; mais, de bas en
haut, elles forment des chemins en zigzag. De la base au
commet je ne pense pas qu'il y ait plus d'une lieue, mais à
cause de ces détours, de la difficulté de se firayer un
chemin et du temps passé à regarder les ruines, je mis
quatre heures pour arriver sur le plateau. Je descendis du
<;6té de l'est, rencontrant partout des ruines semblables et
regagnai rentrée du souterrain. Mes guides étaient revenus
du pueblo en m'apportant des vivres et de la chandelle.
J'allais donc pouvoir travailler à mon aise.
J'attachai d'abord à la porte du souterrain l'extrémité
d^une pelote, de fil. Ce fil très beau, très solide, est fait
avec une variété de cheophrasta qui croît ici en abondance.
' Je m'avançai alors en suivant ie côté gauche du souter-
rain et regardant à droite de temps à autre. Bientôt je vis
des excavations, des sculptures et de nombreuses pierres
détachées de la voûte. Un instant je fis un soubresaut, sur-
pris par une quantité innombrable de chauves-souris blan-
châtres que la lumière avait éveillées, puis je fus de nou-
veau arrêté par un amas de pierres. J'aperçus alors à droite
une large ouverture vers laquelle je me dirigeai. Quel ne
fut pas mon étonnement en voyant près de cette ouverture
<îinq ou six corridors I
Un courant d'air faillit éteindre ma chandelle. Tandis
que je l'abritais avec la main en marchant, je trébuchai et
allai donner de la tête contre un squelette d'animal que j^
•ne pus reconnaître. Je m'assis un moment et regardai les
parois des murs entièrement tapissées de chauves-souris.
Je fis ensuite le tour des pierres qui m'avaient arrêté et,
laissant à droite toutes les ouvertures, je continuai mon
leurs dimensions, ni leur position à l'intérieur. Qui sait si la toiture ne
reposait pas sur des piliers en bois enfoncés dans ces trous? (Note de la
rédaction.)
584 TOTAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
ebemin dans la première galerie qui présentait çà et là des
ooTertares donnant accès dans des cavernes remplies d'os*
sements. Le sol était toujours jonché de pierres tombées de
la Toûte. Un peu plus loin la galerie s'arrêtait. Je levai les
yeux et aperçus une légère clarté à travers une fente de la
voûte, vers laquelle se dirigeait une espèce d'escalier. Je
n'osai y monter, de peur de faire tomber quelques pierres
qui eussent pu m'écraser, et me mis à fouiller le sol où je
trouvai nombre d'objets curieux.
Tout à coup un vacarme épouvantable retentit dans le
souterrain et me remplit d'inquiétude. Il semblait que tout
allait crouler sur moi; je sentais le contact d'animaux im-
mondes. Plus de vingt fois je fus obligé de rallumer ma chan-
delle et je crus perdre la raison. J'avais peur.
Le bruit ayant un peu diminué, je repris assez de force
pour me tenir debout et essayer de partir. Je rallumai en-
core ma chandelle et revins sur mes pas, marchant avec la
plus grande attention et voyant de bien belles choses sans
avoir le courage de les ramasser.
En passant près d'une galerie, le vacarme recommença de
plus belle ; je crus entendre le tonnerre, tant les hurlements
étaient formidables. J'accélérai le pas autant que possible,
car ma chandelle m'éclairait h peine par suite de la vitesse.
Enfin je revis la lumière du jour; le crépuscule commençait
lorsque je retrouvai mes Indiens efEairés, blottis dans un
trou derrière un grand feu qu'ils avaient allumé.
Je leur demandai s'ils avaient entendu gronder le ton-
nerre. Sur leur réponse négative, il me devint impossible de
m'expliquer le bruit infernal qui m'avait causé tant d'in-
quiétude, sans admettre la présence dans le souterrain de
nombreux animaux féroces. Pour les asphixier nous fîmes
grand feu à l'entrée de la galerie. Tout se passa tranquille-
ment pendant la soirée, mais dans la nuit je fus réveillé
par mes Indiens. On entendait très distinctement des hur-
lements affreux qui nous causèrent à tous une certaine
VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 585
frayeur. Je fis alors couper tous les arbres des alentours
pour alimenter le feu, mais nous n'osâmes nous rendormir
ni les uns ni les autres, et au point du jour nous décam-
pâme3 si lestement qu'à 9 heures du matin nous étions de
retour au pueblo d'Anayac*
De là nous nous rendîmes à Milpo où les autorités nous
donnèrent un bah Malgré la fièvre, je dus danser toute la
nuit. A 9 heures du matin, j'étais de nouveau en route,
accompagné d'une bonne partie de la population, et à
4 heures, je rentrai à la Totora, harassé et tremblant de fièvre.
Cependant^ avant de me coucher, il me fallut encore danser
une partie de la nuit.
Le peu de temps dont je disposais ne me permettait pas
de perdre une minute. Dès le lendemain je visitai mon her-
bier et le fis sécher, chose difficile en raison des pluies con-
tinuelles. Ce travail eût exigé huit jours; mais le maître d'école
m'ayant offert de m'aider, je lui montrai, ainsi qu'à sa
femme, comment il fallait s'y prendre et me préparai aussi-
tôt à visiter les pueblos de San-Nicolas et do Michina.
San-NicolaSy Michina^ montagnes et ruines de la Calca.
— Le pueblo de San-Nicolas est à une bonne journée de
la Totora^ sur un petit monticule, au pied d'une énorme
montagne. Il compte 200 habitants et possède une église et
deux écoles. Tune pour les garçons et l'autre pour les filles*
La population est presque toute de race blanche, honnête,
hospitalière et laborieuse. Sur cent habitants, je suis con-
vaincu qu'il y en a quatre-vingt-dix qui savent lire et écrire.
Je recueillis peu de plantes dans ce pays brûlé et dé-
friché chaque année pour faire des plantations de bananes
et de cannes à sucre. Gomme les pluies abondantes lavent
constamment l'humus, les cultivateurs défrichent toujours
de nouveaux . emplacements. Aussi le déboisement est-il
complet dans les environs transformés en pâturages où l'on
commence aujourd'hui à faire l'élevage des bestiaux.
A trois heures de marche de San-NicolaS, se trouve Mi-
b% VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
china. Je m'y rendis le lendemain en suivant le flanc des
montagnesu Dans la plaine, les mules auraient enfoncé jus-
qu'au ventre dans la boue. Partout je vis un grand nombre
de lacs, les uns très petits, les autres assez grands. Quelques-
uns ont plusieurs lieues de diamètre. Ces derniers sont très
poissonneux, tandis que les petits ne le sont pas du tout.
J'y remarquai une quantité de grenouilles et quelques jolies
variétés de serpents. Il y en a de fort venimeux, de cou-
leur noire, assez semblables à ceux qu'on rencontre sur les
bords du Mississipi et dans les fossés qui entourent la Nou-
velle-Orléans. On les appelle ici conyo.
Le pueblo de Micbina est situé sur une petite élévation,
au pied de hautes montagnes entièrement désertes derrière
lesquelles doit s'étendre la plaine jde Moyobamba. Les
150 habitants de Michina sont tous Indiens, très hospi-
taliers et très robustes, quoique souvent malades de la
fièvre qui règne malheureusement dans toute cette belle
vallée de Guyabamba. Us cultivent principalement la canne
à sucre et vont vendre leurs produits à Chachapoyas pendant
l'été.
Le lendemain j'allai faire un tour dans les montagnes qui
ont bien 2 500 mètres d'altitude* J'y rencontrai des ruiues
considérables et des cavernes tant naturelles que faites de
main d'homme. Je redescendis par un senti erui me
conduisit à moitié chemin de San-Nicolas, et de là à la
Totora en deux journées de marche.
Quelle vie que celle d'explorateur dans ce paysl J'étais
toujours en l'air et ne trouvais ni le temps d'être malade
ni celui de me reposer entre les bals et les explorations»
J'étais arrivé à huit heures du soir et, aussitôt mes plantes
mises sous presse, je dus assister à un bal que les braves
gens de la Totora donnaient à mon intention. Le jour sui*
vaut se passa à mettre mes affaires en ordre et à organiser
une excursion dans les montagnes de la Galca.
Je me mis en route le lendemain. Les pluies continuelles
VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 587
avaient détrempé le sol; je marchai toute la journée pour
faire deux lieues.
Le jour suivant je commençai à gravir la grande côte en
barbotant dans la boue; c'est à peine si le soir j'avais fait
une lieue.
Je renvoyai mes mules, ne gardant que l'indispensable,
tel que le papier pour l'herbier et le peu de matériel néces-
saire pour continuer mon ascension. Cette fois je fis bien
deux lieues en marchant pendant quatorze heures, et je
passai la nuit dans une des nombreuses cavernes de la
montagne.
Que de ruines je vis le lendemain! Elles ne ressemblaient
en rien à tout ce que j'avais vu jusqu'alors et elles étaient
beaucoup plus volumineuses que celles de Palenque du
Yucatan ou de Valladolid de l'Equateur. Je les dessinai*
tant bien que mal, mais elles sont restées dans ma mémoire
comme si je les avais sous les yeux.
Après une nuit passée au milieu des débris d'une civili-
sation.qui m'était inconnue, je repris ma course à travers
les bois et rencontrai une construction d'un travail aussi
bizarre que bien conservé. C'était un tombeau de forme
ronde, d'une hauteur de 8 à 10 mètres, bâti en pierres
admirablement taillées. Je suis sûr que jamais un ciment
quelconque n'a été employé ici, et cependant les pierres
sont si bien ajustées que je n'ai pu passer entre elles la
lame d'un couteau. Je fis plusieurs fois le tour de celte
construction sans découvrir la moindre ouverture, le
moindre indice de porte ou de fenêtre. Las de chercher je
fis couper quelques arbres de façon à les faire tomber sur
le monument. Ils me servirent d'échelle pour arriver sur le
dôme ou je vis une ouverture bouchée avec une énorme
pierre. En la nettoyant je remarquai qu'elle était percée de
trois trous. J'enfilai une branche d'arbre dans deux de ces
1 . On n*a pu retrouver ces dessins.
588 VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
trouSy et, liant les deux branches, je me fis au levier à l'aide
d'une troisième* Mais j'eus beau peser de toutes mes forces
sur celle-ciy la pierre ne bougea pas plas que la montagne.
J'appelai mon guide, et à nous deux nous ne réussîmes pas
à la faire remuer. Épuisé de fatigue, je redescendis, cher-
chant de quelle manière je pourrais bien ouvrir. Ne trou-
vant rien, je m'enfonçai dans le bois où je découvris encore
une tombe aussi intacte que la précédente et bouchée de la
même façon. Plus loin j'en vis six autres dont deux étaient
fermées avec un énorme vase au lieu de pierre. Je m'em-
pressai de monter avec mon guide.
Après avoir bien nettoyé le vase, nous l'enlevâmes i
grand'peine et en. prenant toutes les précautions possibles
pour ne pas le briser. Puis je regardai l'intérieur où régnait
une obscurité complète. J'allumai alors quelques feuilles de
papier qui en tombant éclairèrent les murailles. Je pus voir
ainsi de nombreux instruments qui ornaient les parois et
des cadavres dans le fond ; les plus grands étaient assis sur
le sol.
J'aurais bien voulu descendre, mais n'ayant avec moi
qu'un homme que je connaissais à peine, je n'osai tenter
l'aventure, craignant qu'il ne m'abandonnât dans le fond, où
je n'aurais eu d'autre perspective que celle de mourir de
faim. Je redoutais d'ailleurs que ses bavardages n'éveillassent
trop Tattention des gens du pays.
Cette exploration fut la dernière que je fis dans la vallée
de Guyabamba. En rentrant à la Totora je regrettais de n'a-
voir pu faire des études assez sérieuses pour me permettre
de tirer le fruit de tant de fatigues et de travail, et je me
promettais d'acquérir ces connaissances dans un prochain
avenir.
Cinq jours après mon départ de la Totora, j'arrivaiàGha-
chapoyas où je retrouvai M. Noetzli. Toujours souffrant,
mon compagnon n'avait pu faire qu'une excursion à deux
journées de marche du chef- lieu. En outre, il me donna de
VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 589
bien pénibles nouvelles. Nous étions abandonnés, dans une
triste situation résultant des fatigues et de la maladie, à
l'extrémité du Pérou Ce furent des Péruviens, des étran-
gers qui nous vinrent en aide. Puisse ce faible tribut de
notre reconnaissance arriver jusqu'à MM. Wertheman,
MorisetMendoza!
QUATRIÈME PARTIE. — EXCURSION AUX RUINES DE PIEDRA
GRANDE DEL UTCUBAMBA.
Il avait été convenu entre M. Noetzli et moi que je ren-
trerais en France; mais en attendant le jour du départ, je
fis une excursion intéressante, je Tespère, au point de vue
ethnographique.
De Chachapoyas je me rendis sur les bords de TUtcu-
bamba, et laissant ma mule de selle dans un endroit appelé '
Puente del rio de Utcubamba, je longeai la rivière en visi-
tant sur ma route de nombreuses cavernes dans Tune
desquelles je passai la nuit.
Le lendemain, je rencontrai encore des ruines fort cu-
rieuses. La rivière plus encaissée devient plus difficile à
longer. Le sol aride, presque stérile, fait le désespoir du
naturaliste. Le soir même, je me trouvai en présence de
ruines d'un caractère particulier; je ne crois pas que jus-
qu'à présent personne ait jamais décrit quelque chose d^a-
nalogue.
Dans la montagne, coupée à pic, j'apercevais une quan-
tité de calottes sphériques, quelques-unes surmontées de
têtes d'idoles. Du bas je ne distinguais pas assez clairement
pour les dessiner, et la montée me paraissait aussi difficile
que dangereuse.
La nuit étant venue, nous couchâmes dans une petite ca-
verne. Pendant la soirée je causai avec mes Indiens. Je
leur demandai s'il y avait fiux environs des maisons ou des
tombeaux semblables et, comme ils n'en connaissaient pas,
590 VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU.
je réfléchis longtemps à ce que je devais faire, voyant ici
nn grand travail et pa^s mal de danger.
, Après y avoir rêvé toute la nuit, je fis.le tour de cette sin-^
gulière montagne qu'on nomme Piedra Grande del Utcu-
bamba pour la distinguer d'une autre Piedra Grande située
à deux jours de marche de la première.
La montagne a bien 1000 mètres de hauteur de la base
au sommet; la rivière coule à quelque distance. Les rives
recouvertes, à l'époque des inondations, par des couches
d'alluvion, sont très fertiles; mais les environs tout à fait
stériles ressemblent à un désert.
Pour aller de la rivière à l'endroit où la montagne est
taillée à pic, il faut deux bonnes heures ; on n'avance
qu'en s'aidant avec les mains, tantôt en s'accrochant à de
rares arbustes rabougris, tantôt en se faisant un point
' d'appui à l'aide d'un poignard enfoncé dans le sol.
Arrivé en cet endroit, je levai la tête et demeurai stupéfait^
ne comprenant pas comment des hommes ont pu aller
construire des habitations et des tombeaux dans des en-
droits inaccessibles, au moins de nos jours. Cette immense
coupure représentait une incroyable somme de travail*» Sa
surface était ornée d'hiéroglyphes et de peintures rouges et
présentait de distance en distance des cavités qui renfer-
maient les singulières constructions que j'avais aperçues
d'en bas.
Vers 6 heures du soir, je commençai à grimper le long
de cette muraille. J'avais fait une ample provision de pi-
quets en bois que j'enfonçais, à mesure que je m'élevais,
dans des trous faits avec mon poignard. La nuit me surprit
au milieu de cette difficile escalade; je m'installai comme
je pus pour ne pas être obligé de la recommencer le lende-
main.
1. Ce n'est sans doute l'œuvre ni d'une génération, ni d'un siècle. Les
générations successives taillaient sans doute la montagne au fur et à
mesure que les tranchées supérieures se comblaient de sépultures.
VOYAGE DANS L'ÉQUATEUR ET LE PÉROU. 591
Je dormis comme on dort en pareille circonstance et, à
mon réveil, je repris mon ascension jusqu'au sommet de la
montagne où l'on ne voit que de mauvais pâturages.
Le succès avait du reste couronné mes efforts. J'avais pu
dessiner ^ assez grossièrement les tombeaux que j'avais vus
et j'étais parvenu avec beaucoup de peine à en démolir
quelques-uns. J'y trouvai des objets fort curieux et des
momies. '
Dans ma précipitation j'arrachai malheureusement un
grand morceau de la toile qui couvrait la tête de l'une
d'elles.
Il y avait aussi quelques souterrains dont les ouvertures
étaient fermées avec des pierres de forme elliptique dont
les diamètres ont 2°*,50 et 3 mètres et qui sont là comme
des bouchons aux bouteilles.
Ce qui m'étonna bien davantage, ce fut de rencontrer de
simples maisons parmi ces tombeaux. On pourrait faire à
ee sujet bien des suppositions dont je veux m'abstenir pour
le moment.
Je me bornerai à dire que toutes ces ruines contiennent
une foule d'objets en pierre, en os, etc., mais rien en fer.
On y voit beaucoup de grands vases elliptiques dont les di-
mensions en hauteur et largeur varient entre 2 et 3 pieds.
Enfin de nombreux hiéroglyphes, de toutes couleurs, ornent
les murs.
Le jour suivant je quittai ces parages et je revins par El
Puente à Ghachapoyas
NOTES COMMUNIQUÉES PAR M. LE DOCTEUR HAMT.
1* Sur la construction des tombeaux :
Les tombeaux ont la forme de calottes sphériques ou de
ruches d*abeilles. Leurs dimensions moyennes sont de
1. Les dessins n*ont pas été retrouvés.
592 VOYAGE DANS L^ÉQUATElfR ET LE PÉROU.
2 mètres de circonférence et del'^,25àl"',50 de hauteur. Ils
sont construits d'un mélange de pierres et de terre argi-
leuse pétrie avec des matières végétales ou animales (ma-
tière poilue, disait Senèze)*
Les tombes sont placées à la suite les unes des autres,
mais se trouvent tantôt isolées, tantôt reliées entre elles.
Dans ce cas elles communiquent par de petites ouvertures
d'environ 0"S0010 à 0'»S0012.
Chaque tombe séparée est surmontée d'une figure, tôle
bizarre, variant de forme et de dimension, formée avec la
même pâte argileuse dont j'ai parlé.
Les tombes groupées ou communiquant entre elles ne
portent qu'une seule tète sur une des tombes, mais cette
tète est alors très grosse : O'^ySO de largeur et hauteur
proportionnelle. Sur cette t^te sont ajustées autant de
petites tètes qu'il y a de tombes groupées. Les petites tètes
sont disposées de toutes les façons sur la principale, sur
son sommet, ses oreilles, ses joues, etc.. mais il faut re-
marquer que parmi ces petites tètes, la plus grosse est toi>»
jours placée plus haut et quelles vont en diminuant de
grosseur à mesure qu'elles sont ajustées plus bas sur la tète
principale.
(Une de ces petites tètes, primitivement appliquée sur
l'oreille d'une grosse, est au Musée d'ethnographie. Elle
était peinte en rouge comme toutes les autres.)
2» Sur les momies :
Les momies renfermées dans les tombes sont repliées, les
cuisses contre le sternum, le bout du pied droit couvrant
le pied gauche, les genoux sous le menton, les bras en de-
dans, et la tète est appuyée sur les doigts appliqués sur la
mâchoire inférieure. Les cheveux sont châtains et la peau
est de couleur très claire (d'un gris blanchâtre.)
Une des momies, débarrassée de ses enveloppes dont
les empreintes sont très nettement marquées sur la peau,
porte au cou un petit sac en tapisserie assez bien conservé,
VOYAGE BANS L EQUATEUR ET LE PÉROU. 593
oroé de dessins géométriques. La tête de cette momie est
surtout remarquable par la perte de substance faite dans
son occiput à l'aide d'une sorte de trépan.
Le crâne offert à la Société d'anthropologie par M. Senèze^
présente une semblable perte de substance à la base du
front. M. Broca qui a étudié cette perforation la décrit
ainsi :
c Elle est très large et présente sur sa circonférence une
série de demi-cercles bien réguliers de (y°,006 à O^'jOOT de
diamètre, résultant d'autant de petites perforations à l'aide
desquelles on a circonscrit et enlevé la pièce centrale. D'après
l'aspect de ces demi-cercles, il est évident que chaque
perforation partielle a été faite à Taide a'un instrument
tournant qu'on appliquait perpendiculairement à la surface
de l'os et qui devait être un gros poinçon*
» Cette pratique faisait sans doute partie d'un procédé de
momification et était destinée, soit à enlever la substance
cérébrale, soit plutôt à introduire dans le crâne des sub-
stances aromatiques pour empêcher la putréfaction du cer-
veau. »
L'examen de la momie du Musée d'ethnographie a con-
firmé en partie cette hypothèse. En effet M. Senèze a extrait
par le trou, qui n'a pas moins de 0*^,08 de diamètre, une
éponge qui tenait lieu d'encéphale et devait être imbibée
d'un liquide antiseptique.
(Voir Bulletin de la Société d'Anthropologie^iHl, p. 562.)
Le Gérant respomablCy
C. Maunoir,
Secrétaire général de la Commission centrale.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE TOME VI DE LA YIP SÉRIE (1885)
/
!•'' TRIMESTRE
De Mailly-Ghalon. — Un voyage en Mandchourie 4
Baron Benoist-Méchin. — Voyage à travers le Turkestaa • . 25
Charles Rabot. — L'expédition du professeur Nordenskiôld au
Groenland, avec cliché dans le texte 56
Charles Hdber. — Voyage dans l'Arabie centrale (18^8-1882), Hamâd,
Sammar, Qaçîm, P^edjâz (suite et fin) 92
2* trimestre
Charles Maunoir. — Rapport sur les travaux de la Société de Géo-
graphie et sur les progrès des sciences géographiques pendant
Tannée 1884 149
Le commandant Derrien. — La région algérienne traversée par le
méridien de Paris • 251
3« trimestre
Rapport sur le concours au prix annuel fait à la Société de Géogra-
phie dans sa séance du 24 avril 188b 313
Le D' Paul Neis. — Voyage au Laos (1883-1884) 368
J. ËRRiNGTON DE LA Croix. — Sept mois au pays de l'étain. Perak
(presqu'île de Malacca) 394
Â.-L. PiNART. — Chiriqui ^. Boca del Toro, Valle Miranda (avec
carte dans le texte) 433
4« trimestre
Gh. Vélain. — Esquisse géologique et ethnographique de la Guyane
française et des bassins da Parou et du Yari, affluents de TAina-
zone, d'après les explorations du D^ Grevavx 453
596 TABLE DES MATIÈRES.
Bbau de Saint-Pol Lias. — Atché et Pérak (Sumatra et Malacca).. 493
Vidal Senèze et Jean Noetzli. — Voyage dans les Républiques de
rÉquateur et du Pérou (1876-1877) 523
CARTES
Itinéraires en Asie par MM. Benoist^écbin et de Mailly-Chalon, 1883,
1/6 000 000«.
Itinéraire à l'intérieur du Groenland d'après la carte provisoire par
A. E. Nordenskidld, du 1« au 129 juillet 1883. 1/3 000000*.
Le commandant Derrien. — La région algérienne traversée par le mé-
ridien de Paris. 1/1 500000».
Le D' PAUL Neis, — Voyages en Indo-Chine (1883-1884).
Gh. Vélain. — Garte géologique de la Guyane française et d'une partie
du bas Amazone, d'après les' récherches du D' Greyaux en 1878-1879.
1/6000000\ V
Brau de Saint-Pol Lias. — Rivière de Lohong^ côte occidentale d'Atché
(Sumatra), 1880-1881. 1/50 000«.
FIN de la table des MATIÈRES.
BoURLOTOM. — Imprimeries rêumei, B.
€kULj0€ièUiUe»i^
¥'. lrim«MnUt85
Dressée par J.llansen
Crave et lun». |»«i- KrKaitl F*"'*..'»;>^ini<'lVnfei«l-Rocfcpi»an.Parw.
596 TABLE DES
Bbao de Saint-Pûl Lias. — Atché
Vidal Senèze et Jean Noetzli. — '
rÉqaateur et du Pérou (1876-18'
Itinéraires en Asie par MM. Beo
1/6 000 OOO».
Itinéraire à l'intérieur du Gr<
A. E. Nordenskidld, du 1* a
Le commandant Derrien. —
ridien de Paris. 1/1 50000^'
Le D' PADL Neis, — Voyager
Gh. Vélain. ^ Carte géolof
du bas Amazone, d'après
1/6 000 000*.
Brad de Saint-Pol Lias.
(Sumatra), 1880-1881. 1
FIN
Il 11/ nj^ ^
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ, in>.
i'*Béne (1821 à 1833), 20 vol. — (vol. 1 et 2 épuisés).
2« série (1834 à 1843), 20 vol.
3* série (1844 à 1850), 14 vol.
4* série (1851 à 1860), 20 vol. — (vol. 1 à 10, 1 5 éfmisés).
5» série (1861 à 1870)^20 vol. — (vol. 1, à 6, 9, 11, 12, 1 et 16 épuisés).
6* série (1871 à 1880), 20 vol. — (vol. 7 épuisé).
T série (1881 à 1883), 4 vol.
Ce Bulletin, à partir de 1882, est divisé en deux parties. La première qui com-
prend le compte rendu des séances, les principales lettres de la correspondance
la^ liste des ouvrages offerts à la Société et les faits géographiques les plus impor-
tants est publiée dix jours après la séance.
La seconde qui renferme les mémoii*es, notices, rapports ou. documents de
quelque étendtie avec cartes, parait tous les trois mois. Prix : pour Paris, 20 francs;
pour les départements, 22 francs; et pour Tétranger, 25 francs.
Table générale et analytique de la 1'» et de la 2* série. 1 vol. in-S**. Prix :
6 francs.
Table générale et analytique de la 3e et de la 4* série. 1 vol. in-8". Prix :
6 francs.
Notices annuelles des travaux de la Société et du progrès des sciences géogra-
phiques, par les secrétaires généraux. Prix : 1 franc chaque notice.
Programme d'instructions aux navigateurs pour Tétude de la géographie physique
de la mer. Broch. in-8*. Prix : 1 franc.
Instructions générales aux voyageurs. 1 vol. in- 16. Prix : 3 francs.
Compte rendu du Congrès international des sciences géographiques de 1875.
Tome I, in- 8'. Prix : 20 francs. — Tome II, in-S*». Prix: 15 francs.
Guide hygiénique et médical des voyageurs dans l'Afrique intertropicale,
par les D'* Ad. Nicolas, H. Lacàze et Signol, publié par la Société de
Géographie et la Société de médecine pratique de Paris, avec le concours des
Sociétés françaises de Géographie. Une brochure in-S"* de 100 pages. Prix :
2 francs.
Liste provisoire de bibliograpi ies géographiques spéciales, par M. James Jack-
son, archiviste-bibliothécaire de la Société de Géographie.
Cette liste comprend 1177 articles se rapportant à la bibliographie des diverses
régions de la terre-
Un vol. in-8<> de 8 et 340 pages. Prix : 12 francs. •
Exploration du Sahara. Les deux missions du lieutenant-colonel Flatters, par
le lieutenant-colonel Derrégagaix.
Un vol. in-S" de 144 pages avec carte. Prix : 3 francs.
Fleuves de ^Amérique du Sud, 1877-1879, par le D' Jules Grevaux, médecin
de la Marine française, 1 vol. in-f do 39 cartes avec tableau d'assemblage. Une
notice biographique et une bibliographie des travaux de Grevaux accompagnent
cet atlas. Prix : 25 francs.
La confrérie musulmane de Sldi Mohammed ben Ali es-Senoûsl et son domaine
géographique en Tannée 1300 de rhégire=1883 de notre ère, par Henri Duvey-
aiER. Paris, 1884. Brochure in-S"* de 84 pages accompagnée d'une carte. Prix : 3 fr.
Liste de positions géographiques en Afrique (contii^ent et îles), par Henri DD-
VEYRiER. Premierfascicule A-G. Paris, 1884. In-f» de 140 pages. Prix : 12 fr.
EXTRAIT DU RtGLEMENT DE Uk SOCIÉTÉ
Aet. I. La Société est instituée pour concourir aux progrès de la géograplite;
elle fait entreprendre des voyages dans des contrées inconnues ; elle propose et
décerne des prix; établit une correspondance avec les Sociétés savantes, les
voyageurs et les géographes ; publie des relations inédites, ainsi que des ouvrages
et fait graver des cartes.
Art. IV. Les étrangers sont admis au même titre que les Français.
Art. y. Pour être admis dans la Société, il faudra être présenté par deux
membres et reçu par la Commission centrale.
Art. YI. Chaque membre de la Société souscrit pour une contribution annuelle
de 86 francs au moins par année, et donne en outre 25 francs une fois payés^ lors
de la remise du diplôme.
EXTRAIT DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR
Art. XXXI. la, Commission centrale a la fatuité de nommer, hors du territoire
français, des membres corre^pondanU étrangers qui se seraient acquis jon nom
par leurs travaux géographiques. Un diplôme peut lenr être délivré.
Art. XXXI 1. La Société admet, sous le titre de Membres donateurs^ les étran-
gers et les Français qui s'engagent à payer, lors de leur admission «t une fois
pour toutes, une somme dont le minimum est fixé à 300 francs.
La bibliothèque, boulevard Saint-Germain, 184, est ouverte aux membres de la
Société, de 11 ai heures, les dimanches et jours de fête exceptés.
Les envois faits à la Société doivent être adressés, francs de port A M. le Pré^
sident de la Commission centrale, boulevard Saint-Germain, 184.
S'adresser, pour les renseignements et les réclamations, i M. C. Aabry, agent de
la Société, boulevard Saint-Germain, 184.
MM. les membres de la Société de Géographie peuvent faire exécuter à leurs
frais des tirages à part de leurs artieles, aux conditions du tarif ci-après.
Une f >• (16 pages)
Remise ea pages, glaçage,
papier, piqûre, enveloppe de
couleur
3/4 de f ^« (12 pages). . . .
1/2 f^ (8 pages)
1/4 de P>« (4 pages). ....
Couvertures, composition, ti-
rage, papier, glaçage
50
eiMipl.
12 65
1075
7 80
440
100
eieayl.
1555
12 60
960
630
10 »
150
excBpl.
1895
16 70
1205
885
1180
200
exMifl.
2310
20 »
1420
1010
13
250
exeapl.
27 »
2350
1675
12 »
1515
300
exeBfl
3090
27 »
19 30
1340
1645
350
3480
31 •
2185
15 30
18 70
400
exeapl.
3895
34 75
2440
16 95
19 75
500
n«a^.
4590
4090
2995
2050
2315
Composition d*un titre d'entrée de 1/4 de page 2
Composition d*un grand titre, avec page blanche au verso 4 50
Composition de quatre pages de titres (sans annonces pour les travaux
du même auteur) 6 50
Les corrections seront comptées 1 franc Theure.
Le tirage de chaque gravure sera compté 3 francs.
BouRLOTON. — Imprimeries réunies, B.